André Brack Bénédicte Leclercq
La vie est-elle universeIle ? Des premiers êtres vivants à l’exploration spatiale
Préface de Jean-Marie Lehn Illustrations de Thomas Haessig
17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabccuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Bulles de sciences >> Collection dirigée par Bénédicte Leclercq ((
Ouvrages dtijà parus : La Terre chainfie-t-elle ? Gérard Lambert Asymétrie, k! beauté du diable, Frank Close Que sait-on tks maladies ii pions ? Émile Desfeux Des séquoias dans les étoiles, Philippe Chomaz Les neutrinos vont-ils au paradis ? François Vannucci Les requins mnt-ils des fossiles vivants ? Gilles C u n y Combien pèsz un nuage ? Jean-Pierre Chalon Pourquoi la Nature s'engourdit ? Jean Génermont et Catherine Perrin Qu'est-ce qu, fait trembler la terre ? Pascal Bernard Combien dure une seconde ? Tony Jones D'où viennent les pouvoirs de Superman ? Roland Lehoucq Ces bolides qui menacent notre monde, Christian Koeberl
À paraître : Comment naissent les étoiles ? Daniel Benest Une radioactivité de tous les diables, Gérard Lambert
En couverturc : Illustration originale de Thomas Haeçsig
ISBN : 2-86883-674-7 Tous droits de traluctioii, d'adaptation et de reproduction par tous procédts, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 19 i 7 n'autorisant, aux terincb des alinéas 2 et 3 de l'articlc 41,d'une part, que les << copies ou reproductions ;trictenient réservées à l'usage privé du copiste et non destinées Q une utilisation collective »,et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un hut d'exeinple et d'illustration, << toute représentzticm intégrale, ou partielle, faite Tans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite >> (alinéa Ier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce mit, cconstituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. O EDP Sciences 003
Préface
L‘année 2003 marque le 50. anniversaire de l’expérience de Stanley Miller. En obtenant des acides aminés à partir de méthane, Miller établissait une continuité entre la chimie organique et la chimie du vivant. I1 complétait ainsi le travail pionnier de Wohler qui, dès 1828, jetait une passerelle entre la chimie minérale et la chimie organique en synthétisant de l’urée à partir de cyanate de plomb, d’ammoniac et d’eau. L‘expérience de Miller marqua le départ de la chimie << prébiotique », ou << précédant la vie ».Les chimistes se sont efforcés de produire en laboratoire les molécules indispensables au fonctionnement des cellules contemporaines, acides nucléiques, protéines et phospholipides, dans des conditions que l’on pense être celles de la Terre primitive. Ils ont réussi à obtenir des miniprotéines et des précurseurs de membranes. En revanche, à la date d’aujourd’hui (octobre 2003)’ il n’a pas encore été possible de reconstituer les molécules d’ARN primitif constituant un monde vivant, capable de fournir à la fois le plan de montage et les outils catalytiques, et précédant la vie cellulaire. Les chances de succès des chimistes dépendent de la simplicité des premiers assemblages de molécules organiques qui se mirent à s’autorépliquer et à évoluer dans les océans terrestres. Les cratères d’impacts lunaires suggèrent que les planètes du système solaire furent soumises à un bombardement intense il y a quatre milliards d’années, au moment où la vie a fait son apparition sur la Terre. Pour concilier ces faits, on pense que la vie primitive était suffisamment robuste, et donc simple, pour survivre aux impacts météoritiques et cométaires, ou redémarrer après les plus gros impacts. La meilleure preuve du caractère répétitif de la vie serait apportée par
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la découverte d’une seconde biologie sur un autre corps céleste. Les planétologues et les astronomes ont découvert des habitats possibles dans le système solaire et même au-delà, donnant à la recherche d’une telle .< deuxième vie >> une véritable priorité scientifique pour les années IIvenir. Suite ii l’annonce de l’expérience de Miller, l’auteur décida de devenir chimiste organicien et opta pour la chimie prébiotique, à une époque où cette dernière était souvent décriée comme étant trop aléatoire pour être prise au sérieux. Au fil des années, les différentes facettes de cette chimie particulière, à la croisée de disciplines aussi variées que l’astronomie, l’astrophysique, la planétologie, la géologie. la paléontologie et la biologie, s’organisèrent en un schéma global cohérent, présenté dans cet ouvrage, qui constitue aussi une invitation à l’aventure scientifique JEAN-MARIE LEHNI professeur au Collège de France et à l’université Louis Pasteur de Strasbourg.
1. Lauréat du prix Nobel de chimie 1987.
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In trod uction Sur la Terre, la vie nous entoure de toutes parts, dans tous les paysages, sous tous les climats. Même les milieux les plus extrêmes accueillent la vie, comme les fumeurs noirs au fond des océans, où la température dépasse les 100 O C , ou comme les glaciers polaires. On connaît des millions d’espèces vivantes, que l’on s’efforce de classer, et dont on sait qu’elles résultent d’une longue évolution, commencée il y a au moins 3,5 milliards d’années. Comment la vie est-elle apparue ? Par quel hasard ? Par quelle alchimie ? L‘apparition de la vie a toujours été l’une des grandes interrogations humaines. Tous les mythes, toutes les légendes, dans toutes les cultures et civilisations, proposent un récit de la création. Selon les Assyro-Babyloniens, l’union de l’Apsou, fleuve d’eau douce, et de Tiamat, la mer, donne naissance aux êtres et aux dieux. Chez les Grecs, Gaia, la Terre, fécondée par Éros, l’amour, engendre d’abord Ouranos, le ciel étoilé, puis le reste du monde. Pour les Celtes, les eaux sous toutes les formes (rivières, fleuves, fontaines, sources) sont d’essence divine, parce qu’elles engendrent tout. Dans la mythologie chinoise, les divinités sont subordonnées aux RoisDragons, qui règnent sur les quatre mers du monde ; ils ont pouvoir de vie et de mort sur les terres entourées par ces mers. Aujourd’hui les scientifiques tentent de reconstituer la naissance de la vie par l’observation, l’expérimentation et le raisonnement. Qu’entendons-nous au juste par << vie >> ? Des structures chimiques, sortes d’automates chimiques, deviennent capables d’assembler des éléments pour générer d’autres structures à leur image, produisant ainsi plus d’eux-mêmes par eux-mêmes : c’est l’autoreproduction.Par suite de légères erreurs de montage, des automates mutants apparaissent et deviennent, éventuellement, les
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espèces dominantes : c’est l’évolution. Autoreproduction et évolution sont donc les deux qualités qui caractérisent, a minima, le passage de la matière à la vie. La vie est-elle exceptionnelle ? Est-elle une sorte de miracle réservé à la Terre ? Ou bien a-t-elle pu apparaître ailleurs, sous d’autres cieux, autour d’autres soleils ? Est-elle la règle dans l’univers, dès lors que certaines conditions sont respectées ? Ces questions n’ont pas encore de réponses, mais des bribes de connaissance permettent de forger des hypothèses et de proposer des scénarios. Sur la Terre, le passage de la matière à la vie se fit dans l’eau, et la matière impliquée fut probablement de la matière organique, construite sur une ossature d’atomes de carbone. La fabrication de la vie ressemble alors à la confection d’une soupe, nécessitant eau, ingrédients et récipient. Ainsi le rôle de l’eau reste aussi primordial dans ces scenarios scientifiques que dans les mythologies que nous avons évoquées. Toutefois, il nous manque des données : une partie de la recette, des preuves et, surtout, la reproductibilité si chère aux scientifiques. Comment pourrions-nous reproduire l’apparition de la vie sur la Terre ? Cela s’est passé il y a plus de 3’5 milliards d’années : c’est si vieux à l’échelle d’une vie humaine ! Si la vie est un fait reproductible dans tout l’univers, alors nous devrions la trouver ailleurs. La recherche d’un deuxième exemple de vie est devenue l’un des moteurs de l’exploration spatiale. Devant l’ampleur de la tâche, les scientifiques limitent leur quête à une vie qui utiliserait les mêmes ingrédients et le même récipient que la vie terrestre : de l’eau, des molécules organiques construites sur une armature d’atomes de carbone et un corps planétaire. Nous aussi, nous nous envolerons vers d’autres planètes, dans le système solaire d’abord, puis au-delà, vers les exoplanètes. Quelles planètes pourraient accueillir la vie ? Quels indices devrons-noix chercher sur ces planètes pour trancher entre les hypothèses d’unicité et d’universalité de la vie ? I1 est temps de commencer notre grand voyage interplanétaire.
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Prologue : Élémentaire, mon cher...
Comment la vie est-elle apparue dans l’Univers ? Pour répondre à cette question vertigineuse, nous aurons l’occasion de changer d’échelle à plusieurs reprises, de l’infiniment grand à l’infiniment petit et vice versa D’abord le petit : sur la Terre, l’unité fondamentale de la vie est la cellule, qui n’est visible à l’ceil humain que par le biais d’un microscope. Malgré sa petitesse, la cellule vivante est complexe. Sa structure et son fonctionnement sont assurés par de longues molécules composées de carbone, que l’on qualifie de polymères organiques, par opposition aux molécules minérales. En catalysant et en participant à certaines réactions chimiques, ces molécules organiques exploitent l’énergie de leur environnement, fabriquent d’autres molécules et se répliquent, tels des automates chimiques. Comment ces cycles de réactions chimiques se sont-ils organisés ? Comment les premières molécules se sont-elles assemblées pour permettre cette organisation ? D’où viennent les matières premières qui constituent ces automates ? Avant de répondre, nous devons savoir de quoi la matière est faite et comment elle est organisée. Descendons encore d’un cran dans l’échelle des grandeurs. Nous allons survoler quelques notions
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
fondamenta les sur l’origine et les propriétés des éléments chimiques, ces substances élémentaires impossibles à décomposer par réactions chimiques.
Les atomes, éléments des molécules Premithre question : de quoi est faite la matière ? Environ
98 pour cent de la matière détectée dans l’Univers consiste en hydrogène (,auxtrois quarts) et en hélium (au quart), les deux gaz les plus légers et les plus abondants. Ces deux compères, comme toute matière, sont constitués d’atomes et vont nous servir d’exemples pour dtScrire ces derniers. L‘atome d’hydrogène, le plus simple de tous, a un proton pour noyau autour duquel gravite un électron. L‘ensemble est neutre électriquement, car la charge positive du proton et 1;i charge négative de l’électron se compensent (voir la figure 1). Outre le proton, le noyau peut contenir une autre particule, le neutron, qui, comme son nom l’indique, est électriquement neutre. Pour un nombre de protons déterminé, un même élément chimique peut se présenter en différentes versions, avec une quantité différente de neutrons : ces versions sont dénommées << isotopes »,du grec iso, << même, identique >> et topos, << lieu, place »,car ils occupent la même place dans la classification des éléments. I1 existe deux isotopes de l’hydrogène : le deutérium, ou hydrogène lourd, dont le noyau comporte un proton et un neutron, et le tritium, qui comporte un proton et deux neutrons. L‘atome d’hélium, lui, comporte un noyau composé de deux protons, et, à la périphérie du noyau, deux électrons assurent sa neutralité dectrique. Outre les deux protons, le noyau d’hélium contient des neutrons. Quand il en comporte un seul, on a affaire à l’hélium 3 (son noyau comporte alors trois particules) et, s’il comporte deux neutrons, c’est l’hélium 4 (noyau à quatre particules). L‘hélium 3 et l’hélium 4 sont des isotopes. Bien que prisonniers de l’attraction du noyau, les électrons se déplacent très loin de lui, et très rapidement. Si le noyau avait la
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PROLOGUE : ÉLÉMENTAIRE, MON CHER...
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1. Compositions des deux atomes
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simples, l’hydrogène et l’hélium (l’isotope le plus abondant est I’héhum 4). Ces représentations sont schématiques : il est impossible de visualiser un atome de la sorte.
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grosseur d’une balle de golf, les électrons se tiendraient à la distance respectable de un kilomètre. Ainsi les atomes se composent en grande partie d’espace vide. En outre, les électrons ne peuvent pas se disposer n’importe comment : ils se rangent par couches successives, en fonction de leur énergie. La première couche, la plus proche du noyau, correspond à l’énergie la plus basse. Plus la couche est éloignée du noyau, plus les électrons sont énergiques. Chaque couche ne peut accueillir qu’un nombre limité d’électrons. La première couche, en banlieue proche du noyau, peut en contenir deux. La deuxième et la troisième, où les loyers sont moins élevés car on s’éloigne du centre, peuvent comporter huit électrons. La quatrième et la cinquième, peuvent accueillir 18 électrons, et la sixième et la septième jusqu’à 32 électrons (on ne connaît pas d’élément à plus de sept couches électroniques).
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Classer les différents atomes On connaît 92 éléments naturels, dont l’or, le cuivre, le carbone et l’oxygène, ainsi que quelques éléments synthétiques, obtenus par des réactions nucléaires en laboratoire. Les chimistes rangent ces éléments dans une table périodique, nommée table de Mendeleiev, créée par Dmitri Ivanovitch Mendeleïev dans la seconde moitié du X I X ~siècle. Ce chimiste russe avait observé, sans la comprendre, une périodicité des propriétés chimiques des éléments en fonction de leur poids atomique : du plus léger au plus lourd, hydrogène, hélium, lithium, béryllium, bore, carbone, azote, oxygène, etc. I1 eut l’idée géniale de les classer dans un tableau, par poids croissant sur des lignes de telle sorte que des éléments aux propriétés chimiques semblables se retrouvent dans une même colonne à intervalles réguliers, appelés << périodes >> (von 1.figure 2). Nous savons aujourd’hui que la périodicité des propriétés chimiques résulte de la structure en couches électroniques des atomes.
2. La table de Mendeleiev, où sont classés les éléments chimiques par poids croissants. Dans la suite de cet ouvrage, nous retrouverons principalement les éléments H (klydrogène), C (carbone), N (azote), O (oxygène) et P (phosphore).
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PROLOGUE : ÉLÉMENTAIRE, MON CHER..
La première ligne de la table ne contient que deux éléments, l’hydrogène (H) et l’hélium (He), respectivement à un et à deux électrons sur la première couche. La deuxième ligne en contient huit, du lithium (Li) au néon (Ne), dont les électrons se rangent sur les deux premières couches. À mesure que l’on avance sur cette ligne, de gauche à droite, la deuxième couche se remplit progressivement (voir la figure 3). La troisième ligne comporte, elle aussi, huit éléments, du sodium (Na) à l’argon (Ar), dont les électrons se répartissent sur les trois premières couches ; la quatrième ligne a 18 éléments, et ainsi de suite. Vous voyez que les éléments rangés sur une même ligne comportent le même nombre de couches électroniques occupées, et que les éléments rangés dans une même colonne possèdent le même nombre d’électrons sur leur couche périphérique. Voilà l’explication de la périodicité de la table de Mendeleïev : les propriétés chimiques d’un élément dépendent du nombre d’électrons présents sur la couche périphérique de cet élément.
3. La périodicité de la table de Mendeleiev reflète le nombre d’électrons présents sur la couche externe de l’atome.
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Des atomes reliés forment une molécule La Nature apprécie qu’une couche soit complète, et elle fait tout pour qu’il en soit ainsi. Une des manières de compléter la couche périphérique incomplète d’un atome consiste à << emprunter >> les électrons des atomes voisins, lorsque ceux-ci sont, eux aussi, en mal d’électrons. Prenons un atome d’hydrogène : il n’a qu’un électron, et il souhaite l’apparier à un autre électron pour compléter la première couche. Lorsque deux atomes d‘hydrogène se rapprochent suffisamment, l’électron de l’un vient compléter la couche électronique de l’autre, et vice eiersa. Les électrons mis en commun forment alors une liaison chimique, et une molécule naît, le dihydrogène, H, (voir l’encadré << Les liaisons chimiques »,à la fin de ce chapitre). On dit de deux atomes qu’ils ont une affinité chimique élevée si leur association permet un échange d’électrons entre leurs couches périphériques respectives. Ils forment alors une molécule. C’est donc bien le nombre d’électrons sur la couche périphérique qui détermine la réactivité des éléments chimiques (voir la figure 4).
4. Pour compléter leur couche périphérique, les atomes mettent des électrons en commun et forment ainsi une molécule : (a) dihydrogène H, (b) méthane CH,, (c) ammoniac NH,, (d) eau H,O, (e) oxygène O, (0azote N,.
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L‘hélium, qui a une couche périphérique complète, est très paresseux, comme tous les éléments de sa colonne, néon (Ne), argon (Ar), etc. ; on dit que ces éléments sont inertes. Le carbone (C) comporte six électrons : deux sur la première couche et quatre sur la seconde. Pour compléter cette dernière, le carbone accueille volontiers quatre électrons provenant d’autres atomes. On dit que le carbone est de valence 4, ou tétravalent. Avec l’hydrogène, dont chaque atome apporte un électron, il forme des molécules de méthane (CH,), composant du gaz naturel. À la case suivante de la table périodique se trouve l’azote (N) : sept électrons, dont cinq sur sa dernière couche. Celle-ci a besoin de trois électrons pour être complète, si bien que l’azote est de valence 3. Avec l’hydrogène, l’azote forme des molécules d’ammoniac (NH,). L‘oxygène (O) maintenant : il comporte huit électrons, dont six sur la dernière couche. L‘oxygène est donc de valence 2. Quand la dernière couche accueille les deux électrons célibataires de deux atomes d’hydrogène, l’ensemble forme une molécule d’eau (H,O), la célèbre molécule sans laquelle toute vie, telle que nous la connaissons, serait impossible. Enfin, quand deux atomes d’oxygène mettent en commun leurs électrons périphériques, nous respirons : la molécule d’oxygène, O,, est née.
De l‘hydrogène à l‘hélium, et ainsi de suite...
À méditer : u n Univers constitué à 98 pour cent d’hydrogène et d’hélium, c’est très simple, mais la vie aime la complication et ne se satisfait pas de ces deux éléments majoritaires de l’Univers ! Les êtres vivants sont bourrés d’oxygène, de carbone et d’azote.. . Regardez-vous ! L‘hydrogène représente moins de 10 pour cent de votre masse totale, tandis que vous portez 65 pour cent d’oxygène, 18,5 pour cent de carbone et 3,5 pour cent d’azote. Pris ensemble, ces trois éléments forment 87 pour cent de votre masse corporelle,
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alors qu’ils rie représentent que un pour cent de la matière détectée dans l’univers. Avec les 98 pour cent constitués d’hydrogène et d’hélium, on en est à 99 pour cent. Le dernier pour cent regroupe tous les éléments plus lourds que l’oxygène, dont les métaux (voir la figure 5).
5. Tandis que l’hydrogène et l’hélium sont largement majoritaires dans l’Univers, la vie que nous connaissons utilise surtout l’oxygène, le carbone et I’h yd rogèn e.
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C’est avec les quatre éléments chimiques, hydrogène, carbone, azote et oxygène, que la Nature s’est amusée à construire les molécules qui conduisent à la vie. Où donc a-t-elle trouvé ces éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium ? Changement d’échelle : levons les yeux vers le ciel étoilé. Une étoile est une boule de gaz extrêmement chaud. À cause de cette chaleur, les particules de gaz s’agitent frénétiquement, mais sont retenues par l’attraction gravitationnelle. À mesure que l’on s’enfonce au cceur de l’étoile, la pression et la température du gaz augmentent : selon le type de l’étoile, la température du centre peut atteindre entre une dizaine et quelques centaines de millions de degrés, tandis que la surface reste << froide », à << seulement >> quelques milliers ou quelques dizaines de milliers de degrés. Dans ce cœur chaud et dense, les noyaux s’entrechoquent violemment et fusionnent. Les étoiles encore jeunes, telles que le Soleil, transforment l’hydrogène en hélium. Cette opération de fusion libère de l’énergie, qui monte vers la surface et s’échappe dans l’espace sous forme de rayonnement : voilà pourquoi les étoiles brillent. Les étoiles émettent aussi un vent de particules, ou vent stellaire, qui alimente très lentement l’espace en particules et e n noyaux d’hydrogène. À force de se transformer en hélium, l’hydrogène se raréfie. Quand il est épuisé, les réactions de fusion s’interrompent, le cœur n’a plus d’énergie à évacuer vers la surface et la gravité reprend ses droits : le cœur de l’étoile s’effondre. La température et la pression augmentent, les noyaux d’hélium s’entrechoquent plus violemment, jusqu’à ce que de nouvelles réactions de fusion surviennent : à près de 100 millions de degrés Celsius, l’hélium fusionne à son tour en carbone, azote et oxygène. À ce stade, l’étoile devient une géante rouge. Le cœur redevenu énergique repousse les couches périphériques de l’étoile, si bien que son diamètre apparent augmente notablement. Notre Soleil atteindra le stade de géante rouge dans quelques milliards d’années et terminera sa vie dans cet état.
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Pour les étoiles beaucoup plus massives (10 à 15 fois le Soleil), un nouvel effondrement du cceur enclenche d’autres réactions de fusion : le carbone fusionne à son tour en néon, sodium et magnésium. Après un autre effondrement, la fusion du néon donne de l’oxygène et du magnésium, la fusion de l’oxygène donne du silicium et du soufre. Finalement, à près de quatre milliards de degrés, le silicium lui-même << brûle >> en fer. Voilà comment les étoiles les plus massives fabriquent la matière de l’Univers. Elle produisent les éléments chimiques nécessaires à la vie, et, selon la formule désormais consacrée, nous sommes bel et hien des << poussières d’étoiles ». Nous reprendrons la suite de l’histoire d’une étoile dans la deuxième partie de ce livre, où nous proposons un scénario pour l’apparition de la vie sur une planète. Offrons-nous auparavant une visite sur la Terre, en compagnie de quelques habiles savants.
Les liaisons chimiques sont de trois types : covalentes, ioniques et faibles (dites aussi liaisons hydrogène). Leur nature est d’importance pour comprendre les processus chimiques qui interviennent dans la vie et dans le monde qui précède son apparition.
La liaison covalente Pour compléter leur couche électronique périphérique, deux atomes mettent une ou plusieurs paires d’électrons en commun. Deux atomes d’hydrogène forment une molécule de dihydrogène H,, également notée H-H, où le tiret représente la liaison covalente (voir la fisure 6). Avec six électrons dans la deuxième couche électronique (qui peut en contenir huiti, l’oxygène a besoin de deux électrons supplémentaires pour la compléter. Deux atomes d’oxygène forment une molécule O, en mettant deux paires d’électrons en commun : la liaison ainsi formée est double et se note par un double tiret: O=O. Elle est plus énergique qu’une Liaison simple. L‘azote possède cinq électrons dans sa dernière couche, et il lui en manque trois pour la compléter. II peut former une liaison triple avec un deuxième atome d’azote pour former la molécule N,, ou N=N.
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On peut aussi fabriquer des composés en combinant plusieurs éléments différents. Par exemple, l’eau est un composé, de formule H,O. Les deux électrons des deux atomes d’hydrogène comblent la dernière couche électronique de l’atome d’oxygène. Un autre exemple de composé est le méthane, de formule CH,. Le carbone possède quatre électrons sur sa dernière couche, si bien qu’il lui faut quatre atomes d’hydrogène pour la compléter. Dans la molécule de méthane, les quatre liaisons covalentes du carbone pointent vers les sommets d’un tétraèdre régulier (voir la figure 7).
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6. Formation d’une molécule de dihydrogène.
7. Deuxcomposés : l’eau, molécule constituée d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène, et le méthane, association d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogène.
Dans certaines liaisons covalentes, un déséquilibre de charges électriques apparaît entre les partenaires : ces liaisons sont qualifiées de (( polaires)). Dans la molécule d’eau, l’atome d’oxygène tend à attirer vers lui les électrons des deux atomes d’hydrogène, si bien que les électrons passent plus de temps autour de l’atome d’oxygène qu’autour des atomes d’hydrogène. Au final, il y a un excès de charges négatives autour de l’oxygène et un excès de charges positives autour des atomes d’hydrogène (voir la pgure 8). La molécule d’eau est polaire, et l’oxygène est électronégatif. La molécule d’ammoniac NH, est également polaire : l’atome d’azote est électronégatif et attire vers lui les électrons apportés par les atomes d’hydrogène.
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8. Dans la molécule d’eau, l’oxygène
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attire à lui les électrons des deux atomes d’hydrogêne, si bien qu’il porte une faible charge négative. À cause de ce déséquilibre des charges électriques, on d i t que la liaison est polaire.
La liaison ionique II arrive qu’un atome arrache carrément un électron à l’atome auquel il se lie. Cela :;e produit par exemple lorsqu’un atome de sodium (Na), qui n’a qu’un électron sur sa couche périphérique, rencontre un atome de chlore (Ci), riche de sept électrons périphériques : l’électron célibataire du sodium rejoint I’atorne de chlore, si bien que les deux atomes ont désormais des couches compll!tes. La charge électrique du chlore devient négative et la charge du sodium, positive. Un atome chargé (ou une molécule chargée) est nommé un ion ; le chlore, chargé négativement, est un anion, tandis que le sodium, chargé positivement, est un cation. La liaison entre les deux est ionique (voir la figure 9). Les composés ioniques sont appelés des sels. Ainsi en va-t-il d u chlorure de sodium (NaCl), celui que l’on sert à table pour relever nos plats.
9. Lorsque le sodium se lie au chlore pour former le chlorure de sodium (le sel de table), uti électron quitte carrément l’atome de sodium pour l’atome de chlore. La liaison est ionique.
liaison hydrogène ou faible LorsqLe deux molécules polaires sont mises en présence, elles peuvent s’attirer par leurs extrémités chargées : un atome d’hydrogène déjà lié par covalence à un atome électronégatif subit l’attraction d’un autre atome électronégatif (voir la figure IO). II se forme alors une liaison faible entre les deux moléciiles, nommée liaison hydrogène ; les liaisons hydrogène sont
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20 fois plus fragiles que les liaisons covalentes. II existe de telles liaisons
hydrogène entre les molécules d’eau, où l’atome d’oxygène de l’une attire un atome d’hydrogène de l’autre. L‘existence de telles liaisons faibles dans l’eau lui donne des propriétés exceptionnelles, favorables à la vie (voir l’encadré R Les propriétés vitales de l’eau », page 45). Autre exemple: une liaison hydrogène peut unir un des atomes d’hydrogène d’une molécule d’eau à l’atome d’azote d’une molécule d’ammoniac.
io. Les déséquilibres de charges électriques de certaines liaisons polaires (ici dans la molécule d’eau et celle d’ammoniac) autorisent des liaisons faibles, ou liaisons hydrogène, entre molécules.
Les liaisons hydrogène jouent un rôle important en biologie, car elles permettent un bref contact. Par exemple, dans le système nerveux, les molécules messagères s’amarrent aux récepteurs juste le temps qu’il faut pour que la cellule réceptrice déclenche une brève réponse. Une liaison covalente serait trop forte, donc trop lente pour transmettre de tels signaux chimiques. Les liaisons hydrogène se forment aussi entre différentes régions d’une même grosse molécule, comme une protéine ou un acide nucléique (ADN ou ARN). Ces liaisons stabilisent La géométrie tridimensionnelle (la conformation) de la grosse molécule dans l’eau.
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Quels indices sur la vie te r r e s tr e ?
La génération spontanée
D’où vient la vie? Comment est-elle apparue ? Pendant des millénaires, la théorie confortable et rassurante de la << génération spontanée >> répondit à cette interrogation. Déjà dans la Chine ancienne, on pensait que les bambous donnaient spontanément naissance aux pucerons. Les écrits sacrés de l’Inde mentionnent la naissance de mouches à partir d’ordures et de sueur. Les inscriptions babyloniennes signalent que la boue des canaux engendre des vers. Dans l’Égypte antique, on pensait que le limon déposé par le Nil générait spontanément grenouilles et crapauds. Bien que partant d’observations réelles - la présence d’animaux dans différents milieux -, ces civilisations furent incapables d’en dégager une interprétation correcte, faute de recourir à la vérification expérimentale. Pour les philosophes grecs, la vie est une propriété de la matière ; elle est éternelle et apparaît spontanément chaque fois que les conditions sont propices. Ces idées sont exposées dans les écrits de Thalès de Milet, de Démocrite, d’Épicure, de Lucrèce et même dans ceux de Platon. Au I V ~siècle avant notre ère, Aristote synthétise les idées précédemment admises. Avec lui, la génération spontanée acquiert la dimension d’une véritable théorie. cc Tels sont les faits : tout être vient à la vie non seulement à partir de
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l’accouplement des animaux, mais aussi à partir de la décomposition de la terre et du fumier »,écrit-il dans De la génération des animaux. La théorie de la génération spontanée traverse allègrement le Moyen Âge. À la Renaissance, de grands penseurs tels qu’Isaac Newton, René Descartes et Francis Bacon, la soutiennent encore. On commence toutefois à la soumettre aux premiers tests expérimentaux. Ainsi, au milieu du X V I I ~siècle, Jan Baptist Van Helmont, un médecin flamand, déclare obtenir des souris à partir de grains de blé et d’une chemise imprégnée de sueur humaine. Van Helmont s’étonne mi‘:me que les souris obtenues dans ces conditions soient identiques f i celles nées par procréation. Observation et expérimentation approximatives renforcent l’idée au lieu de la remettre en cause. Les premières attaques à la théorie furent portées par Francesco Fiedi, un médecin naturaliste toscan. Dans son traité de 1668, il publie une série d’expériences qui démontrent que la viande en putréfaction n’engendre aucun asticot si l’on prend la précaution de l’enfermer dans des bocaux recouverts d’une fine mousseline.
Un microcosme Six ans après la parution du traité de Redi, le savant hollandais Antonie Van Leeuwenhoek effectue les premières observations de micro-organismes à travers un microscope de sa fabrication. Dès lors, on découvre des micro-organismes partout, et les adeptes de la génération spontanée se réfugient dans le monde de l’infiniment petit, tandi: qu’on cesse progressivement d’y croire dans le cas des êtres vivants hautement organisés. De son côté, Van Leeuwenhoek pense déjà que ces micro-organismes proviennent d’une contamination des solutions par l’air ambiant. En 171 8, son disciple Louis Joblot démontre expérimentalement que les micro-organismes proviennent bien de l’air ambiant, mais il ne convainc pas tous les naturalistes. Même l’éminent 24
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savant Georges de Buffon, au milieu du X V I I I ~siècle, croit que la nature est pleine de germes de vie capables de s’éparpiller lors du pourrissement, puis de s’unir pour produire des microbes. John Needham, l’ami gallois de Buffon, réalise de nombreuses expériences pour confirmer cette conception. I1 place différentes substances organiques dans une fiole hermétiquement close et chauffe l’ensemble. Après ce traitement, toutes les solutions foisonnent de microbes. L‘abbé italien Lazzaro Spallanzani porte les solutions à des températures plus élevées et contredit Needham. Une vive polémique s’engage alors sur l’effet de la température, mais Spallanzani ne parvient pas à imposer ses vues. Toujours est-il que l’industriel français François Appert a l’idée de conserver des aliments dans des boîtes en fer scellées et plongées pendant plusieurs heures dans une eau en ébullition, et... fait fortune en inventant la boîte de conserve. La controverse atteint son apogée un siècle plus tard, avec la publication, en 1860, du traité de Félix Pouchet. Dans cet ouvrage, l’auteur développe une théorie de la génération spontanée étayée par de nombreux exemples expérimentaux de contamination par l’air extérieur. C’est en mettant au point un rigoureux protocole expérimental de stérilisation que Louis Pasteur porta le coup de grâce à la génération spontanée. I1 fit bouillir le contenu d’un alambic dont le bec, ouvert à l’air, était recourbé en forme de S (voir la figure 1 1). Les bactéries s’accumulaient et se développaient dans le recourbement du bec, sans contaminer le contenu du flacon, qui restait stérile : ces bactéries provenaient donc de l’air ambiant, portées par les poussières. En outre, certaines proliférations de Pouchet, observées après un chauffage à 100 O C , s’expliquaient par la résistance des spores, la forme dormante des bactéries : revenues à température ambiante, les spores étaient réactivées et les bactéries proliféraient. Le physicien John Tyndall inventa alors le chauffage discontinu, appelé
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II. L'expérierce de Pasteur. Une solution organique, même stérilisée, placée dans un récipient ouvert, finit par être contaminée par des bactéries (A). Pasteur a l'idée de recourber le bec d'un récipient (B) et de stériliser son contenu par chauffage (C). La solution est alors protégée de toute contamination extérieure, sauf dans le recourbement du bec, qui est en contact avec l'air (D).
depuis tyndallisation, qui aboutit à une stérilisation totale : on porte à ébullition le liquide à stériliser, on le laisse refroidir plusieurs heures et on le refait bouillir. Ainsi les spores germent, puis les bactéries, sensibles à la température, sont détruites. La pasteurisation fut mise au point par Pasteur dans les années 1880 pour prévenir les fermentations secondaires, telles que la fermentation acétique, lors de la fermentation normale du vin et de la bière. Le procédé consiste en un chauffage à 63 "C pendant une heure, ou à 72 "C pendant 15 secondes ou encore à 140 "C pendant moins d'une seconde. Ce dernier, dénommé UHT (pour ultra-haute température), est appliqué aujourd'hui au lait de longue conservation.
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LA GÉNÉRATION SPONTANÉE
L‘évo 1uti on Ces expériences et ces stérilisations par la température démontrent brillamment que la génération spontanée est une ineptie. Cette conclusion est lourde de conséquences : la naissance de tout être vivant procède nécessairement d’une génération préexistante. Autrement dit, la vie a une histoire, avec un début et un fil conducteur que l’on essaie de reconstituer par l’observation ou en laboratoire. Alors que Pasteur rédige ses travaux sur la génération spontanée, Charles Darwin publie les siens sur l’évolution des espèces. Au fil des siècles, l’accumulation des découvertes de fossiles a fini par rendre le constat suivant inévitable : il a existé par le passé et à des époques différentes de nombreuses espèces aujourd’hui disparues, mais dont certaines parties, des os et des dents pour la plupart, se sont minéralisées par des processus géochimiques. Ces fossiles restent enfouis dans le sol, dans des couches sédimentaires qui permettent de les dater. Bien avant Darwin, à la fin du X V I I I ~siècle, le naturaliste allemand Friedrich Blumenbach proposa une classification des fossiles, où il distingua trois types de découvertes : des restes d’espècesvivant encore actuellement, d’autres qui présentent des ressemblances avec le monde vivant actuel et enfin les fossiles dont on ne connaît aucun équivalent dans la nature présente. Le comte de Buffon, après lui, souligna la grande difficulté qu’il avait à identifier les fossiles. Le baron Georges Cuvier mit au point des méthodes d’anatomie comparée permettant la caractérisation et la reconstitution des espèces disparues. Ce faisant, il posa les bases de la paléontologie scientifique, et décrivit une foule d’animaux disparus. Cuvier s’opposait toutefois au transformisme, théorie selon laquelle les espèces dérivent les unes des autres par des transformations successives. C’est le savant anglais Robert Hooke qui introduisit le transformisme, dès le X V I I ~siècle, en suggérant que certaines espèces
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fossiles ava Lent évolué pour aboutir aux espèces contemporaines. À sa suite, en 1802, Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, élabora une théorie du transformisme des espèces : à partir d’êtres vivants primitifs, les organismes évoluent vers des formes toujours plus complexes. La matière vivante, selon lui, tend vers le perfectionnement et s’adapte aux circonstances extérieures. Sous l’influence du milieu de vie, les besoins et les habitudes d’un être vivant se modifient, ce qui engendre des transformations dans l’organisme. Cette idée lamarckienne impressionna Darwin alors qu’il s’embarquait pour cinq ans dans une grande expédition autour du monde, à bard du Beagle. En Amérique du Sud, en Australie et aux Galapagos, Darwin observa la variabilité des espèces et l’interpréta comme étant l’effet du milieu de vie. Selon lui, le moteur de l’évolution est la sélection naturelle, c’est-à-dire l’élimination des formes les moins adaptées dans la compétition pour la vie. Il développe cette idée dans son ouvrage paru en 1859, De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. On peut y lire : << D’après le principe de la sélection naturelle, avec divergence des caractères, il ne me semble pas impossible que les animaux et les plantes aient pu se développer en partant de ces formes inférieures et intermédiaires ; or, si nous admettons ce point, nous devons aussi admettre que tous les êtres organisés qui vivent ou ont vécu sur la Terre peuvent descendre d’une seule forme primordiale. >> Nous ‘y revoilà. Êtres vivants primitifs de Lamarck ou forme primordiale de Darwin, comment la vie est-elle apparue ? Par génération spontanée comme le pensait Lamarck ? N’a-t-on pas simplement déplacé le problème de la vie contemporaine vers celui de l’apparition de la vie passée ? Ne voit-on pas revenir le spectre de cette théorie mise à bas par Pasteur ?
