L'ELITE BYZANTINE DEVANT L'AVANCE TURQUE A L'EPOQUE DE LA GUERRE CIVILE DE 1341 A 1354
L'ELITE BYZANTINE DEVANT L'AVANCE TURQUE A L'EPOQUE DE LA GUERRE CIVILE DE 1341 A 1354 PAR
EVA DE VRIES - VAN DER VELDEN
J.t. GIEBEN, EDITEUR AMSTERDAM 1989
Ouvrage publié avec le concours desfondations suivantes: Amsterdamse Universiteits-Vereniging M.A.O.C. Gravin van Bylandt Stichting Fonds voor de Geld- en Effectenhandel Rens-Holle S tichting
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01 1l'ÂE:iorol li V(}pW1l'Ol Ka KOl. apophthegme attribué à Bias de Priène
AVANT-PROPOS
Ce livre a été écrit originellement en néerlandais. La traduction a été faite par mon mari de manière à donner une version la plus fidèle possible à mes idées sur le sujet. En ce qui concerne les questions de grammaire, de syntaxe, d'idiome etc, nous avons eu recours à notre amie Annie Homo qui, avec l'application et la finesse que nous lui connaissons, a bien voulu revoir le texte français. Autant que l'auteur et le traducteur en puissent juger, le résultat ne laisse rien à désirer. Pour ma part je lui en suis profondément reconnaissante. Ainsi, hors du domaine limité de la langue néerlandaise, on pourra prendre connaissance de mon ouvrage. Mes plus vifs remerciements vont également à Herman Hennephof qui, de bonne grâce, s'est offert à contrôler toutes les citations grecques, sans parler de son assistance inappréciable lorsque j'hésitais dans la lecture de passages difficiles ou obscurs. Il va sans dire que je n'aurais pas pu accomplir mon travail sans l'accès aux dépôts d'un assez grand nombre de bibliothèques. J'ai à remercier avant tout le personnel des bibliothèques universitaires d'Amsterdam, de Leyde, d'Utrecht et de Munich, de la Bayerische Staatsbibliothek et de la Library of Congress. Je veux exprimer enfin combien j'ai apprécié le soutien chaleureux et constant de Han Gieben qui a apporté, encore une fois, tant de soins à la publication d'un ouvrage de ma main. Grâce à sa présentation, la lecture en est rendue particulièrement agréable. Amsterdam, février 1989
Eva de Vries-van der Velden
ABRÉVIATIONS
BSOAS Bulletin of the School of Oriental and African Studies Byzantinische Zeitschrift BZ Dictionnaire de Théologie Catholique DTC EEBE
'E7rErEpic; 'EralpEiac; BvÇavrlvwv E7rOVDWV
El JOBG
Encyclopédie de l'Islam lahrbuch der Oesterreichischen Byzantinischen Gesellschaft, depuis 1969 lOB 1ahrbuch der Oesterreichischen Byzantinistik F. Miklosich, et 1. Müller, Acta et diplomata graeca medii aevi sacra et profana, 6 t., Vienne 1860-69 Patrologia Graeca, rec. 1 .-P. Migne Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit Revue des Etudes Byzantines Zbornik Radova Vizantoloskog Instituta
JOB
MM PG PLP REB ZR VI
TABLE DES MATIÈRES
Première Partie: Le cadre historique Prologue Turc Chapitre 1
3
Byzantins et J'ures jusqu'à la veille de la guerre civile de 1341 à 1354
27
Chapitre II Les origines et le caractère général de la guerre civile
51
Deuxième Partie: Les positions individuelles Chapitre 1
L'usurpateur: Jean Cantacuzène
81
Chapitre II Un historien: Nicéphore Grégoras
117
Chapitre III Un théologien: Grégoire Palamas
149
Chapitre IV Un haut dignitaire aulique: Démétrius Cydonès
203
Chapitre V Un homme d'Eglise: Matthieu, métropolite d'Ephèse
231
Chapitre VI Un porte-parole des victimes: Alexios Makrembolites
251
Appendice
Extrait du Deuxième Discours d' Alexios Makrembolites (Sabb. 417, f. 22 v-51 r)
Index Nominum
269 291
PREMIÈRE PARTIE LE CADRE HISTORIQUE
PROLOGUE TURC
Dans l'empire d'Orient, au 14e siècle, se produisirent des événements que mentionnent tous les précis d'histoire byzantine. Ils ont été en effet d'une portée exceptionnelle au cours des siècles suivants, pour l'Europe entière. A notre tour, nous allons les mettre en relief, en leur accordant toute l'importance qu'ils méritent à notre avis. De 1341 à 1354, la guerre civile faisait rage à Byzance. L'empereur Jean V Paléologue et l'usurpateur Jean VI Cantacuzène s'affrontaient. Jean V, mineur à l'époque, était soutenu par les masses populaires; la majGrité de l'aristocratie, s'était, elle, rangée du côté de Cantacuzène. ·Pourtant, si celui-ci était provisoirement victorieux, c'était grâce au soutien de troupes turques entrées en grand nombre à son service. Toutefois, il ne sut pas se maintenir. En 1354, il devait déjà abdiquer. Entre temps, ses auxiliaires turcs vaquaient à leurs propres affaires. Sans se soucier le moins du monde de ses intérêts, ils s'étaient installés pour de bon en Europe. L'avance avait été commencée par Umur, l'émir d'Aydin, continuée et achevée par Orkhan, fils d'Osman. En 1354, année de l'abdication de Cantacuzène, les Turcs ottomans occupaient Gallipoli. Ils envahirent immédiatement après la Péninsule balkanique qu'ils conquirent presqu'entièrement dans l'espace de quelques dizaines d'années. A ce moment-là il y avait en Anatolie un grand nombre d'émirats non-ottomans que les Ottomans n'avaient pas encore subjugués. Ils n'y réussirent qu'après l'occupation de la "Roumélie", la partie européenne de leur empire futur. Ce succès éclatant avait été grandement facilité par l'alliance avec les Dvvuro{ byzantins. Tout cela revient à dire que la conquête de l'Anatolie et de la partie sud-est de l'Europe par les Turcs ottomans - péripétie d'importance suprême dans l'histoire du monde - peut être considérée premièrement comme un épisode de l'histoire de l'empire 3
byzantin, un drame dans lequel les Turcs furent en un certain sens des figurants, les Byzantins les protagonistes. Il nous semble que le rôle actif des Byzantins - et particulièrement des intellectuels byzantins - dans les événements que nous venons de résumer, n'a jamais été mis en lumière comme il conviendrait à un tableau historique de l'empire d'Orient au 14e siècle. Ce livre est le résultat d'un effort de réajustement du cadre de la période en cause.
*** Quelles que soient nos intentions de départ, il faut pourtant que les Ottomans entrent les premiers en scène. 1 Tant de clichés ont 1. Pour l'histoire générale de la conquête turque de l'Anatolie, v. S. Vryonis Jr., The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the Pro cess of Islamization from the Eleventh through the Fijteenth Century, Berkeley/Los Angeles/Londres 1971. Pour l'histoire de l'empire ottoman v. J. von Hammer-Purgstall, Geschichte des Osmanischen Reiches, 10 t., Pest, 1827-35 (repr. Graz, 1963) (surannée mais toujours utile); H. Inalcik, The Ottoman Empire: The Classical Age 1300-1600, Londres/New York 1973; S.J. Shaw, History of the Ottoman
Empire and Modern Turkey, vol. 1: Empire of the Gazis: The Rise and Decline of the Ottoman Empire, 1280-1808, Cambridge 1976 (avec bibliographie détaillée); P.F. Sugar, Southeastern Europe under Ottoman Rule, 1354-1804, Seattle/Londres 1977. Pour la période dont nous nous occupons v. particulièrement: M.F. Kôprülü, Les origines de l'empire ottoman, Paris 1935; P. Wittek, The Rise of the Ottoman Empire, Londres 1938; G. Georgiadis-Arnakis, Ol 1fPWTOl 'O(JWI.UIVOl. EVj.l/30Ar, âç TO 1fp6/3Àl1j.la Tfiç 1fTWaeWç TOU ÉÀÀl1vlaj.lOU Tfiç MlKpâç 'Aa{aç (1282-1337), Athènes 1947; E. Werner, Die Geburt einer Grossmacht - Die Osmanen, Weimar 1985 4 ; 1. Beldiceanu-Steinherr, Recherches sur les actes des règnes des sultans Osman, Orkhan et Murad l, Munich 1967. Nous ne voulons pas passer sous silence le scandale qu'a suscité le livre de Shaw, cité ci-dessus. Bien que la bibliographie soit utile, le texte pèche par une falsification historique des plus effrontées, toute en faveur des Turcs. Au contraire de ce que dit l'auteur dans sa Préface, le livre repose presque entièrement sur des connaissances de seconde main. Après la publication le livre a donné lieu à des manifestations d'étudiants arméniens et à des discussions échauffées à l'Université de Californie (Los Angeles). Enfin les autorités universitaires ont fini par interdire un débat public. V. pour les détails
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obscurci l'histoire de leurs origines et de leurs premières associations avec les Byzantins qu'il est indispensable de faire préalablement table rase. Les clichés auxquels nous faisons allusion se trouvent indistinctement chez des historiens occidentaux et des historiens turcs. Enumérons les plus importants: les désordres de l'administration impériale byzantine auraient porté les Byzantins à préférer la sécurité qu'assuraient les souverains turcs; les sultans auraient été des promoteurs de tolérance religieuse; justice et modération auraient créé un climat où musulmans et chrétiens trou. vaient au même degré le contentement, hors de portée sous le sceptre de l'empereur de Constantinople. Ainsi les chrétiens se prêtèrent de bonne grâce à l'expansion turque, qui de cette manière amenait la disparition de la puissance byzantine, remplacée quasi naturellement par la souveraineté turque. Vu le grand nombre et le prestige des publications où l'on rencontre de tels mythes historiques, il peut semble~ téméraire de les rejeter avec énergie comme n'ayant rien à voir avec la réalité. Ils ont leur origine - ainsi que la plupart d'entre eux - dans de profonds motifs d'ordre nationaliste, raciste, religieux etc, qui pêlemêle surgissent à la surface, en guise d'explication scientifique de processus historiques. 2 la critique de Vryonis du livre de Shaw dans Balkan Studies 24(1983), p. 163-286, qui est notre source pour cet épisode. Dans son article Vryonis expose en même temps les tromperies de Shaw. 2. Impossible d'énumérer tous les auteurs qui, depuis des siècles, ont fait l'éloge des émirs et des sultans turcs en raison de leur tolérance réligieuse. La racine du mythe est triple: 1) le besoin des Grecs de justifier la servilité de l'Eglise Orthodoxe pendant la "Tourkokratia"; 2) l'adulation de leurs tyrans par les Turcs depuis Ahmedi, Ashikpashazade etc. jusqu'aux historiens turcs d'aujourd'hui; 3) la perversion d'un grand nombre d'intellectuels occidentaux de nos jours (v. notre page 12). Encore récemment: B. Braude & B. Lewis, Christians and Jews in the Ottoman Empire, vol. 1: The Central Lands, New York/Londres 1982; S.J. Shaw, v. supra note 1; P.F. Sugar, v. supra note 1. Les historiens marxistes ne sont évidemment pas turcophiles, mais leur idéologie défigure leurs publications au point qu'on les lit avec peu de profit. Cf Werner, Die Osmanen, p. 19-20, et Panturkismus und einige Tendenzen moderner türkischer Historiographie dans Zeitschrift für Geschichtswissenschaft 13(1965), p. 1342-54; D. Angelov, Certains aspects de la conquête des peuples balkaniques par les Turcs dans Byzantinoslavica 17(1956), p. 220-75, réimpr. dans Les Balkans au Moyen Age, Londres 1978. En général les auteurs qui éprouvent le besoin de réhabiliter les Turcs ont,
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Parmi les ouvrages qui pèchent dans le sens indiqué il y en a un, ' publié récemment, qui a été hautement loué par la critique pour son originalité. Ce n'est pas par pur esprit de contradiction que nous en rabaissons la valeur. Il contient sans doute un grand nombre de données intéressantes, mais dans l'ensemble l'auteur verse dans la mythographie de ses prédécesseurs, tout en prétendant apporter du tout nouveau. Ainsi il finit par raffermir d'anciennes erreurs au lieu de déblayer le terrain. Le résultat est d'autant plus trompeur. Il s'agit de Nomads and Ottomans in Medieval Anatolia par Rudi Paul Lindner, publié à Bloomington en 1983. 3 Lindner rejette dans son livre les thèses du célèbre turcologue Paul Wittek qui dans son domaine fit autorité pendant un demisiècle (env. de 1930 jusqu'à sa mort en 1978). Les conceptions de Wittek aboutirent à une idée générale de la société turque à l' époque qui nous occupe, dont voici les aspects les plus importants: les Turcs ne connaissaient pas l'institution de la tribu au sens d'un groupe d'individus humains liés par le parentage. En conséquence la tradition selon laquelle les Ottomans auraient fait partie de la jusqu'à une époque récente, établi une différence entre les princes ottomans, sages et prudents, et les autres émirs de l'Anatolie occidentale, qui auraient été plus sauvages et moins enclins à la tolérance. Cette distinction est entièrement arbitraire. Les ouvrages des auteurs turcophiles d'à présent renchérissent encore sur cette sottise. Tous les seigneurs turcs, sans exception, auraient été très humains et magnanimes. Encore une fois aucune source justifie un pareil point de vue. Des raisonnements dans le vide servent à peindre les Turcs du 13e en 14e siècle comme des gens convenables, ce qui est en contradiction flagrante avec tout ce que nous savons d'eux. Citons en exemple H. Inalcik, The Rise of the Turcoman Maritime Principalities in Anatolia, Byzantium, and Crusades dans Byzantinische Forschungen 9(1985), p. 179-217: "Unquestionably a conciliatory attitude on the part of these Turkish begs toward the local Greek population greatly facilitated the latter's participation and cooperation. The begs, in organizing the ghazis and the Greek sailors into succesful sea raiding forces, played a decisive role in creating a new and functioning society at these ports" (p. 184). Les notes de cet article laissent voir que l'auteur n'a pas consulté les sources byzantines. V. encore notre chapitre sur Cantacuzène, note 34. 3. Cf les critiques dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 48 (1985), p. 365-67 (D.O. Morgan) et dans American Historical Review 89 (1984), p. 1124-25 (N. Itzkowitz).
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tribu Kayi de la nation des Oghuz doit être considérée comme une fiction. Les anciens auteurs turcs se seraient trompés également lorsqu'il disaient que les Ottomans ne firent leur apparition en Anatolie qu'au milieu du 13e siècle. En réalité - ainsi Wittek les Ottomans appartenaient aux groupes de nomades turcs installés en Anatolie depuis la fin du onzième siècle. Tous ces groupes fondèrent de nouvelles principautés dans les zones frontières de l'empire byzantin à la fin du 13e siècle. Cela veut dire que les sultans de Konia (lkonion), qui jusqu'à ce moment avaient été les souverains de l'Anatolie centrale et orientale, devaient céder la place aux chefs turcs auparavant leurs vassaux. Ces chefs turcs auraient été de tout temps des "ghazis", c'est-à-dire des combattants pour la foi. Inspirés par l'Islam, leur idéal aurait consisté dans le déplacement de la frontière byzantino-turque vers l'ouest. Néanmoins, les rapports entre Turcs et Byzantins à la frontière auraient été caractérisés par des sentiments que nous nous sommes habitués à nommer "Hass-Liebe". Malgré les hostilités con. tinuelles il s'était formé une "civilisation de frontière" où Christianisme et Islam perdaient de part et d'autre de l'acerbité. On a de la peine à croire à la combinaison de cette modération d'esprit avec l'idéologie de la "Guerre Sainte". D'ailleurs dès maintenant il se fait temps d'en finir avec les jugements arbitraires de Wittek. Son œuvre tant célébrée n'a aucun fondement dans des sources narratives contemporaines turques, tandis que l'abondante historiographie byzantine raconte une toute autre histoire. Ce qui a paru de la science à tant de turcologues n'est que construction a-historique, dont les motifs mériteraient une étude de psychologie individuelle. 4 Ajoutçms que pendant la vie du savant des voix discordantes s'étaient déjà mêlées aux choeurs de 4. L'explication donnée par Lindner dans Nomads and Ottomans, p. 3-4 et dans son article Stimulus and Justification in Early Ottoman History dans Greek Orthodox Theological Review 27(1982), p. 207-224, v. particulièrement les pages 208-09, nous semble insuffisante. Pour la bibliographie de Paul Wittek, v. Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes 68(1976), p. 1-7. Quelques-uns de ses articles ont été réunis dans La Formation de l'Empire ottoman, Londres 1982. Ajoutons ici, en dehors de TheRise of the Ottoman Empire, cité supra, note 1, Das Fürstentum Mentesche, Istanbul 1934 (repr. Amsterdam 1967); Der Stammbaum der Osmanen dans Der Islam 14(1925), p. 94-100; Türkentum und Islam dans Archiv für Sozial-
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jubilation. Ce n'est pas par hasard que des savants grecs, turcs et hongrois ont fait preuve d'un scepticisme totalement absent cqez leurs collègues allemands, français, anglais et américains. 5 Et Lindner? Nous lui avons des obligations sans doute, comme nous l'avons déjà reconnu. Pour commencer, il a montré que les deux supports les plus importants de la construction de Wittek ne suffisent pas à soutenir l'édifice érigé par celui-ci. Il s'agit de l'inscription sur le monument funéraire d'Osman à Bursa, datant de 1337 ( ... sultan des ghazis, ghazi, fils de ghazi, héros du monde et de la foi ... ) et de l'expression de l'idéologie ghazi dans la plus ancienne chronique ottomane, œuvre d'Ahmedi, qui est dans la même lignée (Ahmedi doit avoir écrit vers la fin du 14e siècle). Lindner allègue des arguments convaincants pour démontrer que les deux témoignages sont inspirés par des théologiens islamiques installés depuis le temps d'Orkhan dans le domaine de ce prince. Dans l'un et l'autre cas les auteurs ont insisté sur le fait que les conquêtes des Ottomans ont toujours émané de l'idée de la "Guerre Sainte", afin de justifier après coup les raids d'Osman et d'Orkhan qui eux-même se souciaient peu si leurs pillages plaisaient à Dieu et aux hommes. Comment d'ailleurs expliquer les guerres d'Osman et d'Orkhan contre d'autres émirs islamiques dans le cadre de la "Guerre Sainte"? - se demande Lindner. Tout cela semble très plausible. De notre côté nous sommes moins enthousiaste en ce qui concerne les explications offertes par Lindner à propos des problèmes posés par les premiers temps de l'histoire des Ottomans. On se range sans trop de peine à son avis lorsqu'il maintient, qu'au début, la population turque des régions montagneuses de l'Anatolie occidentale était divisée sans aucun doute en tribus ayant peu de cohésion politique ou sociale (notons qu'il se forme une bien meilleure idée de ce qui constitue une tribu
wissenschaft und Sozialpolitik 59(1928), p. 489-525; Von der byzantinischen zur türkischen Toponymie dans Byzantion 10(1935), p. 11-64. 5. Citons M.F. K6prülü, Omer Lütfi Barkan, G. Georgiadis-Arnakis, G. Kaldy-Nagy. Cf Lindner, Stimulus and Justifications, cité supra, note 4, p. 210-11. Lindner signale également la critique de Halil Inalcik, mais celuici se range à l'avis général dans Cambridge History of Islam, vol. 1, p. 269 sqq.
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que ne l'avait fait Wittek). 6 Toujours louable est l'effort de Lindner de se prévaloir des sources byzantines, qui malgré tous leurs défauts sont en effet infiniment plus riches et plus nombreuses que les sources turques et qui nous procurent des connaissances solides, si on les analyse avec la prudence requise. Mais voilà justement le moment où l'on commence à se méfier de l'auteur qui ne donne aucune citation en langue grecque. Tous les passages cités sont rendus en paraphrases anglaises fourmillant d'erreurs. On voit aisément qu'il ne s'agit pas seulement d'ignorance mais - ce qui pis est - d'arbitraire. 7 L'ouvrage de Lindner ne diffère 6. Lindner s'efforce d'excuser Wittek en alléguant le manque des connaissances dans le domaine de l'anthropologie culturelle à l'époque où celui-ci écrivit ses ouvrages. En réalité ces connaissances ne faisaient point défaut. On reste interdit devant l'assertion de Lindner, puisque l'étude des peuples soi-disant "primitifs" était en essor depuis le milieu du 1ge siècle. Lindner lui-même nomme en passant W. Robertson Smith (Stimulus and Justification, p. 217), dont - il faut l'ajouter - l'ouvrage principal, Kinship and Marriage in Early Arabia, parut à Cambridge en 1885. 7. V. entre autres le récit de Georges Acropolite sur les aventures de Michel Paléologue chez les Turcs nomades (Nomads and Ottomans, p. 14); les pages de Pachymérès sur les réactions des akritai au saisi de leurs biens par l'empereur (ibid. p. 15) et sur ce que cet auteur dit des actions du despote Jean en Anatolie (ibid. p. 15). Parfois la paraphrase dit juste le contraire du texte grec. Lindner raconte comment les nomades pillent des propriétés byzantines; "in the end, says Pachymeres, the damage was not so great, since "our own" did the same sort of thing". Lindner conclut immédiatement: "There was much local collaboration with the Turks" (ibid. p. 15). En réalité Pachymérès écrit: Comme les nôtres les payaient de retour, il n'y avait pas de mal. (li c5i1 Ka{, rwv TtlLErÉpwv sç iaov 7rpàç SKEiVOVÇ 7rOlOVVrWv, où 7rOVOÇ rjv. Pachymérès, Bonn l, p. 133, éd. Failler, p. 186-87). Lindner
écrit: "Athanasius complained that even Osman was more generous with grain for his subjects" (ibid. p. 27). En réalité Athanase se sert d'une tournure rhétorique de portée générale afin que l'empereur comprenne qu'il est de son devoir de mettre fin aux menées des marchands de grain. Le patriarche écrit littéralement qu'il ne veut pas garder le silence - préférant la mort -lorsqu'il voit dans un état chrétien des iniquités qui même parmi les païens n'existent pas (avlupÉpel yap /lOl mpayilv v7rO/leiVal ij roaavraç opâv àc5lK{aç rfi 7roÀzrEi~ Xplarzavwv aï oùc5t sv roiç §8veaz, < Kai > alw7râv: ep. 106, éd. Maffry-Talbot, p. 266). Lindner pense que "the garrison of Gübekler/Koubouklia, a small fort near Ulubad, betrayed their post to the Ottomans" (ibid. p. 27). En réalité ce furent des mercenaires catalans qui livrèrent la forteresse aux Turcs, trahissant
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de l'œuvre de Wittek que du seul fait qu'elle s'appuie sur d'autres préjugés et sur un autre parti pris. Lindner appartient à la foule des adorateurs d'une déesse fort à la mode, fille de l'Etre Suprême "Sociologie", qui a nom "Anthropologie Culturelle", ennemie acharnée de Clio et toujours occupée à submerger des faits historiques sous des "structures" et "processus" de son invention. En l'espèce, elle a inspiré l'image suivante des anciens Ottomans. Chaque tribu turque admettait dans ses rangs tout homme qui de son propre gré voulait s'y joindre, sans préjudice de langue ou de religion. On ne faisait même pas d'exception pour les Byzantins. La tribu turque, loin d'être exclusive, était au contraire inclusive à un haut degré, particulièrement pendant des périodes de lutte et de pillage. C'est ce que Lindner se plaît à appeler tolérance complète (mais nous avons toujours pensé que ce terme doit comporter un élément spirituel). Vers 1300 la tribu d'Osman commençait - comme les autres tribus turques en Anatolie - à devenir sédentaire. Osman n'était à ce moment qu'un chef qui venait de remporter de grands succès. Sa puissance lui permettait d'étendre sa protection à un grand nombre de Byzantins, réduits juste à cette époque au désespoir par la négligence de leurs intérêts dans l'empire. Le nombre de Byzantins passés aux Ottomans augmentait de plus en plus. Osman et Or khan ne furent pas des islamiques orthodoxes mais plutôt des shamanistes imparfaitement islamisés (arrivés de l'Asie centrale depuis un demi-siècle). Ils n'usaient pas de contrainte envers leurs sujets chrétiens; ils n'exigeaient qu'une collaboration loyale. Les Byzantins pouvaient même atteindre de la garnison byzantine pour l'exterminer après (Pachymérès, Bonn II, p. 580-81). Nicéphore Grégoras, en parlant de la chute de Nicée en 1331, relate que beaucoup d'icônes saintes, de livres et deux reliques furent simplement vendus par les "barbares" et transportés à Constantinople. Grégoras ne dit pas qui furent les acquéreurs (Bonn l, IX, cap. 2, p. 458). Le commentaire de Lindner: "We do not know what the ex-Byzantine but still Christian residents of Nicaea thought of Andronicus' removal of their religious objects. Andronicus had by these acts clearly made the Ottoman task of governance and reconciliation easier!" (ibid. p. 47, n. 144). L'auteur ignore apparemment qu'il n'y avait plus d'hommes à Nicée après la prise de la ville par Orkhan et que les femmes furent faites esclaves (v. notre page 23-4). Et tout cela sous la stricte surveillance d'Hélène Ahrweiler et d'un(e?) byzantiniste "anonyme"! (Acknowledgements, p. XI).
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hautes fonctions. Bref, ces Ottomans antiques étaient de braves gens. 8 Lindner n'a pas été très bienveillant à l'égard de Wittek. C'est en chef de troupes triomphant qu'il a introduit l'anthropologie culturelle dans l'historiographie ottomane. On est d'autant plus étonné de découvrir qu'en réalité il ne dit rien de nouveau. Ce qu'ils nous sert, c'est un pâté rassis, arrosé d'une sauce nouvelle cuisine. A l'examen l'image de Lindner n'est pas essentiellement différente de celle de George Georgiadis-Arnakis, "a Greek nationalist to the bitter end"9 et de celle de H.A. Gibbons, turcophile et ennemi acharné de l'Islam à la fois. L'ouvrage de Gibbons The Foundation of the OttQman Empire (Oxford, 1916) est suranné et ne figure même pas dans la bibliographie étendue de Lindner. Cependant, on doit dire que Gibbons a été le premier à poser nettement que la conquête de l'Anatolie par les Ottomans n'a pu s'effectuer que grâce à la conquête antérieure de la Roumélie. Mais il y a plus. Les idées de Gibbons ont eu une influence prépondérante sur les idées d'Arnakis, qui à son tour a été le fournisseur de tout ce qui est essentiel dans le livre de Lindner. Nous venons de remarquer que Gibbons, tout en étant turcophile, haïssait l'Islam. lo Cette apparente contradiction a été à la base de son ouvrage principal. Selon Gibbons la civilisation purement islamique des Turcs, exclusive au plus haut degré, n'aurait pris forme qu'au début du 16e siècle. C'est à cette époque que 8. Nous n'exagérons pas. "There was considerable Turkish interest in conciliation and mutual adaptability ... In fact, early Ottoman conquest seems associated more with cooperation than with coercion ... etc. etc. etc. (ibid. p. 5). 9. S. Vryonis dans Greek Orthodox Theological Review 27(1982), p. 235. 10. " ... the Osmanli is not and never has been a religious fanatic like the Arab Moslim. He is not by nature zealous or enthousiastic, nor is he by nature cruel. Docile, tractable, gentle, in a word, lovable - this is the verdict of the traveller who has had an opportunity of knowing that portion of the Moslem population of the Ottoman Empire which is popularly called Turkish ... Whatever one may daim in abstract theory for the Koran and the whole body of Moslem teaching, its practical concrete results have been ignorance, stagnation, immorality, subservience of womanhood, indifference, paralysis of the will, absence of incentive to altruism. These are the causes of the irremediable decay of every Mohammedan empire, of every Mohammedan people" (op.cit. p. 74-75).
Il
commença la misère de l'empire ottoman. Jusqu'à la fin du Moyen Age cet empire aurait connu une civilisation où les éléments turcs et byzantins s'étaient amalgamés. Dans ces temps heureux les Ottomans avaient formé "a new race" sur le territoire de l'ancienne Bithynie; une race où l'élément grec était prédominant au point de ne pouvoir à peine la désigner comme turque. C'est cette racelà - islamique mais tolérante - qui entreprit la conquête de la Roumélie sous la direction de capitaines dont les meilleurs furent des Grecs purs. Il nous semble qu'il est inutile de réfuter sérieusement tout ce non-sens. 1 1 On s'étonne d'autant plus de l'enthousiasme que la thèse centrale de Gibbons a évoqué chez Arnakis, un grec nationaliste à outrance. 12 Cependant, nous croyons que c'est justement dans l'esprit nationaliste qu'il faut chercher la clef de cette énigme. La vénération excessive de l'esprit hellénique a porté Arnakis à se rallier aveuglément à Gibbons, tout en changeant à son avantage les idées absurdes de celui-ci. Les idées n'en devenaient pas moins absurdes mais elles devenaient par-dessus le marché dangereuses. Un mal a rongé l'âme et l'esprit de la majorité des historiens occidentaux (et des intellectuels en général), particulièrement depuis le début du 1ge siècle: la combinaison d'un culte exalté de toutes choses spirituelles et d'une admiration rarement avouée (et souvent inconsciente) devant la force brutale et le succès matériel. 13 Dans l'historiographie de l'empire ottoman cette mentalité
Il. Les théories de Gibbons ont été réfutées de façon convaincante par M.F. Koprülü, Les origines de l'Empire ottoman, p. 5-19. 12. Bien entendu Arnakis connut l'ouvrage de Koprülü et le condamnait comme témoignant d'un nationalisme mesquin! (Qi 7CpiiJrol ·Q(J(j)J.UiVOl, cité supra, note 1, p. 29). 13. Cette mentalité a été très bien définie par Nietzsche en l'appelant la "kluge Indulgenz gegen die SHirke" ... Il Y ajoute une illustration magnifique caractérisant Ranke, homme apparemment si humain et tout esprit: "Die Deutschen, anbei gesagt, haben den klassischen Typus der letzteren zuletzt noch schon genug herausgebracht - sie dürfen ihn si ch schon zurechnen, zugute rechnen: namlich in ihrem Leopold Ranke, diesem gebornen klassischen advocatus jeder causafortior, diesem klügsten aller klugen "Tatsachlichen" (Zur Genealogie der Moral. Dritte Abhandlung: Was bedeuten asketische Ideale? dans Werke, éd. K. Schlechta, 3 t., 1954-56, t. 2, p. 879).
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a donné lieu à une ambivalence remarquable à l'égard de cette puissance. Si l'on avait des difficultés à croire que des nomades sauvages avaient été capables de fonder un état de dimensions immenses et bien organisé, toujours est-il qu'on s'exaltait devant le fait accompli. On s'inquiétait pourtant de ne pouvoir trouver l'élément sprituel dans les exploits grandioses des Turcs. On avait besoin d'un tablier de pudeur, pour ainsi dire. Et voilà les Grecs, les incomparables Grecs, qui suppléaient à ce besoin. Entrés au service des sultans, les Grecs chrétiens, par leur intelligence et par leurs autres dons spirituels, ava~ent ...empêché que l'empire ottoman ne sombrât aussitôt dans le chaos et la sauvagerie. 14 Arnakis surenchérit: les Byzantins auraient même dès le début contribué dans une large mesure à la formation de l'empire ottoman. Ainsi Arnakis était obligé à son tour à louer Osman et Orkhan pour leur bienveillance et leur tolérance, voire pour leur mentalité démocratique! Comment expliquer autrement le rôle assigné aux Byzantins par l'auteur? 1 S 14. On aimait à citer les exemples du devshirme (datant du règne de Murad 1) et du rôle des Phanariotes pendant une époque ultérieure de l'histoire ottomane. En ce qui concerne le devshirme, il n'a rien à voir avec l'incapacité des Turcs à gérer des affaires au-dessus de leur savoir. Il s'apparente en tant qu'institution aux armées composées d'esclaves que l'on rencontre dans les sociétés arabes après leur conversion à l'Islam. Il s'agit de la formation artificielle d'une "tribu", entièrement dévouée au chef de la tribu originale, à mesure que celle-ci perdait sa cohérence, en conséquence de vastes conquêtes qui, à leur tour, la menaçaient de devenir une minorité trop faible pour dominer sur le territoire qu'elle avait occupé. Nous empruntons nos connaissances du sujet au bel ouvrage de B.D. Papoulia, Ursprung und Wesen der "Knabenlese" im Osmanischen Reich, Munich 1963 (cf V.L. Ménage dans BSOAS 29(1966), p. 64-78 et S. Vryonis dans Balkan Studies 5(1964), p. 145-53). L'idée selon laquelle le devshirme garantissait aux Turcs l'emploi de l'intelligence grecque (surgelée, pour ainsi dire) est une excroissance du racisme exécrable des temps modernes. Voltaire avait bien raison de dire que les janissaires, en vrais Turcs, haïssaient les chrétiens et d'ajouter: "C'était une grande preuve de la force de l'éducation et des bizarreries de ce monde, que la plupart de ces fiers ennemis des chrétiens fussent nés des chrétiens opprimés" (Essai sur les moeurs, ch. XCIII). 15. Op.cit. supra, note 1 et 12, surtout p. 88-96. Le chauvinisme forcené d'Arnakis se révèle particulièrement dans la conclusion de son livre, c'est-àdire dans le résumé en anglais: (après la conquête des grandes villes de la Bithynie et la conversion pacifique de la population à l'Islam): "The Osmanlis
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Voilà, nous semble-t-il, le moment venu pour répéter que le li~ vre de Lindner n'est dans le fond qu'un décalque du livre d'Arnakis, habillé à la mode du jour. Répétons également qu'on doit savoir gré à Lindner d'avoir éliminé pour toujours la notion de "Guerre Sainte" de l'histoire des principautés turques succédant au sultanat de Konia, même s'il y a substitué un tableau aucunement justifié par les sources à notre disposition. Il y a là, malgré tout, un grand avantage pour l'historien. Nous sommes enfin libres de décrire les rapports entre guerre et religion, dans l'histoire "ancienne" des Turcs, d'une manière réaliste. Leurs guerres n'ont jamais été saintes, même à leurs propres yeux. Leur religion était toute faite de primitivisme et de cruauté, phénomène fréquent dans l'histoire des religions. Car religion, il y avait. Dès leur arrivée en Anatolie les Turcs démolirent presque toutes les églises chrétiennes ou les changèrent en mosquées. 16 Les chrétiens furent régulièrement déportés des régions conquises et réduits en esclavage, le musulman était de tout temps préservé de l'esclavage. Le clergé orthodoxe dut quitter en masse l'Anatolie. Bref, les Turcs haïssaient et méprisaient le christianisme, bien que leur islawere now strengthened by the socially advanced townspeople. Making Brussa their capital, the Osman lis struck coins, carried on reforms, and organized a model state. Their advance and their rapid spread into Europe is largely due to the administrative experience and the civic traditions of the citizens of Brussa, Nicaea and Nicomedia" (p. 246). Pour le sort de la population de Nicée après la prise de la ville par Orkhan v. notre page 24. L'impuissance des nomades turcs en matière politique est prouvée, selon Arnakis, par "la réussite grandiose et admirable dans le domaine culturel" remportée par le gouvernement soviétique parmi les Turcomans au cours des années '20 et '30 et résultant dans la formation de la république soviétique autonome de Turkménistan; cet exploit ne changea pourtant pas grandement le genre de vie des nomades parce qu'ils ne surent pas profiter des bienfaits qui leur avaient été rendus (p. 54, n. 63). Il va sans dire que le nationalisme grec d'Arnakis a déterminé également son attitude à l'égard de l'Eglise orthodoxe. Il a particulièrement du respect pour Grégoire Palamas, dont il loue entre autres le témoignage sur la bonne situation des chrétiens en Bithynie (v. Ch. III de la deuxième partie de notre livre). Pour défendre ce point de vue et toutes ses autres imaginations malsaines Arnakis a dû torturer les sources à notre disposition d'une manière inouïe (v. par exemple infra notes 19,23,27,35). Tout cela n'a pas empêché S. Vryonis de qualifier l'ouvrage d'Arnakis un "important book"; en 1982! (art.cit. supra, note 9, p. 233). 16. V. infra, Chapitre l, p. 37-39.
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misme fût différent de ce que nous considérons aujourd'hui comme Islam orthodoxe"? Si l'on ne peut pas parler de destruction et persécution systématiques du christianisme, la tolérance est autre chose, bien autre chose.1 8 Si les Ottomans à cette époque n'étaient pas à même de massacrer tous les chrétiens qui avaient le malheur de devenir leurs sujets, en tout cas ils les asservissaient, les soumettant à toutes sortes de restrictions et les exploitant comme des esclaves, même s'ils n'en étaient pas au sens propre du mot. Les auteurs entichés d'Osman et d'Orkhan aiment signaler des cas où leurs héros ont été assez généreux pour confier de hautes fonctions à des chrétiens. Dans tous les cas cités il paraît que les sources aient été interprétées de travers. 19 Et voilà enfin le plus 17. V.S. Vryonis, Evidence on human sacrifice among the early Ottoman Turks dans Journal of Asian History 5(1971) p. 140-46 et B.D. Papoulia, op.cit., p.42-61. B. Papou lia démontre dans son livre combien le devshirme était contraire à la sharia; elle réfute d'une manière convaincante le point de vue des auteurs (particulièrement Wittek) qui se sont opiniâtrés à prouver la compatibilité du devshirme et de la sharia. 18. Cf l'exposé de B. Braude et B. Lewis dans Christians and Jews, cité supra, note 2), Introduction p. 1-34. Eux-mêmes turcophiles à outrance, ils admettent que l'attitude fondamentale du musulman à l'égard des "infidèles" est le mépris; celui-ci conçoit certaines inégalités entre des être humains comme foncières (maître-esclave, homme-femme, fidèle-infidèle). 19. On nomme quelques militaires (Kôse Mikhal, Evrenos, Mavrozoumes) et deux fonctionnaires civils, soit un juge anonyme à Nicée vers 1340 et un certain Taronites, médecin d'Orkhan (v. Arnakis, Ol nprorol ·08Wj.laVOl, p. 89-91 et Gregory Palamas among the Turks ... dans Speculum 26(1951), p. 115-6; Lindner, op.cit. p. 5, 25, 34-35; I. Metin Kunt, Transformation of Zimmi into Askeri dans Christians and Jews (p. 55-67), p. 57). Quant au KplT1jÇ de Nicée, il s'agit d'un fonctionnaire chrétien, chargé par l'Eglise de veiller à ce que ses co-religionnaires observent les moeurs chrétiennes et ne passent à l'Islam (comme tel il est nommé dans un document patriarcal, MM l, p. 197, Darrouzès, Reg., nr. 2198, v. encore notre Chapitre l, note 49). Sur la signification du KplT1jÇ au sens canonique v. Darrouzès, Recherches sur les 'OqJqJ{Kla de l'Eglise byzantine, Paris 1970, p. 158-160. Il est franchement fallacieux de suggérer qu'un KplT1jÇ aurait eu jurisdiction sur les musulmans. Quant à Taronites, il est notoire que des médecins de grande renommée ont de tout temps constitué un cas d'exception. En face d'une grave maladie ou de la mort les convictions religieuses ont souvent cédé devant l'horreur de souffrances physiques. Mehmed, fi~s d'Aydin,
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grand atout dans les mains des champions des premiers princes ottomans: la lettre adressée par Grégoire Palamas à la communauté de Thessalonique pendant sa captivité chez les Turcs. Ce serait le document le plus probant quant à la tolérance turque. Nous allons consacrer un chapitre entier à cette fameuse lettre, interprétée par les historiens des temps modernes d'une manière qui ne fait que souligner leur profonde ignorance des circonstances dans lesquelles elle fut écrite, de l'homme que fut Palamas et de l'histoire byzantine de l'époque.
avait un juif pour médecin ordinaire (Ibn Battuta, éd. Defrémery, p. 305-6). Parmi les nombreuses erreurs d'Arnakis citons: "it would be inconceivable to come across an alien physician in the Byzantine palace" (Gregory Palamas, p. 113). Grégoras est là pour nous faire savoir qu'Andronic III malade consultait, en dehors de ses médecins byzantins, trois médecins perses, spécialement appelés à la cour (Bonn l, Xl, c. 5, p. 554). Pour la conversion forcée de Kôse Mikhal, v. notre p. 22. V. sur Evrenos et ses descendants EP (Mordtmann), EF (Mélikoff), 1. Beldiceanu-Steinherr, op.cit. supra, note 1, p. 47,233 et enfin PLP, nr. 5955, S.v. 'Ef3pevÉC;. Il n'y pas lieu de considérer Evrenos comme un grec de naissance. La question n'est pourtant pas de grande importance, puisque les sources byzantines ainsi que les chroniqueurs turcs présentent toujours Evrenos comme un guerrier islamique fanatique (p.e. Manuel Paléologue, Funeral Oration on his Brother Theodore, éd. avec trad. angl. J. Chrysostomides, Thessalonique 1985, p. 156-57). Mavrozoumes n'était pas du tout militaire, mais le représentant le plus important des chrétiens de la ville de Pegai, au moment où Palamas y séjournait. Palamas, accueilli par Mavrozoumes, donne à celui-ci le titre de hétériarque, titre qui au milieu du 14e siècle ne désignait plus une fonction militaire. Ps-Codinos dit entre autres qu'il s'occupe des réfugiés (éd. Verpeaux, p. 178: eSÉxeraz eSt ouroc; Kai rovc; npoaepxoJlÉvOVC; navrax68ev qJvyaeSaC; en ajoutant: C'est pour cela qu'on l'appelle hétériarque, parce qu'il accueille les traipovc;, c'est à dire les amis (Cf P. Karlin-Hayter, L 'Hétériarque dans JOB 23(1974), surtout p. 108). C'est sans doute pour cette raison que Palamas désigne Mavrozoumes comme hétériarque, pensant au fonctionnaire à la cour de Constantinople qui a pour tâche de s'occuper des réfugiés d'un rang elevé. Palamas a dû penser que Mavrozoumes exerçait une fonction comparable dans le milieu byzantin à Pegai. Il est inadmissible de supposer qu'il l'aurait considéré comme un militaire au service d'Orkhan (v. notre chapitre sur Palamas, p. 193-94). Signalons enfin la trahison et l'apostasie de Manuel Tagaris, gouverneur de Philadelphie, décrites par Matthieu d'Ephèse (v. notre chapitre sur Matthieu, p. 235-38).
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Nous allons maintenant laisser derrière nous la mythographie sur les premiers rapports entre Turcs et Byzantins pour nous attarder tant soit peu sur ce que les sources nous permettent de savoir avec certitude de l'histoire "ancienne" des Turcs en Anatolie occidentale, tout en évitant avec prudence de préciser là où il n'est pas possible de préciser. La vue d'ensemble qui suit doit être considerée comme une introduction au chapitre 1 de ce livre. Des tribus de nomades turcs, ayant longtemps erré dans les régions montagneuses de l'Anatolie occidentale, s'avançaient en masse vers les régions côtières depuis la fin du 13e siècle. D'autres tribus, arrivées plus récemment de l'Asie centrale (milieu du 13e siècle), prenaient le même chemin à la même époque. Cette migration turque était causée par la poussée des Mongols sur son arrière et facilitée par la faiblesse de la ligne de défense se trouvant devant elle. Ces Turcs étaient déjà des islamiques. Ils recevaient à bras ouverts d'autres Turcs, des théologiens iraniens et des derviches qui étaient encore en fuite devant les Mongols, ces derniers alors toujours païens. Les nouveaux venus jouaient un grand rôle dans la formation de la civilisation qui allait devenir caractéristique pour un grand nombre de nouvelles principautés turques, organisées sur le sol byzantin. Dès le début les Turcs reçurent chez eux des transfuges byzantins dont il pensaient tirer profit. Il s'agissait surtout de militaires et de gens ayant des connaissances spéciales du terrain. Parmi eux se trouvaient beaucoup de mécontents: habitants de la frontière, pressurés par le fisc byzantin, mercenaires et autres soldats mal payés, commandants de places fortes avec leurs subalternes. 2o Si ces hommes n'étaient pas incorporés dans la société turque - ce qui n'était possible que par la 20. Pachymérès, Bonn Il, p. 17-20 (éd. Failler, p. 31-35), p. 221-23 (éd. Failler, p. 291-93): Ashikpashazade, trad. Kreutel, p. 31-2 (Kôse Mikhal, le tekfur de Biledjik), p. 46 (les tekfurs de Çadirli et Lefke), p. 47 (le tek fur de Mekece), p. 71 (le tekfur d'Ulubad). Répétons qu'il s'agissait surtout de militaires, ou tout au moins d'hommes sachant manier des armes. Pachymérès est, comme d'habitude, très précis sur ce point. Traitant de la perte de la Paphlagonie du temps de Michel VIII et des transfuges byzantins armés, il dit expressément que la grande majorité de la population n'entendait rien à l'art militaire; elle fut assujettie ou s'enfuit (p. 222-23). On s'est enfinpersuadé trop facilement que l'équipage de la flotte impériale a passé au service des Turcs après sa dissolution en 1284 (après la paix avec Venise et Gênes). V.
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conversion à l'Islam - ils étaient continuellement soumis à une surveillance sévère. Ils ne gagnaient jamais la confiance de leurs nouveaux supérieurs. Des supplices arbitraires et soudains n'étaient pas rares. 21 On estime qu'au cours des conquêtes turques de cette époque un tiers des forces armées byzantines qui aurait dû les empêcher, tomba pendant le combat; un tiers prit la fuite, un tiers passa à l'ennemi. 22 Les aristocrates byzantins en grand nombre,23 ainsi que tous les métropolites et évêques fuirent les régions conquises. 24 Il semble qu'un grand nombre de gens moins fortupar exemple H. Ahrweiler, Byzance et la mer, Paris 1966, p. 378. La piraterie des Turcs dans la mer Egéenne ne devint de grande envergure qu'après 1300 (cf B. Flemming, Landschaftsgeschichte von Pamphylien, Pisidien und Lykien im Spiitmittelalter, Wiesbaden 1964, p. 27-92). Pachymérès écrit qu'après 1284 une partie des marins changea de métier et que d'autres passèrent à l'ennemi, devenant des pirates (Bonn II, p. 71). A cette occasion Pachymérès a pourtant en vue Venise et Gênes en parlant d'ennemi. Le contexte le prouve. 21. Par exemple le tekfur de Biledjik (v. notre page 23) et le tekfur d'Ulubad (Ashikpashazade, trad. Kreutel, p. 71; Chrono an., trad. Giese (v. infra, note 29), p.23). Les Turcs continueraient sans cesse à se méfier des transfuges chrétiens, V. Manuel Paléologue, op.cit. supra, note 19, p. 277-79; cf Vryonis, Decline, p. 416-17. 22. Cf les considérations génerales de Pachymérès sur la mauvaise administration militaire et ses effets, Bonn II, surtout p. 19-20, éd. Failler, p. 35 . .. . àmoÂETo j.lèv 1] nÂT/8ùç ÈKEiVroV (sc les akritai) TlÔV j.lèv Ëpyov j.laxa{paç yEyoVOTroV, TlÔV ~è Kai npoGxroPT/OavTrov Toiç ÈvavT{olç, aÂÂrov ~è Kai àÂÂaxou nov, ÈnEi OÙK 7}v ÈKEiGE npoGj.lÉvOVal lfJEVKTà Tà ~Elva, j.lETOlKT/GavTrov ...
23. Les grands aristocrates obtenaient de l'empereur d'autres npOVOlal en Europe. Plusieurs d'entre eux étaient d'ailleurs partis pour les régions occidentales de l'empire longtemps avant l'invasion turque, aux années '60, après la reconquête de Constantinople (cf A. Laiou, The Byzantine Aristocracy in the Palaeologan Period dans Viator 4(1973), p. 131-51). On put dédommager seulement une partie des GTpanlÔTal de cette manière. Arnakis se trompe en prenant pour des ~vvaTo{ les akritai et les GTpanlÔTal pressurés par le fisc. Il pense ainsi à une dispariton des grands propriétaires aristocratiques sous Michel VIII, ce qui aurait eu pour résultat le renforcement de la classe paysanne en toute la Bithynie. Cette classe serait devenue en totalité un appui de grande importance pour le régime d'Osman. Sur la fuite des GTpanlÔTal et leur sort ultérieur V. Pachymérès, Bonn II, p. 407-08, 489 et notre Ch. l, p. 35; Ch. II, p. 56. 24. Pachymérès, Bonn II, p. 642-50; Athanase, ep. 30, éd. A.-
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nés fuit également. 25 Ceux qui furent rattrapés par les Turcs périrent ou furent réduits en esclavage. 26 Il va sans dire que la grande majorité des gens du commun ne pouvait que rester en place. S'ils échappaient au massacre ou à la déportation, la misère les attendait chez eux. Une fois assujettis, les chrétiens étaient mis à contribution par leurs nouveaux seigneurs avec la même cruauté que celle qu'ils avaient éprouvée du côté de l'empereur byzantin. Si beaucoup de ces chrétiens restèrent fidèles à leur religion (souvent en secret), nombre d'entre eux se convertirent à l'Islam afin d'échapper à une souffrance apparemment sans fin. 27 S'il y eut mixtion des Turcs et des Grecs elle se produisit d'une manière terrible: dans beaucoup de villes byzantines il ne restait après l'occupation que des femmes, qui devinrent turques par des mariages forcés, les muant pratiquement en esclaves. 28 Voilà la symbiose des Turcs et des Byzantins en Anatolie occidentale, sur laquelle s'attendrissent Wittek, Lindner etutti quanti. Les Turcs envahirent en masse le pays. Ils y étaient bientôt en grande majorité, ce qui les mettait en état d'absorber la presque totalité des Byzantins (bien que l'assimilation complète ne fût terminée que près d'un siècle plus tard). C'était une situation toute différente de celle de l'Europe où les Turcs ne constituèrent jamais qu'une petite minorité de la population.
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62: Bi j1tv bréyvwç, ayze !3aazÀsv, rr,v Èv rij ùvaroÀij nov Jl'oÀswv ÈçoÀo()psvazv, OJl'SP j17] ï8olj1SV, 8rar{ j1r, Kai rovç ÈKsi ÈVolKovvraç ÈKéÀsvaaç ÈçsÀ()Eiv Kai rà ro8s KaraÀa!3Eiv mç r7]v mlvrwv ÙJl'O ()sov cppovri8a Èyxslpla()siç, ùÀÀà roiç ùPxzepsvaz j10VOlÇ rovro Ksxaplaar; Le bas clergé partageait le sort des gens du commun. Matthieu d'Ephèse rencontrait beaucoup de prêtres et de moines faits esclaves (ep. B 55, éd. D. Reinsch, p. 178, trad. p. 348/9). V. notre chapitre sur Matthieu. 25. Pachymérès, Bonn II, surtout p. 317/8,335; v. Chapitre l, p. 37/8. 26. Pachymérès, Bonn II, p. 314, 388, 580/1. 27. V. la lettre du patriarche Jean XIV Kalékas, MM l, p. 183-84, Darrouzès, Reg. 2185, v. Chapitre l, p. 44/5. Cf Vryonis, Decline, p. 339-43, 360. Sur les massacres et les déportations v. Chapitre l, p. 35/6.Arnakis est d'opinion que les paysans byzantins, une fois remis de leur frayeur, étaient bientôt heureux de recueillir le fruit du bon gouvernement des Turcs, qui assurait l'ordre, la paix et la sûreté (p. 94). 28. Cf Ashikpashazade, trad. Kreutel, p. 68. Cf notre page 24. M. Maffry Talbot,
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Ce que nous savons de l'avance des Turcs en Anatolie occidentale pendant la deuxième moitié du 13e siècle et les premières d~ cennies du 14e siècle nous est notamment connu, nous l'avons déjà dit, par des sources byzantines. Cela n'empêche pas que les sources turques ne font pas entièrement défaut. Pour des raisons personnelles nous nous en sommes servie avec la plus grande circonspection. Notre ignorance de la langue turque nous a contrainte de nous fier aux traductions faites par des turcologues. 29 Nous n'avons pas jugé à propos de douter de leur compétence. Mail il y a plus. Les sources turques ne peuvent pas être comparées à celles dont nous disposons pour l'histoire de l'Europe occidentale au moyen âge. Les documents officiels manquent complètement. Nous possédons quelques chroniques et quelques poèmes épiques, principalement de caractère littéraire (et couchés par écrit longtemps après les événements) qui sont plutôt des éloges de sultans et de guerriers islamiques, mêlés à des éléments légendaires, folkloriques, romanesques etc, que des écrits historiques au sens propre. Faire le tri du vrai et du fictif dans ces témoignages suspects est un travail compliqué. La tâche est pourtant facilitée sous un certain rapport par leur caractère primitif. Ils font abondamment mention d'actions qui sont à nos yeux des crimes, des atrocités, des bassesses qu'un homme moderne (même un dictateur fasciste ou communiste de nos jours) n'avouerait pas. Les auteurs turcs anciens au contraire se vantent de ces actions; ils présentent leurs princes et leurs autres héros s'en glorifiant. Dans ces cas il nous est impossible de croire que "l'historien" ait inventé ce qu'il raconte; encore moins que des turcologues modernes 29. Nous avons utilisé notamment les traductions des chroniqueurs turcs dans la série Osmanische Geschichtsschreiber, publiées par R.F. Kreutel dans l'intention explicite de permettre à ceux qui ne savent pas le turc de se renseigner sur l'histoire turque par la lecture de sources originales (v. l'introduction au premier tome Vom Hirtenzelt zur Hohen Pforte (traduction d'Ashikpashazade) Graz-Wien-Kôln, 1959). De plus nous avons consulté Die altosmanischen anonymen Chroniken, trad. F. Giese, Leipzig 1925 (Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, t. 17); Auszüge aus Nesri's Geschichte des Osmanischen Hauses, éd. et trad. Th. Nôldeke dans Zeitschrift der Deutschen Morgenliindischen Gesel/schaft 13(1859), p. 176-218; Le Destan d'Umur Pacha, éd. et trad. 1. Mélikoff-Sayar, Paris 1954; The History of Mehmed the Conqueror by Tursun Beg, éd. et trad. H. Inalcik et R. Murphy, Minneapolis 1978.
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aient rendu toutes ces horreurs dans leurs traductions par incompréhension du texte. Toutes ces considérations valent également pour les sources arabes que nous avons consultées, surtout la célèbre relation de voyage d'Ibn Battuta. Lui aussi décrit la misère des Byzantins sous le joug turc sans une trace de compassion. Que le tableau de la société turque en Anatolie au 14e siècle, si repoussant pour nous, si réconfortant pour ceux qui l'ont brossé, est vrai en ce qui concerne le noyau historique, c'est l'historiographie byzantine qui le prouve. Elle confirme les sources turques et arabes dans les grandes lignes. Pour nous c'est l'argument concluant, bien que certains turcologues nieront peut-être l'objectivité des historiens byzantins. L'historiographie byzantine a pourtant - malgré tous ses défauts - des qualités la relevant audessus du niveau du primitivisme (et l'apparente à l'historiographie gréco-romaine et à l'historiographie occidentale): en totalité elle n'est pas dépourvue d'autocritique, de critique des puissances de ce monde, de règles d'ordre éthique. Certes, c'est un idéal que nous définissons, en vérité rarement atteint, mais dont l'absence totale est un indice de barbarie. Aucune source turque n'est aussi importante pour la connaissance de la période de l'histoire ottomane de la fin du 13e siècle jusqu'au milieu du 14e siècle, que la chronique d'Ashikpashazade, bien qu'elle ne fût couchée par écrit qu'au milieu du 15e siècle. Elle ne contient pas seulement des renseignements dignes de foi sur l'époque d'Osman et d'Orkhan qui manquent dans des chroniques d'une date antérieure,30 mais en outre elle reflète l'atmosphère du milieu qu'elle décrit. L'auteur nous dit qu'il a appris beaucoup de choses rappelant le souvenir du passé, dans la maison de Yakhshi Faqih, fils de l'imam à la cour d'Orkhan à Bursa. 31 Le chroniqueur loue continuellement Osman, père d'Orkhan pour sa sagesse et pour sa justice. Gündüz, le frère d'Osman, ne songe qu'au pillage et à la dévastation. Osman par contre veut 30. Nous suivons ici V.L. Ménage, The Beginnings of Ottoman Historiography dans Historians of the Middle East, éd. B. Lewis et P.M. Holt, Londres 1962, p. 168-179 plutôt que H. Inalcik, The Rise of Ottoman Historiography, ibid. p. 152-167. 31. V. V.L. Ménage, The Menagib of Yakhshi Faqih dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 26(1963), p. 50-54.
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fonder un état dans lequel les sujets sont heureux et prospères. Il veut vivre en paix avec ses voisins, tant chrétiens que musulmans. Aussi beaucoup de régions chrétiennes viennent sans contrainte sous son sceptre, les habitants se convertissant volontairement à l'Islam. Tout cela est - si l'on veut - une justification éthique du règne d'Osman. Il faut pourtant considérer que c'est un dévot qui parle, plus d'un siècle après les événements. C'est d'ailleurs un dévot bien étrange, racontant des choses terribles sur les actionsd'Osman et de ses frères d'armes, qui ne s'accordent aucunement avec le genre de louanges que nous venons d'entendre, mais auxquelles il applaudit également avec enthousiasme. C'est que l'auteur est au courant de faits historiques qui ne le choquent pas (il les approuve même implicitement) et ne comprend pas que le panégyriste contredit dans son ouvrage l'historien. On apprend tout à coup qu'Osman fait hl guerre à la fois au~ musulmans et aux chrétiens. Les conversions spontanées ne s'avèrent pas toujours si spontanées que cela. Le chrétien Kôse Mikhal a été longtemps un frère d'armes d'Osman. Après beaucoup de conquêtes et de victoires, remportées en commun au cours des années, Osman dit à ses compagnons: Faisons venir Afikhal pour rinviter à se convertir à rIslam et à devenir un musulman! ... s'il ne veut pas, mettons son pays à contribution! On fait venir Mikhal et sans qu'on ne lui demande rien, il baise la main d'Osman et dit:
Seigneur, faites-moi Musulmanp2 Il est évident qu'au début Osman ne pouvait se passer d'alliances avec des chrétiens, mais qu'après un certain laps de temps il y mettait des conditions quant à la question religieuse. Dans la chronique d'Ashikpashazade, Kôse Mikhal est d'ailleurs le seul chrétien à jouer un rôle comme individu. En général les chefs d'armée chrétiens prennent la fuite, se rachètent, sont tués au combat ou massacrés au dépourvu dès qu'on n'a plus besoin de leur collaboration. Le pieux Ashikpashazade comprend qu'il peut y avoir des lecteurs ou des auditeurs qui désapprouvent des alliances avec des chrétiens dans toutes les circonstances. Comment des ghazis peuvent-ils s'allier aux méprisables giaours? Ashikpashazade ne peut expliquer pareille conduite que par une générosité sans égal qui fait pleurer à chaudes larmes. On demande à Osman 32. Ashikpashazade, trad. Kreutel, p. 46.
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pourquoi il respecte les chrétiens de Biledjik (Belokome). Il répond: Ils sont nos voisins: nous sommes arrivés dans ces régions en apatrides et ils nous ont reçus avec bienveillance. Il nous convient donc de les respecter. 33 Un peu plus tard il paraît pourtant que le gouverneur de Biledjik a formé le dessein de s'emparer de la personne d'Osman pendant une fête de mariage pour le tuer après. Cependant, Osman le devance. Il occupe par ruse Biledjik au mOment où la forteresse est presque déserte à cause du départ pour la fête de la garnison byzantine. Les Turcs attaquent la garnison à son retour, sous prétexte de trahison et l'exterminent. Le gouverneur est décapité par Osman de sa propre main. 34 Pachymérès confirme ce récit dans les grandes lignes, mais en donne une version qui semble plus véridique. Après avoir assiégé et détruit la forteresse Katoikia, Osman retourna avec ses compagnons, parmi lesquels se trouvaient les troupes de Belokome, ses alliés. Il sut séparer ses forces de celles de Belokome, attaqua laforteresse de Belokome déserte à ce moment, roccupa, et puis massacra ses alliés, pilla tout ce qu'i1 trouva et employa les deux forteresses au renforcement de sa puissance. 35 L'histoire de la fête de mariage et de ses conséquences est absente chez Pachymérès, qui d'autre part fait ressortir d'une manière réaliste la méfiance mutuelle et les rigueurs caractérisant les alliances militaires instables des Turcs et des Byzantins. Pour finir, relatons l'histoire de la prise de Nicée par Orkhan,
33. ibid. p. 34. 34. ibid. p. 35-38. 35. Pachymérès, Bonn II, p. 414-15: rOrE: Kai 'ArJ.làv vnoarpÉqJIDv aùv rOlç àJ.lqJ' avrov, ÈnEi avvfiaav aqJial Karà aVJ.lJ.laxiav Kai Bl1Â-oKIDJ.llral, npoaÂ-afJrov ÈKEiVOVÇ KEvfi rwv ÈnoiKIDv Bl1Â-OKcOJ.l1J npoafJaÂ-Â-El Kai Karà Kptiroç alpEl, Kai roùç J.ltv KrEivEl, avroç St J.lvpiov nÂ-ovrov EVProV ÈÇoÂ-fJiÇEral, Kai rà mara ol rijç àaqJaÂ-Eiaç ÈK rwv OXVpIDJ.ltirIDv nEpmOLEl. Il est curieux que Lindner a assigné à d'autres chercheurs la tâche
de comparer les passages de Pachymérès et d'Ashikpashazade relatifs à la prise de Belokome/Biledjik par les Turcs, au lieu de le faire lui-même (cf Nomads and Ottomans, p. 45, n. 105, p. 46, n. 128). Il est enfin remarquable qu'Arnakis commet une grande erreur concernant l'un des rares passages où Pachymérès parle indubitablement de collaboration entre Byzantins et Turcs ottomans. Arnakis pense que la garnison de Belokome avait fait une sortie afin d'attaquer Osman par derrière! (op.cit. p. 142-43).
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comme la raconte Ashikpashazade. Le siège avait duré des dizaines d'années. Lorsqu'Orkhan fait enfin son entrée dans la ville, les habitants le reçoivent comme s'il était le fils de leur seignéur byzantin, récemment décédé. Le lecteur moderne voit tout de suite que ce récit ne peut être vrai. En effet Ashikpashazade fait un peu plus loin mention ingénument de la surprise d'Orkhan, lorsque celui-ci ne voit presque pas d'hommes dans la ville. Quand on lui explique que les hommes sont tombés au combat, ou morts de faim, il n'hésita pas à faire cadeau d'un grand nombre de belles femmes grecques à ses soldats, en y ajoutant les maisons magnifiques de la ville. Ashikpashazade commente: Qui refuserait s'i! n'a qu'à étendre la main pour avoir femme et maison ?36 Pour notre part il nous reste quelques doutes sur "les maisons magnifiques". Ibn Battuta visitait Nicée environ un an après la conquête par les Turcs. Il n'y trouve que des ruines, tandis que la population ne consiste que dans peu de gens, au service du sultan. 37 Pour conclure: Ashikpashazade s'efforce de temps en temps d'attribuer aux premiers princes Ottomans des motifs qu'on pourrait avec quelque peine qualifier d'ordre éthique. Il souligne surtout les bonnes intentions des souverains à l'égard de leurs sujets, même chrétiens. Cependant, on peut dire avec certitude qu'il s'agit d'additions par des théologiens islamiques, qui, à une époque ultérieure, ont voulu embellir l'histoire des premiers Ottomans sans pouvoir ni vouloir distinguer ces sentiments factices des faits historiques avec lesquels ils ne cadrent pas. Cela fait déjà preuve de primitivisme, d'autant plus qu'ils auraient dû avoir en horreur les abominations qu'ils relatent, s'ils avaient été des hommes civilisés. 38 36. Ashikpashazade, trad. Kreutel, p. 68. 37. Ibn Battuta, éd. et trad. Defrémery et Sanguinetti, t. 2, p. 322-23. 38. Lindner s'est plu à comparer Ashikpashazade à Eginhard, l'un des plus grands savants de l'époque carolingienne, grand promoteur du programme scolaire de Charlemagne, connaissant tout ce qu'on pouvait connaître de son temps de la littérature des Romains, traçant des plans d'édifices en lecteur enthousiaste de Vitruve. Notre turcologue est apparemment aussi ignorant de la civilisation latine que de la civilisation grecque - comme d'ailleurs de la langue et de la civilisation françaises, à en croire Xavier de Planhol dans son compte-rendu du livre de Lindner dans Turcica (Revue des Etudes Turques) 17(1985), p. 283, n. 1.
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Nous croyons que la justesse de notre analyse est prouvée pour autant qu'il y ait des preuves en matière historique - par le contenu et par l'esprit de l'épopée d'Umur d'Aydin par Enveri, datant de la même époque. 39 Il s'agit d'un ouvrage sans la moindre trace de justification de la force la plus brutale. L'Islam ha sempre ragione. Umur était un émir turc non-ottoman dont le petit territoire fut incorporé dans l'empire ottoman vers la fin du 14e siècle. Il n'avait pas de descendants qui se seraient plu à voir de lui un tableau en grand seigneur généreux et magnanime. Si donc l'épopée d'Umur d'Aydin n'a pas la valeur de la chronique d'Ashikpashazade pour l'histoire ottomane, elle montre à nu la barbarie féroce qui est l'alpha et l'oméga des conquêtes turques, ottomanes ou autres.
39. V. supra, note 29 et notre chapitre sur Cantacuzène.
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CHAPITRE 1 Byzantins et Turcs jusqu'à la veille de la guerre civile de 1341 à 1354 Dans cette malheureuse Anatolie l'humanité est non point fruste, mais abîmée. André Gide, Journal, daté 12 mai 1914 (a prés un séjour en Turquie)
Depuis la première apparition des Turcs seldjoukides en Anatolie à la fin du onzième siècle, leur secours fut invoqué régulièrement par les aristocrates byzantins dans leurs luttes mutuelles pour le trône impérial. Il s'agissait à l'origine de troupes se composant de sujets du sultan de Konia (régnant depuis 1077/78) ou des compagnons de chefs turcs indépendants. Beaucoup de ces Turcs étaient arrivés sur la côte occidentale dans l'espace de quelques années, semant partout mort et perdition. Leurs employeurs leur donnaient en garnison des villes qu'autrement ils n'auraient jamais pu conquérir en peu de temps: Nicée, Chalcédon, Chrysopolis, Cyzikos et d'autres villes situées aux bords de la Propontide et de l'Hellespont, puis Magnésie du Méandre, Smyrne, Clazomènes et Ephèse. Les chefs furent promus à de hauts rangs et reçurent d'énormes sommes d'argent. Formellement ils avaient été nommés "gardiens" des villes; en réalité leurs troupes se comportaient en armées d'occupation, maltraitant les habitants d'une manière affreuse. 1 Il est clair que beaucoup de militaires et de hauts fonctionnaires 1. Toujours utile: J. Laurent, Byzance et les Turcs Seldjoucides dans l'Asie Occidentale jusqu'en 1081, Nancy 1913. Comparé à la gravité des conflits intérieurs, l'échec de Mantzikert était de moindre importance, v. J.C. Cheynet, Mantzikert: Un désastre militaire? dans Byzantion 50(1980), p. 410-38, avec bibliographie.
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byzantins en Anatolie orientale avaient tout simplement livré aux Turcs des villes et des forteresses dont la garde leur avait confiée par l'empereur. Les armées dans les régions orientales de l'empire se composaient d'éléments hétérogènes, tant du point de vue ethnique que du point de vue religieux. Ces transfuges, déportés récemment de leurs domiciles d'origine, se mettaient au service des Turcs et devenaient peu à peu des islamiques. Ainsi la voie était ouverte aux Turcs, envahissant l'Anatolie centrale et occidentale. 2 Là encore l'élite byzantine leur opposa peu de résistance. De nombreux aristocrates offrirent leurs services aux nouveaux maîtres et s'adaptèrent. Une partie de la classe sociale dont nous parlons à présent, s'enfuit pourtant vers l'Ouest, pour se préparer à regagner le terrain perdu. 3 En effet la débâcle totale fut enrayée par Alexis l, le premier empereur de la dynastie puissante des Comnènes, originaire de Kastamon, où elle avait dû délaisser ses propriétés. Ce furent Alexis et ses successeurs qui organisèrent la contre-offensive. En Anatolie occidentale les Turcs n'avaient pas encore pris pied, errant pour la plupart par le pays en groupes isolés. L'Anatolie centrale et orientale étaient déjà irrécupérables, la partie occidentale par contre pouvait être regagnée et c'était justement la région la plus fertile et la plus riche de l'Anatolie, très peuplée par l'élément grec. La lutte fut acharnée et terrible, marquée de part et d'autre par des atrocités inouïes. Pendant la première moitié de son règne (1081-1118) Alexis 1 dut louvoyer. Il chassa les Turcs à l'aide des croisés et d'autres Turcs; il se battit contre les croisés à l'aide des Turcs: il fit massacrer les Petchenègues par les Coumans. Cependant, il créait en attendant une nouvelle classe de militaires byzantins, les arparuiJraz qu'il payait en leur assignant les rendements des impôts perçus sur des propriétés foncières qui leur avaient été données en npovozaz (ou oiICovo/1zaz). Les arparzwraz allaient 2. Sur le système de défense des frontières, installé au lOe siècle, et ses faiblesses inhérentes, v. N. Oikonomides, L'organisation de la frontière orientale de Byzance aux 10e-lle siècles et le taktikon de l'Escorial dans Actes 14. Congr. Int. Et. Byz., Bucarest 1974, p. 285-302, réimp. dans Documents et études sur les institutions de Byzance (VIIe-XVe s.), Londres 1976. 3. Vryonis, Decline, p. 114 sqq, p. 229.
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former ainsi un genre de petite noblesse qui prospérait pendant que les successeurs d'Alexis, Jean II et Manuel l, continuaient les entreprises militaires en Asie ainsi qu'en Europe. Il est vrai qu'il y avait un grand nombre de mercenaires turcs dans les armées des Comnènes, mais les empereurs veillaient à ce qu'ils furent baptisés avant d'être admis soldats. En outre leurs compagnies étaient incorporées dans l'armée byzantine et mêlées aux soldats chrétiens d'origine. Ils se distinguaient avec le temps par leurs grandes qualités militaires. Pendant des siècles ces soldats seraient connus dans les armées byzantines sous le nom de
Tourkopouloi. 4 Rétrospectivement nous sommes d'ailleurs à même de constater que les Byzantins d'une manière ou d'une autre ne sauraient plus jamais se défaire des Turcs. Les empereurs succédant à Manuel 1 (mort en 1180) étaient des infâmes qui causèrent de nouveaux troubles internes. La réaction fut une répétition exacte de ce qui s'était passé un siècle plus tôt; beaucoup de familles aristocratiques s'insurgèrent, nombre d'entre elles cherchant de nouveau l'appui des Turcs. L'un des rebelles, Théodore Mangaphas, vaincu par les troupes impériales, se sauva chez le sultan de Konia. Celui-ci lui permit de lever des troupes parmi les tribus habitant à la frontière de l'empire. Mangaphas les employa à dévaster les territoires autour de Philadelphie et de Laodicée, et puis la Carie. A Chonai l'église de l'archange Michael fut réduite en cendres. Nicétas Choniates qualifie Mangaphas de criminel impie, ennemi déclaré de ses compatriotes (7CarpziÏJraz) qu'il livra honteusement aux "barbares". 5 Peu de temps après, un autre rebelle, se faisant passer pour Alexis, fils de Manuel l, obtint également la permission du sultan de Konia de recruter des soldats parmi les nomades turcs. Il attaqua les villes situées sur le Méandre, les rasant complètement si elles ne se rendaient pas immédiatement. 6 Pendant la période d'anarchie après la prise de Constantinople par les croisés, on voit se passer les mêmes choses. Manuel Ma4. Sur les Tourkopouloi, v. Vryonis, Decline, p. 441 sqq. . 5. Nicétas Choniates, Historia, éd. van Dieten, p. 399-401; Bonn, p. 521-24. 6. Id., éd. van Dieten, p. 420-22; Bonn, p. 549-53.
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vrozomos, un notable qui avait marié sa fille au sultan de Konia, Keykhusrev l, tâcha alors à son tour de conquérir le bassin du Méandre. Théodore Lascaris, premier empereur de Nicée, infligea pourtant une défaite aux troupes turques de Mavrozomos. 7 Evidemment beaucoup d'aristocrates byzantins ne se faisaient pas un scrupule de terroriser la population chrétienne à l'aide des Turcs. Il est à noter que dans tous les cas cités il s'agissait de turcomans ap,artenant aux tribus nomades qui pendant cette période formaient pour ainsi dire un état tampon entre l'empire et le sultanat. Ces tribus étaient nominalement les sujets du sultan, mais jouissaient en réalité d'une indépendance complète. Les sultans de leur côté les laissaient faire. Ils ne s'avisaient jamais de mettre leurs troupes régulières à la disposition des rebelles byzantins. A la fin du 12e siècle il se produisit par ailleurs un changement important en ce qui concerne l'attitude de la population byzantine à l'égard des Turcs. A mesure que le sultanat de Konia revêtait de plus en plus la forme d'un état bien organisé et stable, il devenait aux yeux de bien des gens une alternative appréciable à la tyrannie des empereurs de Constantinople. En 1199, le sultan Keykhusrev 1 fit 5000 prisonniers après une invasion dans la région du Méandre. Dans des cas pareils l'esclavage perpétuel avait toujours été le sort des prisonniers chrétiens. Mais alors, ils furent déportés à Philomelion (Ak~ehir) où le sultan les installa dans une condition des plus favorables. Il leur attribua des champs à cultiver et des plants nécessaires à cela. En outre une exemption d'impôts leur fut accordée pour un terme de cinq ans. Nicétas Choniates nous apprend que non seulement les Byzantins accueillis de cette manière ne songeaient pas à rentrer dans leur pays natal, mais que d'autres encore, informés de ce qui s'était passé, marchèrent vers Philomelion. Ecoutons Choniates:
Ainsi fut fait (... ) que le patriotisme des Rhoméens de notre temps s'éteignit chez les gens du commun en conséquence de l'anarchie générale. Les habitants de villes helléniques entières préféraient s'établir parmi les barbares, quittant de bon coeur leur patrie (narpic;). La tyrannie qui régnait partout détournait 7. Id., éd. van Dieten, p. 626; Bonn, p. 827-28.
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les sujets de leurs devoirs; complètement déchus de tout leur avoir, ayant été détroussés coup sur coup, ils ne songeaient plus à se conduire comme il se doit à régard de compatriotes. 8 Cependant, n'oublions pas que tout ce que nous avons dit des prisonniers de 1199 et de l'émigration à Philomelion a été emprunté au seul Choniates. Nous ignorons ce que ces gens-là sont devenus par la suite, les chroniqueurs seldjoukides ne s'intéressant nullement aux sujets chrétiens de leurs sultans. D'autre part, il n'y a point de doute que les historiens byzantins d'une époque ultérieure - Acropolite, Pachymérès, Grégoras - eussent pris note d'un si remarquable phénomène, comme l'était l'émigration à Philomelion, s'il s'était produit de nouveau. Nous intercalons cette remarque parce que certains turcologues n'hésitent pas à dépeindre quatre siècles de rapports byzantino-turcs sous des couleurs empruntées au bref épisode du règne de Keykhusrev 1, dont du reste nous ne savons que le peu que nous apprend Choniates. 9 Indépendamment de tout ce qui se passait dans le sultanat de Konia, la population de l'Anatolie occidentale voyait bientôt la fin de sa misère. La famille Lascaris avait su fonder un empire indépendant dont la ville de Nicée devint la capitale. Les Lascarides y régnèrent de 1204 à 1258. Ils ambitionnaient reconquérir le trône impérial de Constantinople et à cette fin ils eurent soin d' organiser une administration bien ordonnée à l'intérieur, tandis qu'ils 8. Ovrwç ÈK rijç rlÔveiç r,J.lâç PWJ.laiwv YBVBâç oûx ëJ1Cwç ÈKÂÉA-Ol1l'BV oalOç Kai WA-lyw(JTiaav ai àA-q(JBlal, àA-A-à Kai ôlà 1'0 1CA-Ti(Jvv(Jijval rr,v àvoJ.liav à1CBIJIVYTi rlÔV 1COA-A-lÔV r, àyci1CTiarç, wç rr,v 1Capà fJapfJciporç à1ColKiav 1COA-Brç oA-aç 'EA-A-Tiviôaç éA-Éa(Jal Kai rijç 1Carpiôoç àaJ.lÉvwç àA-A-ciçaa(Jar, ai yàp avxvai rvpavviôBç 1'0 rB U1C' àpXr,v rijç aWqJpovoç ôlairTiç ÈçÉKpovaav Kai raïç âp1Cayaïç oi 1CA-dovç ÈyyVJ.l VaaciJ.lBVOl oûôÉv Tl 1CPOÇ roùç OJ.lOqJVA-OVç J.lÉrplOv ÈVBVOOVV Kai ôlB1Cpcirrovro. (éd. van Die-
ten, p. 495-96; Bonn, p. 656-57) 9. Cf O. Tunin, Les souverains seldjoukides et leurs sujets nonmusulmans dans Studia Islamica 1(1953), p. 65-100, surtout p. 90 et 99-100. L'auteur admet lui-même que les déportations auxquelles furent soumis les chrétiens arméniens et syriens, n'étaient pas pour leur plaire (p. 89). En ce qui concerne les éloges occasionnels des chroniqueurs arméniens et syriens à l'adresse de certains sultans seldjoukides, relevés avec empressement par grand nombre de turcologues, entre autres Turân, voir les justes réserves de Vryonis, Decline, p. 210 sqq.
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veillaient avec la plus grande attention à la protection de leurs frontières. Ainsi ils savaient tenir à distance les croisés latins, les turcs nomades aussi bien que les troupes régulières des sultans de Konia. Pendant quelques dizaines d'années l'empire de Nicée constitua une oasis de paix dans toute l'Anatolie. 10 Cela ne veut pas dire naturellement que la vie dans l'empire de Nicée était devenue tout à coup une idylle pour tout le monde. Théodore II Lascaris était notamment un seigneur sévère et dur. Lorsque Michel Paléologue, son grand connétable {J.léyaç K"OVOGTauÀ.oç) suscita son courroUf{, cet aristocrate jugea prudent de s'enfuir en Konia (1255). Cet incident introduit un épisode de la plus grande importance de l'histoire byzantine. Michel entra au service du sultan. Quelques années plus tard il s'en retourna à Nicée après avoir obtenu la grâce de l'empereur Théodore. Son aventure, cependant, s'était passée dans des conditions augurant de grands changements dans la situation politique en Anatolie. L'assaut massif des Mongols venait de rompre l'équilibre précaire entre les empereurs byzantins et les sultans de Konia qui avait duré un demi-siècle. Acropolite nous raconte: (Après s'être enfui de Nicée, Michel Paléologue fut assailli par des)
HTurcomans" (ToVpK"OJ.UiVOl) un peuple qui se tenait en embuscade aux frontières les plus éloignées du pays des Perses. Ils avaient une haine implacable des Rhoméens, les dépouillaient avec joie et étaient en général avides de faire du butin. C'était particulièrement le cas pendant la période dont nous parlons, puisque rétat des Perses était ébranlé à ce moment par les Mongols. I l 10. V. en général M. Angold, A Byzantine Government in Exile; Government and Society under the Laskarids of Nicaea 1204-1261, Oxford 1975. La stabilité du sultanat de Konia ne dura pas longtemps. Elle fut déjà ébranlée en 1240 par la révolte de Baba Ishak, v. C. Cahen, Pre-Ottoman Turkey, Londres 1968, p. 136 sqq et Vryonis, Decline, p. 133-35. 11. ... nov TOUpKOI.uzVWV ... l(}voç ~È TOUTO Toïç axpolç Op(OlÇ TWV IIEpawv ÉqJE~pEUOV, Kai aanov~cp l.daEl KaTà PW/Ja(wv XPW/JEVOV Kai apnayaïç Taïç ÉK TOVTWV xaïpov Kai Toïç ÉK noÂÉ/Jwv aKvÂolç EVqJpalVO/JEVOV, Kaz 'l'OTE ~." /JaÂÂov, onoTE 'l'à nov IIEpawv ÉKU/Ja(VETO Kaz Taiç ÉK nov Taxapiwv ÉqJO~OlÇ auvETapaTTETo .. ,
(Acropolite, Chronique, éd. Heisenberg, p. 136)
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Il est clair que ce sont les Seldjoukides sédentaires qu'Acropolite désigne sous le nom de "Perses", tandis que les "Turcomans" sont des nomades turcs. Il s'agit dans les deux cas de Turcs. Cependant, l'auteur s'exprime comme s'ils formaient des nations différentes. En un certain sens il avait raison. Nous savons, en effet, qu'avec le temps une profonde hostilité s'était développée entre les Turcs sédentarisés et ceux restés nomades. 12 L'invasion mongole s'accompagna d'un nouvel afflux de tribus turcomanes qui fit de ces nomades une puissance formidable. Ils allaient bientôt annihiler l'empire de Nicée aussi bien que le sultanat de Konia, préparant la fortune des Turcs ottomans. Présentons la suite des aventures de Michel Paléologue à cette lumière. Il avait su échapper aux turcomans et présenta ses devoirs au prince "Perse". Celui-ci ordonna par écrit aux turcomans de mettre en liberté les compagnons de Paléologue qui avaient tous été faits prisonniers et réduits en esclavage. Le résultat fut nul. 13 Acropolite voit bien que la faiblesse du sultan était causée par l'invasion des Mongols. C'est pourquoi le prince "Perse" se servit des offres de Michel Paléologue en l'envoyant à la guerre contre le nouvel ennemi redoutable et bientôt vainqueur. Au premier assaut des Mongols (vers 1230), se produisit déjà une invasion de tribus turcomanes qui reculaient devant les Mongols de leur propre mouvement. Dès le milieu du 13e siècle les sultans de Konia étaient pratiquement les vassaux des Mongols. En 1256 Oulaghou, seigneur Mongol de l'Iran, ouvrit l'Anatolie à un grand nombre d'autres tribus turcomanes. En tout il s'agissait de centaines de milliers d'hommes, accompagnés de millions de moutons et de chèvres. Le sultanat de Konia succombait simplement sous ce fardeau. 14 Michel Paléologue avait entre-temps regagné sa position de pouvoir dans l'empire de Nicée. Il devint bientôt empereur (vers 1258/9) arrivant à l'apogée de sa carrière lorsqu'en 1261 ses troupes chassèrent les Latins de Constantinople. Sous le nom de Michel VIII il fut le premier empereur de la dynastie des Paléologues qui régna sur ce qui était le pauvre reste de l'empire byzantin, 12. Vryonis, Decline, p. 133-35, p. 258-85, surtout p. 279, 283. 13. Acropolite, Chronique, éd. Heisenberg, p. 137. 14. Lindner, Nomads and Ottomans, p. 14.
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jusqu'à sa ruine totale sous les coups des Turcs ottomans. Pendant son règne (1258-1282) Michel employa tous ses efforts à faire la guerre contre ses ennemis en Europe. Les luttes en Europe, en combinaison avec la négligence de la défense de l'empire en Orient, forment le fil conducteur des auyypaqJzKai iarop{az de Pachymérès. ls Michel ne craignait plus les sultans de Konia. En cela il avait raison. 16 Mais il sous-estimait en même temps le grand danger qui le menaçait du côté des chefs turcs qui avaient remplacé les sultans. Il n'avait évidemment pas profité de ses expériences personnelles pendant son séjour parmi ces rudes guerriers. Vers la fin du règne de Michel VIII les Turcs occupaient tout le pays à l'est du Sangarios et constituaient pour les gens des environs un mauvais voisinage. 17 Cette région - autrefois le pays d'origine des Comnènes - devint sous la famille des Djandarides (ou Isfandiyarides) l'émirat de Kastamonu qui maintint son indépendance pendant 150 ans contre les Turcs ottomans, devenus ses voisins (ainsi que des ennemis acharnés). 18 Les empereurs ne se montraient pas les seuls nonchalants en face de la poussée turque. La classe militaire en général, les arparzmraz, s'en souciait peu. Ceux qui jouissaient sur place de 15. Pachymérès, Bonn 1, p. 14-20 (éd. Failler, 27-35), p. 220 (éd. Failler, 291), p. 221-23 (éd. Failler, 291-93), p. 243-33 (éd. Failler, p. 317), p. 310-13 (éd. Failler, 403-07), p. 468 (éd. Failler, 591), p. 502-03 (éd. Failler, p. 633-35). Cf Grégoras, V, cap. 5, Bonn 1, p. 137-41; VII, cap. 1, Bonn 1, p. 214-15. 16. En effet, le sultan Izz al-Din Kaikaus II s'était, en 1261, enfui à Nicée, accompagné de toute sa famille. Après un séjour de longues années à Constantinople, il fut interné à Ainos. Lui et ses fils furent libérés enfin par des troupes Tatares. Il mourut en Crimée vers 1280. Quelques-uns de ses fils retournèrent en Anatolie où ils se disputèrent le trône de Konia dans une lutte pleine de vicissitudes, tour à tour soutenus et trahis par des chefs turcs ou par les souverains mongols. Le dernier sultan de Konia, Masud II, fils d'Izz al-Din, mourut vers 1305. Nous sommes assez bien renseignés sur ces événements par Pachymérès. Grégoras donne des résumés de ces événements empruntés entre autres à Pachymérès. Cf E.A. Zachariadou, Pachymeres on the "Amourioi" of Kastamonu dans Byzantine and Modern Greek Studies 3(1977), p. 57-70, réimpr. dans Romania and the Turks, Londres 1984. 17. Pachymérès, Bonn 1, p. 223 (éd. Failler, p. 293). 18. V. Cahen, Pre-Ottoman Turkey, p. 311-12; Encyclopédie de l'[slam l , s.v. Isfendiyar oghlu (Mordtmann).
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petites ou de grandes npovolal, qualitate qua responsables de la défense du territoire, laissèrent aller les choses. Ceci frappait d'étonnement Jean Tarchaneiotes, le commandant en chef, qui en 1298 fut envoyé en Bithynie afin de rétablir l'orde. 19 Il croyait que les grandes différences entre les arparzwral étaient pour beaucoup dans leur refus de faire front à l'ennemi: les arparzwral riches avaient su agrandir leurs propriétés au cours du temps et se soustrayaient maintenant au service militaire en corrompant les fonctionnaires chargés de la surveillance de l'organisation militaire; les arparzwral dont les propriétés rapportaient peu, refusaient simplement d'aller au combat pour tirer les marrons du feu. Tarchaneiotes pensait remédier à tous ces abus par des réformes radicales dans le système de la npovola. Les riches s'y opposèrent violemment de sorte qu'il se vit forcé de quitter le pays, au péril de sa vie. 20 Par la suite, ces arparzwral anatoliens perdaient en effet leurs possessions et s'enfuyaient en Europe, où beaucoup d'entre eux entraient, tout appauvris, au service d'aristocrates puissants en rébellion contre le gouvernement impérial. 21 Si dans ces conditions, les Turcs mirent pourtant un demi-siècle à conquérir toute l'Anatolie occidentale, c'est que de temps à temps des armées impériales, conduites par des commandants capables, furent envoyées d'Europe pour rétablir la situation. Cependant, dès qu'elles avaient accompli leur mission et s'en étaient retournées, les Turcs attaquaient de nouveau les régions abandonnées. 22 De cette façon la dévastation de la campagne et les occupations de villes continuaient pendant ce temps sans interruption, toujours accompagnées d'atrocités parmi les plus abominables de
19. F. Tinnefeld a montré que la campagne menée par Tarchaneiotes portait sur la Bithynie (Pachymeres und Phi/es ais Zeugen für ein frühes Unternehmen gegen die Osmanen dans BZ 64(1971), p. 46-54). Lindner fait mention de l'article de Tinnefeld dans sa bibliographie, mais dit toutefois que Tarchaneiotes "went south" (Nomads and Ottomans, p. 18, p. 44, n. 80). 20. Pachymérès, Bonn II, p. 257-60. 21. Pachymérès, Bonn II, p. 389, 407-08; Ch. II, p. 56. 22. Pachymérès loue surtout les efforts du despote Jean, frère de Michel VIII (Bonn l, p. 215-221 (éd. Failler, p. 285-291), p. 243-44 (éd. Failler, p. 317».
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l'histoire. 23 Vers la fin de son règne Michel VIII reconnut le danger et fit encore une expédition sur le Sangarios. 24 C'était trop tard. Au cours de la première décennie du règne de son successeur Andronic II (1282-1328) les Turcs conquéraient la Carie. 25 Andronic lui-même aggravait la situation en éliminant pour des raisons personnelles quelques proches parents dont il se méfiait, mais qui formaient justement une exception parmi les aristocrates de la Bithynie, en ce sens qu'ils avaient défendu avec énergie leurs grandes propriétés foncières. 26 Ce fut ce même empereur d'autre 23. P.e. la prise de Tralles (Pachymérès, Bonn l, p.473 (éd. Failler, p. 596) cf. Grégoras, V, cap. 5, Bonn l, p. 142); et d'Ephèse (Pachymérès, Bonn II, p. 489). Sur la dévastation de la campagne v. Pachymérès, Bonn l, p. 310-13 (éd. Failler, p. 403-07), Bonn II, p. 210, 311, 314-19, 421, 442, 437-38,597,637. Sur le massacre des habitants de Chio en 1306 v. Pachymérès, Bonn II, p. 510. Voir en général Vryonis, Decline, p. 244-58. Wittek, Men tesche , p. 26-27 et Vryonis, Decline, p. 251, croient tous les deux que les habitants de Tralles étaient prêts à rendre leur ville pour avoir la vie sauve sous certaines conditions, tandis que les Turcs auraient exigé une capitulation inconditionnelle. Pachymérès écrit que ce furent les Turcs au contraire qui promirent d'épargner les habitants si la ville leur était rendue, ce que les assiégés refusèrent catégoriquement. On peut supposer qu'ils se méfiaient des Turcs - avec juste raison quand on pense au sort de ceux qui, pressés par la faim et la soif, s'évadèrent de la ville pour passer à l'ennemi: suppliant de leurs lèvres desséchées afin d'obtenir par là miséricorde, ils se faisaient frapper et tombaient sans recevoir les derniers soins et sans être honorés d'une sépulture: "OOEV Kai 7rpOaExdJpovv ÉKOVTEÇ Tofç 7roÀEj.liolÇ, àVEKTOTEpOV ryyOUj.lEVOl OavaTov Tp07rOV a7raVTa TOV 8là Àlj.lOV TE Kai 8ilJl17Ç, Kai, KayKavolç 7rpoaÀl7rapOVVTEÇ Tofç XElÀEalV, cbç ÈVTEVOEV ÈÀÉOvç TUXOlEV, ÈKEVTOVVTO Kai É7rl7rTOV àK178Efç, j.l178t TalpfjÇ àÇZOUj.lEVOZ.
Plus tard les habitants des villes bithyniennes garderaient la même attitude vis-à-vis des Ottomans. Sans exception, les témoins de cette époque sont frappés par les tueries énormes et les grandes déportations qui accompagnaient les conquêtes turques. Au milieu du 14e siècle encore, Matthieu d'Ephèse s'étonne des "milliers d'esclaves" qu'il voit aux marchés d'esclaves en Aydin (v. notre chapitre sur lui, p. 243). Sur la traite d'esclaves v. E.A. Zachariadou, Trade and Crusade; Venetian Crete and the Emirates of Menteshe and Aydin (1300-1415), Venise 1983, p. 160-63. 24. Pachymérès, Bonn I, p. 502-05 (éd. Failler, p. 633-37). 25. Cf P. Wittek, Das Fürstentum Men tesche , Istanbul 1934, repr. Amsterdam 1967. 26. Pachymérès, Bonn II, p. 153-65; cf Grégoras, VI, cap. 6, Bonn l, p. 186-92.
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part qui organisa la dernière contre-offensive plus ou moins sérieuse contre les Turcs en Anatolie (1302). Osman à cette occasion fait son entrée dans l'histoire. Il avait déjà poussé jusqu'au territoire de Nicée. Il commandait maintenant une grande armée, composée de ses propres guerriers et d'alliés turcs de la région du Méandre et de Kastamonu (qui haïssaient les Byzantins encore plus que les Ottomans). A Bapheus (près de Nicomédie) les Byzantins essuyèrent une défaite sanglante. C'en était fait de la Bithynie. 27 La même année 1302 entraîna une autre catastrophe. Michel IX, fils d' Andronic II et co-empereur, devait réconquérir la vallée de l'Hermos. A son arrivée il se trouva en face d'une armée turque d'une supériorité numérique écrasante. Momentanément il se mit en sûreté dans la ville de Magnésie de l'Hermos. Entre-temps les Turcs avaient commencé à dépeupler la région environnante. Beaucoup d'habitants se sauvèrent dans les îles face à la côte, d'autres se rendant de là sur le continent européen. Michel se résolut finalement à un acte de désespoir. Abandonnant Magnésie, il s'enfuit vers le nord avec son armée, accompagné de la majorité des Magnésiens - hommes, femmes et enfants - qui craignaient avant tout de tomber entre les mains des Turcs. Pendant l'exode nocturne un grand nombre périt du froid excessif, d'autres furent rattrapés par les Turcs et tués. Les survivants ne s'arrêtèrent que de l'autre côté de l'Hellespont. Michel savait gagner Constantinople. Tout le territoire qu'il aurait dû défendre, fut immédiatement occupé par les Turcs. 28 C'en était fait de toute l'Anatolie:
Entre les ennemis et nous autres il n'y avait plus que ce détroit. Comme des enragés ils (les Turcs) se ruèrent sur le pays, démolissant les plus belles églises et les monastères et même des citadelles, mettant en cendres des choses de toute beauté, se rassasiant de massacres et de déportations des plus terribles et absolument inouïs. 29 27. Pachymérès, Bonn II, p. 327, 332-35. 28. Pachymérès, Bonn II, p. 316-18. 29. ibid., p. 388: ... Kai rlV p,Éaov tX()Prov Kai r,p,rov 0 7rOp()p,oç ovroç DlÉXroV Kai p,ovoç, àVÉDl1V t7r~p,f3alvovrrov Kai xdJpaç l1miaaç Kai vaoùç Kai p,ovàç KaÀ.Àlaraç Kai 'l"lva rrov ({Jpovp{rov KaKroç 7rOlOV vrro v, Kai
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La foule des réfugiés qui depuis longtemps tâchait de se mettre en sûreté à Constantinople, croissait maintenant jusqu'à prendre la forme d'une calamité. Leur situation était peu enviable. Il est vrai qu'ils avaient la vie sauve. Cependant, leurs compatriotes chrétiens les abandonnaient à leur sort. Les aristocrates et les notables ne se souciaient aucunement d'eux (le patriarche s'en indigne dans ses lettres. 30) Pachymérès, ainsi que le patriarche, parle des réfugiés avec grande compassion. 31 Ramon Muntaner raconte que même les mercenaires catalans, à ce moment entrés au service de l'empereur, hommes d'une rudesse extrême, se seraient étonnés de l'insensibilité des habitants de Constantinople, mais nous croyons que c'est "too good to be true". 32
*** Au début du 14e siècle les tribus turcomanes occupaient donc en permanence presque toute la zone côtière de l'Anatolie. Ils renonçaient, pour la plupart, au nomadisme et devenaient cultivateurs ce qui leur rapportait plus, en les assurant à la fois d'une vie plus confortable. Les chefs devenaient des émirs, leurs terri:. toires des principautés. Dès lors ils se firent la guerre afin d'étendre leur puissance et d'augmenter leur prospérité. Dans les divers émirats le clergé islamique allait jouer un rôle de plus en plus im1l'VP1l'0ÀOVV'l'CüV 'l'à KaÀÀlG'l'a,
Ka(J17J..lêplVoiç 'l'ê qJOVOlÇ 'l'PV(fJeOV'l'CüV Kai
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(cf
p. 410-12)
Comparez à cela la joie barbare avec laquelle Enveri glorifie non seulement les tueries et les déportations, mais aussi la destruction d'oeuvres d'art byzantines. Citons en exemple: (Après avoir ravagé les îles d'Andros, de Siphnos, de Sikinos et de Naxos, les hommes d'Umur pacha attaquent Paros) Des jardins entouraient la forteresse de toutes parts, il y avait un bassin en pierre de porphyre dont la valeur était, disait-on, de mille aqse, ils le mirent en pièce, il ne trouva pas le salut. (Le Destan d'Umur pacha, trad. Mélikoff-Sayar, p. 86; sur la valeur de l'aqse (en grec: aspron, pièce de monnaie en argent) v. Zachariadou, op.cit. supra note 23, p. 140-41). 30. Athanase, éd. Maffry Talbot, passim. 31. Pachymérès, Bonn II, p. 335, 412. 32. Muntaner, trad. Buchon, Paris 1841, p. 420.
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porant. Dès le début, des mosquées furent construites. 33 Vers 1330 les ulémas marquaient déjà la vie publique de leur empreinte."34 Quant à la lutte contre les Byzantins, il ne restait que la prise d'un certain nombre de places fortes isolées. Pour la plupart des émirs la tâche n'était pas ardue. Il n'y avait qu'Osman qui se heurtait à des difficultés sensibles. Il trouvait devant lui une large zone de villes et de forteresses tout autour de la Propontide et de l'Hellespont, qui servaient à défendre Constantinople. Outre cela, Osman devait se garder de ses voisins turcs. Si donc il ne faisait de progrès que lentement, il s'approchait toutefois toujours de Constantinople. Andronic II ne savait plus que faire. Tous les moyens militaires étaient épuisés. Les mercenaires catalans s'étaient tournés contre l'empire. En désespoir de cause Andronic II tenta la voie de la diplomatie. Il chercha à séduire des chefs turcs par des conditions de paix qui leur donneraient personnellement de grands avantages. Malheureusement le nombre de chefs turcs était à cette époque toujours très élevé. Même s'il se trouvait un chef prêt à céder aux offres de l'empereur, ses compagnons l'abandonnaient tout de suite pour joindre un autre chef qui - comme eux - préférait le pillage et la conquête à une paix moins profitable. 3s Dans ces conditions, au bout de quelque temps, aucun chef turc, même s'il l'avait voulu, ne put se permettre de marchander avec l'empereur. 36 Trente ans plus tard la situation changeait considérablement. Il ne restait en Anatolie que quelques grandes puissances turques se prêtant à la diplomatie de grand style. Les chefs 33. Il Y a peu de données exactes sur le sujet. La ville de Birgi (Pyrgion) fut prise en 1307 par Mehmed Beg, fils d'Aydin; elle possédait dès 1312 une mosquée (Le Destan d'Umur pacha, p. 39, note 1). 34. La relation de voyage d'Ibn Battuta le montre clairement. 35. Pachymérès, Bonn II, p. 345-47, 389-90. 36. Pachymérès donne en exemple Suleyman pacha. Après la bataille de Bapheus Andronic avait nommé un rénégat mongol, chrétien converti (Kodjabakhshi) comme gouverneur de Nicomédie en vue d'une coexistence paisible. II maria la fille dei celui-ci à Suleyman pacha, un chef turc du voisinage. Le plan échoua complètement. D'autres Turcs s'emparèrent des régions que Suleyman pacha aurait pu facilement occuper, de sorte qu'un grand nombre de ses compagnons, déçus par son inactivité, l'abandonnaient. Apparemment, cette expérience servit de leçon à Suleyman pacha. Il reprit ses forces et conquit avec le temps tout le territoire de Kastamonu.
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avaient été remplacés par de vrais souverains, régnant sur des sujets complètement soumis. Andronic II ne vécut pas jusque là. Après les faibles efforts du début, son règne se déroula jusqu'à sa mort en 1328 sous le signe d'une inertie totale, tant èn Asie qu'en Europe. Toute l'Anatolie était donc devenue turque. Il y eut pourtant quelques exceptions jusqu'au milieu du 14e siècle. 37 L'infanterie était l'arme la plus effective des Turcs. D'autre part l'art d'assiéger des villes était chez eux mal développé. Le plus souvent ils réduisaient les villes par la famine, ce qui leur prenait beaucoup de temps. Une fois à leur aise dans un grand pays où ils étaient les maîtres, ils ne s'empressaient plus d'occuper les villes byzantines dont la possession ne leur était pas absolument nécessaire. 38 Cela signifiait un sursis pour un certain nombre d'entre elles; particulièrement des villes favorisées par une situation géographique les rendant difficilement abordables (au bord de la mer ou d'un lac par exemple). Toutefois, leur tour arrivait inévitablement. Parmi ces villes il y en a dont nous savons pas précisément à quelle date elles furent prises par les Turcs. C'est que les historiens succédant à Pachymérès - Grégoras, Cantacuzène - ne s'intéressaient plus à ce qui se passait en Anatoli~. Grégoras fait encore mention de la prise de Brousse (Bursa) en 1326, de Nicée (Iznik) en 1331 et Nicomédie (Izmit) en 1338;39 une chronique brève nous renseigne sur la chute de Lopadion (Ulubad) en 1327. 40 La prise de Lampsa37. Héraclée du Pont et Philadelphie furent les dernières à tomber (resp. 1360 et 1394). 38. Cf Grégoras, IX, cap. 13, Bonn l, p. 458: 'Ac5t:mç ôt iiôT/ ràç oiKqaEzç Èv roiç 1Capaliozç rfjç Bz8vviaç oi {3ap{3apol 1CozqaavrEç {3apvuirovç È1Cé817Kav qJ6povç roiç Èva1ColElqJ8Eiaz (3paxéaz 1CollXviozç, ôz' oüç réc:oç OÙK auravôpa 1CPOÇ OlE8pov iilaaav 1CavrElfj, ,ulla pq.ôic:oç ÔVVaJ.lEVOl Ka; Èv f3paxvrarqJ Xp6vqJ rouro rElEiv. Grégoras veut dire que
les Turcs commencèrent à prendre leurs aises en faisant payer des tributs par le petit nombre de villes ne valant plus la peine d'un effort militaire. Cf les interprétations inexactes de D. Angelov, Certains Aspects, p. 23-32 et de Vryonis, Decline, p. 301. 39. Grégoras, Bonn l, p. 384,458,545. Sur la date de la prise de Nicomédie v. van Dieten, trad. II, 2, Anm. 493, p. 385-86. 40. P. Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, t. 2, p. 78. Cf V. Laurent, La chronique anonyme cod. Mosquensis gr. 426 et la pénétration turque en Bithynie au début du XIVe s. dans REB 7(1949), p. 207-12.
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kos (Lapseki), comme celle de quelques autres villes au bord de l'Hellespont, a dû avoir lieu après 1307, sinon Pachymérès en eût sans doute parlé. 41 En effet, l'année 1307 est mémorable dans l'historiographie byzantine. C'est l'année où finit l' Histoire de Pachymérès. "Either death or disgust prevented him from resuming the pen" dit Gibbon 42 qui par ces mots exprime magistralement comment la fin d'une ère se manifeste par le silence de Pachymérès. Gibbon a bien compris les chagrins de cet honnête homme, dégoûté par la méchanceté, la lâcheté et l'ineptie des classes dirigeantes de la société byzantine d'un côté et par la monstruosité des Turcs de l'autre. En même temps il devait entrevoir la naissance d'un empire turc sur le sol byzantin, perspective décourageante pour ce savant qui préférait malgré tout la tradition chrétienne et grecque de Byzance à ce qu'il considérait comme un désert sous l'aspect spirituel. 43
***
41. En 1354, Lampsakos fut la première destination de Grégoire Palamas, lors de sa capture par les Turcs. Un certain nombre de villes sur la Propontide, telles que Pegai et Cyzique, appartenait sans doute toujours aux Byzantins vers 1330 (Cant. II, cap. 5, Bonn 1, p. 339-40). Il est fort possible que la même chose vaut pour Lampsakos. 42. The Decline and Fall of the Roman Empire, éd. J.B. Bury, t. VI, Londres 1898, p. 489, n. 3. 43. Pachymérès se sert à plusieurs reprises d'expressions telles que désert de Scythes ou désolation quand il décrit des régions ravagées par les Turcs. On ne peut pas douter que les conquêtes turques ont été meurtrières et destructives. D'autre part nous savons que plusieurs villes échappèrent à la dévastation (par exemple Magnésie de l'Hermos, v. Ibn Battuta, éd. Defrémery et Sanguinetti, t. 2, p. 312); il va sans dire encore que la population byzantine ne fut pas entièrement exterminée. L'agriculture notamment a dû se remettre assez vite. Lorsqu'en 1295/6 Alexios Philanthropenos remporta une victoire dans la région du Méandre, il put envoyer à Constantinople de larges cargaisons de grains qu'il avait capturées (Maxime Planude, ep. 117, éd. Treu, p. 163). En 1343, pendant la fermeture des ports de la Mer Noire par les Tatars, le gouvernement impérial importa du blé d'Anatolie occidentale (Grégoras, XIII, cap. 12, Bonn II, p. 686-87).
