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LE PflŒ Df MMIL-l-fJ L-.f -n-t' DfIL
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Autres titres Antoine Albertini
Pauline Garaude
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Comment peut-on être Français ? Jean-Dominique Merchet
Défense européenne, la grande illusion © Larousse 2009 Toute reproductioll ou rcprt'sentation intégrale 1 lU partidlc, par qudqul' procl'dé que Cl' SI lit, dl' hl 1l0l1ll'lKiaturl' et/ou du texte contellus dans le préscnt ouvrage, et qui sont la propriété de l'Éditcur, l'st strictement intlTditc.
ISBN: 978-2-03-584810-9
Marc de Scitivaux avec la collaboration très active de Marie Paule Virard
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Larousse 1 ~
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Collection dirigée par Jacques Marseille
Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe». Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique «
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1ntroduction « Apollon
avait donné à Cassandre, la fille de Priam, roi de Troie, à la fois le don de la prédiction et la malédiction de ne jamais être crue. Depuis lors, ce triste sort est attaché à tous ceux qui annoncent des malheurs qui tardent à venir. Et plus les malheurs tardent, plus la croyance dans le fait qu'ils puissent advenir s'atténue... Ceci est particulièrement vrai dans la sphère financière qui, s'appuyant sur la sagesse populaire, se souvient qu"'un quart d'heure avant sa mort, monsieur de La Palice était toujours vivant". Or, sur les marchés financiers, c'est souvent ce dernier quart d'heure qui est le plus "fun" ». Lorsqu'en mai 2007 j'écrivis ces lignes dans ma publication mensuelle Catallaxis, je ne me faisais aucune illusion: j'étais désormais convaincu que la bulle financière qui avait gonflé au cours des dernières années pouvait éclater à tout moment, provoquant des dégâts considérables, mais je savais aussi pertinemment que je serais impuissant à convaincre mes interlocuteurs de l'importance du risque auquel nous étions tous terriblement exposés. Impossible 1ntroduction
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en effet d'être seul (ou presque) à prédire le malheur quand tout le monde autour de vous est à ce point enivré à la fois par le doux parfum de la richesse et par un certain sentiment de toute puissance. Impossible d'éviter la tragédie. De fait, au cours de l'année 2007, la plupart des «experts» des marchés financiers sont passés par trois phases: de janvier à juillet, ils ont carrément ignoré la bulle; d'août à octobre, ils ont nié obstinément l'ampleur de la crise; et d'octobre à décembre, ils ont consenti à sortir peu à peu du déni mais en s'accrochant encore coûte que coûte à deux illusions: la crise était «sous contrôle» et les dégâts seraient limités à certaines zones géographiques. On sait ce qu'il en est advenu. De même, en annonçant, depuis plusieurs semaines maintenant, la fin de la crise, je ne m'attendais pas davantage à être cru. Et pourtant. Au moment où, dans le monde entier, salariés, consommateurs et épargnants continuent d'être malmenés par les effets d'une profonde récession, ma démarche ne relevait ni d'un penchant malsain pour la provocation ni d'une volonté farouche de me situer coûte que coûte à contre-courant de ce que l'on entendait jour après jour sur les ondes ou dans les colloques des experts mais de l'intime conviction: la crise comme «aggravation brutale d'un état morbide» 8
pour reprendre la définition du Petit Larousse est, j'en suis convaincu, derrière nous, même s'il est clair qu'il ne faut pas confondre convalescence et santé éclatante mais plutôt voir la promesse de guérison. De même qu'il était impossible de prévoir exactement le jour de la chute de Troie (le siège a duré dix ans!) ou hier celui de l'éclatement de la bulle, il est tout aussi impossible de dire aujourd'hui à quel moment l'économie mondiale sera sortie de la crise pour de bon. En revanche, il est à la portée de tout un chacun de constater que grâce aux leçons du passé, la bonne analyse de la crise a été posée et les bonnes médecines appliquées. Comme il était imaginable au printemps 2007 de prévoir à quoi le mélange explosif croissance, abondance d'épargne, bas taux d'intérêt et hausse des prix d'actifs allait nous conduire. Imaginable à condition de ne pas s'abandonner à l'euphorie collective mais au contraire d'analyser les choses «par le bon bout de la raison», à la manière du célèbre petit reporter Rouletabille imaginé par Gaston Leroux. Mais toute crise financière n'est-elle pas justement, avant tout, une défaite de la raison? Compte tenu de mon activité professionnelle, j'ai vécu cette crise de l'intérieur. Et j'ai été plus d'une fois stupéfait de constater combien les acteurs de la planète finance 1ntroduction
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ont été (volontairement?) sourds et aveugles aux premiers craquements de la banquise; combien est immense l'incapacité des marchés financiers à tirer les leçons d'une histoire pourtant riche en emballements spéculatifs aux conséquences désastreuses. Lorsque l'euphorie financière domine, l'idée que les prix ne montent pas jusqu'au ciel et qu'un retournement à la baisse ne peut manquer d'advenir semble à tous une probabilité tellement lointaine, tellement négligeable, que les avertissements n'ont aucune chance d'être écoutés. À la bourse comme ailleurs, les prophètes de malheur ne sont pas les bienvenus. Personne ne veut les entendre. La «raison» ne peut rien contre la puissance des intérêts et des fantasmes. De quel droit tuer la poule aux œufs d'or? Dans les périodes d'euphorie, on préférera toujours la philosophie à deux sous d'un Chuck Prince (quelques semaines avant le déclenchement de la crise, dans une interview au Financial Times du 4 juillet 2007, celui qui était encore le président de Citigroup prononçait la phrase désormais célèbre: «tant que la musique joue, vous devez vous lever et danser» ) aux avertissements prémonitoires mais alarmistes des Cassandre. Après la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers, le 1S septembre 2008, lorsque la crise a déferlé sur nous au point de menacer d'emporter 10
le système tout entier, tous ceux qui n'avaient rien voulu voir ni entendre, ont pourtant tout à coup retrouvé leurs pleines et entières facultés pour déclarer solennellement que la dérégulation était à l'origine de tous nos maux et pour partir sans attendre à la chasse aux boucs émissaires. Tout ce qui nous arrivait était la faute à Alan Greenspan, le patron de la Réserve Fédérale (la banque centrale américaine), aux agences de notations, aux banquiers, aux hedge funds, aux paradis fiscaux, aux patrons et à leurs stocks options, aux traders et à leurs bonus, etc. Certes, bien des excès ont été commis. Et chaque accusé est, plus ou moins, un tout petit peu responsable. Mais le fond de l'affaire est ailleurs tant il est vrai que la thèse de la folie collective l'emporte toujours sur celle du complot. En écoutant et en lisant les innombrables commentaires que les médias recyclaient en boucle, je fus tenté d'apporter ma propre analyse à l'appui d'une lecture dissonante. D'abord, cette crise n'est pas différente des autres. Il s'agit bien de l'éclatement d'une bulle assise sur l'endettement. Elle est simplement plus violente que les autres parce qu'elle est la première crise mixant une épargne mondialisée s'orientant vers les mêmes véhicules et une information immédiate uniformisée. Elle fut en outre amplifiée par le jeu extraIntroduction
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ordinairement complexe des modifications comptables et des réglementations prudentielles. Ensuite, le monde de demain sera différent du monde d'hier, mais à la marge, et pas fondamentalement. Enfin, le capitalisme n'aura pas besoin d'être «refondé» car il est dans sa nature d'évoluer continuellement et c'est ce qu'il fera. C'est la lecture du journal le Monde un beau jour d'octobre 2008 qui m'a finalement décidé. Tandis que depuis la faillite de Lehman Brothers, la planète s'enfonçait chaque jour un peu plus profondément dans la crise, le quotidien du soir avait eu ce jour-là la belle idée de reproduire in extenso le dernier chapitre de Brève histoire de l'euphorie financière, un ouvrage publié en 1990 par l'économiste canadien John Kenneth Galbraith et consacré aux bulles spéculatives (publié au Seuil en 1992). Quel bonheur de redécouvrir cette analyse à la fois roborative et allègre, tellement actuelle qu'elle aurait pu avoir été écrite la veille. Galbraith y assène quelques vérités premières: qu'on associe bien à tort intelligence et détention de la fortune. Que discernement et spéculateurs font rarement bon ménage. Et surtout qu'il n'y a pas dans le domaine du désastre financier d'apprentissage possible car «lorsque quelqu'un est en relation étroite avec l'argent, il est possible et même probable qu'il soit imbu de sa personne et tende à 12
l'erreur jusqu'à l'extravagance ». Et la dernière phrase de cet éblouissant petit ouvrage résume tout: «Oui, comme on le dit de longue date les imbéciles sont tôt ou tard séparés de leur argent. Le sont aussi hélas ceux qui, répondant à un climat général d'optimisme, se laissent prendre au sentiment de leur propre flair financier. Il en est ainsi depuis des siècles. Et il en sera ainsi pour longtemps». Galbraith a mille fois raisons: ce n'est pas demain la veille que l'on pourra réglementer la crédulité financière et l'euphorie collective. Et sans doute cela n'est-il pas souhaitable. Mais comprendre et expliquer pareil aveuglement collectif est pour l'avenir infiniment plus fécond que la quête dérisoire qui consiste à transformer une multitude de petits responsables (y compris chacun d'entre nous toujours prompt à exiger plus de rendement pour son épargne) en grands coupables. Existe-t-il par ailleurs des recettes pour échapper à l'euphorie collective lors des périodes de bulles qui sont partie intégrante de l'activité économique? Telles sont les deux questions auxquelles j'ai voulu tenter de répondre.
Introduction
13
Où
il est question
du « bon bout de la raison» Pourquoi l'immense majorité des acteurs n'a-t-elle pas vu venir la crise? J'avoue que la question m'a longtemps intrigué et, d'un certain point de vue, m'intrigue encore... Comment se fait-il en effet qu'une secousse d'une telle ampleur n'ait pu être anticipée et que jusqu'au bout les investisseurs aient négligé à ce point les signaux faibles qui clignotaient ici ou là, au point de continuer à courir, telle troupeau d'éléphants, jusqu'à la falaise? Pour tenter de comprendre, j'ai essayé de me remémorer les circonstances exactes de ma propre prise de conscience. De ce que furent, pour moi, ces fameux signaux faibles. Le premier prend les traits juvéniles d'Alexandra, la meilleure amie de ma fille. Le 24 décembre 2004, nous fêtons Noël à la maison. Alexandra est pour quelques jours à Paris avec ma fille et mon gendre, qui 14
reviennent de plusieurs années passées à Londres. Tous trois sont dans la finance et tout naturellement, je demande à Alexandra ce qu'elle fait exactement dans la grande banque allemande pour laquelle elle travaille. Elle me répond qu'elle commercialise des produits structurés, des CDOs, auprès des institutionnels. J'avoue que c'est la première fois que j'entends parler de ces produits qui allaient pourtant ébranler la finance mondiale. Mais lorsque je lui demande de quoi il s'agit exactement, elle a du mal à me l'expliquer précisément. Je comprends toutefois qu'il s'agit d'un regroupement de crédits en un seul et même produit financier et que les investisseurs achètent massivement ces produits. En revanche, Alexandra a du mal à m'éclairer sur la manière dont le risque est d'une part calculé par le vendeur et d'autre part évalué par l'acheteur, avant de préciser que ces produits sont conçus dans l'équipe par un petit génie des mathématiques. Elle ajoute qu'il utilise des modèles tellement complexes que peu de collaborateurs, à la banque, sont réellement capables d'en saisir la complexité... «Aujourd'hui, toutes les banques sont sur ce marché» se contente-t-elle d'ajouter. Mai~ qu'p~t-cP quP c'P~t qu'un
CDD?
J'avoue qu'à l'époque cette conversation me laisse un peu perplexe, mais je ne creuse pas la question. Où il est question du « bon bout dE' la raison»
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Je me contente de ranger l'information dans un coin de ma tête. Pourtant, je tenais là, sans en avoir encore conscience, la première pièce d'un puzzle que j'allais mettre quelque dix-huit mois à assembler. Il existait un produit financier que le marché s'arrachait et qui semblait doté de deux caractéristiques peu ordinaires: le vendeur ne savait pas ce qu'il vendait (mais en revanche gagnait beaucoup d'argent en le faisant) et l'acheteur ne savait pas ce qu'il achetait. Il fallait donc voir là indéniablement une innovation majeure! Deux ans plus tard, lorsque le débat sur les produits titrisés a commencé à prendre de l'ampleur, je repenserais à cette conversation de Noël 2004 en tombant sur le dessin d'un humoriste dans une revue spécialisée: on y voit un aréopage de messieurs sérieux et fort concentrés, installés autour d'une table qui ressemble à une table de conseil d'administration. Au bout de la table, quelqu'un se tient debout, qui semble être le big boss, et il dit: «J'ai bien compris que nous avons perdu 1 milliard de dollars sur les CDOs mais qu'est-ce que c'est qu'un CDO? » •.. Preuve que début 2007 il existait au moins un profane (en l'occurrence un humoriste) sur la planète dont l'intuition était plus perspicace que celle de la plupart des gérants et autres investisseurs! Mais pourquoi l'épargne mondiale était-elle donc aussi 16
friande de ce type de produit? La réponse me sera donnée d'abord, très concrètement, par un de mes clients, directeur général d'une caisse de retraite, et ensuite, d'un point de vue plus théorique, par Alan Greenspan puis surtout par Ben Bernanke, c'est-àdire l'ancien et l'actuel patron de la Federal Reserve (la banque centrale américaine). En avril 2006, c'est une conversation avec un de mes clients gestionnaire d'une caisse de retraite qui me convainc de regarder les choses de plus près. Alors que je m'étonne de voir cette institution souscrire à des fonds de crédits structurés, mon client me répond qu'il ne trouve plus sur le marché des produits de taux classiques les rendements suffisants pour faire face à ses engagements et garantir le versement des retraites futures. Cette institution, plus habituée à acheter des obligations gouvernementales ou, à la limite, des «corporate» de qualité (autrement dit des obligations de grandes entreprises privées) s'est donc vue contrainte, pour des raisons de rentabilité, de se lancer sur le marché du crédit. «Voilà pourquoi, m'explique en substance mon interlocuteur, je dois aller chercher du rendement sur ces nouveaux produits ». Mais il ajoute aussitôt: «il n'y a aucune raison de s'inquiéter, je n'achète que du triple A». Autrement dit, la meilleure note possible (le meilleur rating) Où il t'st qUE:'stion du « bon bout dE:' la raison»
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dans l'échelle de notation des actifs financiers par les agences spécialisées. Et en réponse à ma question sur une éventuelle dégradation de la note de ce type de produits, il répond: «si la note est abaissée, je vends». Le commentaire n'était pas fait pour me rassurer car on pouvait imaginer que ce directeur général de caisse de retraite ne serait pas le seul, le cas échéant, à prendre une telle décision. Et si tout le monde se mettait à vendre au premier coup de semonce, on ne pouvait que s'inquiéter pour la suite des événements. Une inquiétude qui, on le sait maintenant, était justifiée au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer. Mais pourquoi ne trouvait-on plus à l'époque de produits de taux à faible risque sur le marché? À cette question, deux réponses «théoriques» allaient m'être apportées. Ou plutôt une constatation et une explication. La constatation est à mettre au crédit d'Alan Greenspan, le maître du monde financier de l'époque, alors président de la FED, lors d'une intervention devant les sénateurs américains le 16 février 200S. En prononçant un mot, il assura du même coup la réputation d'un terme peu usité jusqu'alors mais qui allait rapidement faire le tour du monde: le conundrum (en français «l'énigme»). Le conundrum selon Greenspan était en effet le résultat d'un phénomène a priori inexpliqué: la Réserve Fédérale avait eu 18
beau monter ses taux courts (elle le fera dix-sept fois entre la mi-2004 et la mi-2006 pour les mener de 1 % à 5,25 0/0) les taux longs américains étaient restés scotchés aux alentours de 4,5 % au lieu de s'ajuster à la hausse, tombant même au-dessous de la barre des 4 % au début du mois de juin 2005 et restant inférieurs aux taux courts de la FED du printemps 2006 à l'automne 2007. Un phénomène totalement éconoclaste, un défi aussi bien à la théorie qu'à l'observation qui veut que lorsque les taux d'intérêt à court terme fixés par les banques centrales montent, très logiquement, cette hausse se transmet aux taux d'intérêt appliqués aux emprunts de plus longue durée. Alan Greenspan, lui-même, en fut extrêmement troublé. «Pour le moment, le comportement largement non anticipé des marchés obligataires mondiaux demeure une énigme» déclarait-il tout à trac aux sénateurs américains en cet hiver 2005. Dans les mois qui suivirent, il allait chercher sans relâche l'explication d'une telle énigme. Le 6 juin 2006 à Pékin, lors d'une conférence monétaire internationale, le patron de la FED revient longuement sur la question et passe en revue différentes hypothèses susceptibles d'expliquer le niveau exceptionnellement bas des taux d'intérêt à long terme. D'abord, l'anticipation par les marchés d'un ralentissement économique mondial, mais cette Où ;1 t'st qut'stion du «bon bout dt' la raison»
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explication ne lui paraît pas convaincante. Il explore ensuite la piste de la pression démographique sur la composition des portefeuilles des fonds de pension, celle de l'accroissement des réserves des banques centrales, principalement asiatiques, et pour finir la baisse structurelle de l'inflation due à la mondialisation. Alan Greenspan met enfin l'accent sur un dernier élément qui lui paraît non négligeable: avec la globalisation, nous sommes entrés dans un «nouveau monde» économique et financier, un monde dit-il que «nous ne comprenons pas encore totalement ». Un monde où il est plus difficile d'anticiper, où les acteurs ont perdu une partie de leurs repères, un monde où l'information financière est moins fiable que par le passé ce qui ne va pas sans perturber le bon fonctionnement des marchés. Mais aucune de ces explications ne lui paraît finalement vraiment convaincante, en tout cas comme explication unique.
