COLLECTION IDEES
Jean Lecer!
L'Or et les Monnaies Histoire d'une crise
Gallimard
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COLLECTION IDEES
Jean Lecer!
L'Or et les Monnaies Histoire d'une crise
Gallimard
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l'U. R. S. S. © Éditions Gallimard, 1969.
A Christian, Véronique et Bruno qui ont c~rché à savoir pourquoi cette histoire me passionne et m'ont conseillé de l'écrire.
INTRODUCTION
Il faudrait un jour dresser une double statue et inscrire 6ur le socle: u A Caïn et Abel, invem~l... Utl la monnaie. » Les fils du premier homme étaient en effet l'un cultiyateur et l'autre éleyeur. Il fallait consommer sans retara les bêtes que tuait Caïn. Il deyait attendre la récolte pour être remboursé. Abel, alors, prenait de l'ayance pour la morte-saison. Qu'ils aient compté d'une façon ou d'une autre non seulement ils échangeaient mais ils se faisaient crédit, ébauchant ainsi la monnaie. Comme l'un d'eua; au moins était querelleur, U est pro. hable qu'ils connurent les premières crises de confiance. C'est une crise de confiance que ya raconter ce liyre, celle qui, surtout à partir de 1960, mit en cause notre système monétaire international. Au-delà de la complexité des monnaies modernes, les problèmes posés sont yieux comme le monde. Pour connaître l'histoire d'une crise de confiance, U faut d'abord sayoir ce qui a été conyenu, comment l'un des partenaires fut amené à demander de plus en plus, comment l'autre commença à se défier, ql!elS furent les princi. paux épisodes de la querelle.
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L'or et les monnaies
C'est un plan analogue que nous suiçrons. Nous nous demanderons d'où çient notre système monétaire, c'està-dire l'ensemble des règles auxquelles nous nous conformons. Dans une première partie, que j'ai comparée à une guerre de position, nous çerrons comment, à traçers les choix, les tempéraments, les éçénements, les politiques, certaines dettes se gonflèrent, comment naquirent contestations et défiances. Dans une seconde partie, comparable à une guerre de mouçement, nous éçoquerons les crises qui, en 1967 et 1968, ont secoué le système monétaire. La question n'est pas résolue au moment où ce liçre s'achèçe mais nous pourrons, pour conclure, montrer quels clwix s'offrent à ceux qui portent les responsabilités des affaires du monde et proposer une issue. Pour connaître un homme, beaucoup dissertent longuement sur les différents aspects de son caractère. Il est souçent préférable de le regarder çiçre en un moment délicat, d' obserçer ses réactions, d'écouter ce qu'on dit de lui, d'essayer de comprendre ses difficultés. De même, des bibliothèques sont pleines de traités' sur la monnaie. J'ai préféré en raconter l'histoire à l'échelle du monde en un moment où tout a été remis, en question. Tour à tour, y interçiendront, liées à l'éçénement, à la çie, à l'angoisse pour la paix, à la lutte pour le pouçoir, aux conflits d'intérêt et d'opinion, les mille tensions d'une monnaie moderne. Cette histoire, je l'ai, comme journaliste, intensément çécue. A Paris, à Londres, à Vienne, à Rotterdam, à Munich, à Stockholm, à Garmisch, j'ai suiçi de nombreuses conférences internationales. J'ai rendu compte au jour le jour des épisodes de ce récit, incertain de ce qu'en serait
Introduction
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l'issue, conscient de l'immensité des enjeux, obserpant les acteurs et discutant apec eltX, amltsé par les détails pittoresques, sensible aux arguments ta'ntôt des uns et tantôt des autres, cherchant à démêler le prai du faux, à proposer des conclusions au risque de déplaire. Le lipre imprimé, l'histoire continue. Rien de ce qui pit n'est achepé. J'espère poltrtant en apoir raconté assez pour laisser comprendre ce qu'est une monnaie, les serpices qu'elle rend, les dangers qu'elle court, sentir la place immense qu'elle tient dans la pie des hommes. Ce lipre m'a été demandé par des jeunes. J'ai poulu qu'il fût court et simple: pourquoi serait-il nécessaire d'être un spécialiste rompu au jargon pour s'intéresser à cette apenture? Mais je souhaite que les initiés s'intéressent à cette histoire encore neupe que ni les uns ni les autres nous n'apons fini de pipre. '
CHAPITRE PREMIER
D'où vient notre système monétaire?
n n'est pire enjeu de querelle que les grands mots mal définis. Nous allons, dans ce récit, assister à la remise en cause, à partir de 1960, du système monétaire international. e' est un terme vague. n s'est constitué, comme les falaises, de couches apportées par le temps. Quel est l'apport des lointaines recherches des peuples commerçants? de la City de Londres? des essais de l'entre-deux-guerres? des accords de Bretton Woods? Au départ, un pullulement de monnaies locales, que chaque prince gérait et trafiquait à sa guise. Elles se mêlaient en un inextricable écheveau. Frederick L. De.. ming, sous-secrétaire américain au Trésor chargé des Affaires monétaires, racontait un jour qu'on en a compté dans son pays quelque six cents. Changer toutes ces monnaies les unes contre les autres était fort onéreux. C'était un obstacle majeur aux échanges. Nos ancêtres réalisaient des opérations lointaines et audacieuses. Leur commerce extérieur ne pouvait prendre beaucoup d'ampleur.
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L'or et les monnaies
Les peuples commerçants ont réagi. Ils ont créé des monnaies d'usage international. Les Vénitiens surent maintenir leur ducat d'un poids constant. De nombreux: pays l'avaient adopté comme monnaie. En 1447, dans le désordre qui suivit la Guerre de Cent ans, les Génois inventèrent l'étalon-or: ils stipulèrent que leurs banques devraient payer en or, que tous les paiements, toutes les traites sur Gênes devraient être libellés en or. La banque et le commerce génois en profitèrent largement. La livre sterling de la seconde moitié du XIXe siècle est restée le type même de la monnaie soumise à la règle de l'étalon-or. Au-delà d'un plafond de 14 millions de livres, la Banque d'Angleterre ne pouvait émettre des billets qu'en les gageant intégralement sur l'or qu'elle mettait en réserve. La quantité de métal précieux réglait donc la circulation fiduciaire. Lorsque le pays vendait plus qu'il n'achetait, dono gagnait de l'or, les particuliers et les entreprises anglaises obtenaient plus facilement de l'argent, du crédit. Elles avaient tendance à choisir une politique d'aisance et d'expansion qui les conduisait à vendre moins et à acheter plus. Lorsqu'au contraire le déficit s'installait, l'or sortait du pays et la monnaie y manquait. L'austérité s'imposait. On achetait moins, on cherchait avec plus d'ardeur des clients à l'étranger et l'équilibre des échanges revenait. L'étalon-or peut être comparé à un point d'appui muni d'un ressort auquel on rattache tout le mécanisme économique, le volume de la monnaie et le niveau des prix. L'ensemble est souple, mais à mesure qu'on s'écarte du point d'appui, soit vers le haut,. soit vers le bas, le
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ressort joue et tend à ramener le tout vers l'équilibre: ni trop de dettes, ni trop de créances, ce qui implique un rythme raisonnable de progrès. Sur cette base, la City de Londres développa un système bancaire d'une extraordinaire efficacité. La livre était acceptée dans le monde entier et offrait une sécurité absolue. La pratique des autres grands pays était analogue. Notons cette constante: une monnaie strictement basée sur l'or inspire confiance et peut donc servir de fondement à un système bancaire actif et complexe qui ouvre toutes sortes de possibilités. Les théoriciens optimistes du libéralisme voyaient là l'un des fruits des lois naturelles dont il ne fallait surtout pas déranger le jeu. Elles étaient, pour eux, un don de la Providence. L'État devait donc « laisser faire et laisser passer », intervenir le moins possible. Ce régime, qui vit l'essor de l'industrie, fut dur. L'un de ses prophètes, Ricardo, en accusait la rigueur par sa théorie des salaires, condamnés selon lui à rester très proches de la famine, par sa théorie de la rente qui montrait comment les propriétaires du sol profitent gratis de l'effort et de la faim des autres. La liberté était loin de tout résoudre. Des crises sévères de chômage coupaient· les progrès. De 1873 à 1898, la pénurie d'or entraînait un épuisant recul des prix. Puis on découvrit les mines d'or et ce fut « la Belle Époque ». Sous ce régime est apparu le prolétariat, sa misère, sa colère, ferment de la pensée de Marx et des socialistes. Mais dans quelle mesure cette souffrance était-elle nouvelle? Était-elle différente de la pauvreté millénaire de l'humanité, mal outillée, mal équipée, réduite à la force de ses mains? Elle était naguère diffuse et
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discrète dans les campagnes. Maintenant, elle était rassemblée, voyante, révoltée dans les villes. Ce système tendait au maximum l'effort de l'homme, créait une classe d'entrepreneurs âpres au gain, durs à la peine, à celle des autres et à la leur, meneurs d'hommes sans sensiblerie, rompus à la discipline du risque, de la concurrence, à la jungle des affaires où la faillite ne pardonnait pas. Ces créateurs ont fait sortir de terre l'outil dont nous nous servons. Qui se souvient que nos machines, que nos plus brillantes réussites sont nées de la longue souffrance des uns et de l'impitoyable audace des autres? L'étalon-or de la fin du XIXe siècle est resté une sorte d'idéal classique, un peu désuet et ennuyeux comme les ·vieux auteurs, comme le modèle d'un mécanisme rustique solide dans lequel on pouvait avoir confiance. Voyons maintenant pourquoi le système s'est érodé, pourquoi on l'a transformé entre les deux guerres, enfin comment on en est venu au régime de Bretton Woods que nous verrons remettre en cause dans cette histoire.
LA GU ERRE, PUIS LA CRISE
1914, la guerre éclate. Il faut trouver d'urgence d'énormes sommes. Tandis que tant d'hommes versent leur sang, il n'est pas question de ménager ceux qui possèdent, ni même de préserver l'avenir de la fortune nationale. Le cours forcé, le règne du papier-monnaie, de l'inflation forcenée, de la hausse des prix, tous les moyens qui permettent de prendre l'argent là où il est, sont mobilisés. La paix revenue, les vainqueurs veulent restaurer leur monnaie telle qu'ils l'ont laissée, telle qu'elle leur donnait satisfaction.
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C'est une entreprise impossible. On ne peut rayer d'un trait de plume toute la monnaie qui a été emIse pendant les années terribles, toutes les charges qui se Bont accumulées sur les États. Une première crise sur.. vint. L'étalon-or, disions-nous, ressemble à un point d'ap.; pui muni d'un ressort auquel on rattache le volume de la monnaie et le niveau des prix. C'est un bon système aussi longtemps que ceux-ci restent à distance raison.; nable du point d'appui. Qu'une inflation voulue, une guerre, viennent à les en écarter irrémédiablement, le ressort ne peut plus jouer. li devient un facteur de déséquilibre, de tension, de paralysie. Il faut alors, si l'on veut remettre ce système en état de marche, changer la hauteur du point d'appui, c'est-à~ dire le prix de l'or, le taux de change. Les monnaies ont perdu, pendant la guerre, une large part de leur pouvoir d'achat. Il faudrait en prendre acte, les dévaluer par rapport à l'or, ou, en d'autres termes, augmenter le prix de l'or. Celui-ci serait moins demandé. Les experts l'interprétèrent autrement. Ils ne voulurent pas changer le prix de l'or, et conclurent qu'il n'y en avait pas assez dans le monde, au lieu d'admettre qu'il y avait trop de monnaie. Comme remède, à la conférence de Gênes en 1922, 'ils inventèrent « l'étalon de change-or », le Gold Exchange Standard: les banques centrales utiliseront, pour gager leurs billets et composer leur réserve, non plus seulement de l'or mais encore des monnaies convertibles en or: des dollars et des livres sterling. Deux monnaies vivantes, soumises aux aléas de la politique, sont donc sacrées égales de l'or. Ce système, encore en vigueur, est la clé de cette histoire. Il permet d'élargir la base du crédit, de la
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monnaie. C'est une nouvelle mine d'or qu'on a découverte. La prospérité s'en trouve stimulée. L'expansion de crédits facilite les affaires et, dans le monde entier, les années 1928-1929 sont celles de l'audace industrielle et des folies boursières. Le petit public s'est mis à spéculer, achète les actions à n'importe quel prix et fonde sur ces échanges des fortunes imaginaires, quand, le 24 octobre 1929, les cours de la bourse de New York s'effondrent soudain, entraînant' dans le monde un vent de panique et des faillites en chaîne. L'inquiétude se répand. Chacun cherche à se dégager, reprend son argent. Les commandes cessent, les affaires s'arrêtent, les gouvernements s'efforcent de regagner la confiance par des mesures restrictives qui ne font qu'aggraver la situation. L'Allemagne cesse de verser l'intérêt de ses dettes, ne les rembourse plus. La plus terrible crise économique que l'histoire ait connue s'abat sur le monde. Elle laissera des souvenirs de cauchemar. Plus de deux millions de chômeurs en Angleterre en 1932, non loin de six en Allemagne et aux États-Unis. Pour essayer d'échapper à la contagion du chômage, les gouvernements bloquent le commerce international. L'Angleterre elle-même renonce au libre échange et s'enferme dans la zone préférentielle du Commonwealth. Les États-Unis imposent des droits de douane d'une moyenne de 59 %. Les importations sont purement et simplement interdites au-delà d'un contingent. Les paiements sont contrôlés. La surproduction apparaît comme un scandale. Pour relever les prix, on brûle du café, du blé dans les locomotives, alors que les chômeurs se privent de tout. Les doctrines libérales, l'étalon-or paraissent à jamais discrédités.
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Que s'est-il passé? Aujourd'hui encore, on discute sur l'interprétation de ces faits. Le débat était bien plus âpre à ce moment. Certains estimaient qu'on n'avait pas joué le jeu, pas assez comprimé les budgets, les salaires, le crédit, etc. D'autres accusaient le capitalisme ou le traité de Versailles. L'Allemagne, désespérée, confie le pouvoir à Hitler.
Trois motifs essentiels expliquent la gravité de la Crise: - Le Gold Exchange Standard a conduit à une inflation de crédit. Elle a stimulé l'expansIon: qui s'endette peut bien vivre, s'équiper. Mais qui a abusé des dettes voit un jour basculer la confiance et se trouve obligé de rembourser, de dépenser moins qu'il ne gagne. Il vit mal. C'est la crise. - Les monnaies restaient reliées à l'or par un prix artificiel qui permettait d'acheter le métal à trop bon marché. La France, qui, avec Poincaré en 1928, avait adopté un taux réaliste en dévaluant le franc de quatre cinquièmes par rapport à l'or, échappa à la crise dans sa première phase, et renforça ses réserves. - Les gouvernements agissaient chacun pour soi et multipliaient les mesures restrictives, se renvoyant le chômage les uns aux autres par-dessus les frontières. Ils ne savaient pas comment on lutte contre une dépression, et les économistes étaient loin d'être d'accord sur les remèdes. Un tournant de la crise c'est, en 1931, l'adoption par les Anglais d'un cours flottant de leur monnaie, qui conduit à la dévaluer de 40 %. L'économie britannique s'en trouve soulagée: dévaluer c'est abaisser ses prix, donc vendre plus facilement,·
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et c'est accroitre le prix d'achat des produits étrangers, donc se défendre mieux contre la concurrence. Pour le système monétaire c'est un rude coup. Ceux qui ont fait confiance à la livre comme à l'or le regret. tent. Celui-ci redevient, non pas officiellement mais dans l'esprit du public et pour un temps, la seule valeur sûre. En 1933, l'Allemagne, désespérée, confie le pouvoir à Hitler. Avec l'aide d'un célèbre financier, le Dr Schacht, celui-ci isole son économie. En 1934, Roosevelt, à son tour, dévalue le dollar de 40 % et prend toute une série de mesures dirigistes qui relanceront l'économie américaine. La France s'enfonça peu à peu dans la crise à mesure que les dévaluations des autres rendaient sa propre parité-or moins avantageuse. Son gouvernement essaya, en 1935, une politique de compression du budget, des prix, des salaires. Le malaise social qu'elle entraîna hâta l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de Front popula~re qui interrompit l'expérience, dévalua la monnaIe. Un économiste anglais va établir un diagnostic et proposer un nouvel ensemble d'idées, économiques que les milieux intellectuels et politiques vont retenir: c'est John Maynard, premier baron Keynes. Né à Cambridge d'un économiste et philosophe connu, c'est tour à tour un professeur, un banquier, un spécu. lateur heureux, un haut fonctionnaire, un diplomate. Il a trente-six ans lorsqu'en 1919, il démissionne de son poste de conseiller du Trésor britannique pour attaquer, dans son livre Les conséquences économiques de la paix, le traité de Versailles, puis la politique déflationniste anglaise, conséquence de la volonté de restaurer la livre à son ancienne parité. Son Traité de la monnaie (1930) et sa Théorie générale
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de l'emploi, de l'inrer8t et de la monnaie (1936) sont de grandes œuvres qui ont bouleversé la pensée économique mondiale. C'est surtout au cours de la grande crise des années 30 que sa doctrine a mûri. Il montre que le sous-emploi peut résulter, non comme le disaient les classiques, d'une insuffisante élasticité des salaires à la baisse, mais d'une épargne excessive qui ne s'investit pas, de taux d'intérêt trop élevés. S'opposant aux classiques qui voyaient dans l'acti· vité de l'entreprise privée la source de toute prospérité, donc réservait peu de rôle économique à l'État, Keynes apprit aux économistes à penser à l'échelle nationale par quantités globales, ouvrant la voie aux études de comptabilité nationale. Il incita les États à mener une politique active en vue du plein emploi, quitte à user le cas échéant du protectionnisme, du déficit budgétaire, de grands travaux, de larges investissements publics, d'une redistribution des revenus en faveur des classes qui épargnent moins et dépensent davantage, d'une politique de crédit généreuse conduisant à la baisse des taux d'intérêts. Pour lui, le culte de l'or était un reste de la barbarie. Ses recherches ouvraient la voie à l'économie mathématique. Elles justifiaient une intervention multifor me des pouvoirs publics. Elles donnaient des facilités financières tentantes et dangereuses aux hommes politiques pour lesquels l'équilibre des budgets n'était plus un dogme. Ces théories nouvelles cadraient bien avec le scandale de la crise, avec ce qu'on avait dû faire pour en sortir. L'opinion tenait les hommes politiques pour responsables. On ne peut être responsable si l'on n'a pas le moyen d'agir.
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La crise laissait en héritage tout un arsenal de mesures protectionnistes. Elles limitaient à la fois le commerce et les paiements. Les monnaies se repliaient sur ellesmêmes. L'étalon-or était loin. Cette attitude défensive, donc agressive, des différents pays a conduit à un renouveau de la course aux armements, en Allemagne et au Japon d'abord, puis à l'échelle mondiale. Une monnaie inadaptee est un facteur de guerre. Enfin, le temps où l'on estimait que les États ne peuvent mieux faire que de laisser les entreprises privées agir à leur guise et de ne s'en mêler que le moins possible est révolu. Les gouvernants ont été tenus pour responsables du marasme économique. Ils ont été amenés à intervenir de plus en plus énergiquement, à étendre leurs pouvoirs. La doctrine de Keynes les incite à agir. lUais le système mondial des échanges est disloqué.
L'ESSOR D'APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE
La Seconde Guerre mondiale fut l'occasion de repenser les grands problèmes. Un souvenir domine: lu grande el'ise. Personne ne veut plus la revoir. Mais comment s'y prendre? La guerre s'achevait, mais Paris n'était pas encore libéré lorsque du 1er au 22 juillet 1944, à Bretton Woods, dans ie New Hampshire, 44 États, tous opposés à l'Allemagne, à l'Italie et au Japon, participèrent à Une conférence sur le futur régime des monnaies. C'est là que furent conçus le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour la reconstruction et le développement,
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La conférence fut dominée par une opposition entre les Anglais, représentés par Keynes, et les Américains qui soutenaient un plan élaboré par Harry B. White. Keynes, qui vivait ses dernières années, avait conçu un proj et fort ambitieux. Les pays créditeurs s'y voyaient obligés de consentir certains crédits aux débiteurs. Quand le déséquilibre externe devenait trop important, le débiteur acceptait de freiner son rythme de croissance. Le Fonds monétaire eût été, en quelque sorte, une banque d'émission dont la monnaie, le bancor, s'appuyait sur les réserves des pays qui en avaient le plus. Le plan Keynes fut mal accueilli par les Américains. Ds avaient, à la faveur de la guerre, drainé l'or du monde entier. Ils étaient et seraient longtemps les grands crédi. teurs. Ils ne voulaient pas financer automatiquement l'inflation des débiteurs. Ce dialogue des créditeurs et des débiteurs sera repris en sens inverse, quelques années plus tard, quand les créditeurs seront les pays du Marché commun, et les débiteurs, les Américains. L'histoire, moqueuse, aime intervertir les rôles. Le plan White fut prMéré. Il forme, aujourd'hui encore, la base de notre système monétaire dont le pivot est le Fonds monétaire international qui siège à Washington. Quels dispositifs a-t-il institué? Chacun adoptait une parité fixe entre sa monnaie et le dollar s'interdisait de dévaluer fortement sans l'accord du Fonds. Chacun s'engageait à maintenir sur le marché de son pays, à 1 % près, le taux de change déposé au Fonds monétaire. Si en Suède par exemple, le prix du dollar montait trop, cela voudrait dire que le cours de la couronne sué-
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doise èst trop has. La Banque de Suède devrait donc vendre des dollars et racheter des couronnes. Celles-ci raréfiées sur le marché reviendraient au taux normal mais le pays aurait perdu une partie de ses réserves de devises. Si au contraire le cours du dollar haissait trop, cela voudrait dire que la couronne suédoise est trop chère. La Banque de Suède devrait, à ce moment, acheter des dollars en émettant des couronnes ce qui rétablirait l'équilibre. Chaque pays est donc obligé d'aligner sa monnaie sur le cours du dollar. Et les Etats-Unis? Ils doivent, eux, aligner le dollar sur l'or. Ils n'ont pas d'obligation vis-à-vis des autres monnaies mais ils doivent être acheteurs et vendeurs d'or au prix de 35 dollars l'once pour n'importe quelle quantité. Par ce biais, tout porteur d'une des monnaies du Fonds monétaire peut, en principe, en obtenir la contre-valeur en or à un cours prévu d'avance. Cela, c'était l'idéal. Il ne pouvait être question de le réaliser immédiatement. Mais on décidait d'y tendre. D'autre part, le Fonds monétaire organisait l'assistance mutuelle. Chaque pays versait une quote-part, dont le quart en or et trois quarts en monnaie nationale. Ces sommes servaient de base au crédit que le Fonds accorderait aux pays en difficulté de paiements. Ce crédit; était automatique lorsqu'il était peu important par rapport à la quote-part; il devenait de plus en plus difficile à obtenir et impliquait un contrôle international de plus en plus strict sur le pays débiteur à mesure que la dette devenait plus importante, le crédit ne pouvant dépasser le double de la quote-part. La Russie et les pays de l'Est, qui étaient à Bret" ton Woods, sont restés à l'écart du Fonds monétaire. Compte tenu des circonstances, les États-Unis et
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la Grande-Bretagne ont versé une part prépondérante du capital du Fonds et ont obtenu, de ce fait, au Conseil d'administration de cet organisme, des droits de vote. prépondérants. La livre et surtout le dollar restaient les monnaies clés. On les mettait en réserve au même titre que l'or. Le Gold Exchange Standard continuait. Les prochains chapitres évoqueront l'évolution de ce système après 1960. Mais, jusque-là, comment a-t-il fonctionné? La guerre terminée, c'est, dans la plupart des pays, la grande inflation. Le' monde éprouve un intense besoin de dollars. La guerre froide s'est installée entre les Russes et les Américains. L'influence communiste augmente dangereusement. En 1947, le général Marshall lance un vaste plan d'aide des États-Unis à l'Europe. Des dons et des prêts généreux vont faciliter le redémarrage' des économies. Les Américains y mettent une condition. Les Européens devront s'entendre pour répartir eux-mêmes les sommes mises à leur disposition. Ce sera le germe de l'Europe unie. En attendant, plusieurs institutions organisent le renouveau des échanges internationaux. Les pays communistes refusent cette aide. Dix-sept pays Occidentaux, ceux qui deviendront le Marché commun et la zone de libre échange, l'acceptent. Ils forment l'Organisation européenne de coopération économique (O. E. C. E.) qui siège à Paris, au château de la Muette. Ces pays ne se contentent pas de répartir l'aide américaine. Ils entreprennent de libérer le commerce de tous les obstacles qui se sont accumulés aux frontières depuis la grande crise et depuis la guerre. On n'échange plus qu'au compte-gouttes, par accord de pays à pays,
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selon des procédures qui n'ont aucune souplesse. L'O. E. C. E. va organiser peu à peu « la libération des échanges» qui va être un succès. Mais pour échanger, ilfaut pouvoir payer. L'O. E. C. E. institue l'Union européenne des paiements, organisme de crédit mutuel qui rendit de grands services. Chacun y paie son déficit partie en crédit et partie en or, la part de l'or augmentant avec le montant des dettes. Ce système dura jusqu'en 1958, jusqu'au moment où, nous verrons comment, les monnaies redevinrent convertibles. A l'échelle mondiale, une grande conférence s'était tenue à 1946 à La Havane sur les moyens de dévelop" per le commerce mondial. Elle aboutit à un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade). Ceux qui ont accepté cet accord se garantissent les uns aux autres que personne n'obtiendra, en matière commerciale, des conditions plus favorables qu'eux en matière de droit de douane ou de contingent. Le groupe de ces pays se réunit souvent pour voir comment est appliqué cet accord, pour rechercher des abaissements des droits de douane. On les désigne sous les initiales anglaises de l'accord luimême: le G. A. T. T. Ce rapide survol permet de retrouver les grandes lignes du système monétaire actuel que nous allons voir remis en cause dans cette histoire. Au moment où elle commence, ce système a déjà permis la reconstruction des territoires sinistrés, un progrès économique remarquable, coupé de légères récessions, mais sans crise sérieuse. L'échange a pu être restauré, .grâce à la confiance, patiemment rétablie. Le système fonctionne bien. Mais les pays occidentaux qui s'en servent sont alors
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inquiets. Les pays communistes se vantent de progresser nettement plus vite qu'eux. Ils calculent déjà le moment où, grâce à cette différence de rythme, ils dépasseront largement le niveau de vie des pays d'Europe occidentale d'abord puis celui des Américains. Ceux·ci veulent accélérer l'allure. Un défi a été jeté.
Première partie
LA GUERRE DE POSITION
CHAPITRE II
La bataille s'engage
Fait divers londonien ou drame planétaÎre? Depuis la réouverture, à Londres, en 1954, du marché de l'or fermé depuis la guerre, les cinq messieurs vêtus de sombre qui se réunissent chaque matin à la Banque Rothschild discutaient sur des pennies. Or, dès le milieu d'octobre 1960, des ordres d'achat vcnus de Suisse, puis de Paris, Bruxelles, Milan, Francfort, Vienne, Stockholm rompirent l'équilibre. Le cours de l'or quitta les environs immédiats des 35 dollars habituels, bondit, fit une pointe à plus de 40 dollars l'once. Puis il fluctua un moment autour de 38 dollars. Les banquiers suisses auraient, disait-on, conseillé à de ri(~hes déposants, pétroliers du Moyen-Orient et hommes d'affaires d'Extrême-Orient, de convertir leurs dollars en or. Le secret couvrait ces opérations. Des mesures avaient été prises depuis quelques mois pour dissuader les capitalistes en quête de refuge d'acheter des francs suisses ou des marks. L'attrait de l'or avait donc augmenté. Pourquoi, normalement, le prix de l'or était-il fixe? A va nt la réouverture de 1954, une sorte de marché parallèle de l'or avait eu des accès de fièvre. On y avait vendu, au moment de la guerre de Corée, du métal à
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L'or et les
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51 dollars l'once mais les Anglais et les Américains avaient estimé que ce genre de cours donnait une mauvaise idée de la stabilité des monnaies. Ils avaient chargé la Banque d'Angleterre d'intervenir pour leur compte afin de maintenir le prix du marché. C'était d'autant plus facile que la demande d'or pour le secteur privé était nettement moindre que sa production annuelle, souvent renforcée par des ventes d'or russe. Les Soviétiques alimentaient discrètement une part du marché. Ils avaient vendu en 1959 pour 150 millions de dollars d'or soit près du quart de la production occidentale. A partir de la fin octobre 1960, ils semblent avoir suspendu leurs envois. Les Sud-Africains qui ne cessaient de réclamer la réévaluation du prix de l'or, les ont probablement imités. Normalement, les Américains maintenaient le prix autour de 35 dollars l'once troy (31,10 g), taux qu'avait fixé Roosevelt en 1934 : acheteurs lorsque le cours haissait et vendeurs lorsqu'il montait. Cette fois, ils le laissèrent s'élever. Sans doute n'étaient-ils pas fâchés de voir les amateurs d'or en acheter trop cher: heaucoup seraient obligés de revendre à perte, le cours normal revenu. Pourquoi les acheteurs d'or avaient-ils pris ce risque? Qu'attendaient-ils? On était en pleine campagne électorale. Le 7 puis le 13 novembre, Kennedy avait, à la télévision, surclassé Nixon. On prêtait au futur élu l'intention de déséquilibrer le budget en abaissant les impôts. L'un de ceux qui le conseillaient, le professeur Samuelson, lui suggérait d'imiter Roosevelt et d'augmenter le prix de l'or.
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Les spéculateurs ont misé sur cette perspective. Elle équivaudrait à une dévaluation du dollar. Celui-ci vaut un peu moins d'un milligramme d'or (0,888). Si l'on aug~ mente le prix du métal, on diminuera la valeur du dollar. Ce qui expliquait le calcul des spéculateurs, c'était la rapidité des sorties d'or américaines : 134 millions de dollars dans les six premiers mois de 1960 et 740 de juillet à novembre. Le Président Eisenhower avait diminué le taux de l'escompte américain pour relancer l'activité. Une fuite de capitaux vers l'Europe en avait été la conséquence: l'argent rapportait davantage à Paris ou à Francfort qu'à New York. L'enjeu était grave. Le tiers environ des réserves des banques centrales était composé de dollars. Si ceux-ci apparaissaient comme une monnaie, non pas médiocre, mais ne tenant plus sa parité avec l'or, si un pays après l'autre s'en délestait pour lui préférer de l'or, ce métal risquait de devenir l'objet d'une surenchère. Cela s'est produit déjà après 1873 et après 1931 lorsque l'argentmétal puis la livre sterling perdirent en partie leur rôle de monnaie internationale. Dans les deux cas, une crise mondiale s'ensuivit. Accès de fièvre sur un marché étroit, cette poussée de l'or témoignait d'une inquiétude dont nous allons évoquer les motifs. Elle allait inspirer des critiques du système monétaire et inciter les gouvernements à mieux coopérer pour se prémunir contre la spéculation. Pourquoi la conjoncture internationale, excellente à bien des égards, suscitait-elle des doutes sur les monnaies? La flambée passée, le calme et le prix habituels revinrent rapidement sur le marché de l'or, mais les Américains demandèrent à d'autres pays de les aider à soutenir le cours en coordonnant leur action. Les Alle-
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mands, les Anglais, les Américains, les Belges, les Fran" çais, les Italiep.s, les Hollandais, les Suédois et les Suisses formèrent ce qu'on a appelé depuis le poor de l'or. Ils se consultaient régulièrement et achetaient ou vendaient ensemble pour maintenir l'évolution du marché dans des limites ne dépassant guère 0,5 % au-dessus ou audessous du cours officiel. La Banque d'Angleterre agissait pour le compte de tous. Les ventes d'or russe avaient repris et le prix habituel' était maintenu fa~ilement. Les spéculateurs qui avaient acheté de l'or au-dessus du cours officiel durent le gar_ der ou le liquider à perte. Mais bientôt apparurent de nouveaux motifs de déséquilibre. Le 10 avril 1961, pour la première fois . dans l'histoire du monde, un astronaute, sortant de l'atmosphère, pénétra dans les espaces interplanétaires. Il s'appelait Youri Gagarine. Il était russe. Son exploit éveillait dans le monde une intense curiosité, beaucoup d'espoir. Un homme avait suivi l'aventure avec une admiration mêlée d'inquiétude. C'était le nouveau président des :États-Unis, John Kennedy. Ce succès spectaculaire, il le savait, renforçait le prestige soviétique, déjà très grand dans le Tiers monde. Il renforçait, au Vietnam, le camp de ceux contre lesquels les Américains étaient amenés à intervenir de plus en plus. Il risquait d'aviver, aux frontières entre le monde communiste et l'autre, l'audace des révolutionnaires qui créeraient peut-être de nouveaux foyers de guérilla. Kennedy était maintenant celui qui pouvait être un jour obligé de décider s'il devait ou non déclencher l'apocalypse atomique. Il était responsable de la sécurité du monde, donc de l'équilibre des forces nécessaires à la paix dans la liberté.
