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∏dpf association pour la di{usion de la pensée française • Ministère des A{aires étrangères Direction générale de la coopération internationale et du développement Direction de la coopération culturelle et du français Division de l’écrit et des médiathèques Cet ouvrage est disponible sur www.adpf.asso.fr Isbn 2-914935-36-6 ∏dpf association pour la di{usion de la pensée française • 6, rue Ferrus 75014 Paris +
[email protected] ©Janvier 2005 ∏dpf ministère des A{aires étrangères
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AUTEURS
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Cette année 2005 voit le centième anniversaire de la naissance de Jean-Paul Sartre, mort en 1980. Philosophe, écrivain et dramaturge, sa figure d’intellectuel engagé aura durablement marqué le xxe siècle et continue de le faire encore. Pour tous les lecteurs et en particulier pour ceux qui fréquentent les bibliothèques des établissements culturels français à l’étranger, le ministère des Affaires étrangères et son opérateur pour l’écrit, l’Association pour la diffusion de la pensée française, ont confié à monsieur François Noudelmann la responsabilité d’une exposition sur Sartre et du livret qui l’accompagne. Qu’il en soit vivement remercié. Yves Mabin
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François Neuville
Chef de la Division de l’écrit et des médiathèques
Directeur de l’Association pour la diffusion
Ministère des Affaires étrangères
de la pensée française
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Introduction
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L’existence brute et collective
Les scènes de l’image
Politiques de l’engagement
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Chronologie
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Bibliographie
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Sartre a été longtemps considéré comme le penseur et l’écrivain français le plus important du xxe siècle, et pourtant sa réception a connu des fortunes contrariées. Rarement un auteur a incarné aussi puissamment une référence intellectuelle admirée autant que haïe, et le centième anniversaire de sa naissance ne peut faire oublier la coexistence d’une sartrophilie et d’une sartrophobie récurrentes depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Dénoncé pour son anti-humanisme destructeur d’idoles puis pour son engagement intellectuel radical, honni par les Églises et les partis, qui le voyaient se mêler de tout, rejeté par les corporations, qui ne supportaient pas le nomadisme de cet écrivain polymorphe, Sartre est à la fois partout et nulle part, sans cesse aux points de passage de la modernité politique et esthétique. Passeur, accompagnateur, créateur, mais ne restant jamais sur des positions établies, il dérogea aux attentes et aux honneurs, insatiable traître par morale et par liberté. Dès 1945, il devient la figure dominante du champ intellectuel : il lance sa revue Les Temps modernes, poursuit son œuvre théâtrale et romanesque, intervient à la radio, participe à des rassemblements politiques, écrit sur les écrivains et les artistes contemporains… Au-delà du cliché de la vie littéraire à Saint-Germain-des-Prés, Sartre accède à une notoriété internationale en devenant un intellectuel total. Le solitaire désabusé de l’avant-guerre qui observait les défilés du Front populaire depuis son balcon, enfermé dans ses dissertations et ses fantasmagories littéraires, est désormais sur tous les fronts, culturels, sociaux et politiques, pendant trente-cinq ans. Des militaires demandent sa mort et plastiquent son appartement, on lui décerne un prix Nobel qu’il refuse, de Gaulle n’ose pas le mettre en prison, les révolutionnaires du monde entier réclament sa voix. Et lors de ses funérailles, en 1980, des
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dizaines de milliers de personnes viennent rendre hommage à tous les espoirs qu’il a su porter. Cependant ce succès ne va pas sans replis : dans les années 1960 surgissent des ruptures théoriques et esthétiques – le nouveau théâtre, le nouveau roman, le structuralisme – qui relèguent Sartre au passé. Cela n’empêche pas le théoricien et l’écrivain de poursuivre de prodigieux chantiers philosophiques et d’écrire encore des milliers de pages, et cela ne le dissuade pas de s’engager toujours plus avant dans les conflits du monde et de suivre la chute des dictatures et des totalitarismes. Mais la fin du communisme d’État entraîne une période de purgatoire pour Sartre après sa mort, au profit de penseurs qu’il avait éclipsés : la vigilance de Camus et le réalisme d’Aron sont alors valorisés à l’encontre de l’idéalisme révolutionnaire d’un Sartre oublieux des droits de l’homme. Il fallait déboulonner la statue d’un intellectuel aussi charismatique, même s’il a toujours eu la phobie d’être statufié. Aujourd’hui, ces revanches ont laissé place à l’étude d’un écrivain immense et singulier, dont l’influence n’a jamais cessé tant les penseurs qui lui ont succédé se sont déterminés par rapport à lui. Sans doute n’est-il pas possible de rendre compte globalement de la production d’un tel polygraphe, ni de la distinguer de l’entreprise d’une vie. Les œuvres de Sartre ne se réduisent pas à des intentions théoriques, car chacune constitue un projet en soi, et toutes s’inscrivent dans une révolution permanente des pouvoirs du langage. Cette œuvre se dissémine en philosophie, journalisme politique, critique d’art, anthropologie historique, romans, nouvelles, autobiographie, correspondance, théâtre, scénarios de film. Une telle disparité défie les classifications par genre, et l’entreprise sartrienne témoigne moins d’un éclectisme raisonné que d’un style de vie et d’une formidable ambition. Écrire sa vie, selon Sartre, cela signifie non parler de
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soi mais faire du langage la matière et le vecteur d’une expérience vitale qui ouvre à la violence et à l’énergie du monde. Après avoir vécu la confusion enfantine des mots et des choses, il a inlassablement et frénétiquement travaillé le langage pour y découvrir la vérité de la conscience et les ressorts de l’action. Sartre ne s’est jamais laissé abuser par le sublime de l’art et de la pensée, qu’il a étudié chez d’autres grands auteurs pour mieux le conjurer, et il a constamment remis en jeu ses acquis intellectuels. Le mot d’engagement, attaché à sa conception de l’écriture, désigne d’abord cet absolu de la recherche, cette mise en danger de soi dans une épreuve de communication avec les autres et l’étrangeté du monde. ¶ Répondant à ses détracteurs, Sartre a lui-même rendu raison des révolutions intimes et collectives qui ont mobilisé sa pensée et son écriture. La littérature et la philosophie y trouvent de solides articulations, l’évolution philosophique s’y soutient d’apports cohérents, de la phénoménologie au marxisme. Toutefois, sous cette unification rétrospective court l’illusion d’un projet intentionnel et continu qui masque les voies de traverse, les perspectives aléatoires et les déplacements imprévus. L’œuvre de Sartre présente moins un continent qu’un archipel dont les voies de passage sont multiples, instables et inventives. Elle suppose des circulations inattendues entre un imaginaire d’hallucinations, une volonté théorique acharnée, un souci du spectaculaire, une ambition de dire tout d’un homme, un goût de la déambulation amoureuse, une violence combative et meurtrière. Sartre est le nom d’un philosophe qui n’a cessé de repenser la conscience, la liberté et l’histoire, le nom d’un homme de théâtre qui a voulu créer des mythes modernes, le nom d’un intellectuel, ange gardien des damnés de la terre, le nom d’un écrivain qui ne s’est jamais résolu aux bénéfices immémoriaux de l’écriture. Un nom surchargé de noms,
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excessif au sens où il excède toutes les dénominations. Dans le cadre restreint de cette présentation, j’essaierai de diffracter quelques-unes de ces appellations, à commencer par celle d’existentialiste.
Non seulement Sartre n’a pas inventé l’existentialisme, déjà présent au xixe siècle avec Kierkegaard, mais il a toujours employé ce terme à contrecœur, le concédant aux classifications scolaires et médiatiques. Cependant, le mot d’existence prend chez lui une valeur centrale dans un projet philosophique nouveau qui entend repenser la réalité humaine à partir de la conscience du monde. L’originalité de Sartre tient à cette focalisation sur une existence brute qui n’est relevée par rien d’autre qu’elle-même : nulle nature humaine, nulle transcendance divine ne lui fournissent une signification a priori, elle se donne comme telle, éprouvée par les hommes, sans justification. Cette découverte suppose un désenchantement fondateur, la perte des illusions qui offraient un discours sur le monde et ses légitimités rassurantes. L’existence apparaît dans le fait d’être là, sans finalité, pour rien. Sartre construit à la fois sa philosophie et son écriture littéraire sur cette révélation lente et inéluctable qui sape durablement l’ordonnancement des êtres et des choses. Mais avant de théoriser cette solitude sans appel de l’homme, qui sera déclinée largement par ce qu’on a appelé les philosophies de l’absurde dans la constellation existentialiste des années 1940, il la développe par récits et descriptions. ¶ Le souci d’aller vers le réel, que Sartre partageait avec plusieurs camarades philosophes rebelles à l’enseignement de la métaphysique, s’est d’abord manifesté par une écriture littéraire qui s’inscriL’existence brute et collective
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vait aussi dans une psyché d’époque. Le désastre humain de la première guerre mondiale avait ruiné l’héroïsme romanesque du xixe siècle et ses personnages ambitieux qui guerroyaient contre leur temps : la confrontation de l’idéal et du réel a laissé place au constat d’une humanité périssable. Si les aventures chevaleresques de Pardaillan, personnage des romans faciles de Zévaco, ont peuplé l’imaginaire de Sartre pendant son enfance protégée, le contexte littéraire dominant montrait des hommes ordinaires qui ont renoncé à toute gloire. Certes, les avant-gardes artistiques croyaient encore au renouveau et s’emballaient pour des révolutions en cours et à venir, mais le jeune professeur de philosophie qui s’ennuyait au Havre ou à Laon se reconnaît davantage dans les vies médiocres et les rêveries morbides. La Nausée, ce coup de génie littéraire marquant le début d’un grand écrivain, commence par une citation de Céline qui signe un tel état d’esprit : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu.» En 1938, ce roman qui se présente déjà comme un anti-roman, une œuvre hybride mêlant le journal, la méditation philosophique, le réalisme populaire et la description fantastique, pousse à bout une logique d’épuisement et de déchéance. Le personnage principal est un historien qui entreprend d’écrire la biographie d’un homme célèbre et qui peu à peu abandonne ce projet au profit du journal de ses doutes intimes. Ainsi, le roman se transforme en un récit de l’échec du récit, car le portrait est devenu impossible, l’humain aussi bien que sa représentation ayant perdu leur évidence. Cette histoire qui échoue à se dire, et qui sera une référence pour les nouveaux romanciers des années 1960, suit les méandres d’une conscience subjective et met en morceaux toutes les figures de l’humanisme : la culture du progrès, l’art des musées, la société bourgeoise, le bonheur par la science. Une profonde «melancholia»
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– le premier titre proposé pour ce texte – désarme les moindres valeurs qui donnaient un sens à la vie. Le journal tourne vite à l’impasse, celle du rien, de l’absence, de l’inactivité, et il double la narration programmée. Cette écriture parasitaire gangrène les conditions mêmes de toute narration mais elle découvre simultanément une autre existence, défaite de ses atours.¶ Le journal de l’existence ordinaire se dote, avec Sartre, d’une dramaturgie philosophique. La prouesse littéraire de La Nausée tient précisément à cette conjugaison d’un réalisme subjectif, volontairement pauvre, avec une fantasmagorie spectaculaire et un cheminement spéculatif. Car tout commence par une énigme tactile, un petit fait anodin, qui perturbe le positionnement du personnage dans le monde : le toucher d’un galet boueux sur l’une de ses faces a provoqué un dégoût qui excède la simple réaction sensorielle. Sartre transforme ce petit rien en événement existentiel et introduit une trame métaphorique qui ouvre aux visions hallucinatoires. Le corps du personnage devient sujet aux métamorphoses animales et végétales, les yeux se transforment en écailles de poisson, les orifices en taupinières, la chair se dilue en beurre fade. Et les objets s’animent inversement, telle banquette de tramway s’agite de milliers de pattes rouges, telle racine de marronnier envahit l’espace de cuir bouilli. Les existences se délivrent de leurs noms et de leurs fonctions pour vivre et circuler dans le flux des matières instables. L’épreuve de cette folie intime provoque des trouées fantastiques au creux de l’existence ordinaire et rend le récit perméable aux fascinations et aux dégoûts. Cependant, Sartre construit son écriture selon un trajet initiatique qui réquisitionne ces fantasmagories au profit d’une révélation philosophique. L’expérience de l’ennui et des choses délestées de leurs significations dévoile une vérité existentielle, celle de la contingence, un mot qui surgit
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au cœur du texte et que tous les petits récits antérieurs et disparates préparaient : « Ce moment fut extraordinaire. J’étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. Mais, au sein de cette extase quelque chose de neuf venait d’apparaître ; je comprenais la Nausée, je la possédais. À vrai dire, je ne formulais pas mes découvertes. Mais je crois qu’à présent, il me serait facile de les mettre en mots. L’essentiel c’est la contingence. Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or, aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence n’est pas un faux-semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter.»1 ¶ Un tel style et une telle programmation pourraient laisser deviner un roman à thèse, mais la profonde originalité de Sartre repose sur l’invention d’un rapport inédit entre la prose littéraire et la langue philosophique. Le texte ne vient jamais illustrer une thèse déjà constituée en surplomb par la théorie ; il est plutôt l’expérience, le travail minutieux d’élaboration d’une vérité qui ne se livre pas complètement par le concept et qui a besoin de toutes les ressources de la littérature pour se dire. Car la vérité de l’existence que Sartre veut découvrir se trouve dans les faits les plus ténus, de sorte qu’elle exige une écriture qui respecte le vécu et qui ne l’écrase pas dans une La Nausée, in Œuvres romanesques, formulation idéale. Paradoxalement, c’est dans Gallimard coll. « Bibliothèque une nouvelle approche philosophique que Sartre de la Pléiade », a découvert, les années précédant La Nausée, la clé 1981, p. 155.
