LE SYSTÈME DE SANTÉ QUÉBÉCOIS: UN MODÈLE EN TRANFORMATION
DERNIERS TITRES PARUS DANS LA COLLECTION , Journal of the ...
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LE SYSTÈME DE SANTÉ QUÉBÉCOIS: UN MODÈLE EN TRANFORMATION
DERNIERS TITRES PARUS DANS LA COLLECTION << POLITIQUE ET ÉCONOMIE»
Denis
MoNIÈRE,
Démocratie médiatique et représentation politique.
Sous la direction de Philippe Faucher, avec la collaboration de Kevin Fitzgibbons et Olga BosAK, Grands projets et innovations technologiques au Canada.
POLITl��Etc □
NCMIE
Le système de santé québécois Un modèle en transformation
Sous la direction de
CLERMONT BËGIN • PIERRE BERGERON PIERRE-GERLIER FOREST • VINCENT LEMIEUX
LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Données de catalogage avant publication (Canada)
Vedette principale au livre :
Le système de santé québécois : un modèle en transformation (Politique et économie) Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-7606-1733-5 Santé, Services de - Réforme - Québec (Province). Politique sanitaire - Québec (Province). 3. Santé, Services de - Québec (Province) - Finances. 4. Santé, Services de - Administration - Québec (Province). I. Bégin, Clermont. n. Titre. m. Collection: Politique et économie (Presses de l'Université de Montréal). 1.
2.
RA395.c3s97
1999
Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère du Patrimoine canadien du soutien qui leur est .accordé dans le cadre du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition. Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). Dépôt légal: I er trimestre 1999 Bibliothèque nationale du Québec © Les Presses de l'Université de Montréal, 1999
Table détaillée
Liste des auteurs
15
Avant-propos
19
Introduction
2I
PREMIÈRE PARTIE LES PRINCIPES ET LES NORMES
Introduction Les questions d'éthique sociale dans le système de santé québécois La question éthique au Québec L'éthique entre l'individuel et le social Le problème de l'équité Les régimes d'équité Au-delà du dualisme Le pluralisme en pratique Les normes centrales et les politiques de santé Les normes centrales et le domaine de la santé Qu'est-ce qu'une norme? Les normes dans les systèmes de santé
53 54 54 56
Le développement des normes centrales en santé Les réactions du Québec aux normes centrales L'application des normes centrales Les normes centrales définies par la Loi canadienne sur la santé La mise en vigueur des normes centrales L'impact des normes centrales L'individualité des systèmes provinciaux de santé Les contraintes sur l'action des provinces L'institutionnalisation du rôle du gouvernement fédéral Les forces en présence dans la politique de la santé L'avenir des normes centrales L'adaptation des services de santé et des services sociaux au contexte pluriethnique Quelques définitions La connaissance des clientèles pluriethniques Le contexte pluriethnique des services de santé et ses implications Accessibilité et qualité des services Conclusion
58 59 61 61 64 66 66 67 69 70 72 77 80 84 86 88 93
DEUXIÈME PARTIE
LE FINANCEMENT ET LE PAIEMENT DES RESSOURCES
Introduction Le financement des services de santé au Québec Les différents modes de financement Les caractéristiques propres à la santé Les assurances privées ou publiques Les systèmes fiscalisés Le financement provenant des usagers Une comparaison du financement des systèmes de santé canadien et québécois avec ceux des pays de l'OCDE Les coûts totaux Couverture de la population et des soins et coûts administratifs Le financement du système de santé du Québec
97 101 101
102 103 104 ro 5 106 106 no r I2
Les différentes sources de financement du système québécois Les sources du gouvernement du Québec Les transferts fédéraux Les sources privées Conclusion
Les mesures incitatives et le paiement des ressources Logiques de régulation et mesures incitatives Les quatre logiques de régulation du système de santé L'institutionnalisation des logiques de régulation: organisation des mesures incitatives Mesures incitatives et décisions des acteurs Variabilité des mesures incitatives Les acteurs et leurs décisions Appréciation des mesures incitatives: les buts paradoxaux du système de soins Les buts du système de santé: l'équité, la liberté et l'efficience Les tensions irréductibles entre ces objectifs Les incitations liées aux modalités de paiement des médecins Les modalités de paiement Modalités de paiement et transformations du système de santé La place du médicament dans le système de santé du Québec Un survol international de politiques des médicaments Le médicament : un bien presque « médicalement nécessaire » Les organismes concernés par la régulation des médicaments L'assurance-médicaments du Québec Historique Le régime d'assurance-médicaments L'utilisation du médicament au Québec La consommation au Québec La place du médicament dans les objectifs du système de santé Conclusion
II 2
n4 I I7 n8 I2o I 23
I25 I 26
I3 0 134 135 136 138 1 39 140
142 143 146 14 9 150 152 1 54
156 156 158 160 161 162 166
TROISIÈME PARTIE L'ORGANISATION ET LA GESTION
Introduction
171
La décentralisation : panacée ou boîte de Pandore ? La décentralisation : ses définitions La déconcentration La délégation La dévolution La privatisation La décentralisation : ses fonctions La décentralisation : ses motifs Le cas du réseau québécois de la santé La réforme de 1971 La réforme de 1991 Un phénomène récent: le développement de la privatisation La décentralisation dans quelques pays Les États-Unis La Suède L'Espagne La Nouvelle-Zélande Le Royaume-Uni Les critères d'évaluation des différents types de décentralisation Les scénarios de décentralisation envisageables
173
La gestion des établissements de santé au Québec La gestion: une pratique contextualisée Une typologie des rôles de chef d'établissement de santé La gestion des établissements de santé au Québec La gestion avant l'entrée en vigueur de l'assurancehospitalisation 1961-1970. La gestion sous la loi de l'assurancehospitalisation 1970-1992. La gestion, d'une réforme à l'autre 1992-2000. La gestion sous l'actuelle réforme La gestion des établissements de santé au début du XXIe siècle
177 177 178 181 183 183
184 186 187 188 188 188
190 192
19 5 197 199
204 20 5
206 209 216 219
La réforme de la réforme Concurrence et intégration des services Le champ contemporain de la santé publique Les traits fondamentaux du champ contemporain de la santé publique La délimitation floue et changeante des frontières du champ Le fractionnement du champ Le contexte public d'utilisation des connaissances Une caractérisation additionnelle des traits fondamentaux du champ contemporain de la santé publique à partir des cas anglais, français et américain Le contexte public d'utilisation des connaissances: caractéristiques organisationnelles à considérer La délimitation floue et changeante des frontières du champ: variations autour des types de problèmes traités et des mesures retenues Un corpus de connaissances éclaté: savoirs et compétences Le champ contemporain de la santé publique. Le cas du Québec Une organisation décentralisée des services de santé publique vers les provinces à situer au regard du système fédéral canadien Une délégation des responsabilités aux autorités régionales de gestion des services de santé Une ouverture aux problèmes psychosociaux et socio-économiques des communautés et un éventail de mesures Un corpus de connaissances doublement fractionné Conclusion
221 222
229 2 32 2 34 23 6 237
23 9
24 I 246 249 25 2
252 25 3
25
4 25 6 25 7
QUATRIÈME PARTIE VÉVALUATION ET LE CHANGEMENT Introduction L'évaluation dans le domaine de la santé : conceptions, courants de pensée et mise en œuvre Qu'est-ce que l'évaluation? Trois conceptions interdépendantes et complémentaires Les courants de pensée en évaluation : fondements ontologiques et épistémologiques Les démarches et les modes de mise en œuvre de l'évaluation Les démarches La mise en œuvre des évaluations Conclusion Les arrangements institutionnels d'évaluation dans le domaine de la santé Les modalités des arrangements institutionnels de l'évaluation des technologies et des pratiques professionnelles dans le domaine de la santé Quelques expériences étrangères Les modalités des arrangements institutionnels de l'évaluation de l'organisation des services de santé L'évaluation de la conformité : l'accréditation des établissements de santé Quelques expériences étrangères Le suivi et la surveillance dans l'organisation des services Quelques expériences étrangères L'évaluation par les consommateurs
Les arrangements institutionnels de l'évaluation : les enjeux Les arrangements institutionnels de l'évaluation dans le processus de gouverne et de gestion Les conséquences des arrangements institutionnels de l'évaluation sur les préoccupations de conformité, de suivi-surveillance et de légitimation Conclusion
26 r 26 5 266 266 269 270 2 70 273 2 79 28 3 28 5 288
292 292 293 29 5 297 299
301 302 30 5 308
Les approches au changement dans les systèmes de santé Qu'est-ce que le changement organisationnel ? L'approche classique L'approche contingente L'approche du comportement organisationnel L'approche politique Les approches a u changement dans le système de santé québécois Une approche à privilégier ? Le changement et l'évaluation Conclusion
3 13 3 14 3 17 3r 8 320 32 1
Résumé de l'ouvrage Première partie: Les principes et les normes Deuxième partie : Le financement et le paiement des ressources Troisième partie: L'organisation et la gestion Quatrième partie: L'évaluation et le changement Les principaux enseignements de l'ouvrage
341 34 1 346 34 9 35 2 35 5
Conclusion
3 59
Notes
365
Bibliographie
3 93
3 22 330 333 337
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Liste des auteurs
Delphine ARWEILER, agente de recherche, Groupe de recherche interdisci plinaire en santé, Université de Montréal. * Clermont BÉGIN, professeur titulaire, Département de management, Faculté des sciences de l'administration, Université Laval. *Pierre BERGERON, directeur de la recherche, Institut national de santé publique du Québec et professeur de clinique, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de médecine, Université Laval. François CHAMPAGNE, professeur titulaire, Département d'administration de la santé, Faculté de médecine et chercheur, Groupe de recherche inter disciplinaire en santé, Université de Montréal. Caroline CHAPAIN, étudiante au doctorat, Études urbaines, INRS Urbanisation. André-Pierre CoNTANDRIOPOULOS, professeur titulaire, Département d'ad ministration de la santé, Faculté de médecine et chercheur, Groupe de recherche interdisciplinaire en santé, Université de Montréal. *Louis DEMERS, professeur, Unité d'enseignement et de recherche, Travail, économie et gestion, Télé-université. �•Membres du Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé.
I6
Le système de santé québécois
Jean-Louis DENIS, professeur agrégé, Département d'administration de la santé, Faculté de médecine et chercheur, Groupe de recherche interdis ciplinaire en santé, Université de Montréal. Yvon DUFOUR, Senior Lecturer, Strategic Management, Macquarie Graduate School of Management, Sydney. * Albert DuMAS, consultant en organisation. *Pierre-Gerlier FOREST, professeur agrégé, Département de science politique, Faculté des sciences sociales, Université Laval. *Jean-Paul FORTIN, professeur, Département de médecine sociale et pré ventive, Faculté de médecine, Université Laval et Centre de santé publique de Québec. Marc-André FOURNIER, agent de recherche, Groupe de recherche interdis ciplinaire en santé, Université de Montréal. *France GAGNON, professeure, Unité d'enseignement et de recherche, Travail, économie et gestion, Télé-université. André JEAN, agent de recherche, Direction de la recherche et de l'évaluation, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. *Pierre JouBERT, chercheur, Centre de santé publique de Québec et pro fesseur associé, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de médecine, Université Laval. *Lise LAMOTHE, professeure adjointe, Département de management, Faculté des sciences de l'administration, Université Laval. *Vincent LEMIEUX, professeur titulaire, Département de science politique, Faculté des sciences sociales, Université Laval. Antonia MAroNI, professeure agrégée, Département de science politique, Faculté des Arts, Université McGill et professeure associée, Département d'administration de la santé, Faculté de médecine, Université de Montréal. Daniel REINHARZ, chercheur, centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec, pavillon Saint-François-cl' Assise. Louise ROUSSEAU, agente de recherche, Groupe interdisciplinaire en santé, Université de Montréal. Sylvie RHEAULT, économiste, Direction de la recherche et de l'évaluation, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Robert SÉVIGNY, directeur scientifique, Centre de recherche et de formation, CLSC Côte-des-Neiges, Centre affilié universitaire. Michèle SAINT-PIERRE, étudiante au doctorat, Département de management,
Liste des auteurs
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Faculté des sciences d e l'administration, Université Laval. Louise TREMBLAY, agente de recherche, CLSC Côte-des-Neiges, Centre affilié universitaire. '�Jean TuRGEON, professeur, École nationale d'administration publique. François VAILLANCOURT, directeur de recherche, Centre de recherche et développement en économie {CRDE) et professeur titulaire, Département de sciences économiques, Université de Montréal.
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Avant- propos
CET OUVRAGE est une production du Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé et il poursuit la réflexion que celui-ci avait amorcée en r994 dans Le Système de santé au Québec. Organisations, acteurs et enjeux. Le Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé est un organisme sans but lucratif regroupant, depuis r988, des chercheurs de l'Université Laval, de l'École nationale d'adminis tration publique, de la Télé-université, de la Direction de la santé publique de la région de Québec et de l'Institut national de santé publique du Québec. Les membres de ce Réseau s'interrogent sur l'évolution des systèmes de santé à travers diversef collaborations de recherche et d'enseignement, de même qu'à travers l'organisation de colloques annuels et la production d'ouvrages collectifs. Ils s'effor cent ainsi de prendre du recul sur les façons de penser et d'agir et de proposer des interprétations qui prennent en compte toute la com plexité sociopolitique et organisationnelle de ce secteur. En même temps, ce regroupement vise à favoriser les échanges entre les cher cheurs de diverses disciplines, mais aussi à ouvrir la discussion avec les acteurs mêmes du secteur de la santé.
20
Le système de santé québécois
L'effort collectif est au cœur de cet ouvrage. Celui-ci a été produit sous la direction conjointe de quatre membres du Réseau. La quasi totalité des chapitres est le fruit de collaborations entre plusieurs auteurs, membres du Réseau et contributeurs externes. Enfin, les premières versions des chapitres ont été discutées en groupe lors de séances de travail du Réseau de recherche. La mise en forme de l'ensemble du manuscrit représente une étape cruciale dans la réalisation d'un ouvrage collectif. À cet égard, nous tenons à remercier Isabelle Garon qui a revu l'ensemble des chapitres et des textes d'introduction et de conclusion de même qu'Hélène Girard et Liette Vézina qui ont révisé le manuscrit.
I ntroduction
Q uELQUES JOURS AVANT LA PARUTION, en sep tembre I 994, d'un premier ouvrage collectif de notre réseau de recherche, intitulé Le Système de santé au Québec, un gouvernement du Parti québécois succédait à celui du Parti libéral. Deux ans plus tard, au Sommet sur l'économie et l'emploi, le gouvernement s'en gageait à atteindre, en l'an 2000, le déficit zéro, soit à ne plus avoir de dépenses courantes qui excèdent ses recettes. Cet engagement allait accélérer, dans le domaine de la santé, des transformations déjà amorcées depuis quelques années. Le deuxième ouvrage du Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé ne cherche pas à faire la mise à jour du Système de santé au Québec. Il ne porte pas directement sur les transformations récentes du système, car il est trop tôt pour en faire le bilan. Notre objectif est plutôt de soulever un certain nombre d'interrogations sur ces transformations. Davantage que dans le pre mier ouvrage, les auteurs présentent leurs propos dans une optique comparative. En effet, si les transformations actuelles se font de façon plus accélérée au Québec qu'ailleurs, les enjeux en sont à peu près les mêmes.
22
L e système de santé québécois
Si on prend la notion de système au sens strict, en s'inspirant de la systémique, on peut identifier quatre grands problèmes d'organisa tion et de fonctionnement mis en évidence par les transformations actuelles. Ces grands problèmes correspondent aux quatre parties de l'ouvrage. Un système est un ensemble d'éléments, reliés entre eux, qui vise l'atteinte d'objectifs, officiels ou opérationnels. Dans un système èomplexe comme celui de la santé, des documents comme la Poli tique de la santé et du bien-être ( 1992) ou encore Le Défi « qualité performance » ( 1993c) n'identifient que des objectifs officiels du gouvernement québécois, auxquels il faut ajouter les objectifs du gouvernement central, à Ottawa, et ceux des multiples décideurs dont les actions définissent les configurations nouvelles du système de santé. La première partie de l'ouvrage propose un certain nombre d'interrogations sur les principes et les normes qui doivent guider le système de santé. Un système a la capacité que lui confèrent les ressources finan cières, humaines et informationnelles dont il dispose. Aux décideurs gouvernementaux qui prétendent que les transformations du système de santé étaient nécessaires pour s'ajuster aux changements techno logiques, pour contenir les coûts et pour assurer une meilleure utili sation des ressources humaines, s'opposent les analystes qui estiment que le système a été mis en crise par la politique de réduction du déficit, et que les décideurs n'ont pas suffisamment tenu compte des motivations de ceux et celles qui ont eu à vivre les transformations. À partir de l'année budgétaire 1 99 5-1996, les crédits consacrés au domaine de la santé ont diminué. C'est le domaine qui contribue le plus à la réduction des dépenses gouvernementales. La deuxième partie de l'ouvrage, même si elle ne porte pas directement sur les conséquences des compressions, s'intéresse au financement des ser vices de santé au Québec, au paiement des ressources et aux inci tations des acteurs qui participent au système de santé, ainsi qu'au régime d'assurance-médicaments au Québec. Les transformations du système de santé ont aussi consisté en une reconfiguration du réseau des établissements. Quelques hôpitaux ont été fermés, d'autres ont changé de vocation, il y a eu fusion d'éta blissements et des tentatives pour donner une place plus importante à la santé publique. Les transformations ont aussi mis en évidence l'autonomie réduite des régies régionales, qui sont apparues davan-
Introduction
23
tage comme des instruments du Ministère que comme des porte parole de la population. La troisième partie de l'ouvrage porte, dans une optique comparative, sur des formes décentralisées de gestion des systèmes de santé, et montrent les avantages mais aussi les limites des transformations récentes. Enfin, il est extrêmement difficile de donner un portrait complet de ce qui se transforme dans le système, car tout change en même temps, et les nouveaux changements en entraînent d'autres, par des effets de rétroaction amplificatrice. Il est par contre évident que l'évaluation des transformations porte rarement sur la pertinence des choix politiques. Dans la quatrième et dernière partie de l'ouvrage, des interrogations sont donc soulevées sur les thèmes du changement et de l'évaluation. Au début de chacune des parties de l'ouvrage, le lecteur trouve une présentation des thèmes et des interrogations qui viennent d'être signalées. À la fin de l'ouvrage, un sommaire reprend l'essentiel des idées développées dans chacun des chapitres et dégage les principaux enseignements qu'on peut tirer de chacune des quatre parties. La conclusion générale est suivie d'une section regroupant les notes de chacun des chapitres. Enfin, une bibliographie regroupe tous les titres cités dans les différents chapitres.
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P R E M I È R E PA RT I E
Les p ri n ci pes et les normes
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LA QUESTION DES VALEURS et des normes n'est pas
nouvelle dans les systèmes de santé. Les grands systèmes publics Grande-Bretagne, Suède, Allemagne, Canada, etc. - ont trouvé leur raison d'être dans des principes tels que la compassion ou la solida rité nationale. Même l'exception américaine, c'est-à-dire l'édification d'un système de santé moderne dans lequel la puissance publique ne joue qu'un rôle secondaire, trouve sa justification dans des argu ments moraux comme la liberté de choix ou l'égalité des chances (Daniels, Light et Capian, 1996). Le problème posé par les normes est un peu différent, peut-être parce qu'il est plus difficile de s'entendre sur la définition de ce qu'est exactement une «norme» - en comparaison avec une «règle», une « loi » ou une «obligation», par exemple (Ullmann Margalit, 19 77 : 1 2- 1 3 ). Toutefois, l'étude sociologique des métiers de la santé a déjà fait un usage très libéral de cette notion, en mettant en évidence le rôle des pressions implicites ou explicites qui encou ragent les conduites indispensables à la cohésion et au fonction nement des groupes professionnels.
28
Le système de santé québécois
Les trois chapitres qui composent cette première partie se situent dans cette tradition de réflexion sur les valeurs ou les normes des systèmes de santé. Mais dans chacun de ces chapitres, on a aussi choisi de varier la perspective, pour en faire ressortir les enjeux. Robert Sévigny et Louise Tremblay s'intéressent à la façon dont les services de santé et les services sociaux s'adaptent à la trans formation ethnique et culturelle de la société québécoise. D'une part, ce travail met en évidence les résistances qui proviennent du service public - principe d'uniformité - et des professionnels - norma lisation des pratiques thérapeutiques. D'autre part, il fait apparaître des voies de transformation qui ne reposent pas seulement sur la confrontation des personnes ou des connaissances, mais aussi sur de nouveaux modes de légitimation et sur l'apparition de repères sociaux et moraux différents. On notera qu'au Québec, la société avait une longue expérience de la distinction culturelle dans le domaine sanitaire et social, du fait de l'existence séculaire d'un réseau d'institutions anglophones, d'établissements contrôlés par cer tains groupes nationaux ou religieux, sans compter le système parti culier des services destinés aux autochtones. Dans ces conditions, il est surprenant que la transformation des services et des pratiques se présente si souvent comme un choc et comme une mise en cause des acteurs et des légitimités. La recherche d'Antonia Maioni est également fort intéressante, parce qu'elle montre la capacité qu'ont quelques normes simples et plutôt consensuelles d'engendrer de grands dispositifs institutionnels et d'encadrer un système aussi complexe que le système de santé du Canada. À première vue, la régulation du système de santé canadien repose sur trois éléments: les professions de santé, l'initiative administrative et politique des gouvernements provinciaux, et un ensemble de référents imposés par le gouvernement central. Mais alors que le milieu professionnel éprouvait une certaine difficulté à se réguler lui-même, et que les provinces étaient tentées par des expé riences qui risquaient de déstabiliser le système public, les normes « nationales » ont joué un rôle de plus en plus décisif, ne serait-ce qu'en raison de leur capacité d'évoluer en fonction des changements économiques et sociaux. En fait, si l'on peut parler d'un modèle « canadien » de système de santé, comme il y a un modèle allemand ou un modèle britannique, cela tient certainement pour une bonne part à cette idée d'une régulation fondée sur des normes d'obligation,
Les principes et les normes
29
démocratiquement établies, plutôt que sur un contrôle bureaucra tique ou sur les lois du marché. Aucun des choix qui président à l'institution d'une norme ou à la diffusion d'une valeur n'est intuitif ou spontané. Le chapitre rédigé par Pierre-Gerlier Forest tente de mettre au jour les mécanismes politiques et sociaux qui conduisent à ces choix, en montrant les tensions entre différentes conceptions de l'éthique sociale, telle qu'elle s'applique dans le système de santé. L'apparente simplicité des valeurs et des normes ne doit pas non plus dissimuler les conflits d'interprétation qu'elles suscitent. Ainsi, ceux qui pensent que le principe d'équité cadre bien avec les métamorphoses actuelles de l'État, entre mondialisation et crise financière, ne le définissent pas de la même manière que ceux qui s'interrogent sur d'éventuels reculs de la protection sociale ou sur l'érosion du politique au profit de l'économique. La même chose peut se dire, à l'évidence, de l'égalité, de la justice ou même de la moralité, pour citer des notions fréquem ment invoquées dans les débats publics. Cette présentation rapide ne peut rendre justice à des travaux qui tentent aussi de s'interroger sur l'évolution des valeurs et de revenir aux origines historiques et aux fondements normatifs du cadre dans lequel ces conceptions sont produites, contrôlées et diffusées.
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Les q uestions d 'éth ique sociale d an s le système de santé q uébécois
P I E R R E - G E R L I E R F O R E ST
avec l a co l l aborat i o n d e An d ré J e an
p
A S D E SYSTÈME D E SANTÉ, quel qu'il soit, sans un principe interne de nature morale, sans une sorte de « règle de justice » au moins sommeillante, sans un ensemble de valeurs, même frustes et sans grande cohérence, auxquels on peut faire appel pour résoudre les difficultés imprévues ou les problèmes qui résistent aux solutions de routine. Comme l'avait montré Asa Briggs, ce raison nement vaut d'ailleurs pour l'État-providence tout entier, dont les interventions obéissent à quelques grands principes rassembleurs : aider les personnes disposant de très faibles ressources, protéger les individus et les familles contre les conséquences économiques de la maladie, de la vieillesse ou de l'invalidité, assurer l'exercice concret et généralisé des droits « sociaux », notamment par la prestation de services publics (Briggs, 1961 : 228-232). Mais à l'exception de ces préceptes à caractère universel, « que tout le monde est d'accord pour [ . . . ] reconnaître (Jacobs, 1995 : 4 5 ) », il n'est pas facile de formuler clairement les principes ou les valeurs fondatrices du système, car leur mise en œuvre se fait souvent de façon très intuitive 1 • Ce sont habituellement des règles tacites, enracinées dans la tradition et la culture, plutôt qu'un véritable cadre
32
Le système de santé québécois
philosophique ou idéologique. Il apparaît pourtant que leur existence conditionne l'identité et le fonctionnement d'un système de santé tout autant que les institutions, les techniques ou la division du travail professionnel. Sans un critère « normatif » ou « éthique » , on pourrait même penser que le système sociosanitaire se transforme sans cesse, au gré des réformes et des initiatives gouvernementales, des innovations technologiques ou des querelles de territoire entre les métiers de la santé, alors qu'il conserve justement son caractère spécifique sur de longues périodes. Du reste, c'est un peu ce que Aaron et Schwartz ( I9 84) avaient découvert dans leur fameuse étude comparée des systèmes de santé américain et britannique. Ils ont montré que la différence entre ces deux systèmes ne tenait pas à la qualité des soins médicaux ou même aux modalités du financement, pourtant très éloignées, mais bien à la manière dont les Américains et les Britanniques concevaient et concrétisaient la justice ou la responsabilité sociale : les critères d'accès ou d'exclusion, les droits et les obligations des individus, les mécanismes d'arbitrage et de décision. La même conclusion pourrait s'appliquer à l'observation et à l'analyse de n'importe quel autre système de santé d'un pays de l'OCDE, surtout quand on tient compte de la forte convergence des facteurs sociaux, économiques et même épidémiologiques entre les pays de cette organisation - le Québec ne faisant certes pas exception (MSSS, I 995a). La dépendance mutuelle de l'éthique et des conditions sociales, économiques ou politiques s'est souvent forgée sur le terrain, au chevet des malades ou dans l'intimité des décideurs. Ce sont des questions difficiles, dont l'analyse est encore peu développée, pour des raisons qui tiennent autant à l'évolution de la bioéthique (Rodwin, I993: 49-50) qu'à la méfiance des spécialistes de poli tiques publiques, fuyant les problèmes normatifs au nom de l'ob jectivité scientifique (Zajac, 1 995 : 69-78). Nous préférons donc en préciser d'abord la nature, en prenant l'exemple du Québec, avant de prendre position, dans la suite du chapitre, sur certaines questions éthiques de portée plus générale. La conclusion nous ramènera cependant au niveau des choix individuels, car il faut s'interroger sur une évolution récente qui abandonne aux acteurs de proximité (professionnels, administrateurs, usagers) le soin d'allouer les soins et les services, sans autres critères que le rapport des forces ou les valeurs personnelles.
Les questions d'éthique sociale dans le système de santé québécois
33
La question éthique au Québec
Il est d'usage de faire naître la bioéthique aux États-Unis, au début des années 1970 (Doucet, 1996). Cependant, les conditions qui en ont favorisé l'émergence et le développement se situent en amont de cette date. En effet, il y a au moins quarante ans que la recherche bio médicale se trouve au centre d'un questionnement systématique sur sa finalité sociale ou sur les conditions propres à son exercice. Dans le premier cas, le problème réside surtout dans la tension qui s'est installée entre les personnes convaincues de bien servir l'humanité en poursuivant librement leurs travaux scientifiques - ou qui feignent d'ignorer les pressions exercées par les commanditaires de la recherche - et celles qui voudraient mobiliser la médecine et la biologie pour de grandes causes: le sida, par exemple, ou la santé mentale. Dans le deuxième cas, il s'agit surtout d'encadrer l'utilisa tion en recherche des sujets humains, en rompant avec les abus commis dans les années 1940, notamment au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les dix articles du Code de Nuremberg, en 1947, les déclarations d'Helsinki, en 1964, et de Tokyo, en 1975, sont autant de jalons historiques de ce mouvement que l'Organisation mondiale de la santé a relayé à partir de 1981 (Ambroselli, 1989). Si la bioéthique est apparue dans le prolongement des contro verses à propos de la recherche dans les sciences de la vie et de la santé, elle couvre cependant une réalité plus large. Elle ne vise pas seulement la maîtrise des innovations thérapeutiques ou les pro blèmes directement issus de la « révolution biologique », mais elle concerne la pratique médicale dans son ensemble. En fait, elle est venue se superposer à la déontologie médicale - l'antique morale hippocratique - plus qu'elle ne lui a vraiment succédé, à la fois comme mode de régulation et comme réflexion sur l'acte théra peutique, de la prévention au traitement des maladies. Dans ce con texte, on parle d'ailleurs souvent d'éthique médicale et même d'éthique clinique, un champ qui possède ses propres normes, voire sa propre structure professionnelle - les consultants en éthique cli nique ou clinical ethicists, bien implantés dans le système médico hospitalier nord-américain (Hiller, I986). La naissance, en juillet I978, du premier enfant conçu in vitro, en frappant les esprits au-delà des cercles scientifiques et médicaux, donnera une impulsion supplémentaire aux questions de bioéthique.
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Le système de santé québécois
Elles firent alors l'objet de débats dans des forums plus larges, inté ressant par exemple les groupes féministes (techniques de repro duction} ou même les grands médias (euthanasie), alors que le public n'avait été saisi jusqu'alors que des aspects les plus positifs des progrès de la médecine. Comme on s'en doute bien, ce question nement accompagne le déclin des obligations religieuses et l'émer gence de conceptions du bien moral fondées sur d'autres bases: la réalisation des intérêts personnels ou le respect de règles décidées en raison (Dion, 1997 : I I4). Avec un décalage de quelques années, on peut observer au Québec une évolution identique, de l'apparition de la bioéthique à l'Univer sité et dans les hôpitaux à la fin des années 1970 jusqu'à l'influence exercée plus récemment sur les politiques ou l'intervention sociale. La fondation en 1976 du Centre de bioéthique de l'Institut de recherche clinique de Montréal, sous la direction de David J. Roy, est un repère commode pour dater l'origine de ce mouvement, présenté aux médecins canadiens par le directeur scientifique de l'Institut comme « [ • • • ] un moyen très efficace pour notre profession de reconquérir le leadership social dont notre société a tellement besoin et qu'aucun groupe ne peut lui fournir (Genest, 1977 : 4 3 3 -434). » En parallèle se mettent en place des groupes de recherche universitaires, occupés par les questions désormais classiques de la bioéthique : la reproduction humaine, la génétique et la prédiction des maladies, l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, etc. Plus tardivement, une réflexion théorique prendra forme pour tenter de cerner le domaine et les méthodes propres à la bioéthique, au-delà d'une liste de problèmes et de règles de comportements « acceptables » (Durand, 1989). Sur le plan hospitalier, la progression des comités d'éthique est un phénomène majeur qui a contribué à diffuser l'habitude du question nement bioéthique. Mis en place en 1 9 67, le premier comité d'éthique québécois avait été créé au Centre hospitalier Douglas pour encadrer et superviser la recherche, sur le modèle des comités permanents (Institutional Review Boards) institués dans les hôpitaux et les centres de recherche américains l'année précédente (Jean et coll., 199 1 ; Rodwin, 1993 : 46-48). En se multipliant, les comités hospitaliers vont aussi s'éloigner du domaine de la recherche, pour s'intéresser à la pratique même des professionnels, auxquels ils vont tenter de fournir des lignes directrices ou même, le cas échéant, des conseils particuliers pour régler les cas difficiles.
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En 1 990, il existait au Québec 94 comités d'éthique répartis dans 60 centres hospitaliers. !;insuffisance des règles déontologiques tra ditionnelles et le pluralisme éthique naissant sont souvent avancés comme fa cteurs explicatifs de ce succès. Mais ces raisons ne suffisent pas à tout expliquer. En fait, si les comités d'éthique ont reçu un accueil relativement favorable et s'ils ont pu s'implanter aussi rapi dement dans les hôpitaux québécois, comme ailleurs en Amérique du Nord, c'est qu'ils ont permis au corps médical de s'ajuster aux demandes des patients sans abdiquer de privilèges et sans laisser les « profanes » délibérer sans encadrement ( Gagnon, 199 5 : r 5 ) . De plus, la constitution de comités d'éthique clinique va conduire à la production de normes qui s'écartent du modèle fixé par le droit civil ou pénal, au profit de directives plus sensibles au contexte. En évitant ainsi la réglementation et les contraintes juridiques, tout en favorisant la création d'un cadre local de résolution des conflits et de production des normes, les bioéthiciens et les associations médicales sont parvenus à conserver la maîtrise des questions et des jugements éthiques, du moins au niveau des pratiques médico-hospitalières. Derrière la définition des conduites indésirables ou l'identification des comportements qui méritent d'être encouragés, au-delà de leur fonction officielle de médiation, les comités ont donc joué un impor tant rôle de contrôle social (Rocher, 199 6 : 260-276), qui ne saurait être ignoré. Les comités d'éthique de la recherche ont suivi une évolution différente. Alors que les comités « cliniques » étaient le fruit d'ini tiatives locales, la mise en place des comités d'éthique de la recherche s'est faite sous une contrainte explicite, notamment par le biais des mécanismes de financement institués par les grands organismes sub ventionnaires, qui ont imposé l'étude préalable de tous les projets de recherche bénéficiaires de subventions publiques. Un Conseil cana dien de la bioéthique en recherche sur les sujets humains a d'ailleurs émis des recommandations assez strictes sur la composition et le fonctionnement des comités d'examen, afin de préciser les attentes des organismes subventionnaires et les obligations des chercheurs. Au Québec, de surcroît, en vertu de l'article 21 du Code civil, les recherches sur les enfants mineurs ou les personnes qui ne peuvent fournir un consentement éclairé doivent obtenir l'approbation du ministre de la Santé et des Services sociaux, qui reçoit alors l'avis d'un comité formé à cette fin.
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Pour des raisons qui tiennent aux enjeux - la préservation d'une certaine structure de pouvoir dans un monde bouleversé par la science et la technique - et aux acteurs - des éthiciens occupés par la recherche de solutions pratiques et opérationnelles, l'évolution du questionnement éthique et des outils qui lui sont associés a surtout conduit à la substitution d'une casuistique par une autre, au détri ment d'une interrogation systématique sur les choix de société ou la répartition des ressources. Au centre de ce processus, comme on peut l'observer dans l'histoire des comités d'éthique, se trouve la quête d'un nouveau référent, en remplacement des obligations morales per çues à partir de concepts transcendantaux, comme la foi ou la volonté divine. Parce que la validité de l'approche bioéthique réside dans le con sensus et l'équilibre des intérêts, la sphère de discussion autrefois confinée au médecin et à son patient s'est certainement élargie, pour inclure d'autres points de vue ou même d'autres valeurs, le cas échéant 2 • Mais chez la plupart des éthiciens engagés dans une pratique de terrain, cette ouverture demeure liée à l'analyse de cas, même si des règles et des repères d'application générale peuvent être établis - le respect et l'épanouissement de la personne, par exemple. Pour les penseurs les plus radicaux, comme David J. Roy, la méfiance à l'endroit des généralités est encore plus nette, la seule démarche acceptable procédant de compromis en compromis, au cas par cas : En médecine moderne, les incertitudes, enjeux et dilemmes éthiques sont liés de manière inextricable aux circonstances uniques de chaque cas. Bien que les propositions et les principes moraux délimitent les périmètres moraux, ces concepts sont insuffisants pour solutionner des cas concrets. Il n'existe pas de normes spécifiques préexistantes et vala bles pour des applications pratiques. On doit les élaborer lentement de façon inductive à partir de jugements réfléchis sur des cas spécifiques. Sans de telles normes les grands principes se révèlent impuissants à nous guider (Roy, 1988 : 120). Dans une telle perspective, les bioéthiciens s'occupent en priorité de problèmes individuels : « la décision personnelle du patient et des intervenants, leur dialogue et la décision finalement arrêtée (Durand, 1989 : 3 5 ) ». Les questions soulevées par l'allocation des ressources ou l'équilibre des droits sont alors presque toujours posées comme
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des problèmes d'arrière-plan, sinon secondaires. La « macro éthique » est conçue comme le simple prolongement conceptuel et pratique de l'éthique clinique et doit donc s'inspirer de la même logique, en utilisant les mêmes outils et les mêmes approches. Encore aujourd'hui, la décision sociale ou politique n'entre vraiment dans le champ de réflexion de la bioéthique que sous la forme des « effets d'agrégation >> : les conséquences morales de cer taines règles d'allocation ou, à l'inverse, les effets cumulatifs de certains choix individuels (Manga, 1 9 87: 1 -2). Mais c'est unique ment un fragment de la réalité sanitaire qui est ainsi exposé au jugement éthique. L'étude des rapports entre l'individu et le système de soins ne permet pas nécessairement de saisir l'ensemble des choix grâce auxquels les sociétés maîtrisent ( ou ne parviennent pas à maî triser) les effets combinés de la biologie humaine, du hasard et de l'organisation sociale. Une des hypothèses qui peut être formulée, c'est que l'allocation des ressources n'est devenue un problème pour l'éthique biomédicale qu'au moment où les limites imposées par la politique ou l'économie ont été si contraignantes qu'elles ont atteint le cadre de discussion et de négociation des cas individuels. En d'autres termes, c'est parce qu'elles posaient des problèmes aux individus - en tant que déter minants potentiels - que les questions de choix collectifs ou de justice distributive sont devenues un domaine de réflexion pour l'éthique. Cette manière de faire n'est pas propre au Québec. Elle se ren contre un peu partout dans les pays industrialisés, autant chez les cliniciens que chez les personnes plus orientées vers la spéculation ou la théorie (Cassell, 1 98 1 ). Faut-il s'en étonner ? D'un côté, elle a permis que s'engagent de multiples discussions à propos des conditions sociales de la décision éthique, comme en témoignent les milliers de recherches et d'essais qui leur sont consacrés. Mais d'un autre côté, elle a aussi favorisé la dépolitisation des questions d'éthique sociale, par un glissement contestable de la détermination proprement politique - conflit, pouvoir, autorité, contrainte, etc. vers une détermination « morale » , utilisant les catégories du bien et du mal, ou du bon et du mauvais, soit les critères qui guident les conduites individuelles.
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L'éthique entre l'individuel et le social
Le domaine de la santé est pourtant celui où les problèmes éthiques se posent le plus fréquemment comme des problèmes d'éthique collective ou sociale. La notion de « choix tragiques » (Calabresi, Babbitt, 1978), par exemple, qui est centrale dans ce domaine de réflexion, s'applique ici plus directement qu'ailleurs, car maintes décisions qui font vraiment la différence entre la vie et la mort ne dépendent pas des personnes, mais des institutions et des politiques. Or une manière commode de faire le départ entre le champ de l'éthique clinique et celui de l'éthique sociale consiste précisément à bien distinguer les questions de préférences qui concernent assuré ment les individus et les questions de justice ou d'équité, qui cancer� nent plutôt les institutions (Wagstaff, Van Doorslaer, 1993: 8-9). Dans le premier cas, comme on l'a vu précédemment, il s'agit tou jours d'atteindre une sorte d'équilibre, s'il existe, entre les choix des individus dont l'intérêt est en cause. Dans le second cas, il s'agit au contraire de formuler des règles - ou de les « découvrir », à la façon des philosophes - qui s'appliquent en dehors des choix et surtout, des préférences individuelles. Concrètement, il existe une différence de nature entre la décision de fournir ou de refuser des traitements coûteux à un patient âgé et la décision d'améliorer ou de restreindre l'accessibilité aux soins spécialisés pour une population donnée. Déjà en 1973, Avedis Donabedian avait montré qu'un conflit de valeurs entre les acteurs dominants du système de santé américain structurait les institutions chargées de dispenser les soins médicaux, en opposant les solutions fondées sur la responsabilité individuelle avec les solutions fondées sur l'égalité des chances (Donabedian, 1973 : 1 -30). La démonstration était imparfaite, car elle reposait sur une vision dualiste et limitée de l'éthique sociale. Elle avait toutefois le mérite de présenter le système de santé comme le produit d'un compromis instable et difficile entre des conceptions du monde. Mais tandis qu'autrefois, on ne s'intéressait guère qu'à l'influence des orientations morales sur les politiques, comme si la relation était univoque, on tend aujourd'hui à observer aussi l'effet en retour de la politique sur les questions morales. D'où l'idée, par exemple, qu'un système de santé reste fondamentalement identique à lui-même tant qu'il fait prédominer tel groupe professionnel ou qu'il alloue les ressources aux mêmes catégories d'usagers, parce que ces décisions inscrivent les choix éthiques dans une contrainte politique constante.
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En fait, l'ambition de l'éthique sociale est d'être au système de santé ce que la bioéthique ou l'éthique médicale sont au système de soins. Dans un premier temps, cette ambition suppose de faire entendre un point de vue critique au moment des arbitrages entre la demande exprimée et les ressources mobilisées pour les soins de santé, de manière à éviter que les besoins de certaines catégories d'usagers soient systématiquement négligés, en raison de défaillances du marché ou de distorsions des processus politiques. À de rares exceptions près, en effet, la plupart des démocraties industrielles tentent de protéger les plus pauvres parmi les citoyens, ainsi que les personnes âgées et les malades chroniques, au moyen de différents mécanismes d'assurance ou de prestations directes, que le système de santé « général » soit privé ou public (Maynard, 1 988 : 13 5 ) . Mais il pourrait bien appartenir aux éthiciens de la santé de rappeler la société à ses engagements envers les plus démunis et les plus faibles, chaque fois que la recherche de l'efficacité économique ou la quête d'un meilleur équilibre entre les contributions et les prestations con duit à mettre en cause les dispositifs de base de la protection sociale. Dans un deuxième temps, toutefois, l'éthique sociale est appelée à jouer un rôle d'un autre type, puisqu'il s'agit d'explorer les modalités et les conséquences de différents agencements entre les déterminants de la santé. Certes, il y a bien encore quelques voix pour affirmer que la santé est affaire de hasard, la bonne ou la mauvaise part que chacun reçoit à la « loterie de la nature » (Engelhardt, 19 8 1 : 1 2 5 1 27 ) . Mais e n règle habituelle, l'opinion spécialisée s'accorde aujourd'hui pour souligner l'influence déterminante des facteurs sociaux sur la santé (Ferland, Paquet, 1994 : 5 3 ; Evans, Stoddart, 1990). Dans cette perspective, un accès égal, juste ou équitable aux services médicaux ou hospitaliers, sans égard à la condition écono mique ou biologique, ne suffit donc pas toujours pour réaliser l'éga lité, la justice ou l'équité. D 'autres aspects de la vie collective, notamment les habitudes et les conditions de vie, doivent être pris en considération dans l'évaluation. D'un point de vue moral, pour dire les choses d'une façon directe, une société qui « fabrique » des malades ne se rachète pas toujours en leur offrant des soins gratuits ! Qui sera soigné ? Où commence la responsabilité publique envers les exclus ? Faut-il se soucier du sort de l'étranger qui souffre ou qui meurt ? D'aucuns affirment encore que les réponses à ces questions ne sont pas « négociables », parce qu'il n'existe en somme qu'une
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seule règle de jugement, l'égalité par exemple, et que toute espèce d'interprétation participe nécessairement de la négation de cette règle (Burgi-Golub, I996 : 71-76 ; Madec, Murard, I 995 : 90-109) . Mais en vérité, on ne voit pas très bien comment éviter les controverses et les arrangements dans les sociétés modernes où « il existe nécessai rement des conceptions du bien en conflit et incommensurables entre elles », pour citer John Rawls ( 1 98 8 : 302). Le problème de l'équité
Le problème que pose la réalisation de l'équité dans la vie sociale permet d'éprouver ce point de vue pluraliste, pour des raisons théoriques aussi bien que pratiques. La notion d'équité est en effet indispensable - dans le contexte des théories morales contem poraines - pour saisir d'autres questions importantes telles que la justice, l'égalité ou l'efficacité. Elle se trouve également au cœur de la plupart des interventions récentes dans le domaine social, car elle constitue une pièce essentielle du système de référence qui légitime l'action des décideurs publics - surtout quand ils doivent s'éloigner d'autres principes d'action dont la fonction de rassemblement s'épuise, au fil des transformations de l'État-providence : solidarité, liberté, prospérité, etc. Le problème de l'équité est d'abord et surtout un problème d'équi libre entre « ce que chacun est en droit d'attendre et ce qu'on est en droit d'attendre de chacun » , selon la formule de Philippe Van Parijs ( I 99 I : 241 ). Dans cette optique sont équitables toutes les politiques qui donnent accès à des services ou à des avantages en échange d'une « contribution » socialement acceptable, fût-elle aussi symbolique que l'appartenance à la communauté civique ou nationale. Il n'est pas nécessaire que les services ou les avantages procèdent du service public, ni que la contribution soit immédiate ou tangible. Il suffit que l'accès aux bénéfices de la production sociale soit contrebalancé par un système de prestations obligatoires, auxquelles les personnes sont tenues par le rang, la fortune ou les capacités. En ce sens, l'équité n'est pas un trait distinctif des sociétés politiques développées, mais se rencontre au contraire dans des sociétés très anciennes ou très éloignées des nôtres, quand ce n'est pas dans les unités sociales de base des systèmes modernes - familles, groupes de parenté, asso ciations, etc. ( Godbout, Caillé, 1992 ; Lemieux, 1 977 ) . C'est
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d'ailleurs ce trait d'universalité qui nous permet d'ancrer ici la problématique d'une recherche portant sur les valeurs, en dépit de leur sensibilité au contexte historique et social. Dans son sens moderne, la notion d'équité appartient d'abord à l'économie normative, où elle permet d'envisager la répartition des ressources sous l'angle de valeurs telles que l'égalité, la justice, la moralité ou m ême la compassion ( Schneider-Bunner, I 99 7 ; Le Grand, Robinson, 1984 : 1-1 3 ; van Doorslaer et coll., I 993 ) . Elle se distingue néanmoins de l'égalité, qui suppose que l'accès aux prestations et aux services publics - égalité des droits - ou les bénéfices qu'on en retire - égalité des résultats - soient les mêmes pour tous. En effet, comme l'a montré Robert Boyer ( 1992 : 40}, le souci d'égalité correspond en principe au problème du partage des richesses et des ressources dans une économie stable ou même statique, alors que l'équité s'applique aux processus économiques dans une perspective dynamique. L'équité se distingue aussi de la justice, qui fait reposer l'accès aux ressources sur la responsabilité ou sur le « mérite », car nul ne souhaite sérieusement que les choix tragiques le concernant se jouent sur sa conduite ou ses aptitudes individuelles, sans parler des déterminations sociales 3 • L'équité se distingue même de la moralité publique, qui mène à réprouver certains rapports d'exploitation ou de domination, ou qui impose un devoir de bienfaisance aux membres de la société les plus avantagés. De l'avis de certains spécialistes, la notion d'équité fait même partie d'un ensemble de conceptions politiques qui ont contribué à affaiblir les principes traditionnels de la responsabilité morale, telle qu'elle pouvait s'exprimer, par exemple, dans les rapports « charitables » entre les professionnels et certains de leurs patients (McCullough, I 98 I ) . Cependant, il faut noter que la notion de bien commun, qui accompagne la définition de l'intérêt collectif dans la tradition morale héritée de la Grèce et du christianisme, recoupe en fait cha cune de ces dimensions (Byrne, 1 989 : 1 69- I 7 5 ). C'est donc souvent sous cette forme « abrégée » que la société se saisit d'un problème d'éthique sociale. Il arrivera qu'une mesure ou une décision qui satis font le principe d'équité - l'équilibre entre bénéfices et contri butions - ne rencontrent pas les critères du bien commun sous d'autres aspects et soient condamnées par l'opinion : certains pri vilèges fiscaux ou le « patronage » , par exemple, qui font facilement
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l'unanimité contre eux, mais aussi les soins de santé aux fumeurs ou l'indemnisation des responsables d'accidents de la route, comme l'in diquent des débats récents en Grande-Bretagne ou au Canada. Il arrivera aussi qu'une mesure ou une règle rencontrent la désappro bation générale, même si elles sanctionnent une conduite fautive ou archaïque, parce qu'elles nuisent à la cohésion sociale et morale de la communauté, en affaiblissant le sentiment de proportionnalité entre ce qui est donné à la collectivité et ce qu'elle offre en retour (Zajac, 1995 : I0l-I I 6). Dans le monde réel, ni l'équité ni le bien commun ne se réalisent parfaitement ; avant d'être un jugement moral, le jugement politique sur ces matières est donc par nécessité un jugement culturel, qui reflète ce que les membres d'une société trouvent tout à la fois raisonnable et convenable de faire (Young, 1 994 ) . Quand cet accord est difficile à obtenir et qu'aucune obligation ne s'impose spon tanément aux acteurs en présence, comme c'est le cas aujourd'hui pour une grande part des orientations collectives en matière de santé, les rapports de force se substituent à la négociation et au compromis. Sous l'apparence de la j ustice et de l'intérêt public, l'État lui-même exerce des pressions très fortes en faveur de nouveaux modèles d'or ganisation, rompant avec les pratiques traditionnelles du secteur public, sans s'inquiéter outre mesure de la façon dont ce virage respecte la sensibilité de la communauté politique. En fait, l'équité en santé est menacée de quatre façons, qui appellent chacune des réactions différentes de la puissance publique - conformément à l'intuition maintenant classique d'auteurs comme Salisbury ( 1969 ) ou Lowi ( 1 972) -, les politiques détermi nent la politique : 1 . Les menaces contre l'équité peuvent venir d'un problème de redistribution, si la contribution des uns n'est pas à la mesure de leurs moyens, ou si le bénéfice des autres n'est pas suffisant pour assurer leur participation à la vie sociale, comme y insistent toutes les définitions de la santé axées sur la capacité d'agir des individus, dans la foulée des textes fondateurs de l'OMS. Un groupe d'experts québécois (Deschênes et coll., 1 99 6 : 24) a même conclu récemment à la nécessité de développer une véritable équité de participation, définie comme : « la chance plus ou moins égale [ . . . ] de jouer un rôle actif et valorisant dans la vie sociale, d'en retirer une recon-
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naissance et de profiter des avantages symboliques et matériels que cette participation peut [ . . . ] procurer. » 2. Il peut s'agir d'un problème d'allocation, si la distribution des avan tages ne se rapporte pas à la contribution exigée, comme on le constate souvent dans les questions de répartition géographique des services, mais aussi dans la multiplication des programmes publics sous condition de ressources - les soins à domicile ou l'aide psychosociale, par exemple, qui commencent d'être réservés aux moins fortunés ou aux cas les plus lourds. En fait, comme l'avait prévu Benjamin Freedman ( 1 9 8 6), la complexité des questions d'allocation est en passe de devenir la principale difficulté intellec tuelle et pratique qu'affrontent les décideurs du domaine de la santé. Les embarras surgissent aussi bien dans le choix du niveau d'intervention (l'individu, son milieu, la société dans son ensemble), dans le choix des approches (plus ou moins autoritaires, plus ou moins coûteuses), que dans l'ordre même des priorités (santé ou éducation, enfants ou personnes âgées, cancer ou cardiopathie). 3. Il peut s'agir d'un problème de régulation, si l'accès aux services ou aux avantages est refusé à des personnes qui pourraient y prétendre dans un système régi par d'autres normes, tout aussi acceptables socialement. Jusqu'à présent, le système de santé canadien semble avoir esquivé les difficultés de ce type, en vertu du principe d'uni versalité. Mais les temps changent. En marge du « panier » de services médicalement requis, offerts à tous, se développent des pratiques dont l'efficacité relative est encore débattue et qui sont alors réservées à une minorité. Cela comprend bien sûr les traite ments expérimentaux et certains médicaments onéreux, mais cela touche aussi, et de plus en plus souvent, l'utilisation routinière de plusieurs appareils diagnostiques ou thérapeutiques. 4 . Il peut enfin s'agir d'un problème de mobilisation, si le soutien des bénéficiaires et l'intérêt de ceux qui mettent en œuvre la politique ne parviennent pas à s'équilibrer, de sorte que la demande et l'offre de programmes ne se rencontrent jamais. C'est une question délicate dans un monde bouleversé par des « réformes » successives, pré sentées chaque fois comme la solution globale à tous les problèmes du système de santé. La population n'est pas toujours dupe et les sondages d'opinion reflètent habituellement ce scepticisme, quand ils n'expriment pas l'inquiétude et le mécontentement.
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La réaction traditionnelle des gouvernements à toutes ces diffi cultés consistait à rétablir l'équilibre des prélèvements et des prestations, en exigeant des contributions plus importantes ou en rationnant les services. À en croire certains, il faudrait maintenant admettre que la justice est d'abord une question d'organisation. Dans un avis récent, le Conseil de la santé et du bien-être du Québec peut ainsi conclure sans autre précaution : Les rapports des commissions d'enquête, les avis d'experts, la docu mentation scientifique, tout converge : les véritables solutions se trouvent essentiellement du côté de l'amélioration des modes d'orga nisation, du << système de production » (Conseil de la santé et du bien être, 1995 : 4 9). Bien entendu, le recouvrement plus efficace des impôts et des taxes ou l'élimination systématique de pratiques obsolètes ne peuvent pas nuire. Mais ces mesures ont peu d'effets sur certains des problèmes qui viennent d'être évoqués. La régulation micro-économique de l'utilisation des services, par responsabilisation des usagers, se solde habituellement par un échec, faute de prendre en compte les déterminants culturels et sociaux de la demande de services (De Foucauld, 19.9 5 : 103 ; Aaron, 199 5 ). Quant aux réactions des cou ches moyennes contre le rationnement « négatif » (l'exclusion des mieux nantis) et d'autres formes d'équité verticale, elles ne sont pas touj ours de simples manifestations d'égoïsme de classe: elles renvoient à des principes importants du système de valeurs sur lequel est fondée la collaboration dans nos sociétés, particulièrement en matière de fiscalité et de biens sociaux - de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins4 • Il est sans doute inévitable qu'un gouvernement qui s'insinue au centre de la négociation sociale, comme le font assez naturellement les gouvernements modernes, se heurte à des problèmes d'équité, sous l'une ou l'autre des formes qui viennent d'être identifiées. À cet égard, ce qu'on appelle la crise de l'État-providence n'est peut-être pas autre chose que l'émergence (ou la résurgence) de problèmes d'allocation et de régulation dans un système institutionnel où tout a été pensé pour résoudre les questions de redistribution et de mobilisation, depuis les programmes sociaux j usqu'aux partis politiques.
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Au Québec, l'État établit la contribution exigée des citoyens pour le financement du système de santé, mais il leur consent une certaine marge d'appréciation dans la définition de leurs besoins. Dans la législation actuelle, en effet, l'usager peut encore choisir librement le professionnel et l'établissement qui lui paraissent les mieux à même de résoudre ses problèmes de santé ou ses problèmes sociaux 6 • Il y a des exceptions, de plus en plus nombreuses, surtout dans le domaine social, mais le principe général est intact : les services sont dispo nibles pour tous, librement et à tout moment. Bien entendu, la mise en œuvre du principe d'accessibilité n'a jamais eu un caractère absolu (Lajoie, 1994}. Les services de santé et les services sociaux ne sont pas répartis également sur le territoire québécois, ce qui se traduit par des écarts relatifs plus ou moins importants dans l'exercice par les usagers de leurs << choix » socio sanitaires. De façon plus fondamentale, il faut aussi admettre que les professionnels et les établissements jouent un rôle déterminant dans l'évaluation et la définition des besoins, en raison du manque d'in formation inhérent à la demande de services : le patient n'a pas les compétences diagnostiques du médecin ou l'expertise de la tra vailleuse sociale dans l'identification des solutions d'aide. La loi elle même pose clairement que la demande doit être rapportée aux ressources disponibles, ouvrant ainsi la porte à certaines formes de rationnement 7 • Après la mise en place du régime public, dans les années 1970, le système de santé du Québec a été soumis à une conception de l'équité privilégiant le respect des « procédures 8 » . Il s'agissait de répondre aux besoins individuels de l'usager, une fois qu'ils étaient confirmés par un jugement autorisé, en usant de toutes les ressources nécessaires et au meilleur niveau technique possible. L'influence médicale dans le réseau en construction fournit une explication plausible de cette orientation, car les médecins ont montré beaucoup de répugnance à « choisir » leurs clients sur d'autres critères que les besoins et les solutions disponibles, dès lors que le problème du financement était pris en charge par un tiers. Le système n'avait pas pour objectif principal d'assurer l'accès des indigents aux soins médicaux et aux services de santé, à l'instar des programmes américains Medicare ou Medicaid, même s'il s'agissait d'un effet important et immédiat de l'assurance-maladie (Enterline et
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coll., I973 ). Pendant les premières années d'existence du système, les politiques de contrôle des coûts restèrent aussi assez timides, d'au tant que la performance économique globale du système pouvait se comparer avantageusement à ce qui se passait ailleurs au Canada ou aux États-Unis. Comme tous les systèmes de santé mis en place à cette époque, publics et privés, l'assurance-maladie permettait à tous - riches ou pauvres, usagers ou producteurs - d'oublier les con traintes financières et de s'offrir les « meilleurs soins de santé au monde » (Maynard, 1988). Cette constatation suggère qu'en dépit des apparences, comme l'a déjà souligné Pran Manga, le système n'était pas vraiment un méca nisme de solidarité collective ou de justice distributive, mais comptait parmi les bénéfices marginaux de la croissance, permettant d'étendre à toute la population les « récompenses » auxquelles ont droit les agents économiques dans les périodes fastes (Manga, 1987 : 5 ). Du reste, si l'équité fondée sur les procédures supposait au départ que tous les usagers des services publics soient traités de la même façon, sans égard à leur revenu, à leur niveau d'instruction ou à leur origine, en pratique, il semble bien que cette approche ait souvent favorisé les groupes socialement privilégiés, qui ont accédé plus facilement aux services de « qualité » - spécialistes, hôpitaux universitaires, chirur gie élective, soins psychosociaux, etc. -, sans doute parce qu'ils étaient mieux informés et qu'ils avaient les ressources nécessaires pour manipuler les règles ( Colin et coll., 1989 ; Joubert et coll., 1987 ; Hung, Phu, 1979). La logique professionnelle est aussi à l'origine de certains problèmes dans l'organisation des soins. Dans un système où chacun veut avoir un accès égal et universel aux meilleures ressources, tous les écarts dans l'offre de services sont suspects et suscitent une demande ininterrompue d'interventions administratives et financières ( Contandriopoulos, 198 5 ). Depuis une dizaine d'années, le glissement progressif du pouvoir des professionnels vers les administrateurs a introduit un chan gement dans la conception dominante de l'équité. La priorité accor dée au développement du réseau et à la péréquation régionale a fait place à une péréquation « intergroupes » ou « verticale », qui répond mieux à la définition des besoins en termes de conditions objectives ou de déterminants. En effet, à l'inverse du professionnel qui déter mine le besoin sur une base clinique et individuelle, le planificateur ou le bureaucrate cherchent à déterminer les droits des bénéficiaires
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sur la base de critères universels et abstraits. C'est une autre con ception de la justice : pour que l'accès aux services appartienne vraiment à tous, sans distinction, il revient aux autorités publiques de corriger les inégalités qui agissent pour favoriser ou défavoriser des individus ou des groupes. Les dépenses pour les soins et les services collectifs iront donc en priorité aux personnes les plus vulnérables, par faute de leur situation sociale - emploi, éducation - ou de leur condition biologique. L'application de règles de cette nature suppose habituellement la mise en œuvre de mécanismes de rationnement, visant des clientèles qui sont définies sur la base des conditions sanitaires et des déterminants sociaux de l'état de santé et de bien-être. De plus, ces critères sont appliqués dans une logique de population, plutôt que dans une logique clinique (Baker, 1 994 ; Lamarche, 1992). Pour par ler comme les économistes, il s'agit d'accroître l'utilité globale des dépenses collectives, en améliorant le sort des groupes vulnérables plutôt que celui de tel ou tel individu 9 • Dans un système totalement soumis à cette conception de l'équité, la définition du besoin appar tient donc par nécessité aux experts désignés pour faire le tri des demandes exprimées: ils auraient la compétence requise pour dépis ter les problèmes et les facteurs de risque chez les individus plus démunis ; ils disposent de l'autorité nécessaire pour ordonner les demandes en fonction de la gravité et de l'urgence. L'équité fondée sur les procédures régissait une politique qui n'avait rien de « collective » , exception faite des mécanismes de financement et de quelques organes de contrôle, habituellement dépassés par la situation (Bergeron, Gagnon, 1994 ). L'équité fondée sur la planification régit maintenant une politique plutôt dirigiste, qui définit centralement toutes les règles qui structurent les com portements, au nom d'un modèle unique de protection sociale. Il faut s'étonner de cette alternative un peu simpliste, car nous vivons dans une société qui connaît d'autres forces que le marché ou la bureau cratie. Il existe aussi un projet de réseaux d'aide et d'entraide fondés sur la famille et le voisinage - « sous le marché et l'État, le système invisible du don » (Godbout, Caillé, 1992 : 23 ). Quant à la solidarité volontaire, elle s'exprime avec assez de vigueur dans le mouvement des groupes d'entraide et des associations pour imposer les valeurs qui la distinguent : la décentralisation des pouvoirs et l'élargissement des responsabilités collectives 10•
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Au -delà du dualisme
En fait, l'habitude du dualisme est encore ancrée si profondément dans l'analyse de la politique de santé que la plupart des modèles opposent sans trop y songer les solutions de gauche (l'organisation) et les solutions de droite (le marché), comme s'il n'existait en somme que deux systèmes de santé dans le monde développé (Van Doorslaer et coll., 1993 : 10-14 ). Pourtant, même dans le système de santé américain, spontanément associé aux solutions libérales, coexistent en réalité plusieurs systèmes différents, qui obéissent à d'autres logiques que la consommation de tous les soins disponibles sur la seule base de leurs coûts de production. Il est certes possible que le système américain soit une exception pluraliste dans un monde moins ouvert à la variété, mais ce jugement ne s'accommode pas de ce que l'on sait, par ailleurs, du fonctionnement réel des autres sys tèmes de santé. Au Canada par exemple, où le régime d'équité dominant depuis la généralisation de l'assurance-maladie privilégie une approche unifiée de l'offre de soins, où la seule mention d'un système « à deux vitesses » équivaut à une insulte, certaines portions importantes du système de santé ont subsisté et se développent encore en suivant d'autres règles. C'est heureux du reste, car le repli de l'État-pro vidence ne découvre pas toujours une sorte de terre brûlée, mais au contraire un tissu vivant d'initiatives et de solidarités. Évidemment, la simplicité des définitions proposées jusqu'ici ne doit pas dissimuler les conflits d'interprétation qu'elles suscitent. Ceux qui pensent que le principe d'équité cadre bien avec les méta morphoses actuelles de l'État, entre mondialisation et crise finan cière, ne le définissent pas de la même manière que ceux qui s'interrogent sur d'éventuels reculs de la protection sociale ou sur l'érosion du politique au profit de l'économique. La même chose pourrait se dire, à l'évidence, de l'égalité, de la justice ou de la moralité, pour reprendre des notions déjà évoquées. Cette difficulté n'est pas seulement intellectuelle. Elle concerne directement les décideurs publics, dont les pratiques se sont adaptées à ce qu'on appelle faute de mieux la « modernisation » de l'appareil politique et administratif : un interventionnisme touj ours plus évident, l'élargissement constant des droits sociaux, la multiplication des conflits et des revendications dont l'État est l'arbitre. La gestion publique n'est plus conçue comme une activité solitaire, mais comme
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une entreprise où les agents de l'État sont presque des acteurs parmi d'autres, au sein des coalitions qui favorisent telle ou telle politique : « un élément au centre d'un réseau de personnes engagées dans une entreprise conjointe (Stivers, 1991 : 422 ; O'Neill et coll., 1997) » . Dans ce nouveau contexte, il est difficile d'ignorer les enjeux qui naissent sur le front des valeurs (Gunn, 1987) ; même ceux qui croient encore que les élus ou les administrateurs publics n'ont d'autre souci que l'intérêt général deviennent plus méfiants quand il s'agit d'alliances avec des groupes issus de la société civile, du monde de la banque à celui des associations professionnelles, en passant par les médias. Pour dire les choses simplement, tout compromis poli tique suppose un compromis moral, dont il importe désormais de mesurer les conséquences avec autant de minutie qu'on évalue les coûts ou les bénéfices financiers. La responsabilité publique se joue d'ailleurs aujourd'hui sur un arrière-plan économique plutôt déprimant, où il semble que la stabilisation des dépenses publiques a pris toute la place devant les autres définitions possibles du bien-être collectif (Beausoleil, 1987). La croissance des « vieilles » économies industrielles n'a plus l'élan des Trente Glorieuses et demeure à des niveaux trop modestes pour suffire au financement courant des promesses et des engagements sociaux - ce que certains spécialistes ont baptisé l'effet « déno minateur » (Tuohy, 1995 ; Evans, 1993 ). Un tel contexte pourrait transformer la recherche du bien commun en une lutte ouverte et même violente autour des préférences et des valeurs. À l'incertitude économique correspondrait l'incertitude morale, comme ne man quent pas de le souligner les esprits qui jugent l'évolution des mœurs avec intransigeance. Mais en vérité, certains choix sociaux finissent par prévaloir, sou vent pour de longues périodes, pour être alors identifiés à un courant idéologique, à un parti ou même à une nation - la société libérale, le modèle suédois. En ce sens particulier, on peut donc dire qu'il existe dans le domaine social et sanitaire des « régimes » d'équité, qui sont en fait autant de compromis entre la définition de l'optimum social portée par certains groupes au pouvoir, les réclamations qu'adressent à l'État les forces politiques qui s'expriment par les canaux habituels de la vie démocratique et les catégories suggérées par les structures culturelles investies dans les institutions 1 1 • On peut même faire l'hypothèse que chaque régime renvoie à la perception,
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par la coalition ou le groupe politiquement dominants, d'une forme particulière de menace s'exerçant contre la réalisation de l'équité. Les défauts dans la redistribution, par exemple, pousseraient à la logique de prévoyance. Mais on se gardera de conclure trop vite que la causalité est univoque, et que ce sont les problèmes de régulation qui conduisent à imposer une logique de procédures ou les problèmes de mobilisation, une logique de programmes, plutôt que le contraire 12• Le pluralisme en pratique
En tant que catégories fondamentales de l'organisation et du fonctionnement des systèmes de santé, les valeurs et les croyances ont visiblement résisté à ce qui était présenté autrefois comme la conclusion logique de l'évolution des politiques sanitaires et sociales : l'érosion des particularités nationales au profit d'un modèle uni versel, combinant la technologie américaine avec le « socialisme » à l'anglaise ou à la suédoise (Anderson, 1992 [1963] : 263 ). À l'in verse, l'impression que chaque société réagit à sa façon aux diffi cultés qui assaillent l'État-providence, en puisant des solutions à même le fonds culturel qui lui est propre, n'est pas sans fondement. Cela ne signifie pas que la décision publique reflète toujours ou partout des concepts ou des considérations qui respectent les exi gences d'une quelconque loi morale, loin s'en faut, mais simplement qu'il est possible de retracer et d'évaluer les valeurs qui sont investies dans les systèmes et les politiques de santé et qui les distinguent, notamment en s'intéressant aux stratégies des acteurs associés à ces systèmes ou mobilisés par ces politiques. Un peu partout dans le monde, depuis quelques années, des expé riences associant la population au processus de répartition des res sources ont eu lieu. La plus célèbre, en Oregon, a montré clairement que des citoyens et leurs élus sont capables de réfléchir sur l'utilité sociale et individuelle des soins de santé et surtout, d'établir des priorités entre les catégories de soins disponibles. Il y a d'ailleurs un détail fascinant dans cette expérience : après avoir utilisé à grands frais les services d'experts - dont un important cabinet de con sultants en éthique - pour déterminer la valeur des traitements médicaux et pour les classer en conséquence, les responsables ont résolu d'écarter ces résultats, qui étaient souvent coupés de toute réalité morale, pour leur préférer des choix où les attitudes de base
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de la population devant la souffrance et la maladie se reflétaient davantage (Jennings, 19 9 3 } . À l'inverse, les solutions qui confient aux acteurs de proximité le soin de faire les choix décisifs sont les plus mauvaises, en dépit des arguments contraires développés par l'éthique clinique (White, Whaite, 1994). L'enquête de Aaron et Schwartz citée au début a montré que le rationnement à la base ne conduit pas nécessairement à une meilleure adaptation aux réalités : les médecins britanniques s'inventaient une argumentation pour n'avoir pas à juger les cas particuliers qui se présentaient à eux et allaient souvent jusqu'à dissimuler aux patients leurs vraies motivations (Aaron, Schwartz, 198 4 : 3 6-37). Dans des sociétés qui sont fragmentées, socialement et culturellement, on frémit à l'idée qu'une décision soit prise à la lumière de préférences qui ne se trouvent peut-être que dans la cons cience et le désir des intervenants, plutôt qu'à la lumière des orientations et des choix qui s'expriment dans les politiques et les affrontements à leur sujet (Lemieux-Charles, Hall, 1997). En fait, s'il va de soi d'ajuster les services collectifs aux circons tances de l'économie, on hésite encore devant les contingences poli tiques, même s'il est apparent qu'aucun projet éthique ne peut prétendre à un monopole des solutions et surtout, des consciences. Si les activités sociosanitaires sont intangibles, il n'est pas plus normal de les exposer aux fluctuations du cycle économique qu'à toute autre crise « venue du dehors » (Forest, 1997a : 8 5 ) . S'il s'agit au contraire d'activités comme les autres, leurs responsables devraient assurer un rapport plus étroit et plus profond avec les aspirations multiples qui s'expriment dans la société et qui réclament de nouvelles façons de faire. Les expériences acquises jusqu'ici montrent que les débats poli tiques n'empêchent nullement de trouver des formules qui con viennent à la collectivité ; ils permettent au contraire d'y accéder plus rapidement et plus durablement.
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Les normes centrales et les pol itiq ues de santé ANTO N I A MA I O N I
LoRSQU'ON CHERCHE À COMPRENDRE l'évolution et le fonctionnement des systèmes de santé provinciaux au Canada, il importe d'accorder une attention particulière au rôle des normes. C'est dans cet esprit que ce chapitre aborde trois questions spé cifiques : quel a été l'impact global de l'action du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé ? Les normes fédérales représentent-elles une contrainte réelle à la définition et au finan cement des systèmes de santé provinciaux ? Et, troisièmement, dans quelle mesure les normes prônées par le gouvernement fédéral sont elles incompatibles avec celles qui prévalent au Québec ? La première section présente d'abord une définition générale du concept de norme, et donne un aperçu de ce que les normes centrales représentent dans le contexte de l'évolution de la politique de santé au Canada et au Québec. La deuxième section décrit de façon plus détaillée les cinq principes qui sont à la base de 1a Loi canadienne sur la santé et le processus administratif par lequel les normes centrales sont mises en vigueur par l'entremise du Transfert social canadien. La troisième section présente une analyse de l'effet de ces normes sur le domaine de la santé, et propose trois explications des
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conséquences qu'elles peuvent avoir sur l'élaboration des politiques de santé au Québec : d'abord, elles imposent un certain nombre de contraintes sur les options envisageables dans la conception des pro grammes de santé ; de plus, les normes définies par Ottawa ont institutionnalisé le rôle du gouvernement fédéral dans le secteur de la santé ; enfin, elles ont joué un rôle dans l'acceptation générale de certains principes par l'opinion publique. La dernière section tente une évaluation des normes centrales dans le contexte des contraintes fiscales propres au gouvernement fédéral, et dans le contexte d'un discours politique de plus en plus axé vers la dévolution des pouvoirs en direction des provinces. Le chapitre se termine sur deux questions cruciales : est-il possible de continuer à parler de normes centrales en l'absence d'un mécanisme fédéral con traignant pour en assurer la mise en application ? Finalement, le système de santé public que nous connaissons au Québec peut-il survivre sans le genre de contraintes qui prévalent maintenant ? Les norm e!. centra l e s et le d o maine de la santé
Qu'est-ce qu'une norme ?
Les normes se distinguent, d'une part, des contraintes institution nelles (par exemple, la division des pouvoirs dans le système fédéral qui confie la responsabilité en matière de santé aux provinces) et, d'autre part, des habilitations, c'est-à-dire des capacités ou des possibilités qui découlent de ces contraintes (par exemple, l'exigence imposée aux associations médicales de négocier avec les gouver nements provinciaux plutôt qu'au niveau fédéral). Les normes reflètent habituellement des principes plus généraux qui régissent le comportement des acteurs dans un ensemble social. Ces principes peuvent avoir des origines diverses, mais ils reflètent le plus souvent un certain code de conduite généralement suivi par les membres d'une société. Il y a plusieurs façons de concevoir la façon dont les normes peuvent opérer dans une société. Ce texte mettra l,accent sur les normes dites formelles. Pour être opérantes, les normes formelles doivent faire l'objet de quelques sanctions, elles doivent être imposées par quelque mécanisme d'autorité. Une définition du concept de norme suppose la présence d'un pouvoir de contrainte : les normes dans cette optique représentent des règles qui
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forcent les acteurs à se conformer à un certain code de com portement. Ces normes sont imposées par un acteur à un autre, en vertu de l'influence que le premier peut exercer dans une relation de pouvoir (Dahl, I963). De telles normes représentent une contrainte formelle pour les acteurs politiques qui y sont liés par l'entremise d'un mécanisme qui prévoit des sanctions si les normes sont trans gressées. Par exemple, la plupart des lois qui sanctionnent les com portements criminels ou déviants sont de cet ordre. Parfois, aussi, des entités souveraines délèguent à des structures autonomes le pouvoir d'appliquer des sanctions, si certaines normes sont violées. C'est le cas, entre autres, des accords commerciaux comme l'ALENA ou des structures comme celles de l'Union européenne. Les normes peuvent aussi relever d'un mode d'imposition infor mel, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas nécessairement contraignantes au sens de la loi, mais qu'elles entraînent certaines formes de sanc tion, morale ou autre, lorsqu'un certain code de conduite n'est pas respecté. Par exemple, la communauté internationale a su définir, avec le temps, des normes sur les droits humains qui, si elles ne peuvent pas être imposées aux États par un mécanisme légal, sont appliquées par l'entremise de sanctions - économiques ou autres ou peuvent conduire à une mise au ban d'un État qui aurait outre passé certaines bornes morales. Pour revenir au contexte fédéral canadien, un autre exemple de ce type de normes est l'accord sur le commerce interprovincial, qui lie les provinces entre elles sans qu'existe un mécanisme fédéral qui sanctionne les écarts de conduite. Au-delà de cette définition des normes centrée sur leur effet sur le comportement des acteurs, se trouve l'idée que certaines normes peuvent être intériorisées par les acteurs sociaux, c'est-à-dire que leur acceptation est tenue pour acquise au point qu'elles deviennent universellement acceptées et qu'elles ne requièrent l'intervention d'aucune forme d'autorité (pour une discussion de cette notion dans un contexte international, voir Finnemore, I99 6). On pourrait donc dire, dans ce sens, que l'existence des programmes sociaux, liés à la conception moderne de l'État-providence, est une manifestation de l'acceptation très répandue du rôle de l'État en tant que garant des droits sociaux de ses citoyens. Les gouvernements sont donc tenus de garantir de tels droits par la pression de l'opinion publique, et par la force des attentes de la société envers le rôle de l'État de promouvoir l'égalité entre les citoyens.
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Les normes dans les systèmes de santé
Lorsqu'on considère le fonctionnement du système de santé qué bécois, on retrouve plusieurs manifestations de l'effet que peuvent avoir de telles normes. Par exemple, les médecins doivent se conformer à certains codes de conduite, à défaut de quoi ils risquent de s'exposer à des poursuites de la part de leurs patients, à des sanctions de leurs corporations professionnelles, ou à des pénalités financières imposées par la Régie de l'assurance-maladie. Les méde cins peuvent toutefois se voir contraints de se conformer à des normes ou à des attentes qui, sans entraîner de sanctions, sont pro fondément ancrées dans la société. C'est ainsi que tous s'entendent pour dire que les médecins doivent, au-delà de toute autre consi dération, faire tout ce qu'ils peuvent pour promouvoir la santé de leurs patients. Le gouvernement du Québec doit lui aussi se conformer à cer taines normes de portfr juridique. Ainsi, selon les termes de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, l'État québécois doit respecter le dr oit des citoyens d'avoir accès aux services et de choisir eux-mêmes ceux qui leur fourniront les soins. Au bout du compte, le gouvernement est lié, dans une certaine mesure, par la pression de l'opinion publique et des normes sociales qui fixent les balises de ce que devrait être le rôle de l' État. Une autre source de contraintes importante, à î'égard de l'action du gouvernement québécois dans le domaine de la santé est l'en semble des normes qui s'imposent pour faire en sorte que les actions du Québec se conforment à celles des autres provinces canadiennes. Certaines de ces normes ne relèvent pas de l'autorité centrale. On pense entre autres aux ententes de réciprocité entre provinces auxquelles le Québec participe et qui régissent le marché de l'emploi pour les médecins, la reconnaissance mutuelle des diplômes de méde cine ou encore la limitation de l'embauche de diplômés étrangers. Les normes centrales les plus importantes sont toutefois celles qui sont imposées par l' État fédéral. La Loi canadienne sur la santé oblige le Québec, comme toutes les autres provinces, à adhérer à certaines normes qui concernent la structure et le mode de finan cement de son système de santé. Si elles ne s'y conforment pas, les provinces risquent de se voir imposer des pénalités, sous la forme de réductions dans les transferts fiscaux provenant du fédéral. En ce sens, les normes qui sont précisées dans la Loi canadienne sur
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la santé reflètent cinq principes généraux : gestion publique de l 'assurance-santé, intégralité des services, universalité, transférabilité entre les provinces et accessibilité aux soins. La forme et le contenu des normes centrales qui prévalent au Canada se distinguent de ce qu'on retrouve dans plusieurs autres pays industrialisés ( OCDE, 1994 ; Raffel, 1 997). Dans d'autres sys tèmes fédéraux tels que l'Australie et l 'Allemagne, les États membres partagent la responsabilité en matière de santé, mais le gouverne ment central détient l'hégémonie administrative et financière, ce qui n'est pas évident dans le contexte canadien. De plus, contrairement à ce qu'on observe dans des pays unitaires comme le Royaume-Uni et la France, le gouvernement fédéral canadien n'assure pas lui-même la gestion d'un système d'assurance-santé national. Même en Suède, qui ressemble à quelques égards au Canada en ce qui concerne l'au tonomie financière et administrative des systèmes de santé « régio naux », le gouvernement national exerce la surveillance, afin de s'assurer que les régions s'acquittent de leurs tâches. Toutefois, dans les pays où la prestation des soins est décentralisée vers les régions, une tendance qui se manifeste de plus en plus, le gouvernement central est normalement contraint par la loi d'assurer un finan cement adéquat et l'accès aux services et aux soins à tous les citoyens. Cette responsabilité se limite dans certains cas à la coor dination et à la régulation des fonds d'assurance-santé, comme en Suisse et aux Pays-Bas. Cependant, dans d'autres cas, comme l'Italie et la Nouvelle-Zélande, le gouvernement central distribue les budgets vers les régions afin d'assurer une certaine stabilité de financement et d'atténuer les variations régionales. Il importe de souligner que, dans la plupart de ces systèmes, le secteur public fait maintenant face à la compétition avec le secteur privé dans la prestation et le financement des soins de santé. En contraste, au Canada, il n'existe pas vraiment de système national d'assurance-santé ou de services nationaux de santé ; en fait, il existe 1 2 systèmes provinciaux et territoriaux qui sont liés par des normes centrales. Or ces normes sont à la fois plus friables et plus contraignantes que dans d'autres pays ; plus friables puisqu'elles s'inscrivent dans une loi fédérale où le respect des normes repose sur des amendes fiscales, et non sur des contraintes institutionnelles for melles ; et plus contraignantes puisqu'on ne laisse pas autant d'es pace à l'expérimentation avec les outils du marché privé.
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Le dével oppement des normes centrales en santé
Les différences entre les modèles canadiens et ceux des autres pays de l'OCDE peuvent être attribuées en partie à la structure du fédé ralisme canadien ( Gray, 199 1 ). Dans le cas canadien, le fédéralisme a agi à la fois comme un frein et comme un moteur dans le déve loppement et la diffusion de l'assurance-santé dans l'ensemble du pays. Dans les faits, les compétences du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé sont plutôt limitées. C'est aux provinces qu'incombe la responsabilité des soins de santé, en vertu de la Loi constitutionnelle de r 867, qui leur donne la compétence exclusive en matière de soins de santé, y compris les hôpitaux (article 92 7), et les questions locales et privées (article 9 2 16) . En effet, c'est le gou vernement social-démocrate de la Saskatchewan qui, le premier, a innové en promulguant une loi sur l'assurance-hospitalisation publique en 1 947, suivie d'une loi sur l'assurance-médicale en 1 962. Le fait que la santé est une compétence exclusive des provinces a longtemps fait en sorte que le gouvernement fédéral ne pouvait pas légiférer directement dans ce domaine. Néanmoins, il a pu utiliser la prérogative que lui fournit son pouvoir de dépenser (article 9 2 de la Loi constitutionnelle de 1 8 67} pour signer des ententes afin d'établir des programmes à frais partagés. Dans l'ère du « fédéralisme coopé ratif » qui a marqué la période de l'après-guerre, le gouvernement fédéral a pu faire usage de ce pouvoir de dépenser pour promouvoir le modèle saskatchewannais d'assurance publique dans les autres provinces. Cette diffusion s'est effectuée par l'entremise de la Loi sur l'assurance-hospitalisation et les services diagnostiques de 19 5 7, et de la Loi sur les soins médicaux de 1966 (Taylor, 1990). Toutefois, l'accès aux programmes fédéraux à frais partagés supposait l'adhé sion des provinces à certaines normes, et plus particulièrement à quatre principes de base : intégralité des bénéfices ; universalité ; gestion publique ; transférabilité des bénéfices entre les provinces (Soderstrom, 197 8 ) . En insistant sur ces conditions, et sur la trans férabilité des bénéfices pour tous les Canadiens, le gouvernement fédéral tentait d'éviter le développement d'une macédoine de pro grammes d'assurance-santé. Toutes les provinces devaient respecter, dans l'ensemble, les mêmes règles du jeu. Mais les règles du jeu ont vite changé, sans l'accord de tous les joueurs. En 1977, les programmes à frais partagés étaient remplacés par des transferts globaux, selon une nouvelle formule de calcul au
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prorata de la population. Même si ces transferts globaux étaient
supposés donner plus d'autonomie aux provinces, le gouvernement fédéral tenait à s'assurer que cela ne mènerait pas à s'écarter des ses directives. La Loi canadienne sur la santé de 1 984 avait donc deux objectifs principaux : réaffirmer le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé ; veiller à ce que les normes centrales soient respectées par les provinces. La Loi canadienne sur la santé conso lidait les conditions fédérales et en imposait une nouvelle, celle de l'accessibilité (Bégin, 1987). Cette nouvelle condition devait être mise en vigueur par la définition de règles fédérales prohibant le recours au ticket modérateur ou à la surfacturation de la part des provinces, sous peine d'une réduction équivalente des transferts de fonds fédéraux. Malgré le fait que la Loi canadienne sur la santé représentait une forme d'ingérence du gouvernement fédéral dans les compétences provinciales, la menace de pénalités financières a quand même permis d'éliminer, dans une très large mesure, le recours au ticket modérateur et à la surfacturation (Taylor, 1990). De plus cela a été fait au moment où le gouvernement fédéral, pliant sous le fardeau de ses déficits et d'une dette croissante, entreprenait de réduire l'en semble des transferts aux provinces. Ce désengagement de l'État fédéral face à ses responsabilités fiscales a atteint son point culmi nant avec le budget de 1 995, qui annonçait que les transferts aux provinces seraient amalgamés dans une nouvelle subvention globale, le Transfert social canadien. Bien qu'elle ait réduit substantiellement la part de comptant dans les transferts fédéraux, cette nouvelle for mule offrait en apparence plus de flexibilité aux provinces dans l'orientation de leurs dépenses sociales. Néanmoins, ces changements unilatéraux ont causé un préjudice important à la capacité des provinces de planifier et de financer leurs budgets de santé. Les réactions du Québec aux normes centrales
L'expérience québécoise en matière de santé a été, à plusieurs égards, différente de celles des autres provinces canadiennes (Gray, 199 1 ) . À l'origine, le gouvernement québécois avait opposé une forte résis tance à ce qu'il percevait comme une intrusion fédérale dans les compétences provinciales, notamment en matière d'hospitalisation et d'assurance-santé. Le gouvernement unioniste de Maurice Duplessis
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refusait d'instaurer un système public d'assurance-hospitalisation. Il a fallu attendre la venue au pouvoir des libéraux de Jean Lesage pour que le Québec devienne la dernière province à mettre sur pied, en I96I, un programme d'assurance-hospitalisation. Le Québec a aussi tardé à emboîter le pas aux autres provinces dans le secteur de l'assurance-santé après l'adoption de la loi fédérale de I966. En effet, c'est en I970 seulement que le gouvernement québécois adop tait la Loi sur l'assurance-maladie. Cette adoption suivait les travaux de la commission Castonguay, qui avait fixé les paramètres du système de santé au Québec et insisté sur une réglementation de l'État pour assurer un accès aux services le plus vaste possible. Par la suite, dès son adoption en 197 1 , la Loi sur les services de santé et les services sociaux permettait de mettre en place un réseau distinctif de services qui plaçait la notion de (< médecine globale » au cœur d'un système intégré de soins de santé et de services sociaux, et qui consacrait le rôle clé de l'État québécois dans la gestion centrale des soins de santé (Pineault et coll., 1 99 3 ) . Pour le gouvernement québécois, l'adoption de la Loi canadienne sur la santé en 1 9 8 4 représentait une sérieuse transgression de la compétence exclusive des provinces dans ce domaine. Après avoir longtemps réclamé un retrait du fédéral du champ des politiques sociales et de la santé, les gouvernements qui se sont succédé à Québec, quel que soit le parti dont ils étaient issus, ont continué de dénoncer vertement une telle imposition unilatérale des normes centrales. La Loi canadienne sur la santé, en particulier, était perçue comme un empiétement particulièrement inacceptable, tant pour les libéraux que pour les péquistes, puisque le Québec souscrivait déjà aux normes de la Loi sur les services de santé et les services sociaux qui, de leur point de vue, n'avaient rien à envier à celles que le gouvernement fédéral se faisait fort d'imposer. Ce que les respon sables québécois rejetaient vigoureusement n'était donc pas tant le contenu des normes centrales que le caractère unilatéral de leur imposition par Ottawa. Les réductions des transferts fédéraux en matière sociale, à partir du milieu des années 1 9 80, ont coïncidé avec une période de réformes en profondeur du système de santé québécois (Bergeron, Gagnon, 1994). Bien que l'objectif du gouvernement québécois de réorienter le système de santé pour minimiser la part des soins en institution ne fût pas directement affecté par la Loi canadienne sur la
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santé, la réduction des fonds disponibles entraînée par les réductions dans les transferts fédéraux rendait extrêmement difficiles ses tentatives de contenir le fardeau des dépenses de santé sur les finances publiques du Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1990). Alors que les autres provinces ont réagi à cette situa tion en réclamant une stabilisation des subventions incluses dans le Transfert social canadien, les porte-parole du gouvernement québé cois ont plutôt mis l'accent sur la mutation de ces transferts en points d'impôt, dont le Québec pourrait disposer à sa guise. En bref, si les responsables de l'élaboration et de la mise en œuvre de la politique de santé au Québec ne se senten.t pas contraints par la Loi canadienne sur la santé sur le plan des principes, ils soulignent la contradiction profonde qui résulte de l'imposition de normes cen trales dans un domaine qui ne relève pas de l'autorité du gouverne ment central. A leur avis, les seules normes qui devraient prévaloir dans un champ de compétence provinciale sont celles que le gouver nement et la population de chacune des provinces veulent bien se donner. L'application des n ormes centrales
Les normes centrales défi n ies par la Loi canadienne sur la santé
Sur le plan strictement juridique, le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé est plutôt limité par la constitution canadienne. Néanmoins, Ottawa en est venu à occuper une place importante dans cet espace politique. Cet espace est à la fois sym bolique, en ce qu'il affecte les perceptions et les attentes des citoyens, quant à leur droit à recevoir des soins de santé, et substantiel, en raison du pouvoir fédéral de dépenser. En effet, c'est en vertu de son pouvoir de transférer des fonds aux provinces que le fédéral est en mesure de leur imposer des normes centrales. Les règles qui président à l'application de telles normes sont énoncées dans la Loi canadienne sur la santé. Cette loi établit les critères d'acheminement des contributions financières du gouver nement fédéral vers les provinces à travers le mécanisme du Transfert social canadien. Pour qu'une province puisse recevoir le plein montant qui lui échoit, elle doit se conformer aux cinq principes de
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base définis par les articles 8 à I 2 de la loi : gestion publique ; intégralité ; universalité ; transférabilité ; et accessibilité (Loi cana dienne sur la santé, 1 9 8 5 ) . La plupart de ces principes découlent de l'expérience initiale du gouvernement social-démocrate de la Saskat chewan au milieu du siècle, et des recommandations de la Com mission royale sur les services de santé en 1964. Dans le cas du Québec, toutefois, les principes directeurs du système, énoncés à l'origine de manière non équivoque dans le rapport Castonguay Nepveu et réitérés dans le rapport Rochon, ne sont pas exprimés dans les mêmes termes mais demeurent conformes à l'esprit de la loi fédérale. Donc, pour l'essentiel, les normes centrales de la Loi cana dienne sur la santé n'entrent pas en conflit avec la gouverne et le fonctionnement du système de santé au Québec. Gestion publique. Le rôle dominant de l'engagement du secteur public dans le domaine de la santé représente la concrétisation du principe de gestion publique. La loi fédérale oblige toutes les pro vinces à subordonner le fonctionnement de leur système de santé à l'autorité publique. Dans la mesure où le financement de la santé provient des fonds généraux de chaque province, il est tout à fait normal que !'imputabilité de l'utilisation des fonds soit assurée par un organisme public. Au Québec, ce principe est resté l'un des piliers du système de santé. Le système d'assurance-hospitalisation du Qué bec est administré par le ministère de la Santé et des Services sociaux, et le système d'assurance-maladie par la Régie de l'assurance-maladie du Québec, un organisme public qui relève directement du Ministère. Même si la plupart des hôpitaux du Québec sont des organismes autonomes sans but lucratif (et non des entités qui appartiennent à l'État et sont administrées par lui), leur financement dépend des budgets globaux établis par négociation avec le gouvernement. Ce qui signifie que les hôpitaux sont à la merci des décisions des autorités politiques, qui décident de la nature et de l'ampleur de leurs activités, ou même de leur fermeture (soit directement, soit par l'intermédiaire des régies régionales de la santé). En ce qui concerne l'assurance-santé, les médecins reçoivent paiement pour leurs services par le biais d'une modulation des tarifs négociée entre la Régie de l'assurance-maladie et les associations médicales québécoises. En somme, si les entités qui dispensent les services de santé demeurent « privées », dans le sens où l'État ne s'immisce pas dans le
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rapport entre le médecin et son patient, tous les paiements des ser vices assurés sont administrés par une structure publique. Le principe de gestion publique est en fait appliqué de façon encore plus étendue que dans la plupart des autres provinces, puisque le système qué bécois ouvre la porte à des méthodes alternatives pour dispenser les soins de santé et assurer la rémunération des médecins, comme on les retrouve dans le réseau des CLSC (Centres locaux de services com munautaires). Le Québec a aussi été la première province à imposer des limites à la facturation, des plafonds salariaux pour les spé cialistes et des tarifs différenciés pour les nouveaux médecins sur la base de leur champ de pratique ou de leur région de résidence. Intégralité. Le principe qui veut que tous les services « médica lement nécessaires » devraient être couverts par l'assurance-santé publique est défini par la Loi canadienne sur la santé. Il inclut, au minimum, tous les services assurables donnés par les médecins et les hôpitaux. Au Québec, la plupart des services diagnostiques et ceux reliés aux cliniques externes ou internes sont couverts, de même que les services des médecins à l'intérieur ou à l'extérieur des hôpitaux. (quelques frais supplémentaires, par exemple le choix d'une chambre d'hôpital privée, ne sont pas couverts.) Le Ministère et la régie ont toutefois identifié plusieurs pratiques « non médicalement néces saires », qui ne sont pas couvertes par l'assurance-maladie. Parmi elles se trouvent certains types de chirurgie esthétique et les dépenses importantes reliées à la fécondation in vitro. Certains autres services offerts par d'autres professionnels de la santé ne sont pas couverts, par exemple, la chiropractie ou la psychanalyse. Depuis quelques années, on constate la « désassurance » de certains services, comme la plupart des services d'optométrie. Universalité et transférabilité. L'un des héritages principaux de l'expérience de la Saskatchewan est certes le principe social démocrate qui veut que tous soient tenus de participer au système public d'assurance. La Loi canadienne sur la santé réitère ce principe en stipulant que tous les résidants d'une province ont droit aux mêmes bénéfices, et lui donne une portée pancanadienne en y ajoutant que les bénéfices qu'un individu retire de son système provincial doivent lui être assurés dans toutes les autres provinces. En d'autres termes, les personnes qui se déplacent d'une province à l'autre, ou qui sont temporairement absentes de leur province de résidence, doivent recevoir des soins de santé adéquats. Essentielle-
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ment, la transférabilité est le mécanisme clé par lequel le gouverne ment fédéral peut garantir les droits de mobilité aux citoyens par l'entremise de la Loi canadienne sur la santé. En somme, alors qu'il ne fait aucun doute que le système québécois d'assurance-santé sous crit résolument au principe d'universalité (une preuve de résidence est la seule condition d'obtention d'une « carte soleil »), il existe certaines limites au principe de transférabilité. Ainsi, le Québec ne rembourse les frais encourus dans une autre province qu'au montant accordé au Québec pour une procédure comparable. Accessibilité. Le principe d'accès égal aux soins de santé signifie, pour l'essentiel, que les services devraient être dispensés selon le seul critère du besoin médical, et non selon la capacité de payer. Ni le modèle saskatchewannais de 1962 ni la Loi sur les soins médicaux de 1966 ne stipulait ce critère. En fait, seul le Québec a insisté, dès 1 97 1 , pour qu'aucun obstacle financier, comme la surfacturation ou le ticket modérateur, ne vienne entraver le principe d'accessibilité. Il n'en demeure pas moins que le gouvernement libéral de Robert Bourassa avait contemplé puis abandonné l'idée de l'instauration d'un ticket modérateur en 1990 (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1990) . Dans ce sens, la Loi canadienne sur la santé de 1984 ne faisait qu'étendre le principe québécois d'opposition à la surfacturation aux autres provinces. L'Ontario et la Saskatchewan, par exemple, ont adopté le modèle québécois, qui permet aux médecins de choisir de se retirer du système provincial de santé. Ce survol permet de constater que la substance des normes expri mées dans la Loi canadienne sur la santé se retrouve sans difficulté dans le fonctionnement du système de santé québécois. En effet, les responsables québécois ne manquent pas de souligner que, s'ils n'ont pas de difficulté à accepter le contenu des normes prônées par la loi fédérale, ils se considèrent liés dans leur mise en application d'abord par la Loi sur les services de santé et les services sociaux, en vigueur au Québec depuis 197 1 , plutôt que par la loi fédérale de 1984. La mise en vigueur des normes centrales
La Loi canadienne sur la santé est le mécanisme formel par lequel les normes centrales sont imposées aux provinces. En dépit du caractère unilatéral de ce processus, il faut noter que le gouvernement fédéral n'interfère pas directement dans les détails administratifs des systèmes
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provinciaux. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral garde un œil sur les rapports et les états financiers que chaque province doit sou mettre au ministre fédéral de la Santé, et qui expliquent comment le système de santé de la province se conforme aux principes et normes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. En effet, en vertu de l'article 14 de cette loi, si le ministre fédéral constate que le système de santé d'une province ne satisfait pas à l'un de ces critères, il en informe le Conseil des ministres, et demande au ministre des Finances de déduire un montant correspondant à l'ampleur de l'infraction de la part du Transfert social canadien revenant à cette province. Depuis la mise en vigueur de ces règles, le gouvernement fédéral a imposé de telles pénalités financières seulement aux provinces qui transgressaient les normes portant sur l'accessibilité des soins de santé. Par conséquent, les normes centrales ont empêché les systèmes provinciaux de recourir à la surfacturation ou au ticket modérateur. La Colombie-Britannique, dernière parmi les provinces à tolérer la surfacturation par ses médecins, a vu ses transferts fédéraux réduits « dollar pour dollar » jusqu'à ce qu'elle cède aux pressions du gou vernement fédéral et qu'elle interdise cette pratique en 199 5 . Dans le cas du ticket modérateur, l'effet dissuasif des normes a suffi, dans la plupart des cas, à freiner les tentatives de contrevenir au principe d'accès universel. Cela a été le cas, par exemple, lorsque le gouver nement libéral de Robert Bourassa a dû renoncer à son projet d'imposer un ticket modérateur aux usagers des salles d'urgence des hôpitaux. La notion de ticket modérateur demeure cependant un sujet de controverse important. Ainsi, le ministère fédéral de la Santé a réduit les transferts vers l'Alberta d'un montant de 1,3 million de dollars en 1996- 1997 car cette province exigeait certains frais des usagers de cliniques privées (Santé Canada, r996b). Même si le gou vernement albertain a vivement protesté contre de telles réductions, il s'est conformé en avril 1997 aux dispositions de la loi fédérale. En dépit de l'existence de plus de cinquante comités consultatifs intergouvernementaux sur la santé, et malgré les fréquents contacts entre les responsables provinciaux et fédéraux des politiques de santé, la principale source de doléances des gouvernements provinciaux, y compris celui du Québec, à l'endroit du fédéral est le processus d'interprétation et d'imposition des normes centrales. Dans les faits, il y a peu de place pour la négociation lorsqu'il est question de mise en vigueur des normes de la loi fédérale : le ministre fédéral de la Santé
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prend les décisions et détermine le montant des pénalités. Il existe un processus de consultation, qui exige que le ministre informe les auto rités de la province et qu'une certaine période de temps soit consacrée à la discussion, mais la décision finale revient au Conseil des ministres fédéral. De plus, le montant des transferts fédéraux aux provinces est aussi fixé unilatéralement par le gouvernement fédéral, à l'intérieur des budgets préparés annuellement par le ministre des Finances. Même si la responsabilité de l'interprétation des normes de la Loi canadienne sur la santé et de la surveillance des systèmes de santé provinciaux incombe au ministère de la Santé fédéral, ses ressources administratives dans ce secteur restent plutôt minimales. En fait, le gros de ses activités administratives est concentré dans le domaine de la promotion et de la réglementation de la santé, plutôt que dans la mise en application de la loi, qui n'occupe sur une base régulière que 23 des 6400 employés du Ministère (Forest, I997c). En dépit des ressources administratives relativement minimales qui sont allouées à la mise en vigueur de la loi fédérale de 1 9 84, les normes centrales qui en découlent imposent des paramètres assez importants aux pro vinces sur leur façon de concevoir les réformes de leur système, et dans leur façon de dispenser les soins de santé. L'impact des normes centrales
L'ind ividualité des systèmes p rovinciaux de santé
Les systèmes provinciaux de santé se sont tous développés de façon relativement autonome, en réponse à des circonstances et à des demandes politiques très différentes. En matière d'assurance hospitalisation, quelques provinces, dont la Saskatchewan, avaient mis leurs systèmes en place avant l'intervention du fédéral, alors que d'autres provinces, dont la Colombie-Britannique et l'Alberta, ont modifié 1eurs plans pour se conformer aux conditions minimales pour le transfert des fonds fédéraux. Dans le cas de l'assurance maladie, le modèle public développé en Saskatchewan s'est diffusé dans les autres provinces par le biais de l'intervention fédérale. Cela a donné aux gouvernements provinciaux une certaine force de négociation face à la profession médicale et à plusieurs intérêts privés du domaine des assurances qui s'opposaient vivement au modèle public. La controverse au sujet de la surfacturation en Ontario est un
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exemple probant : les contraintes imposées par la Loi canadienne sur la santé ont réussi à persuader le gouvernement de l'Ontario de mettre fin à cette pratique, entre autres grâce à l'avantage moral que la loi procurait au gouvernement pour surmonter la grève que les médecins avaient menée sur cet enjeu en 1 9 8 5 (Tuohy, I988). L'expé rience québécoise d'implantation de l'assurance-maladie ( qui s'était faite en passant outre aux objections des médecins spécialistes en 1 970) démontre que les normes centrales n'imposent pas de contraintes à un gouvernement qui souhaite mettre en place un modèle alternatif de santé, dans ce cas un système intégré de services de santé et de services sociaux qui impose des conditions encore plus restrictives aux prestataires de soins que dans les autres provinces. Les variations entre les systèmes provinciaux de santé sont relati vement minimes, car toutes les provinces ont mis en œuvre des sys tèmes publics, plus ou moins universels et plus ou moins compréhensifs en termes de service. Le modèle québécois, comme nous l'avons déjà signalé, s'est développé de façon plus distincte, grâce à l'intégration des services sociaux et des soins communau taires. Néanmoins, les différences se sont accrues, alors que les pro vinces se sont engagées dans diverses formes de réorganisation pour faire face au défi de la gestion des coûts. Les différences les plus importantes entre les provinces ont trait à la définition des services médicalement nécessaires. Un regard sur la liste des exemptions entre le Québec et l'Ontario permet de constater qu'il existe des services couverts dans une province et non dans l'autre. Un autre contraste entre les provinces a trait aux dépenses publiques dans le secteur de la santé. L'Alberta, par exemple, a réduit la part des dépenses publi ques de santé à 5,2 % de son PIB, alors que le Québec y consacre 7 %. Enfin, ces changements ont contribué à une certaine érosion du principe de transférabilité, puisque les bénéfices couverts dans une province peuvent ne pas l'être de façon équivalente dans une autre. Cela est particulièrement vrai dans le cas du Québec, puisqu'il n'est pas signataire de l'entente interprovinciale de réciprocité sur les soins de santé. Les contraintes sur l 'action des provinces
Même si les provinces conservent une part d'autonomie dans la définition de leur action en santé, les normes centrales imposent un
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frein à la flexibilité et à l'asymétrie de deux façons. Premièrement, en termes de procédures, la Loi canadienne sur la santé va à l'encontre de l'esprit de la notion de souveraineté provinciale dans le domaine de la santé en donnant au gouvernement fédéral les instruments financiers pour définir et imposer unilatéralement les règles qui régissent le domaine. Pour plusieurs Québécois, cela peut représenter une imposition des valeurs fédérales et l'uniformité entre provinces dans un domaine qui relève clairement de leur compétence exclusive. Le deuxième problème a trait davantage au fond de la question : les normes centrales limitent la flexibilité et l'asymétrie, en ce sens que les provinces peuvent exercer leur autonomie seulement de façon marginale et sans remettre en cause le principe de la gestion publique du système de santé. De plus, l'exercice de l'autonomie de décision des provinces ne peut pas les mener à faire des choix qui limitent la transférabilité des bénéfices des Canadiens entre les provinces. Du point de vue du Québec, l'impatience a surtout été centrée sur la dimension de la procédure plutôt que sur le contenu des principes de la loi, puisque le Québec ne remet pas en question la légitimité de l'assurance-santé publique. En fait, certains observateurs sont d'avis qu'étant donné la tendance à la baisse du financement fédéral et l'omniprésence de la rhétorique néo-libérale dans le reste du Canada, la seule façon de préserver le modèle québécois de système public de santé est de protéger le Québec des modèles indésirables issus de la diffusion des pratiques des autres provinces ou d'une décision fédérale. La décentralisation, dans cette optique, est donc perçue comme une fin en soi : une façon de mettre fin à l'empiétement du fédéral dans le domaine de la santé et de réaffirmer l'autonomie du Québec en santé et en affaires sociales. Pour quelques autres provinces, cependant, les normes centrales ont représenté une contrainte d'abord et avant tout en raison de l'insistance des autorités fédérales à défendre les principes de gestion publique et d'égalité d'accès aux soins de santé. Malgré le fait qu'aucun gouvernement provincial ne se soit ouvertement inscrit en faux contre les principes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé, les récents conflits entre le gouvernement de l' Alberta et le ministère de la Santé fédéral, au sujet de l'expansion et du financement des cliniques privées, laissent supposer que l'adhésion aux principes qui sous-tendent les normes centrales est plus ambiguë qu'il ne semble de prime abord. Pour les gouvernements de !'Ontario et de l' Alberta,
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notamment, l'appui à la décentralisation dans le domaine de la santé ne se limite pas aux questions de procédure, mais il porte de façon plus importante sur le besoin d'assouplir les principes fédéraux sur l'organisation des soins de santé. Les leaders politiques ne déploie raient pas tant d'efforts pour changer les règles du jeu dans les politiques de santé s'il ne s'agissait que d'instituer des normes iden tiques. Dans cette optique, la décentralisation représente un moyen d'en arriver à une fin qui pourrait s'avérer très différente des prin cipes existants (Gibbins, 1996). L'institutionnalisation du rôle du gouvernement fédéral
Malgré les remontrances exprimées par le Québec et par d'autres provinces au sujet du processus de mise en vigueur des normes, le gouvernement fédéral est devenu partie prenante de l'élaboration des politiques de santé. Pendant plus de 40 ans, il a mis en place et développé une capacité administrative et une expertise importante dans ce domaine. Cela lui a permis d'accumuler un capital politique considérable en jouant un rôle de surveillance et de financement d'un système public de santé fort populaire partout au Canada. Comme Alan Cairns l'a déjà noté, l'État devient avec le temps, à travers ses actions et l'effet de ses décisions passées, omniprésent dans la société ( Cairns, 1986 : 57). Dans ce sens, l'État fédéral est devenu omni présent dans l'esprit des gens en tant que porte-étendard et pro tecteur des principes qui sous-tendent l'assurance-santé publique au Canada. Même si les pressions fiscales ont mené les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa à se désengager de leurs obligations sur le plan du financement, les responsables fédéraux continuent de s'attribuer le crédit politique de leur action de protecteurs de pro grammes dans le domaine de la santé. Les bénéfices politiques considérables dans ce domaine signifient entre autres choses que la tentation d'y maintenir une présence active est vraisemblablement irrésistible. Il n'en demeure pas moins que le fait d'obliger les pro vinces à se conformer à des normes définies par le gouvernement fédéral est en voie d'aller au-delà du pouvoir de dépenser et de créer « un pouvoir de faire dépenser les provinces » (Duperré, 198 7 : 2 7).