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Les Américains étaient las de se voir devancer par les Russes dans la course à l'espace. Kennedy avait demandé au Congrès un surcroît de crédits pour les rejoindre et les dépasser. En deux ans, les dépenses allaient passer d'un demi-milliard à deux milliards et demi de dollars. (Le milliard de dollars va être, dans cette histoire, l'unité de mesure.) Sept jours plus tard, un commando d'exilés cubains débarquait dans la baie des Cochons. Ils étaient décidés à libérer leur pays de la dictature de Fidel Castro. Les Américains ne combattaient pas avec eux, mais leurs armes et leurs instructeurs étaient américaim. L'aventure avait été lancée avec le feu vert du Président. Or, ce débarquement fut, un désastre, le premier grand échec de Kennedy, trois mois après son avènement. En juillet, éclatait la crise de Berlin. Khrouchtchev venait d'annoncer une augmentation de 30 % du budget soviétique de la défense. Le nombre des Allemands de l'Est qui se réfugiaient en Allemagne de l'Ouest tripla soudain. A Washington on revoyait les plans de mobilisation. Khrouchtchev venait de prédire, dans un discours, que dès 1970, l'Union soviétique aurait dépassé les Etats- Unis du point de vue économique. Il avait publié un mémorandum inquiétant sur Berlin. Kennedy, recevant Alexis Adjoubei, rédacteur en chef des lz!Jestia et gendre de Khrouchtchev, lui avait dit : « Je !Joudrais m'assurer que !Jo us ne conser!Jez aucun doute, !Jotre beau-père et !JOUS, sur notre attitude à Berlin.
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Puis il prononça au Congrès un discours très dur où il annonçait une augmentation de 3,25 milliards de dollars du budget militaire. Le 13 août, Walter Ulbricht, chef du gouvernement
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de l'Allemagne de l'Est, isola Berlin-Est par le fameux cc Mur de la honte ». La tension internationale ne cessait de monter. Pendant ce temps, quelque 5 000 techniciens soviétiques mettaient Cuba en état de défense. Les Américains surveillaient les opérations discrètement mais avec angoisse, car Cuba c'est très près des États~ Unis. Il existe une étroite relation entre la tension internationale et celle sur le marché de l'or. Sensible à toutes les inquiétudes, il resta calme pourtant. En 1961, les Soviétiques eurent besoin d'argent et leurs ventes furent relativement abondantes. Au début de 1962, les ventes d'or russe, celles d'Afrique du Sud, et un prélèvement du Canada sur ses réserves d'or ont largement appro~ visionné le marché. A la fin mai 1962, un brusque effondrement des cours dans les bourses américaines, suivies par les autres mar~ chés internationaux, donna à l'or un surcroît d'intérêt. Les ventes d'or russe cessèrent. L'or se mit à monter. Il redescendit lorsque, le 23 juillet, Kennedy précisa que les États-Unis maintiendraient le cours actuel de l'or, mais la demande s'était mise à dépasser l'offre. Le 14 octobre, des photographies aériennes américaines révélaient que des rampes de lancement de fusées, armes offensives, avaient été mises en place à Cuba par les Russes. Les États-Unis se sentirent directement menacés. Le risque de guerre atomique fut vivement ressenti. Le 20 octobre, une nouvelle tension se déclara sur le marché de l'or. Le prix monta. Jusqu'à la fin d'octobre, tandis que Kennedy faisait bloquer Cuba, le volume des achats d'or atteignit un niveau record. Les autorités durent en vendre beaucoup pour régu' lariser les cours.
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La crise cessa brusquement. Les Russes cédèrent et rembarquèrent leurs rampes de lancement. L'alerte était passée mais elle laissait des traces. Le budget américain avait reçu de lourdes surcharges, tant pour la course à l'espace que pour la défense. Les spéculateurs sur l'or étaient en éveil.
LES MONNAIES SONT DEVENUES CONVERTIBLES
Dans ce contexte plus tendu, le débat monétaire prend un jour nouveau. Le dollar et la livre sterling se sentent plus vulnérables, plus menacés. Les économistes vont discuter des remèdes. Que critiquent-ils? Tout va-t-il mal? Il est paradoxal, en quelque sorte, que le problème se soit posé en un moment où l'on avait quelques raisons de croire que le système monétaire fonctionnait bien. Pendant les années 50, le volume du commerce mondial avait doublé. Or, le but d'un bon système monétaire international est de permettre l'échange. L'Allemagne, championne du commerce extérieur, avait même triplé ses achats et ses ventes. Le développement du commerce avait été l'une des causes majeures de l'expansion, du progrès du niveau de vie, d'une période d'essorrem arquablement longue. D'autre part, on assistait à un progrès vers l'équilibre des réserves d'or et de devises. A partir de 1958, un flux d'or et de dollars se dirigeait vers l'Europe. Cette annéelà, l'Allemagne en avait gagné 674 millions; la GrandeBretagne 730, les Pays-Bas 400. Les États-Unis avaient acquis pendant la guerre une part énorme de l'or du monde. Ce quasi-monopole laissait place à un meilleur équilibre. Grâce à ces rentrées,
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l'argent devenait plus abondant en Europe, donc moins cher. Les affaires profitaicnt de ces facilités nouvelles. « Selon toute probabilité, déclarait dès 1959 avee un bel optimisme M. Per Jacobsson, directeur général du Fonds monétaire, l'inflation mondiale a pris fin. La liquidité excessipe héritée de la guerre a été résorbée. Le contrôle du crédit est depenu plus efficace. La production augmente. La concurrence est plus pipe et la résistance à la hausse des prix plus pigoureuse. Les appels au Fonds monétaire se font moins pressants. La conpertibilité entraîne des économies de temps et d'argent dans le commerce mondial. » Grâce à ce climat, on avait assisté à un mouvement accéléré des grandes monnaies vers la convertibilité. Cela veut dire que les grands pays acceptaient de plus en plus de donner les devises les plus demand'es en échange de leur propre monnaie. Jusqu'en 1959, pour changer des francs, des livres, des marks, ou des florins en dollars il fallait une autorisation officielle. Ces monnaies n'étaient donc pas librement convertibles. Depuis longtemps, la Grande-Bretagne préparait la convertibilité, mais elle ne parvenait pas à avoir des réserves de change suffisantes pour la réussir. Elle s'y décida brusquement. Le 1er janvier 1959, le traité de marché commun devait produire ses premiers effets: les six membres de la Communauté européenne devraient, à partir de ce moment, s'accorder mutuellement un régime commercial préférable à celui qu'ils offraient aux autres pays. Jusque-là, la règle d'or du commerce international avait été la clause de la nation la plus favorisée : chacun s'interdisait de faire des faveurs à un pays plus qu'à l'autre. Les Anglais, qui restaient volontairement en dehors
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du Marché commun, essayèrent d'empêcher l'entrée en vigueur de ce régime préférentiel dont profitaient leurs concurrents et pas eux. Des débats dramatiques eurent lieu à l'Organisation européenne de coopération économique le 15 décembre 1958. Ils échouèrent. Les Anglais ne virent plus qu'un moyen d'empêcher la réalisation de ce projet : rétablir immédiatement la convertibilité de la livre sterling. En effet, on savait d'avance que le mark et le florin imiteraient la livre le jour où elle deviendrait convertible. On ne prévoyait pas que le franc pût en faire autant. Paris n'avait pratiquement pas de réserves. Or, un marché commun réunissant des devises convertibles et d'autres qui ne l'étaient pas paraissait difficilement soutenable. Au moment de Noël 1958, donc, la livre devint convertible, suivie du mark et du florin. Le gouvernement français, qui était alors présidé depuis six mois par le général de Gaulle, prit le pari. Il dévalua le franc de 17,5 %.et le déclara lui aussi convertible. Les autres banques centrales consentirent un prêt important pour faciliter l'opération. Sportivement, la Banque d' Angle~ terre y prit part. Un plan d'économie budgétaire et de réforme du crédit, le plan Pinay-Rueff, restaura la confiance dans le banc du jour au lendemain, comme par miracle. Les grandes réussites économiques, les grandes restaurations monétaires se font ainsi. C'est du jour au lendemain, le 21 juin 1948, que l'Allemagne eut une monnaie et un climat nouveaux. Il ne s'agit pas d'une opération purement psychologique et de prestige. Il faut que l'État cesse de dépenser
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plus qu'il ne gagne et que le crédit soit hi en tenu. A ces conditions, chacun est obligé de gagner ou d'avoir autant qu'il dépense et le pays n'importe pas plus qu'il n'a de ressources en devises. Peu à peu, à pas lents, cette convertibilité des monnaies progressa. Au début, elle ne s'adressait qu'aux étrangers. Une livre sterling n'était convertible libre~ ment en dollars que si elle n'appartenait pas à un Anglais. De même pour le franc. Peu à peu, la liste des opéra~ tions permises aux nationaux s'élargit dans beaucoup de pays. On pouvait donc être optimiste au moment où se produisirent les premiers soubresauts monétaires, où le débat s'engagea sur la nécessité d'une réforme.
LES DEUX VEDETTES DU DÉBAT ROBERT TRIFFIN ET JACQUES B.UEFF
De très nombreux économistes ont participé à cette discussion mais nous serons amenés, dans cet ouvrage simple, à insister sur deux pôles de pensées, vigoureu~ sement contrastés, l'un représenté par Robert Triffin, un Américain, l'autre par un Français, Jacques Rueff. Quelles étaient leurs thèses? Robert Triffin est né en Belgique et fut d'abord professeur à l'université de Louvain. Comme expert à l'Organisation européenne de coopération économique, il fut l'un des principaux auteurs de l'Union européenne des paiements qui rendit de précieux services. Devenu citoyen américain, professeur à l'université de Yale, il a acquis une audience mondiale. Il fut l'un des conseillers économiques de Kennedy. Il est, si l'on
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en croit le sénateur Paul A. Douglas, « le premier expert monétaire des États-Unis, et peut-être du monde, pour les moul'ements de l'or et du dollar ». C'est lui, qui, depuis 1959, a alerté avec le plus de vigueur l'opinion internationale sur le danger qu'un système monétaire basé sur l'accumulation de dollars et de livres faisait courir au monde. Selon la politique interne des États-Unis et de la Grande-Bretagne, il y avait en circulation trop ou pas assez de liquidités, c'està-dire de réserves monétaires facilitant le commerce international. La conséquence, c'était l'inflation ou la . dépression mondiale. La liquidité: voici un mot que nous allons rencontrer Bouvent. La liquidité d'une entreprise c'est l'abondance ou la rareté de l'argent liquide. De même la monnaie disponible pour les paiements internationaux peut être abondante ou rare. Le manque de liquidité oblige une entreprise à une politique de stricte économie sur les frais généraux, les stocks, investissements, à vendre au plus tôt, donc à ne pas être trop exigeante sur les prix. Il est déflation-. niste. L'abondance de liquidité incite à acheter beaucoup même s'il faut payer cher, à ne vendre qu'avec le maximum de bénéfices même s'il faut attendre, à stocker, à investir, à s'engager à long terme. Elle est inflationniste. Un chat trop bien nourri ne court pas après les souris. Pendant l'après-guerre, les ministres des Finances qui contrôlaient les changes et contingentaient les entrées de marchandises pouvaient se contenter de réserves, de liquidités de l'ordre de 15 % de leurs importations annuelles. Au contraire, la convertibilité revenue vers 1960 en exigeait davantage. Elle augmentait
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l'incertitude. Mettre en réserve la valeur de quatre à six mois d'importations devenait alors nécessaire. On n'est libéral qu'avec quelque argent devant soi. Une bonne liquidité mondiale doit permettre à tout pays qui gère sainement ses finances d'avoir ou de gagner progressivement des réserves valant un bon tiers de ses achats annuels. Lorsque augmente le volume du commerce mondial, selon le professeur Triffin, la quantité de monnaie internationale doit se développer. Lorsqu'elle devient insuffisante, les pays sont obligés de se la disputer. Elle devient, disait Bismarck, comme une couverture trop étroite et chacun doit lutter pour en avoir sa part. Une telle lutte se fait à coup de mesures restrictives qui tuent la liberté. Le grand ennemi du libéralisme, c'est le manque de liquidités. Quel remède propose Robert Triffin? Que les réserves des banques centrales qui complètent l'or ne soient plus les devises d'un ou deux pays mais des dépôts auprès du Fonds monétaire ou des institutions internationales. n s'agit, en somme, de créer une sorte de monnaie mon" diale, de donner un rôle d'émission au Fonds monétaire~ Ce plan, parent de celui de Lord Keynes, fut difficile à faire admettre. Pourtant, l'entrée de Robert Triffin dans l'équipe des conseillers de J. Kennedy lui donna beaucoup de poids. Jacques Rueff est d'une autre génération. Il a fait la Première Guerre mondiale puis est entré à l'École Polytechnique, à l'Inspection des Finances, au cabinet de Raymond Poincaré au moment où celui-ci stabilisait le franc. Expert à la Société des Nations, il a participé comme conseiller à la stabilisation de plusieurs monnaies : en Grèce et en Bulgarie en 1927 ; au Portugal en 1928.
La guerre de position Attaché financier à l'ambassade de France à Londres, il a l'occasion de connaitre Keynes et commence à s'opposer à lui. En 1935, il est l'une des trois personnalités à qui Pierre Laval demande le moyen de sortir de la crise. Mais celui-ci pose une condition : il ne doit pas être question de dévaluer, ce qui était la seule vraie solution. Le résultat fut un programme de déflation avec diminution de 10 % des salaires et traitements. Il fut interrompu par l'arrivée au pouvoir, en 1936, du Front populaire. Le malade n'avait pas supporté l'amer remède. En 1938, Jacques Rueff avait conseillé Paul Reynaud pour un programme de redressement financier qui ramena en France une provision de devises bien néces. saire à la veille de la guerre. A la fin de celle-ci, le général de Lattre de Tassigny le coiffe d'un képi de général et lui demande de le conseiller pour les affaires monétaires allemandes. Président de l'agence interalliée des Réparations allemandes, puis juge à la Cour de Justice des Communautés Européennes, il poursuit une grande œuvre scientifique. Successeur de Jean Cocteau à l'Académie Française, c'est un écrivain scrupuleux qui aime les formules frappantes, les citations parlantes. Quelles sont ses thèses? C'est un libéral. Sa Théorie des phénomènes monétaires, son gros ouvrage: L'ordre social, de nombreux discours et articles extrêmement travaillés, longuement mûris, et qui prendront place dans L'âge de l'inflation et Le lancinant problème de la balance des paiements lui permettent d'exprimer à chaque occasion son horreur de l'inflation, son admiration pour les mécanismes naturels qui travaillent, dit-il, avec la souplr.sse d'une glande à sécrétion interne.
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Et entrc-temps, discrètement, Jacques Rueff tra" vaille à un grand ouvrage philosophique qui paraîtra sous le titre : Les Dieux et les Rois, sorte d'hymne à l'harmonie du monde, ou la science et l'analyse rencontrent la poésie. Toute sa vie, Jacques Rucff a essayé de convaincre. TI n'a pas le sentiment d'y avoir réussi. Pourtant, l'opération de redressement du franc en 1958 lui a valu un prestige extraordinaire. « Je consens, disait-il alors au général de Gaulle, à ce que l'opinion que pous aurez de moi le reste de ma pie soit à la mesure des rentrées de depises que propoquera l'assainissement. » Les rentrées de devises se sont produites et ont donné beaucoup de portée à la doctrine de Jacques Rueff, qui pourtant suscite beaucoup d'oppositions dans l'opinion française et plus encore hors de France. En juin 1961, dans une série d'articles qu'a publié la revue américaine Fortune, ainsi que le Times et Le Monde, Jacques Rueff dénonce avec vigueur « un danger pour l'Occident: le Gold Exchange Standard ». Il s'y oppose au système qui consiste pour les banques centrales à tenir des devises, dollars et livres comme l'équivalent de l'or. Il en résulte que des pays qui, tels les États-Unis, ont une balance des paiements déficitaire pendant un certain temps, peuvent n'en souffrir ni dans leurs réserves monétaires, ni dans leur circulation fiduciaire, pourvu que d'autres pays consentent à détenir des quantités croissantes de leurs devises. En 1961, les stocks d'or américains étaient encore de 17 millions de dollars, mais des étrangers aux États-Unis avaient, sur ce pays, des créances exigibles en or de 13 milliards de dollars. Qu'une panique amène tous ces créanciers à réclamer le remboursement, et les réserves américaines de dollars
La guerre de posItIon tomberaient à 4 milliards. Si cela se produisait un jour, les conséquences en seraient dramatiques pour tout l'Oc. cident et pas seulement pour les marchés financiers : la grande crise de 1929 a eu pour l'une de ses causes essentielles de tels errements. Sur ces faits, Jacques Rueff est d'accord avec Robert TrifIin. C'est sur les remèdes qu'ils divergent. L'idéal, pour le premier, serait le retour aux paiements en or. Mais cela poserait notamment la question du prix de l'or qui ne semble pas encore d'actualité. Sans proposer encore de plan précis, Jacques Rueff souhaitait qu'on en revint à un système dans lequel le déficit de la balance des paiements retrouverait son effet naturel : restreindre vigoureusement la circulation monétaire de celui qui le subit, donc la liquidité des entreprises et l'obliger à redresser sa situation. Cette évocation d'un danger de crise impressionna d'abord. Elle fut vite oubliée. Les milieux économiques furent longs à admettre que la question d'un retour à l'étalon-or se posait vraiment. Le système actuel apparaissait dangereux à cause de l'endettement incontrôlé qu'il permettait aux mon~ naies de réserve. Par quoi fallait-il le remplacer? par l'étalon-or ou par un système plus large d'émission mon" diale? C'était la question.
LE PREMIER REPLATRAGI1
Chercheurs et critiques sont volontiers soucieux tandis que les ministres se montrent optimistes. Mais cette fois, ceux-ci commençaient aussi à chercher ce qu'ils pourraient faire. A la fin de l'été :lr961, 70 ministres des Finances se
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réunissaient à Vienne pour l'assemblée générale du Fonds monétaire international. Les conséquences de l'établissement de la convertibilité des grandes monnaies, même limitée aux porteurs étrangers, se sont précisées en 1960, seconde anhée de fonctionnement du système. Des flux importants de capitaux à court terme ont eu tendance à fuir des pays en déficit de paiements: Grande-Bretagne et États-Unis, vers ceux qui jouissaient d'un essor appréciable comme la France, et surtout vers l'Allemagne. On pouvait espérer la réévaluation du mark. Elle s'est effectivement produite, avec celle du florin hollandais, en mars 1961 et fut de 5 %. Pourtant, le dollar présentait des signes de solidité: l'excédent de la balance commerciale privée était passé de 2 milliards de dollars vers Pâques 1959 à plus de 9 milliards au début de 1961. Mais cet excédent était compensé par des dépenses militaires, par l'aide économique, par l'attrait que présentait le Marché commun pour les capitaux américains. Celui-ci avait renforcé ses réserves. Il apparaissait comme un foyer de prospérité. Le flottement des capitaux avait renforcé la coopération entre banques centrales. Elles avaient mis en réserve des dollars. Elles prêtaient ainsi aux Américains l'argent qu'ils auraient dû verser pour régler leur déficit. Le mouvement des taux d'escompte avait été mieux concerté. L'Allemagne et l'Italie avaient pris des mesures pour encourager les entrées de devises. L'incertitude, pourtant, subsistait. Les « spéculateurs » n'allaient-ils pas profiter de la convertibilité des monnaies pour vendre massivement l'une d'elles en un moment difficile et l'obliger à dévaluer? Le système des taux de change fixes oblige toute
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h anque centrale à fournir de l'or et des devises chaque fois qu'on lui en demande contre sa monnaie. Lorsque celle-ci est l'objet de ventes massives, même temporaires, elles se traduisent par des pertes de réserves qui peuvent être si lourdes que la banque centrale se trouve dans l'incapacité de payer. Une entreprise privée tomberait en faillite. Une monnaie dévalue, ce qui suffit à iuciter uue large part de ceux qui l'ont vendue à la racheter au nouveau cours pour encaisser leur bénéfice. Le problème posé à la conférence de Vienne était : comment procurer au Fonds monétaire de nouvelles ressources pour qu'il puisse contrebalancer l'effet des spéculations? En supposant que la situation de la monnaie attaquée soit fondamentalement saine, que le problème soit seulement de laisser passer l'orage, il suffit alors que la banque centrale attaquée dispose de crédits suffisants. Elle fera alors l'opération inverse de celle des spéculateurs, vendra à terme d'autres monnaies contre la sienne. Les assaillants se fatigueront des frais qu'entra1nent leurs opérations sans résultat et se décourageront. Le directeur du Fonds monétaire, M. Per Jacobsson, avait fait des propositions dans ce sens. La plupart des pays semblaient s'y rallier. Avec l'appui de M. Holltrop, gouverneur de la Banque de Hollande, le ministre français des Finances, M. Wilfrid Baumgartner, s'y opposa. Celui-ci a fait une carrière parallèle à celle de Jacques Rueff mais ils se sont souvent opposés. Ils étaient ensemble à la Direction du Mouvement des Fonds, rue de Rivoli. W. Baumgartnel' est devenu gouverneur du Crédit national, puis de la Banque de France. Maintes fois, au temps de rinflation, il avait vigoureusement
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mis en garde les gouvernements contre l'excès des dé~ penses. En 1960, quand le général de Gaulle remercia M. Pinay après un différend sur la politique étrangère, W. Baumgartner devint ministre des Finances. C'est un homme distingué, lettré, séduisant et pru~ dent. Il croit à l'expansion. Peut-être l'a-t-il financée un peu trop largement, afin de contribuer à résoudre l'angoissant problème du logement. C'est un homme qui inspire la confiance. A Vienne, les experts s'interrogeaient sur la pusition qu'il prendrait. Le problème, c'étaient ces 3 milliards de dollars de capitaux flottants d'une monnaie à l'autre et qui refluaient déjà, en vagues puissantes, au gré des taux d'intérêt, des craintes et des rumeurs. 1960 avait vu la fuite du· dollar et de la livre vers le mark. De tels mouvements pourraient ne pas tarder à ébranler le système monétaire international, peut-être à amener cette réévaluation de l'or, ou dévaluation du dollar, que certains espéraient déjà, contre laquelle d'autres essayaient de se prémunir. La spéculation, affirma M. Baumgartner, a été mise en échec par la coopération entre les instituts d'émission, réalisée lors des rencontres périodiques des gouverneurs de banques centrales à Bâle. Chaque mois pour un week-end, en effet, à la Banque des règlements internationaux, les gouverneurs des principales banques centrales du monde se retrouvent en une sorte de club très fermé, très secret, pour une réunion discrète qui prend, aux heures de crise, beaucoup d'importance. Le ministre français écarta d'une phrase le plan Triffin et déclara: cc La contribution la plus efficace que nous puissions apporter au maintien de l'ordre monétaire,
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c'est de pratiquer chacun, sur le plan national, une politique saine, et de prévenir le renouveau des tendances inflationnistes. » Il admettait l'idée de crédits internationaux qui formeraient « une seconde ligne de défense» mais il s'opposait à toute attribution automatique et rigide de moyens de paiements à des pays déficitaires quels qu'ils soient. Il entendait que chaque pays puisse demeurer juge de l'opportunité de l'emploi de sa propre monnaie. Par le jeu des quotes-parts et des droits de vote fixés à la fin de la guerre, les Anglais et les Américains dominaient en effet le Fonds monétaire. Depuis peu, l'Europe des Six était devenue le principal bailleur de fonds. Elle ne voulait pas être engagée malgré elle. Ce discours s'opposait nettement aux idées de M. Jacobsson qui souhaitait que le Fonds ait la libre disposition d'un important surcr-oît de crédits. Quand les ministres des Finances quittèrent le palais où avaient régné les Habsbourg, un compromis se dessinait. Il fut cherché pendant l'automne et aboutit, en -février 1962, à un accord signé à Paris, connu sous le nom d'Accords généraux d'emprunts. Dix pays prêteurs donnaient au Fonds monétaire des moyens largement accrus pour lutter contre toute spéculation qui s'attaquerait à leurs monnaies. Le risque d'une dévaluation du dollar et de troubles graves sur la livre sterling paraissait pratiquement écarté. Les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, le Japon, la Suède, la Belgique, les Pays-Bas et la France mettaient à la disposition du Fonds plus de 6 milliards de dollars. Avant que son Conseil d'administration ne décide d'en prêter une part à tel ou tel pays, les Dix se réuniront, examineront les garanties qu'offre l'emprunteur et la politique écono-
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mique qu'il entend pratiquer, décideront à la majorité qualifiée de l'opportunité du prêt, et à l'unanimité de sa répartition. Un des préalables à cet accord semble avoir été la mise en veilleuse par les États-Unis des projets de réforme du Fonds monétaire tendant à le rapprocher du rôle de banque d'émission, notamment celui du professeur Triffin. Ces crédits devaient servir d'armée de réserve. Même sans être engagée, elle joue dans la bataille un rôle qui peut être capital, en décourageant l'assaillant. Ces accords généraux d'emprunts vont tenir peu de place dans cette histoire. En revanche le groupe des dix pays signataires va se réunir souvent et, pratique~ ment, . décider de tout. En effet, ensemble, ils détiennent une très large majorité au Fonds monétaire et représentent à la fois les créditeurs et les débiteurs. Le « groupe des Dix» principales puissances financières prend en fait la responsabilité de la politique monétaire internationale qui sera suivie. Ainsi, dès l'ouverture de la décennie, les grands thèmes s'annoncent: d'un côté la prospérité, due pour une part importante aux facilités données au commerce, à la convertibilité de plus en plus large des grandes monnaies; - de l'autre; la spéculation lorsque les Russes cessent de vendre de l'or, quand des menaces de guerre apparaissent, quand les budgets s'alourdissent; ..,.... recherches de ceux qui veulent réformer le système monétaire; - enfin tentatives pour contrer la spéculation par des accords entre banques centrales, sans attaquer directement le fond du problème monétaire. On replâtre le mur plus qu'on ne le consolide•.
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Nous allons voir maintenant comment la politique des États-Unis, puis celle du général de Gaulle, celle des pays du Marché commun vont accuser les oppositions, voire les ressentiments, et préparer les batailles qu'évoquera notre seconde partie.
CHAPITRE III
Kennedy puis Johnson relancent la prospérité mais affaiblissent le dollar
Les États-Unis ne sont pas loin d'assurer, à eux seuls, la moitié de la production du monde non communiste. Leur politique économique revêt donc une importance énorme. Celui qui les préside à partir de janvier 1961 a qua .. rante-trois ans: la prime jeunesse pour de telles respon~ sabilités. C'est un personnage souriant, merveilleux « écouteur », lecteur très rapide et très efficace, curieux de tout, passionné par la vie. John F. Kennedy est plus attiré par la politique que par l'économie, mais-pour.,; tant ses conseillers économiques affirmeront n'avoir jamais eu de meilleur élève. C'est un intellectuel. Il aime ceux qui réfléchissent, alors que beaucoup s'en défient. Comme Roosevelt il s'est constitué un brain trust, un groupe de réflexion composé notamment de professeurs. Cinquante ans y sont presque la limite d'âge. Le plus important pour cette histoire s'appelle Walter HelIer, président des conseillers économiques. Il vient d'une université de province, au Minnesota. C'est un économètre, décidé à agir et pas seulement à laisser faire à la manière des libéraux.
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Pour lui, la raison du chômage persistant aux ÉtatsUnis, du fait que ceux-ci se développent moins vite que l'U.R.S.S., c'est que l'État ne remplit pas assez son rôle d'animateur, n'est pas assez hardi dans les périodes de récession et, par le jeu de l'impôt progressif, freine trop tôt les essors. W. HelIer n'a pas peur d'un certain déficit hudgétaire. Il pense qu'il faut savoir réduire la charge des contribuables. Que voilà une doctrine sym.; pathiquel Que va-t-elle donner à l'expérience? Réduire les taxes n'était pas une nouveauté. Eisenhower, le prédécesseur répuhlicain du démocrate Kennedy, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, l'élu du parti républicain, s'était présenté comme le modé,; rateur des budgets excessifs. Il avait diminué certains impôts et le public lui demandait de continuer, ce public qu'un dessinateur représentait sous la forme d'un gamin qui hurle en demandant de payer moins alors que les républicains, pères de famille inquiets, se demandent comment ils pourraient bien l'apaiser en lui offrant dans un biberon un sirop de vagues pro.; messes. Eisenhower avait déjà pratiqué une politique flexible. Il avait dû faire face, à la fin de 1957, non à une crise économique mais à une récession: il n'y a pas eu, depuis la guerre, de recul qui se compare de près ou de loin à celui des années 30. La production industrielle avait fléchi mais se trouvait encore à 40 % au-dessus de la moyenne 1947-1949. Pourtant, l'inquiétude était sérieuse. Au chômage, 2,5 % de la population active en 1953 ; 3,8 % en 1956 ; 4,3 en 1957; 5,2 dans les premières semaines de janvier 1958, soit presque 3 millions et demi de chômeurs. Le gouvernement avait accru les dépenses de 11 milliards de dollars entraînant un déficit budgétaire sans
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précédent pour le temps de paix : 13 milliards de dollars mais aussi une fuite devant la monnaie. La situation avait été brutalement rétablie de sorte que l'année fiscale 1960 avait connu un bùdget fédéral en excédent. La gestion d'Eisenhower laissait pourtant de mauvais souvenirs. Ceux d'une croissance trop lente, d'un chômage excessif qui pesait particulièrement sur les Noirs. Cette politique a contribué à apaiser l'inflation mondiale, à regarnir les réserves européennes, mais elle a cumulé deux inconvénients : le chômage et les sorties d'or. Pourquoi? Sans doute parce que la différence entre les salaires américains et ceux des autres pays industriels était devenue excessive. Elle avait été justifiée par la différence de productivité au lendemain de la guerre j elle ne l'était plus autant. Les industriels avaient donc intérêt à investir en Europe plutôt que dans leur propre pays. D'où chômage et sorties de capitaux. Peut-être aussi parce qu'une reprise suscitée en un fort déficit de budget n'est pas le moyen de repartir avec une économie saine et vigoureuse. Kennedy arrive fermement décidé à relancer l'activité. En équipe avec son brain trust, il cherche comment échapper à une sorte de fatalité : les moments favorables se limitaient à de courtes périodes j le taux d'expl!.nsion moyen était relativement faible; on voyait avec terreur le progrès de l'économie russe. Walter HelIer proposa donc de mettre le budget en déséquilibre systématique et de réduire les impôts. Il eut de la peine à convaincre le Président et plus encore l'opinion publique qui voyait dans le déficit budgétaire une sorte de péché. Un an après sa prise de pouvoir, Kennedy demandait
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au Congrès d'approuver une politique nouvelle. Il insistait sur la nécessité de créer de nouveaux emplois, d'accélérer la croissance économique en abaissant le taux de l'impôt sur les revenus. Celui-ci prélevàit de 20 à 91 %. Il proposait d'y substituer une nouvelle échelle allant de 14 à 65 % et de ramener l'impôt sur les bénéfices des sociétés de 52 à 47 %. Ce programme devait être appliqué progressivement en trois ans. Ces mesures entraînaient, pour une année, une perte nette de 10 milliards de dollars. Ce manque à gagner s'ajouterait à un déficit qui était déjà de 8 milliards de dollars. Kennedy affirmait qu'on pourrait compter sur le trésor c( pour appliquer, comme il l'apait fait jusqu'alors, une politique d'aménagement de la dette publique raisonnable et suffisamment équilibrée pour que soit épitée toute poussée inflationniste ». Il pensait que la balance des paiements bénéficierait des allègements fiscaux car ils encourageraient les investissements aux États-Unis, accroîtraient la productivité, entraînéraient une réduction des coûts et une amélioration des facultés concurrentielles du commerce extérieur. Ces projets se situaient dans un vaste ensemble que Kennedy avait appelé la Noupelle frontière. Elle venait après la NOUl)elle liberté de Wilson, le New Deal de Roosevelt. Cette Noupelle frontière rappelait l'audace des pionniers qui poussaient sans cesse plus loin vers l'Ouest. C'était le slogan d'une offensive contre la ségrégation, pour la solution du problème noir, contre la stagnation économique et pour une audacieuse reprise. Difficilement adoptée par le Congrès, la politique de Kennedy apparut comme un grand succès. Les prix restèrent d'une stabilité remarquable en 1961, 62, 63,
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64. Le coût de la vie n'augmenta que de 1 %l'an alors que la production industrielle progressait de 30 % en quatre ans, entraînant la création de nouveaux emplois. La fuite de l'or elle-même était presque arrêtée : un milliard et demi en 1960, moins .d'un milliard en 1961 et 62, un, demi-milliard en 1963. Cent millions de dollars seulement en 1964. Avait-on enfin trouvé le secret de l'expansion dans la stabilité monétaire? A Y regarder de plus près, la balance des paiements américaine dans cette période n'est pas bonne. Si les sorties d'or ont pu être évitées, c'est que différents expédients, et surtout l'augmentation des avoirs en dollars des banques centrales étrangères ont constitué des crédits au profit des États-Unis, et ont masqué le problème qui se posait. Dès ce moment, les investissements des entreprises américaines à l'étranger se développent extrêmement vite. L'expérience Kennedy ne dura qu'un millier de jours. Novembre 1963, c'est le coup de feu de Dallas et le grand deuil du monde entier devant le corps de ce jeune président qui avait su apporter à la vie politique son sourire, son dynamisme, sa joie de vivre, son désir de progrès, sa volonté de justice. Et le vice-président Johnson prête serment. Choisi par Kennedy pour attirer les voix des démocrates du Sud plus que par sympathie personnelle, ce vieux routier de la politique, qui naguère encore, considérait comme un gamin à renvoyer aux écoles celui qui allait être son président, Lyndon Barnes Johnson n'est pas attiré par l'économie. C'est un technicien de la manœuvre parlementaire.- A ce titre, il a rendu de grands services dans la question des droits civiques des noirs.
