Jacques GARELLO Georges LANE
FUTUR DES RETRAITES &
RETRAITES DU FUTUR III. La transition
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Jacques GARELLO Georges LANE
FUTUR DES RETRAITES &
RETRAITES DU FUTUR III. La transition
IREF CONTRIBUABLES ASSOCIES Éditeurs
L'IREF, Institut de Recherches Economiques et Fiscales, a été fondé en 2002 par des universitaires et des personnalités du monde des affaires pour observer et analyser les politiques économiques actuelles, en particulier dans une Europe confrontée aux défis de la mondialisation. L'IREF veut être l'un des acteurs d'un débat rigoureux et non partisan autour des réformes mises en œuvre dans l'espace européen. Au cœur de ces réformes, celles qui concernent la fiscalité sont déterminantes, car elles impliquent de véritables choix de société. Dans certains pays, dont la France, ces choix sont difficiles ou différés. L'IREF se propose de les éclairer. L'IREF a tenu des colloques dans l'Europe entière: Rome, 20 janvier 2004 : Fiscal federalism in the European Union. Paris, 24 avril 2004 : Le futur des impôts en Europe. Aix-en-Provence, 30 août 2004: La fiscalité et l'esprit
d'entreprise. Bruxelles,
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septembre
2005:
Public
Debt
today,
Unemployement tomorrow. Genève, 6 décembre 2005 : Dette publique aujourd'hui,
chômage demain. Prague, 23 avril 2006 : Taxation and Justice. Paris, 10 mai 2006: La flat tax: faire de l'Europe un
paradis fiscal. Lyon, 1er juin 2006 : Finances locales et décentralisation. Aix-en-Provence, 29 août 2006 : Concurrence ou harmoni-
sation fiscale en Europe? Turin, 13 mars 2007 : La loi Director: qui bénéficie des
transferts sociaux de l'État? Berlin, 9 novembre 2007 : La concurrence fiscale pour un
État responsable. Prague, 18 avril 2008 : European Tax : Bad or Good ? Zurich, 25 novembre 2008 : Steuerwettbewerb heute und
morgen (La concurrence fiscale aujourd'hui et demain).
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L'IREF a mené et publié plusieurs travaux scientifiques: La décentralisation fiscale (2003) V. Curzon-Price & J. Garello Taxation and Economie Growth (2005), D. Tohac, A. Robson Public Debt, Public Expenses and Growth (2005) P. Garello, P. Minford Taxation and Justice (2006) P. Orogvanylova, P. Bessard, D. Pellerin Finances et libertés locales (2006) G. Bramoullé Taxing Wealth - What for? (2007) J. Schnellenbach, P. Bagus, D. Pellerin European Tax: Bad or Good ? (2008) J. Toser, M. Trovato Taxation in Europe (2008) P. Garello & v.a. La loi Direktor (2008) : Qui profite de la redistribution des revenus? B. Lemennicier Tous les événements, travaux et rapports de l'IREF sont facilement accessibles sur le site (français et anglais) www.irefeurope.org. Ce site donne également accès à la plupart des statistiques et documents de base sur la fiscalité. Il commente les ouvrages récents sur la fiscalité et assure une véritable veille fiscale européenne grâce à son réseau de correspondants dans une trentaine de pays.
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CONTRIBUI\BlES
ASSOCIES _
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Contribuables Associés a tenu dès le départ à accompagner Jacques Garello et Georges Lane dans leur recherche sur la réforme des retraites en France. En effet, les contribuables français payent un lourd tribut à l'Etat, mais aussi à la Sécurité Sociale, car tout contribuable est aussi, par obligation légale, un « assujetti» à la Sécurité Sociale. Les excès de la fiscalité française ont la même origine que ceux de la protection sociale: bureaucratie, dépenses incontrôlées, secteur public pléthorique et privilégié, irresponsabilité généralisée. Ces excès sont d'autant moins tolérables pour le système de retraites qu'ils concernent un domaine où l'on peut facilement faire des économies substantielles en faisant appel à la capitalisation. Un
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grand nombre de nos pays partenaires ont amorcé, voire achevé cette transition de la répartition à la capitalisation - objet de ce troisième volume. Nos auteurs ont le mérite d'insister sur un aspect de la réforme qui est trop souvent négligé : changer de système n'est pas tellement une question technique qu'un problème politique. Comme pour la réduction des dépenses budgétaires de l'Etat, c'est le courage qui manque à nos hommes politiques. Ils ne savent pas résister aux pressions de ceux qui sont à l'abri de la faillite de la répartition: les salariés du secteur public, les fonctionnaires. Par exemple, l'alignement des retraites du public sur celles du privé ferait économiser 30 milliards par an, mais la volonté politique est absente. Pourtant, la vraie réforme des retraites, celle de la transition à la capitalisation aurait des effets bénéfiques pour notre économie. La France a le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde. La compétitivité. de nos entreprises et le pouvoir d'achat des salariés pourraient être stimulés d'un seul coup en diminuant les charges sociales, et en particulier celles des retraites, qui à elles seules amputent aujourd'hui la feuille de paye d'un smicard de 2 500 euros par an (l'équivalent de deux mois de son salaire net). Jacques Garello et Georges Lane tordent le cou aux mensonges qui associent la capitalisation et la crise financière actuelle et voient au contraire dans la transition une occasion de relancer l'économie, parce qu'elle permet de retrouver des valeurs sûres de la croissance: le travail, l'épargne et la responsabilité. Contribuables Associés partage la conclusion des auteurs: les Français soucieux de leur avenir doivent faire pression pour armer nos dirigeants du courage de réformer l'Etat Providence. Alain MATHIEU Président de
CONTRIBUABLES ASSOCIÉS
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PRÉFACE Avant de vous inviter à la lecture de ce nouvel ouvrage consacré au futur des retraites, nous voudrions dire combien nous sommes redevables à un homme hors du commun, notre ami José Piflera. Cet économiste a joué un rôle pionnier dans les reformes des régimes de retraite en gérant avec succès la transition qui a conduit son pays de la répartition à la capitalisation. Son pays, c'est le Chili, et il en était ministre du travail en 1980. Depuis cette expérience réussie on n'a rien trouvé de mieux en matière de transition. Tous ceux qui aujourd'hui s'interrogent sur le futur des retraites ont une dette à l'égard de cet innovateur, qui non seulement a «pris le taureau par les cornes» 1 mais a fait aussi oeuvre pédagogique en expliquant la technique de transition qu'il avait appliquée, de sorte que de nombreux pays (à commencer par ceux d' Amérique Latine) l'ont suivi. S'agit-il d'ailleurs d'une simple affaire technique 7 Le mérite de José Piflera - et nous avons choisi la voie qu'il indiquait - a été de mettre en avant deux élélnents majeurs de la transition, que l'on a tendance à passer ordinairement sous silence, peut-être parce qu'ils dérangent. La transition ne se ramène pas à un sitnple transfert financier et à une anticipation lucide du futur. La transition est une exigence impérieuse et une ouverture merveilleuse. L'exigence est celle du courage politique. C'est ce qui semble manquer le plus dans ces pays (peut-être le nôtre 7) où la classe politique est prisonnière des conservateurs et des idéologues. Les uns n'ont pas compris qu'il faut changer, les autres veulent tout renverser. Pour réussir la transition il faut d'abord dire la vérité un exercice périlleux pour les politiciens, il faut ensuite s'en tenir à des mesures fermes sans s'occuper des échéances électorales - un comportement presque héroïque, il faut enfin aimer profondément les petites gens et préserver leur avenir au lieu de les bercer d'illusion avec des promesses démagogiques, des réformes de façade et des effets d'annonce. Mais quelle extraordinaire ouverture sur une économie dynamique, et sur une société renaissante! La transition, c'est la 1. C'est le titre de l'ouvrage que José Piflera a publié en France l'an dernier Le Taureau par les cornes, traduction et préface de Jacob Arfwedson, ed. Charles Coquelin, Paris 2008
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meilleure relance qui soit. Elle utilise au mieux une épargne jusque là gaspillée, elle allège les charges sociales, accroît le pouvoir d'achat et la compétitivité des entreprises. Par-dessus tout, elle motive les gens, elle leur rend la dignité en même temps que la propriété de leur travail. Comme le dit Gary Becker2 la marche vers la capitalisation c'est un retour à l'épargne, c'est un retour au travail, c'est un retour à la responsabilité. Un vrai changement de société: d'une société d'assistés, condamnée à la stagnation et à la crise sociale et financière, vers une société prospère, permettant la protection des plus faibles, la promotion des plus entreprenants, et laissant à chacun le libre choix de son avenir, vers une société d'initiative et de vraie solidarité. Nous aimerions très sincèrement que le message et l'exemple de José Piflera soient connus et reçus de vous tous, qui êtes dans une légitime angoisse pour vos retraites actuelles et futures, et ne trouvez pas pour l'instant les réponses que vous attendez. Votre trouble est explicable: on ne vous a jamais dit la vérité, et vous n'avez pas le sentiment que le futur des retraites intéresse beaucoup les princes qui nous gouvernent, quel que soit leur parti. Pourquoi ces mensonges? Pourquoi ces silences? Ce qu'ont réussi José Piflera et ceux qui l'ont suivi nous encourage aujourd'hui à expliquer, à notre tour, comment la transition est à la fois nécessaire, praticable et riche en promesses pour toutes les générations. Jacques GARELLO Georges LANE 15 avril 2009
2. Prix Nobel d'économie 1992, dont les thèses sont évoquées dans le dernier chapitre de ce volume, p. 95-96.
AVERTISSEMENT AUX LECTEURS Ce volume est le dernier d'une trilogie consacrée aux retraites. Certains d'entre vous auront parcouru ou étudié les deux volumes précédents. Le premier était consacré au système actuel des retraites en France. Sa conclusion était claire et sans appel: ce système, fondé sur la répartition, n'a aucun avenir sinon celui de son inéluctable explosion. Le deuxième volume nous transportait hors de France, dans tous les pays dont certains sont aussi mal en point que le nôtre pour les mêmes raisons, mais dont plusieurs se sont engagés résolument dans la voie de la capitalisation. Quelques uns d'entre eux ont fait tout le chemin et en ont pratiquement terminé avec la répartition, réduite à un simple filet social. D'autres sont encore en route, et il est instructif de voir comment ils procèdent. Aucun n'a fait machine arrière. Ce volume, soumis maintenant à votre attention, devrait jouir des qualités que nous avions voulues pour les précédents: simplicité, qui n'exclut pas la rigueur, clarté, qui n'exclut pas la précision. La tâche était pourtant délicate. Notre travail est à notre connaissance inédit en France. C'est bien sur la transition que nous attendent tous les sceptiques de la réforme, tous les inconditionnels de la répartition. Il leur plairait que nos idées ne vous séduisent pas, ce qui pourrait se faire si de notre fait leur présentation n'était pas convaincante. Nous allons donc faire pour le mieux, parce que ces idées le valent bien. Nous commencerons par prendre acte des barrières qui se dressent devant la transition, au point qu'en général on y renonce bien vite après l'avoir envisagée. Les tenants du système actuel agitent volontiers le chiffon rouge de l'insécurité dans laquelle la capitalisation plongerait les assurés; par ces temps de crise c'est adroit, mais nous essaierons de vous persuader que la transition n'est pas un saut dans le vide, puisqu'elle offre aujourd'hui des garanties sérieuses et plus réalistes que celles que promet une répartition moribonde. Nous en viendrons alors au défilé des mannequins: toutes les formules techniques qui sont à disposition pour gérer la transition. Veut-on aller vite, ou progressivement? Veut-on faire appel au contribuable, ou non? Qui va prendre en charge les cotisations et
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comment leur capitalisation sera-t-elle organisée? On a l'embarras du choix, il faut trouver le vêtement le plus seyant aux assurés français. En réalité l'embarras du choix est surtout embarrassant pour les hommes politiques, qui ne veulent pas se lancer dans la réforme pour des raisons qui ne résistent pas à l'analyse. Comment leur donner un courage qu'ils n'ont pas? La réponse est peut-être dans les perspectives économiques ouvertes par la transition. Au lieu de se perdre dans des politiques de relance dont l'échec est déjà inscrit dans leur nature, les dirigeants devraient se rendre à une évidence: là où elle a été amorcée et développée, la transition a provoqué la plus belle relance qu'on pouvait espérer. Il y a une raison simple: elle redonne espoir pour l'avenir, elle fait renaître confiance et responsabilité. Ce sera à vous de tirer la conclusion: la transition ne peut réussir sans votre accord, sans votre mobilisation. Ce n'est pas avant tout l'affaire des hommes politiques, c'est l'affaire du peuple des assurés, cotisants, retraités et contribuables. Ayant été conquis à l'idée de la transition, il vous faudra ensuite y conduire les dirigeants. Il leur arrive d'écouter - surtout le chant des sirènes électorales. Nos efforts de présentation et de simplification ne doivent cependant pas priver ceux d'entre vous qui le désirent des informations et des argumentations scientifiquement établies qui sous-tendent le texte. Vous les trouverez en notes, en annexes, en bibliographie, et dans tous les renvois à des rapports, articles et ouvrages qui seront regroupés dans le site de l'IREF, www.irefeurope.org.
Chapitre 1
PLAIDOYER CONTRE LA TRANSITION A la lecture des deux volumes précédents, vous avez pris conscience de deux réalités indiscutables: 1° Le système actuel des retraites en France, fondé sur la répartition, est irrémédiablement condamné à l'explosion: les cotisations augmenteront, les pensions diminueront. En dépit des amendements introduits par les «réformes» successives, aucune amélioration durable n'est possible. Non seulement les retraités français seront ruinés, mais les charges sociales et l'ardoise léguée aux générations futures atteindront des niveaux catastrophiques. 2° De nombreux pays étrangers ont été dans la même situation que nous. Mais depuis dix ans (ou parfois vingt ou trente) un grand nombre d'entre eux ont réagi et fait évoluer leur système en introduisant des doses croissantes de capitalisation. Le « pilier» de la répartition a été renforcé par celui de régimes complémentaires en capitalisation, et mieux encore la capitalisation est devenue le nouveau pilier principal. Contrairement à l'idée entretenue par les défenseurs de la répartition, la crise financière mondiale n'a pas compromis l'avenir de la capitalisation. Reste maintenant à se demander comment on peut réaliser la transition de la répartition à la capitalisation en France.
1. DE BONNES RAISONS DE RENONCER La transition n'est pas chose facile, les pays étrangers l'ont vécue dans la douleur et dans le trouble: les sacrifices imposés ne portent leurs fruits que plusieurs années plus tard. Exception française : chez nous les difficultés apparentes sont telles qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux renoncer au lieu de penser à réformer. Les raisons de renoncer sont à la fois techniques, politiques et économiques. Du point de vue technique, la France accumule les handicaps de la transition: un pays vieillissant où la durée de vie
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active est relativement courte, des niveaux élevés de pensions, des réserves patrimoniales épuisées, un endettement très lourd. Tout d'abord c'est un pays vieillissant, et il ne faut guère espérer un brusque afflux de cotisants en mesure de payer la retraite des personnes âgées. Peut-être une immigration massive semblerait-elle régler le problème, en augmentant soudainement le nombre d'actifs cotisants, mais les immigrés deviendraient à leur tour des retraités dans l'espace d'une génération, et on n'aurait repoussé le déséquilibre que très provisoirement. De plus d'autres problèmes d'éducation, de logement, d'emploi et de culture accompagneraient une telle immigration. Ensuite la France est un pays où la durée de la vie active est parmi les plus courtes au monde. «Raccourcie à la tête, raccourcie à la queue », disait Albert Sauvy. On se met au travail plus tard qu'ailleurs, et on cesse son activité plus tôt qu'ailleurs. Sans doute le prolongement de la scolarité et des études supérieures est-il un « investissement en capital humain », dont les bénéfices pour la nation entière devraient se faire sentir plus tard: la concurrence mondiale ne donne-t-elle pas aujourd'hui une prime à la matière grise aussi importante que celle que procurent des ressources naturelles? On n'a pas de pétrole, mais on a des idées. Malheureusement, du fait de l'inadéquation (constatée par tous) de la première formation, les idées sont assez creuses et les jeunes n'ont pas une qualification significativement plus poussée qu'ailleurs; de la sorte ils ne trouvent un emploi qu'avec un retard important, et le taux de chômage des moins de 25 ans est l'un des plus élevés de l'Union Européenne. Quant au départ à la retraite, jusqu'à une période récente, il était le plus précoce s'agissant de l'âge légal, et le travail des seniors a du mal à faire une percée. De nombreux régimes « spéciaux» demeurent (pour les salariés des entreprises publiques notamment) et le privilège d'une retraite à 55 ans, voire même avant, a été à ce jour défendu avec efficacité par ceux qui en bénéficient. Partir plus tôt à la retraite, c'est raccourcir le nombre d'années où l'on cotise, mais c'est aussi allonger la période pendant laquelle on sera pensionné. Aujourd'hui cette période dépasse les vingt ans - une vraie tranche de vie: évolution heureuse à plusieurs égards, mais qui crée des difficultés financières insurmontables.
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2. AVONS-NOUS LES MOYENS FINANCIERS DE LA TRANSITION? En effet, les Français ont jusqu'à présent bénéficié d'un système considéré comme «assez généreux». Le niveau des retraites, surtout pour les fonctionnaires, paraît assez proche de celui des revenus d'activité. Mais il ne faut pas s'arrêter à cette première impression. D'une part, le « taux de remplacement» (proportion entre la pension du retraité et le revenu qu'il avait quand il était actif) n'est pas aussi élevé que les statistiques officielles le font apparaître (parce qu'elles le calculent sur le salaire net et non sur le salaire complet)3. D'autre part, le rapport entre les cotisations et les pensions est particulièrement élevé, un vice qui est dû évidemment à la logique de la répartition (les sommes versées au titre de l'assurance vieillesse ne rapportent rien). Le système est peut-être généreux, il est assurément très coûteux. Coûteux pour les assurés, il l'est aussi pour «l'assureur Sécurité Sociale». Comme la répartition creuse chaque année davantage les déficits de l'assurance vieillesse - qui viennent s'ajouter aux déficits de l'assurance maladie - ce sont des milliards d'euros que la Sécurité Sociale doit se préparer à payer au cours des décennies prochaines. Ces milliards représentent le total des droits acquis par les Français actuellement en activité, qui s'attendent évidemment à les récupérer tout au long des années où leur vie de retraité se prolongera. Les sommes ainsi accumulées sont tellement pharamineuses qu'elles paraissent irréelles: elles sont estimées entre 4 000 et 6 000 milliards d'euros. Cela veut dire que si du jour au lendemain la Sécurité Sociale voulait se dégager des obligations qu'elle a contractées à l'égard des retraités actuels et futurs - par exemple pour liquider le régime par répartition en épongeant toute l'ardoise - elle devrait trouver la valeur de 3 à 4 PIB (produit intérieur brut), ce qui signifie que les Français 3. La différence est spectaculaire. Selon un Rapport du Gouvernement (décembre 2007, pp.64-65), pour une carrière complète entièrement cotisée à taux plein au SMIC, le taux de remplacement en terme de SMIC net se situe entre 63,7 % (pour le régime général avec exonération de CSG) et 59,1 % (pour le RG avec CSG à taux plein). En termes de salaire complet le taux est environ de 40 %. Sur le concept de salaire complet et sur ce point capital du taux de remplacement on se réfèrera à notre Tome 1 chapitre II pp. 54-60 et annexes A et B pp.70-74, ainsi qu'à notre annexe A, infra pp. 117-118.
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devraient consacrer jusqu'à 4 années pleines de leur activité pour régler la note, quatre années pendant lesquelles toute la richesse créée dans le pays serait uniquement affectée au rachat des droits acquis, sans que l'on puisse consommer ou investir le moindre centime. Cette seule considération permet à beaucoup de personnes de balayer d'un revers de main la transition à la capitalisation, prenant argument de ce que l'on s'est trop avancé dans le processus de la répartition pour pouvoir maintenant faire machine arrière. Cet argument est d'autant plus fort que la France ne peut compter apparemment sur aucune recette extraordinaire pour éponger l'ardoise. On a constaté que dans certains pays, comme le Chili, le gouvernement a pu totalement stopper le processus de répartition en puisant dans des ressources patrimoniales très importantes. On y a privatisé les entreprises publiques, et le produit de la vente a permis à l'État de financer sans problème la transition, d'autant plus que l'ardoise n'était pas très lourde, les retraités chiliens n'ayant pas des retraites très élevées. En France, les privatisations depuis 1986 ont rapporté énormément à l'État, sans doute plus de 2 000 milliards d'euros, mais cette « cagnotte» s'est envolée en fumée. Elle a permis d'engager un surplus de dépenses de fonctionnement et de masquer les déficits budgétaires. Il resterait encore la solution de l'endettement: on pourrait emprunter pour rembourser les droits acquis par les retraités actuels et futurs. Mais l'endettement a atteint un tel niveau que l'État français, et par voie de conséquence la Sécurité Sociale, sera bientôt déclassé par les agences de notation, et ceux qui sont considérés comme de mauvais payeurs ne peuvent emprunter sur le marché financier mondial qu'à des taux d'intérêt très vite prohibitifs. Que l'on se rappelle que la seule dette de l'État français se monte officiellement à 70 % du PIB (1.000 milliards d'euros) mais en réalité à près de 2.000 milliards (pour tenir compte des «droits acquis» par les fonctionnaires pour leur retraite, droits couverts par le budget courant de l'État). Quant à la dette de la Sécurité Sociale, en dépit de l'invention de l'impôt appelé CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale) elle est encore plus élevée que celle de l'État4 ! 4. Sur l'endettement des finances publiques française, on se réfèrera au rapport publié en 2007 par l'IREF : L'endettement de l'État: stratégie de croissance ou myopie insouciante? Pierre GARELLO & Vesselina SPASSOVA www .irefeurope.org
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Actuellement, pour faire face aux dépenses et aux déficits croissants de la Sécurité Sociale (qui auront atteint pratiquement 20 milliards en 2008), le Parlement vote un budget de l'État en déficit (plus de 100 milliards d'euros en 2009) lui-même couvert par un endettement nouveau. Ce procédé ruineux est cumulatif, puisque le service de la dette (le paiement des intérêts) est la deuxième dépense de l'État, avec près de 17 % du budget. On paie les dettes antérieures en faisant des dettes nouvelles. On appelle cela de la « cavalerie ». « L'État est en faillite» avait dit le Premier ministre dans un sympathique élan de sincérité au début de son mandat. Aujourd'hui la faillite n'effraie plus personne. Quand les médias familiarisent les citoyens avec des milliers de dollars injectés par les États-Unis et les autres, les quelque 2 000 ou 3 000 ou 4 000 milliards de dette publique française n'impressionnent plus. « Après nous le déluge» : on verra bien ... Ainsi les gouvernements se sont-ils résignés à faire du replâtrage, à creuser des trous pour en combler d'autres. Ils multiplient les réformes qualifiées de « paramétriques », celles qui prétendent améliorer le système de répartition en modifiant sensiblement les données quantitatives du problème: on touche le paramètre de l'âge légal de la retraite, ou le paramètre du calcul des pensions, ou du montant des cotisations. Mais ils se sont refusés à ce jour à pratiquer les réformes «systémiques », celles qui remettent en cause le système par répartition et permettent d'amorcer et de réussir la transition à la capitalisation. La discussion ne va pas plus loin: la transition ne peut s'envisager parce qu'elle est techniquement impraticable. Ainsi conclut régulièrement le Conseil d'Orientation des Retraites, qui n'ignore rien de la situation, mais qui pense qu'on ne peut rien y faire.
3. CEUX QUI N'ONT PAS INTERÊT AU CHANGEMENT Si les réformes systémiques ne sont pas tentées en France, ce n'est pas seulement pour des raisons techniques. Ces raisons constituent un alibi commode, une excuse toute trouvée pour l'immobilisme. Les réactions violentes enregistrées au moment de la tentative de réforme des « régimes spéciaux» et la façon dont s'est comporté le gouvernement montrent bien qu'il y a d'autres raisons,
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politiques celles-ci, au rejet des réformes systémiques: les intérêts catégoriels d'une part, les mœurs politiques françaises d'autre part. Dans le pays qui a pour devise et pour obsession l'égalité, il n'y a rien de plus inégalitaire que le système des retraites. Nous avons consacré notre étude de façon presque exclusive à ce que l'on appelle le «régime général ». Il concerne aujourd'hui 12 millions de retraités et 17 millions d'actifs, tous salariés du secteur privé ou entrepreneurs individuels, ou exerçant des professions libérales, ou vivant des revenus de leur patrimoine. Par là même nous avons écarté les salariés des administrations publiques (État, collectivités locales, hôpitaux publics) soumis au fameux « statut de la fonction publique », ainsi que les salariés des entreprises publiques. Par la force de la loi (on dira même par un coup d'État) la population française a été ainsi coupée en deux s'agissant du régime des retraites. Il y a ceux qui sont du bon côté. Les salariés des entreprises publiques bénéficient de divers «régimes spéciaux» avantageux mais toujours plus intéressants que les régimes de retraites des fonctionnaires. Mais, à leur tour, les fonctionnaires bénéficient de régimes bien plus favorables que ceux qui régissent les salariés du secteur privé, qui sont donc du mauvais côté. C'est eux qui sont menacés par l'explosion du système de répartition. C'est eux qui ont un intérêt majeur à la transition, avant que l'explosion ne se produise. Mais sur la route de la transition se dressent immédiatement ceux qui sont du bon côté. Leurs retraites sont subventionnées par les impôts et (dans une certaine mesure) les charges sociales sont payées par le reste de la population. Quand on parle de « répartition» on ne devrait pas omettre qu'il y a aussi une curieuse répartition des charges et bénéfices entre les Français, une redistribution des uns au profit des autres. Rien ne justifie cette redistribution, si ce n'est la pression politique qui a présidé à la naissance des privilèges et à leur maintien. Quand les électriciens ou les cheminots sont menacés de voir leurs régimes « spéciaux» alignés sur celui de la fonction publique, pourtant bien plus avantageux que le régime général, ils savent organiser la résistance, et désarmer le Parlement et le gouvernement pour qu'ils renoncent à l'essentiel des réformes. L'égalité devant la loi n'est donc pas assurée, la France est et demeure le pays des privilèges. Priva lex, loi privée, privilège: des centaines de milliers de Français ne sont pas soumis à la loi
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publique mais bénéficient d'une loi privée, taillée à la mesure des intérêts de leur corporation. Cependant il serait exagéré de dire que ces Français sont hors la loi. Ils agissent apparemment en pleine légalité, pour faire appliquer des textes qui ont bien été jadis légalement édictés. On en oublie peut-être que la façon dont le droit est produit en France est assez surprenante, s'agissant d'une grande démocratie.
4. D'OU VIENNENT CES PRIVILÈGES? Une autre raison politique tient en effet aux déviations de la démocratie française. Certaines de ces déviations sont couramment évoquées. On déplore par exemple que le Parlement ne fasse pas réellement le travail de législateur qui est naturellement le sien, puisque les textes qui lui sont soumis sont préparés dans plus de neuf cas sur dix par le gouvernement, et plus précisément par le corps des fonctionnaires des divers ministères. La discussion des textes et leur amendement sont tenus dans d'étroites limites, le gouvernement demandant à sa majorité parlementaire de retirer ce qui ne lui plaît pas, ou recourant au vote bloqué. Ainsi les députés et les sénateurs sont-ils dans l'impossibilité d'infléchir les grandes orientations politiques, définies par le seul pouvoir exécutif, et le plus souvent par le seul pouvoir présidentiel. Ces vices constitutionnels ont été régulièrement relevés, mais n'ont jamais disparu depuis le début de la Cinquième République. Les quelques révisions envisagées ont été purement formelles et sont tombées en désuétude. Depuis quelques mois, le climat de crise économique et financière instaure un «état d'urgence» qui semble légitimer un renforcement de la centralisation politique. On pourrait en déduire qu'un pouvoir fort est en mesure d'imposer les réformes nécessaires. Mais il n'en est rien. Car si la démocratie française a pour premier trait la concentration du pouvoir politique, elle a pour seconde caractéristique
l'impuissance du pouvoir politique face aux pressions corporatives parfaitement illustrées par l'action syndicale. De la sorte, si la loi ne se fait pas au Parlement, elle ne se fait pas non plus à l'Élysée, elle se fait dans la rue. A propos d'une réforme assez prometteuse, celle du CPE (Contrat Première Embauche) on a vu un texte de loi voté par le Parlement et promulgué par le Président retiré purement et simplement pour calmer les
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manifestations de lycéens. Il n'est pas besoin de préciser que le lTIême comportement est périodiquement observé chaque fois qu'il s'agit de réformer sérieusement les retraites. Car toute réforme sérieuse met en péril les privilèges dont jouissent les Français qui sont « du bon côté» et qui sont maîtres du pavé. La France ne vit donc pas en état de droit. Une législation sociale inégale et injuste est apparue et se développe sous la seule pression de minorités organisées. La place occupée par les leaders syndicaux dans la vie publique et dans les médias est sans rapport avec leur représentativité. Ces syndicalistes sont élus par moins de 5 % des salariés au nom desquels ils s'expriment (encore la moyenne est-elle relevée par le secteur public où 15 % des salariés sont syndiqués). Mais ils sont capables de mobiliser assez de salariés (surtout des fonctionnaires), et de manipuler assez d'étudiants et de lycéens pour organiser de grandes manifestations et faire plier les dirigeants. L'ardeur syndicale à ne rien changer dans le système de retraites n'a évidemment rien à voir avec la défense des intérêts des assurés. Comme vous le comprenez les salariés soumis au régime général n'auraient qu'avantages à une vraie transition. Mais toucher à l'organisation actuelle de l'assurance vieillesse représente un risque incommensurable pour les leaders syndicaux. En effet ils ont obtenu une position dominante dans les caisses, et les rouages de la Sécurité Sociale leur permettent d'avoir des emplois et surtout des ressources financières qui leur permettent de vivre et faire vivre confortablement. Les syndicats sont gérés comme une firme à la recherche de profit, à la différence près qu'une entreprise privée doit affronter la concurrence et se plier aux indications du marché, tandis que la firme syndicale bénéficie d'un monopole et d'un marché captif.