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Les forces en présen ce dan s la politique de la santé
Les tenants d'une approche institutionnaliste en science politique sont généralement d'avis que la mise en application des politiques gouvernementales affecte profondément la dynamique des luttes politiques dans un champ d'action donné (Pierson, 1993 : 624 ). De la même façon, l'existence de normes centrales dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé a contribué à transformer le champ du jeu politique dans le domaine de la santé en assurant la diffusion de certains principes dans l'opinion publique, concernant notamment la gestion publique, l'universalité et l'accessibilité aux soins de santé. Ces principes ont à leur tour transformé les intérêts et les stratégies politiques des intervenants dans le domaine de la santé de chaque province. Cela porte à croire que les acteurs politiques peuvent subir de manière directe l'effet des normes centrales, mais aussi que ces normes sont intériorisées par une partie suffisamment importante de la population pour acquérir le statut de principes universels. Bien entendu, les bénéficiaires des soins représentent la force politique de base. Les analyses de l'opinion publique révèlent la persistance à la fois d'un appui important aux principes qui sont à la base des normes centrales et d'un degré de satisfaction élevé envers les systèmes publics de santé au Québec et dans les autres provinces . Les sondages commandés par le Forum national sur la santé, par exemple, ont montré que les Canadiens sont profondément attachés aux principes d'universalité et d'accessibilité des soins de santé. La comparaison des données de sondages entre plusieurs pays montre également que les Canadiens ont tendance à montrer une grande confiance envers leur système public d'assurance-santé ; par exemple, Blendon et coll. ( 1990) ont révélé que le public canadien, en com paraison avec les publics de neufs autres pays industrialisés, avait la perception la plus favorable de son propre système de santé. Peut-on en déduire que l'appui à l'assurance-santé publique se maintiendra dans l'avenir ? Si on accepte la notion que le système que nous connaissons aujourd'hui est fondé sur des normes sociales universel lement partagées, il est alors possible de défendre le point de vue selon lequel l'existence de telles normes solidement ancrées dans la culture politique d'un pays peut assurer la survie de l'assurance-santé publique. Une variante de ce raisonnement reviendrait à dire qu'un tel niveau d'appui ne peut exister qu'aussi longtemps que la population
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demeure satisfaite du système de santé. Les réactions aux réformes comme le « virage ambulatoire » indiquent que l'opinion que les Québécois se font de leur système de santé est basée d'abord et avant tout sur leur propre expérience individuelle de réception de soins (Paré, 199 5 ). Cependant, si l'insatisfaction se poursuit, à la lumière des réductions dans le financement et dans les services, il est possible que les Québécois portent leur attention vers des modèles alternatifs pour financer et fournir les soins, remettant ainsi en question les normes sociales jusque-là acceptées par tous. Si, par contre, on adopte le point de vue selon lequel les normes n'existent que dans la mesure où elles peuvent être formellement mises en vigueur· (comme les normes centrales peuvent l'être par le biais de la Loi canadienne sur la santé), alors les réductions dans les transferts fiscaux aux provinces pourraient remettre en cause l'autorité - à la fois morale et légale - du gouvernement fédéral en tant que responsable de la définition et de l'imposition des normes existantes, ce qui pourrait entraîner une inexorable érosion du caractère public du système d'assurance-santé. Les intervenants tels les médecins, les assureurs et les admi nistrateurs d'hôpitaux peuvent avoir des intérêts différents dans le système de santé, dans la mesure où ils sont des bénéficiaires poten tiels d'une privatisation de certaines parties du système de santé. Devant un tel potentiel de mobilisation en faveur d'une certaine forme de privatisation, les normes centrales ont jusqu'à maintenant constitué un contrepoids utile aux gouvernements provinciaux qui ont résisté à ces pressions (Evans, 1990). Dans le cas du Québec, le gouvernement provincial a résisté avec vigueur aux assauts des inter venants favorables à la privatisation des soins. Même si certains médecins peuvent partager les normes sociales les mieux ancrées au sujet de la valeur de l'assurance-santé publique, l'appui à un tel système se base généralement sur les occasions d'en tirer des avantages tangibles. Pour la plupart d'entre eux, il faut le rappeler, la réduction des dépenses publiques de santé menace de plus en plus l'existence même de telles occasions. Bref, si le système n'est plus payant pour les médecins, il devient de plus en plus difficile de s'assurer de leur appui. Par exemple, l'opinion officielle de l' Asso ciation médicale canadienne est que, à la lumière des compressions soutenues dans le financement public du système, les principes de la Loi canadienne sur la santé ne peuvent plus être maintenus. Par
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conséquent, l'introduction d'éléments de privatisation semble être la solution la plus prisée par les médecins pour faire face au désé quilibre croissant entre la demande de soins et la capacité du système public de leur assurer une rémunération qui corresponde à leurs attentes. L'avenir des n ormes centrales
Durant les quelques décennies où le gouvernement fédéral a exercé son « pouvoir de dépenser » dans le domaine de la santé, les con tributions fédérales aux systèmes de santé provinciaux ont chuté progressivement en fonction des changements successifs dans les modes de financement. En 1977-1978 (année où le gouvernement fédéral est passé d'une formule de financement à frais partagés à une formule de transferts globaux à l'enseigne du Financement des programmes établis), les contributions fédérales correspondaient à environ 4 5 % des dépenses provinciales (44 % dans le cas du Québec) . En 1994, cette part était passée à 3 3 % des dépenses provinciales (34 % au Québec) (Santé Canada, 1996a ; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 19956). Pendant cette même période, cependant, le total des dépenses publiques dans le secteur de la santé a augmenté de façon soutenue, passant de 5 , 5 % à 7 % du PIB. Faisant face à des revenus décroissants et à l'escalade des coûts, les provinces ont eu recours à différents mécanismes de contrôle des coûts, y compris la rationalisation des services, la fermeture d'hôpi taux et l'imposition de contrôles sur les activités des médecins et, plus généralement, sur l'offre des soins. De telles pressions, en com binaison avec les changements survenus dans la façon de dispenser les soins de santé, ont entraîné une augmentation considérable de la part des dépenses privées sur l'ensemble des dépenses de santé au Canada. Celles-ci sont en effet passées de 2 3 % des dépenses totales en 1975 à plus de 30 % en 1996. En dépit des réductions de financement occasionnées par l'in stauration du Transfert social canadien, le gouvernement fédéral a insisté pour que les provinces se conforment à ses normes centrales. Plusieurs analystes doutent que la « règle d'or » du fédéralisme fiscal - celle qui veut que celui qui avance l'or puisse définir les règles (Reischauer, cité par Peterson, I996 : 3 5 ) - puisse survivre beau coup plus longtemps, dans un contexte où les contributions
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en argent sonnant du fédéral rétrécissent comme une peau de chagrin. Les gouvernements des provinces ont réagi de deux façons à cette situation. D'une part, plusieurs provinces ont exercé des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu'il stabilise les transferts fiscaux afin de préserver sa capacité d'imposer les normes de la Loi canadienne sur la santé. Le budget fédéral de I 99 6, qui proposait un plancher de I I millions de dollars, a été accueilli très favorablement par ceux qui considèrent les transferts fédéraux comme un élément fondamental de la responsabilité d'Ottawa de redistribuer les ressources entre les provinces (Saint-Hilaire, I99 6). Ce point de vue a été renforcé par les recommandations du Forum national sur la santé, qui insistait pour que l'on maintienne un plancher garanti pour les fonds du Transfert social canadien, afin de consolider le caractère public du système de santé (Forum national sur la santé 19 9 7). D'autre part, cependant, quelques provinces ont saisi l'occasion d'une réduction des transferts fédéraux comme une chance d'accé lérer leurs visées de décentralisation. L'aboutissement logique de ces visées devrait être l'autonomie complète des provinces dans le domaine de la santé, par le biais d'une conversion de l'équivalent des montants transférés du fédéral en points d'impôt, qui accompa gnerait une levée définitive des contraintes imposées par la Loi canadienne sur la santé. La plupart des premiers ministres pro vinciaux (y compris ceux du Québec) ont donc refusé de participer officiellement au Forum national sur la santé entamé en I994, en alléguant que la santé restait un domaine de compétence exclusive des provinces (Yenne, 1 994). Au lieu de cela, depuis 199 5 , les pre miers ministres provinciaux se sont donnés collectivement un rôle de leadership dans les discussions sur les changements à apporter au processus intergouvernemental d'élaboration des politiques de santé. Au cœur de leurs préoccupations se retrouvait un désir de substituer au rôle unilatéral du fédéral dans la mise en vigueur des règles un processus paritaire fédéral-provincial plus transparent. On a aussi proposé de remplacer l'instrument central que représente la Loi canadienne sur la santé par un accord interprovincial ( Council on Social Policy Renewal, I997). Même si le Québec ne s'est pas engagé officiellement dans de telles initiatives, plusieurs intervenants québécois appuient la
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décentralisation qui mettrait fin à l'imposition des normes centrales fédérales. Il demeure incertain, toutefois, que le gouvernement québécois serait prêt à accepter un ensemble de normes qui viendrait se substituer à ces normes centrales, mais qui résulterait d'une entente interprovinciale. Dans la mesure où les gouvernements qui se sont succédé à Québec ont maintenu l'objectif de préserver l'au tonomie du Québec dans le domaine de la santé, il est vraisemblable que les règles incluses dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux de I97 I définiraient les paramètres normatifs du système de santé québécois en l'absence du mécanisme central repré senté par la Loi canadienne sur la santé. Quelles sont les intentions des gouvernements provinciaux face à la nouvelle marge de manœuvre que leur conférerait le retrait du gouvernement fédéral ? Pour certains observateurs, le vrai débat se situe dans la question plus fondamentale du désengagement du secteur public, et non seulement dans celle du « départage » des rôles et des responsabilités fédérales et provinciales (Torjman, 1 997). La décentralisation dans le domaine de la santé, donc, doit être inter prétée comme faisant partie d'un débat plus large à propos du rôle de l'État dans la société et dans l'économie. Les soins de santé sont un service public qui, contrairement à l'assistance sociale, par exemple, serait extrêmement profitable au secteur privé. Bien que les responsables politiques québécois aient persisté, j usqu'à maintenant, à appuyer le secteur public, les premiers ministres de !'Ontario et de l'Alberta ont, pour leur part, ouvertement émis l'opinion que la privatisation de certains secteurs du système de santé de leur province pourrait réduire la pression dont est l'objet le système public, et absorber une partie de l'excédent de la demande de soins de santé. Si les normes centrales qui ont force de loi sont mises au défi par les provinces au point de rendre caduque ou inopérante la Loi canadienne sur la santé, quelles sortes de normes pourraient subsister dans le domaine de la santé ? L'un des scénarios possibles veut que les principes d'universalité, d'accessibilité et de gestion publique qui sont soutenus par les normes centrales pourraient exister sans mécanisme d'imposition coercitive, dans la mesure où ces normes sont politiquement institu tionnalisées et bien ancrées socialement. Le premier raisonnement soutient que les expériences passées de développement d'un champ de politiques ont placé les provinces sur des sentiers bien définis qui
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délimitent les contours des réformes subséquentes (Pierson, 199 3 ). Le rapport de la commission Rochon de 1 9 8 8, par exemple, aurait « reproduit » les recommandations de la commission Castonguay Nepveu de 1 970 (Bergeron, 1990). Ainsi, selon ce raisonnement, les systèmes de santé provinciaux ne seraient pas si différents en l'absence de normes centrales, puisque l'héritage institutionnel laissé par la mise en application des politiques s'ajouterait à l'inertie bureaucratique pour constituer un obstacle à toute remise en ques tion fondamentale des principes du système. Le deuxième rai sonnement reprend une idée présentée au début de ce chapitre, selon laquelle des normes peuvent survivre sans mécanisme de coercition, dans la mesure où elles sont solidement ancrées dans la société. Par conséquent, dans cette optique, il est possible que des principes tels que l'égalité et l'accessibilité aux soins soient si largement partagés et si profondément ancrés dans la société que de telles normes sociales puissent se maintenir simplement par l'exercice de la volonté poli tique collective et la pression de l'opinion publique. Un autre scénario, peut-être plus vraisemblable, est que des normes provinciales pourraient prendre la place des normes centrales actuelles. Cela signifie que les provinces pourraient élaborer et mettre en place des réformes dans le domaine de la santé en con formité avec un code de conduite qui leur serait propre et qui reflé terait les besoins et les demandes de leurs populations respectives. Quelques éléments de symétrie pourraient être maintenus par le recours à des conventions interprovinciales, qui feraient surtout appel à la persuasion morale, pour inciter les provinces à maintenir un certain degré de similitude dans leurs manières de financer et de dispenser les soins de santé, au minimum pour assurer la trans férabîlité des soins entre les provinces (Courchene, 1 996). Dans un tel système, le rôle du fédéral pourrait se limiter à l'exercice d'une certaine autorité morale pour persuader les provinces de se con former à ces normes communes, soit en faisant simplement appel à une pression politique par le biais de l'opinion ou, à la limite, en invoquant le droit des Canadiens à la mobilité en vertu de l'article 6 de la Charte des droits et libertés. Un scénario comme celui-ci pour rait mener à une asymétrie considérable entre les provinces, mais une telle asymétrie ne doit pas nécessairement être attendue dans un système fédéral décentralisé (Noël, 1997) . L'absence de normes cen trales pourrait donner au gouvernement du Québec les instruments
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qu'il réclame depuis plusieurs années pour orienter ses stratégies de réforme de la santé dans une direction autre que celle qui serait adoptée par d'autres provinces. Ainsi, il serait possible de préserver la capacité du système de santé de servir les Québécois sans inter férence de la part du gouvernement fédéral, ou même des autres provinces.
L'adaptation des services de santé et des services sociaux au contexte pl urieth nique R O B E RT S É V I G N Y • LO U I S E T R E M B LAY
L'EXISTENCE ou PHÉNOMÈNE de l'immigration et de la coexistence de groupes ethniques - ou de communautés cultu relles - n'est pas un phénomène nouveau au Canada et au Québec. L'adhésion du Canada à la convention de Genève en I 969, l'appli cation de la loi sur l'immigration en 1978 et l'application du statut de réfugié politique ont permis un accroissement important des réfu giés provenant d'Asie et d'Orient, d'Amérique latine et des Antilles ainsi que d'Afrique et du Proche-Orient. On estime à 14 % la pro portion de la population immigrée du Canada établie dans la pro vince de Québec qui est constituée de personnes immigrantes de première génération. Cette catégorie d'immigrants compose 8 % de la population actuelle du Québec 1 • En un sens, le Québec a depuis longtemps - ou depuis toujours - été un milieu pluriethnique : l'arrivée des découvreurs et des colons européens pourrait être vue, du point de vue des nations autochtones, comme posant en partie des problèmes de relations ethniques. Il en est de même des relations entre les Canadiens fran çais et les Canadiens anglais - objet des études en relations ethni ques au Canada dans les années 19 50 - qui, en dernière analyse,
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posaient les problèmes de l'identité de chaque groupe et des pro cessus d'intégration socioculturelle. L'existence de ces deux groupes a d'ailleurs amené le système de santé à adapter ses services aux communautés qu'il desservait : un système anglophone, parallèle au système francophone, s'est développé. Par la suite, plusieurs autres groupes d'immigrants sont arrivés au Québec et ont acquis, en quelque sorte, le statut de « groupe ethnique » . En fait, l'immigration constitue depuis plus d'un siècle une composante sociale importante, mais ce n'est que depuis une vingtaine d'années que la gestion de l'immigration est considérée du point de vue institutionnel 2 (Minis tère des Communautés culturelles et de l'Immigration, r99oa, b, c). La question de l'accessibilité des services de santé et des services sociaux à la clientèle immigrante, elle, est apparue dans les années r9 80 3 • Le ministère de la Santé et des Services sociaux s'est alors surtout préoccupé des difficultés relationnelles entre les intervenants et la clientèle immigrante, les problèmes de communication constituant l'un des thèmes majeurs des recherches gouverne mentales portant sur l'accessibilité des services (Le Goff, r997) 4 • Ces problèmes sont, selon les observateurs, rattachés à une question de distance culturelle et de méconnaissance des services et de leur fonc tionnement. Cependant, ils ne sont pas exclusivement dus, comme le souligne Le Goff, aux différences culturelles et au non-partage du code linguistique, mais révèlent plusieurs types de distance: des conditions de vie, de la manière de concevoir le système de santé et des circonstances de l'interaction intervenant-client. Pour comprendre le contexte pluriethnique actuel, il faut établir une distinction entre cette partie de la population arrivée au Québec depuis plusieurs générations et celle d'immigration récente. Ainsi, en r99 r , 22 % de la population immigrante était arrivée au Québec après r 9 8 5 ; 1 5 % d'entre elle avait le statut de réfugié. La majorité de ces immigrants de première génération (97 % ou 459 490 per sonnes) vivait à Montréal. Mais cette population d'immigrants récents ne se répartit pas de façon aléatoire sur le territoire mont réalais ; elle a plutôt tendance à se concentrer dans certains quartiers. Ainsi, par exemple, le territoire desservi par le CLSC Côte-des Neiges est le plus cosmopolite : la proportion de personnes se déclarant d'origine ethnique autre que française ou britannique y est de 72,9 % comparativement à 43 % pour l'ensemble de la ville de Montréal (Piché, Bélanger, 1996). De plus, les données statistiques
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1995-1996 du CLSC Côte-des-Neiges dénombrent plus de 1 50 pays d'origine parmi sa clientèle, dont 54 % est née ailleurs qu'en Amérique du Nord ( 1 5,5 % en Asie, 13,5 % en Europe, 9,4 % au Maghreb et au Moyen-Orient, 5,3 % en Amérique centrale et en Amérique du Sud, 6 % dans les Caraïbes et 4,1 % en Afrique) . D'autres secteurs d e Montréal sont aussi très cosmopolites. Parc Extension, quartier où résident des groupes ethniques établis ici depuis longtemps et des groupes récents d'immigrants, est constitué de 88 % de personnes d'origine ethnique autre que française ou britannique. Ce phénomène d'immigration récente a évidemment des impli cations socio-économiques et culturelles qui touchent les diverses instances qui ont à prendre des décisions administratives ou poli tiques, tant sur l'immigration et l'intégration des immigrants 5 que sur la santé et le bien-être6 • Mais il concerne aussi les intervenants dans le domaine de la santé et des services sociaux, soucieux de la qualité de leurs interventions auprès de cette clientèle. La complexité des problèmes est accrue par toutes les transformations actuelles dans le champ de la santé et des services sociaux. Les Centres locaux de services communautaires ( CLSC) ont comme mission d'offrir en première ligne 7 des services de santé et des services sociaux, de nature préventive ou curative, de réadaptation ou de réinsertion. Les CLSC assument leur mission de première ligne en étant le plus près possible des lieux de vie et de travail des gens. Ils constituent donc ainsi une des portes d'entrée de la clientèle d'immigration récente dans le système de santé québécois. Ils sont aussi l'un des premiers contacts de cette clientèle avec l'appareil institutionnel québécois. Or les CLSC sont sectorisés, c'est-à-dire qu'ils concentrent leurs activités dans des territoires bien définis. Cet état de fait renforce la sectorisation des immigrants qui se con centrent, on l'a vu, dans certains secteurs -et, de ce fait, accroît les responsabilités des CLSC envers les immigrants, récents ou plus anciens. Évidemment, la sectorisation des CLSC n'empêche pas les membres des communautés culturelles d'utiliser les services de santé de leur choix (les services privés, par exemple) . Par ailleurs, le virage ambulatoire, qui renvoie les patients à la maison et fait en sorte que les CLSC de leur secteur les desservent, modifie le degré et la forme de la « liberté de choix » des personnes qui agissent comme prestataires de services. Le centre hospitalier
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demeure ouvert à toute la clientèle, quel que soit le territoire (sauf en ce qui concerne la santé mentale), mais le CLSC, lui, est « fermé » à la population qui n'habite pas son territoire. Les dimensions orga nisationnelles et territoriales sont donc à prendre en considération dans la question de l'adaptation des services de santé et des services sociaux aux communautés culturelles. Ainsi, que signifie, par exemple, l'intervention de première ligne dans un CLSC plutôt que dans un autre établissement ? Dans un CLSC dont toute l'organi sation tient compte du contexte pluriethnique ? Que signifie l'inter vention de deuxième ou de troisième ligne dans un centre hospitalier dans ce contexte ? Les différentes interventions instaurent des cadres différents, des rapports intervenant-patient différents. Quelq ues définitions
L'adaptation ou l'adéquation des services de santé et des services sociaux au contexte pluriethnique suggère, globalement, deux grands objectifs : a) la connaissance des clientèles pluriethniques actuelles et potentielles des services et b) l'analyse des interventions auprès de ces clientèles dans une perspective de compatibilité culturelle et de con naissance des intervenants. Notons que la recherche sur l'ethnicité et les réalités issues de l'immigration est caractérisée par un contexte polysémique qui nmt parfois à l'intelligence des problèmes et des perspectives d'analyse. Tout en nous inspirant des nombreuses défi nitions proposées dans la littérature, que nous avons adaptées en fonction de notre orientation conceptuelle, nous avons opté pour les définitions suivantes : Par société pluriethnique nous entendons une société où coexistent plusieurs groupes d'origines nationales ou culturelles différentes, le groupe ethnique ou ethnoculturel étant le collectif formé de gens qui considèrent partager une même culture et une même langue. Dans ce contexte, le terme culture désigne l'ensemble des phénomènes maté riels et idéologiques qui caractérisent un groupe social. Les notions d'ethnicité et de relations ethniques, appliquées à la situation québécoise, renvoient inévitablement au fait que le Québec fait partie d'un pays industrialisé à forte immigration. Dans l'histoire des sciences sociales nord-américaines ( et, sans doute, dans l'histoire des sociétés urbaines en grande partie fondée sur l'immigration), cette notion a toujours permis de poursuivre deux objectifs. Le premier a
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été d e rendre compte, à un moment donné, d e la dynamique des relations entre des individus et des groupes ayant, en raison de l'immigration, des origines fort variées sur le plan des nationalités, des appartenances religieuses, des aires géographiques ou des statuts socio-économiques. Le second a été de rendre compte de l'évolution sociale de ces sociétés pluriethniques. En d'autres termes, on a utilisé cette notion pour montrer comment des groupes nouveaux, différents les uns des autres, relativement marginalisés, ont été, à des rythmes différents, inclus dans la société dans son ensemble. En ce sens, la notion de relations ethniques a surtout permis de décrire et d'analyser le processus d'inclusion de ces groupes à l'ensemble de la société. (Mais cette notion suppose souvent, dans d'autres contextes socio logiques ou politiques, une volonté d'exclusion). Par ailleurs, immi gration et ethnicité, comme le rappelle le sociologue Breton, doivent être envisagées avant tout comme un processus impliquant des étapes qui ne sont pas toutes identiques. C'est par rapport à ce processus que la distinction entre immigrants récents et anciens groupes ethni ques devient indispensable. La notion d'immigrant (ou de migrant) est elle-même très générale et peut engendrer beaucoup de confusion. Il y a certes des carac téristiques communes à toutes les expériences d'immigration, mais au-delà de l'identité globale et indifférenciée, on trouve aussi plu sieurs sources de différenciation. Les immigrants, au moins par hypothèse, sont différents selon le contexte de leur départ du pays d'origine ; ils sont aussi différents selon leur façon de tenir dans un tout relativement cohérent leur passé (là-bas) et leur présent (ici) . Ainsi, tous les immigrants ne souhaitent pas ou ne réussissent pas au même point à mettre de côté les comportements, les normes et les valeurs de leur milieu d'origine. Certains immigrants, par exemple, peuvent souhaiter adopter le plus rapidement possible les services de santé et les services sociaux qui leur sont offerts ici parce que ces derniers faisaient partie, dès le départ, de l'image qu'ils se faisaient de leur nouveau pays d'adoption. D'autres, au contraire, peuvent souhaiter une sorte de métissage des façons de faire d'ici et de là-bas pour répondre à leurs besoins en matière de santé et de bien-être. (Ce processus de métissage est d'ailleurs d'autant plus complexe que les problèmes de santé se présentent parfois fort différemment dans ces deux milieux. ) De plus, il est important de distinguer les personnes ayant une « appartenance à des valeurs et à des cultures non
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occidentales » et celles qui sont plus proches de la culture occi dentale. Il serait difficile d'ignorer que la diversification de l'immi gration accentue effectivement la coexistence au sein des institutions publiques, et notamment du système de santé, d'une diversité de valeurs, de styles de vie et de conditions sociales. Enfin, nous l'avons vu, il faut distinguer entre les immigrants récents et ceux d'immigration plus ancienne. Les immigrants récents, souvent regroupés sur un même territoire pluriethnique, ne devien nent cependant pas nécessairement une communauté. Par ailleurs, les immigrants, principalement ceux de la première génération, vivent une série de ruptures par rapport à leur milieu d'origine (en ce qui concerne le cadre normatif, économique, climatique et linguistique ; il y a en outre fragmentation du réseau familial et personnel). Ces ruptures, qui peuvent être particulièrement brusques et radicales, dans le cas des réfugiés par exemple, obligent en quelque sorte une nouvelle structuration de la personne, de la famille et de la communauté. La distance culturelle réfère au degré de divergence ou d'incom patibilité qui peut être perçu par des individus en interaction entre les savoirs, savoir-faire et systèmes de référence culturelle des uns et des autres. Selon Boucher (1991), la différence de normes et de valeurs qui marque la distance entre les individus est la source de toute construction identitaire. Par le terme acculturation, nous faisons référence au processus par lequel des groupes humains absorbent les schémas culturels d'autres groupes avec lesquels ils sont en interaction de façon continue ou répétée. Ce processus n'implique cependant pas la perte de la spéci ficité ou de l'identité des groupes en question. L'intégration est, elle, un phénomène d'acculturation. Ainsi, Breton ( 1994 : 239) définit l'acculturation : comme une conversion ou une transformation de l'identité et de l'iden tification. Comme processus social, l'intégration est d'abord un phé nomène d'adaptation qui comprend l'ensemble des stratégies d'action et d'innovation que déploient les immigrants face aux circonstances favorables ou défavorables qu'ils rencontrent. L'adaptation suppose l'acquisition d'une certaine compétence sociale, organisationnelle et politique. Enfin, l'intégration est également un processus sociopolitique de négociation sociale et identitaire où se confrontent deux définitions de la réalité, deux modes de vie, deux univers socioculturels.
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Enfin, la notion de groupe ethnique ou de communauté culturelle 8 - terme couramment utilisé au Québec - n'est pas aussi mono lithique qu'on a parfois tendance à le croire. Parmi les membres de tel ou tel groupe ethnique, on trouve aussi des individus qui vivent à la marge des normes culturelles de leur propre groupe. Les inter venants de la santé, devant un de ces membres, ne peuvent considérer a priori que cette personne est en tout point conforme au modèle culturel propre à son groupe ethnique. (On peut comprendre l'importance de ne pas attribuer à chaque individu des caracté ristiques culturellement stéréotypées en se disant par exemple : « Si j'étais en Chine, gravement malade, la dernière chose que je sou haiterais serait de me retrouver devant un médecin qui viendrait de lire un chapitre sur ce qu'est le "vrai Québécois" et qui me soignerait en fonction de cette définition. » ) Notons par ailleurs que le terme « groupe ethnique » ne fait pas l'unanimité parmi les membres des communautés culturelles. Ainsi, pour certains, ce terme a des connotations négatives, est porteur d'une signification autre que la communauté de langue et de culture, souvent politique et liée à l'expérience vécue de l'immigrant. Par exemple, un Bosniaque, défi nissant l'ethnie et le groupe ethnique en fonction des groupes qui s'affrontaient dans son pays, peut difficilement accepter d'être identifié comme faisant partie d'un groupe « ethnique » , cette notion véhiculant l'idée d'exclusion, de racisme. L'appartenance ethnique, de facto, est toujours associée à d'autres caractéristiques socio-économiques ; elle est une appartenance mul tiple et complexe. Comme tout autre citoyen 9 canadien, québécois ou montréalais, la personne membre d'une communauté culturelle a un travail ou est en chômage, est riche ou pauvre, peu ou très scolarisée, jeune ou vieille, est un homme ou une femme, a ou non une identité religieuse, etc. Tout en étant d'un groupe ethnique parti culier, l'identité de chaque personne est déterminée par tous ces fac teurs en même temps. Sans tenir compte de ces facteurs, il existe un danger d'ethniciser les interprétations ou les explications que l'on peut donner à propos de situations qui apparaissent à certains comme problématiques et de considérer chaque groupe ethnique comme un groupe monolithique.
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La connaissance des clientèles pluriethniques
Les nouveaux arrivants sont porteurs de plusieurs expériences: celles de leur pays d'origine, celles associées à leur identité de migrant et celles de la « société hôte » (Berry, Trimble et Olmedo, I986). Un manque d'équilibre entre ces trois cultures, par suite de l'idéalisation de la société d'origine ou, à l'inverse, de la société hôte, provoque des difficultés d'adaptation considérables (Richman et coll., I987 ) et des problèmes de santé, le processus de déracinement et de réen racinement étant une source de stress inévitable 10 • Le groupe ethnique auquel se rattache le migrant peut aussi jouer un rôle important, selon le degré et la forme d'implantation de la commu nauté dans le pays d'accueil. Des données récentes permettent même de croire à la présence, dans les trajectoires personnelles des migrants, de véritables facteurs de risque et de protection associés aux problèmes de santé 1 1 • L'identification et l'évaluation de ces facteurs de risque et de protection (Bibeau, Chan-Yip, Lock, Rousseau et Sterlin, I992.) représentent un enjeu de première importance pour mieux connaître les clientèles pluriethniques. Avant de parler d'adaptation des programmes et des services destinés à ces clientèles, il conviendrait d'être en mesure de prendre en considération les caractéristiques et les ressources sociales et culturelles qui appartiennent aux individus et qui déterminent leurs attentes et leurs besoins 12 • La littérature identifie des facteurs de risque spécifiques à l'ethni cité et à l'immigration tels le logement inadéquat, les conflits d'accommodation à des normes sociales et culturelles et à des rou tines nouvelles (Beiser et coll., I988 ; Berry, I988}. Par exemple, l'acculturation des parents et des enfants à des rythmes différents est source de tensions et de conflits entre eux. L'absence d'un réseau naturel d'entraide est un autre facteur de vulnérabilité. D'autres peuvent être cités tels que la catégorie d'âge {les enfants, les adolescents et les personnes âgées sont les plus susceptibles d'être en difficulté) (Wornham, 19 88), la différence marquée de statut social entre le pays d'origine et le pays d'arrivée, le statut de réfugié, celui de travailleur illégal ou de chômeur, le sexe et le degré d'isolement (Sue, Sue, I990}, le statut légal, la pauvreté, associée par exemple à un environnement insalubre ou non sécuritaire (McAll, 1992 ; 1 995 ; Sue, Sue, 1 9 9 0 ) . Les préjugés raciaux, l'accessibilité réduite des services, les attitudes négatives à leur égard dans la communauté
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et à l'école constituent aussi des facteurs de risque (Westermeyer, 1989 ). Les principaux facteurs de protection, eux, sont liés aux situations suivantes : lorsque parents et enfants embrassent la nouvelle culture sans nier la leur (Westermeyer, 1989 ), la présence de support de la famille et de la communauté culturelle d'origine (Berry, 1988), la tolérance du milieu d'accueil (dans la communauté et à l'école), la connaissance de la langue de la société hôte et l'emploi (Jacob, Bertot, Frigault et Lévy, 1997). Enfin, d'autres facteurs sont reconnus comme « médiateurs » entre les facteurs de risque et les facteurs de protection, tels le foyer de contrôle ( locus of contrai) et la robustesse de la personnalité (hardiness) (Côté, Boulet, 1996) et, pour les réfugiés, la nature des projets de vie et le degré d'espoir en « des jours meilleurs » (Jacob, Bertot, Frigault et Lévy, 1997). On ne sait pas encore exactement comment ces deux séries de facteurs s'articulent l'une à l'autre et, notamment, si les facteurs de protection ont un effet tampon à tous les niveaux des facteurs de risque ou seulement quand ceux-ci ont un niveau élevé ( Cohen, Hoberman, r983 ). Antonovsky ( r992) propose un cadre conceptuel expliquant comment les facteurs de risque et de protection confèrent au stress provoqué des conséquences négatives, nulles ou positives sur l'individu. Ces conséquences dépendent du sens que l'individu attribue à ces facteurs de stress, à savoir s'ils sont prévisibles, géra bles et intelligibles. Tous ces paramètres donnent forme à l'expérience particulière que chaque patient se fait de son mal. On souligne toutefois que ce sont principalement des valeurs et des représentations culturelles qui structurent cette perception. Les perceptions de ce que sont la santé et la maladie (Cohen, Hoberman, 19 8 3 ), la douleur (Bates, 1996), la mort (Eisenbruch, 19 84), l'intimité ou la médication varient selon les cultures. Ainsi, la distinction entre la maladie physique et la maladie mentale ou entre corps et esprit, culturellement définie, n'est pas acceptée dans toutes les sociétés ou toutes les cultures. Nombre de recherches mettent aussi en évidence que le degré de somatisation varie selon l'origine ethnique (Kirmayer, 199 3}. Le recours à la bio médecine est donc le plus souvent perçu comme complémentaire et non comme contradictoire avec l'utilisation d'autres ressources (formelles ou informelles, alternatives, etc.} .
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On ne peut cependant limiter la réflexion à l'identification systé matique des facteurs de risque et de protection liés à l'expérience des migrants. On doit aussi prendre en compte la compétence parti culière, dans le domaine de la santé et des services sociaux, des personnes qui proviennent de sociétés ou de milieux qui ne sont pas pénétrés par le modèle biomédical et social « occidental » . La mécon naissance et la dévalorisation des croyances, valeurs et représen tations populaires représentent un handicap d'autant plus lourd que la distance culturelle est forte entre intervenants et clients. Le défi de l'adaptation des services est de remédier à ce handicap inhérent à la santé en milieu pluriethnique en portant une attention particulière à l'expérience et à la compétence des personnes migrantes, autant dans leur « savoir » que dans leur « faire » . L e contexte pluriethnique des services de santé et ses implications
Le contexte pluriethnique des interventions dans le domaine de la santé et des services sociaux fait référence aux intervenants et à la relation entre ces derniers et les membres des communautés cultu relles. Cela signifie, d'une part, que les attitudes et les compor tements de tel ou tel membre d'une communauté culturelle seront aussi fonction des cadres professionnel et organisationnel de cette relation. Que veut dire, par exemple, rencontrer ou intervenir auprès d'un immigrant récent quand on est infirmière, travailleur social ou médecin ? Et que signifie rencontrer cet immigrant dans le contexte d'un CLSC, d'un hôpital, d'un organisme communautaire, d'un cabinet privé, etc. ? D'autre part, tout intervenant a aussi sa propre identité ethnique ou ethnoculturelle qui intervient dans cette relation. l?identité d'un immigrant récent qui appartient à tel ou tel groupe ethnique ne se définit donc pas dans l'abstrait, mais dans le concret de la relation d'aide au sens général du terme 13 • Par ailleurs, un nombre de plus en plus grand d'intervenants ont aussi une identité ethnoculturelle qui les rapproche de leur clientèle pluriethnique 14• La plupart des écrits consacrés aux interventions interethniques 1 5 ont tendance à considérer soit que l'intervenant n'est jamais un membre d'un groupe ethnoculturel particulier, soit qu'il a « perdu » son identité ethnique. Plusieurs auteurs tiennent pour acquis, par exemple, qu'un intervenant haïtien ou asiatique s'est
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complètement assimilé à la culture québécoise au fil des ans. Cette position, poussée à la limite, devient vite un racisme à rebours : on refuse à un intervenant une partie de son identité ethnoculturelle au nom de son intégration sociale à notre société. Même si, dans une société comme la nôtre, l'identité professionnelle est une composante importante de l'identité socioculturelle, il demeure souvent un déca lage ou une contradiction entre l'identité ethnoculturelle et l'identité professionnelle. Les intervenants, quelle que soit leur identité ethnoculturelle, détiennent des savoirs multiples : des savoirs cliniques formels, mais aussi des savoirs implicites 1 6 , fruits de leur expérience auprès de la clientèle et de leur propre histoire 1 7 • Toutefois, ces savoirs ne sont pas toujours reconnus, ni par eux ni dans leurs milieux de travail (Arpin, I992). Ainsi, les intervenants peuvent être amenés, malgré leur expérience, à remettre fréquemment en question leur savoir-faire (Le Blanc, 1994). Cette remise en question peut s'avérer utile si elle les mène à mieux définir le sens de leurs interventions et à prendre conscience des savoirs, des normes et des valeurs qui sous-tendent et encadrent leurs pratiques. Roy ( 199 1 ) définit ce qu'est la pratique interculturelle d'après les témoignages d'intervenants travaillant en contexte pluriethnique. La pratique interculturelle est un moment où l'intervenant tente de décoder le langage de l'autre tout en ayant conscience de ses propres biais. Elle serait alors une sorte de va-et-vient entre la culture de l'autre et la sienne. Dans le même sens, Legault ( 1991) et Legault et Lafrenière (1992) soulignent l'importance de la prise de conscience de sa propre culture pour comprendre les référents culturels du patient. Boucher ( 199 1 ), pour sa part, énumère certaines particu larités de la pratique en contexte pluriethnique: l'ambiguïté de la relation et de la communication avec les clients, la complexité des interventions et des problèmes rencontrés qui sont souvent nouveaux et inconnus, l'inconfort devant la différence, certains risques éthiques et déontologiques des actions inhabituelles, l'isolement professionnel par rapport aux ressources, à l'encadrement et au cadre institu tionnel. « Intervenir auprès des migrants mobilise beaucoup de nos énergies, écrit Boucher, à cause de la charge émotive et du niveau d'insécurité élevé ressenti réciproquement par l'intervenant et son client. » Elle poursuit : « L'absence de références théorique, déontologique et administrative pertinentes ne fait qu'accentuer le
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doute, l'insécurité et le sentiment d'impuissance face à ces situations inhabituelles. » Accessibilité et qualité des services
L'adaptation ou l'adéquation des services est une notion complexe, qui recouvre à la fois leur accessibilité (accessibilité linguistique, financière et géographique, compatibilité culturelle) et leur qualité (technique et relationnelle), la compatibilité culturelle et la qualité relationnelle semblant être deux dimensions importantes dans l'adaptation des services aux clientèles pluriethniques. L'expérience montre en effet qu,un service accessible d'un point de vue administratif ou politique peut être culturellement inadéquat. Cela se traduit notamment par des réactions de fuite ou de refus de la part des clients ou, dans les cas les plus tragiques, par des inter ventions nocives, pathogènes ou destructrices. Il s'agit donc d'arriver à cerner les caractéristiques qui permettent d'inscrire les services dans un cadre de référence satisfaisant pour les clientèles en per mettant des interventions réussies du point de vue de la santé et du bien-être psychosocial : prévenir, soigner, guérir. Certes, il ne suffit pas de reconnaître et de mettre à profit le savoir et la compétence des clients pour évaluer la qualité d'une intervention. On doit aussi s'interroger sur l'efficacité de la pra tique interculturelle des intervenants, en tablant sur leur savoir implicite mis en œuvre de concert avec les normes et les rôles prévus dans le cadre de référence propre à chaque profession. Il est essentiel de situer le problème de l'adéquation des services dans la perspective de l'expérience humaine et clinique des intervenants, de manière à recueillir et à évaluer les connaissances issues de la pratique. L'intervention est un lieu d'ajustement réciproque qui est tribu taire d'un ensemble de facteurs. Elle est, entre autres, influencée par le groupe professionnel auquel l'intervenant appartient, l'organi sation du travail, les décisions administratives (le temps alloué pour la formation du personnel, le nombre de patients à voir quoti diennement, la qualité du matériel et des ressources humaines, le support), etc. En même temps, les pratiques sont tributaires de la complexité des identités sociales des patients : jeunes ou adultes, hommes ou femmes, parents ou non, membres de communautés
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culturelles, d'immigration récente ou moins récente, la langue parlée, la situation socio-économique, etc. Une approche sensible en contexte pluriethnique, ou approche interculturelle, telle que la nomme le CSSS-SMI (Chiasson-Lavoie, 1992 ; Cohen-Emerique, 199 3 ), commande un réel dialogue client intervenant, un partage de leurs savoirs et connaissances. Il s'agit « de développer un cadre de mutualité où l'intervention est recadrée en une situation de travail d'équipe, fondée sur la compétence de tous les participants ( Côté, Boulet, 1996) » et d'élargir les connais sances sur les savoirs auxquels se réfèrent les clientèles et les intervenants et celles sur les relations intervenants-clientèles, dans une perspective de soutien à la complexe adaptation des interven tions en contexte pluriethnique. La notion de qualité concerne donc à la fois la relation intervenant-client, les pratiques et les savoirs des intervenants, leur engagement personnel et le support organisationnel. Un grand nombre de traits ou de caractéristiques des clients interviennent éga lement dans le processus d'intervention. Plusieurs études démontrent que les personnes issues de groupes ethnoculturels ont tendance à quitter le système de santé et de services sociaux officiel de façon prématurée 1 8 • Sur le plan sanitaire, l'insatisfaction des immigrants à l'égard des soins semble résulter en partie des divergences entre leur cadre de référence et celui du système de santé du pays d'accueil, qui s'opposent alors dans l'intervention interethnique (Allen et coll., 199 3 ) . Bibeau et coll. (1987) notent que les communautés culturelles disposent de leur propre système de référence concernant la santé et la maladie, système qui comprend un savoir relatif au corps et à son fonctionnement, un savoir-faire constitué de réactions et de réponses aux problèmes et un savoir-être qui renvoie aux valeurs du groupe. Ce système se construit par l'identité ethnique, mais aussi par d'autres variables - la trajectoire migratoire, les solidarités de classes, les rapports de sexe, les rapports intergénérationnels et les processus dynamiques, omniprésents, d'inclusion et d'exclusion (Boucher, 199 1 ; McAll, 1992 ; 199 5 ). Ce système de référence peut différer de celui de l'intervenant sur plusieurs points, tels que la définition du bien-être ou du problème, les croyances reliées à la maladie et à la mort, la définition et le processus de communication de la douleur et des symptômes, l'attitude à l'égard de l'intervenant, les attentes liées à l'intervention. Par contre, l'étude montréalaise de
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Heneman et coll. ( 1994 ) révèle que les familles qui consultent pour des problèmes de santé sont majoritairement satisfaites du diagnostic établi. C'est ainsi que seulement 4 % des familles ont souligné avoir été « choquées » par le manque de temps de l'intervenant lors de la consultation. L'établissement d'une relation de confiance ainsi que la compré hension du problème et la poursuite du traitement semblent fortement liés à la capacité de l'intervenant de percevoir le cadre de référence culturel du patient, permettant à ce dernier d'être lui-même (Sterlin, r98 8 ) . En ce sens, le type de relation qui s'installe entre l'intervenant et son patient est une dimension centrale de toute intervention efficace en contexte pluriethnique. Les attentes peuvent varier énormément selon l'origine ethnique des patients. Ainsi, alors que certains demanderont de l'autorité ou une forte directivité de la part de l'intervenant, d'autres chercheront plutôt une forme de sou tien amical (Trinh, 1986). Le temps et l'énergie consacrés à la com munication et à l'explication du diagnostic et du traitement sont aussi cruciaux car, comme le soulignent Sue et Sue ( 1 990}, une com munication confuse peut entraîner de l'insatisfaction chez le client et de la frustration chez l'intervenant. Il importe de souligner que les problèmes peuvent varier selon les groupes ethniques et selon leur façon de « vivre » avec les symp tômes. Ainsi, certains groupes ont tendance à manifester un plus grand nombre de problèmes en relation avec certaines parties de leur corps. De façon générale, un client décrit son problème avec un ensemble sémantique lié à son appartenance culturelle, mais plu sieurs facteurs peuvent contribuer à donner cet aspect « culturel » à un phénomène, alors qu'il peut s'agir d'un amalgame de facteurs tels que la provenance ou l'origine ethnique, le processus migratoire, la classe sociale, la situation économique, le sexe, etc. De nombreux écrits relèvent des situations d'incompréhension qui remettent en question l'accessibilité et la compatibilité culturelle des services et des interventions (Sue, Sue, 1990). Plusieurs facteurs sont en cause, parmi lesquels il y a la conception même du problème et de l'intervention, tant du point de vue de l'intervenant que du client, et la compatibilité culturelle de la rencontre intervenant-client. Or force est de constater que, si les intervenants s'interrogent sur l'efficacité de leur pratique interculturelle, il existe certainement un hiatus entre le savoir des uns et des autres. Ces propos trouvent d'ailleurs écho
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dans les divers écrits, notamment dans les rapports Sirros ( 1 9 8 7 ) et Bibeau et coll. ( 1987). Certains intervenants disent ne pas réussir à servir de façon optimale une clientèle diversifiée sur le plan ethnoculturel. D'autres auteurs, comme Arpin ( 1992), soulignent les limites du modèle biomédical, celui-ci pouvant renfermer des cloi sonnements entre les dimensions biologique, psychologique et sociale. Massé ( 1 99 5 ) abonde dans ce sens lorsqu'il souligne l'impor tance de remettre en question les « prétentions d'universalité inhé rentes aux définitions occidentales des problèmes de santé et des facteurs de risque » . Rappelons par ailleurs que le respect d u client se traduit aussi par la reconnaissance active de sa compétence et par l'acceptation d'une situation où l'intervenant n'est pas l'unique détenteur d'un savoir et d'un faire (Bilodeau, 1993 ). Toutefois, comme le note Massé ( 199 5 ), cette reconnaissance est loin d'être acquise. En effet, d'après cet auteur, les échecs de plusieurs programmes de prévention au Québec s'expliquent en bonne partie par la méconnaissance et surtout par la dévalorisation des croyances, valeurs ou représentations sociales populaires. De plus, la reconnaissance de ces multiples savoirs, tant chez l'intervenant que chez le client, n'est pas garante en soi d'une intervention où la compréhension des uns et des autres est maximale. La prise en compte des savoirs ne suffit pas: l'intervenant est parfois mal outillé pour répondre aux attentes du client en raison des distances culturelles, des rôles respectifs de chacun et du temps trop bref dont il dispose. Enfin, ajoutons qu'une bonne partie de la littérature rappelle qu'il faut toujours poser la question de l'inadéquation ou d'un « désa lignement » possible entre les objectifs des services et ceux de la clientèle. A titre d'exemple, mentionnons le placement des personnes âgées qui peut mener à une situation d'incompréhension de part et d'autre. En effet, certaines pratiques de la société d'accueil, tel le placement des personnes âgées, sont inconcevables dans certaines communautés culturelles 19 • Autre exemple : la mutilation des organes génitaux féminins, pratiquée notamment en Afrique, dans les pays au sud du Sahara. De nos jours, de plus en plus d'immigrants pra tiquant cette coutume se trouvent au Canada. L'Organisation mon diale de la santé soulignait, en 1994, que la mutilation des organes génitaux constituait un grave problème de santé publique. Au Qué bec, les intervenants rencontrent des fillettes qui vivent des pro-
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Le système de santé québécois
blèmes de santé reliés à la mutilation, sans savoir comment inter venir. Enfin, dernier exemple: un médecin, en salle d'urgence, qui examine un enfant d'une f amille immigrante, observe des marques de violence sur son corps, et soupçonne que l'enfant est battu. Le médecin peut se heurter à une incompréhension de la part des parents, qui n'interprètent pas le phénomène de la même fa çon. Ce qui semble excessif au médecin ne l'est pas nécessairement dans la communauté d'origine des parents. Par ailleurs, il existe des déterminants propres à certains groupes. Ainsi, les études en anthropologie médicale démontrent l'importance du groupe ethnique comme facteur de différenciation (Leininger, 1970 ; Bibeau, 198 5 ; Dorvil, 198 5 ; Corin, Bibeau, Martin et Laplante, 1990 ; Corin, 199 4 ) ; une maladie peut avoir une plus grande incidence sur un groupe que sur un autre. L'épidémiologie au sens strict révèle aussi une variation des maladies en fonction de caractéristiques ethniques (Grim, Robinson, 1996). En outre, plu sieurs études ont démontré qu'il y a variation en fonction de l'ethnie sur le plan de l'utilisation des services (Andersen et coll., 1986 ; Cornelius, 1 99 1 ; Fox, Stein, 1 991 ; Lieu et coll., 1994 ; Ross-Lee et coll., 1994 ; Zambrana et coll., 1994), en ce qui concerne les soins prénatals par exemple (Meikle, Orleans, Shain et Gibbs, 199 5 ), ou de l'utilisation des médicaments (Maldonado, Bouchard, 1997), ou encore sur le plan des comportements, comme la sexualité ( Bédard, 1993 ). Kirmayer et coll., (1997) rapportent que, parmi les obstacles à l'utilisation des services cités par les immigrants, on trouve la tendance des intervenants à minimiser et à normaliser leurs pro blèmes et la perception qu'ils ne comprennent pas leur culture. La peur d'être stigmatisé, la méfiance envers le système de santé et les contraintes de la vie quotidienne sont d'autres obstacles cités. En ce qui a trait à l'accessibilité des services, il semble que la définition de la santé, la distance culturelle entre les membres des groupes ethni ques et le personnel du réseau de la santé, les expériences antérieures d'utilisation, l'information sur les services et l'influence des réseaux parallèles de soins sont des facteurs déterminants (Béland, I 9 8 5 ), mais dont le rôle reste à préciser. Quoi qu'il en soit, il faut tenir compte de l'interaction de ces nombreux facteurs pour rendre compte des comportements des membres des communautés cultu relles en matière d'utilisation des services.
L'adaptation au contexte pluriethnique
93
Conclusion
Nous avons vu quelques éléments à considérer dans la probléma tique de l'adaptation des services de santé et des services sociaux au contexte pluriethnique 20 • L'adaptation doit se faire en tenant compte de l'expérience humaine et clinique des intervenants et des carac téristiques, des attentes et des perceptions de la clientèle. Dans cette perspective, cela signifie une meilleure connaissance des clientèles et de la relation intervenant-client dans le contexte pluriethnique. Il est nécessaire aussi d'examiner les mécanismes qui peuvent assurer une meilleure appropriation coUective de ces connaissances et une plus grande compréhension des problèmes de santé vécus par la clientèle pluriethnique. Tout cela en vue d'améliorer les interventions dans le domaine de la prévention et de la promotion de la santé. L'adapta tion à la clientèle peut signifier pour certains élaborer le projet en lien avec des personnes des communautés culturelles, y recruter des intervenants. D'autres optent pour des aménagements linguistiques du service ou une présentation des informations d'une manière cultu rellement adaptée. Mais, quels que soient les moyens, il faut toujours garder à l'esprit qu'adapter les services ne signifie cependant pas ethniciser les pratiques. Il ne faudrait pas, par exemple, tenir pour acquis que les membres des communautés culturelles d'immigration récente ou ancienne souhaitent nécessairement recevoir le même genre de services qu'ils auraient obtenus dans leur pays d'origine. En outre, les services de santé se fondent sur une certaine façon de voir la maladie, la santé physique et mentale et le fonctionnement social qui n'est pas nécessairement la même que celle de la clientèle. D'autant plus que cette clientèle, immigrante ou non, est diversifiée et présente autant de façons différentes de concevoir la maladie. Des questions restent donc ouvertes : jusqu'où doit-on aller dans le respect des valeurs culturelles sans mettre de côté les valeurs du système ? Doit-on adapter les normes ou non ? La formation - soit la formation du savoir (des connaissances, des points de convergence et de divergence), du savoir-faire (forma tion sur le plan méthodologique et en ce qui concerne les différentes approches d'intervention, notamment celles issues des cultures autres) et du savoir-être (dimension plus affective) - des interve nants, et particulièrement des intervenants de première et deuxième lignes, est aussi au cœur de la question de l'adaptation des services. Par ailleurs, l'adaptation des institutions du système de santé et de
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Le système de santé québécois
services sociaux à la réalité pluraliste signifie aussi, a notre avis, adéquation des politiques entre les différents ministères, soit le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère des Relations avec les Citoyens et de l'immigration. Car, en dernière analyse, si ultimement et de façon concrète c'est l'intervenant qui, à l'urgence, dans son cabinet ou à la clinique sans rendez-vous d'un CLSC reçoit le client, l'écoute, le rassure, le soigne ou le traite, bref qui lui « donne » le service, la responsabilité de l'adaptation ne repose pas que sur ses épaules. L'adaptation des services au contexte pluriethnique, enfin, pose la question plus générale de l'intégration sociale. L'immigrant, ni plus ni moins que tout autre citoyen du Québec, ne sera jamais intégré entièrement ou entièrement marginalisé. Cela est vrai dans la vie sociale en général, mais aussi dans le domaine de la santé. Il faut d'ailleurs se rappeler que l'adaptation aux services de santé est une partie importante de l'intégration à l'ensemble de la société. Tout comme il faut aussi se rappeler que l'intégration sociale n'est pas un processus unilatéral et à sens unique. Quel que soit le modèle officiel que se propose de suivre chaque société, le processus d'intégration aboutit inévitablement à une situation différente de celle qui était là au point de départ. Indépendamment aussi des positions idéolo giques ou politiques, il est presque impensable que les services de santé et les services sociaux ne soient pas marqués par certaines caractéristiques socioculturelles de la clientèle qu'ils ont à servir. Dans leur pratique, les intervenants du domaine de la santé (tant dans le secteur public que privé) doivent chercher à comprendre ce processus d'interpénétration qui transcende, en quelque sorte, ces orientations idéologiques ou politiques. Ce point de vue vise non pas à occulter l'impact du politique, mais bien plutôt à replacer celui-ci dans le contexte plus large du processus d'intégration sociale.
D E U X I È M E PA RT I E
Le fi nancement et le paiement des ressou rces
Page laissée blanche
L,ANALYSE ou FINANCEMENT et de l'offre des soins
de santé dans les systèmes de santé est souvent faite en relation avec les incitations économiques qui varient selon les sources de finan cement et les méthodes de paiement des prestataires. L'OCDE a ainsi produit des analyses comparées de systèmes de santé en utilisant une typologie fondée sur les sources de financement, volontaire ou obli gatoire (publique), et sur les principales méthodes de rémunération des prestataires de soins, soit le paiement par le consommateur non assuré, le paiement par le consommateur qui est remboursé par son assurance, le paiement indirect par des tiers, en vertu d'un accord prospectif entre ceux-ci et les prestataires de soins, et enfin le paiement au moyen de budgets et de salaires dans des organisations intégrées (OCDE, I 99 2: I9). Cette typologie, fondée sur une rationalité essentiellement écono mique des acteurs, est utile pour catégoriser les systèmes de santé. Par contre, pour comprendre les effets des modes de financement et de paiement des ressources dans un système de santé donné, il faut prendre en compte l'ensemble des contextes dans lesquels ces modes s'insèrent. C'est précisément ce que les auteurs de cette partie,
98
L e système de santé québécois
chacun à leur façon, mettent en lumière dans leur chapitre sur le financement des services de santé au Québec, sur les mesures incitatives et le paiement des ressources, de même que sur la place du médicament dans le système de santé du Québec. Ainsi le chapitre de Chapain et Vaillancourt sur le financement des services de santé au Québec décrit-il les différents modes de finan cement publics et de contributions privées et situe le financement des systèmes de santé canadien et québécois en comparaison avec les pays de l'OCDE, pour ensuite discuter de l'efficacité et de l'équité du financement du système québécois. Ce dernier se caractérise par la couverture publique des soins de base en accord avec des normes canadiennes, le caractère largement fiscalisé d'un financement public de plus en plus assumé par le gouvernement provincial ainsi que par l'augmentation des contributions privées. En même temps, les tensions dans les relations fédérale-provinciales, les sources de finan cement et les orientations budgétaires privilégiées par ces mêmes gouvernements ne peuvent pas être ignorées dans l'appréciation du mode de financement de ce système de santé. Dans leur chapitre sur les mesures incitatives et le paiement des ressources, Contandriopoulos, Fournier, Denis, Champagne et Arweiler proposent un cadre général pour mieux situer l'influence des modalités de paiement des ressources. Pour ces auteurs, l'influence des modalités de paiement est complexe parce qu'elles s'insèrent dans un ensemble de mesures incitatives. Cet ensemble de mesures incitatives procède de la coexistence de diverses logiques pour la régulation des systèmes de santé, des modalités orga nisationnelles particulières, de la sensibilité des acteurs à d'autres incitations et enfin des buts paradoxaux des systèmes de santé. Sur la base de ce cadre d'analyse, le recours à des modalités de paiement pour influencer les comportements des acteurs dans un sens parti culier apparaît vraiment délicat. Le chapitre suivant apporte un éclairage très intéressant sur le cas du médicament et en particulier sur le régime québécois d'assurance médicaments. Pour Reinharz, Rousseau et Rheault, le récent régime québécois d'assurance-médicaments ne reconnaît pas le médicament comme une technologie « médicalement nécessaire» au même titre que les services médicaux et hospitaliers. Contrairement au système public de soins de santé, l'accès à la technologie du médicament repose sur une obligation de s'assurer par un régime collectif lié à
Le financement et le paiement des ressources
99
l'emploi ou, à défaut d'une telle assurance, par un régime public comportant des primes, une coassurance et des franchises. Tout en regrettant cette orientation gouvernementale, les auteurs l'expliquent par les pressions de l'industrie pharmaceutique et par la volonté de préserver un partenariat privé-public.
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Le fi nan ceme nt d es services de santé au Québec
C A R O L I N E ( H A PA I N • F R A N Ç O I S V A I L LA N C O U RT
CE CHAPITRE examine le financement des services de santé au Québec. La pertinence de cet examen tient à l'impor tance du rôle de l'État dans ce secteur, à son évolution et au débat qui a présentement cours sur la place des services fournis ou financés par le secteur privé dans le système québécois de la santé. Le chapitre se divise en trois sections. La première section présente les caractéristiques propres à la santé en tant que bien de consommation, puis les trois modes usuels de financement des services de santé. La seconde décrit quelques aspects du financement des systèmes de santé québécois et canadien et des pays de l'OCDE. Finalement, la troisième section analyse en détail le financement du système québécois en mettant l'accent sur ses trois sources principales : le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral et les fonds privés. Les diffêrents modes de fi nancement
Cette première section traite de quatre sujets. Elle porte en premier lieu sur les caractéristiques de la santé qui ont une influence sur le
r 02
Le système de santé québécois
mode de financement des services de santé. Puis nous examinons trois types de financement possibles, soit les assurances privées ou publiques, les systèmes fiscalisés et le financement provenant des usagers. Les caractéristiques propres à la santé
La santé d'un individu est pour l'essentiel un bien de nature privée, donc un bien dont la consommation par un individu n'apporte pas d'avantages aux autres individus. Par conséquent, comme pour tout autre bien privé (automobile, etc.), on s'attend à ce que chacun finance sa consommation. Cependant, certaines caractéristiques propres à ce bien ont amené, comme on le constate dans la plupart des pays, d'autres types de financement, de nature publique, à se développer. Evans ( I9 84) en identifie trois : I ) l'incertitude liée à l'occurrence (moment) de la maladie et à l'importance de la dépense ; 2) le déséquilibre d'information qui existe entre l'individu malade et le professionnel de la santé, lui-même n 'étant pas en situation d'information parfaite ; 3 ) les impacts positifs sur d'autres individus (externalités) de la santé d'un individu. Examinons chacun de ces points. • L'incertitude : les études sur le comportement des individus face au risque indiquent qu\ls ont en général une aversion pour le risque. Par conséquent, ils vont vouloir s'assurer, ce qui expose l'assureur aux problèmes de sélection adverse et de risque moral. La sélection adverse provient du fait que ce sont les individus à risque élevé qui vont vouloir s'assurer ; ce qui incite l'assureur à pratiquer l'écré mage et à écarter ces individus à hauts risques ou à exiger d'eux des primes élevées. Un tel comportement peut affecter plus particu lièrement les personnes les plus malades et souvent à faible revenu. Le risque moral surgit parce que, comme une tierce partie (l'assu reur) paie les coûts des soins de santé, ni le patient ni le médecin ne sont incités à économiser lorsque l'individu est assuré ; cela peut amener une surconsommation des soins de santé. • Le déséquilibre d'information : l'individu type possède peu d'in formation sur les traitements appropriés pour un diagnostic donné et ne connaît pas le diagnostic correspondant à ses symptômes. Le consommateur de soins de santé est obligé de s'en remettre à l'avis
Le financement des services de santé au Québec
1 03
du professionnel et souvent d'obtenir son approbation pour la plupart des grandes décisions de consommation. Ainsi, la liberté de choix du consommateur est affectée, ce qui peut amener une con sommation supérieure à ce qui aurait été réellement nécessaire ou différente de celle que l'individu pleinement informé aurait choisie. • l.;externalité : dans certains cas, la société voudrait que les soins de santé soient consommés en plus grande quantité que celle choisie par un individu parce que la santé génère une externalité positive, telle l'absence de maladies contagieuses et la réduction des risques associés à la reproduction humaine.
L'ensemble de ces caractéristiques de la santé pose le problème de son financement, car un financement privé au moment de la con sommation est alors inapproprié. Cela a amené le recours à divers modes de financement regroupés ci-après selon trois grandes caté gories: assurances privées ou publiques, systèmes fiscalisés et finan cement par les usagers. Les assurances privées ou publiques
L'incertitude associée au moment et au montant de la dépense en matière de santé a entraîné la création d'un marché de l'assurance privée dans les pays de l'OCDE. Un tel marché fait face aux problèmes déjà évoqués. Le problème de surconsommation décou lant du risque moral peut être réglé, en partie, en agissant sur l'offre de soins, par des incitations associées aux divers modes d'orga nisation 1 ou aux modes de paiement des différents intervenants dans l'offre de soins. Ces actions sur l'offre de soins ne règlent pas les problèmes d'écré mage découlant de la sélection adverse et de l'externalité. Ces problèmes peuvent cependant être atténués par un système d'assu rance sociale définissant l'assurance-maladie comme un droit col lectif acquis par le travail (perspective bismarkienne) . Ce principe de solidarité permet de résoudre le problème d'écrémage ; les individus à faible risque finançant les individus à risque élevée. De plus, le pro blème du financement des coûts des soins de santé générant des externalités positives est atténué, car une forte proportion d'indi vidus est couverte. Les primes sont payées par l'employé ou par l'employeur sous forme de cotisations (primes) à taux fixes et
r 04
Le système de santé québécois
limitées à un plafond, ce qui fait que ce financement est à caractère régressif (voir ci-après). Il n'existe pas de lien entre primes et services reçus au niveau individuel, mais un lien entre les montants totaux des primes et des déboursés pour soins de santé, car les caisses d'assurance s'autofinancent. Les systèmes fiscalisés
Dans les systèmes fiscalisés, c'est l'État qui joue le rôle d'assureur. On s'inscrit dans la philosophie beveridgienne, définie comme le droit inconditionnel de tout être humain à bénéficier des soins de santé. Cependant, il n'y a plus de lien explicite entre ce qui est financé et ce qui est dépensé en services de santé. Ce système se finançant par la fiscalité générale pose le problème de toute fiscalité en termes de pertes d'efficacité, pertes pouvant être contrebalancées par les gains de la redistribution du revenu. En effet, plus le système est progressif et réduit la dispersion du revenu, plus l'assurance sociale fournie est grande (Slemrod, I98 3 ). Le système sera optimal lorsque les gains redistributifs seront égaux aux pertes d'efficience. Cela dépendra donc du type d'impôt utilisé : impôt sur le revenu ou sur la consommation, sur le revenu de travail ou de capital. Les effets des différents impôts et taxes sont analysés par les éco nomistes en regard de leur efficacité et de leur équité. En ce qui concerne l'efficacité (allocation optimale des ressources, en termes de bien-être) définie par Zee ( I99 5), on peut dire qu'excepté le cas d'une taxe forfaitaire (une taxe d'un même montant pour chaque individu), l'introduction d'une taxe réduit le bien-être de la société directement en raison du prélèvement fiscal, et indirectement par l'introduction d'un écart entre le prix payé par le consommateur et celui reçu par le producteur (taxe à la consommation), ou entre le salaire versé par l'employeur et celui reçu par l'employé (impôt sur le revenu) . Cet écart modifie la consommation ou le temps travaillé par rapport à ce qui serait observé en l'absence d'une taxe à la con sommation ou d'un impôt sur le revenu. Les pertes d'efficacité ou fardeau fiscal représentent la réduction du bien-être provenant de cet effet indirect. En ce qui concerne l'équité, la définition est moins aisée, car elle implique différents concepts de justice sociale et de redistribution. En fiscalité, on traite de l'équité horizontale, c'est-à-dire le traitement
Le financement des services de santé au Québec
ro 5
égal d'individus égaux (quant à leur habileté à payer) et de l'équité verticale, c'est-à-dire le traitement inégal d'individus inégaux. C'est de ce dernier concept que nous traitons. On définira une taxe comme régressive si sa part sur le revenu d'un individu diminue lorsque ce revenu s'accroît, comme proportionnelle si cette part demeure inchangée quand le revenu croît et comme progressive si cette part croît lorsque le revenu croît. En général, l'impôt personnel sur le revenu est progressif à cause de la structure de ses taux, alors que les taxes sur la masse salariale et sur la consommation sont régressives. En effet, ces taxes appliquent un taux constant pour un objet (salaire, consommation) dont la part dans le revenu décroît avec la croissance de celui-ci. Finalement, règle générale, en fiscalité, on ne traite pas de l'équité intergénérationnelle, parce que les impôts sont étudiés à une période donnée. Cela exclut implicitement la possibilité de se financer par dette. En effet, l'utilisation de l'endettement public plutôt que de la fiscalité pour financer des dépenses courantes reporte à travers le temps, le financement de sa consommation et peut avoir des consé quences redistributives au sein de la société (dettes détenues loca lement) ou peut même réduire les ressources disponibles dans l'avenir (dettes détenues par les étrangers) . L e financement provenant des usagers
Bien que l'on retrouve dans la plupart des systèmes de santé un système de tiers-payant, les contributions directes des usagers exis tent toujours : leur importance dépend de la population et des risques couverts par le secteur public. En ce qui a trait à l'éligibilité, les services de santé financés par l'impôt ont tendance à assurer qua siment l'ensemble de la population, alors que les assurances publiques assurent ceux qui paient une prime, le reste de la popu lation étant assuré ou non, selon les programmes gouvernementaux en vigueur. Quant aux soins couverts, les services publics s'efforcent de financer les soins de base dont la définition varie entre pays ; les soins non couverts par ces programmes publics peuvent faire l'objet d'une assurance privée ou rester à la charge des usagers. Ces dernières années, les gouvernements, pour faire face aux problèmes de financement des soins de santé, ont développé toute une gamme de financements privés provenant des usagers. Rheault
ro6 Le système de santé québécois
( I99 5 ) en définit plusieurs selon qu'il s'agit d'une tarification uni forme ou différenciée. La tarification uniforme regroupe la coassu rance, la franchise, la tarification par service, le plafond sur les activités autorisées et les options liées au revenu imposable, alors que la tarification différenciée selon les prestataires de services renvoie au plafond sur les dépenses autorisées, la surfacturation, la désassurance sélective, la désassurance totale et au système parallèle2 • Au Canada et au Québec, ces contributions concernent principale ment les médicaments, certains examens médicaux ( comme ceux demandés par les employeurs) et certains services médicaux tels les services liés à l'esthétique. Elles se fondent souvent sur la volonté de lier les services reçus par les usagers et les paiements effectués pour les soins de santé afin de limiter les excès possibles de la demande de soins. L'impact sur les coûts totaux des contributions privées est incer tain. Madore ( I993 ) résume les conclusions de diverses études cana diennes et internationales quant aux effets des frais modérateurs {coassurance, franchise, tarification par service et surfacturation): Les auteurs de travaux empiriques portant sur l'utilisation de frais modérateurs dans certains de ces pays sont parvenus à des conclusions similaires à celles des études canadiennes. Les études ont en effet révélé que les frais modérateurs ne permettent pas de maîtriser les dépenses de santé, qu 'ils risquent d'entraîner une sous-consommation de la part des plus malades et qu'ils sont souvent inefficaces lorsque les patients ont des assurances complémentaires. Une comparaison du financement des systèmes de santé canadien et québécois avec ceux des pays de l 'OCDE
Cette deuxième section examine les systèmes québécois et canadien et ceux des pays de l'OCDE sous l'angle des coûts totaux et des coûts publics ainsi que de la couverture de la population et des coûts administratifs. Les coûts totaux
Chaque pays utilise un schéma de financement qui lui est propre. Il est néanmoins possible de regrouper les pays de l'OCDE en trois groupes (OCDE, 1992) :
Le financement des services de santé au Québec
I07
Financement à dominante assurance publique (bismarckien) : Pays-Bas, Allemagne, Belgique, France, Autriche, Japon et Luxembourg ; Financement à dominante impôt (beveridgien) : Espagne, Irlande, Royaume-Uni, Danemark, Finlande� Grèce, Islande, Norvège, Portugal, Suède, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. Cela est également vrai pour chaque province canadienne et donc pour le Québec. Au Canada, la responsabilité du système de santé incombe aux provinces, mais le gouvernement fédéral intervient dans ce domaine, notamment par un système de transferts financiers soumis à des conditions nationales d'éligibilité : c'est un système décentralisé avec normes nationales (voir le chapitre 2), à dominante impôt ; Financement à dominante privée ou mixte (assurance privée et paie ment direct) : États-Unis, Suisse et Italie. Le tableau r porte sur les dépenses totales en santé et la part des dépenses publiques avec un regroupement des pays selon les modes de financement. Ce tableau montre que les dépenses de santé en pourcentage du PIB augmentent lorsqu'on passe d'un financement par l'impôt à un financement par l'assurance publique ou par le système privé. On observe par contre que les pays avec un finan cement par l'impôt qui, auparavant, couvraient publiquement une plus grande part des dépenses de santé que ceux avec un financement par assurance publique et un financement privé ne le font plus en 199 5 . Cela s'explique peut-être par une certaine résistance à la fis calité que l'on contourne par une réduction des dépenses couvertes. Les États-Unis se distinguent clairement des autres pays de l'OCDE par l'importance des dépenses en santé par rapport au PIB (la plus élevée) et par la part des dépenses financées publiquement (la plus faible). Leur système comprend trois types de financement : r ) 68 % de la population possède une assurance privée ; 2 ) r9 % de la population est assurée par deux programmes publics : Medicare (financé par le gouvernement fédéral, pour r 3 % de la population, avec un complément privé Medigap) et Medicaid (financé à parts égales par le gouvernement fédéral et les États, pour 6 % de la population) ; 3 ) 1 3 % de la population n'est pas assurée et paie pour ses soins. Au sein du Canada qui, en termes de la part du PIB dépensée en santé, se retrouve parmi les cinq premiers pays de l'OCDE, cette part varie d'une province à l'autre. Ainsi, en 1 99 5, l'Alberta consacrait
108
Le système de santé québécois
7,4 % de son PIB à la santé, alors que Terre-Neuve y consacrait % ; le Québec se situait légèrement au-dessus de la moyenne canadienne avec 9,9 % . I 3 ,2
Tableau 1
Montant total des dépenses de santé, en pourcentage du PIB, et pourcentage des dépenses publiq ues dans les dépenses de santé et dépenses per capita ($ US) corrigé pour la parité du pouvoir d'achat 1 995, provinces du Canada et pays de l' OCDE, 1 975 , 1 985 et 1 995 1 985
1 975
Dépenses
% du
publiques en santé
PI B
1 995
Dépenses % du publiques en santé
PI B
Dépenses % du
Dépenses
publiques en santé
PlB
per capita ($)
Provinces canadiennes Terre- Neuve
77,3
1 1 ,9
75,0
1 2 ,0
75,0
1 3 ,2
1 887
Île-du- Prince- Édouard
73 ,4
1 2,8
70, 5
1 2 ,9
67,0
1 2 ,4
1 957
Nouvel le- Écosse
78,8
9 ,9
77,2
1 0, 1
70, 2
1 1 ,4
1 884
Nouveau - Brunswick
77,5
8,9
73 ,4
1 0,9
69, 5
1 1 ,5
1 969
9,3
71 , 7
9,9
1 93 1
Québec
78,3
8 ,3
78,5
Ontario
75 ,4
6,5
71 ,8
7,8
68,8
9,3
2 1 70
Manitoba
77,2
7,9
76,3
9,7
71 ,9
1 1 ,4
2 1 70
Saskatchewan
75 ,4
6,5
78,4
8,8
73 ,5
1 0,2
2 006
Alberta
76,4
5 ,5
80,3
6,6
71 ,6
7,4
1 888
Colombie- Britannique
71 ,8
7,1
73, 8
8,8
74,0
9,7
2 207
OCDE Pays avec un financement par l'impôt Canada
76,4
7,1
75,7
8,4
70,8
9,6
2 069
Australie
72 ,8
7,5
71 ,5
7,7
66,7
8,6
1 741
Danemark
91 , 9
6,5
84,4
6,3
82 ,7
6,4
1 368
Espagne
77,4
4, 9
80,9
5 ,7
78,2
7,6
1 075
Finlande
78,6
6,4
78,6
7,3
74,7
7,7
1 373
Grèce
60,2
4, 1
81 ,0
4,9
75,8
5,8
703
Islande
87,2
6,2
86,4
7 ,0
84,2
8,2
1 774
Le financement des services de santé au Québec
I 09
Irlande
79,0
8,0
77,4
8,2
80,8
6.4
1 1 06
Norvège
96,2
6,7
96,5
6,4
82 ,8
8,0
1 821
Nouvelle-Zélande
83 ,9
6,7
85,2
6,5
76,4
7,1
1 203
Pays-Bas
73 ,4
7,6
75,1
8,0
77 ,1
8,8
1 728
Portugal
58,9
6,4
56,3
7,0
60,5
8,2
1 035
Royaume- Uni
91 , 1
86,3
6,0
84,3
6,9
1 246
Suède
90,2
5,5 7,9
90,3
8,9
81 ,6
7,2
1 360
Moyenne
79,8
6,5
80,4
7,0
76,9
7,6
1 400
Pays avec un financement par assurance publique Allemagne
77,2
8,1
73 ,6
8,7
78,4
1 0,4
2 1 34
Autriche
69,6
7,3
66,7
8,1
75 ,6
7,9
1 634
7.4
86,8
8,0
1 665
Belgique
79,6
5,9
81 ,8
France
77,2
7,0
76,9
8,5
80,6
9,9
1 972
Japon
72,0
5,6
72 ,7
6,5
78,4
7,2
1 581
Luxembourg
91 ,8
5,6
89,2
6,8
92,8
7,0
2 206
Moyenne
77,9
6,6
76,8
7,7
82 , 1
8,4
1 865 ,3
41 ,5
8,4
41 ,4 1 0,5
46 ,2
1 4,2
3 644
Autres pays États-U nis Suisse
68,9
7,0
66, 1
8,1
7 1 ,9
9,8
2 41 2
Italie
86, 1
6,1
77, 1
7,0
69,6
7,7
1 507
Moyenne totale OCDE
77,4
6,6
77,0
7,4
76,4
8,2
1 667,7
Sources : Santé Canada (1 996a). OCDE, (1 995b) et site web.
On peut classer les diverses provinces selon les sources de leurs recettes propres : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan financent leurs coûts de santé provinciaux à partir de leurs recettes fiscales générales. Prises ensemble, elles ont le ratio dépenses de santé/PIB le plus élevé des provinces canadiennes en 1 995 ; l' Alberta et la Colombie-Britannique prélèvent des primes individuelles ou familiales en sus des recettes fiscales générales. Elles ont, prises
r ro
Le système de santé québécois
ensemble, le ratio dépenses de santé/PIB le plus faible des provinces canadiennes en 199 5 ; le Québec, }'Ontario, le Manitoba et Terre-Neuve prélèvent une taxe sur la masse salariale au niveau de l'employeur ayant pour objet le financement partiel des services de santé en sus des recettes fiscales générales. Les systèmes de santé canadien et québécois associent une composante publique universelle assurant les services de base et une composante privée assurant les soins complémentaires. Cette com posante privée s'accroît à travers le temps passant de 24 à 29 % de 1975 à 1995 au Canada. C'est en Ontario et à l'Île-du-Prince Édouard qu'elle est la plus élevée en 199 5 . Couverture d e l a popu lation et des soins et coûts ad ministratifs
Les systèmes de santé financés par l'impôt sont généralement uni versels, c'est-à-dire qu'ils couvrent l'ensemble de la population. Le principe de solidarité est respecté ainsi que l'accès aux soins. On peut noter toutefois qu'il existe des particularités par pays. Au Canada et au Québec, le régime est universel et 1 00 % de la population est assurée. Habituellement, pour les systèmes d'assurance-maladie financés par cotisations, les personnes occupant un emploi sont couvertes par l'une des différentes caisses d'assurance-maladie. Les membres de leur famille dont elles ont la charge ont, quant à eux, un droit dérivé de la même couverture. Les personnes qui ne relèvent pas du système de protection sociale sont couvertes par l'assistance sociale. En Allemagne et aux Pays-Bas, la population couverte n'est toutefois pas de 100 %, car les personnes dont les revenus dépassent un cer tain montant ne sont pas obligées de s'assurer publiquement. La couverture y était respectivement de 92,2 et 69,2 % en 1 990 (OCDE, 199 5a,b). Cependant, dans la plupart des pays, une partie des soins est laissée à la charge des usagers. Les services de santé non couverts, que ce soit pour les systèmes financés par cotisations ou impôt, portent souvent sur les soins dentaires et optiques, les lunettes, les prothèses et certains médicaments. Au Canada, en général, il s'agit
Le financement des services de santé au Québec
III
des séjours en sanatorium, des traitements dentaires à l'extérieur de l'hôpital, de la consommation pharmaceutique en dehors de l'hôpital, exception faite des personnes âgées, des prothèses à des degrés divers, des lunettes, des prothèses auditives, etc. Nous avons vu qu'il existait différentes sortes de participation des assurés aux coûts des services médicaux. Au Canada et au Québec, bien que ce mode de participation financière ait eu tendance à exister pour les services de base et complémentaires, il a plus ou moins disparu, en ce qui concerne les services de base, sous la pression du gouvernement fédéral. Toutefois, une participation financière est demandée en ce qui a trait aux médicaments (voir le chapitre 6) et aux services dentaires et optométriques, par6cipation qui varie selon les pro vinces. Et le débat est très important ces dernières années en ce qui concerne cette participation des usagers, notamment pour les services complémentaires. Les coûts administratifs reliés au fonctionnement des divers systèmes, en pourcentage des dépenses publiques de santé, sont en général moins élevés pour les systèmes financés par l'impôt que pour les systèmes publics de caisses d'assurance-maladie, ce qui tendrait à confirmer l'avantage d'un système homogène de santé. En effet, ils oscillaient entre 0,4 et 5,1 % (pour la Suède et la Nouvelle-Zélande respectivement) du total des dépenses publiques pour les systèmes fiscalisés et entre 4,4 et 7 ,2 % (pour les Pays� Bas et l'Allemagne respectivement) pour les systèmes par caisses en 1992 (OCDE, 1995a,b). Selon l'étude de l'OCDE ( 1995a,b ), au Canada, les dépenses d'administration liées à la santé représentaient 0,9 % des dépenses publiques de santé et 1 ,3 % des dépenses totales de santé en 1992. Aux États-Unis, elles étaient de 5,8 % . Cette deuxième section, a permis d'établir que la plupart des pays de l'OCDE financent leur système de santé principalement à l'aide des fonds publics, générés par des impôts et des cotisations sociales. Le Canada a un système de santé géré par les provinces, assurant les soins de base et financé par la fiscalité à laquelle s'ajoutent, selon les provinces, des cotisations-employeurs comme au Québec ou des primes provenant des usagers. Il n'existe pas de contributions directes des usagers aux soins de base pour lesquels l'accès est gratuit et universel. Par contre, des soins complémentaires non assurés par le système public peuvent être assurés par le secteur privé ou faire l'objet de paiements directs.
rr2
Le système de santé québécois
Le financement du système de santé du Québec
Cette troisième section analyse les sources de financement du système de santé québécois et plus particulièrement les recettes autonomes, les transferts fédéraux et les sources privées. Les différentes sou rces de financement du système québéco is
Le financement des dépenses de santé au Québec provient de différentes sources présentées au tableau 2. Des dépenses totales de I6,5 milliards de dollars, en 1 994, le gouvernement provincial Tableau 2
Répartition en pourcentage des dépenses totales et publiques de santé en fonction des différentes sources de financement au Canada et au Québec QUÉBEC
CANADA Dépenses totales
Dépenses publiques
Dépenses totales
Dépenses publiques
de santé
de santé
de santé
de santé
1975
1994
1975
1994
1975
1994
1975
1994
71 , 1
66,3
93,2
92 ,2
74,9
69,3
95, 1
95,3
Transfert fédéral
27,7
2 1 ,9
36,3
30,5
28,9
24,0
36,7
3 3 ,0
Recettes provinciales
43 ,4 44,4
56,8
61 ,8
46,0 45 ,3
58,4
62,3
Gouvernements provinciaux
Autres sources publiques
5,2
5 ,6
6,8
7,8
3 ,9
3 ,4
4,9
4,7
Gouvernement fédéral*
3 ,2
3,6
4,2
4,7
n.d.
n.d.
n.d.
n.d.
CSST
1 ,0
1 ,2
1 ,3
1 ,6
n.d.
n .d.
n.d.
n.d.
Municipalités
1 ,0
0,8
1 ,3
1 ,0
n.d.
n.d.
n.d.
n.d.
Total des sources 76,3 71 ,9 publiques Total des sources privées
1 00,0 1 00,0
23,7 28,1
Source : Santé Canada. * Les anciens combattants, les forces armées, etc.