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et le style de cette écriture littéraire : la description phénoménologique telle qu’elle était pratiquée depuis quelques décennies offrait en effet un autre accès aux choses de l’existence, et elle déjouait la description naturaliste pratiquée par les écrivains du siècle précédent. Exposant en 1933 ses projets théoriques et littéraires à Raymond Aron, son camarade de l’École normale supérieure, qui revenait d’Allemagne, Sartre découvre alors l’importance d’un philosophe dont les thèses correspondent magnifiquement à ses idées sur la contingence : Husserl. Il s’initie à la phénoménologie grâce à un livre du jeune Emmanuel Levinas et décide de partir à Berlin suivre l’enseignement de ce philosophe, qui devient son interlocuteur privilégié. Les Ideen zu einer reinen Phaenomenologie und phaenomenologischen Philosophie lui offrent la réflexion espérée pour aller vers le réel et découvrir l’être des choses et l’être de la conscience à partir de leurs manifestations concrètes. Facticité, réduction, intentionnalité sont les concepts qui nourriront pour une dizaine d’années sa propre pensée philosophique. Elles lui permettent d’échapper à l’alternative philosophique entre idéalisme et réalisme, et d’affirmer que toute conscience s’exerce dans une relation intrinsèque au monde. Partir des phénomènes, délester les significations de leurs représentations adventices, saisir les faits bruts selon leurs modalités d’apparition sont les bases d’une méthode qui permet à Sartre de développer ses thèses sur la liberté et sur la contingence. ¶ Cette proximité de Sartre avec Husserl ne doit toutefois pas occulter leurs différences et le débat sans concession que le jeune philosophe mène avec le penseur de la phénoménologie. L’Imagination (1936), La Transcendance de l’ego (1937), Esquisse d’une théorie des émotions (1939) et L’Imaginaire (1940) sont écrits dans l’inspiration critique de Husserl et, dès ses premiers écrits théoriques, Sartre
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entend marquer ses distances, quitte à en forcer le trait. Quelles que soient les œuvres qui l’ont fasciné, philosophiques ou littéraires, sa manière d’entrer dans l’univers intellectuel ou imaginaire d’un auteur vise à l’épuiser, c’est-à-dire à en rendre compte totalement pour mieux s’en détacher. Il a ainsi constamment conjugué empathie et antipathie, vampirisant les penseurs et les écrivains, et les trahissant volontairement. Car Sartre ne fut jamais un suiveur mais toujours un passeur. Ainsi de Heidegger, qu’il découvrit avec passion juste avant la guerre et dont il poursuivit la lecture alors qu’il était prisonnier en Allemagne, intéressé par la seule activité philosophique de ce penseur compromis avec le nazisme. Il trouve dans Sein und Zeit, et Was ist Metaphysik ?, une réflexion décisive pour l’ontologie qui lui fournit plusieurs concepts sur l’existence. Avoir accès à l’être à partir du Dasein, définir les modalités de l’être, notamment comme être-pour-la-mort et comme être-avec, sont les lignes que Sartre suivra pour rédiger sa grande œuvre d’ontologie phénoménologique, L’Être et le Néant. Les analyses heideggeriennes sur le souci et l’angoisse, la démarcation avec la métaphysique, notamment pour distinguer la négation, le néant et la néantisation, nourriront les thèses sartriennes sur la transcendance, le pour-soi, l’altérité. ¶ Cependant, une fois encore, Sartre critique et aménage ses sources, au point que Heidegger et ses fidèles commentateurs dénonceront plus tard son contresens sur le Dasein : Sartre le ramène à la réalité humaine et considère comme une aliénation l’idée d’une ouverture à l’être non conditionnée par la conscience. Avec L’Être et le Néant, il offre un ouvrage philosophique original des plus importants du xxe siècle, dont le retentissement est à la fois rapide et durable. Michel Tournier témoigne ainsi de son impact chez les étudiants : « Un jour d’automne 1943, un livre tomba sur nos tables, tel un météore : L’Être et le Néant de Jean-
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Paul Sartre. Il y eut un moment de stupeur, puis une longue rumination. L’œuvre était massive, hirsute, débordante, d’une force irrésistible, pleine de subtilités exquises ; encyclopédique, superbement technique, traversée de bout en bout par une intuition d’une simplicité diamantine. Déjà les clameurs de la racaille antiphilosophique commençaient à s’élever dans la presse. Aucun doute n’était permis : un système nous était donné. Nous exultions. Tels les disciples du Lycée au ive siècle avant J.-C., ou les étudiants d’Iéna en 1805, nous avions le bonheur inouï de voir naître une philosophie sous nos yeux.»2 La grande richesse de L’Être et le Néant vient en effet de ce qu’il conjugue une technicité philosophique pointue, un spectre très large des problématiques, et des analyses saillantes sous forme de narrations qui deviendront légendaires. Ainsi de la question du néant : elle est discutée à partir des thèses antiques et classiques, elle donne lieu à une étude des conduites de mauvaise foi, elle est illustrée par des descriptions spectaculaires et vite fameuses comme celle du garçon de café qui sur-joue son rôle. Sartre y fonde une définition de la conscience qui n’est jamais ce qu’elle est et qui est toujours ce qu’elle n’est pas, en perpétuel projet vers un autre être. La distinction entre ses deux modalités, l’en-soi et le pour-soi, est instituée en structure motrice et permet d’établir la liberté essentielle de toute conscience, son mouvement hors du passé qu’elle était et son transport vers l’avenir qu’elle sera : « Je suis condamné à exister pour toujours par-delà mon essence, par-delà les mobiles et les motifs de mon acte : je suis condamné à être libre »3, écrit Sartre en une formule qui dépasse l’opposition entre déterminisme et liberté abstraite au profit d’une liberté à la fois tragique et située. ¶ La fortune des dissertations sartriennes tient à ce qu’elles impliquent de multiples réflexions et pratiques. Ainsi le rapport d’une conscience à sa liberté pose-t-
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il d’emblée la question du choix et de l’engagement : condamné à choisir, on peut choisir de ne pas choisir mais on ne se soustrait jamais à sa responsabilité. L’Être et le Néant foisonne de situations qui mettent en jeu les relations au temps, au corps, à autrui, au désir. La description phénoménologique permet une philosophie exceptionnellement fine pour analyser des comportements intimes tels que la caresse, le regard, la violence, et Sartre produit quantité de réflexions sur le voyeurisme, la haine ou l’amour, déclinant sans relâche les modalités de la conscience pour-autrui. « Ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre »4, écrit-il dans une de ces multiples formules au scalpel qui tranchent sur les infinis méandres de la réflexion philosophique. Parfois, c’est une écriture fantasmatique qui emballe la prose spéculative, comme le chapitre sur la qualité révélatrice de l’être, et qui multiplie les versions du visqueux, du pâteux, du graisseux, du poisseux… L’ouvrage offre ainsi un univers aux multiples passages d’idées et d’écritures, il lance continuellement des pistes qui inaugurent une pensée impérieuse embrassant tous les champs de la philosophie. Qu’il s’agisse de la métaphysique, de la psychanalyse ou de l’éthique, Sartre ambitionne de tout investir par son ontologie de la liberté, laissant le livre ouvert sur d’autres chantiers à venir.¶ L’énergie et la profusion d’une telle pensée se sont imposées dès la Libération, faisant de Sartre la principale référence intellectuelle de l’après-guerre. Tout en distinguant les genres philosophique, romanesque et théâtral, il Michel Tournier, Le Vent paraclet, a agencé une relation inédite et dynamique entre Gallimard, coll. « Blanche », la spéculation et la fiction, de sorte qu’on ne peut 1977, p. 155. établir d’autorité ni même d’antériorité de son L’Être et le Néant, Gallimard, écriture théorique sur son écriture littéraire. C’est coll. « Bibliothèque des idées », 1943, d’un seul tenant que Sartre convoque toutes les p. 515. idées, les textes et les expériences pour fouiller le ibidem, p. 321.
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sens des existences. Gilles Deleuze a rendu un magnifique hommage à cette convocation multiforme : « Dans le désordre et les espoirs de la Libération, on découvrait, on redécouvrait tout : Kafka, le roman américain, Husserl et Heidegger, les mises au point sans fin avec le marxisme, l’élan vers un nouveau roman… Tout passa par Sartre non seulement parce que, philosophe, il avait un génie de la totalisation, mais parce qu’il savait inventer le nouveau. Les premières représentations des Mouches, la parution de L’Être et le Néant, la conférence L’existentialisme est un humanisme furent des événements : on y apprenait après de longues nuits l’identité de la pensée et de la liberté.»5 La Libération ouvre ainsi de nouvelles perspectives théoriques à Sartre, et son engagement dans la reconstruction morale et politique de toute une génération conduit sa réflexion vers les champs sociaux. L’Être et le Néant débouchait sur une éthique possible, restreinte à la sphère de la subjectivité, et ne fournissait pas les instruments pour comprendre les mouvements collectifs. Sartre délaisse alors la phénoménologie et découvre peu à peu le marxisme pour se lancer dans une entreprise théorique décisive : saisir l’intelligibilité d’une liberté commune, pétrie des déterminismes sociaux, au cœur de l’action historique. Si l’existence brute était l’objet de la quête phénoménologique, c’est désormais l’existence collective, la brutalité de la matière humaine qui intéressent l’investigation philosophique sartrienne. S’agit-il d’une rupture ou d’une transition théorique ? Assurément, l’analyse sociale, économique et historique introduit des schèmes radicalement nouveaux dans la pensée de Sartre. Mais la force de son projet repose à la fois sur une révolution intellectuelle personnelle et sur une remarquable adaptation des outils spéculatifs. Car, d’une part, Sartre ambitionne de renouveler le marxisme en y introduisant une dynamique de la liberté humaine, et d’autre
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part il intègre, vampirise et assimile les concepts marxistes en les adaptant à ses propres représentations. La perméabilité de sa pensée, soutenue par une exceptionnelle disponibilité de l’homme aux expériences et aux événements, autorise un parcours philosophique à la fois imprévisible et cohérent. Et, jusqu’à la fin de sa vie, Sartre remettra en chantier tous ses acquis théoriques au bénéfice de projets et de rencontres intellectuelles. En ce sens, la philosophie sartrienne ne fonde pas strictement un système, même si elle reste une des dernières à concevoir une ambition totalisante ; elle manifeste plutôt une pensée en actes qui trouve son unité dans un complexe de figures, d’images, de schèmes constamment réactualisés. ¶ Cette nouvelle maturation théorique aboutit en 1960 à la publication de Critique de la raison dialectique, une somme philosophique sur les formations collectives dans l’histoire. Sartre y propose de nouvelles notions qui permettent d’articuler la matérialité des conditionnements sociaux et la praxis individuelle des agents historiques. Le « pratico-inerte » désigne ainsi le milieu dans lequel les hommes agissent sous l’empire de la matière ouvrée, du monde façonné par le travail, des activités réglées par le collectif. La « sérialité » y règne, disposant les multiplicités humaines et les configurant comme autant d’éléments interchangeables. À partir de l’idée que les hommes font leur histoire tout en étant conditionnés par elle, Sartre tente de sortir le marxisme du déterminisme et de l’économisme ; il montre ainsi que les luttes de classes sont fondées sur une dynamique de groupes qui fait éclater les séries. Reformulant ses thèses sur la liberté et sur l’intersubjectivité, il étudie les circonstances et les modalités qui transforGilles Deleuze «Il a été mon ment les rapports sérialisés et aliénés en relations maître» in L’Île déserte et autres textes, de groupe et de libération. Sartre abandonne les Minuit, 2002, analyses ontologiques de la conscience pour-soi, p. 109-110.