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L'ancienne Anatolie byzantine occidentale, devenue turque, était vers 1330 répartie en émirats, en direction sud-ouest au nordest: Menteche (en Carie), Aydin (en Lydie, entre le Méandre et l'Hermos), Saruhan (en Lydie, dans la région de l'Hermos), Qaresi (Mysie et Phrygie), le pays d'Osman (Bithynie) et enfin Kastamonu (Bithynie orientale et Paphlagonie). A l'intérieur se trouvait l'émirat de Germian (autour de l'ancien Kotyaion). Cet émirat était très puissant et par conséquent haï et redoutable aux yeux de tous les autres émirs. La situation était compliquée par l'habitude chez les émirs de partager leurs territoires entre leur fils. Ceux-ci avaient chacun leur résidence et étaient plus ou moins indépendants de leur père. Ordinairement le fils aîné succédait à son père avec le titre d'Vlu Beg. Il était inévitable que cette situation donnât lieu à des rivalités continuelles aboutissant régulièrement à des conflits à main armée. En outre les zones frontières des émirats n'étaient pas marquées avec précision. Justement dans ces zones frontières le banditisme pullulait. 44
44. V. en général les descriptions d'Ibn Battuta (éd. et trad. de Defrémery et Sanguinetti ou la traduction de H. Gibb) et d'AI-Umari (trad. de M. Quatremer dans Notices et Extraits des Manuscrits de la Bibliothèque du Roi t. 13 (1838), p. 334-378; cf Cahen, Pre-Ottoman Turkey, p. 303-14). Il faut bien distinguer la relation de voyage d'Ibn Battuta, témoin oculaire de tout ce qu'il décrit, des relations de l'Egyptien AI-Umari, qui parle par ouï-dire. La description de l'Anatolie par AI-Umari repose sur les communications de deux hommes: un homme saint islamique, le cheïkh Haïder-Sirhisari-Roumi Orian, originaire de Sir-Hisar (près de Smyrne) et le Génois Dominichino Doria, appelé plus tard Belban, qui avait passé beaucoup d'années en Germian. C'est surtout le cheïkh qui vante la prospérité agraire de l'Anatolie, mais il se peut qu'il entre un certain "patriotisme" dans son enthousiasme. Quoi qu'il en soit, parce qu'il nous est impossible de comparer avec exactitude le niveau de la vie économique après la conquête turque avec celui de la période nicéenne, la prudence s'impose (v. par contre E.A. Zachariadou, Trade and Crusade, p. 125-31 et Notes sur la population de l'Asie Mineure turque au XIVe siècle dans Byzantinische Forschungen 12(1987), p. 223-31). Cependant, on peut dire qu'un essor remarquable de l'activité économique immédiatement après les ravages de la conquête aurilit tenu du prodige. N'oublions pas que les Turcs poursuivaient sans répit leurs exploits militaires. On a de la peine à croire que le travail de la population opprimée serait devenu tout à coup plus productif. L'histoire de l'économie de l'empire ottoman pendant les siècles suivants n'est pas pour nous porter à l'optimisme.
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Nous savons qu'il y avait toujours dans les émirats de nombreux "Grecs" (on ne peut plus parler de Byzantins.)4S Ils habitaient des ghettos, vêtus de manière à les distinguer des musulmans (comme c'était le cas des juifs). Nous parlons maintenant de Grecs soi-disant "libres" dont le sort n'était pas moins misérable que celui des Grecs faits esclaves, nous l'avons déjà dit à un autre endroit. Les relations de voyage de visiteurs arabes, qui constituent la source la plus importante pour la connaissance de l'Anatolie turque pendant les premières décennies après la conquête, parlent presque toujours de Grecs esclaves au sens propre du mot si tant est qu'ils font mention de Grecs. Ils trouvent partout des marchés aux esclaves; ils en achètent eux-mêmes ou on leur en fait même présent. Pour les Arabes il n'y a pas de doute que les guerres des Turcs contre les empereurs de Constantinople font partie de la grande et continuelle "Guerre Sainte" des fidèles contre les chrétiens. A leurs yeux les émirs turcs rivalisent dans cette lutte sainte, mais il ne leur échappe pas non plus que ces princes pieux en même temps se battent entre eux. Cependant, on comprend que les voyageurs arabes se laissent entraîner par leur enthousiasme. L'Anatolie turque leur semblait un pays parfaitement islamique et c'était vrai. Ils n'étaient pas des historiens modernes qui, à l'aide des moyens à leur disposition, sont à même de comprendre de nombreux siècles plus tard que les motifs ayant poussé les Turcs à la conquête de l'Anatolie n'avaient pas été d'abord d'ordre religieux. Toutes les sources arabes louent expressément Orkhan, fils d'Osman, et Umur, petit-fils d'Aydin, comme des guerrier~ islamiques exemplaires. En guise d'illustration voici le portrait d'Orkhan par Ibn Battuta:
Ce sultan est le plus puissant des rois turcomans, le plus riche en trésors, en villes et en soldats. Il possède près de cent châteaux forts, dont il ne cesse presque jamais de faire le tour. Il passe plusieurs jours dans chacun d'eux, afin de les réparer et d'inspecter leur situation. On dit qu'i! ne séjourna jamais un mois entier dans une ville. Il combat les infidèles et les assiège. C'est son père qui a conquis sur les Grecs la ville de Boursa, 45. Ibn Battuta, éd. Defrémery et Sanguinetti, t. 2, p. 225.
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et le tombeau de celui-ci se voit dans la mosquée de cette ville, qui était auparavant une église des chrétiens. On raconte que ce prince assiégea la ville de YeznÎc pendant environ vingt ans, et qu'il mourut avant de la prendre. Son fils, que nous venons de mentionner, en fit le siège durant douze ans, et s'en rendit maître. Ce fut là que je le vis, et il m 'envoya beaucoup de pièces d'argent. 46 Et voici le portrait d'Umur du même auteur: Nous nous dirigeâmes ensuite vers YazmÎr, grande ville située sur le rivage de la mer, mais dont la portion la plus considérable est en ruines. Elle possède un château contigu à sa partie supérieure (... ) L'émir de cette ville est Umur Beg, fils du sultan Mohammed, fils d'Aydin, dont il a été question tout à rheure, et il habite dans la citadelle (... ) Ledit émir était généreux et pieux, il combattait souvent contre les infidèles. Il avait des vaisseaux de guerre, avec lesquels il faisait des incursions dans les environs de Constantinople la Grande; il prenait des esclaves, du butin et dissipait tout cela par sa générosité et sa libéralité; puis il retournait à la guerre sainte, si bien que ses attaques devinrent très pénibles pour les Grecs, qui eurent recours au pape (... ) L'émir Umur descendit du château à leur rencontre, les combattit, et succomba martyr de la foi, avec un grand nombre de ses guerriers ... 47 Il va sans dire que dans les conditions que nous venons de décrire, les Turcs n'éprouvaient nul besoin de respecter la religion des Grecs. Les patriarches de Constantinople parvenaient parfois à envoyer des lettres à leurs co-religionnaires en Anatolie, restés sans guides spirituels. Ces lettres exhortaient les croyants à persévérer dans la foi, les assurant qu'en ce cas il pouvaient s'attendre au salut éternel, même s'ils n'avaient pas le courage des martyrs. On peut être sûr que beaucoup de Grecs passaient à l'Islam afin
46. ibid., p. 321-22. 47. ibid., p. 309-12.
44
d'échapper pour toujours à la misère. 48 D'autre part, il s'établissait en effet un crypto-christianisme en territoire turc. 49
*** Toutes ces choses étaient connues à Constantinople où le petitfils d'Andronic II, nommé lui aussi Andronic, avait destitué son grand-père de son pouvoir pour lui succéder officiellement en 1328. En effet, le jeune Andronic III avait profité de la complète apathie du gouvernement de son grand-père devant les progrès des Turcs en Bithynie pour justifier sa rébellion. 50 Andronic III, assisté par le plus important de ses conseillers, Jean Cantacuzène, inaugurait une nouvelle politique à l'égard des Turcs. Les émirats furent reconnus tacitement. Des traités furent conclus quand on s'en promettait des avantages. Dès 1329 des tributs furent payés
48. Il n'y a que la lettre de Jean XIV Kalékas aux Nicéens datant de 1339 qui est parvenue à nous. Le patriarche y dit entre autres: ... Kai lroÂÂOÙÇ ov'l'Ol (sc. les Turcs) nov r,J.J.E'l'Épwv X€lpWaOp,€VOl Kai Ka'l'atSovÂc.Oaav'l'€ç nap€j3uiaav'l'o Kai napÉavpav, qJ€U cOa'l'€ Kai 'l'à 'l'fjç Éav'l'wv KaKzaç Kai à8€o'l'Tl'l'oç ÉÂÉa8al ... (MM, 1, p. 183-84). Nous nous rangeons à l'avis de
Darrouzès qui remarque que la lettre est "rédigée de manière impersonnelle comme si elle s'adressait à tous les chrétiens d'Asie Mineure qui se trouvent dans la même situation, et depuis bien plus longtemps, que ceux de Nicée" (Reg. nr. 2185, p. 142-43). Vryonis, Decline, p. 341-42, croit que la lettre de Kalékas se réfère à des conversions à l'Islam sous des menaces directes. C'est forcer le sens de la lettre, nous semble-t-il. Arnakis, par contre, pense que la manière dont Kalékas parle des conversions en question prouve que celles-ci ont été entièrement volontaires! (op.cit. p. 90) Il y avait donc de nouveau des chrétiens à Nicée. Il faut supposer que la ville avait été repeuplée par des déportés. Ces déplacements n'étaient pas rares sous le régime turc. Sur la décadence de l'Eglise Orthodoxe pendant cette période v. A. Waechter, Der VerJall des Griechentums in Kleinasien im XIV. Jht, Leipzig 1903; Vryonis, Decline, p. 288-350. 49. V. la seconde lettre de Jean XIV Kalékas aux Nicéens. Le patriarche s'y montre content de la constance des croyants dont le KplT'7jÇ l'informe (MM, 1, p. 197; Darrouzès, Reg. nr. 2198; cf Vryonis, Decline, p. 342-43 avec bibliographie). 50. Canto 1, cap. 45, Bonn 1, p. 219-21; Grégoras, IX, cap. 2, Bonn 1, p. 398-99.
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à Saruhan et à Aydin, qui servaient à racheter les raids sur les côtes du continent européen et sur les îles byzantines devant les côtes de l'Anatolie occidentale. Plus tard les émirats susdits fournissaient même de temps en temps des mercenaires à Andronic III. La complaisance des émirs fut indubitablement causée par la grave défaite que leur avait infligée la Sancta Unio occidentale de 1334. 51 Cette défaite avait porté un coup grave à la piraterie, leur industrie principale. A la fin l'empereur obtint même le droit d'envoyer du clergé orthodoxe aux émirats. Cependant, très peu de prêtres osèrent se prévaloir de l'occasion. L'un d'eux, Matthieu, métropolite d'Ephèse, a laissé une relation de son séjour parmi les Turcs qui prouve combien était justifiée la peur de ceux qui restaient chez eux. 52 De toute autre nature furent les rapports entre Andronic III et Orkhan. La puissance d'Orkhan constituait une menace directe pour la ville de Constantinople même, de sorte que l'empereur ne voulait pas de compromis à l'égard de ce potentat. Il envisagea même une offensive. Il allait payer cher cette témérité. Après s'être assuré de la neutralité de Timur Khan, dont le territoire confinait à l'état d'Orkhan à l'ouest, il se croyait protégé de ce côté. Yakshi, le père de Timur Khan et émir de Qaresi, ne se souciait pas des alliances de son fils. Il continuait à harceler les côtes de la Thrace. On aurait cru que les gouvernants de l'empire avaient eu le temps d'apprendre quelque chose sur les rapports entre père et fils dans les émirats turcs. Pour comble de malheur, Andronic III se fia aux conseils d'un certain Godefroy, gouverneur de Mésothynie,53 qui se piquait de grandes connaissances de la manière de vivre des Turcs. Il était sûr qu'il fallait attaquer Or khan tout de suite, avant que son peuple se fût retiré vers les montagnes fuyant la chaleur de l'été. Une fois concentrés dans ces régions ils seraient en effet invincibles. Ainsi Andronic fut induit à une offensive précipitée et mal préparée. Son incapacité en 51. V.P. LemerIe, L'émirat d'Aydin, Byzance et l'Occident, Paris 1957 p. 95-100; A.S. Atiya, The Crusade in the later Middle Ages, Londres 1938; Zachariadou, Trade and Crusade, p.21-40; G. Vismara, Le relazioni dell'lmpero con gli emirati selgiuchidi nel corso dei secolo decimoquarto dans Byzantinische Forschungen (Festschrift F. Dôlger), p. 21O-2I. 52. V. notre chapitre sur Matthieu d'Ephèse. 53. Canto II, cap. 6, Bonn l, p. 341 sqq.
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matière militaire fit le reste. Il s'était imaginé battre Orkhan avec une armée composée en plus grande partie de paysans et d'artisans racolés. Le résultat fut une débâcle (Pelekanon, 1329).54 Ce fut la dernière offensive des Byzantins contre les Turcs. La riposte d'Orkhan ne se fit pas attendre. Ce fut lui qui prit Nicée en 1331. Après cela Andronic consentit à lui payer des tributs annuels pour la sauvegarde des dernières villes byzantines qui restaient en Bithynie. 55 Cet accord n'empêcha pas la poursuite des conquêtes d'Orkhan comme si de rien n'était. En 1337 il fit une sortie vers Constantinople qui causa une panique dans la capitale. Il semble qu'Orkhan ne croyait pas sérieusement à la possibilité de prendre Constantinople. Il ne visait - paraît-il - qu'à l'occupation de deux citadelles à proximité de la ville pour lui servir de point de départ en vue de l'assaut final. Quoi qu'il en soit, ses projets alarmaient les autorités byzantines. Avant que l'armée, conduite par Cantacuzène, n'ait réussi à repousser Orkhan, celui-ci ravagea le plat pays environnant. 56 En 1338 il prit Nicomédie. 57 Il s'ensuivit pis que cela. Après la mort de Yakshi, émir de Qaresi (vers 1342/3) les Turcs de cet émirat abandonnaient leur nouveau seigneur Timur Khan et passaient à Orkhan. 58 Celui-ci annexa peu 54. Canto II, cap. 6-8, Bonn l, p. 341-63; Grégoras, IX, cap. 9, Bonn l, p. 433-36; cf le commentaire de J.-L. van Dieten, trad., II, 2, Anm. 271, p. 306-07. 55. Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, t. l, p. 80, t. 2, p. 243-44; cf V. Laurent, art.cit. supra, note 40. Grégoras et Cantacuzène confirment le paiement d'un tribut à Orkhan d'une manière indirecte (Cant. II, cap. 24, Bonn l, p. 446-48; Grégoras, IX, cap. 13, Bonn l, p. 458, v. supra note 38). 56. Grégoras, XI, cap. 4, Bonn l, p. 539-42. Cantacuzène se tient coi sur' les intentions d'Orkhan. Il se trahit pourtant par une remarque sournoise prouvant qu'il était pleinement conscient des dangers qui menaçaient Byzance du côté de cet émir: ... dval ôt ourli) 7rap~aK~vaaIlÉvovç (sc. les soldats d'Orkhan) (ÎJç oû raXÉli)ç È7raVJj~ovraç oûôt À.a(}paiav r7)v ap7ray7)v 7rOll1aollÉvovÇ, aÀ.À. 'à vaiôl1 v Kaz Il~rà lroÀ.À.OÙ roù 7r~pl6vroç a7ravra À.l1ïaoIlÉvovÇ. (II, cap. 34, Bonn l, p. 505 sqq). Le passage de Grégoras eJiplique l'inquiétude de Cantacuzène. 57. Pour la date v. supra note 39. 58. Nous rapprochons les dires d'Ashikpashazade (trad. Kreutel, p. 70-72) et ceux de Cantacuzène. Cantacuzène fait mention plusieurs fois de Yakhshi, toujours à propos de pillages sur la côte de la Thrace, les derniers
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après Qaresi. Les Byzantins le considéraient désormais comme le plus redoutable de tous les "satrapes Perses". 59 Les alliances avec Saruhan et Aydin devenaient également plus dangereuses de jour en jour. Il est vrai qu'ils assistaient Andronic III dans des guerres contre les Génois et qu'à la fin ils se battaient même pour lui contre les Albanais. Avec le temps il fut pourtant de plus en plus clair qu'ils se battaient plutôt pour eux-mêmes que pour l'empereur. Plus sages qu'Andronic III ils n'attaquaient ni Orkhan, ni Yakshi. Ils ne se laissaient plus brider par les Byzantins. Pendant la guerre contre les Albanais ils se battirent de nouveau en unités militaires sous le commandement de leurs propres émirs. Il n'était plus question de les mêler aux soldats chrétiens; sans parler d'un baptême par contrainte avant l'incorporation dans les armées byzantines. C'étaient des choses d'un passé révolu lointain. Bref, les Turcs luttaient maintenant aux côtés des Byzantins, comme ils avaient lutté contre eux au temps de la conquête de l'Anatolie. Ils démolissaient de nouveau des églises chrétiennes et des monastères, tuaient tous ceux qui s'opposaient à eux, pillaient etc. Cantacuzène nous apprend que leur seule vue causa un effroi accablant parmi les Albanais - eux-mêmes des guerriers non enclins à la mansuétude. De nouveau des femmes et des enfants chrétiens furent réduits en esclavage, pour être déportés en Turquie. Avec peine l'empereur réussit à racheter un certain nombre de sujets byzantins faits esclaves. 60 Pour conclure: à la veille de la guerre civile les Turcs menaçaient plus que jamais les Byzantins. Les Serbes et les Bulgares continuaient pendant ce temps à harceler les frontières. Cependant, ils paraissaient moins effrayants à la population ... et à l'empereur.
se plaçant en 1341 (II, cap. 5, Bonn l, p. 339; III, cap. 9, Bonn II, p. 65- 70; cf Grégoras, XI, cap. 4, Bonn l, p. 538). 59. Ca nt. III, cap. 81, Bonn II, p. 498: ... rfjç tK IIaqJÂayov(aç aXPl tPpvy(aç napa).,(ov apxovroç (sc. Orkhan) ... Grégoras, XV, cap. 5, Bonn II, p. 763: 7]V (sc. Orkhan) yàp Eiç nÂovrov tÂ1]ÂaKiliç fJafJùv Kai aqJ6ôpa nOÂvrclfj, Kai J,leyaÂ1]v lXCiJV àpX7]v Èv 'Aa(
60. Canto II, cap. 32, Bonn l, p. 496-97.
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Les hostilités avec ces peuples n'avaient jamais empêché les rapports culturels. Cantacuzène préféra donc prendre les Serbes et les Bulgares pour alliés lorsqu'en 1341 il eut besoin de secours contre ses ennemis à Byzance. Seulement quand il fut au bout de son rouleau, il se tourna vers les Turcs. Il prévoyait les calamités résultant de cette démarche, mais la croyait finalement inévitable. Bien que les Byzantins n'aimaient pas les Slaves, ils prirent sans hésitation le parti des princes serbes et bulgares contre Cantacuzène et ses Turcs. Au cours des années les griefs à l'origine de la guerre civile s'effacèrent même devant la fureur qu'avait excitée l'usurpateur en lâchant des hordes sauvages et païennes contre une population chrétienne sans défense.
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CHAPITRE II Les origines et le caractère général de la guerre civile à Byzance de 1341 à 1354*
Les participants au conflit Le 26 octobre 1341 le 8vvar6ç Jean Cantacuzène se proclamait empereur des Rhoméens. Presque tous les byzantinistes s'accordent à attribuer la confiance de Cantacuzène dans le succès de son coup d'état au support qu'il avait trouvé dès le début de sa rébellion auprès de l'aristocratie en général. De même on ne doute pas que l'échec essuyé par Jean VI Cantacuzène, après un règne effectif de courte durée (1347-1354), ait été causé par la résistance tenace· des masses populaires qui imputaient leur misère - avec juste raison - à l'exaction impitoyable des 8vvaroi dont la toutepuissance, semblait-il, était consolidée par la protection d'un souverain appartenant à leur classe.·
* Il est étonnant qu'une monographie sur la guerre civile n'existe pas. Cet épisode de la plus haute importance pour l'histoire de l'empire byzantin sur son déclin, offre de la matière à un grand livre, tandis que nous n'avons qu'un seul article de Peter Charanis, datant de 1941 (Internai Strife in Byzantium du ring the Fourteenth Century, Byzantion 15(1941), p. 208-30). Les sources ne manquent pas (v. les annotations au texte des chapitres suivants). Quant à la littérature marxiste sur le sujet, nous pouvons répéter ce que nous avons dit des publications du même genre, v. le Prologue, note 2. Cf note 22 infra. 1. Quelques auteurs croient que les actions des masses avaient encore d'autre motifs que la misère. Le c5fiJloç se serait indigné d'être privé de son droit de participation aux affaires politiques en général (G. Weiss, Joannes Kantakuzenos - Aristokrat, Staatsmann, Kaiser und Monch - in der Gesellschajtsentwicklung von Byzanz im 14. Jahrhundert, Wiesbaden 1968, p. 70-85) et à l'élection de l'empereur de concert avec le sénat et l'armée en 51
Il n'y aurait rien à redire à cette vue d'ensemble si ce n'était sa simplicité. Beaucoup de questions attendent une réponse. Est-ceque les ôvvaro[ formaient vraiment une classe homogène de richissimes? Est-ce que les masses populaires se composaiènt vraiment d'individus souffrant au même degré d'une indigence extrême? Quelle était l'attitude des sujets situés entre les deux blocs opposés? Comment se fait-il que justement en 1341 la lutte entre les riches et les pauvres prit la forme d'une catastrophe, tandis que les tensions sociales s'étaient, depuis un demi-siècle, aggravées? Nous croyons que les sources à notre disposition permettent de voir plus clair dans ces problèmes, pourvu qu'on soit prêt à leur
particulier (Charanis, art.cité supra, p. 219-21). On reste interdit devant la naiveté et l'étourderie de savants qui ne savent pas faire la différence entre ce qui constituait le c5fiJ.loç selon le droit et ce que c'était le c5fiJ.loç en tant que groupe social. D'ailleurs même les sujets censés représenter le peuple entier, n'étaient que des figurants dans les assemblées et les cérémonies où leur présence était d'usage. Tandis que le fJaalÂEvç byzantin n'était pas élu dans le sens propre du mot et que l'acclamatio par conséquence n'était qu'une cérémonie, Weiss pense à un "Mitspracherecht" du peuple (op.cit., p. 74 sqq) en parlant d'une époque et d'un corps politique où le monarque était toujours un autocrate par la grâce de Dieu. Son livre abonde d'ailleurs en absurdités de ce genre, ce qui n'empeêhe pas que depuis sa publication il a été hautement appréciée par les byzantinistes (v. les critiques de H. Hunger dans JOB 20(1971), p. 339-42 et de J. Meyendorff dans BZ 64(1971), p. 116-18). Cf infra, note 23. Charanis osait parler avec la même assurance d'une "democratic tendency" et de la "populace, conscious of its constitutional rights as to the creation of an emperor" (art.cité, p. 219,220). Dans le passé le peuple aurait déjà été à mainte occasion un "decisive factor" dans l'accomplissement de "changements" politiques dans l'empire byzantin (ibid.). De même droit on pourrait dire que le peuple ameuté par Marc-Antoine a été un "decisive factor" dans la génèse du pouvoir impérial à Rome ou bien que le peuple russe a fait la révolution de 1917. Pour des savants nourris aux grandes idées il ne suffit pas que des hordes affamées et illettrées se soient révoltées simplement à cause de leur misère. Par miracle, pendant les années 1341-54, elles se seraient souvenues de leur "Mitspracherecht" et de leurs "constitutional rights". Remarquons qu'aucun auteur de l'époque ne savait que ces droits de citoyen avaient été conférés au peuple. Ils n'ont pas entendu le peuple s'en réclamer. Ce sont Charanis et Weiss qui les lui ont donnée si généreusement, sans se soucier du silence des sources, et par ignorance des restrictions que le droit romain impose de facto au populus, tout en le comptant de iure parmi les sources de la loi (non pas comme souverain).
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demander des renseignements sur l'histoire sociale de l'époque qui nous concerne. A première vue on a l'impression qu'au début du 14e siècle les 8vvaroi étaient inattaquables. Ils formaient une classe de grands propriétaires fonciers, dont les richesses s'étaient accrues énormément, depuis le règne de Michel VIII Paléologue, cet empereur les ayant largement dotés afin de s'assurer de leur appui politique et militaire. 2 Les terres ajoutées par l'empereur aux domaines des 8vvaroi sont désignées par les termes npovozaz ou OiKovoJûal. Avec le temps, certains 8vvaroi possédaient des latifundia aussi vastes que des provinces de l'empire. D'ailleurs, toutes les propriétés des 8vvaroi, et aussi les moins étendues, rapportaient gros. Une grande partie du rendement des impôts dûs à l'empereur par la population des npovozaz fut octroyée aux 8vvaroi ce qui constituait pour eux une source de richesses de tout premier ordre. 3 Ils devenaient ainsi des seigneurs plus ou moins comparables aux seigneurs de l'Occident. Des npovozaz se transformèrent même en possessions héréditaires. Mais il faut se garder de mettre sur le même pied, sans plus, les grands propriétaires fonciers byzantins et ceux de l'Occident; les différences restaient grandes sous l'aspect politique, juridique et militaire. 4 2. Pachymérès, l, Bonn l, p. 92,97 (éd. Failler, p. 131, 137-38). Il est clair que cela ne vaut pas seulement pour son usurpation du trône des Lascarides, mais aussi pour sa politique de reconquête. 3. Cf G. Ostrogorsky, Pour l'histoire de la féodalité byzantine, Bruxelles 1954; Id., Pour l'histoire de l'immunité à Byzance, Byzantion 28(1958), p. 165-254; P. Charanis, On the Social Structure and Economic Organiza-
tion of the Byzantine Empire in the Thirteenth Century and Later, Byzantinoslavica 12(1951), p. 94-153, ici p. 94-108; Hélène Ahrweiler, La concession des droits incorporels. Donations conditionnelles (Exemples de donation d'un revenu fiscal ou non, sous les Comnènes et les Paléologues) dans Actes du I2e Congr. Int. Et. Byz., Beograd, 1964, t. II, p. 103-14, réimpr. dans Etudes sur les structures administratives et sociales de Byzance, Londres 1971; L. Maksimovié, The Byzantine Provincial Administration under the Palaiologoi, Amsterdam 1988. 4. Beaucoup de byzantinistes ont introduit le terme "féodalité" dans les discussions sur le phénomène de la npovora. Ils ne sont pas les seuls à abuser du mot, qui a été appliqué par les historiens en général aux situations les plus différentes, à diverses époques et dans divers pays, à cause de ressemblances
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Il est à noter que presque toutes les familles dés 8vvaroi étaient alliées par des mariages. Par le même lien elles étaient apparentées à la dynastie régnante, sans parler des membres qui se trou-o vaient près du trône en vertu des hautes fonctions et dignités dont ils étaient revêtus. Toutefois, il y avait dans l'armure des 8vvaroi des endroits vulnérables qui ne se révélèrent qu'avec le temps. Un fait très simple tendait à amortir leur puissance: ils constituaient un groupe très réduit. A la veille de la guerre civile leur classe ne comptait que quelques centaines d'hommes adultes. 5 Cette situation était aggravée par leur manque de pouvoir politique et militaire. C'est là que la différence entre eux et la haute noblesse occidentale devient évidente. Commençons par l'aspect militaire; bien que les 8vvaroi soient couramment désignés par les byzantinistes comme une "aristocratie militaire", il n'en est rien. S'ils tenaient les pre-
superficielles et partielles avec ce qui constitue réellement la féodalité, complexe d'interrelations politiques, sociales, économiques et militaires, ne se rencontrant sous sa forme spécifique qu'en Europe occidentale du lOe au 13e siècle. On peut facilement remédier à ce mal, qui est devenu épidémique avec la diffusion des théories pseudo-historiques de Karl Marx, en lisant le petit livre, écrit par le grand historien belge F.L. Ganshof: Qu'est-ce-que la féodalité?, Bruxelles 1944 (plusieurs impressions en anglais depuis 1952). 5. Ce n'est qu'une estimation approximative. Les sources font mention d'une vingtaine de grandes familles, qui comprenaient évidemment davantage d'individus (cf les études prosopographiques de Fassoulakis sur les Raouloi, de Nicol sur les Cantacuzènes, de Papadopoulos sur les Paléologues, de Polemis sur les Doukai, de Schmalzbauer sur les Tornikioi, de Theocharides sur les Tzamplakones et les Cabasilas, et de Verpeaux sur les Choumnoi). En outre on sait que la plus grande prison où Alexios Apokaukos avait enfermé les 8vvaro{ les plus importants, comptait environ deux cent captifs; presque tous furent assassinés en juin 1345 (Grégoras, l, XIV, c. 10, Bonn l, p. 734 parle de deux cent hommes, tous 80çU Kai yÉvel npovxovreç (p. 730), une chronique brève de cent quatre vingts apxovreç (Schreiner, Kleinchroniken, nr. 9, 11, Li, p. 93). En tout cas il s'agit de 8vvaro{ originaires de tout l'empire (Cant. III, cap. 88, Bonn II, p. 545: aaqJÉarara yàp rov aplBJlov OVK ÈçeyÉvero JlaBeiv, ora 8r, ÈK 8laqJopwv nOAewv avvelAeYJlÉvwv). A Thessalonique cent 8vvaro{ furent tués (Cant. III, cap. 91, Bonn II, p. 580; v. le chapitre sur Démétrius Cydonès). Tout compte fait, il nous semble qu'à la veille de la guerre civile le nombre des 8vvaro{ doit avoir été inférieur à mille hommes adultes.
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miers rangs dans l'armée impériale, cette situation doit être comparée à leur position privilégiée dans la hiérarchie civile. C'est le hasard si certains d'entre eux parfois se montrèrent des capitaines de mérite. Du point de vue social, leur manière de vivre et le caractère de leur classe n'avaient rien de militaire. Dans l'exercice de leurs diverses fonctions, dont celle de chefs d'armée, ils restaient formellement et effectivement les serviteurs de l'empereur. Nulle tradition guerrière, pas d'éthique martiale chez eux. 6 Depuis longtemps ils avaient été accoutumés à corrompre par l'argent ou par des promesses de protection tous ceux qui s'opposaient à leur volonté. Le cas échéant, leur puissance suffisait à écraser des individus leur faisant obstacle. Dans les procès civils, le haut clergé, qui en général administrait la justice, s'inclinait devant leurs exigences. 7 Mais les c5vvaroi ne pouvaient ni se défen6. Il ne faut pas oublier que depuis les jours de Bélisaire et de Narses les Byzantins n'ont pas fait de grandes guerres offensives. Dans les grandes lignes l'histoire militaire de Byzance est marquée par un rétrécissement continuel du territoire. Sous cet aspect l'image d'une extinction graduelle, qui ressort du chef-d'oeuvre de Gibbon, est conforme à la réalité, laissant peu de place à l'existence d'une aristocratie militaire comme les "Junker" prussiens ou les barons du Moyen Age occidental. Cf d'ailleurs le jugement de Théodore de Montferrat sur l'attitude négative des Byzantins à l'égard des affaires militaires (Enseignemens ... , éd. Ch. Knowles, p. 107). 7. . .. ovt5eiç yàp ni)v t5vvaanov lui nporepov J.LeraxelplaaJ.l.eVOç rourovç (sc. les métropolites et les évêques) âç Kp(alV lpxeral (Athanase, ep. 25, p. 56, éd. A.-M. Maffry Talbot). Le témoignage d'Athanase est confirmé par Alexios Makrembolites, Sabb. 417, f. 47 v-48 r , v. notre édition, p. 285). Les juges laïques n'étaient d'ailleurs pas moins accommodants. Ceux qui furent installés par Andronic II en 1296 et par Andronic III en 1329 se montraient en peu de temps aussi corruptibles que leurs collègues ecclésiastiques. Ainsi que le dit admirablement Pachymérès: Kai qJo{Jepov Ka()(araro (sc. l'empereur) t5lKaaT71Plov J.l.eyaÂCp r~ Kai J.l.lKpéjJ tn' ial1ç ràç Kp(aelç tKqJÉpOV, â Kai J.l.'" tç J.l.aKpàv t5lerÉÀeaev, àÀÀà Kar' oÀ(yov Karà ràç rmv J.l.OValKmV xopt5mv Kpouaelç tçl1a()eVT/KOç t5laneqJwV1jKel (II, p. 237; cf
Grégoras, IX, cap 9, Bonn II, p. 436-38). V.P. Lemerle, Lejuge général des Grecs et la réforme judiciaire d'Andronic III dans Mémorial L. Petit, Bucarest 1948, p. 292-316; Id., Recherches sur les institutions judiciaires à l'époque des Pa/éologues 1: Le tribunal impérial dans Mélanges H. Grégoire, l, Bruxelles 1949, p. 369-84; Id., Recherches ... II: Le tribunal du patriarcat ou tribunal synodal dans Mélanges P. Peeters Bruxelles 1950, p. 320-33; 1. Sevcenko, Léon Bardalès et les juges généraux ou la corruption des incorJ
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dre, ni attaquer à main armée pour la simple raison qu'ils ne disposaient ni d'une armée, ni de vassaux, ni d'un arrière-ban. Ce qui était pour eux fâcheux, c'est que les empereurs ne souf-. fraient pas de cette faiblesse. L'armée fut de tout temps une armée impériale, dont les officiers subalternes formaient le noyau. Ces orpurzwruz constituaient effectivement une classe guerrière, liée à l'empereur et dépendant de lui pour son existence. Le service des orpurzwruz était payé par l'attribution de modestes propriétés foncières (également appelées npovozuz), d'une nooor1]ç fixe, calculée en hyperpres, et qui faisaient toute leur fortune. 8 Il est vrai que pour des raisons diverses, entre autres des manigances, ces fortunes montraient souvent de grands écarts, mais en général seuls les plus besogneux des Grpurzwruz étaient accessibles à la corruption par les 8vvuro{. Au moment où ceux-ci entreprirent de recruter des hommes de guerre pour leur propre service, ils ne purent rassembler que des vauriens incapables et peu sûrs (entre autres des orpurzwruz devenus complètement indigents à la suite de la conquête de l'Anatolie occidentale par les Turcs).9 ruptibles, Byzantion 19(1949), p. 247-59; G.J. Theocharides, Die Apologie der verurteilten hachsten Richter der Ramer, BZ 56(1963), p. 72-78. 8. A. Ahrweiler, art.cit. supra, note 3, p. 110-112. Les connaissances au sujet des arparrwraz se basent principalement sur les sources littéraires. Un seul véritable praktikon en faveur d'un arparrcOrT/ç a été publié. V. l'exposé de N. Oikonomides, Notes sur un praktikon de pronoiaire Ouin 1323) dans Travaux et Mémoires 5(1973), p. 335-46, réimpr. dans Documents et études sur les institutions de Byzance (VIIe-XVe s.), Londres 1976. 9. Un 8vvaraç comme Cantacuzène ne pouvait s'assurer du soutien d'un grand nombre de arparrwraz, que lorsqu'il semblait sur le point d'usurper le trône impérial. Les serviteurs personnels des 8vvaroi (qJi)"oz, oiKÉrar, OiKÛOl, 800).,oz, 8Epa1fEVOVrEç, 61fT/pÉraz etc.) ne suffirent jamais à hasarder un coup d'état. Citons en exemple les échecs de Michael Angelos Doukas Koutroules sous Andronic II (Pachymérès, II, Bonn II, p. 407-09), de Jean . Paléologue, neveu d'Andronic II, (Grégoras, VIII, cap. 14, Bonn l, p. 373-74; Cantacuzène, l, cap. 43, Bonn l, p. 209-10) et de deux autres princes Paléologue, Syrgiannes (Grégoras, X, cap. 5, Bonn l, p. 489-90, cap. 7, p. 495-502; Cantacuzène II, cap. 22-25, Bonn l, p. 435-458) et Sphrantzes (Grégoras, XI, cap. 9, Bonn l, p. 553). Tandis que Koutroules s'appuyait sur des arparrwraz anatoliens, Jean Paléologue employait des troupes serbes, Syrgiannes des troupes serbes et albanaises (Cant., p. 453) et Sphrantzes des Catalans et des Albanais. Les "retainers" des 8vvaroi n'étaient bons qu'à terroriser la population locale et à rosser les paysans et
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Quant à la condition des 8vvaro{ sous l'aspect politique, nous avons tout dit en remarquant que leurs richesses et la puissance qui en découlait n'empêchaient pas qu'ils restaient les sujets d'un autocrate. Les empereurs auxquels il devaient toute leur fortune, pouvaient les en priver aussi facilement. Parmi les dons abondants qu'ils avaient reçus, les droits de citoyen manquaient. Voilà encore une grande différence avec la haute noblesse occidentale qui, elle, avait su contraindre les souverains à lui céder l'autonomie dans ses domaines et la participation aux affaires de l'Etat, aboutissant bien souvent à une souveraineté de fait. Les 8vvaro{ par contre étaient sans protection contre la volonté de l'empereur. Le nombre de ceux qui furent annihilés physiquement n'est pas négligeable. 10 Enfin leurs divisions internes les achevèrent. A la longue il s'avéra qu'ils ne formaient pas un "état", mais un groupe de chevaliers d'industrie individuels. Les liens de mariage duraient, mais n'importaient plus. Chaque 8vvar6ç ne pensait qu'à son propre profit au détriment des autres, parents ou non. En outre la haine et le mépris de part et d'autre divisaient les familles anciennes et les homines novi. Tout compte fait, il n'y a donc pas de raison de s'étonner que les 8vvaro{ tout-puissants en apparence, ne soient pas sortis de la guerre civile en triomphateurs. 1 1 les ouvriers (v. entre. autres Thomas Magistros, IIcpi lwÀlrEiaç, PO 145, col. 533, Philothée Kokkinos, Aoyoç roroplKoç ... , dans AOYOl Kai 'OlllÀicÇ, éd. B. Pseutogkas, Thessalonique 1981, p. 236; Cantacuzène, III, cap. 28, Bonn Il, p. 176). 10. Michel VIII sévit contre l'aristocratie notamment à l'époque de l'Union des Eglises (Pachymérès, l, Bonn l, p. 459-60, 483-501 (éd. Failler 581,611-33). Pour Andronic II, v. notre livre sur Théodore Métochite, p. 52 avec les références. Andronic III fut menacé à plusieurs reprises par des membres de sa famille qui essayaient de le détrôner. En 1333/4 il fit assassiner Syrgiannes. En 1335/6 il fit emprisonner Manuel et Jean Asan, frères d'Irène, épouse de Cantacuzène. Celui-ci les libéra en 1342 (Cant. III, cap. 26, Bonn II, p. 161). Sphrantzes fut, de même que Syrgiannes, liquidé sans autre forme de procès. Il. Combien les byzantinistes se sont exagérés la puissance des 8vvaro{ en les considérant comme des seigneurs féodaux, ressort des mots d'Ostrogorsky: "Trotz dieser Ereignisse konnte Kantakouzenos, zumal nach dem Sturze des Megas Dux A1exios Apokaukos, des Sieges sicher sein. Von den wirt-
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Il est d'usage d'attribuer aux pauvres le rôle d'antagonistes des 8vvaroi pendant la guerre civile. Dans une large mesure c'est
juste. Cependant, il faut considérer que les pauvres, qui formaient la vaste majorité de la population de l'empire, étaient en vérité extrêmement pauvres. On comprend alors qu'ils étaient hors d'état d'entreprendre quoi que ce soit sans être aidés par des meneurs et des agitateurs matériellement mieux placés pour organiser une lutte armée et mettre en train un mouvement populaire. Même s'ils agissaient de leur propre gré, les pauvres étaient aussi un instrument dans les mains d'hommes aux intérêts tout différents des leurs. Nous allons voir par la suite de quelle manière cette situation a déterminé le cours de la guerre civile. Il faut ici poser la question: comment une grande masse d'hommes, se trouvant dans un dénuement complet, a-t-elle pu soutenir une lutte pendant une période assez longue? La réponse doit être: les pauvres étaient au plus profond du désespoir. Ils n'avaient plus rien à perdre. Dans leur détresse ils étaient privés de tout secours. Il ne faut pas oublier que les 8vvaroi n'étaient pas les seuls à les livrer à la misère. Il y eut toujours dans la société byzantine une classe moyenne (désignée dans les sources comme les J..léaol), composée de marchands et d'entrepreneurs, de fonctionnaires secondaires etc., dont plusieurs vivaient en grande prospérité. 12 Ces J..léaollaissaient les pauvres à leur sort ou les exploitaient même impitoyable-
schaftlich und politisch sHirksten Elementen getragen, steuerte er dem Ziele unaufhaltsam zu ... " (Gesch ich te des byzantinischen Staates, Munich 1969\ p. 428). En réalité Cantacuzène aurait été, sans l'aide des Turcs, dans une situation désespérée. 12. Contrairement à ce que disent toujours les manuels, à l'époque dont nous parlons, la navigation maritime des Byzantins n'était pas entièrement supplantée par celle des Italiens. Grégoras nous apprend que la plus grande partie de la marine marchande des Byzantins "s'était associée" à la flotte génoise pour profiter de l'exemption fiscale concédée aux commerçants génois par Michel VIII (XI, cap. 1, Bonn l, p. 527: TO nÀûov TOÙ nov 'PmJ.la{mv vavnK'où npoaTz()ÉJ.lEVOV tK'eivou; (sc. les Génois) K'ai J.lETaaXT/J.lant;oJ.lEVOV tç J.léya J.lÈv TOV AanvzK'ov 17VçT/aE nÀoùTov, J.léya 8' 7jÀaTTmaE TOV 'PmJ.laiK'ov.) Pour la dévaluation de l'hyperpre à cette époque v. M.F. Hen-
dy, Studies in the Byzantine Monetary Economy, c. 300-1450, Cambridge 1985, p. 526-47.
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ment. 13 Le haut clergé ne demeurait pas en reste. A vrai dire certains auteurs mettent ces hommes d'Eglise au nombre des /-lÉaoz. Des prélats ayant fui l'Anatolie, acceptèrent des à8sÀqJara bien qu'ils étaient déjà pourvus avant leur fuite de propriétés considérables dans les parties européennes de l'empire. L'évêque de Bitzyne prêtait des biens ecclésiastiques, empochant lui-même l'intérêt - 800 hyperpres annuellemenL I4 Le luxe des /-lÉaol, acquis la plupart du temps par des gains sordides (la marge de l'activité économique normale étant désormais très réduite), contrastait d'une manière criante avec la condition des pauvres. Le tableau de cette condition fut tracé avec passion par Alexios Makrembolites. Il nous donne l'impression d'un dénuement absolu. Les pauvres souffraient sans répit de la faim. Ils étaient sans aucune protection contre le froid, habitant des taudis qui manquaient du minimum de confort. Ils ne possédaient qu'un seul vêtement, qui était donc toujours sale, puant et pouilleux. Et ils avaient tout le temps devant les yeux le spectacle des /-lÉaol et des 8uvaroi habitant de magnifiques maisons à plusieurs étages, vêtus de vêtements brodés à fil d'or, entourés de serviteurs et de parasites. ls Si le pauvre demande au riche pourquoi les riches ne font plus la charité comme ceux d'autrefois il lui répond que l'empire est appauvri par la perte d'une grande partie de son territoire et qu'en conséquence le nombre des riches a beaucoup diminué. Les riches qui restent ne sont pas assez nombreux pour aider les pauvres l6 (soit dit en effet que le nombre des /-lÉaol était aussi petit que celui des 8uvaroi). 17 L'Eglise, dans le même temps, enjoint au pauvre de patienter, voire de se réjouir de sa misère puisque l'enfer l'attend s'il murmure. Cette parole est dure. Le pauvre sait en effet que la même Eglise ne demande au riche que de faire l'aumône pour gagner le royaume des cieux. 18 En réalité il se trouvait parmi le bas clergé des prêtres qui faillirent perdre la foi sous le 13. V. note 17 infra. 14. Athanase, Ep. 25, p. 56, éd. A.-M. Maffry Talbot. 15. Dialogue des riches et des pauvres, éd. 1. Sevcenko, ZR VI 6(1960), p. 203-38, ici p. 208-09. 16. ibid., p. 213. 17. Le riche explique qu'il n'appartient qu'à la J.,lsaorTlç (p. 210). 18. ibid., p. 209. V. notre chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 265 et notre analyse des homélies de Grégoire Palamas, infra. p. 180-92.
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poids de leur misère matérielle. 19 Cantacuzène lui-même dit que les pauvres depuis longtemps haïssaient les ôvvaroi (à un autre endroit il parle également des l1éaoz) et que tout portait le bas peuple à une révolte terrible dans respoir s'emparer de leurs possessions (des ôvvaroi) qui étaient très grandes. 20 En conclusion, on peut dire que l'empire des Paléologues ne fut, dès le début, c'est-à-dire dès le rétablissement de Constantinople comme capitale (1261), qu'un corps en décomposition. Des individus s'efforcèrent sans doute d'endiguer le mal, mais ils n'eurent aucune influence sur le cours des événements. Toutes les tentatives de la part de certains byzantinistes pour découvrir de nouveaux développements sociaux, ayant été représentés par des novateurs de l'époque, appartenant à tel ou tel milieu, ne sont en effet que des constructions, des chimères. 21 En réalité la désintégra19. V. le chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 254. 20. Cantacuzène est d'opinion qu'on ne peut pas parler de la fidélité du 8fiJ.loç à l'égard des Paléologues. Le 8fiJ.loç, écrit-il, ne prit le parti de la dynastie régnante qu'afin de pouvoir piller impunément. Sa prétendue fidélité n'était que de l'hypocrisie (III, cap. 28, Bonn II, p. 177-78): Kai oi rc 8fiJ.l0l Kai nporcpov npoç roùç àpiarouç ÈK rou nap' aurlÔv ayca9az Kai ({JÉpca9az Èv rfiç ciprlV17Ç roiç Kazpoiç no,t,tr,v Ëxovrcç ànÉx9czav, a,t,tcoç rc Kai 8zapmiÇczv ràç ouaiaç aurrov È,tniÇovrcç no,t,tàç ovaaç, €rOlJ.lOz 7}aav npoç ràç araaczç Kai ÈI;, tÂ.axiarT/ç npo({Jaaccoç Kai rà 8czvorara Èro,tJ.l co v. Oi rc araaraarai roç Èmno,tù rrov ànopcorarcov Kai ,tcono8urlÔv Kai rozxcopvXcov ovrcç, auroi rc uno rfiç ncv{aç àvaYKaÇOJ.lCVoz ou8Èv EÏaaav àro,tJ.lT/rov, Kai roùç 8rlJ.louç Èvfjyov npoç rà Laa, rr,v npoç {3aaz,tÉa rov lla,talO,toyov cvvozav unOKpZVOJ.lCVOz, 8zo Kai marorarouç Éauroùç npoaT/YopcvKa azv.
Les graves tensions à Thessalonique donnèrent lieu aux lettres d'admonestation adressées à la population par Nicéphore Choumnos (ecaaa,tovzKcuar aUJ.l{3ou,tCUTlKOÇ ncpi 8zKalOavV17ç, éd. J.F. Boissonade, Anecdota Graeca, t. II, p. 137-87) et, plus tard, par Thomas Magistros (Toiç ecaaa,toVlKcuar ncpi oJ.lovoiaç, éd. B. Laourdas dans 'En. 'Encr. LXO,t. NoJ.l. ecaaa,t., 12(1969), p. 751-75. V. encore nos chapitres sur Grégoire Palamas et Démétrius Cydonès. 21. Nous pensons aux auteurs marxistes en général, particulièrement à K.P. Matschke, Fortschritt und Reaktion in Byzanz im 14. Jahrhundert. Konstantinopel in der Bürgerkriegsperiode von 1341 bis 1354, Berlin 1971. Matschke considère Apokaukos comme un représentant du "Fortschritt". Il va sans dire que le "Fortschritt" vers le "Frühkapitalismus" byzantin n'a existé que dans la tête de Matschke.
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tion de l'Etat et du corps social se révèle clairement par le sauvequi-peut général. Chaque individu ne visait qu'à sa propre conservation, ayant recours à tous les moyens sauf la solidarité face à la crise générale. 22 La veulerie d'Andronic II et la perte de l'Anatolie avaient sapé définitivement toute confiance dans la viabilité de l'empire fantôme inauguré par Michel VIII. Nous avons dit à un autre endroit: "l'état déliquescent de l'empire était juste celui qui convenait à un homme en quête de proies" . 23 Ce furent de tels hommes qui devinrent les chefs de parti pendant la guerre civile, qui constitue effectivement le point de rupture entre "the decline" et "the faB" de l'empire byzantin.
Du début de la guerre civile jusqu'à la première alliance turque de Cantacuzène Andronic III mourut le 14 juin 1341. Sa mort donna lieu tout de suite à des intrigues très compliquées. Nous ne pouvons plus discerner les détails de la situation. Les sources les plus importantes sont les mémoires de Cantacuzène et l'Histoire de Nicéphore Grégoras, toutes les deux foncièrement mensongères. Il est très 22. G. Weiss, op.cit. supra, note 1, essaie de trouver dans ce chaos des relations cohérentes. Il y était obligé, ayant introduit dans le titre de son livre le terme "Gesellschaftsentwicklung". Cependant, le texte ne nous apprend rien sur des développements sociaux à Byzance à l'époque qui nous concerne, ce que l'on comprend facilement puisqu'il n'y avait en réalitè que désintégration. En revanche Weiss se tire d'affaire en comparant, sur la base de ressemblances superficielles, des individus et des groupes divers rencontrés au cours de son tour de l'empire byzantin au 14e siècle, avec des individus et des groupes ayant vécu en d'autres parties du monde et à d'autres époques. Ne réussissant pas de cette manière à brosser le tableau d'une "Gesellschaft", sa perplexité l'amène à nous embarrasser d'un amas de matière mal digérée, n'ayant rien à voir avec la "Gesellschaft" ou la "Gesellschaftsentwicklung" à Byzance, ni à l'époque de la guerre civile, ni à aucune autre époque de l'histoire byzantine. L. Maksimovié donne une description lucide de la désintégration des structures administratives de l'empire des Paléologues dans son beau livre cité supra, note 3, déparé - hélas - par l'usage incorrect du mot "féodal", qui revient à presque chaque page. 23. Théodore Métochite. Une réévaluation, Amsterdam 1987, p. 83.
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difficile de trouver les grains de vérité dans ces écrits, dont les auteurs donnent le change au lecteur de propos délibéré. 24 Toutefois quelques faits ne laissent pas de doute. En 1334 Jean XIV Kalékas, le patriarche de Constantinople, avait été désigné régent et protecteur de la famille impériale par Andronic III luimême en cas de décès de celui-ci avant l'accession de ses fils à la majorité. 25 Cependant, à peine l'empereur était-il mort, que Cantacuzène faisait main basse sur les deux princes, âgés de neuf ans et de quatre ans (qui ne pense au Richard III de Shakespeare?). Ils furent conduits au palais impérial dont l'accès fut interdit par des soldats. Toutefois, l'impératrice sut rejoindre ses fils. Quelques jours plus tard une séance du sénat eut lieu. Le patriarche présenta le document par lequel Andronic III lui avait conféré les charges que nous venons de mentionner. Cantacuzène, qui était à ce moment commandant en chef de l'armée impériale (p,tyaç 80J1,tanKOç - Grand Domestique) récusa sur le champ le document. Il revendiquait personnellement la régence du fait de son amitié avec Andronic III, invoquant un accord de longue date avec l'empereur décédé à propos du mariage du successeur au trône, Jean V (le fils aîné), avec sa fille Hélène. Les fiançailles devaient avoir lieu immédiatement. Toutes ces prétentions furent rejetées. Trois jours plus tard (le 20 juin) Cantacuzène changea de batterie, organisant une manifestation de l'armée en sa faveur près du palais impérial. 26 Alexios Apokaukos, gouverneur de Constantinople, essaya d'imposer silence au soldats, mais fut menacé de mort. Cantacuzène lui-même rappela l'armée à l'ordre. Son action avait réussi. Il fut reconnu co-régent,27 tout en restant commandant en chef de l'armée. Dans ces deux fonctions il en24. V. note 34 infra et les chapitres sur ces auteurs dans la deuxième partie de ce livre. 25. Grégoras, X, cap. 7, Bonn 1, p. 496; XII, cap. 3, Bonn II, p. 578. Cf. la version de Cantacuzène, III, cap. 2, Bonn II, p. 16-18. 26. Grégoras, XII, cap. 5, Bonn II, p. 586-87. Pour la date de la manifestation de l'armée v. J. -L. van Dieten, dans sa traduction allemande de l' Histoire de Grégoras, Bd. III, Stuttgart 1988, Anmerkung 27, p. 230. 27. Plutôt de facto que formellement, nous semble-t-il. L'impératrice et le patriarche d'un côté et Cantacuzène de l'autre se jurèrent pendant cet été à plusieurs reprises de ne rien entreprendre à l'insu l'un de l'autre (Grégoras, XII, cap. 6, Bonn II, p. 595, 603-04; Canto III, cap. 9, Bonn II, p. 67).
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joignit à tous les gouverneurs impériaux de maintenir l'ordre. En même temps il fit payer aux Grparzwraz les arriérages de solde. 28 Lorsqu'au cours des semaines suivantes un grand nombre de notables, entre autres les ôvvaro{ de la Thessalie et du Péloponnèse, le reconnurent pour souverain, il semblait avoir cause gagnée. C'est alors que le patriarche Kalékas prit l'initiative. En manoeuvrant avec une grande prudence, il savait tenir Cantacuzène en échec. 29 Celui-ci était conscient qu'il avait pris de grands risques, puisqu'il ne tenait pas l'armée si fermement en main qu'il ne l'avait feint. Vers la fin de juillet il quitta Constantinople. A Didymoteichon il commença à rassembler les ôvvaro{ et les Grpanwraz de la Thrace, en apparence afin de préparer une campagne contre les ennemis de l'empire, en réalité afin de raffermir sa position. 30 Malheureusement il était immobilisé. En effet, le 28. Grégoras écrit que Cantacuzène paya généreusement la solde par ses propres moyens (XII, cap. 6, Bonn II, p. 595-96). Cantacuzène affirme par contre que l'argent lui fut fourni par un certain Patrikiotes, riche percepteur impérial. Il veut nous faire croire que Patrikiotes lui avait fait présent de l'argent pour des motifs des plus nobles; à savoir un don gratuit destiné à la défense de l'empire, bonne oeuvre devant assurer le salut de son âme (III, cap. Il ~ Bonn II, p. 58-64). Il est pourtant possible que Patrikiotes conspirait avec Cantacuzène et qu'il s'agissait d'un prêt à titre personnel, d'avances de fonds sur le fisc impérial que Cantacuzène devait rembourser au moment où il deviendrait empereur. Mais il y a plus. Il ne faut pas oublier que Cantacuzène, en écrivant ses mémoires, avait le texte de Grégoras sous les yeux (Praejatio, Bonn l, p. 10; III, cap. 1, Bonn II, p. 12; IV, cap. 24, Bonn III, p. 183-85). Il se peut que toute l'histoire du don de Patrikiotes a été controuvé et que Grégoras dit vrai: Cantacuzène aurait en effet payé lui-même les orparrwral. En ce cas le témoignage de Grégoras était fâcheux pour Cantacuzène puisqu'il pouvait alors être soupçonné.d'avoir agi ainsi afin de les attirer à lui. Dans ses mémoires il persiste à dire qu'il n'avait jamais eu la moindre intention de porter les armes contre l'empereur légitime jusqu'à ce que le patriarche l'y contraignit en le déclarant ennemi public. Nous admettons qu'il n'est pas possible de rattraper la vérité dans ce labyrinthe. Sur Patrikiotes, v. encore le chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 252. 29. Le patriarche s'était installé au palais impérial, empêchant Cantacuzène d'y aller résider. Celui-ci se voyait obligé de se retirer dans"sa maison privée (Grégoras, XII, cap. 10, p. 605; Cant. III, cap. 2, Bonn II, p. 19). 30. Selon la chronique brève de 1352 (Schreiner, Dii Byzantinischen Kleinchroniken, nT. 8,33, t. 1, p. 81) Cantacuzène quitta Constantinople au mois de juillet. Pour la datation "fin de juillet" v. van Dieten, op.cil. supra,
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roi serbe et le roi bulgare se montrèrent prêts à franchir les frontières dès l'annonce de la mort d'Andronic III, tandis que Yakhshi, Saruhan, Umur et Orkhan commençaient à piller les côtes de la Thrace. Cependant, au cours de cet été il sut se débarrasser de toutes ces menaces, de sorte qu'il était enfin libre de préparer son coup d'état. 31 Il avait toutefois perdu du temps précieux. L'impératrice et le patriarche avaient réussi à s'assurer du support d'Apokaukos qui était non seulement le gouverneur de Constantinople mais encore l'amiral de la flotte impériale. C'est lui qui allait bientôt devenir l'adversaire le plus redoutable de Cantacuzène. Il est absolument nécessaire de s'étendre sur ce personnage. Nous n'avons en effet presque pas d'autres renseignements sur lui que ceux de Cantacuzène et de Grégoras. Tous les deux ont escamoté d'une manière extraordinaire la vérité le concernant. Ils ont été crus néanmoins sur parole par tous les byzantinistes jusqu'à aujourd'hui. 32
note 26, Anm. 27, p. 234. Cantacuzène se trahit par l'invraisemblance de son récit. Pendant l'été de l'année 1341 toutes les puissances voisines de l'empire, profitant de la mort d'Andronic III, firent des incursions. Cependant, au lieu de combattre les ennemis à main armée, Cantacuzène préféra les apaiser par des traités de paix (v. Bonn III, p. 52 sqq, p. 66, p. 79-82) tout en prétendant qu'il lui fallait absolument faire des préparatifs de guerre en vue d'une campagne contre les Albanais (lesquels, pourtant, s'étaient pour une fois tenus tranquilles). Ainsi, dit Cantacuzène, il préviendrait des attaques sur ses derrières au moment où il marcherait en direction de l'ouest. Des émirs turcs, Umur et Orkhan se montraient disposés à négocier (p. 55-6, p. 66), tandi que Yakhshi était inexorable (p. 65, 70). 31. Sur les négociations avec Umur, v. notre chapitre sur Cantacuzène. 32. Nous sommes sûre qu'Andronic III n'a pas, peu avant sa mort, relevé Apokaukos de toutes ses fonctions. C'est pourtant ce qu'affirme Cantacuzène, qui les lui aurait rendues tout de suite après (II, cap. 38, Bonn l, p. 535-41; III, 15, Bonn II, p. 99). Il n'en est absolument rien. Apokaukos resta le confident d'Andronic III jusqu'à la mort de celui-ci, de sorte qu'il fut dans l'été 1341 l'homme le plus puissant de l'empire, nullement réduit à accepter des faveurs du côté de Cantacuzène. Grégoras surenchérit sur Cantacuzène en gardant un silence complet sur les hautes fonctions dont Apokaukos avait été investi sous Andronic III. En lisant Grégoras on n'apprend même pas qu'Apokaukos a été J.LEaa~{J)v. L'historien présente les faits de la manière suivante. Dans son ouvrage Apokaukos apparaît une seule fois en
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Puisque Cantacuzène et Grégoras mentent pour des raisons ditant que partisan d'Andronic III pendant les années '20. A ce moment il est inspecteur des salines (VIII, cap. 4, p. 301). Beaucoup plus loin Apokaukos paraît de nouveau, tout inopinément. Il est maintenant très riche, intrigant, excitant le patriarche et l'impératrice contre Cantacuzène, mais toujours sans hautes fonctions et dignités (XII, cap. 2, Bonn II, p. 577 sqq). Grégoras se trahit pourtant à un autre endroit lorsqu'il fait reproche à Apokaukos de son ingratitude à l'égard de Cantacuzène, qui l'a eIevé à des hauteurs extraordinaires, lui, un homme de basse extraction (Grégoras parle du règne d'Andronic III; XII, cap. 6, p. 591). Chez Grégoras c'est le patriarche qui usurpe le pouvoir impérial pour faire ensuite d'Apokaukos non seulement le gouverneur de Constantinople, des villes environnantes et de toutes les îles, mais encore chef des affaires publiques et secrètes: p1]'rrov Kai ànoppryTwv c5WVOj.lêVÇ (XII, cap. 10, p. 605), fonction inexistante dans l'administration de l'empire byzantin. Il semble que Grégoras à la fin ne peut plus nier qu'Apokaukos fut en effet chancelier (dès 1328 en réalité!). Il essaie d'escamoter ses mensonges en inventant un office mysterieux qui doit impressionner le lecteur au point de l'embrouiller tout à fait. On ne peut pas croire que Grégoras n'ait pas embrouillé le récit de la carrière d'Apokaukos de propos délibéré, se taisant sur certains faits de haute importance, en dispersant d'autres à divers endroits de sa relation historique, de sorte qu'on perd le fil. On voudrait pourtant savoir si les lecteurs qui étaient ses contemporains et étaient au courant des événements, ont donné dans le piège. D'autre part il faut considérer que des byzantinistes de nos jours, commentant des textes comme celui de Grégoras avec le soin le plus méticuleux, acceptent ses faussetés grossières sans cligner les yeux. Quoi qu'il en soit, le récit de la carrière d'Apokaukos servi par Grégoras était du "gefundenes Fressen" pour Cantacuzène. Effrontément il relate toute la carrière d'Apokaukos comme s'il supplée seulement des données oubliées par Grégoras. Cependant, si le récit de Grégoras est fallacieux, celui de Cantacuzène est franchement incroyable. Andronic III aurait investi à contre-coeur Apokaukos de hautes fonctions juste pour faire plaisir à Cantacuzène. Celui ..ci, surchargé d'affaires, était heureux de laisser faire Apokaukos, lequel d'ailleurs était obligé de demander l'avis et l'approbation de l'empereur et de Cantacuzène pour des décisions de grande importance (II, cap. 5, Bonn l, p. 337-39; III, cap. 14, Bonn II, p. 90-91). Cependant, l'empereur se méfiait continuellement d'Apokaukos, le relevant de toutes ses fonctions peu avant sa mort. Cantacuzène les lui rendit pourtant aussitôt après (III, 15, Bonn II, p. 99). Cantacuzène se peint lui-même comme un nigaud, qui pendant des dizaines d'années - jusqu'au mois d'octobre 1341 - a cru aveuglement à la loyauté d'Apokaukos. Mais que penser de la stupidité de Cantacuzène qui rappelle une personne revêtue des plus hautes fonctions de l'empire après qu'elle ait été chassée par l'empereur lui-même pour de bonnes raisons!
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verses, on peut arriver à la vérité en comparant leurs dires et leurs omissions voulues. L'un parle où l'autre se taît et vice versa parce que leurs intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Il y a en outre un grand nombre de contradictions internes dans leurs écrits. Alexios Apokaukos était originaire de Bithynie. Il appartenait à ce qu'on désigne le mieux par le terme "lower middle c1ass". Ayant échappé aux Turcs il était arrivé en Europe sans le sou. Son premier emploi fut celui de commis au service de plusieurs percepteurs impériaux. Il s'enrichit peu à peu jusqu'à ce que Cantacuzène, dont il fut l'oiKEioç, lui procura la fonction d'inspecteur de salines. Il parvint alors à la vraie opulence en s'appropriant en grande partie le rendement de la vente du sel. Il se fit bailleur de fonds du futur Andronic III à l'époque où celui-ci visait à écarter son grand-père Andronic II. En 1328, à l'avènement d'Andronic III, il obtint les hautes fonctions de chancelier et de trésorier. Ces deux fonctions lui assuraient une source quasi inépuisable de richesses. Au début de 1341 il sut ajouter à ses fonctions civiles un poste militaire de la plus haute importance: il fut nommé gouverneur de Constantinople et des villes environnantes ainsi que de toutes les îles appartenant à l'empire, ce qui impliquait la fonction d'amiral de la flotte. Qualitate qua il équipa à neuf la flotte impériale, y dépensant personnellement 100.000 hyperpres. Marié d'abord à la fille d'un prêtre de Sainte-Sophie, il épousa plus tard une fille appartenant à la famille aristocratique des Choumnoi. Parvenu au faîte de sa carrière il maria une des ses filles à un prince Paléologue. Rien ne le distinguait plus des c5vvaro{, si ce n'était sa seule action désintéressée: l'équipement de la flotte, en majeure partie à ses propres frais. 3 3 Alexios Apokaukos, probablement l'homme le plus riche de
33. Cantacuzène écrit qu'Apokaukos n'avait d'autre but que de gagner en popularité. Cela se peut. Il est déjà beaucoup moins croyable qu'Apokaukos ait volé au fisc les 100.000 hyperpres nécessaires à l'équipement. C'est pour cette raison que l'empereur l'aurait chassé (III, cap. 15, Bonn II, p. 99). Notons pourtant que Cantacuzène s'exprime sur cette affaire beaucoup plus vaguement dans le deuxième tome de ses mémoires, quand il en parle pour la première fois (II, cap. 38, Bonn l, p. 541). Grégoras n'aborde pas le sujet.
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l'empire,34 s'allia donc à l'impératrice et au patriarche. Il ne fut pas en peine de former un parti anti-cantacuzéniste de 8uvaro{ qui craignaient leur perte si Cantacuzène réussissait à se faire empereur. 35 Le 28 août 1341 Apokaukos mit Jean V Paléologue, le jeune empereur légitime, en sûreté en le conduisant à la forteresse d'Epibatai, l'une de ses propriétés privées. 36 Cantacuzène retourna immédiatement à Constantinople afin de revendiquer ses droits de co-régent et d'écarter Apokaukôs. Pourtant, il devait reconnaître qu'il avait perdu la capitale. Il quitta bientôt Constantinople pour préparer définitivement la lutte à main armée. 37 Un grand nombre de 8uvaro{ lui avait promis leur support 38 - ainsi la désunion de cette "classe" se faisait jour. Mais de nouveau les "légitimistes" devançaient Cantacuzène. Un des premiers jours d'octobre le patriarche lui apprenait par lettre sa destitution du haut commandement de l'armée. En même temps il faisait savoir à tous les gouverneurs de province que Cantacuzène avait été déclaré ennemi public. Tous les GrparuiJraz se trouvant à ses côtés reçurent l'ordre de retourner à Constantinople. On fit arrêter les parents et les amis de Cantacuzène habitant la capitale, on excita le peuple à piller leurs maisons. Cantacuzène n'avait plus de choix. Le 26 octobre il se proclama empereur. Les 8uvaro{ qui s'étaient déclarés en sa faveur restaient pour le moment solidaires. Cantacuzène disposait de 2000 GrparuiJraz (tous des cavaliers) et de 4000 fantassins. Le reste de la population était 34. V. la description de ses richesses chez Grégoras, XII, cap. 4, Bonn II, p. 585, 602-03.
35. Grégoras, XII, cap. 2, Bonn II, p. 578. 36. Chr.Br. nr. 8, 34 dans Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, t. l, p. 81; Grégoras, XII, cap. 8, p. 599; Cantacuzène, III, cap. 10, Bonn II, p. 70-71. Grégoras se taît sur les mesures de sûreté d' Apokaukos. Il dit seulement qu'Apokaukos, après avoir commis un méfait, avait pris peur et s'était enfui à Epibatai. Selon Cantacuzène, Apokaukos avait enlevé Jean à l'insu de sa mère. Il est curieux de voir Apokaukos peu de temps après en compagnie de l'impératrice et du patriarche et en parfaite intelligence avec eux. Cf Parisot, Cantacuzène, Homme d'Etat et Historien, Paris 1845, p. 169 et 172, n.3. 37. Cantacuzène quitta Constantinople le 23 septembre. V. van Dieten, op.cit., Anmerkung 27, p. 246-48. 38. Grégoras, XII, cap. 6, Bonn II, p. 596; Cantacuzène, III, cap. Il, p. 74-75, 77-79.
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son ennemi. Le patriarche excommunia l'usurpateur et tous ses partisans. Le 19 novembre il fit proclamer officiellement le jeune Jean V empereur. 39 Cantacuzène se voyait contraint à s'adresser à son tour à ceux qu'il considérait désormais comme ses sujets, mais il n'avait rien à leur offrir. Il envoya des lettres pleines de promesses aux 8vvarol et aux arparuiJraz résidant dans les villes de la Thrace et de la Macédoine. Les lettres qu'il envoya à la population en général, contenaient des menaces à peine dissimulées. 40 Les porteurs de ces lettres furent accompagnés de soldats et d'archers. Cantacuzène avait mis le feu aux poudres. L'explosion de la fureur des masses s'ensuivit. La révolte commença à Andrinople, sous la direction d'un ouvrier agricole nommé Branos et de deux autres gens du peuple, Mougdouphes et Phrangopoulos. Ils firent prisonniers de nombreux 8vvarol mais un grand nombre d'entre eux avait su se cacher à temps. Toutes les maisons des riches furent pillées et, en bien des cas, démolies jusqu'aux fondements. Des scènes pareilles se déroulaient bientôt dans les autres villes de la Thrace et de la Macédoine. De même qu'à Andrinople, presque partout on déportait à Constantinople des 8vvarol insurgés après les avoir malmenés. 41 Des 8vvarol qui se déclarèrent des sujets fidèles de l'empereur légitime, surent rester indemnes·. Ils étaient pourtant en ce cas contraints à se lier au 8ijJ.loç pour ne pas être suspectés de dissimulation. Ainsi la séquelle de Cantacuzène s'émiettait bientôt.
39. Grégoras, XII, cap. 9, p. 607-08, cap. 11, p.608-11, cap. 12, p. 611-16, cap. 13, p. 616; Cantacuzène, III, cap. 22-27, p. 135-173. C'est Grégoras qui nous renseigne sur le nombre des partisans armés de Cantacuzène (p. 614). Le patriarche prononça un discours à l'occasion du couronnement de Jean V. Il maudissait encore une fois l'usurpateur et sa faction, en exprimant l'espérance de voir que "leur sang rougirait la terre" (TOVTOlÇ (sc. Cantacuzène c.s.) J.lr, yfi KaplrOV t50{77 , J.lr, ifÂlOÇ àKTlva àvaaxol, TOVTWV KEpavvoi J.lr, ÈmÂaOOlvTo, àvaÂwJ.la art57jpov YSVOlVTO, TOVTWV aiJ.laar yfi cpOlvlXOd77) v. P. Joannou, Joannes XIV. Kalekas Patriarch von Konstantinopel, unedierte Rede zur Kronung Joannes' V., OrientaUa Christiana Periodica 27(1961), p. 38-45, ici p. 45.
40. Cantacuzène, III, cap. 26, Bonn II, p. 162. 41. ibid., cap. 28, p. 175-77, cap. 29, p. 180. Cantacuzène essayait en vain de prendre Andrinople (ibid., cap. 30, p. 187-88; Grégoras, XII, cap. 14, Bonn II, p. 620-22).
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Ajoutons que dès lors de nombreux arparzwraz ainsi que quelques notables qui se trouvaient chez Cantacuzène à Didymoteichon, l'abandonnèrent et retournèrent à Constantinople. 42 Pour Cantacuzène les revers se succédèrent rapidement au cours de l'année suivante (1342). Au début du printemps il se décida d'abord à marcher sur Thessalonique, le gouverneur de cette ville, 'Théodore Synadenos, lui ayant donné espoir d'occuper la ville sans rencontrer de résistance. Pendant sa marche, un noble serbe, nommé "Chreles" (Hrelja Ohmucevié) qui avait fait défection à son roi, se joignit à Cantacuzène avec ses troupes. Entretemps les habitants de Thessalonique avaient commencé à soupçonner le dessein de Synadenos. La révolte éclata. Elle est connue sous le nom de la révolte des Zélotes. De nos jours on leur a attribué un programme révolutionnaire de renouveau social bien défini. En réalité tout ce que nous savons des Zélotes avec certitude, c'est qu'ils étaient fidèles au gouvernement de Constantinople et que leur activité était semblable à celle du 8ijJ.loç d'autres villes. 43 Deux princes Paléologue, Andreas et Michel, dirigeaient l'insurrection. Synadenos fut mis en fuite. Accompagné d'un millier d'amis et de arparzwraz, il se joignit également à Cantacuzène. Celui-ci pourtant fut mis au désespoir lorsqu'il apprit qu'une grande armée impériale s'approchait, tandis que peu après Apokaukos lui-même arrivait à Thessalonique avec une flotte de plus de cinquante vaisseaux. 44 42. Cantacuzène, p. 180; Grégoras, XII, cap. 12, p. 615-16. Parmi eux se trouvait Jean Vatatzes; v. sur lui p. 108-09 de ce livre. 43. Ce furent K. Sathas et O. Tafrali qui introduisirent les idées fausses sur les Zélotes, en interprétant incorrectement un traité de Nicolas Cabasilas, datant selon toute probabilité des années '70. V. 1. Sevcenko, Nicolas Cabasilas' "Anti-Zealot" Discourse: A Reinterpretation, Dumbarton Oaks Papers 11(1957), p. 81-117; du même auteur A Postscript on Nicolas Cabasilas' "Anti-Zealot" Discourse, Dumbarton Oaks Papers 16(1962), p. 403-08. 44. Cantacuzène, III, cap. 40, Bonn II, p. 243 sqq; Grégoras, XIII, cap. 1, Bonn II, p. 634 sqq. L'armée loyaliste se composait en partie d'un grand nombre de a'fpa'fU'jj'fal restés fidèles aux Paléologues et puis de soldats ramassés à la hâte parmi le menu peuple, comme des artisans etc. Ceuxlà formaient le gros des troupes loyalistes (Cf Grégoras, p. 368: avpqJE'fdJ811Ç OXÀoç KaiàYPOlKIKoç;Cantacuzène, cap. 42,p. 254-55;DémétriusCydonès, Oratio II, éd. Cammelli, p. 80: oi aanpoi SKEïvOI Kai 8ElÀoi a'fpanw'fal ... ).
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A proximité d'un petit fleuve, le Galykos, l'armée loyaliste et l'armée de Cantacuzène s'affrontèrent. Cantacuzène recula devant le combat, voulant s'échapper vers l'ouest. Ce fut le signal de l'abandon pour la plupart de ses arparzwraz, d'autant plus qu'Apokaukos promettait un pardon général et des reéompenses à ceux qui rentreraient dans l'ordre. Parmi les premiers transfuges se trouvait Synadenos. Cantacuzène, laissant le choix au reste de son armée, ne retint qu'une force de 2000 hommes dont la moitié se composait des compagnons de Chreles. 45 Avec cette bande Cantacuzène s'enfuit en Serbie et s'allia au roi de ce pays, Etienne Dusan, le rebelle Chreles faisant la paix à son tour avec le roi Guillet 1342). L'usurpateur semblait plus loin que jamais du trône de Constantinople. 46 Il savait pourtant que tout n'était pas encore perdu pour lui. Les J.l,6aOl et les ovvaroi emprisonnés et ceux qui avaient dû se lier au oijJ.l,Oç pour avoir la vie sauve, n'avaient plus d'autre chance de délivrance que par sa victoire. Didymoteichon, la ville qui avait toujours été sienne, le point de départ de ses entreprises, où demeuraient maintenant sa femme Irène et beaucoup de ses proches parents, tenait toujours ferme contre un détachement de l'armée impériale et contre les paysans insurgés des environs. Cependant, même son alliance avec Etienne Dusan s'avérait un malheur. Au cours de l'été, alors que Cantacuzène s'efforçait en vain de se frayer un chemin vers Didymoteichon, ses troupes serbes, fournies par le roi, désertaient. A la fin il ne lui restait que 500 hommes. Il repartit pour la Serbie (octobre 1342) où le roi lui procurait au moins l'asile. 47 45. Cantacuzène, cap. 39-40, p. 237-48; Grégoras, XIII, cap. l, p. 634-5. C'est dire que Cantacuzène avait perdu après huit mois 80% de ses troupes. Beaucoup de Grparrwraz et quelques EVYEVEiç, originaires de Didymoteichon l'abandonnèrent même, parmi eux l'un de ses OiKEioz, nommé Apelmenes, qu'il avait cru lui être très dévoué. D'humble origine Apelmenes avait monté en grade par les faveurs de Cantacuzène, juste comme Apokaukos (Cant., p. 246-47). A un autre endroit Cantacuzène écrit qu'aucun des aristocrates n'osait plus se fier à ses oiKEz6raroz craignant d'être trahi par eux (cap. 50, p.299). 46. Cantacuzène, cap. 45, p. 271-77; Grégoras, p. 636-642. 47. A Constantinople on croyait la cause gagnée. On s'imaginait que Cantacuzène se retirerait à l'Athos. Le peuple, triomphant, se rendit solennelle-
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De Constantinople à Thessalonique, tout le pays était en flammes. 48 Une catastrophe semblait inévitable. Irène, en contact permanent avec son époux au moyen d'émissaires, se décida à requérir l'aide du roi bulgare Ivan Alexandre en vue de la levée du siège de Didymoteichon (l'initiative venait probablement de Cantacuzène). Le roi ne tardait pas à envoyer des troupes, qui bientôt se battaient contre les réguliers de Constantinople, tout en tuant les habitants de la ville qui osaient marauder hors des murs en quête de nourriture. Les Bulgares ne firent aucun effort pour libérer la ville. 49 Un jour de grand matin, les Bulgares et les troupes loyalistes disparurent. Ce n'était pas la délivrance, c'était l'annonce de la fin de l'empire byzantin. Cantacuzène avait envoyé son beau-frère Jean Asen à Aydin afin de prier Umur de libérer sa famille et ses fidèles à Didymoteichon. so Umur arriva en grande hâte (hiver 1342/3). La conquête de la péninsule des Balkans par les Turcs commençait.
La chute des ôvvaro( et ses conséquences Jetant un regard en arrière, on constate que les événements des années 1341 et 1342 qui, à première vue, semblent caractérisées par une lutte de classe, montrent en réalité un conflit au sein d'une seule classe, divisé par des intérêts contraires, mais homogène du point de vue social. On pourrait dire que des frères ennemis se confrontent sans se rendre compte du danger qui les menace du dehors. Les pauvres, les masses populaires, le ôfjJ,lOç, représentaient le véritable ennemi. Le proche avenir le prouverait. ment à l'église de la Theometer Hodegetria. Des gens aisés, peu inclins à prendre partie à la célébration, furent torturés et assassinés. De nouveau on pilla des maisons riches. Ce fut alors que Patrikiotes (v. supra note 28) tomba victime de la fureur du <5fiJ.loç. Il est clair qu'on le savait très lié d'amitié avec Cantacuzène, même si l'on ne pouvait savoir le fin de leurs relations financières. V. pour ces événements Cantacuzène, III, cap. 50, Bonn II, p.296-98. 48. Canto III, cap. 50, p. 297; Grégoras, XII, cap. 12, Bonn II, p. 613-14. 49. Canto III, cap. 56, p. 336-38. 50. Canto III, cap. 56, p. 344; Grégoras, XIII, cap. 4, Bonn II, p. 648-52. V. les chapitres sur Cantacuzène et sur Grégoras.
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Le conflit commença par un heurt entre Cantacuzène, le 8uvar6ç ambitieux, et l'impératrice ainsi que le patriarche de Constantinople. Nous avons vu que les 8uvaroi s'étaient assimi-
lés en général au milieu des gouvernants: la famille impériale, le haut clergé, les hauts fonctionnaires et dignitaires de l'Etat et la noblesse aulique. Les orparufJraz s'accommodaient à cette situation. Dès que Cantacuzène s'assura du support d'un bon nombre de 8uvarol et de orparzmraz, le front uni des hautes classes de la société se brisa. L'heure du 8fjJ..loç était venu de profiter de cette dissension en attaquant ses pires oppresseurs, les 8uvarol. N'oublions pas d'ailleurs que les gouvernants avaient été les premiers à mettre le 8fjJ..loç en mouvement. En octobre 1341 Alexios Apokaukos faisait arrêter les parents et les amis de Cantacuzène qui se trouvaient à Constantinople et incitait le 8fjJ..loç de la ville à piller leurs maisons. Ce n'était pas une nouvelle invention de sa part. Sans parler du fait que la manoeuvre avait une tradition millénaire, l'histoire de Byzance avait produit tout récemment d'autres exemples de cette espèce. Au début du siècle Andronic II avait fait attaquer à Constantinople les 8uvaroi par la population pendant quelques jours afin de faire diversion aux soucis du 8fjJ..loç dont la misère était particulièrement grande à ce moment. SI De même, Andronic III avait laissé démolir les maisons des grands dignitaires de son grand-père en 1328. 52 Dans les deux cas les empereurs disposaient pourtant de troupes qui pouvaient en finir avec les troubles à tout moment. En 1341 le gouvernement n'en disposait plus, parce qu'elles s'inclinaient de plus en plus du côté de Cantacuzène. Mais il y avait plus. Les gouvernants ne se rendaient pas compte du désespoir des masses qui n'avaient plus rien à perdre. Leur haine s'était tournée contre tous les riches, contre tous ceux qui étaient au~dessus d'elles. Dans cette situation les gouvernants n'avaient d'autre choix que de leur assigner pour de bon un rôle important dans le conflit, qui devenait ainsi général. Il se voyaient obligés de s'allier provisoirement au 8fjJ..loç et de sévir contre les 8uvaroi plus sévèrement qu'ils ne l'eussent désiré probablement.
51. Pachymérès, II, Bonn II, p. 529-33, 546-47. 52. Grégoras, IX, cap. 6, Bonn l, p. 425.
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Alexios Apokaukos prit enfin des mesures franchement dictatoriales pour défendre le trône des Paléologues. De 1343 jusqu'à sa mort, le Il juin 1345 (il fut assassiné pendant une visite à une prison où étaient écroués deux cent nobles), il fit emprisonner presque tous les 8vvaroi qui avaient éveillé sa méfiance. 53 Ceux qui avaient été cantacuzénistes avant de passer au parti légitimiste, furent ses premières victimes. Ainsi Synadenos, d'abord promu aux plus hautes dignités par Apokaukos, et qui avait compté parmi les hommes les plus riches de l'empire, fut bientôt consigné à domicile et mourut dans une extrême indigence. 54 Mais Apokaukos réduisit également au silence beaucoup de ses alliés de la première heure. 55 Cependant, il y eut peu d'assassinats pendant sa dictature. Les grands massacres des 8vvaroi par le 8ijj.loç n'eurent lieu qu'après sa mort, surtout à Constantinople (les deux cent hommes, mentionnés ci-dessus) et à Thessalonique (cent morts), où un fils d'Apokaukos, nommé Jean, avait voulu livrer la ville à Cantacuzène. Il va sans dire que, tant qu'on lâcha la bride à la rage du 8ijj.loç la condition des j.lÉooz n'était pas non plus enviable. Cependant, en général ils souffraient moins. 53. Grégoras, XIII, cap. 8, Bonn II, p. 665; XIV, cap. 3, p. 701-2; XIV, cap. 10, p. 730-31. Après sa mort, l'impératrice Anna et le patriarche remplaçèrent Apokaukos par Isaac Asen, frère d'Andronic Asen, beau-père de Cantacuzène. De même qu'Apokaukos, Isaac Asen sévit contre l'aristocratie. Beaucoup d'tv8o,;ol cherchèrent en vain asile dans Sainte-Sophie, d'autres se sauvèrent à Galata où ils étaient en sûreté (Grégoras, XV, cap. 1, p. 748). Démétrius Cydonès commente (Oratio II, Cammelli p. 81): TpÉ1rel 8r, eEOÇ auroùç br' àÀ.À.ljÀ.ovç, aurovç rE rfjç avvExouç mç ËOl1Œ KaKiaç J-llaljaaç Kai rfl rou fJaarÀ.ùùç àj.lvVWV àpErfi oürwç à8iKWÇ nOÀ.Ej.lOVj.ltVIJ Kai aj.la rfjç roaavr11ç nOV1]piaç OUx EvpiaKwv aurwv KOÀ.aaràç mKportpovç. Kai roaourov àÀ.À.ljÀ.ovç Kartlpayov marE Kai rfic Ëv IIon8ai{l nOÀ.wpKiaç à118tarEpa raura YEvta8ar· ou nç 8E vnEÀ.tÀ.El7rro.
54. Cantacuzène, III, cap. 79, Bonn II, p. 491-92. 55. Il fit ainsi emprisonner entre autres Andronic Asen (v. note 53 supra; Canto III, cap. 68, p. 421), Georges Choumnos (cousin de sa femme) et Constantin Asen (frère d'Andronic et d'Isaac) avec le fils de celui-ci (ibid., cap. 55, p. 336) et Jean Raoul Gabalas (ibid., III, cap. 80, p. 497-98; Grégoras, XIV, cap. 5, p. 710-11, cap. 8, p. 726). On comprend que dans ces circonstances un grand nombre de 8vvaroi d'abord anticantacuzénistes, espéraient le retour de Cantacuzène. Parmi eux se trouvaient deux fils et un cousin d'Apokaukos lui-même (Cant. III, cap. 88, p. 541-543).
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Les 8vvaroi cantacuzénistes qui, d'une manière ou d'une autre, avaient échappé à la fureur du 8fjl1oç, s'empressèrent de renouer des liens avec les Paléologues. Ceux qui s'étaient unis à Cantacuzène "for better and for worse", étaient devenus des desperados. Ayant perdu toutes leurs possessions, tandis que beaucoùp de leurs parents étaient emprisonnés, ils voulaient que Cantacuzène continuât la lutte à tout prix. Nous avons vu que de son côté celui-ci était prêt à des mesures désespérées. II réussit enfin, en conséquence, à occuper le trône de Constantinople avec l'aide des Turcs; sans eux il n'aurait pas eu de chance, ses propres contingents étant insignifiants. 56 Le trône de Cantacuzène fut dès le début chancelant. Fort appauvri par ses entreprises des années passées, il ne pouvait pas récompenser ses amis par ses propres moyens. Il dut se réconcilier avec les Paléologues (le mariage de Jean V avec Hélène eut enfin lieu); en même temps il promettait que tout le monde sortirait des troubles indemne. 57 Cependant, il ne pouvait pas dédommager les uns sans prendre aux autres. Toute une classe de parvenus était entrée en scène. 58 C'étaient des gens dont l'origine avait été aussi humble que celle d'Apokaukos et dont la carrière avait été également peu honorable. Ils avaient profité de la guerre civile au détriment des cantacuzénistes. Si leurs richesses étaient bien moindres que celles d'Apokaukos, ils n'avaient d'autre but que de rat56. A la petite bande qui l'avait accompagné en Serbie en octobre 1342, se joignirent enfin au printemps 1343 les arparu'iJral que- les ôvvaro[ de Thessalie avaient promis de lui envoyer. Cependant, ce potentiel ne suffisait . pas à entreprendre une action d'importance contre les armées impériales. V. le chapitre sur Cantacuzène. 57. Cantacuzène, III, cap. 100, Bonn II, p. 614; cf Grégoras, XV, cap. 11, Bonn II, p. 790-91. 58. Grégoras, XII, cap. 11, Bonn II, p.609-1O; XV, cap. 11, ibid., p. 790-91; Cantacuzène, III, cap. 38, Bonn Il, p. 234-35; cap. 50, p. 298; Démétrius Cydonès, Oratio Il, éd. Cammelli, p. 79-80. V. en général la deuxième partie de ce livre. Le gouvernement impérial se servait des biens confisqués de Cantacuzène et de ses partisans pour payer de nouveaux fonctionnaires civils et militaires. On ne dispose que d'un seul acte en faveur d'un certain Jean Margarites, qui confirme les sources littéraires (v. P. Lemerle, Un praktikon inédit des archives de Karakala (janvier 1342) et la situation en Macédoine orientale au moment de l'usurpation de Cantacuzène dans Xaplar77PWV Eiç A.K. 'OpÀavôov, l, Athènes, 1964, p. 278-98.
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traper leur retard le plus tôt possible. D'autre part les familles anciennes qui avaient aidé Cantacuzène, ainsi que ses OiKêlOl devaient être satisfaites. 59 Il est vrai que les 8uvaroi en tant que groupe isolé, avaient disparu. A Constantinople plus de deux cent d'entre eux avaient été assassinés, à Thessalonique plus de cent. Les survivants étaient fort appauvris. Certaines régions d'autre part - où l'autorité impériale s'était déjà longtemps désintégrée - n'avaient pas été touchées par la guerre (la Thessalie, le Péloponnèse). Les grands propriétaires fonciers n'y avaient pas été incommodés par des insurrections. En Thrace un certain nombre de 8uvaroi ne s'était jamais rebellé contre les Paléologues et par conséquent n'avait jamais perdu ses possessions. 60 Toute cette fraction de l'aristocratie n'aimait pas devenir la victime de la pénurie de Cantacuzène. Comble de malheur, Jean V essayait continuellement de se débarrasser de Cantacuzène (depuis 1351). Bref, le pouvoir impérial de Cantacuzène s'avérait faible d'un bout à l'autre. Après son abdication en 1354 - résultat de la pression du 8ijJ..Loç -les anciennes et les nouvelles puissances s'entendirent. Jean V Paléologue, maintenant arrivé à l'âge adulte, régnait désormais en sûreté. " ... zum Schluss vereint am Tische essen sie des Armen Brot". Le vers est vraiment à propos. Après 1354 le 8ijJ..Loç avait fini de jouer un rôle actif dans la vie publique de Byzance. Aucun parti n'avait plus besoin de lui. A vrai dire, il n'y avait plus de partis, malgré les différends et les rivalités qui continuaient à diviser la 59. Cantacuzène réussit à récompenser quelques-uns d'entre eux, par exemple Demetrios Deblitzenos, arpunwrT/ç et plus tard un de ses OiKElOl, dont la 7roaorT/ç fut considérablement augmentée en 1349 jusqu'au montant annuel de 400 hyperpres (v. N. Oikonomides, The Properties of the Deblitzenoi in the Fourteenth and Fijteenth Centuries dans Charanis Studies, éd. A.E. Laiou-Thomadakis, New Brunswick 1980, p. 176-198; cf Dôlger, Regesten, t. 5, nr. 2954). Beaucoup plus grand fut pourtant le nombre de ceux qui ne pouvaient pas être contentés; cf Grégoras, XVI, cap. 2, p. 798-801. où Jean Asen se plaint de Cantacuzène à Matthieu, fils de celui-ci. 60. Par exemple les maisons Choumnos et Metochites. La veuve d'Apokaukos, elle aussi appartenant à la famille Choumnos, garda la forteresse d'Epibatai avec tous les trésors qu'elle abritait. Une de ses filles, veuve d'un prince Paléologue, épousa Jean Asen, beau-frère de Cantacuzène (Grégoras, XVI, cap. 1, p. 797). Tout ce chassé-croisé prouve une fois de plus l'inanité des théories de Matschke.
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nouvelle élite. Les aristocrates, les }.lSGOZ d'avant-guerre et les nouveaux riches se jalousaient les uns les autres et se disputaient les derniers lambeaux du sol de l'empire. 61 Mais tous s'accordaient pour pressurer les pauvres pire que jamais. Dans un traité qu'on peut dater de la deuxième moitié du règne de Cantacuzène, Alexios Makrembolites est d'avis que maint pauvre ne fut détourné du suicide que par la crainte de Dieu. 62 Il est incroyable que l'élite citadine ne pensait qu'à s'enricher au moment où sa ruine était inévitable. Cette ruine ne tarda pas longtemps. Les Turcs occupaient sans grand effort la Thrace et la Macédoine. Didymoteichon tomba entre leurs mains en 1361, Philippople en 1363, Andrinople en 1369. 63 A la fin il ne restait aux Byzantins que Thessalonique et Constantinople. Dans ces ilôts les 'pauvres étaient étroitement tenus dans les serres des riches. A Thessalonique, plusieurs fois longuement assiégée, les riches continuaient à faire bonne chère, tandis que les pauvres en désespoir de cause ne voyaient d'autre issue à leur misère que la capitulation. 64 Pendant le deuxième siège de la ville (1423-30) un général fut envoyé par l'empereur afin d'organiser la défense. Lors61. Au plus haut niveau, les Paléologues s'emparaient, après la mort de Manuel Cantacuzène (fils de Cantacuzène), définitivement du Peloponnèse, après l'avoir disputé pendant une trentaine d'années à la famille Cantacuzène. 62. Sabb. 417, f. 45 v, notre édition infra p. 283. 63. Sur la date de la prise d'Andrinople v. 1. Beldiceanu-Steinherr, La conquête d'Andrinople par les Turcs: La pénétration turque en Thrace et la valeur des chroniques ottomanes dans Travaux et Mémoires 1(1965), p. 439-61; cette date a été confirmée par l'analyse d'une source grecque, v. E. Zachariadou, The Conquest of Adrianople by the Turks, Studi Veneziani 12(1970), p. 211-218. Rappelons que la Macédoine avait déjà été conquise vers 1345 par Etienne Dusan. Après la bataille de la Maritza (1371) Manuel Paléologue reconquit Serres et la Macédoine orientale. Cette région fut définitivement soumise par les Turcs dans les années '80.V. P. Lemerle, Philippes et la Macédoine à l'époque chrétienne et byzantine, Paris 1945, p. 214-19. 64. D. Balfour, Politico-Historical Works of Symeon, Archbishop of Thessalonica (1416/7 to 1429), Critical Greek Text with Introduction and Commentary, Vienne .1979, p. 55-56 (trad. p. 157-158). V. le chapitre sur Démétrius Cydonès.
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que celui-ci réclama aux notables une contribution extraordinaire, il dut essuyer un refus. 6s Thessalonique tomba enfin en 1430; l'occupation par les Turcs fut suivie d'un massacre horrible. 66 Jusqu'à la fin de l'empire la mentalité des insatiables ne changea pas. Une chronique en grec vulgaire relate qu'après la prise de Constantinople les Turcs trouvèrent des grands trésors entassés dans les maisons des notables. L'auteur s'indigne de ce que toutes ces richesses n'aient pas été employées à alléger la détresse générale. 67
65. ibid., p. 57 (trad. p. 161-63). 66. Voir S. Vryonis, The Ottoman Conquest of Thessaloniki in 1430 dans Continuity and Change in Late Byzantine and Early Ottoman Society, Birmingham/Washington D.C. 1986, p. 281-321. 67. XPOVlKOV 7rEpi TroV TOVpKWV LOVÀTtlVWV, éd. G. Zoras, Athènes 1958, p. 92.
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DEUXIÈME PARTIE LES POSITIONS INDIVIDUELLES
CHAPITRE 1
L'usurpateur: Jean Cantacuzène
Jean Cantacuzène naquit vers 1295.' Pendant sa jeunesse, il eut pour ami le futur empereur Andronic III, qui était à peu près de son âge. Parmi ses ancêtres nous trouvons un grand nombre de hauts fonctionnaires militaires et civils. Le premier des Cantacuzènes qui nous soit connu (f7oruit env. 1100) était capitaine de mérite sous le règne de l'empereur Alexis 1 Comnène. On est mal renseigné sur le père de Cantacuzène. Nous ignorons même son prénom; il fut pourtant gouverneur du Péloponnèse pendant huit ans à la fin du 13e siècle. On sait que Jean était encore enfant à 1. Une biographie moderne de Cantacuzène n'existe pas. Toujours intéressant et utile, bien que suranné est le livre de V. Parisot, Cantacuzène, homme d'Etat et historien, Paris 1845. Il Y a quelques monographies dans lesquelles Cantacuzène figure dans un rôle plus ou moin important: P. Lemerle, L'émirat d'Aydin, Byzance et l'Occident; Recherches sur "La Geste d'Umur Pacha", Paris 1957; D.M. Nicol, The Byzantine Family of Kan takouzenos (Cantacuzenus) ca. 1100-1460, Washington D.C., 1968; G. Weiss, Joannes Kantakuzenos - Aristokrat, Staatsmann, Kaiser und Monch - in der Gesellschajtsentwicklung von Byzanz im 14. Jahrhundert, Wiesbaden 1969. La monographie de Lemerle est très utile, mais l'auteur se montre trop crédule à l'égard des témoignages de Cantacuzène. Le livre de Nicol ne sert qu'à nous renseigner sur les données prosopographiques concernant la famille Cantacuzène. G. Weiss présente son livre comme une étude sociologique, ne prêtant pas d'attention aux traits individuels de Cantacuzène. V. enfin E. Werner, Johannes Kantakuzenos, Umur Pasa und Orchan, dans Byzantinoslavica 26(1965) p. 255-76; J. Gill, John VI Cantacuzène and the Turks, dans Byzantina 13(1985), p. 57-76. Le grand ouvrage historique de Cantacuzène lui-même a pour titre 'Iarop{al. Cependant, il s'agit plutôt de mémoires que d'une oeuvre historique. Aussi, ainsi que tous les byzantinistes l'ont fait avant nous, nous lui donnerons le nom de mémoires. On trouve le texte dans le Corpus Bonn, éd. L Schopen, 3 t., Bonn 1828, 1831, 1832.
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la mort de son père. Sa mère, dont le prénom était Théodora, était une proche parente des Paléologues et des Angeloi; il se peut même qu'elle fût une princesse Paléologue. Elle était de tempérament impérieux et avait une influence considérable à la cour impériale. On a peu de détails sur sa personne et sur son activité, bien qu'on ait plus de lumière sur elle que sur son mari, nous allons le voir par la suite. Avant le conflit entre Andronic II et son petit-fils Andronic(III) Cantacuzène épousa Irène Asanina, petitefille de l'empereur Michel VIII et d'Ivan Asen III, roi des Bulgares. La famille des Cantacuzènes, originaire de Didymoteichon, comptait parmi les 8vvaro{. Ils étaient probablement les plus riches d'entre eux. Cantacuzène, dans ses mémoires, nous donne une idée de l'importance de ses biens avant leur confiscation par le gouvernement impérial, au mois d'octobre 1341. Il écrit qu'il est dans l'impossibilité de fournir une évaluation exacte des biens monétaires, ainsi que meubles et immeubles enlevés à sa mère et à lui-même. Ses intendants, stationnés en plusieurs villes de l'empire pour les administrer, ne le savaient pas non plus, tant ses richesses étaient considérables. 2 Cantacuzène peut toutefois nous livrer une description du cheptel: 500 boeufs, 1000 animaux de trait, 2500 juments, 200 chameaux, 300 mulets, 500 ânes, 50.000 cochons et 70.000 moutons,3 répandus par tout l'empire (par exemple près de Serres sur la Strymon, à Traianoupolis à l'embouchure de la Maritza, puis à Constantinople même).4 Cantacuzène s'étonne lui-même de la quantité énorme des provisions de produits agricoles confisquées. Il les qualifie d'incroyables et difficiles à compter. 5 Enfin il possédait en propre une forteresse près de Didymoteichon, nommée Empythion. Elle était en ruine au moment de l'achat, mais il l'avait renovée magnifiquement et 2. III, cap. 30, Bonn II, p. 184-85: Tov J.ll:v ovv TWV XPT/J.laTWV àpd}J.l6v, oaoç Èv Bv(avTicp Kaz Taïç Q).,).,UlÇ n6).,t:alv uno TWV Tà {3aal).,i80ç nparr6vTwv 8lT/pnaYT/ {3aaz).,Éwç Tt: Kaz Tfiç J.lT/TpOÇ, aaq>ÉaTaTa t:int:lV OVK Ëarzv, ov81: TWV ÈX6VTWV aVTwv t:i86TWV uno nÀ.'TjOovç à KPl{3WÇ. 3. ibid., p. 185. 4. Comme il ressort des actes des monastères de l'Athos (Kutlumus, Vatopedi, Saint-lean-Prodrome); v. Nicol, Family, p. 32-33. 5. ibid., p. 185: ... Kapnwv 81: a7l'laT6v Tl xpfiJ.la Kaz 8vaapiOJ.lT/TOV KOJ.ll8fi·
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l'avait fortifiée de manière à lui servir de refuge quasiinexpugnable. Empythion devenait en même temps une trésorerie parmi les plus importantes dont il disposait. 6 L'ambition politique avait toujours été très grande chez Cantacuzène. Avec Théodore Synadenos et Syrgiannes, également parents des Paléologues, il avait poussé Andronic (III) à la rébellion. Après le couronnement officiel d'Andronic III comme coempereur (1325) Cantacuzène fut nommé J.lÉraç DOJ.lÉanKoç, c'est-à-dire généralissime de l'armée impériale, charge qu'il avait dès le début ambitionnée avant tout. 7 Il n'y a pas de doute que Cantacuzène a été le collaborateur d'Andronic III pendant les années '30. Nous ne parlerons que de leur politique à l'égard des Turcs. On peut dire en général qu'ils s'étaient résignés à la perte de l'Anatolie occidentale. Seules les villes sur l'Hellespont et sur la Propontide devaient être gardées à tout prix en vue de la préservation de Constantinople. 8 Le territoire s'étendant du Péloponnèse à Constantinople, et incluant les îles Egéennes, constituerait désormais le noyau de l'empire. Tandis que les détroits entre la Grèce et l'Anatolie étaient considérés comme une frontière naturelle entre Grecs et Turcs, la péninsule des Balkans était toujours censée appartenir à l'empire. C'est de 6. Grégoras XIV, cap. 5, Bonn II, p. 708; Cantacuzène, III, cap 32, Bonn II, p. 195; III, cap. 71, p. 433. 7. Cantacuzène n'en dit rien, mais évidemment les conspirateurs n'appuyaient pas Andronic par altruisme. Non seulement Cantacuzène devint psyaç 8opsanKoç mais en outre Apokaukos fut revêtu de la fonction de pEaa~IDv. Nous retrouvons Théodore Synadenos, en 1321 gouverneur de Prilep, comme gouverneur de Constantinople en 1328 avec le titre de 7rpIDrOarparIDp (Grégoras, IX, cap. 8, p. 432; Cantacuzène, II, cap. 1, Bonn l, p. 312). Cf Weiss: "Von einer Verpflichtung auf Gegenleistungen durch Andronikos ist nichts überliefert" (op.cit., p. 24). Grégoras, qui n'était pas sociologue mais historien, dit expressément: QurID lfJparp(a nç àppayr,ç Ev8ùç oi aV8pID7rOZ tyEyovEzaav Kai opKIDporr,pra lfJP(Kl1Ç pEarà çvvEri80vv TE Kat t8i8oaav Kat lmoaxsaEzç pEyaÀIDV àvn80aEIDv Kat yEproV àvrEÀapf3avov (VIII, cap. 4, Bonn l, p. 301-02). Cf van Dieten, trad. Grégoras , t. 2, 1, p. 131.
8. L'expression "à tout prix" doit être entendue à la lettre. Après la défaite de Pelekanon, Andronic paya annuellement 12000 hyperpres à Orkhan, rien qu'afin de conserver les villes en question. Voir Schreiner, Kleinchroniken, t. 1, p. 80; cf la première partie de notre livre, Ch. II, note 55.
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ce côté-là qu'on tenta une "reconquista".9 Il ne faut pourtant pas exagérer le rôle de Cantacuzène ni dans les projets politiques et militaires de ces années, ni dans les tentatives de les réaliser. Ce n'est que beaucoup plus tard, dans ses mémoires, que Cantacuzène a voulu faire croire à ses lecteurs qu'il avait été co-empereur de fait pendant les années '30 et qu'Andronic III lui aurait même offert à plusieurs reprises de revêtir officiellement cette auguste dignité. Pourtant, à l'époque en question, on ne remarque de la part de l'empereur aucun signe d'une pareille considération, ni de celle de Cantacuzène des activités révélant des pouvoirs extraordinaires. Cantacuzène a inventé tout cela après coup afin de revendiquer ses droits à la succession d'Andronic 111. 10 C'est toujours dans le cadre de cette apologie que l'usurpateur, dans le deuxième livre de ses mémoires falsifie l'histoire des rapports byzantino-turcs pendant le règne d' Andronic III, particulièrement les rapports avec Umur, l'émir d'Aydin. Jusqu'à nos jours les byzantinistes à ce sujet l'ont cru sur parole. Selon eux, Cantacuzène, sous le règne d'Andronic III, se serait déjà tourné vers les Turcs. Les traités qu'Andronic III conclut
9. On peut dégager ces idées de Cantacuzène, III, cap. 12, Bonn II, p. 80-82. 10. Cantacuzène, II, cap. 9, Bonn l, p. 363-370; II, cap. 14, ibid. p. 391-92; III, cap. 53, Bonn II, p. 311, 314 sqq. La propagande cantacuzéni ste commença dès que Cantacl}zène se proclama empereur en octobre 1341. On en voit un reflet chez Grégoras, bien d'années avant que Cantacuzène se mit à écrire ses mémoires. Au livre XII, cap. 2 de son Histoire, Grégoras fait une allusion à l'intention d'Andronic de faire Cantacuzène empereur (Bonn II, p. 578). Van Dieten commente: "Die Tatsache solcher Angebote ist darum, auch wenn Gregoras politisch auf der Seite des Kantakuzenos steht, kaum anzuzweifeln" (op.cit., t. 3, Anm. 26, p. 224). Cependant, au livre XXVII, cap. 38 (Bonn III, p. 158) on rencontre un passage contredisant exactement ce que Grégoras avait écrit antérieurement. Sur cette problématique v. notre chapitre sur Grégoras. On comprend que nous refusons catégoriquement l'obscurantisme de Franz D6lger (Johannes VI Kan takuzen os ais dynastischer Legitimist dans Seminarium Kondakovianum 10(1938), p. 19-30; réimpr. dansnAPAEnOPA, Etta11961, p. 194-207), qui fut parmi les premiers à réhabiliter Cantacuzène, honni jusqu'alors à juste titre par les byzantinistes.
