LAFARGUE Le Droit à la paresse
Avec une postface de
Gigi Bergamin
Illustrations de Frantz Rey
ÉDITIONS MILLE
ET UN...
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LAFARGUE Le Droit à la paresse
Avec une postface de
Gigi Bergamin
Illustrations de Frantz Rey
ÉDITIONS MILLE
ET UNE NUITS
LAFARGUE nO 30
Texte intégral.
© Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, mars 1994 septembre 2000 pour la présente édition.
ISBN: 2 910233-30-8
Sommaire
Paul Lafargue
Le Droit à la paresse page 5 Gigi Bergamin Éloge de la vraie vie page 67 Vie
de Paul Lafa rgue page 75
Repères bibliographiques page 79
LAFARGUE Le Droit à la paresse
Le Droit à la paresse
Avant-propos M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'ins truction pri m ai r e de 1849, di s a i t : «Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur l u i
pour pro pager cette bonne
philosophie
qui apprend à l'homme qu ' i l est ici-bas pour souffrir
au c o ntrai r e à M. Thi e r s formulait la mo rale de la classe bourgeoise don t il incarna l ' ég oïs m e féroce et l' intelligence étroite. La h o u rg e o i s i e , alors q u ' el l e lu tta i t contre la noblesse, so utenue p ar le clergé, arbora le libre exa men et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure ; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la rel igio n sa su prématie économique et politique. Aux XV" et XVIe siècles, elle avait a llégrem ent repris la tra di t i on païenne et glorifiait la chair et ses p assions , réprou vées par le christianisme; de nos jours, gorgée
et non cett e
l ' h omm e
:
autre
philosophie qui dit
"Jouis".»
LAFARCUE
cie biens et
de jouissances, elle renie les enseignements et prêche l' a b s t i ne n ce aux salariés. La morale c a p it ali ste , piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d"ana thème la chair du travaill eur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de b es o ins , cie supprimer ses joies et ses passion s et de le condamner au rôle de m a chin e délivrant du travail s ans trêve ni merci. Les socialistes révolutionnaires ont à recommen cer le com bat qu'ont combattu les phil osophes et les pam phlétaires de la bourgeoisie; ils ont à mon ter à l' assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils cie ses penseurs, l es Rab elai s , les D i dero t ,
ont à dé m o l ir, dans les têtes de la cl asse app el é e à
l ' ac tion , les préjugés semés par la classe régn an te ; ils on t à proclamer, à la face des c a far ds de toutes les morales , que la terre cessera d'être la du travailleur; que, dans la société
vallé e de larmes communiste de
r avenir que nous fon d e r o ns «pacifiquement si pos s i b le , s i non viol emm e n t », les p a ss i o n s des hommes auront la bride sur le cou, car « toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à évit er que leur mau vais us a ge et leurs excès * 1 », et ils ne seront évités que par leur mutuel contrebalancement, que p ar le déve l opp em ent h armon ique de l ' o rga n is m e hum ain , car, *
Les Ilotes
SOIlt
regroupées
eu
fin de texte, pages 61 et suivantes.
8
LE DHOIT
dit le Dr Beddoe, son
À
LA P;\IŒSSE
n'est que lorsqu'une race atteint
maximum de développement physique qu'elle
atteint son p lus haut point d'énergie et de vigueur morale». Telle élait aussi]' opinion du grand natura liste, Charles Darwin 2.
La réfutation du Droit au travail, que
je
avec quelques Ilotes additionnelles, parut dans
lité hebdomadaire de 1880, deuxième série.
réédite
L'Éga
P. L. Prison de Sainte-Pélagie, 1883.
1. Un dogme désastreux en
aimant
«Paressons en toutes clzo.!es, hormis
et en
blll'ant, hormis en paressllnt. » Lessing.
Une étrange folie possède les classes ouvrières des na ti ons où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des mis ères in di vi du e ll es et s oci al es qui , depuis des s i è c les, torturent la tri ste humanité. Cette folie est l' amour du trav ail, la passion morib onde du travail, p o ussé e jusqu'à l'épuisement des forces vit ales de l'individu et d e sa p rog én iture . Au li e u de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralis tes , ont sacro-sanctifié le tra vail. Hommes av eu gl es et b o r n é s , ils ont voulu être plus sages que leur Dieu; hommes fa ib les et mépri sables, ils ont voulu réhab iliter ce que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne p rofes s e d'être chrétien, économe et mor al , j'en appelle de leur ju gemen t à celui de leur Dieu ; des prédications de leur morale re ligieu s e, éco nomique, l i b re penseuse , aux épouvantables consé quences du travail dans l a so ciété c apitalis te . Dans la société c ap it alist e , le tra v ail est la cause de tout e dégén éres cen ce intellectuelle, de t ou te déforma tion o rganiq ue. C omp arez le pur-sang des écuries de R o th s chil d , s erv i p ar une v al e t aille de b im a nes, à la lourde brute des fe r me s normandes, qui la b ou r e la 11
LAFARGl'E
terre, chariote le fumier, engrange la
moisson. Regar du cmn merce et les commerçants de la rel i g i o n n 'ont pas enco re corrompu avec le christianisme, la syphilis et le do gme du travail, et regardez ensuite nos misérables s erv an ts de machines 3. Quand , dans notre Europe civilisée, on ve ut retrou ver une trace de beauté native de l ' h om m e , il fa ut l ' aller chercher chez les nations o ù les préj ugés écono m iques n'ont pas encore déraciné la haine du travail. dez le noble sauvage que les missionnaires
L'Espagne, qui, hélas! dégénère, peut encore se vanter de posséder moins de fabriques que nous de prisons
et ré j ou it en admirant le hardi Andalou , brun connue des castagnes, droit et flexible comme une tige d'acier; et le cœur de l'homme tressaille en entendant le mendi an t , s u p er b e m e n t dr ap é dans sa capa trouée, tra i ter d'amigo des ducs d'Ossuna. Pour l 'Es pagn ol , ch ez qu i l'animal primitif n'est pas atrop hié, le travail est le pire des esclavages 4. Les G r ecs de la grande épo q ue n'avaient, eux aussi, q u e du mépris p our le travail : aux es clayes seuls il était pennis de travailler : l'homme libre ne connaissait que les exercices corporels et les j eux de l'intelligence. C'était aussi le temps où l'on marchait et respirai t dans un peuple d'Aristote , de Phidias, d'Aristoph�me; c'était le temps où une poign é e de braves écrasait à Marathon les hordes de l'Asie qu'Alexanch·e allait bientôt conqué d e casernes; mais l'artiste se
12
LE DROIT
À
LA PARESSE
rir. Les philosophes de l'Antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l'homme libre; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux: o Melibœ, Deus nobis hœc
otiafecit5•
Christ, dans son discours sur la montagne, prêcha la paresse: «Contemplez la croissance des lis des champs, ils ne travaillent ni ne filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n'a pas été plus brillamment vêtu6.» Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême exemple de la paresse idéale; après six jours de travail, il se reposa pour l'éternité. Par contre, quelles sont les races pour qui le travail est une nécessité organi que? Les Auvergnats; les Écossais, ces Auvergnats des îles Britanniques ; les Gallegos, ces Auvergnats de l'Espagne; les Poméra niens, ces Auvergnats de l'Allemagne; les Chinois, ces Auvergnats de l'Asie. Dans notre société, quelles sont les classes qui aiment le travail pour le travail? Les paysans propriétaires, les p etits bourgeois, les uns courbés sur leurs terres, les autres acoquinés dans leurs boutiques, se remuent comme la taupe dans sa galerie souterraine, et jamais ne se redressent pour regarder à loisir la nature. Et cependant, le prolétariat, la grande classe qui embrasse tous les producteurs des nations civilisées, 13
LAFAI\Gl"l-:
en s'émancipant, émancipera l'humanité du travail servile et fera de l'animal humain un être
la classe qui,
libre, le prolétariat t rahissant ses instincts, mécon naissant sa mission historique, s'est laissé pervertir par
le dogme du travail. Rude et terrible a été son châti
ment. Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail.
2. Bénédictions du travail En 1770 parut , à L o n dres, un écrit anonyme inti tulé : Ail Essay on Trade and Commerce. Il fit à l'époque un cer t.a in bruit. Son auteur, grand philan thrope, s'inùignait de ee que « la plèbe manufacturière d'Angleterre s 'était mis dans la tête l'idée fixe qu'en qualité d 'Anglais, tous les individus qui la composent ont, par droit de n a i s s ance, le privilège d'être plus libres et plus indépenùants que les ouvriers de n'im porte quel autre pays de l'Europe. Cette idée peut avoir son utilité pour les soldats dont elle stimule la bra voure ; mais moins les ouvriers des manufactures en
sont imbus, mieux cel a vaut pour eux-mêmes et pour l' É tat. Des ouvriers ne devraient j am ais se tenir pour indépendants de leurs supérieurs. Il est extrêmement dan�ereux d'encourager de pareils engouements dans un
Etat commercial
COlluue
le nôtre, où, peut-être, les
sept huitièmes de la populatioll n'ont que peu ou pas dc propriété. La cure I1C sera pas complète tant que 110S pauvres de l'industrie Ile sc résigucront pas à t.ravailler six jours pour la même somme qu'ils gagnent maint.e nant
en
quatre».
Ainsi, près d'un siècle avant Guizot,
ouvertement à Londres le travail
OII
prêchait
comme un
frein aux
lIobles passions de l'homme. «Plus mes p eu p l e s travaileront, moins il y 15
aura
de
LAfAHr.n:
vices, écrivait d'Osterode, le 5 mai 1807, Napoléon. ] et je serais disposé à ordonner g u e le dimanche, p as sé l'heure des offices, les bou tiques fussent ouvertes et les ouvriers r e n dus à leur 1Tavail. » Pour extirper la paresse et courber les sentiments de fierté et d'indépendance qu'elle engendre, l'auteur de l'Assay 0/1 7}'ade proposaitd'incarcérer les pauvr es dans les maisonsidéales du travail (édeal U'orkhouses) de ter reur où l'on qui deviendraient « des ferait travailler quatorze heures par jo ur de telle sorte que, le temps des repas soustrait, il resterait douze heures de travail pleines et entières Douze heures de tr ava i l par jour, voilà l'idéal des philanthropes et des moralistes du XVIIIe si ècle Que nous avons dépassé ce nec plus ultra! Les at el ie r s Illodernes sont devenus des maisons idéales de con-ec tion où l'on incarcère les masses oU\Tières, où coudamne aux t ra v a u x forcés pendant douze et qua torze h eu res non seulement les hOlUmes, femmes et les enfants 7! Et dire que les fils des héros de la T'erreur se sont laissé dégrader par la religion travail au poiut d'accepter après 1848, comme une conquête ré volutiollnaire, la loi qui limitait à douze heures le tra vail dans les fabriques; ils proclamaient, connue un priucipe révolutio1 l naire, l'Qil. Honte au prolétar iat français! Des esclaves seuls Je suis l'autorité [
. . .
,
.
,
16
LE 011011
À
LA PAIIESSE
eussent été capables d'une telle bassesse. Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un Grec des temps héroïques pour concevoir un tel avilissement. Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat, plus nom breuses que les sauterelles de la Bible, c'est lui qui les a appelées. Ce travail, qu'en juin 1848 les ouvTiers réclamaient les armes à la main, ils l'ont imposé à leurs familles; ils ont livré, aux b arons de l'industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domesti que ; de leurs propres mains, ils ont tari le lait de leurs femmes; les malheureuses, en ceintes et allaitant leurs bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l'échine et épuiser leurs nerfs; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et la vigueur de leurs enfants. - Honte aux prolé· taires ! Où sont ces commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies au propos, franches de la gueule, a man te s de la dive bouteille? Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, touj ours chantant, toujours semant la vie en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigou reux ? . Nous avons aujourd'hui les f illes et les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilanee, à l'estomae délabré, aux membres alan guis 1. Elles n'ont jamais connu le plaisir robuste et .
.
. .
17
LAFARCU;
ne s a u r ai en t
raconter gaillardement c o m m e n t l'on
c as sa leur coquille! - Et les enfants? Douze heures
de travail mu enfants.
Ô misère !
- Mais tous les Jules
Simon de l' Acad�Olie des s ci en c e s morales et poli tiques, tous les Genninys de la jésuiterie, n'auraient pu
inventer un
vice plus abrutissant pour l'intelligence des
enfants, plus corrupteur de leurs insti ncts, plus de s tructeur de leur org anisme que le travail dans l'atmo
sphère viciée de l'atelier capitaliste.