78,8 72,7 21,2 27,3
1 00,0 100,0
Le financement des services de santé au Québec
I I3
finance n ,4 milliards dont 7,4 milliards à même ses recettes propres et 4 milliards à l'aide des transferts fédéraux, soit 3 5 % des dépenses du gouvernement québécois ( 3 3 ,0/9 5 ,3 % au tableau 2, ligne I et 2, 1994). Il s'agit là des deux principales sources de fonds publics (9 5 % en 1994). Outre les sources privées, il existe enfin plusieurs autres sources publiques mineures : le gouvernement fédéral intervient directement dans le financement des dépenses de santé en vertu de compétences relatives à des groupes ou cas particuliers comme les autochtones, les militaires, les détenus dans les prisons fédérales, les membres de la Gendarmerie royale, la popula tion immigrante et réfugiée, les résidants et résidantes temporaires au Canada, la médecine aéronautique civile, les mesures d'urgence en cas de désastres et la protection de la santé publique ; les commissions en santé et sécurité au travail ( CSST) et leurs prédé cesseurs qui existent au Canada depuis le début du siècle sont des fonds d'assurance publique autonomes établis dans chaque province et terri toire afin de compenser, par un soutien du revenu et une réhabilitation médicale, les travailleurs victimes d'un accident du travail ou leur famille en cas de décès. Quasiment l'ensemble des travailleurs sont couverts par ce système régi par les provinces qui en fixent les règles. Les dépenses, en matière de santé, représentent 1 2, 2 % de l'ensemble des dépenses de la CSST québécoise, soit 1 ,3 % des dépenses québé coises de santé. Le financement s'effectue par prélèvement auprès des employeurs sous forme de prime sur la masse salariale ; la Société de l'assurance-automobile du Québec finance une partie des services de santé québécois en termes des coûts encourus liés aux acci dents de la route, rembourse une partie des coûts de santé des usagers en matière de réadaptation et de frais médicaux et finance en partie le transport ambulancier, pour un total d'environ 1 8 0 millions de dollars en 1994 ; les municipalités participent très peu aux dépenses et cette participation concerne habituellement le financement des hôpitaux ou bâtiments en accord avec le gouvernement provincial.
I I4
Le système de santé québécois
Les sources d u gouvernement du Québec
Comme l'indique le tableau 2, les recettes autonomes de l'État québécois sont sa principale source de financement des soins de santé. Le tableau 3 présente la composition de ces recettes, de celles du gouvernement fédéral, qui assume les transferts, et, pour fins de comparaison, de !'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'en semble des provinces et gouvernements. Les recettes consolidées de l'ensemble des gouvernements cana diens proviennent à plus de 80 % des impôts et des taxes. La moitié provient de l'impôt sur le revenu et près du tiers, des taxes sur la consommation. En ce qui concerne le gouvernement fédéral, 5 I % des recettes fiscales proviennent de l'impôt sur le revenu, 24 % des taxes sur la consommation, 9 % des impôts sur les sociétés, le reste provenant principalement de la cotisation au régime d'assurance chômage ( I 5 % ) . Pour les provinces, en moyenne, l'impôt sur le revenu compte pour 4 3 % des taxes, suivi des taxes à la consom mation avec 3 0,4 %, puis, loin derrière ( 6 % chacun), l'impôt sur les corporations et l'impôt foncier. Seulement I I % des �ecettes pro viennent des primes destinées à la santé et aux CSST. Le Québec se finance encore plus par l'impôt sur le revenu (48 % ), suivi par les taxes à la consommation ( 2 7 % ) et la taxe sur la masse salariale pour la santé ( I 6 % ). Cette importance de l'impôt sur le revenu le démarque de l'Ontario et de la Colombie-Britannique et s'explique en partie par les transferts en points d'impôt (voir ci�après) . Si l'on compare ces chiffres avec ceux des pays d e l'OCDE pour 1994, en général, les pays avec un financement des services de santé à dominante assurance publique puisent leurs recettes fiscales dans trois sources principales (impôt sur le revenu des individus et des entreprises, taxes à la consommation et sécurité sociale) qui repré sentent chacune près de 3 0 % de leurs recettes. Les revenus de la sécurité sociale arrivent tout de même en tête avec un ratio moyen de 3 5 %. Pour les pays avec un financement à dominante impôt, les deux sources principales sont l'impôt sur les revenus et les profits ainsi que les taxes sur les biens et les services avec des pourcentages de 40 et 3 5 % respectivement. Le Canada se situe au-dessus de la moyenne, en termes de l'importance des impôts sur les revenus dans ses recettes fiscales. Ainsi, les ressources fiscales des gouvernements québécois et fédéral sont tirées de deux sources principales, soit l'impôt sur le
Le financement des services de santé au Québec Tableau 3
II5
Source des revenus (en millions de dollars) des gouvernements fédéral, du Québec, de !'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'ensemble des provinces du Canada en 1 994-1 995 Fédéral
Total
Québec
Ontario
ColombieBritannique
Provincial
I mpôt sur le revenu en % du total des taxes
64 1 73 51 ,1 %
40 553 42 ,9 %
1 3 1 94 47,9 %
14 8 1 0 41 ,5 %
4 767 36,0 %
I mpôt sur les corporations et paiements des non-résidants en % du total des taxes
12 334
5 626
1 029
2 824
873
9,9 %
5 ,9 %
3,7 %
7,9 %
6,6 %
5 494 5 ,8 %
1 037
1 386
3 ,8 %
3,9 %
2 023 1 5 ,3 %
28 756 30,4 %
7 41 0 26,9 %
1 1 51 5 32,3 %
3 976 30,0 %
1 0 040 1 0,6 %
4 514 1 6,4 %
2 555 7,2 %
1 438 1 0,9 %
4,4 %
339 1 ,2 %
2 576 7,2 %
1 ,3 %
94 623 61 ,3 %
27 524 66,3 %
35 666 71 ,6 %
1 3 247 62,4 %
29 736
7 752
7 1 87
2 337
1 9,3 %
1 8,7 %
1 4,4 %
1 1 ,0 %
30 017 1 9 ,5 %
6 263 1 5,1 %
6 536 1 3,1 %
5 645 26,6 %
1 36 230 1 54 376
41 539
49 838
21 228
Impôt foncier en % du total des taxes Taxes sur la consommation en % du total des taxes
29 731 23 ,7 %
Taxes sur la masse salariale* en % du total des taxes Cotisations au régime d'assurance-chômage en % du total des taxes
19 300 1 5 ,4 % 4 1 54
Taxes diverses en % du total des taxes Total recettes fiscales en % du total des revenus
1 25 538 92 ,2 %
Transferts des autres gouvernements en % du total des reven us Autres en % du total des revenus Total des reven us
1 1 1 91
6,8 %
1 71
Source : National Finance (1 995). * Les taxes sur la masse salariale regroupent les primes destinées à la santé et aux commissions sur la santé et la sécurité du travail.
I1
6
Le système de santé québécois
revenu des particuliers et les taxes à la consommation. Comme nous l'avons indiqué, ce mode de financement peut avoir des impacts sur l'efficacité et l'équité du système de santé. En termes d'efficacité, les impôts personnels réduisent l'offre de travail mais de façon peu importante, étant donné un ensemble de contraintes institutionnelles (prépondérance des emplois à temps plein, nombre d'heures fixes, etc.), alors que la fiscalité sur les biens utilise à la fois un taux raisonnable et une assiette couvrant un vaste ensemble de biens et services. Par conséquent, bien qu'il y ait sans doute des distorsions, elles semblent peu importantes. En ce qui concerne l'équité, nous pouvons retenir les résultats de Vermaeten, Gillepsie ( 1 994} qui ont étudié le système fiscal canadien en 1 98 8. La répartition fiscale de l'époque est relativement similaire à celle de 1994. Prises séparément, les taxes ont toutes des incidences différentes. Vermaeten et Gillepsie ( 1994 ) constatent que l'impôt foncier, les taxes sur les biens et services et les autres taxes sont régressifs, que l'impôt sur le revenu est progressif de même que l'impôt sur les corporations, mais à un degré moindre. Quant aux taxes sur la masse salariale, elles sont légèrement régressives au total. Si on prend les taxes canadiennes dans leur ensemble, on trouve que le système est proportionnel par niveau de gouvernement, l'impo sition fédérale est progressive et l'imposition provinciale proportion nelle par rapport au revenu individuel. Ainsi, le financement des dépenses publiques du système de santé du Québec est fondé sur la capacité de payer et non sur l'utilisation des soins. Finalement, deux questions se posent en matière d'équité inter générationnelle. Premièrement, si on examine la répartition des dépenses de santé québécoises selon l'âge en 1994, on constate que les individus âgés de 6 5 ans et plus bénéficient de 49,3 % des dépenses de santé, bien qu'ils ne représentent que n,7 % de la population. Il semble que la charge financière des soins de santé soit assumée par les jeunes qui paient pour les personnes âgées. Il faut toutefois souligner que contrairement à un système de santé financé par cotisations (où ce sont les individus qui travaillent qui financent le système), l'un des avantages du système de santé financé par la fiscalité générale est que les personnes âgées continuent à le financer en partie en payant des impôts. Deuxièmement, une partie des dépenses de santé faites au cours de la période 1 9 80-1998 a été financée par l'intermédiaire des déficits du gouvernement du Québec
Le financement des services de santé au Québec
I I7
et du gouvernement fédéral. Cela entraîne une iniquité envers les jeunes, iniquité qui n'existerait pas dans le cadre d'un financement par un système de primes d'assurance. Les transferts fédéraux
Le partage des coûts du système public de santé entre les gou vernements fédéral et provinciaux a pris la forme, en I 977, du FPE (financement des programmes établis). Auparavant, le financement fédéral du système de santé s'effectuait, pour l'assurance des soins médicaux (assurance-maladie), à 50 % du coût per capita au niveau national multiplié par la population de la province. Pour l'assurance hospitalisation, le fédéral finançait 25 % du coût per capita des services hospitaliers canadiens plus 25 % du coût per capita des services hospitaliers de la province, le tout multiplié par la popu lation provinciale. En I977, le gouvernement fédéral instaure un nouveau système de financement en établissant un transfert portant sur les trois domaines suivants : l'éducation postsecondaire, l 'assurance-maladie et l'assurance-hospitalisation. Le FPE est établi selon deux compo santes : un transfert en espèces que les provinces reçoivent condi tionnellement à la satisfaction des conditions d'éligibilité du fédéral et un transfert fiscal de points d'impôt inconditionnel selon Tuohy (1995 ) 3 • Notons que si ces transferts fédéraux étaient remplacés par des points d'impôt, cela avantagerait le Québec, car une hausse de l'activité économique au Québec se traduirait alors par une hausse de l'assiette fiscale et donc des revenus autonomes4 • Mais cela accroît les montants reçus de la partie en points d'impôt du transfert et donc réduit le transfert en espèces. Pour l'instant, le gouvernement fédéral bénéficie de la hausse des rentrées fiscales provenant de l'augmentation de l'activité économique. En 1996, un nouveau système de financement, le Transfert social canadien (TSC), a été institué, regroupant le FPE et le RAPC 5 en un seul versement. Cette dotation est toujours composée d'un transfert de points d'impôt et d'un transfert en espèces. L'allocation globale pour 1996-1997 a été de 26,9 milliards de dollars contre un total de 29,4 milliards en 1994-1995 et a été répartie entre les provinces sur la base de leur part de l'ensemble des dotations au RAPC et au FPE.
I18
Le système de santé québécois
En I 997-1998 et j usqu'en I 999-2000, la dotation sera de 2 5 , I milliards de dollars. Le gouvernement fédéral a toutefois décidé de hausser légèrement le plancher des paiements en espèces, puisque ceux-ci, qui devaient diminuer à I 1 ,8 milliards en 1 998-1999, ne pourront tomber au-dessous de 1 2,5 milliards (La Presse, 30 avril 1 997) . La répartition dans les provinces s'effectuera selon les mêmes parts qu'en 1996-1997, indexées sur la croissance de la population des provinces depuis 199 5-I99 6. Ce principe de réparti tion se modifiera par la suite pour faire appel à terme à une répar tition selon la part de la population provinciale. Le problème des transferts et des tensions entre les provinces et le fédéral en matière de financement de la santé se résume en trois points : 1 ) le fait que d'après la Constitution de 1 867 (époque où la santé ne représentait pas un secteur important des dépenses gou vernementales) la santé soit un domaine provincial ; 2} le fédéral y intervient par l'intermédiaire de son pouvoir de dépenser et y impose des normes ; 3 ) les tensions surviennent surtout lorsque les montants des transferts fédéraux diminuent tandis que les normes demeurent inchangées (voir le chapitre 2). Les sources privées
En 199 5, les sources privées financent 28,3 % des dépenses de santé au Québec et au Canada. Ce pourcentage est en hausse depuis 1975 {voir le tableau 1 }. La question de la participation financière directe des usagers au financement des services de base a été débattue au Canada durant les années 1980. En effet, au début de ces années, la plupart des gou vernements provinciaux pratiquaient la surfacturation ou imposaient des tickets modérateurs sur les services de base, mais l'étendue de ces pratiques variait beaucoup selon les provinces. La surfacturation des médecins représentait entre o et 5 % de la valeur totale des services assurés, tandis que la plupart des provinces imposaient une parti cipation aux frais hospitaliers journaliers variant entre 3 $ et r 3 $ avec exemptions à certains groupes (Madore, 199 3 ) . Ces pratiques posaient des problèmes d'équité, car u n montant fixe à payer est régressif pour les faibles revenus. Le gouvernement fédéral a donc inclus des dispositions dans la Loi canadienne sur la santé de 1984 qui prévoyaient une réduction des transferts fédéraux
Le financement des services de santé au Québec
I
r9
aux provinces d'un montant égal aux sommes perçues par les dépassements d'honoraires et les frais modérateurs. En 199 8, il n'existe pas de frais modérateurs pour les services ni pour l'hospitalisation, la radiographie et les laboratoires dans le secteur public. Il peut cependant exister des frais pour les services complémentaires de santé tels que les soins prolongés financés conjointement par le fédéral et les provinces, ou les services com plémentaires des provinces comme les médicaments, les services optométriques et dentaires et les remboursements pour des services reçus à l'étranger. Or, nous avons vu qu'au Canada, seuls les soins non pris en charge publiquement peuvent être assurés de manière privée. Ces services non couverts sont donc payés soit directement par l'usager, soit par des primes versées à des assureurs privés. On note par ailleurs l'existence récente de cliniques privées offrant des services disponibles dans le secteur public, mais plus rapidement moyennant le paiement de frais. Alors que le financement public des services de santé est pro portionnel au revenu, on observe que les frais payés par les usagers de manière directe sont à caractère régressif. En 1992, l'ensemble des ménages canadiens (québécois} consacraient 1 ,9 % (2,0 % ) de leur budget aux dépenses de santé privées. Ce pourcentage était de 2,5 % (2,6 % ) pour les ménages touchant un revenu de 10 ooo $ à 20 ooo $ et de 2 % ( 1 ,9 % ) pour ceux touchant un revenu de 40 ooo $ à 60 ooo $. Toute croissance de la part du financement privé de la santé pourrait donc avoir comme conséquence d'augmenter la régressivité du financement des soins de santé au Québec. Le système de santé canadien, et québécois en particulier, se divise donc en trois composantes importantes en termes de financement: les provinces, le fédéral et les usagers. La répartition entre les trois tend à long terme à l'augmentation de la contribution privée et, pour ce qui est de la contribution publique, à une part provinciale croissante. Le Québec utilise davantage le financement public par l'impôt et prélève également aux employeurs des cotisations-santé. La croissance des dépenses de santé soulève des questions quant à l'efficacité des finan cements public et privé actuels parce qu�il manque des liens entre les services reçus et les coûts supportés, et quant à l'équité intergénéra tionelle, puisque l'équité fiscale semble jusqu'à présent respectée.
I 20
Le système de santé québécois
Conclusion
Le système canadien est un système national de santé financé par l'impôt et la part de financement public se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Les provinces gèrent le système sous couvert de normes nationales et ce système est financé conjointement par les provinces et le fédéral. Cette répartition du financement public en matière de santé a évolué, donnant aujourd'hui un ratio de 1/3 au fédéral et de 2/3 au provincial, ce qui, avec les contraintes finan cières imposées par le gouvernement fédéral aux provinces, soulève la question des compétences du fédéral et des provinces. En accor dant un accès universel aux soins de santé de base selon la capacité de payer des individus, le système de santé canadien remplit le critère d'équité sur le plan de l'accessibilité et des revenus. Cependant, la question se pose quant à l'efficacité de ce système qui est un des plus coûteux du monde en termes de proportion du PIB. Cela s'explique en partie par une surconsommation, du fait de l'absence de liens entre les services payés et reçus, et découle d'un système de santé financé par l'impôt, d'autant plus que toute forme de participation financière des usagers reliée à l'utilisation des services de base a été continuellement combattue par le gouvernement fédéral. Il pourrait donc être intéressant de mettre en place un mécanisme reliant une partie des paiements effectués en santé avec les services reçus dans ce domaine. En effet, dans le cas de risques spécifiques aux individus comme ceux provenant de l'alcool, du tabac ou de pratiques dangereuses, il semble nécessaire de responsabiliser les individus, sinon nous aboutissons à des réflexions comme celle d'un article de The Economist (Londres) : « Qu'il s'agisse de s'empiffrer d'hydrates de carbone ou de s'adonner à des sports dangereux, une société libre permet à ses membres de se lancer à la recherche des plaisirs de la vie, même malsains et même s'il en découle un accrois sement des dépenses publiques relatives aux soins de santé » (cité dans L'Actua/ité, I juin 1 997). Cela pourrait se faire en prenant en compte le fait qu'une partie des dépenses de santé sont effectuées en matière de santé publique, mais que la plus grande partie est faite pour le bien-être de l'indi vidu, selon trois risques: le risque génétique, le risque environne mental et le risque lié à des comportements spécifiques. On pourrait, dans une première étape, s'assurer que chaque génération finance les coûts de ses soins de santé, puis dans une deuxième étape, faire er
Le financement des services de santé au Québec
I2I
varier les primes selon les risques individuels (Vaillancourt, I99 5 ) . Ces différences d e primes ne captureraient évidemment pas toutes les différences de risques, car alors, il n'y aurait plus ni assurance ni partage du risque. Elles seraient plutôt similaires aux différences de primes d'assurance-vie entre fumeurs et non-fumeurs.
Page laissée blanche
Les mesures i ncitatives et le paiement des ressources A N D R É - P I E R R E C O N TA N D R I O P O U LO S M A R C - A N D R É F O U R N I E R • J EA N - L O U I S D E N I S F RA N Ç O I S C H AM PA G N E • D E L P H I N E A RW E l L E R
Mon cher Monsieur, dans c e monde, il n'est pas facile de décider au sujet de ces choses simples. J'ai toujours trouvé que les choses simples étaient compliquées entre toutes. MELVILLE, Moby Dick
QuAND ON PARLE DE MESURES INCITATIVES, la première idée qui vient à l'esprit c'est que l'argent peut être utilisé pour orienter les comportements des agents. C'est cette idée qui est le plus souvent reprise dans les écrits sur les mesures incitatives et, en particulier, ceux qui portent sur l'influence des modalités de paie ment ( Contandriopoulos et coll., I993 ; Bamum et coll., I99 5 ; Lomas et coll., I989 ; Rochaix, I99 3 ; Reinhardt, I985 ). L'hypothèse de base est que les acteurs se comportent comme des agents écono miques qui visent à maximiser, pour un effort donné, leurs revenus. Il est donc facile pour une organisation d'orienter les comportements des acteurs en intervenant sur les modalités de paiement, de façon à encourager certaines décisions et certaines activités, et à en décou rager d'autres. Malheureusement, comme le notait Melville ( 194 1 ), les choses qui paraissent les plus simples ne le sont pas forcément.
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L'influence des modalités de paiement des organisations (Régies régionales, hôpitaux, etc.) ou des individus (médecins, etc.) sur leurs comportements ne peut être analysée comme une réaction mécanique dans laquelle à un même stimulant correspond toujours le même effet1 • Le but de cet article est de montrer les dimensions à considérer pour comprendre, dans toute sa complexité, le rôle des modalités de paiement dans le fonctionnement et la transformation des systèmes de santé. Pour cela, nous partons de l'idée que toute organisation et, de façon encore plus générale, tout système social organisé (Friedberg, 1993 ; Perroux, 1 963 ) peut se concevoir comme un ensemble de modalités organisationnelles permettant de coordonner et d'orienter les décisions des acteurs, à la fois autonomes et en même temps engagés dans un jeu coopératif. Ces modalités organisationnelles définissent les règles du jeu de l'organisation. Elles sont constituées par l'ensemble des lois, des règlements, des dispositifs et des processus qui établissent comment les ressources et l'autorité (Benson, 1975 ), ou encore le pouvoir, sont répartis entre les acteurs 2 • Elles créent l'ensemble des mesures incita tives qui, en orientant les décisions des acteurs, devraient permettre à l'organisation d'atteindre ses buts. Ces mesures constituent un véri table système d'incitations qui s'appuient, pour influencer les acteurs, sur des logiques différentes (professionnelle, technocratique, économique et démocratique) et qui exercent leur influence à trois niveaux (macro, meso, micro). Dans la première section, nous proposons une classification des mesures incitatives en fonction de la logique de régulation et de leur niveau d'action. Cette classification permet de situer les modalités de paiement des acteurs dans l'ensemble des mesures incitatives du système de santé. Cela étant admis, une deuxième difficulté se pose. Elle est liée au fait que les mesures incitatives n'influencent pas les décisions des différents acteurs de la même façon. L'incitation pour un acteur, individuel ou collectif, à agir de telle ou telle façon résulte du sens que cet acteur lui donne (Giacomini et coll., 1996), c'est-à-dire de la façon dont il les interprète. Les interprétations des acteurs sont con ditionnées par leurs connaissances et leurs croyances, leur position dans le système, leurs intentions et leurs dispositions à agir. Ces questions sont discutées dans la deuxième section.
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Troisièmement, il faut reconnaître le caractère complexe des organisations qui tendent simultanément à atteindre des objectifs souvent contradictoires (Sicotte et coll., 1998 ; Quinn, 1 988 ; Quinn, Rohrbaugh, 1 98 8 ) , par exemple, l'innovation et la stabilité, l'accroissement des parts de marché et la satisfaction de la clientèle ou encore le climat de travail et les profits. Si cela est vrai de toutes les organisations, c'est encore plus manifeste pour un grand système social comme le système de santé. Ce dernier cherche simultanément à accroître l'équité d'accès aux services de santé, et ultimement à la santé, tout en voulant garantir l'autonomie individuelle des acteurs (les professionnels, les personnes malades, etc.) et en respectant son engagement social d'être aussi efficient que possible, c'est-à-dire de maximiser la qualité des soins et la santé en mobilisant le moins de ressources possible. L'adoption de mesures incitatives visant à favo riser l'atteinte d'un de ces objectifs doit donc tenir compte des réper cussions sur l'atteinte des autres objectifs. La description de ces trois grands objectifs et l'analyse de leurs relations paradoxales sont pré sentées à la troisième section. Cela nous conduit, à la quatrième section, à montrer comment les modalités de paiement des acteurs peuvent influencer leurs comportements, en prenant les médecins comme illustration. Logiq ues de régulation et mesures incitatives
Les modalités d'organisation du système de santé, c'est-à-dire l'en semble des structures et des dispositifs qui régulent la circulation des ressources financières et de l'autorité entre les acteurs (Benson, 197 5 ), constituent l'environnement concret (le système de con traintes et d'incitations) à l'intérieur duquel les acteurs interagissent dans un jeu permanent de coopération et de compétition pour con trôler les ressources (financières, humaines, matérielles, symboliques) du système (Friedberg, 1993 ; Bourdieu, 1994 ; Contandriopoulos, Souteyrand, 1996). Ces modalités organisationnelles sont les formes concrètes de l'arbitrage qui a eu lieu, à un moment donné, dans un contexte donné, entre les quatre grandes logiques de régulation qui sont à l'œuvre dans le système de soins : la logique professionnelle, la logique technocratique, la logique économique et la logique démocratique (figure 1 ) 3 •
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Figure 1
Logiques de régulation du système de soins MONDE POLITIQUE
Logique démocratique
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Logique professionnelle, autorégulation
Logique économique
Logique technocratique GESTIONNAIRES, PLAN IFICATEURS, PAYEURS
Nous commençons par décrire de façon générale l'idéal type que constitue chaque logique puis nous montrons comment elles s'institutionnalisent dans des modalités organisationnelles. les quatre logiques de régulation du système de santé
La logique professionnelle est celle qui a dominé dans les pays développés durant toute la première partie du xx:e siècle. Elle tire sa légitimité, bien que de plus en plus contestée, d'une part, des progrès gigantesques de la médecine scientifique dans sa compréhension de la maladie et dans ses capacités d'intervention et, d'autre part, du fait que malgré ses progrès, la médecine demeure un travail d'expert. Ainsi, l'application des connaissances biomédicales aux problèmes d'un individu particulier n'est jamais automatique, directe. Elle repose de façon déterminante sur l'expertise du professionnel et sur la confiance du patient. Ce dernier n'a ni les connaissances néces saires pour décider seul de quoi il souffre ni la possibilité d'exercer un jugement « rationnel » quand il est malade, souffre et est angoissé. Dans une telle situation, le professionnel en général, et tout parti culièrement le médecin, est l'agent du patient. Le système de santé est
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alors conçu comme l'énorme dispositif qui permet, chaque fois qu'un patient et un professionnel se rencontrent, que ce dernier puisse exercer son expertise, au nom du patient, de la façon la plus libre et la plus complète possible. Le médecin est ainsi au centre du sys tème de santé ; l'emploi des ressources repose sur ses décisions. C'est la profession médicale qui, en très grande partie, décide de la quantité et la qualité des différents services qui sont dispensés à la population. Toutes les décisions qui viennent limiter l'autonomie du médecin constituent potentiellement un danger pour les patients. Si l'État, pour garantir l'accès de tous aux soins, met en place des régimes d'assurance-maladie, il doit se limiter à mettre à la disposition des médecins les ressources nécessaires pour qu'ils puissent offrir en toute liberté des services à tous. Selon cette logique, la responsabilité de la profession consiste à mettre en place et à faire appliquer des mécanismes d'autorégulation visant à garantir au public que la formation des médecins est adéquate, que la qualité des services rendus est bonne et que les professionnels respectent un code de déontologie exigeant qui vise, entre autres, à garantir qu'il n'y a ni sur, ni sous-utilisation des services. En un mot, la profession se porte garante de l'intérêt collectif. La légitimité de la logique professionnelle repose sur l'auto régulation et le jugement des pairs pour garantir la compétence des professionnels et le respect des règles de déontologie. La logique technocratique prend le contre-pied de la logique professionnelle. Elle part du postulat qu'il est possible rationnelle ment, en mobilisant des approches scientifiques, de définir comment il faudrait employer de façon optimale les ressources pour satisfaire au mieux les besoins de la population. Les décisions concernant le système de santé devraient toutes être subordonnées à un processus rationnel de planification fondée sur une analyse des besoins et leur priorisation, une programmation détaillée des activités, une défi nition optimale des ressources requises pour optimiser l'atteinte des priorités et une évaluation des résultats obtenus (Pineault, Daveluy, 1986). Dans cette perspective, ce sont les technocrates, élevés au rang d'experts, qui, par leur maîtrise des approches analytiques de la décision rationnelle, sont au centre des décisions. L'activité médicale
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doit être évaluée de la même façon que toutes les autres activités. Il est possible de l'extérieur de poser des jugements sur l'efficacité et sur la pertinence de l'utilisation des différents services et d'établir, à partir de données probantes (evidence base medicine), les services qui devraient être dispensés et ceux qui ne devraient pas l'être. Les décisions cliniques pour éviter l'arbitraire des professionnels devraient être encadrées de façon rigide par des lignes directrices de pratique et ce, d'autant plus que les nouvelles technologies de finformation et des communications le permettent de plus en plus facilement. L'État, ou plutôt l'appareil gouvernemental, doit prendre en charge la planification du système de santé de façon à garantir à la population que les ressources publiques sont utilisées de façon rationnelle et qu'aucun groupe d'acteurs n'en monopolise l'emploi. La logique technocratique se présente comme rationnelle, apolitique, entièrement dévouée à la maximisation de l'intérêt collectif. Sa légitimité repose sur l'analyse scientifique des phénomènes et sur sa capacité à établir des règles définissant les obligations et les contraintes garantes de l'intérêt collectif. La logique économique ( ou logique de marché) renvoie dos à dos les logiques professionnelle et technocratique. Elle montre, en s'appuyant sur la théorie économique néolibérale classique, que l'allocation des ressources est optimale quand on laisse fonctionner le libre jeu de l'offre et de la demande sur des marchés de con currence. Les défenseurs de ce point de vue affirment que les services de santé ne sont pas vraiment différents des autres biens, que leurs caractéristiques particulières (déséquilibre d'information, occurrence aléatoire de la maladie, présence d'externalité) sont insuffisantes pour empêcher le marché de concurrence de fonctionner. L'État n'a pas plus de raisons d'intervenir dans le domaine de la santé que dans n'importe quel autre secteur économique et, encore moins, de définir a priori une enveloppe budgétaire. L'État devrait se contenter de limiter au maximum les imperfections du marché (éliminer les situa tions de monopole créées par le professionnalisme, réduire sa par ticipation au financement sauf pour un panier minimal de services de première nécessité et pour les services de santé publics qui sont de véritables biens publics et faciliter la diffusion d'informations au public sur les services de santé) et laisser la régulation du système de santé aux bons soins de la main invisible du marché. La légitimité de
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cette logique repose sur l'idée que l'intérêt collectif résulte de la maximisation des intérêts de chaque agent quand on laisse fonc tionner le marché de concurrence. Selon la logique démocratique, les citoyens ont le droit et la responsabilité de participer aux décisions collectives. Ce droit démocratique peut s'exercer directement ou indirectement. Le plus souvent, il s'exerce indirectement par des représentants qui ont été élus ou cooptés. La logique démocratique permet d'associer chacun des membres de la population, quels que soient son revenu, son éducation, son âge, son lieu de résidence, tant au processus de for mulation des besoins, des problèmes, des priorités et des solutions, qu'au processus même de gestion et d'administration du système de santé dans son ensemble et de chacune de ses composantes. Pour que la logique démocratique puisse s'exprimer, il ne suffit pas d'organiser des processus de vote, il faut aussi (et peut-être surtout) qu'il existe dans la société de véritables espaces de débats. La démocratie vise non seulement à permettre aux citoyens d'exprimer leurs préférences par le vote, mais aussi à améliorer, par la discussion et la contro verse, leur culture démocratique. Cela est indispensable pour que chacun ait la possibilité de réfléchir de façon critique sur ce qu'il conçoit comme j uste pour lui, pour les groupes auxquels il appar� tient, pour la société dans son ensemble. Pour A. Touraine ( 1994 : 262). [ ... ] la démocratie est le régime qui reconnaît les individus et les collectivités comme sujets, c'est-à-dire qui les protège et les encourage dans leur volonté de « vivre leur vie », de donner une unité et un sens à leur expérience vécue. De sorte que ce qui limite le pouvoir n'est pas seulement un ensemble de règles de procédure mais la volonté positive d'accroître la liberté de chacun. La démocratie est la subordination de l'organisation sociale, et du pouvoir politique en particulier, à un objec tif qui n'est pas social mais moral : la libération de chacun.
La culture démocratique constituerait alors l'alternative aux logiques technocratique, économique et professionnelle en insti tutionnalisant à tous les niveaux de la société tout ce qui favorise les processus d'apprentissage individuels et collectifs (Crozier, Friedberg, 1977), c'est-à-dire tout ce qui ouvre la voie au changement et à l'innovation (Denis et coll., 1997 ; Langley, 199 5 ; Palmade, 1 996). La légitimité de la logique démocratique repose non seulement sur
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les règles procédurales qui organisent le vote, mais aussi sur tous les dispositifs qui permettent aux acteurs de comprendre de façon critique les enjeux sur lesquels ils doivent se prononcer. L'institutionnalisation des logiques de régulation : organisation des mesures incitatives
Les quatre logiques de régulation qui viennent d'être brièvement décrites reposent sur des conceptions très différentes, voire con tradictoires, de ce qu'est le système de santé, de ses buts, de sa place dans la société et du rôle que devraient y jouer les différents types d'acteurs. Il existe entre ces logiques des tensions irréductibles. Il n'est pas envisageable qu'on puisse arriver, dans une société, à un consensus sur la place, le rôle et l'importance que chacune devrait avoir dans le système de santé. Dans cette perspective, les modalités organisationnelles du sys tème de santé et les mesures incitatives qui leur sont associées cons tituent, à un moment donné, le compromis auquel une société est arrivée. Elles définissent les domaines d'application des mesures incitatives propres à chaque logique. La figure 2 tente de schématiser Figure 2
Logiques et modalités de régulation du système de soins MONDE POLITIQUE/ÉTAT
Logique démocratique
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Logique professionnelle, autorégulation
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GESTIONNAIRES, PLANIFICATEURS, PAYEURS
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cette idée en plaçant les principales modalités d'organisation du système de santé comme des dispositifs d'arbitrage entre les quatre logiques. Les arbitrages entre la logique démocratique et les trois autres logiques s'expriment par la place du processus démocratique dans la définition des espaces à l'intérieur desquels chacune des trois autres logiques va pouvoir s'exprimer. Ainsi, l'importance du débat démo cratique et du rôle de l'État dans la définition de la portion des dépenses de santé que l'État finance et dans l'étendue de la cou verture du régime public (ou parapublic) d'assurance-maladie déli mite le champ à l'intérieur duquel la logique économique pourra jouer soit de façon prédominante ou secondaire. Le degré de décentralisation, qui peut être conçu comme le pro cessus permettant d'arbitrer entre l'unité nationale et les diversités locales (Trottier et coll., à paraître} , délimite le niveau où les déci sions sur le système de santé sont prises. Le degré de décentralisation reflète ainsi l'importance accordée aux spécificités locales dans les décisions (priorisation des besoins, façons d'y faire face, etc.) . La décentralisation résulte de la mise en œuvre du principe de subsi diarité ; ce processus, en redéfinissant le rôle des entités locales, s'accompagne aussi forcément d'une redéfinition de ce qui est du ressort du central (politiques nationales, principes généraux, sys tèmes de péréquation entre les entités locales, etc.). Plus l'État adopte une logique technocratique, plus la décentralisation sera de nature administrative ( déconcentration), et plus l'État valorise la logique démocratique dans la prise en compte des diversités locales, plus la décentralisation sera de nature politique (Denis, 1997). Par ailleurs, la définition par l'État des champs de compétence, c'est-à-dire le découpage par la loi ou la réglementation des domaines dans lesquels les différentes professions peuvent exercer de façon exclusive, est une façon de délimiter les domaines où la logique professionnelle est dominante. Tous les dispositifs qui sont utilisés à tous les niveaux pour orga niser de façon formelle la participation de la population et des pro fessionnels aux processus de décision dans les établissements, dans les instances régionales ou dans les instances nationales, constituent des façons d'ouvrir les débats et de faire valoir des points de vue différents. Ils s'inscrivent donc dans une valorisation de la logique démocratique telle que nous l'avons décrite. La logique démo-
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cratique se manifeste concrètement par la façon dont est organisé le pouvoir législatif (et réglementaire). Plus la légitimité de ce pouvoir repose sur l'existence de débats démocratiques larges et organisés, plus la logique démocratique est celle qui peut être mobilisée pour établir les domaines dans lesquels les autres logiques s'exercent. Le recours systématique au pouvoir judiciaire pour régler les conflits qui peuvent se manifester entre les grands groupes d'acteurs et entre les différentes logiques réduit la place du débat démocratique en le subordonnant en quelque sorte à une logique normative (la judi ciarisation) peu différente dans ses fondements et dans sa forme de la logique que nous avons appelée technocratique. C'est autour de la régulation de l'offre de soins que la logique économique et la logique technocratique se rencontrent. Les dispositifs qui sont retenus pour distribuer les ressources du système de santé (allant du marché de concurrence pure au plan étatique) indiquent l'importance relative qu'y jouent ces deux logiques. Les relations entre la logique technocratique et la logique pro fessionnelle se manifestent par la façon dont les modalités de paiement des ressources, l'organisation des pratiques profession nelles et l'organisation de la prise en charge des patients sont utilisées pour orienter, par des mesures incitatives, la pratique des pro fessionnels. L'organisation de la relation d'agence qui existe entre le patient et le professionnel, où le patient s'en remet à l'expertise du pro fessionnel pour guider ses décisions, ainsi que les régimes d'assu rances qui limitent pour les patients les risques financiers associés à l'apparition de la maladie constituent les réponses institutionnelles qui sont apportées, de façon générale, aux problèmes que soulèvent les caractéristiques fondamentales des services de santé et qui empêchent le marché de concurrence de fonctionner sans contraintes (Evans, 1981). En somme, les modalités organisationnelles et les mesures inci tatives, qui résultent, dans une société donnée et à un moment donné, de la négociation du rôle des quatre logiques de régulation qui coexistent dans le système de santé, constituent les fondations sur lesquelles s'appuient les structures du système. Ces structures qui conditionnent le comportement des acteurs peuvent être classées en fonction du niveau d'action des mesures incitatives ; c'est ce qui est proposé sur la figure 3 .
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Figure 3
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Modalités organisationnelles MACRO
Couverture du système Quels sont les services et les populations assurés ? • publiquement • de façon privée • non assuré • non officiel Qui a le droit de faire quoi? • système de formation • lois et règlements
D'où vient l'argent? • impôts et taxes • cotisations sociales • loteries / casinos • aides internationales • assurances privées • paiements directs officiels • paiements directs non officiels (en argent, en nature . . . ) Qui décide? • degrés et type de
décentralisation
M ESO Accès aux services • disponibilité des ressources • obstacles à l'utilisation écologiques économ iques organisationnels
Organisation du système • niveau d'intégration des enveloppes budgétaires • régulation de l'offre de soins (rôles du marché, de la technocratie, du professionnalisme) MICRO
Capacités des utilisateurs à surmonter les obstacles Organisation des prises en charge • gestion des soins • gestion thérapeutique Organisation de la pratique des professionnels (solo, groupe, hôpital , clinique . . . )
Paiement des ressources • qu'est-ce qui est payé? ressources services responsabilités • qui est payé? • comment est fixé le montant payé? médecin/patient négociation (médecins / payeurs) décret • qui paie? tiers payant organisation patient
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D'une façon générale, les mesures reposant sur l'interaction de la logique démocratique avec les trois autres définissent des modalités macroscopiques. Les mesures mésoscopiques qui structurent le système et l'offre de services résultent des logiques économiques et technocratiques. L'organisation microscopique de la prestation des services découle de l'interaction des logiques professionnelles et technocratiques. C'est à ce niveau que se situent les modalités de paiement des acteurs. On comprend dès lors que le rôle des moda lités organisationnelles qui reposent sur les logiques économique, technocratique et professionnelle est subordonné à la place de la logique démocratique dans les décisions de nature macroscopique. Il est, entre autres, évident que si l'État se retire du financement du système de santé, il perd la possibilité de subordonner les autres logiques, et en particulier la logique économique, à la logique démo cratique qui est celle sur laquelle repose sa légitimité. En d'autres mots, il perd la possibilité d'orienter les mesures incitatives dans un sens qui est conforme à l'intérêt collectif, en redistribuant les ressources de façon équitable en fonction des besoins de soins de la population. Mesures incitatives et décisions des acteurs
Une incitation à l'action est produite lorsqu'un acteur est encouragé par des mesures incitatives à se comporter de telle ou telle façon dans un contexte donné (Stoddart, 199 1 ) . Celui-ci peut être encouragé de différentes manières, par un gain monétaire, une promotion sociale, une menace, une sanction, le respect d'une norme sociale ou encore par une information probante. Les mesures incitatives de nature économique ne sont donc pas la seule forme d'incitation. Pour que des mesures incitatives deviennent opérantes, c'est-à-dire pour qu'elles deviennent des incitations, il faut que les signaux qu'elles transmettent soient captés et interprétés par les différents acteurs du système ( Giacomini et coll., 1996). On peut dès lors définir une incitation comme la réaction contextualisée d'un acteur spécifique à des mesures incitatives. En somme, une mesure incitative a un caractère objectif, alors que l'incitation est de nature subjective. Or, comme nous venons de le voir, ce sont les modalités organisa tionnelles (figure 3) d'un système de santé, qui structurent les mesures incitatives, qui vont influencer les décisions des différents
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acteurs. Les mesures incitatives résultant de l'interaction de logiques de régulation différentes, dont les bases de légitimité sont elles mêmes différentes, n'agiront pas toutes de la même façon. La variabilité des effets des mesures incitatives découle donc, d'une part, de la nature des mesures et, d'autre part, de leur inter prétation par les acteurs, interprétations qui pourront varier selon les acteurs mais qui pourront varier aussi pour les mêmes acteurs placés dans des contextes et des positions différents dans le système de santé. Variabi l ité des mesu res incitatives
Les mesures incitatives peuvent être universelles, c'est-à-dire toucher tous les acteurs d'une société, ou être spécifiques, soit affecter seule ment un groupe particulier d'acteurs ; elles peuvent être permanentes, c'est-à-dire s'étendre dans le temps ou être ponctuelles ; elles peuvent avoir des combinaisons doses/effets très différentes (brutales ou douces) ; elles peuvent être latentes ou explicites ; elles peuvent être l'expression du pouvoir d'un groupe dominant d'acteurs et contri buer au maintien du statu quo ou encore provenir de groupes con testataires visant à modifier l'ordre établi. On peut distinguer quatre groupes de mesures incitatives en fonction de leur mécanisme d'action. Les mesures fondées sur l'autorité. Elles visent à obliger les acteurs à faire certaines choses et à leur interdire d'en faire d'autres. Elles s'expriment par des lois et des règlements, et leur efficacité repose de façon critique sur la légitimité du pouvoir de l'acteur qui utilise l'autorité. Les mesures fondées sur l'information. Leur effet attendu dépend de la logique dans laquelle on se place. Si on se place dans une logique technocratique, on postule que les acteurs étant rationnels, il suffit, pour qu'ils choisissent de modifier leurs comportements, de leur transmettre des informations probantes. C'est sur ce postulat que reposent les effets attendus de toutes les mesures visant à établir, pour les différents acteurs, des lignes directrices de pratique. Dans une logique démocratique, l'information est ce qui est porteur de compréhension. C'est ce qui favorise les échanges de points de vue entre les acteurs. Elle est un ingrédient essentiel, avec la formation, d'une véritable culture démocratique. Elle n'a pas de valeur absolue.
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Dans la logique économique, l'information est objective et elle est nécessaire pour que les marchés de concurrence puissent converger vers un optimum collectif. Les mesures fondées sur l'intérêt économique des acteurs. Elles s'inspirent de la théorie économique qui postule que le comporte ment des agents économiques peut se résumer en un calcul qui, pour chaque décision, permet de comparer les efforts (les coûts) et les avantages qui lui sont associés. Pour inciter un acteur à modifier ces décisions, il suffit donc de modifier les coûts ou les avantages d'une décision particulière. Les incitations associées aux mécanismes de financement et de paiement des acteurs appartiennent à cette catégorie. Les mesures reposant sur l'éthique ou le respect de règles morales. Ces mesures s'expriment dans une société par tout ce qui renforce les normes sociales auxquelles les acteurs accordent de l'importance. Elles ont une influence considérable dans la mesure où elles donnent leur véritable sens aux trois autres catégories de mesures incitatives. Mais elles sont aussi en partie construites par ce qui est valorisé dans une société, c'est-à-dire par les mesures incitatives prévalentes qui sont, elles-mêmes, le reflet institutionnalisé des valeurs de cette société ( Contandriopoulos et coll., 1998). Les acteurs et leurs décisions
Les difficultés de l'analyse des mesures incitatives ne se limitent pas à leur grande variabilité. L'analyse doit aussi tenir compte de la spéci ficité des décisions des acteurs dans un contexte donné. On peut définir un acteur (figure 4) comme un agent (ou un groupe d'agents : les médecins, les administrateurs, les gestionnaires, etc.) se caractéri sant simultanément et de façon indissociable par ses convictions, ses intentions, ses capacités ou ses dispositions à agir et par les res sources qu'il a ou qu'il maîtrise. On peut extrapoler cette notion d'acteur en considérant qu'une organisation est, elle aussi, un acteur qui se caractérise par sa culture, ses stratégies, ses comportements et sa structure. Tout changement dans l'un des quatre pôles qui carac térisent un acteur entraîne des changements dans les trois autres et donc dans les comportements de cet acteur. En d'autres termes, on conçoit qu'un acteur changera s'il est économiquement incité à le faire, s'il comprend les choses de façon différente (s'il est soumis à de
Les mesures incitatives et le paiement des ressources Figure 4
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Définition d ' un acteur
Valeurs, culture, système de croyances OBLIGATIONS 1 TERDICT ONS
capital écono ique capital c lturel capital social capital biologique / technologie \ (structure) CAPACITÉS/ DISPOS! IONS À AGIR
INFORMATIONS FORMATION
• 1 ENTIONS • PROJETS
NORMES SOCIALES
Modalités organ isationnelles
Mesures i citatives
nouvelles informations, à de nouvelles explications, à de nouvelles connaissances), si les techniques qu'il mobilise se transforment, si les lois et les règlements changent et enfin si les normes sociales qui véhiculent les systèmes de croyances et de valeurs évoluent. Pour comprendre comment une mesure incitative (par exemple une modalité de paiement) devient, pour un acteur, une incitation à modifier ses décisions, il est nécessaire, comme le suggère la figure 4, de considérer simultanément la nature de la mesure incitative, de situer les relations qu'elle entretient dans un contexte particulier avec
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l'ensemble des autres mesures incitatives, de tenir compte de la signification de la mesure pour chaque acteur particulier et, enfin, de pouvoir apprécier si elle contribue, en modifiant les jeux des acteurs, à pousser le système de santé dans une direction souhaitable. Pour pouvoir, dans la quatrième section, proposer une façon de poser ce jugement sur les modalités de paiement des acteurs, il faut auparavant définir les buts du système de santé, de façon à établir des critères et des normes à considérer. Appréciation des mesures incitatives : les buts paradoxaux du système de soins
Comme nous l'avons dit, le système de santé dans une société donnée peut être appréhendé à partir des relations de coopération et de concurrence qui se nouent entre les différents acteurs pour renforcer leurs positions dans le contrôle des ressources du système. Ces relations sont en partie déterminées par les modalités organisation nelles du système de santé qui reflètent de façon pratique comment s'opèrent dans une société donnée, à un moment donné, les arbi trages entre de grandes valeurs comme la recherche de l'équité, la protection des libertés individuelles et l'efficience dans l'emploi des ressources collectives. Les modalités organisationnelles constituent les structures juridi ques, administrative, financière et matérielle du système de santé. Elles définissent le système de mesures incitatives (incitations écono miques, obligations et interdictions, informations, normes sociales) qui, à un moment donné, renforce certaines des valeurs, certaines des perceptions et certaines des croyances des acteurs. Les modalités organisationnelles créent << un champ de force » : dont la nécessité s'impose aux agents qui s'y trouvent engagés, et un champ de luttes à l'intérieur duquel les agents s'affrontent, avec des moyens et des fins différenciés selon leur position dans la structure du champ de force, contribuant ainsi à en conserver ou à en transformer la structure (Bourdieu, r 9 9 4 : 5 5 ). Pour apprécier la cohérence du champ de force créé par les mesures incitatives, il est nécessaire de préciser les buts recherchés de façon à définir les normes et les critères permettant d'apprécier les conséquences de telle ou telle mesure incitative et en particulier les
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conséquences d'un changement dans les modalités de paiement des acteurs. les buts du système de santé : l 'équité, la l iberté et l 'efficience
L'équité reflète une préoccupation collective de justice entre les indi vidus. Elle peut se définir comme l'appréciation de ce que collec tivement on pense juste de répartir également entre des individus ou des groupes ( Sen, 1992). On conçoit donc immédiatement qu'à toute décision de ce que l'on considère juste (répartition égale des ressources ou des services, ou encore de la santé) correspond aussi une décision de ce qui sera réparti inéquitablement. L'équité est un jugement moral sur l'allocation des ressources (Arweiler et coll., 1997). Le caractère équitable de la répartition des ressources dans un pays donné, à un moment donné, n'a rien d'absolu, car il repose avant tout sur ce que la population, à un certain moment, reconnaît comme juste. La promotion de l'équité repose sur la capacité de l'État à redis tribuer des ressources entre les différents groupes constitutifs de la société (les groupes socio-économiques, les générations, les popu lations des différents espaces géographiques, les malades et les bien portants, ceux qui ont un emploi et les autres). Cette capacité de l'État à redistribuer des ressources découle de façon critique de sa légitimité mais, simultanément, c'est cette redistribution qui, en créant de l'équité, renforce la légitimité de l'État. Plus concrètement, la notion d'équité s'exprime dans le domaine de la santé par des indicateurs comme le pourcentage de la popu lation couverte par des régimes d'assurance-maladie et de l'étendue de sa couverture, l'importance du paiement à faire au moment de l'utilisation des services, l'existence de barrières géographiques, sociales, organisationnelles à l'accessibilité aux services. L'autonomie individuelle, ou la liberté, est une valeur individuelle. Elle fait référence à deux notions : la première est l'autonomie d'action, c'est-à-dire le droit pour chaque personne d'agir de façon volontaire et intentionnelle, et la deuxième est la capacité d'agir avec indépendance, c'est-à-dire d'avoir les ressources nécessaires pour pouvoir concrètement exercer ses choix (empowerment) . L'autono mie individuelle renvoie aux idées de respect de soi-même, de dignité
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de la personne. Dans le domaine de la santé, l'autonomie de décision est revendiquée autant par les professionnels que par la population. Elle s'exprime, entre autres, par l'étendue des libertés profession nelles, la capacité des personnes malades à choisir leur professionnel, la satisfaction de la population et celle des professionnels à l'égard du système de santé. L'efficience est une exigence sociale. Elle manifeste la nécessité, dans un contexte où les ressources sont rares, de maximiser un résultat, comme la santé ou la qualité des soins, de la façon la plus économique possible. L'efficience est un concept qui intègre les notions d'efficacité (maximisation de l'atteinte de résultat de santé), de productivité (maximisation dans l'utilisation des ressources dans le processus de production) et d'efficience allocative 4 (optimisation dans la distribution des ressources pour obtenir un résultat en termes de santé). Les indicateurs permettant d'apprécier l'efficience sont, d'une part, ceux qui portent sur les résultats obtenus (indicateurs de la qualité des soins : continuité, globalité, qualité technique des interventions, qualité de la relation médecin-patient et indicateur de résultats de santé - espérance de vie sans incapacité, mortalité évitable) et, d'autre part, les indicateurs de coûts. Les tensions irréductibles entre ces objectifs
La façon dont une société organise son système de santé reflète de façon concrète l'importance qu'elle accorde à chacune de ces trois valeurs. Les indicateurs associés à chacune de ces trois valeurs peuvent être utilisés pour apprécier la cohérence des mesures incita tives en posant trois questions. Les modalités d'organisation, de financement et de fonctionnement du système de santé permettent elles, en modifiant les comportements des acteurs : I ) d'améliorer l'équité d'accès aux services ? 2) d'augmenter l'autonomie de déci sion des différents acteurs ? 3 ) d'accroître l'efficience du système ? Dans un système donné, toute mesure incitative qui permet d'amé liorer le degré d'atteinte d'au moins une de ces valeurs sans détériorer les autres est bonne. La figure 5 illustre cette idée en permettant de plus de comprendre que la tension qui existe entre les trois objectifs augmente à mesure que la surface du triangle augmente. La comparaison entre les États-
Les mesures incitatives et le paiement des ressources Figure 5
14r
Objectifs du système de santé
ÉQ UITÉ
LI B ERTÉS INDIVIDU ELLES
100 %
1 00 %
100 %
EFFICIENCE
Unis et le Canada est un bon exemple. La valorisation dans la société américaine de l'autonomie individuelle a conduit, dans les années 1969- 1970, à la mise en place d'un système de santé qui, pour assurer une équité minimale sans réduire l'autonomie des profes sionnels et des assureurs, a créé les programmes « Medicare » et « Medicaid » et est devenu très coûteux. Aujourd'hui, pour accroître l'efficience, on généralise dans ce système le « managed care » , sans parvenir pour autant à améliorer l'équité mais en réduisant de façon sensible l'autonomie d'un grand nombre de professionnels et d'utilisateurs. Au Canada, pendant la même période, l'introduction du régime public d'assurance-maladie a permis d'atteindre un niveau plus élevé d'équité, tout en garantissant l'autonomie des principaux acteurs et une bonne capacité à maîtriser les coûts. Aujourd'hui, face aux pressions exercées par le développement technologique et la
r42
Le système de santé québécois
nécessité de réduire les dépenses publiques, les pressions sur l'équité s'amplifient, pendant que les difficultés grandissantes d'accès réduisent l'autonomie des acteurs. Dans les deux cas, pour accroître « la surface de résultat » , il faut envisager une transformation radicale des modalités d'organisation de façon à modifier les mesures incitatives qui conditionnent le jeu des acteurs. Parmi l'ensemble des mesures proposées, les modifi cations des modalités de paiement des médecins occupent une place centrale. C'est pourquoi, nous les utiliserons à titre d'illustration dans la section suivante. Les incitations liées aux modalités de paiement des médecins
Parmi toutes les mesures incitatives qui existent dans le système de santé, les modalités de paiement des acteurs sont généralement perçues comme celles sur lesquelles il est indispensable d'agir pour réorienter le système ou encore comme celles qui, si elles ne sont pas modifiées, empêchent d'autres mesures de donner les résultats attendus (Barnum et coll., 199 5 ; Barer, Stoddart, 199 1 ; CRPSQ 1 9 80 ; Contandriopoulos et coll., 1993 ; Contandriopoulos et coll., 1 99 6 ; Giacomini et coll., 1 996 ; Commission Rochon, 1 9 8 7 ; Reinhardt, 19 8 5 ) . Comme on connaît peu d e choses sur les effets spécifiques des différentes mesures incitatives sur le comportement des médecins, il en résulte que bien souvent les résultats découlant de mesures adop tées sont décevants et bien des fois inattendus ( Gabel, Rice, 198 5 ; Phelps, 1 9 8 6). Bien que l'on reconnaisse généralement que les médecins sont sensibles à une variation des tarifs (Evans, 1 9 84 ; Rochaix, 1993), plusieurs études ont montré que tous les médecins ne réagissent pas de la même façon ou que la réaction est différente selon le type de services (Hurley, Labelle, 1995, ; Labelle et coll., 1994 ; Escarce, 1993 ) . Les médecins n e réagissent pas non plus de la même façon à d'autres types d'incitatifs économiques visant à influencer leurs choix de pratique. Ainsi, les mesures visant à améliorer la répartition géographique adoptées au Québec au cours des années 1 9 80 ont eu des résultats mitigés. La réduction des tarifs, pour les jeunes médecins
Les mesures incitatives et le paiement des ressources
14 3
s'installant en milieu urbain, et la majoration des tarifs, de même que certaines primes pour ceux qui s'installaient en régions éloignées, ont contribué à améliorer de façon significative la répartition des méde cins omnipraticiens mais n'ont pratiquement eu aucun effet sur celle des spécialistes (Bolduc et coll., 1 99 6 ; Fournier, Contandriopoulos, I997). Toutefois, les incitatifs économiques jouent un rôle secondaire dans la motivation des jeunes médecins. Dans une enquête réalisée en 1986 auprès des médecins résidents et internes du Québec, 8 5 % d'entre eux déclarent qu'aucune mesure incitative ne les amènerait à modifier leur choix de lieu de pratique et seulement 9 % modifie raient leur choix si des mesures incitatives acceptables étaient adop tées (Contandriopoulos, Fournier et Lemay, 1990). Les mesures adoptées peuvent aussi avoir des effets pervers. Ainsi, au Québec, en 1976, on a voulu encourager la continuité des soins en revalorisant pour les omnipraticiens le tarif des visites à domicile. Cela a été à l'origine de la mise sur pied de ce qui est devenu « Urgence Santé » avec la création d'une véritable pratique médicale d'urgence, sans que la continuité des soins par les médecins de famille soit améliorée. Ces résultats illustrent qu'il n'y a pas de relation simple de cause à effet entre les modalités de paiement et les décisions des médecins. Pour comprendre comment les modalités de paiement influencent les décisions médicales, il faut préciser ce qu'on entend par modalités de paiement de façon à comprendre que chaque modalité constitue pour chaque médecin un système d'incitations complexes dont l'in fluence sur l'atteinte des trois grands objectifs du système de santé est difficile à prévoir, même si les modalités de paiement structurent fortement la pratique médicale. Les modal ités de paiement
Les modalités de paiement définissent en quelque sorte les termes du contrat qui lie les acteurs payés et les payeurs. Le but ultime de ce contrat étant, en définissant les risques et les responsabilités de chacune des parties, de tendre, dans une société donnée, au meilleur compromis possible entre l'équité d'accès aux services, l'autonomie des acteurs et l'efficience du système de santé. Les modalités de paiement des ressources peuvent se décrire en fonction des réponses qui sont données à quatre grandes questions :
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Le système de santé québécois
Qu'est-ce qui est payé (l'objet du paiement) ? Comment est fixé le niveau du paiement (un acteur individuel ou un groupe d'acteurs) ? Qui est payé ? Qui effectue le paiement ? ( Contandriopoulos et coll., 1993 ; Reinhardt, 1985 ; Giacomini et coll., 1996). La combinaison des réponses à ces quatre questions permet d'établir des modalités de paiement qui, chacune, d'une part, exprime les intentions des acteurs qui ont négocié ou établi les diverses modalités de paiement et qui, d'autre part, motive les acteurs payés en fonction de l'interprétation qu'ils font des signaux transmis par chaque modalité de paiement. Pour comprendre la complexité des signaux transmis, il faut décrire brièvement chacune des quatre dimensions qui permettent de définir les modalités de paiement. L'objet du paiement. Trois réponses peuvent être données à la question « Qu'est-ce qui est payé ? » En effet, on peut payer les res sources, les services dispensés ou encore les résultats obtenus. • le paiement des ressources correspond au paiement du temps que les médecins, par exemple, consacrent à des activités professionnelles. Le paiement dans ce cas prend la forme d'un salaire ou de vacations. • le paiement de services dispensés correspond au paiement à l'acte. Les actes peuvent être payés de façon indépendante, selon une grille tarifaire plus ou moins fine, ou encore être payés de façon agrégée. On parle alors de paiement au cas (suivi de la grossesse et accou chement, traitements chirurgicaux comprenant les visites pré et postopératoires en plus de l'opération elle-même). • le paiement en fonction des résultats de santé n'a jamais été rendu formellement opérationnel pour les professionnels de la santé. La nature de l'activité de ces professionnels et les caractéristiques pro pres de la maladie font en sorte qu'il est à toutes fins utiles impossible de payer les médecins en fonction de résultats en termes de santé. On a, par contre, tenté de payer les médecins à capitation, c'est-à-dire en fonction de l'ampleur des responsabilités qu'ils sont prêts à assumer, indépendamment du volume des services dispensés.
La cible du paiement peut être un acteur individuel ou un acteur collectif (une organisation). Le paiement d'un acteur collectif (un groupe de médecins, un hôpital, un système intégré de prise en
Les mesures incitatives et le paiement des ressources
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charge d'une population particulière) permet au payeur de déléguer, en la décentralisant, la responsabilité de la coordination des ressources pour assurer la continuité et la globalité des services. À son tour, cette organisation peut rémunérer les acteurs individuels sous une forme ou sous une autre. Le niveau de la rémunération peut être fixé de trois façons: par le médecin dans le cadre du libre jeu de l'offre et de la demande, par négociation formelle entre les acteurs payés et les payeurs, ou encore par décret de l'organisme payeur. La responsabilité du paiement peut incomber à un tiers payeur (comme la Régie de l'assurance-maladie du Québec) . Elle peut être assurée directement par les patients qui, par la suite, peuvent être remboursés intégralement ou non par des assurances (privées ou publiques). Elle peut enfin être assumée directement par l'organisa tion dans laquelle travaille le professionnel. La combinaison de ces quatre dimensions définit l'ensemble des 54 modalités de paiement qui peuvent théoriquement exister. Pour décrire comment sont payés les professionnels d'un système de santé donné, à un certain moment, il faut aussi tenir compte du fait que plusieurs modalités peuvent coexister, soit pour des groupes de médecins différents, soit pour le même médecin. Ainsi, au Qué bec, les médecins généralistes en CLSC et les psychiatres en milieu hospitalier sont payés à salaire par un tiers payant selon une grille négociée de rémunération, alors que les médecins en cabinet privé sont payés à l'acte par un tiers payant selon des tarifs négociés. Un spécialiste, aux États-Unis, peut être payé à honoraires fixes à l'hôpital, à l'acte, par des patients qui seront remboursés par leurs assurances privées, et directement par un tiers payant pour d'autres patients. De la même façon, au Québec, en 1994, à peine la moitié des omnipraticiens et les trois quarts des spécialistes étaient payés exclusivement à l'acte (Fournier, Contandriopoulos, I997). De plus, plusieurs modes de paiement peuvent exister à l'intérieur d'un même type d'activité. Ainsi, la rémunération de base des médecins généralistes anglais est sous forme de capitation pour leur pratique en cabinet. En fait, la capitation ne représente que 60 % du revenu des généralistes anglais. L'autre 40 % est composé d'une allo cation de base pour le fonctionnement du cabinet, d'un paiement à l'acte pour certaines activités ( suivi de grossesses, etc. ) et de primes en fonction de l'atteinte de certains objectifs d'activités de prévention.
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Le système de santé québécois
Cela nous permet de comprendre que pour analyser les incitations transmises par les modalités de paiement, il est tout à fait insuffisant de parler du paiement à l'acte ou du salariat, sans tenir compte de trois autres dimensions qui permettent de définir une modalité de paiement. Par exemple, les incitations associées à un paiement à l'acte avec un tiers, selon des tarifs négociés, à un groupe de méde cins organisé en « pool », ne véhiculent pas les mêmes messages que le paiement à l'acte dans un système où les tarifs sont fixés par les médecins et les honoraires payés par les patients. Modal ités de paiement et transformati ons du système de santé
Pour comprendre le rôle des modalités de paiement dans un système de santé, il faut d'abord établir la prévalence des différentes modalités existantes. Par la suite, il faut, d'une part, analyser les signaux qu'elles transmettent aux professionnels ( Giacomini et coll., 1996) et, d'autre part, comprendre comment cet ensemble de signaux est interprété par les différents acteurs dans le contexte par ticulier des systèmes de santé à l'étude. C'est alors seulement que l'on pourra évaluer dans quelle mesure ces signaux peuvent favoriser l'atteinte des grands objectifs du système (l'équité, le respect de l'au tonomie des acteurs, l'efficience) (Contandriopoulos et coll., 199 3 ) . Les modalités d e paiement, comme toute mesure incitative, transmettent aux acteurs une gamme diversifiée de signaux. Ces signaux portent en premier lieu sur les prix, soit de la ressource mobilisée (le temps du médecin), soit des services dispensés, sur les actes accomplis ou la responsabilité assumée (envers une population ou une clientèle) . Ces prix, dans une logique de marché, visent, en définissant la valeur relative des différents biens et services échangés, à inciter les professionnels à concentrer leurs efforts sur ce qui est le mieux payé. Pour comprendre l'effet d'un changement des prix dans une modalité spécifique de paiement (par exemple, le prix d'un acte dans la structure tarifaire), il faut replacer ce changement dans l'ensemble des modalités de paiement en tenant compte des relations de complémentarité et de substitution qui peuvent exister pour un médecin entre les différentes activités. Mais les modalités de paiement ne transmettent pas seulement des signaux sur les prix, elles véhiculent aussi des informations sur les priorités des planificateurs, des décideurs et plus généralement de la
Les mesures incitatives et le paiement des ressources
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société, et elles sont des manifestations concrètes de la structure d'autorité existante dans le système. Quand, pour aider un système de santé à se transformer (devenir plus efficient tout en restant équitable), on envisage de changer le mode de rémunération des médecins ( abandon du paiement à l'acte et généralisation du paiement à salaire), on propose de modifier la structure de la prévalence des différentes modalités de paiement, on change les différents signaux qu'elles transmettent aux acteurs. Mais, en conclusion, pour que ces politiques donnent des résul tats, il ne suffit pas que les mesures incitatives soient théoriquement cohérentes avec les buts recherchés, il faut aussi qu'elles soient interprétées par les acteurs concernés de la même façon. Or la façon dont les différents acteurs interprètent les mesures incitatives est en partie constituée, au fil du temps, par les modalités d'organisation du système de santé. Pour que de nouvelles mesures incitatives entraî nent de véritables changements, il faut donc qu'elles puissent simul tanément créer les conditions d'apprentissage requises pour changer les mentalités des acteurs et, en même temps, transformer les moda lités d'organisation du système pour lui permettre d'atteindre les buts paradoxaux qu'il vise.
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La place d u médicament dans le système de santé d u Québec
D A N I E L R E I N H A R Z • L O U I S E R O U S S EA U S Y LV I E R H EA U LT
LEs tTRES HUMAINS ont vraisemblablement tou jours eu recours à des substances médicinales dans le but d'améliorer leur état de santé. Mais c'est au cours du :xxe siècle que l'on a pu observer une progression phénoménale des technologies médi camenteuses conférant ainsi au médicament une place importante, pour ne pas dire prépondérante à l'intérieur de l'arsenal théra peutique moderne. Au cours des 50 dernières années, l'utilisation des médicaments pour la guérison, la prévention ou l'atténuation de la sympto matologie a considérablement augmenté. Cela peut être expliqué par l'extension de la pharmacothérapie à un plus grand nombre de pathologies, le vieillissement de la population de même que l'aug mentation de la prévalence de certaines conditions pathologiques chroniques et par un meilleur accès non seulement aux médicaments mais aussi aux prescripteurs et aux techniques diagnostiques. Face à cette croissance remarquable du secteur des médicaments, le système de santé a dû adopter des mesures de protection du public. C'est ainsi qu'a été mis en place, au Canada comme ailleurs, un certain nombre d'exigences scientifiques et légales entourant la
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Le système de santé québécois
mise sur le marché des produits pharmaceutiques. Plus récemment, c'est la question de l'accessibilité à une technologie de la santé rendue souvent nécessaire, en termes de disponibilité des produits pharmaceutiques et de la possibilité financière de se les procurer, qui est devenue un sujet de préoccupation majeure. Il en est résulté au Québec l'implantation du dernier grand régime social: le régime d'assurance-médicaments. Un survol i nte rnational de politiques des médicaments
Les médicaments, parce qu'ils représentent un secteur de plus en plus important dans l'arsenal thérapeutique, sont devenus pour tous les systèmes de santé un sujet de grande préoccupation. La possibilité de se procurer des produits nécessaires au maintien ou au recouvrement de la santé, ainsi qu'une utilisation justifiée et non délétère pour la population, et son corollaire, un accroissement inacceptable des coûts, sont désormais des sujets incontournables de toute politique de santé. Tableau 1
Couverture de la population par un régime pu blic et dépenses publiques pour les médicaments
PAYS
% DE LA POPULATION
% DES DÉPENSES DE
COUVERTE PAR UN RÉGIME PUBLIC
MÉDICAMENTS PRESCRITS FINANCÉS À PARTIR DES FONDS PUBLICS
Allemagne
92 ,2
50
Australie
1 00
50
Canada
34
24
Danemark
1 00
45
États-Unis
12
25
France
98
75
Japon
1 00
82
Norvège
1 00
58
Pays-Bas
100
94 , 4
Royaume Uni
1 00
90
Suède
1 00
69,9
Source : OCDE, 1 995b.
La place du médicament dans le système de santé du Québec
I5I
Le Canada, parmi les pays industrialisés, est un de ceux qui assu rent le moins l'accessibilité aux produits pharmaceutiques. Seule une minorité de la population y est couverte par un régime d'assurance publique. Selon les provinces, il s'agit des personnes âgées, des plus nécessiteux et d'individus souffrant de certaines maladies. Aussi, la contribution privée à l'achat des produits reste fort importante : près de 7 5 % des dépenses pour les médicaments sont assumées au Canada par le secteur privé, un des taux les plus élevés parmi les pays de l'OCDE. Des politiques parfois très diverses et originales ont été et sont tentées dans les différents pays pour assurer à la fois l'innocuité des produits, la prescription appropriée de médicaments, l'accessibilité aux produits pharmaceutiques et le contrôle des coûts. La variété des solutions proposées découle bien entendu de l'existence de très nom breux facteurs qui concourent à l'implantation d'une politique. Leur appréciation ne peut se départir de la prise en compte des carac téristiques propres à chaque système. Partout, on trouve une proportion plus ou moins étendue de la population qui bénéficie de la gratuité des médicaments prescrits. Nulle part cependant, l'accessibilité est parfaitement garantie. Que ce soit à travers l'exigence d'une contribution à l'achat ou d'une restric tion de la population bénéficiaire de la gratuité des médicaments à certains groupes bien identifiés, une part des coûts totaux est assumée directement par le consommateur ou la consommatrice. Les Pays-Bas, par exemple, sont le seul pays à n'exiger aucune contri bution directe de la part des consommateurs, mais cette politique ne s'adresse qu'à ceux couverts par le régime public (Burstall, 1994). En ce qui concerne la régulation, tous les États ont implanté des structures qui gèrent avec circonspection l'admission des produits sur le marché. Les décisions prises par ces instances se réfèrent autant aux propriétés des molécules en termes d'efficacité et d'innocuité, qu'aux coûts. Cependant, des différences notoires existent. On peut citer le cas de la Norvège qui limite de manière très stricte l'entrée des produits sur son marché, y compris des équivalents génériques. Il est vrai cependant que ce pays est quasiment dépourvu d'industrie pharmaceutique (Andersson, 1992) . Par ailleurs, plusieurs politiques ont été introduites pour assurer une utilisation plus judicieuse des médicaments. Ces programmes peuvent s'adresser tant à la population qu'au prescripteur.
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Le système de santé québécois
Lorsqu'elles s'adressent à la population, ces politiques visent avant tout à décourager l'utilisation inj ustifiée de médicaments. C'est ainsi que des désincitatifs à la consommation sont introduits sous forme de contributions exigées à l'achat des produits pharmaceutiques. Afin d'assurer toutefois une certaine accessibilité, différentes politi ques sont mises en place. Souvent, elles exemptent une partie de la population de toute contribution, mais peuvent prendre également d'autres formes. En France par exemple, un système original est en vigueur dans lequel les médicaments sont catégorisés en quatre groupes qui vont de produits nécessaires pour la survie à des pro duits considérés comme non indispensables. Le taux de rembour sement par les fonds publics varie selon la catégorie: il est complet pour la première, et nul pour la dernière (Fielding, Lancry, 1993 ). Plusieurs États comme l'Allemagne ou, au Canada, la Colombie Britannique ont introduit un système de prix de référence grâce auquel un prix de remboursement unique par les instances publiques est déterminé pour des produits considérés comme substituables (Schneider, 1991 ; Morgan, 1996). En Suède, le médecin doit infor mer le patient de l'existence d'équivalents génériques moins chers, et l'informei; ainsi que le pharmacien, par écrit, s'il décide de ne pas le prescrire. Finalement, la réglementation peut s'adresser aux prescripteurs. Dans plusieurs pays, un contrôle sur le profil de prescription des médecins a été imposé, comme en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Les médecins qui se démarquent des moyennes sont repé rés et sont incités à modifier leurs habitudes de prescription. On doit également noter le cas des généralistes {und holders en Grande Bretagne, qui bénéficient d'un budget global pour les médicaments pour chacun de leurs patients, et qui doivent dans les limites de la somme reçue, pourvoir aux besoins de leur clientèle. Le médicament : un bien presque « médicalement nécessaire »
Le développement historique de nos régimes d'assurance hospitalisation et d'assurance-maladie, et les diverses ententes fédérales-provinciales de partage des dépenses, dont la Loi canadienne sur la santé de 1984, qui définit les cinq principes requis pour l'obtention d'une contribution du gouvernement fédéral au
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r53
financement des systèmes de santé provinciaux 1 (Loi canadienne sur la santé, 198 5 ), ont façonné le système de soins québécois et l'ont doté de la caractéristique qui fait l'originalité des systèmes de soins canadiens : une interdiction pour le secteur privé de financer les services déjà pleinement couverts par le secteur public et, de ce fait, la promotion d'une médecine à une vitesse. Les services hospitaliers et les services médicaux reconnus comme médicalement requis sont offerts à tous les résidants 2 , quels que soient leur condition socio économique et leur état de santé. Un financement essentiellement public et la gratuité au point de consommation garantissent, théo riquement tout au moins, à toute la population la même accessibilité aux soins de santé. Les médicaments, dans le cadre de ces lois, et malgré la place qu'ils se sont acquise dans la thérapeutique, ne sont considérés comme « médicalement nécessaires » qu'en milieu hospitalier. Comme le financement des médicaments en milieu ambulatoire n'est partagé par le gouvernement fédéral que pour les personnes se trouvant dans le besoin (bénéficiaires d'aide sociale et personnes âgées bénéficiaires des programmes de sécurité de revenu fédéral), aucune province n'offre en effet les médicaments aux mêmes con ditions que les autres services médicaux jugés nécessaires. Ils restent donc exclus du panier de services de santé rendus pleinement acces sibles à la population par le système public, grâce à la suppression de toute contribution financière à la consommation. Que les médica ments aient été considérés un bien à part peut s'expliquer par différentes raisons, comme le fait qu'ils étaient moins utilisés dans le contexte ambulatoire et qu'ils étaient par ailleurs peu coûteux à l'avènement des régimes d'assurance-maladie. Mais c'est surtout parce qu'ils étaient, et sont encore, considérés comme un bien de consommation sur lequel la population a assez d'information pour décider si elle doit ou non se le procurer, contrairement aux services médicaux ou hospitaliers, qu'ils conservent un statut particulier. L'instauration d'un régime d'assurance-médicaments applicable depuis le I janvier 1997 à l'ensemble de la population québécoise (Loi sur l'assurance-médicaments, 1996), même s'il étend la cou verture des produits pharmaceutiques au secteur ambulatoire, ne peut être considérée comme une tentative de rattraper une telle singularité. Ce secteur n'étant pas soumis, dans le cadre de la loi canadienne, aux mêmes principes d'octroi de fonds fédéraux que les er
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services hospitaliers et médicaux, le gouvernement du Québec a pu en effet instaurer, sans pénalités financières du gouvernement fédéral, un régime d'assurance avec participation financière au moment de la consommation. Les organismes concernés par la régulation des m édicaments
Parmi les divers secteurs qui composent le système de santé, celui des médicaments se particularise par la complexité de sa régulation. Les acteurs concernés (fabricants, médecins, pharmaciens, assureurs publics et privés, régulateurs gouvernementaux et population) qui tous ont des intérêts propres, parfois divergents, et qui se dispu tent un budget annuel non négligeable (près de 2 milliards de dollars au Québec) sont nombreux. Aussi, ce secteur se caractérise par le fait que sa couverture présente des différences selon que l'on s'in téresse au secteur hospitalier ou au secteur ambulatoire et à différents groupes de la population. Finalement, on doit distin guer deux grandes familles de produits pharmaceutiques : les médicaments d'ordonnance et les médicaments de vente libre. Tout cela conduit à une structure de contrôle des produits pharmaceu tiques relativement compliquée, qui comprend plusieurs . niveaux de responsabilité. Au niveau fédéral échoit la responsabilité de l'autorisation de vente des médicaments sur le marché canadien. Le contrôle et la gestion des questions relatives aux brevets accordés aux nouveaux médicaments, ainsi qu'aux activités de recherche de l'industrie, se trouvent sous la responsabilité du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). Le CEPMB détermine aussi la justesse des prix des médicaments brevetés (mais pas celle des médi caments génériques) lors de la mise sur le marché, et leur évolution (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, 1996). Ce sont également les instances politiques fédérales qui s'occupent des mesures de protection de la propriété intellectuelle, comme la détermination de la période durant laquelle la production de médi caments génériques (médicaments ayant le même principe actif) n'est pas autorisée. Cette tâche est déléguée à un Commissaire aux bre vets, qui relève, et c'est à noter, non pas du ministère de la Santé, mais du ministère de l'industrie. Au niveau provincial, il est toutefois
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également possible d'influer sur la question de la durée de protection des brevets. Ainsi, le Québec a établi « la règle des I 5 ans » qui stipule qu'on doit attendre r 5 ans avant d'appliquer le rembour sement des médicaments génériques par le système public, au prix de l'équivalent le moins cher. Cette règle, que seul le Québec continue d'appliquer, assure une protection supplémentaire aux médicaments d'origine (Morgan, 1996). En ce qui a trait aux médicaments vendus sans ordonnance, la réglementation provient du Bureau des médicaments de vente libre de la direction des médicaments de Santé et Bien-être Canada. La direction des médicaments tire son autorité de plusieurs lois dont la Loi des aliments et drogues 3 et la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation. Son rôle est de protéger et d'amé liorer la santé publique en évaluant et en gérant les risques et les avantages liés à la vente et à la consommation des médicaments et des cosmétiques ( Office des professions du Québec, 199 1 ) . Au niveau provincial, au Québec, cinq organismes principaux par ticipent à une meilleure gestion de la consommation des médica ments. Le Conseil consultatif de pharmacologie ( CCP), conseille le ministre sur la justesse de la valeur thérapeutique des médicaments devant être inclus dans les formulaires de médicaments remboursés par les régimes d'assurance (Loi sur l'assurance-médicaments, 1996). De plus, les hôpitaux sont dotés de Comités de pharmacologie qui définissent la liste des médicaments disponibles et leur modalité d'accès dans leur établissement 4 . Le Réseau de revue d'utilisation des médicaments ( RRUM) travaille dans le secteur hospitalier depuis I 991 et produit des études qui visent, à partir d'un processus structuré et continu d'évaluation de l'utilisation des médicaments par des pairs, à permettre aux établissements d'identifier des mesures correctrices à portée générale pour assurer une utilisation optimale des médicaments. Le Comité de revue d'utilisation des médicaments (RUMA), qui reçoit un support technique de la Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ), a été instauré en 1996 dans le cadre de la Loi sur l'assurance-médicaments. Il a pour mandat de revoir l'utilisation des médicaments en milieu ambulatoire. La Régie de l'assurance-maladie du Québec, en tant que gestion naire du remboursement des médicaments pour une large corn-
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posante de la population, est le dernier organisme public important à jouer un rôle dans la surveillance de l'achat des produits pharma ceutiques. Outre les paiements aux pharmaciens et pharmaciennes pour les services traditionnellement associés à l'exécution d'une ordonnance, et le remboursement de certains matériels qui contribuent à une meilleure utilisation du médicament comme des seringues-aiguilles, la RAMQ verse des honoraires aux pharmaciens pour le refus d'exécuter une ordonnance 5, pour une opinion phar maceutique 6 ou un service sur appel. De plus, une rémunération mensuelle est versée à un pharmacien désigné 7 (Régie de l'assurance maladie du Québec, 1996a). Cette reconnaissance explicite de la compétence professionnelle des pharmaciens à travers la diversité des services pharmaceutiques remboursés par la RAMQ est une origi nalité du système québécois. L'assurance - médicame nts du Québec
Hi sto rique
L'histoire d'une politique sociale du médicament au Québec est rela tivement récente. Elle débute en 1970 par l'instauration, par le gouvernement, de la gratuité des médicaments pour les prestataires de la sécurité du revenu. En 1975, cette gratuité était étendue aux personnes de 65 ans et plus, de même qu'aux personnes de 60 à 64 ans qui touchaient une allocation de conjoint ou le supplément de revenu garanti. En 1992, parallèlement à la mise sur pied du pro gramme couvrant les médicaments requis pour traiter la plupart des maladies transmises sexuellement, on instaurait cependant une con tribution de 2 $ par ordonnance avec un plafond annuel de roo $ pour les personnes âgées ne bénéficiant pas du supplément de revenu (Régie de l'assurance-maladie du Québec, 1996). En 1973 , la circulaire « Malades sur pied » était émise pour cou vrir les coûts de médicaments de six pathologies dont les coûts médicamenteux étaient élevés 8 • La distribution de ces médicaments devait être assurée par les hôpitaux et une contribution de 2 $ par ordonnance était exigée. Il est intéressant de constater que dans le document de base de la réforme du système de santé, la Politique de la santé et du bien-être publiée en 1992, la place du médicament est à peu près inexistante.
La place du médicament dans le système de santé du Québec
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En effet, le seul objectif explicite au sujet des médicaments peut être trouvé dans le champ de l'adaptation sociale, soit: D ' ici Pan 2002, réduire de r 5 % la consommation d'alcool, de 10 % la consommation de médicaments psychotropes chez les personnes âgées et chez les bénéficiaires de l'aide de dernier recours et augmenter le nombre de personnes qui ne consomment jamais de drogues illégales (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 199 2). La préoccupation apparente d'assurer une accessibilité aux médi caments aux personnes les plus à risque d'avoir à débourser des sommes importantes pour l'obtention de leur traitement, allait toutefois être remise en question lorsque le gouvernement annonça son intention de réduire la couverture des médicaments à certains bénéficiaires de la circulaire « Malades sur pied ». En raison des remous suscités par cette nouvelle, le gouvernement dut mettre en place en 1993 une commission, le comité Demers, pour se pencher sur la question de la révision de cette circulaire. Ce comité recom manda la création d'un régime universel d'assurance-médicaments, seul moyen de répondre aux difficultés d'accès aux médicaments que connaissait une partie importante de la population. À la suite de cette recommandation, un groupe d'experts fut mandaté pour proposer des moyens de mise en œuvre d'un régime d'assurance médicaments pour la province. C'est en considérant dans une pers pective globale les enjeux entourant la mise en place d'un régime d'assurance-médicaments que les travaux de ce groupe, le comité Castonguay, se sont déroulés: De façon sommaire, notre comité a circonscrit les problèmes suivants : le manque d'intégration des médicaments à la politique de santé ; l 'absence de protection pour une part importante de la population ; la croissance rapide du coût des médicaments ; l'exclusion de certaines maladies de la circulaire « Malades sur pied » ; les iniquités inhérentes aux régimes publics actuels ; la barrière créée entre la sécurité du revenu et l'emploi ; le passage hâtif des soins hospitaliers aux soins ambulatoires [ ... ]. Notre rapport vise à concilier des objectifs de poli tique sociale avec la dure réalité économique actuelle, dans un contexte basé sur le partenariat entre les secteurs public et privé (Castonguay, 1996a).
r 5 8 Le système de santé québécois Le rapport produit par le comité Castonguay a inspiré le régime d'assurance-médicaments québécois instauré le I janvier 1 997. er
Le régime d 'assurance-médicaments
Tout résidant du Québec est couvert, depuis le r janvier 1997, par un régime d'assurance-médicaments. Avec la mise en vigueur de cette loi, 1,4 million de personnes, dont 3 17 ooo enfants, qui jusqu'alors n'étaient protégées par aucun régime d'assurance public ou privé, sont dès lors assurées pour leur consommation de médicaments. Ce régime est obligatoire. Il prévoit, pour toute personne non admissible au régime d'assurance collectif de son employeur ou de l'employeur de son conjoint, l'obligation d'adhérer à un régime de couverture public. Les régimes privés, liés à l'emploi, qui assurent une protection en cas de maladie ou d'invalidité, doivent dorénavant également inclure la protection prévue par le régime général9 d'assurance-médicaments. Ce régime n'instaure pas la gratuité pour tous au point de consommation. Il prévoit que la contribution maximale pouvant être réclamée, par adulte, pour l'achat des médicaments par les assureurs privés, est de 750 $ annuellement. La coassurance ne peut excéder 25 % du coût du médicament et les assureurs sont libres d'utiliser ou non des franchises. Pour le régime public, les primes d'assurances sont fixées par le gouvernement en fonction du revenu familial et ne sont applicables qu'aux adultes. Les enfants de moins de 18 ans, ou de moins de 25 ans s'ils sont aux études à temps plein et dépendants de leurs parents, ou de plus de r 8 ans qui sont atteints d'une déficience fonctionnelle et dépendants de leurs parents, . sont exonérés de toute franchise ou coassurance, alors que pour les régimes privés, les primes sont négociées et, en tant que primes familiales, s'appliquent également aux enfants de rassuré. La loi stipule, dans son article 8 6, que le nouveau régime devra être évalué par un groupe de chercheurs indépendants. Au plus tard le r janvier 2000, le ministre de la Santé et des Services sociaux devra faire rapport au gouvernement sur la mise en œuvre de cette loi et sur l'opportunité de la modifier. Le nouveau régime d'assurance-médicaments représente un ajout important aux régimes de protection sociale existant au Québec. En er
er
La place du médicament dans le système de santé du Québec Tableau 2
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Modalités du régime général des médicaments selon les catégories de clientèles PRIMES
FRANCHISES
COASSURANCE
MENSUELLES ET CONTRIBUTION MAXIMALE
( % DU COÛT DES MÉDICAMENTS ET SERVICES)
25 % du coût des médicaments et des services pharmaceutiques
Personne de 65 ans et plus qui n 'adhère pas à un contrat d'assurance collective ou à un régime d'avantages sociaux
1 75 $ /année par adulte maximum selon le revenu familial net
8,33 $/mois par adulte Plafond : franchise + coassurance : 62,50 $/mois
Personne de plus de 65 ans recevant le maximum du supplément de revenu garanti
Pas de prime
8 ,3 3 $/mois 25 % du coût des médicaments par adulte Plafond : franchise et des services pharmaceutiques + coassurance : 1 6,67 $/mois
Personne de plus de 65 ans recevant une fraction du supplément de revenu garanti
1 75 $/année par adulte maximum , selon le revenu familial net
$8,33/mois par adulte Plafond : franchise + coassurance : 41 ,67 $/mois
25 % du coût des médicaments et des services pharmaceutiques
Personne recevant l'aide de dernier recours et ayant un carnet de réclamation
Pas de prime
8,33 $/mois par adulte Plafond : franchise + coassurance : 1 6,67 $/mois
25 % du coût des médicaments et des services pharmaceutiques
Personne entre 60 et 65 ans ayant un carnet de réclamation
Pas de prime
8,33 $/mois 25 % du coût des médicaments par adulte Plafond : franchise et des services + coassurance : pharmaceutiques 1 6,67 $/mois
Personne non tenue d'adhérer à un carnet d'assurance collective ou à un régime d'avantages sociaux
1 75 $/année par adulte maximum, selon le revenu familial net
25 % du coût 8,33 $/mois des médicaments par adu lte Plafond : franchise et des services pharmaceutiques + coassurance : 62,50 $/mois
Autres
Selon l'assureur privé
Selon l'assureur privé
Selon l'assureur privé
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Le système de santé québécois
s'appliquant à tous les résidants, il répond aux critiques d'iniquité du système précédent qui n'offrait pas de couverture universelle. Pourtant, ce nouveau régime introduit dans le système de santé une redéfinition d'une de ses valeurs fondamentales : l'équité. D'un système qui se voulait protecteur des moins bien nantis dans la société et des personnes de 6 5 ans et plus, on est passé, avec l'exi gence pour ces groupes de participer financièrement au nouveau régime et à l'achat de leurs médicaments, à un système qui dorénavant favorise plutôt les enfants couverts par le régime public. Aussi, on remarque que la constitution d'une liste minimale de produits, qui s'applique aux deux régimes, le public et le privé, force dorénavant les assureurs privés dont l'offre était moins étendue, à compléter la gamme de produits couverts. Mais elle donne également la possibilité aux assureurs privés, traditionnellement plus « géné reux » que l'assurance publique, de réduire leur propre liste. Bien qu'il soit difficile de savoir si le fait de retirer des listes de leurs produits les médicaments de vente libre ou d'ordonnance qui ne sont pas couverts par le régime public représente un effet indésirable pour la santé des patients et les coûts encourus, c'est une question qui devrait toutefois encore être évaluée. L'utilisation du méd icament au Québec
Il est difficile d'obtenir des données fiables en ce qui concerne l'utilisation des médicaments. Une première difficulté réside dans le fait que la définition des médicaments n'est pas semblable pour tout le monde. Les produits homéopathiques ou les vitamines, par exemple, ne sont pas considérés par tous comme des médicaments. Aussi, le cloisonnement des programmes, de même que l'absence de liens entre les diverses bases de données sur l'utilisation des services de santé, ne nous permettent d'obtenir que de l'information frag mentaire sur la consommation effective. On sait aussi que l'automédication est un phénomène important. On a identifié trois raisons justifiant le recours à l'automédication, soit le traitement ou la prévention d'une condition chronique, la disparition d'un symptôme spécifique avec ou sans la connaissance de la condition sous-jacente et la production d'un effet spécifique qu'il soit physique ou mental (Smith, Knapp, 1976). Or glaner de l'information sûre à propos de l'automédication, malgré l'ampleur
La place du médicament dans le système de santé du Québec
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du phénomène, s'avère encore plus complexe que pour les médi caments prescrits. Les sources de données pouvant nous renseigner sur l'utilisation des médicaments prescrits et non prescrits sont les enquêtes auprès des populations, qui sont des sources fiables mais coûteuses, l'analyse des ordonnances et les statistiques de ventes. Ces deux dernières sources ont toutefois une limite: elles nous renseignent sur l'acquisition des médicaments et non sur l'utilisation. La consommation au Québec
Au Québec, les résultats de l'enquête de Santé-Québec de 1 992 (Bellerose, Lavallée et Camirand, 1994) révèlent que 5 I % des Qué bécois déclarent avoir consommé au moins un type de médicament au cours des deux jours précédents, soit environ 60 % des femmes et 40 % des hommes. 2 1 % des Québécois utilisaient uniquement des médicaments prescrits, 20 % des médicaments non prescrits et 11 % l'un et l'autre. La consommation de médicaments prescrits augmente avec l'âge et est plus fréquente chez les femmes. Les médicaments les plus populaires sont les vitamines et minéraux que consomment 22 % de la population, suivis des analgésiques à 14 % et des médicaments pour le cœur et l'hypertension à 8 %. Les tranquillisants, sédatifs et somnifères sont utilisés par 4 % de la population ; les personnes de 6 5 ans et plus y ont recours plus souvent soit r 9 % des femmes et 1 5 % des hommes. Entre 1 987 et 1992, la consommation s'est accrue, passant de 4 5 % à 5 1 % de la population, 29 % à 3 I % pour les médica ments prescrits et 23 % à 3 1 % pour les médicaments non prescrits. La consommation de médicaments représentait pour la population québécoise en 1994, c'est-à-dire avant l'instauration du régime d'assurance-médicaments, environ 290 $ par personne, dont 30 % payé à même les fonds publics. Pour l'ensemble de la population, ces dépenses s'élevaient à 2,2 milliards de dollars (Santé Canada, r996a). En 1996, l'État québécois a dépensé pour les médicaments 796,3 millions de dollars. Même si ce montant est en baisse par rapport à celui de l'année précédente, le somme totale a par contre augmenté. Il y a donc eu transfert d'une partie des coûts sur les usagers sous forme de tarification et de coassurance. Globalement, l'augmen-
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Le système de santé québécois
tation par rapport à Pannée précédente a été de 2,7 % . Ce taux, toujours supérieur à celui des autres secteurs de la santé, est cepen dant mieux maîtrisé : il était généralement supérieur à 10 % dans les années 1980 et le début des années 1990. Par rapport aux produits prescrits par les praticiens de médecine alternative, les données publiques les plus récentes proviennent de deux sondages, l'un effectué en 199 1 auprès de 40 1 3 Québécois et l'autre réalisé auprès des assureurs en 1989 (Office des professions du Québec, 199 1 ) . Il ressort de ces études que 14,1 % des adultes québécois ont consulté au moins un praticien de médecines douces en 1990-199 1 et qu'en 1 9 89, les compagnies d'assurances privées avaient remboursé à leurs assurés environ 23 millions de dollars pour des médecines douces. Cette couverture pour les médecines douces serait disponible pour 20 à 2 5 % de la population, mais on note que 53,3 % des gens qui consultent détiennent une assurance privée. L'homéopathie 10 , la phytothérapie 1 1 et la naturopathie 12 seraient couvertes respectivement par environ 25 %, ro % et 85 % des assureurs et auraient fait l'objet de plus de 4000 réclamations pour l'homéopathie, et de 1 6 ooo pour la naturopathie, mais aucune pour la phytothérapie. Ces chiffres montrent que le champ des médecines dites naturelles jouit d'une certaine popularité au sein de la population. Il est intéressant de constater que l'assureur public, la RAMQ, ne rem bourse pas les produits qui leur sont plus spécifiques. Cela illustre une préoccupation autre : l'assureur public est plus concerné par l'efficacité des produits offerts, et éventuellement leur coût, et moins par les attentes de la population. La place du médicament dans les objectifs du système de santé
Le système de santé est une organisation complexe, que l'on peut concevoir comme une structure visant à répondre à un objectif essentiel qui est celui d'améliorer la santé et par là le bien-être de la population. Pour atteindre cet objectif, le système de santé doit composer avec quatre contraintes majeures (Contandriopoulos et coll., 1 996b, adapté) : promouvoir la notion d'équité qui correspond aux valeurs dominantes de la société, ce qui, en termes opérationnels, peut se traduire par
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garantir l'accessibilité aux soins pour divers groupes de la population ; développer ce qui est de plus en plus une demande fondamentale de la population : des services de qualité (Forum national sur la santé 1997) ; soutenir les initiatives qui contribuent à l'efficience du système, soit les mécanismes de contrôle des coûts et les modalités les plus efficaces de production de résultats de santé ; prendre en compte la demande d'autonomie tant des patients qui veu lent conserver le droit de choisir leur médecin, leur hôpital et leurs traitements, que des professionnels. Ces derniers, parce qu'ils ont acquis une expertise, réclament une reconnaissance de leur compétence et donc une confiance de la part des payeurs dans les actes qu'ils décident de faire.