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et leur préfère une logique de la vie mue par le besoin et confrontée à la rareté. ¶ Un des enjeux majeurs du livre est de comprendre la formation d’un nous-sujet que L’Être et le Néant cantonnait dans la réciprocité de l’un et de l’autre. Sartre analyse au plus près le rôle du tiers dans cette naissance de l’individu collectif, à la fois passif et actif, réalisant sa liberté dans une circulation des rôles. Et il définit les grands moments d’un tel processus : le groupe en fusion né de la révolte face à une menace, le groupe assermenté, le groupe institué puis le retour de la sérialité. Dans une prose extrêmement compacte, Sartre laisse affleurer de grands moments épiques : d’une part il développe une mythologie de la libération, celle des hommes qui, à partir d’une négation de l’inhumain, sont à la fois leurs propres fils et frères d’alliance. D’autre part la description de l’action commune ouvre aux narrations historiques, Sartre s’appuyant sur la Révolution française, de la prise de la Bastille jusqu’à la Terreur. La Critique de la raison dialectique agence ainsi une discussion théorique des plus pointues avec des récits spectaculaires qui font appel à l’empathie du lecteur. L’ouvrage en tire une puissance chaotique, multipliant les abîmes spéculatifs et les saillies narratives. Sartre y propose la figure tournoyante de la spirale, qui définit le mouvement de l’histoire, sa totalisation enveloppante et le mouvement incessant de l’expérience critique, perpétuellement inachevés. Cette époustouflante performance n’a toutefois pas eu le retentissement de L’Être et le Néant, car elle est parue à un moment où les notions de sujet, d’homme et de liberté étaient contestées par le structuralisme naissant. Cependant, elle s’inscrit dans une immense entreprise qui ne se limite pas à la philosophie de l’Histoire mais qui constitue l’armature théorique d’une vaste anthropologie. La Critique de la raison dialectique est en effet précédée par Questions de méthode, qui
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en précise la portée et l’ambition : convoquer tous les savoirs qui permettent de répondre à cette question : « Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? » Cette formule inaugurale de l’immense étude sur Flaubert sous-tend déjà les monographies que Sartre a consacrées à des écrivains tels que Baudelaire, Mallarmé et Genet. Il y accomplit le programme esquissé à la fin de L’Être et le Néant, celui d’une psychanalyse existentielle doublée d’une analyse morale. Sartre cherche en effet à déceler un projet originel au fondement de la vie d’un homme, une sorte de clef explicative de toutes ses conduites futures. Montrer la liberté, les choix et les conditionnements d’un individu ordinaire qui se constitue écrivain, telle est l’entreprise théorique de départ. Mais Sartre adopte un point de vue inhabituel pour un biographe et il conjugue l’empathie et la sympathie : d’une part il entre dans l’intimité du personnage, ou du moins celle qu’il imagine et reconstruit, et d’autre part il n’hésite pas à en dénoncer la mauvaise foi ou les aliénations volontaires. Ainsi de Baudelaire, auquel il consacre une étude dès 1944 et dont il dévalue l’image de poète maudit. Non seulement il prend à revers l’imagerie de l’écrivain élu et exclu, mais il démonte les ressorts du dandysme dans lequel s’est enfermé le poète. Quelques années après, Sartre, qui a essayé tous les genres d’écriture sauf la poésie, dont il se méfie, s’intéresse pourtant à un autre poète, Mallarmé, un choix d’autant plus significatif que cet écrivain incarne l’idéal le plus exigeant du verbe poétique. Mais il diffère plusieurs fois son projet, écrivant plus de six cents pages sans aboutir à un ensemble cohérent. Deux approches critiques y sont juxtaposées : l’historiographie, qui inscrit Mallarmé dans son contexte politique, et la psychanalyse, qui analyse son dispositif familial. ¶ En fait, Sartre construit progressivement sa méthode et lui donne sa première version magistrale dans une vaste étude de Jean Genet,
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poète mais aussi romancier, dramaturge et… voleur. Saint Genet, comédien et martyr, paru en 1952, est à la fois la totalisation extraordinaire d’une vie très singulière et l’un des romans les mieux écrits de Sartre. L’ambition critique y est déclarée ainsi : « Montrer les limites de l’interprétation psychanalytique et de l’explication marxiste et que seule la liberté peut rendre compte d’une personne en sa totalité, faire voir cette liberté aux prises avec le destin, d’abord écrasée par ses fatalités puis se retournant sur elles pour les digérer peu à peu, prouver que le génie n’est pas un don mais l’issue que l’on invente dans les cas désespérés, retrouver le choix qu’un écrivain fait de luimême, de sa vie et du sens de l’univers jusque dans les caractères formels de son style et de sa composition, jusque dans la structure des images, et dans la particularité de ses goûts, retracer en détail l’histoire d’une libération : voilà ce que j’ai voulu.»6 La seconde version de cette critique historiographique et monographique sera encore plus gigantesque, et elle poursuit une explication permanente de Sartre avec un écrivain qui le fascine et qu’il n’aime pas : Flaubert. Il lui consacre plusieurs milliers de pages qui aboutiront aux trois volumes de L’Idiot de la famille, publiés en 1971 et 1972, annonçant encore un tome à venir. Cette étude traite Gustave Flaubert comme un universel singulier, c’est-à-dire un homme traversé par l’Histoire et qui la restitue singulièrement. Sartre suit donc pas à pas la formation de la personnalité du jeune Gustave, ses difficultés avec le langage, sa place de second face au frère qui incarne la transmission paternelle. Il étudie l’idéologie présente à l’intérieur de sa famille puis celle qui se diffuse parmi ses camarades collégiens, faite de contestation et d’aliénation. Dérogeant à l’ordre chronologique de toute biographie, il développe alors une théorie de la programmation historique pour montrer que Flaubert, avant même sa naissance, est con-
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duit à devenir un auteur du Second Empire. ¶ Mais ce qui intéresse Sartre n’est pas tant la formation d’un écrivain, ni même l’histoire des conditionnements sociaux, que les malentendus féconds d’une époque entre le réel et l’imaginaire : comment un auteur qui a fait le choix de l’échec comme un absolu a-t-il pu rencontrer un tel succès, au prix de quelles conversions et selon quelle névrose historique ? L’Idiot de la famille présente alors des hypothèses d’une grande force sur l’incarnation de toute une époque par des projets contradictoires et singuliers. Au bout du compte, il est difficile de définir cette monumentale entreprise critique : philosophie, histoire, sociologie, psychanalyse, critique littéraire y sont agencées selon une anthropologie qui laisse volontiers place aux reconstructions imaginaires. Sartre dit avoir écrit un « roman vrai » et son œuvre dépasse en effet tous les genres. Il y propose une nouvelle théorie de la vie imaginaire et il y construit des analyses subtiles sur les comportements intimes. De manière spectaculaire, avec Jean Genet, il avait édifié une scène enfantine en trauma originel : l’enfant adopté se faisait surprendre par-derrière en train de voler, ce qui déterminait sa sexualité et sa relation au mal. Avec Gustave Flaubert, il isole à nouveau un schème décisif : la chute, une disposition corporelle répétitive par laquelle l’auteur manifeste théâtralement ses refus. L’anthropologie existentielle de Sartre se nourrit ainsi de ces figures opératoires qui permettent de comprendre à la fois une psyché et son époque. Pourquoi avoir choisi Baudelaire, Mallarmé, Genet et Flaubert ? Assurément, leur point commun réside dans un rapport névrotique à l’imaginaire, dans des stratégies de déréalisation dont Sartre connaît depuis longtemps la tentation. Et le dévoilement de ces impostures lui Saint Genet, comédien et martyr, fournit l’antidote nécessaire à ses propres fasciGallimard, 1952, nations. p. 645.
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Les scènes de l’image
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Le statut de l’imagination et la pratique de l’imaginaire ont occupé la réflexion et l’écriture de Sartre du début à la fin de sa vie et constituent assurément l’une des lignes forces de son œuvre. Dès 1927, il rédige un diplôme d’études supérieures consacré à L’Image dans la vie psychologique : rôle et nature, inspiré tant par les mystiques chrétiens que par les expérimentations cliniques. Et, quelques années plus tard, alors qu’il ambitionne d’écrire un traité sur l’imagination, il se fait injecter de la mescaline pour étudier de l’intérieur la production d’images hallucinatoires. C’est encore Husserl qui lui donne à comprendre une distinction décisive entre l’imagination et la perception : au lieu d’être ravalée au rang d’une chose, l’image est définie comme le produit d’une conscience imageante. Cette proposition prend à revers toute une tradition philosophique qui dévalorise l’imaginaire comme perception dégradée ou simulacre trompeur. Sartre, avec L’Imaginaire, réhabilite l’acte d’imaginer en insistant sur sa liberté et sa transcendance : « L’imagination n’est pas un pouvoir empirique et surajouté de la conscience, c’est la conscience tout entière en tant qu’elle réalise sa liberté ; toute situation concrète et réelle de la conscience dans le monde est grosse d’imaginaire en tant qu’elle se présente toujours comme un dépassement du réel. (…) Le réel est produit hors du monde par une conscience qui reste dans le monde et c’est parce qu’il est transcendantalement libre que l’homme imagine.»7 Cette affirmation sur la liberté de la conscience imageante est redoublée par une deuxième proposition théorique radicale qui signe la marque de Sartre sur la théorie de l’imaginaire : l’intention de la conscience, lorsqu’elle imagine, vise non seulement à constituer et isoler son objet mais aussi et surtout à l’anéantir. En effet, imaginer quelqu’un ou quelque chose implique de les poser comme absents et hors
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d’atteinte. Dès lors, la conscience imageante transforme ses objets en imaginaire, à partir d’un représentant analogique, et les irréalise. Ainsi de l’ami que j’imagine, explique Sartre : construisant son image sur quelques éléments ressemblants, je le pose comme n’étant pas là, je le « néantise ». Ce geste philosophique de Sartre offre à l’imagination un statut et une puissance qui englobent tous les types d’images, quel que soit leur régime de présentation : l’image mentale, l’image plastique et l’image stylistique appartiennent à une grande famille, de sorte qu’un rêve, un tableau ou une métaphore proviennent d’une position commune de la conscience imageante qui isole et déréalise ses objets. De là viennent la force et la faiblesse de son argument, car la réhabilitation philosophique de l’imagination va de pair avec l’oubli des images dans leur singularité. Sartre poursuivra inlassablement ses analyses pour débrouiller tous les usages de l’imaginaire et il les développera d’un point de vue tant théorique que pratique. À partir de cette élaboration, il établit en effet un partage entre philosophie et littérature : la première use de l’image à titre de schème symbolique pour appréhender les phénomènes. La qualité d’un objet, par exemple, peut être approchée par un schème tel que le visqueux, dont Sartre montre qu’il implique un rapport de la conscience à la matière, à la fois active et passive, libre et aliénée. La littérature, en revanche, recourt aux images déréalisantes pour entraîner le lecteur dans le vertige des simulacres. Cependant, ce démarcage théorique n’empêchera pas Sartre de le contredire dans sa pratique : son écriture philosophique est souvent figurative, et son engagement littéraire en appelle au réalisme subjectif. Assurément cette place de l’imaginaire l’obsède, jusL’Imagination, qu’à ses derniers travaux sur Flaubert, où il tenGallimard, 1940, tera d’affiner la notion et les fonctions de l’image, p. 236.
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renouvelant considérablement ses premières thèses phénoménologiques. Mais ce qui modifiera considérablement son regard, ce sont les images de l’art. La fréquentation des artistes et des ateliers fait découvrir à Sartre la matérialité des images. Cette attention aux artistes vient à la fois d’un intérêt accru pour la création esthétique et d’une stratégie intellectuelle de l’après-guerre. À l’instar de Breton, Sartre consacre de nombreux articles à des peintres et des sculpteurs dont il cherche la proximité avec ses propres analyses existentielles. L’exercice s’avère périlleux car il risque de plaquer des catégories philosophiques sur des pratiques originales, mais il oblige précisément le théoricien à entrer dans la matière des œuvres. L’approche et le style de Sartre deviennent alors plus analytiques et manifestent un grand souci de l’expérience esthétique. À la question philosophique : « qu’est-ce qu’imaginer ? » s’est substitué le souci du spectateur : « comment regarder une image ? ». Giacometti, Calder, Wols, Masson, Rebeyrolle, Cartier-Bresson accompagnent alors les pérégrinations de Sartre, dont les textes oscillent entre l’esthétique philosophique et la critique d’art. Les préfaces qu’il offre aux expositions de ces artistes décrivent au plus près l’épreuve d’une étrangeté que la conscience découvre et intègre. Elles constituent autant de variations qui mêlent l’observation concrète et les envolées théoriques : à quelle distance regarder une sculpture de Giacometti ? demande Sartre ; la ligne de Masson définit-elle un contour ou permet-elle une dérive des formes ? La pâte picturale de Rebeyrolle condamnet-elle la forme à l’inertie ? Ces interrogations iconographiques rejoignent les obsessions intimes de Sartre, qui n’hésite pas à y introduire ses dissertations et ses fantasmes. Ainsi de Giacometti, dont les toiles lui paraissent manifester l’isolement du corps par l’imaginaire : « Il veut que ses figures, au cœur
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de leur vide originel, sur sa toile immobile, passent et repassent sans cesse du continu au discontinu. La tête, il veut à la fois qu’elle s’isole, puisqu’elle est souveraine ; et que le corps la reprenne ; qu’elle ne soit plus qu’un périscope du ventre au sens où l’on dit de l’Europe qu’elle est une presqu’île de l’Asie. Les yeux, le nez, la bouche, il veut en faire des feuilles dans un feuillage, séparées et fondues tout ensemble.»8 Une des fascinations de Sartre pour la sculpture et la peinture réside précisément dans le jeu des matières et des formes. Comment un corps passe-t-il dans un autre, par quel investissement érotique les figures se transforment-elles, de quelles propensions les pâtes sont-elles capables pour incarner la violence de ces mutations ? Telles sont les questions qui orientent les goûts de Sartre pour les artistes : Masson, en qui il retrouve un imaginaire métamorphique, ou Rebeyrolle, dont l’engagement politique vient du traitement cru des matériaux. ¶ Cette affinité éclairée par l’art contemporain a aiguisé le regard de Sartre sur les techniques de la peinture, que sa phénoménologie avait négligées, mais elle ne l’a toutefois pas conduit à édifier une esthétique selon un programme philosophique de type kantien. Il n’a en effet jamais abandonné le souci de penser l’activité artistique dans une pluralité collective et politique, ce dont témoigne un autre grand projet inachevé consacré au Tintoret. En 1957, il publie un fragment important de cette étude qui conjugue la biographie et l’iconographie. Le choix de ce peintre du xvie siècle tient à sa situation plébéienne dans une époque de gloire et de décadence de la ville italienne : « Le Tintoret a mené le deuil de Venise et d’un monde ; mais quand il est mort, personne n’a mené son deuil «Les peintures de Giacometti», et puis le silence s’est fait, des mains hypocritein Situations IV, Gallimard, ment pieuses ont tendu ses toiles de crêpe. Arracoll. « Blanche », chons ce voile noir, nous trouverons un portrait, 1964, p. 358.