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avec eux auraient été en réalité l'oeuvre de Cantacuzène. 1 1 Celuici aurait même été "turcophile"; il se serait même agi d'un "tournant décisif" vers l'Orient" .12 Comme nous l'avons déjà dit, la position politique de l'époque n'était pas nettement définie. Andronic n'avait pas de choix. Il ne pouvait que s'accommoder aux circonstances, faisant des alliances ou attaquant tant bien que mal. Cependant, il nous semble évident que Cantacuzène essaie de justifier son alliance avec Umur d'Aydin pendant les années de la guerre civile en inventant une amitié cordiale qui les aurait liés depuis longtemps. Il fait accroire aux lecteurs qu'il ignorait l'extrême méchanceté des Turcs avant de l'avoir lui-même éprouvée. Umur, personnellement, reste, par contre, d'un bout à l'autre des mémoires de Cantacuzène un noble ami et allié des Rhoméens, presque un véritable Rhoméen. Dans ces mémoires il y a des passages où l'on constate aisément que Cantacuzène entendait toute autre chose que de dire la vérité. Lorsqu'il décrit l'expédition sur la zone-frontière de l'Albanie (1338) pendant laquelle les auxiliaires turcs se montrèrent dans toute leur férocité, Cantacuzène a de la peine à cacher sa répugnance. l l A la suite de cela, l'Epire fut attaquée et annexée sans le concours des troupes turques. 14 Il semble que l'empereur et ses conseillers comprirent que les Epirotes, qu'on voulait gagner à la cause byzantine, haïraient les Byzantins plus que jamais si ceux-ci
Il. Outre la littérature citée supra, note 1, v. Ostrogorsky, Geschichte des byzantinischen Staates, Munich 1963 3 , p. 414,416-18,420; Werner, Osmanen, p. 128-30; E. Frances, Quelques aspects de la politique de Jean Cantacuzène dans Rivista di Sludi Bizantini e Neoellenici 5(1968), p. 167-76; van Dieten, op.cit., t. 2, 2, Anm. 465, t. 3, Anm. 27, p. 228; Zachariadou, Trade and Crusade (cité supra, p. 36, n. 23), p. 39 etc. etc. 12. C.P. Kyrrhis, Cause of Dichotomy of Imperial Institution dans Byzantina 3(1971), p. 369-80. 13. V. la première partie de ce livre, Ch. l, p. 48. 14. L' Histoire de Grégoras et les mémoires de Cantacuzène prouvent toutes les deux qu'on renonçait à l'aide turque afin de ménager les Epirotes. Lorsque ceux-ci se rebellèrent contre le régime byzantin en 1339, les impériaux envahirent l'Epire une seconde fois en 1340, toujours sanS auxiliaires turcs (Grégoras, XI, cap. 5, p. 545; Cantacuzène, II, cap. 31, Bonn II, p.499).
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les livraient à la fureur turque. Après la mort d'Andronic III Umur lui-même se soucia peu des obligations qu'il avait contractées envers le gouvernement byzantin. II commença à piller immédiatement les régions côtières de l'empire. Cantacuzène le raconte sans s'en étonner. II est clair qu'il ne s'était pas fait d'illusion sur son "ami de coeur" .IS II nourrissait même le projet de refouler Umur dans son émirat. II se proposait de partir pour le Péloponnèse au printemps 1342 avec une grande flotte et une forte armée. Parlant des préparatifs de guerre en vue de cette expédition il ne mentionne pas la présence de mercenaires turcs. Bien au contraire, il songeait à profiter de l'occasion pour attaquer les ports ioniens et remonter les fleuves où les Perses avaient encore d'autres ancrages, en espérant mettre le feu à tous les navires turcs qu'il rencontrerait. L'émir de Kutahia (Germian), avec lequel Cantacuzène s'était lié, prendrait les Turcs de l'Ionie à revers. Ainsi Cantacuzène pensait se libérer des dangers qu'il appréhendait du côté des Turcs d'Aydin. 16 Si la guerre civile qui allait éclater anéantit ce projet, il n'en est pas moins curieux pour cela que Cantacuzène en parle encore après un grand laps de temps. Il oublie que dans le reste de son ouvrage volumineux il ne fait que chanter les louanges d'Umur, ll'émir de l'Ionie, le fidèle sujet de l'empereur et ' l'ami des Rhoméens. Umur fut en réalité un tueur exécrable, sans pitié pour les Byzantins et méprisant leur empereur, à ses yeux un escla ve infidèle. 1 7 15. Cantacuzène, III, cap 7, Bonn II, p. 55. Cf Grégoras, XII, cap. 7, p. 596-97. Grégoras veut faire accroire au lecteur qu'Umur était venu parce qu'il avait appris que quelques membres du sénat impérial complotaient contre Cantacuzène (celui-ci ne parvient pas lui-même à inventer une pareille histoire). Selon Grégoras, Umur se serait fâché au point de vouloir châtier toute la Thrace pour punir les ennemis de Cantacuzène. V. notre chapitre sur Grégoras, p. 123-24. 16. Cantacuzène, III, cap. 12, Bonn II, p. 82. 17. Remarquons que Cantacuzène, parIant d'une attaque contre les Perses d'Ionie, désigne sans doute l'émirat d'Aydin. Les croisades de l'Occident de l'époque étaient dirigées particulièrement contre Aydin. En 1347/8 Cantacuzène déclara qu'il était prêt à attaquer les armata Smirnarum, de concert avec le pape et les autres puissances occidentales (R.-J. Loenertz, Ambassadeurs grecs auprès du pape Clément VI (1348) dans Orientalia Christiana Periodica 19(1953), p. 178-196; cf Lemerle, op.cit. supra, note 1, p. 224-26). Il est absolument faux de croire que Cantacuzène vise l'émirat de Saruhan
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Non, Cantacuzène n'était pas turcophile. Nous avons vu qu'il n'appela Umur à son secours que lorsque sa situation fut désespérée. Les ravages et les massacres faits par les Turcs au cours de la guerre civile nous sont connus en premier lieu par les écrits de Cantacuzène, moins par l'Histoire de Grégoras. On est d'autant plus repoussé par les tricheries et les falsifications que se permet Cantacuzène dans ses mémoires. Ecrits après sa chute en 1354,18 ils se présentent comme une autobiographie. L'auteur y raconte en toute sincérité sa vie passée, en historien qui n'aurait aucun intérêt personnel dans les faits et les événements qu'il relate. En réalité l'ouvrage est d'un bout à l'autre l'apologie d'un homme à l'ambition insensée, ayant suscité à l'empire un désastre, dont nul avantage a résulté. Il savait très bien qu'on l'accusait surtout d'avoir lâché les hordes turques contre ses compatriotes. Aussi le refus d'assumer la responsabilité de ce méfait est devenu un thème conducteur des mémoires. Au fond la défense est très simple. Umur d'Aydin a toujours été un ami magnanime des Byzantins. Il n'a pas prévu les crimes que ses troupes allaient commettre et il était impuissant à les empêcher. Cela vaut à plus forte raison pour Cantacuzène lui-même. De ce point de départ découlent tous les mensonges et toutes les falsifications dans la narration des rapports de Cantacuzène avec les Turcs. Avant d'aborder dans le détail le texte de Cantacuzène, nous voulons une fois de plus insister sur le fait que l'auteur avait sous les yeux l'Histoire de Grégoras. 19 Si cette oeuvre le gênait à beaucoup d'égards, elle lui convenait sous d'autres aspects, surtout en ce qui concerne l'idéalisation d'Umur d'Aydin.
*** en employant le nom Ionie (cf E.A. Zachariadou, Trade and Crusade, p. 29). Il n'y a qu'une seule fois qu'il appelle Saruhan satrape K'arà n]v '!wv{av (II, cap. 13, Bonn l, p. 388), comme Grégoras (VII, cap. 1, Bonn l, p. 214). A d'autres endroits, par contre, Cantacuzène désigne Saruhan comme satrape de Lydie (Bonn II, p. 65, 529, 553, 591), tandis qu'il nomme Umur régulièrement satrape d'Ionie (Bonn l, p. 470, 496; Bonn II, p. 409, 412, 52~, 551). Au ch. 86 du livre III (Bonn II, p. 529) Cantacuzène appelle d'une haleine Saruhan satrape de Lydie et Umur satrape d'Ionie. 18. Cantacuzène achevait le manuscrit le 8 décembre 1369. La date nous est connue par le cod. Laur. Plut. 9,9. Voir Nicol, Fam i1y , p. 100. 19. V. Ch. II de la première partie de ce livre, note 28.
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Au lever du rideau nous nous trouvons à Nouvelle-Phocée sur la côte de l'Anatolie à la hauteur de Chio. 20 C'est l'automne de l'an 1335. 21 La ville est située sur un promontoire presque inaccessible et n'a pas encore été prise par les Turcs. Elle a pour gouverneur impérial un Génois, appelé Domenico Cattaneo. En dépit de sa fonction, celui-ci, après avoir fait de la ville sa propriété privée, a occupé en outre l'île de Lesbos. En conséquence Andronic III se hâte d'aller à Nouvelle-Phocée, accompagné de Cantacuzène; il envoie entre-temps un message à l'émir Saruhan, l'invitant à faire alliance contre Cattaneo. Saruhan a des raisons pour se rendre à la proposition de l'empereur: les Génois de la ville détiennent en otages son fils Suleyman avec plusieurs autres jeunes nobles turcs. Pendant le siège de Nouvelle-Phocée, commencé par Andronic et Saruhan, surviennent Hizir, Umur et Suleyman, les trois fils d'Aydin (Mehmed) satrape d']onie, qui s'était lié d'amitié avec Saruhan. Selon Cantacuzène, les princes d'Aydin n'ont d'autre but que de faire honneur à l'empereur de Byzance et lui offrir leur amitié. L'empereur de son côté leur fait des présents précieux. Ils retournent ensuite chez eux. On apprend alors qu'une conspiration contre l'empereur s'est tramée à Constantinople. Les conjurés seraient sur le point de se rendre à NouvellePhocée afin d'y tuer l'empereur. D'une manière toute inattendue Cantacuzène dit maintenant qu'il connaissait depuis longtemps Umur d'Aydin et qu'ils avaient échangé dans le passé des lettres amicales. Devant la situation dangereuse où se trouvent les impériaux il se décide à renouer amitié avec Umur d'une manière plus personnelle. Par lettre il l'invite à un rencontre en des termes des plus chaleureux. Umur, tout heureux, reçoit Cantacuzène à Clazomènes. Quatre journées durant on fait la fête. Cantacuzène se prévaut de l'occasion en convaincant Umur qu'il aurait avantage à reconnaître l'empereur pour son souverain. Ainsi il pourrait se
20. La Nouvelle-Phocée fut fondée à la fin du 13e siècle par suite de l'important commerce d'alun dans la région. Vers 1265 Michel VIII avait octroyé une patente, pour l'exploitation des mines, aux frères Zaccaria de Gênes. Voir Balard, La Romanie Génoise (XIIe - début du XVe siècle), 2 t., Rome 1978, p. 165-67. 21. Pour la date v. van Qieten, op. cit., II, 2, Anm. 451, p. 358 et Anm. 461, p. 368.
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considérer Rhoméen, ce qui le placerait dans une situation appréciable. Si seulement il voulait envoyer un contingent supplémentaire de vaisseaux à l'empereur qui en a tellement besoin! Et si seulement il voulait promettre de ne jamais plus assiéger la ville de Philadelphie et de renoncer au tribut que les habitants lui payent! Umur le promet puisque le J..ltyaç 80J..ltaTlKOç rordonne. Les conjurés, se rendant compte de la supériorité de forces dont l'empereur dispose maintenant, grâce .à l'amitié d'Umur, font demi-tour. On apprend alors que la mère de Cantacuzène a su saisir les chefs de la conjuration à Constantinople. Après avoir remercié Umur, qui se rend de nouveau chez lui, Cantacuzène met le comble à ses succès en persuadant, rien que par son éloquence, les Génois de livrer Nouvelle-Phocée, de rendre les otages turcs et de quitter Lesbos. Bref, tout est rentré dans l'ordre. 22 Nous ne nions pas avoir tourné en ridicule un texte rédigé avec sérieux. Toutefous, nous ne croyons pas avoir à notre tour falsifié le récit historique de Cantacuzène. Tout en respectant la séquence et la connexion des faits et des événements relatés par Cantacuzène, nous en avons seulement changé le ton de manière à faire ressortir la fausseté. 23 Les impossibilités sautent aux yeux, sans qu'on ait besoin de les révéler en présentant des témoignages externes qui les contrediraient. Quel lecteur , ayant connaissance des rapports entre Turcs et Byzantins au milieu du 14e siècle, ne s'étonnerait en apprenant que trois jeunes seigneurs turcs se sont spontanément rendus auprès de l'empereur afin de lui rendre leurs devoirs? On sait que c'est absolument faux puisque ces mêmes Turcs s'en revenaient juste d'une razzia dans le Péloponnèse; ensuite ils allaient assiéger Philadelphie. 24 Pour quelle raison 22. Cantacuzène, II, cap. 29-31, Bonn I, p. 476-95. 23. Mais à vrai dire, devons nous présenter des excuses? En somme nous n'avons que très légèrement retouché les pages de Cantacuzène. Et que dire de Lemerle qui, ne se doutant de rien, donne avec le plus grand sérieux, un résumé des pages en question qui n'est pas grandement différent du nôtre? (op.cit. supra, note 1, p. 110-11) 24. Enveri, Le Destan d'Umur Pacha, éd. avec trad. 1. Mélikoff-Sayar, Paris 1954, vs 869-945, 977-1032. Pour la datation v. Lemerle, op.cit., p. 115. Cantacuzène avoue d'aileurs lui-même qu'Umur avait ravagé la côte thrace peu d'années auparavant (p. 481). Il ment indubitablement en suggérant que, grâce à son intervention, les habitants de Philadelphie n'avaient
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Umur se serait-il efforcé d'empêcher les conjurés de Constantinople de gagner Nouvelle-Phocée? Cantacuzène reste dans le vague lorsqu'il évoque ses rapports amicaux avec Umur avant le moment de leur rencontre personnelle. Il n'y a rien dans la biographie d'Umur, ni dans celle de Cantacuzène qui indique la nécessité, voire la possibilité d'une pareille communication, et, Cantacuzène ne nous instruit pas sur ce point, bien qu'il attache une grande importance à sa longue amitié avec Umur. 2S Qui peut croire qu'à ce même moment, un puissant émir turc aurait prêté l'oreille à l'invite de devenir Rhoméen et sujet du {3aolÀêvç, et se serait hâté de lui ·porter aide sur l'ordre du J.lsyaç t50J.lSaTlKoç? Umur aurait agi si vite que les conjurés de Constantinople perdirent courage en apprenant combien grande était la flotte qui les attendait. L'aventure finit par un véritable miracle. Des militaires aguerris comme les Génois auraient quitté leurs positions militaires simplement séduits par l'éloquence de Cantacuzène, fait unique dans l'histoire, osons-nous dire, évoquant une intervention divine dans le style biblique. Si nous avons de la peine à croire au récit de Cantacuzène dans la forme où il le présente, nous sommes toutefois heureuse de disposer de preuves positives de sa fausseté. Le témoin le plus important sur ce point est Grégoras. De même que Cantacuzène, Grégoras ne répugnait pas à altérer la vérité ou à la taire si cela lui convenait, mais dans les onze premiers livres de son Histoire il ne s'en éloigne pas trop.26 Ecoutons-le maintenant sur l'épisode que nous venons de résumer. De même que Cantacuzène, Grégoras écrit que le f3aalÀêvç prend l'initiative des négociations avec Saruhan, sachant que les fils de celui-ci étaient tombés aux mains des Génois. Il fait également mention de la conjuration à Constantinople et de la conduiplus à payer tribut. Sur Philadelphie v. notre chapitre sur Matthieu d'Ephèse. 25. On pourrait penser à une rencontre antérieure en 1332, lorsque les armées de l'empereur et celles d'Umur se faisaient face sur la côte thrace (Cantacu~ène, II, cap. 28, Bonn l, p. 470-73). Cantacuzène écrit pourtant luimême qu'Umur se retira sans livrer bataille. II ne parle pas d'une amitié qui se serait établie entre eux. Etant donné les circonstances, il n'yen avait certainement pas moyen. Sur cette expédition, v. LemerIe, op.cit., p. 70-73. 26. V. notre chapitre sur Grégoras, p. 119.
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te courageuse de la mère de Cantacuzène. Il donne à entendre qu'Andronic conclut un traité non seulement avec Saruhan, mais encore avec Umur. Cantacuzène n'est jamais nommé pendant toute cette période. Les Génois de Nouvelle-Phocée se rendent lorsque la nourriture leur vient à manquer en conséquence du siège prolongé des Byzantins et des Turcs. Pas un mot sur un complot visant au meurtre de l'empereur dans son camp et ayant échoué grâce à l'intervention du fidèle Umur. La fin de la conjuration à Constantinople ne coïncide pas à point nommé avec la capitulation des Génois. Aussi l'empereur ne se rend pas plein de contentement à Constantinople, mais au contraire plein d'inquiétude. Comme nous l'avons dit, Cantacuzène ne joue aucun rôle dans toutes ces vicissitudes, bien que Grégoras le loue volontiers quand l'occassion se présente. C'est Alexios Philanthropenos, nommé gouverneur de Lesbos, qui, après la soumission de Nouvelle-Phocée et le départ de l'empereur pour Constantinople, 27 .fi réussit à délivrer l'île de l'occupation génoise. Mais voilà un témoignage bien autrement éloquent qui met en doute la narration de Cantacuzène. On se souvient que Cantacuzène fait accourir Hizir, Umur et Suleyman, les trois fils de Mehmed, émir d'Aydin, pour qu'ils adressent leurs hommages à l'empereur de Byzance. L'histoire de cet événement a été controuvée sans plus. Grégoras place la scène pendant la seconde moitié de l'an 1335. Entre-temps, des choses désagréables s'étaient passées à Aydin. Mehmed était mort. Il fut inhumé dans l'enceinte de la Grande Mosquée (Ulu Djami) à Birgi; une inscription, gravée sur un grand bloc de pierre au-dessus de la porte de la mosquée, nous apprend que son décès eut lieu le 9 janvier 1334. 28 Des chartes, découvertes récemment, prouvent que Hizir, le fils aîné de Mehmed, avait été désigné successeur principal (Ulu beg) de son père, en conformité avec la coutume turque, les deux autres fils devenant des détenteurs de pouvoirs subalternes. 29 L'épopée d'Enveri raconte ensuite comment toute 27. Grégoras, XI, cap. 1-2, Bonn l, p. 523-35. 28. P. Wittek, Inscriptions from South western Anatolia dans R. RiefstahI, Turkish Architecture in South western Anatolia, Art Studies 1931, p. 173-212, ici p. 201; cf LemerIe, op.cit. p. 89-90. 29. E.A. Zachariadou, Trade and Crusade, p. 112-15.
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la famille du nouvel émir, y compris l'émir lui-même, est d'opinion qu'Umur est beaucoup plus propre à succéder à son père; en conséquence il est formellement et unanimement choisi comme Ulu beg. 30 Enveri a évidemment inventé tout cela. Mais il est vrai qu'Umur, le plus énergique et le plus hardi des frères, poussait Hizir dans l'ombre, au point de saper le pouvoir de celui-ci. On peut inférer du récit d'Enveri qu'Umur fut le seul à se rendre auprès du fJaozÀêuç. Il devait espérer obtenir des avantages de la part d'Andronic III, au moment où les Vénétiens avaient réussi à entraver la navigation des Turcs de l'Anatolie occidentale vers la mer Egéenne. Selon Enveri c'était le "tekfur" d"'Istanbul" (donc Andronic III) qui, alarmé par les dernières nouvelles de Philadelphie, avait pris l'initiative de l'entretien. 31 Il reçut Umur à bord de son navire, qui pour l'occasion avait cinglé vers Kara Burun (Melaina Akra), c'est-à-dire à la hauteur de l'émirat d'Aydin. Enveri, oubliant qu'il vient de présenter Umur comme Ulu beg, laisse entrevoir que Hizir avait interdit à Umur d'engager des négociations avec l'empereur et qu'il s'était fâché de l'insolence de son frère. Celui-ci, attendant des avantages de la rencontre, se souciait apparemment peu du consentement de Hizir. Le poète fait allusion au différend qes frères dans les vers suivants:
Il (Andronic) invita la pacha (Umur) à bord, sans quitter son bateau, il prépara un festin. Hizir beg ne voulait pas laisser le pacha monter dans ce bateau parmi les Mécréants, mais le pacha dit: HJ'y monterai sans aucun doute, si Dieu le Très Haut m'accorde Son aide". Tous ceux qui fentendirent s'émerveillèrent, mais Hizir beg s'évanouit en criant. Trois hommes accompagnèrent le pacha, 30. Enveri, op.cit. supra, note 24, vs 850-68, p. 77-78. 31. ibid., vs 1033, p. 83; cela ressort d'une manière précise des vs 1309-12, p.93: Le tekfur qui était venu à Qara Burun,
s'était conduit très loyalement avec le pacha. On dit que le tek/ur était Andronikos, il avait un vizir nommé Domestikos.
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aucune langue ne pourrait décrire sa majesté! Quand les begs du tekfur le virent, Us furent tous transportés d'admiration, ils se tinrent debout. 32 Pour nous, deux faits sont d'importance dans cet épisode: la rencontre d'Andronic III et d'Vmur n'a pas eu lieu à NouvellePhocée, mais à Melaina Akra (Kara Burun); et Cantacuzène n'a pas participé aux négociations (il est possible qu'il y ait simplement assisté en faisant partie de la suite de l'empereur). C'est toujours Enveri qui confirme notre opinion selon laquelle il n'y avait pas de rapports amicaux entre Cantacuzène et Vmur pendant le séjour en Anatolie occidentale. Vmur se conduit en Vlu beg et daigne s'adresser uniqllement à l'empereur qu'il considère même, lui aussi, comme un être inférieur. Debout devant Umur, qui est assis, l'empereur supplie:
Mon pays, mon empire est le tien, ne le détruis pas, n'opprime pas les pays grecs. Qui pourrait ne pas obéir à ta parole et qui pourrait ne pas être ton esc/ave?33 L'empereur fait alors présent à Vmur de bourses remplies d'or, de perles et de rubis et lui donne l'île de Chio. Suit un banquet somptueux, après lequel les potentats se disent adieu comme des frères. Est-il nécessaire de remarquer que les choses ne se sont pas tout à fait passées ainsi? L'empereur n'est certainement pas resté debout devant Vmur; il n'a pas non plus fait cadeau de Chio au Turc. 34 Nous nous sommes pourtant un peu étendue sur cette scène parce qu'elle donne une très bonne idée du mépris des Turcs 32. ibid., vs 1047-58, p. 84. 33. ibid., vs 1065-68. 34. Ni les sources occidentales, ni les sources byzantines ne font mention d'une. cession de l'île de Chio aux Turcs. Conquise par les Génois en 1304 l'île resta en leur possession jusqu'au milieu du 16e siècle, avec une interruption de 1329 à 1346 (reconquête par les Byzantins). L'histoire de Chio est assez bien documenté. V. P. Argenti, The occupation of Chios by the Genoese,2 t., Cambridge 1958; id. The Mahona of the Giustiniani dans Byzantinische Forschungen 6(1979), p. 1-35; Balard, op.cit. supra, t. 1, p. 69-72, 119-26. Il n'y a qu'un seul vers d'Enveri (1079) qui fait croire à Lemerle
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à l'égard des "mécréants" byzantins. Quant à leur estime à l'égard du {3aozÀcuç, passe encore! Enveri ne prête pourtant aucune attention aux autres Byzantins. Le IlÉyaç DOIlÉorzKoÇ ne figure dans le poème d'Enveri que du moment où il est devenu {3aozÀcuç à son tour et par conséquent allié, égal et frère d'Umur. Enveri ne fait aucune mention d'un entretien entre Cantacuzène et Umur à Clazomènes. D'ailleurs Grégoras n'en dit rien non plus. Si l'on trouve que ce silence n'est pas probant, le récit de Cantacuzène suffirait à prouver que cette rencontre n'a jamais eu lieu. Ce même Umur, qui, selon Enveri, humilie l'empereur, se serait réjoui en compagnie d'un des sujets indignes de celui-ci, échangeant avec lui des inepties et le traitant en frère et compagnon! Ce conte n'a été inséré - rappelons le, encore une fois par Cantacuzène dans ses mémoires, que de manière à prouver son amitié avec Umur, et se défendre contre le reproche d'avoir sciemment livré les Grecs à un bourreau satanique. Le mensonge est essentiellement le pendant des mensonges sur la carrière d' Apokaukos. 35
*** C'est donc près de Melaina Akra pendant son séjour devant la côte d'Anatolie en 1335, qu'Andronic III conclut le traité d'amitié avec Umur, que nous avons déjà mentionné. La conclusion du traité est par ailleurs une preuve du respect qu'Andronic avait pour Umur, apparemment à ses yeux l'homme le plus puissant de l'émirat, Ulu beg ou non. Il est clair que Cantacuzène a voulu qu'Andronic avait accordé à Umur une rente sur les revenus de l'île. H. Inalcik se fâcha de ce qu'il considérait comme de fausses idées de Lemerle au sujet de la mentalité islamite. Selon Inalcik il s'agissait de la part d'Andronic d'un payement du "mal-i-kharadj" (un genre de tribut) qui faisait de Chio un territoire ressortissant au "Dar al-Islam" (la terre de l'Islam) sous tous les rapports. Umur en devenait le seigneur et les habitants profitaient de l'ordre, de la paix et de la sûreté dont jouissaient tous ceux qui appartenaient au "Dar al-Islam" (article cité dans le Prologue de ce livre, note 2, p. 190-95). Tout cela repose donc sur un seul vers imprécis d'Enveri qui n'a d'autre but que de glorifier Umur pacha. 35. V. Ch. II de la première partie de ce livre, note 32.
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insinuer que c'était sur ses instances, au cours de l'entretien à Clazomènes, qu'Umur s'était décidé à s'accorder avec l'empereur. 36 Momentanément Umur quitte la scène pour y faire sa rentrée en 1338 à la tête des auxiliaires turcs pendant l'expédition contre les Albanais. Mais tout à coup il se tourne en ennemi de Byzance, juste après la mort d'Andronic III - comme d'ailleurs le roi des Serbes, le roi des Bulgares et les potentats turcs Yakhshi, Orkhan et Saruhan. Umur est le premier à entrer en action. Cantacuzène le dit lui-même: Il croyait le moment venu de piller à son aise le pays des Rhoméens, puisqu'i! n'y avait personne pour les défendre. 38 Voilà le moment où Cantacuzène et Umur entrent vraiment en contact l'un avec l'autre. Soit par lettres, soit au moyen d'émissaires, Cantacuzène savait détourner Umur de ses projets sur l'empire. Il reconnaît lui-même qu'Umur exigea une indemnité en vue des frais qu'ils avait faits. 38 Nous ne savons pas avec certitude de quelle manière il contenta Umur. Ce que nous savons, c'est qu'il avertit le roi des Bulgares que celui-ci ferait bien de conclure la paix avec Byzance le plus tôt possible, sinon il (Cantacuzène) lui enverrait pour son malheur Umur d'Aydin, l'un de ses plus excellents amis. Il semble qu'Umur se tourna en effet vers la Bulgarie. 39 36. Dans ses mémoires Cantacuzène répète avec insistance qu'Umur ne s'était battu avec les Génois de Phocée et avec les Albanais que pour faire plaisir à son ami Cantacuzène (Bonn Il, p. 344, 387, 398). 37. III, cap. 7, Bonn II, p. 55-6: ... 'Apoùp 0 TOU Aïr{V1J, rr,v /3aalÀÉwç 7Œ7wapÉvoç rEÀEvrr,v Kai vop{aaç Kai avroç (sc. comme les Bulgares) pij.ara À17faEa8az 'Pwpa{ovç 8là ro P178Éva dvaz rov àPVVOVPEVOV VlCtp aVTlDv, 7ŒvTT1Kovra Kai 8zaKoa{aç lCÀ17Pwaaç vauç, mïaav ElCOlElrO alCov8r,v KaKOUV rr,v ~pErÉpav. 38. ibid., p. 56: 'ElCEi 8t ElCv8oP17V avroç (sc. Cantacuzène) rrov llEparov rr,v EaopÉV1]V Eia/3oÀr,v, lCpEa/3Eiav lCÉp IIfaç lCPOÇ EKElVOV EV roiç pCiÀlara tl;17raapÉvov rrov qJ{Àwv rrov EProV, EKÉÀEVOV àvaarpÉqJElv Kai àlCÉXEa8al rfiç lCEipaç, wç ov8Éalv aÀÀolç EmarparEvaovra ~ EpO{. '0 8' lipa TE E8Él;aro rr,v lCpEa/3Eiav Kai àVÉarpEqJEv EK pÉa17ç rfiç 080u. Nvvi 8t Evrau8a lCpOÇ Ept lCpEa/3Eiav lCElCOpqJWÇ, 8Eiral pr, lCEpu8Elv avrij) rr,v arpanàv EiK'Ù aVVElÀEypÉV1]V, àÀÀ' EÏ nç lCpOÇ nva lCOÀEPOÇ ~piv, xpr,aaa8al avr'Ù, wç av fi rE arpanà WqJEÀ178Ei17 àlCO rrov lCOÀEp{WV ÀaqJvpwv, EKElVOÇ rE pr, Pclr17V EÏ17 roaaura xpr,para àvaÀwKwç, àÀÀ' avro rouro yE KaplCwaalro, ro àvaÀWKÉval VlCtp qJ{Àov.
39. Enveri parle d'une expédition en direction de la Mer Noire ayant lieu
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Ce succès fit grande impression à Constantinople. 40 A-t-on compris qu'il y avait une ombre à ce beau tableau? Cantacuzène avait fait, à force de grandes concessions, la paix avec les ennemis de l'empire, afin de préparer son coup d'état en toute tranquillité. 41 Mais comment aurait-il pu négocier avec Umur sur un pied d'égalité si celui-ci n'avait pas compris (ou même su avec certitude) quel était le dessein que Cantacuzène nourrissait? Umur doit avoir vu en lui, le chef de l'armée byzantine, "the man of des tiny", plus fort que les gouvernants officiels de l'empire, de même qu'Andronic III l'avait traité lui-même en Ulu beg, bien qu'il ne le fût pas. Peu de temps après, la guerre civile éclata. Les Turcs étaient rentrés chez eux, rachetés ou satisfaits pour le moment de leur butin (il ne faut pas oublier que seuls les Turcs ottomans allaient faire systématiquement la conquête du territoire européen, les autres Turcs se bornant aux razzias ou aux campagnes de courte durée). C'est pendant l'hiver 1342/43 que nous retrouvons les Turcs d'Aydin, appelés par Cantacuzène, devant Didymoteichon. Nous avons décrit dans le détailles événements qui aboutirent à leur arrivée, inaugurant cette fois la dernière période de l'histoire de l'empire byzantin et le début de la domination turque sur le sudest de l'Europe. 42 Rentrons dans le détail. Les troupes d'Umur chassèrent les ennemis qui assiégeaient Didymoteichon, ravagèrent le pays aux alentours de la ville et firent beaucoup de prisonniers. Le désastre survint alors. En conséquence d'une forte gelée Umur perdit dans une seule nuit tous ses prisonniers et un grand nombre de ses soldats. Il rentra chez lui aussi vite que possible. Mais pourquoi juste pendant cette période. Chemin faisant Umur aurait été reçu et fêté par un "tekfur" près d'Istanbul (vs 1209-1305, p. 89-93). On peut supposer qu'il s'agit de la campagne interrompue par Cantacuzène (v. Lemerle, op.cit., p. 129-43). Cependant, ce n'est pas une chose certaine. En outre d'autres auteurs croient que l'expédition dont parle Enveri a eu lieu en 1337 ou 1338 (v. M. Alexandrescu-Dersca, L'expédition d'Umur beg d'Aydin aux bouches du Danube (1337 du 1338) dans Studia et Acta Orientalia 2(1959), p. 3-23; cf E.A. Zachariadou, Trade and Crusade, p. 40, note 158. 40. V. notre chapitre sur Grégoras, p. 124. 41. V. Ch. II de la première partie de ce livre, p. 63-64. 42. ibid., p. 61-71.
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était-il venu? Cantacuzène et Grégoras assurent qu'Umur s'était rendu spontanément à Didymoteichon afin d'aider son vieil ami Cantacuzène. Dès son arrivée, il s'informa tout de suite de l'empereur en gémissant et pleurant à chaudes larmes pour ramour de lui, demandant s'il était encore en vie; apprenant que, grâce à Dieu, il vivait encore, il en remercia Dieu, qui montrait à régard de rempereur tant de sollicitude. 43 Il remercia également les amis de l'empereur qui s'exposaient dans son intérêt à tant de dangers. Après cela il se voua aux activités profitables que nous venons d'énumérer. Il est clair que Cantacuzène explique l'arrivée d'Umur comme la conséquence naturelle de l'amitié qui les liait depuis la guerre de Nouvelle-Phocée. Sans doute il accentue à dessein le chagrin d'Umur et sa gratitude envers Dieu pour la préservation de son ami, afin de souligner qu'Umur n'était pas dénué de sentiments humains, chrétiens même. Cantacuzène oublie de mentionner si Umur a remercié le Christ ou Allah. Alors qu'en réalité c'était Cantacuzène qui avait prié Umur de lui venir en aide! A cet égard on a toutes les raisons de croire Enveri (abstraction faite de l'exubérance de l'expression et de l'orgueil barbare): (après la mort d'Andronic)
les begs se réunirent et tinrent conseil: le sultanat échut à Domestikos. Ils le firent tekfur d'un commun accord et se soumirent à tout ce qu'il ordonnait. (cependant, Apokaukos n'est pas d'accord) ... il incita le peuple à la révolte,
il tourna une grande partie du pays contre Domestikos et le noircit ... Alors Domestikos écrivit une lettre et prépara pour le pacha une importante ambassade 43. Cantacuzène, III, cap. 56, Bonn II, p. 345: ÈpOJlEVOÇ ôt 1rEPZ rou qJO"ov {3aarÀùùç El Çfi, ,roÀÀà arEVliÇcov Kaz 8lixpva rrov oqJfJaÀJlrov uno aVJlnafJEZaç a ({.'LElÇ, ÈnEz È1l'IjfJEro Çfiv fJEOU {3ovÀoJlévov, nprora Jltv WJlOÀOyEl xaplraç fJErj'J, nOÀÀT)v avroïç rT)v npovozav Kaz rOÀJlav untp {3aalÀécoç napEaXT/JlévqJ, ÉnElra ôt Kaz avroi'ç rrov avrrov ËVEKa Kaz xaplraç WJlOÀOYEl Kaz noÀÀrov Kaz JlEya).,cov OqJElÀérT/v Éavrov anécpalvEv, wç KlVÔVVOVç JlEyaÀovç Kaz nOÀÀoùç untp ÈKEZVOV ÈVEYKoUaz.
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le tekfur Asen en faisait aussi partie pour délibérer sur cette affaire. L'ambassadeur emportait des présents sans nombre. Il arriva alors à Izmir et quand il fut en présence du pacha, il se prosterna et frappa son front contre terre. Dans la lettre il écrivait: HO Shah Adolescent, puisses-tu vivre éternellement! Ton frère (Andronic) s'en est allé. C'est toi maintenant le Sultan du monde, il n) a pas doute, c'est toi le Khan des terres et des mers. Le tekfur (Andronic) m'a confié son fils jusqu'à ce qu W grandisse, ainsi que son pays; mais maintenant le pays s'est révolté et ne m'accepte pas ... accorde-nous ta faveur et ta bienveillance, aide-nous, sois généreux, repousse notre ennemi". Il y avait encore écrit dans cette lettre: HSi Dieu me trouve digne de voir ton visage, je sacrifierai mon âme et ma tête à ton service, tout ce pays est le tien, 0 Padishah! Nous, tes esclaves, venons en suppliants te rendre hommage, d'âme et de coeur nous nous prosternons su; ton seuil". Il lut la lettre, en vit le contenu, il envoya prévenir ses hommes et fit ses préparatifs. HJ'arrive incessammenr' écrivit-il en réponse. L'ambassadeur repartit; il se hâta; en arrivant à Dimetoqa il annonça la venue du pacha. Le pacha donna rordre, ses hommes partirent; les bateaux prirent la mer ... etc. etc. 44 Umur revint à l'automne 1343. Cantacuzène et Grégoras se prévalent de cette occasion pour présenter la suite des événements de cette année de manière à imputer à leurs adversaires l'intervention des Turcs dans la guerre civile. 44. Enveri, op.cit., vs 1323-66, p. 93-95. Cf O. Turan, The Ideal of World Domination among the medieval Turks dans Studia Islamica 4(1955), p. 77-90.
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Cantacuzène, malgré ses échecs, avait finalement réussi à s'emparer d'une ville, Berrhoia. De ce point de départ il essaya de s'emparer de Thessalonique, mais dut se retirer aussi vite que possible quand Thessalonique tint bon. Apokaukos se portait en effet au secours de la ville avec l'aide d'une flotte et d'une armée afin d'en lever le siège. La flotte d'Apokaukos comprenait entre autres trente-deux navires turcs. L'armée impériale refoula les troupes de Cantacuzène jusqu'à Berrhoia, qui fut assiégée à son tour. Alors les équipages des navires turcs ravagèrent les environs de Berrhoia, une journée durant. Cantacuzène, qui nous renseigne sur ces événements est furieux. Il écrit dans ses mémoires: Les Perses déferlaient pour piller et dans une seule journée ils saccagèrent tout le pays autour de Berrhoia et firent tout le mal du monde. Ils firent prisonniers des hommes, et tuèrent beaucoup d'autres et emportèrent le bétail, mirent le feu aux maisons dans les villages, bref, firent tout ce qu'un ennemi a coutume de faire. L'empereur (c'est Cantacuzène qui se désigne lui-même) envoya un émissaire à Monomachos (le commandant en chef de l'armée impériale) déclarer (c'est-à-dire aux impériaux) qu'ayant à leur disposition une puissante armée composée de Rhoméens, ils commettaient une grande erreur en leur tombant dessus (Cantacuzène et ses compagnons) accompagnés en outre de barbares, comme si l'armée régulière ne suffisait pas à faire la guerre. Ils ruinaient ainsi l'empire rhoméen de façon sûre et certaine. Monomachos devait comprendre que plus tard on ne pourrait pas lui (Cantacuzène) reprocher d'achever l'oeuvre qu'ils avaient commencée ... Cependant, Monomachos répondit qu'i1faisait ce qui lui semblait utile, juste comme ses adversaires (Cantacuzène c.s.) le faisaient sans doute. (Le lendemain Monomachos s'entretenait avec Apokaukos au sujet des mots employés par Cantacuzène) Il menaçait d'achever l'oeuvre que nous avions commencée. Il fallait réfléchir sur ces mots qu'il n'avait certainement pas dits sans intention. Finalement ils pensèrent qu'il (Cantacuzène) donnait à entendre qu'il invoquerait à son tour le secours de son ami Umur. Ses mots énigmatiques avaient été proférés en guise d'excuse, au cas où on lui ferait plus tard reproche d'employer des barbares à harceler ses compatriotes. Il pourrait alors se défendre en disant qu'ils (Apo-
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kaukos et Monomachos) avaient commencé à utiliser des barbares pour le combattre ... 45 45. Cantacuzène, III, cap. 62, Bonn II, p. 381-83: To llEpalKov 8t 8ŒaKÉ8aaTo bri ÀEryÀaa(av Kai BV r,IlÉPlf Illij. T71v 7Œpi BÉppOlav a7raaav B7rij).(lE yijv Kai Tà IlÉYlaTa sKuKmaEv, av()pW7rOVÇ TE yàp ~v8pa7r08(aavTo Kai a7rÉKTElvav 7roÀÀoùç Kai f30aKrylluTmv ryÀaaav ayÉÀaç Kai oiK(aç BvÉ7rpryaav Tàç B7ri Tàç KWllaç Kai TroV aÀÀmv, oaa 7rpoaTiKEI 7rOÀEIl(OVÇ, OV8EVOÇ ~IlÉÀovv. BaalÀcùç 8t BK BEppoiaç 7rpàç MOVOIlUXOV 7rÉlllJlaÇ 7rpEaf3EvT7jv, 7roÀÀryv aVTrov ayvmllOaVV1]V Ka TryyapEI, ToaavTryv aYOVTEç 'Pmlla(mv aTpanàv Kai Ka()' ÉavTT/V 8vvallÉV1]V avnTuTTEa()ar aUTCÏJ, ol8' CÏJa7rEp OVK BKdvryç BçapKovaryç 7rPOÇ TOV 7raÀcllov, Bmjyayov aVTqJ Kai TOÙÇ f3apf3upovç, Lva llàÀÀov Tà 'Pmlla(mv 8wqJ()Eipmalv .
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Quand on pense aux exploits d'Umur et de ses compagnons dans les environs de Didymoteichon pendant l'hiver de 1342/3, il faut dire que Cantacuzène ne manquait pas de toupet. Mais il y a plus. Les passages que nous venons de citer éclairent avec beaucoup d'autres le dessein général des mémoires de Cantacuzène. Dans de telles occasions on ne doute plus qu'elles soient plutôt une oeuvre de fiction qu'une oeuvre historique. Dans ce cas particulier ses personnages échangent des paroles et ont des pensées dont l'auteur n'a pu avoir connaissance. Cela vaut également pour l'indication du moment de l'entretien. Loin de décrire les réactions d'Apokaukos et de Monomachos en se référant à un rapport de ce qui s'était passé, Cantacuzène met la situation en scène comme un romancier. Il possédait en effet jusqu'à un certain point l'art du littérateur, sachant rendre réels des actions, des situations, des événements, sortis de son imagination (ainsi que les sentiments et les pensées de ses personnages). Encore une fois, les mémoires de Cantacuzène abondent en passages induisant le lecteur à croire qu'il s'agit de choses s'étant passées réellement, mais qui, à la réflexion, s'avèrent controuvées (sans parler des occasions où l'on peut prouver le caractère fictif de ses dires grâce à des invraisemblances ou des contradictions dans le récit même, ou grâce au témoignage d'autres sources). Cantacuzène se distingue d'un romancier en ce sens qu'il n'écrit pas avec l'intention d'amuser un public, ni poussé par le besoin d'exprimer sous forme littéraire des convictions personnelles ou de se
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Sur ce, Apokaukos fit patrouiller quelques navires avec mission d'intercepter des messages qu'Umur pourrait envoyer à Cantacuzène. Ce dernier nous apprend qu'il sut pourtant forcer le blocus. Un de ses émissaires trouva Umur dans une situation très triste. L'émir avait été informé du décès de Cantacuzène pendant son séjour chez les Serbes. Il était en deuil. Après avoir reçu la lettre de Cantacuzène il secoua la cendre de sa tête et rendit grâces à Dieu avec grande ferveur. Encore une fois nous ignorons s'il remerciait Allah ou le Dieu des chrétiens. 46 Umur se rendit en bateau directement à Thessalonique. 47 Après le débarquement il envoya la moitié de ses troupes à Berrhoia pour ramener Cantacuzène à Thessalonique. A la nouvelle de l'approche des Turcs, Apokaukos et l'armée impériale s'étaient enfuis. Umur et Cantacuzène marchaient maintenant ensemble sur la ville. Ils restèrent devant les murs pendant sept jours. Ils ne purent y entrer à cause de la défense acharnée de la garnison, encouragée et aidée par les Zélotes. Une fois de plus il paraissait que l'occupation de grandes villes n'était pas le fort des Turcs. 48 libérer, par le même moyen, de tensions intérieures. Non, son seul but est de tromper ses lecteurs à cause d'un sordide intérêt privé. Ce n'est qu'un menteur essayant de mentir le mieux possible, en se servant de dons littéraires qu'il ne faut pas du reste surestimer (comme le fait A. Kazhdan dans un article, suivant les courants à la mode, où il parle entre autres de l'humanisme de Cantacuzène: L 'Histoire de Cantacuzène en tant qu'oeuvre littéraire dans Byzantion 50(1980), p. 279-335). En fin de compte Cantacuzène, malgré toutes ses ruses, est trop naïf et trop primitif pour donner le change à quelqu'un voulant se donner la peine de retrouver la vérité historique à travers les broussailles qui l'escamotent. 46. Cantacuzène, III, cap. 63, Bonn II, p. 384. 47. Aux prises avec les vents il fit naufrage, de sorte qu'il dut mouiller l'ancre à l'île d'Eubée. Il se voyait obligé d'y rester quelque temps. Dans les mémoires de Cantacuzène, Umur profite de l'occasion pour haranguer son équipage selon toutes les règles de la rhétorique hellénique. Nulle part l'éloge de l'amitie entre les deux hommes atteint à une pareille extravagance (III, cap. 63, Bonn II, p. 385-90). 48. Van Dieten prend au sérieux les dires de Grégoras qui veut que Cantacuzène se décidât à la retraite pris d'effroi à l'idée que son entreprise pourrait aboutir à un massacre! (Grégoras, XIII, cap. 10, Bdnn II, p. 676; van Dieten, trad. t. 3, Anm. 222, 223, p. 301; cf sa critique du livre de G. Soulis, The Serbs and Byzantium du ring the reign of Tsar Stephen Dusan
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Cantacuzène et Umur se décidèrent à partir. Pendant les dix mois qui suivirent Uusqu'à l'été 1344) les hommes d'Umur perpétrèrent des atrocités inouïes par toute la Thrace. Cantacuzène écrit qu'il était désolé, mais qu'il ne pouvait pas empêcher ce qui se passait. Après la levée du siège de Thessalonique il envoya une mission de paix à l'impératrice Anne. Le rapport de cette mission, qu'il a inséré dans ses mémoires, donne une idée nette des méfaits des Turcs. Ceux-ci sont caractérisés comme des assassins barbares et impitoyables, possédés de l'envie de faire des esclaves. Cependant, Umur est toujours présenté comme un homme pacifique. Cantacuzène fait savoir à l'impératrice qu'Umur lui-même lui conseillait d'accepter la paix. Umur était depuis longtemps son ami; à cause de cette amitié il s'était allié à l'empereur Andronic III auquel il avait porté secours pendant la guerre de Phocée et pendant l'expédition contre les Albanais. Depuis ce temps-là il n'avait jamais attaqué l'empire des Rhoméens, parce que Cantacuzène représentait pour lui leur empereur, même si alors celui-ci se contentait encore de la position d'une personne privée. Mais à présent que Cantacuzène l'était devenu véritablement, combien Umur allait pouvoir lui servir! Autrefois il était son ami. Désormais il serait son esclave. Umur, pour cette raison, conseillait à l'impératrice de faire la paix. Ainsi son ami Cantacuzène, l'empereur, pardonnerait à la cour toutes les injustices qu'elle lui avait fait souffrir. Non seulement on sauverait ensemble ce qui restait de l'empire, mais on pourrait même récupérer les régions dévastées. Umur deviendrait ainsi également l'ami et l'allié de l'impératrice. 49 Cantacuzène ne daigne pas expliquer pourquoi Umur a donc essayé d'envahir l'empire tout de suite après la mort d'Andronic III. Ce qui est plus curieux encore, c'est que Cantacuzène régale l'impératrice de ce galimatias en lui racontant tout d'une haleine les méfaits perpétrés par les Turcs sur le sol de l'empire, et comment ils sont des malfaiteurs par nature et par religion. Il répète tout ce qu'il avait communiqué à Monomachos, mais avec beaucoup plus d'emphase et d'amertume. Les Turcs entrent sou(1331-1355) and his successors, Washington D.C. 1984 dans Südostforschungen 45(1986), p. 464-68, ici p. 466). 49. Cantacuzène, II, cap. 64, Bonn II, p. 395-98. 102
dain en scène en ennemis jurés des chrétiens. Aussi, ce n'était pas lui qui avait commencé à les employer en tant qu'auxiliaires, mais Apokaukos. Il cite de nouveau les événements survenus autour de Berrhoia. Ne pouvant se défendre contre les forces réunies des Rhoméens et des barbares, il avait été contraint, lui aussi, à se servir de troupes turques. Il se glisse alors. une idée prophétique dans son argumentation. Si les Rhoméens chrétiens ne cessent pas de s'entre-déchirer, les barbares anéantiront l'empire. Au Jugement Dernier on aurait à payer cher une faute si grave. 50 Bien que dans ce message de paix Cantacuzène essaie de se disculper, en cherchant à la fois une issue à sa pénible situation et un regain d'autorité, tout en gardant en réserve Umur, il s'est accompli en lui un changement essentiel. Ce qui avait été toujours faux en lui reste faux, y compris sa fausseté religieuse, mais il 50. ibid., p. 396-97: (Cantacuzène demande à l'impératrice de) J.Lr, nEpzopijv ôlà r7jv rlVCOV J.L0X()77piav K'ai àyvcoJ.LoauV7Jv rr,v 'PcoJ.Laicov ftYEJ.Loviav Ôlalp()ElPOJ.LÉV7JV. Kaitçapxijç yixp iiXPl vvvnollllà aVJ.LfJEfJ77K'Éval rà ÔElVà K'ai xaAt:nà K'ai rr,v XW{Jav anaaav K'ai ràç n61lElç ôlEqJ()ap()al un' àllll7jllcov nollzopK'ovJ.LÉvaç K'ai ôraqJ()ElpOJ.LÉvaç ÈmôpoJ.Lalç K'ai IlE77llaaialÇ" J.LÉrpra ôt OJ.LCOç Elval, ola ôr, 'PcoJ.Laicov 'PCOJ.LaiOlç Èm6v-l"cov K'aiol1
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semble que la combinaison irrationelle d'éléments disparates: attitude chrétienne et haine des Turcs d'un côté, aventurisme politique entraînant une disposition à se prévaloir de tous les expédients, y compris l'aide des Turcs, de l'autre, l'ait mené à une règle de conduite fixe, prenant la forme d'une conviction bizarre. En tout cas le tableau aux couleurs criardes qu'il avait peint pour des raisons politiques, est resté devant ses yeux pour le reste de ses jours. Dans ses mémoires on le retrouve à plusieurs reprises; les mots dont il se sert pour le décrire ne varient presque pas. Si la contradiction que nous venons de signaler existe dès le début, on voit en outre Cantacuzène se transformer de plus en plus en un personnage étrange et exalté (v. plus loin). Cependant, au moment même où Cantacuzène se consumait en efforts pour faire priser Umur par l'impératrice, il perdait ce meilleur ami. Au printemps de l'an 1344 les troupes d'Umur se mutinaient. Elles voulaient rentrer chez elles, en ayant assez de la Grèce. Umur ne pouvait plus les retenir et retourna avec ses hommes à Aydin. 51 Cantacuzène était au désespoir. Bientôt, pourtant, il trouvait d'autres "satrapes Perses" qui voulaient le "servir". Il parvient maintenant à présenter le départ d'Umur comme l'effet de la Providence divine. A peine rentré chez lui, Umur devait se défendre contre une ligue de croisés qui, partie de Rhodes, avait failli prendre la ville de Smyrne. Ils avaient déjà fait beaucoup de dégâts, mais Umur arriva à temps pour empêcher le pire, au moins pour un moment. Le commentaire de Cantacuzène est plein d'hypocrisie: si Smyrne avait été prise au moment où Umur se trouvait en Thrace, on aurait pu dire qu'i! avait perdu la ville la plus importante de son territoire à cause de son amitié avec rempereur ... C'est pour cela que rempereur (Cantacuzène) rendait grâces à Dieu qui avait changé en bien ce qui avait paru un grand mal. 52 Bref, le départ d'Umur était une preuve nette de la 51. Le mutinerie de l'équipage fut probablement le motif décisif qui décida Umur à retourner à Aydin. N'oublions pourtant pas que le gouvernement \ de Constantinople avait promis de lui payer une grande somme d'argent s'il s'en allait (Cantacuzène, Bonn II, p.405-19; Grégoras, XIV, cap. 1, ' Bonn II, p.693-94; Enveri, vs 1651-1866, p. 103-09; cf Lemerle, op.cit. p. 176-78). 52. Cantacuzène, III, cap. 68, p. 420: 'AJ1Oùp 8t 7rapmv Kai àJ1VVOJ1EVOÇ,
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sollicitude avec laquelle Dieu veillait sur rempereur. 53 Cependant, d'autres troupes turques avaient été déjà mises à sa disposition par Suleyman, émir de Saruhan. S4 Cantacuzène était à même d'envoyer un autre "message de paix" à Constantinople, adressé cette fois au patriarche. ss Il le prend maintenant sur un tout autre ton. Il menace, s'appuyant sur ses Turcs: ils sont prêts, dit-il. S6 Il est à présumer toutefois que déjà en 1344 il négociait c5vvaJ..lu.oç, aXPl yàp vvvi UJl" ÈKElVWV 0 LJ..lVPV11Ç éXETar ill,unv. "EilEYE c5È o/3aarilEvç, wç, El avvÉf3arvEv 'AJ..lOùp KaTà T1]V Bpfjx."v c5WTp{f30VTOÇ liilwval LJ..lVpVaV OUK aUTaç J..lOVOV, àililà Kai Jl'aVTEç av()pWJl'Ol Tfiç Eiç f3aalilÉa éVEKa Euvo{aç T17V Jl'OillV 'AJ..lOùp àJl'oilwÀEKÉval av UJl'cOJl'TEVaaV, vvvz c5È ÈKElVOV J..lETà rijç arpanàç ÈKEÏ Jl'apovroç, J..l."c5EJ..l{av Jl'paç aUTav airiav ElVal rfiç liilcOaEwç, c5l' a Jl'oililàç àJl'Ec5{c5ov ()Ecp EuxaplaT{aç Tfiç Jl'Epi aurav K."c5EJ..l o via ç, on Kaz li c50KEÏ aVJ..lf3aivElv c5vaXEPfi, Jl'paç Ta ilvarrEilouv varEpov àJl'oc5ElKVVrar OiKOVOJ..lOVJ..lEva. 53. ibid., p. 149: rorE J..lÈV OUV c5VaXEpElaç éc5ol;E Jl'oililfiç r7 àvaxcOp."alç 'AJ..lOÙp airia YEyoVÉval f3aarilEï, vaTEpov J..lÉvrOl rfiç Jl'Epi aUTav TOU ()EOU K."c5EJ..lOviaç OU J..llKpaV Kai avr." c5EïYJ..la ÉqJaiVETO YEYEV11J..lÉV11.
54. ibid., cap. 76, p. 476. 55. ibid., cap. 74, p. 463-68. Sur ce "message de paix" v. encore infra, note 65. 56. ibid., p. 467-68. On y rencontre la même insistance sur la cruauté des Turcs que dans le message à l'impératrice: ... oïf3apf3apoi TE OVTEÇ Kai àJl" Èvavriaç r7J..lïv Jl'Epi ra aÉf3aç c5WKElJ..lEVOl OUc5EJ..liav qJElc5dJ Jl'Olr7aOVTar TWV ÉJ..lJl'lJl'TOVTWV Taïç XEpaiv, àililà TOÙÇ J..lÈV àJl'OKTEVOual, TOVÇ c5È ÈJl'i c5ovilElfl. à Jl'oc5waovrar. El J..lÈv ovv nva rwv J..lEililovrwv c5wqJ()ElpEa()al éilEOV ilaf30vrEç Jl'paç rr,v ElPr7V11v É()Éilwal xwpEÏv, KàydJ ,uaillara f3ovilo{J..l."vav, Kai Èv r7J..lÉpalç Jl'EVTEKaic5EKa Jl'EJ..lJl'ÉTwaav TOÙÇ ÈpOUVTaç, on c5,ailvEa()a, avvÉ()EVTO, wç av Jl'ÉJ..llf/aç KàydJ Kwilvaw TOÙÇ f3apf3apovç J.1,r, Jl'Epazoua()al Jl'paç rr,v Bp~K."V· Jl'apEaKEVaaJ.1,ÉVOl yap Elarv.
C'est ici le lieu de citer le témoignage de Cantacuzène sur des sacrifices humains par les Turcs: Ti yàp Tfiç TOlavr."ç WJ.1,OT."TOÇ Kai J.1,laav()pWJl'{aç XEÏpov yÉVOlT' av, waTE qJOVEVElV J.1,."c5Èv 1jc5lK."KOTaç; Kai yàp OJl'OTaV àJl'Éil()wal MovaovilJ.1,aVOl Jl'paç Jl'OilEJ.1,OV Kaz Év rcp Jl'oiltJ.1,ep Jl'ÉaU rzç Él; aurwv, OU iloyiÇovral Éavroùç àl;iovç J.1,ÉJ.1, If/EWÇ wç alriovç rou Jl'oilÉJ.1,ov, àilil' ÉJl'i ra vEKpav aWJ.1,a rou Jl'EJl'rWKOTOç aqJarroval Çwvraç oaovç av c5VV11()Ù éKaaroç, Kai oaov Jl'ilElovç KTElVEl, Toaourov wqJÉilEzav iloyiÇETal rfiç rou rE()vEwroç If/vxfiç. Ei c5' iawç OUK éXEl auroùç Elç Él;ovaiav aUTou o f3oVilOJ.1,EVOÇ f3o.,,()fiaar TÙ TOU TE()VEWTOÇ If/VXÙ, Èl;wvEïTal Xplanavovç, EiJl'EP EVpOl, Kaz fi ÈJl'aVW rou VEKpOU aWJ.1,aTOç aqJaTTEl aurovç, fi ÉJl'Z rcp raqJep aurou. Kaz 0 Taura VOJ.1,o()Erwv Jl'Wç àJl'a BEOU; (PO 154, col. 545 A-
B; v. Vryonis, art.cit. supra, Prologue, note 17).
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avec un émir plus puissant que Suleyman, savoir Orkhan. Celui-ci, après quelque temps, devenait ouvertement son allié. Umur, tué par l'ennemi à Smyrne en 1348, tomba dans l'oubli. 57 Dans ses mémoires Cantacuzène ne fait aucun effort pour embellir Orkhan. Il y a deux raisons pour cela. Tout d'abord Orkhan était le premier grand conquérant turc en Europe. Il ne pouvait vraiment en aucune manière être blanchi auprès des lecteurs chrétiens. Mais, en outre, les temps avaient changé. A Constantinople on essayait ~ de se procurer des troupes turques, juste comme l'avait fait Cantacuzène. 58 Les phrases de son message de paix à l'impératrice ne pouvaient plus trouver un écho, si elles avaient jamais répondu à la réalité. C'était maintenant, à la lettre, une lutte sans phrases. 59 Avec l'aide d'Orkhan, Cantacuzène soumit 57. Cantacuzène n'a pas cru nécessaire de faire mention dans ses mémoires de la mort de son ami le plus aimé. 58. Grégoras et Cantacuzène mentionnent tous les deux les efforts des impériaux pour recruter des troupes turques (Grégoras, XV, cap. 5, Bonn II, p. 763-65; Cantacuzène, III, cap 96, Bonn II, p. 591-92). 59. A la fin du livre III des mémoires, entre en scène un certain Arrigo, frère franciscain de Galata, qui se serait offert en médiateur entre les impériaux et les cantacuzénistes (hiver 1344/5). Arrigo fut, semble-t-il, la dernière personne prête à se faire raconter d'un bout à l'autre toutes les vicissitudes de la vie de Cantacuzène. Celui-ci lui aurait dit qu'il ne désirait plus autre chose que la mise en liberté de ses parents et de ses partisans emprisonnés et la restitution de leurs biens. Ensuite, il se retirerait à l'Athos sans rien demander pour lui-même. Le franciscain aurait été fort impressionné par la Ka).,oKàya(}{a de Cantacuzène et accablé par la magnanimité de son discours: 'EKÛVOÇ 81: JlÉXPl no).,).,ov Karc:o vt:vc:ov, Ë(}avJlaçt: alyfj r7}v Ka).,oKàya(}[av {JaalÂtc:oç Kai want:p Ëçt:nÉn).,T/KrO npDç rD JlÉyt:(}oç nov t:ipT/JlÉvc:ov. (cap. 82-83, Bonn II, p. 502-16; citation p. 516). [On peut d'ailleurs inférer de ce texte qu'à ce moment les impériaux n'avaient pas encore obtenu l'aide des Turcs: ov yàp 8là rD Jl'" {Jov).,t:a(}al ËKt:[VOVÇ Jl'" xpfia(}Ql roiç {Jap{JapOlç, à)")"à 8là rD Jl'" nt:l(}t:lv 8vvaa(}al Jlà).,).,ov ËKt:lVep (sc. Cantacuzène) alpovJlÉvovç aVJlJlaxt:iv (p. 507).] Remarquons d'ailleurs que Cantacuzène avait assuré, toutes les fois qu'il était au plus bas, qu'il voulait se retirer à l'Athos. Cependant, il n'éprouva jamais le besoin de visiter la Sainte-Montagne pendant la trentaine d'années qu'il vécut après sa chute. Ou craignait-il de tomber comme un simple individu entre les mains des Turcs qu'il avait lui-même aidés à envahir la Grèce, du temps qu'il jouait à l'empereur? (Hunger pense toujours que Cantacuzène passa une grande partie du reste de sa vie à l'Athos (Literatur, l, p. 466), mais v. sur cette légende Nicol, Family, p. 92.)
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toute la Thrace jusqu'à la Mer Noire (1345). Cantacuzène reconnaît lui-même que la conquête fut marquée par des atrocités ahurissantes. 60 Pendant ce temps, Cantacuzène continuait à se considérer comme un chrétien dévot, au point de voir des avantages religieux dans le mariage de sa fille Théodora avec Orkhan. Il loue sa fille qui, tout le long de son mariage, persévéra dans la foi, ayant même persuadé des chrétiens, devenus musul,mans, de rentrer dans le giron de l'Eglise orthodoxe. Elle aurait résisté en outre aux efforts continuels des barbares de la convertir à l'Islam. 61 Il va sans dire que tout cela est simplement mensonge. Aucune femme en pays islamique, était-elle princesse, pouvait faire quoi que ce soit contre la volonté de son mari; et il est plus que probable qu'une tentative pour faire renoncer un individu à l'Islam aurait été punie de mort. Un renégat d'origine chrétienne n'aurait certainement pas survécu à son audace en pays turc. Faut-il croire qu'Orkhan aurait eu de l'indulgence pour les petites faiblesses de son épouse bien-aimée, lui qui avait fauché des chrétiens par milliers en Bithynie et en Trace? Cantacuzène, ayant vendu sa fille à Or khan en gage de fidélité (il le reconnaît lui-même indirectement, en embellissant ce marchandage sous la forme d'une historiette charmante) présente, pour couvrir sa honte, le mariage de sa fille comme un engagement d'égal à égal. Nous avons déjà vu qu'en général il n'éprouve pas le besoin de dépeindre Orkhan tel un "gentleman" . Il admet implicitement que la cérémonie de mariage avait eu lieu sans bénédiction selon le rite orthodoxe. 62 S'il 60. III, cap. 81, Bonn Il, p. 498, 501-02: Kai 'PWJ,laîOl J,lèv f3oaKr,J,laTa Kai li,l,l71v ,le{av 1j,lavvov, TD nepalKDv ~è r,v~pa1C(j~l~ov Kai TOÙÇ àv()pm1Covç Kai 7}v oû Toîç 1CCiaxovat J,lOVOV TD KaKDv à1CapaJ,lu()71To V, à,l,là Kai f3aat,leî Kai Toîç avvoùmv a1Caal 'PWJ,laiOlç t,leoç ~elvDç EÏaljel, TOlaùTa TroV OJ,loqJu,lwv ~vaTvxouvTWV· àvarKaiwç ~è TOÙ 1CO,lÉJ,lOV eixovTo· 1CpaTTelv ràp ÉTÉpWÇ OÛK tvfjv, TroV tv Bv~avriqJ Tr,V eipr,V77v oû 1Capa~exoJ,lÉvwv.
Evidemment Cantacuzène veut ainsi réfuter les reproches de Grégoras selon lesquels il n'aurait pas éprouvé l'ombre de la pitié, en contemplant l'agonie des victimes (v. notre chapitre sur Grégoras, p. 140). 61. ibid., cap. 95, p. 585-89. 62. Cantacuzène donne une description de la cérémonie de mariage où il s'appuie sur l'observance scrupuleuse des traditions impériales, en escamotant l'absence des rites ecclésiastiques.
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est vrai que Théodora fut fille très dévote, elle doit avoir été alors bigrement gênée à côté de sa brute de marié impie. Si Orkhan ne voulait même pas se soumettre aux rites orthodoxes du mariage par respect pour sa femme, comment peut-on parler de tolérance religieuse des souverains turcs à l'égard des masses populaires byzantines? La combinaison de l'alliance turque avec des racontars pseudochrétiens se présente sous une forme encore plus repoussante dans le récit de la trahison de Jean Vatatzes. Vatatzes, homme d'humble origine, s'était enrichi d'une manière peu honnête, de sorte qu'à la fin il était en mesure de marier son fils à une fille du patriarche Kalékas et l'une de ses filles à un fils d'Apokaukos. Tout au début de la guerre civile il avait été partisan de Cantacuzène, mais il avait bientôt passé aux loyalistes. 63 A un moment donné, ses intérêts se heurtèrent à ceux d'Apokaukos. Aussi il passa de nouveau du côté de Cantacuzène vers l'été 1344. Cantacuzène le nomma l1érae; orpar07rêÔapX1Je; et ajouta encore à ses richesses. Dans le même temps Vatatzes maria une autre de ses filles à Suleyman, l'émir de Saruhan qui était à ce moment l'allié de Cantacuzène. Après la mort d'Apokaukos Uuin 1345) Vatatzes se tourna pour la seconde fois vers le parti impérial auquel il pouvait maintenant promettre de recruter des troupes turques chez son beau-père Suleyman. A la tête de ses Turcs il retourna en Thrace dans l'intention d'y reconquérir les villes prises par Cantacuzène. Celui-ci, réfléchissant sur toutes ces difficultés et sur les mesures à prendre contre Vatatzes, un beau soir s'endormit et fit le rêve suivant: deux jeunes hommes d'une beauté éblouissante tenaient un manteau pourpre sur lequel on voyait une croix en or. Autour de la croix on lisait, également en lettres d'or, Jésus Christ vainc. Les jeunes hommes couvrirent Cantacuzène de ce manteau. A son réveil il raconta son rêve à ceux qui se trouvaient auprès de lui et tous étaient d'opinion que c'était bon signe. Peu après il apprit qu'à ce moment précis Vatatzes avait été tué par les Turcs. Que s'était-il passé? Vatatzes n'avait pas dit aux Turcs que les villes qu'ils devaient prendre appartenaient à Cantacuzène. Il avait compté sur l'avidité de butin toujours grande chez les Turcs, supposant qu'ils obéiraient à ses 63. V. Ch. II de la première partie de ce livre, note 42.
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ordres sans poser des questions. Cependant, lorsqu'il leur ordonna de saccager la région autour de la ville de Garella, les Turcs lui demandèrent si ce pays n'était pas par hasard la propriété de l'empereur Cantacuzène. Vatatzes dut l'admettre, mais les avertit de ne pas se mêler de choses qui ne les regardaient pas. Les Turcs, se sentant trompés , le tuèrent sur place, firent prisonniers son fils et les autres Byzantins présents, les emmenant avec eux comme esclaves. Ils ne touchèrent pas aux terres de l'empereur. Ainsi, dit Cantacuzène, Vatatzes eut ce qu'il avait mérité. 64 Sans parler de l'absurdité de cette histoire, à la lumière de tout ce que nous savons de l'intervention des Turcs dans la guerre civile et de leur mépris à l'égard de tous les infidèles sans distinction, l'histoire de Cantacuzène prouve, encore une fois, combien la nécessité de garder la sympathie des Turcs et son besoin de poser en bon chrétien, avaient déséquilibré son esprit par leur contradiction insoluble. Il faut pourtant remarquer que le désarroi qu'on voit révélé dans sa personne comme un phénomène presque pathologique, fut en général le mal sous-jacent qui désagrégeait de son temps la conscience sociale et la conscience morale de presque tous ses compatriotes. 65
*** 64. Cantacuzène, III, cap. 90, Bonn II, p. 552-56; cf Grégoras, XV, cap. 11, p. 741-43. Cantacuzène relate à un autre endroit un rêve bizarre qu'aurait fait son fils Matthieu, où se mêlent des éléments empruntés à l'Apocalypse, à Esaïe et aux Psaumes. Ce rêve est également interprété comme un bon présage (ibid., cap. 91, p. 499-501). 65. Si la religiosité de Cantacuzène devenait avec le temps de plus en plus bizarre par l'amalgame de conceptions imprécises de la symbolique chrétienne et de leur application à des situations où elles convenaient mal, on voit qu'en même temps dans sa théologie un pareil méli-mélo d'ingrédients mal assortis se faisait jour. On en voit un exemple étonnant dans le message au patriarche Kalékas dont nous avons déjà parlé (v. p. 105). Cantacuzène fait grief à Kalékas de l'avoir excommunié. Par un raisonnement des plus étranges, il prouve que le patriarche n'en avait même pas le droit. Il en vient à conclure que l'excommunication n'est justifiée qu'en cas de reniement ou de grave atteinte au dogme. Ainsi Arius fut excommunié à bon droit. De même, ceux qui se rendent coupables des péchés les plus énormes (par exemple parjure ou assassinat) doivent être excommuniés. Lui, Cantacuzène, n'a rien fait de pareil (Cantacuzène ne croyait pas, paraît-il, que le sang des chrétiens
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La conquête de la Thrace ne profita pas beaucoup à Cantacuzène. En effet, entre-temps, Etienne Dusan, le roi des Serbes, occupait la Macédoine entière (excepté Thessalonique). Il s'avérait impossible de prendre Constantinople; encore une fois le côté faible de la technique militaire des Turcs se révélait. C'est par trahison de dedans que l'ursurpateur sut enfin s'emparer de la capitale au mois de février 1347. Il fit son entrée dans la ville pendant la nuit du 2 au 3 février. En lisant ses mémoires on ne dirait pas que son entrée eut lieu en secret au milieu de la nuit puisqu'il raconte qu'elle se fit sous l'acclamation du 8ijJ.loç entier. 66 Au début du livre IV de ses mémoires (c'est-à-dire le livre dernier) Cantacuzène s'étend pour la dernière fois sur ses alliances turques, mais c'est à peine s'il essaie eJ?core de les justifier. 67 Jusqu'en 1352 elles ne lui préparaient que des déceptions continuelles, il l'admet lui-même. 68 Cette année-là il se vit tout de même obligé d'invoquer encore une fois le secours d'Orkhan. L'empereur Jean V Paléologue, arrivé à l'âge adulte, avait pris les armes contre lui. Dans ses mémoires Cantacuzène lui fait reproche d'avoir recruté des troupes turques chez Suleyman, le fils d'Or-
versé par les Turcs retomberait sur lui). Bien au contraire, il n'a jamais péché contre les commandements de Dieu, ni négligé les missions dont Dieu charge le chrétien. Son excommunication est donc une honte. De même, les excommunications réitérées de Jean Chrysostome, cette lumière rayonnante de l'oikoumenè, font honte à ceux qui les ont lancées. Bien sûr, il ne veut pas dire qu'il a fait une bonne action en invoquant le secours des Turcs, mais ce n'était pas non plus un péché grave. Il avait besoin d'eux pour se défendre contre ses ennemis dans un conflit privé qui, tout regrettable qu'il était, ne pouvait entraîner un péché le rendant, à juste titre, sujet à une excommunication (III, cap. 74, Bonn II, p. 463-68). Bien qu'il nous semble que dans cette réfutation de Kalékas la religion chrétienne a perdu tout son sens, aucun historien de la théologie orthodoxe, à ce que nous sachions, a prêté son attention à ce curiosum. 66. Cantacuzène, III, cap. 99, Bonn II, p. 607: BaolÀEùç ~t brEi 1fapjjv, TWV tv~ov Tà ÈKEivov 1fpaTTOVTwv T'~V xpvojjv ~lOpvçcivTWV mJÀ71 v, dC17jÀavvEv oU~Evaç àv(),oTaIlÉvov, àÀÀà ~l' Euq>71lliaç aUTav àyOVTWV 1faVTaç TOU ~1jllov, Kai Toîç TE C1TpaTlWTalç à1fEî1fE Il''' xwpEi'v 1fpaç ap1fayàç Kai Tav ~jjllov ÈKWÀVEV ooa ~vvaTci. Mais cf Grégoras, XV,
cap. 8, p. 774 et Démétrius Cydonès, Oratio II, éd. Cammelli, p. 81-82. 67. Cantacuzène, IV, cap. 5, Bonn III, p. 37. 68. V. notre chapitre sur Grégoras, p. 129.
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khan. 69 Il est pourtant peu probable que ce soit vrai, puisque la population byzantine en était arrivée à en vouloir à Cantacuzène de ses alliances turques plus que d'aucune autre chose. Cantacuzène reconnaît lui-même que Jean V fut reçu dans les villes de Thrace sans rencontrer la moindre résistance et même avec enthousiasme. 70 Les Turcs restaient pourtant invincibles. En octobre 1352 l'empereur Jean V Paléologue essuya une défaite sanglante près de Didymoteichon aux mains des Turcs, bien que s'étant procuré de son côté des auxiliair~s serbes et bulgares. Jean Paléologue dut se retirer à l'île de Ténédos. Cependant, la victoire de Didymoteichon s'avérait une victoire à la Pyrrhus. Cantacuzène était complètement épuisé. Au printemps de 1354les Turcs s'installèrent pour la première fois en permanence sur le sol européen (à Gallipoli). Parmi les Byzantins, Cantacuzène n'avait presque plus de partisans. Jean Paléologue fit son entrée dans Constantinople le 22 novembre 1354. Quelques semaines après Cantacuzène abdiqua. Ces événements fournissent à Cantacuzène l'ultime occasion de falsifier l'histoire de son règne. A l'approche de Jean Paléologue il se trouva dans l'alternative de continuer la lutte ou d'abdiquer. Ses partisans voulaient qu'il ne cédât pas, mais il avait déjà décidé dans son for intérieur qu'il lui fallait en finir. Il ne voulait pas toutefois décevoir ceux qui lui restaient attachés. C'est pourquoi il écrivit encore une foix aux Turcs les priant de l'aider. Cependant, Philothée Kokkinos, à ce moment patriarche de Constantinople,71 s'aboucha peu après à lui. Il lui présenta qu'il ne se rendrait pas agréable à Dieu s'il faisait attaquer par des barbares des sujets chrétiens marchant sous les ordres de leur empereur. Pen69. Cantacuzène, IV, cap. 33, p. 244; cap. 36, p. 266. 70. ibid., p. 242-43. 71. En août 1353 le patriarche Calliste, refusant de couronner Matthieu Cantacuzène co-empereur, fut déposé (v. Darrouzès, Reg. 2345). Immédiatement après, Philothée Kokkinos devenait patriarche. En février 1354 celui-ci couronna Matthieu. Jean Paléologue déposa Philothée en novembre/décembre de la même année et rappela Calliste. Après la mort de Calliste, Philothée revint (1364), encore un indice de la réconciliation de tous les partis. Voir A. Failler, La déposition du patriarche Calliste j€!r... dans Revue des Etudes Byzantines 31(1973), p. 5-163; on y trouve entre autres l'Apologie de Philothée et du synode.
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dant toute la guerre civile, disait le patriarche, les vrais coupables n'avaient pas été punis, tandis que la grande masse, qui était tout à fait innocente, avait été ruinée.72 Le patriarche enjoignait à Cantacuzène de ne plus jamais envoyer des barbares contre des chrétiens et de mettre tout son espoir en Dieu. L'empereur (Cantacuzène) fléchit devant les paroles du patriarche, répondant qu'il n'avait rien à redire à son admonition; qu'il lui était très reconnaissant d'avoir fait de si grands efforts pour rempêcher de pécher et qu'i! considérait ses paroles comme un jugement de Dieu. L'empereur tint ses promesses au patriarche et ne pensa plus jamais à s'en départir. 73 Lorsque les Turcs arrivèrent (venant de Gallipoli et de la Bithynie) il les pria de retourner chez eux, en les remerciant de leur bienveillance à son égard et ils s'en allèrent en effet, obéissants comme de coutume. 74 Est-il nécessaire d'ajouter que cet entretien avec Philothée est entièrement fantaisiste? En un clin d'oeil Cantacuzène se rend aux arguments que le patriarche Kalékas n'avait cessé de lui présenter pendant toute la guerre civile. En réalité, on peut être presque sûr que les Turcs arrivèrent trop tard, et que Cantacuzène, 72. Cantacuzène, IV, cap. 39. Bonn III, p. 288: cJ>IÂo8EOÇ yàp 0 narpuipX1]ç J.œrà rwv œpwvemf3fival 8povwv npooEÂ8iov Kaz 8laÂEx8EzÇ nEpz rov npaYJ.laroç, roç OUK av àpÉOKOI 8Eep roiç àno Xplorov KaÂoVJ.lÉvOIÇ rr,v f3apf3apl Kr, V enaYEIV 8VVaJ.lIV Kaz 8laqJ8EipElV rouç ou8tv 7j8IK1]KOraç YEWpYOVÇ nvaç fi Kaz orpar~wraç àYOJ.lÉvovç uno rep OqJWV 8Eonory Kaz nàoav àvaYK1]V lxovraç rà KEÂEVOJ.lEVa nOlEÏv, rwv à8lKovvrwv J.laÂlora ev àOqJaÂEi~ ovrwv. Kaz yàp Kaz Karà rov rov eJ.lqJvÂiov nOÂÉJ.lOV Xpovov rwv eÂavvovrwv Kaz OVKOqJavrovvrwv OU8EVOÇ fi oÂiywv rfiç J.lox81]piaç 8iKaç 8ovrwv, rà J.lvpia nÂq81] rwv ou8tv EiOEV1]VEYJ.lÉVWV Eiç rov nOÂEJ.lOV ànwÂEro' Kaz uorEpov KpaÂ1] à8lKovvroç Kaz emopKovvroç Kaz rfiç àpxfiç OUK oÂiyov J.lÉpoç napalpOVJ.lÉVov, orpanàv f3apf3apIKr,v enayaywv, rov J.ltv à8lKovvra eÂvn1]OEV oÂiya fi ou8tv, J.lVpiOIÇ 8t aÂÂolç aïrlOç eyÉvEro J.lEyaÂWv OVJ.lqJopwv Éçav8pan08108Eiar Kaz ànoÂ0J.lÉvOIÇ uno rwv f3apf3apwv. 73. ibid., p. 289-90: ... enEi8Ero rE 0 f3aarÂEuç Kaz unÉOXEro J.l1]KÉn Karà J.l1]8EVOÇ XpqoEo8al f3apf3apOlç, qJaJ.lEVOç ou8tv ÉXEIV npoç ourwç àÂ1]8fi Kaz 8lKaiav àVrEl7rEÏv napaivEarv, àÂÂà Kaz nOÂÂr,v aurep El8Éval xaplv, rov J.lr, aJ.lapraVElv ÉVEKa npovorav aurov nOlOiro, Kaz roç Kaz napà 8Eep elJl1]qJIOJ.lÉva 8ÉXEo8al rà Eip1]J.lÉva· a Kaz uorEpov eqJvÂarrEV àKPlf3WÇ Kaz ou8tv 8lEvoEiro rwv en1]yyEÂJ.lÉvwv napaf3aivElv.
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74. ibid., cap. 40, p. 294.
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dans le cas où ils seraient arrivés à temps, les aurait introduits dans la capitale, au risque qu'ils s'en seraient emparés. Il est fort possible qu'en ce cas la fin de l'empire byzantine aurait été avancée d'un siècle. Par la suite nous aurons l'occasion de montrer que notre hypothèse est plausible, en donnant la parole à d'autres témoins de cette époque. Jean Paléologue ne prit pas tout de suite des mesures contre Cantacuzène. Mais deux semaines après son entrée à Constantinople il évinça définitivement l'usurpateur. Le 10 décembre celuici endossa le froc. 7s Il écrit qu'il le faisait de sa propre volonté, mais on sait que ce n'est pas vrai car c'est encore lui-même qui nous fait savoir que ses courtisans avaient l'intention de l'écarter physiquement. 76 Grégoras nous apprend en outre que le peuple envahit le palais impérial et menaça de tuer Cantacuzène si celuici ne quittait immédiatement sa robe impériable pour s'habiller en moine. 77 Ce même soir Cantacuzène cédait à leur fureur.
*** Cantacuzène a survécu environ trente ans à sa chute, mourant le 15 juin 1383 à Mistra. Il vécut pour la plupart de ce temps à Constantinople, d'abord au couvent de St. Georges des Manganes, plus tard au couvent de St. Jean Charsianeites. Ce fut dans ces lieux qu'il écrivit ses oeuvres historiques et théologiques. 78 Il 75. Pour la date v. D.M. Nicol, The Abdication of John VI Cantacuzene dans Byzantinische Forschungen 2(1967), p. 269-83. 76. Cantacuzène, IV, cap. 41, Bonn III, p. 304-05. 77. Grégoras, XXIX, Bonn III, p. 243. D'ailleurs Cantacuzène décrit, lui aussi, le rôle du peuple. 78. Il nous semble utile de rappeler que Cantacuzène, outre ses mémoires, écrivit quelques grands traités théologiques, dont, jusqu'à une date récente, seulement une réfutation de l'Islam était publiée (Bâle 1543, réimpr. dans PG 154, col 372-692). Ce traité est basé sur la traduction grecque (par Démétrius Cydonès) de la Confutatio Alcorani de Ricoldo da Monte Croce. On y trouve le fameux témoignage de Cantacuzène sur des sacrifices humains par les Turcs (v. supra, note 56). Les autres traités sont dirigés contre les anti-hesychastes (Barlaam, Akindynos, Jean Kyparissiotes, Prochoros Cydonès, Isaac Argyros) et contre le judaïsme. Récemment C.G. Soteropoulos
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continua a Jouer un rôle politique dans la coulisse, mais sans grande importance. 79 Il est curieux que juste avant son abdication, au cours d'une altercation avec des partisans de Jean Paléologue, il prononça pour une fois (et maintenant nous le croyons sur parole) des choses vraies et sensées. 80 Au printemps de 1354, nous l'avons déjà dit, les Turcs s'étaient installés à Gallipoli. Les gouvernants de l'empire délibéraient sérieusement (un peu tard) sur les mesures à prendre afin d'endiguer le torrent turc. Cantacuzène déconseillait énergiquement une entreprise militaire. Les Rhoméens ne pourraient jamais battre tout seuls les Turcs. Les princes turcs disposaient en permanence de masses immenses de guerriers belliqueux, toujours prêts à se battre sans recevoir de solde, la guerre étant toute leur vie. Les Rhoméens, par contre, avaient toute la peine du monde à trouver de l'argent pour payer leurs soldats, surtout parce qu'ils ne pouvaient se passer de mercenaires étrangers. Les adversaires de Cantacuzène l'insultèrent alors, disant qu'ils allaient montrer aux Turcs que ceux-ci n'avaient pas affaire à des femmes, mais à des hommes. Cantacuzène répliqua que personne ne pouvait haïr les Turcs autant que lui et qu'ils les achèverait tous avec grand plaisir. Il mettrait sa gloire à un tel exploit. Ils méritaient tous la mort à cause de leurs méfaits contre la religion et des souffrances qu'ils a édité le traité contre le judaïsme CIroavvov ET' KavraKOVÇ1]VOÙ Karà 'Iov8a{rov ADrol EvvÉa, Athènes 1983); E. Voordeckers et F. Tinnefeld ont publié les traités contre Prochoros Cydonès (Iohannis Cantacuzeni, Refutationes duae Prochori Cydonii et Disputatio cum Paulo Patriarche Latino epistulis septem tradita, Turnhout/Louvain 1987). :qans une thèse de doctorat, présentée à l'Université de Gand en 1968 [Johannes VI Kantakuzenos, keizer (1347-1354) en monnik (1354-1383). Bijdrage tot de geschiedenis van de Byzantijnse kerk in de XIVe eeuw] E. Voordeckers a analysé l'oeuvre théologique de Cantacuzène. La thèse n'a pas été publiée, ni traduite dans une langue généralement accessible; ainsi elle est restée inconnue au monde savant. 79. Voir L. Maksimovié, Politïéka uloga Jovana Kantakuzina posle abdikacije (1354-1383) dans ZRV/9(1966), p. 119-88; rés. angl. p. 189-93. Nicol, Fam i1y , p. 88 sqq. 80. Même en ce cas la situation peut avoir été controuvée. Le contenu fait penser au mot attribué à Frédéric le Grand: "Les hommes en viennent à donner bon conseil quand il sont devenus trop vieux pour donner un mauvais exemple."
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avaient fait subir aux Rhoméens. Mais en pratique on ne pourrait faire autre chose que négocier, sans grand espoir de succès. 81 Ainsi, il montrait à la fin de sa carrière combien il avait appris par longue expérience de la mentalité turque et combien les Byzantins étaient impuissants à remédier au mal qui les menaçait. Il est dommage que ce moment de lucidité a passé vite. Nous n'aurions pas été embarrassés de ses mémoires tout à fait mensongères. Nous' avons essayé d'analyser les motifs du trouble mental de Cantacuzène, suggérant en même temps qu'il ne fut que le reflet du trouble et du désarroi où se trouvait le monde byzantin en général. Il semble que nous avons le droit de considérer la manière dont les mémoires de Cantacuzène ont été reçues comme une confirmation de notre opinion. Jamais aucun Byzantin s'est étonné des mémoires de Cantacuzène et a remarqué qu'il y avait quelque chose qui clochait. L'historien Doukas, petit-fils du 8uvar6ç du même nom qui avait échappé aux massacres à Constantinople en 1345 et s'était enfui en Aydin, a puisé largement à l'oeuvre de Cantacuzène. Démétrius Cydonès, s'est plaint après coup du niveau lamentable des écrits propalamites de Cantacuzène, mais n'a vu rien de répréhensible dans les mémoires. Avec le temps, Cantacuzène lui-même fut plus ou moins réhabilité. On le consultait le cas échéant sur des questions théologiques lors des négociations avec la Curie de Rome et sur des mesures à prendre, en collaboration avec des puissances de l'Occident, contre les Turcs. La belle vieillesse de Cantacuzène, mort à l'âge d'environ 90 ans, est enfin
81. Cantacuzène, IV, cap. 40, Bonn III, p. 295-300. V. surtout p. 296-97: 'EydJ SS ours àroÂJliÇL roù npàç roùç f3apf3ripovç uJliiç nOÂÉJlov ànoaXÉa(}al aVJlf3ovÂsvw, ours npàç ànÉX(}swv avrwv ovSsvàç ànoÂsinoJlal UJlWV, àÂÂ' avroç rs av ÉçÉrpllj/a r,SÉwç OJlOÙ rOl aVJlnavraç f3apf3ripovç, ûnsp olov rs, Kai Jlsyiar1]v SUKÂsWV Kai svSoçiav ràv ÉKsivwv oÂs(}pov qJÉPSlV av ÉVOJllaa ÉJloi· Kai nap' ÉrÉpov nriaxovrriç nvoç rà iaa ûSov. Ov Jlr,v àÂÂ' si Jlsv rovrwv JlSV ovSsv Éçfjv, tSSl ÉJlS nap' orovoüv ànoaqJayÉvra, avrcp rovrcp rcp àno(}avslv ÉÇWÂSlÇ ysvÉa(}al roùç f3apf3ripovç, pq.ara av Kai rr,v qJiÂ1]v npouSwKa ~wr,v aùv r,SOVÜ· roaoùrov ànsx(}siaç npàç avroùç nspisanv ÉJloi, ov JlOVOV Slà rr,v nspi rr,v (}p1]aKsiav aKpav ÉvavrrWaLv, àÂÂ' (hl ÉK no':Uwv Érwv JlsyriÂa 7jSu<11Kam 'PwJlaiovç, niim ÂVJl1]VriJlSVOl axsSàv Kai ovSÉnw JlÉXPl vùv KOPOV ÉaXr]Kam rfjç àSlKiaç
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là pour prouver qu'on n'en voulait plus au meilleur ami d'Umur d'Aydin et au beau-père d'Orkhan.
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CHAPITRE Il Un historien: Nicéphore Grégoras
Nicéphore Grégoras était originaire de Heraclée du Pont. On ignore la date exacte de sa naissance. On sait pourtant qu'il naquit entre l'été de 1291 et le mois de mai 1295; il était donc à peu près de l'âge de Cantacuzène.· Sa famille appartenait à la J.œa6r1Jç. Devenu orphelin lorsqu'il était encore très jeune, il passa sa première jeunesse dans la maison d'un oncle, nommé Jean, qui l'avait pris sous sa protection. Celui-ci avait commencé sa carrière comme fonctionnaire à la cour de Michel VIII, mais s'était tourné de bonne heure vers l'Eglise pour finir en métropolite de Héraclée du Pont. Dès sa jeunesse, Grégoras montra une inclination pour la vie intellectuelle. Grâce à l'influence de son oncle il put quitter sa ville natale à l'adolescence pour se rendre à la capitale où il se présenta chez le fameux savant Jean Glykys 1. Dans son 'laropia 'p(j)J.laïKr7 Grégoras nous donne à propos de son âge plusieurs renseignements se contredisant les uns les autres. Selon les calculs incertains de J .-L. van Dieten et de H.-V. Beyer, Grégoras serait né au mois de juin 1293. Nous avons emprunté toutes les données d'ordre chronologique dans ce chapitre à l'article de H.-V. Beyer, Eine Chronologie der Lebensgeschichte des Nikephoros Gregoras dans JOB 27(1978), p. 127-55. Une biographie critique de Grégoras n'existe pas. L'introduction à la seule édition de l'Histoire Rhoméenne par J. Boivin (Paris 1702; réimpr. Bonn 1829) est toujours de grande utilité. On peut consulter ensuite quelques auteurs modernes: R. Guilland, Essai sur Nicéphore Grégoras, l'homme et l'oeuvre, Paris 1926; V. Laurent dansDTC9(l931), col. 455-67; J.-L. van Dieten, Introduction à sa traduction allemande de l' Histoire Rhoméenne, t. l, Stuttgart 1973, p. 1-43; une bibliographie complète de l'oeuvre de Grégoras se trouve aux pages 44-62. Cette traduction ne comprend que les dix-sept premiers livres (1. 2 a paru en 1979, t. 3 en 1988). Les études citées sont très utiles, mais l'analyse historique est superficielle.
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(patriarche de 1315 à 1319). Selon toute probabilité celui-ci introduisit le jeune homme chez son ami Théodore Métochite, le toutpuissant /1êaaÇmV d'Andronic II. Enfin l'empereur lui-même lui accorda sa protection. Bien que très dévot, Grégoras n'ambitionnait pas une carrière ecclésiastique. Il resta un intellectuel n'ayant d'autre idéal que de se consacrer aux sciences en toute tranquillité. Il avait très peu de besoins matériels, mais il fallait pourtant vivre. Théodore Métochite le pourvut, en l'abritant à vie au couvent de la Chora. Grégoras devint bibliothécaire en chef de la riche collection de manuscrits qui y était conservée. On a l'habitude de voir en Grégoras un savant brillant. Cette opinion doit être reconsidérée. El?- tant que mathématicien Grégoras était sans doute bien supérieur à ses contemporains byzantins. Il avait une réelle compétence dans l'astronomie de Ptolémée, le contrôle de ses calculs par des savants modernes le prouve. C'était déjà beaucoup. Toutefois, il ne sut pas s'engager dans de nouvelles voies (on ne peut évidemment lui reprocher de ne pas être un Copernic).2 En qualité de théologien Grégoras ne montra aucune originalité, se refusant au moindre éloignement des Pères de l'Eglise. Cependant, il en tira un certain avantage, non sans importance, du moins à notre point de vue. Il combattit énergiquement, de 1347 jusqu'à la fin de sa vie (vers 1361), les constructions brouillonnes ~e Grégoire Palamas qui allaient confirmer à l'avenir la réputation de l'Eglise Orthodoxe comme un bastion de l'obscurantisme. 3 Dans l'histoire de la civilisation byzantine Grégoras reste pour 2. Toujours est-il qu'au 13e - et au 14e - siècle il y avait déjà des savants dans les Universités de l'Occident, entre autres Thomas d'Aquin, qui entrevoyaient la possibilité qu'un jour les difficultés présentées par le système de Ptolémée pourraient être soulevées grâce à un tout autre système (v. notre Théodore Métochite, p 144-45, note 50). Pour l'astronomie de Grégoras v. J. Mogenet, A. Tihon, R. Royez, A. Berg, Nicéphore Grégoras, Calcul de l'Eclipse de soleil du 16 juillet 1330, Amsterdam 1983. 3. Sur Grégoras théologien v. H. -V. Beyer, Nikephoros Gregoras ais Theologe und sein erstes Au/treten gegen die Hesychasten dans JOB 20(1971), p. 171-88; id. Nikephoros Gregoras, Antirrhetika J, Vienne 1976 (intr., éd. avec trad. et comm.). Nous traiterons brièvement des opinions théologiques de Grégoras dans notre chapitre sur Grégoire Palamas.
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nous avant tout un historien, mais en tant que tel il faut de nouveau le taxer de médiocrité. Une comparaison avec ses prédécesseurs Nicétas Choniates et Georges Pachymérès confirme cette opinion. La rhétorique de Choniates se distingue par des beautés réelles. Celle de Grégoras est creuse et se perd dans le vide, le vocabulaire est pauvre. La profondeur de Pachymérès trouve son expression dans un style serré. Grégoras est superficiel et gêne par sa verbosité. L'étendue énorme de son Histoire Rhoméenne cache la maigreur de ses informations. Les onze premiers livres (sur un total de trente-sept) sont encore passables, mais le reste (dans lequel il décrit l'histoire depuis 1341) est vraiment de moindre valeur. Au début de la guerre civile Grégoras devient partisan de Cantacuzène. Il est assez honnête pour en rendre compte et s'ingénie à demeurer quand même un historien "objectif". 4 Il échoue pourtant lamentablement. La fausse rhétorique devient encombrante parce qu'elle doit désormais servir à combler des lacunes. Grégoras en vient à masquer des événements et des situations défavorables à l'image de Cantacuzène en y substituant des torrents de mots vides. Malgré tout, à la différence des mémoires de Cantacuzène, la vérité, à maintes reprises, se dégage plus clairement. Mais il s'agit toujours d'éclaircies momentanées. Bien que Grégoras soit, plus que Cantacuzène, un historien, il ne retrace pas mieux que lui une véritable histoire des années '40. Comble de malheur, Grégoras devient violemment anti-cantacuzéniste en 1351, au moment où l'usurpateur se prononce définitivement en faveur de la théologie de Grégoire Palamas. Ainsi la troisième partie de l' Histoire Rhoméenne devient un démenti de la partie précédente sur la guerre civile. Grégoras ne se soucie plus d'objectivité. Le résultat est surprenant. N'éprouvant plus le besoin de défendre Cantacuzène, il dit sur lui des choses vraies de temps en temps. De manière involontaire, bien sûr, puisque désormais il s'est proposé un autre but: noircir son ancien ami autant que possible. On comprend que trier le vrai du faux dans l' Histoire Rhoméenne exige du byzantiniste une grande prudence.
4. XIII, cap. 3, Bonn II, p. 646. A cet endroit Grégoras assure le lecteur qu'il lui fournit dans son histoire des informations objectives sur Cantacuzène dont il n'exagère ni les mérites ni les défauts.
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Pendant la guerre civile, Grégoras se rangea dès le début du côté des ôvvaroi. Ce n'était assurément pas par servilité. En un certain sens il appartenait à leur milieu tel un savant célèbre qu'ils respectaient et admiraient. Sous le règne d'Andronic II, il avait tenu à la cour un discours sur la nécessité d'une réforme du calendrier, dans lequel il indiquait, sur la base de l'astronomie de Ptolémée, les moyens de la mettre en pratique. Il avait prononcé des éloges de l'empereur et fait étalage de ses dons rhétoriques lors de discussions publiques sur des questions théologiques et scientifiques. Il s'était en même temps fait un nom par ses prédictions d'éclipses de soleil. Les oraisons funèbres d'Andronic II et de Théodore Métochite furent également prononcées par Grégoras. Pendant les premières années du règne d'Andronic III, il dut s'effacer un peu, mais il put continuer les leçons privées qu'il donnait depuis quelques années, au couvent de la Chora, à tous les membres de l'aristocratie se piquant de culture intellectuelle. En 1331 il lui était déjà permis de faire sa rentrée à la cour. Comme si rien ne s'était passé entretemps, il chanta la louange d'Andronic III et écrivit des lettres flatteuses au j.léyaç ÔOj.léarlKoç et à d'autres hauts dignitaires auliques. Ce fut dans la maison du j.léyaç ÔOj.léaTlKOç qu'il disputa avec le moine calabrais Barlaam; disputation célèbre à l'époque, pendant laquelle Grégoras ridiculisait la scolastique péripatéticienne de l'Occident défendue par Barlaam. En 1335 le patriarche l'invita même à disputer avec les légats du pape en vue de nouvelles négociations sur l'Union des Eglises. Dans un discours donné en privé au patriarche et à quelques métropolites, Grégoras déclina l'invitation parce qu'il ne croyait pas à l'utilité d'un pareil dialogue. Pendant toute sa vie l'Occident n'incarna pour lui que le Mal. S 5. X, cap. 8, Bonn l, p. 501-20. Le discours en question a été édité à part par M. Paparozzi, Un opuscolo di Niceforo Gregoras su Ile condizioni dei dialogo teologico con i Latini dans La chiesa greca in !taUa dal/' VIII ais XVI secolo, Atti dei Convegno storico interecc/esiale, 1. 3, Padoue 1973. Il est probable que Grégoras n'a pas prononcé ce savant discours. S'il l'a fait, Kalékas et les membres du synode ne se sont pas souciés de ses arguments. Grégoras ment s'il dit qu'il réussit à persuader le synode de renoncer aux discussions avec les légats du pape (Bonn l, p. 520). En effet ces pourparlers eurent lieu, le porte-parole du côté des Byzantins étant Barlaam qui s'adressa aux légats pendant une séance du synode. Bien que celui-ci n'occupât aucun rang
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Choyé par les c5uvaro{ Grégoras n'hésita pas quand le conflit entre eux et la cour impériale éclata. L'alliance entre le gouvernement officiel et le c5ijJ.loç le dégoûta surtout, d'autant plus qu'elle tendait à un régime dictatorial. Il ne montra pas sa sympathie pour Cantacuzène en public. Afin de ne pas être soupçonné de trahison il se présenta même de temps en temps à la cour, où il lui fallait bien entendu faire honneur à l'impératrice Anna, qu'il détestait parce qu'elle venait de l'Occident (elle était une princesse savoyarde). Bref, il avait manoeuvré de manière à rester l'ami des Paléologues au cas où Cantacuzène ne rentrerait pas vainqueur à Constantinople. Grégoras n'était pas le seul à tergiverser ainsi. Beaucoup d'autres surnageaient de la même manière. Nous savons pourtant qu'il fut, pendant toute cette période, partisan de Cantacuzène, puisque les livres 12 à 17 qui couvrent les années 1341-48, ne sont qu'un reflet de la propagande cantacuzéniste. Il ne les publia que plus tard, se rappelant peut-être ce qui lui était arrivé après la déposition d'Andronic II, quand il avait failli sombrer avec l'empereur. Il avait fait alors contre mauvaise fortune bon coeur en écrivant que le troupeau devait souffrir à juste titre lorsque le berger était frappé, désapprouvant le conseil de Solon de ne jamais se ranger du côté d'un parti. 6 Pendant les années '40 Grégoras fit dans la hiérarchie orthodoxe, le synode était heureux, semble-t-il, d'avoir à sa disposition un homme qui s'y connaissait en théologie catholique, combattait ardemment la doctrine du filioque et savait s'exprimer en latin. Van Dieten qui a pourvu le discours de Grégoras de 47 notes (trad., t. II, 2, p. 352-57) ne nous renseigne dans aucune d'entre elles sur cet état de choses. Nulle mention chez van Dieten du livre de G. Schiro, Barlaam Calabro, Epistole Greche, 1 primordi episodici e dottrinari delle lotte esicaste, Palerme 1954, où les négociations avec les légats sont traitées dans le paragraphe Le trattative con i legati deI Papa aux pages 49-56. Nous reviendrons sur ce livre et sur Barlaam plus loin, dans notre chapitre sur Grégoire Palamas. V. aussi l'exposé de J. Darrouzès (Reg. 2170) qui reproche à Grégoras d'ignorer délibérément le rôle de Barlaam. 6. IX, cap. 6, Bonn l, p. 427: Bl8t Kai r,jleïç rep Y11palCp KaTà TO EIKoç npOaKEljlEVOl f3aalÀ,Ei pO(){OlÇ naiv ÈVETVXOjlEV TOV XEljlcfJVOÇ ÈKElVOV, KalVOV où8sv. DOTE yàp 8iKalov 7]V, r,jliiç jl118Ejllij npoaKEia()al jlEp{8l, TOV .E6À,covoç TOVTO npOTpsnOVTOÇ" Kai np6ç yE TcfJV ElK6TCOV atl, TOV nOljlSVOÇ KaTaX()SVTOÇ 8ElVà na()Eiv KaTà TO aVl:iÀOyoV anav TO nO{jlVloV.
La date de la publication de l'Histoire Rhoméenne reste indécise. On sait que
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semblant de s'être converti à la sagesse de Solon. Il s'effaça le mieux possible, invoquant son horreur du manque de raison chez tous les partis. Il avait de nouveau une citation utile sous la main. Il suivait l'exemple du philosophe Zénon qui s'était vanté devant les envoyés du roi des Perses d'être le seul Athénien sachant se taire pendant un symposium 7 (euphémisme bien anodin pour désigner une lutte sanglante faisant des victimes innocentes par milliers). Grégoras ne resta donc pas neutre, mais se tint coi jusqu'au moment où il put se déclarer en faveur de Cantacuzène en toute sûreté. Grégoras reconnaît ultérieurement qu'en vérité il avait été partisan de Cantacuzène pendant toute la guerre civile. Au livre 18 de son Histoire Rhoméenne il informe ses lecteurs de sa position politique. Il déplore le manque d'objectivité des livres qu'il avait écrits à cette période, et se justifie en disant qu'il s'était terriblement trompé sur le compte de Cantacuzène. Il l'avait cru un champion de l'orthodoxie; hélas, il doit constater maintenant (en 1351) que Cantacuzène est au contraire un ennemi de la saine doctrine. Nous allons voir qu'en fait Grégoras ne prit parti pendant la guerre civile, en secret ou ouvertement, que pour un seul motif tout politique: l'insurrection du c5fjJ.loç devait être à tout prix réprimée. Tout ce qu'il écrit dans son Histoire Rhoméenne les onze premiers livres Uusqu'à la mort d'Andronic III) étaient connus vers 1350. Grégoras était alors connu en tant qu'historien (cf van Dieten, Intr. t. 1, p. 38). En outre il est certain que Cantacuzène à cette date était au courant des louanges qui lui avaient été prodiguées par l'auteur dans les livres 12-17 (Cant. IV, cap. 24, Bonn III, p. 183). Il est à présumer que Grégoras fit d'amples notices pendant les années 1341-47, rédigeant même de grands fragments et couchant par écrit le texte définitif entre 1349 et 1351 (cf les discussions entre van Dieten et Beyer, van Dieten, Intr. t. 3, p. 6-15). Vers 1355 Cantacuzène prit connaissance des chapitres ultérieurs, dans lesquelles Grégoras le diffamait, v. notre texte. 7. XIV, cap. 8, Bonn II, p. 720-21: ... nov Kpar{arwvûval Kauoi ràv ~auxLOv s8of,E {3{ov ÉÂsa8ar, nov {3aarÂ1Kmv a({JEj1svep 8Eurpwv ( ...) Kai uj1a j1Ej1V17j1SVep KaKElvo rà Z7jvwvoç rou aO({Jou, onwç t:v aVj1noa{ep j1aKpep, rmv liÂÂWV aO({Jmv t:m8E1KTlKmç rOlç t:K Ba{3vÂmvoç 0j11Âouvrwv npsa{3Earv, j10VOç avràç t:arwna, Kai T11v air{av rmv npsa{3Ewv t:POj1SVWV rfiç alwnfiç, iv' SXOLSV anayysÂÂE1V rep {3aarÂEl aa({Jsç Tl nEpi avrou' "nopEv8svrEç anaYYE{ÂaŒ," ({JT/a{v, Hi8ElV t:v 'A87jvalç av8pwnov, arwniiv t:v aVj1noa{ep 8VVUj1EVOV".