Ces quatre contraintes se trouvent dans un équilibre assez heureux lorsqu'elles s'appliquent aux soins médicaux ou hospitaliers. Le système paraît en effet équitable (il assure une bonne accessibilité aux soins médicaux et hospitaliers), efficient (les coûts du système sont contrôlés et les résultats en termes d'indicateurs de santé sont assez bons ), de bonne qualité (le niveau de satisfaction de la population est très élevé - Blendon et coll., 1990) et il semble tenir compte du désir d'autonomie des acteurs (une grande liberté est reconnue aux professionnels et les patients ont dans la règle la liberté de choisir leur hôpital ou leur médecin) . Une image un peu moins satisfaisante du système de santé transparaît cependant lorsque le secteur des médicaments est également considéré. Un des aspects les plus intéressants de l'avènement de l'assurance médicaments au Québec est son impact sur la notion d'équité qui sous-tend le système de santé. Par rapport au financement des autres grandes assurances publiques, l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, celui du régime des médicaments, en ne pro venant pas de l'impôt sur le revenu des particuliers, est le moins redistributif. De plus, à l'exception des enfants couverts par le régime public, tous doivent contribuer directement pour pouvoir obtenir des produits pharmaceutiques. Malgré une certaine pondération dans la contribution qui tient quelque peu compte des différences de revenus, personne n'est soustrait à l'obligation de débourser de l'argent et pour financer les programmes d'assurance et pour se procurer les médicaments prescrits ou non prescrits. Or on sait
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Le système de santé québécois
qu'une contribution, même minime, freine la consommation des médicaments qu'ils soient jugés essentiels ou non (Soumerai et coll., 1987 ; Hurley, Johnson, 1991), ce qui suggère que la population n'est pas en mesure de faire des choix rationnels. Cependant, en l'absence d'information sur les besoins réels en médicaments de chaque bénéficiaire, il est difficile d'affirmer que cet impact a, dans les faits, un effet négatif incontesté sur leur santé. Par rapport à la qualité, on constate qu'au Québec un effort considérable est mis sur la promotion d'une utilisation pertinente des médicaments. Les organismes comme le CCP, par ses activités d'éva luation et d'émission de lignes directrices de prescription, le RRUM et le ROMA, par la production de critères de bonne utilisation, et la RAMQ, par ses activités de mesure des profils de consommation, contribuent certainement à améliorer l'utilisation des médicaments. On remarque surtout que le Québec est une province dont la législation reconnaît la compétence professionnelle des pharmaciens. Les incitatifs financiers sous forme d'honoraires pour l'émission d'une opinion pharmaceutique et pour le refus d'honorer une ordon nance jugée délétère visent clairement à mieux utiliser l'exper tise d'un groupe professionnel formé pour être les spécialistes du médicament. Aussi, on observe que la majorité des pharmacies sont équipées de logiciels qui permettent d'identifier les combinaisons de médicaments peu souhaitables, assurant de ce fait une plus grande sécurité au patient. En milieu hospitalier, les comités de pharmacologie sont généralement bien implantés et permettent aux médecins et phar maciens de promouvoir conjointement un meilleur usage des médi caments. Il n'en reste pas moins que des améliorations au système sont encore envisageables. Coupler par exemple les banques de données sur les ordonnances procurées en milieux hospitalier et ambulatoire, ce qui permettrait d'assurer une meilleure continuité de prescription, devrait assurer un meilleur suivi des patients. Aussi, il serait dési rable, à des fins de planification au niveau national, de pouvoir coupler les banques publique et privées de données sur les ordon nances. Il serait de même souhaitable de fournir aux pharmaciens une information sur les diagnostics et les résultats des tests de labo ratoires. Cette information, qui est souvent utile pour mieux juger de la pertinence de la prescription, est disponible pour les pharmaciens
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de certains hôpitaux, mais malheureusement pas pour les pharma ciens d'officine. L'amélioration de l'efficience dans le secteur du médicament reste cependant son aspect le plus délicat. Un pouvoir qui n'est que relatif de contrôler les prix au niveau provincial 1 3 , la difficulté de contrôler les prescripteurs qui jouissent d'une grande liberté dans le choix des médicaments et les pressions faites par une industrie qui détient un quasi-monopole pour la mise sur le marché des produits 14 , font du secteur des médicaments un secteur particulièrement difficile à contrôler. De plus, les enveloppes sont cloisonnées dans le système québécois. Il est donc difficile de gérer ce secteur en faisant jouer les niveaux de responsabilité multiples comme en Grande-Bretagne où le système d'attribution d'une somme globale par personne inscrite sur la liste des médecins généralistes fundholders leur permet d'intégrer les services en fonction de la clientèle (Stewart-Brown et coll., 1995). Ce cloisonnement empêche aussi d'évaluer l'impact des thérapies médicamenteuses sur les autres secteurs et donc de mieux juger de la pertinence d'offrir ou non un produit bien spécifique. Les médicaments représentent le seul secteur toujours en crois sance dans le système de santé (Santé Canada, 1996b), ce que le virage ambulatoire va encore accélérer. Le fa it que le marketing influence sans doute plus l'utilisation des médicaments (ce sont surtout les nouveaux médicaments qui expliquent l'augmentation des coûts) que la connaissance de ce qu'il serait le plus souhaitable de prescrire (Castonguay, 1996a), le fait que la croissance du secteur des médicaments se déroule dans un budget fermé, c'est-à-dire au détriment d'autres secteurs, et que l'argent dépensé pour les médi caments serve pour une grande part à financer une industrie dont les profits sont jugés souvent excessifs (Scherer, 1993 ) contribue à rendre particulièrement difficile le contrôle de la croissance des coûts des médicaments. De fait, le mécanisme de contrôle de l'efficience au moyen d'une coassurance repose en grande partie sur l'hypothèse (erronée) qui veut que l'utilisateur consomme de manière injustifiée. Le corollaire en est que si on conscientise le patient à la consommation en le faisant participer aux coûts, on diminuera la consommation et con trôlera les coûts. Or rien ne permet de soutenir une telle affirmation. L'exigence d'une contribution de 2 $ par prescription au Québec a effectivement eu pour effet de diminuer la consommation, mais cette
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Le système de santé québécois
tendance ne s'est pas maintenue. Deux ans après l'instauration de la nouvelle directive, la consommation avait atteint le niveau précédent. C'est donc un transfert des coûts vers le consommateur qui a été le principal effet de l'introduction d'un copayement (Martin, r995 ). Par ailleurs, rien ne nous permet d'affirmer que la réduction temporaire observée ne s'est réalisée que pour des médicaments non essentiels. Finalement, on doit souligner par rapport à l'efficience que l'assurance-médicaments a voulu préserver le partenariat public/ privé. Cela va à l'encontre de la philosophie du système de soins québécois, dont un des intérêts majeurs est que la structure admi nistrative, extrêmement simple, nécessaire à la gestion d'un système universel et essentiellement financé à partir d'une seule source, permette de réduire autant que possible la part de l'administration dans les coûts totaux du secteur (Woolhandler, Himmelstein, r99 r ). Quant à l'autonomie des prescripteurs, elle reste encore très présente. Tel est le compromis que le système de santé a dû concéder pour obtenir la participation des médecins à . un régime éminemment public. Ce compromis n'est toutefois pas dénué de problèmes. On sait que c'est au niveau de la prescription que devrait se faire avant tout la régulation des médicaments, puisque c'est la caractéris tique de la prescription et en particulier l'utilisation de nouvelles molécules qui, dans bien des cas, n'apportent qu'un avantage margi nal par rapport aux produits existants, qui expliquent pourquoi le secteur des médicaments a une croissance soutenue ( Castonguay, r996a). Or assurer une régulation au niveau de la prescription deman derait une logistique complexe: il faudrait prendre en compte la demande du patient par ailleurs influencé par les campagnes média tiques de l'industrie pharmaceutique, ainsi que la difficulté pour les professionnels, médecins et pharmaciens, de maintenir à jour leurs connaissances en présence d'un arsenal thérapeutique de plus en plus volumineux et complexe. Conclusion
Les médicaments représentent un secteur qui, dans l'offre de services par le système de soins, conserve des particularités. Les modalités du nouveau régime d'assurance-médicaments, dont le but était d'appor-
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ter à la population, jusqu'alors non couverte, une couverture pour l'obtention de médicaments prescrits en ambulatoire, en sont un bon reflet. En obligeant le consommateur à participer aux frais des médi caments achetés, en créant une distinction entre des sous-groupes de la population et en autorisant le secteur privé à assurer les mêmes produits que ceux couverts par l'assurance publique, le régime per pétue une tradition qui récuse l'intégration des médicaments prescrits en ambulatoire dans les services médicalement nécessaires. Le nou veau régime assure certes une meilleure accessibilité aux médica ments mais il ne contribue pas à maximiser l'efficience du système de soins dans son ensemble. Pourtant, les médicaments représentent un secteur dont l'im portance dans le système de soins va vraisemblablement continuer à s'accroître. Plus que jamais, un effort pour assurer une plus grande intégration de ce secteur dans le système de santé va s'avérer crucial, si les bases du système de soins, en particulier ses valeurs d'équité et d'efficience, doivent continuer à être promues. La complexité même de ce domaine, composé de tant de groupes d'intérêts qui convoitent un marché lucratif et en expansion, rend cette intégration sans doute difficile. Elle l'aurait été moins si le médicament avait été reconnu comme étant, malgré tout, une technologie souvent « médicalement nécessaire » .
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T R O I S I È M E PA RT I E
L'organ isation et la gestion
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L'ORGANISATION ET LA GESTION des systèmes de santé comportent de multiples facettes dont quelques-unes seulement sont abordées dans cette troisième partie de l'ouvrage. Les trois chapitres n'en portent pas moins sur des aspects importants de l'organisation et de la gestion, puisqu'il s'agit de la décentralisation, de la gestion des établissements de santé et de la santé publique. Même s'ils traitent d'objets différents, selon des styles différents, les trois chapitres ont pour caractéristique commune de soulever des questions qui portent à la fois sur l'environnement externe et l'envi ronnement interne des objets étudiés. Le chapitre sur la décentralisation montre comment les modes de décentralisation adoptés dans le secteur de la santé dépendent des systèmes politiques où ils se situent, et aussi des types de décentra lisation valorisés par ces systèmes. Pour ce qui est de l'environne ment interne des organisations décentralisées, il varie selon les attributions qui leur sont confiées ou non en matière de compé tences, de financement et de désignation des dirigeants. Dans le chapitre qui porte sur la gestion des établissements, les auteurs montrent comment cette gestion dépend de l'état du système
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L e système de santé québécois
de santé à un moment donné et de ses transformations à travers le temps. Les quatre types de chefs d'établissement qu'ils distinguent ont plus ou moins de chances d'apparaître selon l'état de l'environ nement externe. Mais c'est aussi l'environnement interne qui définit, en partie, les types de chefs qu'on trouve dans un établissement, qu'ils soient influencés par cet environnement ou qu'ils contribuent à l'influencer. Le chapitre suivant a pour objet le champ de la santé publique. Par rapport à son environnement externe, ce champ se caractérise par une délimitation floue et changeante de ses frontières, cette déli mitation dépendant en bonne partie de l'état de l'environnement externe et en particulier du système de santé. Dans l'environnement interne, la principale caractéristique réside dans le fractionnement du corpus des connaissances, même si la profession médicale continue d'occuper une place importante à l'intérieur du champ. Les trois chapitres montrent que non seulement la décentralisa tion, la gestion des établissements et la santé publique dépendent de l'environnement externe et de Penvironnement interne, mais que ces deux types d'environnement ont des liens entre eux.
La décentrai isation : panacée ou boîte de Pandore ? J EA N T U R G E O N • V I N C E N T L E M I E U X
LA DÉCENTRALISATION est un phénomène contro versé. Parée de vertus par les uns, mise au pilori par les autres, voilà une idée qui a la vie dure. Au moins trois phénomènes peuvent expliquer cet apparent paradoxe. En premier lieu, sa définition même ne fait pas l'unanimité. Il faudrait plutôt parler des nom breuses définitions qui tentent de la cerner et auxquelles se ratta chent différents auteurs et acteurs gouvernementaux. Abandonnant l'idée de rallier tout le monde, nous proposerons plutôt une typo logie de la décentralisation s'inspirant de travaux de l'Organisation mondiale de la santé. (Mills et coll., I99 I ) . Deuxième phénomène : l a littérature fait peu écho a u fait que les types de décentralisation se distinguent selon les niveaux territoriaux où sont remplies quatre grandes fonctions qu'on peut retrouver dans les systèmes de santé, soit les fonctions de gouverne, de gestion, de financement et les fonctions de production des services. Un troisième phénomène pourrait expliquer cet apparent paradoxe : les motifs évoqués pour avoir recours à la décentralisation sont multiples et quelquefois contradictoires, soumis à ce que J. Kingdon (1995 : I ) appelle les aléas de l'esprit d u temps. Par exemple, a u moment de la
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Le système de santé québécois
création au Québec du système public de santé au début des années 1970, le ministre des Affaires sociales justifiait la timidité de la décentralisation vers les régions entre autres par le mauvais ren dement des hôpitaux et la nécessité pour le gouvernement de contrôler directement la hausse des coûts du système sociosanitaire (Assemblée nationale, 1971 : 5078-5085). Vingt ans plus tard, le ministre de la Santé et des Services sociaux accentue la décentra lisation au profit des régions de manière à améliorer... l'efficacité et l'efficience du système 1 ! Ce chapitre, après avoir passé en revue chacun des trois aspects précédents, s'attardera dans la seconde section à dresser un portrait évolutif de la décentralisation dans le secteur sociosanitaire qué bécois. Un compte rendu de la situation prévalant dans quelques pays suivra. Pour terminer, quelques avenues s'offrant au Québec en matière de décentralisation du système de santé seront présentées. La décentralisation : ses définitions
La décentralisation peut tout d'abord être posée par rapport à son contraire, la centralisation. En régime d'administration publique, la centralisation réfère, selon Laj oie (1968 : 285-3 1 0), à une structure hiérarchique où: Le pouvoir de décision est concentré au sommet de la hiérarchie, entre les mains du ministre. Les échelons ne font que transmettre et exécuter : transmettre les questions de l'endroit où elles se posent jusqu'au ministre compétent pour les trancher, transmettre dans le sens inverse la décision ministérielle, exécuter les tâches concrètes selon les ordres reçus. Ainsi, par la centralisation, une volonté unique, partant du centre de l'État, se transmet jusqu'aux extrémités du territoire. Lorsque opposée à cette définition, la décentralisation implique une répartition différente du pouvoir entre les unités administratives, échelons ou niveaux de l'État, son transfert du haut vers le bas. Ainsi, pour Gournay ( 19 67 : 1 27), parler de décentralisation ou de centralisation, c'est ùnterroger sur la répartition : 1 . des responsabilités d'assurer l'exécution des diverses missions de l'État ; 2. du pouvoir de prendre des décisions relatives à l'exercice de ces missions.
La décentralisation : panacée ou boîte de Pandore ?
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Plus récemment, le gouvernement de l'Ontario va dans le même sens lorsqu'il définit ainsi le phénomène de la décentralisation (Gouvernement de l'Ontario, 1994 : 16) : La décentralisation [ ... ] fait intervenir le transfert d'une partie ou de la totalité du contrôle et du processus décisionnel [ ... ] . Le degré de décen tralisation se situe quelque part entre le contrôle complètement centralisé et le contrôle totalement exercé au niveau régional ou local.
Ces déplacements de pouvoirs et responsabilités, que l'on traduit par un transfert d'autorité plus ou moins important, ne se réalisent pas sans une contrepartie: }'imputabilité. En effet, ce principe selon lequel les administrateurs publics doivent à la fois reconnaître l'obli gation de réaliser les mandats qui leur sont confiés et « rendre compte à la société ou à ses mandataires de leurs activités et de leurs comportements (Ouellet, 1984: 46) » est au cœur de tout processus de transfert. En d'autres mots, la décentralisation doit être accom pagnée d'un système d'imputabilité où « a fear or concern for consequences » (Fraser, 1996 : 36) est inclus. Outre ce transfert de pouvoirs et responsabilités et une subordi nation plus ou moins importante au pouvoir central, certains auteurs insistent sur d'autres aspects du phénomène. Ainsi, pour Blain (1981 ) et Ouellet ( 1984) ou encore pour Smith ( 1985: 1), de même que chez plusieurs économistes, la décentralisation implique néces sairement une personnalité juridique distincte, des pouvoirs de réglementation et fiscaux et la présence de personnes élues à la tête des organismes décentralisés. D'autres insistent sur le caractère participatif de la décentralisation. Par exemple, dans une série de fascicules portant sur ce phénomène, le Secrétariat à l'aménagement et à la décentralisation ( 1978 : 3 ) définissait la décentralisation comme « un acte de confiance envers les individus et un appel à leur créativité » . Enfin, il faut souligner que la décentralisation de haut en bas s'accompagne généralement d'une centralisation du bas vers le haut : les niveaux « inférieurs » à celui faisant l'objet d'un transfert perdent . eux-mêmes certains pouvoirs et responsabilités. C'est sou vent le cas dans le domaine de la santé au Canada, lors de la décentralisation vers les instances régionales de différentes provinces canadiennes. Les conseils d'administration d'hôpitaux se voient con traints par une coordination exercée par la région et perdent, dans certaines provinces, la responsabilité de la prestation de services que
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Le système de santé québécois
l'autorité régionale accapare 2 • Plusieurs auteurs 3 reconnaissent seulement deux types de décentralisation : territoriale ( ou politique) et fonctionnelle (ou administrative) . Nous préférons pour notre part, à la suite des auteurs d'un ouvrage de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) portant sur la décentralisation des systèmes de santé (Mills et coll., I991 ), distinguer quatre types de décentralisation : la dévolution, la délégation, la déconcentration et enfin la privatisation. Reprenons un à un ces différents types de décentralisation. La déconcentration
Ce premier type de décentralisation se caractérise par le fait que l'organisme central et l'organisme déconcentré constituent une seule et même personnalité juridique, que ce dernier n'a aucun pouvoir réglementaire ou fiscal, que ses titulaires sont simplement recrutés, qu'il n'y a pas délégation de responsabilités et que toute la gestion est assurée par l'instance centrale (Dufault, 1979 ). Cependant, les fonctionnaires d'organismes déconcentrés peuvent se voir accorder une certaine autonomie locale. La délégation
Le second type de décentralisation fait référence aux organismes spécialisés dotés d'une personnalité juridique propre et dirigés par des personnes nommées. La délégation s'apparente au concept anglais de delegation. D'autres auteurs parlent de décentralisation fonctionnelle ( Gélinas, 19 7 5 ) ou encore administrative ou techno cratique. Cette forme de décentralisation peut coexister avec la centralisation politique et « il est erroné d'inférer que la décentra lisation fonctionnelle implique un degré quelconque d'auto détermination politique pour les unités concernées (Smith, I 98 5 : 1 ; traduction libre) ». Nous pouvons aussi considérer comme de la délégation ou de la quasi-délégation, le financement par le centre de groupes com munautaires ou autres, pour qu'ils fournissent des services qui ne sont pas ou qui ne sont plus fournis par des organisations publiques.
La décentralisation : panacée ou boîte de Pandore ?
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La dévol ution
Ce troisième type correspond à la vision stricte de la décentralisation telle que définie par les économistes de l'économie politique. Pouvoirs de réglementation et de taxation, élection des titulaires au suffrage universel et, conséquemment, transfert substantiel de pou voirs encadré de la part du niveau central par des principes généraux en sont les principaux traits distinctifs. La dévolution correspond, dans une partie de la littérature francophone, au concept de décen tralisation politique. À la limite, lorsque les compétences sont l'objet d'une dévolution complète, c'est-à-dire lorsque l'État abandonne définitivement ses prérogatives pour les confier entièrement à une autre instance, nous ne pouvons plus parler de décentralisa tion puisque dans un tel arrangement, tout lien avec le centre a été coupé. La privatisation
La privatisation est, à certains égards, la forme extrême de la décentralisation. Il faut distinguer les situations où l'État continue d'assurer pleinement le financement de soins et services de santé de celles où ce financement n'est que très peu ou pas assumé par l'État ou ses représentants. Lorsque le financement continue d'être assumé par l'État, la situation s'apparente davantage, comme il a été mentionné précédemment, à la délégation vers le secteur privé, à but lucratif ou non lucratif. Ce n'est que lorsque l'État ne participe pas ou ne participe plus au financement que nous pouvons parler de véritable privatisation. Dans ce dernier cas, le citoyen assume lui même les frais des soins qu'il reçoit ou services qu'il utilise, soit en les payant directement ou par le biais d'assurances personnelles. Nous entendons par privatisation la décentralisation aux mains du secteur marchand, c'est-à-dire du secteur privé à but lucratif, ce qui exclut la communautarisation ou plus généralement le secteur privé à but non lucratif4 • Notons que la privatisation, ou plus généralement le désenga gement de l'État, peut avoir pour conséquence de mettre davantage à contribution la famille ou plus généralement l'entourage du malade. On assiste ainsi à une augmentation de la part de responsabilité assumée par les secteurs non publics (Vaillancourt, 1 99 6 : 1 82). Enfin, soulignons que lorsque le financement de certains soins et
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Le système de santé québécois
services n'est plus assumé par l'instance centrale, nous pouvons parler de décentration dans le cas de ces soins et services, en ce sens que les organisations privées à qui sont transférées des compétences sont décentrées par rapport à l'instance centrale de gouverne, qui n'a plus sur elles qu'un pouvoir très réduit. Enfin, un mot sur la régionalisation, qui représente un processus fonctionnel, par opposition au phénomène structurel qu'incarne la décentralisation. La régionalisation « fait référence aux actions menées par un gouvernement afin de permettre une meilleure prise en compte de particularités territoriales, de la diversité des réalités régionales ou locales (Ministère du Conseil exécutif, 199 5 : 3 ) », cela dans un contexte de centralisation ou de décentralisation. La décentralisation : ses fonctio ns
Les quatre types de décentralisation retenus se démarquent égale ment l'un de l'autre selon les niveaux territoriaux où sont remplies quatre grandes fonctions qu'on peut distinguer dans les systèmes de santé, soit les fonctions de gouverne, de gestion, de financement et de production des services 5 • Les fonctions de gouverne renvoient aux décisions impératives prises par les autorités d'un système politique, généralement élues au suffrage universel. Ces décisions concernent le domaine de la santé mais aussi d'autres secteurs des politiques publiques. Les fonctions de gestion sont plus ou moins soumises aux fonctions de gouverne, dont elles assurent la mise en œuvre ou encore la spécification là où les fonctions de gouverne sont limitées. Les fonctions de financement concernent l'obtention des recettes nécessaires au financement des autres fonctions ; elles n'incluent pas la simple attribution de ressources financières, comprise dans les fonctions de gestion. Enfin, les fonctions de production de services ont pour objet, comme le terme l'indique, la prestation de services auprès des prestataires. Le tableau I indique à quels niveaux sont généralement remplies ces quatre fonctions, à l'intérieur des quatre types de décentra lisation. Nous avons distingué trois niveaux, le supérieur, l'inter médiaire et l'inférieur, même s'il y a des systèmes de santé à quatre ou même cinq niveaux ! Dans ce cas, les fonctions que nous avons situées au dernier niveau se répartissent entre deux ou trois échelons.
La décentralisation : panacée ou boîte de Pandore ?
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Parmi les organismes autonomes, nous n'avons retenu que ceux qui remplissent des fonctions de gestion et de financement, en excluant ceux (comme le Conseil de la santé et du bien-être au Québec) qui contribuent aux fonctions de gouverne. Quels que soient les systèmes de santé, ils sont toujours gouvernés et financés en tout ou en partie par le niveau supérieur. Il n'y a pas de différence à cet égard entre les différents types de décentralisation, même si dans le cas de la privatisation, les fonctions de gouverne et de financement, au niveau supérieur, sont très limitées. C'est pour quoi il n'y a pas, au niveau supérieur, de « cases » distinctes corres pondant aux quatre types de décentralisation. Dans le cas de la privatisation, la division entre le niveau intermédiaire et le niveau inférieur n'est guère pertinente. C'est pour quoi nous l'avons supprimée dans le tableau. Dans la privatisation, les fonctions de gestion, de financement et de production sont remplies par les organisations décentrées, situées sous le niveau supérieur. La gestion est plus ou moins autonome, selon que les fonctions de gouverne auxquelles elle est soumise sont peu contrai gnantes ou non. Tableau 1
NIVEAUX
Les niveaux où sont remplies les fonctions, selon les différents types de décentralisation DÉCONCENTRATION
DÉLÉGATION
PRIVATISATION
GO, FI
Supérieur 1 ntermédiaire
DÉVOLUTION
GE
GE
GO, FI GE, FI, PR
Inférieur GO: GE: FI: PR:
PR
GE, PR
GO, FI, PR
gouverne gestion financement production de services
Dans la déconcentration comme dans la délégation, le niveau intermédiaire est un niveau de gestion, alors que dans la dévolution il en est un de gouverne et de financement, ce qui est le propre de la
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Le système de santé québécois
décentralisation politique par opposition à la décentralisation qui n'est qu'administrative ou « fonctionnelle ». Dans le cas de la dévolution, nous considérons que les fonctions de gouverne, à ce niveau comme au niveau inférieur, incluent les fonctions de gestion. La décentralisation politique est généralement plus poussée dans les États fédéraux que dans les États unitaires, aussi bien pour ce qui est de l'autonomie des fonctions de financement que pour ce qui est de l'autonomie des fonctions de gouverne. Les types de décentralisation se distinguent entre eux par les fonctions qui sont remplies au niveau inférieur. Nous avons situé les fonctions de production à ce niveau, même s'il arrive qu'elles soient remplies au niveau intermédiaire. Dans la dévolution, le niveau inférieur est, comme l'intermédiaire, un niveau de gouverne (incluant la gestion) et de financement, dont l'autonomie est généralement réduite. C'est aussi un niveau de production, par des organisations de santé qui sont municipalisées, au sens large du terme. Dans la délégation, le niveau inférieur en est un de gestion, comme l'inter médiaire, et c'est aussi un niveau de production par des établisse ments publics, des organismes privés ou sans but lucratif. Dans la déconcentration, les fonctions de production sont remplies par des services administratifs, dont la capacité d'autogestion est limitée, ce que nous avons marqué dans le tableau par l'absence de fonction de gestion à ce niveau. Avant de conclure cette section, une précision supplémentaire peut être apportée. Nous pouvons distinguer la décentralisation selon qu'elle concerne un seul secteur de l'État ou, au contraire, plusieurs secteurs d'intervention. Par exemple, selon cette typologie, les com missions scolaires québécoises représenteraient une décentralisation unisectorielle et les municipalités une décentralisation multi sectorielle. En somme, quel que soit le type de décentralisation, il s'agit en fait d'un processus de négociation qui amène constamment les parties à marchander l'équilibre entre les pouvoirs que conservera le centre et ceux qu'il consentira à transférer. En ce sens, plus la décentralisation sera importante, plus les autorités régionales ou locales prétendront à une représentation démocratique et plus la décentralisation pourrait constituer un nouveau site de conflit potentiel entre niveaux de l'État6•
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r
La décentralisation : ses motifs
Pourquoi confier des pouvoirs et responsabilités plus ou moins importants à un niveau « inférieur » du gouvernement ou plus généralement d'un État ? Dans certains cas, une révolution par exemple, le pouvoir central ne prend pas l'initiative : il négociera les « exigences » des constituantes revendiquant une plus grande auto nomie, voire un total affranchissement. Dans la plupart des cas cependant, l'initiative de la décentralisation revient au niveau central lui-même qui détermine, au départ du moins, les paramètres de la décentralisation. Plusieurs motifs sont évoqués par les gouvernements pour s'en gager dans un processus de décentralisation, motifs qui représentent autant d'objectifs officiels. Ils peuvent être regroupés en trois grandes catégories : politique, économique et administratif. Les motifs d'ordre politique font référence à l'idée d'assurer un meilleur contrôle par les citoyens en augmentant la participation des populations et l'engagement des communautés. Ils concernent également l'amélioration de la capacité de répondre aux « besoins » des citoyens puisque ceux nouvellement chargés de les « écouter » seraient alors plus près d'eux. La présence d'une « sagesse » locale (ou régionale) qui saurait identifier, mieux que le central, les besoins des citoyens est mise en doute par certains auteurs (Smith, 1985 : 29 ; Fesler, 1965 : 5 3 6-566) alors que d'autres (Dahl, Tufte, 1973 : 65 ) estiment qu'une unité territoriale de petite dimension permet effec tivement un pareil contrôle. Cette modulation des services publics en fonction des préférences de populations locales ou régionales qu'apporte la décentralisation s'oppose cependant au discours sur l'équité et l'accessibilité. En effet, sous prétexte de garantir à tous un accès égal à des services publics équivalents, les instances centrales (fédérales ou provinciales) multiplient parfois les normes nationales, allant à l'encontre de leur discours « décentralisateur » . Les arguments d'ordre économique regroupent les motifs relatifs à l'efficacité (plus grande capacité à résoudre les problèmes) et à l'efficience (meilleurs coûts). Il est intéressant de constater que la crise des finances publiques qui secoue depuis le début des années 1990 plusieurs pays incite les administrations centrales à parer la décentralisation de vertus qu'elle ne possédait pas jusque-là et à confier aux niveaux subordonnés la tâche de faire plus ou autant avec... moins.
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Le système de santé québécois
Enfin, les motifs d'ordre administratif font référence à une meil leure intégration et coordination des services. Ils incluent, dans le cas des systèmes de santé, une dimension épidémiologique, soulignant ainsi le fait que certains problèmes de santé, compte tenu de leur prévalence sur le territoire, requièrent des territoires d'intervention différents : locaux ( 1 re ligne), régionaux ( 2e ligne), suprarégionaux et nationaux ( 3 e ligne). En conclusion à cette première section, signalons tout d'abord que ce survol des différentes définitions de la décentralisation et des concepts qui lui sont associés permet de constater qu'il n'y a pas univocité. Aucune définition ne permet de rallier tous les auteurs. Bien que nous ayons nous-mêmes opté pour la typologie de l'OMS, c'est avant tout parce qu'elle nous apparaît la plus pertinente dans le contexte de ce chapitre : l'étude de la décentralisation des systèmes de santé. Ce manque d'uniformité dans la définition du concept de décentralisation est issu de plusieurs sources. D'abord du fait que plusieurs disciplines des sciences sociales, entre autres l'économique et la science politique, s'y intéressent et y appliquent des perspectives différentes. Également, nous avons soulevé le manque de concor dance entre les définitions anglophones et francophones de ces concepts. Ce dernier phénomène s'explique peut-être par le fait qu'un tel concept est défini par rapport à une réalité historique nécessairement différente. En somme, les deux éléments de la définition de décentralisation qui semblent rallier une large majorité d'auteurs sont a) qu'il s'agit d'un processus structurel qui, en transférant des pouvoirs « de haut en bas », permet un degré plus ou moins important d'autonomi sation 7 des instances décentralisées et b) que la responsabilisation, soit !'imputabilité par rapport à la base organisationnelle, d'un tel processus doit être clairement établie. Ces deux éléments serviront de base à notre étude comparée de la décentralisation dans différents systèmes de santé. En ce qui concerne les différents motifs évoqués pour avoir recours à la décentralisation, retenons qu'à l'heure actuelle, malgré un vigoureux discours de la plupart des gouvernements sur les bienfaits de la décentralisation, nous constatons qu'il existe peu de recherches ou d'évaluations qui ont démontré qu'elle pouvait atteindre pleinement l'un ou l'autre de ces objectifs 8 • Nous sommes donc en présence de motifs officiels contestables du point de vue
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scientifique pour j ustifier les processus de décentralisation en cours. Certains avancent même qu'ils sont plutôt utilisés comme arguments idéologiques que comme outils scientifiques 9 • Le cas du réseau q uébécois de la santé
Au Canada, la Constitution reconnaît aux provinces une compétence certaine en matière de santé. La situation des services sociaux n'y est pas clairement abordée, ce qui laisse libre cours aux guerres de compétences. Par rapport aux différentes définitions relevées précé demment, le Québec représente un exemple de dévolution ou décentralisation politique du niveau national. Le fédéralisme cana dien représente, selon Smith ( 19 8 5 : 1 3 - 15), une des deux formes constitutionnelles majeures que peut emprunter la décentralisation. Il rappelle toutefois que fédéralisme et plus grande décentralisation ne vont pas nécessairement de pair. N'importe quel observateur de la scène politique canadienne comprend très bien son propos ! D'autres auteurs ( Croisat, 1 992) prétendent, non sans raison, que les États fédérés ne peuvent pas être considérés comme étant décentralisés par rapport à l'État fédéral. Ce sont des États souverains dans leurs domaines propres de compétence et qui ont le pouvoir de légiférer dans ces domaines, deux caractéristiques qui les distinguent des collectivités régionales qui sont décentralisées dans les régimes unitaires. La réforme de 1 971
Au Québec, les responsabilités du gouvernement concernant les domaines de la santé, des services sociaux et du bien-être social ont été regroupées dès 1971 sous un seul ministère : les Affaires sociales (MAS) 10 • La même année étaient créés 1 2 conseils régionaux de la santé et des services sociaux (CRSSS) dans autant de régions socio sanitaires. Les CRSSS sont des corporations au sens du Code civil du Québec. Chacun possède son propre conseil d'administration qui engage le directeur général. Le reste du personnel est embauché par le CRSSS : il ne s'agit pas de fonctionnaires du niveau central. C'est en référant explicitement au concept de décentralisation adminis trative que le MAS a inscrit la régionalisation du domaine socio sanitaire. Cette référence est révélatrice du caractère limité de leur
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autonomie. Ayant déjà abordé ailleurs et en détail l'histoire de cette décentralisation vers le niveau régional (Turgeon, Anctil, 1994: 79104 ; Turgeon, 1989 ; Turgeon, 1987), nous nous contenterons ici d'en évoquer les grandes lignes de même que les développements les plus récents. Pour l'ensemble de la période 1971-199 1 , le gouvernement du Québec n'a joué que timidement le jeu de ce qu'il qualifiait à l'époque de décentralisation administrative. Au chapitre de l'auto nomisation, les CRSSS apparaissent comme des organismes gérant des ressources limitées. Cette délégation a été comparée à une valse hésitation (Turgeon, 1987). En effet, les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du Québec durant cette période ont toujours hésité à donner davantage d'autonomie aux CRSSS, encou ragés en cela par les associations d'établissements, les fédérations et corporations représentant les différents professionnels de la santé. Au chapitre de l'imputabilité, les CRSSS s'assimilent, durant cette période, à des instances déconcentrées. Une imputabilité vers le haut les confine, durant les premières années de leur existence, au rôle de conseillers du ministre, puis par la suite de coordonnateurs et, quelquefois, d'exécutants des volontés ministérielles relativement à la gestion du réseau public régional de services de santé et de services sociaux. Pour ces raisons, la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux indiquait que les CRSSS étaient passés du statut d'organismes consultatifs à celui d'organismes de gestion et qu'à toutes fins utiles, ils étaient dans une impasse (Commission, 1988 : 169}. En écho aux propos de la commission, le gouvernement du Québec, près de quatre ans après le dépôt de son rapport, donne le coup d'envoi officiel à une réforme majeure du système de santé québécois en adoptant une nouvelle Loi sur les services de santé et les services sociaux en 199 1 (L.R.Q. chapitre S-42) et une Politique de la santé et du bien-être l'année suivante. La réforme de 1 991
Lors de la réforme de 199 1, donner une place plus importante aux citoyens dans la gouverne du système sociosanitaire est le leitmotiv officiel du gouvernement. L'élection des représentants de la popula tion aux différents conseils d'administration des établissements
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apparaît comme un élément dé de la démocratisation du système 1 1 . La carte du Québec est maintenant divisée en 19 régions socio sanitaires où r 8 régies régionales de la santé et des services sociaux (RRSSS) 12 ont succédé aux CRSSS. Depuis l'automne de r996, à la suite des modifications apportées à la loi en juin de la même année, la RRSSS est dirigée par un conseil d'administration formé de 24 personnes élues par différents collèges électoraux. Aucune personne à l'emploi du MSSS, d'une RRSSS, d'un établissement de santé ou de services sociaux, de la Régie de l'assurance-maladie du Québec ou qui reçoit une rémunération de cette dernière ne peut faire partie du conseil d'administration de la régie régionale, à l'exception du directeur général et du président de la Commission médicale régionale. L'imputabilité de la RRSSS s'effectue à la fois vers le bas et vers les instances centrales. Vers le bas, par le fait que les réunions de son conseil d'administration sont publiques 1 3 et qu'une assemblée générale annuelle doit être l'occasion de rendre compte de sa gestion à la population. La loi de r99 1 prévoyait également la création d'assemblées régionales composées d'au plus 1 50 membres venant de divers collèges électoraux. Ces assemblées étaient chargées d'élire, tous les trois ans, les membres du conseil d'administration de la régie, d'approuver les priorités régionales de même que le rapport annuel d'activités de la régie. Ces instances n'auront vécu que quelques années: elles ont été abolies en juin r996. Vers les instances centrales, les régies devront fournir un rapport annuel et rendre compte de l'état d'avancement de leur plan d'action une fois l'an au ministre. Également, tous les trois ans (pour la première fois début 1996), les régies régionales doivent se présenter devant la Com mission parlementaire des affaires sociales rattachée à PAssemblée nationale du Québec. Il est à souligner qu'au printemps de r998, seulement quelques régies régionales avaient été rencontrées dans le cadre des travaux de cette commission parlementaire. La question de savoir à qui le nouveau conseil d'administration de la régie mis en place à l'automne de 1996 se sentira ultimement imputable est certes pertinente. En somme, la situation actuelle de la délégation vers le niveau régional dans le domaine de la santé est préoccupante à plus d'un titre. Premièrement, le fait que le gouvernement confie de plus en plus le contrôle sur des ressources déterminantes à des instances dont
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les dirigeants ne sont pas élus par la population régionale et ne possèdent aucun pouvoir de taxation apparaît peu démocratique, dans la mesure où le gouvernement ne prévoit pas explicitement un véritable système de reddition de compte. Le rapport annuel au ministre et la rencontre aux trois ans avec une commission de l'Assemblée nationale ne peuvent être considérés comme suffisants. La pratique a démontré que ce sont des exercices tout aussi valables que l'était la reddition de compte de la régie à son assemblée régionale. Dans ce dernier cas, le gouvernement n,a pas hésité à les abolir... Deuxièmement, bien que la littérature sur les phénomènes de délégation et de dévolution des pouvoirs d'un gouvernement à un autre ou à une de ses instances soit imprécise, un fait demeure: l'adaptation des politiques et programmes d'un gouvernement par une instance décentralisée s'effectue par délégation de pouvoirs restreints à cette instance, alors que la possibilité pour une instance décentralisée de « gouverner » de manière autonome son territoire appelle la dévolution, la décentralisation politique. Or les régies régionales se retrouvent actuellement dans la situation où leurs dirigeants n'ont pas à rendre de compte directement à la population, en dehors des mécanismes limités indiqués précédemment, alors que leurs décisions l'affectent directement. Troisièmement, depuis main tenant plus de 25 ans, les différents gouvernements au Québec n'ont jamais envisagé sérieusement la possibilité de décentraliser dans le domaine de la santé une partie des responsabilités en faveur d'un autre niveau territorial, local par exemple. Pour nous, la délégation en faveur du niveau régional, qualifiée de décentralisation adminis trative par les différents gouvernements du Québec de 1971 à 1 998, a aujourd'hui atteint ses limites. Un phénomène récent : le développement de la privatisation
Même si, sur le plan institutionnel, la délégation a été la forme dominante de décentralisation, au Québec, depuis 1970, la priva tisation n'a cessé de se développer. Rappelons que nous entendons par privatisation la décentralisation aux mains du secteur marchand, ce qui exclut la communautarisation. Depuis 1976, la proportion des dépenses privées sur les dépenses totales en matière de santé a eu tendance à augmenter. Cette pro portion était de 19,5 % en 1976, elle était la même en 1 982, mais
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grimpait à 23 ,5 % en 1988 pour s'établir à 27,3 % en 1 994 ( Conseil de la santé, 1997). Pour cette dernière année, la proportion du privé est très élevée dans certains sous-secteurs d'activité : les services fournis par les professionnels autres que les médecins {89,3 % ), les médicaments (68,7 % ), les établissements autres que les hôpitaux ( 34,1 % ) . Par contre, elle est négligeable dans le cas des services rendus par les médecins (o,8 % ), et elle est bien inférieure à la moyenne canadienne dans le cas des hôpitaux ( 1 0, 2 % ) et des immo bilisations ( 13 , 1 % ) . Nous nous interrogerons à la fin d u chapitre sur les limites de la délégation et de la privatisation. Attachons-nous maintenant à la situation prévalant dans quelques pays où la décentralisation est présente. La décentralisation dans q uelques pays
Si la délégation ou décentralisation fonctionnelle ou administrative en faveur du niveau régional a atteint ses limites, quelles sont les solutions de rechange qui existent ? L'examen des systèmes étrangers peut nous aider à répondre à cette question. Dans un pays donné, on a généralement recours à plus d'un type de décentralisation dans l'organisation du système de santé, comme nous allons le montrer à partir de quelques exemples. Auparavant, analysons la situation prévalant au Canada. Le Canada est une fédération où le niveau supérieur est celui de l'État fédéral. Cet État remplit, comme le montrent plusieurs des chapitres de l'ouvrage, des fonctions de gouverne et de financement du système de santé. Les provinces, ou États fédérés, se situent, dans ce cadre, au niveau intermédiaire. Comme nous l'avons noté plus haut, ce sont des instances de gouverne, qui sont souveraines, en droit tout au moins, dans leurs domaines de compétence, ce qui se traduit par la capacité qu'elles ont d'adopter des lois, et non de simples règlements découlant des lois. Les États fédérés remplissent des fonctions de gouverne et des fonctions de financement, plus importantes que celles des régions dans les régimes unitaires. Aux niveaux inférieurs, la décentralisation du système de santé dans les provinces se fait surtout par voie de délégation. C'est le cas au Québec avec les régies régionales. La décentralisation des
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fonctions de gouverne et de financement en direction des muni cipalités est très réduite dans le secteur de la santé. Elle se limite, sauf dans certaines grandes villes, à l'hygiène publique. La privatisation est aussi présente, mais elle est encore très limitée en ce qui a trait aux services médicaux et aux soins hospitaliers. Les États-Unis
Les États-Unis sont une fédération, comme le Canada, mais la décentralisation du système de santé y emprunte des voies très différentes 1 4 • Au niveau supérieur, les fonctions de gouverne et de financement du système de santé par le gouvernement fédéral sont beaucoup plus limitées qu'au Canada, ce que montrent plusieurs chapitres de l'ou vrage. Il en est de même du niveau intermédiaire, qui est celui des États fédérés, étant donné l'importance de la privatisation. Au niveau inférieur, la décentralisation emprunte à la fois la voie de la priva tisation, celle de la dévolution (aux comtés et aux municipalités) et celle de la délégation à des organismes autonomes. La décentralisa tion est donc plus complexe qu'au Canada, et surtout plus marquée par la place très importante qu'y occupe la privatisation. La Suède
Le cas suédois montre que même dans un régime unitaire, la dévo lution peut être la voie dominante de décentralisation du système de santé 1 5 • En Suède il y a trois niveaux de gouverne : national, des comtés et des communes. Les compétences dévolues en matière de santé sont très importantes au niveau des comtés, au point que plus des deux tiers des dépenses de ce niveau sont consacrées à ce secteur. Cepen dant, le financement est surtout assuré par le niveau national. Il y a aussi quelques compétences exercées par les communes, qui sont des niveaux de dévolution, comme les comtés. L'Espagne
Le cas espagnol présente quelques similarités avec le cas suédois, sauf que dans ce pays il y a quatre niveaux de régulation 16 • Le niveau
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national et celui des régions sont des niveaux de gouverne, les régions étant cependant plus dépendantes financièrement du niveau national que le sont les comtés en Suède. Le niveau des zones sanit aires en est un de délégation, et celui des communes est un niveau de dévolution, dont les compétences en matière de santé sont limitées, comme c'est d'ailleurs le cas dans la plupart des systèmes de santé. Au même titre que la Suède, l'Espagne montre que, même dans un régime unitaire, le deuxième niveau de régulation peut être un niveau de gouverne relativement important en matière de santé. La Nouvelle-Zélande
A la suite de la réforme de I99 I, il y a sous le niveau national quatre régies régionales (les Regional Health Authorities) qui sont des instances de gestion, créées par voie de délégation. Au niveau inférieur, on trouve 2 3 entreprises de la Couronne (les Crown Health Enterprises), qui sont des sociétés publiques centrées autour des principaux hôpitaux du pays. Ce sont, elles aussi, des instances de gestion, créées par voie de délégation1 7 • Le niveau local, celui des municipalités, a des fonctions limitées à la santé communautaire, ce que nous pourrions assimiler au Québec à des services de première ligne élargis. Le Royaume- Uni
Par rapport aux autres systèmes de santé qui viennent d'être pré sentés, le Royaume-Uni a ceci de particulier qu'au niveau des grandes composantes du régime politique, soit l'Angleterre, l'Écosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord, le type de décentralisation dominant est celui de la déconcentration, avec cependant une auto nomie administrative très étendue, en Écosse et au Pays de Galles tout au moins 18 • Il en est de même aux niveaux inférieurs, où les fonctions de gestion et de production sont cependant pénétrées d'éléments inspi rés des mécanismes du marché. Contrairement au cas de la dévo lution, la fonction de financement, au sens où nous l'entendons, est monopolisée par le niveau national.
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Le système de santé québécois
Les critères d 'évaluati on des différents types de décentrali sation
Il y a donc des systèmes de santé, comme celui du Royaume-Uni, qui misent principalement sur la déconcentration, d'autres, comme celui de la Nouvelle-Zélande, qui misent plutôt sur la délégation, d'autres encore, comme celui de la Suède, qui font confiance à la dévolution, avec en plus un système, comme celui des États-Unis, où la privatisation tient une place tout particulièrement importante. Ajoutons que dans la plupart des systèmes, plus d'un type de décentralisation est à l'œuvre. Le cas canadien et le cas espagnol, ainsi d'ailleurs que le cas américain, illustrent ce caractère mitigé que prennent souvent les systèmes de santé. Ces choix variés indiquent que chaque type de décentralisation a ses avantages et ses désavantages. Dans le but d'éclairer le débat, nous allons proposer quelques critères d'évaluation et montrer com ment chacun des types de décentralisation peut être évalué par rapport à ces critères. Les critères les plus souvent signalés sont ceux de l'efficacité, de l'efficience et de la participation, ou plus généralement de la res ponsabilité (Lemieux, 1995a : 57-69) . La régulation est efficace quand elle permet d'atteindre les objectifs fixés par les régulateurs, elle est efficiente quand elle permet de les atteindre aux coûts les plus bas possible, et elle est responsable (ou « participée » ) quand elle prend en compte les attentes des publics concernés par la régulation. Il faut bien voir cependant que chacun des trois critères a sa contrepartie (Self, 1993 : 176- 179). La régulation dans un secteur donné peut être efficace sans qu'elle soit suffisamment coordonnée avec la régulation dans d'autres secteurs. Les soucis d'efficience peuvent conduire à des situations d'iniquité d'une population ou d'une catégorie de la population à l'autre. Quant à la responsabilité, elle peut être distribuée de façon non représentative. Dans les trois cas, des valeurs qu'on pourrait dire d'intégration peuvent donc être opposées à des valeurs de segmentation. Si bien qu'on peut opposer la coordination à l'efficacité, l'équité à l'efficience et la représentativité à la responsabilité, dans une évalua tion plus complète des différents types de décentralisation. Le tableau 2 indique pour chacun des six critères les deux types de décentralisation qui semblent les plus adéquats, si on considère les trois catégories de rapports qui définissent les différents types de
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décentralisation, soit les rapports des instances décentralisées avec les autorités centrales, les rapports horizontaux entre le secteur de la santé et les autres secteurs, et les rapports des instances décentra lisées avec leur base organisationnelle. Tableau 2
Les deux types de décentralisation qui semblent les plus adéquats par rapport à chacun des six critères d'évaluation TYPE DE DÉCENTRALISATION
CRITÈRE D'ÉVALUATION DÉCONCENTRATION
X X
X X
X
X
X
X
Responsabilité Représentativité
PRIVATISATION
X
Efficience Equité
DÉVOLUTION
X
Efficacité Coordination
DÉLÉGATION
X
X
Pour que la régulation exercée soit efficace, pour qu'elle atteigne les objectifs des régulateurs, il faut que la dépendance envers le sommet et envers la base, mais aussi entre les secteurs d'activité, ne soit pas trop grande. La délégation et la privatisation sont les plus aptes à satisfaire à ces exigences. La coordination entre les mesures de régulation suppose une dépendance serrée par rapport au sommet, ou encore que les orga nisations décentralisées soient de nature intersectorielle. Les deux types de décentralisation qui remplissent le mieux ces conditions sont la déconcentration et la dévolution. La régulation d'une organisation décentralisée est efficiente quand la quantité de ressources requises pour la production d'une certaine quantité de services est la plus petite possible. L'efficience suppose une dépendance serrée par rapport à la base qui fournit les res sources, ce qui condamne l'organisation à faire un usage efficient des ressources qu'elle reçoit de cette base et qu'elle doit lui retourner sous forme de biens et services. C'est la privatisation et la dévolution qui remplissent le mieux ces conditions. L'équité suppose une dépendance serrée envers le sommet, dont les préoccupations d'équité sont plus grandes que dans les organisations
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Le système de santé québécois
décentralisées. On peut même penser que l'équité exige une dépen dance lâche envers la base, par rapport à laquelle il faut prendre des distances pour adopter des mesures équitables. La déconcentration et la délégation, qui sont les formes de décentralisation les plus proches de la centralisation, sont les plus aptes à satisfaire à ce critère. La déconcentration permet une équité intrasectorielle, alors que dans la délégation l'équité est davantage intersectorielle. Pour qu'il y ait responsabilité dans la régulation, il faut que la dépendance de l'organisation décentralisée envers le sommet soit plus lâche que sa dépendance envers la base. La régulation res ponsable est en effet celle qui répond aux attentes de la base. La dévolution et la privatisation sont les deux types de décentralisation où cette condition est remplie au mieux. La responsabilité, nous l'avons dit, n'assure pas la représentativité. Pour que la régulation soit représentative, il faut que ceux qui y participent se recrutent dans les différentes catégories de la popu lation. Cela nécessite généralement une intervention du sommet, donc une certaine dépendance de l'organisation envers lui, mais aussi le maintien de rapports qui ne soient pas trop lâches avec la base. Sinon, il y a risque que la base ne soit guère intéressée à participer à la régulation. C'est la délégation et la dévolution qui semblent les plus aptes à satisfaire à ces deux exigences. Les scénarios de décentralisation envisageables
Nous disions plus haut qu'au Québec la délégation en faveur du niveau régional avait atteint ses limites. A la lwnière des expériences étrangères et des critères d'évaluation qui viennent d'être présentés, quels sont les scénarios envisageables pour le Québec ? Nous allons distinguer, à cet égard, les scénarios envisageables si le Québec demeure un État fédéré dans la fédération canadienne, et ceux qui pourraient se réaliser si le Québec devenait un État indépendant. Dans l'un ou l'autre cas, il semble exclu qu'on mise sur une solu tion de type britannique où la décentralisation emprunte surtout la voie de la déconcentration. Remplacer les régies régionales par des bureaux régionaux du ministère serait considéré comme rétrograde sur le plan de la décentralisation. Il y a peu de chances que cette solution soit envisagée sérieusement.
La décentralisation : panacée ou boîte de Pandore ?
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Un premier scénario pourrait consister à tenter d'améliorer malgré tout le mode de décentralisation actuel, en déléguant de nouvelles fonctions de gestion, par exemple, certaines de celles qui ont trait à l'assurance-maladie. Selon le tableau 2, la délégation assure l'effica cité, l'équité et la représentativité, mais elle est moins propice à la responsabilité envers la base, à la coordination intersectorielle et à l'efficience dans la production des services. Ces limites invitent à envisager d'autres solutions. Second scénario : la privatisation plus poussée du système de santé. Cela ne semble pas être un scénario appelé à devenir majeur. C'est plutôt une tendance qui continuera, mais en demeurant mino ritaire. On peut espérer introduire plus d'efficience et plus de res ponsabilité dans le système, du moins dans les zones où existe la privatisation. Toutefois, les défauts de la privatisation eu égard à la coordination, à l'équité et à la représentativité, qui sont toutes des valeurs d'intégration plutôt que de segmentation, limitent beaucoup sa capacité d'attraction dans une société où les valeurs d'intégration demeurent prépondérantes. Troisième scénario : la voie de la dévolution, qui consisterait à confier aux communautés urbaines, aux villes-centres ou encore aux MRC une partie ou la totalité des compétences actuellement exercées par les régies régionales. La dévolution s'accompagnerait ou non de la municipalisation des établissements ou de certains d'entre eux, dont les CLSC. Ce scénario est proche de celui du Livre blanc sur la décentralisation, élaboré lors du premier mandat du gouvernement du Parti québécois, de 1976 à 1981, et qui fut abandonné au début des années 1980. Par la dévolution, on pourrait augmenter, selon le tableau 2, la coordination intersectorielle, l'efficience et surtout la responsabilité dans le système de santé, aux dépens cependant de l'efficacité et de l'équité. Il y a toutefois peu d'exemples de régimes fédéraux où il y a une dévolution importante en matière de santé, à la fois en direction des États fédérés 1 9 et en direction d'un niveau inférieur à celui-ci. Tout se passe comme si les États fédérés, pour ne pas diminuer leurs pou voirs face à l'État fédéral, évitaient de se décentraliser politiquement en direction de niveaux inférieurs. C'est d'ailleurs l'argument qu'a utilisé le gouvernement du Parti québécois, après 199 5, pour ne pas créer des instances politiques régionales à qui il dévaluerait des compétences dans différents secteurs dont celui de la santé.
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Le système de santé québécois
Ces arguments ne seraient plus valables si le Québec devenait un État indépendant. Il n'est pas sûr, cependant, que dans les premières années, tout au moins, le gouvernement opterait pour la dévolution en matière de santé. Un quatrième scénario possible serait de maintenir le statu quo, en continuant de miser sur la délégation, selon un modèle qui pourrait ressembler à celui de la Nouvelle-Zélande. Enfin, selon un cinquième scénario, on pourrait avec le temps évoluer vers le modèle suédois, en créant des gouvernements régio naux qui seraient l'équivalent des comtés suédois. Ajoutons que la dévolution de certaines compétences à des instances du niveau infé rieur aurait d'autant plus de chances de se réaliser que celles-ci deviendraient moins nombreuses, et donc plus populeuses en moyenne. C'est le cas de la Suède où, avec une population un peu plus grande ( 8, 5 millions) que celle du Québec, il y a moins de 3 00 communes contre 1 400 municipalités au Québec, dans un territoire qui est cependant beaucoup plus étendu. Que le Québec devienne indépendant ou non, il nous semble que c'est en évoluant vers la « municipalisation » d'une partie du système de santé qu'on pourra corriger le principal défaut du mode de décentralisation actuel, qui est celui de la responsabilité limitée envers les publics à la base de ce système. Cette valeur nous semble la plus importante de toutes, du moins si on considère que le système de santé, comme les autres systèmes publics, doit être au service des publics plutôt qu'au service de ceux qui produisent les services ou les gèrent tant bien que mal.
La gestion des établ issements de santé au Québec1
L O U I S D E M E R S • A L B E RT D U MA S C LERMO NT BÉGIN
Aucun emploi n'est plus vital pour notre société que celui de gestionnaire. C'est le gestionnaire qui détermine si nos institutions sociales nous servent bien ou si elles gaspillent nos talents et nos ressources. HENRY MINTZBERG
( 1989 : 24 ; notre traduction)
À mon avis, les hôpitaux sont les entreprises les plus difficiles à gérer. W. F.
GLUECK
(1980 : A-3 ; notre traduction)
S1 L'ON EN CROIT les citations placées en exergue de ce chapitre, gérer un établissement compte parmi les respon sabilités les plus importantes et les plus exigeantes que l'on puisse assumer dans un système de santé. Pourtant, cette activité reste relativement méconnue. Curieusement, en effet, si les périodiques scientifiques et les rapports d'organismes internationaux comme l'OCDE abondent en études sur les réformes des systèmes de santé, on cherchera en vain l'équivalent sur les gestionnaires, pourtant chargés de coordonner la réalisation de ces réformes. Par exemple, les ouvrages de Rachlis et Kushner (1994) et de Deber et Thompson
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Le système de santé québécois
( 1992) sur la réorganisation du système de santé canadien ne formu lent ni critique ni suggestion sur le travail requis des gestionnaires pour mener à bien cette entreprise. Tout se passe comme si la contribution des gestionnaires était généralement perçue comme une constante dans l'équation de l'efficience et de l'efficacité des systèmes de santé et que leur rôle se résumait à appliquer les directives élaborées en haut lieu et à composer avec l'autonomie de pratique des médecins et des autres groupes de professionnels qui rendent les services à la population. Comment expliquer ce hiatus entre l'image grandiose esquissée par Mintzberg et la figure quasi absente du gestionnaire d'éta blissement de santé ? Doit-on y voir l'indication que ce dernier est un acteur utile mais, somme toute, moins important que son homologue du secteur privé ? Dans ce chapitre, nous montrerons sur quoi repose cette perception et en quoi elle est réductrice. Nous montrerons en outre que les gestionnaires d'établissement sont en mesure de faire une différence dans la transformation des systèmes de santé, que leur rôle a évolué au cours des dernières années et qu'il est appelé à se modifier encore à l'avenir. Tout au long de notre exposé, nous nous intéresserons particulièrement au chef d'établissement. Celui-ci assume en effet un rôle charnière dans l'appareil de production de services dont il articule deux ordres de régulation : celle qui provient des parties prenantes extérieures à l'établissement qu'il dirige et celle, dont il est le foyer, qui s'exerce sur les gestionnaires et les groupes de praticiens qui y travaillent. Ce chapitre se compose de quatre sections. Dans la première, nous justifierons notre choix de considérer la gestion comme une pratique contextualisée, à la suite de Reed ( 19 89 ) . En nous inspirant de cette conception, nous proposerons ensuite une typologie des rôles que peuvent j ouer les gestionnaires d'établissement de santé. Nous exploiterons cet appareil conceptuel dans la troisième section du chapitre pour présenter et interpréter l'évolution de la gestion des établissements de santé québécois depuis les années 19 50. En nous appuyant sur l'expérience récente des réformes de la santé dans différents pays occidentaux, nous proposerons enfin deux scénarios de l'évolution du système de santé québécois et de son incidence sur le rôle des chefs d'établissement.
La gestion des établissements de santé au Québec
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la gestion : une pratique contextualisée
Selon Reed ( I989), les écrits sociologiques sur la gestion appar tiennent à l'une ou l'autre des trois perspectives théoriques sui vantes : la perspective technique, la perspective politique et la perspective critique. L'inventaire des travaux de ces trois courants l'amène à proposer une quatrième perspective, celle de la pratique, qui permet d'intégrer l'apport des trois courants précédents. Nous présenterons cette dernière plus loin, après avoir esquissé le contenu des trois autres. Pour les auteurs du courant technique 2, la gestion est un méca nisme rationnel qui permet l'atteinte d'objectifs collectifs. L'essentiel du travail du gestionnaire est de mettre en place une « structure » organisationnelle efficace. Le gestionnaire apparaît dans cette optique comme un agent de rationalisation œuvrant pour le bien de la collectivité. Le pouvoir des gestionnaires s'exerce selon la chaîne de commandement qui va du sommet de la pyramide hiérarchique à sa base. Les auteurs qui adoptent la perspective politique 3 s'inscrivent en faux contre le modèle rationaliste et statique véhiculé par le courant technique. La gestion leur apparaît plutôt comme un processus dyna mique au cours duquel les gestionnaires négocient, entre eux et avec des groupes d'intéressés, pour dénouer les conflits organisationnels qui surgissent. Le gestionnaire n'incarne plus des préceptes de gestion abstraits. Il est un agent compétent qui peut façonner les objectifs à poursuivre et les moyens de les atteindre. Pour les tenants de la perspective critique\ la gestion est un méca nisme d'exploitation au service de la classe dominante. Les gestion naires ont pour double rôle de mettre en place les outils de régulation permettant d'extraire la plus-value la plus élevée possible et de diffuser les arguments idéologiques dissimulant à la vue des travailleurs l'exploitation dont ils sont l'objet. Instruments de ratio nalisation des forces productives, les gestionnaires s'exposent toute fois eux-mêmes à subir cette rationalisation. Chacun des courants précédents révèle une facette de la pratique de la gestion. La perspective technique concentre son attention sur les structures formelles à partir desquelles les gestionnaires tentent de coordonnerl 'action des autres membres de l'organisation, tandis que la perspective politique met en lumière les actions que mènent les gestionnaires pour réaliser cette coordination, et que la perspective
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critique révèle l'existence d'intérêts plus larges dont les affronte ments sont médiatisés par les structures et les processus intra organisationnels. La perspective de la pratique que présente Reed se veut une synthèse - au sens dialectique du terme - des trois courants pré cédents 5 . Elle intègre leur apport respectif tout en y apportant un élément nouveau : le caractère éminemment instable et précaire de l'ordre qui semble régner au sein des organisations. Selon cette approche, la production de biens ou de services est le fait de communautés de praticiens que relient des circonstances partagées et une compréhension commune de ce qu'ils font et de ce pourquoi ils le font. Laissés à la poursuite de leurs propres priorités, ces groupes de praticiens risquent toutefois de s'engager dans des voies diver gentes qui peuvent conduire à la désintégration de l'ensemble qu'ils constituent. C'est pourquoi d'autres pratiques que celles de production sont requises pour que ces groupes de praticiens évoluent de façon coor donnée dans un milieu relativement stable. Ce sont en général les gestionnaires qui sont chargés d'assurer cette coordination et cette cohérence d'ensemble. Pour ce faire, ils mettent en œuvre divers mécanismes de régulation de nature juridique, administrative et politique. Les gestionnaires doivent également incorporer dans leurs interventions les intérêts des parties prenantes localisées à l'extérieur de l'organisation. Parmi ces acteurs institutionnels, les plus puissants sont ceux qui maîtrisent les règles et les ressources nécessaires à la production des biens et des services de l'organisation. Ces acteurs propriétaires, gouvernements, créanciers, fournisseurs - sont les plus en mesure d'influer sur la conception des instruments mis en place pour réguler les pratiques de production. Les gestionnaires agissent donc comme conciliateurs de deux ensembles d'exigences : celles qui émanent des praticiens de l'orga nisation et celles qui proviennent des parties prenantes de l'extérieur. Soumis à ces demandes souvent divergentes, chargés d'arbitrer les conflits qui en résultent, évalués selon des critères multiples, les gestionnaires font face à de nombreux dilemmes. Leur rôle consiste essentiellement à créer un terrain d'entente, un modus vivendi qui leur permette de « garder le spectacle sur la route » . Cette multiplicité des intérêts en jeu et leur variation d'une organisation à l'autre expliquent la diversité des pratiques de gestion. Plutôt qu'à la cage
La gestion des établissements de santé au Québec
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de fer bureaucratique dépeinte par Weber, l'organisation s'apparente à un fragile bricolage de règles et de pratiques que les gestionnaires tentent de maintenir tant bien que mal. Les gestionnaires peuvent exercer du pouvoir non seulement sur les personnes qui leur sont formellement subordonnées 6, mais aussi, dans une moindre mesure, sur des acteurs puissants agissant à l'extérieur de l'organisation. Le concept de dialectique du contrôle, formulé par Giddens ( 1987) et repris par Reed (1989 : 53 ), permet de rendre compte de ces phénomènes de pouvoir. Selon Giddens, on peut considérer les relations de pouvoir dans les systèmes sociaux comme des relations d'autonomie et de dépendance. Quel que soit le degré d'inégalité entre acteurs dominants et acteurs subordonnés, ces derniers ne sont jamais totalement dépendants des premiers. Ils peu vent mettre à profit les ressources dont ils disposent pour exercer un certain pouvoir sur ceux qui les dominent. Nous exploitons cette idée pour établir notre typologie des rôles de chef d'établissement, que nous présentons ci-dessous. Une typologie des rôles de chef d'établissement de santé
Dans cette section, nous proposons une typologie des rôles que peut jouer un chef d'établissement de santé, comme l'indique le schéma suivant. Selon cette typologie, un chef d'établissement est tenu d'adopter l'une ou l'autre de deux positions fondamentales face à chacun des deux groupes d'acteurs qui influent sur la structuration de l'organisation qu'il dirige, soit les parties prenantes de son contexte externe7 et les groupes de praticiens qui œuvrent dans cette organisation 8 • Le croisement de ces deux paires de positions donne quatre rôles de gestion. Le terme « position » renvoie à la fois à l'idée de prise de position et à celle d' « ensemble des circonstances diverses où l'on se trouve » ( Le Petit Robert) . La position qu'adopte un chef d'établissement se situe en effet à la rencontre de ses préférences personnelles et des options qui lui apparaissent réalistes, compte tenu de la conjoncture. Comme la politique, la gestion est un art du possible. Une position résulte donc d'un choix, même si l'éventail des options ouvertes est limité ou médiocre. Le rôle que peut tenir un chef d'établissement s'apparente à celui d'un acteur de théâtre en ce qu'il y a prestation, jeu, dialogue. Il en
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Le système de santé québécois
Schéma 1
Typologie des rôles de chef d'établissement de santé d'après la position q u 'il adopte face aux acteurs des contextes externe et interne de l'organisation POSITION FACE AU CONTEXTE INTERNE
POSITION FACE AU CONTEXTE INTERNE
RETRAIT
INITIATIVE
Conservation
Gérant
Entrepreneur
Modernisation
Rénovateur
Transformateur
diffère toutefois notablement du fait que le gestionnaire est l'auteur du texte qu'il interprète, qu'il est un des metteurs en scène de la pièce dans laquelle il joue, que celle-ci renferme des rebondissements imprévus et que le dénouement de l'intrigue est sans cesse reporté. Il faut enfin noter que ces positions et ces rôles sont des catégories très générales ; elles ont pour seule utilité et seule prétention de permettre de discerner les grandes tendances de l'évolution des pra tiques de gestion d'établissements de santé 9 • Avec un autre objectif en tête, il serait possible d'ajouter une ou plusieurs positions intermé diaires à celles que nous proposons. Ces précisions étant faites, voici la signification des quatre positions que nous avons retenues et des quatre rôles qui en découlent. Examinons d'abord la dimension externe du contexte de gestion. Selon notre typologie, un chef d'établissement peut adopter soit une position de retrait, soit une position d'initiative dans ses rapports avec les parties prenantes extérieures. Le retrait consiste à « ne pas se mettre en avant (Le Petit Robert) » . Le chef d'établis sement qui adopte cette position se consacre avant tout à « faire tourner » l'établissement qu'on lui a confié. Il applique les directives des autorités du système de santé et se préoccupe peu d'intervenir auprès des acteurs de son contexte externe. Inversement, la position d'initiative consiste, pour un chef d'éta blissement, à prendre les devants face aux autorités, à entretenir un réseau de contacts susceptibles de l'aider au moment opportun et à adopter un point de vue critique face aux règles en vigueur. Un chef d'établissement peut ainsi faire des démarches auprès des autorités
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administratives ou politiques pour que son établissement puisse offrir certains services et qu'il soit doté de fonds conséquents 10 • Il peut aussi faire jouer ses relations avec des acteurs du secteur sociosanitaire, d'autres secteurs - éducation, municipalités - ou du monde partisan - députés, personnel de cabinet. À l'occasion, ce chef peut aussi exposer son établissement à des risques financiers, afin de réaliser certains projets ou, encore, mettre en œuvre des décisions illicites ou à la limite de la légalité. La « croissance par le déficit » et l'acquisition sans autorisation d'un appareil coûteux illus trent cette approche. Lorsqu'elle réussit, l'initiative est profitable à l'établissement puis qu'elle en favorise le développement ou en évite la décroissance, voire la disparition. Cette action a en outre un effet structurant sur l'offre des services dans la région et sur le système de santé en général puisqu'elle avantage les établissements dynamiques au détri ment de ceux qui sont placés en retrait. Le recours à l'initiative suppose toutefois que les autorités donnent suite aux demandes des établissements. Ce n'est pas forcément le cas, notamment lorsque les règles en vigueur sont trop rigides pour admettre des façons de faire inédites. Les chefs d'établissement peuvent alors choisir de se rabattre sur une position de retrait. Dans un système marchand, une position d'initiative consiste notamment à devancer la concurrence en lançant certains services prometteurs, avec les risques financiers que cela comporte. Les chefs d'établissement en position de retrait privilégient plutôt le maintien d'une gamme de services bien rodés. Ils ne mettent en place de nou veaux services que si le risque perçu est minime ou inférieur à celui de préserver le statu quo (Shortell, Morrison et Friedman, 1990). Au sein de son organisation, un chef d'établissement entretient des rapports directs ou indirects avec de nombreux groupes : infirmières, médecins, autres praticiens professionnels, cadres, employés syn diqués, bénévoles. Ces rapports portent sur une gamme étendue d'enjeux comme l'orientation de l'établissement, le partage des pou voirs et des responsabilités, notamment en matière financière, et la façon de rendre les services à la population ( accent mis ou non sur l'efficience, ouverture au point de vue des usagers). Par rapport à ce contexte interne, nous posons qu'un chef d'établissement peut adopter soit une position de conservation, soit une position de modernisation.
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En optant pour une position conservatrice, le chef d'établissement contribue à perpétuer les pratiques en vigueur plus qu'à les modifier. Dans un secteur en continuel mouvement, comme celui de la santé, la conservation n'implique pas l'immobilisme. Elle exprime plutôt, soit une volonté du chef d'établissement de maintenir des façons de faire qu'il juge satisfaisantes ou confortables, soit son incapacité à s'adapter à un contexte plus exigeant ou à amener les parties prenantes de l'établissement à évoluer au rythme qu'il désire. La deuxième position - celle de la modernisation - est l'antithèse de la première. Elle consiste à « organiser [un établissement] d'une manière conforme aux besoins, aux moyens modernes » (Le Petit Robert). Pour la période contemporaine, il s'agit pour le chef d'éta blissement de créer ou de maintenir les conditions propices à l'adop tion de pratiques novatrices au sein de son organisation. Ce renouvellement peut viser à faire de l'établissement un chef de file dans son domaine ; il peut aussi être une réponse aux exigences accrues des autorités qui supervisent l'activité des établissements. Un chef d'établissement peut aussi être modernisateur par défaut, du fait de son incapacité de réfréner le dynamisme des membres de l'orga nisation. Inversement, des médecins qui ne veulent rien entendre de la gestion, des cadres réfractaires à la décentralisation, des élus syndi caux qui s'opposent à la négociation d'ententes locales peuvent forcer un chef d'établissement à adopter une position plus conservatrice. Par ailleurs, il faut noter que les chefs d'établissement qui adop tent une position de modernisation ou d'initiative ne cherchent pas à innover tous azimuts. Ils sélectionnent généralement les enjeux sur lesquels leur action est susceptible de faire une différence 1 1 . La conjonction des deux couples de positions donne les quatre rôles suivants. Un chef d'établissement peut d'abord jouer un rôle de gérant lorsqu'il se consacre à appliquer les règles émanant des autorités du système de santé et à perpétuer les pratiques au sein de l'organisation. Dans les organisations menées par un gérant, on assiste fréquemment à une centralisation des pouvoirs entre les mains d'un groupe restreint de dirigeants: chef de l'établissement, directeur des finances et certains directeurs qui supervisent la production des services 12 • La gestion budgétaire relève exclusivement de la haute direction, le rôle des cadres intermédiaires se limitant à mettre en application leur budget et à en faire le suivi. Dans les systèmes de santé où la négociation des contrats de travail est centralisée, la
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gestion des ressources humaines se limite à appliquer les conventions collectives en vigueur. Comme il ne cherche pas à modifier les façons de rendre les services, le gérant s'en remet aux praticiens pro fessionnels pour juger de leur qualité et de leur efficience. L'adap tation des services aux préoccupations des usagers n'est pas une priorité. Dans les hôpitaux, les gestionnaires et les médecins évoluent dans deux sphères relativement dissociées, les premiers assurant l'intendance, pendant que les seconds assument collectivement la régulation des pratiques médicales. Le chef d'établissement rénovateur se concentre lui aussi sur la gestion de son organisation, laissant au second plan ses responsa bilités en matière d'affaires extérieures. A la différence du gérant, toutefois, le rénovateur cherche à moderniser son établissement. Dans le domaine de la santé, ces progrès consistent depuis plusieurs années à rendre la production des services plus efficace et plus effi ciente. Pour y parvenir, le rénovateur doit se familiariser avec les rouages de son établissement, de même qu'avec les façons de faire et les préoccupations de ses différentes collectivités de praticiens. De plus, il a généralement intérêt à faire participer ces derniers à la gestion de l'établissement. Plusieurs possibilités existent pour ce faire : mise sur pied de comités consultatifs écoutés ; négociation d'ententes avec les syndicats locaux ; décentralisation de l'autorité financière à l'échelon des cadres intermédiaires ; accroissement des responsabilités de gestion des médecins en échange d'une voix au chapitre administratif. Comme il favorise la reproduction des pratiques de l'organisation, le gérant peut diriger celle-ci en recourant à des systèmes d'infor mation qui le renseignent uniquement sur l'état du budget et sur le respect des règles et des procédures. Par opposition, la capacité du rénovateur de moderniser les pratiques de son établissement dépend de la disponibilité et de la fiabilité d'informations sur l'efficacité et l'efficience des services qui y sont produits. Il doit en outre disposer de bases de comparaison à partir desquelles évaluer cette efficience et cette efficacité et y apporter des correctifs au besoin. En l'absence de telles informa6ons, le chef d'établissement doit prendre des décisions au jugé ; il lui est alors plus difficile de convaincre les praticiens de l'organisation de modifier leurs façons de faire. L'entrepreneur partage avec le gérant un certain conservatisme dans sa façon de gérer. Toutefois, à la différence du gérant, qui se
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subordonne aux autorités, l'entrepreneur intervient activement auprès d'elles et des autres acteurs du contexte externe pour mousser l'organisation qu'il dirige afin d'en favoriser l'expansion ou d'en éviter la décroissance. Dans un système public, ses concurrents sont les autres chefs d'établissement et sa « clientèle » est celle des auto rités dont il dépend. Ce sont en effet ces producteurs de règles et ces détenteurs de ressources qu'il cherchera à convaincre, le but de l'entrepreneur étant de les voir confier à son organisation des mandats et des budgets additionnels. Un chef d'établissement tient le rôle de « transformateur » lorsqu'il conjugue l'action du rénovateur et de l'entrepreneur, c'est-à-dire qu'il contribue à la fois à moderniser son organisation et à tirer parti de la conjoncture externe 13 • Pour réaliser cette transformation, il est tout à la fois actif auprès des collectivités de praticiens de l'organisation et des acteurs du contexte externe. Par opposition au gérant, qui est son contraire sur les deux dimensions de notre typologie, le trans formateur manifeste une plus grande ouverture aux demandes des usagers ou aux besoins de la population, que cette sensibilité ait pour but ultime d'améliorer les services, de servir les fins de l'organisation ou les deux. Comme l'entrepreneur, il cherche à offrir des services nouveaux ; comme le rénovateur, il connaît les préoccupations des praticiens de son organisation, qui sont en contact avec les usagers. Dans la prochaine section, nous verrons que ces rôles ont été différemment favorisés par le contexte de gestion des établissements de santé québécois, selon les époques. La gestion des établissements de santé au Québec
Nous évoquerons d'abord la gestion des établissements de santé avant l'entrée en vigueur de l 'assurance-hospitalisation, puis sous ce régime. Nous examinerons ensuite la gestion des établissements durant les deux décennies qui séparent la réforme du début des années I 970 de celle du début des années I990. Nous exposerons en dernier lieu le bouleversement des pratiques de gestion qui se produit dans la foulée de cette dernière réforme.
La gestion des établissements de santé au Québec 20 5 La gestion avant l 'entrée en vigueu r d e l 'assuran ce-hospital isation
Jusqu'au début des années 1 9 60 : [l]'Église catholique et ses institutions avaient le quasi-monopole de la régulation des affaires sociales avec le consentement, d'ailleurs, du gouvernement. [ . .. ] Avant 1960, le gouvernement ne règle pas les pou voirs, laissant aux établissements le soin de le faire (Lemieux, Renaud et von Schoenberg, 1974 : 3 8- 5 3 ). Les hôpitaux francophones appartiennent alors en majorité à des congrégations catholiques. Les hôpitaux anglophones et certains hôpitaux francophones laïques appartiennent de leur côté à des sociétés privées ; chacun d'eux est chapeauté par un conseil d'ad ministration. Le contexte de l'époque est favorable à la fondation de nouveaux établissements et à l'agrandissement des établissements existants, notamment grâce aux subventions discrétionnaires du gouvernement québécois 14 et au programme national de subsides lancé par le gou vernement fédéral en 1948 15 • Dans les hôpitaux qui appartiennent à une congrégation, les reli gieuses assument la gouverne de l'établissement et occupent la totalité des postes de gestion non médicaux. Après la Seconde Guerre mondiale, l'institution charitable d'hébergement et de soins généraux qu'elles avaient mise sur pied se transforme toutefois en une orga nisation technicisée et coûteuse, où la division accrue du travail met en présence des groupes variés de professionnels et où une bureau cratie maison remplace la gestion artisanale qui prévalait jusqu'alors (Petitat, 1 9 89 ; Rousseau, 1994). À partir des années 1940, les religieuses engagent de premiers cadres laïques - et masculins. Certains assument la gestion d'un personnel en pleine croissance et en voie de syndicalisation ; d'autres tiennent la comptabilité et effectuent le recouvrement des comptes impayés, qui contribuent à la précarité de la situation financière des hôpitaux à la fin des années 1950 (Deschênes, 199 5 ; Rivard et coll., 1970). La gestion budgétaire demeure toutefois élémentaire 16• De façon générale, les religieuses accordent une autonomie entière aux médecins dans leurs décisions cliniques, sauf en ce qui a trait à l'utilisation des ressources, qui relève de leurs compétences. Avec la complexification de l'organisation hospitalière, on assiste toutefois
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à la mise sur pied de mécanismes de coordination médico administratifs: création de postes de directeur médical, participation de religieuses aux réunions du bureau médical ou d'un représentant des médecins au bureau de direction de l'hôpital 17 • Au Québec, de l'après-guerre au début des années 1960, les gestionnaires laïques sont des acteurs de second plan. Nouveaux venus dans l'arène hospitalière, subordonnés à l'autorité dominante de religieuses ou d'un conseil d'administration, confrontés à une organisation médicale puissante, hiérarchisée et en lien direct avec les autorités de l'établissement, les gestionnaires se chargent de l'inten dance financière et administrative, mais guère plus. De leur côté, toutefois, les autorités à la tête des hôpitaux se comportent souvent en entrepreneurs, profitant de conditions propices à l'initiative : augmentation de la clientèle résultant d'une forte croissance démo graphique et de l'amélioration continue de la médecine hospitalière, progression des assurances privées et disponibilité de fonds publics pour les projets d'immobilisation. Par ailleurs, les religieuses hospi talières, les administrateurs et les rares gestionnaires laissent les médecins régir les conditions de leur pratique. Les changements apportés à l'organisation des soins résultent donc principalement de l'intervention de ces derniers. 1 961 -1 970 . La gestion sous la loi de l'assurance-hospitalisatio n
Le r j anvier 1 96 1 , le programme c anadien d'assurance hospitalisation entre en vigueur au Québec. Dorénavant, tous les résidants de la province ont accès gratuitement aux services hospi taliers. Cette entrée en force de l'État dans le financement des services de santé favorise l'accroissement de l'utilisation des services et, du même coup, l'expansion du parc hospitalier (Renaud, 198 1 ). Cette expansion est en outre attisée par la croissance économique de l'époque, la disponibilité de nouveaux équipements diagnostiques et thérapeutiques, la division et la spécialisation accrues du travail médical et paramédical et la volonté de respecter les normes du Conseil canadien d'accréditation des hôpitaux 1 8 • En 1962, le gouvernement québécois légifère pour régir l'orga nisation et le fonctionnement des hôpitaux. La Loi des hôpitaux confère à ceux-ci le statut d'organisation publique et les dote d'un er
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conseil d'administration. Généralisant une pratique déjà répandue dans les années 19 50, la loi oblige les hôpitaux à se doter d'un bureau médical responsable des soins médicaux et de l'organisation scientifique de l'hôpital. Cette loi ne permet toutefois pas au gouvernement d'exercer une régulation effective des pratiques hospitalières. La foi prévoyait en effet : [...] que la réglementation se ferait par accord entre la Corporation des médecins et l'Association des Hôpitaux, accord qui ne survint jamais. D'où l'action unilatérale du gouvernement, en 1969 19 (Deschênes, 199 5 : 80).
En conséquence : [l]es contrôles publics de la croissance et de la direction de la croissance de l'ensemble de l'appareil hospitalier demeurèrent presque inexistants au cours de la décennie 1960-1970. De même, aucune réglementation ne fut introduite afin de contrôler et contenir la croissance anarchique de la spécialisation en médecine, de la quincaillerie médicale et du professionnalisme chez les paramédicaux (Renaud, 1977 : 1 3 2).
L'intervention de l'État favorise la syndicalisation des employés des établissements (Boivin, 1994 ) et celle des médecins omni praticiens et spécialistes (Demers, 1994 ) . En 19 66, les négociations entre PAssociation des hôpitaux de la province de Québec et les syndicats d'employés se soldent par la mise en tutelle des hôpitaux par le gouvernement. Cette mise en tutelle enclenchera un processus de centralisation qui aura pour effet de faire perdre tout contrôle aux directions locales sur le contenu des conventions collectives de travail. Désormais, les négo ciations collectives n'engageront que les associations patronales et syndicales ainsi que le gouvernement (Boivin, 1994 : 277).
Une relève de la garde sur une vaste échelle se produit au même moment à la direction des hôpitaux. Les religieuses cèdent rapi dement la place à des gestionnaires laïques, masculins et diplômés. Les médecins, qui dirigeaient certains grands hôpitaux montréalais, se retirent également. Les nouveaux gestionnaires sont souvent spé cialisés en relations industrielles ou en comptabilité, atout précieux à une époque où le ministère de la Santé met en place un système budgétaire normalisé et tatillon20 • Plusieurs contrôleurs deviendront
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ainsi directeurs des finances pms, parfois, directeurs généraux (Deschênes, I99 5 : 82). En introduisant un système de budget détaillé, le ministère de la Santé dispose en théorie d'une maîtrise complète des dépenses des hôpitaux. En pratique, toutefois, ces derniers encourent souvent un déficit de fonctionnement que le gouvernement accepte le plus sou vent d'absorber après coup sous la forme d'un « règlement de fin d'année » . On reproche alors au budget détaillé de restreindre consi dérablement la marge d'autonomie des gestionnaires des hôpitaux, de leur fournir une incitation à augmenter les dépenses21 et de défavoriser les établissements dont la gestion des ressources est la plus efficiente. Parallèlement, l'emprise des médecins cliniciens sur les décisions administratives s'amenuise petit à petit. Au fil des années I960 et I970, la nouvelle génération de directeurs généraux s'adjoint un nombre sans précédent de cadres supérieurs et intermédiaires 22 • Les gestionnaires non médicaux en viennent à prendre en main la gestion des ressources de l'établissement, dans le cadre de règles et d'ententes panquébécoises, pendant que l'organisation médicale devient plus collégiale (Dumas, I99 5 ) . Si la Loi des hôpitaux dote chaque conseil d'administration d'une « [ ... ] autorité complète sur la gestion de l'hôpital (art. 7) », cette autorité n'est pas souveraine. Le Service d'assurance-hospitalisation du ministère de la Santé peut notamment revoir à la baisse le montant du budget d'un établissement dûment approuvé par son conseil (Rivard et coll., I970 : 90) . Les directeurs généraux des hôpitaux doivent donc affronter des conditions nouvelles, qui favorisent le choix du rôle de rénovateur. D'une part, le fait qu'ils doivent obtenir l'approbation du Ministère pour toute modification, même mineure, de leurs prévisions budgé taires, les place dans une situation de dépendance qui décourage l'initiative 23 • De plus, bon nombre d'entre eux ont été recrutés pour assurer la conformité et la viabilité financières de l'établissement et non pour en soutenir le développement. D 'autre part, finis les appels à l'esprit de dévouement, les arrangements paternalistes et la comp tabilité de caisse. La gestion devient une pratique de modernisation qui s'inspire des canons enseignés dans les écoles d'administration et qui se conforme à une organisation administrative et financière nor malisée 24 . La division du travail de gestion s'accentue entre les gestionnaires professionnels et les gestionnaires-médecins, les premiers prenant à leur charge les relations conventionnées avec le
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Ministère et les employés syndiqués ; les seconds maintenant leur emprise sur les conditions de pratique de la médecine. Par contre, certains chefs d'établissement réussissent à agir en transformateurs, à une époque où les règles demeurent lacunaires et où la course au développement est encore ouverte. Comme le note un observateur de l'époque : [c]'était une croissance rapide et cela favorisait les dirigeants « déve loppeurs » . Ceux et celles (peu nombreuses alors) qui avaient la capa cité de « vendre » des projets aux autorités ministérielles étaient particulièrement bienvenus (Deschênes, r99 5 : 8 3 ).
Ils l'étaient d'autant plus que plusieurs de leurs confrères étaient peu compétents, si l'on en croit la commission Castonguay-Nepveu. À la suite de la mise en tutelle des hôpitaux, en 1966, le gouvernement Johnson met sur pied la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (commission Castonguay-Nepveu). Celle ci rend un jugement sévère sur l'état des lieux: absence de coordination entre les établissements, hausse des coûts liée à un recours excessif aux services onéreux des hôpitaux, endettement croissant de ceux-ci. La commission note également une sérieuse pénurie de gestionnaires compétents (Lee, 1979 : 5 ) . Une réforme majeure du secteur de la santé et des services sociaux suivra. 1 970-1 992. La gestion, d'une réforme à l 'autre
Au début des années 1970, le gouvernement québécois adopte coup sur coup la Loi de l'assurance-maladie ; la Loi sur les services de santé et les services sociaux, qui crée les conseils régionaux de la santé et des services sociaux ( CRSSS} et les centres locaux de services communautaires ( CLSC) ; la loi créant le ministère des Affaires sociales (MAS) dont le rôle est de planifier, de contrôler et d'évaluer le fonctionnement du « réseau » d'établissements et le Code des professions 25 • Pendant quelques années, les premiers CLSC jouissent d'une importante marge d'autonomie administrative et budgétaire pour inventer cette nouvelle institution. Par la suite, ils connaissent le même type de normalisation que les autres catégories d'établissement (Favreau, Hurtubise, 1993) . Après avoir participé à la création de « leur » CLSC, les citoyens perdent rapidement l'initiative. Même s'il
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leur arrive d'occuper la majorité des postes au conseil d'adminis tration, ce dernier n'exerce qu'un pouvoir limité, circonscrit par les directives du Ministère et le désir des « permanents » de préserver leur autonomie (Godbout, 1983 : 97-127). Dans les centres hospitaliers, les médecins obtiennent que le Conseil des médecins et dentistes nouvellement créé relève direc tement du conseil d'administration de l'hôpital plutôt que du directeur général, comme le proposait la commission Castonguay Nepveu. La loi réduit toutefois les responsabilités de gestion des médecins et le nombre de leurs membres dans les conseils d'admi nistration ( Couture, 1987 ; Gasselin, 1985), ce qui contribue à relâcher les liens entre sphères médicale et administrative. La composition des conseils d'administration des hôpitaux reflète la volonté des réformateurs de transformer un cercle élitiste en un organe décisionnel plus représentatif de la diversité des parties prenantes de l'établissement (Lee, 1979). Dans une étude réalisée entre 1973 et 1976, Eakin ( 1984a ; 1984b) montre toutefois que le changement de composition des conseils d'administration de dix hôpitaux anglophones n'a pas mené à la démocratisation de leur gestion, mais bien à l'affaiblissement du conseil comme acteur collec tif face aux gestionnaires et aux médecins. Selon Claude Forget, qui fut sous-ministre puis ministre des Affaires sociales dans les années 1970, malgré ces changements « le contrôle effectif des hôpitaux n'a pas changé depuis 1968 - les docteurs, et non les consommateurs, continuent de jouer un rôle dominant (Lee, 1979 : 42 ; notre traduction) » . La faiblesse des gestionnaires contribue aussi à cette situation, selon plusieurs acteurs centraux de la réforme réunis en conférence en 1977. Ces derniers estiment unanimement que : [l]e système est toujours en manque de gestionnaires qualifiés à tout niveau, et on peut attribuer une bonne part de la frustration ressentie au cours des dernières années au manque de personnel de gestion compétent (Lee, 1979 : 46 ; notre traduction). Sur le plan financier, le budget détaillé fait place au budget global : les gestionnaires disposent dorénavant d'une marge de manœuvre pour répartir entre les divers centres d'activités de l'établissement le budget qui leur est confié. Jusqu'en 1974, le MAS rembourse les centres hospitaliers qui présentent un déficit d'exploitation, ce qui
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dissuade les gestionnaires de gérer de façon efficiente (Lee, 1 979: 44) . Le resserrement des conditions de financement des services de santé par le gouvernement fédéral à partir de 1976, puis la forte récession du début des années 1980 amènent le gouvernement qué bécois à réduire l'augmentation des crédits versés aux établissements de santé (Contandriopoulos et coll., 1987 : 23-29). Les hôpitaux commencent alors à connaître des déficits d'exploitation qu'ils doivent combler au moyen de plans de redressement budgétaire adoptés par leur conseil d'administration. Malgré ces plans, la somme des déficits annuels des hôpitaux atteint des montants astro nomiques - plusieurs centaines de millions de dollars - et le gou vernement du Québec finit par prendre à sa charge tous les déficits encourus jusqu'en 1985-1986 26 (Bégin et coll., 1987: 21-3 2). À ce moment, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) rehausse la base budgétaire des centres hospitaliers de soins de courte durée. En contrepartie, ces derniers s'engagent à respecter leur budget, sinon ils se voient privés de tout projet de développement. Dans l'ensemble, les hôpitaux parviennent à tenir leur engagement. Cette conjoncture se modifie toutefois à la suite de la récession qui débute en 1989. Alors que le budget du réseau sociosanitaire crois sait à un rythme supérieur à celui des dépenses gouvernementales de 198 5-1986 à 1991-1992, la tendance s'inverse à partir de 19921993 (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1993b ; 1996). Au début des années 1980, la réduction du rythme de croissance des crédits avait amené « [ ••• ] les gestionnaires à se ressourcer à une certaine rationalité qu'on avait quelque peu perdue de vue pendant les années de vaches grasses (Minguy, 1981 : 6) ». On assiste alors à l'intensification de la mise en place de dispositifs variés de colla boration entre établissements, souvent à l'instigation du conseil régional concerné: tables de concertation, rapprochements admi nistratifs, achats en commun, partage de services et intégration d'éta blissements 27. Dans l'ensemble, toutefois, ces ententes sont placées sous le sceau de la concertation : elles sont volontaires, d'ampleur limitée et se fondent sur une volonté ferme des conseils d' ad ministration de préserver l'intégrité et l'autonomie de leur établis sement. Si certains cas d'intégration réussissent28 , d'autres avortent après quelques années ou se maintiennent dans un climat d'acri monie attisé par des rivalités intermunicipales ( Demers, Bégin, 1990).
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Ces expériences cessent toutefois de fleurir lorsque les condi tions financières s'améliorent au milieu des années 1980 et les gestionnaires n'innovent guère par la suite. Malgré les contraintes budgétaires, malgré la rhétorique du réseau et les appels à la complémentarité, les directions d'établissement maintiennent leur individualisme, légitimés de le faire par la poursuite de leur mission. Chaque établissement se place dès lors en concurrence avec les autres pour l'obtention de budgets et de mandats additionnels. Le cloison nement des services qui en résulte engendre duplications et dis continuités. Selon un gestionnaire, [s]auf pour quelques expériences isolées, reliées à la crise budgétaire du début des années I980, nous n'avons pas été capables de procéder à une adaptation du système à partir d'une réallocation des ressources déjà disponibles. Et nous avons continué de compter essentiellement sur de nouveaux argents [sic] pour tenter de nous ajuster aux nouveaux besoins, ainsi qu'à l'augmentation de la demande. Face à des budgets décroissants, nous avons eu tendance à nous replier sur le statu quo et les solutions faciles, telles les fermetures de lits ou les réductions . de services, plutôt que de nous engager dans une véritable interrogation sur Pefficacité et l'efficience de nos organisations, de nos modes de fonctionnement et de nos pratiques professionnelles (Duplantie, 1 99 5 : 105).