5. TOUJOURS PENSER AUX PROCHAINES ÉLECTIONS Peut-on tenir rigueur aux dirigeants, et plus généralement aux hOlTIlTIeS politiques, pour leur passivité, leur résignation et leurs abandons? Peut-on leur reprocher d'être si sensibles aux pressions des syndicats et des lobbies? Les déviations que nous avons repérées dans la démocratie française se retrouvent aussi dans de nombreux pays, et tiennent à une logique du comportement des hommes politiques, bien
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analysée par les économistes de l'école des «public choice». Partout les hommes politiques sont sous la coupe de minorités qui font l'assaut du pouvoir. Remarquons au passage que si les « lobbyistes » existent partout, leur démarche est en général tout à fait officialisée et légalisée (comme à Washington ou à Bruxelles) alors que les lobbyistes français n'hésitent pas à recourir à la violence et sont le plus souvent dans l'illégalité - impunie d'ailleurs. Mais il est inéluctable que le jeu politique pousse tous les politiciens à privilégier le court terme plutôt que les projets de longue période. Les politiciens vivent en effet au rythme du calendrier électoral. Leur horizon va rarement au-delà de la prochaine consultation où ils espèrent conserver ou conquérir le pouvoir national ou local. Le paradoxe est qu'ils prétendent en même temps préparer l'avenir de la nation. Ce qui caractérise en théorie l'État est la continuité du pouvoir: le roi est mort, vive le roi. Ce qui caractérise en réalité les hommes d'État c'est leur inconstance en fonction du climat politique, des sondages, des chances qu'ils ont de passer le prochain cap électoral. Ils naviguent de cap en cap, ils travaillent au coup par coup. Voilà pourquoi ils ont une préférence pour le court terme, et une aversion pour le long terme. Ils ne veulent donc pas prendre de décisions ni engager des réformes qui pourraient passer pour impopulaires ou douloureuses dans l'immédiat même si elles sont en fait urgentes et salutaires pour tous. Ces non-choix à courte vue auront de lourdes conséquences à la longue. Au minimum, ils créeront durablement toutes les conditions de l'immobilisme et du chaos, ils contribueront à la « tyrannie du statu quo ». Les avatars de la démocratie peuvent être accentués ou atténués par les dispositions constitutionnelles. On ne peut pas dire que la Constitution de la va République et les amendements qu'elle a reçus soient gages de sérénité. L'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le quinquennat qui lie étroitement le sort de l'Assemblée Nationale à celui du Président, la multiplication des échelons politiques impliquant la multiplication des consultations: tout cela concourt à renforcer chez les hommes politiques l'idée qu'ils doivent absolument faire quelque chose dans l'immédiat pour préparer la prochaine élection. Cette tendance naturelle est renforcée par la mode, si répandue en France, du pragmatisme. Le pragmatisme a l'avantage de permettre de retourner sa veste et de changer de ligne au hasard des manifestations, des sondages et du
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calendrier. Le dogme est bien encombrant: avoir de fermes convictions et s'y tenir empêche de jouer avec l'opinion publique au gré de l'actualité économique, sociale ou internationale. Tout programme politique sérieux passe pour une «idéologie ». Il est sain que l'on condamne des idéologies dangereuses et totalitaires, comme le communisme, le nationalisme, le collectivisme ou l'étatisme - elles vont souvent de pair d'ailleurs. Mais il est malsain de condamner la doctrine, et d'empêcher les électeurs de savoir quelles seront les priorités dans les années à venir, et quelles décisions ou réformes majeures on introduira. La doctrine est d'ailleurs gênante à un autre point de vue: elle risque de heurter les électeurs hésitants. Présenter un programlne qui est visiblement d'un bord c'est se priver de la voix des électeurs qui ne savent pas de quel bord ils sont. C'est dans le marais du centrisme que s'enlise l'action politique. Les considérations précédentes étaient nécessaires pour éclairer toute réflexion sur la réforme des systèmes de retraites. Car ces données politiques expliquent mieux que toute autre pourquoi certains dossiers ne sont jalnais ouverts, et pourquoi à leur sujet les dirigeants successifs se sont cantonnés dans des mesures publicitaires et des effets d'annonce se refusant à «prendre le taureau par les cornes »5 La réforme des retraites est l'un de ces dossiers, tout comme la réforme du systèlne de santé ou de l'éducation nationale.
6. RENDEZ-VOUS APRÈS LA CRISE Les adversaires de la transition sont d'autant moins tentés de la mettre en chantier qu'ils sont occupés à lutter contre la crise. Ainsi les raisons économiques viennent-elles s'ajouter aux raisons techniques et politiques pour renvoyer la réforme des retraites aux calendes grecques. La lutte contre la crise est organisée en France, comme dans la quasi-totalité des pays, suivant les principes dits « keynésiens ». On applique à l'économie des remèdes de cheval, à effets immédiats, estimant que l'injection de quelques dizaines ou 5. Titre de l'ouvrage récent du grand réformateur des retraites qu'a été José Piflera, qui a bien insisté sur la difficulté qu'il a eue au Chili pour vaincre les réticences des hommes politiques et des syndicalistes. Cf. José PrNERA. Le taureau par les cornes, éditions Charles Coquelin, Paris 2008.
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centaines de milliards peut permettre une relance. La théorie de Keynes, présentée par son auteur même comme une analyse de courte période conduisant à une politique à court terme, repose sur la croyance qu'une économie peut toujours redémarrer si l'État «réamorce la pompe », si les dépenses publiques remplissent les carnets de commande des entreprises et sauvent l'emploi. Évidemment les keynésiens se demandent rarement où trouver l'argent pour financer les dépenses publiques. Si on ne l'a pas, il n'y a qu'à l'emprunter ou - encore mieux - à le fabriquer (les banques centrales sont là pour çà). On verra bien plus tard comment ces déficits et cet endettement pourront se régler, mais peu importe puisque entre temps le plein emploi sera revenu et la crIse vaIncue. La crise persuade aussi les dirigeants qu'il faut il tout prix préserver la «paix sociale». Le chômage s'accroissant, le pouvoir d'achat diminuant, les réactions sont vives dans la population. Ces légitimes désarrois sont savamment exploités par les leaders syndicaux, trop heureux de renforcer leur pouvoir. Dans ce contexte, il n'est évidemment pas question de parler de ce qui fâche. Mettre en chantier la transition serait un casus belli, une véritable provocation. De la sorte, lnême ceux qui ont conscience de la fatalité de l'explosion de la répartition ne peuvent la remettre en cause. L'explosion se produira dans cinq ans ou plus tard (indiquer une échéance précise est déraisonnable, il suffit de savoir que l'échéance est certaine), et appellerait une action en urgence dès aujourd'hui, mais comment faire passer en 2009 des mesures qui ne prendront effet qu'en 2015 ou plus tard, alors même que tout le monde est inquiet pour le lendemain ? On se dit qu'on peut se donner rendez-vous après la crise pour ouvrir les grands dossiers. Pour l'instant il y a urgence. Le problème est que tout retard pris dans le processus de transition le rend encore plus difficile et coûteux. Martin Feldstein avait calculé que chaque année perdue augmentait d'un trimestre la durée globale de la transition qui d'après son plan s'établirait déjà à quelque 70 ans 6. Finalement, au moment où tous les Français sont soucieux de leur avenir immédiat, peut-on leur parler des nuages qui s'amoncellent à l'horizon lointain? Quand la crise financière est ouverte et les fonds de pension en perte, est-il opportun de leur parler de capitalisation ? 6. cf infra p. 37-38.
22 Ceux qui bénéficient des privilèges actuels et tirent avantage de la répartition ne tnanquent pas de considérer la transition comme une utopie. Mais vous, qui appartenez à la masse des assurés assujettis au régime général de la Sécurité Sociale, vous qui feriez une bonne affaire avec la transition, pourquoi vous laisser dire que la transition est dangereuse? Si vous êtes parmi ces millions de Français sur le point d'être ruinés, nous nous faisons un devoir d'éclairer le processus de transition, qui n'a rien de tnystérieux ni de dangereux. Nous pouvons vous démontrer qu'en dépit des «bonnes» raisons techniques, politiques et économiques, invoquées par les adversaires ou les sceptiques de la transition, il ne faut pas la craindre, il faut la souhaiter.
Chapitre 2
LA TRANSITION, UN SAUT DANS LE VIDE? Les bons résultats obtenus dans les pays qui ont accepté la transition vers la capitalisation seraient-ils assez convaincants pour des Français? D'abord la plupart des Français les ignorent complètement, les médias se sont bien gardés de les présenter et de les comn1enter (si ce n'est parfois pour les caricaturer, comme avec Enron, Maxwell, Madoff, etc.) Ensuite, ceux qui connaissent les expériences étrangères sont persuadés qu'elles ne peuvent être transposées à la France, pour de multiples raisons évoquées dans le chapitre précédent. Enfin ils n'ont pas une compréhension suffisante des modalités de la transition pour être pleinement rassurés, et ils craignent confusément que la transition soit longue, douloureuse, et incertaine. La transition serait un saut dans le vide. Qui veut sauter? Avant toutes choses, il faut avoir à l'esprit que toute transition doit apporter aux retraités actuels et futurs des certitudes absolues, des garanties totales. S'il y a un saut dans le futur, il y a aussi des parachutes.
1. LES GARANTIES APPORTÉES AUX RETRAITÉS ACTUELS La première certitude est que nul assuré ne rIsque de se retrouver un jour sans ressource. 1° Un «filet social» existera toujours pour empêcher les plus démunis de se retrouver à la retraite sans ressources. Les plus démunis sont ceux qui par exemple n'ont pas pu souscrire à un contrat en capitalisation, ou qui n'ont pas beaucoup d'années de cotisations validées. 2° Ceux qui sont actuellement à la retraite ne perdent rien. Ils ont cotisé toute leur vie pour avoir une pension, on ne peut les en priver du jour au lendemain. Il est possible qu'à la suite de la transition leur pension soit réduite par rapport à ce qu'ils étaient en droit d'attendre quand ils sont entrés dans le système par répartition, mais leur pension ne devra jamais tomber en dessous
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du niveau que la Sécurité Sociale serait en mesure de rembourser. Il leur sera garanti au moins autant que ce que la sécurité Sociale pourra leur donner. Ici trois possibilités sont ouvertes, suivant le scénario de transition choisi: 1° un scénario « minimum» : dans l'état actuel des finances de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse, l'assuré connaît le montant de la pension qu'il s'attend à toucher. Supposons que ce soit 1.000 euros par mois? Mais ce montant, calculé aujourd'hui, est purement théorique, car les «droits acquis» ne sont pas exprimés en euros, la Sécurité Sociale ne s'est jamais engagée sur un montant 8• Elle a toute latitude pour diminuer (ou éventuellement) augmenter le montant en modifiant à sa guise les paramètres et le mode du calcul des retraites. Comme la faillite de la répartition laisse prévoir une réduction progressive mais drastique des pensions, son montant véritable pourrait tomber par exemple à 700 euros en 2015 9 . Dans le scénario minimum, il est garanti que la transition débouchera sur ce montant de 700 euros en 2015. Jamais le retraité ne perdra plus que les 300 euros que la Sécurité Sociale peut lui faire perdre. 2° un scénario «réassurance»: sous certaines hypothèses concernant l'effort demandé aux actifs actuels, la transition peut conduire à couvrir totalement l'assuré actuel contre le risque de défaillance de la Sécurité Sociale. La pension versée au retraité sera donc de 1 000 euros, égale aux droits que le retraité avait acquis dans le système par répartition. La transition réalise pleinement les promesses que la Sécurité Sociale est incapable de tenir. 3 ° un scénario intermédiaire: où la couverture de la défaillance de la sécurité Sociale n'est que partielle: par exemple les assurés touchent entre 700 et 1 000 euros par mois.
7. Montant grosso modo médian dans le système actuel. 8. Par exemple, en février 1996, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que, dans un système de retraites par répartition, les retraités n'avaient pas de droit acquis sur le montant de leur pension. Le tribunal a affinné que si le retraité avait un droit acquis à une pension, il ne pouvait revendiquer un droit acquis au montant de celle-ci. 9. Nombre proche du minimum vieillesse actuel.
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2. LES AVANTAGES OUVERTS AUX RETRAITÉS FUTURS Abandonnons les retraités actuels pour nous intéresser aux actifs d'aujourd'hui, retraités futurs. En ce qui les concerne, voici une nouvelle certitude: ils auront des pensions supérieures à celles que la Sécurité Sociale pourrait éventuellement leur verser. Cette certitude provient d'abord du pronostic fatal de la faillite du système par répartition. Comme nous l'avons expliqué et démontré, chiffres en mains lO , le rapport entre la population des actifs et celle des retraités est déjà tel que l'équilibre du système est impossible, et que le déséquilibre ira croissant. L'amputation des pensions sera comprise entre 20 et 40 % suivant la politique menée pour les cotisations et le mode de calcul des retraites (mesures paramétriques qui ont à ce jour la faveur des gouvernelnents français). Il est donc certain que les droits acquis par les actifs actuels ne seront pas honorés. L'avantage de la transition, c'est d'éviter cette perte imparable. Ensuite, on sait que la capitalisation fait « des miracles ». En quelques années, l'épargne placée à un taux moyen permet de constituer un capital impressionnant. Sur la base d'un salaire net annuel de 12 000 euros environ, le système par .répartition ouvre droit à une rente de 16 000 euros au maximum, alors que la capitalisation pendant 30 ans rapporte une rente qui va de Il 000 à 48 000 euros 11 • Pour des salaires plus élevés, la capitalisation pendant seulement 20 ans est jusqu'à 8 fois plus rentable que la répartition ! Cela signifie qu'il est possible pour les personnes actuellement actives de préparer une pension confortable en un minimum de temps. Si on les autorise à cotiser pendant vingt ans en versant leur argent dans un fonds de pension au lieu de le mettre dans le tiroircaisse de la Sécurité Sociale, le moment venu de l'âge de la retraite ils auront largement dépassé le montant de ce qu'ils auraient touché en restant « assujettis» à leurs Caisses d'Assurance Vieillesse. Dans une version moins «brutale », si on les autorise à distraire deux ou trois points de leurs cotisations pour les affecter à 1O. Cf. Le futur de la répartition, tome l, chapitre 1er : La faillite. Il. Les calculs sont faits dans notre volume II Les retraites du futur: la capitalisation, p.198.
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la capitalisation, ils auront réussi à cOlnpenser tout ou partie des pertes qu'ils ne manqueront pas de subir avec le systèlne public obligatoire par répartition. C'est d'ailleurs une mesure qui a été prise dans de nombreux pays qui ont réformé leur système de retraite 12. C'est aussi le principe des complémentaires par capitalisation (<< deuxième pilier») 13.
3. PAYER DEUX FOIS POUR SA RETRAITE? Mais les complémentaires ne reviennent-elles pas à payer deux fois pour sa retraite? Si le «premier pilier» en répartition était suffisant pour assurer des pensions correctes, pourquoi être obligé de le conforter par un deuxième pilier en capitalisation? Cette interrogation devient encore plus pressante quand on envisage certaines modalités de la transition. Souvent, ce qui fait peur, c'est la perspective du « double fardeau ». On fait remarquer, à juste titre, que la transition amène les personnes en activité à payer deux fois: l'une pour abonder leur fonds de pension (capitalisation), l'autre pour éponger les droits acquis par leurs aînés (répartition). N'aurait-on pas, à nouveau, sacrifié les jeunes générations au profit des seniors? L'inquiétude grandit quand on prend conscience du montant de l'ardoise, de tout ce qu'il faut verser pour servir leurs pensions aux retraités actuels et futurs pour honorer leurs droits acquis. N'est-ce pas demander un sacrifice trop lourd à une seule génération ? Plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet, de nature à désamorcer cette bombe du « double fardeau ». S'il est vrai que les actifs d'aujourd'hui, du fait de la transition, sont amenés à accroître leurs contributions dans l'immédiat, c'est toutefois dans la perspective d'échapper euxmêmes au piège de la répartition. Le capital qu'ils constituent reste à leur usage et à celui de ceux qu'ils désignent. Au bout d'un certain temps, estimé à trente ans (pratiquement deux générations), 12. Cf .vol. II op. cil pp.85 ss. 13. La pratique française des régimes complémentaires pourrait ici prêter à confusion. A la différence de ce qui se pratique à l'étranger, nos « complémentaires» ne sont pas par capitalisation, mais par répartition (bien que ce soit des complémentaires dites « à points»).
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quand s'éteignent les derniers retraités régis par la répartition, l'ardoise des droits acquis est à peu près effacée, et les actifs n'ont plus à assumer ce lourd héritage. Tout ce qu'ils vont payer désormais est à leur unique profit. Comme ils auront également abondé leur compte de capitalisation pendant toute la durée de leur «double fardeau », leur retraite sera bien plus élevée que ce qu'ils auraient pu attendre. Il est vrai que le «sacrifice d'une génération» peut se prolonger sur plusieurs générations si certaines hypothèses moins favorables se réalisent: - si la structure par âge de la population s'aggrave encore, diminuant le rapport actifs/retraités, - si l'on veut rembourser tous les droits acquis (au lieu de se contenter de garantir la défaillance de la Sécurité sociale) 14 - si la croissance économique se ralentit. Dans ces cas, il est vraisemblable que le double fardeau n'aura qu'une très maigre compensation pour ceux qui auront eu à le porter. Cependant, il faut toujours prendre en compte « ce qui ne se voit pas ». Que se produit-il en effet si on renonce à la transition par crainte du «double fardeau»? Les mêmes personnes risquent de traîner un boulet encore plus lourd si elles restent totalement prisonnières de la répartition. Car, pour le coup, elles n'auront que des pensions très diminuées après avoir vu leurs cotisations augmenter sans cesse et la durée de ces cotisations se prolonger au-delà de ce qui était prévu au départ. Il faut donc comparer le «double fardeau» avec le «coût d'opportunité» représenté par le refus de la transition.
4. LES PRIVILÉGIÉS NE PERDENT PAS D'ARGENT De façon paradoxale, nous nous adressons maintenant aux privilégiés, à ceux qui bénéficient de régimes «spéciaux» ou publics réputés plus avantageux que le régime général. Nous leur disons: vous allez perdre les privilèges, mais vous ne perdrez pas d'argent. Vous faites un mauvais calcul en croyant qu'une position en dehors du régime général vous permettra d'échapper toujours à la faillite de la Sécurité Sociale. D'une part l'équilibre de ces régimes d'exception est largement tributaire des recettes des autres 14. Scénario « réassurance» (numéro 2) évoqué supra p.12.
28 régimes: la protection sociale française est un vaste jeu de vases communicants, les excédents des uns vont bénéficier aux autres. Quand il n 'y a plus que des pertes, il n 'y a plus de transfusion possible. D'autre part le contribuable ou le consommateur français assure une grande partie des ressources des régimes spéciaux, en surpayant les prestations des entreprises publiques par exemple, ou en s'acquittant de taxes et contributions diverses. Il arrivera bien un moment où ce château de cartes s'effondrera; la crise et la concurrence mondiale se chargeront de ramener tout le monde à la réalité. On peut déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais tant que Pierre a des habits. Mais surtout nous devons dire à ces privilégiés que l'argent qu'ils obtiennent aujourd'hui à travers la pression politique et la redistribution, ils peuvent l'obtenir plus simplement par la capitalisation. S'ils sont alignés sur le reste de la population, ils perdront leur statut de privilégiés, mais ils y gagneront des pensions plus substantielles et plus certaines. On cite souvent en exemple la Préfon 15, ce fonds de pension réservé aux fonctionnaires, qui leur permet d'avoir une retraite égale ou supérieure à leur dernier traitement. Voilà des privilégiés qui savent que la capitalisation est une forme de privilège. Mais peut-être, après tout, l'argent n'intéresse-t-il pas les retraités de la SNCF ou de l'EDF, ou de l'Education Nationale. Leur combat est-il politique, idéologique, ou veulent-ils plutôt accroître et conserver leur pouvoir d'achat et leur patrimoine? S'ils bloquent la transition au seul prétexte de la perte de leur pouvoir politique, on comprend qu'ils soient insensibles à la rentabilité qu'elle garantit. Mais nous doutons que ce soit réellement le sentiment de ceux qui se battent pour le maintien des régimes spéciaux. Seuls les leaders syndicaux sont peut-être animés de cette rage du pouvoir qui leur fait préférer la ruine généralisée et la maîtrise des relations sociales à un progrès social authentique pour tous.
5. N'AYEZ PAS PEUR! Nous le disions à nos lecteurs dès les premiers moments de notre travail: n'ayez pas peur! 15. Cf. sur ce point in,fra p. 67 et les annexes du chapitre V du volume l que l'on peut retrouver sur le site www .irefeurope.org
29 Ce n'est pas parce que l'on vous parle d'une «protection sociale» que vous êtes actuellement protégés. Ce n'est pas parce que l'on vous propose d'en finir avec la répartition que vous n'aurez plus aucune protection à l'avenir. Les marchands de peur sautent sur toute réforme pour annoncer le cataclysme. En 1957 le traité de Rome créant la Communauté Economique Européenne (CEE) devait ruiner l'industrie française livrée à la concurrence sauvage des Allemands (en échange de la politique agricole commune favorisant nos paysans) ; en fait les industriels français ont fait en quelques mois des progrès tels qu'ils sont devenus capables d'exporter et de tenir la dragée haute à tous les autres européens 16 • En 1973 lorsque se produit le premier « choc pétrolier» la hausse du prix des produits pétroliers, à en croire les Cassandre, ne manquerait pas de produire un chômage massif et une inflation galopante. Il n'en a rien été: le niveau du prix a développé les recherches off-shore et les découvertes de nouveaux gisements ont abaissé le prix, tandis que le chômage a été vaincu simplement en rétablissant la rigueur dans les dépenses publiques et le contrôle étroit de la masse monétaire; trente ans de croissance ininterrompue ont suivi. En 1978 lorsque René Monory libère les prix, on crie à l'inconscience et à la baisse du pouvoir d'achat: pendant trois ans le Franc n'aura jamais été aussi fort (en attendant l'arrivée du tandem Mauroy-Delors qui dévaluera notre monnaie trois fois en deux ans). Enfin et non le moindre, dès 1958 le rapport Meadow du MIT annonce la surpopulation mondiale et la famine, l'épuisement des ressources . naturelles, la pollution croissante et recommande l'arrêt de la croissance. Rien de tel ne s'est produit, mais aujourd'hui on présente le même plat avec une autre sauce: celle de l'environnementalisme défenseur de la planète promise à l'éclatement du fait du réchauffement et des tonnes de C02 rejetées dans l'atmosphère par les pays riches: halte à la richesse 17 ! Peur des privatisations, peur de la mondialisation, peur de la croissance, peur du « choc des civilisations» : on vous encourage à regarder l'avenir dans le rétroviseur
16. La réforme monétaire opérée par Jacques Rueff en 1958 y est pour beaucoup. 17. Sur le réchauffement terrestre vous pourrez faire votre profit de la traduction française de l'ouvrage de Vaclav KLAUS « Planète Bleue et Péril Vert» (Librairie de l'Université, Aix, 2009, préface de Jacques GARELLO.
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Concernant la réforme des retraites, nous pouvons vous assurer que les peurs sont irraisonnées. D'une part il y a l'expérience du passé : le système par capitalisation a fonctionné en France pendant un siècle en donnant toute satisfaction 18 • Il y avait des assurances privées et des mutuelles tout à fait efficaces, innovantes et sûres. D'autre part il y a les leçons du présent: la transition se fait avec succès dans de nombreux pays (notre volume II était consacré à ce sujet). Enfin il y a les perspectives du futur: plus du tout d'espoir de «sauver la Sécurité Sociale », et une certitude que la capitalisation permettra de « sauver les retraites ». Que faut-il sauver? La Sécu ou vos retraites?
6. LA CRISE FINANCIÈRE N'Y CHANGE RIEN Naturellement il vous semblera peut-être que le moment est mal choisi pour plaider en faveur de la capitalisation, au moment où une crise financière si brutale s'est déclarée et se poursuit. Vous devriez être rassurés pour deux raisons: la crise n'a rien à voir avec la capitalisation, et la capitalisation permet de digérer la crise. La crise ne doit rien au principe de la capitalisation, elle doit tout aux intempestives initiatives des pouvoirs publics. Les « subprimes» à l'origine de l'explosion sont une invention étatique, pour permettre à des gens sans ressources d'emprunter pour acheter leur logement. En même temps que cette idée, sont apparues avec le New Deal de Roosevelt deux institutions maintenant bien connues Fanny Mae et Freddie Mac; elles ont été vigoureusement relancées par l'administration Clinton. Le Trésor américain s'est porté garant auprès des banques et organismes de crédit qui accepteraient de prendre des risques hors normes. Du coup les titres représentant les crédits ainsi accordés ont pris une valeur sans rapport avec la solvabilité des emprunteurs. Depuis près de dix ans des voix s'étaient élevées au Congrès, et des commissions d'enquêtes avaient été diligentées, mais à Washington personne n'avait voulu arrêter la machine devenue folle. De plus, les gens nommés par les autorités publiques pour veiller à la régularité des opérations financières n'ont pas fait leur
18. Cf. l'ouvrage de Georges Lane, La Sécurité Sociale et comment s'en sortir, éd. du Trident, Paris 2007.
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travail, et la chute a été d'autant plus dure que les systèmes officiels d'alarme n'ont pas fonctionné. Un rapport avec la capitalisation ou avec le jeu politique et la démagogie? La facilité d'emprunter ne s'est pas limitée aux crédits immobiliers pour les sans-le-sou. Elle a permis à nombre de sociétés cotées en Bourse en difficulté dans leurs affaires de continuer à fonctionner alors que la source des profits était tarie. C'est le cas de l'industrie automobile. Mais qui était responsable de ce crédit à bon marché, sinon la FED, la banque centrale américaine, dont les taux d'intérêt n'ont cessé de baisser? La politique « d'argent facile» a noyé les entreprises américaines dans l'endettement, et certaines ont perdu de vue les réalités; tôt ou tard la concurrence mondiale devait les rappeler à l'ordre. Un rapport avec la capitalisation ou avec la mauvaise gestion du système monétaire? Que certains fonds de pension aient provisoirement souffert de la débâcle financière, parce qu'une partie de leurs placements était entre les mains de sociétés ou de banques en souffrance, c'est incontestable. Cependant les pertes ont été limitées, et de toutes façons la rentabilité d'un fonds de pension ne se Inesure pas à court terme, mais sur une longue période. Pour celui qui investit sur quarante ans (durée de la période d'activité pendant laquelle on cotise pour la retraite) les pertes subies sur dix ans ont toutes chances d'être absorbées et plus que compensées sur les autres trente années. En fait, comme on a pu l'observer empiriquement, et comme nous l'avons démontré chiffres en mains, il n'y a jamais eu dans
l'histoire des 150 dernières années des pertes qui se seraient prolongées sur plus de six ans, et la reconstitution du capital s'est faite ensuite en moins de huit ans 19 • Le passage à la capitalisation ne devrait donc pas engendrer la peur, la transition n'est pas un saut dans le vide, mais au contraire la seule façon de sortir des sables mouvants de la répartition où l'on s'enlise. Mais peut-être cette conclusion sera-t-elle plus évidente quand on aura examiné comment concrètement se déroule le processus de la transition.
19. Cf volume 1 chapitre V annexes pp. 191-193 et volume II chapitre IV pp. 104-205. Voir aussi l'Annexe C infra p. 121.
Chapitre III
CHOISIR SA TRANSITION En fait, il n'y a pas un seul processus de transition, il n'existe pas de schéma-type. Ce chapitre n'est qu'un recueil de recettes, il présente un éventail de choix techniques pour organiser le passage à la capitalisation. Certes ces choix peuvent être éclairés par les débats théoriques, certains économistes privilégiant l'approche macroéconomique, d'autres préférant un traitement micro-économique. Dans un cas on est à la recherche d'un équilibre général du système de retraite par capitalisation dans un avenir donné. Dans l'autre on assimile la retraite à un produit de consommation, et on cherche à analyser les besoins individuels, à adapter les cotisations et les pensions aux préférences personnelles. Quel que soit l'intérêt de ces débats théoriques sur la transition, les choix demeurent avant tout politiques: choix
entre la chirurgie et la médecine douce, choix entre les générations qui supportent le choc et doivent régler l'ardoise héritée de la répartition. En général, quand on choisit une transition très lente, c'est qu'on veut la rendre indolore, et étaler les sacrifices sur plusieurs générations. On peut imaginer, comme Martin Feldstein, une transition sur 70 ans. Par contraste, on peut préférer concentrer les efforts sur les générations actuelles, et en avoir totalement fini plus tôt avec la répartition - en 25 ans par exemple: c'est le « sacrifice d'une génération» qui permet de réussir la transition. Mais ce choix politique, à son tour, peut être influencé par le contexte économique dans lequel on se trouve : quel est le poids actuel de l'endettement? quelles sont les ressources financières disponibles? quel taux de croissance et comment peut-il évoluer? Malgré tout, le plus important est de choisir. Le non-choix, c'est la préférence pour l'immobilisme, ou c'est une série de réformes « paramétriques », de mesures à court terme qui peuvent faire croire à la transition mais la rejettent en réalité: il n 'y a ni nord ni boussole. Nous ne voulons surtout pas dire qu'une fois le choix effectué la transition se déroulera comme un long fleuve tranquille. Une telle éventualité est exclue de la logique de l'action humaine.
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Les personnes concernées par les réformes, et les réformateurs euxmêmes, auront à explorer sans cesse de nouveaux chemins pour progresser, parce qu'ils iront de découvertes en découvertes et tireront parti des erreurs commises et des succès enregistrés. Mais ignorer l'itinéraire précis ne signifie pas perdre de vue la direction finale, ni aller dans tous les sens. Ce chapitre ne vous propose donc pas une transition « clé en mains ». Nous devons tenir compte des situations réelles, fatalement changeantes, et expliquer comment les divers programmes pourraient se dérouler en fonction des contextes et des choix.
1. COMMENT EN FINIR AVEC LA RÉPARTITION? La transition, c'est à la fois se dégager et s'engager. Se dégager: comment se libérer du piège de la répartition? S'engager: comment exploiter les perspectives de la capitalisation? Les recherches théoriques sur la transition ont en général privilégié le premier problème. Comment en finir avec la répartition? Ce n'est pas étonnant, pour plusieurs raisons. La première est évidente et légitime : on ne peut rayer d'un trait de plume la répartition, et pratiquer ce que l'on appelle « la fermeture du système »20, c'est-à-dire l'abandon pur et simple de la retraite par répartition. Que ferait-on de tous ceux, retraités et cotisants, qui ont été obligés de s'engager dans un système maintenant en faillite? On ne peut « fermer la boutique» de façon unilatérale et irresponsable. Il faut assumer l'héritage d'un demisiècle d'erreurs. Une deuxième raison est que ces théoriciens, tout en évoquant la faillite et l'héritage, demeurent encore dans la logique de la répartition, et substituent une répartition intergénérationnelle à une autre. Au lieu de s'attarder au transfert de ressources d'une génération actuelle de cotisants à une génération actuelle de retraités, ils cherchent à savoir comment on peut voir l'avenir d'un système où les générations futures de cotisants et de retraités se répartiront la charge de la transition. Ils opèrent ainsi un « glissement intergénérationnel ». S'ils en restent là, il est évident 20. On dit encore raisonner en «système fermé». On en trouvera la définition sur le site www.irefeurope.com
35 que la transition leur semble difficile à gérer, au point de ne pas pouvoir l'envisager sérieusement: c'est peut-être la conclusion à laquelle ils voulaient parvenir. Comme nous le démontrerons, seule la prise en compte des perspectives de la capitalisation est de nature à compenser le lourd héritage de la répartition. Une troisième raison est liée à la méthode. Ces théoriciens sont assez souvent des statisticiens rompus à la modélisation. Ils ont donc une préférence pour les recherches macro-économiques, propices au calcul mathématique. Pour eux la transition est un déplacement de masses dynamiques. La rigueur de leur calcul leur donne un certain prestige auprès des dirigeants politiques, désireux de s'abriter derrière leur expertise pour donner en pâture à l'opinion publique des chiffres, des dates, qu'ils croient de nature à calmer les angoisses.