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L‘histoire de la vie sur la Terre
Les roches de la Terre ont enregistré quelques traces de la vie, et le premier élan du chercheur voulant reconstituer son histoire consiste à décrypter ces empreintes minérales, fossile après fossile, des plus récents jusqu’aux plus anciens. Comment s’accumulent les archives fossiles ? Le vent érode les reliefs et emporte au loin des particules. Les pluies lessivent les roches, les fleuves et les glaciers charrient des blocs, des galets, des sables, des débris, des matières dissoutes, qui se déposent sur les berges ou se déversent dans les mers. Les volcans émettent des laves, crachent des pierres, libèrent des fumées et des poussières, qui retombent et se déposent sur le sol. Avec le temps, toutes ces particules finissent par s’accumuler, se comprimer ; elles forment alors de nouvelles roches, dites sédimentaires, comme les calcaires, les grès, les schistes argileux. Parmi les débris qui s’accumulent sur le sol se trouvent des restes d’organismes vivants, végétaux, coquilles ou os. Ces éléments organiques durcissent, réagissent avec les minéraux qui les entourent ou les imprègnent, s’enveloppent dans une gangue de pierre, deviennent pierres eux-mêmes : ce sont les fossiles. Les fossiles ponctuent les roches sédimentaires : les plus connus d’entre eux caractérisent l’époque de formation de la couche sédimentaire qui les contient et, inversement, l’identification d’une couche sédimentaire permet de dater les fossiles que l’on y trouve (uoir la figure 12).
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Succession de couches sédimentaires du sol de Montmartre, à Paris, dessinée par Georges Cuviei’en 1822.
12.
Les ères géologiques
Dès 1840, en étudiant les couches sédimentaires, le géologue britannique John Phillips définit trois ères géologiques : le Paléozoïque (nommé ère primaire, mais qui n’est pas vraiment primaire, comme nous le verrons), le Mésozoïque (ou ère secondaire) et le Cénozoïque (ou ère tertiaire). En fait, cette classification ne couvre qu’une période récente de l’histoire de la Terre, à peine au-delà des 500 derniers millions d’années. Aujourd’hui ces ères sont subdivisées en périodes et époques (voir la figure 13). Chaque période se distingue de la suivante par un changement radical de contenu en fossiles : une extinction en masse est survenue entre les deux. On peut ainsi reconstituer l’histoire de la vie terrestre. La vie marine se diversifie au Cambrien, première période du Paléozoïque : les coquillages et les arthropodes tels que les trilobites apparaissent. Puis les premiers poissons montrent leur bout de nageoire à l’ordovicien. Au Silurien, première sortie des eaux : les plantes colonisent les continents. Les premiers animaux vertébrés foulent la terre ferme durant le Dévonien. Les reptiles (marins et terrestres) appxaissent au Carbonifère. Les dinosaures se rendent maîtres du monde durant l’ère du Mésozoïque. Les oiseaux apparaissent à la fin du Jurassique, et les plantes à fleurs envahissent le paysage durant le Crétacé. Après l’extinction des dinosaures, les mammifères se développent à l’ère du Cénozoïque. L‘homme moderne marque le Quaternaire.
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L'HISTOIRE DE LA VIE SUR LA TERRE
13. Grandes ères et périodes géologiques. Apparition et développement des organismes qui les ont marquées.
Le résumé est expéditif. Quelle contraction du temps représente donc cette histoire en accéléré des principaux règnes ?
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La datation Phillips se fourvoyait quant à la durée des ères géologiques : en se fondant sur la vitesse de formation des couches sédimentaires dans les riiières, il avait déduit un âge de la Terre de 96 millions d’années. Quelques-uns de ses contemporains avaient calculé un âge de la Terre de cet ordre de grandeur par des méthodes différentes. Ainsi, selon le physicien William Thomson (futur Lord Kelvin), la Terre était née il y a 20 à 40 millions d’années, à partir de roches en fusion dont il avait calculé la vitesse de refroidissement. En ét:udiant les phénomènes d’érosion à la surface de la Terre, Archibald Geikie, directeur de l’observatoire écossais de géologie, déterminaii: un âge de la Terre inférieur à 100 millions d’années. Pour l’astrcnome américain Simon Newcomb et le physicien allemand Hermann von Helmholtz, cet âge était égal à celui du Soleil, soit de 100 millions d’années. Dès 1830, Charles Lyell, chef de file de la géologie britannique, avait conjecturé que les périodes géologiques avaient duré des centaines de millions d’années et que l’âge de la Terre devait être supérieur. Cependant de nombreux géologues pensaient que la Terre était éternelle 011 que son âge était impossible à calculer. Pour les autorités religieuses, au contraire, l’origine du monde ne datait que de quelques milliers d’années : en comptant le nombre de générations qui nous séparent d’Adam et Ève, un archevêque avait fixée la date de la création du monde au 26 octobre 4004 avant Jésus Christ, à neuf heure>.du matin, en Mésopotamie. L‘âge de la Terre et de ses différents é1éments était donc soumis à de sévères controverses. I1 a fallu attendre le X X siècle, ~ et la découverte de méthodes de datation fondées sur la radioactivité, pour que l’on détermine définitivement l’âge de la Terre. En 1896, Henri Becquerel montre que des sels d’uranium émettent des rayonnements. En 1898, Marie et Pierre Curie isolent le polonium et le radium de la pechblende, un minéral d’uranium encore plus actif que l’uranium lui-même. Après quelques années de recherches, les physiciens comprennent que cer-
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tains éléments se transforment en d’autres (les éléments fils), tout en libérant de l’énergie sous forme de rayonnements. Nous avons vu au premier chapitre que les éléments chimiques sont caractérisés par le nombre de protons contenus dans leur noyau (nombre qui détermine leurs propriétés chimiques), mais aussi par leur nombre de neutrons. Un même élément chimique peut exister sous différentes versions, comportant divers nombres de neutrons. Par exemple, le carbone, constitué de six protons, existe sous trois versions, ou isotopes, comportant respectivement six, sept ou huit neutrons : le carbone 12, le carbone 13 et le carbone 14. Les carbone 12 et 13 sont stables, mais le carbone 14 tend à se transformer en azote 14 (comportant sept protons et sept neutrons). Le carbone 14 est radioactif. Chaque élément radioactif se désintègre à vitesse constante, que l’on exprime par sa période ou demi-vie : c’est le temps nécessaire pour qu’une quantité originelle de l’élément père soit divisée par deux. La période du carbone 14 vaut 5 568 ans : au bout de cette durée, la moitié d’une population quelconque de carbone 14 s’est transformée en azote 14. Puisque la vitesse de désintégration est constante, elle peut servir d’horloge, comme l’a proposé Willard Frank Libby en 1949. Le carbone 14 permet de dater les matières organiques jusqu’à 50 O00 ans. Les atomes de carbone 14 se forment en permanence dans la haute atmosphère, par contact avec les rayons cosmiques. En respirant ou en s’alimentant, les êtres vivants assimilent le carbone 14 (noté I4C)lorsque celui-ci est intégré dans la molécule de dioxyde de carbone (14C0,), mais ils n’en absorbent plus après leur mort. I1 suffit alors, pour remonter à la date de la mort de l’organisme, de connaître la diminution de la teneur en carbone 14 dans les os pour les animaux, dans les fibres et les tissus pour les végétaux. Concrètement, on mesure le rapport des isotopes 12 et 14, et on le compare à celui qui existe dans un échantillon vivant contemporain. Pour déterminer des âges supérieurs à 50 milliers d’années, notamment pour les temps géologiques, on étudie les isotopes de 33
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
l’uranium. L’uranium 235 (qui est utilisé dans les centrales nucléaires) se transforme en plomb 207 avec une période de 704 millions d’années. L‘uranium 238 a une période de 4,468 milliards d’années et se transforme en plomb 206. Dautres horloges sont utilisées, comme le couple potassium 40-argon 40, ou le couple rubidium 87strontium 887. En 1926, l’Académie des sciences américaine décide que seule la radioactivité produit une échelle valable des temps géologiques. À partir des rapports isotopiques mesurés dans les météorites, les géologues ont évalué l’âge de la Terre et des autres planètes du système solaire à 4,566 milliards d’années. Les plus anciens minéraux terrestres cristallisés (zircons) datent d’environ 4,4 milliards d’années, et les roches sédimentaires les plus vieilles ont 3,8 milliards d’années.
Les fossiles les plus anciens Munis d’outils de datation valables, revenons donc aux fossiles, et cherchons les plus anciens, afin de nous rapprocher de l’ori* gine de la vie. Nous avons vu que la vie fossile était bien connue jusqu’au Ciimbrien, première période du Paléozoïque, c’est-à-dire jusqu’à - 570 millions d’années. L‘âge de la Terre étant estimé à 4 566 millions d’années, nous n’avons exploré qu’à peine plus du dixième de cet âge. Toutefois, faute d’archives fossiles plus anciennes, on a longtemps cru que << l’explosion cambrienne »,extraordinaire diversification des formes de vie, représentait la création ex nihilo. Ainsi, en 1854, le géologue Roderick Impey Murchison, fervent défenseur des théories << créationnistes »,déclare : << La première Création assura sans aucun doute une parfaite adaptation des animaux à leur environnement ; ainsi le géologue, bien que constatant un commencement, peut reconnaître dans les innombrables facettes de l’ceil des premiers crustacés, les mêmes preuves de l’Omniscience que dans la réussite représentée par les formes des vertébrés.
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Dans son Origine des espèces, Darwin réplique : << Si ma théorie est vraie, il est incontestable qu’il a dû s’écouler, avant le dépôt des couches [cambriennes] inférieures, des périodes aussi longues et probablement même beaucoup plus longues que toute la durée comprise entre [le Cambrien] et aujourd’hui ; et que durant ces vastes périodes de temps, encore inconnues, le monde a dû fourmiller d’êtres vivants. >> L‘intuition de Darwin a été doublement avérée. D’abord le désormais célèbre (grâce au vulgarisateur Stephen Jay Gould) << schiste de Burgess », sis dans une carrière canadienne des Montagnes Rocheuses, datant du Cambrien, a montré une grande diversité de la faune cambrienne : 119 genres y sont représentés par 140 espèces, dont de nombreuses sont restées sans lendemain, tandis que quelques-unes continueront d’évoluer. Ainsi, la première << Création >> n’était pas si adaptée que le prétendait Murchison. Vextraordinaire diversité du Cambrien ressemble plutôt à un terrain d’expérimentation où les formes les plus extravagantes semblent avoir tenté leur chance. Ensuite, une multitude de fossiles précambriens ont été trouvés, confirmant les prédictions de Darwin quant à l’abondance de la vie avant l’ère du Paléozoïque. Ainsi, les premiers animaux macroscopiques connus ont laissé leurs traces dans les gisements fossilifères d’Ediacara, dans le sud de l’Australie. Ce sont des créatures plates et molles, de un à cinq centimètres de large, qui ont régné sur la Terre entre - 700 et - 570 millions d’années, avant de laisser la place aux coquillages du Cambrien. Toutefois, les créatures de cette taille sont déjà complexes, et on ne peut douter que la vie ait connu une structure plus simple. Remontons encore le temps dans nos archives terrestres. Dans l’île de Spitsberg, au nord de la Norvège, le raclement des glaciers sur le sol a mis à nu sept kilomètres de roches sédimentaires vieilles de 600 à 850 millions d’années. Ces sédiments sont les vestiges des fonds océaniques de cette époque antérieure à la faune d’Ediacara et renferment des organismes unicellulaires. Vous l’avez compris :
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pour retrouver les traces des tout premiers terriens, il faut savoir étudier les fossiles de micro-organismes, ou microfossiles.
Les microfossiles
À tout es les époques géologiques, on connaît des fossiles de micro-organismes. À l’instar de tous les fossiles, la matière organique d’un micro-organisme est lentement remplacée après sa mort par des minéraux tels que la silice, le carbonate de calcium (calcite, aragonite) ou le phosphate de calcium. On trouve rarement des individus isolés, mais très souvent des colonies de millions d’individus. On identifie un micro-organisme par sa taille, sa forme, son enveloppe et ses composants cellulaires. I1 existe deux grandes familles de cellules : les procaryotes et les eucaryotes. Les procaryotes sont des organismes unicellulaires simples, comme les bactéries et les archébactéries, sans noyau ni organite intracellulaire. Les cellules eucarjotes sont bien plus grandes que les procaryotes et comportent un noyau isolé du reste de la cellule par une membrane. Les protozoaires unicellulaires, les champignons, les algues pluricellulaires, les vtzgétaux et tous les animaux sont des eucaryotes. La plupart des eucaryotes produisent leur énergie dans les organites de leur(s) cellule(s), tels que les mitochondries et les chloroplastes (uoir la figwe 14).
14. Cellules procaryotes, comme les bactéries et les archébactéries (en haut), et cellule eucaryote (en bas). Cette dernière comporte un noyau, siège de l’hérédité, et de nombreux organites, véritables usines miniatures.
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Les sédiments du Spitsberg ne renferment aucun animal fossilisé. Les seuls organismes pluricellulaires à y avoir laissé des traces sont des algues appartenant à plusieurs grands groupes. En revanche, ces sédiments renferment à la fois des vestiges de procaryotes et d’eucaryotes. C’est visiblement vers cette période que les eucaryotes unicellulaires se sont diversifiés. I1 arrive que l’on retrouve non pas les fossiles des micro-organismes eux-mêmes, mais des traces de leurs activités. Dans des roches environ deux fois plus vieilles que les strates du Spitsberg, soit de 1,6 milliard d’années, on a trouvé des vestiges de produits d’algues, sous forme de vésicules sphéroïdales. On a aussi identifié, dans des dépôts pétrolifères vieux de 1,7 milliard d’années, des stéranes, formes fossiles de stérols, molécules organiques synthétisées exclusivement par des cellules eucaryotes. Cela signifie que ces dernières existaient déjà un milliard d’années avant la faune d’Ediacara. Les bactéries produisent, elles aussi, des quantités importantes de substances extracellulaires. Ainsi les colonies de bactéries et de cyanobactéries qui vivent aujourd’hui en eau peu profonde, dans les marais salés, s’associent à des sédiments, qui les recouvrent et produisent un tapis bactérien. Puis les bactéries migrent vers le sommet d’une couche sédimentaire pour en former une nouvelle par dessus, de sorte que les tapis bactériens s’empilent et forment des dépôts tabulaires ou en forme de dômes : on les appelle des stromatolithes, du grec stroma, << couverture >> et lithos, << pierre >> (voir la figure IS). Les plus anciennes traces de vie bactérienne fossile datent de 3,465 milliards d’années - alors que la Terre n’avait que un milliard d’années. Elles ont été trouvées en Australie dans des stromatolithes fossilisés et en Afrique du Sud. Les scientifiques ont décrit des structures ressemblant à des micro-organismes qui auraient déjà pratiqué la photosynthèse oxygénée, à l’instar des cyanobactéries contemporaines, mais cette interprétation est aujourd’hui vivement contestée. Néanmoins, le fait que des micro-organismes aussi
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anciens aient laissé des traces dans les zones éclairées par le soleil suggère que certains d’entre eux pratiquaient la photosynthèse non oxygénée. Puisque la photosynthèse implique un métabolisme déjà élaboré, il est probable que la vie soit apparue bien avant eux.
15. Stromatolithes modernes de Shark Bay, en Australie.
En Afrique du Sud, dans la ceinture des Roches vertes du Barberton, sédiments vieux de 3,5 à 3,2 milliards d’années, Frances Westall, du Centre de biophysique moléculaire d’Orléans, a découvert les traces d’une vie microbienne abondante, baignant dans des eaux de faible profondeur. Elle y a observé plusieurs structures : des filaments de dix à plusieurs centaines de micromètres de long et de 0,5 à 2,5 micromètres de large ; des bâtonnets longs de 2 à 3,8 micromètres et larges de 1 micromètre ; des sphères de 0,5 à 1,5 micromètre de diamètre ; des structures ovales de 0,6 micromètre de long (voir la figure 16). En mesurant la composition isotopique du soufre présent dans ces minéraux, on a conclu à la présence de bactéries réductrices du soufre. Selon une étude des
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16. Les micro-organismes laissent oes traces dans les roches sédimentaires, sous la forme de couches (a), de filaments (b), ou de structJres ovales, comme ce microfossile de Barberton (c), daté de 3 4 milliards d’années.
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isotopes du carbone et de l’azote, d’autres microbes auraient vécu dans les veines hydrothermales du Pilbara, en Australie : ces microorganismes auraient résisté à la chaleur et se seraient nourris de la dégradation chimique des roches. Cette diversification indique que les balbutiements de la vie sont encore plus anciens que ces évidences de vie fossile. Les scientifiques ont donc étudié les roches sédimentaires les plus anciennes. Elles se trouvent au sud-ouest du Groenland, dans les sédiments d h a , âgés de 3,8 milliards d’années, et ceux d’Akilia, vieux de 3,85 milliards d’années. Ils témoignent de la présence permanente d’eau liquide, de gaz carbonique dans l’atmosphère et renferment des kérogènes, molécules organiques complexes. Ces éléments montrent que des conditions favorables à la vie régnaient alors sur la Terre. Ces sédiments anciens pourraient aussi attester de l’existence d’une vie, car le rapport des concentrations des isotopes 12 et 13 du carbone organique y est troublant. En règle générale, les
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molécules tdologiques résultant de la photosynthèse sont caractérisées par un enrichissement en carbone 12 par rapport aux carbonates minéraux. Ainsi, le rapport 12C/13Cpasse de 89 pour les carbonates marins de référence, à des valeurs comprises entre 91 et 92 pour les molécules organiques biologiques. Ce rapport est de 90,2 pour le sédiment d ’ h a et de 92,4 pour celui d’Akilia. Ces valeurs suggèrent l’existence d’une activité photosynthétique, donc d’une vie primitkre, il y a 3,8 milliards d’années. Si cette hypothèse était avérée, cela signifierait que la vie aurait fait son apparition relativement tôt sur la vaste échelle des temps géologiques.
La vie primitive Ainsi, la vie est apparue sur la Terre entre le moment où la croûte terrestre commençait à se solidifier, il y a au moins 4,4 milliards d’années, et le moment où des bactéries ont construit les stromatolithes que l’on retrouve aujourd’hui. Hélas, on ne possède aucune bactérie fossilisée plus vieille que ces dernières. On ignore même lesquels, des eucaryotes et des procaryotes, ont précédé les aurres (voir la figure 17). Des procaryotes auraient-ils évolué vers :es eucaryotes e n phagocytant des éléments qui deviendront des organites ? Au contraire, les eucaryotes auraient-ils engendré des procaryotes par simplification de leur structure, pour une plus grmde efficacité ? Dans le doute, on suppose l’existence d’un ancêtre commun des eucaryotes et des procaryotes que l’on nomme LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor). Mais de LUCA, aucune trace ! Celles-ci sont perdues à jamais, effacées au fil de l’histoire mouvementée de notre planète, détruites par les métamorphoses << géologiques »,par les bolides célestes qui sont venus s’y écraser, par le rayonnement ultraviolet agressif du Soleil alors qu’il n’existait pas encore de couche d’ozone protectrice, par le ruissellement permanent des eaux et, finalement, par la vie elle-même lorsqu’elle
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17. L’allure de la première cellule terrestre, LUCA, nous est inconnue : avec ou sans noyau, avec ou sans organites. Les procaryotes sont-ils plus anciens que les eucaryotes, ou ont-ils évolué de pair ?
a conquis l’ensemble du Globe. Ce qui semble sûr, c’est que cette vie primitive était différente de celle que nous connaissons, et les chercheurs n’ont d’autre choix que de la reconstituer en se fondant sur les maigres indices que la Terre veut bien leur délivrer. Comment pouvons-nous définir une vie primitive ? Quelle qu’elle soit, la cellule possède trois caractéristiques principales. La première est l’existence d’un métabolisme, qui prélève dans le milieu à la fois de l’énergie et des éléments moléculaires, nécessaires à la fabrication de la matière vivante. La deuxième caractéristique est l’auto-
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reproduction : des instructions codées servent à l’élaboration et au fonctionnement de la cellule et se transmettent de génération en génération. La troisième caractéristique de la cellule vivante est l’évolution, c’est-à-dire la possibilité que des erreurs se glissent dans ces instructions lors de leur copiage pour les générations suivantes, ce qui permet l’apparition et 1;i sélection de formes de vie mieux adaptées au milieu. C’est par ce processus que les espèces ont évolué sur la Terre, des premiers organismes unicellulaires jusqu’aux plus récentes, dont l’homme. Cependant, la cellule comporte de nombreux éléments, liés par de nombreuses interactions : c’est déjà un système complexe. Elle a certainement été précédée par un système plus simple, muni des trois propriétés mentionnées. Au commencement, un certain nombre d’éléments présents dans l’environnement se sont assemblés en un <: automate chimique »,doué de métabolisme et capable de construire un deuxième automate quasiment identique à luimême. Le plan de montage s’est ainsi transmis, moyennant de légères erreurs. Lorsque ces erreurs ont produit un automate incapable de se reproduire, sa lignée a disparu. Quand, au contraire, ces erreurs ont abouti à un automate plus apte à se reproduire que celui d’origine, c’est lui qui a pris la relève dans la chaîne évolutive.
Les conditions de la vie primitive Peut-on imaginer une évolution chimique de la matière inanimée vers des agrégats moléculaires doués d’autoréplication et de métabolisme ? Toutes les hypothèses avancées par les biologistes et les chimistes dépendent étroiteinent de l’image qu’ils se font de la Terre primii-ive. Or il est très difficile de reconstituer les conditions qui régnaient alors que notre planète était âgée de moins d’un milliard d’années. La composition de l’atmosphère était sûrement différente, puisqu’elle ne contenait pas d’oxygène. La foudre, la lumière ult-aviolette, l’activité volcanique, le bombardement par les météorites étaient bien plus intenses qu’aujourd’hui. Le portrait de cette jeune planète reste bien vague.
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L‘HISTOIRE DE LA VIE SUR LA TERRE
On sait toutefois que l’eau fut l’environnement naturel de la vie pendant la majeure partie de son histoire. Elle domine toujours les systèmes vivants contemporains. De nombreux composés biologiques, en particulier ceux qui transfèrent la mémoire héréditaire (l’ADN et l’ARN), doivent leurs propriétés aux liaisons hydrogène qu’ils échangent entre eux, mais aussi avec l’eau. À l’état liquide, l’eau n’existe que dans des conditions restreintes de température (comprise entre O OC et 374 O C ) et de pression (supérieure à six millibars). La taille de la Terre et sa distance au Soleil sont telles que la planète n’a probablement connu dans son histoire ni la glaciation extrême de Mars, ni l’intense effet de serre de Vénus. Tout laisse à penser que l’eau liquide apparut assez tôt dans l’histoire de la Terre, comme en témoignent les sédiments anciens découverts au Groenland et les rapports des isotopes de l’oxygène mesurés dans des zircons vieux de 4’4 milliards d’années retrouvés dans des sédiments plus jeunes d’Australie occidentale. L‘atmosphère terrestre primitive provient probablement en partie de composés volatils, CO,, N,, H,O, piégés dans les roches constituant le corps initial de la planète et en partie de matériel extraterrestre accrété plus tardivement. Le dégazage du manteau terrestre constitua une atmosphère, mais celle-ci fut sans doute partiellement soufflée lors de la gigantesque collision d’un astéroïde de la taille de Mars qui engendra la Lune, environ 100 millions d’années après la formation de la Terre. Cette atmosphère aurait été en partie remplacée par des composés volatils, apportés plus tard par des corps tombés du ciel. Ce sont les abondances et les rapports isotopiques des gaz rares néon, argon, krypton et xénon qui suggèrent un apport conjoint des météorites et des comètes. L‘atmosphère primitive était probablement constituée d’un mélange de dioxyde de carbone (CO,), d’azote (N,) et de vapeur d’eau (H,O) combiné à de faibles quantités de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène (H,). Avant l’émergence des continents à la surface de la Terre, on évalue à une dizaine de bars la pression 43
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
partielle du gaz carbonique dans l’atmosphère primitive, alors qu’il ne représente plus aujourd’hui que 0,03 pour cent de l’atmosphère ; cette pression élevée engendrait un effet de serre efficace, qui compensait la faible activité du Soleil de l’époque. La température moyenne à la surface de la planète pouvait atteindre 85 O C . Les géologues estiment que les premiers continents seraient apparus quelques centaines de millions d’années après la formation de la Terre. Quand les continents ont émergé, les pluies ont commencé à éroder les roches, et les silicates ont réagi avec le gaz carbonique de l’atmosphère. Des sédiments carbonatés se sont déposés dans les oceans, et la quantité de gaz carbonique dans l’atmosphère a diminué. ‘Toutefois, cette perte aurait été en partie compensée par le gaz carbonique libéré au cours des éruptions volcaniques, si bien que la température serait restée favorable aux processus chimiques aboutissant à l’apparition de la vie, soit supérieure à O OC.
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L‘HISTOIRE DE LA VIE SUR LA TERRE
Sur la Terre, la vie a débuté dans l‘eau et y a évolué pendant trois milliards d’années avant de s’étendre à la terre ferme. Aujourd’hui encore, les cellules sont faites en majorité d’eau (de 70 pour cent à 95 pour cent). Pourquoi l’eau est-elle si nécessaire à la vie ? L‘eau est la seule substance qui existe dans l’environnement naturel sous les trois états de la matière : solide, liquide et gazeux. De surcroît, l’eau possède des propriétés peu communes, qui résultent de la polarité des molécules d’eau (voiri’encadré fi la fin du chapitre I ) : du fait de cette polarité, les molécules sont reliées par des interactions faibles, ou liaisons hydrogène.
La cohésion de Veau Dans la plupart des liquides, les molécules interagissent peu, mais dans l’eau liquide, des liaisons hydrogène se créent et se brisent à tout instant. Même si chaque liaison ne dure que un millième de millionième de seconde, il en résulte, en moyenne, un phénomène de cohésion entre toutes les molécules. C’est grâce à cette cohésion que l’eau remonte par capillarité dans les vaisseaux microscopiques d’une plante, malgré la gravité qui la tire vers le bas : les molécules les plus hautes attirent les molécules les plus basses. Également due à la cohésion des molécules d’eau, la tension superficielle minimise le nombre de molécules à la surface d u liquide. La tension superficielle de l’eau, supérieure à celle de la plupart des liquides, nous permet de remplir un verre un peu plus qu’à ras bord : levolume excédentaire est retenu par les molécules d’eau sous-jacentes et forme un dôme. C’est aussi la tension superficielle qui donne une forme sphérique aux gouttes d’eau, forme pour laquelle le rapport surface/volume est minimal : le nombre de liaisons hydrogène à l’intérieur de la goutte est donc maximal (voir la figure 18).
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18. Les molécules d’eau s’attirent par des liaisons hydrogène. C’est grâce à ces liaisons que la surface de l’eau forme un dôme dans un verre rempli à ras-bord, et aue l’eau monte dans des tubes très fins.
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Stabilisation du climat Avez-vous déjà remarqué qu’il faut chauffer considérablement l’eau pour augmenter sa température de un degré ? La quantité de chaleur qu’il faut apporter (ou retirer) à un gramme de matière pour augmenter (ou diminuer) sa température de un degré est appelée chaleur spécifique. La chaleur spécifique de l’eau est exceptionnellement élevée : elle vaut 4,184 joules par gramme et par degré, alors qu’elle ne vaut que 2,51 joules par gramme et par degré pour l‘éthanol, l’alcool présent dans toutes les boissons enivrantes. C’est pourquoi une étendue d’eau, étang, lac ou mer, adoucit le climat : alors que sa tempi!rature varie peu, l’eau absorbe une énorme quantité de chaleur solaire durant une période chaude et la restitue durant une période froide. Cette valeur (ilevée de la chaleur spécifique résulte aussi des liaisons hydrogène : quand on chauffe de l’eau liquide, une bonne partie de la chaleur apportée sert d’abord à briser les liaisons hydrogène ; alors seulement, la chaleur restaite sert à agiter les molécules, ce qui se manifeste par une a u g mentation de la température. Pour la même raison, l’eau a une chaleur de vaporisation élevée : il faut 2,26 kilojoules pour vaporiser un gramme d’eau, presque le double de la chaleur nécessaire pour vaporiser un gramme d’alcool ou d’ammoniac. L’eau se dilate quand elle gèle, si bien que la glace est moins dense que l’eau liquide et flotte. En effet, autour de O O C , les molécules d’eau ne se déplacent plus avec suffisamment de vigueur pour briser les liaisons hydrogène. Ces dernières maintiennent une certaine distance entre les molécules, leur permettant d’occuper un volume plus grand dans la glace que dans l’eau liquide. Moins dense que l’eau liquide, la glace flotte sur une étendue d’eau soumise au gel (voir la figure 19).Elle forme ainsi une couche d’isolation qui empêche que tout le volume du dessous ne gèle ; des organismes continuent alors de vivre dans l’eau, sous la glace.
19.Dans l’eau liquide, les molécules glissent les unes contre les autres, tandis que dans la glace, les molécules d’eau se maintiennent à distance par des liaisons hydrogène. La glace est donc moins dense et plus légère que l’eau liquide.
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L‘HISTOIRE DE LA VIE SUR LA TERRE
Solvant L‘eau est aussi un solvant incomparable. Quand on met un morceau de sucre dans l’eau, il se dissout complètement et l’on obtient un mélange homogène de sucre et d’eau. Ces propriétés de solvant résultent de la polarité de la molécule d’eau. Pour le comprendre, examinons ce qui se passe lorsque l’on sale l’eau. À la surface d’un cristal de chlorure de sodium (NaCI, le sel de cuisine), les ions sodium et chlorure sont exposés aux molécules d’eau. L‘atome d’ hydrogène d’une molécule d’eau, qui porte une charge partielle positive, est attiré par l’anion chlorure, tandis que l’oxygène d’une autre molécule d’eau, qui porte une charge partielle négative, est attiré par le cation sodium. Les molécules d’eau se lient aux ions et les arrachent du réseau cristallin (voir la figure 20). À partir de la surface du cristal, l’eau désagrège l’édifice et finit par dissoudre tous les ions. L‘eau de mer et les cellules vivantes contiennent une grande variété d’ions en solution. L‘eau dissout également les composés dont les molécules sont polaires, tels que l’ammoniac (NHJ.
20. L’eau dissous les sels en attirant un à un les ions hors de leur structure cristalline.
En revanche, l’eau ne dissout pas certaines substances telles que l’huile. L‘huile ne se mélange pas à l’eau, mais, lorsqu’on l’agite bien, elle forme dans l’eau une émulsion de gouttelettes, une sorte de mayonnaise ! Certaines molécules hydrophobes (qui n’aiment pas l’eau) apparentées à l’huile constituent les membranes cellulaires, et il est bien utile que celles-ci ne se dissolvent pas dans l’eau.
Acides et bases Savez-vous que l’eau se dissout elle-même ? En faible proportion, dans l’eau liquide, deux molécules H,O se transforment en un ion hydronium H,O+ et un ion hydroxyle OH- (voir la figure 22). Or, même en faible concentration, ces ions sont importants pour la chimie de la vie, car ils sont très réactifs.
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Vdronhtrl 21.
M y &
Ionisation de molécules d’eau.
Par commodité, on représente cette réaction par l’ionisation d’une seule moléciile en un ion hydroxyle OH- et un proton H’. Statistiquement, dans l’eau pure, une seule molécule d’eau sur dix millions se dissocie de la sorte (pour les connaisseurs, dans l’eau pure, [H,O+] = [OH-] = 10-7, où la notation entre crochets désigne la concentration de cet ion). Au final, si l’eau est vraiment pure, la concentration de H’ reste égale à la concentration de OH- et la solution est neutre. Dès que l’un des ions est en excès par rapport à l’autre, la i;olution n’est plus neutre : elle est acide quand les protons H+ sont en excè,j, et basique quand les ions OH- dominent. Mélangeons de l’acide chlorhydrique HCI à de l’eau : il se dissocie en un ion chlorLre CI- et en un proton H+, lequel devient plus abondant que les ions OH- : la solution est devenue acide. Inversement, ajoutons de l’ammoniac NH, à de l’eau pure : les protons H+ présents clans l’eau se lient facilement à cette molécule pour former un ion ammonium NH4+. Par conséquent, la concentration de protons diminue, si bien que la solution devient basique. L‘acidité d’une solution est mesurée par son pH, un nombre compris entre O et 14, qui est relié à la concentration de protons. Une solution est neutre à un pH égal à 7. Elle est acide lorsque son pH est inférieur à 7 : le suc gastrique de l’estomac humain a un pH d’environ 1,5. Un pH supérieur à 7 caractérise u ie so Iu t io n basiq u e. La plupart des cellules vivantes sont composées de fluides neutres, et toute modification de leur acidité peut leur être fatale. Elles régulent leur pH grâce à des ,jolutions tampons. Celles-ci possèdent un ou deux composés capables d’accepter des protons lorsque la solution est trop acide ou d’en donner quand elle est trop basique. L‘acide carbonique H,CO,, qui se dissocie en HC0,- et en un proton H’, constitue une des solutions tampons qui stabilisent le pH dans le sang.
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La vie dans un tube à essai
Puisqu’il paraît impossible de retrouver les traces de l’apparition du vivant dans les archives de la Terre, les chimistes ont tenté de la reproduire en laboratoire, à partir de quelques hypothèses sur les conditions qui régnaient à l’ère précambrienne. Charles Darwin, encore lui, se prenait à rêver d’un passage de l’inanimé à la vie par la chimie : cc Mais si (et quel énorme si !) nous pouvions concevoir dans quelque petite mare chaude toutes sortes de sels d’ammonium et de phosphate, de la lumière, de la chaleur, etc., pour qu’un composé protéique puisse se former par voie chimique, prêt à subir des changements encore plus complexes. >> La toute première fabrication de molécules biologiques dans un tube à essai date de 1913. Elle revient à l’Allemand Walther Lob, qui synthétisa la glycine, acide aminé simple, en soumettant un mélange de dioxyde de carbone (CO,), d’ammoniac (NH,) et de vapeur d’eau (H,O) à des décharges électriques. Lob ne se préoccupait pas de l’origine de la vie mais cherchait à comprendre l’assimilation de l’azote atmosphérique par les plantes. Aussi son expérience est longtemps restée méconnue. En 1924, le chimiste russe Alexandre Oparin développa le concept d’évolution chimique et de chimie cc prébiotique (précédant )>
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l’apparition du vivant). I1 suggéra que les molécules organiques utilisées par lcs premiers organismes vivants furent fabriquées dans l’atmosphère primitive à partir de molécules simples telles que l’hydrogène sulfuré HIS, l’ammoniac NH,, le gaz carbonique CO,, le méthane C H, et sous l’influence de fortes radiations ultraviolettes. En 1929, le biologiste britannique John Burton Haldane formula des idées sirnilaires et les résuma sous le concept de << soupe prébiotique ».Selon cette approche, les conditions terrestres actuelles ne sont plus propices à la synthèse spontanée de molécules organiques, parce que I’axygène, puissant oxydant, rompt les liaisons chimiques en arrachant les électrons. Avant l’apparition de la photosynthèse, productrice d’oxygène, l’atmosphère était vraisemblablement moins oxydante, ou plus réductrice, et aurait favorisé l’assemblage des molécules simples en molécules complexes.
La chimie du carbone Pour comprendre comment une telle soupe prébiotique évolue, il faut savoir que les molécules du vivant reposent toutes sur la chimie du carbone. Les protéines, l’ADN, les glucides et les autres molécules qui caractérisent la matière vivante sur la Terre contiennent tous des atomes de carbone. Grâce à sa configuration électronique et à sa capacité de former quatre liaisons covalentes avec d’autres atomes, le carbone est à la base d’une variété inépuisable de molécules. Dans le dioxyde de carbone CO,, l’atome de carbone forme deux doubles liaisons avec deux atomes d’oxygène. Dans le méthane CH,, quatre liaisons covalentes pointent vers les sommets d’un tétraèdre (uoir la figure 22). Dans l’éthane C,H,, deux tétraèdres sont réunis par un de leurs sommets. I1 existe ainsi des chaînes carbonées de longueurs différentes et de formes diverses : rectilignes, ramificies et même cycliques, c’est-à-dire fermées en anneau. Certaines chaînes portent des liaisons doubles, voire triples, dont le nombre et 1;i position varient.
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LA VIE DANS UN TUBE À ESSAI
22.
Les hydrocarbures les plus simples, et trois manières de les représenter.