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C'est un homme qui aime décider vite. « Il y a des moments où Lyndon pous coupe le souffle )J, disait Mme Johnson qui avait été demandée en mariage tambour battant. Le nouveau président est né au Texas, dans un endroit où, peu de temps auparavant, il n'y avait que marécages et terres incultes. Il a gardé l'esprit des pionniers d'autrefois. Or, ceux-ci n'avaient pas peur de vivre à crédit, ne détestaient pas l'inflation qui amortit les dettes. Il a horreur de l'argent cher. « Comme Américain moyen, disait-il, je regrette tout ce qui augmente le coût du crédit pour l'habitat, les écoles, les hôpitaux, les usines. » Il se trouvait placé en face des déficits croissants de son pays. Il voulut retenir aux U.S.A. les dollars qu'on prêtait trop largement à l'étranger. Il inventa un impôt: désormais, les Européens paieraient plus cher l'argent qu'ils se procuraient jusqu'ici à bon marché aux États-Unis. Ils paieraient la taxe d'égalisation des taux d'intérêt. L'effet en fut spectaculaire. En un trimestre, le total des émissions étrangères acquises aux États- Unis par des Américains fut réduit des trois quart. Mais ce fut de courte durée. Le montant des émissions ne tarda pas à regagner la moitié du terrain perdu. Comme le sable entre les doigts, l'argent souvent se joue des contraintes. Au début de 1965, Johnson fit appel au civisme des hommes d'affaires: « Restreignez polontairement pos inpestissements et pos prêts à l'étranger )J, leur demanda-toi!. Des modalités de surveillance furent précisées. L'appel fut-il entendu? Par les banquiers plus que par les industriels. Le déficit de l'année 1965 put cependant être réduit de moitié mais il est resté beaucoup trop lourd.
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Entre-temps, Johnson s'efforça de persuader les touristes américains de ne plus aller passer leurs va· canees à l'étranger, de n'y plus dépenser leurs dollars. Un ministre évoquait alors les merveilleux panoramas américains et les comparait avantageusement aux charmes de l'Europe, mais un journal rappela le récent message du président Johnson au Congrès sur les beautés naturelles du pays: il y vitupérait « les carcasses de iJoitures abandonnées qui déshonorent le paysage)J, les «horribles champs d'épandage qui tuent l'esthétique )J, les « iJilaines cicatrices laissées par des pratiques minières abusiiJes », les « cours d'eaù charriant des substances toxi· ques », etc. Johnson avait trouvé un nouveau slogan. La « Noul'elle frontière» de Kennedy avait été remplacée par la « Grande société », la société accomplie: une société sans pauvres, sans préjugés raciaux, sans taudis, sans inégalités sociales excessives, où tout le monde aurait le droit de voter, d'habiter où il veut, où il y aurait assez de bonnes écoles ouvertes à tous, où les vieillards pourraient vivre convenablement, où le paysage sera it haro monieux, etc. Pourrait-il réaliser ce beau programme? Il serait coûteux. Johnson avait hérité la terrible question du Vietnam où la guerre s'intensifiait. Uientôt, ce serait l'escalade des bombardements. La guerre est trop horrible pour qu'on en parle d'abord comme une question d'argent. Pourtant, dans cette histoire; nous ne pouvons oublier qu'elle coûte cher, très cher, de plus en plus, car alors on dépense sans compter. Quand les besoins d'argent se font trop lourds, ou bien Je crédit se développe très vite, ou bien les taux d'intérêt augmentent. Une hausse spontanée se manifesta. Malgré sa répugnance, Johnson, pour alimenter la
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trésorerie publique, dut lui aussi se résigner à payer plus cher l'intérêt des dollars qu'il empruntait. « Nous ne permettrons pas que notre économie soit sapée par l'inflation », disait-il. Avec le contrôle des investissements à l'étranger, s'instaure dans cette grande démocratie libérale, quelque chose qui ressemble de plus en plus à un contrôle des changes, volontaire en principe, mais réel. Les entreprises américaines financent de plus en plus leurs investissements en Europe par des emprunts dans les bourses européennes, y faisant croître les taux d'inté· rêt. La hausse du coût de l'argent gagne de proche en proche. Il devient manifeste que les Américains euxmêmes ne peuvent tout mener de front. Pourtant, Johnson se refuse à choisir. « Notre économie est assez forte, dit-il, pour nous permettre d'apoir à la fois du beurre et des canons. » Ille dit dans son message de janvier 1966. Ille repète un an plus tard, en demandant pour l'exercice qui s'ou. vrira le 30 juin suivant des crédits records: 20 % environ de plus que ce qu'il réclamait un an plus tôt et qui ne lui avait pas suffi. Les charges militaires ont pesé sur le programme de lutte contre la pauvreté, sur la recherche de « la Grande Société» idéale dont rêvait le président. Il n'entend pas l'ajourner davantage. Il veut à la fois continuer l'action militaire au Sud-Est asiatique pour empêcher le Vietcong de remettre en question la frontière, d'élargir le domaine communiste, mais il veut aussi dépenser davantage pour la santé, l'éducation, pour aménager les cités, pour lutter contre la misère. Les. sorties d'or ont repris. Le déficit de la balance des paiements est lourd. Pour éviter qu'il ne se voie
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trop, les Américains vont inventer toute une série d'expédients. Ce sera d'abord le relèvement des quotes-parts au Fonds monétaire international, ce qui permettra, à frais communs, de disposer de plus de crédit soit pour lutter contre la spéculation, soit pour aider' les pays en difficulté. A frais communs, oui, mais c'est toujours par la force des choses les pays créditeurs qui paient et les débiteurs qui empruntent. De savantes combinaisons s'efforcent d'éviter que les pays qui, pour accroître la quote-part, auront à verser plus d'or au Fonds monétaire, ne se le procurent en vendant des dollars contre de l'or, ce qui accélére~ rait les sorties de dollars. Mais la France s'oppose à ce genre d'arrangement. Dès la présidence de Kennedy, le sous-secrétaire au Trésor, M. Roosa, a trouvé un nouveau type de bons du Trésor américains libellé dans la monnaie nationale des pays qui acceptent d'y souscrire. Il a, en fait, obligé les Allemands, par une pression constante, à en prendre beaucoup. Ceux-ci ont besoin des Américains pour assu~ rer leur sécurité car la pression soviétique est touj ours redoutée, surtout à Berlin. Ils sont en mauvaise posture pour refuser. Discrètement, ils changent des dollars eux aussi contre de l'or. Surtout les banques centrales multiplient les swaps. Ce mot barbare veut dire troc, échange. Il désigne une opération par laquelle une banque prête sa propre devise à une autre pour un délai donné, tandis que l'autre prête sa devise à la première. La Banque de France prête des francs à la Banque d'Angleterre et celle-ci des livres à celle-là. La particularité de l'opération, c'est que l'un a généralement besoin de la monnaie de l'autre tandis que
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l'autre n'a pas besoin de la première. En fait, il s'agit seulement, dans beaucoup de cas, d'une garantie de change pour un temps limité. Quand, nous le verrons, la Grande-Bretagne aura besoin de crédits pour soutenir la livre, elle en obtiendra facilement des autres banques centrales sous forme de swaps. Grâce à ce procédé, les Allemands, les Américains, les Français pouvaient prêter de l'argent aux Anglais en étant sûrs d'échapper aux conséquences d'une éventuelle dévaluation de la livre puisqu'au bout du contrat, les Anglais reprenaient leurs livres au cours fixé d'avance. Tous ces procédés permirent de financer sans trop de difficulté les déficits américains. Ils avaient pour conséquence de permettre à l'or de fuir moins vite de Fort Knox, dépôt de la réserve d'or américaine. Ils permet. taient aux U. S. A. de continuer leur politique expansionniste, assez inflationniste. Le mécanisme de l'étalon-or qui eût normalement obligé le gouvernement américain à redresser ses comptes, faute de devises, ne jouait pas parce que celui-ci payait le déficit avec des dollars qu'il émettait à volonté. Jusqu'où les U. S. A. pourront-ils aller ainsi? Il nous faut maintenant reprendre l'histoire sur une autre scène, du point de vue français, puisque c'est en France que la question fut posée avec le plus d'intensité. Puis nous verrons se nouer le dialogue dans les conférences internationales où l'on s'en tint longtemps à une guerre de position qui rappelait celle des tranchées. Enfin, nous aborderons la seconde partie de ce livre, plus agitée comme l'est une guerre de mouyement•.
CHAPITRE IV
De Gaulle relance l'or
S'abandonner aux délices de l'inflation contrôlée, c'est très tentant. Avec de l'ingéniosité, les gouvernements réussissent souvent à éviter qu'elle n'ait, à l'intérieur, des effets trop voyants, car la pauvreté de ceux qui vieillissent est discrète. C'est à l'extérieur que les inconvénients apparaissent d'abord. C'est en France que la politique américaine suscita l'opposition la plus vive. Le général de Gaulle posa le problème du statut du dollar et de la livre et celui de l'étalon-or dans ses propos d'abord, puis dans les positions que prirent ses ministres dans les conférences internationales. A quel courànt se rattachaient ses idées? L'Afrique du Sud, principal producteur d'or du monde, était très seule quand elle réclamait, avec une persévérance obstinée, la réévaluation du prix de l'or, resté bloqué au niveau de 1934 alors que tout avait augmenté. Son intérêt était trop évident pour qu'elle ait eu des chances d'être entendue. Les retentissants articles où Jacques Rueff, en 1961, avait réclamé ·le retour à l'étalon-or avaient surpris, scandalisé.
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Depuis, leur auteur avait précisé sa pensée. Dans un exposé qu'il fit aux journalistes économiques, le 3 mars 1963, on aperçoit des thèmes qu'on retrouvera dans les propos du président de la République française. Il y remarquait que la hausse des prix n'est pas un monopole français. Elle existe dans tous les pays de la Communauté européenne ainsi qu'au Japon, alors qu'elle est faible ou nulle en Angleterre et aux ÉtatsUnis. Ainsi, disait Jacques Rueff, la surabondance de pouvoir d'achat est commune à tous les pays q'J.i, en vertu des règles du Gold Exchange Standard, accumulent des monnaies de réserve. Elle n'affecte que dans une m~sure bien moindre des pays qui émettent ces monnaIes. Cette constatation impose la conclusion que la marée inflationniste de l'Occident trouve sa source dans le système monétaire international, qu'un aveuglement collectif stupéfiant a laissé se rétablir dans le monde depuis 1945, mais qui n'a exercé ses effets que depuis l'arrêt, à la fin de 1958, des principales inflations nationales. Ce système est tel qu'il fait rendre aux États-Unis, le jour même où ils ont été reçus, les dollars qui sont remis par ce pays en règlement du déficit de sa balance des paiements. Notre mécanisme de paiement apparaît à Jacques Rueff aussi enfantin qu'un jeu de billes où, après chaque partie, les gagnants rendraient leur mise aux enfants qui l'auraient perdue, en inscrivant chaque fois à l'actif du gagnant, une créance sur une quantité de billes - je veux dire une quantité d'or qui n'augmente pas. Pareille caricature d'un système de paiements ne peut aboutir qu'à la faillite et à l'effondrement amrmait Jacques Rueff qui terminait par cet appel: « L'Occident
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cherche et attend l' /tomme d'État qui lut rendra une monnaie. » Moins d'un an plus tard un homme d'État allait lui répondre: le général de Gaulle. A partir de 1959, les réserves d'or et de devises de la France avaient augmenté rapidement. La Banque de France avait commencé à changer systématiquement, mois après mois, une partie de ses avoirs en dollars contre de l'or. Cette attitude avait été ressentie comme agressive à l'égard des États-Unis. Lorsque le 4 février 1965, le général de Gaulle tint une conférence de presse comme il le fait environ deux fois par an, la question lui fut posée : ttes-vous partisan de réformer le système monétaire international il Si oui, comment? Le général de Gaulle répondit par une longue analyse, aux formules bien frappées. Elle n'a pas perdu son intérêt. Il rappela la Conférence de Gênes de 1922 qui attribuait à deux monnaies, la livre et le dollar, le privilège d'être tenues pour équivalentes à l'or dans les échanges extérieurs. Ce système paraissait naturel au moment où presque toutes les réserves d'or du monde se trouvaient détenues aux États-Unis mais depuis il ne correspondait plus de la même façon aux réalités et comportait des inconvénients qui vont s'alourdissant. « L'espèce de valeur transcendante qui était reconnue au dollar, dit-il, a perdu sa base initiale qui était la possession par l'Amérique de la plus grande partie de l'or du monde. De plus, ce système entraîne les Américains à s'endetter et à s'endetter gratuitement vis-à-vis de l'étranger. Car ce qu'ils lui doivent, ils le lui paient tout au moins en partie avec des dollars, qu'il ne tient qu'à eu,v d'émettre, et non pas avec de l'or qui a une valeur réelle, qu.'on ne
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possède que pour l'apoir gagné, qu'on ne peut transférer â d'autres sans risque et sans sacrifice. » Faute d'avoir à régler en or les différences négatives de leurs paiements, les États-Unis n'ont pas été obligés de prendre les mesures nécessaires pour ramener l'équilibre. Il se crée en Amérique cc par les moyens de ce qu'il faut bien appeler l'inflation, des capitaux qui, sous forme de prêts en dollars accordés li des États où à des particu-i liers, sont exportés au-dehors». Ils ont pour contrepartie, aux États-Unis même, un accroissement de la circula-, tion fiduciaire qui contribue à faire baisser le taux de l'argent, donc à rendre plus tentants les placements à l'étranger. cc De là, pour certains pays, une expropriation de telle ou telle de leurs entreprises. )) c( Nous estimons nécessaire, continuait de Gaulle, que les échanges internationaux soient établis comme c'était le cas ayant les grands malheurs du monde, sur une base monétaire indiscutable, mais qui ne porte la marque d'aucun pays en particulier. cc Quelle base P En périté, on ne poit pas qu'il puisse y apoir réellement de critère, d'étalon autre que l'or. Eh oui, l'or qui ne change pas de nature, qui peut se mettre indif' féremment en lingot, en barre, en pièces, qui n'a pas de nationalité, qui est tenu éternellement et unipersellement pour la yale ur inaltérable fiduciaire par excellence ..• Dans les échanges internationaux, la loi suprême, la règle d'or, c'est bien le cas de le dire, qu'il faut remettre en honneur et en pigueur, c'est l'obligation d'équilibrer d'une zone monétaire li l'autre, par la rentrée effectiye de métal précieux, les balances des pàiements qui résultent de leurs échanges. )) Cette déclaration eut un large retentissement, nota m, ment sur les marchés financiers.
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Six jours après, le président Johnson y répondait devant le Congrès en demandant le vote d'une série de mesures destinées à redresser la balance des paiements américaine. Il commença, pour les justifier, par montrer l'utilité du déficit de la balance dollar. « L'expansion saine de l'économie du monde libre, dit-il, exige l'augmentation ordonnée mais continue, des réserpes monétaires au monde. Au cours des dix dernières années, nos déficits ont aidé à répondre à cette nécessité. Les sorties de dollars ont contribué pour près de la moitié à 1: augmentation des réserpes du monde libre. » Et c'est exact, Anglais et Américains paient leur déficit, donc une part des marchandises qu'ils achètent, en émettant des livres et des dollars. Ces monnaies vont grossir les réserves des autres pays, leur donnent de l'aisance. Les adversaires du système affirment qu'elles y apportent l'inflation, puisque les créditeurs des deux pays de monnaie de réserve, après l'opération, ont moins de produits et plus de monnaie. Si le paiement avait été fait en or, l'effet eût été le même, mais l'opération n'eût pu continuer longtemps. Elle peut durer indéfiniment lorsqu'il s'agit d'une monnaie qu'on émet à volonté. Le président des États-Unis ajoutait une promesse solennelle : « Le retour à un système basé uniquement sur l'or, système qui nous a tous conduits au désastre dans le début des années 30 - n'est pas une réponse que le monde peuille ou doipe accepter. Nous depons plutôt construire à partir du système dont nous disposons, un système qui a bien serpi le monde au COl,rs des pingt dernières années ... Que personne n'en doute: nous supprimerons le déficit de nos paiement internationaux. Nous maintiendrons le dollar à sa pale ur intégrale ».
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Le président Johnson évoquait les études poursuivies pour doter le monde d'un système monétaire qui répondrait aux besoins d'une économie mondiale en rapide expansion. Le problème était ainsi bien posé: pour l'un, il fallait tout baser sur l'or; pour l'autre, l'or ne pouvait être la seule base des paiements internationaux. Il fallait créer autre chose pour suppléer son insuffisance. Quant à attribuer au système de l'étalon-or pur la crise de 1930, c'était historiquement plus que discutable. Tout le monde interprétait-il de la même façons les propos du général de Gaulle? Non. Dans une interview au Figaro en mai 1966, le professeur Robert Triffin me disait: « Le général de Gaulle ne doit pas serpir de bouc émissaire pour "tout échec. La France pose de praia problèmes sur lesquels on n'a pas encore engagé de discussion honnête. « La conférence de presse du président de la République en féprier 1965 Il été sOtwent mal lue, mal comprise. Elle ne ferme pas du tout la porte à une réforme raisonnable. )) Ce propos contrastait avec certains passages du livre que R. Triffin venait de faire paraître, The world Money Maze, le labyrinthe mondial des monnaies. On y trou"ait des mots sévères pour « la force de frappe monétaire du général de Gaulle )1. Ce texte avait été écrit avant la conférence de presse, au moment où la France entamait sa politique de prélèvement sur la réserve d'or américaine. Elle semblait adopter la thèse: l'or, rien que l'or. « Du propos du général, continuait R. Triffin, on n'a soupent retenu que sa belle enpolée sur l'or et l'on a oublié le dernier paragraphe très constructif. Certes la fin sans rude secousse du Gold Exchange Standard, la restauration de l'étalon-or, ainsi que les mesures compté-
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mentaires et transitoires qu' seront tndlspe1/.Sables et, en particulier, la négociation du crédit international sur cette base noufJelle, tout cela doitdtre examiné entre États. - « 1!:tes-vous d'accord avec la critique du régime actuel par le général de Gaulle Il, ai-je demandé à Robert Triffin. - « Dans l'ensemble, oui. Certains pays estiment que l'on manque de liquidités internationales. Or, il y en a en surabondance. Malheureusement: « - le système actuel est fJulnérable": une crise de confiance peut causer d'incalculables dégâts; « - le système actuel est erratique, puisqu'il distribue la liquidité au hasard des déficits américains et des l'entes d'or russe, non des besoins réels; « - le système actuel donne aux goufJernements qui détiennent une monnaie clé un prifJilège exorbitant, puisque la contre partie des dollars détenus par les banques centrales, surtout européennes, c'est le financement de notre aide au Tiers Monde, l'achat d'entreprises en Europe ou les dépenses de la guerre au Vietnam; ce sont des choix et des politiques sur lesquelles "les prêteurs n'ont aucun droit de regard. D'où pour eux, un abandon de soufJerainété bien plus radical que de participer à un système de crédit contrdlé en commun. » Robert Triffin ne se gêne pas pour critiquer de l'intérieur la politique américaine. II la connaît bien. Avant d'être professeur à Yale, il fut fonctionnaire au Federal Reserve System, au Fonds monétaire international. Mais Robert Triffin se refusait à porter un jugement sur la partie positive de la position française qui, disait-" il, reste imprécise.
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QUE PROPOSAIT DONC LA FRANCE?
L'un des moins embarrassés par la conférence de presse du général de Gaulle n'avait sans doute pas été M. Giscard d'Estaing, son ministre des Finances. Sans doute n'en connaissait-il pas le texte d'avance. n l'entendit, comme tous les ministres, dans la grande salle tendue de rouge, au milieu des appareils de télévision, assis sur les chaises ministérielles à droite du président. Valéry Giscard d'Estaing était un jeune ministre des Finances. n avait, en 1962, succédé à Wilfrid Baumgartner, qui s'était retiré après deux ans de ministère pour se consacrer à l'industrie privée. Fils d'un banquier, membre de l'Institut de France, petit-fils d'historien, arrière-petit-fils d'un de ces royalistes qui firent la IIIe République, il est à la fois polytechnicien et inspecteur des Finances. Comme membre du cabinet d'Edgar Faure, de 1953 à 1955, il a été mêlé à la gestion de notre économie dans l'une des meilleures périodes de la Ive République. Ayant obtenu un siège de député dans le Puy-deDôme, il avait été choisi comme ministre du Budget par M. Pinay, puis succéda aux Finances à M. Baum. gartner. On aimait, dans les réunions internationales la clarté brillante de ses exposés et la logique orthodoxe dont il habillait les thèses françaises, souvent dures et parfois imprévues. Le lendemain de la réponse de L. Johnson à de Gaulle, devant quelque 2 000 étudiants réunis dans l'amphithéâtre de la faculté de Droit de Paris bondé, frémissant au moindre mot, applaudissant quand
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il était question de M. Triffin, murmurant lorsqu'on parlait de J. Rueff ou du général de Gaulle, M. Giscard d'Estaing présenta une étude critique du système moné.. taire mondial et les propositions de la France. « Le système monétaire International, dit-il, diffère d'une monnaie interne parcs qu'aucun groupe n'y a la responsabilité de régler les quantités de monnaies émises et que la liquidité (c'est-à-dire le volume des moyens de paiements émis pour répondre aw: besoins) est créée par csw:-là mêmes qui détiennent la monnaie. Ce système n'a emp8ché ni la crise de 1930, ni la dévaluation des grandes monnaies, nlZ'inflation. Il a perdu l'automaticité de l'or sans la remplacer par rien qui ressemble aw: disciplines 'nternes. » A partir de 1951, début du déficit américain, il prit une part plus large dans les réserves de différents pays, jusqu'au moment où cette accumulation commença à susciter une crise de confiance. Cet affaiblissement est dû, affirme le ministre. à l'attitude même de ceux qui affirment que le dollar vaut l'or. La France, par exemple, avait "agné 657 millions de dollars en 1964. Elle en a converti 500 millions. En janvier, trouvant que la liquidité internationale était suffisante, elle a converti encore 150 millions de dollars, aux protestations de ceux mêmes qui venaient de réaf~ firmer la libre convertibilité du dollar. Pour M. Giscard d'Estaing, un bon système monétaire international se reconnaît : 10 A la réciprocité des avantages qu'il accorde. Or, le système est très dur pour les pays qui n'ont pas de monnaie clé. Si une règle normale avait joué, les ÉtatsUnis auraient dû réformer leur économie dès 1960. 20 A un approvisionnement normal en liquidités monétaires. Or, il n'y a aucun parallélisme entre la créa.tion
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de monnaies de réserve et les besoins. Les dix pays principaux se sont mis d'accord pour déclarer qu'il n'y a pas de besoins actuels et la création de monnaie n'en a pas moins continué. 30 A la solidité du système. Le dollar reste fort, dit-il, mais il est de -moins en moins souhaité COmme monnaie de réserve et le postulat qu'on peut toujours se faire rembourser en or est- de moins en moins exact. M. Giscard d'Estaing rappela qu'en 1962, le président Kennedy lui avait annoncé qu'il aurait réglé le problème dollar pour la fin de 1963 ou 1964. Or, 1963 fut mauvaise et, en octobr-e, dix pays possédant 85 % des _ réserves monétaires mondiales prirent en charge l'étude d'une réforme. Par la bouche de SQn ministre des Finances, la France s'.engageait à payer désormais en or le déficit de sa balance des paiements et demandait aux autres pays de l'imiter. C'était facile à dire. La France qui était alors créditrice et qui avait de l'or, n'avait rien à y perdre. Pour pouvoir le faire, les États-Unis eussent été obligés de s'engager dans une politique d'économies draconiennes au moment où la guerre du Viet-Nam coûtait de plus en plus cher et où le président Johnson n'entendait pas renoncer à son programme de « Grande société Il. Pour le Premier ministre anglais, M. Wilson, ce serait mener la bataille du sterling le dos au mur ou prendre des mesures d'austérité en année électorale. Il ne semblait pas en avoir l'intention. M. Giscard d'Estaing précisa plus tard ce qu'il proposait. En cas de pénurie de liquidités monétaires, on donnerait aux pa~s des crédits internationaux en proportion de la quantité d'or qu'ils possédaient. Ces crédits prirent le nom de C. R. U. (CurrentReserl'e Unit.) Autre-
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ment dit, cela conduisait à augmenter le prix de l'or, puisque sa possession eût permis .d' obtenir de la monnaie - internationale. Mais seules les banques centrales profitaient de la hausse, non les spéculateurs. On ne peut pas dire que ce système ait soulevé l'enthousiasme. Et le public, qu'en disait-il? La politique française de l'or suscitait partout de vives réactions. Les caricaturistes, bons témoins de leurs contemporains, s'en donnaient à cœur joie. Aux États-Unis, l'un d'eux représentait de Gaulle masqué, les bras chargés de lingots d'or, se précipitant hors de la « Banque des États-Unis JJ vers une voiture qui l'attendait. D'un coup de poing il repoussait une vieille dame, la livre sterling, et d'un coup de pied un monsieur au large chapeau, le dollar. Wilson, effrayé, en laissait tomber sa pipe et Johnson, l'air plus triste que jamais, lui disait: « Mais non! ne l'OUS inquiétez pas. Ce n'est qu'un de nos clients qui est pressé. JI En Angleterre, Wilson avait évoqué, avant d'être Premier ministre, les bandits de grands chemins qui détroussaient, dans les temps lointains, les diligences chargées d'or et le caricaturiste Illingworth avait montré la scène, de Gaulle étant le détrousseur, Johnson et Wilson, les conducteurs de la diligence. En France, Jacques Faizant présentait le bureau du contrôleur des contributions. Un avis y prévenait que les réserves françaises s'élevaient à 25 milliards de francs. (On les comptabilisait désormais en francs et non plus en dollars.) « Alors on diminue les impôts P JJ demandent les contribuables. Un premier rond-de-cuir répond d'un air hautain: « Al'oir de l'or ce n'est pas àl'oir de l'argent! JI L'autre, l'air accablé, un crayon sur l'oreille, ajo~te : « On a
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honte, je pous jure 1 d'apoir li préciser des choses aussi épîdentes ! » Ce qui rendait irritante cette question de l'or et du dollar, c'est que le général de Gaulle passionne tout ce qu'il touche. Ce débat d'experts était pour lui un acte politique. Quels en étaient le sens et la portée? C'était l'époque .où il discutait de plus en plus la place des Américains dans l'organisation du Traité de l'Atlantique nord, où il mettait fin à l'implantation des troupes de l'O. T. A. N. en France. Ce combat pour l'or et contre le dollar, contre les privilèges du dollar, s'insérait dans la lutte qu'il n'avait cessé de mener contre les solutions arrêtées à la rencontre de Yalta, en pleine guerre, où les Grands avaient divisé le monde sans tenir compte de l'avis de la France. Les Américains le ressentaient très vivement ainsi, comme un acte d'agressivité, d'autant plus injuste que la prospérité française eût été beaucoup plus difficile à rétablir sans les dons et les prêts très généreux du Plan Marshall, au lendemain de la guerre. Attaquer leur monnaie leur paraissait odieux. L'année 1965 apporta à la France de belles rentrées de devises. Le plan de stabilisation de M. Giscard d'Estaing (1963) avait ralenti l'expansion, mais redressé nos échanges extérieurs. En revanche, en dépit de ce plan, la hausse des prix, ralentie, avait continué. Hausse des prix et déficit extérieur sont deux conséquences d'une même cause: l'excès inflationniste de la demande des consommateurs sur la production qui leur est offerte. Il est normal que le plan de stabilisation, la rigueur budgétaire aient, à la fois, freiné la hausse des prix et accru l'excédent de la balance des paiements. Mais ce que n'a pas su faire V. Giscard d'Estaing,
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c'est Cèncentrer l'effet de son plan vers la stabilité des prix et, cet objectif atteint, l'arrêter pour hâter la reprise de l'expansion. Si le ministre français des Finances avait connu le secret qui permet d'arriver exactement à son but, L. Er7 hard, chancelier d'Allemagne Fédérale, qui se débattait dalls les hausses de prix malgré des réserves trop larges, H. Wilson qui ne parvenait pas à prévenir les accès de faiblesse périodiques de la livre, L. Johnson, qui cherchait à maîtriser ses sorties d'or, le lui eussent volontiers emprunté. Les moyens d'obtenir l'expansion dans la stabilité des prix et des réserves sont encore incertains. Le septennat du général de Gaulle s'achevait. Depuis juillet, une crise européenne s'était déclenchée. La France avait cessé pour un temps de participer aux travaux du Marché commun. Ce fut l'un des thèmes majeurs de la campagne électorale mais la stagnation de l'économie au moment où les réserves de devises étaient au plus haut fut, elle aussi, largement discutée. L'opposition chercha querelle sur un point de plus ou de moins du taux d'expansion. De Gaulle fut mis en ballottage. Réélu, il remania son gouvernement. Au temps de la guerre d'Algérie, le Premier ministre, 1"1. Michel Dcbré, avait offert sa démission. En 1963, de Gaulle avait choisi Georges Pompidou pour le remplacer. Le ministère qui parut le mieux convenir à Michel Debré pour sa rentrée en janvier 1966, après ces longues vacances, fut celui de l'Économie avec, pour programme, la relance de l'activité. M. Giscard d'Estaing qui présidait un groupe parlementaire membre de la majorité gaulliste mais gardant son indépendance, dut céder la place. Une autre phase s'ouvrait.
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La France avait posé la question de 1'01'. Mais étaitelle seule? Si elle l'était, si ses propos ne trouvaient pas d'écho, ils n'étaient pas bien dangereux. Sur ce plan international, comment se posait le problème de l'or et du système monétaire? Dès l'automne 1963, en un moment où le déficit américain avait été fort élevé, dix pays possédant 85 % des réserves monétaires mondiales, le Club des Dix, eommencèrent l'étude d'une réforme. Ils convinrent qu'il y avait dans le monde assez de monnaie en circulation pour les besoins présents et l'avenir prévisible. Ils décidèrent de surveiller ensemble les crédits internationaux, ce qui se fait chaque trimestre au groupe de travail III de l'Organisation de coopération et de développement économiques (O. C. D. E.) qui siège à Paris au château de la Muette. Les principaux responsables de la politique économique du monde s'y retrouvent. Les thèses françaises choquaient. Le système de l'étalon-or paraissait alors définitivement périmé, lié à un temps d'expansion lente, sans cesse brisée par des crises. Pourtant, les propos du général de Gaulle rencontraient une inquiétude. Dans les réserves de nombreux pays, les quantités de dollars augmentaient. Ces dollars étaient théoriquement un droit d'obtenir de l'or sur simple demande, mais la quantité d'or disponible pour répondre à ees demandes diminuait. La pression des États-Unis pour éviter les demandes d'or augmentait. Les Américains achetaient de plus en plus d'entreprises dans toute l'Europe. On s'en était d'abord réjoui.
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Ils apportaient de l'argent, une technique avancée de l'emploi. Pourtant, n'y avait-il pas là un aspect de colonisation? Une menace pour l'avenir? )";;tre Européen n'allait-il pas devenir un handicap pour diriger une entreprise européenne? Était-il faux de dire comme les Français que c'est avec l'argent des Européens que les Américains achetaient leurs entreprises? Non. L'incertitude allait croissant. Les plans de réforme se multipliaient. Les Allemands présentaient le plan Emminger, préparé par un directeur de la Bundesbank et soutenu par les Hollandais, les Belges, les Italiens. Les Britanniques avaient un plan Maudling; les Américains un plan Deming, du nom du sous-secrétaire au Trésor qui les représentait dans la plupart des réunions. II y avait le C. R. U. de M. Giscard d'Estaing qui se trouva très vite abandonné lorsque celui-ci eut quitté la rue de Rivoli. Son successeur, M. Michel Debré, n'était pas un tech~ nicien de l'économie ni moins encore des Finances. Il avait été un résistant, sous le nom de « Bossuet », avait réorganisé la région d'Angers puis avait créé l'École nationale d'administration, pépinière des hauts fonctionnaires. Excellent juriste, membre du Conseil d'État, sénateur de Touraine, fidèle porte-parole du général de Gaulle, il critiquait durement « ces princes qui nous goulJernent ». II passait pour l'anti-Européen, bien qu'il ait fait partie du mouvement européen. Il avait de l'Europe une idée à lui. II est l'auteur du slogan souvent attribué au général de Gaulle: l'Europe des patries. En arrivant rue de Rivoli, son point de vue sur l'infla" tion était contestable: il pensait qu'elle peut se produire sans responsabilité de l'État, par la faute des ouvriers ou des commerçants qui veulent gagner davantage.