Au fil des années 1980, l'activité régulatrice des autorités du MAS puis du MSSS s'intensifie (Richard, Molinari, 198 7 : 74 ). Les mailles du filet de règles qui recouvre les établissements - articles de loi et de conventions collectives, règlements, politiques, directives et normes de gestion - deviennent de plus en plus fines (Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, 1996: 17). Cette gestion réglemen taire centralisée ne conduit pas toujours - loin s'en faut - aux comportements ou aux objectifs poursuivis. En 198 1 , le gouvernement adopte le projet de loi 27 dont un des objectifs est de contrer la hausse des dépenses en accroissant le champ d'autorité du directeur des services professionnels (DSP) sur les chefs de département clinique, et le champ d'autorité de ceux-ci sur l'utilisation par leurs collègues des ressources de leur département. Les médecins s'opposent toutefois à ces mesures qu'ils perçoivent comme une augmentation du contrôle administratif sur leur pratique. Au total, les changements à la loi demeurent sans effet notable
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(Commission d,enquête sur les services de santé et les services sociaux, I988 : 179-180). Dans une étude portant sur 72 centres d'accueil et d'hébergement, Landry et coll. ( I994b : 69) concluent de leur côté que « [ ... ] les changements apportés aux règles d'allocation de ressources humaines et financières n'affectent à peu près pas la quantité et la qualité des services offerts aux personnes âgées » . Quant aux conventions collectives, les gestionnaires réagissent généralement aux contraintes d'allocation du personnel que leur posent la sécurité d'emploi des employés permanents et le grand nombre de titres d'emploi en fractionnant les postes à temps plein (Boivin, 1994). Créée en 198 5, la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux (Commission Rochon) porte un jugement sévère sur les méthodes de gestion en vigueur dont le « [ ... ] caractère plutôt traditionnel a été fréquemment souligné à la Commission (Commission, 1988 : 53 2) ». Dans la majorité des établissements, la gestion « [ ... ] se caractérise par la rétention de l'information aux échelons supérieurs de la hiérarchie et par l'absence de consultation et de participation aux décisions pour la majorité des employés (p. 417) » . En outre, les gestionnaires « [ ... ] gèrent les conventions collectives plutôt que le personnel, les directives et les règlements plutôt que les services à donner (p. 418) » . Pourquoi en est-il ainsi ? « Cette situation est sans doute l'héritage d'une pratique de gestion qui généralise, à l'échelle du système, des règles et des directives 29 (p. 53 2) » . D'autres facteurs contribuent aussi au peu d'innovation administrative : faible mobilité des directeurs généraux et des cadres supérieurs, formation en gestion acquise sur le tas 3 0, réglementation professionnelle rigide, conflits de travail aigus et répétés, nombreuses conventions collectives dans un même établissement et périodes de restrictions budgétaires difficiles (p. 5 3 2-5 3 3 ). Bref, la gouverne centralisée et bureaucratique du système de santé fournit aux chefs d,établissement un ensemble de conditions qui favorisent l'adoption du rôle de gérant. Sans doute plusieurs ges tionnaires font-ils ce choix par préférence personnelle ou par fai blesse. Sans doute, aussi, d'autres y consentent-ils parce que les possibilités de faire des gains en adoptant une position d'initiative leur semblent minces ou que leur volonté de rénover les pratiques au sein de leur établissement se heurte à l'opposition des communautés de praticiens qui y travaillent dont, au premier chef, les médecins. Les conditions généreuses de financement des hôpitaux qui prévalent
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jusqu'au milieu des années I970 favorisent en outre l'adoption d'une position conservatrice qui continuera de dominer au cours des années 1980 31 • Ce tableau général appelle toutefois cinq remarques. Premiè rement, l'action des autorités ministérielles est non seulement une cause, mais aussi une conséquence du rôle tenu par les chefs d'éta blissement en place. Des gestionnaires qui, par tempérament, par habitude ou par incapacité, préfèrent attendre les mots d'ordre du Ministère avant d'agir encouragent, du même coup, la multiplication des normes de gestion. Deuxièmement, certains chefs d'établissement qui ont opté pour un rôle de rénovateur ont pu le faire. Par exemple, pendant que plusieurs d'entre eux se déclaraient impuissants devant l'engorge ment de leur urgence, certains hôpitaux ont su régler ce problème grâce à une volonté commune du conseil d'administration et de l'équipe de direction de l'hôpital d'y parvenir. On a ainsi mis en œuvre des politiques d'admission et de partage des lits - deux domaines qui relèvent par tradition de l'autorité des médecins favorables à l'admission des cas urgents et qui permettent une ges tion des lits plus efficiente (Demers, I996). Dans un centre hos pitalier, la direction a réussi à négocier avec un syndicat local la création de postes à temps plein en échange d'une réduction du nombre de titres d'emploi (Levine, 1990). Troisièmement, plusieurs chefs d'établissement ont également su agir en entrepreneur. Tous, ils sont un jour ou l'autre « montés à Québec » pour vendre Pidée d'un projet. Leurs chances de le faire approuver étaient d'autant plus grandes qu'ils avaient su établir un lien de confiance avec leurs points de contact au Ministère. Ils ont ainsi pu remonter la filière politique ou administrative qui menait au centre de décision pertinent. Les pratiques des entrepreneurs ne se limitent toutefois pas au pèlerinage dans la Vieille Capitale. Certains d'entre eux ont eu recours à une fondation pour acquérir de l'équi pement, contournant dans certains cas les politiques ministérielles ; d'autres ont vendu des services informatiques à des établissements similaires et d'autres encore ont adopté des pratiques comptables peu orthodoxes qui leur ont permis de présenter un équilibre budgétaire factice (Demers, 1996). Quatrièmement, si certains chefs d'établissement ont agi en transformateurs, la prédominance d'une logique d'établissement
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sur une logique de services a généralement confiné leur action à l'organisation dont ils avaient la responsabilité. Sauf en de rares circonstances, comme un net resserrement des crédits ou le départ à la retraite du directeur général d'un établissement voisin, toute volonté de rénovation impliquant plusieurs partenaires se heurte au droit de veto, que détient chaque conseil d'administration, de préser ver l'intégralité de « son » établissement. Enfin, les occasions d'expansion diffèrent selon la taille et la mission des établissements. La propension d'un directeur général à agir en gérant ou en entrepreneur varie donc en partie selon l'orga nisation qu'il dirige. Par exemple, si l'importance économique et sanitaire de renouveler les moyens diagnostiques et thérapeutiques d'un centre hospitalier favorise l'initiative de son directeur général, il en va autrement pour un centre d'accueil ou un CLSC. Par ailJeurs, les CLSC partagent une culture dominée par une approche communautaire et une responsabilité territoriale qui les distinguent des autres catégories d'établissement. La gestion d'un CLSC s'en trouve marquée. D'abord, si des possibilités existent d'agir comme entrepreneur auprès des autorités ministérielles, le directeur général de CLSC qui adopte une position d'initiative le fait davantage en se liant aux organismes communautaires de son milieu et à des partenaires d'autres secteurs, de façon à créer une synergie entre les divers intervenants de son territoire. Ensuite, si les CLSC constituent en eux-mêmes des outils de modernisation du système de santé, les pratiques de gestion de ces établissements ne sont pas forcément modernisatrices. Par exemple, l'absence quasi totale d'indicateurs de leur activité rend difficile l'adoption d'une position de modernisation au sens où nous l'avons définie. Le rénovateur est ainsi souvent un animateur, soit une « personne qui anime une col lectivité par son ardeur et son allant » (Le Petit Robert) . Poupart et coll. ( 1 986) distinguent deux volets de ce rôle d'animateur : le mentor et le coach 32 • Vingt ans après l'instauration du régime d'assurance-maladie, une réforme en profondeur s'impose pour dénouer l'impasse financière et organisationnelle dans laquelle le système de santé est engagé (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1990).
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1992 -2000 . La gestion sous l 'actuelle réforme
Les recommandations de la commission Rochon inspirent une nouvelle réforme qui se met en branle au début des années 1 990. Celle-ci s'appuie sur une refonte complète de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, sur l'adoption de la Politique de la santé et du bien-être (PSBE) (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992) et sur la réflexion en cours concernant la situation précaire des finances publiques du Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 199 1 ; 1993b). Quant au système de santé, cette réforme vise à en préserver les principes sous-jacents - accessibilité, gratuité, universalité - en l'orientant « [ ••• ] vers les solutions les plus efficaces et les moins coûteuses (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992 : 173 ) » . Les pouvoirs accrus confiés aux nouvelles régies régionales de la santé et des services sociaux (RRSSS ), qui remplacent les CRSSS, doivent servir cette fin. À partir de 1996, la volonté du nouveau gouvernement d'atteindre l'équilibre budgétaire lors de l'exercice 1999-2000 bous cule la mise en œuvre de la réforme. On assiste alors, tambour battant, à la « transformation du système sociosanitaire » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1996) au moyen du « virage ambulatoire », qui vise à réduire la part des services donnés en milieu institutionnel, et de la « reconfiguration du réseau », qui vise à en accroître l'efficience administrative. On assiste ainsi à une réduction rapide du nombre d'établissements et de gestionnaires 33 • Mis à part quelques cas de fermeture, les établissements disparus ont été soit fondus dans une nouvelle entité (fusion), soit absorbés par un éta blissement existant ( intégration) . On doit en outre distinguer les fusions/intégrations horizontales, qui découlent le plus souvent d'une exigence légale 34, et les fusions/intégrations verticales 35 ainsi que d'autres formes de partenariat, qui résultent plutôt d'une décision des conseils d'administration concernés afin de faire face aux com pressions budgétaires (Turgeon, Sabourin, 1 996). On assiste aussi, cahin-caha, au resserrement des liens fonctionnels entre les éta blissements et les organismes communautaires d'un même territoire, mais aussi, dans une moindre mesure, avec les cabinets médicaux et les intervenants d'autres secteurs d'activité. Avec la décentralisation accrue des pouvoirs, les décisions visant l'allocation des budgets et l'organisation des services se prennent désormais dans les régies régionales plutôt qu'au Ministère. Les
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choix d'orientation et d'organisation des services que renferment les plans d'action triennaux des régies commencent à refléter les priorités de chaque région en matière de santé et de bien-être. Des transferts budgétaires d'un programme à un autre s'ensuivent avec des ajustements à la hausse ou à la baisse du budget des éta blissements (Nguyen, 1 996). Certaines régions ont également entre pris de répartir les budgets entre leurs sous-régions (Bordeleau, 1996). Par contre, les RRSSS ont perpétué la logique de surveillance des dépenses des établissements en maintenant en vigueur les règles bureaucratiques dont elles héritaient du MSSS (Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, 1996). Pour les chefs d'établissement - sauf lorsqu'ils dirigent un centre à vocation suprarégionale - ce changement signifie que le réseau de contacts qu'ils ont constitué avec le temps au Ministère devient caduc. La joute budgétaire se déroule désormais dans chaque région et c'est d'après les priorités et les règles d'allocation adoptées par le conseil d'administration de chaque régie que s'effectue la répartition des budgets. Il devient alors fort utile de compter des alliés au sein de la direction et du conseil d'administration de la régie régionale, celui-ci étant par ailleurs constitué d'une majorité de citoyens, comme c'est aussi le cas pour les conseils d'administration d'éta blissement. La dynamique interne des établissements est également bou leversée par la nouvelle donne organisationnelle et budgétaire. Des décisions draconiennes s'imposent pour atteindre l'équilibre bud gétaire, pour réorganiser les services en fonction des plans d'action régionaux et pour jeter les bases d'ententes avec d'autres établis sements. Durant la phase aiguë des changements, maints employés expérimentés prennent leur retraite, de nombreux autres changent de poste, pendant que plusieurs cadres perdent le leur. Avec des modifi cations d'une telle ampleur et d'une telle rapidité, les chefs d' éta blissement ne peuvent plus se contenter de répartir uniformément les compressions budgétaires sur les différentes composantes de l' orga nisation. La contribution des médecins, des cadres et du personnel conditionne leur capacité de modifier les pratiques, afin d'accroître l'efficience et la complémentarité des services (Aumont, 199 5 ). Dans les années 1990, les médecins participent davantage à la gestion des établissements 36 • Pour eux, le modèle de l'entrepreneur libre, détaché des considérations administratives, devient de moins
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en moins tenable lorsque les solutions habituelles pour réduire les dépenses mènent à une baisse substantielle des activités. Dans de nombreux établissements, cette conjoncture incite les médecins à revoir leurs modes de pratique et leur utilisation des ressources de façon à minimiser les pertes de temps et d'argent. Malgré les progrès accomplis à cet égard dans les années 1990, le Québec accuse touj ours un retard à l'échelle nord-américaine quant au taux d'hospitalisation, à la durée de séjour des patients et au taux de chirurgie ambulatoire (Conseil médical du Québec, 1996 : 3 - 5 ). Par ailleurs, peu d'établissements ont entrepris une réforme de leurs pratiques qui va dans le sens d'une plus grande sensibilité au point de vue des usagers. Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux (1996 : 29-30) constatent notamment que les gestionnaires recourent relativement peu à des outils de monitorage, comme les tableaux de bord, qui permettraient aux conseils d'administration d'apprécier l'évolution de la satisfaction de la clientèle ainsi que l'accessibilité et la disponibilité des services. Au milieu des années 1990, le système québécois de la santé subit donc une thérapie de choc. Après avoir mis en place les bases insti tutionnelles préalables à la réorganisation du secteur sociosanitaire, le gouvernement québécois crée les conditions politiques de sa mise en œuvre en plaçant au sommet de ses priorités la présentation d'un budget équilibré en l'an 2000. La légitimité politique de cette déci sion est en outre renforcée par l'existence de données largement diffusées qui démontrent que le système de santé canadien compte parmi les plus coûteux des pays industrialisés ( Rheault, 1 994 ; OCDE, 1 99 5a) . Cette pression politique et financière est suffisamment puissante pour faire sauter les verrous organisationnels qui confinaient de nom breux gestionnaires au rôle de gérant. Pendant quelque temps, le changement - et non la continuité - devient la règle. Le conserva tisme n'est plus de mise et les gérants cèdent le pas aux rénovateurs, qui contribuent à instaurer des façons de faire plus efficientes dans leur organisation, et aux transformateurs, qui mettent en place des réseaux de services intégrés dans leur communauté et qui tissent des liens avec les acteurs de leur nouvel environnement politique. En outre, les conseils d'administration des nouveaux établissements regroupés ont avantage à retenir comme directeur général celui ou celle qui semble le mieux en mesure d'intégrer les composantes de
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l'organisation et d'améliorer la position de celle-ci sur l'échiquier régional. Cette situation prévaudra+elle dans la prochaine décennie ? La gestion des établ issements de santé au début du xx1• siècle
L'individualisme de chaque établissement [ ... ] devra faire place à un réseau de centres de soins rattachés les uns aux autres par des liaisons intimes à la fois sur le plan médical et sur le plan administratif. Tôt ou tard, la loi des hôpitaux devra être modifiée pour permettre et même encourager ces liaisons et ces fusions (Rivard et coll., 1970 : 8 9 ). Les gestionnaires sont au centre du processus qui mène à trouver de nouvelles façons de produire les services qui en même temps main tiennent la qualité et améliorent l'efficience. [Pour cela], ils ont surtout besoin de la collaboration des producteurs et cette collaboration, il faut la conquérir (Dussault, 199 5 : 9). Formulées à un quart de siècle d'intervalle, ces citations conser vent toutes deux leur actualité. Chacune d'elles soulève une dimen sion du contexte de gestion des établissements de santé et montre que les défis qui en résultent demeurent entiers : élaborer des modes d'organisation efficients et efficaces, qui transcendent les frontières organisationnelles, et associer les collectivités de praticiens à cette entreprise. Ces défis ne sont pas le seul fait des chefs d'établissement qué bécois. Dans la plupart des pays de l'OCDE, les gouvernements ont soumis leur système de santé à des réformes dont l'ampleur et la nature ont varié selon les courants de problèmes, de solutions et de priorités politiques de l'époque (Kingdon, 1 99 5 ; Lemieux, 1994). A la fin des années 1 970 et au début des années 1 980, ces réformes visaient principalement à limiter le montant total des dépenses de santé au moyen d'instruments comme le budget global, la centralisation des décisions d'immobilisation ainsi que la limi tation du nombre de médecins et de leur revenu. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les réformes avaient en outre pour but d'améliorer l'efficience des services et d'accroître la sensibilité de leurs producteurs aux demandes des usagers. Plu sieurs des réformes mises en branle à cette époque s'inspirent du
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secteur privé (OCDE, I995a ; I 99 5b) : adoption de nouvelles pra tiques de gestion, mise en place de conditions de concurrence à l'intérieur d'un « marché interne » public et de primes budgétaires au rendement constituent les principaux moyens de cette « recherche d'efficacité » (OCDE, 1990 ) . À la fin des années 1990, l'attention se déplace vers la fixation de priorités à l'intérieur d'un cadre budgétaire qui force le rationnement. Gagnent alors en importance la promotion de la santé, les services de première ligne, la gestion coordonnée des services (managed care), l'évaluation des nouvelles techniques de pointe et l'adoption de protocoles de pratique (Ham, I997a). Dans plusieurs pays de l'OCDE et dans la majorité des provinces canadiennes, on assiste en parallèle à la réduction de la part du financement des services de santé assumée par l'État (Québec, I995 : 237-246 ; Conseil de la santé et du bien-être, I998). Cette tendance accroît du même coup la prise en charge de certains services par l'entreprise privée, les groupes communautaires et les proches des patients. Pour les gestionnaires et les praticiens professionnels sou cieux d'offrir aux usagers des services complets et continus, il devient de plus en plus nécessaire de nouer des liens avec ces intervenants jusque-là ignorés ou négligés. Si chaque vague de réforme puise aux mêmes concepts, les modifications concrètes qu'elle entraîne diffèrent souvent d'un pays à l'autre. D'une part, chaque système de santé présente une histoire et des caractéristiques particulières ; en conséquence, il est souvent difficile, voire impossible, de transposer dans un pays donné une réforme mise en œuvre ailleurs 37• D'autre part, les éléments de réforme évoqués plus haut peuvent s'agencer de nombreuses manières et engendrer de multiples variantes. En ce qui concerne l'avenir de la gestion des établissements de santé au Québec, nous avons retenu deux scénarios. Le premier consiste à relancer la réforme actuelle en intensifiant la complémen tarité des services sur une base territoriale et en clarifiant le partage des pouvoirs et des responsabilités entre le MSSS, les régies régio nales et les établissements (Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, I996) . Le deuxième scénario vise à mettre sur pied des organisations offrant des services de santé coordonnés, adaptation québécoise des expériences américaine de managed care et britannique de concurrence au sein d'un « marché interne » public38 •
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Ces deux scénarios ont en commun d'exiger des changements majeurs aux règles et aux pratiques actuelles39 • La réforme de la réforme
Le premier scénario consiste à pousser plus loin la décentralisation amorcée au début des années 1990 et à remplacer le mode actuel de régulation, orienté vers le respect des règles, par une régulation tournée vers l'atteinte de résultats de santé. La réalisation de ce scénario suppose que le territoire devienne la base de structuration des interventions en matière de santé et de services sociaux 40 . Cet ancrage territorial de l'organisation des services et de leur finan cement 41 nourrit un sentiment de responsabilité envers la population qui l'habite ; il ouvre également la voie à l'organisation d'un véritable réseau de services par programme-clientèle, à la formation de coentreprises entre établissements et à la réalisation d'actions intersectorielles (CRRSSSQ, 1998). Ce scénario s'appuie sur un nouveau partage des pouvoirs et des responsabilités entre le MSSS, les régies régionales et les établisse ments. Selon les auteurs du « rapport Deschênes » ( Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, 1996), l'application de trois grands principes - la primauté aux résultats, la subsidiarité et !'imputabilité - permettrait d'accroître l'efficience et l'efficacité du système socio sanitaire québécois. Le premier principe vise à libérer les gestion naires des contraintes bureaucratiques qui minent leur esprit d'initiative et les déresponsabilisent. Pour ce faire, il faut orienter leur action vers l'accessibilité, la qualité et la continuité des services et le rendement des ressources utilisées pour les produire. Le deuxième principe consiste à confier aux gestionnaires d'établisse ment toutes les responsabilités administratives, sauf celles qui seraient mieux assumées à un niveau supérieur. Contrairement à la situation présente, l'initiative serait dans le camp des établissements et non dans celui des autorités régionales ou ministérielles. Il revien drait notamment aux gestionnaires de mobiliser leur personnel afin que celui-ci offre des services de qualité qui répondent aux attentes des usagers. Selon le dernier principe, l'autonomie que confèrent aux chefs d'établissement les deux principes précédents doit être contre balancée par l'obligation de rendre des comptes à leur régie régio nale, ce qui suppose l'amélioration des systèmes d'information et
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la mise en place d'indicateurs de résultats fiables, reconnus et comparables. Simple dans sa formulation, cette réforme de la réforme exige toutefois de profonds bouleversements du système sociosanitaire québécois. Premièrement, elle suppose que le gouvernement veuille - ou puisse, en vertu des règles qui découlent des principes de notre régime démocratique de tradition britannique42 - déléguer des volets importants de son autorité financière à des mandataires non élus. Deuxièmement, cette délégation s'avérant possible et voulue, il faudrait encore qu'une révolution du mode de pensée secoue l'appa reil de régulation des établissements de santé. Vethos bureaucra tique, animé par la recherche de l'égalité et la méfiance envers les délégataires de l'autorité publique, devrait faire place à une plus grande confiance envers ces derniers, sans quoi l'innovation et la diversité ne pourront s'épanouir (Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, r 996). En toute logique, la réalisation de cette réforme impliquerait enfin que les conventions collectives, le Code des professions et le mode de rémunération des médecins H soient modifiés de façon à favoriser une plus grande souplesse dans la gestion du personnel, u ne plus grande collaboration entre professionnels et un réseau de services de première ligne plus étoffé. Comme on peut l'imaginer, ce déplacement des pouvoirs en faveur des chefs d'établissement risque de susciter une forte opposition des groupes d'acteurs qui estimeront y perdre. Concu rrence et intégration des services
Le deuxième scénario consiste à confier à des organisations en situa tion de concurrence le soin d'offrir des services de santé coordonnés à leur clientèle. Ces organisations s'inspireraient de l'expérience américaine de managed care, dont les HM0 44 représentent la forme la plus connue. Elles conserveraient toutefois un caractère public, comme l'expérience britannique de concurrence au sein d'un marché interne (Ham, r 997b). À la fin des années 19 80, des agents du MSSS ont élaboré une version québécoise du HMO : l'OSIS (Organisation de soins intégrés de santé) . Ce projet n'a toutefois pas eu de suite (Brunelle et coll., 1988 ; Lemieux, 1994). La définition donnée à l'OSIS permet encore
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aujourd'hui de dégager les traits généraux que pourrait prendre une organisation de services coordonnés au Québec. Il s'agirait : d'une organisation financée par prépaiement, acceptant la respon sabilité de donner, directement ou par entente, la totalité des soins de santé assurés publiquement, à une population spécifique, composée de personnes qui adhèrent sur une base volontaire et pour un temps donné, et ce à l'intérieur d'un système de santé public45 (Brunelle et coll., I988, m). Aux États-Unis, le managed care peut prendre une grande variété de formes (Lebel, 1996 ; Wagner, 199 5 ). Au Québec, nous présu merons que les organisations de services coordonnés seraient des organisations légères, principalement composées de praticiens pro fessionnels travaillant en équipes multidisciplinaires. Elles offriraient des services de santé courants et achèteraient à des établissements, des groupes communautaires et des entreprises privées les autres services requis par leurs adhérents. Il leur reviendrait d'évaluer les besoins de services de santé de ces derniers et de coordonner leur cheminement au sein du réseau de services par la gestion de cas 46 • Ces organisations pourraient se concurrencer sur une base purement commerciale ou couvrir un territoire précis - celui d'un CLSC par exemple, tel que proposé dans le modèle SIPA47 (Bergman et coll., 1 997). Dans ce cas, la concurrence continuerait de jouer puisqu'on trouverait un SIPA sur chaque territoire de CLSC et que toute per sonne âgée en perte d'autonomie aurait le loisir de s'inscrire au SIPA d'un territoire voisin ou de continuer de recevoir les services dispensés par les médecins en cabinet privé et les établissements publics. Comme dans le premier scénario, le financement des services se fait par capitation. Celle-ci n'est toutefois plus régionale mais indi viduelle 48 , ce qui implique que « l'argent suit le patient » . Ce n'est donc pas la régie régionale qui détermine le budget de l'organisation de services coordonnés, mais le nombre de ses adhérents. En théorie, le risque économique lié à ce financement per capita incite la direction de ces organisations à recourir aux interventions les moins onéreuses possibles sans pour autant négliger la qualité des services, puisque leur pouvoir d'attraction des clients en dépend49 • Cette approche encouragerait ainsi la prévention, réduirait le recours à l'institutionnalisation au profit d'une utilisation plus intensive des
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services de première ligne et renforcerait le contrôle de l'utilisation des ressources (Lebel, 1996 ; Rheault, 199 5 ). Pour les chefs d'éta blissement, le passage d'un mode d'organisation de type « service public » à un régime de concurrence représente un réel défi puisque la survie de leur établissement dépend de sa capacité à satisfaire aux exigences des acheteurs en matière de coût et de qualité des services. En Grande-Bretagne, la séparation des fonctions d'acheteur et de producteur et la mise en concurrence des établissements à l'intérieur d'un quasi-marché public a eu un effet direct sur les pratiques de gestion. Les producteurs - gestionnaires et médecins spécialistes des hôpitaux - ont alors commencé à vendre leurs services à leurs acheteurs actuels et potentiels - autorités de district et groupes de médecins omnipraticiens 50 - et à évaluer leurs forces et leurs faiblesses relatives : En d'autres termes, les producteurs sont devenus plus ouverts sur l'extérieur, moins préoccupés par des problèmes internes et se sont de plus en plus concentrés sur les demandes des consommateurs et des personnes qui achetaient des services de santé pour eux (Ham, 1997b : 5 5 ; notre traduction).
En contrepartie, la gestion des contrats liant acheteurs et pro ducteurs exige une augmentation considérable du nombre de gestionnaires par rapport au mode hiérarchique d'allocation des budgets, ce qui accroît sensiblement les coûts administratifs du modèle de concurrence (Packwood, 1997). Dans l'ensemble, l'expérience du « marché interne » en Grande Bretagne et en Suède a permis d'en discerner les avantages, mais aussi de mesurer les limites de l'entreprise, son coût et ses risques d'effets non voulus. On a notamment constaté qu'à l'extérieur des grands centres, comme Londres ou Stockholm, le nombre d'éta blissements susceptibles d'être mis en concurrence est souvent restreint. Dans ces pays, la tendance récente semble être de chercher un moyen terme entre le monopole et la concurrence. On main tiendrait la séparation des fonctions d'acheteur et de producteur, mais le lien contractuel entre eux deviendrait un mécanisme favo risant la signature d'ententes à long terme entre partenaires, plutôt qu'un outil pour attiser la rivalité entre producteurs. La possibilité de dénoncer l'entente (contestability) ne jouerait qu'en dernier recours,
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s'il s'avérait impossible pour un acheteur d'obtenir d'un producteur qu'il améliore son rendement (Ham, 1997a : 1 30) 51 • La concurrence entre établissements a également modifié le contexte interne de gestion, favorisant le déplacement d'une position conservatrice à une position moderniste. Traditionnellement, les ges tionnaires du Service national de santé britannique ont agi en diplomates face aux praticiens professionnels, leur action consistant à apaiser les conflits internes et à faciliter le travail des praticiens professionnels plutôt qu'à façonner l'organisation des services (Harrison, 19 8 8 ; Harrison, Pollitt, 1994 ). Avec l'avènement du marché interne, les gestionnaires ont renforcé leur position face aux médecins, les premiers exerçant un plus grand pouvoir sur les décisions d'allocation des ressources pendant que les seconds doivent désormais se plier à des mesures de contrôle de type administratif (protocoles de pratique, medical audit) (Packwood, 1997). Dans l'ensemble, donc, sous l'influence de conditions de concurrence inédites, le rôle des gestionnaires du Service national de santé britannique a évolué, grosso modo, de gérant à transformateur. Aux États-Unis, de nouvelles conditions de remboursement des hôpitaux ont forcé leurs dirigeants à « gérer le changement en des temps agités (Shortell et coll., 1990) » . Jusqu'au milieu des années 19 80, les hôpitaux recevaient des assureurs publics et privés le plein montant des dépenses qu'ils leur réclamaient. En 1 9 8 3 , le gouverne ment américain adopte un mode de paiement52 qui fixe au préalable le montant versé pour chaque type de services rendus aux bénéfi ciaires du programme Medicare, destiné aux personnes âgées. Par la suite, cette méthode s'est généralisée à l'ensemble des tiers payants. Ce resserrement des conditions de paiement des centres hospi taliers, associé à l'intensification de la concurrence entre eux sur de nombreux marchés urbains, a bouleversé leur contexte de gestion. Selon Shortell et coll. ( 1990 : 9), les dirigeants des hôpitaux doivent accomplir trois changements fondamentaux pour s'adapter à ce nouveau contexte : passer d'une préoccupation pour la production à une volonté de satisfaire les besoins du marché ; passer d'une men talité d'intendant (steward) à une mentalité de preneur de risques et passer d'une gestion opérationnelle à une gestion stratégique. Tra duits dans les termes de notre typologie, ces changements signifient que le rôle de gérant doit, comme en Grande-Bretagne, céder le pas à celui de transformateur.
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À la lumière de ces expériences étrangères et des changements appelés de leurs vœux par les auteurs du rapport Deschênes, il est prévisible que la poursuite d'une plus grande efficience et d'une plus grande efficacité des services de santé continuera de placer les chefs d'établissement québécois sur la brèche, quelle que soit l'orienta tion donnée au système sociosanitaire. L'amélioration des systèmes d'information et la disponibilité de statistiques comparatives ren dront plus transparents, au regard des régies régionales ou de groupes d'acheteurs, le rendement et la qualité des services de leur établissement. Pour réussir à satisfaire à ces exigences, les chefs d'établissement devront tisser des liens entre les différents lieux de production de services et favoriser le recours à des services appro priés à la condition des patients. Un des principaux défis qu'ils auront à relever sera de rallier au sein d'un même réseau ou système de services des collectivités de praticiens attachées à des lieux de pratique autrefois concurrents ou dissociés. Ils auront en outre intérêt à déléguer une part accrue de leur autorité aux cadres inter médiaires et aux praticiens professionnels travaillant au sein d'équipes multidisciplinaires ou interorganisationnelles. Selon les auteurs du projet SIPA, les cadres de ce type d'organisa tion << ne doivent pas se limiter aux fonctions de contrôle, mais susciter plutôt une participation du personnel à la planification et à l'évaluation des activités (Bergman et coll. , 199 7 : 86) >> . Les gestionnaires et les intervenants « doivent être soutenus par un lea dership ouvert, participatif et fort, qui s'exerce dans un climat orga nisationnel propice au changement (p. 87) ». « Par ailleurs, face à ses partenaires extérieurs, [l'administration du SIPA) initie et entretient des relations de collaboration et se montre proactive par rapport aux tendances de son environnement (p. 86) » . Bref, nos deux premiers scénarios poussent les chefs d'établisse ment à agir en transformateur. Toutefois, ces derniers pourraient plutôt adopter le rôle de rénovateur, si les autorités régionales déter minaient avec précision la nature de leur mission et le partage du budget entre chacun des programmes auxquels ils contribuent. En début de chapitre, nous nous interrogions sur les facteurs à l'origine de l'image effacée des chefs d'établissement de santé. L'exa men de l'évolution du contexte et des pratiques de gestion des éta blissements de santé au Québec permet d'apporter des éléments de réponse à cette question.
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Premièrement, dans la très grande majorité des pays de l'OCDE, les établissements de santé font partie d'un système public. Les chefs d'établissement sont ainsi généralement soumis à un contexte externe marqué par l'intervention active des élus et des agents de l'État pour fixer les conditions de financement et de fonctionnement des services de santé. Les valeurs qui sous-tendent ces normes - et l'existence même de celles-ci - favorisent l'uniformité plutôt que la diversité, la conformité plutôt que l'initiative. Cette normalisation des pratiques ressort clairement lorsque l'on compare la gestion des établissements des hôpitaux québécois avant et après l'intervention massive de l'État. Elle apparaît aussi lorsque l'on oppose la pro lifération des modes d'organisation aux États-Unis et la stricte caractérisation des nôtres. Deuxièmement, mises à part les périodes héroïques de trans formation du système de santé, les gestionnaires ne bénéficient pas de conditions favorables pour modifier en profondeur le cours des choses. Le but des autorités du système de santé n'est pas de pro mouvoir l'expansion de celui-ci, comme ce pourrait être le cas dans un autre secteur de l'économie, mais d'en contraindre la progression. Les gestionnaires d'établissement ont ainsi moins souvent l'occasion de s'illustrer que ceux dont l'entreprise évolue dans un secteur de pointe. Dans la même veine, il faut noter que les critères qui permettraient de départager les excellents chefs d'établissement des médiocres sont beaucoup plus ambigus que dans le secteur privé. Les parties prenantes dans l'établissement et hors de celui-ci ont des points de vue différents et souvent inexprimés sur ce qui fait l'étoffe d'un « bon DG » . De plus, les critères quantitatifs de mesure des résultats d'un établissement sont moins probants que ne le sont les résultats financiers d'une entreprise privée : dans le premier cas, plus n'est pas toujours synonyme de mieux. Troisièmement, la capacité d'un chef d'établissement de rénover ou d'entreprendre dépend de l'aptitude des collectivités de praticiens de son organisation à moderniser leurs pratiques et à innover dans leur domaine. Elle dépend aussi de la volonté de ces derniers de participer à la gestion afin que les changements précédents donnent des résultats positifs à l'échelle de l'organisation. Cette dépendance à l'endroit des praticiens et la complexité du fonctionnement des orga nisations de professionnels restreignent l'autonomie des chefs d'établissement. La frontière de l'autorité entre gestionnaires et prati-
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ciens professionnels semble toutefois se déplacer en faveur des pre miers sous le coup d'une conjoncture financière exigeante et de la plus grande lisibilité des pratiques des seconds, au gré de la diffusion de protocoles et d'autres outils de normalisation. Si l'un ou l'autre de nos deux premiers scénarios se concrétisait, le contexte de gestion du chef d'établissement de santé se rapprocherait de celui du dirigeant d'entreprise privée. Plus autonome, plus res ponsable de ses décisions, dépendant financièrement de la capacité de l'organisation qu'il dirige d'attirer une clientèle, le chef d'établis sement de santé québécois évoluerait dans un contexte à la fois plus stimulant et plus exigeant. On doit toutefois s'interroger sur le potentiel de changement de nos institutions. Tant que notre système de santé demeurera public, le ministre de la Santé et des Services sociaux continuera d'être tenu responsable des heurs et malheurs du « réseau » . La rationalité admi nistrative des gestionnaires devra donc continuer de composer, non seulement avec celle des praticiens professionnels, mais aussi avec la logique politique des élus et la logique technocratique des agents de l'État. Pour ces raisons, le renouvellement du système québécois de la santé risque de demeurer en deçà des formes idéales que nous avons esquissées. Un troisième scénario prévaudrait alors, qui verrait le contexte de gestion des chefs d'établissement ne différer qu'à la marge de celui qu'ils connaissent déjà.
Le champ contem porai n de la santé publique F RA N C E G A G N O N • P I E R R E B E R G E R O N
a v e c l a coll aborati o n d e Jean - Pau I F o rtin 1
CHACUN A B IEN UNE CERTAINE IDÉE de ce qu'est la santé publique. Celle-ci peut être associée tant aux politiques publiques de santé adoptées par les responsables politiques, à un ensemble de services préventifs offerts par des professionnels, qu'à l'état de santé de la population. Tout observateur attentif aura vite fait de constater que les définitions de cette notion sont nombreuses, que les domaines d'interventions qui constituent la santé publique sont des plus diversifiés et, enfin que, dans plusieurs systèmes de santé, les mandats et l'organisation des ressources relatives à celle-ci font régulièrement l'objet de révisions et de modifications (Rachlis, I 997 ; Saltman, Figueras, I 997 ; Davies, I 996 ; Desrosiers, I 996 ; Frenk, 1993 ). Pourtant, il est essentiel d'aller au-delà de ces premiers constats, afin de mieux saisir la complexité de ce champ d'interventions qui correspond, historiquement, aux premières interventions de l'État en matière sanitaire (Bergeron, Gagnon, 1994). Une meilleure compré hension des processus de constitution et de transformation du champ contemporain de la santé publique permettrait précisément d'iden tifier des balises plus claires et utiles pour le développement et
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l'organisation de ce champ d'interventions. Comment expliquer les réaménagements organisationnels fréquents de ce champ, la diversité des domaines et des modes d'interventions qui le caractérisent? Les écrits scientifiques et administratifs relatifs au champ de la santé publique apportent, somme toute, peu de réponses à ce type de questionnement. Le plus souvent, la santé publique est étudiée sous l'angle spécifique d'un domaine d'interventions tel que la santé et la sécurité au travail, la santé environnementale, les habitudes de vie, ou sous l'angle d'un problème particulier tel que les traumatismes routiers, le suicide, le cancer du sein. L'analyse porte alors sur les pratiques professionnelles (les praticiens concernés peuvent être autant les épidémiologistes, les travailleurs sociaux, les infirmières, les médecins de famille que les microbiologistes, les environnemen talistes, les nutritionnistes, etc.) ; sur les interventions ou les stratégies à privilégier (soit le dépistage, l'éducation, la vaccination, l'inter vention auprès des individus, des communautés ou de groupes ciblés, etc.) ; sur les groupes ou les milieux visés (les femmes enceintes, les personnes âgées, les adolescentes, l'école, le milieu de travail, les quartiers défavorisés, etc.) ; ou encore sur les ressources qui sont consacrées, ou non, à un domaine ou à un problème particulier. D'après la recension que nous avons effectuée 2 , ces écrits sont principalement d'intérêt professionnel, méthodologique ou histo rique. Certaines études sont centrées sur des formes particulières d'organisation de la santé publique. Par exemple, au Québec, les unités sanitaires comme les départements de santé communautaire ont fait l'objet d'analyses (Desrosiers, Gaumer et Keel, 1998 ; Cham pagne et coll., I993 ; Champagne et coll., r99 I ; Pineault, Baskerville et Letouzé, I 990 ; 0 'Neill, r 9 8 3 ; Desrosiers, r 97 6). Peu d'études s'intéressent à l'organisation de la santé publique dans son ensemble, à la place occupée par celle-ci dans le système de santé et à ses acteurs. Au cours de la dernière décennie, en Angleterre, aux États-Unis, en France comme au Québec, quelques rapports officiels ont été produits relativement à ce champ d'interventions, soit !.:Institut national de santé publique, Rapport Bernard, ( Groupe de travail sur la création de l'Institut de santé publique, 1997) ; La santé en France. Rapport général (Haut Comité de la santé publique, 1994) ; Public Health : Responsabilities of the NHS and the Roles of Others - The Abrams Report (National Health Service Management Executive,
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1993 ) ; Public Health in England. The Report of the Committee of Inquiry into the Future Development of the Public Health Function - The Acheson Report, (Acheson, 1988) ; The Future of Public Health. A Report of the Committee for the Study of the Future of Public Health (Institute of Medicine - Committee for the Study of the Future Public Health, 198 8) . Ces rapports sont certes des sources pertinentes d'informations, mais ils posent généralement un regard administratif sur les institutions de santé publique. Enfin, un courant d'études critiques propose une lecture des interventions de santé publique à travers les notions de contrôle social et de régulation des corps (Lupton, 1995 ; Dean, 1994 ; Crawford, 1984). Ces écrits ne permettent pas vraiment de comprendre comment le champ de la santé publique se structure et se transforme dans l'espace et le temps. En fait, la santé publique a peu été étudiée sous l'angle d'un champ. Toutefois, les travaux de Audet et coll. sur le champ des sciences de l'administration (Audet, Déry, 1996 ; Audet, 1986 ; Audet, Landry et Déry, 1986) offrent une piste intéressante. Ces travaux sont centrés sur l'étude du processus de production des connaissances des sciences de l'administration. Or les problèmes relatifs au champ de la santé publique apparaissent similaires à ceux du champ des sciences de l'administration. Par exemple, ces deux champs sont constitués d'un ensemble de disciplines universitaires qui renvoient elles-mêmes à un ensemble de pratiques profession nelles des plus diversifiées et à un fractionnement important du champ. Audet (1986) s'intéresse notamment à la problématique de la structuration du champ des sciences de l'administration et examine les problèmes de la multiplicité, de la diversité, de l'autonomie relative des groupes de producteurs qui forment les secteurs de ce corps universitaire. Dans le cas de la santé publique, il nous faut d'abord élaborer une problématique qui permette de considérer l'ensemble des domaines constitutifs de ce champ et d'interpréter différemment les difficultés organisationnelles et professionnelles qui le caractérisent. Tout en reconnaissant que la constitution, voire la transformation du champ de la santé publique relève de processus sociaux et politiques propres à toute société, nous soutiendrons que au-delà des différences organi sationnelles entre les systèmes de santé, un certain nombre de traits sont déterminants dans la constitution du champ contemporain de la santé publique.
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Notre intention n'est pas de défendre une v1s10n umta1re de la santé publique, mais de proposer une interprétation qui rende compte des différentes facettes constitutives de ce champ d'interven tions. Appréhender la santé publique comme un champ permettra de la considérer au-delà de son éclatement apparent, soit au-delà du découpage sectoriel, organisationnel et professionnel dont elle fait l'objet. Dans ce chapitre, nous dégageons d'abord trois grands traits qui semblent caractériser le champ contemporain de la santé publique. Ces traits renvoient respectivement à l'objet qui est au centre des interventions du champ de la santé publique, au corpus de con naissances relatif à ce champ et au contexte de leur utilisation. Puis, à partir de variations observées entre les systèmes de santé anglais, français et américain, nous précisons ces traits. Enfin, nous analysons le cas du Québec, avant de revenir en conclusion sur les perspectives d'avenir de ce champ et de ses acteurs. Les traits fondamentaux du champ contem porain de la santé p ublique
Comme nous l'avons mentionné plus haut, nous nous inspirons ici des travaux de Audet et coll. sur le champ des sciences de l'ad ministration. Ce qui retient notre attention, ce n'est pas tant l'objet même des sciences de l'administration, mais bien la lecture qu'en font ces auteurs. Audet (19 86 : 42) considère la notion de champ3 : [ ... ] à la fois [comme] le lieu et le système des rapports entre pro ducteurs de connaissances définies. La définition de ces connaissances et des règles de leur production et de leur validation est à l'origine de la structuration et constitue un enjeu central des rapports entre les mem bres de ce champ. De plus, il distingue parmi les producteurs de connaissances, deux groupes: celui des praticiens, qu'il associe aux « intellectuels-patrons et autres associés aux tâches d'actions administratives et de pro duction de connaissance de l'administration » et celui des non praticiens, « constitué de tous ceux qui occupent, entre autres, des postes de conseillers, d'analystes, de chercheurs dans toutes sortes d'organisations vouées ou non à la seule production de connaissance (Audet, 1986 : 4 5, 46) ».
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Cette définition apparaît des plus pertinentes et nous en retenons certaines balises que nous appliquons au champ contemporain de la santé publique4 • Ainsi, nous définissons celui-ci comme le lieu et le système de rapports entre les divers acteurs institutionnels et indi viduels, qui évoluent dans l'un ou l'autre des domaines d'inter vention de la santé publique. Nous entendons par domaine un espace-temps professionnel et organisationnel d'interventions déli mité autour d'un objet/problème particulier. Ces divers domaines, maladies infectieuses, maladies cardio-vasculaires, santé et sécurité au travail, santé environnementale, etc., peuvent être associés à différents modes d'intervention tels que la protection à l'égard des risques infectieux et environnementaux, la surveillance épidémio logique, la promotion de la santé, la prévention de maladies, l'organisation et l'évaluation des services de santé. De plus, chacun de ces modes se distingue par des types d'interventions qui lui sont, plus ou moins, spécifiques. C'est-à-dire qu'en matière de protection, des interventions comme le contrôle des épidémies, la vaccination, l'adoption de réglementation, l'inspection, les examens en labo ratoire, l'élaboration de plan d'urgence sont largement utilisées. D'autres types d'interventions comme le marketing social, l'éduca tion sanitaire auprès d'individus, de groupes ou de communautés, voire la mobilisation politique sont mis de l'avant par les acteurs privilégiant la promotion de la santé. Des interventions telles que le dépistage de masse, le recours à des tests spécifiques, la sensibi lisation de cliniciens, de professionnels ou de groupes ciblés à des pratiques préventives sont appliquées en prévention. Enfin, la pres tation et le développement des soins primaires, l'identification de pratiques ou de modèles de soins reconnus efficaces, la détermina tion de guides de pratiques, l'évaluation de programmes sont autant de types possibles d'intervention en matière d'organisation et d'éva luation des services de santé. Mais encore faut-il aller au-delà de cette définition et s'intéresser aux traits fondamentaux qui sont à la base de la constitution du champ de la santé publique. A cet effet, l'objet du champ de la santé publique, le corpus de connaissances propre à ce champ et enfin le contexte d'utilisation de ces connaissances retiennent notre attention.
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La déli m itation floue et changeante des frontières du champ
Cerner l'objet même au cœur des interventions du champ de la santé publique, ce qui en fait sa raison d'être, apparaît un premier pas à franchir. L'élément le plus fréquemment mis de l'avant est certes le fait que les acteurs de santé publique se préoccupent, avant tout, de la santé de la population, ou des problèmes prédominants dans la collectivité. La santé publique est alors définie comme « l'art et la science de prévenir la maladie, de prolonger l'existence et de favo riser la santé de la population par des efforts collectifs organisés 5 » . Cela étant dit, nous n'en connaissons pas plus sur l'objet même qui constitue ce champ, sur les domaines qui en font partie, ou non, voire sur ses frontières. Aussi, il faut cerner de plus près l'objet au centre des interventions. Historiquement, les responsables politiques sont intervenus en matière de santé publique afin de contrer les épidémies face auxquelles les moyens individuels s'avéraient insuffisants. Les mesures alors adoptées, par les autorités en place, visent principa lement à limiter la propagation des épidémies et à protéger la popu lation 6 • Les mesures prises et les interventions faites en matière de santé publique ont évolué dans l'espace et dans le temps en fonction des problèmes de santé dominants, du développement des connais sances, des méthodes scientifiques, des ressources disponibles et des représentations sociales de la santé7 . À partir de la seconde moitié du xxe siècle, les maladies dites de civilisation, par exemple les maladies cardio-vasculaires, le cancer, les accidents de la route, sont devenues des problèmes prédominants. Plus récemment, l'émergence de nouvelles maladies comme le sida, ou la réémergence de maladies telles que la tuberculose se sont ajoutées à la liste des problèmes. Aujourd'hui, le champ de la santé publique recouvre des domaines d'intervention aussi variés que les maladies transmises sexuellement, les maladies cardio-vasculaires, les maladies infectieuses, les traumatismes routiers, la santé mentale, la santé environnementale, la santé en milieu de travail, la prévention du cancer, le tabagisme, la nutrition, etc. L'histoire nous montre que l'objet, voire les domaines d'interven tion en matière de santé publique sont liés de près aux types de problèmes existants dans une société particulière, à un moment précis de son histoire. Les acteurs prennent en charge les problèmes
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de santé qui touchent la population, ou une partie importante de celle-ci, et dont la solution revêt nécessairement un caractère collectif. C'est dire que pour ce type de problèmes, les interventions individuelles ou du libre marché sont insuffisantes. De même, le fait que certains domaines soient pris en charge, ou non, par les acteurs serait lié au défaut de prise en charge, ou au délestage, de certains domaines par les acteurs du secteur de la santé, mais aussi d'autres secteurs 8 • Le champ actuel de la santé publique apparaît ainsi comme la résultante des retraits, des transformations ou ajouts de domaines qui se sont réalisés, historiquement parlant, du déve loppement des connaissances et des techniques, de même que des ressources disponibles. À la manière de Audet et Déry ( 1996), nous utiliserons l'image de la sédimentation pour illustrer ce phénomène 9 • Le fait de s'interroger sur l'objet qui est au centre des interven tions du champ de la santé publique permet de mieux saisir pour quoi, à première vue, les domaines d'intervention apparaissent si hétérogènes. S'il est possible d'identifier un noyau dur, c'est-à-dire un ensemble de domaines et de modes d'intervention qui demeurent traditionnellement au centre des préoccupations des acteurs de la santé publique, de nouveaux domaines et modes d'intervention prennent place. Par exemple, la santé maternelle et infantile a repré senté historiquement une préoccupation importante pour les acteurs, en raison notamment du taux de mortalité infantile élevé prévalant au tournant du XIXe siècle ( Gaumer, 1995 ). Elle reste encore aujour d'hui, sous sa forme moderne, une préoccupation importante. En France, comme au Québec, les problèmes de périnatalité (prématu rité, insuffisance de poids à la naissance, etc.) font l'objet de pro grammes ou de politiques. Par contre, lorsqu'on se situe sur une longue échelle, les maladies cardio-vasculaires ou les traumatismes routiers sont reconnus comme des problèmes de santé publique depuis peu. Aussi, des problèmes demeurent imprévisibles, d'autres que l'on croyait résolus réapparaissent, de nouveaux problèmes viennent s'ajouter, et certains autres se transforment, compte tenu de l'en semble des conditions existantes dans une société particulière, à un moment précis de son histoire. De telle sorte que l'hétérogénéité des problèmes, voire des domaines constitutifs du champ de la santé publique, apparaît comme une caractéristique intrinsèque du champ de la santé publique. Et cette caractéristique se traduirait par la
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délimitation floue et changeante des frontières de ce champ, que nous considérerons comme un trait déterminant du champ contem porain de la santé publique. Ce premier trait prend tout son sens lorsqu'on considère la question du corpus de connaissances propre au champ de la santé publique. La comparaison avec celui des sciences de l'administration est alors fort intéressante, car au sein de chacun d'eux se pose le problème de la coexistence de divers savoirs universitaires et professionnels. Le fractionnement du champ
La question de la production de connaissances dans le champ de la santé publique, de l'institutionnalisation et de la reconnaissance de certains savoirs et pratiques a donné lieu historiquement à des débats. Pensons, par exemple, au x1xe siècle, aux débats autour du contagionnisme, aux réactions suscitées par l'implantation de la vaccination ou encore à la reconnaissance de la compétence médicale au sein des bureaux ou conseils de santé 10 • Aujourd'hui encore, la place des médecins comme producteurs de connaissances, que ce soit comme non-praticiens ou praticiens, soulève des interrogations (Dawson, Sherval et Mole, 1996 ; Gagnon, 1994 ) 1 1 • Avec le temps, l'intégration de plusieurs autres disciplines et pro fessionnels, comme les nutritionnistes, les travailleurs sociaux, les psychologues, les sociologues, etc., est venue complexifier les rap ports entre les producteurs de connaissances. Compte tenu de la spécialisation des savoirs universitaires et professionnels, le frac tionnement en autant de domaines d'interventions et de pratiques professionnelles est devenu un problème de plus en plus important, voire déterminant dans la constitution du champ contemporain de la santé publique. Plus on examine de près ce problème, plus on se rend compte de sa complexité. Il semble en effet que ce fractionnement ne se caractérise pas tant, pour reprendre les termes de Audet et Déry (1996), par l'opposition entre le savoir décontextualisé, analytique et abstrait et le savoir contextualisé, normatif et concret 12 , mais plutôt par la division qui existe à l'intérieur même de chacun de ces savoirs. Plus exactement, le fractionnement du champ se traduit par l'éclatement même du savoir décontextualisé qui est composé en fait de plusieurs disciplines
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issues de différentes écoles, qui ne sont pas nécessairement cha peautées par une seule et même institution. De Leeuw ( I995 ) a relevé, par exemple, huit différents types d'organisation dans les écoles européennes de santé publique. Dans les faits, les connais sances relatives à la santé publique sont produites et diffusées à la fois par les facultés de médecine, de sciences infirmières, de sciences sociales, ou encore par des écoles de santé publique, rattachées à une ou plusieurs facultés universitaires ou au ministère de la Santé. Les modes d'intervention privilégiés peuvent être tout autant la préven tion, la promotion de la santé que l'action intersectorielle. Cet éclatement de la production du savoir décontextualisé se répercute sur l'organisation et l'ensemble des pratiques du savoir contextualisé et vice-versa. Et cet éclatement se traduirait par le découpage du champ en autant de domaines, de modes d'interven tion et de méthodes. De telle sorte que, tout comme dans le cas des sciences de l'administration, la reconnaissance même d'un domaine ou d'un mode particulier d'interventions deviendrait un enjeu central pour les acteurs, producteurs de connaissances, de ce champ. À titre d'exemple, la question de la place du médical se pose autant pour les producteurs du savoir décontextualisé que pour ceux du savoir contextualisé. Quels liens les écoles de santé publique doivent-elles avoir avec les facultés de médecine ? Doivent-elles y être intégrées ou en être complètement indépendantes ? Ces écoles devraient-elles être liées de près aux autorités ministérielles ? Quels rôles doivent jouer les médecins de santé publique dans l'admi nistration de ce champ ? Doivent-ils nécessairement y assumer les postes de direction ? Si oui, pourquoi ? Ce questionnement sur le rôle des producteurs de connaissances nous conduit à considérer une autre facette, soit celle du contexte d'utilisation des connaissances. Comme nous le verrons, il s'agit là d'un élément crucial. Le contexte public d'utilisation des connaissances Les interventions en matière de santé publique ont, par définition, une dimension nécessairement collective, car elles touchent aux questions de l'ordre public et du bien-être de la collectivité. Cela soulève un certain nombre de questions, à savoir, dans quelle mesure l'État peut-il utiliser la loi, imposer ses règles et ses normes pour
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protéger la santé de la population ? Peut-il, et doit-il, brimer les libertés individuelles au nom du mieux-être collectif ? Tout dépen dant du point de vue que l'on adopte, toute intervention visant l'ordre public peut être interprétée de façon négative et reliée à la notion de contrôle social. De même, toute intervention liée au bien être de la collectivité peut se voir donner un sens noble. Quoi qu'il en soit, cette dimension collective doit être prise en compte dans l'analyse puisqu'elle touche aux fondements du champ de la santé publique et sous-tend l'action que les responsables politiques décident ou non d'entreprendre. Aussi, prendre en compte cette dimension nous amène à consi dérer d'une part, le contexte public d'utilisation des connaissances particulier à chaque société qui correspond à l'organisation de ses services publics et de son système de santé. À y regarder de près, il semble en effet que la délimitation des frontières du champ de la santé publique varierait non seulement en fonction des problèmes de santé prédominants dans une société particulière, à un moment de son histoire, mais également en fonction de l'organisation de l'ensemble du système de santé. D'autre part, prendre en compte le contexte public d'utilisation des connaissances nous amène à considérer aussi les rapports entre les différentes catégories d'acteurs concernés, incluant les produc teurs de connaissances, et qu'ils fassent partie on non de l'appareil public. Car l'élaboration, la promotion et la réalisation des interven tions de santé publique peuvent faire appel autant aux responsables politiques, aux administrateurs publics, aux experts, qu'aux pro fessionnels, aux groupes d'intéressés et aux communautés. Les rapports entre ces différentes catégories d'acteurs semblent marqués par un rapport de dépendance de certains acteurs à l'égard des responsables politiques et des administrateurs publics. Et ce rapport de dépendance se jouerait dans le rapport d'autorité qui existe entre les responsables politiques, les administrateurs publics et des acteurs du champ de la santé publique, alors que certaines décisions souhaitées par ces derniers viennent à l'encontre des pré férences des responsables politiques et des administrateurs publics. Les interventions liées au problème du tabagisme ( publicité, taxes, contrebande) en sont un bon exemple. Par ailleurs, à ce rapport de dépendance s'ajoutent les tensions entre les différents groupes de producteurs de connaissances.
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Compte tenu de l'hétérogénéité des problèmes, de la diversité des disciplines et des méthodes possibles - tel problème faisant appel à tel type de spécialiste et à telle méthode -, les contextes organisa tionnels particuliers d'utilisation des connaissances (cf. savoir con textualisé) peuvent être très variés. Un contexte organisationnel peut convenir pour un domaine donné, mais non à certains autres domaines, problèmes ou modes d'intervention privilégiés par d'au tres acteurs. Un problème environnemental ne fait pas appel aux mêmes ressources que la mise en place d'un programme de dépistage du cancer du sein, ou encore qu'un programme visant à informer et à modifier les habitudes alimentaires des femmes enceintes de milieu défavorisé. Un programme comme Villes et villages en santé nécessite la collaboration d'autres acteurs et s'appuie sur des stratégies diffé rentes. Aussi, tout dépendant du contexte organisationnel, il y aura prédominance de tel ou de tel autre groupe de producteurs de connaissances. Examiner de plus près le contexte d'utilisation des connaissances du champ de la santé publique permet de revenir aux fondements de l'intervention en matière de santé publique et de faire ressortir l'im portance des rapports qu'entretiennent entre eux les différentes caté gories d'acteurs qui le constituent. Afin de rendre compte du contexte d'utilisation des connaissances, nous retiendrons comme troisième trait le caractère public de ce contexte qui renvoie à la fois à la dimension collective des interventions de santé publique et à la dimension politique des rapports entre les différentes catégories d'acteurs. En nous appuyant sur des variations observées entre les systèmes de santé anglais, français et américain, nous préciserons maintenant chacun des traits identifiés. Une caractérisati on additionnelle des traits fondamentaux du champ contem porain de la santé pub lique à partir des cas anglais, français et américain 13
Historiquement, en Angleterre, en France comme aux États-Unis, au XIXe siècle, le mouvement sanitaire a été relativement important 14 • Toutefois, aujourd'hui, à première vue, le champ de la santé publique se présente fort différemment dans chacun de ces pays. En Angleterre, la longue tradition sanitaire a laissé des traces tant admi nistratives que culturelles. Dans la foulée des réformes qu'a connues
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le National Health Service (NHS), l'organisation du champ de la santé publique et ses mandats ont été revus. Depuis la fin des années 19 80, deux rapports concernant la santé publique ont été publiés, soit en 1988, The Acheson Report et, en 1993 , The Abrams Report. L'un et l'autre cherchent à préciser le rôle des instances de santé publique au sein du NHS, compte tenu de ses nouvelles orientations. Par ailleurs, le cas de la France a retenu notre attention pour la faiblesse que semble présenter la constitution actuelle du champ de la santé publique. Dans son rapport, le Haut Comité sur la santé publique ( 1 994 : 184 ) évoque « le retard en santé publique » et reconnaît que « le terrain » de la santé publique dans [ce] pays est pauvre ». Enfin, en ce qui a trait aux États-Unis, le Committee for the Study of the Future of Public Health (Institute of Medicine, 1988 : 1 3 9) recommande de préciser la mission de la santé publique, le rôle du gouvernement en la matière et les responsabilités propres à chaque niveau de gouvernement. Curieusement, alors que le champ de la santé publique aux États-Unis ne semble pas être très déve loppé, les écoles de santé publique y sont très bien établies ; et ce pays a largement contribué à l'exportation de la santé publique dans d'autres pays. Les fondations privées comme la Rockefeller Foun dation et les associations comme l' American Public Health Associa tion y jouent un rôle considérable. Dans chacun de ces pays, le champ contemporain de la santé publique semble donc organisé selon une configuration qui lui est propre. Il reste à voir maintenant comment, malgré ces distinctions apparentes, la délimitation floue et changeante des frontières du champ, liée à l'hétérogénéité et à la prédominance de problèmes de santé à caractère collectif, le fractionnement du champ lié à un corpus de connaissances éclaté et enfin le contexte public d'uti lisation des connaissances, lié à la dimension collective des inter ventions de santé publique, se manifestent effectivement. Avant de passer à cette autre étape, deux considérations s'impo sent. D'une part, la distinction entre les trois traits que nous pro posons est avant tout d'ordre analytique. Et l'examen de cas particuliers nous a amenés à ordonner différemment ces traits. Ainsi, le caractère public du champ sanitaire apparaît comme un premier point de passage obligé pour l'analyse. C'est-à-dire que, pour abor der la délimitation floue et changeante de ses frontières, il faut d'em blée tenir compte du contexte public d'utilisation des connaissances
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dans une société donnée, soit de l'organisation de ses services publics et de son système de santé. D'autre part, la dimension politique qui prend forme dans les rapports entre les différentes catégories d'acteurs apparaît comme la résultante des trois traits, même si elle n'a été évoquée qu'en relation avec le contexte public d'utilisation des connaissances. C'est dire que cette dimension politique prend tout son sens lorsqu'on considère à la fois l'organisation des services publics et du système de santé d'une société particulière, la délimitation des frontières qui carac térise le champ de la santé publique dans cette société, et le frac tionnement du champ en termes de savoirs privilégiés. Du moins, c'est ce qui ressort de notre analyse. Le contexte public d' uti l i sation des co nnaissances : caractéristiques organ isationnelles à co nsidérer
Un survol des cas à l'étude fait apparaître des variations relativement importantes dans l'organisation du champ de la santé publique. l.;organisation varie principalement autour des axes de centralisation ou de décentralisation des services de santé publique 15 , et de l'intégration ou non de ces services au système de santé. Ainsi, en Angleterre, l'organisation des services de santé publique est plutôt déconcentrée et intégrée à la gestion du système de santé, compara tivement aux cas français et américain. En France, il faudrait plutôt parler de délégation (décentralisation fonctionnelle ou administra tive) et l'organisation des services de santé publique n'est pas inté grée à la gestion du système de soins. Aux États-Unis, l'organisation des services de santé publique est décentralisée politiquement ( dévo lution) et non intégrée au système de santé. Le cas de l'Angleterre est intéressant, car l'organisation des ser vices de santé publique a été touchée de près par les réorganisations successives qu'a connues le NHS depuis 197 4 (Setbon, 1 993: 23 6 ) 16 • La réorganisation de 1 974, orientée par la recherche d'une plus grande efficience 1 7, fait appel au principe de la définition des prio rités. Ce principe supposait : une centralisation des décisions en matière de politiques de santé pour dépasser une autonomie régionale source de disparités, cela en s'atta quant à deux problèmes : les inégalités régionales et les services « Cen drillon » - les services dévalorisés et délaissés concernant les personnes
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âgées, les malades mentaux, les personnes dépendantes ( Setbon, 199 3 : 2 3 7).
Au cours de cette réorganisation, aux deux niveaux déjà existants, soit la région et le district, le territoire est ajouté comme troisième niveau. Les modifications apportées s'accompagnaient donc d'une volonté de démocratisation locale qui se traduit par l'introduction de nouveaux acteurs et une nouvelle répartition du pouvoir. Selon certains auteurs, les changements structuraux des années 1980 marquent l'échec de la réorganisation précédente. La définition des priorités demeure au programme, mais l'accent est mis sur le développement des soins primaires, de la santé communautaire et de la prévention, et ce sous la responsabilité des autorités locales. Vers la fin des années 1980, les recommandations du rapport Acheson (1988} ont largement contribué à redéfinir les mandats de santé publique 1 8 , et plus particulièrement le rôle des médecins de santé publique dans leur propre champ d'interventions à titre de Directors of Public Health (DPHs), mais aussi à l'intérieur du NHS, au sein du District Health Autorithy (DHA) (Dawson, Sherval et Mole, 1996 ; Kisely, Jones, 1997) 19 • Enfin, la réforme de 1991 introduit l'idée de concurrence, ou plus exactement de marché interne. La redéfinition de la prestation de services autour du principe acheteur/prestataire est de nouveau déterminante dans la réorganisation même du champ de la santé publique, en ce qui a trait aux mandats reconnus à celle-ci et à la place occupée par les médecins de santé publique. Cependant, les tentatives d'intégrer davantage et les mandats de santé publique, et les fonctions, voire les acteurs de santé publique, dans l'orienta tion plus générale du système de santé n'auraient pas obtenu le succès escompté (Dawson, Sherval et Mole, 1996). Premièrement, le statut des médecins de santé publique et le peu de reconnais sance dont ils bénéficient à l'intérieur de la profession médicale n'auraient pas facilité leur tâche 20 • Deuxièmement, les nouvelles responsabilités assumées par les Directors of Public Health (DPHs) 2 1 faisaient appel à des habiletés de management. Or ceux-ci n'au raient pas vraiment été reconnus dans leur rôle de planificateur et ils n'auraient pas cherché à développer la collaboration avec les DHAs. En outre, l'engagement des médecins de santé publique dans les processus décisionnels des DHAs apparaît difficile à concilier avec l'indépendance qu'ils s'efforcent de garder vis-à-vis des décisions
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administratives de ces mêmes organismes (Dawson, Sherval et Mole, 1996). Malgré le succès mitigé de ces tentatives, l'Angleterre serait l'un des pays où l'intégration des mandats et des acteurs de santé publique à la gestion du système de santé a été poussée le plus loin. Selon Setbon ( 1993 ), le système anglais est celui où l'intégration entre l'approche individuelle et l'approche collective est la plus intense, et cela est d'autant plus juste, lorsqu'on compare cette situa tion aux systèmes français et américain. Toutefois, il faut bien sou ligner qu'une telle intégration des mandats et des acteurs de santé publique à la gestion du système de santé présente des avantages et des inconvénients. Des avantages, parce qu'elle permet une intégra tion de la logique même de santé publique (cf. dimension collective) dans la gestion des soins ; des inconvénients, car elle tend à réduire la spécificité des interventions en les associant à des objectifs de ges tion, et pose par le fait même la question du bien-fondé de ce champ d'interventions, voire la pertinence de recourir à des acteurs de ce champ, et notamment à des médecins. Il s'agit là d'un enjeu fort important pour les acteurs du champ de la santé publique comme pour ceux du système de soins. Dans le cas de la France, les constats du Haut Comité de la santé publique (1994) sont révélateurs 22 • Dans son rapport, ce comité écrit ( 1994 : 185-185) : « Le système de santé français n'est pas construit autour de finalités collectives, il est constitué autour d'une multi plicité de pratiques d'acteurs impliqués dans une relation thérapeu tique » . La démarche même de santé publique n'y serait pas reconnue et sa diffusion auprès des divers groupes professionnels peu favo risée. De plus, elle serait souvent réduite « à une vision étroite de la sécurité sanitaire23 [ . . . ) » . Sur le plan organisationnel, dans le cas français, il convient de parler davantage de délégation et de non-intégration des services de santé publique à la gestion du système de soins. Comme le notent Dab et Henrard (1989 : 192), « depuis les lois de décentralisation, de nombreuses responsabilités d'exécution ont été déléguées aux dépar tements, l'État gardant, en la matière, un rôle de contrôle 24 » . Au cours des dernières années, un certain nombre d'organismes, comme le Réseau national de santé publique, les Observatoires régionaux de santé, voire le Haut Comité de la santé publique, ont été créés. Mais différents observateurs du système français (Dab, 1997 ; Morelle,
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1996) reconnaissent la faiblesse structurelle de la santé publique et soulignent encore l'insuffisance des progrès accomplis, soit le fait qu'il existe une multiplicité d'organismes qui travaillent isolément, sans procédure de coordination. A travers leur analyse respective de l'affaire du sang contaminé et de la prise en charge du problème du sida, Morelle ( 1996) et Setbon (1993 ) ont bien démontré les faiblesses de ce champ. Selon Setbon, le modèle hygiéniste français, qui était basé sur une conception admi nistrative et réglementaire de la santé publique, ne se serait pas renouvelé. De son côté, Morelle avance l'idée du « paradoxe fran çais ». Alors qu'en France, l'État est fort, comment se fait-il, souligne cet auteur, qu'un champ comme la santé publique, qui est précisé ment sous la responsabilité de l'État, soit si faible ? La réponse à cette question serait d'ordre historique. Selon Morelle ( 1 996 : 266-267) : comparativement [à l'Angleterre victorienne] l'histoire de la santé publique en France fut un processus conflictuel et chaotique, les progrès successifs venant en règle générale à la suite d'une épidémie, événement dont la gravité était seule à même de bousculer les pré ventions, d'accélérer la prise de conscience par les gouvernements de la nécessité de réagir et de vaincre les résistances considérables qu'oppo sait la société à cette marche de l'État.
Et plus fondamentalement, cette opposition trouverait son origine dans « la défiance avec laquelle la philosophie libérale de l'époque envisage le développement de la santé publique: l'intrusion de l'État dans un domaine par nature privé (Marcelle, 1996: 267) » . Un exemple qui illustre bien comment la distinction entre les pays anglo saxons et la société française a traversé le temps est la façon dont est réglementé, ou non, le tabagisme. En France, comme aux États-Unis, le champ contemporain de la santé publique occupe une place plutôt limitée dans le système de santé. Toutefois, dans le système américain, l'organisation des services de santé publique est décentralisée politiquement. Le gouvernement fédéral a la responsabilité de définir les normes au niveau national et de certains mandats en ce qui touche, par exemple, la protection de la santé25 • Les États et les gouvernements locaux détiennent une part importante des responsabilités en matière de santé publique. Les États se sont dotés de plusieurs agences dont les mandats concernent soit la collecte de données, soit les inspections sanitaires,
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soit l'élaboration de programmes. Ils assument également la super vision des services offerts par les localités ou le secteur privé. Au niveau des États, l'organisation de la santé publique se fait prin cipalement à travers les States Health Agencies (SHA) 26 et selon deux modèles d'organisation (Buttery, 1992). Selon un premier modèle, les services de santé publique sont produits et gérés au niveau même de l'État, comme dans les cas du Massachussetts et de la Floride. Suivant le second modèle, les services de santé publique sont confiés au niveau local, comme dans les cas de la Californie et de New York. Au niveau local, ce sont les Local Health Departement (LHD) ou les County Health Department (CHO) qui assument les responsabilités de santé publique. C'est à ce niveau que les activités concrètes sont les plus visibles. Le rapport produit par le Committee for the Study of the Future of Public Health (Institute of Medicine, 1988) brosse un tableau plutôt sombre. Selon les auteurs, il résulte de cette organisation un ensemble disparate de programmes plus ou moins cohérents. D'où la nécessité de mieux cibler et la mission de santé publique et les responsabilités de chacun des niveaux. Des articles récents (Baker et coll., 1994 ; Gordon et coll., 1996 ; Lee, Paxman, 1997) insistent encore aujourd'hui sur l'importance de bien définir les responsa bilités des divers niveaux des acteurs de santé publique, et de donner à cette dernière des assises solides. Dans le cas américain, on ne peut faire abstraction du f ait que les soins de santé soient régulés par la logique du marché, car cela a des conséquences sur l'organisation même du champ de la santé publique, sur les catégories d'acteurs en présence et sur les enjeux. Puisque dans ce système l'accès aux soins de santé est un privilège et non un droit comme dans les systèmes publics de santé, la question de l'accessibilité aux soins de santé pour l'ensemble de la population devient un enjeu important. Bref, le caractère privé du système de soins vient teinter et orienter l'organisation du champ de la santé publique. Les formes organisationnelles de ce dernier semblent donc relati vement variées et liées de près aux caractéristiques du système de santé. La question de l'intégration ou non du champ de la santé publique apparaît relativement importante. Comme nous l'avons souligné précédemment, si l'intégration des mandats et des acteurs de la santé publique à la gestion du système de soins semble présenter
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des avantages, elle a aussi des limites. Par contre, la non-intégration des mandats et des acteurs de santé publique au système de soins semble donner lieu à leur marginalisation. On peut penser que les ressources dont disposent, ou non, les acteurs est un élément primordial. Toutefois, ces caractéristiques organisationnelles ne représentent qu'un aspect de la problématique. Il faut voir comment la déli mitation floue et changeante des frontières du champ, reliée à l'objet qui est au centre des interventions du champ contemporain de la santé publique, ajoute à sa complexité. La dél i mitation floue et changeante des frontières du champ : variations autour des types de problèmes traités et des mesures retenues
Nul ne mettra en cause que l'objet même au cœur des interventions du champ de la santé publique est lié à l'apparition, à la régression des problèmes de santé ou encore à l'importance accordée à ces problèmes dans une société particulière, à un moment précis de son histoire. Cette constatation permet de mieux comprendre pourquoi la délimitation des frontières apparaît floue et continuellement en changement. L'examen de différents systèmes de santé montre bien qu'il n'est pas évident de déterminer quels domaines et problèmes font partie, ou non, de ce champ. Par exemple, la santé environne mentale est habituellement reconnue comme un domaine d'in terventions de santé publique. Pourtant ce domaine, ou les lois s'y rapportant, ne sont pas forcément sous l'autorité directe des acteurs de santé publique. De même, les problèmes liés à la santé de la mère et de l'enfant peuvent être pris en charge par le secteur social. Les variations observées entre les cas à l'étude donnent à penser que la délimitation des frontières se joue principalement autour des types de problèmes considérés, ou non, et des mesures privilégiées en matière de santé publique27 • Sur l'axe des problèmes, les variations vont de l'intérêt porté aux problèmes de santé plus traditionnelle ment considérés, à l'ouverture aux problèmes psychosociaux. De plus en plus, les acteurs de santé publique appuient leur décision d'intervenir sur un problème à partir de la logique des déterminants de santé, lesquels incluent milieux et conditions de vie. Quant à l'axe des mesures, il varie de la coercition à l'habilitation. La coercition correspond à des mesures de type législatif, réglementaire, voire
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normatif ; l'habilitation renvoie aux notions de prise en charge, de responsabilisation et peut viser autant les individus que les communautés. En Angleterre, dans les années 1980, il y aurait eu ouverture aux problèmes de santé autres que physiques et à des mesures d'ha bilitation plutôt que de coercition. En France, les interventions dans le champ de la santé publique demeurent liées à des mandats tra ditionnels, soit à des problèmes de santé davantage physiques qui relèvent de la protection, et les mesures adoptées sont plutôt coer citives. Dans le cas américain, les interventions du gouvernement fédéral sont plutôt liées à des mandats traditionnels de protection. Par contre, au niveau des États, on observe de grandes variations entre l'intérêt porté à la santé publique et les interventions mises de l'avant. Ainsi, comme le note Setbon ( 1993 : 238-239), en Angleterre, dans les années 1980 : « la prévention devient un objectif des politiques de santé à travers la promotion de la santé et la modification des com portements individuels dans le but de la préserver [ . . . ] la tradition britannique de santé publique étant fondée sur la réglementation, la surveillance et le contrôle par un dispositif administratif présent dans différents domaines : les maladies infectieuses, l'eau, les produits ali mentaires, les ports » , ces changements marqueraient l'ouverture de la santé publique vers une nouvelle conception préventive orientée davantage vers l'éducation, l'information et la responsabilisation. En France, encore aujourd'hui, le champ de la santé publique est associé à des mandats « traditionnels » comme l'hygiène du milieu, le contrôle des maladies transmissibles, la santé au travail, la protection maternelle et infantile. Mais surtout, les activités relèvent princi palement de la loi et des règlements. Par ailleurs, les observateurs du système français reconnaissent le caractère sectoriel des activités. Chaque domaine fait l'objet d'une législation qui lui est propre, et différentes organisations peuvent se partager la juridiction d'un même domaine d'interventions (Dab, Henrard, 1 9 8 9 ). Dab (1997) critique notamment le fait que la gestion et les interventions de santé publique aient été principalement liées à la sécurité sanitaire et que ces interventions aient été faites particulièrement au moment de crises28 • Dans le cas des États-Unis, seul un examen des mandats et des responsabilités assumés par divers États, le niveau local et des
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actions menées par divers groupes d'acteurs permettrait de brosser un portrait assez juste de la situation. Comme le développement de programmes relève de l'État ou du niveau local, ou de l'un ou l'autre, il risque d'y avoir une assez grande diversité dans l'intérêt porté au champ même de la santé publique, soit en termes de ressources, soit quant à l'intérêt porté à tel ou tel autre problème. Selon le rapport du Committee for the Study of the Future Public Health de l'Institute of Medicine ( 1988 : r 38), la santé publique aux États-Unis fait face à un dilemme important. D'un côté, un certain nombre de gains ont été réalisés en ce qui concerne par exemple la mortalité infantile. D'un autre côté, un ensemble de nouveaux problèmes se sont développés (cancer, maladies du cœur, substances toxiques dans l'air, l'eau et les aliments, problèmes de drogues chez les jeunes, le sida) et face à ces problèmes, la tendance est de recourir aux solutions passées, soit aux lois, à la régulation, aux agences (old public health). Les acteurs de santé publique n'auraient pas su affirmer leur place face à ces nouveaux problèmes, les responsables politiques cherchent plutôt des solutions à court terme, afin de faire face aux crises, sans se référer aux connaissances existantes. Tout de même, aux États-Unis, il y a toujours eu un relatif intérêt pour des activités de prévention qui semblent être davantage orien tées vers les populations les plus pauvres ou vers les groupes les plus marginaux. Un exemple qui illustre à la fois l'intérêt porté à la prévention et les acteurs qui se préoccupent de santé publique est le Mode/ Standards : A Guide for Community Preventive Health Ser vices. Ce guide, qui a été développé de concert par l'American Public Health Association, les National Organizations for State Health Officers, les County Health Officiais, les Local Health Officers et le US Public Health Service, propose 34 domaines d'intervention pour le niveau local (Timmreck, r997 : 603 ). La délimitation floue et changeante des frontières du champ de la santé publique est certes reliée au contexte public d'utilisation des connaissances qui caractérise le système de santé d'une société donnée. Mais plus précisément, la délimitation de ces frontières semble varier selon les types de problèmes pris en charge ou non par les acteurs de santé publique et les mesures retenues. Plus encore, la configuration interne du champ a des conséquences sur l' organi sation des connaissances, voire sur la prédominance de tel ou tel autre type de savoir. Selon les problèmes, les domaines, les modes et
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les mesures privilégiés, tel type de compétence occupera plus de place que tel autre. Un corpus de connaissances éclaté : savoirs et compétences
Dans les cas à l'étude, la place occupée, ou non, par le médical à l'intérieur du champ de la santé publique apparaît capitale. Plusieurs auteurs reconnaissent la place importante prise par la profession médicale à l'intérieur des systèmes de santé anglais, français et américain, et « la résistance » plus ou moins forte de celle-ci aux interventions de santé publique (Dawson, Sherval et Mole, 1 996 ; Morelle, r996 ; Setbon, 1993 ; Starr, 1 988). Un tel constat ne suffit pas à caractériser le fractionnement du corpus de connaissances relatif au champ de la santé publique. La valorisation de savoirs contextualisés ou décontextualisés, ainsi que celle de compétences disciplinaires ou multidisciplinaires, apparaissent plutôt comme les axes déterminants du fractionnement du corpus de connaissances. Le premier axe à considérer est celui des savoirs que nous avons distingués en matière de savoir décontextualisé (connaissances aca démiques) et contextualisé (connaissances et habiletés profession nelles ) . Chacune de ces sphères semble fonctionner indépen damment, les producteurs de connaissances déterminant leurs propres objets, modes, méthodes d'interventions, sans prendre en compte la production de l'autre sphère. Mais plus encore, dans certains cas, il y aurait fractionnement à l'intérieur même de chacune de ces sphères, en raison notamment des différentes écoles et dis ciplines intervenant ; chacune tentant de faire reconnaître et d'impo ser la légitimité de son savoir. L'axe des compétences se manifesterait de la façon suivante. Tout dépendant de la configuration interne du champ, de la prise en charge par les acteurs de tel ou tel autre type de problèmes, soit il y aura prédominance des compétences disciplinaires et notamment du médical, soit il y aura prédominance des compétences multidiscipli naires. Ces caractéristiques du fractionnement sont encore plus diffi ciles à documenter, car la production des savoirs dans le champ de la santé publique n'est habituellement pas considérée sous cet angle. Dans le cas anglais, dans le contexte des modifications organi sationnelles du système de santé, la place occupée par les médecins
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Le système de santé québécois
spécialistes en santé communautaire a donné lieu à un important questionnement au cours de la dernière décennie. Le rapport Acheson ( 198 8 ) traite notamment du rôle de ces médecins au sein du système de santé, de la formation et de l'enseignement en santé publique. Bien que l'Angleterre dispose d'une longue tradition en matière de santé publique, il semble qu'il n'existe pas nécessairement pour autant une très grande collaboration entre les différentes sphères de production, soit entre le milieu universitaire et celui de la pratique29 • Le rapport Acheson ( 1 988 : 5 6) recommande qu'il y ait davantage de collaboration entre les institutions d'enseignement et les praticiens du milieu, et souhaite une plus grande ouverture à la multidisciplinarité. Bien que par l'intérêt porté à la prévention et à la promotion de la santé, le champ de la santé publique soit ouvert à d'autres professionnels, il semble que les médecins y occupent tout de même une grande place. L'intégration des mandats et des acteurs de santé publique à la gestion du système de santé qui a été faite au début des années 1990 aurait favorisé la compétence disciplinaire des méde cins, tout en soulevant la question de la nécessité de recourir à cette compétence 30 • Au cours des dernières décennies, la spécialité médi cale de santé publique en Angleterre a tenté de s'adapter et a montré une certaine ouverture aux problèmes de santé de la communauté. En 1972, à la suite de la commission Todd, cette spécialité prenait le nom de médecine communautaire (Desrosiers, 1996). D'une part, ces médecins ont de la difficulté à se faire reconnaître à part entière par leurs confrères médecins ; d'autre part, ils sont avant tout considérés comme des médecins par les autres professionnels de santé publique. Comme nous le verrons, la situation des médecins de santé commu nautaire au Québec présente plusieurs similitudes avec celle des médecins anglais. Dans le cas de la France, il y aurait une nette coupure entre les producteurs des savoirs décontextualisé et contextualisé, et chacune de ces sphères présenterait un certain nombre de faiblesses tant orga nisationnelles que culturelles. Dans son rapport, le Haut Comité de la santé publique ( 1 9 94 : 1 8 5 ) déplore entre autres : que le nombre de professionnels, d'experts ou de chercheurs en santé publique soit peu élevé, voire très inférieur aux pays voisins et aux pays nord américains et souvent affectés à des tâches de tutelle et de contrôle ; que les professionnels soient dispersés et peu habitués à travailler
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ensemble ; que le système de formation soit insuffisamment struc turé ; de même que l'absence de prestige et de reconnaissance sociale des structures et des professionnels de santé publique. L'attachement profond de la profession médicale à l'approche clinique et l'absence d'une culture professionnelle de santé publique auraient limité le développement de ce champ31 • Selon Dab (1997: 196), pour qui les experts comme les expertises de santé publique sont en crise: Les capacités [Conseil supérieur d'hygiène publique de France, Haut Comité de santé publique, académies des sciences et de médecine etc.] sont trop dispersées pour être efficaces. [ ... ] La quantité de travail nécessaire à produire une expertise de qualité est largement sous-esti mée et l'ensemble manque de crédibilité. Pour celui-ci, il est clair que dans le cadre d'une réforme à venir: il faut penser la coordination et la professionnalisation de l'expertise qui doit rendre accessible aux responsables les connaissances scien tifiques les plus actuelles sur l'origine ou l'ampleur des problèmes de santé et les moyens disponibles pour y répondre (Dab, 1997 : 199). De son côté, Morelle (1996: 373-3 7 5 ) évoque également la place mineure que la santé publique occupe dans l'enseignement médical, sa marginalisation et la nécessité même de revoir l'enseignement de la santé publique32 • Aux États-Unis, les rapports entre le milieu universitaire et les praticiens semblent également peu développés. Toujours selon le rap port de l'Institute of Medicine, les écoles de santé n'assumeraient pas nécessairement de façon équilibrée leur double rôle de développement de connaissances et de formation des praticiens. Un certain nombre de recommandations s'appliquent donc aux écoles de santé publique afin, qu'elles jouent un rôle plus actif et ce, tant dans les milieux gouvernemental et universitaire que sur le terrain (198 8 : 16-17) 33 . Bien que certains autres professionnels (infirmières, éducateurs) interviennent en matière de santé publique, les médecins occupe raient davantage ce champ. Ce qui n'empêche pas toutefois que des associations professionnelles comme l'American Public Health Asso ciation, ou des fondations privées soient des ardents promoteurs de la santé publique. Par ailleurs, bien qu'historiquement le milieu médical et la santé publique aient fonctionné indépendamment l'un
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de l'autre, des efforts et des actions concrètes sont faits afin que le milieu médical soit sensibilisé aux problèmes de santé publique 34 . Enfin, il nous faut revenir sur la dimension politique qui découle de chacun des traits et traverse l'ensemble du processus de cons titution et de transformation du champ contemporain de la santé publique. Compte tenu du contexte public d'utilisation des connais sances, de l'hétérogénéité des problèmes, de l'éventail des mesures possibles et de la diversité des savoirs et des compétences en jeu, les risques de tensions externes et internes entre les différentes catégories cl'acteurs directement ou indirectement concernés, tant sur les plans organisationnel, administratif, disciplinaire, professionnel que com munautaire, sont multiples. Selon le contexte public particulier d'une société, selon les types de problèmes valorisés et les mesures retenues, selon la prédominance de tel ou tel autre type de savoirs et les compétences privilégiées, les tensions mettront en scène certaines catégories d'acteurs plus que d'autres, et les jeux entre acteurs se dérouleront tantôt sur la scène publique nationale, régionale, locale ou municipale, tantôt sur la scène ministérielle, administrative ou professionnelle, tantôt sur la scène universitaire. Dès lors, on comprendra pourquoi, à première vue, le champ contemporain de la santé publique apparaît si chaotique. Le champ contem porain de la santé publique Le cas du Québec
Une organisation décentralisée des services de santé publ ique vers les provinces à situer au regard du système fédéral canadien
Au Canada, comme le rappelle Maioni (voir le chapitre 2), le secteur de la santé relève de la compétence provinciale. Historiquement, le gouvernement canadien a cependant joué un rôle important dans le financement des soins et des services de santé, et il s'est fait le défenseur d'un ensemble de normes à respecter pour les systèmes de soins provinciaux. De même, en matière de santé publique, ce gouvernement réglemente les produits pouvant affecter la santé des citoyens (aliments, médicaments, produits cosmétiques, appareils émettant des radiations, etc.), assume un rôle de surveillance à l'égard des maladies ainsi qu'un rôle en promotion de la santé en
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collaboration avec divers organismes ou groupes d'intéressés (Forest, 1997c) 35 • À différentes occasions, le gouvernement fédéral a joué un rôle de promoteur sur les plan national et international (Pinder, 1994) 36 , Chaque province demeure responsable de l'organisation des soins de santé et des services de santé publique sur son territoire. L'orga nisation provinciale des services de santé publique varie grandement d'une province à l'autre sur le plan administratif et quant à la nature des mandats officiels. À l'exception de }'Ontario, dont les services sont décentralisés au niveau municipal, la plupart des provinces délèguent maintenant les responsabilités de santé publique aux administrations régionales (CPHA, 1997 ; Rachlis, 1997 ; Sutcliffe, Deber et Pasut, 1997). Une délégation des responsabil ités aux autorités régio nales de gestion des services de santé
Au Québec, au cours des dernières décennies, l'organisation de la santé publique a été modifiée au rythme des réformes qu'a connues le système de santé 37 • Ainsi, au début des années 1990, l'organisation de la santé publique au Québec a pris la forme d'une délégation des responsabilités de santé publique à des directeurs régionaux ratta chés aux régies régionales de la santé et des services sociaux (Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., chapitre S-4.2, articles 371-375). Le directeur de santé publique se voit confier par la loi des responsabilités en matière de connaissance et de surveil lance de l'état de santé de la population, de protection, de prévention et de promotion de la santé (article 3 73 ). À cette même période, le ministère de la Santé et des Services sociaux crée une direction géné rale de santé publique (Groupe de travail sur la création de l'Institut national de santé publique, 1997). L'implantation de ces directions régionales de santé publique a suscité des difficultés qui ne sont pas encore nécessairement résolues. La place prise par les directeurs de la santé publique au sein des régies régionales, tout comme celle occupée par les équipes d'experts, restent encore en évolution et variables selon les régions. Dans plusieurs régies régionales, les directeurs de santé publique se sont vu confier des responsabilités de planification ou d'organisation des services. Sur cette base, les professionnels de santé sont mis à
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Le système de santé québécois
contribution pour aider les autorités régionales face aux défis d'une reconfiguration majeure du réseau de la santé et des services sociaux. Cette dernière mise sur les pratiques ambulatoires et entraîne des modifications importantes dans les missions des établissements (fusion, réaménagement, fermeture), et cela dans un contexte de fortes compressions budgétaires. Cette régionalisation marque bien la volonté des responsables politiques d'intégrer les services de santé publique à la gestion des services de santé. Force est de constater que les modifications appor tées à l'organisation de la santé publique sur le plan régional n'ont pas levé les ambiguïtés quant à sa contribution effective et à ses ressources. En 1996, un comité chargé d'examiner les responsabilités des divers niveaux du système de santé formulait les critiques suivantes à l'égard de la santé publique (Deschênes, Brunet, Bou dreau et Marcoux, 199 6): son manque d'imputabilité ; la résistance des professionnels à s'intégrer aux activités et à collaborer avec les autres directions à l'intérieur des régies régionales ; la concentration de l'expertise dans les régions de Montréal et Québec ; le manque de coordination au niveau provincial ; son budget protégé. A la suite du rapport du groupe de travail sur la création de l'Institut national de santé publique (Rapport Bernard, 1 997) et afin de remédier en particulier au problème important de la coordination des ressources, le ministre de la Santé et des Services sociaux créait l'institut 38 • Il reste à voir quels seront les répercussions de la venue de ce nouvel acteur. Quoi qu'il en soit, ces modifications organisation nelles n'ont vraisemblablement pas limité l'expansion du champ aux seuls problèmes de santé, ni à des mesures traditionnellement adop tées par les acteurs de santé publique. Une ouverture aux problèmes psychosociaux et socio-économ iques des communautés
Une des caractéristiques du système de santé québécois est l'asso ciation systématique des services de santé et des services sociaux, de sorte que l'ouverture aux problèmes psychosociaux est inscrite dans les responsabilités mêmes du ministre de la Santé, qui est aussi celui des services sociaux. L'on peut penser que cette association santé et services sociaux se répercute sur l'organisation et les pratiques de santé publique. Ainsi, la Politique de la santé et du bien-être adoptée
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par le ministre en I992 révèle une approche large qui reconnaît la pertinence d'agir sur l'ensemble des déterminants de la santé et du bien-être, incluant les conditions socio-économiques des com munautés. Alors que cette politique de 1992 associe explicitement la santé publique à trois objets plus traditionnels, soit les maladies transmis sibles sexuellement et le sida, les maladies infectieuses et les pro blèmes de santé dentaire, les priorités nationales de santé publique énoncées par le ministre en 1997 (MSSS, 1997b) manifestent une grande ouverture, à la fois aux problèmes psychosociaux et aux déterminants de la santé. Les priorités retenues sont: le développe ment et l'adaptation sociale des enfants et des jeunes ; les maladies évitables par l'immunisation ; le VIH-sida et les maladies trans missibles sexuellement ; le dépistage du cancer du sein ; le tabagisme ; les traumatismes non intentionnels et les traumatismes intentionnels ; l'alcoolisme et les toxicomanies. L'intervention de santé publique y est définie comme « l'action sur les déterminants de la santé et du bien-être de la population et des systèmes qui la régissent » (MSSS, 1997b: 18). De plus, ce document définit quatre principes directeurs de l'action en santé publique, soit les liens entre l'action et la con naissance, l'engagement auprès des communautés, l'engagement dans la lutte contre les inégalités en matière de santé et de bien-être ainsi que la concertation avec les acteurs publics, communautaires et privés. Une telle ouverture nécessite la collaboration de divers parte naires, tant des praticiens et établissements du réseau de la santé et des services sociaux que du milieu communautaire, et introduit un éventail de mesures habilitantes allant de la mobilisation des communautés au partenariat avec les décideurs locaux, régionaux et le milieu communautaire, en passant par le soutien social. Dans ce contexte, les frontières du champ de la santé publique deviennent de plus en plus floues et il devient de plus en plus difficile de tracer la ligne de démarcation entre les divers secteurs d'inter vention (la santé publique, le social, le communautaire). Aussi, bien qu'une telle conception de la santé publique présente en théorie des avantages pour l'amélioration de la santé de la population, il risque également d'y avoir de plus en plus de tensions organisationnelles, disciplinaires, professionnelles pour le partage des ressources. Et dans quelle mesure les acteurs de la santé publique disposent-ils des
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outils nécessaires, de la formation adéquate pour ce genre d'inter ventions ? En fait, cette question de l'orientation des pratiques en santé publique vers tel ou tel autre type de problème ou de mesure recoupe celle du corpus de connaissances. Un corpus de co n naissances do ublement fractionné
Comparativement à d'autres systèmes de santé, le champ de la santé publique au Québec couvre un ensemble varié de problèmes et de mesures et par conséquent intègre une plus grande variété de professionnels. Toutefois, comme dans les autres cas à l'étude, la j onction entre la formation et la recherche universitaires et les compétences professionnelles pertinentes est laborieuse et il y a également fractionnement à l'intérieur de chacune de ces sphères d'activités. Certes, de nombreuses collaborations entre individus se font autour de projets spécifiques, mais la formalisation des liens entre ces milieux est encore largement à construire 39 • De plus, il y a concentration des ressources spécialisées de santé publique dans les régions universitaires de Montréal et Québec (Groupe de travail sur la création de l'Institut national de santé publique, I997 ; Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, I996) . Comme dans le cas de l'Angleterre, la contribution propre des ressources médicales spécialisées en santé communautaire (ou santé publique) paraît souvent difficile à démarquer de celle des omni praticiens et des autres professionnels de santé publique40 Le fait que les médecins travaillant en santé publique soient rémunérés à même l'enveloppe budgétaire des soins médicaux (Programme de l'assurance-maladie) et en tant que professionnels autonomes aurait, selon certains, favorisé leur engagement dans les organisations de santé publique au détriment d'autres professionnels et expliquerait leur grand nombre (O'Neill, Cardinal, 1998 ) . Cette forte présence médicale a facilité le développement d'une expertise spécialisée, mais elle alimente les craintes d'une hégémonie médicale sur la santé publique. Le champ de la santé publique au Québec apparaît dynamique, continuellement en mouvement et possédant une grande capacité d'adaptation. Toutefois, les changements plus récents qu'a connus l'organisation des services de santé publique n'ont pas vraiment contribué à donner à ce champ d'interventions une assise solide. •
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Encore aujourd'hui, l'organisation ministérielle, régionale et locale de ces services apparaît vulnérable et ce, dans le contexte où les responsables politiques et les administrateurs publics mettent de l'avant l'idée d'un système de santé prenant tout à la fois le virage ambulatoire, le virage prévention/promotion et le virage milieu. Au Québec, comme dans les autres cas étudiés, les acteurs de santé publique font aussi face aux enjeux de la délimitation du champ, en regard de l'ensemble du système de santé, de la reconnaissance de domaines et de savoirs particuliers. Ces enjeux sont d'autant plus difficiles à résoudre que la plupart des sociétés occidentales se sont dotées de systèmes publics de santé et que, de plus en plus, ces sociétés reconnaissent la pertinence d'agir sur l'ensemble des déter minants de la santé pour améliorer la santé de leur population. Les acteurs du champ de la santé publique seront peut-être ainsi conti nuellement confrontés à cette ambivalence entre l'occupation d'un champ bien délimité et l'ouverture à un ensemble de problèmes de plus en plus variés. Conclusion
Au point de départ de ce chapitre, nous avons avancé l'idée qu'au delà des différences organisationnelles entre les systèmes de santé, un certain nombre de traits sont déterminants dans la constitution du champ contemporain de la santé pubHque. Ces traits sont la déH mitation floue et changeante des frontières du champ liée à l'hété rogénéité et à la prédominance de problèmes de santé à caractère collectif, le fractionnement du champ lié à un corpus de connais sances éclaté et enfin le contexte public d'utilisation des con naissances lié à la dimension collective des interventions de santé publique. Afin de caractériser chacun de ces traits, nous avons examiné les cas anglais, français et américain, puis nous avons analysé le cas du Québec. L'ensemble de l'analyse effectuée tend à confirmer la pertinence des traits proposés. De même, elle fait bien ressortir la complexité du champ contemporain de la santé publique. La tendance à joindre les interventions étatiques touchant les soins de santé à celles de santé publique, ainsi que la tendance à élargir les interventions publiques aux déterminants sociaux de la santé, ouvrent le champ de la santé publique sur des domaines où il est plus difficile pour les acteurs de réclamer une délégation formelle, de bien
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Le système de santé québécois
délimiter leurs interventions ou de faire valoir leur savoir particulier. Ces tendances risquent d'entraîner éventuellement la dilution du champ dans l'ensemble des services publics et de l'intervention communautaire. La santé publique se réduirait alors aux motivations communes d'un ensemble d'acteurs qui s'efforcent, chacun à leur façon, d'améliorer la santé et le bien-être collectif. Il demeure probablement possible, pour les acteurs de santé publique, de préserver un champ distinct d'intervention. Mais ils peuvent difficilement miser sur la spécificité de l'objet de la santé publique ou sur le caractère public de leurs interventions. En effet, l'objet même qui est au centre des interventions du champ de la santé publique, voire de ses acteurs, varie dans le temps et dans l'espace. Il devient difficile pour les acteurs de faire valoir leur contribution particulière en insistant sur la spécificité d'un objet qui déjoue le temps et les prévisions. Ce n'est pas non plus en se retranchant der rière le caractère public de leurs interventions que les acteurs par viendront à justifier leur raison d'être. De plus en plus d'acteurs des secteurs privé ou communautaire sont appelés à intervenir en raison de la nature même des problèmes, ainsi que de l'efficacité de leurs interventions. Les cas des systèmes américain et français montrent que le dynamisme de la santé publique n'est pas nécessairement et uniquement relié à la place que l'État occupe, ou non, dans ce champ. Afin d'assurer la pérennité d'un champ distinct, les acteurs de santé publique devraient peut-être miser davantage sur une plus grande intégration du corpus des connaissances, ainsi que sur une meilleure concertation entre les acteurs. Actuellement, les rapports entre les producteurs de connaissances, entre universitaires et prati ciens, et à l'intérieur même de chacune de ces sphères apparaissent, à quelques exceptions près, peu développés. Compte tenu de la diversité des producteurs et des règles de production qui caracté risent le corpus de connaissances du champ contemporain de la santé publique, les difficultés à surmonter sont nombreuses. Il suffit de penser à la sempiternelle opposition entre médecins et non-médecins, aux questions relatives à la définition du rôle des médecins de santé publique, à l'organisation de la formation. Mais il nous apparaît qu'une plus grande intégration de la production des connaissances et une interaction plus intense entre universitaires et praticiens cons titue une voie prometteuse, et quelque peu obligée, pour les acteurs du champ contemporain de la santé publique, et tout particulière ment pour ceux du Québec.