La balance commerciale américaine et la queue du chien... L'analyse à mon sens décisive viendra finalement de Ben Bernanke, son futur successeur dans le bureau de Constitution Avenue (Ben Bernanke a remplacé Alan Greenspan à la tête de la Federal Reserve en janvier 2006). En mars et avril de la même année, 20
lors d'une «lecture », c'est-à-dire une sorte de cours magistral donné devant l'Association des économistes de Virginie puis à Saint-Louis, il développe une thèse audacieuse mais à mes yeux convaincante: si le déficit des comptes extérieurs américains est aussi élevé, ce n'est pas parce que les États-Unis ont un déficit commercial important mais parce que les capitaux du monde entier veulent entrer aux ÉtatsUnis, soit pour s'y investir, soit pour financer de la dette, notamment celle de l'État. «Des facteurs commerciaux spécifiques ne peuvent expliquer ni l'importance du déséquilibre des comptes courants américains, ni son récent et fort accroissement. Je pense plutôt que la balance commerciale est comme la queue du chien qui bouge parce que le chien la remue et non l'inverse ... » (voir bibliographie). À partir de là, les deux questions qu'il faut se poser selon lui sont de savoir pourquoi il y a cette surabondance d'épargne et pourquoi elle afflue aux ÉtatsUnis et non ailleurs? La théorie du glut of savings (littéralement « surabondance d'épargne» ) était née. Elle est d'une importance capitale car elle met en pièces, il faut bien le dire, l'analyse couramment exprimée par la plupart des experts sur le déficit
extérieur américain et sur ses conséquences sur les grands équilibres globaux. Où il est question du «bon bout de la raison»
21
Pour expliquer l'augmentation importante de l'offre d'épargne globale, le futur président de la FED évoque en mineur «la motivation des populations âgées des pays riches qui doivent faire des provisions à cause de la forte augmentation du nombre de retraités par rapport au nombre d'actifs ». Mais l'élément majeur, décisif, à ses yeux, lui semble surtout être «la métamorphose des pays en voie de développement passant de "consommateurs" à fournisseurs de fonds sur les marchés de capitaux internationaux». Une volonté inspirée par différentes motivations. D'abord, échaudés par les crises financières à répétition essuyées au cours des années 1990, les pays émergents ont opté pour de nouvelles stratégies de gestion de leurs flux de capitaux, et ont notamment décidé de passer d'importateurs à exportateurs nets de capitaux financiers. L'autre facteur, qui a alimenté le surplus des comptes courants de certains de ces pays (Moyen-Orient, Russie, Nigeria, Venezuela) et donc leur vocation de grands épargnants internationaux, est évidemment la forte augmentation des prix du pétrole. À l'appui de sa démonstration, Ben Bernanke présente à ses auditeurs un tableau FMI tout à fait éloquent: en huit ans, de 1996 à 2004, les pays en développement sont passés d'une situation d'emprunteurs nets pour un montant de quelque 90 milliards de dollars à une 22
situation de prêteurs nets pour plus de 326 milliards de dollars. Voilà pourquoi le flux d'épargne qui venait s'investir aux États-Unis était en progression très rapide (le glut ofsavings) et pourquoi, pour la première fois, il fallait aller chercher son origine principalement hors des pays occidentaux. Question subsidiaire: pourquoi donc cette épargne est-elle venue s'investir massivement aux ÉtatsUnis plutôt qu'ailleurs? Réponse en substance de Ben Bernanke: les épargnants des pays industrialisés choisissent le marché américain parce que le couple rendement/risque y est meilleur que dans les autres pays développés. Quant aux investisseurs des pays émergents, ils optent pour l'Amérique faute de confiance pour leurs gouvernements en place. L'épargne mondiale se déverse donc aux.États-Unis parce que c'est le pays qui, jusqu'à preuve du contraire, offre le meilleur mix de démocratie politique et de libéralisme économique, mais aussi d'innovation et de dynamisme: «L'attrait des États-Unis comme lieu d'investissement [... ] provient également de la profondeur et de la sophistication des marchés financiers [... ] un autre facteur est le statut international particulier du dollar américain [... ] le développement et l'adoption de nouvelles technologies ainsi que l'augmentation de la productivité aux USA, en Où
il
(lst qU(lstion du «bon bout d(l la raison»
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association avec d'autres avantages de long terme tels que le faible risque politique, le respect des droits de propriété et un bon environnement réglementaire », concluait le futur patron de la FED. Ben Bernanke réfute en quelque sorte la thèse du déséquilibre et défend plutôt celle d'une modification fondamentale de l'équilibre géographique de l'équation «épargne = investissement» associée à la mondialisation. Autrement dit, dans une économie globalisée au sein de laquelle les capitaux et les marchandises circulent librement, la question du déséquilibre entre épargne et investissement à un endroit géographique précis serait aussi pertinente que celle du déséquilibre entre épargne bretonne et investissements en Bretagne, toute question de risques géopolitiques mise à part! Dans une telle économie, en effet, les frontières - au sens politique du terme - n'existent pas. Et l'approche par pays perd donc l'essentiel de son sens (en tout cas, tant que l'on n'en revient pas à des mesures protectionnistes). Il suggérait du même coup que la plupart des instruments d'analyse utilisés par les investisseurs avaient été imaginés pour le «monde ancien », celui d'avant 1995, et qu'il fallait réfléchir à de nouvelles corrélations. 24
La mpthode Rouletabille comme antidote à reuphorie collective La «thèse Bernanke» éclaire d'un jour nouveau les événements des années récentes: l'afflux massif de l'épargne mondiale aux États-Unis a eu, entre autres conséquences, le maintien des taux longs à un niveau bas, puisque de nouveaux produits financiers, des produits à base de ce crédit auparavant distribué par les banques, ont fait l'objet de la sollicitude des investisseurs. Avec les conséquences que l'on sait: ces taux ont incité les ménages américains à s'endetter pour acheter de l'immobilier, d'où la bulle immobilière tandis que la hausse des prix provoquée par la bulle participait à l'effet richesse (lorsqu'un ménage s'enrichit parce que la valeur de ses biens augmente, en l'occurrence ses biens immobiliers, il est incité à dépenser davantage) qui lui-même, via la consommation des ménages américains, a accentué le déficit des comptes courants avec la hausse des importations. Un enchaînement qui a pris sa part dans le scénario de la crise financière. J'y reviendrai. Restait, pour boucler la boucle, à comprendre pourquoi les investisseurs semblaient accorder si peu d'importance au risque. Les éléments de réponse allaient m'être fournis là encore dès 2005 par les travaux et publications de la Banque des Où il ~st question du «bon bout de la raison»
25
Règlements Internationaux (BRI). Et en particulier par son rapport trimestriel de juin 2005. Les experts de la BRI rappellent d'abord ce qu'est un financement structuré. Et au risque d'être un peu technique, il n'est pas inutile de reprendre leur définition car celle-ci éclaire déjà la réponse à la question de la sous-estimation du risque: «Le financement structuré consiste à regrouper des actifs et à vendre ensuite à des investisseurs des droits, structurés en tranches, fondés sur les flux de revenus générés par ces actifs sous-jacents [...] En raison de ce découpage et des montages contractuels ainsi requis, les caractéristiques de couple rendement-risque de chaque tranche peuvent être particulièrement difficiles à évaluer». Autrement dit, les produits structurés sont des produits particulièrement sophistiqués dont il est bien difficile d'apprécier le risque. En outre, la BRI souligne que face à une telle complexité les investisseurs ont tendance à s'en remettre les yeux fermés à la notation des agences: «la complexité des instruments structurés incite les investisseurs à se fier davantage à la notation que dans le cas des autres titres notés» ... La mise en garde de la BRI (dès juin 200S, il faut le rappeler), insiste en particulier sur deux risques majeurs: le risque d'indépendance et le risque de confusion. D'abord, la question de l'indépendance: 26
«Compte tenu de cette complexité, le financement structuré est, depuis l'origine, très dépendant de la notation [... J. Il est intéressant de remarquer, ajoute la BRI que la notation du financement structuré est l'un des segments d'activité à la croissance la plus rapide chez les trois plus grandes agences pour qui elle constitue une source de revenu majeure. Cela suscite un certain nombre d'interrogations qui portent notamment sur les éventuels conflits d'intérêt, les émetteurs étant les payeurs ». Ensuite, le risque de confusion: «Les instruments structurés peuvent présenter des caractéristiques de risque très différentes de celles des portefeuilles d'obligations de même note [... J, une confiance excessive des investisseurs dans la note des produits structurés risque donc de mener à des expositions non voulues et à des pertes inattendues». Tout était dit. En repassant dans ma tête le film de tous ces signaux faibles, depuis l'échange sur les CDOs avec Alexandra, l'amie de ma fille, jusqu'aux analyses des experts de la BRI, les éléments susceptibles de forger ma conviction se mettaient progressivement en place. Je les livre ici comme je les avais écrits en mai 2007 (voir bibliographie): d'abord, la multiplication des intervenants dans un montage ne modifie en rien le risque initial, à savoir le défaut de paiement de l'émetteur originel, mais en le rendant Où il t:'st qut:'stion du «bon bout dt:' la raison»
27
moins perceptible et plus diffus, elle permet simplement de repousser l'échéance; ensuite, la complexité des montages rend l'évaluation des risques très difficile et a tendance à encourager une minimisation qui favorise la croissance des encours; enfin, le transfert des risques du système bancaire aux gérants d'actifs se traduit par une réduction des exigences prudentielles. Tout cela n'était guère rassurant puisque le développement de l'endettement avait provoqué une accélération de la croissance. Mais c'est cette accélération de la croissance qui faisait baisser les taux de défaut, autrement dit le nombre d'emprunteurs incapables de rembourser, et non le «support» de cet endettement, les crédits structurés. Cette erreur d'analyse ne pouvait que conforter une perception exagérément optimiste des risques. Chemin faisant, et tandis que le puzzle s'assemblait progressivement sous mes yeux, je songeai plus d'une fois à la phrase du Général de Gaulle: «Vers l'Orient compliqué, je m'envolais avec des idées simples ». En appliquant la même approche, j'étais de plus en plus convaincu qu'en bout de course, la réalité économique finirait par l'emporter. Dès lors, il me parut essentiel de ne succomber ni à la fascination largement répandue pour les modèles mathématiques sophistiqués ni aux discours euphorisants 28
des pousse aux crimes professionnels (combien de fois n'avons-nous pas entendu la fameuse phrase «cette fois-ci, c'est différent », qui en général est le signe avant coureur infaillible d'une catastrophe en tous points comparable à celles qui l'ont précédée). Il était au contraire urgent de privilégier ce que j'appelle «la méthode Rouletabille », autrement dit d'adopter, à la manière du célèbre petit reporter, une démarche et une réflexion logique et méthodique afin d'observer et de déduire à partir de la réalité économique, bref d'analyser les faits par «le bon bout de la raison ». Une posture et une démarche parfois difficiles à tenir au moment où la planète financière tout entière était saisie d'une sorte d'euphorie collective qui se traduisait par une montée générale et parfois verticale des prix de tous les types d'actifs: produits de taux, actions, immobiliers, matières premières, alors qu'une crise sans précédent, la première de la finance mondialisée, allait déferler sur nous.
Où
il est question du «bon bout dt' la raison»
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La crise d'endettement se transforme en bombe atomique Tout commence, rien de plus classique, par une crise de l'endettement. Au cours des dernières années, les ménages et les entreprises se sont surendettés, encouragés par leurs banquiers qui ont ouvert en grand le robinet du crédit. Mais aussi, cette fois-ci, par les investisseurs qui n'ont pas hésité à financer de l'endettement privé non seulement celui des entreprises, comme ils le faisaient déjà pour les grandes à travers les obligations, mais aussi celui des particuliers avec les crédits immobiliers. C'est ce phénomène nouveau qui sera fondamental: les banques centrales se trouveront désarmées quand elles voudront limiter l'envolée du crédit car, comme toujours en pareil cas, si les agents économiques ont usé et abusé du crédit, c'est que les taux d'intérêt, autrement dit le prix de l'argent, étaient 30
bas. Trop bas. Et pourquoi était-il trop bas? Tout simplement parce qu'à partir de 2003 il s'est formé un excès d'épargne dans le monde, le fameux glut of savings brillamment analysé par Ben Bernanke, le patron de la Federal Reserve. Cet excès d'épargne, c'est le point de départ de toute l'histoire. Et pour bien en comprendre les racines, un petit retour en arrière s'impose.
La bullp immobilièrp pnflp grâcp à dp~ taux hi~toriqupmpnt
ba~
Pour éviter une récession mondiale après l'éclatement de la bulle internet, l'attentat du Il septembre et l'affaire Enron, les autorités monétaires américaines, mais aussi européennes et japonaises, ont baissé violemment les taux d'intérêt. Avec la forte stimulation budgétaire décidée par la première administration Bush, il n'en fallait pas davantage pour qu'à partir de 2003 la croissance redémarre de manière simultanée aux États-Unis, au Japon et en Europe. Cette croissance a eu, entre autres, deux conséquences: l'apparition d'un solide excédent commercial dans les comptes de la Chine, nouvel acteur vedette de la globalisation; et une flambée des prix des matières premières en général, et du pétrole en particulier. La crise d'endettement se transforme...
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Le fait que la Chine soit devenue membre de l'OMC sans qu'en contrepartie il lui ait été demandé de pratiquer la liberté des changes est une erreur technique qui aura son importance. On ne peut en effet être libéral pour le commerce et étatiste pour les changes puisque ces deux facteurs sont l'avers et le revers de la même médaille. Lorsqu'on n'est plus en régime d'étalon-or, c'est normalement par le libre mouvement des monnaies ou des flux de capitaux que se rééquilibrent les balances commerciales. Lorsqu'on bloque les changes, on bloque les mécanismes de rééquilibrage automatique. L'excédent commercial chinois vis-à-vis des États-Unis s'est trouvé artificiellement gonflé par le lien injustifié entre renminbi et dollar et du fait du contrôle des changes, s'est déversé dans les réserves de la Bank of China dont la cassette a prospéré comme jamais. En effet, lorsqu'un fabricant chinois de téléphones portables, de réfrigérateurs ou de paires de moufles exporte vers les États-Unis, vers l'Europe le Japon etc. il reçoit des dollars, des euros, des yens. Le contrôle des changes l'oblige à déposer ces devises à la banque centrale chinoise en échange de renminbis. De ce fait, les excédents de la balance commerciale chinoise se sont retrouvés dans les réserves de la banque centrale dont la croissance annuelle est 32
ainsi passée de 50 milliards de dollars en 2003 à 450 milliards en 2007. Soit neuf fois plus! La hausse simultanée du prix du pétrole a produit le même effet sur les réserves des banques centrales des pays pétroliers. En quatre ans, leur progression passera d'un rythme annuel de 20 milliards de dollars à plus de 250 milliards en 2007 ! Pour des raisons différentes, la Chine comme les pays pétroliers n'ont pas dépensé cette manne qui a afflué dans leurs caisses mais l'ont épargnée en achetant des obligations d'État. Et, qui plus est, ils ont concentré leurs achats sur le papier d'un nombre restreint d'États car, compte tenu des sommes en jeu, seule une poignée d'émetteurs dans le monde était susceptible de leur offrir une sécurité suffisante. Et comme le rendement japonais était trop bas et le volume du marché de la dette britannique insuffisant, cette poignée s'est réduite même en réalité à un tête à tête États-Unis-Zone euro. Un duo sur lequel s'est donc porté l'essentiel des achats. Avec comme conséquence une très forte pression à la baisse sur les taux d'intérêt longs. Cette pression à la baisse fut d'autant plus forte qu'au même moment les besoins de financement des grands emprunteurs publics occidentaux n'étaient
plus ce qu'ils avaient été: les rentrées fiscales associées au redémarrage de la croissance éconoLa crise d'endettement se transforme...
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mique mondiale affluent en effet dans les caisses, à Washington, comme à Londres ou à Berlin. Deux chiffres l'illustrent bien: de 440 milliards de dollars pour l'exercice 2004, le déficit budgétaire américain va maigrir jusqu'à 170 milliards pour l'exercice 2007. Ce qui signifie que, pour la seule année 2007, l'État américain a émis pour près de 300 milliards de dollars de titres en moins. En l'espace de quatre ans, l'équation a ainsi radicalement changé: alors qu'en 2004 l'augmentation des besoins de financement des États-Unis et de la zone euro sur douze mois affichait un «excédent» de 475 milliards de dollars à l'accroissement des réserves de la Chine et des pays pétroliers, en 2007 c'est l'accroissement des réserves qui se révélera supérieur de 435 milliards aux besoins de financement de l'Amérique et de la zone euro. Un switch de plus de 900 milliards! Dès lors, quoi d'étonnant si les taux longs nominaux et réels sont descendus bien au-dessous de leur niveau historique sur longue période (3 % pour les taux réels). Fin 2006, ils avaient glissé jusqu'à 1,5 0/0. Il y avait longtemps que l'incitation à s'endetter n'avait été aussi forte surtout en ce qui concerne l'immobilier. Pour comprendre l'engrenage qui s'est mis en place, il faut revenir sur le mode de fonctionnement du système américain. Aux États-Unis, les taux hypothé34
caires (autrement dit, les taux auxquels les ménages américains empruntent pour acheter une maison ou un appartement) sont étroitement corrélés aux taux longs gouvernementaux du fait de l'existence de deux grandes agences de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac. Bien que si l'on s'en tient strictement au droit, ces deux agences ne bénéficiaient pas de la garantie publique, en réalité, elles étaient réputées comme ne pouvant pas faire faillite (ce qui d'ailleurs sera confirmé par les faits puisque lorsqu'à l'automne 2008 elles seront en grandes difficultés, elles seront sauvées par l'État). De ce fait, ces deux agences pouvaient émettre des obligations à des taux très proches des taux publics avec un écart (spread) réduit. À partir du moment où les taux longs nominaux et réels gouvernementaux sont descendus à des niveaux très bas pour les raisons que nous venons de dire, les ménages américains étaient évidemment fortement incités à s'endetter pour acheter habitations principales et résidences secondaires. L'explication est complexe mais essentielle: aussi extravagant que cela puisse paraître lorsqu'on établit le lien sans faire l'effort de le démontrer avec précision, c'est donc bien parce qu'un certain nombre de pays émergents ont placé leur épargne en obligations américaines et/ou européennes avec La crise d'endettement se transforme...
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comme résultat une forte baisse des taux d'intérêt à long terme que la famille Smith a pu trouver jusqu'au début 2007 un crédit hypothécaire sur trente ans à un taux réel de 2 0/0, soit un niveau historiquement très bas! La bulle immobilière est donc d'abord le fruit de l'excès d'épargne mondiale et du fait que celle-ci s'est, en quelque sorte, «déversée» sur les taux d'intérêt à long terme. Bref, si la Chine et les pays pétroliers avaient dépensé l'essentiel de leurs revenus plutôt que de l'épargner, la face de l'économie mondiale en aurait été changée. Et la crise des subprimes, sans doute, évitée. Et voilà pourquoi il n'est pas si extravagant que cela d'affirmer que les excédents chinois et la hausse du prix du pétrole ont fabriqué - au moins en partie la bulle immobilière américaine! Notons qu'il s'agit bien des conséquences d'entraves au fonctionnement normal de l'économie libérale: une volonté des gouvernements de maintenir un lien artificiel entre leurs devises et le dollar! Mais si au commencement est l'excès d'épargne, il aura fallu ensuite - comme on l'observe d'ailleurs toujours dans l'histoire des crises - une série de circonstances pour que la crise prenne l'ampleur que nous lui connaissons. D'abord, les gérants d'actifs financiers, et principalement les gérants de fonds de retraite, étaient confrontés à un problème majeur: échaudés par le 36
krach Internet qui les rendait méfiants sur les achats d'actions et voyant se rapprocher le moment où ils devraient verser des retraites aux baby boomers, ils vont vouloir accroître la part des obligations dans leur portefeuille afin d'en réduire la volatilité mais, pour les raisons exposées ci-dessus, ne trouveront plus sur les obligations gouvernementales les taux de rendement suffisants pour faire face à leurs engagements... La nécessité d'aller chercher une rémunération réelle plus consistante les a donc incités d'abord à migrer vers des produits corporate (les obligations des grandes entreprises multinationales) puis vers des produits de plus en plus complexes susceptibles de leur offrir des taux de rendement réels sensiblement supérieurs, quitte à être moins regardants sur le niveau de risque. C'est ainsi qu'en janvier 2007 le plus grand fonds de pension européen ABP, qui gère les retraites des fonctionnaires et des employés de l'Éducation en Hollande, annonçait qu'il réduisait ses positions en actions et obligations et augmentait la part des fonds alternatifs pour «accroître ses revenus» car une politique «de réduction de risques» ne lui permettait pas de verser aux retraités les taux de pension auxquels ils s'étaient engagés. La crise d'endettement se transforme...