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Pour lui, une grande idée politique doit dominer la technique. Cette idée, c'est la volonté de l'indépendance française conçue à la manière du général de Gaulle; c'est l'exécution des objectifs qu'on s'est fixés: ceux du Va Plan; c'est permettre à son pays d'avoir une in'fluence raisonnable sur les affaires du monde. C'est faire du progrès industriel le moyen de parvenir au progrès social. Je l'ai interrogé sur la réforme monétaire internationale en février 1966 : il a affirmé ne pas comprendre pourquoi elle passionnait quelques journalistes. Il ne tarda pas à changer d'avis car, nous le verrons, . ce fut l'un de ses thèmes favoris. Cette époque connut de nombreuses réunions moné~ taires et il était passionnant de voir comment se préci~ sèrent les positions et mûrirent les problèmes. Au moment où M. Debré arrive, on attend d'impor~ tantes décisions sur la réforme monétaire dans l'année. Le Fonds monétaire et le Club des Dix étaient l'un et l'autre candidats à la charge de créer un jour de la monnaie mondiale. Le plan Emminger (Allemagne), discuté au Comité monétaire du Marché commun en l'absence volontaire de la France, envisageait de charger un groupe de pays développés de créer par une décision unanime un crédit international mutuel qui réglerait une proportion donnée des déficits des balances de paiements. Les ajustements à cet accord se feraient à la majorité qualifiée (un certain nombre de voix seraient nécessaires, les pays les plus importants en ayant plus que les autres), sur proposition d'un expert indiscuté. En mars, le Club des Dix se réunit à Paris. Pour préparer cette rencontre, se tint un conseilinterministériel. Interrogé le lendemain sur ses décisions, M. Debré répondit: « Je ne f,JOUS apprendrai rien en f,JOUS disant
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qu'un Conseil présidé 'par le général de Gaulle aboutit à des thèses proches de celles du général de Gaulle; » La France durcissait sa position en faveur de l'étalon-or. Elle rappelait que la liquidité internationale était suffisante. Plutôt qu'une mauvaise réforme, elle at~endait que la question mûrisse, fût-ce' au prix de cnses. En juillet, les ministres du groupe des Dix se retrouvèrent à La Haye et approuvèrent un rapport nuancé dans lequel neuf membres sur dix se mettaient d'accord pour préparer un nouvel instrument de crédit international ressemblant plus ou moins à ùne monnaie, pour cc la création délibérée de recettes de réserfJes qui ne devraient pas être commandées par l'existence d'un déficit de la balance, des paiements d'un pays particulier ni avoir pOl~r objet de le financer Il. La France était le dixième. Chaque année, les gouverneurs du Fonds international monétàire se réunissent dans la semaine qui chevauche le 1er octobre. Le 13 septembre 1966, les ministres des Finances des Six se retrouvèrent à Luxembourg pour s'y préparer. Pour la première fois, sur la demande' de M. Debré, un communiqué fut publié pour répondre aux déèlarations de M. Fowler, secrétaire américain au Trésor, qui avait commenté, à Londres, la décision de La Haye en Pàrlant d'or-papier. Ce communiqué insistait d'abord sur la' nécessité d'éliminer les déséquilibres graves et persistants des balances de paiement. Il admettait que « certaines améliorations Il soient apportées au système lui-même, mais elles ne devraient pas être mises en vigueur avant un meilleur équilibre des paiements de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Il précisait qu'il ne fallait pas mélanger la création de réserves àvec l'aide aux pays en voie de développement, celle-ci devant se faire par l'aide aux
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investissements, la coopération technique et la politique commerciale. Pas d'aide sans douleur. L'opposition était vive entre les Français, seuls partisans de l'étalon-or, et leurs partenaires, plus ou moins impressionnés par leurs arguments mais agacés par leur agressivité à l'égard des U. S. A. La voie était cependant ouverte à la recherche d'une solution internationale. Nous la verrons, plus tard, se développer au milieu des crises de spéculation car il est temps de faire entrer en scène ces personnages clés de notre seconde partie : ceux qu'on a appelé « les spéculateurs )J. Mais avant de conclure ce chapitre où il fut beaucoup question de la France, notons que dans la semaine du 8 au 13 amît 1966, ses réserves monétaires avaient atteint leur point culminant à là suite des difficultés de la livre sterling. Juste après le 15 août, un versement au Fonds monétaire puis des remboursements anticipés de dettes masquaient les gains. En octobre s'installait le déficit. Pour la France, un sommet était dépassé. Elle avait profité de la tendance inflationniste en Allemagne alors qu'elle venait d'assainir sa situation par un plan de stabilisation. Les difficultés de la livre sterling avaient placé le franc au premier rang des monnaies refuges. La détérioration de la balance commerciale française, liée aux mesures de relance de M. Debré et au durcissement du marché par les mesures d'austérité d'autres pays, marque la fin d'une époque. Le général de Gaulle s'était fait de ses excédents un outil diplomatique important. Cette forte position financière peu à peu allait glisser de la zone des réalités vers celle des souvenirs nostalgiques.
Ainsi, lorsque s'achève notre première partie, nous apercevons l'image d'un système monétaire qui a rendu d'énormes services et continue d'en rendre mais d'un système érodé. Il a permis de développer l'économie grâce au crédit international mais celui-ci a pris des proportions telles qu'il a dépassé les limites de sécurité. Tandis que les Américains et les Anglais essaient de prolonger la même voie, de trouver de nouveaux instruments de crédit, la France, elle, réclame une autre forme d'équilibre: celle qui consisterait à apurer les dettes et à ne plus dépenser plus qu'on ne gagne, l'étalon-or étant, comme le dira M. Pompidou, le policier qui oblige à payer ce qu'on doit et à rester dans l'ordre. A l'échelle internationale, les recherches sont amor" cées. Le problème est bien posé mais, jusqu'ici, à part de courts accès, il reste le domaine des experts, le domaine des débats de doctrine ou des prises de position. Il n'y a pas encore eu de drame. Il s'en prépare.
Deuxième partie
LA GUERRE DE MOUVEMENT
Ces années dernières, le débat monétaire a tenu le devant de la scène. Des crises se sont produites dans lesquelles le rôle principal a été joué par un groupe de personnages qui ne sont investis d'aucun mandat, que per'sonne n'identifie très bien, qui provoquent partout l'irritation' et la colère, qui sont insaisissables: les spéculateurs. Un ministre anglais les appelait un jour « les gnomes de Zurich». Ce sont des personnages qui gravitent autour de comptes en banque anonymes, qui échappent largement au fisc, tournent les réglementations nationales et se révèlent d'une puissance extraordinaire. Notre seconde partie va être consacrée à la suite de cette histoire monétaire contemporaine, une suite dans laquelle les spéculateurs interviennent de plus en plus. Dans les prochains chapitres, nous allons les voir s'attaquer d'abord à la livre sterling, puis au prix de l'or, c'est-à-dire à la valeur du dollar etde toutes les monnaies. Nous verrons les hommes d'État essayer de réagir en créant une monnaie internationale de crédit, au cours de la seule conférence monétaire qu'on ait vu provoquer des manifestations de rues; nous verrons la spéculation
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s'attaquer au mark et au franc. Enfin, nous conclurons sur les perspectives, telles que les laissent apparaître les débats d'idées et sur une ·proposition. Mais d'abord qui sont les spéculateurs, ces hommes qui se montreront capables d'obliger la France, l'Angle~ terre, l'Allemagne, les États-Unis à revoir d'urgence leur politique, à se soumettre à leur dictature invisible? Ces hommes qui peuvent mobiliser deux milliards de dollars en une semaine alors que, pour avoir eu quelques années de suite trois milliards de dollars par an de déficit, les États-Unis se sont trouvés en difficulté? Qui sont ces hommes, ces irresponsables plus puissants que les puissants? peut-on les mettre à la raison? Les opérateurs à court terme sont probablement ceux qui se rapprochent le plus de l'idée qu'on se fait du spéculateur. Ils déplacent de l'argent à la recherche d'un petit bénéfice obtenu en peu de temps, ce qui, renouvelê très souvent dans l'année, finit par représenter des taux d'intérêt extraordinaires. Même s'il faut s'y reprendre en trois ou quatre fois avant d'y parvenir, 5 %, 10 ou 15 %de bénéfices, de dévaluation ou de réévaluation d'une monnaie, obtenus en trois jours, c'est très tentant. D'autant plus que cela se joue normalement avec des fonds empruntés pour lesquels, en si peu de temps, la charge d'intérêt est presque négligeable. Ces hommes existent. Leur métier est de profiter des circonstances quand ils ont pu les prévoir. Quand ils se sont trompés, ils perdent. Il est difficile de savoir quel est leur nombre et si le volume de leurs affaires a quelque chose à voir avec les formidables mouvements de capitaux de ces temps derniers. Les gérants de portefeuilles, qui travaillent le plus souvent pour le compte d'autrui, forment une autre catégorie. Ils sont chargés de gérer, de faire fructifier
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si possible, au moins de conserver la valeur des fortunes existantes. La baisse prolongée de la bourse en France ne leur a pas rendu la tâche facile. Doivent-ils toujours conseiller à leurs clients d'acheter des valeurs nationales? Si leur patriotisme leur dit oui, leur technique dit au contraire qu'il faut, dans cette période difficile, diversifier au maximum les risques et choisir ceux qui sont liés à des monnaies qui pourraient être réévaluées plutôt qu'à celles qui pourraient être dévaluées. Parmi ceux qu'on appelle «spéculateurs >l, un rôle essentiel est joué par ceux qui participent au commerce international. Leurs transactions, à travers le monde, se chiffrent à peu près à 430 milliards de dollars par an, soit quelque 8 milliards de dollars par semaine. Il faut donc fai~e le change correspondant. Peut-on leur reprocher de choisir la date à laquelle ils changent leur argent de façon à ne pas conserver trop longtemps les monnaies dont on craint la dévaluation? Un jour d'écart en moyenne sur la date du change représente à l'échelle du monde plus d'un milliard de dollars. Nous allons trouver aussi les trésoriers des banques et des entreprises qui sont chargés de gérer les fonds disponibles, c'est-à-dire l'argent dont on peut avoir besoin à très court délai. Il reste en réserve et peut être placé, mais à court terme. Ces trésoriers ont souvent besoin d'avoir des comptes dans des banques de différents pays. Peut-on leur reprocher de tirer de préférence dans les périodes sensibles, sur les comptes libellés en monnaie menacée et de garder plus volontiers les réserves libellées en monnaies plus sûres? Ces opérations de trésorerie passent souvent par le marché de l'euro-dollar où se négocie le droit d'user de dépôts dans les banques internationales et surtout américaines. Plusieurs milliards de dollars y sont dépla-
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cés chaque semaine. Ces opérations, fatalement, tien" nent compte des risques et des chances de l'heure. « Les gens ont le droit et même le devoir de se servir des possibilités qui leur sont offertes pour faire leur métier, me disait M. Carli, gouverneur de la Banque d'Italie. Un commerçant doit savoir « se couvrir» afin de pouvoir connaître exactement le prix de revient de la marchandise qu'il commande. L'ouvrier italien qui travaille en Allemagne a le droit et le devoir de choisir, s'il épargne, entre un placement en valeurs italiennes, allemandes, françaises ou américaines. » Nous emploierons le terme les spéculateurs. Il est commode. Mais nous n'oublierons pas ce qui se cache derrière ce terme. On y trouve certes des gens pour qui les conséquences de leurs opérations monétaires n'importent guère pourvu qu'elles apportent un gain. Il s'y trouve surtout beaucoup de professionnels qui font leur métier, remplissent honnêtement leur fonction dans l'immense complexité de l'économie moderne. La spéculation, fait penser à une masse liquide ballottée dans une immense bassine, maladroitement soutenue par toutes sortes de gens et qui lèvent ou baissent tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, au gré des multiples influences du moment. Il reste à savoir comment ces « spéculateurs» ont pu être plus forts que les chefs de quelques-uns des plus puissants États du monde et les obliger à se dédire, à renier leurs promesses et presque leurs serments. Mais il est temps d'en venir aux événements qui révélèrent la puissance de la spéculation: la bataille de la livre.
CHAPITRE V
La bataille de la livre
L'Angleterre sortit victorieuse de la Stlconde Guerre mondiale, au prix d'un terrible effort où le sang et les larmes se mêlèrent A des dépenses. démentielles. La France a payé la guerre par l'inflation, c'est-A-dire par un prélèvement sur toutes les fortunes, par la misère des vieux qui, par millions, moururent indigents. La Grande-Bretagne l'a, en très grande partie, payée par le crédit que lui ont accordé les pays de la zone sterling. Et ses dettes sont restées. . Une ingrate expérience s'ouvrait pour la GrandeBretagne. Elle allait devoir, comme les autres pays, édifier une économie moderne. Mais alors que les EtatsUnis abordaient l'âge atomique gorgés d'or, les Anglais y entraient couverts de dettes. Comment essayèrent-ils de relever le gant? Dès 1945, le suffrage universel met Churchill au repos. Avec les travaillistes, Attlee se lance dans un programme de nationalisations, de redistribution des revenus, draconien pour la fortune acquise. Malgré cela - ou serait-ce en partie à cause de cela? - en 1949. il fallut dévaluer la livre d'un tiers. Les travaillistes perdirent le pouvoir
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et l'idée en resta que tout gouvernement qui dévalue. rait en serait, à son tour, chassé. A partir de 1951, Churchill, Eden, MacMillan,· Sir Douglas Home, les conservateurs s'efforcent de retrouver la prospérité. Si l'on compare l'Angleterre d'après la guerre à celle d'avant la guerre, les performances sont plus qu'h.onorables. L'économie s'est mise à progresser et MacMillan pourra se faire réélire sur le slogan : « Vous n'ayez jamais mieux yécu. Il Pourtant les prix ne cessent de monter, la balance des paiements a tendance à être déficitaire. Certes, les transactions commerciales sont en excédent, mais pour financer la zone sterling il faut accorder des prêts importants. Les réserves anglaises de devises étaient insuffisantes et très irrégulières; l'essor de la production était nettement moins rapide que celui de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'U. R. S. S. Les Anglais s'efforçaient de mettre en pratique les principes que leur avait légués Lord Keynes. Ils voulaient conduire l'économie de façon volontaire pour éviter le chômage, empêcher les cycles et les crises. Mais ils devaient se résigner au rythme saccadé du « go... stop Il. Après des essors encouragés par une politique budgétaire hardie, il fallait revenir vite, faute de devises, à l'austérité. On avait beau encourager l'exportation, décorer par exemple les Beatles comme de fermes soutiens de la livre parce que leurs chansons, coinme plus tard l'invention de la mini-jupe, rapportèrent de grosses sommes aux réserves britanniques, l'équilibre solide ne se retrouvait pas. C'est une constante. Lorsque s'accélère l'essor, quand
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le budget et le crédit deviennent plus généreux, quand les salaires et revenus augmentent plus vite, quand les entreprises investissent beaucoup, la balance des paiements se détériore. Le pays vit mieux, par conséquent achète davantage à l'extérieur et y vend moins. Nombreux sont ceux qui n'acceptent pas cette fatalité, ils estiment qu'une politique « dynamique » de ce genre doit accélérer la production des usines du pays, donc permettre d'exporter plus, de retrouver l'équilibre à un niveau plus élevé. Cela devrait être possible, mais il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Dans l'état actuel des techniques écon{)miques, ce genre de dynamisme, s'il se prolonge, accélère plus vite la consommation que la production et finit par compromettre l'équilibre, par obliger à un coup de frein pour éviter la faillite. La politique européenne de la Grande-Bretagne était une autre cause de difficulté. Elle s'était tenue à l'écart des tentatives d'unité européenne, par crainte de perdre une part de son indépendance. Lorsque celles-ci prirent forme, les Britanniques essayèrent, en lançant l'idée d'un grande zone de libre échange, d'éviter que les Six ne s'accordent les uns aux autres des privilèges commerciaux qu'ils refuseraient aux non-membres de la Communauté, donc à l'Angleterre. Cette tentative échoua et, nous l'avons vu, ce ne fut pas étranger au retour de la livre sterling à la convertibilité monétaire. La négociation menée par Sir Reginald :Maudling, dont on ne sut jamais très bien s'il avait voulu neutraliser l'Europe en l'encadrant, ou s'y associer sincèrement, aboutit à la création de la petite zone de libre échange avec trois pays scandinaves, la Suisse, l'Autriche et le Portugal. Cette zone ne put résoudre le problème britannique.
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A partir de 1961, M. MacMillan décida de poser la candidature de son pays à l'entrée dans le Marché commun. En janvier 1963, le veto du général de Gaulle marquait l'échec de cette politique. Les conservateurs sentaient venir la fin de leur règne. R. Maudling, devenu chancelier de l'Échiquier, c'est-à-dire ministre des Finances, s'efforça de préparer les élections par urie politique d'expansion résolue. Il ne put éviter l'échec électoral. C'était surtout l'échec de la tentative pour retrouver la voie qui mènerait l'Angleterre vers une économie à la fois moderne, dynamique, équilibrée. Une autre équipe va prendre la relève.
LES TRAVAILLISTES AU POUVOIR
En octobre 1964, les travaillistes accèdent au pouvoir et Harold Wilson devient Premier ministre. Comment les travaillistes allaient-ils essayer de résoudre le terrible problème de cette économie endettée? Ce sont des socialistes. Leur ambition est de mener une politique sociale hardie, de redistrihuer les revenus. Ils veulent accroître les moyens d'action de l'État. Ils font plus volontiers confiance aux vertus de l'OI'ganisation de l'économie par les pouvoirs publics qu'aux mécanismes classiques du marché. Sur ces bases, vontils trouver une issue pour leur pays? Avec sa pipe et son briquet qui transforme à tout moment son visage rond,en une sorte de feu clignotant, H. Wilson, ancien professeur à Oxford, est un politique très adroit. Il a su reprendre en main le parti travailliste et sait retourner un congrès prévenu contre lui. Il fut accueilli par une immense vague de confiance.
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Jeune Premier ministre à quarante-huit ans, il avait promis de redonner vigueur à l'économie britannique. En arrivant, il commença par dresser un bilan de ce qu'il avait trouvé. La situation laissée par les conservateurs y apparut sous un jour assez effrayant. Politiquement, c'était bon. Pour la li"re, c'était mauvais. Les financiers commencèrent à se demander si le sterling n'allait pas être dévalué. Le nouveau chancelier de l'Échiquier, M. James Callaghan, avait cinquante-deux ans. Jovial, entraînant, optimiste, cet ancien fonctionnaire de la Trésorerie britannique était entré dans la politique aussitôt après la guerre. Dans la lutte que menèrent les travaillistes pour rétablir la livre, nous distinguerons deux phases. Pendant la première, ils tentèrent de redresser la monnaie à la mode socialiste, en dirigeant vigoureusement l'économie mais sans restreindre le volume de la demande globale. M. Callaghan, d'emblée, prit des mesures sévères de redressement, dont une taxe de 15 % sur les importations. Les pays du Marché commun obtinrent qu'elle frappât tout le monde ou personne. Elle toucha donc aussi les pays de la zone de libre échange, qui furent amers. Cette taxe leur enlevait le bénéfice des abaissements douaniers qu'ils avaient obtenus de la GrandeBretagne en fournissant, eux, une contrepartie, en abaissant leurs droits de douane. Quelques semaines plus tard, le 11 novembre 1964, J. Callaghan se permettait une grave entorse à la tradition : il revéla les grandes lignes du budget qu'il présenterait en avril. Jusqu'ici la boîte de fer dans laquelle le chancelier de l'Échiquier enferme le budget le jour où il le présente aux Communes était le symbole du mystère.
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Un chancelier dut un jour démissionner pour avoir laissé percer un fragment du grand secret. J. Callaghan annonce qu'il veut « créer le climat qui rendra possible la réussite d'une politique des repenus et des prix >l. C'est un homme de gauche: il a voulu penser d'abord aux plus pauvres. Il augmentera les prestations sociales. D'où un surcroît de charges à la fois pour les entreprises et pour l'État. Celui-ci paiera grâce à un relèvement de l'impôt sur le revenu. Ce surcroît de charges a fait peur. Pour maintenir le cours du sterling au taux prévu par le Fonds monétaire, la Banque d'Angleterre fut obligée de vendre de l'or. Les perspectives de la balance des paiements, malgré les mesures prises par le gouvernement Wilson, restaient mauvaises. Le taux d'escompte dut être porté de 5 à 7 %. Le 25 novembre 1964 fut le « mercredi noir ll. Les ordres de vente de sterling, au comptant ou à terme, se pressaient à Londres. Il fallait, pour y faire face, prélever sur des réserves déjà très faibles. Allait-il falloir dévaluer pour arrêter cette hémorragie? Tout le monde savait qu'une dévaluation de la livre ouvrirait pour le monde une période difficile. L'un des principaux dignitaires du Federal Reserve System entreprit de sauver le sterling. Dès cinq hèures du matin, à l'heure de New York, il appelait les gouverneurs des principales banques centrales. En neuf heures, avant l'ouverture de la séance de la bourse de New York, un crédit de trois milliards de dollars était assuré à la Grande-Bretagne. Celle-ci pouvait faire face à la spé.mlation grâce à l'apport de l'Autriche, de la Belgiq lIe, du Canada, de la France, de l'Allemagne occident{lle, de l'Italie, du Japon, des Pays-Bas, de la Suède et dL la
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Suisse, ainsi que la Banque des règlements internatio-i naux. Ils sont allés tendre la sébile jusqu'au Japon, écrivit un commentateur anglais. Ce n'était qu'un répit. Pourtant, le cabinet anglais décida de ne pas prendre de nouvelles mesures économiques pour le moment. Il était persuadé de n'avoir pas affaire à un excès de la demande sur le marché britan. nique. Une bonne partie du déséquilibre était due selon lui à des importations de biens d'équipement, à la constitution de stocks, que le renchérissement du loyer de l'argent suffirait à faire revenir en des jours meilleurs. Fallait-il prendre d'autres mesures? ce n'est pas certain. Le dessinateur Cummings avait représenté la pauvre Britannia couchée sur un lit de douleur et en proie aux innombrables médecins qui ressemblaient aux ministres et prodiguaient les piqûres, thermomètres, eau glacée, eau bouillante, plâtre, pansements, postures acrobatiques, etc. « Si seulement mes médecins poupaient S6 mettre en grèpe 1 » disait-elle. Mais tous ces médecins ordonnaient à l'envi des drogues coûteuses alors qu'il aurait fallu restreindre la dépense. Cette situation difficile se répercutait sur le plan international. M. Wilson se trouvait obligé de dégarnir le Rhin, d'alléger ses dépenses militaires. La diplomatie de ceux qui sont à court d'argent et endettés n'est jamais facile. Décembre apporta encore de mauvaises nouvelles pour la balance commerciale britannique. M. Callaghan se consola en se disant qu'il s'agissait de contrats antérieurs à l'introduction de la surtaxe de 15 %.
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Suffisait-il d'être ferme et patient pour décourager les spéculateurs? M. Wilson essaya. TI se servit largement de son crédit de trois milliards de dollars pour les repousser, c'est-àdire pour acquérir les livres sterling vendues à découvert. Un moment est venu où les vendeurs ont dû en racheter à perte pour tenir leurs engagements. La Grande-Bretagne remboursa le prêt dont elle n'avait dépensé qu'une partie après avoir emprunté, en mai 1965, 1,4 milliard de dollars au Fonds monétaire. En septembre 1965, nouvelle crise. Au meeting travailliste de Liverpool, M. Harold Wilson stigmatisa une minorité de « naufrageurs anonymes », négociants et spéculateurs « qui bradent la livre sterling dans l'espoir de gains matériels immédiats,.sans souci des intérêts du pays». Les appels au patriotisme monétaire ne conduisirent à rien, comme toujours. L'équilibre d'une monnaie, c'est la responsabilité d'un gouvernement et d'une banque centrale. Quand l'un et l'autre font leur devoir, les hommes d'affaires peuvent vaquer librement au leur sans risquer d'anathème. Mais dans tous les temps et dans tous les pays, c'est le même refrain. Quand le dauphin est paresseux on fouette le menin. Quand le ministre des Finances tient mal sa monnaie, on met en prison les bouchers. En septembre 1965 un second prêt international à la Grande-Bretagne, de deux milliards de dollars cette fois, vint raffermir la livre sterling. La France refusait d'y participer. - « Nous ne reconnaissons à la monnaie d'aucun pays en particulier une valeur 'Privilégiée... L'or est le seul étalon réel », avait dit quelques jours plus tôt le général de Gaulle.
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Ce geste était interprété comme un refus de coopérer, alors que la Banque d'Angleterre avait aidé le franc lors de son redressement en 1959. La réunion annuelle des gouverneurs du Fonds monétaire international est, traditionnellement, pour la livre sterling, un mauvais moment. En 1949, c'est en rentrant du Fonds monétaire international où il avait juré que jamais il ne dévaluerait la livre, que sir Stattford Cripps annonça brusquement la dévaluation. Or, parmi ceux qui « spéculent )), il Y a beaucoup de professionnels qui ne peuvent pas se permettre, vis-à-vis de leurs patrons ou de leurs mandants, de subir une perte de change alors qu'un précédent conseillait d'être prudent. A la veille de la réunion (fait connu beaucoup plus tard), neuf banques centrales - la Banque de France n'en était pas - décidèrent d'assainir le marché. La contre-attaque contre ceux qui avaient vendu à terme des livres qu'ils ne possédaient pas, espérant pouvoir se les procurer à meilleur compte que leur prix de vente, fut déclenchée à New York le 10 septembre à neuf heures. La Banque fédérale de réserve lança simultanément sur divers marchés des ordres d'achat de sterling pour 30 millions de dollars. Les cours ayant monté, de nouveaux ordres de 8 millions de dollars furent passés. La hausse fut alors entretenue par les spéculateurs eux-mêmes, obligés de racheter, afin de limiter leurs pertes. Le marché se maintint si bien que la Banque d'Angleterre dut intervenir pour limiter la hausse et put pro~ gressivement racheter des dollars pendant cinq mois. Les pertes des spéculateurs furent estimées à plusieurs millions de dollars. L'euphorie marqua la fin de l'année 1965. En no-
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vembre, S. M. la reine d'Angleterre laissait prévoir dans son discours du Trône le rétablissement de la balance britannique des paiements pour le courant de 1966. Les impôts avaient été augmentés pendant l'automne 1964, puis en avril 1965. Des efforts de compression des dépenses gouvernementales étaient poursuivis. Le taux d'escompte était maintenu depuis un an au niveau exceptionnellement lourd de 7 %. M. Wilson put croire qu'il avait gagné. Le problème était-il vraiment résolu? Le coût de la vie s'était stabilisé, mais la production restait stagnante. La hausse des salaires, freinée, avait presque atteint 5 % en un an, tandis que le volume des importations continuait à s'accroître plus que celui des exportations. Il y avait donc encore trop de pouvoir d'achat ou pas assez de dynamisme industriel et commercial. Depuis de longues années, le rapport entre l'investissement et la consommation était en Angleterre l'un des plus bas d'Europe. Comment éviter le Charybde de l'inflation, du déficit des paiements et des pertes de devises, sans se jeter dans le Scylla de la récession, du chômage, des crises politiques qui s'ensuivent? Il faudrait élargir la passe. Dévaluer le permettrait-il? Le chef du service financier de l'Economist, M. Fred Hirsch, dans son livre The pound sterling, n'hésitait pas à préconiser la dévaluation. Pour lui, le taux de change surévalué, en ralentissant gravement la croissance du pays, était dangereux pour le monde entier. Savoir si l'Inde, avec sa population explosive, pourrait recevoir une aide suffisante, est une question de vie ou de mort. En mars 1966, une nouvelle offensive des banques centrales faisait remonter un moment le sterling et
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la Banque d'Angleterre put racheter de l'or pendant plusieurs mois. A force d'ingéniosité, pourrait-on retrouver vraiment l'équilibre? En avril, M. Callaghan, chancelier de l'Échiquier, déposait un budget original. Il évitait d'augmenter les impôts personnels, déjà lourds et impopulaires, et reportait les taxes nouvelles sur les entreprises qui emploient de la main-d'œuvre pour les inciter à en employer moins, donc à être plus productives. Mais cette taxe se révéla d'une invraisemblable complexité. Le gouvernement anglais comptait surtout sur la politique des repenus pour arrêter les sorties de capitaux, c'est-à-dire qu'il souhaitait que les salariés soient assez sages pour ne pas exiger plus de trois à quatre pour cent d'augmentation par an pendant cette période délicate. Cette politique des revenus, dont on parlait depuis assez longtemps, n'avait encore donné de résultats précis dans aucun pays. Elle stimule l'augmentation des salaires dans les branches les moins dynamiques et ne parvient pas à la limiter dans celles où la main~ d'œuvre manque. En mai, éclata la grève des marins. Le Premier mi· nistre voulut s'en tenir au chiffre fixé. Les grévistes refusèrent. Ils avaient un bon dossier et étaient très décidés. Ils tinrent des semaines. Or, leur activité rapporte et épargne à la Grande· Bretagne beaucoup de devises. Sans sa propre marine, la vie dans une île est hors de prix. La spéculation, une fois encore, se déchaîna. Pour soutenir sa monnaie, la Banque d'Angleterre dut dépen~ ser, en quelques semaines, des dizaines de millions de dollars. Entre-temps, une monnaie en relation avec la livre, la roupie indienne, était dévaluée de 59 %.
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En un an, la production industrielle n'avait pas augmenté de 1 pour cent, alors que les salaires horaires avaient monté de 4 %, ainsi que le coût de la vie. Le budget comportait des économies, certes, mais une forte augmentation des investissements publics pour relancer l'économie. Pour la monnaie, ce ne serait pas bon. Le 15 juin, les Anglais devaient rembourser d'importants emprunts obtenus les années précédentes. Ils avaient besoin de nouveaux crédits. D'autre part, ils avaient promis de supprimer, en novembre, la surtaxe à l'importation. Cette perspective stimulait la spéculation. Ils avaient des difficultés, qui leur coûtaient cher, avec l'un des pays mcmbres du Commonwealth, la Rhodésie. Le 13 juin, la Banque des règlements internationaux décidait un nouveau prêt pour soutenir la livre. La France, cette fois, s'y associa. Peut-être évaluait-on mieux l'inconvénient qu'aurait pour ce pays une dévaluation de la livre sterling. Elle l'obligerait, soit à dévaluer lui-même, ce qui n'était pas souhaitable, soit à accepter un lourd handicap dans la concurrence internationale. Surtout, on apercevait le souci passionné d'indépendance du président de la République : ne pas être entraîné de façon quasi automatique et anonyme dans une opération internationale de soutien, mais y participer volontairement, en pleine liberté. Le non d'hier mettait en valeur le oui d'aujourd'hui. La France pouvait s'associer au prêt. Ses réserves avaient largement bénéficié des pertes des autres. En juin 1966, 116 millions de dollars d'or étaient sortis de Fort Knox et 101 étaient arrivés à Paris. En juillet, les sorties d'or américaines atteignaient un record :
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116 millions de dollars, tandis que la France augmentait ses réserves de 145 millions. A la Banque de France, on ne voyait pas cette situa.. tion sans quelque anxiété. « J'ai beaucoup de dollars, mes fJoisins en ont aussi, et le gage, le seul gage, la réserfJe a;or américaine, diminue. Jusqu'où cela pourra-t-il aller PlI Pour M. Wilson et son gouvernement, l'avertissement était grave. Il avait tenté de trouver pour son pays l'équilibre et le dynamisme en demandant beaucoup aux contribuables, en faisant investir l'État, en subventionnant une recherche technologique d'avant-garde dont il était très fier. Mais la situation monétaire ne cessait de s'aggraver. Cette fois, il fallait se rendre à l'évidence, s'attaquer vraiment aux dépenses publiques, au crédit, à la demande des consommateurs, dût le socialisme en souffrir un temps. Pourrait-il ainsi sauver la livre?
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Le 20 juillet, M. Wilson revoyait son budget de façon draconienne cette fois, amputant sérieusement les dépenses publiques, les investissements, les ressources des consommateurs, restreignant les ventes à crédit, accroissant les impôts, les tarifs postaux, etc. La livre remonta. En août, le déficit de la balance commerciale tombait à 15 millions de livres et les augures se reprenaient à espérer une balance en excédent pour l'année suivante. . La bataille, pourtant, se révéla très dure. Le gouvernement anglais dut faire face à toute une série d'événements disparates : ralentissement économique et réac-
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tion des syndicats, hausse des taux d'intérêts, guerre entre Israël et les pays arabes, opposition de la France à la seconde candidature britannique au Marché commun, tout cela gêna les travaillistes dans leur défense de la livre. Et d'abord, comment réagit l'économie aux mesures d'austérité? Elle subit un net ralentissement. Les très sévères réductions d'horaire annoncées par les grandes firmes automobiles, en particulier par la British Motors, suscitaient de vives réactions des syndicats. Le secrétaire de celui des transports, M. Cousins, ancien ministre de M. Wilson, soulignait que le chômage s'était élevé, depuis mai, dix fois plus vite qu'à l'ordinaire. Le matériel électrique Hoover fermait une usine : 500 ouvriers licenciés. La sidérurgie ne travaillait qu'à 79 % de sa capacité. Certaines firmes différaient leurs commandes à l'étranger, escomptant la fin de la surtaxe à l'importation pour novembre. Le risque d'un « dérapage» sur le plan social est inséparable de toute opération d'assainissement monétaire. Dégagé, spirituel, M. Callaghan se défendait contre ceux qui pensaient que la dévaluation de la livre deviendrait inévitable. Pour lui, les prix anglais étaient compétitifs et le problème n'était que d'accroître le volume des exportations. Il avait conscience d'avoir comprimé son budget au prix d'énormes difficultés politiques, et, parlant à l'O. C. D. E., à ceux de ses collègues qui avaient besoin d'en faire autant, il lançait, en français: « Courage mes enfants! » L'automne 1966 fut marqué par une reprise de la livre, conséquence du budget plus austère. Il allait de pair avec un affaiblissement des réserves françaises.