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cent fois recommencé. Celui de Jacopo ? Celui de la Reine des mers ? Comme il vous plaira : la ville et son peintre n’ont qu’un seul et même visage.»9 Sartre a l’ambition d’articuler la psychanalyse existentielle et l’analyse historique marxiste, comme il l’a fait avec les écrivains. Cependant, le manuscrit de ce texte comprend aussi de très nombreuses pages d’une étonnante acuité sur les tableaux du Tintoret. Sartre s’y montre un connaisseur avisé des techniques et de la représentation picturales à la Renaissance : il s’est résolument plongé au cœur des plasticités imaginaires pour y poursuivre encore ses obsessions sur la pesanteur et l’élasticité des corps. La présence du corps dans l’image, son incarnation, sa matérialisation, a donc été l’un des fils conducteurs de la réflexion de Sartre sur l’image. Et elle s’est manifestée dans sa version spectaculaire par son engouement pour le théâtre. Assurément, la scène n’est pas une image du même régime qu’un tableau ou un rêve, mais elle implique aussi l’imagination et s’inscrit dans une problématique de la représentation que le dramaturge Sartre renouvelle considérablement. Car ses créations théâtrales s’accompagnent d’une réflexion critique sur le statut de l’imaginaire lorsqu’il suppose une scène des corps. Pour bien comprendre la dramaturgie sartrienne, il faut revenir à la première expérience de la scène qui a décidé le philosophe et romancier à se lancer dans la création théâtrale. Prisonnier en Allemagne en 1940, Sartre écrit une pièce destinée à ses camarades de captivité pour la fête de Noël : Bariona, ou le fils du tonnerre a pour sujet la nativité du Christ et propose une sorte de réécriture des récits évangéliques par laquelle la naissance de Jésus devient un espoir de résistance à la tyrannie. Sartre joua lui-même le rôle d’un roi mage et découvrit alors la puissance collective de la scène, à la fois l’incarnation concrète de l’imaginaire et sa réception immédiate par un public
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de chair. Lorsqu’il rentre en France à la faveur d’une libération médicale, il entreprend d’écrire une œuvre qui touche directement les spectateurs et les engage dans un monde allégorique où se découvre le sens de l’existence. Mais l’écriture d’une pièce exige d’intégrer quantité de contraintes spectaculaires et il faudra la fréquentation du metteur en scène Charles Dullin pour que le philosophe délaisse l’éloquence au profit de l’action théâtrale. Les Mouches constituent la première véritable épreuve de Sartre avec le genre théâtral et inaugurent dix pièces écrites sur une vingtaine d’années, qui consacreront l’un des dramaturges majeurs de l’après-guerre. Cette œuvre ne témoigne pourtant pas d’une grande originalité théâtrale et relève d’une mode plutôt convenue depuis le début du xxe siècle, celle de la reprise des pièces antiques selon une version parodique pour un public lettré. Dans ce genre, elle soutient difficilement la comparaison avec Giraudoux, mais Sartre y a imprimé une vision existentielle et un message de résistance à l’Occupation allemande. Le personnage principal, issu de l’Orestie d’Eschyle, y dénonce la collaboration, le méaculpisme et invite à la résistance, autant d’allusions à la situation de la France sous Pétain. Assurément, Sartre croit à la valeur cathartique du mythe et il entend à la fois réinvestir la tragédie grecque et forger lui-même des mythes contemporains. ¶ Peu à peu, Sartre construit une théorie et une pratique originales à partir d’une motivation philosophique du genre théâtral et d’une conception de l’imaginaire spectaculaire. On lui a souvent reproché d’écrire un théâtre à thèse. Cependant, la scène n’y est pas un lieu d’illustration mais plutôt un espace problématique où s’opposent des consciences, des corps, des temporalités, sans intention édifiante. De ce point de « Le séquestré de Venise» in Situations vue, Huis clos reste sans doute sa pièce la plus réusIV, op. cit., p. 345sie et la plus innovante : la situation scénique pré346.
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sente trois personnages réunis en enfer et qui découvrent peu à peu la signification d’une telle rencontre. L’intrigue n’est plus fondée sur une action mais sur une délibération où la parole effectue le sens plus qu’elle ne l’exprime : la confrontation des alibis, des excuses et des mauvaises fois fait tomber les faux-semblants, met à nu les consciences et les place devant leurs responsabilités. La fameuse formule, « l’enfer c’est les autres »10, offre moins un constat pessimiste qu’elle ne signale la nécessité de passer par le regard des autres pour assumer sa liberté et définir son passé. La dimension philosophique ne doit toutefois pas faire oublier la puissante construction dramaturgique de la pièce et sa structure ternaire, qui déplace constamment les positions sans jamais s’achever, puisque les derniers mots sont : « Eh bien, continuons. »11 Cette circulation infinie de la parole et la destruction des images que les personnages se font d’eux-mêmes dans un espace dénué de miroirs a inspiré plus d’un dramaturge de l’après-guerre. En 1944, Huis clos prend place au cœur des débats collectifs et singuliers sur le bilan des lâchetés, mais la pièce fait date aussi par sa politique de la représentation. La dramaturgie de Sartre s’inscrit dans une remise en cause du théâtre de caractères et une révolution esthétique entamée depuis le début du xxe siècle. Les notions de personnage, de représentation, de temps et d’espace ont été considérablement révisées au cours des manifestes avant-gardistes et Sartre imprime sa marque dans une dimenssion sur le statut du réel, de l’imaginaire et de la mimésis. Face aux thèses d’Antonin Artaud sur l’investissement pulsionnel d’un espace scénique collectif, et à celles de Bertolt Brecht sur la démystification de l’illusion théâtrale, il cherche à conserver la figuration imaginaire tout en faisant appel à l’esprit critique du spectateur. C’est pourquoi il maintient la prégnance de la parole, du sens,
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de l’acte, et présente des libertés dépouillées de leur décorum. L’intrigue est conservée, mais les situations ordinaires sont épurées au point d’atteindre à la structure élémentaire du mythe. Au lieu du drame bourgeois, Sartre construit des tragédies de la liberté. La singularité de son théâtre a cependant pâti du succès de deux courants dramaturgiques dominants et concurrents de l’après-guerre : le brechtisme et le nouveau théâtre le reléguèrent dans un genre trop conventionnel. D’un côté, les critiques et les metteurs en scène privilégiaient une approche marxiste des situations, de l’autre ils découvraient les avant-gardes avec Beckett et Ionesco. Sartre n’en a pas moins maintenu son cap, à l’écart des innovations formelles, en traitant sans didactisme de conflits à la fois intimes et collectifs : en 1948, Les Mains sales a pour sujet les relations contradictoires de l’intellectuel avec les partis révolutionnaires. Cette pièce connut un grand succès mais suscita des interprétations politiques contrastées au point d’amener Sartre à en interdire la représentation. L’inspiration philosophique reprend le dessus en 1951 avec Le Diable et le Bon Dieu, selon une couleur shakespearienne, qui situe son action dans les conflits religieux de la Renaissance. Pierre Brasseur en fut le magistral interprète et la pièce a connu récemment un regain de popularité avec une mise en scène de Daniel Mesguish. Les questions du bien et du mal, du choix et de la responsabilité nourrissent des monologues aux formules brillantes. Le théâtre sartrien reste en effet une œuvre d’écriture plus que de spectacle, donnant toujours la primeur aux fastes du langage verbal. La dernière grande réussite théâtrale de Sartre fut Les Séquestrés d’Altona, en 1959, car Huis clos, elle conjugue à la fois le tragique de la liberté, la Gallimard, coll. « Folio », figuration mythique et la vision historique. Serge 1974, p. 92. Reggiani y incarnait le personnage de Frantz, le ibidem, p. 94.
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fils d’une grande famille allemande reclus dans sa chambre peuplée de crabes imaginaires. De nouveau, la délibération à huis clos fait revenir les fantômes de la guerre, la culpabilité et la folie des hommes pris dans une horreur collective. Le suicide commun du père et du fils laisse vide le plateau de scène où ne subsiste qu’un magnétophone qui diffuse le discours testamentaire d’un enfant du siècle au prophétisme funèbre : « Peut-être n’y aura-t-il plus de siècles après le nôtre. Peut-être qu’une bombe aura soufflé les lumières. Tout sera mort : les yeux, les juges, le temps. Nuit. Ô tribunal de la nuit, toi qui fus, qui seras, qui es, j’ai été ! J’ai été ! Moi, Frantz, von Gerlach, ici, dans cette chambre, j’ai pris le siècle sur mes épaules et j’ai dit : j’en répondrai.»12 La violence historique résonne en direction des contemporains de la guerre d’Algérie et Sartre joue intentionnellement de cette commune responsabilisation des individus. À sa manière il entend, lui aussi, répondre de son siècle, une fois ce deuil accompli : la génération de l’après-guerre doit se porter sur tous les fronts de la politique, consciente de l’enfantement délétère de l’Histoire. Il faut refaire la matrice, réinventer la filiation, transformer la liberté en libération perpétuelle. Le séquestré présente ainsi un complexe familial sur lequel Sartre construit une contre-mythologie personnelle : il lui oppose la figure du bâtard qui implique une rupture générationnelle et un désir d’enfantement sans paternité. Comment Sartre a-t-il articulé ce mythe à un engagement politique maximal ? La réponse exige de suivre le parcours qui a conduit un orphelin de père à devenir la mauvaise conscience de son temps.
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Le paradoxe que Sartre élucide à propos de Flaubert – un homme qui écrit contre son époque et qui en devient un sujet emblématique – pourrait se retourner sur lui : il n’a cessé de refuser les honneurs et la consécration nationale, et il est pourtant devenu l’intellectuel français le plus reconnu, dont l’enterrement au cimetière Montparnasse a été spontanément suivi par cinquante mille personnes, un événement inédit depuis les obsèques de Victor Hugo. Certes, la thèse sartrienne de l’universel singulier pourrait s’appliquer à son auteur et l’esprit du temps a pu s’incarner dans un penseur qui s’est mis délibérément en marge de ses institutions. Sartre a développé sa philosophie hors de l’université et il a choisi systématiquement le côté des révoltés, au point de développer une haine que sa mort n’a pas éteinte (en guise d’hommage funéraire, certains journaux dénonçaient encore le « corrupteur de la jeunesse », le comparant involontairement à Socrate). Cependant, il a surtout su se mettre à l’affût de toutes les fractures historiques, parfois aveuglément, c’est-à-dire sans la protection de l’analyse experte. Il fut le passeur non seulement de théories et d’écritures nouvelles mais aussi des mouvements politiques qui ont transformé la deuxième moitié du xxe siècle. ¶ Avant d’être le fruit d’une expérience collective, cette sensibilité à la révolte lui vient de son enfance, et la comparaison avec Flaubert fait long feu lorsque l’on sait que Sartre fut élevé dans l’univers des mots et la programmation à l’écriture. Si le jeune Gustave éprouva des difficultés dans l’apprentissage de la langue, le petit Jean-Paul, dit Poulou, confondit les mots et les choses et vécut dans une fusion magique avec les paroles de sa mère. Cette proximité verbale fut rendue Les Séquestrés d’Altona, Gallimard, possible par l’absence de père, que Sartre a élue coll. « Folio », 1972, symboliquement comme un état de grâce et de p. 375.