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LfS banquifrs nf savfnt pas Cf qu'ils vfndfnt, IfS invfstissfurs Cf qu'ils achètfnt... Face à cette nouvelle demande des investisseurs, les établissements financiers vont d'autant plus être incités à construire des produits structurés et à les vendre à des investisseurs que cela permet de recevoir des commissions d'intermédiaires sans « consommer» de fonds propres puisqu'ils n'ont plus à porter le risque. Un bon moyen de doper une rentabilité sur capitaux investis - le fameux ROE qui, comme on le sait, est de plus en plus la clé du succès boursier et de l'indépendance. En effet, avoir un Return On Equity élevé écarte le risque de devenir la cible d'une OPA non désirée. Les équipes bancaires vont d'autant plus faire assaut d'imagination pour concocter une offre de produits de dette toujours plus sophistiquée que cela rapporte aux commerciaux -les traders - et que cela pérennise le management. Voilà les activités dites «de marché» au zénith dans toutes les grandes banques commerciales du monde. Certaines en tireront jusqu'à 50 0/0 de leurs profits. Celles-ci paraissent en outre offrir des perspectives de développement mirifiques grâce à l'innovation financière. À la titrisation pour être plus précis. 38
Au départ, l'idée de transformer des cr.édits, des prêts bancaires illiquides, en titres aisément négociables sur le marché et donc achetables par l'épargne est loin d'être condamnable. Au contraire. Il s'agit même d'une avancée qui en organisant le circuit court épargne-investissement devrait donner une plus grande stabilité au financement des besoins économiques. Mais malheureusement cette bonne innovation associée à des taux très bas va initier puis développer une bulle de crédits. Des produits financiers de plus en plus complexes vont ainsi voir le jour. On regroupe divers crédits dans un ensemble (un «produit structuré»), puis on le débite en tranches avant de revendre celles-ci sur le marché aux investisseurs. Chacune des tranches aura un risque et un taux d'intérêt différent et donc chaque investisseur trouvera un produit qui lui convient. Mais au fur et à mesure que le temps passe et que la demande augmente, et comme il n'y a toujours pas de sinistres, le fameux rapport « risque/rendement» de chaque tranche se déforme et les investisseurs accepteront des risques de plus en plus élevés pour conserver leurs rendements. Tout le monde, ou presque, s'y précipite. Les investisseurs tiennent leur rémunération attrayante, les banques leurs commissions... La technique paraît tellement irrésistible qu'on va bientôt l'étendre à La crise d'endettement se transforme...
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divers types de crédits: LBO, opérations de private equity, et ainsi de suite... Or, ce recours massif à la titrisation ne va pas du tout, comme on a longtemps voulu le croire et/ou le faire croire, réduire les risques en les disséminant un peu partout. La particularité de cette crise est au contraire que les vendeurs ne savaient pas vraiment ce qu'ils vendaient tandis que les acheteurs ne savaient pas vraiment ce qu'ils achetaient. Et plus l'innovation financière s'épanouissait, plus le risque augmentait dans le système sans que les principaux acteurs semblent s'en aviser. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été prévenus par les autorités compétentes. Le 22 mars 2007, le gouverneur R.S.Kroszner, membre du Board (le conseil d'administration) de la FED, s'exprime lors d'un symposium sur le marché du crédit à la Federal Reserve de Richmond: «Je veux souligner que les risques fondamentaux sur les marchés de crédits n'ont pas été modifiés par les nouveaux instruments qui sont aujourd'hui échangés. Le fait qu'ils soient répartis entre de nombreuses mains n'élimine pas le risque [...] et même en cas de défaut les investisseurs seront exposés au fait que le recouvrement sera plus lent qu'attendu [... ]. Les instruments comme CDS et dérivés de crédits auront le même type de risques que ceux qui ont toujours existé sur 40
les crédits ». En mars 2007, l'autorité de régulation britannique sera encore plus explicite en ce qui concerne tous les dérivés de matières premières dont le montant avait été multiplié par cinq en 2 ans: «Il n'y a qu'un nombre limité de personnes qui ont une compétence suffisante pour être employée par les firmes qui vendent ces produits ». Et la Financial Services Authority (FSA) de préciser: «Les investisseurs risquent des conséquences inattendues sur des produits qu'ils ne comprennent pas totalement [... ] Les expositions indirectes des fonds de pension sur ces produits est en augmentation». On a compris pourquoi les investisseurs institutionnels sont friands de ces produits de dette. On a compris aussi pourquoi les banques se sont donné les moyens de leur en proposer un éventail toujours plus diversifié. Mais une question demeure: pourquoi les investisseurs vont-ils acheter des produits aussi risqués les yeux fermés? Manifestement, parce qu'ils font une confiance aveugle à l'infaillibilité des «notes» attribuées aux produits financiers par les agences de notation. Les agences de rating ont en effet constitué le troisième maillon faible de cette histoire. Leur rôle a été mal compris. Il n'est nullement d'analyser le risque futur, mais simplement de réaliser une étude statistique du risque par type de produit, autrement dit La cris~ d' ~nd~tt~m~nt s~ tranc;Form~...
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d'attribuer une notation à une institution financière ou à un produit en fonction du taux de défaut historique passé du type de crédit en question. L'agence de notation regarde donc dans le rétroviseur. Ses avis sont par définition «pro-cyclique» (autrement dit, ils amplifient fortement le mouveme~t, à la hausse comme à la baisse). Et si les modèles mathématiques qu'elle utilise se révèlent défaillants, elle sera contrainte - si le taux de défaut se met à monter- de réviser sa note (le derating dans le jargon des agences). C'est bien là que le drame se noue: le crédit immobilier bénéficiait en effet historiquement d'une très bonne note pour l'excellente raison que depuis 1945 jamais les prix de l'immobilier résidentiel n'avaient baissé de plus de 10 % sur un an aux États-Unis et que, compte tenu de l'apport initial de l'emprunteur, jamais un sinistre n'avait été enregistré chez un prêteur. Les produits structurés à base de crédits immobiliers vont donc bénéficier de ces excellentes notes. Caisses de retraite, compagnies d'assurance et autres fonds de pension vont donc trouver toutes les bonnes raisons d'en souscrire massivement, croyant marier du même coup sécurité et rentabilité. Une martingale en quelque sorte! Seul petit problème: les agences n'ont pas perçu que la nature du risque immobilier avait évolué car les 42
courtiers en immobilier, qui commençaient à manquer sérieusement de business en raison de la saturation progressive du nombre de candidats potentiels à la propriété aux États-Unis (en dix ans, de 1995 à 2005, le taux de propriété est passé de 64 % à 69 % outre-Atlantique), recrutaient depuis plusieurs années déjà de nouveaux clients dont le profil modifiait sensiblement la donne. Le grain de sable qui allait rendre le dérapage inévitable.
Lp ~y~tpmp diaboliqup dp~ ~ubprimp~ Fin 2006, c'est en effet la crise des crédits «subprimes» qui va allumer la mèche. Avant cette date, personne ou presque n'avait jamais entendu parler de ces crédits. Des prêts non conventionnels (littéralement, en dessous du premier choix) consentis à des ménages américains modestes dont la solvabilité est incertaine en raison d'un passé d'emprunteur à problèmes ou de revenus faibles et aléatoires: chômeurs, mères célibataires, travailleurs immigrés. Depuis le début de la décennie, des millions de ménages ont contracté ces emprunts miracle. En 2001, les crédits subprimes ne représentaient que 6 % des crédits immobiliers distribués dans l'année aux États-Unis (environ 200 milliards de dollars), mais la proportion dépassera les 20 % en 200S pour un montant de plus de 600 milliards, de quoi souLa crise d'endettement se transforme...
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tenir l'activité de la construction et de la promotion immobilière et contribuer à la surchauffe sur les prix: 20 % de hausse annuelle en 2004 et en 2005 (chiffres issus du rapport annuel 2007 de la Federal Reserve Bank de San Francisco). Or, il s'agit d'un marché à hauts risques. Non seulement, l'acquéreur n'apporte pas de fonds propres, mais comme il présente un risque de défaut relativement important en raison de ses faibles revenus, la banque lui fait payer son crédit plus cher. Pour cette population, le taux - qui évolue normalement entre 4 % et 6 % - peut monter jusqu'à 12 0/0. De plus, on constate une forte augmentation des emprunts à taux variables ou hybrides (d'abord à taux fixe puis à taux variable) au détriment des emprunts à taux fixe. Sans oublier le système des crédits «ballon» qui prévoit le remboursement d'une partie importante du capital sur la dernière période. Pendant les premiers mois, les mensualités sont faibles du fait d'un taux d'intérêt très bas qui progresse ensuite à la faveur de clauses plus ou moins exotiques et de formules de révision plus complexes les unes que les autres. Tant que l'immobilier est en hausse et que le loyer de l'argent reste bas, tout le monde y gagne. La banque, même en cas de saisie de la maison, comme l'emprunteur qui pourra toujours aller chercher (et trouver) un crédit pour rem44
bourser le précédent puisque celui-ci est adossé à la valeur de sa maison qui continue à augmenter. Mais si le marché se retourne, le système devient diabolique. La concentration du marché a favorisé son développement sans contrainte. Fin 2006, pratiquement les deux tiers des crédits « subprimes» étaient émis par dix établissements seulement, mais avec la complicité passive des différents acteurs. À commencer par les banques qui n'ont pas fait un travail sérieux d'évaluation des risques sur ce type de crédit dès lors qu'elles les ont mélangés au sein de portefeuilles de risques globaux et que, pour une grosse part, elles ne les conservaient pas dans leurs bilans: pour elles, le principal intérêt de la titrisation réside en effet dans le fait qu'elles vont transférer un portefeuille de créances de même nature, par exemple un ensemble de prêts immobiliers ou de prêts à la consommation, à une structure ad hoc (Special Investment Vehicles) qui placera ensuite les titres auprès des investisseurs... Les agences de notation, de leur côté, n'ont pas prêté suffisamment d'attention au fait qu'à partir du moment où il y avait modification du type de crédit immobilier, les statistiques issues du passé n'avaient plus aucune valeur puisqu'il n'était jamais arrivé auparavant que les emprunteurs ne fassent aucun La crise d'endettement se transforme...
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apport et ne paient pas d'intérêts, au moins sur une partie de l'échéancier ce qui représentait pourtant une modification non négligeable pour l'analyse du portefeuille! Quant aux acheteurs, ils ont tout simplement oublié d'entendre les avertissements des autorités de tutelle sur la subprime, avertissements pourtant formulés dès l'année 2005. Dès lors, une étincelle a suffi pour allumer la mèche. En fait, il s'agira d'une double étincelle: celle de la hausse continuelle des taux directeurs de la banque centrale américaine sur lesquels certains taux d'intérêt des prêts sont indexés (entre juin 2004 et début 2006, la FED les relèvera de 1 % à 5,25 0/0) et le retournement du marché immobilier. Voilà pourquoi le taux de défaut sur les crédits subprimes, jusque-là contenu autour de 3 % à 4 0/0, explose à partir de 2006. En août 2007, au moment du démarrage de la crise financière, il atteint 16 0/0. Début 2007, les institutions financières spécialisées dans le crédit immobilier commencent à faire faillite tandis que le retournement du marché immobilier se précise. En quelques semaines, une vingtaine de petits établissements mettent la clé sous la porte ou se placent sous la protection de la loi sur les faillites. Et dans les tout premiers jours d'avril, c'est New Century Financial, le numéro un américain du crédit 46
immobilier à risques, qui fait faillite, provoquant un premier électrochoc dans l'industrie immobilière avant que ne vienne le tour de CountryWide, puis les difficultés des agences de refinancement Freddie Mac et Fannie Mae. Mais, à la fin du premier semestre 2007, personne n'imagine encore à quel point cette crise, a priori classique, va se transformer en tsunami financier. Ce n'est qu'au fil des mois que la planète finance va en découvrir avec effroi les différents ressorts. Le système américain des foreclosures joue le rôle de premier amplificateur de crise. Ce dispositif, qui aboutit au transfert de l'actif et du passif entre les mains du créditeur, autrement dit du banquier, lorsque l'emprunteur fait défaut, devient pervers dès lors que les prix de l'immobilier baissent de manière significative. Dès que le prix de sa maison tombe en dessous de sa valeur d'achat diminuée du montant de l'apport, l'emprunteur a en effet tout intérêt à cesser de payer ses traites et à abandonner sa maison entre les mains de sa banque. Celle-ci liquide alors la maison, ce qui alimente la baisse des prix qui elle-même va conduire les institutions financières à passer des provisions à leurs bilans pour dépréciation de leurs créances immobilières... Personne apparemment n'avait même imaginé une telle éventualité puisque, aux États-Unis, c'est la La crise d'end€,tt€'ment se transforme...
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première fois depuis la crise de 1929 que le prix des maisons baisse aussi fortement.
La nnancp punip par où pllp avait ppch~ ... La mécanique fut d'autant plus infernale que la modification des règles comptables voulue entre autres après l'affaire Enron a joué un rôle amplificateur d'une ampleur totalement inattendue. Avec la désormais fameuse règle du mark to market (qui consiste à évaluer régulièrement, voire en permanence, une position, un portefeuille, sur la base de sa valeur observée sur le marché au moment de l'évaluation), on est passé d'une notion de «valeur d'acquisition », certes critiquable à certains égards, à une notion de «prix de marché» toute aussi sujette à caution et qui a en outre présenté l'énorme inconvénient d'être pro-cyclique (autrement dit elle amplifie les mouvements à la hausse comme à la baisse). Ainsi, parce qu'il n'y avait plus de liquidités sur un certain nombre de leurs produits financiers, les établissements bancaires ont dû provisionner des pertes éventuelles, non des pertes réelles. Leurs comptes ont donc encaissé un choc énorme puisque le montant des provisions sera finalement sans commune mesure avec les pertes qui apparaîtront in fine. William M.lssac, l'ancien président de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) 48
qui géra en son temps la crise des savings & loans, a calculé que le système du mark to market a obligé les institutions financières à provisionner en réalité neuf fois plus que les pertes réelles. C'est d'ailleurs son témoignage devant le Congrès le 12 mars 2009 qui conduira celui-ci à mettre la pression sur le Financial Accounting Standard Board, l'autorité comptable américaine, pour que celle-ci modifie sensiblement la règle le 2 avril 2009. En fait, la finance moderne a été punie par là où elle avait péché: ayant largement contribué à fabriquer un monde virtuel où les risques n'étaient plus clairement identifiés, les banquiers se sont affranchis de leurs responsabilités à travers des montages financiers de plus en plus sophistiqués jusqu'à se trouver dans l'obligation de provisionner des risques eux aussi... virtuels. Mais cette obligation, pour «morale» qu'elle soit, a nourri la spirale infernale: baisse des prix, provisions, pression à la vente, baisse des prix, provisions... Dernier ressort, et non des moindres, de la crise 2007/2008: les contraintes de solvabilité auxquelles sont soumises les institutions financières à travers Bâle II. Encore une réglementation qui partant de présupposés logiques va se révéler néfaste parce qu'elle aussi est «pro-cyclique ». Les normes prudentielles les contraignent en effet à avoir au bilan La criseo d'eondeotteomeont seo transformeo...
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un certain montant de liquidités à vue compte tenu des risques sur leurs portefeuilles de crédits. Lorsque les notes de ces crédits sont abaissées par les agences de notation, elles doivent d'un côté «geler» une part plus importante de leurs fonds propres et, de l'autre, augmenter la part des disponibilités à vue dans leurs bilans. Or, les banques vont chercher ces disponibilités sur le marché interbancaire. Mais si celui-ci ne fonctionne plus normalement, comme on l'a vu pendant la crise, c'est-àdire si les banques «créditrices» ne veulent plus prêter aux banques «débitrices », c'est tout le système qui s'enraye tandis que la confiance s'évapore. Un facteur supplémentaire qui s'est révélé désastreux pour la gestion de la crise. Le 9 octobre 2008, le taux du T Bill's (emprunt à troismois du Trésor américain)atteignait 0,05 0/0, ce qui signifie que les banques créditrices préféraient prêter à l'État américain à 0,05 % qu'à leurs consœurs à 5 0/0. C'est-àdire à cent fois plus! Pour des raisons purement réglementaires, une crise d'endettement «classique» s'était bel et bien transformée en bombe atomique qui a contraint les États à des interventions massives pour tenter d'enrayer le processus. Bien entendu les dégâts sont tels que le moment est plus que jamais propice à l'organisation de la chasse aux responsables et aux coupables. 50
Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables... ... il faut les nommer et les mettre hors d'état de nuire (Robespierre). La chasse aux responsables, forcément coupables, est un sport national particulièrement apprécié. Ce défoulement collectif est difficilement résistible en ces périodes de crise aiguë où le stress économique et social est à son comble et où tout semble se dérober sous nos pieds. Les traders, les patrons, les paradis fiscaux, Alan Greenspan, les agences de notations, les fonds spéculatifs et j'en passe ... Même le président de la République s'en mêle régulièrement et exhorte en toutes occasions les redresseurs de tort à agir: «Qui sont les responsables du désastre? Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés et rendent des comptes» a-t-il déclaré de Toulon à New York, dès le mois de septembre 2008, et à de multiples
Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables...
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reprises depuis, avant d'appeler à la «moralisation du capitalisme financier» et à la «refondation du capitalisme ». Comme aime à le dire plaisamment Alain Madelin: «refonder le capitalisme est une bonne idée, mais je ne me souviens plus de la date exacte de sa fondation» !