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Était-ce le succès? Un autre phénomène mondial s'était déclenché, dont l'origine se trouvait à la fois en Angleterre, aux ÉtatsUnis, en Allemagne: une surenchère mondiale des taux d'intérêt. C'était i~quiétant, car plus le taux d'intérêt s'élève, plus les investissements, moteurs de l'expansion, ralentissent. Tel projet, rentable avec de l'argent à 3 %, est irréalisable s'il coûte 6 %. Or, on avait très nettement dépassé ce chiffre. Une crise mondiale peut résulter d'une trop forte tension des taux d'intérêt. Le 21 janvier 1967, à la demande de M. Callaghan, six ministres des Finances se réunissaient à la maison de campagne du Premier ministre britannique, les « Chequers Il, pour étudier comment organiser la détente mondiale du prix de l'argent. MM. Debré (France), Fowler (U. S. A.),. Schiller (Allemagne), Colombo (Italie), y participèrent pendant deux jours. Les ministres repartirent contents. La déclaration de M. Debré, à l'arrivée, sévère, agressive, vitupérait la politique américaine; sa seconde déclaration, au départ, évoquait l'atmosphère sympathique des retrouvailles entre ministres confrontés aux mêmes problèmes. Ils s'étaient engagés à coopérer en vue de permettre l'abaissement du taux d'intérêt chacun dans son pays. Moins de quinze jours après la conférence, le mouvement de baisse se confirmait. Celle du taux d'escompte anglais fut imitée en Belgique et en Suède. Aux ÉtatsUnis et en Allemagne, la tendance était à la détente. Une ombre donnait du relief à ce tableau. Cette baisse concertée rappelait à Jacques Rueff l'accord de 1927 où les banques centrales américaines renonçaient à se concurrencer sur les taux d'intérêt. La crise, retardée,
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n'en fut que plus dure. Le thermomètre cassé, la maladie s'était aggravée. Cette détente des taux d'escompte était appréciée en France. Celle-ci avait de plus en plus de peine à maintenir le sien à 3 1/2 %.11 s'accompagnait de pertes de devises contre lesquelles la Banque de France luttait en maintenant cher le taux de l'argent au jour le jour. Elle put le baisser un peu. Les banquiers américains respiraient. La politique qui leur faisait supporter tout le poids de la lutte contre l'inflation était modifiée. Le président de leur système de Banques centrales, M. McChesney Martin, avait annulé la lettre aux banquiers où, le 1er décembre 1966, il leur demandait de réduire leurs prêts aux entrep.·ises. M. Johnson organisait volontairement la détente des taux. En revanche, il avait supprimé une mesure fiscale favorable aux investissements et laissait prévoir une augmentation des impôts. La bourse américaine remontait. L'optimisme était revenu. Mais la tendance inflationniste aussi. En juin 1967 éclatait la guerre des Six jours entre Israël et les Pays arabes. Elle entraînait une reprise dans la plupart des bourses, un tassement des cours des métaux stratégiques, une hausse vigoureuse du prix des assurances maritimes. En quoi la livre était-elle concernée? Elle dépend des balances sterling, c'est-à-dire des prêts à court terme des pays qui utilisent cette monnaie comme réserve pour couvrir leurs devises. Or le MoyenOrient, les émirs du pétrole, notamment Koweit, en détenaient des sommes importantes. En contrepartie, la Grande Bretagne dépendait largement du MoyenOrient pour son pétrole.
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L'attitude politique du gouvernement anglais en faveur d'Israël déplut aux Pays arabes. Ils retirèrent des fonds fort importants de Londres pour les placer ailleurs. Et la candidature britannique au Marché commun, en quoi touchait-elle la livre? Les travaillistes y avaient été hostiles au temps des conservateurs. Pourtant, après une longue hésitation, M. Wilson s'est décidé à la renouveler, et même à forcer la porte. Un ministre avait été désigné, Lord Chalfont, pour mener l'offensive. La réponse avait été, du côté français, que la livre n'était pas en état de supporter le jeu brutal du Marché commun. Dans sa conférence de presse du 17 mai 1967, le général de Gaulle expliquait qu'on ne pouvait séparer le sort de la livre, monnaie nationale, de celui de la livre, monnaie internationale. Vouloir que la Communauté ne fût pas obligée de répondre de ce qui arriverait de la monnaie anglaise, ne serait que jeu de l'esprit. « La solidarité est une des règles essentielles, des conditions essentielles du Marché commun. » Or elle ne peut être étendue à la livre, à moins que sa valeur définie n'apparaisse comme assurée, qn'elle soit dégagée du caractère de monnaie de réserve et qu'ait disparu l'hypothèque des balances débitrices de la Grande-Bretagne. Ce thème fut repris par M. Couve de Murville à Bruxelles en juillet, puis à Luxembourg en octobre. Un banquier m'affirma qu'il comprit alors que la dévaluation de la livre sterling était inévitable. Les balances sterling s'élevaient fin juin à près de 13 milliards de dollars. En: face, la réserve liquide d'or et de devises n'atteignait pas 3 milliards. Le rapport de la Communautë Européenne qui le précisait ajoutait qu'en proportion
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du revenu national anglais, l'importance de ces dettes diminuait. Elles n'avaient pas été loin de dépasser de moitié les exportations annuelles du pays. Elles leur étaient devenues légèrement inférieures. Ce débat sur la place publique contribuait à affaiblir le sterling. Par quelles méthodes M. Callaghan .continuait-il la lutte? Nul n'avait été, disait-on, plus populaire que lui bien qu'il ait coûté cher aux contribuables : ~O milliards de livres sterling en 1966 au lieu de 7 trois ans plus tôt. Mais l'optimisme éclairait son visage rieur et presque enfantin, ses joues rondes, son humour contagieux, le talent avec lequel il parvenait à faire acclamer l'austérité par son parti. D'habiles analyses soutenaient le moral de la nation en montrant des progrès sur certains points, en remarquant que les pertes se faisaient moins sévères et la résistance aux crises meilleure. On s'efforçait de rassurer. Les méthodes étaient dirigistes. De peur que les patrons n'orientent mal leurs efforts, des subventions, des prises de participation de l'État les guidaient. Des sommes énormes étaient consacrées aux industries de pointe. Tant pis si c'étaient des fausses pistes, et si les projets les plus coûteux ne se révélaient pas rentables. M. Callaghan avait dû demander à ses amis travaillistes de n'être pas aussi sévères pour le profit que pour l'inceste ou l'adultère. Mais les fonctionnaires qu'on interrogeait semblaient plus soucieux d'apprendre aux patrons ce qu'ils avaient à faire que de leur faciliter la tâche. Le langage des économistes officiels était plein de psychologie: sentiment, clima.t, attitude, humeurs, encouragements, persuasion. Ils s'intéressaient, semble-t-il,
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beaucoup moins aux mécanismes précis qui décident le chef d'une entreprise saine: coût de production, concurrence, prix de l'argent, exigence8 de la tré8orerie, per8pectifJe8 ch"ïffrable8 de profit. On avait l'impression que l'austérité proclamée était discrètement tempérée par des mesures qui en réduisaient beaucoup la portée. Et le moment dramatique arriva. Le 13 novembre 1967, la Banque d'Angleterre sollicitait et obtenait des Dix un crédit de 250 millions de dollars. Le 15, à Paris, les Anglais tentent sans succès de faire élargir ce crédit. Le 16 novembre, la situation du sterling apparaît désespérée. Une panique boursière se déclenche. La Banque d'Angleterre achète des livres sans pouvoir enrayer le mouvement. Dans la soirée, dit-on, la dévaluation de la livre est décidée mais non encore annoncée. Le bruit, du moins, en court et d'énormes ventes sont réalisées le vendredi, catastrophiques pour les réserves britanniques. Le 17 novembre, au cours d'un déjeuner-débat de l' « opinion en 24 heures» à Paris, Lord Chalfont m'affirmait qu'il n'y aurait pas de dévaluation. Cette affirmation de circonstance fit le tour du monde sur les fils d'agences et fit encore un instant fléchir le marché. Le samedi 18 novembre, à 22 h 30, les programmes de la télévision britanniques étaient interrompus : M. Wilson annonçait la dévaluation de 14,3 %. La livre sterling vaudrait désormais 2,40 dollars au lieu de 2,80. Qu'est-ce qu'une dévaluation? C'est une sorte de faillit!: partielle. La Grande-Bretagne - et bien d'autres pays s'y sont résignés avant elle - constate qu'elle ll'est plus en mesure de tenir intégralement ses en ga-
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gements. Jusqu'alors, la Banque d'Angleterre garantissait à tout porteur étranger de livres sterling la possibilité de les échanger contre 2,80 dollars ou l'équivalent en or ou en devises. Elle décidait de ne plus payer que 2,40. Pourquoi M. Wilson a-t-il dû dévaluer contre sa volonté? Pour échanger toutes les livres, tous les chèques libellés en livres, contre des dollars, des francs ou des marks, la Banque d'Angleterre se servait: de ses recettes en devises; - de sa réserve d'or et de dollars; - des crédits qu'elle avait obtenus à l'étranger. Or les recettes ont disparu puisque depuis quatre ans: les Anglais avaient dépensé à l'extérieur plus qu'ils n'avaient gagné. Sur leurs réserves, ils avaient dû déjà bea ucoup tirer. De gros emprunts internationaux avaient été obten us et largement utilisés. Depuis juin, le déficit anglais s'était accru et les porteurs étrangers de livres s'étaient mis à réclamer leur argent à un tel rythme que les prêteurs internationaux n'ont plus osé prêter davantage. Le gouvernement anglais n'a plus eu qu'un moyen d'éviter de cesser ses paiements: dévaluer au plus vite avant d'avoir épuisé ses réserves. La dévaluation résolvait-elle le problème? En partie, oui. Beaucoup de ceux qui avaient vendu des livres ou qui avaient attendu le plus tard possible pour acheter celles dont ils avaient besoin l'ont fait par peur d'une dévaluation qui menaçait depuis longtemps et qui, depuis peu, semblait inévitable. Le dévaluation admise, cette crainte disparaissait.
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Ceux qui avaient besoin de livres n'avaient plus de raison d'attendre. Certains de ceux qui en avaient vendu les rachèteraient à meilleur marché. La crainte d'une dévaluation écartée, il devenait avantageux de placer de l'argent à Londres, pour profiter d'un taux d'intérêt parmi les plus élevés du monde; ceux qui auraient peur de voir d'autres devises dévaluées à leur tour pouvaient préférer une monnaie déjà dévaluée à une qui ne l'était pas encore. En 1949, vingt-deux pays avaient dévalué à la suite de la Grande-Bretagne. Cette fois, quatorze pays suivirent: l'Espagne, le Danemark, l'Irlande, la Malaysia, Israël, le Népal et de nombreux pays de la zone sterling. Le gouvernement anglais appuyait sa dévaluation par toute une série de mesures: le taux d'escompte passait à 8 %, les crédits étaient restreints. On annonçait une forte compression des dépenses, notamment des dépenses militaires. La mise au point du train d'économies fut difficile. Des ministres menacèrent de démissionner. Pourtant, elles furent dures. Elles portaient notamment sur la défense. « La 8écurité de la Grande-Bretagne ré8ide fondamentalement en Europe », déclara Harold Wilson . . On retarda de deux ans la date à laquelle la scolarité obligatoire devait être portée à seize ans. Les remboursements de sécurité sociale furent diminués. Logement, routes, fonction publique furent touchés. J. Callaghan estimait s'être trop engagé à ne pas dévaluer le sterling pour ne pas démissionner. Il laissa son poste à Roy Jenkins, l'un des plus chauds partisans de l'entrée dans le Marché commun parmi les travaillistes. On s'achemina assez vite vers la fin du rôle international du sterling. Avee l'appui d'un prêt
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des Dix, il fut prévu que les plus instables des balances sterling seraient progressivement remboursées. Non, la Grande-Bretagne n'a pas pu tenir le pari que constituaient ses énormes dettes de guerre. Elle a modernisé son économie mais n'a pu l'équilibrer, lui donner le dynamisme nécessaire. Le socialisme n'a pas apporté de solution. L'austérité avait conduit à une hausse excessive des taux d'intérêt. Leur détente volontaire a conduit à une dévaluation de la livre qui n'a pas permis de retrouver l'équilibre. Malchance? Maladresse? Erreurs de doctrine? Problème insoluhle? L'expérience est décevante mais les économistes n'ont pas fini de diverger sur la leçon qu'elle nous laisse. La chute de la livre sterling ne fut que le premier des accidents monétaires qui se produisirent entre novembre 1967 et novembre 1968.
CHAPITRE VI
La seconde« victoire » des spéculateurs La fin du pool de l'or
La livre avait été dévaluée le samedi soir. Le mercredi suivant, 23 novembre 1967, le dollar connaissait un jour noir sans précédent depuis la guerre. Il était soumis à une attaque généralisée, directe et indirecte, sur toutes les places financières européennes. Directe, parce que des ventes massives de dollars étaient enregistrées, entraînant les cours au plus bas niveau permis par les règles du Fonds monétaire. Indirecte, parce que l'achat d'or, fort actif depuis la dévaluation, s'était intensifié à Londres, à Paris comme à Zurich. Les achats dépassaient, à Londres, 108 tonnes d'or, soit 110 millions de dollars, demandés surtout par les banques privées suisses, agissant pour le compte de clients du monde entier. Une curieuse inquiétude se répandit aux États-Unis surtout. « A près afJoir abattu la lifJre, de Gaulle fJa 8' en prendre au dollar li, disait-on. En termes plus diplomatiques mais non moins clairs, le secrétaire américain au Trésor,
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1\1. Fowler, déclarait: « Le dollar est mena.:é d'attaques spéculatÏlJes. » Quatre jours plus tard, au cours d'une de ses conférences de presse coutumières, le général de Gaulle répondait : « Dans les rafales qui se déchaînent actuellement, la France n'est pour rien. » Il continuait, disait-il, à lutter contre les abus du système monétaire international qui, facilitant l'abondance inflationniste du dollar, entraînaient des achats d'entreprises européennes par les Américains, payés avec le déficit de la balance des paiements. Je lui posai cette question : « Ceux qui ont joué la dévaluation de la livre sterling et ceux qui achètent de l'or ont perdu confiance dans le système monétaire mondial, en partie à la suite des critiques que vous avez formulées. Ne craignez-vous pas que cette perte de confiance - ne puisse contribuer à une crise économique mondiale qui entraînerait des souffrances terribles P » La réponse fut une mimique du président de la République qui fit rire l'assemblée et voulait dire: « Comme si j'y étais pour quelque chose! » La fièvre persistait. On se demandait où pouvait conduire cette spéculation. Raymond Aron évoquait la légende de l'apprenti-sorcier. Ceux qui jouaient avec la spéculation sur l'or risquaient en effet de déchaîner des forces qu'ils seraient incapables de maîtriser. Personne ne pouvait dire exactement quelle était la menace. Si l'on cessait de rattacher le dollar à l'or, qui était sa seule définition (0,888 g), n'était-il pas à craindre que les banques centrales ne sachent plus à quel taux les changer? Qu'une terrible incertitude pèse sur le commerce mondial? Au cours du week-end du 10 décembre, les gouver-
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neurs de banques centrales arrêtaient, à Bâle, dans le plus grand secret, des mesures pour prévenir la spéculation sur l'or. Le sous-secrétaire américain au Trésor, M. Deming, y vint. Il n'avait pas sa place à la rencontre traditionnelle des banques centrales et ne put y assister. Il réunit, hors de la présence française, les membres actifs du pool de l'or, ceux qui en vendaient à Londres avec les États-Unis pour maintenir le cours: RoyaumeUni, Pays-Bas, Belgique, Suisse, Allemagne, Italie. Il n'en put obtenir, semble-t-il, les assurances souhaitées. Cette visite contribua à inquiéter l'opinion. La spéculation continua de plus belle. Que se passait-il? Pourquoi la digue qui, depuis trente-trois ans, maintenait le prix de l'or à 35 dollars l'once, était-elle menacée? Pour la première fois, en 1966, les particuliers avaient demandé plus d'or que n'en produisait le monde libre. Non seulement, les banques centrales n'avaient pu en acheter sans risquer de faire monter le cours, mais elles en avaient perdu, en neuf mois de 1967, pour 50 millions de dollars, et les trois derniers mois n'avaient pas été plus favorables. . En 1965, les particuliers avaient déjà acquis 95 % de la production d'or, mais au moment de la soudure entre les deux récoltes, les Soviétiques avaient dû en vendre pour acheter des céréales. En 1966, ils n'en ont pas livré. Les causes de cette pénurie de métal? L'influence des débats internationaux sur le prix de l'or, l'action de la France jouaient un rôle. De plus, à mesure que les prix augmentaient, l'or apparaissait de moins en moins cher. La demande de bijoux et de médailles s'en ressentait. La guerre du Vietnam, l'incertitude du monde arahe,
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la tension entre la Jordanie et Israël faisaient acheter de l'or. La Chine continentale en avait acquis, en 1966, pour 150 millions de dollars. La France avait cessé, depuis juin 1967, de participer aux opérations du pool de l'or, estimant qu'elles prenaient des proportions excessives. On se souvient que ce pool avait été constitué, vers 1960, pour organiser la coopération de différents pays au maintien du prix normal de l'or, à 35 dollars l'once. Géré par la Banque d'Angleterre, il achetait de l'or pour le compte des banques centrales, quand il y avait sur le marché plus d'offre que de demande. Il en vendait, au contraire, dès que la demande dépassait l'offre. Jusqu'ici, bon an mal an, les banques centrales avaient pu, chaque année, acquérir de l'or. Vers le milieu de 1967, il apparut, au contraire, que ces opérations allaient se traduire par des sorties d'or. Discrètement, la France usa de son droit ne plus participer aux opérations. Les États-Unis avaient désormais en charge 59 % des pertes d'or qui pouvaient se produire. Lorsque, plusieurs mois plus tard, la nouvelle fut connue, elle fit forte impression. « il serait peu réaUste de grafJer sur la pierre le pr&. de l'or à 35 dollars l'once et d'affirmer qu'il ne sera jamais modifié )) déclarait M. G. Moore, président de la First National City Bank. Mais la cause essentielle du malaise, c'étaient les proportions que prenait le déficit américain. Pouvait-il, à bon droit, après la chute de la livre sterling, susciter une inquiétude? Dans un message au Congrès, le président Johnson affirmait: « Il y a quelques années, on entendait beaucoup parler du miracle économique européen. Aujourd'hui, c'est du miracle économique américain que l'on parle. »
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En effet, la Cl nouyelle politique économique» de Kennedy et de Heller, basée sur des dégrèvements d'impôts, était apparue comme un vif succès. Pourtant malgré 30 % de progrès du produit national en cinq ans, M. Johnson était inquiet : « Les tendances inflationnistes, disait-il, constituent un problème sérieux et une menace pour la prospérité américaine. » Il avait peine à contenir des revendications salariales de plus en plus pressantes. Que pouvait faire le Président? Dès septembre 1966, il devait se résigner à l'austérité. La hausse des prix, le déficit de la balance des paiements et les sorties d'or, l'obligèrent à renchérir l'argent malgré sa répugnance. Il dut prendre des mesures pour freiner les investissements. Une politique dont il avait horreur devenait inévitable: argent cher, fiscalité dure, freinage, sinon blocage des salaires et des prix. En 1967, pour la seconde année consécutive, la hausse des prix dépassait 3 %. Dans son message économique, du début de janvier 1968, le Président accusait un déficit extérieur de 3,6 milliards de dollars, ayant atteint, au quatrième trimestre, celui de la dévaluation de la livre, la cadence annuelle de 7,6 milliards. Il y prenait l'engagement « clair et irréyocable » de maintenir à 35 dollars l'once le taux de convertibilité de l'or, afin que le dollar reste aussi bon sinon meilleur que l'or. En même temps, il annonçait un vaste programme pour le rétablissement de la balance des paiements américaine : limitation des voyages, des investissements à l'étranger, des emprunts étrangers aux États-Unis, appel à la conscience civique des Américains.
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Le vote d'une surtaxe de 10 % sur les impôts devait appuyer ce programme. Avant même qu'il ne fût précisé, M. Johnson envoyait dans le monde entier des envoyés personnels, M. Katzenbach et M. Trécize. Ils expliquaient dans chaque capitale le sens de ces restrictions et tentaient de les faire accepter. A la suite de la ruée vers l'or· de novembre et décembre, les réserves d'or américaines étaient tombées à près de douze milliards de dollars. Or, si le Système fédéral de réserpe était obligé de conserver en dollars le quart de la valeur des billets en circulation, 10,7 milliards étaient nécessaires. La marge disponible pour répondre aux demandes extérieures de remboursement était devenue très étroite. Il fut décidé de supprimer cette règle que fort peu d'États modernes conservaient encore. « Nos alliéB en Europe et les États- Unis sont tout à fait d'accord », déclarait un sous-secrétaire au Trésor : « Nous utiliserons l'or jusqu'à la dernière barre, mais nous n'en élèperons pas le prix. » Le programme Johnson ramena le calme sur le marché de l'or. Hélas! pour peu de temps.
LA CRISE DE MARS
Il apparut bientôt que M. Johnson rencontrait aux États-Unis une résistance sérieuse. Le Congrès n'était nullement pressé de ·voter la surtaxe fiscale en année électorale. Une déclaration imprudente d'un sénateur ,américain remit le feu aux poudres. Il affirmait que les Etats-Unis n'avaient pas intérêt à vendre leur or aux spéculateurs à un prix aussi bas.
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Pendant tout le début de mars 1968, la pression sur l'or ne cessa d'augmenter. Le 9 mars, les États-Unis empruntaient 200 millions de dollars au Fonds monétaire et le Canada 900 à différents pays. On annonçait que la poussée spéculative de novembre et décembre avait coûté 771 millions d'or aux États-Unis et très cher aux autres membres du pool. On attendait la réunion des gouverneurs des banques centrales à Bâle. Si l'un d'eux refusait de s'associer plus longtemps à ses opérations, si d'autres suivaient son exemple, il pourrait s'ensuivre un affaiblissement du pool, une difficulté presque insurmontable à maintenir le cours actuel. Le bruit courait d'une suspension imminente des opérations du pool de l'or. A Bâle, les consignes de silence furent renforcées. Un communiqué fut publié: « Les banques centrales qui participent au pool de l'or, à Londres, ont réaffirmé leur détermination de continuer à soutenir le pool sur la base du prix fixé de 35 dollars l'once d'or. » Le pool était consolidé. Le 12 mars, on apprenait que 450 millions de dollars étaient sortis de Fort Knox pour alimenter le pool de Londres. L'accalmie provoquée par le communiqué de Bâle n'avait duré qu'un jour. A Londres, il n'y avait plus que des acheteurs. La fièvre de l'or rappelait celle qui suivit les découvertes des gisements de Californie, qui sévissait, non seulement parmi les prospecteurs, dans les villes-champignons, mais aussi dans les bourses lointaines. A Paris, la spéculation ne se faisait pas seulement sur le lingot, qui était au prix international correspondant à 35 dollars l'once, mais aussi sur les pièces, terribleme nt surévaluées. Pour ceux qui achetaient du lingot, -le risque de perte
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était extrêmement limité puisque la chance de le voir tomber au-dessous de 35 dollars l'once était faible. En revanche, l'espoir d'un gain était vif. Certains tenaient pour inévitable une hausse de l'or pouvant conduire à 40, à 50, à 70 dollars. Le célèbre Lombard, du Financial Times, a même parlé de 100. Le cours officiel devenait intenable. Le 14 mars, la ruée vers l'or prenait à Londres comme à Paris des proportions phénoménales. Il devenait évident que le phénomène ne s'arrêterait pas, aussi longtemps que les Américains voudraient soutenir le cours actuel de l'or. En fin d'après-midi, le Conseil de la Réserve Fédérale annonçait le relèvement de 4 1/5 à 5 % du taux d'escompte. On apprenait aussi le vote par le Sénat du projet de loi portant suppression de la couverture-or du dollar. Wall Street baissait fortement. Dans la soirée, le gouvernement américain demandait aux Anglais de fermer le marché de Londres. Le 15, vers 1 h 15, s'achevait une réunion extraordinaire du conseil privé de la Couronne. La journée du 15 était déclarée fériée. Les grandes bourses du monde fermèrent également, mais Paris estima qu'il n'y avait pas de raison de ne pas coter l'or. Le lingot y passa de 5700 à 7000 F. Les Américains convoquaient à Washington en conseil de guerre le dimanche 17 mars les membres actifs du pool de l'or pour sauver le dollar. Ce conseil décida de mettre fin aux opérations du pool de l'or devenues trop coûteuses. Autrement dit, la possibilité de changer leurs dollars en or au cours officiel cessait d'être garantie aux particuliers. Et comme, à travers le dollar, c'étaient toutes les monnaies qui se reliaient à l'or, ce sont les droits et garanties accordées aux porteurs de toutes les monnaies qui se trouvaient diminuées.
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LE DOUBLE MARCHÉ
Comment allait fonctionner le nouveau î'égime? Un communiqué le précisa. « Les gouverneurs de banques centrales de Belgique, d'Italie, d'Allemagne, des Pays-Bas, de Suisse, du Royaume-Uni, des États-Unis ... ont noté que le gouvernement américain continuera à acheter et à vendre de l' 01' au prix existant de 35 dollars l'once, dans les transactions avec les autorités monétaires. « ... Les gouverneurs croient que désormais l'or détenu officiellement devrait être utilisé uniquement pour effectuer des transferts entre les autorités monétaires et, par conséquent, ils ont décidé de ne plus fournir d'or au marché de l'or londonien ou à tout autre marché de l'or. « De plus, comme le stock actuel d'or monétaire est suffisant en vue de la création du projet de droits de tirages spéciaux, ils n'estiment plus nécessaire d'acheter de l'or sur le marché. Finalement, ils sont convenus que désormais, Us ne vendront pas d'or aux autorités monétaires pour remplacer l'or vendu sur les marchés privés. » Les termes ont été soigneusement pesés. Le dollar reste lié à l'or au cours de 35 dollars l'once, mais uniquement dans les relations entre banques centrales et plus dans celles avec les particuliers. Ceux-ci débattront librement du cours. Il y a donc un marché officiel, à 35 dollars l'once et un marché libre. Non seulement les membres du Pool ne vendront plus leur or aux particuliers qui le leur demanderont, mais ils refusent désormais d'acheter de l'or. Il comptent, en effet, que le métal nouvellement produit va être déversé sur le marché privé, ce qui empêchera le coms d'augmenter et peut-être, la spéculation retombée,
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entraÎner'a une baisse du prix de l'or au-dessous de 35 dollars l'once. Il serait ainsi démontré que « le dollar est meilleur que l'or lI. Le calcul semblait illusoire dans la conjoncture du moment. En revanche, il ne l'est pas si l'on considère que les banques centrales ont été traditionnellement, pour les producteurs d'or, un client irremplaçable. Qu'elles cessent d'acheter, l'or risque de 'perdre beaucoup de sa valeur. Mais cesseront-elles longtemps d'en désirer, d'en acheter? Les membres du pool savent que si le cours du marché libre s'écarte trop du cours officiel, la stabilité du système risque de devenir fort aléatoire. En effet, il sera fort tentant, par des circuits détournés dont les spéculateurs ont le secret, de faire passer de l'or d'un circuit à l'autrè afin de réaliser un bénéfice. Une question se posait: la France va-t-elle jouer le jeu des banques centrales? La réponse vint le 20 mars sous forme d'une déclaration du général de Gaulle au conseil des ministres, largement diffusée : « La crise du dollar et de la lil're qui se dél'eloppe actuellement démontre que notre système, fondé sur le pril'ilège des monnaies de réserl'e, est non seulement inéquitable, mais désormais inapplicable. Prétendre l'imposer plus longtemps serait condamner le monde libre à de gral'es épreul'es économiques, sociales et politiques. « Un système monétaire établi sur la base de l'or qui a seul le caractère d'immuabilité, d'impartialité et d:unil'ersalité doit donc être pratiqué, cette réforme comportant une organisation du crédit international qui réponde à l'étendue, à la mobilité, à la rapidité des échanges de notre temps. « Il l'a de soi qu'un rétàblissement réel et complet des balances de paiement américaine et britannique serait
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alors souhaitable. La France est prête à prendre part à une telle rénovation monétaire internationale et espère voir la Communauté Économique européenne y jouer le riile qui lui convient. « Mais en attendant, elle réserve sa liberté d'action à l'égard des dispositions qui tendraient à retarder l'échéance. » Les auteurs du communiqué de Washington furent sans doute peu flattés de voir qualifier leur travail de dispositions tendant à retarder l'échéance. Ce terme El'appliquait au double marché de l'or, mais également, semble-t-il, au fameux projet de droit de tirages spéciaux, « l'or-papier» dont nous parlerons dans le prochain chapitre. Retarder l'échéance? Laquelle? probablement la réévaluation du prix de l'or, un accord sur les dettes anglaises et américaines, mais aussi la nécessité pour les États-Unis comme pour la Grande-Bretagne de procéder à une révision déchirante de leur budget. Le système du double marché a brusquement ramené le calme. Le prix de l'or qui 'avait dépassé 42 dollars l'once aussitôt après l'interruption des ventes d'or du pool, redescendit progressivement jusqu'à 38 dollars. La grande question resta, pendant des mois : que feront les Sud-Africains? Ils commencèrent par garder leur or, afin de ne pas peser sur le marché libre, puis, assez doucement, par petites quantités, l'écoulèrent. A la réunion du Fonds monétaire international, en septembre 1968, les Américains essayèrent de parvenir à un modus vivendi avec les producteurs d'or. Ils auraient voulu que l'Afrique du Sud écoulât son or sur le marché ,libre de façon à empêcher une hausse- des cours. En contrepartie, ils auraient autorisé le Fonds monétaire à acheter de l'or nouvellement extrait à 35 dollars l'once, ce .qui eût constitué une garantie du prix mini-
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mum. En effet, un article discuté de la charte du Fonds semble l'obliger à se porter acheteur à ce prix. L'accord n'a pu être obtenu. La crise de l'or a coûté très cher aux États-Unis. De septembre 1967 à septembre 1968, la réserve d'or est tombée de 13 à 10,2 milliards de dollars. Il a suffit que, parmi les détenteurs de capitaux liquides, les possesseurs de quelque trois milliards de dollars aient voulu exercer les droits que leur reconnaissait le système monétaire pour que celui-ci devienne inapplicable. Au prix de 35 dollars l'once, ceux qui pouvaient se porter acquéreurs étaient beaucoup trop nombreux pour le volume des réserves. La brèche était trop large. Il a fallu la colmater d'urgence. Pour combien de temps?
LE FÉTICHE
~ L'aspect le plus intéressant, peut-être, de la crise de l'or fut le sursaut de surprise, d'indignation, de recherche qu'elle provoqua. L'or avait imposé sa loi aux plus puissants États du monde. Il avait suffi de jeter sur le marché la valeur d'un ou deux jours de production américaine pour remettre en cause les assurances les plus solennelles. Cette explosion, cette puissance apparaissait comme une sorte de scandale. Ainsi, l'or, ce fétiche barbare, était encore vivant? « Je ne suis pas économiste, écrivait Jean Rhodain, mais il suffit de dix grammes de bon sens pour comprendre que cet intense trafic ne se réaliserait pas s'il n'y a!Jait rien à gagner. Donc certains se sont eT.Lrichis. Comme il ne s'agit pas d'une mine d'or producti!Je subitement décou!Jerte, cet enrichissement des uns ne peut se réaliser qu'a!Jec
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l'appauprissement des autres. Ce jeu de l'or à l'échelle mondiale se terminera quelque part par des impôts, des restrictions et le pain plus cher. Ce sont les plus paupres qui paieront. » L'or doit-il ou non être et rester la base du système monétaire, international? Nous en reparlerons dans le dernier chapitre de ce livre. Nous aurons alors rencontré d'autres aspects du débat, notamment la tentative pour. développer une monnaie internationale basée sur le crédit. . Mais avant de chercher la juste mesure, il nous faut dès maintenant comprendre ce qu'est l'or, pourquoi il 'garde son attrait non seulement sur des esprits simples mais sur des financiers avertis, pourquoi, parmi les responsables des grandes monnaies, il n'en est aucun qui propose de l'éliminer purement et simplement comme un outil hors d'usage. Des arguments simples et qui semblent inspirés par le bon sens sont souvent utilisés pour expliquer pourquoi l'or ne devrait plus garder sa place éminente, en tout cas ne doit pas être réévalué. Nous les avons reproduits en italique et ils nous aideront à situer l'or dans le système monétaire, à préparer notre dernier chapitre où nous évoquerons les différentes réformes possibles. Qui paiera, demandent certains, ces folies spéculatipes il Des folies ont été commises : celles qui ont rendu les monnaies instables et peu dignes de confiance. Les gouvernements ont abusé du crédit. Les spéculateurs sont ceux qui prévoient que ces folies devront être payées et se retirent du jeu avant d'être obligés de régler leur part, bon gré, mal gré. Le procédé est inélégant. Il n'est pas la cause du mal. Il contribue même, telle la
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fièvre, à le déceler et à obliger les responsables à chercher un remède.
L'or n'est qu'une conpention purement arbitraire. Pourquoi l'or et pas le fer-blanc ou un indice de prix comme base de la monnaie P De même que le sel et le sucre n'ont pas la même saveur, de même que certains hommes exercent un ascendant sur les autres, l'or jouit d'un prestige qui n'a été décrété par personne et que nul ne peut abroger. II est la seule monnaie qui soit acceptée sans débat par le monde entier. Peut-être est-ce parce qu'il est inaltérable, divisible à l'infini, facile à vendre, à conserver. Peut-être a-t-il gardé, du temps où on l'offrait en sacrifice aux dieux, une sorte de valeur mystique. Peutêtre parce qu'il est beau, parce qu'il scintille comme le soleil. Il n'est au pouvoir de personne de conférer les mêmes propriétés à un autre métal, au platine, à l'ensemble des matières premières, ou à quelque indice. L'or n'est pas une convention. Son prestige est un phénomène sociologique vieux comme nos sociétés. Il est stupide d'aller chercher de l'or loin au fond de la terre pour l'enterrer ensuite dans les capes des banques centrales. Pensez-vous qu'il soit stupide de dépenser de l'argent à payer une assurance dont vous n'avez pas immédiatement besoin? A mettre en réserve ce qui pourra vous servir un jour même si vous pouviez dès maintenant, en faire un autre usage? Il fut un temps où l'or restait dans les caves des banques centrales et bougeait fort peu. La France s'est aperçue qu'il était fort -intéressant
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d'en posséder au lendemain d'une secousse violente, qu'il joue un vrai rôle dans la vie économique.