Notre époque est, dit-on, le siècle du travail; il est
cn
effet le si è cle de la douleur, de la misè re et de la
corruption. Et cep endant, les philosophes, les é c o nom i ste s
bourgeois, depuis le péniblement confus Auguste Comte, j us qu ' au ridiculement dair Leroy-Beaulieu; les gens de lettres bourgeois, depuis l e charlatanes
quemellt romantique Victor Hugo, jusqu'au naÏve ment grotesque Paul de Kock, tous ont entonné les chants nauséabonds en l'honneur du dieu Progrès, le fils aîné du Travail. À les entendre, le bonheur allait régner sur la terre: déjà on en sentait la veuue. 11s allaicIIt dans les sièdes passés fouiller la po u ssi èr e et la misère féodales pour rapporter de somhres repoussoirs aux dél i ces des temps présents. - NOliS ont-ils fatigués, ces repus, ces satisfaits. naguère encore membres de
la domesticité des grands seigneurs, aujourd'hui
va
le t s
de plume de la bourgeoisie, grassement rentés; nons 18
LE DI\OIT
,\
LA PAHESSf:
ont - il s fati g ués avec le paysan du r hétori cie n La Br uyère? Eh bien! voici le brillant tableau des jouis sa nces prolétarien nes en l'an de progrès capitaliste 1840, p eint par un des leurs, par le Dr Villermé, membre de l' Insti tu t, le même qui, en 1848, fit partie de cette société de savants (Thiers, Cousin, Passy, Blanqui, l'académicien, en étaient) qui propagea dans les masses les sottises de l'économie et de la morale bourgeoises. C'est de l'Alsace manufacturière que pade le Dr Vil lermé, de l'Alsace des Kestner, des Dollfu s , ces fleurs de la phi l ant hropi e et du rép ubli canisme industriel. Mais avant que le docteur ne dresse devant nous le tableau des misères prolétariennes, écoutons un manu facturier alsa cie n , M. Th. Mieg, de la maison Dollfus , Mieg et Cie, dépei g na nt la situatio n de l'artisan de l'ancienne industrie : «À M ul house , il y a ci nquante ans (en 1813, alors que la moderne in d us tr ie mécanique n ais s ait ), les ouvriers étaient to us enfants du sol, habitant la ville et les villages en vir onnants et p ossédant presque tous une maison et souvent un petit champ 8. » C'était l'âge d'or du travailleur. Mais, alors, l'indus trie alsacienne n'inondait pas le monde de ses coton nades et n'emmi l l ionuait pas ses Dollfus e t ses Kœchlin. Mais vingt-cinq ans après , quand Villermé visita l'Alsace, le minotaure moderne, l'atelier capita19
LAFARGl."E
liste, avait conquis le pays; dans sa boulimie de travail humain, il avait arraché les ouvriers de leurs foyers pour mieux les tordre et pour mieux exprimer le tra vail qu'ils con tenaient. C'était par milliers que les ouvriers accouraient au sifflement de hl machine. «
Un grand nombre, dit Villermé, cinq mille sur dix
sept mille, étaient contraints , par la cherté des loyers ,
à se loger dans les vilages voisins. Quelques - uns habi taient à deux lieues et quart de la manufacture où ils travaillaient.
»À
Mulhouse, à Dornach, le travail commençait à
cinq heures du matin et finissait à cinq heures du soir,
été comme hiver. [ .. . ] Il faut les voir arriver chaque matin en ville et p artir chaque soir. Il y a p armi eux une multitude de femmes p âles , maigres , marchant pieds nus au milieu de la b o u e et q ui, à défaut de parapluie, portent, renversés sur la tête, lorsqu'il pleut ou qu'il neige, leur s tabliers s e p réserver la f i g u re
et
OH
jupons de dessus pour
le cou, e t un nombre plus
considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves , couverts de haillons, tout gras de l'huile des métiers qui tombe sur eux pendant qu'ils tra
vaillent. Ces derniers , mieux prés ervés de la pluie par l'imperméabilité de leurs vêtements , n'ont même pas au bras , comme les femmes dont
011
vient de p arler,
un panier où sont les provisions de la journée; mais
ils portent à la main, ou cachent sous leur veste 20
ou
LF.
DROIT'\'
I.A PARESSE
comme ils peuvent, l e m o r ce a u d e p ain qui doit l es nourrir jusq u ' à l'heure de leur rentrée à la maison. » A in si , à la fa tig u e d'une journée démesurément
lon gue, puisqu'elle a au moins quinze heures , vient se joindre pour ces malheureux celle des allées et venues si fréyuentes, si p énibles . Il r ésult e que le soir ils arrivent chez eux accablés par le besoin de dornrir, et que le len dem ain ils sort en t avant d ' ê tre complètement reposés po ur se trouver à l'atelier à l'heure de l'ouverture. » Voi c i m aint en ant l e s bou ges où s'entassaient ceux qui logeaient en ville : «J'ai vu à Mu lh ou s e , à Dornach et dans des mai sons voisines, de ces mi s ér ab les logements où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur la paille jetée sur le carreau et retenue par deux p la n ches ... Cette misère d a ns l a q u e l le vivent les o u v ri e r s de l'industrie du coton dans l e d é p a rte m e n t du Haut Rhin est si profonde qu ' ell e p rodui t ce triste résultat que, tandis que dans les familles des fabricants négo ciants, d r ap i e rs , directeurs d'usines, la moitié des e nf ants atteint la vingt et unième ann ée , cette même moitié cesse d'exister avant deux ans accomplis dans les fa mi lles de tisserands et d'ou vriers de filat u res de coton.
»
travail de l' atelier, Villermé aj o ute : «Ce n'est pas là un travail, une t âche, c'est une tor ture, et on l'inflige à des enfants de six à huit ans. [ . .. ] Parlant du
21
LAFAHGLE
C'est ce long supplice de tous les jours qui mille prin cipalement les ouvriers daus les filatures de coton. » Et, à propos de la durée du travail, Villermé obser vait que les forçats des bagnes ne travaillaient que dix h e ures, l es esclaves des Antill es neu f heures en moyenne, tandis qu'il existait dans la France qui avait fait la Révolution de 89, qui avait proclamé les pom peux Droits de l'homme, des manufactures où la jour née était de seize heures, sur lesquelles on accordait aux ouvriers une heure et demie pour les repas9. Ô misérable avortement des principes révolution naires de la bourgeoisie ! ô lugubre présent de son dieu Progrès! Les philanthropes acclament bienfaiteurs de l'humanité ceux qui, pour s'enrichir en fainéantant, donnent du travail ame pauvres ; mieux vaudrait semer la peste, empoisonner les sources que d'ériger une fabrique au milieu d'une population rustique. Intro duisez le travail de fabrique, et a dieu j oie, santé, liberté ; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d'être vécue 10. Et les économistes s'en vont répétant aux ouvriers: Travaillez p our augmenter l a fortune sociale! et cependant un économiste, Destut de Tracy, leur répond : « Les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise; les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre. » 22
LE DROIT
À
LA PAIlESSE
Et son discip le Cherbuliez de continuer:
u x - m ê m e s , en coopérant à l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard , doit les pr ive r d'une par tie de le u r salaire. » Mais, as sourdis et idi otis és par leurs p rop res hurle ments, les économistes de répondre: Travaillez, tra vaillez toujours pour crée r votre bien-être! Et, au nom de la mansuétude ch r é ti en n e , un prêtr e de l'Église « Les travailleurs
e
a n g li ca ne , le révérend Townshend, psalmodie: Tra vai l l ez , travaillez nuit et jour; en travaillant, vous faites croître votre misère, et votre misère nous dis pense de vous impos e r le travail par la force de la loi. L' i mpositio n légale du travail « donne trop de peine, exige trop de violence et fait trop de bruit; la faim, au contraire, est non s eule ment une p ress i o n paisible, silencieuse, in c cs s a nt e , mais comme le mo b il e le plus naturel du tra vai l et de l'industrie, elle provoque aussi les efforts l es p l u s p uiss ants ». Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables. l'dIe est la loi inexorable de la production capitaliste. Parce que, prêtant l 'ore ille aux fallaeieuses paro les des économistes, les prol ét a ires se sont l i vrés corps et âme -au vicc du travail, ils précipitent la société fout
23
LAFAHGI'"
entière dans ces crises industrielles de surproduction qui convuls ent l'organisme social. Alo rs, p arce qu' il y a p l étho re de mar c h an d i ses et pénurie d'acheteurs, les ateliers se ferment e t la fa i m c i n gl e l e s p o p u la t i ons ouvrières de son fouet aux mille lanières. Les p r o lé taires, abrutis par le dogme du travail, ne cornprenant pas que le surtravail qu'ils se sont infligé p en d ant le temps de prét en d u e p ro sp érit é est la cause de leur misère présente, au li e u de c o u ri r au grenier à blé et de crier: «Nous avons faim et nous voulons man ger ! . . . Vrai, nous n' avons pas un rouge liard, m ais tout gueux que nous sommes, c'est nous cependant qui av on s moissonné le blé et v e n d an g é le rai s i n . . . » Au lieu d ' a s s iég e r les m a g a sins de M . B o nne t , de Juj u rieu x , l'inventeur des couvents industriels, et de da mer: Bonnet, voici vos ouvrières ovalistes, moulineuses, fileuses, tisseuses, elles grelottent sous leurs c otonna des r ap et ass é es à chagriner l'œil d'un juif et, cep endant , ce sont e lle s qu i ont filé et tissé les robes de soie des co c o tt e s de toute la chrétienté. Les pau vresses, travaillant t ei z e hemcs par jour, n'avaient pas le temps de songer à la t o ilette , maintenant, elles chô ment et peuvent faire du fr ou - fro u avec l e s soieries qu'elles ont ouvTées . Dès qu ' ell es ont perdu leurs dents de l ai t , elles se sont dé v o u é e s à votre fortune et out vécu dans l'abstinence; maintenant, elles ont des loi sirs et veulent jouir un peu des fruits d e leur travail. r
24
LE l)ROIT
,\
LA PAHESSE
Allons, Monsieur Bonnet, mel fournira ses mousselines, calicots, M. Pinet ses bottines pour leurs chers petits pieds froids et humides ... V êtues de pied en cap et fringant es, Allons, l'humanité, ché? - Mettez à la disposition devos ouvrièresla for tune qu'elles vous ont édifiée avec la chair de leur chair. culation des marchandises; voici des consommateurs tout trouvés; ouvrez-leur des crédits illimités. Vous êtes bien obligé d'en faire à des négociants que vous ne cOllnaissez ni d'Adam ni d'Ève, donn é, même pas un verre d'eau. Vos ou vrières s'acquitteront comme elles le pourront: si, aujour de l'échéance, signature, rien à saisir, prières: elles vous enverront en paradis, sacs noirs, Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale des produits et un gaudissement mlÏversel, de leur tête lespOItes de l'atelier. Avec des figures hâves, des corps amaigris, des discourspiteux, ilsassaillent les fabricants: «Bon M. 25
LAFAHGUE
neZ-Hou s du travai l , ce n' e s t pas la faim ,
mais la pas sion du travail qui nous tourmente ! » Et ces misérables, q ui ont à peine la force de se tenir debout, vendent douze et quatorze heures de travail delL",{ fois moins eher que lorsqu'ils avaient du pain sur la planche. Et les phi lanthropes de l'industrie de profiter des chômage s pour fab ri quer à meilleur marché . Si les crises industrielles suivent l es périodes de sur tr avai l aussi fatalement que la n uit le jou r, traîna nt après elles le chômage forcé et la misère sans issue, elles amènent aussi la b an q u ero u te inexorable. Tant que le fabricant a du crédit, il lâche la bride à la rage du travail, il emprunte et e m prunte encore pour four nir la matière première aux ouvriers . Il fait p ro d u i re , s ans réf l é chir que l e m arch é s ' eng or g e et que, si ses marchandises n'arrivent pas à la vente, ses billets vien dront à l ' échéance . Acculé, il va imp lorer l e jui f, il se jette à ses pieds, lui offre son sang, son honneur. «Un petit peu d'or ferait mieux mon affaire, répond le Rothsch il d , vous avez 20 000 p air e s de bas en maga sin, ils valent vingt s o u s, je les prends à quatre sous. » Les bas obtenus, le j uif les vend six et huit sous, et empoche les frétillantes pièce s de cent so us q ui ne d oi vent rien à p ers on ne : mais le fabric ant a reculé pour mieux s auter. Enfin la débâcle arrive et les magasins dég orge nt ; on jette alors tan t de ma rch an dis e s par la fenêtre, qu'on ne sait comment elles sont entrées par la 26
LE OHOIT
À
LA PAHESSE
porte. C'est par centaines de millions que se chiffre la valeur des marchandises détruites; au siècle dernier, on les briHait ou on les jetait à l ' eau Il . Mais av an t d'aboutir à cette conclusion, les fa bri cants parcourent le monde en q uête de déb o uchés pour les marchandises qui s'entassent; ils forcent leur gou vemement à s'anexer des Congo, à s'emparer des Ton kin, à démolir à coups de canon les m urailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades. Atu: siècles der niers, c 'éta it un duel à mort entre la France et l'Angle t erre , à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amér ique et aux Indes. Des milliers d'hommes jeunes et vigoureux ont rougi de leur sang les mers, pendant les guerres coloniales des Xlc, XVIe et XVIII" siècles. Les capitaux abondent comme les marchandises . Les financiers ne savent plus où l e s placer; ils vont alors chez les nations heureuses qui lézardent au soleil en fumant des cigarettes, poser des che m i ns de fer, éri ger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette exp ortati on de capitaux français se termine un beau matin par des complications diplomatiques: en Égypte, la France, l'Angleterre et l 'A lle magne étaient sur le p oint de se p re n d r e aux cheveux pour savoir quels usuriers s eraient p ayé s les premiers; par des guerres du Mexi que où l'on envoie les soldats français faire le métier d'huissier pour recouvrer de mauvaises dettes 12.