La chasse aux coupables, un sport aussi d~lirant que st~rile Imaginons un instant que tel le héros d'un roman de Grisham on se lance dans une immense «class action» à l'échelle mondiale chargée de faire payer les responsables. Un vaste programme dont les résultats seront très décevants. D'abord, à tout seigneur, tout honneur, Alan Greenspan. Mais, on l'a vu, il a monté dix-sept fois les taux directeurs de la FED et c'est à son corps défendant qu'il a buté sur le fameux «conundrum» (l'énigme, en français). Ensuite, les Chinois, avec leur excédent commercial et les Arabes avec leur pétrole... Après tout, on peut reprocher aux uns et aux autres de ne pas avoir dépensé leurs excédents commerciaux pour favoriser consommation et investissement dans leurs propres pays et d'avoir choisi de les épargner en achetant des obligations américaines! Mais le fait d'avoir mal choisi les bénéficiaires de leur épargne ne fait pas des uns et 52
des autres des coupables et puis... ils ont déjà été suffisamment punis de leur légèreté avec l'évaporation d'une partie de leur argent. Alors, George Bush et ses fameux subprimes? L'option est tentante. D'abord accuser Bush dès que quelque chose ne va pas dans le monde est un exercice quasi obligatoire qui vous garantit immédiatement une oreille bienveillante de la part de tout ce qui compte. Ensuite, ne trouve-t-on pas, quand même, à l'origine de la crise des subprimes, le fait que l'administration américaine a fait passer une loi pour contraindre les banques à prêter aux catégories défavorisées? L'hypothèse, toutefois, ne résiste pas à l'examen: si un Président américain et même deux y sont effectivement pour quelque chose, il ne s'agit pas d'une initiative de George W. Bush mais d'une idée de Jimmy Carter finalement mise en œuvre en 1995 à l'initiative de Bill Clinton. Comment ne pas y avoir pensé: ce n'était guère le style de George W. Bush d'avoir l'idée de prêter aux pauvres! Pourquoi alors ne pas punir les agences de notation, dont l'action est unanimement décriée, d'autant qu'il est vrai qu'elles se sont bel et bien trompées sur l'évaluation du risque? Mais pour leur défense, elles arguent du fait que c'est leur modèle de risque qui s'est révélé défaillant... Or, la plupart de ces modèles ont été inventés par de petits génies qui Il n~ suffit pas d~ dir~ qu'il y a d~s coupabl~s...
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ont suivi les cours de mathématiques financières français. Olivier Besancenot aurait-il infiltré l'école mathématique française, mettant au point une mécanique infernale pour mieux ruiner le capitalisme mondial? Trêve de plaisanterie, le dossier des banques, puisque ce sont elles qui ont commercialisé tous ces produits financiers toxiques, paraît infiniment plus sérieux. Mais parmi celles qui se sont laissés entraîner dans des opérations à haut risque beaucoup ont fait faillite et en tout cas leurs actionnaires sont ruinés. La sanction, donc, est déjà tombée. Reste quand même à explorer une autre piste, même si ce n'est guère politiquement correct à l'heure où la dérégulation financière et le «complot libéral» sont voués aux gémonies: et si l'interventionnisme économique et des réglementations malheureuses n'étaient pas en définitive également et peut-être même principalement à la source de tous nos malheurs? Évidemment, posée ainsi, la question exige de chacun d'entre nous un effort intellectuel car il est plus confortable et plus rassurant de s'accrocher au mythe des responsables-coupables que d'essayer de réfléchir autrement. Et c'est là où la phrase de Tocqueville que nous avons mise en exergue: «Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus 54
de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe» prend toute sa valeur. Car s'il est vrai qu'aveuglement, irresponsabilité, et autre avidité de différents acteurs ont amplifié le phénomène, il s'agit d'une explication simple, certes compréhensible par tous mais tellement limitée qu'elle en devient fausse. Car l'interventionnisme économique, dans certains domaines, et des réglementations mal ajustées, ou mal comprises, sont bien à l'origine de nos malheurs, même si les causalités sont plus difficiles à appréhender. On peut en citer de multiples exemples. Depuis le contrôle des changes chinois jusqu'aux quotas obligatoires de prêts immobiliers à des catégories défavorisées en passant par la limitation à trois du nombre des agences de rating, le système desforeclosures censé défendre les débiteurs immobiliers ou les parités fixes des pays pétroliers avec le dollar... On l'a dit: si les monnaies du Golfe n'avaient pas été liées au dollar, elles auraient monté. Si elles avaient monté, elles se seraient moins déversées sur le billet vert et pour finir la crise des subprimes ne se serait peutêtre jamais produite! Mais il faut surtout revenir sur les modifications des règles prudentielles et comptables qui ont joué un rôle majeur dans l'ampleur prise par les évènements. Il est en effet essentiel, même si c'est rébarIl ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables...
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batif, d'analyser les mécanismes comptables complexes, qui ont conduit le système dans le mur. Je ne reviendrai pas ici en détail sur la question du mark to market déjà évoquée mais sur le cocktail explosif formé des règles prudentielles bancaires, dites de Bâle II, du rôle nouveau des agences de notation dans le domaine du crédit, et d'un énorme raté des banques centrales dans leur mission de contrôle.
D~ nouv~ll~s règl~s prud~nti~lI~s bi~n ... imprud~nt~s
Commençons par Bâle II... Il y a encore peu, le système bancaire était régi par ce que l'on a appelé le ratio Cooke. Le ratio Cooke ou ratio de solvabilité bancaire, issu des accords de Bâle de 1988 (il s'agit d'un ensemble de recommandations élaboré par le Comité de Bâle, composé des gouverneurs des banques centrales de 13 pays de l'OCDE, sous l'égide de la Banque des Règlements Internationaux), fixait une limite à l'encours des prêts accordés par un établissement financier en fonction du niveau de ses fonds propres en imposant un montant de fonds propres égal à 8 % des engagements. Autrement dit, pour 100 de fonds propres, une banque pouvait prêter jusqu'à 1 250 mais pas davantage (le système est un peu plus complexe, mais la simplification du propos permet ici de décrire l'essentiel de la méca56
nique mortifère qui s'est mise en marche). Ce système a fonctionné jusqu'en 2004, date à laquelle le « Comité de Bâle» a souhaité raffiner le ratio Cooke afin de prendre en compte la qualité de risque particulier de chaque engagement. Le nouveau ratio de solvabilité, baptisé ratio McDonough, du nom du président du comité de Bâle à l'époque, William J. McDonough, impose alors que les fonds propres à mettre en face des engagements doivent être fonction principalement de la qualité de l'emprunteur etl ou du type de crédit. Et le texte final précise que « le dispositif offre une série d'options pour déterminer les besoins en fonds propres en regard du risque de crédit et du risque opérationnel ». Pour évaluer ce risque, deux procédures peuvent en effet être utilisées: soit l'emploi de méthodologies internes, soit l'utilisation des systèmes de notation d'agences extérieures. La règle commune étant cependant d'adopter une méthode de calcul qui prenne en considération deux éléments: le risque de défaut de l'emprunteur et la perte en cas de défaut. Conçues pour améliorer la prise en compte du risque associé à la qualité de l'emprunteur et/ou au type de crédit, ces nouvelles dispositions vont en réalité sensiblement fragiliser le système. D'abord, compte tenu des nouvelles règles d'évaluation, le montant des fonds propres à mettre en face des différents Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables...
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engagements va varier de manière très importante. Précisément de 1,6 % à 12 0/0. Les notations vont en effet de AAA (triple A), pour la qualité de crédit la plus élevée, à D, en cas de défaut de paiement constaté ou imminent. BBB à BB- correspondent à un risque de qualité moyenne voire légèrement spéculatif. Pour les crédits considérés comme de grande qualité et notés de AAA (triple A) à AA+ (tel General Electric), 1,6 % de fonds propres en effet suffit. Il faut ensuite monter à 4 % pour ceux notés de A+ à A-, puis à 8 % de fonds propres, comme au temps du ratio Cooke, pour les crédits non notés (par exemple, les crédits aux PME) ou notés de BBB à BB-. Pour les crédits inférieurs à BB-, c'est-à-dire considérés comme hautement spéculatif (crédits «pourris»), 12 % de fonds propres sont désormais nécessaires. Enfin, une rubrique spécifique est créée pour les prêts «totalement garantis par des hypothèques sur des logements» (ce que l'on appelle l'immobilier résidentiel) qui, eux, ne requièrent que 2,8 0/0 de fonds propres. Pourquoi un régime aussi avantageux pour l'immobilier résidentiel qualifié ainsi de quasi meilleur engagement possible? Parce que, justement, mesurée à l'aune du critère «perte en cas de défaut », ce type de crédit présentait la meilleure performance historique, puisque depuis 1945 les prix du «résiden58
tiel», en tout cas aux États-Unis, n'avaient jamais baissé de manière significative sur un an, et qu'ainsi le sinistre final supporté par le prêteur détenteur de l'hypothèque était supposé quasiment égal à zéro. Ce d'autant que l'apport initial réalisé par l'acquéreur était très largement supérieur à la perte éventuelle de valeur du bien qui avait fait l'objet du prêt. Et c'est là qu'allait bientôt se faufiler le diable qui, comme chacun sait, aime par-dessus tout se loger dans les détails... La possibilité ouverte aux banques de se décharger de la notation des risques entre les mains des agences de notation va ouvrir à celles-ci un espace de développement de leurs activités dans lequel elles vont, légitimement, s'engouffrer. Notamment en ce qui concerne les fameux actifs financiers complexes issus de la titrisation: «la notation du financement structuré est l'un des segments d'activité qui connaît la croissance la plus rapide chez les trois plus grandes agences (Standard & Poor's, Moody's et Fitch Ratings, ndla) pour qui elle constitue une source de revenu majeure ». C'est ce qui apparaît dans un rapport publié en mai 2005 par la BRI. Or, il y a confusion dans les esprits car nombreux sont les professionnels, y compris chez les investisseurs, qui croient que les agences expriment un jugement sur le risque futur alors qu'en fait, on l'a Il ne suffit pas de dire qu'i1 y a des coupables...
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déjà souligné, elles sont plutôt des sortes de boîtes d'enregistrement des risques passés. Pour décrire de manière schématique et un peu grossière leur métier, disons qu'il consiste à ranger l'emprunteur ou le type de crédits dans une boîte qui regroupe tous les emprunteurs ou tous les types de crédit qui présentent des caractéristiques similaires (structure de bilan, rentabilité, secteur d'activité, etc.). Choix de rangement dans une boîte vaut donc notation associée en fonction du taux de défaut passé enregistré pour ce compartiment. Voilà pourquoi, dans les années 2003-2006, le crédit immobilier résidentiel va se retrouver tout en haut de la pile puisqu'il affiche un taux de sinistre passé extrêmement bas. Mais lorsque les sinistres vont commencer à apparaître, de manière toute aussi mécanique et sans qu'il y ait la moindre intention perverse de la part de l'agence de notation, la «boîte» va commencer à descendre un étage plus bas. Et puis un autre et encore un autre. C'est le fameux derating avec une conséquence explosive sur les fonds propres des banques: pour le même portefeuille d'engagements, soit 1 000, il va falloir du jour au lendemain les faire passer de 28 (le fameux 2,8 0/0) à 80, si l'on revient à la note moyenne (8 0/0), voire jusqu'à 120 (12 0/0) si le compartiment en question décroche la note la plus mauvaise ce qui ne manquera pas de se produire 60
au fur et à mesure que les sinistres augmenteront. Quant à l'établissement financier qui ne pourra pas augmenter ses fonds propres, il devra soit tailler massivement dans ses encours de crédits en les faisant passer de 1 000 à ... 234, soit les céder à un prix sacrifié et alors encaisser la perte. Dès lors, on comprend mieux l'engrenage fatal qui a conduit les banques, et plus encore les institutions spécialisées dans le crédit immobilier, au bord du gouffre lorsque le prix des maisons s'est mis à baisser fortement. La baisse la plus forte depuis 1929. Faut-il en l'espèce incriminer seulement le malheur des temps? Non, car il y a eu là incontestablement une véritable faute de la part des autorités de contrôle. La note prévue par le Comité de Bâle pour les crédits résidentiels était en effet clairement assortie d'une condition: «les autorités de contrôle doivent s'assurer, conformément aux dispositions de leur pays en matière de crédit immobilier, que des critères prudentiels rigoureux sont respectés, notamment la présence d'une marge substantielle de sécurité par rapport au montant du prêt (...). Si les autorités de contrôle estiment que ces critères ne sont pas satisfaits, elles doivent relever la pondération (c'est-à-dire le montant de fonds propres idoines, ndla) ». Or, dès l'année 2005, il était évident pour les autorités de contrôle américaines qu'un Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables...
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grand nombre de crédits était distribué aux ÉtatsUnis qui ne correspondaient pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à des «critères prudentiels rigoureux», d'où d'ailleurs en décembre 2005 la publication d'une «guidance» intitulée Guidance on nontraditional mortgage products (recommandation à propos des crédits immobiliers non traditionnels) et cosignée par tout ce qui compte outre-Atlantique comme organes de régulation. Après avoir listé toutes les «innovations» des derniers mois, des interest-only mortgage loans aux payment option adjustable-rate mortgages, dont la caractéristique commune est non seulement de dispenser l'emprunteur d'apporter des fonds propres mais de repousser les échéances du remboursement du capital et même du paiement des intérêts, cette recommandation des instances de régulation insistait aussi sur le fait qu'il n'était pas exclu que l'emprunteur ne comprenne pas totalement la nature des risques associés à son emprunt... Par ailleurs, les autorités de contrôle attiraient l'attention des organismes prêteurs sur le fait que ces nontraditional mortgage loans n'avaient jamais été testés dans un environnement de stress et conseillaient vivement (sans toutefois en faire une obligation) aux organismes distributeurs de ce type de crédit de se doter «de règles particulièrement exigeantes de management des risques ainsi que 62
du capital et des réserves suffisants pour faire face éventuellement à des défaillances de l'emprunteur». Pourquoi, les organismes de contrôle ne sont-ils pas, au vue de l'évolution des risques sur le marché, et en particulier le marché des subprimes, passés de la recommandation à l'obligation comme, en réalité, Bâle II le demandait? C'est là sans doute qu'intervient un autre élément dans la réflexion: celui de la conception philosophique de l'économie de marché selon Alan Greenspan.
L' rarrraur dra Grraenspan: croirra qura l'hommra rast bon Alan Greenspan avait perçu que le monde avait changé et qu'il devenait de plus en plus difficile d'anticiper. Dans sa déclaration en forme de testament du 26 août 2005, l'ancien patron de la Réserve Fédérale américaine déclarait: «le monde économique et financier change d'une manière que nous ne comprenons pas encore totalement [... ] il faut que les responsables soient capables de compter davantage sur le processus d'auto-ajustement des marchés et moins sur des prévisions officielles incertaines [...]. Tout modèle, aussi détaillé, aussi bien conçu et élaboré soit-il, n'est qu'une représentation du monde très simplifié comparée à toutes les complexités dont nous faisons l'expérience chaque jour». Il a Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables...
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pensé que, dans ce contexte, le marché était encore le plus en situation d'anticiper d'où une certaine méfiance envers la régulation qui, fruit du monde passé, risquait de brimer l'initiative de ceux qui avaient à s'adapter à un monde inconnu. Ce concept est loin d'être erroné. Mais il avait sa faiblesse. Greenspan a sans doute fait deux erreurs. La première est de ne pas avoir compris qu'il ne suffisait pas d'attirer l'attention des établissements préteurs sur les risques. Fidèle à son approche «entrepreneuriale », il a fondé son analyse sur le fait que, dans son esprit, l'intérêt des dirigeants et celui de leurs entreprises ne faisaient qu'un, sans percevoir que ce qui est vrai pour un banquier propriétaire, par exemple, ne l'est pas pour un manager dont la valeur des rémunérations diverses est uniquement et directement indexée sur le cours de bourse de son institution. Bref, il aurait dû user davantage de l'autorité de son institution et interdire certaines pratiques. La seconde erreur c'est que pour un homme qui avait parlé de «l'exubérance irrationnelle des marchés» il a surestimé la force de la raison sur les passions. (surtout celle de l'argent). Fidèle aux idées de sa grande amie et inspiratrice Ayn Rand, connue pour sa philosophie profondément rationaliste et proche du mouvement libertarien (l'homme 64
doit soumettre ses émotions à la raison sous peine de fonder son existence sur des chimères et non sur des faits ...), il a en effet choisi de faire un pari sur la raison et sur l'intelligence. L'erreur est à mon sens moins technique que philosophique: croire que l'homme est bon. Il l'a d'ailleurs exprimé lui-même: «Mon erreur a-t-il dit est d'avoir cru que les gens ne deviendraient pas pervers » .. Il n'a pas envisagé que des dirigeants pouvaient devenir sourds aux avertissements si leurs intérêts personnels les incitaient à accroître fortement les risques des institutions qu'ils dirigeaient sans que cet accroissement des risques généraux se reflète dans leur position personnelle. La célèbre phrase d'excuse de Chuck Prince, l'ex président de Citigroup, «Tant que la musique joue, vous devez vous lever et danser» est valable uniquement parce qu'il a pu monter sur une chaloupe avant les femmes et les enfants lors du naufrage du Titanic financier dont il était le capitaine... sans en être le propriétaire. Nous reviendrons sur ce point quiestfondamentffi. Des fautes bien sûr ont donc été commises, certaines mineures, d'autres avec de plus lourdes conséquences. Et dans le système, chaque acteur, régulateur, investisseur, banquier, dirigeant, politique, a sa part de responsabilité. Il ne suFFit pas de dire qu'il y a des coupables...
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Les dirigeants des grandes banques d'investissement américaines, ont été à l'origine des changements des règles comptables qui permettaient par la valorisation des actifs détenus d'accroître l'endettement et donc la rentabilité des capitaux investis, et donc les cours de bourse et donc les bonus, les valorisations des Stocks Options etc. La BRI a supervisé et favorisé Bâle I et Bâle II et mis le pied à l'étrier aux agences de notation extérieures avant de mettre en garde en 2005, peut être un peu tard, contre la confiance exagérée accordée à leurs notations. Ben Bernanke, nouveau Président de la FED, a stoppé trop tôt en 2006 la hausse des taux initiée par son prédécesseur alors que le crédit continuait à croître à un rythme élevé. Cette rupture avec la règle de Greenspan qui, lui, contrairement à ce qui est répété aujourd'hui au mépris des faits, n'a pas fait preuve de laxisme monétaire, a permis une dernière vague de crédits immobiliers, celle précisément qui allait se transformer en killing wave (<< vague tueuse») car elle ne comprendrait quasiment que des subprimes. Les agences de notation, souvent à la fois conseils sur la fabrication des produits financiers complexes et «noteuses», ont eu tout comme les banques intérêt 66
à fermer les yeux sur les dangers d'une titrisation débridée. Mais pour finir il ne s'agit pas d'oublier le couple infernal épargnant/gérant d'actifs. Autrement dit, la plupart d'entre nous. Car c'est bien l'aveuglement collectif qui caractérise cette crise.