Les chaînes carbonées constituent le squelette sur lequel sont liés des atomes d’autres éléments. Ces atomes périphériques peuvent être l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le soufre et le phosphore. Les molécules organiques composées uniquement de carbone et d’hydrogène, comme le méthane et l’éthane que nous avons cités, sont des hydrocarbures. Certaines molécules d’hydrocarbures se forment dans le milieu interstellaire. Sur la Terre, les hydrocarbures du pétrole proviennent des vestiges d’êtres vivants, des végétaux vieux de millions d’années. Les molécules d’hydrocarbures emmagasinent une grande quantité d’énergie’ qui est libérée lorsqu’elles sont brûlées par l’oxygène, comme dans la combustion du pétrole. En outre, les hydrocarbures ne se mélangent pas à l’eau (ils sont hydrophobes) et forment des gouttelettes de graisse dans l’eau ou des structures plus complexes semblables aux membranes cellulaires, comme nous
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
le verrons plus loin. Les hydrocarbures, et les nombreux isomères que l’on peut former à partir des mêmes atomes, illustrent bien la diversité des chaînes carbonées (voir la figure 23). I1 est temps de faire la connaissance des principaux acteurs du ronian de la vie. Une chaîne carbonée peut s’enrichir d’un autre groupement d’atomes, qui lui confère des propriétés particulières, par exemple une meilleure solubilité dans l’eau ; on nomme << groupements fonctionnels >> ces groupes d’atomes liés à la chaîne carbonée. Nous citerons cinq exemples de groupements fonctionnels : hydroxyle, thiol, carbonyle, carboxyle et amine (uoir la figure 24). Quand un atome d’oxygène, lui-même lié à un atome d’hydrogène, s’accroche à la chaîne carbonée, il forme un groupement hydroxyle (-OH), très soluble dans l’eau. Ce groupement caractérise les alcoo!s simples, qui en possèdent un, et les sucres, qui en portent plusieurs. Comme le soufre appartient à la même colonne que l’oxygène dans la classification périodique, il peut, lui aussi, former un groudénommé groupement pement avec un atome d’hydrogène (SH), thiol. Le mSthanethio1 (CH,-SH) en est un exemple : nous verrons quel rôle il joue dans le métabolisme. Le groupement carbonyle est un atome de carbone lié à un atome d’oxygène par une double liaison (-C=O). Ce groupement est présent dans les sucres. Plus précisément, chaque représentant de la vaste famille des sucres porte nécessairement un groupement carbonyle et au moins deux groupements hydroxyles (-OH). En conséquence, les sucres ont généralement une formule moléculaire multiple de CH,O. Dans la chimie des êtres vivants terrestres, le sucre le plus commun est le glucose (C6H,,0,), qui peut exister sous forme linéaire ou cyclique (voir la figure 25). Lorsqii’il est lié à au moins un atome d’hydrogène, le groupement carbc’nyle caractérise les aldéhydes. Le plus simple des aldéhydes est le formaldéhyde ou formol (H,CO), également présent dans le milieu interstellaire, à hauteur de dix parties par million. Lorsque le :groupement carbonyle est coincé entre deux atomes de
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23. Avec d u carbone et de l’hydrogène, on obtient des chaînes de différentes longueurs (a), ramifiées ou non (b), avec des liaisons doubles ou triples, placées en divers endroits (c), ou des chaînes fermées en cycles (d). Deux composés de même formule moléculaire mais de formule développée différente sont des isomères.
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Aldéhyde::
24. Principaux groupements fonctionnels utiles à la vie.
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25. Le glucose existe sous les formes linéaire et cyclique. On représente souvent la forme cyclique du glucose comme une pastille hexagonale (à droite).
carbone de la chaîne, le composé fait partie de la classe des cétones. L‘acétone (CH,-CO-CH,), qui vous sert, Mesdames, à dissoudre votre vernis à ongles, est la plus simple des cétones. Le groupement carbonyle peut aussi se lier à un groupement hydroxyle. L‘ensemble forme alors le groupement carboxyle (COOH). Ce groupement a tendance à s’ioniser en -COO-, en perdant un proton H’. Les molécules qui le comportent sont acides, et on les appelle acides carboxyliques (acides gras lorsque le groupement carboxyle est fixé à l’extrémité d’une longue chaîne hydrocarbonée). Le plus simple d’entre eux est l’acide formique (HCOOH), que les fourmis sécrètent pour le projeter sur leurs agresseurs. Vous connaissez sans doute l’acide acétique (CH,COOH), principal constituant du vinaigre et l’acide butyrique (C,H,COOH), dont la présence dans la sueur fait la fortune des fabricants de déodorants. Le groupement formé d’un atome d’azote lié à deux atomes d’hydrogène est le groupement amine (-NH,) et caractérise les amines. En solution, ce groupement se comporte comme l’ammoniac, base efficace : il capte un proton de la solution aqueuse, pour devenir -NH,’.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Les acides aminés, vedettes du monde vivant Lorsqu’un composé comporte à la fois un groupement amine
(-NH,) et un groupement carboxyle (COOH), il est dénommé acide aminit ; dans l’eau, ces groupements sont ionisés en -COO- et -NH,+. Les cellules élaborent leurs protéines, molécules indispensables, à partir de 20 types d’acides aminés qui ont une structure commune : le groupement carboxyle et le groupement amine sont fixés au même atome de carbone. Ce dernier porte aussi un atome d’hydrogène et, sur sa quatrième liaison, un radical R, que l’on nomme chaine latérale et qui caractérise l’acide aminé en question : cela donne la formule chimique générale NH,-CHR-COOH. L‘acide aminé protéique le plus simple est la glycine (NH,-CH,-COOH) : le radical R est simplement un atome d’hydrogène. C’est cette molécule que synthétisa Walther Lob en 1913. Elle se forme probablement en très petite quantité sur des grains givrés, dans le milieu interstellaire et aux confins du système solaire. Pour l’alanine, le radical R est CH,. Pour d‘autres acides aminés, R est une chaîne carbonée qui peut comporter des cycles, des liaisons doubles ou d’autres groupements fonctionnels., La chaîne latérale R confère à l’acide aminé ses propriétés chimiques : comportement hydrophile ou hydrophobe, selon la polarité des particules, et caractère acide ou basique (uoir la figure 26).
L‘expérience de Miller
I1 fallur attendre 1953 pour que soit publié le premier compte rendu d’une expérience de chimie visant ouvertement à reconstituer la chimie prltbiotique. Elle a été conçue par le jeune chimiste américain Stanley Miller, sous la direction d’Harold Urey. Tous deux ignoraient vraisemblablement l’expérience de Lob, mais s’inspiraient directement de l’hypothèse d’Oparin, formulée 30 ans plus tôt. Dans un ballon, Miller soumet un mélange gazeux de méthane (CH,),
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26. Les 20 acides aminés des protéines, classés selon les propriétés de leur chaîne latérale R, indiquée par l’ombre grise. En solution, ces molécules sont ionisées, avec une extrémité NH,’ et une extrémité COO-.
d’hydrogène (H2),d’ammoniac (NH,) et d’eau (H,O) à des décharges électriques, sous un voltage de 60 kilovolts (voir la figure 27).O n se croirait dans le laboratoire du docteur Frankenstein, imaginé par Mary Shelley en 1817...
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27. Dispositif grâce auquel Stanley Miller a obtenu, à partir de gaz et de décharges électriques, quelques molécules indispensables à la vie.
Après une semaine de ce traitement, le mélange gazeux produit un résidu goudronneux. Dans sa première expérience, Miller identifie quatre acides aminés protéiques, la glycine, l’alanine, l’acide aspartique, l’acide glutamique. I1 découvre plus tard des bases puriques des acides nucléiques, supports de l’hérédité (adénine ou guanine, dont nous reparlerons plus loin). I1 constate la présence d’acides organiques, de l’acide cyanhydrique (HCN) et du formaldéhyde (H,CO), dont on découvre le rôle précurseur dans la fabrication des briques du vivant. Apparaissent aussi des composés organiques plus complexes, comme l’urée. De cette expérience, on déduit que la synthèse d’acides aminés se fait dans une solution aqueuse à partir de petits composés organiques formés en phase gazeuse.
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La remarquable expérience de Miller fit des émules. On la reproduisit d’abord telle quelle, puis en faisant varier les conditions, à la fois la composition du mélange gazeux et la source d’énergie. Par de telles expériences, on isola 17 des 20 acides aminés constituant les protéines, ainsi que quelques éléments constitutifs des acides nucléiques. Toutefois, la composition du mélange gazeux souleva immédiatement des questions. On fit valoir que l’atmosphère artificielle de Miller contenait trop de méthane et pas assez de gaz carbonique par rapport à l’atmosphère précambrienne supposée. En effet, si l’on se fie à l’exemple de Mars et de Vénus, les deux sceurs de la Terre, il apparaît que l’atmosphère primitive devait être riche en dioxyde de carbone. Hélas, lorsque les chimistes refont l’expérience de Miller en remplaçant progressivement le méthane par du dioxyde de carbone, c’est-à-direen passant d’une atmosphère très réductrice à une atmosphère moins réductrice, la fabrication des acides aminés diminue terriblement. Reste alors à interpréter les ingrédients de l’expérience de Miller. Le méthane a-t-il été libéré par les éruptions volcaniques, ces dernières apportant en outre l’énergie nécessaire aux réactions chimiques ? Les ultraviolets et les éclairs, qui apportent de l’énergie aux solutions aqueuses qu’ils atteignent, n’ont-ils pas en outre un effet destructeur ?
Les sources hydrothermales sous-marines Certains chercheurs pensent que la vie est apparue au fond des océans, au voisinage des éruptions volcaniques sous-marines et des sources hydrothermales. À l’endroit où les plaques s’écartent, le manteau remonte et forme les dorsales océaniques, véritables chaînes volcaniques sous-marines. Au cours de son ascension et de son refroidissement, le magma se contracte et se fissure. L‘eau de mer s’infiltre dans la nouvelle croûte océanique, où elle est portée à des températures avoisinant 350 O C . Elle se charge en gaz - hydrogène, azote, oxyde de carbone, dioxyde de carbone, méthane, anhydride sulfureux, hydrogène sulfuré - provenant, en partie, de la réduction
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des carbonates et des sulfates qu’elle contient sous forme dissoute. Ceau, ainsi chauffée et enrichie en gaz, s’échappe sous forme de geysers (woiy lu figure 28). 28. Les sources hydrothermales S (3usmarines ou fumeurs noirs, apporte!nt des
élément Ci nécessaires à la vie.
Les sclurces hydrothermales présentent l’environnement réducteur nécessaire aux synthèses prébiotiques et fournissent l’énergie thermique par l’intermédiaire du magma incandescent. Cependant, la température de 350 OC représente un sérieux handicap, car, à ces températures élevées, les briques du vivant ne sont pas stables. Lorsque la température est moins élevée, comme dans le rift des Galfipagos, où les gaz sortent à une température voisine de 40 OC, on perd le bénéfice de l’énergie thermique, et les synthèses chimiques n’ont plus lieu. Le compromis est délicat. Des scientifiques japonais ont simulé en laboratoire les conditions des bouches volcaniques sous-marines (325 OC, 200 kilogrammes par centimètres carrtis). Ils ont identifié les traces de deux acides aminés (glycine et alanine) en partant d’un mélange de méthane et d’azote.
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Les rendements sont de l’ordre de 0,0002 pour cent par rapport au méthane. I1 est vrai que, dans le système fermé utilisé, la dégradation thermique évoquée plus haut entre sérieusement en compétition avec les réactions de synthèse. À la chaleur des sources chaudes sous-marines, l’Allemand Günter Wachtershauser associe l’énergie chimique. Cet agent des brevets (comme l’a été Albert Einstein.. .), titulaire d’un doctorat de chimie organique, a fait de la question de l’origine de la vie son violon d’Ingres. Dans les années 1980, il a élaboré une théorie originale, selon laquelle les molécules organiques primordiales se seraient formées par réduction du dioxyde de carbone grâce à la réaction de l’hydrogène sulfuré (H,S) sur le sulfure de fer (FeS). Cette réaction permet de synthétiser des molécules organiques à partir du dioxyde de carbone et produit de la pyrite (FeS,) capable, par un phénomène d’adsorption, de fixer les molécules organiques formées à la surface des cristaux. Ces molécules auraient alors évolué à la surface des grains minéraux. Le réseau organique et son support minéral se seraient développés conjointement. L‘idée procure un joli scénario pour l’apparition de la vie, mais qu’en est-il en laboratoire ? Les résultats sont encourageants, puisque le sulfure de fer, l’hydrogène sulfuré et le dioxyde de carbone, réagissant dans un milieu dépourvu d’oxygène, donnent de l’hydrogène et quantité de dérivés soufrés dont le méthanethiol (CH,-SH). Ce dernier active chimiquement les acides aminés, qui pourront ensuite s’associer en longues chaînes. Car nous sommes arrivés à l’étape suivante : pour former des protéines, les acides aminés doivent s’enchaîner comme les perles d’un collier.
Fabriquer de grosses molécules La polymérisation (formation de longues chaînes) est une caractéristique majeure de la chimie du vivant. Les protéines sont des polymères, les plus nombreux et les plus différenciés au sein de la cellule vivante. Certaines remplissent une fonction de soutien, le collagène
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par exemple. D’autres, plus nombreuses, catalysent les réactions chimiques vitales : ce sont les enzymes, telles que celles qui nous permettent de digérer, ou celles qui aident à la réplication de l’ADN. Les glucides, les sucres qui flattent notre palais, sont parfois des polymères : les monosaccharides tels que le glucose comportent un seul monomère, les disaccharides en comportent deux, et les polysaccharides sont des polymères. Sur la Terre, les végétaux emmagasinent les glucides sous forme d’amidon, un polysaccharide constitué par la répétition du glucose. D’autres polysaccharides renforcent la structure de la cellule : c’est le cas de la cellulose, également form6e à partir du glucose. Les graisses, qui servent de réserves d’énergie aux animaux de la Terre, sont elles aussi des polymères. Elles sont constituées d’une petite molécule de glycérol (C,H,O,) liée à un, deux ou trois molécules d’acide gras. Ce dernier s’accroche au glycérol par réaction entre son groupement carboxyle (COOH) et un des trois groupements hydroxyles (-OH) du glycérol (voir la figure 29). Cette réaction, qui libère une molécule d’eau, s’appelle une condensation, et la liaison qui en résulte est une liaison ester.
a
29. Les lipides (acides gras) sont stockés sous forme de triacylglycérol : trois acides gras sont liés à une molécule de glycérol par une liaison ester (b). Cellec i est obtenue par retrait d’une molécule d’eau (a).
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Seulement voilà : les molécules précurseurs ne peuvent s’assembler que si elles se rencontrent, ce qui est peu probable quand elles flottent dans un grand volume. En revanche, leurs routes se croisent plus facilement lorsqu’elles se promènent sur une surface. C’est là qu’interviennent les surfaces minérales comme la pyrite ou les feuillets d’argile. La rencontre faite, il faut ensuite la faire aboutir. Malheureusement, la réaction de condensation qui liera les deux molécules est en ballottage très défavorable avec le grand nombre de molécules d’eau qui les entourent. C’est pourquoi la présence d’un agent d’activation chimique comme le méthanethiol est nécessaire : il active les acides aminés, qui peuvent ensuite réagir entre eux pour se lier. La formation de tels agents dans les expériences qui miment la chimie des sources hydrothermales est donc pleine de promesses.
La création des membranes Un autre axe de recherches en laboratoire concerne les molécules de soutien des cellules, qui constituent les membranes. En 1925, le biologiste britannique John Haldane écrivait que << les cellules consistent en de nombreuses molécules chimiques presque vivantes, en suspension dans l’eau et enfermées dans un film gras. Quand la mer était un vaste laboratoire chimique, les conditions de formation de ces films ont dû être assez favorables. >> Les membranes cellulaires sont formées de molécules amphiphiles, qui possèdent à la fois une tête polaire hydrophile et des chaînes carbonées hydrophobes. Quand on les force à se mélanger à l’eau, les molécules amphiphiles s’ordonnent en structures à deux couches : les queues hydrophobes se rassemblent, face à face, à l’intérieur de cette bicouche, et sont séparées de l’eau par les têtes hydrophiles, à l’extérieur de la bicouche (uoir la figure 30). Si la bicouche est plane, ses bords sont en contact avec l’eau, au grand dam de ses queues hydrophobes. Pour éviter ce contact, les bicouches s’arrangent en petites structures sphériques : les têtes hydrophiles forment la surface de la
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30. Lorsqu’un lipide comporte un groupement phosphate, comme ce phospholipide, elle devient arnphiphile : la tête qui comporte le phosphate est hydrophile, tandis que les acides gras forment une queue hydrophobe. Ces molécules crfient dans l’eau des structures en bicouches, semblables aux membranes des cellules.
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sphère, tandis que les extrémités hydrophobes s’orientent à l’intérieur de la sphère, d’où l’eau est exclue (voir la figure 3 1). Une telle structure en microsphères caractérise les émulsions, comme la mayonnaise et la vinaigrette. Essayez de mélanger de l’eau et de l’huile : vous devez agiter l’ensemble pour obtenir de minuscules bulles d’huile dans l’eau. Ainsi, tout le monde sait fabriquer des membranes lipidiques, en faisant la cuisine. On en crée aussi en faisant la lessive, car les molécules de savon et de détergent possèdent une tête hydrophile et une extrémité lipophile (qui aime l’huile et donc n’aime pas l’eau). Pour nettoyer une tache d’huile sur un morceau de tissu, on plonge celui-ci dans une eau savonneuse : les queues lipophiles entourent la tache d’huile et finissent par la décrocher de son support textile en l’enfermant dans une microsphère. I1 suffit alors de rincer le linge pour éliminer les salissures que le détergent retient << avec ses petits bras musclés ». Lorsque les salissures sont de nature minérale, par exemple de la poussière ou de la terre, elles ont des affinités avec les têtes hydrophiles, et ce sont des microsphères en bicouche qui les détachent de leur support et les emportent dans l’eau.
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31. Dans les émulsions, les molécules amphiphiles forment des microsphères.
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La cuisine et la lessive : c’est ce que fit Oparin dans ses éprouvettes, dès les années 1930. I1 obtint en laboratoire des << coacervats », microsphères de quelques dizaines de micromètres de diamètre, constituées de protéines telles que la gomme arabique. En y ajoutant des enzymes (du glucose l-phosphate et de la phosphorylase), il constata la production de phosphate organique et la formation de molécules de maltose par association de deux molécules de glucose. Étaient-ce les premiers pas vers l’imitation d’un métabolisme prcibiotique? En 1958, à l’université de l’Illinois du Sud, Sidney Fox chercha à simuler un cycle naturel de réchauffement ou d’assèchement, tel que la succession des marées dans une zone volcanique. De tels cycles aura lent permis l’assemblage de longues molécules du vivant par élimination des molécules d’eau entre les molécules précurseurs. Fox porta iin mélange d’acides aminés à la température de 170 OC, pendant trois heures. I1 obtint un produit gommeux, constitué de particules de deux à sept micromètres. I1 les mit alors en suspension dans l’eau et constata qu’elles libéraient une substance soluble, constituée (depeptides, des mini-protéines formées par l’association de plusieuri. acides aminés. I1 avait reproduit un processus de polymérisation d’acides aminés. Fox avança que les premières cellules ressemblaient à ces << protéinoïdes ».Leur principal attrait tient à leur organisation en sphérules dans l’eau. Quand on les chauffe à 150 OC dans l’eau, ils forment des microsphères de un à deux micromètres de diamètre, possédant une interface semblable aux membranes biologiques, sans pour autant renfermer les phospholipides caractéristiques des membranes cellulaires. Ces microsphères grandissent et quelquefois bourgeonnent, puis se divisent comme des bactéries. E.lles présentent même des propriétés catalytiques, c’està-dire qu’elles sont susceptibles d’aider ou d’accélérer d’autres réactions chimiques autour d’elles. Les acides gras forment des vésicules, à condition que la chaîne hydrocarbonée renferme au moins dix atomes de carbone.
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Toutefois, les membranes produites à l’aide de ces composés amphiphiles simples ne sont stables que dans une gamme étroite de conditions expérimentales. Des composés chimiques plus complexes ont vraisemblablement été nécessaires pour conférer une bonne stabilité aux membranes primitives. Dans cette optique, les polymères courts de l’isoprène, de formule CH,=C(CH,)-CH=CH,, représentent une piste intéressante. La gomme naturelle et le caoutchouc synthétique sont des polymères de l’isoprène. Ses dérivés entrent dans la composition de certaines vitamines (E, K,, par exemple), de la chlorophylle, mais surtout dans celle des lipides de certaines archébactéries (sortes de bactéries que l’on estime très primitives). À Strasbourg, l’équipe du chimiste français Guy Ourisson a obtenu des vésicules en fixant deux chaînes de diisoprène sur un groupe phosphate (-PO,). Notons enfin qu’une observation renforce l’hypothèse d’une origine du vivant dans les sources hydrothermales. Des hydrocarbures linéaires, contenant entre 16 et 29 atomes de carbone, ont été trouvés dans les fluides du système hydrothermal Rainbow, situé sur la dorsale océanique de l’Atlantique, au large des Açores. Ces fluides renferment 45 pour cent de dihydrogène et 43 pour cent de monoxyde de carbone, deux réactifs qui permettent d’obtenir des hydrocarbures à haute température. Ces hydrocarbures linéaires pourraient constituer les queues hydrophobes des molécules amphiphiles nécessaires à la fabrication des membranes.
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Certaines réactions chimiques se produisent spontanément, tandis que d’autres necessitent une intervention extérieure. Certaines sont rapides, voire explosives, alors que d’autres sont lentes, pratiquement imperceptibles. C’est l’énergie disponible qui fait la différence. Un changement dans un système est spontané lorsqu’il s’accompagne d’une diminution d’énergie du système. Par exemple, l’eau s’écoule de haut en bas, car son énergie potentielle (due :I la gravitation) est plus grande à haute altitude qu’à basse altitude. L‘énergie libérée lors de l’écoulement d u haut vers le bas peut être récupérée et transformée en électricité : c’est ce que font les barrages hydrauliques. En chimie, la molécule d’hydrogène H, se forme spontanément dès que deux ,dtomes d’hydrogène s’approchent suffisamment : la molécule d’hydrogène est alors plus stable que les deux atomes d’hydrogène séparés. Notoris qu’une réaction chimique spontanée dégage de l’énergie. À l‘inverse, lorsqu’elles ne sont pas spontanées, les réactions chimiques nécessitent un apport d’énergie. Les rayonnements ultraviolets, les décharges électriques, le chaleur émise par les volcans et les sources hydrothermales constituent des sources d’énergie pour certaines réactions chimiques. Un système chimique peut également profiter du dégagement d’énergie d’une réaction voisine. C’est ce que fait la cellule vivante lorsqu’elle décompose certaines moliicules pour en reconstruire d’autres, par le jeu de réactions chimiques que l’on nomme métabolisme, du grec metabolê, qui signifie N changement ».
La maîtrise de i’énergie La cellule vivante puise son énergie dans Les aliments, principalement sous forme de sucres et de graisses. Ainsi le saccharose (le sucre de cuisine) se décompose dans l’eau en glucose et en fructose (voir la figure 321, et libère ainsi 2 9 3 kilojoules par mole (une mole représente environ un million de milliards de milliards de molécules). Les sucres monomères sont décomposés en pyruvate et les graisses en acides gras. La décomposition par la respiration \d’une mole de glucose libère 2 871 kilojoules.
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32. Décomposition du saccharose en glucose et fructose.
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Une partie de l’énergie apportée par les aliments est transformée en adénosine triphosphate, ou ATP, qui participe à la plupart des réactions métaboliques. L‘ATP est une molécule constituée d’adénine (une base azotée, que l’on retrouvera plus loin) et de trois ions phosphate (P043-). L’énergie est stockée dans la chaîne triphosphate : celle-ci est instable, car les charges négatives portées par les atomes d’oxygène se repoussent et ne demandent qu’à séparer les groupements phosphate. Dans l’eau, I’ATP perd son groupement phosphate terminal et devient ADP ou adénosine diphosphate, plus stable (voir la figure 33). Cette réaction est spontanée et dégage 30,s kilojoules par mole. Dans nos muscles, une autre molécule phosphatée joue le rôle de condensateur d’énergie : la phosphocréatine. Cette molécule, dont certains sportifs abusent, libère 43 kilojoules par mole. La décomposition de I’ATP en ADP dans l’eau sert à amorcer des réactions métaboliques qui, pour se poursuivre, nécessitent de l’énergie. Comment cela se passe-t-il ? Le groupement phosphate, libéré de I’ATP, est transféré à une autre molécule ; ainsi dopée (on dit (( phosphorylée n), cette molécule ne demande alors qu’à réagir avec d’autres réactifs. Considérons par exemple la transformation de l’acide glutamique en glutamine (voir la figure34). Cette transformation n’étant pas spontanée, la cellule la réalise en phosphorylant l’acide glutamique (Glu). L‘intermédiaire phosphorylé GluP043- réagit spontanément avec l’ammoniac (NH,) pour former la glutamine (Glu-NH,). 33. L’ad én osi n e-tri(ji, phosphate (ATP) comporte une molécule azotée nommée adénine, un sucre, le ribose, et surtout trois groupements phosphate (A). En solution, I’ATP perd I l’un de ces groupeI h k Q f l t - ~ p h & k (ATP)
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ments en libérant de l’énergie, et devient I’ADP (adénosined iphosphate).
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34. La conversion de l’acide glutamique en glutamine requiert de l‘énergie. Dans la cellule, cette conversion se fait en deux étapes notées A et 6 : I’ATP cède à l’acide glutamique un groupement phosphate pour donner un composé phosptiorylé (A) ; ce dernier favorise la liaison de l’ammoniac avec l’acide glutamique pour former la glutamine (5).
Chaque jour, un être humain consomme une quantité d’ATP équivalente 2 sa masse corporelle. Il doit régénérer régulièrement son ATP, sinon le métabolisme s’arrête. La respiration et la décomposition des aliments apportent l’énergie nécessaire à la transformation de I’ADP en nouvelles molécules d’ATP. La botJcie est bouclée ! La cellule musculaire renouvelle ainsi son ATP une fois par minute, ce qui représente dix millions de molécules d’ATP par seconde et par cellule.
Accél6rer les réactions Certaines réactions chimiques sont très lentes. Là aussi, c’est une question d’énergie : les réactifs doivent avoir une certaine énergie pour réagir correctement (voir la fisure 35). Parfois, il suffit de les chauffer pour accélérer la réaction. Dans un moteur à explosion, les hydrocarbures et l’oxygène ne réagissent qlie si les bougies font des étincelles ; celles-ci chauffent les molécules, qui s’agitent, deviennent instables et réagissent en libérant de I’énergie d’une nianière explosive. En d’autres termes, les bougies aident les réactifs à dépasser la barrière d’énergie. C’est le rôle glorieux de telles bougies que I’ori prête aux ultraviolets et aux éclairs dans la soupe prébiotique. Certaines substances chimiques, nommées catalyseurs, jouent le rôle des bougies du moteur : elles augmentent la vitesse d’une réaction sans en modifier le résultat. Le catalyseur réagit avec les substances présentes et
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sènsde,
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35. Pour réagir, des réactifs AB et CD doivent absorber de l’énergie. Les liaisons se cassent et se combinent alors pour former les produits AC et BD. accélère leur transformation. Dans une première étape, il est lui aussi transformé, puis il est régénéré, si bien que le bilan des réactions ne l’affecte pas. Poursuivons la comparaison avec l’automobile, et notons que la catalyse est à l’œuvre dans les pots catalytiques. Les moteurs classiques rejettent des gaz polluants tels qu’oxydes d’azote, monoxyde de carbone et hydrocarbures non brûlés. Or ces rejets sont capables de réagir entre eux pour produire des gaz inoffensifs : diazote, dioxyde de carbone et vapeur d’eau. C’est là que les métaux catalyseurs (platine, palladium, rhodium) interviennent pour les transformer : leur surface retient les rejets polluants le temps qu’ils réagissent entre eux, puis relâche les produits formés. Pour une meilleure efficacité, la surface du catalyseur doit être maximale. C’est pourquoi, dans un pot catalytique, les métaux recouvrent des milliers d’alvéoles creusées dans un bloc de céramique (voir la figure 36).
36. Principe des pots d’échappement catalytiques : faire réagir entre eux les gaz polluants, par l’intermédiaire de métaux catalyseurs pour produire des gaz inoffensifs.
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les enzymes, catalyseurs spécifiques Dans la cellule vivante, les molécules sont stables, si bien qu’elles ne peuvent participer aux réactions métaboliques qu’en présence de catalyseurs. C’est le rôle des enzymes, des protéines pour la plupart. Sans enzymes, le métabolisme serait trop lent pour assurer le renouvellement de l’organisme Quand nous avons évoqué la décomposition d u saccharose dans l’eau, OIUS avons omis de signaler que cette réaction peut prendre des années à la température ambiante. Dans l’organisme, l’enzyme concernée, nommée saccharase, décompose le saccharose en quelques secondes. Sans la saccharase, vous mettriez des années à digérer le moindre éclair au chocolat. Autre exemple de la puissance catalytique : l’enzyme uréase multiplie la vitesse de décomposition de l’urée par 100 ooo milliards, en présence de protons H+ cat à température ordinaire. Les enzymes interviennent dans les réactions du métabolisme cellulaire, parmi esquelles la phosphorylation, la décomposition de polymères ou la polymérisation. Une cellule animale compte entre 1 ooo et 4 ooo enzymes de types difiérents. ChaqLe enzyme exerce son activité catalytique sur des réactifs spécifiques, qu’e le est capable de reconnaître. Les réactifs (ou substrats) se fixent sur le site x t i f de l’enzyme. L‘ensemble constitue un complexe enzymesubstrat, qui n’est efficace que si la structure spatiale de l‘enzyme est adaptée à celle cles substrats, à l’image d’une clé et d’une serrure (voir la figure 37). La réac-ion a lieu dans le complexe enzyme-substrat, puis les produits ainsi formés quittent le site actif de l’enzyme. L‘enzyme est ainsi libre d’accepter d’autres réactifs et de déclencher une nouvelle réaction. Notez qu’une seule molécule d’enzyme transforme habituellement un millier de molécules de substrat 3ar seconde. De nombreux facteurs influent sur l’activité des enzymes : la concentration des molécules, la température, l’acidité, la salinité en font partie. En outre, certaines substances non protéiques assistent l’enzyme dans sa fonction catalytique, en se liant au site actif, soit de manière permanente, soit juste le tenips de résidence d u substrat : on les dénomme cofacteurs. Certains d’entre eux sont métalliques : le zinc, le fer et le cuivre sont des cofacteurs. Quand un cofacteur est organique, comme les vitamines, on l’appelle a w s i coenzyme. D’autres substances inhibent l’action d’enzymes spécifiques. Ces inhibiteurs jouerit leur rôle en se liant à l’enzyme, soit sur son site actif, soit sur un sitevoisin, ce qui entraîne une modification de la conformation de l’enzyme et donc sa c a p x i t é d’agir. Les inhibiteurs peuvent être des poisons : les pesticides inhiben: des enzymes du système nerveux des insectes, la pénicilline, antibiotique commun, bloque le site actif de l’enzyme productrice des parois cellulaires de nombreuses bactéries. Toutefois l’inhibition, de même que l’activation, est un mécanisme normal de régulation métabolique, dont se
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37. Une enzyme (ici la saccharase) catalyse une réaction spontanée mais lente (ici la décomposition du saccharose en glucose et fructose).
chargent les molécules naturellement présentes dans la cellule. Ainsi, dans le vivant, les réactions chimiques sont contrôlées, accélérées, ralenties par de nombreuses substances en interaction, dans une chorégraphie sans fin.
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Une vie asymétrique
Vous connaissez maintenant la plupart des constituants du vivant : sucres, acides aminés pour faire des protéines, acides gras pour les membranes. Au prochain chapitre, nous étudierons les acides nucléiques, ADN et ARN, qui transmettent l’information d’une génération à une autre. Les scientifiques commencent à comprendre les processus qui ont abouti à la formation de la plupart des composés biologiques. Toutefois, nous avons jusqu’ici balayé sous le tapis un mystère sur lequel tout le monde bute : la sélection d’une géométrie << homochirale >> dans les molécules du vivant. Avant tout, voyons ce que signifie ce mot barbare : << homochirale ». La chiralité (du grec kheir, qui signifie << main .) désigne la propriété qu’ont certains objets de ne pas être identiques à leur image dans un miroir : la main est chirale, car l’image dans un miroir d’une main droite est une main gauche, et wice wema. Certaines molécules présentent la même caractéristique : deux molécules de même composition peuvent présenter des structures différentes dans l’espace (des isomères), parmi lesquelles on compte les formes chirales. C’est le cas des acides aminés intervenant dans les protéines, à I’exception de la glycine. Chacun peut s’en convaincre : les quatre liaisons de l’atome de carbone pointent vers le sommet d’un tétraèdre.
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Dessinons la molécule d’un acide aminé en trois dimensions. Nous voyons que, pour la même formule chimique, nous avons le choix entre deux dispositions possibles des groupements fonctionnels autour du carbone central (uoir la figure 38). Chaque isomère obtenu est l’image de l’autre dans un miroir, comme le sont la main gauche et la main droite. Par analogie avec les mains, nous appellerons gauche et droite ces deux formes possibles d’acides aminés. Or, sur la Terre, les protéines ne sont constituées que d’acides aminés gauches : un seul sens. Cette << homochiralité >> est une caractéristique de la vie sur la Terre qui reste inexpliquée et dont on se demande si dle est universelle.. ,
38. Les acides aminés peuvent théoriquement exister en deux isomères, images l’un de l’autre par un miroir plan. Pourtant, seule la forme gauche se trouve dans les protéines.
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De l‘importance d‘être homochiral L‘origine de l’homochiralité du vivant est une pièce maîtresse du grand puzzle que nous nous efforçons de reconstituer. Louis Pasteur, le premier, mit e n évidence le rôle déterminant de l’asymétrie dans les systèmes vivants. I1 était déjà familier des questions d’asymétrie en chimie. I1 savait que certains composés, identiques à en juger par leur composition chimique, se comportaient différemment à l’égard de la lumière polarisée : certains faisaient tourner le plan de polarisation de la lumière (le plan défini par les champs électriques et magnétiques qui constituent la lumière), d’autres pas. L‘acide tartrique (COOH-CHOH-CHOH-COOH) venant de la vinification ne déviait pas la lumière polarisée, alors que l’acide tartrique ordinaire le faisait. Pasteur comprit que cette mystérieuse forme d’acide tartrique, qu’il qualifiait de racémique (du latin racemus, << raisin >>),ne déviait pas la lumière polarisée parce qu’elle était composée, en parties égales, d’un acide tartrique qui déviait la lumière polarisée à droite et d’un isomère qui la déviait à gauche. I1 les sépara et montra que ces deux formes spéculaires (images l’une de l’autre dans un miroir) avaient un effet sur le développement des moisissures : nourries avec des cristaux de tartrate gauche, les moisissures prolifèrent ; elles dépérissent avec le tartrate droit. En 1963, la sensibilité des molécules de la vie à la chiralité a été dramatiquement confirmée, lorsqu’on traita les nausées matinales de femmes enceintes par la thalidomide : les enfants nés de ces femmes présentaient de graves malformations, car l’une des formes de ce composé chiral déclenche des mutations génétiques.
L’embarras du choix
I1 semble donc que l’homochiralité soit nécessaire à la vie et que, si elle n’existait pas, nous ne serions pas là pour nous interroger sur son origine. Un argument statistique apporte une justification a posteriori de cette situation. Nous avons vu que la polymérisation est
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une caracttiristique majeure de la chimie du vivant. De longues chaînes sont constituées selon des séquences précises, qui déterminent leur fonction. Le respect des séquences lors de leur synthèse est donc primordial : la cellule n'enfile pas ses perles au hasard. Pour comprendre l'opération, constituons une chaîne de n éléments chiraux, disons des perles de la forme d'une main, soit droite soit gauche. Pour enchaîner deux perles-mains, nous choisissons d'abord la première (deux possibilités : droite ou gauche), puis la deuxième (à nouveau deux possibilités). Nous avons alors quatre chaînes possibles, constituées des couples de perles suivants : droitedroite, droi te-gauche, gauche-droite et gauche-gauche. Pour allonger cette chaîne avec une troisième perle, nous avons de nouveau deux choix possibles, ce qui donne huit chaînes possibles (voir la figure 39). chaque perle ajoutée, on choisit entre sa forme gauche et sa forme droite, ce qui multiplie par deux le nombre de chaînes possibles. Four un nombre quelconque n d'éléments chiraux, le nombre d'arrangements possibles dans une chaîne vaut 2". Quand n = 10, ce nombre vaut déjà 1 024 !