LAFARGLE
Ces misères individuelles et sociales, pour grandes et innomb r ab l es q u ' e l l e s s o ient , p o ur é te r ne l l es qu'elles paraissent, s' évanouiront COlmne les hyènes et
les chacals à l'approche
ùu
lion , quand le prolétariat
dira: «Je le veux. » Mais pour qu'il parvienne à la conscience de s a force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chr étienne, écono miqile, libre penseuse; il faut qu'il retourne à ses ins
tincts naturels , qu'il proclame les Droits de la paresse, mille et mille f ois plus nobles et plus s acrés que les phtisi ques Droits de l'homme, concoctés par les avo cats métaphysiciens de la révolution b ourgeoise ; qu'il se contraigne à ne travail ler que trois heures par jour,
à
fain é anter et b omb ancer le reste de la j o urné e et de
la nuit. Jus qu ' ici, ma tâche a été facile, je n'avais qu'à d é crire des maux réels bien connus de nous tous, hélas! Mais convaincre l e prolé tariat que la parole qu'on lui a inoculée est perverse, que le travail effréné auquel il s'est livré dès le commencement du siècle est
le plus terrible fléau qui ait j amais frappé l'humanité, que le tr avail ne deviendra un condiment de plaisir de
la paresse, un exercice bienf ais an t à l ' o rg anisme humain, une passion util e à l' or g anisme socia l q ue l o rsqu ' i l sera sageme nt rég l eme nt é et limité à un
maximum de trois heures par jour, est une tâche ardue au-dessus de mes forces; s euls des p hysiolo gistes, d es 28
LE DIIOIT
,\
LA PAIIESSE
hygiénistes , des économist.es communistes pourraier l'entreprendre. Dans le s pa ges qui vont s uivr e , je III bornerai à démontrer qu ' é t ant donné les moyens d pro du c tion modernes et leur puissance reproductiv illimitée, il faut mater la p a s si o n extravagante de ouvrier s pour le travail et les obliger à co n s o mmer le marchandises qu ' il s produisent.
3. Ce qui suit la surproduction
Un poète grec dutempsde Cieéro n, Antipatrm tai tainsi l'invention du moulin à eau (po ur la n du grain ) : il allait émanciper les femmes e s cl
ramener l'âge d'or: «
É pargnez lebrasqui fai t tourner la me ule ,
coq vou tisse en va in qu'il fait jour ! Dao a imposé aux n� le travail des esclaves et les voilà qui sautillent l nières, et dormez paisiblement! Que le
ment sur la roue et voilà que l'essieu ébranlé
ses
rot
rais, faisant tourner la pesante pierre ro Vivons de la vie de nos pères et oisifs réjouissor des dons que la déesse a c e or de . » Hélas! les loisirs que le poète païen annon sont pas venus; la passion aveugle, perverse el cide du travail transforme la machine libérat instrument d'asservissement des hommes lib] productivité les appauvrit . Une bo n ne ouvrière ne f ai t avec le fuseau q' mailles à la minute, certains mé ti ers circulaire coter en font trente mille dans le même temps. ( minute à la ma chine équivaut donc à cen t he" travail de l'ouvrière; ou bien chaque m inute vail de la machine délivre à l'ouvrière dix j( rep os. Ce qui est vrai p o ur l'industrie du trieot plus ou moins vrai pour toutes les in d us tri es re 31
LAF,\RGn:
lé es
pa�
l a méc anique moderne . Mais que voyons
nous? A mes u re que la ma chi n e se p er fectio nn e et ab a t le tr av ail de l'homme avec une rapidité et une p réc i s ion s a n s c esse croiss a ntes, l 'ou vri e r, au lieu de prolonger s on rep o s d'a u t a n t , re d o u b l e d ' arde u r , comme s' il voulait rivaliser ave c la machine'.
Ô
concurr en ce ab surde e t meur triè re !
c o n c u r re n c e de l ' h o m m e et d e l a m ac h in e prît l i bre ca rri è re , les prolétaires out aboli le s Pour que l a
sag e s lois qui limitaient le tr a v a il des artisans des
a n tiques
corporations; ils ont supprimé les jours
f ériés 13. Parce que l es producteurs d' alors ne tra
vaill a ient que cinq j o urs
sur sept, ainsi que l e r acontent les é co nomistes menteurs, qu'ils ne vivaient que d'air et d' eau fraîche? Allons donc!
Ils avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre,
pour f aire l'amour e t ri goler ; pour b an queter j o yeu sement cn l ' honne u r du ré j ou issa n t dieu de la Fai
n éanûse. La
m
o ros e Angleterre, enc agoté e dans le pro
testantisme, se nomm ai t alors l
a « joyeuse Angleterre»
(Merry England). Rabelais, Quevedo, Cervantès,
auteur s in connus des romans pi car e s ques , nous font che avec l eurs peintures de ces monumentales r ip a ill e s 14 dont on se ré galait alors entre deux b atailles et deux dévas tati o n s , qu el les tout « allait par escuelles». Jo rd ae n s et l'école flamande les on t écrites sur leurs toiles réjouissantes .
venir l'e au à la bou
32
LE DROIT
À
LA PAHESSE
Sublimes estomacs gargantues ques, qu'êtes-v ous devenus? Sublimes cerveaux qu i encercliez toute la pensée humaine, qu'êtes-vous devenus? Nous sommes bien amoindris et Lien dégénérés . La vache enragée, la pomme de terre, le vin fuchsiné et le sch na ps p ru s s ie n savamment combinés avec le travail forcé ont débilité nos eorps et rapetissé nos esprits. Et c'est alors que l'homme rétrécit son estomac et que la machine élargit sa produetivité, e'est alors que les économistes nous prêchent la théorie malthusienne, la religion de l'abs tinence et le dogme du travail? Mais il faudrait leur arracher la langue et la j eter aux ehiens. Parce que la classe ouvrière, avec sa boulle foi sim pliste, s'est laiss é endoctriner, parce que, avec sou impétuo s ité native, elle s'est précipitée en aveugle dans le travail et l'abstinence, la classe eapitaliste s'est trou vée con damnée à la paresse et à la j ouissance forcée, à l'improduetivité et à la s ureonsommation. Mais, si le surtravail de l ' ouvrier meurtrit sa chair et tenaille ses nerfs, il est aussi fécond en douleurs pour le bourgeois. L'abstinence à laquelle se eondamnt:' la dasse pro ductive oblige les bourgeois à se eonsaerer à la sur cons ommation des produits qu'elle manufacture désordonnément. Au début de la produetion capita liste, il y a un ou deux siècles de cela, le bourgeois était un hOImne rangé, de m œ u rs raisonnables et paisibles ; il se contentait de sa femme ou à peu p rès; il ne buvait 33
qu'à sa soif et ne mangeait qu'à sa faim. Il laissait aux aux c o urtis a n e s les nobles vertus de la vie déb au ch é e . Aujourd'hui, il ll' es t fils de parvenu qui ne se croie tenu de développer la prostitution e t de mercurialiser son corps pour donner un but au l a b e ur que s ' imposent les ouvriers des mines de mercure ; il n ' es t bourg eois qui ne s ' e mp i ff e de c hap ons truffés e t de lafite nav ig u é , pour encou rager les éleveurs de La F l èc h e e t l e s vignero n s du Bo r de l ais . À ce métier, l ' org a ni s m e s e dé l abre r ap i de men t , les cheveux tom b ent' les dents se déchau ssent, le tr on c sc dé fo rme , le courtisans et
r
ventre
s'entripaille, la respiration s' embarrasse, les
m o uvements s'alourdissent, l es articulations s ' ank y l o
sent, les phalanges se nouent. D' au t r e s , trop mal ingres de la d é bau ch e , m ais dotés
pour supporter les fatigu e s
de la bosse du pru dhommisme, dessèchent leu r cer
velle comme les G a rn i er de l' économie politique, les
Acollas de la ph il o s op h i e j u r i d i q u e , à é l u c u b re r de gros livres s o p o rifi q u e s pour occuper l e s loisirs des c omp o sit e u r s et des imprimeurs .
du monde vivent une vie de martyr. fa ire valOIr les toilettes féeri q u e s que cou turiè re s se tuent à b âtir, d u soir au m a tin elles
Les fem mes
Pour essayer les
et
font la \Un'cHe d'une robe dans une autre ; pen da n t des he ur( ' ,.; . el l es livrent l e ur tête cre use aux artistes c a pi l l ai re s qui, à tout prix, veulent assouvir leur pas sion pour l ' échafaudage des faux c hign o ns . Sa ng l é e s 34
I . E D R O IT
.�
LA l' A lt E S S E
dans leurs corsets, à l'étroit dans leurs bottines, décol letées à faire ro u gi r un sapeur, elles tournoient des nuits entières dans leurs bals de charité afin de ramas ser quelques sous p o ur le pauvre mon d e . S aintes âmes ! Pour remplir sa d ouble fonction sociale de n o n producteur et de surconsommateur, le bourgeois dut non seulement violenter ses goûts modestes, perdre s es habitudes laborieuses d'il y a deux siècles et se livrer au luxe effréné, aux indigestions truffées et aux débauches syphilitiques, mais encore soustraire a u travail prod uctif un e masse énorme d'hommes afin de se procurer des aides. Voici quelques chiffres qui prouvent combien colos sale est cette déperdition de forces productives : « D'après le recensement de 186 1 , la population de l ' A n g l e t e rr e e t d u p ays de G a l l e s c o m p re n a i t 20 066 224 personnes, dont 9 776 259 d u sexe mascu lin et 1 0 289 965 du sexe féminin. Si l'ou en déduit ce qui est trop vieux ou trop j eune pour travailler, les femmes, les adolescents et les enfants improductifs, puis les professions idéologiques telles que gouverne ment, police, clergé, magistrature, année, savants, artistes, ete . , ensuite les gens exclusivement occupés à manger le travail d'autrui , sous forme de rente fon ci ère, d ' intérêts, de dividen d e s , et c . , et enfin l e s p auvres, les vagabonds, les criminels, etc . , i l reste en 35
LAFARGUE
gros huit millions d'individus des deux sexes et d e tout âge, y compris les capitalistes fonctionnant dans la production, le commerce, la finance, etc. Sur ces huit millions,
on
compte :
» Travailleurs agricoles (y compl'Ïs les bergers, les valets et les fil les de ferme, habitant chez le fermier)
.. . . .. .
1 098 261 ;
» Ouvriers des fabriques de coton, de laine, de worsted,
de lin, de chanvre, de soie, de dentelle et ceux des métiers à
bras
. . . . . . . . . . . . .................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .........
» Ouvriers des mines de charbon et de métal
. . . . . .
642
607 ;
565 835 ;
» Ouvriers employés dans les usines métallurgiques (hauts fourneaux, laminoirs, etc. ) et dans les manufactures de métal de toute espèce
. . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .............
» Classe domestique »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ........
. . . .
. . . . . . .
. . 396 998 ;
1 208 648.
Si nous additionnons les travailleur s des fabriques
textiles et ceux des mines de charbon et de métal, nous obtenons le chiffre de 1 208 442 ; si nous additionnons les premiers et le per sonnel de toutes les usines et de toutes les manufactures de métal, nous avons un total de 1 03 9 605 per sonnes ; c'est-à-dire chaque fois un nombre plus petit que celui des es claves domestiques modernes. Voilà le magnifique r ésultat de l'exploita tion capitalis te des machines 15.