Le p~re de famille saisi par la d~bauche ... Voilà pourquoi il est impossible de terminer cette réflexion mi-ludique, mi-sérieuse, sur les responsabilités, en passant sous silence un tandem dont chacun des membres s'emploie à pousser l'autre au crime: l'épargnant qui exige pour son argent une rentabilité sans commune mesure avec la croissance à long terme de l'économie et le gérant qui lui promet que c'est possible... Le couple épargnant! gérant est au cœur du système même s'il est beaucoup moins politiquement correct de le diaboliser que le grand patron, le banquier ou le hedge fund. Au cours des années qui ont précédé l'explosion, le premier trouvait tout naturel de demander et d'obtenir du second un rendement de plus de 10 % pour son bel argent. Le cas Madoff est une démonstration évidente des limites du fonctionnement de ce couple pervers. Mais il n'était pas nécessaire d'être un escroc pour promettre des taux de retour impossibles à atteindre sur longue période. Il faut rappeler Il
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ici cette vérité d'évidence qu'à long terme les actifs font comme les PIB en valeur. D'ailleurs, depuis la Guerre, la rentabilité du Standard & Poor's SOO (l'indice boursier américain le plus représentatif, fondé sur SOO grandes sociétés cotées) est exactement la même que le taux de croissance du PIB américain en valeur, soit 7.8 % l'an en moyenne. Rappelons également cette vérité première oubliée de tous: pour le «père de famille», les marchés financiers ne sont pas là pour lui faire gagner de l'argent mais pour conserver le patrimoine qu'il s'est constitué ailleurs (certains diraient par un travail honnête). Protéger le patrimoine de l'inflation et lui assurer une rentabilité réelle normale de 3 % par an est un objectif raisonnable. Mais les gérants, ne pouvaient pas sans risque de perdre leur clientèle mener une politique conforme à cette simple raison. Leurs clients n'auraient jamais accepté de ne pas profiter d'une bulle qui enrichissait leurs voisins et amis! Voilà où l'analyse de John K. Galbraith donne toute sa mesure lorsqu'il nous dit que le vrai coupable de la folie financière c'est aussi et peut être d'abord celui qui croit qu'il y a un trésor au fond de la mer Rouge. «Quand un climat de surexcitation envahit un marché ou entoure une perspective d'investissement, quand on parle d'occasion unique fondée sur un flair exceptionnel, que tous les gens sensés 68
mettent les chariots en cercle! L'heure est à la prudence! Peut-être cette occasion unique existe-telle. Peut-être existe-t-il ce trésor au fond de la Mer Rouge. Mais une longue expérience nous prouve qu'aussi souvent ou plus souvent, il n'y a là que tromperie et auto-suggestion». La bulle, le krach, font partie de la vie du marché nous dit en substance Galbraith puisque l'une et l'autre sont tout simplement inhérents à la nature humaine. Pour autant, ce qui a fait l'ampleur de cette crise et l'a rendue si dévastatrice est aussi que les mécanismes de marché ont été défaillants parce que l'information a été défaillante. De ce point de vue, la théorie de Friedrich Hayek, l'économiste et philosophe de l'école autrichienne, selon laquelle les marchés envoient des informations pertinentes aux opérateurs, a été ébranlée par cette crise dans la mesure où, dès lors que les marchés sont aux mains de traders qui travaillent à partir de modèles qui ne sont plus en prise avec l'économie réelle, les informations qu'ils envoient aux investisseurs ne sont plus pertinentes. Une question cruciale à élucider au préalable si l'on veut espérer remettre le capitalisme sur les rails.
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Comment échapper aux ravages du consensus... Sur les marchés financiers, la matière première, c'est l'information. Sans information fiable, le fonctionnement des marchés financiers est sérieusement compromis. Or, cette crise est d'abord une crise de l'information pertinente associée à ce que j'appellerai les effets ravageurs d'une maladie qui a progressé discrètement au fil des années, la «maladie du consensus ». Une affection pernicieuse qui me fait irrésistiblement songer au général marquis de Galliffet... Lors de l'affaire Dreyfus, le général stupéfia son monde. Membre du haut état-major de l'armée, il avait d'abord fait une brillante carrière lors de la conquête de l'Algérie avant d'écraser dans le sang, sans hésitation ni vaine faiblesse, la révolte de la Commune. Cet homme que les portraits de l'époque nous montrent arborant une superbe moustache présentait toutes les apparences un brin caricaturales de la «culotte de peau ». Or, voici que ce militaire 70
de haut rang, allait déclarer haut et fort, en rupture totale avec son milieu et son environnement professionnel, qu'il était persuadé de l'innocence du capitaine Dreyfus. Interrogé sur les raisons qui avaient forgé sa conviction, il fit cette réponse magnifique: «Je n'ai jamais regardé le dossier, je ne connais pas le capitaine Dreyfus, mais je connais mes collègues du haut état-major. S'ils pensent tous qu'il est coupable, c'est qu'il doit être innocent».
Faillit~ d~5 «~)(P~rt5» Au cours de ces dernières années, ceux qui comme moi n'avaient pas de formation matheuse suffisante pour être tenté d'accorder foi sans trop se poser de questions aux modèles mathématiques hypersophistiqués mais surtout avaient en eux quelque chose du général marquis de Galliffet n'ont eu qu'à s'en féliciter! Car rarement période aura été aussi propice aux emballements moutonniers. Rarement il aura été aussi payant de refuser le consensus systématique, d'adopter une approche «contrarian» comme disent les investisseurs. Davantage que de rechercher les responsables et a fortiori les coupables, il est en effet sans doute beaucoup plus fécond d'essayer de comprendre comment et pourquoi l'immense majorité des acteurs de la planète finance s'est ralliée, dans un unanimisme
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Comm~nt échapp~r aux ravag~s
du cons~nsus...
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pour le moins troubla:rlt, aux théories fumeuses qui ont proliféré ces dernières années sur toutes les places financières du monde. Et dieu sait qu'elles n'ont pas manqué. D'abord, ces théories sont nées de prévisions économiques de plus en ]Jlus approximatives, souvent même carrément erronées. Car, il faut bien le constater, l'immense majorité des économistes n'a rien vu venir. Le décalage entre leurs prévisions de croissance et la réalité n'a cessé de se creuser au cours des deux dernières années. Exemple: l'exercice de prévision du I>IB américain 2008, pourtant l'une des variables parmi les moins difficiles à prévoir, au moins dans Sil tendance, par le Consensus Forecasts (chaque lnois, un panel de quelque 240 économistes du [londe entier rend public ses prévisions sur les grandes variables économiques comme la croissance:1 l'inflation, les taux d'intérêt ou les taux de change...). En juillet 2007, le COllsensus voyait la croissance américaine progresser de +2,8 % en 2008. Treize mois plus tard, en août 2008, le consensus des experts anticipait encore +1,6 % en dépit de la crise qui s'était déclenchée une année plus tôt. Dans les faits, la croissance américa:lne s'effondrera au quatrième trimestre 2008 avec U[le contraction non anticipée de 6,2 % en rythme annllalisé. Du jamais vu depuis la 72
guerre. De même, en septembre 2008, le Consensus Forecast annonçait encore un chiffre de +1,5 % pour la croissance américaine en 2009, chiffre qu'il révisait en catastrophe deux mois plus tard en passant sa prévision 2009 à -0,6 % en novembre avant de le descendre à -2,8 % en mars 2009 ! L'exemple du CAC 40, l'indice boursier des grandes valeurs françaises, est tout aussi édifiant: en janvier 2008, certains stratèges boursiers le voyaient aller à 6 500 pour la fin de l'année, tandis qu'une seule maison l'imaginait s'« enfoncer» (sic) jusqu'à 4 700 points! Nous n'aurons pas la cruauté de rappeler l'identité des pronostiqueurs, tout au plus le chiffre de clôture du CAC 40 au 31 décembre 2008: 3 217,97 points exactement... On pourrait multiplier les exemples. Les «experts», dans leur immense majorité, sont devenus peu clairvoyants en période calme et souvent aveugles en période de crise. De même, l'analyse du comportement des marchés financiers oblige à conclure que ceux-ci - contrairement à ce que leur vocation pourrait laisser espérer - n'anticipent plus guère et seraient plutôt tentés de regarder l'avenir dans le rétroviseur. Ils ont attendu, par exemple, le début de 2008 pour se résigner à inscrire la tendance dans les cours alors que la crise financière avait démarré en août 2007 et que les prémices de celle-ci étaient visibles dès le Comment échapper aux ravages du consensus...
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début de 2007. Il Ya c'ertainement un faisceau d'explications à cette défaillance, plutôt récente par son ampleur. Mais il en est une qui semble essentielle: la mondialisation et l'innovation technologique ont rendu obsolètes les modèles conçus dans et pour un monde fermé, et de ce fait, laissent les opérateurs orphelins d'outils ada]~tés à leurs besoins. L'économie, comme toute science humaine, fonctionne en effet à l'expérimentation. Or, avec la mondialisation, nombre de modèles élaborés à partir de corrélations anciennes ne marchent plus et nous manquons de recul pour appréhender les changements de règles. Dan8 son discours au symposium de Jackson Hole du 26 août 2005, considéré par beaucoup comme son «testament», Alan Greenspan avait déjà longuemerlt insisté sur ce point: «Tout modèle, aussi détaillé, aussi bien conçu et élaboré soit-il, n'est qu'une représentation du monde très simplifiée comparée à toutes les complexités dont nous faisons l'expérience quotidiennement» déclarait-il devant la fine fleur de la finance mondiale réunie comme chaque année à cette époque dans le Wyoming. Et il ajolltait «Compte tenu des changements profonds qui ont lieu, nous manquons de références historique;3 pour prévoir avec certitude les conséquences de nos actions». 74
Dans une intervention devant l'International Research Forum on Monetary Policy en décembre 2006 intitulée «Politique monétaire et incertitude» (voir bibliographie), Donald Kohn, le vice-président de la FED, avait enfoncé le clou, insistant entre autres sur la médiocrité de la qualité prédictive des enquêtes d'opinion dont le marché fait pourtant son miel depuis quelques années! De quoi donner corps à la brillante réflexion de Nassim N. Taleb, le trader devenu philosophe, et de sa fameuse parabole du cygne noir. Qu'est-ce qu'un cygne noir? «Tout ce qui nous paraît impossible si nous en croyons notre expérience limitée» répond Taleb. Dans l'hémisphère nord, tous les cygnes sont blancs. À force de les observer, on pourrait en conclure qu'il n'en existe pas d'une autre couleur. Et puis un jour, on prend l'avion pour l'Australie, et on découvre que là-bas les cygnes sont noirs ... Mais voilà. Tous ceux qui ne feront jamais le voyage n'envisageront jamais qu'un cygne puisse ne pas être blanc. Taleb explique le phénomène par le besoin irrépressible qu'aurait l'être humain à vouloir rationaliser son environnement. Mais le jour où le cygne noir, autrement dit l'évènement imprévisible et dont la probabilité qu'il se produise est extrêmement faible, fait irruption dans une vie individuelle ou collective son impact est, d'une manière ou d'une autre, Comment échapper au)( ravages du consensus...
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dévastateur. C'est l'attentat du Il septembre aux États-Unis. C'est la ch.ute du mur de Berlin. Ou, plus prosaïquement, c'est que les prix des maisons baissent aux USA de plus de 10 % sur un an. Ce n'était pas inenvisageable, mais ce n'était pas arrivé depuis la guerre et donc ce n'était pas dans les modèles. Dans un monde de plus en plus régi par les extrêmes nous dit Taleb, les évènements extrêmes, autrement dit les deux queues plates de la courbe en cloche dite courbe de Gauss sont :invisibles et impensables pour les utilisateurs de la courbe. Or, les super-matheux qui ont élaboré les instruments financiers vedette de ces dernières années (notamment sur les options) les ont précisément fondés sur les principes statistiques de la courbe de Gauss alors que le monde réel fonctionne de moins en moins selon ces règles. Dps marchés mpnés par Ips passions À cette question des outils, il faut probablement ajouter une autre dirrlension pour tenter de mieux comprendre les dysfollctionnements que nous avons connus au cours des dernières années: les marchés sont moins guidés par la raison que par les passions humaines, passions que nous résumerons en deux puissantes «motivations », l'appât du gain et la peur de perdre. De ce point ~ie vue, et aussi paradoxale que cela puisse paraître, le choix de Ben Bernanke, l'ac76
tuel patron de la Réserve Fédérale, de jouer la carte de la transparence n'est pas forcément heureux. En rupture avec la méthode adoptée par son prédécesseur, Alan Greenspan, illustrée par le fameux «Si vous m'avez compris, c'est que je me suis mal exprimé », la volonté de transparence du président de la FED est certainement respectable mais elle n'en est pas moins, à mon sens, inadaptée voire dangereuse, car elle suppose que les marchés puissent être conduits par la raison et agir de manière rationnelle. Or, rien n'est plus faux. La banque centrale ne peut donc probablement éviter que les passions ne débouchent sur des excès incontrôlables qu'en laissant planer l'incertitude sur ses analyses et ses décisions. Ainsi que l'a écrit le Général de Gaulle dans Le Fil de l'Épée: «rien ne rehausse l'autorité mieux que le silence ». Si ce n'est le silence, que ce soit au moins le mystère! Or, manifestement, Ben Bernanke n'a pas choisi de faire dans le mystère, et on peut peut-être le regretter pour l'efficacité de la banque centrale la plus puissante du monde. La perte des repères anciens, la volonté affichée par la FED de Bernanke de tenir un discours et d'avoir une action plus «court terme» que dans le passé, ont finalement jeté le trouble tandis que ceux qui sont censés éclairer l'avenir avaient tendance à perdre pied. D'autant que tout a concouru pour alimenter Comment ~chapper au)( ravages du consensus...
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la confusion. D'une nlanière générale, il n'y a plus aujourd'hui sur la plallète finance de professionnels dont la seule mission est d'être acheteur/vendeur sans être partie prena:nte sur le sens du mouvement. Les bureaux d'analystes au sens strict du terme ont disparu tandis que, ~;ubrepticement, les grandes maisons anglo-saxonnes, qui avaient bâti leur réputation sur la qualité de leurs études, devenaient de simples vendeuses de papier. Difficile d'imaginer que leurs analyses puissent rester totalement objectives dès lors que telle ou telle alerte pourrait desservir leurs intérêts commerciaux. Quant aux économistes «de banque », d'autres raisons les poussent à ad.opter l'attitude du consensus «mou» qui caractérise la publication mensuelle du Consensus Forecasts. C'est probablement moins dû à une faiblesse de la pensée de nos économistes qu'à une bonne analyse de leur risklreward ratio. Autrement dit à une saine appréciation, de leur point de vue, de la balance entre avantages et inconvénients de leurs prises de pos:~tion. Prenons un exemple: imaginons le directeur des études économiques d'une grande banque qui, il y a deux ans, aurait été persuadé que nous allions avoir à supporter une crise majeure laquelle avait toutes les chances de se traduire, entre autres, par une chute sévère des bourses à travers le monde. Ima-
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ginons toujours qu'il ait fait part de cette conviction à son président. Qu'aurait bien pu lui dire celui-ci? «Dites-moi, mon vieux, êtes-vous vraiment sûr de vous? Parce que si on publie votre opinion il va falloir en tirer les conséquences. En présentant cette position, la banque va devoir conseiller à ses clients de carguer la voile, de réduire leurs investissements et leurs embauches. Quant aux portefeuilles des clients sous gestion, il faudra augmenter sensiblement les liquidités. Vous imaginez le risque, si nous nous trompons ... Les dégâts commerciaux seront énormes, sans parler du manque à gagner sur la gestion puisque les liquidités rapportent à la banque de sept à dix fois moins qu'un portefeuille investi en action» ! Imaginons que, malgré tout, le président ait fait la folie de suivre l'avis de son directeur des études économiques, il n'aurait aujourd'hui qu'à s'en féliciter mais quel bénéfice pour l'expert? Il aurait probablement droit à une bonne claque sur l'épaule «Bravo mon vieux, bien vu» et avec un peu de chance à une grosse prime. Mais s'il s'était trompé... Le président n'aurait pas manqué de le convoquer: «Vous vous rendez compte du mal que vous nous avez fait. Nous nous sommes ridiculisés, nous avons perdu beaucoup d'argent et une partie de nos clients. Mais pour qui vous prenez-vous? Le monde entier, les plus Commpnt échapppr aux ravagp~ du con~pn~u~...
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grandes maisons anglo-saxonnes, tous vos collègues annonçaient que cela allait continuer à aller bien et vous, tout seul, vous vous êtes cru assez fort pour avoir un avis différent! Et qu'est-ce qui m'a pris, moi, de vous croire ? ]~a terre manque de bras, vous allez pouvoir aller proposer les vôtres... Et d'ailleurs il n'est pas exclu que raes actionnaires me suggèrent d'aller vous rejoindre »... Voilà pourquoi jamaiB, ô grand jamais, le directeur des études économi
lisé le 4° trimestre affiche un taux de croissance du PIB de...-6 0/0. Pour ma part, j'avais ce même mois d'avril 2007 donné une interview titrée: «Le monde est une poudrière ». L'indépendance ne donne pas forcément plus de lucidité, mais elle permet de l'exprimer. Si les prévisionnistes tant privés que publics illustrent parfaitement la phrase de Mark Twain «l'art de la prophétie est extrêmement difficile, surtout en ce qui concerne l'avenir», on ne peut espérer que les médias soient plus clairvoyants. Ce d'autant que la pression quotidienne oblige à commenter un flux de statistiques journalières dont la plus grande partie présente peu d'intérêt, surtout si elles ne sont pas mises en perspective. La machine fonctionne ainsi. Une statistique tombe, immédiatement l'agence qui la relate cherche à «mettre de la chair autour de l'information». Elle va interroger un «spécialiste» pour la commenter. Toute personne sérieuse se refusera à donner une opinion sur un chiffre tiré de son contexte ou alors l'entourera de tant de commentaires que l'interviewer qui a droit à deux lignes dans son communiqué en tronquera la plus grande part. Le mieux pour lui c'est de trouver un quidam qui déclarera que «c'est très grave» ou que «c'est une très bonne surprise». Pour cela, il trouvera toujours le «ravi» Comment échapper aux ravages du consensus...