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sur d'autres motifs est mensonge. Après 1351, la haine de Grégoire Palamas le tient. Dans un passage du livre 12, Grégoras trace en quelques grandes lignes le cadre de la guerre civile: les Rhoméens forment deux camps opposés. D'un côté on trouve les riches, les notables, les gens civilisés, sobres et modérés, de l'autre côté les indigents (rD svc5séç) les éléments tumultueux, incultes, séditieux et sanguinaires. Les hommes appartenant à la première catégorie se rangent du côté de Cantacuzène, les méchants' sont la clientèle de la régence. 8 Le lecteur comprend que tous les moyens sont permis pour réprimer ces derniers, y compris l'aide des Turcs. Ici commence, dans l'Histoire Rhoméenne, la version selon Grégoras de l'intervention des Turcs dans la guerre civile. Si Cantacuzène falsifie l'histoire en apologiste plaidant ses propres affaires, Grégoras défend un intérêt qu'il a fait sien. Cela veut dire que Cantacuzène sait précisément quels sont les événements et les actions qu'il lui faut altérer ou passer sous silence. Ille fait avec un certain art et s'arrête là. Grégoras, par contre, a le champ libre. Il défend une position politique en général, s'emparant de tout ce qui apporte de l'eau à son moulin. Ajoutez à cela une enflure frisant la verbomanie. Le résultat est une narration qui n'en finit pas, les fantaisies littéraires submergeant le détail historique. Grégoras ment en outre aussi facilement que Cantacuzène. Citons en exemple la tentative d'Umur d~envahir l'empire après la mort d' Andronic III. Pendant une tournée d'inspection en Thrace, Cantacuzène apprend qu'une flotte turque s'approche afin de ravager la Thrace. Le commandant de la flotte est Umur d'Aydin, redouté par ses razzias sur les côtes de la Grèce' et sur les îles de la Mer Egéenne. Selon Grégoras, Umur s'était passionné pour Cantacuzène à cause des prouesses du /Jéyaç c5o/JéaTlKOç par mer et par terre et 8. XII, cap. 12, ibid., p. 613: Kai Tjv it5ûv Eiç t5uo Iloipaç aXla8tv ro riiJv 'PIDlla{IDv yÉvoç anav K'arà naaav n6Âlv K'ai xwpav Eiç rE ro avvErov K'ai àauvErov· EÏç rE ro nÂourcp K'ai t56';U t5ra({JÉpov K'ai ro tVt5EÉÇ· EÏç rE ro nalt5Eiaç EVYEVOÜÇ rp6({JllloV K'ai ro naal1ç nalt5Eiaç navrEÂiiJç vnEp6plOv· EÏç rE ro ÉIl({JPOV K'ai rEraYIlÉvov K'ai ro fÏ({Jpov K'ai araaziiJt5Eç K'ai arlloxapÉç K'ai ràJ.i,tv f3EÂ r{ID navra npoç BK'EiVOV IlErEppVl1 K'6ra· rà t5t XEiPID navra npoç roùç BV Bv(avricp.
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avait juré de rester à jamais son ami et l'ami de ses enfants. Informé des intrigues abominables que tramaient contre Cantacuzène plusieurs membres du sénat impérial, il s'était décidé à ravager la Thrace pour punir les ennemis de Cantacuzène. Cependant, celui-ci, après avoir appris la nouvelle de l'arrivée d'Umur, envoie immédiatement un émissaire à son admirateur, lui donnant l'ordre de renoncer à ses projets. Nous savons actuellement que Cantacuzène, quand il rédigea ses mémoires, n'a pas repris le récit de Grégoras. C'est qu'à son avis Grégoras était allé trop loin. Selon Grégoras, Umur obéit immédiatement, sa mentalité barbare fléchissant devant le message de Cantacuzène; ce fut un grand succès, faisant une impression profonde sur les âmes de ceux qui en eurent connaissance. 9 Suit une digression rhétorique dans laquelle Grégoras s'attarde aux vains regrets du passé, quand l'étendue de l'empire romain était encore immense, et quand le nom romain commandait le respect des peuples. L'historien est d'opinion que Cantacuzène aurait été capable d'entreprendre l'oeuvre de relèvement de l'empire, si seulement Apokaukos ne s'était pas insurgé. 10 En ce qui concerne la description de la première arrivée d'Umur en Grèce pendant la guerre civile, Grégoras dépasse de beaucoup Cantacuzène. De même que Cantacuzène, il fait venir Umur à Didymoteichon de son propre gré. Il passe toutefois entièrement sous silence les pillages et les déprédations commis par Umur, et s'étend par contre sur son élévation d'âme. L'émir turc n'aurait pas voulu rencontrer Irène, l'épouse de Cantacuzène, tout de suite, craignant de ne pouvoir la consoler, voire d'augmenter sa détresse par sa propre incapacité à retenir ses larmes et cacher son 9. XII, cap. 7, ibid., p. 598: ... 0 ôr, Kai 8éirrov fj)..oyoç ei7reiv éyeyovel, Pf!.ov fi Karà ôouÂov ôeo7r6rov KeÂevovroç, roiç rou KavraKoV~TWOU ypaJ,.lJ,.laOlV V7reiçavroç Kai v7revô6vroç rou fJapfJaplKou CPPOVTlJ,.laroç éKeiVOV. TourD J,.léya J,.lèv Kai J,.laKpaV Tlva fjKel KOJ,.li~ov rr,v ëK7rÂ1JÇlV raiç nov àKovovrwv IJfVXaiç. Si van Dieten avait lu le Destan d'Umur pacha d'Enveri au lieu des résumés donnés par Lemerle, il n'aurait jamais pu avancer la thèse selon laquelle la lettre dont parle Grégoras était la même que celle dont Enveri fait mention et que nous avons citée dans le chapitre sur Cantacuzène. L'hypothèse de van Dieten est sans fondement. Par conséquence les hypothèses qui en découlent sont vaines (op.cit. t. 3, Anm. 27, p. 227-28, p. 242, Anm. 65, p. 253-54). 10. XII, cap. 7, ibid., p. 598-99.
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chagrin. Ce barbare n 'avait pas le caractère d'un barbare, mais le caractère d'un homme civilisé, tout tendu vers la culture hellénique. Grégoras s'étend longuement et d'une manière tout à fait irréaliste sur l'amitié entre Umur et Cantacuzène. 1 1 Ainsi l'historien nous donne une image bien étrange des événements relatifs à la délivrance de Didymoteichon. On sait qu'Umur a sauvé les habitants affamés, en leur envoyant des vivres provenant du pillage des pays environnants. 12 Par contre, selon Grégoras, c'était l" 'impératrice" Irène, qui aurait envoyé de Didymoteichon à Umur toutes les choses dont il avait besoin; vivres et vêtements, bref, tout ce qu'il fallait pour se protéger contre le froid de l'hiver. Umur refusa pourtant d'accepter tout cela. Il disait que ce se-
rait une absurdité de vivre lui-même confortablement tandis que son ami, vivant en exil, manquait de tout. 13 Et ainsi de suite; le tout entremêlé de comparaisons avec l'histoire ancienne et la mythologie grecque, dont, dans ce qui précède, nous avons omis quelques specimens pour ne pas importuner le lecteur par un excès d'inanités. A la deuxième arrivée d'Umur en Grèce, Grégoras ne peut plus soutenir que le Turc est venu de son propre gré. Il doit admettre que c'est Cantacuzène qui l'a appelé. Il utilise les mêmes justifications que celles de Cantacuzène: Apokaukos a été le premier à faire appel à des troupes turques, de sorte qu'on ne pouvait plus se
Il. XIII, cap. 4, ibid., p. 649: Oürwç où f3apf3apov 0 f3apf3apoç elXE 'l'av rpénrov, clÀ.À' iiJ-œpov Kai 1faZDEiaç 'EÀÀT/VZKfiç 'l'à 1fapa1fav tXOj1EVOV. 'H yàp oj1ozorT/ç Tmv rpo1fwv, El j1T] rz 1fÀÉov, aÀÀ' ovv 'OpÉarazç Kai nVÀaDazç Ela1fozû' ol j1tv yàp Oj1oq>vÀoz ( ...) '0 Dt f3apf3apov ÉXwv T1]V yÉvEazv Kai f3apf3apOlç ii8Eai rE Kai VOj1OlÇ avvrE8paj1j1Évoç ( ...) q>aiT/v D' av Kai tv tx8pmv TErayj1ÉVov j1oipq. ( ...) Tr,v yàp rfiç ",vxfiç oj1ovozav TE Kai avyyÉVElaV oùXi 'l'à YEVOÇ, àÀÀ' r1 rfiç YVeOj1T/ç DEiKVVaz ravrorT/ç. 'Dç yàp tv roiç j1ovazKoiç apyavOlç ... oùx r1 rmv r01fwv tyyvrT/ç rr,v rfiç apj10viaç DT/j1lOVpyEi aVj1 q>W via v, aÀÀ' r1 rfiç qJwvijç tj1j1EÀr,Ç oj1ozorT/ç ... 12. Cant. III, cap. 56, Bonn II, p. 346. 13. XIII, cap. 4, Bonn II, p. 650-51: ... Éq>T/aEv elvaz aaq>mç rmv à r01fwra rwv, tv aÀÀorp{q. Kai v1fEpopiy YÜ aKÀT/porT/Tl 1fÀdary 1fpOarErT/KorOç 'l'OÙ q>iÀov, DzayEzv tv Eù1fa8Eiazç aÙTov. D'ailleurs Grégoras se contredit en mentionnant une demi-page plus loin la faim dont souffraient les habitants de Didymoteichon. Comment Irène aurait-elle pu fournir des vivres à Umur dans ces circonstances?
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défendre contre lui qu'en suivant son exemple. 14 Après avoir porté Umur aux nues, Grégoras ne peut plus à la fin fermer les yeux sur les ravages commis par les Turcs. Il se tire d'affaire en y faisant à peine allusion. 1 5 Quand Orkhan devient l'allié de Cantacuzène à la place d'Umur, Grégoras change de ton. Il ne se cache plus que les alliances turques deviennent désastreuses pour l'empire. Toutefois il tâche, tant bien que mal, de justifier l'alliance entre Cantacuzène et Orkhan (plus que ne l'avait fait Cantacuzène lui-même). Grégoras ne trouve pas nécessaire de blanchir la personne d'Orkhan. D'une manière réaliste il présente le Turc comme un barbare puis14. V. le discours que Grégoras fait prononcer par Cantacuzène au moment où il fut assiégé par Apokaukos (p. 661-666). 15. Grégoras atténue délibérement les méfaits des Turcs sous le commandement de Cantacuzène ou bien il les passe sous silence; p.e. XIII, cap. 10, p. 677: 'EfJSo/laioz /ltv ouv iovrse; È,œi8sv 'l'à 7Œpi Xpzarou1l'0Àzv a1l'0V1]rl SztfJ11aav arsva (Cantacuzène et Umur)·KaKsi8sv au8ze; roe; Szà qJlÀ{ae; 1l'0pSVO/lSVOZ nDv Èvrav8a Szïara/lBVCiJV a1l's1l'szprovro 1l'oÀSCiJv. Kai 1'0 /ltv cp8zvo1l'CiJpOV Èv rouroze; ÈrsÀsura ... ; XIV, cap. 1, p. 692: (au printemps suivant) THv S' r11l'spi 'l'à 'l'fie; Xpzarov1l'oÀsCiJe; arsvà rov KavraKov~11vOV SzafJaaze; o/lOV np 'A/loup, rij) rrov nsparov ÈKdvcp aarpa1l'7J . .1zafJav'l'l yàp tSoçs 1l'sipav 1l'poaayszv 'l'aie; 1l'oÀsaz Kai Ole; /ltv Kar' O/loÀoy{av 1l'apaSzSovaz ol acpàe; auroue; È8sÀovràe; 1l'pOe; fJovÀr1asCiJe; Û11 'l'fi ÈKdvov xszp{, rrov 1l'pOa11KOVrCiJV ysprov açzovv, Ole; St rouvavr{ov, rouroze; St rouvavrlov. L'historien s'indigne par contre des horreurs qu'auraient perpétrées les Turcs d'Apokaukos (XIII, cap. 9, p. 671): "Oaaz /ltv ouv ap1l'aya{ rs Kai avSpa1l'0Sza/loi 'l'oie; Èva1l'0Àszcp8siazv Èy{vovro nBpaaZe; ÈKsi Karà rrov suasfJrov Kai oaaz Karà rrov lsprov ar01l'{az Karà 1'0 acpszSte; ÈroÀ/lrovro, Pfj.Szov OUK av û11 SzsçzBvaz, fJoVÀO/lBVOZe; Ècp' Ërspa rpB1l'SZV rov ÀOYov rov SPO/lOV r1/liv. "laaaz S' ouv ol 1l'a8ovrse; Kai oaoz rrov rozourCiJv ou /laÀa 1l'scpuKaalv aSasie; a1l'0avÀ{lv siKaa/lOUe; Kaç cbv ys rs8Bavraz çV/lfJaÀÀszv Kai li. /l11 rs8Bavraz. Plus tard il s'étend sur les atro-
cités commises par les Turcs de l'impératrice Anna (XV, cap. 5, p. 763-65) [En 1346 Georges Tagaris - fils de Manuel Tagaris, l'ancien gouverneur de Philadelphie - réussit à persuader l'émir de Saruhan, qu'il connaissait dès sa jeunesse, de fournir des troupes à l'impératrice, v. Cantacuzène II, cap. 96, Bonn II, p. 591-92.] Toutefois, il lui faut finalement admettre que la Thrace était entièrement dévastée vers 1345. Des Turcs d'Anatolie traversaient l'Hellespont sans cesse, soit comme des brigands ou bien se donnant pour alliés de Cantacuzène. La population de la Macédoine se rendit plutôt à Etienne Dusan qu'à Cantacuzène et ses Turcs. Grégoras lui-même nous l'apprend (XV, cap. 1, p. 746 sqq.). Voir infra, p. 211.
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sant qui peut contraindre Cantacuzène à s'allier à lui. Cantacuzène se serait adressé par lettre au patriarche Kalékas, afin de le convaincre de la nécessité absolue de faire la paix et éviter ainsi la perte sûre de l'empire. 16 L'impératrice Anne ne voulut pas en entendre parler. Elle espérait plutôt tirer Orkhan à soi. Alors Cantacuzène se décida à la devancer en offrant à Orkhan sa fille en mariage. C'est ce qu 'Orkhan dési~ait ardemment depuis longtemps. Il avait déjà menacé Cantacuzène de le ruiner si robjet de son amour lui était refusé. C'était chose miraculeuse que ce barbare, homme d'un âge avancé, aimant, uniquement à cause de ce qu'i! avait entendu sur elle, une jeune fille belle et noble, vivant loin de lui. 17 Enfin il poussa Cantacuzène à se déclarer pour lui. L'alliance conclue, il épousa Théodora et rompit avec l'impératrice Anna. Or khan négociait en réalité depuis longtemps avec Cantacuzène: celui-ci de son côté écrit tout ingénument que le mariage de sa fille avec Orkhan eut lieu bien longtemps après l'alliance avec celui-ci. 18
*** A travers la jungle de l'Histoire Rhoméenne, on parvient toutefois à discerner un développement historique.
16. Selon Grégoras, Cantacuzène n'avait plus de ressources matérielles. Aussi il se serait montré très soumis dans ses lettres au patriarche Kalékas. Comme nous l'avons vu, Cantacuzène lui-même parle de lettres de menace (v. notre texte, p. 105). Il se peut qu'il ait voulu effacer l'impression fâcheuse laissée par le récit de Grégoras. Mais ce n'est pas toute l'histoire. Grégoras s'étend sur les lettres de Cantacuzène afin de relever ses dispositions pacifiques et justifier son alliance avec Orkhan. Il ne faut donc pas trop se fier à la version de Grégoras (XV, cap. 3, p. 754-58). 17. XV, cap. 5, p. 762-63: ... naÂal 1'001'0 'TfroOvra (sc. Orkhan) aùv aqJo~PCP Kai qJÂtyOV1'l 'l'cp n6(Jcp npèJç roùç Èaxarovç KlV~VVOVç, El Jlr, rfjç ÈpWJlÉVTfÇ Èm1'Vxr,ç rÉvolro, aqJo~proç ànElÂoOvra. Où ràp 7}v nov rrov EiK6rwv, roç noppwrarw nov ~laluiJJlEVOV, navv rOl vÉaç ovaTfç Kai Eùnpoaamov rfjç K6pTfç Kai rsvovç Eù~a{JlOvoç, Èpaarr,v ÈK Jl6VTfÇ rEvÉa(Jar rfjç àKOfjÇ, li.v~pa napTff3TfK6ra Kai f3apf3apov.
18. III, cap. 81, Bonn II, p. 498; III, cap. 95, p. 585-86.
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L'année 1347 est évidemment de grande importance pour Grégoras. Cantacuzène montait enfin sur le trône de Constantinople. Grégoras formait de grandes espérances. Les Serbes, les Bulgares et surtout les Turcs seraient refoulés. Dieu serait avec Cantacuzène, mais à une condition: que le nouvel empereur mette fin aux dissensions au sein de l'Eglise, lesquelles en même temps menaçaient l'Etat. Pour la première fois on aperçoit quelque chose qui fait tache dans la glorification insensée de Cantacuzène. 19 Grégoras avait lieu de s'inquiéter. Au mois de juillet 1341 Cantacuzène avait déjà donné son approbation aux thèses de Palamas en matière dogmatique. Elles constituaient aux yeux de Grégoras une hérésie monstrueuse. Pendant les années 1347-51 celui-ci discuta à plusieurs reprises avec Cantacuzène sur leur délicat différend. Grégoras espérait toujours détourner l'empereur de ses sympathies palamites. Bien que dans l' Histoire Rhoméenne son adulation devient graduellement moins exubérante, il reste pendant cette période fidèle à Cantacuzène, ne se distanciant pas pour le moment de l'empereur dans le domaine politique. Tandis que les Turcs, bien loin d'être refoulés, menacent l'empire de plus en plus, Grégoras continue à couvrir les échecs de Cantacuzène, en les passant sous silence ou en défigurant le cours des événements. L'alliance avec Orkhan, dont Cantacuzène s'était promis de grands avantages, s'avérait une catastrophe au cours de l'année 1347. Cantacuzène, s'étant décidé à attaquer le roi serbe Etienne Dusan, afin de reconquérir la Macédoine byzantine, demanda des auxiliaires à Orkhan. En dépit de son appel, les troupes turques s'arrêtèrent dans la région de Mygdonie, le peu de territoire macé19. Si au moins nous faisons abstraction du jugement de Grégoras sur la stratégie de Cantacuzène manquant selon lui d'énergie et de fermeté (XV, cap. 3, p. 754). Grégoras estime apparemment que de nouveaux massacres n'étaient pas un grand mal. D'ailleurs l'historien ne comprenait pas pourquoi Umur était incapable de prendre Thessalonique ou d'autres villes fortifiées. Cantacuzène aurait renoncé au siège de Thessalonique par respect de Saint Demetrios. Umur aurait sermonné Cantacuzène à cause de sa superstition et l'aurait prévenu des conséquences fatales de son attitude pour ses partisans dans la ville. Sans doute Grégoras fait allusion au massacre de 1345 à Thessalonique. Il est bien curieux de lire les pages consacrées par Grégoras à une discussion imaginaire sur un article de foi entre deux hommes n'ayant rien en commun en matière de religion (XIII, cap. 10, p. 676-77).
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donien toujours en possession de l'empire. Sans se soucier des ordres des commandants byzantins ils mirent toute la région à feu et à sang, puis s'en retournèrent chex eux. Dans ses mémoires Cantacuzène se donne au moins la peine de parler du chagrin qu'il souffrit de cette trahison qui avait fini par coûter la vie à tant de sujets;, c'était justement dans l'intérêt de ceux-ci qu'il avait entrepris la guerre. 20 Grégoras ne dit mot sur tout l'épisode, mais s'étend en revanche longuement sur une campagne contre les Serbes qui aurait dû avoir lieu l'année suivante (1348), mais fut abandonnée pour des raisons diverses, entre autres la mort d'Umur. Cette fois Cantacuzène se taît sur son projet, Grégoras en bavarde, déplorant la mort du fidèle Umur, pour masquer la misère de l'alliance avec Orkhan. 21 Mais la fantaisie de l'auteur n'est pas encore épuisée. Il insère, dans le récit des événements de ces années, un beau discours de Cantacuzène, adressé à son fils aîné Matthieu à l'occasion du don qu'il lui avait fait d'une province en Thrace occidentale, en qualité de territoire autonome. Le père avertit le fils dans un style des plus nobles des difficultés qui l'attendent dans son nouveau domaine, harcelé continuellement par les Serbes et les Turcs. Le père espère que son fils se conduira en homme d'honneur dans ces circonstances. 22 Il s'agissait en fait d'un rachat puisque Matthieu nourrissait le projet de prendre les armes contre son père. Cantacuzène lui-même et Grégoras nous l'apprennent; un autre exemple de la naîveté et du primitivisme qui se cachent sous les grands airs que se donnent les auteurs byzantins de la décadence, borgnes au royaume des aveugles. Mais Grégoras est enfin à même de raconter quelque chose d'agréable sur la lutte contre les Turcs. Au début de l'été de l'année 1348 une grande armée turque débarqua en Thrace. Elle se divisa alors en deux forces. L'infanterie marcha vers l'ouest, en direction du territoire de Matthieu, la cavalerie partit pour Bitzyne. Selon Grégoras, Matthieu se montra un capitaine courageux et très capable. Aucun Turc ne survécut pour faire le récit de l'héca-
20. Cantacuzène, IV, cap. 4, Bonn III, p. 32. 21. Grégoras, XVI, cap. 7, Bonn II, p. 834 sqq. 22. XVI, cap. 14, ibid., p. 814-19.
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tombe. 23 En même temps Cantacuzène vainquit la cavalerie turque, dont une partie se sauva dans le désordre. Grégoras entonne un chant de louange: Les Rhoméens y virent un signe favorable; ils formèrent de grandes espérances, car celui qui réussit à arrêter une attaque inattendue et à refouler un ennemi en position offensive, fait preuve d'une plus grande vigueur que celui qui attaque de son côté le territoire d'un adversaire, y érigeant un trophée ... etc. etc. 24 Dans tout son récit Grégoras ne dit pourtant pas quels étaient les Turcs auxquels on avait porté un coup si dur. Il s'agissait des Turcs d'Orkhan, revenus en Grèce de leur propre gré. Il ressort d'ailleurs des mémoires de Cantacuzène que sa victoire ne fut pas si éclatante que ne le décrit Grégoras. 25
Ici finit l'éloge de Cantacuzène dans l' Histoire Rhoméenne de Grégoras. Un changement soudain, complet et inouï a lieu. La défaite des Byzantins dans la guerre contre les Génois de Galata (1348/9) est interprétée comme un signe de la colère de Dieu. C'est que Cantacuzène a toujours refusé de condamner la doctrine de Palamas, malgré les admonestations répétées de Grégoras. Il est clair que l'empereur ne tiendra pas la promesse faite en 1347, de transférer à l'avenir le pouvoir impérial à Jean Paléologue, mais qu'il veut au contraire se faire succéder par son fils Matthieu. Le tournant définitif survient en 1351. Cantacuzène a réussi à reprendre Thessalonique (automne 1350). De retour à Constantinople il se décide enfin à convoquer un autre synode qui reconnaîtra définitivement la doctrine de Palamas. Et Cantacuzène, brusquement, paraît dans l' Histoire Rhomét!nne de Grégoras sous les traits d'un assassin horrible et d'un tyran, ce qu'il était, selon lui, depuis le début de la guerre civile. Grégoras écrit qu'il s'était adressé à l'usurpateur comme suit:
23. XVI, cap. 7, ibid., p. 838. 24. ibid., p. 838 Touro 'ProJlaiOlç Ét50l;EV àra(Joç oirovoç Kai JlaKpiiJv ÈÀlrit5rov lrpOOiJllOV. TD JlÈv ràp È1rlouaav t5él;aa(Jar, lrpiv fi lrpoat5oKfjaar, Kai àlrOKpOvaaa(Jar r1jv riiJv lroÀEJlirov ÉqJot5ov, JlaKpéjJ nVl KparalorEpov fi lroÀEJlirov xwpav avrov Tlva Karat5paJlovra aT11aaa(Jal rpolralov.
25. Cantacuzène, IV, cap. 10, Bonn III, p. 63-68.
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Puisque vous dédaignez les canons de l'Eglise, vous serez détruit par l'Eglise, ou plutôt par Dieu qui en est la tête; peut-être pas immédiatement, mais en tous cas bientôt. Vous devez savoir que vous avez été le premier - de concert avec votre mère - à soutenir l'impiété de Palamas, et ainsi vous avez causé le désarroi au sein de l'Eglise. La vengeance de Dieu ne s'est pas fait attendre. Votre magnificence vous a été ôtée, et vous avez dû vous exiler. Votre mère a porté la peine de ses méfaits en mourant d'une manière terrible, épuisée par la faim et le froid, loin de vous, son fils bien-aimé. Vous vous êtes égaré sur de faux chemins, errant par la Thrace, par la Macédoine, en Serbie, et à la fin vous avez été obligé de partager les moeurs et les idées des satrapes perses, de sorte que vous êtes devenu cruel, aliéné de toute pitié à l'égard de vos semblables, rejeté de Dieu, écrasant sous vos pas les corps des prisonniers de guerre Rhoméens et les corps de leurs enfants agonisants, les foulant aux pieds, dur comme pierre, au moment où ils pleuraient encore, ne vous gênant pas de la lumière du soleil qui sustente tous les êtres vivants, ni craignant la tonnerre et le foudre de Dieu, comme le ferait un homme qui ne serait pas dénaturé ... 26
26. XVIII, cap. 4, p. 886-87: 'Em;i ro{vvv Kai aù roïç rijç EKKÂ17a{aç Kavoazv OVX É7rfl, ialh KaraÂv(J17aOj.lSVOç (mà rijç EKKÂ17a{aç, ij j.làÂÂov (mà rou rijç EKKÂ17a{aç r,YOVj.ltvov (Jsou, Kai si j.lr, aVrlKa j.laÂa, àÂÂ' ovv oVD' slç j.laÂa j.laKpav. O[a(Ja yàp wç aù 7rproroç avco(Jsv 7rpOarar17ç ySVOj.lSVOç rijç rou llaÂaJ.là Dvaasf3daç Oj.lOU rf1 j.l17rpi rou roaovrov (Jopvf3ov rf1 EKKÂ17a{fl, Kartar17ç ainoç. dlà Kai J.l17v{aavroç rou (Jsou, rijç SVDalj.lov{aç Kai DOÇ17Ç EKdVT/ç YVJ.lvàç KarsÂsüp(J17Ç ahpv{DLOv, Kai ytyovaç sv(Jùç U7rSpOPlOÇ 7rarp{Doç éij.la Kaïytvovç. Kai r, j.lÈv ar, J.l'Tjr17P alax{ar17v Énas rou f3{ov rSÂsvr'Tjv, Âlj.lij'J Kai II'VXSl Da7raVT/(Jsi'aa Kai aov rou qnÂrarov rr,v artp17azv 7rlKpàv Evraqnov EvsYKaj.ltVT/· aù DÈ 7roÂÂoùç Kai 7rOlKiÂovç àvaj.lsrp'Tjaaç f3iov 7rÂavovç Kara rs @pfjK17v Kai MaKsDoviav Kai Tplf3aÂÂovç, llSpazKOïç É7rSlra Kai aarpa7rlKoïç U7r' àvayK17ç É(Jsai rs Kai DOyj.laaz KSKOlVWVT/Kaç, wç Kaz roaourov 7rspi rà ytvoç àyvwJ.lova Karaarijval Kai oiKrov 7ravràç àÂÂorpLOv, EyKaraÂsup(Jtvra as 7rpàç (Jsou, wars Kai roùç rrov alXj.laÂwrcov 'Pcoj.laicov VSKPOÙÇ Kai rrov Én KÂav(Jj.lVplÇOVrcov f3psqJrov rà aWj.lara aVJ.l7rarsïv, Kai àvaÂy'Tjrcoç E7rlf3a rsvsl v, Kai j.l17DÈ rr,v rà 7ravra f3oaKovaav r,Mov qJÂoya alDsi'a(Jal, j.l17DÈ roùç aWspiovç TOU (Jsou Kspavvof3oÂovç 7rP17arijpaç, wç rà siKoç, DSlÂl(Ïv.
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Il est peu probable que Grégoras ait vraiment prononcé cette tirade en présence de Cantacuzène, peu avant le début du synode, comme le veut l'Histoire Rhoméenne. Cantacuzène fait mention de la défection politique de Grégoras, disant qu'il en avait' trouvé les preuves dans la correspondance de celui-ci. 27 Quoi qu'il en soit, quelques jours après la fin du synode (le 9 juin 1351), Grégoras fut enfermé dans le couvent qu'il habitait. Toute communication avec l'extérieur lui fut interdite. 28 Plus tard, après son abdication, Cantacuzène prit connaissance des accusations qui se trouvent dans l'Histoire Rhoméenne. Il eut alors un entretien avec Grégoras lui rappelant les louanges exubérantes dont l'historien l'avait comblé pendant toute la période de 27. Cantacuzène, IV, cap. 24, p. 171. A la page 172 Cantacuzène écrit: 'ElrEi ôt ÈKwilvETO (sc. Gregoras) Tà KaTà YVoJJ.LT1V lrPclTTE1V, OUX rlTTOV KaTà {3aarilÉwç, fi TijÇ ÈKKilT1aiaç ÈKJ.LavEiç, ËypaqJE KaT' âJ.LqJOTÉPWV. A
la page suivante, 173, Cantacuzène décrit les accusations de Grégoras dans l'Histoire Rhoméenne: BaalilÉwç ôt ÈlrEi J.Lr, aUTOlrpoaoJlrwç ElXE KaTaqJÉpEa()al, TWV TE llailaloil6ywv {3aarilÉwv lrPOÇ âililJjilovç lr6ilEj.lOV ÈvaTT1aclJ.LEVOç Vlr6()Earv TOU il6yov ( ...), ËlrE1Ta Kai Ka()' E{PJ.LOV Èlri TOV ÈqJ' J}J.LWV lrpOÇ KaVTaKov~T1vOV TOV {3aarilÉa lr6ilEJ.LOV KEK1VT1J.LÉvOV lrpoi'wv, lroililà J.Ltv aUTou Kai ailila KaTT1yopEl, ûvÔpalrOÔlaJ.LOÙç Kai qJ6vovç Kai aqJayàç Kai ilET1ilaaiaç Kai oaa ôvaXEpij Èv Tep TOU lroilÉJ.Lov Xp6vqJ aVj.llrÉlrTWKE 'PWj.laiOlç, aUTcp lrpOacllrTWV, Kaz ôlà qJlilapxiav Kaz TlJ.Lijç {3aalillKijç Èm()vJ.Liav TWV ÔE1VWV ÈKEiVWV ouôÉva ilÉywv lrElrOlija()al il6yov. Il ressort pourtant du contexte (v. p. 185) que Cantacuzène ne prit connaissance des chapitres ultérieurs de l'Histoire Rhoméenne qu'après son
abdication. Les ch. 18-27 furent écrits par Grégoras pendant la première année de sa captivité (v. Beyer, Chronologie, p. 143-44). 28. Cantacuzène, ibid., p. 172; Grégoras, XXI, cap. 4, p. 1013. Grégoras ne fut détenu que pour des raisons politiques. On laissa tranquilles les autres antipalamites (v. notre chapitre sur Matthieu d'Ephèse, note 41). Grégoras énumère lui-même les motifs de l'empereur, appuyant nommément sur son intention d'extirper l'antipalamisme (XXV, Bonn III, p. 61-67). Grégoras parle toutefois également de l'aspect politique. Il écrit que beaucoup de ses élèves d'autrefois, maintenant revêtus de hautes fonctions, seraient prêts à déclencher dans son intérêt une insurrection populaire contre Palamas et Cantacuzène. Cependant, une telle action lui répugnait: ... Kaz qJo{3Ela()al (sc. Cantacuzène et Palamas c.s.) J.Ltv ôlà TaUTa Kaz aTclarv ÔT1J.LOTlKJjv, aoz (sc. Grégoras) j.ltv ouôaJ.Lfi lrpoaJjKovaav, ou j.lailil6v yE fi ill()ivovç TE Kaz xailKouç âVôplclVTaç OiKO()EV KEKlvija()ar lrpOÇ olrila Kaz J.LclXaÇ qJaiT1 T1Ç av, aqJiar ôt J.Lclila ÔJjlrOV()EV lrpoaJjKovaav qJo{3Ela()ar.
TOÙÇ
(p. 65; c'est Agathangelos qui parle; v. infra, p. 138-39, n. 45 et 50).
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la guerre civile. 29 Grégoras aurait nié avoir jamais couché par écrit les passages accusateurs, promettant de jeter au feu des papiers contenant des calomnies pareilles, si jamais il les trouvait. Cantacuzène aurait répondu que ce désaveu était peine perdue. Il croyait que Grégoras avait espéré se couvrir de gloire en écrivant ces infamies, mais en cela celui-ci se trompait. Lui, Cantacuzène, s'en moquait. Et pour Grégoras une fois mort, ce qui ne saurait tarder, que signifieraient alors le blâme ou l'éloge? Il ferait bien pourtant de penser au compte qu'il aurait à rendre au Jugement Dernier des mensonges et de la trahison dont il s'était rendu coupable à l'égard de son empereur, rien que par haine injustifiée. 30 Il est bien possible que Grégoras ait défailli dans la situation pénible où il se trouvait; qu'il ait en effet nié ce qui était indéniable. N'oublions pas que Cantacuzène continuait à jouer un rôle politique dans la coulisse et qu'en conséquence Grégoras avait toute raison de s'inquiéter des menaces de l'ex-empereur. Mais nous ne possédons que l'assertion de Cantacuzène. D'autre part il est certain que Grégoras, dans le reste de son Histoire Rhoméenne a attaqué Cantacuzène encore plus furieusement qu'il ne l'a fait dans l'accusation que nous venons de citer. En tout état de cause, l'historien moderne reste interdit devant la volte-face de Grégoras. L'auteur de l'Histoire Rhoméenne luimême a compris qu'il devait une explication au lecteur. Elle est 29. Cantacuzène, IV, cap. 24, p. 183: ... OVx iirrov 8è K'ai Tp71yopâç avroç 0 vvvi rOlaura ÈyK'aÀwv, napà navra rov rou nOÀÉj.LOV Xpovov ov j.LOVOV ÈyK'Wj.Lla noÀÀà 8lt:ÇlWV Èj.LOU (Cantacuzène; cela est vrai) àÀÀà K'ai rà laxara vnoj.LÉv~lV vnèp rfjç Eiç Èj.Lè ~vvo(aç UP71j.LÉVOÇ (celan'est pas vrai, nous l'avons vu), or~ rà avrà ÈqJpovovv ora K'ai vvv( (c'est à dire, à l'égard du palamisme; ici Cantacuzène dit la vérité).· Cap. 25, à la même page: TOlaura j.Lèv {3aalÀ~ùç 0 KavraK'oV~71VOÇ ri a r ~ p 0 v, Èn~i ~iç x~fpaç avrcp rà Tp71yopâ avyypaj.Lj.Lara iiK'~l, àn~Àoy~fro n~pi tavrou, K'ai lJI~v8fj K'ai àn(f)ava avyy~ypaqJÉval àn~8ûK'vv~v ÈK'~fvov. Pour la date de l'entre-
tien v. p. 185. Cf J. Draseke, Kantakuzenos' Urteil über Gregoras dans BZ 10(1901), p. 107-27. 30. ibid., p. 183-85. L'assertion de Cantacuzène selon laquelle il aurait fait condamner Grégoras au cours d'une séance de notables (donc en 1355 !)mérite peu de foi. Par contre la relation ironique de l'entretien qu'il aurait eu avec Grégoras, rend un son authentique. Grégoras en fait mention à son tour, mais touche seulement aux discussions théologiques (Bonn III, p. 375 sqq.).
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tortueuse à l'extrême et fait violence à la verité (nous le montrerons plus loin). Ecoutons Grégoras:
Je trouve qu'aucun lecteur ne doit dresser sa langue pour me reprocher d'avoir tu, dans presque toute mon histoire, des accusations qu'on pourrait porter contre l'empereur à cause de son caractère et de sa mentalité, lui ayant montré au contraire de la bienveillance en le louant par amitié. (J'ai fait cela) parce que je le considérais comme un collaborateur et un soutien dans la lutte pour la religion, parce qu'il était l'empereur et avait le pouvoir de remporter une victoire complète... (Quant à son amitié avec l'empereur) Tous ceux qui ont passé par de pareilles tribulations avoueront qu'on peut être amené à mentir. Cependant, si le conflit dans lequel on se trouve, implique Dieu Luimême, je suis d'opinion que celui qui voudrait déguiser la vérité sera injurié à juste titre par tous. Celui qui est probe dans toutes choses, mais refuse de dire franchement la vérité s'il faut condamner un homme impie, le ménageant au contraire, se précipiterait, à ce que je crois, dans l'abîme de la honte ... 31
31. XVIII, cap. 7, Bonn II, p. 902-04: 'Açu:o 8' Éycoys, jl1J8Éva rwv Èvrvyxavovrcov npoxslpov siç ràç Ka(}' 1]jlwv Â0l8op{aç ÉXSlv r7]v yÂwTTav, si n a p' 0 Â 1J v jl l K P 0 V r 7] v i a r 0 p { a v, oaa jlÈv qJuasl rs Kai npoalpÉasl npoaijv ÈYKÂr1jlara rijJ f3aarÂsi, aryu KpUlJlaVrsç, Èna{volç rD nÂsiov 8là qJlÂ{av Èxaplaajls(}a, Kai {ijla 8là rD auvspyov Kai aVÂÂr1nropa rwv rijç svasf3daç ÉxslV àywvcov avrov f3aarÂÉa rs ovra Kai rD miv Èv ru XSlpi rijç V{K1JÇ KapnOUjlsvov 8là r7]v àpXr1v' vvv 8' àvaKaÂvnrr1pra napà nâaav npoa{psarv (}USlV, wç sinsiv, ijKlara navrcov OKVOVjlSV. ( ...) ... si qJlÂ{f!, rrç xap{~sa(}al (}ÉÂcov, Énslr' Èviors Kai Èvraxov IJIsv8ojlsvoç qJa{volro, avyxcopo{1J av o{jla{ rrç iacoç, oarrç ojlo{arç ÈjlnÉnrcoKs ruxalç Kai nelparç' où 8È (}soç ro KlV8vvsvojlSVOV, si ÈYKaÂunrsa(}a{ rrç onwanors f3ouÂOlro, navrcov o{jlal raiç yÂwTTarç r,KOV1JjlÉvarç Èç avrojlarov npoç ràç avrov Â0l8op{aç Èvrvyxavslv' Kai navra niÂÂa È7l'lSlKÉararoç, si jl7] ÂaÂoç Èvrav(}a f3ouÂolro riyvsa(}ar Kai yÂwrralç oÂarç ràv8pi vSjlsaç,v, aÂÂà qJs{8olro ÂOl8op{aç 1]arrvoaovv, (}aVjla~Oljl' av avroç, si jl7] Èç àf3uaaovç aiaxuV1Jç Kai nV(}jlÉvaç y{volro vnof3puXloç, oarrç norÈ av Ù, xaÂsnov àsi ySlrOV1Jjla rov rov avvsl8oroç Kr1Jaajlsvoç nÉÂsKvv.
o
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C'est pour cette raison que Grégoras ne s'est plus adonné aux flatteries dans ses entretiens avec l'empereur, qu'il a abandonné toute lâcheté et a même consenti à mourir pour la vérité. 32 On n'a pas le droit de lui faire des reproches parce qu'il va dorénavant blâmer celui qu'il avait loué dans le passé. Ses louanges avaient concerné un domaine dans lequel (un mensonge) ne peut pas nuir (à l'âme de) ceux qui rentendent. 33 On sait que (pour nous borner au monde chrétien) la morale dans la vie quotidienne de la plupart des hommes n'a presque jamais répondu aux exigences de la foi. On sait également qu'un mensonge officieux est souvent inévitable. Mais il est très rare (peut-être unique) de voir un chrétien poser en principe la dissociation de la foi et de l'éthique d'une manière si éhontée. Ce chrétien fanatique à la folie ignorait, semble-t-il, que son Dieu Luimême dit: Vous ne vous mentirez pas run à rautre (Lév. 19, 11). Mais il y a plus. Dans le fragment apologétique que nous venons de résumer, Grégoras, contrairement à ce qu'il dit, a menti sans aucun doute à propos de la rigueur qu'il aurait toujours observée dans le domaine de la religion, au risque de son salut éternel (selon ses propres convictions), sinon au risque du salut de ses lecteurs. Revenons en arrière jusqu'à l'année 1341. Au moins de juin, un synode sous la présidence d'Andronic III avait rejeté les accusations de Barlaam contre les moines de l'Athos et contre Grégoire Palamas en particulier et déclaré que les pratiques des moines, ainsi que les écrits de Palamas, étaient au-dessus de tout soup32. ibid., p. 904: "Erl K'ai rovro roiç EipT1I.lévOlÇ npoaK'Eia8al XPEWV Èvrav80i. O[llal yàp rmv amlvn.ov ouôéva ÔlK'a[coç Èlloi VEIlEaf1.V, Ei nEpi 8EOV K'ai rmv narp{cov rfiç ciÀ,T/8Eiaç ôOYllarcov K'lVÔVVEv6vrcov àno rov iaov ôraÂEyo{llT/V rcp {JaazÂEi, navraç K'a8anaç ànoK'pOVaallEvoç K'oÂaK'E{aç Â6yovç, K'ai IlT/ÔElllf1. rov rfiç ôravo{aç K'aÂallov {Ja"nrElv ÔEIÂÜ~ K'ai avaroÂ!1 {JovÂT/8Eiç IlT/Ô' vqJEival IlT/Ôallfi rov r6vov lléXPI rEÂEvrfiç aurfiç. 33. ibid., p. 904: Tourov ô' ovrcoç Ëxovroç, OUK' av ÔIK'a{coç airiav qJEpo{IlE8a, Ei rfiç àÂT/8Eiaç K'ai r,IlEiç Èv r!1ôE r!1 {J{{JÂqJ 1'11V {JE r{arT/v EiaayovrEç np6volav rovç aurovç vvv IlÈV roiç Èna[vorç Èça{pollEv, onT/ Il'Î'/ rovç àK'ouovraç {JÂanrEa8al nEp 1y[vor 1'0, vvv ôÈ ràvavrlwrara l)pmvrEç qJalvo{IlE8a.
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çon. 34 Au mois de juillet de la même année un deuxième synode, présidé par Cantacuzène, avait confirmé cette décision, condamnant implicitement Grégoire Akindynos qui avait succédé à Barlaam comme accusateur de Palamas. 3S Grégoras ne parle pas du deuxième synode, disant seulement qu' Andronic III eût bientôt mis fin à l'hérésie de Palamas, s'il était resté en vie. 36 Beaucoup plus loin dans l'Histoire Rhoméenne l'auteur s'étend sur les troubles dans l'Eglise, coïncidant avec le début de la guerre civile. Bien qu'il s'abstienne de nommer la personne de Palamas, il vise indubitablement le conflit palamite, puisqu'il fait allusion aux palamites (il les désigne par le mot naÂaJ.l,VaïOl (malfaiteurs), en vogue chez les antipalamites).37 Lui, Grégoras, décide alors de s'effacer complètement, craignant d'aggraver la situation par son intervention. 38 La vérité est autre. Cantacuzène avait, au mois de juillet 1341, approuvé la doctrine de Palamas. Deux ans plus tard le patriarche Kalékas agit pourtant d'une toute autre manière. Il fit emprisonner Palamas et permit aux antipalamites de défendre leur opinion en toute liberté. Parmi le petit nombre de ceux qui se prévalurent de l'occasion, Grégoire Akindynos fut le plus actif. Il se plaignait de ce que presque tout le monde se tint coi par pusillanimité ou par intérêt. 39 En vain il poussa Grégoras à se prononcer. 40 Celui-ci le nomme à peine dans son Histoire Rhoméenne. Il savait très bien que Cantacuzène réhabiliterait Palamas après sa victoire et 34. Darrouzès, Reg. 2209-2214. 35. Darrouzès, Reg. 2214. Cf A. Constantinides-Hero, Letters of Gregory Akindynos, Washington D.C. 1983, Introduction p. XVI-XXII. V. notre chapitre sur Grégoire Palamas. 36. XI, cap. JO, Bonn l, p. 558. 37. XIV, cap. 8, p. 722. Cf. van Dieten, op.cit. t. 3, Anm. 319, cap. 329. 38. ibid., p. 721. 39. Dans son septième traité contre Palamas, Akindynos écrit à leur propos: ... Oüç 8t ra lÏÀ7]lJtç ÀavlJavEl J.l,tv où8aJ.l,wç, ÉVEKa 8t rfiç ElrE 8ol;7]ç lÏvlJpw7riV7]ç, Elr' Eipr,V7]ç Kai r,ovxiaç, EirE qJo!3ov rfiç E:K rmv 8vooE!3ovvrwv rovrwv Û!3PEWÇ Kai Ka Kovpy(aç, EifJ' lmapl;ao7]ç 7rpaç ÈKEiVOVÇ qJlÂiaç, EirE xpEiaç r,onvovv ÉrÉpaç alW7rr, KarÉXEl. (Monac.
r,
gr. 223, f. 349V). 40. ep. 43, ibid., p. 186-88, ep. 44, p. 188-92; v. aussi le poème qu'Akindynos adressait à Grégoras (Boivin, op.cit. p. LXXIII, cf Beyer, Antirrhetika 1, p. 110).
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persécuterait les antipalamites. Puisqu'il est certain que Grégoras détestait Palamas dès le moment où celui-ci avança ses théories nouvelles en matière dogmatique, qu'est-ce qui l'empêchait de se prononcer contre Cantacuzène? Il l'aurait fait, si vraiment il n'avait agi que selon sa conscience. Mais en ce cas il aurait dû se ranger du côté de Kalékas et d'Akindynos, ce qui l'aurait obligé de devenir l'ami du c5fjJ.loç qu'il haïssait, de pair avec presque toute l'élite sociale avec laquelle il avait partie liée. 41 Devant ce dilemme, il préféra s'effacer, se présentant comme le sage qui sait se taire pendant un "symposium" sans perspective. 42 A la fin il fut toutefois contraint de se prononcer. Après la mort d'Apokaukos, l'impératrice Anna voulut écarter le patriarche, selon toute probabilité parce qu'il était prêt à conclure un compromis avec Cantacuzène. 43 Pour effectuer cette déposition elle enjoignit à Grégoras de dire son opinion sans déguisement. Grégoras n'eut alors d'autre possibilité que de défendre le patriarche antipalamite. Juste au moment où il avait tout à craindre du courroux de l'impératrice, Cantacuzène entra dans Constantinople. 44 Grégoras n'eut donc pas à payer le prix de sa tricherie 41. Les palamites, voire Palamas lui-même (nonobstant sa sainteté) insultaient Akindynos à cause de sa basse extraction (Palamas, LVYYP., éd. Chrestou, t. II, p. 348; v. Hero-Constantinides, Introduction, p. IX). Dans une réfutation d'un traité de l'antipalamite Jean Gabras, le palamite Joseph Kalothetos voyait un rapport entre l'antipalamisme de Gabras et son amitié pour les masses rebelles et sanguinaires: Bi 8t rD avvt:rDv Iltv Kai rD rfjç Kpdrrovoç ÔV Ilolpaç où8allÙ eiç Àoyov ijKEl aOl, aÀÀà rD eiç lwÀÀà 8lEa1raapÉvov 1rÀfj(Joç, rD 8TfPlOvpYlKDv OXÀov, àraçlaç, araaEcoç, rD qJOVlKOV, rD TUqJCOVlKOV, rouro eiç t1pvvav ÈydpElÇ, ia(Jl 01r0l KaKou rD 1rpiiypa xcopEï, 01rOl aE qJÉpov Èpf3aÀÀEl (LVYYP. éd. D.G. Tsames, Thessa-
lonique 1980, p. 271-72). Akindynos avait l'appui de quelques dignitaires auliques, appartenant .au cercle d'Eulogia Choumnaina (fille de Nicéphore Choumnos). Cependant, en générall'antipalamisme à la cour revêtait un caractère politique. V. aussi notre chapitre sur Grégoire Palamas. 42. XIV, cap. 8, p. 721. Grégoras vise aussi bien le conflit politique que le conflit ecclésiastique, ce qui ressort du contexte. Cf supra note 7. 43. XV, cap. 4, p. 758-62. 44. XV, cap. 7, p. 772-73. Anna réussit à faire déposer, à cause de son antipalamisme, Kalékas avec l'aide des métropolites palamites qui ne s'etaient jamais montrés cantacuzénistes, mais l'étaient de tout coeur (Cant. III,
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avec les choses saintes. Sa conscience, à ce qu'il paraît, ne l'accusait pas. Les années suivantes, il devint le panégyriste de Cantacuzène, l'ennemi juré du DijJ.lOÇ, se suggérant qu'il arriverait à détacher l'empereur du palamisme. Au moment où il devait se dire que c'était peine perdue, il se tourna vers Jean Paléologue (qui ne pouvait le mettre en liberté qu'après la chute de Cantacuzène). Lors de sa captivité il remplit son His/Dire Rhoméenne de dissertations théologiques interminables. Il apprenait assez, d'une manière ou d'une autre, sur ce qui se passait hors du couvent pour écrire aussi sur les événements politiques et militaires. Il commença à vilipender Cantacuzène depuis ce temps-Ià. 45 Il débute par la guerre entre Venise et Gênes (1350-55). On est frappé tout de suite par le sans-gêne avec lequel le rôle d'Orkhan dans ce conflit est décrit. Le Turc est l'allié de Gênes contre Venise et Cantacuzène. Les dévastations de la Thrace par les troupes d'Orkhan sont traitées sans retenue. 46 L'insuccès de Cantacuzène, qui n'a pu repousser Orkhan, donne lieu à un intermède remarquable. Grégoras intercale un dialogue fictif entre Cantacuzène et son épouse Irène, où perce sa propre obsession religieuse. Les époux désespérés se demandent quelle peut être la cause de leur infortune. Irène se souvient que Grégoras avait prédit que la protection de Palamas par l'empereur serait suivie de la punition de Dieu. Cantacuzène n'en veut rien entendre. On ne peut pas attribuer toutes les vicissitudes de la vie humaine à l'intervention directe de Dieu. C'est la TUX17 qui est toute-puissante. C'est elle qui régit les choses terrestres en tvtpyêla éternelle, agissant arbitrairement. 47 Grégoras rend ainsi cap. 98, Bonn II, p. 604). Grégoras critiqua plus tard ces gens, les tn~itant de fourbes (v. infra note 54). 45. L'historien dit avoir été renseigné par un certain Agathangelos, qui lui aurait rendu, par cinq fois, des visites nocturnes. Il est à présumer qu'il s'agit de Manuel AngeIos, KaBoÂzKàç Kpznjç. V. pour cette identification Beyer, Chronologie, p. 145. Cf van Dieten, op.cit. t. l, p. 26-30. 46. XXVI, Bonn III, p. 91-22, 99-100, 116-19. 47. XXVI, ibid., p. 96: Tavra rOlvuv Kai 'l'à rozavra c5zeçzova1]ç ÈKelV1]Ç, "dj yvvaz" qJ1]aiv 0 fJaazÂevç, "où navra KaBanaç xpewv àvanBtvaz Beij'J. E[vaz yap rzva Kai rVX1]V rvpavvov, Karà 'l'à aùr6J.larov Èmovaav roiç nov àvBpwnillv
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l'empereur coupable à la fois de l'hérésie palamite et de superstition païenne. Cantacuzène perd le fil de son raisonnement en ajoutant qu'il était devenu empereur juste après sa décision en faveur de Palamas. 48 Irène ne démord pas. Toute leur misère a été causée par l'abus du pouvoir impérial, qui a mené aux persécutions de ceux qui étaient restés fidèles à la foi des ancêtres. 49 En continuant le récit historique Grégoras change - temporairement - de méthode. Au lieu de critiquer la politique de Cantacuzène des années '50, il commence à récrire l'histoire à partir de 1341, c'est-à-dire depuis l'usurpation du titre impérial par Cantacuzène. Cela signifie que l'historien va contredire point par point ce qu'il avait écrit antérieurement ,sur la guerre civile. A cette fin il compose un long discours politique, censé avoir été prononcé par Jean Paléologue. 50 Dans ce discours Cantacuzène est présenté sans ambages comme un usurpateur qui a aspiré au pouvoir impérial longtemps avant la mort d'Andronic III. SISes alliances avec Umur, le satrape barbare et impie de Lydie, n'avaient jamais eu d'autre but que npaYllaal, KàK TOV npoaExovç avn]v llàÀÀov Tàv8pwnElU DlOlKovaav fi TOV 8dJV, ÈVÉPYElUV IlÈv KaÀovIlÉVT/V aKTlaTOV, DEanonKoùç DÈ xapaKTfjpaç qJÉpovaav TE Kai DEanOTlKWç roîç npaYllamv È7rlaTpaTEvovaav KaTà n]v TOV aVTOllaTOV qJopav TE Kai KlVT/alv ...
48. ibid., p. 96-97. 49. ibid., p. 97-99. Selon Grégoras le fils du couple impérial, Matthieu Cantacuzène, aurait également cru à l'àvaYK17 et à la TVX17. Aussi Grégoras l'aurait instruit de la doctrine orthodoxe concernant le libre arbitre (ibid., p. 205-19). 50. ibid., p. 154-71. Il nous semble d'ailleurs que le contenu de ce discours, adressé vers le printemps 1352 à l'impératrice Irène, ne soit pas trop différent de ce que Jean Paléologue pensait en réalité. Le Ka8oÀlKoÇ Kplnlç Manuel Angelos (v. supra note 45), selon toute probabilité identique à Agathangelos, le visiteur nocturne de Grégoras, avait accompagné l'impératrice Irène pendant sa mission de paix chez Jean Paléologue. Si l'identification est juste, il n'est pas étonnant que Grégoras était au courant. Pour un résumé du discours v. Parisot, op.cit. p. 313-320. 51. ibid., p. 158: Tovvolla IlÈv yàp ÈKêÎVOÇ ÛXE TfjÇ f3aalÀdaç, TfjÇ D' Èçovalaç aVÀÀr1f3D17v oihoç anaa17ç ânêÎv IlETa yE TfjÇ aVTov KaTETpvqJa Il 17TPOÇ. Kai 7}V Èni TOVTOlÇ ÈKdvcp (Andronic III) TO aK07rlllwTaTov qJvÀaKfjç ÉVEKa TfjÇ Eiç n]v f3aalÀdav DlUDoXfjÇ Kai DlUllovfjÇ TfjÇ ÈllfjÇ (Jean Paléologue). ( ... ) 'EKÀa8ollEvoÇ (Cantacuzène) yàp Ev8ùç Tàç TOV
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de s'assurer d'un appui en vue de ses desseins criminels. Il sacrifia sans scrupules ses compatriotes chrétiens à son ambition effrénée, en leur faisant souffrir les sauvageries des barbares. L'auteur donne maintenant des détails jamais mentionnés dans la partie de l' Histoire Rhoméenne qui traite de la guerre civile. Par exemple: pendant l'hiver les Turcs d'Umur auraient éventré leurs victimes pour se chauffer les mains et les pieds dans leurs entrailles. Cantacuzène, du haut de son cheval, aurait contemplé l'agonie des malheureux sans le moindre signe de pitié ou d'émoi. 52 Mécontent des résultats obtenus, il se tourna vers le satrape de Bithynie, Orkhan, habitant tout près des Rhoméens, et lui donna sa fille en mariage afin d'exterminer la race chrétienne plus vite et plus radicalement. 53 Il se montra en outre partisan de Palamas et des ecclésiastiques palamites qui cachaient leur impiété et leur scélératesse sous les robes noires, trompant la mère de Jean ... 54 Etc. etc. Grégoras, espérant de Jean la restauration de l'orthodoxie, devient alors l'ami politique de l'empereur Paléologue. Celui-ci défend passionnément ses alliances avec Etienne Dusan: le roi des Serbes n'est pas un barbare, mais au contraire un chrétien dévot et orthodoxe. Jean ne veut pas se conduire comme Cantacuzène, qui Èj.WV 1farpoç avv8r1ICaç ÈICe(vaç, ijv tIC" 1foÂÂOV f3aalÂeiav mvelpo1f6Âel, ravrT/ç tJ.lÉJ.lVTJro J.l6VTJç, av ÈIC 1foÂÂOV çT/rrov, fic5T/ ICUlpOV Âaf36J.levoç Cf
notre chapitre sur Jean Cantacuzène, note 10. 52. ibid., p. 160: Kaz ro rfiç rpaycpc5(aç {3apvrarov, on rrov aiXJ.laÂwrwv ÈÂeelvroç àyoJ.lÉvwv ax(Çovreç ràç yaarÉpaç ol {3ap{3apol raç re xefpaç Èavrrov ICaz roùç 1f6c5aç elafiyov àÂÉaç J.lerp(aç lveICa, ro nJ.llWrarOv ICrfjJ.la 8eov rov av8pw1fov qJ8eipovreç ma1fep Èv 1fUlc5liiç axr1J.laTl. "0 c5' oure ÈICaJ.l1frero f3ÂÉ1fWV riIV rrov 0J.loqJvÂwv ÈÂeelVr}v rpaycpc5{av ÈICe(VT/V, our' EiK6va yovv rlvoç {3paxe(aç qJelc50vç Èverv1fwaev oÂwç "rcf> rfiç IJIvxfiç avvêlc56n, àÂÂ' r,J.ll8vfjraç ln Kaz àa1fa(povraç ÉqJl1f1fOÇ Kaz auroç Èmrov Kaz aVJ.l1farrov, rr}v rwv Â(8wv àvaÂma(av Èvrav8a 1fWÇ ÈqJlÂove(Kel J.llJ.leia8al, ro rfiç Kapc5(aç, roç ËOlKe, 8T/plroc5eç àaKrov Kaz YVJ.lvaÇwv, J.lr} Âa87J rr}v lÇlV OlJlt c5lUqJ8efpav rfiç qJvaewç. 53. ibid., p. 162: ... È1fêlc5r} Kaz IYpKavov rov rfiç Bl8vv(aç twpa aarpa1fT/v f3apf3apwv tl1favrwv, 01f6aOl rr}v aXPl 8aÂarrT/ç 'Aa(av KeKÂr1PWvral, 1f6ÂêWV rfjç J.ley(arT/ç ÉYYlara 1fOlOVJ.levov ràç c5larplf3aç, roç 7feVreKa(c5eKa 1fOV arac5(wv elVUl ro J.leraçv, 1fÉJ.l IJIaç rr}v 8vyarÉpa roùç àÂÂoqJvÂovç ÈKe(vovç ItVTJareVel yaJ.lovç aurcf>, iv' ÈK rov axec50v reÂewrepov ro rwv XPlanavrov tKrpilJl7J ytvoç, c5l' aurov J.làÂÂov fi Kar' ÈKeiVOV rov rrovAvc5rov aarpa1fT/v 1f6ppw 1fOV rfiç KaieaÂarrT/ç olKovvra.
54. ibid., p. 163-164.
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s'est entouré de païens barbares. 55 En réalité Jean Paléologue ne s'intéressait nullement aux questions théologiques. Il est possible qu'il envisageait en effet une guerre commune des souverains chrétiens contre les musulmans au moment où Grégoras le fait parler de son nouveau projet d'alliance avec les Serbes. S6 Il est également vrai que peu après il ne s'allia pas seulement au roi serbe, mais encore au roi bulgare. Nous savons déjà que les forces chrétiennes réunies essuyèrent une grave défaite contre les Turcs sous les ordres de Cantacuzène (octobre 1352). Pendant la marche de Jean Paléologue sur Constantinople, qui fut donc interrompue par les Turcs, Cantacuzène aurait adjuré les habitants de la capitale de refuser à l'empereur Paléologue l'entrée d~ns la ville. Cantacuzène aurait été alors au bord de la démence, ce qui ressort de la manière dont il aurait menacé les C~nstantinopolitains:
Qu'il ne vous prenne pas fantaisie d'ouvrir les portes à Paléologue! Je vous livrerais tous, tant que vous êtes, vous et votre ville, les grands et les petits, les notables et les obscurs, hommes, femmes et enfants, aux barbares. Vous savez que dans les deux grandes citadelles près des Portes Dorées se trouve ma garde étrangère, occupant le bastion le plus fort de Constantinople, de sorte que, si je veux, je puis vous inonder en un moment de plus de 20.000 barbares et vous exterminer tous. Cela sera plus terrible que le sort d'Andrinople que je n'ai pas tout à fait détruite, plus habile ou philanthrope qu'Alexandre le Grand, détruisant Thèbes jusqu'aux fondements, éteignant la lumière d'Hellas. Moi, j'ai dépeuplé la ville, laissant debout les murs qui avertissent les autres villes du malheur qui les attend si ellesfont la même chose. La colère d'un empereur, excité par 55. ibid., p. 169: ... Ka1" ÉJlav1'ov ouv ÉJloi yevoJlévep Kai çvvveV071K01'l JlT/ elvaz Jlr11'e f3tipf3apov Jlr11" àaef3fj 1'OV <5eçzàv ÉJloi 1CapeXOJlevov Kzv<5vvevov1'l, o1Coïoz 1'ep 1Cev8epep Ka1" ÉJlOV aVJlJlaxova{ 1'e Kai avçroazv, àJlJl' evaef3fj 1'e Kai oJl6<5oçov, Jléaep <5voïv yeyovo1'l 1'0 KovqJorepov ÉJléa8az aVJl1Cé1C1'CÙKev. 56. En tout cas Jean Paléologue essaya plus tard d'organiser une action combinée des puissances chrétiennes. A cette fin il s'engagea en 1369 formellement à la confession de foi catholique. Voir O. Halecki, Un empereur de Byzance à Rome, Varsovie 1930.
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son désir du pouvoir ne peut se contenir ... (ensuite il demanda des troupes à Orkhan, lui ordonnant, si nécessaire, d'annihiler les habitants de la capitale, et lui disant) Eh bien! si je ne règne pas, que Paléologue ne règne non plus, et que la ville n'ait jamais plus besoin de quelque empereur que ce soit! Quant aux survivants, s'il y en a, qu'ils soient à ta mercifS7 Lorsqu'enfin Jean Paléologue remplaça définitivement Cantacuzène, Grégoras fut remis en liberté. Il croyait que tous ses voeux allaient être exaucés. L'empereur lui accorda bientôt une audience privée. Grégoras profita de l'occassion pour exhorter le souverain à en finir avec le palamisme. S8 Il réitéra ses efforts en d'autres occasions peu après. L'empereur, cependant, paraîssait peu intéressé et parlait peu. Grégoras continua à se persuader que celui-ci dans son for intérieur avait le palamisme en aversion, mais qu'il s'abstenait de nouveaux synodes et de persécutions à
57. Bonn III, p. 179-81. Nous avons emprunté la traduction française en partie à Parisot, op.cit. p. 322-23. H1] yàp OUK âv qJ()avolTE" qJTlai HTOïç !3ap!3apolç 1CPO~E~OJ.ltVOl auv TE auniv~PlP 1CavTEç c11Caay Tfi 1COÀE1, J.ldÇovç Kai fjTTOVÇ, EmaTlJ.lO{ TE Kai tiaTlJ.lOl, tiV~PEÇ 6J.lOU Kai yvvaïKEç Kai 7]À1K{a 1Càaa. "[aTE yàp TOÙÇ 1Capà Tàç xpvaàç KaÀOVJ.ltvaç TfjÇ J.lEyaÀTlç TaVTTlai 1COÀEWÇ 1CUÀaç ~l1CÀOUÇ Kai J.lEy{aTovç EKdvovç 1CUpYOVÇ EJ.l'r,V EK 1COÀÀOU ÇVJ.lJ.lLYfj KEKTTlJ.ltVOVç EÇ àÀÀoqJuÀwv qJpovpàv Kaz KEqJaÀTW Eiç àKP01COÀ1V OVTaç BvÇavTiwv KalplWniTTlV, chç dva{ J.lOl1CaVV Tl /Jfj~LOV ()àTTOV fi Àoyoç !3oVÀTI()tVTl ~l' aunov EJ.l1CÀfjaal ~laJ.lVp{wv OUX fjTTOVÇ BvÇavTlov 01CÀOJ.laXWV !3ap!3apwv Kai 1CavTaç tiP~TlV vJ.làç 7]!3T1~ov ~taqJ()Eïpat, XEïpov fi KaTà nlv 'OpEaTla~a TaVTTlv{, fiv TEÀtWÇ J.lÈv OUK àvtTpEllfa, J.laTTlV~' ovv {aTaJ.ltV77v àqJfjKa, qJ1Àav()pw1CoTEPOV Tl1C01WV Kaz aVVEnOTEpov fi qJ1Àav()pW1COTEPOV EÏ1CEiV fi KaT' EKElVOV 'AÀtçav~pov TOV MaKE~ova. 'EKElVOÇ J.lÈv yàp EK ()EJ.lEÀ{WV àVtTPEllfE Br,!3aç, J.lTlÀO!3oToV TfjÇ 'EÀÀa~oç KaTaaTr,aaç 'f(JV oqJ()aÀJ.l0v· EyW ~È J.l V77J.lEïov KaTaÀtÀol1Ca aVJ.lqJopwv Tà TfjÇ 1COÀEWÇ TE{XTI KEvw()E{aTlç ~l' Eur,()Elav OiKTITOPWV, 1COÀEatV aÀÀalç J.lOVOV ouXl ~l' Epr,J.lWV TWV OiK01Ct~WV !3owvTa J.lr, ~pàv Tà aUTa, iva J.lr, Toïç aUToïç 1CEpl1CaTWat KaKoïç ()VJ.lOç yàp !3aalÀtwç OÇUTTlTl qJ1Àapx{aç EpE()lÇ0J.lEVOÇ 1CTI~aÀLOv ËXE1V fjKlaTa ~uvaTal." TauT' ËÀEYE, Kaz Toïç ÀOY01Ç 7] TWV Ëpywv Ei1CETO 1CapaaKEVr,. ( ...) ... Ei J.lr, yE EJ.lt, àÀÀ' ovv J.lr,T' aUTOV !3aatÀEUE1V ËTl, J.lr,T' oiç !3aatÀEUEa()at TOU ÀOl1COU· XPEWV dval' Kai oiç ~' av ~la~pàval TOV K{V~VVOV ~r,1COV()EV ytV01TO, Kai TOUT01Ç ~' dval aoïç V1COXElp{OlÇ."
58. ibid., p. 250-51.
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cause de son naturel débonnaire. 59 L'historien continuait également à louer le gouvernement de Jean Paléologue, sans cesser pourtant de croire que les contrariétés politiques de son règne étaient causées par la persistance de l'hérésie palamite. 60 L'attitude de Jean Paléologue à l'égard des Turcs changea alors. Après avoir toujours essayé de se débrouiller sans eux, il se rapprocha d'Orkhan en 1357/8. A vrai dire l'initiative venait du côté d'Orkhan par suite d'un événement tout accidentel. Un de ses fils, nommé Halil, avait été dans l'été 1357 capturé par des pirates byzantins de Phocée, qui ne surent pas tout d'abord quel butin précieux leur était tombé entre les mains. Dès qu'il s'en rendirent compte, il se retirèrent dans la forteresse de Phocée. Orkhan n'était pas à même de prendre la place forte. Il s'adressa à l'empereur, lui promettant d'être à jamais son ami sincère, de faire pour lui tout ce qu'il voudrait, si seulement il réussissait à lui rendre son fils. Orkhan voulut complaire tout de suite à Jean Paléologue, en lui envoyant de l'argent pour l'équipement d'un certain nombre de navires et en lui promettant l'extradition de son pire ennemi, Matthieu Cantacuzène qui, après la chute de son père, avait su se maintenir dans la région de la Rhodope, grâce au support de Turcs sujets d'Orkhan. L'empereur se rendit par mer à Phocée, commença le siège de la forteresse (qui formellement appartenait toujours à l'empire byzantin et avait en effet un gouverneur byzantin, Léon Kalothetos) et se vit enfin obligé de conclure une alliance avec le satrape de Lydie. Grégoras, toujours partisan du gouvernement Paléologue - il n'avait plus d'autre choix - accomplit maintenant sa deuxième volte-face, encore plus miraculeuse que la première. 61 Il oublie tout ce qu'il avait raconté d'affreux sur le compte des Turcs et se montre de nouveau très aimable à leur égard, comme
59. ibid., p. 250-51, 342 sqq. 60. ibid., p. 531 sqq. 61. Les événements qui suivent sont traités par Grégoras aux pages 558-63 et 503-07. Dans les manuscrits, les chapitres 36 en 37 sont intervertis, v. van Dieten, Entstehung und Uber/ieferung der Historia Rhomaike des Nikephoros Gregoras, Cologne 1975, p. 26-29. Cf V. Parisot, Notice sur le /ivre XXXVII de Nicéphore Grégoras avec une trad. fr. et des notes dans Notices et Extr. des Manuscr. de la Bibl. Nat. 17(1851), p. 1-405.
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au temps où ils étaient les amis de Cantacuzène. Il raconte avec plaisir que l'empereur se rendit courageusement chez eux, dinant avec le satrape et ses hommes et les accompagnant à la chasse. Le satrape de Lydie s'était pourtant décidé à s'emparer de la personne de l'empereur, qui l'échappa belle grâce à un mouchard. La fortune ne cessait de sourire à l'empereur. Les Serbes avaient fait prisonnier Matthieu Cantacuzène et l'extradèrent à Byzance. Avec sa femme il fut enfermé à Tenedos. Des lettres trouvées sur elle semblaient indiquer que le couple avait toujours des amis à Constantinople qui complotaient contre les Paléologues. L'empereur se hâta vers la capitale pour déjouer les projets des conspirateurs. Il avait interrompu le siège de Phocée à l'insu d'Orkhan. Lorsque celui-ci apprit ce qui s'était passé, il lui fit savoir qu'il aurait énormément d'ennuis s'il tardait à libérer son fils. L'empereur battit immédiatement en retraite. Grégoras décrit ses démarches d'une manière toute élogieuse alors qu'elles n'étaient en réalité rien d'autre qu'une capitulation humiliante. Jean arrangea un rendez-vous solennel avec Orkhan, lui promettant de donner sa fille en mariage à Halil dès la libération de celui-ci, et serra de nouveau les noeuds d'amitié avec le satrape de Bithynie. Après cela il retourna tout de suite à Phocée et se tira d'embarras en payant une rançon énorme (100.000 pièces d'or) au gouverneur byzantin de la ville, Kalothetos, pour la libération du fils d'Orkhan. 62 Pendant la traversée vers Constantinople des chants de joie retentissaient sur les navires, parce qu'on voyait que la paix annoncée avec le chef des barbares, ne dormait plus dans les ombres de l'espoir, mais était devenue réalité et visible pour tous, grâce à la Providence ineffable du Dieu philanthrope. 63 Grégoras 62. Sur l'aspect politique de cette affaire v. F. Tinnefeld, Kaiser Ioannes V Palaiologos und der Gouverneur von Phokaia 1356-1358: ein Beispiel/ür den Ver/ail der byzantinischen Zentralgewalt um die Mille des 14 Jht, dans Rivista di Studi Bizantini e slavi 1(1981), p. 259-71 (Miscellanea A. Pertusl). 63. XXXVI, Bonn III, p. 505: Kai J.ltXPl J.ltv Èç Bvl;civnov () nÂoaç 7]V ÈnavlOVTl rcp {3aalÂE1, J.l{a rpl1jpl1ç, ~ {3aalÂlKr, vavapx{ç, ÈKOJ.llaEV aJ.llpw, rov rE {3aalÂta Kai rov 'YpKavoa nal~a· aï ~. aÂÂal rpl1jpElÇ nEpmÂtovaa{ rE Kai napanÂtovaal Èv cp~alç 7}aav ncivv xalpovaalç, rr,v Ènl1YYEÂJ.ltV1]V npèJç 1'00 nov {3ap{3cipwv ~YEJ.lOVOÇ Eipr1V1]v oÙKtr' Èv tÂn{~wv aKlalç KaBEv~ovaav {3Âtnovaal, aÂÂ' Eiç lpiiJç npoEÀ.'l1ÂvBvlav i1~11 Karciaraalv npaKTlKr,v anOPPr1rOlç npovo{alç 1'00 lplÂavBpwnov BEOa.
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s'évertue à chanter la magnanimité de l'empereur, appuyant surtout sur son amabilité envers son nouveau gendre, qu'il appelait même tout simplement mon fils. L'empereur l'introduisit dans son palais où il le présenta à son épouse, l'impératrice Hélène (la fille de Cantacuzène, rappelons-le). Le fils d'Orkhan s'agenouilla en dis~nt toute sa gratitude envers ses libérateurs. Sa vie entière ne suffirait pas à l'exprimer pleinement. 64 L'empereur accompagna en personne son gendre pendant son retour à la cour d'Orkhan. Il lui conféra solennellement lesïnsignes de l'empire sur la Bithynie. Grégoras loue également le jeune barbare, qui aurait mérité tout à fait sa nouvelle dignité en raison de son intelligence virile, son corps robuste et son esprit énergique. 65 Les solennités se clôturaient de nouveau par des festivités, durant lesquelles des 'notables byzantins coudoyaient leur voisins turc. 66 Grégoras finit, comme d'habitude, par rendre grâce à Dieu pour la délivrance des Rhoméens de leurs tribulations. 67 Au cours de son règne, Murad l, le frère du gendre tant aimé de Jean Paléologue rendrait l'empire byzantin tributaire des turcs ottomans, en réduisant la population entière, y compris l'empereur, au vasselage. Les empereurs byzantins seraient contraints de se battre et de faire des conquêtes en Anatolie et aux Balkans pour le sultan. Grégoras ne vivrait plus pour s'ingénier à dorer cette pilule. Et s'il avait été encore en vie, peut-être y aurait-il réussi, puisqu'après la défaite du c5fjJ.loç byzantin, c'était le palamisme que dans sa rage inhumaine il haïssait plus que les Turcs. L' Histoire Rhoméenne de Grégoras ne va pas plus loin que l'automne de l'année 1358. L'auteur mourut quelques années plus tard, probablement en 1361. 64. ibid., p. 506-507. 65. ibid., p. 508: Tovrcov ô' ovrco ÔZcpKT]p,ÉVCOV, brszôr, rr,v te, rov 'AaraKT]VOV KOÂ1WV 0 {3aazÂ~ve, àKriKO~ KaBoôov tK NZKa{ae, roù IYpKavoù, tc;bl'Â~va~v ~vBve, avv y~ Tep roù IYpKavoù 1l'azô{, Kai ljK~ ô~vr~paioe, tK~ia~ Kai ouroe" à1l'Oôzôove, rcp 1l'arpi rov 1l'aiôa Kai ap,a àc;zmv rà avp,{3oÂa rfje, ôzaôoxfje, rfje, n.ov BzBvvmv àpxfje, rrip,~pov avrcp tyx~zp{aaz' Ô{Kawv yàp elvaz Kai we, rmv aÂÂcov 7l'a{ôcov p,aÂÂov avrcp àya7l'cop,Évcp, Kai we, p,VT]arfjpz rfje, {3aazUcoe, Bvyarpoe" Kai we, àc;{cp rfje, àpxfje, ôza r~ ro àvôp~iov rfje, YVWp,T]e, Kai pcop,aÂÉov roù awp,aroe, Kai 1l'poe, y~ ro rfje, qJpovria~coe, ôpaarzKov. 66. ibid., p. 508-09. 67. ibid., p. 509-10.
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*** Nous avons employé, dans le titre de cette deuxième partie de notre livre, le mot "position". Le terme fait penser à une prise de position, choisie après mûre réflexion. Jusqu'ici cependant, nous avons été rarement témoin chez Cantacuzène ou Grégoras d'une pareille attitude. Certes, Cantacuzène a adopté dès le début de sa carrière une ligne de conduite dont il n'a plus dévié ensuite, mais dans cette conduite la réflexion au sens propre du terme a eu peu de place. Encore moins chez Grégoras. Sa "position" a été déterminée largement par la situation dans laquelle il avait été jeté dès sa naissance, tant du point de vue social que du point de vue psychologique. Il a été déterminé à un haut degré par des obsessions, innées semble-t-il, à savoir la fureur de se distinguer du commun et le fanatisme religieux (l'un et l'autre se révélant continuellement dans son style littéraire). Mais il est à noter que ses manies se traduisaient par des tendances le rattachant à son milieu, malgré leurs traits psychopathologiques. Son mépris du c5ij/Joç et sa haine frénétique du palamisme sont pour ainsi dire une caricature de phénomènes que l'on retrouve chez beaucoup de ses contemporains sous des formes moins anormales. Il ne faut pas oublier toutefois que ses contemporains pour autant qu'ils lui ressemblaient, n'avaient pas sur ces suje,ts d'opinions beaucoup plus modérées. La haine des Turcs que l'on éprouve au moment où ceux-ci sont les amis d'un adversaire, s'évanouit ou est du moins mitigée, dès qu'on les a de son côté; la compassion pour les souffrances des masses populaires qui périssent victimes de Turcs ennemis, alterne avec des massacres impitoyables (la plupart du temps commis de concert avec des Turcs amis) quand l'intérêt privé est en jeu; l'aveuglement complet en face de la menace de l'annihilation totale de l'empire; tout cela se retrouve chez tant de Byzantins en place que Grégoras en devient moins excentrique du point de vue historique. En ce sens il a sans doute une "position" comparable à celles de tous ceux qui ont aidé à perdre l'empire byzantin. Si l'on se place au point de vue selon lequel c'est l"'histoire" et pas les hommes individuels qui crée des situations répugnantes à la raison et à la dignité humaine, tout le monde est normal, même innocent, y compris Grégoras. Ce n'est pourtant pas dans nos idées de nier ainsi la responsabilité des 146
hommes, ni des temps passés - même les plus reculés - ni du présent. Que les byzantinistes de nos jours ne voient rien de foncièrement répréhensible dans la personne et les oeuvres historiques de Grégoras, nous étonne. 68 Même si Grégoras reste un personnage énigmatique du point de vue psychologique, nous croyons. être parvenue à brosser un tableau plus conforme à la réalité historique que celui de nos prédécesseurs.
68. Citons en exemple le jugement que van Dieten, qui fait autorité sur Grégoras, porte sur sa personne: "In seinem eigenen Werk tritt uns Gregoras entgegen aIs ein sehr von sich selbst überzeugter Mann, ehrgeizig und eiteI, eigensinnig und starr, aber durchaus ehrlich. Seine Hingabe galt Wissenschaft und Freundschaft, und beiden hat er bis zu seinem Ende die Treue gehalten" (op.cit., t. 1, intr., p. 36).
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CHAPITRE III Un théologien: Grégoire Palamas
Grégoire Palamas naquit vers la fin de l'année 1296 ou au début de 1297, selon toute probabilité à Constantinople. Il appartenait à une famille aristocratique d'Anatolie réfugiée dans la capitale peu avant sa naissance. Le père de Grégoire, Constantin Palamas, ayant obtenu un titre aulique, la famille fit son entrée à la cour d'Andronic II. Quelques années plus tard Constantin fut chargé de l'éducation du petit-fils d'Andronic II, qui succéderait à son grand-père en 1328. Ainsi son fils Grégoire se liait, tout jeune, d'amitié non seulement avec le futur empereur Andronic III, mais encore avec Jean Cantacuzène qui, nous l'avons vu, passait sa première jeunesse également au palais impérial. 1 1. La source la plus importante pour la connaissance de la vie de Palamas est le Aoyoç composé par Philothée Kokkinos, PG 151, col. 551-656 (nouvelle édition par D.G. Tsames dans son édition des oeuvres hagiographiques de Philothée, t.l, Bt:aaaÀ.ovl1œïç ayiOl, Thessalonique 1985, p. 427-591). Parmi les études modernes sur Palamas la monographie de Jean Meyendorff, Introduction à l'étude,de Grégoire Palamas, Paris 1959, fait autorité. Pour la pensée de Palamas en général on lit toujours avec profit G. Papamichail, '0 ayloç rp17YOplOÇ IIaÀ.a/ûiç, Saint-Pétersbourg/Alexandrie 1911; M. Jugie, articles dans DTC S.v. Palamas et (controverse) palamite; B. Krivochéine, The Ascetic and Theological Teaching of Gregory Palamas dans Eastern Churches Quarterly 3(1938/9), p. 26-33, 138-56, 193-214, repr. Londres 1954. La littérature moderne sur le palamisme est vaste, mais porte surtout sur la théologie de Palamas. Voir D. Stiernon, Bulletin sur le palamisme dans Revue des Etudes Byzantines 30(1972), p. 231-341 et la bibliographie de R.E. Sinkewicz dans son édition nouvelle des Capita 150 (Saint Gregory Palamas, The One Hundred and Fifty Chapters, Toronto 1988). Une bibliographie complète de l'oeuvre de Grégoire Palamas se trouve chez Meyendorff, op.cit. p. 331-99; des éditions nouvelles de plusieurs
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Grégoire ambitionnait pourtant une autre carrière que ses amis. Son père, mort en 1308, avait initié toute sa famille à la vie dévote. A l'âge d'environ vingt ans, Grégoire décida de se retirer du monde. Toute la famille suivit l'exemple du fils aîné. Sa mère ainsi que ses deux soeurs entrèrent dans un couvent à Constantinople, ses deux frères plus jeunes se rendirent avec lui à la Sainte Montagne. Palamas demeura à l'Athos pendant une période de huit ans. Au début établi près de Vatopedi, il habita plus tard le KOlV6f3LOv de la Grande Laure de St. Athanase, pour se retirer enfin à l'ermitage de Glossia. Durant tout ce temps il se fit le diSciple des hésychastes renommés, qui avaient renouvelé les anciennes traditions mystiques de l'Athos. Leurs disciples devaient se soumettre à un régime très sévère de prières ininterrompues, de veilles et de jeûnes prolongés. Vers 1325 des incursions turques contraignirent un grand nombre de hésychastes - ceux qui habitaient en dehors des remparts des grands monastères, parmi lesquels Palamas - à quitter l'Athos. Après un bref séjour à Thessalonique où il fut ordonné prêtre, Palamas se rendit à Berrhoia, y vivant volontairement cinq années dans des conditions extrêmement dures. Cinq jours par semaine il s'isolait complètement en prière ininterrompue. Le samedi et le dimanche il passait le temps à s'entretenir avec des frères ermites sur des sujets édifiants, célébrant avec eux l'eucharistie. Vers 1331 Palamas dut encore une fois changer de demeure. Des incursions serbes l'y obligeaient maintenant. De retour à l'Athos, il poursuivit ses exercices hésychastes au skite de St. Sabbas. Entre-temps il avait acquis la réputation d'être l'un des plus pieux parmi les hésychastes. Vers le milieu des années '30 sa paix intérieure fut pour toujours troublée. Des traités sur la procession du Saint Esprit, écrits par le moine calabrais Barlaam, qui se trouvait à cette époque à Constantinople, l'inquiétèrent tout d'abord. Ces traités étaient dirigés contre l'Eglise de Rome, mais Palamas était persuadé que les opinions de Barlaam étaient contraires aussi bien à la doctrine écrits de Palamas mentionnés par Meyendorff ont paru ultérieurement. v. les notes infra. Un instrument de travail de grande importance pour l'étude de l'histoire ecclésiastique de cette époque est l'ouvrage de J. Darrouzès, Les regestes des Actes du patriarcat de Constantinople, J: Les actes des patriarches, Jasc. V: Les regestes de 1310 à 1376, Paris 1977.
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latine qu'au dogme orthodoxe. Il croyait le moine infecté par les idées païennes des philosophes grecs. Après une première lettre d'un ton modéré, il écrivit à Barlaam un traité où il l'attaquait violemment, ne se bornant pas à la réfutation de ses erreurs spécifiques, mais condamnant en général l'introduction de méthodes et d'idées philosophiques dans le domaine de la foi. 2 Barlaam de son côté envenima le oifférend en attaquant de front les moines de l'Athos. A Thessalonique, il s'était renseigné sur les pratiques mystiques en usage chez les moines de l'Athos depuis des siècles. Ces pratiques entraînaient selon lui des convictions de caractère sacrilège. La prière ininterrompue des ascètes ("Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, ayez pitié de moi") dite dans une attitude prescrite (le menton appuyé sur la poitrine et le regard fixé sur le nombril) remplissait ceux-ci après un certain laps de temps d'une joie indicible. Dans cet état ils se sentaient inondés d'une lumière éblouissante. Cette lumière serait l'éclat même dont resplendissait le Christ lors de la Transfiguration au mont Thabor. Les moines de l'Athos n'avaient sans doute jamais réfléchi aux difficultés sérieuses qui se présenteraient dès qu'on essayerait de justifier leurs expériences par des raisonnements théologiques. Barlaam, par contre, nourri dans la pensée scolastique, se méfiait des croyants qui de manière magique pensaient effacer les bornes entre le naturel et le surnaturel afin d'assurer au pratiquant une expérience mystique fictive. S'il ne formulait pas ses objections en ces termes, nous sommes sûre qu'un théologien de l'Occident au 14e siècle, même orthodoxe, a dû s'offenser de ce qui paraît à nos yeux indubitablement de la superstition primitive. En tout cas, Barlaam, vivement indigné, s'efforça d'intéresser des théologiens byzantins à sa cause, tant à Constantinople, qu'à Thessalonique. 3 2. Les lettres de Palamas à Barlaam ont été éditées par Meyendorff dans rp71rop{oV rou naÀaJ.lêi Evrrpap.j.lara, éd. P. Chrestou e.a., t. l, Thessa-
Ionique, 1962; celles de Barlaam à Palamas par G. Schiro, Barlaam Calabro, Epistole Greche; i primordi episodici e dottrinari delle lotte esicaste, Palerme 1954. 3. Barlaam est le nom de religion de Bernardo di Seminara (ainsi appelé d'après sa ville natale de Seminara, située près de la côte Tyrrhénienne de la Calabre méridionale). Il appartenait par naissance (env. 1290) à l'un des communautés orthodoxes qui avaient su se maintenir en Calabre à travers
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Ses amis byzantins lui conseillaient de se taire, sachant que les moines de l'Athos étaient vénérés pour leur piété (lui auraient-ils fait comprendre qu'à Byzance la théologie rationnelle ne pouvait rien contre la foi du charbonnier?). Le patriarche Kalékas lui défendit expressément de continuer ses attaques contre les moines. Barlaam pourtant ne se laissa pas persuader. Il ne cessait de les ridiculiser, prouvant par la voie de la théologie que leurs expériences mystiques étaient imaginaires, voire du non-sens à la lumière de la vérité révélée. A la fin les moines se tournèrent vers Palamas, le priant de défendre leurs pratiques ascétiques et leurs convictions religieuses par des arguments théologiques. C'est ainsi que Palamas dut les siècles. Sa langue maternelle était le grec. Il semble que toute sa vie il parla malle latin, bien qu'il sût le lire très bien. Il a dû entrer très jeune dans un couvent de l'ordre de St Basile à proximité de Seminara, mais on ignore de quelle façon il y passa sa jeunesse. En 1330 il arriva à Constantinople, pour l'historien d'une manière toute inattendue, puisque nous ignorons les motifs de son voyage (sur les motifs mentionnés par Grégoras et par Palamas, v. respectivement le Phlorentios, éd. P.L.M. Leone, Naples 1975, p. 71 et Première Lettre à Bar/aam, Euyyp. t. l, p. 225; cf Beyer, Antirrhetika l, p. 37). Dans la capitale il atteignit toute de suite la célébrité. Il se montrait au courant de la théologie catholique et passait pour un connaisseur de Platon et d'Aristote. Il lui fut permis d'enseigner la théologie orthodoxe en pu"': blic. En 1333, le pape Jean XXII envoya deux légats à Constantinople afin de négocier avec les Byzantins. Barlaam fut chargé de s'aboucher avec eux (cf Darrouzès, Reg. 2170). En outre il alla plusieurs fois en ambassade en Occident, entre autres à Avignon. Toutes ces activités se rapportaient aux projets de croisade des puissances occidentales et à l'Union des Eglises. Après les péripéties résumées dans notre texte Barlaam rentra en Italie. Après le synode de juin 1341 il se rendit d'abord à la cour de Naples où il rencontra Boccace. Nous le retrouvons pendant l'été de 1342 à la cour d'Avignon où il se convertit au catholicisme. A Avignon il fit la connaissance de Pétrarque qui devint son ami et à qui il donna quelques mois des leçons de grec. Ces tentatives n'aboutirent à rien (on ne sait pas à qui en attribuer la faute). D'ailleurs Barlaam dut bientôt quitter Avignon, étant nommé (par l'intermédiaire de Pétrarque, semble-t-il) évêque de Gerace, près de la côte Ionienne de la Calabre à proximité de Locri. En 1346 le pape d'Avignon l'envoya comme légat à Constantinople, mais à son arrivée la situation était très confuse à cause des revers de fortune du parti des Paléologues. Par conséquent Barlaam dut s'en retourner bredouille. Il mourut en 1350 à Gerace. Nous avons emprunté les données sur Barlaam au livre de G. Schiro, cité supra, note 2.
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construire tout un système théologique autour d'une question qui n'avait jamais été traitée auparavant. Il devint pour ainsi dire un théologien de circonstance. 4 C'est par hasard qu'il se fit le champion d'une théologie de la Transfiguration dont la conclusion entrerait dans le dogme de l'Eglise orthodoxe. Cette théologie bizarre dès son origine, à cause de son motif, devint bientôt plus bizarre encore par ses développements luxuriants engendrés par des argumentations· pour et contre. Les explications de Palamas se dirigeaient en premier lieu contre Barlaam, qu'il détestait déjà en tant que représentant des erreurs "occidentales". Barlaam de son côté ne céda pas, exigeant la condamnation par un synode des erreurs de Palamas. Le contraire évidemment se produisit. Barlaam lui-même fut condamné Uuin 1341). Il dut quitter la scène. 5 Cependant, un certain nombre de théologiens byzantins s'était persuadé que les idées de Palamas, développées au cours d'une polémique durant de 1338 à 1341, étaient vraiment étranges. Après s'être débarrassés de Barlaam, abhorré de tous, ils reprirent le combat. Quelles étaient donc ces idées étranges de Palamas? Nous essaierons de les résumer pour l'essentiel. 6 Palamas distingue l'essence divine des opérations sans nombre qui en découlent. L'essence divine est absolument invisible et imparticipable. Les opérations, par contre, les èvépYêzaz, peuvent se communiquer aux anges et aux hommes, tout en restant inséparables de l'essence divine. Palamas compare souvent les rapports entre l'essence divine et les èvépYêzaz à la relation entre le disque solaire et les rayons du soleil (les rayons partent du soleil mais en sont inséparables). Pour l'homme le disque solaire est, comme l'essence divine, hors de portée et aveugle celui qui essaie de le regarder en face. A vrai dire la théologie orthodoxe reconnaît l'existence d'un nombre infini (IlVpwz) d'èvépYêzaz, par exemple c5vvaj.lu;, 4. Cf Meyendorff, op.cit., p. 70-80. Dans ses Triades pour la défense des saints hésychastes, éd. avec trad. Meyendorff dans Spicilegium Sacrum Lovaniense 30-31, Louvain 1959, la ~octrine de Palamas est déjà présente dans les grandes lignes. Les Triades furent écrites pendant les années 1338-41. 5. Darrouzès, Reg. 2213. 6. Cf Jugie, DTC s.v. Palamas col. 1750-65; Meyendorff, op.cit. p.293-31O.
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ciya801:7JC;, oOqJza, 1CpOyVWOlC;, qJlÀav8pW1CZa, 1:tXV7J etc etc. A la
différence de l'essence divine, elles sont, dans une certaine mesure, saisissables par les hommes. Ceux-ci peuvent contempler les merveilles de la création, effet de l'èvtpyela divine, elle-même invisible. L'expérience physique de l'èv6pyela divine est impossible. 7 Palamas ose changer le caractère des èvtpyelal divines fondamentalement. Il n'éprouve aucune difficulté à les considérer comme entièrement participables et à les désigner comme 8eo1:7J1:ec;, donc comme une multitude d'entités divines. 8 Puisqu'en même temps toutes les 8eo1:7J1:ec; émanent d'un seul Dieu, elles n'ont pas le caractère d'essence - terme qui ne s'applique qu'à Dieu même - mais elles ne sont pas non plus des accidents parce qu'elles sont essentiellement inséparables de Dieu. La faiblesse de la pensée philosophique palamite se dégage particulièrement de la thèse selon laquelle l'èv6pyeza est ni substance, ni accident, mais oVIl/Je/J7JKoc; 7rWC;, c'est-à-dire, quelque chose comme un accident. C'est ainsi que Palamas prouve que la lumière de Thabor peut être vue par les ascètes, bien que le Christ en resplendissait quatorze siècles plus tôt. La lumière de Thabor n'est pas une création temporaire de Dieu; elle appartient à la divinité elle-même. 7. Basile le Grand, De Spiritu Saneto, cap. 19, § 49, PG 32, col. 156; ep. 234, ibid., col. 869 AB; Grégoire de Nyssa, Contra Eunomium l, PG 45, col. 1105 C-ll08 B. Cf Rom. 1,20. 8. Meyendorff soutient que le terme (JE6TijÇ appliqué aux èVÉPYElal divines, n'est pas employé par Palamas lui-même, mais a été introduit par ses adversaires qui falsifièrent son oeuvre en paraphrasant son texte. En effet ce fut Barlaam qui, utilisant la terminologie de (pseudo) Denys l'Areopagite, introduisit les termes eE6TijÇ vnEpKE1J,LÉV1J et eE6TijÇ VqJE1J,LÉV1J au cours de ses attaques contre Palamas, à seule fin de prouver que l'argumentation de celui-ci s'avérait fausse dès qu'on la précisait. Cela n'empêche que Palamas les reprit à son compte. Le synode de 1351 approuva expressément le terme (JE6TijÇ pour désigner l'èvÉpYEla divine (PO 151, col. 731 C); le synode affirma également la supériorité de l'essence: METà 8t 1'0 qJavfjval Kai n)v (JEiav èVÉPYElaV eE6TijTa ovoJ,La(oJ,LÉV1Jv è(ijT1jaaJ,LEV àno8Elx(Jfival napà nov (JEoÂ6ymv, Ei Tfiç (JEiaç èVEPYE(aç TaVTijç Kai Tc.OV ovazm&oç nEpi aVT7]V (JEmpOVJ,LÉvmV, V nÉ P K El Ta 1 K a T' 0 V a (a v 0 E 6 ç. Kai àVEqJaV1J Kai TOUTO napà navTmv Kijpvn6J,LEVOV Tc.OV ay(mv (ibid. col. 745
e
C). Cf Darrouzès, Reg. 2324). En conséquence le terme entra également dans le synodikon de l'Eglise orthodoxe (éd. Gouillard, p. 85-87).
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Elle est donc incréée et éternelle, tout en étant communicable aux hommes mortels, puisqu'elle n'est pas d'essence divine, mais une iv&pyt:za divine, c'est-à-dire l'élément inférieur et subordonné de la divinité (Ot:orT/ç ()(pt:ZJ.l&VT/) qui est Elle-même Ot:orT/ç U1Ct:pKt:ZJ.l&VT/ (u1Ct:povazorT/ç) quant à son essence. Disons avec Gibbon: " ... after so !llany insults, the reason of mankind was slightly wounded by the addition of a single absurdit y" . 9 Les adversaires byzantins de Palamas rejetèrent sa théorie comme un polythéisme exécrable, une hérésie monstrueuse, tout à fait contraire à la doctrine des Pères de l'Eglise. Hors de la Trinité il ne pouvait pas exister des divinités d'une nature subordonnée, différentes entre elles (encore pâr contraste avec la Trinité) et pour comble de scandale - en certains cas accessibles aux sens humains. Dans leurs écrits, Barlaam, Akindynos et Grégoras accusaient Palamas - à tort - de soutenir que l'oùaza de Dieu était percevable. 10 D'autres objections furent plus fondées. Si les "divinités inférieures" n'ont pas le caractère de substance (oùaza), elles ne peuvent être qu'accidentelles (aVJ.lf3t:f3T/Kora). Alors Dieu serait un être composé et polymorphe, puisque son essence et ses iv&pyt:zaz sont inséparables. D'autre part, si la "divinité inférieure" est ni substance, ni accident, il s'ensuit qu'elle n'existe pas du tout, ce qui obligerait Palamas, en conséquence de son système, à nier tout bonnement l'existence de Dieu. 11 Tout à fait dans la tradition byzantine, les antipalamites condamnaient en général des spéculations rationnelles concernant des mystères de la foi. Il leur répugnait dans le fond que la nature de la lumière de Thabor devint un sujet d'analyse intellectuelle. 12 Ce9. The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, éd. Bury, t. VI, p. 508. 10. Pour Barlaam v. infra note 19; Akindynos, ep. 37, p. 138, ep. 44, p. 192, ep. 50, p. 212, éd. Constantinides-Hero; Grégoras, XIX, cap. 1, p. 918 sqq. 11.11 s'agit d'un de rares arguments rationnels de Grégoras (Antirrhetika l, éd. Beyer, p. 188). Pour le reste il ne fait que réfuter Palamas par de longues citations des Pères de l'Eglise. 12. V. surtout les écrits de Théodore Dexios, signalés par G. Mercati, Notizie di Procoro e Demetrio Cidone, M'anuele Caleca e Teodoro Meliteniota ed altri appunti per la storia della teologia t: della letteratura bizantina dei secolo XIV, Rome 1931, p. 226 sqq.
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la vaut du moins pour la première génération des antipalamites. 13 Cependant, les circonstances les contraignaient d'en parler. L'opinion de Grégoras est explicite. La lumière de Thabor a été observée par des yeux humains, donc elle doit avoir été créée de manière temporaire. Elle doit être considérée comme un symbole de la lumière incréée et éternelle, une manifestation de l'essence divine, elle-même invisible. Les disciples de Jésus avaient été témoins d'une théophanie sous la forme d'une vision de choses tangibles. 14
*** Le conflit théologique dont nous venons de tracer les origines, n'occupait qu'un cercle très restreint, à savoir une petite minorité de l'élite byzantine, qui d'ailleurs ne s'y intéressa qu'aprés la répression de l'insurrection du 8iiJ.loç, événement bien autrement inquiétant qu'une querelle de théologiens. 1s Même au sein du cler13. La seconde génération d'antipalamites se distinque nettement de la première. Ils étaient tous sous l'influence de la scolastique occidentale et finirent par se convertir au catholicisme. Ils 'ne formaient donc qu'un très petit groupe, entièrement isolé dans le milieu byzantin. V. l'ouvrage de G. Mercati, cité supra, note 12 et Th. Tyn, Prochoros und Demetrios Kydones. Der byzantinische Thomismus im 14. Jahrhundert. Interpretation und Rezeption, Mainz 1974. 14. Cf Grégoras, XXXIII, Bonn III, p. 434. 15. L'exaltation devant la personne et l'oeuvre de Grégoire Palamas chez les byzantinistes traitant du sujet, est l'un des phénomènes du courant irrationaliste et anti-rationaliste de notre siècle (souvent accompagné de tendances anti-démocratiques au niveau politique). Avant la deuxième guerre mondiale, Henri Grégoire disait déjà de la doctrine de Palamas: " ... a mystical Reformation, a new Christianity, which was perchance intended to supply spiritual armour to a nation on the threshold of a slavery which was to endure forhalfamillennium ... " (Byzantium, éds. N.H. Baynes/H. St. L. B.Moss, publié en 1948 à Oxford). Toutes les bornes ont été dépassées par Jean Meyendorff, qui est toujours considéré comme une autorité infaillible en tout ce qui concerne Palamas et le palamisme. L'hésychasme du 13e et 14e siècle "ne fut pas un mouvement de mystique ésotérique et d'exaltation malsaine. Cefut un réveil spirituel qui touchait à tous les aspects de la vie chrétienne: la perfection intérieure, aussi bien que la vie sacramentelle ou le témoignage social". Il fallait même parler d" 'un mouvement largement populaire" (op. cit. ,
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gé peu d'ecclésiastiques se souciaient des exploits théologiques de Palamas. D'autre part il est important de noter que Cantacuzène favorisa les palamites dès la mort d'Andronic III. 16 Ce fut lui qui p. 39-42, 326-27). Ce jugement, n'ayant aucun fondement dans la réalité historique, est à la base de tout ce que Meyendorff a jamais dit sur le sujet. Personne n'a contredit ses énoncés; il est pourtant si aisé de prouver qu'il n'a fait que lâcher la bride à sa fantaisie de manière à satisfaire ses besoins religieux. Pour commencer, il yale fait que la vaste majorité de la population de l'empire byzantin vivait dans une extrême indigence, ne sachant ni lire ni écrire, inaccessible, tant matériellement que spirituellement, à un nouveau message religieux. Mais il y a plus. Meyendorff présente la doctrine de Palamas comme une nouvelle théologie, comparable à celle des réformateurs du 16e siècle; une théologie dont les thèses centrales auraient transformé le coeur et l'intelligence d'une multitude d'hommes et rayonné sur tous les domaines de la vie terrestre. Cependant, si déjà il est faux qu'à l'époque et dans la société dans laquelle vivait Palamas, il y avait des masses de croyants prêts à l'écouter, lui-même n'avait pas du tout l'intention de propager sa doctrine comme un nouvel évangile. Dans toute son oeuvre homilétique - genre destiné par excellence à l'édification et à l'instruction des croyants - il n'a pas une s~ule fois exposé sa doctrine,ni traité d'autres questions touchant les· consciences de ceux auxquels il s'adressait, en la prenant pour point de départ (même dans les deux homélies 34 et 35, consacrées spécialement au thème de la Transfiguration du Christ, il ne fait que l'effleurer). La doctrine de Palamas revêtit avec le temps une forme compliquée par suite d'argumentations pour et contre, couchées par écrit par une poignée d'hommes connaissant les finesses de la dogmatique orthodoxe. Elle restait essentiellement une espèce de "special pleading" n'intéressant à ce moment que les ascètes de l'Athos. En parlant d'une "single absurdity" Gibbon a bien défini le car actére passager et futile de la doctrine palamite. Bien que les byzantinistes modernes ne trouvent plus nécessaire de consulter son opus magnum, il ne fut pas si insignifiant que ça. A notre avis Meyendorff aurait bien de la peine à nous montrer une seule trace du palamisme dans la dévotion et les pratiques religieuses des nations de confession orthodoxe d'autrefois et d'aujourd'hui. Ce ne sont pas les masses du temps de Palamas, complètement ignorantes, affamées et harcelées par les puissants et leurs bourreaux turcs, qui ont été reconnaissantes à Palamas de les avoir sauvées d'une sécularisation de la civilisation ou d'une Renaissance. C'est le Spenglérien, le bigot Meyendorff qui ne veut pas de tout cela. 16. Grégoras, XVIII, cap. 4, Bonn II, p. 886-87; Cantacuzène, IV, cap. 24, Bonn III, p. 183; Kalékas, nepi TOU T6/Jov, PG 150, col. 901 B; Akindynos, Cinquième traité contre Palamas, Monac. gr. 223, f. 322L 322v, cité par Constantinides-Hero, op.cit., p. xx-xxi, note 66; Tome synodal de 1347, éd. Meyendorff dans ZR VI 8(1963), p. 209-27, ici p. 214.
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assura le triomphe définitif du palamisme au synode de 1351, nonobstant l'attitude menaçante de la masse des Constantinopolitains. 17 Il n'y a pas de doute que la réception du corpus alienum palamite dans la dogmatique de l'Eglise orthodoxe en 1351 ne fut que la conséquence de la situation politique du moment. 18 Les synodes de juin et de juillet 1341 se terminèrent par la déconfiture des accusateurs des moines de l'Athos et de Palamas, respectivement Barlaam et Akindynos. On prit le parti des moines et on approuva leurs pratiques sans accepter expressément la doctrine inventée pour leur défense par Palamas. 19 Les palamites durent se donner grande peine pour faire coucher par écrit le tome concernant les synodes. 20 Le texte définitif ne fut souscrit que par sept métropolites sur le total de trente-six, présents aux séances. 21 Le patriarche 17. Arsène de Tyr, Projet de tome antipalamite, Vat. gr. 2335, f. 1-3, décrit par Mercati, Notizie, p. 209-18; ici f. 2, édité et traduit en allemand par O. Weiss, Joannes Kantakouzenos ... , p. 134-36. 18. L'assertion de Meyendorff selon laquelle la victoire palamite avait déjà été remportée au synode de 1341 et que "seulement les circonstances politiques" (c'est-à-dire la guerre civile) "ont retardé le triomphe définitif du palamisme" (op.cit., p. 94), est insoutenable. La thèse de Jugie reste irréfutable: la doctrine de Palamas l'emporta grâce au support du pouvoir impérial (Cantacuzène). V. art.cit., col. 1795. 19. Darrouzès, Reg. 2213. Le tome synodal résume le conflit entre les palamites et Barlaam en très peu de mots: ... Ka'l'7JyoP7JOEV (Barlaam) av'l'wv (les moines) roc; n)v ovoiav aV'l'7]v 'l'OÙ @EOÙ J,lEfJEK'l'7]V ÀEyOV'l'WV. Twv Dt a1l'oÀoyoVJ,ltvwv ov 'l'7]V oùoiav, aÀÀà 'l'7]V aK'l'lO'l'OV Kai àiDLOv Kai (JE01l'OlOV xaplv 'l'OÙ IIvEvJ,la'l'oc;, Dl(JEiac; aV'l'oïc; EV'l'EÙ(JEV éyKÀ7JJ,la 1l'poo'l'pil/fao(Jal E1l'EXEiP7JOEV... Ka'l'7JYopwv J,laÀlO'l'a 'l'OÙ ... IIaÀaJ,lii.
(MM, t. l, p. 203; PO 151, col. 680 B). Suivent des citations des Pères de l'Eglise, la condamnation de Barlaam et l'acquittement des moines et de Palamas. Ceux-ci sont reconnus en termes généraux au-dessus de tout soupçon. La différence avec la rédaction précise du tome de 1351 est très grande (Darrouzès, Reg. 2324, PO 151, col. 717-62). 20. Les palamites et les antipalamites s'accordent sur cet article. V. les témoignages d'Akindynos, Kalékas, Palamas et Kalothetos, cités par A. Constantinides-Hero, op.cit., p. XX-XXI, note 66. 21. Le nombre 36 est attesté par une lettre de Cantacuzène. V. J. Darrouzès, Lettre inédite de Jean Cantacuzène relative à la controverse palamite dans Revue des Etudes Byzantines 17(1959), p. 7-27, ici p. 15. Pour les signatures v. Darrouzès, Reg. 2214.