Politiques de l’engagement
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liberté. « Quand les pères ont des projets, les enfants ont des destins »13, observe-t-il à propos des enfants Flaubert, dont le fils aîné reproduit le modèle paternel tandis que Gustave se définit comme l’enfant qui ne peut répondre à cette injonction familiale. En revanche, la disparition du père, décrite par Sartre dans son autobiographie Les Mots, emporte avec elle l’ordre patriarcal. Sans père, pas de destin ni de loi ni de ressemblance, mais une totale liberté de choix. Le fils construit ainsi une petite mythologie intime par laquelle il dénonce le principe même de la paternité : « Il n’y a pas de bon père, c’est la règle ; qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité, qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge ; au milieu des Énées qui portent sur leur dos leurs Anchises, je passe d’une rive à l’autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie ; j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais ; mais je souscris volontiers au verdict d’un éminent psychanalyste : je n’ai pas de Sur-moi.»14 Il y eut pourtant des substituts de père, notamment la figure tutélaire du grand-père Schweitzer, ou le beau-père jamais accepté, mais Sartre veut faire entendre que son anarchie foncière et jamais démentie vient de là : on ne lui a pas inculqué le goût du pouvoir, faute d’autorité paternelle. Le défaut de transmission se transforme alors en défi, puisque l’enfant doit s’inventer à partir de rien. Du moins se forge-t-il cette fiction personnelle qui fait de lui un être commun et exceptionnel, à la fois ordinaire et sans comparaison. La dernière phrase des Mots présente le deuil des fausses ambitions – le salut par la littérature – et découvre l’immense projet de devenir l’égal de tous : « Que
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reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.»15 La table rase des identités factices ne peut toutefois occulter le conditionnement social d’un individu qui acquiert des positions dominantes, même si elles s’exercent à l’écart des pouvoirs constitués. Sartre a d’abord suivi l’itinéraire balisé d’un héritier dont l’éducation privilégiée le conduit à l’École normale supérieure et à l’agrégation. Ces années d’études ont été des moments d’apprentissage théorique et de constitution de réseaux dans le monde codifié de l’intelligentsia parisienne. Il suffit de rappeler la situation de Camus, enfant pauvre d’Algérie, pour observer la disparité des conditions et la détermination des carrières de ceux qui « montent » ou vivent à Paris. Cependant, Sartre ne vécut pas cet esprit de cooptation en sympathie, et il marqua très tôt ses distances à l’égard d’un enseignement compassé, ignorant des réalités et des pensées contemporaines. Son amitié élective avec Paul Nizan témoigne d’une telle critique : ce dernier était en totale rupture avec le système de recrutement des élites, qui l’avait pourtant distingué, et il lui préféra l’engagement politique et le départ à Aden. Le bonheur de cette période d’études tint davantage à la liberté de vie et aux amitiés qu’à la découverte intellectuelle. Sartre décrit ainsi avec nostalgie – et selon un style inhabituel qui évoque les héros romanesques du xixe siècle – son affinité avec Nizan et leurs promenades heureuses dans la capitale : « Nous marchions à travers Paris, pendant des heures, des journées : nous en découvrions la faune et la flore, les pierres, émus aux L’Idiot de la famille, larmes quand s’allumaient les premiers feux tome I, Gallimard, 1971, p. 107. de réclames électriques ; nous pensions que le Les Mots, Gallimard, 1964, monde était neuf parce que nous étions neufs p. 11. dans le monde ; Paris fut notre lien, nous nous ibidem, p. 213.
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aimions à travers les foules de cette ville grise, sous les ciels légers de ses printemps.»16 Nizan prendra définitivement la tangente, mais sera rattrapé par la guerre qui l’emportera, puis par la calomnie de ses camarades communistes. Sartre restera seul à Paris et, après un an de captivité, deviendra l’intellectuel adulé de l’après-guerre. ¶ Ces deux itinéraires se croisent à la manière d’un roman d’éducation sentimentale et sociale, et c’est bien un « personnage » que le philosophe-romancierdramaturge incarne lorsqu’arrive la vogue de l’existentialisme. Sartre devient en 1945 un auteur à la mode qui participe à l’imagerie littéraire de Saint-Germain-des-Prés : celle des cafés littéraires, Les Deux Magots et Le Flore, des caves où l’on écoute du jazz et danse le be-bop. Les chansons de Juliette Greco ont fourni les clichés d’une insouciance retrouvée pour des jeunes gens qui transportaient L’Être et le Néant comme un fétiche vestimentaire et qui cherchaient un renouveau moral après l’effondrement de toutes les valeurs et de toutes les croyances. Répondant à cet engouement, Sartre livre une conférence en octobre 1945, « L’existentialisme est un humanisme », destinée à vulgariser ses thèses philosophiques. Il y expose une morale de l’action et de la liberté qui sert de bréviaire à la génération de l’après-guerre. Boris Vian a décrit avec humour ce show médiatique et l’adulation ambiante : « Dès le début de la rue, la foule se bousculait pour accéder à la salle où Jean-Sol Partre donnait sa conférence. Les gens utilisaient des ruses les plus variées pour déjouer la surveillance du cordon sanitaire chargé d’examiner la validité des cartes d’invitation, car on en avait mis en circulation de fausses par dizaines de milliers. (…) Le public qui se pressait là présentait des aspects bien particuliers. Ce n’étaient que visages fuyants à lunettes, cheveux hérissés, mégots jaunis, renvois de nougats et, pour les femmes, petites nattes miteuses ficelées autour du crâne et canadienne
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portée à même la peau, avec échappées en forme de tranches de seins sur fond d’ombre.»17 Cette vie parisienne exaltée qui consacre la notoriété de Sartre n’a, paradoxalement, été possible qu’après les années terribles de la guerre, pendant laquelle l’idole de l’existentialisme n’a pourtant pas été un héros de la Résistance. Il importe donc de revenir en arrière pour comprendre ce qui a transformé le philosophe individualiste de l’avant-guerre en homme public à la Libération. La conversion personnelle et philosophique de Sartre, de l’ontologie phénoménologique au marxisme critique, du roman au théâtre, de la solitude existentielle à l’activisme politique, s’est opérée au moment de la seconde guerre mondiale. Elle ne relève pas d’une décision intellectuelle mais de la force de l’Histoire, dont le cours s’est brutalement emparé des vies singulières. La « mobilisation » a brusquement sorti les existences de leurs espaces confinés pour les charrier collectivement sans que personne ne maîtrise plus le sens de sa destinée. Sartre a vécu ainsi son départ comme simple soldat et sa captivité en Allemagne. Sa trilogie romanesque, Les Chemins de la liberté, décrit les étapes d’un tel bouleversement : le premier tome, L’Âge de raison, suit l’itinéraire d’un personnage principal qui ressemble au Sartre d’avant-guerre, soucieux d’une liberté sans contraintes. Il entretient une liaison amoureuse et régulière mais refuse de s’installer, il est ému par les agressions franquistes contre la République espagnole mais il écarte tout engagement concret, il vit d’habitudes, de petits projets, de désirs non assumés. «Paul Nizan» Son existence tranquille est brusquement trouin Situations IV blée lorsque sa compagne tombe enceinte et l’inop. cit., p. 144. Boris Vian, trigue romanesque se construit sur la recherche L’Écume des jours in Romans, Nouvelles, d’une avorteuse. Le tome suivant, Le Sursis, prend Œuvres diverses, Lgf, place au moment de la guerre et Sartre adopte les 1995, p. 118.
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techniques du roman américain, celles de Faulkner et de Dos Passos, pour démultiplier les points de vue et promouvoir un simultanéisme qui hache et alterne les discours des individus avec ceux de l’histoire collective. Le chaos règne et les vies sont soudainement brassées passivement dans le flux des événements. Sartre revient au réalisme subjectif avec le troisième tome, La Mort dans l’âme, pour tenter de bâtir des existences à la fois conscientes du poids de l’Histoire et désireuses de reprendre la main sur leurs actions. La construction dialectique de sa trilogie montre une conception illusoire de la liberté comme absence de détermination, puis, à l’inverse, une puissance absolue de l’Histoire qui transforme les vies en éléments passifs. Enfin, elle découvre les voies d’une liberté engagée qui se construit à partir de ses conditionnements. Toutefois, Sartre laissa son projet inachevé, malgré la suite qu’il voulait lui donner, sans doute moins à cause du didactisme un peu pesant que faute d’une technique romanesque qui rende compte de cette libération. Saisir l’esprit objectif au sein des singularités exigeait de bouleverser radicalement la narration romanesque et ses implicites, et il lui préféra le genre théâtral ou l’étude anthropologique. Cependant, Les Chemins de la liberté manifestent le travail théorique, stylistique et intime de Sartre, qui intègre les chocs de l’Histoire dans sa version apocalyptique ; l’humanité y est périssable, voire impossible, mais l’humain ressurgit pour refuser cette impossibilité. L’Espèce humaine de Robert Antelme en offre le témoignage au sortir de la guerre : la seule volonté de vie, face aux humiliations les plus inhumaines, est encore une résistance de l’humain.¶ Le passage à l’Histoire et au collectif sépare ainsi l’œuvre et la vie de Sartre en deux versants, avant et après la seconde guerre mondiale : « La guerre a vraiment divisé ma vie en deux. Elle a commencé quand j’avais trente-quatre ans, elle s’est terminée
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quand j’en avais quarante et ça a vraiment été le passage de la jeunesse à l’âge mûr. En même temps, la guerre m’a révélé certains aspects de moi-même et du monde. Par exemple, c’est là que j’ai connu l’aliénation profonde qui était la captivité, c’est là que j’ai connu aussi le rapport aux gens, l’ennemi, l’ennemi réel, pas l’adversaire qui vit dans la même société que vous ou qui vous attaque verbalement, mais l’ennemi qui peut vous faire arrêter et emmener en taule en faisant un simple signe à des hommes armés. Et puis j’ai connu là aussi, opprimé, abattu mais existant encore, l’ordre social, la société démocratique, dans la mesure précisément où elle était opprimée, détruite et où nous luttions pour lui conserver sa valeur, en espérant qu’après la guerre elle renaîtrait. C’est là, si vous voulez, que je suis passé de l’individualisme pur d’avant la guerre au social, au socialisme. C’est ça le vrai tournant de ma vie.»18 Cette expérience, aussi radicale fût-elle, reste cependant loin des grandes tragédies vécues pendant la guerre, et Sartre décrit des situations modestes qui ont provoqué sa conversion, comme le partage des latrines, dans le camp de prisonniers, qui fait tomber toutes les pudeurs et les différences sociales. Sans doute existe-t-il un certain décalage entre ses grandes déclarations de l’après-guerre, notamment sur l’opposition entre les résistants et les collaborateurs, et sur la liberté portée à son comble lorsque le choix se limite à la vie et à la mort. De fait, la période de l’Occupation en France fut en demi-teinte pour un esprit comme Sartre qui souhaitait agir mais ne trouva pas les voies d’une résistance efficace et qui s’accommoda fi nalement, comme la grande majorité des Fran«Autoportrait çais et des intellectuels, de l’oppression nazie ; il à soixante-dix ans» avec Michel Contat, continua d’enseigner, de publier pendant que les in Situations X, Gallimard Juifs étaient exclus de toutes les administrations, coll. « Blanche », des catalogues de l’édition, puis déportés vers les 1976, p. 180.
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camps d’extermination. Sartre fut assurément résistant dans l’âme mais ne s’engagea pas dans la Résistance. Peut-être la mauvaise conscience motiva-t-elle son activisme à partir de la Libération jusqu’à sa mort. Du moins Vladimir Jankélévitch a-t-il suggéré une telle interprétation. La volonté de promouvoir une nouvelle politique de la pensée impliquait de fonder un lieu de publication. Sartre crée à cette fin Les Temps modernes, édités par Gallimard, qui devient rapidement une revue de référence, et qui lui survit encore aujourd’hui. Le comité de rédaction comprend notamment Raymond Aron, Simone de Beauvoir et Maurice MerleauPonty. À la manière des manifestes avant-gardistes, le premier numéro présente un texte d’une grande force programmatique et ambitionne de traiter tous les domaines de la culture, de la politique, de l’art, de la littérature, de la philosophie, sous le chef de l’engagement. Selon une analyse marxiste de l’idéologie bourgeoise et un volontarisme révolutionnaire, Sartre veut faire de sa revue un organe d’émancipation intellectuelle : « Le but lointain que nous nous fixons est une libération. Puisque l’homme est une totalité, il ne suffit pas, en effet, de lui accorder le droit de vote, sans toucher aux autres facteurs qui le constituent : il faut qu’il se délivre totalement, c’est-à-dire qu’il se fasse autre, en agissant sur sa constitution biologique aussi bien que sur son conditionnement économique, sur ses complexes sexuels aussi bien que sur les données politiques de sa situation.»19 La revue développe largement la notion de littérature engagée, qui donne lieu à quelques malentendus. Sartre y définit la responsabilité de tous les écrivains à l’égard des événements politiques au prétexte qu’ils bénéficient d’un pouvoir de la parole et qu’ils se rendent complices de tout ce qu’ils n’ont pas dénoncé ; mais cette politisation de l’art se distingue très nettement du réalisme socialiste prôné par les théori-
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ciens communistes et Sartre répétera souvent que c’est à partir de l’art ou de la littérature que se forge une dimension politique. L’engagement ne réquisitionne pas les œuvres, il émane d’une réflexion et d’un travail esthétiques depuis les matériaux et les techniques de l’art. ¶ La revue de Sartre aborda les grandes questions politiques et sociales de l’après-guerre qui ont occupé le débat intellectuel pendant un demi-siècle : la recherche d’une troisième voie au-delà du communisme et du capitalisme, la critique de l’impérialisme et du colonialisme, les droits des femmes, la situation des peuples opprimés. Et si les termes et les enjeux de ces discussions socio-politiques ont changé aujourd’hui, de nombreux articles et livres de Sartre demeurent des références. Ainsi de ses Réflexions sur la question juive, parues en 1946 : alors que la prise de conscience de l’extermination des Juifs pendant la guerre se fait lentement, Sartre consacre très tôt une étude à l’antisémitisme européen. Son livre n’a pas l’ambition de traiter du judaïsme, ni de l’identité juive, ni même de ce qu’on appelle la Shoah depuis le film de Claude Lanzmann. Il entreprend plutôt d’examiner la situation des Juifs et de démonter tous les préjugés persistants sur leur communauté. Ses réflexions visent deux cibles : d’une part l’antisémite français, dont il dresse un portrait psychologique dévastateur, d’autre part le démocrate, qui prétend régler le problème par l’assimilation. La haine du premier n’est que l’expression de la peur de l’autre, sous le couvert « Présentation d’une idéologie de l’enracinement, comme Sartre des Temps modernes» l’avait décrite dans « L’Enfance d’un chef », l’une in Situations II, Gallimard des nouvelles du Mur. L’humanisme du second coll. « Blanche », défend un universalisme niveleur des différen1948, p. 23. Réflexions sur ces et occulte la situation et l’histoire singulièla question juive, Gallimard res des Juifs. Une des thèses de l’ouvrage, selon coll. « Idées », 1971, laquelle « c’est l’antisémite qui fait le Juif »20, a p. 85.