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de service en quête de son heure de gloire. Par exemple, celui qui aicle à gérer 10 petits millions de dollars dans son lointain Kansas, mais qu'importe, il sera cité par Bloomberg ou autres Reuters. Il ne lui restera plus qu'à imprimer le communiqué avant de rentrer chez lui plein de fierté montrer à sa femme quel personnage important il est. Voilà pourquoi plusieurs fois par jour les grandes agences sortent des statistiques sans aucun intérêt commentées par des «experts» dont on n'entendra plus jamais parler. Le problème c'est que l'opérateur de marché, le trader, qui bien entendu n'a ni le temps ni la compétence pour juger de la pertinence du point de vue de John Smith qui considère que «c'est très grave» n'en va pas moins prendre les décisions qui s'im.posent! Le marché bouge, ce qui valide la thèse qu'il s'agit d'une nouvelle importante... Le lendemain, une nouvelle tout aussi dérisoire commentée par un certain Nick Turner (tout aussi inconnu) viendra jouer dans le sens inverse, etc. Ainsi, par exemple, le 23 août 2005, dans un journal on ne peut plus sériel lX, le Financial Times (le quotidien de la City), on ])ouvait lire que les taux longs américains avaient ma.rqué un plus bas compte tenu de la chute «inatten1due» du nombre de maisons vendues, mais deux jours plus tard, le 25 août, et 82
toujours dans le Financial Times, on lirait que les taux étaient montés parce que les ventes de maison avaient atteint un plus haut! En creusant la question, on pouvait s'apercevoir que dans un cas cela concernait les maisons anciennes et dans l'autre les maisons neuves... Quelle conclusion un esprit de bon sens peut-il tirer de ces chiffres contradictoires? Aucune, bien entendu, et pourtant à cètte occasion les marchés ont bougé deux fois. Que dire des journaux qui reprennent sans sourciller, à la décimale près, les statistiques de la production industrielle chinoise du mois d'août publiées le 14 septembre par Pékin ce qui requiert pour le moins un appareil statistique hors pair quand on sait que les chiffres américains ne sortiront qu'à la mi-octobre et les chiffres français en novembre... Ceci ne semble pas troubler les commentateurs qui vont (exemple vécu) sous le titre Une croissance plus forte que prévue commenter avec un sérieux imperturbable le fait que ce chiffre fait apparaître une croissance de 14.8 % alors que «les économistes attendaient 13.5 % ».
Quand Ips idéps faussps dpvipnnpnt dps faits vrais Mon bêtisier contient des centaines d'exemples de ce genre tous plus affligeants les uns que les Comm(»nt ~chapp(»r aux ravag(»s du cons(»nsus...
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autres. L'occasion de me remémorer cette excellente remarque entendue en Normandie dans ma jeunesse: «on voit bien que le papier ne refuse pas l'encre... ». Le micro-trottoir est passé de la politique à l'économie avec les mêmes effets réducteurs et déformants. Tout incite à se contenter de répéter des «idées fausses» qui finissent par devenir des «faits vrais» pour reprendre la belle formule de Raymond Aron. Tout est réuni pour que les investisseurs, submergés par un flot d'informations plus ou moins utiles, plus ou moins pertinentes, prennent pour argent comptant, dans un unanimisme de bon ton, un ensemble de billevesées, calembredaines et fariboles comme nous n'en avions pas connues depuis de nombreuses années. Et je voudrais ici illustrer par la preuve ce que j'avance avec un (mini) inventaire raisonné de celles qui ont rallié le plus facilement ces dernières années la grande majorité des acteurs de la vie financière ... Nous commencerons par la faribole la plus cher de l'histoire de la finance contemporaine: «la division du risque le fait baisser». L'aphorisme, répété ad nauseam, justifiera l'extraordinaire baisse de la prime de risque qui allait de proche en proche gagner tous les compartiments jusqu'aux obligations des pays émergents dont le différentiel de rémunération avec les obligations américaines est progres84
sivement passé de quelque 1 000 points de base en 2000 à 150 points en juin 2007 avant de remonter en mars 2009 aux alentours de 900. Que dire des taux gouvernementaux Bulgares qui en 2005 et 2006 étaient inférieurs aux taux gouvernementaux américains! Aujourd'hui, ils leur sont supérieurs de 400 points ce qui paraît refléter de manière un peu plus réaliste la différence de qualité. Il est intéressant de noter qu'en 2006 quand les taux bulgares étaient inférieurs aux taux américains, le déficit extérieur bulgare était égal à 20 % de son PIB ... L'idée que la division du risque le fait baisser n'a aucun fondement théorique et elle n'est pas davantage frappée au coin du bon sens. Pire. Non seulement la division du risque ne le fait pas baisser mais, dans le cas de la titrisation, elle a tendance à le faire monter dans la mesure où elle rend plus difficile sa traçabilité. Du coup, lorsque le risque réapparaît dans le radar, il provoque une suspicion (voire une panique) générale dont on voit aujourd'hui les effets désastreux. Comme dans «Les animaux malades de la peste », si tous n'en meurent pas, tous en effet sont frappés. Et c'est alors tout le troupeau que l'on croit devoir mettre en quarantaine. Bien des «consensus» ont ainsi fait des ravages au cours des dernières années. À commencer par l'insoutenabiCommt'nt échappt'r aux ravagt's du const'nsus...
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lité de la dette américaine, l'euro à deux dollars et, plus fort encore, le baril de pétrole à 200 dollars! La dette publique américaine a toujours alimenté débats et fantasmes. Pourtant, contrairement à ce que l'on entend et lit un peu partout, elle posait d'autant moins de problème qu'elle n'était pas très élevée, ni en montant absolu, ni en pourcentage du PIB. La dette publique japonaise représentait fin 2007 plus de 160 % du PIB (contre 47 % au début de sa période de récession déflationniste) quand celle de la zone euro pesait 66,4 % du PIB (environ 5 900 milliards de dollars) et la dette fédérale américaine un peu plus de 5 000 milliards de dollars, soit à peine 37 % du PIB (au taux de change du 31 décembre 2007). Les chiffres concernant les comptes publics américains sont publiés chaque mois par le Congressionnal Budget Office et on y a accès sur son site. Outre l'état mensuel des dépenses publiques, des recettes, des soldes, on y trouve régulièrement des études sur le coût de la guerre en Irak, en Afghanistan, sur l'évolution passée et à venir des dépenses médicales, etc. Ils sont faciles à trouver pour les économistes comme pour les journalistes et pourtant ils semblent être peu utilisés tant on lit et entend de fariboles sur ces questions ... Tout le monde, ou presque va en répétant une erreur qui vient d'une 86
confusion entre la dette publique américaine et le plafond de la dette. Le plafond de la dette US qui en effet représentait 67 % du PIB fin 2007 inclut la totalité des droits futurs des bénéficiaires de la retraite publique (Social Security). Un tel calcul appliqué en France donnerait plus de 150 0/0. Si on lit attentivement les statistiques comparatives du FMI cette différence est bien expliquée. Encore faut-il les lire! Et quand il ne s'agit pas de la dette publique, c'est la dette des ménages américains qui fait l'objet d'autres fantasmes. Chacun sait que les Américains sont de grands enfants dont le but dans la vie est de s'endetter pour s'empiffrer de barres chocolatées. Et il est vrai que la dette des ménages a quasiment doublé depuis 2001 pour passer de 7 167 à 13 820 milliards de dollars fin 2008. Mais, surprise, de l'autre coté du bilan, la valeur des actifs détenus par les ménages atteignait - toujours fin 2008 et malgré la forte baisse des marchés immobiliers et boursiers - ... 65 719 milliards de dollars, soit un montant cinq fois supérieur à la dette, en progression de 18 000 milliards depuis 2001 alors que la dette n'a augmenté que de 6 700 milliards. Ce qui veut dire que l'actif net des ménages américains a fortement prospéré sur la période. La cigale américaine a également été fourmi. Une fois de plus, ces chiffres qui ne correspondent pas aux clichés telComment ~chapper aux ravages du consensus...
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lement rabâchés ne sont pas inaccessibles. Ils sont sur le site de la FED. Mais peut-être nos amis journalistes ne lisent-ils pas l'anglais... À moins qu'ils ne préfèrent répéter ce qu'ils ont lu ailleurs plutôt que d'aller aux sources. Je reconnais cependant, en ce qui concerne la FED, que malgré les extraordinaires efforts qu'elle fait pour rendre accessibles ses données, la complexité de la matière rend leur analyse délicate. Mais est-ce une raison pour préférer le micro-trottoir? D~ r~uro à d~u)( dollars au baril d~ p~trol~ à 200 dollars...
Dans la litanie des idées reçues, tellement répétées qu'elles en deviennent des «faits vrais », j'ajouterai l'euro à deux dollars ... Cette «prédiction» qui court régulièrement les bureaux d'experts et les salles de marché depuis quelque temps déjà est d'ailleurs étroitement liée à l'analyse des déficits américains. Malheureusement, elle ne résiste ni aux faits ni aux chiffres. D'abord, l'idée la plus communément partagée est que le dollar ne peut que s'affaiblir parce que les États-Unis sont endettés. Or, le passé montre exactement le contraire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la corrélation entre les déficits publics et le niveau du dollar est exactement inverse de l'idée reçue: plus le déficit se creuse, 88
plus le dollar monte; plus le déficit se réduit, plus il baisse. Il suffit pour s'en convaincre de regarder l'évolution du billet vert lorsque le déficit public américain a fortement ralenti entre 2003 et 2007, période au cours de laquelle il est passé de 440 à 170 milliards de dollars: sur la période le dollar n'a cessé de baisser. C'est depuis que les déficits se creusent qu'il est remonté... Cette erreur, très largement partagée, vient d'un raisonnement, juste à l'origine, mais devenu faux. Dans un monde où les flux commerciaux étaient supérieurs en montant aux flux financiers, si on avait un déficit commercial, il fallait emprunter pour le couvrir. Mais aujourd'hui où les flux financiers sont supérieurs aux flux commerciaux, l'œuf et la poule ne fonctionnent plus dans le même ordre. C'est le déversement des flux de capitaux étrangers aux États-Unis qui entraîne un déficit commercial parce qu'il nourrit une croissance forte de la demande domestique. Quand tout va bien, les investisseurs viennent profiter de la croissance américaine; quand tout va mal, ils viennent y protéger leurs avoirs. Tout simplement parce que l'obligation du Trésor américain est l'actif financier préféré des investisseurs du monde entier et qu'aucun marché financier au monde n'offre un meilleur risklreward ratio que le marché américain. Si un jour tel n'était plus Comment ~chapper aux ravages du consensus...
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le cas, les déséquilibres se résorberaient spontanément car moins de flux financiers signifierait moins de croissance donc moins de déficit extérieur. Bien sûr, mieux vaut que ces flux de capitaux servent à financer le développement d'Internet que la bulle immobilière, mais intrinsèquement ils ne posent pas de problème. Quant à l'euro, pourquoi n'est-il pas au niveau où il devrait être compte tenu de ses «fondamentaux», c'est-à-dire sensiblement plus faible par rapport aux grandes monnaies, et notamment au dollar? Deux éléments jouent de manière très importante dans ce phénomène. D'une part, l'essentiel des transactions dans le monde se fait en dollars; d'autre part, si celui qui reçoit des dollars souhaite diversifier, même modestement, son risque de change, il est obligé d'en vendre pour acheter une autre monnaie. Or, l'euro est à l'heure actuelle la seule monnaie qui offre une profondeur suffisante pour constituer une monnaie de réserve alternative. L'euro a donc conquis un statut de monnaie de réserve bis. Mais comme cette monnaie de réserve par défaut n'a pas de déficit extérieur (en raison des excédents commerciaux allemands), il y a ce que l'on appelle dans le jargon économique un corner. Les acheteurs potentiels d'euros n'en trouvent pas forcément à l'extérieur de la Zone euro, contrairement 90
au dollar. C'est la raison pour laquelle il suffit qu'un candidat à la diversification de son risque de change soit demandeur même très faiblement d'euros pour que celui-ci monte. Mais l'épisode le plus emblématique de la confusion qui peut, l'espace d'un moment, parfois long, régner dans les esprits concerne le pétrole. Même le président de la République, Nicolas Sarkozy, s'est mêlé de donner son avis sur l'évolution des prix du précieux liquide. «Il faut avoir le courage de dire que la hausse du prix des hydrocarbures sera permanente» déclarait-il avec assurance lors d'une intervention en novembre 2007 au Grenelle de l'environnement... J'ose espérer qu'il n'a pas été pris au sérieux par des épargnants qui, échaudés par les subprimes, auraient voulu se refaire en écoutant le président de la République car dans ce cas il ne leur reste plus que les yeux pour pleurer. Une affirmation aussi catégorique aurait certainement mérité d'être fondée. Malheureusement, elle ne l'était pas! Pourtant, en ce qui concerne le prix du pétrole, l'analyse du passé devrait inciter à davantage de prudence. Car, en dépit de sa charge quasi mythique, l'or noir est une matière première «comme les autres », et même si à court terme des considérations géopolitiques, voire des mouvements spéculatifs, peuvent venir brouiller l'interaction de Commpnt échapppr aux
ravagp~
du
con~pn~u~...
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l'offre et de la demande, dans la durée ce sont elles qui dictent leur loi. Le cycle du pétrole est toujours le même: lorsque les prix sont bas, on observe l'arrêt de l'investissement en recherche-exploration, des constructions de raffineries, du développement des énergies alternatives, des économies de consommation. Et puis un jour, quand la croissance accélère, un léger déséquilibre entre l'offre et la demande apparaît. Comme ce fut le cas la dernière fois en 2004. Dès lors, comme pour toute matière première, les prix s'emballent. La spéculation s'empare du phénomène et l'amplifie. C'est alors que les recherches repartent, les raffineries sortent de terre, les énergies alternatives s'ébrouent et les économies d'énergies sont encouragées. L'offre augmente, la demande diminue. Au premier ralentissement, le mouvement s'emballe dans l'autre sens et les prix s'effondrent. Tant pis pour les prophètes de malheur. Le mouvement est lancé et il faudra du temps pour que les raffineries s'arrêtent, que les subventions au pétrole vert et autres voitures peu gourmandes soient mises sous le boisseau. Il faudra aussi attendre un certain temps avant que le cycle ne reparte. Ce n'est qu'en avril 2008 que le prix du baril de pétrole (WTI) a dépassé, en dollars constants, son plus haut atteint en 1980. Entre ces deux dates, il a été divisé par 92
cinq (à la fin des années 1990) et est resté bas pendant dix-sept ans! Voilà pourquoi, même lorsque la croissance sera repartie, cette fois encore, il s'écoulera... un temps certain avant que le prix ne renoue avec ses plus hauts. Pour autant, lorsqu'en novembre 2004, le baril passa 65 dollars, (prix sans doute d'équilibre économique si cette notion a un sens) j'ai défendu cette thèse, il ne fallait craindre ni de prendre le «consensus» à rebrousse-poil, ni d'effrayer ses propres clients pour tenir un tel discours. Au fur et à mesure que le prix du baril montait, toute voix discordante était inaudible dès lors qu'économistes, écologistes et politiques faisaient cause commune pour annoncer bruyamment la pénurie prochaine et le baril à 200 dollars ... Et c'est vrai: il aura fallu quatre ans, et en ce qui me concerne de nombreuses bouffées d'exaspération à la lecture des gazettes, pour que les faits rejoignent les «fondamentaux» ! Et pourtant, là aussi, les chiffres publiés par l'International Energy Agency étaient explicites: depuis trente ans, le taux moyen annuel de croissance de la consommation est de +1,4 0/0, une pointe à +3,5 % a été constatée en 2004 et pendant le premier semestre 2005. De mi-2005 à fin 2007, on est tombé à +1,1 0/0, c'est-à-dire en dessous de la moyenne de longue période. En 2008, la croissance a été négative. Ces Comment échapper aux ravages du consensus...
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chiffres très sages sont l'addition de deux éléments: une consommation à croissance négative au sein de l'OCDE depuis le début de 2006 et certes le maintien jusqu'en 2008 d'une croissance plus forte en dehors de l'OCDE mais qui, depuis mi-200S, n'a jamais dépassé +3,3 0/0. On est loin des discours sur la «consommation exponentielle» du pétrole. Et donc lorsque le ralentissement économique est arrivé, au moment où de nouvelles capacités de production (ou de raffinage) apparaissaient, les cours se sont effondrés. Le divorce entre la perception des investisseurs et les «fondamentaux» doit souvent beaucoup à cette «mal-info» qui, portée par le panurgisme ambiant, court et contamine l'ensemble des opérateurs à un moment donné sur telle ou telle tendance, sur tel ou tel actif... Il est aussi parfois le fruit d'une prise de position forte d'un prescripteur qui fait autorité, telle la fameuse théorie du «découplage» (decoupling) largement diffusée dans le monde entier par Goldman Sachs après le déclenchement de la crise en août 2007. La «brillante» analyse des experts de la grande banque d'investissement américaine était fondée sur un postulat simple mais faux: au moment où les économies des grands pays avancés calent, la planète va pouvoir compter sur le dynamisme de celles des grands émergents pour tirer la croissance mon94
diale. Dès lors, la conclusion s'imposait d'elle-même: il fallait investir sans attendre sur les pays émergents. Goldman proposait dans la foulée une stratégie d'investissement articulée autour du concept très marketing de BRIC (pour Brésil, Russie, Inde et Chine) et le tour était joué: les indices émergents (par exemple, le MSCI China) s'envolaient en septembre et octobre 2007. Et tant pis si ces pays ne constituent en rien un tout homogène mais sont au contraire régis par des contraintes économiques, financières et politiques très diverses! Mauvaise pioche en tout cas pour les investisseurs du monde entier qui ont choisi de faire confiance les yeux fermés à l'une des banques d'investissement vedettes de Wall Street. De novembre 2007 à novembre 2008, L'indice MSCI Emerging Markets baissera de 60 0/0. Qu'à cela ne tienne! Jim O'Neill, le chief economist de Goldman Sachs et père du concept des BRIC's, tournait casaque en février 2008 estimant dans le Financial Times, le quotidien britannique des affaires, qu'il était grand temps de privilégier la thèse du «recouplage» (recoupling), autrement dit de se convaincre que la croissance des économies émergentes ne pouvaient nullement être dissociée de celle du reste du monde et qu'elle allait souffrir comme les autres du ralentissement mondial. Et, à ceux qui n'avaient pas été ruinés par l'ensemble de ces bons conseils, une Comment échapper aux ravages du consensus...
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nouvelle idée formidable était proposée, le pétrole qui valait 120 $ et qui ne pouvait qu'aller à 200 dollars... dans un premier temps! Je comprends bien la nécessité pour une banque d'investissement de placer du «papier»: il faut bien que tout le monde vive. Néanmoins, de temps en temps, la célèbre réplique de Jean Gabin, dans La Traversée de Paris, me revient en mémoire: «Vous dites qu'il faut bien que tout le monde vive, j'en vois pas l'intérêt!» Certes, suivisme, mimétisme et panurgisme ne sont pas nouveaux sur les marchés financiers. Mais si la puissance dévastatrice du consensus a pris une telle ampleur lors de la dernière crise financière, c'est que pour la première fois tous les moutons de Panurge s'étaient embarqués sur le même bateau. Et quand tout le monde a sauté, le tsunami était garanti. L~ dout~ méthodiqu~ plutôt qu~ la Facilité du prêt
à p~n5~r
Comment après tout cela, ne pas plaider pour une prudence renouvelée face aux ravages de la «maladie du consensus». La «méthode Galliffet» pour sommaire qu'elle soit, n'en est pas moins un bon point de départ s'il s'agit de soutenir que le doute méthodique vaut mieux que le mol abandon aux facilités du prêt-à-penser. C'est vrai dans les 96
périodes d'euphorie comme dans les périodes de crise. Il faut être peu sensible à la lecture des journaux comme des analyses des experts. D'autant que la grande majorité des «spécialistes» a tendance à voir l'avenir dans le rétroviseur. Et que les acteurs de terrain, chefs d'entreprise et autres investisseurs, chaussent eux aussi facilement leurs lunettes noires à force d'avoir à faire face aux conséquences des errements passés. On ne peut pas attendre de ceux qui viennent de recevoir le ciel sur la tête, surtout si c'est inattendu, d'avoir une vision optimiste de l'avenir, surtout s'ils ont été bercés de bonnes paroles quand le ciel se chargeait. C'est la raison pour laquelle, dans ces périodes, écouter le «buzz» planétaire a toutes les chances, statistiquement, de dessiner une vision trop catastrophiste de l'économie mondiale. Pour ne pas céder aux «paniques », à la hausse comme à la baisse, il est essentiel de ne pas trop ouvrir ses oreilles aux bruits du jour. En revanche, il n'est pas inutile de relire les grands textes que la science économique nous a légués, mais aussi les documents de travail et écrits théoriques des banques centrales et autres régulateurs. Pour ma part, j'ai toujours été surpris de voir nombre de professionnels perdre leur temps à lire des notes de brokers dont la qualité est souvent médiocre alors qu'ils ignorent ce qu'au même Comment échapper aux ravages du consensus...
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moment les organismes officiels publient. Il ne s'agit pas ici d'affirmer que les prévisions de ces organismes sont supérieures, ce n'est malheureusement pas le cas, mais de signaler que la qualité de leurs travaux est sans commune mesure avec celle des vendeurs de papier dont les objectifs «marketing» l'emportent sur les plaisirs austères et peu rémunérateurs de la recherche fondamentale ... Par ailleurs, il est recommandé d'adopter une «approche pointilliste» et d'éviter de changer d'opinion sur un seul chiffre. Il faut que suffisamment de points nouveaux viennent modifier le tableau initial. Bref, il s'agit de relativiser constamment l'information du jour, soit parce qu'elle n'est pas forcément pertinente, soit parce qu'elle n'est pas conclusive. Cette démarche, à mes yeux la plus rigoureuse, ne doit jamais faire oublier pour autant que les marchés eux réagissent au contraire à des informations parcellaires, en retiennent certaines et en ignorent d'autres, en fonction de l'air du temps. Et surtout se laissent régulièrement dominés par les passions. Des «croyances» orchestrées plus ou moins savamment. C'est la raison pour laquelle la phrase de Proust extraite de «Du côté de chez Swann» incite en définitive à la plus grande modestie: «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils ne les ont pas fait naître, ils ne les 98
détruisent pas. Ils peuvent leur infliger les plus cruels démentis sans les affaiblir». Une telle situation est inconfortable et peut à tout moment devenir dangereuse pour l'investisseur individuel. Elle est aussi inquiétante sur le plan collectif car il n'y a pas d'économie de marché sans information pertinente. Voilà pourquoi si l'on considère que l'économie de marché est à l'instar de la démocratie le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres, il faut se préoccuper de savoir si les remèdes mis en place sont (ou seront) efficaces. Si les diagnostics posés ont été les bons. Et comment peut-on faire en sorte que l'économie de marché fonctionne mieux demain, qu'elle soit efficace, c'està-dire que les prix fournissent la bonne information aux acheteurs, aux vendeurs, aux investisseurs sur les conditions de l'offre et de la demande.
Commfnt ~chappfr aux ravaqfs du conSfnsus...
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La crise est finie! Le 20 novembre 2008, lors d'un déplacement dans le Loir-et-Cher, à l'occasion de la création d'un Fonds stratégique d'investissement en faveur des entreprises, Nicolas Sarkozy déclarait: «Il ne s'agit pas [... ] de savoir [... ] quelles sont mes lectures du matin ou du soir? Et si je redécouvre Keynes ou si j'ai abandonné Milton Friedman? Vous ne les connaissez pas? Franchement, je lis assez peu ces livres d'économie pour une raison simple, c'est que la crise que nous connaissons aujourd'hui n'a rien à voir avec la crise des décennies passées. Et donc, je n'irai pas chercher dans le passé des solutions à une crise qui nous appelle vers l'avenir. 2008, sera l'année où le monde est rentré dans le XXI e siècle. Je ne vais pas aller chercher les solutions du Xxe ou du XIXe pour apporter une solution à cette crise d'un nouveau style ». Dans l'esprit, déjà, une telle déclaration est plutôt terrifiante. Cette critique de la connaissance issue de l'expérience du passé, cette idée, tellement courte, de table rase culturelle comme si le monde était toujours 100
nouveau rappelle en effet bien des mauvais souvenirs. Pourquoi faire des études si le passé n'apprend rien? Brûlons donc les livres pendant qu'on y est! Mais en plus, dans le cas précis, elle est particulièrement mal venue car c'est justement les leçons tirées de la crise de 1929 qui ont permis d'éviter la dépression. C'est grâce aux travaux menés après 1929, notamment par Irving Fisher et John Maynard Keynes, que près de quatre-vingts ans plus tard les autorités, principalement la Réserve Fédérale américaine, connaissant les recettes à employer pour gérer une telle crise, n'ont pas hésité à les mettre en œuvre.
Sauv~r I~s banqu~s, sauv~r I~s banqu~s, sauv~r I~s banqu~s! Qu'ont dit en effet ces deux éminents économistes? Dans une contribution publiée en 1933 (The debt deflation theory), Irving Fisher, le moins connu du grand public mais sans doute le plus écouté des banques centrales, décortiquait le déroulement de la spirale déflationniste et de son enchaînement fatal: pertes bancaires qui aboutissent à la réduction des fonds propres ce qui conduit à la contraction des crédits laquelle entraîne à son tour une récession qui accroît les sinistres (dépôts de bilans) et donc alimente de nouvelles pertes bancaires... poussant ainsi irrésistiblement une économie dans la récesLa crise est finie!
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sion puis dans la récession déflationniste et enfin dans la dépression. Et, à l'époque déjà, Fisher était très clair sur la recette indispensable pour enrayer la spirale infernale: sauver les banques, sauver les banques, sauver les banques! Pour ce faire, il préconise de faire usage de l'arme la plus puissante: une forte baisse des taux d'intérêt nominaux (pour qu'un écart important entre les taux auxquels la banque a prêté et les taux auxquels elle se refinance lui permette des marges importantes afin de reconstituer ses fonds propres mis à mal par la crise). La baisse des taux nominaux est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut que les taux réels (taux nominaux moins inflation) baissent également (afin que les actifs à cash ftow négatifs deviennent moins lourds à soutenir et que les actifs à cash ftow positifs voient leur valeur augmenter). S'il s'agit bien de la mécanique la plus importante, comme le processus prend un certain temps, la reconstitution immédiate des fonds propres par les augmentations de capital n'est pas inutile et peut même s'avérer indispensable. Enfin, pendant la période critique du «credit crunch» la banque centrale doit se substituer provisoirement au système bancaire défaillant et ne pas hésiter à prêter directement aux agents économiques. 102
Quant à John Maynard Keynes, son apport fondamental aura été de montrer que, lors des récessions, les agents économiques privés, les ménages et les entreprises, ont tendance à épargner davantage d'autant que la route du crédit leur est coupée, et qu'il est donc indispensable que l'État ne fasse pas de même mais, au contraire, utilise la possibilité quasi illimitée qu'il a de s'endetter pour soutenir la conjoncture, par l'investissement public, la distribution de revenus de substitution (baisses d'impôts, revenus sociaux) aux ménages et la création d'emplois publics afin justement d'éviter la transformation de la récession en dépression tant que le secteur privé ne prend pas le relais. La mauvaise réputation de Keynes, surtout chez les économistes libéraux, ne vient pas de ces recettes qui ne sont pas critiquables mais du mauvais emploi qu'en ont fait par la suite les «Keynésiens» quand la situation ne l'exigeait pas. Une médecine d'urgence ne doit être utilisée qu'en situation d'urgence; mise en œuvre en périodes «normales», elle débouche sur l'inflation et sur des dépenses publiques inconsidérées et contre productives. D'où la stagflation des années 1970. Or, c'est bien cette panoplie de mesures qui furent prises très vite par les autorités monétaires, notamment américaines dès le début de la crise, puisque la FED a amorcé puis accéléré à partir de début 2008 La crise est finie!
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son mouvement de baisse des taux d'intérêt malgré la hausse de l'inflation apparente, anticipant dans un mouvement qui paraissait risqué mais qui s'est révélé heureux la forte baisse des prix de l'énergie tout en assurant la liquidité du marché interbancaire. Lentement mais sûrement, les autorités monétaires de tous les grands pays de l'OCDE ont utilisé tous les instruments à leur disposition, surtout après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et l'approfondissement de la crise financière au cours du dernier trimestre 2008. Dès le 16 décembre 2008, la banque centrale américaine a ainsi ramené ses principaux taux directeurs (donc in fine le coût de l'argent) à un niveau proche de zéro (de 0 % à 0,25 0/0), la Bank of England a suivi à 1 % puis à 0,5 % (début mars 2009), la Banque du Japon à 0,1 % et la BCE à 1,25 % début avril. Elles ont élargi massivement le type de crédits qu'elles acceptaient de prendre en pension pour soulager les banques et surtout, les banques centrales sont allées beaucoup plus loin avec la mise en œuvre de politiques monétaires aboutissant à prendre la place des banques pour financer directement l'économie et éviter une contraction de la liquidité mondiale. La reconstitution des fonds propres bancaires soit par les augmentations de capital réalisés par les fonds publics, quand il est apparu que les fonds 104
privés, échaudés par les pertes subies sur leurs premières interventions, ne voulaient plus y aller, soit par la constitution d'entités capables de reprendre les «actifs toxiques» sera la seconde arme utilisée par les autorités. À l'origine, l'idée est simple: il s'agit de réutiliser une méthode mise au point en 1989 lors de la faillite des Savings and Loans (les caisses d'épargne américaines). Les conséquences de la faillite des caisses d'épargne à la fin des années 1980 avaient connu un coup d'arrêt décisif grâce au rachat des actifs sinistrés, via une structure de defeasance, la Resolution Trust Corporation, autrement dit une agence publique dont l'actionnaire principal était l'Etat et dont le rôle était de prendre en charge les actifs sinistrés et/ou peu liquides en échange d'obligations émises par l'agence et garanties par le Trésor. Déjà, et on l'a oublié, le Trésor américain avait mis sur la table 450 milliards de dollars de garanties dont, c'est à noter, moins d'un tiers a été effectivement consommé. Dès la mi-mars 2008, deux éminents «faiseurs de loi», Chris Dodd, le président de la commission bancaire du Sénat, et Barney Frank, son alter ego à la commission des services financiers de la Chambre des Représentants, tous deux Démocrates, ont proposé un plan de refinancement de ce type portant sur 300 à 400 milliards de dollars. Ceci, disent-ils La crise est finie!
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à l'époque, afin de «donner un plancher» aux prix immobiliers. En clair, de faire en sorte qu'ils cessent de baisser. Mais en pleines primaires en vue de l'élection présidentielle de novembre, le passage du fardeau au contribuable allait immédiatement devenir un enjeu politique et les Républicains s'y opposer en vertu des grands principes. Qu'il s'agisse de l'administration Bush (qui menace alors de mettre son veto), des élus ou du futur candidat à l'élection présidentielle, John Mc Cain: «Ce n'est pas le boulot du gouvernement de sauver ceux qui se sont comportés de manière irresponsable, qu'il s'agisse de grandes banques ou de petits emprunteurs» ... En raison du contexte électoral (mais aussi du fait qu'objectivement la structure était cette fois-ci techniquement difficile à mettre en place en raison de la dispersion des crédits associée à la titrisation), le «plan Paulson» destiné à cantonner les actifs toxiques et à recapitaliser les banques va prendre six bons mois de retard. Et il faudra attendre que la crise menace d'emporter le système tout entier pour que des mesures de grande ampleur soient prises et là, patatras, l'impondérable, le cygne noir montre le bout de son bec: le plan Paulson est rejeté! S'il y a eu un moment ou on a frisé la catastrophe, c'est bien à ce moment-là. Tout à coup, le garant en dernier ressort était inscrit aux abonnés absents. Certes, 106
le plan sera voté quelques jours plus tard, mais le traumatisme est resté et au printemps 2009 le stress commençait tout juste à diminuer d'intensité. Enfin, troisième outil entre les mains des autorités financières, il fallait annihiler les effets des changements comptables initiés début 2000 sur les fonds propres bancaires, une véritable arme de destruction massive. La décision fut prise d'abord en Europe, dès octobre 2008 (pour les bilans clôturés au 31 septembre), lorsque l'International Accounting Standards Board (l'organisme international chargé de l'élaboration des normes comptables internationales IAS/IFRS) autorisa que certains actifs financiers auparavant soumis à la règle du mark to market, c'est-à-dire évalués et inscrits dans les comptes des établissements financiers sur la base de leur valeur observée sur le marché au moment de l'évaluation (d'où un creusement continuel des pertes comptables bancaires tant que ces valeurs baissaient même si les pertes réelles n'augmentaient pas) soient comptabilisés à leurs coûts historiques. En mars 2009, le Congrès américain obtiendra le même résultat du Financial Accounting Standards Board (l'organisme en charge des normes comptables aux États-Unis). La reconstitution des fonds propres bancaires est en route et la La
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finie!
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fin du credit crunch également. Mais cela prendra... un certain temps. Il fallait donc éviter que pendant cette période intermédiaire la dégradation de l'environnement économique soit source de nouvelles pertes. Et là, n'en déplaise à Nicolas Sarkozy, vive les travaux de John M. Keynes! Car le fait que les dirigeants de tous les grands pays de l'OCDE se soient mis d'accord pour utiliser l'arme budgétaire afin de soutenir l'économie doit tout à ses travaux et peu à l'imagination fertile de tel ou tel responsable. Le plan le plus spectaculaire est évidemment le plan américain. Le 13 février 2009, le «Recovery and Reinvestment Act» de 787 milliards de dollars, porté par le nouveau président Barack Obama, a été voté par le Congrès américain. Le Congressional Budget Office en attend des effets significatifs sur la croissance: entre 1,4 % et 3,8 % pour 2009 et 1,1 % et 3,4 % en 2010. Partout dans le monde, les plans de relance sont également au rendez-vous. En Chine, en Inde, en Australie, en Norvège, au Japon, en Europe. Tout (ou presque tout) ce qui devait être fait a été fait, mais pour autant le stress supporté par les marchés financiers depuis l'automne 2008 a marqué l'économie réelle de son empreinte. 108
Ne pas confondre écume et mouvement de la mer... Certes, on ne peut pas espérer que la vie soit un long fleuve tranquille et que bien gentiment toutes les mécaniques grippées reprennent leur mouvement sans à coup. Certes, des esprits chagrins souligneront les ratés et les retards à l'allumage des plans publics, mais l'important n'est pas le recomptage stérile des pertes passées ou éventuelles du système bancaire, exercice virtuel auquel le FMI se livre régulièrement, mais bien le fait que les deux grandes mains publiques qui comptent sur la planète finance, à savoir la FED et le Trésor américain, n'aient pas tremblé lorsqu'elles ont dû prendre les mesures destinées à relancer l'économie. Nous savions que cette détermination ne manquerait pas à la banque centrale américaine puisque celle-ci est dirigée par un spécialiste universitaire de...la Grande Dépression, Ben Bernanke. Le premier discours du nouveau président américain a confirmé que Washington n'en manquerait pas non plus. À partir du moment où ceux qui disposent des ressources illimitées que l'épargne mondiale met à leur disposition sont décidés à suivre la partie jusqu'à la victoire finale, celle-ci devient inéluctable. C'est la raison pour laquelle je suis en ce printemps La crise est finie!
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2009 parfaitement tranquille sur l'issue: la récession qui n'est jamais que la respiration normale de la vie économique peut encore durer mais la Crise au sens dramatique du terme est désormais derrière nous. Pour autant, cela ne signifie pas que nous soyons à l'abri des fausses solutions et des vraies bêtises qui compromettraient le fonctionnement de l'économie de marché, et donc notre capacité à innover et à produire des richesses. Ainsi que l'a écrit John K. Galbraith dans le magnifique ouvrage qui fut le point de départ de cette réflexion: «Les questions les moins importantes sont les plus vivement discutées. Qu'est-ce qui a déclenché le krach? Des facteurs particuliers ont-ils joué pour qu'il ait été si terrible, si violent? Qui faut-il punir? (...] On peut faire quelques reproches aux ex-spéculateurs les plus en vue ou les plus malhonnêtes, mais non aux autres participants, si récemment enchantés et désormais désenchantés ». En relisant ces lignes, on ne peut que regretter une fois de plus que nos dirigeants, à l'instar de Nicolas Sarkozy, ignorent le plus souvent les bons auteurs, car cela leur permettrait d'éviter de labourer des chemins trop fréquentés. Et surtout sans issue. Qui peut en effet croire sérieusement que sans les bonus des traders et sans les paradis fiscaux, il n'y aurait 110
pas eu de crise? Il ne faut pas confondre l'écume de la mer et le mouvement de la mer... Tout grand épisode de bulle a ses victimes et ses profiteurs qui sont la conséquence et non la cause de cette respiration du marché, car il faut bien accepter l'idée que la bulle est la contrepartie quasi obligatoire de l'économie d'innovation. C'est justement parce que les investisseurs croient qu'« il y a un trésor au fond de la mer rouge », selon la formule de Galbraith, que parfois ils s'égarent mais parfois ils le trouvent... L'économie de bulle est l'inverse de l'économie administrée qui, elle, ne financera jamais que la répétition du passé. C'est pourquoi il est si inquiétant de voir le gouvernement français renouer avec ses vieux démons et faire réapparaître des «commissaires à la réindustrialisation» qui risquent de financer la construction d'usines à fabriquer des roues de charrettes juste avant l'invention de la voiture! J'ai, pour ma part, et en deux occasions, passé un certain nombre d'années au ministère de l'Industrie et je peux témoigner que jamais aucune bulle ne coûtera aux contribuables français ce qu'ont coûté tant et tant de projets mirifiques, du plan calcul aux innombrables plans «machine outil» en passant par les sommes englouties en pure perte dans la sidérurgie, l'automobile et autres La cri~~ ~~t fini~ !