Q U AT R I È M E P A R T I E
L'éval uation et le changement
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À
DES DEGRÉS DIVERS, la plupart des pays indus trialisés sont aux prises, en cette fin de siècle, avec des ques tionnements sur le rôle de l'État à l'égard des politiques sociales. Le vieillissement de la population combiné à une faible croissance démographique et à un allongement de l'espérance de vie sont des phénomènes bien connus qui se répercutent sur ces politiques et sur les actions qui en découlent. Il en est de même de l'évolution, sou vent consécutive à ces phénomènes, des problèmes qui affectent la santé et le bien-être des populations tels que les maladies dites de civilisation, l'accroissement des maladies chroniques et dégénéra tives, les problèmes d'adaptation et d'intégration sociale des per sonnes à des environnements changeants ou en mutation et les iniquités économiques. Ces situations, d'ordre davantage structurel, sont exacerbées par un phénomène de nature plus conjoncturelle, soit celui de la crise des finances publiques. Ce dernier force pré sentement plusieurs démocraties occidentales à revoir leurs priorités d'action et à faire de nouveaux choix sociaux et budgétaires. En raison de l'importance du PIB consacré aux politiques sociales et aux systèmes de santé, les systèmes publics de santé sont plus
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Le système de santé québécois
souvent qu'autrement les premières cibles des réformes projetées ou effectuées pour agir sur les problèmes de santé, compte tenu de l'incertitude entourant l'efficacité réelle des investissements qui y sont consentis, c'est-à-dire le rapport entre les résultats réels sur l'état de santé des populations et sur l'amélioration de la qualité de vie et les sommes investies pour les produire. Si les processus de réforme préconisés pour agir sur ces problèmes varient largement d'un pays à l'autre (Saltman, 1988 ; OCDE, 1 992), leurs objectifs sont sensiblement les mêmes : d'une part, l'amé lioration de l'état de santé et de bien-être des populations et, d'autre part, la rationalisation des choix budgétaires. Il semble que dans la plupart des pays industrialisés, la « gestion par les résultats » (quels que soient les sens attribués à cette expression) soit devenue une sorte de refrain constamment repris par les gouvernants et les gestionnaires publics. Des indicateurs de plus en plus raffinés d'espérance de vie, de qualité de vie, de mortalité, de morbidité, d'utilisation de services et de coûts deviennent les critères de l'efficacité et de l'efficience des système de santé et de la surveillance de leur évolution. Leur surveillance minutieuse dans le temps et l'espace, par exemple, par des comparaison longitudinales nationales et internationales, peut donner lieu à toutes sortes de décisions reliées autant aux priorités sociosanitaires, qu'au rationnement des dépenses de santé. Les restrictions budgétaires parfois sévères, la désassurance sélective de certains services, la mise en place de nou velles formes d'organisation de services, la réallocation de ressources dans le but de favoriser le développement de soins et de services ambulatoires et de restreindre le développement hospitalier comptent parmi les décisions qui inspirent actuellement la transformation des systèmes de santé. Il n'entre évidemment pas dans les objectifs de cette partie de discuter ces mesures. Il faut cependant retenir, en corollaire, que ces dernières visent à changer la dynamique de ces systèmes en transférant l'imputabilité à la fois aux producteurs de soins et de services et aux consommateurs. Cette quête d'une plus grande efficacité et d'une plus grande effi cience repose en grande partie sur l'évaluation des systèmes de santé. En effet, dans les sociétés où l'État joue un rôle de premier plan dans le financement et la régulation des services, la préoccupation d'éva luer programmes, interventions et services · devient une nécessité administrative et politique.
I.:évaluation et le changement
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C'est cette nécessité de l'évaluation pour la gouverne et la gestion des politiques et des programmes de santé qui est à l'origine de la présente partie. Nous y consacrons trois chapitres. Un premier pro pose une réflexion sur ce qu'est l'évaluation et sur les grands cou rants de pensée qui la concernent, envisagés sur les plans onto logique, épistémologique, stratégique et méthodologique. Un deuxième chapitre s'intéresse aux arrangements institutionnels relatifs à l'évaluation des politiques et des programmes de santé. Il permet de situer le Québec par rapport au reste du Canada et à d'autres pays industrialisés, notamment les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Enfin, le dernier chapitre propose une réflexion sur l'évaluation comme un soutien au changement organisationnel et social dans le domaine de la santé.
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L'évaluation dans le domai ne de la santé : conce ptions, courants de pensée et m ise en œuvre C L E RM O N T B É G I N • P I E R R E J O U B E RT J EA N T U R G E O N
DANS S O N OUVRAGE CLASSIQUE sur l'évaluation, Edward Suchman (I967 : n ) écrivait : « Le besoin de connaître est intimement lié au besoin de juger. » Cette assertion renvoie à l'idée que le jugement humain a besoin de la connaissance pour s'exercer et que, réciproquement, la connaissance n'a d'utilité que dans la mesure où elle vient, dans l'immédiat ou à long terme, soutenir l'action dans toutes les sphères de l'activité humaine. Or l'évaluation est le terme consacré dont on se sert pour lier conceptuellement connaissance et jugement. Ce chapitre porte donc sur cet acte de connaissance et de jugement qu'est l'évaluation, plus précisément sur celle qui est institutionnalisée dans le domaine de la santé. L'objectif du chapitre est d'introduire ce concept, d'en montrer les facettes multiples et les principales utilisations dans ce domaine. Nous aborderons donc en succession les questions suivantes : Qu'est-ce que l'évaluation ? ; quels sont les principaux courants de pensée qui la caractérisent ? ; quel est leur apport à l'avancement des connaissances concernant la per tinence, l'impact, l'efficacité et l'efficience des politiques et des programmes dans le secteur de la santé ?
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Le système de santé québécois
Qu'est-ce q ue l ' évaluation ?
Comme le terme « évaluation » est polysémique, il paraît hasardeux, voire illusoire, de penser à une définition claire et univoque de l'évaluation. En effet, l'évaluation renvoie aussi bien à un champ de savoirs et de méthodes qu'à un contrôle administratif ou techno cratique. Certains lui attribuent des vertus démocratiques fondées sur le principe de transparence, alors que d'autres en font un instrument au service du pouvoir. Sur un plan plus substantiel toute fois, quelle que soit la réalité qu'elle recouvre, l'évaluation contient l'idée, implicite ou non, d'un retour sur l'action accomplie et pose la question des rapports entre la production des connaissances et l'usage social qui est fait de ces dernières. Il paraît également rela tivement clair que l'évaluation se présente de plus en plus, du moins dans les démocraties occidentales, comme une nouvelle forme de régulation du social où l'enjeu central est le rapport dialectique entre le scientifique et le politique (Légaré, Demers, 19 9 3 ). Sans prétendre épuiser la question, il est donc possible de dégager trois conceptions de l'évaluation qui nous paraissent à la fois interdépendantes et complémentaires. Trois conceptions interdépendantes et complémentaires
Construite à partir du mot « valeur », l'évaluation peut être définie comme un acte de jugement individuel ou collectif puisqu'il s'agit d'attribuer une valeur, de façon plus ou moins intuitive et plus ou moins informée, à un objet, en général un ensemble d'activités humaines. Envisagée ainsi, l'évaluation est assujettie aux carac téristiques psychocognitives, affiliatives et égocentriques du jugement humain, que la psychologie a bien documentées au fil des ans (Slovic et coll., 1977 ; Hogarth, 1987 ; Janis, 1989 ). Cette première con ception est à retenir dans la mesure où, même si les objets d'éva luation sont complexes et multidimensionnels, les jugements portés à leur égard contiennent toujours l'empreinte des humains qui les portent, ainsi que celles de leurs valeurs, de leurs intérêts. Dans ce contexte, l'évaluation n'est pas qu'un acte technique. Elle est aussi psychologique et sociale en ce qu'elle contribue à influer sur les pro cessus psychocognitifs et sociaux d'agents multiples travaillant au sein d'organisations comme les appareils d'État, les regroupements professionnels ou encore les établissements de production de services.
L'évaluation dans le domaine de la santé 2 67
Au regard de la régulation « des actions des pouvoirs publics », pour reprendre l'expression de Monnier (1992), l'évaluation est aussi une démarche qui consiste à produire des connaissances dans le but d'appuyer les processus de gouverne et de gestion des politiques et des programmes. Par gouverne, nous entendons, à l'instar de Lemieux ( 1995b), le processus de régulation qui caractérise l'émer gence, la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques. La gestion se définit comme la planification, la coordination et le contrôle des programmes et des activités qui sous-tendent les politiques publiques ou qui en constituent la traduction opératoire. La gouverne et la gestion sont interdépendantes et complémentaires : la gouverne renvoie davantage aux aspects stratégiques et politiques de la régulation des organisations, alors que la gestion se concentre principalement, mais pas de façon exclusive, sur les aspects plus opératoires 1 • Aux fins du présent chapitre, cette deuxième concep tion de l'évaluation nous paraît appropriée pour traiter de l'éva luation des politiques de santé et des programmes qui en découlent. Dans ce domaine, et ce dans la plupart des pays occidentaux, l'absence de lois du marché pour juger de la pertinence, de l'efficacité et de l'efficience 2 des politiques publiques, des programmes ou des services 3 rend nécessaire le recours à l'évaluation pour déterminer l'à-propos des décisions et des actions et pour orienter la gouverne et la gestion des décideurs. Cette conception de l'évaluation institutionnalisée est née de la nécessité de rendre compte des décisions prises et des actions « menées » dans le prolongement des approches de rationalisation des choix budgétaires 4 qui ont marqué la gouverne et la gestion des affaires publiques dans plusieurs pays industrialisés à partir du milieu des années 1960. Elle a acquis sa légitimité sociétale du souci d'accroître l'imputabilité des gestionnaires publics et de l'obligation de diffuser les résultats obtenus à la suite des décisions prises quant aux priorités gouvernementales et à l'utilisation des fonds publics. Comme on le verra dans le chapitre suivant, dans plusieurs pays industrialisés, l'évaluation est appelée à informer à la fois les instances législative et exécutive des États (Mayne et coll., 1992 ; Marceau, Turgeon, 1 994). Selon cette conception, l'évaluation peut être considérée à la fois comme une forme de soutien à la gouverne et à la gestion de l'ensemble d'un système, plus particulièrement des organisations publiques de santé, donc comme une aide à la
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décision. Avant d'être une opération technique, elle est un processus dynamique d'interactions entre des praticiens (gouvernants, gestion naires ou intervenants), des utilisateurs de services et des agents d'évaluation, dans un contexte où les préoccupations d'évaluation portent sur la formulation et l'élaboration des politiques et des programmes, sur la production et la gestion des services qui en découlent et sur l'interprétation des résultats obtenus (Bellavance, 198 5 ; Meny, Thoenig, 1989 ; Lemieux, 1 99 5 b). L'évaluation est alors éminemment politique et résulte plus souvent qu'autrement de la rencontre de flux de problèmes, d'occasions de choix et de solutions, ainsi que de la participation fluide des acteurs en cause (March, Olsen, 1972 ; Kingdon, 1984 ; Lemieux, 1995 ), plutôt que de l'application intégrale du modèle de rationalité classique sur lequel on fait habituellement reposer cette activité. En raison de ses particularités psychologiques, sociales et politi ques, mais aussi de sa position stratégique dans la gouverne et la gestion des politiques et des programmes, l'évaluation est, selon cette deuxième conception, comme le soutient Monnier, « un outil courant indispensable à la formulation de l'action elle-même, à sa mise en œuvre et à son amélioration ( 1992: 2) » . À cette conception s'en ajoute une troisième, issue de plusieurs disciplines des sciences du social, selon lesquelles l'évaluation est une pratique sociale ou une forme de recherche appliquée. Les résultats des évaluations peuvent alimenter les débats publics et représentent une forme importante de réflexivité institutionnelle. En effet, l'éva luation est de nature à induire des actions et des décisions qui mar quent la structuration des systèmes de santé et, ul-f.imement, des sociétés qui les soutiennent ( Giddens, 1987). Par ailleurs, au-delà des préoccupations centrées sur la recherche d'une plus grande efficacité et d'une plus grande efficience des systèmes, cette troisième con ception de l'évaluation met davantage l'accent sur les questions de pertinence et d'utilité sociétales des politiques et des programmes de santé. Les deux premières conceptions et, dans une moindre mesure, la troisième sont issues d'une vision de la connaissance ou du savoir fondée sur la recherche de la cohérence et de la rationalité dans la prise de décision et dans l'action, vision qui caractérise les sociétés modernes. Elles sont au cœur de ce que Maheu et Toulouse ( 1993 ) appellent la régulation du « social institué » dans laquelle l'évalua-
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tion se présente comme une forme de soutien aux processus de trans formation en cours et une forme d' « intelligence critique » des sys tèmes. Ces conceptions inspirent une bonne part des propos que nous tiendrons dans ce chapitre puisqu'elles sont à l'origine des systèmes modernes de santé et qu'elles sont au cœur des travaux sur l'évaluation. Les cou rants de pensée en éval uation : fondements onto logiques et épistémologiques
Depuis les débuts de son institutionnalisation dans les organisations publiques, l'évaluation a été marquée par plusieurs courants de pensée qui ont influé à la fois sur les stratégies et sur les méthodes d'évaluation. Ces courants reposent essentiellement sur deux posi tions ontologiques et épistémologiques de l'évaluation fondamenta lement différentes. Ils renvoient à deux ensembles de croyances qui orientent le travail des producteurs d'évaluation, la nature des ques tions qu'ils se posent et le choix des méthodes qu'ils privilégient pour y répondre. Bien qu'ils se soient largement développés en opposition l'un à l'autre, on reconnaît de plus en plus la complémentarité de ces courants de pensée, compte tenu de la multidimensionnalité des pro blèmes et de la complexité des enjeux humains, sociaux et écono miques qu'ils soulèvent, lorsque se pose la nécessité de concevoir, de mettre en œuvre et d'évaluer les politiques et les programmes qui en sont issus (Gibbons et coll., 1994) . Sur le plan ontologique, les évaluateurs dits « objectivistes » posent la réalité comme existant per se, indépendamment des per ceptions de celles et ceux qui l'observent. Ils s'inspirent essentiel lement du modèle orthodoxe de la science (Audet et coll., 1986) dans leurs activités de production de connaissances. A l'opposé, les éva luateurs « subjectivistes » proposent de concevoir la réalité comme le fruit de la conception que s'en donnent les sujets qui l'observent ou la vivent. Cette différence est fondamentale en évaluation, dans la mesure où le principal mandat de l'évaluateur est précisément de rendre compte de cette réalité. La position ontologique de l'évalua teur marque de façon irréductible ses choix épistémologiques et, en corollaire, influe sur sa démarche et ses méthodes de travail. Deux positions épistémologiques différentes, soit le positivisme et le constructivisme, découlent de ces deux positions ontologiques. Le positivisme postule que !'évaluateur doit essentiellement se placer en
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position d'extériorité par rapport à l'objet qu'il évalue. Son rôle est alors de saisir cet objet de la façon la plus fiable et la plus valide possible et d'en rendre compte d'une façon objective et neutre. À l'inverse, selon le constructivisme, la connaissance produite par !'éva luateur résulte de son interaction avec l'objet de son évaluation et est construite au fil de l'investigation. Bref, la position constructiviste repose moins sur la recherche non équivoque de la vérité que sur la construction d'un état de situation fondé sur les prémisses retenues et documenté avec rigueur selon une démarche de recherche « trans parente ». Mais dans ce dernier cas, on préférera parler de con naissance « utile » pour les différents acteurs, plutôt que de « vérité » . Les démarches et les modes de mise e n œuvre de l ' évaluation
Il existe une telle panoplie de démarches, de méthodes et de techni ques, autant quantitatives que qualitatives, qu'il serait présomptueux de vouloir les recenser. Le choix d'une démarche d'évaluation et d'une ou de plusieurs approches méthodologiques devrait être géné ralement fonction de la situation à évaluer (Patton, r987). Il faut néanmoins reconnaître que le choix des démarches et des méthodes est également tributaire de l'importance accordée par l'évaluateur à l'une ou l'autre des positions épistémologiques décrites précé demment. Les démarches
Bien que les travaux sur les démarches d'évaluation soient abon dants, la notion même de démarche n'est pas toujours claire. Par démarche, nous entendons ici l'ensemble des actions prises par !'éva luateur pour concevoir et mettre en œuvre le processus d'évaluation, de la formulation des objectifs du projet d'évaluation jusqu'à la production et la diffusion des résultats. En somme, il s'agit ici de la façon dont !'évaluateur règle le processus par lequel il évaluera. En ce qui concerne la démarche d'évaluation, on peut dégager deux grandes tendances, chacune s'appuyant sur l'une ou l'autre des positions ontologiques et épistémologiques présentées précédem ment. Selon la première, l'évaluateur est un expert chargé de définir les objectifs de l'évaluation et de mettre en place l'appareillage
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conceptuel et méthodologique nécessaire pour la réaliser. L'évalua teur doit veiller à préserver_ sa neutralité et son objectivité. Il sera donc porté à garder ses distances par rapport aux différents acteurs concernés et à construire un plan d'évaluation qui lui garantisse de mettre le processus et les résultats de son évaluation à l'abri des influences extérieures. S'il fait appel à des acteurs engagés dans l'objet qu'il évalue, ce sera pour obtenir des renseignements qu'ils détiennent et dont il juge avoir besoin pour ses analyses. Dans un tel contexte, la conduite du processus d'évaluation est davantage « uni latérale ». Une telle stratégie découle habituellement d'une position objectiviste et positiviste adoptée par }'évaluateur. Opter pour cette démarche d'évaluation présente l'avantage, quand les conditions le permettent (par exemple, en situation expérimentale ou quasi expérimentale) et quand des méthodes quantitatives appropriées sont utilisées (Lipsey, 1 9 8 8 ), de pouvoir discerner certains effets ou résul tats d'un programme ou encore « d'obtenir de l'information précise sur un processus d'intervention (Péladeau, Mercier, 1993 : n 3 ) », dans une optique ou une perspective de généralisation. À l'opposé, la seconde tendance s'appuie sur la nécessité de mettre à contribution les principaux acteurs mis en cause par un projet d'évaluation 5 • Monnier inclut dans ces parties prenantes les « agents de légitimation », c'est-à-dire les gouvernants et les gestionnaires des politiques et des programmes soumis à l'évaluation, les « actants », c'est-à-dire les différents intervenants qui y travaillent et les « réac tants », que sont les utilisateurs des services produits ou les publics intéressés. Les adeptes de cette école de pensée cherchent par différents moyens à faire participer toutes les parties prenantes aux différentes phases de l'évaluation, depuis la formulation des objectifs jusqu'à l'interprétation des résultats. Monnier (évaluation pluraliste, 1992), Lascoumes et Setbon (évaluation pluraliste, 1996), Patton (utilization-focused, 1986, 1990), de même que Guba et Lincoln (fourth generation evaluation, 1989) sont parmi les principaux pro tagonistes de ce courant de pensée. Cette tendance repose sur le postulat que la légitimité des résultats d'une évaluation sera d'au tant plus grande que les parties auront participé aux différentes phases du processus d'évaluation, y compris aux conclusions qui en découlent. Plus récente que la précédente, cette démarche constitue une réponse aux critiques formulées à l'égard des évaluations produites
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selon la première tendance, dont on déplorait le peu d'utilisation des résultats (Guba, Lincoln, 1982). Une telle démarche fait de !'éva luateur, comme le suggère Monnie½ « un maïeuticien, un médiateur et un méthodologue (Monnier, 1992 :13 2) ». D'une part, ce dernier est appelé à faciliter par des méthodes diverses l'expression des opinions et des valeurs des acteurs au regard de l'objet d'évaluation, dans le but de mettre au jour leurs oppositions et leurs accords en ce qui concerne les questions d'évaluation, les méthodes les plus appropriées pour les réaliser et les interprétations qu'ils donnent des résultats. D'autre part, il est perçu comme l'expert dans le choix et la mise en œuvre des méthodes appropriées pour réaliser ces évaluations. La conduite de l'évaluation y est ici davantage « multilatérale » ou, pour reprendre l'expression de Monnier, « pluraliste », et s'inspire forte ment des positions subjectiviste et constructiviste. Si les évaluations qui procèdent de cette façon semblent fournir des « données écolo giquement plus valides » (Péladeau, Mercier, 1993 : n3 ), en revanche une proximité trop grande du chargé d'évaluation face à son objet, ou encore une « politisation » non maîtrisée du choix des questions d'évaluation peut limiter singulièrement l'étendue et la portée, tant du questionnement évaluatif que des résultats d'évaluation. Sur ce dernier point, le cas de l'évaluation des politiques publiques multisectorielles en France au début des années 1990 devrait servir de leçon. À l'époque, le Conseil scientifique de l'évaluation ( CSE) a introduit la notion d' « instance d'évaluation, [ ... 1 organe responsable de la coordination et de l'exploitation des travaux ainsi que des conclusions de l'évaluation ( CSE, 1994 : 99) » . Or ( CSE, 1994 : 102) : la composition de l'instance d'évaluation est devenue un enj eu important des rapports de pouvoir entre administrations lors du lancement des évaluations.
Le Conseil, dans ce même rapport annuel, souligne que ce phé nomène expliquerait, en partie du moins, certaines lacunes dans les rapports d'évaluation étudiés (CSE, 1994 : 17) : Le Conseil [scientifique de l'évaluation] a été amené à relever un certain nombre d'insuffisances [dans les rapports d'évaluation] : dérives par rapport au mandat initial, qualité inégale et manque de cohérence des études, difficulté du rapport d'évaluation à synthétiser l'apport de ces études dans le sens d'une réponse au questionnement évaluatif, recom mandations insuffisamment reliées aux constats. La source de ces
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problèmes réside souvent dans le mauvais fonctionnement des instances d'évaluation, au sein desquelles la logique de la négociation entre inté rêts et points de vue préconstitués l'emporte sur le respect du mandat et les exigences scientifiques de la démarche d'évaluation. La mise en œuvre des évaluations
Quelles que soient les démarches retenues, l'évaluateur dispose d'un éventail de méthodes pour la mise en œuvre d'évaluations. Les travaux sur les méthodes d'évaluation sont nombreux et sans les présenter in extenso, il est possible, à l'instar de Monnier (1992), de les regrouper selon divers modes qui traduisent les logiques sur lesquelles elles reposent. Dans le domaine de la santé on peut ainsi distinguer sept approches6 pour distinguer les différentes méthodes évaluatives. Ce sont l'approche de l'agrément, expérimentale et quasi expérimentale, fondée sur l'opinion d'experts, dialectique, statis tique, qualitative et de l'habilitation. r ) Vapproche de l'agrément repose sur l'existence de règles et de normes reconnues comme valides et acceptées comme critères de jugement de l'efficacité ou de l'efficience. Ici, la réalité est préexis tante et un modèle de cette réalité est prescrit aux agents qui œu vrent au sein des systèmes. !;évaluation consiste alors à faire la démonstration de la conformité ou de la non-conformité de la situation sous évaluation à des règles ou à des normes. Plusieurs méthodes d'évaluation ont été inspirées de cette approche dans le domaine de la santé : la vérification comptable, l'agrément assuré pour les hôpitaux canadiens et québécois par le Conseil canadien d'agrément des hôpitaux et, pour les autres catégories d'établisse ments, par le Conseil québécois d'agrément d'établissements de santé et de services sociaux, l'inspection assumée par les corpora tions de professionnels, l'audition médicale par les pairs au sein des hôpitaux, pour n'en nommer que quelques-unes. L'approche de l'agrément a aussi donné lieu au Canada et aux États-Unis à la mise en place de systèmes de surveillance de l'activité professionnelle et institutionnelle variés comme les programmes d'assurance de la qualité, l'étude de l'activité des professionnels, les revues d'utilisa tion des services hospitaliers et les programmes d'audit médical (Donabedian, 198 8 ).
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2) Bien que s,appuyant sur la même logique de démonstration, l'ap proche expérimentale et quasi expérimentale est essentiellement de nature hypothético-déductive. Les évaluations d'impact, d'efficacité et d'efficience contenant des méthodes expérimentales ou quasi expérimentales de recherche et, plus particulièrement, des essais cliniques aléatoires contrôlés, des études de cas-témoins, des études de cohorte ou de méthodes multivariées (Campbell, Stanley, 1963 ; MacMahon, Pugh, 1970 ; Contandriopoulos et coll., 1990a ; Rossi, Freeman, 199 3 ) s'appuient essentiellement sur cette approche. Depuis quelques années, la quête d'une plus grande pertinence, d'une plus grande efficacité et d'une plus grande efficience des politiques et des programmes de santé a donné lieu à la réalisation d'un grand nombre de recherches évaluatives 7 de cette nature dans divers domaines comme Pépidémiologie clinique et sociale, Pévalua tion des technologies, l'évaluation des pratiques des professionnels, l'évaluation des rendements institutionnels et l'organisation des services, sous des aspects comme le financement et l'allocation des ressources, les modes de rémunération des médecins et les nouvelles formes d'organisation des services. De plus, il est à prévoir que des études de ce genre seront de plus en plus utilisées en raison des enjeux de la gestion par les résultats dans ce secteur. Dans un tel contexte, les études de coûts-avantages, de coûts-efficacité et de coûts-utilité occuperont sans doute l'avant-scène, en raison des impératifs de rationnement dont nous avons déjà fait état en intro duction de cette partie et de la nécessité d'orienter les dépenses de santé vers des interventions dont l'efficacité et Pefficience sont démontrées. Parmi les enjeux d,évaluation fréquemment mentionnés comme prioritaires, mentionnons : l'évaluation des impacts sociaux et sanitaires des programmes et celle des interventions médicales et sociales, l'étude des variations géographiques de l'état de santé des populations et des facteurs explicatifs de ces variations (American Public Health Association, 1992 ; Roos, Roos, 1992 ; Roos et coll., 199 5 ), l'évaluation des modèles organisationnels de soins de santé communautaire (Berk, Chalmers, 19 8 1 ; Abelson, Hutcheson, 1994 ; Church et coll., 199 5 ), l'évaluation des technologies spéciali sées en milieu ambulatoire (CETS, 1996), le développement et l'évaluation des nouvelles technologies de l'information et de la communication comme la télémédecine et la télématique (CETS, 1996), et l'évaluation des nouvelles modalités de financement et d'allocation des ressources (Rheault, 199 5 ).
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3 ) L'approche fondée sur l'opinion d'experts repose sur le principe que le détenteur d'une information privilégiée, d'un savoir spécialisé ou d'une compétence et d'une expérience particulières à propos d'un objet d'évaluation constitue une source d'information et de con naissances qui, dans certains cas, peut se substituer aux approches plus formelles et plus coûteuses de production de connaissances. Le recours à cette approche conduit à l'utilisation de méthodes de consultations individuelies et collectives d'experts ou d'informateurs clés. Les comités d'étude, les comités conseil, les commissions d'enquête s'inspirent souvent de cette approche. Au Québec, en particulier, on y a eu fréquemment recours dans le domaine de l'évaluation. Qu'il suffise de penser au rôle déterminant joué par les commissions d'enquête Castonguay-Nepveu et Rochon, au Conseil de la santé et du bien-être, au Conseil d'évaluation des technologies, au Groupe tactique d'intervention concernant l'engorgement des urgences, au Comité d'experts sur l'assurance-médicaments ou encore au Conseil consultatif de pharmacologie. 4} L'approche dialectique aussi nommée approche du prétoire (Monnier, 1992 : 140), repose sur « l'idée que la vérité émerge de Pexposé de thèses opposées et de la confrontation de preuves contradictoires » à propos de l'objet d'une évaluation. Les com missions parlementaires sont une première illustration de cette approche. Au Canada, certains auteurs proposent un autre méca nisme pour faciliter une telle confrontation de points de vue : la multiplication des lieux d'évaluation par la création d'instances particulières rattachées à l'appareil législatif de l'État, pour faire contrepoids au monopole détenu par l'appareil exécutif en matière d'évaluation. Ainsi, Marceau et coll. ( 1 992a) suggèrent d'intégrer l'évaluation de programmes au mandat du vérificateur général. Landry ( 19 87), quant à lui, propose la création d'un organisme relié directement à la Chambre des communes ou encore à l'Assemblée nationale. À partir d'un raisonnement semblable, le Parlement fran çais a adopté, le 6 juin 1 99 6, une loi (96- 5 17) créant l'Office parle mentaire d'évaluation des politiques publiques composé de deux délégations, l'une de députés de l'Assemblée nationale, l'autre de représentants du Sénat. Au Québec, l'idée d'une commission parle mentaire triannuelle a déjà été proposée, en ce qui a trait plus spécifiquement à l'évaluation des politiques et des programmes de santé (Castonguay, 1996b ) .
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5) Vapproche statistique repose sur l'exploitation à des fins évaluatives des données statistiques produites par les systèmes d'information à propos d'un objet à évaluer. Cette approche suppose l'existence d'indicateurs ainsi que leur diffusion et leur exploitation par les différentes parties prenantes, Selon cette approche, la réalité obser vée est décrite par des indicateurs quantitatifs et s'appuie habituelle ment sur une épistémologie d'inspiration positiviste. Elle n'en est pas moins influencée par les croyances et les valeurs personnelles du concepteur d'indicateur. En contrepartie, l'utilisation des indicateurs et l'interprétation des phénomènes dont ils rendent compte sont largement tributaires des croyances et des valeurs de celles et ceux qui s'en servent pour évaluer. Bref, il n'y a pas nécessairement de corrélation entre les indicateurs et l'interprétation qui en découle même si parfois on attribue à cette approche des vertus d'objectivité et de neutralité qu'elle n'a pas nécessairement. Les méthodes d'analyse statistique utilisées à des fins évaluatives ne sont pas nouvelles. Les développements informatiques récents ouvrent toutefois de nombreuses possibilités pour faciliter l'éva luation en temps réel des politiques, programmes et services de santé. À cet égard, quelques développements récents méritent d'être mentionnés : le projet « Populis », au Manitoba, donne lieu à des comparaisons interrégionales de cohortes de population, intégrant des données variées, permettant de relier des indicateurs de l'état de santé de la population à des données de production de services (Roos et coll., 1995 ) ; la publication des variations dans les profils d'utilisation des services et de coûts, le développement dans plusieurs pays, de systèmes d'information pour évaluer les rende ments des hôpitaux en s'appuyant sur les DRG 8 (Kimberly, de Pouvourville et coll., 199 3 ), de même que la publication de guides du consommateur. Concernant ce dernier développement, signalons qu'en Pennsylvanie, l'État rend publiques, sous la forme de guides du consommateur, des données comparatives concernant les indica teurs de risque de décès associés à certaines interventions comme les pontages coronariens. On y produit même de l'information sur les intervenants professionnels et sur les coûts (Pennsylvania Health Care Cost Containment Council, 1993 a ; I993b). Dans le même ordre d'idées, le Comité national pour l'assurance qualité aux États Unis a élaboré et rendu public en 1993 un système d'évaluation des résultats : les HEDIS (Health Plan Employer Data and Information
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Set) basés sur des indicateurs de qualité des différents plans de gestion intégrée 9 • Ce système permet de comparer et de suivre l'évolution de ces indicateurs pour différents plans de gestion et sert de guide aux consommateurs dans leurs décisions d'achat de services de santé. Ces systèmes font l'objet de révisions régulières et semblent présentement faire figure de normes aux États-Unis (Edlin, 199 6 ; McGlynn, 1997). 6) L'approche qualitative s'appuie sur une position épistémologique inspirée du constructivisme. Les méthodes issues de cette approche sont essentiellement holistiques en ce qu'elles visent à appréhender les situations dans leur globalité et dans leur contexte. L'ethno graphie, l'ethnométhodologie et l'herméneutique ont largement inspiré cette approche (Denzin, Lincoln, 1994) . Les évaluations qua litatives sont employées pour mettre au jour la dynamique des systèmes organisationnels et rendre compte des processus et des structures de production de services. Elles peuvent aussi servir comme étape exploratoire en vue de définir des hypothèses plus précises pouvant se prêter ultérieurement à l'usage de méthodes expérimentales et quasi expérimentales de recherche évaluative. Au Québec, plusieurs travaux de nature qualitative ont été réalisés. En guise d'illustration citons : l'évaluation des centres de santé (Bégin, 1992a), l'analyse du processus budgétaire dans le secteur de la santé au Québec (Bégin, Labelle et Bouchard, 1987), l'évaluation du pro jet québécois d'expérimentation de la carte santé à microprocesseur (Fortin, Joubert, 199 6), l'analyse du partenariat médico-infirmier et du suivi systématique de la clientèle dans un centre hospitalier (Saint-Onge, 1996) ou encore l'évaluation des projets du Pro gramme d'action communautaire pour les enfants au Québec (le PACE, programme de Santé Canada) (Consortium CRSC, 199 5 ) . 7) Les six approches décrites précédemment s'appuient sur les points de vue ou analyses d'experts, de chercheurs ou d'agents spécialisés qui règlent les processus d'évaluation ou en effectuent la mise en œuvre. Dans le domaine de la santé, il existe également une septième façon d'envisager l'évaluation, soit l'approche de l'habi litation. Elle est inspirée des travaux de Saltman ( 1994} et repose sur le point de vue des consommateurs des services. Selon cette conception, le j ugement est attribué par celles et ceux qui utilisent les services, à partir d'outils ou de mécanismes qui produisent de l'information tant sur la valeur des services qu'ils reçoivent ou qu'ils
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peuvent recevoir et sur les modalités de leur utilisation, que sur les façons de les organiser et de les gérer. Ils peuvent ainsi influer sur les processus de gestion et de gouverne par les pressions que cette information leur permet d'exercer sur les responsables des services. Les mécanismes d'enquête basés sur les plaintes des usagers, les systèmes d'information qu'on commence à instaurer, pour per mettre aux gestionnaires et aux professionnels de tenir compte de la contribution des consommateurs à l'amélioration ou au maintien de standards de qualité 10 , relèvent de cette approche. À cela s'ajoutent les différents mécanismes de protection des droits de consomma teurs, moins formalisés, mais tout aussi efficaces, et qui sont réglés par les lois du marché. Ainsi, par exemple, la revue américaine Consumer Report publiait récemment deux rapports d'évaluation sur la pratique médicale et sur les plans de santé offerts par les HMO 1 1 aux États-Unis (Consumer reports, I99 5 ; I996). La classi fication des rendements hospitaliers dans certains magazines à grand tirage est un autre exemple de sources d'information dont dispose le consommateur pour exercer ses choix et porter, impli citement ou explicitement, un jugement sur les services de santé qui lui sont destinés ou qu'il a utilisés (McGlynn, I997 ; Hibbard, Jewett, I997 ; Ullman et coll., 1997).
Cette présentation à grands traits de ces différentes approches met en évidence l'importance des choix méthodologiques dans un travail d'évaluation. En pratique, on constate dans la plupart des pays occidentaux que les dispositifs politiques ou institutionnels d'éva luation empruntent beaucoup aux approches fondées sur l'opinion d'experts et sur l'approche dialectique, que les processus adminis tratifs ou décisionnels s'appuient souvent sur les approches statis tique, de l'agrément et de l'habilitation, tandis que les approches expérimentale et quasi expérimentale de même que les approches qualitatives se concrétisent davantage dans des démarches de recherche évaluative. Bien que ces distinctions doivent d'abord être considérées comme indicatives plutôt qu'exclusives, les deux approches qui se diffé rencient le plus sont les deux dernières. Elles ont fait l'objet de nombreux débats aux États-Unis, particulièrement depuis une dizaine d'années, notamment chez les membres de l' American Evaluation Association et dans la revue Evaluation Practice publiée
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par cette association (Lincoln, 199 1 ; Sechrest, 1992 ; Lincoln, Guba, 1992 ; Fetterman, 1992) . Elles n'en sont pas moins différentes dans leur façon d'appréhender le réel. La première approche comprend le réel comme « constitué d'entités décomposables en une hiérarchie de sous-systèmes qui peuvent s'analyser de manière indépendante (Monnier, 1992 : 191) » . Les travaux de Suchman (1967) et de Donabedian ( 1975 ; 19 80 ; 19 82), comme d'autres qui lui sont appa rentés (Champagne et coll., 19 85 ; Shadish, Cook et Leviton, 1991 ; Marceau et coll., 1992 ; Rossi, Freeman, 1993) s'inspirent de cette approche. À l'opposé, ceux qui se réclament de l'approche qua litative pensent que la réalité sociale est plus complexe et que « le tout est plus grand que la somme des parties » . Monnier ( 1992 : 141), Patton (19 86 ; 19 87 ; 1990) et Guba et Lincoln ( 1982 ; 19 89 ) sont parmi les principaux protagonistes de cette approche dans le domaine de l'évaluation. Dans l'un et l'autre cas, la question de la causalité est incon tournable, étant entendu que l'évaluation constitue toujours une tentative d'explication des effets observés et observables, mais les façons d'y répondre diffèrent d'une approche à l'autre. Afin d'éviter les partis pris idéologiques, nous préférons soutenir l'idée que cha cune de ces approches contient ses propres limites et que des oppo sitions radicales en faveur de l'une ou de l'autre ne peuvent, pour reprendre les termes de Péladeau et Mercier ( 1993 : n2), que « faire obstacle au développement respectif des différentes méthodologies et, par conséquent, au domaine de l'évaluation de programmes » . Il nous semble donc plus fructueux d'insister davantage sur les rappro chements que sur les oppositions et de réfléchir plutôt sur les enjeux de l'évaluation dans le contexte des transformations profondes auxquelles sont confrontés les systèmes de sal).té des pays indus trialisés. Conclusio n
Nous avons tenté de montrer que la fonction d'évaluation est de plus en plus reconnue comme nécessaire à l'heure des mutations pro fondes qui ont cours présentement dans les systèmes de santé et dans les sociétés au sein desquelles ils se développent et se transforment. Au Québec, par exemple, la refonte récente de la Loi sur les services de santé et les services sociaux précise le caractère stratégique de
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l'évaluation en présentant « l'exercice et l'acte d'évaluation, comme une condition essentielle à la régulation des politiques et des programmes (Joubert, 1992: 19) » . Au terme du présent chapitre, il convient de rappeler que si l'évaluation des services de santé est un instrument essentiel de réflexivité institutionnelle et un élément moteur de la transformation des systèmes de santé non régis par les lois du marché, elle est aussi, en corollaire, un champ de production de connaissances habité de tensions, tant sur les plans ontologique et épistémologique que méthodologique. Par la présentation des con ceptions, des courants de pensée, des démarches et des approches méthodologiques auxquels recourent les praticiens de cette activité, nous avons voulu montrer que l'évaluation dans le domaine de la santé, peut-être plus que dans d'autres champs d'application, pro cède de visions qui sont de moins en moins antagonistes et irré conciliables et de plus en plus interdisciplinaires et complémentaires. En cela, l'évaluation dans le domaine de la santé est une mani festation de la mutation profonde qui s'opère présentement dans les sociétés modernes. Le « modernisme systémique » ( Cooper, Burrell, I 988) qui a largement inspiré la conception des systèmes de santé dans les pays industrialisés a fait l'objet de critiques au cours de la dernière décennie, en ce qu'il répond de moins en moins aux carac téristiques des systèmes d'aujourd'hui. La cohérence et la rationalité uniques, de même que les instruments qui sont issus des sociétés modernes, telles la théorie des systèmes, la cybernétique et la théorie de la décision, n'ont plus le statut hégémonique dont elles ont joui au cours des trois ou quatre décennies antérieures. La légitimité socié tale du pluralisme des valeurs, de représentations contradictoires et de rationalités multiples semble de plus en plus reconnue. Les sociétés se transforment selon un processus de structuration qui résulte de l'action des agents individuels et collectifs qui font preuve de réflexivité individuelle et institutionnelle (Giddens, 1987 ; Has sard, 1993 ) ; le pluralisme des discours sur la connaissance est aujourd'hui admis et se substitue lentement au discours hégémo nique des tenants du modèle orthodoxe de la science. Toutes ces idées sont facilitées par l'explosion des connaissances scientifiques, par l'instantanéisation des communications, par la mobilité crois sante des personnes, des biens et des services, par la globalisation de la vie sociale et par l'homogénéisation accrue des modes de pro duction, de distribution et de consommation (FSA, 1995 ).
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Les processus de production du savoir et les modalités de la production des connaissances n'échappent pas à ces transformations. Dans un ouvrage récent, Gibbons et coll. (1994) observent qu'un corpus distinct de pratiques cognitives et sociales émerge actuelle ment des lieux de production de connaissances. Selon ces auteurs, les changements dans la pratique de la production de connaissances s'observent tout aussi bien dans les sciences de la nature que dans les sciences de l'humain et du social. Le champ de l'évaluation participe de cette mutation dans la mesure où, d'une part, son apport à la réflexivité institutionnelle et individuelle est davantage reconnu et où, d'autre part, il s'en trouve lui-même transformé. L'évolution de l'évaluation au cours de la der nière décennie montre bien que ce champ de connaissances s'est progressivement transformé d'une vision monolithique des objets de connaissances jusqu'à un pluralisme des visions, depuis un champ unidisciplinaire de production de connaissances jusqu'à un champ pluridisciplinaire (House, 1993 ). Dans le domaine de l'évaluation en santé, les objets à évaluer sont multidimensionnels et leur pleine compréhension nécessite des visions et des approches qui traversent les conceptions, les courants de pensée et les modes de mise en œuvre. La complémentarité des champs disciplinaires est nécessaire, car les enjeux de l'évaluation y sont, pour employer l'expression de Scriven ( 199 3 ), transdisci plinaires. L'apport de l'évaluation à l'évolution des systèmes de santé sera par ailleurs largement dépendant de la place qu'elle occupera dans les processus de gouverne et de gestion des politiques publiques et des programmes et, plus particulièrement, au sein des arran gements institutionnels des appareils publics dont il sera question au chapitre suivant.
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Les arran gements institution nels d 'éval u ation dans le domaine de la santé M I C H È L E SAI N T - P I E RR E • CLERMONT B É G I N P I E R R E J O U B E RT • J EA N Î U R G E O N
LE PREMIER CHAPITRE de cette quatrième partie a permis de mettre en évidence la variété des applications de l'éva luation dans le domaine de la santé, sans toutefois s'étendre sur la manière dont l'État se les approprie dans la gouverne et la gestion des politiques publiques. Ce sera précisément l'objet de ce chapitre, à partir de l'étude d'arrangements institutionnels de l'évaluation dont se dotent certains États. Nous nous proposons, dans ce cadre 1 , d'apporter des précisions sur le degré d'organisation de cette fonction au sein de l'appareil administratif de l'État, ainsi que sur celui de son intégration aux processus de gouverne et de gestion des politiques publiques et des programmes en matière de santé. Trois questions spécifiques retien nent notre attention. Premièrement, dans quelle mesure l'évaluation est-elle une activité organisée et légitimée au sein de l'État ? Autre ment dit, quelles sont les modalités des arrangements institutionnels mis en œuvre par l'État pour assurer la fonction d'évaluation de ses politiques et de ses programmes. En second lieu, quels rôles ces arrangements jouent-ils dans les processus de gouverne et de ges tion ? Et troisièmement, compte tenu de ce qui précède, que peut-on
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Le système de santé québécois
apprendre de la place qu'occupent les institutions vouées à l'évalua tion à l'intérieur de ces processus ? Pour ce faire, en raison de l'étendue du champ de l'évaluation dans le domaine de la santé, nous avons choisi de nous concentrer sur deux secteurs névralgiques dans la conjoncture actuelle des sys tèmes de santé : celui des technologies et des pratiques profession nelles, particulièrement médicales, et celui de l'organisation des services de santé. Plusieurs pays priorisent en effet l'évaluation des technologies et des pratiques qui en découlent, du fait de l'essor formidable des technologies 2 , de leur utilisation grandissante dans les systèmes de santé, du coût élevé de leur acquisition, de leur fonctionnement et, parallèlement à tout cela, de la reconnaissance des limites des ressources financières. Si la plupart du temps on examine la sécurité et l'efficacité des techniques, l'évaluation comporte aussi l'étude de leurs impacts économiques, sociaux et éthiques. Quant aux mesures des pratiques, elles fournissent généralement des indications sur les types d'interventions à préconiser, sur la qualité technique des actes accomplis et des résultats obtenus (Amouretti, Béraud, 1 990). Cependant, l'intérêt croissant pour l'évaluation des pratiques pro fessionnelles et leurs implications sur l'ensemble des systèmes de santé3 en fait actuellement un objet d'étude lié autant à l'organi sation des services qu'aux technologies. Aux fins du présent chapitre, nous traiterons des arrangements institutionnels de l'évaluation des pratiques en même temps que de ceux des technologies. Les processus de réforme auxquels se soumettent présentement la plupart des pays industrialisés amènent aussi à s'interroger sur les façons dont s'organisent et se gèrent les différents systèmes de santé. On considère alors les évaluations qui sont faites autant sous la forme d'utilisation des services offerts que sous celle de reconnais sance des institutions aptes à fournir des soins adéquats à des populations. En nous inspirant des trois conceptions de l'évaluation présentées au chapitre précédent 4 et des définitions élaborées par Turgeon ( 1994 ), nous considérons que les institutions créées par l'État, afin d'assurer l'évaluation des politiques et des programmes de santé, recoupent trois ordres de préoccupation. Premièrement, elles peuvent s'intéresser à l'évaluation de la conformité aux règles établies et aux normes édictées, afin de vérifier l'adéquation des actions accomplies
Les arrangements institutionnels d'évaluation
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à ces critères prédéterminés. Il s'agit en fait de s'assurer que certaines exigences de fonctionnement soient minimalement rencontrées 5 • En second lieu, les arrangements institutionnels de l'évaluation peuvent avoir comme préoccupation la surveillance et le suivi des politiques et des programmes aux fins de monitorage et d'autorégulation. Ici, il s'agit de dépasser la mesure de la conformité aux normes établies en vérifiant dans quelle mesure les actions entreprises contribuent à la concrétisation des choix effectués par les gouvernants ; on s'intéresse donc à l'évaluation de l'efficacité et de l'efficience de ces actions, sans toutefois remettre en question leur pertinence fondamentale. Parce que ces deux premières préoccupations, qui constituent les fondements mêmes des arrangements institutionnels, se traduisent par des opérations de nature relativement technique, en ce sens qu'elles relèvent des opérations nécessaires à l'action, nous les désignons, dans la suite de ce chapitre, par le terme d'évaluation technique. La troisième préoccupation des institutions porte directement sur la pertinence et l'impact des actions menées à la suite des choix effectués par les gouvernants. Autrement dit, les institutions peuvent assumer un rôle de légitimation des choix sociaux et, par extension, d'évaluation des décisions prises par les gouvernants. Peu importe que la reconnaissance soit relative aux problèmes à traiter, aux acteurs concernés, aux arrangements institutionnels choisis pour ce faire ou aux moyens privilégiés, nous parlons ci-après d'évaluation de légitimation pour traiter de cet ordre de préoccupations6 • Enfin, l'analyse des arrangements institutionnels que nous pré sentons porte principalement sur le Québec. Toutefois, pour rendre compte des enjeux qui se posent en matière d'évaluation des politi ques et des programmes de santé, en fonction du cadre proposé ci dessus et des objets d'évaluation à l'étude, nous utilisons aussi l'information disponible à propos de l'expérience canadienne, de même que celle sur d'autres pays industrialisés, comme les États Unis, la Grande-Bretagne et la France. Les modal ités des arrangements institutionnels de l 'éval uation des technologies et des pratiques professionnelles dans le domaine de la santé
C'est en vertu du principe de la responsabilité ministérielle que la fonction d'évaluation s'inscrit au Québec dans les processus de
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gestion sectoriels. Elle vise à fournir des instruments d'aide à la décision, particulièrement en ce qui a trait aux processus bud gétaires, et à améliorer la qualité des services et l'efficience des pro grammes gouvernementaux. Sont ainsi privilégiées la surveillance, par l'évaluation de la performance, et la recherche évaluative, par une mesure de la pertinence, de l'efficacité et de l'efficience des différents programmes, politiques et services (Marceau, Simard et Otis, 1992 ; Direction de l'évaluation, MSSS, 1994 ). Dans ce contexte, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, appelé à assumer des responsabilités de planification et de gestion administrative et budgétaire du système québécois de santé (Fleurette et coll., 1991 ), se dotait en 1988 d'un organisme capable de promouvoir, soutenir et produire des évaluations des technologies de la santé et de le conseiller sur ce sujet : le Conseil d'évaluation des technologies de la santé (CETS) (Jacob, Battista, 1993 ). Le rôle du Conseil s'est établi autour de l'aide à l'amélioration de la prise de décision concernant l'introduction, la diffusion et l'utilisation des technologies médicales et ce, en fournissant l'information la plus complète et fiable possible sur leur efficacité, leur sécurité, leurs coûts et leurs impacts sur le système de santé. Selon une évaluation formelle de ses propres activités, effectuée en 1991 par des conseillers externes, le CETS est reconnu crédible parce que sa production est jugée pertinente et de bonne qualité (Battista, Jacob et Hodge, 1994 ). Pour le moment, il s'agit d'une évaluation à caractère technique relative à son efficacité et à son efficience qui ne remet pas en question sa pertinence. Parallèlement, devant le besoin de coordination 7 de l'évaluation des technologies à l'échelle nationale, l'État canadien fondait en 1990 l'Office canadien de coordination de l'évaluation des techno logies de la santé ( OCCETS) . C'est en tenant compte du rôle d'enca drement du gouvernement fédéral relatif au soutien financier qu'il accorde aux provinces et en fonction des mesures de surveillance des règles générales qu'il adopte 8 pour protéger la santé des citoyens du pays . que l'OCCETS est créé. En plus de fournir de l'information concernant l'efficacité et les coûts des nouvelles technologies de la santé et de celles déj à existantes, le mandat attribué à cet organisme s'élargissait à la promotion de la recherche évaluative et à la création de liens de coopération avec les autres organismes provinciaux et internationaux d'évaluation des technologies. Après les trois pre-
Les arrangements institutionnels d'évaluation
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mières années d'existence de l'Office, une meilleure coordination entre les activités des diverses agences chargées de l'évaluation des technologies de la santé restait toujours à établir. De plus, il a été soutenu que l'organisme avait jusqu'alors fait peu de choses pour stimuler réellement la recherche dans ce domaine (Battista et coll., 199 5 ). En ce qui concerne le champ de l'évaluation des pratiques, le Québec et le Canada laissent la majorité de ce champ aux différentes corporations professionnelles qui prennent en charge l'ensemble de l'organisation et de l'autodiscipline des professions. L'évaluation des variations de pratique est, par contre, assumée directement par l'État ou par les chercheurs universitaires par le biais des programmes publics de subventions à la recherche. Cependant, malgré l'existence de la notion d'évaluation professionnelle au Canada, la question relative à la mesure de la qualité de la pratique médicale reste entière et les problèmes d'organisation à cet égard demeurent importants. Le Québec, par ailleurs, assure l'évaluation de l'acte médical par le Service d'inspection professionnelle (SIP) du Collège des médecins du Québec. Sous la responsabilité d'un Comité d'inspection, le SIP doit surveiller l'exercice professionnel et vérifier les dossiers, livres, regis tres, médicaments et équipements qui le supportent, en effectuant des visites systématiques de tous les établissements de santé. C'est par l'appréciation des fonctions dévolues au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de chaque établissement que se pratique l'évaluation de la qualité de l'acte médical. Le CMDP, res ponsable auprès du Conseil d'administration de l'établissement, contrôle et apprécie les actes médicaux, dentaires et pharmacolo giques, tout en s'assurant du maintien de la compétence des profes sionnels sous sa juridiction. S'il y a hiérarchisation de l'évaluation des pratiques médicales, il reste qu'il s'agit largement d'une évalua tion par les pairs, ce qui limite souvent le droit de regard externe à la profession. Dans ce cadre, même après de nombreuses années, il semble bien que le Collège n'ait pas vraiment réussi à s'imposer en matière d'évaluation médicale, se contentant généralement de normes de qualité de soins bien en deçà de celles réalisées dans les établissements et les cabinets privés (Fleurette et coll., 1991) . En plus de l'évaluation de la qualité de l'acte médical, l'évaluation de la qualité des soins infirmiers est obligatoire au Québec depuis 1973 et c'est l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec qui en
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assume la responsabilité. Dans les établissements de santé, c'est la Direction des soins infirmiers, sous l'autorité du directeur général, qui coordonne cette activité, en identifiant les orientations d'éva luation, les instruments à utiliser et, par la suite, les actions de correction à envisager de concert avec les équipes visées. Quelques expériences étrangères Les États- Unis
C'est en fait l'expérience institutionnelle américaine de l'Office of Technology Assessment ( OTA) qui a servi de modèle à plusieurs pays désireux de suivre de près les grandes évolutions technologiques, de mettre au point en même temps des méthodes d'évaluation relatives à l'efficacité d'une technologie, à son rapport avantage-coût, en élar gissant parfois leur intérêt à leurs répercussions sociales. Le Québec ne fait pas exception, même s'il a opté pour une évaluation de nature technique plutôt que de légitimation. Aux États-Unis, une culture de l'autonomie et une économie de libre marché ont teinté · les comportements et ont fait éclore une panoplie d'organismes d'évaluation des technologies et des pratiques autant du côté de la branche exécutive de l'État que de sa branche législative (tel qu'était l'OTA) . Au Québec, par contraste, c'est l'exé cutif qui prédomine et l'évaluation des technologies est séparée de celle des pratiques professionnelles, ou à tout le moins effectuée par des groupes différents. C'est l'administration fédérale américaine qui doit assumer, pour l'exécutif, l'essentiel 9 de la responsabilité de l'ensemble de l'éva luation en santé (y compris les technologies et les pratiques) par le truchement du Department of Health and Human Services (DHHS), qui gère l'accès au programme Medicare 10 • Parallèlement, plusieurs organismes d'évaluation indépendants ont cependant été créés à la demande du Congrès (branche législative de l'État américain) ou sous son impulsion 1 1 • Ces organismes ont été mis sur pied, entre autres, pour évaluer les techniques médicales relatives au dévelop pement de nouvelles thérapies (National Institute of Health NIH 12 ) , pour promouvoir le développement et l'application de la politique des Diagnosis Related Groups (Prospective Paiement Assessment Commission - PROPAC 13 ), pour élaborer des méthodes
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et des cadres conceptuels utiles à l'évaluation des technologies, identifier les besoins à cet égard et porter une attention aux résultats des évaluations (Council on Health Care Technology - CHCT 14 } . De plus, divers groupes professionnels, des compagnies privées d'assurances et des établissements pratiquent et mettent au point, en dehors des cadres fédéraux, des mécanismes d'évaluation adaptés à leurs besoins spécifiques. Il s'y pratique l'évaluation de l'efficacité de certaines technologies médicales et de leurs implications finan cières, ainsi que l'évaluation des procédures médicales et chirur gicales 1 5 . Somme toute, si le secteur de l'évaluation des technologies et des pratiques médicales est florissant dans le système de santé américain, le bilan qu'on en fait généralement indique qu'il existe peu ou pas de coordination, tout comme cela semble être le cas au Canada. L'absence de politiques d'ensemble et d'organisme ou de groupe chargé d'examiner les implications des coûts, des risques et des béné fices des technologies médicales est décriée (Perry, 1988 ; Tunis, Gelband, 1994, Weil, Jorgensen, 1996). Certains croient (Weil, Jorgensen, 1996) qu'une régulation d'ensemble doit s'établir entre les alliances des hôpitaux, des médecins et des compagnies d'assu rances et les différents départements étatiques de santé publique, afin de favoriser une meilleure intégration de l'évaluation au sein du système de santé. Au Québec, la question qui se pose n'est pas la même. Ce n'est pas l'absence d'organisme central capable d'étudier la situation d'en semble des technologies de la santé qui est considérée, mais plutôt le type d'évaluation dont le CETS a été l'objet. L'orientation technique de l'évaluation pratiquée au détriment, à date, de l'évaluation cri tique ou de légitimation du CETS, c'est-à-dire celle s'interrogeant sur la pertinence de l'organisme, est rediscutée (Dillard, 199 2). L a France
À l'instar du Québec, la France procède, depuis 1990, à l'évalua tion des technologies par le truchement d'un organisme central, l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM). Cependant, à cause du difficile partage des pouvoirs entre ses principaux agents, soit l'État, la Sécurité sociale et les professionnels, et de la couverture de l'ensemble du champ de
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l'évaluation des technologies et des pratiques par un même orga nisme, il est difficile de comparer la situation des deux pays. L'évaluation ne met pas l'accent sur le contrôle, ni même sur une maîtrise des dépenses, comme c'est souvent le cas ailleurs. L'accent est plutôt mis sur un apport d'éléments fiables d'aide à la décision pour les différents acteurs en présence et ce, en ce qui concerne la qualité des soins préventifs, diagnostiques et thérapeutiques (ANDEM, 199 1 ). En fait, les arrangements institutionnels de l'évaluation, en France, cherchent à concilier les nécessités techniques de l'évaluation et ses exigences politiques. L'évaluation se situe donc à mi-chemin entre la recherche d'efficience du système et le besoin de participation de ses membres ( Catrice-Lorey, 1993 ). En raison des rapports que l'État entretient avec le corps médical comme prestateur de soins et avec l'Assurance-maladie comme agent payeur, la méthode de conférences de consensus 1 6 a été privilégiée par l'ANDEM, afin d'inciter les principaux intervenants à s'entendre à partir de la confrontation collective des pratiques de soins. Cepen dant, malgré les efforts accomplis par l'ANDEM, divers groupes, en parallèle, ont mis au point, comme aux États-Unis, des méthodes d'évaluation, des bases de données médico-économiques et des acti vités de formation 17 • Ainsi, l'État français est amené à réorganiser sa fonction d'évaluation. C'est ainsi que le 24 avril 1996, le gouverne ment annonçait la création d'un nouvel organisme central, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé (ANAES), pour remplacer l'ANDEM. En ce qui concerne plus spécifiquement l'évaluation des pratiques, la France a aussi constitué des organismes régionaux, les Commis sions régionales d'évaluation médicale des établissements ( CREME), en raison de l'obligation légale faite aux établissements publics et privés de se doter d'une politique d'évaluation des pratiques médi cales, des soins infirmiers et de l'ensemble des activités. Ces com missions participent à l'effort d'évaluation en conseillant les établissements sur les principales méthodologies disponibles. Toute fois, les CREME ne bénéficient pas d'une organisation permanente et n'interviennent qu'à la requête expresse des préfets (représentants politiques du gouvernement central) ou des établissements eux� mêmes et ce, sans coordination formelle 1 8 •
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L'Angleterre
Contrairement au Québec et à la France, qui ont choisi d'instaurer un organisme central d'évaluation des technologies de la santé dès I988 et I990, l'Angleterre n'a réagi qu'à partir de I99I 19 au manque de contrôle réel sur les technologies médicales et au besoin d'éva luation à ce niveau. Depuis, le Department of Health, plus précisé ment le National Health Service Supplies Authority, a fourni une politique d'achat non obligatoire des équipements médicaux, chirur gicaux et radiologiques. En I 9 93, a été aussi établi le Standard Group on Health Technology, afin d'identifier les besoins en évalua tion pour les technologies existantes et pour celles en émergence. Ces développements convergent vers une politique générale d'évaluation des technologies. Ils sont issus des pressions exercées par des orga nismes professionnels et scientifiques 20 voués à la recherche médicale auxquelles se sont ajoutées, depuis peu, les pressions des groupes d'acheteurs de services. Du côté des pratiques professionnelles, le Department of Health encourage les médecins à participer aux audits médicaux. Ces évaluations, tout en étant facultatives, sont bien reçues par les professionnels qui y collaborent et semblent de plus en plus recon naître l'intérêt de se conformer à certains standards de pratique, tout en tenant compte des coûts (Spiby, 1 994). Toutefois, les choix effectués par l'État anglais ont été davantage orientés, jusqu'à la réforme de 1991, vers la planification et l'organi sation du système de santé, plutôt que vers l'évaluation de ses perfor mances. Depuis, l'Angleterre se démarque encore plus du Québec étant donné l'ouverture d'un marché interne qui consacre la sépa ration des producteurs et des consommateurs. Ce fut alors l'intro duction d'une forme de compétition chez les producteurs de services susceptible d'encourager l'efficacité, l'efficience et la qualité des soins et des services. Cependant, selon Saltman ( I994) et Klein (I995), cette forme de compétition semble inciter davantage les producteurs et les consommateurs à considérer leurs propres intérêts individuels qu'à maximiser le bien-être collectif. Bref, les efforts déployés par les différents États pour se doter de mécanismes d'évaluation des technologies et des pratiques pro fessionnelles sont très variables et ne laissent que peu de place à l'évaluation de légitimation. Au Québec, en particulier, l'auto évaluation, par les groupes de professionnels eux-mêmes, prime sur
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l'évaluation, sous d'autres formes, des pratiques professionnelles, ne laissant que peu de place aux initiatives qui pourraient venir de la société civile. Les modalités des arrangements institutionnels de l 'éval uation de l ' organisation des services de santé
Parce que les modes de gestion et d'organisation des services de santé sont en pleine mutation en raison des impératifs sociosanitaires et financiers, l'institutionnalisation de l'évaluation a également subi les aléas de ces transformations. Dans cette section, nous traçons un portrait d'ensemble de la situation. Dans un premier temps, nous mettons en évidence le fait que l'évaluation de l'organisation des services a d'abord emprunté la voie de la conformité des éta blissements à des normes préalablement édictées. Ensuite, à l'occa sion des réformes des systèmes de santé des pays déjà considérés, nous montrons que les arrangements institutionnels de l'évaluation ont évolué à la faveur, notamment, de préoccupations de suivi et de surveillance, non seulement de la performance des établissements de santé, mais aussi des résultats à partir d'indicateurs identifiés à cette fin. Enfin, en troisième lieu, nous mettons en évidence l'influence que peuvent exercer les consommateurs de soins et de services de santé sur l'institutionnalisation de l'évaluation. L'éval uation de la confo rm ité l 'accréditation des établ issements de santé
L'institutionnalisation des mesures de conformité à certains critères de qualité au sein des établissements de santé s'est rapidement déve loppée en Amérique du Nord (depuis le début du siècle aux États Unis, mais particulièrement depuis les années 19 5 0), par l'inter médiaire de l'accréditation hospitalière, et y a souvent précédé les autres formes d'évaluation de l'organisation des services. Cependant, depuis que la situation financière de la plupart des pays industrialisés est devenue préoccupante, l'intérêt pour des mesures d'efficacité et d'efficience des politiques et des programmes prend de plus en plus d'importance. Le Québec, comme le Canada, a suivi cette évolution. En ce qui concerne l'évaluation des établissements hospitaliers, la province s'inscrit dans le modèle fédéral en faisant appel aux services du
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Conseil canadien d'agrément des établissements de santé (CCAES). C'est sur une base volontaire que chaque établissement 21 , s'assujettit à une auto-évaluation selon un guide méthodologique précis, puis à une visite d'agrément de la part des experts de l'organisme d'accréditation. Les structures en place, les modes de fonctionnement et les procédés sont évalués et comparés aux données de l'auto évaluation (Béique, 1992). Le CCAES, à partir des normes qu'il a élaborées, mesure le degré de conformité des établissements à ces normes et recommande l'agrément ou non sans porter de jugement de valeur coercitive sur les modalités de fonctionnement ou d'orga nisation. L'organisme vise à sensibiliser les établissements quant à leur responsabilité à assurer des soins de haute qualité. Il ne s'agit pas d'une évaluation de l'acte médical, mais surtout d'une mesure de la qualité des structures et des procédures. Il est postulé que l'existence des structures et des procédures appropriées contribue à favoriser la qualité recherchée. Bien que les établissements non agréés ne subissent pas de préjudice en matière d'autorisation et de financement, sauf pour les établissements d'enseignement, on constate que les visites d'agrément contribuent au développement d'une dynamique propre de qua lité au sein de chaque établissement, par la mise en place de structures permanentes telles des directions de la qualité. Ces instances sont chargées de surveiller la qualité des soins et de gérer les plaintes. À un degré moindre, mais en s'appuyant sur le même modèle, les établissements du secteur des affaires sociales bénéficient, depuis peu, des visites d'agrément du Conseil québécois d'agrément. Il est toutefois encore trop tôt pour juger des activités de cet organisme, étant donné sa création relativement récente (Deschênes, Brunet, Boudreau et Marcoux, 1996). Quelques expériences étrangères
LES ÉTATS-UNIS : Si le mécanisme canadien d'accréditation hospi talière s'est largement inspiré des façons de faire en vigueur aux États-Unis, il s'en éloigne de plus en plus aujourd'hui. Aux États Unis, depuis l'instauration des services et des soins intégrés, on compte effectivement toute une gamme d'organismes, en com pétition les uns avec les autres, qui sont chargés de cette tâche. La
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Joint Commission on Accreditation of Hospitals (JCAHO), qui procède depuis I 9 5 I à l'évaluation de l'administration des bâtiments, des services alimentaires, infirmiers et pharmaceutiques des établis sements de santé, a dû subir la critique, malgré sa grande crédibilité auprès de plus des trois quarts des hôpitaux américains et sa recon naissance légale par vingt États. On lui reproche son incapacité à analyser rapidement les « mauvais résultats », sa difficulté à bien cibler les directives et les conseils donnés aux hôpitaux et surtout son approche essentiellement fondée sur des aspects préventifs, plutôt que sur l'aide à l'amélioration des services à fournir à la population. Un vent de changement oblige actuellement la JCAHO à se diversifier et éventuellement à comparer ses procédures avec les autres organismes d'accréditation. Principalement, celle-ci doit partager le « marché >> avec la National Commission on Quality Assurance (NCQA), organisme indépendant qui est le chef de file en matière d'accréditation des HMO et des autres entités de soins intégrés, tels les Prefered Provider Organizations (PPO) et les Points of-service Plan (POS). On compte également sur l'Utilization Review Accreditation Commission (URAC) qui se spécialise dans la mesure des impacts des analyses d'utilisation des services et, depuis l'ac quisition de l'American Accreditation Program ( AAP) en octobre 199 5 , dans l'accréditation des PPO (Dimmin, I99 5 ). LA FRANCE : L'expérience française relative à l'accréditation des établissements, bien que récente, sera sans doute intéressante à observer dans les années à venir, étant donné ses différences avec les manières de faire en Amérique du Nord. Forte de ses essais22 , la France a créé un nouvel organisme central, placé sous la tutelle du ministère de la Santé, l'Agence nationale d'accréditation et d'éva luation de la santé (ANAES). En plus de procéder au développement de l'évaluation des soins et des pratiques professionnelles, l'ANAES doit mettre en œuvre une procédure obligatoire d'accréditation pour les établissements. Contrôlée par un conseil d'administration et par un conseil scientifique chargé séparément de l'évaluation et de l'accréditation, l'ANAES devrait être, selon certains, un instrument puissant au service des politiques administratives de régulation du système de santé (Brémont, 1996). En même temps, des agences régionales de l 'hospitalisation doivent être formées par l'État pour chacune des régions françaises,
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afin de mieux coordonner l'ensemble des activités. À cette fin, un système d'information commun doit être élaboré et des indicateurs de suivi et de résultats, nécessaires à l'évaluation périodique de chaque établissement, mis au point (Journal officiel de la République française, 25 avril 1 996). Cette approche à caractère obligatoire de la part des établissements de santé, sous peine de subir des sanctions budgétaires, se distingue grandement des modalités nord-américaines fondées sur le volontariat de chaque établissement et sur l'idée que chacun peut se responsabiliser à l'égard d'une prestation de soins d'excellente qualité. L'ANGLETERRE : Le mécanisme d'agrément américain de la JCAHO, repris globalement par les Canadiens et choisi par les établissements hospitaliers québécois, a aussi influencé le développement des normes d'accréditation en Angleterre. Si le pays n'en est pas encore à se doter d'une agence nationale apte à promouvoir et à développer des normes d'accréditation à l'échelle nationale, il demeure que deux programmes vont en ce sens. Ces deux programmes sont le King's Fund Organisational Audit Programme pour les hôpitaux généraux d'abord23 et le South Western Hospital Accreditation Programme pour les petits hôpitaux communautaires. Dans les deux cas, les programmes s'appliquent selon des caractéristiques semblables à ce qui se fait en Amérique du Nord: l'indépendance des organismes par rapport aux fonds publics, la participation volontaire des éta blissements visés, la visite par des groupes de pairs, les cycles répé titifs annuels ou bisannuels et la publication de standards multidisciplinaires (Shaw, Brooks, 199 1 ). Le suivi et la survei llance dans l 'organisation des services
En plus de l'institutionnalisation de la fonction de conformité aux normes d'organisation des établissements de santé, le Québec a adopté, en 1989, sous l'impulsion principalement du Conseil du trésor, une directive concernant l'analyse des programmes et la vérification interne selon la Loi sur l'administration financière. C'est à partir de là qu'on a commencé à parler de l'évaluation de la qualité. En 199 1 , la politique gouvernementale concernant l'amé lioration de la qualité des services aux citoyens, puis le document gouvernemental Vivre selon nos moyens, publié en 199 3 , spécifient
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les trois grands ordres de préoccupations à l'égard des services de santé, soit la pertinence, l'efficacité et l'efficience. Combinée à ces orientations générales, la réforme du système de santé, en I 99 I , venait préciser les thèmes majeurs devant dorénavant servir d'assise à la fonction d'évaluation : gestion par programme, objectifs de résul tats, allocation de ressources, révision du panier de services, contrôle de la rémunération (Ministère de la Santé et des Services sociaux, I994) . La fonction d'évaluation confiée a u ministère d e la Santé et des Services sociaux par la loi 120 ( 1 99 1) se réalise en concertation avec les régies régionales qui gèrent l'organisation des services et pro cèdent à l'allocation des ressources aux établissements. Plus concrè tement, les politiques et programmes de santé établis au niveau provincial sont mis en œuvre et évalués au niveau régional. Les régions se préoccupent, dans ce cadre, de l'efficacité des services, du degré d'atteinte des objectifs et du degré de satisfaction des usagers ; elles ont, en plus, à assurer le suivi de gestion et l'évaluation de programmes opérationnalisés dans les plans régionaux d'organisa tion de services (PROS) ou autres formes de plans d'action. Les établissements, sur le plan local, ont surtout à garantir un bon suivi de gestion des services offerts en portant une· attention particulière aux indicateurs de qualité et à l'évaluation de la satisfaction des clients et de la population en général. La Politique de santé et du bien-être, présentée au printemps de I992, et le plan triennal Défi « qualité-performance » , proposé par le Ministère en 1993, viennent reconfirmer les choix relatifs au type d'évaluation à effectuer, soit la surveillance et la recherche évalua tive, ainsi que la cible à atteindre, soit la performance d'ensemble du système dans le cadre budgétaire prescrit. Auparavant, le souci de surveillance et de suivi des politiques et des programmes de santé avait préoccupé le gouvernement fédéral. L'accent était alors placé sur les dispositifs de collecte de données relatives à l'utilisation des ressources et les coûts comparatifs. Statis tique Canada, Santé Canada, le Hospital Medical Records Institute (HMRI), les Services d'information de gestion et la Base nationale de données sur les effectifs médicaux étaient parmi les principaux orga nismes à colliger et à analyser ces données financières d'utilisation des services, de population et de situation sanitaire. Le nouvel Institut canadien d'information sur la santé regroupe maintenant le
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HMRI, les Services d'information de gestion et certaines des fonctions d'information de Santé Canada et de Statistique Canada (OCDE, 1995b). Quelques expériences étrangères
LES ÉTATS-UNIS : Aux États-Unis, la pression financière, combinée à celle exercée par l'élargissement de la compétition entre les établissements et les producteurs de soins, depuis le développement du réseau des établissements de santé, a obligé la comparaison des performances entre les différents « plans » . Si, comme au Québec, on a instauré des modes d'évaluation de la qualité et de l'utilisation24 des services, il semble qu'on y ait davantage recherché la réduction des dépenses de santé en multipliant tous azimuts les initiatives d'éva luation. C'est ainsi que la mise en place, dans chaque État américain, des Peer Review Organizations (PRO) 25 chargées de vérifier les rensei gnements transmis sur les diagnostics médicaux au sein des hôpitaux et de se prononcer sur les traitements fournis, en s'assurant que les interventions auprès des patients étaient bien nécessaires, a plutôt contribué, d'après plusieurs critiques, à raccourcir la durée du séjour des patients et à refuser de considérer la pertinence de certaines admissions (Durand-Zaleski et coll., 1991 ). Dans le mouvement de réforme entraîné par l'émergence des systèmes de santé intégrés, on a mis sur pied des programmes aptes à comparer la performance des établissements prestateurs de soins par rapport à la qualité des services rendus. L'introduction en 1993 du Health Care Quality Improvement Program (HCQIP), instauré pour comparer la perfor mance des hôpitaux au sein d'un PRO à l'aide de l'élaboration de lignes directrices (Dettmann, 199 5 ), dénote cet effort déployé par les Américains pour fournir un portrait d'ensemble de la qualité et de l'utilisation des soins à l'échelle nationale26 • D'autres mesures, tels les Health Plan Employer Data and Information System (HEDIS) 27, concrétisent cette orientation, en ce qui a trait aux choix d'utilisation des différents modes d'organisation des soins. Dans cette foulée, le gouvernement fédéral, à la recherche constante de nouveaux méca nismes de comparaison des données pour réduire les coûts et aug menter la qualité des soins fournis dans le cadre de Medicare et Medicaid, entreprend de nouvelles expériences28 de pair avec les États, les assureurs, les professionnels de la santé et les consommateurs.
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LA FRANCE: En France, il semble bien que les pouvoirs publics aient encore plus de difficultés qu'au Québec à s'outiller pour apprécier les activités des institutions sanitaires du pays. Le Programme de médicalisation du système d'information (PMSI) qui vise « à connaître les variations de ressources consommées selon les établis sements pour le traitement d'un même type de pathologie ( Catrice Lorey, I993 : 88) », afin de mieux planifier l'ensemble des services hospitaliers, ne paraît pas répondre aux attentes. Aucune réelle exploitation des données du PMSI n'a pu être réalisée en raison du retard des acteurs concernés, c'est-à-dire les administrations hos pitalières et les médecins, à produire les résumés standardisés de séjour (RSS). En fait, c'est le service médical des organisations d' Assurance-maladie, par le truchement du contrôle médical hos pitalier ( CME), qui dispose d'un bassin important de ressources médicales chargées de vérifier sur place le fonctionnement des structures et institutions sanitaires et médico-sociales. La surveillance de l'activité médicale ne se limite pas seulement aux frais encourus par les soins, mais elle couvre aussi l'utilité du service rendu. Le CME semble avoir permis de collecter des données utiles à la pla nification, de préciser le niveau d'adéquation des hospitalisations et de faire ressortir les problèmes reliés au prolongement indu des séjours hospitaliers. De plus, il est à souligner que la coordination d'ensemble est ardue, étant donné que les médecins français ne participent, pour leur part, à l'effort d'évaluation des activités et services, que par leur rôle au sein des commissions médicales d'éta blissement de chaque institution, plutôt que sous la responsabilité des ordres professionnels (de Pouvourville, I997), comme c'est le cas au Québec, au Canada et aux États-Unis. L'ANGLETERRE : Les initiatives anglaises se sont développées, quant à elles, à partir de la mise en place, obligatoire, des programmes d'assurance qualité au niveau régional. Elles ont particulièrement porté sur les relations avec la clientèle, les révisions des services rendus, la mise au point d'indicateurs et l'audit. Toutefois, le manque de rigueur dans les procédures d'évaluation ne semble pas avoir favorisé les comparaisons relatives à la qualité des soins dispensés dans l'ensemble du pays (Carr-Hill et coll., I 994). Globalement, les diverses mesures adoptées au Québec, comme dans les autres pays étudiés, s'entrecroisent souvent : allocation-
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utilisation des ressources-services, révision des paniers de services ou des services rendus, contrôle de la rémunération des professionnels, coûts comparatifs, satisfaction de la clientèle, qualité des soins services, etc. De ce fait, une certaine compétition entre ces mesures s'instaure, sans cependant que des lieux de synthèse soient néces sairement aménagés. Toutes ces initiatives qui s'élaborent dans des contextes de réforme des systèmes de santé sont, par ailleurs, aussi dépendantes des changements en cours, ce qui influe directement sur les arrangements institutionnels de l'évaluation. L'éval uation par les consommateu rs
Au Québec, deux mécanismes sont particulièrement prévus, dans la loi 1 20 ( 199 1), à l'égard de l'évaluation de la qualité des services par les consommateurs de soins. D'abord, chaque établissement du réseau hospitalier doit instituer et soutenir financièrement un comité d'usagers dans le but de fa ciliter l'accès à l'information, la pro motion et la représentation des droits et des intérêts des utilisateurs des soins et des services. Ensuite, les différentes instances locales, régionales et centrales ont à gérer un système de plaintes qui est organisé de manière à ce que les consommateurs puissent exercer leurs recours en limitant les entraves administratives. Le système de gestion des plaintes paraît être au Québec, comme ailleurs où l'État contrôle massivement l'offre de soins, le mode de régulation privi légié, étant donné l'absence d'autres types de mécanismes associés à la libre circulation des biens et services ou à une décentralisation politique et financière au profit des consommateurs. Autant les professionnels que les gestionnaires et les adminis trateurs des établissements québécois sont responsables, en fonction de leur secteur de compétence, de l'application des procédures d'exa men des plaintes formulées. Il y a obligation d'informer le con sommateur de l'existence d'une telle procédure, celle de l'assister dans la formulation de sa plainte, celle, s'il s'agit d'un acte profes sionnel, de transmettre le problème soulevé aux professionnels con cernés et celle de répondre à la plainte dans les délais prescrits. De plus, lorsque le plaignant juge que l'établissement ne lui a pas donné satisfaction, il bénéficie d'un droit de recours auprès de l'instance régionale, qui à son tour doit rendre compte de ses activités au commissaire aux plaintes nommé par le gouvernement du Québec ; le
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commissaire peut également agir, s'il y a lieu, comme instance de dernier recours. Une fois l'an, un rapport sur l'application de la procédure d'examen des plaintes est présenté au ministre responsable de l'application de la loi qui le transmet, accompagné de celui des régies régionales, à l'Assemblée nationale. Si la satisfaction de l'usager semble centrale dans le réseau de la santé, elle est tout de même pondérée par l'arbitrage de chacune des instances organisationnelles au fil de l'acheminement des plaintes. L'évaluation des consommateurs doit, en effet, s'assujettir aux moda lités administratives du système et passer le filtre du jugement des gestionnaires, des professionnels et des administrateurs. En comparant les mécanismes instaurés au Québec avec ceux des autres pays, on constate qu'il n'y a que l'Angleterre qui semble pousser plus loin la prise en considération de la satisfaction de l'utili sateur. Les Français, de leur côté, commencent à utiliser les enquêtes de satisfaction des services hospitaliers auprès des utilisateurs et à recenser les plaintes reçues (Amar et coll., 1 996). Quant aux Amé ricains, c'est le libre marché de la santé qui doit concourir à une évaluation du consommateur par les choix économiques qu'il assume. Pour ce faire, la publication de guides du consommateur à la manière développée par le Pennsylvania Health Care Cost Containment Council ou le Comité national pour l'assurance qualité (HEDIS) prend de plus en plus d'ampleur. Ces guides présentent, tel qu'il a été spécifié au chapitre précédent, des données comparatives sur les services, les interventions et les coûts. Les Anglais, par ailleurs, vont au-delà de l'instauration des comités d'usagers et de la création d'un système de plaintes. En fait, depuis la réforme de 1991 29 , l'État semble miser davantage sur une certaine autorégulation du marché pour que les programmes produisent les services prévus, un peu comme aux États-Unis, mais en se conservant cependant l'autorité sur la capacité d'achat des services. En plus des organisations de consommateurs, tels les Com munity Health Councils (CHC) chargés de représenter les intérêts des patients, en fournissant à la population des canaux d'informa tion, de consultation et de représentation au sein du système de santé, ce sont les contrats qui s'établissent entre les producteurs et un groupe de consommateurs qui semblent être des moyens privilégiés d'assurance-qualité. Ces contrats, qui prennent la forme d'ententes de services effectuées entre les autorités locales et les producteurs,
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doivent permettre à l'ensemble des consommateurs visés de réviser les services de santé, d'en recommander des améliorations, et ainsi d'identifier les mesures de qualité requises. Toutefois, devant le peu d'expérience des groupes de consommateurs à cet égard et devant le pouvoir accordé aux autorités locales de la santé dans l'établissement des contrats, il semble qu'il soit difficile de juger de l'impact réel de ce mode d'évaluation sur l'amélioration de la qualité des services. Il faut ajouter, cependant, que certains contrats requièrent de la part des producteurs l'engagement ferme de se doter d'un plan d'action concernant la gestion de la qualité et l'amélioration continue des services (Jost et coll., I99 5). Le rôle des consommateurs dans l'évaluation de la gestion et de l'organisation des services pourra être renforcé par l'établissement des Patient's Charter qui définissent certains standards nationaux et locaux, auxquels la population est en droit de s'attendre, et par la publication par le Department of Health d'une série de bulletins d'in formation relatifs à l'efficacité des services rendus. L'instauration de ces mesures a été accompagnée de l'établissement du Clinical Stan dards Advisory Group (CSAG) 30 qui doit fournir des avis aux orga nismes de santé concernant l'accès et la disponibilité des services du NHS, ainsi que les types de soins à obtenir selon certaines maladies. De façon générale, les arrangements institutionnels de l'évaluation par les consommateurs sont donc encore timides eu égard aux possibilités d'expression directe des points de vue sur la prestation des soins et des services de santé. À part les guides du consommateur développés par les Américains pour l'achat des services dans un sys tème économique de libre marché, peu de mécanismes permettent aux usagers de procéder à une légitimation des soins et des services offerts. Les arrangements institutionnels de l ' évaluation : les enjeux
La description et la comparaison des grandes modalités de fonc tionnement des institutions vouées à l'évaluation en santé nous amènent à un questionnement relatif à leur positionnement dans les processus de gouverne et de gestion des États étudiés. Ce ques tionnement se veut à la fois général et particulier: général, par une brève analyse des termes utilisés qui peut aider à mieux situer les choix relatifs de chaque État par rapport au « type » d'évaluation
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effectué et aussi par rapport à la place occupée par les pouvoirs législatifs et exécutifs dans l'évaluation des affaires publiques ; parti culier, quand les applications concernent plus spécifiquement les sys tèmes de santé étudiés. Dans cette section, nous traiterons, d'abord, des rôles joués par les arrangements institutionnels de l'évaluation au sein de chacun des États considérés précédemment. En second lieu, nous nous interrogerons, plus précisément, sur les conséquences que ces arrangements peuvent avoir sur les trois ordres de préoccupa tions identifiés au début de ce chapitre. Les arrangements institutionnels de l'évaluation dans le processus de gouverne et de gestion
Si les orientations prises quant à l'institutionnalisation de l'évalua tion en santé reflètent des cultures sociopolitiques souvent très différentes d'un pays à l'autre, elles expriment également la position retenue par chacun à l'égard des rôles que doit assumer l'évaluation, entre ses nécessités techniques et ses exigences politiques (Durand, Monnier, 1992). À cet égard, le simple choix des termes « évaluation de pro grammes » ou « évaluation des politiques » révèle, au-delà d'une simple question de terminologie, une certaine conception du mana gement de l'État et peut expliquer certaines spécificités des pratiques en matière d'évaluation. Si parfois les deux termes semblent être employés plus ou moins indistinctement, le terme de programme, d'une part, désigne en premier, selon Bernard Perret du Conseil scientifique de l'évaluation - Paris ( 199 4 : 9 4 ), « un ensemble d'actions plus limitées, et surtout, défini plus précisément dans ses moyens et ses objectifs opérationnels » . D'autre part, le terme de politique renvoie « au fait que le débat public se préoccupe davan tage de la mise en scène des problèmes, des acteurs et des valeurs qui les animent que des conditions concrètes de l'action (p. 96) 3 1 » . Dans les pays anglo-saxons, on parle plus aisément de l'évaluation de programme dans le sens précédemment cité32 , qu'en France, par exemple, où le cadre de définition opérationnelle des politiques constitué par les programmes n'existe pas (Cabatoff, Bion, 1992). Par contre, il arrive que le terme de politique désigne aussi bien chez les Français que chez les Anglo-Saxons un ensemble de programmes qu'une politique. Malgré l'impossibilité de définir les termes sans
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équivoque, il ressort, selon un compte rendu de la conférence mondiale « Évaluation 199 5 », tenue à Vancouver (Riquier, Perret, 1996), que les Européens ont une conception plus politique des inter ventions publiques que les Américains et les Canadiens, pour qui les questions touchant à l'organisation et à la professionnalisation du milieu semblent dominer. La notion de programme constitue en Amérique un niveau plus opérationnel des politiques et tient une place centrale dans le raisonnement administratif 33 • Si l'on rapporte l'évaluation dans le secteur des affaires publiques aux processus de gouverne et de gestion, comme on l'a fait au chapitre précédent, le niveau des politiques suggère idéalement une réflexion plus globale à caractère souvent prospectif et une analyse pluraliste des effets d'une politique, tandis que le niveau des programmes peut se rapporter pour l'essentiel à une analyse rétrospective des résultats des pro grammes. Cependant, il est entendu que cette distinction n'est pas aussi nette dans la réalité des affaires publiques qu'il peut le sembler et qu'il s'agit là de deux pôles d'un continuum qui ne peut qu'expri mer des tendances selon les contextes d'intervention. De la même façon que les termes employés expriment certains grands intérêts relatifs aux fonctions - techniques et politiques devant être globalement assumées par l'évaluation, la place occupée par les instances législatives et exécutives des États peut, aussi, nous renseigner sur la capacité d'intégration des trois ordres de préoc cupation de l'évaluation : la pertinence et l'impact social des choix, le suivi et la surveillance et la conformité aux normes établies. Le Québec est depuis longtemps critiqué en ce qui concerne l'orientation « administrative » de l'évaluation qui s'y pratique. Certains (Marceau, Simard et Otis, 1992} sont d'avis que la décen tralisation de l'évaluation permet à l'exécutif, en l'occurrence aux différents ministres et ministères, de conserver un certain monopole de l'information et de la performance de sa gestion, tout en permet tant au gouvernement d'arbitrer à la pièce les exigences des groupes d'intérêts les plus puissants et de satisfaire ainsi << sa clientèle ». Par contre, se développent de plus en plus des banques de données socio sanitaires relatives, entre autres, aux indicateurs de performance, aux échelles nationale et internationale, susceptibles d'être utilisés indiffé remment par tous les acteurs du système de santé. Malgré les diffi cultés méthodologiques liées à la collecte et à l'analyse de ces données, il reste que ces efforts peuvent contribuer à ouvrir la voie à
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une évaluation axée sur la légitimation des choix effectués. Quoi qu'il en soit, les difficultés qu'éprouve le Québec à sortir d'un mono pole de l'exécutif sur l'information et les modes d'évaluation des programmes expliquent peut-être, pour le moment, le peu de consi dération pour des évaluations centrées sur la pertinence et l'utilité sociales des politiques générales et des programmes sous-jacents. De leur coté, les Français, par leur relative difficulté à arbitrer les débats entre les décideurs, les agents payeurs et les professionnels, ne semblent pas réussir à replacer les enjeux de l'évaluation entre le législatif et l'exécutif. Il apparaît qu'en voulant implanter un système d'évaluation par la voie d'ordonnances légales, par la création de la nouvelle Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé (ANAES) annoncée le 24 avril 1996, à cause particulièrement de la volonté étatique de mieux maîtriser les dépenses de santé, les possibilités de concertation entre les parties - médecins, assurance maladie, État et même patients - restent problématiques (Techni ques hospitalières, 1 996). Pour certains, les établissements de santé seront entièrement dépendants des agences régionales placées sous la responsabilité de l' ANAES, elles-mêmes sous la tutelle du ministère de la Santé, l'équilibre du pouvoir entre les acteurs paraissant ne pas être respecté. Pour d'autres, le rôle donné au Parlement 34 peut induire des changements qui amèneront peut-être le gouvernement à débattre des grands objectifs de la santé publique et aussi de l'en semble des moyens mis en œuvre. Que l'on pense qu'il s'agisse d'un excès d'institutionnalisation signifiant une reprise en main du système de santé par l'État ou que la réforme soit plutôt annoncia trice des changements nécessaires vers une plus grande coopération interétablissements, le débat reste ouvert du fait du fragile équilibre des pouvoirs. Quant à l'État anglais, il est difficile, pour le Québec, d'y chercher des comparaisons ou des modalités de partage équitable des pou voirs relatifs à l'évaluation entre le législatif et l'exécutif, étant donné qu'il semble s'être davantage attaché, jusqu'à très récemment, à planifier et à organiser le système de santé qu'à en évaluer les perfor mances 35 . De plus, l'Angleterre compte davantage, pour le moment du moins, sur une autorégulation du marché pour que les pro grammes de santé donnent les résultats voulus. l?introduction de la compétition entre les producteurs de services, sous la direction de l'État qui représente les acheteurs, devrait théoriquement exercer la
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pression nécessaire à la production efficace et efficiente des services. En fait, l'évaluation devrait s'effectuer par la rencontre des pro ducteurs et des acheteurs, ce qu'on appelle en Angleterre le mana gement evaluation ( Shiell, 199 1 ) . Les conséquences des arrangements institutionnels de l 'évaluation sur les préoccupations de conformité, de suivi-surveillance et de légitimation
De façon générale, on constate que si l'intégration des trois ordres de préoccupation de l'évaluation n'est que peu avancée au Québec comme ailleurs, c'est peut-être dû à l'ampleur des enjeux en cause ou à la différence de signification dont ils sont chargés pour les intervenants situés à un niveau de pouvoir ou à un autre. Même si l'expérience française semble illustrer le mieux ces propos, il reste que les Américains ne réussissent pas vraiment non plus à sortir des oppositions entre les intérêts particuliers qui ont libre cours et qui s'arrêtent à des impératifs d'évaluation technique. Les Québecois, pour leur part, rencontrent aussi des difficultés, car en inscrivant l'évaluation dans les processus de gestion sectoriels, ils limitent presque d'entrée de jeu la portée de l'évaluation technique qu'ils pratiquent. En réalité, beaucoup d'attention a été portée, au Québec comme dans les autres pays, sur l'établissement des normes et des règles de conduite à suivre (mesures de conformité), bien que progressivement s'établissent des arrangements institutionnels voués à la surveillance et au suivi des politiques et des programmes. Les mécanismes d'agrément des établissements de santé instaurés un peu partout attestent de l'intérêt porté à la conformité aux règles et aux normes soigneusement établies. La priorité de plus en plus accordée à la recherche d'efficacité et d'efficience des organismes sectoriels d'évaluation des technologies, tels le CETS au Québec et l'OCCETS au Canada, témoigne de l'orientation technique de l'évaluation, autant que les mesures de conformité élaborées par les associations professionnelles en ce qui concerne les pratiques. De la même façon, le Canada, le Québec, les États-Unis et la France se sont efforcés avec plus ou moins de succès, selon les conjonctures propres à chaque pays, de construire des systèmes d'information capables de répondre à leur besoin de surveillance des structures et des opérations sous jacentes. Il n'y a qu'à penser à cet égard à Statistique Canada et au
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HMRI au Canada, à Enquête Santé Québec au Québec, à HEDIS aux États-Unis et au PMSI en France pour illustrer ce propos. Par ailleurs, cette orientation axée sur les résultats de gestion ne semble pas avoir fourni toute l'information attendue. Certains (Gauthier, 1992) sont d'avis qu'au Québec, on ne confie le plus souvent à l'évaluation de conformité et à celle de surveillance que des mandats étroits reliés à l'implantation des programmes, plutôt que des mandats plus larges touchant le rendement d'une politique ou d'un programme. De plus, l'évaluation pratiquée à ce jour ne semble encore avoir qu'une faible résonance dans la prise de décision. Encore récemment, dans le rapport sur l'examen des responsabilités respectives du ministère de la Santé et des Services sociaux, des régies régionales et des établissements, remis au ministre de la Santé en décembre 1996 (rapport Deschênes), on constatait qu'il y a « non seulement inflation réglementaire mais gonflement des adminis tratifs, notamment des "staffs" et des vérificateurs » . Et les auteurs de poursuivre : « la complexité accrue de l'appareil réglementaire, combinée à la découverte sur le terrain de "déviations", entraîne la création de règles additionnelles et l'ajout d'experts de plus en plus spécialisés. Et la complexification continue (p. 1 8) » . Le Canada, qui a priorisé le contrôle des coûts, ne semble pas non plus avoir nécessairement soutenu le gouvernement québécois dans l'atteinte des résultats ; l'État fédéral n'a, en effet, que timidement abordé cette approche, tout en craignant de nuire à la qualité et à l'offre de soins. En témoignent, à cet égard, les nombreuses com paraisons de coûts entre les hôpitaux, les médecins, les types de traitements ou autres modes de prestation sans mesures contrai gnantes et la profusion des institutions vouées à la collecte, l'éva luation et la diffusion de l'information, sans grande coordination entre elles. Par contre, depuis l'idée lancée par le gouvernement fédéral (par le biais de son Conseil du Trésor) d'établir un partena riat avec les provinces en ce qui concerne l'évaluation des pro grammes, certaines initiatives ont vu le jour, permettant ainsi peut-être de tracer la voie à une évaluation plus globale des résultats. À ce propos, à titre d'exemple, l'évaluation du Programme d'action communautaire pour les enfants (PACE), mis en place dans le cadre d'une entente formelle avec le gouvernement québécois, visait « en priorité à mesurer les effets du programme [... ] sur l'amélioration de la santé et du bien-être des enfants », à partir d'une enquête de
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Statistique Canada qui veut comparer « l'évolution de la situation de tous les enfants canadiens à celle de ceux qui participent au PACE et [ ... ] vérifier dans quelle mesure le PACE rejoint les enfants vulné rables (Turgeon, 1997 : 1 7) » . Du côté des États-Unis, au-delà des efforts déployés en vue de fournir un portrait général de la situation de la qualité et de l'uti lisation des soins à l'échelle nationale, il semble que les comparaisons effectuées entre les « plans » restent malgré tout peu probantes, en raison de l'obtention de données peu précises, incomplètes et par conséquent non uniformes, ce qui rend difficile la normalisation des « casemix » . Mais surtout, il semble que la grande difficulté relève des fondements culturels sur lesquels s'appuie le système de santé américain, à savoir sur la libre régulation des rapports de force exercés par les principaux groupes d'intérêts (les médecins, les pro priétaires d'établissements, les compagnies d'assurances), qui par des pressions constantes veulent s'assurer d'une certaine mainmise sur l'organisation du système, surtout dans le mouvement actuel d'inté gration des activités reliées aux soins. C'est ainsi qu'il semble difficile d'allier l'ensemble des intérêts particuliers souvent opposés (augmen tation de la qualité des soins vs réduction des coûts), particulière ment dans un système de santé où les mécanismes étatiques leur laissent libre cours. Enfin, notre analyse des arrangements institutionnels des techno logies, des pratiques professionnelles et de l'organisation des services de santé met en évidence que, d'un pays à l'autre, on appréhende souvent différemment les objets mêmes de l'évaluation et que la manière de concevoir l'objet à évaluer peut orienter ses modes d'ins titutionnalisation. Que l'on s'intéresse, par exemple, aux pratiques professionnelles comme découlant des technologies ou plutôt comme étant liées aux modes d'organisation, la position prise à l'égard de la manière de couvrir le sujet risque d'en être affectée. Quand la technologie rassemble aussi bien l'appareillage, les produits utilisés et les méthodes des pratiques professionnelles, les pratiques peuvent sembler n'être qu'un aspect des technologies, ce qui peut ne pas être le cas lorsqu'elles concernent plutôt les nouvelles formes de colla boration interdisciplinaire ou les adaptations à effectuer compte tenu des problèmes à traiter. De la même manière, les façons de faire varient quand l'organisation des services concerne les structures ou
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encore les processus de fonctionnement. Dans ce contexte, il est souvent ardu de discerner ce qui est réellement évalué et sous quel angle, ce qui peut embrouiller l'objectif même de l'évaluation. En plus, une mesure globale des activités, services, institutions, procé dures et outils, incite en même temps à vouloir connaître de façon plus ou moins indifférenciée tout à la fois leur efficacité, leur effi cience, leur adéquation, leur sécurité, leur coût, leur pertinence et leur impact. C'est ainsi que le risque de dilution des efforts stratégi ques de l'institutionnalisation de l'évaluation est susceptible de s'accentuer. Conclusion
L'analyse des arrangements institutionnels que nous avons effectuée permet globalement de constater que les institutions d'évaluation font peu d'évaluation de légitimation, quelle que soit l'importance du rôle joué par l'État. De plus, les dispositifs d'évaluation mis en place dans le but de surveiller, de contrôler et d'aider à la prise de décision reposent souvent sur des pratiques hésitantes, dans un contexte de fortes pressions financières, ce qui, de ce fait, en limite grandement la portée. Par contre, il faut admettre que ce même contexte devrait favoriser, en principe du moins, l'institutionnalisation des pratiques d'évaluation. D'une part, là où la logique de marché prime dans l'organisation et la prestation des services de santé (c'est le cas des États-Unis), l'État ne joue qu'un rôle de régulateur par exception. Les arran gements institutionnels de l'évaluation sont nombreux, diversifiés et ne sont pas tous sous la férule de l'État. Ils sont principalement concernés par la légitimation des choix effectués par les organismes qui les commanditent ou par l'évaluation et le monitorage de l'efficacité et l'efficience des actions qui en découlent, davantage que par la légitimation des choix politiques effectués par l'État. D'autre part, lorsque l'État assume directement le rôle de pla nificateur et de gestionnaire des politiques et des programmes (comme au Québec, au Canada et en Angleterre), c'est-à-dire lorsque le rôle joué par l'État s'inspire d'une approche socio-étatique dans ses rapports avec les instances chargées de la mise en œuvre de ses politiques et de ses programmes, on observe que les arrangements institutionnels de l'évaluation sont concernés par des évaluations
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techniques de conformité, puis en second lieu par des évaluations de surveillance, davantage que par des évaluations de légitimation. On peut faire ici l'hypothèse 36 que plus l'État s'emploie à la planification et à la gestion des politiques et des programmes de santé, plus les mécanismes d'évaluation qu'il crée et qu'il finance relèvent de sa branche exécutive, et moins ces mécanismes semblent susceptibles en même temps de remettre en question les choix politiques des gouvernants. Enfin, quand l'État ne s'investit que timidement dans les processus d'évaluation, comme en France, la mise en place d'arrangements institutionnels d'évaluation crédibles est difficile. Bref, quel que soit le rôle joué par l'État, il semble que l'évaluation de légitimation n'ait pas souvent encore pris définitivement son envol, exception faite, s'il en est, de l'évaluation des produits phar maceutiques. C'est, en effet, le plus souvent par le biais de l'ins tauration de la procédure de la mise en marché des produits, que les préoccupations sont centrées autant sur la valeur thérapeutique des produits pharmaceutiques, sur leurs usages et sur les résultats sanitaires, que sur les prix ou leur efficacité. Dans le cas des États-Unis, les évaluations de légitimation sont plus ou moins absentes et les jugements évaluatifs s'appuient plus souvent qu'autrement sur le cumul d'évaluations parcellaires. En fait, la légitimation des choix sociosanitaires s'effectue plutôt par les organismes qui financent directement les soins et les services, que par l'ensemble des acteurs qui y participent. Dans le cas du Québec, du Canada et de l'Angleterre, les évaluations sont souvent limitées à des aspects techniques et les résultats produits n'ont qu'une efficacité locale parce que contraints à ne pas vraiment remettre en question les choix politiques fondamentaux qui y ont présidé 37 • Dans le cas français, on semble assister à une relative incapacité de sortir de l'impasse de l'arbitrage des débats entre les principaux intervenants du système de santé, ce qui ne permet que difficilement de définir les enjeux de l'évaluation. Dans un cas comme dans l'autre, les arran gements institutionnels de l'évaluation se trouvent, le plus souvent, confinés à des évaluations techniques de conformité et de moni torage, sans plus. Comment sortir de cette impasse ? Comment l'évaluation pourrait-elle permettre, comme l'expriment si bien Durand et Monnier ( 1992 : 235-236} :
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de savoir ce qui est, à défaut de toujours pouvoir dire où il faudrait aller [ ... ] [étant donné] qu'on ne peut plus justifier les programmes publics par la seule référence aux principes qu'ils sont supposés mettre en œuvre.