À
toute cette classe domes tique, dont la grandeur
indique le degré atteint par la civilisation capitaliste, il 36
L E D R OI T
,\
LA P A R E S S E
faut ajouter la classe nombreuse des malheureux vo ués exclusivement à la satisfaction des goûts dispendieux et futiles des classes riches, tailleurs de diamants, dentellières, brodeuses, relieurs de luxe, couturières de luxe, décorateurs des maisons de plai sance, etc . 1 6 . Une fois accroupie dans la paresse absolue et démo ralisée par la j ouissance forcée, la bourgeoisie, malgré le mal qu'elle en eut, s'accommoda de son nouveau genre de vie .' Avec horreur elle envisagea tout change ment. La vue des misérables co n ditio ns d'existence acceptées avec résignation par la classe ouvrière et celle de la dégradation o rga ni q u e e ng e n d rée par la passion dépravée du travail a u g mentai e nt encore sa répulsion pour toute imposition de travail et pour toute restriction de j ouissances. C'est précisément alors que, sans tenir compte de la démoralisation que la bourgeoisie s'était impo s ée comme un devoir social, les prolétaires se mirent en tê te d'infliger le travail aux capitalistes. Les naïfs, ils prirent au sérieux les théories des économistes et des moralistes sur le travail et se sanglèrent les reins pour en infliger la pratique aux capitalistes. Le prolétariat arbora la devise : Qui ne travaille p as, ne mange p as ; Lyon, en 1 83 1 , se leva pour du plomb Olt du travail, les fédérés de mars 1 87 1 déclarèrent leur soulèvement la Révolution du travail. 37
LAFAHGCE
À ces déchaînements de fureur barbare, destructive de toute jouissance et de toute paresse b o urgeoises , les capit alistes ne p ouv aien t répondre que par la ré pres sion féroce, mais ils s avaient que, s' ils ont pu com p ri mer ces explosions révolutionnaires, ils n'ont pas n oyé daus le sang de leurs massacres gigantesques l'absurde idée du prolétariat de vouloir infliger le travail aux classes oisives et repues, et c ' est pour déto urner ce malheur qu 'ils s'entourent de prétoriens , de policiers , de magistrats, de geôliers entretenus dans une impro ductivité laborieuse. On ne peut pl u s conserver d'illu sion sur le caractère des armées modernes, elles ne se sont maintenues en permanen c e que pour comprime r « l'ennemi intérieur » ; c'est ainsi que les forts dc P a ris et de Lyon n'ont pas été construits pour défendre la ville contre l ' étranger, mais pour l ' écraser en cas de révolte. Et s'il fallait un exemple sans réplique, citons l'armée de la Belgique, de ce pays de Cocagne du capi talisme; sa neutralité est garanti e par les puiss ances européennes , et cependant son armée est une des plu s fortes p roporti onnel le m ent à la p op u l ati o n . Les g l o rieux champs de bataille de la brave année belge sont les pl ain es du Borinage et de Charleroi ; c'est dans le sang des mineurs et des ouvriers désanllés que les offi ciers belges trempent leurs épées et ramassent leurs ép aulettes . Les nations e urop é e n nes n'ont p as des années nati onales, mais des armées mercenaires, elles 38
LE DHOIT
;\
LA P A II E S S E
protègent l e s capitalistes contre l a fureur populaire gui vo udrait les condamner à dix heures de mine ou de filature . Donc, en se serrant: le ventre , l a dasse o uvrière
a
d é v el o p p é outre mesure le ventre de la b o u rg e o i sie condamnée à la s urconsonunatiOll .
Pour être soul agée dans son pénib l e travail, l a bour g e o i s i e a r e t i r é de l a c l a s s e o u v r i è r e u n e m a s s e d' hommes de beaucoup supérieure à celle gui restait consacré e à la pro du ctio n utile, et ra co nd a nm é e à son tour à l 'improductivité et à la surconsommation . Mais ce t roup e a u de b ouches i nu t iles , malgré sa voracité insatiable, ne suffit p as à consommer to u tes les mar chandises gue les ouvriers , abrutis p ar le do g m e du travail, p ro dui s e n t conllue des maniaques, sans vou loir les consommer, et sans même songe r si l'on trou vera des gens pour les cons ommer.
En présence de cette double folie des travailleurs,
de se tuer de surtravail et de végéter dans l'abstinence, le grand p roblème de la production capitaliste n'est plus de tro uver des pro ducteurs et de dé c u pler leurs f o rces , mais de découvrir des consommate urs , d'exci ter leurs appétits et de l e ur créer d es b esoins factices . Puis que les ouvriers eu ro p ée ns , grel ottant de froid et de faim, refusent de p orter les étoffes qu'ils tissent, de boire les vins qu'ils récoltent, les pauvres fabricants , ainsi que des dératé s , doivent courir aux a nt i p o des 39
L A F A Il C ll;
chercher qui les portera et qui les boira : ce sont des centaines de millions et de milliards que l'Europe exporte tous les ans, aux quatre coins du mo n de, à des peuplades qui n'en ont que faire 1 7 . Mais les continents explorés ne s ont p lus assez vastes, il faut des pays vierges. Les fabricants de l'Europe rêvent nuit et j our de l ' Afrique , du lac saharien, du chemin de fer du Soudan ; avec anxiét é , ils suivent les progrès des L ivingston e , des Stanley, des Du Chaillu, des de Brazza ; bouche b éante , ils écoutent les histoires miro bolantes de ces courageux vo y ageurs . Que de mer veilles inconnues renferme le « continent noir » ! Des champs sont plantés de dents d'éléphant, des fleuves d'huile de coco charrient des paillettes d'or, des mil lions de culs noirs, nus comme la face de Dufaure ou de Girardin, attendent les cotonnades pour apprendre la décence, des bouteilles de schnaps et des bibles pour connaître les vertus de la civilisation. Mais tout est impuissant : bourgeois qui s'empiffrent, classe domestique qui dépasse la classe productive, nations étrangères et barbares que l'on engorge de mar chandises européennes ; rien, rien ne peut arriver à écouler les montagnes de produits qui s'entassent plus hautes et plus énormes que les pyramides d' É gypte : la productivité des ouvriers européens défie toute consom mation, tout gaspillage . Les fabricants, affolés, ne savent plus où donner de la tête, ils ne peuvent plus 40
LE D R O I T
À
LA P A R E S S E
trouver l a mati è re première p o ur s ati s faire la
p a s s i on désordonnée, dépravée, de leurs ouvriers pour le tra vail. Dans nos départements lai n i ers , on effi oche le s chiffons s ouillés et à demi p ou rris , on en fait des drap s dits de renaissance, qu i durent ce que durent les pro
messes électorales ; à Lyon, au lieu de laisser à la fibre soyeuse s a s im p l ici té e t s a s o up l e s s e n a t ur e lle , on l a s u rc h arge de sels m i n éra u x qui, en l u i aj outant du poids, la rende n t friable et de peu d' usage . Tous nos p ro dui ts sont adultérés pour en fa c i li te r l'écoulement et en abré ge r l'existence. Notre époque sera appelée l'âge de la falsification, comme les p remières époques de l'humanité ont reçu les noms d'ôge de pierre, d'âge de bronze, du caractère de leur prod u cti o n . Des igno rants accusent de fra u d e 1l0S pieux industriels, tandis qu'en ré al ité l a p e n sé e qui le s anime est de fournir du travail aux o uvri er s , qui ne p e u ve nt se r é s ign er à vi vre les b ras croisés. Ces falsifications, flui out pour unique mobile un se n ti m en t h um a n i t a i re, m ais q ui rapportent de superbes p rofits aux fabrieants qui les prati qu e nt , si elles sont désastreuses p our la q ua li té des marchan dises, si elles sont une so urce intarissable de gaspillage du travail hum ain , prouvent la philanthropique ingé ni o s i t é des b o urg e o i s et l ' h o rrib l e p e rver s i o n d e s o uvriers flui, pour assouvir l eur vice d e travail , ob l ig ent les in d us tri els à étouffer les cris de leur c on s c i ence et à violer même l e s lois de l'honnêteté commerciale . 41
Et cependant, en dépit de la surproduction de mar chandises, en dépit des falsifications industrielles, les ouvriers encombrent le m arc h é innombrab l ement, implorant ; du travail ! du travail ! Leur surabondance devrait les obliger à refréner leur p assion ; au contraire,
ell e la porte au p aroxysme. Q u ' u ne chance de travai l se présente, ils se ruent: dessus ; alors c'est douze, qua
en avoir leur saoul, et le lendemain les voilà d e no uveau rej etés sur le pavé,
torze heures qu'ils réclament p our
sans plus rien pour alim enter leur vice . Tou s les ans , dans toutes les industries, des chômages revi ennen t avec la régu larité des saisons .
Au
s urtravail meurtrier
pour l'organisme succède le repos absolu, pendant des de ux et quatre mois ; et plus de travail, plus de pitance . Pu i s qu e le vice du travail est diaboli q uement chev illé dans le cœur des o uv riers ; puis que ses exigences étouf fent tous les autres inst incts de la nature ; puisque la
quantité de travail req uise par la société est forcément
limitée par la co nsommation et par l ' abondance de la
matière première , p o urquoi dévorer en six mois le t ra vail d e toute l ' année ? P ourquoi
ne
pas le dis t ribuer
uniforméme n t sur les douze m ois et forcer tout ouvri er à se eontenter de six o u de cinq heu res par j o u r, pen
dant l' année, au lieu de pren d re d es indige s t i o n s de
douze heures pen da n t six mois ? Assurés de leur part
qu oti dien ne de tra vail, les ouniers ne se j al ouseron t p l u s , n e se battront p l us pour s ' arraeh er le travail des 42
LE D Il O I T
A
1 . ,\ P A R E S S E
mains e t le pa in de l a b ouche ; alors, non épuisés ùe corps et d'esprit, ils commen ceront à pratiquer les ver tus de la paresse. Abêtis par leur vice, les ouvriers n ' o nt p u s'élever à l'intelligence de ce fait que, pour avoir d u travail pour tous, il fallait le rationner comme l'cau sur un n avir e en détresse. Cepen dant les industriels , au nom de l ' exp l o i t a ti o n capitaliste , ont dep u i s l o ngtem p s demandé une limitation légale de la journée de travail . Devant la Commission d e 1 860 s u r l'enseignement professionnel, un des plus grands manufacturiers de l ' Als a ce , M. Bourcart, de Guebwiller, déclarait : « Q u e la j o urn ée de douze heures était exces s ive et devait être ramenée à onze heures, que l'on devait sus pendre le travail à deux he ures le s amedi. Je puis conseiller l ' a d o p t.ion de cette mes ur e q u o i q u ' e l l e paraisse onéreuse à première vue ; nous l'avons expé rime n té e dans nos établissements industriels depuis quatre ans et nous nous en trouvons bien, et la pro duction moyenne, loin d'avoir diminué, a augmenté. » D a n s s o n étude s ur l e s m a c h i n e s , M . F. P a s s y cite l a lettre suivante d'un grand industriel b elge, M. M. Ottavaere : « Nos machines, quoique les mêmes que celles des filatures anglais e s , ne produisent pas ce q u ' e l l e s devraient produire e t ce que p ro duirai ent ces mêmes machines en Angleterre, quoique les filatures travaillent 43
LAFARGl E
deux heures de moins par jour. [ . . . ] Nous travaillons tous deux grandes heures de trop ; j'ai la conviction que si l'on ne travaillait que onze heures au lieu de treize, nous aurions la même production et produirions par conséquent plus économiquement. » D ' un autre côté, M . Leroy-Beaulieu affirme que « c'est une observation d'un grand manufacturier belge que les semaines où tombe un jour férié n'apportent pas une production inférieure à celle des semaines ordi naires 18 » . Ce que le peuple, pipé en sa simplesse par les mora listes, n'a j amais osé, un gouvernement aristocratique l'a osé . Méprisant les hautes considérations morales et industrielles des économistes, qui, comme les oiseaux de mauvais augure, croassaient que diminuer d'une heure le travail des fabriques c'était décréter la ruine de l'industrie anglaise, le gouvernement de l'Angle terre a défendu par une loi, strictement observée, de travailler plus de dix heures par jour ; et, après comme avant, l'Angleterre demeure la première nation indus trielle du monde. La grande expérience anglaise est là, l'expérience de quelques capitalistes intellig ents e s t l à , e l l e démontre irréfutablement que, pour puissancer l a pro ductivité humaine, il faut réduire les heures de travail et multiplier les jours de paye et de fêtes, et le peuple français n'est pas convaincu . Mais si une misérable 44
L E D Il O I T
,\
LA P A Il E S S E
réduction d e deux heures a augmenté e n dix a ns de près d'un tiers la production anglaise 19, que lle marche vertigineuse imprimera à la produ cti on française une réducti o n légale de l a j o u r n é e de tr a va i l à t r o i s h e ures ? Les ouvriers n e p euv ent - i l s do nc c omp r en dre qu'en se surmenant de travail, ils épuisent l e ur s forces et c e l l es de l eur pro g éniture ; que , usés, ils arrivent av ant l'âge à être incapables de tout travail ; qu'absor b é s , abrutis p a r un seul vice, ils ne sont plus d e s hommes, mais des tronçons d'hommes ; qu'ils tuent en eux t o u tes les belles facultés pour ne laisser deb o u t , et luxu rian te , que la folie furibonde du travail. Ah! comme des perroquets d'Arcadie ils répètent la leçon des économistes : « Travaillons, travaillons pour accroître la richesse nationale. » Ô idi ots ! c'est parce que vous travaillez trop que l'outillage in dustriel se déve loppe lentement. Cessez de braire et écoutez l l U écono miste ; il n'est p as un aigle, ce n'est que M. L. R eyb au d, que nous avons eu le bonheur de p erd e il y a qu el qu es r
mOlS :
« C ' est en général sur les conditions de la mai n d'œuvre que s e règle l a révolution d an s les méthodes du travail . Tant que la m ain-d'œuvre fournit ses ser vices à bas prix, on la prodigue ; on cherche à l'épar gn er quand ses services deviennent plus coÎlteux 20. » Pour forcer les capitalistes à p erfectionner leurs m ach in es de bois et de fer, il faut hausser les salaires 45
et diminuer les heures de travail des machines de chair et d'os . Les preuves à l ' app u i ? C 'est par centaines qU'OIl peut les fournir. Dans la fil a ture, le métier ren vi d � IH ( self acting mule) fu t inv enté et a ppl iqué à M ancheste r, parce que les fi le ur s se re fu s aie nt à tra vailler aussi longtemps qu'auparavant . E n A mé r i q u e , l a m a c h i n e e n v a h i t t o u t e s l e s branches de l a production agricole, depuis l a fabrica tion du beurre j usqu'au s a rc l ag e des blés : pourquoi ? Parce que l ' Amér i cain , libre et p a re sseu x, aimerait mieux mille morts qu e la vie bovine du p a y san fran ç a i s . L e l a b o u r a g e , s i p é n ib l e en n o t re g l o ri e u s e France, si riche en courbatures , est, dans l'Ouest amé ricain, un agréable p a ss e -te m p s au grand air que l ' o n p re n d ass i s , en fu m an t nonchalamment sa pipe.