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39. Plus on ajoute de perles au collier, plus le nombre d'arrangements possibles augmente.
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Dans une chaîne peptidique réelle, les perles ne sont pas toutes de même nature (disons qu’elles n’ont pas toutes la même couleur), si bien que le choix pour assembler un collier est encore plus important. Ces perles sont des acides aminés, à choisir parmi 20 couleurs différentes, et le collier contient plusieurs centaines de perles ; or, pour seulement dix perles, nous avons déjà 2010 chaînes possibles, soit 1013(un nombre à 13 chiffres). On comprend alors la difficulté de la tâche pour la machinerie cellulaire : à chaque étape, il s’agit de choisir la bonne perle. S’il fallait en plus que le biopolymère à copier renferme des formes droites ou gauches, cette machinerie cellulaire devrait choisir chaque perle successive parmi 40 : cela ferait 4010 chaînes possibles de dix éléments, soit (Les bactéries Bacillus brevis synthétisent bien la gramicidine A, un antibiotique, avec une alternance de résidus droits et gauches. Toutefois, bien que courts, les colliers requièrent une machinerie enzymatique très complexe.) Au contraire, si nous n’utilisons que des perles homochirales (en l’occurence que des mains gauches), le nombre d’arrangements possibles est divisé par 2”. Pour une enzyme de 100 acides aminés, le nombre d’arrangements est divisé par 1030. Cette réduction est considérable : les erreurs de choix seront moins probables, et la transcription par la machinerie cellulaire plus fidèle. D’où l’utilité d’une vie homochirale. Toutefois, à notre connaissance, rien n’impose le sens gauche des acides aminés. Une vie utilisant exclusivement les acides aminés droits est parfaitement envisageable. Deux vies concurrentes, images l’une de l’autre dans un miroir, se sont peut-être développées sur la Terre primitive, la nôtre finissant par l’emporter. Cependant, il n’existe aucune signature fossile connue de cette vie << dans un miroir >> qui aurait eu le dessous dans la compétition primitive ; elle aurait disparu sans laisser de trace.
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L‘origine de l‘homoc hiralité Peut-être une cause physique a-t-elle imposé l’asymétrie moléculaire primordiale. Laquelle ? Voici les indices que l’on a collectés à ce sujet. Les champs électriques, magnétiques et gravitationnels sont connus pour engendrer des forces chirales. Pasteur tenta, sans succès, de réaliser des synthèses asymétriques à l’aide de telles forces. Les conditions physiques nécessaires, établies par Pierre Curie, puis par PierreGilles de Gennes, sont difficiles à satisfaire expérimentalement, si h e n que les réactions menées en laboratoire n’ont pas donné de rksultats reproductibles. Seule la possibilité d’induire un effet chiral en soumettant une réaction chimique à un champ magnétique élevé a été confirmée expérimentalement à Grenoble, au Laboratcire des champs magnétiques intenses. Sous un champ magnétique intense (7’5 teslas, soit 100 O00 fois la valeur du champ magnétique terrestre)) un complexe chiral du chrome s’est formé avec un excès dans un sens de l’ordre de un millième. La forme chirale opposée est apparue en quantité équivalente quand les chercheurs ont inversé la direction du champ magnétique. I1 faut peut-être rechercher l’origine de l’asymétrie biologique du côté de la force nucléaire faible, force physique asymétrique qui s’exerce au sein du noyau des atomes. Celle-ci affecte l’un des constituants fondamentaux de la matière : l’électron. Cependant, l’avantage énergétique que cette asymétrie fondamentale confèrerait aux acides amintis gauches ne serait que de 10-14 joule par mole ou une molécule sur 1017.Est-ce suffisant ? Peut-être : selon un modèle théorique, cet avantage devrait conduire à un enrichissement de 98 pour cent en acides aminés gauches en à peine 15 O00 ans dans un lac de un kilomètre de diamètre et de quatre mètres de profondeur. Ces calculs intègrent la racémisation des acides aminés, c’est-à-dire la transformation spontanée d’une forme donnée en un mélange des formes gauches et droites. Toutefois ce modèle théorique est assez contesté.
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I1 y a une vingtaine d’années, des travaux ont suivi une autre voie : sous des rayonnements y (photons de haute énergie), les formes droites de certains acides aminés (phénylalanine et leucine) se sont décomposées 2,7 fois plus rapidement que les formes gauches. Ces différences de réactivité résulteraient précisément de l’asymétrie de la force nucléaire faible, amplifiée par le rayonnement y. Cependant la théorie ne rend pas bien compte des résultats expérimentaux, et il reste encore de belles années de recherche devant nous pour résoudre cette question.
La lumière sera faite Dautres chimistes ont étudié les effets de la lumière polarisée circulairement sur la synthèse d’acides aminés: Henri Kagan, à l’université de Paris-Sud à Orsay, a montré que ce type de lumière dégrade sélectivement une forme droite ou gauche, ou induit des synthèses de molécules asymétriques. Existe-t-il de telles sources de lumière dans la Nature ? Au lever et au coucher du soleil, le rayonnement solaire traverse une épaisse couche d’aérosols,qui le polarise circulairement à 0,l pour cent : la composante droite est en excès le matin et la composante gauche en excès le soir. Si on fait la moyenne dans le temps et l’espace, l’effet global est nul, Cependant, imaginons une mare exposée à l’est, donc à la lumière polarisée droite : le rayonnement lumineux pourrait décomposer de préférence les acides aminés droits et permettre ainsi l’accumulation des acides aminés gauches. Notons toutefois que les rendements de ces réactions photochimiques sont faibles, même sous des rayonnements fortement polarisés. En revanche, il existe dans l’espace des sources de rayonnement polarisé circulairement : les étoiles à neutrons, vestiges de supernovae. On a également découvert, en 1998, un rayonnement infrarouge fortement polarisé dans un nuage moléculaire de la nébuleuse d’Orion, le nuage OMC-1. Partant de cette observation, on peut imaginer que le système solaire en formation a été exposé à une forte polarisation circulaire, due à la diffraction du nuage de
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poussières. Une polarisation à des longueurs d’onde plus courtes aurait pu dfitruire les acides aminés droits et seuls les acides aminés gauches auraient été déposés à la surface de la Terre par les météorites, les comètes ou les grains interplanétaires. Cela suppose l’existence d’une source unique d’acides aminés : l’espace. Nous y reviendronh plus loin.
L‘asymétrie utile à la fonction des protéines Si l’asymétrie originelle était infime, il a fallu qu’elle soit amplifiée pour s’imposer totalement et définitivement. Par quel processus ? L‘homochiralité a peut-être été amplifiée par des minéraux avant l’apparition de la vie. Le cristal de quartz, par exemple, existe sous deux formes symétriques, droite et gauche. Si le quartz gauche avait été largement majoritaire sur la Terre, il aurait pu orienter la chimie prébiotique et être à l’origine de l’homochiralité des protéines. On sait, par exemple, que le quartz gauche peut fixer à sa surface les acides aminés gauches avec une préférence par rapport aux acides amin& droits pouvant aller jusqu’à 20 pour cent. Cependant, l’examen attentif de 27 O00 échantillons de quartz collectés de par le monde ne révèle aucun excès de l’une des deux formes. Qu’en est-il des argiles ? Les plus courantes d’entre elles, comme la kaolinite et la montmorillonite, ne possèdent aucune asymétrie connue associée à leur structure cristalline. Elles ne devraient donc pas présenter d’interactions sélectives avec les molécules asymétriques. Pourtant, la littérature scientifique abonde d’articles relatant des polymérisations de molécules asymétriques obtenues en présence d’argiles. Hélas, aucune de ces expériences n’a résisté à l’épreuve de la contre-expertise. Plus convaincante est l’hypothèse d’une amplification lors de l’assemblage des acides aminés en chaînes structurées (uoir la figure 40).En effet, sur certaines portions de la chaîne, les polypeptides et les protéines s’entortillent en hélices, dites alpha ou a ;
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UNEVIE ASYMÉTRIQUE c’est le cas de la kératine, protéine structurale présente dans nos cheveux. Or ces hélices tournent toutes dans le même sens : ce sont des hélices droites. D’autres portions polypeptidiques exhibent des structures plissées, appelées feuillets béta ou p. Dans la fibroïne, une protéine de la soie, les chaînes sont plissées comme un accordéon et accolées parallèlement les unes aux autres par des liaisons hydrogène. Cette disposition rend la protéine dense et solide, et la soie douce.
40. La protéine est une très longue molécule, dont certaines portions se structurent en feuillets plissés (a) ou en hélices (b).
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En coim de croissance, une hélice droite marque une préférence nette pour les acides aminés gauches. L‘Américain William Bonner, à l‘université de Stanford, a étudié la polymérisation d’un mélange d’acides aminés renfermant 66 pour cent de formes gauches. Au dé but de la réaction, l’excès d’acides aminés gauches favorise la formation d’hélices droites, et les acides aminés gauches sont incorporés préférentiellement. À mi-course, les hélices renferment 73 pour cerit d’acides aminés gauches. En outre, les hélices homochirales sont légèrement plus stables dans l’eau que leurs homologues hétérochirales ; celles qui subsistent après dégradation chimique renferment jusqu’à 78 pour cent de formes gauches. En deux étapes, W. Bonner passe ainsi de 66 à 78 pour cent de formes gauches. La sélection de l’homochiralité est encore plus catégorique au cours de la formation des feuillets p, structures particulièrement résistantes ii la dégradation chimique. Ces feuillets sont faciles à reconstituer en laboratoire, à partir de seulement deux types d’acides aminés, l’un fortement hydrophile et électriquement chargé, l’autre fortement hydrophobe. L‘alternance des acides aminés hydrophiles et hydrophobes conduit à l’apparition de feuillets p dans l’eau. Toutefois, les feuillets p ne se forment que si tous les acides aminés ont la même chiralité ; ils doivent être tous gauches ou tous droits. Quand des acides aminés droits sont introduits dans des chaînes composées d’acides aminés gauches, la proportion de feuillets diminue au profit de brins désordonnés, bien moins stables. Seuls les segments homochiraux à sept acides aminés ou plus s’associent pour former des îlots de feuillets p. En partant d’un polypeptide à 77 pour cent d’acides aminés gauches, on obtient 84 pour cent de formes gauches après dégradation sélective des brins hétérochiraux de l’échantillon. La nécessité d’avoir un mélange homochiral pour obtenir des chaînes pep1 idiques structurées renforce notre sentiment que la vie ne peut être racémique (un mélange des versions droites et gauches
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UNE VIE ASYMÉTRIQUE
des biomolécules). De nombreuses chaînes d’acides aminés, les peptides, présentent une activité catalytique nécessaire au fonctionnement de la cellule. La longueur minimale requise pour que l’activité catalytique se manifeste est de dix acides aminés, ce qui est peu. Or la géométrie du peptide détermine son activité. C’est ainsi qu’un polypeptide alterné racémique, qui renferme autant d’acides aminés droits que gauches et qui, de ce fait, ne peut adopter la structure en feuillets p, n’exerce aucune activité catalytique. En enrichissant progressivement le peptide en acides aminés gauches, la proportion de feuillets p s’accroît et on observe une augmentation concomitante de l’activité catalytique. Et c’est précisément cette activité catalytique qui favorise la vie, en permettant aux systèmes chimiques de faire << plus de soimême par soi-même ».
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Faites passer l‘info
...
Pour faire cc plus de soi-même par soi-même »,il faut pouvoir communiquer à ses descendants les plans de fonctionnement de son organisme, notamment la synthèse des protéines (l’ordre dans lequel on enfile les perles). C’est ce que l’on appelle l’information génétique. Depuis Gregor Mendel et ses expériences sur les petits pois (1865), on sait que les caractères se transmettent d’une génération à une autre, et se répartissent en suivant des lois statistiques précises. En étudiant l’hérédité chez la mouche du vinaigre, la drosophile, l’Américain Thomas Hunt Morgan a compris, en 1910, que ces caractères étaient contenus dans les gènes, portés par les chromosomes et présents au sein de la cellule. La division cellulaire qui permet la reproduction est toujours précédée de la duplication des chromosomes. Dans la reproduction sexuée, les chromosomes des cellules sexuelles du père et de la mère sont mélangés, ce qui confirme les lois statistiques que Mendel avaient observées. Parallèlement à l’établissement des lois génétiques, à la fin du X I X ~siècle, les chimistes ont déterminé la composition du noyau cellulaire, et notamment de substances acides, riches en phosphore, qu’ils nomment acides nucléiques (<
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le prix Nohel de médecine et de physiologie e n 1910, détermina la présence dans les acides nucléiques de composés organiques cycliques, dénommés bases azotées. Celles-ci sont de deux sortes : pyrimidiques ou puriques (voir la figure 41). Les pyrimidines, ou bases pyrimidiques, comme la cytosine, la thymine et l’uracile, ont une structure cyclique formée de quatre atomes de carbone et deux atomes d’azote. Les purines, ou bases puriques, comme l’adénine (que nous wons déjà rencontrée dans l’expérience de Miller) et la guanine, orit deux cycles accolés contenant cinq atomes de carbone et quatre d’azote. Les atomes d’azote de ces molécules tendent à accaparer des protons dissous dans l’eau, ce qui explique qu’on les dénomme <: bases azotées ». Dix ans plus tard, Kossel détecta dans les acides nucléiques la présence d’un sucre, un pentose (cycle de cinq atomes). Ce sucre sera caractérisé en 1908 par une équipe américaine de l’Institut Rockefeller et sera baptisé ribose (<<-ose >> pour le sucre, et << rib- >> pour Rockefeller lnstitute for Biochemistry).
41. Cinq bases azotées apparaissent dans les acides nucléiques (ADN et ARN), que l’on classe dans deux catégories : les pyrimidines, cycles simples, et les purines, cycles doubles.
De leur côté, les études génétiques précisèrent que les acides nucléiques, si bien étudiés par les chimistes au tournant du siècle, portaient bien les gènes. Cependant, il fallut attendre de longues
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FAITES PASSER L‘INFO...
années pour comprendre leur structure moléculaire : celle-ci a été révélée par Francis Crick et James Watson, en 1953 (année fertile, puisque c’est également l’année de l’expérience de Miller). Les acides nucléiques sont de longues chaînes, constituées d’un squelette sucre-phosphate, auquel s’accrochent les bases azotées (voir la figure 42). On peut se représenter un acide nucléique comme un collier de perles, chaque perle (ou nucléotide) étant composée d’un groupe phosphate, d’un sucre (le ribose pour l’ARN, le désoxyribose pour l’ADN) et d’une base, soit purine (adénine ou guanine) soit pyrimidine (thymine, uracile ou cytosine).
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42. La molécule d’ADN est construite sur un squelette sucre-phosphate, sur
lequel se placent les quatre bases azotées, thymine, adénine, cytosine et guanine, selon une séquence qui code les caractères héréditaires.
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L‘ARIù forme une chaîne qui s’entortille comme le fil de votre téléphone. Pour l’ADN, deux brins s’enroulent comme un escalier en colimaçon : les bases azotées se font face à l’intérieur, telles les marches de l’escalier, alors que les deux squelettes sucre-phosphate forment les bordures extérieures (voir la figure 43). Les bases s’apparient par des liaisons hydrogène selon une loi de correspondance stricte : l’adénine (A) avec la thymine (T),et la guanine (G) avec la cytosine (C).Dans l’ARN, l’uracile remplace la thymine, mais, à part ce changement, les règles d’appariement restent les mêmes.
43. Structure en double hélice de l’ADN. Les bases s’apparient à l’intérieur de la spirale, selon une règle immuable.
Pour être dupliquée, la double hélice d’ADN doit s’ouvrir et se désenrouler. Des enzymes spécialisées aident à réaliser toutes les étapes du désenroulement et de la duplication de l’ADN. L‘ADN permet aussi de produire des brins simples d’ARN, qui servent à leur tour de patron pour produire des protéines : selon un code précis, la
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FAITES PASSER L'INFO.. .
succession de nucléotides d'ARN correspond à une succession d'acides aminés dans une protéine (voir la figure 44).
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GAG 44. La séquence de I'ARN messager sera traduite en une séquence d'acides aminés des protéines : chaque codon, un (( mot )) de trois lettres (une lettre désignant une des bases : uracile, cytosine, adénine ou guanine), correspond à un acide aminé (désigné ici par son abréviation, introduite sur la figure 26).
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Les premières synthèses Comment les acides nucléiques se sont-ils formés sur la Terre primitive ? À partir de quelles matières premières ? Le phosphore du groupe phosphate est présent dans les roches ignées terrestres sous forme de fluoroapatite (un fluorophosphate de calcium) qui représente 0,6 pour cent de la masse minérale totale. La fluoroapatite n’est pratiquement pas soluble dans l’eau à pH neutre, mais elle le devient en présence d’un diacide tel que l’acide oxalique
N HOOC-COOH). Dès 1960, à l’Université de Houston, le chercheur américain Juan Oro a synthétisé une base purine, l’adénine, en laissant réagir du cyanure d‘ammonium dans l’eau. I1 obtint ensuite l’autre base purique, la guanine, par des réactions semblables. Les bases puriques sont aussi obtenues à partir d’un mélange gazeux de méthane (CH,), d’6thane (C,H,) et d’ammoniac (NH,) soumis à des décharges Zlectriques. Toutefois, les rendements de synthèse sont faibles. Signalons aussi qu’aucune synthèse de pyrimidines à l’aide de décharges électriques n’a été décrite à ce jour. On a aussi cherché à synthétiser les sucres des acides nucléiques, ribose et désoxyribose. En faisant réagir du formaldéhyde (H,CO), on obtient un mélange complexe de sucres. Malheureusement, le sucre recherché (le ribose) y est très minoritaire. I1 faut ensuite que le ribose se lie à une base azotée. O n peut obtenir une telle combinaison en chauffant un mélange de ribose et de purine (adénine ou guanine) à l’état solide, mais les rendements sont de l’or’drede quelques pour cent. Autre difficulté : la base se lie en p1usieur:i endroits du sucre, sans préférence marquée pour la liaison caractkristique des acides nucléiques. Un problème similaire affecte la fixation du groupe phosphate à l’ensemble : on chauffe le mélange, le groupe phosphate se fixe alors sur le ribose, mais sans aucune spécificité. Supposons que nous ayons tout de même réussi à synthétiser des nucléotides, chacun constitué d’un groupe phosphate, lié au 92
FAITES PASSER L‘INFO.. .
sucre, lié à une base. Nous ne sommes pas au bout de nos peines : il faut ensuite enchaîner ces nucléotides. Cette opération requiert l’élimination d’une molécule d’eau entre le groupe phosphate d’un nucléotide et le sucre d’un autre : c’est ce que l’on appelle la condensation. Comment faire ? Le chimiste américain James Ferris a découvert une argile qui catalyse efficacement la condensation des nucléotides. Nous retrouvons ici un nouvel indice du rôle des minéraux dans l’apparition de la vie.
La copie des acides nucléiques Outre la synthèse, il a fallu vérifier la possibilité d’une réplication d’un acide nucléique sans l’assistance des enzymes. La réplication chimique a été étudiée d’une manière intensive par le chimiste Leslie Orgel. Celui-ci a réussi à former une double hélice à partir d’une succession de cytosines (C), qui lui servit de matrice. Ces bases pyrimidiques sélectionnent des bases complémentaires puriques, les guanines (G). Dans un premier temps, les bases G s’apparient aux bases C, et doublent l’hélice d’origine. Puis les G voisins se lient les uns aux autres, par des réactions de condensation le long de la chaîne (voir la figure 45).
45. Formation d’une double hélice à partir d’un simple brin : Les cytosines (C) de la matrice attirent à elles des guanines (G), qui se lient entre elles en un nouveau brin (en bas).
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La réplication chimique, non enzymatique, est donc possible. Néanmoins elle se heurte encore à des difficultés. L‘une d’elles tient au fait que la réaction est hautement spécifique : on ne sait condenser que des bases G (purines), complémentaires des C (pyrimidines), car seules les matrices à pyrimidines sont capables de diriger la synthèse de nucléotides. Plus précisément, l’effet de matrice ne s’exerce qu’à partir d’une matrice préformée renfermant au moins 60 pour cent de pyrimidine. De ce fait, les chaînes filles, constituées majoritairement de purines complémentaires, sont stériles. Une autre difficulté est liée à la question de l’asymétrie. Dans les expériences de réplication chimique, la matrice est constituée de sucres droits et les nucléotides activés sont également droits. Quand on alimente la matrice droite avec des nucléotides gauches, la condensation est peu efficace. En présentant à la matrice un mélange racémique renfermant autant de nucléotides droits que de nucléotides gauches, on observe une inhibition presque totale de la réaction. La réplication chimique ne se développe qu’avec des molécules déjà triées, situation peu plausible sur la Terre primitive, d’après ce qu’on sait.
L’œuf e t la poule Faut-il chercher à tout prix à reproduire des acides nucléiques comme première étape de l’apparition de la vie 1 La réponse est loin d’être évidente puisque, dans les cellules actuelles, les acides nucléiques ne peuvent ni se répliquer ni commander la synthèse de protéines sans l’aide des enzymes. On se retrouve alors devant le problème de l’axf et de la poule : la synthèse des protéines nécessite des acides nucléiques, mais la synthèse des acides nucléiques nécessite des protéines. Dans les années 1980, le biologiste américain Thomas Cech découvrit que certains ARN étaient capables non seulement de véhiculer l’information mais aussi d’exercer une activité catalytique, à l’iristar des enzymes protéiques. C’est le cas du ribozyme, molécule d’ARN présente dans le ribosome, organite qui assemble
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FAITES PASSER L‘INFO..
les protéines au sein de la cellule. Les travaux remarquables menés par les équipes des biologistes américains Gerald Joyce et Jack Szostak ont permis d’isoler des ribozymes mimant, ou presque, les enzymes protéiques. Un brin d’ARN seul, sans l’intervention d’une quelconque protéine, catalyse la formation de la liaison peptidique, étape clé de la biosynthèse des protéines. Ces observations ont suggéré l’idée que 1’ARN serait plus ancien et plus primitif que l’ADN : un monde prébiotique constitué d’ARN aurait été le berceau de la vie sur la Terre. Reste maintenant à expliquer la formation prébiotique de 1’ARN. I1 est raisonnable de penser que l’émergence du monde de 1’ARN a été préparé par des systèmes catalytiques, qui restent à découvrir. I1 faut même peut-être envisager un stade antérieur, où des molécules plus faciles à former se répliquent elles-mêmes. Les chimistes ont alors cherché à exploiter des analogues des acides nucléiques biologiques. Le Suisse Albert Eschenmoser a montré que le phosphate de glycolaldéhyde (CHO-CH,O-PO,H,), en présence de formaldéhyde (H,CO), conduit à un sucre ribopyranose, constitué d’un cycle de six atomes. On ignore encore si ces nucléotides à pyranose sont aptes à enregistrer et à transférer l’information d’une séquence, comme le font les nucléotides biologiques. D’autres composés, possibles précurseurs de l’ADN et de l’ARN, sont étudiés en laboratoire. Ce champ de recherche apportera une pièce maîtresse du puzzle. En résumé, les acides nucléiques sont de longs colliers de perles, dont la séquence renferme l’information génétique, notamment le code de fabrication des protéines. Chaque perle comporte un sucre, un groupe phosphate et une base azotée, liés en des sites spécifiques. Les chimistes ne savent pas encore synthétiser les acides nucléiques dans des conditions proches de celles de la Terre primitive. Ils cherchent des composés plus simples, capables de se répliquer eux-mêmes, qui auraient été les précurseurs de nos ADN et ARN.
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La vie venue de l‘espace ?
À la question
d’où vient la vie? », certains scientifiques répondent : << De l’espace. >> Cette alternative à la théorie de la génération spontanée est apparue très tôt dans l’histoire des idées. Dès le ve siècle avant notre ère, le philosophe et astronome Anaxagore de Clazomènes pense que chaque parcelle de matière de l’Univers contient des traces de vie et pourrait ensemencer les planètes. L‘idée que la vie existe ailleurs que sur la Terre trouvera des adeptes enthousiastes durant plus de deux millénaires et arrivera jusqu’à nous. En 1865, après la défaite définitive de la théorie de la génération spontanée, le médecin allemand Hermann Richter affirma que des germes de micro-organismes auraient ensemencé notre planète, par le biais des météorites. I1 dénommait ces micro-organismes << cosmozoaires »,ce qui signifie << animaux du cosmos ».En 1906, le chimiste suédois et prix Nobel Svante Arrhenius développa cette idée en précisant que la vie serait transportée dans l’espace sous la forme de spores. I1 désignait sa théorie par le terme panspermie (du grec pan, << partout »,et sperma, << graine .). Toutefois, ces diverses hypothèses ne répondent toujours pas à la question fondamentale << comment naît la vie ? ». I1 faut bien <<
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
supposer une évolution chimique de la matière inerte à la matière vivante, que celle-ci ait eu lieu sur la Terre ou dans l’espace. Cela nous amène à troquer nos microscopes et tubes à essai pour des télescopes et autres sondes spatiales.
La chimie interstellaire Dans les années 1960, les radioastronomes ont découvert une chimie organique particulièrement active dans les nuages denses de gaz et de poussières interstellaires, bien que les molécules y soient très diluées et que la température y soit très basse, de - 269 “C (quatre kelvins). Aux températures du milieu interstellaire, les atomes et les molécules bougent peu et se rencontrent rarement. De temps à autre, la lumière ultraviolette d’étoiles éloignées arrache des électrons tux atomes les plus abondants, l’hydrogène. Celui-ci est alors disponible sous la forme d’un proton H’, et sera éventuellement attiré par des molécules qui présentent une petite charge négative. Autour des étoiles, les éléments oxygène et carbone se combinent principalement en monoxyde de carbone (CO). Dans les régions oii le carbone est plus abondant que l’oxygène, il se condense en grains microscopiques de carbone pur, sous forme de graphite ec de diamant, ou d’associations de carbone et d’hydrogène, que l’on appelle hydrocarbures. Dans les régions où l’oxygène est en excPs par rapport au carbone, il oxyde ses voisins : il forme de l’eau (H,C)), de la silice (SiO,) et des oxydes de métaux, notamment des oxydes de fer. I1 arrive que silice et oxydes de métaux se combinent en silicates (argiles, feldspaths, etc.). Les oxydes de métaux et les silicates forment de minuscules grains solides, d’environ 0,l micromètre (millième de millimètre) de diamètre. Ces grains peuvent servir de supports pour d’autres molécules, comme des molécules d’eau : ils se recouvrent alors de givre. Dans ce milieu de basse pression et de basse température, les mariages entre atomes sont rares, mais les grains microscopiques de carbone et de silicates,
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LA VIE VENUE DE L‘ESPACE ?
recouverts de givre, peuvent servir de clubs de rencontre : des espèces chimiques se collent à leur surface puis diffusent lentement jusqu’à ce qu’elles croisent un partenaire avec lequel elles peuvent réagir et former des molécules. Au total, divers types de molécules apparaissent dans cet environnement. Par rapport à l’atome d’hydrogène, de loin le plus abondant, on trouve dix parties par million d’oxyde de carbone CO, d’azote N,, d’eau H,O, de formaldéhyde H,CO, une partie par million d’acide cyanhydrique HCN, d’ammoniac NH,, de dioxyde de carbone CO,, de méthanol CH,OH. Ces molécules sont réactives chimiquement, car elles ont emmagasiné une partie de l’énergie reçue dans leurs liaisons chimiques multiples (liaison double pour le formaldéhyde, triple pour l’acide cyanhydrique). Quatre-vingt-trois molécules contenant du carbone ont été identifiées à ce jour dans l’espace interstellaire.
Oh, la belle chevelure ! C’est par une chimie similaire que se sont formées les molécules organiques cométaires. Les observations conduites depuis la Terre ont permis la détection d’acide cyanhydrique et de formaldéhyde dans la chevelure des comètes. En 1986, à partir des analyses faites à bord des deux sondes russes Véga 1 et Véga 2, de la sonde européenne Giotto et des deux sondes japonaises Suisei et Sakigake, on a montré que la comète de Halley est riche en matériau organique, le taux moyen en poids de carbone présent dans les grains cométaires étant estimé à 14 pour cent. Parmi les molécules identifiées, on retrouve l’acide cyanhydrique et le formaldéhyde. Ces composés, ainsi que d’autres molécules antérieures à l’apparition de la vie, ont été observés plus récemment dans les comètes Hyakutake, en 1996, et Hale-Bopp, en 1997. Nous savons que les comètes se déplacent sur des orbites instables et succombent parfois au champ gravitationnel d’une planète. La collision de la comète Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter en juillet 1994
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
en est un exemple. Ce genre de collision était plus fréquent il y a quatre milliards d’années. En percutant la Terre, les comètes ont pu fournir une part:ie des molécules carbonées et une fraction importante de l’eau terresrre, de l’ordre de 35 pour cent selon des estimations fondées sur la mesure des teneurs en hydrogène et en deutérium. I1 n’existe que peu d’analyses directes de la matière carbonée des comètes. En particulier, nous ne connaissons pas la chimie qui se développe à la surface du noyau cométaire. Nous comptons sur la prochaine mission européenne, Rosetta, qui étudiera l’environnement d’une comète en restant dans son sillage pendant plusieurs mois, puis y posera une sonde pour analyser sa surface et la glace sous-jacent e. En attendant, au début de l’année 2002, des chimistes de deux laboratoires européens (Centre de biophysique moléculaire du CNRS, à Orléans, en France et Laboratoire d’astrophysique de Leyde, aux Pays-Bas) ont recréé les conditions qui règnent dans le milieu interstellaire avant la formation d’une étoile. Leur but était de vérifier si ces conditions pouvaient être favorables à la synthèse des briques de la vie : acides aminés et nucléotides. Dans une enceinte ou règnent un vide poussé et une température de - 261 O C , les chercheurs ont placé un mélange gelé d’eau, de méthane, d’éthanol, de monoxyde de carbone et de gaz carbonique. Ils l’ont alors irradié à l’aide d’une lampe à ultraviolets jouant le rôle d’une étoile voisine, mais d’une puissance bien supérieure à celle de l’astre, afin de déclencher les réactions qui ont pu prendre en réalité des milliers ou des millions d’années à l’aube de notre planète. Ils ont obtenu 16 acides aminés, dont 6 sont des constituants des protéines : la glycine, l’alanine, l’acide aspartique, la valine, la proline et la sérine. Toutes ces molécules ont été produites dans un mélange racémique, où les formes gauches côtoient les formes droites en nombre égal. Ce dernier point prouve que les acides aminés obtenus ne proviennent pas d une contamination par des molécules du laboratoire.
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Les météorites Les molécules organiques extraterrestres peuvent-elles arriver sans encombre à la surface de la Terre ? On suppose que leur moyen de transport le plus commun serait les météorites. Depuis le X V I I I ~siècle, on sait que les pierres qui << tombent du ciel >> ont une origine extraterrestre, et on s’applique à les classer. La plupart d’entre elles (92 pour cent) sont dites pierreuses, les autres étant ferreuses ou ferropierreuses. Les météorites pierreuses sont principalement constituées de silicates, cristaux formés d’atomes de silicium entourés de quatre atomes d’oxygène. Parmi ces météorites pierreuses, on distingue les chondrites des achondrites, selon qu’elles contiennent ou non des chondres, sphérules des silicates qui ont été portés à des températures élevées. Pratiquement toutes ces météorites contiennent du carbone, mais la plupart du temps sous forme inorganique. Une famille de météorites carbonées intéresse particulièrement les chimistes à la recherche de l’origine de la vie : les chondrites carbonées. Comme la plupart des météorites, elles ont le même âge que la Terre et le système solaire, mais surtout elles ont la même composition que les couches externes du Soleil, exceptés les gaz et les éléments volatils. Elles sont donc considérées comme les résidus du système solaire primitif. Une célèbre chondrite carbonée tomba à Orgueil le 14 mai 1864. C’est le jeune chimiste Marcelin Berthelot qui l’analysa et détermina sa composition << charbonneuse >> : il détecta une importante proportion d’hydrocarbures
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liques, acides aminés, cycles azotés, amines, amides, alcools, etc. Près de 500 composés organiques différents ont été identifiés. Ces composés rie proviennent pas d’une éventuelle contamination terrestre de l’échantillon analysé, puisqu’on y trouve des acides aminés non utilisés par les protéines, rares sur la Terre. Les acides aminés de structure simple sont d’ailleurs les plus abondants dans ce messager spatial ; ils se situent peut-être au début de la chaîne d’évolution chimique qui rendrait quelques molécules de base plus complexes et mènerait a ~ acides x aminés biologiques. La mitéorite carbonée de Murchison renferme plus de 70 acides aminés différents. Au nombre de ceux-ci, seulement huit acides aminés Som utilisés par les protéines. Ces acides aminés sont chiraux, et les deux formes spéculaires sont généralement présentes en parties égales. Dans un échantillon de la météorite de Murchison, John Cronin, de l’université de l’Arizona, aux États-Unis, a toutefois décelé un excès de la forme gauche des acides aminés non protéiques. Par exemple, l’isovaline, l’a-méthyl norvaline et l’a-méthyl isoleucine renferment 54,5 pour cent de forme gauche et 4 5 3 pour cent de forme droite. Cette observation suggère une synthèse asymétrique des acides aminés extraterrestres, peut-être sous l’effet d’un rayonnement polarisé (voir le chpitre 5). La quantité d’apports possibles de molécules organiques extraterrestres sur notre planète est loin d’être négligeable. On a trouvé dans les m6téorites des bases puriques et pyrimidiques, composants des acides nucléiques. Les météorites auraient même pu aider à la formation des polyphosphates, grâce à la chloroapatite, le phosphate minéral le plus abondant dans les météorites.
Les micrométéorites Outre les météorites, les briques du vivant peuvent emprunter des véhicules plus légers. Après les collectes de poussières interplanétaires tant au-dessus de l’atmosphère terrestre que dans les glaces du Groenland et de l’Antarctique, le chercheur français Michel
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Maurette, du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse d’Orsay, a évalué à environ 20 O00 tonnes la quantité de grains interplanétaires accrétés chaque année par la Terre. Environ 99 pour cent de cette masse sont apportés par des micrométéorites, dont le diamètre est compris entre 50 et 500 micromètres. Cet apport est 200 fois plus important que celui des météorites, estimé à environ 100 tonnes par an. En revanche, l’apport des particules de poussières interplanétaires, inférieures à un micromètre, collectées dans la stratosphère, est négligeable : elles représentent moins de un pour cent de la masse des micrométéorites. Les micrométéorites sont apparentées aux chondrites carbonées mais s’en distinguent par plusieurs aspects. Elles semblent être d’origine cornétaire, ce qui n’est le cas d’aucune météorite connue. Une analyse détaillée des teneurs en carbone (deux pour cent de la masse totale, en moyenne) de différents groupes de micrométéorites permet d’estimer à 130 tonnes par an le flux total de carbone apporté à la Terre. La quantité fournie à la planète pendant la phase active du bombardement terrestre, entre - 4,2 et - 3,8 milliards d’années, quand le flux de micrométéorites était probablement 1 O00 fois plus intense qu’aujourd’hui, est estimée à los milliards de tonnes. Cette valeur représente 100 O00 fois la valeur actuelle du carbone biologique recyclé à la surface de la Terre. Comme les météorites carbonées, les micrométéorites contiennent des hydrocarbures aromatiques. Les micrométéorites apparaissent donc comme une source abondante de matière organique extraterrestre apportée à la Terre primitive. Environ 80 pour cent d’entre elles se présentent comme des agrégats complexes. Une simple micrométéorite de 100 micromètres est composée de millions de petits grains minéraux, enchâssés dans la matière organique. Ces grains renferment une forte proportion de sulfures métalliques, d’oxydes, d’argiles, qui sont autant de catalyseurs chimiques potentiels. D’autre part, les micrométéorites sont encapsulées dans une fine gaine de magnétite (un oxyde de fer),
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acquise vraisemblablement lors de l’entrée dans 1’atmosphère:Cette croûte augmente la stabilité mécanique des grains et confine les constituants des micrométéorites. Au sol, la gaine devient perméable, et les molécules d’eau diffusent lentement à l’intérieur, permettant à la matière organique des grains de se transformer, en incubation. Cette hypothèse <:st en cours de vérification en laboratoire.
Cosmonautes miniatures Pour vérifier la pertinence d’une importation d’acides aminés extraterresi:res, Bernard Barbier, du Centre de biophysique moléculaire d’Orl(ians, a exposé des acides aminés protéiques aux conditions de l’espace en orbite terrestre, au cours des expériences Biopan 1 et Biopan 2. Pendant deux semaines, à bord des capsules spatiales automatiques russes Foton, des acides aminés de forme gauche ont été soumis aux conditions de l’espace, d’une part à l’état libre donc exposés aux ultraviolets et d’autre part protégés des ultraviolets au sein de minéraux poreux (argiles) mimant la fraction minérale des micrométéorites (voir la figure 46). Les analyses effectuées après les vols révèlent de nettes différences de comportement entre les échantillons exposés aux ultraviolets et les échantillons non exp0si.s. Ainsi, un déficit significatif a été observé pour certains acides aminés exposés sans protection minérale. Ces déficits sont nettement moindres lorsque les échantillons sont associés à des argiles. Un troisième vol s’est déroulé en 1999 à bord de la station Mir. Pour cette mission, diverses protections minérales ont été utilisées, à différentes épaisseurs : une argile, une poudre de basalte et une poudre de météorite. Après trois mois en orbite terrestre, les acides aminés oni- été détruits à hauteur de 50 pour cent en l’absence de protection minérale. À épaisseur égale, c’est la poudre de météorite qui a présenté le meilleur pouvoir protecteur. La poudre météoritique protige efficacement à partir d’une épaisseur de cinq micromètres. En d’autres termes, toute micrométéorite de taille
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LA VIE VENUE DE L‘ESPACE ?
46. À bord de la capsule spatiale russe ïoton, un module Biopan a emporté des acides aminés dans l’espace.
supérieure à cinq micromètres est capable de transporter des acides aminés dans l’espace. La transformation d’acides aminés gauches en acides aminés droits n’a pas été observée au cours de ces expositions. Toutefois, ces expériences sont trop courtes comparées au séjour des météorites et des micrométéorites dans l’espace. Que penser alors des théories qui proposent carrément, comme Richter et Arrhenius en leur temps, une colonisation de la Terre par des micro-organismes, bactéries ou virus, transportés par des comètes ? La migration interplanétaire de bactéries contribuerait, elle aussi, à la dispersion de la vie dans l’univers. Bien qu’il soit difficile de prouver que des bactéries migrent effectivement d’une planète à une autre, on peut néanmoins essayer d’estimer les chances de survie au cours des trois étapes clés du processus. Ces étapes sont (1) l’évasion de la planète mère, (2) le voyage dans l’espace, (3) l’entrée dans l’atmosphère terrestre et l’arrivée au sol. Les météorites lunaires et les météorites SNC (initiales de leurs trois représentants principaux : Shergotty, Nakhla et Chassigny), qui sont probablement d’origine martienne (eioir le chapitre 13)’ prouvent que l’expulsion de roches planétaires est possible. Des expériences de laboratoire simulant les accélérations subies au moment de l’évasion et les impacts provoqués au moment de << l’atterrissage >> ont montré que les spores bactériennes supportent ces traitements de choc.
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Pour ktudier la survie des bactéries dans l’espace, divers types de microorganismes (spores bactériennes et spores de champignons), niais aussi des virus et des molécules biologiques, ont été exposés dans l’espace à bord des satellites Gemini, Aj~ollo,Spacelab, Long-Duration Exposure Facility (LDEF), Foton et Eureca. A priori, l’espace apparaît comme un milieu hostile, en raison du vide poussé, des rayonnements solaires et cosmiques et des températures extrêmes. Les expériences spatiales ont montré que certains micro-organismes résistent bien au vide de l’espace, à condition qu’ils soient protégés des ultraviolets. Les spores de Bacillus subtilis ainsi préservés ont survécu pendant six ans dans l’espace. Les autres rayonnements dé1ét:ères dans le système solaire sont composés d’électrons, de particules alpha et d’ions lourds cosmiques. Ces derniers sont les plus dangereux et limitent la durée de survie d’une bactérie dans l’espace. La durée de vie maximale dont dispose une bactérie avant d’être frappée et anéantie par une particule a été estimée à un million d’années. Durant leur voyage spatial, les bactéries ont aussi à affronter le froid de l’espace, - 269 O C . En fait, les expériences simulant les conditions du milieu interstellaire en laboratoire ont montré que les effets des ultraviolets étaient amoindris à ces très basses températures. Des taux de survie exceptionnellement élevés ont été observés en combinant ultraviolets, vide et basses températures. Dans ces conditions, les spores bactériennes semblent pouvoir survivre pendant des centaines d’années. Pour autant, la vie peut-elle apparaître et se maintenir dans l’espace inrerstellaire ? Deux astrophysiciens britanniques, Fred Hoyle et C handra Wickramasinghe, prétendent avoir décelé dans les nuages interstellaires des systèmes vivants, qui pourraient être des bactéries. Leurs résultats sont très contestés. Toutefois, leur proposition, en plus de la théorie de la panspermie, nous amène à la question de la vie extraterrestre. On peut en effet se demander si l’apparition de la vie sur la Terre, quelle que soit son origine, est un
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fait unique ou, au contraire, banal, avec une certaine probabilité de se reproduire ailleurs. Cette question est l’objet de l’exobiologie (ou bioastronomie) et sera traitée dans les prochains chapitres.
De la réalité au rêve
À ce stade de notre récit, vous mesurez le long chemin qui reste à parcourir avant de vraiment comprendre l’apparition de la vie. La meilleure image que l’on puisse en donner est l’organisation de pièces éparses en petits automates chimiques capables d’assurer leur autoreproduction et leur évolution. Nous avons vu que cette organisation implique un grand nombre d’événements. Les scientifiques ignorent toutefois la probabilité qu’une telle conjonction se produise. Est-elle aussi naturelle que la formation d’une étoile dans l’Univers ? Au contraire, est-elle si complexe qu’elle en serait exceptionnelle, comme l’a exprimé en 1970 le biologiste Jacques Monod, dans Le hasard et la nécessité ? Notre seule certitude est que la vie existe sur la Terre, et ce depuis environ quatre milliards d’années. Le fait que de nombreux chimistes tentent de la reproduire en tubes à essai indique qu’ils croient en sa simplicité : l’événement devrait être reproductible. Cependant, ces expériences sont limitées. Elles se déroulent nécessairement dans un lieu clos (le tube à essai ou le ballon de verre), alors que la vie s’est développée dans un milieu ouvert, à la confluence de grands réservoirs e n interaction comme l’atmosphère, l’océan, les surfaces minérales. De surcroît, au moins un paramètre sera toujours biaisé dans ces expériences : le temps. I1 est impossible de reproduire en laboratoire une durée de millions ou de milliards d’années, comme il est impossible de reconstituer des conditions anciennes de plusieurs milliards d’années. Ainsi, tout ce qui sortira des tubes à essai ne pourra apporter que des indications, en aucun cas des preuves, de l’évolution chimique passée. Un indice probant de l’universalité de la vie serait la découverte d’un deuxième exemple de vie. De toute évidence, c’est hors
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de la Terre qu’il faut le chercher, mais sous quelle forme ? Les conditions requises pour la formation d’un automate chimique sont, d’une part, la présence d’un liquide pour favoriser la diffusion des molécules (trop lente sur un solide, trop désordonnée dans un gaz) et, d’autre part, l’abondance d’un élément comme le carbone, qui permet un grand nomhre de liaisons avec les autres éléments. Près de 110 molécules différentes ont été identifiées à ce jour dans les nuages denses de gaz et de poussières du milieu interstellaire. Parmi ces molécules, 83 contiennent du carbone et seulement 7 du silicium. Voilà de quoi décourager les auteurs de science-fiction qui avaient imaginé une vie reposant sur l’élément silicium : la chimie du silicium paraît moins inventive que celle du carbone et ne semble pas, à première vue, capable d’engendrer une vie élaborée, comparable à celle que nous connaissons. Le milieu interstellaire nous enseigne que la chimie organique est universelle. I1 serait alors naturel de rechercher la vie là où se trouvent des hydrocarbures et de l’eau. En présence d’un second exemple de vie, nous pourrions dégager les similitudes et les différences avec la vie que nous connaissons. Les molécules de ce deuxième exemple de vie seront-elles homochirales ? Si oui, seront-elles orientées dans le même sens que les nôtres ou dans le sens opposé, comme une vie que l’on verrait dans un miroir ? Les molécules informatives seraient-elles plus simples ou plus complexes que notre ADN ? Constituées à partir de trois bases, ou quatre comme sur la Terre ? Ou d’un nombre de bases supérieur : cinq, six.. . dix ? Les assemblages moléculaires seraientils du même type ? Les processus métaboliques reposeraient-ils sur les mêmes réactions ? Nous sommes très loin de savoir répondre à ces questioris. Soit ! Mais nous sommes riches de notre curiosité et nous possédons une imagination débordante. Alors imaginons, en nous aidant des données scientifiques dont nous disposons. Rêvons que nous puissions nous transporter sur une planète vierge mais féconde, l’observer et la scruter durant des centaines de millions
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d’années. Après tout, rien ne nous en empêche, et la rêverie est souvent propice à la réflexion. Balayons les difficultés sous le tapis, récapitulons les connaissances de plusieurs générations de chimistes e t biologistes, e t voyons comment la vie c< pourrait >> apparaître. Toute ressemblance avec la réalité n’est pas forcément fortuite.. .
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Songe d’une vie d’E.T.
Une étoile et ses astres errants Dans l’espace interstellaire flottent d’immenses nuages de poussières et de molécules, bulles de gaz qui se refroidissent, résultant d’innombrables supernovae. La température de l’espace interstellaire est basse, puisqu’elle ne dépasse le zéro absolu que de trois à quatre degrés. Le zéro absolu (O kelvin), température à laquelle les molécules sont immobiles, vaut - 273 “C : plutôt frais.. . Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est à partir de ces immenses nuages, composés d’hydrogène, d’hélium, de molécules et de grains solides, qu’apparaissent de nouvelles étoiles, des systèmes planétaires et.. . la vie, au moins sur une planète : la Terre. L‘adjectif << immense >> est un euphémisme. Ces nuages s’étendent sur plusieurs dizaines ou centaines d’années-lumière, soit environ un million de milliards de kilomètres. Cela représente plusieurs millions de fois la distance de la Terre au Soleil. La quantité de matière contenue dans le nuage est phénoménale, puisque sa masse peut aller jusqu’à un million de fois celle du Soleil. Ces nuages sont aussi les régions les plus denses de l’espace interstellaire : ils contiennent, en moyenne, plusieurs millions de molécules par centimètre cube (soit le volume d’un dé à coudre). Bien sûr, cela reste ténu par rapport aux densités de matière auxquelles nous sommes
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
habitués, nous autres Terriens : pour comparaison, il y a des dizaines de milliards de milliards de molécules dans un centimètre cube d’air. La matière du nuage n’est pas répartie uniformément, et certains grumeaux comportent jusqu’à plus de 100 millions de molécules par centimètre cube. Tout en refroidissant, un nuage moléculaire émet de la lumière infrarouge. I1 diffuse aussi la lumière d’étoiles lointaines, ce qui nous permet de l’observer au télescope (voir la figwe 47). Si nous pouvions attendre environ un milliard d’années, le
47. La nébuleuse d’Orion, à i 500 années-lumière du Soleil, comporte de très jeunes étoiles et de futurs systèmes planétaires, comme ce grumeau aplati (flèche).
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UNE ÉTOILE ET SES ASTRES ERRANTS
Feu d‘artifice stellaire Dans le premier chapitre, nous avons vu qu’une étoile est une boule de gaz extrêmement chaud qui fabrique des éléments de plus en plus lourds jusqu’au fer. La formation du fer au cœur d’une étoile signe son arrêt de mort, car le fer est stable. Le cceur continue de s’effondrer et de s’échauffer, mais aucun nouvel élément n’est produit. Ce n’est que vers six milliards de degrés que les noyaux de fer si coriaces se dissocient. Alors, le cœur de l’étoile implose. Sous l’effet de la pression titanesque, un état très dense, constitué de neutrons, apparaît au centre de l’astre : une étoile à neutrons. Le rebond des couches périphériques de l’étoile contre ce cœur dense fait exploser l’ensemble en un gigantesque cataclysme. C’est une supernova (voir la figure 48) : dans l’espace, elle brille comme 100 milliards d’étoiles, une galaxie complète. Elle propulse les produits de ses réactions nucléaires à des vitesses de plusieurs milliers de kilomètres par seconde. De surcroît, les formidables énergies libérées permettent de nouvelles réactions nucléaires : des éléments plus lourds que le fer, tels que l’or, et des noyaux radioactifs, comme l’uranium, sont formés au cours de cet astronomique feu d’artifice. C’est ainsi que l’espace est fécondé. Une supernova vient d’exploser à une cinquantaine d’annéeslumière de votre balcon. Elle expulse ses matières premières à tout va et émet un fort rayonnement. Plusieurs années après le cataclysme, ce rayonnement atteint un nuage moléculaire, situé à seulement 45 années-lumière du même balcon. Une onde de choc le suit et vient perturber les grumeaux les plus denses du nuage. Devenus incapables de résister à leur propre gravité, ceux-ci s’effondrent alors en milliers d’étoiles nouvelles. À l’aide du télescope hors du commun que nous avons installé sur votre balcon, site privilégié d’observation, nous allons nous intéresser à l’une d’elles. Sa masse est proche de celle du Soleil. Pendant son effondrement, soit durant environ 20 millions d’années, la pression, la densité et la température augmentent au centre du grumeau. À ce stade, la protoétoile dégage une énorme quantité
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d’énergie di1 centre vers la périphérie : on estime que, lorsqu’il s’est effondré, il y a 4’6 milliards d’années, le proto-Soleil avait une luminosité .plusieurs dizaines de fois supérieure à celle d’aujourd’hui. Quand la température atteint quelques millions de degrés au centre, les réactions thermonucléaires transformant l’hydrogène en hélium se déclenchent, et un nouvel équilibre avec la force gravitationnelle s’instaure, qui stoppe l’effondrement. La protoétoile rayonne à un rythme bien plus raisonnable, et sa lumière devient blafarde.
48. Supernova photographiée par Chandra, le plus gros télescope aux rayons X.
Un disque protoplanétaire Comme toutes les parties du nuage moléculaire sont mobiles, la contraction d’un grumeau lui confère une rotation sur lui-même. Vous avez d,tjà vu une patineuse tournoyer sur elle-même : sa rotation est lente lorsqu’elle écarte les bras, mais devient rapide lorsqu’elle les r.imène le long du corps. À cause de ce même effet (la conservation du moment angulaire), la protoétoile tourne de plus en plus vite à mesure qu’elle se contracte. Elle entraîne avec elle des
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lambeaux du nuage environnant, qui s’organisent en une galette en rotation : c’est le nuage protoplanétaire, à partir duquel se formeront des planètes et leurs satellites, des astéroïdes et des comètes. Son diamètre dépasse 100 fois la distance de la Terre au Soleil, et sa masse excède 3 O00 fois la masse de la Terre. Pour nous faire une idée de la quantité de matière disponible, considérons les grains d’oxydes de métaux. S’ils représentent environ 0,3 pour cent de la composition du nuage, cela fait tout de même neuf fois la masse de la Terre, rien qu’en métal : de quoi construire quelques milliards de milliards de Tours Eiffel. À défaut de Tour Eiffel, construisons donc une planète capable d’accueillir la vie.. . Dans un premier temps, la protoétoile est si chaude qu’elle vaporise une partie du contenu du nuage protoplanétaire : molécules et grains solides se dissocient en atomes. Puis, à la fin de sa phase de contraction, la protoétoile refroidit, ainsi que le nuage environnant, ce qui autorise la réapparition de quelques grains solides dans son entourage : des composés du calcium, du magnésium ou du titane apparaissent vers 2 O00 “C ; des silicates et des oxydes métalliques se forment vers 1 O00 O C . Comme il fait plus chaud près de l’étoile que dans la périphérie du nuage protoplanétaire, la matière se répartit de façon hétérogène. À cet effet s’ajoute l’action d’un vent de particules stellaire, qui expulse loin du centre les éléments les plus volatils : hydrogène, hélium, gaz moléculaires. Finalement, des grains de minéraux, de silicates et de métaux, dépouillés de leur gaz, s’assemblent dans l’entourage de l’étoile, tandis qu’à la périphérie du nuage, des grains solides hydratés se couvrent de glaces d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’oxydes de carbone. Les planètes et autres corps célestes auront donc des compositions différentes selon leur distance à l’étoile.
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Des embryons de planètes Les grains solides s’agglomèrent au fil des collisions et des captures gravitationnelles. Au tout début de ce long processus, les grains sont minuscules, de l’ordre du dixième de micromètre de diamètre, mais déjà composites, puisqu’ils contiennent des silicates, des métaux et une coque carbonée, formée au cours de chocs et de réchauffements successifs. Ils sont soumis à une agitation thermique, qui les amène à se rencontrer de temps à autre et à s’agréger. Petit à petit, ils forment des flocons poreux, de quelques centimètres : des pépites de silicates et de métaux s’entourent d’une coque d’éléments volatils et carbonés, fondus puis condensés de nouveau. Les pépites sont dénommées chondres et les flocons sont des chondrites. Les chondres et les chondrites qui tombent encore sur la Terre sous forme de météorites témoignent des débuts du système solaire. Dans les régions internes du nuage protoplanétaire, ces
49. Un grumeau dans un nuage dense interstellaire se condense en une étoile et des planètes. D’abord le grumeau s’aplatit à cause de sa rotation sur luimême (en haut à gauche). Puis des grains grossissent en tombant dans le pian équatorial (en haut à droite). Ces grains grossissent par accrétion et finissent par former des. petites planètes.
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UNE ÉTOILE ET SES ASTRES ERRANTS
flocons minéraux sont secs et denses. Lorsqu’ils deviennent trop lourds pour être entraînés par l’agitation thermique, ils tombent vers le plan équatorial du nuage protoplanétaire. En tombant, les flocons les plus lourds rattrapent des flocons plus légers et les collectent (voir Ia figure 49). Ils grossissent alors jusqu’à quelques mètres : ces << supergrains >> résident dans le plan équatorial du futur système planétaire. Dans ce plan, les collisions se font plus fréquentes, les supergrains continuent de s’assembler en planétésimaux de cinq à dix kilomètres de diamètres. II faut plusieurs milliards de tels planétésimaux, et de la patience, pour former une planète de la taille de la Terre. Dans les régions plus lointaines du nuage protoplanétaire, les flocons sont plus riches en éléments volatils et en eau, et évoluent dans un gaz d’hydrogène et d’hélium. Les forces de frottement contre ces gaz étant importantes, l’accrétion des grains est plus efficace que dans les régions internes du nuage. Les supergrains de ces régions acquièrent des masses 10 à 100 fois supérieures à celles des supergrains des régions intérieures. Ils attirent à eux les gaz environnants, qui forment alors une atmosphère épaisse. C’est ainsi que se seraient formés les planètes géantes du système solaire, telles que Jupiter et Saturne. Partout dans le nuage protoplanétaire, des supergrains et des planétésimaux de tailles très diverses orbitent autour de l’étoile. Dans la multitude, des rencontres se produisent. Dès qu’ils s’approchent suffisamment, deux objets s’attirent, s’entrechoquent, se collent et forment un agrégat plus massif. Cette nouvelle masse attire à elle davantage d’objets, et l’accrétion s’emballe. Les plus gros corps croissent aux dépens des autres.
Le grand bombardement Ainsi, à partir d’un disque de poussières et de gaz en rotation autour d’une étoile jeune se sont formées, en quelques centaines de millions d’années, des dizaines de petites planètes, tournant dans un
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plan autour d’une étoile. De petites planètes rocheuses, de la taille de la Lune (environ 80 fois moins massive que la Terre), circulent sur des orbites internes. La chaleur due à la compression interne des planètes et celle due à la radioactivité fluidifient les roches, et les éléments constitutifs se différencient en couches : les métaux tels que le fer et le zinc, plus lourds, tombent vers le centre, tandis que les éléments légers comme les silicates remontent à la surface et forment un manteau. Sur des orbites plus lointaines évoluent des planètes massives, entourées de gaz. Dautres corps plus petits circulent ça et là. Les corps sont nombreux et l’ensemble est instable. Certaines orbites se croisent, ce qui aboutit à des collisions. Durant une centaine de millions d’années, c’est la saison des gros impacts: des corps de toutes les tailles, jusqu’à plusieurs kilomètres de diamètre, tombent sur d’autres corps plus gros (voir la figure SO). Dans le système solaire, les cratères visibles à la surface de Mercure, Mars et la Lune témoignent d’un tel bombardement.
50. Tout au long de ses premiers millions d’années, un corps planétaire est bombardé d’astéroïdes et autres corps de toutes tailles.
Les chocs titanesques projettent dans l’espace des débris en tout genre, qui voyagent d’une planète à une autre. Parfois, la matière éjectée se rassemble de nouveau dans le voisinage d’une
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planète et forme un satellite. On pense que la Lune s’est formée de cette manière, à la suite de l’impact sur la Terre d’un gros astéroïde de la taille de Mars (dix fois moins massive que la Terre). Un peu plus loin, les planètes géantes perturbent les trajectoires de milliards de corps de toutes tailles, cailloux composites, semblables aux astéroïdes qui peuplent les régions comprises entre Mars et Jupiter. Trop perturbés pour s’assembler en planètes, ces cailloux sont parfois expulsés de leur orbite et viennent heurter les planètes rocheuses des environs de l’étoile. Plus ils se sont formés loin de l’étoile, plus ils sont riches en glaces, en gaz et en molécules. Les plus éloignés ressemblent à des dragées, avec un corps rocheux et une pellicule de glace. Quand ils se laissent tomber vers l’étoile, la pellicule de glace se réchauffe, se sublime (elle passe directement de l’état solide à l’état gazeux), et forme une chevelure à l’arrière du noyau rocheux : on reconnaît là les comètes. Nombreux et instables dans ce jeune système planétaire, les astéroïdes et les comètes viennent bombarder les planètes asséchées du voisinage de l’étoile. Ce faisant, elles apportent l’eau et les éléments volatils qu’elles contiennent. L‘énergie des chocs des comètes et des astéroïdes contre les planètes intérieures est transformée en chaleur. Ainsi chauffées, les roches de ces planètes fondent, dégoulinent en torrents de laves et se mélangent en incorporant les gaz et la vapeur d’eau apportées par les bolides.
Les pluies d’étoiles filantes
I1 est temps pour nous de choisir notre planète-laboratoire. Appelons-la Tiamat, en souvenir de l’océan de la mythologie babylonienne. Choisissons-la semblable à la Terre. I1 nous faut une planète ni trop chaude, ni trop froide : situons-la à une distance adéquate de son soleil, autour de une unité astronomique (l’unité astronomique est la distance moyenne qui sépare la Terre du Soleil, soit 150 millions de kilomètres). Elle doit être suffisamment massive pour retenir une atmosphère, mais pas trop, pour éviter que la 121
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
gravité ne ::oit une contrainte trop forte pour les formes vivantes qu’elle pourrait accueillir. Voici Tiamat, une planète de 7 O00 kilomètres de rayon (la Terre a un rayon de 6 378 kilomètres), formée au voisinage de son étoile, orbitant à 170 millions de kilomètres. Elle possède une atmosphère primitive et est dotée de deux satellites : pour les joies des nuits de pleine lune, une jolie sphère de 2 800 kilomètres de diamètre, à peine plus petite que la Lune (de 3 476 kilomètres de diamètre), et un caillou biscornu d’environ 33 kilomètres de diamètre, à peine visible depuis la surface de Tiamat (voir la figure 51).
51. Dans notri? rêve, Tiamat est une planète à peine plus grosse que la Terre, ornée d’une petite lune et d’un astéroïde satellisé.
Le grand bombardement s’étant calmé, nous pouvons envoyer vers Tiamat des sondes d’observation ultra-rapides (plus rapides que la lumière, ce qui n’est possible qu’en rêve.. .). Approchons-nous. Le sol est secoué de spasmes sismiques et volcaniques. Partout, des volcans crachent leurs fumées et leurs laves. De la vapeur d’eau et du gaz carbonique (ou dioxyde de carbone) remontent des profondeurs. D’autres gaz sont relâchés en quantités moindres : de l’azote, du méthane, de l’ammoniac, du dioxyde de soufre (SO,) et de l’acide chlorhydrique (HC1). Après 100 ou 200 millions d’années de bombardement intense, la plupart des éléments volatils apportés par les astéroïdes et les comètes forment une atmosphère dense, et la surface de la planète refroidit lentement. Cependant des millions de météorites
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UNE ÉTOILE ET SES ASTRES ERRANTS
et de micrométéorites tombent encore du ciel. Au passage, les gaz qui entourent Tiamat les ralentissent et les échauffent. Certaines se dissocient en moult poussières incandescentes. Le ciel est zébré de fines raies de lumière : c’est la saison des << pluies d’étoiles filantes ». Ces petits objets célestes apportent de nouveaux éléments volatils : des gaz, de l’eau et des molécules organiques. Ces particules rejoignent l’atmosphère primitive, où des circulations complexes les entraînent. Elles voyagent durant des dizaines d’années avant de toucher le sol. Les contrastes de température, dus aux points chauds volcaniques et aux différences d’éclairement de l’astre, engendrent des vents et des courants. Cette circulation s’ajoute à l’entraînement de l’atmosphère par la rotation de la planète et aux phénomènes de marée : les deux satellites attirent à eux les roches, les mers et l’atmosphère, qui se déforment périodiquement.
Le grand déluge Finalement, le bombardement cosmique se calme, le volcanisme s’apaise, et Tiamat s’assagit. L‘atmosphère primitive refroidit suffisamment pour que la vapeur d’eau se condense en une pluie chaude : c’est le grand déluge, suivi d’importantes inondations. Des lacs et des mers se forment. Le sol de la planète tend aussi à refroidir, en émettant un rayonnement infrarouge. Cependant certains gaz de l’atmosphère, tels que la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone, absorbent ce rayonnement infrarouge et le piègent, à l’instar de la vitre d’une serre. Cet effet de serre important maintient des températures élevées à la surface de la planète, si bien que l’eau des mers s’évapore et retourne dans l’atmosphère : un cycle hydrologique s’instaure. Du fait d’une pression atmosphérique élevée, le gaz carbonique se dissout facilement dans les eaux de pluie, qui deviennent riches en acide carbonique (H,CO,). En ruisselant, ces pluies acides érodent les roches et attaquent les silicates, les transformant en silice (SiO,), et libèrent des ions métalliques comme les ions
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
calcium (Ca2+). Ainsi se forment des carbonates, tels que le calcaire, un carbonate de calcium. Pendant plusieurs millions d’années, les pluies acides transforment le carbone de l’atmosphère e n carbonates, jusqu’à ce que le gaz carbonique devienne moins abondant que l’azote dans l’atmosphère.
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La vie rêvée de Tiamat
Voici maintenant une planète chaude, comportant, entre autres, de l’eau liquide et de la vapeur d’eau, du carbone sous forme de gaz carbonique, de carbonates et de quelques molécules organiques apportées par les comètes et les micrométéorites, de l’oxygène piégé dans des oxydes et de l’azote. Ces éléments sont engagés dans une dynamique de renouvellement constant : cycle de l’eau, cycle des roches par érosion, tectonique et volcanisme. Ces conditions semblent propices à l’apparition de la vie. Nous pouvons nous attendre à ce que la matière inanimée engendre un automate chimique, tel que nous l’avons défini, c’est-à-dire doué de métabolisme et de reproduction. L‘événement devrait se dérouler en trois étapes grandioses : (1) la synthèse des matériaux de construction à l’aide des éléments en présence ; (2) la fabrication des pièces de l’automate avec ces matériaux ; (3) l’assemblage de l’automate. Pour ne rien rater de ces étapes cruciales, bardons la planète d’une multitude de capteurs et enregistreurs. Prévenez les chaînes de télévision et soyez les témoins de l’un des phénomènes les plus extraordinaires et les plus mystérieux de l’Univers : l’apparition de la vie.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Les éléments en présence Résumé des épisodes précédents : Tiamat est chauffée par son étoile et par un effet de serre, ainsi que par la radioactivité de certaines roches. Des spasmes volcaniques secouent encore son écorce. L‘eau coule, lessive les roches, stagne dans les mers, s’évapore et retourne en partie dans l’atmosphère. On trouve aussi sur Tiamat un autre élément d’importance : du carbone en abondance, dans un grand nomlxe de composés différents, qui ont pu être apportés par des météorites et des micrométéorites, en même temps que l’eau. Heureusement que personne n’est là pour respirer l’atmosphère de Tiamat, car l’odeur y est pestilentielle. Si le dioxyde de carbone (CO,), le monoxyde de carbone (CO) et le méthane (CHJ sont inodores, en revanche l’ammoniac (NH,) dégage le parfum suffocant de l’urine et de certains produits d’entretien, tandis que l’hydrogène sulfuré (HIS) exhale le fumet des œufs pourris. Cette atmosphère ne contient pas d’oxygène libre ; elle est réductrice. L‘absence d’oxygène est un élément favorable à l’apparition de la vie, puisque ce gaz empêcherait l’accumulation des molécules carbonées. De surcroît, les rayonnements lumineux, surtout les ultraviolets, apportent l’énergie nécessaire à la réalisation de réactions chimiques importantes. I1 faut donc qu’ils traversent aisément l’atmosphère de Tiamat, ce qu’ils ne pourraient pas faire si l’ozone, molécule composée de trois atomes d’oxygène (O,), était là pour faire son off ice de filtre à ultraviolets. Ainsi, les ultraviolets et les éclairs des orages livrent leur énergie aux molécules de l’atmosphère, afin qu’elles se combinent e n molécules plus complexes. C’est de cette manière que se forment, siècle après siècle, des hydrocarbures, des alcools, de l’acide cyanhydrique HCN (présent aussi dans le milieu interstellaire), des aldéhydes, des acides carboxyliques et des amines. À leur tour, ces molécules interagissent. Lorsqu’un aldéhyde réagit avec l’acide cyanhydrique et l’ammoniac dans l’eau, il se forme un acide aminé, comme la glycine NH,-CH,-COOH ou l’alanine
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LA VIE RÊVÉE DE TIAMAT
NH,-CH(CH,)-COOH (uoir h figure 52). Cinq molécules d’acide cyanhydrique se combinent en adénine (uoir la figure 53), base azotée dont nous suivrons attentivement le devenir. Les sucres apparaissent bien plus rarement sur Tiamat. Cinq molécules de formaldéhyde (H,CO) s’assemblent pour former un ribose
(C,H,,O,) (voir la figure 54).
+
+ &decmh$kque
aidéhyde
w
Formation d’un acide aminé à partir de molécules simples présentes dans l’atmosphère primitive de Tiamat (bilan global).
52.
5x
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___f
&énm
c)~3nhyihqu,e
53. Formation de l’adénine à partir de cinq molécules d’acide cyanhydrique.
5x
forma fdéhyde
___f
Rlbose
54. Formation d’un ribose à partir de cinq molécules de formaldehyde.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
De l‘océan à l a soupe prébiotique Apportés par les météorites ou synthétisés dans l’atmosphère, des hydrocarbures, des alcools et quelques sucres, des cétones et des acides gras, ainsi que quelques acides aminés simples sont présents sur Tiamat. Que deviennent ces molécules ? Certaines sont solubles dans l’eau (les alcools) ou volatiles (le méthane), si bien qu’elles s’intègrent à l’environnement, eau liquide ou atmosphère, où elles poursuivent leur évolution chimique. Dautres sont entraînées par les eaux de pluie jusqu’aux océans. Suivons les acides gras dans l’eau. Nous avons vu que ces molécules $ont amphiphiles, puisqu’elles possèdent, à une extrémité, une fonction acide COOH qui aime l’eau (hydrophile) et, à l’autre extrrimité, une chaîne carbonée qui fuit l’eau (hydrophobe). Lorsqu’elles tombent à la surface de l’eau, ces molécules s’étalent sur une mince couche, têtes hydrophiles plongées dans l’eau et queues hydrophobes exposées à l’air. Quand l’agitation de l’eau les force à se mélanger, les plus longues d’entre elles font comme la lessive : elles s’organisent en microsphères et enferment toutes les molécules organiques qui passent à leur portée. Des molécules organiques enfermées dans une membrane ... on dirait bien une forme ancestrale de la cellule. Hélas, ne nous réjouissons pas trop vite. Nous sommes encore loin d’avoir rencontré l’automate que nous cherchons ! Ces microsphèrr:s sont inertes, puisqu’elles ne savent pas métaboliser leurs molécules (elles ne font que les absorber passivement), ni évoluer. De surcroît, si nous restons près de la surface des mers, ces pièces sont trop malmenées pour perdurer. S’il est susceptible de produire de nouvelles liaisons chimiques, le rayonnement ultraviolet est aussi capable de les détruire. De nouvelles chutes de météorites, le volcanisme de surface, les perturbations atmosphériques et hydrologiques sont autant d’agressions aléatoires qui gênent l’organisation d’une forme de vie, aussi primitive soit-elle. Pour échapper à ces agressions, enfonçons-nous dans les océans de Tiamat. 128
LA VIE RÊVÉE DE TIAMAT
Les fumeurs noirs Avec ses volcans sous-marins, le fond des océans paraît aussi hostile que la surface, mais pourrait être favorable à l’apparition de la vie. Ces volcans, dénommés fumeurs noirs, dégagent une chaleur de four et rejettent des poussières, de la lave et des gaz : on y décèle du dioxyde de carbone CO,, du monoxyde de carbone CO, du sulfure d’hydrogène H,S, du fer et divers minéraux. Au point le plus chaud de la gueule des fumeurs, la température atteint 350 OC. À 2 O00 mètres de profondeur, la pression vaut 200 fois la pression atmosphérique terrestre, ou l’équivalent de 200 kilogrammes posés sur une surface de un centimètre carré. À une telle pression, même à 350 OC, l’eau ne bout pas. Dans ces conditions extrêmes, une dizaine de réactions chimiques s’enchaînent pour produire de nouvelles molécules, à partir de monoxyde de carbone, de sulfure d’hydrogène, de méthane et d’eau, et en présence de sulfure de fer et de sulfure de nickel : des acides gras, des sucres, des bases azotées comme l’adénine, mais aussi des acides aminés, dont la glycine et l’alanine. Attention à la surchauffe ! Les hautes températures sont dangereuses pour les acides aminés, puisqu’elles peuvent de nouveau les dissocier. Toutefois, au fond de l’eau, la température et la pression décroissent rapidement quand on s’éloigne du fumeur. Les molécules produites sont rapidement expulsées vers un milieu plus froid : on dit qu’elles subissent une << trempe thermique », comme si on les trempait dans une solution froide dès leur sortie de la << forge ». La glycine et l’alanine sont faciles à synthétiser, puisqu’elles étaient déjà présentes dans le milieu interstellaire et dans les confins du système planétaire. Comme leur synthèse se poursuit dans l’atmosphère et dans les océans, millions d’années après millions d’années, les acides aminés s’accumulent près de la surface des océans. De même, des sucres, des acides gras, des bases comme l’adénine sont fabriqués continuellement et forment progressivement, à la surface, une << écume >> organique épaisse et gluante.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Tiamat dispose maintenant d’une partie des matériaux de construction d’un automate précurseur de la vie. Comment ces matériaux vont-ils s’associer pour former les engrenages et les mécanismes nécessaires au fonctionnement de notre automate ?
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Les pièces de l‘automate
Les petites molécules organiques que nous avons vues apparaître dans l’atmosphère et les océans de Tiamat sont les matériaux de construction d’un automate organique. Pour en former les pièces constitutives, ces matériaux doivent s’assembler en grosses molécules. Plusieurs unités de base, jusqu’à des milliers, s’enchaînent comme les perles d’un collier.
Les protéines Deux acides aminés doivent se lier par une réaction de condensation entre le groupement carboxyle de l’un et le groupement amine de l’autre (uoir la figure 55). La liaison qui en résulte est une liaison peptidique. Une protéine est donc constituée d’une chaîne principale, où alternent deux atomes de carbone et un atome d’azote (-N-C-C-N-C-C-). La chaîne principale porte les chaînes latérales des acides aminés, lesquelles confèrent leurs propriétés aux protéines. En d’autres termes, de même que l’enchaînement des lettres forme un mot, l’ordre des acides aminés, ou séquence, caractérise chaque protéine.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
55. Une protéine, ou une chaîne peptidique, se forme par condensation (élimination d’une molécule d’eau) entre acides aminés (A). La liaison qui en résulte est dite peptidique. La chaîne est une structure répétitive des groupes grisés, à laquelle sont suspendues les chaînes latérales (B).
Tout cela a l’air simple, mais comment deux acides aminés se rencontrent-ils ? Nous pouvons scruter une mare de Tiamat aussi longtemps que notre patience nous le permet, nous n’assisterons jamais à la rencontre de deux acides aminés, ni à leur condensation en un dipepide. À cela deux raisons. D’abord les acides aminés sont très dilués, et chacun d’eux suit son chemin au hasard, dans toutes les directions possibles. Alors, me direz-vous, nous pourrions porter notre attention sur une mare isolée de l’océan, qui s’évapore doucement sous l’effet des rayons du soleil de Tiamat, et se concentre en monomiZres intéressants. Cependant, même dans cette mare, il faut attendre très longtemps pour pouvoir observer la condensation de deux acides aminés. Regardez la réalité en face! I1 faut que la fonction amine de l’un rencontre la fonction carboxylique de l’autre, alors que ces molécules sont orientées dans n’importe quelle
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LES PIÈCES
DE L‘AUTOMATE
direction et se déplacent dans tous les sens : il est peu probable qu’elles se présentent mutuellement par les bons côtés. Dernière difficulté, et non la moindre : pour pouvoir s’accrocher, les deux acides aminés doivent éliminer une molécule d’eau entre la fonction amine de l’un et la fonction acide de l’autre, or cette réaction n’est pas naturelle dans l’eau, puisque les molécules H,O sont en excès. Ne nous décourageons pas et suivons patiemment le parcours des acides aminés dans la soupe primitive. Ils s’enfoncent lentement et arrivent au fond des mers. Enfonçons-nous avec eux (nous pouvons tout faire sur Tiamat !) jusqu’à ce qu’ils rencontrent la surface d’une roche. Dans l’eau, la surface d’un minéral est souvent ionisée, donc chargée électriquement. Ainsi, la surface d’un sulfure de fer naturel, tel que la pyrite (FeS,), porte une charge positive. Comme le groupement carboxyle d’un acide aminé -COO- porte une charge négative, toute la molécule est attirée irrésistiblement par la surface du minéral. Elle s’y colle et y reste. Une deuxième molécule d’acide aminé nage vers le minéral et s’y colle aussi. Une troisième les rejoint, une quatrième.. . des centaines de milliers. Imaginez la surface du minéral comme une pâte à pizza et les acides aminés comme des gouttelettes de sauce tomate : petit à petit, la sauce tomate recouvre la surface, et la pizza devient plus appétissante. Les molécules fixées à la surface de la pizza se déplacent peu et sont toutes orientées de la même manière : le groupe carboxyle est lié au minéral, tandis que la fonction amine est libre dans l’eau (uoir la figure 56). Quand la concentration de molécules fixées au minéral devient élevée, on passe la deuxième couche : un nouvel acide aminé tombe sur l’un de ceux qui sont fixés à la surface. Groupement carboxyle en tête, il rencontre alors la fonction amine encore libre de la garniture de pizza. C’est le rendez-vous attendu.. . mais la réaction de condensation va-t-elle avoir lieu ? Rien n’est moins sûr, avec toute cette eau qui les entoure !
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
56. Une surfzce minérale que nous dénommons pizza attire à elle les acides aminés par leur groupement carboxyle.
Pour tiliminer la molécule d’eau qui empêche l’étreinte des deux acides aminés, un agent de couplage est nécessaire. Sur Tiamat, plusieurs molécules simples sont susceptibles de jouer ce rôle : la carbodiimide (H-N=C=N-H), le cyanogène (N=C-C=iù), le cyanamide (NFC-NH,), le cyanoacétylène (N=C-C=GH). Ces molécules sont formées à partir de l’acide cyanhydriq le, sous l’effet des ultraviolets ou de décharges électriques. Leur caractéristique commune est la présence de liaisons doubles (symbolisées par un trait double =) ou de liaisons triples (symbolisées par un trait triple =) entre des atomes de carbone et d’azote. Lorsqu’une telle molécule est placée au contact de deux acides aminés, précisément entre le groupement carboxyle de l’un et la fonction amine de l’autre, l’une de ses liaisons doubles ou triples capture à la fois un ion OH- et un proton H’, c’est-à-dire.. . la molécule d’eau qui était en trop. Alors seulement les deux acides aminés peuvent se souder bout à bout (voir la figure 57). Deux acides aminés reliés forment un dipeptide, enfin le début d’une protéine ! Lentement, les acides aminés s’enchaînent à la surface des pizzas minérales, au fond des mers. Une des pièces de l’automate est en train de se former !
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LES PIÈCES DE L‘AUTOMATE
+ 57. Un agent de couplage comme le cyanogène permet la condensation d’un composé A-B malgré la présence d’eau. Dans une première étape, le cyanogène se lie au composé A-OH en utilisant une de ses triples liaisons. Dans une seconde étape, l’intermédiaire obtenu réagit avec le composé B-H pour donner A-B.
L‘apport du minéral Nous avons suivi la migration aléatoire de monomères sur une surface minérale, qui favorise alors leur polymérisation. La pyrite joue ce rôle de réacteur minéral. Encore nommée << l’or des fous >> à cause de sa couleur jaune, la pyrite se forme à partir du soufre et du fer rejetés par le fumeur noir. D’autres surfaces aident à la polymérisation. Les argiles, par exemple, ont une structure en mille-feuilles où alternent des feuillets électriquement chargés, de l’épaisseur d’une molécule. Des monomères se fixent entre les feuillets d’argile, qui favorisent alors leur rapprochement et leur liaison. Bien sûr, la polymérisation est encore plus efficace lorsque des monomères sont produits continûment à proximité d’un tel réacteur minéral. Restons au voisinage de l’un des fumeurs noirs des fonds océaniques. Voilà une source d’énergie, la chaleur, susceptible de favoriser les réactions chimiques. Nous avons vu que les fumeurs noirs de Tiamat produisent des acides aminés, des acides gras, des sucres et des bases azotées comme l’adénine. Ils libèrent surtout des
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minéraux en provenance du manteau : la fayalite (Fe,Si04), la magnétite (Fe304),le quartz (SO,), mais aussi la pyrite (FeS2) et la pyrrhotite ( FeS). Ces minéraux renouvellent la croûte océanique, tapis roulant qui se dévide depuis les bouches des dorsales océaniques. Le fumeur noir engendre aussi de l’acide phosphorique (H3P04) qui, dans l’eau, devient l’ion phosphate PO:-. Les ions phosphate existent aussi dans les roches issues du magma sous forme de fluoroapatite Ca,,(P04),F,, et dans la chloroapatite Ca,,(P04),C1, des météorites tombées sur Tiamat. Nous sommes heureux de les trouver sur cette planète, car ils jouent le rôle d’agents de liaison entre monomères. Les trois atomes d’oxygène de l’ion phosphate ne demandent qu’à former trois liaisons. Quand l’ion phosphate se lie à une base azotée, comme l’adénine, et à un sucre, comme le ribose, il forme VAMP, ou adénosine monophosphate, molécule qui constitue un véritable tremplin pour les petits automates. L‘adénine ou toute autre base azotée se lie à un groupement hydroxyle du sucre, par une réaction de condensation (voir la figure 58). Ce complexe réagit ensuite avec des acides aminés pour former des esters (des adénylates d’acides aminés). Dans les argiles ou sur des minéraux, les esters polymérisent, tout en relâchant leur adénosine monophosphate, qui peut de nouveau former d’autres esters.
Pen-fose
baseazd?
58. L’association, par condensation, d’une base azotée (hexagone) et d’un sucre (pentagone) phosphaté produit de véritables tremplins pour La polymérisation des molécules du vivant.
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LES PIÈCES DE L‘AUTOMATE
L‘environnement des volcans sous-marins et autres sources hydrothermales est également riche en soufre (S), dont la nature sait tirer parti. Des chaînes carbonées portant un groupement thiol (R-SH) se couplent aux acides gras (R’-COOH) pour former des thioesters (R-S-CO-R). Les thioesters sont, eux aussi, d’excellents agents de couplage pour la polymérisation de toutes sortes de grosses molécules. Pour agir, ils tirent leur énergie de la dissociation de composés polyphosphates (comme le pyrophosphate PO :-C)-PO :-, un phosphate double). En bref, de l’ion phosphate aux thioesters, nous avons tous quelque chose de minéral en nous.
Les acides nucléiques Outre des polypeptides, l’association d’un fumeur noir et d’une surface minérale produit des acides nucléiques. Comment cela ? Nous venons de rencontrer l’adénosine monophosphate. L‘ion phosphate de ce complexe est attiré par la surface d’un minéral chargé positivement ou piégé entre les feuillets d’un argile. Nous retrouvons notre pizza, dont la garniture s’enrichit d’un nucléotide. Un deuxième nucléotide se colle à la surface du minéral, puis un troisième, puis des milliers.. . Bien que lié à la fois à la surface minérale et au sucre du nucléotide, l’ion phosphate a encore la possibilité de participer à une troisième liaison chimique, via son troisième atome d’oxygène. I1 se lie à un autre sucre par une liaison covalente appelée liaison phosphodiester (voir la figure 59). De proche en proche, siècle après siècle, il se forme une longue guirlande sucrephosphate-sucre-phosphate,liée au minéral par les phosphates. La guirlande devient un acide nucléique.
Les semi-membranes L‘ion phosphate s’associe aussi au glycérol pour former des phospholipides (revoir la figure 30 page 64). La queue hydrocarbonée des phospholipides est toujours hydrophobe, mais leur tête, formée par le glycérol et l’ion phosphate, est très hydrophile. Cette 137
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
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configuration est idéale pour former des doubles couches stables. Les queues hydrophobes recherchent la compagnie d’autres molécules organiques, et les têtes hydrophiles aiment le contact de l’eau et des minitraux. Ainsi ces molécules sont, elles aussi, attirées par les surfaces minérales, les pizzas, hérissées de polymères organiques.
59. Des nucleotides s’accrochent à une surface minérale par leur extrémité phosphate. Puis, lorsqu’ils sont assez proches, deux nucléotides se lient par une liaison phosphodiester entre un oxygène du groupement phosphate de l’un et un carbone du sucre de l’autre.
À la manière du fromage râpé sur la pizza, les phospholipides se collent aux surfaces minérales et s’enchevêtrent aux polymères en cours de formation (mir la figure 60). Ce faisant, ils isolent ces réacteurs minéraux du milieu extérieur et protègent les polymères des chocs, de l’excès d’eau, de la chaleur et des ultraviolets. Sous leur coque, les jeunes chaînes moléculaires gardent des conditions quasi constantes de température, pression, acidité.. . C’est le cocooning !
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LES PIÈCES DEL‘AUTOMATE
60. Des membranes de phospholipides se déposent à la surface des minéraux, protégeant les polymères en cours de formation. Lorsqu’elles traversent une membrane, les molécules acquièrent une orientation : l’extrémité la plus étroite ou la plus basique passe la première.
Pour autant, l’isolement n’est pas total : certaines molécules peuvent pénétrer dans la semi-membrane, notamment des ions phosphate, des acides aminés, des nucléotides, des sucres. La pénétration n’est pas simple : la membrane est plus dense à l’intérieur qu’à l’extérieur, si bien que toute molécule qui entreprend sa traversée doit se faufiler en présentant son extrémité la plus fine avant son extrémité la plus volumineuse ; la membrane est plus acide à l’intérieur qu’à l’extérieur, de sorte que les visiteuses orientent leur extrémité la plus basique vers l’intérieur. Ainsi les nouvelles venues acquièrent des orientations spécifiques selon leurs propriétés mécaniques ou chimiques. Ces orientations favorisent l’allongement des polymères. Notre patience a payé ! Nous avons assisté à la construction de pièces cruciales d’un automate chimique : des polypeptides, des acides nucléiques et des membranes de phospholipides. De longues molécules émergent et, avec elles, de nouvelles structures et de nouvelles propriétés. Apparues par le hasard des attirances chimiques et électriques, ces quatre familles de molécules ne peuvent s’ignorer bien longtemps. Cautomate est encore en pièces détachées, mais les influences entre ces pièces vont se faire sentir. Nous avons déjà vu
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
que les membranes de phospholipides peuvent orienter les réactions de polymér:sation. En guettant les premières interactions entre les grosses moltkules produites, notamment entre les polypeptides et les acides nuclttiques, nous allons maintenant tâcher d’observer comment ces pikes s’emboîtent.
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L‘assemblage de l‘automate
Sur Tiamat, la vie n’existe pas encore, mais nombre de ses ingrédients sont présents. À la surface de certains minéraux, sous leur semi-membrane, des acides aminés s’assemblent en polypeptides et des nucléotides s’enchaînent pour former des acides nucléiques. Les affinités chimiques favorisent les rencontres, mais les molécules s’assemblent au hasard. Les moins stables d’entre elles se cassent et libèrent de l’énergie, récupérée par d’autres réactions chimiques permettant la construction d’autres molécules, plus stables. C’est une manière de chaîne alimentaire prébiotique : des molécules profitent de la destruction des autres. Dans ces milieux presque clos que sont les semi-membranes posées sur des surfaces minérales, des réactions chimiques se couplent, des cycles apparaissent, et l’ensemble conserve la mémoire des interactions favorables. Grâce à ces cycles de réactions chimiques, des molécules toujours plus longues et toujours plus stables apparaissent.
Les conformations des molécules Lorsque de longues molécules sont formées, de nouvelles propriétés émergent. L‘ordre de leurs constituants élémentaires, acides aminés ou nucléotides, leur donne une identité: c’est ce
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
qu’on dénomme séquence ou structure primaire. C e n’est pas tout : ces constituants interagissent et confèrent à l’ensemble une géométrie particdière dans l’espace, dite structure secondaire, qui lui permet de rctagir avec les autres molécules. Ainsi, dans les chaînes peptidiques, certaines portions s’enroulent e n hélices alpha ( a )ou s’accolent en feuillets béta (p). Les chaînes latérales des acides aminés interagissent également et imposent des déformations à la chaîne principale : c’est cette structure tertiaire qui donne aux polypeptides des conformations particulières et changeantes en fonction de l’environnement (acidité, salinité, etc.). Certaines chaînes s’attirent, instaurent des liaisons hydrogène ou ioniques entre elles (uoir la figure 61). Une autre liaison possible entre chaînes latérales est le pont disulfure -S-S-, une liaison covalente entre deux atomes de soufre résultant de l’élimination d’une molécule de dihydrogène entre deux groupements thiol (-SH). Enfin, les chaînes hydrophobes tendent à se rassembler bien au sec, au cœur de la molécule, pour fuir l’eau environnante. Parmi ces repliements et ces poches hydrophobes enfouis au sein d’un polypeptide, certaines sections deviendront des sites actifs : des rtjactifs viendront s’y fixer et s’assembleront en produits spécifiques. Ces polypeptides deviendront alors des enzymes, avec une fonction chimique précise. Mais nous allons trop vite: sur Tiamat, les polypeptides n’ont pas encore d’activité enzymatique.
Autoréplication e t autocatalyse
En revanche, les acides nucléiques à un seul brin (de type ARN) bouillonnent d’activité. Des brins d’acides nucléiques servent de matrices pour aider la polymérisation de brins complémentaires : par le jeu des appariements de bases, un brin d’acide nucléique ati:ire à lui des nucléotides présents dans son entourage. Des p0lypho:iphates servent d’agents de couplage : par élimination d’une moléciile d’eau, une liaison phosphodiester se forme entre le phosphate d’un nucléotide et le sucre de l’autre (uoir la figure 62).
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LASSEMBLAGE DE L'AUTOMATE
61. Structure tertiaire des polypeptides : les chaînes latérales interagissent et déforment la chaîne.
62. Un brin d'acide nucléique attire à lui des nucléotides complémentaires, par liaisons hydrogène. Ces nucléotides complémentaires se lient par condensation et forment un brin complémentaire du premier.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Notre patience d’observateur est de nouveau mise à l‘épreuve : cette suite de réactions dans l’eau est affreusement longue ! I1 faut plusieurs si?cles pour que quelques séquences engendrent des séquences complémentaires, qui donnent à leur tour des répliques des premières séquences. Mais l’événement, c’est que les acides nucléiques de Tiamat se répliquent tout seuls ! Enfin, presque.. . car quelques-un,j,comportant plusieurs dizaines de nucléotides, acquièrent la capacité de catalyser des réactions. Voilà qui est nouveau sur cette planète ! Certains acides nucléiques en coupent d‘autres à la hauteur d’une base nucléique particulière ; d’autres, au contraire, catalysent la formation d’une liaison phosphodiester ; d’autres encore favor,isent la dissociation d’une chaîne polyphosphate pour libérer de l’tlnergie. Dans la suite, nous appelons << ribozymes ’>les acides nucléiques catalytiques, par analogie aux ribozymes terrestres. Ainsi, certaines séquences favorisent la copie d’autres séquences.. . Entre une réplication qui dure des siècles et une autre réplication cataiysée, la compétition est inégale : la seconde est nettement favorisée. Les séquences qui aident à la copie d’ellesmêmes ou ce séquences associées se multiplient. Les défauts de copie sont nombreux, car il n’existe encore aucun processus de contrôle. Ces erreurs et les allongements d’acides nucléiques font apparaître des molécules encore plus efficaces à l’autocatalyse et à l’autoréplicarion. Ouf, le début était lent, mais les processus de réplication, d’évolution et de sélection s’accélèrent.
Allonger des polypeptides
...
Bien à l’abri sous leur membrane, dans la promiscuité, les acides nucléiques st: mettent à interagir avec les polypeptides. Certains acides nucléiques se lient spécifiquement à un acide aminé particulier d’un pol) peptide parce qu’ils portent une séquence particulière, de forte affinité pour cet acide aminé. Petit à petit, on commence à observer des ;issociations acide nucléique/polypeptide. Grâce à leurs chaînes latérales, les polypeptides interagissent bien plus facilement
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L‘ASSEMBLAGE DE L‘AUTOMATE
avec l’environnement que ne le font les acides nucléiques. Ils catalysent certaines réactions et confèrent de nouvelles propriétés aux acides nucléiques qui les portent. La diversité et la spécificité des ribozymes augmentent, et toutes ces grosses molécules continuent d’évoluer dans un sens qui favorise leurs interactions. Quel genre d’interactions ? On a vu que l’allongement des polypeptides nécessitait un agent de couplage pour favoriser la réaction de condensation entre deux acides aminés. Au cours de l’évolution chimique, il arrive qu’un ribozyme un peu plus complexe que les autres se mette à catalyser cette polymérisation. Des acides nucléiques capables de se répliquer deviennent aussi des agents de couplage dans la formation de polypeptides, reléguant les thioesters au rôle de coenzymes (des substances qui renforcent l’action du catalyseur). .. Ce processus d’allongement des polypeptides est plus rapide que celui qui faisait intervenir les thioesters seuls. Cependant, la production de polypeptides par les ribozymes se fait encore au hasard des rencontres, et on ne peut pas encore parler d’un processus systématique et reproductible, inhérent à la vie.
Le bourgeonnement Alors que nous discutons de l’efficacité de la polymérisation des polypeptides, un nouveau phénomène est apparu. Dans la pizza recouverte d’une membrane, des cycles chimiques lentement mis en place produisent de nouvelles molécules de phospholipides, des acides nucléiques se répliquent, des ribozymes produisent des polypeptides.. . Le contenu de la pizza augmente, et son volume aussi ! La pizza devient un soufflé. La surface de la membrane elle-même augmente par ajout de polypeptides. I1 se forme une boursouflure, qui enfle, qui enfle.. . Quand elle devient trop grosse, la boursouflure se décroche et forme une gouttelette libre (voir la figure 63). C’est le déracinement, la séparation d’avec la surface minérale génératrice, l’autonomie.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Partout où elles se sont formées, au fond des mares ou le long des chaîne:; de fumeurs noirs, les pizzas enflent et bourgeonnent. Des capsules pleines de polymères développant des cycles de réactions chimiques, fermées d’une membrane, s’échappent dans l’univers aqueuu, à l’assaut de la troisième dimension. Pourtant peu d’entre elles engendreront la vie. c
63. Les semi-inembranes posées sur une surface minérale grossissent et finissent par se détacher.
Celles qui ne contiennent pas les éléments nécessaires pour continuer la production de polymères restent inertes. Elles rencontreront un jour des conditions physiques ou chimiques défavorables à leur stabilité : leur membrane se déchirera, et elles se videront, relâchant dans l’environnement leurs précieuses molécules.. . qui ne seront pas perdues pour tout le monde. Ces polymères se dissocieront et viendront nourrir d’autres pizzas. D’autres capsules, une infime minorité, contiennent juste ce qu’il faut pour grossir faiblement : un métabolisme énergétique, un cycle chimique producteur de phospholipides pour alimenter la membrane, des ribozymes capables de se répliquer et de produire des polypeptide>,à partir d’acides aminés. Les polypeptides produits font grossir la capsule et catalysent les réactions métaboliques. Malheureusement, produits au hasard, les polypeptides sont rarement utiles, et la plupart des capsules filles périclitent.. .
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L‘ASSEMBLAGE DE L‘AUTOMATE
Le code C’est alors qu’un processus peu probable fait une apparition inespérée. On a vu qu’un acide nucléique est capable de s’associer spécifiquement à un acide aminé donné, pour former un complexe équivalent aux ARN de transfert de la cellule terrestre. Cette spécificité est donnée par une séquence particulière, nommée anticodon (une suite de trois bases dans 1’ARN terrestre), dont il existe une séquence complémentaire, le codon. Nous assistons à la première transcription sur la planète Tiamat. Un long acide nucléique, que nous nommons messager (vous comprendrez pourquoi), porte une séquence de codons. Au hasard des rencontres, il se lie à un anticodon, porteur de l’acide aminé correspondant. Par chance, la séquence voisine du messager est, elle aussi, un codon : elle attire à elle l’anticodon et l’acide aminé associés. Les deux acides aminés se lient et forment un dipeptide. Le messager accueille ensuite un nouveau couple acide nucléique-acide aminé, correspondant au codon voisin, le dipeptide s’allonge, et ainsi de suite (uoir la figure 64) ... Cette fois, la séquence du polypeptide formé n’est plus le seul fait du hasard : elle est en stricte relation avec la séquence de l’acide nucléique messager. Voilà pourquoi nous le nommons messager : sa séquence porte le message ou le plan de construction d’une chaîne polypept idique.
64. Un brin d’acide nucléique attire à lui des complexes acides nucléiquesacides aminés. Ces complexes servent au transfert des acides aminés, qui peuvent alors se lier par condensation pour former des peptides.
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Si le polypeptide ainsi produit ne présente aucune propriété utile au fonctionnement de l’automate, celui-ci disparaît, à l’instar des capsules stériles de tout à l’heure. Si, au contraire, le polypeptide fabriqué possède des propriétés de catalyse, améliore la réplication, aide à produire d’autres polypeptides’ autrement dit favorise le développement d’une capsule, alors il est sélectionné et, avec lui, l’acide nucléique qui a servi de patron. Bien sûr, au cours des années, d’innombrables combinaisons sont tentées : pour fabriquer un acide rucléique de dix monomères à l’aide de quatre bases nucléiques, on dispose d’un peu plus de un million de séquences possibles ; pour un acide nucléique de 20 monomères, il existe mille milliards de séquences.. . et ces séquences, pour la plupart, se révèlent stériles. Toutefois la Nature est bien plus patiente que nous, observateurs de Tiamat, et les tentatives réussies sont reproduites : les séquences d’acides nucléiques susceptibles de produire des protéines utile,
Les ancêtres des gènes L'objet-tif que nous nous étions fixé au début de notre grand périple aux alentours de Tiamat est atteint : nous avons observé l’assemblage d’un automate doué de métabolisme, de reproduction et d‘évolution Lorsque l’automate produit des protéines, des acides nucléiques, catalyseurs et codant, et d’autres substances indispensables à son fonctionnement, il continue de grossir et de se diviser. L‘automate qui parvient à transmettre à ses descendants tous les éléments nécessaires à leur fonctionnement est sélectionné. I1 faut donc que des molécules d’acide nucléique portent les codes appropriés. Cet ensemble de codes constitue des gènes.
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L‘ASSEMBLAGE DE L‘AUTOMATE
Du fait des erreurs de copie, ces gènes évolueront. Nous n’avons plus la patience de l’observer, mais nous devinons aisément les grandes lignes de cette évolution : soit les gènes recopiés avec des erreurs deviendront inopérants, et l’automate qui en héritera disparaîtra, soit ils deviendront plus efficaces encore, et l’automate s’en trouvera renforcé. L‘évolution chimique se poursuivra elle aussi. De nouvelles associations seront tentées, dont certaines amélioreront encore le fonctionnement de l’automate. Par exemple, la structure des molécules qui portent un code pourra évoluer vers une plus grande stabilité ou vers un mode de réplication plus précis. Sur la Terre, les acides nucléiques précurseurs ont sans doute évolué vers les molécules d’ARN (acide ribonucléique) et vers les molécules d’ADN (acide désoxyribonucléique), lesquelles, sous la forme d’une double hélice, sont plus stables et conservent le code génétique d‘une manière plus robuste que YARN. Des enzymes correctrices ont aussi fait leur apparition : elles sont capables de comparer la séquence d’origine à la séquence produite pour traquer les erreurs et modifier le nucléotide défectueux. L‘automate pourra évoluer vers une forme propre à Tiamat, néanmoins apparentée à la cellule terrestre par l’utilisation de l’eau et des molécules organiques. I1 pourra aussi devenir un c< pirate », tel un virus, qui saura utiliser les mécanismes de la pseudo-cellule pour se reproduire. Le métabolisme évoluera et se diversifiera à son tour, en enrichissant le vocabulaire des acides aminés, en optimisant le nombre de bases des acides nucléiques ou en inventant différentes formes d’exploitation de l’énergie. Si l’automate pratique un métabolisme de façon autonome, à partir de l’hydrogène sulfuré ou à partir de la lumière solaire (par photosynthèse), on le qualifiera d’autotrophe. S’il produit de l’énergie en se nourrissant d’autres organismes, il sera hétérotrophe. I1 est vraisemblable que le hasard permettra l’apparition de divers métabolismes, et qu’une chaîne alimentaire apparaîtra.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Ainsi s’achève notre rêve de chimiste. Aux biologistes de rêver la suite. I1 est temps pour nous de retrouver la réalité.. . sans pour autant. poser le pied sur terre.
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L’exploration spatia le
2 Les frontières de la vie
La pluralité des mondes ? Deux précurseurs l’avaient envisagée. r u n , dans l’Antiquité grecque, se nommait Épicure, et son raisonnement se fondait sur l’hypothèse atomiste de Démocrite : puisque l’Univers contenait des atomes en nombre infini, sans doute renfermait-il aussi une infinité de mondes, semblables ou différents du nôtre. Mille ans après, dans les cachots de l’Inquisition qui allait le brûler vif pour tant d’audace intellectuelle, le moine dominicain défroqué Giordano Bruno affirmait son intuition d’un Univers infini et de mondes multiples : Dieu n’avait sûrement pas limité son infini pouvoir créateur à notre seule planète. Le souvenir de Giordano Bruno reste vivace à Rome., où sa statue domine toujours la Piazza Campo dei Fiori où il fut brûlé (voir la figure 65). L‘idée est devenue moins scandaleuse, quoique toujours originale, en 1686, lorsque le poète et philosophe Bernard de Fontenelle publie ses Entretiens sur la pluralité des mondes. C’est qu’entre-temps l’astronomie a fait quelques progrès, et que l’on a établi l’existence d’autres planètes qui tournent autour du Soleil. Alors pourquoi pas de la vie sur ces planètes, voire des civilisations ? Au X I X ~siècle, on a même supposé que les planètes les plus éloignées du système solaire étaient les plus anciennes, si bien que les êtres qui y vivaient
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65. Giordano Bruno, né en 1548, brûlé sur une place de Rome en 1600, croyait en la pluralité des mondes.
avaient eu le temps de développer une science et des techniques plus avancées que les nôtres. Depuis, la science a confirmé l’immensité de l’Univers. Le système solaire comporte neuf planètes, une vingtaine de satellites de tailles très diverses, sans compter des dizaines de milliers d’aitéroïdes entre Mars et Jupiter, auxquels il faut ajouter des milliers de comètes dans la ceinture de Kuiper, au-delà de Neptune (soit à plus de 30 unités astronomiques du Soleil), et dans le nuage de Oort, aux confins du système solaire, entre 10 O00 et 100 O00 unités astronomiques du Soleil. Le Soleil lui-même n’est qu’une petice étoile parmi les quelque 300 milliards d’étoiles qui peuplent notre galaxie, la Voie lactée, cette dernière évoluant parmi cent milliards d’autres galaxies.. . De ce nombre ahurissant d’étoiles, au moins quelques-unes devraient couver des planètes. O ù chercher ces berceaux possibles ? Quels indices guetter ? Dans quelles conditions le berceau peut-il être occupé ? Dans quels environnements devons-nous chercher des êtres
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LES FRONTGRES DE LA VIE vivants ? Cette dernière interrogation, sans doute la plus simple et la plus primordiale de toutes celles concernant la recherche de la vie extraterrestre, reste néanmoins délicate. Pensez donc : sur la Terre, chaque nouveau territoire exploré, même le plus hostile et le plus désert, se révèle habité. Pouvons-nous connaître les limites de la vie ?
Les extrémophiles Les arguments en faveur de la vie, quelle que soit l’âpreté de l’environnement, sont fournis par la vie terrestre elle-même, notre seule référence. L‘existence d’êtres extrémophiles peuplant des endroits que l’on considérait comme complètement stériles il y a quelques décennies à peine est maintenant démontrée. Ainsi, en 1979, on a découvert les vers Aleiinellidés, vivants à 2 500 mètres de profondeur, dans le voisinage de fumeurs hydrothermaux dont la température dépasse par endroit 350 O C , dans un environnement peu ou pas oxygéné, concentré en éléments chimiques tels que l’arsenic et le plomb, réputés jusqu’alors toxiques pour la vie. Depuis cette date, on a répertorié quantités d’êtres thermophiles (vivant à des températures élevées) et même hyperthermophiles (vivant à des température très élevées). O n connaît aujourd’hui 56 espèces procaryotes (unicellulaires) hyperthermophiles, appartenant au règne des bactéries et à celui des archébactéries, Ces êtres vivent à proximité de sources chaudes, aussi bien marines que continentales. Leur température de croissance optimale est comprise entre 80 et 113 OC ; au-dessous de 60 O C , ils végètent. Les plus frileux d’entre eux, avec une température de croissance optimale supérieure à 95 OC,sont des archébactéries. La plupart de ces organismes se développent en l’absence d’oxygène (anaérobies) et certains sont aussi acidophiles : ils croissent dans un milieu acide, à un pH voisin de 3. Nombre d’entre eux produisent eux-mêmes leur matière organique, à partir de composés minéraux, sulfurés ou azotés : on dit qu’ils sont chimio-autotrophes. L‘ADN linéaire affiche un seuil de rupture à 75 OC,mais celui des
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hyperthermophiles présente quelques caractéristiques inhabituelles. D’abord il $e referme en une boucle, et cette conformation lui permet de résister à des températures supérieures à 100 OC sans que les brins ne se séparent. Ensuite, les bactéries hyperthermophiles connues possèdent toutes une enzyme, la gyrase inverse, qui augmente l’entrelacement des brins d’ADN et donc leur résistance à la dégradation thermique. Enfin, les hyperthermophiles modifient certaines bases de leur ARN pour les protéger. Leurs membranes aussi sont particulières : leur composition et leur structure leur permettent de rester imperméables aux ions jusqu’à 110 OC, contre 60 OC pour les membranes classiques. À l’autre bout de l’échelle de température, on a aussi découvert des organismes psychrophiles, vivant dans les déserts glacés. Les expéditions e n Antarctique ont été riches e n surprises. Dans le détroit de hlac Murdo, où la température moyenne des eaux oscille entre - 1,4 et - 2,151 O C , vivent 14 espèces différentes de poissons Notothénicïdes, entre la surface et 500 mètres de profondeur. Leur taille varie de 15 centimètres pour les plus petites espèces à 1’27 mètre pour les plus grandes. Dix mois par an, ces animaux vivent dans la plus profonde obscurité, car le détroit est recouvert de plus de trois mètres de glace. Ils résistent à des températures de - 5 OC. À ces températures, de la glace devrait se former à l’intérieur de leur corps et y faire des dégâts. Toutefois, ces poissons disposent d’un système antigel efficace : des molécules glycopeptidiques empechent les cristaux de glace de se former à l’intérieur de l‘animal. Non loin de là, dans la vallée Mac Murdo Dry, une région froide et sèche comme son nom l’indique, s’étend toutefois un lac de taille respectable, le lac Vida, long de 6,8 kilomètres. Ce lac est recouvert d’une couche de glace permanente de 19 mètres d’épaisseur. Sur la glace, les ternpératures avoisinent - 80 “C,tandis que la température de l’eau du lac, isolée sous la glace, atteint - 10 OC. Elle reste liquide à cette température, car elle est sept fois plus salée que l’eau de mer.
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LES FRONTIÈRES DELA VIE Dans la glace qui recouvre le lac Vida, une équipe de chercheurs a prélevé une carotte de glace longue de 12 mètres. Elle contenait des spores de bactéries (une forme dormante) à la fois photo-autotrophes, c’est-à-dire ayant besoin de lumière, et hétérotrophes, qui se nourrissent d’autres micro-organismes. Ces microbes étaient associés à du matériel sédimentaire, vieux de 2 800 ans. Malgré cette ancienneté, l’équipe de chercheurs a pu les ramener à la vie << active ». Un autre lac de l’Antarctique, le lac Vostok, présente des formes de vie étonnantes. C’est un énorme réservoir souterrain, long de 240 kilomètres et large de 50. On pense qu’il s’est formé par l’écartement de deux plaques tectoniques, il y a 37 millions d’années, avant que l’Antarctique ne se recouvre de glaces. Le fond du lac est zébré de fissures qui s’enfoncent dans le sol jusqu’à 600 mètres de profondeur. I1 est coiffé par 3 750 mètres de glaces, et ses eaux sont renouvelées en un million d’années environ. Réchauffée par le bas au contact du manteau et refroidie par le haut, l’eau se maintient à une température moyenne de - 3 O C . Elle reste liquide à cause de la pression des presque quatre kilomètres de glace qui la recouvrent. L‘analyse d’un carottage, prélevé en 1998 à une profondeur comprise entre 3’5 et 3’6 kilomètres par 300 atmosphères de pression, a révélé les signatures de bactéries extrémophiles, mais que l’on trouve habituellement près de sources chaudes à 30 ou 50 OC. Ces organismes seraient remontés depuis les fractures du fond du lac. Ces résultats demandent cependant à être confirmés, car les risques de contamination par des bactéries de surface sont grands lorsque l’on effectue des forages de cette ampleur. En Antarctique existent également des micro-organismes parfaitement adaptés à la vie de surface sur les sols gelés, à l’interface entre la mer et les glaces, et dans les glaces elles-mêmes. Plus d’un millier de bactéries appartenant à quinze genres di8érents ont été répertoriées. Elles semblent survivre au froid grâce à deux enzymes (l’a-amylase et une protéase calcium-zinc) qui ont fait l’objet de deux brevets intéressant les industriels du froid.
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Des centaines d’espèces d’insectes terrestres survivent à de longues périodes de congélation, comme la chenille du bombyx du Groenland (Gynaephora groenlandica) qui peut rester gelée pendant dix mois, à des températures inférieures à - 50 “C. Des zoologistes russes ont découvert que la salamandre de Sibérie (Hynobius keyserlingi) est le seul amphibien connu qui hiberne et survit à des températures de - 35 “C. La classe des amphibiens réserve d’autres surprises de taille. Le crapaud Sciiphiopus couchi vit dans des zones désertiques, dépourvues de sources permanentes d’eau. Lors de la saison sèche, il s’enterre jusqu’à un mètre de profondeur et peut ainsi survivre à deux années consécutivm de sécheresse. On a trouvé d’autres êtres survivant à une absence prolongée d’eau. On connaît maintenant une multitude de micro-organismes anaérobies, qui se développent dans un milieu dépourvu d‘air ou d’oxygène , nos intestins en accueillent un grand nombre. On a aussi trouve quelques êtres de plus grande taille. Dans les mares de pétrole, en Californie, prospère la larve de la mouche Psilopa petrolei. Ses orif ices respiratoires postérieurs (les stigmates) sont portés par des appendices qu’elle projette au-dessus de la surface du liquide pour respirer. La prise d’aliments est facilitée par les parois du tube digestif, qui laissent passer les substances assimilables, mais sont imperméables au pétrole. O n a aussi étudié des êtres halophiles (vivant dans des milieux très salés), un exemple étant le crustacé Artemia franciscuna, de 20 millimètres de long, habitant les marais salants ; certains groupes d’archébactéries ne peuvent subsister que dans les saumures et les salaison::, alors que l’on pensait que le sel, à cause des charges électriques des ions en milieu aqueux, désorganisait et détruisait les fonctions moléculaires de la cellule. On connaît aussi des bactéries acidophiles, qui résistent à un pH inférieur à 1, et des alcalinophiles, qui ne s’émeuvent pas d’un pH supérieur à 10. Ces pH sont nocifs pour les longues molécules du
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vivant, comme les acides nucléiques, mais la neutralité est maintenue à l’intérieur de ces cellules, grâce à des enzymes particulières de leur membrane cellulaire, dénommées à juste titre extrémozymes. En 1997, on a même découvert des bactéries vivant sous terre, dans les interstices de la roche, à environ 3 500 mètres de profondeur. Certaines d’entre elles se nourrissent directement de composés minéraux. La résistance du vivant est vraiment étonnante. Les exemples précédents sont indicatifs et n’ont rien d’exhaustif. Récemment, au cours d’une expérience, on a soumis une colonie de un million d’ordinaires et actuelles bactéries Escherichia Coli, écrasée entre deux diamants, à une pression 16 800 fois supérieure à la pression atmosphérique, à 25 “C et pendant 30 heures. Au terme de l’expérience, plus de un pour cent des bactéries avait survécu. Ainsi, les milieux pouvant accueillir le vivant sont divers et nombreux, sûrement encore plus qu’on ne l’imagine sur notre petite planète. Et bien vaste nous paraît l’Univers qu’il faut fouiller pour chercher un second exemple de vie. Paré pour le grand voyage ? Visitons ensemble quelques sites du système solaire, puis envolons-nous plus loin encore, à la recherche d’indices de vie.
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66. Le système solaire : quatre planètes telluriques, la ceinture d’astéroïde, quatre géantes gazeuses, Pluton et la ceinture de Kuiper, sans oublier de nombreux satellites et des comètes.
Les deux sœurs de la Terre Naturellement, le premier réflexe des exobiologistes est de se tourner vers les deux planètes les plus proches de la Terre, Vénus et Mars. Proches, elles le sont par la distance, mais aussi par la composition et la taille.
Sous les voiles de Vénus Vénus est la planète du système solaire qui ressemble le plus à la nôtre. Le rayon équatorial de Vénus vaut 6 052 kilomètres, soit 0,95 fois le rayon de la Terre. La masse de Vénus égale 0,815 fois la masse terrestre et sa densité de 5,95 atteint 0,95 fois la densité terrestre. De même, son énergie thermique doit être comparable à celle de notre planète. Pour autant, Vénus peut-elle accueillir la vie comme le fait la Terre ? Hélas, les espoirs de rencontrer des Vénusiens sont faibles. Même si elle ressemblait sans doute à la Terre autrefois, Vénus est devenue hostile à la vie, à cause de sa température torride, 450 “C à la surface, de son aridité (100 O00 fois moins d’eau sur Vénus que sur la Terre), de sa forte pression atmosphérique, 93 fois supérieure à celle de la Terre, et des pluies acides : des nuages d’acide sulfurique condensent à 70 kilomètres d’altitude. C’est cette atmosphère
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dense, constituée presque entièrement de gaz carbonique, qui est responsable de l’inhospitalité de la planète. Un fort effet de serre empêche le rayonnement infrarouge de quitter la planète et échauffe l’atmosphère. I1 y a quatre milliards d’années, alors que le rayonnement solaire était 30 pour cent moins intense qu’aujourd’hui, la jeune Vénus avait peut-être de vastes océans mais, au fil des millénaires, les océans se sont évaporés sous l’effet des températures très élevée$, ont formé d’épais nuages, qui ont renforcé à leur tour l’effet de serre.
67. Vénus, deuxième planète en partant du Soleil, et son voile de brumes. Sa taille est semblable à celle de la Terre. Sa température de surface est bien plus élevée.
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Même si une chimie prébiotique, voire une vie primitive, s’est développée sur Vénus lorsque l’eau coulait encore à sa surface, nous n’en retrouverons jamais les traces. Géologiquement active, Vénus renouvelle sa surface encore plus rapidement que la Terre, lifting de déesse oblige. Avec un faible taux de cratérisation (on a détecté moins de 1 O00 cratères d’impact), la surface vénusienne est relativement jeune, entre 400 et 700 millions d’années. Sur la Terre, la croûte continentale est beaucoup plus vieille (2,5à 3 milliards d’années), et seul l’âge du plancher océanique est inférieur à 200 millions d’années. Vénus a subi un volcanisme actif et intense qui a constamment rajeuni sa surface : 70 à 80 pour cent de la surface vénusienne est constituée de plaines volcaniques. Le diamètre des volcans vénusiens varie entre quelques kilomètres et un millier de kilomètres, et leur répartition est bien plus diffuse que sur la Terre. En revanche, aucune tectonique des plaques n’y est active. L‘absence d’eau et la température de 450 “C pourraient être les responsables de cette situation : la lithosphère de Vénus n’est pas assez rigide pour être le siège d’une tectonique cassante, et il se peut qu’une tectonique << molle >> soit à l’ceuvre. Toujours est-il qu’il n’existe aucune chance de retrouver un jour des fossiles sur Vénus !
Les Martiens sont-ils verts ? La première candidate sérieuse à l’accueil de la vie à sa surface est la petite sceur de la Terre : Mars, dont le rayon vaut 3 390 kilomètres (contre 6 378 pour la Terre) et qui est placée juste après la Terre par rapport au Soleil, avant la ceinture d’astéroïdes et Jupiter, la planète géante. Voilà longtemps que les astronomes rêvent d’une vie martienne, et même de civilisations avancées. Ainsi, en 1877, l’astronome Giovanni Schiaparelli avait cru déceler la-présence de gigantesques canaux à la surface de la planète rouge, et nombreuses ont été les interprétations en termes de réseaux d’irrigation et de transport., Les observations faites par les missions martiennes Mariner 9, Viking 1 et Viking 2, Mars Pathfinder et Mars Global
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Surveyor contredisent la présence de canaux artificiels et de tout autre artéiact d’une civilisation quelconque, mais elles indiquent que la surface de Mars est sillonnée de lits d’écoulement asséchés. Écoulement d’eau ? De dioxyde de carbone ? La sonde martienne Odyssey, placée en orbite martienne par la Nasa en 2001, est équipée d’un spectromètre qui mesure les rayons gamma émis par le sol martien après l’impact des rayons cosmiques. Ce spectromètre a détecté d’importantes quantités d’atomes d’hydrogène, en surface aux pôles. mais aussi à 60 centimètres de profondeur, jusqu’à 60 degrés de latitude. La présence d’hydrogène suggère fortement la présence de glace d’eau et permet d’attribuer la formation des lits à de l’eau liquide coulant jadis à la surface de Mars. La présence permanente d’eau implique que la température y était maintenue supérieure à O O C , probablement grâce à l’existence d’une atmosphère dense et d’un effet de serre important. La planète a accumulé des micrométéorites à sa surface, à l’instar de la Terre, et une évolution chimique s’est mise en branle. I1 faut donc rechercher sur Mars les traces d’une vie microscopique.
68. Mars, quatrième planète en partant du Soleil, est presque deux fois plus petite que la Terre (ci-dessus). Elle est bien plus froide et son atmosphère est ténue. Sa surface est creusée de cheiaux (à droite) qui indiquent que l’eau a coulé par le passé sur la planète.
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Aujourd’hui, l’atmosphère de Mars est composée essentiellement de dioxyde de carbone, et les molécules d’eau y sont rares. À la surface, l’eau liquide ne coule plus, mais de la glace d’eau recouvre encore les pôles. Aux plus basses latitudes, les températures restent très basses (autour d’une moyenne de - 60 OC), mais remontent jusqu’à O O C en été. Ces conditions ne sont pas incompatibles avec la vie telle que nous la connaissons, puisqu’elles avoisinent celles de l’Antarctique, où l’on a retrouvé des colonies bactériennes. La vie sur Mars serait rythmée par des saisons deux fois plus longues que sur la Terre (l’année dure 687 jours martiens), et le jour martien (dénommé sol) dure 24 heures et 39 minutes.
Les sondes Viking Le but principal des deux sondes Viking lancées en 1976 était de détecter une forme de vie sur Mars. Chaque sonde était constituée d’un satellite et d’un atterrisseur. Elles se sont mises en orbite autour de Mars en juillet et août 1976. Les photographies confirmèrent l’existence des chenaux creusés par une substance fluide, comme l’avait montré Mariner 9, orbitant autour de la planète en 1971. Grâce aux caméras et détecteurs de rayonnement infrarouge, ainsi qu’aux stations radar terrestres, les responsables de la mission leur ont choisi à chacune un terrain d’atterrissage. Les latitudes d’atterrissage avaient été sélectionnées au préalable pour des raisons biologiques : le lieu choisi se trouvait dans l’hémisphère nord et bénéficiait de l’été martien. La longitude importait peu, et a été déterminée en fonction de facilités d’atterrissage. Les modules, télécommandés depuis la Terre, se séparèrent des satellites et se posèrent sur Mars grâce aux parachutes et aux rétrofusées. Ils allaient communiquer leurs renseignements aux satellites, qui les transmettraient vers la Terre.
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69. Le modLle Viking, chargé d’expériences pour rechercher des signes de vie sur Mars en 1976.
Viking 1 s’est posé le 20 juillet, dans la région de Chryse Planitia par 23 degrés de latitude nord. Viking 2 s’est posé le 3 septembre, à lJtopia Planitia, par 48 degrés de latitude nord. Les deux modules étaient distants de 180 degrés de longitude. Leur première tâche consistait à analyser l’atmosphère martienne. Dits la descente, des échantillons atmosphériques étaient prélevés et analysés par spectroscopie toutes les cinq secondes. Près du sol, l’atmosphère se compose de 95 pour cent de gaz carbonique, 2’5 pour cent d’azote, 1’5 pour cent d’argon, le reste étant des traces d’oxygène, d’oxyde de carbone, de néon, de krypton et de xénon. La vapeur d’eau était aussi analysée par des spectromètres à infrarouge. La plus forte concentration e n vapeur d’eau a été mesurée près de la calotte polaire, et cette concentration diminue quand on descend vers le sud. Si toute la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère <deMars se condensait uniformément sur sa surface, on obtiendraii: une pellicule d’eau de un dixième de millimètre d’épaisseur. La pression atmosphérique martienne est de 7’5millibars
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(sur la Terre, elle vaut 1 013 millibars au niveau de la mer). Aux sites d’atterrissage, la concentration de la vapeur d’eau dans l’atmosphère vaut 10 à 30 pour cent de la concentration mesurée aux pôles. Pour que l’eau existe à l’état liquide, la pression de la vapeur d’eau doit être au moins égale à 6,5 millibars. Sur Mars, elle ne dépasse jamais 0,5 millibar, si bien que l’eau gèle ou s’évapore, mais n’est jamais liquide. La deuxième tâche des modules Viking consistait à chercher des manifestations d’une éventuelle vie bactérienne. À bord de chaque module, le laboratoire biologique occupait un volume de 28 décimètres cubes. Six échantillons ont été analysés sur chaque site entre août 1976 et avril 1977. Cinq instruments différents sur chaque module ont recherché la vie martienne. D’abord une investigation visuelle des lieux : deux caméras et deux appareils photographiques, de résolution comprise entre quelques millimètres et 1’5 mètre, couvraient les 360 degrés entourant le module. Aucun signe de vie martienne n’est apparu sur ces documents visuels (ni aucune cité, aucun monument.. .). Ensuite, pour déceler l’existence de matière organique sur la surface, un dispositif combinant un spectromètre de masse et un chromatographe en phase gazeuse devait détecter des composés organiques à une concentration de quelques particules sur un milliard (la concentration de tels composés dans les déserts terrestres est de 100 à 1 O00 sur un milliard). Trois autres dispositifs étaient destinés à détecter d’éventuels micro-organismes présents dans le sol martien à travers leurs manifestations métaboliques. Dans l’expérience << digestion et dégagement de radioactivité », un échantillon martien fut placé au contact d’un milieu nutritif renfermant du carbone radioactif 14C. Un compteur de radioactivité permettait de détecter tout composé gazeux libéré par l’échantillon, sans toutefois en préciser la nature. Une décomposition rapide du milieu nutritif a été observée, décomposition qui ne se produisit pas après une << stérilisation >> préalable des échantillons
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à 50 O C . I&-on
en présence d’un métabolisme générant des composés radioactifs volatils ? Pour préciser la nature de cet éventuel métabolisme, le dispositif précédent était complété par le dispositif << digestion et échange de composés gazeux », équipé d’un chromatographe en phase gazeuse : cet appareil au nom barbare fournit des indications sur la nature des gaz émis après assimilation du milieu nutritif. Lorsque les échantillons furent mis en présence d’eau, les analyses montrèrent un dégagement immédiat d’oxygène, suivi d’un dégagement différé de dioxyde de carbone. Cependant, aucun dégagement gazeux détecté ne peut être attribué sans ambiguïté à des systèmes vivants. La troisième expérience, c< produits photosynthétiques analysés après pyrolyse >> cherchait à mettre en évidence des micro-organismes autotrophes, c’est-à-dire capables de fabriquer leur matière première carbonée par photosynthèse à partir du gaz carbonique atmosphérique. Un échantillon de sol fut placé dans un réacteur contenant une atmosphère martienne simulée avec du dioxyde de carbone (CO,) et du monoxyde de carbone (CO)marqués au 14C.Après irradiation avec une source lumineuse simulant le flux solaire à la surface de Mars, les gaz de départ furent évacués. Puis l’échantillon fut chauffé à 600 OC pour qu’il libère les produits organiques radioactifs éventuellement photosynthétisés. Les gaz de pyrolyse furent analysés à l’aide d’un compteur de radioactivité. Cette expérience donna des résultats positifs, mais ces résultats peuvent être dus à la chimie minérale du sol, donc indépendants d’éventuels processus biologiques. I1 est impossible de prouver que toutes les réactions enregistrées par les instruments de Viking n’avaient aucune origine biologique, mais la majorité des microbiologistes de la vie martienne s’accordent sur un bilan négatif de ces expériences. Ainsi, ni molécules organiques ni vie n’ont été détectées à la surface de Mars et sur une profondeur de quelques centimètres. En fait, le sol martien semble renfermer des oxydants puissants, produits par photolyse dans l’atmosphère et/ou par des processus photochimiques au 168
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niveau du sol. La présence d’oxydants exclut toute accumulation de molécules organiques à la surface de la planète. Des calculs de simulation suggèrent que la diffusion des oxydants dans le sous-sol ne devrait pas dépasser une profondeur de trois mètres. L‘absence de matière organique à la surface de Mars pourrait également être due à des processus de dégradation directe par les ultraviolets solaires, l’atmosphère martienne ne possédant pas de couche d’ozone protectrice. Cette décomposition par photolyse directe ne devrait toutefois affecter que la première dizaine de micromètres de la surface des grains du sol et des roches. I1 est donc encore difficile de conclure. Deux sondes, c’est tout de même peu pour explorer une planète, fût-elle plus petite que la Terre. Imaginez que des sondes atterrissent dans le Sahara : la probabilité d’y trouver la vie serait faible mais.. . pas nulle !
Les météorites martiennes Les voyages vers Mars sont tout de même assez rares, il est donc impossible de reproduire les mêmes expériences, pour tenter de lever l’ambiguïté de leurs résultats. En revanche, il arrive que Mars vienne à nous. Une catégorie de météorites tombées sur la Terre présente des caractéristiques inhabituelles, que les spécialistes ont définies comme les signatures de leur origine martienne : elles semblent provenir de volcans ou de laves en fusion, et se seraient formées en présence d’eau liquide. La catégorie est désignée par les trois lettres SNC, initiales des sites qui accueillirent les trois premières météorites martiennes connues : Chassigny, en Bourgogne, le 3 octobre 1815, Shergotty, en Inde, le 25 août 1865, Nakhla, en Égypte, le 28 juin 1911. Selon leur signature isotopique, en particulier le rapport des concentrations des isotopes 16, 17 et 18 de l’oxygène, ces pierres semblent bien provenir de Mars. Elles auraient été projetées dans l’espace à la suite de l’impact d’un astéroïde tombé sur Mars, puis, des millions d’années après, auraient été capturées par la gravité terrestre.
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Les météorites SNC, composées d’olivine ou de roches basaltiques, attestent d‘une activité volcanique. Les carbonates et les sulfates accumulés dans leurs fractures témoignent de la présence d’eau liquide sur la planète rouge il y a quelques millions d’années. En 1979, en Antarctique, on a ramassé la météorite martienne EET-A79001, qui avait la précieuse particularité de contenir des petites poc‘hes de gaz atmosphérique. O n a soumis un morceau du précieux caillou à une température de 1 500 “C pour en libérer les gaz et les analyser : la composition des gaz était la même que celle de l’atmosphère martienne, déterminée par les analyses de Viking. EET-A79001 témoigne aussi de la présence de molécules organiques dans le sol martien. Les ingrédients qui ont permis l’apparition de la vie sur la Terre étaient donc rassemblés sur Mars. I1 est dès lors tentant: de penser qu’une vie élémentaire de type terrestre ait pu apparaître et se développer sur la planète rouge. Trouvcie plus récemment dans le désert du Sahara, en décembre 2000, la météorite martienne NWA-817 signalerait même la présence d’eau en profondeur, d’après les rapports de concentration de l’hydrogène et du deutérium (l’isotope lourd de l’hydrogène). Cette information est encore plus excitante que la présence passée d’eau en surface, puisque s’il y avait de l’eau e n profondeur il y a quelques millions d’années, cette eau doit s’y trouver encore aujourd’hui. La mcitéorite martienne baptisée ALH-84001, tombée en Antarctique voici 13 O00 ans et trouvée à Allan Hills en 1984, a fait couler k,eaucoup d’encre. Le 6 août 1996, le directeur de la Nasa annonce la découverte, au sein de cette météorite, de traces fossiles de bactéries martiennes vieilles de trois milliards d’années. À cette époque, Mars était plus chaude et plus humide, avec une atmosphère riche en gaz carbonique. L‘équipe de la Nasa observe, lovées dans des nodules de carbonate, des structures allongées, vermiformes, mesurant entre 20 et 100 milliardièmes de mètres (mille fois plus minces qu’un cheveu) ; elle les interprète comme des
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nanofossiles >> de micro-organismes, ce qui déclenche une controverse mondiale. Cependant les structures allongées semblent trop petites pour des bactéries fossiles : elles sont 100 fois plus petites que les bactéries terrestres. Leur origine biologique est âprement discutée : elles auraient tout aussi bien pu être formées par des processus minéraux consécutifs à des infiltrations d’eau terrestre. Elles peuvent aussi provenir d‘une contamination de la météorite par des micro-organismes terrestres. Enfin, récemment, des chercheurs ont découvert dans ces nodules de carbonate des cristaux de magnétite semblables à ceux que synthétisent des microbes dénommés inagnétobactéries. Cette découverte a été brandie comme preuve de la présence de vie martienne dans la météorite. Là encore, l’argument n’est pas absolument convaincant, car des cristaux identiques ont été obtenus en laboratoire, d’une manière totalement artificielle. Pour autant, ALH-84001 a contribué à une découverte étonnante concernant la vie.. . sur la Terre. En 1996, dans des éclats collectés en 1994 d’une météorite tombée en 1931 dans le désert de Tunisie, à Tataouine, une équipe française observe des structures minérales, d’origine purement terrestre, semblables à celles trouvées dans la météorite martienne. Le sable du désert environnant est alors analysé, et une nouvelle espèce de bactérie découverte : Ramlibater tataounensis, la plus petite bactérie connue vivant sur la Terre. Dans des conditions de manque d’eau extrêmes, ces bactéries peuvent réduire leur taille jusqu’à 60 nanomètres (millionièmes de millimètre) pour économiser leurs réserves. Depuis, des bactéries aussi petites ont été découvertes dans les déserts froids et secs de l’Antarctique. Ainsi, vraisemblablement, les traces filiformes découvertes dans la météorite ALH-84001 pourraient être la signature d’êtres vivants, mais probablement terrestres, compte tenu du long séjour (13 000 ans) de la météorite en Antarctique. <<
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La vie fossile sur Mars S’ils oiit existé, les anciens océans martiens ont dû générer d’important j gisements sédimentaires. Ces sédiments constituent des sites pr,vilégiés pour la recherche de vestiges des molécules organiques et des bactéries fossilisées, à condition qu’ils soient à l’abri des rajcms ultraviolets et des oxydants. En 1997, le robot martien Sojourner de la mission Pathfinder a analysé six sols et cinq roches autoiir de son site d’atterrissage dans Ares Vallis. Les sols analysés sont tous identiques et ressemblent à ceux qu’avaient analysés les sondes Viking. La composition des roches rappelle celle des andésites terrestres (roches ayant subi plusieurs fusions) et se rapproche de celle de la croûte terrestre. Cependant, les résultats obtenus sont ir,suffisants pour pouvoir trancher entre une origine volcanique ou sédimentaire. CAgence spatiale européenne (Esa) a confié à un groupe d’exobiologistes eiiropéens, piloté par l’auteur, le soin de définir la station idéale pour la recherche in situ de traces de vie sur Mars. La station martienne d’exobiologie devra rechercher des molécules organiques dans des endroits protégés des ultraviolets et exempts d’oxydants (gros rochers, proche sous-sol) ainsi que d’éventuelles colonies de bactéries fossilisées dans des roches sédimentaires. Pour cela, la station martienne réalisera six opérations successives : pendant la descente, toute la zone d’atterrissage sera étudiée d’un point de vue géologique et minéralogique ; puis le site lui-même sera scruté (singularités miiiéralogiques, état radiatif et processus d’oxydoréduction) ; des échantillons du proche sous-sol et de l’intérieur des roches seront prélevés ; ils seront soumis à des analyses organiques (composition élémentaire, moléculaire, isotopique, chiralité) et minérales (compositiori élémentaire, degré d’oxydation, oxydants) ; ils seront enfin examinés à diverses échelles macroscopiques et microscopiques, à la recherche des indicateurs paléontologiques, biologiques et minéralog iques d’une vie bactérienne fossilisée.
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70. Le module Beuglez recherche des traces de vie sur Mars.
À l’initiative de l’Esa, deux études ont été menées en parallèle par Kayser-Threde et Officine Galileo. Elles ont démontré la faisabilité d’une telle station, dont la charge utile serait de l’ordre de 70 kilogrammes. Une version simplifiée de la station d’analyse martienne, nommée Beugle 2 en hommage au navire de Charles Darwin, a été réalisée au Royaume-Uni sous la direction de Colin Pillinger et embarquée sur la mission européenne Murs Express 2003. Les échantillons seront prélevés dans les roches de surface à l’aide d’un bras articulé et dans le proche sous-sol à l’aide d’une << taupe >> mécanique, qui s’enfouira elle-même. Le bras articulé permettra de placer contre les roches de surface un broyeur-carottier, une caméra, un microscope et des spectromètres de masse performants. Les échantillons prélevés seront analysés sur l’atterrisseur
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après combustion oxydante par paliers de températures. Cette technique permettra de détecter la présence de carbone, d’en déterminer la nature minérale ou organique ainsi que la distribution isotopique. Cette même année 2003, la Nasa et le Jet Propulsion Laboratory ont lancé deux robots mobiles Mars Exploration Rower, Spirit et Opportunity, semblables au petit Rocky de la mission Pathfinder de 1997. Ces robots de 150 kilogrammes, montés sur six roues, parcourent 100 mètres par jour. Leur mission est principalement géologique : leurs instruments recueillent les données nécessaires à la (détermination des climats anciens de Mars et de la présence d’eau. La Nasa et le Cnes avaient entrepris un programme ambitieux de retour d’tkhantillons martiens, initialement prévu pour les créneaux planétaires 2003/2005.Cette mission a été reportée sine die, au grand da- des scientifiques qui espéraient apprendre beaucoup sur la formacion de la planète rouge, sur sa chimie et sur son éventuelle biologie, présente ou passée. Rendez-vous néanmoins dans quelques années, car tout espoir n’est pas perdu !
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Du côté des planètes géantes
De la vie sur les planètes géantes, Jupiter, Saturne, Neptune ? Impossible ! La gravité y est si énorme, l’atmosphère y est si épaisse et si dense, que l’on imagine mal une créature s’y développer. Ou alors, la vie différerait grandement de la nôtre.. En revanche, parmi leur cortège de satellites, certains pourraient jouer le rôle de planètes-laboratoires : celui-ci recouvert de glace, cet autre muni d’une atmosphère épaisse, pourraient soit accueillir la vie, soit avoir atteint un stade prébiotique équivalent à celui qu’a connu la Terre il y a quatre milliards d’années. Ainsi, hormis Mars que nous venons de considérer, deux candidats sont à retenir parmi les nombreux objets du système solaire : Europe, un des quatre gros satellites de Jupiter, et Titan, le plus gros satellite de Saturne.
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Sous la banquise d‘Europe Pourquoi Europe abriterait-elle la vie ? À première vue, rien n’est plus inhospitalier que le plus petit des gros satellites de Jupiter, ne serait-ce qu’à cause de son éloignement du Soleil, égal à plus de cinq unités astronomiques (cinq fois la distance de la Terre au
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Soleil). Europe a un rayon légèrement inférieur à celui de la Lune, de 1 569 kilomètres. Elle orbite à environ 600 O00 kilomètres de Jupiter, en deuxième position, précédée par Io, satellite volcanique, et suivie par Ganymède, le plus gros satellite du système solaire (deux fois plus gros qu’Europe). Imaginez ce que pourrait être le ciel d’Europe, Jupiter occupant plus du tiers du champ de vision, Ganymède et Io présentant successivement leurs faces changeantes.
71. Les quatre plus gros satellites de Jupiter.
La surface d’Europe, faite de glace, présente peu de cratères d’impacts, ce qui suggère un remodelage continu de la surface, peutêtre par tectonique. Europe-la-froide est encore plus coquette que Vénus-la-chaude. O n a évalué l’âge de sa surface à dix millions d’années, ce qui est bien jeune, et ce malgré l’absence de volcanisme. En 1979, puis en 1980, la sonde spatiale Voyager photographiait Europe en nous révélant sa surface gelée. De profondes stries, un air de ressemblance avec la banquise antarctique terrestre : s’agit-il d’énoimes blocs de glace flottant sur un océan liquide ? Si l’existence de cet océan sous-glaciaire était avérée, nous aurions là la première preuve d’une présence d’eau liquide en dehors de la Terre. Depuis Voyager, la sonde Galileo a fourni bien d’autres ren-
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seignements (voir la figure 72). On a vu d’énormes blocs de glace pivoter sur eux-mêmes, sous l’effet de forces vraisemblablement développées par un sous-sol fluide. D’après les mesures de champ gravitationnel effectuées par Galileo, la glace qui emprisonne Europe aurait une épaisseur comprise entre 20 et 170 kilomètres.
72. L: 2 surface d’Europe, vue par la sonde Galileo, est celle d’une éniorme banquise.
Théoriquement, la chaleur nécessaire au maintien de l’eau à l’état liquide sous une telle épaisseur de glace serait apportée par les fortes marées engendrées par Jupiter, mais aussi par les satellites Io et Ganymède. Ces marées océaniques sous-glaciaires auraient pu former les stries en forme d’arcs que Galileo a photographiées à la surface d’Europe. De surcroît, la spectroscopie dans le proche infrarouge a révélé la présence de dépôts de sels à la surface d’Europe,qui pourraient provenir de remontées d’eau océanique salée. Le sel et la pression causée par le poids de la glace contribueraient au maintien de l’eau à l’état liquide. Enfin, Galileo a enregistré récemment un champ magnétique induit dans le champ magnétique de Jupiter traduisant la
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présence d’un conducteur électrique sur Europe. L‘océan d’eau salée pourrait jouer ce rôle de conducteur électrique. Toutes ces observations plaident en faveur de l’existence d’un océan sous.,glaciaired’eau salée. I1 importe de savoir maintenant s’il existe sur Europe un magma capable de transférer la chaleur du cœur plan’ttaire vers le fond océanique pour créer des sources hydrotherniales et, par conséquent, des molécules organiques. L‘effet de riarée est-il suffisant pour fondre les silicates à des températures supérieures à 1 200 “C ? Le volcanisme de Io, le satellite qui orbite entre Europe et Jupiter, pourrait également représenter une manne : la magnétosphère de Jupiter, qui s’étend jusqu’à plus de 30 rayons joviens et englobe à la fois Io et Europe, permettrait de transporter des molécules de Io à Europe. On a observé que ces volcans créent autour d’eux des atmosphères temporaires à base de dioxyde de soufre (SO,). La mise en évidence d’un magma sur Europe fait partie des objectifs prioritaires de l’exploration de cette planète. Si Europe a maintenu une activité de marée et une activité hydrothermale sousglaciaire, une vie bactérienne a pu y apparaître et y est peut-être encore active. Rappelons que des conditions semblables sur la Terre, observées dans différents lieux de l’Antarctique, n’ont en rien freiné le développement de micro-organismes de plusieurs espèces. Europe apparaît ainsi comme un lieu privilégié du système solaire, pouvant héberger de l’eau liquide et une vie bactérienne actuelle.
Titan, laboratoire naturel à l‘échelle planétaire Poursuivons notre croisière interplanétaire, et dépassons le système jo\.ien pour atteindre la deuxième planète géante, Saturne. Au-delà de ses anneaux, Saturne administre u n chapelet de petits satellites. Parmi eux, Titan, le deuxième satellite en taille du système solairi (après Ganymède), se distingue nettement. Son rayon mesure 2 5’75 kilomètres, soit moins de la moitié du rayon terrestre. Le demi grand axe de son orbite autour de Saturne est de 1 222 O00
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kilomètres. Sa densité moyenne de 1,88 gramme par centimètre cube indique qu’il doit se composer de roches et de glaces en quantités à peu près égales. Du fait de cette composition proche de celle de la Terre primitive, et même s’il ne possède pas de noyau métallique conducteur ni, par conséquent, de champ magnétique, il a droit à la dénomination de << planète tellurique », comme la Terre, la Lune, Mars, Vénus et Mercure.
73. Des satellites de Saturne, Titan est le plus gros.
Nombre de ressemblances avec la Terre font de Titan un sujet d’étude pour les planétologues, les géochimistes, les climatologues et les exobiologistes. Son atmosphère est dense, distribuée en couches autour de la planète, à l’instar de l’atmosphère terrestre (voir la figure 74) : dans la troposphère, de la surface à la tropopause, la température diminue continûment de - 175 OC à - 200 OC, tandis que la température de la stratosphère, réchauffée par le rayonnement du Soleil, augmente avec l’altitude.
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74. L'atmosphère de Titan est structurée d'une manière semblable à celle de la Terre.
L'atmosphère de Titan est constituée d'azote moléculaire (N,) à plus de 90 pour cent et sa pression avoisine 1,5 bar (1 bar sur la Terre). Le méthane (CH,), gaz à effet de serre, est le deuxième composant maleur, présent à deux ou trois pour cent. Ces deux éléments, azcte et méthane, sont continûment dissociés à haute altitude par le rayonnement ultraviolet du Soleil. Normalement, le méthane aiirait dû être entièrement détruit par ce processus en dix millions d'années, aussi soupçonne-t-on l'existence de mers et de lacs de méthane liquide. La dissociation du méthane libère des petits groupes d'atomes réactifs (radicaux) contenant carbone et hydrogène. Ceux-ci se recombinent en composés organiques au-dessous de 200 kilomètres d'altitude et produisent les épaisses brumes orangées qui voilent la planète. On a ainsi détecté les traces de cinq hydrocarbures : acétylène (C,H,), éthane (C,H,), éthylène (C,H,),
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propane (C,H,), propyne (C,H,). Sont également présents des composés organiques azotés, ou nitriles, réactifs essentiels à toute chimie prébiotique, comme l’acide cyanhydrique (HCN) ou le cyanogène (C,N,), le cyanoacétylène (HC,N), le dicyanoacétylène (C,N2), l’acétonitrile (HC,CN). Quelques composés oxygénés comme le monoxyde de carbone (CO) et le dioxyde de carbone (CO,) sont également présents, mais en très petites quantités (rapports de mélange de 2,O x et de 1’4 x respectivement, contre 0,90 à 0,99 pour les composés azotés). Les molécules ainsi formées, sous forme de gaz et d’aérosols, sont distribuées tout autour de la planète par les vents, et avec quelle efficacité ! L‘atmosphère de Titan est en super-rotation : dans les hautes couches équatoriales, elle tourne dix fois plus vite que la planète elle-même. En résumé, l’atmosphère de Titan est un véritable laboratoire de chimie prébiotique à l’échelle d’une planète toute entière et sur des temps géologiques. Récemment, grâce au satellite ISO, on a détecté de très faibles quantités de vapeur d’eau dans la haute atmosphère (rapport de mélange de seulement). On a aussi déterminé la présence de glace d’eau à la surface de Titan en étudiant la réflectivité du rayonnement infrarouge à partir de la Terre. Même s’il est possible que le bombardement de la surface par des météores provoque temporairement des fontes locales de la glace, la surface de la planète est trop froide pour que l’eau s’y trouve à l’état liquide d’une manière permanente. De ce fait, l’étude de Titan permettra de définir, indirectement et par défaut, le rôle de l’eau liquide en exobiologie.
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75. La sonde Huygens de I’Esa étudiera l’atmosphère de Titan dès le second semestre 20c,4.
Parti de Cap Kennedy, en Floride, le 15 octobre 1997, à bord d’une fusée Titan IV Centaure, le vaisseau Cassini atteindra le système de Saturne en juillet 2004, se mettra en orbite autour de Saturne et, au début de 2005, larguera la sonde Huygens de 1‘Esa. Celle-ci, pendant les deux heures et demie de sa descente, analysera finement l’atmosphère de Titan et les aérosols orangés qui en font partie, avant de se poser sur sa surface. Pendant plus de quatre ans, Titan sera passé au peigne fin. Les données recueillies seront essentielles à norre compréhension exobiologique de Titan. Nous sommes encore loin des civilisations extraterrestres et des Titaniens orange e n forme de crabes. Pourtant l’observation - ou non - d’organismes vivants ailleurs que sur la Terre nous aidera à estimer les probabilités de l’apparition de la vie sur une autre planète, parmi les milliards que compte probablement l’univers, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
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L‘au-delà n‘est pas vide.
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Malgré l’espoir que caressent les exobiologistes de trouver un deuxième exemple de vie dans le système solaire, il faut bien reconnaître que cet alter ego reste bien discret. Dès lors, tout en scrutant notre proche banlieue solaire, nous nous tournons vers d’autres étoiles. Nous projetons notre attention à plusieurs années-lumière de nous, l’étoile la plus proche du Soleil, Proxima Centauri, étant distante de 4,2 années-lumière (soit environ 40 O00 milliards de kilomètres ou près de 300 O00 unités astronomiques). En regardant le ciel étoilé, ne vous êtes-vous jamais demandé combien de planètes ces feux célestes réchauffaient ? Depuis les premières images du télescope spatial Hubble, nous savons que la formation d’un système stellaire est un événement courant dans l’univers. Dans la nébuleuse d’Orion, de nouvelles étoiles, âgées d’à peine un ou deux millions d’années, s’entourent encore d’un disque protoplanétaire (revoir la figure 47 page 1 14). Ces objets sont de grande taille et émettent une lumière infrarouge que nous savons détecter. L‘ennui est qu’à un stade ultérieur, les nouvelles planètes sont trop petites et émettent trop peu de lumière pour être visibles, même à travers le meilleur télescope jamais conçu. Les astronomes
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doivent déployer des trésors d’habileté pour parvenir à détecter ces cachottières. Une manière de faire consiste à détecter les infimes oscillations d h n e étoile causées par la présence de planètes massives dans son voisinage. Expliquons-nous. Une planète telle que Jupiter est captive de son étoile, le Soleil, car la force gravitationnelle est en action. Cependant, cette force est réciproque, si bien que le Soleil ressent aussi la présence de Jupiter : au lieu de rester immobile, le Soleil fait des petits tours de valse avec sa planète autour du centre de gravité commun du système étoile-planète, ou barycentre. Quelle qu’elle soit, si une étoile retient par sa gravité une planète assez massive, elle effectue une petite ronde que les astronomes peuvent détecter en étudiant sa vitesse. En effet, en s’éloignant et en se rapprochant régulièrement de l’observateur, l’étoile change légèrement de couleur (c’est ce qu’on appelle l’effet Doppler). I1 a fallu des années d’observation et le suivi systématique de vitesses de centaines d’étoiles pour épingler la première planète extrasolaire de l’histoire (on les appelle maintenant des exoplanètes). L‘événement a été annoncé en septembre 1995, et on le doit aux Suisses Michel Mayor et Didier Queloz, qui ont mené patiemment leurs observations à l’observatoire de Haute-Provence. À 42 années-lumière de nous brille l’étoile 5 1-Pégase, la 5 1“étoile de la constellacion de Pégase par ordre de brillance décroissante. C’est une étoile stzmblable au Soleil, et elle effectue une petite ronde qui signale la présence dans son proche voisinage d’une planète deux fois moins massive que Jupiter, mais tout de même 159 fois plus massive que la Terre ! C’est vraisemblablement une géante gazeuse. La nouvelle a été fracassante et la surprise était double. D’abord ce:; astronomes ne cherchaient pas de planète (ils traquaient des naines brunes, petites étoiles assez froides), ensuite personne ne s’attendait à en trouver si près de l’étoile et tournant si vite : elle se trouve 20 fois plus près de son étoile que ne l’est la Terre du Soleil ( à 0,05unité astronomique), et elle boucle son orbite en 4,2 jours. Pour comparaison’ Jupiter est distante du Soleil
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de cinq unités astronomiques, et tourne autour en 11,8 années. C’est d’ailleurs à cause de ces caractéristiques joviennes que l’ée quipe américaine de Geoffrey Marcy avait manqué la primeur de la découverte : ses membres cherchaient une période de révolution de plusieurs années. Comme quoi, il faut parfois savoir faire preuve d’imagination et oser sortir des sentiers battus.
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Jupiter
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trop chauds
Malheureusement pour la recherche de la vie extraterrestre, cette planète, dénommée 5 1-Pégase-b selon la nomenclature internationale, est si proche de son étoile qu’elle aurait une température de 1 500°C)totalement hostile à la vie. Depuis 1995, les découvertes de planètes extrasolaires se sont multipliées. Pour le moment, les moyens techniques et informatiques ne permettent que de pister les planètes géantes, qui, du fait de leurs dimensions, ont une influence gravitationnelle notable sur leur étoile. Nous en connaissons aujourd’hui plus d’une centaine, dont une vingtaine sont des << Jupiter chauds »,chauffés à plus de 1 O00 “C par leur étoile toute proche. Pas très propice à la vie.. . I1 a fallu que les astrophysiciens révisent rapidement leur modèle de formation d’un système planétaire, puisque les planètes géantes étaient censées se former loin de leur étoile. Cette discussion sortirait du cadre de cet ouvrage, mais sachez seulement que les interactions d’une jeune planète géante avec le disque protoplanétaire peuvent la conduire à migrer vers l’étoile jusqu’à une zone vidée de toute matière par l’action du vent stellaire. Parvenue à ce point, selon la distance qui la sépare de l’étoile, la géante gazeuse peut être soit détruite par les forces de marée gravitationnelle, soit dépouillée de son enveloppe gazeuse, soit se stabiliser. La dernière option est celle qu’a choisie 5 1-Pégase-b. La deuxième option, la fuite de l’enveloppe gazeuse de la géante, est celle que subit l’infortunée planète détectée en 1999 autour de llé* toile HD209458, à 153 années-lumière de la Terre (encore dans la
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constellation de Pégase) : avec une période de révolution égale à 3,5 jours, elle est distante de son étoile de seulement 0,046 unité astronomique. Si2 courte période de révolution a laissé tout loisir de l’étudier. Sa masse ne vaut que 0,63 fois celle de Jupiter, et son diamètre est égal à 1,3 fois celui de Jupiter : elle est donc très peu dense, trois fois moins que l’eau, et flotterait comme un bouchon de liège si on pouvait la poser à la surface d’un immense océan. À moins de sept millions de kilomètres de son étoile, la température à sa surface atteint 1 200 OC. À cette température, la haute atmosphère de la planète se dilate à l’extrême. Sous la pression de la lumière émise par l’étoile, les atomes d’hydrogène s’échappent à plus de 100 kilomètres par seconde. Autrement dit, la planète perd au moins 10 O00 tonnes de gaz par seconde, formant une immense queue qui ferait ressembler la planète à une gigantesque comète. Le télescope spatial Hubble a détecté l’ombre que projette cette queue sur l’étoile, jusqu’à 200 O00 kilomètres de la planète. Sans doute cette planète a-t-elle atteint la limite de proximité avec son étoile, au-delà de laquelle les planètes s’évaporent ou son dissociées par des effets de marée. Ainsi, même si l’analyse de son atmosphère a permis d’identifier la présence de sodium, on voit mal la vie émerger de conditions aussi instables.
Des systèmes multiplanétaires
En 1939, les équipes américaines de Geoffrey Marcy et de Timothy Brown annoncèrent la découverte du premier système multiplanétaire. Autour de l’étoile Upsilon-Andromède, située à 44 années-himière du Soleil, gravitent au moins trois planètes. Détectée dès le mois de juin 1996, la planète Upsilon-Andromèdeb est un Jupiter chaud : 0,68masse jovienne, à 0,06unité astronomique de l’étoile, période de révolution de 4,6 jours. La planète suivante, Upsilon-Andromède-c, est située à 0,82unité astronomique et pè:ie deux masses joviennes, pour une période de 241 jours. Enfin, la planète Upsilon-Andromède-d gravite à 2,5 unités astronomiques et pèse 4’3 Jupiter, pour une période de 1 309 jours (trois 186
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années et demie). Les deux dernières planètes ont une orbite excentrique, en ellipse allongée. Disons que les saisons y seraient très marquées : une partie de l’orbite est proche de l’étoile, donc très chaude, la deuxième en est éloignée, donc bien plus fraîche ... C’est une autre différence avec le système solaire, où les orbites des planètes sont presque circulaires (sauf pour les petites Mercure et Pluton). Le deuxième système planétaire découvert, autour de HD83443, à 141 années-lumière de nous, est constitué (pour le moment !) de deux planètes, toutes deux plus proches de leur étoile que ne l’est Mercure du Soleil : l’une de 0,35 masse jovienne, distante de 0,04 unité astronomique, avec une période de trois jours, l’autre de 0,16 masse jovienne, distante de 0,17 unités astronomiques, avec une période de 30 jours. Au moment de sa découverte, cette dernière planète était aussi la plus petite, la moitié de Saturne. Toutefois elle reste bien plus grosse que les planètes telluriques et beaucoup trop proche de son étoile pour receler de la vie. Dans la constellation du Cancer, un autre système planétaire mérite attention. Au jour d’aujourd’hui (en 2003), on connaît trois planètes autour d’une étoile aussi âgée que le Soleil, l’étoile 55-Cancri, à 41 années-lumière de l’endroit où vous venez de garer votre voiture. La planète 55-Cancri-b est un Jupiter chaud : 0,84masse jovienne, distante de 0,11 unité astronomique, avec une période de 14,6 jours. La planète 55-Cancri-c est quatre fois moins massive, deux fois plus distante de son soleil, avec une période de 44,2 jours. La troisième est plus intéressante, car ses caractéristiques nous rappellent le pays : elle pèse quatre masses joviennes, se situe à une distance respectable de son soleil, de 5,9 unités astronomiques (Jupiter : 5,2 unités astronomiques), et en fait le tour en 14 ans (Jupiter en 11,8 ans). Dans le champ gravitationnel du système de l’étoile 55-Cancri, pourrait-il y avoir une planète tellurique de la dimension de la Terre orbitant à une unité astronomique ? La question a été posée à Gregory Laughlin, de l’université de Californie à Santa Cruz, spécialiste des modèles planétaires numériques. Verdict des ordinateurs : orbite stable.
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Zones habitables ? Toutes les planètes détectées pour le moment sont des géantes gazeuses, dont on pense qu’elles ne peuvent accueillir la vie. En revanche, le système planétaire qui les contient pourrait comporter des planètes plus petites, de type terrestre, comme nous l’espérons pour le systkme de 55-Cancri. Et puis rien n’empêche les planètes géantes d’accueillir des satellites ! Ceux-ci pourraient-ils alors présenter des conditions favorables à l’apparition de la vie ? Tout dépend de leur éloignement à l’étoile. Partons toujours de l’hypothèse qu’il faut de l’eau liquide pour que la vie apparaisse. Dans le système solaire, Vénus est trop chaude pour garder de l’eau liquide à sa surface, tandis que Mars est trop froide. Est-ce parce que Vénus est trop proche du Soleil (0,7 unité astronomique) et Mars trop éloignée ( 1 3 unité astronomique) ? À première vue oui, mais nous avons vu que la température d’une planète était aussi déterminée par l’effet de serre produit par son atmosphère. Ainsi, on peut imaginer que si Vénus avait été plus petite, une partie de son atmosphère aurait fui dans l’espace, et elle aurait été plus froide. Inversement, si Mars avait été plus grosse, ou si un processus volcanique avait maintenu une atmosphère plus dense, elle iurait peut-être gardé de l’eau liquide à sa surface. En première approximation, on peut supposer, avec la majorité des spécialistes, qu’e la zone habitable autour de notre étoile s’étend entre 0,6 et 1,5 uriité astronomique. Ces distances limites varient selon la luminosité de celle-ci. Autour d’une étoile 25 fois plus brillante que le Soleil, la zone habitable devrait être cinq fois plus éloignée. Autour d’une étoile dix fois plus faible, elle devrait s’approcher presque autant que Mercure, entre 0,2 et 0,4 unité astronomique. En outre, d’autres sources d’énergie, telles que volcanisme et effets de marée, pourraient aider à maintenir de l’eau liquide au-delà de ces distances, par exemple sur quelques satellites des géantes gazeuses. C’est ce que nous avons supposé pour Titan et Europe, mais l’hypothèse demande encore à être confortée par des faits probants. 188
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Quoi qu’il en soit, parmi le catalogue de systèmes planétaires détectés, nombreux sont ceux qui pourraient être habitables.
Sonder les planètes Quand pourra-t-on << voir >> directement une telle planète ? Le défi semble relever de l’impossible. Cela revient en gros à chercher à photographier depuis Paris un ver luisant situé à 30 centimètres du phare de Marseille. O n espère toutefois y parvenir un jour. La méthode la plus proche de la vision directe est celle des transits. Elle consiste à mesurer la perte de luminosité d’une étoile lorsqu’une planète passe devant elle : une sorte d’éclipse partielle d’un moucheron devant un mastodonte. C’est par cette méthode qu’a été détectée la planète HD209458-b en 1999. Pour l’instant, cette technique ne peut révéler que des << Jupiter chauds ». En effet, une telle éclipse n’est visible sur la Terre que si le système planétaire se présente par la tranche, c’est-à-dire si l’étoile et sa planète sont alignées avec le Soleil. Cette configuration se présente rarement, et d’autant plus rarement que la planète visée est éloignée de son étoile. Le télescope spatial Hubble et son successeur NGST (Next Generation Space Telescope), dont le lancement est prévu pour 2008, pourront pointer des étoiles et effectuer une recherche systématique de transits. Une telle expérience a déjà été menée en 1999 vers l’amas globulaire 47-Toucan. Hélas, pour 27 O00 étoiles pointées par Hubble, pas le moindre transit n’a été observé. La principale cause de cette pêche bredouille serait une question de génération. I1 apparaît en effet que les étoiles accompagnées de géantes gazeuses sont plus riches en éléments lourds, les métaux, que la moyenne stellaire. Ce sont donc les étoiles métalliques qu’il faudrait observer en priorité, et ce n’est pas le cas des étoiles de 47-Toucan. Signalons que NGST sera plus grand que Hubble (donc plus précis) et qu’il est prévu pour fonctionner en infrarouge, cette région de la lumière qui a déjà révélé des disques protoplanétaires dans la nébuleuse d’Orion.
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O n cherche aussi à améliorer les techniques de détection d’objets moins massifs. La plus << légère >> des exoplanètes observées jusqu’à maintenant pèse 0’1 masse jovienne, soit tout de même 32 fois la masse de la Terre (ou deux fois la masse d’Uranus) ! À l’Observato..rede Haute-Provence, l’équipe de Michel Mayor met au point un instrument, doublé d’un programme informatique de traitement des données, qui gagnera un facteur 3 à 5 sur la taille minimale observable : même deux fois moins massives quYJranus, on détectera encore des géantes gazeuses. En 2006, le Centre national d’études spatiales (Cnes) lancera le satellite COROT (<> dans la ligne de visée. Si l’étoile qui joue le rôle de la lentille est accompagnée d’une planète, celle-ci provoquera son propre effet << microlentille », es la luminosité de l’étoile observée présentera un pic secondaire. Cette technique est appliquée à la recherche de divers objets massifs et invisibles. Malheureusement, les résultats sont parfois ambigus et doivent être consciencieusement vérifiés. À l’horizon de une ou deux décennies, la moisson de planètes sera intense. Le satellite européen d’astrométrie Gaia (un véritable arpenteur du ciel), prévu pour 2013, devra étudier la position de
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L‘AU-DELÀN’EST PAS VIDE.. .
plusieurs centaines de millions d’étoiles avec une bonne précision : il cueillera sans doute des milliers d’exoplanètes. Enfin, pour 2020, deux projets seront consacrés à la recherche d’exoplanètes telluriques : l’un est américain, Terrestrial Planet Finder (<
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E t la vie intelligente ?
Vous le constatez, nous déployons de gros efforts pour découvrir un deuxième exemple de vie, quel que soit son degré d’évolution. Nous progressons lentement. Et s’il suffisait d’écouter le Cosmos en quête d’intelligences extraterrestres ? S’il existait la moindre chance qu’une civilisation comme la nôtre se soit développée ailleurs dans la Galaxie, il ne faudrait pas passer à côté. C’est le raisonnement qu’ont suivi en 1959 deux chercheurs de l’université de Cornell, Philip Morrison et Giuseppe Coccone. Les créateurs du Seti (Search for Extra Terrestrial Intelligence) supposent qu’une intelligence extraterrestre peut émettre des signaux électromagnétiques de n’importe quelle fréquence, comprise entre 1 et 10 O00 mégahertz. Ils mettent sur pied le projet Ozma, du nom de la princesse du pays du Magicien d’Oz imaginé par le romancier Frank Baum. Un radiotélescope de 26 mètres de diamètre du National Radio Astronomy Observatory se met à l’écoute.
Nos propres messages Délirante, l’entreprise Seti ? Considérons encore une fois ce que nous connaissons le mieux : nous-mêmes et notre civilisation. Cela fait 70 ans que nous émettons des fleuves de signaux électro-
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
magnétiques par la radio, la télévision et les radars. Comme toutes les ondes électromagnétiques voyagent à la vitesse de la lumière, nous nous manifestons abondamment dans un rayon de 70 annéeslumière autour de nous, qui englobe plusieurs centaines d’étoiles. Même l’éclair d’Hiroshima pourrait être détecté à presque 60 années-lumière de nous. Les extraterrestres qui capteraient nos signaux électromagnétiques pourraient en déduire quelques caractéristiques de notre planète : en étudiant les trois bouffées de signaux émis par 24.heures, qui correspondent aux activités télévisuelles maximales de l’Union européenne, du Japon et des États-Unis, ils pourraient en déduire le diamètre de la Terre, sa distance au Soleil et sa période de révolution. A des distances moindres, nous avons envoyé un message, intentionnel celui-là, aux éventuels extraterrestres intelligents qui pourraient le recevoir, telle une bouteille à la mer. La sonde Pioneer 10, qui a exploré l’ensemble du système solaire et en est sortie en 2002, porte la cékbre plaque gravée, mise au point par Carl Sagan : on y voit la silhouette d’un homme et d’une femme, la situation de la Terre dans 1’2 système solaire et dans la Galaxie, ainsi que quelques étapes de la reproduction humaine. Cependant, elle n’atteindra la première étoile que dans un demi-siècle. 76. Message aux extraterrestres, élaboré par Carl Sagan et gravé sur une plaque de cuivre scellée à la sonde Pioneer, lancée en 1972 : un atome d’hydrogène dans deux configurations différentes, la position de la Terre par rapport aux principales étoiles de la Galaxie, les pians de la sonde Pioneer, I’anatomie des humains ...
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ET LA VIE INTELLIGENTE ?
La vie civilisée en équation
Un jeune étudiant du nom de Frank Drake adhère très tôt au projet Seti. En 1960, il établit une équation qui permet d'estimer le nombre de civilisations technologiques présentes actuellement dans la Galaxie et avec lesquelles nous pourrions communiquer :
R" fPne f i f, fc L où R" est le taux de formation d'étoiles dans la Galaxie ; fp est la fraction de ces étoiles qui ont des planètes ; =
ne est le nombre moyen de planètes habitables dans un système planétaire ; fiest la fraction de ces planètes où la vie se développe ; fiest la fraction d'entre elles qui ont développé l'intelligence ; f,est la fraction de ces civilisations qui communiquent ; et L est la durée de vie moyenne d'une telle civilisation. De tous ces termes, R" est le mieux connu. On estime qu'il apparaît chaque année dans la Voie lactée une étoile d'une masse comprise entre une et dix masses solaires : R" = 1. Les années et les télescopes à venir permettront de préciser cette donnée. Ensuite, on entre dans un flou artistique. Les recherches sur les exoplanètes, bien que rapides, sont encore trop récentes pour que l'on puisse déterminer f . Selon les données actuelles, environ cinq pour cent P des étoiles de type solaire abritent des géantes gazeuses, mais une fraction plus importante, disons la moitié d'entre elles, pourrait abriter des planètes plus petites : fPserait compris entre 0,05et 0,5. Nous ne sommes pas plus avancés sur le nombre moyen ne de planètes d'un système susceptible d'abriter une forme de vie. Dans le système solaire, nous ne connaissons que la Terre (ne = 1), mais Mars a peut-être accueilli de la vie par le passé (ne = 2), et si nous comptons la candidate Europe, nous pouvons atteindre ne = 3, mais sans grande certitude.. . De même la faction fi de ces planètes ayant effectivement développé de la vie se situe entre 1/3 (si la Terre est la seule) et 1, si nous trouvons des traces de vie chez tous les candidats. Les fractions f, et fc nous sont totalement inconnues : avec quelle 195
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
fréquence l’évolution aboutit-elle à l’intelligence ? L‘intelligence se manifeste-t-elle obligatoirement par un besoin de communiquer ? Quant à la durée de vie moyenne d’une civilisation, elle est bien difficile à déterminer puisque nous n’en avons encore aucun exemple ! La civilisation humaine a environ 10 O00 ans, mais ne communique pas encore vers les étoiles. En outre, elle peut disparaître du jour au lendemain, soit à cause de sa propre agressivité, soit à cause d’un progrès technologique mal maîtrisé, soit encore à cause d’une catastrophe naturelle comme la chute d’un énorme météore (les dinosaures ont disparu de cette façon.. .). La capacité à communiquer d’un système planétaire à un autre rendrait-elle une civilisation plus << civilisée »,plus prévoyante, plus pérenne ? Comment le savoir ?
Les moyens mis en œuvre Comme l’avoue son inventeur, l’équation de E Drake n’est pas très scientifique, et nous sommes encore loin de savoir calculer N. Toutefois les créateurs du Seti remarquent à juste titre : << La probabilité de succès de notre recherche est difficile à estimer, mais, si nous ne cherchons pas, la probabilité de succès se réduit à zéro. >> Ils évaluent N entre mille et plus d’un milliard (avec une durée de vie d’une civilisation moyenne élevée). Comment écouter ces civilisations extraterrestres ? Le projet Ozma dut s’arrêter avant qu’aucun signal extraterrestre ne soit détecté. En 1971 et 1972, pour le projet Ozma II, le National Radio Astronomy Observatory (NRAO) met à disposition du Seti deux radiotélescopes, respectivement de 100 et 45 mètres de diamètre. Dans le cadre de ce nouveau projet, entre 1972 et 1976, 674 étoiles :
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ET LA VIE INTELLIGENTE ?
En France, au grand radiotélescope de Nançay (dans le Cher), Jean Heidemann et François Biraud ont mis en ceuvre dès 1970 des écoutes dans le cadre de Seti. Ce télescope de 200 mètres de large capte des longueurs d’onde entre un et dix gigahertz, sur 1 @@Ocanaux différents. I1 se déplace en fonction du mouvement de la Terre et peut procéder ainsi à une écoute continue. Son attention est focalisée sur les étoiles de type solaire. Aucune ne s’est encore manifestée.
77. Le radiotélescope d’Arecibo, de 305 mètres de diamètre, sur l’île de Porto Rico, est utilisé par le Seti pour écouter les signaux extraterrestres.
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LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ?
Avec .l’aide de la Nasa et du JPL, le Seti dispose du plus grand radiotélescope du monde, de 305 mètres de diamètre, situé à Arecibo (Porto Ricc.),ainsi que d’une parabole de 34 mètres sise à Goldstone, dans le désert de Mohave (États-Unis). Les chercheurs analysent les ondes électromagnétiques émises par l’ensemble du ciel nocturne, dans les fréquences comprises entre 0,5 et 60 gigahertz, par canaux de un hertz Cette gamme de fréquence est la moins encombrée par les émissions naturelles du Cosmos et serait la plus pratique pour la communication interstellaire. Toujours rien.. . Vient l’année 1993. Le sénateur démocrate du Nevada, Richard Brvan, furieux que le Seti ait coûté 60 millions de dollars en 23 ans, met fin à l’expérience Nasa/Seti. Le Seti Institute, qui avait été fondé grâce à des aides privées en 1984, prend la relève, et c’est avec des capitaux privés qu’est lancé, en février 1995, le Projet Phœnix. Dans ce cadre, des astrophysiciens prospectent 1 O00 étoiles. Elles doivent être de type solaire, vieilles de plus de trois milliards d’années et se trouver dans u n rayon de 200 annéeslumière autaur de la Terre. Chaque étoile est écoutée sur des fréquences qui vont de 1 O00 à 3 O00 mégahertz. Pour analyser toutes ces données, le Seti lance Seti Home Project et fait de nouveau appel aux bonnes volontés des particuliers : à travers le réseau Internet, ceux-ci peuvent mettre à sa disposition les ordinateurs personnels e n dehors des heures d’utilisation (Seti League : http://www.setileague.org et sa version francophone : http://setiatliome.free.fr). Les volontaires reçoivent par Internet une part des données obtenues à Arecibo, ainsi que le programme permettant le dépouillement automatique des signaux des bruits parasites. Les résultats sont retransmis vers le superordinateur d’Arecibo. Par ce procédé, le Seti dispose aujourd’hui de la puissance de calcul de trois millions d’ordinateurs, soit l’équivalent de 50 O00 ans tie dépouillement. Ainsi, ‘les techniques d’observation et de traitement informatique progressent. En revanche, la multiplication des téléphones
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ET LA VIE INTELLIGENTE ?
portables gêne de plus en plus l’écoute, au point que l’on considère qu’il sera bientôt indispensable d’établir une << oreille >> sur la Lune pour échapper à la pollution électromagnétique terrestre.
Quels résultats ? Aujourd’hui, le Seti rassemble 200 astronomes, de nationalités et de formations universitaires différentes. Ils représentent 2,5 pour cent du nombre total des astronomes et astrophysiciens. C’est une femme, Jill Tarter, qui porte le Seti à bout de bras depuis des années. Elle a inspiré le film Contact, interprété par Jodie Foster. Mais de << contact >>, autres que cinématographiques ou de science-fiction, il n’y en pas encore eu, après 40 ans d’écoute attentive.. . Bien sûr, les espoirs sont encore permis, et si le Seti recevait un jour un signal émis par une intelligence, la nouvelle ferait sensation dans le monde entier. Cependant que ferait-on exactement d’un tel contact ? Le message serait-il compréhensible ? Pourrait-on engager une conversation avec les extraterrestres ? Sachant que les éventuels signaux reçus auront mis plus de 50 années pour nous parvenir, et qu’il en faudra autant pour que notre réponse atteigne nos interlocuteurs (sans compter le temps qui nous sera nécessaire pour apprendre ce nouveau langage), on se doute que ce ne sera pas une discussion à bâtons rompus. Mais nous n’en sommes pas là.. .
N‘est-ce pas paradoxal ? S’il existe des êtres intelligents dans l’univers, << mais où sontils >> ? C’est le grand physicien Enrico Fermi qui posa la question dans les années 1950, alors qu’une partie de la population américaine et française croyait voir des soucoupes volantes. Selon Fermi, si les extraterrestres existaient, ils auraient dû nous rendre visite depuis belle lurette. En effet, à la naissance de notre système solaire, il y a 4,5milliards d’années, notre galaxie, la Voie Lactée, était déjà âgée de près de 5,5 milliards d’années, si bien qu’une civilisation galactique << pionnière aurait largement eu le temps de se constituer, ))
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de mettre au point les voyages spatiaux et d’arriver jusqu’à nous. Le paradoxe vient du fait que l’une au moins des affirmations suivantes est fausse : 1) Notre civilisation technologique n’est pas la seule de la Galaxie ; 2 ) elle est inoyenne, et ne doit ni être la plus avancée ni la seule à vouloir explorer le Cosmos à la recherche d’autres civilisations ; 3) les voyages intersidéraux sont possibles ; 4) la colonmtion de la Galaxie est achevée. Mais laque1le ?
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Index A Acide 48, 128 Acide aminé 49, 55, 58, 100, 102, 126, 131 Acide cyanhydrique 58,99, 126 Acide gras 55, 61, 66, 68, 128 Acide nucléique 87, 137, 139, 145 Acidophile 158 Adam et Ève 32 Adénine 69, 127 Adénosine diphosphate (ADP) 69, 70 Adénosine monophosphate (AMP) 136 Adénosine triphosphate (ATP) 69, 70 ADN 43,90, 149 Affinité chimique 10 Âge de la Terre 32 Agent de couplage 134 Aldéhyde 126 ALH 84001 171 Amine 52,56, 131 Amphiphile 63, 67 Anaxagore de Clazomènes 97 Antarctique 103, 156, 171 Appert, François, 25 Archébactérie 36, 155 Argile 135 Aristote (philosophe) 23 ARN 43,90,94, 149 Arrhenius, Svante, 97, 105 Astéroïde 121 Atmosphère 166, 179, 186, 191 Atome 8, 16, 33, 50, 117, 126, 131, 142 Automate chimique 5, 42, 107 Autocatalyse 142 Autoréplication 43, 142
Autoreproduction 5, 42, 107 Azote 13, 16, 33, 40, 44, 55, 83, 88, 125
B Bacon, Francis, 23 Bactérie 25, 155, 159, 171 Barberton 38, Barbier, Bernard, 104 Base azotée 88, 136 Basique 48 Baum, Franck, 193 Beagle 28 Beugle 2, 173 Becquerel, Henri, 32 Berthelot, Marcelin, 101 Biopan 1 et 2, 104 Biraud, François, 197 Blumenbach, Friedrich, 27 Boîte de conserve 25 Bombardement (planétaire) 43, 103, 120, 181 Bonner, William, 84 Brown, Timothy, 186 Bruno, Giordano, 153 Buffon, Georges de, 25, 27
C Carbodiimide 134 Carbone 7, 13, 17, 33, 40, 50, 75, 83, 88,98, 101 Carbonate 124 Carbonyle 52 Carboxyle 52, 55, 131 Catalyseur 70, 145 Cassini (sonde) 182 Cech, Thomas, 94
201
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ? Cellule 7 Chaîne latérale 55, 142 Chaleur de vaporisation 46 Chaleur spécifique 46 Chiralité 75 Chondrite ca-bonée 101 Coccone, Giiiseppe, 193 Code génétique 149 Cofacteur 72 Comète 99, 121, 123, 125 Composé 17 Condensatiori 62, 93, 131, 136 COROT (satellite) 190 Cosmozoaire '97 Crick, Franck, 89 Cronin, John. 102 Curie, Marie 'et Pierre, 32, 80 Cuvier, Georges, 27 Cyanamide 1.14 Cyanoacétylène 134 Cyanogène 134
D Darwin, Charles, 27, 35, 49, 173 DarwinlIRSI (programme), 191 Datation 32 Démocrite (philosophe) 23, 153 Descartes, Relié, 23 Deuxième exc mple de vie 6, 108 Drake, Frank, 195
E Echenmoser, Albert, 95 Ediacara 35 Effet de serre 162, 188 Enzyme 72, 90, 142, 149, 156, 159 Épicure (philc'sophe) 23, 153 Ère géologique 30 Ester 62, 136 Étoile 15 Eucaryote 36, 41
202
Europe 175, 195 Évolution 6, 27, 42, 107, 144 Exoplanètes 6, 184, 195 Extrémophiles 155
F Fermi, Enrico, 199 Ferris, James, 93 Feuillets béta 84, 142 Fluoroapatite 92, 136 Fontenelle, Bernard de, 153 Formaldéhyde 58, 92,99, 127 Fossile 27, 29 Foton 104 Fox, Sidney, 65 Fumeur noir 5, 129, 131
G Galileo (sonde) 176 Ganymède 176 Gaïa (satellite) 191 Geikie, Archibald, 32 Génération spontanée 23 Gennes, Pierre-Gilles de, 80 Glucose 52, 61, 68 Glycine 49, 56 Gould, Stephen Jay, 35 Groupement fonctionnel 52
H Haldane, John Burton, 50, 63 Hale-Bopp 99 Halophile 158 Heidemann, Jean, 197 Hélice 82, 142 Hélium 8, 13, 118 Helmholtz, Hermann von, 32 Homochiralité 76 Hooke, Robert, 27 Hoyle, Fred, 106 Hubble (télescope) 183, 186, 189
INDEX Huygens (sonde) 182 Hyakutake 99 Hydrocarbure 51, 67, 70, 103 Hydrogène 8, 13, 15, 19, 52, 118 Hydrophile 63, 84, 128 Hydrophobe 47, 51, 63, 84, 128 Hydrothermale (source) 40, 59, 67, 137, 178 Hydroxyle 52 Hyperthermophile 155
I Inhibiteur 72 Intelligence extraterrestre 193 Interstellaire 113 Io 176 Isomère 52, 75 Isotope 8,33
J Johlot, Louis, 24 Joyce, Gérald, 95 Jupiter 176 Jupiter chaud 185
K Kagan, Henri, 81 Kossel, Albrecht, 87 Kuiper (ceinture de) 154
L Lamarck, Jean-Baptiste de Monet, chevalier de 28 Laughlin, Grégory, 187 Liaison chimique 12 Liaison covalente 16 Liaison faible 16 Liaison hydrogène 16, 19,45 Liaison ionique 16, 18 Liaison peptidique 131 Liaison phosphodiester 142
Liaison polaire 17 Libby, Willard Frank, 33 Lipide 62 Lob, Walther, 49, 56 LUCA (Last Universal Common Ancestor) 40 Lucrèce (philosophe) 23 Lyell, Charles, 32
M Marcy, Geoffrey, 186 Marée 66, 123, 177, 186 Mars 163 Mars Express 173 Maurette, Michel, 103 Mayor, Michel, 184, 190 Membrane 63, 137, 141, 146 Mendel, Gregor, 87 Mendeleïev, Dmitri Ivanovitch, 10 Messager 147 Métabolisme 42, 66, 68, 70, 125, 168 Météorite 97, 101, 123, 126, 169 Météorite martienne ou ÇNC 105, 170 Miller, Stanley, 57, 88 Microfossile 36 Micrométéorite 103, 123, 164 Micro-organisme 24, 97, 157 Microsphère 63, 128 Mir (station) 104 Monod, Jacques, 107 Morgan, Thomas Hunt, 87 Morrison, Philip, 193 Murchison, Roderick Impey, 34
N Nanofossile 17 1 Needham, John, 25 Neutre 48 Newcomb, Simon, 32 Newton, Isaac, 24
203
LA VIE EST-ELLE UNIVERSELLE ? NGST (télescope) 189 Nucléotide 89, 92, 137, 142
O Odyssey (sonde) 164 Oort (nuage de) 154 Oparin, Alexmdre, 49, 66 Organique ( c i m i e , molécule) 6, 7 Organite 36, 11, 94 Orgel, Leslie, 93 Orion 81, 114, 183 Oro, Juan, 92 Ourisson, Guy, 67 Oxygène 10, 16, 43, SO, 61, 68, 98, 101, 126, 136, 155, 167, 191 Ozone 126. 101
P Paléontologie 27 Panspermie 9 7 Pasteur, Louis, 25, 77, 80 Pathfinder (mission) 172 Peptide, polypeptide 66, 82, 139, 145 pH 48, 158 Phillips, John, 30 Phosphate 67, 68 Phosphodiester 137 Phospholipide 64, 137, 145 Pilbara 40 Pillinger, Colin, 173 Pioneer (sondc) 194 Planète extraiolaire 184 Pluralité des mondes 153 Polarisation 81 Polymérisatioii 61, 135, 145 Polypeptide (voir peptide) Pouchet, Félix, 25 Procaryote 36, 41 Protéine 61, 8 2 , 131, 148 Protoplanétaire 116, 183 Proxima Centauri 183
204
Psychrophile 156 Purine 88,94 Pyrimidine 88, 94 Pyrite 135 Pyrophosphate 137
Q Quartz 82, 136 Queloz, Didier, 184
R Racémique 77, 84 Radioactivité 32, 34 Redi, Francesco, 24 Réplication 93, 144 Reproduction 125 Ribose 88, 92, 127 Ribozyme 94, 145 Richter, Hermann, 97, 105 Rosetta (sonde) 100
S Saccharose 68 Sagan, Carl, 194 Satellite 122, 175, 178 Saturne 178 Schiaparelli, Giovanni, 163 Sédimentaire 29 Sélection 144 Séquence 131, 142, 147 Seti 193, 198 Shelley, Mary, 57 Silicate 98, 123 Sojourner (robot) 172 Solvant 47 Soupe prébiotique SO Source hydrothermale 66 Spallanzani, Lazzaro, 25 Spéculaire 77 Spore 25 Stérane 37
INDEX Stériliser 25 Stromatolithe 37 Supernova 81, 113, 115 Système planétaire 113, 121, 186 Système solaire 160 Szostak, Jack, 95
T Table de Mendeleïev (ou périodique) 10 Tampon 48 Tarter, Jill, 199 Tension superficielle 45 Terrestrial Planet Finder 191 Thalès de Milet (philosophe) 23 Thermophile 155 Thioesters 137 Thiol 52, 137 Thomson, William (lord Kelvin), 32 Titan 178, 195 Transformisme 27
Tyndall, John, 25 Tyndallisation 26
U Urey, Harold, 57
v Van Leeuwenhoek Anton 24 Vent stellaire (ou solaire) 15, 117, 185 Vénus 161 Viking (sonde) 165 Vostok 157 Voyager (sonde) 176 Virus 149
W Wachtershauser, Günter, 61 Watson, James, 89 Westall, Frances, 38 Wickramasinghe, Chandra, 106
205
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206
\
Table des matières
Préface
3
Introduction
5
1. Prologue : Élémentaire, mon cher.. . Les liaisons chimiques
7 16
Partie I : Quels indices sur la vie terrestre ?
2. La génération spontanée 3. L‘histoire de la vie sur la Terre Les propriétés vitales de l’eau 4. La vie dans un tube à essai Énergie, réactions chimiques et catalyse 5 . Une vie asymétrique 6. Faites passer l’info.. . 7. La vie venue de l’espace ? Partie II : Songe d’une vie d’E.T. 8. Une étoile et ses astres errants 9. La vie rêvée de Tiamat io. Les pièces de l’automate i I . Cassemblage de l’automate
23 29 45 49 68 75 87 97 113 125 131 141
Partie 111 :L’exploration spatiale
12. 13. 14. 15. 16.
Les frontières de la vie Les deux sceurs de la Terre Du côté des planètes géantes L‘au-delà n’est pas vide ... Et la vie intelligente ?
153 161 175 183 193
Index
20 1
Bibliographie
206
Relecture : Laurence Vitot et Pascale Thiollier-Dumartin Mise en page : Linéale Production.
imprimé en italie - MP Stampa - Mathi (TO) Dépôt légal : décembre 2003
COLLECTION
La vie est-elle universelle ? Andre Brack Bénédicte Leclercq
Sur la Terre, la vie est partout, mais comment est-elle arrivée là ? Par quelle subtile alchimie ? La vie est-elle un phénomène exceptionnel ? Existe-t-il des formes de vie ailleurs que sur notre planète ? Pour répondre à ces questions, les auteurs mènent l’enquête qui nous conduira de l’infiniment petit à l’infiniment grand, du tube à essai au fin fond de la galaxie. Ils nous invitent sur Tiamat, planète fictive, où ils réécrivent pour nous le fascinant scénario de l’apparition de la vie. André Brack est directeur de recherche émérite au Centre de biophysique moléculaire du CNRS, à Orléans. II collabore à l’Agence spatiale européenne et au Centre national d’études spatiales. Bénédicte Leclercq est éditrice et journaliste scientifique. Préface de Jean-Marie Lehn, professeur au Collège de France et à l’université Louis Pasteur de Strasbourg, lauréat du prix Nobel de Chimie 1987.
La collection ((Bulles de sciences)) s’adresse à un large public et traite de problèmes scientifiques actuels. Les explications fondamentales sont privilégiées, mais sans discours professoral: vous lirez des textes vivants, parfois des romans, souvent des anecdotes...
14,90 €
ISBN: 2-86883-6747
www.edpsciences.com