Autrement dit, comment faire pour s'écarter un peu plus du cou rant de pensée positiviste qui a fortement influencé la mise en place des institutions de santé, selon lequel la gestion scientifique des affaires publiques passe quasi essentiellement par l'établissement de normes, de règles et des mesures statistiques pour l'établissement d'une information fiable, capable de rendre compte des activités réalisées ? Au Québec comme ailleurs, des idées à cet égard sont avancées. Par exemple, la proposition récente ( octobre I996) de Claude Castonguay, à l'effet d'instaurer une commission parlementaire d'évaluation, et soutenue, d'une certaine façon, préalablement par Richard Marceau, Pierre Simard et Daniel Otis ( 1992), veut per mettre d'élargir le débat évaluatif sur le système de santé. L'opinion de Richard B. Saltman ( 1994), à propos de l'instauration de méca nismes d'évaluation intermédiaires et indépendants des autorités étatiques entre les producteurs de soins et les gestionnaires, d'une part, et les citoyens et les consommateurs, d'autre part, renvoie éga lement à une forme de démocratisation de l'évaluation, désignée comme l'évaluation de l'habilitation au chapitre précédent. L'idée centrale à débattre, dans ce cadre, sera celle de l'intérêt et des possibilités, selon les contextes particuliers, de permettre l'expression d'un réel contre-pouvoir par les utilisateurs des services. Ce contre-pouvoir, apte à balancer les pouvoirs actuels des produc teurs et des décideurs, devra s'exprimer à la fois sur les scènes écono mique et politique et inclure les aspects logistiques de la santé comme ses aspects cliniques (inspiré de Saltman, 1994). Cela revient à dire qu'en plus d'exercer une influence sur les choix budgétaires et financiers de la santé, l'ensemble des acteurs du système de santé auront à légitimer les choix politiques en fonction de leurs préoccupations à court et à long terme. De plus, afin de sortir des carcans actuels qui confinent à des points de vue techniques, il faut songer à l'ouverture de débats relatifs aux modes d'organisation des services de santé, mais aussi à ceux touchant à ses aspects cliniques. Tout comme les points de vue des consommateurs, la transforma tion et l'adaptation des pratiques cliniques constituent un enjeu
Les arrangements institutionnels d'évaluation
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majeur qui est trop souvent négligé dans les démarches d'évaluation, quand il n'en est pas carrément absent. Dans le contexte des trans formations qui ont cours dans les systèmes de santé des pays indus trialisés, se limiter à des arrangements institutionnels qui ne misent que sur la conformité et la surveillance conduit inévitablement à des impasses, dans la mesure où ils ne permettent pas une meilleure intelligence des situations, ni une remise en cause des façons de faire.
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Les approches au changement dans les systèmes de santé YVO N D U F O U R • L I S E LA M O T H E
Au CANADA, tout comme dans l'ensemble des pays de l'OCDE, le changement est de toute évidence l'une des réalités omniprésentes, tant dans les organisations publiques en général que dans les systèmes de santé en particulier. Au cours des vingt dernières années et au fil des évaluations et recommandations de nombreux comités et de diverses commissions parlementaires, les gestionnaires de la santé ont été conviés à changer leur organisation et à les adapter aux opportunités et menaces de l'environnement de même qu'aux choix et décisions politiques des gouvernements. Les années 1990 ont amené un nouveau courant de changement dans l'ensemble des systèmes de santé. Sur l'échiquier mondial de la santé, certains éléments figurant à l'ordre du jour des changements comme la priva tisation, la « responsabilisation » des consommateurs, la régionali sation et l'introduction d'une plus grande concurrence transcendent les frontières. Considérant les bouleversements auxquels sont soumis les systèmes de santé et les organisations qui les composent, il con vient de s'interroger sur la notion même de changement et sur la manière dont il est appréhendé. La première section de ce chapitre est consacrée au concept même de changement et aux approches utilisées par les praticiens et
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théoriciens. La seconde section cherche à caractériser le changement dans le système de santé québécois en s'appuyant sur des exemples tirés des démarches de sa transformation. Cette « lecture diagnos tique » (Morgan, 1989) nous permettra, en troisième partie, de nous interroger sur le rôle de l'évaluation des services comme facteur constitutif du changement dans le système. Qu'est-ce q ue le changement o rganisationne l ?
Le concept de changement est généralement entendu et défini soit comme un processus, soit comme un écart dans le contenu de ce qui est observé. Dans le premier cas, le terme changement est utilisé pour désigner la progression des événements, le cheminement entre des situations différentes dans le temps. Dans le second, il est utilisé afin de décrire le bilan des différences observables empiriquement dans la forme, la qualité ou l'état des situations elles-mêmes. Tout comme le concept de stratégie (Mintzberg, Waters, 1985), plusieurs qualificatifs peuvent être apposés au terme changement, afin de mieux en préciser le sens et d'en saisir à la fois toute la diversité et la complexité. Ainsi le changement, entendu comme un processus, peut être qualifié d'intentionnel, c'est-à-dire qu'il peut procéder d'une volonté consciente d'agir des gestionnaires. Il peut non seulement être intentionnel mais également être planifié, donc il peut alors s'organiser suivant un plan formel et clair, une série d' ac tions cohérentes et détaillées susceptibles de conduire vers la situation souhaitée. Le changement peut par ailleurs être émergent, c'est-à-dire qu'il peut se réaliser en l'absence, voire à l'encontre des intentions conscientes et exprimées par ses protagonistes (figure 1 ) . E n interaction dans un même processus, les changements planifiés et émergents conduisent à un résultat qui peut être la réalisation du changement planifié, sa modification ou sa non-réalisation, auquel cas il y a absence de changement. Entendu comme un écart dans le contenu des situations, le changement peut cette fois être qualifié de radical ou de progressif. Dans le premier cas, il représente une transformation de grande envergure qui est perçue comme une rupture en comparaison avec la situation initiale. Les membres clés de l'organisation n'en comprennent habituellement pas la nécessité (Allaire, Firsirotu, 198 5 ; Hafsi, Demers, 1 989 ; Hafsi, Fabi, 1997). Dans le second cas,
Les approches au changement dans les systèmes de santé Figure 1
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Types de changement
Changement intentionnel
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Changement réalisé
Changement planifié
Changement non-réalisé
Changement émergent
Inspiré de Mi ntzberg et Waters (1 985 : 258).
le changement ne concerne alors qu'un nombre limité de dimensions et de niveaux organisationnels et il ne représente qu'une évolution naturelle et raisonnable aux yeux des principaux membres de l'organisation (Hafsi, Demers, 1997). Comme le concept d'évaluation (Bégin et coll., introduction générale de cette partie du livre), celui de changement est polysé mique. À ce titre, il faut bien reconnaître qu'il est très difficile d'en proposer une définition plus explicite, sans y intégrer en substance le point de vue adopté par le gestionnaire ou les fondements théoriques et le modèle privilégié par le chercheur. Ainsi, Warren Bennis (Bennis et coll., 1969 ), l'un des pères du développement organisationnel (DO), définit le changement comme le résultat d'une stratégie édu cative centrée sur les individus et entreprise en collaboration avec un agent extérieur, afin de résoudre par l'expérimentation des compor tements, les problèmes vécus par les membres de l'organisation. Pour sa part, Pfeffer ( I 98 I ) conçoit le changement comme le résultat d'un processus politique d'actions, de réactions et d'interactions entre les différentes coalitions intéressées, alors qu'elles négocient autour de projets différents de développement de l'organisation. Pettigrew, Ferlie et McKee ( 1992), champions d'une approche qui se veut à la fois politique et culturelle, réunissent les deux définitions précédentes et conçoivent le changement comme le produit du processus de ges tion de la signification par les individus, les groupes et les parties en présence dans la transformation, l'évolution et la mise en œuvre des stratégies au sein de l'organisation. La littérature compte un nombre important d'approches et de perspectives différentes sur la gestion du changement organisation nel. Tout comme dans le cas de la stratégie (Dufour, 199 5 ; 1996a) et
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de la mise en œuvre du changement (Dufour, 1996b), trois princi paux arguments peuvent être avancés afin d'expliquer cette situa tion. Le premier argument suggère que le changement orga nisationnel est un phénomène très complexe qui implique plusieurs processus simultanés. Or la complexité obscurcit les relations de cause à effet, de sorte que les responsables du changement doivent souvent prendre des décisions sans savoir réellement ce qu'en seront les effets (Hafsi, 198 5 }. Le nombre de perspectives est donc tributaire de la diversité des processus et de la complexité des actions entre prises simultanément par les agents du changement. Le second argu ment repose, pour sa part, sur la multidisciplinarité du champ de pratique et de recherche. Tout comme le champ de la gestion straté gique, celui du changement organisationnel est un champ de ren contre. La recherche sur le changement a attiré des individus de plusieurs disciplines comme la psychologie et la sociologie, chacune faisant siens ses principaux concepts et principales méthodes. Enfin, le troisième argument prend racine dans l'ampleur même du sujet. Le nombre de perspectives sur le changement organi sationnel est le fruit de la multitude d'objets et des différents contextes de changement. En effet, la connaissance pratique et théorique sur le changement organisationnel provient de nombreux travaux et expériences très variés, allant d'une tentative d'introduire le changement par le biais de la thérapie de groupe dans un atelier mécanique d'usinage des métaux (Jacques, 1952), en passant par le développement d'un changement stratégique dans une grande entre prise britannique de l'industrie chimique (Pettigrew, 198 5 ), jus qu'aux processus d'innovation de PME américaines du point de vue de la théorie du chaos (Cheng, Van de Ven, 1994). Il est toutefois possible de regrouper les différentes approches en catégories relativement homogènes. Plusieurs auteurs ( Chin, Benne, 1969 ; Pierce, Delbecq, 1977 ; Majone, Wildavsky, 1979 ; Scheirer, 1981 ; Denis, Champagne, 1990 ; Derners, Simard, 1993 ; Van de Ven, Poole, 1994 ; Hafsi, Fabi, 1 997) ont déjà proposé de tels regroupements. Toutefois, à l'exception des contributions les plus récentes, la très grande majorité des auteurs se sont beaucoup plus préoccupés, dans leur effort de mise en ordre des connaissances, de développer une classification des outils de gestion du changement, que de proposer une véritable taxonomie des théories du chan gement organisationnel.
Les approches au chanRement dans les systèmes de santé
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L'examen des différentes perspectives sur le changement démontre qu'elles peuvent, à l'instar de la littérature du champ stratégique (Rouleau, Séguin, 199 5 ), être regroupées suivant quatre des grandes catégories du discours en théorie des organisations, soit : le discours classique, contingent, du comportement organisationnel et politique. L'approche classique et celle des contingences considèrent l'orga nisation comme un système technique, alors que l'approche politique et celle du comportement la voient plutôt comme un système social. Cette classification est cependant très large puisque, comme le soulignent Van de Ven et Poole ( 1994 ), « très peu d'attention a été portée dans la littérature de gestion des organisations aux théories sous-jacentes des processus de changement et il est donc difficile de savoir quelles théories de changement les auteurs avaient réellement à l'esprit (p. 43 ) » . L'approche classique
Entendue comme un plan, la stratégie de changement représente une suite d'actions cohérentes et intentionnelles, destinées à réaliser un objectif. Le changement est alors conçu et élaboré de façon cons ciente et intentionnelle, bien avant les actions qu'il engendre. L'approche repose sur la doctrine téléologique et, en conséquence, sur l'hypothèse que la progression des événements se dirige vers un objectif ou vers une fin en soi. Le changement organisationnel est une suite continue de formulations, de mises en œuvre, d'évaluations et de corrections des objectifs, décisions et actions sur la base des résultats obtenus. La préoccupation première de l'agent de chan gement est d'assurer la consistance et la cohésion de toutes les actions entreprises. L'organisation est alors conçue comme un sys tème rationnel et technique, comme un ensemble fonctionnellement intégré de composantes qui s'imbriquent les unes aux autres et qui fonctionnent efficacement. Dans le vocabulaire de Gareth Morgan ( 1989), le dirigeant conçoit alors l'organisation suivant la métaphore de la machine. Pour réussir le changement, l'organisation doit donc réunir les conditions faisant qu'une machine fonctionne bien. D'une part, l'en vironnement est stable et prévisible ou bien l'organisation est rela tivement bien isolée des influences externes. D'autre part, la tâche est simple et le comportement des acteurs internes de l'organisation est à
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la fois constant, prévisible et conforme aux attentes. Il est alors présumé que les gestionnaires ont une très grande capacité de changer l'organisation. En bref, le discours de l'approche classique repose sur l'idée que le processus de changement peut être entièrement contrôlé par un petit groupe d'individus qui ont le droit légitime d'exercer l'autorité et que la formulation et la mise en œuvre sont deux étapes séquentielles, la mise en œuvre étant le moyen de réaliser presque intégralement les intentions formulées lors de l'étape antérieure. La validité empirique de l'approche classique est cependant fortement interrogeable. En effet, elle est essentiellement normative et ses prescriptions décrivent comment l'organisation devrait chan ger, mais pas nécessairement comment elle change. De plus, plusieurs critiques peuvent être formulées à son endroit : l'approche néglige l'interrelation dynamique entre la formulation et la mise en œuvre du changement, elle ignore l'impact de l'environnement et elle nie presque entièrement l'existence des dimensions humaines et politi ques. Par hypothèse, les membres de l'organisation partagent ses buts et leurs comportements s'intègrent dans leur poursuite effi ciente. Cette approche laisse donc peu de place au changement endogène et émergent. Néanmoins, l'approche classique est d'un apport important, d'une part, par l'accent porté sur la rationalité dans la prise de décision et dans l'action organisationnelle et, d'autre part, par l'importance accordée à la qualité du contenu et de la formulation même des projets de changement. Issue du noyau dur (Rouleau, Séguin, 199 5: 5 6) des théories des organisations (Barnard, 193 8 ; Simon, 194 5 ; Selznick, 194 8), cette approche alimente certains courants théoriques portant sur la prise de décision (March, Simon, 19 5 8) et la plupart des modèles de planification stratégique (Allouche, Schmidt, 199 5) . L'app roche contingente
Selon l'approche contingente, le changement porte sur la forme prise par l'organisation, sa configuration, laquelle se définit par sa relation avec son environnement. Celui-ci est à la fois l'origine des occasions, tout comme la source des dangers et des menaces. L'organisation est alors conçue comme un système technique vivant, comme un orga nisme en évolution. Les travaux d'auteurs tels Woodward ( 1965 ),
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Thompson ( 1967), Lawrence et Lorsch ( 1967a), Pugh et Hickson ( 1976) ont enrichi les théories des organisations à cet égard. L'approche contingente peut être considérée comme un prolonge ment de l'approche classique. En effet, alors que par cette dernière, les dirigeants centralisent les étapes de planification et de for mulation des projets de changement, avec l'approche contingente, ils s'inspirent de leur analyse des facteurs d'environnement pour formuler un projet de changement qui porte surtout sur la forme organisationnelle, laquelle facilite le passage à l'étape de mise en œuvre. Il existe au sein de l'approche contingente deux conceptions majeures du lien entre l'organisation et son environnement. La pre mière suggère que l'environnement est une donnée, qui conditionne la performance de l'organisation. En conséquence, seules les organi sations qui changent et s'ajustent régulièrement avec succès pourront survivre. La deuxième suggère que l'environnement n'existe réelle ment que dans la tête des dirigeants et qu'à ce titre, les stratégies de changement sont l'expression des choix du gestionnaire, de ses perceptions et interprétations d'un environnement virtuel. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, la préoccupation première de l'agent de changement est de choisir un ensemble de structures et de processus qui en permettent la mise en œuvre. Selon cette approche, l'agent de changement est avant tout un architecte responsable de l'élaboration des structures et des systèmes de gestion sus-ceptibles de favoriser la réalisation des objectifs et la métamorphose des inten tions en actions. L'approche contingente est plus séduisante pour les chercheurs que l'approche classique. Toutefois, la recherche a généralement ten dance à adopter un mode plutôt réductionniste que holistique. En effet, les études ont porté sur les relations linéaires entre les variables prises deux à deux ou en très petit nombre. Une critique également soulevée est que la stratégie, la structure et les processus sont conçus comme des éléments neutres. Il demeure que la plus importante contribution de cette approche est d'avoir mis l'accent sur l'incidence potentielle de l'environnement externe et de l'environnement interne sur le contenu et le processus de changement organisationnel.
3 20 Le système de santé québécois L' approche du comportement organ isationnel
Dans les termes de Gareth Morgan, le gestionnaire abandonne ici la métaphore de la machine ou celle de l'organisme au profit de la métaphore de la culture. L'approche du comportement suggère qu'au-delà des structures, des processus et des mécanismes de gestion, les individus doivent également être mis à contribution dans la mise en œuvre du changement organisationnel. Ainsi, certaines sources individuelles et organisationnelles de résistance doivent être éliminées afin de favoriser le changement nécessaire. La réussite du processus de changement est fonction de l'engagement authentique des individus envers l'objectif poursuivi et l'organisation. Les élé ments les plus importants sont ceux qui influencent la motivation, la coopération et la mobilisation des individus. Les traits de person nalité, les attitudes et les valeurs des individus touchés par le chan gement sont jugés importants. De même, le style de gestion du dirigeant responsable est critique. L'exercice du leadership, le rôle des leaders d'opinion et des champions de produits ainsi que le mode de communication utilisé peuvent faciliter ou freiner le changement. La culture de l'organisation est également perçue comme une source importante de résistance. Le climat, les relations interpersonnelles, la dynamique des groupes de travail et la participation sont également du nombre des facteurs de succès identifiés. La contribution la plus importante de l'approche du comportement a été de mettre l'accent sur l'individu et sur l'importance du leadership dans la mise en œuvre du changement organisationnel. Issue des travaux en psychoanalyse appliquée aux organisations (Ketz de Vries, Miller, 198 5 ) et en psychologie organisationnelle (Argyris, 19 57), cette approche alimente certains courants traitant de la conduite du changement : le développement organisationnel et le changement social intentionnel (Beckhard, I 9 69 ; Chin, Benne, 1969 ; French et coll., 1978 ), le courant cognitif, d'apprentissage et d'expérimentation (Weick, 1979 ) et l'analyse culturelle (Silverman, 1970 ; Smircich, 1983 ). Le Développement organisationnel (DO) est le modèle de chan gement le plus populaire de cette approche, modèle d'ailleurs large ment utilisé par les praticiens. Comme le soulignent Denis et Champagne ( 1990), le DO propose qu'un style participatif de ges tion, une décentralisation des processus de décision, des programmes d'enrichissement des tâches et des mécanismes favorisant la commu-
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nication sont garants du succès du changement organisationnel. Toutefois, les outils et techniques de l'approche du comportement semblent plus adéquats en situation de croissance qu'en situation de décroissance et de réallocation des ressources. l'approche politique
L'approche politique repose essentiellement sur deux conceptions. La première suggère, tout comme dans les cas précédents, que le changement est élaboré de façon intentionnelle par le dirigeant, alors que la seconde propose que l'émergence, voire la mise à l'ordre du jour du changement, est plutôt le fruit d'un processus complexe de convergence de trois courants: celui des problèmes, celui des priorités et celui des solutions (Kingdon, 1984 ; Lemieux, 19 9 5b). Toutefois, dans les deux cas, l'agent de changement adopte un cadre de référence où les individus et les différentes coalitions négocient et rivalisent entre eux pour gagner, au sein d'une arène politique. L'agent ne se représente plus l'organisation comme un système rationnel et technique, mais comme une communauté de personnes, un système social d'activités politiques. L'approche repose sur la doctrine critique dialectique et s'appuie sur l'hypothèse que les organisations évoluent dans un environnement pluraliste au sein duquel les événements, les forces et les valeurs s'opposent dans une lutte pour la domination et le contrôle. La vision pluraliste en théorie des organisations, que l'on trouve entre autres dans les contributions de Blau ( 195 5), Gouldner ( 1973 ) et Clegg ( 1989), s'articule notamment autour de la notion de « coalition » (Cyert, March, 1963 ; Perrow, 1986), et de l'idée de « système d'action concret » (Crozier, Friedberg, 1977). Le changement est une suite continue de victoires et de défaites ; il survient lorsqu'un individu ou un groupe d'individus mobilise suffi samment de pouvoir pour défier le statu quo. Le processus de chan gement est marqué par la négociation entre les acteurs. !..:accent est ici placé sur · les questions d'intérêts dans et entre les organisations. Le rôle et l'usage du pouvoir est au centre de la stratégie de chan gement (Hardy, 1982 ; 198 5 ; Hardy, Pettigrew, 1985 ). Dans le voca bulaire de Gareth Morgan ( 1989), le dirigeant conçoit alors l'organisation suivant la métaphore politique. La préoccupation première de l'agent de changement est non plus d'assurer, comme dans les cas précédents, la consistance et la
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cohésion des actions entreprises ou encore de choisir un ensemble de structures et de processus assurant la mise en œuvre du changement, mais de se montrer plus malin que ses adversaires, afin de gagner contre l'opposition tant interne qu'externe. L'autonomie et la marge de manœuvre des employés en contact avec la clientèle, les relations entre les organisations qui doivent se coordonner et coopérer afin de réaliser un projet, la complexité des processus d'échange impliqués, les contraintes externes auxquelles doit se soumettre l'organisation, de même que le langage politique et symbolique utilisé pour accroître la légitimité du changement et réduire l'opposition sont autant de facteurs déterminants du succès du changement. La plus grande con tribution de l'approche politique est certainement d'avoir attiré l'attention et mis l'accent sur les processus concrets en action, lors de la mise en œuvre du changement. Les approches au changement dans le système de santé q uébécois
Quelle lecture diagnostique est-il possible de faire des démarches de transformation entreprises dans le système de santé québécois ? À la lumière de quelques exemples observés au cours des dernières années, il apparaît que toutes les approches au changement sont utilisées dans le système. Toutefois, elles seraient privilégiées par des acteurs différents agissant à des niveaux différents du système. Ainsi, chacune des approches permet de saisir une partie des processus de changement en cours. L'approche classique apparaît comme le modèle privilégié par nos dirigeants politiques au sommet, préoccupés davantage par la for mulation des changements que par les difficultés de la mise en œuvre. L'approche contingente s'inscrit en continuité de l'approche classique, tout en y étant subordonnée. Elle serait donc le modèle de prédilection des hauts fonctionnaires et des administrateurs. Pour sa part, l'approche du comportement organisationnel se présenterait comme le modèle adopté par les gestionnaires des établissements au niveau opérationnel, aux prises avec les changements entrepris aux autres niveaux et avec la tâche de vendre le changement, de main tenir le climat et d'assurer la production des services. Enfin, l'ap proche politique serait celle qui permettrait aux acteurs du système de transcender tous les niveaux d'action, de façon à influencer les
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décisions et les orientations. Toutefois, ces actions seraient contraintes par le cadre imposé par les dirigeants centraux qui adoptent un processus du haut vers le bas suivant une approche mixte classique et contingente. La conduite des réformes du système de santé québécois révèle, chez nos décideurs politiques, une propension à l'adoption d'une approche classique dans la prise de décision associée à une approche contingente dans l'élaboration des conditions de mise en œuvre. Au fil des ans, le système de santé québécois a subi des vagues de réformes et de périodes d'ajustements qui correspondent à des étapes de dix ans. L'étape des années 1960 marque une croissance du rôle de l'État dans la prise de décision et la gestion des établissements de santé. La supervision du gouvernement québécois s'exprime par la Loi des hôpitaux (1962) qui vise à rationaliser la gestion hospita lière. Le gouvernement fait par la suite (1966) sa première incursion dans le secteur de la pratique professionnelle avec la Loi sur l'assistance médicale. Le contexte social et politique de l'époque est favorable à une prise en charge de l'État, duquel on attend un élar gissement des mesures sociales. S'appuyant sur les travaux de la commission Castonguay-Nepveu (1966-1972), le gouvernement s'engage donc dans l'étape des années 1970 par l'élaboration d'une politique globale de sécurité sociale. Celle-ci vise à répondre aux pressions de l'environnement du moment. La première préoccupation concerne l'accès et la qualité des soins. En effet, en ce qui concerne les services hospitaliers et médi caux, on observe un problème de distribution régionale et de mau vaise coordination qui nuit à l'efficacité de la continuité des soins. La deuxième grande préoccupation concerne le contrôle des coûts. La mise en œuvre de cette politique repose en premier lieu sur la création du ministère des Affaires sociales ( 19 70), qui permet une centralisation des pouvoirs par le regroupement sous un seul porte feuille des secteurs de la santé, de la famille, des services sociaux et de la sécurité du revenu. En deuxième lieu, elle repose sur l'ins tauration du régime d'assurance-maladie qui étend la couverture des services assurés. En troisième lieu, la mise en œuvre s'appuie sur une vaste réforme structurelle, la création du réseau des affaires sociales. Le réseau des Affaires sociales est en fait l'addition de huit cents établissements regroupés en quatre catégories ayant chacune une vocation spécialisée. Cette réforme prévoyait aussi le découpage du
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territoire québécois en treize reg10ns ayant chacune un Conseil régional de la santé et des services sociaux (CRSSS). Sorte de relais entre la population, les établissements et le ministre, ces nouveaux organismes devaient être la source d'information permettant de planifier des services, en adéquation avec les besoins des populations des diverses régions du territoire. Au cours des années 1980, une grande déception s'installe devant le constat que subsistent encore plusieurs des problèmes que la réforme structurelle des années 1970 avait souhaité corriger. Par leur analyse des environnements externe et interne, les travaux de la commission Rochon ( r 9 86-r 9 8 8) permettent de dresser une liste des principaux problèmes : une escalade continuelle des coûts, une résistance de la part de la profession médicale et d'autres professions devant ce qui est perçu comme une mainmise exagérée de l'État, des lacunes au niveau des habiletés des gestionnaires, un mouvement de régionalisation ralenti par la crainte des bureaucrates de perdre du pouvoir. En effet, l'arrivée de toute une génération de technocrates et de professionnels encourage une plus grande centralisation du processus de décision dans les mains des fonctionnaires de l'État et des professionnels de la santé. Cette période fait apparaître un discours exprimant une volonté d'une plus grande décentralisation qui permettrait aux organismes et aux intervenants du réseau de jouer une part plus active. Toutefois, par l'adoption d'amendements à la Loi sur les services de santé et les services sociaux, le gouvernement exprime une volonté très nette de resserrer les contrôles sur les établissements ; le Ministère conserve encore toute son autorité politique et administrative. A l'amorce des années 1990, chacun convient que l'accès aux services et leur efficience se sont grandement améliorés au cours des trente dernières années. Toutefois, la persistance des contraintes envi ronnementales, d'ordre social et économique, force des ajustements qui se font lentement en raison des mécanismes et processus de prise de décision. L'urgence ressentie sous l'effet des pressions éconmiques, associée à une perception croissante dans la population que les services de santé ne sont pas gérés de manière efficiente par l'État, entraîne l'adoption de nouveaux amendements à la Loi sur les services de santé et les services sociaux. C'est alors que la recherche d'un système centré sur le citoyen, décentralisé et bien coordonné trouve sa voie dans une nouvelle réforme structurelle.
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Parmi les changements apportés, la transformation des conseils régionaux (CRSSS) en régies régionales (RR) est de première impor tance. Accompagnée d'un redécoupage du territoire, celle-ci annonce le transfert d'un certain pouvoir de décision vers les régions, mais l'uniformité des mesures entreprises sur l'ensemble du territoire permet de croire qu'une grande centralisation des décisions subsiste. Outre la création des régies régionales, la réforme structurelle a per mis une réévaluation des missions respectives des établissements et a entraîné une réorganisation des catégories. La résolution des pro blèmes de coordination et de rationalisation des services passe par diverses formes de regroupement sur l'ensemble du territoire et par un vaste mouvement de réduction de l'offre de soins en milieu hospi talier. L'évaluation des effets réels de cette réforme est encore à venir. Dans le déroulement des diverses étapes de réformes et d'ajus tements du réseau de la santé québécois, les employés des éta blissements ont été encouragés à participer à une succession de mesures et de programmes inspirés, cette fois, par l'approche du comportement organisationnel. Ces programmes sont d'ailleurs soumis à l'influence encore tangible des mouvements de recherche de l'excellence et de management à la j aponaise. La gestion par objectifs, les plans de développement des ressources humaines, les programmes de qualité totale, suivis de ceux visant l'amélioration continue de la qualité et plus récemment la réingénierie des processus en sont les principaux exemples. En fait, de façon générale, la plus grande partie des efforts récents d'amélioration de la qualité des soins et services s'inspire directement de cette approche. Dans une étude visant à documenter l'impact réel des programmes de gestion de la qualité dans treize centres hospitaliers du Québec, Daniel Lozeau (1997) met en évidence les limites de cette approche dans ce type d'organisation. En effet, son étude démontre que l'environnement et le management peuvent en effet exercer une influence sur l'évolution de l'implantation de ces programmes. Toutefois, les processus inhérents à la dynamique sociale, celle des groupes et celle de la psychologie des individus, entrent en inter action et font en sorte que ces trois facteurs s'influencent mutuel lement. La dynamique sociale particulière de ce type d'établissement laisse une grande latitude aux cadres intermédiaires et aux groupes professionnels dominants quant à leur participation réelle. Lozeau a observé une volonté commune aux groupes des médecins et des
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infirmières de ne pas céder le leadership du dossier au management. Par des stratégies différentes, ceux-ci partageaient l'objectif commun de protéger leur autonomie professionnelle, plutôt que de participer à un processus d'intégration de la contribution des acteurs à la production des services. Ainsi, loin d'avoir pu modifier la dynamique organisationnelle, l'approche de la gestion de la qualité et les programmes qui en découlèrent dans les établissements hospitaliers eurent tendance à se fondre dans cette dyna mique au point de contredire certaines des dimensions fondamentales associées habituellement au concept de gestion de la qualité (p. 3 263 27).
Les conclusions de Lozeau sont en accord avec celles d'autres auteurs qui avancent que certaines caractéristiques spécifiques aux établissements de santé seraient responsables de l'efficacité relative de cette approche (Weisborg, 1981 ; Edmonstone, 1982 ; Pettigrew et coll., 1992). Il y a trois raisons principales pour que le développement orga nisationnel fonctionne mieux dans l'industrie privée que dans les établissements de santé : 1) les établissements de santé possèdent peu des caractéristiques des entreprises commerciales privées où le DO, tout comme les autres outils de gestion, a été développé ; 2) les médecins et les scientifiques sont formés à adopter un comportement expert, rationnel, autonome et spécialisé qui va à l'encontre de l'organisation de projets qui ne sont pas étroitement personnalisés ; 3 ) les établissements de santé nécessitent donc non pas un seul système social comme dans l'entreprise commerciale privée, mais trois systèmes sociaux. Les liens entre le système de tâches que les dirigeants administrent, le système de l'identité qui supporte le statut professionnel et le système de direction qui établit les objectifs sont extrêmement flous et indirects {Weisborg, 1 9 8 1: 267). Plusieurs exemples de changements majeurs dans les organisations de santé québécoises peuvent être avancés afin d'illustrer la présence du politique dans les processus de changement. En premier lieu, rappelons les événements qui ont suivi le dépôt, au Conseil des ministres, du mémoire sur la relocalisation de }'Hôtel-Dieu de Montréal à Rivière-des-Prairies en décembre 1991 (Dufour, Nadeau, 1993 ). Alors que le projet de relocalisation entamait, suivant une approche classique, sa troisième année de discussion entre le
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Ministère et les autorités de l'hôpital, une coalition d'organismes s'est soudainement mobilisée autour de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain afin de s'opposer au projet. Pour le Minis tère, le succès du projet reposait essentiellement sur la volonté de l'établissement, la détérioration marquée de ses bâtiments, le retard technologique, la menace de perte de programmes d'enseignement et de recherche, de même que sur le cadre normatif et le bilan-lits qui définissent le nombre de lits requis et les objectifs à atteindre. Pour les opposants, qui adoptaient une approche politique, le dossier de l'Hôtel-Dieu de Montréal était beaucoup plus vaste et important car, « en réalité, c'est bien d'un pôle majeur de développement de Montréal en tant que métropole dont il est question (Dufour, Nadeau, 1993 ) ». La campagne des opposants visait essentiellement à détruire la légitimité du ministre et à interroger les « véritables » motifs qui animaient sa proposition de relocalisation. Très tôt, ils ont semé le doute dans l'esprit du public sur l'existence de conflits d'intérêts quant au choix du nouveau site tout en soulignant l'incohérence du projet avec ceux énoncés par d'autres ministres importants du gou vernement. De plus, ils ont décrié l'absence de « consultation franche et ouverte (p. 61) » de même que le caractère secret du processus décisionnel, le ministre refusant de rendre publics les documents et études réalisés lors du cheminement vers la décision de démé nagement. Certains de ces documents seront finalement obtenus par la Confédération des syndicats nationaux (CSN), en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics. Après avoir tenu dix soirées d'audience publique auxquelles le Ministère refusait de participer, et consulté les évaluations de diverses personnes ressources, dont celles du GRIS ( Groupe de recherche interdisci plinaire en santé de l'Université de Montréal) qui réfutaient l'éva luation faite par les experts du Ministère, les opposants se sont engagés dans un plaidoyer public intensif. Devant les attaques et les gains de l'opposition et en réponse aux critiques, le ministre publiait finalement un document de près de 3 00 pages intitulé Le citoyen, véritable raison d'être de la relocalisation, répondant point par point aux objections de la coalition des opposants. Toutefois, il refusait toujours de rendre public le principal document sur lequel reposait son analyse. Ce refus et les difficultés du Ministère à rétablir la légitimité de sa décision ont finalement eu raison du projet.
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L'affrontement survenu en 1991 entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et le Regroupement des médecins du Québec (RMQ) lors des discussions autour du projet de loi 120 (Dufour, Codjia, 1992) fournit un autre exemple de la présence du politique dans les changements survenant dans le domaine de la santé. Le projet de loi 120 visait à encadrer la pratique médicale. Il se voulait une réponse à l'une des observations les plus importantes de la commission Rochon ( 19 86-19 88) qui portait sur la dynamique décisionnelle d'un système décrit comme « en otage »: « Tout se passe comme si le système était devenu prisonnier des innombrables groupes d'intérêt qui le traversent (p. 407) ... » Après avoir élaboré un projet ambitieux de réforme, en laissant filtrer peu d'information et en refusant de confirmer ou d'infirmer les rumeurs, le ministre déposait finalement son projet de loi. Le refus initial du ministre de tenir une courte commission parlementaire sur invitation, l'élection d'une toute nouvelle équipe à la tête de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et le durcis sement de la position de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) avaient généré un nouveau contexte d'action : la profession médicale s'unissait pour s'opposer à la loi. Tout en continuant secrètement à négocier avec le Ministère, le Regroupe ment des médecins du Québec (RMQ) entreprenait la mobilisation des membres des fédérations région par région, établissement par établissement. De plus, deux campagnes de publicité ont été conçues pour sensibiliser l'opinion publique. La première reposait sur le concept du médecin bâillonné ; celui que le gouvernement voulait faire taire. D'autres idées étaient également utilisées dans le processus d'escalade de l'antagonisme, dont la soviétisation de la médecine, la perte de confidentialité des dossiers médicaux et celle du libre choix de son médecin et de son établissement. La deuxième campagne publicitaire s'appuyait sur le thème des dangers de la bureaucratie ; l'image d'une jeune fille blessée entre les mains de l'équipe médicale devait être percutante et amener le gouvernement à accepter un moratoire sur le projet de loi. Le jeune patient intubé que les journaux nous montraient a été rem placé à la télévision par une jeune fille qui entre de toute urgence au bloc opératoire. La situation est grave, la jeune fille a perdu la moitié de son sang et le médecin demande un autotransfuseur. Vite, ça presse.
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Mais il y en a pas : « Docteur, la demande n'a pas encore été approu vée », répond une infirmière. Puis on change d'image. On voit un fonctionnaire qui déguste tranquillement un café tout en compulsant la loi uo, assis confortablement dans un bureau feutré. Il s'essuie délica tement la bouche avec sa serviette. Retour frénétique au bloc opératoire où une infirmière essuie le front en sueur du médecin qui essaie de sauver la vie de la jeune fille. « Est-ce qu'on a au moins du coagulant ? » demande-t-il. Coup d'œil désespéré de l'infirmière qui ne répond pas. On revoit alors le fonctionnaire. Avec un regard niais d'autosatisfac tion, il prend son porte-documents et quitte son bureau après une journée qui, laisse-t-on entendre, n'a pas été trop fatigante. La jeune fille mourra-t-elle par la faute des bureaucrates ? Le message ne le dit pas (La Presse, II juin 199 1 : A5).
Le Regroupement des médecins a demandé un moratoire de six mois et en a appelé directement au Premier ministre qui a accepté de les rencontrer. En échange, le Regroupement proposait de suspendre sa campagne de publicité et tous les autres moyens de pression envi sagés. Pour les médecins, la bataille était désormais gagnée. Parmi les grands points de ! >entente, le gouvernement laissait tomber toute mesure coercitive obligeant les médecins à pratiquer en région. Elles étaient remplacées par des négociations sur des mesures de répar tition qui devaient être mises en œuvre plus tard. La force peu commune et sans précédent du langage politique et symbolique utilisé par le RMQ dans ses campagnes publicitaires fournit un exemple éloquent des processus d'escalade de l'anta gonisme et de la « gestion de la signification » (Pettigrew, I985 ) dans le changement. Le processus de gestion de la signification est un processus de cons truction des symboles et d'utilisation de valeurs afin de créer une cer taine légitimité pour les actions, les idées et les demandes de l'un et pour délégitimiser . les demandes de son opposant. Les concepts clés pour analyser ces processus sont le symbole, le langage, les croyances et les mythes (p. 44).
De plus, considérés ensemble, ces deux cas illustrent la complexité du programme politique de changement dans le domaine de la santé. En effet, bien qu'à première vue isolés, les deux événements sont liés et il semble que l'opposition au projet de déménagement de l'Hôtel Dieu de Montréal ait bénéficié du mouvement d'opposition au projet
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de loi I 20. Hardy ( 1982, 1985), Dufour (1991) et plus récemment Pettigrew et coll. ( 1992) ont d'ailleurs montré l'impact décisif de la participation des médecins, de même que l'effet déterminant de l'existence d'un réseau mobilisable d'opposition au sein d'une com munauté, sur la réceptivité du contexte au changement stratégique dans les organisations de santé. La seconde conception de l'approche politique s'intéresse particu lièrement à la complexité du programme de changement. Selon cette conception, le système de santé est constitué d'un ensemble de décideurs en quête d'objectifs, de choix à la recherche de problèmes, de solutions en quête de questions auxquelles elles pourraient répon dre au cours d'une certaine période de temps. Le système de santé devient une « anarchie organisée » (Cohen, March et Olsen, 1 972). L'enjeu essentiel dans ces organisations complexes est la lutte pour le contrôle de l'accès à l'ordre du jour (Lemieux, 199 5b). Dans cette optique, l'émergence d'une politique publique consiste, pour les acteurs politiques qui y sont favorables, à contrôler les décisions qui vont dans le sens de l'émergence, alors que pour les acteurs politiques défavorables il s'agit, au contraire, de contrôler les décisions qui vont dans le sens contraire, ou encore de faire en sorte qu'il y ait absence de décision [... J les acteurs politiques cherchaient ainsi à valoriser leurs atouts de pouvoir ou ceux de leurs alliés, et à défavoriser ceux de leurs rivaux (p. 67). Une approche â privilégier ?
Le portrait peint et les exemples fournis soulèvent une question importante sur l'évolution du processus de changement dans le système de santé: y a-t-il une approche qui soit plus adéquate que les autres pour générer et mettre en œuvre les réformes des systèmes de santé ? Une approche mixte politique et contingente serait plus appropriée, tant pour la formulation que la mise en œuvre du changement dans les organisations de santé et ce, particulièrement en contexte de décroissance, marqué par la fermeture et la réaffectation des ressources. Il y a au moins trois principales sources d'explication au fait qu'une telle approche apparaisse plus appropriée, particulièrement en situation de décroissance, de fermeture et de réaffectation des ressources: r ) la nature du contexte général et du contexte interne
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des établissements ; 2 ) les attributs du processus de changement et 3 ) les caractéristiques du contenu des changements eux-mêmes. Bien que la séparation de ces trois sources d'explication puisse les faire apparaître comme des entités indépendantes, elles doivent être conçues comme trois éléments en interrelation dynamique au cours d'une période de temps. La première source renvoie au contexte général de fonctionnement des organisations de santé. Les établissements de santé sont habi tuellement des organisations publiques ou à tout le moins des services d'intérêt public qui évoluent à l'intérieur d'un système qui les subordonne aux politiques et aux programmes publics décidés au niveau de l'État. Or ce caractère public leur confère un environne ment plus diversifié, les obligeant à rendre des comptes à un plus grand nombre de parties et à être plus transparentes que les entre prises privées. Cette situation engendre une plus grande sensibilité aux comportements politiques (Paquin, I992). Les organisations publiques sont plus ouvertes à l'attention des médias que les entreprises privées. Les groupes d'intérêt gravitant autour d'une organisation publique sont plus nombreux. Ils comprennent notam ment des groupes organisés qui doivent faire appel à l'action politique pour obtenir ce qu'ils veulent. Les politiques publiques sont souvent le fruit d'un compromis obtenu difficilement et les coalitions sur les quelles elles reposent peuvent être instables. Ceci conduit à des straté gies en perpétuelle renégociation. Le management des groupes d'intérêt est donc une variable plus critique dans le cas des organisations publi ques que dans celui des entreprises privées (p. 3 87).
La nature du contexte interne des établissements de santé est une source d'explication supplémentaire. En effet, dans les organisations de santé, de nombreux individus et groupes ayant des antécédents, des compétences et des habiletés très différents sont en interaction régulière, dans une structure qui exige un très haut niveau d'inter dépendance fonctionnelle. À cet égard, par son analyse de la for mation de la structure d'action dans un centre hospitalier, Lamothe (1996} montre comment les unités de production formées au sein de l'établissement sont tributaires d'un aménagement des espaces professionnels. Cet aménagement forme une structure profes sionnelle au sein de laquelle le positionnement respectif des groupes est l'objet de négociations constantes et dépend du statut organisa-
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tionnel occupé par chacun des groupes. La structure professionnelle se révèle la véritable structure fondamentale de l'organisation parce que directement responsable du contrôle de la production. Son existence explique l'immunité relative du système de production par rapport à l'administration, tout en confirmant le rôle de support de cette dernière. Ainsi, alors que les organisations de santé sont com munément présentées comme des bureaucraties professionnelles (Blain, 1975 ; Mintzberg, 1982 ; 1990 ; Denis, Champagne, 1990), elles peuvent être plus subtilement qualifiées de bureaucraties de professionnels (Bégin, 1992b ; Lamothe, 1996). L'hétérogénéité professionnelle y est une marque distinctive alors que paradoxalement, la complémentarité professionnelle est au principe des motifs qui les font se retrouver à l'intérieur des mêmes lieux organisa tionnels. Cela confère donc à ces organisations leur caractère éminem ment politique (Bégin, 1992 : 5 ).
La très grande présence des jeux politiques est assoc1ee à une présence tout aussi grande du changement émergent. En effet, les actions entreprises, tant au niveau du contexte général qu'au niveau du contexte interne, viennent influencer la forme structurelle. Ainsi, la bureaucratie professionnelle devient elle-même un produit émer gent des interactions politiques entre les dirigeants et les acteurs du système. La deuxième source d'explication, pour qu'une approche mixte politique et contingente soit plus appropriée, réfère aux attributs des processus de changement des organisations de santé. Ceux-ci sont complexes et reposent sur les interactions, l'apprentissage et le com portement autonome des membres de l'organisation plutôt que sur le leadership au sommet, la vision ou la mission. Dans ces conditions, le changement intentionnel planifié est difficile. Le changement est réalisé par le biais de l'entrepreneurship et le dialogue permanent entre les détenteurs d'enjeux. La rétroaction et l'apprentissage nécessitent la création de canaux de communication interfonc tionnels, de même que la mise en place de nouveaux réseaux d'échanges entre les principaux acteurs (Hart, 1992). Le rôle des dirigeants est alors d'encourager l'expérimentation, l'exploration et le risque, de faciliter les transactions, de nourrir les idées et de relier les résultats de ces processus dans le temps, afin de donner un sens de la direction dans le changement (Denis et coll., 1996b).
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Par l'expérimentation, le directeur provoque des réactions dans le système en place. L'expérimentation paraît un processus central puis qu'elle permet de trancher entre le convenable et l'inacceptable et de repérer les groupes opposants et favorables aux changements (p. 2 3 ).
La troisième source d'explication renvoie aux caractéristiques du contenu des changements. La grande quantité de changements simultanés et consécutifs dans les organisations de santé, le faible consensus entre les participants sur le changement et sur sa nécessité, la divisibilité de ses bénéfices, l'ampleur et la profondeur du chan gement de comportement requis, le terme plutôt long et la confusion des objectifs poursuivis, le nombre et la dispersion des points de décision sont du nombre des caractéristiques potentiellement importantes pour le résultat obtenu (Grindle, 1980 ; Hafsi, Fabi, 1997) . De plus, considérant la nature plutôt bouleversante et mena çante des changements, particulièrement lors de fermetures d'éta blissements de santé, la simple allusion à leur éventualité suffit à libérer une certaine quantité d'énergie politique. Comme le souligne Hardy ( 1985) : Les comportements politiques se manifestent souvent dans des situations où l'équilibre dans la distribution des ressources est menacé. Une telle situation se présente lorsqu'une innovation majeure est entre prise générant des opportunités de s'accaparer de nouvelles ressources (Pettigrew, 1973 ; Mumford, Pettigrew, 1976 ; Mintzberg, 1973 ). Une autre situation est lorsque les ressources diminuent, les positions sont menacées, et les comportements politiques deviennent alors nécessaires afin de sauvegarder les intérêts (p. I 3 ). Le changement e t l'évaluation
Les exemples présentés dans la section précédente permettent de voir que tout au long du processus de changement du système de santé, diverses formes d'évaluation sont utilisées : commissions d'enquête, bilan-lits, évaluation des dépenses affectées à l'offre de soins, évaluation de la qualité, etc. Il semble donc que l'évaluation soit un facteur constitutif important du changement. Quels rôles joue l'évaluation dans le processus de formation du changement des orga nisations de santé ?
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!.;évaluation jouerait des rôles différents suivant les approches du changement. Bien qu'ils ne soient pas mutuellement incompatibles, ceux-ci répondraient chacun différemment aux besoins d'interaction entre les individus et les groupes concernés. La littérature présente traditionnellement l'évaluation d'une façon plutôt idéalisée comme un outil d'aide à la décision rationnelle et à la formulation des politiques. Toutefois, la description des approches du changement organisationnel et les exemples précédents laissent penser que le rôle principal attribué à l'évaluation pourrait bien varier substantielle ment d'une approche à l'autre. Il s'agirait ici non pas d'un lien de cause à effet, mais simplement d'un lien d'association naturelle, de configurations courantes (Miller, 1996 ; Dufour, 1998) des rôles de l'évaluation et des approches du changement. En effet, au sein de l'approche classique, l'évaluation serait associée à la recherche de la cohérence, de la rationalité et de l'objectivité. Elle serait alors appelée à jouer un rôle principal d'information. L'accent serait placé sur la contribution potentielle de l'évaluation au contenu, à la substance même du changement inten tionnel. L'évaluation serait avant tout une démarche consistant à produire des connaissances dans le but d'appuyer les décideurs. Comme le souligne Langley ( 19 9 2 : 7) : Ici, l'instigateur est dans un état d'incertitude sur un sujet donné et fait faire une analyse [évaluation] pour réduire son incertitude. On utilise parfois l' analyse pour aider à mieux comprendre une question qui nous tient à cœur. À d'autres moments, on fait faire des analyses pour véri fier des idées venant d'autres sources. Dans l'approche contingente, les études et évaluations serviraient à documenter et à rechercher la meilleure adéquation entre l'en vironnement externe et l'environnement interne et, par-dessus tout, à justifier les écarts de mise en œuvre. La véritable raison de l'évaluation est d'améliorer la perception des dirigeants des difficultés qui ralentissent le changement [ ... ]. Un système efficace d'évaluation doit inclure les informations qui vont permettre aux dirigeants au sommet de comprendre les problèmes auxquels font face les cadres intermédiaires dans la réalisation des résultats pour lesquels ils sont tenus responsables (Andrews, I987: IOI).
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L'évaluation s'inscrirait dans un processus de suivi de gestion jouant un rôle de supervision et de contrôle (Langley, 1992). Elle viserait à observer l'évolution des opérations et à apporter, si néces saire, les correctifs requis ou encore à interroger l'impact ou la pertinence du maintien des activités ou des programmes de santé au sein d'un environnement changeant. Les gestionnaires demandent parfois une analyse formelle [évaluation] non pas par besoin d'information ou pour convaincre les gens, mais parce qu'ils désirent qu'un problème soit résolu ou qu'une décision soit mise en application... Toutes ces utilisations de l'analyse impliquent un élément de supervision et de contrôle (Langley, 199 2 : 7).
Tout comme le rôle précédent d'information, les rôles de supervi sion et de contrôle sont issus de la vision dominante de recherche de la cohérence et de la rationalité dans la prise de décision. Dans l'approche du comportement organisationnel, l'évaluation jouerait cette fois un rôle fondamental dans le développement de la coopération et dans l'induction de comportements en accord avec les objectifs poursuivis. L'évaluation serait ainsi appelée à jouer un rôle de rétroaction descriptive qui, bien que préoccupée d'objectivité, ne serait pas nécessairement neutre. La rétroaction descriptive est basée sur des faits concrets, justifiables et, dans la mesure du possible, observables, donc exempte de subjectivité. Cette rétroaction est formulée pour donner de l'information, soit posi tive ou négative, et est communiquée de façon constructive afin de favoriser l'échange d'information, la collaboration et la participation [ ... ] . Le gestionnaire qui communique une rétroaction descriptive le fait dans le but d'offrir du soutien à ses employés (Laflamme, Goyette et Mathieu, I996 : 7).
Dans la première conception de l'approche politique, l'évaluation pourrait jouer un rôle de gestion de la signification. Ici, les pro tagonistes et les opposants disposent chacun de résultats d'éva luation plus ou moins différents qu'ils utilisent ensuite à leur avantage, afin de légitimer leur position et de délégitimer celle des autres (Pettigrew, 1985 ; Pettigrew et coll., 1992 ; Dufour, 1991 ). Éventuellement, l'évaluation pourrait devenir un substitut à l'action afin de gagner du temps ; elle pourrait même adopter un caractère essentiellement symbolique.
3 3 6 Le système de santé québécois Dans la seconde conception de l'approche politique, les solutions semblent traverser les frontières à la recherche de problèmes à résoudre. Certains apportent des problèmes, d'autres des solutions, sans qu'il y ait nécessairement de correspondance claire entre les deux ; certaines solutions ne répondent à aucun problème et vice versa. L'évaluation viserait alors non plus à mieux comprendre la situation et à réduire l'incertitude ou encore à remettre la décision à plus tard ou à contrôler la mise en œuvre de l'action, mais bien à convaincre les gens de la nécessité d'adopter une solution plutôt qu'une autre. Elle jouerait ainsi un rôle de persuasion. Elle pourrait également jouer un rôle instrumental dans l'agora où sont débattues les nouvelles idées et les innovations en gestion des établissements de santé effectuées sur la scène nationale ou inter nationale. Le processus dynamique se poursuivrait et ce, jusqu'à ce que les solutions discutées aient acquis suffisamment de légitimité ou qu'elles s'inscrivent dans un contexte réceptif (Pettigrew et coll., 1992) permettant au changement d'aller de l'avant. Les contextes réceptifs au changement peuvent être construits par l'intermédiaire de processus cumulatifs de développement mais de tels processus sont également réversibles soit par le retrait des individus clés ou par une action peu préparée. Le déplacement d'un contexte non réceptif vers un contexte réceptif est également possible, encouragé par des changements de l'environnement ou de politiques au niveau central et par l'action des gestionnaires et des professionnels au niveau des établissements (p. 276). Évidemment, ces différents rôles joués par l'évaluation ne seraient pas mutuellement exclusifs et une même évaluation pourrait être entreprise, afin d'en réaliser plusieurs simultanément ou encore d'en réaliser différents au cours d'une certaine période de temps. Ainsi, il serait impossible de dissocier l'utilisation de l'évaluation de l'en vironnement social et politique de l'organisation. L'utilisation de l'analyse formelle serait intimement liée au besoin d'interaction entre les membres d'une organisation (Langley, 1986 ; 1992}. Elle serait donc moins utilisée si ceux qui sont responsables de la formulation étaient également responsables de la mise en œuvre, et si convaincre les autres de la pertinence des choix n'était pas nécessaire.
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Conclusion
Tout en reconnaissant que le changement est une composante inhé rente de l'évolution des systèmes de santé, force est de constater que la présente décennie a amené de nombreux bouleversements dans plusieurs systèmes de santé et les organisations qui les composent. Le changement est au cœur des débats et un moteur d'action pour l'ensemble des intervenants qui y travaillent. Or en nous interrogeant sur le concept même de changement, nous constatons qu'il est polysémique et que, par voie de conséquence, il est difficile d'en proposer une définition à la fois explicite et intégrale. Le changement se définirait mieux par le point de vue ou le modèle adopté par ses agents. Nous avons proposé une classification des approches au changement, laquelle nous a permis de faire une lecture diagnostique des démarches de transformation entreprises dans le système de santé québécois. Il apparaît que toutes les approches au changement sont utilisées, mais que les acteurs auraient tendance à en privilégier une, selon le niveau d'où ils agissent dans le système. Ainsi, chacune des appro ches permet de saisir une partie des processus de changement en cours. Il apparaît aussi que la présence du politique est à la fois importante et inévitable. Les processus politiques sont un élément constituant des contextes externe et interne des organisations de santé. Ce constat nous a amenés à proposer que, dans de telles organisations, une approche mixte politique et contingente serait la plus appropriée, tant pour la formulation que pour la mise en œuvre du changement dans de telles organisations, particulièrement en contexte de décroissance. L'efficacité des agents de changement dépend en grande partie de leur façon de penser et d'agir et de la manière dont ils décodent, comprennent et répondent aux dilemmes de la complexité et aux difficultés associées à la nature paradoxale des organisations de santé en général, et du changement en particulier (Mintzberg, I 973 ; Morgan, I989 ). Les approches décrites fournissent des moyens effi caces de traiter d'une façon à la fois descriptive et pragmatique avec la complexité. Elles représentent une variété de points de vue per mettant de saisir une même situation. Néanmoins, alors qu'une approche politique et contingente semble souhaitable dans le con texte particulier des organisations de santé, l'approche classique reste, du moins dans le discours des politiciens et des praticiens,
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généralement dominante. Cela peut être attribuable au fait qu'elle épouse la vision des leaders politiques du moment et qu'elle s'accom mode très bien du mythe de la division séculaire entre le politique et l'administratif. Puisqu'elle repose sur la doctrine téléologique, l'approche classique renforce la croyance dans le contrôle total du changement entrepris par les gestionnaires et les élus publics. Si plusieurs points de vue et approches au changement cohabitent et s'influencent mutuellement, comment en faire l'évaluation ? Quels rôles joue l'évaluation dans le processus de formation du chan gement ? Nous avons proposé que l'évaluation jouerait des rôles différents suivant les approches adoptées et que, bien qu'ils ne soient pas mutuellement incompatibles, ces rôles répondraient chacun diffé remment aux besoins d'interaction entre les individus et les groupes concernés. Il serait donc impossible de dissocier Putilisation de l'évaluation de l'environnement social et politique de l'organisation. L'invitation à la pratique de l'évaluation du changement dans nos organisations de santé est venue du secteur privé (Turgeon, 1 994 ), là où les lois du marché et les objectifs économiques fournissent des indicateurs relativement simples. Mais la nature du marché politique est tout autre et il devient nécessaire de reconnaître que l'évaluation des services de santé se présente comme un défi de taille. Elle doit s'effectuer dans un contexte de complexité et d'ambiguïté marqué par la pluralité des valeurs. Il importe donc de reconnaître la polyvalence de ses usages, sinon elle risque d'être paralysée entre la rationalité bureaucratique de l'État et la rationalité politique des acteurs en présence. Sur l'échiquier mondial de la santé, le Québec est loin d'être isolé. En effet, certains éléments figurant au programme de changement comme la privatisation, la « responsabilisation » des consommateurs, la régionalisation et l'introduction d'une plus grande concurrence transcendent nettement les frontières. Ces solutions sont généra lement reformulées et présentées par les acteurs comme des initia tives locales susceptibles de résoudre les problèmes nationaux. Ainsi, les idées de compétition et de libéralisation des marchés alimentent les réformes des systèmes de santé de la majorité des pays indus trialisés, notamment au Royaume-Uni, en Suède et en Nouvelle Zélande, voire en République populaire de Chine (Wong, Chiu, 1 997) . Une telle convergence dans le contenu et dans les directions prises par les responsables des systèmes de santé de plusieurs nations
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peut être interprétée comme l'expression d'une époque, d'une ère de changement. La similitude des conclusions des rapports d'experts, des opinions professionnelles et des lignes de conduite nationales dans une telle diversité internationale soulève à nouveau la question de la place de l'évaluation dans le processus de formation du chan gement. Les données fournies par l'évaluation seraient utilisées de façon à soutenir une idéologie et une conviction profonde du bien fondé et de la nécessité du changement, de même qu'à renforcer l'effet d'escalade de l'exemple mutuel. En effet, le changement par l'évaluation, c'est-à-dire l'utilisation des résultats d'études antérieures pour justifier voire imposer les multiples changements, est une pratique courante dans le domaine de la santé. Paradoxalement, force est de constater qu'au-delà du discours, la préoccupation réelle pour l'évaluation des résultats du changement semble, elle, peu marquer l'attitude actuelle de nos diri geants politiques. Tout se passe comme si les changements planifiés s'imposaient per se et que les probabilités de leur réalisation frôlaient la certitude. La conjecture est pour le moins optimiste. L'enjeu de l'évaluation du changement demeure, mais il signifie également l'éva luation de ceux qui l'ont commencé: accepteront-ils de se faire éva luer « objectivement » ?
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Rés u mé de l ' ouvrage C L E RM O N T B É G I N
C E CHAPITRE, fournit l'occasion de revenir sur les idées développées par les auteurs, afin d'en dégager les grandes lignes. Dans un premier temps, nous résumerons succinctement chacun des chapitres en suivant l'ordre de division de l'ouvrage et, dans un second temps, nous présentons les principaux enseignements qui s'en dégagent. PREM I È R E PARTI E
Les principes et les normes
Les trois premiers chapitres sur les principes et les normes ont abordé, d'une part, l'éthique sociale et les normes qui ont été à la base de l'instauration du système de santé au Canada et au Québec et, d'autre part, les questions qui sous-tendent l'adaptation des valeurs des communautés ethniques à celles de la société québécoise. En ce qui concerne les questions d'éthique sociale dans le système de santé québécois (premier chapitre), on apprend que la question bioéthique est apparue dans le prolongement des controverses à propos de la recherche dans les sciences de la vie et de la santé. La
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bioéthique est venue se superposer à la déontologie médicale comme mode de régulation de l'acte thérapeutique. Par ses mécanismes institutionnels comme les comités d'éthique, l'éthique régit, d'une part, la pratique médico-hospitalière et, d'autre part, la recherche sur l'utilisation des suj ets humains. Les grandes questions de la bioéthique concernent actuellement la reproduction humaine, la génétique, la prédiction des maladies, l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie. Forest a observé que si les comités d'éthique jouent un rôle important de contrôle social, ils n'ont qu'une visée clinique. Les questions comme celles de l'allocation des ressources ne sont devenues des questions d'éthique sociale que lorsque les limites imposées par le politique ou l'économie ont atteint le cadre de discussion et de négociation des cas individuels. Selon Forest, l'ambition de l'éthique sociale est beaucoup plus vaste. Elle entend fournir des points de vue critiques lors de choix d'allocation des ressources mettant en cause des questions d'égalité, de justice et d'équité entre les groupes. Elle entend également intro duire des questions d'équité lors des choix politiques et économiques entourant les grandes questions sociales qui sont en amont du système de santé, mais dont les effets sur la santé sont connus. Du point de vue de l'auteur, l'équité sociale, définie comme « un problème d'équilibre entre ce que chacun est en droit d'attendre et ce qu'on est en droit d'attendre de chacun » , est menacée par des problèmes de distribution si la contribution des uns n'est pas à la mesure de leurs moyens, d'allocation s'il y a déséquilibre entre la distribution des avantages et la contribution exigée pour les obtenir, de régulation, si l'accès est refusé à des personnes qui pourraient y prétendre dans un système régi par d'autres normes, et de mobi lisation si l'on ne parvient pas à maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande de services. La réponse politique fournie jusqu'ici par l'État à ces difficultés a été de rétablir l'équilibre des prélèvements et des prestations, en exigeant des contributions plus importantes des contribuables et en rationnant les services. Bref, tout se résumerait à une question d'organisation. Forest dénonce cette façon de voir les choses qui, selon lui, occulte les déterminants culturels et sociaux de la demande de services. L'auteur critique la politique plutôt dirigiste de l'État québécois qui, par une conception de l'équité fondée sur la planification, définit centralement toutes les règles qui structurent les comportements, au
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nom d'un modèle unique de protection sociale. On a eu tendance à ne considérer au Québec que deux régimes et à les mettre en opposition : un régime qui voit la solution des problèmes d'équité dans l'organisation des services et un régime qui propose que l'équité réside dans le respect des lois du marché. On oublie ainsi qu'il peut exister, entre ces deux extrêmes, d'autres régimes résultant de com promis dans la définition de l'optimum social par les groupes au pouvoir, de réclamations issues de forces politiques agissant sur l'État et sur ses dirigeants dans une société démocratique et de caté gories émanant des structures culturelles des institutions. Bref, des régimes qui s'appuient davantage sur le pluralisme des valeurs dans la société. Le deuxième chapitre a abordé les normes centrales et les politiques de santé. Antonia Maioni invite le lecteur à une réflexion sur l'impact facilitant et contraignant des normes édictées par le gouvernement fédéral dans le secteur de la santé, ainsi que sur le pouvoir potentiel de ces normes dans un contexte où la santé est d'abord reconnue comme un domaine de compétence provinciale et dans la conjoncture actuelle, qui incite à une remise en question de la capacité de surveillance et de sanction dont s'est doté le gouver nement fédéral pour en assurer le respect dans toutes les provinces canadiennes. L'auteure rappelle à grands traits les principales étapes qui ont marqué la mise en vigueur des normes sur lesquelles s'appuie le gouvernement fédéral pour participer au financement des régimes provinciaux d'assurance-santé, régimes qui sont reconnus dans la constitution canadienne de 1 8 67, comme étant de juridiction pro vinciale. Il appert que le gouvernement fédéral s'appuie sur son pou voir de dépenser, lui même enchâssé dans la Constitution, pour se prévaloir du droit d'imposer des normes nationales. Il subordonne son financement des soins de santé aux provinces au respect de ces normes. Celles-ci sont la gestion publique des systèmes de soins, la transférabilité interprovinciale du recours aux services de santé, l'universalité du droit aux services, l'accès égal aux soins et l'intégra lité des services lorsque ceux-ci sont reconnus comme médicalement nécessaires. Il semble, selon l'auteure, que ces normes fédérales auront été à la fois facilitantes et contraignantes ; facilitantes dans la mesure où, édictées unilatéralement par le gouvernement fédéral, elles auront
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fourni aux gouvernements provinciaux un levier politique important dans leurs négociations internes en vue de mettre en place les régimes provinciaux d'assurance-santé. Elles se sont avérées par ailleurs contraignantes parce que, d'une part, elles remettent en question le principe de l'autonomie des provinces en matière de santé, principe très cher aux provinces et au Québec en particulier, et que, d'autre part, ces normes, par les sanctions qui y sont attachées, laissent peu de flexibilité aux provinces en ce qui concerne l'organisation des soins. Bref, les contraintes se révèlent davantage porter sur la stra tégie unilatérale de surveillance et de financement du gouvernement fédéral que sur le contenu de ces normes, lesquelles semblent susciter l'adhésion massive de toutes les provinces et de la population cana dienne en général. Par ailleurs, les défis récents du contrôle des coûts de la santé ont contribué à l'érosion progressive de certaines de ces normes, notam ment celles de la transférabilité des services couverts par les régimes entre les provinces et de la gestion publique des services. A cela s'ajoute le fait que la proportion des dépenses privées de santé croît de façon importante dans toutes les provinces canadiennes, en même temps que la contribution financière du fédéral diminue progressi vement au point que les provinces remettent présentement en ques tion le vieux principe qui veut que : « celui qui avance l'or définit les règles » . Devant u n tel état de fait, deux scénarios peuvent être envisagés. D'une part, en s'appuyant sur le constat que des normes peuvent survivre sans mécanisme de coercition, si elles sont solidement ancrées dans la société, on pourrait imaginer que les normes fédé rales d'universalité, d'accessibilité et de gestion publique puissent être maintenues sans mécanisme d'imposition coercitive. D'autre part, les normes provinciales pourraient se substituer aux normes fédérales avec tous les risques d'asymétrie qu'un tel scénario com porte puisque le respect de normes nationales ne reposerait dans un tel contexte que sur Pautorité morale du gouvernement fédéral, sur son pouvoir de préserver le droit à la mobilité des Canadiens, enchâssé dans la Charte des droits et libertés, sur les pressions politiques de l'opinion publique et sur des conventions inter provinciales. Depuis 1 98 5, on a observé au Québec une augmentation impor tante des immigrants provenant d'une grande variété de pays de tous
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les continents. Fait à noter, ces immigrants récents se retrouvent en grande partie concentrés dans certains quartiers sur l'île de Mont réal, ce qui pose des défis importants aux CLSC chargés d'assurer, pour cette clientèle, la première ligne des services de santé. C'est ce qu'observent Sévigny et Tremblay dans le troisième chapitre qui traite de l'adaptation des services de santé au contexte pluriethnique. Les auteurs dressent un tableau des principaux facteurs de risque et de protection qui constituent autant d'éléments de nature à faire obstacle ou à faciliter l'intégration sociale des immigrants. On peut y constater que la liste des facteurs contraignants est beaucoup plus importante que celle des facteurs facilitants. Dans la mesure où il est bien connu que l'adaptation des services de santé est un déterminant majeur de l'intégration sociale des immigrants, cela n'est pas sans rendre encore plus grand le défi qui se pose aux intervenants de première ligne dans le domaine de la santé. Pour ces auteurs, l'adaptation des services doit être le résultat d'une symbiose entre l'expérience humaine et clinique des inter venants et les particularités, attentes et perceptions des clientèles. Or cela doit s'actuaJiser dans un contexte de pluralité des cultures où les notions de qualité et d'accessibilité des services de santé prennent une connotation très particulière et fort différente de celle qui pré vaut dans les milieux où les clientèles sont majoritairement québé coises. Selon les auteurs, la qualité des services passe par la compétence clinique des intervenants, certes, mais aussi par leur engagement et par la qualité des relations qu'ils entretiennent avec les clients. En ce qui concerne l'accessibilité, elle requiert que les intervenants composent avec la distance qui sépare leur culture per sonnelle de celle de leurs clients. Le savoir, le savoir-faire et le savoir être des intervenants sont au cœur même du problème de l'adap tation des services de santé aux communautés culturelles. Par ailleurs, les auteurs préviennent que l'adaptation des services ne doit pas signifier l'ethnicisation des pratiques et qu'à cet égard, la recherche de l'équilibre entre le respect des valeurs culturelles de ces communautés et les valeurs sur lesquelles repose le système de santé demeure un enjeu important. Enfin, l'adaptation des services de santé suppose qu'il y ait adéquation entre les politiques éma nant du ministère de la Santé et des Services sociaux et celles des Relations avec les Citoyens et de l'Immigration car, en dernière analyse, l'actualisation de cette adaptation, au niveau des relations
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entre les intervenants et les clients des communautés culturelles, sera d'autant facilitée qu'il y aura cohérence au niveau des politiques publiques. D E UXIÈM E PA RTI E
Le financement et le paiement des ressources
Les chapitres qui composent la deuxième partie de l'ouvrage portent sur le financement des services de santé, l'influence des modalités de paiement des ressources et le cas particulier du médicament dans le système de santé au Québec. Dans le chapitre traitant du financement des services de santé au Québec, Chapain et Vaillancourt présentent les principaux modes de financement qui prévalent au sein des pays de l'OCDE. Au Canada, le financement du système de santé est largement public et fiscalisé. Plus particulièrement, le financement du système du Québec repose sur trois composantes majeures soit les recettes autonomes du gou vernement provincial, les transferts fédéraux et les contributions privées. La contribution fédérale par les paiements de transferts cor respond présentement à environ un tiers du financement public et elle est subordonnée au respect de certaines normes dont celle du maintien de l'universalité des services. La répartition entre les trois composantes tend à long terme vers l'augmentation des contribu tions privées et vers un accroissement de la part provinciale dans le financement public. Le système québécois respecte l'équité quant à l'accès et à la capacité de payer, mais il est l'un des plus coûteux au monde quant à la part du PIB consacrée à la santé. Ce niveau des dépenses de santé soulève plusieurs questions dont celle de l'efficacité du financement public et privé actuel, en l'absence de liens entre les services reçus et les coûts supportés par les usagers, et celle de l'équité intergénérationnelle, en relation avec les déficits budgé taires accumulés par les gouvernements au cours de la période 19 801998. À cet égard, les auteurs proposent le développement d'un méca nisme permettant de relier une partie des paiements effectués en santé aux services effectivement reçus, afin de responsabiliser davan tage les individus. Un tel mécanisme tiendrait compte du fait qu'une partie des dépenses de santé concerne la santé publique, mais que la
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plus grande partie est effectuée pour le bien-être des individus selon trois types de risques, soit le risque génétique, le risque envi ronnemental et le risque lié à des comportements spécifiques. Les auteurs proposent que chaque génération finance le coût de ses soins de santé et qu'en outre une partie du financement provienne de primes variant selon les risques individuels. Le chapitre suivant propose un cadre d'analyse général sur les mesures incitatives et le paiement des ressources dans les systèmes de santé. Ce cadre permet à Contandriopoulos et à ses collaborateurs de situer les modalités de paiement dans le fonctionnement et 1a trans formation des systèmes de santé. Pour ces auteurs, quatre logiques de régulation souvent contradictoires sont à l'œuvre dans les systèmes de santé. Ce sont les logiques professionnelle, technocratique, écono mique et démocratique. Les représentations que se font les acteurs des buts du système de santé sont fort différentes, selon les logiques qu'ils privilégient. La conception de mesures incitatives pour influen cer les acteurs est une entreprise complexe dont l'institutionnalisa tion ne peut être que le fruit de compromis entre les tenants de ces différentes logiques. Il existe en outre une grande variabilité des mesures incitatives en fonction de leurs mécanismes d'action. Les auteurs les regroupent en quatre grandes catégories, soit les mesures fondées sur l'autorité, sur l'information, sur l'intérêt économique des acteurs et sur l'éthique ou le respect des règles. L'adoption de mesures incitatives doit finale ment tenir compte des grands objectifs du système de santé, soit l'équité, l'autonomie individuelle et l'efficience, et des tensions irré ductibles entre ces objectifs. Les auteurs observent ainsi que, dans le contexte actuel où prédominent les pressions exercées par le déve loppement technologique et la nécessité de réduire les dépenses publiques, les pressions sur l'équité s'amplifient, pendant que les difficultés grandissantes d'accès réduisent l'autonomie des acteurs. Selon ce cadre, l'ensemble des mesures incitatives s'actualise dans les diverses modalités organisationnelles et la transformation de ces dernières est nécessaire pour modifier les comportements des acteurs. Dans cet ensemble de modalités, les modalités de paiement des médecins demeurent très importantes pour orienter le système de santé. Il est possible de classer les différentes modalités de paiement à partir des réponses données à quatre interrogations : Qu'est-ce qui
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est payé ? (le temps, l'acte, le cas ou les résultats ? ) ; Qui est payé ? (l'acteur individuel ou l'acteur collectif ? ) ; Comment est-il payé ? (par le jeu libre de l'offre et de la demande, par la négociation ou par décret ? ) ; Qui paye ? (le client, un tiers payeur, l'employeur ?). Les auteurs reconnaissent toutefois le peu de connaissances quant aux effets spécifiques des mesures incitatives sur le comportement des médecins (tout au plus savons-nous que les médecins ne réagissent pas tous de la même manière à une variation des modalités de tarifs ou à d'autres types d'incitatifs économiques). En conclusion, ils indiquent qu'il faut concevoir les modalités de paiement des res sources comme autant de signaux transmis aux acteurs et qu'il faut créer des conditions d'apprentissage pour changer les mentalités et transformer les modalités d'organisation du système en vue d'atteindre les buts paradoxaux visés. La place du médicament dans le système de santé au Québec est discutée dans le dernier chapitre de cette partie. Les auteurs présen tent à grands traits les particularités du médicament, son utilisation au Québec et l'historique des politiques gouvernementales qui le con cernent. Ils décrivent plus en détail le régime québécois d'assurance médicaments mis en vigueur le I janvier 1 997. Tout en étant obligatoire pour tous, ce dernier se différencie nettement du régime d'assurance-maladie du Québec. En effet, il prévoit, pour toute personne non admissible à l'assurance collective de son employeur ou de l'employeur de son conjoint, l'obligation d'adhérer à un régime de couverture public. Ce régime combine ainsi une couver ture publique avec une couverture par des assurances privées. Par ailleurs, il balise les modalités de l'un et l'autre avec une contribution maximale par adulte, une coassurance ne pouvant excéder 2 5 % du coût du médicament, la possibilité de franchises et des exonérations pour certaines clientèles dans le régime public. Reinharz, Rousseau et Rheault soulignent finalement que la conception du médicament sous-jacente à ce régime mixte maintient une démarcation entre les médicaments et les soins médicaux ou hospitaliers. En effet, on continue de considérer le médicament comme un bien de consommation et les modalités de financement et de paiement traduisent cette conception. Or ces modalités soulèvent des difficultés, principalement en relation avec l'équité et l'efficience. Sur cette base, les auteurs se font les avocats d'un régime fondé sur le principe de l'accessibilité universelle, calqué du régime d'assuranceer
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maladie, . ainsi que de la reconnaissance du médicament comme une technologie souvent « médicalement nécessaire ». TROS I ÈME PARTI E
L'organisation et la gestion
Les trois chapitres de cette partie ont abordé successivement la décentralisation, la gestion des établissements et, enfin, le champ contemporain de la santé publique. La décentralisation est un thème qui, même s'il se retrouve constamment au cœur des enjeux de l'organisation du système de santé depuis la réforme Castonguay Nepveu, n'en est pas pour autant épuisé. La gestion des établisse ments est un thème qui, tout en ayant été fortement décrié dans les rapports des commissions d'enquête et des comité d'étude au cours des trente dernières années, a paradoxalement été peu étudié. Enfin, la santé publique apparaît dans la plupart des réformes de la santé comme un champ en croissance dont l 'organisation constitue un enjeu actuel important. Sous le titre plutôt évocateur de « La Décentralisation: panacée ou boîte de pandore ? », Turgeon et Lemieux tentent de jeter un peu de lumière sur la polysémie du terme « décentralisation » . Pour ces auteurs, la décentralisation renferme deux volets complémentaires. C'est d'abord un processus structurel d'autonomisation qui s'accom pagne d'un régime correspondant d'imputabilité. La déconcentra tion, la délégation, la dévolution et la privatisation constituent les quatre types de décentralisation que l'on retrouve dans les différentes fonctions de gouverne, de gestion, de financement et de production des services issus des politiques de santé au Québec, au Canada et dans d'autres pays industrialisés. Les auteurs observent qu'au Qué bec, la délégation souvent appelée décentralisation fonctionnelle ou administrative constitue le mode dominant de décentralisation. L'expérience du Canada dans son ensemble et celle d'autres pays, notamment les États-Unis, l'Espagne, la Suède, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, permettent d'observer que, d'une part, il existe une grande variabilité dans les modes dominants de décentralisation que privilégient ces pays et que, d'autre part, dans tous les pays étudiés, il n'y a pas qu'un seul mode de décentralisation. Six cri tères peuvent être considérés afin de guider le choix des modes de décentralisation à privilégier: l'efficacité, l'efficience, l'équité, la
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coordination, la responsabilité et la représentativité. Enfin, devant le constat que le modèle de délégation (nommée aussi décentralisation administrative) développé au Québec présente de sérieuses limites, tant sur le plan de l'autonomisation que sur celui de l'imputabilité, les auteurs proposent cinq scénarios de décentralisation susceptibles d'être envisagés dans le secteur de la santé pour le Québec et optent pour celui de la dévolution vers les municipalités ou un regrou pement de celles-ci. Les auteurs du chapitre sur la gestion des établissements de santé au Québec dressent un tableau à la fois historique et prospectif de la gestion des établissements de santé au Québec. En s'appuyant sur une conception de la gestion définie comme une pratique contextua lisée, Demers, Dumas et Bégin proposent une typologie de quatre rôles de chef d'établissement de santé, construite à partir des posi tions dominantes qu'occupe ce dernier face aux contextes externe et interne de son environnement. Ce sont le gérant, l'entrepreneur, le rénovateur et le transformateur. À partir de cette typologie, les auteurs retracent l'évolution du système de santé au Québec et montrent comment, à chaque période de cette évolution, le rôle exercé par les chefs d'établissements s'est transformé. Au total, les rôles de gérant et de · rénovateur ont dominé. Cependant, le rôle de chef d'établissement est appelé à se modifier dans la foulée de la réforme actuellement en cours au Québec. À cet égard, les auteurs proposent et analysent deux scénarios. Le premier, nommé « la réforme de la réforme », consisterait à accentuer la décentralisation amorcée au début des années 1990, afin de créer des conditions plus favorables à la gestion par les résultats, à la subsidiarité et à !'imputabilité des gestionnaires. Le second scéna rio s'appuie sur des expériences anglaises et américaines. Il consiste rait à favoriser la concurrence et l'intégration des services, selon un modèle de capitation avec responsabilité de clientèles. Ces deux scénarios pousseraient les chefs d'établissements à agir en transformateurs. Les auteurs demeurent toutefois sceptiques quant aux possibilités de renouvellement du système québécois de services de santé et l'ajustement à la marge du statu quo leur appa raît un troisième scénario plausible. Le champ de la santé publique fait l'objet du chapitre suivant. Gagnon et Bergeron, avec la collaboration de Fortin, abordent la
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santé publique comme un champ constitué de divers domaines et modes d'interventions, et l'analysent sous trois aspects: l'objet même qui est au centre des interventions, le corpus de connaissances et le contexte d'utilisation de ces connaissances. Sur cette base, les auteurs dégagent trois traits qui, au-delà des différences organisationnelles entre les systèmes de santé, seraient déterminants dans la consti tution et la transformation de ce champ. Ces traits sont la déli mitation floue et changeante de ses frontières, son fractionnement et le caractère public du contexte d'utilisation des connaissances. Par la suite, en s'appuyant principalement sur des variations observées entre les systèmes anglais, français et américain, les auteurs précisent les pôles auxquels renvoie chacun des traits relatifs au champ contemporain de la santé publique. Ainsi, le contexte public d'utilisation des connaissances serait principalement marqué par le caractère plus ou moins centralisé des services de santé publique, de même que par l'intégration, ou non, de ces services au système de santé. La délimitation floue et changeante des frontières du champ varierait en relation de l'attention portée essentiellement aux pro blèmes de santé physique ou de l'ouverture faite aux problèmes psychosociaux et de la nature des mesures adoptées pour régler ces problèmes qui, de fait, peuvent être coercitives ou habilitantes. Quant au fractionnement du corpus des connaissances, il se carac tériserait tant par la prédominance des savoirs professionnels ou des savoirs universitaires que par celle de la discipline médicale ou de la multidisciplinarité. Enfin, les auteurs discutent du champ de la santé publique au Québec en regard de ces traits. Pour ce qui est du contexte public d'utilisation des connaissances, l'organisation de la santé publique au Québec est clairement régionalisée et liée à l'administration du système de santé par son intégration dans les régies régionales de la santé et des services sociaux. Même si cette réorganisation remonte à 199 3 , la place prise ou non par le directeur de la santé publique au sein de la régie régionale, voire par les équipes d'experts, demeure encore en évolution et varie selon les régions. Par ailleurs, le champ de la santé publique au Québec se caractérise par une très grande ouverture aux déterminants sociaux de la santé des communautés, avec les avantages et les inconvénients que cela présente, dans la mesure où la ligne de démarcation avec les autres secteurs n'est pas toujours facile à tracer, notamment si l'on pense aux secteurs social
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et communautaire. Quant au fractionnement du corpus de connais sances, il se joue entre l'expertise professionnelle et l'expertise uni versitaire, mais plus encore à l'intérieur de chacun de ces groupes d'experts. Les dernières modifications organisationnelles n'ont pas levé l'ambiguïté quant à la contribution des ressources médicales en matière de santé publique. Cette situation présente de grandes similitudes avec celle des médecins en Angleterre et laisse présager des tensions. Finalement, selon les auteurs, les acteurs soucieux de la pérennité d'un champ distinct pour la santé publique devraient miser sur une plus grande intégration de la production de connaissances ainsi que sur une interaction plus intense entre universitaires et praticiens. QUATRI ÈME PARTIE
L'évaluation et le changement
La dernière partie de l'ouvrage porte sur l'évaluation des services de santé, sur sa contribution à la gouverne et à la gestion des politiques publiques et sur son rôle dans les processus de changement qui marquent les transformations actuelles du système de santé. Dans le chapitre traitant de « !.?évaluation dans le domaine de la santé : conceptions, courants de pensée et mise en œuvre », Bégin et ses collaborateurs montrent le caractère polysémique de l'évaluation. L'évaluation y est définie comme un acte de jugement, comme une activité de production de connaissances destinée à alimenter la gouverne et la gestion et comme une pratique sociale qui contribue à alimenter les débats publics dans le domaine de la santé. Ils entreprennent ensuite de faire la synthèse des courants de pensée, des démarches et des méthodes de mise en œuvre de cette activité telle qu'elle s'actualise dans ce domaine. À cet égard, les auteurs dis tinguent les fondements ontologiques (objectivistes et subjectivistes) et épistémologiques (positivistes et constructivistes) sur lesquels cette activité peut reposer. Les démarches d'évaluation, c'est-à-dire les approches globales à partir desquelles les évaluations sont entre prises, sont différentes selon que l'on privilégie ou non la participa tion des personnes concernées par ces évaluations. Ils distinguent l'approche unilatérale de l'approche multilatérale. Enfin, ils réper torient et décrivent sept méthodes distinctes de mise en œuvre des évaluations dont on retrouve les applications dans le domaine de la
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santé. Ce sont les méthodes de l'agrément, expérimentale et quasi expérimentale, l'opinion d'experts, l'approche dialectique, statis tique, qualitative et de l'habilitation. Par cette présentation les auteurs mettent en évidence que, en évaluation, les démarches et les choix méthodologiques ne peuvent être dissociés des fondements ontologiques et épistémologiques sur lesquels ils reposent. Par ailleurs, ces démarches et méthodes fournissent au travail d'évalua tion autant de moyens complémentaires pour appréhender les objets d'évaluation qui, dans le domaine de la santé, sont la plupart du temps multidimensionnels et requièrent des projets interdiscipli naires. Cette première présentation sur l'évaluation prépare le chapitre suivant dans lequel Saint-Pierre et ses collaborateurs s'interrogent sur les arrangements institutionnels de l'évaluation dans le domaine de la santé. Ils soulèvent trois interrogations : Quels rôles les arrangements institutionnels de l' État en matière d'évaluation des services de santé jouent-ils dans le processus de gouverne et de gestion ? Que peut-on apprendre de la place qu'occupent les institutions vouées à l'éva luation à l'intérieur de ce processus ? Dans quelle mesure l'évaluation est-elle une activité organisée et légitimée au sein de l'État ? Les auteurs concentrent leur analyse sur deux secteurs, soit, d'une part, l'évaluation des technologies et des pratiques professionnelles médicales et infirmières et, d'autre part, l'organisation des services. Ils distinguent deux formes d'évaluation : l'évaluation technique et l'évaluation de légitimation ; la première forme renvoyant davantage à une évaluation de nature administrative n'ayant pas pour but de remettre en question la pertinence des politiques et des programmes, alors que la seconde forme interroge spécifiquement leur pertinence. Ils mettent en parallèle l'expérience du Québec avec celle du gou vernement canadien, de l'Angleterre, de la France et des États-Unis. À propos de l'évaluation des technologies de la santé et des pra tiques professionnelles, les auteurs observent que les efforts déployés jusqu'ici en vue de doter les États étudiés, y inclus le Québec, de mécanismes d'évaluation des technologies et des pratiques profes sionnelles se concentrent davantage sur des évaluations de nature technique et souvent assumées par des pairs. En ce qui concerne l'évaluation de l'organisation des services, trois modalités d'évaluation se dégagent de leur analyse : a) l'évaluation de conformité, caractérisée par l'accréditation des établissements de
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santé, principalement institutionnalisée au Québec, au Canada et aux États-Unis, dans une moindre mesure en Angleterre et en voie de mise en œuvre en France ; b) l'évaluation de suivi-surveillance de l'organisation des services, qui se traduit par une grande variété de mesures allant de la révision des profils d'utilisation des services et d'allocation des ressources à l'analyse des paniers de services, des contrôles exercés sur la rémunération des professionnels à la com paraison des coûts et à la satisfaction des clientèles, etc. Ces initia tives s'élaborent toutes dans le contexte des réformes qui prévalent à des degrés divers dans les États étudiés ; c) l'évaluation par les con sommateurs ou évaluation de l'habilitation telle que nommée dans le chapitre précédent. Il semble que, même si les États se préoccupent de plus en plus de ce type d'évaluation, les initiatives en ce domaine soient encore très timides en regard des possibilités. Les auteurs concluent que les arrangements institutionnels mis en place par l'État dans les deux secteurs étudiés se préoccupent davantage d'évaluation technique. L'évaluation de légitimation, sus ceptible de mettre en cause les choix politiques des gouvernants et des gestionnaires, est peu développée. De surcroît, l'enjeu de déve lopper de telles modalités d'évaluation se bute au difficile problème de l'expression libre d'un contre-pouvoir exercé par les utilisateurs de services et qui soit apte à contrebalancer les pouvoirs actuels des décideurs et des producteurs de services. L'ouvrage se termine sur une réflexion sur « Les approches au changement dans les systèmes de santé ». La plupart des systèmes de services de santé des pays industrialisés sont actuellement engagés dans un processus de changement et le Québec compte parmi les systèmes où ces changements sont les plus profonds et les plus rapides. Dufour et Lamothe présentent quatre approches au chan gement dans les organisations en général. Ce sont les approches clas sique, contingente, du comportement organisationnel et politique. Selon les auteurs, les approches classique et contingente, c'est-à dire qui reposent sur une conception hiérarchisée et mécaniste de l'organisation, caractérisent les stratégies de changement des diri geants politiques et administratifs à l'échelle de l'ensemble du système. La gouverne et la gestion des services de santé aux niveaux central et régional en ont été largement imprégnées au fil des différentes réformes qu'a subies le système de santé depuis trois décennies. En contrepartie, le processus du comportement orga-
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nisationnel et, d'une façon beaucoup plus marquée, le processus politique ont caractérisé les initiatives de changement entreprises à l'intérieur des établissements de santé. Les auteurs soutiennent qu'une approche mixte, politique et contingente est plus appropriée, en contexte actuel de décroissance, pour rendre compte du processus de changement dans les organisations de santé, en raison des contextes général et interne au sein desquels elles évoluent, des attri buts intrinsèques du processus de changement et des caractéristiques du contenu des changements effectués. Enfin, les auteurs s'interrogent sur le rôle de l'évaluation dans les processus de changement. À ce propos, ils observent que l'évaluation peut servir à diverses fins selon l'approche au changement privilégiée et que, dans tous les cas, les résultats d'évaluation viennent nourrir les interactions entre les individus et les groupes qui y sont engagés. Le changement par l'évaluation est pratique courante dans le domaine de la santé. Cependant, cette pratique semble peu marquer les attitudes actuelles des dirigeants politiques. « Tout se passe comme si les changements planifiés s'imposaient per se et que les probabilités de réalisation frôlaient la certitude. » Les principaux enseignements de l ' ouvrage
À la lumière de ces résumés, quels sont les principaux enseignements qui se dégagent de la lecture de l'ouvrage? Nous présentons dans les lignes qui suivent les idées maîtresses qui y ont été véhiculées. Premièrement, il semble que l'État soit un maître d'œuvre plutôt dirigiste des transformations en cours. L'État semble s'être arrogé le rôle de définisseur unique du modèle de protection sociale au Qué bec. Les processus de changement mis en place par les décideurs publics dans leur réforme en cours auraient un caractère plutôt mécaniste et contingent. Une telle approche laisse peu de place à la formulation de compromis dans la recherche de régimes d'équité s'appuyant davantage sur le pluralisme des valeurs qui caractérisent notre société. Deuxièmement, la pluralité des valeurs et des normes est par ailleurs une réalité au Québec qui vit depuis les années récentes une immigration importante et variée. La capacité d'adaptation des services de santé à ces nouvelles réalités est contrainte par la grande concentration géographique de ces communautés, leur diversité
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culturelle et le difficile équilibre à maintenir entre les normes de ces communautés culturelles et celles de la société québécoise. Une plus grande cohérence intersectorielle des politiques publiques est égale ment souhaitée. Troisièmement, le retrait progressif du fédéral du financement des services de santé contribue à l'érosion subtile des normes qui ont guidé jusqu'ici le développement du système de santé au Canada et au Québec, notamment celles de la transférabilité des services et de la gestion publique. Le financement provenant de sources privées aug mente en effet dans toutes les provinces canadiennes, y compris le Québec, ce qui crée un déséquilibre dans la couverture des services entre les provinces, et affaiblit du coup le pouvoir coercitif du gou vernement fédéral. Les initiatives récentes du gouvernement du Québec, fondées sur le partenariat des secteurs public et privé en ce qui concerne l'assurance-médicaments, est une des manifestations du glissement subtil des normes d'équité qui furent définies à l'origine. Quatrièmement, l'efficacité du financement de notre système de santé est actuellement en question, en particulier en ce qui concerne la part du financement public et celle des usagers. À cet égard, la nature des risques associés aux soins de santé devrait davantage être prise en considération dans le choix des modalités de financement. Cinquièmement, il est nécessaire d'utiliser des mesures incitatives particulières telles les modalités de paiement des médecins ou un régime d'assurance-médicaments pour transformer les systèmes de santé. En même temps, il est difficile de prédire les effets de ces mesures sur les comportements individuels parce qu'elles s'insèrent dans l'ensemble des mesures incitatives que constituent les modalités organisationnelles. De plus, ces dernières sont complexes parce qu'elles traduisent des compromis entre les logiques contradictoires et entre les objectifs paradoxaux des systèmes de santé. Sixièmement, à propos de l'organisation des services, il semble que la décentralisation administrative présente de sérieuses limites et qu'une formule de dévolution vers les municipalités ou vers un regroupement de ces dernières rendrait plus clairs les objectifs d'autonomisation et d'imputabilité, si présents dans le discours des gouvernants. Septièmement, les contextes organisationnels externe et interne des organisations de santé, qui ont historiquement marqué l'évo-
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lution du système de santé au Québec depuis la Commission Castonguay-Nepveu, ont confiné les gestionnaires des établissements de santé dans des rôles de gérant et de rénovateur, plutôt que dans ceux d'entrepreneur et de transformateur. Par ailleurs, le paysage de la gestion pourrait changer dans les années à venir. Cependant, ces rôles continueront d'être subordonnés aux choix politiques qui orienteront l'organisation des services de santé. Bien que le besoin de transformateurs soit très grand, les réformes en cours portent encore trop d'ambiguïtés et d'incertitudes pour permettre de lever l'incer titude sur le devenir de la gestion. Néanmoins, les orientations actuelles laissent croire que l'on n'observera pas, à court terme, de modifications profondes dans les rôles joués par les gestionnaires. Huitièmement, la délimitation du champ de la santé publique est encore ambiguë. Il est également habité de tensions entre les pro blèmes de santé physique et les problèmes sociaux, entre les milieux professionnels et les milieux universitaires, entre le monde médical et le monde social. La régionalisation des services de santé publique au Québec n'a pas permis de lever ces ambiguïtés. Enfin, si l'évaluation se présente comme le substitut aux lois du marché dans un régime public largement dominé par l'État, afin de rendre compte de la pertinence, de l'efficacité et de l'efficience des politiques publiques en matière de santé, il semble que les évalua tions purement techniques des politiques et des programmes soient étendues, mais que les évaluations de légitimation, dont le but serait de rendre compte de la pertinence des choix politiques actuels, soient timides. Tels sont donc les principaux enseignements de cet ouvrage. Parti culièrement critiques sur plusieurs points, les opinions des auteurs traduisent le climat d'incertitude et d'ambiguïté créé par les trans formations actuelles du système québécois de santé. Que réserve l'avenir ? En s'inspirant de la lecture du système de santé faite dans cet ouvrage, la conclusion générale qui suit apporte des éléments de réflexion à cette interrogation.