2. L'ARDOISE DE LA RÉPARTITION Acceptons donc pour l'instant la démarche de certains chercheurs, et faisons avec eux le calcul de l'ardoise de la répartition, qu'il faudra bien effacer d'une façon ou de l'autre. Un bon exemple de cette approche est donné par le modèle « Destinie », mis en place par l'INSEE. Le tableau ci-dessous explique la logique suivie. Les «engagements implicites» désignent ce que nous appelons «l'ardoise », ou encore les «droits acquis» par les assurés en répartition (en 2005). Ils sont «implicites », car le tableau doit être lu «comme si» la Sécurité Sociale 21 devait, du jour au lendemain, payer tout ce qu'elle devait aux assurés, retraités ou actifs. Cette éventualité, très improbable, correspond à une fermeture du système: on liquide instantanément toutes les dettes contractées.
21. Au sens large, puisqu'il s'agit non seulement de la CNAV, Caisse Nationale de l'Assurance Vieillesse, qui gère le régime général, mais aussi de tous les autres régimes - y compris les régimes spéciaux.
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Évaluation des engagements implicites de l'ensemble des régimes de retraite français, selon la méthode du système fermé Taux d'actualisation
2 0/0
3%
4%
En milliards d'euros 2005 En années de prestations 2005 En années de PIB 2005
7429 34,5 4,5
5143 23,9 3,1
3631 16,8 2,1
Source: Modèle Destinie, calculs Insee http://www.insee.fr/fr/publications-etservices/sommaire.asp?id=123&nivgeo=O
Le montant de l'ardoise est exprimé de trois façons différentes: en milliards d'euros, puis l'équivalent de ces milliards en années de prestations (par exemple en 2005, les 7 429 milliards dus par la Sécurité Sociale représentent 34 années et demie de versements de pensions par la même Sécurité Sociale, et enfin l'équivalent en années de PIB (Produit Intérieur brut): cela représente tout ce que les Français auraient produit en 4 ans et demi. L'énormité de ces sommes peut être tempérée (si l'on peut s'expritne ainsi) par l'introduction de taux d'actualisation plus élevés. Un taux d'actualisation de 2 % signifie que 102 dans un an représente une valeur actuelle de 100, Un taux d'actualisation de 4 %, déjà plus proche de la réalité, signifie que 104 dans un an représente une valeur actuelle de 100. Tout modèle prévisionnel se réfère nécessairement à un taux d'actualisation, puisque la valeur de la pension que vous toucherez dans 10 ans a évidemment moins de valeur que la même somme que l'on vous remettrait aujourd'hui: un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Le taux d'actualisation mesure le prix donné à la dépréciation des valeurs futures par rapport aux valeurs actuelles. Comme nous sommes dans le cadre d'un modèle macro-économique, il est fatal que l'on donne le même taux d'actualisation pour tous les assurés français, alors même que le « prix du temps », c'est-à-dire la dépréciation du futur, est variable avec les individus, et avec l'âge aussi (à 80 ans le taux est plus faible qu'à 20 ans). Nous n'avons pas voulu entrer davantage dans le détail de cet exemple, au risque de lasser votre patience et de vous distraire inutilement, mais cependant vous pourrez en retirer quelques enseignements majeurs:
37
1° L'ardoise est tellement élevée que nul ne songerait à se dégager de la répartition! 2° Mais l'hypothèse d'un système fermé est totalement à exclure; le réformateur le plus audacieux ne s'y risquerait pas 3° Reste donc à savoir comment éponger l'ardoise en dehors de l'hypothèse du système fermé.
3. OUVRIR LE SYSTÈME À LA CAPITALISATION Quand on raisonne en système « ouvert », on se propose de se dégager de la répartition sur plusieurs années, et de commencer à s'ouvrir à la capitalisation. La stratégie arrêtée est donc bien simple : compter sur les perspectives de la capitalisation et son efficacité pour rembourser peu à peu les dettes héritées de la répartition. Nous l'avons annoncé dans le chapitre précédent: il n'est pas question de rayer d'un trait de plume les engagements souscrits par la répartition. Le modèle le plus achevé ici est celui qu'a proposé Martin Feldstein 22 • Il a pour caractéristique de demander aux assurés actifs actuels un effort au départ minime pour bâtir leur propre retraite par capitalisation, tout en continuant à payer leurs cotisations au régime par répartition. Le tableau suivant méritera toute votre attention, ne vous laissez pas impressionner par cette accumulation de lignes et de colonnes. 23 Les trois premières lignes du tableau sont exprimées en milliards de dollars, les trois dernières en pourcentages. Ces chiffres sont purement fictifs, ils correspondent à des estimations faites à l'époque par Martin Feldstein et ne peuvent en aucun cas concerner la France contemporaine. Ils n'ont de valeur que didactique.
22. Les travaux de la Banque Mondiale et de l'OCDE font aussi usage de nombreux tTIodèles prévisionnels. L'un des plus souvent repris est celui de Robert HOLZMANN (1997) que l'on trouvera sur le site www.irefeurope.com 23. FEKDSTEIN M. & SAMWICK A. The Transition Path in Privatizing Social Security, NBER, 1996 Cambridge, Mass.
12,4
0,69
13,09 13,46 13,71
4
5
6
1,61
12,1
11
73
324
528
2,5
2,81
9,06
143
324
620
13,67 13,09 11,87
2,1
11,58 10,59
31
324
453 427
783
9,69
2,6
7,09
7,41
2,41
5
241 . 356
324
709
7,75
2,33
5,42
357
277
634
6,4
2,27
4,13
450
224
674
5,09
2,22
2,88
548
111
714
3,93
2,15
1,77
646
98
754
3,06
2,1
0,96
734
62
796
2,51
2,05
0,46
809
31
840
2,23
2,03
0,2
873
14
887
Tableau repris de Nicolas MARQUES « Sécurité Sociale ou Protections sociales: une analyse économique institutionnelle », thèse FEA Université Aix Marseille III (2.000) p.432 Source: FELDSTEIN & SAMWICK 1998 op.cil. pp. 232-235
1,13
12,33
2
°
3
324
324
324
2
399
352
324
1
1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060 2065
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Vous observerez d'abord que la transition envisagée par les auteurs s'étale de 1995 à 2065 : la transition dure 70 ans! Que se passe-t-il pendant ces 70 ans? Chaque année, les retraités recevront leurs pensions pour le montant indiqué par la ligne 1. Cependant, l'origine de ces pensions va évoluer sans cesse: les sommes versées par la répartition ne changeront pas jusqu'en 2035 - ce qui signifie que rien n'est changé pour une génération d'assurés, mais elles commencent à baisser à partir de 2035 (ligne 2) Par contraste, les sommes versées par les fonds de pension seront faibles jusqu'en 2020, pour représenter la moitié des retraites à partir de 2030 (au bout de 35 ans, donc à mi-chemin) et couvrir la presque totalité des pensions en 2065 (ligne 3) Et du côté des cotisations? Au départ, la retraite par répartition coûte 12,40 % de la masse salariale (ligne 4) On y ajoute les premiers versements aux fonds de pensions pour un montant de 0,69 % de la masse salariale (ligne 5). Ensuite, les taux de cotisation répartition diminuent jusqu'à devenir quasi-nuls en 2065, tandis que les taux en capitalisation montent progressivement. Leur pic est atteint en 2020 avec une valeur de 2,81. Mais, en fait, le poids le plus élevé pour le total des cotisations (répartition + capitalisation) est atteint en 2005, au bout de 10 ans (ligne 6). Il représente alors 13,71 % de la masse salariale, ce qui est à comparer avec le taux de départ en répartition (12,40 %). L'effort exigé des cotisants est donc tout compte fait assez faible: 1,31 % de la masse salariale. On peut le comparer à ce qu'aurait été le sacrifice à consentir pour des assurés pris durablement au piège de la répartition, qui sans doute auraient dû consentir un accroissement permanent de la cotisation de quelque 20 %, soit environ 2,50 % de la masse salariale, mais de façon perm~nente24 ! Reste maintenant à savoir si une telle approche est réellement instru~tive pour guider une transition réaliste dans un pays comme le nôtre. 10 Elle a le mérite de souligner les perspectives offertes par l'ouverture à la capitalisation. Moyennant un effort minime, et moins douloureux que ne serait la faillite inexorable de la pure répartition, l'ardoise de la répartition est bien effacée. 24. Il s'agit ici de nos propres estimations, sous les hypothèses moyennes d'évolution du rapport actifs/retraités.
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2 0 Les calculs qui rendent le modèle prévisionnel attractif sont faits à partir d'hypothèses multiples. La plus importante est celle du rendement de la capitalisation, estimé à 9 %. On suppose aussi que les fonds de réserve constitués à partir des cotisations en répartition rapportent 2,3 %, soulageant ainsi l'effort des cotisants. Les résultats peuvent varier avec la fiscalité, et le nombre d'enfants qui agit sur la fiscalité. Enfin l'influence des taux d'actualisation, mesurée avec précision par Feldstein et Samwick, est comme toujours déterminante: un taux d'actualisation faible (2 0/0) rend l'opération moins fructueuse. Ces hypothèses sont sans doute acceptables dans le contexte des États-Unis, il resterait à démontrer qu'elles le sont dans le contexte français. Toutefois, cette remarque n'autorise pas à nier le bienfait de l'ouverture à la capitalisation. 3 0 En fait, le scepticisme à l'égard de ce modèle prévisionnel naît surtout de la méthode. On ne s'écarte guère d'une logique de finances publiques, et c'est l'équilibre du système de retraite public qui est en cause. Tout se passe comme si l'ouverture à la capitalisation était un simple transfert de financement, passant de l'ancien système qui gaspille l'épargne à un nouveau système qui permet de fructifier la même épargne. Ce nouvel aiguillage est en soi positif, mais il est très réducteur d'omettre tous les autres aspects de la transition, en particulier la possibilité d'offrir un choix à l'assuré et de faire jouer la concurrence entre fonds de pension. Toutes les innovations, jusque là bloquées par le système par répartition, vont éclore dans un climat de liberté contractuelle. L'impact sur la croissance économique peut être considérable. A nos yeux, ces aspects sont décisifs 25 .
4. QUAND LA CAPITALISATION DEVIENT UN CHOIX Les modèles prévisionnels que nous venons d'évoquer ont pour caractéristiques de mettre tous les assurés sur un pied d'égalité, et de leur imposer des modalités de durée et de taux. La transition est une obligation générale. Il en est ainsi parce que l'on reste dans une logique de la répartition, qui interdit toute diversité dans la population des assurés: si un assuré ou un groupe d'assurés s'écarte du système, cette défaillance compromet l'équilibre dynamique de la transition. 25. Ces points font l'objet du chapitre V voir notamment pp. 105.
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A une transition obligatoire on peut substituer une transition volontaire, la capitalisation étant offerte à des personnes qui peuvent l'accepter ou la refuser - totalement ou partiellement. Dans cette voie, plusieurs modalités peuvent s'envisager, elles ont été et sont encore retenues dans la pratique de diverses transitions. 1° Comme c'est le cas en France actuellement, les assurés piégés par la répartition peuvent souscrire volontairement à des contrats d'assurance-vie, à des plans d'épargne retraite, et autres modes de capitalisation. Peut-on parler à ce sujet « d'offre de capitalisation»? Oui et non. Oui, dans la mesure où de tels choix ne sont pas interdits par la loi, et que le législateur a même consenti des aménagements fiscaux qui rendent ces choix plus avantageux. Non, puisque les choix ont été en quelque sorte imposés par la faillite de l'assureur public. Après avoir ruiné les gens, est-ce bien généreux de leur tendre une main secourable et de leur demander de payer une deuxième fois? D'ailleurs, cette générosité des pouvoirs publics ne s'inscrit nullement dans un projet de transition; elle est conçue au contraire pour éviter la transition. 2° Plus consistante a été la proposition d'« opting out» offerte par exemple aux assurés britanniques26 . Ils ont eu droit à quitter le SERPS, système public par répartition, pour adhérer librement à des fonds de pension. Leur défection n'a pas été dommageable au système public pour plusieurs raisons: d'abord les pensions publiques étaient d'un très bas niveau (de sorte que les droits acquis ne sont pas très élevés), ensuite ceux qui quittent le système abandonnent pratiquement tous leurs droits acquis en répartition, enfin le « péage» à payer à la sortie de l'autoroute de la répartition était assez léger. Ce qui a décidé nombre d'assurés à fuir le système a été que le gouvernement Thatcher a notamment révisé le système d'indexation des pensions du SERPS, diminuant assez substantiellement le montant versé aux retraités. Une telle conjonction d'éléments favorables est assez exceptionnelle et ne se retrouve certainement pas en France (l'ardoise est réellement très lourde, et les pensions publiques bien que très coûteuses sont encore attractives - avant de s'effondrer dans un proche avenir). 26. Sur cette expérience on consultera l'article du Pro Victoria CURZON PRICE dans notre deuxième tome « Les retraites du futur: la capitalisation» pp. 139-146.
42 3 0 On trouve aussi des formules d' opting out partiel dans de nombreux pays qui ont amorcé la transition depuis quelques années. Les cotisations des assurés sont scindées en deux parties: la part dite «patronale» (versée par l'employeur) continue à abonder le système par répartition et lui permet de survivre, mais sur la part « salariale» (retenue sur le salaire de l'employé)
l'assuré a la faculté (voire même l'obligation) de la verser à un fonds de pension de son choix. Bien qu'économiquement la distinction entre part patronale et part salariale n'ait aucun fondement, puisque dans les deux cas il s'agit d'un impôt sur le travail, il y a là une amorce de transition. L'expérience montre que dans la plupart des pays où ils sont libres de l'accepter, les assurés apprécient la proposition qui leur est faite. 4 0 L'offre de capitalisation peut être faite à certaines catégories d'assurés bénéficiant d'un régime particulier. C'est ainsi que les fonctionnaires ont en général un accès plus facile à la capitalisation que les salariés du privé soumis au régime général. En France, on peut citer le Préfon 27 . Il s'agit d'une retraite complémentaire certes, mais ce choix dont bénéficient les fonctionnaires est refusé aux autres catégories de salariés obligés de souscrire une complémentaire à l'ARRCO ou l'AGIRC, qui ne sont pas des fonds de pension, et ne «capitalisent» que des 28 points . Une grande partie des fonctionnaires ont souscrit au Préfon et fait ainsi le choix de la capitalisation. 4 0 Enfin, l'offre de capitalisation peut être faite en fonction de l'âge des assurés. Cette technique a été adoptée dans l'expérience du Chili, pilote à plus d'un titre. Ici, on demande aux assurés les plus âgés, proches de la retraite, de rester dans le système de répartition, puisqu'ils n'ont pas le temps de reconstituer un capital suffisant en capitalisation. A l'inverse, le passage à la capitalisation est obligatoire pour les assurés jeunes qui entrent dans la vie active, à charge pour eux de contribuer (au moins partiellement)29 au paiement des pensions des retraités actuels. 27. Cf. infra p. 67. 28. Ce point est controversé par Jacques BICHOT, dont les argulnents ont été réfutés dans le tome 1. Cf. aussi l'échange de vues entre Jacques BICHüT et Jacques GARELLO dans la revue Liberté Politique, autolnne 2008. 29. Le reste du financement des retraites actuellement servies en répartition provient du budget de l'État, lui-Inême alimenté par le produit des privatisations, réalisées Inassivelnent au Chili. Pour les assurés par répartition qui ne sont pas encore retraités mais le seront bientôt, les cotisations des
43
Quant aux assurés d'âge intermédiaire, ils se voient offrir le choix entre rester dans le système par répartition ou entrer en capitalisation, sachant qu'ils gardent les droits qu'ils avaient acquis en répartition, matérialisés dans des « bons de validatiot:l ». C'est un système voisin qu'ont proposé pour les États-Unis les économistes du Cato Institute : « la solution 6,2 »30. Ce projet a été présenté dès 2005 (sans succès à ce jour) par les sénateurs américains Sam Johnson et Jeff Flake. Il donne aux assurés âgés de moins de 55 ans la possibilité de verser la moitié de leur cotisation retraite (qui est de 12,4 % du salaire) à un compte personnel en capitalisation. Cette possibilité devient une obligation pour les moins de 45 ans. D'après les études faites par l'OACT (Office of the Actuary qui dépend de l'Administration de la Sécurité Sociale ASS), ce que les actifs continuent à verser à la Sécurité Sociale (OASI, Old-Aged and Survivors Insurance) pour servir les retraites des seniors ne suffit pas à équilibrer le système par répartition pendant les 40 premières années, mais : a) le déficit va diminuant pour disparaître totalement après 40 ans (2045) b) ce déficit est à la charge du budget fédéral, mais le fait que ce 6,2 alimente un fonds de réserve ayant un portefeuille également réparti entre actions et obligations soulage la charge budgétaire de quelque 6.000 milliards de dollars: un gain appréciable pour le contribuable américain. c) après 40 ans, ce sont des excédents budgétaires qui apparaissent, et permettent d'éponger les dernières dettes à l'égard des retraités en répartition, tout étant remboursé au bout de 75 ans (2075) d) enfin et surtout, pendant la même période les actifs ont pu constituer un capital-retraite avec les 6,2 restants qui ont alimenté leurs comptes personnels. Ceux qui ont moins de 45 ans sont assurés de toucher bien davantage que ce qu'ils auraient eu avec la Sécurité Sociale. Ce qui illustre bien le fait que la capitalisation est deux fois moins onéreuse que la répartition : on a la même retraite avec 6,2 % de cotisation au lieu de 12,4 %.
jeunes actifs sont versées à un fonds de réserve en capitalisation, dont les produits seront reversés plus tard. 30. Cf Michael TANNER, Cato Institute Briefing Papers, n° 92, 26 avril 2005.
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5. INTRODUIRE LA CONCURRENCE Il faut cependant considérer que les perspectives de la capitalisation dépendent des conditions de sa gestion. Par exemple, si le gestionnaire constitue un portefeuille composé pour les deux tiers d'actions et un tiers seulement d'obligations, le rendement sera très supérieur à celui d'un portefeuille 50/50, mais les placements sont plus risqués. Comment avoir la certitude que la gestion est la meilleure possible? Les économistes ne connaissent qu'une seule réponse, ici comme dans toute gestion d'entreprise : c'est la concurrence. La question déterminante devient alors: qui va gérer les
fonds? De ce point de vue, la réponse la plus originale, et peut-être la plus satisfaisante, a été donné au Chili. Les assurés ont le choix de leur gestionnaire, mais lui-même a le choix de plusieurs fonds. Il y a ainsi une concurrence à deux degrés, il y a déconnection entre gestionnaire et financier. Les gestionnaires chiliens sont les AFP (Administradoras de Fondos de Pensiones), les Chiliens peuvent choisir l'AFP de leur goût et en changer. Le rôle des AFP est de tenir à jour le carnet de retraites possédé par chaque travailleur (certains ont deux ou trois carnets !). A leur tour, les AFP vont s'adresser à quatre ou cinq fonds de pension différents, dont la mission est de fructifier les cotisations qui leur sont confiées. Pour les fonds de pension, la concurrence active (sous la pression des AFP) les amène à veiller au mieux des intérêts des retraités, mais il en est de même pour les AFP, puisqu'elles sont également en concurrence.
A l'autre extrême, la pire solution est d'enfermer les retraités dans le piège d'un fonds de pension qu'ils ne peuvent pas quitter. C'est ce qui s'est produit aux États-Unis, puisque dans ce pays, assez souvent, les entreprises attirent et fidélisent la main d'œuvre de qualité en abondant un compte ouvert au nOln du salarié auprès d'un fonds de pension. Malheureusement certaines entreprises n'ont pas donné le choix du fonds à leurs salariés, et peuvent confier les sommes recueillis à un fonds pour lequel elles ont une sympathie particulière - qui n'est pas une garantie. Des entreprises peuvent aller plus loin en créant des fonds dont elles contrôlent le capital. Ainsi l'argent reste-t-il dans le circuit de l'entreprise. Voilà l'origine des scandales Maxwell et Enron: chaque fois, les dirigeants ont puisé dans les comptes de retraites
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pour sortir l'entreprise d'une mauvaise situation financière! De telles pratiques devraient être purement et simplement interdites (et elles le sont maintenant dans de nombreux pays).
6. CONCURRENCE ET RÉGLEMENTATION Une concurrence libre et authentique fait peser toute la responsabilité de la gestion sur les concurrents. N'est-ce pas trop lourd 7 N'est-ce pas dangereux pour l'assuré 7 Pour protéger les assurés, les pouvoirs publics ont souvent imposé des normes aux fonds de pension. La concurrence est donc sous contrôle, c'est dire qu'elle est en fait limitée, et que l'on peut se priver ainsi de beaucoup de ses vertus. La liberté surveillée n'est déjà plus la liberté. Un premier type de réglementation consiste à contrôler l'accès au marché: les fonds de pension doivent être autorisés par décision administrative. Les critères de sélection sont variables mais reviennent assez souvent aux garanties financières et morales offertes par les candidats. Cela peut prendre la forme d'obligation de réassurance (mais qui réassure 7), ou de dépôts de garantie (c'est un avantage aux grands groupes financiers). La sélection peut aussi bien être laissée à la libre appréciation du pouvoir administratif. Un deuxième type de réglementation porte sur la qualité des informations que les fonds de pension destinent aux assurés. La transparence est nécessaire. Au Chili les AFP sont devenues de véritables agences d'évaluation des risques financiers, et elles ont un siège d'observateur au sein des fonds à qui elles confient les intérêts de leurs assurés. Il se peut malheureusement que dans d'autres pays les évaluateurs et les contrôleurs (comme les agences de notation) aient mal assumé leur fonction, pour des raisons avouables ou non. Un troisième type de réglementation concerne les placements des fonds de J:,ension - un sujet qui a animé le débat avec l'affaire des subprimes. Quels peuvent être les avoirs figurant au bilan des fonds de pension 7 a) la réglementation peut imposer un portefeuille type, avec une répartition entre actions et obligations. Dans certains pays, c'est la sécurité qui prévaut, et les actions n'occupent qu'une place minoritaire dans le portefeuille: les rendements sont moyens. Dans d'autres, c'est le rendement qui est recherché, la prise de risque est autorisée voire
46 encouragée. Bien souvent, l'achat de titres d'État (bons du Trésor à très long terme) est considéré comme le meilleur placement possible, les réglementations peuvent en imposer un certain plancher. Ce n'est pas pour surprendre, puisque c'est l'État lui-même qui réglemente; voilà un excellent moyen de financer la dette publique. b) La réglementation s'intéresse parfois au type d'investissements pratiqués par les fonds. Dans certains pays, interdiction est faite de s'intéresser à des placements à l'étranger ou dans des entreprises étrangères. Le but avéré est de donner la préférence à la croissance nationale, qui permet d'alléger la charge des cotisants et des contribuables nationaux. Mais cela se fait au détriment du rendement et de la sécurité. Le rendement est plus élevé pour des investissements réalisés dans des économies émergentes, et la sécurité peut être accrue par une diversification internationale des placements. c) La réglementation peut être plus directive encore, et limiter étroitement le type de placement autorisé aux fonds de pension. Ici encore les placements en titres du Trésor ou dans les grands projets publics sont souvent privilégiés. La Banque Mondiale a fait une étude sur l'impact de ces diverses réglementations, en s'efforçant de comparer les fonds soumis à réglementation étroite et ceux qui évoluent dans un climat de libre concurrence. La conclusion est plutôt négative pour la
réglementation. La sécurité qu'elle semble apporter est parfois illusoire, alors que la perte de rendement est à coup sûr très importante. La Banque relève par exemple que «les pays de l'OCDE ayant des régimes d'investissement libéraux ont eu de meilleurs retours de fonds de pension» 31. L'écart observé est au moins de 3 %, c'est cher payer pour des risques somme toutes mIneurs. La Banque Mondiale résume ainsi son diagnostic sur la réglementation : « La libéralisation du marché des fonds de pension devrait générer de meilleurs retours, une concurrence accrue entre les fonds et permettre aux salariés de choisir un portefeuille qui corresponde à leur situation personnelle ».
31. "Pension Reform Primer" Banque Mondiale www.worldbank.org/pensions
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Ce diagnostic est intéressant à plusieurs titres: - d'une part, il tranche avec les idées à la mode, qui sont plutôt en faveur d'un renforcement de la réglementation financière au prétexte que le contrôle actuel n'est pas efficace; en parlant de « libéralisation» la Banque souligne bien que la réglementation est déjà très importante et nocive; - d'autre part, il fait apparaître un élément déterminant pour la gestion de la transition: le libre choix des salariés (et de façon plus générale des assurés) peut pousser tout le système vers de meilleurs performances; derrière toute concurrence il y a la pression du libre choix des consommateurs. Cependant la Banque Mondiale estime que certaines réglementations peuvent être mises en place au tout début de la transition, pour apaiser les craintes des personnes qui sont inquiètes du changement de système.
7. DOIT-ON FAIRE APPEL AU CONTRIBUABLE? Par nature, les États sont généreux avec l'argent des autres. Ils aiment apporter leur écot pour soutenir une noble cause. Voilà pourquoi dans un grand nombre de modèles de transition, il y a souvent une incidence budgétaire. Pour accompagner les sacrifices des cotisants, et pour mieux garantir le paiement des pensions dues par le système par répartition, l'État peut offrir des ressources budgétaires. Le contribuable sera donc amené à faciliter la transition. Ce qu'il va apporter sera en moins de ce que le cotisant devra payer. Bien évidemment, il y a quelque schizophrénie dans cette procédure. Le cotisant et le contribuable sont bien souvent une seule et même personne. On fera néanmoins sur ce point deux remarques : 1° En principe les gens en activité payent plus d'impôts que les retraités, et ce sont eux qui cotisent. C'est une bien maigre consolation pour la personne active de savoir qu'elle paiera lTIoins en cotisations mais qu'elle paiera plus d'impôts. Toutefois, certains impôts frappent aussi bien les retraités que les actifs: impôts sur la consommation (TVA), sur l'épargne et le patrimoine, et depuis quelques années en France CSG et CRDS. 2° On peut aussi prendre en compte que la fiscalité directe (impôt sur le revenu des personnes physiques) est plus progressive que la fiscalité sociale: les cotisations sont souvent plafonnées, ou
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leurs taux ne varient pas fortement avec le niveau de revenu. Il semblerait donc que l'effort demandé pour financer la transition soit par priorité demandé aux contribuables aux revenus les plus élevés. Transférer la charge de la répartition des cotisants vers les contribuables revient donc à opérer une redistribution dont les incidences sont assez incertaines. Les ambiguïtés sont-elles levées avec la pratique des caisses d'amortissements, ou fonds de réserve ou fonds de consolidation? Peu importe leur nom: il s'agit d'affecter une partie des ressources fiscales à provisionner le remboursement des retraites nées de la répartition, à gérer l'extinction progressive de la dette sociale. Ces fonds sont capitalisés (ce qui constitue d'ailleurs une reconnaissance implicite par les pouvoirs publics que la seule parade à la répartition est la capitalisation). Mais, du fait de leur nature budgétaire, ces fonds vont être gérés directement ou indirectement par les pouvoirs publics, qui ne tarderont pas à y voir un trésor dans lequel ils peuvent puiser. La capitalisation suppose la rentabilisation de l'argent par des placements appropriés: pourquoi ne pas placer cet argent dans de bons investissements publics? Le phénomène a été observé aux États-Unis: dans toutes les périodes où les fonds de réserve ont augmenté, les déficits budgétaires ont également augmenté, parce que le Congrès a considéré que ces fonds pouvaient très bien donner du mou au budget fédéral, dispensant les élus de réduire les dépenses publiques. On a parlé « d'aisance budgétaire ». La chose a été encore plus claire en France. La Caisse d'Amortissement de la Dette Sociale (CADES) alimentée par le produit de la CRDS a placé ses fonds auprès des banques et compagnies d'assurance, mais aussi de façon massive auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui est l'agent financier de l'État. La Caisse a ainsi garant des emprunts d'État et les placements réalisés par la Caisse des Dépôts ont été parfois plus risqués que ceux qu'aurait choisis un fonds de pension privé32 • Le
32. Cf. notre tOlne 1 chapitre III pp.89-90 et Annexe B p.113. Parmi les déboires de la Caisse des Dépôts, il y a ceux des placements dans l'immobilier, dans la banque, etc. Voir l'étude menée par l'IFRAP in Société Civile, nO 68, avril 2007. Il est frappant de constater que la CDC vient d'annoncer une perte alors qu'elle bénéficie de monopoles, privilèges et soutiens publics!
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risque de mainmise des pouvoirs publics sur ces fonds est donc réel, et considérable. Les gouvernants ont toujours tendance à s'approprier l'argent « oisif» (qu'ils croient tel). En France, il est assez frappant de constater que si l'on a cherché à provisionner avec la CADES les retraites que devrait payer la Sécurité Sociale, on n'a jamais inscrit au budget des provisions pour les retraites des fonctionnaires, partant du principe que ce seront les contribuables futurs qui les prendront en charge. Oublier de provisionner des dépenses obligatoires, c'est une façon de diminuer les déficits et de ne pas alourdir la dette publique. Cela a été une des observations faites par la Commission Pébereau quand elle a conclu à la sous-évaluation de la dette publique française 33
8. DETTE PUBLIQUE ET DETTE SOCIALE La pratique des caisses d'amortissement se comprend dans les pays où les systèmes publics par répartition sont directement rattachés au budget de l'État. C'était le cas le plus fréquent, avant que les réformes amorçant la transition aient fait leur apparition: à cette époque le « premier pilier» en répartition créait une liaison mécanique entre service des pensions et dépenses publiques. Sur ce point, comme sur d'autres, la France a fait exception.
Le budget de la Sécurité Sociale (toutes branches confondues) a toujours été autonome par rapport au budget de l'État. La réforme introduite en 1995 par le gouvernement Juppé n'a rien changé quant au fond. Certes, elle a exigé que les comptes de la Sécurité Sociale soient désormais soumis au Parlement, et que soit voté annuellement une Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS). Certes, cette loi prévoit les dispositions budgétaires à prendre pour le cas où un déficit de la Sécurité Sociale serait à envisager, et elle peut indiquer des objectifs de dépenses pour éviter ou limiter ce déficit, mais pour autant dépenses et recettes de la Sécurité Sociale ne sont pas votées par le Parlement, et leur
33. D'après le rapport Pebereau (2005) la provision représenterait environ 1 000 milliards d'euros, ce qui doublerait le montant de la dette (elle était officiellement à fin 2004 de 1.1 00 milliards), représentant plus de 120 % du PIB.
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montant est fonction de paramètres et de textes divers qui entourent les prévisions et les comptes d'une opacité totale. Ainsi la dette sociale, accumulée par la Sécurité Sociale à travers ses déficits annuels, poursuit-elle son bonhomme de chemin, tandis que la dette publique va du sien. Cette déconnection entre dette publique et dette sociale a une conséquence inquiétante. Quand la dette sociale est incorporée au budget de l'État, les gouvernements et les parlementaires peuvent chercher à réduire les dépenses publiques courantes pour ne pas aggraver le déficit budgétaire et grossir la dette publique. Il y a tout de même depuis quelques années des pays qui ont un excédent budgétaire 34 . Rien de tel en France, où gouvernements et parlementaires n'ont pas à se soucier de la dette sociale, et sont libérés de la contrainte budgétaire qu'elle aurait pu représenter pour eux. Le seul « effort budgétaire» en direction de la dette sociale a été les créations en 1991 de la CSG (qui finance l' assurance-maladie) et en 1996 de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS). Aujourd'hui la prise en charge par le budget de l'État du système de retraites représente environ 15 milliards d'euros, soit 10 % des ressources de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse 35 .
9. LA RETRAITE, UNE AFFAIRE PERSONNELLE Et si on tournait le dos à l'État pour remettre l'assuré au cœur de la transition ? Jusqu'à présent, et notamment à travers ces dernières considérations sur les budgets publics et la réglementation, la transition nous est apparue comme une initiative laissée aux pouvoirs publics. Ce n'est pas pour surprendre: aujourd'hui, dans pratiquement tous les pays, les retraites sont devenues affaires d'État, dans le cadre de systèmes publics laissant plus ou moins de place à un secteur privé. Aucune réforme ne saurait échapper aux choix des gouvernants.
34. L'exemple le plus spectaculaire est celui du Canada. On peut y voir l'une des raisons pour lesquelles la crise actuelle frappe moins ce pays que bien d'autres. Les autres pays à excédent ont été, au cours des années précédentes 35. La question de la « fiscalisation» de la Sécurité Sociale est abordée dans notre tome 1 chap.I pp.28-30 et chap.III pp. 87-90.
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Mais, pour autant, on ne sauraIt Ignorer qu'une réforme totale pourrait déboucher sur les choix des assurés, se substituant aux choix des gouvernants. En d'autres termes, la transition pourra avoir pour forme ultime la mise en place d'une assurance retraite privée laissée à la préférence des individus et des familles. On a peu à peu redécouvert cette vérité de bon sens: la retraite est une affaire personnelle. Elle s'inscrit dans un cycle de vie et d'une gestion patrimoniale variables avec chaque individu. Si on lui laissait un choix complet, sa décision prendrait en compte - son âge: il est important d'accumuler un patrimoine pendant la période d'activité la plus fructueuse pour ensuite avoir une garantie pour les dépenses de logement et de santé; - son arbitrage entre travail et loisir; - une cessation d'activité totale ou partielle; - le patrimoine possédé (qui peut conduire à préférer une retraite moins coûteuse) ; - le fait de vivre seul ou en famille, et l'importance de la famille. Des contrats d'assurance d'une grande souplesse peuvent prendre en compte cette diversité des aspirations, des besoins et des moyens. Une mosaïque assurancielle est ainsi souhaitable, elle peut même s'enrichir d'une articulation entre assurance vieillesse et assurance maladie, un même contrat permettant de puiser dans les fonds de retraite pour garantir des risques de santé. Au lieu de cela, on propose aux assurés des solutions uniformes, impersonnelles et arbitraires. Dans beaucoup de modèles de transition, ce que l'on propose aux individus n'est pas de sauvegarder leurs retraites personnelles, mais de sauver le système. On est une fois de plus dans une logique de finances publiques, et dans l'ignorance des préférences privées. Gustave de Molinari dénonçait déjà au XIXème siècle l'intervention publique dans le domaine des retraites. « [Lorsque} le consommateur [n'est pas} libre d'acheter de la sécurité où bon lui semble ... vous voyez une large carrière s'ouvrir à l'arbitraire et à la mauvaise gestion» et plus loin « La liberté individuelle cesse d'être respectée, le prix de la sécurité est abusivement exagéré, inégalement prélevé, selon la force, l'influence dont dispose telle ou telle classe de
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consommateurs ... on voit, en un mot, surgir à la file tous les abus inhérents au monopole »36. On est une fois de plus dans la logique des «droits sociaux », issus des promesses d'un monopole public, et dans l'ignorance des droits individuels et de la propriété privée. Or, les droits sociaux, dans la mesure où ils ne sont pas provisionnés, ne sont que de « faux droits », tandis que les garanties contractuelles donnent une base plus solide à la couverture des risques futurs 3? On est une fois de plus dans la logique d'un système, alors que l'assurance vieillesse est un produit. On ne gagne jamais rien à substituer une planification globale et centralisée à des contrats marchands 38 . La transition ne sera achevée que lorsque l'on sera passé d'un système administratif à un produit marchand.
10. LA TRANSITION: EMBARRAS DU CHOIX OU CHOIX EMBARRASSANT? En 2009 en France, nous sommes soin d'une transition achevée. Supposons dans un premier temps que nos gouvernants aient réellement le désir d'abandonner les réformes paramétriques pour amorcer et développer des réformes systémiques. Ils ont réellement l'embarras du choix : il ne manque pas de modèles de transition. Sans doute le choix décisif est-il celui entre médecine douce et thérapie de choc. Mais nous avons vu l'étendue des choix de second rang, qui d'ailleurs sont assez souvent articulés avec le choix de premier rang.
36. Gustave de MûLINARI «De la production de sécurité», Journal des Economistes, février 1849, p.289, cité par N.MARQUES op.cil. p. 376. 37. Ce contraste a été souligné par Denier KESSLER « Comment réformer l'État Providence? Droits sociaux et garanties contractuelles» Revue des Sciences morales et politiques, 1995 n03 p.277, cité par N. MARQUES, op. cil. p. 385. 38. Nicolas MARQUES (op.cit.p.379) cite bien à propos Frédéric BASTIAT « A mesure donc que les services privés entrent dans la classe des services publics, ils sont frappés, au moins dans une certaine mesure, d'immobilisme et de stérilité, non au préjudice de ceux qui les rendent - mais au détriment de la communauté toute entière ».
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1° Choix entre des mesures macro-économiques, concernant sans distinction tous les assurés présents et futurs, et des mesures modulées suivant les retraités et les cotisants; 2° Choix entre des mesures obligatoires et des mesures réservées à ceux qui veulent passer à la capitalisation; 3° Choix réservés à certaines catégories d'assurés: suivant leur secteur d'activité (secteur public ou privé), suivant leur âge et leur ancienneté ; 4° Choix concernant la liquidation des droits acquis en répartition: par des cotisations, par des impôts, par d'autres ressources (vente d'actifs par exemple) ; 5° Choix des fonds de pension: laissé aux assurés ou contrôlé par les pouvoirs publics; 6° Choix des contrôles: réglementation des placements ou concurrence ouverte; 7° Choix des placements: privés ou publics, nationaux ou non, en actions ou en obligations; 8° Choix entre dette publique et dette sociale. Finalement, le dernier choix est entre les perspectives et les garanties offertes respectivement par un système de monopole public et par des contrats de droit privé. Mais peu de pays en sont arrivés à ce point de maturité. La transition vers un système entièrement laissé à la libre initiative personnelle est un obj ectif souhaitable et dans la logique d'une société de liberté, de responsabilité et de solidarité. Mais la prise en mains du destin de chacun par l'État Providence est tellement entrée dans les mœurs et les esprits qu'il faudra peut-être une ou deux générations pour parachever la transition. La faillite et l'injustice des monopoles publics pourraient cependant accélérer le processus. Le schéma ci-contre indique, de façon plus ou moins exhaustive, l'articulation entre les choix.
54 INTENSITÉ DE LA TRANSITION
PROGRESSIVITÉ 70 ANS
THÉRAPIE DE CHOC 25 ANS
MESURES MACRO-ÉCONOMIQUES
AUX COTISANTS
SUIVANT L'ACTIVITÉ
AUX RETRAITES
/
A CERTAINS
GUIVANT L'AG
CATOUS~
0
SUIVANT L'ANCIENNETÉ
SUIVANT L'ACTIVITÉ
LIQUIDATION DES DROITS ACQUIS
DETTE SOCIALE
LIBRE CHOIX
~
1
(J
.,I - - - - - ~
HABILITÉS PAR L'ÉTAT
DETTE PUBLIQUE
FONDSOE PENSION -------1
1
ACTIONS / OBLIGATIONS
PRIVES / PUBLICS
NATIONAUX / ÉTRANGERS
55 On peut évidemment jouer sur toutes les touches du clavier, et rechercher des harmonies. Certaines ont été obtenues dans des transitions menées à l'étranger. On peut prendre deux exemples significatifs. Le premier est celui de la transition chilienne. Le choix a été fait d'une transition rapide (moins d'une génération). Les mesures prises ont été proposées aux assurés, répartis en classes d'âge et d'ancienneté. Les droits acquis ont été liquidés par des impôts et par le produit des nationalisations. Les assurés ont eu le choix de leurs caisses de retraites, choisissant à leur tour les fonds de pension. Ces fonds ont dû recevoir l'aval des pouvoirs publics, mais leur réglementation a été légère, les placements ont été libres. La dette sociale a été épongée, et le budget n'a pas été déficitaire. Le système chilien de capitalisation donne un niveau de retraites très satisfaisant, avec un taux de remplacement supérieur à 70 %, et 95 % des Chiliens ont fait ce choix. Il a survécu à deux changements de régime politique. Le problème des retraites ne se pose plus dans ce pays, Le deuxième est celui de la transition britannique. La réforme a été amorcée de façon très progressive, voilà maintenant 30 ans. La mesure principale a consisté à autoriser les salariés en activité à quitter le système public pour verser leurs cotisations à un nouveau système géré en COlnmun par les employeurs et employés sur une base contractuelle et concurrentielle. Ces cotisations sont gérées par des fonds de pensions privés, en capitalisation évidemment. Cette possibilité de prendre un contrat en dehors du système public (<< contracting out») a permis au gouvernement britannique de diminuer les pensions versées par le système public et de faire de substantielles économies budgétaires. Vingt ans plus tard, la moitié des assurés anglais avaient quitté le système public par répartition. De plus, une autre vague de réforme (en 1986) a encouragé fiscalement les plans d'épargne-retraite, conclus dans le cadre de contrats privés avec des fonds de pension proposant des formules très diversifiées. La faillite du groupe Maxwell a conduit le gouvernement à poser des conditions plus strictes pour les fonds de pension et à créer un organisme de contrôle. Parallèlelnent, en 1999 une garantie de revenu minimum pour les retraités a été ajoutée aux dispositions précédentes. Peu à peu, la durée de cotisation pour les assurés a été réduite, et l'âge de la retraite assoupli (on peut travailler au-delà de 65 ans, ou à l'inverse prendre une retraite anticipée au bout de 30 ans de cotisations). Le système anglais ne promet pas de retraites très élevées (le taux de remplacement brut est inférieur à 50 %), mais le coût des retraites y est la moitié de ce
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qu'il est en France (6 % du PIB contre 12 %). Jusqu'à la récente crise, les fonds de pension britannique avaient des performances élevées, au point que le gouvernement a cherché à les grever d'un impôt pour alléger la charge qui demeure sur les finances publiques pour garantir le système public par répartition 39 . Les mois prochains diront comment les fonds de pension auront supporté le choc de la crise. Pour l'instant, les retraités anglais souffrent surtout de la dévaluation de la Livre (proche de 30 %), provoquée par la politique de relance monétaire pratiquée par le gouvernement de Gordon Brown. Grande Bretagne et Chili sont sans doute deux exemples extrêmes, les choix de la transition sont moins nets dans d'autres pays. Ce qui rapproche cependant ces deux expériences, c'est qu'il y a eu une logique dans la voie tracée pour la transition. Dans bien d'autres pays, il y a eu beaucoup de timidité ou de contradiction dans les choix effectués; des réformes ont été inachevées, retardées, voire annulées. Par exemple en Italie, en Roumanie, en République Tchèque 40 , les dispositions prévues par un parlement ou un gouvernement ont été suspendues ou annulées par le parlement ou le gouvernement suivant, au moment même où on devait les mettre en place. Une transition en zig-zag est évidemment impraticable. La France a échappé à cette erreur, puisque les dirigeants successifs et la classe politique dans son ensemble ont refusé avec constance l'idée même de transition, se contentant d'accumuler des réformes paramétriques au fur et à mesure que la situation du système de répartition se dégradait. En fait, la transition ne peut procéder que d'une volonté politique. Si les choix ne sont pas faits, ou pas clairement, ou pas logiquement, c'est que ces choix embarrassent les dirigeants. Ils les exposent en effet à des dangers à leurs yeux majeurs: sans doute la peur de la masse des assurés sociaux qui n'aurait pas compris où est l'intérêt d'abandonner la répartition et qui s'effraierait de la capitalisation, mais aussi la colère de ceux qui aujourd'hui bénéficient largement du système de répartition. Peu de dirigeants ont le courage d'affronter la peur et la colère de leurs électeurs.
39. Sur l'évolution des systèmes chiliens et britanniques, on se réfèrera aux chapitres rédigés dans le tome II par José Piflera (pp.l 07-117) et Victoria Curzon Price (pp.139-148). Sur le systèlne chilien, l'exposé conlplet de la réforme se trouve dans l'ouvrage de José Piflera : Le taureau par les cornes. Comlnent résoudre la crise des retraites. Ed. Charles Coquelin, Paris, 2008. 40. Sur l'avancée et la nature des réformes engagées, on se reportera au Tome II, et en particulier aux chapitres II et III.
Chapitre IV
LE COURAGE POLITIQUE Certains hommes politiques ne manquent pas de lucidité, mais ils manquent du courage nécessaire pour amorcer la transition, puis s'y tenir. Ils ont été rendus lucides par la masse des rapports et documents qui est venue à leur connaissance. L'exemple le plus clair en France en a été la publication par le premier ministre Michel Rocard (1991) d'un Livre Blanc sur les retraites, concluant à la fatale explosion du système par répartition. Puis il y a eu, entre autres, le rapport Charpin (avril 1999) remis au Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin. Ce qui manque, ce n'est donc pas toujours la lucidité, c'est le courage: comme nous l'avons déjà relevé 41 , le risque électoral est trop fort, les groupes de pression trop puissants, les assurés trop ignorants pour que les hommes politiques se lancent dans la transition. Elle leur semble une aventure très difficile à organiser, à expliquer, à réaliser. Ils vont donc se cantonner dans des réformes de surface, en modifiant quelques paramètres du système par répartition, sans jamais en venir à l'essentiel, qui est de se dégager du piège de la répartition. Enfin faut-il compter avec toute cette frange de la classe politique et de l'opinion publique, pour laquelle la seule référence au mot «capitalisation» est idéologiquement révoltante: tout ce qui peut évoquer le capital, le capitalisme, la finance, la privatisation serait a priori à rejeter. Ce sentiment est partagé par nombre de personnes qui voient dans la répartition une forme élaborée de solidarité entre générations, de générosité en faveur des plus démunis, de sécurité pour le futur lointain. L'objet de ce chapitre n'est pas d'approfondir ces multiples raisons de décourager tout réformateur sérieux, mais d'explorer les pistes de nature à faciliter son travail, et à lui donner le courage politique indispensable.
10 Là où est l'ignorance, diffuser l'information, la formation et dire la vérité. Quand les Français auront réellement mesuré l'importance de la transition pour leur vie quotidienne, leur avenir et celui de leurs 41. Cf. supra Chapitre 1 pp. 19-20.
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enfants, un puissant courant d'opinion favorable à des programmes plus audacieux va naître. Les Français vont attendre autre chose, et celui qui osera la transition aura leur soutien 2° Là où est l'opacité administrative et l'arbitraire des
pouvoirs publics, restaurer l'état de droit. La protection sociale ne doit plus être une zone de non droit, les comptes publics doivent être transparents et contrôlés, les privilèges doivent être connus. Les droits individuels doivent être respectés: droit de propriété, droit à l'initiative.
3° Là où est l'idéologie revenir à la réalité. La réalité fondamentale, base de toute vie dans une société libre et harmonieuse, c'est la nature de l'être humain, sa liberté de choix. Ce que nous proposons est donc un revirement complet de l'opinion, mais aussi une remise en cause des institutions qui ont permis à l'État Providence de s'emparer du monopole des retraites, et encore une rupture avec l'idéologie totalitaire qui légitime l'État Providence . Il Y a une articulation et une hiérarchie entre les trois approches: quand les Français le voudront, la classe politique aura le courage de revenir à une vraie démocratie, et devra oublier l'idéologie pour se rendre à la réalité.
1. FRANÇAIS, COMBIEN ÇA VOUS COÛTE? Pour ébranler une opinion publique largement conditionnée par le discours politique et ses relais médiatiques, il faut commencer par poser cette question. Mais il ne faut pas le faire en termes statistiques et globaux. Dire aux Français que l'assurance vieillesse coûtera en 2009 179 milliards de francs 42 , soit 13 % du PIB (Produit Intérieur Brut) cela ne leur dit pas grand-chose, même si c'est vrai. Il faut le faire à partir de leur vécu personnel, de l'argent qu'ils sortent réellement de leur poche mais dont ils ignorent finalement le montant. Cette méconnaissance, ou cette inconscience, n'est sans doute pas propre aux dépenses d'assurance vieillesse, elle joue pour les autres dépenses liées aux «services publics» (beaucoup de gens croient ne pas payer d'impôts alors
42. http://www.securite-sociale.fr/chiffres/lfss/lfss2009/2009-p1fss.pdf Pour le seul régime général, ce sera 90,3 milliards d'euros.
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qu'ils s'acquittent au mInImum de la TVA !), et pour certaines dépenses privées (comme par exemple les loisirs). Mais l'ignorance des salariés soumis au régime général des retraites ne doit rien à l'insouciance, elle doit tout à la complexité du système. En effet un salarié a le plus grand mal à calculer ce que, chaque mois, il paie pour sa retraite à la Sécurité Sociale et à sa caisse complémentaire obligatoire (ARRCO, AGIRC). La cause en est la rédaction habituelle de la feuille de paye. D'une part, celui qui lit sa feuille de paye s'arrête en général au net qu'il doit percevoir, puisque c'est cet argent, et seulement cet argent qui sera à sa disposition (encore que le percepteur puisse lui en reprendre tout de suite une part au titre de la CSG et de la CRDS et quelques mois plus tard au titre de l'impôt sur le revenu). La feuille de paye est tellement longue et compliquée qu'il est difficile de s'y retrouver, on va donc à l'essentiel. D'autre part, sur la feuille de paye figure aussi un autre montant qui peut attirer l'attention du salarié: c'est le montant du « brut », c'est-à-dire de la somlne qu'il aurait pu toucher avant les diverses retenues qu'il subira. Ces retenues «à la source» sont évidemment obligatoires, légales, et s'il est quelque peu averti le salarié aura remarqué, par comparaison avec le net payé, qu'elles représentent un prélèvement important, de 22 % du brut pour un Smicard. Mais à l'intérieur de ces 22 % se trouvent mêlés des assurances chômage, des assurances maladie, des assurances vieillesse, des complémentaires, de sorte qu'il est difficile de repérer ce qui est dû seulement pour la retraite. Mais le plus gros de l'affaire n'est pas là. Car ne figure pas dans le calcul du salaire brut ce que l'employeur a versé pour la retraite du salarié, ce que l'on appelle la «part patronale» de la cotisation sociale, qui est environ trois fois plus importante que la part salariale. Le salarié peut avoir l'impression que ces sommes ne le regardent pas, puisqu'elles sortent de la poche du « patron ». C'est d'ailleurs ce que tout le monde (parfois patrons compris) lui fait croire. En réalité il n'en est rien. La distinction entre cotisations « patronales» et «salariales» n'a qu'une signification juridique, d'ailleurs contestable. Les cotisations patronales ne sont pas arrachées au patron pour bénéficier au salarié, elles font partie intégrante de la rémunération du travail. A son tour, cette rémunération du travail n'a pas pour origine le bon vouloir de l'employeur, ni même le contrat de travail. En fin de compte, au
60 bout de la chaîne marchande, la valeur du travail effectué est fixée par le client, qui rémunère le salarié en même temps que l'épargnant qui a apporté le capital, en même temps que le « patron» qui a accompli sa mission d'entrepreneur. Dans le prix accepté sur le Inarché figurent salaires, intérêts et profits. Les salaires s'entendent de toutes les sommes versées au salarié ou pour son compte. Les «prélèvements sociaux », qu'ils soient versés par l'employeur ou retenus sur le salaire brut, sont donc un véritable « impôt sur le travail ». Il s'agit bien d'un impôt puisque leur montant et leur paiement ne peuvent être négociés, et que les URSSAF disposent des voies de droit pour faire exécuter leurs commandements. Ainsi se définit le «salaire complet », qui est la valeur
totale du travail fourni par le salarié, telle que le client l'a reconnue et acceptée. Elle est égale au salaire net payé augmenté de tous les prélèvements obligatoires amputant le revenu du salarié. L'écart entre le net payé et le salaire complet est spectaculaire, du simple au double. Malheureusement, si l'on excepte quelques entreprises qui ont donné à leur personnel une information sincère, le salaire complet n'apparaît pas sur la feuille de paye. Le salaire complet n'est pas, comme on le dit trop superficiellement, «ce que le salarié a coûté à l'entreprise », mais très exactement «la rémunération du service spécifique rendu par le travailleur, telle que le client l'a reconnue ». De manière générale d'ailleurs, l'entreprise n'a d'argent que celui que lui donnent les clients 43 . Le salaire complet serait le revenu dont pourrait disposer le salarié s'il avait le libre choix de son assurance globale, à charge pour lui de souscrire des contrats qui le garantissent en cas de maladie, de chômage, et qui lui promettent une retraite suivant son désir. Chacun pourrait prendre conscience de ce que lui coûte le système de retraite auquel il est « assujetti» s'il avait connaissance de son salaire complet, mais ce chiffre ne figure nulle part. Si dans ce domaine la moyenne a une signification, voici ce que coûte l'assurance vieillesse pour différents niveaux de salaire:
43. Tous les développements sur la théorie économique du salaire cOlnplet se trouvent dans le Tome 1 Chapitre II, annexe B pp.72-74
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Salaire complet
Charges Sociales
dont Vieillesse
Salaire net
Mensuel
Annuel
Mensuel
Annuel
Mensuel
Annuel
Mensuel
Annuel
1 SMIC
2.177
26.063
1.051
12.553
372
4.464
1.087
13.043
2SMIC
4.204
50.266
2.018
24.035
820
9.840
2.106
25.273
3SMIC
8.167
98.016
3.691
44.308
1.468
17.616
4.318
51.815
Source: AFERP (cf infra Annexe A p. 117) chiffres de janvier 2009 (entreprise industrielle).
2. FRANÇAIS, COMBIEN VOUS DONNERA-T-ON? Un Français qui est à la retraite aujourd'hui a beaucoup de peine à savoir exactement ce auquel il a droit et ce qu'il touche réellement. Le montant des pensions n'est pas une somme fixe, ni même assurée. Il dépend des «ajustements» auxquels les pouvoirs publics et la caisse gestionnaire procèdent fréquemment. Il faut d'abord rappeler que le montant des pensions à taux plein (pour un salarié qui aura cotisé pendant 160 trimestres) est égal à la moitié du « plafond de ressources de la Sécurité Sociale », lequel plafond est fixé au 1er janvier de chaque année par un décret du gouvernement. Quand le niveau général des prix augmente à un rythme supérieur à celui qui avait été pris en compte au 1er janvier, on peut avoir un relèvement du plafond (comme en mai 2008). De la sorte, un retraité ne sait pas avec précision quel sera le montant de sa pension l'année suivante, voire même en cours d'année. L'affaire est encore plus compliquée pour des retraités qui ne sont pas au taux plein44 . Malgré toutes ces incertitudes, on continue à présenter le système français comme un système «à prestations définies» alors que ce n'est pas le cas, compte tenu des variations de ces prestations. Plus grave encore: pendant sa vie de retraité, l'assuré peut subir des pertes de pouvoir d'achat dues au fait du prince. Quand la CSG a été introduite par Michel Rocard, c'était à titre provisoire et à dose infinitésimale. Aujourd'hui la dose est massive, avec un taux de CSG de 10 % sur le revenu. La CRDS, 44. Pour ces modes de calcul cf. Tome 1 Chapitre 1 pp. 20 ss.
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introduite en 1996, a été également une « bonne surprise» pour les retraités. Bonne surprise également que la hausse régulière des impôts locaux. En apparence, cela n'a pas de rapport direct avec le calcul des pensions. Il n'en demeure pas moins que la Sécurité Sociale s'est engagée sur des sommes représentant un certain pouvoir d'achat au moment où les assurés sont entrés dans le système. S'ils avaient été libres de leurs choix, les assurés auraient peut-être pu se Inettre à l'abri des hausses de prix ou d'impôts. Aujourd'hui des pensions qui pouvaient naguère passer pour confortables représentent un minimum vital pour les retraités, simplement parce que les règles du jeu ont été changées en cours de contrat. Si l'on considère maintenant des assurés qui sont en activité et qui seront retraités dans quelques années, l'incertitude est encore plus grande. Là encore, les règles du jeu peuvent changer par la seule volonté du législateur. En 1993 la réforme Balladur a du jour au lendemain fait perdre jusqu'à 10 % de leurs pensions aux salariés du secteur privé en modifiant le mode de calcul; on a pris en considération le salaire moyen sur les 25 meilleures années de sa carrière au lieu des 10 meilleures années. En 2008 une autre réforme « paramétrique» fait obligation de cotiser pendant 41 ans au lieu de 40, et cette durée est sans doute appelée à augmenter encore. Cela représente pour un smicard une perte de droits à pension équivalente au minimum à 7 mois de son salaire, et pouvant aller jusqu'à 40 mois 45 . Parallèlement les taux de pension en cas de retraite anticipée sont diminués. Cependant, l'incertitude la plus grande provient des risques d'explosion du système lui-même. Les déficits dus au déséquilibre démographique ne cesse de s'alourdir, et viendra inéluctablement un jour où la Sécurité Sociale sera dans l'incapacité de tenir ses engagements. Ces risques ont été évalués par divers rapports officiels. Nous les avons nous-mêmes étudiés, et ils représentent à notre avis, dans un délai de moins de quinze ans, une diminution des pensions allant de 20 à 30 %, suivant que l'on pourra ou non exiger des actifs une hausse plus ou moins grande de leurs cotisations. Nous ne referons pas ici la démonstration de la faillite qui s'annonce, puisqu'elle a fait l'objet de notre tome premier, mais nous reprenons simplement la conclusion: toutes choses étant égales par ailleurs, les futurs 45. Pour un smicard qui n'a pas droit à une retraite à taux plein.
63 retraités ont de quoi s'inquiéter pour le montant de leurs pensions. Beaucoup d'entre eux l'ont d'ailleurs compris, qui souscrivent des contrats d'assurance-vie ou des plans d'épargne retraite. Mais nous avons fait remarquer que si certains Français peuvent ainsi se prémunir contre la faillite du système, ce n'est certainement pas le cas des plus démunis. Voilà une grave injustice sociale à porter au débit du système par répartition. Sans connaître précisément l'ampleur de la catastrophe, et sans en discerner les causes, une très large majorité de Français ont d'ores et déjà perdu confiance dans le futur des retraites par répartition, comme l'attestent de très nombreux sondages 46 . Concernant ce qu'ils recevront de leurs caisses de retraite, les Français sont donc aujourd'hui dans la plus grande «Insécurité Sociale ». Ces évidences sont habilement masquées par les défenseurs du système actuel en recourant à une mesure statistique, celle des « taux de remplacement». Un tel taux indique ce que représente la pension perçue par rapport au dernier salaire perçu. La personne qui du jour au lendemain troque sa condition de salarié pour celle de retraité aime savoir s'il va plonger subitement dans le vide ou si le passage se fera en douceur. Encore faut-il savoir quel salaire on prend en compte. Ici, le statisticien a le choix entre le salaire net, le salaire brut, et il ignore le salaire complet. On sait que le net est inférieur au brut (cotisations salariales) et brut inférieur au complet (cotisations patronales). La pension paraîtra d'autant plus satisfaisante qu'on la rapportera au plus faib le des trois: c'est le taux de remplacement net. Voilà pourquoi ce taux aura la faveur des statisticiens officiels, désireux de montrer l'efficacité du système de retraites par répartition. On arrive ainsi à des taux apparemment très satisfaisants, de l'ordre de 80 %. Mais dans la pratique internationale, les comparaisons se font aussi sur les taux de remplacement bruts. Du coup, les Français semblent moins avantagés. Peu de pays parviennent à approcher le niveau des pensions de celui des salaires précédemment perçus. Le Luxembourg est une exception, avec un taux de remplacement brut pouvant friser le 100 % pour des bas salaires. La moyenne de l'OCDE étant à 73 % pour les bas salaires (moitié du salaire moyen), et 59 % pour les salaires moyens, la France est très en 46. La liste de ces sondages est donnée en annexe A du chapitre V du Tome 1 pp. 182-185.
64 dessous avec respectivement 64 et 51, soit près de dix points de moins 47 . Cela veut dire que le retraité qui ne vit que de sa pension est promis à une réduction de moitié de son revenu courant. Mais encore cette conclusion est-elle très optimiste, car l'écart entre la France et les autres pays se creuserait si l'on calculait le taux de remplacement sur le salaire complet, puisque la France est parmi les pays de l'OCDE où le poids des « charges patronales» supporté par les entreprises est le plus lourd, diminuant par là même la compétitivité internationale. On arrive à un taux qui ne dépasse guère 50 % pour les bas salaires, et qui représente seulement 40 % pour les salaires moyens. Ainsi, retraités français présents et futurs, sachez que le « placement» que vous aurez fait tout au long de votre carrière pour assurer vos vieux jours aura eu un rapport ridiculement faible, et que vous n'aurez pas votre compte. Mais il est évident qu'il ne s'agit pas d'un placement, puisque les sommes que vous aurez versées pendant 40 et quelques années auront été immédiatement réutilisées, et non capitalisées. La capitalisation, elle, aurait réduit vos cotisations et accru considérablement vos pensions 48 .
3. LA FORMATION EN RENFORT DE L'INFORMATION L'information peut donner un choc, elle ne suffit pas toujours à convaincre. Les chiffres, leur acculTIulation, les définitions, les comparaisons, peuvent troubler l'esprit, mais ils ne permettent pas d'aller au fond des choses. Ils ne prennent tout leur sens qu'avec un fil conducteur, un jugement personnel et réfléchi. Aujourd'hui quelques rares personnes ont le privilège de pouvoir sereinement et sérieusement former leur jugement49 . Un progrès considérable consisterait à étendre ce privilège au plus grand nombre possible de Français. On ne peut guère compter sur la première formation, dispensée par l'Education Nationale à nos 47. Les chiffres évoqués ci-dessus sont donnés par l'OCDE Selection of OECD Pensions at a Glanee indicators : how does your country compare? Ils se rapportent à l'année 2007. 48. Les perspectives de la capitalisation sont étudiées en détail dans le tome II Chapitre IV. 49. Il nous souvient d'une stagiaire occupant le poste de comptable dans une entreprise qui ignorait le montant de ses propres cotisations d'assurance vieillesse.
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enfants, pour diffuser le savoir économique dans la population française. Pourquoi pas une deuxième formation, destinée à des adultes déjà alertés sur le problème des retraites et soucieux de leur pouvoir d'achat actuel et futur? L'expérience a été lancée et réussie avec succès il y a une dizaine d'années par l'Association Française Entreprise et Responsabilité Personnelle (AFERP), qui a proposé des stages pour des salariés de l'industrie. Ces stages s'articulaient en plusieurs étapes: - une sensibilisation aux incohérences de la feuille de paye classique, et la présentation d'une nouvelle feuille de paye dans laquelle est introduit le salaire complet; - une découverte de ce qu'est la valeur du travail, dont les salariés devraient être les pleins propriétaires alors qu'ils en sont dépouillés; - une information sur les vrais coûts d'une assurance sociale (maladie, retraites, accidents du travail) tels qu'ils sont pratiqués dans des pays étrangers ou proposés sur le marché en France (quand c'est légal) ; - une explication de la différence entre répartition et capitalisation. Après plusieurs mois de parcours de ces étapes, un referendum a été organisé, au niveau national dans une entreprise occupant 800 salariés en France sur plusieurs sites. Sur 800 votants, 600 suffrages ont été clairement exprimés, et 80 % des salariés ont - souhaité que le salaire complet soit légalement reconnu; - estimé que le salaire complet était leur propriété et que son utilisation était de leur responsabilité; - marqué leur préférence pour la capitalisation librement choisie. Une serIe d'évènements politiques (dont la cohabitation Chirac/Jospin) ont dissuadé le patronat institutionnalisé de diffuser cette méthode. D'autre part des décisions de justice diligentées à l'initiative des syndicats ont conclu à l'illégalité de la feuille de paye avec salaire complet attendu que le salarié n'est pas payé par le client mais par l'employeur. Le travail pionnier de l' AFERP n'a donc pas été exploité comme il le méritait50 50. Sur ces points, et notamment sur les questions soumises au referendum national après les étapes de la formation, on peut consulter le site
66 Toujours est-il que cette experlence est révélatrice des retombées heureuses d'un dialogue dans l'entreprise sur les problèmes des retraites et, plus généralement de la protection sociale: au lieu de se complaire dans la traditionnelle opposition entre les intérêts des salariés et ceux des « patrons» et de rechercher la hausse du pouvoir d'achat à travers la « lutte sociale» on fait appel à une refonte du système public; parallèlement le travail du salarié est reconnu à sa vraie valeur, et les possibilités qui s'offrent au libre choix des salariés sont enfin explorées. De manière générale, tout ce qui élève le niveau de connaissance économique, que ce soit pour des salariés de l'industrie ou d'autres secteurs, pour des retraités comme pour des actifs, pour des adultes comme pour des enfants, constitue un progrès social. Il est regrettable que la population française souffre durablement d'un défaut de formation dans ce domaine. Elle n'en est que plus vulnérable à la désinformation, et à la peur du lendemain qu'engendrent d'une part une période de crise, d'autre part un système de protection dont ils perçoivent confusément qu'il est à bout. de souffle. A l'inverse l'urgence et l'intérêt de la transition apparaîtraient clairement aux yeux de Français mieux formés, et pourraient leur redonner espoir.
4. L'OUVERTURE D'ESPACES DE CAPITALISATION Si la formation est une voie à exploiter plus systématiquement, un autre canal pédagogique est à explorer: lancer quelques réformes faisant appel à la capitalisation dans un secteur donné ou pour une catégorie d'assurés donnée. Ouvrir ainsi des espaces de capitalisation, se prévaloir de leur réussite pour convaincre l'opinion publique des bienfaits d'une transition généralisée: voilà de quoi ouvrir les yeux aux Français obsédés par la répartition. De tels espaces ont été ouverts, mais ont-ils une vertu pédagogique suffisante? On trouve d'abord des espaces de capitalisation dans les dispositions fiscales qui exemptent d'impôts ceux qui souscrivent des contrats d'épargne retraite. Par exemple, la loi Madelin (1994) a profondément réformé le système de retraites des www.irefeurope.org ou s'adresser à AFERP, 188 Rue Championnet 75018 Paris.
67 travailleurs non salariés non agricoles (TNSNA ou «non-non» dans le jargon administratif) en prévoyant que ces personnes puissent être largement exonérées. La loi Fillon (2003) a également prévu des exemptions fiscales pour les salariés qui ouvriraient un compte d'épargne retraite collectif (PERCO) De façon plus générale le législateur a encouragé les assurés à constituer une épargne en capitalisation. Ainsi ont été créés les PEE (Plans d'épargne d'entreprises), les plans d'épargne retraite populaires (PERP), les Plans d'Epargne Retraites d'entreprises (PERE)51. L'article 83 du Code Général des Impôts est une disposition d'ordre général étendant à l'ensemble des cotisants des exemptions pour les primes versées au titre des contrats à cotisations définies. On trouve d'autres espaces de capitalisation dans les régimes de retraite des fonctionnaires: la PREFON est une caisse complémentaire facultative en capitalisation, dont la rentabilité est confiée à la Caisse des Dépôts et Consignations. Elle compte aujourd'hui près de 400.000 adhérents. Depuis 2003 les salariés de la fonction publique (État, collectivités locales, hôpitaux) ont l'obligation de souscrire à une «Retraite additionnelle de la Fonction Publique» (RAFP) en achetant des points dont la valeur est fixée par le conseil d'administration de l'établissement gestionnaire (EFRAP)52. Ouverte à 4 600 000 fonctionnaires environ, la RAFP fonctionne depuis 2005 et a versé des prestations à 140 000 personnes en 2008. Les fonds sont rentabilisés par la Caisse des Dépôts et Consignations. Les performances financières de l'EFRAP lui ont valu la distinction du « Prix du meilleur fonds de pension français» en 2008. C'est dire que l'État ne manque pas d'attention pour ses ouailles, et accorde largement à ses salariés ce qui est chichement proposé aux assurés du régime général. Tous les Français qui ont bénéficié de la capitalisation, à
commencer par les fonctionnaires, pourraient donc témoigner de ses bienfaits, de son faible coût et de son bon rendement. Mais les témoins sont-ils venus à la barre? Pourquoi ne pas souligner les succès enregistrés? Il Y a en fait plusieurs raisons à cela: 51. La liste de ces dispositions législatives et de leur régime fiscal est donnée dans le Tome 1 Chapitre V annexe C pp. 187-189. 52. Aujourd'hui, cotisation de 3 % sur le traitement brut du fonctionnaire (1,5 % de cotisation "employé" et 1,5 % de cotisation "employeur").
68 - d'une part les espaces ne concernent qu'une minorité de personnes; le plus gros bataillon des bénéficiaires appartient à la fonction publique, de sorte que le reste de la population ne se sent peut-être pas concernée ; - d'autre part, pour le salarié soumis au régime général, ce ne sont que des compléments de la retraite principale, qui demeure gérée en répartition; le «deuxième pilier» paraît ridiculement faible par rapport au premier, il a l'allure d'un supplément, et non d'une base; - enfin une large conspiration du silence est organisée par les syndicats (gestionnaires de la Sécurité Sociale) et par les gouvernants eux-mêmes qui ne veulent pas donner l'impression qu'ils amorcent une quelconque transition générale. Il faudrait sans doute une expérience plus étendue, un espace plus large, pour faire œuvre de pédagogie -si tant est qu'on la recherche. Voilà pourquoi certains ont proposé des changements plus spectaculaires, à l'instar de Nicolas Marquès, qui a émis l'idée de faire passer la totalité des retraites de la fonction publique (et pas seulement la retraite additionnelle) en régime de capitalisation. Cette idée ne manque pas d'arguments: 1° A la différence du régime général de la Sécurité Sociale, il n'y a pas ici de fonds de réserve ou de caisse d'amortissement à constituer pour éponger des droits acquis. Il n'y a pas « d'ardoise à effacer », puisque les retraites des fonctionnaires sont inscrites, année après année, au budget de l'État. Les retraites futures ne sont même pas provisionnées 53 . La transition est donc plus facile quand il n'y a pas de risque de « double charge ». 2° La réforme concernerait une population traditionnellement hostile à tout changement, qui est compris comme une remise en cause des privilèges de la fonction publique ; ici, non seulement le changement ne fait pas disparaître les anciens privilèges, mais il crée un nouveau privilège qui va dans le sens de la PREFON et de la RAFP. 3° Ainsi les fonctionnaires deviendraient-ils des propagandistes de la capitalisation.
53. Cette anomalie a été relevée à plusieurs reprises, notamment dans le rapport Pebereau sur la dette publique. Celle-ci se trouve ainsi sous-évaluée de quelque 1 000 milliards d'euros. Voir aussi les travaux de l'IREF : Pierre GARELLO et Vesselina SPASSOVA, L'endettement de l'État: stratégie de croissance ou myopie insouciante ?, IREF, 2006. www.irefeurope.org
69 Ce dernier point permet d'évoquer la méthode « Madson Pirie » utilisée par Margaret Thatcher pour rendre les privatisations plus populaires : acheter une réforme en faisant réaliser un bénéfice aux personnes qu'elle concerne. C'est parfois immoral, mais cela s'est montré efficace en Grande Bretagne. Cette idée est également retenue par l'économiste espagnol Jesus Huerta de Soto, qui recommande d'amorcer le processus de transition par des capitalisations partielles, pour en venir ensuite à . comp l'ete 54 . une extensIon Nous sommes assez réservés sur cette approche pour une raison bien simple: l'effet pédagogique risque d'être long, et la transition n'attend pas. La situation des retraites françaises est bien plus dégradée que celle des entreprises anglaises dans les années 1980. De plus, dans un pays comme la France, l'expérience démontre que la progressivité et les demies mesures ont tendance à étouffer les réformes au lieu de les faciliter. Les espaces de capitalisation risquent de devenir des réserves indiennes, pas des expériences pilotes. De notre point de vue, le seul facteur accélérateur des réformes, le seul moyen de les rendre durables, c'est la prise de conscience du grand public par la multiplication des informations et des formations, quitte bien évidemment à faire référence au succès des espaces de capitalisation existants. Mais à eux seuls ces espaces n'ont pas de quoi émouvoir la population. La lame de fond doit venir de la masse des assurés, citoyens et électeurs. La transition sera possible du jour où les hommes politiques auront observé qu'il y a une attente de réformes véritables de la part de l'opinion publique, donc un nouvel argument électoral à exploiter.
5. LE SURSAUT DES ÉLUS En effet, il n'y aura jamais de transItIon possible si les hommes politiques ne réagissent pas à la poussée de l'opinion publique. C'est en effet de la loi que sont venus la Sécurité Sociale et le système par répartition, ce ne peut être que par la loi qu'on peut réformer le système. 54. J.HUERTA DE SOTO «The Crisis and Reform of Social Security. Analysis from the Austrian Perspective », Journal des Economistes et des Etudes Humaines, mars 1994 pp.l27-155.
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La répartition n'est pas une technique, mais une réglementation extrême: une obligation juridique. Seul le législateur peut mettre fin à cette obligation. Mais le fera-t-il? Nous avons évoqué les déviations de la démocratie française, qui nous vaut un pouvoir politique à la fois concentré et démissionnaire face aux groupes sociaux, et notamment aux syndicats 55 . Il est indispensable que les élus reprennent la main pour rompre avec une tradition législative à sens unique depuis soixante ans, sinon depuis la première guerre mondiale. Encore une fois, cela peut paraître un vœu pieux à l'heure actuelle, mais les choses pourraient changer si l'opinion publique elle-même se retournait, dûment informée et formée. Certes, surtout dans l'environnement international actuel, ce n'est pas pour demain. Mais à partir de 2010, les élections nationales se profilant, il n'est pas impossible de voir jaillir quelque source nouvelle. Il appartient sans aucun doute à la société civile de s'organiser et de se mobiliser pour montrer la voie à la société poli~ique. Pour l'instant les seuls signaux reconnus par la société politique sont les pancartes et les slogans des manifestants dans les rues, quand ce ne sont pas l'émeute et le pillage. Cette erreur de signalisation doit se corriger si l'on veut réellement amorcer la transition. Les alternances politiques importantes depuis vingt ans ont été préparées par des États Généraux: en 1985, 1992, 2000. États Généraux : la référence à la Révolution Française est significative, elle traduit la volonté de se faite entendre manifestée par des personnes et des groupes qui ont eu le sentiment d'être trop longtemps exclus du débat public. Malheureusement ces États Généraux plus récents ont été affaiblis pendant et après leur tenue: pendant leur tenue, parce que les hommes politiques (redevables de la situation) y ont été trop présents et les ont transformés en meetings électoraux, après leur tenue, parce que les nouveaux élus se sont empressés de ne pas mettre en œuvre les réformes qu'ils avaient approuvées et figuraient dans leurs programmes. Le sursaut des élus est indispensable, mais il ne sera durable que s'il est accompagné par un sursaut de la société civile, ellemême porteuse de l'opinion publique.
55. cf. supra Chapitre 1 pp. 17-20.
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C'est donc toute une « stratégie de la réforme de l'État »56 qui devrait se mettre en place.
6. UNE VOLONTÉ POLITIQUE IMPOSANT LA TRANSITION: IL Y A UN PRÉCÉDENT! A ceux qui estiment qu'il est hors de portée pour un législateur d'imposer la transition, on peut faire remarquer qu'il y a un précédent historique: celui de la transition de la capitalisation vers la répartition, qui s'est amorcée dès le 19ème siècle pour les retraites des fonctionnaires, et qui s'est mise en place à la veille de la seconde guerre mondiale, sous le régime de Vichy et à la Libération: une belle continuité. Un rapide rappel historique est instructif, car il nous amène à la question suivante: y a-t-il une symétrie entre la transition de la capitalisation vers la répartition (dont nous subissons les conséquences aujourd'hui) et la transition de la répartition vers la capitalisation? Ce que le législateur a pu faire en un sens peut-il
le faire en sens inverse? L'histoire commence avec la loi de 1853 concernant la retraite des fonctionnaires. Elle est gérée en répartition, et les déficits s'accumulent rapidement, au point que le ministre des Finances Léon Say, s'attache à imposer la capitalisation. Mais son projet de loi, pourtant approuvé par le Conseil d'État et le Sénat, est finalement rejeté par la Chambre des Députés en 1881. La volonté du législateur impose un système ruineux, sans considérer les coûts de la répartitionS? En dehors de la retraite des fonctionnaires, la capitalisation sera la règle jusqu'en 1941. Les fonds sont recueillis et gérés par des compagnies d'assurance privées. Cependant un changement important en 1930 avec la loi créant les «assurances sociales»: les cotisations deviennent obligatoires pour la plupart des salariés non agricoles. En réalité,
c'est en 1941 que l'État français (décret-loi du 14 mars) balaye d'un revers de main la capitalisation pour instaurer la 56. C'était le titre de la IX ème Université de la Nouvelle Economie à Aix en Provence en 1986. 57. Aujourd'hui les droits acquis par les fonctionnaires représentent plus de 1 000 milliards d'euros, et ces sommes ne sont pas provisionnées, ni n'alimentent un fonds de réserve: on les prendra sur les budgets futurs, ce qui ne manquera pas d'entretenir un déficit permanent des finances publiques.
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répartition. Ce « coup de force» s'accompagne d'une confiscation complète des droits acquis par les cotisants jusque là, et des fonds accumulés par les compagnies d'assurance (de ce qui en restait après les dévaluations qui s'étaient succédé de 1930 à 1938). Pour rassurer tous les assurés, il leur est fait la promesse de ne rien perdre au change, mais de toutes façons le choix n'était pas laissé. Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent toutes les institutions qui vont former la Sécurité Sociale, mais la répartition, décrétée en 1941, devient le système généralisé pour les retraites (comme pour l'assurance maladie et les allocations familiales). La façon dont la transition s'est faite vers la répartition a eu donc pour caractéristiques essentielles: - n'avoir aucune légitimité économique; - n'avoir été précédée d'aucune étude sur les coûts et conséquences (alors même que le précédent de la retraite des fonctionnaires aurait pu alerter les réformateurs) ; - rendre le nouveau système obligatoire, sans aucune exception possible ; - s'accompagner d'une spoliation des assurés; - n'offrir aucune garantie autre que confiance qu'un bon citoyen doit à ses gouvernants. Est-ce ce type de transition que l'on veut pour nous mener de la répartition vers la capitalisation? Sur les cinq caractéristiques relevées à l'instant, quatre ne sont pas dans la nature de la transition actuellement souhaitée: - il y a une légitimité économique: l'explosion inévitable de la répartition ; - les coûts et conséquences de la transition ont été soigneusement étudiés, notamment à la lumière des expériences étrangères; - il n'y a aucune spoliation des assurés, c'est au contraire pour éviter qu'ils ne perdent tout ou partie de leurs retraites que la transition est souhaitée; - il Y a toutes garanties de retrouver un niveau de pensions au moins aussi élevé que celui qu'aurait donné un système par répartition équilibré et qui est attendu avec quelque naïveté par nombre de Français. Reste une caractéristique juridique: la transition doit abroger la réglementation de la répartition obligatoire, mais il n'est pas obligatoire d'imposer la capitalisation à ceux qui ne la
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souhaiteraient pas. L'abrogation de la répartition obligatoire est le seul acte juridique attendu du législateur, et qui requiert quelque courage politique. Comme nous le savons maintenant, la nouvelle législation devra trouver le moyen de concilier, pendant la longue période de transition, l'obligation d'honorer les droits acquis en répartition par certains assurés (de moins en moins nombreux au fil des années), et la liberté de choix des retraites par capitalisation. Cette conciliation est évidemment .délicate, mais c'est la rançon de la liberté : quand tout le monde est soumis à un régime obligatoire uniforme, il n'y a pas de problème (autre que celui de la perte de liberté et de la ruine économique). Le législateur n'a jamais manqué de courage pour créer ou réformer le système par répartition. Sans remonter aux sources, chaque année le législateur modifie la règle du jeu de la répartition, et spolie impunément les assurés. L'opinion publique, désinformée par les privilégiés du système, ne réagit pas: on lui explique sans cesse que c'est pour sauver un système « le meilleur du monde» (le président übama ne veut-il pas s'en inspirer ?). Mais s'agissant de changer le jeu, et de se tourner vers la capitalisation, le législateur recule. Il a le courage de spolier les Français, mais pas celui de les libérer58 •
7. LES CHANGEMENTS INSTITUTIONNELS REQUIS L'abrogation de la répartition obligatoire et l'autorisation d'entrer en capitalisation seront donc les premières tâches qui incomberont aux gouvernements et au parlement. Mais, par la force des choses, toutes les institutions nées du caractère obligatoire, monopolisé et centralisé de la répartition « à la française» doivent être profondément remaniées, voire supprimées. Peu importe que ces institutions aient une vocation administrative ou financière. Les institutions à vocation administrative pourront être refondues ou éclatées, en très peu de temps. Il en est ainsi des 58. Il en est de même pour la réforme fiscale. Les impôts arbitraires s'accumulent sans opposition majeure, tandis que la moindre décrue fiscale (comme le bouclier) est l'objet de toutes les critiques. Il est vrai que Monsieur Jacques DELORS, conscience lTIorale de la France, persuade ses concitoyens qu'ils doivent tout à l'État.
74 caisses d'assurance vieillesse et de la Caisse Nationale, qui jouissent aujourd'hui d'un monopole absolu pour les retraites obligatoires du premier pilier. Mais tout aussi bien l'ARRCO, l'AGIRC, gestionnaires du deuxième pilier, lui aussi en répartition en France, doivent-elles perdre leurs prérogatives. Le seul fait de les mettre en concurrence avec des prestataires privés les amènera à changer radicalement leurs méthodes et leurs moyens. De toutes façons, ces institutions, dans l'optique de la transition, ne devraient conserver que la liquidation des droits des retraités assujettis à la répartition (ce qui, d'ailleurs, leur laisse quelques belles années à vivre). La transition exige encore que son bon déroulement soit soustrait à la multitude des organismes dits « de contrôle », qui ont été multipliés depuis des années sans que leur efficacité ou leur nécessité aient été évidentes: le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) Commission des Comptes de la Sécurité Sociale (CCSS, 1979), le Haut Conseil Interministériel de la Comptabilité des Organismes de Sécurité Sociale (HCICOSS, 2001), la Mission Comptable Permanente (MCP, 2001), le Centre d'Etudes de la Sécurité Sociale (CNESS,1977), tous organismes qui loin d'éclairer les assurés et les gestionnaires, rendent le système totalement opaque, ce qu'aura déploré sans cesse la Cour des Comptes dans ses rapports annuels. Les institutions à vocation financière auront à s'adapter à la privatisation et à la concurrence. Il n'y a aucune raison pour que l'URSSAF ait le monopole de recouvrement des cotisations, même pour celles qui sont destinées à servir les pensions des assurés en répartition. Pour être en règle avec les obligations légales, les salariés et les employeurs peuvent adresser leur argent à qui bon leur semble (avec le label de l'État), et le système des AFP chiliens est tout à fait transposable: des caisses de retraite peuvent tenir sur livrets la comptabilité des versements effectués et des droits acquis par les cotisants. Il n'y a pas davantage de raison pour que la Caisse des Dépôts et Consignations continue à jouer le rôle d'un fonds de pension, alors que les ressources qu'elle capte obligatoirement aujourd'hui vont alimenter des investissements publics sans rentabilité. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) chargée de gérer les recettes de l'impôt CRDS (Contribution au Remboursement de la dette sociale) aurait dû rapidement
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disparaître 59 . Non seulement elle a été pratiquement transformée en fonds de secours de l'État, mais elle n'a pas de légitimité à partir du moment où les cotisations payées pour éponger l'ardoise de la répartition sont destinées à des fonds de pensions privés et concurrents. Ces structures compliquées et opaques héritées de l' administration centralisée, monopolistique et publique des retraites, doivent laisser place à des entreprises financières libres de contracter avec les assurés, dans la limite des obligations que la loi continuera à faire peser sur le montant des cotisations - obligations destinées à disparaître avec la liquidation définitive de la répartition. Nous ne doutons pas qu'il s'agisse d'une véritable révolution institutionnelle dans un pays où les flux financiers sont étroitement dirigés par l'État et ses relais. Ce changement est certainement porteur de perspectives nouvelles pour la croissance économique 60.
8. INFIRMER LE DROIT SOCIAL Les changements institutionnels doivent nécessairement s'inscrire dans la perspective d'une réforme du droit social. En effet, tout le montage de notre système de retraites n'est pas là par hasard, et les réticences à toute réforme profonde ne viennent pas de n'importe où. En arrière plan des institutions de la Sécurité Sociale il yale droit social français, dont on peut se demander s'il est un droit, et s'il est vraiment social 61 • Pendant plus d'un siècle c'est le Code Civil qui a régi les contrats de travail, et le Code de Commerce qui a organisé les règles bancaires, financières et assurantielles. Jusqu'à la première 59. La Cades a été créée, à compter du 1er janvier 1996, pour une durée de 13 ans et un mois, en application de l'article premier de l'ordonnance nO 9650 du 24 janvier 1996. Cette durée a été portée à 18 ans et un mois par la loi nO 97-1164 du 19 décembre 1997. L'article 76 de la loi nO 2004-810 du 13 août 2004 a depuis étendu la durée de vie de la Cades au-delà du 31 janvier 2014 jusqu'à l'extinction de ses missions. 60. Ce point sera développé dans le chapitre V infra. pp. 86-88. 61. Sur ce point, on pourra se reporter au chap. VI intitulé "Le mythe juridique" du livre de Georges LANE (2008), La Sécurité Sociale et comment s'en sortir qui s'appuie sur ce qu'a écrit Jean Jacques DUPEYROUX (1986) dans le livre intitulé Droit de la sécurité sociale, Dalloz, 10ème ed. Paris.
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guerre mondiale, la jurisprudence avait joué sans doute un rôle important dans ces domaines, mais les codes et les principes généraux du droit suffisaient à résoudre la plupart des problèmes et des litiges dans le domaine de la prévoyance et de la mutualité. La situation a radicalement changé avec la multiplication des interventions et des textes, fruits de l'apparition et du développement de l'État Providence. On a vu alors proliférer les « droits spéciaux », au point qu'il existe plus de 60 « codes» à l'heure actuelle. Parmi ces codes, non seulement le Code du travail, mais aussi le Code de la sécurité sociale renferment des trésors de réglementation. L'inflation législative ne se ralentit pas, et les chefs d'entreprises sont alertés non pas chaque mois, mais chaque semaine, sur les nouveautés introduites dans le droit positif. C'est en cela que l'on peut douter que le droit social soit réellement un «droit », car une règle de droit doit être simple, générale et permanente. Au contraire une insécurité juridique envahit aujourd'hui les relations sociales, et inflige aux employeurs et aux salariés des coûts exorbitants. On peut y voir l'une des raisons pour lesquelles les très petites entreprises ne veulent pas embaucher le moindre salarié supplémentaire, voire le moindre salarié. A cette incertitude de la règle s'ajoute celle des tribunaux. Ce ne sont pas les juges du droit commun qui ont mission de se prononcer, mais des juridictions d'exception, marquées en général du sceau du paritarisme: les conseils des prud 'hommes sont connus, mais beaucoup de gens ignorent qu'il existe un TASS : tribunal des affaires de la Sécurité Sociale. Le titre est significatif: la juridiction a été créée en fonction de la personnalité de l'une des parties en cause: la Sécurité Sociale elle-même. Voilà donc une personne morale de droit public à laquelle on reconnaît le privilège d'une juridiction sur mesure. Ce n'est pas le seul privilège dont elle jouit. Les créances dont elle dispose sur les assujettis sont assorties d'une sûreté prioritaire, ce qui signifie qu'en cas de défaillance de l'assujetti (assuré ou entreprise) elle peut procéder à une saisie sur les salaires, et en cas de dépôt de bilan d'une entreprise elle sera payée avant tout autre créancier (fournisseurs ou bailleurs de fonds par exemple). Les URSSAF bénéficient en outre de voies d'exécution hors du commun, elles peuvent poursuivre leurs débiteurs avec les moyens de la puissance publique. Il faut savoir qu'une très large proportion des faillites des entreprises (on est allé certaines années
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jusqu'à 80 0/0) ont été provoquées par les mises en demeure de la Sécurité Sociale ou de l'État. C'est dire que ce « droit social» est assez singulier, c'est un droit asymétrique où l'une des parties est systématiquement avantagée par rapport à l'autre. Il s'agit bien d'un véritable « assujettissement ». On a du mal à imaginer un «droit de l'esclavage », le législateur l'a pourtant créé. Peut-on légitimer cette législation par le désir de protection des salariés, par le souci de la «justice sociale» ? De notre point de vue les assurés, salariés ou employeurs, sont les grands absents de ce droit. Absents des juridictions, absents des textes. Sans doute, dans les Conseils de Prud'hommes et les TASS, y a-t-il des représentants des salariés et des employeurs. Mais la voix des assurés est portée par les «partenaires sociaux », organisations syndicales et patronales, qui se sont peu à peu coulées dans le système de protection sociale tel qu'il a été mis en place, et qui sont donc mal armées pour se mesurer à la Sécurité Sociale. La Chambre Sociale de la Cour de Cassation, juge en dernier ressort dans les affaires importantes, a tout fait pour accentuer l'originalité du droit social, et la revue juridique qui fait autorité dans ce domaine «Droit social» est acquise au pouvoir syndical et au monopole de la Sécurité Sociale. On peut aussi remarquer de quelle façon élégante et efficace la France n'a jamais appliqué les directives européennes de 1992 qui introduisait la libre concurrence dans le secteur des assurances 62 • Quant au corps de textes constituant le droit social, il a été rédigé pour faire la part belle aux «partenaires sociaux ». Le contrat de travail conforme à la logique du droit commun des obligations a été réduit à la portion congrue. La liberté contractuelle n'existe pas, puisque ce sont les négociations collectives qui établissent les clauses principales du contrat. Par 62. Le gouvernement français a toujours prétendu que ces directives ne s'appliquaient pas dans les pays où existait un système public d'assurance sociale. Dans un arrêt célèbre (Garcia, 1996), la Cour Européenne de Justice avait laissé planer un doute sur la légalité du monopole de la Sécurité Sociale. Le gouvernement français s'est ensuite employé à neutraliser cette jurisprudence et a fait pression sur la Commission pour qu'elle confirme le monopole, la concurrence ne s'appliquant qu'aux assurances privées, entreprises tombant sous le coup des articles 85 et 86 du traité de Rome, tandis que la sécurité Sociale n'est pas une entreprise. En d'autres termes, la Commission a soutenu que la concurrence était la règle, sauf quand existe un monopole public!
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comparaison les dispositions individuelles ne sont que des codicilles, des ajustements de dernière main. A leur tour, les négociations collectives se déroulent sous la haute surveillance de l'État. Quand l'un des partenaires sociaux marque son désaccord, on dira que le «paritarisme» n'a pas bien fonctionné, et le gouvernement se chargera de trancher le débat. Ce que l'on appelle ainsi le « dialogue social» se résume à
un affrontement permanent et déséquilibré entre organisations syndicales et patronales, arbitré par les pouvoirs publics. Il ne reste à l'employeur et au salarié qu'à se plier au « droit» qui est sensé sauvegarder leurs intérêts et l'équité. En fait, ce sont les droits individuels qui disparaissent dans l'affaire. Ces pratiques sont des atteintes au droit de contracter, au droit à l'initiative économique, et par-dessus tout au droit de propriété. La loi et le « droit social» privent les individus de leur propriété sur le revenu de leur activité. Si l'on peut à la rigueur admettre que le droit de propriété soit partiellement violé pour assurer les coûts de production des «biens publics», les impôts couvrant les frais de fonctionnement des administrations indispensables 63 , il est contraire à la liberté individuelle de disposer des revenus et du patrimoine des personnes pour les enrôler de force dans un système de protection sociale, qui de plus va les ruiner. Un système monopolistique de retraites ne constitue en rien un progrès social, et le « droit social» n'apporte rien aux individus, en dépit de son joli nom. Les individus sont simplement soumis à « la force injuste de la loi ».
9. REMETTRE LES FINANCES PUBLIQUES EN ORDRE La transition n'appelle pas seulement des changements institutionnels dans le domaine spécifique des retraites. Elle requiert aussi une profonde réforme des pratiques budgétaires.
63. On fera remarquer que le concept de « biens publics », assez précis au départ, a reçu une telle extension que tout devient « bien public» : le sport, la culture, le logement, l'éducation, etc. En réalité les biens «publics» sont ceux qui par nature ne peuvent être «marchands », parce qu'on ne peut calculer leur prix ni identifier qui les consomme et en quelle quantité. On peut aussi discuter de la nécessité de faire produire des biens publics par des administrations: des entreprises peuvent les offrir efficacement et à moindres coûts (sécurité ou justice par exemple) .
79 Ces pratiques sont en effet responsables de la pérennité de la répartition, mais plus encore elles se présentent comme des handicaps trop lourds pour réussir à instaurer la capitalisation. Elles ont obéré le passé, elles peuvent hypothéquer le futur. En regardant le passé, on observe que la France a été et demeure l'un des rares pays où les incidences des déficits de la Sécurité Sociale sur le budget de l'État ne sont pas maîtrisées. Il en est ainsi, comme nous l'avons déjà souligné 64 , parce que la gestion du budget de la Sécurité Sociale est autonome, bien que l'État contribue à ses ressources à hauteur de 10 % pour la branche vieillesse. La réforme Juppé en 1995 avait tenté de redonner aux parlementaires un semblant de contrôle en leur confiant le vote d'un budget annuel prévisionnel, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale. Mais les prévisions ont toujours été démenties, et les déficits n'ont cessé de croître. D'ailleurs comment contrôler un système totalement opaque, dont les comptes ne sont même pas fiables (comme le répète inlassablement la Cour des Comptes depuis des années)? Comment connaître la vraie situation de l'assurance vieillesse, quand des transferts sont opérés sans cesse d'une branche de la Sécurité Sociale à une autre, les excédents provisoires de la branche maladie ou famille alimentant la vieillesse ou vice versa ?65 La gestion de la sécurité Sociale n'a donc jamais été réellement responsable, puisqu'elle a su toujours compter sur le parachute doré du budget de l'État. A l'inverse une intégration des dépenses de protection sociale dans le budget de l'État aurait sans doute conduit à une gestion plus rigoureuse. Pour faire face au gonflement permanent des dépenses sociales, les parlementaires auraient peut-être été amenés à réfléchir au danger politique et économique de nouveaux impôts, ou de l'alourdissement de la dette publique. Il n'en a rien été: on a fait comme si les déficits sociaux étaient accidentels, et pourraient s'effacer l'année suivante soit par un retour spontané à la « normale », soit par l'adoption de réformes paramétriques, qui se sont donc accumulées au fil du temps. Pour le futur, de tels désordres risquent d'être encore plus malfaisants. 64. Cf supra chapitre III pp. 48-49. 65. Sur l'opacité des comptes et de la gestion de la Sécurité Sociale on se reportera à notre tome 1 (en particulier Chapitre II annexe D pp. 77-78).
80 L'une des options de la transItIon consiste à demander à l'État de supporter tout ou partie de la liquidation des droits acquis en répartition. Beaucoup de pays ont adopté cette solution: c'est le
contribuable qui paie l'ardoise laissée par la répartition, c'està-dire le paiement des pensions aux retraités encore régis par le vieux système de répartition. Nous avons marqué notre préférence pour demander l'effort à l'assuré plutôt qu'au contribuable, compte tenu du fait qu'il y a un décalage générationnel entre le contribuable actuel et le retraité futur. Le contribuable actuel le plus lourdement taxé est celui qui restera vraisemblablement dans le système de répartition, et ne bénéficiera pas de la transition. Ce sont au contraire les contribuables les plus jeunes, relativement moins taxés qui profiteront d'une bonne retraite garantie par la capitalisation, sans qu'un supplément de cotisation leur soit demandé de façon durable. Mais la liquidation des droits acquis n'est pas le seul coût de la transition qui pourrait avoir des incidences sur le budget de l'État. La constitution d'une épargne de capitalisation soulève de nombreux problèmes fiscaux: des exemptions fiscales peuvent venir en déduction d'un supplétnent de cotisations demandé aux assurés, d'autres peuvent encourager une épargne volontaire, les revenus du capital et du patrimoine doivent être protégés contre les agressions fiscales: l'État ne peut reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre. Qu'il le veuille ou non, l'État devra lui aussi s'imposer des sacrifices et renoncer à un certain nombre de recettes fiscales. Si les dirigeants acceptent ces sacrifices, cela aura sans doute des retombées heureuses sur l'économie, suivant la structure des impôts 66 . Mais cela signifiera aussi que l'État renoncera à un certain nombre de ses propres dépenses et interventions. A l'inverse un comportement de fuite en avant, accumulant les déficits puis finalement la dette publique, rend impraticable la transition, parce que l'effort fiscal demandé aux contribuables sera incompatible avec l'effort de cotisations qu'on leur demandera, et parce que le laxisme budgétaire et la dette publique sont des machines à détruire l'économie. Il est remarquable que les pays qui se sont nettement engagés dans la transition aient été aussi ceux qui ont remis de l'ordre dans leurs finances publiques, et qui ont retrouvé au moins l'équilibre, sinon l'excédent budgétaire. '66. Ce point est abordé dans le chapitre suivant pp. 90-92.
81 Mais remettre de l'ordre dans les finances publiques, c'est aussi remettre en cause un grand nombre de dépenses publiques, donc diminuer le poids de l'État dans la société et dans l'économie. Cette décroissance de l'État, qui est la condition du succès de la transition, est considérée trop souvent comme un choix idéologique, alors qu'il s'agit avant tout de sauver les retraites du futur. Mais l'idéologie est partout, et paralyse tout changement significatif.
10. L'IDEOLOGIE ANTI-CAPITALISTE La crise a renforcé l'idéologie anti-capitaliste, qui n'avait d'ailleurs jamais disparu en France, Elle avait été éliminée de la scène intellectuelle et politique en Allemagne avant la réunification, puisque le Manifeste de Bad Godesberg avait marqué dès 1959 la rupture du parti socialiste SPD avec le marxisme. Mais en France vingt ans plus tard François Mitterrand se présentait aux électeurs français comme le candidat du marxisme. Chez nous, non seulement la gauche extrême et le parti communiste se sont constamment réclamés de l'anti-capitalisme, mais au sein du Parti Socialiste le poids du marxisme et des trotskystes a toujours été considérable. Toutefois, c'est surtout depuis quelques mois que l' anticapitalisme est devenu la réaction populiste à la crise, et Olivier Besancenot a saisi l'occasion pour fonder un parti dont l'objectif est la mort du capitalisme. Avec grand talent, Nicolas Lecaussin vient d'expliquer les raisons et les conséquences de cette poussée révolutionnaire 67. A sa suite, nous pouvons nous demander pour quelles raisons la France se trouve ainsi à l'avant-garde de ce retour idéologique, et nous en voyons quatre au minimum. La première c'est que le capitalisme n'ajamais eu les faveurs de l'opinion publique, car la tradition historique du pays est celle de l'étatisme, de la centralisation. Sociologiquement la France a toujours été la patrie des paysans et des artisans plutôt que celle des banquiers et des commerçants. La révolution industrielle s'est transplantée en France à l'initiative d'une minorité de « bourgeois », petites gens modestes qui ont simplelnent eu 67. Nicolas LECAUSSIN Au secours, ils veulent la l110rt du capita lis 111e, First, éd. Paris, 2009.
82 l'audace de l'innovation, mais qui ont eu du mal à se frayer un chemin dans la société 68 . La deuxième c'est que la classe dirigeante a toujours été celle des hauts fonctionnaires et des ingénieurs, rarement celle des chefs d'entreprise, sous représentés aux parlements et gouvernements successifs. La droite française est plus conservatrice que libérale, elle a plus de sympathie pour l'État que pour le marché. La troisième est due à la formation des esprits, confiée à un monopole d'État, l'Education Nationale, dont un grand nombre de maîtres véhiculent depuis quarante ans l'idéologie marxiste. Les jeunes sont élevés dans la foi collectiviste, leurs vertus personnelles sont écrasées par un égalitarisme fanatique, ils deviennent persuadés que l'histoire et le monde sont faits de luttes, d'exploitations et d'aliénations. La jeunesse ayant horreur de l'injustice, elle réagit à toutes les propagandes visant à opposer capitalisme et justice sociale. La quatrièlne, et non la moindre, est l'existence même de la Sécurité Sociale. Elle est un foyer d'irresponsabilité, elle dispense tout assujetti d'un effort personnel, d'un calcul individuel, elle tue l'esprit d'épargne et de prévoyance, elle encourage la tricherie. Alors Inême qu'elle soumet les' hommes à une bureaucratie itnpitoyable, elle entretient cependant l'illusion que l'État est une Providence, que le destin ne saurait être que collectif. Elle multiplie les «droits sociaux» et en oublie les droits individuels, dont notamment la propriété privée, base du capitalisme. Voilà donc se dessiner le cercle vicieux de la transition : pour réformer la Sécurité Sociale il faut compter avec le choix idéologique à la base de cette Sécurité Sociale, qui interdit toute réforme. En dehors de ces quatre raisons assez propres à la France, est venue s'ajouter une idéologie anti-mondialiste née avec la conférence de Rio (1992), éclatante revanche du marxisme détruit avec le mur de Berlin en 1989. Aujourd'hui cette idéologie est sYlnbolisée par Al Gore, prix Nobel de la paix. Elle renforce la volonté de rompre avec le capitalisme au prétexte de sauver la planète, de gérer plus intelligemment des ressources raréfiées par la croissance débridée des pays du Nord, de libérer les pays du Sud de l'exploitation et de la Inisère où le commerce international les a plongés. Bien que cette idéologie soit fondamentalement de 68. Sur ce point on pourra consulter l'ouvrage de Fred AFTALION, Histoire de la Révolution Bourgeoise, Ed. Charles Coquelin, Paris 2007.
83 gauche, elle a pénétré tous les milieux intellectuels et politiques de droite, et produit une alliance curieuse du conservatislne précapitaliste et de la révolution prolétarienne 69 . Est-il possible de vaincre ou de neutraliser l'idéologie anticapitaliste? En France ses racines, on le voit, sont profondes. Le vieillissement de la population ne porte pas aux ruptures profondes, et pérennise le règne de la pensée unique. Seuls les jeunes peuvent être amenés à changer. Comme les générations de « quadras » sont les plus menacées par l'explosion des retraites, peut-être vont-elles se rendre aux réalités et tourner le dos à l'idéologie anti-capitaliste. Le contexte européen et mondial aura aussi des vertus didactiques : on verra prochainement le clivage entre les pays qui baignent dans l'idéologie anti-capitaliste et ceux qui s'en sont libérés. Peut-être les signes viendront-ils paradoxalement des pays émergents, de ceux que la misère a persuadés d'entrer de plain pied dans le circuit du libre échange mondial. Toutefois il serait déraisonnable de faire preuve d'un optimisme béat: le basculement de l'opinion publique peut prendre du temps, et la classe politique peut en prendre argument pour retarder une transition qui peut lui paraître suicidaire, puisque la rupture avec l'État Providence et la privatisation des retraites signifient moins de pouvoir, moins de manne publique. Il y a cependant un élélnent qui devrait vaincre les peurs et les réticences, et justifier un certain optimisme: ce sont les perspectives de croissance économique ouvertes par la transition. La transition a en effet une dimension économique dont les analyses courantes ne tiennent aucun compte, alors qu'elle est sans doute déterminante.
69. Cf. Vaclav KLAUS Planète bleue en péril vert, Librairie de l'Université Aix-en-Provence 2009, préface de Jacques GARELLO. La curiosité de l'alliance apparaît dans l'engagement de la plupart des candidats à l'élection présidentielle de 2007, Nicolas SARKOZY en tête, à respecter le manifeste rédigé par Nicolas HULOT.
Chapitre V
LA RELANCE ECONOMIQUE La relance est d'actualité. Le brutal coup d'arrêt porté à la croissance a suscité un regain d'intérêt pour des recettes que l'on croyait éculées, puisqu'elles avaient fait la preuve irréfutable et durable de leur échec. On a beaucoup parlé de New Deal, le keynésianisme semble triompher. C'est «le retour de l'État»; il reprend une mission impossible, à laquelle l'expérience historique et la théorie économique lui recommandaient pourtant de renoncer: relancer une économie déprimée par les dérèglements financiers. Les politiques de relance à base de dépenses publiques et . d'injection massive de monnaie vont subir très vite le sort qui les attend: les énormes déficits budgétaires vont accroître la dette publique, les emplois subventionnés et fictifs disparaîtront finalement, les entreprises artificiellement soutenues priveront les autres de l'investissement nécessaire, le chômage déprimera le pouvoir d'achat réel; et l'inflation sera au rendez-vous. Nous n'avons aucun mal à imaginer le scénario: il a été vécu dans des centaines d'expériences antérieures, et il est conforme à l'analyse scientifique du fonctionnement des marchés. Par comparaison la transition est de nature à provoquer une relance naturelle et puissante. Là aussi les leçons de l'histoire et de la science sont sans équivoque: la capitalisation est un accélérateur de croissance. C'en est au point que les pays qui se sont lancés le plus loin possible, et le plus vite possible dans la transition ont pu raccourcir la durée de la transition de plusieurs années par rapport à ce qui était prévu, de sorte que la transition est apparue moins difficile et plus efficace. Voilà un autre «miracle de la capitalisation », qui vient s'ajouter à celui qui consiste à accroître et sécuriser les retraites tout en diminuant les cotisations 70 . La transition donne un vrai coup de fouet à la croissance. Elle met à la disposition des entreprises des ressources d'épargne
70. Ce premier miracle a été expliqué dans le tome II Chapitre IV La capitalisation: mystification ou miracle? pp. 181-221.
86 Inassives, elle rétablit l'équilibre des finances publiques, elle crée des motivations et des comportements nouveaux. Le seul vrai problème qui se pose dans la conjoncture actuelle est celui de la compatibilité entre transition et politiques de relance. La transition ne peut faire sentir pleinement ses bienfaits économiques que si l'environnement lui est propice, c'est-à-dire si la liberté économique est au moins partiellement reconnue dans le pays considéré. Dans une économie dirigée la transition est étouffée avant même qu'elle ait pu porter ses fruits.
1. L'EFFET D'ENTRAÎNEMENT Commençons par nous situer dans un environnement favorable, celui qu'ont connu nombre de pays avant la crise, et que connaissent encore actuellement ceux qui ont échappé à la tentation des politiques de relance conjoncturelle. La transition permet de transformer des dépenses de consommation en dépenses d'investissement, elles-mêmes créatrices d'emplois et de richesses. Les cotisations obligatoires peuvent s'assimiler à une épargne forcée. Cette épargne vient s'ajouter à l'épargne volontaire qui est constituée par les ménages pour préparer leurs vieux jours. Cependant l'épargne volontaire a d'autant moins de volume qu'on itnpose aux assurés une épargne forcée. D'une part la ponction globale sur le pouvoir d'achat devient intolérable et les ménages ne veulent pas réduire leur consommation courante. D'autre part le seul fait qu'il existe un système obligatoire de protection sociale crée l'illusion de la sécurité du futur, et l'esprit de prévoyance s'émousse considérablement. La question importante que l'on peut se poser est celle de l'usage fait de l'épargne forcée. Dans un système par répartition, cette épargne est immédiatement réinjectée dans le circuit et se transforme en dépenses de consommation itnmédiates. Les cotisations sont en effet directement affectées au paiement des pensions. L'épargne aura donc disparu.
La capitalisation a pour mérite de réactiver une épargne forcée qui fait actuellement défaut à un grand nombre de pays. En France l'investissement des entreprises privées souffre d'une véritable pénurie de financement, que l'endettement ne compense qu'à un coût élevé. Encore faut-il que les institutions financières disposent elles-mêmes d'une épargne suffisante. L'épargne placée
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en bourse s'est effondrée depuis plusieurs mois, et la reprise du cours des actions est encore lointaine. La masse des retenues prélevées sur les revenus par le systèn1e de répartition est sans doute l'une des causes de cette faiblesse des investissements. Les économistes ont l'habitude de parler d'un «effet d'éviction» quand l'épargne forcée publique (par la cotisation ou par l'impôt) opère un transfert au détritnent de l'épargne investie dans les entreprises privées. Par contraste, avec un système en capitalisation, l'épargne est confiée à des intermédiaires financiers qui ont mission de la faire fructifier sur le long terme. Pour ce faire, les fonds de pension ou organismes équivalents vont faire les placements les plus rentables et les plus sûrs. Les portefeuilles constitués seront composés de droits de propriété (actions) et de droits de créance (obligations) dont les revenus permettront d'alimenter le flux des pensions à payer dans le futur. Quant aux pensions courantes, on doit se rappeler que toute transition repose sur leur financement soit par la part (sans doute la plus importante) des cotisations, soit par l'État. L'épargne confiée aux fonds de pension ne compromet en aucun cas le paiement des pensions régies par la répartition. La transition accroît donc soudainement les ressources de financement à la disposition de l'économie. Au Chili, la capitalisation des fonds gérant les retraites a représenté 80 % du PIB au 'bout de 15 ans (1980-1995), en Grande Bretagne, également 80 % du PIB au bout de vingt ans (1980-2000). Le taux de retour sur investissement au Chili a été sur les quinze premières années de l'ordre de 10 % et la croissance a été supérieure à 10 0/0. Aujourd'hui l'économie chilienne est la plus stable et la plus performante de tous les pays d'Amérique Latine. L'une des conséquences de cet effet d'entraînement est que la transition peut se trouver raccourcie de façon inespérée. Si l'on observe à nouveau l'expérience chilienne, elle s'est étalée sur une quinzaine d'années alors qu'au départ elle était destinée à durer sur une génération entière. Le lien avec la croissance est évident. Dans une conjoncture de forte croissance le pouvoir d'achat supplémentaire permet d'alléger comparativement le poids des cotisations obligatoires (celles qui sont destinées à éponger les pensions par répartition) et de pousser les assurés à capitaliser davantage en augmentant leurs cotisations volontaires, de sorte qu'ils auront atteint leur niveau de pension désiré (disons par exemple un taux de remplacement de 80 0/0) plus tôt que prévu. C'est exactement ce qui s'est produit au Chili où l'on a vu les
88 propriétaires de livrets de retraite faire des versements volontaires de plus en plus élevés après les premières années de cotisation. Il faut aussi tenir compte du fait que dans une conjoncture de croissance, la rentabilité des placements est elle aussi augmentée, de sorte qu'il faudra moins d'années pour parvenir au résultat attendu grâce à un taux de retour élevé.
2. L'EFFET D'ALLÈGEMENT Au cours de la transition, on peut s'attendre à un autre effet positif sur la croissance: les «charges sociales» se trouveront allégées. Cet allègement engendre une double dynamique: d'une part la compétitivité des entreprises est sauvegardée, voire même accrue, d'autre part le pouvoir d'achat des retraités et des assurés . est protégé, voire même augmenté.
Les charges sociales représentent une lourde pénalité pour les entreprises françaises en cOlnpétition avec leurs concurrents étrangers. Il est avéré que chez nous· le niveau de salaire (brut), à qualification égale, est en moyenne comparable à celui de nos principaux partenaires, mais que l'écart se creuse quand on introduit les charges sociales, car le «coût du travail» s'élève alors brutalement. Ainsi la transition cessera-t-elle de dégrader la compétitivité de nos entreprises. Du coup, les elnplois et la production nationales seront sauvegardés et la croissance sera-t-elle stimulée. Cette formule est plus réaliste que celle qui consiste à vouloir aligner les charges sociales de nos partenaires sur les nôtres. Une telle tentative est menée sans cesse par les gouvernements français au prétexte de lutter contre le «dumping social », et d'éviter les délocalisations. L'attaque contre l'implantation d'usines automobiles en République Tchèque est assez révélatrice: elle traduit la volonté française «d'harmoniser» les charges dans les pays de l'Union Européenne, en clair d'obliger les autres à gaspiller autant d'argent que nous, et elle montre la vanité de cette démarche puisque les autres pays ne l'entendent pas de cette oreille. Pour leur part, ils bénéficient de système de retraites plus économes, en ayant réduit le système public obligatoire par répartition à son niveau le plus bas, celui d'un simple filet social, et en laissant les salariés libres de capitaliser à partir de salaires cOlnparables aux nôtres.
89 Certes, l'incidence des charges sociales ramène toujours au salarié. Nous n'avons cessé de rappeler que la part patronale des cotisations, comme la part salariale, est en réalité un impôt qui pèse sur le salarié (qui ne perçoit pas son salaire complet). Mais il est possible de diminuer cet impôt et de réduire les charges sociales grâce à la capitalisation, qui à partir de prélèvements moindres donne des rendements supérieurs. C'est ce qui ne manquera pas de se produire à terme, quand la transition sera arrivée à maturité. On peut objecter que cette échéance est bien lointaine, alors que l'exigence de compétitivité est immédiate pour des entreprises françaises aujourd 'hui à la limite de l'équilibre. Mais la transition a pourtant bien un mérite dès le début: elle évite l'inflation de charges sociales entraînée par le maintien d'un pur système de répartition. Dès maintenant, le relèvement des cotisations est pratiqué à chaque poussée de déficit du régime retraite. Il prend la forme pure et simple de taux plus élevés mais aussi de changement dans les « paramètres» qui entrent dans le calcul de l'assiette de la cotisation 71. Ce surcroît de cotisations s' accélèrera sans aucun doute si l'on persévère dans la répartition, pouvant atteindre quelque 20 % dans moins de dix ans. La transition stoppe cette hémorragie, et maintient les charges à leur niveau actuel, en attendant qu'elle les réduise.
Le niveau élevé de charges a mécaniquement un effet sur le pouvoir d'achat des salariés. Au lieu de percevoir son salaire complet, le salarié en répartition n'en voit que 50 à 60 % (suivant son niveau de salaire). Il s'est vu de plus taxer par deux impôts nouveaux: la CSG (dont une faible proportion va à l'assurance vieillesse) et la CRDS. La transition parvenue à maturité permet de reconstituer le pouvoir d'achat aujourd'hui amputé. De plus, la capitalisation donne au salarié la propriété d'un capital dont il peut disposer dans certains cas sans puiser dans son pouvoir d'achat. En effet, le titre de propriété peut être rendu négociable et, dans certaines expériences de transition 72 les sommes accumulées sur des comptes de retraite ont pu être utilisées à l'achat d'un logement; c'est une sorte « d'avance sur pensions ». Enfin et non le moindre la transition est aussi une défense du pouvoir d'achat des retraités. On sait que la répartition amputera de plus en plus le montant des pensions: tantôt leur taux sera réduit 71. Cf. Tome 1 Chapitre III p.99 72. C'est le cas en particulier au Chili, en Grande Bretagne et en Suisse, cf. Tome II chapitre III.
90 (même si l'on est théoriquelnent dans un système «à pensions définies») tantôt les droits à retraite seront ouverts plus tard. Cet étirement vers le haut des annuités de cotisations et de l'âge de la retraite est aujourd'hui la voie la plus fréquentée par les « réformateurs» de la répartition, il s'agit ni plus ni moins d'une spoliation des droits acquis. La transition met le retraité ou le futur retraité à l'abri de cette mésaventure.
3. L'ÉQUILIBRE DES FINANCES PUBLIQUES Le système par répartition, on le sait, constitue un véritable boulet pour les finances publiques. Les déficits permanents et croissants se transforment tôt ou tard en dette publique, dont la charge déséquilibre les budgets. Les contributions du budget de l'État à l'assurance vieillesse ont dépassé le milliard d'euros en 2005, mais ont fait un bond spectaculaire en 2006 et 2007 avec quelque 12 milliards, et 15 milliards en 2008 ; on prévoit au moins autant en 2009. Chaque année, le déséquilibre entre actifs et retraités s'accentuant, il sera fait davantage appel au contribuable présent (impôts) ou futur (dette). Après avoir représenté 10 % des ressources de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse, les dotations budgétaires risquent de passer à 15 puis 20 %, en dépit des réformes «paramétriques» qui n'ont d'autre effet que de contenir le déséquilibre, mais pas de l'éliminer.
Cette dégradation des dépenses publiques liées aux retraites n'est pas particulière à la France. Elle a été observée dans beaucoup de pays de l'OCDE, encore dominés par la répartition. Entre 1990 et 2003, sur 27 pays de l'OCDE, 8 seulement avaient connu une baisse de ces dépenses (Irlande, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Finlande, Luxembourg, Slovaquie, Danemark, Norvège) et 20 avaient subi une hausse, portant 8 d'entre eux au-dessus des 10 % du PIB (la France étant alors à 12,30 %)73. La transition va transformer ce paysage budgétaire. Son premier effet, mécanique, est lié à la croissance, ellemême entraînée par l'épargne dégagée pour l'investissement des entreprises. Les recettes fiscales, notamment celles qui
73. On se réfèrera au tome II, Chapitre 3, tableau 2, pp.l46-147. les données sont celles de l'OCDE.
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proviennent de la TVA, vont se gonfler compte tenu de la hausse de la consommation. Le deuxième effet est plus aléatoire, mais il n'est pas négligeable. Il s'agit de la contraction des dépenses publiques. Elle est liée d'abord au ralentisselnent de la croissance du service de la dette, aujourd'hui en France le deuxième poste des dépenses inscrites au budget. Ensuite, l'expansion du secteur privé, à la suite de la privatisation d'un grand nombre d'institutions financières naguère publiques et de la création d'elnplois dans les entreprises en expansion, devrait entraîner une décrue de la fonction publique, et le budget de fonctionnement de l'État s'en trouverait allégé. Evidemment les gouvernements peuvent considérer cette contraction comme une aubaine, et s' elnpresser de réutiliser les économies ainsi réalisées dans de nouvelles interventions. De même, sous la pression des syndicats de la fonction publique, les gouvernements peuvent-ils renoncer à réduire les effectifs. C'est dire qu'il faut bâtir deux scénarios: l'un met en scène un gouvernement vertueux, qui met à profit la transition pour remettre de l'ordre dans les finances publiques, l'autre concerne un gouvernement qui s'empresse de dilapider les recettes fiscales et qui refuse le moindre reflux de l'administration. Nous pensons cependant que le scénario du gouvernement vertueux demeure réaliste, même en France. D'une part il est plus facile de restructurer les finances publiques dans un climat de croissance accélérée et de confiance revenue puisque l'État a plus de marge de manœuvre. D'autre part l'engagement du pays dans un processus de transition témoigne comme on l'a dit d'un certain courage politique, et laisse augurer que l'on peut aller plus loin dans la voie de la réforme des mœurs politiques et budgétaires. Des recettes fiscales supérieures, et des dépenses publiques diminuées ou au moins contrôlées: la perspective des excédents budgétaires n'est pas lointaine. Cette tendance peut d'ailleurs être confirmée et amplifiée par une réforme fiscale elle aussi plus favorable à la croissance. Des impôts sur le revenu moins progressifs, et dans le même sens l'adoption d'une flat tax généralisée (impôts à taux fixe et unique), déclanchent des effets salutaires. On les dénomme en général « effet Laffer» et on cite pour exemple la réforme Reagan. Si l'État veut accroître ses recettes fiscales, il doit paradoxalement diminuer les taux d'imposition, notamment sur les revenus les plus élevés. Les contribuables sachant qu'ils pourront garder une part plus importante de leurs gains sont incités à gagner davantage, et paient
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finalement plus d'impôts. Ce qui effraie le contribuable ce n'est pas le montant des impôts qu'ils payent, c'est celui de l'argent qui lui reste après que le fisc se soit servi 74 . Aujourd 'hui, en France, la progressivité est très prononcée, et la moindre décrue des taux est considérée comme un « cadeau fait aux riches» 75. En réalité le cadeau est fait à la fois au fisc (qui traitera une « matière fiscale» plus importante et évitera l'évasion fiscale) et à la population dans son ensemble, parce qu'une forte reprise de l'activité, un gonflement de l'offre, signifie la distribution d'un nouveau pouvoir d'achat et la création de nouveaux emplois. Les travaux de l'IREF, repris par Contribuables Associés, ont contribué à faire connaître l'effet Laffer, et les mérites de la flat tax 76 Si les Français ont moins le cœur à l'ouvrage, c'est qu'ils renâclent à laisser au percepteur la moitié de ce qu'ils gagnent. C'est bien une moitié de leurs revenus que représentent les prélèvelnents obligatoires pour le Français moyen, qu'il s'agisse des impôts nationaux ou locaux ou des cotisations sociales. Les contempteurs de l'impôt, COlnme Jacques Delors, ignorent totalement une loi pourtant bien simple: les gens préfèrent travailler pour leur compte que pour le cOlnpte de l'État.
4. UNE MOTIVATION NOUVELLE Ces dernières considérations soulignent le fait que la transition s'inscrit nécessairement dans un contexte de nouveaux comportements, tant des gouvernants que des citoyens. 74. Une étude menée par Alvin RABUSHKA , père de la flat tax, a Inontré que les contribuables américains de la tranche la plus élevée payaient après la réforme Reagan une part plus itnportante de l'impôt total que celle qu'ils payaient avant la réforme. Voilà qui devrait rassurer les partisans de la redistribution et de la «justice fiscale ». 75. Il n'est qu'à voir en particulier le déchaînement des passions contre le bouclier fiscal. Cette Inesure «scandaleuse» aux yeux de certains est pourtant courante dans la plupart des pays riches, elle est constitutionnelle en Allelnagne. Elle sauvegarde le droit de propriété. 76. lREF et Contribuables associés ont organisé un grand colloque à Paris sur le thème de la Flat Tax. Une synthèse en a été présenté dans les Cahiers de Contribuables Associés, Laflat tax, n° 18, octobre 2008. L'IREF vient égaletnent de faire traduire et commenter l'ouvrage fondateur de Robert HALL et Alvin RABUSHKA sous le titre L'impôt proportionnel, éd. Librairie de l'Université, avec une introduction de J.-P. DELSOL et P. GARELLO.
93 Le transfert d'un système à l'autre n'est pas seulement financier, il est aussi psychologique. A une société fondée sur la bureaucratie, la centralisation, le commandement et l'arbitraire, correspondent des comportements tantôt passifs et grégaires, tantôt malins et profiteurs, tantôt découragés et réservés. Les vertus nécessaires à la croissance économique et au progrès social sont peu cultivées et finissent par se perdre: l'initiative, la curiosité, l'effort, le mérite, la performance, la rigueur, le souci des autres, le désir de servir, et peut-être même la générosité et l'honnêteté.
Le drame des relations sociales fondées sur la répartition et la redistribution est que nul n'yale sentiment d'agir pour soi-même, nul ne se sent propriétaire de ses œuvres ni responsable de ses actes. Il existe un vaste pot commun, et une machine à répartir appelée État ou Sécurité Sociale - c'est la même chose. On espère que la machine donnera le jackpot. La forlTIule de Frédéric Bastiat, écrite en 1848, est d'une actualité saisissante: « L'État, c'est la grande fiction sociale à travers
laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». La répartition flatte ce qu'il y a de moins reluisant dans le cœur humain: l'envie, l'oisiveté. Elle masque ce qu'il y a de plus noble: le dépassement de soi, le service de la cOlnmunauté, l'initiative. Ainsi l'action humaine, à cause du cadre institutionnel qu'on lui donne, est-elle orientée vers la médiocrité voire la déchéance au lieu de l'excellence et de l'épanouissement. Sans doute les traits personnels ne disparaissent-ils pas, et chaque être humain demeure-t-il unique et irremplaçable. Mais ce n'est pas aider les individus à trouver la voie de leur progrès personnel que de les noyer dans le collectif et leur ôter la possibilité de choisir et d'agir. La transition apporte ici une véritable novation. La capitalisation est d'abord un système «per capita », c'est-àdire propre à chacun des assurés. José Pifiera a des accents émouvants lorsqu'il parle de ces travailleurs chiliens fiers de montrer leur livret de retraite (certains en ont même plusieurs). « Cela lui donne un sens de propriété, un sentiment de dignité, de sécurité, cela le rend moins dépendant de l' elTIployeur, des syndicats, des politiques. Chaque mois ma secrétaire se rend à la banque, insère son livret dans une machine qui lui indique sa position et me dit ensuite ce dont elle dispose. Elle sait qu'elle a une indépendance financière ».
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Voilà qui fait aussi de la capitalisation un système « patrimonial»: elle entre dans un calcul qui contient la vie entière, et englobe toute la communauté de l'assuré. Il existe un cycle de vie de la gestion patrimoniale, avec des périodes où les individus dépensent, puis accumulent, puis dépensent à nouveau. Ce cycle de vie dépend à son tour d'éléments dont certains échappent à la volonté de l'individu (espérance de vie, niveau de la fiscalité) et d'autres procèdent d'un choix personnel (existence et étendue d'une famille, arbitrage entre travail et loisirs). Au XIX ème siècle devenir vieux était un accident et on mourait au travail, donc la tendance générale était à constituer un patrimoine pour les survivants. Au XXl ème siècle avec l'allongement de la durée de vie, la retraite devient un souci majeur. Si la période de la jeunesse est celle de la dépense, la période de maturité est celle de l'accumulation et de la constitution d'un patrimoine qui assurera la dépense pendant le troisième âge. La capitalisation permet une modulation de ces périodes en fonction des situations et des choix personnels. Le fait que le capital accumulé soit négociable et translnissible augmente encore l'intérêt de la capitalisation et élargit les choix de l'assuré. Cela contraste avec la répartition: aujourd'hui le retraité qui n'a pas la chance de survivre longtemps après l'âge de la retraite perd une grande partie des droits pour lesquels il avait cotisé, celle qui est transmise aux survivants (pensions de réversion) est ridicule.
La capitalisation est finalement un système responsable, mettant l'individu au cœur des choix patrimoniaux, l'obligation légale fait place progressivement à la volonté personnelle. Certains ont émis des doutes sur l'aptitude des individus à gérer un patrimoine, et notamment à constituer une épargne. Y aurait-il une incapacité liée à la modicité des revenus, de sorte que les plus démunis seraient aussi démunis de retraites? L'histoire sociale du XIX ème siècle démontre l'inverse: ce sont les ouvriers qui ont inventé la mutualité, et ont constitué les «sociétés de secours mutuel» qui les garantissaient contre le chômage, la maladie et la vieillesse. Il est vrai que leur éducation économique, pour être simple, était bonne: on les avait instruits des bienfaits de la prévoyance, «faire des économies» faisait partie des principes élémentaires de gestion patrimoniale. Peut-être est-ce de ce côté-ci que l'on devrait aussi chercher un remède aux dérapages actuels de la gestion patrimoniale : l'éducation est celle du «tout et tout de suite », plutôt que celle du calcul le plus élémentaire. Mais qui a incité les gens à vivre en dessus de leurs moyens et à dépenser un
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argent qu'il n'a pas? C'est l'État Providence qui, en donnant à chacun l'illusion qu'il n'a pas à s'inquiéter pour le futur, a surévalué le présent. La politique systématique de crédit facile et d'argent à bon marché a renforcé ce sentiment de laisser-aller. Voilà qui, nous semble-t-il, explique une certaine incapacité à la gestion. Mais elle ne nous semble pas irréversible, dans le cas où les gens sont à nouveau mis devant leurs responsabilités. La retraite, chacun peut en faire « son affaire» : tel est peutêtre le plus fort stimulant pour le travail, pour l'épargne, pour l'initiative et finalement pour la croissance. Tel est sûrement le moyen de rendre aux gens leur liberté et le sens de leur dignité. C'est l'un des mérites de la transition de rompre avec une société d'assistance et d'insouciance pour redonner aux individus le sens de leur propre valeur et de leurs devoirs.
5. UN CHANGEMENT DE SOCIÉTÉ Parvenus à ce point, nous ne saurions mieux faire que de vous proposer la lecture d'une synthèse présentée par le professeur Gary Becker, le plus prestigieux des prix Nobel en vie. Ces quelques phrases résument toutes les perspectives ouvertes par la transition, qui en font un véritable changement de société?? «Tous les points techniques [de la transition] peuvent être aménagés, mais le plus important» n'est pas là. Il réside dans le fait que certains tournants décisifs vont devoir être pris pour réussir la capitalisation: - « C'est un retour au travail: plus de gens seront actifs et le seront plus longtemps. Aujourd'hui, on est dans une société où le capital humain est gaspillé, on se prive de compétences, et on stérilise l'investissement en capital humain fort coûteux réalisé au cours des périodes précédentes. Cela suppose évidemment que les pouvoirs politiques cessent d'intervenir sur le marché du travail, et lui rendent la liberté et la souplesse nécessaires. C'est donc non
77. Professeur à l'Université de Chicago, Gary Becker a reçu le prix Nobel en 1992. Le passage qui suit est extrait de son intervention lors d'un colloque organisé à Paris le 10 décembre 1997 par l'ALEPS (Association pour la Liberté Economique et Social) et l'Association SOS Retraites Médecins. Nous avions repris ce texte à la fin du tome 1 Chapitre V annexe G pp.194195.
96 seulement un retour au travail, mais au travail qualifié et au travail libéré ». - «C'est un retour à l'épargne: alors que la répartition dilapide l'argent gagné, et détruit le capital humain et la richesse nationale, la capitalisation place l'argent gagné, le fructifie. Cela suppose aussi que toute fiscalité sur l'épargne soit éliminée et s'il y a une charge fiscale à assurer elle doit l'être par des impôts sur la consommation, sans toucher à l'épargne ni au patrimoine ». - «C'est un retour à la responsabilité personnelle: la répartition contient tous les germes de la collectivisation et aboutit à faire disparaître toute idée de progrès personnel. La capitalisation a le mérite de mettre chacun face à son propre progrès. S'il y a des individus laissés pour compte on peut prévoir un filet social à leur intention, mais ces cas doivent demeurer marginaux et il faut se garder, comme on le fait maintenant, de construire tout un système d'État Providence sur des hypothèses extrêmes qui ne concerneraient normalement qu'une infime minorité de la population ».
« C'est une raison essentielle: il faut laisser aux individus le soin de bâtir leurs retraites de façon volontaire et autonome, en n'utilisant le procédé de la cotisation obligatoire que pour une période transitoire et pour une part résiduelle des revenus. » « Le passage à la capitalisation signifie donc aussi le passage à un État Providence réduit à sa plus simple expression et à une économie de liberté et de responsabilité. »
6. RECOMMANDATIONS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE Vous aurez remarqué que la synthèse de Gary Becker s'accompagne aussi de recommandations à l'adresse de ceux qui veulent mener une politique économique. Gary Becker demande une libération du marché du travail, une suppression de la fiscalité sur l'épargne et un respect de la propriété, une limitation des interventions sociales à des cas extrêmes concernant une minorité de la population. Nous y ajouterons une libération des marchés financiers et une stricte régulation monétaire, dont Gary Becker ne parle pas en 1997 car il y a vingt ans de tels sujets ne faisaient pas problème, alors qu'ils sont aujourd'hui au cœur de la crise.
97 Libération du marché du travail Le système social français, y compris celui des retraites, repose sur une série d'obligations légales, imposées directement par le législateur, ou indirectement par les partenaires sociaux dont les décisions échappent aux individus mais sont avalisées par les pouvoirs publics. Il faut rappeler que le montant des pensions servies par la Caisse Nationale de Retraites des Travailleurs Salariés 78 varie entre un minimum correspondant à 1'« Allocation de Solidarité des Personnes Agées» et un maximum égal à la moitié du « plafond des Ressources de la Sécurité Sociale ». Allocation et plafond sont tous deux établis par les pouvoirs publics. Ils ne sont donc pas négociables (au moins pour les individus, ~n revanche les négociations entre partenaires sociaux peuvent faire pression sur les gouvernements). De la même façon, le salaire minimum, dont le montant influence beaucoup de calculs de cotisations et de pensions, est également sous la coupe de l'État. Les rigidités sur le marché du travail ont une série de conséquences qui se payent en termes de croissance et de chômage. On relèvera, entre autres : - la durée légale du travail empêche l'entreprise de moduler le taux d'activité du personnel en fonction des charges de travail ; elle prive les salariés de la possibilité d'améliorer leur pouvoir d'achat; - le SMIC est un frein à l'embauche d'une main d'œuvre non qualifiée, en sens inverse son existence dissuade les travailleurs employés de rechercher une meilleure qualification et les expose à un chômage prolongé en cas de perte d'emploi; il a été mesuré que toute hausse de 5 points du SMIC crée un point de chômage en plus; - la gestion du personnel devient de plus en plus complexe et absorbe un temps croissant à cause des fonnalités administratives à effectuer, la multiplication des nonnes sanitaires, sécuritaires et environnementales paralyse l'innovation et développe les contrôles bureaucratiques ; - du fait de la législation sociale les contrats de travail à durée indéterminée ne peuvent être rompus qu'avec des coûts élevés pour l'entreprise, qui préfèrera donc des contrats à durée déterminée ou des temps partiels, ou de la main d' œuvre 78. Il s'agit du régime général des retraites, qui concerne Il millions de personnes.
98 intérimaire; la tendance est d'ailleurs d'étendre les « garanties» du CDI aux autres types de contrat, de sorte que la réticence à l'embauche serait encore accrue. Pour que les assurés reprennent en mains leurs affaires de retraites, il faut non seulement en finir avec le monopole et les privilèges de la Sécurité Sociale 79 , mais aussi permettre aux assurés et aux entreprises de contracter librement. Les assurés ont besoin de planifier leur retraite et la gestion de leur patrimoine et d'associer le niveau de pensions qu'ils désirent à des choix de carrière: recherchant des emplois plus rémunérateurs à travers leur qualification et leur formation, et donnant la préférence aux entreprises leur ouvrant de meilleures perspectives de capitalisation. Les entreprises peuvent s'engager dans des initiatives de protection sociale de nature à attirer et fidéliser un personnel de qualité, et dans des politiques de rémunération et de participation qui permettent au salarié de capitaliser davantage. En d'autres termes, il faut de la diversité et du contrat là où il y a aujourd'hui du monopole et de la réglementation.
Supprimer la fiscalité sur l'épargne Nous avons indiqué tous les bienfaits que la transition peut avoir sur le financement de l'économie, en mettant une masse d'épargne à la disposition des entreprises. Encore faut-il que l'État n 'y voie pas une manne fiscale. Il faut soustraire l'épargne à la rapacité des gouvernants, sous peine d'appauvrir le pays et de spolier les assurés. L'épargne est la clé de voûte de la transition. Certes elle intervient dès maintenant pour constituer volontairement un capital-retraite rendu bien nécessaire par l'effondrement de la répartition. Le législateur français l'a admis en accordant quelques exemptions fiscales pour l'impôt sur le revenu. Mais pour l'instant seuls ceux qui disposent de revenus suffisants peuvent constituer cette épargne, et l'exemption fiscale serait inutile si les impôts ne taxaient pas aussi lourdement l'épargne des Français. Dans la perspective de la transition, l'épargne concernera tous les assurés, car les doses croissantes de capitalisation inviteront à une épargne supplémentaire, pour laquelle les assurés ne peuvent être fiscalement pénalisés. 79. évoqués plus haut, dans le chapitre IV § 6 et 7 pp. 74-77.
99 L'équité fiscale, dont la base est le droit de propriété, voudrait qu'un seul prélèvement, à la source, soit effectué. L'idée est donc celle d'un « impôt sur la dépense », c'est-à-dire que soient soustraites de l'impôt sur le revenu toutes les sommes épargnées, sans aucune exception. Le fisc sera à temps de taxer les fruits de l'épargne quand ils feront retour sous forme de revenus, mais à nouveau les -revenus de l'épargne ne seront pas taxables s'ils sont épargnés, réinvestis sous une forme ou une autre. Or, actuellement, l'épargne est soumise à un triple prélèvement: - sur le revenu qui permet de la constituer: quand un contribuable paye 20 % de son revenu en impôt direct (IRPP), le percepteur ne se demande pas si ces revenus sont épargnés ou dépensés; - sur les revenus que son placement peut rapporter: les intérêts, les plus-values en capital, les biens immobiliers qu'elle permet d'acquérir sont tous sujets à prélèvement fiscal; - sur sa transmission: à l'occasion d'une donation, ou d'un partage, ou d'un héritage, voici une nouvelle amputation de l'épargne constituée et accumulée. De façon plus générale, les gouvernants doivent être dissuadés de violer la propriété privée. La fiscalité inéquitable est une violation incontestable, mais la réglementation peut aussi aboutir au même résultat. La réglementation peut en effet entamer lourdement la valeur d'un patrimoine, et obérer ainsi toute gestion à long terme. Par exemple, les règlements d'urbanisme peuvent faire perdre une partie du capital immobilier: le zonage peut geler des terrains à construire, les servitudes nouvelles peuvent dégrader un quartier. Au demeurant, ce respect de la propriété privée ne concerne pas seulement les retraites, mais aussi la vie économique en général. La propriété privée n'est pas seulement une source d'efficacité, puisqu'une personne ne gère bien que ce qui lui appartient, alors que la propriété collective est source de négligence, de gâchis et d'injustice. La propriété privée est aussi et surtout une source de responsabilité, elle est la liaison nécessaire entre les actes et leurs conséquences. La fiscalité et la réglementation ne sauraient l'atteindre qu'en détruisant l'esprit d'initiative, la liberté des choix, et finalement les ferments de la croissance économique.
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Limiter la redistribution Dans un pays, quel que soit son niveau de richesses, la solidarité joue au sein des communautés. Ces communautés sont la famille, le village, la cité, la région, puis finalement la nation. Dans les pays les plus pauvres le sentiment communautaire est particulièrement fort dans les espaces locaux: famille, tribu ou village. Avec le développement économiques, la solidarité s'exerce peut-être moins au niveau local et davantage au niveau national. Encore faut-il savoir si cette solidarité est spontanée, volontaire et privée, ou si elle est obligatoire, forcée et publique. La ligne de partage entre les deux devrait être indiquée par le principe de subsidiarité : il ne devrait être recouru à la solidarité publique que là où la solidarité privée est insuffisante. On peut très bien admettre que des lois sociales instaurent la solidarité publique quand elle est nécessaire, pour prendre en charge au moins partiellement des personnes qui ont des difficultés passagères ou structurelles (handicaps et toutes sortes de dépendance). Le prélèvement obligatoire est la forme naturelle de financement de cette solidarité. Les systèmes sociaux créés depuis un demi-siècle au moins, ou peut-être il y a plus d'un siècle 80 , reposent sur un tout autre principe que celui de la subsidiarité. Ils ne concernent pas une minorité de personnes ayant besoin d'un soutien particulier, mais des millions de personnes que l'on rend solidaires malgré eux. Pour leur part, les retraites par répartition créent une solidarité entre des générations à qui l'on n'a pas demandé leur avis, et aboutissent à une vaste redistribution des charges et des revenus entre des gens tout à fait étrangers les uns aux autres, mais à qui l'on a expliqué que s'ils n'acceptaient pas le partage ils manqueraient à leurs devoirs humanitaires les plus élémentaires. Il est frappant de voir comment on a converti la mode ancienne du contrat et de la mutualité volontaires en une machinerie bureaucratique, impersonnelle et dont les véritables bénéficiaires ne sont pas connus. La mutualité participait incontestablement d'un sentiment communautaire, et permettait à ceux qui le désiraient (et qui se connaissaient) de partager les risques de la vie: chômage et maladie principalement (on ne vivait pas assez vieux pour songer sérieusement à la retraite, et la famille jouait ici un rôle déterminant pour la prise en charge des aînés). Les 80. On fait souvent relTIOnter l'affaire à Bismark, instaurant une solidarité obligatoire avec la classe ouvrière pour la détourner de la lutte des classes.
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assurances découlaient du même principe, mais ajoutait la capitalisation à la mutualité: au lieu de constituer une simple caisse de secours on pouvait gérer les cotisations et les faire fructifier, et le contrat d'assurance s'élargissait à toutes les personnes acceptant de payer des primes, les liens personnels entre assurés n'étant plus aussi étroits que dans la mutualité. Les systèmes publics de retraite ne possèdent aucune des vertus ni de la mutualité ni de l'assurance classique. Ils s'inspirent en fait d'une philosophie de la redistribution, dont les bases sont incertaines, mais les effets vraiment négatifs. Les partisans de la redistribution font valoir tantôt des arguments politiques, comme la recherche de la paix sociale (Bismark), tantôt des arguments économiques, comme le pouvoir d'achat nécessaire pour maintenir le plein emploi (Beveridge), tantôt des arguments de justice sociale, à la recherche d'un partage équitable ou optimal des richesses (Rawls, Sen). Aucun de ces arguments n'est convaincant, la redistribution nous semble être plutôt une invention des hommes de l'État pour s'attribuer le monopole de la générosité et se présenter comme providentiels à leurs concitoyens, et en particulier à ceux qui appartiennent à leur clientèle électorale ou à des groupes de pression efficaces. En revanche une chose est certaine: la redistribution a des effets pervers. Elle signifie en effet la déconnection entre le mérite et la récompense, elle avantage ceux qui en font le moins (comportements de free riders 81 ), et pénalise ceux qui sont les plus prod~ctifs. La redistribution est un impôt sur l'initiative, l'effort, la réussite. Donc elle ralentit voire elle tue la croissance économique. Les partisans de la redistribution nous demandent de prendre la solidarité publique comme un paquet global: le refuser serait condamner les gens qui ont besoin d'aide. Cet artifice est réellement trop grossier. Il est tout à fait possible, dans un système de protection sociale, de faire la part de la nécessaire solidarité et de payer des impôts pour soulager les misères et les handicaps les plus lourds, tout en couvant les risques de la vie par des mécanismes d'assurance. Les prélèvements obligatoires de solidarité ne devraient pas excéder un taux de 3 à 5 % du PIB, alors que les cotisations
81. L'expression «free rider» a été popularisée par les analyses des décisions politiques (public choice). Le free rider c'est celui qui « voyage à l'œil », illnonte dans le bus sans ticket, les autres payent pour lui.
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sociales représentent quelque 30 % du PIB, et 14 % pour les retraites. La transition consiste à terme à renvoyer la gestion de quelque 10 % du PIB au secteur privé et à la concurrence. Elle diminue considérablement le «hasard moral », ce comportement qui consiste à ne pas prêter la moindre attention à ce que l'on fait parce que l'on sait que l'État est derrière la Sécurité Sociale et que quelqu'un finira bien par payer pour réparer les dégâts de son imprévoyance.
Libération des marchés financiers Cette recommandation de politique économique peut paraître déplacée au moment où le G20 vient d'attribuer très officiellement la paternité de la crise financière à l'absence de réglementation. Il ne fait pourtant aucun doute que d'une part il n'existe que très peu de secteurs d'activité économique aussi réglementés que la finance, et que d'autre part les États ont causé la catastrophe non seulement en manquant de vigilance mais aussi en organisant les excès. Les chefs d'État ont donc joué les pompiers pyromanes: ils se proposent de lutter contre une crise qu'ils ont provoquée, par négligence ou par complicité. La complicité est incontestable à propos des subprimes. Fanny Mae et Freddy Mac sont deux institutions mises en place avec le New Deal. Elles avaient pour mission de faciliter l'accès au crédit pour des gens pauvres qui avaient du mal à emprunter auprès du système bancaire traditionnel. Elles avaient presque disparu du paysage financier, jusqu'à ce que l'administration démocrate se mette en devoir de les ressusciter. Avec Clinton, on décide de relancer ce genre de «droit au logement opposable », l'État se portant garant auprès des banques. Désormais les banques ont apparemment comme clients des gens sans ressources mais en réalité le Trésor qui s'est porté caution. Les titres représentatifs de cette créance en or se sont donc arrachés, les banques en étaient à solliciter les emprunteurs pour avoir accès à ces titres, revendus chaque fois avec des marges substantielles. Mais les clients « apparents» n'en existaient pas moins, et quand il s'est avéré qu'une grande masse d'entre eux ne pouvaient honorer leurs échéances, la peur a comlnencé à saisir les banques, chacune d'entre elles se demandant d'où pouvait venir les titres qu'elle avait en mains: correspondaient-ils à un client solvable ou non? le danger avait été signalé à plusieurs reprises, et une commission d'enquête avait été diligentée par le Sénat, mais en pure perte,
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parce que les démocrates se sont faits rassurants. Parallèlement les autorités boursières, y compris la célèbre SEC (gendarme de la bourse de Wall Street) ne décelait rien d'anormal, ni même les agences de notation continuant à tenir les subprimes pour des titres de première valeur, et les banques qui les détenaient comme des financiers avisés. Une dizaine d'organismes de contrôle, surtout publics, ont été ainsi pris en défaut de surveillance. Il faut dire aussi que les dirigeants de Fanny et Freddy étaient très bien introduits au Congrès, finançant ouvertement (comme cela se fait aux États-Unis) le parti démocrate et même plusieurs sénateurs républicains. Au total les financiers en cause n'étaient réellement pas des financiers, et la logique « capitaliste» ne présidait pas à la gestion des institutions concernées. Quant à la réglementation internationale, elle n'a cessé d'être renforcée et compliquée chaque année un peu plus. Les règlements appelés Bâle 1 et Bâle II ont de longue date imposé des « normes prudentielles» aux banques, les autorisant à faire de la « transformation» (financer des crédits longs à partir de dépôts liquides) sous condition de garder une certaine proportion de leurs engagements en fonds propres (les banques devraient travailler avec leur propre argent plutôt qu'avec celui de leurs déposants). La réglementation a ouvert la chasse aux fonds propres, c'est-à-dire la chasse aux actionnaires apportant de l'argent frais. Mais pour les attirer il fallait dégager des résultats hors du commun: d'où la tentation de se lancer dans des opérations aussi hasardeuses que les subprimes. Avant que les réglementations ne soient mises en place, les banques imprudentes s'auto-contrôlaient et en cas d'échec disparaissaient du marché, absorbées par des concurrents. Nul ne songeait leur venir en aide 82 . Ce n'est donc sûrement pas en surajoutant une couche de réglementation que l'on écartera tout risque de crise financière au futur. Bien au contraire. Les seules victimes du G 20 étaient ceux qui n'y étaient pour rien: les hegde funds (fonds spéculatifs, en effet non réglementés jusque là) et les « paradis fiscaux ». La remise en ordre du secteur financier est indispensable pour la réussite de la transition. Certes les accidents boursiers ne compromettent pas l'équilibre des retraites par répartition à long 82. Pour une analyse limpide de ces réglementations et de ces contrôles, on se réfèrera à Nicolas LECAUSSIN, op.cit. pp. 103-11. L'auteur énumère en particulier toutes les instances publiques chargées de contrôler les activités financières, et qui ont toutes défailli.
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terme. Mais ils abaissent le taux de rendement, et surtout ont un effet de désinformation: ils détournent les assurés de la transition, devenue soudainement impopulaire par peur des crashs financiers. Il est remarquable que l'on alerte l'opinion publique de ce risque, somme toute limité, tandis qu'on la tient dans l'ignorance totale d'un autre risque qui, celui-ci, est inéluctable: l'explosion de la répartition 83. Quand on dit que le marché financier doit être libéré, cela signifie non seulement que le commerce de la banque et de la finance doit être soumis à nouveau à la loi du marché, qui sanctionne ceux qui commettent des erreurs, qui n'admet pas que la concurrence soit faussée par des aides publiques ou des privilèges légaux, mais aussi que le prix des services financiers, et notamment le taux d'intérêt soit fixé par l'offre et la demande, et non par des décisions arbitraires des banques centrales et des pouvoirs publics. Les Français qui se sont rués sur les livrets de caisse d'épargne promettant un taux de 4 % pour des dépôts parfaitement liquides (quelle aubaine, quelle publicité mensongère!) ont sans doute déchanté quand Bercy a ramené ces taux à 1 %. Voilà qui lnet en évidence la position dominante de l'État français sur le marché financier. La Caisse des Dépôts et Consignations est de loin l'intermédiaire financier le plus puissant du pays. Elle draine les fonds recueillis par les Caisses d'Epargne. Parallèlement le Trésor est également très présent, et contrôle un véritable « circuit» qui comprend notamment La Poste, la Caisse Nationale de Prévoyance, mais aussi toute la trésorerie des collectivités locales. Il va sans dire que tous ces organismes n'obéissent que très approximativement à une logique marchande, les taux qu'ils pratiquent sont fixés arbitrairement, et leurs investissements, destinés par priorité au secteur public, ne recherchent pas la rentabilité. Ils engendrent inévitablement un « effet d'éviction », ce qui est réellement nuisible à la transition, qui requiert que toute l'épargne soit placée au mieux et qu'on puisse mobiliser toutes les ressources financières disponibles. Il est nécessaire que cette concurrence déloyale disparaisse si l'on veut que l'innovation apparaisse. Dans un climat de 83. Un dessin humoristique a fait le tour du Inonde en Inars denier. Les policiers américains qui interrogent Madoff lui demandent: « Où avez-vous pris cette idée de rembourser vos anciens clients en empruntant à vos nouveaux clients? » La réponse: « A la Sécurité Sociale ».
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concurrence sur un marché réellement ouvert, les financiers sont en mesure de trouver de nouvelles techniques permettant de sublimer les résultats de la capitalisation. L'importance des innovations financières depuis un demi-siècle a été rappelée 84 , et même si certaines d'entre elles se sont révélées dangereuses à l'usage, il n'en reste pas moins que globalement on a fait des progrès considérables dans la gestion des capitaux, par une meilleure adaptation des ressources aux besoins. La «production financière» est donc plus affinée aujourd'hui, et elle devrait encore progresser pour s'adapter à l'afflux de cette nouvelle clientèle faite d'assurés ayant des exigences nouvelles. Nous avons indiqué par exemple l'innovation qui permet de coupler l'assurance vieillesse et l'assurance maladie, qui abaisse considérablement le coût de la santé. Encore faut-il qu'une réglementation ne vienne pas bloquer la créativité des assureurs et des banquiers, et qu'une partie des fonds disponibles ne soit pas stérilisée entre les mains d'intermédiaires financiers publics qui en sont restés à des méthodes traditionnelles tout en pratiquant des placements hasardeux.
Gérer la monnaie avec rigueur Les taux d'intérêt ne sont plus des prix de marché depuis bien longtemps, ce sont des instruments de politique lTIonétaire. C'est qu'ils sont entièrement contrôlés par les banques centrales, elles-mêmes se conformant aux orientations des gouvernements. Ce sont les keynésiens 85 qui ont vu dans la maîtrise des taux le moyen pour l'État de relancer l'économie et d'atteindre le plein emploi. La baisse des taux d'intérêt devrait permettre un accès plus facile au crédit, donc soutenir une consommation et un investissement qui auraient naturellement tendance à s'essouffler. La politique des taux est en fait un véritable contrôle des prix, le prix de l'argent liquide mis à la disposition des emprunteurs, entreprises ou consommateurs. Les monétaristes, à la suite de Milton Friedman, avaient délnonté la fragile construction keynésienne et depuis 1975 84. Notamlnent dans notre Tome 1 chapitre IV Annexe B p. 150. 85. Nous préférons dire « les keynésiens» plutôt que Keynes. En effet dans la Théorie Générale, le maître de Catnbridge ne croyait pas aux effets d'une baisse des taux d'intérêt en dessous d'un certain niveau (la «trappe monétaire », un taux tellement bas qu'aucun épargnant n'accepte de se dessaisir de ses liquidités). Keynes en déduisait que le seul moyen de relancer l'économie était la dépense publique, financée ... par la création monétaire.
106
l'orthodoxie consistait à pratiquer non plus une politique laissée à la discrétion des banques centrales, faisant le yo-yo avec les taux d'intérêt, le plus souvent à contre-sens, mais une politique automatique fondée sur l'encadrement de la croissance de la masse monétaire émise par la banque centrale. Cela voulait dire que l'État devait renoncer aux « politiques conjoncturelles» et s'abstenir de toute manipulation artificielle des taux. En irriguant l'économie avec un flux constant de monnaie (correspondant à ce qui est nécessaire aux agents économiques, et qui se révèle d'une grand stabilité à travers les études historiques faites par Friedman et Schwarz), on ne court plus aucun risque de déflation ou d'inflation, la stabilité du niveau général des prix est assurée.
Malheureusement, après deux décennies de triomphe et d'efficacité, le monétarisme a été oublié, et l'on est revenu aux vieux démons de la politique des taux. Avec les subprimes, la création inconsidérée de monnaie par la banque centrale américaine (la FED) est la seconde cause de la crise financière. En effet, les erreurs commises par les banques et les investisseurs n'ont pas été corrigées parce que les liquidités monétaires étaient réellement bon marché. N'importe qui peut « passer le cap» en empruntant, et à un taux ridiculement faible par rapport au risque couru et à la rentabilité attendue. Pourquoi la FED a-t-elle réduit les taux d'intérêt? Alan Greenspan n'était pas keynésien pourtant, mais il a cédé à la double pression de Wall Street et du Trésor américain. Les boursiers endettés et les finances publiques, en mauvais posture, ont réclamé des taux d'intérêt de faveur, et les ont obtenus. Il est bien connu que des changements dans la valeur de la monnaie perturbent tous les plans de tous les acteurs économiques, qui ne peuvent plus anticiper le futur avec toute la certitude voulue, ou mieux: en réduisant l'incertitude à son plus faible niveau possible. L'horizon économique se raccourcit, les gens vivent au jour le jour, alors que l'innovation économique et la rentabilité financière exigent une vision à long terme. Cela est particulièrement vrai pour la capitalisation, qui peut être sinon ruinée, mais fortement perturbée par des dépréciations monétaires. En effet, les taux d'actualisation sont calculés en monnaie courante, ils sont faussés par des taux d'inflation dont on ne sait pas au demeurant ce qu'ils seront dans dix ans. Il faut donc absolument bannir l'instabilité monétaire. Mais comment y parvenir? La recommandation de Friedman était d'imposer à la banque centrale une stricte règle de gestion: elle ne
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devrait augmenter la masse monétaire que d'un pourcentage annuel fixé une fois pour toute (<< règle du k % »), cette règle a été respectée pendant les prelnières années de l'administration Reagan, mais la FED a cédé aux pressions hostiles à la règle. Comment en effet mettre la banque centrale à l'abri de ces pressions? Friedman a commencé par mettre ses espoirs dans la Constitution: il serait inconstitutionnel de fabriquer de la « fausse monnaie» légale. Mais les gouvernements ont toujours tendance à oublier les lois qui les dérangent, fussent-elles constitutionnelles. Le scénario se reproduit aujourd'hui avec la Banque Centrale Européenne. Conçue pour être tenue à l'écart des pressions des gouvernements des divers États de l'Euroland, la BCE a du mal à garder son indépendance. Monsieur Trichet a été accusé de mener une règle d'émission trop stricte et de faire une politique de « l'euro fort». Accusation injustifiée d'ailleurs, car la masse monétaire européenne dérape avec joie depuis plusieurs années. Mais les attaques se font aujourd'hui plus directes à cause de la crise, et finalement l'Europe comme les États-Unis s'approchera du taux d'intérêt zéro. Voilà certainement de quoi compromettre le succès de la transition, bien que certains voient dans une poussée d'inflation le moyen d'éponger une partie de la dette sociale. Maigre consolation: l'inflation ne consolera pas les consommateurs de la perte de leur pouvoir d'achat, l'inflation accentuera le malaise d'une économie déjà désordonnée et créera du chômage. «L'impôt d'inflation », comme tous les impôts, ralentira nécessairement la croissance.