Le prix de l'or est purement arbitraire. Pourquoi pas '20 dollars ou 50, ou 100 P Les banques centrales ont une certaine latitude dans le choix du prix de l'or. Mais il y a des limites. Il s'agit d'un phénomène de marché. Si ce prix est trop fort, les monnaies que gage l'or apparaissent de peu de valeur. Lorsque ce prix est trop faible, il devient très tentant pour les spéculateurs de préférer avoir de l'or plutôt que de la monnaie vivante. Si Roosevelt, en 1934, a fait d'une réévaluation du prix de l'or une des armes essentielles contre la crise, c'est que ce prix n'est nullement indifférent. Le jour où l'on cesserait de rattacher les monnaies à l'or, il ne se passerait rien, et le métal deçiendrait alors
une marchandise peu utile. Cette proposition est vraie quand les monnaies sont stables et inspirent confiance. Mais en de tels moments on n'éprouve aucune envie de les décrocher de l'or. C'est quand elles sont instables qu'il serait commode de ne plus être obligé de payer en métal la contrepartie des billets qu'on a émis. Et dans ce cas, le public souvent préfère l'or à la monnaie. Celui-ci devient la valeur refuge... Celles des monnaies qui resteraient rattachées à l'or feraient prime. Il serait immoral de rééçaluer l'or, de faire le jeu des spéculateurs. J. Rueff a répondu souvent à cet argument. Il estime qu'il n'est pas juste de donner à tout producteur d'une tonne de blé, d'acier ou de maïs un poids d'or double de
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ce qu'il eût reçu, en 1934 en échange de son produit. En effet, l'ensemble des prix a pratiquement doublé pendant que celui de l'or restait stable. L'honneur de tout créditeur c'est d'abord de se maintenir en état de rembourser ses dettes. Or, dans les circonstances présentes, nul ne pense que les États-Unis soient en état de rembourser les leurs.
RéélJaluer serait faire le jeu de l'Afrique du Sud, de l'U. R. S. S., de la France. Réévaluer l'or serait en effet profitable à ceux qui produisent de l'or comme l'Afrique du Sud dont 1a politique raciste est justement discutée, ou l'U. R. S. S., alors que les États-Unis n'ont aucune envie de renforcer le communisme, ou aux pays qui posséderont alors une large réserve. Il semblait alors que ce serait le cas de la France. Aucun doute que les États-Unis ne réévalueront pas volontiers le prix de l'or. En revanche, peut-on maintenir artificiellement bas le prix de toutes les denrées qu'exportent les pays qu'on ne veut pas favoriser? S'il y a risque de crise économique mondiale, il faudra bien y venir, qu'on le veuille ou non. Il n'y a pas assez d'or pour le commerce international. C'est vrai qu'au cours actuel si l'on voulait tout régler en or, ce ne serait pas possible. Mais si l'or était réévalué, replacé à son rang dans l'échelle des prix, il n'en irait pas de même. Complété par le crédit international, il serait en quàntité très suffisante. Doubler soudain le prix de l'or conduirait à une inflation effroyable car cela doublerait soudain la quantité de monnaie en circulation.
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Il est rare qu'on propose de réévaluer l'or purement et simplement. J. Rueff pense qu'il faudra y venir, mais dans le cadre d'une convention internationale qui préciserait qu'avec le bénéfice de la réévaluation, les dettes américaines aux banques centrales étrangères seraient immédiatement remboursées en or. Ainsi, on annulerait d'énormes dettes insolvables. La confiance, dit-il, reviendrait, les taux d'intérêt baisseraient et l'activité économique mondiale se trouverait relancée pour longtemps. Nous revien" drons sur son plan. Le fondement de la monnaie, ce n'est pas l'or, c'est la richesse, c'est la puissance économique. C'est vrai. Vers les années 1930, un écrivain anglais écrivait: Assise sur une pyramide d'or, la Banque de France contemplait dédaigneusement tout ce qui se passait dans le reste du monde. » L'or ne saurait remplacer les revenus qu'on tire de l'industrie et du commerce. Mais une économie de faible puissance comme celle de la Suisse peut avoir une monnaie de premier ordre. Ce qui compte pour un alpiniste, c'est son effort, c'est son adresse, ce sont ses muscles. La corde qui l'assure ne joue aucun rôle tant que tout va bien. Mais elle lui donne la sécurité. De même, l'or ne sert qu'à garantir la confiance. C'est un reJuge. Acheter de l'or pour le garder, c'est se priver d'intérêts, rester à l'écart de la vie économique. On en acquiert quand on a peur d'une guerre, d'une crise, quand on a perdu confiance. L'espoir d'un gain sans grand risque explique l'ampleur des achats, mais la spéculation eût été impossible et vouée à l'échec sans la perte de confiance dans le sterling, le déficit chronique du dollar, l'insécurité causée par tant de déclarations cyni9.uement fausses.
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Le service que rend l'or, c'est qu'il impose aux États, dans l'intérêt de la communauté internationale, une discipline que personne d'autre ne peut leur imposer. Celui qui emprunte indéfiniment attire à lui des ressources prélevées sur ce qui doit aller aux autres. S'il s'agit d'un contrat volontaire et limité, c'est du cré· dit. S'il s'agit d'un système d'emprunt automatique et plus ou moins forcé, c'est un contrat inégal. Et comme les emprunteurs sont, le plus souvent, politiquement forts, il sera toujours difficile à une assemblée ou à, un conseil de leur imposer une discipline. Il est plus commode et plus réaliste que l'automatisme de l'or s'en charge. Non, on ne peut rayer l'or d'un trait de plume. La crise de spéculation de mars 1968 a montré que sa puissance est intacte. Elle a profondément désorienté beaucoup d'économistes qui ne le croyaient plus. L'or reste un instrument monétaire, très difficile à remplacer. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit inconcevable d'en réduire le rôle et de lui substituer, au moins progressivement, une monnaie de crédit, une monnaie voulue et non subie. Nous allons voir qu'on n'y a pas renoncé.
CHAPITRE VII
Stockholm ou l'or-papier
La dévaluation de la livre, puis la crise d" J'or avaient pl'is de vitesse les experts internationaux qui préparaient, de longue haleine, une évolution, une réforme du système monétaire mondial. Ce nouvel instrument de crédit qui mûrissait dans des réunions le plus secrètes possible faisait pâle figure en face des mouvements violents que déclenchaient la crainte ou l'espoir de l'effondrement de la livre, la course à l'or. C'était pourtant un grand rêve que poursuivaient les experts et les États: celui de créer une monnaie qui ne serait pas, comme l'or, subie par l'homme, mais que les gouvernements pourraient mener au gré de leur politique et de leur idée du progrès. Cette aventure séduisante, la plupart des gouvernements étaient décidés à la tenter. Seuls les Français la considéraient comme un rêve. Parviendrait-on à mettre au point un texte? à le faire adopter? à faire admettre qu'il s'agissait d'un vrai progrès? Pour répondre à ces questions, il va nous falloir revenir un Feu en arrière. Nous avons évoqué, vers
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1965, les débats sur l'or et les discussionsinternationales qui menèrent à un accord de principe pour créer une nouvelle forme de crédit. Déjà, après la conférence de La Haye, le secrétaire américain au Trésor, M. Fowler, l'avait, à la fureur de M. Debré, nommé « l'or-papier ». Dans la confusion de conférences internationales lentes et verbeuses, on ne savait si l'on pourrait faire prendre corps et vigueur à ce vieux projet. Le groupe des dix principales puissances financières pouvait seul y parvenir. A eux tous, ils représentaient 85 % des quotes-parts au Fonds monétaire. Les quelques 90 autres pays qui composaient l'assemblée générale ne pouvaient évidemment aller contre leur volonté. Mais ce groupe des Dix réunissait les intérêts opposés de pays qui avaient et continuaient à gagner des réserves de devises, essentiellement ceux du Marché commun, tandis que d'autres, endettés, continuaient à être de plus en plus débiteurs. Donc les intérêts s'opposaient. Quel était l'enjeu du débat? C'était, dans une très large mesure, le statut privilégié de la grande monnaie iriternalionale: le dollar. Sur quel terrain allait-il être défendu? quels seraient les objectifs de la bataille? Le plus logique, pour L. B. Johnson et son ministre, H. Fowler, serait de la livrer aux États-Unis même en redressant l'équilibre interne, donc les paiements extérieurs du dollar. Malgré la guerre du Viet-Nam, il n'y avait aucun doute qu'ils le pouvaient s'ils le voulaient. Mais ils le désiraient seulement et avaient des idées fausses sur la manière d'y parvenir. On s'attendait à une aggravation du déficit des paiements américains. C'est plutôt à l'extérieur que M. Johnson semblait décidé à livrer cette bataille. Son enjeu était le droit des États-Unis à dépenser, s'ils le jugeaient utile ou ne
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réussissaient pas à faire autrement, plus qu'ils ne gagnaient, la différence étant couverte sans condition par des crédits internationaux. Cette bataille pouvait être menée sans bruit si les États-Unis réussissaient dans les pressions qu'ils ne se cachaient pas d'exercer auprès des principaux pays créditeurs du moment, et notamment de· l' Allemagne, pour obtenir qu'ils s'abstiennent de convertir leurs dollars en or et les gardent en réserve monétaire. Mais les États-Unis allaient trouver en face d'eux la Communauté Européenne à laquelle cette solution ne convenait pas. La bataille pouvait aussi se jouer sur le terrain de la réforme monétaire mondiale. S'il était admis qu'il faille d'une manière ou d'une autre, créer un surcroît de monnaie de réserve attribuée automatiquement aux pays commerçants, elle aurait un effet équivalent à un crédit automatique aux États-Unis, puisque ce sont eux qui s'en serviraient pour régler leur déficit. Si la cigale et la fourmi s'ouvrent mutuellement un crédit, il est probable que seule la première un usera. Les créditeurs n'ont pas besoin de crédit. C'est donc une façon élégante pour la cigale de demander une nouvelle avance à la fourmi. La bataille du dollar pouvait enfin se jouer sur le marché de l'or et cela semblait s'annoncer. Le bruit commençait à courir que le gouvernement américain pourrait déposer un projet de loi qui cessait de garantir la convertibilité du dollar en or en mettant l'embargo sur les sorties d'or. Ce serait alors l'épreuve de force, l'enjeu étant le cours de l'or. Les Américains se disaient persuadés que si l'or cessait d'être convertible en dollars, son prix tomberait au·dessous de 35 dollars l'once, parce que le
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dollar est meilleur que l'or. Beaucoup pensaient, au contraire, que si, avec des dollars, on ne pouvait plus officiellement acheter de l'or, beaucoup vendraient leurs dollars pour acquérir de l'or et le cours s'élèverait à plus de 35 dollars l'once. Le dollar non convertible en or perdrait beaucoup de son prestige, au profit des monnaies qui le resteraient.
A LA RECHERCHE D'UNE FORMULE
C'était le moment où, aux États-Unis, pour lutter contre l'inflation, une politique de crédit sévère avait été adoptée. L'automne 1966 vit la poussée des taux d'intérêts qui provoquait des inquiétudes. Nous l'avons déjà évoquée. Le Groupe des Dix continua la recherche de la réforme rêvée et ce fut l'occasion de débats difficiles, tantôt à Dix, tantôt à Six, dans une atmosphère troublée par les poussées spéculatives. Sur quels points se heurtaient les partenaires? L'ordre du jour de la réunion de novembre du groupe des Dix avait été entièrement centré par les Anglais, qui présidaient, sur l'étude des moyens de créer plus de monnaie internationale, ce qui agaça les Français. Ceux-ci voulaient bien participer à l'étude, mais à condition qu'elle porte aussi sur d'autres thèmes, plus ou moins tabous : - L'écoulement régulier des produits de base à des prix équitables (les Anglais et les Américains sont réticents pour une organisation mondiale des marchés des matières premières réclamée par la France). - Le problème de l'or (sans en exclure celui du prix) :
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- les conditions d'émission, de détention, et de circulation des monnaies de réserve, ce qui permettrait de s'en prendre au rôle privilégié de la livre et du dollar; - l'étude éventuelle d'une augmentation des quotes-parts au Fonds monétaire payées rééllement en or, selon les statuts. Tous les pays auraient tendance, pour s'acquitter, à transformer des dollars en or. Les trois derniers thèmes convergaient: étudier la réévaluation du prix de l'or, la suppression des intérêts versés pour les avoirs en dollars, l'augmentation des quotes-parts c'était contribuer à vider un peu plus vite la réserve d'or américaine de Fort Knox. Les autres concédèrent à la France qu'un groupe de travail s'occuperait du problème de l'or et continuèrent à étudier leur nouveau type de monnaie internationale. En janvier, à Londres, dans le somptueux décor de tapis rouges, de colonnes de marbre et de dorures de la Lancaster House, le travail reprit. Les administrateurs du Fonds monétaire y participaient avec le groupe des dix principales puissances financières. Au cours d'un déjeuner, le Dr Emminger, l'un des plus actifs des experts allemands, qui présidait le groupe des Dix, déclara que le projet Rueff visant à doubler le prix de l'or était fantaisiste. « Les liquidités monétaires internationales depront probablement un jour être renforcées, dit-il, mais elles le seront au moyen d'un noupel instrument de réserve basé sur le crédit et non par une majoration du prix de l'or. » A travers ces passes d'armes, le but restait d'établir un plan de nouvelle monnaie mondiale. Les Anglais et les Américains admettaient qu'il n'y avait pas pénurie actuelle de liquidités, mais ils pensaient que celle-ci apparaitrait très vite après le redressement des balances
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des paiements anglaise et américaine. Ils estimaient donc qu'il y avait intérêt à dresser un plan conditionnel à froid, et qu'il n'y aurait aucune raison de le mettre en vigueur de façon prématurée. En avril 1967, les ministres des Finances des Six se réunirent à Munich. Ils recherchèrent quelle serait l'attitude des Six dans la réforme monétaire. La question se posait en effet. La Communauté Européenne, qui s'était montrée jusqu'ici relativement unie, allait-elle éclater à propos de la monnaie? Cinq pays sur six se déclaraient assez proches des thèses anglaises et américaines, alors que la France était farouchement contre. M. Debré voulait, à Munich, obtenir de ses partenaires une opposition formelle à tout crédit qui serait totalement automatique et d'une durée indéfinie. Il voulut faire admettre à ses collègues que le système de crédit qu'on préparait ne devait pas être une nouvelle monnaie internationale. Entre crédit et monnaie, la frontière est floue. M. Debré la définissait ainsi: « Les crédits ne doivent pas être automatiquement disponibles; ils ne doivent pas être transférables d'un pays â un autre tout comme un billet de banque; enfin, ils doivent être remboursés à une échéance pas trop éloignée et fixée d'afJance. » Les positions des Français et des Allemands se coordonnèrent assez facilement. En revanche, les Hollandais et les Italiens soutinrent une thèse proche de celle des Américains. Pour ceux-ci, il fallait créer de la monnaie ou du crédit équivalent à une monnaie pour pouvoir financer l'expansion du commerce international. La position française, qui revenait à dire que, tôt ou tard, toutes les dettes doivent être payées en or ou en marchandises, paraissait rétrograde. La société actuelle se sert avant tout de monnaie de papier ou de crédit.
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Ses adversaires estimaient que cette exigence risquait de compromettre très gravement l'expansion mondiale. Les Français, eux, insistaient sur le fait qu'aucun pays, fût-il le plus puissant du monde, ne peut être dispensé de payer ses dettes exigibles quand on le lui demande. L'accumulation de crédits internationaux mal gagés, disaient-ils, non seulement propage l'inflation, mais risque de provoquer une crise grave le jour où le chiiteau de cartes s'effondrera. Finalement, les Six aboutirent à un accord unanime. Ils adoptèrent une position commune très ferme : avant tout accord sur des nouveaux crédits internationaux, les droits de vote au Fonds monétaire devaient être revus pour que les Six disposent ensemble, comme les États-Unis, d'une minorité de blocage permettant d'empêcher toute décision qui n'aurait pas leur accord. Le communiqué en huit points précisait qu'aucun pays ne pourrait obtenir un traitement de faveur, ce qui visait les États-Unis et la Grande-Bretagne; ni obtenir des crédits fondés sur les besoins en matière de balance des paiements; que si une part des crédits accordés l'était sans condition, l'autre devrait être suber~ donnée à un vote du Fonds monétaire. Ces crédits seraient soumis à remboursement. Ils ne pourraient être cédés par un pays à un autre qu'avec l'accord du Fonds monétaire, la responsabilité du pays tireur étant engagée. « Un pas gigantesque rient d'être franchi, commentait un des plus influents en ces matières des conseillers de M. Debré, J. Y. Haberer. C'est la première fois que les Six décident ainsi une position et une discipline communes sans que le traité de Rome le stipule. » Aux États-Unis, on considérait avec indignation que
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les pays du Marché commun s'étaient unis pour faire obstruction à la réforme. L'accord de Munich montrait une certaine ambivalence des Européens et surtout des Allemands. Comme fermes partisans de l'Alliance atlantique et opposés à la politique nationaliste du général de Gaulle, ils se sentaient proches des Américains. Comme pays créditeurs qui n'étaient pas ravis d'accumuler trop de dollars dans leurs réserves, non seulement ils comprenaient la position des Français, mais ils n'étaient pas fâchés de les voir résister aux prétentions des U. S. A. N'y avait-il pas moyen de s'entendre? La discussion continua et, pendant l'été de 1966 à Londres, aboutit à un accord pour créer ce qu'on appela les « droits de tirage spéciaux )). Les experts discutèrent longuement pour savoir si ces crédits - on hésite à employer le mot de monnaie seraient remboursables ou non. Les Dix décidèrent de les créer. Ils seraient remboursables en partie. Chacun aurait intérêt à n'utiliser qu'une part de ses possibilités puisque celles-ci seraient d'autant plus grandes que la moyenne de ses découverts serait plus réduite. Surtout, il était admis qu'on réformerait le Fonds monétaire international pour que les principales décisions y soient prises non plus à 80 % de majorité mais
à85
%.
Autrement dit, les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient, pratiquement, jusqu'ici, seuls droit de veto parce que leurs quotes-parts étaient assez élevées. Les pays du Marché commun, lorsqu'ils voteraient ensemble (ils avaient un peu plus de 16 % de droits de vote) pourraient à lcur tour empêcher une décision. L'accord fut entériné à la fin de septembre 1967 à Rio de Janeiro où se tenait l'assemblée annuelle du
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Fonds monétaire international. TI fut entendu que le Fonds monétaire mettrait au point le projet et déposerait un rapport à la fin mars. Tout semblait bien aller lorsque survint d'abord la dévaluation de la livre, en novembre 1967, puis la crise de l'or, en décembre, puis en mars 1968. Dans ce contexte tendu l'affaire prenait une sonorité toute différente. En face de la spéculation, les droits de tirage spéciaux semblaient une médiocre réforme. Irait-on jusqu'au bout? Le Fonds monétaire continuait sa tâche, imperturbable. Son directeur général, M. Pierre-Paul Schweitzer, avait précisé le projet. Le droit de veto, c'est-à-dire la majorité de 85 % au moins, s'appliquait aux décisions essentielles : - révision des quotes-parts et modalités selon lesquelles seraient effectués les versements exigés par cette augmentation, - dévaluations de l'ensemble des monnaies, - décision de suspendre l'indexation sur l'or des prêts consentis par l'intermédiaire du Fonds monétaire. Les droits de tirage spéciaux étaient définis officiellcment comme « une facilité» ayant pour obj~t « de donner confiance aux États membres en mettant les ressources du Fonds temporairement à leur disposition moyennant des garanties appropriées, leur procurant ainsi la possibilité de corriger le déséquilibre de leur balance des paiements sans ayoir à recourir à des mesures qui risqueraient de compromettre la prospérité nationale et internationale ». Le Fonds pourra émettre des droits de tirage spéciaux - c'est-à-dire ouvrir des crédits - pour répondre à un besoin mondial à long terme. Les droits de tirage seront alloués ou annulés sur des périodes de cinq ans. Pendant cette période chacun ne '
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L'or et les monnaies
devra pas utiliser en moyenne plus de 70 % de son allo~ cation. Autrement dit, ceux qui utiliseraient constamment leurs crédits seraient désavantagés aux heures de crise. Chaque membre du Fonds monétaire recevait, à titre gratuit, une part de ses crédits proportionnelle à sa quote, part mais chacun pouvait être obligé de fournir sa monnaie, comme contrepartie des droits de tirage spéciaux s'il était désigné pour le faire par le Fonds monétaire. Que pensaient de ce texte les Américains et les Français? Les États-Unis tenaient pour à peu près acquis l'institution des droits de tirage. Ils estimaient nécessaire de créer par an deux milliards de dollars de liquidités nouvelles, ce qui paraissait très excessif aux Européens. Le gouvernement français considérait de_plus en plus, après les crises qui venaient de se dérouler, les droits de tirage spéciaux comme un expédient. Il ne voulait pas briser l'unité du Marché commun et savait que ses partenaires étaient nettement plus proches des Américains que lui mais il voulait qu'on traite le fond du problème monétaire. « La France se tient prête, déclarait le général de Gaulle à Lyon le 24 mars 1968, « li apporter sa contribution à l'établissement d'un système monétaire international qui serait équitable, impartial,lnébranlable, et, par là, justifierait la confiance uniperselle. » Depuis la création du double marché de l'or, le 17 mars, les oppositions s'accusaient de plus en plus entre Paris et la tendance représentée par les pays membres actifs du pool de l'or, surtout les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le président de la République française refusait l'expérience de replâtrage du système
La guerre de moufJement
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monétaire actuel que représentait le double marché de l'or. Il ne s'en contentait pas, non plus que des efforts d'austérité de M. Wilson ou de ceux que laissait espérer M. Johnson. Ce qu'il refusait, c'est de rétablir un système moné~ taire contrôlé par les hommes, c'est-à-dire par le vote de majorités et le rapport des forces. Ce qu'il voulait c'est un système contrôlé par le mécanisme de l'or qui lui paraissait impartial tandis qu'il semblait à ses adver~ saires une intolérable tyrannie • . Certains Américains exprimaient l'espoir qui leur était venu en créant le double marché : c'est de démo, nétiser progressivement l'or. Les banques centrales, selon eux, ne devaient plus ni acheter de nouveau du métal, ni être approvisionnées en crédit par de nou~ veaux déficits américains ou anglais. Par conséquent, la seule voie ouverte à l'expansion monétaire nécessaire au développement du commerce mondial serait le fameux « or-papier» que les pays du pool de l'or espé~ raient bien instituer à la Conférence de Stockholm. Malgré l'opposition française, malgré les hésitations des autres pays-du Marché commun, un projet de grande portée avait donc pu être mis au point. Restait à l'adopter, puis, en attendant que soient remplies les condi· tions nécessaires à sa mise en service, on aurait le loisir d'en discuter la valeùr.
LA CONFÉRENCE
A Stockholm, quelques jours avant la Conférence, des tracts avaient invité les étudiants à manifester. Le matin du 30 mars 1968, une bonne centaine de Jeunes gens se rassemblèrent devant l'hôtel
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L'or et les monnales
Forestal où allait s'ouvrir la Conférence du Club des Dix en hurlant : « Américains, allez-vous-en / » Souvent hirsutes, ils liaient, dans leurs pancartes et dans leurs cris, le problème du dollar à celui des bombes du Vietnam. Les filles n'étaient pas moins combatives que les garçons et je revois une adolescente à l'anorak rouge qui, à coups de pied, à coups de griffes, à coups de dents, menait la vie dure aux policiers qui l'emmenaient. C'est bien la première fois dans l'histoire, que la police était obligée de charger pour protéger le calme, d'ordinaire trop profond, d'une conférence monétaire. Les ministres étaient arrivés par un autre chemin et ne rencontrèrent pas les manifestants. La parole fut immédiatement donnée au ministre fraQçais, M. Debré, puisque c'est lui qui posait les problèmes. ({ Il Y a sept mois, à Londres, dit-il en substance, nous complétions le système monétaire hérité de Bretton Woods par l'esquisse d'un nouvel instrument de crédit, les droits de tirage spéciaux. Depuis, la crise monétaire s'est accélérée. Que reste-t-il du système lui-même, de la libre convertibilité des grandes monnaies en or il L'unité, la parité et la stabilité des taux de change sont-elles assurées il Vers quoi allons-nous il « Les événements de ces derniers mois et ceux qui s'annoncent, rendent impossible de ne parler ici que des deux textes à l'ordre du jour (droits de tirage et droits de vote au Fonds monétaire). Dans la meilleure hypothèse, ils sont sans aucune mesure avec l'ampleur· du problème posé par le fonctionnement du système monétaire international. « La cause précise des difficultés, mérite un effort de réflexion de la part de ceux qui en sont, en partie, respon,
La guerre de mouvement
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sables : c'est le statut actuel des monnaies et notamment des monnaies de réserve. Permettant d'éluder certaines disciplines, il est à l'origine du déficit de la balance des paiements américains qui a conduit aux troubles actuels. « Il faut restaurer ces disciplines, continua M. Debré. L'une d'elles est la conl'ertibilité par rapport à l'or. Il ne s'agit pas de revenir à une conception ou à un système du passé mais à quelque chose de fondamental. Il faut aux différentes monnaies un étalon de valeur commun. Si ce n'est pas l'or, ce sera une monnaie nationale ou une abstraction sans réalité. Pour assurer avec l'indépendance politique des nations et l'expansion économique toutes les possibilités de coopération et des crédits, l'or, comme étalon commun de valeur, est absolument nécessaire. » Un long moment de silence suivit l'exposé du ministre français. C'était la première fois, dans une conférence internationale, que le problème était aussi nettement posé. Le ministre américain, H. Fowler, s'opposa à un vaste tour d'horizon monétaire, craignant sans doute qu'il n'entraîne, en cette période électorale, des critiques sur la gestion de M. Johnson et sur la sienne, qu'il ne pose, comme le faisaient les manifestants, la question du financement de la guerre du Vietnam. Et il est exact que les deux problèmes n'étaient pas sans rapport. Le secrétaire américain au Trésor affirma que son gouvernement faisait l'impossible pour rétablir l'équilibre de la balance des paiements, que le vote d'une majoration des impôts était en bonne voie, que les États-Unis n'avaient nulle intention de financer leur déficit avec de nouveaux crédits internationaux. Il souhaitait que la Conférence s'occupât exclusivement des deux projets à l'ordre du jour.
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L'or et les monnates
Il fut appuyé notamment par M. Colombo (Italie), par M. Schiller (Allemagne) et par M. Jenkins (Angleterre). Puis on passa à l'examen des deux projets à l'ordre du jour. Depuis Londres et Rio de.Janeiro, en sept mois, différents amendements y avaient été apportés. M. Debré estimait que ceux-ci transformaient ces crédits en une véritable monnaie qui pourrait servir aux pays excédentaires aussi bien qu'aux déficitaires, ou être transférés par les premiers aux seconds. On ouvrirait des crédits même à ceux qui n'en avaient pas besoin puisqu'ils étaient excédentaires. M. Debré, point par point, demanda le retour au texte de Londres. Un accord sembla s'esquisser sur le fait qu'on n'attendrait pas forcément, pour mettre en œuvre les droits de tirage, le rétablissement complet de la balance des paiements des États-Unis pourvu qu'il fût constaté par un vote qu'elle s'améliorait, qu'il y avait pénurie de liquidités. En revanche, il était admis qu'un pays pouvait s'abstenir de contribuer A ces crédits. Les États-Unis qui avaient espéré pouvoir obtenir le vote des droits de tirage spéciaux et remettre A plus tard celui de la réforme des droits de vote au Fonds monétaire, se trouvèrent en face d'un front commun reformé de la Communauté européenne. En fin de compte, après de longues discussions et mises au point, le projet fut adopté. Il consistait A ouvrir sur les livres du Fonds monétaire international, sans contrepartie, un crédit A tous ses membres, proportionnel à leurs quotes-parts, c'est-A-dire à leur apport initial, qui s'appellerait les droits de tirage spéciaux. La décision serait prise sur proposition du directeur général du Fonds après un vote constatant:
La guerre de moupement
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- qu'il y a pénurie de liquidités, c'est-à-dire pas assez de monnaie dans le circuit international; - que la balance des paiements des débiteurs constants s'est améliorée; - que les mécanismes stabilisateurs fonctionnent correctement, faisant pression sur les pays déficitaires pour qu'ils retrouvent l'équilibre. M. Debré affirmait qu'il ne retrouvait pas l'esquisse adoptée à Londres en août. « Les droits de tirage spéciaux ne sont plus cette forme Ile crédits supplémentaires que nous apions jugés utiles. Ils sont, je le crains, un expédient, â moins qu'ils ne soient l'ébauche d'une prétendue monnaie qui apportera de grandes désillusions à ceux qui lui feraient confiance. )) Neuf pays ont, au contraire, estimé le texte proposé conforme aux accords de Londres repris à Rio de Janeiro. En fait, ceux-ci étaient équivoques. Chacun, dans ses explications de vote, leur avait donné une portée différente. Tandis que d'autres ministres pensaient avoir franchi une étape essentielle dans l'histoire de l'humanité, M. Debré rentrait en France, isolé une fois de plus, mais certain que les faits ne tarderaient pas à lui donner tristement raison. Il avait eu mandat de choisir sur place s'il acceptait ou refusait le projet, pourvu qu'il obtienne la liberté de sortir du système. Il l'a obtenue, et les autres pays aussi grâce à lui. Mais certaines autres clauses lui ont paru inacceptables. L'accord de Stocklom est-il une grande date historique ou seulement un faux départ, comme celle de la naissance d'un dauphin destiné à mourir avant de régner? L'avenir le dira. En tous cas, nous allons le voir, sa portée fut d'emblée très discutée.
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L'or et les monnaies
ENFANTILLAGE OU GRANDE RÉFORME?
L'accord fut approuvé à la réunion du Fonds moné~ taire à Washington en septembre 1968. Il est entré en vigueur, mais, au moment où s'achève le livre, n'a pas encore été appliqué. Nous conduit-il vers la démonétisation de l'or? Les nouveaux droits entreront-ils vraiment en vigueur? Est-ce la voie de l'avenir? Ces droits de tirage réserventils le problème des États-Unis et celui des monnaies? Ces questions restent ouvertes. L'accord, de toute façon, a paru d'abord comme un succès psychologique pour les États-Unis. Il arrivait au moment où l'on apprenait l'arrêt des bombardements au Vietnam, le retrait de la candidature Johnson pour la présidence des États-Unis, au moment où le marché libre de l'or de Londres, fermé pendant deux semaines, rouvrait ses portes, et cotait 37,70 dollars l'once, soit beaucoup moins qu'à Paris, le lendemain de la crise. Interrogé sur les accords, Jacques Rueff déclarait sévèrement : « Les droits de tirage spéciaux ne sont que la caricature dérisoire d'une l'raie monnaie. Le propre d'une monnaie, c'est de ne permettre de demander que ce qui est offert, et seulement dans la même mesure. C'est par ce caractère que les systèmes monétaires sérieux assurent l'équilibre interne et externe du domaine monétaire où ils sont utilisés. Pour les droits de tirage, rien de pareil, puisque comme tous les expédients qui les ont précédés, ils attribuent à ceux qui en bénéficient un poul'oir d'achat gratuit. Comme tous les expédients, ils permettront, s'ils sont appliqués, et lorsqu'ils seront appliqués, de payer un peu plus long-
La guerre de mouflement
Hi
temps le déficit de la balance des paiements des États- U nla et c'est même leur principal objet. Cl Au demeurant, conclut M. Rueff, un lamentable enfantillage qui ne retardera que de peu l'lnéflitable dénouement.» Tout opposé fut l'avis d'un grand expert monétaire américain, Edward M. Bernstein. Cl L'accord sur les droits de tirage spéclaw: est l',nnoflation la plus importante dans le domaine monétaire international depuis Bretton Woods. Ainsi complété, le système doit fonctionner plus efficacement dans une économie mondiale croissante. Le système des parités fixes reste Inchangé, la parité de toutes les monnaies étant définie par rapport â l'or sur la base actuelle de 30 dollars l'once. Le stock d'or et de monnaies de réserfle sera flirtuellement stable et l'augmentation des réserfles se fera par l'émission de droits de tirage spéciAUX. C'est un noUflel étalon-or. « Une ùs raisons justifiant les droits est de CQuper le lien entre la fabrication de réserves et le déficit des centres de monnaies de réserfle. » Mais E. Bernstein est conscient du problème. Il sait qu'une préférence pour l'or subsistera lon~emps et qu'il sera difficile .'empêcher que cette préférence ne perturbe longtemps l'emploi et la détention des autres avoirs monétaires. Robert Triffin dénonçait, dans un débat à Paris, l'effroyable complexité des conditions de création et d'acceptabilité des nouveaux droits de tirage, le refus de leur choisir un nom qui veuille dire quelque chose. Les objections de M. Debré lui semblaient inspirées par le bon sens: - refus d'ajouter un étage à un édifice aux murs branlants, - désir d'éliminer le privilège exorbitant des pays
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L'or et les monnaies
à monnaie de réserve: celui d'utiliser leur propre monnaie pour payer leur déficit. Ce système se rattache aux idées qu'il défend depuis 1959 mais il lui paraît injuste d'attribuer 72 % des crédits et des dons aux 25 pays les plus riches, sans se préoccuper de savoir comment ils gèrent leur monnaie. Mieux vaudrait que ces crédits servent au développement du tiers monde. Mais Robert Triffin n'accepte pas pour autant la solution de Jacques Rueff. Il pense que le doublement du prix de l'or conduirait à un raz de marée inflationniste. Il ne croit pas à la possibilité d'un automatisme basé sur l'or. Celui-ci est trop lié aux caprices des producteurs, aux troubles raciaux en Afrique du Sud, à la politique ou aux récoltes russes. L'étalon-or, selon lui, c'est quelque chose comme la roulette de Monte Carlo. Les partisans de l'étalon-or répondaient que ce métal, souhaité par tous en quantité pratiquement illimitée, peut être produit à un rythme assez irrégulier sans provoquer une inflation comparable à celle qu'entraînent les caprices des hommes. Quand votre revenu augmente beaucoup, vous dépensez beaucoup plus. Quand vos réserves s'accroissent beaucoup, votre façon de vivre ne change guère. Le nouveau système provoqua des déclarations de fidélité à l'or, même parmi les partisans des droits de tirage. (( L'or, déclarait le Dr Emminger qui représentait l'Allemagne à Stockholm, pa rester une des bases nécessaires et essentielles du système monétaire occidental. Pourtant, l'importance de l'or en tant que monnaie de réserpe ira diminuant. Il en sera de même pour le rôle Joué à cet égard par le dollar et par la lipre sterling. » Quelques mois plus tard, le gouverneur de la Banque
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d'Angleterre, Sir Leslie O'Brien, déclarait à des banquiers et à des hommes d'affaires : « Je troupe pour ma part assez ironique que l'on attaque l'or, alors que ce qui est â l'origine du malalse actuel ce n'est point le métal jaune mais les doutes qui entourent les autres unités de réserpes. Nous connaissons certes les imperfections de l'or, mals apouons que si l'on peut s'en débarrasser, c'est parce qu'on admet que, dans une ère où règne l'inflation, les monnaies ne peupent guère lut _ 8tre comparées... Parmi toutes les mesures enplsagées actuellement, garions pour la fin l'abandon de l'or qui, â tort ou â raison, retient la confiance de tant de gens. D Il s'agissait d'une querelle entre experts mais elle Bous-tendait, nous le savons, de graves difficultés politiques. Le général de Gaulle s'était fait de la monnaie un outil politique. Autant qu'on puisse lire dans sa pensée, il voulait dépouiller Londres et Washington d'un privilège monétaire qui leur permettait de jouer dans le monde un rôle important grâce aux crédits des autres; peut-être même voulait-il les contraindre à rembourser leurs dettes. Ils se trouveraient alors dans une situation politique et financière très délicate. . Londres et Washington s'efforçaient très vigoureusement de desserrer l'étreinte, c'est-à-dire de préparer le plus vite possible, sans trop brusquer les étapes, une monnaie internationale. Un nouveau type de crédit international était né. Le Fonds monétaire apparaissait plus proche du rôle d'une banque d'émission à l'échelle du monde, mais on continue à discuter pour savoir si c'est un vrai progrès. La spéculation allait bientôt couvrir le chuchotement capitonné des experts.
CHAPITRE VIII
Jl,lark contre franc
Cinq jours après l'accord qui apaisa la crise de l'or, se constituait à Nanterre le mouvement du 22-Mars. Autour d'un jeune tribun aux cheveux roux, israélite d'origine allemande, doué d'une puissance oratoire et d'une vitalité extraordinaires, Daniel Cohn-Bendit, des groupuscules jusqu'alors obscurs commencèrent une agitation qui se développa comme une trainée de poudre. Le 8 mai 1968, c'étaient les barricades à Paris, bientôt suivies de la grève générale. Pendant trois semaines, l'activité française fut pratiquement paralysée. Le 27 mai, c'étaient les Accords de Grenelle qui conduisirentà une majoration de la masse salariale de l'ordre de 14 %. Dans ce climat trouble, les capitaux se sont mis à fuir la France, d'autant plus rapidement que ce pays avait un des régimes financiers les plus ouverts aux transactions internationales. Il fallut rétablir d'urgence le contrôle des changes. Le dispositif choisi se révéla peu efficace. Le volume du commerce s'est tellement développé qu'il est devenu très difficile de contrôler les paiements. Les thèmes économiques étaient étrangement absents
145 dans cette agitation qui remettait tout en cause. Elle n'en, constituait pas moins une sorte de gigantesque pavé dans la mare; elle provoquait de redoutables l'emous. Nous allons les voir, surtout en France, en Allemagne, puis sur les marchés financiers du monde pendant la (,rise de novembre qui posa le problème d'une monnaie européenne et fut un dur prélude à la présidence de Richard Nixon aux ~tats-Unis. Le 29 mai, le régime politique français semblait près de s'effondrer. De Gaulle avait disparu. Le 30, 300000 personnes défilent pour réclamer un gouvernement populaire. Le 31, le général de Gaulle rentre après un voyage discret en Allemagne et à Colombey-les-Deux~glises, annonce un message que la France attend anxieusement. n y fait. connaître ses décisions. « Je re8te, je garde le Premier mini8tre. Je di880us l'A8semblée. » Deux heures après, un million de personnes défilent ·sur les Champs-Elysées pour le soutenir. Le 30 juin, les gaullistes obtiennent la majorité absolue à la nouvelle Assemblée. M. Couve de Murville devient Premier ministre. Il étllit ministre des Affaires étrangères depuis le retour .du général de Gaulle au pouvoir. C'est un inspec~ teur des Finances, ancien secrétaire du général de Gaulle à Alger, puis commissaire aux Finances, ancien ambassadeur en Italie, en ~gypte, en Allemagne. Il a alors 61 ans. C'est un homme à la fois admiré et redouté dans les réunions internationales, et surtout à Bruxelles où il a été extraordinairement assidu. Il y connaît les dossiers à fond. Je me souviens avoir vu Paul-Henri Spaak sortir d'un conseil des ministres où l'on discutait de
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monna~es
poulets en disant: « Je me demande ce qu'un ministre des Affaires étrangères peut alJoir à faire icl », mais M. Couve de Murville, lui, restait. Il semble toujours dire non et pourtant, de grandes choses se sont faites pendant qu'il était ministre et toujours avec son accord. La clarté de son esprit, la rigueur de son raisonnement, la force de ses arguments, dits d'une voix paisible et sans éclat, lui ont donné un extraordinaire pouvoir même lorsque ses thèses déplaisent. Il a été quelques jours ministre des Finances avant de recevoir sa nouvelle charge. M. Couve de Murville passe pour avoir été l'un des soutiens des thèses de Jacques Rueff. Il a lutté vigoureusement contre le rôle excessif des monnaies de réserve. Il accepte qu'on le dise libéral. Il confia la direction des finances françaises à un jeune et brillant inspecteur des Finances, François-Xavier Ortoli. Comme haut fonctionnaire à Bruxelles, celui-ci s'était révélé un diplomate efficace. Il avait été directeur de cabinet de G. Pompidou, le prédécesseur de M. Couve de Murville, puis commissaire général au Plan. A brûlepourpoint, il avait été nommé ministre de l'Équipement. Pendant la révolte des étudiants, il avait passé quelques jours comme ministre de l'Éducation nationale. Il fut d'emblée évident que les événements de mai terminaient (ou du moins suspendaient) une époque de l'histoire monétaire : celle des excédents français, celle du franc, monnaie forte. La conséquence ne pouvait en être que la hausse des prix, un budget où l'on ne pourrait éviter un gonflement important des dépenses, un déficit, une politique de crédit difficile à mener. Mais ce fut une surprise de voir à quel point la nou.
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velle politique qui fut entreprise s'engageait dans la voie de l'expansion à tout prix. L'équilibre reviendrait plus tard. Le gouvernement voulait relancer l'activité et combattre le chômage au plus vite. Cela se traduisit alors par des facilités de crédit exceptionnelles : la Banque de France se montra géné" reuse et émit de fortes quantités de monnaie, notamment pour soutenir les petites et moyennes entreprises. On s'attendait à voir M. Couve de Murville se battre avec acharnement pour modérer l'impasse budgétaire 1969 au-dessous de dix milliards de francs. On apprit qu'il l'envisageait forte. On s'attendait à un budget d'austérité. Les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire les dépenses courantes, augmentèrent très largement. Le budget, tel qu'il était présenté au Parlement, était supérieur de quelque 18 % à celui de l'année précédente. Il était calculé sur un taux d'expansion record de 7 % l'an. On avait donc escompté des rentrées fiscales généreuses. L'idée de M. Couve de Murville et de F.-X. Ortoli était que le seul moyen de retrouver l'équilibre français était de stimuler beaucoup la production, quitte à perdre des devises, à liquider une part de la réserve. Cette expansion exceptionnelle ne pourrait durer longtemps mais ils entendaient revenir à une politique équilibrée à la fin de 1969. En deux mois, quelque deux milliards de dollars sur moins de six de réserve d'or et de devises avaient été redemandés à la Banque de France. Cette politique audacieuse et résolue recueillait des encourage~ ments. « Moins de trois mois après la crise du printemps, la France a de bonnes chances, non seulement de surmonter
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les répercussions de la grèi'e générale, mals même d'en bénéficier, écrivait la rèvue américaine Time; La politique expansionniste menée. par le gOUi'ernement français commence déjà li prendre forme. Les oupriers français dépensent dai'antage. Il La Commission du Marché commun avait fait des recommandations, notamment préconisé la modération en matière de crédit, mais à la conférence des Six à Rotterdam, en septembre 1968, le porte-parole de la Communauté européenne, M. Barre, approuvait les politiques expansionnistes qui laissaient prévoir pour 1969 un fort développement dans tous les pays de la Communauté. En même temps, à Bâle, la Grande-Bretagne avait obtenu un prêt à long terme de deux milliards de dollars pour consolider une partie de ses dettes, des balances sterling. L'optimisme régnait, bien que, vers ce même moment, le Fonds monétaire ait rappelé aux deux pays à monnaie clé, la Grande-Bretagne et les États-Unis, qu'il était nécessaire de modérer leur déficit. Pourtant, le fait que la fameuse surtaxe fiscale de 10 % ait été finalement votée aux États-Unis pour le 1er juillet, et que leur gouvernement se soit, de plus, engagé à réaliser six milliards d'économie, laissait espérer ulle meilleure stabilité des monnaies. Tout paraissant calme, le li septembre, le ministre des Finances français annonçait le suppression du contrôle des changes et des aménagements fiscaux, notamment une aggravation de l'impôt SUl' les revenus élevés .et de celui qui frappe les successions. Le taux d'escompte était augmenté. Le gouvernement français, s'engageait dans une politique plus classique: il entendait tenir la monnaie par la manœuvre du taux de l'escompte, par
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l'argent cher, et non plus par des contrôles qui sont souvent inefficaces. Cause ou prétexte? L'aggravation des droits de sucession suscita un tollé et, malgré la cherté de l'argent, qui ne s'appliquait d'ailleurs pas à certains crédits, notamment à ceux aux exportateurs, les sorties de devises continuèrent de plus belle. Les autres pays et notamment les États-Unis, en profitèrent. Wall Street devint un refuge pour les capitaux qui fuyaient la France et n'arrivaient pas à entrer en Allemagne. Une politique audacieuse en France semble donc avoir apaisé, à la fin de l'été 1968, les remous entra1nés par les événements de mai. L'opinion restait sensible. En Allemagne, l'affaiblissement du franc posait un problème sérieux.
RÉÉVALUER LE MARK?
Vers la fin de septembre, on se mit à reparler d'une réévaluation du mark. Le gouvernement allemand y avait toujours été hostile, mais des experts nommés par lui avaient déposé, au début de l'année, un rapport qui était favorable à cette idée. La faiblesse persistante du franc, les excédents très forts de la balance commerciale allemande, amenaient à examiner la question: si dévalucr est humiliant, pourquoi le. contraire serait-il une opération indésirable? Réévaluer ou non le mark était un problème mondial, mais c'était une décision proprement allemande. Les trois principaux responsables de la République fédérale en la matière étaient le professeur Karl Schiller,Franz Joseph Strauss et Karl Blessing. . LeprclTIier, au visage aimable et juvénile, était chargé
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de l'économie. Socialiste, disciple de Keynes, théoricien d'une intervention active de l'État, il était en réaction contre le libéralisme du Dr Erhard. Il espérait trouver enfin le secret d'un essor rapide et continu, sans hausse des prix, sans retours en arrière. Son plan de relance après le coup de frein de 1967 avait remporté un plein succès. Karl Schiller savait qu'un moment viendrait où il faudrait modérer la conjoncture, mais il n'estimait pas qu'il en soit temps. Sur les 6 % d'expansion de 1968, plus d'un tiers avait été consacré à regarnir les stocks. Les experts attendaient un net ralentissement du progrès pour 1969. Or, réévaluer serait un coup de frein. Ce serait favoriser les concurrents, mettre à rude épreuve des exportateurs dont le dynamisme ne devait pas être exagéré : depuis plusieurs années, ils gardaient leur part du marché mondial mais ne l'amélioraient plus. Réévaluer, c'était risquer de se présenter aux élections de l'année suivante dans une conjoncture mauvaise, provoquée par une décision malheureuse. Le ministre des Finances, Franz Joseph Strauss, était l'animateur du Parti social chrétien bavarois. Les industriels de cette région sont très sensibles à la concurrence. Les paysans s'insurgeaient contre l'idée d'une réévaluation qui, selon les règles de Bruxelles, leur ferait subir une lourde perte. Franz Joseph Strauss était plus sensible que Karl Schiller à la nécessité d'agir tôt pour éviter que l'économie ne s'emballe. Mais réévaluer coûterait cher au Trésor qui devrait verser une somme importante à la Banque centrale en compensation de la perte qu'elle subirait. L'économie n'était pas seule en cause. Ancien mi-
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nistre de la Défense, F. J. Strauss était sensible à la grande inquiétude aggravée par l'intervention, en août 1968, des chars russes en Tchécoslovaquie, toute proche de sa Bavière. Si l'agressivité soviétique reprenait, son pays ne pourrait s'en défendre efficacement qu'avec le concours - de moins en moins inconditionnel - des alliés amé~ ricains, anglais, français. Puisque ceux-ci désiraient la réévaluation du mark - qui allégerait la pression sur leur propre monnaie - si l'Allemagne s'y décidait, ne pourrait-elle pas la négocier contre un surcroît de garan~ tic militaire? Le troisième homme ne siégeait pas à Bonn mais à Francfort. C'était le jovial président de la Bundesbank, Karl Blessing. Proche de la retraite, il avait été longtemps le collaborateur intime du Dr Schacht, le grand financier de Hitler, mais c'était un libéral convaincu. Il avait dirigé' Unilever-Allemagne et Daimler-Benz. Les affaires - il le sentait - avaient besoin d'une monnaie solide. La Bundesbank est très indépendante. Elle est chargée de la stabilité des prix. Ce qu'elle dit éveille de profondes résonances dans un pays où, deux fois, la monnaie est tombée à rien, où l'on se souvient d'avoir dû, pour régler ses factures, transporter les billets de banque à la brouette. K. Blessing a imposé la première réévaluation du mark. L'économie connaissait alors une surchauffe grave. Plus de réserve de main-d'œuvre ni de capacité de production. Salaires et prix montaient. La Bundes~ bank voulut freiner en renchérissant le crédit. Le mark s'en trouva fortifié et les capitaux extérieurs affiuèrent. Il fallait, dans une assez large mesure, les transformer en marks, émettre de la monnaie. Un moment vint, en 1961, où Karl Blessing déclara qu'il ne pouvait plus
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contrôler le mark au taux d'alors. Il convainquit le Dr Erhard de réévaluer. Après une autre surchauffe, en 1965, il imposa une si forte discipline: crédit cher et économies budgétaires, que la production recula et que Ludwig Erhard perdit son poste de chancelier. Cette fois, Karl Blessing avait manœuvré pour réexpédier vers l'extérieur les capitaux qui affluaient en Allemagne. Il avait maintenu les taux d'intérêt assez bas pour que ·les banques aient avantage à placer leurs dépôts sur le marché de l'euro-dollar plutôt qu'à les transformer en marks. Il avait garanti que des sommes importantes exportées pourraient être changées en marks sans perte, même s'il y avait dévaluation. Il affirmait qu'il ne craignait nullement la spéculation, et certains des experts les plus compétents considéraient que celle-ci peut obliger à dévaluer, non à réévaluer contre son gré. Mais il serait très difficile de lutter à la fois contre l'affiux des capitaux et contre une surchauffe. Celle-ci demande de l'argent cher, et l'autre, bon marché. Déjà le bulletin de la Bundesbank commençait à avertir l'opinion que la période de stabilité des prix apparaissait révolue, que l'épuisement des capacités d'expansion semblait proche. Entre Karl Schiller et Franz Josef Strauss et Karl Blessing, un point de convergence. Ils savaient qu'une révision des parités, non du mark seul mais de l'ensembl& des grandes monnaies était nécessaire. Américains, anglais et Français l'admettaient aussi, tout en la redoutant. Mais il fallait attendre au moins le 20 janvier suivant: l'arrivée au .pouvoir de Richard Nixon.;
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LA CRISE DE NOVEMBRE
A partir de la mi-novembre 1968, les achats de marks deviennent de plus en plus rapides. Une décision de la Bundesbank semble y avoir joué un rôle important. Celle-ci accordait aux banques allemandes qui le lui demandaient une garantie de change (swaps) au taux de 2 %. En d'autres termes, moyennant une commission très modique, elle offrait à la banque qui voulait prêter de l'argent à l'étranger de le lui reprendre, au bout de 30, 60 ou 90 jours au cours convenu. n devenait donc très avantageux de placer des disponibilités non pas sur le marché monétaire allemand où les cours étaient au-dessous de 2 %, mais en France ou en Angleterre ou sur les marchés de l'euro-dollar où l'on pouvait obtenir 6 ou 7 %. Or la Bundesbank avait rendu cette opération de moins en moins intéressante en élevant par étapes le taux de sa garantie de change de 2 1/4 à 3 1/4 %. A la mi-novembre, elle a cessé d'accorder cette garantie de change pour les effets de moins de 60 jours. n restait possible de l'obtenir auprès de banques privées, mais à un cours nettement plus élevé qui rendait l'opération pratiquement sans intérêt. Une des causes de cette décision fut que certains capitaux, exportés, revenaient en Allemagne à la recherche d'une nouvelle garantie de change, dans un circuit anormal. Mais cette décision freina les réexportations de capitaux qui arrivaient en Allemagne. Elle obligea la Bundesbank à acheter, en émettant des marks, les sommes qui arrivaient en Allemagne et n'étaient plus réexpor-
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tées. Cette décision allemande fut interprétée comme un signe de défiance vis-à-vis de la livre et du franc. Elle stimula les achats spéculatifs de marks. Aucune règle n'interdisait, tant que les marchés étaient ouverts, les banques françaises, qu'elles soient ou non nationalisées, à acheter pour n'importe quel client des marks à terme ou à financer des achats en marks par des crédits obtenus en francs. Il s'agissait d'opérations très courantes et très normales en matière de commerce international, mais elles semblent avoir été menées à grande échelle à des fins spéculatives. On parlait de plus en plus d'une dévaluation du franc. Le général de Gaulle prit une position abrupte: « Accepter la dévaluation du franc serait la pire absur. . dité )J, déclara-t-il le 13 novembre. La Spéc1llation n'en continua pas moins à s'aggraver. ~endant le week-end du 17 novembre 1968, les gouverneurs de banques centrales s'étaient réunis à Bâle et une pression avait été exercée sur les Allemands pour les décider à réévaluer afin d'arrêter l'afflux des capitaux. Le 19, à Paris, on annonçait une réduction du déficit budgétaire de 11,5 à 9,5 milliards de francs, un resserrement du crédit. En Allemagne, le chancelier Kiesinger et les trois responsables du mark se mettaient d'accord pour un succédané de réévaluation : taxe de 4 % sur les exportations et détaxe de 4 % sur les importations. En d'autres termes, les produits étrangers seraient favorisés et les ventes allemandes deviendraient plus difficiles. Cela doit durer quinze mois. La spéculation redoubla. Sur l'ordre des gouvernements les marchés des changes
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fermèrent jusqu'à la fin de la semaine pour la plupart des grands pays. Mercredi 20, commence à Bonn au ministère de l'Économie, sous la présidence de M. Schiller, une réunion exceptionnelle du Club des Dix pour essayer de terminer la crise de spéculation. Les minilitres des Finances discutent longuement d'un prêt de 3 milliards de dollars accordé à la France, prêté surtout par les Américains et les Allemands. Dans un message au chancelier Kiesinger, M. Wilson exprima l'avis que les mesures allemandes étaient insuf-. isantes. Pendant la conférence sortent les bilans de la Bundesbank et de la Banque de France. Celle-ci a perdu, en une semaine, près d'un milliard de francs. Celle-là a vu progresser les siennes environ d'un milliard de marks. Dans les couloirs de la Conférence se répand le bruit qu'une dévaluation du franc est décidée. Il semble bien que des experts français l'aient laissé s'accréditer ainsi que M. Strauss, le ministre allemand. Mais nul n'en connaît le taux. La presse unanime la pense inévitable, encouragée par les porte-parole officiels. Un démenti a été publié mais n'a pas paru convaincant. Au cours de la conférence, il semble bien que, pour faire pression sur ses partenaires qui craignaient cette éventualité, M. Ortoli ait évoqué l'hypothèse d'une forte dévaluation, de l'ordre de 20 %. Elle eût entraîné l'ensemble des monnaies. De toute façon, le conseil des ministres français pouvait seul en fixer le taux. Il se tint dans l'après-midi du samedi 23 novembre. A Bruxelles, la Commission européenne, à Washington, le président Johnson et ses principaux conseillers étaient réunis pour tirer la conséquence de la dévaluation du franc. On attendit longuement la réponse. Elle vint
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enfin sous la forme d'une allocution du général de Gaulle. Il Tout bîen pesé, j'al, avec le gouvernement, décidé -que nous devons achever de nous reprendre sans recourir à la dévaluation... Le maintien de notre monnaie exige absolument que nous nous remettions dans tous les do. maines en équilibre complet. » Ce discours, en contraste total avec ce qu'on attendait, fit l'effet d'un coup de tonnerre. Le public n'avait rien compris à cette crise qui surprenait après un récent message de M. Couve de Murville très optimiste, sur les prix, la production, l'emploi, le commerce extérieur. Dans le monde entier, la décision de ne pas dévaluer surprit mais fut approuvée. Du théâtre, passionnant. De Gaulle prend des risques. Il a du cran. Hélas 1 Le problème demeure, terrible. Telles sont les notes dominantes des réactions qui affiuaient de partout dans le monde. Tandis qu'un ancien gouverneur de la Banque d'Angleterrese déclarait abasourdi par les décisions françaises, M. Blessing les considérait comme un acte iouverain, inattaquable sur le plan politique et technique. Le contrÔle des changes était rétabli, beaucoup plus dur que celui qui avait été supprimé. Le franc se redressait sur les marchés. La Bourse de Paris accueillait favorablement les mesures. L'Assemblée adoptait un plan très dur de redressement économique : réduction très sensible du déficit budgétaire, augmentation des tarifs de chemin de fer, d'électricité, augmentation de la taxe à la valeur ajoutée avec suppression de la taxe sur les salaires, etc. La conséquence en serait la hausse de beaucoup de prix. C'était l'austérité. I( L'immense sursaut national qu'a provoqué l~appel
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du général de Gaulle ouvre toutes les perspectives de redressement Il, déclarait M. Couve de Murville. . Le président de la République française a-t-il subi, toléré, ou discrètement organisé cette quasi-certitude que la France allait dévaluer? C'est difficile à savoir. Mais si ce bruit avait résulté d'un calcul politique du chef de l'État, quel serait ce calcul? La politique financière du gouvernement était en train de tourner à la catastrophe. Le déficit budgétaire, le crédit trop lâche, la gaffe du relèvement des droits de succession au moment où disparaissait le contrôle des changes, la fuite des devises accélérée par les perspectives de réévaluation du mark, l'épuisement prochain des réserves, l'inefficacité de la manœuvre du taux de l'escompte et du prix de l'argent au jour le jour, de la déclaration présidentielle démentant avec la dernière énergie l'idée de dévaluer, la spéculation déchaînée, tout cela ne pouvait qu'aboutir à une humiliation majeure, à une dépréciation à la fois du Premier ministre, du régime, et du Président en même temps que de la monnaie. Le moyen d'éviter tout cela? Des mesures draconiennes et impopulaires? Il était certes possible de les faire avaliser par une large majorité de députés composée d'hommes dont le mandat n'avait été obtenu et ne pouvait être renouvelé que grâce à l'appui du général de Gaulle. Mais le pays était trop nerveux pour le supporter. Les barricades, les grèves de mai étaient encore trop proches, les plaies trop mal cicatrisées pour qu'on soit sûr de pouvoir empêcher une reprise de l'agitation si le régime subissait un échec majeur. Peut-être le général de Gaulle s'est-il souvenu que les hommes n'acceptent jamais si bien l'autorité que lorsqu'ils ont peur. Il fallait leur faire toucher du doigt le
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danger, que le public y croie profondément si l'on voulait qu'il accepte le tour de vis. En juin, c'est quand apparut inévitable la prise de pouvoir d'un gouvernement faible où les communistes auraient été la seule force organisée que vint l'heure de la reprise en main. De même, après quatre jours de fermeture de la Bourse, après deux jours où la dévaluation était tenue pour certaine, après les débats prolongés au Conseil des ministres tandis que partout on attendait d'en connaître le taux, le communiqué refusant la dévaluation fut un coup de théâtre et retourna la tendance. Le public applaudit. De Gaulle en profita, vingt-quatre heures après, pour lui annoncer, sans soulever d'indignation, les mesures amères: le retour du contrôle des changes, dur, le resserrement du crédit, l'amputation du budget, même sur les investissements, même sur le programme universitaire, l'interdiction de défiler dans les rues. Les ministres étaient invités à proposer eux-mêmes des coupes sombres dans leur budget et s'y résignaient dans un bel élan. Ce qui n'eût pas été politiquement possible l'était soudain devenu, à cause de la peur qu'avait suscitée cette dévaluation qui avait paru si proche. Le calcul fut-il celui-là? Quelle fut la part de la chance, de l'art de profiter des circonstances? Qui peut le dire? Il restait à savoir si le malade supporterait la purge sans trop de faillites, sans trop de chômage, sans trop d'agitation ••• En même temps que la France, la Grande-Bretagne mettait en vigueur un nouveau plan d'austérité. La taxe à l'achat des biens de consommation y était majorée de 10 %. Les liquidités bancaires étaient réduites de 2 %. Les importateurs se voyaient obligés de déposer
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50 % de la valeur des produits qu'ils se proposaient d'importer. Ce blocage durerait six mois. C'était rendre l'importation très lourde pour les trésoreries. Cette crise de novembre s'achève sur tout un ensemble de mesures qui vont freiner l'activité mondiale. En Allemagne, la réévaluation déguisée du mark; en France, des économies budgétaires, le crédit plus serré, plus cher, le contrôle des changes rétabli; en Angleterre, un nouveau plan d'austérité; aux États-Unis, Johnson dépose en partant un projet de budget en équilibre, tandis que le prix de l'argent s'élève. Un freinage du commerce international est à redouter.
ÉPREUVE POUR L'EUROPE
Un des aspects les plus intéressants de cette crise concerne la Communauté européenne. La Commission de Bruxelles a suivi de très près les événements à partir de mai et juin. Elle a émis des recommandations, mais semble avoir eu peu d'influence sur les décisions françaises, au moins directement. Celles-ci toutefois avaient été soigneusement calculées pour ne déroger que très peu au Traité de Rome. La crise de novembre fut suivie avec une certaine angoisse. « Je recalerals certainement un étudiant de première année de sciences politiques qui prétendrait qu'un marché commun peut fonctionner sans monnaie commune», disait, au temps du pool charbon-acier, un sidérurgiste français. )) L'Europe avait commencé sans monnaie commune et sans inconvénient parce que, depuis que fonctionnait l'organe le plus coûteux de la Communauté, le Fonds de garantie agricole (1963), le taux de change était demeuré
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fixe. Le premier décrochement monétaire remettait en cause tout l'édifice. Que la valeur du mark augmente, il faudrait diminuer le prix des denrées en Allemagne, ce qui était politiquement impossible; que celle du· franc baisse il faudrait majorer les prix alimentaires en France, ce qui provoquerait des réactions en chatne, et risquerait d'entraîner une intolérable surproduction. Les derniers obstacles aux échanges entre les Six avaient disparu le 1er juillet 1968. Tout changement des parités troublerait gravement l'équilibre du commerce devenu très actif entre les Six. Le rep!ésentant de la Commission européenne il la Conférence de Bonn, M. Barre, avait insisté pour préconiser le maintien des taux de change. Il s'est réjoui· de voir son vœu exaucé, mais le problème était déplacé et non pas résolu. II fallait trouver le moyen de concilier le Marché commun, jeu brutal qui exige une monnaie saine - les Français l'avaient assez souvent rappelé aux Anglais - avec le rétablissement d'une économie convalescente. Pendant la crise de novembre, la Communauté s'était coupée en deux. D'une part, l'Allemagne, appuyée sur l'Italie, les Pays-Bas; de l'autre, la France alliée pour réclamer la réévaluation du mark avec les Anglais et les Américains. Le Traité de Rome comporte des marges de souplessll, appelées clauses de sauvegarde. Elles permettent à l'Êtat dont l'économie est défaillante de rétablir sa situation en dérogeant à certaines règles. Mais quand jouent ces clauses, le droit de regard communautaire sur l'économie malade est large. Le gouvernement français s'en accommoderait-il puisqu'il les avait librement acceptées par traité? Ne sc montrerait-
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il pas d'autant plus susceptible qu'il était en difficulté, qu'il sentait les Allemands plus sûrs d'eux-mêmes? En décembre, les ministres des Finances des Six tenaient conseil. Ils décidaient qu'une coopération monétaire plus étendue devait être instituée entre eux. Les propositions furent présentées le 15 février. Il fallait progresser vers une monnaie européenne, mais politiquement, serait-ce possible? M. Barre repoussa les formules ambitieuses qui paraissaient difficilement acceptables compte tenu des dissensions politiques qu'entralnait dans la Communauté l'affaire anglaise~ Il proposa d'abord un renforcement de la coopération entre les pays membres pour la préparation de leur budget et de leur politique de conjoncture. Il préconisait également la création d'un mécanisme de concours mutuel qui permettrait aux Six d'obtenir de leurs partenaires, très rapidement, en cas de crise des paiements, des crédits à trois mois. Ils seraient consolidés à moyen terme à condition qu'un accord intervienne entre créanciers et débiteurs sur la politique de redressement à suivre. Les Six ont entrepris l'examen de ces propositions, mais, de toute façon, le cheminement vers une monnaie européenne s'annonce très lent.
LA
NOUVELLE
ADMINISTRATION
AMÉRICAINE
L'année 1968 s'acheva dans l'attente de l'arrivée au pouvoir de Richard Nixon, élu en novembre. Lyndon Jobnllon termina par un coup d'éclat en annonçant qu'il avait redressé la balance américaine des paiements.
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Elle présentait pour 1968 un excédent de 150 millions de dollars contre 3,6 milliards de déficit en 1967. D'autre part, le président léguait à son successeur un budget et un projet de budget en excédent. Le message présidentiel sur la balance des paiements fut un chant de triomphe: la création du double marché de l'or et celle des droits de tirage spéciaux y apparaissent comme essentielles et il n'insiste pas trop sur le fait que la réserve d'or de son pays est tombée aux environ de 10,4 milliards de dollars. La silhouette du nouveau président commence à apparaître. Il a la solidité de l'homme qui a dû lutter longtemps avant d'obtenir sa chance. Il a l'expérience d'un politique mais aussi celle d'un avocat d'affaires lié d'amitié avec les milieux dirigeants de l'industrie et de la banque. Il est certainement plus sensible que son prédécesseur aux méfaits de l'inflation mais pas plus que lui ce n'est un économiste. « Seule, affirme-t-il, une politique combinée de forts excédents budgétaires et de restrictions monétaires peut maintenant 8tre efficace pour ralentir l'inflation et réduire les taux d'intérêt restrictifs qui nous ont été imposés par les politiques précédentes. Il Il a choisi pour secrétaire au Trésor un banquier de soixante-trois ans, David Kennedy. C'est un mormon, un cavalier, un chasseur. Il s'est intéressé, à Chicago, non seulement à toutes sortes d'affaires mais à des œuvres philanthropiques. Ses premiers propos sur l'or ont paru dangereux, car il n'a pas voulu exclure a priori toute réévaluation comme l'avaient fait ses prédécesseurs. En fait" il voulait garder sa liberté d'action, mais il a prééisé depuis qu'il ne voyait pas de raisons de réévaluer le cours de l'or.
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Assez vite l'idée d'une conférence monétaire mondiale fut écartée. Au début de février 1969, Richard Nixon a paru dis~ posé à regarder de près la question du déséquilibre des paiements. « Le système monétaire, a-t-il déclaré, a des faiblesses éyidentes. il est temps de le réexaminer et de trouyer de nouyelles approches. » Il annonçait qu'il en parlerait au cours de son voyage dans les capitales européennes. Mais à Paris au moins, il n'en a pas parlé. Il n'était d'ailleurs accompagné d'aucun spécialiste de cette question. A Rome, il semble que le problème ait été abordé, mais que les dirigeants romains se soient prononcés pour une mise en service des droits de tirage spéciaux plutôt que pour une réforme fondamentale. Le nouveau sous-secrétaire au Trésor chargé des questions monétaires, M. Paul Volker, un géant spiri, tuel qui a la confiance des banquiers, a fait partie, au temps de M. Fowler, d'une des commissions où s'élaborait la politique monétaire des État-Unis. Il y était, pour l'essentiel, d'accord avec la politique suivie. Donc, de ce côté, on n'attend pas de brusques infléchissements avant que les événements ne les commandent. Le rendez-yous de mars 1969, en France, était une échéance redoutée sur le plan international. Au moment des accords de Grenelle, il avait été entendu entre le gouvernement, les patrons et les ouvriers qu'on se reverrait au mois de mars pour faire le point de l'évolution des salaires et des prix. Si ce rendez-vous était l'occasion d'une nouvelle flam" bée soit des salaires, soit de l'agitation, l'équilibre fran, çais pouvait devenir intenable. La dévaluation pouvait
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s'imposer. On craignait qu'alors le général de Gaulle ne la fît sauvage, c'est-à-dire d'un taux tel qu'elle cntraînerait les autres monnaiès. L'attente du rendez-vous de mars fut l'occasion d'une nouvelle poussée du prix de l'or, qui atteignit à Londres 43,80 dollars l'once. Le gouvernement français soutint que les prix n'avaient pas augmenté plus vite qu'il n'était espéré au moment des accords de Grenelle, souligna que le progrès réel du pouvoir d'achat avait été important et refusa toute augmentation générale. Les difficultés se régleraient par accords professionnels. Les syndicats protestèrent. La réunion s'acheva dans une atmosphère de rupture. Une journée de grève paralysa la France. Puis ce fut le retour à un calme coupé de mouvements sporadiques, d'accords dispersés. Le marché de l'or se détendit aux environs de 43,40 dollars l'once. On sou· lignait alors à Bâle les très larges marges de jeu que laissaient à la France les 4 milliards de dollars de réserves qui lui restent et 3 milliards de possibilités d'emprunt dont elle dispose. La nouvelle administration a marqué les déhuts de sa gestion par une politique de crédit plus stricte qui a eu pour conséquence une reprise de l'escalade mondiale des taux d'intérêt. Dès février 1969, on notait une tension générale du loyer de l'argent, qui se précisa en mars avec toute une série de relèvements des taux d'escompte. En Suisse, le taux de l'argent au jour le jour a augmenté brusquement à la suite d'une interruption drs garanties de changes données par la Banque nationale suisse pour l'échéance de fin mars.
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Les taux sur le marché de l'euro-dollar à trois mois, qui n'atteignaient pas 7 % avant la crise de novembre, sont montés à 8 3/4 %_ Le taux d'intérêt des avances bancaires pour les grandes entreprises américaines avoisinait 10 % à la fin de mars. Cependant, à cette époque, M. David Kennedy lais~ sait prévoir un arrêt de la hausse des taux d'intérêt, ce qui laissait supposer une politique monétaire moins stricte ou une accalmie dans les besoins financiers du Trésor. Ces taux d'intérêt, que M. Couve de Murville qualifiait de taux de crise, Bont certainement l'indice d'échéances difficiles. Cependant l'incidence de la hausse des taux d'intérêt ne se manifeste qu'avec un retard important. L'ingéniosité des économistes s'est beaucoup développée et offre toutes sortes de délais. Les investissements sont planifiés à long terme et ne sont pas abandonnés facilement. C'est encore plus vrai lorsqu'lls sont financés non par appel au marché mais par autofinancement. Une étude approfondie qui suivrait dans les entreprises les incidences des variations des taux d'intérêt serait fort intéressante. « Les dangers de crise économique sont minimes », venait de déclarer M. David Kennedy au moment où s'achève ce livre. L'optimisme traditionnel des dirigeants américains avait retrouvé son langage. Mais, au même moment, la First National City Bank affirmait que l'excédent de la balance des paiements V.S. annoncé pour 1968 n'était 'qu'un jeu d'écritures qui masquait 2 milliards de dollars de pertes. On avait
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compté comme entrée de capitaux des prêts demandés pour couvrir le déficit. Le professeur Triffin affirmait qu'il serait absurde de dévaluer le franc, mais qu'il craignait les remous spéculatifs qui pourraient se produire vers septembre au moment des élections allemandes. L'Allemagne se mettait à son tour à renchérir l'argent et à lutter contre la surchauffe. La stabilité monétaire était l'un des thèmes majeurs de la campagne. Or une politique restrictive allemande réduirait les achats de valeurs américaines pai' les étrangers et renforcerait les excédents commerciaux rendant plus précaire l'équilibre actuel des monnaies. La livre sterling se débattait dans une situation qui restait fort précaire et malaisée. La haute conjoncture continuait pourtant malgré toutes les mesures prises pour la modérer.
CHAPITRE IX
Sous Richard Nixon quelles voies sont ouvertes?
Nous sommes arrivés au point où l'histoire bute sur sa limite: l'incertitude de l'avenir. Ce livre s'achève en mars 1969 et nous traversons un carrefour. L'histoire en est pleine. Nous pouvons seulement, pour terminer ce livre, voir quelles routes s'ouvrent devant nous et nous deman" der ce que nous savons des différents itinéraires. Pour conclure, j'indiquerai quelles réflexions, quels choix, quelles suggestions me suggèrent cette histoire. Sans prétendre épuiser les multiples aspects de la recherche monétaire, on peut distinguer quatre voies proposées: - prolonger la politique actuelle; - adopter des taux de change flottants; - rechercher un automatisme d'après les calculs complexes que permettent les ordinateurs; - revenir à l'étalon-or en réévaluant le prix du métal.
CONTINUER?
La première voie prolongerait simplement la politique actuelle : celle des neuf majoritaires du groupe
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des Dix. Elle consiste à considérer qu~il y a deux problèmes distincts. - L'une des causes de nos difficultés vient d'un manque de monnaie internationale. Celle-ci ne suffit plus aux besoins d'un. commerce mondial croissant. Pour y suppléer, on a créé des droits de tirage spéciaux. Il faut les utiliser. - D'autre part, il existe un problème des différentes monnaies internationales. Une réforme du système monétaire n'y changera rien. C'est la responsabilité de chaque gouvernement. Par conséquent, il n'y a pas lieu de .condamner le système monétaire actuel qui a rendu d'énormes services. Il faut aider les monnaies touchées par la spéeulation, mieux gérer dans chaque pays le budget et le crédit : l'équilibre reviendra. Cette thèse a l'avantage d'être politiquement la plus facile, puisqu'on ne change rien. Elle soulève des difficultés. D'abord le système actuel est sujet à des crises périodiques de spéculation qui se déclarent à des moments ou sur des terrains imprévisibles et obligent à des déci· sions hâtives et.draconiennes. C'est très dangereux. Ce système a entraîné les réserves d'or américaines à tomber de 20 à 10 milliards de dollars en moins de dix ans. Puisque les monnaies sont rattachées à l'or par l'intermédiaire du dollar selon les règles du Fonds monétaire, la réserve d'or américaine est le pivot de tout le système. II est devenu très incertain. Nous avons déjà eu des dévaluations. D'autres menacent. Toute monnaie qui dévalue rend les autres plus instables. Le marché de l'euro-dollar où l'on échange non plus dcs devises mais le droit de se servir pendant vn certain
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temps du compte en banque des prêteurs e$t un phénomène inquiétant. . Il échappe en effet à toute réglementation. Et en quelques années, il a attiré deux fois le volume de la réserve d'or ~teS États-Unis. Ses réactions sont imprévisibles. Il s'agit d'une masse flottante, composée de capitaux à court terme dont les caprices peuvent être redoutables. Or il est probable que des investissements à moyen terme sont financés par ce moyen. Une crise de confiance y serait très dangereuse. C'est une maladie du système actuel. Plusieurs pays ont dû adopter des politiques restrictives qui peuvent un jour ou l'autre entrainer une crise internationale. Le grand risque, c'est de voir un jour se reproduire une vraie crise économique comme celle de 1929. On a pu l'éviter depuis la guerre, mais il n'est pas sûr qu'on ait fait autre chose que retarder l'échéance. Les dettes plus ou moins insolvables se sont accumulées. Un jour ou l'autre, de grandes faillites peuvent mettre en évidence l'insolvabilité du système. De proche en proche, les débiteurs peuvent se trouver sommés de rembourser. Ils cesseraient d'acheter, de fournir de l'emploi et ce serait la crise. Péril illusoire? Peut-être. Ce n'est pas sûr. Si les grands pays se mettaient à adopter spontanément une politique d'équilibre· financier, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France semblent vouloir le faire, un certain équilibre pourrait revenir. Le système peut se consolider. Mais quand on est très endetté, une politique d'équilibre entraine souvent des hausses pesantes du prix de l'argent, des taux d'intérêt, une restriction de l'investissement, une politique sociale plus sévère. Dès qu'appa-
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raît la perspective d'élections, c'est difficilement tenable, comme ce fut le cas en 1967. Alors on décida de lutter contre la hausse des taux d'intérêt et le déséquilibre, de même qu'on coupe la fièvre. Mais cela ne guérit pas la maladie. L'inflation reprend de plus belle. Le système actuel permet aux grands pays de vivre à crédit sans trop d'inconvénients. Y renonceront-ils de leur plein gré sans y être contraints? Si la politique américaine est sage, le système actuel peut durer plus longtemps. Les premières déclarations de David M. Kennedy, le nouveau secrétaire au Trésor, sont celles d'un homme raisonnable, décidé à inspirer confiance dans la monnaie, à tenir ferme budget et crédit. Y réussira-t-il sans trop de chômage? sans que cela exige une hausse excessive des taux d'intérêt? Il sera intéressant de voir s'il parviendra à éviter de nouvelles crises et dans quel sens il fera évoluer le sys, tème monétaire. C'est une belle mais difficile eXpérience.
CHANGES FLOTTANTS
La seconde voie conduirait à renoncer aux taux de change rigides imposés par la charte du Fonds monétaire, à laisser fluctuer les cours non plus de 1% au-dessus et au-dessous du pair mais peut-être de 5%. Cela pourrait permettre aux différentes monnaies de trouver une place plus vraie les unes par rapport aux autres. Celle dont le cours baisserait verrait ses exportations stimulées, ses importations freinées. A prix inférieurs égaux, moins une monnaie est chère, moins ses produits coûtent à l'extérieur. L'équilibre des paiements s'en trouverait favorisé.
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D'autre part, les spéculateurs prendraient des risques, alors qu'il y en a fort peu à jouer la dévaluation d'une monnaie dont la banque centrale maintient fixe la parité. Le spéculateur ne risque pas d'avoir à racheter plus cher ce qu'il a vendu à terme. Avec des changes fixes, c'est le spéculateur qui est protégé ou ses arrières, tandis que la banque centrale est exposée à tous les coups. Les inconvénients du système des changes flottants seraient que les opérations de commerce extérieur seraient plus diffièiles, faute de stabilité. Pour éviter les risques monétaires, il faudrait se couvrir auprès d'un banquier, c'est-A-dire acheter ou vendreà terme. Mais le risque justifierait des commissions plus lourdes. On n'a guère d'expérience des changes flottants qui ait été un succès. C'est presque toujours une transition qui prélude A une dévaluation. Certains partisans de ce système y voient avant tout un moyen d'éluder les disciplines monétaires, de faire passer définitivement l'expansion et le plein emploi avant la monnaie, au lieu de se servir de celle-ci comme un moyen pour les atteindre. Le chômage est comme la fatigue. Il est l'indice d'un fonctionnement dangereux de l'organisme. Il faut y porter remède. En revanche, qui renonce A tout effort dès qu'il aperçoit un risque de fatigue est un mou qui ne progresse guère. L'inconvénient des changes flottants, c'est qu'ils risquent de laisser errer l'ensemble des prix et de l'économie sans point d'attache, d'institutionnaliser l'inflation et la monnaie fondante. . Il serait définitivement admis que faire crédit est un marché de dupe. Il faudrait de plus en plus financer l'investissement par les différentes formes de l'épargne
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L'or et les monnaIes
forcée. Alors que le nombre des personnes âgées ne cesse de croltre, il deviendrait de plus en plus impossible de préparer soi· même les ressources de ses vieux jours. Et l'on verrait de plus en plus se développer les substituts de monnaie, les indexations, etc. Une étude internationale approfondie de ce système serait néct'ssaire et pleine d'enseignements.
D'AUTRES BASES QUE L'OR?
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Une troisième voie est préconisée par des personnalités fort intéressantes : celle d'un automatisme monétaire basé non plus sur l'or mais sur des indices complexes tels qu'on peut les calculer et les tenir à jour à l'aide des méthodes modernes. On a parlé de monnaies cybernétiques. On peut situer parmi elles l'étalon-matières premières de M. Mendès France et d'autres chercheurs. On rattacherait l'émission de monnaie au prix de matières premières, ce qui permettrait de stabiliser celles-ci par rapport aux autres prix, donc de donner aux pays en voie de développement la satisfaction de ne plus subir les dommages que cause la dépréciation du prix de leurs productions. C'est le cas aussi des monnaies qu'on voudrait baser sur un ensemble d'indices économiques complexes que les ordinateurs permettent désormais de suivre bien mieux qu'avant. On pourrait ainsi obtenir une poli.. tique monétaire scientifique, sachant se servir des ins~ truments de notre temps. On ne peut engager ici une discussion approfondie de ces systèmes. La difficulté qu'ils rencontrent, c'est qu'il faudrait
La guerre de moupement
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se mettre d'accord sur les critères de l'émission de monnaie, la place de chaque matière première, de chaque indice dans les éléments de décision. Le système risquerait d'être souvent remis en cause. L'indice en question qui représente l'ensemble des matières premières ou de l'activité économique, devrait être établi, accepté, et longuement rodé avant qu'on se décidât à lui confier le pouvoir régalien de gérer la monnaie. C'est une voie de recherche possible, mais alors qu'on peut payer en or et éteindre n'importe quelle dette, on ne peut payer avec des matières premières, surtout lorsqu'elles ont peine à trouver preneur, encore moins avec un indice. Le grand problème de la monnaie, c'est de la fonder sur quelque chose qui entraine la confiance. Les systèmes complexes le font difficilement; La recherche monétaire est ouverte à toutes sortes de solutions mais il ne semble pas que les monnaies révolutionnaires, si éloquents que soient leurs avocats, soient proches d'être adoptées.
RÉÉVALUER L'OR?
Une quatrième voie serait la réévaluation du prix de l'or, autrement dit une dévaluation par rapport à 1'01' de l'ensemble des monnaies. Ce serait, en quelque sorte, une faillite. D'énormes contrats conclus sous le régime de la convertibilité en or se trouveraient dégradés. Des dettes seraient annulées comme dans une faillite. Les bénéfices comptables de cette réévaluation donneraient de l'aisance aux banques centrales qui pos-
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sêdent de l'or, permettraient de rembourser des dettes, fourniraient de la monnaie internationale. L'or, plus cher, deviendrait moins tentant. Une partie importante de ce qui a été thésaurisé reviendrait dans le circuit productif. Certains sont partisans de cette réévaluation à cause des facilités qu'elle procurerait. Beaucoup d'autres y sont vigoureusement opposés parce qu'elle serait inflationniste. Le plus célèbre et le plus élaboré des plans qui comportent la réévaluation de l'or est celui de Jacques Rueff. Il refuse l'idée d'une réévaluation pure et simple qui serait en effet très inflationniste. Il ne l'envisage que dans le cadre d'un vaste accord international comprenant : - le doublement approximatif du prix de l'or (les prix en dollars ont à peu près doublé depuis la fixation du taux actuel) ; - l'emploi immédiat des bénéfices de réévaluation ainsi dégagés pour rembourser les dettes des banques centrales; - le prêt à long terme et à bas taux d'intérêt des bénéfices de ceux qui ont de l'or et pas de dettes à ceux qui ont des dettes et pas assez d'or afin de leur permettre de les consolider. C'est le cas notamment de la GrandeBretagne; - sur ce qui resterait, une part pourrait être prêtée à long terme aux pays en voie de développement; une autre, consacrée au remboursement par les États de leurs dettes auprès des banques centrales. En somme, un magistral coup d'éponge sur des dettes qui ont fort peu de chance d'être un jour réglées, qui ne sont stabilisées vaille que vaille à coup de taux d'intérêts élevés et d'accords politiques plus ou moins stables.
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Enfin, selon Jacques Rueff, il faudrait que les banques centrales s'abstiennent désormais de mettre en réserve les devises des autres pays. Le crédit international se ferait entre particuliers, entre banques, entre États, par l'intermédiaire du Fonds monétaire, mais non plus par le mécanisme du Gold Exchange Standard qui prête automatiquement aux pays à monnaie de réserve les sommes que ceux-ci leur doivent, qui conduit à accumuler sans fin des créances insolvables. Jacques Rueff affirme que l'application de son plan restaurerait durablement la confiance internationale, stabiliserait les prix, abaisserait profondément les taux d'intérêts, et donc provoquerait une vague d'investissements et de prospérité de longue haleine. Le point le plus faible de ce système, c'est qu'il n'est soutenu que par fort peu d'experts et par aucun gouvernement. Même la France n'y a jamais fait référence, n'a jamais dit notamment qu'elle accepterait les obligations qu'il comporte. On reproche à ce plan d'être une faillite, de favoriser ceux qui ont amassé de l'or stérile, spéculé contre les monnaies, d'avantager les producteurs d'or, les Sud-Africains racistes et les Russes, sans compter le général de Gaulle, donc d'être immoral, de fournir une nouvelle base à un endettement anglais et américain auprès des banques privées qui poserait, à terme, des problèmes analogues à ceux du système actuel. Souvent mal connu dans ses détails, il suscite des oppositions passionnées. On s'y intéresse dans les milieux d'affaires et de banques où le problème de la confiance est essentiel. En revanche, la génération des économistes qui occupe les postes dirigeants de l'administration, de la politique, celle des professeurs, a été nourrie des
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critiques de Keynes contre l'étalon-or et les mécanismes classiques. Elle est convaincue d'avoir dépassé les erreurs du siècle dernier, responsables, pensent-ils, de la crise de 1930. Elle estime avoir contribué à une expansion de l'économie, des revenus, des niveaux de vie comme le monde n'en a jamais connue. Ces hommes sont révulsés par le reproche fait à cette expansion d'être en partie factice et instable parce que financée par des dettes impossibles à honorer, par l'idée de devoir revenir à des mécanismes détestés, à l'idée de donner raison aux spéculateurs sur l'or et au général de Gaulle. Et pourtant, ils se sentent très désarmés dans les crises actuelles. Il est loin d'être certain qu'une crise plus forte que les autres n'impose pas bientôt une réévaluation précipitée de l'or pour colmater une spéculation déchaînée. Ce plan ne serait adopté que comme une solution de désespoir par les Américains. Elle leur paraît immorale, humiliante. Un congrès démocrate devrait le voter sur la proposition d'un président républicain. Elle favoriserait l'Afrique du Sud dont les noirs détestent à bon droit la politique raciste, et l'U. R. S. S. qui n'a pas meilleure presse dans les milieux de droite ... On ira fort loin dans la crise avant d'accepter ce remède.
UNE VOIE NOUVELLE
Qu'il me soit permis, pour conclure cette histoire, de proposer une autre voie. La vitalité de la production et des échanges offre,
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dans l'économie mondiale, un saisissant contraste avec les symptômes d'une très grave maladie. Les crises que nous avons vécues récemment, la tendance générale à l'inflation, à la hausse des prix en témoignent. Nous voyons d'autre part se gripper l'un après l'autre des organes essentiels pour la santé de ce corps immense. - Si vous êtes Américain, citoyen du pays le plus riche du monde, vous ne pouvez plus à votre guise exporter des capitaux. - Si vous êtes Français, vous ne pouvez vous servir librement de vos francs si vous en avez besoin hors de l'hexagone. - Si vous voulez placer une part de vos avoirs en Allemagne ou en Suisse, toutes sortes d'obstacles vous en dissuaderont. - L'argent disponible abonde en Allemagne mais personne ne veut l'emprunter de peur d'avoir à rendre beaucoup plus qu'il n'a reçu car une réévaluation est vraisemblable. - Un pays aussi prospère que l'Allemagne a été plus ou moins contraint d'adopter un système de taux de change multiples, différent pour les marchandises et les capitaux, alors que tous les experts s'accordent à estimer que c'est une mauvaise solution. - On a dû instituer un système de double marché de l'or, empêcher par des menaces les banques centrales d'en acheter à l'Afrique du Sud et d'en vendre aux particuliers. Tout le monde sait que ce genre d'accord est instable. - Les dettes entre banques centrales se règlent peu en or parce qu'une pression s'exerce pour éviter les sorties d'or des États-Unis. On se contente d'ouvrir des
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crédits gagés sur de simples signatures, ce qui repousse le problème du paiement mais ne le résout pas. On consomme aujourd'hui. On paiera un autre jour. - D'énormes crédits sont accordés pour des raisons purement politiques, alors que leur opportunité ou leur solvabilité sont très discutables. - Les pays développés ont été obligés, pour boucler leurs comptes, d'emprunter depuis 1962, quelque quatre milliards de dollars aux pays sous-développés! (augmentation des réserves en devises du tiers monde). - L'or, seul moyen actuel d'éteindre les dettes entre banques centrales lorsque persiste le déséquilibre des balances de paiement, fuit des caisses officielles vers celles des particuliers. - Plus de 20 milliards de dollars de capitaux - les euro-dollars - évitent les circuits et réglementations officiels. La plupart ne s'investissent pas à long terme mais restent flottants : chaque semaine des milliards de dollars d'ordres de réemploi de ces fonds sont passés au gré des caprices de la conjoncture. - Malgré cette surabondance d'argent liquide, les taux d'intérêt atteignent des niveaux records. On paie 8 3/4 % à trois mois. Les grandes sociétés américaines paient 10 %. Pour alléger une telle charge, qui eût paru insupportable, les emprunteurs escomptent 4 ou 5 % de hausse des prix. Ce n'est pas sain. - Le logement, l'investissement se trouvent freinés par ces taux d'intérêt écrasants, ou bien les comptes ne sont équilibrés que par l'espoir de la hausse des prix. - Prêter de l'argent est devenu marché de dupe car le capital s'effrite. Garder de l'argent, de même. Ce sont des symptômes de maladie grave. Quel diagnostic porter? Il s'agit d'un cancer. Les dettes de
La
guerre
de
moufJement
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quelques banques centrales ne cessent de grossir et perturbent le fonctionnement des autres organes. Est-il impossible de résorber ces tumeurs, de liquider les menaces de crise actuelle, de retrouver un bon équilibre de l'économie mondiale et du système monétaire? Je le crois. Il suffirait de trouver le moyen de régler ces dettes de façon satisfaisante. Entre particuliers, elles peuvent s'éteindre soit d'une bonne soit d'une mauvaise façon. La bonne, c'est un transfert de propriété. La mauvaise, une faillite. La réévaluation de l'or serait une faillite partielle comme toute dévaluation. Elle sera nécessaire si les autorités monétaires ne parviennent pas à organiser un transfert libre et équitable de propriétés. Les propriétés les plus transférables, à notre époque, sont les valeurs industrielles, les actions et obligations des sociétés. Or, quand elles ont une dette persistante rune envers l'autre, les banques centrales ne peuvent pas les régler par des achats et ventes d'actions et obligations. Pour-. quoi? En partie pour des raisons historiques. Quand les règles auxquelles se conforment les banques. centrales ont été conçues, l'industrie était encore une aventure spéculative. Longtemps, de grandes crises ont remis en cause dans de très larges proportion!! la valeur des actions. Aujourd'hui, un portefeuille bien géré, bien réparti à l'échelle internationale est le moyen le moins imparfait de maintenir la valeur vraie d'un capital. D'autre part, les États considéraient encore leur solvabilité comme essentielle. Ils ne s'étaient pas imposé d'autres priorités: le plein emploi, l'expansion; ils ne s'étaient pas encore chargés de tâches démesurées. L'inflation systématique les tentait moins.
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Sous les règles encore en vigueur dans les banques centrales, on trouve cette croyance implicite: les seules valeurs sûres sont l'or et les créances portant la signature de grands États. C'est pourquoi les réserves officielles ne doivent rien comporter d'autre. Comme toutes les institutions- même les plus sacrées - les banques centrales doivent aujourd'hui repenser leurs structures, conserver l'essentiel et assouplir ce qui est périmé. Je propose une réforme du système monétaire mondial qui tiendrait en deux points : 10 Les banques centrales seraient autorisées à détenir, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un organisme associé, une part de leurs réserves sous forme d'un portefeuille de valeurs industrielles internationales actions et obligations - que leur passé, la qualité de la gestion des entreprises, leurs perspectives et leur prix permettent de tenir pour des placements sains. 20 Une limite serait imposée au montant des devises étrangères qu'une banque centrale peut conserver en réserve, limite qui ne pourrait être franchie que pendant deux ou trois mois. Cette réforme aurait des conséquences importantes qui pourraient se répartir en trois thèmes. Elle devrait d'abord permettre de liquider la crise actuelle. - Elle conduirait en effet à un allègement progressif des avoirs plus ou moins immobilisés en devises étrangères dans les banques centrales d'Allemagne, d'Italie, d'Autriche, de Suède, de Norvège, d'Australie, d'Arabie Séoudite, de Thaïlande, etc. Au fur et à mesure que le marché le permettrait, une part de ces dettes serait
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transformée en titres notamment américains, anglais, français. - D'emblée, les réserves en dollars ou en livres, actuellement bloquées dans une sorte d'impasse, puisqu'elles ne peuvent servir qu'à payer les déficits de ceux qui sont en excédent, retrouveraient un usage immédiatement possible, donc une valeur, même si l'achat d'un portefeuille de titres devait demander des années. - L'allègement des dettes américaines et anglaises, de la pression sur les réserves françaises permettrait de lever progressivement les restrictions aux échanges de capitaux. Du même coup, l'importance du marché parallèle qu'est l'euro-dollar diminuerait. L'incitation à spéculer serait réduite. - Un climat favorable à une bonne tenue durable des marchés financiers inciterait à s'investir à long terme beaucoup de capitaux flottants, ce qui stimulerait l'industrie et réduirait le risque de spéculation. - La situation des États-Unis apparaît saine dans la mesure où leurs déficits de paiement sont la contrepartie d'investissements industriels hors du pays. Il est normal de vendre des titres quand on exporte des capitaux. De même, les Anglais seraient amenés à amortir les balances sterling par la vente de titres représentant leurs investissements dans le Commonwealth. - Les capitaux nouveaux qui arriveraient sur les marchés détendraient les taux d'intérêt et soutiendraient une expansion saine. Je pense donc que cette réforme allégerait les tensions actuelles, même si la consolidation des dettes en valeurs industrielles demande nécessairement un assez long délai. Elle ne dispenserait pas les États de mener une politique équilibrée en matière de budget et de crédit, mais nous allons voir qu'elle les y inciterait.
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- Un second groupe de conséquences de cette rétorrp.e serait de contribuer à un meilleur équilibre de l'économie mondiale. - Un portefeuille de valeurs industrielles serait, aux mains des États et des banques centrales, un moyen très efficace d'agir contre l'inflation. En effet, lorsque les autorités monétaires voudraient restreindre les liquidités, elles pourraient vendre sur leur marché intérieur une part de ce portefeuille et stériliser l'argent ainsi recueilli. - Ces achats de valeurs industrielles auraient pour effet de renvoyer dans leur pays d'origine - moyennant une solide contrepartie - les devises non désirées qui alimentent l'inflation. Toutefois, le pays d'origine de ces devises devrait probablement, pour éviter une pression inflationniste, éponger ces liquidités par une politique de crédit appropriée. Chacun aurait à lutter contre sa propre inflation mais plus encore contre la contagion de celles des autres. - Les marchés financiers deviendraient plus s-.1rs et plus réguliers grâce à l'intervention d'investisseurs puissants préoccupés non d'un gain spéculatif mais de placements raisonnables. Cela contribuerait à un progrès continu des économies, à une expansion sans inflation, but jamais atteint des politiques actuelles. - Les réserves des banques centrales seraient certes exposées à des variations de valeur nominale mais, compte tenu de la tendance expansionniste des économies, de leurs intenses besoins de capitaux et des revenus qu'apporteraient les placements, les risques encourus seraient très raisonnablement limités à la baisse et des plus-values seraient très probables.
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La troisième série de conséquences concerne l'évolution du système monétaire international. - L'or cesserait d'être le seul moyen de règlement définitif du solde des balances de paiements. La demande en serait donc allégée. Il pourrait sans doute rester à son prix, tout en gardant son rôle de dernier recours de ceux qui se défient du système monétaire, donc de garant de la valeur des monnaies. - Le système des taux de change fixes serait consolidé. - Les dettes d'un pays à l'autre se régleraient par transfert d'une part des actifs très importants des différents pays. Elles ne représentent qu'une part très modeste des capitalisations boursières. - Quand les titres deviendraient trop chers, les banques centrales cesseraient d'en acheter. La limitation des avoirs en monnaies étrangères qu'elles pourraient détenir empêcherait de financer de nouveaux déficits par des crédits prolongés de banque à banque. Il faudrait à ce moment, pour régler les soldes, recourir aux mécanismes du Fonds monétaire. Ils impliquent, lorsque les découverts augmentent, un contrôle international de la réalité des efforts de redressement, contrôle souvent éludé aujourd'hui. Les pays seraient donc plus incités qu'il ne le sont à éviter l'inflation et à adopter un taux de change réaliste. - De même, quand ils ne seraient pas la contrepartie d'investissements extérieurs, les achats de titres par des banques centrales étrangères concrétiseraient pour les opinions publiques les dangers de l'inflation. Celles-ci seraient incitées à accepter les politiques d'austérité et les ajustements de parité nécessaires. Ce sont des conditions favorables à un bon fonctionnement du système monétaire international.
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Il nous faut maintenant examiner deux objections. D'abord les banques centrales doivent avoir leurs réserves très liquides. C'est parce que les marchés de Londres et de New York permettent de réaliser très vite de très grosses créances que la livre et le dollar sont devenus monnaies de réserve. Pour vendre sans perte de gros paquets de titres, il faut plus de temps. C'est vrai, mais la liquidité absolue de la totalité de l'actif n'est pas indispensable. Le problème de notre époque est beaucoup moins la liquidité que la solvabilité. Le système des swaps - qui resterait possible s'ils se liquidaient rapidement - peut permettre de résoudre en quelques heures tout problème de liquidité. La seconde objection, c'est que les banques centrales ne sont pas outillées pour traiter des opérations qui peuvent entraîner des plus - ou des moins - values. Elles sont obligées de reverser leurs gains et de demander le montant de leurs pertes aux Trésors publics. Sans doute serait-il nécessaire de revoir certaines règles, d'adapter le statut de ces institutions. Les experts en trouveraient très bien les moyens si la mission leur en est donnée. Si l'allègement des menaces qui pèsent actuellement sur l'économie mondiale ne coûte que cela ... En terminant cette proposltIOn, je voudrais insister sur ce qu'elle a de simple, de sain, de proche des solutions qu'a toujours suggérées le bon sens. Elle consiste à permettre que dans le circuit de l'échange et des paiements, un obstacle, un bouchon se résorbe, qu'on puisse payer ce qu'on achète avec de vraies valeurs. Elle consiste à revenir au mécanisme qui incite le paysan trop endetté à vendre un coin de son champ au
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VOISIn, quitte à le racheter quand le vent aura tourné. Elle consiste à concrétiser une certitude que nous avons tous: la valeur de la monnaie ne vient pas d'abord de l'or qu'on possède. Elle est bien plus réellement assise sur la puissance industrielle et la rentabilité des entreprises du pays. Si l'on n'en vient pas à une solution de ce genre qui permette d'éteindre les dettes, je crois qu'il faudra tôt ou tard se résigner, dans un moment de nervosité et de crise, à passer'l'éponge sur une part de ces créances par la réévaluation massive du prix de l'or, avec toutes les difficultés politiques qu'elle comporterait. Le crédit a toujours une fin. Il faut arriver à payer, ou bien un jour déclarer forfait. Et c'est sans doute ce que montrera le dénouement de cette histoire.
7
INTRODUCTION 1.
D'où ('ient notre système monétaire P
11
PREMIÈRE PARTIE
LA GUERRE DE POSITION II. III.
IV.
La bataille s'engage. Kennedy puis Johnson l'elancent la prospérité mais affaiblissent le dollar. De Gaulle relance l'or.
29
50 60
l>EUXIÈME PARTIE
LA GUERRE DE MOUVEMENT
v. La bataille de la lil're. La seconde cc l'ictoire » des spéculateurs: la fin du pool de l'or. VII. Stockholm ou l'or-papier. VIII. Mark contre franc. IX. Sous Richard Nixon, quelles l'oies sont oUl'ertes il
85
VI.
107 125 144
167
DU MÊME AUTEUR
HISTOIRE
DE
L'UNITÉ
LA
PERCÉE
DE
PréEace de Jean Idées ».)
EUROPÉENNE.
Monnet. (Ed. Gallimard, coll. L'ÉCONOMIE
Raymond Aron (Arthaud).
cc
FRANÇAISE.
Postface de
DERNIÈRES PARUTIONS
161. Claude Roy 162. Henri Lefebvre 163. 164. 165. 166. 167. 168. 169. 170. 171.
Gustave Cohen James Baldwin Sylvain Zegel M. Davranche et G. Fouchard A. de Tocqueville Sigmund Freud J.-M. Font et J.-C. Quiniou Roger Garaudy
172. U. Bergmann, R. Dutschke, W. Lefèvre et B. Rabehl 173. Paul Hazard 174. Paul Hazard 175. 176. 177. 178. 179. 180.
Raymond Aron Charles Péguy René Guénon Alain Lao Tseu A. Sakharov
181. 182. 183. 184. 185.
Albert Memmi Marcel Jouhandeau Paul Valéry Marc Ferro Sigmund Freud
Défense de la littérature. La l'ie quotidienne dans le monde moderne. La grande clarté du Moyen Age. ['ribunal Russell, Il. La prochaine fois, le feu. Les idées de mai. Enqu81e sur la jeunesse. De la démocratie en Amériquo: Ma l'ie et la psychanalyse. Les ordinateurs mythes et réalités. Pour un modèle français du socialisme. La rél'olte des étudiants allemands. La crise de la conscience européenne, tome I. La crise de la conscience européenne, tome II. L'opium des intellectuels. Notre jeunesse. La crise du monde moderne. Mars ou la guerre jugée. ['ao-Ta-King. La liberté intellectuelle en U. R. S. S. et la coexistence. Portrait d'un juif. Algèbre des l'aleurs morales. Monsieur Teste. La Grande Guerre 1914-1918. Le rêl'6 et son interprétation.
ACIlEV~
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AVRIL
PRESSES
D'IMPRIMER
1969 DE
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L'IMPRIMERIB
BUSSIÈRE, SAINT-AMAND (CHER)
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