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suscité beaucoup de débats critiques car on y a vu une méconnaissance de la spécificité juive. Mais Sartre n’a jamais prétendu définir une essence juive, préférant les mots de situation, de condition ou de réalité, et son propos concerne avant tout l’antisémite, ou l’attitude du Juif inauthentique désirant s’effacer dans une prétendue nature humaine universelle. Cependant, il s’est préoccupé continûment de la construction d’Israël, de l’établissement du peuple juif et de ses relations avec les Palestiniens. Sartre manifesta son soutien à la cause palestinienne et il approuva parfois leurs actions terroristes, sans jamais remettre en cause l’existence de l’État israélien. Il fut même l’artisan d’un dialogue entre intellectuels des deux parties belligérantes, notamment à travers Les Temps modernes. À la fin de sa vie, il s’intéressa plus particulièrement à l’histoire juive, grâce aux dialogues avec un militant gauchiste, Benny Levy, converti sur le tard aux études juives, lecteur de Levinas et devenu son ultime secrétaire particulier. Accablé par la cécité, Sartre conçut avec lui le projet d’un livre d’entretiens dont il reste quelques dialogues controversés. Il tente d’y définir un nouveau projet philosophique et politique à la lumière d’un messianisme athée, délivré de ses utopies révolutionnaires. Sartre n’a jamais renoncé à l’idée d’émancipation tout en reformulant sans cesse les motivations et les finalités d’un tel espoir. Son humanisme critique ne pouvait se satisfaire de la raison émancipatrice des Lumières, et il a puisé dans diverses sources les voies d’une libération sociale, économique et politique de l’humain. La phénoménologie, puis le marxisme ont été ainsi réinvestis par ce projet émancipateur qui relève d’une morale que Sartre n’a jamais écrite en tant que telle, mais qu’il a constamment travaillée dans sa compréhension des luttes pour l’égalité et la dignité. Les propos contemporains sur la nécessaire reconnaissance des singula-
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rités, qu’elles soient ethniques ou sexuelles, lui doivent beaucoup. De ce point de vue, l’œuvre de Sartre s’est écrite aussi en contiguïté avec celle de Simone de Beauvoir, tant la revendication d’une égalité des sexes s’est fondée sur une philosophie existentialiste commune. La parution du Deuxième Sexe fut un événement considérable car Beauvoir y présentait à la fois une généalogie de l’oppression féminine et une réflexion sur la construction de l’identité sexuelle. La fameuse formule : « On ne naît pas femme, on le devient» a servi de bréviaire à toute une génération qui a lutté pour les droits à la contraception, à l’avortement et à l’autonomie. En montrant comment l’identité féminine a été façonnée, à travers les représentations masculines, au profit du pouvoir des hommes, Beauvoir a tracé le chemin d’une émancipation sociale et d’une pensée de la différence sexuelle qui a déterminé le débat féministe. Et même si cette négation d’une essence féminine a connu des controverses internes, elle revient encore aujourd’hui, dans les discussions outre-Atlantique, sur la notion de genre et son possible dépassement. ¶ Le partage de cette vision de l’égalité entre Sartre et Beauvoir ne s’est pas limité à une proximité philosophique et le couple a incarné, publiquement, une autre conception du rapport entre hommes et femmes. Il a en effet conjugué l’égalité et la liberté, le respect et la confiance, reléguant les notions de possession et de fidélité à une définition inégalitaire et aliénée de la relation amoureuse. Sartre et Beauvoir se sont rencontrés au moment où ils passaient le concours de l’agrégation et ils ont conservé une complicité intellectuelle pendant toute leur vie, ce qui ne les a pas empêchés de nouer quantité d’autres relations amoureuses et sexuelles, déclarées et même commentées dans leur abondante correspondance. Cette multiplicité ne fut pas toujours harmonieuse et prit des formes diverses, allant du partage à la rivalité. Elle donna lieu
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à beaucoup de rencontres et à de beaux échanges épistolaires, d’un côté comme de l’autre, et d’autant plus que Sartre affirma toujours une préférence pour la fréquentation des femmes dont la psyché lui était proche. ¶ Le choix d’une vie libre et toujours disponible écartait le souhait de procréer, mais l’orphelin de père a toujours préféré les enfants perdus ou adoptés à ceux lestés par le poids de leurs ascendants et il a officialisé une paternité élective avec Arlette Elkaïm, devenue ainsi sa fille. Sans chercher à édifier un modèle relationnel à partir de sa propre existence, il a refusé les postures du père et du mari et défendu l’égalité de chacun quel que soit son sexe. Il confie à Beauvoir en guise de bilan : « J’ai compris qu’il y avait des rapports entre homme et femme qui indiquaient l’égalité profonde des deux sexes. Je ne me considérais pas comme supérieur à vous, ou plus intelligent, ou plus actif, donc je vous mettais sur le même plan. Nous étions des égaux. Je pense, curieusement, que ça a fortifié mon machisme, d’une certaine façon, parce que ça m’a permis, avec d’autres femmes, de me retrouver machiste. Cependant, l’égalité que nous avions ne me semblait pas seulement une égalité de fait de deux individus, mais me paraissait révéler l’égalité profonde des deux sexes.»21 Le refus de la discrimination sexuelle fut donc une ligne théorique forte et, même s’il y fut sensible tardivement, Sartre défendit aussi la reconnaissance de l’homosexualité lors des revendications des années 1970. L’engagement politique de Sartre accorda toujours une place singulière à ces combats, qu’il ne voulut pas réduire à des épiphénomènes comme le faisaient les théoriciens dogmatiques de la lutte des classes. C’est pourquoi il réitéra souvent cette question théorique et pratique : comment articuler l’émancipation sociale et la libération politique ? La difficulté à y répondre s’est manifestée dramatiquement dans ses rapports avec le communisme réel.
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La volonté d’agir concrètement sur la vie politique et sociale avait conduit Sartre à créer en 1948, avec quelques amis de gauche, le Rassemblement démocratique révolutionnaire, qui souhaitait relancer l’idée d’émancipation à l’écart des partis, trop ossifiés. Mais, très vite, il découvrit les limites d’un regroupement d’intellectuels déconnectés de toute base sociale et il s’engagea, de 1952 à 1956, dans quatre années de compagnonnage avec le Parti communiste. Si l’espoir d’atteindre la classe ouvrière par cette proximité a été une raison majeure, le véritable motif de cette décision fut l’anticommunisme virulent de ces années-là : Sartre fut davantage « antianticommuniste » que communiste. De fait, il a réagi avec fureur à l’arrestation rocambolesque de Jacques Duclos, le représentant du Pcf, accusé d’espionnage au profit de l’Urss au motif qu’il transportait des pigeons dans sa voiture. Il écrit alors un long article, « Les communistes et la paix », inaugurant une série de textes sur les luttes ouvrières et sur la contre-violence qu’elles incarnent. À l’origine de cet engagement se trouvent non seulement les conflits sociaux français mais aussi le climat politique de la guerre froide. Sartre appuie les manifestations contre la guerre de Corée et commence à déclarer une opposition radicale à la politique impérialiste des ÉtatsUnis ; il participe ainsi au Congrès de Vienne, à la fin 1952, qui regroupe les sympathisants communistes de toutes origines. Durant cette période de rapprochement avec le Parti communiste, il participe à de nombreuses organisations favorables à l’Urss, qu’il visite plusieurs fois, rencontrant Khrouchtchev ; il en rapporte des propos enthousiastes sur la construction du socialisme, la liberté et le bon« Simone de heur soviétiques qui témoignent de son aveugleBeauvoir interroge Jean-Paul Sartre», ment plus ou moins volontaire à l’égard du comin Situations X munisme réel. Ces déclarations sont destinées à la op. cit., p. 120.
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bourgeoisie française et prennent le contre-pied de sa presse, que Sartre combat, notamment par sa pièce satirique Nekrassov. Les oppositions s’exercent alors sans nuances et l’argumentation se fait dogmatique, entraînant des exclusions définitives. Sartre se brouille ainsi avec Camus et avec Merleau-Ponty, préférant l’activisme militant à l’amitié philosophique. Mais l’engagement auprès du communisme institutionnel ne dure qu’un temps et la rupture éclate brutalement au moment de l’intervention militaire soviétique en Hongrie. Cette fois, l’intellectuel critique reprend ses droits pour dénoncer la répression du peuple hongrois et il écrit « Le fantôme de Staline », qui signe sa séparation définitive avec le Pcf, devenu un « monstre préhistorique ». ¶ Malgré son recul critique, Sartre n’abandonne pas tout espoir dans l’édification du socialisme, qu’il espère retrouver dans les luttes anti-impérialistes. Là encore, ses coups de cœur seront suivis d’amères déceptions, sans qu’il regrette pour autant ses choix passés, car les vérités se manifestent toujours en situation : elles ont un devenir qui n’est pas un destin et qui ne doit pas empêcher le pari sur l’Histoire. En 1960, Sartre et Beauvoir se rendent à Cuba à l’invitation de Che Guevara et de Fidel Castro, avec qui les discussions sur l’expérience révolutionnaire sont fructueuses. L’euphorie théorique et journalistique de Sartre sera cependant tempérée plusieurs années après, dès que la répression des opposants commencera à ternir pour longtemps la réussite de ce pays qui tient tête aux États-Unis. L’internationalisme révolutionnaire reste en tout cas une constante de l’engagement sartrien et de ses écrits politiques, quelles que soient les affres de la construction socialiste. « Pour un Européen, c’est au Vietnam, c’est à Cuba et c’est en Amérique latine que se joue son propre sort », déclare le philosophe, qui se rend partout où se joue une alternative au capitalisme triomphant et au modèle états-unien. La
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guerre du Vietnam est un des moments clefs de cette prise de conscience politique propre à toute une génération dont Sartre incarne une référence. Il participe ainsi, à Stockholm en 1967, au Tribunal Russell, une organisation non-institutionnelle portée par sa seule légitimité morale et qui vise à juger les crimes de guerre commis par les États-Unis. Tout en menant la critique du droit formel bourgeois, Sartre n’en a pas moins affirmé cette requête d’une juridiction universelle qui est à la source du droit international aujourd’hui. Il n’y aura donc pas de contradiction à le retrouver en 1980 au côté de Raymond Aron pour défendre les « boat people » fuyant le régime communiste vietnamien. ¶ Une révolte morale sous-tend les engagements de Sartre. Non qu’il défende des valeurs transcendantes, mais il maintient l’espérance d’un monde où les humains seront dégagés du besoin et accepteront la liberté de l’autre homme. C’est au nom de ce projet, formulé en termes d’arrachement, de fusion ou de fraternité, qu’il dénonçait le mal radical de la barbarie nazie et qu’il continue, au long de ce demi-siècle, de traquer la possibilité de « l’homme humain » dans la révolte du sous-homme. Les articles de Sartre, réunis dans les dix volumes des Situations, témoignent d’une attention sans relâche aux peuples humiliés, et l’un de ses combats les plus chers reste celui mené contre le colonialisme. Démystifiant l’universalisme républicain, sans forcément céder à la rhétorique tiers-mondiste, il a tantôt crié son indignation devant l’oppression coloniale et tantôt essayé de comprendre la culture contradictoire des colonisés, en quête d’une identité à jamais perdue et qu’ils devaient reconstruire. « Orphée noir » fait partie de ces textes qui analysent l’aliénation culturelle et les vertus émancipatrices de la parole poétique ; en guise d’introduction à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, publiée par Léopold Sédar Senghor en 1948, il
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montre la réappropriation dialectique et subversive de la langue des oppresseurs par les Noirs pour faire surgir une parole à la fois hybride et authentique. Du côté de la violence et de la révolte, la guerre d’Algérie provoquera les écrits les plus radicaux de Sartre. En 1960, il appuie le réseau de soutien au Fln, dirigé clandestinement par Francis Jeanson, il signe le « Manifeste des 121 », qui appelle les soldats français à l’insoumission, et il rédige une préface au livre de Franz Fanon, Les Damnés de la terre, dans laquelle il justifie le meurtre des colons. L’horreur de la torture pratiquée par l’armée française en Algérie a motivé l’extrême violence de ses articles, au point qu’il établit un lien consubstantiel entre la colonisation et la torture, qu’il refuse de considérer comme un accident. « La colonisation se réalise par l’annulation des colonisés. Ils ne possédaient plus rien, ils n’étaient plus personne ; nous avons liquidé leur civilisation tout en leur refusant la nôtre. (…) Quand le désespoir les a poussés à la révolte, il fallait qu’ils crèvent, ces sous-hommes, ou qu’ils affirment leur humanité contre nous : ils rejetèrent toutes nos valeurs, notre culture, nos prétendues supériorités, et ce fut tout un pour eux de revendiquer le titre d’homme et de refuser la nationalité française.»22 Le radicalisme de Sartre s’est ainsi exercé dans l’indignation et le dégoût de sa propre classe, de sa propre culture. La figure du traître qui traverse son théâtre et sa philosophie, marquant la liberté de celui qui ne répond pas de ce qu’on attend de lui, qui détourne la programmation familiale et sociale, cette figure devient une ligne de conduite pour l’action politique de Sartre. Contre les assis, contre l’académisme, contre les positions acquises, contre l’esprit de sérieux, il bataille sans relâche. Plus révolté que révolutionnaire, plus anarchiste que communiste, Sartre éprouvera naturellement une grande sympathie pour les mouvements étudiants de Mai 68. L’oppo-
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sition du philosophe indépendant aux mandarins universitaires s’y manifeste ouvertement et marque combien sont différents les itinéraires des anciens camarades d’école, Aron faisant alors figure de penseur institutionnel. Sartre rencontre Daniel Cohn-Bendit et fait une apparition dans la Sorbonne occupée, mais surtout il s’engage dans l’activisme politique de la mouvance gauchiste des années 1970. S’il choisit de soutenir les maos de la Gauche prolétarienne, c’est principalement en raison de leur anti-autoritarisme et des motivations morales de leur violence. Loin du modèle de l’avant-garde révolutionnaire, il préfère un mode de militantisme qui se met au service des masses et ne parle pas à leur place. Au moment où leur journal, La Cause du peuple, est interdit, il en prend la direction et le distribue dans les rues, avant de diriger le quotidien Libération : son rôle d’intellectuel consiste à se mettre au service plus qu’à donner des leçons. Sartre n’adhéra jamais à un parti, il accompagna les mouvements ; il ne fut pas missionnaire et donna sa voix à la parole des autres. ¶ Lors de ses conférences au Japon, il a formulé sa définition de l’intellectuel et recomposé cette figure née de l’affaire Dreyfus : l’intellectuel n’appartient pas à une caste professionnelle de l’intelligence, ni à une sphère morale gardienne des valeurs rationnelles ; n’importe qui peut le devenir, non comme état mais dans l’action ; « L’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. » Et de proposer l’exemple des scientifiques : « On n’appellera pas ‹ intellectuel › des savants qui travaillent sur la fission de l’atome pour perfectionner les engins de la guerre atomique : ce sont des savants, voilà tout. Mais si ces mêmes savants, effrayés par la puissance destruc«Une victoire» trice des engins qu’ils permettent de fabriquer, se in Situations V, Gallimard réunissent et signent un manifeste pour mettre coll. « Blanche », l’opinion en garde contre l’usage de la bombe ato1964, p. 85.