7. CONFLIT ENTRE TRANSITION ET POLITIQUE DE
RELANCE La transition ne peut donc s'accommoder du laxisme monétaire, des dysfonctionnements introduits dans les marchés du capital et du travail, d'une trop large redistribution et d'une fiscalité spoliatrice. Le problème est que tous ces nuisibles se trouvent au sein de la politique de relance telle qu'on la conçoit aujourd 'hui. De notre point de vue, et compte tenu des résultats concrets déjà obtenus, la transition est la seule politique véritable de relance, parce qu'elle modifie les institutions et les comportements économiques en profondeur. Ses effets sont durables.
108 Par contraste, la politique de relance qui a la faveur des gouvernements actuels n'est que très superficielle, et ses effets sont nocifs et à la croissance et à la transition.
Politique conjoncturelle Parce qu'elle est une politique «conjoncturelle» elle s'attaque aux causes et non aux effets. Elle ignore les éléments structurels de la crise, et les ignorant elle peut les renforcer. L'exemple le plus évident en est la débâcle de l'industrie automobile américaine, qui a entraîné dans son sillage le reste du monde. Voilà des années que l'on connaît les déséquilibres qui menacent cette branche. D'une part des marchés mal étudiés, surestimant la demande de véhicules surpuissants, pénalisés dans les pays émergents à cause de leurs prix, et aux États-Unis même à cause des réglementations anti-pollutions et économies d'énergie. D'autre part des syndicats qui font la loi et imposent des niveaux de salaires très supérieurs à la productivité et insoutenables face à la concurrence internationale. Ces déséquilibres étaient connus bien avant la crise financière, et les baisses des ventes avaient atteint 40 % sur le marché américain. Voilà que la nouvelle politique est de voler au secours de cette industrie, au prétexte de sauver les emplois et les sous-traitants. C'est le type même de mesure de circonstance qui n'a aucun effet durable, et la question se reposera dans quelques mois.
Politique de la demande Parce qu'elle est une politique « de la demande» elle ignore l'offre, c'est-à-dire les conditions de fonctionnement des entreprises. La loi de Say explique que la seule source de pouvoir d'achat est dans la valeur ajoutée par les entreprises. Il est inutile de distribuer du pouvoir d'achat de manière artificielle, en pratiquant l'inondation monétaire par exemple. Ce pouvoir d'achat n'ayant aucune contre partie en biens ou services produits est en réalité un «faux droit », et la monnaie qui l'a financé est une « fausse monnaie» : très vite l'inflation reprend d'une main ce que la politique avait distribué de l'autre. La vraie politique consisterait à faire repartir l'offre, c'est-à-dire à permettre aux entreprises de lancer de nouveaux projets, de nouveaux produits, de nouvelles techniques et de prospecter de nouveaux marchés, pour satisfaire de nouveaux besoins. Hélas les entreprises sont dissuadées ou empêchées d'innover ou de développer leur activité parce qu'elle se heurtent
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aux barrières économiques (lourdeur des charges), réglementaires (pesanteur de la bureaucratie administrative), sociales (perturbations du marché du travail) et enfin et non le moindre fiscales (impôts sur les résultats, mais aussi sur les revenus personnels).
Politique de dépense publique Parce qu'elle est une politique de dépense publique, elle sacrifie le futur au présent, et elle est source de gaspillages. On ne se soucie guère dans la politique de relance actuelle du financement de tous ces millions que chaque jour le gouvernement propose pour venir au secours des entreprises en détresse. Le déficit du budget courant de l'État français sera de 6 % environ cette année (alors que l'engagement pris par la France dans le cadre des règles de Lisbonne et de Maastricht est de revenir à l'équilibre budgétaire au plus tard en 2010 86). Ce déficit ne peut être couvert que par la dette publique, dont on connaît la lourdeur d'après les chiffres officiels (plus de 70 % du PIB, alors que les règles européennes prescrivent de ne pas dépasser 60 %) et d'après les chiffres réels (environ 120 % en tenant compte de la provision pour les retraites des fonctionnaires). Si ces dépenses publiques se dirigeaient vers des usages rentables, ce serait delni mal: les générations futures paieraient plus d'impôts mais auraient accès à des équipements et services publics de meilleure qualité. Mais on sait que le plus gros du budget passe en dépenses de fonctionnement, et pas d'investissement. Le service de la dette et le paiement des fonctionnaires représentent plus de 60 % du budget. Quant aux investissements, d'une faiblesse insigne depuis des années, rien ne permet de connaître leur rentabilité future. C'est le drame permanent de la rentabilité publique, à base d'externalités supposées mais jamais mesurables! Les signes apparents des travaux publics vont plutôt dans le sens du laisser-aller, ce qui ne saurait surprendre quand il n'y a pas de véritable concurrence sur les « marchés publics ».
Politique de redistribution Parce qu'elle est une politique de redistribution, elle cultive les germes d'irresponsabilité et de parasitisme, et attise les tensions 86. Bien avant la crise, la France avait été à plusieurs reprises admonestée par les autorités européennes pour ne pas respecter ses engagements. Le gouvernement avait promis de revenir à l'équilibre en 2011, puis en 2012. Qui y songe maintenant?
110
sociales. Le gouvernement français est mal inspiré en prenant argument de la crise pour lancer une campagne sur la nouvelle répartition des richesses, allant du partage obligé des profits à la suppression des stock options ou des bonus, et de façon plus large en s'attaquant à la finance, au capitalisme et à la mondialisation. L'intermède des « cadeaux faits aux riches» est apparemment terminé, et il a été récemment souligné qu'il n'y aurait pas d'impôt nouveau. Cependant, la progressivité de l'Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques, qui vaut à 10 % des contribuables de payer 70 % de la masse de cet impôt, n'a pas diminué. Quand le gouvernement annonce des allègements fiscaux, c'est principalement en faveur des contribuables dans les plus basses tranches de revenus, c'est-à-dire ceux qui ne paient pas, ou pas beaucoup d'impôts. La redistribution est toujours conçue en France comme la voie de l'égalitarisme: de quoi donner envie aux gens entreprenants de s'exiler ou de se reposer.
Politique nationaliste Parce quelle est une politique nationaliste, elle est à contrecourant de la mondialisation et prive les Français d'une partie des bienfaits du libre-échange. Les producteurs nationaux bénéficient de subventions contraires à une concurrence loyale, les consommateurs français sont invités à « acheter français », les délocalisations sont devenues un délit, et les attaques contre le « dumping social» et le « dumping fiscal» fusent de tous bords. L'idée des « pôles» a fait son chemin, et l'État met à la disposition des «restructurations» envisagées à ce titre le fonds souverain d'investissement. Il va assécher encore plus l'épargne française, et la Caisse des Dépôts et Consignations, bras financier de l'État, est chargée de drainer vers les grands projets nationaux les rares ressources financières actuellement disponibles. Pendant ce temps les PME manquent de crédits. Le souverainisme est l'autre nom du protectionnisme. Est-il besoin de rappeler que le protectionnisme a aggravé la crise des années 1930? Malgré leur profession de foi libre-échangiste, les membres du 020 ont multiplié depuis quelques mois les mesures protectionnistes. Et l'un des enjeux de la nouvelle Union Européenne issue du scrutin de juin 2009 sera la mise en place d'un protectionnisme européen, dirigé principalement contre les pays émergents. Au total, nous ne voyons rien de très encourageant dans les mesures actuelles de la politique de relance. Nous voyons au contraire de grands dangers pour la transition :
111 - à travers le ralentissement de la croissance, qui ne sera pas tant le fait de la crise que de la maladresse des interventions qu'elle aura provoquées ; - à cause de la persistance des rigidités structurelles, des interventions et des réglementations; - surtout au vu des gouffres financiers qui s'annoncent, tant au niveau de la dette publique que de la dette sociale. Amorcer et réussir la transition dans un climat de complète désorganisation des finances publiques constitue un défi dont nous ne savons pas si le miracle de la capitalisation permettra de le relever. Une fois de plus, c'est le rôle et la taille de l'État qui sont en débat. La transition exige la remise en cause de l'État providence, c'est la raison pour laquelle les hommes politiques ont du mal à la lancer, et pour laquelle les idéologues n'en veulent pas.
Conclusion LA PROMESSE DE LA LIBERTE Ce n'est pas un hasard si cette longue interrogation sur la transition et les retraites du futur se termine par des considérations de philosophie politique concernant la place de l'État dans la société française. Derrière la transition il y a un vrai choix de société. Nous Français sommes dans un pays où l'on ne se décide pas à faire ce choix. Nous naviguons depuis 1945, sinon depuis 1918, dans une illusoire « troisième voie », quelque part entre socialisme et libéralisme, entre étatisme et démocratie, entre plan et marché. Nous avons quelque fierté nationale à ne pas être avec les autres, à ne pas faire comme les autres. On aurait pu penser que la chute du mur de Berlin et la révélation aux yeux du monde entier de la ruine et de l'inhumanité des régimes collectivistes auraient définitivement écarté la tentation du «tiers système» et entraîné notre pays dans l'aventure libérale qu'il n'avait pratiquement jamais connue. Il n'en a rien été, et quelque quarante ans après mai 68 on voit remonter à la surface toutes les utopies - une autre façon de refuser le choix. Si l'affaire devait demeurer purement philosophique, et politique, on comprend qu'elle puisse laisser la plupart des gens indifférents. Mais voilà qu'elle nous saisit dans notre vie quotidienne, et encore plus dans nos peurs du lendemain. La crise accentue cette prise de conscience : nous ne savons plus où est la sortie. Dans un tel contexte, la sagesse conseille d'en revenir au gros bon sens. L'histoire des retraites se ramène à quelques évidences qu'on n'aurait jamais dû perdre de vue: quand il y a plus de gens qui reçoivent que de gens qUI payent il y a une perte globale; - quand on vit au jour le jour, on ne peut pas voir le futur; - quand tout le monde veut vivre aux dépens de tout le Inonde personne ne peut vivre bien; - quand le travail et le mérite ne sont pas récompensés, le travail et le mérite dépérissent; - quand les gens ne se sentent pas responsables, ils font n'iInporte quoi;
114
- quand on veut figurer dans une compétition il faut être aussi performant que les autres; - quand on a besoin des autres, il faut apprendre à les servir. Nous pourrions ajouter à la litanie, elle décline en fait les principes fondateurs du capitalisme, et de la capitalisation. Mais nous ne l'avons pas entendue de la bouche de ceux qui veulent aujourd'hui « refonder » ledit capitalisme. Quels principes, quelles valeurs ont-ils à proposer? Quel est leur credo? Les ignorants veulent tout régenter, les intrigants montrent la voie droite, les corrompus donnent des leçons de morale. La sagesse, le gros bon sens, n'ont heureusement pas déserté tout le pays. Une immense majorité de personnes, que l'on dit toujours « silencieuse », a conscience de la gravité de la situation. S'agissant des retraites 80 à 90 % des Français sont inquiets pour leur avenir et la moitié d'entre eux sont partisans d'un « système où chacun cotise pour sa propre retraite ». Malheureusement deux tiers des mêmes Français sont persuadés que c'est à l'État de réformer le système. Cette confiance dans l'État ne surprend pas dans un pays étatiste depuis des siècles, et élevé dans la religion de l'État Providence. Mais là est bien le problème: aujourd 'hui, grâce au conditionnement actuel de l'opinion publique, les hommes de l'État ne sont pas incités à faire les vraies réformes. Ils se contentent d'apaiser les assurés pour quelques mois en pratiquant des réformes de surface, que nous appelons «paramétriques»: travaillez plus longtemps, cotisez davantage, souscrivez à des plans d'épargne, ayez de bonnes complémentaires, etc. En clair: faitesnous confiance, nous ferons le reste, et de toutes façons débrouillez-vous! Cette constatation conduit à une conclusion: il faut que l'opinion publique, lassée par des réformes accumulées et vaines, en vienne enfin à bousculer l'État pour qu'il se rende à la nécessité et à l'opportunité d'une transition. L'opinion publique est sevrée d'information sérieuse: le but de cette recherche menée par l'IREF était d'apporter cette information. Toutes les initiatives dans ce sens sont bonnes à prendre, qu'elles soient à l'initiative des entreprises, des associations, des familles, et de toutes les cellules de la société civile. Il est de l'intérêt et du devoir de chacun de diffuser la vérité, et de débattre sérieusement des périls mortels de la répartition et
115
par contraste des perspectives extraordinaires ouvertes par la capitalisation. Ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement la sauvegarde des retraites, ni même la relance de l'économie. C'est aussi l'émergence d'une société de liberté, de responsabilité, et de vraie solidarité. Qu'on ait également à l'esprit ce qui attend les jeunes générations. Aujourd'hui, en France, la plus belle promesse qu'on puisse leur faire, c'est la promesse de la liberté.
1
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ANNEXE A Ce qu'il en coûte réellement au salarié: cotisations et salaire complet Les salariés n'ont pas souvent conscience de ce que leur coûtent réellement leurs retraites (cotisations du régime général), parce que la feuille de paye est à la fois illisible et trompeuse (en faisant la distinction part patronale/part salariale) La seule présentation sincère est celle qui met en évidence leur salaire complet. Le concept de salaire complet a fait l'objet d'une étude détaillée dans le tome 1 de notre ouvrage (Le futur de la répartition chapitre II Annexes A & B, pp.70-74) A l'initiative d'Axel ARNOUX, industriel, président de l'AFERP (Association Française Entreprise et Responsabilité Personnelle), administrateur de l' ALEPS (Association pour la Liberté Economique et le Progrès Social) des feuilles de paye d'un nouveau type ont été proposées aux salariés et des stages de formation sur les régimes de protection sociale ont été organisés (cf. supra chapitre IV pp. 60-61) Le tableau suivant donne une idée de l'articulation entre salaires net, brut et complet. La rétrospective du salaire complet de 2000 à 2009 est sur le site www.irefeurope.com
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FEUILLE DE PAIE DU SALAIRE COMPLET
(chiffres arrondis)
un SMIC 1384€
deux SMIC
Trois SMIC
2768€
5536€
Mensuel
Annuel
Mensuel
Annuel
Mensuel
Annuel
COMPLET
2177
26063
4204
50266
8167
98016
retraites
372
4464
820
9840
1468
17616
maladie
335
4019
599
7188
1114
13371
17
203
34
405
68
810
75
897
149
1794
299
3587
chômage
90
1079
180
2159
360
4318
logement
13
158
26
316
50
598
taxe d'apprentissage
11
130
19
226
38
452
Formation
12
149
25
299
50
598
Restaurant
43
516
43
516
43
516
Transport
72
869
108
1301
180
2165
Contribution solidarité
4
50
8
100
17
199
Visite médicale
6
73
6
73
6
73
Total Charges
1 051
12553
2018
24035
3691
44308
net à déclarer
1126
13510
2186
26231
4476
5~
taxe CSG
39
467
80
958
158
1893
net payé
1 087
13043
2106
25273
4318
51 815
accident du travail allocation familiales
708
Source: AFERP (d'après les calculs effectués à la diligence d'Axel Arnoux) Officiellement, en janvier 2009 voici la valeur du SMIC Smic 35 heures (151,67 heures par mois) : 1321,02 € brut 1037,53 € net Smic 39 heures (+ 10% sur les HS) : 1487,09 € brut (pas de calcul officiel pour le net) Smic 39 heures (+25% sur les HS) : 1509,73 € brut (pas de calcul officiel pour le net)
ANNEXEB
Ce qu'il en coûte au contribuable: l'État au secours de la Sécurité Sociale Les relations entre le budget de l'Etat et celui de la Sécurité Sociale, en dépit de la réforme Juppé (1995) sont à la fois surprenantes et malfaisantes : la loi de financement des organismes de Sécurité Sociale est un budget prévisionnel établi par le Parlement, mais qui n'implique pas a priori d'incidence sur le budget de l'Etat. En revanche, lorsque les objectifs de la loi de financement ne sont pas atteints en fin d'année, le déficit apparent est comblé par le budget de l'État. D'autre part il existe des impôts d'Etat directement affectés à la Sécurité Sociale (comme la CSG qui finance l'assurance maladie et, dans une faible mesure, l'assurance vieillesse). Au total 10 % des ressources de l'assurance vieillesse proviennent de l'Etat, et le montant de cette contribution augmente chaque année à un taux compris entre 6 et 15 %. Tableau 2 - Impôts et taxes affectés par branche tous régimes et pour les fonds En millions d'euros 2006
2007
%
2008 (p)
2009 (p)
%
%
Maladie
72047
75010
4,1
78990
5,3
80525
1,9
AT-MP Famille
1745 14578 11517
1 953 15656 12643
++
7,4
9,1 5,5
9,8
2131 16519 14664
16,0
2161 16800 15224
99888
105262
5,4
6~7
114709
82390
87879
6,7
112304 95018
1,4 1,7 3,8 2,1
8,1
96442
1.. 5
12880 112767
13965 119227
8.4
14774 127078
58 6,6
15158 129867
26
Vieillesse
Total tous régilnes dont régime général Fonds
Ensemble
5,7
2,2
Source. DSSfSDEPF/6A
Tableau 3- Evolution 2006-2009 des recettes des régimes de base 2006 Cotisations Cotisations '1ictives des employeurs lf
CSG Impôts et taxes affectés (hors CSG) Contributions de rEtat dont exonérations compensées dont prises en charge de prestations dont subventions d'équilibre Transferts reçus cfmganismes tiers dont FSV dontCNSA dent contribution du FFIPSA
Autres Total consolidé Transferts internes aux régimes de base Total produits Source : DSSISDEPFI6A
199871 34n9 64859 35091 15996 3629 6741 5459
27m 14232 11302 1378
2007
%
207167 37 36435 68336 36927 17219 4232 6994 58.16 29131
48 54 52 76 16 6 1
31 8
69 4.9 13754 ·3,4 12308 8 9 2218 ++ 22668 41.7 1
18000 394373
417883 6.0
2S 115
24788 .13
419488
442670 5,5
2oo8(p) 213518
%
31
38213 49 71538 40766 17722 4488 6937 6139
47 104
30947
62
29 6,0 -0,8
52
13899 1,1 13554 10,1 2573 160
17582 .22:4 430287 30 24855
03
455142 2,8
En millions d'euros 2009 (p) % 221594 3.8 40599 6.2 72699 16 42010 3.1 17721 00 3966 .11 6 7359 6; 1 6241 1.7 32791 60 14168 1 9 14905 10 0 2778 8,0 18243 3.8 1
1
1
445658 36 25
on
09
470735 3,4
ANNEXEe Malgré les crises, la retraite par capitalisation est toujours plus rentable
Le problème des performances de la capitalisation, comparées à celles de la répartition, a été longuement étudié dans le tonle 1 de notre recherche (<< Le futur de la répartition », chapitre IVannexes Cet D). Nous faisons ici un rappel et une rapide mise au point qui s'imposent après la campagne menée par les médias sur le thème: la crise entraîne la faillite des fonds de pension. En 2007, les actifs des fonds de pension atteignaient 17 900 Mds de dollars, ce qui représente environ 64 % des actifs totaux de l'ensemble des pensions privées. Par rapport à l' ensemble des pays de l'OCDE, les fonds de pension américains représentent 10 200 Mds de dollars d'actifs. Il faut souligner que, à part la France, le montant total des actifs des fonds de pension augmente d'une manière vertigineuse dans la zone OCDE: entre 2001 et 2007, la hausse des actifs a été de 67 % (de 10 680 Mds de dollars à 17 859 Mds). En pourcentage du PIB, les fonds de pension représentent en moyenne pour les pays membres environ 75 % du PIB mais ce taux peut varier de 134 % du PIB en Islande et PaysBas à 1,1 % en France. Aux Etats-Unis, les fonds de pension représentent 74,3 % du PIB, en Grande-Bretagne, 86,1 % et au Canada, 55,3 %. Hors OCDE, les fonds de pension pèsent environ 37 % du PIB (et 65 % au Chili).
Pertes de 20
%
en une année ...
Fin 2008, l'encours total de l'ensemble des fonds de pension de la zone OCDE enregistrait un recul d'environ 3 300 Mds de dollars soit 20 % de moins par rapport à décembre 2007. Les plus grosses pertes ont été subies par les fonds de pension américains qui détiennent plus de la moitié de la totalité des actifs des fonds de pension dans les pays de l'OCDE: 1 700 Mds de dollars sur 3 300. Il s'agit d'une perte moins élevée que prévue (d'après une étude de l'OCDE de décembre 2008, la perte s'élevait à 2 200 Mds de dollars). Les fonds américains qui s'en sortent le
122
mieux sont Thrift Investment Board (- 5,7 % sur un an) et Texas Municipal Retirement System's qui connaît mêlne un résultat positif(+ 14 Mds d'actifs sur un an). En termes absolus, parmi les autres pays membres de l'OCDE, les fonds de pension britanniques ont connu les plus grosses pertes (300 Mds de dollars) suivis par les fonds australiens (200 Mds de dollars) .
... mais gains de Il
%
en moyenne par an pendant 20 ans
Malgré ces résultats catastrophiques, si l'on regarde les rendements des mêmes fonds de pension sur les 5, 10, 15 ou 25 dernières années, on constate que le taux annuel moyen de croissance est supérieur à 5 %. Ainsi, les fonds de pension américains ont connu des rendelnents nominaux annuels moyens de Il % sur 15 ans (+ 6 % sur 5 ans), les fonds britanniques, de 9 % sur la même période et les fonds suédois de 12 0/0. A plus long terme, le rendement moyen annuel des fonds de pension a été de Il % entre 1985 et 2005. Lors de la crise financière actuelle, les Inédias et de nombreux spécialistes ont surtout insisté sur le fait qu'il s'agissait de «la plus grande crise financière depuis celle de 1929». Ceci veut dire qu'entre temps, il n'y aurait pas eu de crises aussi graves. Les adversaires de la capitalisation donnent ainsi un argument de poids aux défenseurs de la Bourse et des marchés financiers. En regardant l'évolution du marché financier à long terme, on constate que les chutes des actions égales ou supérieures à 20 % se sont produites seulement au cours de 12 années pendant 200 ans (1803-1998) et qu'au XX ème siècle seulement 5 années sont concernées par une baisse aussi importante. Pour ce qui est des hausses des actions, 12 années ont connu des hausses supérieures à 40 % et 48 années des hausses de plus de 20 % (une année sur quatre). Ceci démontre que l'épargne en actions reste très intéressante à long, terme (plus de 5 ans) et c'est COlnme ça que fonctionnent les fonds de pension. Dans une étude intitulée «Pour un nouveau systèn1e de retraite. Des comptes individuels de cotisations financés par la répartition» et qui vient de paraître, le très Inédiatisé éconolniste Thomas Piketty reconnaît que le taux de rendement d'un système de retraite basé sur la capitalisation est très largement supérieur au taux de rendement de la retraite par répartition.
123
D'après Piketty, qui se base sur une étude plus exhaustive publiée par le très prestigieux « Quarterly Journal of Economies », « Le rendement financier moyen observé sur les placements en actions est certes nettement plus élevé: 9,1 % par an en moyenne en France sur la période 1950-2000, en prenant en compte à la fois les dividendes et les plus-values ( ... ) » (page 31). Ce qui veut dire que 1 franc de cotisation versée en 1950 aurait valu plus de 9 francs en 2000! Et sur la période 1900-2000, le rendement moyen des actions a été de 7 % ». Et cela malgré la crise de 1929 et les deux guerres mondiales ! Même un intellectuel de gauche le reconnaît: la capitalisation reste bien plus rentable que la répartition.
Tableau 1 : Importance des fonds de pension par rapport au PIB Islande: Pays-Bas: Suisse: Australie: Royaume-Uni: Etats-Unis: Danemark: France: Total OCDE:
134 0/0 132,2 % 119,4 0;'0 105,4 % 86,1 0/0 74,3 % 32,4 %
1,1 0/0 75,5 0/0
Tableau 2 : Rendements nominaux annuels moyens des fonds de pension Sur 5 ans: Sur 15 ans: Sur 20 ans et plus:
6 11 11
% %
0;'0
Définition: Qu'est-ce qu'un fonds de pension? Les fonds de pension (pension funds - que l'on pourrait traduire en français fonds de retraites) sont des investisseurs institutionnels qui engagent des montants importants de leurs ressources dans le capital des sociétés, soit pour eux-mêmes, soit pour le compte de tiers. Parmi les fonds de pension, il faut distinguer entre les grands fonds de pension qui regroupent des souscripteurs très différents et
124
les fonds de pension des entreprises. La confusion qui existe entre les deux a donné beaucoup de munitions aux détracteurs des fonds de pension. Le scandale des pensions des employés de la firme Enron qui a fait faillite en décembre 2001 après des manipulation comptables frauduleuses, atteignant des proportions jamais vues jusque-là, les a amenés à conclure à l'échec général des fonds de pension et aux risques qu'ils font encourir aux salariés. Le problème c'est que les retraites des salariés d'Enron faisaient partie d'un fonds de pension géré par l'entreprise elle-même. La faillite de l'entreprise (masquée encore frauduleusement par les contrôleurs de gestion - dont Arthur Andersen) a entraîné la faillite du fonds. Un autre scandale du même type s'est produit en Angleterre avec le fonds de pension du groupe Maxwell, qui a confondu son argent avec celui de ses salariés. De telles escroqueries ne seraient pas possibles si les sommes versées par l'entreprise au compte épargne de leurs salariés n'étaient pas confiées à l'entreprise elle-même. Cependant, il est certain que l'épargne confiée à un fonds d'entreprise comporte infinitnent plus de risques que celle qui est placée dans un fonds de pension «classique» qui diversifie énormément ses investissements et prend donc un minimum de risques. Comlnent travaille un fonds de pension? Ses ressources sont les SOlumes versées par de simples individus à titre personnel ou par des salariés ou des employeurs pour leur compte. Dans beaucoup de pays, ces sommes se substituent partiellement ou totalement aux cotisations obligatoires de Sécurité Sociale (assurance vieillesse), elles sont assez souvent exemptées d'impôts. Le mécanisme fonctionne par capitalisation, c'est-à-dire que les sommes collectées sont investis en Bourse, dans les entreprises, l'immobilier et/ou dans des différents autres fonds d'investissement. Les revenus des retraités dépendent donc de la rentabilité des placelnents faits par les fonds de pension. C'est un mécanisme basé sur des cotisations définies (l'argent épargné) et sur des prestations indéfinies. Le niveau de retraite n'est pas garanti même s'il existe aussi des fonds de pension à prestations définies. Contrairement aux fantasmes des critiques de la capitalisation, les fonds de pension sont soumis à des règles très strictes. Les fonds de pension et les mutual funds représentent environ 45 0/0 de la capitalisation boursière aux Etats-Unis.
BIBLIOGRAPHIE
Cette bibliographie concerne principalement ce tome III de « Futur des Retraites et Retraites du Futur ». Elle con1plète les bibliographies indiquées à la .fin de chacun des deux tomes précédents. Une bibliographie exhaustive sur les problèmes des retraites et de leur réforme figure sur le site www.irefeurope.org. Elle recense plus de 700 ouvrages et articles: une véritable encyclopédie! ACCARDO, J. (1997) "L'évaluation d'équivalents patrimoniaux des droits à la retraite, en Comptabilité Nationale, développements récents", dans E. Archambault et M. Boëda (eds.), Actes du sixième colloque de l'A.C.N., Economica, Paris. AFSCHRIFT T. (2008), www.irefeurope.org AFTALION, Fred (2007), Histoire de la Révolution Bourgeoise, Ed. Charles Coquelin, Paris. ANDERSON, K., Meyer, T. (2003), "Social Democracy, Unions, and Pension Politics in Germany and Sweden". Journal of Public Policy, 23, (1), pp. 23-54. ARRAU, P. et SCHMIDT-HEBBEL K. (1995), "Pension Systems and Reforrn Country Experiences and Research Issues", Policy research working paper 1470, The World Bank Policy Research Department Macroeconomies and Growth Division, June. Texte antérieurement publié dans Revista de Analisis Economico, vol. 9, No. 1, June 1994 AUERBACH, A. J., et KOTLIKOFF L. J. (1984), "Social Security and the Economies of the Demographie Transition." ln Aaron et Burtless (eds.), Retirement and Economic Behavior: Studies in Social Economics Series. Washington, D.C.: Brookings Institution. BAILLIU, J., et RIESEN H. (2000), "Do Funded Pensions Contribute to Higher Aggregate Saving? A Cross-Country Analysis," in Helmut Riesen (editor), Pensions, Savings, and Capital Flows: From Aging to Emerging Markets, Cheltenham, O.K.: Edward Elgar: 114-31. BARDAJI J., SEDILLOT B. et WALRAËT E. (2003), « Un outil de prospective des retraites : le modèle de microsimulation Destinie », Économie et Prévision, nO 160-161, pp. 193-214.
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SOMMAIRE
Préface
7
Avertissement au lecteur
9
Chapitre 1 : PLAIDOYER CONTRE LA TRANSITION 1. 2. 3. 4. 5. 6.
De bonnes raisons de renoncer Avons-nous les moyens financiers de la transition? Ceux qui n'ont pas intérêt au changement D'ou viennent ces privilèges? Toujours penser aux prochaines élections Rendez-vous après la crise
11 Il 13 15 17 18 20
Chapitre 2 : LA TRANSITION, UN SAUT DANS LE VIDE ? .••••.•.••••••••••. 23 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Les garanties apportées aux retraites actuelles Les avantages ouverts aux retraites futures Payer deux fois pour sa retraite? Les privilégiés ne perdent pas d'argent. N'ayez pas peur ! La crise financière n'y change rien
Chapitre III : CHOISIR SA TRANSITION 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
Comment en finir avec la répartition ? L'ardoise de la répartition Ouvrir le système a la capitalisation Quand la capitalisation devient un choix Introduire la concurrence Concurrence et réglementation Doit-on faire appel au contribuable? Dette publique et dette sociale La retraite, une affaire personnelle La transition: embarras du choix ou choix embarrassant?
23 25 26 27 28 30
33 34 35 37 40 44 45 47 49 50 52
150
Chapitre IV : LE COURAGE POLITIQUE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 1o.
Français, combien ça vous coûte? Français, combien vous donnera-t-on? La formation en renfort de l'information L'ouverture d'espaces de capitalisation Le sursaut des élus Une volonté politique imposant la transition: il y a un précédent ! Les changements institutionnels requis Infirmer le droit social. Remettre les finances publiques en ordre L'idéologie anti-capitaliste
Chapitre V: LA RELANCE ECONOMIQUE 1. 2. 3. 4. 5. 6.
7.
L'effet d'entraînement L'effet d'allègement L'équilibre des finances publiques Une motivation nouvelle Un changement de société Recommandations de politique économique - libération du marché du travail - supprimer la fiscalité sur l'épargne - limiter la redistribution - libération des marchés financiers - gérer la monnaie avec rigueur Conflit entre transition et politique de relance - politique conjoncturelle - politique de la demande - politique de dépenses publiques - politique de redistribution - politique nationaliste
57 58 61 64 66 69 71 73 75 78 81
85 86 88 90 92 95 96 97 98 100 102 105 107 108 108 109 109 110
Conclusion
113
Annexes
117
Bibliographie
123
MISE EN PAGE
Véronique Gimenez-Jarnier Aix-en-Provence
Achevé d'inlprimer sur les presses de l'Imprimerie BARNÉOUD 53960 BONCHAMP-LÈS-LAVAL Dépôt légal: mai 2009 - N° d'imprinleur : 904092 Imprimé en France