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Kalékas essaya même d'arrêter la rédaction du tome. Il fut publié grâce aux efforts de Cantacuzène qui présida, après la mort d'Andronic III, le synode de juillet 1341. 22 Kalékas toujours prit soin d'empêcher que la doctrine de Palamas ne fût formulée trop précisément. Grâce à lui, le tome finissait par la défense expresse de discuter à l'avenir sur la question palamite. 23 Les palamites s'étaient pourtant ralliés à Cantacuzène. Ils n'avaient pas d'autre chance de briser l'opposition de la vaste majorité antipalamite. L'allianc.e était de nature entièrement politique. Les palamites à Constantinople restèrent les années suivantes en contact avec Cantacuzène. Ils étaient même prêts à lui ouvrir les portes de la ville. Le peuple le savait et le haïssait pour cette raison. 24 Tout le monde s'attendait à une victoire des palamites • après la victoire personnelle de Cantacuzène. Et c'est ce qui arriva, au mois de février 1347.
*** Après ce que nous avons dit de l'attitude des palamites à l'égard de Cantacuzène, on comprend que les contemporains aussi bien que les byzantinistes de notre époque ont tous cru que Palamas lui-même n'avait pas hésité à se déclarer sans ambages pour son vieil ami Cantacuzène. 2s Les faits semblent confirmer une tel22. Kalékas, llEpi TOU T6j.lov, PG 150, col. 901 A-B. 23. MM, t. 1, p. 216 (PG 151, col. 692 A-B). 24. Philothée Kokkinos, Vie d'Isidore, éd. Tsames, ch. 42, p. 381-82. La même observation vaut pour Thessalonique. Bientôt cantacuzénisme et palamisme devinrent inséparables aux yeux des Zélotes. En 1345 ils acceptèrent la nomination de l'hiéromoine Hyacinthe, ennemi juré des palamites, comme métropolite de Thessalonique (Darrouzès, Reg. 2254 et 2256, Constantinides-Hero, op.cit., p. 383). Son régime (d'ailleurs de courte durée) fut évidemment approuvé par les Zélotes, de sorte que des antipalamites comme Thomas Magistros, Georges Isaris, Matthieu Blastaris etc., qui étaient également partisans de Cantacuzène, par prudence ne se mêlaient pas du conflit religieux. Ils voulaient éviter à tout prix être pris dans l'engrenage du conflit politique. Voir sur Thomas Magistros les lettres 33 et 56 d' Akindynos et notre chapitre sur Démétrius Cydonès note 14, sur Isaris lettres 59 et 73, sur Blastaris lettre 50, et sur le silence gardé par les aOqJo{ de Thessalonique en général, lettre 74 avec le commentaire de l'éditrice. 25. Citons seulement Meyendorff: "Ce qui poussa Palamas à intervenir
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le opinion. Du printemps de 1343 jusqu'au mois de février 1347 Palamas resta prisonnier dans le palais impérial. Au printemps de 1347 il fut nommé métropolite de Thessalonique. Cantacuzène, assisté par une flotte turque, ne se rendit maître de la ville que pendant l'automne de l'année 1350. Palamas y fit son entrée au printemps 1351. 26 Au cours de sa première prédication à Thessalonique, il condamna du haut de la chaire l'insurrection de la plèbe inférieure. Cantacuzène lui-même loue d'une manière enthousiaste l'attitude de Palamas pendant la guerre civile. Philothée Kokkinos, auteur de la plus importante vita de Palamas, fait également ressortir sa fidélité à Cantacuzène. 27 Aussi les byzantinistes modernes ont toujours été d'avis que Palamas devait avoir approuvé sans restrictions la politique de Cantacuzène, y compris les alliances turques. Cependant, Palamas n'a rien dit sur ces alliances, ni dans un sens positif, ni dans un sens négatif. Mais il a dit des choses sur les Turcs en général qui à première vue semblent confirmer le tableau si serein que nous venons de peindre. Lors d'un voyage maritime de Thessalonique à Constantinople, dans les premiers jours de mars 1354, Palamas tomba entre les mains des Turcs. Il resterait leur prisonnier plus d'un an. De cette période date sa fameuse Lettre à son Eglise (c'est-à-dire l'Eglise de Thessalonique). Dans cette lettre Palamas montre une bienveillance remarquable à l'égard des Turcs. En général les byzantinistes en concluent que Palamas s'était résigné à l'idée que les Turcs seraient bientôt les maîtres dans l'empire byzantin. 28 On dans la politique, ce fut d'abord le sentiment parfaitement justifié que les querelles intestines étaient la cause principale de la décadence byzantine; en prenant la défense de Cantacuzène, il avait d'autre part conscience d'un fait que les meilleurs historiens reconnaissent aujourd'hui: le Grand Domestique était le "seul homme capable" de continuer "l'oeuvre de relèvement qu'Andronic III avait commencé avec sa collaboration" (op.cit., p. 97-98, l'auteur cite ici L. Bréhier, Vie et Mort de Byzance, p. 434-35). Ce n'est que Weiss qui se montre plus nuancé (op.cit., supra p. 81, v. p. 113). 26. Pour la date, v. infra note 74. 27. Pour les références v. plus loin. 28. Werner, Johannes Kantakuzenos, Umur Pasa und Orhan dans Byzantinoslavica 26(1975), p. 266-76, approuvant le jugement de M.I. Sjuzjumov, parle d'une "Ideologie des Kapitulantentum" (p. 260-61; cf son livre Die Geburt einer Grossmacht-Die Osman en , p. 139). Meyendorff écrit que Palamas fut "mieux préparé que beaucoup de ses contemporains à en accepter
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explique cette attitude par le fait que Palamas aurait été témoin de la tolérance religieuse des Turcs envers leur sujets chrétiens. 29 Dans ce cadre, beaucoup de byzantinistes considèrent la lettre de Palamas comme un document historique d'une importance unique, jugement repris par les historiens de l'empire ottoman. 30 Cet excès d'enthousiasme pour la lettre de Palamas a empêché selon nous d'en voir son ambiguïté. Tout d'abord, Palamas ne loue pas seulement les Turcs, mais il dit également beaucoup de mal sur eux. Cela prouve qu'il n'a pas envisagé leur victoire finale d'un coeur tranquille. Puis, personne ne s'est jamais donné la peine d'étudier la lettre dans le cadre de la vie antérieure de Palamas, ce qui nécessairement empêche le lecteur d'en apprécier toute la portée du point de vue historique. Enfin, un autre fait remarquable: ni Cantacuzène, ni aucun membre de l'aristocratie byzantine n'était prêt à racheter Palamas. L'aristocratie n'était pas appauvrie au point de ne pouvoir fournir la somme nécessaire. 31 Si le roi serbe Etienne Dusan la ruine définitive sous les coups des Turcs" ... l'Empire n'était pas pour lui un but en soi" (op.cit., p. 136). 29. G. Georgiadis-Arnakis, Gregory Palamas among the Turks and documents of his captivity dans Speculum 26(1951), p. 104-118; Meyendorff, op.cit., p. 157 sqq; A. Braat-Philippidis, La captivité de Palamas chez les Turcs: Dossier et commentaire dans Travaux et Mémoires 7(1979), p. 109-221, ici p. 204-06. 30. V. notre Prologue Turc. \ 31. Sur les moyens financiers de l'élite après 1347 v. Ch.,JI de la première partie de ce livre. Quant à Cantacuzène lui-même, Philothée nous dit que ceux qui s'empressèrent pour la mise en liberté de Palamas, étaient justement devenus impuissants à tous les égards par suite des revers politiques (Eloge de Palamas, PG 151, col. 627AB; éd. Tsames, p. 552). Cette explication a été reprise par les byzantinistes. Cependant, Palamas fut fait captif au début de mars 1354, tandis que Cantacuzène ne se trouvait en peine que sur la fin de novembre 1354. S'il avait agi tout de suite, il aurait pu libérer Palamas. D'ailleurs, même après son abdication il pouvait disposer d'une grande partie du trésor impérial (Grégoras, XXIX, Bonn III, 243-44). En outre nous savons par Cantacuzène lui-même qu'il avait engagé des négociations avec Suleyman, qui précisément à ce moment tenait captif Palamas. Cantacuzène espérait que Suleyman lui rendrait les villes et les terres qu'il venait de conquérir en Thrace contre un payement de 40.000 nomismata. Il semble qu'à
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n'avait pas payé la rançon, Palamas aurait été perdu à jamais. Même le pire ennemi de Palamas, Nicéphore Grégoras, se cassa la tête pour trouver une explication au désintérêt des amis de Palamas, bien qu'il se réjouît lui-même de son infortune. Voilà quelques réflexions et données éparses laissant supposer que dans la lettre (et dans la vie) de Palamas des éléments restent obscurcis jusqu'à maintenant. Nous croyons que le meilleur moyen de découvrir la vérité sur la vie et la personnalité de Palamas est de commencer par l'analyse des pages que Nicéphore Grégoras a consacrées à sa captivité chez les Turcs.
*** Tout ce que raconte Grégoras des vicissitudes de Palamas repose sur les renseignements que ce dernier a voulu donner lui-même à ses compatriotes dans sa Lettre à son Eglise. Grégoras dit expressément qu'il a pris connaissance d'un écrit abominable envoyé par l'impie Palamas à ses compagnons dans le Mal. Ceux-ci l'avaient à leur tour rendu public. Le texte de Grégoras forme un tout qui, pour l'essentiel, n'est autre que le dossier entier des documents connu sous le titre de la Let/re à son Eglise de Palamas. Grégoras suit de près Palamas. Il ajoute seulement des injures et des èommentaires outrageants et quelques détails historiques présentés comme des éclaircissements du texte de Palamas, mais qui sont en réalité des altérations, issues de la fantaisie de Grégoras. 32 cette occasion Cantacuzène n'a pas soufflé mot de Palamas (IV, cap. 38, Bonn III, p. 275-81). D'ailleurs, dans ses mémoires il ne parle pas du tout de la captivité de Palamas. Enfin il est clair que Jean Paléologue ne voulait pas racheter Palamas; en 1358 il put payer une rançon de 100.000 nomismata pour la mise en liberté de Halil (v. notre chapitre sur Nicéphore Orégoras). 32. Orégoras, XXIX, Bonn III, p. 226-34. Au début de son récit Orégoras se rend déjà suspect en donnant un rapport mensonger sur les motifs du voyage projeté de Palamas. On sait que Jean Paléologue, se trouvant à l'île de Tenedos, avait chargé Palamas de négociations avec Cantacuzène en vue d'un compromis (Philothée, Eloge de Palamas, PO 151, col. 626 A; éd. Tsames, ch. 98, p. 553; confirmé implicitement par Palamas, Lettre à son Eglise, éd. Braat, p. 139). Grégoras, cependant, suggère que Palamas avait de toutes autres intentions. Il aurait voulu persuader Cantacuzène de faire
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Après avoir averti ainsi le lecteur, écoutons ce que Grégoras nous apprend. Les pirates turcs se rendent compte immédiatement du rang et de la dignité de Palamas. Il est trahi par ses riches bagages et par le grand nombre de monnaies en or et en argent cachées dans les plis de son habit. Les Turcs s'indignent de la corruption du personnage: Prêcher la pauvreté et amasser des richesses!, voilà leur commentaire. Le chef des pirates (Suleyman, fils d'Orkhan) demande des renseignements sur les livres que Palamas a en sa possession. Il montre du respect pour sa Bible, mais lorsqu'il apprend que les autres livres sont de la main même de Palamas, il les fait jeter à la mer. Grégoras explique aux lecteurs que les islamiques respectent le Christ en tant que prophète, même s'il n'est pas le Prophète par excellence; la destruction des livres de Palamas doit être attribuée à la Providence Divine. 33 Après lui avoir ôté ses vêtements, les pirates fouettent Palamas et le violent à la manière perverse des sodomites, afin que la victime fasse tout ce qui sera en son pouvoir pour inciter ses amis à payer une grosse rançon. 34 Cette énormité est pourtant aux yeux de Grégoras surtout une punition raffinée supplémentaire, destinée spécifiquement par Dieu à Palamas en expiation de ses idées hérétiques et de ses crimes dans le domaine politique, à savoir, sa complicité avec Cantacuzène en ce qui concerne les alliances turques. 35 Si l'on compare le passage en question aux informations fournies par Palamas lui-même sur les méfaits des pirates, on voit que tuer Grégoras; puis il se proposa de distribuer de nouveaux livres impies dans la capitale et de donner sa bénédiction à Cantacuzène dans la guerre contre Jean Paléologue. Grégoras admet que Palamas alléguait un autre motif pour le voyage, mais selon lui ce n'était qu'un prétexte. 33. ibid., p. 227-28. 34. ibid., p. 228-29. 35. ibid., p.230: Kai aur6ç re yàp aiaxpdJ'ç rrov iepaTlKrov YVllvcoOeiç 1
aVIlf36Âcov Kai 1Cp6ç yelrl1CCia1]ç KOlVroÇ taOfjroç OIlOV Kai 'l'à aiaX1ara U1C' aurrov E1Ce1C6vOe1 f3apf3apcov, ouç roaovrov auroç 1Ïya1C1]aev mare Kai 1Ïywv1ara1 1Call1CoÂÂa 1Ceiaa1 KavraKOV~1]VOV Karà rov yallf3pov llaÂa1oÂ6yov aVÂÂ1j1Cropaç Kr1jaaaOa1 Kai qJ{Âovç r,yeiaOa1 «51à f3{ov Kai rfjç ~cofjç qJuÂaKaç aOavarovç . ..110 Kai 1'7]V avrlll1aO{av aç{av ÈKeilJev eiÂ1]qJe «5e«5coKwç Kai «5t«5coKev eiÂ1]qJWÇ" aiaxproç Iltv yàp Kal avaç{coç 1Cavra1Caarv eiç rov iepar1KOv f3aOllov avaf3àç aç{av roiç iepwaaar r1]v aVTlll1aO{av a1Ct«5coKe r1]v aatf3e1av.
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Grégoras a inventé l'épisode du viol, et lâché la bride à ses propres fantaisies maladives à partir de quelques lignes lues dans la lettre de Palamas. Celui-ci donne à un certain endroit, dans une digression rhétorique, une énumération des moeurs abominables des Turcs, s'achevant par leur propension aux pratiques homosexuelles. Revenant ensuite au récit de ses propres aventures, il fait allusion aux tortures qu'il a subies à Lampsakos, peu après sa capture: Après avoir donc passé sept jours dans cet endroit et
subi le septième jour les tortures des barbares pour nous faire augmenter notre rançon, le huitième jour on nous fit prendre la route de Pegai. Et si je voulais exposer en détail les souffrances du parcours, ni rencre dont je dispose actuellement ni le papier ne me suffiraient. 36 Ce qui s'est passé dans l'esprit ordurier de Grégoras est clair. Tout d'abord il écrivit en toute sincérité le passage sur le stupre de Palamas peu de temps avant la mise en liberté de celui-ci. Cependant, au retour de son ennemi, quand il a dû apprendre que cet épisode n'avait pas eu lieu, il ne s'est pas dédit. Il reprit, de plus belle, ses disputes théologiques avec lui. 37 Grégoras n'a pas oublié d'enlever ses obscénités par irréflexion. Lorsqu'il les débita, personne ne croyait revoir le métropolite de Thessalonique. Quand celui-ci fit, sain et sauf, sa rentrée inattendue, la déception de Grégoras dut être grande. Pourtant, il n'avait pas l'intention de lâcher prise. Il avait toute raison de faire accroire à ses lecteurs que Palamas avait été vraiment violé. Ainsi celui-ci serait flétri d'une manière irréparable. Sa personne deviendrait tabou. Toutefois, Grégoras doit avoir compris que sa cause ne serait pas gagnée d'une manière si simple, Palamas ayant des partisans et des 36. éd. Braat, p. 145: 'En T'à jlÈv ovv r,jlÉpac; Ë1Œi ~ravuaavT'SC; Kal KaT'à n)v t{3~6jlT/v T'OVC; napà T'rov {3ap{3aprov éT'aajlovc; npàc; n)v T'fic; r,jlsT'Épac; mvfic; avçT/alv vnoaT'avT'SC;, T'fi oy~6t1 T'r,v npoc; T'àC; nT/yàC; r,y6jlsOa qJÉpovaav. Kal T'à T'fic; 6~0[j T'auT'T/C; naOT/ {3ovÂOjlÉvcp jlOI KaT'aÂÉyslv OUT'S T'à jlÉÂav oaov VÛV sùnopro OUT'S () xapT'T/C; àpKÉasl. 37. Grégoras, XXX-XXXI, Bonn III, p. 266-374. Grégoras ne recule même pas devant l'assertion absurde selon laquelle Cantacuzène aurait finalement racheté Palamas parce que celui-ci était le seul théologien capable de lui tenir tête à lui, Grégoras (p. 252). Solide et amusant à la fois: David Balfour, Palamas' reply to Gregoras' account oftheir debate in 1355 dans JOB 32(1982) (Actes du Congr. Int. Et. Byz.), p. 245-56.
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admirateurs qui ne se détourneraient pas de lui en raison d'une accusation sans preuve concluante. Il n'empêche que la question primordiale pour Grégoras et qui ne le laissa jamais en repos, resta tout au long la suivante: pourquoi Palamas ne fut-il pas racheté par ses amis? Cette question de grande importance historique à notre avis n'a jamais été reposée jusqu'à nos jours. Grégoras pensa trouver la solution de l'énigme dans la lettre même de Palamas. Ne voulant pas renoncer à sa trouvaille, il conserva le texte qu'il avait déjà écrit. Citons Grégoras lui-même afin de montrer que nous ne sommes pas tombée victime à notre tour d'imaginations sans fondement.
Ainsi Dieu a permis qu'il (Palamas) fut déshonoré et que l'abomination de ce qu'il dut subir le rendrait abhorré de tout le monde, au point d'être pris en horreur même par les aristocrates, qui étaient ses amis et ses partisans; cela en conséquence de son commerce sodomite impie avec les barbares. Ceux qui avaient d'abord promis d'envoyer tout l'argent nécessaire, étant prêts au besoin à perdre leur vie pour lui, ne voulaient plus maintenant donner une obole pour sa mise en liberté. Ils se disaient que quelle que fût l'issue de l'affaire ils n'auraient la sympathie de personne. S'ils voulaient passer sous silence les accusations portées contre lui et lui permettaient de rentrer dans ses fonctions ecclésiastiques, les pierres crieraient quand même sa honte. Si, par contre, ils réussissaient à le persuader de se retirer, il deviendrait à son tour leur accusateur et les attaquerait de sa parole, un glaive plus tranchant que nul autre. 38 38. Grégoras, XXIX, Bonn III, p. 233: LilD Kai wç bd 7rÀt:ïarov <> Bt:Dç ÈJ,.l7raiÇt:a(}al rovrovi èYKt:XWP71Kt: Kai U7rD mlvnov <>J,.loiCIJç J,.llaE:Ïa(}ar rD rfjç èp71J,.lWat:ClJç fJoÉÀvYJ,.la. Eiç roaovrov yap, Ka(}a7rt:p KVfJOV arpaqJÉvroç, J,.lt:J,.lia71ral Kai 7rPDÇ nov jlaÀa 7ro(}ovvrCIJv Èvrt:v(}t:v àpxovrCIJv Kai <>J,.loqJpOVCIJV olà r7]v a(}t:aJ,.lov ÈKt:iV71V Kai aOOOJ,.llTlK7]V rwv fJapfJapCIJv J,.lïçrv, wart: Kai U7rtp où 7ravra 7rpoÉa(}al xpr,J,.lara umaxvovvro Kai aqJâç aurovç, t:i ot:r,at:lt:, 7rÉJ,.l7rt:lV t:iç (iOT1V, vvv ouo' ofJoÀov àÀÀaçaa(}al fJovÀovral njv ÈÀt:v(}t:piav. '07rorÉpCIJat: yàp dv vt:vat:lt: rD à7rofJ71aOJ,.lt:vov, OUK Èç rD t:üaX71J,.lOV aqJiarv ÈvOJ,.llaaV axr,at:lv rD 7rpâyJ,.la. "A v rt: yàp fJovÀ71(}walv, ÉqJaaav, aryü KaÀVl/favrt:ç roüyKÀ71J,.la rovrov lt:part:vt:lv Èvoovval, Kai Ài()Ol 7ravrt:ç àvafJor,aovar r7]v rfjç àro7riaç U7rt:pfJoÀT1v· av r' à7rpaKrt:ïv aurDv àva7rt:iaCIJar Kai rfjç lt:povpyiaç
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Nous ne croyons pas que Grégoras se fasse ici le porte-parole de la véritable opinion de certains aristocrates sur Palamas. 39 Personne ne lui a fait, après sa rentrée, les reproches prévus par Grégoras. Si les voeux de Grégoras ou d'autres antipalamitess"étaient en effet accomplis, ceux-ci en auraient certainement parlé.
*** On voit que Grégoras considère Palamas comme un cantacuzéniste et un ami des alliances turques de l'usurpateur. Cette opinion se rencontre également chez un autre antipalamite fervent, Grégoire Akindynos. Dans son septième traité contre Palamas, Akindynos se demande ce que Palamas entend par le mot paix. A son avis, Palamas appelle paix l'annihilation des adversaires de sa doctrine théologique. Pour arriver à ce but, non seulement vous optez pour les troubles politiques et le naufrage de rEglise, mais vous appelez encore de vos voeux rinvasion des Ismaélites et vous glorifiez excessivement les moeurs des Perses, attendant que personne ne puisse plus vous contredire et lutter pour la défense du foi; car alors tous les orthodoxes auront totalement péri. Vous êtes coupable, en adorant cet homme (Cantacuzène) qui détruit entièrement ce qui reste de rEtat des Rhoméens, ainsi qu'en adorant vos dieux incréés. 40 â1CBXBCJ(}az, Kanjyopoç au'l'cOV âvaz«5BCJ'l'a'l'Oç ÉCJ'l'az Â.011COV aU'l'()ç Ëv 1CoÂ.Â.oïç Kai ç{(povç âKlLaZO'l'BpaV 1CaVn)ç âV'l'1CJ'l'77CJBZ yJlcO'l"l'av aU'l'oïç •..
Grégoras finit son récit par une savante comparaison pornographique. La "semence barbare et impie" avait fertilisé Palamas en contribuant de cette façon à la naissance de nouvelles oeuvres d'esprit perverses, de même que Dionysos, le dieu androgyne, issu prématurément du flanc de Sémelé, fut porté jusqu'au terme naturel dans le mollet de Zeus (p. 234). 39. Comme le croyait Jugie, art.cit., col. 1746. 40. Monac. gr.223, f. 357v-35Sr : ... U1CÈp ov /Jr, /J6vov alpBïCJ(}B 'l'r,v CJvyxvCJzv Kai 'l'iiç (}Biaç ÈKKÂ.1]CJlaç 'l'r,v ÉK1C'l'WCJZV, âÂ.Â.à Kai 'l'r,v ·ICJ/Ja1]Â.z'l'cOy ÉqJo«5ov È1C1KaÂ.BïCJ(}B Kai 'l'à 'l'cOy IIBpCJcOv if(}1] ËK(}V/JWÇ ayav â1COCJB/J VVVB'l'B, iv' u/Jïv ou«5Biç 0 âV'l'1Â.BÇWV d1] Kai 'l"ijç BUCJB!3Blaç u1CBp/Jaxr,CJwv Kai 1CpoCJ'l'1]CJ6/JBVOÇ 1ClIV'l'WV â1COÂ.wÂ.6'l'wV ap«51]v 1Cap'u/JcOv WCJ1CBP oiBCJ(}az Kai /JB'l'à 'l'aÜ'l'a 1CàCJav ap«51]v / 'l'r,v u1C6Â.011COV 'Pw/Jalwv u1C6CJ'l'aCJzv «5zaqJ(}Blpav'l'a 'l'OÜ'l'OV 1CPOCJKVVOVV'l'WV 'l'OÙç âyBVvr,'l'OVÇ (}BOVÇ •..
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Le patriarche Kalékas, par contre, dit qu'il avait fait emprisonner Palamas à cause de ses hérésies et non pour des raisons politiques. 41 Les témoignages des antipalamites, se contredisant les uns les autres, sont suspects. Il n'est pas moins vrai que Grégoras et Akindynos se sont faits l'écho d'une opinion largement répandue dans la société byzantine. Examinons de plus près les témoignages des palamites euxmêmes'. Il est remarquable qu'il n'y a qu'un seul document de leur provenance disant explicitiment que Pillamas fut tout le temps un partisan fidèle de Cantacuzène. Il s'agit du tome synodal de 8 février 1347, rédigé quelques jours après l'entrée de Cantacuzène dans Constantinople par les évêques palamites triomphants. 42 Les autres sources sont ambiguës quant aux affirmations et aux activités de Palamas pendant les années 1341 à 1347. Certes, nous l'avons déjà dit, Cantacuzène loue Palamas hautement dans le quatrième livre de ses mémoires. Palamas est aussi vertueux qu'orthodoxe et aurait dû être nommé patriarche en 1347. Il avait en effet défendu l'empereur (Cantacuzène) dès le début, portant la peine de sa fidélité par l'incarcération. 43 Cependant, dans le troisième livre des mémoires Cantacuzène le prend sur un autre ton. Le patriarche Kalékas, craignant d'être supplanté par Palamas, essaya de le rendre impossible aux yeux des cantacuzénistes. Il lui enjoignit de se déclarer contre Cantacuzène. Palamas répondit par un refus net. Kalékas en fut considérablement gêné. Il ne pouvait pas mettre en accusation pour des raisons politiques un homme connu pour sa vertu et son tempérament contemplatif. Il changea donc ses batteries et fit emprison41. Kalékas, Lettre aux A thon ites , MM, t. 1, p. 238-42 (PO 152, col. 1269-73); cf Darrouzès, Reg. 2251; v. Orégoras, XV, cap. 7, Bonn Il, p.768. 42. éd. Meyendorff (v. supra, note 16), ici p. 215 (MM, t. 1, p. 243-55, ici p. 247); cf Darrouzès, Reg. 2270. 43. Cantacuzène, IV, cap. 3, Bonn III, p. 25: 01 J.lf;V ovv aÂ.Â.ol mivreç eû(Jvç oûôÉva cPovro ÔlK'alOrepov elVal IIaÂ.aiitf' avayea(Jal bri rrov (JPOVIDV, oû ôlà njv apeT7}v J.lOVOV K'ai r1jv K'arà rav f3(ov qnÂ.oaoqJ(av K'ai r1jv 1Œpi rà (Jeia ôOYJ.lara aK'p(f3erav K'ai SJ.l1Œlp(av, aÂ.Â.' orr K'ai qJaveproç eû(Jvç sç apxiiç npaç rovç nenoÂ.eJ.ll1K'Oraç avrsarl1 f3aarÂ.ei, qJaaK'IDV a8lK'IDç K'ai rrov K'OlVroV sni qJ(Jopr;. K'ai Â.VJ.lU rav nOÂ.eJ.l0v K'eK'lVTtK'Éval, Ôl' li K'ai ÔeaJ.lIDT7jplov oiK'eiv K'areK'p((Jl1 aXPl rÉÂ.ovç an' apxiiç.
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ner Palamas à cause de ses opinions hérétiques. 44 Nous savons pourtant que Kalékas n'avait pas hésité pour des raisons politiques à emprisonner le Protos de l'Athos et d'autres ecclésiastiques très respectables et contemplatifs. 4s Quoi qu'il en soit, les versions du troisième et du quatorzième livre des mémoires de Cantacuzène ne concordent pas. On commence à soupçonner que l'attitude de Palamas ne fut pas sans ambiguïté juste après le coup d'état de Cantacuzène. L'éloge de Palamas par Philothée Kokkinos nous confirme dans cette opinion. Philothée, grand admirateur de Palamas, écrit que son héros, au début de la guerre civile, exhorta tout le monde à la paix et à la concorde. Cette attitude irrita le patriarche de sorte que Palamas se décida à quitter la capitale. Etabli en dehors, il passait tout son temps à pleurer comme Jérémie sur le malheur du genre humain et sur la ruine qui l'attendait. 46 Tout cela ne donne pas l'impression que Palamas fût à ce moment pour Kalékas un ennemi dangereux. Philothée doit pourtant expliquer l'emprisonnement de Palamas, un homme selon lui extrêmement paisible. Il reste dans le vague. Puisque le chef des prêtres et des catéchètes ne pouvait trouver aucun prétexte ayant rapport à la guerre, il se servit d'une manière éhontée d'arguments religieux, déclenchant ainsi une guerre contre rEglise sans précédents et tout à fait absurde, visant ranéantissement de tous les dogmes sacrés. 47 Cela rend le même son que le récit de Cantacuzè44. Cantacuzène, III, cap. 98, Bonn II, p. 602: Kai nproTa J.ltv bdÂsus {3aazÂsl Tcp KavraKouÇl1vCP aUJ.lnoÂsJ.lslV Kai npoç Tàç ÈmTlJ.l11aSzç Kai TOÙÇ àqJOpzaJ.loùç aVyKozvmvslv. '.Qç 0' ànslnaTo ÈKslVOÇ lpavsproç npoç TroV àTonmv Kozvmvlav, avvzOcbv, wç ouotv av ÈKslvov {3ÂanTszv ovvazTo ol1J.loaza ÈyKÂ11J.laTa enlal1J.lOV oVTa oz' àPSTr,V Kai lpzÂoaOlplaV, ovaas{3daç È8{mKs J.lsTa{3aMnv. 45. Cantacuzène, III, cap. 35, Bonn II, p. 213. 46. Philothée, Eloge de Palamas, PO 151, col. 601 D-602; éd. Tsames, ch. 65-6, p. 498-500. De même, le témoignage du palamite David Dishypatos fait seulement ressortir que Palamas se distanciait des événements politiques, v. R. Browning, éd., David Dishypatos' Poem on Akindynos dans Byzantion 25-27(1955-57), p. 713-45, ici vers 106 sqq. 47. ibid., col. 602 D; éd. Tsames, ch. 66, p. 500: Kai Ènszor, npoamnslov OUK slXSV aUTcp Tà TfjÇ J.laXl1ç ouo' ÈovvaTo Kai aKzàv yovv Tlva nÂaaaz KaT' ÈKdvou aUKOlpavr{aç, Karà rfjç suas{3slaç àvéol1V Su(Jùç OÂoç xmpsl Kai nOÂSJ.l0v àÂÂoKorov Tlva Kai Kazvov Ènsydpsz Tfi ÈKKÂl1alt~ KaZ TroV
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ne dans le troisième livre de ses mémoires. Encore une fois, les cantacuzénistes et les palamites mêmes ne pouvaient affirmer que Palamas avait été dès le début un champion intrépide de leur cause. Un grand nombre de textes et de lettres de Palamas, écrits pendant sa captivité à Constantinople (du printemps 1343 jusqu'au mois de février 1347) sont de la plus haute importance pour se faire une idée de son attitude pendant la guerre civile. Ces écrits traitent en général des questions théologiques, mais de temps en temps aussi de politique, surtout dans les lettres adressées à la communauté des moines de l'Athos et celles adressées spécialement aux moines Makarios et Philothée (Kokkinos). n s'agit en premier lieu des lettres rédigées au cours de l'hiver 1344/45, qui se relient à une correspondance antérieure entre le patriarche et les moines de l'Athos. Le patriarche assurait aux moines qu'il avait fait emprisonner Palamas juste à cause de ses opinions hétérodoxes et les priait de s'employer à le ramener dans la bonne voie moyennant leur influence sur lui. Dans leur réponse à Kalékas, les moines de l'Athos défendirent Palamas, ce qui selon la victime empira sa situation. Celui-ci joue dans ses lettres l'innocence persécutée. n n'a rien fait de mal, ni en politique, ni en théologie. n dit n'avoir écrit, depuis les synodes de 1341, que des choses orthodoxes sur le différend religieux (il passe sous silence la défense du patriarche d'écrire quoi que ce soit sur les questions touchant sa doctrine). Kalékas, d'après lui, s'est servi d'un prétexte afin de le punir pour son refus de ralliement au gouvernement de Constantinople. Bref, Kalékas le persécutait en réalité à cause de ses préférences politiques. Mais Palamas affirme qu'il n'est absolument pas un partisan de Cantacuzène! n a la politique en aversion et ne veut se ranger du côté d'aucun parti. n est pour la paix et contre toute forme de violence. 48 Faisant allusion au Psaume 38 (vs 12 et 13):
8dwv iSoYJ.LclrWV àva{pEalV J.LEÂErij qJEU! rrov iEpÉWV Kai iSliSaaKclÂWV 0 npovxwv. 48. Aux très vénérables Pères de la Sai!lt~ Montagne dans Evyyp., t. 2,
p. 511. Palamas dit expressément qu'il serait prêt à se déclarer coupable, s'il avait vraiment conspiré avec Cantacuzène et ses partisans: 'AÂÂà rfic; arclaEwc;, cbC; J.LiI WqJEÂE, KlV718E{a71C;, ri nOlEïv T,J.LiiC; tiSEl; EVVÛ;OPJ.Liiv Kar'
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Et ceux qui cherchent ma vie me tendent des pièges, Et ceux qui cherchent mon mal parlent de malheurs et disent des tromperies tout le jour ... il écrit: et. moi, comme un sourd, je n'entends pas et je n'ouvre pas la bouche (ajoutant naïvement: à moins qu'il ne s'agisse de théologie). En outre, il cite Psaume 35 (vs 19): ils me haïssent sans cause. 49 De tout cela on ne peut pas déduire si Palamas fut pro- ou anticantacuzéniste et c'est justement l'intention de ses protestations de neutralité. Mais le voilà obligé de donner des renseignements plus exacts aux frères de l'Athos. On l'avait vu, paraît-il, en compagnie de personnes aux sympathies cantacuzénistes indéniables. Le patriarche, se méfiant de lui, avait exigé une déclaration de loyauté, Palamas trouve cela vraiment exagéré.
Si au début (du conflit) je me trouvais parfois en compagnie de ceux qui semblaient des gens d'importance (les cantacuzénistes), et si je semblais appartenir à leur cercle, du moins aux yeux de ceux (Apokaukos c.s.) qui venaient de se décider à les écarter - j'avais été d'ailleurs invi(é -, je parlais seulement de sujets regardant le bien commun, et des moyens pouvant rétablir la paix et remettre cet homme (Cantacuzène) à sa place antérieure. Est-ce faire du mal à l'Eglise et à l'empire, que de se conduire de cette manière? Remarquez en plus que je ne faisais que parler, et ne perpétrais pas d'actes de violence; car la violence n'est pas mon fait. 50 àÂÂr1Âwv TOÙÇ OIlOqJUÂOVç fi 1CapalVElV È1ClrlvroaKelV wç àÂÂr1Âwv IlÉÂl1 Kai 1117 xpfja(Jal Toîç OIlOrevÉazv wç àÂÂOqJUÂOlÇ; ( ...) Kai Ilr1V, el Iltv 1CeqJropallal 1CPOÇ ÈKeîvov (Cantacuzène) fi rpal/faç fi 1l11 vuaaç fi 1Cap' ËKeiVOV 11 TOLOVTOV ~el;allevoç, el avveproç IDqJ(Jl1v nov 1CpOÇ ÈKeîvov à1Coc5l~paaKovTwv 11vl 1COTe, ei KOlVWVOÇ TroV V1Ctp ÈKeiVOV Tl 1CpaTTovTWV ÈVTav(Ja ( ...), ei Tl VI TOlVVV TOUTWV KaTa 11 Kai TO {3paxuTaTOV ÈqJaV17 V Èrcb aVIl1CpaTTWV, Kai aVToç ÈllaVTOV KaTal/fl1qJLOVllal . ~{KalOV rap. 49. ibid., p. 510: 'Brcb ~t KaTà TOV l/faÂllqJ~ov, «Ërevolll1v av waei av(Jpw1CoÇ OVK àKOUWV Kaz OVK ËXWV Èv Tcp aTOllaTI aVTOV ÈÂerIlOUç», el 1117 Kaz 1Cepz evae{3e{aç 0 Âoroç Jjv ( ...) «tlllal1aav tilt Kaz TOÙÇ KaT' Èllt ~wpeav» ... 50. ibid., p. 511: Bi ~' éhl T17V àpX17V tVTav(Ja 1CapaTVXcbv Kaz Toîç
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Palamas écrit à Philothée que cette défense ne donna pas satisfaction au patriarche et aux autres autorités à Constantinople. 5 1 Dans la lettre aux anciens de l'Athos, Palamas surenchérit: il rompit bientôt entièrement avec les partisans de Cantacuzène. Poursuivant le récit que nous venons de citer, il écrit:
Mais quand je voyais, mes vénérables pères, amis et frères ... que de deux côtés on aiguisait les glaives et que les esprits se montaient d'une manière irrépressible, ne menaçant que massacres et perdition totale du monde, laquelle je prévoyais dès ce moment et que je leur ai prédite (les faits mêmes l'ont maintenant prouvé à tous), bref:.. quand je voyais tout cela, je me suis dit: ici il n'y a plus de place pour moi. Je me suis retiré de la ville, en me rendant au couvent des Archistratèges célestes (St Michel de Sosthénion) et je me suis mis par terre pour pleurer sur moi-même et sur la génération présente. 52 Comme le gouvernement de Constantinople ne le laissait pas tranquille, Palamas s'éloigna encore plus de la capitale, se rendant à Héraclée (en Thrace). Quatre mois plus tard il y fut ramené par force et peu après écroué dans la prison du palais impérial (printemps 1343). dva{ n 80KOUazV È.vap{8J.llOç r.apà roiç apr{roç È.çovOt:vEiv UPT/J.lÉVOlÇ rov, Éonv ort: oVyKallovJ.lt:v6ç rt: Kai È.pronJJJ.lt:voç, dlWV 0 J.l0l È.86Kt:1 KOIVroqJt:IlÉç, Ka{rol J.lT/8tv Ért:pov, 1l'1l7jv nov t:iç t:ip'1jVf/V qJt:p6vrrov Kai nov t:iç li 1l'p6rt:pov È.Kt:ivoç dxt:v È.1l'avay6VTrov, 1l'apà rouro KaKoç È.yciJ T'fi È.KKIlT/oÙ~ Kai T'fi fJaazllt:iç, Kai rauO' V1l'0J.l v1joaç J.l6vov, allll' OVK avaYKcioaç; Touro yàp OUK È.J.l6v. 51. Lettre à Phi/othée, LVyyp., t. 2, p. 530-31. 52. Aux tres vénérables Pères ... p. 511-12: 'AIlIl' chç t:180v, di Ot:01l'Éazo{ J.lOl 1l'arÉpt:ç xai qJ{IlOl Kai a8t:llqJoi Kai miv 0, n 1l'00t:lV6v rt: Kai r{J.llOV rciç rt: J.laxa{paç tKarÉproOt:v OT/yoJ.lÉvaç rrov avOt:orT/K6rrov J.lt:prov Kai roùç OVJ.lOÙç aKaOÉKrovç Kai J.lT/8tv Ért:pov a1l't:lllouvraç fi oqJayàç avOpc01l'rov Kai K6oJ.loV 1l'avrt:llij qJOopciv, fiv Kai TOU rÉllovç ËK rijç apxijç Karaoroxa~6J.lt:voç auroiç 1l'poüllt:yov ËyciJ rT/VlKaUra, Ka8ci1l't:p È.KfJiioa vuv È.1l" aurrov opiiral rrov 7l'paYJ.lcirrov roiç 1l'iiazv, chç ouv raur' d80v, oUKÉn J.l0l r61l'0ç ËvrauOa 1l'POç È.J.lavrov t:i7l'cOv, a1l'aviOraJ.lal rijç 1l'61lt:roç Kai 1l'POç r7jv avn1l'Épav J.lov1jv, r7jv t:iç OvoJ.la rrov oupav{rov apX1orpar'1jyrov rlJ.lroJ.lÉVf/V 1l'apayt:v6J.lt:yoç, tJ.lavrov Kai ro vuv yÉvoç tKaO'1jJ.lT/V 1l't:vOrov.
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Voilà ce que Palamas raconte aux anciens de l'Athos. C'est un récit tout différent du tome synodal du 8 février 1347. Il Y manque en outre des détails figurant dans la lettre à Philothée, lesquels sont encore plus aptes à nous faire entrevoir ce qui s'était passé en réalité. Palamas s'y étend sur quelques-uns de ses entretiens avec les autorités. Il aurait alors profité de l'occasion pour leur exprimer son opinion franchement. Lorsqu'un représentant du patriarche lui rendit visite dans le couvent de St Michel (mars 1342) afin de le persuader encore une fois de se ranger du côté du gouvernement de Constantinople, il refusa de nouveau. Il persista dans sa déclaration de ne vouloir oeuvrer que dans l'intérêt de la paix, ajoutant qu'il ne ferait rien de préjudiciable au peuple et à ceux que Dieu avait préposés au gouvernement de l'empire. Le patriarche se serait fâché de sa décision de rester neutre. 53 Palamas finit par relever un événement qu'il considère apparemment comme un témoignage très important quant à son attitude durant la guerre civile. Un jour, il se rendit dans la capitale afin de tenir conseil avec les représentants principaux de la communauté de l'Athos, le protos Isaac, Makarios, l'abbé du monastère de Laura et Sabbas, le futur patriarche. Cantacuzène avait prié ceux-ci de négocier avec le gouvernement de Constantinople en vue d'un compromis. C'étaient les jours de Pâques 1342. Palamas écrit qu'en cette période il s'était rendu à plusieurs reprises au palais impérial. Au cours d'une de ses visites, quelques hauts dignitaires auliques lui auraient fait des propositions très inconvenantes. Palamas ne précise pas, mais il ressort du contexte qu'on lui donna à entendre qu'en son absence beaucoup d'ecclésiastiques avaient passé au parti impérial et qu'il n'avait qu'à suivre leur exemple pour être largement récompensé (en effet Makarios avait changé de parti et obtenu le siège archiépiscopal de Thessalonique).54 Palamas insère à cet endroit dans sa lettre la harangue pieuse qu'il aurait prononcée pour l'édification des courtisans, y rejetant leurs insinuations avec douceur, sans pourtant cacher son indignation. 55 Les 53. Lettre à Philothée, p. 531-32. 54. Cantacuzène, III, cap. 35, Bonn II, p. 212. 55. Lettre à Philothée, p. 533-4. Palamas compare sa situation à celle de Susanne, bien qu'il ne fût nullement en danger de mort. S'il parlait il ferait
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hommes puissants auxquels il s'adressait se fâchèrent d'abord, mais à la fin on se réconcilia tant bien que mal. Palamas prit congé des autorités avec quelques paroles agréables, invoquant la bénédiction du Christ sur l'Etat. 56 Il nous faut donc constater que jusqu'à la victoire définitive de Cantacuzène, personne ne put prouver d'une manière convaincante que Palamas fût un partisan de Cantacuzène. Il avait fait lui-même tout ce qui était en son pouvoir pour le nier. 57 Anticipant sur notre démonstration, nous constatons aussi qu'il avait bien caché son jeu. Mais au moment où il pensa recueillir le fruit de ses manoeuvres, il dut se rendre compte avoir joué trop gros. Jusqu'à l'automne de 1341 il fréquenta les cantacuzénistes, en familier par naissance de Cantacuzène lui-même. Il se retira de ce cercle lorsque ses attaches devinrent trop dangereuses pour lui. Les années suivantes il ne fit ni n'écrivit rien qui pourrait le compromettre au point de frustrer ses ambitions à tout jamais. Il ne perdit jamais de vue son but: le pairiarcat de Constantinople, et au-delà, l'acceptation de sa doctrine comme dogme de l'Eglise. S'il remporta la victoire au spirituel, il échoua quant à ses ambitions mondaines. Immédiatement après la victoire de Cantacuzène il fut nommé métropolite de Thessalonique, mais il n'alla jamais plus loin. Nous allons voir ce qui arrêta sa marche.
*** offense à ses amis; s'il se taisait Dieu le condamnerait. 'Eym S' br' Èj.lavroù, 7f{arEvaov m1rEp, ro rijç EcooavV11ç ÉÀEYOV «orEva j.lOl 7faVro8Ev» . Èàv Ei7fco Tl T(OV Èj.lOl SOKovvrcov Elval SEOvrCOV, f3apùç ÉOOj.lal roiç ovvoùaz r17ÀlKovrolç 7fEp ovazv . Èàv azYr70CO, rEÀ.Écoç OVK ÈKqJEVÇOj.lal ro Kpij.la ro 8Eiov. 56. ibid. ,: E[8' ourco Karà ro Èyxcopoùv j.lSÀlTl KlpVroV, 7fP0017vsaz S17ÀaS" ÀOYOlÇ, ro aCOrr7PlOV rijç àÀ178Eiaç qJapj.laKOV raiç àKoaiç 7fpooijyov rrov Slà oroj.laroç ÈKEiva ÀEyovrcov ( ...) "Oj.lCOç r1j.lEÏç 7faÀlv j.lElÀlX{OlÇ roç Èvijv XP170aj.lEVOl ÀOYOlÇ Kai rSÀoç È7fEVçaj.lEVOl rSÀoç, roiç 7fpayj.laaz 7fapà Xploroù ro XP17ororarov, à7f17ÀÀarroj.lE8a. 57. Sans doute Palamas ne fut pas emprisonné ni excommunié par Kalékas simplement à cause de son hérésie. Ce dernier craignait vraisemblablement que Palamas ambitionnait en outre le trône patriarcal. Pourtant, Kalékas n'a peut-être pas simplement feint quand il affirmait qu'il ne pouvait pas en croire ses yeux à la lecture des écrits de Ealamas (PG 150, col. 901 D; Cf Darrouzès, Reg. 2253). ..
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Cantacuzène se méfiait certainement de Palamas. Celui-ci avait tergiversé trop longtemps et trop habilement pour que Cantacuzène ne craignît le passage de son ami du côté des Paléologues si ceux-ci restaient victorieux. Il s'opposa énergiquement à l'élection de Palamas au patriarcat de Constantinople. Palamas posa sa candidature pour la première fois en 1347 58 - il s'était apparemment ravisé sur l'impossibilité de vivre dans un monde tout à fait corrompu. Philothée nous apprend que Cantacuzène décida du vote. 59 Sa préférence allait à Sabbas de Vatopedi. Le saint homme résista pourtant aux sollicitations pressantes de l'empereur, ne voulant pas renoncer à la vie contemplative. L'empereur nomma à sa place Isidore Bucheiras. 60 Il est clair que Cantacuzène ne voulait absolument pas de Palamas. Cela ressort d'ailleurs également de ses mémoires. A l'occasion de l'élection de 1347, il dit que Palamas était le candidat favori des laïques, non seulement à cause de sa vertu, mais surtout à cause de son attitude pendant la guerre civile. Les ecclésiastiques, par contre, ambitionnaient tous l'élection au patriarcat pour eux-mêmes, avançant qu'ils avaient souffert pour l'empereur au même degré que Palamas. Cantacuzène, craignant - à ce qu'il dit - qu'il ne résultât une rébellion ou même un schisme de ces rivalités peu édifiantes, décida donc de ne pas presser les membres du synode et de s'en remettre au choix des évêques eux-mêmes. Bref, il les laissa voter en toute liberté. 61 58. Orégoras XV, cap. 10, Bonn II, p. 786; Cantacuzène IV, cap. 3, Bonn III, p. 25; Tome des antipalamites, PO 150 col. 881 (cf Darrouzès, Reg. 2281).
59. Philothée, Vie de Sabbas, éd. Tsames, ch. 75, p. 309: Trov rovv apxr.epérov Eiç rauro avvzovrrov ( ...) brd St av/-upwvEïv OU1( laxov 1(a(Japroç ÈqJ' tvi rcp rrov mlvrwv, aÀ.À.' Èaxzçovro raïç rVWJ.lalç bri ,roÀ.V, ( ...) - J.laÀ.À.ov St 1(az V7rtp rD l(Joç 1jv 1] aVJ.l7rEaOVaa rD r71vz1(aVra Slxovo1a 1(az aJ.lqJl!3oÀ.za, 7roÀ.À.rov TlVWV 7rEqJV1(OrWv rrov Eiç rovr' auro avvw(Jovvrwv airzwv - 0 aOqJwraroç !3aO'lÀ.EVç J.lErà rovç 7roÀ.À.ovç È1(dvovç S,avÀ.ovç 1(az ràç ÈqJ' t1(arEpa rrov alpovJ.lévwv rpo7raç rE 1(ai J.lEra1(À.zaElç 1(ai rov 7rEPZ rov (Jdov Ea!3a 7rpo!3aÀ.ÂEral À.orov 1(ai {) rI S E ï '" 71 qJ zç E a (J a 1 1( a i r 0 V r 0 v E i ç 7r a r pla p x 71 v. 60. ibid., p. 309 sqq; Philothée, Vie d'Isidore, éd. Tsames, ch. 49-50, p.390-92. 61. Cantacuzène, IV, cap. 3, Bonn III, p. 25-6.
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Evidemment tout cela est faux. Non seulement d'autres témoignages contredisent le récit de Cantacuzène,62 mais on peut dire encore qu'en général un empereur byzantin avait plutôt soin de prévenir par son intervention personnelle un tumulte du genre décrit par Cantacuzène. En réalité Palamas n'était pas du tout populaire parmi les laïques. Son attitude pendant la guerre civile n'avait pas été audessus de tout soupçon. D'autre part, ~lusieurs métropolites furent ses adeptes, mais beaucoup d,'entre eux ne voulaient pas de sa personne ou de sa théologie, ambitionnant le trône pour euxmêmes. Si la question des souffrances subies pendant la guerre civile a influencé l'élection, Cantacuzène a dû penser que Palamas n'était pas à plaindre plus que les autres, dont plusieurs s'étaient rangés de son côté ouvertement et résolument. Sabbas avait été emprisonné dès 1342. Jusqu'en 1347 il n'avait cessé de décrier le parti des Paléologues comme le Mal combattant le Bien, comparant la guerre civile à une lutte entre Dieu et Satan. 63 Isidore avait été déposé de son siège de Monemvasie. 64 Dans ses mémoires Cantacuzène veut porter un coup à la fois contre les palamites et les antipalamites. Il nie avoir influencé l'élection, ce dont les antipalamites l'accusaient, et essaie de contenter les palamites en leur présentant qu'il n'était pas responsable de la non-élection de Palamas. Il est d'ailleurs à noter que Palamas échoua à toutes les élections ultérieures au patriarcat de Constantinople. Au mois de juin 1350, Cantacuzène nomma Calliste successeur à Isidore. 65 Cal62. Outre les Vies de Sabbas et d'Isidore v. aussi le Tome des antipalamites (PO 150, col. 877-85) accusant l'empereur d'avoir donné l'ordre de voter pour les candidats désignés par lui (col 881 D). 63. Vie de Sabbas, éd. Tsames, ch. 69, p. 294. 64. Darrouzès, Reg. 2250. Voir W. Helfer, Das Testament des Patriarchen Isidoros (1347-1349/50) dans JOBO 17(1968), p. 73-84. 65. Orégoras et Cantacuzène s'accordent sur cet article. Il y avait eu grave dissension entre les évêques. Cantacuzène admet lui-même qu'il fit pression sur l'élection de Calliste (IV, cap. 16, Bonn III, p. 105-06). Orégoras ajoute que Palamas quitta la capitale d'humeur noire (XVIII, cap. 1, p. 875-76) Cf Darrouzès, Reg. 2311. Selon Philothée, Isidore aurait désigné Calliste comme son successeur et fait savoir son choix à Cantacuzène (Vie d'Isidore, éd. Tsames, ch. 53, p. 394-95).
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liste avait été membre de la délégation des Athonites au printemps de 1342. A cette occasion il s'était montré incorruptible. Au moment de l'élection de Calliste personne ne pouvait savoir si Palamas occuperait jamais de facto le siège de Thessalonique. Si sa conduite avait été aussi impeccable que Cantacuzène le disait dans ses mémoires, pourqoui ne fut-il pas simplement transféré du siège de Thessalonique au patriarcat?66 Est-il à présumer que par comble de malheur Cantacuzène connaissait la lettre écrite par Palamas aux anciens de l'Athos pendant l'hiver de 1344/45? Cela est plus que probable puisque Cantacuzène avait des contacts personnels avec l'Athos. Le lecteur se souviendra que dans cette lettre Palamas niait expressément être un partisan de Cantacuzène. Cela ne pouvait pas porter Cantacuzène à une reconnaissance éternelle à l'égard de Palamas. Même si Palamas, sous la contrainte de la situation, n'avait pas dit la vérité, Cantacuzène n'était pas homme à se montrer indulgent aux mensonges de circonstance des autres.
*** En 1347 Palamas devint donc, sinon patriarche de Constantinople, au moins archevêque de Thessalonique. Cependant, il lui était impossible d'entrer dans la ville et de prendre possession de son siège car les Zélotes avaient toujours le pouvoir à Thessalonique. Ils ne reconnaissaient pas Cantacuzène ni, en conséquence, le nouveau patriarche qui avait élu Palamas officiellement archevêque. Celui-ci se retira à l'Athos, où d'autres difficultés l'attendaient. Le roi serbe Etienne Dusan, ayant conquis presque toute la Macédoine byzantine, avait largement doté la communauté de l'Athos de privilèges et de terres dans l'espoir de gagner les moi66. Philothée - et Meyendorff, marchant sur ses traces - passent sous silence l'ambition de Palamas concernant le patriarcat. Dans son Eloge de Palamas, Philothée ne mentionne pas la candidature de Palamas enl347. La nomination au siège de Thessalonique est simplement présentée comme la récompense d'une longue lutte et d'une captivité pour l'honneur de Dieu (PO 151, col. 613 B). Après cela Philothée ne parle plus des patriarches; ni la mort d'Isidore, ni l'élection de Calliste sont mentionnées.
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nes à sa cause. Il visait maintenant à la prise de Thessalonique. En effet les moines l'avaient reconnu pour "empereur des Serbes et des Grecs." Il faut dire qu'ils n'avaient vraiment pas de choix, ayant déjà subi de grandes pertes de couvents et de terres à cause des conquêtes serbes. La soumission de la communauté de l'Athos fut pour Dusan une grande victoire morale. L'Athos, centre spirituel de l'orthodoxie, ne reconnaissait pas seulement Dusan pour son souverain, mais en outre le patriarcat serbe, que celui-ci venait de fonder, comme une institution indépendante du patriarcat de Constantinople. Le Protos de l'Athos honora même de sa présence le couronnement de Dusan à Skoplje (le 14 avril 1346). Des liens avec l'empereur byzantin et le patriarche de Constantinople il ne restait que l'invocation de leurs noms avant celui du roi serbe pendant le service divin. 67 Quand Palamas arriva à l'Athos, Etienne Dusan s'y trouvait justement afin de confirmer son alliance avec les moines et pour visiter les lieux où reposaient les restes de ses ancêtres, les saints Syméon et Sava (dans le monde Etienne Némanye et son fils). Dusan, dont le séjour s'étendit de l'été 1347 au printemps de 1348, se prévalut de l'occasion pour persuader Palamas de se déclarer en sa faveur. Il lui offrit de hautes fonctions, des terres, de l'argent. Palamas se refusa à toutes ces tentations. Son biographe Philothée est ravi de la fidélité inébranlable à Cantacuzène dont Palamas aurait fait preuve à cette occasion. Il aurait même reproché à ses amis athonites leur avidité et leur facilité à profiter de la générosité de Dusan. 68 On comprend bien que Palamas ne se rendit pas aux offres du roi serbe. Tout le monde était au courant des négociations entre 67. Citons Paul Lemerle: "Les monastères athonites ne firent point difficulté à reconnaître le droit du plus fort, pourvu qu'on reconnût aussi leurs privilèges et garantît leurs biens. Il en sera de même lors de la conquête turque" (Philippes et la Macédoine orientale à l'époque chrétienne et byzantine, Paris 1945, p. 199, note 4). Quant aux rapports entre Dusan, Byzance et l'Athos v. o. Soulis, Tsar Stephen Dusan and Mount Athos dans Harvard Slavic Studies 2(1954), p. 125-39 et du même auteur The Serbs and Byzantium during the Reign of Tsar Stephen Dusan (1331-1355) and his successors, Washington D.C. 1984. 68. Eloge de Palamas, PO 151, col. 615 C-D; éd. Tsames, ch. 82-3, p. 519-20.
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Dusan et les Zélotes, qui en effet préféraient la domination serbe à celle de Cantacuzène et de ses Turcs. 69 La conquête de la Macédoine par les Serbes avait été bien moins horrible que les conquêtes turques. Beaucoup de Grecs avaient pu se maintenir dans leurs positions politiques et sociales au niveau local. Les ecclésiastiques n'avaient décidément pas à se plaindre. Cependant, Palamas n'était pas certain de profiter de la domination serbe. Justement au sommet, la situation apparaissait sous un tout autre jour. Nombre de Grecs avaient été remplacés par des Serbes, entre autres le Protos de l'Athos, malgré son voyage à Skoplje. 70 Palamas risquait trop en se fiant au roi serbe. Il lui fallait rester du côté de Cantacuzène "for better and for worse". Cette attitude dut importuner les Athonites. Selon Philothée, Dusan aurait également fini par s'irriter de Palamas. Il l'éloigna de l'Athos en le chargeant d'une mission diplomatique à la cour de Constantinople. 71 En 1349, Palamas fit une seconde tentative pour entrer à Thessalonique. Cette fois on était prêt à l'accepter, à condition qu'il omît le nom de Cantacuzène dans la liturgie. Pour les raisons que nous venons d'indiquer, Palamas ne pouvait plus désavouer Cantacuzène sans courir vers sa ruine. De nouveau il dut s'en retourner. Cantacuzène lui procura, en guise de dédommagement des revenus manqués à Thessalonique, une fonction à l'île de Lemnos. Palamas se montra là pour la première fois un cantacuzéniste remplissant son devoir. Il fit liquider un petit nombre d'éléments séditieux. 72 69. Cantacuzène croit que les Zélotes aspiraient à l'autonomie. A cette fin ils auraient excité les Serbes et les Byzantins les uns contre les autres (IV, cap. 16, Bonn II, p. 104-05). Plusieurs écrits de Démétrius Cydonès prouvent pourtant que les Zélotes ne voulaient absolument pas des Turcs. Il accusaient de "turcophilie" tous ceux qui s'opposaient à la collaboration avec les Serbes. V. notre chapitre sur Démétrius Cydonès. 70. Voir Soulis, The Serbs and Byzantium, Ch. III, Dusan's InternaI PoIicy in the conquered Byzantine Lands, p. 60-85, part. p. 81-84. 71. Eloge de Palamas, PO 151, col. 615 B; éd. Tsames, ch. 82, p. 519. 72 ibid., PO 151, col. 617 B; éd. Tsames, ch. 86, p. 522. Cf Cantacuzène, IV, cap. 16, p. 105; Darrouzès, Reg. 2314. La date, donnée par Darrouzès (août-septembre 1350), nous semble inexacte. D'après le récit de Philothée, Palamas a exercé sa fonction à Lemnos entre sa deuxième tentative pour
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Au printemps de 1350, Palamas séjourna à Constantinople afin d'assister à l'élection d'un nouveau patriarche. 73 Il retourna ensuite à Lemnos. Après la prise de Thessalonique par Cantacuzène en l'automne 1350, Palamas pouvait enfin occuper son siège archiépiscopal. Il y entra peu avant les jours de Pâques 1351. 74 Enfin installé à Thessalonique, Palamas dut bientôt quitter la ville pour se rendre à Constantinople où un synode était convoqué par l'empereur et le patriarche. Le résultat fut un fait acquis: on condamna Grégoras et ses partisans (mai-juin 1351). De retour à Thessalonique (automne 1351) - qui l'aurait cru - on lui défendit pour la troisième fois d'entrer dans la ville. Jean Paléologue en personne lui faisait obstacle. L'empereur légitime résidait depuis quelques mois à Thessalonique. Devant la ville se trouvait Etienne Dusan que Jean Paléologue, de concert avec les Zélotes, avait appelé à son secours dans l'espoir d'infliger une défaite définitive à Cantacuzène. 75 Palamas séjourna alors trois mois à l'Athos, avant de pouvoir rentrer à Thessalonique, l'impératrice Anna ayant persuadé son fils de renoncer à son alliance avec Dusan. 76 Au début de 1352 Palamas était enfin prêt pour s'occuper de ses tâches pastorales. Au mois de février 1354, il entreprit le voyage au cours duquel il tomba entre les mains des Turcs. Jusqu'à sa capture il n'exerça donc ses fonctions d'archevêque que deux années. Au cours de cette période, une maladie de longue durée, probablement presqu'un an, le tint loin de ses ouailles. Bref, on prendre possession de son siège et son entrée définitive à Thessalonique, c'est-à-dire entre la fin de 1349 en le début 1351. Quant à l'objection de Darrouzès selon laquelle Philothée passe complètement sous silence l'arrivée de Calliste au patriarcat Uuin 1350), nous avons vu pourquoi Philothée se tait sur cet événement (v. supra, note 66). 73. Darrouzès, Reg. 2311. 74. Cantacuzène prit Thessalonique en l'automne de 1350. Puisque Philothée dit qu'on alla chercher Palamas à Lemnos pour le transférer à Thessalonique afin qu'il pût y faire son entrée juste avant les jours de Pâques, il doit avoir occupé son siège en 1351 (col. 617 B-C, éd. Tsames, ch. 86, p. 523). 75. Cantacuzène, IV, cap. 27, Bonn III, p. 200-09; Orégoras, XXVII, Bonn III, p. 147-49. 76. Philothée, Eloge de Palamas, PO 151 col. 624 B; éd. Tsames, ch. 96, p.533.
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ne voit pas comment Palamas, avant sa captivité chez les Turcs, se serait acquis la sympathie d'une communauté qui l'avait rejeté pendant de longues années. On a également des difficultés à croire au rapprochement de Jean Paléologue et de Palamas pendant cette période. 77 Nous savons seulement que Jean a permis à Palamas d'occuper son siège épiscopal après s'être réconcilié avec Cantacuzène. Cette idylle fut d'ailleurs de courte durée. Jean Paléologue quitta Thessalonique au début de 1352 afin de négocier avec Cantacuzène à Constantinople. Cependant, les hostilités furent bientôt réouvertes. Jean ne retourna à Thessalonique qu'au printemps de 1353, après avoir essuyé une défaite sanglante contre les Turcs de Cantacuzène. 78 Entre-temps il avait été occupé de toutes autres choses que de mener une vie chrétienne en paix et en amour, ainsi que le prêchait pendant son absence du haut de la chaire Palamas dont il se serait rapproché d'une manière si touchante.
*** Nous avons déjà abordé la première prédication de Palamas à Thessalonique et remarqué qu'il considérait le c5ijJ..loç comme le plus coupable des participants à la guerre civile. Il s'adressait particulièrement aux insurgés vaincus, les caractérisant de voleurs, assassins et persécuteurs inhumains de la classe des propriétaires. Ils avaient pillé et démoli les maisons, en tuant les résidents. Dans cette ville rélite avait succombé, la plèbe inférieure avait dominé. 79 D'autre part il s'efforçait en même temps de persuader les 77. Meyendorff, op.cit., p. 156-57; Braat-Philippidis, op.cit., p. 194. 78. Pour la chronologie v. R.-J. Loenertz, Wann unterschrieb Johannes v. Palaiologos den Tomos von 1351? dans BZ 47(1954), p. 116. 79. Hom. 1, PO 151, col. 12 D-13 A: T{v~ç yàp ol nlv n6Âlv tmTpÉxovT~Ç, éaW OT~ Kai TOUÇ OiKOVÇ KaTaaTpÉ(povT~Ç Kai
Tà èv TOî'Ç OiK01Ç SlapmiÇovT~Ç Kai auv nOÂÂÙ Il a vif!. TOUÇ TroV OiKWV S~an6Taç plV1JÂaToùvT~Ç Kai KaT' aUTrov QJOVroVT~Ç àV1]Â~roç T~ Kai ànav(Jpwnwç; TAp' oux ol T7]V n6ÂlV OiKOùVT~Ç TaVTl1V; T{v~ç KaW cOV 1] Tl1ÂlKaVTl1 Il a via Kai 1307] Kai OPIl7] Kai KaTaSpO/l'r,; OUXi Kai OUTOZ mlÂlv ol T7]V n6Âlv OiKOùVT~Ç TavTl1V, éan S' OT~ Kai nap' cOv àmjÂava~ noÂÂrov àya(Jrov; "Q TOù mz(Jovç! Baf3ai TOù Il~YÉ(Jovç Tfiç à(JÂl6Tl1ToÇ! AUT7] ÉaVT7]V nOÂ~Il~î',
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Zélotes de se résigner à leur défaite, en exhortant tous ses auditeurs à collaborer au retour de la paix chrétienne et à la concorde, comme elles avaient régné par le passé. Il priait les vainqueurs avec instance de ne pas rendre le mal par le mal. BO La racine de tout mal était le péché, dit-il; si l'on évite le péché, tout finira bien. Cependant, le théologien ne donne pas une définition du péché, mais s'en étend en termes généraux. En fait l'homélie s'ensable. Elle fait l'effet d'un parti pris en faveur des vainqueurs qui, eux, en sont quitte pour une admonition banale et insignifiante où manque le zèle qui inspira les tirades fulminantes contre les vainCUS. BI
Toutefois des byzantinistes veulent nous faire accroire à l'existence d'une doctrine sociale chez Palamas. La notion de l'injustice sociale comme une des causes profondes de la guerre civile ne lui aurait pas manqué. Nous osons dire dès l'abord qu'il n'en est rien. La première homélie n'est qu'un prélude à des flagellations de plus en plus cruelles des pauvres châtiés par Palamas. La grande majorité de ses homélies traitent des mystères de la doctrine du salut. Au besoin il ajoute des admonitions concernant la vie pratique. En général il reste dans le vague sur ce chapitre, de même que dans sa première homélie, répétant toujours qu'il faut éviter le péché et faire oeuvre de pénitence. Son énumération des péchés frappe sans cesse par son manque de distinction entre les plus graves d'entre eux et ceux nommés par les catholiques péchés véniels. Les uns et les autres sont en effet présentés pêle-mêle. Les péchés contre les prochains: l'avarice, l'injustice, l'orgueil, la haine, l'inhumanité, ne sont pas séparés des autres en tant que catégorie concernant particulièrement les riches et les puissants qui alrf1j uqJ' Éav1'fiç 1COÂE/lEï1'al, 1Coaiv oi,œiolç ÈÂavVE1'al, XEpaiv oiKEialç Ka1'E8aqJiÇE1'ar, qJIDvaïç oiKEialç Ka1'aKp01'Eï1'al 1'rov Èv aû1'1] KpEl1'1'OVIDV U1C01CEaOV1'IDV Kai 1'or} f3avavaov Kai xEipovoç KaKroç Ka1'ciXPov1'oç /lÉpovç.
80. ibid., 16 B-C. 81. Bien que Palamas parle de la ÉKa1'Épov a/lapria et la KOlvr, a/lap1'ia (13 B-C), en fin de compte ce ne sont que les insurgés qui sont réellement châtiés: OU1'IDÇ EK 1'fiç a/lap1'iaç È/lqJVÂ10Ç a1'cialç Kai avyxvarç 1]/lïv EmyivE1'al, KaKiaç a1Cav El80ç È1Cayo/lÉV11 Kai 1'OV ùPX7JYov 1'fiç KaKiaç 1'oïç a1'aarciPxalç Kai a1'aalaa1'aïç EVOlKiÇovaa, oç Eiç ()7Jpia /lE1'aaKEVciÇEl . oû 1COÂU 8t Ei1CEïv, Kai 8al/lOVIDV Tj()oç KEK1'fia()al 1CapaaKEvciÇEl 1'OUç EV olç EiaolKiÇE1'a 1.
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devraient s'en garder plus que d'autres hommes. Même les exhortations aux riches à secourir leurs pauvres frères en Christ - thème traditionnel dans l'homilétique - sont rares chez Palamas. Ecoutons par contre comment il s'adresse aux pauvres euxmêmes. Dans l'homélie 62 Palamas les met en garde contre le danger de l'avidité. Ce ne sont pas les riches qui se détachent de la foi. Ceux, par contre, qui convoitent les richesses donnent dans le piège du diable (1 Tim. 6, 10). Abraham était riche, mais fut sauvé par son amour des pauvres. S'attendant à la réaction des pauvres de son auditoire, Palamas ajoute: Et ne dites pas: Hnous autres sommes presque tous des pauvres. Que prêchez-vous contre l'avidité à ceux qui ne possèdent rien?" Car nous autres hommes souffrons, par cause de convoitise, d'une maladie de l'âme et c'est pourquoi nous avons besoin d'une thérapeutique. Si vous me dites que vous ne souffrez pas de cette maladie, montrez-le, en me prouvant que vous n'essayez pas de vous délivrer de votre pauvreté, mais que vous la considérez plutôt comme quelque chose de plus beau et de plus précieux que la richesse ... 82 Dans l'homélie 45, prêchant sur les paroles bibliques: Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de même (Luc. 6, 31-32), il se déchaîne contre le peuple rebelle aux autorités; les sujets rendent quotidiennement par la fureur et la révolte, la charité et la sollicitude de l'Eglise et de l'Etat à leur égard, au lieu de se montrer humbles et reconnaissants!83
82. éd. Oikonomos, p. 269-79. Voir p. 277: 'AÂ.Â.à aK07rElrE J..lErà avvÉaECvc; r1jv rov 'A7roar6Â.ov lpc.oV1jv . où yap El7rEV 01 7rÂ.ovrovvrEC; à7rE7rÂ.a V1jlJT7aa v, àÂ.Â.' 01 opEy6J..lEVOl • roc; Kai àÂ.Â.axov lpTfa(v, «Oi Em(JVJ..l0VVrEC; 7rÂ.ovrElv EJ..l7r(7rrOvarv EÏC; 7rElpaaJ..lOÙc; Kai 7raY(Dac; rov Dla/36Â.ov». M1j roivvv El7rTfrE «llrc.oxo( EaJ..lEV 01 7rÂ.Elarol, Kai ri Karà lplÂ.apyvp(ac; Â.aÂ.Elc; EV rOlC; J..l1j KEKrT7J..lÉvolC; aXEDov àpyvpzov; »"BX0J..lEV yàp Dlà rfjc; Em(JVJ..l(ac; EV rfi IJIvxfi r1jv v6aov Kai XP{IÇOJ..lEV 7rPOC; ravrTfv rfjc; (JEpa7rElac;. Bi DÉ J..lOl Â.ÉYElC; J..l1j KEKrfja(Jal r1jv v6aov, DElÇOV J..l1j çTfrmv à7raÂ.Â.ayfjval 7rrc.oXE{ac;, àÂ.Â.' EpaaJ..llc.orÉpav Kai nJ..llc.orÉpav ravrTfv rov 7rÂ.ovrov n(JÉJ..lEVOC; ... 83. éd. Oikonomos, p. 46: 01 yàp J..lTfDt roùc; àya7rmvrac; Kai KTfDOJ..lÉVOVC; àvraya7rmvrEC; Kai rEÂ.c.ovmv Kai aJ..laprc.oÂ.mv Eiai XElpOVC; . oi Dt Kai rOlC; Evavr{olC; Dl' lpyc.ov fi Â.6yc.ov àJ..lEl/36J..lEVOl 7r6acp J..làÂ.Â.ov; TOlovrOl DÉ Eiar mivrc.oc; Kai 01 7rPOC; roùc; 7roÂ.lrapxac; àlpTfVlaÇOvrEC; Kai ravra lppovriDac; ÉKaarTfC; r,J..lÉpac; VlplaraJ..lÉvovc; V7rtp aùrmv où J..lErp{ac; •
on
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on
Une tirade excessivement violente est la suivante:
Les pauvres donc (je veux dire pauvre du point de vue matériel) méritent le salut s'ils souffrent en humilité. Si, par contre, ils ne veulent pas être humbles, mais deviennent orgueilleux, alors il font preuve de totale méchanceté. On peut endurer la pauvreté docilement ou s) opposer. Celui qui est pauvre, mais se révolte contre son sort, n'est pas dans un état d'esprit qui témoigne de contrition, convenant à rhumilité. Il ne supporte pas noblement la pauvreté qui est son sort, il murmure contre Dieu, il accuse Sa juste Providence, en la rejetant comme injuste. Un tel homme en vient à faire du mal à ses prochains, ne se souciant pas de Dieu - oubliant que quiconque espère en Lui n'est jamais déçu -, un tel homme ne diminue pas ses dépenses, ne gagne pas son pain par le travail de ses mains, ni ne demande humblement aux gens prospères à le secourir. Non, il devient un voleur, un chrocheteur de portes, un criminel, un brigand. Ou bien, il devient un parasite, un sycophante, un imposteur, un hypocrite, s'insinuant dans la classe des gens riches d'une manière ignoble et servile, s'attendant à profiter d'eux. Un tel pauvre, n'est-il pas méprisable à rextrême? Ou, pour mieux dire, ne prend-il pas le contrepied de ceux qui ont été béatifiés par le Christ ?84
ol J.lr, rr,v 7rPOcJ11Kovaav SÜVOlav roi'ç ÈK esov paalÂsvOlv à7rOÔlÔOVrsç, ol J.lr, ra7rSlVOVJ.lSVOl U7rO rr,v Kparalàv xsi'pa rovesov, àÂÂà à7rSlOOVVrsç rû rov Xplarov ÈKKÂ11alfl, Kai Karà nov 7rpoararrov rfiç 'EKKÂ11alaç J.lci'l"11v àyavaKrovvrsç, Kai ravra a7rSVÔovnov U7rtp aurrov Kai 7riiv àyaOov rs Kai ÂvalrsÂtç auroi'ç Kai OsÂovnov Kai SUX0J.lÉvwv Kai 7rpa"ovrwv 07rOa11 ÔVVaJ.llç. V. encore infra, note 104. 84. Hom. 31, PO 151, col. 393 B-D-396 A: 'EKsi'val rOlvvv, 7) rov PlOV ÂÉyw Kai rov aWJ.laroç 7rrWXSla, Èàv J.ltv aVV1]J.lJ.lÉvar mOl rijJ ra7rSlvijJ rfiç IJfvxfiç qJpoV1jJ.lan, J.laKaplOr11roç siarv açral . si ôt ÔlSÇsvYJ.lÉval rfiç ra7rSlVWaSwç J.lsO' U7rSP11qJavlaç sialv, àOÂlor11roç OV'l"Wç siai J.lSaral. 'H yàp tKovalwç rlç U7rciPXSl Karà rov PlOV fi Karà aroJ.la 7rrWxo ç fi àKovalwç . liv ovv àKovalwç Urlç 7rrwxoç, OUK ËXSl ôt rr,v ÈK J.lSraVOlaç rû IJfVXÛ 7rpoaYlV0J.lÉV1]V àyaOr,v ôlciOsarv, rr,v ra 7rS lVW al v, qJÉpSl ysvvalwç rr,v àKovalwç 7rpoaovaav aurijJ 7rrWXSlav, àÂÂà Kai Karà esov YOYYVÇSl, rfiç 8lKalorci r 11ç aurov 7rpOVOlaç mç J.lr, rOlavr11ç oüa11ç KaraqJspoJ.lsVOç . Kai roi'ç àVOPW7rOlÇ 7roÂvrp07rwç È7r11psciÇsl, J.lr, 7rPOÇ
ro
ou
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Certes, toutes les Eglises chrétiennes ont, jusqu'à une époque récente, présenté aux pauvres que leur misère était voulue par Dieu et qu'ils devaient en être contents puisque leur condition leur faciliterait l'entrée au royaume des cieux. Mais on trouvera, semble-t-il, avec peine dans toute l'histoire du christianisme une prédication où les pauvres sont insultés et traînés dans la boue, comme celle du misérable Palamas. Apparemment il se trouve toujours mal de sa grande peur de l'insurrection du DfjJ.lOÇ et se venge ignominieusement sur lui du refus essuyé de sa part jusqu'à son entrée dans Thessalonique grâce à l'assistance des Turcs. Nous avons déjà dit que les admonitions aux riches et aux puissants sont anodines. Sans doute il les met en garde contre le grave danger d'être exclus du ciel s'ils ne donnent pas aux pauvres; encore un thème traditionnel des Eglises chrétiennes où la parabole de Lazare et l'homme riche sert d'exemple. 8s Si Palamas fait transpirer que les dons aux pauvres ne doivent pas nécessairement être très grands pour assurer aux riches leur salut, il ne s'éloigne pas de la tradition. 86 Cependant, il surenchérit en suggérant que BEOV {3Àùrrov, ÉqJ' av ovôEiç ÉÀn(oaç Kar1Joxvv811 norÉ, ovôt ràç ôamivaç ovorÉÀÀrov Kai raiç xEpoi ro Çùv nOplÇOJlEVOÇ fi npooazrrov napà rrov Evnopovvrrov OÙV ranElvwoEl, àÀÀ' fi KÀinrl1ç, Àronoôvrl1ç, 'rVJl{3ropvxoç, apnaç YlVOJlEVOÇ fi napaolroç, oVKoqJavrl1ç, (moKplr7jÇ, àYEvff Kai ôovÀonpEnfj KOÀaKt:laç UnEPXOJlEVOÇ npoç roùç txovraç, Èni npooôoK(ç. rou Àa{3Eiv nva nOplOJlOV nap' avrrov. TAp' OVK à8Àlwraroç Éonv a rozouroç nrroxoç, JlaÀÀov ôt oi rozourOl Kai rrov uno rou Xplorov JlaKaplÇOJlÉvrov àÀÀorplwrarol; Bi ôÉ nç EUpE8E(l1 nrroXEurov ÉKOVO(roÇ JlÉv, qJVazWOEl ôÉ nVl JlaÀÀov, àÀÀ' ov oùv ranElvwoEl rouro nparrrov Jll1ôt ôlà r1jv ÉnalvEr1jv nrroXt:lav rov nVEVJlarOç r1jv rpvqJ1jv Kai rov nÀovrov ànOnOlOVJlEVOÇ, Kaz ouroç JllKPOV napanÀ1joloç unapXEl roiç ôa(Jloazv . ÉKt:lVWV yàp 7j JlE8' unEPl1qJav(aç àrp0qJ(a Kaz à Krl1o(a . ..1là ravra «MaKaPZOl», qJl10iv 0 KVPlOÇ, «oi nrroxoi rcp nEVJlan», rovrÉonv, oi ( ...) r1jv àKrl1JlOOVV17V nÀovrov navroç n08ElvorÉpav 7jYOVJlEVOl ...
(ibid. col. 393 B-D -
396 A) 85. Hom. 13, PO 151, col. 164 B; Hom. 62, éd. Oikonomos, p. 278; Hom. 63, éd. Oikonomos, p. 287-89. 86. Hom. 4, PO 151, col. 60 A: Kliv Ei Jl1j rà Évovra navra 8EOqJlÀroÇ
KEvwoal npOalpWJlE8a, àÀÀà Jll1ôt navra nap' Éavroiç àV17Àt:roÇ KaraoxroJlEV . àÀÀà ro Jltv nOl1j oroJl EV, Eiç a ôt ànoÀEl7rOJlE8a, ranElvro8roJlEV Évwmov rou BEOU Kaz rEVçOJlE8a rfjç nap' avrou OVyyvWJll1Ç, rfjç avrou qJlÀav8pron(aç àvanÀl1POVOl1Ç r1jv 7jJlErÉpav
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leurs chances de salut sont plus grandes que celles des pauvres. Les riches font des dons volontaires, tandis que les pauvres sont rarement pauvres de leur propre gré; encore moins contents de leur pauvreté. 87 Comble de scandale, Palamas n'éprouve aucune gêne à se proposer lui-même, du haut de la chaire, en exemple d'un bon chrétien. Il dit qu'il a honte de disposer de vivres et de vêtements suffisants, tandis que d'autres souffrent de la faim et du froid. Combien ceux qui ne disposent pas seulement du nécessaire, mais possèdent du superflu doivent avoir encore plus honte! 88 Que faut-il conclure, sinon que Palamas, issu d'une grande famille aristocratique, considère avoir de grandes chances d'entrer dans le royaume de Dieu? plus que les autres riches, qui, eux, n'ont pas renoncé volontairement à toutes choses dont ils n'ont pas absolument besoin, et plus que les pauvres qui n'acceptent pas leur pauvreté de bon coeur. Nous ne croyons pas que Palamas se soit rendu compte de sa fausseté morale. Que ce théologien tant vanté n'a pas vu qu'il s'écartait des Pères de l'Eglise, ou bien n'a pas cru nécessaire de s'expliquer sur ce point, si tant est qu'il l'ait constaté, est pourtant remarquable. Il a consacré une homélie spéciale à la parabole
ÉÂÂElIJIlV, iva j.lr, rijç ti7rt:vKra{aç, 0 j.lr, yÉvolro, qJwvijç àKOVaWj.lEV ( ... ) «nOpEvEa()E à1l" Èj.lOV oi KarT7paj.lÉvol». 87. Hom. 4, col. 57 C: 'AK"OVaarE Kai EVqJpav()T7rE oaDl 1l'rwxo{ rE Kai ÈVÔEE:ÏÇ . àÔEÂqJoi yap ÈarE Karà rovro rov BEOV. Kâv àKova{wç TirE 1l'rwxo{ rE Kai EvrEÂE:Ïç, ôlà rijç U1l'Oj.lovijç Kai rijç Evxaplarraç ÉKovalOv Éavroiç 1l'Ol7jaaa()E ro àya()6v. 'AKovaarE oi 1l'ÂovalOl, Kai rijv j.laKaplarr,v 1l'rwxt:iav 1l'o()7jaarE, iva KÂ17POv6j.lOl Kai àÔEÂqJoi Xplarov ~~a& Kai r~v dKova{wç 1l'rwXEv6vrwv y v 17 a l dJ r E pOl . KàKE:ÏVOÇ yàp ÉKWV B1l'rdJXEvaE Ôl' T]j.làç.
88. ibid., col. 57 D: 'AKovaarE Kai arEvaçarE oi 1l'EplOp~VrEç KaK~ç 1l'aaxovraç roùç Uj.lErÉpovç àÔEÂqJOVÇ, ( ...) MàÂÂov ôè àKOVaWj.lEV Kai arEVaçWj.lEV . Kai yàp Kai avroç BydJ, 0 1l'POç uj.làç ravra ÂÉYwv, BÂÉYXOj.lal U1l'O rijç avvElô7jaEwç OVK Éçw rov 1l'a()ovç rEÂt:iwç wv . 1l'oÂÂ~v yàp plyovvrwv Kai arEpOVj.lÉVwv, Èj.l1l'E1l'Â17aJ.LÉvoÇ avr6ç t:lj.ll Kai BVÔEÔVj.lÉVOç . 1l'oÂÂov ôè j.làÂÂov açlOl 1l'Év()ovç 01 Kai roùç u1l'èp rr,v Ka()17j.lEplvr,V xpt:iav ()17aavpoùç ÉxovrEç Kai KarÉxovrEç fi Kai avçElv a1l'ovÔa~OvrEç, àya1l'Çlv ciJç tavroùç rov 1l'Â17a{ov 1l'pOarErayj.lÉvDl Kai j.l17ôè ciJç rov XOVV avroùç ÉxovrEç.
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de Lazare et de l'homme riche (Luc. 16, 19-31).89 A première vue elle semble tout à fait orthodoxe. Pourtant un détail surprend. Palamas s'ingénie à prouver que le riche, étant du nombre des pieux, ne brûle pas et n'est pas tourmenté par le feu de l'Enfer, ce qui va absolument à l'encontre du récit de l'Evangile (ainsi qu'évidemment, de l'exégèse des Pères de l'Eglise). Selon Palamas le riche est entouré de flammes et par conséquence souffre terriblement de soif. II demande donc à Abraham de lui envoyer Lazare afin que celui-ci lui humecte la langue. Nulle part il se plaint de la douleur causée par la fumée et le feu; il ne se plaint que de tourments en général. 90 Ainsi, dit Palamas, nous apprenons que l'homme riche n'est pas entièrement séparé d'Abraham et que par conséquent il n'est pas puni aussi sévèrement que l'impie (t5vaaeIJTIÇ), le voleur (iipnaç) etrouvrierd'iniquité (tit5ZKOÇ),
qui, eux, en vérité brûlent dans le feu infernal. Ceux-ci se trouvent dans un endroit plus profond de la géhenne, tant et si bien que la voix d'Abraham ne peut même pas leur parvenir. 91 89. éd. Oikonomos, p. 71-79.
90. ibid., p.77-78: EqJWVT/aE DÉ, È1rElDr, lro-tV ro j.J.Eral;v DuiarT/j.J.a «narÉpa Dt rov 'Af3paàj.J.» npor1x8T/ -tÉYcov, iva DlDax8wj.J.Ev on rou yÉvovç unfjpXE rwv 8EoaEf3wv, K'ai j.J.r, vOj.J.{acoj.J.Ev chç DvaaEf3fj rT/yav{ÇEa8ar rov n-toualOv ÈK'Elvov. ',aç yàp àVE-tEr1j.J.COV K'ai qJl-tr1DOVOÇ nEplEaXÉ8T/ àaf3Éau{J rou nvpoç qJ-toy{, K'alror K'a8' aij.J.a npoar1K'cov TlfJ 'Af3paaj.J.. «'E-tÉT/a6v j.J.E DÉ, qJT/a{v, on oDvvwj.J.al, K'ai nÉj.J.lJlov rov AaÇapov» ( ...) 'E-tEEl j.J.tv 0 'Af3paàj.J. rov Èv qJ-toyi n-toualOv . DIO K'ai rÉK'vov aVj.J.na8wç aùrov K'a-tEl. 'E-tEEl Dt où j.J.lÏ-t-tov, olj.J.al, rfjç K'o-taaEcoç fi rfjç Én ÈVEPYOVj.J.ÉVT/ç Èv aùrq> K'aK'{aç. Ovnco yàp Eiç avva{a8T/alv ry-t8E rwv uj.J.aprT/j.J.arcov, ovnco avvfjK'E DlK'aicoç rT/yavlÇ6j.J.EVOÇ, OÙK' «'E-tÉT/a6v j.J.E», -tÉYEl, «orl Èj.J.avrq> ro nup àVÉK'avaa rouro, Èj.J.avrq> ràç oDuvaç È8T/aaUplaa rauraç . àvri rwv aÙ-twv K'ai rwv K'p6rcov K'ai rwv f3DE-tVPWV fjaj.J.arcov ràç f30àç Éxco K'ai ràç oij.J.coyàç K'ai rovç rou naqJ-taçovroç nvpoç Èn' Èj.J.t qJplK'QJDEararovç 1J16qJovç, àvri rwv 1jDÉQJV oaj.J.wv rov rou nvpoç àrj.J.6v, àvri rwv nEplrrwv f3pcoj.J.t1.rQJv K'ai nOj.J.arcov K'ai rfjç nEpi raura rpvqJfjç rr,v uno rou nvpoç rourov l;T/parvoj.J.ÉVT/v Èaxarwç Y-twaaav K'ai rr,v j.J.ÉXPl aray6voç ÉVDElav, àvri rwv nOpVlK'WV nvpwaEcov o-tov ro aWj.J.a K'araqJ-tÉYEl ro nup». OÙK' ElnE raura, à-t-tà ràç oDuvaç ànOK'-ta{Ero j.J.6vov.
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V. par contre l'exégèse orthodoxe de Jean Chrysostome, De Lazaro Concio 6, PO 48, col. 1036, 1039; De Lazaro Concio 7, ibid., col. 1050. 91. ibid., p. 79: 'OplÏrEon K'ai aùroç 0 'Af3paàj.J. où Duvaral, K'liv È8É-t1J, f30T/8fjaal rOlç ÈK'El K'araK'plrorç; àDla{3arov yàp Elvai qJT/al navri ro
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Nous sommes sûre qu'il ne s'agit pas ici d'un enfantillage ou d'une argutie de rhétoricien ne tirant pas à conséquence. Bien au contraire. En falsifiant le texte de la parabole, l'intention de Palamas est très précise. Lisons l'homélie 13, dans laquelle Palamas exhorte encore une fois les riches à la charité, en évitant de les trop presser. A cette fin, il s'étend sur la coutume du jeûne, citant Esaïe 58, 9-10. 92 Après cela, il en vient à parler du Jugement Dernier et sur ce qui attend les riches à cette occasion:
Si donc vous ne voulez pas donner de ce qui vous appartient, abstenez-vous au moins de saisir ce qui ne vous appartient pas, en vous enrichissant aux dépens des pauvres, tels des injustes et des voleurs (... ) car le Christ, le seigneur de tous, maudissant les malfaiteurs et les condamnant au feu, ne jugera pas ces riches comme des voleurs, mais (seulement) comme des hommes qui n 'ont pas donné aux indigents. Les voleurs et Hies ouvriers d'iniquité" ne ressusciteront même pas au Jugement Dernier. Ils seront jugés auparavant de manière beaucoup plus terrible (que les riches avares), car dans le monde ils ne se sont jamais soumis à Dieu de toute leur âme: Hils dévorent mon peuple comme on mange du pain, ils n'invoquent point réterner' (Ps; 13 (14), 4). L 'homme riche qui s'est vêtu Hde pourpre et de fin lin" (Luc. 16, 19) sera jugé non pas comme quelqu'un ayant été injuste à régard de son prochain, mais (seulement) comme
J.l.BTaçV xaaJ.l.a, wç Kai TOVÇ BÉÀovTaç Dla/lfjvar J.l.'r, DvvaaBal. «M11Dt oi tKeiBBv, CP11az, 1fpOÇ T,J.l.iiç Dra 1fBptiJar v». "EOlKev tVDoTÉpm Tfiç cpÀoyoç ûval TOVÇ aÀÀovç TtiJV KOÀa~OJ.l.Évmv, ovç 0 'A{3paàJ.l. tKBiBev ûvaz CP11alV, àÀÀà Kai acpoDpoTÉpOV 1fBlpiiaBal TOU KoÀaanKOU 1fvp6ç, wç J.l.11Dt DvvaaBar ÀaÀeïv <jÀ,mç. OUTOl D'aV ÛBV oi J.l.eTà TOU àJ.l.eTaD6TOV Tp61fOV Kai Dl' ap1faYfiç 1fÀOVTOUVTBÇ tv Tep vuv aitiJvl (p.e. les Zélotes, v. Hom. 1), KaB' D vuv 0 1fÀovalOç OUTOÇ OUK flnaB11 . ou yàp wç ap1faç Kai aDlKoç, àÀÀ' wç aa1fÀayxvoç Kai cplÀ7]DOVOÇ KaTaKpzvBTal J.l.6vov. IIpoç DV CP11aiV 0 'A{3paàJ.l. wç t1fBi TOV à1foÀavanKov Kai aVBTov Kai DrappÉovTa {3(OV TOU tyKpaTouç 1fPOBTZJ.l.11aaç, ODVV17 Kai BÀZl/flÇ Kai aTBvoxmp(a VUV aB 1fBplÉaxe DlKazmç ...
92. Ces vers d'Esaïe concernant les véritables jeûnes furent cités régulièrement par les théologiens byzantins afin d'appeler l'attention des croyants sur leurs devoirs; v. par exemple Théodore Balsamon, Ep. de jejuniis, PO 138, col. 13;7.
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quelqu'un n'ayant pas donné aux pauvres une portion de ce qu'i! possédait. 93 Il Y a une tradition ancienne selon laquelle certaines catégories d'hommes ne seront pas présentes au Jugement Dernier. Les saints d'une part iront tout droit au Paradis, les infidèles et les pires des pécheurs (les lic5lKOl) d'autre part seront dès leur mort soumis aux tortures de l'Enfer. Au Jugement Dernier paraîtra la vaste majorité des hommes. Ceux, ayant fait pendant leur vie le bien comme le mal, seront mis dans la balance. La philanthropie de Dieu assure le pardon à beaucoup d'hommes. En outre ils disposent eux-mêmes d'un grand nombre de moyens de fléchir le Tout-Puissant; par exemple des donations à l'Eglise, les messes des morts etc. 94 Dans ce cadre, la différence élaborée entre les lic5lKOl et les riches qui n'ont pas donné aux pauvres, est décidément hétérodoxe. Palamas se réfère de nouveau à la parabole de Lazare et l'homme riche. Toutefois, dans l'évangile, nous l'avons déjà dit, le riche, prototype de l'homme riche qui ne donne pas au pauvre, va tout droit en Enfer. En conséquence, l'homme riche de la parabole est chez les Pères de l'Eglise lic5lKOÇ. 93. Hom. 13, col. 161 D-164 A: Bi ~t Jlil rà oiKeia ~l~oval {3ouÀel, KtÏV nov àÀÀorp{rov ànÉXov Kai Jlil Karexe napà aeavrcp rà Jlil aa, Ka(}apmiÇrov Kai nÀovrrov ËaTlV ore Kai napà rrov nevearÉprov à~{KroÇ ( ...) Bi Jlil ~{~roç ro{vvv ÈK rrov arov nÉVT/Tl, Kai raura neplrrrov ovrrov, KtÏV Jlil Krro raura Karà rou nÉVT/roç . Ka{rol 0 mlvrrov ~eanorT7ç Xplaroç roDç rfiç àplarepàç Jlep{~oç Biç rD nup ànonÉJlnrov Kai KarapWJlevoç, ou Kara~lKaÇel rourovç chç apnaraç, àÀÀ' chç Jlil Jlera~ovraç rcp ~eoJlÉvqJ. OUKOUV ol apnareç Kai a~lKol ou~t àvaanjaovral elç napaaraalv Kai Kp{alv, àÀÀ' Biç Kara~{KT7v eu(}Dç Jlelçova Kai Karaxplalv, Ènei Kàvrav(}' chç ËOlKev ourol oU~Énore oÀroç ÈK IJIvxfiç rcp Becp napÉarT7aav. «Ol ràp Èa(}{ovreç», qJT7a{, «rov Àaov JlOV Èv {3pwael aprou, rov Beov OUK ÈneKaÀÉaavro». tO nÀoualOç ou eUqJoPT7aev r1 xwpa Kai 0 nopqJupav Kai {3uaaov Èv~e~vJlÉvoç, oux chç à~lKJjaavrÉç Tl va, àÀÀ' chç Jlil Jlera~ovreç rrov ÈKelVOlÇ KrT70Évrrov ~lKa{roç Kara~lKaÇovral . K01Và ràp ÈK KOlVrov raJlelrov rrov rov Beou KTlaJlarrov rà 0T7aavp{aJlara. 94. Consulter DTC, s.v. Jugement (Dernier); M. Jugie, La Doctrine des Fins Dernières dans l'Eglise Gréco-Russe dans Echos d'Orient 17(1914), p. 7-22, p. 209-228, 402-21. V. encore notre Théodore Métochite. Une réévaluation, p. 98-99.
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Il semble que Palamas ait abusé d'une manière inadmissible de certains passages des Pères de l'Eglise. Jean Chrysostome dit en effet que les voleurs seront punis plus sévèrement que les riches manquant de charité, mais cela n'empêche pas que les uns comme les autres iront incontinent en Enfer. 9S Même si le saint ne condamne pas chaque riche individuellement96, l'à8zKia est toujours à l'origine des richesses. L'homme riche, même s'il est juste, demeure toute sa vie l'héritier d'un ti8zKOÇ.97 Jean Chrysostome a beaucoup réfléchi sur le sujet. Dans sept oraisons sur Lazare, il donne une analyse de la différence entre la richesse et le vol. Palamas y a lu sans doute ce qui suit:
Tous ceux auxquels nous avons fait tort et qui ont souffert de notre injustice, paraîtront alors devant nous (comme Lazare devant l'homme riche). Il est vrai que l'homme riche de la parabole n'avait pas commis une injustice bien définie contre Lazare. Il ne l'avait pas dépouillé, seulement il ne lui avait rien donné de ce qu'il possédait. Si même celui qui n'a pas donné du sien est accusé par la personne à laquelle il a manqué de charité, comment pourrait être pardonné celui qui a dépouillé d'autres hommes qui l'entoureront alors?98 C'est déjà toute autre chose que l'énoncé de Palamas. Mais il y a plus. Chrysostome en arrive à la conclusion suivante:
. .. ne pas donner de ses possessions équivaut au vol. Vous vous étonnerez peut-être de ce que je dis, mais ne soyez pas 95. In Ep. ad Cor. (Hom. 16), PO 61, col. 138. 96. Enarratio in Ps. 44 (Hom. de capto Eutropio et de divitiarum vanitate) PO 52, col. 399. Dans cette homélie Chrysostome se montre plus indul-
gent envers les riches qu'en d'autres occasions. 97. In Ep. 1 ad Tim. (Hom. 13), PO 62, col. 562-63. 98. De Lazaro Concio 2, PO 48, col. 987: 'Ano rovnL)v j.lavOci:voj.lSV on nci:vrsç oi nap' 1]j.lrov ÈnTfPsaÇ6j.lSVOl Kaz àDlKOVj.lSVOl Karà np6aronov 1]j.lrov aT71aovral r6rs. Ka{rOl ovroç oÙDtv rlD{KTfrO napà rou nÂ.ova{ov . où yàp rà ÈKs{VOV élaf3s XPr1j.lara 0 nlovaroç, àllà rrov Éavrou où j.lSréDroKsv. Bi Dt rrov Éavrou j.lil j.lSraDlDoùç Karr1Yopov éxsl rov OÙK ÈlsTfOévra, 0 Kaz rà àll6rpza apnci:çaç no{aç rsvçsral avyyvwj.lTfÇ, navrax60sv aùrov nsplsarwrrov rrov rlDlKTfj.lévrov;
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étonnés, car je vous vais offrir un témoignage de rEcriture Sainte ... 99 Grégoire de Nazianze n'a pas écrit de longues dissertations sur le sujet. L'homme riche de la parabole est èit5lKOÇ et quiconque l'imite brûlera pour l'éternité. loo Si, comme Chrysostome, Basile le Grand parle parfois des différences entre les riches et les ac5lKol, il s'étend beaucoup plus sur ce qui fait ressembler les uns aux autres:
Celui qui dérobe les vêtements de quelqu'un, sera appelé un voleur. Mais celui qui ne vêt pas le prochain qui est nu, alors qu'i! pourrait le faire, quel autre nom mérite-t-i/? Le pain que vous mangez appartient au pauvre, le vêtement que vous gardez dans votre armoire appartient à celui qui est nu, les chaussures qui s'usent chez vous, elles appartiennent aux nu-pieds, l'argent que vous enfouissez appartient aux indigents. Ainsi faites-vous tort à autant de gens que vous pouviez en aider. 101 Aussi Basile conclut-il, en citant Matthieu 25, 41 (Allez loin, de moi, maudits, dans le feu éternel etc): Non, ce n'est pas votre rapacité que ron condamne ici, mais votre refus de partage. 102 99. ibid. ,: '/80ù yap, qrl1a{v, IiV(JPWlroÇ Kai 'l'à lpya aù'l'où . Kai yàp Kai roùro apnaYil ra J.lil J.lEra80ùval nov ovrwv. Kai 'l'axa vJ.liv (JaVJ.laarav Elval 80KEi ra ÂEyOJ.lEVOV, àÂÂà J.lil (JaVJ.laaryrE . J.laprvp{av yàp vJ.liv àna nov (JEiwv napÉç0J.lal rpaq){JJv ÂÉyovaav, on où ra 'l'à àÂÂo'l'pra apnaÇElV J.lOVOV, àÂÂà Kai ra rmv tavroù J.lil J.lEra8l8oval trÉpolç Kai 'l'oùro apnaYil Kai nÂEovEç{a Kai ànoa'l'ÉpT/a{ç tarl. C'est le passage qu'Antonios (lIe siècle) insérait plus tard dans sa Melissa (PO 136, col. 900 B). Chrysostome répète son jugement à la fin du discours (col. 992). Il se réfère à Mal. 3, 10 et Sir. 4, 1. 100. De pauperum amore (Or. 14), PO 35, col. 904 B-C. 101. Hom. in divites, PO 31, col. 276 C-277 A: Ev 8t où nÂEovÉKrl1ç; av 8t OÙK ànOarEpT/rryç; li npaç OlKOVOJ.l{av t8Éçw, raù'l'a i8la aEavroù nOlOVJ.lEVOÇ; 'H 0 J.ltv tV8E8vJ.lÉvov Âwn08vrT/ç ovoJ.laaOr1aEral, 0 8t 'l'aV yvJ.l vav J.l il tv8vwv, 8VVaJ.lEVOÇ roùro nOlEiv, IiÂÂT/ç nv6ç tan npoaT/yop{aç IiÇlOÇ; Toù nElvmvroç tanv 0 liproç, 0 av qJVÂaaaElÇ tv àno(JryKalç . 'l'OÙ àvmro8Érov ra vm58T/J.la, 0 napà aoi KaraarynE'l'al . 'l'OÙ xptKovroç ra àpyVPlOV, 0 Karopvçaç lXElÇ. "Da'l'E roaovrovç à 8 l K E i ç, oaolç napÉXElv t8vvaao. 102. ibid., col. 277 C: Où8t yàp tKEÏ 0 tipnaç tYKaÂEiral, àÂÂ' 0
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Nous verrons qu'il y avait encore du temps de Palamas des gens qui pensaient comme les Pères l'Eglise. Le patriarche Athanase va jusqu'à dire que celui qui ne donne rien aux pauvres doit être censé ravoir tué. 103 Palamas a rassuré sans aucun doute explicitement les riches sur leurs chances de salut éternel, ce qui va à l'encontre de toute la tradition orthodoxe concernant les devoirs des riches. Il les a laissés faire simplement ce qu'ils voulaient dans leur vie terrrestre. Il est d'ailleurs inouï qu'un évêque théologien donne des informations rassurantes sur le Jugement Dernier à une certaine section de ses ouailles. Dans une seule homélie, Palamas sévit contre les autorités parce qu'ils insultent et exploitent les pauvres impitoyablement, en leur imposant des impôts excessifs. Il s'agit pourtant des intérêts de l'Eglise. Il s'avère que les injustes percepteurs du fisc dont Palamas se plaint si passionnément, n'ont même pas épargné les moinespo 4 C'est une des plaintes innombrables de toutes les EgliàKOlVWVTrroç Kara Kplvsral. Cf Hom. de jejuniis, ibid., col. 177 A: t.Pof3rjOl1Tl rD vn68slYjla rov nÀovalov. 'EKSîvov napt&iJKS np nvpi 1] 8là f3lov rpvqJrj. Où yàp à8lKiav, àÀÀà rD àf3po8ialrov ÈyKÀ110siç ànsrl1yavi(sro Èv rfi qJÀoyi rijç Kajllvov. N'oublions pas, par ailleurs, qu'en
réalité les Pères de l'Eglise ne firent pas grand'chose pour mettre une bride à la rapacité des riches de leur temps, parmi lesquels les ecclésiastiques se distinguaient par leur insatiabilité. Dès le 4e siècle "the huge army of clergy and monks were for the most part idle mouths, living upon offerings, endowments and state subsidies" (A.H.M. Jones dans The Later Roman Empire, Oxford 1964, 1. 2, p. 933; pour des détails sur la rapacité du clergé séculier et des moines voir le même volume, particulièrement p. 771, 894-937). Toutefois, les Pères de l'Eglise avertissaient les riches et non pas les pauvres des dangers auxquels il exposaient leurs âmes, se tenant en cela plus proches de l'évangile que Palamas qui parfois va même à son encontre pour des raisons toutes mondaines. 103. Vat. gr. 2219, f. 103 r , cité d'après J.L. Boojamra, Social Thought and Reforms of Athanasios of Constantinople dans Byzantion 55(1985), p. 332-82, ici p. 372-73. Athanase se réfère à Sir. 34, 22. V. en outre notre
chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 254. 104. Hom. 63, éd. Oikonomos, p. 287. C'est le seul passage des homélies de Palamas cité par Meyendorff in extenso (op. cil. , p. 156). Les passages de l'homélie 4 que nous venons de signaler ont été remplacés par Meyendorff par des points (ibid., p. 397); ceux des homé191
ses chrétiennes chaque fois que l'Etat saisissait des biens ecclésiastiques. l05
*** Les riches et les puissants de Thessalonique savaient évidemment très bien se débrouiller sans Palamas. S'il s'évertua à les cajoler, il resta pourtant pour eux un "outsider", sans utilité dans leurs affaires. Jean Paléologue, sans manifester de véritable intérêt à son égard, l'employa au besoin comme médiateur dans sa lutte avec Cantacuzène, qui de son côté se méfiait de l'archevêque. 106 Le peuple de Thessalonique le haïssait, les moines de lies 13 et 31 ont été simplement omis. Meyendorff appelle même l'homélie 4 "un véritable éloge de la pauvreté" (ibid.) Il veut en outre que l'homélie 45 (éd. Oikonomos, p. 40-49) "s'attaque aux excès commis par les prêteurs" (ibid., p. 396-7). Palamas prêche à cette occasion sur les paroles bibliques: Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de même (Luc. 6, 31-32). Sans doute il y réprouve les usuriers, mais il se déchaîne beaucoup plus contre le mécontentement et l'ingratitude du peuple rebelle! Voir supra, note 83, où nous avons cité à notre tour ce passage in extenso. Ajoutons enfin à notre analyse des homélies de Palamas une remarque d'A.E. Laiou-Thomadakis: "Even in their performance of miracles, the saints of Philotheos [Kokkinos] favored the aristocracy: the great majority of their miracles were performed for members of the upper class. This is particularly the case with Saint Gregory Palamas and Saint Isidore, both of whom served as high members of the secular clergy, lived in cities, and were in close contact with the Byzantine aristocracy. Saint Gregory Palamas performed a number of miracles - mostly cures - for aristocratic families from Thessaloniki and from the rest of Macedonia, Adrianople, and Thessaly; one particularly rich and powerful family from Veroia, that of Tzimiskes, was honored with three miracles. Only in one case was the recipient of the Saint's benevolence a poor woman" (Saints and Society in the Late Byzantine Empire dans Charanis Studies (Essays in Ronor of Peter Charanis), New Brunswick, 1980, p. 84-114, citation p. 104). 105. Cf le discours de Nicolas Cabasilas édité par I. Sevcenko, Nicolas Cabasilas'
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l'Athos lui savaient mauvais gré des difficultés qu'il avait créées en rejetant les propositions d'Etienne Dusan. Bref, il était complètement isolé, ce qui était dû à ses propres mécomptes politiques dès le début de sa carrière. Plus astucieux qu'intelligent il avait perdu la confiance de tous. A la question de Grégoras: pourquoi Palamas ne fut-il pas racheté des Turcs par ses amis? voilà, après de longs détours, la réponse très simple: dans tout l'empire byzantin il n'avait pas d'amis, excepté une poignée de palamites ardents, eux-mêmes impuissants. Ainsi nous nous trouvons de nouveau en présence de la Lettre à son Eglise de Palamas. Après avoir fait la connaissance de la version fabriquée par Grégoras, nous arrivons enfin au texte authentique de l'auteur. 107 L'introduction comprend une louange de la Providence Divine, suivie d'une énumération des avantages que Palamas se promet de sa mésaventure. Il y voit en premier lieu une occasion à prêcher l'évangile aux Turcs. Après cette introduction il décrit les péripéties de sa capture et de son transport sur le continent anatolien. On s'arrête à Lampsakos où la population chrétienne reconnaît Palamas et l'acclame. Le chef des pirates comprend alors qu'il a fait un captif important et se propose d'exiger une grande rançon. Il commande ses compagnons de torturer Palamas afin que celuici comprenne le sérieux de ses exigences. Les tortures ont lieu le septième jour de sa captivité. Souffrant terriblement il est transmé son fils Matthieu co-empereur et déposé formellement Jean Paléologue (avril 1353); le sacre de Matthieu eut lieu en février 1354. Cantacuzène ne voulait évidemment plus négocier. A ce moment Jean Paléologue se trouvait à l'île de Tenedos. Certains historiens croient que le voyage de Cantacuzène et Matthieu à Tenedos pendant l'été de la même année avait pour but une réconciliation avec Jean. Cantacuzène lui-même le suggère (IV, cap. 39, Bonn III, p. 281 sqq). Cependant, J. Gill dit avec raison: "Cantacuzenus describes the raid as a friendly visit, but arrivaI unannounced at the back door with one's greatest rival and an armed force is hardly a friendly act. Gregoras (III 241) gives greater detail and puts it in its true light" (John VI Cantacuzenus and the Turks dans Byzantina 13(1985), p. 57-76, ici p. 71, note 14). 107. La lettre de Palamas a été éditée antérieurement. Nous avons utilisé l'édition critique de Mme A. Braat-Philippidis, La captivité de Palamas chez les Turcs: Dossier et commentaire dans Travaux et Mémoires 7(1979), p. 109-221. Le texte se trouve aux pages 137-65.
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porté à Pegai, où le chrétien Mavrozoumes l'accueille hospitalièrement. Palamas reste à Pegai pendant trois mois et se met tout de suite à sa tâche pastorale parmi les habitants et les captifs chrétiens, en se remettant un peu de ses souffrances. Il est conduit ensuite à Brousse, la résidence d'Orkhan, puis dans un village aux environs de la ville. Il est maintenant séparé des autres captifs et traité avec plus d'égards. A peine arrivé dans son nouveau séjour, il a sa première dispute avec un islamique, à savoir Ismael, petitfils d'Orkhan. Tout se passe d'une manière très agréable, Ismael l'invitant même à un "déjeuner sur l'herbe" en présence de quelques Turcs de qualité. Palamas explique les dogmes chrétiens et on s'entretient sur le sens du devoir de faire l'aumône. Plus tard Palamas apprend qu'Ismael, qui s'est montré si avenant, est un ennemi acharné des chrétiens. Après la dispute Palamas est amené devant Orkhan. Il est ensuite placé quelque part près de la résidence, à proximité du séjour des envoyés de l'empereur de Constantinople, qu'il fréquente régulièrement. Le Grec Taronites, médecin ordinaire d'Orkhan, a soin de le faire transporter à Nicée, dont l'air convient mieux à son état de santé. Avant son départ pour Nicée, Orkhan lui ordonne de disputer avec le théologiens de son entourage. Palamas parvient plus d'une fois à les embarrasser, jusqu'à ce que l'un d'entre eux se fâche a point de le gifler. Les autorités turques présentes s'en indignent et prennent sa défense. D'ailleurs d'autres théologiens l'avaient applaudi. Taronites, présent lui aussi, fait de la dispute un compte rendu que Palamas ajoute à sa Lettre. Pendant le voyage à Nicée il s'entretient de nouveau avec les barbares. S'il racontait comment ils posèrent des questions et comment ils furent contents de ses réponses, ce serait d'un très grand agrément aux oreilles des chrétiens. A Nicée, il choisit sa demeure à proximité du couvent de St Hyacinthe, où habitent la plupart des chrétiens de la ville. Palamas a de nouveau des disputes théologiques avec des Turcs. Elles commencent dans une atmosphère agréable, mais tournent à l'aigre quand Palamas déclare que l'Islam ne fait des conquêtes que par le glaive, tandis que la religion chrétienne est reconnue partout sans intervention de la violence. Palamas à la fin sait pourtant apaiser la situation. Suit un long épilogue où Palamas exhorte passionnément son Eglise, ainsi que tous les autres lecteurs de la Lettre, à pratiquer les vertus chrétiennes. 194
Arrêtons nous un instant pour donner un commentaire provisoire. Nous posons tout d'abord avec énergie que la lettre de Palamas ne vaut pas grand'chose en tant que témoignage sur la vie des chrétiens en Anatolie sous le joug turc. Si d'autres y ont vu une preuve de la tolérance turque, Palamas nous raconte en réalité ce que nous savons déjà par d'autres sources, c'est-à-dire qu'il y avait toujours des chrétiens en Anatolie, habitant des ghettos autour d'une certaine église ou d'un certain couvent. Si, par exemple, la communauté chrétienne de Nicée était en si bon état, pourquoi Palamas ne pouvait-il trouver des coreligionnaires qu'à proximité de St Hyacinthe, tandis qu'il existait au moins plus de vingt monastères à Nicée sous le gouvernement byzantin? Est-ce une preuve de la tolérance religieuse des Turcs qu'on ne fait plus mention du couvent de St Hyacinthe après la lettre de Palamas? 108 Qui lit la lettre attentivement s'aperçoit que Palamas parle presqu'exclusivement de soi-même. Nous apprenons que les chrétiens de Lampsakos se lamentent sur leur sort, demandant à Palamas comment Dieu peut tolérer leur misère. 109 Pour le reste, peu ou pas de mention de chrétiens. Les chrétiens de Brousse, pour autant qu'ils ont encore des notions sur les dogmes chrétiens, l'assaillent de questions mais il ne peut pas leur répondre comme il veut à cause de la présence des Turcs. llo Nous n'entendons rien non plus sur la vie des chrétiens de Nicée. On s'aperçoit seulement qu'ils sont toujours là. C'est tout pour ce qui est des chré108. V.R. Janin, La géographie ecclésiastique de l'empire byzantine. T. 3, Les églises et les monastères, Paris 1953, p. 122. 109. éd. Braat-Philippidis, p. 143-5: 'HJ.làç 8' tKû (sc Larnpsakos) Kai àv8pwv Kai yVValKWV Kai na {&.ov, EV rarE, nEplEXÛrO nÀij(}oç avxvov, rwv J.ltv rà Ka8' Éavrovç tçayyÉÀÀElV Kai rr,v (}Epanûav ÀaJ.lf3avElv rwv Karà lJIVXr,v voa7JJ.lanov tm(}VJ.l0vvrCtJv, rwv 8t ànoplWv nvCtJv nEpi 1'0 aÉf3aç ÀValV, rwv 8t nÀElOvCtJV rr,v air{av ànalrovvrCtJv rijç nEpi 1'0 r,J.lÉrEpOV yÉvoç napà (}EOU tYKaraÀâlJlECtJç, ÉrÉpCtJv 8t Kai àno8vpoJ.lÉvCtJv aVJ.lna(}wç rr,v Kar' tJ.lt aVJ.lqJopav. 110. ibid., p. 145-7: Tp{CtJv 8É nov napappvÉvrCtJv J.lijvCtJv, cbç ÉqJ(}7JV Einwv, apnayÉvrEç olov XEpaiv àvoJ.lCtJv tKEï(}EV, rErapraîOl npoç rr,v llpouaav ày0J.lE(}a. "Ev(}a rwv XPlanavwv oi 8wqJÉpovrEç tni avvÉaEl avvrvyxavovrEç r,J.lîv Kai ç7Jr7JJ.larCtJv ftnrovro J.lmçovCtJv Kai raura J.lr, Karà Kalpov . nEplarolxouvrEç yàp 7}aav oi f3apf3apol . àÀÀ' oi rijç EvaEf3âaç àVnnOlOVJ.lEVOl nap7Jrouvro rr,v àKalp{av, rov tpouvra nEpi cbv tno(}ovv, cbç t80KOVV, ànpoa8oKJjrCtJç un' OlJllV ÉxovrEç.
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tiens d'Anatolie. Depuis son séjour à Brousse, Palamas ne parle plus que des Turcs. Il fait grand cas de ses efforts de les convertir. Même s'il dit la vérité (l'approbation enthousiaste des Turcs à Brousse semble d'ailleurs très suspecte), Illon peut seulement conclure que les Turcs ont laissé parler leur illustre captif. On ne s'est jamais rendu compte des intentions précises de la . Lettre à son Eglise de Palamas. Si l'on pense qu'il a voulu édifier la communauté de Thessalonique par lettre puisqu'il n'était plus à même de le faire de vive voix, on se méprend fâcheusement. 112 Il n'y a presque rien dans la lettre qui témoigne d'une préoccupation du sort des chrétiens de Thessalonique. Le souci du sort de Palamas lui-même est au centre de la lettre. Dirigeons notre attention sur quelques singularités paléographiques et philologiques du texte. On constate qu'il s'agit d'une lettre factice et composite, composée de plusieurs parties rédigées au préalable. 113 Nous suivons la division en paragraphes, faite par l'éditrice qui a été la dernière à publier le texte. Les paragraphes 1 à 3 forment une introduction théologique de caractère général et sont adressés à un public indéfini. La relation de voyage commence au paragraphe 4. Elle s'adresse à des amis qui s'inquiètent de son sort et lui demandent des informations. Jusqu'au paragraphe 17 il s'agit d'une lettre personnelle écrite précédemment, excepté le paragraphe 8, qui est une addition d'une date ultérieure. Dans les paragraphes en question Palamas raconte tout franchement sa peur à l'approche des pirates turcs, et s'étend ensuite longuement sur son calvaire. Il est peu croyable qu'il ait eu l'idée de consoler ses ouailles par ce récit de ses propres souffrances. Les paragraphes 18· à 30 forment également un tout sous l'aspect littéraire. Cette partie était sans doute originairement une lettre personelle, adressée à un ou à quelques destinataires. Elle nous a été en grande partie transmise à part et est connue sous le titre Lettre à un anonyme. Les derniers paragraphes - 31 à 35 - forment une sorte d'épilogue. Ils se distinguent des autres parties de la Lettre à son Eglise par le style et par le caractère; il s'agit sim111. L'éditrice le dit elle-même, p. 115. 112. Meyendorff, op.cit., p. 377. Palamas "ressent intensément le lien qui continue à l'attacher à son diocèse". 113. Pour ce qui suit v. Braat-Philippidis, p. 109-16.
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plement d'une homélie~ Enfin il y a encore la relation de Taronites, connue sous le titre de Dialexis. Cet écrit a été transmis en deux versions, l'une plus élaborée que l'autre. La plus longue a été ajoutée à la Lettre à son Eglise. On peut présumer que l'élaboration est due à Palamas lui-même. 1 14 Les paragraphes 31 à 35 ont été écrits les derniers; de même que l'introduction, ils ne sont pas transmis à part. Pour citer l'éditrice, "La rédaction de cette dernière partie doit se situer au moment où Palamas, mettant à profit des textes déjà écrits, compose sa longue Lettre à son Eglise. 115 Il est certain que Palamas rédigea la Lettre à son Eglise dans sa forme définitive pendant sa captivité et l'envoya à Const1antinople. La lettre, adressée formellement à l'église de Thessalonique, s'adresse en réalité au public en général, ce qui ressort du premier alinéa." 6 Grégoras, qui connaissait la lettre et en a utilisé le texte, nous apprend que les partisans de Palamas se donnèrent la peine de la faire circuler afin de la rendre publique. 117 Philothée lui-même nous raconte qu'à maintes reprises les palamites la lirent devant un vaste public et affirme qu'elle produisait une impression stupéfiante sur les auditeurs. 118 On se demande pourquoi . Palamas s'adressa au grand public,afin de lui faire savoir des choses dont ses amis avaient déjà connaissance. Nous sommes sûre qu'il n'avait d'autre but que d'obtenir ainsi l'argent nécessaire à son rachat. En effet, il voulait "mettre à profit des textes déjà écrits"! Il s'agit de propagande pour sa mise en liberté au moment où aucune personne d'importance ne se souciait de lui. Il est possible que l'initiative ait été prise par un de ses amis, peut-être Philothée. 114. ibid., p. 116. 115. ibid., p. 112. 116. ibid., p. 137: Tov av'fov Èma'foÀ1j, ijv Èe; 'Aazaç, aiXJ.LCiÀCO'fOÇ cOY, 7fPOÇ 'l"7)v Éav'fov ÈKKÀ.T/aZaV à7fSa'fêlM:v. '0 'fa7fêlVOç JlT/'fp07foÀirT/ç @êaaaÀovZKT/e; 7fiial 'foiç Èv ayzcp 7fVêVJ.La'l"l àya7fT/'foiç Kat 'fSKVOlÇ Kat à5êÀqJoiç 'ffjç ÈJlfjç 'fa7fêlVO'fT/'fOç, 'foiç 'fê BêoqJlÀêa'fa'fOlç ÈmaK07fOlç Kat 'foiç ÈKKÀT/araa'l"lKOiç apxoval Kat 51' av'fc:Ov 7fiial Kat JlaÀla'fa 'foie; 'fà ~JlS'fêpa 7foBovarv êi5sval . BÀêOÇ vJliv aimvlOv 7fapà BêOV Kat xaplç Kat êip1jVT/ 7fÀT/BvvBêlT/.
117. Orégoras, XXIX, Bonn III, p. 231. 118. Eloge de Palamas, PO 151, col. 626 C-D; éd. Tsames, ch. 102, p. 551.
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A cette lumière, il importe de scruter une à une chacune des parties dont consiste la lettre en son entier. Les textes originaux avaient été écrits par Palamas à ses amis hésychastes qui en toute sincérité voulaient savoir où il en était, tout prêts à s'employer pour lui auprès des autorités byzantines. La première lettre personnelle, à laquelle selon toute probabilité Palamas avait joint la Dialexis, a été écrite quelques jours après l'arrivée à Nicée. 1 19 La deuxième lettre personnelle (la Lettre à un Anonyme) date de peu après, peut-être quelques semaines. Dans ces écrits Palamas fait part à ses amis de ce qui lui est arrivé, mais s'étend surtout sur ses activités missionnaires, se vantant de son succès d'une manière très suspecte. Il faut noter que l'enthousiasme de Palamas pour cette tâche date du moment qu'il constata qu'elle ne le mettrait pas en danger. Il considérait sa captivité non seulement comme une punition de Dieu, mais encore comme un don de Dieu lui donnant la chance de porter l'évangile aux Turcs païens (pourquoi n'avait-il pas saisi cette occasion plusieurs années auparavant quand ces païens étaient à sa proximité, ravageant l'Europe en alliés de Cantacuzène?). Dans ces premiers documents (les lettres personnelles et la Dialexis, rédigée par Taronites) Palamas s'abstient délibérément d'une critique trop sévère des Turcs. Il ménage surtout les Turcs de Brousse et de Nicée; après tout ils sont toujours les alliés de Cantacuzène qui peut-être réussira à les persuader de le mettre en liberté. Il est clair que la Dialexis a été ajoutée dans l'intention d'impressionner les autorités byzantines; le nom de Taronites sert à garantir l'authenticité et l'objectivité du document. l2 o. De cette manière nous trouvons une explication du paragraphe 8, addition d'une date ultérieure. Après avoir attendu de nombreux mois, Palamas comprit enfin qu'il ne pouvait plus compter sur Cantacuzène. S'adressant alors au public byzantin en général, qui avait les Turcs en horreur, il lui donna ce qu'il aimait entendre, une longue et violente diatribe contre l'Islam en général et contre les Turcs en particulier, "un texte clos et achevé" .121 Bien 119. C'est-à-dire juillet 1354. V. Lettre à son Eglise, p. 151. 120. Cf Braat-Philippidis, p. 114-16. On trouve la Dialexis aux pages 169-85. 121. Braat-Philippidis, p. 112. La diatribe "constitue, au milieu d'un texte brusquement interrompu, un corps étranger qui étonne et gêne".
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qu'il ne raie pas les passages sur l'évangélisation des Turcs, ceuxci sont devenus tout d'un coup des esclavagistes, des brigands, des assassins, des adultères, des sodomites. 122 Auprès des passages onctueux sur la patience de ces derniers à l'entendre parler des vérités chrétiennes, cette invective rend un son étrange. Palamas termine cette digression par les mots: C'est ce que je pense d'eux, maintenant que j'ai connu plus précisément leur vie. 123 Comme si les Byzantins qui savaient lire et le connaissaient de près, avaient oublié que ses parents étaient arrivés à Constantinople sans le sou, en réfugiés d'Anatolie; qu'il avait dû lui-même quitter l'Athos pour échapper aux Turcs! Comme s'il ne savait pas parfaitement lui-même ce qui s'était passé pendant la guerre civile! Et que dire du passage où il décrit la grande peur qui s'empara de lui au moment que les pirates turcs s'approchèrent de son navire:
... comme tout se déroula sous nos yeux, nous suppliâmes le capitaine de retourner à Ténédos pour ne pas devenir par occasion une proie pitoyable des Turcs; et comme il ne cédait pas à nos instances, nous lui offrîmes des cadeaux et promîmes de grosses récompenses, ayant le malheur d'avoir juste à ce moment un tel capitaine - plutôt un naufrageur auquel nous nous étions confiés étourdiment; nous lui montrâmes que le danger était imminent et inévitable ... 124 122. ibid., p. 143. Pour la dernière fois signalons le sans-gêne avec lequel tant d'auteurs de l'époque se contredisent d'une manière flagrante dans leurs oeuvres, souvent dans l'espace d'une seule page ou même d'un seul alinéa. Nous avons parlé à ce sujet à un autre endroit de primitivisme. Puisqu'apparemment aucun lecteur de cette époque n'a éprouve ces façons singulières comme une insulte à son bon sens, ni ne s'est aperçu de fraude, il faut supposer qu'il s'agit d'un amoindrissement des capacités d'analyse de l'élite byzantine en rapport avec la décomposition de la culture en général. 123. ibid., p. 143: OUTWÇ tyciJ lŒpi rovrwv c5laVOOVJlal rà Kar' avroùç vvv Eic5dJç àKplf3éarspov. Ce que Palamas écrit dans ce paragraphe est d'ailleurs tout à fait conforme aux opinions et aux accusations traditionnelles qu'on retrouve dans toute la polémique byzantine contre l'Islam. Voir A. Ducellier, L'Islam et les Musulmans vus de Byzance au XIVe siècle dans Byzantina 12(1983), p. 95-134; Vryonis, Decline, p. 421-36 avec bibliographie. 124. ibid., p. 141: ... bŒi ravr' 7]V un' 61f1lV r,JllV, rav Kvf3EpVJjrT/V
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Deux autres additions ultérieures méritent encore l'attention. La première est l'introduction théologique. Nous avons déjà vu que Palamas y traite de la Providence Divine. II la défend entre autres contre ceux qui nient son existence et osent même dire que n{anç et àpST17 sont des choses vaines et ne servent à rien. 125 II se peut que la détresse extrême où se trouvaient tant de gens simples ait provoqué parfois un affaiblissement de la foi. 126 C'est du moins plus croyable qu'un renforcement de la foi des masses, causé par la doctrine nouvelle sur la lumière de Thabor et les Èvépyszaz divines. Quoi qu'il en soit, Palamas continue en écrivant que d'autres ne nient pas la Providence Divine, mais tombent dans des erreurs affreuses du point de vue théologique; ils croient que les infortunés ont eux-mêmes causé leur malheur par leurs mauvaises moeurs. Ils considèrent donc le rapport entre le péché et sa punition comme une concaténation toute matérielle de cause et effet au niveau terrestre. Par sa propre expérience Palamas voit clairement que la Providence Divine l'a rendu malheureux pour effectuer le Bien sub specie aeternitatis. Sa captivité (un mal en soi) lui paraît un don de Dieu, puisqu'elle lui procure l'occasion de prêcher l'évangile aux Turcs afin qu'ils soient sans excuse devant ce très redoutable tribunal à venir, qui est déjà proche. 127 Si, en outre, il considère sa captivité comme un léger châti-
EÀl1CapOVJ.lEV a1CavTEç E1CaVlÉvar 1CPOÇ TÉVE80v, iva J.l'r, 680v 1C(iPEPYOV OVTC:OÇ 7]J.lÛç à8Àic:oç Toïç TOVPKOlÇ YEvoiJ.lE8a . Kai 8ilJpa Tovnp 1CpOGEq>ÉPOJ.lEV à1CEl80vvn Kai J.llG80vç éx8povç E1CT/rYEÀÀ6J.lE8a 1C(IVTEÇ, Dl 8vGrvxilJç EKEivqJ TT/VlKaVTa KVfJEpV7jTfI XPT/GaJ.lEVOl Kai KaTa1COVTlGTfi TOlOVTqJ KaKofJoVÀc:oç 7]J.làç aVTovç E1ClTpÉlJlavTEç . ifj Kai TOV Kiv8vvov éTOlJ.l6v TE Kai aq>VKTOV E8dKVVJ.lEV OVTa, Ei1CEP 7]J.làç àYKvpalç EKEï GaÀEVOVTaç 7] Gq>08p6TT/Ç TOV 1CVEVJ.laTOç E1ClÀdIJlEl.
125. ibid., p. 137. 126. Cf B. Papoulia, Ursprung und Wesen der "Knabenlese" im Osmanischen Reich, Munich 1963, Ch. IV, p. 98-116. V. aussi notre chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 254, 265-66. 127. ibid., p. 137: LiOKEï yap J.l0l 8là TfjÇ OiKOVoJ.liaç TaVTT/ç q>avEpovG8al 'l'à TOV Kvpiov 7]J.lilJv '[T/GOV XplGTOV, TOV E1Ci 1CavTC:Ov 8EOV, Kai aVToïç Toïç 1CavTC:Ov fJapfJapc:ov fJapfJapC:OTaTolç, ciJç àva1CoÀ6YT/TOl mGlV E1Ci TOV J.lÉÀÀOVTOÇ aVTov q>PlKc:08EGTaTOV fJ1jJ.laTOç EyyVÇ OVTOÇ fj8T/· 128. ibid.: 8l' fiv OiKOVoJ.liav, ciJç à1CO TilJV EKfJavTC:Ov ÉGn Gvvopav, Kai 7]J.lEïç 1CapE868T/J.lEV Taïç TOVTC:OV XEpGiv, aJ.la Kai 1CpOÇ J.llKpàv ÉKnGlV TilJV
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ment de ses nombreux péchés, il ose croire que c'est aussi pour son salut car ceux qui sont éprouvés maintenant sont livrés à un feu qui du moins s'éteindra. Ceux, par contre, qui font le mal sans se repentir brûleront éternellement à cause de leur ù7rlaria et leur ()T7plwôia. 128 C'est un peu fort et trop tortueux, mais Palamas n'a probablement pas du tout pensé au problème de la conscience ou du manque de conscience des pécheurs en général. Il s'est demandé surtout comment expliquer au grand public la calamité qui avait frappé l'archevêque de Thessalonique. La deuxième addition à la Lettre à son Eglise, l'épilogue, ne cadre pas, nous l'avons dit, avec le reste. En plus, elle n'a pas son égale dans toute l'oeuvre homilétique de Palamas. Avec une ferveur inaccoutumée il exhorte ses lecteurs à l'exercice des vertus pratiques, alors qu'en général il appuie plutôt sur la dévotion intérieure et la prière. Maintenant il affirme que la foi doit se prouver par les oeuvres et les bonnes actions. L'adhésion au dogme n'a pas de valeur si l'on ne vit pas vertueusement. Bref, la foi est morte sans les oeuvres. Le ton passionné de l'épilogue est unique chez Palamas. 129 Nous sommes assez terre à terre pour sentir dans cette exaltation inattendue des bonnes oeuvres rien d'autre qu'un appel au rachat de Palamas, de la publicité visant à persuader le lecteur de mettre la main à la poche. Finalement c'est le sens de toute la Lettre à son Eglise, le cri d'alarme d'un homme au désespoir, se rendant compte de sa perte sûre s'il n'est pas racheté.
*** 1l'OÂÂWV dç (JEOV TlI.lErÉpwv aj.laprruuzrwv, o[6v rzvz 1l'vpi 1l'apa~z~oj.lÉvwv rwv VVV 1l'EZpaÇOj.lÉvwv àÂÂà O!3EWVj.lÉVrp, rwv È1l'lqJEp6vrwv ràç È1l'17pEiaç, d J.l'r, j.lEraj.lEÂov oXOïEV rfiç rE à1l'lor{aç K'ai rfiç (J17Pzw8{aç, rcp ào!3Éorrp ÈK'Eivrp r17pOVj.lÉVwv 1l'Vp(. La notion nous semble bien primitive. On se de-
mande si cette conception arithmétique concernant la doctrine du salut n'a rien d'étonnant pour des croyants orthodoxes. 129. Palamas évidemment recommande régulièrement dans ses homélies les bonnes oeuvres aux croyants. Comparez toutefois le ton sec de l'homélie 30, traitant spécialement des bonnes oeuvres, au ton passionné de l'épilogue de la Lettre à son Eglise. Dans l'épilogue, Palamas s'étend sur les paroles de l'Epître de Jacques: Car la foi sans les oeuvres est morte (Jac 2, 17; 2, 20; 2, 26), parole célèbre qu'on retrouve nulle part ailleurs dans les homélies de Palamas. V. notre chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 264-66.
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Personne ne prêta attention à la Lettre à son Eglise. D'une manière toute inattendue la délivrance vint de l'extérieur. Les "Serbes" (c'est ainsi que s'exprime Philothée) payèrent la rançon. Les "Serbes", c'est-à-dire selon toute probabilité le roi Etienne Dusan. 13o A notre tour, nous nous cassons la tête sur une question; pourquoi le roi serbe a-t-il racheté Palamas? Nous ne le saurons jamais. On peut se perdre en conjectures. Palamas s'est peut-être tourné lui-même vers le roi, puissant et orthodoxe dévot à la fois. Ou bien Philothée et ses amis prirent cette initiative. Ou enfin les Athonites, qui étaient les amis du roi, s'étaient-ils, malgré tout, souvenus de leur dette envers Palamas. S'ils n'étaient pas prêts à vendre leurs propres biens afin de le libérer, ils pouvaient au moins prier le roi. Celui-ci avait peut-être toujours l'espoir de gagner Palamas à sa cause; Encore une fois, nous ne le saurons jamais. Le seul qui aurait pu nous renseigner, Etienne Dusan, mourut au mois de décembre 1355, quelques mois après la délivrance de Palamas.
*** Palamas retourna à Thessalonique pendant l'été 1355, mais il ne joua plus de rôle dans les affaires politiques. Au cours des années qui lui restaient il exerça ses fonctions ecclésiastiques sans faire d'éclat en continuant à écrire des traités contre Grégoras. Durant l'été 1359 il tomba malade. Il mourut le 14 novembre de la même année. Philothée, devenu en 1364 pour la seconde fois patriarche de Constantinople, canonisa Palamas en 1368. Parmi les saints reconnus par bon nombre d'Eglises chrétiennes, il y en a beaucoup qui sont, pour une raison ou une autre, peu sympathiques aux yeux d'un incrédule. Toutefois, nous n'avons pas réussi à nous rappeler un saint égoïste et louche, indulgent aux infidèles à ses heures, comme Palamas.
130. Eloge de Palamas, PO 151 col. 267 B; éd. Tsames, ch. 103, p. 552.
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CHAPITRE IV Un haut dignitaire aulique: Démétrius Cydonès
Démétrius Cydonès, un des plus célèbres intellectuels byzantins du 14e siècle, était surtout connu pour ses sympathies à l'égard de la civilisation occidentale. Il avait particulièrement un penchant pour la religion catholique et finit par s'y convertir. Il nous a laissé, entre autres, une traduction en grec de la Summa contra Gentiles et de fragments de la Summa Theologiae de Thomas d'Aquin. Au service de Jean V Paléologue, il entreprit plusieurs voyages à Rome, en vue de l'Union des Eglises, dont une alliance militaire dirigée contre les Turcs aurait dû résulter. Il défendit cette politique dans des discours passionnés, adressés à tous ses compatriotes. Cependant, ceux-ci se méfiaient de lui à cause de ses tendances catholiques. Se basant sur la scolastique occidentale, Démétrius rejetait en outre le palamisme. Ses convictions lui valurent à la fin l'inimitié de presque toute l'élite byzantine. Il mourut en 1396 ou 1397 dans un couvent catholique de l'île de Crète, excommunié par l'Eglise orthodoxe. Un petit groupe d'esprits congénères continua de l'admirer jusqu'à la fin. L'empereur Manuel II Paléologué ne sut jamais se refuser à le respecter, bien qu'évidemment il ne pouvait pas approuver son attitude à l'égard de l'Eglise orthodoxe et la manière dont il finit par se dégager des liens qui l'attachaient à l'empire byzantin (v. plus loin). Toutefois, il ne faut pas oublier que ce résumé n'a de rapport qu'avec la seconde moitié de la vie de Cydonès, ses origines et son ascension étant restées dans l'ombre. C'est justement cette première moitié de son existence, à peine traitée par ses biographes, qui nous intéresse du point de vue de notre sujet. 1 1. La vie de Cydonès nous est surtout connue par ses propres oeuvres,
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Démétrius Cydonès, né vers 1322 à Thessalonique, appartenait à une riche famille aristocratique. Son père était revêtu de hautes fonctions au service des empereurs. Il fit entre autres un important voyage d'ambassade chez les Mongols. Lorsqu'il mou~ut vers 1340, le jeune Démétrius devint le chef de la famille. Pendant la guerre civile cette familie vécut au palais ancestral à Thessalonique dans des conditions très pénibles. Cydonès se rangea sans hésiter du côté de Cantacuzène. Il lui écrivit des lettres l'assurant de sa fidélité et l'exhortant à continuer sa lutte pour le trône impérial. Ces lettres sont caractérisées par une rhétorique excessive, surenchérissant considérablement sur ce qui est de coutume dans le style épistolaire des Byzantins. Aucup des r07rOl de l'idéologie impériale traditionnelle ne manque. Quand plus tard Cydonès passa au service de Jean Paléologue, il ne combla jamais cet empereur de louanges comparables à celles dont il avait honoré Cantacuzène. En d'autre mots, même en tenant compte de ce qui est traditionnel dans le style des lettres à Cantacuzène, on peut être sûr que Cydonès fut vraiment son partisan enthousiaste pendant toute la période de la guerre civile, du début jusqu'à la fin en 1354. Comment Cydonès réussit à survivre au régime des Zélotes n'est pas clair. Dans son premier discours adressé à Cantacuzène, datant de 1347, il donne une idée de l'état des esprits dans la ville pendant la guerre. Il y dit qu'on emprisonnait immédiatement tous ceux qui osaient prononcer de manière positive le nom de Cantacuzène. Les Zélotes se seraient dits: Faut-il qu'une personne, approuvant les atrocités commises en dehors de nos murs, souhaitant le succès de Cantacuzène, enrageant à notre vue, fautil qu'une telle personne vive et respire? Aussi beaucoup d'aristoparticulièrement par la correspondance (449 lettres), quelques discours, trois écrits apologétiques et un testament religieux. Les lettres ont été éditées par R.-J. Loenertz, Démétrius Cydonès, Correspondance, 2 t., Vatican 1956 (Studi e Testi, nr. 186,208). Toujours utile est la traduction française d'une cinquantaine de lettres par G. Cammelli, Démétrius Cydonès, Correspondance, Paris 1930. Le premier tome d'une traduction allemande par F. Tinnefeld, avec introduction et commentaire exhaustif, a paru à Stuttgart 1981/82 (138 lettres). On y trouve en outre un aperçu biographique ainsi qu'une bibliographie complète de l'oeuvre de Cydonès. Pour les éditions des discours et des écrits apologétiques v. infra notes 2, 7, 19,21,33. Une biographie critique de Cydonès reste à faire.
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crates firent semblant de se lier avec les Zélotes pour avoir la vie sauve. On conseilla à Cydonès de suivre cet exemple, mais il ne voulut pas en entendre parler, craignant se couvrir de honte pour le reste de sa vie. Souvent il aurait même crié le nom de Cantacuzène en public à seule fin de vexer les Zélotes. 2 On a de la peine à croire à ces assertions après les renseignements qu'il fournit lui-même sur la punition entraînée par une pareille audace. Quoi qu'il en soit, il est sûr qu'il ne fut jamais emprisonné. Il est plus probable qu'il se tenait coi. Dans un alinéa qui précède de peu les lignes que nous venons de citer, Cydonès nous raconte en effet une toute autre histoire. Il avait perdu ses possessions en dehors de la ville, les Serbes (alliés des Zélotes) les occupaient: Comment aurions-nous pu les conserver? (...) Nous n'avions que les murs de la ville pour nous protéger, et de ces murs mêmes il nous fallait assister en spectateurs impuissants aux pillages de nos propriétés par les barbares (sc les Serbes). Nous n'osions même pas verser des larmes, parce que celui qui avait la mort dans râme, était nécessairement censé se ranger du côté des Mèdes (sc les Turcs de Cantacuzène). S'il soufflait mot de ses souffrances, il devait s'attendre à être emprisonné et tué. 3 Auprintemps de 1345 Cydonès réussit à s'échapper de la ville. Nous ignorons les circonstances de sa fuite. Selon toute probabilité il a simplement attendu un moment favorable pour se sauver. 2. Oralio J, adressée à Cantacuzène, éd. Loenertz dans Corr. J, p. 1-10; éd. Cammelli dans Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher 3(1922), p. 67-76. Citation resp. p. 4 ou p. 71: "Tourov ôt 1rpoa1jK~l çfjv, ava1rv~iv ôt oÂcoç,oç l~co {3Ât1r~l Kai rà rou ô~ivoç (Javllaç~l KaK~{vQJ (sc Cantacuzène) Iltv ~lhvx{av avv~vx~ral, r,lléiç ô' ax(J~ral Kai 1rpoa{3Ât1rcov;" raura Âéyovr~ç KOUqJOV a1réqJalVov olç t1ro{ovv ra Ô~aIlCOr1}p{ov. ( ...) 1roÂÂaKlç
ôt Kai roüvolla ra aav iv' tK~ivOl lléiÂÂov aÂywalv t{3ocov, d&oç Iltv KlVÔVVOV ytllov ra pijlla, tllavrav ôt t1rlax~iv oux oloç r~ c.Ov, t1ri raura Il~ rijç ~uvo{aç ayova1}ç. 3. ibid., p. 3-4 ou p. 70: 'Ev ôt rfi KOlvfi aVllqJOpi), {3aal~u, Kai r,lltr~pa 1rpoaa1rdJÂ~To . 1rpaç r{ 1ror~ yàp av nç 1rpwrov avrtax~; 1rpwrov Iltv yàp 01rO~1l0Ç rà rElX1} 1l0VOV r,lliv V1r~Â~(1r~ro, aqJ' cbv rovç {3ap{3apovç (sc les Serbes) 6pwvr~ç ayovraç rà r,lltr~pa oür~ KCOÂV~lV êÏxoll~v oür~ ôaKpuaar youv troÂllwll~V . rav yàp 1rpaç raura 1ra(Jovra n'Iv lJIVX7}v Kai r7}v ÂV1r1}V tv p1jllan ô~{~avra, rourov ryv ~u(Jvç avaYK1} Il1}Ô{ç~IV Kai lÔ~1 ô~ô~llévov a1ro(Jav~iv.
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Quoi qu'il en soit, il partit et ne revint plus, abandonnant sa mère, ses soeurs et son frère cadet Prochoros. 4 Il se rendit à Berrhoia, prise par Cantacuzène trois années auparavant. Manuel, le fils de celui-ci, était à ce moment gouverneur de la ville. Manuel et Cydonès, étant du même âge, devinrent des amis pour la vie. A Berrhoia, Cydonès apprit que les aristocrates de Thessalonique, guidés par un fils d'Apokaukos, avaient réussi à regagner leur suprématie Uuin 1345). Il en félicita Cantacuzène de la manière suivante:
Ajourd'hui la félicité de Platon nous est échue, je crois, car à celui qui l'emporte en tout sur tous, dont râme est nourrie de philosophie (sc Cantacuzène), Dieu a rendu le soin de veiller au bien public, mettant à la tête des affaires une intelligence à la place des Telchines précédents, qui remplissaient tout de carnage et de troubles (...) Avec vous (Cantacuzène) les peuples, les villes, les îles et les continents se réjouissent de votre gouvernement;. ils célèbrent votre caractère, ils chantent vos victoires sur tous, ils nous estiment heureux d'avoir pour ami rempereur, ils nous prédisent à quel haut point parviendra notre destinée: tous les peuples seront défaits, toutes les villes recevront de vous des lois, tous ne connaîtront qu'un seul maître: la vertu fleurira, la sagesse parlera librement et rempereur donnera à ses sujets rexemple de toutes choses nobles ... S 4. ibid., p. 5 ou 72. Ce que Cydonès raconte ici de son évasion de la ville mérite peu de foi. Sous les menaces des Zélotes il aurait accepté de persuader son oncle de retourner à Thessalonique. Il caractérise lui-même cette mission de ridicule et impossible, puisqu'en ce cas son oncle y trouverait certainement la mort. Cydonès veut croire que Dieu a choisi cette chance de salut inattendue pour lui sauver la vie, sous l'apparence d'une punition. 5. ep. 6, éd. Loenertz, p. 31. La traduction a été empruntée en grande partie à Cammelli, nr. 4, p. 8. Nuv r,J.llV nêprrjKêlv r7)v rou nÂa'u.ovoç êV~alJ.lOv{av VOI.tit;ro, 011 rep niial navraç napêvêYKOV11 Kai J.lêarfi qJlÂoaoqJ{aç IfIvxfi eêOÇ ràç unÈp nov oÂrov qJpovr{~aç ànÉ~ro,œ Kaz roîç npaYJ.laazv ÉnÉarTlaê vouv, àvrz nov nporÉprov ÉKEiVroV TêÂX{VroV, oi' navra qJovrov Kaz rapax7)ç ÉJ.l7rlnÂavrêç ( ...) Ka{ aOl avyxa{poval rfiç àpxfiç Kaz U}VT7 Kaz nOÂêlç Kaz vijaol Kaz ftnêlpol, Kai r7)v J.lÈv a7)v qJualv UJ.lVOUal Kai oaov navrrov KêKparTlKaç (i~ovalv . r,J.laç ~. o[ç Éa11v 0 !3aazÂêvç OiKêlOÇ êV~alJ.lOv{t;oval Kaz npoÂÉyovalv êiç oaov iil;êl rà r,J.lÉrêpa rUXTlç Kaz navra J.lÈV r,rrTl(Jr,aêral Ë(JVT7, naaal ~7) napà aou
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La joie fut de courte durée. Les Zélotes se ressaisirent du pouvoir et un massacre de c5vvaroi et de JlSOOZ s'ensuivit (août 1345). La maison de Cydonès fut pillée et démolie; sa mère et son frère cadet échappèrent tout juste à la mort, en payant une grande rançon. Les serviteurs fuirent ou se joignirent aux pillards parce que la plupart des domestiques appelle liberté la ruine de leurs maîtres. 6 La catastrophe inspira à Cydonès un Thrène sur les victimes de Thessalonique. 7 Cet écrit est un document très intéressant en tant que réaction personnelle d'un c5vvar6ç à un épisode de la guerre civile, bien qu'elle soit écrite dans un style très abstrait et factice. Il y a peu de renseignements précis sur les événements, mais la manière d'envisager la situation est fort significative. Thessalonique avait été de tout temps un modèle de piété, un centre de culture, le siège des littérateurs et des philosophes. Toutes ces vertus avaient été largement récompensées, grâce à l'intervention de St Démétrius, par le bienfait d'un gouvernement clément, qui se manifestait particulièrement par un système fiscal très raisonnable. 8 Sans aucun sentiment de gratitude, ni de compréhension pour toutes ces valeurs et acquisitions spirituelles, les masses s'étaient insurgées (Cydonès réfère ici à l'insurrection des Zélotes de 1342 qui les porta au pouvoir jusqu'au mois de juin 1345). Après avoir résumé à vol d'oiseau les tribulations de Thessalonique pendant la période 1342-45, il en vient enfin aux événements qui aboutiVOJlOVç 8tçovral nOÀelç, Eva 8t yvroaovral mlvreç 8eanorT/v Kai cbç àperr, Jltv àvOrjael, nappT/auiaerar 8t 7] aOqJ{a, mlvrmv 8t KaÀwv 6 !3aarÀeùç Earal roiç àPXOJltVOlÇ napa8elYJla ... 6. Oratio l, éd. Loenertz, p. 5; éd. Cammelli, p. 72: '" rwv yàp 8ol.J."-mv ro nÀeiarov rr,v rwv 8eanorwv aVJlqJopàv èÀevOep{av KaÀouarv. Dans cet
alinéa Cydonès ne parle pas du sort des autres membres de la famille; on sait pourtant qu'il avait au moins deux soeurs (Tinnefeld, lntr., p. 58-59). 7. Occisorum Thessalonicae Monodia, PO 109, col. 640-52. Traduction anglaise par J.W. Barker dans MeÀerrjJlara arr, Jlvr1JlT/ BaalÀelOV Aaovp8a, Thessalonique 1975, p. 285-300. Cf Ch. Diehl, Journées révolutionnaires byzantines dans Revue de Paris 35(1928), fasc. 6, p. 151-72. 8. col. 644 A: Où rouro 8t JlOVOV, àÀÀà Kai !3acnÀtaç Jltv 7]Jltpovç rfj nOÀlrela KaO{arT/ar (sc St Démétrius) ra re aÀÀa Kai rà rwv qJopmv àVltvraç ru nOÀel, EV re roiç npoç roùç Eçm nOÀtJlOlç aùroç arparT/Ywv Kai qJo!3epov roiç nÀeovaÇoval KaOlaràç Klveiv onÀa Karà rijç nOÀemç. Ovrmç av ernOl rrç iaraaOar KOlVOV rr,v nOÀlv eùae!3e{aç napa8elYJla.
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rent aux massacres d'août 1345. La situation dans la ville était restée instable. Cydonès laisse transparaître qu'une grande partie de l'élite s'était rangée du côté des Zélotes, sans se rendre compte suffisamment du danger auquel elle exposait son propre intérêt. 9 A la fin un groupe d'aristocrates pensa avoir trouvé un moyen effectif de mettre un terme définitif à l'agitation des Zélotes. Ils se tournèrent vers un homme plus fort qu'Hercule, plus modéré que Pélée, plus sage que Thémistocle, bref, vers Cantacuzène, qui savait manier ses sujets comme un autre Cyrus. Cependant, il était un législateur sévère pour ceux qui ne savaient se tenir tranquille; le peuple ne voulut pas de lui, sachant quelle punition l'attendait. Les aristocrates qui avaient sollicité l'aide de Cantacuzène, occupèrent l'acropole. 10 A l'approche de l'armée cantacuzéniste, la fureur du pe~ple éclata par des actes de violence sans précédent. Des pillages et des tueries énormes eurent lieu par toute la ville. L'acropole fut assiégée et prise. Les aristocrates qui se trouvaient là furent égorgés tous sans exception et leurs corps jetés pardessus les remparts. Il est à noter que Cydonès est très précis dans la description de cet épisode par contraste avec tout le reste de sa monodie. On a en effet du mal à comprendre cette dernière sans l'aide d'autres sources historiques, tant l'auteur se plaît en général aux tournures abstraites et quasi-incompréhensibles. Maintenant il se délecte à donner des détails concrets des plus horribles. Nous sommes régalés de têtes tranchées, de membres découpés, de cer9. ibid., col. 644 D: Oüç ~È; ~vaXEpalvElv Ë~El, roç aqJlar rfjç apxfjç nEplKonroJ.l.éVT/ç, ÈyéÀmv, wanEp npoanfJévrEç roiç ovar. Ta ~È; qJapJ.l.aKOV rwv KaKwv J.l.T/VVaal J.l.6vov rà nafJT/ roiç raur" ÈyévEro fJvovar. 10. ibid., col. 644 D: "Oaol~' ÈK rwv nap6vrmv olç rEÀEvT11aEl rà KaKà raiç n6ÀEalv ÈJ.l.aVrEvOvro, È~7jrovv i[J rwv anoÀÀvJ.l.évmv J.l.EÀ7jaEl . Kaz EVPOV 'HpaKÀéovç J.l.È;v av~pEl6rEpov, aVJ.l.qJpovéarEpov ~È; IIT/Àémç, eEJ.l.laroKÀéovç ~È; avvErwrEpov . rà Kvpov ~È; Kaz aurav npaç rouç apxoJ.l.évovç J.l.EJ.l.lJ.l.T/J.l.évov. 'AÀÀà 7rlKpàç VOJ.l.ofJérl1Ç roiç r1avxa~Elv OUK ÈyvmK6al Kaz r7jv apx7jv È~vaxépalvov r7jv ÈKElVOV, ol aqJlarv auroiç nOVT/pà avvEl~6rEç. Kaz ~là raura aKp6noÀ{ç rE ~7j napà rwv vouv tx6vrmv KarEÀaJ.l.f3avEro, roç f3{~ rav ÈçT/arT/K6ra ~ijJ.l.OV fJEpanEva6vrmv.
on
La personne indiquée ici par les métaphores de Cydonès doit être Cantacuzène. Barker est d'opinion qu'il s'agit de Jean Apokaukos, fils d'Alexios Apokaukos (art. cit., p. 291) mais à notre avis le passage en question devient tout à fait incompréhensible si l'on accepte cette identification.
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veaux qui s'éclatent, de corps éventrés etc. etc. Il L'intention du document est en effet très simple: rhomme qui hier bêchait le sol pour un obole, s'enrichit tout d'un coup en retournant à la bêche toute la ville!12 ( ... ) Ô ville, plus traître que la mer! Ô citoyens, plus traîtres que ceux qui sont nés barbares! s'écrie Cydonès. 13 Et il finit sur les mots: C'étaient des hommes qui détruisaient la ville, d'autres la quitteront pleins de haine. 14 La haine du c5fjJloç continua en effet longtemps à influencer la vie de.Cydonès. Les lettres adressées à Cantacuzène tout au long 11. ibid., col. 649. 12. ibid., col. 648 A: Bor, S' bri ràe; oiK{ae; Kai 0 aKanrwv xOte; OfJOAOV, aTjJlepov KaraaKanrwv rr,v nOAlv tnAoûrel. 13. ibid., col. 645 C-D: "[2 nOAlre{ae;, OaAarrl1e; 1rlial1e; àmaroripae;! "[2 nOAluov, ouSiv rI rrov qJûael fJapfJapwv àmaroripwv! 14. ibid., col. 652 D: 'AvOpwnwv St oi Jltv àvirpelJlav aurTjv, ol St JllaTjaavree; ànoqJeûçovrar.
Il faut ajouter ici quelques mots sur la position de Thomas Magistros. Son discours Toie; BeaaaAovlKevar nepi 0Jlovo{ae;, éd. B. Laourdas, dans 'En. 'Ener. LXOA. NOJl. BeaaaA., 12(1969), p. 257-75, est pour une grande partie de caractère rhétorique, plein d'allusions à l'antiquité grecque. Cependant, à travers sa phraséologie, on voit quelle est son attitude à l'égard des événements de l'époque. L'auteur évoque le souvenir du passé glorieux des Hellènes, exhortant les partis aux prises à restaurer la paix et la concorde, afin qu'ils puissent - comme leur ancêtres - remplir la tâche la plus importante: la lutte contre les "Perses" . Athènes sert d'exemple. Tant que la concorde régnait, elle remportait des succès extraordinaires; les luttes intestines, par contre, la perdirent. Laourdas, se ralliant à l'avis de Sevcenko, croyait que le texte datait des années '20 et se rapportait au conflit dynastique entre Andronic II et Andronic III. Toutefois, les allusions à la araare;, au SijJloe; araara~wv et à l'effusion de sang ne peuvent référer qu'au massacre de 1345. Il nous semble que Thomas, savant célèbre alors et d'âge avancé (il naquit vers 1270), antipalamite convaincu, voulait faire tout ce qui était en son pouvoir pour cajoler les Zélotes sans se compromettre aux yeux des Svvaro{. En bon chrétien il déplore les pillages et l'effusion de sang, mais en parle sobrement, ajoutant même qu'il aurait préféré se taire sur le sujet (p. 759). Regardons plutôt vers l'avenir, telle est son opinion: l'essentiel, c'est la lutte contre les "Perses", qui doit commencer et à laquelle tous les partis prendront part. Les Zélotes, ennemis acharnés des Turcs, ne pouvaient prendre ombrage de tant de circonspection. C'est surtout par la différence entre la description détaillée et horrible du carnage commis par les Zélotes de Cydonès et la manière dont Thomas y tire le voile, que l'on reconnaît dans quelle mesure ce dernier a rampé devant le parti qu'il désapprouvait.
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de la guerre civile le montrent inconditionnellement partisan de la politique de l'usurpateur. Bien qu'il s'exprime avec prudence quant aux alliances turques, il n'y a pas de doute qu'il les approuve. Les Serbes sont toujours appelés des "barbares" (bien que nominalement des chrétiens), tandis que les alliés turcs de Cantacuzène sont désignés par le mot neutre de "Perses" ou par des termes vagues. Pendant son séjour à Berrhoia (jusqu'au mois de mars 1346) Cydonès se tourmente de la conquête de la Macédoine byzantine par les Serbes. En même temps il glorifie Cantacuzène d'avoir "libéré" la Thrace à l'aide des "Perses". En Thrace, écrit-il, règnent à nouveau l'ordre et la concorde. La terre est labourée comme autrefois, les portes des villes sont ouvertes, la population se montre reconnaissante à l'empereur de son pardon et de sa générosité. Cydonès supplie l'empereur de faire pour les Macédonieris ce qu'il a fait pour les Thraces. ls En cas de besoin, ceux-ci peuvent maintenant même passer la nuit en rase campagne, puisque les ennemies d'hier (les Turcs) sont à présent leurs protecteurs, rempereur les contenant par les armes et par la diplomatie la plus prudente. En revanche, en Macédoine, il n'y a que douleur, souffrances et un tas d'autres épreuves. Beaucoup de villes sont aux mains des barbares (sc les Serbes), dans les autres la rébellion fait rage; les lois n'y sont que des phrases et l'homicide, par contre, a force de loi. Cantacuzène est le dernier espoir des bons citoyens. 16 Cydonès fait appel à l'empe15. ep. 7, éd. Loenertz, p. 33: ... fiv KaZ qJvyouaav (sc la prospérité d'autrefois) 7}j.l{iç 7rp6repov vuv qJaa( (sc les villes reprises par Cantacuzène) ae (Cantacuzène) Karayayûv, ruare Kai 7re7rava(}al j.ltv fic5T/ araaelç, Oj.l6VOlUV c5t 7roÂlrevea(}al KaZ mJÂaç j.ltv àvo(yea(}al 7roÂvv fic5T/ XP6vov KeKÂelaj.lBVaç U7rO nov 7roÂej.l(wv, yewpyûa(}al c5t r17v yijv U7rO nov Èx6vrwv ( ..) "Aye c517 Kai 7}j.l{iç li Bp{iKaç 7ro(el Kai roïç OÂOlÇ à7relpT/K6raç rcp qJavijval j.l6vov 7rapaaKevaaov 7raÂlv àvaf3uJJVal . 01 f3apf3apol (les Serbes) c5t 7rarayriaovalv are 7rrT/vmv àYBÂal j.lByav aiyv7rlov u7roc5efaavreç ... Sur cette métaphore, v. infra, note 24. 16. ep. 8, éd. Loenertz, p. 34-35: Dl c5' àc5emç à7roÂavelv apxovral rmv ic5(wv Kai KOlj.lT/(}ijval c5eijaav Èv àypoïç Kai rouro 7rOlOUal, c5ec5o(Kaal c5t oùc5Bva. Tovç yàp 7rpiv 7roÂej.l(ovç vuv Èv qJvÂaKwv lxoval raçel, rou f3aalÂBwç aùrovç n(}aaevovroç 07rÂOlÇ re Kai aVVBaSl ( ...) Tà j.ltv ÈKe(vwv rOlaura, rà c5' 7}j.lBrepa, j.l6yoç re K67roç re Kai aÂÂwv l(}vea KT/pmv. Tmv re yàp 7r6Âewv al j.ltv U7rO roïç f3apf3apolç (les Serbes), raïç c5' àvri ÂOlj.lOU KaZ j.lT/xaVT/J1.arwv 7} araalç V6j.l0l re Âijpoç Kai ro qJovevelv fic5T/
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reur, lui assurant que les barbares (les Serbes) n'ont pas oublié le temps d'Alexandre le Grand: Montrez, empereur, qu'il y a toujours des Macédoniens et un empereur qui ne se distingue d'Alexandre que par le temps qui s'est écoulé entre leurs règnes; montrez-vous et sauvez nos villes!l? Notons que même Grégoras, à ce moment encore du côté de Cantacuzène, admet que toutes les terres labourables de la Thrace ont été dévastées par les Turcs et que les dégâts qu'ils ont causés sont irrémédiables, parce qu'ils ont enlevé tout le bétail et tous les outils. lB Cantacuzène récompensa royalement Cydonès de sa fidélité. Il le nomma )lsoaçwv malgré son jeune âge. Cydonès fut dédommagé de ses pertes matérielles, bien que pas entièrement; Cantacuzène n'en avait pas les moyens. Aussi Cydonès se plaindrait-il sa vie durant, du peu d'importance de ses possessions, comme de l'arriéré des sommes qui lui étaient dues. 19 Dans son premier discours à l'empereur, datant de 1347, dont nous avons déjà parlé V~VOJlla'ral ( ... )
'EMriç Dt Jlla av, Kai roïç 1fpaYJlaazv tvr~vO~v JlOVOV ra awOijval ... 17. ibid., p. 35: 'AÀÂà yàp MaK~Doviaç Kai rovvoJla JlOVOV lfJP{KllV èJl1folEï roïç {Jap{JapOlç 'AÀt~avDpov èVOVJlOVJlSVOlÇ Kai MaK~DovwV roùç oÀ{yovç roùç aùv èKâvcp ars~avraç T7]V 'Aa{av. L1~ï~ov ro{vvv èKâvOlÇ, èÀ1fl~~ral
m
{JaalÀ~v, roç ~iai Kai MaK~Dov~Ç Kai {JaalMùç 'AÂ~~avDpov Jlovcp DZUlfJSPWV rcf> xpovcp. lPaVijOl DJj, Kai ràç 1fOÀ~lÇ J]Jlïv àyaOfi rvxu ,Jvov. 18. XV, cap. 1, Bonn II, p. 747-48: II~pazKai Dt DVVaJl~lç, è~ 'Aalaç Dl' 'EÂÀlla1fovrov 1fiiaav wpav Dla1f~palOVJl~Val, KaOa1f~p è~ OiKâwv èç oiKâaç vOJlàç Kai è1faVMlç, avxvàç è1fOlOVVrO vVKrwp Kai Jl~O' J]Jlspav ràç 01lPlWD~lÇ èlfJODOVÇ Karà rwv epÇlKlK6Jv 1foÀ~wv, vvv Jltv aurovoJl{Çl XPWJl~VOl ÀuarplKfi, vvv Dt aVJlJlaxsïv 1fpOa1fOlOVJl~VOl KavraKOV~llvcf>. "D1fwç D' lipa Tjv, èvoaovv ai 1fOÀ~lÇ Kai JlaÀa 1fOvrlPWÇ ElXOV 'PWJlalOlç mjaz rà 1fpaYJlara . oi5r~ yàp V1fO~vy{wv, oi5r~ 1fOlJl viwv oUDtv roïç raÀal1fWpOlç epÇl~iv èÂ.ÉÀ~l1fro, oi5r~ fJo6Jv àporJjpwv OVDâç, Dl' cOv oi y~wpyoi ràç rijç yijç àvaJlox~vovr~ç aVÀaKaç rav r,Jl~pJjalOv Kai àvayKaïov èK1fOp{~ovral DaaJlaV ru yaarp{. Kàvr~vO~v àa1fopov r~ KaraÂ~À~lJlJlSVijÇ rijç yijç Kai àvOpW1fwV èpllJlOV 1faVra1faal, Kai ra oÀov El1f~ïv 01lPlWDOVÇ, à1fop{a XPllJlarwv èJlaan~~ Jltv iKav6Jç rav {Jaaûsa j(avraKOV~llVav 1f~plÏovra ep~KllV, èJlaan~~ D' oux Tjnov Kai Bv~avriovç ... Voir supra, p. 126. 19. DraUo, adressée à Jean Paléologue, éd. Loenertz dans Corr., l,
p. 10-23, ici p. 17-18; ep. 70, éd. Loenertz. Voir Tinnefeld, [ntr., p. 59-60.
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ci-dessus, il parla tout de suite de dédommagements. Si l'empereur se montre tellement généreux envers les adversaires et les ennemis vaincus, que ne méritait pas son partisan fidèle, qui n'avait pas hésité à le louer à haute voix dans des conditions des plus dangereuses?20 Dans le deuxième discours à l'empereur (il s'agit plutôt d'un éloge à l'occasion de l'entrée définitive de l'usurpateur dans Constantinople) Cydonès ne reste plus dans le vague à l'égard des Turcs. Ils ont aidé à sauver l'empire de l'anarchie où les masses populaires l'avaient plongé. Quand celles-ci, aimant vivre dans le désordre, confièrent la gestion des affaires à celui qui les cajolait (Apokaukos), elles fermèrent les portes à celui qui les réprimandait, comme des enfants désobéissants se soustrayant au regard de leur instituteur. 21 Cet homme, l'empereur (Cantacuzène), dut s'enfuir de l'empire et chercher de la protection chez les barbares. Ces barbares étaient encore les Serbes, mais cette fois ils se montrèrent de nobles sauvages. Ils comprirent tout de suite lequel des deux partis avait le droit de son côté. Le roi des Serbes reçut Cantacuzène chez lui et le traita selon ses mérites. 22 Apokaukos et ses compagnons se montrèrent par contre les véritables barbares. Ils volèrent le fisc impérial et des trésors de l'Eglise pour combattre Cantacuzène, lequel en réalité était plus généreux envers ses sujets qu'un père à l'égard de ses enfants. 23 Mais ce père noble retourne vers ses enfants, soutenu encore une fois par des barbares nobles, à savoir les "Perses". Si noble était le seigneur de ces derniers, qu'il se sentait plus honoré par le servi20. Oralio l, adressée à Cantacuzène, éd. Loenertz, p. 9; éd. Cammelli, p.76. 21. Oralio II, adressée à Cantacuzène, éditée par Cammmelli dans Byzanlinisch-Neugriechische lahrbücher 4(1932), p. 78-83. V. p. 79. 22. ibid., p. 79: Kai 8là ravra aÈ /lÉv, W f3aarÀëv, f7 Tplf3aÀÀIDv g8ÉXëro K'ai nalovwv, /lërà rov K'arciJrrvarov gK'ÛVOV K'ai navra np08ë8wK'ora roïç f3apf3apolç à1l'oaroÀov, li npoaTjK'ël f3aarÀëvar 8d;a/lëvOv K'ai 1l'apà roïç aùrolh . rryv yàp aryv àpërryv Kav f3apf3apov ai8ëa()dT/ ... 23. ibid., p. 80: Tavra aV/lf3ovÀëvovrëç lëpà /lÈv gavÀwv, où /lÉXPlÇ àv()pd)7fwv, mç SOlKëV, àVëXO/lëVOl rryv Vf3PlV op{aar, gK{VOVV 8È ravra WV Kai f3apf3apwv ùpdaavro XÛpëÇ ( ... ) ovrw 8lÉ()T/KaV xûpov ràç nOÀëlç ~ â rovç 1l'ëPlf30ÀOVÇ àq>ëÀovrëç uno roïç f3apf3apolç ràç nOÀëlç gno{ovv.
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ce de l'empereur que par la puissance qu'il avait en propre, s'adaptant aux exigences de celui qui lui était supérieur. Cydonès parle ici d'Umur, sans le nommer, et fait de nouveau allusion à la modération que Cantacuzène lui aurait imposée, ainsi qu'à ses compagnons, adoucissant leurs tendances naturelles. 24 Quand plus tard, Cantacuzène eut encore une fois besoin de l'aide turque les choses - Cydonès doit l'avouer - allèrent moins bien. Orkhan (qui n'est pas non plus nommé) porta la tête plus haute. En concluant une alliance avec Cantacuzène, il se laissa récompenser par un titre d'importance, un mariage princier et de l'or. Cydonès est d'ailleurs d'avis que Cantacuzène serait parveilU à ses fins sans Orkhan. Dieu lui procura la victoire inopinément. 25 Tout ce que nous venons de résumer en termes simples est 24. ibid., p. 80: Kai 11 bravoDoç Kpê{rrwv ll'aaT/ç ll'OJ1ll'ijç Kaz ra ll'avraç on ràç uov qJvaêl ll'OÀ.êJ1{WV 0 fJaatÀ.êùç ll'pOalpÉaêlç 11J1ÉpOV Kai rwv flêpawv apxovn aêJ1VOrêpOv rijç àpxijç ra up fJaalÀ.û DOVÀ.êVêIV lDOKêl, Kaz êïll'êrO OÙDÈ:V tÀ.arrw aOl rwv àVDpall'ODWV ll'apêXOJ1êVOÇ rryv DlUKov{av . rOlç D' tçijç "OJ1T/POV ËDêl ll'apÛVal ~ rwv nva Movawv aç lKêlvoç eiç rà rOlUvra KaÀ.êl, [va lçlaw(}walv oi À.OYOI roïç rwv ll'paYJ1urwv J1êy{arolç . cbç yàp aiyv7l'lov qJavÉvroç ll'rT/vwv où ll'arayovatv àyÉÀ.al, . rovro Di, ra rov EOqJOKÀ.ÉOVÇ, ourw rwv lx(}pwv OÙDêiç oanç lfJovÀ.êro J1ÉVêIV rov fJaalÀ.Éwç qJavÉvroç ... Cydonès cite ici Sophocle, Aias 168-69. Juste comme des volées d'oiseaux cessent de gazouiller à l'approche du vautour, ainsi aucun ennemi n'osait rester sur place à l'apparition de l'empereur. Cydonès s'était déjà servi de cette métaphore - mais d'une façon erronée - dans une lettre écrite deux années auparavant (ep. 7, éd. Loenertz, v. supra, note 15; cf le commentaire de Tinnefeld, nr. 8, p. 125, note 20). Cette fois la métaphore est formellement correcte, sinon très belle. Aias est hideux dans sa fureur et peut donc être comparé à un vautour, ainsi que le fait Sophocle. L'aigle, symbole de la majesté impériale, n'est pourtant pas hideux comme le vautour, mais terrible et c'est cela ce que veut dire Cydonès de Cantacuzène. Bref, Cydonès continue à s'empêtrer dans son allusion aux vers de Sophocle. Nous appuyons sur ce détail parce qu'il est significatif de la maladresse des auteurs de l'ère des Paléologues à se servir de l'héritage de l'Antiquité. Aucun humaniste italien de l'époque n'aurait commis une telle faute. 25. ibid., p. 81: 'A À. À. à qJIÀ.OVêIKOV 1j KaK{a Kai XaÀ.êll'aV aVêv KêqJaÀ.ijç lKll'À.ijrrov,
àll'ODÛÇal T1jV vDpav . ll'aÀ.lv yàp ll'PêafJâa aVJ1J1ax{aç l:K rov fJapa(}pov Kai 0 fJapfJapoç r}Kê ll'avra àll'êlÀ.WV àVaall'aaêlV Kai J1la(}aÇ rijç l}Jl'êpT/qJaviaç àl;iwJ1a aêJ1VaV Kai yaJ10ç J1êrà XPT/J1arwv. 'A À. À. à KàKêlvoç l<5iDov D{KT/V rijç àaêÀ.yâaç . éiJ1a yàp rcp ll'poafJaÀ.ûv Ëyvw KaÀ.wç cbç
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chez Cydonès une. jungle presque impénétrable d'exubérance rhétorique. Citons par exemple son récit de l'entrée définitive de Cantacuzène dans Constantinople la nuit du 2 au 3 février 1347: Ô cette nuit, qui permit à tant d'hommes, assis si longtemps dans robscurité, de revoir les rayons du soleil! Ô nuit, plus belle que le rayon le plus brillant du soleil! Ô secret, célé aux égarés! Ô erreur, plus belle que toute vérité! Le bruit courut que rempereur désespéré s'était éloigné de la ville en grande hâte. Ses ennemis, rassurés, reprirent haleine, puisqu'i1 était loin. Mais en plein hiver rarmée s'avança d'une manière toute inattendue sur ceux qui se réjouissaient du départ de rempereur. Sans se douter de rien ils ignoraient de quel côté la liberté ferait 'son entrée. Au milieu de la nuit, I~empereur se trouvant soudain dans la ville, les trompettes annoncèrent révénement terrifiant, éveillant ceux qui dormaient ... 26
Après l'avènement de Cantacuzène, Cydonès, maintenant }1solit;,rov, resta fidèle à son empereur jusqu'à la fin. Toutefois nous savons que juste après 1347 il commença à s'intéresser à la
théologie occidentale et à apprendre le latin. 27 Il resta antipalamite, mais ne fit rien pour assister Grégoras et ses amis dans leur lutte contre Palamas. Au début, il ne parlait ni n'écrivait du changement de ses convictions religieuses. S'il avait été conséquent il
tipa {3ÉÀ:nov 1]v O;KOl Ka8fja8al Kai J.l.r, aVJ.l.nÂÉKsa8al ri[> J.l.srà @sov rpsnoJ.l.ÉvQ) rovç Èmovraç. Constatons que ces mots ne peuvent être dits de
la conquête de la Thrace, qui précédait l'entrée à Constantinople. 26. ibid., p. 81-82: ~JJ VVKrC>Ç ÈKEiV71Ç, fi ràç àKrivaç miÂlv ISsiv noÂÂoiç Èv aKorQ) Ka81lJ.l.ÉVOlÇ napÉaxsv! ~ü vVKroç miallç ÂaJ.l.nporÉpaç à Krivoç! 'ü KÂonfjç Kai roiç napaKpova8Elal avvsvsyKoVallç! 'ü KpEirrovoç miallç àÂ1l8Eiaç àmlrllç! 'H J.l.èv QJ71J.1.l1 6noarpÉqJElv rov {3aalÂÉa rr,v nOÂlV ànsyvWKora Kat Karrinslys rr,v eçoSov {3s{3aulJv rr,v Soçav roiç nOÂSJ.l.iOlÇ . oi S' àVÉnvsvaav, noppw ysvoJ.l.Évov rou {3aalÂÉwç . Sè XSlJ.l.WVOÇ J.l.saovvroç, IJ7rsp{3àç ràç QmlVrWV ÈÂniSaç, arparsvJ.l.a tiywv 7]KSV Èni rovç éopraÇovraç rr,v ànoSllJ.l.iav . Kai oi J.l.llSèv àyvoovvrsç ÈKElVOl o8sv EiasÂ8slv ËSSl rr,v ÈÂsv8spiav ~yvollaav, Kai /JÉawv vVKrwv 0 {3aalÂsvç Èv J.l.safi rfi noÂsl, Kai ai aaÂmyysç auroiç Èari/Jalvov rà SSlvà Kai KOlJ.l.WJ.l.Évovç àqJvnvlÇov '" 27. Tinnefeld, Intr., p. 11-12; Apologie l, éd. Mercati, p. 360 sqq.
o
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n'aurait pas dû reconnaître sur le trône de Constantinople un empereur qu'il tenait pour hérétique. Il est pourtant évident qu'il considérait Cantacuzène comme un sauveur qui, par la grâce de Dieu, sut tenir en échec les masses populaires et cela lui suffisait. Il n'éprouvait aucune sympathie pour Jean Paléologue. S'il n'en avait tenu qu'à lui, Jean aurait été certainement éliminé dès 1347. Il n'approuvait pas les compromis de Cantacuzène avec les Paléologues. La nomination de Jean Paléologue comme co-empereur et son mariage avec une fille de Cantacuzène lui répugnèrent particulièrement. 28 On peut dire que Cydonès fut "plus royaliste que le roi", puisque Cantacuzène lui-même reconnaissait encore dans ses mémoires les droits de Jean Paléologue, rendant honneur à la doctrine de la légitimité familiale. Même quand Cantacuzène défendit son droit de succession, il renonça à en appeler au choix divin, qui serait confirmé par les événements mêmes. Bien au contraire, il invoqua les sentiments fraternels qui l'avaient toujours lié à Andronic III, le père du co-empereur, devenu son gendre. C'est Cydonès qui invoqua la volonté divine. A la reprise de la guerre civile, Cydonès se réjouit de tout son coeur des défaites de Jean Paléologue, s'indignant de ses alliances honteuses avec les "barbares" (Serbes et Bulgares) et louant l'emploi de troupes "Perses" par Cantacuzène. 29 Après la bataille de 28. Cela ressort nettement de la lettre 64 (éd. Loenertz, t. 1, p. 96-98); cf Tinnefeld, nr 27, p. 195-205. 29. ep. 13, éd. Loenertz, t. 1, p. 41: JIoù yàp r1 uov Mvarov qJlÀovElK{a J.!Erà n)v iiHav; JIoù rrov Tplf3a).)"rov r1 8paavrT/ç, f1nç aùroîç tK rrov r1J.!ErÉpwv nOÀEwv Kai rfjç EùSalJ.!ov{aç T/ùçIj8T/; ( ...) mUlv St riç 0 rov JIÉpaT/v rovrolç ànavuywv; ( ...) Kai J.l'Î1v tvraù8a J.!uÀlara SE{KvVral ro rfjç S{KT/Ç, Kai on rrov roîç napoùal KaKoîç aVV11ywvlaJ.!Évwv oùSEfç tan aroç, àÀÀ' anawEç J.!Erà rfjç rrov f3apf3upwv tyÉvovro rVXT/ç J.!E8' WV avroùç raîç yvwJ.!alç rUHElv Upoùvro. Voir également le passage suivant, ep. 15, éd. Loenertz, t. 1, p. 43: 'AÀÀ' q) (sc Dieu) rfjç àpErfjç J.!ÉÀEl Kai rrov SlKa{wv, ovroç aOl (Cantacuzène) aVJ.!J.!axoç àvri mlvrwv KarEÀE{nEro, f3aarÀEù. Kai n{nroval J.!tv ol n)v èiSlKOV aVJ.!J.!ax{av tnT/rYEÀJ.!ÉVOl, n{nTEl St ro qJpoV11J.!a roù f3apf3upov, iaxvpàv vOJ.!{(ovroç rf1 nap' aùroù aVJ.!J.!ax{ç. n)v KaK{av nOlIjaElv. 4>Evyovar St ol KarayÉÀaarol ep{jKEÇ, roîç St Mapa8wvoJ.!uXOlç aiaxpov tSOKEl roù ÀOlnoù qJVÀUHElV n)v ruçlv. Cydonès trouve que Cantacuzène, prenant exemple sur David et MoÏ-
se(?!), s'est montré fort clément en repoussant ses ennemis. Ceux qui font preuve d'une pareille mansuétude, sont toujours vengés par Dieu; le cas de
215
Didymoteichon, Cydonès s'étonne de la magnanimité de l'empereur qui a de la pitié pour ceux qui ne désirent que sa mort. Le J.lêOaÇmV se montre beaucoup moins indulgent que son maître, voire franchement sanguinaire. 30 Quand Jean Paléologue pénétra enfin dans Constantinople au mois de novembre 1354, Cydonès conseilla même de faire venir les Turcs de Gallipoli dans la capitale afin d'en chasser l'empereur Paléologue. Cantacuzène nous raconte longuement ce qui se passa pendant la séance au palais impérial lors des discussions sur les mesures à prendre dans la situation extrême du moment. Il fait mention de l'argument que le J.lêOaÇmV aurait allégué en faveur d'une continuation de la guerre. Cydonès aurait fait valoir qu'on avait commis un très grand péché en engageant une lutte qui avait coûté tant de sang et causé tant d'autres terribles maux. Il plaidait pourtant pour la persévérance puisqu'en cas d'abandon de la partie, les remords et la peur de l'enfer ne seraient pas amoindris, tandis que tout profit matériel s'évanouirait. 31 Le contexte rend évident que Cantacuzène veut présenter Cydonès comme un homme noble et pieux à la fois, aux prises avec sa conscience. Voilà une jolie idée d'un trouble de consciencep2 Il est pourtant possible que Cydonès n'ait pas dit des choses tellement insensées. Après tout on sait que la .religion fut pour lui un objet de réflexion sérieuse sa vie durant. Il est plus important pour nous de savoir s'il a pensé laisser entrer les Turcs dans la capitale. S'il a vraiment fait cette suggestion, il aurait défendu pour la dernière fois une
on
Cantacuzène le prouve encore une fois: Kai 1'0 naVTae; ÈKnÂi'jrrov, Kai nepi Ti'je; aCùT11P{ae; avnov fJovÂev1J Kai Tàe; T'COV ÈXBprov Kai qJovÉCùv Tvxae; c5aKpvele; ( ...) aù c5t MCùaÉa Kai ..1avic5 ÈÂoy{Çov Kai ei ne; aÂÂoe; JleTà npaoT11TOe; 1]JlVVaTO TOÛe; ÈxBpove;, vntp cOv manep vvv BeDe; ànUTel T11v c5{K11V. (ep. 13, t. 1, p. 41-42). 30. ep. 15, éd. Loenertz, t. 1, p. 43: "EfJpcp c5t vvv manep LKaJlavc5pcp Ti'je; 'OJl1jpov c5eï JlOVarKi'je; ( ...) <> c5t TroV 1l'lnTOVTCùv qJovoe; nOÂûe; JleTà TOV peVJlaTOe; Ëppel. TOlOVTOle; Kai TOV TIJlÉTepov lWTaJlOV àn1jyyeÂÂov KeKOaJli'jaBal fJÉÂTlOV fi Toïe; napaneqJvKoar c5Évc5pear Kai 'l'aïe; JleTà TOVTCùV àJlnÉÂOle;. 31. Cantacuzène, IV, cap. 39, Bonn III, p. 285-86. 32. On pense plutôt à Macbeth (III, sc. iv, 135-37): . .. 1 am in blood Stepp'd in sofar, that should 1 wade no more, Returning were as tedious as go o'er.
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alliance turque en présence de témoins et mieux encore une alliance qui aurait mis fin à l'existence de l'empire et aurait perdu tous les chrétiens byzantins.
*** Il faut dire que dans les apologies et les lettres officielles, écrites par Cydonès ultérieurement, il n'y a pas une trace des tourments que lui auraient causés l'emploi de forces turques et l'effusion de sang qui en avait résulté. Ses trois Apologies n'ont d'autre but que la défense de ses sympathies catholiques et de sa conversion au catholicisme. 33 La correspondance de Cydonès vaut une mise au point. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle consiste en deux catégories toutes différentes. D'un côté il y a des lettres "officielles", au nombre de 319, choisies et copiées par Cydonès lui-même et réunies par lui en un corps. Ces lettres datent presque toutes de la deuxième moitié de sa vie. Une seule d'entre elles est adressée à Cantacuzène, elle contient des objurgations à se désister du palamisme. 34 Dans les autres lettres de cette catégorie Cantacuzène est à peine nommé. 3s D'autre part nous avons une collection des lettres rassemblées par des savants modernes, trouvées dans les bibliothèques et les archives. Ces lettres datent pour la plus grande partie d'une période antérieure. 36 On voit quelle a été la cause de cette répartition. 33. Les apologies ont été éditées par G. Mercati dans Notizie di Procoro e Demetrio Cidone, Manuele Caleca e Teodoro Meliteniota, Vatican 1931 (Studi e Testi 56), p. 359-435. 34. ep. 400, éd. Loenertz, t. 2, p. 355-56. Cydonès y déplore la publication ainsi que l'insignifiance intellectuelle du traité de Cantacuzène contre Prochoros (le frère de Cydonès). 35. Les lettres 71 et 241 (éd. Loenertz, t. 1, p. 102-2 et t. 2, p. 144-45), adressées respectivement à Asanes et à Matthieu Cantacuzène, contiennent encore des passages élogieux sur Cantacuzène. 36. La source pour la correspondance officielle est le Vaticanus Urbinus 133 (U), une copie fidèle du Vatican us graecus 101 (A), qui est mutilé. Les autres lettres se trouvent surtout dans le Burneyanus 75 (B) et l'Oratorianus (0). Voir l'introduction de Loenertz à son édition, p. II-V.
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Dans la correspondance officielle Cydonès se présente comme un homme tout d'une pièce, qui n'a jamais changé d'opinion. Tous les souvenirs désagréables des temps passés sont supprimés. Il évoque sans doute ses tourments d'esprit, mais ceux-ci concernent les calamités dont sa patrie a été frappée et presque toujours ils vont de pair avec des lamentations sur les conquêtes turques. Il ne parle que rarement de péchés de nous tous comme cause de la situation malheureuse de l'empire. 37 Et nulle part on rencontre des remords de sa propre participation aux événements douloureux du passé. Bien au contraire. Sa vie passée a été sans tache. Certains, cependant, ne se laissèrent pas prendre à ces protestations d'innocence. Nous le savons par une lettre de la deuxième catégorie, probablement écrite vers 1375 et adressée à Jean Paléologue, où Cydonès se défend contre des insinuations de la part de certains courtisans: (l'empereur a défendu Cydonès de se rendre à Mitylène) ... tant d'autres se sont même rendus chez les Turcs, se sont unis à eux contre vous, ont festoyé avec eux, leur ont fait des cadeaux et en ont reçu puis sont revenus, sans se cacher; et personne, au moment de leur départ, ne les a retenus, ni blâmés à leur retour, ni taxés d'infidélité, ni cru qu'ils méritaient d'être notés d'infamie. A moi on ne permet même pas d'aller chez un Chrétien (...) Qui donc a jamais pu m'accuser de fautes aussi graves? Est-ce qu'on craint, pensant au passé, que je nuirais à vos affaires? Il faut, j'imagine, attendre avec confiance l'avenir en jugeant d'après mon passé, mes actes ne m'ayant pas condamné. Si donc, dans ma vie passée j'avais eu le front de commettre quelque acte semblable (c'est-à-dire condamnable), qu'on me le présente! (...) Mais si jusqu'à présent ma vie s'est écoulée sans blâme, au moins quant à ma conduite envers vous, pourquoi suis-je suspect aujourd 'hui? Quoi! Dans ma jeunesse j'ai été sage et je me serais gâté avec l'âgef3 8
*** 39. ep. 309, éd. Loenertz, t. 2, p. 233; ep. 436, t. 2, p. 394. 38. ep. 117, éd. Loenertz, t. 1, p. 155-57. Nous avons emprunté la traduction en grande partie à Cammelli, nr. 38, p.102-03. ·AÂ.Â.· OIU:OÇ oÎJôt rrov
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On a toujours hautement loué le discours de Cydonès connu sous le titre De Admittendo Latinorum Subsidio, mais à la lumière de sa carrière au service de Cantacuzène c'est un document scandaleux. 39 Cydonès rappelle à ses compatriotes que seuls les barbares turcs menacent l'empire de ruine. Il ne veut parler que des pertes subies pendant les dernières quarante années. Il se tait pourtant entièrement sur la guerre civile, donnant ainsi une fausse idée des circonstances dans lesquelles ces pertes ont eu lieu. 40 Suit une criKOlvorarwv Dr, rourwv Kai 1CiiCJl avyxwpovlJévwv JjDvV1j811v rVXEiv, Kairol 1Coililoùç iaIJEV 1CPOÇ roùç TOUpKOVÇ Kai a1CODl1IJJjaavraç, Kai Karà aoü aVYYEVoIJéVOVç tKE:iVOlÇ Kai avvDEl1CV1jaavraç, Kai Dropa 'l'à IJtv D6vrai; 'l'à Dt ilafJ6vraç cpavEproç t1CaV1jKovraç oûç oUDEiç our' a1Cl6vraç tKlù.:lvaEv, our' t1Cavloüalv tIJéIJlJlaro, oUDt 1CpOJjVEYKE a 1Claria V, OUD' aTlIJiaç açiovç 1)yJjaaro . tIJoi Dt 1Capà XplaTlaVOV acplKéa8al, Kai aOl cpiilov rE Kai EUVOVV, 11Klara aVYKExroPl1ral ( ...) fi riç 1Cro1C08' ÉrEpoç rOlourwv KaKrov rov tIJOV fJiov ypalJlalJEVOç dilE; Kai Déoç IJr, rrov 1Cporépwv aVaIJV71a8Eiç fJilafJoç roiç aoiç 1CpaYIJaal yéVWIJal; ..1Ei yàp DJj1COV ràç rrov IJEilil6vrwv 1C{arElç tK rrov 1CapEill1ilv86rwv ilaIJfJavElv, orav TlÇ OUK a1Co rrov 1CpaYIJarwv ailiaKl1ral' Ei IJtv roivvv t1Ci roü cp8aaavroç fJiov rOloür6v ri IJOl rEr6ilIJl1ral, Éarw 1Cprorov IJtv tKEivo, 0 Dé TlÇ vüv IJaVrEUEral DEurEpov, Kai KailE:irw IJE 'Duavovv 0 fJovil6IJEVOÇ a1C' tKE:iVOV' Ei tKEivoç IJtv IJéXPl vüv avéYKill1rOÇ ÉIJElVE, yE Eiç aé, 1CroÇ av ÉXEl il6yov 1) vüv V1ColJlia; Ou yàp DJj1COV tv VE6rl1'l'l IJtv t1ClaraIJl1V aWCPPovEiv, rfjç Dt 1)illKiaç 1Cpoi'oual1ç DlEcp8apl1v rr,v yvroIJl1V.
ra
39. PO 154, col. 962-1008. 40. col. 964 sqq. Dans ces pages Cydonès suggère que les provinces byzantines suivantes avaient été perdues au cours des quarante années qui venaient de s'écouler: la Bithynie, l'Ionie, la Carie, la Pamphilie, la Phrygie, la Paphlagonie, bref toute la partie de l'Anatolie byzantine en réalité déjà conquise par les Turcs vers 1300. Il continue: et alors je ne parle pas de la Thrace et de la Rhodope, de la Thessalie et de la Macédoine (col. 964 C-D). La témérité des barbares (sc les Turcs) était arrivée à son comble quand ils traversèrent l'Hellespont, commençant la conquête de la Thrace (col. 965 C). Cydonès reproche à ses compatriotes leur impuissance, voir leur insensibilité en face de toutes ces calamités (col. 965 D-968 B): Taüra ro{vvv Ei IJtv OUK acp6pl1ra TlÇ 1)YEiral Kai roiç 1CE1Cov86alv oux {Kavà Karà rrov JjDlKl1K6rwV opyr,v Kai 1CapOçVaIJov tIJ1ColfjaUl, 8avIJa(w roürov tyciJ rfjç Eiaa1Cav availYl1aiaç Kai OUD' av8pw1CiV71Ç cpJjaalIJ' av aurcp IJErEival IJIVxfjç. Ti yàp av Eil1 ilOl1COV V1Ctp orov TlÇ aIJvvEiral, Ei raüra IJr, DaKvEl; "H rourwv aVEx6IJEvoç, rivaç av rlç IJlaJjaElE DlKal6rEpov; La fausseté de
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tique des alliances serbes et bulgares. Ces peuples sont trop pauvres et trop mal organisés pour être d'utilité aux Byzantins. En outre ils essaient toujours de s'emparer des territoires appartenant à l'empire. 41 Mais voilà que Cydonès entonne un chant de louange sur les nations occidentales. En réalité elles n'ont jamais été moins avides de territoire byzantin que les nations slaves. Par conséquent tout ce que Cydonès dit d'elles est de pure invention. Les croisés en Syrie et en Palestine auraient rendu aux Byzantins les villes prises par les infidèles, sans demander de récompense. Grâce à eux les Grecs en Asie auraient récupéré la liberté politique et religieuse. 42 Cependant, les Byzantins se sont toujours montrés ingrats à leur égard, leur nuisant de toute manière. 43 Ainsi il en vient à parler du bienfait le plus récent que les occidentaux ont procuré aux Byzantins:
Ceux qui ont attaqué Smyrne il y a peu de temps, occupant le port, où était réunie la flotte entière des barbares qui avait dépeuplé notre pays; ceux qui ont tué le barbare qui y défendait les murs de la ville et du vivant de qui on devait attendre tous les malheurs - d'où venaient-ils et pour qui? Ni les Scythes, ni les Mysiens auraient osé une telle entreprise. Mais eux venaient juste pour nous aider. Et bien, ils venaient des Alpes. Vous savez tous quelles vagues de malheur nous ont été portées
tous ses dires n'a pas pu échapper à ceux qui écoutaient ou lisaient le discours. Il nous semble impossible que personne ne se soit rendu compte du rôle joué par Cydonès lui-même pour favoriser les invasions turques. Voir plus loin, note 59. 41. ibid., col. 972 C-977 A. 42. ibid., col. 980 C-D. 43. ibid., col. 980 D: Tivee; yap eialv Dl J.léXPI Lupiae; Kaz naÂala'riVT/e; untp T,J.lrov roDe; f3apf3apoue; tSloJKovree; Kaz tSéKa J.ltv J.lUplaar veKprov 1'0 nepz rov 'OpOV1'1]V netSiov KaÂVIJfavree;, T,J.liv tSt npoiK' ànotSetSroKoree;, lie; àqJ1.1p7]J.le(Ja noÂele; . Kaz roDe; J.ltv novoue; avrrov nOIT/aaJ.leVOI, rà tS' a(JÂa roie; T,J.lerépOle; tSetSroKoree; Kapnova(Jar, 1'17V tS' ÈÂeu(Jepiav Kai r1jv evaef3eiav miar roie; r1jv 'Aaiav oiKovarv "EÂÂT/arv roanep 1'lva qJuyatSa Karayayovree; . Kaz ravra rrov ev naaxovrrov ovtSt xaplv avroie; rfie; evepyeaiae; eitSorrov, àÂÂà Kaz nOÂeJ.lelv OVK oKvovvrrov Kai navra rponov KaKOVV1'rov rove;, onep J.l1j rav(J' T,J.leie; uno rrov nOÂeJ.lirov nela0J.le(Ja, navra nOleiv ÉÂoJ.lévoue;;
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par le port de Smyrne. Combien de sacrifices en hommes et en argent ont-ils fait et font-ils encore chaque année? Ce sont eux qui ont couru les dangers, le gain a été pourtant pour nous, qui n'avions pas remué par impuissance. 44 Cydonès ajoute qu'il n'y avait pas d'esclaves italiens à Ephèse et à Magnésie, mais seulement des esclaves byzantins. 45 Il est· clair que Cydonès parle de la croisade contre Smyrne, commencée en 1343. Le barbare de Smyrne est donc Umur, qui avait assuré la victoire aux cantacuzénistes. Vingt ans plus tôt Cydonès avait chanté ses louanges. Les desseins des croisés étaient tout autres que ceux que Cydonès leur attribue. Ils combattaient la piraterie turque afin de protéger la navigation des nations occidentales dans la Mer Egéenne. Ils ne se souciaient aucunement du sort de Byzance. On répondit à une délégation de citoyens de Philadelphie envoyée à cette époque à Avignon afin d'implorer du secours, que les Byzantins devaient commencer par abjurer leur hérésie; ils feraient mieux de penser à leur salut éternel qu'à leur profit matériel ... 46 Cydonès arrive enfin au sujet véritable de son discours. Le 44. ibid., col. 981 A-B: Oi 8' o)dycp npoTepov 7:71V L/lUpVaV KaTa).,afJovTeç Kai TOV ).,l/lÉva /ltv Ka Taaxovr:eç, OV Tà niiaav 7:11V ~/leTÉpav àO{KTlTOV nenOlTlKOTa n).,oia nov fJapfJaprov aVVTIBpo{~eTo, TOV 8t fJapfJapov aVToBl npoç Toiç Telxeal /laxo/levov KTelVaVTeç, ov ~cOVTOÇ ov8tv TcOV KaKcOv àvÉ).,maTov J]v, noBev WP/lâ'Jvr:o Kai ûal xapl~O/leVOl TOUTO &no{ovv; OUTe yàp LKVBcOv Tlveç fi MvacOv Tà TOlauTa &TO).,/lroV OUT' a).,).,Olç n).,Tjv ~/lcOV fJOTlBrjaovTeç J]KOV. Oi ye yàp &).,BOVTeç &K TcOV "A).,nerov én).,eov. Kai 0 TroV L/lVpva{rov ).,l/lTjV raTe naVTeç ola niialv ~/liv iiyelpe KU/laTa. lloaov 8' vntp TOUTOV Kai aro/laTrov Kai XPTl/laTrov nM'iBoç Kai npoTepov àVTI).,ouaBal 80KûTe Kai vuv àva).,ouaBal KaT' éTOÇ; llavTroç âv éaTTI Kai nTlyàç éxov àpxrjv. KàKelVroV /ltv ol Klv8vvol Kai Tà àva).,W/laTa . ~/liv 8t KaBTI/lÉvOlÇ Tà &vr:euBev npoaylveTal KÉp8T1. 45. ibid., col. 981 C: ... ovB' evpOl nç âv ']Ta).,lKov àv8pano8ov &V 'EcpÉacp Kai MaYVTIaIÇl, à)"),, ~ ~/leiç &a/ltv ol 8ov).,euovTeç navTaxou . vntp WV &KeivOl napoçvvBÉvTeç, oMyalç TplrjpealV &mn).,euaavTeç, KaTÉ).,afJov TOVÇ fJapfJapovç eiKOal Kai tKaTov n).,olOlç àv8pano8l~O/lÉVOvç 7:71V "]/lfJpov. 46. E. Déprez, Innocent VI (1352-1363), Lettres closes, patentes et curiales, Paris, s.a., nr. 38, p. 22-25.Cf Lemerle, L'émirat d'Aydin ... , p. 236-37.
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comte Amédée VI de Savoie, l'un des chefs désignés d'une croisade générale qui avait été annulée définitivement par le pape Urbain V le 6 janvier 1366, avait organisé une croisade "privée" pour se dédommager de ses attentes de profit. Pour des raisons diverses il se dirigeait vers les Balkans. 47 Cydonès était tout à fait au courant des projets des puissances occidentales. Dans une lettre de 1364 il s'était montré très sceptique à l'égard de la croisade générale. 48 Mais voilà qu'Amédée conquérait en très peu de temps Gallipoli sur les Turcs (août 1366); C'est pour Cydonès tout d'un coup une raison de louer hautement les prouesses des armées de l'Occident. Il élève maintenant jusqu'aux nues la politique des puissances occidentales en général; le tout, croyons-nous, en vue de ses intérêts personnels, lesquels auraient été grandement servis par un renforcement de l'influence occidentale en Orient, en l'aidant à se maintenir comme catholique dans le milieu byzantin (v. plus loin). A vrai dire, il continuait à espérer qu'un jour les puissances occidentales viendraient en aide à Byzance. Il ne voulait jamais plus des Turcs. _ Le changement de l'attitude de Cydonès à l'égard des masses populaires est encore plus surprenant que son éloignement à l'égard des Turcs. On pourrait dire qu'il s'agit en ce cas d'une évolution inverse. Un certain rapprochement s'est accompli. Il se demandait de plus en plus si la soumission aux Turcs signifierait vraiment un grand changement pour le peuple, compte tenu de sa situation actuelle. Quand dans les années '80 Thessalonique fut assiégée par les Turcs, Cydonès conseilla à son ami Rhadenos de quitter la ville avant qu'il ne soit trop tard. On sait par expérience, écrit-il, ce que les Turcs font des villes qu'ils ont prises: ils les dévastent et les dépeuplent ou bien ils commettent envers la population les atrocités les plus horribles. Ceux qui ont consacré leur vie aux Â6YOl et à la nalôeza doivent fuir encore plus que les autres, puisqu'on ne peut pas cultiver les lettres et la philosophie 47. Le comte était un cousin de l'empereur byzantin. Il lui semblait que des conquêtes dans ces contrées seraient plus faciles à faire qu'en Palestine. Voir E.L. Cox, The Green Count of Savoy. Amadeus VI and Transalpine Savoy in the XIVth Century, Princeton 1967. 48. ep. 93, éd. Loenertz, t. 1, p. 126-28 (Cammelli, nr. 13, p. 29 sqq).
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sans liberté. Quant aux masses populaires, c'est autre chose: On ne peut reprocher au 7rÀ:ij8oç de vouloir rester sur place et supporter l'esclavage, puisqu'il est accoutumé de temps immémorial à une vie de servitude et de misère. 49 Vers 1373 Cydonès adressait déjà une lettre à un dignitaire aulique à Constantinople dans laquelle il condamnait l'exploitation des pauvres par les fonctionnaires impériaux. Il n'y voit pas seulement injustice, mais aussi imprévoyance politique. Les pauvres constituent la vaste majorité des citoyens. Leur ruine entraîne donc la ruine de l'Etat. Cydonès craint la révolte des pauvres. S'imaginant que les ennemis sont moins cruels que leurs maîtres, ils passeront peut-être aux Turcs, remplissant la ville de pillages et de tueries, au lieu de contribuer au maintien de l'Etat. 50 Le même ton se fait entendre dans une lettre à l'empereur Manuel II Paléologue, à l'occasion du siège de Thessalonique par les Turcs (1383-88):
Dieu nous accordera peut-être la délivrance, si seulement nous persévérons dans la piété, si nous nous conduisons avec modération et en bons citoyens envers nos sujets et que nous 49. ep. 332, éd. Loenertz, t. 2,p. 264 (Cammelli,nr. 31, p. 89):L'vrrVWJl71 f>t Kai d nv~ç roù 1l'À.Jj8ovç {3oVÀ.718û~v auroù JlÉV~lV Kai rijç f>ovÀ.Eiaç àVÉx~a8al, U1l'D f>~a1l'6ralç avw8~v 6vr~ç Kai rfi raÀ.al1l'wp{q. avv~l8laJlÉvol ... Cydonès continue: et puis les masses populaires, à cause de leur ignorance, ne prévoient pas les maux qui les attendent (tiJla f>t f>l' à1l'arf>~va{av Jl71f>t f>vVciJl~VOl rà KaraÀ.7111f6Jl~va rourovç KaKà 1l'pOrlVwaK~lv).
Cette considération rehausse encore l'élément d'insincerité dans la remarque précédente, laquelle suggère d'une manière odieuse que la population aurait pu s'éloigner si elle avait voulu. Tout cela n'empêche pas que, dans la lettre citée, il se fait jour une certaine pitié à l'égard du peuple que nous n'avons trouvée nulle part ailleurs dans la littérature de l'époque. 50. ep. 114, éd. Loenertz, t. 1, p. 152-53. Cydonès écrivit cette lettre au moment où toute la Thrace était déjà conquise par Murad. Il est donc permis de conclure du passage cité que les masses ne passèrent pas aux Turcs. Cydonès en aurait certainement fait mention. Ce sont des masses de Constantinople et de Thessalonique dont il se méfie. La population de la Thrace fut en grande partie déportée en Anatolie. Voir Ostrogorsky, Staat, p. 443; F. Babinger, Beitrage zur Frühgeschichte. der Türkenherrschaft in Rumelien (14-15 Jht) Brünn/Munich/Vienne 1944.
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utilisons rEtat non pas pour l'avantage particulier de quelquesuns, mais avant tout dans rintérêt général. 51 Les craintes de Cydonès ne se confirmèrent pas. Les masses populaires ne firent nulle part cause commune avec les Turcs. Apparemment elles se rappelaient mieux que Cydonès ce qui les attendait sous la domination turque. 52 L'histoire se répétait d'une autre manière qu'il ne l'avait prévu. L'élite se divisa comme au temps de la guerre civile et de nouveau les partis invoquèrent le secours des Turcs. 53 Cydonès s'en indigna, déplorant surtout les inimitiés au sein de la famille impériale. En 1391 il écrit à Théodore Paléologue, despote de Mistra:
51. ep. 299, éd. Loenertz, t. 2, p. 218 (Cammelli nr. 48, p. 124): ... 0 K'ai r,j.lïv iacoç &oaEl BE6ç, av j.l6vov, o8iK'alOV, TT}V j.lÈv EuaE{JEiav rl1PWj.lEV aur(jJ, roïç 8' vqJ' r,j.làç j.lErp{coç K'ai 7l'OÀ.lTlKWÇ Oj.llÀ.Wj.lEV K'ai roïç 7l'apEj.l7l'{7l'rOval rwv 7l'payj.lurcov OUX mç av TlVEÇ i8{fl. (JEpa7l'EVOlVrO XPWj.lE(Ja, àÀ.À.' roç av 7l'PD 7l'uvrcov rD KOlVDV wqJEÀ.oïro ... Sur ces années voir G.T. Dennis, The Reign of Manuel II Palaeologus in Thessalonica, 1382-1387, Rome 1960. 52. Il est clair que les habitants de Thessalonique ne se sont pas insurgés ouvertement contre Manuel, le chef de la résistance contre les Turcs. Cependant, plusieurs notables avaient désapprouvé le combat, refusant de faire des sacrifices. Après la prise de la ville en 1387 Cydonès se montra très content de la conduite de la population, disant que seule la faim la contraignit à se soumettre à l'ennemi (ep. 332, éd. Loenertz, p. 264). L'empereur Manuel ne partagea pas cette opinion. Il savait très bien que parmi l'aristocratie des traîtres avaient continuellement intrigué contre lui (ep. 67, éd. Dennis, p. 187). Cf Dennis, op.cit., p. 85-88. Pendant le dernier siège par les Turcs (1423-30) les masses devinrent apathiques. Elles souffraient de faim et de soif au point de désirer ardemment la fin du siège comme une délivrance (les riches disposaient eux toujours de provisions considérables). V. la relation de Symeon, métropolite de Thessalonique, dans D. Balfour, Politico-Historical Works of Symeon, Archbishop of Thessalonica (1416-7 to 1429), Vienne, p. 55-56 (trad. p. 157-58). 53. Sur cet épisode v. P. Charanis, The Strife among the Palaeologi and the Ottoman Turks 1370-1402 dans Byzantion 16(1942/3), p. 286-3145. Pour la période en général Ostrogorsky, Staat, p. 440-56; J.W. Barker, Manuel II Palaeologus (1391-1425). A Study in Late Byzantine Statesmanship, New Brunswick/New Jersey 1969.
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L'ancien mal destructeur, la lutte des empereurs (Manuel Il et Jean VII) pour l'ombre de la puissance, ne cesse plus. Tous ceux qui s'y mêlent, sont contraints de servir les barbares pour ne pas perdre haleine. On sait que seul gouvernera celui qu'ils soutiennent. Ainsi les empereurs sont devenus leurs esclaves ... S4 Après la prise de Thessalonique (1387) Cydonès déconseilla avec insistance à son ami Rhadenos de suivre Manuel Il, qui s'était rendu chez Murad:
Prends garde à toi, ne trahis pas ton honneur ni ta liberté et, bien entendu, ton âme à laquelle tu nuirais en premier en vivant avec les Turcs. Il n) a rien à gagner chez les impies, des ennemis qui profitent de notre misère. Comment peux-tu supporter la vue de ceux qui ont dévasté ta patrie, réduit en esclavage tes parents et tous les autres qui te sont chers; qui ont jait de toimême un vagabond et un expatrié? Quelle personne de bon sens peut espérer des esclavagistes la liberté? Il est insensé de penser (... ) que la ruine de tous peut nous sauver personnellement. 55 54. ep. 442, éd. Loenertz, t. 2, p. 407: MévEl Dt npoç rovrOlç Kaz ro àpXaiov KaKOV Kaz 0 ncivra à nWÀEaE v, 1] T(OV {3aarÀüJJv nEpz rou rfjç àpxfiç ravT11ç EiDWÀOV DlXOVOlU Kaz ro Dlà raVTTlV àJuporépOlç àvciY K17 V ElVal 8EpanEVElV rov {3cip{3apov, chç ovrw youv JlOVWç tvov àvanvEiv . onorépcp yàp av npoa80lro, rourov Ev8vç TOU ÀOlnou KpaT."aElV nciVTEç OJloÀoyouarv . cOaT' àvciYK17 npo rrov nOÀlrrov rovç f3aarÀéaç aVTovç tKElVcp DOVÀEVElV Kaz ~fjv npàç ràç tKEivov napaYYEÀiaç . Kaz VUV aJlqJw no {3aarÀéE tKcirEpoç JlErà TfjÇ nEplÀElqJ8Eia17ç DVVliJlEWÇ KEÀEva8évrEç €novrUl rovrcp, ràç tv tPpvyiÇJ. Kaz llovrcp nOÀElç avvEçalpouvTEÇ avrcp ... 55. ep. 355, éd. Loenertz, t. 2, p. 298: av8pwnE, qJEiaUl aavrou, Kaz Jlr, rr,v TlJl"'V rE éiJla Kaz Tr,V tÀEv8Epiav npoDcpç OKVro yàp EinEiv rr,v lJIVX"'V, ijv npwr17 V {3ÀcilJlElÇ r'fi avvovaiÇJ. TlOV TOVpKWV. OVK ÉaTlv 6vaa8ai Tl rmv àaE{3mv, OVK ÉaTl rmv nOÀEJl{WV, OVK ÉaTl rmv àno rmv 1]JlErépwv aVJlqJopmv 17 vç17JlévwV. llroç OlJlEl TOVÇ àvaaT"'aavrciç aOl rr,v narpiDa; llmç rovç rr,v avyyévElUV Kaz rovç qJlÀrcirovç DovÀwaaJlévovç, nmç rovç nÀavTjr17v Kaz anoÀiv aE tpyaaaJlévovç; "H ri av TlÇ napà rmv àVDpanoDlarmv tÀEv8Ep{aç l tXOJlEVOV vouv ÉXwv tÀniaal; Ma via, Jlr, {3ovÀEa8al aWqJpovEiv, Toaovrwv 1]Jliv rfjç tKElVWV V{3PEWÇ tarwrwv napaDElYJl ci rwv, àÀÀ' oiEa8al rovç KOlVOVÇ oÀé8povç K17DEJlOVaç Kaz npoçévovç 1]Jliv ÉaEa8Ul aWT17piaç.
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Le revirement de sa pensée se montre achevé dans une des ses dernières lettres, écrite en 1391 à Constantinople et adressée à Manuel II, qui se trouvait alors chez les troupes de Bayezid en campagne en Anatolie. Déplorant le séjour de l'empereur chez les barbares, Cydonès en vient à parler des troubles dans la capitale bloquée par les Turcs. Il s'indigne surtout de l'élite, qui, de manière sanglante, réprime la juste colère du peuple:
Au moment qu'un tel malheur afflige la ville et, bien entendu, ses habitants, ceux-ci, au lieu de s'unir, prennent les armes les uns contre les autres. Il est impossible de corriger ceux qui nagent jusqu'à présent dans le mal et attribuent toute la misère actuelle à la rébellion. En vérité l'indigence des masses et l'opulence injuste d'un petit nombre.doit exciter, chez les pauvres, l'envie à l'égard des possédants. Si la pauvreté s'accroît et l'insatiabilité des riches reste impunie, il peut bien arrriver que les rôles des deux partis soient renversés (les excès ne durant jamais longtemps). Le pire est la faim qui frappe sans distinction. Si elle commence à affliger les gens aisés, elle détruit les pauvres. D'ailleurs elle pousse les indigents à l'attaque contre les gens fortunés. La faim fomente les luttes intestines, car on ne saurait imaginer les masses tolérant que d'autres se bourrent quand, elles, doivent se mettre au lit affamées. Les puissants, à leur tour, inquiets pour leur sort, s'apprêtent à repousser ceux qui leur dressent des embûches. 56 56. ep. 432, éd. Loenertz, t. 2, p. 390: "0 noaov KaKov Taic; noÂt:arv Kai eStoc; 'mic; nOÂlTaic; ÈJ1.f3aÂÂov Kai T1'1V nOÂlv aVTi J1.lac; nOÂÂàc; TauTac; Èpyat;t:Tal Èn' aÂÂTlÂovc; TWV qJiÂmv DnÂlt;oJ1.tvmv, J1.aTalOv eSleSaaKt:lv TOÙC; J1.tXPl VVV ÈvvtovTac; Tep KaKep Kai nov napOVTmv eSt:lVWV J1.0VOV T1'1V aTaarv aiTlmJ1.tvovc;. Kai J1.r,v Kai 1] nov J1.tv nÂt:iaTmv lveSt:la TWV eS' oÂiymv aeSlKoc; nt:plTTOTl1C; J1.tXPl J1.tv VVV TOÙC; ÈveSt:t:iC; ToiC; lxovarv avayKat;t:l J1.0VOV qJ(}ovt:iv. ''A v eSt ToiC; J1.tv 1] nt:via auçl1Tal, ToiC; eSt TO anÂl1aTOV ov KOÂat;l1Tal, eStoc; J1.r, npoc; TovvavTiov Tà Tfic; TUXl1C; aJ1.qJoiv aJ1.t:iqJ(}1J . TO yàp ayav OVK È(}tÂt:l J1.tXPl noÂÂov napaJ1.tVt:lV. llUJ1.aTOV eSt KaKov 0 ÂiJ1.0C;, ifeSl1 J1.tv navTmv 1]J1.J1.tvoc;, J1.aÂÂov eSt TOÙC; J1.tv deSpOTtpOVC; r,PYJ1.tvoc; Âvnt:iv, TOÙC; eSt ntV17Tac; Kai ÈKTpif3mv, av eS' ÈmTa(}fi ÂaJ1.npWc; Kai ToiC; t:vnopOlC; J1.t:Tà TWV anopwv Èm(}l1a0J1.t:VOC; Kai naVTac; KaT' aÂÂTlÂmv m(}Tlamv, Ènt:i J1.11eSt eSvvaTov aÂÂmv ÈJ1.mnÂaJ1.tvmv OUTt: TOÙC; nOÂÂOÙC; avtçt:a(}ar, OUTE: TOÙC; nOÂÂoùc; aVTOÙC; Èni Tr,V t:vvr,v WC;
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Dégoûté sur ses vieux jours du spectacle que lui présentait le milieu byzantin où il vivait, Cydonès se retira plusieurs fois en Italie. La nostalgie l'empêcha d'y rester, mais il trouva enfin à l'île de Crète un refuge dont l'atmosphère n'était pas trop différente de celle de sa patrie et où il pouvait vivre en toute tranquillité selon ses convictions catholiques. L'empereur Manuel l'accusa de désertion. 57 Cydonès lui avait écrit auparavant qu'il ne pouvait plus être d'aucune utilité à l'Etat byzantin. 58 En outre, son catholicisme l'isolait entièrement.
*** Nous avouons que nous sommes en difficulté pour porter un jugement définitif sur la personne de Cydonès. On ne peut douter de la sincérité de sa conversion au catholicisme puisqu'elle ne lui a causé que des ennuis qui ne l'ont pas empêché de persévérer dans la foi. D'autre part il est certain qu'il n'était pas sincère en attribuant aux puissances catholiques de son époque un désintéressement allant à l'encontre de tout ce que nous savons de leur politique. Nous ne pouvons nous empêcher de soupçonner du calcul dans son soutien, à une époque ultérieure, des activités des puissances occidentales en Orient. Aurait-il espéré un jour pouvoir rompre son isolement et devenir une espèce de "Gauleiter" (sil venia verbo) d'un empire byzantin à la merci d'une coalition d'états catholiques? Si ce n'est qu'un soupçon, il n'est toutefois pas sans fondement. 59 lrt:lvrovraç iéval Kai rovç ôvvarovç àvaYK17 'l'aura qJvÀarroJ.lévovç 7r6ppm(}~v rovç e7rlf3ovÀ~vaovraç ~ipY~lv. 57. ep. 36, éd. Dennis, p.62. Voir Barker, op.cit. supra, note 53, p. 418-19 .... at ôi] Àéym 'l'av ri]v àÀÀorpiav (}éJ.l~vOV 7rpa rfiç 7rarpiôoç, rynvl Kai finç a~ 7rÀ~ov~Krouaa vvv tX~l, f3017(}~iv 7r~lpiia(}Ul 7raaalç J.l17xavaiç à~lOi' 0 a~ mivrmç ÀaJ.l7rproç eÀéYX~l J.li] ri]v eV~yKaJ.léV1Jv wç xpi] qJlÀouvra. M17ôt yàp oiov r{j) ravr17v eKrpaycpôûv t~m f3~Àrov a~ Ka(}rjJ.l~VoV rfiô~ 'l'à ylyv6J.l~v· à7ro7rÀ17POVV, àÀÀà ôûv a~ KaKroç 7rparrovau rrov r~ Klvôvvmv J.l~pir17V elval Kai tpYOlÇ âç ÔVVaJ.llV f3017(}~iv, ~i ri aOl J.léÀ~l ô~i~al 'l'av arpanciJr17 v À~l7rora~iov ypaqJfiç v"'17À6r~pov.
L'empereur l'avait déjà admonesté souvent de ne pas quitter la patrie. 58. ep. 309, éd. Loenertz, t. 2, p. 233. 59. Si Cydonès avait l'habitude de décrire des événements historiques
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Quant à la contradiction flagrante entre son attitude accommodante à l'égard des Turcs pendant la première période de sa vie et sa haine pendant la seconde moitié, il est possible qu'encore une fois il s'agit d'une conversion. La manière dont il a escamoté ses opinions et ses activités quant à la période où il était solidaire de Cantacuzène, n'est pourtant pas admirable. Toutefois, on peut dire qu'il n'a pas commis la bêtise des personnages passés en revue jusqu'ici, en plaçant côte à côte des énoncés qui s'excluent l'un l'autre. Il a été sans doute plus intelligent que ses compatriotes contemporains. Mais une autre contradiction découle de cette constation. S'il est vrai que le style c'est tout l'homme, comment expliquer qu'un homme intelligent et sincère a utilisé un style sinueux et ridiculement hyperbolique, souvent chaotique, qui fait d'une manière très subjective, en les enveloppant en outre - en accord avec la tradition byzantine - de circonlocutions rhétoriques les rendant quasi méconnaissables, on ne peut pas dire qu'il était enclin à falsifier tout bonnement l'histoire. C'est pourtant ce qu'il fit dans l'oraison De Admittendo Latinorum Subsidio. Présenter les activités politiques et militaires des puissances de l'Occident comme des exemples d'un altruïsme surhumain, c'est déjà aller à l'encontre de toute véridicité. Mais en outre il faut constater qu'il se réfère à des événements ayant eu lieu récemment, de sorte que ses auditeurs ont dû remarquer tout de suite qu'il faisait violence à la vérité d'une manière excessive. Et comment l'empereur et les hauts dignitaires de l'empire ont-ils pu tolérer être humiliés par une exhortation à la gratitude envers les puissances occidentales? Elles qui depuis des siècles n'avaient fait que s'emparer des territoires byzantins? Comment auraient-ils avalé sans broncher l'accusation de n'avoir pas reconquis eux-mêmes, par lâcheté ou impuissance, des villes ou des territoires perdus, et de se les faire ensuite restituer par leurs supérieurs, guerriers plus valeureux? Bref, nous sommes portée à croire que Cydonès n'a pas prononcé le discours en question devant l'empereur et son entourage, mais que ce playdoyer en faveur des puissances catholiques de l'Occident fut écrit par l'auteur pour se rassurer lui-même. Il trahit le désir d'être du côté des occidentaux, ce qui correspond à son éloignement mental - et souvent physique - de Byzance. Si Cydonès n'a jamais fait le pas décisif, il peut avoir rêvé à une incorporation des derniers lambeaux de l'empire byzantin dans une communauté politique occidentale où il serait mieux en place que dans un empire orthodoxe, ne constituant qu'une masse de faillite du point de vue politique. Encore une fois, nous n'avançons que des suppositions, mais ce qui est sûr, c'est que Cydonès a quitté l'empire à plusieurs reprises, qu'il est allé mourir en pays "étranger" et que Manuel II l'a accusé de désertion.
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de Cydonès un des auteurs les plus difficiles à comprendre de toute la littérature byzantine? Il reste pourtant à considérer le changement remarquable de son attitude à l'égard des masses populaires; il suppose en effet un grand effort d'esprit. La haine et le mépris à leur envers au cours des années 1341-54 contrastent avec la compréhension qu'il leur manifeste lors d'une période ultérieure. Certes, Cydonès ne devint jamais un ami du peuple, chose dont on ne peut lui faire reproche. Toutefois, les documents que nous avons cités font preuve d'une certaine pitié de la misère du peuple et d'une notion des tort de ses oppresseurs, ce qui est rare, sinon unique chez l'élite de l'époque (et n'aurait pas été malséant chez le saint évêque Grégoire Palamas). Nous pourrions proposer une solution facile à toutes les difficultés mises en avant, en présentant l'esprit de Cydonès simplement comme un reflet du désarroi màtériel et spirituel de son milieu. Cela ne suffit pourtant pas à déterminer la psychologie individuelle d'un personnage aussi compliqué et exceptionnel, par ses convictions religieuses, que celui de Cydonès. Avouons plutôt que sur ce point il faut conclure par un non tiquet. Si les secrets de son âme nous échappent, nous espérons toutefois avoir réussi à comprendre sa situation historique autant que les sources le permettent.
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CHAPITRE V Un .Homme d'Eglise: Matthieu, métropolite d'Ephèse
Manuel Gabalas, métropolite d'Ephèse à partir de 1329, sous le nom de Matthieu, naquit en 1270 ou 1271 à Philadelphie. l Quand la guerre civile éclata c'était donc un vieillard. A la différence des personnages dont nous avons parlé dans les chapitres précédents, qui n'avaient pas de souvenirs distincts de la période en question ou même étaient nés plus tard, il avait été témoin, à l'âge adulte, de la conquête de l'Anatolie occidentale par les Turcs. Gabalas vécut des dizaines d'années dans sa ville natale dans un climat constant de guerre. Du grade de diacre et protonotaire, il accéda au rang de chartophylax du métropolite de son diocèse. Philadelphie fut assiégée plusieurs fois par les Turcs. Elle ne tomba définitivement entre leurs mains qu'en 1391, longtemps après la mort de Matthieu. Cette circonstance est de grande importance pour la pleine compréhension de la vie de Matthieu et requiert en soi une explication. 1. Sur la vie de Matthieu voir M. Treu, Matthaios Metropo/it von Ephesos. Ueber sein Leben und seine Schriften (Programm des Viktoria-Gymnasiums zu Potsdam, Ostern 1901), Potsdam 1901; S. Kuruses, Mavovi])" Ta{3a)"àç dra Mar(}aïoç /lT/rpo1fo),,{rT/ç 'EqJùJOv (1271/2-1355-60), A' Tà {3lOypaqJlKa, Athènes 1972. La correspondance de Matthieu est la source la plus importante pour la connaissance de sa vie. Les lettres conservées dans le Vindob. Theol. Gr. 174 ont été décrites et analysées par Kuruses, op. cit., p. 192-292, plus tard éditées et traduites en allemand par D. Reinsch, Die Briefe des Matthaios von Ephesos im Codex Vindobonensis Theo 1. Gr. 174 Berlin 1974. Les lettres qui se trouvent dans le Par. gr. 2022 ne sont pas encore éditées, mais v. la description par J. Gouillard, Après le schisme arsénite. La correspondance inédite du Pseudo-Jean Chi/as dans Académie Roumaine, Bulletin de la sect. hist. 25(1944), p. 174-211; et S. Kuruses (qui a découvert que le Pseudo-Jean
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Philadelphie (actuellement Ala~ehir) est située au pied du massif du Tmolos (Boz Dagi) dans la vallée de la Kogamo (Gediz Nehri), un affluent de l'Hermos. La ville était ceinte d'immenses ouvrages de fortification, défendant toute la superficie construite de la vallée. De nos jours, les ruines en sont toujours visibles. En outre des facteurs d'ordre géo-politique garantirent Philadelphie jusqu'à la fin du 14e siècle d'une occupation turque. Le Tmolos formait le point de rencontre des émirats de Germian, Saruhan et Aydin. Puisque les émirs de Germian étaient des ennemis jurés des émirs de Saruhan et d'Aydin, les gouverneurs byzantins de Philadelphie étaient à même de jouer les Turcs les uns contre les autres, d'autant plus qu'il y avait souvent des conflits entre Saruhan et Aydin. Les turcs de leur côté, impuissants à s'emparer de Philadelphie, se contentèrent à plusieurs occasions de se faire payer des tributs par les habitants en échange d'une trêve. De cette situation résulta un modus vivendi entre la ville et les émirats environnants. Des relations de commerce se développèrent, les textiles de Philadelphie devenant l'un des produits des plus recherchés par les Turcs. Tout cela prit fin au début de la conquête de l'Anatolie par les Turcs ottomans. Ils s'emparèrent de Philadelphie à peu près en même temps que de Germian, de Saruhan et d'Aydin. 2 Cheilas est Matthieu) op.cit. supra, p. 122-39. L. Previale a édité deux oraisons funèbres de Matthieu, dont une sur la mort de Théolepte, métropolite de Philadelphie, dans BZ 41(1941), p. 4-39. Matthieu a écrit quelques traités de philosophie morale dont la plupart n'ont pas été édités. On trouve deux de ses commentaires sur Homère chez P. MatrangaAnecdota Graeca ... , Rome 1850, p. 520-24 (= PG 149, col. 663-67) et A. Westermann, MyeOrPAlPOI, Scriptores Poeticae Historiae Graeci, Brunsvic 1843, p. 329-44. Pour notre sujet il n'est pas sans intérêt de noter que Matthieu philosophe préfère la praxis à la theorie. Il est d'opinion que l'étude de la philosophie n'a pas de sens si l'on ne voue pas sa vie au service de ses prochains. V. entre autres une lettre, adressée à son ami Nicéphore Grégoras (35, éd. Reinsch, p. 143-47) une autre lettre, adressée à Philippe Logaras (B 56, éd. Reinsch, p. 179-82) et son Discours 18, traitant des méfaits d'un mauvais capitaine ... et de la Providence Divine ... (éd. Reinsch, p. 205-20). En général les thèses principales de la philosophie de Matthieu cadrent avec son antipalamisme. 2. Sur Philadelphie voir P. Schreiner, Zur Geschichte Philadelpheias im 14.Jahrhundert (1293-1390) dans OrientaUa Christian a Periodica 35(1969), p. 375-431; H. Ahrweiler, La région de Philadelphie au XIVe siècle
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Gabalas jeune se trouva donc dans une situation qui lui permit de faire sa carrière sans être gêné outre mesure par les troubles secouant le reste de l'Anatolie. La communication avec Constantinople était toujours restée possible, même si le voyage entraînait des risques. Ainsi rien ne semblait s'opposer à son ambition de succéder comme métropolite de Philadelphie à son maître et bienfaiteur Théolepte. A la mort de celui-ci en 1322, les espérances de Gabalas s'avéraient pourtant vaines. Sa propension à l'intrigue et son ambition même l'avaient perdu. Un conflit avec Théolepte pendant les années 1310-20 nous indique déjà la voie dans laquelle il allait s'égarer. En vue de mettre fin au schisme arsénite, l'empereur avait convoqué une conférence à Constantinople (1309). Gabalas s'y présenta comme délégué de Théolepte. En 1310 on parvint à un compromis qui mit en effet fin au schisme, mais dont Théolepte, antiarsénite acharné, s'indigna. 3 Il reprocha à Gabalas d'y avoir consenti et rompit avec lui. Théolepte était un homme d'un esprit indépendant supportant mal l'ascendance du pouvoir de l'empereur et du patriarche de Constantinople. S'il se montra obstiné dans le cas présent, les torts de Gabalas n'étaient pourtant pas moindres. Il est plus que probable qu'il a tout simplement trahi l'homme auquel il devait tout. Pendant son séjour à Constantinople - le premier de sa vie, semble-t-il, - il fit la connaissance des hauts dignitaires ecclésiastiques et auliques. Cajolant les ôvvarol, entre autres Théodore Métochite, Nicéphore Choumnos et Jean Glykys, il s'introduisit grâce à leur influence dans des cercles littéraires distingués (il cultivait lui-même les lettres helléniques). Bref, Gabalas avait vraiment partie liée avec tous ceux que l'âpre Théolepte avait pris en aversion. La seule excuse qu'on peut trouver à l'attitude de Gabalas, c'est que le schisme arsénite paraissait aux
(1290-1390) dernier bastion de l'Hellénisme en Asie Mineure. dans Comptes Rendus de l'Acad. d'[nscr. et Bell. Lettr., t. 1983, p. 175-197; H. Ahrweiler e.a., Philadelphie et autres études, Paris 1984. 3. Voir V. Laurent, Les grandes crises religieuses à Byzance. La fin du schisme \arsénite dans Académie Roumaine, Bulletin de la sect. hist. 26(1945), p. 61-89; Id., Les crises religieuses à Byzance. Le schisme antiarsénite du métropolite de Philadelphie Théolepte dans Revue des Etudes Byzantines 18(1960), p. 45-54 (révisé par Darrouzès, Reg. 2003 et 2082).
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yeux de la jeune génération une chose du passé avec laquelle il fallait finir le plus vite possible. Cela n'empêche que Gabalas a manqué à la confiance que lui accordait Théolepte et qu'il continua à le trahir après son retour à Philadelphie. Entre 1310 et 1317, il adressa à de hauts personnages de Constantinople, un grand nombre de lettres écrites en faveur de citoyens de Philadelphie, venant tenter la fortune dans la capitale. 4 Gabalas s'allia même à Manuel Tagaris, gouverneur impérial de Philadelphie, ennemi juré de Théolepte. Théolepte, qui détestait Tagaris à cause de sa dureté à l'égard de la population de la ville,5 essaya de le faire relever de sa fonction par les autorités à Constantinople. Gabalas allait contrecarrer Théolepte, en prenant la défense de Tagaris auprès de ses amis dans la capitale. 6 Au cours du conflit avec son protonotaire, Théolepte ôta à celui-ci ses revenus ecclésiastiques. Alors Gabalas osa citer Théolepte devant le synode. 7 Il obtint une fin de non-recevoir. Théolepte, malgré son obstination et ses idées désuètes, était en effet
4. Ces lettres se trouvent dans le Par. gr. 2022, v. supra, note 1. 5. V. un passage du A.oyoç napazvcnKoç ... (Scor. gr. cP-III-lI, f. 223r-v). selon toute vraisemblance écrit par Théolepte (v. Laurent dans REB 18(1960), p. 50; Kuruses, op.cit. supra, p. 317-18). L'auteur y accuse les fonctionnaires impériaux en général d'une avidité excessive et de vexation envers la population, en citant Ps. 13(14), 4, comme il est d'usage dans des cas pareils (v. notre chapitre sur Palamas, p. 187 et sur Makrembolites, p. 263). Pour l'aversion de Théolepte à l'égard de Tagaris lui-même, v. infra, note 6). 6. Cela ressort de la confession de Gabalas lui-même dans son Discours 18. Il s'y montre plein de remords d'avoir aidé Tagaris et de s'être opposé à la volonté de Théolepte. Citons le passage en question (éd. Reinsch p. 211): 'AÀÀà ri Ilil ÀÉyw ra IlÛÇOV; Ta yàp r1lliiÇ t5ŒVrtvÉx8az nporcpov rcp (cpij) ÈKcivqJ t5canoru (Théolepte) ainWIlÉVqJ t5zKaiwç, on Il il noppw rovrovi rav À,VKOV (Tagaris) rfjç aqJcrÉpaç noillV1Jç llaÀa ÈÀa8fjvaz napr,Kallcv, rovvavriov IlÈV OVV Kai iaxvpmç llaÀa àvnKarÉarT/llcv roiç ÈçcÀmazv avrov, ûra Kai ciç roaoùrov rà rfjç t5zuqJopiiç npoxwpfjaaz mç Kai J.laKpàv SKt5T/lliav arciÀaa8az, fiv t5il navrwç én Kai vùv ncnÀavr,llc8a, Kai !3aazÀÉwç avroù Karat5cT/8fjvaz t5zuKpz8fjvaz rfjç épzt5oç, OÛ t5z' avrav navra ncnov8allcv; Ei Il il rÉ8V1JKÉ nç Ka8anaç fi Ilcrà rmv wrwv Kai rilv yÀ,mrrav àqJ7jpT/raz, aVllqJr,acŒv av r1lliv, li navrcç iaaazv, sKûva t5il À,Éyovazv.
7. Outre les lettres dans le Par. gr. 2022, v. sa lettre au patriarche dans le
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un homme hautement respecté que personne ne voulait humilier à un tel point. 8 Gabalas s'établit ensuite à Constantinople et y vécut pendant quelques années (ca. 1317-1321). Peu de temps avant sa mort, Théolepte, ayant fait la paix avec l'Eglise et l'Etat, se réconcilia avec Gabalas. Nous ne savons rien des circonstances. Il ordonna prêtre son ancien protégé et le nomma chartophylax. Tout de suite après son décès, Gabalas prit le froc; il avait été marié, mais sa femme était morte en 1312. Bref, il était fin prêt à monter sur le trône archiépiscopal de Philadelphie. Cependant, un homme moins noble que Théolepte s'opposait à ses desseins. Gabalas, ayant pris le nom de Matthieu lors de son entrée au couvent, provoqua un 'conflit avec Manuel Tagaris, peu de temps après la mort de Théolepte. Il pensait mener Tagaris à la douceur par une opposition plus modérée que celle du métropolite décédé,9 et ainsi se montrer supérieur à Théolepte. Il commettait là une faute énorme. Dès qu'il se tourna contre le gouverneur, celui-ci se fâcha terriblement. Il chassa tout simplement Matthieu de Philadelphie. Matthieu se rendit à Constantinople, mais ne s'avouait pas vaincu, bien au contraire. Il envenima le conflit, accusant publiquement Tagaris d'opprimer impitoyablement la population de Philadelphie et d'être de connivence avec les Turcs. Le gouverneur se serait montré un capitaine lâche et incapable de protéger le plat pays autour de Philadelphie, ayant d'ailleurs abandonné traîtreusement à l'ennemi quelques citadelles dans la région. Il Vindob. (B 62, éd. Reinsch, p. 189-90). Le ton de cette lettre dénonciatrice abjecte contraste d'une façon frappante avec le ton très respectueux dont Matthieu parlera de Théolepte plus tard dans sa monodie sur la mort de celui-ci et dans le Discours 18. V. encore Darrouzès, Reg. 2003, 2082. 8. Sur Théolepte v. les publications de V. Laurent mentionnées supra, note 3 et son article Une princesse byzantine au cloître. Irène-Eulogie Choumnos Paléologine, fondatrice du couvent de femmes 'l'OÛ tPzÀ.av()pwnov LW'l'fjpOÇ dans Echos d'Orient 29(1930), p. 29-60. Nicéphore Choumnos, malgré ses relations souvent tendues avec Théolepte, composa Un éloge funèbre du bienheureux et très saint métropolite de Philadelphie, Théolepte ... , éd. J.F. Boissonade, Anecdota Graeca, t. 5, Paris 1833,p. 183-239. Cf Verpeaux, Nicéphore Choumnos ... , p. 48 avec bibliographie. 9. Discours 18, éd. Reinsch, p. 211-12.
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aurait évité de propos délibéré de combattre les Turcs pendant le siège de ces années (1321-24), s'alliant enfin à eux en secret, dans l'intention de se ruer sur ses compatriotes. IO Il est à présumer que les accusations de Matthieu ont contribué à faire remplacer Tagaris par Alexios Philanthropenos en tant que chef d'armée pendant le siège de Philadelphie par les Turcs en 1324. 11 Philanthropenos réussit en effet à refouler l'ennemi. Tagaris était sans doute coupable de la plupart des méfaits dont il avait été accusé, mais il n'était pas homme à céder sans lutter. Il se rendit à son tour à Constantinople dans le but de se disculper devant l'empereur, et en même temps de se venger de ses accusateurs parmi lesquels Matthieu avait particulièrement suscité sa haine. Entre temps le chartophylax avait su se faire nommer métropolite de Philadelphie (été 1324). Cependant, la consécration n'avait pas encore eu lieu au moment de l'entrée de Tagaris dans la capitale. Le point faible de la position sociale de Matthieu se révélait alors. D'humble extraction, il n'avait pas su compenser ce handicap en amassant des richesses, comme tant d'autres de ses contemporains. Il a dû se méprendre fâcheusement sur la valeur de son amitié avec des gens en place. I l Ils n'avaient rien à redouter de lui et n'avaient absolument pas besoin de son support. Toute autre était la position de Tagaris. Ses origines étaient également modestes, mais il avait su accéder assez vite aux hautes fonctions dans la hiérarchie impériale, finissant par épouser une fille appartenant à une famille aristocratique. Ainsi il n'avait rien à craindre de sérieux des autorités. Bien au contraire, rejetant avec indignation toutes les accusations portées contre lui, il calomnia de son 10. V. une lettre adressée à son ami Michel Gabras (B 16( = 66), éd. Reinsch, p. 106-09), une lettre adressée au philosophe Joseph (B 65, éd. Reinsch, p. 202-04) et Discours 18, éd. Reinsch, p. 205 sqq. 11. Cf Schreiner, art. cit. supra, note 2, p. 388-93. 12. Bien que Matthieu n'eût pas besoin de la charité des c5vvaro{ on voit, par le ton obséquieux des lettres qu'il leur adressait, qu'il leur était très inférieur du point de vue social. Il est significatif qu'un de ses meilleurs amis était Michel Gabras, le type parfait de l'homme de lettres-quémandeur. Dans les nombreuses lettres que Matthieu et Gabras échangèrent, ils se traitent toujours sur un pied d'égalité. Voir B 1,2,6,16,20,21,24 et 24 dans l'édition de Reinsch et les vingt-huit lettres écrites par Gabras à Matthieu dans l'édition de G. Fatouros, Die Briefe des Michael Gabras (ca 1290-nach 1350), 2 t., Vienne 1973.
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côté Matthieu à la cour. 13 Tagaris obtint bientôt le pardon de l'empereur, 14 tandis qu'il se faisait en outre des amis dans le synode. Il l'emporta facilement sur Matthieu. Le synode annula la nomination de ce dernier au siège de Philadelphie. 15 Matthieu avait définitivement le dessous. On ignore s'il avait perdu la confiance des 8vvaroi par sa duplicité, ou s'ils s'étaient tout simplement désintéressés de lui. 16 13. V. une lettre adressée à Nicéphore Choumnos (B 5, éd. Reinsch, p. 88) et surtout B 65, adressée au philosophe Joseph, p. 203, v. infra, note 15. Cantacuzène nous renseigne également sur Tagaris. Il ne dit rien de sa trahison et de sa désertion aux Turcs (v. infra note 16), mais fait l'éloge de son génie militaire, entre autres à l'occasion de la bataille de Pelekanon en 1329 (Matthieu parlait avec sarcasme de ces sortes d'éloges: . .. qJvyfi xpijral vVKrrop 0 nsplfJà11roÇ arpar11yoç avroOsv ÈK rov nvpyov ÀiVU KaraxaÀaaOdç ... (B 65, p. 202-03». De même que Matthieu, Cantacuzène fait mention des humbles origines de Tagaris et de la rapidité de son ascension sociale. C'est encore par Cantacuzène que nous apprenons le nom de l'épouse de Tagaris: Théodora Asanina. C'était une nièce d'Andronic II (l, cap. 18, Bonn l, p. 91; II, cap. 6, Bonn l, p. 349). Tagaris l'avait épousée en secondes noces; sa première femme appartenait à la famille Doukas. 14. B 16, éd. Reinsch, p. 107, B 65, ibid. p. 203. 15. Matthieu lui-même nous renseigne d'une manière indirecte sur ses revers de fortune. Après son échec il adressa des lettres supplicantes à Joseph en le priant d'intervenir en son faveur auprès de l'empereur et du patriarche. Dans une de ces lettres il écrit: OÙKOVV vvv J.Ltv ÀaOpaialç ÈmfJovÀafç Èyxs1psf (Tagaris), vvv 8' anslÀsf rà 8SlVà mivraç 8paaslv, si olov rs, â 8' OtJK, aÀÀ' anorvxwv Éavrov afJirora çijv 1]yOVJ.LSVOç . 1'0 8t vvv txov UfJPSIÇ ÈJ.LOV Karaxsf, liç 1] nOV17pà yÀwrra Èçr,J.Lsas nporspov, Kai {spaç rs Kai Odaç anOIJl11qJiÇsral lJIr,qJovç, iv' aVl{Ï Èni nÀéov npoç ÈJ.LOV oioJ.Lsvoç aVlliaOal, où nap' Èavrov ... (B 65, p. 203. Voir sur ce point Kuruses, op.cit., p. 283 et 341). 16. Quelques temps après (vers 1326) Tagaris se retira de nouveau en Anatolie et s'y établit près de Philadelphie. Il y devint chevalier brigand, et passa aux Turcs ouvertement. Il maria une de ses filles à un émir turc et se convertit lui-même à l'Islam, obtenant en conséquence le commandement de toutes les forces turques de la région. Les années suivantes il sévit furieusement contre les Byzantins. Il nous importe de noter que Matthieu, en nous renseignant d'une manière détaillée sur la vie de Tagaris après sa défection, insiste sur le fait que ce dernier avait dû se convertir à l'Islam afin de se maintenir dans le milieu turc: TtfJ yàp ySlroVOVV1'l fJapfJapcp rafç· noÀsal (noÀÀoi 8' 0151'01 KarsaKS8aaJ.LévOI rijç xropaç) 1'7)v Ovyarépa J.LV17arSvaaç nporspov, iv', chç tOIKS, KaraqJvyr,v aùrov axoi11 , Ènsl8àv 'ProJ.LaiOlç
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Au cours des années suivantes Matthieu resta à Constantinople, probablement dans un couvent. Sa fonction de chartophylax continua sans doute à lui assurer quelques revenus. Sa carrière semblait pourtant finie. Toutefois, il ne semblait pas avoir perdu courage. na dû se lier avec les partisans du petit-fils d'Andronic II et finit par jouir de la protection de Syrgiannes, l'un des Duvaroi soutenant le futur Andronic III dans le conflit avec son grand-père. Après l'avènement d'Andronic III, Syrgiannes lui procura enfin la récompense de ses peines. En 1329 Matthieu fut élu et consacré métropolite d'Ephèse. 17
*** La récompense était maigre en comparaison des fruits que Matthieu s'était promis de cueillir dans le diocèse de Philadelphie. Le diocèse d'Ephèse était incorporé dans l'émirat d'Aydin. Le métropolite qui n'y siégeait pas n'en recevait pas de revenus. Celui qui s'y rendait devait s'attendre à partager le sort cruel des chrétiens sous la domination turque. Matthieu avait donc vraiment à se plaindre. Le synode lui donna en 1332 le siège métropolitain de Brysis en Thrace, Karà À,6yov t7CzD6asruç (en guise de support matériel, comme c'était l'habitude dans des cas semblables). Matthieu devenait de plus en plus un homme aigri, 18 mais il n'avait
èm{3oVÀEvafl, mlaaç 'fàç au'fOV t5vVaJ.lEZç ayEZ K'ai qJéPEZ K'a'f' èçova{av . K'ai 8vva'faz J.lÈv 'fOV'fO K'ai 'fU aVyyEVEZ{l 'fOV K'7]t5ovç, t5vva'faz t5È nÀéov 'fCp t5ZEÀEÏV unoaxéaOaz tav'fijJ 'fE aJ.la K'ai 'foiç aaE{3éaz XP7]J.la'fa 'fE K'ai aa'fEa, éJ1l'6aa av lÀoz, ou J.lr,v aÀÀà K'ai J.lE'fa'façEaOaz 'fr,v Op71aK'EZaV, EÏ J.lr, ËqJ071 J.lE'fa'façaJ.lEVoç. Eiç 'fOZOV'fOV oÀEOpov 'fà uno 'fr,v lm Ëa'fl K'ai r{VE'faZ. Tav'fa npoéqJ71V èyw K'ai np0J.lEJ.l7]VVK'a ... (B 16, p. 107). Plus tard, après
la chute d'Andronic II, Tagaris se convertit de nouveau, semble-t-il. Il réussit à regagner la confiance du gouvernement byzantin (v. supra note 13; cf Kuruses, op.cit., p. 289). Sur le rôle joué par son fils Georges dans la guerre civile, v. notre chapitre sur Grégoras, note 15. 17. V. sa lettre de remerciement à Syrgiannes (B 34, p. 141-42); cf MM l, Dr. 69, p. 149. 18. V. la lettre adressée au grand chartophylax dans laquelle Matthieu donne un récit mouvementé de son voyage à Brysis. Il lui fallait traverser une région sauvage infestée par des brigands. Il se plaint amèrement d'avoir
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pas encore bu le calice jusqu'à la lie. En 1339, à l'âge de presque soixante-dix ans, il devait se rendre à Ephèse. En 1335 Andronic III avait conclu un accord avec Umur d'Aydin. Formellement cette alliance permettait au métropolite d'entrer librement dans son diocèse et y exercer ses fonctions. Cependant, Matthieu ne se serait certainement pas prévalu de cette occasion~ s'il n'y avait pas été contraint par Jean Kalékas, alors patriarche de Constantinople. Kalékas était, après Athanase, le premier patriarche à se vouer de nouveau sérieusement à sa tâche pastorale. Entre autres il prit à coeur le sort de la population chrétienne d'Anatolie, pratiquement délaissée par ses prédécesseurs. 19 Il décida de ne plus nommer des métropolites en territoire devenu turc, si ceux-ci ne s'engageaient pas sous serment à se rendre dans leur diocèse aussitôt que l'occasion se présentait. 20 S'il ne pouvait pas exiger le serment de ceux qui étaient déjà métropolites, sa grande puissance suffisait à forcer également à l'obéissance cette catégorie. Jugeant que l'alliance entre Andronic III et Umur rendait possible la présence d'un métropolite à Ephèse, il ordonna à Matthieu de s'y rendre. Ici commence l'épisode de la vie de Matthieu qui nous intéresse particulièrement. La présence de Matthieu dans l'émirat d'Aydin nous fournit un tableau réaliste de la situation d'un ecclésiastique orthodoxe en Anatolie occidentale sous la domination turque peu de temps après la conquête. Les lettres écrites par Matthieu à ses amis de Constantinople sont notre source. Ces lettres sont purement descriptives. Elles n'ont pas d'intentions cachées, comme celles de Palamas. On dispose aussi, d'autre part, de documents officiels - actes synodaux, accusant Matthieu - qui révèlent de quels crimes envers ses coreligionnaires un prélat chrétien était capable lorsqu'il croyait avoir une bonne chance d'améliorer sa situation matérielle en pays turc, tout en haïssant les Turcs ainsi qu'il convenait à un croyant orthodoxe. On est frappé de voir comment le contenu de ces documents forme pour ainsi dire un échoué dans un désert. La population chrétienne de son diocèse - des paysans pour la plupart - n'ont aucune idée des notions les plus élémentaires de la religion chrétienne (B 64, p. 198-99). 19. V. ch. 1 de la première partie de ce livre, notes 48 et 49. 20. Cf MM l, nr. 81, p. 182-83; Darrouzès, Reg. 2184.
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sommaire de toutes les vilenies du clergé orthodoxe sous la TOvpKoKparia des siècles à venir. La première lettre de Matthieu, écrite juste après l'arrivée à Ephèse, témoigne de la colère qu'il éprouvait à l'égard du patriarche et donne tout de suite une idée de sa situation terrible. 21 Umur et Hizir, les émirs d'Aydin, respectent formellement le traité, mais leurs sujets - et particulièrement le clergé islamique - n'acceptent pas la présence de Matthieu. Tout comme Palamas, Matthieu est amené à disputer avec les prêtres islamiques, mais, par contraste avec Palamas, il ne subsiste pas un vestige de bienveillance de part et d'autre. On n'entend parler que de rage, insultes, mépris. Les Turcs jettent même des pierres à la cabane où Matthieu passe les nuits. Ils le tueraient sans doute, si leurs seigneurs ne les en empêchaient. Bref, le séjour équivaut à une "condamnation". Matthieu finit sa lettre en exprimant l'espoir que le temps change toutes choses: Si ceux, qui disposent de mon sort, ne révoquent pas leur décision, que Dieu, qui, à son tour, dispose de leur sort, révoque la sienne. 22 Dans la seconde lettre (adressée comme la première au sni rrov àVaJ,lvrjoêwv Logaras), Matthieu décrit son voyage à Aydin et ses premières excursions dans le pays même. 23 Après une traversée pleine de dangers, il avait débarqué à Clazomènes. Deux jours plus tard il arriva à Smyrne pour y présenter ses respects à l'émir, Umur beg. Les larmes lui vinrent aux yeux en voyant qu'il n'y avait plus de chrétiens à Smyrne; la ville était presque déserte, il n'y avait que des brigands et des pirates, des païens venus des limites extrêmes de la terre. 24 Son chagrin tourna au désespoir 21. B 54, éd. Reinsch, p. 173-74. Cf Vryonis, Decline, p. 342-48. 22. Bi ll1i jlEra!3ovÂEvaawro raxtwç oi oürw rà Ka8' r,jliiç ôra8tvrEç, jlEra!3ovÂEvaalro BEDÇ oiô' on rà Kar' aùrovç, wç Ëxovm, ôra8dç (p. 174). Allusion à la Lettre aux Ephésiens 6, 9. Sur Philippe Logaras, également ami de Michel Gabras, v. Fatouros, op.cit. supra, note 12, p. 60. 23. B 55, éd. Reinsch, p. 175-78. 24 .... ôaKpvovrEç ... Xplanav6Jv alcolKlav Kai jlErOlKlav t8v6Jv tK r6Jv rijç rijç nov taxan6Jv (p. 175). Reinsch traduit anolKla par "Kolonie" (p. 344), donc selon la signification classique (et moderne) du mot. Cependant, Matthieu emploie ici le mot anOlKla par opposition à jlErOlKla, ce qui veut dire qu'anolKla doit être compris en rapport avec le verbe anOlKtw (partir, émigrer). Un peu plus loin dans la même lettre Matthieu se sert du
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quand Umur refusa de le voir, ne se souciant nullement de la lettre de recommandation de l'empereur et ne lui permettant pas non plus de continuer son voyage vers Ephèse. Que faire? Un Grec de Chio, qui avait accompagné Matthieu de son île à Smyrne, le savait. Il connaissait les Turcs. Le Grec fit savoir à Umur que le métropolite apportait des présents très précieux (ce qui était vrai). Quand le barbare l'apprit, il se ramollit et daigna me voir. Il regarda avec toutes les marques de bienveillance les hommes qui lui remirent les présents, s'entretint avec moi, me posant toutes sortes de questions. Après cette audience, qui avait duré plus longtemps que d'habitude, il nous permit de nous rendre à Ephèse, nous donnant une lettre de recommandation écrite de sa propre main. 2s La lettre devait servir d'introduction chez Hizir, le frère d'Umur qui gouvernait la province d'Ephèse. Matthieu combla Hizir également de présents dans l'espoir que celui-ci lui procurerait une église, une maison et d'autres choses nécessaires à son établissement, ne serait-ce que pour lui avoir apporté des présents si précieux. 26 Nous ne pouvons nous empêcher de citer le témoignage d'un grand savant, écrit deux siècles plus tard, qui confirme d'une manière frappante les expériences de Matthieu:
Celui, qui veut visiter la Turquie, doit être préparé à ouvrir sa bourse dès le moment qu'il passe la frontière pour ne la fermer verbe à1Cozrdçro au sens de "faire partir" (p. 178, ligne 1077). La traduction erronée de Rejnsch rend le texte incompréhensible. Il aurait pu trouver une traduction correcte chez Vryonis, Decline, p. 345. Le témoignage de Matthieu cadre avec celui d'Ibn Battuta qui écrit que la plus grande partie de la ville était en ruines (éd. Defrémery/Sanguinetti, p. 312). 25. Ourro D' ovv 0J.lroç ovrrov t:v ~aÀ-fI Kai lJoprJfjcp 1COÀ-À-q) 01COlJfllJVp{~El nç rrov (maDorJvrrov r,J.lïv t:K Xiov Dropa r,J.làç up fjapfjapcp KOJ.l{~ElV, Kai Dropa 1COÀ-À-OV nvoç, cfJa1CEp 1] v, iiçra.Olç, côç il KovaEV, t:KEïvoç t:mKÀ-aalJEiç J.lOylÇ 7]J.làç Eiç rpirr,v r,J.lÉpav à1Caçlwaaç 1CporEpov iDEïv àçwï . li Dr, Kai 1CP01CE1COJ.lqJoraç avrq), dO' r,J.làç 1CapaYEyovoraç op~ r,DÉroç, roç yE ÉDElçE, Kai avvrvyxavEl Kai àva1CvvlJavErar, li rE Kai 1CEpi wv fjorJÀ-olro. "EVlJEV 1Capareivaç rr,v oJ.llÀiav 1CÀ-ÉOV fi 1CpoafjKEv à1COÀÉÀVKEV É1CElra iDiolÇ avrov ypaJ.lJ.laarv à1CŒvar t:1Ci rr,v "EqJEaov
(p. 176). 26 .... Ei J.lr, Dl' iiÀÀo n, Dl' li yovv 1CapÉaX0J.lEV Dropa 1COÀÀOV nJ.lWJ.lEVa (ibid.).
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qu'au moment de quitter le pays. Entre-temps il lui faut continuellement semer de rargent d'une main prodigue et rendre grâce à son étoile si la semence veut germer. (...) C'est le seul moyen de ramollir le dégoût et le préjugé que les Turcs nourrissent à l'égard de tout le reste du monde. L'argent est le seul moyen apte à endormir ces sentiments chez le Turc. Sans cette ressource leur pays serait aussi inaccessible que les pays censés être généralement inhabitables de toute éternité à cause de chaleur ou de froid excessifs. 27
Voyons maintenant ce que Matthieu gagnait par ses présents. Hizir lui permettait d'abord l'usage d'une petite chapelle au bord de la ville. Elle devait lui servir à la fois d'église et d'habitation. L'émir lui promit de l'installer mieux bientôt, mais il n'en fut rien. La Grande Eglise d'Ephèse (St Jean) avait été changée depuis longtemps en mosquée, lui expliqua plus tard l'émir. On avait donné le palais archiépiscopal au grand imam d'Ephèse, les terres ecclésiastiques et les revenus en dépendant étaient la propriété de Hizir par droit de conquête, comme il le déclara luimême. A la fin l'emir attribua quand même à Matthieu une petite maison misérable près de l'ancienne Gr~nde Eglise et quelques arpents de terre de peu de valeur, loin de la ville. Encore une fois Hizir lui promettait six églises, mais avant de les avoir données il les reprit, regrettant ses promesses, et leva les impôts reposant sur elles. 28 Matthieu abandonna de son propre gré la terre qui lui 27. A.G. Busbequius, Itinera Constantinopolitanum et A masianum , Anvers 1581, p. 41-42: ... neque aliter rationem instituere oportet eum qui sit cum Turcis versaturus, quam ut simul ac eorum fines ingressus sit, aperiat marsupium, neque ante c1audat quam iam illinc egressus; interea perpetuam nummorum sementem faciat, utinam ne infrugeram. Sed tamen, ut alius fructus desit, haec una ratio est Turcarum ingenia, fera alioqui et a reliquis aversa gentibus, mitigandi; hoc, veluti cantu, Turcae consopiuntur, alioqui non futuri tractabiles, absque hoc foret, non magis ea loca externis hominibus frequentari possent, quam quae propter nimium aestum aut frigus esse perpetuae solitudini damnata creduntur. 28. ibid. p. 178: 'Eni 8t Tou-rorç Kai IEpEïç TOÙÇ oUJjnavTaç Éç, ouç 7] TfjÇ 'Ao{aç Jj17TponoÂ.rç Kai où nÂ.E{ovç aÙXEï, àÂ.Â.à TOlJrOVÇ Jjtv Kai npiv rp8fjvar 80üvar ÈK JjETavo{aç à vaÂ.aJj{3a VEr Kai TOV ÈmKElJjEvoV aÙToïç rpopov EionpaTTETar. Nous avons traduit IEpEïç par "églises" au lieu de "prêtres". Il nous semble
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avait été accordée, puisqu'il n'avait pas envie de faire la récolte de larmes au lieu d'épis de blé. 29 Par nécessité il conserva la petite maison. Toutefois, le vacarme, produit par les prêtres islamiques sur le toit de l'ancienne Grande Eglise, le tourmentait continuellement. On ne cessait de lapider sa maison, ce qui créa maintes fois une situation vraiment dangereuse. Il n'avait plus de revenus, vivait au jour le jour, craignant de manquer de nourriture à tout moment. Il ne survivait que par miracle. En outre il se sentait totalement inutile face à la masse énorme d'esclaves chrétiens; des milliers, parmi lesquels d'anciens prêtres et moines. Il représentait à leurs yeux l'ancre de l'espoir, mais en réalité il n'avait qu'à leur offrir ses larmes en échange de leurs lamentations. Matthieu finissait sa lettre à Logaras en se demandant si jamais dans l'histoire tant d'êtres humains avaient été réduits à l'esclavage au cours de guerres et de conquêtes. Matthieu allait saisir sans nul doute toute occasion de se venger du patriarche qui l'avait ruiné. D'ailleurs, il appartenait déjà avant son départ pour Ephèse au cercle du j.lÉraç c50j.lÉanKoç Cantacuzène. Une fois établi à Ephèse il continua à se rappeler au souvenir de Cantacuzène. En lui envoyant une pierre précieuse et sacrée, il formait des voeux pour une prompte arrivée de Cantacuzène, accompagné de l'empereur en personne, afin de restaurer l'empire sur le territoire byzantin, occupé par les barbares. 30
qu'autrement le texte de Matthieu reste incompréhensible. A notre avis, Matthieu a voulu dire qu'il n'y avait que six prêtres chrétiens dans le territoire ressortissant au gouvernement de Hizir, autorisés à exercer leur fonction contre le paiement d'une taxe. Matthieu exige l'annulation de cette taxe (ou bien qu'elle lui soit payée) afin que les prêtres soient à même de subvenir à son entretien. Mais c'est seulement en qualité de desservants d'une église que les prêtres en question constituent une source de revenus. Matthieu avait donc une raison spécifique de dire que Hizir lui avait "promis" et "repris" des "prêtres". L'individu vivant devient un objet de valeur par son association à l'église dans laquelle il assure le service divin. C'est là, croyons-nous, la cause du quiproquo. Nous admettons que notre solution du problème est conjecturale, mais, encore une fois, nous ne voyons pas d'autre moyen de comprendre le texte de Matthieu. 29. ibid.: TfjC; Dt rfjc; J}Jleïc; éKovrec; vneçunaJle(Ja Da Kpua napalrOVJleVOl (Jep{(elv, àÂÂ' où Jltv ovv araxuac;.
30. B 57, éd. Reinsch, p. 183.
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Entre-temps Matthieu ne tardait pas à faire lui-même le nécessaire afin de se tirer d'embarras. Des actes patriarcaux et synodaux de 1342 et 1343 nous renseignent sur ce chapitre. L'histoire.commence par la nomination d'un personnagè, dont le nom reste inconnu jusqu'ici, à l'échêvé de Pyrgion, non loin d'Ephèse (en turc Birgi, autrefois la résidence de Mehmed, le père d'Umur et Hizir). Matthieu n'avait pas le droit de faire cette nomination, puisque Pyrgion dépendait directement du patriarche de Constantinople (le siège n'avait plus été occupé depuis le début du 14e siècle). 31 Le dessein de Matthieu était évident. Plus le territoire sous la juridiction d'un métropolite était étendu, plus grands étaient ses revenus, ce qui importait surtout aux métropolites d'Anatolie. Le nombre de chrétiens décroissant toujours, il leur fallait proportionnellement plus de territoire pour vivre. Matthieu entra presque immédiatement en conflit avec le nouvel évêque, selon toute probabilité pour la même raison qu'il l'avait nommé. L'évêque devait une partie de ses revenus à Matthieu et a dû refusé de payer ses redevances. Quoi qu'il en soit, Matthieu déposa l'évêque peu de temps après sa nomination. Celui-ci se rendit à Constantinople afin de se plaindre auprès du synode. Matthieu le suivit (fin 1341-début 1342). Il se présenta devant le synode, ajoutant des accusations beaucoup plus graves à celles qu'il avait alléguées pour justifier la déposition. Il accusait l'évêque maintenant de parjure et d'assassinat. Le patriarche ordonna par lettre au métropolite de Laodicée d'examiner l'affaire sur place. 32 Cependant, ni le patriarche, ni le synode n'attendirent le résultat de l'investigation. Ils rendirent à Pyrgion son ancien rang de métropole, de sorte que l'évêque devint métropolite, indépendant du siège d'Ephèse (août 1342).33 Le dessein de Matthieu était ainsi déjoué. Au printemps de 1343 le rapport du métropolite de Laodicée arriva à Constantinople. Il donna lieu, par un acte synodal, à l'acquittement du métropolite de Pyrgion. 34 Le résultat des 31. MM l, nr. 101, p. 228-30 (= PO 152, col. 1262-64); Darrouzès, Reg. 2235. Sur ce qui suit, voir Wachter, Verfall, p. 39-44; Vryonis, Decline, p. 327-29 et 332. 32. Le cours des événements est tracé dans un acte synodal d'avril 1343, MM l, nr. 106, p. 235-37 (= PO 152, col. 1267-69); Darrouzès, Rég. 2243. 33. acte synodal, mentionné supra, note 31. 34. acte synodal, mentionné supra, note 32. Il est à noter que la situation
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recherches portait une grave atteinte à la réputation de Matthieu, mais celui-ci refusa de comparaître devant le synode pour s'excuser. Le rapport du métropolite de Laodicée explique ce refus. L'évêque de Pyrgion avait prêté serment, dans une situation désespérée - que ne précise pas l'acte synodal-, devant Umur beg, sauvant par cette action la vie de vingt-cinq chrétiens. Après ces événements pénibles un homme qui avait été alors enchaîné était tombé malade et était mort de mort naturelle (Matthieu avait dit que l'homme avait été pendu par suite du parjure de l'évêque de Pyrgion). Il y avait pire encore. Le métropolite de Laodicée avait su saisir un certain nombre de lettres de Matthieu d'un caractère très compromettant pour ce dernier. Matthieu avait prié Umur d'expulser l'évêque de Pyrgion, parce que celui-ci était un impie et avait été déposé par lui, Matthieu. Dans la même lettre Matthieu s'était adressé à Umur comme à son fils, se nommant luimême son père. 35 du métropolite de Laodicée devait être assez favorable pour pouvoir enquêter en territoire turc. Laodicée et Kotyaion (Kutahia) furent les seuls sièges métropolitains à se maintenir jusqu'au début du I5e siècle dans la partie de l'Anatolie dont nous parlons à présent (Wachter, Verfall, p. 37-39). Laodicée (actuellement Denizli) était située dans une vallée latérale du Méandre, où se trouvaient encore deux autres métropoles, Hierapolis et Chonai (le Colossai biblique). Ce territoire était à la fois exigu et densément peuplé. La population chrétienne restait relativement nombreuse après la conquête turque. Il y avait une importante industrie textile. Ibn Battuta la mentionne avec admiration, remarquant que la main-d'oeuvre était formée en grande majorité de femmes grecques, qui payaient toutes sortes d'impôts à l'émir de Menteshe, dont elles étaient les sujets. 35. MM i, p. 236: (le métropolite de Laodicée) ... ro ypiiJlJla rije; èç~rcla~COe; 1Œ1rDJlqJWe; ~ie; rr,v avvo8ov avv~çantarelÂE Kai ypaJlJlara 8lclqJopa rou 'EqJtaov, li 8r, Kai avv08lKWe; àvayvcoaBtvra, rà Jltv nOÂÂr,v èJlqJa{vovra ~ÜPTlral rr,v Karà rou IIvpy{ov KaraqJopav, 8150 8t nva, rD Jltv KaBa{p~alv Kar~lJITlqJ{Ç~ro rou IIvpy{ov Jl~rà rr,v avv081Kr,V EçtraalV, aVJllJlrjqJove; r~ Kai TÎJliie; 81' avrou Âaf3~iv ëÂ~y~v 0 'EqJtaov JlTl8' oÂcoe; àÂTlB~vcov, rD 8t Jjç{ov rov 'AJlr,p 'AJlrjpn~K1v, EqJ' cP ora 8r, KaBUPTlJltvov Kai àv{~pov rov IIvpy{ov ànontJllJl~ra1, EV cP Kai KaÂOV v{ov avrou rourov ëÂ~y~ Kai Éavrov avrou nartpa, nana8ae; r~ avrou roùe; rou IIvpy{ov np~af3vrtpove;, ov8tv 8tov, napaqJvÂarr~aBal yàp ~iKOe; rà r01aura Eni npoarono1e; rOlovro1e; roùe; àpX1~panKov àç{coJla n~p1K~lJltvove; Kai Jlr, roie; avroie; OJlo{coe; xpijaBa1 ax~nKoie; ovoJlaal n~p{ r~ roùe; marove;, roùe; èBv1KOVe; r~ Kai àn{arove;, 8~i yàp dva{ nva navrcoe; Kai EV raie;
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Résumons; malgré ses lamentations sur le sort des chrétiens sous la domination turque (il faut remarquer par ailleurs qu'elles sont, comme dans le cas de Palamas, couvertes par les lamentations sur son propre sort), Matthieu a tout d'abord cherché à atteindre à un modus vivendi avec le tyran turc, au besoin par le sacrifice de ses frères et soeurs. en Christ. Nous l'avons déjà dit: c'est toute l'histoire du clergé orthodoxe sousla TOvpKOKparia. 36
*** Matthieu vivait à une époque où un métropolite pouvait faire encore mieux que de cajoler un seigneur turc: il pouvait prendre soin de rester hors de sa portée. Tout porte à croire qu'une fois à Constantinople, Matthieu n'ait pas voulu retourner à Aydin, quoi qu'il arrivât. Mais il est également possible qu'il fût enfermé dans un couvent juste après l'affaire de 1342/3. Nous le trouvons dans cette situation en 1346. Un document de septembre 1346 prouve qu'il était détenu en compagnie de cinq autres métropolites. Nous savons que les cinq ecclésiastiques étaient des partisans de Cantacuzène, ce qui était cause de leur détention. 37 Il est bien possible que Matthieu ait été emprisonné en même temps qu'eux, mais, encore une fois, il se peut qu'il ait été écroué dès 1343. D'ailleurs, les deux raisons ne s'excluent pas l'une l'autre; le lecteur se souvient que Cantacuzène venait de s'allier avec Umur. En tout cas, Matthieu s'associa avec ses compagnons d'infortune en signant une petition adressée à l'impératrice Anna. Les signataires portaient de graves accusations contre le patriarche et demandaient sa déposition:
Suprême et Sainte Souveraine et impératrice, nous, (les métropolites) d'Ephèse, Cyzique, Alanie, Ch ristoupolis, Apros et K'À~aBaz 'l'11V 8zaa'l'ÉÀÀovaav 8zaqJopav, roanBp K'ai Èni 'l'oiç aÀÀozç anaaz.
Darrouzès croit à tort que les lettres à Umur ont été écrites par l'évêque de pyrgion. En réalité le texte devient inintelligible si l'on accepte cette interpré~ tation (Reg. 2243, p. 191). 36. Pour des exemples datant de quelques dizaines d'années plus tard, v. Vryonis, Decline, p. 332. 37. Cantacuzène III, cap. 98, Bonn II, p. 604.
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Lopadion, enfermés dans nos cellules, ayant reçu par la grâce du Saint-Esprit la charge de sauvegarder les préceptes de rEvangile, étant obligés de combattre les démons corporels et spirituels se dressant contre rEvangiie du Christ, et suppliant votre très pieuse et Sainte Majesté de mettre en oeuvre votre amour de Dieu pour détruire tout ce qui s'élève et se rebelle contre Dieu, nous rapportons que le patriarche actuel, pris par une avidité de richesses terrible et irrationnelle, est gravement coupable d'amasser de rargent pour ses fils et ses filles, de vendre les postes de métropolite, d'exarque et d'higoumène, d'exercer la justice tant en matière ecclésiastique que civile au point de rendre des jugements contradictoires sur la même affaire, de trafiquer des objets sacrés à son profit, d'établir sa résidence au palais impérial, tandis que la très Grande Eglise de Dieu est devenue une pitoyable ruine. Qui pourrait exposer toute sa duplicité, toute sa fausseté, tous les mensonges qui sortent de sa bouche chaque jour? Nous-mêmes sommes réduits à l'indigence, invoquant Dieu pour qu'il entre dans le coeur de votre Sainte Majesté et révèle les oeuvres de cet homme... 38 38.
pa
151, col. 767-69: KpaTlarT7 K'ai ayza T/J.Ui'lV K'vpza K'ai 8sanozva,
~Jlefç oi àpxzepefç oi K'a(JeçoJlevoz Èv
rofç K'eÂÂzozç ~Jlii)V ànoK'eK'ÂezaJlsvoz, 'EqJsaov, 0 KvÇzK'ov, 0 'AÂavzaç, 0 XpzarovnoÂeCiJç,o "AnpCiJ, 0 Aona8zov, 8eçaJlevoz napà rijç xapzroç rou navayzov IIvevJlaroç rov rou EùayyeÂzov çvyov K'ai Xpsoç Ëxovreç àvnrarrea(Jaz rofç àvnK'ezJlsvozç rcfJ EùayyeÂzcp rou Xpzarou vOT7rofç re K'ai ala(JT7rofç 8a(Jloaz K'ai vnoJlzJlV1jaK'ezv rû eùaefJearar7J K'ai ayzf!. fJaazÂelf!. aov K'ai napaK'zveïv ro qJlÂevaefJtç aùrijç eiç ro K'a(Jazpezv nàv v'l/CiJJla K'arà rou Beou ÈnazpoJlevov, vnoJlzJl V1jaK'oJlev fi8T7 K'ai àvaqJspoJlev, 0 vuv narpzapxevCiJv, aÂouç rcf> rijç qJzÂapyvp(aç 8ezvcf> K'ai àÂoy(arcp na(Jez, roç Jlza(JCiJroç àvearpaqJT7 Èv rû 'EK'K'ÂT7aZf!. rou Xpzarou, avvayCiJv àpyvpzov K'ai xpvazov vntp nov virov K'ai (JvyarspCiJv aùrou, napà rouç opovç rrov ayzCiJv K'ai rouç iepoùç K'avovaç rijç ayzaç rou Xpzarou 'EK'K'ÂT7azaç, nCiJÂrov ràç Éçapx(aç, K'anT7ÂeVCiJV ràç r,yovJlevefaç, 68cf> npofJazvCiJv Èni ro Xefpov K'ai ro 8zK'azov 8zK'aÇCiJv K'ai K'PZVCiJV Èv8zaarpoqJCiJç ràç ŒVaK'Vnrovaaç ÈK'K'Â'TlazaanK'aç re K'ai nOÂznK'àç vno(Jsaezç, roç K'ai 8znÂaç aT7JleUOaezç àvn(Jsrovç Èni noÂÂrov elvaz rou aùrou, ID qJeu rijç rOÂJlTlç! varepov K'ai Èni rijç eùaefJefaç qJaveproç Èno17jae nepi rrov ieprov K'eZJlT7ÂfCiJV Tl Xpr, Âsyezv; IIoÂÂà yàp K'ai rrov K'a(JzepCiJJlSVCiJV rcf> Becf> aK'evrov, rOÂJlT7pij K'ai xezpi K'ai YVeOJl7J à8eroç àqJeÂoJlevoç, eiç i8 zo v, fJaf3az, nopzaJlov K'ai K'arsÂvae K'ai ÈmiJÂT7aev. 'Eni 8t rovrozç nàaz
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La pétition accusait le patriarche en outre d'anti-palamisme, en alléguant des preuves circonstanciées. Ayant l'intention de ruiner le patriarche par tous les moyens, Matthieu ne fit aucune réserve personnelle sur ce point, bien qu'il fût antipalamite convaincu luimême. Toutefois, la vengeance, qui ne se fit pas attendre longtemps, fut réservée à d'autres. La victoire de Cantacuzène mit définitivement fin à la puissance de Jean Kalékas. Hélas, Matthieu n'eut pas le bonheur de porter le coup lui-même. Il ne figurait pas parmi les métropolites palamites qui déposèrent Kalékas en février 1347. 39 Mais il était libre enfin. Sa fidélité à Cantacuzène avait payé. Sous le règne de Cantacuzène, Matthieu resta antipalamite. Une seule fois il défaillit. Après la mort du patriarche Isidore il rétracta ses "erreurs", approuvant la doctrine palamite dans une déclaration couchée par écrit, pleine de protestations de remords (22 avril 1350).40 Après la nomination du patriarche palamite Calliste, quelques semaines plus tard (10 juin 1350), il passa de nou- . veau au camp antipalamite. Avec Grégoras, son grand ami, il combattit le palamisme pendant le synode de 1351. Sur le terrain ecclésiastique et théologique le palamisme avait pourtant définitivement remporté la victoire. La protection de Cantacuzène ne pouvait plus sauver Matthieu. Il fut déposé en tant que métropolite à l'âge de plus de quatre-vingt ans. Il mit bas les armes, se retirant dans un couvent. 41 Jusqu'à sa mort (entre 1355 et 1360) il se
KaTÉÂl7rS 81à qJlÂo8o/;,{aç tmspf30Âryv Kai TryV 'EKKÂ7]a{av TOV XP10TOV Kai xpoviaç KaTallovàç bro{7]oS cpOpT1KtiJÇ tv Toïç f3aozÂ&{olÇ. 10 8t TOV e&OV IlÉY10TOÇ vaoç à7rpOV07]TOÇ Kai àv&mIlÉÂ7]TOÇ 7rSP1ÂSlcp()siç tyÉV&TO 7rTCOlla tÂSS1VOV. Tàç 8t l/fsv8oÂoy{aç Kai Tàç aÂÂaç aVTOV 7rÂavaç Kai V7rOKp{OSlÇ, liç t7ri TtiJV OlllÂOVVTCOV avTCp Ka()' ÉKaOT7]V tm8dKVVTal TryV r1IlÉpav, 7ro{a 817]y7ja&Tal YÂtiJooa; OV yàp ol8s TO oTolla aVTOV àÂ7]()dav Kai r1xpdmTal KaT' aVTOV TO IlÉya TijÇ àpX1&pmaVV7]ç à/;'{mlla. IHIlEÏÇ 8t tv tv8dfl. Kai aTsvdJasl Ka()7jIl&VOl 7rapaKaÂovllsvTovE)&OV, ivatllf3aTsvou âç TryV Kap8{av rijç ay{aç f3aozÂdaç aov Kai à7rOKaÂvcp()fi Tà lpya aVTov ...
Nous avons emprunté la paraphrase en partie à Darrouzès, Reg. 2263. 39. Darrouzès, Reg. 2270. 40. PO 151, col. 772 D-774 A. 41. Matthieu et les autres antipalamites ne furent jamais exilés ou emprisonné, ainsi que le dit Orégoras (XXI, cap. 3 Bonn II, p. 1011-12). Le té-
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plut à la conversation avec son ami Grégoras.
moignage de Joseph Kalothetos semble plus digne de foi (A6roç 9, Contre Nicéphore Grégoras, Evrrp. éd. Tsames, p. 306-07). Cantacuzène n'éliminait que ses ennemis politiques, entre autres Grégoras lui-même. V. sur ce point Kuruses, op.cit., p. 352-53.
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Chapitre VI Un porte-parole des victimes: Alexios Makrembolites
La vie d'Alexios Makrembolites nous est presque inconnue. , Ses écrits - sans lesquels nous ne saurions même pas qu'il a existé - ne contiennent que des renseignements rares et vagues à ce sujet. Personne ne parle de lui. Tout ce que nous savons c'est qu'il habitait à Constantinople, qu'il y écrivit la plus grande partie de son oeuvre pendant les années '40 et '50, qu'il était marié, qu'il avait des enfants et qu'il vivait dans une grande indigence. 2 De quelle manière il gagnait le peu d'argent dont il disposait n'est pas clair. Il enseignait, dit-il, le Verbe de Dieu,3 mais nous ignorons 1. Sevcenko a consacré quelques pages d'introduction à Makrembolites dans son édition du Dialogue des Riches et des Pauvres (dans ZR VI 6(1960) p. 187-228; introduction aux pages 187-202. Réimpr. dans Society and Intellectual Life in Late Byzantium, Londres 1981). Ce qui a été écrit plus tard sur Makrembolites par d'autres historiens, surtout les historiens marxistesWerner, Matschke, Poljakovskaja -, se base sur l'essai de Sevcenko. Malheureusement le commentaire de celui-ci fourmille d'erreurs, trouvant leur origine dans une interprétation superficielle (parfois entièrement fausse) d'a1.!tres textes de Makrembolites édités ou inédits, v. par exemple son interprétation à la page 196 des ff. 22v , 32v , 37 v-38 r du Sabb. 417; cf l'appendice de ce livre, p. 270. En outre Sevcenko n'a rien compris au personnage de Makrembolites. Il croyait que cet ennemi acharné des t5vvaro{ et du haut clergé fut partisan de Cantacuzène et de Palamas; l'attitude de Makrembolites à l'égard des Turcs n'aurait pas été tout à fait négative. Nous montrerons que cela estfin pleine contradiction avec les faits. 2. Sftr sa pauvreté v. le Sabb. 417 (Discours sur ses péchés), f.126 v , 127r . Un poème où il prie pour sa femme et ses enfants a été publié par E. Miller, Manuelis Philae Carmina, t.l, Paris 1855, p. 215. 3. Sabb. 417, f.12~: ... roa t5t Beoa ànayopevovroç aJ.laprwl.,ov t5l11yeïa8al rà aùroa t5l KalWJ.l ara, ëyw Kai roaro KararOI.,J.lID Kai
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si, employant ce terme, il fait allusion à une fonction ecclésiastique. Il se peut qu'il était attaché à l'école patriarcale ou à une école appartenant à un couvent, mais il est également possible qu'il donnait des cours d'instruction religieuse dans les maisons de familles riches de Constantinople. Vers 1341/42 il adressa un traité à l'tc;ZGroT11C; Patrikiotes, un ami de Cantacuzène. 4 A-t-il été quelque temps au service de ce 8vvaroc;? Encore une fois, nous l'ignorons. Ce qui est sûr, c'est ce qu'il ne se sentit pas obligé d'écrire un thrène sur la mort de Patrikiotes, assassiné par le 8ijJ1oC; en automne 1342. s Makrembolites n'avait sans aucun doute pas d'accès auprès des cercles littéraires aristocratiques. Un auteur à peine capable de s'exprimer correctement n'y aurait pas été accepté. Mais il n'appartenait pas non plus au milieu des pauvres auteurs de littérature mercenaire. Ses sujets sont toujours trop élevés et trop sérieux pour cela. Son propre témoignage nous apprend qu'il appartenait à un cercle d'hommes simples, se réunissant afin de cultiver le Verbe Divin. Ils écrivaient eux-mêmes, s'en inspirant, des traités pieux à la mesure de leurs possibilités limitées. 6 Le ton et le contenu des écrits de Makrembolites font penser aux tirades d'un évangéliste populaire de nos jours. La langue de Makrembolites est très simple, sa grammaire maladroite. On a l'impression que ses lectures se limitaient
c51c5aa,alÂov Taçlv È1réxw. f.133: TOVTWV (sc nov ÂOy(WV TOU Beou) c51c5aaK'aÂoc; yeyovc:iJc; aTeva~w TWV aWJ.LanK'wv oTepOVJ.Levoc;. 4. ibid., f.8 r . 5. Cantacuzène III, cap. 50, Bonn II, p. 298. Sur Patrikiotes, v. Ch. II de la première partie de ce livre, p. 63 n. 28, p. 71 n. 47. 6. Sabb. 417, f.125 r (v. infra, note 29); au f.125 v commence le Discour.s sur ses péchés, adressé à l' 'EpJ.Lijc; TOU ÂOY{OV OVVTpOrpOl. La péroraison de la Lamentation sur Sainte-Sophie fait également penser que Makrembolites l'a prononcée devant un public: L1eup' iTe TO{VVV K'ÂavaaTe oùv 7}J.Lïv oi (br' aiwvoc; K'eK'olJ.L1}J.LévOI aJ.LapTwÂo(, K'ai 1rlK'pWC; oÂoÂvçaTe, È1reï 1CapijÂ(Jev 7) vvç, 7} TOU 1Cap6vTOC; {3(OV c51}Âov6n c5laywyry, K'ai 7} K'6Âamc; ÉrpéaT1}K'eV f1c51} 7} ÉK'c5e X0 J.LéV1J 7}J.LiiC;. 'AÂaÂaçaTe Év evrppoavV1J K'ai aK'lpTryaaTe, 1CavTeç c5(K'alOl, K'ai TOV c5ea1C6T1}V Épx6J.Levov lJ1Coc5éçaa(Je ... (éd. S. Kuruses dans Ai aVTIÂry'ltelC; 1Cepi TWV ÉaxaTWV TOU K'60J.LOV K'ai 7) K'aTà 1'0 ÉTOC; 1346 1CTwmc; TOU TpOVÂÂOV TijC; ay(ac; Eorp(ac; dans EEBE 37(1969-70), p.
213-50, citation p. 239-40.
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presqu'exclusivement à la Bible, et que cela lui suffisait. 7 Sa familiarité avec le Verbe Divin est vrajment étonnante. A vrai dire, beaucoup de ses écrits sont essentiellement des enchaînements de citations bibliques, choisies selon les exigences du sujet qu'il veut traiter et liées les unes aux autres par des réflexions surgies en association avec les textes sacrés. L'ensemble des écrits de Makrembolites manque de logique et de cohérence stylistique et lasse par des répétitions interminables. Toujours plein d'amertume à l'égard des puissants quand il condamne la situation politique, sociale et morale de son temps en général, il ne sait pas s'exprimer avec vigueur dès qu'il essaie de se passer des paroles terrifiantes et véhémentes dont se servent les auteurs bibliques pour flageller l'injustice et la méchanceté des hommes et leur annoncer de terribles châtiments. S'il ose parfois critiquer directement des personnes vivantes, il se montre très circonspect et emploie des locutions énigmatiques. L'oeuvre de Makrembolites est donc surtout d'intérêt historique. Sous cet aspect elle mérite pourtant plus d'attention que l'on y a prêté jusqu'ici. Le milieu de Makrembolites est manifestement tout l'opposé de celui de l'élite byzantine de l'époque, et cette raison seule suffit à le mettre en relief. Par contraste on gagne une meilleure vue d'ensemble de la société byzantine. Nous avons parlé à plusieurs reprises de la masse du peuple byzantin et de sa misère. Mais c'est seulement dans les oeuvres de Makrembolites qu'on entend sa voix, bien faible et d'une manière bien imparfaite sans doute, pourtant assez distincte pour nous donner une idée de ce que ressentaient les hommes se trouvant au-dessous du niveau où se heurtaient les intérêts opposés des protagonistes. Ce qui nous frappe dans l'oeuvre de Makrembolites est son manque total d'élan révolutionnaire sur le plan social. Tout le mépris et la haine envers les oppresseurs sont exprimés en termes religieux. Il lui est simplement impossible de voir les choses dans une perspective séculière. En cela il se situe dans la tradition biblique.
*** 7. V. pourtant son interprétation allégorique d'un texte de Lucien (éd. Papadopoulos-Kerameus, Zurnal Ministerstva narodnago prosvescenija 321 (1899), p. 19-23) et quelques citations d'autres auteurs, se trouvant dans le Deuxième Discours (v. les notes de l'appendice).
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La position de Makrembolites dans la guerre civile est nette; il est du côté du peuple. Le problème millénaire pourquoi les méchants prospèrent, tandis que les justes et les pieux sont dans la misère, l'obséda tout au long de son oeuvre. 8 Les pauvres ont toujours sa sympathie, sa haine des riches est inaltérable. Les pauvres labourent la terre, bâtissent les maisons et les navires, bref, produisent ce qui est utile et nécessaire au commun des hommes. 9 Les riches par contre sont presque toujours des parasites qui récompensent le travail des pauvres d'un salaire de famine. Certains d'entre eux ne paient même pas les services que les pauvres leur rendent, ce qui équivaut au meurtre. 10 Makrembolites est ahuri de constater que non seulement des laïques mais même des prêtres pauvres perdent la foi en conséquence de leur misère. Il en vint ainsi à adresser une lettre d'admonestation à un prêtre qui lui avait confessé que, sous le poids de sa propre misère et de celle autour de lui, il faillit perdre la croyance en l'existence d'un Dieu juste. Le malheureux lui avait dit qu'il s'éveillait souvent au milieu de la nuit, baignant son lit de larmes, au désespoir de comprendre les horreurs dont il était témoin. I l Makrembolites fait de son mieux pour le persuader que ce n'est pas Dieu qui est injuste. La lumière du soleil, de la lune et des étoiles, l'eau, l'air, le feu, la terre, bref, toute la Création a été destinée par Dieu à la jouissance de tous. Mais des hommes tyranniques et pleins de cupidité ont volé la plus grande partie de ces trésors et s'en sont appropriés. 12 Dans d'autres écrits, Makrembolites pleure sur le sort des 8. Deuxième Discours, f.23 v sqq; Discours sur la justesse de Dieu,
f.102 v-105 v .
9. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 210. 10. ibid., Le patriarche Athanase dit la même chose (Vat. Gr. 2219, f.103 r , cité par J. Boojamra, Social Thoughts and Reforms of Athanasios of Constantinople dans Byzantion 55(1985), p. 332-82, ici p. 372-73. Cf Sir. 34,22. 11. Sabb. 417, f.103 v . 12. ibid., f.104r : Kozvoç Âoroç nâaz K'ai vovç K'ai IJfVxlj, K'ozvà J.LVCl'rljpza, K'ozvr, n{a'rfç, K'0lvr, çmlj, K'OlVOÇ ovpavoç 'l'oiç nâazv ÈçljnÂm'l'az. Kozvà 'l'à K'a'l" ovpavov anav'l'a, JjÂ{ov cptiJç K'ai m:ÂljV11ç K'ai àa'l'Épmv t5zavrsza . K'OZVOç àiip 'l'oiç anaaz nspzK'Éxv'l'az, K'ozvr, xpfiazç nvpoç K'ai 8aÂaaaT]ç K'ai nO'l'{/Jov iJt5a'l'oç. Bi t5t navra K'ozva, t5fiÂov O'rf K'ai rfi K'ai 'l'à Èç aV'l'fiç anav'l'a, K'av Jj ànÂT]a'l'{a K'ai Jj 'l'vpavviç tcp' éav'l'iiv
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grandes masses d'hommes tués, faits prisonniers ou déportés en esclaves par les Turcs au cours de la guerre civile. 13 Ce que nous venons de dire à propos des opinions et des sentiments de Makrembolites en général, n'empêche pas que, pendant la première phase de la guerre civile, son attitude a été sous le signe d'un dilemme. Il est invraisemblable qu'il se soit enrôlé dans le parti que les 8vvaroi considéraient comme celui du 8ijf.Loç, c'est-à-dire celui conduit par le patriarche Jean Kalékas et par Alexios Apokaukos. Makrembolites voyait très bien, semble-t-il, que ce parti ne défendait pas effectivement les intérêts du 8ijf.Loç. Il écrivit son fameux Dialogue des Riches et des Pauvres au moment précis où Kalékas et Apokaukos étaient tout-puissants à Constantinople (automne 1343). L'oeuvre justifie notre conclusion selon laquelle Makrembolites fut loyal à l'égard du patriarche, mais qu'il considérait les partisans des Paléologues et de Cantacuzène en général comme des gens de la même farine. Les uns et les autres sont fauteurs de troubles; ils ruinent l'Etat et augmentent la misère des pauvres. Le palais impérial est peuplé de méchants qui ne prennent même pas soin de leurs propres OiKSlOl. Makrembolites est d'avis que le protecteur de l'Etat doit chasser ces gens du palais pour ne pas être souillé lui-même par le mal. 14 Puisque dans des écrits d'une date ultérieure Makrembolites désigne l'empereur (Cantacuzène) simplement comme f3aolÀsvç ou avaç, on peut être sûr qu'en octobre/novembre 1343 (date du Dialogue) il vise Kalékas en employant le terme protecteur de l'Etat (npoorar'1ç nov KOlVroV).IS Si donc Makrembolites à ce moment ne s'attendait pas à ce que le conflit apmioaoa rà trÂdm sOqJereploaro, ,uàÂÂov 8t 17 rijc; qJvoemc; ÉKrpOtrr, Kai trapa/lÂayij, trpOC; ijv aù8lC; stravayovoa 17,uàc; 17 ror} 8T/,ulOVpyor} svroÂij. 13. Deuxième Discours, publié ci-dessous; Lamentation sur Sain teSophie, éd. Kuruses (v. supra, note 6), p. 237. 14. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 210: sI; v,urov 8' avrrov r{vec;; - pT/rÉov yàp Kai ror}ro, ei Kai v,uïv Étrax8ÉC; - Kvpevrai Kai rpvqJT/rai Kai oi ràc; KOlVàC; ov,uqJopàC; ÉI; atrÂT/or{ac; trpay,ua revo,uevol Kai oi· ràc; troÂelC; ovyXÉovrec; Kai rr,v treVlav avl;avovrec; . Kexaplo,uÉva yàp âv ë8ol;e rep 8eijj 8paoac; Kai 0 ror} KOlVor} trpoorarT/C;, roùc; ,uT/8t rrov oiKelmv trpovoov,uÉVOVC; ei ror} apxdov sl;w8T/oev/ iva SK rijc; oqJrov KaKlac; Kai avroc; âv ,uoÂvvolro.
,ur,
15. flpoorarT/C; signifie souvent, selon le contexte, un dirigeant d'affaires, temporelles ou ecclésiastiques (v. Lampe, Patristic Greek Lexicon, s.v.).
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amenât une amélioration du sort du ôfjj.lOç, il avait encore une autre raison pour ne pas prendre parti. Ses convictions religieuses impliquaient la désapprobation de toute rébellion, ceci en accord avec la doctrine sociale adoptée par l'Eglise dès le début. Cependant, Makrembolites dans son for intérieur n'était pas satisfait du rigorisme doctrinal, ce qui est très remarquable pour son temps. Dans son Dialogue il considère comme le pire de tout la doctrine selon laquelle le pauvre sera exclu du Royaume des Cieux s'il ne supporte pas patiemment toute sa misère, tandis que le riche y entrera facilement s'il s'intéresse tant soit peu au sort des pauvres. 16 Il ya là une énorme différence entre Makrembolites et Grégoire Palamas, lequel approuve la doctrine de l'Eglise sans hésitation, s'ingéniant même à démontrer que le riche avare est essentiellement différent du voleur et pour cette raison sera puni plus légèrement en Enfer, si Enfer et punition il y a pour lui. 17 Makrembolites lui, ne doute pas que les riches avares iront en Enfer et y brûleront. Toutefois, il est clair qu'au début Makrembolites n'assume pas toutes les conséquences de son dissentiment. C'est qu'à ce moment il accepte toujours comme une vérité révélée, donc indiscutable, l'injonction au pauvre de suppo~ter sa misère avec patience, même s'il ne peut s'empêcher de l'éprouver comme très cruelle. Aussi ne faut-il pas s'étonner de l'absence totale d'idées révQlutionnaires dans le Dialogue. Le pauvre y accuse assurément le riche, mais ses projets en vue d'une réforme de la société sont très simplistes. Il demande au riche de partager ses biens avec les pauvres; il propose des. mariages entre eux comme un moyen simple et efficace d'en finir avec la pauvreté à jamais. La pauvreté n'a jamais cessé d'exister parce que les riches et les pauvres se marient toujours dans leur propre milieu. lB Les violences du ôijj.lOç sont aux yeux de Makrembolites siplement oTaozç et condamnées comme telles. L'ambiguité de ses pensées et de ses sentiments se fait jour dans quelques lignes qu'il 16. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 209: To ~t xaÀE7u!)"rspov, on K'ai trÉpa nç K'oÀaazç à7rapalr11rOç r,Jlâç à7rEK'~ÉXEral, tàv Jlil 7rpOÇ raDra EvxaplarWJlEV, UJlïv ~t K'ai {JaazÀE{a tÀ7r{~Eral, tàv 7rPOÇ r,Jlâç iÀECOV {JÀÉ7r11rE.
17. V. notre chapitre sur Palamas, p. 185-88. 18. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 208.
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écrivit, l'été de 1345, en forme de canon, au plus chaud de la guerre civile, comme il le dit lui-même,19 après les massacres des 8vvaro{ par le 8fillOÇ de Constantinople et de Thessalonique. Makrembolites ne s'attriste pas du sort des victimes. Les hommes qui faisaient de la guerre leur métier ont été tués eux-mêmes par le glaive, parce qu'ils avaient violé la charité universelle, l'impératrice de toutes les vertus. 20 A un autre endroit du canon il écrit: Les impies haïssaient la paix, ils chérissaient la guerre; s'étant rangés du mauvais côté, ils périrent à juste titre. 21 Cependant, les responsables des massacres sont aux yeux de Makrembolites également des criminels, de sorte que la GraGzç a simplement détruit toute la gloire des Rhoméens. 22 Seul celui qui ne se met pas en colère à cause d'outrages, de mauvais traitements, de spoliations et de mépris, est rhomme qui aime vraiment la charité.23 Seule la charité chrétienne résout tous les problèmes. Voilà la morale des pages que nous venons de résumer. C'est la dernière fois que Makrembolites embrasse 8vvaro{ et 8fillOÇ dans une même répudiation du Mal. Quelques années plus tard sa haine des riches prend le dessus. Ils figurent seuls désormais dans ses écrits comme les vrais malfaiteurs. Leurs crimes ont enfoncé les digues de sa piété. Il va sans dire qu'un homme tel que Makrembolites ne pensa pas s'opposer à Cantacuzène à l'entrée de celui-ci dans Constantinople en 1347. Cependant, il ne manqua pas d'exprimer de sa manière particulière son opinion sur la victoire de l'usurpateur. Il croyait la fin du monde arrivée. Les tremblements de terre et les 19. Sabb. 417, f.106 v (in margine): TauTa sypaqJl1 dç nlv aKJ.lr,v TfjÇ EJ.lqJVÂiOV J.laXl1ç KaTà aVJ.l!3ovÀ-r,v Kai 1Capa{v~alv. 20. ibid., f.107 v , ode 6: EiqJl1 TOUÇ EV J.laxfi ~cOvTaç livSpaç KaTÉKTav~v aBÂicoç chç 6!3p{aavTaç Tr,V !3aalÂiSa TcOV ap~TcOv a1CaacOv aya1Cl1a1v Tr,V avvÉxovaav Tà aVJ.l1CavTa. Cf Deuxième Discours, f. 4S v: ol aSpoi TOU À-aou Kat 1CpOÉXOVT~Ç EK TfjÇ TOVTCOV (sc les sujets) aqJayfjç aVJ.l1CaVT~ç ax~Sov Tr,V 1Ciiaav V1Cap~lV lxovaz. 21. ibid., f.lOS v-109r : .Aaoç 6 Svaa~!3r,ç SJ.l{al1a~v ~ipr,V11V, 1ja1CaaaTo St J.laXl1V Kai W~TO eiK6TCOÇ KaKcOç SlaTa~aJ.l~Voç. Insistons sur le fait que À-a6ç n'est pas synonyme de SfjJ.l0ç. Cf l'usage du mot À-a6ç dans le Deuxième Discours. 22. ibid., ode 3, f.107 r : Nuv 1Ciiaav Tr,V TcOV 'PcoJ.la{cov ~ÜKÀ-~zaV 1] aTaazç wÀ-~a~ Kai Tà KaÀ-à lqJB~lP~V oaa 1] aya1Cl1 sKTr,aaTo. 23. ibid., f.109 r : "Ov V!3P~lÇ Kai 1CÀ-l1yai Kai ap1Cayai Kai qJB6vOl a6pYl1ToV Tl1Poualv, oVT6ç sanv 0 aTÉpycov YV11a{coç Tr,V aya1Cl1azv.
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raz de marée de 1343, les famines, la misère de la guerre civile, les grands massacres et les déportations de ses compatriotes par les Turcs, enfin l'écroulement d'une partie de la coupole de Sainte-Sophie (le 19 mai 1346),24 tout lui semblait déjà annoncer la catastrophe finale. Quand deux calamités succédèrent immédiatement à l'avènement de Cantacuzène, Makrembolites ne douta plus du rapport direct entre ces événements; il en augurait mal quant au proche avenir. La grande peste de 1347/48 fut suivie d'une catastrophe qui par ses aspects miraculeux semblait indiquer l'intervention directe de Dieu. Au cours de la guerre entre les Génois de Galata et Byzance (1348/49), la flotte byzantine périt inopinément sans coup férir. Devant les yeux d'une foule de spectateurs (Makrembolites et Grégoras étaient présents) l'équipage de la flotte impériale fut pris de panique de façon inexplicable, les Génois n'ayant encore opéré aucun mouvement. Les marins se jetèrent à l'eau afin de gagner la côte en nageant, mais se noyèrent presque tous à cause du poids de leurs armes. C'était un spectacle effrayant. Dans son Récit historique sur les relations entre les Génois et Byzance,25 Makrembolites fait entrer en scène la Justice personnifiée (BéJ.lu;) qui répond aux questions d'un autre personnage, le L1la7l'OpmV (celui qui est dans la perplexité). BéJ.llÇ explique les événements en condamnant l'empereur et l'ensemble de la société byzantine. Dieu a donné la victoire aux Génois parce que ceux-ci maintiennent la justice dans leur Etat. Bien qu'au cours des siècles ils aient commis de nombreux crimes contre les Byzantins, ils sont justes à l'égard de leurs propres sujets. Les Byzantins par contre se haïssent, se volent les uns les autres, se maudissent et s'entretuent. Depuis longtemps Dieu les a avertis, mais ils n'ont pas voulu
24. Sur l'étendue de l'écroulement v. les renseignements de Grégoras, XXVIII, Bonn III, p. 198-99 et de Cantacuzène IV, cap. 4, Bonn III, p. 29-30. Voir 1. Sevcenko, Notes on Stephen, The Novgorodian Pilgrim to Constantinople in the XIV Century dans Südostforschungen 12(1953), p. 165-75, ici p. 171-72; C. Mango, Materials for the Study of the Mosaics of St Sophia at Istanbul, Washington D.C. 1962, p. 66-67. 25.Sabb. 417, f.139 v-153 r , A6yoç la-roplK6ç ... éd. A. PapadopoulosKerameus dans 'AvaIlEK-ra 'rifç 'IepoaoÂvJ.ll'rlKfiç L-raXvoÂoy{aç, t.l, St Pétersbourg 1891, p. 144-59.
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L'entendre. Dieu s'est maintenant décidé à les prévenir d'une manière évidente; ils croiront plutôt leurs yeux que leurs oreilles. Depuis longtemps il leur a été dit que nul empereur peut être sauvé par sa propre puissance, ni un géant par sa vigueur corporelle maintenant ils l'ont vu de leurs yeux. 26 Pour Makrembolites le moment est venu d'abandonner tout espoir quant à la possibilité d'une solution pacifique des problèmes de l'Etat byzantin. Dans ses oeuvres il change de ton. On ne trouve plus chez lui les propositions anodines du Dialogue des Riches et des Pauvres. Désormais il tonne ainsi que les Prophètes de l'Ancien Testament et essaie de causer de l'effroi à ses lecteurs par des tableaux apocalyptiques. Le Récit historique donne un premier éhantillon de cette méthode. Ecoutons eéJ,lu;: S'Il veut, Dieu peut aisément humilier les superbes et élever les humbles, ainsi faisant droit aux justes, comme au temps de Sanhérib de Babylone, de Joram roi des Amorites, d'Achab, d'Amman, de Mardouk et de tous les autres rois (méchants), dont nous parle la Sainte Ecriture, qui mentionne en outre la défaite des onze tribus par une seule, grâce à la faveur de Dieu-Juge. Les Rhoméens ont vu maintenant que celui qui met son espoir en la flèche et le glaive est vraiment un sot, et que celui qui tire vanité de sa sagesse, de sa force et de ses richesses, n'a pas le droit de se vanter si ces avantages ne sont pas accompagnés de la vraie foi et d'oeuvres impeccables. Maintenant ils ont appris que le fort qui se fie à sa force est impuissant si le Seigneur n'affaiblit pas son adversaire. Car quand Dieu est le capitaine, même des femmes peuvent accomplir de grands exploits dans la lutte contre des forces redoutables, comme le montrent les exemples de Judith, Deborah et Jaël. Des essaims de guêpes assistèrent même les Hébreux dans leur efforts pour détruire leur ennemis, puisque ceux-ci ne méritaient pas d'être battus par des hommes. 27 26. ibid., p. 153-56; cit. p. 155; Kai ràp fjKOVOV roe; où awÇsral {3amÂeùe; c5là 1l'oÂÂr,v c5VVajllV, oùc5t r{rae; tv 1l'ÂJj(JSl iaxvoe; aùroü - vvvi c5t roüro Kai roie; aqJiiJv éwpaKaalv oqJ(JaÂjloie;. 27. ibid., p. 155-56: '0 ràp BSDe; ors {3ovJ..,eral pq.c5{we; rà vlJITlÂà ra1l'elvoi Kaf rà ra1l'slvà àvvlJloi roü c5lKa{ov àVrl1l'OlOVjleVOe;, c5{KalOe; wv, roe; t1l'f roü {3a{3vÂwv{ov EevaXTlPefjl Kaf roü '[wpàjl {3amÂÉwe; 'Ajlopa{wv, Kaf roü 'Axaà{3 Kaf roü 'Ajlàv Kaf Mapc5oxa{ov Kaf riiJv aÂÂwv wv al (JEi'al {3{{3ÂOl 1l'apac5sc5wKaal, jle(J' WV Kaf Jj rlrra riiJv Ëvc5eKa qJvÂiiJv 1l'apà
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De cette manière et pour ces raisons Dieu a donné la victoire aux Génois.
*** Il ressort du passage que nous venons de citer que, pour Makrembolites, foi orthodoxe (plus exactement: doctrines orthodoxes) et bonnes oeuvres sont inséparables. Cantacuzène, à son avis, ne manque pas seulement aux bonnes oeuvres, mais également à l'àK:plf3Eza 50YJ.uirrov. Il est clair que Makrembolites communique ainsi implicitement son opinion sur la doctrine nouvelle de Grégoire Palamas concernant les SVÉpYEzaz divines. Cette opinion nous est connue par un discours de sa main où il donne un exposé technique sur les ÈVÉpYEzaz sans faire mention de l'interprétation de Palamas. Cependant, le titre du discours en dit assez: Que celui qui ne croit pas aux énergies divines comme il convient, ne reconnaît pas Dieu Lui-même; et que Dieu est vu par les hommes bien-pensants dans Ses créatures; et que pour cette raison rexpérience physique des énergies est impossible. 28 MaJ.lliiç avayéypa1rTal ycvéo(Jal È1ri BcéjJ c51KaoTfi. Nuv yàp J.lCJ.la(Jr7Kaol 'PWJ.laiOl roç aÂ..17(Jmç J.laTaui'ovTa TOV È1ri T6çov Kal {JOJ.lqJa{av ÈÂ..1r{'ovTa Kai roç J.lil Èv oOqJ{q. Kai c5VVaJ.lCl Kai 1rÂ..ovnp TOV KaVXWJ.lCvOV Kavxiio(Jal, ci J.lil È1r' a KP1{3Elq. c50YJ.laTWV Kai épy01Ç aVC1rlÂ..r71rTOlÇ. "EJ.la(Jov J.lil iOXVC1V TOV ioxvovTa Èv TU iOXVl aUTou, ci J.lil KVPlOÇ ao(Jevfj TOV avTic51Kov aUTou 1r0lr70U . Kai yàp Bcou OTpaT17YOUVTOç J.lcyaÂ..a Kai yvvaiKcç KaTà J.lcyaÂ..wv apxmv EipyaoavTo, roç 'Iovc5iO Kai t1c{3wppa Kai ·Iar7Â... ·AÂ..Â..à Kai OJ.lr7V77 OVVCOTpaTr7Yovv 'E{3pa{Olç OqJ17Kmv TOÙÇ ÈvavT{ovç Tpc1r6J.lcva, oinvcç av(Jpw1r{Vijç ijTT17Ç avaçlol ÈKp{(J17oav. (Les derniers mots de cette Tfiç
tirade ont été empruntés à Philon d'Alexandrie, De praemiis et poenis, v. l'appendice, note 37). Il va sans dire que les paroles de Themis rendent les sentiments de Makrembolites. Celui-ci venait de louer quelques pages auparavant, en peu de mots et de piètre façon, en comparaison avec l'exubérance d'usage chez les auteurs byzantins, l'empereur Cantacuzène (p. 150). Makrembolites pensait peut-être se couvrir par ces compliments. En ce cas il n'a pas été très habile. Qui peut prendre au sérieux les louanges à l'adresse de l'empereur en raison de sa sagesse et de son courage, lorsque peu après l'auteur argumente que ces qualités ne valent rien si elles ne sont pas accompagnées de vertus d'ordre religieux et moral? 28. Sabb. 417, f.113 v-125 r : Tou aUTou. "On 6 Tàç TOU Bcou Èvcpydaç
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krembolites ne parle pas du tout de la lumière de Thabor, ni ne se demande si les énergies sont créées ou incréées. Bref, il rejette sans façon la doctrine de Palamas. Il a prononcé, dit-il, le discours en question dans une réunion d'amis laïques qui l'avaient souvent prié de leur faire savoir son opinion à ce sujet. Il n'a accédé à leurs demandes que par peur d'être blâmé par eux. 29 Makrembolites craignait peut-être de se prononcer catégoriquement et en public. A ce moment en effet le patriarche Isidore Bucheiras (occupant le trône patriarcal de 1347 à 1350) sévissait contre les prêtres séditieux et antipalamites à Constantinople, sans négliger les prêcheurs laïques. 30 Dès le début de l'effondrement du régime de Cantacuzène sous la menace de la reprise des hostilités par Jean V Paléologue (1351/52), Makrembolites osa avouer franchement qu'il considérait le palamisme comme une hérésie. Il l'a fait dans sa Lamentation sur Sainte-Sophie, écroulée par suite d'un grand nombre de
on
J..171 maù;vcov roç ~û ou~t roûrov {)j.1oÀ,0YEi K'ai K'av roiç auroû nOl'T]j.1aalV {) Bâ'ç K'aBopiiral roiç voûv €xovalv, OBEV ou~' 1) rovrcov K'araÀ,17lJ1lç aÀ,17nroç. Makrembolites distingue et traite l'une après l'autre quatre énergies: ~VVaj.1lç, ayaBor17ç, qJlÀ,avBpcon{a, npoyvcoazç. Chaque
fois il en arrive à la copclusion que l'énergie qu'il vient de traiter se dérobe à la perception sensible. Donnons en exemple la conclusion sur la ~VVaj.1lç (f.116v): Elyoûv rD nOlK'{À,ov rfjç auroû cpvaEcoç j.1ovov {) npocp'Tjr17ç ouroç (sc David, cf Ps. 103,24) K'aravo'Tjaaç Èv nVEVj.1an j.1Er' ÈK'nÀ,'TjçEcoç EuBuç anEn'Tj~17aE TO aVÉcplK'rOV rpavwç {)j.1oÀ,oy'Tjaaç TfjÇ K'araÀ,'TjIJlEcoç, miJç OUx untp K'arciÀ.17lJ1lv 1) K'ai TaÀ,À,a navra ~17j.1lOvpyriaaaa ~VVaj.1lç ourco j.1ÉYlara rE ovra K'ai anElpa, Ècp' o[ç K'ai auroç, roç yÉypanTal, ÈnEvcppa{vETal. El ~t aunl navranaalv aÀ,17nroç, noacp j.1iiÀ,À,ov K'ar' oua{av auroç {) mzvrcov ~17j.1lOvPyoç, ou j.117~t ovoj.1a 1) K'rialç ÈyvwplaEv oua{aç ~17À,conK'OV; 29. ibid., f. 125r : Taûra j.1tv oll~lwral 1)j.1Eiç rD K'aBoÀ,ov K'ai rfjç BEiaç rD napanav aj.1ÉroxOl xaplroç nEpi rwv ~l' 1)j.1iiç ÈK' BEOÛ nap17Yj.1ÉvCOV K'ai rwv alr{cov aurwv roç ÈcplK'rOV ~lEÇ7jElj.1EV ÈK' rfjç BE{aç ypacpfjç rov €pavov nOl17aaj.1EVol. nA K'ai nporEpov anD Çwa17Ç cpcovfjç npoç TOUÇ avv~lalrCOj.1Évovç 1)j.1iv l~lwraç nOÀ,À,aK'lç Elp'TjK'aj.1EV napOpj.117BÉvTEç un' aurwv K'ai ~Eiaav'l"Eç rD rfjç napaK'ofjç Èmrij.1lOv. Kai yàp rD nEpi rovrcov K'ai j.1aB17ràç K'ai ~l~aaK'aÀ,ovç roç ÈcplK'rOV aEi ~laÀ,ÉyEaBal K'ai BEi[J cp{À,ov Èan K'ai EuapEarov. Il est clair que Makrembolites défend ici le droit des laï-
ques de lire la Sainte Ecriture et de se former eux-mêmes un jugement indépendent. 30. Philothée Kokkinos, Vita Isidori, cap. 54, éd. Tsames, p. 396.
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tremblements de terre successifs. 31 On ne sait pas si l'oeuvre a été lue en public. Le texte qui nous est parvenu ne date pas de 1346, mais de quelques années plus tard, selon toute probabilité de l'hiver de 1353/54; il fut écrit (ou ré-écrit) à l'occasion des travaux de réparation ordonnés par Cantacuzène pendant cette période. 32 31. Bic; rr,v ayiav Locpiav 7reaoüaav U7rD 7roÀ.À.cOv Karà avvÉxelav yevoJ,lÉvrov aelaJ,l cO v , éd. Kuruses dans son article cité supra, note 6,
p. 235-40. 32. Le texte de la Lamentation sur Sainte-Sophie dans la forme qui nous est parvenue, présente des problèmes. A première vue il semble avoir été rédigé peu de temps après le mois de mai 1346, immédiatement après l'accident, considéré par beaucoup de Byzantins - parmi lesquels Makrembolites - comme un signe précurseur de la fin du monde. En effet, Sevcenko ne doute pas que la date de la Lamentation soit 1346 (Dialogue, p. 191-92, v. également son article Notes on Stephen, cité supra, note 24, p. 170). Il y a pourtant des indices suggérant une date bien ultérieure. En premier lieu, il faut tenir compte des allusions aux épidémies de peste de 1347-49. Kuruses, divergeant de Sevcenko, ajoute deux autres arguments prouvant à son avis que la composition de la Lamentation doit être datée bien après 1346. Ceuxci nous semblent beaucoup moins convaincants (v. son article cité supra, note 6, p. 230-32). Cependant, selon nous, un indice important dans le texte confirme malgré tout la datation de Kuruses. Un passage, appuyant sur l'antithèse entre la maison de Dieu, faite de mains d'hommes (la Sainte-Sophie) et la maison vivante de Dieu (l'homme même) est identique à un passage du Deuxième Discours, dont nous publions une grande partie dans l'appendice. Ce discours a été écrit certainement sous le règne de Cantacuzène, vers 1351/52 (v. infra, p. 269). La question se pose si Makrembolites a écrit le discours dans l'intention de développer le thème de la Lamentation, ou bien s'il a inséré un fragment du discours dans la Lamentation. La réponse nous semble claire. Le fragment cadre parfaitement avec tout le reste du discours, tandis qu'il ne s'accorde pas avec le ton rhétorique de la Lamentation. Il trahit sa provenance d'une oeuvre qui a le caractère d'une dissertation. Dans la Lamentation le fragment se présente même comme un passage incohérent et difficile à comprendre, ce qui ne s'explique que partiellement par l'existence d'une lacune entre les ff.Ill v et Il2r . Quoi qu'il en soit, le ton du passage contraste avec le style du reste de la Lamentation, tandis qu'il n'offre aucune difficulté dans le contexte du discours. Ajoutons la correction, dans la Lamentation, de quelques passages maladroits figurant dans le discours (v. l'appendice, note 22). Nous en concluons que le texte de la Lamentation parvenu jusqu'à nous est une deuxième version d'une Lamentation originale, écrite, elle, en réaction directe à l'accident arrivé à SainteSophie et égarée. L'auteur a révisé alors le texte dans son entier, ce qui est prouvé par la men-
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Makrembolites le prend sur un ton très acerbe. C'est une absurdité de restaurer la maison de Dieu et de détruire en même temps ceux qui la sanctifient, à savoir des hommes - les temples et les icônes vivants de Dieu. On ne peut plus douter de la proximité de la fin du monde: Et puis, n'avons nous pas perdu nos âmes avant la destruction de nos corps - ·par de multiples parjures et excommunications? N'a-t-on pas introduit des hérésies, qui ont trouvé leur origine dans rélite de notre société? Et je ne parle pas du fait que nous avons abandonné Dieu à la légère en mettant souvent notre espoir dans celui qui sans pitié nous dévore quotidiennement et dans son protecteur misérable. 33 Qui nous dévore quotidiennement constitute une allusion aux Ps. 13(14),4; employée, au pluriel, traditionnellement par Makrembolites et d'autres auteurs byzantins pour désigner des représentants criminels du pouvoir impérial. 34 Dans le cas présent Makrembolites vise sans doute l'empereur lui-même, Cantacuzène. Il est à présumer que son protecteur misérable est Orkhan. 3S
*** tion de la grande peste et de ses conséquences catastrophiques (éd. Kuruses, p. 236). Des travaux de réparation eurent lieu en 1346, donc sur l'ordre de l'impératrice Anna, mais furent suspendus; ils furent repris de décembre 1353 à février 1354, sur l'ordre de Cantacuzène (v. la bibliographie citée supra, note 24.) La critique des autorités dans la Lamentation dont nous disposons est donc dirigée contre Cantacuzène, ce qui est parfaitement en concordance avec le Récit Historique et avec le discours que nous allons citer. La Lamentation a dû être écrite peu de temps après le discours. 33. éd. Kuruses, p. 237: ov Kai ràç I/fvXàç 7rPO rwv aWJlarwv Tep 7r).,1jOEl rwv èmopK{WV Kai nov àqJoplaJlWV à7rw).,ÉaaJlEV; OVXi Kai a{pÉaElç èVÉKVl/faV èK TOU KpElrrOVOç JlÉpovç r,JlWV; èw yàp Ei7rEïv OT! Kai eEOV Kara).,l7rOVrEç è~ àf30vMaç Tep KarEaO{OVTl r,Jliiç àqJElcSWÇ OaTIJlÉpal Kai Tep rOIJrov cSvar1jvlp 7rpoarar7] ràç è).,7r{cSaç 7ro).,).,aKlç rijç awrl1P{aç èOÉJlEOa.
34. Cf Deuxième Discours, appendice, p. 278; Athanase (éd. MaffreyTalbot), ep.35, p. 72; ep. 59, p. 130; Vat.Gr. 2219, f.65, cité par Boojamra dans son article cité supra, note 10, p. 354; Théolepte de Philadelphie, Aoyoç 7rapalVETlKOÇ, cité par Kuruses dans son livre sur Manuel Gabalas, p. 318. 35. L'identification des personnes visées par Makrembolites dépend évidemment de la datation du texte. Sevcenko, croyant à tort que la Lamentation datait de 1346, pensait que celui qui nous dévore quotidiennement était
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Peu de temps avant la Lamentation sur Sainte-Sophie, Makrembolites avait écrit un traité assez long sur le désarroi spirituel et moral de la société de son époque. L'oeuvre est, en quelque sorte, un résumé de ses pensées sur la guerre civile. L'auteur est d'avis que la cause profonde des massacres et des déportations des Byzantins par les Turcs est à chercher dans les péchés des victimes mêmes; leur foi ne s'accompagne pas de bonnes oeuvres. Cette conception est traditionnelle en soi, banale même, mais elle acquiert une signification exceptionnelle par l'interprétation que Makrembolites lui confère. Il s'avère qu'il n'attribue pas à tous les Byzantins la responsabilité des calamités qui les frappent, comme il est d'usage dans des traités de ce genre. 36 Les coupables, ce sont les riches et les aristocrates, les autorités laïques et ecclésiastiques. Bien sûr, Makrembolites écrit que le monde entier est malade, à commencer par les plus pauvres jusqu'à l'empereur luimême. Un peu plus loin, toutefois, il considère que le plus grand péché des pauvres est leur propension au suicide; ils y sont portés sous le fardeau de l'injustice dont ils souffrent sans répit. 37 Makrembolites estime que le suicide est un péché plus grave que le meurtre mais il finit quand même dans une certaine mesure par disculper la masse du peuple, en accusant avec une grande véhémence les vrais coupables, c'est-à-dire ceux qui le réduisent au désespoir. Il est à noter ensuite que Makrembolites insiste d'une manière frappante sur le point de doctrine selon lequel la foi est morte sans les oeuvres, dans la formulation succincte qui lui est donnée Alexios Apokaukos et son protecteur misérable Kalekas (Dialogue, p. 191-92). Cependant, Apokaukos fut assassiné le Il juin 1345, comme l'a déjà signalé Kuruses (art. cité, p. 232). npoaTllTQC; désigne selon Sevcenko souvent un patriarche, mais le mot peut bien avoir une autre signification (v. supra, note 15). Kuruses pense respectivement à Orkhan et à Mahomet (art. cité, p. 232). Cette conjecture est également inacceptable. Makrembolites parle en effet de la situation présente dans laquelle les Byzantins ont mis leur espoir dans des hommes vivants. 36. Voir C. J . G. Turner, Pages from Late Byzantine Philosophy of History dans BZ 57(1964), p. 346-73; J.-L. van Dieten, Politische Ideologie und Niedergang im Byzanz der Palaiologen dans Zeitschrift für Historische Forschung 6(1979), p. 1-35, particulièrement p. 26, note 91 avec bibliographie. 37. Deuxième Discours, f. 45 r , v. appendice, p. 283.
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dans l'Epître de Jacques (2,17;26). Quelques décennies plus tôt le patriarche Athanase s'était souvent prévalu de ces paroles apostoliques. 38 Les théologiens du milieu du siècle les négligent et ce n'est pas par hasard s'ils se soucient le moins du monde des maux sociaux de leur temps. Nulle part dans les oeuvres de théologiens palamites tels Philothée Kokkinos et Joseph Kalothetos le passage célèbre de l'Epître de Jacques est cité. Palamas y fait allusion dans la Lettre à son Eglise, mais par pur intérêt personnel, nous l'avons montré ailleurs. 39 A ce propos il est intéressant de comparer les deux vitae d'Athanase parvenues jusqu'à nous, celle de Théoktistos, un moine du couvent de Studios, qui l'écrivit peu de temps après la mort d'Athanase, et celle de Joseph Kalothetos, d'une date ultérieure. Théoktistos s'étend avec enthousiasme sur les lettres écrites par Athanase à l'empereur et à d'autres autorités dans l'intention de combattre l'injustice sociale de son temps. Il recommande à ses lecteurs de les lire à leur tour. Rien de tout cela chez Kalothetos. Appartenant à une famille aristocratique, il était palamite à outrance. 40 Makrembolites a été, semble-t-il, seul à obéir au conseil de Théoktistos. Il a d'ailleurs beaucoup en commun avec le patriarche par la manière dont il se sert des textes bibliques. Ce qui le distingue d'Athanase c'est qu'il s'identifie vraiment aux pauvres, en puisant à cette fin aux sources peu citées de son temps, particulièrement les livres prophétiques d'Habakuk, de Zacharie et de Malachie. Makrembolites rédigea le traité dont nous venons de parler à l'occasion de rumeurs inquiétantes qu'il entendait autour de lui. Certains se demandaient si les victoires des Turcs pouvaient s'expliquer par la possibilité que leur religion soit vraie. Prenant son 38. ep. 110, p. 274 (éd. Maffrey Talbot); Vat. Gr. 2219, f.133 r , cité par Boojamra, art.cité supra, note 10, p. 345. Athanase insiste dans toutes ses lettres sur l'importance des oeuvres: ep. 25-28,35,47-50,61,71-4,82,83, 110. 39. v. notre chapitre sur Palamas, p. 201. 40. Théoktistos, Vita Athanasii, éd. Papadopoulos-Kerameus dans Zapiski istoriko-filologitsjeskago fak. Imp. S-Pet. Univ., 76(1905), p. 1-51, ici p. 24-26. Joseph Kalothetos, Vita Athanasii dans Evyyp., éd. Tsames, p. 453-502. Kalothetos ne peut éviter de parler de la charité d'Athanase, mais il le fait en passant (p. 484, lignes 1027-29; p. 496, cap. 32 sur la famine de 1306/7).
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point de départ du Ps. 72 (73) Makrembolites commence par poser que Dieu est juste. Les Turcs ne sont qu'un fléau de Dieu par lequel Il punit les Byzantins de leurs péchés. Il y a là un parallèle avec les nations païennes dont Dieu s'était servi pour châtier Israël. On peut imaginer que la religion des Turcs soit vraie quand on voit leur fermeté inébranlable, le fanatisme qui les inspire à s'accrocher avec tenacité à leur maudite doctrine d'erreur, à la propager même par des efforts physiques inouïs, couronnés par des succès matériels spectaculaires, tandis qu'au même moment les Byzantins changent leur dogmes et négligent les oeuvres qui sont le supplément indispensable à leur foi. Cependant, quand on reprend ses esprits, on voit tout de suite qu'il est absurde et impie de penser que les Turcs peuvent avoir la vraie foi. 41 Nous abordons à présent la partie du traité qui en forme le noyau. Sur un point essentiel, l'auteur adopte un point de vue plus tempéré sur une thèse que, dès le début, il n'avait pas défendue conséquemment. Ce n'est pas l'état de péché où se trouve l'ensemble de la société qui a causé sa misère; c'est l'état de péché où se trouve l'élite qui a excité le courroux de Dieu. Encore une fois, l'opinion orthodoxe de Makrembolites croule sous son indignation toute humaine. Il en vient à parler· des alliances turques de l'empereur. Bien qu'il se serve de circonlocutions, sa critique ne souffre pas de doute. D'autre part ses attaques contre l'élite en général deviennent mordantes comme nulle part ailleurs dans ses écrits. Si Makrembolites méprise surtout les autorités ecclésiastiques et théologiques, c'est parce que leurs crimes ne sont pas moins graves que ceux des autorités temporelles. Pendant que les dernières massacraient et dévoraient inhumainement le peuple qui leur était soumis, celles-là se tenaient, indifférentes, impassibles et lâches, à l'écart du carnage, se refusant à voir ce qui se passait devant leurs yeux. La religion de l'élite - laïques aussi bien que prêtres - est toute formelle. L'élite n'accorde aucune valeur à la vie des simples. Elle ne songe pas qu'eux aussi sont des icônes vivantes et des temples de Dieu. Qui dégrade l'homme dégrade Dieu. A quoi servent dans cette situation le culte des icônes et les autres rites de l'Eglise? Les membres de l'élite ne font que faire accroire aux autres qu'ils croient. La fin du monde est proche. Le 41. Deuxième Discours, f.32 v-34f , v. appendice, p. 273.
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Seigneur, veillant sur Son troupeau, va punir les puissants et les évêques. L'auteur leur prédit des châtiments terribles, citant Jérémie 23, 1-2: Malheur aux pasteurs qui détruisent et dispersent le troupeau de ma pâture! Vous avez dispersé mon troupeau et vous l'avez chassé, et vous ne l'avez pas visité; voici, je visite sur vous l'iniquité de vos actions.
*** Nous ne croyons pas que le traité en question a été rendu public. Makrembolites n'y aurait probablement pas servécu. Peu importe à l'historien. L'essentiel pour lui c'est qu'au moins une voix lui soit parvenue lui faisant oublier un moment les bassesses qui doivent nécessairement retenir son attention dans l'étude d'une époque de l'histoire byzantine négligée à tort. N'exagérons pourtant pas la valeur intrinsèque des écrits de Makrembolites. Ils témoignent en soi d'une incapacité intellectuelle et littéraire (celleci vraiment ahurissante) rachetée par une parfaite rectitude morale et religieuse. Mais c'est justement l'insignifiance de Makrembolites sous les autres aspects qui nous aide à voir clairement que l'élite byzantine a pu écraser le peuple sans avoir à craindre de sa part une opposition vraiment dangereuse, enracinée dans des motifs nettement politiques.
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APPENDICE
Extrait du Deuxième Discours d'Alexios Makrembolites
Les écrits d'Alexios Makrembolites parvenus jusqu'à nous (sauf quelques poèmes conservés dans le Laur. 32,19) sont contenus dans le Sabbaiticus 417, reposant dans la Bibliothèque Patriarcale de Jérusalem. Le Deuxième Discours (Aoyoç ocvrcpoç) comprend les feuilles 22 v-51 v du manuscrit. Les fragments que nous publions ici, forment un peu plus de la moitié du texte entier. Les parties omises ne constituent que des répétitions presque inchangées de l'argumentation générale, entrelardées de citations bibliques, n'ajoutant rien d'essentiel à l'ensemble. Notre transcription a été faite d'après un microfilm du manuscrit, se trouvant dans la Library of Congress, Washington D.C. Quelques détails dans le texte nous permettent une datation approximative. Il est question de tremblements de terre et d'épidémies de peste (f.45 V). L'auteur fait allusion à un empereur lié à des gens impies parlant une langue barbare (f. 36C 36V ). La guerre civile fait toujours rage (f.51 r -51 v), mais la masse du peuple est devenue totalement apathique (f.45 V). Le mot orcxozç n'est jamais employé, ni un autre suggérant une insurrection ou une révolte populaire. D'autre part, Dieu a déjà frappé les autorités temporelles de punitions terribles (f.49 r ) Il semble, tout compte fait, que le discours a été écrit pendant les dernières années du règne de Cantacuzène, après la reprise des hostilités par Jean V Paléologue. Dans notre transcription nous avons rectifié, sans les signaler dans les notes, quelques petites fautes d'orthographe et erreurs de plume.
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f. 22v
f. 23 r
Tou aùrou Âoyoç c5evrepoç* ~Anoc5elçlç on c5là ràç ujlaprzaç 7]jlmv eiç npovojl'iW K~i aiXjlaÂmazav roïç ë8vealv eçec5087]jlev Kai on àc5vvarov àno nzaremç jloV7]ç am8fjvaz nva, roanep Kai Çfjaal xmpiç nvevjlaroç . nzanç yàp xmpiç ëpymv veKpa, roç Kai ëpya xmpiç nzaremç. 1 '0 ràç àÂÂenaÂÂ7]Âovç 8avjlaÇmv enlc5pojlàç rrov e8vrov Kai r7}v Ka8~ r,jlrov enz roaourov aùrrov eÙc50KZjl7]alv Kaj c5là rouro Kai eùaefJeïv aùroùç iamç oiojlevoç, roïç rovrmv ëpYOlÇ napafJaÂÂérm nporepov rà r,jlérepa Kai jlav8avérm oaov raura eKezvmv ànoÂljlnaVOvral. 2 EIra Kaz ràç Karà ~Iovc5azmv ecpoc5ovç eçeraÇérm jlaÂlara Kai rov rovrmv oparm eiç réÂoç àqJavlajlOV, enei Kai r,jleïç Biç r7}v aùrrov eKezvmv pzÇav eveKevrpza87]jlev Kai fjv naÂal nort c50çav eIxov aùroi jler' eKezvovç r,jleiç aaqJroç nenÂoVr7]Kajlev. Kai ei rrov Karà (fJValV / KÂac5mv àya8rov jl7} eveyKovrmv Kapnov OÙK e(fJezaaro, 3 àÂÂ' eçéKO'lfe réÂeov, nOÂÂep jlàÂÂov r,jlrov où (fJezaeral Kapnov jl7} eveyKovrmv; "Ov aùroç OÙK e(fJzeral, enei jl7]c5~ àyyéÂmv Ujlapr7]aavrmv e(fJezaaro jl7]c5~ aùrrov r,jlrov rep OjlOÜp un' aùrrov aVÂÂaymy7]8évrmv Kai unoneaovrmv eyKÂ7]jlan, àÂÂ' àjl(fJorépovç aùrzKa raïç àV7]KOVaalç jlaarlçlv erpaVjlarlae . Kai oan(ç Ii)plaroç iarpoç ro aea7]noç eKKO'lfaç ànwaaro, iva jl7} Kai ro uyzaïvov avvc5laqJ8ezp7]ral Kai ànoÂéau, Karà ro yeypajljlévov, 0 àaefJ7}ç rov c5zKalov. 4 L\lO Kai ràç Kar' eKezvmv
* in margine: npoç nva àVnpp7]rl(Koç) rov ràç u(yzaç e) iKovaç aiXjlaÂwrovç ic50vra Kai unD rou ÂOYlajlOU evoXÂ7]8fjval roç ëÂeye op8oveIval ro c50yjla ô oi rfjç .,Ayap npeaf3evovalv. 1. Jac. 2, 17; 2, 20; 2, 26. 2. Il faut se garder de croire que Makrembolites, en comparant les épya des Turcs à ceux des chrétiens, veuille égaler les épya des Turcs à ce que les chrétiens entendent par "bonnes oeuvres" et dire que les Turcs seraient moralement supérieurs aux Byzantins. Il pose seulement que les Byzantins font beaucoup moins pour leur religion que les Turcs pour la leur. Il faut lire ce passage d'introduction en rapport avec les ff. 27-28,32-34 et 46-47. V. aussi infra, note Il. 3. Rom. 11, 21. 4. Cf Gen. 18, 23; Matth. 7, 19; Luc. 3, 9.
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à1l'SlÀàç Ëni ,uâÀÀov av nç sinol Kai Ka(J' r,,uWV, Ë1l'si Kai ,uâÀÀov ËKsivrov ,usTà T11v XaplV r,,uSlÇ a,uapTllvo,usv. 'AÀÀ' ËKsivrov ,utv oi SÙ(JSlÇ Tfi Kap8i~ «wç àya(Joç 0 (Jsoç 'IopaijÀ»5 Kai TooaUTa 1l'UOXOVTsç lÀsyov, onsp T11V unsp{3oÀijv 8siKVVOl Tfiç àya(JOT1]TOÇ TOU (JSOU . ÀéYSl 8t on 1l'OÀÀijv / 0 (Jsoç TOU 'IopaijÀ 1l'OlSlTal K1]8s,uoviav. 'AÀÀà TOUTO Où nUVTsç ioaOlV, àÀÀ' 'Op(JOlÇ Kai uYléol XpdJ,uSVOl ÀOylO,uOlÇ . oi 8t ,ulKPOIJIVXOUVTSÇ Ëep' olç oi 1l'OV1]poi sùnpaYOUOl Kai 8VOTVXOUOlV oi àya(Joi 81],uooi~ TijV ÇUÀ1]V ÀOYlO,uWV ànoqJaivoVTSÇ. ( ...)
f. 23 v
[Ici suit un exposé dans lequel Makrembolites pose qu'un homme pieux ne se demande pas pourquoi Dieu le punit. Il est d'ailleurs évident que les Byzantins sont châtiés parce que leurs péchés sont terribles, beaucoup plus terribles que ceux des Hébreux. Quand le moment du châtiment est venu, les instruments ne lui font jamais défaut.]
"OTS ovv 8slTal KoÀaoTwv 0 (Jsoç, xpfiTal VUV ,utv àysÀuPXalç àKpi8rov 8ai,uool, vuv 8t tpya Àl,uoi . Kai vuv ,utv l(JVSl {3ap{3up({J, vuv 8t apxovn 1l'OV1]pcp, Ka(JU1l'aç si1l'slv, Talç Ë1l'lT1]8siolÇ siç TO nOlfioal KaKà 81],uoola qJUOSOl. MlOSl8' o,uroç aÙTuç, on npoç TOUTO ysyovaolv Ë1l'lT1j8slOl . où yàp Ënoi1]osv 0 (Jsoç 6pyava ov,uepopwv, àÀÀ' uqJ' éavTwv siç TOUTO Tax(JslolV éTOi,uroç Ëxp1joaTo . TWV,uSVTOi KOÀaÇo,uévrov 0 (Jsoç K1j8sTal, où8tyàp où8t TOUTO ,ulKpOVË1l'lOK01l'fiç àçlro(Jfival (Jsou Kai Ka(J1jpao(Jal 8là 8iK1]Ç Tà a,uapT1j,uaTa. Ai 8t n,uropoi qJUOSlÇ sioiv ai / nUVT' à1l'OOTpOqJOl TOU (JSOU . TO yàp àepaVlonKov Tep 81],ulOVPYCP 81jnov 1l'OÀé,ulOV. ( ...)
rov
LilroKO,uévrov yàp uno Tfiç a,uapTiaç TWV àPSTWV Kai r, sùos{3sia ovvavaxropSl TO 1l'apSlVal Ëv Tep ,uij1l'apSlVal lxovoa. OUTroÇ «vioi 'HÀsi, vioi ÀOl,uoi Kai OÙK si80Tsç TOV (JSOV»,6 OÙK Ëv Tep àpvslo(Jal aÙTov 8là oTo,uaToç, àÀÀ' Ëv Tep Tàç aloxpovpyiaç TSÀslv Ëv Tfi oK1]vfi. Kai oi TOKiÇoVTSÇ TOV (JSOV OÙK oi8aOlV . aÙToç ÀéYSl . «TOKOÇ Ë1l'i TOK({J Kai 8oÀoç Ëni
5. Ps. 72 (73), 1. 6. 1 Rois 2, 12 (1 Sam. 2, 12). 271
(f. 27 V)
f. 28 r
(f. 32r )
8oÀQ) . OÙK ijOÉÀl1aav d8ÉvaI /lS»,7 ÀÉYSI KVPlOÇ, rov dnovra . «tàv sK8avs{a7]ç àpyVplOV rep à8sÀepep Tep nSVIXPep, OÙK taft
f. 32V
aùrov KarSTCS{YroV, OÙK tTCI01jasIç aùrep».8 IIav yàp a tàv nOI1ja7] nç· dç rov nÀl1a{ov, sirs àyaOov tanv sirs Kai roùvavrlov, roûro dç tavrov XpIaroç àva8Éxsral, av tepopsas 8Ià roû !3aTCr{a/laroç . «tep' oaov yap, »qJl1a{v,« tTCol1jaars rovrrov nov à8sÀeprov /lOV rrov tÀax{arrov, t/loi tTCol1jaars».9 'ETCsi yoûv oaa dç rov TCÀl1a{ov tçap,apraVO/lSv dç aùrov a/lapraVO/lSv, /l'il OaV/lasro/lSv / TCroÇ dç aiX/laÀroa{av navav8i naps80011/lSV Kai VTCO rrov !3ap!3aprov àei Karaarparl1yoV/lsOa. M118t ÀÉyro/lSV TCroÇ OÀ{YOI rrov tvavr{rov nÀs{ovç Karà TCOÀÙ rrov r,/lsrÉprov tKparl1aav . rrov yàp ",vxrov r,/lrov vno rrov vOl1rrov 8va/lsvrov ùX/laÀrona/lÉvrov dKorroç Kai rà aW/lara roiç aiaOl1roiç tçs80011aav, orl OÙK tv Tep nÀ1jOsl ro vIKav Kai rrov nOÀS/l{rov Kparsiv, àÀÀ' tv Tep sùas!3siv Kai 8{Kala nparrSIv . «où yàp roiç KOVepOIÇ 0 8po/loç», qJl1a{v, «où8t roiç 8vvaroiç 0 TCoÀS/lOç».IO @aV/lasro/lSv 8t /laÀÀov d Ka{ nors r,/lsiç aùrrov rOlOûrOl ovrsç TCSPIysVO/lSOa, tTCsi Kai tç aùrrov noÀÀoi /lsO'r,/lrov sia{v, oaOl Tep rponQ) rr,v n{arIv epOavoval Kai 8ÉovraI roû OVO/laroç ro épyov éxovrsç, mç Kai TCoÀÀoi rrov r,/lsrÉprov où /lsO' r,/lrov da {v, oüç 0 !3{oç àÀÀorplOi roû KOIVOÛ aW/laroç. Il 7. Jér. 9,5. 8. Ex. 22,25. 9. Matth. 25, 40. 10. Eccl. 9, 11. Il. Quand Makrembolites parle des Turcs qui se conduisent en vrais chrétiens, il pense sans doute aux individus qu'il connaît personnellement et non pas aux armées d'Umur ou d'Orkhan. N'oublions pas qu'il y avait à Constantinople une mosquée, centre d'un quartier islamique (v. Athanase, ep. 41, p. 82, éd. Maffrey Talbot; pour d'autres sources, voir le commentaire de l'éditrice avec bibliographie, p. 350). Makrembolites se sert ici d'une tournure rhétorique. En écrivant beaucoup d'eux sont avec nous, il fait allusion à ceux qui sont chez nous; quand il continue: beaucoup des nôtres, par contre, ne sont pas avec nous, il vise les méchants byzantins et fauteurs de troubles dont il va énumérer les péchés. Il est inadmissible de considérer ce passage comme un témoignage de sympathie envers les Turcs en général. Le texte du discours tout entier exprime le contraire. Tout en les employant comme Ses instruments, Dieu hait les Turcs parce qu'ils incarnent ce qui est destructif (Ta atpaVlOTlKOV) V. f.27 v-28 r . Cf aussi f. 46v .
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Kai 01UÙÇ aKOVê napêÀa{30J-LêV JjJ-Lêiç tK (}êOU 8oYJ-Lara Kai KaVOVaç, nzarzv 811Àovorz àÀl1(}fj Kai ëpya tvwnLOv nov àv(}pwnmv cbç qJwç / 8zaÀaJ-Lnovra Kai r7}v nzarzv arl1pz'ovra Kai rà ë(}V1] npoç r7}v rfjç àÀ1j(}êzaç tnzyvmazv ÉÀKovra. Kai r7}v J-Ltv tnznoÀazmç Kai 8zà lJIzÀou Àoyov J-LOVOV KêKr1jJ-Lê(}a cbç Kai rà 8azJ-Lovza . rà 8t àVêrptlJlaJ-Ltv rê Kai Jj(}êr1jaaJ-LêV Kai onzam rwv optçêmv JjJ-LWV tnopêv(}l1J-LêV Kai àJ-Lêraarpênri nOpêV0J-Lê(}a. 'EKêivoz 8t uno rzvoç àvoazov Kai naÀaJ-L vazov àv8poç12 {3ÀaaqJl1J-L0v Kai nênÀaVl1J-Ltvov 8za8êçaJ-LêVOZ 8oYJ-La, rouro Kai J-Ltxpz navroç àJ-LêraKzv1jrmç navru Kai àJ-Lêra(}trmç npêa{3êvovaz Kai aêJ-LVVVOvazv. "Epya 8t rozaura qJvazKwç Karà rov ànoaroÀov 13 êÏç OiK08oJ-L7}v rou aa(}pou Kai à(}tov rovrovi 8oYJ-Laroç trêKr1jvavro, roarê 8vvaa(}az 8zà ro iaxvpov avrwv nêïaaz roùç àv(}pwnovç Kai ro rOLOurov uyzwç ëXêZV unorona'êzv, r7}v 8t JjJ-Lêrtpav nzarzv, ijv tç avrou rou (}êOU Kaz rwv avrou êvaywv napêÀa{30J-LêV J-La(}l1rwv, tK rfjç qJavÀorl1roç rwv JjJ-Lêrtpmv ëpymv rovvavrzov / unovoêiv. 'Dç yàp tnz nl1Àzvcp rzç Kaz aa(}pcp (}êJ-LêÀZCP aa(}porêpov àVOZK08oJ-L1jaaç rêzxzov, ëçm(}êv 8t KOVZfJ, nêpzxpwaaç Kai KaÀÀmnzaaç avro iaxvpov tK rou qJazVOJ-Ltvov Kai ro KpVnrOJ-LêVOV roiç opwazv unovoêiv 8z8mazv, ovrm Kaz 8zà r7}v tnozKo8oJ-L11(}êiaav tv iaxvpcp (}êJ-LêÀZCP VÀl1V aa(}pàv rOLOurov KàKêivo âKormç unoÀaJ-L{3avêraz Kai ro àvanaÀzv. '0 yàp àlJlêV87}ç Àoyoç rou (}êOU Kaz (}êOÇ ovrm J-Ltxpz rfjç rou aiwvoç avvrêÀêzaç êlvaz J-Lê(}' JjJ-LWV tnl1YYêzÀaro, êÏ rà avrou 8ZKaZWJ-Lara navra roiç ànoaroÀozç tnzal1ç rl1P1jaaZJ-Lêv. "Orav 8t raura navrêÀwç Jjyvo1jaaJ-LêV Kaz napà yVWJ-Ll1v (}êOU Jj rou tvavrzov J-LêPZÇ unêprêpêi Kar' àJ-LqJorêpa, noamv aKl1nrwv taJ-Ltv açLOz tn' àJ-LqJortpazç ovrm raiç iyvvazç xmÀazvovrêç,14 Karanar1jaavrêç navra aVÀÀ1j{3811v Kaz à(}êr1jaavrêç, li tK (}êOU napêÀa{30J-LêV Kaz rwv êvaywv avrou J-La(}l1rwv Kaz avrov rov (}êOV 8z' avrwv. 'Enêz ov8t àyanWJ-LêV avrov ov8t / nZarêVOJ-LêV, cbç àno8t8êzKraz, tv youv roiç rOLOvrozç tK nêpLOvazaç vZKwvrêç Kparwaz
12. Sc Mahomet. Il s'agit peut-être d'une association avec Palamas. Pour l'emploi du mot naÂa/lvaïoç v. H.-V. Beyer, Nikephoros Gregoras, Antirrhetika J, p. 160-61. 13. Cf Eph. 4, 12. 14. 3 Rois 18, 21.
273
f. 33 f
f. 33 V
f. 34 f
Kal ev raiç IU1xalç fIJulJv Tep Kparel nov lpVOlKmV 81JÂa8r, nÂeoveKr1JJ.larmv, aÂÂ' où ru t1ClKOVp{fl, TOU Olpmv 8oYJ.laroç (rD yàp J.l1J8tv a8lKeiv laxvpà 8UVaJ.llç). Touro yàp oÂmç tni vouv avaÂa{3eiv oqJo8pa aronov tan Kai aoe{3Éç . Kai rD nfiv tvrau(}a rfjç aùrmv tpyaa{aç alpmrlarOlç 'oùalv 0 (}eoç an08{8malv, r,J.liv 8t rD nÂt:iov il Kai rD nfiv tv rep J.lÉÂÂovn raJ.llt:ueral. ( ...) IIepi 8t TOU J.lr, 8vam1Ceia(}al ru ovvexei npea{3e{fl, Kai 1CoÂvnÂ1J(}ei rov qJlÂav(}pm1COv, o1Cep 1COÂÂOÙÇ a Koum 1Cpore{vovraç vuv Kai (}aVJ.laÇovraç, OKrm rà airla r{(}eJ.lal. IIpmrov J.ltv 80K1JOlV e{val rouro J.lfiÂÂov OlJ.J.al, aÂÂ' OÙK aÂij(}elav, t1Ce{nep 8là noÂÂmv (}Â{IJ/emv rr,v {3aalÂe{av TOU (}eou e{val elOlr1Jrr,v J.leJ.la(}ijKaJ.leV, IS Kai (}Â{lJ/lV tçelv tv rep KOaJ.llp Kai {3aaavov Kai unD navrmv J.llaeia(}al8là rD TOU nÂaaavroç / r,J.lfiç OVOJ.la . où yàp roç r,J.leiç (}ÉÂ0J.lev il {3ÂÉnOJ.lev il VOOUJ.lev ourm rà r,J.lÉrepa tKeivoç OlKOVOJ.lei (<<ÂoYl0J.loi yap», qJ1Ja{, «{3pormv 1Cavreç 8elÂoi Kai t1ClalpaÂeiç aùrmv ai t1C{VOlUl»j16 aÂÂ' roç nÉlpVKe OVJ.lqJÉpov il TOU avvaJ.llporÉpov rmv tç wv avverÉ(}1JJ.lev il rmv 8uo (}arÉpov TOU Kpe{rrovoç. Lieurepov 8t 8là rD avaç{ovç e{val roùç tvrvyxavovraç,17 iamç il 8{a nva
on
(f. 35 V)
f. 36r
15. Actes, 14, 22. 16. Sap. 9, 14. 17. SC T'Ù npEa!3Elç. L'obscurité et l'ambiguïté du passage suivant sont voulues. Makrembolites ne désigne clairement Cantacuzène et ses alliances turques que vers la fin. Une paraphrase de cet alinéa peut en élucider la teneur et est même nécessaire, le language de l'auteur étant ici encore plus embrouillé que de coutume. Makrembolites énumère huit causes susceptibles d'expliquer pourquoi Dieuhe se lasse pas d'avertir les Byzantins par des tribulations. Selon l'explication traditionnelle les tribulations sont un moyen nécessaire au salut des âmes; le Royaume de Dieu n'est accessible que par beaucoup d'afflictions. Cependant, Makrembolites croit - cette clausule générale mise à part - que les Byzantins sont également châtiés pour des raisons spéciales. La deuxième cause, écrit-il, tient à ce que ceux qui reçoivent à présent les avertissements sont des indignes, qui se sont souillés eux-mêmes en corps et en esprit ou bien se sont souillés en se faisant honorer par ceux qui déplaisent à Dieu [les Turcs] et dont la puanteur Le dégoûte, ce qui fait qu'Il se détourne d'eux [les Byzantins]. La troisième cause tient à ce qu'on mange pêle-mêle à la même table et prie avec ceux qui rejettent Dieu et méprisent les commandements divins. La quatrième cause est que l'on aspire à ce que Lui-même dédaigne; car il nous a été ordonné d'aspirer avant tout à
274
J1,OÂV0J.U)V OiKEfov oapKoç KaZ nVEUJ1,arOç, OV tavrolç npooErpil/favro, fi Dlà ro rlJ1,ao(}al nap' aurwv Èl; cbv auroç ànaptoKEral, cbv Kaz rr,v DVOWDiav àT/D1ÇOJ1,EVOÇ Kaz auroùçwç Ë01KEV ànoorptqJEral. Tpirov Dlà ro àDlaKpirwç OVVEo(}iE1V rE Kaz OVVEUXEo(}al rOlç avrov à (}ErOÙOl Kaz rà rourov nEpuppOVOÙOl (}ô:a (}EanioJ1,ara. Ttraprov Dlà ro Èl;alrElV anEp auroç ànavaivEral . rr,v yàp aùroit f3aolÂEiav npwrov ç1]rElv ÈKEÂEUO(}T/J1,EV, r1 Kaz rà rfjç çwfjç &nEral oUJ1,navra. IItJ1,1Crov Dlà ro npoo1Ca(}wç lXE1V dç anEp navrEÀwç ànE/rul;avro, Kaz nuÂ1V aurolç Èl;tXEa(}al KaKwç Kaz OVJ1,qJupEo(}a 1. 'EKrov Dlà ro wç 1CUPEPYOV rr,v iKErEiav 1C01Ela(}al Kaz rwv f31WrlKWV vorEp{Çovaav. "Ef3DOJ1,OV Orl J1,T/Dè r7)V yÀwooav aùrwv iawç ÈYVWOJ1,tV1]V E[val Kaz avv1j(}1] réj) aVaKrl . ou Dlà ro trEpolov D1jnov Kaz f3upf3apov iv' ÈvrEù(}EV tpJ1,1]vtwç XPE{a npoç rr,v raurT/V Èn{YVW01V ytV1]ral, àÂÂà Dlà ro xpav(}fjval f3Ef31jÂ01Ç Kai à(}EJ1,irOlç Ë1CE01, Kai J1,r, rov OiKElOV xapaKrfjpa olov DEi Elval ÈJ1,qJaivovoav, È1CEi Dl' aurfjç rOlç rE yovaal roù DEonorov Kai rOlç aÀÀozç J1,tÀE01V ÈqJanrOJ1,E(}a. "OYDOOV npoç rourOlç, Son Royaume, après quoi les nécessités de la vie se produiront spontanément. La cinquième cause est que l'on s'accroche passionnément à ce qu'on a en réalité perdu à jamais, et qu'on récupère d'une manière condamnable en s'associant à eux [les Turcs]. La sixième cause est que l'on considère la prière de moindre importance [comme moyen d'obtenir ce qu'on désire], en lui préférant des moyens terrestres. La septième cause tient à ce que la langue de ces hommes [les Turcs] est insolite et inconnue à l'empereur, non pas parce qu'elle diffère de la nôtre et parce qu'elle est barbare de sorte qu'il nous faut un interprète pour la comprendre, mais parce qu'elle est souillée de mots profanes et impies, aucunement convenants à la langue que nous autres employons quand nous embrassons les genoux et les jambes de l'empereur. La huitième cause tient à ce que les hommes [les Byzantins] - même les plus haut placés, si corrects et excellents soient-ils, si splendides soient leurs offrandes à Dieu -, ne font pas la prière des justes qui devait les accompagner et ne font non plus les oeuvres qui peuvent contribuer à l'efficacité de la prière des justes. Seulement s'ils corrigeaient leur vie, ils auraient la chance de renforcer la supplication fervente des justes; car la prière du juste est inutile au pécheur qui en a besoin, si celui-ci se plaît plutôt aux péchés qu'aux vertus. Il est écrit: la fervente supplication du juste peut beaucoup [mais elle ne peut pas profiter au pécheur endurci]. Ce que Makrembolites écrit sur l'efficacité de la prière du juste est en grande partie emprunté à l'exposé de Maximus Confessor. On ne peut comprendre Makrembolitesqu'à l'aide de celuici, v. infra, note 18.
275
f. 36 V
f. 37 f
orz d Kai nov navu Ilêyzarmv ovrêç Kai ouroz Kai ro napa1Cav àVê1CzÀ1]nrOz rê Kai allêll1Croz Kai rà 1Cap' aurmv 1Cpoaêv1]VêYlltva Dropa 1Cavru àllwll 1] ra, àÀÀ' oi rfiç êùxfiç rovrmv DêOllêVOZ, rà rfiç êùxfiç lpya iamç où Dzu1Cparrovraz, rov rê nporêpov DlOpOOVllêVOZ {3zov Kai T1]V Dt1]c1ZV rrov DZKazmv iaxupàv nOlOvllêvOZ / Dzà rfiç oiKêzaç KaÀfiç àvaarpoqJfiç Duvall oUlltV1] v. Où yàp OqJêÀOÇ rfiç rou DZKazou Dê7]aêmç rou ravr1]v xpuÇovroç, nÀtov rrov àpêrrov r,Dolltvou rou 1CÀ1]llllêÀ7]llaal. 18 «IIoÀù yàp iaxvêz Dt1]azç DZ Ka zou, àÀÀ' tVêPyoulltV1]», qJ1]az. 19 Kai raura Iltv lymyê 0 àYPOlKOÇ Kai iDZWr1]ç Kai allaprmÀoç· rfiç à1CoarpoqJfiç rou Dêanorou airza rzOêllaz . d Dt Kai lrêpov Tl DOKêl, oi rfiç àpêrfiç Kai rou ÀOYou Àêytrmaav avOpmnoz.
***
f. 37 v
'AÀÀà yàp f1D1] p1]rtov Kai nêpi rfiç rfiv êZKovmv aiXllaÀmazaç. 'Bro yàp dnêlv, OTl êi Kaz êiKWV OêOU Karà ro Yêypalllltvov talltv,20 0 T1]V aùrou dKova rvnrmv Kai 1COÀêllrov tv rep KaraÀOyCP rœv êÏKovollaxmv rax07]aêraz . êi Dt Kai OêOV 0 rov nÀ1]azov llaxollêVOÇ rti J.lozPfl, rrov Oêollaxmv . êÏ Dt Kaz Xpzarov tVDêDVllêOa, 0 rov àDêÀqJOV u{3pzçmv xpzarv{3p1]ç, tnêzDi1 rà r,lltrêpa navra dç éaurov, roç ytypanraz, Xpzaroç àvaDtXêraz. 21 Bi Dt Kaz ai tyypallllaroz qJmvaz rou Xpzarou Tlllrovraz Kaz npOGKUVOUVraz / Dzà ràç Çwaaç, ai Dt çroaaz qJmvai Dzà rà V07]llara, rà Dt V07]llara Dzà rà 1CpaYllara rà a1]J.lazVollêva, Kai rà Iltv unoKarm Tlllrovraz Kai npoaKuvouvraz Dzà rà tnavm, rà Dt tnavm Dzà rrov unoKarm rrov npoç aÀÀ1]Àa axtaêmv,22 0 ràç tyypallllarouç 18. Voir Maximus Confessor, Quaestiones ad Thalassium, Qu. 57, PO 90, col. 589-92. 19. Jac. 5, 16. 20. Gen. 1, 26-27; 9, 6; 1 Cor. 11, 7; 15, 49. 21. Matth. 35, 40. 22. rwv 1rpèJç QÂÂ71Âa CIXÉCIeCiJV ... KaOwç ôeôlôayp.eOa (f. 38 r): nous retrouvons ce passage dans la Lamentation sur Sainte-Sophie, f. 112r , éd. Kuruses, p. 238. Makrembolites y a apporté quelques corrections. La Lamentation donne Kai el qJlÂavOpCiJ1roÇ 0 ee6ç, 0 JllCIavBpCiJ1roç Kai Ct1ravOpCiJ1roÇ
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(fJrovàç àBerwv 'l'OÙ Xplaroù àaef3Jjç tan KaBanaç Kai tiBeoç, côç blà 'l'à vnoKarro Kai 'l'à tivro npOb1JÀorara àBerwv. Kai ei (fJlÀavBpronoç 0 Beoç, 0 ràv (fJlÀOlJj.leVOV nap' aùroù j.llaWV aùràv KaB' éavroù eVpJjael noÀSj.lLOV . Kai ei àyan1J eip1Jral Kai blKaLOaUV1J Kai eipJjV1J Kai àÀJjBela, 0 BVj.loj.laxwv fi OXÀOUj.leVOç fi àblKWV fi lJIeVbOj.leVOÇ àÀÀorpLOç 'l'OÙ npàç li r7}v àva(fJopàv raùra Ëxovalv ijb1J KaBsar1JKev . ei bi: Kai b1Jj.lLOVpyOÇ, 'l'à à(fJaVlanKàv r(jJ b1Jj.lLOVpy(jJ bJjnov nOÀtj.lLOv. Kai ri 'l'à KtpboÇ rfiç niareroç, orav 1]j.liiç àyvofj 0 beanor1Jç;23 fi riç 1] nj.lr, rfiç eiKOVOÇ, orav blà rr,v rfiç oj.loiaç fi Kai KPeirrovoç nepl(fJpOV1Jalv evvf3pi'eral; fi riç 1] npoaKUV1Jalç aùrfiç, orav rwv ej.lIJlUxrov / vawv 'l'OÙ Beoù Kai eiKOVroV KaBaipealv Kai avvrplf3r,v aùBaiperov 1J11J(fJl'Oj.leBa; ev a[ç 0 Beàç j.laÀlara KarolKei Kai j.ltVel Kai ej.lneplnarei, KaBwç beblbaYj.leBa. 24 Bi yàp «1] nj.lr, rfiç elKOVOÇ enl rà nprororvnov», côç ysypanral, «bzaf3aivez»,25 nOÀÀ(jJ j.liiÀÀov 1] Üf3PlÇ Kai avvrplf3r, rwv ej.lIJlUxrov Beoù eiKOVroV Kai vawv Kai j.lOVWV en' aùràv blaf3Jjaeral; Kai nwç ÀOlnàv 1] npoaKUv1JalÇ rwv ainarwv eiç nj.lr,v ÀOYlaBJjaeral roù alrLOV Kai nprororunov oürroç Vf3Pl'Oj.lSVOV; 'Op~ç oïovç 1]j.liiç 0 Àoyoç àvB' oiwv vnsbelÇe; Kai yàp eàv 1] eiKWV rer{j.l1Jral blà rà nprororvnov, rourov àBerovj.ltvov Kai blà rfiç napaf3aaeroç
on
r06rcp npocSrjÀwç àv8{araral au lieu de Kai on El qJlÀciv8pwnoç 6 Bt:oç, 6 rav qJlÀOVJlt:vov nap' aurov Jllarov aurav Ka8' Éavrov t:vprjat:l nOÀÉJllOV; puis: t:i àycin11 Èar{v 6 Bt:oç au lieu de El àycin11 t:iP11ral Kaz cSlKaloavV11 etc. Ensuite: npaç 0 T71V àvaqJopàv ravr' lXt:l Ka8Éar11Kt:v au lieu de npaç li T71V àvaqJopàv raura lxovazv ficS11 Ka8Éar11 Kt:V. Et enfin: El cSt Kaz cS11JllOvpyaç 6 Bt:oç au lieu de El cSt Kai cS11JllOVpyOÇ ... Pour un autre changement, v. infra, note 23. Voir notre chapitre sur Makrembolites, note 32. 23. Cf Mat/h. 25, 12. Dans la version de la Lamentation l'auteur s'adresse à un auditoire: Bi cS' iawç lpolro nç dJç rav r,JlÉrt:pov cSt:anor11v rrov aÀÀwv JlàÀÀov r,Jlt:fç ÈnÉyvwJl t: v, OTl r1jv ElKova aurov TlJlroJlt:v Kaz npoaKVVOVJlt:v, àKovat:ral dJç ra KÉpcSOÇ oucStv Èv r,Jlïv, orav auraç r,Jlàç àyvoff Kaz oucS' r, nJl1j rijç ElKOVOÇ aurov TlJlrj, orav ra àpXÉTVnov Èvvf3p{çt:ral. ..
24. 1 Cor. 3, 16; 2 Cor. 6, 16. 25. Basile le Grand, De Spiritu Saneto, cap. 18, § 45, PO 32, col. 149 C; Jean Damascène, Or. de Saer. Imag. 1, § 21, PO 94, col. 1252 D; 3, § 42, ibid. col. 1361 B.
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f. 38 r
rou VOJ,JOU aTlJ,JaÇoJ,Jévou, mç yéypa1Cral,26 Kai 1] ravr17ç
f.38 V
f. 39 f
1CpoaKVV17alç 1Cpoa1Coi17alç J,JÙÂÂOV, OU 1CpoaKVV17alç ÂOyla8Jjaeral. Kai ma1Cep Tlvéç, Karà rov J,JaKaplOV L!aui8, È1ClKaÂOVJ,JeVOl OUK È1ClKaÂouvral, oûrœç ou8e 1CpoaKuvouvreç 1CpoaKuvoualV . «oi Karea8iovreç yap», qJ17ai, «rov Âaov J,Jou Èv !3pmael li.prou rov KVPlOV OUK È1Cl KaÂéaa vro», 27 Kav È1ClKaÂeia8al ÈVOJ,Jlaav. "Qanep yàp Ô Èe; ap1Cayijç / rl 1CpoaqJéqJœv OU 1CpoaqJépel, È1Cel8r, Ô 8eoç auro OU npoa8éxeral, oûrœ KaZ oi Karea8iovreç rov a8eÂqJov È1ClKaÂovJ,Jevol 8eov OUK ÈnlKaÂouvral, ou8è oi ràç eiKovaç 1CpoaKuvouvreç rovrœv 1CpoaKuV17raz vOJ,Jla8Jjaovral. Kaz yàp 1CoaOl ràç eiKovaç rou 8eou ou KarJjveyKav J,Jovov, aÂÂà Kaz Karenar17aav; "Orav yàp aY'aç rov u1Cev8uvov, orav a1C08vuç, orav Kara!3aÂÂuç, rou 8eou rr,v eiKova Karanareiç. "Av 8è ÂéYUç orl ouxz rijç aurijç ouaiaç Èari 8eou ô av8pœ1Coç, manep ou8é Èarlv oJ,Jœç eiKeOv ÈKÂJj817 Kai 8là rr,v 1Cpoa17yopiav é8el TlJ,Jijç a1CoÂavelv . Kaz yàp ô xaÂKouç av8plàç OUK 7]V rijç ouaiaç rou !3aalÂéœç, aÂÂ' oJ,Jœç 8iK17V é8œKav oi raura u!3piaavreç. L!lO mç olJ,Jal Kaz ravraç28 Èv aiXJ,JaÂœaif!. neplqJpoveia8ai re Kaz avoJjrœç ÈJ,JnaiÇea8al 1Capà rrov J,Jr, ei80rœv !3apfJapœv auvexmp17aev ô rrov oÂœv 8eoç, onep ou8eJ,Jiav ûqJealv qJépel eiç rijv J,JaKapiav ÈKeiV17v nov 1Cpœrorvnœv unoaraalv . Ka8oaov yàp ro ovoJ,Ja rou 8eou rijç ypa1Crijç eiKovoç uneprepei, Karà roaourov / J,JùÂÂov ÈKeivœv 1]J,Jeiç aurov Èvu!3piÇoJ,Jev. «L!l' UJ,Jùç yap», qJ17ai, «ro ovoJ,Ja J,Jou !3ÂaaqJ17J,Jeiral Èv roiç é8veal».29 IIoia 8è oJ,Jœç 8oe;a Kaz rlJ,Jr, rtfJ u1Cepev8oe;lp Kaz 1Caa17ç qJualKroç TlJ,Jijç u1CepayœvlaJ,Jévlp ÈK rijç rovrœv 1CpoaKvvJjaeœç yév17ral, rijç J,JùÂÂov eiKOVOÇ aurou Kara1Cenar17J,Jévl1ç; Tiç 8è ol8ev ei J,Jr, Kaz rouro roiç 1CoÂÂoiç Ka8' unoKplalv yiveral, 817pœJ,JévOlç KaKoréxvœç Èvreu8ev rr,v J,Je8' mv auvavaarpéqJovral nlarrov euvolav . ô1Coiol eialv ÈKeivol oi «J,JopqJœJ,Ja J,Jovov euaefJeiaç» Karà rov a1CoaroÂov «sxovreç», 30mare eiKOÇ roùç rov éaurrov aJ,JeÂouvraç fJiov, a1Co 8è J,JoVl1Ç rijç rrov aKlrov 1CpoaKuvJjaeœç
26. Rom. 2, 23.
27. 28. 29. 30.
278
Ps. 13 (14), 4. Il s'agit toujours d'hommes vivants. Ezéch. 36, 21-23. 2 Tim. 3, 5.
svas{3slç OVoluiÇsa()al ()éÀovraç, rozovrovç KàKSivovç v1CoÀaJ.1,{3avslv. 'Ensi Kai ràç ()vaiaç J.1,srà nOÀÀ7jç c5laraçaJ.1,svoç àKpl{3siaç 0 ()soç Kai rr,v tK rovrrov Kviaaav roç oaJ.1,r,v svroc5iaç ànoc5sxoJ.1,svOç nporspov, ors PÇL()VJ.1,roç Kai r,J.1,sÀ17J.1,évroç tyvro avroùç npoaayovraç Kai 1Ciiaav àpsrr,v J.1,OVOV tv avralç nsplypaqJovraç t{3c5sÀvçaro Kai ànsarpaqJ17 / Àéyrov . «ri J.1,Ol nÀ7j()oç rrov ()valrov VJ.1,roV»;31 Ka()aproç J.1,tv Kai svayroç ylVOJ.1,SVa, KaÀà Kai 1Cpoalpéasroç svxapiarov aVJ.1,!3oÀa, àvayvroç c5t Kai {3s{3'1jÀroç J.1,vaapà Kai rou {3c5sÀvrrsa()al açla. ( ...) .1l0 Kai tÀsys BsaaaÀovlKsualv tnlaréÀÀrov 0 nauÀoç . «ro nvsuJ.1,a J.1,r, a{3évvvrs».32 'H J.1,tv yàp nianç r7jç rou 1CVSV/laroç c5slral {3017()s{aç Kai r7jç 1CapaJ.1,ov7jç, iva aaslaroç J.1,siVfl . 7] c5t rou narpoç {3o'lj()sla c5là {3iov Ka()apou Kai 1CoÀlrsiaç àpiar17ç 7]J.1,lV siro()s napaJ.1,éVSlV, mars si J.1,éÀÀOlJ.1,SV tpplÇroJ.1,éVT/v tXSlV rr,v nianv, nOÀlrsiaç 7]J.1,lV c5Sl Ka()apiiç r7jç ro nvsu/la nSl()ova17ç J.1,éVSlV Kai avvéxslV tKsiV17Ç rr,v c5VVaJ.1,lv. Ov yap tanv OVK tan {3iov àKa()aprov txovra J.1,r, Kai nspi rr,v 1Cianv aaÀsvsa()al . 01CSp yap tanv 7] rpoqJr, rijJ aWJ.1,arl, rouro 7] nOÀlrsia rfi niarsl. Kai Ka()a1Csp 7] r7jç aapKoç qJvalç r7jç 7]J.1,srépaç / OVK av c5laKpar17()si17 xropiç rpoqJ7jç, ovrroç ovc5t 7] nianç xropiç tpyrov àya()rov . xropiç yàp tpyrov 7] 1Ciarzç vSKpa. «KparairoJ.1,a yap», qJ17ai KVpZOÇ, «rrov qJo{3ovJ.1,évrov avrov, Kai 7] c5za()'lj K 17 avrou c517Àwasl avrovç».33 'Opijç onmç Kàvrau()a àno rou qJo{3ov Kai r7jç qJvÀaK7jç rrov avrou tvroÀrov J.1,iiÀÀov roùç oiKsiovç yvropiÇsa()al {3ovÀsral; «ou yàp qJo{3oç», qJ17aiv, «tvroÀrov r'ljP17alç».34 Kai yàp nÀslarol rrov J.1,r, àKPl{3roÇ tyvwKorrov rr,v rrov c5oyJ.1,arrov àKpi{3szav c5là r7jç rrov tpyrov navrsÀouç avvr17P'ljasroç ()siaç xaplroç r,çlw()17aav . srspol c5t rr,v ()soÀoyiav KaÀroç àaK17()évrsç, rou c5t XP17arou {3iov oÀzyrop'ljaavrsç, r7jç {3aalÀêiaç tçwa()17aav. Ei yàp Kai àpsrr, àV()pW1COV Ka()oÀlKr, 7] rrov àÀ17()rov c5oYJ.1,arrov àKp{{3Sza Kai 7] Karà rov {3iov op()or17ç tariv, àÀÀ' ouv 1Cpo17yslral r7jç ()sropiaç 7] 1CpaKnKr, Kai avr17 KaÀroç àvv()slaa siç ()sropiav àvaysl rov 31. 32. 33. 34.
Es. 1, 11. 1 Thess. 5, 19. Ps. 24, 14. Grégoire de Nazianze, Or. 39, PG 36, col. 344 A.
279
f. 39 v
(f. 42 V )
f. 43 f
vouv. 'Qç yàp OÙ8Eiç ëJ.lEÀÀEV Elvaz, t:i J.lTJ ai nT/yai
rou yaÀaKroç
f. 43 v tnoLOuvro roiç KuoqJopoUJ.lévozç Kaz aUVTJu/çavovro, où8' av vnéarT/ aroua J.lTJ aUJ.lnapouaT/ç If/Uxf1ç, oürcoç où8t nzarzç ëpycov xcopzç, tnEi rà rozaura aÀÀT/ÀouXEiraz Kai Àt;{lf/avroç rou évoç OÙDév tarz ()arEpov. "QanEp yàp ij ÜÀT/ ro nup, oürco rov rf1ç nzarEcoç qJcorzaJ.lov ai XPT/arai npaçEzç napaKaréxouazv . «Eùaéf3Eza yap», qJT/a{v, «apXTJ aia()ijaEcoç»,35 nzarEz tV()EcopouJ.léVTJ navrcoç Kai npaçEz, rov ro sv où8tv ÀEznovroç ()arépou. Bi 8t If/zÀaiç tvvozazç Kai rouro Kai Àoylp J.lOVlp, aKoroç rà navra Kai oÀ{a()T/J.la Kai rou EùaYyEÀzKOU pT/rou nÀijpcoazç rou oürco ncoç Myovroç . «ano Dt rou J.lTJ ëxovroç Kai a DOKEi ëXEZV ap()ijaEraz an' aùrou»36 (raùrov ovroç rou DOKEiv ri[J J.lTJ ëXEZV, uÀÀo yàp DOKT/azç Kai uÀÀo aÀij()Eza). «Où yàp Dzt:ÀEuaEraz nOÀEJ.lOç ro napanav Dzà xdJpav EùaE{3rov», qJT/azv, 37 aÀÀ' aùroç KarappuijaEraz Kai auvrpz{3ijaEraz npoç éaurov, npoç oiouç ëaozro 0 aywv aia()avoJ.lévcov rrov
35. Provo 1, 7; 36. Cf Matth. 25, 29. 37. Lév. 26, 6. L'alinéa suivant, décrivant une vision apocalyptique, est emprunté textuellement à Philon d'Alexandrie, De praemiis et poenis, §§ 82, 84, 93, 94, 95 (consulter l'édition avec traduction française par A. Beckaert, Paris 1951, p. 82-89; P. Volz, Jüdische Eschatologie von Daniel bis Akiba, Tübingen/Leipzig 1903, p. 51-54). Dans la littérature apocalyptique des Byzantins, la fin des temps est annoncée par toutes sortes de signes avantcoureurs, comme des tremblements de terre, des famines et des invasions d'Ismaélites. Le dernier empereur romain, juste et pieux par excellence, apparaîtra ensuite; ses armées écraseront les nations païennes, amenant à la nation romaine une dernière période de paix et de prospérité, à la fin de laquelle le dernier empereur remettra, à Jérusalem, l'empire chrétien à Dieu. Puis l'Antéchrist fera son entrée et la fin des temps sera enfin toute proche. Il y a un rapport direct entre la conception du dernier empereur romain (figurant également dans les conceptions apocalyptiques du Moyen Age occidental) et le Messie judaïque; les Ismaélites, à l'origine représentés par les Arabes, plus tard par les Turcs, se rattachent aux peuples impurs de Gog et Magog (Apoc. 20, 8). Voir P.J. Alexander, The Byzantine Apocalyptic Tradition, Ber keley /Los Angeles/Londres 1985. Le fragment de Philon, cité par Makrembolites, décrit la venue du Messie judaïque, mais il est clair que Makrembolites lui-même pense au dernier empereur romain. De sQn temps de nombreuses versions de l'ancienne littérature apocalyptique avaient cours à Byzance, par exemple la Paraphrase anonyme des oracles de Léon (l4e ou 15e s.) Elle contient des passages empruntés
280
àvrznaÀcov, arê XPcoJ.lévovç àvavraycov{arc{J aVJ.lJ.lax{'!- rou 811ca{ov . J.lêyaÀ07rpê7rtÇ yàp Kai 7rêP{aêJ.l vov àpêril / Kai J.lOV11 Ka()' r,avx{aviKavil qJopàç J.lêyaÀCOV SÇêVJ.lap{Çêlv KaKrov . {)(lJJ.l1J yàp àvrzf3laa()évrêç KparalOrép,!- qJêVçOVral nporpo7ra81Jv, 8lWKOVrOç OÙ8êVDÇ orz J.lil qJof3ov. «'EçêÀêvaêral yàp av()pconoç», qJ1Jaiv 0 XP1JaJ.lOç,38 Kai arparapxrov Kai nOÀêJ.lrov Ë()V1J 'J.lêyaÀa Kai nOÀvav()pC07ra Xêlpwaêral, rD apJ.lorrov oa{Olç S7rIKOVpIKDV s7rl7réJ.llJlavroç rou ()êOU. 'Ev{ovç 8t rrov SX()prov àvaç{ovç Ëaêa()a{, qJ1JG{, ftrr1Jç rrov àv()pw7rcoV, olç aJ.l7}v1J GqJ1JKrovàvrzraçêIVS7r' alax{arcp oÀs()pcp np07roÀêJ.lOUVra rrov oa{cov. "AXPI J.ltv oùv ÀSyêral J.lOVOV rà rrov VOJ.lCOV 7rapayysÀJ.lara, f3paXêiaç ft OÙ8êJ.llaç à7r080xfjç rvyxavêl . npoaYêVOJ.lSVCOV 8' àKOÀOV()cov Kai tnoJ.lsvcov €pycov sv roiç rou f3{ov naalV snlr1J8êVJ.laGIV, êù8alJ.lOv{a Kparêi. Touro rD ysvoç où J.laKpàv àncj)Klaral ()êOU, qJavraalOVJ.lêVOV àêi rà alOspla KaÀÀ1J Kai 7r081JYOVJ.lêVOV U7r' Ëpcoroç oùpav{ov, wç, KUV d 7rv()olro rzç noiov l()voç J.lsya, npoaqJvroç av rzvaç ànoKp{/vaa()al . qJ 0 ()êOÇ sarzv Sn7}KOOç iêponpênêararcov êÙXrov Kai raiç à7rD Ka()apou rou avvêl8oroç KaraKÀ{aêGI av vêyy{ÇO v . 'HI-lêiç 8t nÀ1JJ.lJ.lêÀouvrêç Kar' àJ.lqJorêpa, wç 8ê87}Àcoral, sranêlvw()1JJ.lêV aJla Kai SaJ.lIKpvv()1JJ.lêV Kai dç alXJ.laÀcoa{av Kai 7rpovoJ.lilv sçê8o()1JJ.lêV . àÀÀ' êï7rêp tKova{coç svrau()a UnOJ.lêVOUJ.lêV ()ÀI/30J.lêVOI 8VV1JaOJ.lê()a rVXêiv rrov S7r1JyyêÀJ.lSVCOV
aux versions chrétiennes des oracles Sibyllins (v. The Oracle of Baalbek, the Tiburtine Sibyl in Greek Dress, éd. P.J. Alexander, Washington D.C. 1967); puis des citations de l'apocalypse du pseudo-Methodius, des oracles de Léon le Sage et d'autres écrits de ce genre (voir C. Mango, The Legend of Leo the Wise dans ZR VI 6(1960), p. 59-93; P.J. Alexander, Byzantine Apocalyptic Tradition, p. 130-36; id., Oracle of Baalbek, p. 37). Il est remarquable que Makrembolites ne s'est servi d'aucun de ces textes, bien qu'il les ait certainement connus (cf f. 77 v-78 r : ... ov (sc le Christ) XP71CJJ.!oi 'EÀÀ1jveov QVc5pwv Q(](paÀwç lrpOKanlyyslÀav, / XP71CJJ.!oi yVValKWV lrPOCP71ûc5eov, XP71CJJ.!oi c5alJ.!oveov lrpOÇ 'fOV-rOlç). On peut supposer que l'origine païenne de ces ora-
cles, tout christianisés qu'ils furent, lui répugnait, et que pour cette raison il donna la préférence à Philon. Toutefois, on ne voit pas par quelle voie ces pages sont venues à sa connaissance. Nous n'avons pas réussi à trouver un autre texte byzantin prouvant que son auteur connût l'apocalypse de Philon. 38. Nombr. 24, 7.
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f. 44 f
f. 44 v
f. 45 f
àyaBrov. Où8t yàp ëxeu; eineiv, on ëan nç 8iKalOç B;dl/femç xmpiç, Kav OÛT'm qJaiV11T'az. «IIoÀÀai yap», qJ7]aiv, «ai BÀil/felç T'rov 8lKaimv»,39 roaT'e naVT'a 8iKalOV ùvaYK7] Dlà BÀil/femç ÈÀBeiv . ànOqJaalç yàp T'OÛ XpUJT'OÛ Èan . Kai ei «naVT'a viov J,laaT'lyoi DV napa8éxeT'al»,40 0 J,liJ J,laan'OJ,leVoç iamç oùx vioç . naVT'axOÛ yàp T'OV viov J,laanyoi, ei 8t Kai nOV7Jpoi naaxoval KaKroç (<<noÂÀai yap», qJ7]aiv, «ai J,laanyeç T'OÛ aJ,lapT'mÀoû»). 4 J 'AÀÂ' ÈKeivOl r;;ç oiKeiaç nov7]piaç 8l8oaal 8iK7]V Kai OÙX côç vioi J,laanYOÛVT'al, àÀÀ' côç KaKoi KOÀa'ovT'al· 1ÎJ,leiç 8t côç vioi, naç yàp vioç J,laaT'i'eT'al, où J,liJv 8t Kai / naç 0 J,laan'oJ,levoç vioç. Ei T'oivvv T'O J,liJ nal8eveaBal voBmv ÈaT'i, 8ei xaipelv Èni T'fi nal8eiq. eiye YV7]alOT'7]ç T'OÛT'O Èanv, côç vioiç 1ÎJ,liv npoaqJépeT'al 0 Beoç Kai OÙX iva Àaov nal8ev1] (où yàp xpeia f'iç Èanv aÙT'qJ T'rov 1ÎJ,leT'épmv KaÀrov), ùÀÀ' iva 8iJ navT'a noi1]. Kai <ei> «T'OÙç J,ltv T'fiç aapKoç 1ÎJ,lrov naT'épaç eixoJ,lev nal8evovT'aç», cp7]ai, «Kai ÈveT'penoJ,leBa, où nOÀÀqJ Dt J,laÀÀov vnoT'ay7]aoJ,leBa T'qJ na T'pi T'rov nvevJ,laT'mv Kai 'r]aoJ,lev;»42 Kai yàp Kai 0 npocpr]T'7]ç iva T'O oÀoaT'oÀov T'OÛ KOaJ,lOV 8eiç1] vavaylOv, Àéyel . «OÙK taT'l nOlrov XP7]aT'oT'7]T'a, OÙK tanv tmç éVOç»,43 «àno n08rov tmç KecpaÀfiç», 44 àno T'OÛ ÈaxaT'ov név7]T'oç tmç T'OÛ KpaT'OÛVT'oç oÀoç 0 KOaJ,lOç voaei. "Eva '7]T'ei Beoç nlaT'OV Kai 8iKalOv, 45 côç Èv XaÀ8aiolç T'OV 'Af3paàJ,l Kai Èv L08oJ,lOlÇ T'OV AwT'. 'AÀÀ' oi J,ltv oÜT'e nianv oÜT'e nOÀlT'eiav txovalv, oi 8t nianv àÀ7]Bfi txoval, nOÀlT'eiav 8t KaÀiJv OÙK txoval . Beov OJ,loÀoyoûalv ei8éval, T'oiç 8t tpyOlÇ àpVOÛVT'al . nepi Beoû J,leyaÀa aaÀni'oval Kai nepi eùnoliav vvaT'a'Oval. / Kai 0 8eanoT'7]ç n]v T'OÛ KOaJ,lOV aVVT'éÀelav Èv T'fi ÈKÀeil/fel T'rov oaimv Kai àyaBrov yevrjaeaBal aiVlT'T'OJ,leVoç tÀeyev . «apa ÈÀBrov 0 vioç T'OÛ àvBpwnov evprjael T'iJv nianv Èni T'fiç yfiç;»46
o
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39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46.
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Ps. 33, 20 (34, 19). Hébr. 12, 6. Ps. 31 (32), 10. Hébr. 12, 9. Ps. 13 (14), 1, 3. Es. 1,6. Cf Gen. 18. Luc. 18, 8.
Kai JUXÂ1V 0 npoQJ71Tl1e; «awaov I-LC, KUpze, on tKÂéÂOlJu;v oazoe;»47 Kai Tà Éçije;. nA tv TtP Ka(r inuie; XPOvep ,uaÂÂov TCÂou,ucva cpaiVCTal «c51on OÙK canv aÂ7jBcla», KaTà aÂÂov npOqJ7jTT/V, «oùc5t cÂCoe;, oùc5t tniyvmale; Bcou tni Tije; yije; . apà Kaz IfICuc5oe; Kai cpOVoe; Kaz KÂoni] Kai ,uOlxcia Kaz ,ué()ij Kai apnayi] KéXVTal tnz Tije; 'yije;». 48 Oi ,utv ai,uaTa tqJ' ai,uan ,uiayovalv, oi c5t npay,uaTa npaTTovalv ai,uaTmv xcipova Kaz noÂÂoi TWV ac51Kov,uévmv Kaz nÂCOVCKTov,uévmv ,uvpiove; CVXOVTal BavaTOVe; c51à Tàe; napà TWV KaTac5vvaaTcvoVTmv aÙTOÙe; tnT/pciae; . Kaz â ,ui] TOV Bcou cpof3ov tc5cc5oiKcaav, c5zeXClpiaavTo av ÉavTOUe;. TauTa ovv oùx ai,uaTmv xcipova; cVKalpov f30ijaal vuv Kaz clnciv . «Oï,uOl IfIvX7j, on anoÂmÂcv cÙÂaf3i]e; ano Tije; yije; Kaz 0 KaTopBwv tv av()pmnOle; OÙK canv».49 «'AÂÂ' où yvm/aOVTal naVTCe; oi tpyaÇo,uCVOl Ti]V avo,uiav», cpT/ai. 50 Ti où yvmaovTal on Toie; KaKWe; YlVO,utvOle; anaptaKcTal; Ti où yvmaovTal; Tàe; oc5oùe; TOU ()cou ,uaÂÂov où ()cÂ7jaoval. TouTov ,uapTVe; 0 'IdJf3 cpaaKmv . «Mycl 0 aacf3i]e; TtP Kvpiep . anoaTa an' t,uou, Tàe; oc5oue; aov âc5éval où f3ouÂo,ual».51 'Ev i[J Ti]V avo,uiav tpyaÇovTal, TOÙe; vo,uove; TOU ()COÙ yvwval OÙK avtçovTal. Kaz vuv yivovTal nOÀc,uol Kai ÀOl,uOZ Kaz aCla,uoi, Kaz âe; aïaB1]alv TWV a,uapnwv oi noÀÂoz OÙK cPxovTal, oùc5t Toie; tnlKcl,utvole; KaKWe; amqJpoviÇovTal. Ti yvmaovTal; TO BtÀ1],ua TOU ()cou, Tàe; tnayycÀiae;, Tà tnovpavla aya()a, TOV napac5claov Tfje; TpVqJije;, TOV ()1]aavpOV TOU Bcou, Ti]V almvzov çm7jv, oùxz yvmaovTal navTCe; oi tpya ço,uc VOL Ti]V a VO.u ia V, KaV aipcnKoz Kav o,uonlaTol oi KaTca()ioVTCe; TOV Àaov ,uov. "On c5t Kaz o,uonlaTOl o,uoniaTOVe; KaTcaBioval, ÂtyCl 0 anoaTOÀOe; . «â c5t lÎÀÂ7jÀove; c5aKVCTC Kaz KaTcaBicTC, f3ÀénCTC ,ui] un' aÀÀ7jÂmv avaÂm/()fjTc».52 "On c5t Kaz aÂÂoqJvÀOl Jj,uae; KaTcaBioval, ÂtyCl 'Haaiae; . «açm Lvpiav
47. 48. 49. 50. 51. 52.
Ps. 11, 2 (12, 1). Osée, 4, 1-2. Michée, 7, 2. Ps. 13 (14), 4. Job, 21, 14. Gal. 5, 5.
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f. 46 f
f. 46 V
àno àvaroÂmv Kai roùc; "BÂÂl1vac; àno 1]Â{ov ovaj.lmv roùc; Karca(Hovrac; rov Âaov j.lov OÂcp np arOj.larl».53 'AÂÂà KaV olà ràc; aj.lapr{ac; 1]j.lmv unD rmv lxf}pmv wc; unD Âcovrmv Karcaf}lWj.lcf}a, àÂÂà olà rr,v ciC; f}cov 1]j.lmv cuatfJclav cuooK{ac; rcvçoj.lcf}a. «Où yàp àqnjacl KVpLOC; rr,v pafJoov rmv aj.laprmÂmv lni rov KÂijpOV rmv olKa{mv».54 Kai UKovaov ']cPCj.l{ov Âtyovroc; . «ayLOC; ']apar, rQi KVp{cp . navrcc; oi Karcaf}{ovrcc; aurov nÂl1j.lj.lcÂ1jaoval . KaKà lnaçm ln' aurovc;, ÂtyCl KVpLOC;», 55 orl roùc; aj.l apr1jaa vrac; Karcaf}{ovrcc; fJapvrcpa rmv Karcaf}LOj.ltvmv 1]j.lapravov, nÂdova rijc; rou f}cou yvWj.ll1C; rov ÂaDv aurou j.laar{çavrcc;. Kaf}wc; clnc ncpi aurou Ô f}coC; . «lyw naptomKa aurov ciC; ràc; xcïpac; aov, aù ot OUK lno{l1aac; ëÂcoC; j.lcr' aurou», 56 Kai naÂlv . «àvf}' WV j.ltv lyw ropy{af}l1v oÂ{ya, auroi ot avvcntf}cyro ciC; KaKa». 57 Kai Ol' aj.lapr{ac; ô ÂaDC; rou f}cou unD rmv lxf}pmv rou f}cou Karcaf}{cral, ']cpcj.l{ac; / ÂtYCl . «npofJarov nÂavwj.lCVOV ']apa1jÂ, Âtovrcc; lçmaav aurov . Ô npmroc; KartqJaycv aurov fJaalÂcùc; 'Aaavp{mv Kai Ô ocvrcpoc; fJaalÂcùc; BafJvÂmvoc; rà oara aurou aVVirpllJfCv».58 Bi Dt j.lr, WC; npofJarov lnÂav1jf}l1, OUK av unD Âêovrmv KarcfJpwf}l1. Kai UKOVC ÂOlnov avvcrmc; oaancp oi npoqJijralncpi rijc; nÂaVl1C; aurou ànoDvpovral, WC; av j.laf}uc; Kàvrcuf}cv Dl' li 1] opyr, rou f}cou rD ëf}voC; lKc{vmv KartÂafJc Kaz cic; riÂoc; r,qJavlac, Kaz oürmc; cUÂvrmf}1jaolro rD ànopovj.lcVov. O{p,al yàp WC; cup1jaclC; rmv icptmv lKc{vmv rc Kaz àpxovrmv Kai roùc; 1]j.lcrtpovc;, ci napafJaÂÂUC;, Kar' oUDtv DlaqJipovrac;, àÂÂà Kar' ixvoC; tnoj.ltvovC; rà j.laÂlara . DlO Kai ràc; Kar' lKc{vmv ànclÂàc; Kai ourol àç{mc; àKovtrmaav Kai Dcxtaf}maav, lncl Dl' aurmv axcDOv Kaz 1] aVj.lnaaa rou unl1Koov ànwÂcla y{vcral. '.oC; aurDC; ô f}coC; lK ncpLOva{ac; Dlà rmv npoqJl1rmv ànoqJa{vcral . qJl1ai yàp 'AfJaKOVj.l . «tmc; r{voc;, KVplC, KCKpaçOj.lal, Kai ou j.lr, cic;/aKovau; Bo1jaOj.lal npoc; at àDlKOVj.lCVOC; Kai ou
on
f. 47 r
f. 47 v
53. 54. 55. 56. 57. 58.
284
Es. 9, Il (seulement dans le texte des Septante). Ps. 124 (125), 3. Jér. 2, 3. Es. 47, 6. Zach. 1, 15. Jér. 27 (50), 17.
omOê1ç J.lê»; 59 To nov àÔ1KOVJ.lévrov OiKêlOVJ.lêVOÇ 1CPOOro1COV raura OXêrÀlUonKmç È1Coôvpêra1, 1Corê, Àéyrov, KVPlê, rfiç rmv 1CÀêOVêKrovvrrov È1C1JPêiaç Kai È1C1()éoêroÇ à1CaÀÀaçê1ç J.lê; MéXP1 rivoç rà ÈK rovrrov Kaprêpr,oro fJaoaV1orr,p1a; «"Iva ri J.l01 €Ôê1çaç K01COVÇ Kai 1COVOVÇ, È1C1fJÀé1Cê1V raÀal1Cropiav Kai àoéfJ&lUV»;60 Kai riIV tavrou ÇroiIV àJl'OÀêyOJ.lêVOÇ tçfiç qJaiVêra1 Kai àyavaKrêi on Çfi. Kai rOlaura api!- 1Capà rmv àpxovrrov 1CparrOJ.lêVa ro V1Cr,KOOV Ô1JÀaô7} ÀVJ.la1v0J.lévrov Kai 1Cap' oùôi:v ()êJ.lévrov rà rou ()êOU Ô1Ka1mJ.lara . rouro yàp «KOJl'OÇ» T]V aùrcp Kai «1COVOÇ» Kai aÀY1JJ.la J.léY1orov «È1C1fJÀé1Cê1V àoéfJêlUV» J.li:v dç ro apxov, «raÀal1Cropiav» ôi: dç ro àPXOJ.lêVOV. «'AoéfJêlUV» ôi: r7}v àÔ1Kiav ÈKaÀêoêV . «Èç Èvavr{aç J.lOV Èyév1Jro Kpio1Ç Kai 0 Kp1r7}ç ÀaJ.lfJavê1 . ô1à rouro ÔlêoKéôaora1 VOJ.lOç Kai où ÔlêçaYêra1 dç réÀoç Kp{J.la».61 .11à rouro, 1Coiov; ro ôropoôoKêio()a1 ô1JÀovor1 roùç Kp1ràç Kai J.l7) 1CPOÇ ro ôiKalOV fJÀé1Cê1V KàvrêU()êV V1Cêpri()êo()a1 r7}v rfiç ôiK1Jç à1COqJao1V . / opm . Kai VOJ.lOç a1Caç Karê1Carr,()1J Kai ÔlêOKOp1Cio()1J réÀêOV, on oùx wç aùroç, àÀÀ' wç 0 Kp1r7}ç fJoVÀêral à1COqJa{Vêral. Kai J.lêr' oÀ{ya . «Xê{À1J lêpéroç qJVÀaçêral Kp{OlV Kai VOJ.lOV ÈKÇ1Jrr,aOVOlV ÈK orOJ.laroç aùrou, on ayyêÀoç Kvpiov 1CavrOKparopoç Èorlv».62 "Opa J.léYê()OÇ nJ.lfiç Kai VJl'êpfJOÀ7}V àçlmJ.larOç dç oïav vuv Kar1JvéX()1J êùréÀêlav . Kai yàp ôlà J.li:v ro qJVÀaoOêlV r7}v Kp{OlV rov lêpéa roiç XêiÀê01V ora nva ()1JoavpOV nç ro aKpov ÈJ.lqJaiVê1 rfiç ÔlKaonKfiç ÈJ.l1Cêlpiaç Kai ôlayvmoêroç Kai ro ërOlJ.lOV Kai àvaJ.lapr1Jrov rfiç àJ.lêÀêrr,rov à 1CoqJa OêroÇ, ra ôi: «VOJ.lOV ÈKÇ1Jrr,OOVOlV ÈK oroJ.laroç aùrou» r7}v rmv VOJ.lrov ÈJ.l1CêlP{av Kai r7}v rmv ypaqJmv àKPlfJfi OVVê01V Kai Ka raÀ1J l/flV, 17 ôi: àYYêÀ1K7) 1CPOO1Jyop{a r7}v V1CêpOl/fiav rfiç' ÜÀ1Jç Kai rmv Y1Jivrov Kai r7}v aKpav ayvêiav Kai Ka()apOr1Jra. Zaxapiov ôi: orav J.lV1Ja()m qJpiaaro ro ôpéJl'avov Kai li Karà rmv lêpérov J.laprVpêral . «qJrovr,», qJ1Joi, «()P1JvovvrroV 1C01J.lévrov, on rêraÀalJl'mp1JKêV 17 J.lêyaÀrooVv1J avrmv».63 Kai
59. 60. 61. 62. 63.
Hab. 1, 2. Hab. 1, 3. Hab. 1, 3-4. Mal. 2, 7. Makrembolites se trompe. Le texte n'est pas de Habakuk. Zach. 11, 3.
285
f. 48 f
f. 48 v
f. 49 r
ouroe; yàp rou J.lsy{arou KaZ J.lsyaÀonpsnoue; / àçzmJ.larOe; rfje; ispmauvije; ànoKÀaœraz rr,v anonrmazv, tnsz8r, sie; raÀaznmp{av Karrlvrijas Kaz sursÀszav 7] ayzorije; Kaz ro VVlOe; rfje; J.lsyaÀroaUVije; nov J.lr, me; àpsrfje; runov, àÀÀ' me; àqJ()pJ.lr,v {Hou tv8s8uJ.lsvmv aurrlv. Kaz nUÀzv . «nozJ.la{vsrs», qJija{v, «rà npof3ara rfje; aqJayfje;, li oi KrijaUJ.lSvoz KarsaqJat;ov Kaz ou J.lsrsJ.lsÀovro, Kaz oi nmÀouvrse; aurà è'Àsyov . sUÀoyijrOe; KUpZOe; . Drz nsnÀourrl KaJ.lSv, Kaz oi nozJ.lSVSe; aurrov ou8èv è'naaxov tn' auroie;».64 Touro rrov àpxovrmv aJ.la Kaz ispsmv nap{arijaz, rrov J.lèv ro (Jijpzro8se; Oj.lOU Kaz iraJ.lOv Kaz ànuv(Jpmnov 8{KijV Àsovrmv rov uno xsipa Àaov KaraaqJarrovrmv Kaz Karsa(Jzovrmv me; 8uvaJ.lze;, rrov 8è ro àqJsÀèe; Kaz àvuÀYijrov Kaz rr,v unoaroÀr,v fiv tv rfi aqJayfi rrov i8{mv npof3urmv àvuv8pme; Kaz àysvvroe; unsarsÀÀovro, f3Àsnovrmv iame; npo oqJ(JaÀJ.lrov onoia Kaz tv 7]J.liv àvunoaroÀme; Kaz sie; npounrov arJJ.lspov y{vsraz. Kaz yàp oi a800z rou Àaou Kaz nposxovrse; tK rfje; rourmv aqJayfje; al!,.lnavrse; axs80v rr,v naaav vnapçzv è'xouaz. «L1zà rouro ou qJs{aoJ.laz / oUKsn tnl rove; KarozKouvrae; rr,v yfjv, ÀSysz KUpZOe; navroKpurmp», 65 «tnuçm rr,v J.luxazpuv j.lou tnz rove; nozJ.lsvae; (Kaz rrov nozJ.lsvmv ou qJs{)aoJ.laz, Dn rijJ aurrov 8leqJ(JapJ.lsvcp f3{cp 0 Àaoe; J.lou ànmÀsro».66 Kaz nroe; rourmv suapz(JJ.lrJrmv ovrmv tnz nuvrae; 7] opyr, rou (Jsou è'pxsraz; "On rà rrov àpxovrmv aJ.laprrlJ.lara àqJavzaJ.lOe; rou unijKoOU y{vsraz . ro{vuv Kaz noÀÀUKZe; aurrov acpt;oJ.lévmv, uno xsipa Àaoe; aUJ.lnae; ànoÀÀuraz rfje; aJ.lapr{ae; tç oÀ{ymv navrz rijJ nÀrl(Jsz me; ÀO{J.lije; 8za80(Js{aije; . Kai nUÀzv . «poJ.lqJa{a, tçsysp(Jijrz tni rove; nOlJ.lSVae; Kaz naruçars rove; nozJ.lsvae; Kaz tKanuaan; rà npof3ara, Kaz tnuçm rr,v xsipu J.lou tnz rove; nozJ.lévae; Kaz tnz rove; àJ.l vove; tnzaKsVloJ.lal», 67 si Kaz Ka(JoÀzKijJ ÀOYCP Karà nuvrmv è'qJij nov rfje; yfje; OiKijt'opmv J.lr, qJs{aaa(Jaz. 'AÀÀ' i80v KÀ{vae; tK rou ànoroJ.lou npoe; ro qJzÀuv(Jpmnov rrov npof3urmv me; àvorlrmv à vnÀaJ.lf3uvsraz,
o
64, Zach. Il, 5. 65. Zach. 11, 6. 66. Zach. 13, 7. La citation est en majeure partie fabriquée par Makrembolites lui-même. Le sens du texte, par ailleurs, n'a subi aucune altération. 67. Une combinaison de Zach. 13, 7 et d'Ezéch. 34, 12; 34, 22.
286
Karà nov ou KaÀrov noz/-lévmv rpélJlaç T11v ànêzÀ7}v Kai r7}v KoÀaazv Èv Ù npoar{(J,.,azv f1817 Kai roû Àaoû roùç npoéxovraç. «Oi àCP17yorJ/-lêVOZ Èv /-léacp aurfiç», cp 17 a {v, «roç Àéovrêç mpVO/-lêVOZ apnaÇovrêç apnaY/-lara, lJIvXàç Karêa(){ovrêç Èv 8vvaarêùp>.680urm Kai vûv ÈVêPYOU/-lêVOV {3ÀénO/-lêV / Kai yàp 8{K17V Àêovrmv oi apxovrêç àCPêz8roç rov uno Xêipa Àaov roç npo{3ara Karêa(J{ovaz. Kai /-lêr' oÀ{ya . «iêpêiç 1j(Jérovv VO/-lOV /-lOV Kai È{3ê{3r,ÀOVV rà ayza /-lOV . {3ê{3r,ÀOZÇ rê Kai ay{ozç ou 8zéarêÀÀov»,69 àÀÀà navra ijv auroiç év . êrra Tl; «Zro Èyw», CP17a{, «ÀéYêZ KUPZOÇ Kai taraz rà npo{3ara /-l0V dç npovo/-lr,v . l80ù ÈydJ Èni roùç noz/-lévaç Kai ÈKÇ17rr,am rà npo{3ara /-lOV ÈK rrov XêzproV aurrov Kai rà /-ltv avvaçm Kai nêpznozr,ao/-laz, oi 8t rà Kai rà nê{aovraz li roùç KaKoùç noz/-lévaç na(Jêiv êlKOÇ». 70 "Opa au, Ô navroç 817Àovorz àv(Jpwnov (Jva{av à8zaKp{rmç 8êX0/-lêVOÇ Kai npoaaymv (Jê(jJ, ônoia aoznap' aurou 1jnê{À17raz KOÀaazç Kai Tl/-lmp{a; «'Avri yàp roû ÈÇêV/-lêv{aaz aurov dç npOVO/-lr,v», CP17a{v, «taovraz rà npo{3ara Kai acpayr,v», 71 cOV ro al/-la ÈK rrov u/-lêrépmv O/-lmç ànazrr,aêz XêzproV. Kai aurà /-ltv npoç aurov /-lêrénêZra Ènzarpécpovra avvaçêz Kai nêpznozr,aêraz, u/-liiç 8' Èv nozK{Àazç àvaÀwaêz fJaaavozç Kai KoÀaa/-loiç. Z17rêi 8t Kai 'lêpê/-l{aç untp KêcpaÀfiç U8mp 72 Kai roiç ocp(JaÀ/-loiç / 8aKpumv n17yàç iva KÀauau npoç àç{av rov 'lapar,À, o8upêraz 8t oux 1]rrov Kai rrov npoêarwrmv r7}v /-lOx(J17P{av. yàp oi apxovrêç /-lOVOV Èv no V17P {ç, ÈnoÀzrêuovro, àÀÀà Kai ro unr,Koov anav rourozç 1]V ÈcpênO/-lêVOV . 8zo Kai untp à/-lcporépmv o8upêraz. AéYêz /-ltv aur(jJ 8lêÀêYXO/-lêVOÇ npoç roùç iêpêiç ô (JêOÇ . «oi iêpêiç OUK êlnav . noû taTl KupZOç»;73 f1yovv ou8éva Àoyov nêpi TOUTOU Ènozr,aavro, àÀÀà rfi /-lé(JU Kai ouroz /-lêrà roû nÀr,(Jovç Kai rfi à8817CPay{ç, Kara80vÀOU/-lêVOZ ànêKrr,vmaav savroùç Kar' ou8tv rrov nOÀÀrov 8zacpépovrêç. «Kai oi àVrêXO/-lêVOZ roû VO/-lOV /-lOV OUK 1jn{aravro /-lê», 74 acpo8pa Ka(Janrêraz rfiç àYPozK{aç aurrov Kai
Ou
68. 69. 70. 71. 72. 73. 74.
Ezéch. Ezéch. Ezéch. Ezéch. Jér. 8, Jér. 2, Jér. 2,
22, 25. 22, 26. 34, 8; 34, 10. Makrembolites a de nouveau changé la citation. 34, 8; cf 26, 5. 23 (9, 1). 1. 8.
287
f. 49 v
f. 50r
riiç aqJeÀe{aç. «Kai ol nOlJléveç Tjoi{3ovveiç tJlé»,75 aÀÀà Kai ol apXŒpefç 81]ÀOVOrl aùv rofç lepeUOI nepi ràç (}vo{aç rjoé{3ovv rà ana apnaYiiç Kai nÀeoveç,{aç npooqJtpovréç Jl0l. Kai naÀlv . «nolJléveç rjqJpovevoavro Kai rav KVplOV OUK tç,eçr]r1]oav Kai 8là rouro OUK tV01]oe niioa 1] VOJl'ft Kai 8ŒOKopn{O(}1]oav».76 f. 50V BÀéne onroç / Kai tvrau(}a tK rfjç l8lroriaç Kai aqJpoovv1]ç nov nOIJlévrov rà npo{3ara tnÀavJj(}1]oav Kai elç rà rfjç anroÀe{aç 8ŒOKe8ao(}1]oav {3apa(}pa . Kai ei Jlr, rr,v nOIJl a VrlKr, v a KPI{3roÇ KaraJla(}uç, ÀOYIKroV npo{3arrov Jlr, ytvU nOIJl'r]v . Jltyaç yàp 6 K{v8vvoç rep tnlorarOUvrl qJVXrov. Kai naÀlV . «nOIJltveç noÀÀoi 8léqJ(}elpav rav aJlneÀrova JlOV», 77 Kai eiKorroç, ra yàp noÀvapxov avapxov . el 8è Kai e{ç 7}V aurofç 6 apxrov aÀÀ' ana JlIJlJjoeroç chç fOlKe rrov npoyeveoréprov Kai ol Jlerayevéorepol oVJlnavreç 8ŒqJ()e{povro. E{ra npaç auroùç naÀlV anore{veral roùç nOIJlévaç . «W ol nOIJléveç ol anoÀÀvvreç Kai 8laoKopn{Çovreç rà npo{3ara rfjç VOJlfjç JlOV . 8là rouro ra8e ).,iyel KvnlOç tni roùç nOIJla{vovraç rav Àaov JlOV . uJlefç 8ŒoKopn{oare rà npo{3ara JlOV Kai tç,moare aurà Kai OUK tneoKélJlao(}e aura, i80v, tyro tK8lKro tqJ' uJliiç Karà rà nov1]pà tnlr1]8evJlara UJlroV».78 "A(}pel ra réÀoç rfjç f. 51 r ayavaKrTjoeroç rou (}eou Kai nroç tJl{3pl(}roç/aneIÀJjral Jler' tnlraoeroç Karà rrov a ne {pro v nOIJlévrov Kai aVenlor1]JlOvrov . Kai aJleÀrov, oi' ra nO{Jl VlOV tKrpl{30JleVOv Ilèv Kai aqJavlÇOJleVOv ou JlOVOV OUK tnloKélJlavro ou8è napeKaÀeoav, ou8è rpoqJr,v ij norav txopJjy1]oav ou8è npaç vOJlàç avo(}evrovç tç,érpelJlav, aÀÀ' ou8è rfjç rVxovo1]ç tnlJleÀe{aç Tjç,{rooav. L1là rouro aÀaÀaÇelv {3ovÀeral roùç nOIJlévaç Kai Konreo(}al roùç KplOÙÇ rrov npo{3arrov, 8lon tnÀ1]pw(}1]oav al 1]Jlépal aurrov eiç oqJayJjv.
75. Jér. 2, 8. 76. Jér. 10, 21. 77. Jér. 12, 10. 78. Jér. 23, 2. 79. Osée, 4, 9.
288
Kai 1CpoéxoVTCÇ tvavrimç, àÀÀ' OUTOl Kai 1CpOepaVmç àacf30ual . «Ta yàp OVOj.lU j.lou», qJ1]ai, «f3Àaaep1]j.lCïTal c51' 7}j.làç tv Toïç ËfJvcal».80 Tiç fJp1]v'1jacl TaUTa 1Cpaç àc;iav 'lcpcj.liaç fJp'1jvouç ypaepmv V1CÈp TOU '[apa'1jÀ; Tiç f3o'1jacTal «epcïaal, KUPlê, TOU Àaou aou Kai 117] c5qJç T7]V KÀ1]povoj.llav aou âç ovclc5oç TOU KaTupc;al / aUTmv ËfJV1]».81 Tiç 1Ccpi 7}j.lmv 1CpoaCUC;CTal Nmc Kai '[dJ/3 Kai L1avl'1jÀ,82 iva K01CUa1] j.llKpOV 7}j.llV 0 1COÀCj.lOÇ 0 1Ccpi Tmv pCOVTmv c51]Àovon Kai epfJclpoj.lévmv, iva YCVWj.lcfJa 7}j.lmv aUTmv, 1Ccpi Tà j.lOVlj.lU 1COTC f3ÀélJlaVTCç, iva àÀÀ'1jÀouç 1COTÈ yvmpiamj.lcv Kai àÀÀ'1jÀouç àya1C'1jamj.lCV Kai vnÈp àÀÀ'1jÀmv «Tàç IJIUXàç fJ'1jaoj.lcv».83 Kaz yàp 1CavTaxofJcv 7}j.lïv 0 Àoyoç à1Céc5clc;CV 1CoÀ1Tciaç opfJijç avcu ouc5Èv oepcÀoç 7}j.lïv opfJ6jv c5oyj.lUTmv. "(Ja1Ccp yàp c5oyj.laTa 1Cov1]pà f3iov àKufJapTov âauyclv cimfJcv, OUTm Kaz f3ioç c51cepfJapj.lévoç nov1Jpiav c5oyj.lUTmV 1COÀÀUK1Ç ËTCKCV . 84 01CCP iva j.l7] yéV1JTal Kai 7}j.llV aUTolç Kai TOlç aÀÀ01Ç TaUTa KaTcnrj.c5ovTcÇ Tà p'1jj.laTa T'1jV TC opfJ7]V nianv c51aj.lévmj.lcv ËXOVTCÇ Kai 1CoÀ1Tclav opfJ7]V tnlc5clC;Wj.lcfJa, oUTm yàp Kai Tmv aimvlmv àyafJmv t1C1TUxmj.lCV xupln Kai eplÀavfJpmni~ TOU Kupiou 7}j.lWV '[1]aOU XplaTOU, cf> 1CpélCêl 1Càaa c5oc;a, Tlj.l7] Kai 1CpOaKUV1]alç aùv TqJ àvuPxQ) aUTou 1CaTpi Kai TqJ 1Cavayüp Kaz 'm01COlqJ 1CVCUj.lan, VUV Kai àci Kai âç TOÙÇ aimvaç Tmv aiwvmv. 'AJ.l'1jv.
on
80. Ezéch. 36, 21-23. 81. Joël, 2, 17. 82. Cf Ezéch. 14, 20. 83. Jean, 10, 17.
84. Makrembolites n'est pas conséquent sur ce point. D'une part il dit qu'il ne fait pas grand cas des définitions trop strictes des dogmes; ceux qui connaissent les dogmes imparfaitement, seront néanmoins jugés dignes de la grâce divine s'ils vivent en bons chrétiens, tandis que les théologiens, tout en mûrissant des chimères, seront rejetés du Royaume de Dieu s'ils ne se soucient pas de vivre en chrétiens (voir f. 43 r ). Cependant, à plusieurs reprises - entre autres ici - Makrembolites fait effectivement preuve d'une grande sollicitude du dogme. Il dit expressément que non seulement la foi est morte sans les oeuvres, mais qu'une foi gâtée à cause de ce manque produit des dogmes périlleux et que des dogmes inexacts mènent, en outre, à une vie mauvaise. Cf Récit Historique, éd. Papadopoulos-Kerameus, p. 155, et notre chapitre sur Makrembolites, p. 259-60.
289
f. 51 v
INDEX NOMINUM
Les noms de personnages bien connus ont été donnés conformément à l'usage français. Nous n'avons pas fait figurer dans cet index les noms des auteurs contemporains discutés dans le texte ou dans les notes.
Acropolite, Georges 9 n. 7, 31, 32,33. Agathangelos, v. Angelos, Manuel. Ahmedi 8. Akindynos, Grégoire 113 n. 78, 136, 137, 155, 158, 159 n. 24, 166, 167. Alexandre le Grand 141, 211. Alexis 1 Comnène, empereur de Constantinople 28, 29,81. AI-Umari 42 n. 44. Amédée VI, comte de Savoie 222. Andronic II Paléologue, empereur de Constantinople 36, 37, 39, 40, 45, 55 n. 7, 56 n. 9, 57 n. 10, 61, 66, 72, 118, 120, 121, 149, 209 n. 14, 238 n. 16. Andronic III Paléologue, empereur de Constantinople 10 n. 7, 16 n. 19, 45-48, 55 n. 7, 57 n. 10, 61-66, 72, 81-86, 8896, 102, 120, 122 n. 6, 123, 135, 136, 139, 149, 157, 159, 209 n. 14, 215, 238, 239. Angelos, Manuel 138 n. 45, 49 n.50. Anna de Savoie, impératrice de Constantinople (épouse d'Andronic III) 62, 64, 67, 73 n. 53, 102-05, 121, 126 n. 15, 127, 137, 140, 179, 246, 247,
263 n. 32. Antonios (compilateur d'une Melissa) 190 n. 99. Apelmenes 70 n. 45. Apokaukos, Alexios 54 n. 5, 57 n. Il,60 n. 21, 62, 64-67,70, 72-74, 75 n. 60, 83 n. 7, 94, 97, 99-101, 103, 108, 124, 125, 126 n. 14 et n. 15, 137, 170, 212, 255, 264 n. 35. Apokaukos, Jean (fils d'Alexios) 73, 208 n. 10. Argyros, Isaac 113 n. 78. Arius 109 n. 65. Arrigo, frère franciscain 106 n. 59. Asanina, Irène, v. Cantacuzène, Irène. Asanina, Théodora (épouse de Manuel Tagaris) 237 n. 13. Asen, Andronic (fils d'Ivan Asen III, roi des Bulgares, père d'Irène Cantacuzène) 73 n. 53 et 55. Asen, Constantin (frère d'Andronic et d'Isaac) 73 n. 55. Asen, Isaac (frère d'Andronic et de Constantin) 73 n. 53 et 55. Asen, Jean (frère d'Irène) 57 n. 10, 71, 75 n. 59 et 60, 98. Asen, Manuel (frère de Jean et d'Irène) 57 n. 10. Asanes 217 n. 35. Ashikpashazade 21-25. 291
Athanase l, patriarche de Constantinople 9 n. 7, 55 n. 7, 191, 239, 254 n. 10, 265 Baba Ishak 32 n. 10. Balsamon, Théodore 187 n. 92. Barlaam 113 n. 78, 120, 121 n. 5, 135, 136, 150-55, 158. Basile le Grand 180. Bayezid l, sultan ottoman 226. Belban, v. Doria, Dominichino. Bélisaire 55 n. 6. Blastaris, Matthieu 159 n. 24. Boccace 152 n. 3. Bucheiras, Isidore, v. Isidore, patriarche de Constantinople. Busbequius, Augerius Gislenus 241-42. Cabasilas, Nicolas 69 n. 43, 192 n. 105. Calliste l, patriarche de Constantinople 111 n. 71, 175, 176, 248. Cantacuzène, Hélène (fille de Jean Cantacuzène, épouse de Jean V Paléologue, impératrice de Constantinople) 62, 74, 145. Cantacuzène, Irène ([dIe d'Andronic Asen, épouse de Jean Cantacuzène, impératrice de Constantinople) 57 n. 10, 71, 82, 124, 125, 138, 139. Cantacuzène, Jean, v. Jean VI Cantacuzène, empereur de Constantinople. Cantacuzène, Manuel (fils de Jean et d'Irène) 76 n. 61,206. Cantacuzène, Matthieu (fils de Jean et d'Irène) 75 n. 59, 109 n. 64, 111 n. 71, 129, 130, 139 n. 49, 143, 144, 193 n. 106, 217 n. 35. Cantacuzène, Théodora (mère de 292
Jean Cantacuzène) 82, 89, 91, 131. Cantacuzène, Théodora (fille de Jean et d'Irène) 107-08, 127. Cattaneo, Domenico 88. Cheilas, Jean (pseudo) 231 n. 1. Choniates, Nicétas 29-31, 119. Choumnaina, Eulogia 137 n. 41. Choumnos, Georges 73 n. 55. Choumnos, Nicéphore 60 n. 20, 233, 235 n. 8. Chreles, v. Ohmucevié, Hrelja. Chrysostome, Jean 110 n. 65, 186 n. 90, 189-90. Cydonès, Démétrius 113 n. 78, 115, 178 n. 69, 203-29. Cydonès, Prochoros 113 n. 78, 206, 217 n. 34. Deblitzenos, Demetrios 75 n. 59. Denys l'Aréopagite (pseudo) 154 n.8. Dexios, Théodore 155 n. 12. Dishypato~, David 168 n. 46. Doria, Dominichino 42 n. 44. Doukas (l'historien) 115. Eginhard 24 n. 38. Enveri 25, 38 n. 29, 91-94, 9596 n. 39, 97, 124 n. 9. Etienne Dusan, roi des Serbes 64, 69, 70, 76 n. 63, 110, 128, 140, 161, 176-79, 193, 202. Etienne Nemanye l, roi des Serbes 177. Etienne Nemanye II, roi des Serbes 177. Evrenos 15-16 n. 19. Frédéric le Grand 114 n. 80. Gabalas, Jean Raoul 73 n. 55.
Gabalas, Manuel, v. Matthieu métropolite d'Ephèse. Gabras, Jean 137 n. 41. Gabras, Michel 236 n. 10 et n. 12, 240 n. 22. Gibbon, Edw. 41, 55 n. 6, 155, 157 n. 15. Glykys, Jean 117, 233. Godefroy (gouverneur de Mésothynie) 46. Grégoire de Nazianze 190. Grégoras, Nicéphore IOn. 7, 34 n. 16, 40, 63 n. 28, 64-65 n. 32, 66 n. 33, 67 n. 36, 83 n. 7, 84 n. 10, 86 n. 15, 87,9091, 94, 97-98, 101 n. 48, 113, 117-47, 155-56, 162-67, 179, 193, 197,202,214,232, 24849,258. Gündüz (frère d'Osman) 21. Haïder-Sirhisari-Roumi Orlan 42 n.44. Halil (fils d'Orkhan) 143-45, 162 n. 31. Hizir, émir d'Aydin 88, 91-92, 240-42, 243 n. 28, 244. Hyacinthe, métropolite de Thessalonique 159 n. 24. Ibn Battuta 21, 24, 39 n. 34, 42 n. 44, 43, 241 n. 24, 243 n. 34. Irène, impératrice de Constantinople, v. Cantacuzène, Irène. Isaac, protos de l'Athos 172. Isaris, Georges 159 n. 24. Isidore, patriarche de Constantinople 174-75, 176 n. 66, 248, 261. Ismael (petit-fus d'Orkhan) 194. Ivan Asen III, roi des Bulgares 82. Ivan Alexandre, roi des Bulgares 64, 71.
Izz-al-Din Kaikaus II, sultan de Konia 34 n. 16. Jean XXII, pape 152 n. 3. Jean II Comnène, empereur de Constantinople 29. Jean V Paléologue, empereur de Constantinople 3, 62, 67-68, 74-75, 110-111, 113, 130, 138, 139-45, 162 n. 31 et 32, 179-80, 192, 193 n. 106, 20304,215-16,218, 261, 269. Jean VI Cantacuzène, empereur de Constantinople 3, 40, 45, 47-49, 51, 56 n. 9, 61-76, 81116, 117, 119, 121-146, 149, 157-63, 164 n. 37, 166-80, 192, 193 n. 106, 198,204-17, 219, 228, 243, 245, 248, 251 n. 1, 255, 257-58, 260-64, 269, 274 n. 17. Jean VIT Paléologue, empereur de Constantinople 225. Jean XIV Kalékas, patriarche de Constantinople 45 n. 48 et n. 49, 62-64, 67 n. 36, 68, 105, 108, 109-10 n. 65, 112, 120, 127, 136-37, 152, 158 n. 20, 159, 167-71, 173 n. 57,.23940, 243-44, 246-48, 255, 264 n.35. Joseph (le Philosophe) 237 n. 15. Kalothetos, Léon 143-44. Kalothetos, Joseph 137 n. 41, 158 n. 20, 249 n. 41, 265. Keykhusrev l, sultan de Konia 30-31 Kodjabakhshi (gouverneur de Nicomédie 39 n. 36. Kokkinos, v. Philothée, patriarche de Constantinople. Kose Mikhal 15-16 n. 19,22 Koutroules, Michael Angelos 293
·Doukas 36 n. 9. Kyparissiotes, Jean 113 n. 78. Léon VI le Sage, empereur de Constantinople 281 n. 37. Logaras, Philippe 240, 243. Lucien de Samosate 253 n. 7. Mahomet 264 n. 35,273 n. 12. Makarios, métropolite de Thessalonique 169, 172. Makrembolites, Alexios 55 n. 7,59, 76, 251-67, 269 sqq. Mangaphas, Théodore 29. Manuel 1 Comnène, empereur de Constantinople 29. Manuel II Paléologue, empereur de Constantinople 16 n. 19, 18 n. 21, 76 n. 63, 203, 223, 224 n. 52, 225-27, 228 n. 59. Margarites, Jean 74 n. 58. Marx, Karl 54 n. 3. Masud II, sultan de Konia 34 n. 16. Matthieu, métropolite d'Ephèse 16 n. 19, 19 n. 24, 36 n. 23, 46, 132 n. 28, 231-49. Mavrozomos, Manuel 30. Mavrozoumes 15-16 n. 19, 194. Maximus Confessor 275 n. 17. Mehmed, émir d'Aydin 15 n. 19, 39 n. 33, 46, 88, 91, 244. Métochite, Théodore 118, 120, 233. Michel VIII Paléologue, empereur de Nicée, puis de Constantinople 9 n. 7, 17 n. 20, 19 n. 23, 32-34, 36, 53, 57 n. 10, 61, 82, 88 n. 20, 117. Michel IX Paléologue, coempereur de Constantinople, 37. Monomachos, Michel 99, 100 n. 45, 102. 294
Mougdouphes 68. Muntaner, Ramon 38. Murad l, sultan ottoman 223 n. 50, 225. Narses 55 n. 6. Nietzsche, Fr. 12 n. 13.
145,
Ohmucevié, Hrelja 69, 70. Orkhan, émir ottoman 3, 8, 10, 13, 14 n. 15, 15, 16 n. 19, 21, 23-24, 43-44, 46-48, 64, 83 n. 8, 95, 106-08, 110, 116, 12630, 138, 140, 142-45, 194, 213, 263, 264 n. 35, 272 n. Il. Osman (père d'Orkhan), fondateur de l'empire ottoman 3, 8, 9 n. 7, 10, 13, 15, 18 n. 23, 21-23, 37, 39, 43. Oulaghou 33. Pachymérès, Georges 9 n. 7, 17 n. 20, 23, 31, 34, 38, 41, 119. Palamas, Constantin 149. Palamas, Grégoire 16, 119, 123, 128, 130, 132 n. 28, 135-37, 138-40, 149-202, 214, 229, 246, 251, 260-61, 265, 273 n. 12. Paléologue, Andreas 69. Paléologue, Andronic, v. Andronic II. Paléologue, Andronic, v. Andronic III. Paléologue, Jean, v. Jean V. Paléologue, Jean, v. Jean VII. Paléologue, Jean, (frère de Michel VIII) 9!l. 7. Paléologue, Jean, (neveu d'Andronic II) 56 n. 9. Paléologue, Manuel, v. Manuel II. Paléologue, Michel, v. Michel
vrn.
Paléologue, Michel 69.
Paléologue, Sphrantzes 56 n. 9, 57 n. 10. Paléologue, Syrgiannes 56 n. 9, 57 n. 10, 83, 238. Paléologue, Théodore, v. Théodore Paléologue, despote de Mistra. Paléologue, Théodore, v. Théodore Paléologue, marquis de Montferrat. Patrikiotes 63 n. 28,71 n. 47, 252. Pétrarque 152 n. 3. Philanthropenos, Alexios 41 n. 93,91,236. Philon d'Alexandrie 260 n. 27, 280 n. 37. Philothée Kokk:inos, patriarche de Constantinople 111-12, 160, 168-69, 171-72, 174, 175 n. 65, 176 n. 66, 177-78, 179 n. 72 et 74, 197, 202, 265. Phrangopoulos 68. Ptolémée, Claude 118 n. 2, 120 Ranke, Leopold 12 n. 13. Rhadenos 222,225.
Sabbas de Vatopedi 174-75. Saruhan, émir de Saruhan 46, 48, 64, 87 n. 17, 88, 90-91, 95. Sava, v. Etienne Nemanye II. Solon 121. Sophocle 213 n. 24. Sphrantzes, v. Paléologue, Sphrantzes. Suleyman, émir de Kastamonu 39 n. 36. Suleyman (fils de Mehmed, émir d'Aydin) 88,91. Suleyman, émir de Saruhan (fils de Saruhan) 88, 105-06, 108. Suleyman (fils d'Orkhan) 110,
161 n. 31, 163, 193. Syméon, v. Etienne Nemanye 1. Synadenos, Théodore 69, 70, 73,83. Syrgiannes, v. Paléologue, Syrgiannes. Tagaris, Georges 126 n. 15,238 n. 16. Tagaris, Manuel 16 n. 19, 126 n. 15, 234-37, 238 n. 16. Tarchaneiotes, Jean 35. Taronites 15 n. 19, 194, 19798. Théodore 1 Lascaris, empereur de Nicée 30. Théodore II Lascaris, empereur de Nicée 32. Théodore Paléologue, marquis de Montferrat 55 n. 6. Théodore Paléologue, despote de Mistra 224. Théoktistos 265 Théolepte, métropolite de Philadelphie 233-35. Thomas d'Aquin 118 n. 2, 203. Thomas Magistros 60 n. 20, 159 n. 24, 209 n. 14. Timur Khan (fils de Yakhshi, émir de Qaresi) 46-47. Umur (fils de Mehmed, émir d'Aydin) 3, 25, 48, 71, 84106, 116, 123-26, 128 n. 19, 129, 139, 213, 220-21, 23941, 245-46, 272 n. Il. Urbain V, pape 222. Vatatzes, Jean 108-09. Vitruve 24 n. 38. Voltaire 13 n. 14. Yakhshi Faqih 21. Yakhshi Khan, émir de Qaresi 46-48, 64, 95. 295
Zaccaria, Benedetto et Emanuele 88 n. 20.
296
Zénon de Cition 122.