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chimie avant que le gouvernement de 1986-1988 ait la sagesse de remettre ces secteurs au privé. Voilà pourquoi avant de pousser des cris d'orfraie sur les pertes des banques privées, rappelons-nous un instant celles du Crédit Lyonnais, public, du GAN, public et autres AGF lors de l'éclatement de la bulle immobilière de 1990. Et en l'occurrence il n'y avait eu nul besoin de bonus et autres stocks options... Quant à la crédulité collective, peu d'épisodes égaleront finalement l'affaire des «avions renifleurs» qui a réuni à l'époque les plus hautes autorités de l'État et de l'économie (parapublique) dans un épisode digne des meilleurs Feydau. La lucidité sur les mouvements de marché non plus n'est pas forcément l'apanage des dirigeants politiques. Rappelons ce que Nicolas Sarkozy disait récemment sur le pétrole censé monter éternellement. Il ne fut pas le seul. Combien a coûté et va continuer de coûter en subventions, à travers le monde, le pétrole «vert» et quels dégâts humains et financiers a-t-il déjà provoqué à travers l'augmentation du coût de certaines matières premières alimentaires lié au remplacement de leur culture par le pétrole vert subventionné? Le marché se trompe souvent car c'est dans sa nature d'avancer par expérimentation mais il présente l'avantage de corriger ses erreurs, certes parfois brutalement, mais en tout cas assez rapidement. L'État met infi112
niment plus de temps pour reconnaître les siennes et leurs conséquences ont souvent un coût financier et humain beaucoup plus élevé même s'il est moins visible. Il n'est qu'à se rappeler la relance de l'exploitation charbonnière voulue et instaurée par François Mitterrand en 1981 et dont le coût s'est étalé sur 20 ans... sans oublier ceux qui par milliers ont embrassé un métier d'avenir, celui de mineur de fonds. Rappeler opportunément les travers et autres méfaits de l'économie administrée ne rend toutefois pas sourd et aveugle: au cours des dernières années, l'économie de marché a incontestablement été en proie à des dérives dont l'opinion publique s'est, à juste titre, scandalisée. Comme il est vrai que de profonds dysfonctionnements notamment dans les relations entre actionnaires, conseils d'administration et dirigeants ont faussé le bon fonctionnement du système. La crise aura permis de remettre en question des comportements qui relèvent toutefois davantage de la morale individuelle (oulet de l'aveuglement des classes dirigeantes car «Jupiter rend fou ceux qu'il veut perdre») que du cadre législatif et réglementaire.
Les claques de la main invisible du marchp de plus en plus fortes Mais en ce qui concerne les phases spéculatives peut-on faire quelque chose? Une fois de plus tourLa crise est finie!
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nons-nous vers John K. Galbraith: «La chute périodique dans la démence n'est pas un trait merveilleusement séduisant du capitalisme ... Cependant, au-delà d'efforts pour que soient mieux compris la tendance à la spéculation et le processus spéculatif lui-même, il n'y a probablement pas grand-chose à faire. Une réglementation déclarant hors la loi la crédulité financière et l'euphorie collective n'est pas une possibilité pratique. Pour l'appliquer de façon exhaustive à ces comportements humains, il faudrait un corpus de lois impressionnant, probablement oppressif et à coup sûr inefficace.» Voilà pourquoi, et en dépit de la pression de 1'« économiquement correct », il faut redouter la mise en œuvre d'un corpus de lois et de règlements qui, au mieux, seraient inefficaces et au pire brideraient le financement de l'innovation. Si, à la fin du XIXe siècle, les «entreprenants» avaient écouté les prédictions catastrophistes de bien des experts et dirigeants de tous horizons, ils seraient restés dans le monde de la lampe à huile en ce qui concerne l'éclairage et de la diligence en ce qui concerne les déplacements... Et encore n'avaient-ils pas encore hérité du sacrosaint principe de précaution! Nous l'avons dit: si le tsunami financier a été cette fois plus puissant, c'est tout simplement que nous venons de vivre l'éclatement de la première bulle mondialisée. La 114
mondialisation de l'épargne et l'instantanéité de l'information ont fait que tous les moutons de Panurge sont montés sur le même bateau au même moment avant de sauter en cœur. La vague a été plus haute et plus violente. La «main invisible» du marché, pour reprendre la formule d'Adam Smith, fonctionne mais elle doit donner des claques de plus en plus fortes pour remettre les opérateurs économiques et financiers sur le bon chemin... Pourquoi se sont-ils égarés? Telle est effectivement la question. Et s'il s'agit principalement de «mal information», il Y a quelques soucis à se faire car on peut craindre la répétition de tels phénomènes. C'est l'occasion de revenir ici aux racines même de l'économie de marché. Selon la théorie libérale, la supériorité du marché vient de ce que le philosophe et économiste de l'école autrichienne, Friedrich Hayek, a appelé la catallaxie: «La meilleure façon de comprendre comment le fonctionnement du marché conduit, non seulement à la création d'un ordre, mais aussi à un grand accroissement du fruit que les hommes tirent de leurs efforts, est de le penser comme un jeu que nous pouvons appeler le jeu de catallaxie. (... ] c'est un jeu créateur de richesse parce qu'il apporte à chaque joueur de l'information (...] dont l'existence lui resterait inconnue si ce jeu n'existait pas ». La crise est finie!
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En termes plus clairs, cela signifie qu'en matière de prix le marché synthétise à tout moment une multitude d'informations sur l'offre et sur la demande d'un bien, ce qu'aucun esprit humain, aucun système informatique, ne pourrait faire aussi complètement et aussi rapidement. Il n'y a donc pas d'économie de marché sans information pertinente. Les prix des actifs, des biens, des services doivent donner une information fiable et c'est au vu de cette information que les agents économiques vont ajuster leur comportement et contribuer ainsi à la croissance économique. Un prix de marché envoie l'information que la fabrication d'un bien (ou d'un service) a coûté tant de dollars, tant d'euros ou de roupies de sansonnet pour être vendu avec profit. Immédiatement, quelque part dans le monde, un entrepreneur va chercher à le fabriquer encore moins cher à moins qu'il ne choisisse d'en produire un autre, de qualité supérieure, afin de le vendre au même prix. L'économie «administrée», qui fausse cette information par des subventions, des taxes spécifiques, des droits de douane particuliers, des blocages des prix, gêne l'allocation optimale des facteurs de production, la productivité, et de ce fait entrave la croissance. L'expérience récente montre toutefois que le comportement irrationnel, voire passionnel, des opérateurs sur les marchés financiers est de nature 116
à perturber tout autant le bon fonctionnement de l'économie de marché. Le système est confronté là à une contradiction fondamentale qu'il lui sera bien difficile de résoudre. Si le comportement des marchés financiers vient fausser la formation «économique» des prix, ne vont-ils pas être aussi pernicieux que les interventions publiques? Le problème s'est posé de manière particulièrement brutale en ce qui concerne les matières premières. Quels messages «pertinents» ont été envoyés aux producteurs (et aux consommateurs) de pétrole par un marché qui en 5 ans a fait passer le prix du baril de 40 à 140 dollars avant de le faire retomber à 38? Combien d'investisseurs dans le «pétrole vert» et autres éoliennes ne vivront que de subventions dans les années à venir? Un voyage dans le Golfe effectué au début de l'année 2009 m'a permis d'appréhender concrètement les conséquences dramatiques sur l'économie réelle, donc aussi sur les humains qui travaillent chaque jour pour créer des richesses, des billevesées du pétrole à 200 dollars le baril, dernier avatar de la démission de l'intelligence face aux aberrations des marchés financiers. Et quel avantage économique une entreprise trouvera-t-elle encore demain à être cotée? L'entrepreneur doit-il accepter d'être l'otage de jeux qui n'ont rien à voir avec ses objectifs et ses horizons? La cris(» (»st fini(»!
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La «faute» des traders qui influencent tellement les cours est en effet moins leur mode de rémunération censé induire des comportements pervers, que la totale ignorance de la réalité économique des «sous jacents» qu'ils traitent (l'actif «sous-jacent» est l'actif sur lequel porte un produit dérivé, comme un contrat à terme, par exemple; en l'occurrence le pétrole). Quant aux acquéreurs, on en a trop vu au cours des dernières années acheter non pas un portefeuille de crédits immobiliers, de matières premières ou de crédits LBO, mais un produit financier coté AAA ou B+, le «contenant» l'emportant sur le contenu. C'{l~t l{l rapport proflt/ri~qu{l de~ dirigeant~
qu'il faut changer Voici les questions fondamentales qui sont posées par la crise. Et elles ne risquent pas d'être réglées par les modifications réglementaires envisagées aujourd'hui lesquelles ne peuvent espérer améliorer le système qu'à la marge. Si d'ailleurs on voulait procéder à des modifications significatives, il faudrait prendre le rapport profit/risque des responsables en guise de fil rouge. Quand Alan Greenspan avoue avoir fait une erreur en pensant que les investisseurs et autres responsables financiers, éclairés sur le danger de leur comportement, le modifieraient en conséquence, il reconnaît une confusion, celle de 118
penser que les intérêts des dirigeants des institutions financières sont «raccord» avec ceux des établissements qu'ils dirigent. Car ceci n'est vrai que pour les banques dirigées par leurs propriétaires, mais ne l'est pas forcément pour les autres. Et c'est donc à partir de là qu'il convient de poser le problème des stocks-options des dirigeants car ce n'est pas tant le montant qui est en cause, que le principe. Pour ma part, j'en suis l'adversaire résolu depuis que j'ai entendu, il y a bien longtemps, François Michelin déclarer qu'il ne fallait pas octroyer un avantage patrimonial à celui qui a le pouvoir d'orienter la politique de l'entreprise sans pour autant assumer de risques patrimoniaux, sauf à prendre le risque de le voir privilégier le court terme sur le long terme. L'avantage des idées fortes c'est qu'elles sont simples. Si vous voulez éviter les comportements pervers, ne soumettez pas les individus à la tentation! Ce n'est pas un hasard si, dans le Notre Père, l'Église catholique a transformé la phrase «Ne nous laissez pas succomber à la tentation» par «Ne nous soumettez pas à la tentation », il s'agit là d'une reconnaissance de la faiblesse humaine dont on aurait intérêt à s'inspirer dans la vie laïque! Dans un autre ordre d'idée, et puisqu'il apparaît clairement que la collectivité ne peut pas laisser des établissements financiers importants faire La crise est Finie!
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faillite sans prendre un risque systémique (on l'a vu en septembre 2008 avec l'épisode Lehman), on peut se demander si le statut de société anonyme qui limite la responsabilité des actionnaires et des dirigeants est bien adapté. Selon le principe, vraiment fondamental cette fois, du système capitaliste, de l'égalité entre les profits et les risques, le fait qu'en dernier ressort le contribuable porte le risque final ne devrait-il pas imposer que les établissements financiers aient un statut de commandites ou de partnerships, qui entraîne la responsabilité des dirigeants sur leur patrimoine, plutôt que celui de sociétés anonymes, cotées de surcroît. Certains objecteront sûrement que cela limiterait leur développement. Je n'en suis pas sûr et même si c'était le cas, dans un monde en réseaux, l'existence de mastodontes couvrant tous les métiers sur tous les continents ne paraît pas indispensable. D'ailleurs, le gigantisme n'a pas fait preuve de sa supériorité lors de cette crise, bien au contraire. Ainsi, par exemple, nous n'avons pas vu l'intérêt que représentait pour un particulier le fait d'être géré par un «grand établissement» plutôt que par un petit. Mon expérience professionnelle me conduit à penser que la compétence se trouve au moins autant du côté des «petits ». Quant aux besoins des entreprises, un réseau d'organismes bancaires indépendants mais 120
habitués à travailler ensemble offrira tout autant de services qu'un grand établissement. Les éternels débats autour de l'aléa moral (caractérise le comportement d'un agent économique qui, dès lors qu'il est assuré contre un risque, néglige de prendre des précautions contre sa réalisation) et du too big to faiZ (littéralement «trop gros pour faire faillite») s'en trouveraient sinon réglés du moins vidés d'une partie de leur importance. Néanmoins il ne faut pas se faire trop d'illusions. Certes l'expérience montre que les crises administrent avec brutalité un certain nombre de leçons qui sont mises à profit ensuite par les agents économiques. On peut donc espérer que, au moins pour un certain temps, les investisseurs particuliers seront moins sensibles aux sirènes de ceux qui promettent des rendements mirifiques sans risques et que les institutionnels seront un peu plus attentifs au contenu des produits qu'ils achètent. C'est alors le moment d'avoir à l'esprit, à titre individuel, le modus operandi préconisé par John K. Galbraith: ne pas se laisser prendre au sentiment de son propre flair financier et s'imposer la plus grande prudence dès lors qu'un climat d'euphorie saisit le marché. Pour conclure, j'ajouterai que, pour être «séparé définitivement de son argent », il faut non seulement se laisser aveugler par «l'appât du gain », mais être La cri~e e~t finie!
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dominé par «la peur de perdre» et donc vendre au plus bas après avoir acheté au plus haut! Car le mécanisme de la «mal information» fonctionne dans les deux sens. Ceux qui n'ont pas vu arriver la crise l'ont niée dans un premier temps, avant de prétendre la cantonner, aux États-Unis d'abord, au monde émergé ensuite, pour finir par annoncer la fin du monde, comme si le côté exceptionnel et dramatique de l'évènement permettait d'oublier le fait qu'ils n'avaient rien vu venir.
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ConclU5ion Depuis des mois, on nous annonce un nouveau 1929. D'éminents «experts », dont l'habileté à être conseillers des princes l'emporte nettement sur les preuves de leur lucidité passée, font leurs choux gras d'annonces catastrophistes qui ne seront pas portées à leur débit quand la mer redeviendra étale. Au fur et à mesure que le spectre de 1929 s'éloigne, d'autres peurs apparaissent. Ainsi nous sortirions de cette crise par un scénario «à la japonaise », c'est-àdire une quasi-stagnation de la croissance en valeur sur dix ans. Disons-le tout de suite, si un tel scénario ou un scénario similaire est imaginable en zone euro, il est totalement impossible aux États-Unis car ce qui a fait la marque de fabrique de la crise japonaise n'est pas l'éclatement de la bulle en 1990 mais la manière dont elle n'a pas été traitée. Ni baisse des taux, ni déficit budgétaire pour soutenir l'activité, ni restauration des fonds propres bancaires. Dans ce cas, comparaison n'est pas raison mais seulement fruit de l'ignorance. Conclusion
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Qu'à cela ne tienne, si le Charybde de la déflation ne nous menace pas c'est que l'on va tomber dans le Scylla de l'inflation à deux chiffres façon années 1970. Compte tenu des interventions massives des banques centrales et du gonflement de leurs bilans, deux peurs sont en effet apparues. Les monnaies finiraient par être déstabilisées par le fonctionnement de la «planche à billets» : les banques centrales augmentent tellement la base monétaire (la monnaie qu'elles créent) que, tôt ou tard, cela produira une fuite devant la monnaie et l'épargne ira «ailleurs» (vive l'or)! Sinon, tout cet argent créé par les banques centrales finira par se déverser dans les prix et provoquer un nouvel épisode d'hyperinflation. Les prophéties catastrophistes fondées sur la «planche à billets» oublient toutefois que le temps n'est plus celui de l'étalon or. Lorsque la monnaie en circulation avait pour contrepartie fixe le stock d'or détenu, si on imprimait des billets sans que le stock d'or augmente, la monnaie perdait automatiquement de sa valeur et il fallait dévaluer. À cette époque, le crédit bancaire existait peu. Base monétaire et masse monétaire se confondaient pratiquement. Aujourd'hui, la monnaie créée par la banque centrale n'est qu'une faible partie de la masse monétaire en circulation surtout constituée de crédits bancaires. 124
Les chiffres américains, fin mars 2009, donnent 1 586 milliards de dollars pour la base monétaire et 9 790 milliards pour les crédits des seules banques commerciales. Si le crédit se contracte, il faut que la base monétaire augmente fortement pour compenser la destruction de la masse monétaire, conséquence de cette contraction. L'expérience japonaise a justement montré que, de 1994 à 2003, la «Bank of Japan» n'est jamais parvenue à créer autant de monnaie que celle qui était détruite par le système bancaire. Il est en réalité impossible de savoir aujourd'hui s'il y aura demain un risque inflationniste car celui-ci ne saurait être la conséquence de la politique actuelle dont l'objectif est de combattre la déflation mais éventuellement de celle qui, en cas de succès, sera suivie dans une étape ultérieure. Si, après la reconstitution des bilans bancaires, les banques centrales ne remontent pas très rapidement leurs taux, un accroissement exagéré des crédits peut tout à fait advenir: les agents économiques auront envie de profiter de taux nominaux et réels faibles et les banques de taux de refinancement très bas. C'est à ce moment-là qu'il faudra apprécier la qualité de la politique monétaire des banques centrales. En outre, pour que cet excès de monnaie éventuel débouche sur une hausse des prix, il faudrait que des politiConclusion
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ques protectionnistes l'empêchent de se déverser à l'étranger par l'entremise des déficits des comptes extérieurs. En revanche, s'il n'y a pas de retour du protectionnisme, les actifs redeviendraient, selon l'expression de Jacques Rueff, l'égout collecteur de la monnaie! Nous aurions alors une nouvelle bulle. Hypothèse sans doute la plus probable dans ... un certain nombre d'années. En attendant, il est temps pour ceux qui avaient «mis les chariots en cercles» de se hasarder à nouveau hors du cercle. Certes, nombre d'éclaireurs qui palabrent autour du feu de camp n'ont pas vu que les Indiens sont partis (et que la cavalerie américaine arrive) mais comme ils n'avaient pas vu non plus les Indiens arriver, il n'est pas nécessaire d'attacher une trop grande importance à leurs pronostics.
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Bibliographie
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Table des matières 7
1ntroduction Où il est question du «bon bout de la raison»
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La crise d'endettement se transforme en bombe atomique
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Il ne suffit pas de dire qu'il y a des coupables
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Comment pchapper aux ravages du consensus
70
La crise est finie!
100
Conclusion
123
Bibliographie
127
Imprimé en France par CPI-Hérissey à Évreux (Eure) Dépôt légal: juin 2009 303380-01111009195 -juin 2009 - N° 111485 ~,~
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,u fllCh'\ilLe, réputé soucieux de la rentabilité de son
épargne et de l'avenir de ses enfants, le trader, préoccupé de satisfaire les exigences purement financières de ses patrons, et l'expert, dont la profession consiste, en toute impunité,
à prédire l'avenir et donner des leçons, sont les trois héros d'une fable moderne aux conséquences désastreuses,
À contre-courant des idées reçues, Marc de Scitivaux nous explique pourquoi toute crise financière est avant tout une défaite de la raison, Mais n'est-ce pas également le passage obligé des économies libres?
Marc de Scitivaux dirige depuis vingt ans une société de stratégie en « allocation
d'actifs" pour des institutions financières,
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VH!i collection dirigée par Jacques Marseille
PRIX FRANCE TTC
9,90 €
ISBN 978-2-03-584810-9
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9 782035 848109 5598305
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