4.
À nouvel air, chanson nouvelle
Si, en dimin uant le s heures de t ravail , ou con q uiert à la pro d uct i on s o ciale de n o u velles forces méca n iq u e s , en ob ligeant les o uvri ers à con sommer leurs produits, on conquerra une im mense arm ée de forees de travail . La bou rgeoisie, déchargée alors de sa tâehe de consommateur u niversel, s ' em p ressera de li cencier la eohu e de soldats , de magis trat s , de figaristes , de proxénètes, etc . , qu'eUe a retirée du trava il ut ile pour l ' aide r à consommer et à gaspille r. C 'est alors que le marché du trav ai l sera débordant, c'est alors qu'il fau dra une l o i de fer p o ur mettre l'int erdi t s u r l e travail : i l se r a imp o s s i ble de trouver de la besogne p o ur cette Huée de ci- devant improdu ctifs , pIns llom b reux que les poux des Lois . E t après e ux il faudra songer à tous ceux qui pOlllToya ient à leu rs beso ins ct go ûts futiles et: dispen dieux . Quand il n'y a ura plus de laq uais ct de généraux à galonn er, plus de prostituées libres et mariées à c o uvrir de dentell es, p l u s de can o ns à forer, plus de p al ais à bâ tir, il fau d ra, par d('s lois sévères , i m poser aux o u v ri è re s et ouvriers eIl passcmeutcries , C i l dentelles, en fe r, en bâtiment s, du canotage hygié nique et des exerc i ce s chorégra ph i qu e s p o ur le ré t a blisseme l l t de leur santé et le p <, r f'e e t i oll ll emc l l t de l a race . D u moment que les p ro d uits européells consom més s u r pl ace ne seront p a s trallsportés an diable, i l 47
LAFARGI E
faudra b ien que les marins, les hommes d'équipe, les camionneurs s ' assoient et apprennent à se tourner les pouces . Les bienheureux Polynésiens pourront alors se livrer à l' amour libre sans crain d re les coups de pied de la Vénus civilisée et les sennons de la morale europ éenne . Il y a plus . Afin de trouver du travail pour toutes les non- valeurs de la société actuelle, afin de laisser l ' outillage indu striel se développer indéfiniment, la classe ouvrière devra, conime la bourgeoisie, violenter s e s goûts abstinents , et développer indéfiniment ses
capacités consommatrices . Au lieu de manger par j our une ou deux onces de viande coriace, quand elle en mange, elle mangera de j oyeux biftecks d'une ou deux livres ; au lieu de boire modérément du mauvais vin,
plus catholique que le pap e , elle b oira à grandes et
profondes rasades du bordeaux, du bourgogne, s ans b aptême industriel, et laissera l 'eau aux bêtes . Les prolétaires ont arrêté en leur tête d'infl iger aux capitalistes des dix heures de forge et de raffinerie ; là est la grande faute, la cause des antagonismes socia ux et des guerres civiles. Défendre et non imposer le tra
vail, il le faudra. Les Rothschild, les S ay seront amuis à faire la preuve d'avoir été, leur vie durant, de parfaits vauriens ; et s ' ils j urent vouloir continuer à vivre en parfaits vauriens, malgré l'entraînement général pour l e travail , ils seront mis en carte et, à l eurs mairies 48
LV. D R O IT
,\
LA l' A II E S S E
respectives, ils recevront tous les matins une pièce d e vingt francs p o ur leurs menus plaisirs . Les discordes sociales s ' évanouiront. Les rentiers , les capitaliste s , tout les p remiers , s e rallieront au parti populaire, une fois convaincus que, loin de leur vo uloir du m al , on
veut au contraire les déb arr as ser
du tr av ai l
de surcon
sommation et de gaspillage dont ils ont été accablés dès leur naissance . Quant aux bourgeois incapables de
prouver leurs titres de vauriens , on les laissera suivre l e u r s i n s t i n c t.s : il existe s u ffis amment de m étiers dégoûtants p o ur les caser
-
Dufaure n ett o i e rait les
latrines p ubliques ; Galliffet chourinerait les cochons galeux et les chevaux forcine ux ; les membres de la commission des grâces , envoyés à Poissy, ma rque raie nt les b œufs et les moutons à aba ttre ; les sénateurs , atta c h é s aux p omp e s fun èbres , j ou erai e n t les cro qu e mo rts . Pour d'autres, on trouverait des métiers à por tée de leur intelligence . Lorgeril, Broglie, boucheraient
les b outeilles de c ha m p a gne , mais on les musellerait p ou r les e m p ê cher de s ' en ivr e r ; Ferr y, Fre y ei n e t , Tirard détruiraient l e s punaises e t l e s vermines des
mini s tères e t autres aub erges p ub l i q u e s . JI fau dra
cependant mettre les deniers publies hors de la portée des bourgeois, de peur des habitudes acquises . Mais
d u re
et l ongue ven geance on tirera des mora
listes qui ont perverti l 'humai n e nature, des cagots,
des cafards , des hyp ocrites
49
« et autres telles sectes de
LAFARe! "
gens qui se s on t déguisés pour trom p er le monde _ Car
do nn ant entendre au popu l a ire commun qu'ils
o cc upé s sinon à contemplation et dévo tion, en
ne
sont
j e u s ll es
et mascération de la sensualité, s i non vray ement pour
a l i m ent e r la petite fr a g i li té de le u r huma eontraire font chière. Dieu sait q u 'elle ! et
s us ten ter et nité
:
au
Curios simulant sed Bacclzanalia vivunt 2 1 .
Vous le
pouvez li re en grosse le ttre et enl umineure de leurs rouges
se au
muz e a u x
p arf u m en t
l
et v e ntre à p o u l a i ne , sinon
quand ils
de souphlre 22 » .
Aux j o urs de g ran d e s réj o u issances pop u l aires, o ù ,
lieu d 'avaler de l a poussi ère connue aux 1 5 août et
14 j uillet d u bourg eoisi sme, les communistes et les collectivistes feront aller les fl acons , trotter les j am b o n s et voler les g o bel ets , les mem bres de 1'.Académie des s c ie n ce s morales et p o l i t i q u e s , l es prêtres à longue e t co urte robe de l'église économi q u e , catholique, pro tes tante, j u i ve, p os itivi ste et l i b re penseuse, l es propa gateurs du malth usianisme e t d e l a morale c hré t i en n e , altrui s t e , indépen dante ou soumise, vêtus de j a uue, t i e n d ro n t l a c h a n d e U e à s ' e n brûler l e s d o i gts e t vivront e ll famine auprès d e s femmes galloises et de s tab les chargées de v i a n d e s , de fruits et de fleurs, et m o u r r o I l t de s o i f a nprès d e s tonneaux d é b o n d é s . Quatre fois l'aIl, au changemen t des saisons, a i nsi q u e l es chicns des rémouleurs , on l e s ellfermera dans les grandes rou e s e t pendant dix he ures o n lcs cOlldama ux
50
L1: D R O I T
A
LA P A H E S S E
n e r a à mou dr e d u veu t .
Les avocats et les légistes même p ei n e . E n régime de pare s s e , pour tuer le temps qu i nous tue s econde par seconde, il y aura des s p e c ta cl es et de s représentations théâtrales to u j o u rs et touj o urs ; c ' e s t de l ' ouvrage tout trouvé p o u r nos bourgeois législa teurs . On les orga ni s e ra par b andes courant les foires et les vi l l ages , donnant des re pré s e ntat i on s législatives . Les généraux, en b ottes à l'écuyère, la poi trine cha m arrée d ' ai g u i l l et t e s , de cr a c h a t s , de croix de l a Légion d ' honneur, iront: p a r les rue s et l e s places, racolant les bonnes gens . Gamb etta et Cassagnac, son compère, feront le boniment de la p o r te . Cassagnac, en grand c o s tume de matamore, roulant des yeux, tor dant la moustache, crach ant de l ' ét o upe enflammée, me n a c e r a tout l e monde du p is tolet de son père et s'abîmera dans un trou dès qu'on lui montrera le por trait de LuHier ; G am b e tt a discourra sur l a politique é trang ère , sur la p etite Grèce qui l'endoctori se et met trait l ' E u ro p e en feu pour filouter la Turquie; sur la gr an d e Russie qui le stultifie avec la compote q u ' e ll e promet de faire avec la Prusse et qui souhaite à l ' ou est de l'Europe pl a i es et bosses pour faire sa pelote à l'Es t e t étrangler l e ni hi l i sme à l ' in té rie ur ; sur M. d e Bis marck, qui a été assez bon p o ur lu i p e rm e t tre d e s e subiront la
p r o n o n c e r sur l ' amni stie . . . p ui s , d énu d an t s a large
bedaine peinte aux trois
co uleurs, il 51
battra d es s u s le
LAFARGCE
rappel e t énumérera l e s délicieuses p etites bêtes, les ortolans, les truffes, les verres de margaux et d'yquem qu'il y a engloutonnés pour encourager l' agriculture et tenir en liesse les électeurs de Belleville . Dans la taraque, on débutera par la Farce
électorale.
Devant les électeurs, à têtes d e bois e t oreilles d'âne, les candidats bourgeois , vêtus en paillasses, danseront la danse des libertés politiques, se torchan t la face et la pos tface avec leurs programmes électoram: aux mul tiples promesses, et p arlant avec des larmes dans les yeux des misères du peuple et avec du cuivre dans la voix des gloires de la France ; et les têtes des électeurs de braire en chœur et solidement : hi han ! hi han ! Puis commencera la grande pièce
:
Le Vol des biens
de la nation. La France capitaliste , énorme femelle, velue de la face et chauve du crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux éteints, ensommeillée et b âillant, s ' allonge s u r un canap é de velours ; à ses pieds , le C ap itali sme indu striel, gigantesque org a nisme de fer, à masque simiesque, dévore mécanique ment des hommes, des femmes , des enfants , dont les cris lugubres et déchirants emplissent l' air ; la Banque à museau de fo uine, à corps d'hyène et mains de har pie, lui dérobe prestement les pièces de cent sous de la poche . Des hordes de misérables p rolétaires déchar nés, en haillons, escortés de gendarmes, le sabre au 52
LE D H OI T
À
LA P A H E S S F.
clair, chassés par des furies les cinglant avec les fouets de la faim, apportent aux pieds de la France capita liste des monceaux de marchandises, des barriques de vin, des sacs d'or et de blé. Langlois, sa culotte d'une main, le testament de Proudhon de l'autre, le livre du budget entre les dents, se campe à la tête des défen seurs des biens de la nation et monte la garde. Les far deaux déposés, à coups de crosse et de baïonnette, ils font chasser les ouvriers et ouvrent la porte aux indus triels, aux commerçants et aux banquiers . Pêle-mêle, ils se précipitent sur le tas , avalant des cotonnades, des sacs de blé, des lingots d'or, vidant des barriques ; n'en pouvant plus, s ales, dégoÎltants, ils s'affaissent dans leurs ordures et leurs vomissements . . . Alors le tonnerre éclate, la terre s ' ébranle et s'entro uvre , la Fatalité historique surgit ; de son pied de fer elle écrase les têtes de ceux qui hoquettent, titubent, tombent et ne peuvent plus fuir, et de sa large main elle renverse la France capitaliste, ahurie et suante de peur. S i , rléracinant de son cœur le vice qui la domine et avilit sa nature, la classe ouvrière se levait dans sa for c e terrib l e , non pour r é c l a m e r l e s Droits de l 'homme, qui ne sont que les droits de l'exploitation capitaliste, non pour réclamer le Droit a u travail, qui n'est que le droit à la misère, mais pour forger une loi d'airain, défendant à tout homme de travailler plus de trois heures par jour, la Terre, la vieille Terre, frél1lis53
LAFARGUE
sant d'allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel univers Mais c o m men t demander à un pro lé t ari at corrompu p a r la m o r ale c ap ital i s t e une résolution virile ? Comme le Christ, la dolente p ersonnification de l'esclavage antique, les hommes, les femmes, les enfants du Prolétariat gravissent péniblement depuis un siècle le dur calvaire de la douleur : depuis un siècle, le travail fo rcé brise leurs os, meurtrit leurs chairs, tenaille le u rs nerfs ; depuis un siècle, la faim tord leurs entrailles et hallucine leurs cerveaux ! Ô Paresse, pren d s p itié de notre longue misère ! Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines ! . . .
. . .
Appendi(�c Nos moralistes sont gens bien modestes ; s ' i l s o u t
i nventé l e dogm e d u t r avai l ils do utent d e SOli effica cité pour tranquilliser l'âme, réj ou ir l' esprit ct entrete n ir le bon fonctionnement des reins et a utres organes ; ils veulent en expérimenter l'usage sur le pop ulaire, in anima vili, avant de le tourner contre les capitalistes, dont ils ont mission d'excuser et d' autoriser les v ices Mais, philosophes à quatre s o u s la douz aine, pour q uoi vons b a ttre ainsi l a cervelle à é l u c ll b rer u n e moral e dont vous n'osez conseiller l a p rati qu e à vos maîtres ? Votre dogme d u travail , dont VO liS ra i te s tant l es fie rs voulez -voli s l e voir b afoué, ho n ni ? O u vrons l'his toire des peuples a n t i q u e s et les écrits de leurs ,
.
,
philosophes et de l e urs législateurs .
« Je
ne
saurais affirmer, dit le père de l'h istoire, Héro
le mépris qu'ils font du travail, parœ que je trotlYe le même mépris éta b l i p armi l e s Thra c e s , l e s S c y th e s , les P e r s e s , l e s Lyd i ens ; en u n m o t paree que eh ez l a p l u part des bar b are s , ceux qui ap prennent les a r ts méc a n i q u es e t même leurs enfants s o u t regardés COlnme les derniers des citoyens Tou s les Grees on t été élevés d a n s ces principes , particulièrem ent les Lacédémoniens 2� . » «À Athèl l es , les citoyens étai ent de véri t a bles nobles q ni n e d ev a i e n t s ' o c c u p e r que de la dé fen s e et de do t e , si les Grecs tiennen t des
. . .
55
L A F A R G L: E
l'administration d e l a communauté, cornrue les guer riers sauvages dont ils tiraient leur origine. Devant donc être libres de to ut leur temps pour veiller, par leur force intellectuelle et corporelle, aux intérêts de la Répu blique, ils chargeaient les esclaves de tout travail. De m ême à Lacédémone, les femmes mêmes ne devaient ni filer n i tisser pour ne pas dér oger à leur noblesse 24 . » Les Romai us n e c o n n ai s s a i ent que deux métiers nobles et libres, l'agriculture et les armes ; tous les citoyens vivaient de dro it aux dépens du Trésor, sans pouvoir être contraints de pourvoir à leur subsistance par aucun des sordidœ artes ( ils dés ignai ent ainsi les métiers ) qui appartenaient de droit aux esclaves. Bru tus , l'ancien, pour soulever le peuple, accusa surtout Tar q u i n , le tyran , d' avoir fait d e s artisans et des maçons avec des citoyens libres 25. Les philosophes anciens se disputaient sur l ' origine des idées, mais ils tombaient d'accord s 'il s ' agis s a it d'abhorrer le travail . « La nature, dit P l at on , dans s o n utopie sociale, dans sa République modèle, la nature n'a fait ni cordonnier, ni forgeron ; de pareilles occupations dégradent les gens qui l e s exereent, vils mercenaires, misérables sans nom qui sont exclus par l e ur état même des droits p oli1iques . Quant aux marchands accoutumés à mentir et à trom per, on ne les souffrira dans la cité que comme un mal nécessaire. Le citoyen qui se sera avili p ar le c ommerce 56
LE
D R O I T '\'
L A P A R ES S E
d e b o u tique s e r a p oursuivi p o ur ce délit . S ' il est convaincu, il sera condamné à un an de prison . La punition sera double à chaque récidive 26. » Dans son Économiq ue, Xénophon écrit : « Les gens qui se livrent aux travaux manuels ne sont j amais élevés aux charges, et on a bien raison. La plupart, condamnés à être assis tout le j our, quelques uns même à éprouver un feu continuel, ne peuvent manquer d'avoir le corps altéré et il est bien difficile que l'esprit ne s'en ressente. » « Que peut-il sortir d'honorable d'une boutique ? professe Cicéron, et qu'est-ce que le commerce p eut produire d'honnête ? Tout ce qui s'appelle boutique est indigne d'un honnête homme [ . . . ] , les marchands ne pouvant gagner sans mentir, et quoi de plus hon teux que le mensonge ! Donc, on doit regarder comme quelque chose de b as et de vil le métier de tous ceux qui vendent leur peine et leur industrie ; car quiconque donne son travail pour de l'argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves 27. » Prolétaires, abrutis par le dogme du travail, enten dez-vous le langage de ces philosophes, que l'on vous cache avec un soin j aloux : un citoyen qui donne son travail pour de l'argent se dégrade au rang des esclaves, il commet un crime, qui mérite des années de prison. La tartuferie chrétienne et l'utilitarisme capitaliste n'avaient pas perverti ces philosophes des Républiques 57
L A F A R G U:
antiques ; professant pour des hommes libres, ils par l aient naïvement leur p e n sée . Platon, Aristote, ces pens eurs géant s , dont nos C o u s i n , nos C a r o , nos Simon ne peuvent atteindre la cheville qu'en se haus sant sur l a poin te des pie d s , voulaient que les citoyens de leurs Rép ubliques i déales vécussent dans le plus grand lois ir, car, aj o utait Xénop h o n , « l e t r a v a i l emporte tout le temps et avec lui on n'a nul loisir pour la Répub l ique et les amis » . Selon Plutarque, le grand titre de L y c u r gu e , « l e p l u s sage des h omm e s » à l' admiration d e la p os t éri t é , était d'avoir accordé des loisirs aux citoyens de la République en leur inter di sant un métier quelconque 28 . Mais , répondront les Bastiat, Dupanloup , Beaulieu et compagnie de la morale chrétienne et capitaliste, ces penseurs , ces philosophes préconisaient l' escla vage . - Parfait, mais pouvait-il en être autrement, étant donné les conditions économiques et politiques de leur époque ? La guerre était l'état normal des sociétés a ntiqu e s ; l'homme libre devait consacrer son temps à discuter les affaires de l' É tat et à veiller à sa défense ; les métiers étaient alors trop primitifs et trop grossiers pour que, les pratiqu a n t, on pftt exercer son métier de soldat et de citoyen ; afin de posséder des guerriers et d e s c i t o y e n s , l e s p hi l o s o p h e s et l e s l é g i s l a t e urs devaient tolérer les esclaves dans les Rép u b l i ques héroïques . - Mais les moralistes et les économistes du 58
LE D R O IT
À
LA P A H E H S E
capitalisme n e préconisent-ils p a s l e sal ari at , l'escla vage mo d e rne ? Et à qu e l s hommes l'esclavage capi ta l i s t e fai t-il des loisirs ? - À d e s Rothschild, à des Schn e i d er, à des Mme Boucicaut, inu til es et nuisibles, es c l av e s de leurs v ic es et de leurs domestiques . « L e préj ugé de l ' e s cl a v a g e d ominait l ' espr i t d e Pyth a go re et d'Aristote » , a t on écrit dédaigneuse ment ; et cependant Aristote prévoyait que « si cha q ue o u til pouvait exécuter sans s omm ati o n , ou b i e n de lui même, sa fonction propre, comme les chefs - d ' œuvre de Dédale se mouvaient d ' eux-mêmes, o u comm e les trépieds de Vulcain se mettaient spontanément à leur travail sacré ; si, par exemple, les navettes des tisse rands tissaient d'elles-mêmes, le chef d ' ateli er n'aurait plus b e s oi n d'aides, ni le maître d'esclaves » . Le rêve d ' Aris t o t e e s t n otre réalité. Nos machines � U souffle de fe u , a ux m emb r e s d ' a ci e r, i n fa tig ab le s , à la fécondité merveilleuse, inépuisable, accompli ssen t docilement d'elles-mêmes leur travail sacré ; et cep e n dant le génie des grands philosophes du ca p i t al isme reste d o m in é p ar le p réj ugé du salariat, le p i r e des esclavages . Ils ne comprennent pas encore que la m achin e est le rédempteur de l ' hu m anité , le Dieu qui rachètera l'homme des sordidœ a rte.� et du t ra va il salarié, le Dieu qui lu i donnera des l oi s irs ei la libelté.
59
LE D R O I T
,\
LA P ARE S S E
Notes
donnait les barbares e n exemple aux c i v il i s és et aux chrétiens : « Nous somllles i m p u d i q ues au m il i eu des b arbares, plu s chastes que nous. Bien plus, les barbares sont b l essés d e nos impudicités, l e s Goths ne sonffrent pas qu'il y ait parmi eux des déba uch és de leur nation ; seuls au milieu
1 . D e s c a rt e s , Les P a s s i o n s de l 'âme. 2 . D o cteur Be ddo e , Memuirs of
the A n thropological S o c i e ty ; Ch. D a rw i n , Descent of Man .
3 . Le s explorateurs eu r o p ée ns s ' ar rê t en t éto nné s d e v a nt l a bea u té physique et la fière all u re d es h o m m es des pe up l ades p ri mitives, non souillés par ce que P œ p p i g a p p e l a i t le « s o u f f l e em p o is on n é de la civilis ation » .
d'eux, pa r le t r i s t e p r iv ilège de leur nationalité et de leur nom, l e s Romains o n t le droit d' être impur s . [La pé dérastie étai t alo rs en gra nde m od e p armi les païens et les chrétiens . . . ] Les o ppri més s'en v o nt chez les barbru:es cher
Parlant des ab o ri g è ne s des Îles océaniennes, lord G eorge Camp bell écrit : « Il n'y a pas de peuple au mon de qui frap pe da v anta ge au p r e m i e r a b o r d . L e u r p e a u
cher de l'humanité et un ab ri . » ( De G u b e m a t i o n e D e i . ) L a vieille civil i s a t ion et le christia nisme naissant co rro mpire nt les b a r b a r e s dn v i e u x m o n d e , co m m e l e christ ia n i sme vieilli et la mo dern e civilisation ca pital is te corrompent les sauvages du nou veau monde. M . F . L e P l a y , d o n t: on d o i t
unie e t d ' u n e tein te l ég èremen t cuivrée, l e u rs cheveux dorés e t
b o u c l é s , l e ur b e l l e et j o y e u s e figu re, en un mot toute leur per s on n e , formaient u n n o u v el et
rec o nn aîtr e l e talen t d ' observa tion, al ors même que l ' on rejette s e s concl u s i o n s s o c i o l o gi q u e s , e n t a ché e s d e p r u d h o m rn i s m e philan t hro p iq ue e t c h ré ti en, d i t d an s SOli livre Les O/ll".iers euro péens ( 1 885) : « La p r o p e n si o n des Bachkirs pour la paresse [les Bachkirs sont des pasteurs semi nom a des du ve r sa n t a sia tique de
spl en d i d e é c h antillon d u gellus homo ; leur a pp arence physique donnait l ' i m press i on d'une race supérieure à l a nôtre . » Les civi l i s é s de l ' a n c i e n n e R o m e , l e s César, l e s Taci t e , co ntemp l aient avec la même adm irat i o n les Ger mains des tr i b u s cOIllmu n i s t e s qui e n v a h i s s a i e n t l ' E m p i re
r o ma iu . - Ainsi que Tacite, Sal vien, le prêtre du ve siècle, qu'on surnomma 1<, maître des éL'êques,
l ' O u r a l ] ; l e s l o i s i r s de la v i e nomade, l e s hab itudes d e médi
61
L A F A R G t: E
tation qu'elles font naître chez les individus les mieux doués com muniquent souvent à ceLL'{ ci u n e d i s t i n c t i o n de m a n i è r e s , u n e
moyens d e d i s traction p o u r les l'!lfa nts. Nous l e u r a p p r e n o n s à c h a n t er p e n d an t le t r a v a i l , à
au même niveau social dans une civilisation plus développée . . . Cf' qui leur répugne le plus, ce sont
douze heu,.e" de tral'ail qui SOllt Ilécessa i,.e,ç p o u, leu, p r o c u re , d e s m o.ye n s d 'e x i s t e n c e . »
c o m p t e r é g a l e in c n t en t r a vail lan t : cela les d i s t ra i t e t lem fait a c c e p t e r avec c oura ge ces
finesse d ' int e l l ig e n c e e t d e j uge ment qui se remarquent rarement
les tra v a ux agricoles ; ils font tout plutôt q u e d'accepter l e méti e r d'agriculteur. » L ' ag ricul ture est, en effet, la première m a nifesta t i o n du t r a v a i l s e r v i l e d a n s
Douze heures de travail . et quel t ravai l ! imposées à d es enfants
qui n'ont pas d ouze ans ! Les m a t é r i a l i s t e s re g rrtterout tou j ours q u ' i l n 'y a i t p as un enfer pour y clouer c.es chré tiens, ces p h i l anthr o p e s , bourreaux d e
l ' h u m ani t é . S e l on l a t r a d i t i o n b i b l i q u e , l e p r e m i e r c r i mi n e l ,
Caïn , est u n agri c ulteur .
J' enfance.
8 . Discours prononcé à la Société internationale ,l'études pratiques d'économie s o c i a l e de Paris, en mai 1 863, et publié dans L 'Éco n o m i s t e fra n ç a is ri e l a m ê m e
4 . Le p ro v e r b e e s p a g n o l d i t Descallsa,. e s salud (Se r ep o s e r est santé ) .
5. « Ô
Mélibée, un D i e u n o u s a
ppoque.
d o n n é cette o i s i v e té » , V i r gi l e , Bucoliques. ( Vo i r Appendice . )
9 . L . - H . V il l er m é , Ta bleau d e
6 . Évangile s el on saint Matthieu,
l 'é t a t p hy., iq u e e t m o r a l d e s o u eTiers dans l e s fa b riq u es de
chap . \1 .
cotOl!, d e laine et d e soie, 1 84 8 . Ce n ' é t a i t pas p a r c e que l e s D o l l f u s , l e s K œ c h l i n et a u t re s
7. Au premier congrès de bien fai sance tenu à Bru x e l le s, en 1 857, ml
fabricants alsaciens étaient des r ép u b li c ai n s , des patriotes e t des philanthropes protestants qu ' i ls t r a i t a i e n t d e l a s o r t e l e'u r s ouvriers ; car Blanqui, l ' académi c i e n , Reyb a u d , le p roto t y p e de Jérôme Paturot, et J u l e s Simon,
des plus riches manufactmiers de M a r q u e t t e , p r è s de L i l l e , M . Scrive, aux applaudissements des membres du congrès , racon tai t , avec la plus noble satisfac t i o n d ' un d e v o i r a c c o m p l i : « Nous avons introduit quelques
62
LI:: D R O I T
A
l . A l' A Il E SSE
l e maît re Jacques politique, ont eonstaté les mêmes aménités pOlU" la classe oll\Ti(.re chez les {abri r a n t s très c a t h o l i q u e s et t r è s monarchiques de Lille e t d e Lyon. Ce sont là des vertus capitalistes
1 2 . fJn Jllstice, de M. Clemenceau. dans sa partie financière, disait: le () a v r i l 1 8 8 0 : « N o u s a vo n s e n t e n d u s o u t. e n i r e e t t e opinion que, à défaut de la Prusse, les mil liards de la guerre de 1 8 7 0 eus
s'harmonisant à ravir avec toutes le s convictions politiques et reli
sent été égalemell t perdus pour la Franc.e, et Ge, sous forme d'em prunts périodiljuement émis pour
gieuses.
l ' équ ilib re des budgets étrangers ; t c l l e e s t également no tre o p i n ion. » O n estimc à dnq milliards la perte des capitaux anglais dans les emprunts des Hép ubliques de l ' A m é r i q u e du 8 ; , d . L e s t r a vaill eurs franç ais ont non seu le
1 0 . Les Indiens des tribus bel l i q u e u s e s d u Brésil tuent leurs i n fir m e s et l e u r s v i e i l l a r d s ; i l s témoignent leur amitié e n mettant fin à une vie qui n'est plus réjouie
par des combats, des fêtes et des
menl p r o d u i t. l e s cinq milliards p a y é s à M . B i s m arck ; mais i l s c.ontinuellt à servir les intérêts de l'indeuuùté de guelTe aux Ollivier, a u x G i r a r d i n , a u x B a z a i n e e t:
danses. Tous les peuples primitifs o n t donné aux leurs ces preuves d'affection : les Massagètes dc la Iller Caspienne (Hérodote ) , aussi hi en que les Wells de l'Allemagne et les Celtes de la Gaule. Dans les ég l is e s de 8 u è de, d e rn i è rement encore, 011 conservait des massues dites masslies familiales, qui ser vaient à délivrer les p arents des
autres port eurs de titres de renI e q u i o n l. a m e n é l a g u e r r e et . a déro u l e . Ce p mldant, il leur reste une fiche cie consolation : ces mil l i a r d s n ' o c e a s i onneront p as de
g uerre de recouvrement.
I ristesses de la vieillesse. Combien d é g é n é r é s s o u l. l e s p r o l é t. a i re s m o d e r n e s p O l i r a c c e p t. e r e n p a ti en ce les é p o u v ant ab le s misères du travail de fabrique !
1 3 . 89115 l 'Ancien Hégime, les lois de l'Eglise garantissaient au tra vailleur 90 j o nrs de rep o s (52 di manche s et 38 j ours férié s ) pen dant lesquels il él ait strictement défendu d e travailler. C'était le grand crime du eal holicisme, la cause principale de l'irréligion de la b o u rg e o i s i e i n d u s t r i e l l e et !:(HlIIlI <' l ç a n t e . Sous l a R é v o l u
I l . An Congrès industriel te n u à B e r l i n , le 2 1 j a n v i e r 1 8 7 9 , o n t' 5 1 imait à 568 millions de francs la p e r t e q u ' a v a i t é p r o u v é e l ' industrie d u fer en Alle magne pendant la denlière crise. 63
L A F A R G (1 E
trava l a vieille, et l e Roman cero
t i o n , d è s q u ' e l l e fu t maître s s e , elle abolit l e s j ours fériés e t rem
mUTe que : Las bodas fueron ell Burgos,
plaça la s emaine d e sept j (Ju rs
Las tomabodas
par cell e de dix. E l le affrapchit
en Salas :
En b oda s 'y tomabodas Pasaron siete semanas.
les ouvriers d u joug d e l' Eglise pour mieux les soumettre au j oug
Tanlas l'ienen de las gentes, Que no cabell por la.� plazas . . . ( L e s noc.es fu re n t à Burg os, les re t o u rs de n o c e s à S a l a s ; e n n o c es et retours de n o c e s , s e p t semaines passèrent ; tant d e gens accourent que les pl ace s ne peu
du travai l . L a h a i ne c ont r e l e s jou r s fériés
n'apparaît que l orsq ue la modeme bo urgeoisie industrielle et c o m merçante prend corps, entre les X V ' e t X VI e s i è c l e s . H e n r i I V demanda leur réduction a u pape ;
il refusa p arce q u e • l ' une d e s hérésies qui courent le j ourd'Imi, est touchant les fêtes » (l ettre du
vent les contenir . . . ) Les hommes de ces n oces de sept s e m a i n e s ét a i e n t les héroïques
cardinal d'Ossat ) . M ai s , en 1 666, Péréfixe, archevêque de Paris, en supprima 17 d ans son diocèse. Le protestantisme, qui était l a reli
soldats d e s guerres de l'indép ell dance .
1 5 . Karl Marx , Le Capital, livre p remie r , ch. xv, § 6 .
gion chrétienne accomIIlodée aux nouveaux besoins industriels et commerci a ux de la bo urg e o is i e,
16.
« L a p roportion s uivant l a
quelle la population d'un pays est employée eomme domestique, au s erv i ce des dasses aisées, indique
f u t m o i n s s o u c i e u x du r e p o s pop u laire ; il détrôna a u ciel les saints pour abolir sur terre leurs
fêtes.
son progrès en richesse nationale et en civilisation . » (R. M. Martin, /re la n d b efo re a n d after t h e Un ioll , 1 8 1 8 . ) G a mb e t t a , q u i
La réforme re l igie u s e et la libre
p ensée philosophique n ' étaient
que des prétextes qui p ermirent à
n i a i t la q u e s t i o n so ci ale , depuis
la bourgeoisie jésuite et rapace
qu ' il n 'était plus l'av oc at nécessi teux du C afé P r o c o p e , v o u l a i t
d'escamoter les j ours de fête du populaire .
s a n s doute parler de cette classe dom es tiqu e sans cesse g r an d is
1 4 . C e s fêtes p a n t a g ru é l i q u e s duraient des semaine s . Don Rodrigo d e Lara gagne s a fiancée
sante quand il réclamait l'avène
ment des nouvelles couches sociales.
en expulsant les Maures de Cala
64
1,E D R O I T
1 7. D e ux exemples : le' gouverne m e n t anglai s , p o tii: c o m p l a i r e ,aux pays indiens qui, malgré les faI)lines périodiques désolililt le p a ys " s ' e iÙ ê t e n t à c u lt i v e r le pavot au lieu du riz ou du blé, a dû en , rendre dès g herres san . " mpos e r au gou . is la libre , jntro
indien . Les
À
LA P A R E S S E
2 0 . Louis
s.ol/
régime"
vivent comme aux Buech
(Juvéual) . .
� 2 , Pantugruel, LXX"',
.
oi ci, d'après le tistiden R. Giffen, dil statistique rie Londres, gression croissante de la
nationale d e l 'Angleterre et de : en 1 8 1'4 , elle était de 55 milliards de francs ; eu 1 865, elle é t a it de 1 6 2 : 5 milliards d e
rIriande
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27. cha I)�: X Lui
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28 . Loi.l,
VII : et V I ;
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de
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Elo ge de l a v r aie V I e .
I l est bon d e s e lais ser porter par l a véhémence éblouissante du Droit à la paresse.
En
dépit du temps
qui nous sépare de son écriture, le pamphlet de Paul
Lafargue est comme une goulée d'air frais pour notre
esprit pollué au plus profond par l'idéologie du travail. Une
«
vertu vicieuse » si quotidiennement concrétisée,
si profondément introjectée . Ce petit ouvrage fait de Paul Lafargue
un
marxiste
bien singulier au sein d'un mouvement ouvrier à l'his toire duquel il appartient de plein droit : toute sa vie, en effet, est marquée par son engagement aux côtés des pauvres , des opprimés en lutte pour que j ustice leur soit rendue. Au- delà de sa présence constante et « offi cielle » durant presque cinquante ans de secousses et de débats révolutionnaires, les années d'exil et de pri
son qu'il a subies pour son dévouement à la cause pro létarienne en sont
un
témoignage manifeste.
Par sa teneur iconoclaste et gaie, s on Dro it à la paresse heurte de front les instances marxistes de son 67
épo qu e . Il tourne en déJj�jq.ÇJ ;et ;�onteste ce droit au tra
vail
qui est le socle
de t.ciute
tions
deront j us q u ' à
n os
i� p aq
o
p li e des revendica
d u r e ste , gar
j ours l e u r raison d ' être et leurs
assises ) . Le « droit au travail
»,
ce cri qui est censé légi
timer la rébellion des pauvres une fois dissous l' ancien
système productif, cette p u l s i o n imp érieuse, née du
capitalisme même , touj ours poussé à la domination, cette idée: inchlqtlée par l' adversaire et
que: la dasse
laPorie ufw; jl!ge f's!'if'Tllielle pour l' àvèüf'ment , du Inonde
i}oüvea U; �afargue terrasse' ee', « dès lès p remières lignes cle soù « , ! l'aité à r u:;agc ' tic:; 'geu:; obtuses » . ' La révolution ne .s�l1,).rait se �êtir, d\mc veste ,si morne: �: ' elle doit j etev aux oubliettes le droit au tmvail qui, dans ' la. réalité , n ' est que droit à la ' détresse' ,du corp s, ecde l.'esprit" et donc urLiIitèrdit de tout espoi[1 , dt dib�d€ et d è , plein vivre; La vraie, vie, ; celle de tous les .l'êves dé tous , les temps ; ceUe : quÏ; devrait , assw:er : l'épanouisse,
ment de
la nature humaine da:n;s
toutes :ses nuàü:ees l
est annihilée ·ante .litleram par l' étoüfte et médioore
captivité de l'individu, salal:ié. \
.1, .,:
,i
'
,:
•
G asp.ect ,paradoxa de , cette situatio�l n?est: j:)Q urtant
p as dans l'obj ectiv.ité de .c e s .donIi é e s , dans; Itdait incontes table' d 'une existence ouvrièr.e' .travers �e de fond en comble, par l'.effolit; , Findigence" le déracine � mentj T aliénation, le ,manque .de j oies . NOl1, ' le :véri table :problème, pom·Lafargue; ' résidé dans le fait que, 68
les ,vidimes elle s �mêmes' courent' :au-, devant f:le leurs propl'es malheti rs � :C 'est ,le prolétariat; , s u b jugué , pat, des impératifs' IilOFilu:x:,près crits p ar' des ' s avants au service, dL. rêginH� ,du 'profit; qui dernallde de toutes ses forces' ""' p arfois les arrhes , à la main '� cl ' être, enchaîné àux ou1Iilsi de productiol1\ ,d'êttè fgé ; dails cette fdrmê , ' n ' . - i ' , ' . , rnodenle , d'esd�vllge; : ' , ' ; " ! Le m é p r i s; 'àp l i c i t e : de : L a fa r g e p our la: b ê ti s e hlimaine inearnée dans l a configuration sociale du tra� vaillenr semble ,bien: inal : s'accorder ;avec SR conviction; politiquement fondée; d'1me' classe ouvrière p,ortd llse de la- félicité sùr ' terré.,.J\ilaisJ' auteur ne 'songe: pas un .ins tant à se laissèr enfenner ,dans u�l ünàginaire poptilaü'c qüi fermerait :la. 'por.te à totite ,issue émancipatrice . Au bout du compte ; sa .fohnarxiste ,..,. poul' ui , sa foi idans l'holnme: ;'" est inébranlable l e q d : iln tfait da ' plume clair et �onci s, il s l appliflue il: démystifiei; les vél'ités qtii s e i cacherit deiii ère les vertus l)résurùées ; à TedOl�neda vue :à' oes; hènpmes' qui se meuven( eü aveugle. : , ; , , : , i Salariat e t régime pénite'ntiaire vont la Illaih dans: la. maiir, ils 'onda: inêine : généalogie. L'brigme du second S e tro;tlVe clan s ·l a : né c es s ité d ti ' p ro (hi i œ -la , rù ai Ii cl' œuvre adaptée :à: la demallde d e r usine' 'lnécanisélb hes wo rkhmlses d tt i xvl( sièole' sont , elleffef. de, vérii! tab les lieux de r é c l u s i o n voués à la fornurtioIl.: ôe, la foœ'e de ttavail; et par là les prototypes de: l"usine -+ et, Michel ,F oucault Je' montrera cent ans, })lùs tardj : eHes 69
sont la pierre angulaire de cet univers disciplinaire dans lequel nous sommes tous engloutis . Prétendre au travail au nom de la liberté ? Quelle dérision ? La concision et la souplesse critiques de Lafargue ne laissent indemnes aucune des valeurs reconnues. Le dieu Progrès, identifié comme le descendant direct du travail, où il trouve nourriture et j ustification, est ainsi dénoncé comme parrain du malheur. Le même sort est réservé aux droits de l'homme, cet acquis des Lumières qui ne dessine la dignité humai ne que sur fond d'exploitation et d'abstinence (Et ces principes s upposés libérateurs sont repris tels quels dans nos lois fon damentales , qui constitutionnalisent le droit au travail comme pilier des droits de l'homme ) . Le développement technologique n'est pas plus épargné, car, dans la li gnée de ce même Progrès dont il est l'une des unités de mesure, il finit par faire obstacle au respect du bonheur des peuples : au lieu de réduire le tem ps de travail de chacun, il j ette simplement hors du marché les bras qui ne lui servent plus ; au lieu de mettre sur une table commune les fruits de son effica cité, il engendre la crise, l'exportation de ses surplus et
de ses méthodes chez d'autres groupes humains dont l'identité sera vite effacée sous la férule du modèle occiden tal . Tout cela, Lafargue le dit sans relâche. Il critique la myopie de la classe ouvrière qui, soumise 70
�
une
double aliénation - se tuer de fatigue et végéter dans le désœuvrement - s'empêche de prend re parti dans la crise de surproduction : au lieu d'en tirer avantage et de revendiquer plus de temps libre, plus de biens de consommation, elle s ' ab aisse à pleurnicher pour u n e e m b a u c h e qui, de c e fa i t m ê m e , s e d é v a l u e chaque jour davantage . Une fois ces évidences mises en l um i ère , l'utopie confiante de Lafargue se déchaîne dans une fresque où les b ourgeois deviennent des marionnettes p o ur une représentation collective aux rôles renversés et où le prolétariat, après la conquête de ses trois heures de travail par jour et d'un niveau de consommation effré née, rencontre enfin le parfait bonheur. Certes, l'excitation de la lecture retombée, les rai sons et les attentes de Lafargue nous laissent dans le doute, pour des motifs dont certains me p araissent d'importance : l'expérience et la fin du communisme d' É tat ; les pièges d'un capitalisme qui a vite compris l'enj eu des loisirs et de la consommation, dont il gère dés ormais à son profit la constitution et l' usage ; le
niveau de vie instauré p ar la démocratie lihérale.
Mais ces réserves n'empêchent nullement de consta ter que b i e n d e s q u e s t i o n s m a j e u r e s p o s é e s p a r Lafargue sont encore loin d'être résolues . L a crise et ses séquelles, devenues une manifestation structurelle constante de nos systèmes productifs, demeurent s ans 71
sohition et relancent aVet' force 'la cOiltradietion ' e'ntie la décoüvertei scien;tinqtte et ses ' cffcts.' " " ,; ..: "" Les e'ltpetts 'affinneht que -la' troisième révùltttiort tèch:r\.ologique a :rhhltipl;ié: pàr ql�atte la! productivité. dans les i paysles pl us inclustriIilisés : ' Ils : ëri titent la conclusion 'que 'le tërrlps �de tra'vai1 saladé, 'à, c:onditioil de mieux le distrib uer et d'en org3Iiiser: différemment te se liüüter 'à i ti.i:iè durée ' de : deux heures ':- moins ,encote , qu'ei les ttois héuies' préëùrii'sées pàrLafai"gue l ; Or,' il u l eIH�st rién: Si -discltssion il y: a; elle! n'est: qu 'un balb tttié;ment a�]:tout des: famctises 35 heutes' '' ; mitê ' inesute qui' M ' telhe ccrtaîrietrtèitt, pa� le -defi 'lancé : par :les' « �ans 'emploi ;>5 et qui manifeste; une fois de pltis;' que , ln ! ctilftHte de ' la ' perf0ri1aïlœ et dn 'prd dtittlvisine, 'ëi:i! uri ntod',idéolbgie i:lu ttavAil , mai1 q\Ie des o1.1tils r et ' dU ' (;Oltraig e tiécë&S aites ' pùur t@soutlte , de fa'çon détisivë d:� problètne, Outils. et ëùt1;� rage 'intellectuels , àh ; (lontraite� nâ im&.nquuieht pa;s à Pnul Lafargue iqui;' ;aveb l1é' f)roii' à ·[a, )a.reise; !lotis a' léghé 'uri ' bij oti què' 'cerfains 'de nos 'coriteri:J'Pùt�in s veuleilt bièri con�idél'et ' àved tiHe sylip a thie aItiuséè; et ils testeiù:' là . ' c' estql1'il l1 'est guère 'ù ppbrtun ,de ttop :bouievetSër' 11'ùfre p�tit, potager des idées- reçu'es. i .
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Vie d e P a ul L a far g ue
15
janvier 1 842.
Naissance d e Paul Lafargue,
à
Santiago de C uba.
1 851. La famille Lafargue s'installe à Bordeaux, où
le jeune Paul fait ses études secondaires et mène une
vie bourgeoise . 1 86 1 . É tudes d e médecine à Paris. Lafargue fait alors partie de la jeunesse rép ublicaine qui s'oppose au second E mpire et dont Proudhon est le maître
à
pens er. Col l a b ora ti o n à La Rive gau che , j o urnal proudhonien de Charles Longuet.
1 864. Adhésion à l'Association interna tionale des travailleurs créée à Londres.
1 865. Après avoir p artici p é au premier Con g rès international des étu diants , à Liège , Lafargue e s t e x c l u d e s universités de F r a n c e pour d e u x a n s . I l émigre e n Grande-Bretagne.
1866- 1 867. Membre du Conseil général et corres pondant de l ' Internati onale d e s travailleurs p o u r l'Espagne, Lafargue collabore à L a Rive gauche. I l s e rapproche d e Karl Marx, dont il devient l e secrétaire et un correspondant régulier. 75
W,;7P,
1 868.., tl\fl,�'i�g� a�' er \ Va;hrat iE1.e cQtic\é f i le de Marx , le 2 a v r i l 1868 . En s e p tembre , il est r é é l u membre du C o n s e i l g énéral l o r s d u C ongrès par le congrès B ru xelles, où les thèses de Marx sont accla
mées . R entré en Fran ce à l a fin de 1 868, il adhère à la
section de l ' Internationale de Vaugirard, collabore à La Marsèillài'se' et à La Libre Pen$ée;:oi:f il milit� pour l' anticléricalisme et l'émancipation des femmes i i "
"
"
1 87, . :Après .1' éCraseinent de la Coillmuhe, à .laqùèlle
il , a pris '\!lue part àctive j Lafal:gue est 'C(jn'traiht d? émH
grer. Il se rend en Espagne où, d'abord enip riscmnê , il vtt inerter; en icompagnie de' Pablo 19lesias; : «; dés Ihhes épiques contre ;là dii-ectiofl bakounillis te' » , ,écri t : Matt'", nee; DQl1lnan get: Sbn ·action et 'celle' de ses! camarades conduiront ,'à la, créatioll d,' ulle' Fédérallioii , lllaclrilèllej " , j qui sera à l'ori gine du Parti 'sbeiruiste espagno l. , i i " ; ' i 1 8"è2; A près 1 e 'dernier\ congrès de l'Intematioriâlê, à La Haye, Lafargue et sa femme' nîto urnent à , Londres ; , ; '1873 .;. 1880. Décidan t d�j,llterrompre F exércicé ;dé l a médecin, Lafargue ' exerce la : profession de 'pliGltolitho graphe . Le bmple
Lafargtle' vit des j oUl's
diffiCiles,
en
dépit de l 'ai de que lui apportei Engels\ Gontacts étroits
Mad i Début ; d'une ainiti é , d irabhnrvetl \hil cs Guesde; : qùi , vient de; lancer tin' juuI'l1a� ; i D'Égalité; . où L e 'Dro it u La p a'ress� e s t pliblié en J�euilletbll;, ' ' 1 ' : ; : : , 18 8 1 '''-·1 8 8 2 . Reh tr é e it F r a(r1 c e a:p û s , l e s � o i's d' amnis tie, Lafargue contrib üej avec ,Jû.les , Çuesdei à avec'
76
là création d'un « pa:t mwrier >i Outre, s e s con trihu� tions à L'Égalité, il collabore :à L'Émiulcipation, au Oi dù peuple, .au ,socialiste . ..: , Sa vie et celle de Laura s'ideIitifient alors avec ,celle dli Parti b uvrier. Lafargue tra vaille p our .la F é dératon du i C êntfe et . assure ; l�s liaisons avec les groupes des· différèn tes prpvince!'\ Avec J tiles G esde, il multiplie' .}es , meetings 'en" .])ro vince . Il est surveillé par la police, e t sa vie, politique est ponc�uée de séjours en prison .. : .' " ) i i '. ' i " � ' i . 1 8 83. Condanmé àl la suite Jle conférences ·dans l'Allier, il eSt incarcéI!é il la prisoh Saillte,.Pélagi e. JI 'CIl ; ; . . . , , profite pour écrire. ; : . . - , :1 885 , Député ' de Li1le, il ' 's'élève coutre la partici� . •
patioI1 des socialist'es
au : g oùvenlcmeùL .
;
'
.
,i
"
" . : 1886 - 1 887, Lafargue , ; désormais corisidéré cmme n é cbIlo rri i s t e , e f le p h i losop h e ' dü: p arti ; . p üb l i e , mi feuiletbn; dans Le Socialis l e ; Lei Religion :du capitaL. En tà n t que . s e c ré taire ; d u: Gomité llat � oBaLpour l 'étnihger; il � dès rapports fréquents' avec ' les a utres pays, au cours ,des congrèS. socialistei3 . " ; ' " ; 1 887 . Face · :à la: Ligue des p atriotes de : BOlllanger, les" courallts ; sQcialÎstes soilt , divisés ·sür les' actionis ' à
Iuener.
1 889.
.
É chec de Lafargue aux
,
électio n s . Dissolution
de la Ligue . 1 89 1 . A la veille du 1 el mai, Lafargue et Gl lesde animent des réunions dans le N o r d , aux environs de 77
Mille el u n e /luits pro p ose des chefs d'œuvre ponr le temps
d' une a t t e n te , d'un voyage, d'une insollnie . . .
La,.fe.t;re, l1,oJI,r!;c�ip,! .
4ati,dogrt'!h 2j>?!,
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Fl.
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Hérodi�s.
Pour e haqne titre, le tex l e intégral, nne postface, la vie de l ' a uteur cl une bihliograph ie. 49·40·41 8 1 · 0 6/1 NG d'édition 32249 fevrier 2003 Ensoclassique par G . Canale & C. SpA Achevé d'iDlprimer en
sur papier
(Tllrin, Italie).