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mique, ils deviennent des intellectuels. En effet : 1º} ils sortent de leur compétence : fabriquer une bombe est une chose, juger son emploi en est une autre ; 2º} ils abusent de leur célébrité ou de la compétence qu’on leur reconnaît pour faire violence à l’opinion, masquant par là l’abîme infranchissable qui sépare leurs connaissances scientifiques de l’appréciation politique qu’ils portent à partir d’autres principes sur l’engin qu’ils mettent au point ; 3º} ils ne condamnent pas, en effet, l’usage de la bombe pour avoir constaté des défectuosités techniques mais au nom d’un système de valeurs éminemment contestable qui prend pour norme suprême la vie humaine.»23 Comme technicien du savoir, l’intellectuel découvre en lui la contradiction entre sa pratique et ses finalités, entre la prétention à l’universel et l’asservissement à des intérêts idéologiques. Refusant la position du chien de garde comme celle du clerc, Sartre a incarné cet intellectuel en révolte contre lui-même, contre sa classe et sa culture, et il a espéré abolir la distance entre le peuple et ses élites. On a souvent retenu avec sympathie ou dérision la photographie qui le montre juché sur un tonneau à Billancourt, en 1970, en train de s’adresser aux ouvriers, sorte de Diogène devenu harangueur, espérant une fraternité d’adoption, rêvant de liberté révolutionnaire. On aurait tort de ranger vite cette image dans l’album des utopies révolues car, au-delà des vieilles lubies ouvriéristes, elle manifeste l’attitude d’un penseur qui a fui jusqu’au bout toute complaisance avec lui-même. Inlassablement, Sartre a remis en chantier toutes ses certitudes, et son dialogue avec les autres, les plus étrangers, l’a toujours conduit vers de nouveaux chantiers. Si les années qui ont suivi sa mort ont vu le retour du réalisme politique et de la résignation cynique, les bouleversements liés à la mondialisation contemporaine font revenir aujourd’hui la figure de celui qui a conjugué la révolte et l’espoir. Mais elle
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ne revient pas telle quelle et nous apparaît, vingt-cinq ans après sa mort, avec une formidable complexité. ¶ L’énergie et la course de Sartre ont traversé des pensées, des livres, des êtres, des lieux, des histoires, pour les inquiéter et les dépasser. Toujours en avance sur ses propres travaux, l’auteur a laissé inachevés quantité de ses livres. L’impossibilité de terminer, par excès d’écriture et d’idées, le caractérisait au point de produire des objets monstrueux, à la fois massifs et débordants, déboussolant tous les standards. On ne le voit jamais s’arrêter ni d’écrire, ni d’apprendre, ni d’aimer, ni de s’engager, ni de voyager. Lui-même tentait de rattraper son vertige, moins pour assurer son trajet qu’afin de projeter plus avant les révolutions qui le faisaient avancer. Il a dit ce mouvement par la figure de la spirale, la reprise tournante du passé qui se nourrit du tour infini et récupère ses anciennes voltes. Cependant, cette totalisation rétrospective construit la fiction d’une unité que dément la multiplicité de Sartre, qui écrivait simultanément les textes les plus divers. Plutôt que de céder au fantôme de l’unité ou à la périodisation scolaire de sa pensée, on préférera parler de constellations, de trajectoires et d’étincelles. Le siècle qu’elles irradient Plaidoyer s’est curieusement pensé en Sartre, sa conscience pour les intellectuels, Gallimard, libre et révoltée. Leurs éclats, excès et lumières coll. « Idées », nous préservent de croire que les jeux sont faits. 1972, p. 13-14.
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1905
Naissance de Jean-Paul Sartre à Paris le 21 juin, fils de Jean-Baptiste Sartre, officier de marine, et d’Anne-Marie Schweitzer. Mort du père de Sartre ; Jean-Paul est alors élevé par sa mère et ses grands-parents. Remariage de sa mère avec Joseph Mancy, ingénieur de la marine. Départ à La Rochelle. Études à Paris. Amitié avec Paul Nizan. Élève de l’École normale supérieure. Travail philosophique sur l’imagination. Ébauches de romans. Rencontre de Simone de Beauvoir qui sera la compagne de sa vie, en accord avec de nombreuses amours contingentes. Premier à l’agrégation de philosophie. Service militaire dans la météorologie. Professeur de lycée au Havre. Boursier à l’Institut français de Berlin, où il succède à Raymond Aron et où il étudie Husserl et la phénoménologie. Professeur à Laon. Publication d’un essai philosophique, L’Imagination. Professeur à Paris. Publication de La Transcendance de l’ego. Publication du roman La Nausée. Publication de nouvelles, Le Mur, et d’Esquisse d’une théorie des émotions. Mobilisation militaire le 2 septembre, départ en Alsace. Publication de L’Imaginaire. Sartre est fait prisonnier le 21 juin, puis transféré dans un Stalag à Trèves. Il y écrit et y met en scène Bariona, ou le fils du tonnerre, jouant lui-même le rôle d’un roi mage. Libéré à la fin mars, il retrouve son poste à Paris au lycée Pasteur, puis enseigne en khâgne au lycée Condorcet jusqu’en 1944. Il fonde un groupe de résistance intellectuelle, Socialisme et Liberté. Création de la pièce Les Mouches au Théâtre de la Cité. Publication de L’Être et le Néant. Écriture de scénarios pour le cinéma. Création de Huis clos au Vieux-Colombier. Reportages dans Combat. Publication des romans L’Âge de raison et Le Sursis, premiers volumes des Chemins de la liberté. Reportages aux États-Unis. Rencontre avec Roosevelt. Parution du premier numéro des Temps modernes. Vogue de l’« existentialisme » à Saint-Germain-des-Prés. Création de pièces de théâtre, Morts sans sépulture et La Putain respectueuse, et d’un essai, Réflexions sur la question juive. Publication d’une étude sur Baudelaire. Tribune des Temps modernes à la radio. Création des Mains sales. Participe à la fondation d’un mouvement politique, le Rassemblement démocratique révolutionnaire, à la recherche d’une troisième voie au-delà du communisme et du capitalisme. L’œuvre de Sartre est mise à l’index par le Saint-Office. Publication de La Mort dans l’âme, troisième volume des Chemins de la liberté. Création du Diable et le Bon Dieu. Étude sur Genet, Saint Genet, comédien et martyr. Compagnonnage critique avec le Pcf. Brouille avec Camus. Voyage en Urss. Création de Nekrassov.
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1956
Meeting contre la guerre d’Algérie. Rencontre avec Arlette Elkaïm, qui deviendra sa fille adoptive. Rupture avec les communistes après l’intervention soviétique en Hongrie. Dénonciation de la torture en Algérie. Opposition au gaullisme. Création des Séquestrés d’Altona. Publication d’une somme philosophique : Critique de la raison dialectique. Rencontre avec Fidel Castro et Che Guevara à Cuba, puis avec Tito. Milite en faveur de l’indépendance de l’Algérie, signe le Manifeste des 121 et soutient Francis Jeanson. Manifestation des anciens combattants, qui veulent fusiller Sartre. L’appartement de Sartre, rue Bonaparte, est plastiqué. Deuxième attentat contre Sartre. Rencontre avec Khrouchtchev. Publication de l’autobiographie Les Mots. Refuse le prix Nobel. Participe au Tribunal Russell dénonçant les crimes américains au Vietnam. Conférences en Égypte et en Israël. Soutien au mouvement étudiant. Entretien avec Daniel Cohn-Bendit. Condamnation de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Mort de la mère de Sartre. Soutien aux maos de la Gauche prolétarienne. Sartre accepte la direction du journal interdit La Cause du peuple. Publication de L’Idiot de la famille, une étude sur Flaubert et le Second Empire. Création et direction du journal Libération. Sartre est atteint d’une progressive cécité. Rencontre avec Andreas Baader, de la Fraction Armée Rouge, dans la prison de Stammheim. Voyage au Portugal et soutien à la Révolution des œillets. Sortie du film Sartre, réalisé par Alexandre Astruc et Michel Contat. Projet d’un livre à deux voix, avec Benny Levy. Voyage en Israël, Sartre tente d’œuvrer au règlement du conflit israélo-arabe. Rencontre avec des Palestiniens des territoires occupés. Participe à une délégation d’intellectuels pour une aide aux « boat people », où il retrouve son ancien camarade Raymond Aron. Sartre meurt le 15 avril. Son enterrement au cimetière du Montparnasse est suivi par un cortège de 50 000 personnes.
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Essais philosophiques et politiques L’Imagination Alcan, 1936 ; réédition Puf, coll. « Quadrige-grands textes », 2003, isbn 2-13-053900-9 L’Imaginaire Gallimard, 1940 ; réédition coll. « Folio essais », 1986, isbn 2-07-032374-9 La Transcendance de l’ego Vrin, 1965 (en revue : 1937) ; réédition coll. « Btp », 1996, isbn 2-7116-0676-7 ; réédition coll. «Textes et commentaires », 2003, isbn 2-7116-1648-7 Esquisse d’une théorie des émotions, Hermann, 1939, coll. « L’esprit et la main » ; réédition 1969, isbn 2-7056-5178-0 L’Être et le Néant. Essai d’ontologie phénoménologique Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1943, isbn 2-07-025757-6 ; réédition coll. « Tel », 1976, isbn 2-07-029388-2 L’existentialisme est un humanisme Nagel, 1946 ; réédition Gallimard, coll. « Folio essais», 1996, isbn 2-07-032913-5 Réflexions sur la question juive Paul Morihien, 1946 ; réédition Gallimard, coll. « Folio essais », 1985 isbn 2-07-032287-4 L’Affaire Henri Martin, recueil de textes commentés par Jean-Paul Sartre Gallimard, 1953 ; réédition Le Temps des cerises, Pantin, 2004, isbn 2-84109-500-2 Critique de la raison dialectique, t. I : « Théories des ensembles pratiques » précédé de Questions de méthode, Gallimard, 1960 ; édition A. Elkaïm-Sartre coll. « Bibliothèque de philosophie », 1985, isbn 2-07-070493-9 Critique de la raison dialectique [1958-1962], t. II (inachevé) : « L’intelligibilité de l’histoire » édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1985, isbn 2-07-070525-0 Cahiers pour une morale [1947-1948] Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1983, isbn 2-07-024648-5 Vérité et existence [1948] édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Nrf essais », 1989, isbn 2-07-071726-7
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Œuvres romanesques Œuvres romanesques dir. M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, isbn 2-07-011002-8 La Nausée Gallimard, coll. « Blanche », 1938, isbn 2-07-025753-3 ; réédition coll. « Folio », 1978, isbn 2-07-036805-x Le Mur Gallimard, coll. « Blanche », 1939, isbn 2-07-025754-1 ; réédition coll. « Folio », 1977, isbn 2-07-036878-5 L’Âge de raison (Les Chemins de la liberté, I) Gallimard, coll. « Blanche », 1945, isbn 2-07-025758-4 ; réédition coll. « Folio », 1976, isbn 2-07-036870-x Le Sursis (Les Chemins de la liberté, II) Gallimard, coll. « Blanche », 1945 ; réédition coll. « Folio », 1976, isbn 2-07-036866-1 La Mort dans l’âme (Les Chemins de la liberté, III) Gallimard, coll. « Blanche », 1949, isbn 2-07-025766-5 ; réédition coll. « Folio », 1972, isbn 2-07-036058-x
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Théâtre Théâtre complet dir. M.Contat, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2005 Les Mouches Gallimard, coll. « Blanche », 1943 ; réédition coll. « Folio », 1976, isbn 2-07-036807-6 Huis clos Gallimard, coll. « Blanche », 1945 (en revue : 1944) ; réédition « Folio », 1976 isbn 2-07-036807-6 Morts sans sépulture Marguerat, 1946 ; réédition Gallimard, coll. « Folio », 1976, isbn 2-07-036868-8 La Putain respectueuse Nagel, 1946 ; réédition Gallimard, coll. « Folio », 1976, isbn 2-07-036868-8 Les Mains sales Gallimard, coll. « Blanche », 1948, isbn 2-07-025764-9 ; réédition « Folio », 1976, isbn 2-07-036806-8 Le Diable et le Bon Dieu Gallimard, coll. « Blanche », 1951, isbn 2-07-025767-3 ; réédition « Folio », 1976, isbn 2-07-036869-6 Kean (d’après Alexandre Dumas) Gallimard, coll. « Blanche », 1954 ; réédition coll. « Folio », 1987, isbn 2-07-036431-3 Nekrassov Gallimard, 1956 (en revue : 1955) ; réédition coll.« Folio », 1973, isbn 2-07-036431-3 Les Séquestrés d’Altona Gallimard, coll. « Blanche », 1960 (en revue : 1959), isbn 2-07-025770-3 ; réédition coll. « Folio », 1978, isbn 2-07-036938-2 Les Troyennes (d’après Euripide) Théâtre national populaire, 1965 ; Gallimard, 1966
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4.
Scénarios Les jeux sont faits Nagel, Genève, 1947 ; réédition Gallimard, coll. « Folio », 1996, isbn 2-07-039482-4 L’Engrenage Nagel, Genève, 1948 ; réédition Gallimard, coll. « Folio », isbn 2-07-039481-6 Scénario Freud [1958-1960] Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1984 isbn 2-07-070159-x, 2-07-070201-4
5.
Monographies d’écrivains Baudelaire Gallimard, 1947 ; réédition coll « Idées », 1970, isbn 2-07-035031-2 ; réédition coll. « Folio », 1988, isbn 2-07-032493-1 Saint Genet, comédien et martyr Gallimard, 1952 ; réédition coll. « Blanche », 1988, isbn 2-07-022723-5 L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857(I, 1971) édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1988, isbn 2-07-071190-0 L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857(II, 1971) édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1988, isbn 2-07-071191-9 L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857(III, 1972) édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1988, isbn 2-07-071189-7 Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Arcades », 1986, isbn 2-07-070686-9
6.
Recueils de textes Situations, I [« Essais critiques »] Gallimard, coll. « Blanche », 1947, isbn 2-07-025762-2 Situations, II [« Qu’est-ce que la littérature ? »] Gallimard, coll. « Blanche », 1948, isbn 2-07-025763-0 Situations, III [« Lendemains de guerre »] Gallimard, coll. « Blanche », 1949 ; réédition 2003, isbn 2-07-076880-5 Situations, IV [« Portraits »] Gallimard, coll. « Blanche », 1964, isbn 2-07-025774-6 Situations, V [« Colonialisme et néocolonialisme »] Gallimard, coll. « Blanche », 1964, isbn 2-07-025775-4 Situations, VI [« Problèmes du marxisme, 1 »], Gallimard, coll. « Blanche », 1964, isbn 2-07-025776-2
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Situations, VII [« Problèmes du marxisme, 2 »] Gallimard, coll. « Blanche », 1965, isbn 2-07-025777-0 Situations, VIII [« Autour de 68 »] Gallimard, coll. « Blanche », 1972, isbn 2-07-027997-9 Situations, IX [« Mélanges »] Gallimard, coll. « Blanche », 1972, isbn 2-07-028088-8 Situations, X [« Politique et autobiographie »] Gallimard, coll. « Blanche », 1976, isbn 2-07-029373-4 Les Écrits de Sartre édition M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, coll. « Blanche », 1970 isbn 2-07-026932-9 Un théâtre de situations édition M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, coll. « Idées », 1973 isbn 2-07-035295-1 ; réédition coll. « Folio essais», 1992, isbn 2-07-032691-8 Écrits de jeunesse édition M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, coll. « Blanche », 1990 isbn 2-07-071975-8 7.
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Entretiens Entretiens sur la politique (avec D. Rousset et G. Rosenthal) Gallimard, coll. « Blanche », 1949, isbn 2-07-025538-7 On a raison de se révolter (avec Ph. Gavi et P. Victor) Gallimard, coll. « Les Presses d’aujourd’hui », 1974, isbn 2-07-029078-6 Sartre, film réalisé par Alexandre Astruc et Michel Contat Gallimard, coll. « Blanche », 1977, isbn 2-07-029665-2 La Cérémonie des adieux de Simone de Beauvoir suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre (août-septembre 1974) Gallimard, coll. « Folio », 1987, isbn 2-07-037805-5 L’Espoir maintenant (avec B. Levy, 1980) Verdier, Lagrasse (Aude), 1991, isbn 2-864432-129-7
8.
Autobiographie, lettres et notes Les Mots Gallimard, 1964, réédition coll. « Blanche », 1987, isbn 2-07-025773-8 ; réédition coll. « Folio », 1977, isbn 2-07-036607-3 Lettres au Castor et à quelques autres (t. I : 1926-1939 ; t. II : 1940-1963) édition S. de Beauvoir, Gallimard, coll. « Blanche », 1983, isbn 2-07-070039-9 La Reine Albemarle ou le dernier touriste [1951-1952] édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Blanche », 1991, isbn 2-07-072373-9 Carnets de la drôle de guerre (septembre 1939 – mars 1940) édition A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. « Blanche », 1995, isbn 2-07-073780-2
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Bibliographie pour l’étude de Jean-Paul Sartre Francis Jeanson, Sartre par lui-même Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1955, isbn 2-020029-6 ; réédition 2000, isbn 2-02-040389-7 Francis Jeanson, Le Problème moral et la pensée de Jean-Paul Sartre Le Seuil, 1966, isbn 2-02-002693-7 Ronald Laing et David Cooper, Raison et violence Payot, 1971 ; réédition 1978, isbn 2-228-32022-6 Pierre Verstræten, Violence et éthique. Esquisse d’une critique du monde dialectique à partir du théâtre politique de Jean-Paul Sartre Gallimard, coll. « Essais », 1972, isbn 2-07-027918-9 Geneviève Idt, Le Mur de Jean-Paul Sartre Larousse, 1972 ; réédition Belin, coll « Universitaire B », 2004, isbn 2-07-113318-1 Denis Hollier, Politique de la prose : Jean-Paul Sartre et l’an quarante Gallimard, coll. « Le chemin », 1982 , isbn 2-07-021836-8 Benny Levy, Le Nom de l’homme Verdier, Lagrasse (Aude), 1984, isbn 2-86432-038-x Françoise Bagot et Michel Kail, Les Mains sales Puf, coll. « Études littéraires », 1985, isbn 2-13-044818-6 Anna Boschetti, Sartre et les « Temps modernes » : une entreprise intellectuelle Minuit, coll. « Le sens commun », 1985, isbn 2-7073-1051-4 Annie Cohen-Solal, Sartre, une vie 1905-1980 Gallimard, 1985, isbn 2-07-070527-7 ; réédition coll. « Folio essais », 1999, isbn 2-07041105-2 Ingrid Galster, Le Théâtre de Sartre devant ses premiers critiques Jean-Michel Place, 1986 ; réédition L’Harmattan, 2001, isbn 2-7475-0715-7 Michel Sicard, Essais sur Sartre Galilée, coll. « Débats », 1989, isbn 2-7186-0346-1 Robert Harvey, Search for a father University of Michigan Press, 1991, isbn 0-472-10225-7 François Noudelmann, Huis clos et Les Mouches de Jean-Paul Sartre Gallimard, coll. « Foliothèque », 1993, isbn 2-07-038661-9 Jacques Deguy, La Nausée de Jean-Paul Sartre Gallimard, coll. « Foliothèque », 1993, isbn 2-07-038613-9 Jean-François Louette, Sartre Hachette Éducation, coll. « Portraits littéraires », 1993, isbn 2-01-018718-0 John Ireland, Sartre : un art déloyal Jean-Michel Place, coll. « Surfaces », 1994, isbn 2-85-893220-4
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François Noudelmann, Sartre : l’incarnation imaginaire L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 1996 isbn 2-7384-4010-x Noureddine Lamouchi, Sartre et le tiers-monde : rhétorique d’un discours anticolonialiste, L’Harmattan, 1996, isbn 2-7384-4179-3 Gilles Philippe, Le Discours en soi, la représentation du discours intérieur dans les romans de Sartre Honoré Champion, coll. « Littérature de notre siècle », 1996 isbn 2-85203-594-4 Juliette Simont, Jean-Paul Sartre. Un demi-siècle de liberté De Boeck-Wesmael, Bruxelles, 1998, isbn 2-8041-2925-x Vincent de Coorebyter, Sartre face à la phénoménologie : autour de l’intentionnalité et de la transcendance de l’ego Ousia, Bruxelles, 2000, isbn 2-87060-078-x Bernard-Henri Lévy, Le Siècle de Sartre Grasset, 2000, isbn 2-246-59221-6 Jean-François Louette, Silences de Sartre Presses universitaires du Mirail-Toulouse, coll. « Cribles », 2002 isbn 2-85816-638-2 Sara Vassallo, Sartre et Lacan : le verbe être entre concept et fantasme L’Harmattan, coll. « La philosophie en commun », 2003 isbn 2-7475-3956-3 Annie Cohen-Solal, Sartre, un penseur pour le xxie siècle Gallimard, coll. « Découvertes », 2005, isbn 2-07-031717-x
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Ouvrages collectifs « Sartre » (dir. Michel Sicard) Obliques, nº 18-19, 1979 « Sartre et les arts » (dir. Michel Sicard) Obliques, nº 24-25, 1981 « Témoins de Sartre », Les Temps Modernes, nº 531-533, 1991 « Pourquoi et comment Sartre a écrit Les Mots » (dir. Michel Contat) Puf, coll. « Perspectives critiques », 2e éd., 1997, isbn 2-13-047442-x Dictionnaire Sartre (dir. François Noudelmann et Gilles Philippe) Honoré Champion, 2004, isbn 2-7453-1083-6 Sartre (dir. Mauricette Berne) Bibliothèque nationale de France / Gallimard, 2005 isbn 2-7177-2312-9 Site web www.jpsartre.org (dir. Michel Rybalka)
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Ce livre est édité par l’∏dpf association pour la di{usion de la pensée française • Il est dessiné par ±Millot, Paris, fabriqué par Cent pages, et imprimé à 12 500 exemplaires, en janvier 2005. Iconographie Simone Christ. Avec les remerciements de l’auteur à Arlette Elkaïm-Sartre et à Paul de Sinety (adpf).
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Titres disponibles Les textes publiés dans ce livret André Breton et les idées qui peuvent s’y exprimer Architecture en France n’engagent que la responsabilité Arthur Rimbaud de leurs auteurs et ne représentent Balzac en aucun cas une position La Bande dessinée en France o|cielle du ministère des A{aires Berlioz écrivain étrangères. Biodiversité Chateaubriand Le Cinéma français Claude Simon Cinquante Ans de philosophie française 1. Les années cinquante/épuisé 2. Les années structure, Les années révolte 3. Traverses 4. Actualité de la philosophie française Des poètes français contemporains Écrivains voyageurs L’Essai L’État France – Allemagne France – Chine France – Grande-Bretagne La France et l’Olympisme La France de la technologie George Sand Georges Bernanos Gilles Deleuze Henri Michaux Histoire ≥ historiens en France depuis 1945 Hugo Islam, la part de l’universel Johannesburg 2002, Sommet mondial du développement durable Julien Gracq Lévi-Strauss Lire la science Louis Aragon Marcel Proust Maurice Merleau-Ponty Musiques en France Nathalie Sarraute La Nouvelle française contemporaine La Nouvelle Médecine française Paul Ricœur Photographie en France, 1970-1995 Romain Gary Le Roman français contemporain Sciences humaines et sociales en France Sport et Littérature Stéphane Mallarmé Le Théâtre français Théâtre français contemporain Le Tour en toutes lettres Voltaire 200 ans de Code civil
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