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Conclusion
LA PÉRI O D E ÉTU D I É E par les auteurs de cet ouvrage couvre à toutes fins utiles la décennie 1990. Cette période est marquée par des changements majeurs dans les systèmes de santé de nombreux pays industrialisés. Les publications de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont fait largement état des grands axes de ces changements. r ) un ralentissement marqué des nouveaux investissements dévolus au secteur hospitalier, accom pagné d'une réduction des lits de soins de courte durée ; 2) une décentralisation des services vers les communautés et une intensifi cation de la sélection des clientèles orientées vers le secteur médico hospitalier ; 3) une précision de la vocation des centres hospitaliers pour les soins aigus, les services de deuxième ligne et ultraspécialisés et les conditions urgentes ; 4 ) une organisation de services gérés sur une base territoriale ou locale ; 5 ) une plus grande importance accor dée aux services de soins et de maintien à domicile, accompagnée d'un rehaussement des ressources dans ce secteur ; 6) un accent mis sur une meilleure gestion des épisodes de soins et sur la continuité des services rendus aux personnes ; 7) un élargissement du rôle des
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infirmières et des infirmiers au regard de la première ligne, de la santé communautaire et de la santé publique ; 8) un meilleur accès à l'information sur la santé pour la population, et un soutien accru permettant de favoriser l'autonomie ; 9) la participation des orga nismes communautaires et des aidantes et aidants naturels à la définition des services dans la communauté et à l'assistance auprès des personnes dépendantes ou malades ; IO) l'instauration de nou veaux modes de rémunération médicale visant à augmenter l'imputa bilité des médecins envers une population géographiquement définie (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1997c). L'évolution du système de santé au Québec reflète, à quelques nuances près, les mêmes tendances touchant l'organisation et la prestation des soins de santé. Ces transformations portent largement sur une rationalisation de l'offre de services et, à cet égard, s'inscri vent dans le mouvement des réformes qui semblent offrir de meil leures chances de succès (Saltman, Figueras, 1997). Il reste à voir si les conditions sociales et économiques actuelles, en particulier celles créées par la décision du gouvernement d'éliminer son déficit bud gétaire d'ici l'an 2000, permettront d'atteindre les mêmes résultats. Les changements en cours dans le système de santé au Québec ne sont donc pas des surprises, dans la mesure où ils suivent un courant observé dans beaucoup de systèmes occidentaux. Ce qui est mar quant n'est pas tant la nature de ces changements que l'effritement du modèle de référence qui guidait les gouvernements du Québec depuis la réforme Castonguay de 1971. En effet, à travers les diffé rents thèmes abordés dans cet ouvrage, il ressort clairement que la perspective d'un système public de santé dont l'intégration repose essentiellement sur une régulation hiérarchique est désuète. Cette désuétude est mise en lumière à la fois par la montée du pluralisme des valeurs, par les nouvelles réalités sociales et culturelles, par la croissance du financement privé, par la complexité des mesures incitatives associées au paiement des ressources, par le recours à un régime privé/public pour l'assurance-médicaments, par le plafonne ment de la délégation régionale, par l'autonomie limitée des chefs d'établissement et par le peu de prise de l'évaluation sur les choix politiques. Mais avec l'effritement du modèle de référence s'est aussi installé un flottement quant aux perspectives de l'évolution du système de santé au Québec. À cet égard, les auteurs des différents chapitres
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montrent bien la diversité des scénarios possibles. La réalisation de l'un ou l'autre de ces scénarios ou d'autres combinaisons dépendra du contexte social et politique au Québec, des promoteurs d'idées · à la mode et des stratégies de changement des dirigeants politiques. Sans prendre position sur ces scénarios, il apparaît important de rappeler quelques-uns des enjeux plus particuliers auxquels il faudra prêter attention. En premier lieu, il convient de constater que le rythme avec lequel ont eu lieu jusqu'ici ces transformations est extrêmement rapide. A cet égard, il est difficile de ne pas donner foi à celles et ceux qui croient que le virage ambulatoire et la reconfiguration du système de santé a été une solution très opportune, à la rencontre de l'épineux problème de la crise des finances publiques. Cela était d'autant justi fié que les dépenses de santé absorbent plus de 3 0 % des dépenses gouvernementales. Comment ne pas penser que le rythme accéléré de la mise en œuvre de tous ces changements n'a pas été dicté par les impératifs politiques du déficit zéro avant l'an 2000 ? Bien qu'un telle réforme ne puisse se faire sans qu'un sérieux coup de barre ne soit donné dans les processus et les structures d'un système d'une telle complexité ; bien que l'on doive reconnaître le courage politique de celles et ceux qui l'ont effectuée, il ne faut pas pour autant ignorer les risques qu'une réforme trop rapide et trop unilatérale risque d'encourir. L'ampleur des changements crée de nombreuses incertitudes et insécurités. La perte de confiance de la population et la démobilisation des professionnels sont deux des dangers majeurs qui risquent d'entraver le projet actuel de réforme. À vouloir faire trop vite une réforme, qui implique des changements profonds dans les habitudes de consommation de même que dans les cultures professionnelles et organisationnelles, on risque de démo biliser celles et ceux par qui le changement doit obligatoirement passer, soit les consommateurs et les professionnels. En second lieu, il semble que la réforme actuelle ait mis en veilleuse le projet québécois de participation des usagers et des groupes d'intéressés. Or ce projet était précisément vu comme une solution pour corriger les défauts maintes fois dénoncés de la trop grande régulation administrative imposée par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce projet a été abandonné progressivement, à mesure que les enjeux financiers de la réforme prenaient le pas sur d'autres considérations. Au Québec, cette tendance n'est pas propre
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Le système de santé québécois
aux organisations de santé et il faut s'interroger sur ce qu'il advien dra de l'idéal participatif. D'autres systèmes de santé, comme ceux de la Grande-Bretagne et bientôt de l'Ontario, ont choisi de déve lopper des « chartes des droits des patients », afin de modifier l'équilibre des pouvoirs et de l'information entre les usagers et les prestataires de services. Mais il n'est pas certain que cette approche vienne à bout de tous les problèmes. En fait, les objectifs énoncés dans le rapport de la commission Castonguay-Nepveu, à la fin des années 1960, et réitérés plusieurs fois depuis, invitant les dirigeants du système de santé à respecter les choix exprimés par les citoyens plutôt que de traduire seulement la vision des experts et des profes sionnels, sont toujours aussi vivants. En troisième lieu, il faut constater qu'ici comme ailleurs, les professions de la santé ont été ignorées. On parle si souvent de la crise de la médecine et de la dégradation des conditions de travail des infirmières qu'il peut sembler curieux de conclure de cette manière. Pourtant, il est clair que le champ professionnel n'a pas fait partie des domaines d'intervention privilégiés par les pouvoirs publics, con trairement aux structures de gestion et aux modalités de régulation. Cela signifie d'abord que la répartition des tâches entre professions et entre spécialités est restée inchangée, à de rares exceptions près. L'émergence de « nouvelles » professions (infirmières cliniciennes, sages-femmes, etc.) ou de nouveaux rôles professionnels (consul tation de première ligne en pharmacie) est restée marginale. Mais les querelles de territoire ne sont pas terminées, loin s'en faut, d'autant que la transformation des rôles professionnels est un instrument disponible pour modifier l'offre de services et leur coût, en première ligne comme dans le secteur hospitalier. Ensuite, cela implique qu'on a peu touché à la hiérarchie des groupes professionnels et, plus généralement, à la structure et à la répartition du pouvoir entre ces groupes. Tout indique que la puissance publique s'est engagée dans la réforme en percevant les différentes professions comme des alliés ou des adversaires potentiels, mais rarement comme des acteurs à part entière, porteurs de projets spécifiques : valorisation du métier d'infirmière, maintien des prérogatives des médecins, affirmation du rôle des pharmaciens d'officine, émergence des travailleuses sociales en première ligne, etc. Au Québec, cette analyse réductrice est d'au tant plus étonnante que la commission Rochon avait centré son analyse politique sur la place et le rôle des groupes d'intérêts, et que
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les outils intellectuels existaient donc pour prendre en compte les intérêts et les stratégies de groupe dont le combat ne s'achèvera pas avec la mise en route des nouvelles structures. En quatrième lieu et même si cette question n'a pas été abordée directement dans l'ouvrage, on ne peut ignorer l'influence américaine comme première puissance économique et scientifique mondiale, et en tant que référence culturelle de premier plan dans le paysage de la société québécoise, en raison de notre proximité géographique et de notre grande dépendance à l'endroit des États-Unis. Nos valeurs fondamentales, tout comme les transformations à venir au chapitre des modalités de financement, de paiement des ressources et d'or ganisation des services de santé, risquent de subir l'influence néo libérale de nos voisins du Sud. Ainsi, il faut reconnaître que, pour le meilleur et pour le pire, la médecine américaine sert de norme dans la plupart des sociétés occidentales. Nos professionnels de la santé tiennent à fournir à leurs patients les mêmes soins et à posséder les mêmes instruments que leurs collègues américains. Les patients aussi perçoivent les solutions offertes par le système américain comme une norme obligée, aussi bien dans le domaine des médicaments que dans celui des traitements chirurgicaux ou des outils diagnostiques. On ne voit pas vraiment comment les choses pourraient changer dans un avenir prévisible. Les choix et les orientations en matière d'accès aux soins prennent place dans un système où l'on voudrait que chacun puisse obtenir ce que les États-Unis offrent à leurs patients les plus fortunés, tout en conservant les contraintes et les avantages d'un système public. La manière dont sont formés les professionnels, avec des manuels et des équipements américains, la diffusion de l'information médicale ou l'intégration des grandes sociétés pharmaceutiques sont autant de facteurs qui vont maintenir une pression constante sur les objectifs des autorités du système de santé en matière de rationnement ou de rationalisation. Il ne faut donc pas se surprendre d'observer, dans un tel contexte comme le font certains auteurs de cet ouvrage, la montée impressionnante de la privatisation des services au Canada et au Québec. Enfin, d'autres phénomènes plus globaux ne manqueront pas d'influencer considérablement la façon dont les services de santé seront conçus, financés et produits. Pensons à la montée de l'écono mie sociale et à son apport à la communautarisation des services de
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santé, à la territorialisation des services et de la gestion, aux tenta tives multiples et variées pour délester l'État en matière de santé, à la mondialisation de l'économie et à l'instantanéisation des commu nications. La lecture diagnostique des transformations du système de santé faite dans cet ouvrage est celle d'un système en mutation profonde et, de ce fait, elle ne peut être que partielle. Même si peu de réponses claires aux problèmes soulevés sont fournies, les propos tenus par les auteurs ont le mérite d'alimenter la réflexion collective. La période étudiée en est une de transition qui prépare le système de santé du début du troisième millénaire. Le Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé a l'intention de suivre cette évolution et de produire, d'ici quelques années, un ouvrage qui traitera de façon systématique des transformations entraînées par cette réforme.
N otes
Les q uestions d'éthique sociale dans le système de santé québécois
1 . Si la méthodologie propre à l'analyse politique normative suggère que l'on écarte les valeurs inconditionnelles telles que la coopération, la prévoyance, le courage ou la patience, c'est entre autres raisons parce qu'il y a un cercle vicieux dans ce genre de tentatives ; pour reconnaître les normes carac téristiques d'un système social ou politique, on cherchera justement des règles de conduite qui ressemblent aux indications prescrites par la morale, la religion ou la coutume. Voir Jacobs ( 199 5 ), pour une illustration bril lante, malgré le parti pris dualiste, et Forest ( 1997a), pour une introduction méthodologique. 2. Comme le souligne Guy Durand, l'approche traditionnelle ( « paternaliste » ) en éthique médicale se limitait à l'examen par le médecin de l a situation où se trouvait son patient et, éventuellement, la famille, sans autre valeur déter minante que le respect de la vie dans ce cas particulier (Durand, 1 9 89 : 22). 3. Comme on peut s'en convaincre en suivant l'analyse de Le Grand dans sa discussion sur l'équité et la santé (Le Grand, 199 1 : 103-1 26), il est même clair que le principe du mérite accentue les inégalités sociales en ce domaine au lieu de les corriger, en raison de la distribution initiale injuste des facteurs de risque.
3 66 L e système de santé québécois 4. Par équité verticale, on désigne un système d'imposition et d'avantages sociaux dans lequel les contribuables à haut revenu supportent des charges plus lourdes, par le biais des impôts ou par celui des règles d'admissibilité aux programmes sociaux (Lefebvre, 1995 : 17 ) . Sous sa forme extrême, l'équité verticale conduit à réserver les rares dépenses de redistribution aux seuls indigents, en laissant aux autres citoyens l'entière responsabilité de leur bien-être. En fait, même si les interventions gouvernementales n'ont pas toujours servi à corriger les inégalités sociales et que la situation des couches moyennes se compare avantageusement à celle des démunis que l'État tente de protéger, l'uniformité de la couverture sociale est parfois la meilleure garantie que l'ajustement de la capacité contributive et de la couverture sociale ne reflète pas seulement des transferts entre coalitions majoritaires successives (Bélanger, 1987 : 3 6). 5. Certains passages de cette section ont été développés dans Forest ( 1997b). 6. L.Q., 199 1 , c. 42, art. 6: « Toute personne a le droit de choisir le profes sionnel ou l'établissement duquel elle désire recevoir des services de santé ou des services sociaux. » 7. L.Q., 1 991 , c. 42, art. 1 3 . 8 . La justice de procédure suppose des règles qui sont « connues, claires [et] transparentes » (Rocher, 1996 : 1 2), ce qui n'est pas évident dans un contexte habituel d'incertitude médicale. La solution imaginée par Outka ( 1974} tient en deux préceptes, qui s'appliquent bien au système public québécois dans ses premières années : r. à chacun selon ses besoins ; 2. à chaque cas semblable, traitement semblable. 9. Au niveau individuel, de toute manière, un risque socio-économique n'est pas lié causalement à l'apparition d'un problème médical ou social. Ainsi, même s'il existe un lien statistique entre le revenu et les maladies res piratoires, on ne peut pas dire que les maladies respiratoires soient attri buables à un bas revenu. ro. À rapprocher des principes défendus par le mouvement américain de managed competition (Enthoven, 1993 : 46), même si les adeptes ne se recrutent pas dans les mêmes franges de l'opinion : « gouvernement limité, action volontaire, décentralisation de la décision, choix individuels, concur rence des modèles, pluralisme, responsabilité personnelle et locale. » I I . On rappellera qu'en économie politique, l'optimum social est atteint dès lors que la répartition des revenus coïncide avec les valeurs et les préférences de la majorité. La sommation des choix individuels ne permettant pas de mettre au jour cette répartition idéale, comme l'ont abondamment montré les chercheurs de l'école des choix publics (Downs, 19 5 7 ; Arrow, 19 5 1 ), il semble que la formule dépende nécessairement des jeux politiques domi nants, à un moment quelconque. Cette interprétation, fort plausible à pre mière vue, laisse toutefois dans l'ombre les comportements altruistes ou symboliques qui dominent maintes décisions à caractère social et qui
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participent plutôt des structures cognitives de la théorie culturelle ; comme le souligne Pran Manga ( 19 8 7 : 2 3 ), la collectivité dans son ensemble accepte parfois que des ressources disproportionnées soient investies pour sauver des vies particulières, sans autre motif que « de réaffirmer ses idéaux et son identité ou même ce qu'on appelle ses « obligations morales ». 1 2. Pour des raisons qui ont été exposées ailleurs (Forest, 1997a ; 1997b), on distingue au moins quatre régimes d'équité différents dans les systèmes de santé des pays de l'OCDE : la communauté, l'organisation, le marché et l'association, ainsi baptisés en raison de Ja logique dominante dans chacun des cas. L'adaptation des services de santé et des servi ces sociaux au contexte pluriethn i que
r. Nous tenons à remercier nos collègues du Centre de recherche et de formation du CLSC Côte-des-Neiges, centre affilié universitaire. Nous avons puisé dans leur texte certaines informations factuelles concernant la clientèle pluriethnique québécoise des services sociaux et de santé. 2. Les gouvernements ont abordé la question de l'intégration des immigrants sous l'angle de la culture. Cette approche, qui fait de l'ethnicité « une ethnicité-essence, l'ethnicité-attribut, unique déterminant des faits sociaux observés » (Juteau, 1986 : 37) a plusieurs fois été remise en cause. Cette perspective culturelle ou ethnique, qui accentue les différences (Gay, 1 9 8 5 ), enferme les immigrants dans leur tradition culturelle et a des répercussions sur la perception de la population. En outre, la mise en relief de la différence occulte des difficultés relationnelles qui relèvent des catégories sociales (McAll, 199 1 ) . 3 . Jusque dans les années 1960, c'étaient l'Église catholique et les commu nautés ethniques, qui prenaient en charge l'accueil et l'aide aux immigrants (Jacob, 1992). Dans Je contexte du renforcement de l'État provincial des années 1970, le gouvernement s'est lancé dans des réformes, comme l'intro duction de l'assurance-maladie universelle, en 1967, qui devint l'un des principaux facteurs d'accès aux services médicaux (Béland, 1 9 8 5 ), qui ont notamment touché les services sociaux et les services de santé aux immi grants. Parallèlement aux services dès lors institutionnalisés, les commu nautés ethniques ont continué d'offrir différentes formes d'assistance (voir le répertoire des services offerts par les organismes communautaires, ministère des Communautés culturelles et de l'immigration, 199 3 ) . 4. O n retrouve dans Le Goff ( 1997) l'analyse des politiques des deux minis tères concernés par les services sociaux et de santé, et de leur adaptation au milieu pluriethnique : le ministère des Services sociaux et de Santé et ce qui est aujourd'hui le ministère des Relations avec les Citoyens et l'immigration.
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Le système de santé québécois
5 . Ainsi, dans son énoncé de politique en matière d'immigration et d'inté gration (Ministère des communautés culturelles et de l'immigration, 1990) et dans son plan d'action concernant l'accessibilité des services aux commu nautés ethnoculturelles (Ministère des communautés culturelles et de l'immigration, r994), le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration déclare que l'adaptation des institutions à la réalité pluraliste constitue un facteur essentiel de la participation des Québécois de toutes les origines à la vie collective. Il annonce également des interventions dans deux champs bien précis : l'adaptation des interventions et des services destinés à la clientèle des communautés culturelles et la formation interculturelle des intervenants. En outre, la politique de régionalisation de l'immigration traduit la volonté gouvernementale de favoriser l'établissement des immi grants à l'extérieur de Montréal (Gouvernement du Québec et Secrétariat régional de la concertation de l'Outaouais, r992). 6. Dans sa politique de la santé et du bien-être, par exemple, le ministère de la Santé et des Services sociaux ( 1 992) tient compte, dans la définition de ses objectifs et de ses stratégies d'action, de la population récemment immigrée en l'identifiant comme groupe vulnérable. 7. Les soins de première ligne sont ceux dispensés sur-le-champ à des clients qui en font la demande. Ils impliquent certaines situations d'urgence et de crise et couvrent un large éventail de besoins. 8. Weber d'abord puis Tonnies ont proposé une distinction entre communauté et société, qui est toujours actuelle. Quand la volonté d'être ensemble est mue par l'affectivité, la tradition ou l'attachement à des valeurs, elle crée une communauté ; quand elle est au contraire mue par un besoin d'établir une relation contractuelle, elle crée une société. En réalité, tout groupe réalise les deux manières de vivre. L'État, lui, est une société plutôt qu'une communauté. 9. Rappelons que la notion de citoyen remplace le terme « communauté culturelle » dans l'appellation du ministère responsable de l'immigration. Depuis juin 1996, c'est en effet le ministère des Relations avec les Citoyens et de }'Immigration (MRCI) qui en est en charge. Le MRCI propose, en troquant le terme « communauté culturelle » contre le terme « citoyen », une vision pluraliste, qui veut gommer les différences culturelles, et dénote la volonté gouvernementale de ramener la problématique à la société au sens de Tonnies. Cette vision est fondée sur le fait que tous les Québécois, quelles que soient leur origine ou leur appartenance, sont reconnus membres à part entière de la société québécoise et participent à la vie collective du Québec. Le MRCI s'est donné comme mission, entre autres, le renforcement de l'ouverture au pluralisme et le rapprochement interculturel, au-delà des différences identitaires. Cela dit, il y a une certaine ambiguïté entre le statut de citoyen et le fait d'être immigrant. ro. Notons par ailleurs que les immigrants sont en principe en bonne santé à leur arrivée au Canada puisque, avant de recevoir leur visa de résidence
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permanente, ils doivent passer un examen médical dans le pays où est faite leur demande d'immigration. Les maladies exotiques sont ainsi excep tionnelles (Collège des médecins de famille du Canada, section Québec, 199 1 ; Chen, Wilkins et Ng, 1996). 1 r. La santé mentale est l'un des domaines les plus étudiés au Québec en rapport avec l'expérience de l'immigration et les groupes ethniques (Beiser et coll., 198 8 ; Corin, Bibeau, Martin et Laplante, 1990 ; Groupe de travail sur les communautés culturelles et la santé mentale, 1990 ; Blanchet, Laurendeau, Paul et Saucier, 1993). 12. Comme ont cherché à le faire, par exemple, les enquêtes effectuées pour Santé Québec sur la communauté chinoise (Clarkson, Tran, 1997), la com munauté haïtienne (Clarkson, Eustache, 1997) et la communauté du Maghreb et du Moyen-Orient (Clarkson, Dahan, 1997}. 1 3 . Notons de plus que le caractère pluriethnique des interventions constitue une dimension parmi d'autres. C'est ainsi que la diversité des clientèles et des problématiques fait adopter aux intervenants, dans leur pratique, une approche individuelle et globale, qui tient compte d'une combinaison de facteurs (culturels, personnels, sociaux et économiques) spécifiques à chacun des clients (Le Blanc, 1994 }. 14. En effet, il ne doit pas être tenu pour acquis que l'intervenant appartient à la culture majoritaire et le client à un groupe minoritaire. Heneman et coll. ( 1 994) ont démontré qu'intervenants et clients peuvent être d'une même appartenance et tous deux de culture minoritaire : 22 % des intervenants consultés étaient de la même culture ou de la même langue que le client (d'immigration récente à Montréal). 15. Le terme « intervention interethnique » désigne toute intervention qui implique un intervenant et un client qui n'ont pas la même origine ethnique (Le Blanc, 1994 ). 1 6. Chaque intervenant a une conception du social qui se traduit dans sa pratique. Le terme « implicite » cherche à exprimer le caractère formalisé de ce savoir. Le savoir implicite réfère donc non seulement au savoir construit dans l'interaction immédiate, mais aussi à l'interprétation et au sens que donne l'intervenant aux aspects contextuels de sa pratique, qu'ils soient organisationnels, institutionnels ou sociaux (Rhéaurne, Sévigny, 1988). 1 7. Notons que la reconnaissance du savoir implicite des intervenants ne fait cependant pas l'unanimité dans la littérature. A ce titre, Dunn { 1987) et Longres { 1 9 8 1 ) évoquent l'ethnocentrisme et la sous-estimation des préjugés personnels de l'intervenant, alors que Bruckner fait appel à la notion d'hégé monie culturelle. r 8 . Atkinson et coll. ( 19 89) montrent même que le taux d'abandon des immi grants, à la suite d'une première séance de « counselling », se situe autour de 50 %, comparativement à 30 % chez les Anglo-Américains.
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19. D'ailleurs, le statut accordé à ces personnes est très variable. Lum et coll. ( 1980), par exemple, soulignent le cas des familles chinoises où les aînés avaient traditionnellement un statut prestigieux au sein du groupe et qui, dans la société d'accueil, sont isolés et ont peu de contacts familiaux. De la même façon, Guberman et Maheu ( 1997) montrent les difficultés reliées à la prise en charge des personnes âgées dans les familles d'origine haïtienne et italienne au Québec. 2.0. Dans ce texte, nous nous sommes principalement intéressés à la problé matique de l'immigration et des services de santé d'ici. Il y aurait cependant matière à comparaison avec d'autres systèmes de santé ailleurs dans le monde. L'utilisation des langues en lien avec les services de santé pourrait aussi faire l'objet d'une étude en soi. Notons par ailleurs que nous n'in cluons pas les autochtones dans les communautés culturelles. Le fin ancement des services de santé au Québec
1. Assurance par remboursement des soins de divers prestataires, systèmes d'assurance avec remboursement des soins provenant de prestataires sous contrats ou systèmes intégrés d'assurance et d'offre de soins. 2. La coassurance signifie que l'assuré paie un pourcentage fixe des coûts ; la franchise est un montant fixe de base que les bénéficiaires doivent verser avant que l'assurance couvre les dépenses ; la tarification (ou frais modé rateurs) par service est un montant fixe lié ou non aux coûts des services ; le plafond sur les activités autorisées fait qu'au-delà d'une certaine quantité de services consommés, la population doit payer les coûts ; les options liées au revenu imposable impliquent qu'une portion des services consommés est financée grâce à une contribution additionnelle par l'impôt sur le revenu ; le plafond sur les dépenses autorisées signifie qu'au-delà d'un certain montant dépensé, l'assureur ne couvre plus les frais ; la couverture des risques élevés signifie que l'assuré n'a pas à débourser au-delà d'un certain montant, et cela dépendant de la personne concernée ; la surfacturation est un montant payé par l'assuré en sus du montant payé par l'assurance pour le même service ; la désassurance sélective s'effectue par la non-couverture des services ; la désassurance totale correspond au retrait de l'assureur de la couverture de certains programmes ; le système parallèle fait référence à la possibilité d'assurer en fonction de l'efficacité de l'organisation des services (assurance d'un service public mais pas de son équivalent privé). 3 . Le principe est de calculer un montant per capita uniforme pour toutes les provinces par rapport à ce qui avait été versé en moyenne en 1 976, allocation indexée sur le taux de croissance du PNB. On multiplie ensuite par la population de chaque province. Puis, pour chaque province, on calcule les ressources provenant de l'impôt, sujettes ou non à égalisation, ce qui correspond au transfert fiscal, le transfert en espèces représentant la différence entre le transfert fiscal et l'allocation calculée plus égalisation si
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nécessaire (étant donné les disparités fiscales entre provinces, les plus pauvres d'entre elles recevaient leurs revenus en points d'impôt accrus d'un paiement supplémentaire en espèces afin d'égaliser les montants) . Le Québec bénéficie d'un transfert fiscal plus important du fait de points d'impôt supplémentaires dont il jouit depuis r965. 4. La répartition entre le transfert en impôt et le transfert en espèces a évolué à travers le temps avec une importance croissante pour le transfert fiscal. Ce premier, qui représentait 3 5 ,4 % contre 5 6, 7 % pour le transfert en espèces et 7,8 % pour le transfert destiné aux soins prolongés en r975, est passé, en r994, à 52 % contre 3 8, 2 % pour le transfert monétaire et 9,3 % pour les soins prolongés. 5. Le RAPC est le Régime d'assistance publique du Canada qui était un
programme à coût partagé ( 50/50) et finançait les dépenses d'aide sociale au Canada.
Les mesures incitatives et le paiement des ressources
r. Pour véhiculer l'idée que l'influence des modalités de paiement n'est pas une réaction mécanique, il ne faudrait pas utiliser le terme « paiement des ressources », mais parler plutôt de ce qui est l'objet de l'analyse, c'est-à-dire du paiement des acteurs dans des organisations ou des systèmes : acteurs individuels (médecins, administrateurs, infirmières, etc. ) ou acteurs collectifs (hôpitaux, systèmes intégrés de soins, etc.). 2. « Les institutions sont des cadres durables d'action, des règles durables du jeu social et des habitudes collectives [ ... ]. Ces règles du jeu social, parce qu'il n'existe pas de société spontanément harmonique ni pleinement réconciliée, sont des armistices sociaux ; entre groupes, ils naissent des luttes passées ; ils en préparent de nouvelles » (Perroux, r963 : n 8-n9). 3 . Cette figure vise aussi à illustrer l'idée que les quatre logiques de régulation définissent un espace à l'intérieur duquel on pourra placer, comme on le verra plus loin, les modalités spécifiques de régulation des systèmes de soins. 4. Nous donnons à la notion d'efficience allocative une définition restreinte. Elle n'englobe pas le concept d'allocation optimale des ressources au sens de l'optimum de Pareto. Si on se plaçait dans cette perspective, l'enjeu serait de trouver l'allocation des ressources qui maximise le bien-être de la population, c'est-à-dire de déterminer dans tous les secteurs de la société, compte tenu de l'importance accordée par la population à l'équité et à l'autonomie individuelle, quelle serait la répartition optimale des ressources. La notion d'efficience incorpore alors les deux autres valeurs fondamentales et, d'une certaine façon, les subordonne à la logique économique. Dans le domaine de la santé, il nous semble plus riche de conserver la distinction entre les trois valeurs, tout en comprenant que le bien-être de la population est le résultat de la tension existant entre ces valeurs.
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Le système de santé québécois
La place du médicament dans le système de santé du Québec
r . Les cinq principes sont : une couverture universelle ; l'exhaustivité des
services offerts ; un accès raisonnable aux services de santé pour tous ; la transférabilité entre provinces du régime de protection médicale ; et la gestion publique des régimes d'assurances.
2. Les termes à connotation sexuée doivent être compris dans ce texte comme ayant une valeur épicène. 3. Cette loi régit la fabrication, la distribution et la vente des médicaments et des cosmétiques. Elle s'applique aux plantes médicinales qui peuvent obtenir un numéro d'identification des drogues DIN, aux produits homéopathiques où la présence du produit dans les pharmacopées américaines et françaises est reconnue et aux vitamines qui doivent répondre à toutes les exigences. 4. Le CCP est constitué d'experts en pharmacologie et d'un expert en phar macoéconomie, alors que les comités de pharmacologie sont constitués de pharmaciens et de médecins ayant des privilèges de pratique dans l'établisse ment. 5. Ces honoraires sont versés dans le cas d'une ordonnance falsifiée, d'une
allergie, d'un échec de traitement antérieur, d'une interaction cliniquement significative, d'une intolérance antérieure, d'un choix irrationnel du produit, d'une dose dangereusement élevée, d'une dose sous-thérapeutique, d'une durée de traitement irrationnelle, d'un produit inefficace dans l'indication visée, d'une quantité prescrite irrationnelle, d'une surconsommation, d'une duplication de traitement.
6. L'opinion pharmaceutique vise : à interrompre un traitement soit pour cause d'allergie, d'effets secondaires, d'interaction, de grossesse ou d'allaitement ; à modifier un dosage soit en raison d'effets secondaires ou d'un problème d'efficacité ; à substituer un autre produit pour des raisons d'effets secondaires ou d'intolérance, d'interaction, de problèmes d'efficacité ou de grossesse ou d'allaitement ; à ajouter une médication complémentaire requise ; à signaler une inobservance soit une sur ou sous-consommation pour les produits traitants l'hypertension ; à établir un profil pharmaco thérapeutique dans le cas d'usage de plus de huit médicaments ou dans le cas d'une interaction avec un produit non assuré ; à constituer un calendrier de sevrage pour les benzodiazépines. 7. Un détenteur de carnet ayant un profil exceptionnel de consommation de médicaments doit obligatoirement s'adresser à son pharmacien désigné pour obtenir les services pharmaceutiques assurés en vertu de la Loi sur l'assurance-médicaments. Pour agir à titre de pharmacien désigné, le phar macien reçoit une rémunération mensuelle de 20 $. 8. Le cancer, la fibrose kystique, le diabète insipide, la tuberculose, l'hyperpro téinémie primaire et les maladies psychiatriques sévères.
Notes
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9. On parle ici de régime général e t non d e régime universel parce que toute
personne résidant au Québec doit être assurée mais pas nécessairement avec le régime québécois.
ro. L'homéopathie est une méthode qui met en application clinique le principe de similitude qui veut que toute substance qui peut, à dose pondérale, provoquer des symptômes chez un individu sain, peut, à doses infinité simales, guérir ces symptômes chez un individu malade. I I . La phytothérapie est une thérapeutique par les plantes. 12. La naturopathie se définit comme une philosophie, un art et une science, qui viserait à apporter à l'être humain le plus haut degré de santé possible en lui apprenant à gérer correctement ses habitudes de vie. I 3. Les prix des nouveaux médicaments brevetés sont fixés au niveau fédéral ; le Québec applique la « règle des 1 5 ans » et ses mécanismes de contrôle des coûts ne concernent que les médicaments couverts par l'assurance publique. 14. Ce quasi-monopole n'est pas dû au faible nombre d'entreprises, mais à la tendance de se créer des niches de quasi-exclusivité dans certaines classes thérapeutiques. La décentrafisation : panacée ou boite de Pandore ?
1. Loi sur les services de santé et les services sociaux, et modifiant diverses dispositions législatives, chapitre 42 des Lois du Québec de 199 1 , article 3 40. 2. À ce sujet, voir Fraser ( 1996 : 3 7-3 8). Également Lomas ( 1995 : 25). 3 . Borgeat et coll. ( 1 982 : 56) ; Debasch ( 1968 : 3 5 5- 3 5 8 ) ; Deschênes ( 19 8 1 : 39-47) ; Gélinas ( 1975 : 8-ro) ; Ministère du Conseil exécutif ( 1995 : 8-ro) ; Lesemann ( 1978 : 23-4 5 ) ; Smith ( 1 98 5 : 1 ). 4. Nous adoptons à cet égard les définitions du Conseil de la santé et du bien être ( 1997). 5 . Cette distinction en quatre grandes fonctions est différente de celle qu'on
trouve dans l'ouvrage de l'Organisation mondiale de la santé (Mills et coll., 1 99 1 : 28-29).
6. Nous empruntons cette idée de J. Lomas ( 199 5 : 25-34), qui l'a limitée initialement au principe de dévolution. 7. L'autonomisation réfère à l'autonomie dans la gestion sectorielle des fonc tions de régulation relatives à la santé. 8. Lomas ( 1 99 5 : 26) de même que Lemieux ( 1996 : 661-680) en arrivent à ce constat récemment. 9. C'est l'une des hypothèses mises de l'avant récemment par Lemieux ( 1996). 10. Le domaine du bien-être social, devenu celui de la sécurité du revenu en 1 984, a été rapatrié en 1 9 8 5 par le ministère du Travail. Le MAS changeait
3 74
Le système de santé québécois
alors de nom pour celui de ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). 1 I . Rappelons toutefois qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une élection au suffrage universel, puisque certains des critères propres à ce phénomène ne sont pas intégralement respectés : présence d'une liste d'électeurs, possibilité de révision de cette liste, délimitation stricte des circonscriptions, etc. 12. La région Nord-du-Québec ne possède pas de régie régionale. 1 3 . Dans les faits, les réunions préparatoires à huis clos du conseil d'adminis tration se multiplient depuis 199 3 , laissant souvent à l'audience assistant aux séances publiques du conseil d'administration le sentiment que « tout est arrangé d'avance » . 14. Sur t e système de santé aux États-Unis, voir Chamarand ( 1996). 1 5 . Sur le système de santé en Suède, voir Berleen et coll. ( 1 993 ) . 1 6. Sur l e système de santé en Espagne, voir OCDE ( 1992 : I I 1-120). 17. Sur les réformes récentes en Nouvelle-Zélande, voir le chapitre d'Anderson, Dorland et Davis ( 1 996 : 76-104). 18. Sur le Royaume-Uni, voir OCDE ( 1992 : 1 2 1-139). 19. Les provinces canadiennes sont considérées comme autant d'États fédérés. La gestion des établissements de santé au Québec
I. Nous tenons à remercier Michel Audet, Jean-Claude Deschênes et Denis Ouellet ainsi que les collègues du Réseau de recherche sociopolitique et organisationnelle en santé pour leurs commentaires sur une version pré liminaire de ce texte. Nous remercions également les quatre chefs d'éta blissement qui nous ont accordé une entrevue et dont les propos nous ont été d'une grande utilité pour rédiger ce chapitre. 2.. Ce courant inclut les auteurs classiques du champ de la gestion, Taylor ( 1 9 I I ) ; Fayal ( 19 1 6) ; Mayo ( 193 3 ) ; Roethlisberger et Dickson ( 19 3 9 ) ; Herzberg et coll. ( 19 59 ) ; McGregor ( 19 60), ainsi que les adeptes de la théorie des systèmes tels Katz et Kahn ( 1978) et de l 'approche de la contingence comme Lawrence et Lorsch ( 1967) et Kast et Rosenzweig ( 1973). 3 . On peut ranger dans cette perspective les monographies de Selznick ( 1949) ; Gouldner ( 1 954) ; Blau ( 19 5 5 ) et Burns et Stalker ( 1 9 6 1 ), les travaux de l'école de l'analyse stratégique, Crozier ( 1963 ) ; Crozier et Friedberg ( 197 7) et Friedberg ( 199 3 ), ceux de la théorie de l'ordre négocié, Strauss et coll. ( 1963 ) ; Strauss ( 1978), et ceux d'auteurs comme Pfeffer (198 1 ) et Kotter ( 1979). 4. Braverman ( 1974) ; Clegg ( 1979) ; Zimblast ( 1979) ; Clegg et Dunkerly ( 1980) ; Salaman ( 19 8 1 ) ; Wood ( 1982) et Knights et Willmott ( 1 986).
Notes
375
5. On peut classer dans ce courant les travaux qui recourent à la théorie de la
structuration de Giddens ( 19 87), comme ceux de Barley ( 1986) ; de Bou chikhi ( 198 8 ) ; d'Eraly ( 198 8 ) ; de Dumas ( 199 5 ) et de Demers ( 1996).
6. Les établissements de santé sont, au sens de Mintzberg ( 198 2), des orga nisations de professionnels. Dans ce type d'organisation, les praticiens du « centre opérationnel » disposent d'un capital de connaissances spécialisées qui les rend relativement autonomes par rapport aux gestionnaires et qui leur permet d'exercer une influence importante sur l'orientation et le fonc tionnement de l'établissement. Les chefs d'établissement de santé sont donc moins en mesure d'imposer leur autorité que les dirigeants d'autres types d'organisation. 7. Dans cette section, nous considérerons ces parties prenantes comme une seule catégorie d'acteurs. Dans certains cas, le conseil d'administration d'un établissement en fait partie. Plus généralement toutefois, le conseil est un acteur hybride, ni complètement dans l'établissement ni complètement hors de celui-ci, qui, comme le chef d'établissement, est à la jonction des con textes externe et interne de l'organisation. La contribution du conseil d'administration peut se limiter à officialiser les décisions du chef d'éta blissement. Le conseil peut aussi intervenir directement dans la gouverne de l'organisation. Pour que les prises de position du chef d'établissement prévalent, celui-ci doit alors se coaliser avec son conseil d'administration ou avec la faction dominante de celui-ci en cas de dissension au sein du conseil. À la différence des autres gestionnaires de l'organisation, le chef d'éta blissement relève donc d'une autorité collective et non d'un seul individu. De plus, les membres du conseil d'administration sont élus périodiquement et représentent souvent des groupes d'intéressés. Ces particularités ajoutent à la variabilité du contexte externe du chef d'établissement. 8 . Dès qu'un établissement atteint une certaine taille, son chef est appuyé par un nombre variable de cadres supérieurs. Ces derniers composent alors avec le chef de l'établissement une équipe de direction. Les positions qu'adopte celui-ci dépendent alors de la variété des points de vue exprimés par ses collaborateurs immédiats, de la capacité de chacun de le soutenir dans ses positions et des rapports de pouvoir au sein de l'équipe de direction. Dans ce chapitre, nous tenons pour acquis que les positions du chef d'établisse ment et celles des autres membres de la direction se confondent ou, en d'autres termes, que l'équipe de direction est un acteur collectif uni. 9. Pour une conceptualisation plus fine du rôle de chef d'établissement, on peut consulter Denis et coll. ( 1 995 ; 1996a et 1996b). Ces auteurs recourent notamment au concept de constellation des rôles de leadership pour rendre compte des pratiques de gestion d'un chef d'établissement. 10. Lorsque le chef d'un établissement cherche à obtenir une autorisation pour réaliser un projet, ce dernier émane le plus souvent d'un groupe de prati ciens professionnels. Le chef d'établissement est donc en général le promo teur d'un dossier dont il n'est pas le seul initiateur.
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Le système de santé québécois
1 1 . Les auteurs de l'étude empirique d'un centre hospitalier universitaire qué bécois ont montré qu'un nouveau directeur général souhaitant transformer les pratiques au sein de l'établissement peut « opter pour un renversement de l'ordre établi dans certains secteurs et pour une assimilation aux projets stratégiques dans d'autres (Denis et coll., 1 996a : 22) » . 1 2 . Dans les établissements chapeautés par u n conseil d'administration, le président de celui-ci fait généralement partie de ce cercle restreint de dirigeants. 1 3 . À la différence de l'entrepreneur, l'initiative dont il fait preuve vise aussi à améliorer le fonctionnement interne de son organisation. 14. Brunelle-Lavoie, Dufort-Caron ( 19 84 ) ; Goulet et coll. ( 1993 ) ; Perron ( 1984) ; Rivard et coll. ( 1970 : 30). 1 5. Crichton et coll. ( 1990) ; Soderstrom ( 1978) ; Renaud ( 1977). 16. En 1961, 80 % des hôpitaux, parmi lesquels de grands établissements universitaires montréalais, n'ont pas de budget financier (Lesemann, 1 9 8 1 : 24). 17. Dumas ( 1995 ) ; Goulet et coll. ( 1993 ) ; Rousseau ( 1994) ; Perron ( 1984). 1 8. L'actuel Conseil canadien d'agrément des établissements de santé. 19. Il faut également ajouter que la précipitation qui a présidé à la mise en place du programme d'assurance-hospitalisation a engendré de nombreux problèmes administratifs qui ont perduré jusqu'en 1967 (Rivard et coll., 1970 : 70). 20. À l'époque, le ministère de la Santé approuve chaque poste du budget d'un hôpital. Cette approbation « ligne par ligne » ainsi que la comptabilité et la vérification qui s'ensuivent engendrent une importante bureaucratie, tant au ministère que dans les établissements. 2 1 . Les hôpitaux sont financés d'après le volume des services qu'ils produisent. Cela les incite à maintenir un taux élevé d'occupation des lits, à prolonger la durée de séjour des patients et à conserver en poste un nombre excessif d'employés non spécialisés (Lee, 1979 : 16). 22. Selon un rapport du ministère fédéral de la Santé nationale et du Bien-être social, daté de mars 1 966, 0,4 % des employés d'hôpitaux au Québec étaient classés comme administrateurs en 1964. Le Bureau fédéral de la statistique dénombrait 77 223 employés d'hôpitaux au Québec en 1965. Il n'y aurait donc à cette époque qu'environ 3 00 gestionnaires d'hôpital, soit un peu plus d'un par établissement (Rivard et coll., 1970, tableaux IX et X : 1 1 5 et 1 1 6). En 1979-1980, on comptait 869 6 directeurs généraux, cadres supérieurs et cadres intermédiaires dans les 228 centres hospitaliers québé cois, soit près d'une quarantaine par · établissement (Ministère des Affaire sociales, 1985 : 28-29). Il faut toutefois noter que ce formidable écart s'explique en partie par le fait qu'avec la syndicalisation massive des employés des hôpitaux, plusieurs personnes assumant des fonctions de gestion ont vu leur poste être offi ciellement classé comme poste d'encadrement.
Notes
3 77
23. Un historien note que « [c]ette mainmise [des fonctionnaires gouverne mentaux] produit un effet important sur l'hôpital de Chicoutimi ; elle contribue à scléroser l'administration de cette institution régionale dont plus d'un avait souligné jusque-là la vitalité (Perron, 1984 : 343 ) » . 24. Cette rénovation des pratiques d e gestion engendre des coûts supplé mentaires plutôt que des gains d'efficience. Elle repose en effet sur la mise en place d'un lourd appareil administratif et sur des règles de financement qui incitent à la dépense. 2 5 . Commission Rochon ( 19 8 8 ) ; Lee ( 1979 ) ; Lesemann (198 1 ) ; Turgeon et Anctil ( 1994 ) . 26. L a somme des déficits d'exploitation des centres hospitaliers culmine en 1 9 80-19 8 1 , 198 1 -1 9 8 2 et 198 5-1986, qui correspondent à des années d'élection ( 198 1 et 1 9 8 6). On peut présumer que, dans plusieurs hôpitaux, la direction a profité du relâchement de la vigilance budgétaire du gouver nement au pouvoir pour faire de même au sein de l'établissement. 27. Administration hospitalière et sociale, mars-avril 1 9 8 3 ; Bégin et coll. (1984 ) ; Carrefour des affaires sociales (19 8 1 ) ; Collège canadien des direc teurs de services de santé ( 1 9 8 3 ) ; CRSSS-03 ( 19 8 5 ) ; Gasselin ( 1 984) ; Paquin ( 19 8 6). 28. Douville ( 19 8 3 ) ; Pellan, Lapointe (198 3 ) ; Blanchet ( 199ra ; 199 1 b). 29.
« C'est le système de gestion qui est en cause, autant que les personnes. En effet, submergés par les directives sans cesse plus nombreuses du Ministère, impuissants à contrôler leurs finances, incapables de composer avec des con ventions collectives négociées centralement, et obligés, dans le cas des hôpi taux, de gérer des médecins qui pour la plupart sont des entrepreneurs privés, les gestionnaires sont confrontés à un défi à peu près impossible à relever : administrer malgré les contraintes qui réduisent à presque rien leur marge de manœuvre financière et organisationnelle (Commission, 1988 : 4 1 3 ). »
30. Réalisée en 1993, }'Enquête sur le profil des cadres du réseau de la Santé et des Services sociaux (MSSS, 199 3 ) apporte un éclairage plus précis et plus récent qui permet de nuancer les affirmations de la Commission. Les données suivantes portent sur les gestionnaires dits hors-cadre, soit les directeurs généraux et les directeurs généraux adjoints. En 1993 , 45 % des hors-cadre avaient préalablement occupé un poste de cadre dans un établissement d'une autre catégorie que celle de leur établissement d'alors (p. ro) et 5 5, 8 % avaient déjà occupé un poste de cadre supérieur dans le « réseau » (p. u ) . De plus, 3,5 % des hors-cadre avaient déjà occupé un poste au MSSS, 21,3 % dans une autre administration publique et 2.2,6 % dans le secteur privé (annexe 1 : 29 ) . Dans l'ensemble, 38,4 % de ces postes étaient des postes de cadre (annexe I I : 30). Enfin, en 199 3 , 64, 1 % des hors-cadre avaient une formation universitaire en sciences de l'adminis tration (p. 8) et 5 5 ,6 % avaient complété des études de deuxième ou de troisième cycle (annexe 1 : 2 1 ).
3 78 L e système de santé québécois 3 I . Selon Crichton et coll. ( I990 : 20I ), tant que les hôpitaux canadiens ont été financés à l'aide d'une formule de budget ouvert (soit jusqu'en I976), « plu sieurs gestionnaires d'hôpitaux, en particulier dans les petits hôpitaux, n'étaient guère plus que de bons comptables [qui] laissaient les véritables décisions de gestion à leur conseil et aux comités médicaux. [Par la suite,) les conseils d'administration ont dû engager [ ...] des directeurs généraux [... ] qui ne devaient pas être seulement de passifs administrateurs de fonds, mais des planificateurs et des organisateurs de services prévoyants (notre traduction) » . 3 2. L e mentor est « une sorte de "pair supérieur" et d e "sage" en qui les autres trouvent un modèle ou un guide de la manière de pratiquer leur métier » tandis que le coach « clarifie la situation, fixe des objectifs, établit des prio rités, conçoit des tactiques, identifie des moyens, attribue des tâches et fait des pep talk pour encourager ses troupes lorsqu'elles sont démotivées (Poupart et coll., I986 : 86, 87) » . 3 3 . L e I er janvier I9 80, l e réseau sociosanitaire québécois comptait 8 4 2 établissements. Ce nombre atteint le sommet de 9 5 0 e n I 9 8 8 et se situe à 8 8 I en I993 · Il n'est toutefois plus que de 7I4 en janvier I996 (MSSS, 1997) et continue de décroître depuis. Deschênes et coll. (1996 : 34) avan cent le chiffre de 5 61 établissements. Selon les données du Ministère, chaque établissement comptait en moyenne I,72 installation en 1980, 2,3 6 en 1993 et 2,95 en I996. De plus en plus d'établissements se partagent donc en deux lieux de production de services ou plus. De I980-19 8 I à 199 2-I993, le nombre de cadres du réseau sociosanitaire québécois oscille entre I 2 500 et I2 800 postes en équivalent temps plein (ÉTP). En I993-1994, il passe sous la barre des r2 500 postes ÉTP. Il s'élève à 10 969 postes ÉTP en 199 5 -I996 et à IO 400 en I996-I997. On prévoit qu'il n'y aura plus que 9 507 postes d'encadrement ÉTP en 1998-1999. En I980-I98r, le rapport du nombre d'employés par cadre est de I I . Ce rapport augmente par la suite : r2 en 1988-1989, 1 2,9 en 1993-1994, 14,4 en 199 5 - 1996 et 14,8 en r996-I997. Il devrait être de r 5,3 en 1998-1999 (MSSS, 1997 ; I998). L'importante baisse du nombre de gestionnaires participe du vaste mouvement de réduction de la main-d'œuvre du secteur public québécois, encouragé par le . programme de départs volontaires mis en place par le gouvernement. En 1997-I998, dans le seul réseau de la santé et des services sociaux, on dénombre 16 5 64 départs ÉTP et une réduction effective de 6400 postes ÉTP (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1 998 : 1 49-I 50 ). 4. La Loi sur les services de santé et les services sociaux stipule par exemple 3 qu'un seul conseil d'administration doit chapeauter tous les centres d'hé bergement et de soins de longue durée d'une même municipalité régionale de comté (art. I I9-125).
Notes
3 79
3 5 . Une fusion/intégration horizontale regroupe des établissements de même mission et une fusion/intégration verticale, des établissements de mission différente; 3 6. Fitzgerald et Dufour ( 1997) ; (Lamothe) I99 6 ; Leatt ( I994). 3 7. OCDE ( I996) ; Ham ( I997a) ; Luft ( 1994 ). 3 8 . Lebel ( 1996) ; Bergman et coll. ( I99 7) ; Brunelle et coll. ( 19 88) . 39. Cet exercice de prospective n e prétend pas couvrir l'ensemble des options possibles ni présenter en détail les caractéristiques de celles que nous avons retenues. Nous cherchons plus modestement à montrer en quoi la poursuite d'une efficience et d'une efficacité accrues des services de santé risque de modifier le contexte et les pratiques des chefs d'établissement. 40. Ce territoire pourrait être celui d'une région administrative, d'une munici palité régionale de comté (MRC) ou les deux, comme c'est actuellement le cas dans certaines régions. 4 I . Le budget d'une régie régionale proviendrait d'un prépaiement par capita tion, basé sur le nombre d'habitants de la région et ajusté pour tenir compte de l'état de santé et du profil démographique de cette population. Un méca nisme de compensation rembourserait une régie pour les services obtenus par les résidants d'une autre région dans la sienne et vice versa. 42. Bernard ( I 99 2) ; Tremblay, Roy ( I997). 43. Le Conseil médical du Québec ( 1995 ; 1996) propose notamment que les médecins omnipraticiens soient rémunérés par capitation et qu'ils soient le passage obligé (gatekeeper) des usagers qui souhaitent recevoir des services médicaux spécialisés. 44. HMO pour Health Maintenance Organization. « Un HMO est une orga nisation à charte privée, avec ou sans but lucratif. Moyennant une prime fixe d'assurance, il offre un accès à une gamme définie de services com prenant les volets préventifs, diagnostiques et thérapeutiques. Il est à la fois l'assureur et le coordonnateur des soins de santé. L'adhérent volontaire paie à l'avance une somme fixe prédéterminée, indépendamment de sa con sommation future effective (Brunelle et coll., I988 : 1). » 4 5 . C'est-à-dire en respectant les principes de la Loi canadienne de la santé : gestion publique ; intégralité, universalité, transférabilité et accessibilité des services. 46. << Mode de gestion dans lequel les soins et services requis par une personne sont suivis et coordonnés par un gestionnaire de cas. [ ... ) Le case mana gement vise essentiellement la continuité des soins et peut être associé à différents modèles de distribution des soins (Lebel, I996 : vn). » 47. Système de services intégrés pour personnes âgées en perte d'autonomie. 48. Le montant de la capitation varie selon l'âge, le sexe et l'état de santé des personnes. Pour la distinction entre ces deux formes de capitation, voir Brunelle ( 1996) et Rheault ( I99 5 ) .
3 80
Le système de santé québécois
49. Pour éviter toute sélection des personnes dont la prise en charge risque d'exiger des dépenses supérieures à leur apport financier, une organisation de services intégrés ne pourrait refuser une demande d'adhésion. 50. Soit les GP [general practitioners] fundholders. 5 1 . Le projet SIPA va dans ce sens. 52. Le Prospective Payment System (PPS). Le champ contemporain de la santé p ublique
r. Nous remercions Bernard Duval et Odette Laplante pour avoir commenté une version antérieure de ce texte, ainsi que Louis E. Bernard et Michel O'Neill qui ont participé à une première série de discussions sur ce chapitre. 2. Les banques de données Current Contents, SocioFiles, PAIS, Health Plan et MedLine ont été consultées, de même que des périodiques tels que American Journal of Public Health, Canadian Journal of Public Health, Annual Review of Public Health, International Journal of Health Services, Health Policy, Journal of Health Politics, Journal of Public Health Policy, Canadian Public Policy, etc. 3 . C'est à Pierre Bourdieu que l'on doit cette notion. Pour cet auteur, un champ est avant tout un lieu de luttes, de rapports de force, d'intérêts. Bref, cette notion traduit ainsi l'esprit de la sociologie des classes sociales de Bourdieu. Toutefois, la définition proposée par Audet ( 1986) et l'utilisation qu'il en fait débordent cette perspective. 4. L'émergence du champ contemporain de la santé publique correspond ici à la période où les maladies chroniques deviennent les problèmes dominants dans les sociétés occidentales, et que s'amorce alors ce qu'on appelle dans le milieu le virage épidémiologique. Aux États-Unis, ce mouvement débute dans les années 1940 et se concrétise dans les années 1950 (Desrosiers, 1 996). En Europe, le mouvement n'aurait pas été aussi marquant. C'est également à ce moment que les systèmes de santé nationaux et publics sont créés. 5. Une telle définition de la santé publique, qui s'inspire de celle proposée par C.E.A. Winslow ( 1923), reste encore aujourd'hui largement utilisée. Par exemple, elle est reprise dans le rapport Acheson ( 19 8 8 ) et dans celui du Committee for the Study of the Future Public Health de l'Institute of Medicine ( r98 8 }. 6. Les toutes premières mesures sanitaires adoptées par les responsables poli tiques ont d'abord concerné l'assainissement et le contrôle de l'envi ronnement physique dont la salubrité des logements, l'évacuation des eaux usées et l'approvisionnement en eau potable ; la qualité des denrées et le contrôle des maladies infectieuses (Rosen, r99 3 ). En Occident, du XIV' siècle au XIXe siècle, les vagues successives d'épidémies de maladies infectieuses,
Notes
38 r
comme la lèpre, la peste, le choléra, la variole, ont été au centre des préoc cupations des responsables politiques. Sur l'histoire de la santé publique, de ses origines jusqu'au développement de la bactériologie, voir l'ouvrage de Rosen ( r993). 7. En évoquant les représentations sociales, nous ouvrons un large pan de l'histoire de la santé et de la maladie qui retient l'attention des chercheurs depuis relativement peu de temps. En ce qui a trait à la santé publique, il suffit de penser aux réactions collectives face aux épidémies, aux conduites socialement permises et non permises, à ce qui fait ou non l'objet de régulation dans les différentes sociétés. L'idée ici est de signifier que la prise en charge de problèmes par les acteurs de santé publique ne relève pas uniquement d'une logique rationnelle, du développement des connaissances et des techniques. 8. À titre d'exemples, pensons aux problèmes reliés au contrôle de la qualité de l'eau et des aliments. Historiquement, ces problèmes étaient sous la respon sabilité directe des autorités de santé publique ; aujourd'hui, ils relèvent le plus souvent d'autres secteurs comme l'environnement ou l'agriculture. 9. Le sida illustre bien ce phénomène. Dans les années 19 80, dans les sociétés occidentales, l'émergence du sida a amené un réaménagement dans le champ de la santé publique. Cela ne s'est pas fait spontanément. D'une part, ]es maladies infectieuses étaient considérées comme un problème du passé par des acteurs mêmes du champ de la santé publique. D'autre part, ce sont les cliniciens qui ont été confrontés les premiers à cette maladie, pour laquelle il n'y avait cependant aucun traitement disponible. En fait, il a d'abord fallu que le sida soit reconnu comme un problème public (Setbon, 199 3 ). 10. Sur ces sujets, voir entre autres : Bliss ( 1993 ) ; Hildesheimer ( 1993 : 1 28134) ; Lécuyer (1986 : 92-99 ) ; Farley, Keating et Keel ( 1987 : 87- 1 27). 11. Souvent cette question est analysée sous le couvert de la médicalisation de la société (Guérard, r99 6 ; Bouchard, Cohen, 199 5 ; Crawford, 1980). C'est là une façon d'interpréter ce phénomène qui, s'appuyant sur l'opposition entre médecins et non-médecins, présente une vision dichotomique de la réalité, sans pour autant expliquer comment nous en sommes arrivés là et com ment, en tant que société, nous avons accepté que le médical prenne cette place. Selon nous, il s'agit d'un élément qui fait partie de la problématique du champ de la santé publique, mais qui n'explique pas à lui seul son fractionnement. 1 2 . Audet et Déry utilisent cette distinction notamment pour expliquer les trans formations survenues dans le cursus universitaire des sciences de l'ad ministration. C'est également une autre façon de faire la distinction entre les savoirs produits par les non-praticiens et ceux produits par les praticiens. r 3 . Dans les limites de ce chapitre, il nous est impossible de revenir en détail sur chacun des systèmes de santé à l'étude, voire sur les modifications qu'ont connues ces systèmes au cours des dernières décennies. D'ailleurs, là n'est
3 8 2 L e système de santé québécois pas notre but. Dans l'immédiat, notre but est plutôt de mieux caractériser chacun des traits que nous avons identifiés précédemment. Aussi, nous ne dégagerons que les composantes majeures qui semblent déterminantes dans l'organisation du champ de la santé publique. Et même encore, à cette étape-ci de la recherche, il nous est difficile de faire une analyse fine des différentes configurations possibles par rapport aux divers systèmes de santé ou encore de dégager toutes les figures possibles de répartition des mandats entre le champ de la santé publique et d'autres secteurs d'interventions. Une telle analyse exigerait un énorme travail de documentation qui reste à faire. Toutefois, cela implique que, pour le moment, nous sommes tributaires de la documentation existante, et il n'est pas toujours évident de trouver l'in formation pertinente et à jour sur l'organisation même de la santé publique. 14. Sur l'industrialisation et le développement du Sanitary Reform Movement dans ces trois pays, voir Rosen ( 199 3 : 1 68-269). En Angleterre, l'émergence de ce mouvement est associé, le plus souvent, au rapport d'Edwin Chadwick publié en 1 842 et intitulé Report on the Sanitary Condition of the Labouring Population of Great Britain. Aux États-Unis, en 1 8 50, Lemuel Shattuck publie un rapport semblable sous le nom du Report of the Massachussetts Sanitary Commission. En 1 848, à New York, John Griscom fait également paraître le rapport The Sanitary Condition of the Labouring Population of New York. Un premier bureau de santé a été créé en 1 866, à New York. Gaumer ( 199 5 ) souligne que les États-Unis ont été le premier pays à se doter d'un réseau de laboratoire de santé publique. Selon certains auteurs, durant la première moitié du XIXe siècle, le rôle de la France a été plus important en matière d'hygiène publique (Gaumer, 199 5 ). En 1 840, Louis René Villermé y publiait le rapport Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Au cours de la seconde moitié du XIX' siècle, l'Angleterre serait par venue à mieux appliquer la réforme sanitaire, en développant, entre autres, de nouvelles structures de santé publique fondées sur le concept de district sanitaire rural ou urbain et sur les fonctions du Medical Officer of Health et du Sanitary lnspector (Gaumer, 1995 : 42). Pour un auteur comme Morelle ( 1996 : 266-267), il est clair que « de toutes les nations d'Europe, l'An gleterre victorienne s'était la première et la plus résolumment engagée dans la construction d'une législation et d'une administration sanitaires puis santes. » 1 5 . Nous nous référons à la typologie de la décentralisation proposée par Ann Mills et coll. ( 1991) et reprise par Turgeon et Lemieux au chapitre 6 du présent ouvrage. 16. Outre la réorganisation de 1974, le système anglais a connu des change ments structuraux en 1982 et 1984 et, enfin, en 199 1 . 17. En Angleterre, l e gouvernement central décide des grandes orientations et définit les politiques. Le budget alloué aux soins et services de santé est réparti entre les régions, Regional Health Authorities. Ces dernières redis-
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tribuent le budget entre les districts, qui sont des unités opérationnelles de services. Historiquement, les districts et les autorités locales ont toujours tenu un rôle important en matière de santé publique. r 8 . Il n'est pas sans intérêt de rappeler que deux épidémies sont à l'origine de la commission d'enquête Acheson (Desrosiers, r996 : 25). 19. Pour une description des responsabilités de chaque niveau de gouvernement à la fin des années 19 80, voir le rapport Acheson ( 1 9 8 8 : 1 3-27). 20. La situation des médecins de santé publique en Angleterre, et de cette discipline, n'est pas sans rappeler la situation au Québec. Dans les deux cas, la spécialité médicale de la santé publique s'est transformée au cours des années r970, pour prendre le nom de santé communautaire (McCarthy, r989 ; Gagnon, 1994). En Angleterre, avant les années 1970, et tout parti culièrement pendant la période de l'entre-deux-guerres, les médecins de santé publique ont joué un rôle important à titre d'officiers de santé publique (Medical Officer of Health) . 2 1 . Le rapport Acheson et le rapport Abrams recommandaient que ce poste soit occupé par un médecin de santé publique ; le rapport Abrams propose en plus que le DPH soit membre du comité exécutif du DHA. 22. Au cours de la dernière décennie, comme tous les pays industrialisés, la France s'est efforcée de réduire ses dépenses de santé. Au cours des années 19 80, et au début des années 1 990, un ensemble de réformes mineures et de mesures ont été adoptées afin de limiter la progression des dépenses ( OCDE, 1992 : 5 1 ). C'est principalement le système hospitalier qui a été visé. Il n'y a pas eu de réforme structurelle importante pour l'ensemble du système de santé. De la même façon, il n'y a pas eu de réforme majeure en matière de santé publique. À titre indicatif, il convient de préciser que le rapport dont il est question traite de l'état de santé de la population, comme en témoigne si bien son titre, La santé en France. Rapport général. Seule une section de ce rapport est réservée au champ de la santé publique. Dans le cas de la France, il n'y a pas de rapport récent portant exclusivement sur la santé publique. 23 . Les notions de sécurité et de veille sanitaires utilisées en France concernent en fait des interventions de protection de la santé. Comme nous le verrons, au cours des dernières années, ce type d'interventions semble avoir prin cipalement été privilégié par les responsables politiques et les admi nistrateurs publics français. 24. Dans le cas français, il est particulièrement difficile de trouver des docu ments ou articles récents qui traitent de l'organisation de la santé publique. D'ailleurs, Dab et Henrard ( 19 89 ) ne manquent pas de souligner que la description du secteur préventif, qu' il associe à la santé publique, est difficile à schématiser, car plusieurs institutions et logiques sont en jeu. Brièvement, on peut rappeler qu'à la fin des années 19 80, la Direction générale de la santé du ministère de la Santé jouait un rôle en matière de prévention
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générale (réglementation et financement). D'autres mm1steres assumaient des rôles importants en matière de santé publique, soit dans les domaines de l'environnement, de l'industrie, du travail, de l'éducation, du travail, de l'agriculture. Au niveau régional, la direction régionale des affaires sani taires et sociales (DRASS), la Caisse régionale d'assurance-maladie (CRAM) et les comités régionaux d'éducation pour la santé interviennent (finan cement et coordination). Au niveau local, le principal acteur est alors le Conseil général (Dab, Henrard, 1989 : 19 1-19 3 ) . 25.
L e ministère fédéral d e l a santé est composé de l'Office o f Human Deve lopment Services et du Public Health Service. Ce dernier inclut princi palement les Centers for Disease Control, les Food and Drug Admi nistration, Health Ressources and Administration, National Institutes of Health, Alcohol, Drug Abuse and Mental Health Administration et les Agency for Taxie Substances and Disease Registry. Pour une description exhaustive de l'organisation des services de santé publique à chaque niveau voir Buttery ( 1992) et le rapport de l'Institute of Medicine ( 19 8 8 ), Appen dix A « A Summary of the Public Health System in the United States » , p. 1 67-202. Les informations qui suivent relativement à l'organisation d e la santé publique sont tirées de ces sources.
26. Il existe un SHA dans tous les États. Ces agences sont dirigées par un commissaire ou un secrétaire de la Santé. 27. Nous abordons ici la délimitation des frontières essentiellement à partir des divers types de problèmes et de mesures qui renvoient fondamentalement aux différents domaines constitutifs du champ de la santé publique, voire à l'objet, ou aux objets, au cœur des interventions. 28. Selon cet auteur ( 1997 : 193 ) : (< Avec la vache folle, la crise a connu un changement d'échelle, modifiant durablement le comportement des con sommateurs, créant des tensions diplomatiques et financières dans l'Union européenne et générant des conséquences économiques considérables. » 29. La formation universitaire en santé publique est offerte en Angleterre par des départements de santé publique intégrés aux écoles de médecine ou encore par la London School of Hygiene and Tropical Medicine. 30. Des articles parus, au cours des années 19 90, dans le British Medical Journal ou dans Public Health illustrent bien le débat suscité en Angleterre par la réforme pour la spécialité médicale. Voir entre autres Whitty, Jones ( 1 99 2) ; Kisely, Jones, ( 1997). 3 r . Les principales professions que l'on retrouve sont : les médecins de santé publique, les médecins inspecteurs de santé publique, les pharmaciens inspecteurs de santé publique, les ingénieurs sanitaires. 3 2. L'enseignement de la santé publique se fait dans le cadre des études médi cales, en partie au premier cycle (PCEM) et en partie au deuxième cycle. Morelle ( 1 996 : 3 74 ) observe : « Actuellement, sont rangés sous cette bannière la santé publique proprement dite, mais encore la médecine légale,
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la médecine du travail, tous les aspects administratifs [ . . .] soit un fourre-tout de disciplines "collectives " et ennuyeuses qui semble avoir été confectionné pour susciter le rejet le plus aigu chez les étudiants auxquels on n'a vanté j usque-là que les mérites de la seule médecine technicienne. » 3 3 . Le rôle joué par les écoles de santé publique mériterait néanmoins d'être analysé de plus près. D'une part, celles-ci continuent d'être reconnues sur le plan international pour la formation qu'elles offrent, d'autre part, certaines de ces écoles s'impliqueraient dans des projets d'interventions dans les communautés. 34. Un document récent retrace ainsi différents cas de collaboration entre le milieu médical et une série d'acteurs de santé publique tels que des médecins généralistes, des associations professionnelles, des agences gouverne mentales, des fondations, etc. (Lasker and The Committee on Medicine and Public Health, 1997). 3 5. Pour une description des différents programmes dont est responsable le ministère de la Santé et du Bien-être (Santé Canada), voir Shah ( 199 5 ). 3 6. Que l'on pense à la publication du rapport Lalonde de 1976 qui fait ressortir l'importance des différents déterminants sur la santé de la popula tion, au rapport Epp ( r986) proposant un cadre de référence pour la pro motion de la santé ou encore à l'adoption de ]a Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé (OMS, 198 6), lors de la tenue de la première Confé rence internationale pour la promotion de la santé. 3 7. En 1972, le remplacement des unités sanitaires relevant du gouvernement provincial par des départements de santé communautaire (DSC) rattachés à des centres hospitaliers désignés marque un réalignement important du modèle organisationnel de la santé publique. La création de ces départe ments, visant notamment un rapprochement des services préventifs et des soins de santé, se fait dans le contexte du renouvellement de l'approche de santé publique mise de l'avant, entre autres, par des médecins de santé communautaire récemment formés dans les écoles américaines de santé publique (Bergeron, Gagnon, 1994 ; Gagnon, 1994 ). Pour une analyse de l'organisation, de la gestion et des activités des unités sanitaires, voir Desrosiers, Gaumer et Keel ( 1998 ) . Pour un bilan de l'activité des DSC, de leur mission, de leur développement organisationnel et professionnel, voir le rapport de la commission Rochon (Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, r988 : 1 89-198). 38. C'est d'abord par un décret gouvernemental en octobre 1997 puis par une loi constitutive en juin 1998, que cet institut a été créé. 39. Il est vrai que dans les années 1970, lors de la création des DSC, les médecins des départements de médecine sociale et préventive ont contribué au développement de ces organisations en donnant de la formation aux professionnels. De même, des médecins professeurs universitaires parta geaient, et partagent toujours, leur temps entre l'université et le DSC, ou
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Le système de santé québécois aujourd'hui les directions régionales de santé publique. Il n'est pas évident pour autant que l'on puisse parler d'une étroite collaboration entre universitaires et praticiens.
40. Les années de formation pour la spécialisation médicale en santé commu nautaire incluent une formation de deuxième cycle qui peut être acquise par des étudiants provenant d'autres facultés ou disciplines. L'évaluation dans le domaine de la santé : conceptions, courants de pensée et mise en œuvre
1. Il importe de préciser que la relation entre gouverne et gestion est plus cïrculaire que linéaire, dans la mesure où la gestion influe par son action sur les processus d'émergence et de formulation des politiques publiques, tout autant qu'elle est le moteur de leur mise en œuvre. En corollaire, la gouverne ne se réduit pas exclusivement à l'émergence et à la formulation des politiques publiques, elle peut aussi largement orienter leur mise en œuvre. 2. Pour une définition de ces concepts, voir Saucier ( 199 5 ). 3 . À l'instar de Lemieux, la notion de politique publique est « faite d'activités orientées vers la solution de problèmes publics dans l'environnement, et ce par des acteurs politiques dont les relations sont structurées, le tout évo luant dans le temps (p. 7) » . La notion de programme est définie par Nadeau ( 1 9 8 8 ) comme suit : « Ensemble d'activités qui regroupent pour leur réalisation, des ressources humaines, matérielles et financières, en vue de produire des services particuliers à une population dans le but d'en changer l'état (p. 420). » Aux fins de ce chapitre et uniquement dans le but d'éviter la confusion conceptuelle qui caractérise l'utilisation souvent interchan geable des concepts de politique et de programme, nous considérons ici la notion de programme comme l'expression opératoire de la politique publique. Enfin, la notion de services renvoie ici aux activités ou inter ventions professionnelles effectuées auprès de clientèles spécifiques, qu'elles soient ou non identifiées à des programmes de santé. 4. PPBS et ZBB aux États-Unis, en Angleterre, au Canada et en Australie ; RCB en France et ailleurs en Europe continentale (voir Mayne et coll., 1992) . 5 . Nous utiliserons le terme acteurs.
« parties
prenantes » pour faire référence à ces
6. Nous utiliserons le terme approche au sens défini dans le dictionnaire Robert : « manière d'aborder un sujet de connaissance quant au point de vue et à la méthode utilisée » . 7. Par recherche évaluative nous entendons ici l'application systématique de démarches de recherche à l'évaluation. Pour une définition plus élaborée de ce concept, voir Rossi et Freeman ( 199 3 ). 8. Diagnostic related groups.
Notes
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9 . Managed care plans. ro. Par exemple, le système EQUS - évaluation de la qualité des soins par les usagers - qu'une é quipe de chercheurs du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé de l'Université de Montréal (GRIS) est à mettre au point (Dubuc, 1997). 11. HMO : Health Maintenance Organizations. Les arrangements institutionnels d ' éval uation dans le domaine de la santé
r. Nous nous limitons ici à l'étude des arrangements institutionnels en sachant bien, par ailleurs, que l'État peut se doter d'autres moyens pour évaluer les activités de son système de santé. On n'a qu'à songer à la constitution des comités ad hoc qui s'approprient les connaissances des productions étran gères et ce, en les adaptant aux contextes particuliers à évaluer. 2. Ce terme est utilisé pour décrire une vaste gamme d'appareils et de dispo sitifs, de médicaments et de méthodes employés pour soigner les malades (Fineberg, 1989). 3. On s'intéresse depuis au moins vingt ans aux variations des pratiques dans le temps et dans l'espace, en fonction des modes d'utilisation des ressources en place et aux changements à y opérer, aux adaptations nécessaires, compte tenu de l'évolution des problèmes et des connaissances, de même que des nouvelles formes de collaboration interprofessionnelle et interdisciplinaire qui émergent. 4. On y a vu que l'évaluation pouvait être considérée à la fois comme un acte de jugement individuel ou collectif sur un ensemble d'activités humaines, une démarche d'aide à la décision pour les pouvoirs publics ou ençore une pratique sociale ou un « éventuel retour » sur des activités et des actions au sein du système de santé. 5. A noter que la question relative aux vérifications financières, aux lois, règlements, politiques et directives qui relèvent d'une évaluation de confor mité à l'application générale des affectations de fonds aux différentes instances sectorielles par les pouvoirs publics, au respect des autorisations émises, au contrôle et à la protection des biens administrés, ne font pas l'objet de notre propos. En fait, ces modalités débordent le seul cadre des systèmes de santé pour couvrir l'ensemble de l'administration publique. De la même façon, tout ce qui concerne l'organisation et la gestion de l'appareil judiciaire ne sera pas traité dans ce chapitre. 6. Il ne s'agit pas ici d'une légitimation reliée au « faire-faire », c'est-à-dire au recours à l'expertise externe pour procéder à l'évaluation des activités ou bien à la collecte de données à même les sources de données internationales aux fins de comparaisons, telle celle de l'OCDE. Il s'agit plutôt d'une légiti-
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Le système de santé québécois
mation issue de l'ensemble des intervenants sociaux, politiques et écono miques directement intéressés par les activités sujettes à évaluation. 7. Étant donné les différentes façons de faire d'une province à l'autre, en matière de gestion de l'acquisition et de l'utilisation des technologies, c'est à-dire selon un modèle plus centralisé de l'État ou un modèle axé davantage sur le marché des établissements hospitaliers (voir Landry et coll., 1994), chaque province canadienne se dote de ses propres mécanismes de contrôle. Ces mécanismes sont plus ou moins diversifiés, selon les intervenants concernés et les types de technologie à évaluer, ou plus ou moins intégrés selon le niveau de centralisation de la coordination des travaux effectués au sein de la province. 8. Ces règles sont établies à partir de cinq principes : l'universalité, l'accessi bilité, la gestion publique, la gratuité et la transférabilité. 9. D'autres administrations y jouent un rôle dont la Veteran's Administration qui distribue des soins aux anciens combattants, le ministère de la Défense, le ministère de l'Énergie, etc. (Weill, 1 99 1 ) . 10.
Depuis les années 1 9 70, avec l a création d e Medicare et Medicaid par le gouvernement américain, l'évaluation a pris un essor nouveau et l'influence croissante de ces programmes sur les procédures de paiement, sur les modalités de pratiques et de l'organisation des soins n'a cessé de s'exercer sur le marché de la santé.
1 r . Dans les années 1 9 80, la mise en place aux États-Unis du financement des hôpitaux selon le système des « diagnosis related groups » (DRG) et l'apparition des organisations de soins intégrés (Managed Care), dont les Health Maintenance Organizations (HMO) sont l'application la plus con nue, ont favorisé encore davantage le développement des initiatives en matière d'évaluation. 12. Le NIH, par le biais de l'Office of Medical Applications of Research (OMAR), s'est vu ainsi confier le transfert des résultats issus de la recherche vers les praticiens, afin de contribuer à l'évolution des pratiques médicales. C'est en menant diverses actions d'évaluation, de synthèse et de diffusion que se sont développées les conférences de consensus où un groupe d'experts est chargé de formuler un consensus sur une question spécifique. 1 3 . Le PROPAC fut formé pour conseiller le Secretary of DHHS (ministre de la Santé) sur les modifications à apporter au DRG autant en termes de contenu des pratiques médicales que des prix qui y sont associés, afin de réduire les coûts reliés aux soins hospitaliers (Perry, 19 8 8 ) . 1 4 . Le CHCT relève quant à lui d e l'Institute o f Medicine (loM) d e la National Academy of Sciences. 1 5 . Les principales associations professionnelles à mener des études évaluatives ont été l'American College of Physicians avec son programme appelé le Clinical Efficacy Assessment Program (CEAP) et l'American Medical
Association avec son Diagnostic and Therapeutic Technology Assessment Program (DATIA). Les assureurs privés, quant à eux, telle l'importante National Blue Cross/Blue Shield Organization, ont mené entre autres des évaluations sur les procédures médicales et chirurgicales (Medical Necessity Program - MNP) et des évaluations des nouvelles technologies (Technology Evaluation and Coverage Program - TEC) afin de guider les décisions de couverture des pratiques et des technologies. L'industrie pharmaceutique et celle des équipements médicaux considèrent pour leur part particulièrement l'analyse coût/efficacité d'un produit qu'elles désirent vendre aux produc teurs de soins et aux organismes payeurs. Finalement, des organisations à but non lucratif (tel l'Emergency Care Research Institute [ECRI] qui a créé de grandes banques de données qui compilent les évaluations existantes dans le domaine des technologies de la santé), les hôpitaux, les cliniques et le secteur universitaire s'activent à développer leurs propres programmes d'évaluation. 1 6. Il s'agit de la constitution d'un débat où un groupe d'experts (panel) est chargé de formuler un consensus sur une question d'intérêt général. Le panel comprend des chercheurs scientifiques, des personnalités éminentes d'horizons divers, des professionnels de la santé, des méthodologistes et des représentants des usagers. On choisit le sujet à traiter selon son importance médicale, le constat d'un écart entre la pratique et l'état des connaissances, l'intérêt du problème pour la santé publique, son poids financier, etc. (Weill, 199 1 ). 1 7.
Les chercheurs ont agi par le biais principalement de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), les médecins par celui de la Société française d'évaluation des soins et des technologies (SOFESTEC), les consultants privés à travers le Centre national de l'équipement hospitalier (CNEH) et (SANESCO), et les assureurs par le biais de la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).
18.
Sauf en théorie, alors qu'une certaine cohérence au niveau des méthodes et des projets devrait être soutenue par le bureau d'évaluation du ministère national de la Santé.
19. C'est la mise sur pied d'un programme dévolu à l'évaluation de la qualité, à l'efficacité et à l'efficience des méthodes de soins et aux implications prati ques de la recherche biomédicale, jumelé à l'instauration parallèle des pro grammes régionaux, qui a contribué à alimenter cette prise de conscience. 20. Le Medical Research Council (MRC) et le King's Fund Centre sont deux d'entre eux. Le MRC fournit pour sa part des avis à différentes instances centrales et régionales du National Health Service quant à l'utilisation des technologies médicales, et le King's Fund a été actif, depuis le début des années 19 80, en privilégiant la méthode des consensus. 2 1 . Depuis 1988, le champ d'application de la procédure d'agrément concerne les hôpitaux généraux de soins actifs, les centres de soins prolongés, les
3 9 0 Le système de santé québécois centres de réadaptation et les cliniques de traitement du cancer (Fleurette et coll., I99 r ). 22. À cet égard, deux groupes d'établissements français ont tenté depuis quelques années de mettre en œuvre une démarche d'appréciation de la qualité. D'abord, une association d'établissements privés a créé en I992 le Bureau de l'assurance de qualité de l'hospitalisation privée qui devait élaborer des critères et des standards de qualité, expérimenter et valider des procédures d'assurance qualité et les diffuser. Puis, le Service de l'évaluation de l' Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a travaillé et travaille encore à mettre au point des indicateurs de qualité qui constituent un véritable « tableau de bord » permettant le suivi régulier de la prise en charge des patients dans les établissements. C'est en s'appuyant sur la norme industrielle ISO 9000 qu'on essaie ainsi de construire un guide méthodologique servant de fondement à un système global d'assurance de qualité à l'hôpital. 23 . Le K.ing's Fund Organisational Audit Programme couvre maintenant les établissements dispensant des soins primaires et des soins aigus et développe constamment de nouveaux programmes afin d'élargir sa clientèle (King's Fund Organisational Audit, r99 5 ) . 24. L a qualité vise les services médicaux, l'amélioration des procédures d'urgence, la réduction de la chirurgie et des complications postopératoires. La réduction des admissions et la réduction du gaspillage par les médecins constituent les indicateurs de l'utilisation. 2 5 . Les PROs ont été établis lors de l'instauration du financement des hôpitaux fondé sur des forfaits payés pour chaque malade (DRG) et ne contrôlant que les soins payés par Medicare. Pour Medicaid, toute initiative est laissée à chaque État. Les hôpitaux doivent passer un contrat avec un PRO qui spécifie les résultats devant être obtenus. Le programme est sous la direction du Health Care Financing Administration (HCFA) qui assume la respon sabilité fédérale de Medicare. 26. Le programme a été mis sur pied à la suite des recommandations de l'Institute of Medicine (IoM) et a fait l'objet en r995 d'un projet pilote national. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'intérêt que présente ce nouveau mode d'évaluation de la qualité des soins. 27. HEDIS regroupe un ensemble de données sur l'organisation d'un service réseau (plan) et sur la manière dont les soins sont dispensés et, sous peu, seront incluses des mesures de satisfaction de la clientèle (Business and Health, I996). Il a été instauré par la National Commission on Quality Insurance (NCQA), organisme d'accréditation indépendant. 28. Par exemple, la création de Medicaid HEDIS en lien avec les États, de Medicare HEDIS avec la collaboration du Health Care Financing Administration (HCFA), de la Foundation for Accountability (FAcct) en parallèle avec le secteur privé et public des acheteurs (incluant le HCFA), de
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l a Quality Assurance Reform Initiative (QARI) avec les efforts du HCFA, des États et de l'industrie du « managed care » (pour Medicaid), du Medi care Managed Care Quality Improvement Project et de l'Intergency Mana ged Care Forum mené par Je HCFA (Hadley, Wolf, I996). 29. Toutefois, l'évaluation de la performance du NHS se pratiquait déjà avant la réforme de I991, particulièrement par }'Audit Commission. 30. Le CSAG regroupe des membres des Royal Colleges et des facultés de médecine, de soins infirmiers et de dentisterie. Il a été fondé par le Depar tment of Health (Spiby, 1994 ). 3 1 . Dans le même sens, voir au chapitre précédent la définition que donne V. Lemieux ( 199 5 ) de la notion de politique publique et celle que fournit M. A. Nadeau ( I 9 8 8 ) de la notion de programme. 3 2. Au Canada, selon un article publié dans le Canadian Journal of Public Health (Thompson, 1992), l'évaluation de programme réfère à la mesure de l'efficacité ou de l'efficience d'un programme, à l'amélioration des pro grammes et des services offerts et à l'appui au niveau de l'allocation des ressources et à celui du développement des politiques. 3 3. Voir aussi Battista et Tremblay ( 19 8 5 ) et la définition qu'en donne Clermont Bégin dans Cabatoff et Bion ( 1992). 34. Les agences régionales de l'hospitalisation sont soumises au contrôle de la Cour des comptes, organe du législatif, en ce qui a trait à leur fonctionne ment économique et financier (Journal officiel de la République française, 25 avril 1996). 3 5 . Il y a à peine trois ans, plus de la moitié des activités sous-j acentes n'étaient pas évaluées ( Carr-Hill et coll., 1994 ) et les données sur les coûts et la qualité des services continuent d'être très insuffisantes, selon l'OCDE ( 199 5 ). 36. À l'instar de Paul A. Lamarche ( 1 992), qui le premier a suggéré cette idée. 37. L'expérience québécoise du Conseil d'évaluation des projets-pilotes sur la pratique des sages-femmes fait en quelque sorte figure d'exception puisqu'elle procède d'une évaluation de légitimation. Il est stipulé dans le projet de loi, à cet égard, que le Conseil doit évaluer l'ensemble des résultats en vue de recommander ou non la pratique des sages-femmes (Loi sur la pratique des sages-femmes, 1990).
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Table Table détaillée Liste des auteurs Avant-propos Introduction
7 I5 I9 21
PREMIÈRE PARTIE LES PRINCIPES ET LES NORMES
Introduction Les questions d'éthique sociale dans le système de santé québécois PIERRE-GERLIER FOREST et ANDRÉ JEAN
31
Les normes centrales et les politiques de santé
53
ANTONIA MAIONI
L'adaptation des services de santé et des services sociaux au contexte pluriethnique ROBERT SÉVIGNY et LOUISE TREMBLAY
77
DEUXIÈME PARTIE LE FINANCEMENT ET LE PAIEMENT DES RESSOURCES
Introduction
97
Le financement des services de santé au Québec CAROLINE CHAPAIN et FRANÇOIS VAILLANCOURT
IoI
Les mesures incitatives et le paiement des ressources
r 23
ANDRÉ-PIERRE CONTANDRIOPOULOS, MARC-ANDRÉ
FOURNIER, JEAN-LOUIS D ENIS, FRANÇOIS CHAMPAGNE et DELPHINE ARWEILER
La place du médicament dans le système de santé du Québec
r 49
DANIEL REINHARZ, LOUISE ROUSSEAU et SYLVIE RHEAULT
TROISIÈME PARTIE L'ORGANISATION ET LA GESTION
Introduction La décentralisation : panacée ou boîte de Pandare ?
173
JEAN TuRGEON et VINCENT LEMIEUX
La gestion des établissements de santé au Québec
r9 5
Loms DEMERS, ALBERT DUMAS et CLERMONT BÉGIN
Le champ contemporain de la santé publique
229
FRANCE GAGNON, PIERRE BERGERON et JEAN-PAUL FORTIN
QUATRIÈME PARTIE L'ÉVALUATION ET LE CHANGEMENT
Introduction
261
L'évaluation dans le domaine de la santé : conceptions, courants de pensée et mise en œuvre
26 5
CLERMONT BÉGIN, PIERRE JOUBERT et JEAN TURGEON
Les arrangements institutionnels d'évaluation dans le domaine de la santé
283
MICHÈLE SAINT-PIERRE, CLERMONT BÉGIN,
PIERRE JOUBERT et JEAN TuRGEON
Les approches au changement dans les systèmes de santé
3 r3
YvoN DUFOUR et LISE LAMOTHE
Résumé de l'ouvrage
34 r
Conclusion
35 9
Notes
365
Bibliographie
39 3
ACHEVÉ D'IMPRIMER EN MARS I999 SUR LES PRESSES D'AGMV-MARQUIS À CAP-SAINT-IGNACE POUR LE COMPTE DES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL