Michel Dupuy
Biologie, Ecologie, Agronomie Collection dirigee par Richard Moreau
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Michel Dupuy
Biologie, Ecologie, Agronomie Collection dirigee par Richard Moreau
a
professeur honoraire I 'Universite de Paris XII, correspondant national de l'Academie d 'Agriculture de France Cette collection rassemble des syntheses, qui font Ie point des connaissances sur des situations ou des problemes precis, des etudes approfondies exposant des hypotheses ou des enjeux autour de questions nouvelles ou cruciales pour I'avenir des milieux naturels et de I'homme, et des monographies. Elle est ouverte a taus les domaines des Sciences naturelles et de la Vie.
Deja parus Rene MONET, Environnement, / 'hypotheque demographlque, 2004. Ignace PITTET, Paysan dans /a tourmente. Pour une economie so/idaire, 2004. Ibrahim NAHAL, La desertification dans /e monde. Causes - Processus Consequences - Lulie, 2004. Paul CAZA YUS, La memoire et les oublis, Tome L Psychologie, 2004 Paul CAZA YUS, La memoire et /es oublis, Tome II, Pathologie et psychopathalogte, 2004. PREVOST Philippe, Une terre II cultiver, 2004. LEONARD Jean-Pierre, Foret vivante au desert boise, 2004. DU MESNIL DU BUISSON Francois, Penser /a recherche scientijique: l'exemple de /a physiologie anima/e, 2003. MERIAUX Suzanne, Science et poesie. Deux voies de /a connaissance, 2003. LE GAL Rene, Pour comprendre /a genetique. La mouche dans /es petits pais, 2003. ROQUES Nathalie, Dormir avec son hebe, 2003. BERNARD-WElL Elie, Strategies paradoxa/es en bio-medecine et sciences humaines, 2002. GUERIN Jean-Louis, Jardin d 'alliances pour /e XXle steele, 2002. VINCENT Louis-Marie, NIBART Gilles, L'identtte du vivant au une autre /ogique du vivant, 2002. HUET Maurice, Que/ climat, quelle sante ?, 2002. ROQUES Nathalie, Au sein du monde. Une observation critique de /a conception moderne de l'allaitement maternel en France, 2001. ROBIN Nicolas, Clones, avez-vous done une time?, 200 I. BREDIF Herve, BOUDINOT Pierre, Quelles forets pour demain ? Elements de strategle pour une approche renovee du developpement durable, 200 I. LAMBERT Denis-Clair, La sante, cle du deveioppement economtque. Europe de /'Est et Tiers Mondes, 2001. DECOURT Noel, La foret dans /e monde, 2001. DE FELICE Pierre, L 'effet de serre. Un changement climatique annonce, 2001.
Les cheminements de I'ecolegie en Europe Une histoire de la diffusion de l'ecologie au miroir de la foret 1880-1980
L'Hannattan 5-7,rue de l'EcoIePolytechnique 75005 Paris FRANCE
L'Harmaltan Hongrie Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest HONGRJE
L'Harmaltan ltaUa Via Degli Artisti, 15 10124Torino ITALIE
Introduction
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© L'Hannattan, 2004 ISBN: 2-7475-7335-4 EAN : 9782747573351
Le mot « ecologic » designe aujourd'hui un comportement qui se veut respectueux re la nature et de soi, it faut alors manger eco ou depuis quelques annees bio, habiter, se deplacer eco, etc. Sous la forme d'un prefixe, il elargit Ie champ d'une discipline : l'ecollngulstlque, l'ecophysiologiel. Enfin, il definit egalement une discipline scientifique instituee. Sans remonter a Aristote, l'ecologie puise ses racines a la fin du XVIlle siecle dans I'histoire naturelle (Linne, Buffon) et la chimie (Lavoisier), mais elte n'a commence a prendre corps qu'a la fin du XIXe steele. Ceci n'eclaircit pas la specificite de l'ecologie dont la definition a varie au fil du temps. En 19\0, au congres de botanique de Bruxelles, les participants s'accordent sur la definition suivante : «L'ecologie comprend l'ensemble des relations existant entre les individus vegetaux ou les associations vegetates d'une JXll1 et les stations d'autre part. L'ecologie comprend l'etude des conditions de milieu et des adaptations des especes vegetales soit prises isolement (auto-ecologie) soil reunies en associations (synecologie, ou etudes des formations) »2. Les etudes mettent alors I'accent sur les facteurs du milieu (temperatures, vent, precipitations) et la forme que prennent les plantes pour s'adapter a ses conditions. Dans les annees 1960, l'ecologie repose sur la notion de systeme, ainsi selon I'ecologue Beige Paul Duvigneaud (1913-1991) : «I'ecologie est la science des systemes biologiques fonctionnels complexes appeles ecosystemes .. elle comporte aussi l'etude des rapports des etres vivants avec eux »3. L'accent est ici mis sur Ie cycle, la circulation des elements.. En un siecle, l'ecologie a change de paradigme, mais egalement de dimension. Au debut du XXe siecle, elle est une branche au sein de disciplines donnees d'abord dans la botanique puis en zoologie. Dans les annees 1960, elle a endosse Ie statut d'une discipline possedant ses propres chaires, ses revues et un vocabulaire specifique. Au debut du XXe siecle, elle peut etre qualifiee re « science de la parcelle », a la fin de ce merne siecle, elle est devenue une science globale. Par sa volonte d'eclairer Ie fonctionnement de la nature, l'ecologie, des sa genese, a revetu un caractere pratique. Que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Russie, elte a eu pour mission la mise en' valeur des terres aussi bien a l'interieur des frontieres des Etats nations que dans leurs colonies. Dans les annees 1960, elle est presentee par les ecologues comme la seule science capable de repondre au defi de la surpopulation qui s'annonce. Autre caracteristique, la foret a toujours ete au cceur des preoccupations des porteurs de l'ecologie ed tant qu'objet d'etudes, Sous I'equateur, la foret forme Ie milieu Ie plus riche a observer avec les estuaires. Sous nos climats temperes, elte represente I'element stable de la nature, celui qui semble Ie moins bouleverse par I'homme comparativement a un champ ou a une prairie. Elle est cet objet vers lequel tend la nature lorsqu 'un lac, un marais finissent par s 'assecher, La foret est aussi I'objet d'une gestion re la part d'une corporation qui n'a pas neglige les apports de l'ecologie, non sans difficultes parfois. En effet, l'acte forestier consiste a intervenir sur la foret pour repondre a des besoins economiques, sociaux ou esthetiques. L'ecologie rentre dans ces categories, aide a produire plus de bois, a satisfaire les besoins de detente du citadin et a construire un paysage. Elle s'est d'ailteurs developpee avec I'expansion coloniale europeenne, la revolution industrielle, les transformations de I'espace rural et I'essor urbain qui en resultaient. La foret a accompagne voire precede ces changements. II a faltu produire plus I Stork Y., Ecologie. Die Geschichte zentraler Lexien des franzdsichen Umweltvokabutars seit 1968, Tubingen und Basel: A. Francke Verlag, 1998, p. 381. 2 Flahault C., Schroeter C.; Projet de nomenclature phytogeographique, Actes dJ4 Congres International de botanique, Bruxelles, 1910, p. 120. 3 Duvigneaud P., La synthese ecotogique, Paris: Doin, 1984, p. 1.
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de bois, privilegier la futaie pour repondre aux besoins de 1'industrie. L'ecologie a rempli cette mission: assurer un rendement a la foret afin de satisfaire les bcsoins en bois d'oeuvre. Mieux connaitre Ie fonctionnement de la nature originelle avant les bouleversements apportes par I'homme pour en proflter davantage est une facette de I'ecologie. Retracer I'histoire de I'ecologie appliquee a la foret, c'est bien retracer I'histoire d: l'ecologie generale (en ce sens la foret est une figure metonymique de I'histoire d: l'ecologie) c'est s'interroger sur les liens qui se sont crees entre les deux. Enfin c'est demontrerque l'ecologie ne s'est pas developpee Sans resistance, que Ie triomphe de telle ecole, de telle approche releve plus d'un contexte politique, social et culturel que de la valldite de la these defendue, Cet aspect a ete revele par I'etude des differents reseaux tisses par et entre les scientifiques. En effet, leur activite s'inscrit dans un systeme d: communication. La densite de ce dernier depend du degre de reputation du scientifique, plus il dispose de capital (titulaire d'une chaire, directeur de revues, liens politiques, etc.), plus it est au carrefour de dlfferents reseaux, Ccla depend aussi du centre dans lequel it evolue", Exercer dans un centre reconnu internationalement telle I'universite de Berlin, c'est deja beneflcier des reseaux inherents a cette universite, Dans Ie cas contraire, Ie scientifique doit batir tout un ensemble de relations. Pour reconstituer Ie reseau des differents chercheurs et invcntorier les centres qui ont participe au developpernentde I'ecologie, it a ete necessaire de s'interesser a leur formation (Aupresde qui ont-ils etudie ? Se sont-its formes a l'etranger T), s'ils ont ete ou non en mesure de produiredes eleves et enfin ce qui a assure leur « visibilite » c'est-a-dire leurs publications (manuels, revues). II s'agit ainsi de recenser les revues dans Iesquelles its ont publie (a audience regionale, nationale ou internationale), tout en faisant attention a la langue employee (du pays ou etrangere). En effet, etre hongrois d'origine et publier, a la fin du XIXe siecle dans sa langue maternelle n'a pas Ie meme echo que de publier un article en allemand,la langue scientifique de I'epoque. Cette « visibllite » passe par les editeurs qui disposent d'un pouvoir de diffusion important en acceptant ou refusant les parutions, les traductions d'ouvrage ainsi que l'edition de revues voire leur abandon. Enfin un scientifique peut etre amene a sortir de son propre champ pour deborder parfois sur celui du politique. Les liens avec ce champ mais aussi Ie milieu associatif (protection de la nature) peuvent favoriser ou bien contrecarrer un projet, une ambition personnelle. Autant d'elements qui engendrent la formation de reseaux plus ou moins riches en fonction de la carriere, du contexte, des evenements et du lieu d'implantation du centre. La prise en compte de ces elements a permis de reconstituer les divers reseaux qui ont favorise la circulation de l'ecologie, En effet, l'ecologie a ses debuts n'est pas une discipline institutionnalisee, mais seulement une approche au sein de disciplines differentes telles que: la geographic, la botanique, la pedologic, la zoologie voire la climatologie. Autant de domaines qui complexifiaient la redaction de cet ouvrage. Le choix s'est donc porte sur les deux reseaux dominants de l'ecologie : la pedologie et la botanique, delaissant quelque peu I'ecologie anlmale''. Dans ce dernier domaine, les premiers travaux significatifs datent des annees 1920. Les forestiers ne font pas exception, its voient dans I'arbre un element du regne vegetal, adoucissant Ie c1imat par son feuillage, dont les . racines s'engouffrent dans Ie sol, Ie regne mineral, pour mieux Ie proteger, Les animaux ont souvent ete consideres comme des ravageurs (chenilles, scolytes) a quelques exceptions un laboratoire, qu'un institut ou une universite. l'ecologie : celle issue de la botanique et celie provenant de la chimie agricole qui a debouche sur la pedologic. Voir Deleage J.-P.,. Histoire de l'ecologie, une science de I'homme et de /a nature, Paris: La Decouverte, 1991, p. 330. 4
pres (vers de terre). Tres rares ont ete les etudes sur I'avifaune et les mammiferes de la foret, Le premier ouvrage d'ecologie sur les oiseaux forestiers date de 19616 . En fait, I'integration de la gente ailee et des insectes non-parasites est concomitante de l'ernergence de l'ecologie systemique dans les annees 1960.
Surfaces Taux de forestier boiseme nt es 1000 ha %
Etats et regions
Empire allemand (1913) Autriche (1910) Bosnie et Herzeaovine Hongrie Russie (partie europeenne) Finlande Suede
14.221 9.768 2.526 8.931 161.510 15.201 21.624 5.692 939 9.382 4.564 5.000 714 1.248 521 260 333 3.0l41 1.5.17 2j60
Norveae
Suisse France (1908) Italie Espagne Portugal Grande-Bretazne Belgique Pays-Bas Danemark Bulaarie Serbie Roumanie
8~0
Grece
Turauie (partie europeenne) Luxembourg Europe
..
.
,
2.545 79 273.196
Part des forets domaniales ou de la couronne %
26,3 32,6 49,3 27,5 32,6 42,0 52,0 17,6 22,7 17,7 17,0 10,0 7,8 4,0 17,7 8,0 8,5 31,6 31,4 21,0 13,0 14,4 30,4 27,6
Tableau 1. Superficies boisees et taux de boisement premiere guerre mondiale. Source: d'apres Endres M., 1922.
34,7 7,3 75,9 16,4 58,0 35,0 33,3 15,0 4,5 11,2 35 6,0 4,9 2,2 4,8 5,6 24,0 29,7 36,2 41,3 500 72,6 0,0
ell Europe avant
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L'espace couvert dans cette etude s'etend a l'Europe, mais peut-on parler d'une foresterie europeenne, au meme titre qu'il existerait une foret europeenne ? L'enseignement forestier s'est bati, dans la premiere moitie du XIXe siecle, selon Ie modele gennanique. La plupart des eccles forestieres europeennes ont ete fondees par des hommes qui avaient suivi une formation dans l'une des eccles forestieres allemandes que ce soit Tharandt (Saxe), Eberswalde (Prusse), Eisenach (Thuringe), etc. lis ont transplante dans leur pays Ies principes qui reposaient sur la gestion de la futaie pleine. Ces eccles ont prls, par la suite, des directions differentes en fonction de la culture, de l'economie ou des conditions
4 La notion de « centre» recoupe aussi bien 5 Deleage a insiste sur ces deux voies de
Turcek F. J., Okologische Beziehungen der Vogel und Gehdlze, Brastilava: Verlag del' slowakischen Akademie der Wissenschaften, 1961, p. 285. 5
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ecologiques des differents pays. Malgre tout, les scientifiques sont restes en contact les uns avec les autres, puisant leur information dans des publications en langue allemande, les traduisant parfois dans leur langue nationale. A partir de 1892, les forestiers se sont organises avec la fondation de I'Union Intemationale des Stations de Recherches Forestieres qui, au depart, a reuni essentiellement des germanophones (allemands, austrohongrois et suisses) avant de s'etendre peu peu aux autres ecoles forestieres europeennes et finalement au monde entier. Cet organisme a aide la formation d'une communaute scientifique, facilitant les echanges et harrnonisant les methodes de travail parmi la . foresterie europeenne", Si I'on peut parler de l'existence d'une foresterie europeenne, en revanche Ie manteau offre un paysage multiple du nord au sud de I'Europe. Les diverses forets (boreale, temperee, de montagne, mediterraneenne) occupent des espaces bien specifiques recouvrant des realites differentes avec des pays fortement boises (Suede) et des Etats au la foret, mais pas forcernent l'arbre, est peu etendue (Grande-Bretagne, Portugal). Cette diversite des milieux a repondu a des besoins identiques notamment en bois de chauffage ou en bois d'eeuvre. Si I'espace couvert est bien I'Europe, toutefois il ne s'agit pas pour autant de retracer I'histoire de chaque pays mais de s'interesser aux centres dominants qui ont faconne I'ecologie et ont aide asa diffusion. Trois types ont ainsi ete definis : Les centres de formation : centres dans lesquels les scientifiques provenant d'autres etabllssements viennent se former; Les centres d'innovation : I'origine des decouvertes scientifiques ; Les centres d'information : alimentant les theories scientifiques. Cette typolo~ie n'est nullement exclusive, un meme centre pouvant cumuler les trois types comme I'Ecole poly technique federale de Zurich au debut du XXe siecle, Toutefois, une seconde classification prenant en compte la elle doit etre affinee en la reliant dimension spatiale de la diffusion de l'ecologie. Tous les centres n'ont pas eu la merne la importance. L'analyse en termes de flux, reposant sur des techniques ernpruntees bibliometrie, des principaux ecrits en ecologic et en ecologie forestiere, permet d'operer une deuxieme differenciation entre: Les centres convergents : les flux d'information et les reseaux convergent vers eux, La langue nationale corncide avec la langue scientifique employee sur Ie plan international. lis accueillent des scientifiques etrangers et les eeuvres produites par leurs prop res scientifiques sont traduites I'etranger ; Les centres periphertqaes : leurs travaux sont cites regulierernent dans les revues des centres convergents, ou its completent leur formation, pour certains. lis doivent rnaitriser les langues scientifiques dominantes. Leurs etudes sont sou vent redigees en allemand, en anglais voire en francais selon les epoques ou bien accornpagnees d'un resume dans I'une de ces langues. lis accueillent egalement des homologues proven ant re l'etranger ; Les centres marglnaux : dans ces centres, les scientifiques cornpletent la plupart du temps leur formation a l'etranger et its ne recoivent pratiquement aucun etranger, lis sont cites I'occasion d'une ceuvre particuliere, qui repond une preoccupation des . scientifiques des autres centres. Leur visibilite passe par la maitrise de la langue scientifique dominante. En insistant sur les echanges scientifiques, et les cheminements de l'ecologie jusque dans I'enseignement forestier, trois grandes periodes ont ete distlnguees : 1880 - 1915
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(I'ernergence de I'ecologie) ; 1915 - 1945 (une ecologie appliquee mais pas institutionnalisee) et 1945 - 1980 (de l'ecologie de la parcelle I'ecologle systernlque). La chronologie choisie obeit aux grandes pulsations du XXe siecle, Avant la premiere guerre mondiale, I'Allemagne est au coeur des echanges scientifiques en Europe. L'ecologie emerge, mais son utilite n'est percue que par quelques forestiers qui sont encore en debut re carriere et occu pent donc des postes subal ternes. Pendant I' entre-deux-guerres, I' Allemagne exerce toujours son influence notamment sur I'Europe centrale, mais elle a perdu beaucoup de son aura. Une nouvelle puissance scientifique pointe: les Etats-Unis. L'ecologie est alors reconnue dans la foresterie et certaines voies s'elevent en Allemagne pour qu'elle soit admise en tant que discipline pleine et entiere, Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'Europe est partagee en deux et I'AlIemagne ne joue pratiquement plus aucun role. A I'Ouest, ce sont les Btats-Vnis qui ont pris definitivement Ie dessus. A I'Est, I'VRSS tente de s'affirmer sur une Europe qui, dans l'entre-deux-guerres, I'ignorait. L'ecologie devient politique dans les annees 1960 et provenant de l'Amerique du Nord, l'ecologie systernique tente de s'imposer et penetre Ie monde forestier dans les annees 1970, avant de s'affirmer avec Ie phenomene du deperissement des forets dans les annees 1980.
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7 Parde 1., «Naissance et vie de I'IUFRO », Revue Forestiere Francaise, 28, 1976, pp. 478480.
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Premiere partie
La conscience d'une ecologie
1880-1915
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En 1866, Ie vocable fait son apparition, mais iI ne rentre dans Ie vocabulaire scientifique que trente ans plus tard, sans pour autant former une discipline scientifique. Aucun scientifique ne se revendique comme ecologiste et ne milite pour la creation d'une chaire d'ecologle. Elle est percue comme une approche qui trouve son application au sein de disciplines nouvelles ou de courants novateurs. Elle est au cceur de la geobotanique, de la phytosociologie, de la sociologie vegetale, de la pedologic et de la geographic initiee par Paul Vidal de la Blache (1845-1918) en France et par Friedrich Ratzel (1844-1904) en Allemagne, autant de domaines qui tentent, la fin du XIXe siecle, d'obtenir une reconnaissance scientifique et de marquer leur singularite. L'ecologie est aussi propagee, diffusee par un ensemble de reseaux qui partent ou transitent par I' Allernagne, pays au cceur des echanges scientifiques en Europe. Son enseignement superieur attire les chercheurs etrangers et passe alors pour un modele reproduire, sinon s'inspirer. Dans Ie me me temps, l'ecologie s'introduit et emerge dans Ie monde forestier europeen, non sans consequences sur la conception merne de la Foret. Desorrnais I'arbre ne fait plus la Foret. Cette derniere possede une flore, une faune et un type de sol specifiques qu'il s'agit de prendre en compte afin d'arneliorer les capacites de production. L'ecologie fixe des limites au manteau forestier, aux essences et au champ d'action du forestier. En Allemagne et en Suisse, elle rebondit sur la gestion des massifs forestiers, autour d'une sylviculture plus proche de la nature. Le developpernent de I'ecologie doit etre rattache a un ensemble de causes dont ses racines remontent, pour certaines, la fin du XVIIle siecle. A cette epoque, une conception organique succede une vision atomiste de la nature, ou eUe etait reduite la circulation .de molecules entre Ie vegetal, l'animal et Ie mineral. Peu a peu, l'histoire naturelle, qui n'est qu'une pure description de la nature, laisse sa place aux sciences naturelles, I'etude des etres vivants. Dans un tout autre domaine, la revolution industrielle transforme les rapports de I'h?mme avec la nature. La part du bois comme source d'energie diminue au profit de la «foret souterraine », autrement dit Ie charbon ou Ie lignite]. Cette revolution industrielle touche aussi la campagne, rationalisant I'agriculture avec I'usage systematique d'engrais, concentre I'actlvite agricole sur les meilleurs sols, negligeant les terres les rnoins rentables ce qui, aterme, profite ala foret,
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I Sieferle R. P., Der unterirdische Waldo Energiekrise und Industrielle Revolution, Miinchen : Beck'sche Schwarze Reihe, 1982, p. 284.
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Mutations rurales et scientifiques Pouvoir penser la nature en des termes ecologiques a necessite une serie de transformations: I'abandon de I'usage paysan de la foret au profit d'une societe industrielle et technicienne ; I'invention de la vie, d'un temps propre a la nature; I'abandon de I'histoire naturelle au profit des sciences naturelles ; I'attraction du modele universitaire allemand. L'espace interroge Ie scientifique et Ie praticien I'obligeant a revoir son approche lorsque les resultats ne sont pas conformes aux previsions. Autant de facteurs dont la convergence a facilite I'essor de I'ecologie en Europe.
Vers un nouvel usage du bois et de la foret Au XVIIIe siecle, la foret dans la plupart des pays europeens remplit plusieurs fonctions essentielles. Elle est source d' energie tant pour Ie chauffage que pour la cuisson des aliments. Le bois est utilise dans la construction des maisons, des navires. Le sousbois sert de pacage aux troupeaux de bovins et de pores. La ou les conditions ecologlques Ie permettent, la foret est surtout composee de feuillus, oil dominentle taillis et taillis sous futaie. A la fin du XIXe siecle, avec l'Industrialisation, ces elements sont remis en cause, transformant profondement l'aspect de la foret. Si la revolution industrielle s'est d'abord appuyee sur Ie bois energie notarnrnent Ie charbon de bois, I'industrie s'est tournee peu a peu vers la « foret souterraine » : Ie charbon deterrel. Ce dernier degage a pords egal avec Ie bois davantage d'energie. La concentration de la population dans les villes et l 'abaissement des coflts de transport avec Ie developpement du chemin de fer ont favorise son usage au detriment du bois de feu. En outre, I'approvisionnement en bois depend de la croissance annuelle de la foret qui est Iirnitee, ce qui freine la production, En prelcvant plus qu'elle ne produit, I'appauvrissement des matieres premieres et Ie deboisernent menacent. En revanche, les ressources en charbon semblent illimitees, independantes des phenomenes naturels tels les tempetes, Ie gel, etc. En d'autres termes, leur exploitation est previslble sur Ie moyen terme, Abandon progressif du bois comme source d'energie, mais aussi dans les constructions des maisons ou des navires, ou iI n'est plus visible, rneme s'i1 esttoujours employe (charpentes, meubles, parquets, etc.). Le· fer, I'acier et Ie verre prennent les devants et de la hauteur. lis sont juges plus solides, inflammables et hyglenlques-, La foret paysanne perd de son importance sous I'action de deux phenomenes: I'intensification de la production agricole et I'affirmation de I'administration forestiere, La premiere resulte de la revolution industrielle. L'agriculture a d'abord accru les superficies cultivees sur les marais. Les biens communaux ont ete partages et la jachere
I Woronoff D., Forges et forets. Paris: Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1990, p. 263; Schmidt U. E., Der Wald in Deutschland im lB. und 19. Jahrhundert, SaarbrUcken: CONTE Verlag, 2002, p. 433. 2 Corvol A. (ed.), «Les rnateriaux de la ville: du bois au beton », Cahiers d'Etudes n 8, 1998, p. 83. 0
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
MUTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES
abandon nee. Ensuite, l'activlte agraire s'est concentree sur les terres fertiles, enrichies par des engrais. La production est davantage tournee vers l'exterieur (la region, la nation, l'etranger) grace I'extension du chemin de fer et l'amelloration du reseau routier qui permettent l'evacuation du trop plein de bras. Des lors, la Foret est, peu a peu, liberee de la pression paysanne. Ainsi en Baviere, I'elevage porcin s'effectue, pour partie, en porcherie ala fin du XIXe slecle, La nourriture est desorrnais assuree par la pomme de terre cultivee sur d'anciennes jacheres'. Les pores ne sont plus envoyes en Foret. Quant a I'administration forestiere, elle s'efforce de limiter les droits d'usage dans les espaces soumis au regime forestier. Les heurts sont nombreux avec les paysans qui, dans leurs forets communales, privilegient Ie taillis ou Ie taillis sous futaie dont la rotation est assuree en une quinzaine d'annees et les forestiers qui desirent promouvoir la futaie. Toutefois, la deprise rurale permet I'administration forestiere d'imposer ses vues sur I'espace forestier soumis delaisse par les habitants", II s'agit aussi de satisfaire la demande de I'industrie en bois d'reuvre pour les mines, les poteaux telegraphlques, etc. L'integration partir de 1875 de la cellulose provenant du bois dans la fabrication du papier a engendre une nouvelle pression sur la foret, sur Ie bois de mauvaise qualite (taillis, branches, etc.) afin de repondre aux besoins de la societe de I'information, de la presse ecrite dans des societes ou l'analphabetisme recule. La mainmise sur I'espace forestier se joue en parallele avec la formation d'un personnel allant des agents jusqu'aux ingenieurs. Les centres d'enseignement se multiplient dans la plupart des pays europeens (cf. tableau 2). lis propagent leurs idees au travers de revues forestieres qui fleurissent dans la deuxierne moitie du XIXe siecle. L'ensemble de ces centres releve de statuts differents, Certains sont attaches l'universite (Giessen, Saint-Petersbourg, Copenhague), d'autres delivrent une formation propre dans Ie cadre d'une ecole (Nancy) ou dans celui d'une academic (Eberswalde). Tous s'efforcent de promouvoir la futaie, modele de Foret aux antipodes de la Foret paysanne. Avec la futaie, les forestiers defendent leur profession face au courant liberal. A leurs yeux, la gestion de telles forets ne peut s'inscrire que dans la longue duree, que seule une administration est en mesure d'assurer et non Ie proprietaire prive, cense prlvilegier Ie court terme. Le contexte economique de la premiere moitie du XIXe siecle est domine par Ie liberalisme. De nombreuses forets domaniales sont privati sees, souvent pour assurer des rentrees d'argent dans les caisses des Btats. Ainsi les forets publiques chutent en France de 1.122.000 ha en 1827 967.000 ha en 1877 et en Autriche, entre 1855 et 1885 de 1.290.500 ha a 634.000. En Suede, les forets du sud du pays sont les plus touchees, Apres I'unification de l'Italie, en 1866, Ie royaume abolit la feodalite dans Ie sud du pays et secularise les biens des couvents. De multiples forets passent sous la coupe de I'Etat qui les vend afin de repondre ii une crise financlere. En Allemagne, la resistance des agents forestiers et Ie manque de moyens des acheteurs attenuent les effets de la privatisation du manteau forestier. En Baviere et en Prusse, I'administration forestiere en profite pour vendre des massifs isoles et de faibles surfaces done difficilement gerables. Cette epoque
est marquee en Europe par un recul du manteau forestier sous la pression demographique et de I'industrie consommatrice, ii ses debuts, de charbon de bois 5. -
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3 Mantel K., « Die Entwicklung von Wald und Forstwirtschaft in Deutschland im 19. Jahrhundert und ihre Auswirkung auf die Raumplanung der Gegenwart », Historische Raumforschung, 6, 1967, pp.I-34. 4 Buttoud G., CEtat forestier. Politique et administration des forets dans l'histoire francaise contemporaine, These doctorat d'Etat, Nancy: INRA, 1983, p. 185.
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I 1
Etats
Dates
Lieux
Revues
Russie
1803 1869 1808
St-Petersbourg
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Hongrie Saxe Empire autrichien Wurtembera France Suede Prusse Thurinze Hesse
Baviere Croatie Principaute de Finlande Roumanie Suisse Danemark Belgique
1810 1813 1849 1817 1824 1828 1830 1830 1831 1844 1860 1862 1894
Pulavv'' Schemnitz (Banska Stiavnica) Tharandt Mariabrunn Praeue Tttbinzen Nancy Stockholm Eberswalde Eisenach Giessen Aschaffenboura Krizevci sur Azram? Evo Pres de Bucarest Zurich Conenhaaue
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Tharandter Forstliche Jahrbuch (1868) Centralblatt fur das gesamt Forstwesen ( 1875) Allgemeine Forst-und Jagdzeitung (1825) Revue des Eaux et Forets (1864) Tidskrift for skof!shushdllni1lf!(1873) Zeitschrift flir Forst- und Jazdwesen (1870) -
Allgemeine Forst-und Jagdzeitung (1825) Forstwissenschaftliches Centralblatt (1879) -
Acta Forestalia Fennica (1909) -
Schweizerische Zeitschrift fur Forstwesen (1849) Tidsskrift for skovvaesen (1889) I Bulletin de la Societe Royale forestlere de I ,, Belglaue (1858)
Tableau 2. Fonda/IOn des principaux centres de formation des ingemeurs [orestiers en Europe avec leurs revues.
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Dans la seconde moine du XIXe siecle, on assiste un changement de politique.Les lois forestieres se multiplient reglementant I'acces a la Foret et son usage ainsi dans I'Empire austro-hongrois, la loi de 1852 sert de modele en Hongrie (1879), Roumanie (1881), Bulgarie (1884) et Serbie (1891). La Prusse rompt avec Ie Iiberalisrne en matiere forestiere en 1875. Les forets publiques sont desormais du ressort du rnlnistere de I'agriculture et non plus de celui des finances. L'Empire austro-hongrois avait procede a 5 Sur ce point, il rr'existe guere de donnees fiables a l'echelle europeenne, en raison de ('absence d'inventaires forestiers dans de nombreux pays europeens, Nous ne disposons de statistiques que pour les Etats dont les administrations forestieres etaient relativement anciennes. Voir Radkau 1., \ Schafer I., Holz. Ein Naturstoff in der Technikgeschichte, Reinbeck bei Hamburg: Rowohlt, 1987, p.313. 6 Cetle academic, fondee en 1816, a Marymont non loin de Varsovie, fut transferee a Pulavy en 1869, puis sur Varsovie en 1916. Voir Kossarz W., Der Wald in den Volksrepubliken des Donauraumes, Wien: Verlagsunion Agrar, 1984, p. 254. 7 Cetle ecole passe au rang d'acadernie forestiere en 1898, ibid.
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LA CONSCIENCE D/UNE ECOLOGIE ce transfert en 1872. La France suit en 1877. Le statut de la foret change, elle revet une vertu protectrice, hygienique. Elle a pour mission d'oxygener les habitants des villes ainsi que ceux des zones marecageuses. En montagne, elle protege Ie sol du ravinement, empeche les inondations de la plaine et, sur Ie littoral, elle flxe les dunes. Autant de domaines qui relevent du bien public, done de l'Etat. Des lois instituant Ie role protecteur de la foret sont prornulguees en Prusse (1875), en Suisse (1876), dans I'Empire russe (1888), en Suede (1903), en Italie (1910). Certaines sont prises a I'issue de catastrophes naturelles. La methode semble avoir ~t~ inauguree en France a la suite des inondations de 1840 et de 1856. Leur coflt pour les pouvoirs publics conduit Ie regime de Napoleon III a imposer une premiere loi sur Ie reboisement des terrains de montagne en 1860. Elle sera suivie de deux autres en 1864 et en 1882. Le precede a demontre son eff'icacite : une catastrophe, des cris d'alarrne, pression et occasion pour les pouvoirs publics de reagir. II est, a nouveau, employe en Baviere, apres les inondations de I'hiver 1874/1875, ou il s'agit aussi de lutter contre les deboisements abusifs des proprietaires prives qui profitent des cours favorables du bois. Les crues d'octobre 1882 contraignent les autorites du Tyrol, en 1883, et de la Carinthie, en 1884, a prendre, a leur tour, des mesures de protection... Des travaux de reboisement sont menes en montagne, mais aussi sur Ie littoral notamment au Danemark, apres 1866, a la suite de la defaite face a la Prusse qui s'est soldee par la perte du Schleswig-Holstein. Desorrnais, iI faut mettre en valeur des terres peu fertiles situees dans Ie JUtland. Des pins sont plantes pour fixer les dunes et proteger les cultures du vent. D'actives politiques de reboisement sont rnenees en Suede dans Ie Norrland'tdans Ie Karst (au Sud de I'empire austro-hongrois), dans les steppes en Russie et dans les regions de landes, que ce soit en France (Sud-Ouest), en Allemagne (Lunebourg). Au travers de cette politique de protection, l'Etat assure sa predominance sur des espaces restes souvent en marge de son autorite, notamment les zones marecageuses et de montagnes. Les populations locales ont d'ailleurs rnanlfeste leur hostilite parfois avec violence a cette pratique qui les depossede de leur droit d'usage'', En un siecle, un changement de perspective s'est opere. Dans Ie premier tiers du XIXe siecle, les deboisernents en montagne sont concus com me un moyen d'accroitre la superficie agricole et d'eradiquer Ia faune sauvage (Ioups, lynx, ours). Dans Ie second tiers, it n'est question que de reboisements et d'empecher les montagnards de perpetuer leurs pratiques jugees criminelles (elevage de la chevre et du mouton). Le forestier a une mission d'Interet general, mais, pour la premiere fois, il est confronte a des terres vierges d'arbre. II doit constituer (a ses yeux a reconstituer) une foret au nom du bien-etre des populations et non a regenerer un massif en Ie transformant en une futaie. II doit aussi repondre a la penurie de bois d'oeuvre jugee menacante par Albert Melard (1842-1901), qui dirige I'amenagernent des forets publiques en France, mais aussi par Max Endres
8 Ces forets avaient ete confiees dans un premier temps a des societes industrielles, qui comptaient
sur la regeneration naturelle pour renouveler Ie bois abattu, mais cela n'a pas fonctionne comme prevu. II a fallu avoir recoursaux reboisements. 9 Kalaora B., Foret et Societe au X1Xe siecle. La seve de Marianne, Orleans: INRA, 1980, p. 130 ; Corvol A., L'Homme aux Bois. Histoire des relations de l'homme et de la foret XVlle-XXe siecle, Mesnil-sur-l'Estree : Fayard, 1987, p. 585. 16
MDTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES (1860-1940), professeur de politique forestiere a l'universite de_ Munichl'', Ce combat pour transformer la foret en futaie et etendre Ie manteau forestier s'engage dans un contexte scientifique nouveau qui permet de faire face aux obstacles rencontres.
Un nouvel espace mental
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Quatre facteurs ont favorlse I'eclosion de I'ecologie et offert cette dernlere I'occasion de s'affirmer a la fin du XIXe siecle : I'adoption d'un langage commun par les scientifiques pour la designation des plantes, I'invention de la vie, I'introduction du temps dans la nature et la Iatclsation de la science. A partir du XVle siecle, I'expansion europeenne ouvre a la curiosite des naturalistes de nouveaux territoires et surtout des especes vegetales et ani males inconnues a inventorier. En 1542, Leonhardt Fuchs (1501-1566), professeur a Tiibingen, en distingue 500. Au debut du XVlIe siecle, Ie botaniste Francais Joseph Pitton de Tournefort (16561708) recense 10.000 plantes qui passent a 30.000 au debut du XIXe siecle d'apres 1l Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841) pour atteindre 90.000 en 1850 . Leur inventaire suppose un classement admis par chaque scientifique ex prime dans un langage identique pour faciliter la communication des travaux et contribuer ainsi a la formation d'une communaute scientifique. L'augmentation quasi-exponentielle du nombre des especes a contraint les naturalistes a rechercher de nouvelles methodes de classification. Au XVle siecle, les plantes sont ordonnees en fonction de leurs activites, de leurs aspects exterieurs, Ainsi, en 1599, Ie professeur de rnedecine et de botanique a l'universite de Bologne Ulisses Aldrovandi (1522-1604) dans son Ornithologla range les especes d'oiseaux selon les categories suivantes: «oiseaux a bee robuste », « oiseaux chantant bien »12. Au XVlIe et surtout au XVIlle siecles, ce systeme disparait au profit d'une autre structure qui compartimente les especes en families, ordres, especes grace I'apport de naturalistes com me Tournefort et Ie Suedois Carl von Linne (1707-1778). Ce dernier enferme la nature dans une nouveIle taxlnomle et fonde un systerne qui exclut Ie our-dire, la saveur, Ie gout ... , lexique relevant dela subjectlvite qui ne permet pas de classifier d'une facon claire et precise les etres vivants. Dans un premier temps, Linne use d'un binorne pour definir les especes qui se volent dotees d'un nom generique et d'une caracteristlque sous la forme d'un adjectif ou d'un substantif. II applique ce systeme aux animaux puis aux plantes a partir de 1753. Ainsi Ie chene (Quercus) devient : Quercus Robur ilex. Mais nom mer n'est pas c1asser. En d'autres termes, donner un nom a une espece n'est pas suffisant, si elle n'interesse pas une serie d'ensernbles, qui I'aff~ctent a une filiation. C'est ainsi que Linne, dans un second temps, structure Ie monde ammal en six grandes classes: mammiferes, oiseaux, amphibiens, poissons, insectes, vers, divisees en ordre et subdivisees en especes, Pour classer ces dernieres, it utilise pour les plantes un « systeme sexuel » en fonction des etamines (males) et des pistils (femelles), elements qui
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10 Endres M., Handbuch der Forstpolitik mit besonderer Beriicksichtigung der Gesetzgebung und Statistik, Berlin: Springer, 1922, p. 905 ; Melard A., Insuffisance de la production de bois d'ceuvre dans le monde, Paris: Imprimerie Nationale, 1900, p. 119. II Thomas K., Dans le jardin de la nature. La mutation des sensibilites en Angleterre a l'epoque moderne (l500a 1800), Paris: Gallimard, 1985, p. 408. 12 Mayr E., Histoire de la biologie, Paris: Fayard, 1989, p. 240.
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MUTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES
relevent de la vue. Ce systerne n'est pas applique integralement, Les travaux de scientifiques, tels Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836) et A. P. de Candolle, associent d'autres caracteristiques afin de definir les especes com me les petales. La taxinomie prend alors une place preponderante en botanique et zoologie jusqu'aux annees 1880, epoque ou elle connalt une nette desaffection pour des raisons internes cette discipline (querelles sur la phylogenie, incertitudes dans les classifications pour les niveaux les plus cleves comme les ordres, les classes, etc.) et des raisons externes avec la concurrence de disciplines qui attirent les jeunes chercheurs comme la genetique, la physiologie et la biochimie. Ainsi tout ce qui sert a determiner une espece reside dans la plante elle-meme, a aucun moment Ie milieu n'intervient. Les botanistcs travaillent sur des plantes sechees, recoltees au cours des voyages. Pourtant, en parallele a leur travail, I'etude du vivant. L'ecologie etudie les etres vivants. Cela suppose, au prealable, que la vie soit reconnue et qu'elle fasse I'objet d'une science appelee : biologie. Au XVIIIe siecle, cet « espace mental» n'existe pas. L'hlstoire naturelle, qui est professee, est d'abord une description de la realite, Les etres vivants sont classes par les naturalistes comme des assemblages de fleurs et de fruits, de tiges et de racines « avant d'etre respiration ou liquide internes »13. Rien ne differentie les plantes d'une pierre, toutes les deux possedent des proprietes identiques - gravlte, inertie, temperature, etc. -, et elles sont soumises aux memes forces physiques. C'est avec Georges Cuvier (1769-1832) que la vie emerge, car il s'Interesse d'abord aux fonctions des organismes plutot qu'a leurs organes. La vie se distingue du monde non-vivant (Ie mineral) et, en 1786, l'anatomiste Felix Vicq d'Azir (1748-1794) de declarer: «Il y a seulement deux empires, l'un decide de la vie, l'autre non »14. Cette notion modifie la theorie mecaniste alors en vigueur en instaurant un nouveau domaine, en postulant que les animaux, les plantes sont autres choses que des machines, qu'ils ont leurs proprietes que les lois de la physique et de la chimie ne peuvent expliquer. Ce faisant, ils relevent d'un champ de recherches specifiques : la biologie. Ce mot apparalt pour la premiere fois en 1800 dans un ouvrage du rnedecin Karl Friedrich Burdach (17761847)15. II est employe dans Ie sens d'une discipline globale qui englobe la morphologie, la physiologie et la psychologic. II est utilise en France en 180! dans un livre de I'homme de medecine Xavier Bichat (1771-1802) intitule : Anatomie generate appliquee la physiologie et la medecine. Enfin, en 1802, il integre un titre: Biologie oder die Philosophie des lebende Natur fur Naturforscher und Artze (Ia biologie ou la philosophie de la nature vivante pour les naturalistes et les medecins) de Gottfried Reinhold Treviranus (1776-1837), un physiologiste et mathematicien. A I'aube du XIXe siecle, la biologie prend son autonomie en ayant pour objet Ie vlvantl''. La vie des plantes et des animaux se deroule de la naissance a la mort. Elle s'inscrit dans Ie temps or, en ecologic, cette notion joue un role essentiel. Jusqu'a la fin du XVIlIe siecle, I'histoire naturelle decrit, raconte, mais ne fait pas de l'histoire. En outre, la nature n'a de passe que biblique. Le temps est religieux, il a une origine, un lundi matin 9
heures en 4.004 avo J.-c. ou 6.000 ans pour les maxirnalistes et une fin : I'apocalypse, mais seul Dieu en connait la date. D'ici la, il faut pre parer I'Homme a la parousie!", Or, au XIXe siecle, ce temps se laicise, il ignore I'origine et devient l'objet central de sciences comme la therrnodynamique et la geologie, qui donnent une histoire it la Terre faisant exploser Ie cadre chronologique traditionnel avec une planete qui n'a plus quelques milliers d'annees d'existence mais des dizaines de millions l8. Charles Darwin (18091882) paracheve ce travail en dotant I'espece humaine d'un passe biologique et pose d'une facon aigue Ie problerne de l'evolutlon des especes, En imposant un temps autre que biblique la science evacue Dieu de la nature afin que I'homme puisse en expliquer son fonctionnement sans pour autant avoir recours it la volonte divine (Linne) ou au hasard (Adanson I9) . Au debut du XIXe siecle, une mutation s'opere. La theologie perd pied dans I 'explication du monde, mais aussi dans la politique. A la faveur de la Revolution franliaise, un nouveau type de legltimite emerge hors de toute volonte divine. La science fournit des explications sur Ie jell des forces naturelles, ce qui depossede la Bible de son statut cosmogonique. La creation du monde en six jours et Ie deluge sont ainsi mis mal par la paleontologie et la geologie. Enfin Darwin fait perdre it I'Homme son statut de creature fait a I'image de Dieu. La nature ne releve plus que de la sclence-", Au XVIIIe siecle, la nature est pensee comme etant it la fois continuelle, harmonieuse mais aussi mecanique. Les naturalistes s'evertuent a gommer les caracteristiques, it reduire les signes distinctifs. Quand Linne fonde sa taxinomie, il reduit la classification entre les especes a deux elements: pistils et etamines, Au XIXe siecle, avec l'individualisme, l'espece s'autonomise, il « n'est plus question ... des possibilites de l'etre rmais bien] des conditions de vie »21. II faut reinstaller des causalites nouvelles pour expliquer l'ordonuancernent de la nature. En dotant la nature d'une longevite superieure it celie de l'homme, d'une histoire anterieure a I'etre humain, en remettant en cause la version biblique de l'origine de la vie, tout concourt it faire perdre la place de I'Homme comme creature finale laquelle tout est dedte. La nature n 'est plus jugee par rapport it I'homme, elle devient une inconnue dont il faut redefinir Ie mode de fonctionnement, retrouver les lois, ce qui lui est propre. Ai?si Darwin demontre que l'orchldee possede des caracteres qui lui permettent de mleux affronter l'existence et ne repond en aucune facon it la volonte divine de donner it I 'Hurnanite' un bel objet.
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13 FoucaultM., Les mots etles choses, Paris: Gallirnard, 1966,p. 149. 14rrepl L., Geschichte der Okologie. Vom 17. .lahrhundert his zur Gegenwart, Frankfurt am Main: Athenlium Verlag, 1987, p. 79 ; Jacob F., La logique du vivant, une histoire de l'heredite, Mesnil : Gallimard, 1993,p. 354. 15 Burdach K. F., Propadeutik tum Studium der gesamten Heilkunst. Ein Leitfaden adademischen vorlesungen. Leipzig: Breitkopf & Hartel, 1800, p. 260. 16GusdorfG., Le Savoir romantiquede la nature, Paris: Payot, 1985, p. 345. 18
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De l'histoire naturelle aux sciences naturelles Au debut du XIXe siecle, la nature releve de I'histoire naturelle, it la fin de ce siecle des sciences naturelles. Derriere ce changement d'enonce, il se cache une approche 17 Bowker G., « Les origines de I'uniformitarisme de Lyell: pour une nouvelle geologie », in M. Serres (ed.), Elements d'histoire des sciences, Paris: Bordas, 1989, pp. 387-405. 18En parallele, en 1813,Ie rnathematicien Francais Pierre Simon de Laplace (1749-1827) explique . que les etoiles resultent d'un jeu de hasard et des lois de la mecanique c'est-a-dire d'une condensation de nebuleuses sur de tres longues periodes, en d'autres lermes Ie systeme solaire s'etait passe de la main de dieu pour se stabiliser. 19 Adanson M., Cours d'histoire naturelle, Paris, 1772. 20 Lenoble R., Histoire de l'idee de nature, Paris: Albin Michel, 1969, p. 381. 21 Foucault M., Les mots et les choses, op. cit., p. 287. 19
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differente de la nature et de la pratique scientifique. Durant la premiere moitle du XIXe siecle, I' enseignement de I' histoire naturelle embrasse, entre autres, la chi mie, la mineralogie, la geologie, la climatologie, fa botanique et la zoologie. Dans la deuxieme moitie, ces differentes disciplines prennent leur liberte et sont enseignees par des professeurs differents. Ainsi, a son arrivee a l'universite de Poitiers en 1865, Charles Contejean (1824-1907) est charge des cours de botanique, de geologie et de mineralogic. En 1876, sa chaire est dedoublee en une chaire de botanique et une de geologte/mineralogie, Dans ce processus d'autonomisation, la botanique tient une place part. Dansles annees 1870/80, elle est une discipline scientifique peu estimee dont Ie savoir depend etroltement d'arnateurs, souvent de pretres qui trouvent Ie temps d'herboriser. Pour etre titulaire d'une chaire de botanique, il n'est pas necessaire d'avoir suivi un cursus scientifique dans la discipline. Ainsi l'Allemand Oskar Kirchner (1851-1925) effectue des etudes de philologie a l'universlte de Breslau (I'actuelle Wroclaw) tout en suivant en auditeur libre des cours de botanique. II finit 'par devenir professeur de botanique a l'academie d'agronomie de Hohenheim en 1881 (pres de Stuttgart). Nombreux sont les titulaires de chaires de botanique, parmi les fondateurs de I'ecologie, avoir fait des etudes de medecine ou de pharmacie, OU ils ont appris determiner les plantes pour pouvoir fabriquer quelques rernedes a I'exemple de I'Autrichien Anton Kerner von Marilaun (1831-1898) et de I'Allemand August Grisebach (1814-1879)22. En fait, s'engager dans la botanique, c'est emprunter une voie peu porte use de prestige social n'offrant guere de debouches. C'est ainsi que, en 1825, A. P. de Candolle, professeur d'histoire nature!le a I'universite de Montpelller, encourage son fils, Alphonse, a faire des etudes en droit, ce qu'i1 effectue, mais Ie virus de la botanique est Ie plus fort et il devient professeur de botanique a I'academie de Geneve en 1835, succedant a son pere, muni d'un doctorat en droi t. .. Dans Ie dernier tiers du XIXe siecle, la botanique, et au travers elle les sciences de la nature, connait une promotion. Plusieurs signes traduisent ce changement. Les societes naturalistes, de sciences naturelles, linneennes prollferent dans la seconde moitie du XIXe siecle en Europe. On peut ainsi citer la societe des naturalistes de Moscou (1829), celles des Grisons en Suisse (1854) et de Hanovre (1850), qui se dotent toutes d'un bulletin offrant ainsi des tribunes supplernentaires. Des societes de botaniques voient Ie jour en France (1854), en Allemagne (1882), en Suisse (1891), etc. Deux revues allemandes sont fondees : Ie Botanische Jahresbericht (Compte rendu annuel de botanique), en 1872, etle Botanische Zentralblatt (Feuille centrale de botanique), en 1880, dontla mission consiste resumer les articles et ouvrages publics ayant trait fa botanique dans les principales revues allemandes el etrangeres, signe d'une multiplication des publications. La chaire de botanique au Museum d'Histoire nature lie Paris abandonnee en 1853 est recreee en 1874. En 1885, I'agregation de sciences naturelles est retablie apres avoir ete supprimee en 1869 faute de candidats. La professionnalisation gagne la botanique, qui tend a relever d'un personnel forme dans cette discipline. Les botanistes amateurs sont progressivement ecartes et leurs travaux n'obtiennent plus la reconnaissance des universitaires. lis ne sont plus cites. Ce processus suit un rythrne different selon les disciplines, les champs scientifiques nationaux et les espaces abordes, Ainsi, dans la seconde moitie du XIXe
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22 Kerner von Marilaun devient professeur de botanique it Innsbruck en 1860 et Grisebach
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Gottingen en 1841. Voir Dupuy M., Bibliographies d'ecologues forestiers, Nancy: ENGREF, 2004 (Sous presse) 20
siecle, les amateurs delaissent la physiologie vegetale qui se developpe autour de laboratoires equipes de microscopes, done exigeant un investissement initial important. En revanche, i1s se maintiennent dans la geobotanique, ou l'equlpement est moindre et qui repose davantage sur I'observation. Toutefois, en Allemagne, des la fin du XIXe siecle, les travaux dans ce domaine relevent d'universitaires, les amateurs disparaissant des sources. En France, il faut attendre la fin des annees 1930 pour voir les botanistes professionnels s'affirmer. Enfin, pour les regions et continents peu explores (Afrique, Australie, les Cevennes), les scientifiques s'appuient, faute de rnieux, encore sur les comptes-rendus de voyageurs/-', Au sein de la botanique, la physiologie vegetale s'affirme au detriment de I'anatomie. Elle s'ecarte du modele, ou la vie n'est reduite qu'a un simple phenomene physicochimique, ou I'objet d'etudes est divise, morcele, Desorrnais, il faut prendre la plante vivante en son entier comme Ie souligne Ie botaniste Allemand Mathias Jacob Schleiden (1804-1881) dans les annees 1840. Cette orientation physiologique separe les sciences biologiques de I'histoire naturelle. Le premier institut de physiologie est fonde a Breslau (Wroclaw) en 1839 et a pour directeur Ie Tcheque Jan Evangelista Purkyne (1787-1869). Cette voie experimentale se propage a I'agronomie, car I'intensification de la production agricole passe par la multiplication des stations de recherches agronomiques. Des recherches sur I'effet des engrais, la selection des plantes ou d'animaux sont amorcees. En 1840, un laboratoire, qui va faire ecole en Europe, est fonde, dirige par Justus von Liebig (1803-1873), a l'universite de Munich. L'introduction de la recherche en agronomie rejaillit sur la foresterie et les stations de recherches forestieres voient Ie jour en Allemagne avant de s'etendre aI'Europe. La generalisation des stations de recherches forestieres au sein des Etats europeens signifie qu'a I'experience du forestier se substitue I'experlmentation du chercheur. Pour Ie forestier Francais Henri Perrin (1883-1959), les sciences forestieres delaissent « le domaine de la contemplation »24. Indepen~amment de la longevite des massifs, la foret et I'arbre peuvent done faire l'objet de recherches a l'echelle humaine. Ensuite, un nouveau statut apparait parmi la foresterie: Ie chercheur cote de eel ui d' enseignant et de praticien. Desorrnais, il est possible de faire carriere en foresterie sans passer par Ie terrain. Les premiers a explorer cette voie sont les suisses a I'image de Philip Flury (18611941). Titulaire d'un diplome d'Ingenieurforestier en 1885, iI effectue son stage pratique puis entre, en 1888, a la station de recherches forestieres federale pour se consacrer a la mise au point de tables de production. II ne la quitte qu'a sa retraite en 1934. Enfin, la plupart des stations se dotent d'une revue dans laquelle les resultats des travaux sont publies, Ces articles se distinguent de ceux parus dans les revues des ecoles forestieres par leur caractere plus scientifique, et technique, denotant aussi qu'il existe un public interesse et competent qui de passe souvent Ie simple champ national. Toutefois, au debut du XXe siecle, la recherche reste encore du ressort des enseignants qui ne disposent pas de tous les moyens necessaires, ni de la me me liberte que leurs homologues au sein de I'universite. En effet, les preoccupations de I'administration forestiere servent de cadre general aux divers programmes de recherches comme a ~
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23 Engler A., Die Pflanzenwelt Afrikas insbesondere seiner tropischen Gebiete. Grundziige der
Pflanzenverbreitung in Afrika und die Charakterpflanzen Afrikas, Die Vegetation der Erde 9, Leipzig: Engelmann, 1910, p. 1029. 24 Perrin H., « Les recherches forestieres en France », Annales de l'Ecole Nationale des Eaux et Forets, 2, 1928,p. 141. 21
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l'academie forestiere d'Eberswalde (Prusse). Les etudes scientifiques portent sur des problernes concrets pour lesquels iI faut trouver une reponse rapide. C'est ainsi que, en 1901, Robert Albert (1869-1952), pedologue de formation, integre Eberswalde avec pour mission d'apporter une explication aux echecs repetes dans Ie reboisement de certains secteurs des landes de Lunebourg. En France, la situation est ditferente, une station de recherches a bien ete creee, mais celle-ci dispose de moyens mediocres, d'aucune revue et Ie personnel qui y officie doit faire face a l'hostilite d'enseignants qui y voient une menace sur leur pouvoir scientifique. En fait, cette station a ete fondee en reaction a ce qui se deroulait en Allemagne, pour ne pas paraitre en reste vis-a-vis du mouvernent europeen. En outre, Ie eli mat en France n'est guere favorable la recherche agronomique et forestiere. L'augmentation de la productivite agricole deleste les campagnes d'une partie de leur bras. Les produits etrangers (bles americains et roumains) concurrencent la production hexagonale. II faut alors lutter contre l'exode rural qui vient enrichir un proletariat urbain juge dangereux. Les campagni;:s sont les assises de la IIIe Republique qu'elle se doit de preserver. La recherche patit de cette situation. Pour Ie XIXe slecle, la derniere station agronomique est fondee en 1887, une prochaine ne voit Ie jour au XXe slecle qu'en 1925 ... En 1892, les lois Meline en instaurant des tarifs douaniers eleves achevent d'enfermer Ie monde rural. En Europe, les stations de recherches forestieres s' organisent en reseau, Le mouvement est parti de l'Allemagne. En 1868, lors de la 26° assernblee des forestiers et agriculteurs allemands a Vienne, un comite de cinq membres est constitue afin de definir les priorites en matiere de recherche/>. Ce comlte reclarne la constitution d'une federation (Bund) des differentes stations de recherches a la suite d'une reunion a Ratisbonne (Baviere), en novembre de la meme annee, Le reseau prend forme et les stations germent : Bade (1870), Prusse (1872), Wurtemberg (1872), etc., affichant d'abord l'unite de I'espace allemand. D'autre part, les methodes, les approches et surtout les objectifs s'uniformisent pour les rendre comparables. On assiste la formation d'une communaute scientifique. En 1890, au congres international d'agriculture et de foresterie de Vienne, Ie principe d'une organisation internationale des stations de recherches (IUFRO) est pose et voit Ie jour en 1892, a Eberswalde reunissant, au depart, les stations des pays germanophones. L'absence de representation officielle de la France tient a I'attitude des autorites francaises. En 1890, lors de la reunion de Vienne, les Francais Lucien Boppe (1834-1907) et Gaston Huffel (1857-1935), tous les deux enseignants a Nancy, sont bien presents mais a titre prive 26• En 1893, la France est de nouveau invitee a celie de Mariabrunn (pres de Vienne) mais « Les delegues francais, MM. Boppe et Huffel, ainsi que ceux de Baviere, sont personnellement empeches de se rendre l'invitation, que declinerent la Russie et la Suede »27. Malgre tout, cette mise en reseau international des
stations de recherches a joue un role important dans la diffusion des travaux en matiere forestiere et a encourage l'Integration de la foresterie dans la voie experimentale.
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25 Ces cinq sont Joseph Wessely (1814-1898), de Mariabrunn (Autriche), Gustav Heyer, de Hann.-
MUnden (Prusse), Ernst Ebermayer, d' Aschaffenburg (Baviere), Johann Friedrich Judeich (18281894), de Tharandt (Saxe) et Franz von Baur (1830-1897) de Hohenheim (Wurtemberg). Voir Wegener H.-J., Verantwortung flir Generationen. 100 Jahre Deutscher Forstverein, Gottingen : Hainholz Verlag, 1999, p. 352. 26 Tous les deux enseignaient li I'Ecoie des Eaux et Forets de Nancy. A l'epoque, Boppe enseignait et Huffel etait charge de cours en economie forestiere et amenagement, 27 Huffel G., « La premiere reunion a Mariabrunn (Autriche), de I'Association ·intemationale des stations de recherches forestieres », Revue des Eaux et Forets, 33, 1894, p. 169. 22
Annees de Revues des stations fondation Bade 1870 Mitteilungen der badische forstliche Versuchsanstalt 1937) Saxe 1870 Mitteilungen aus der sachsischen forstlichen ~ ersuchsanstalt zu Tharandt (1912-1929) Prusse 1872 Mitteilungen aus dem forstlichen Versuchswesen Preussens (l904?-1912) ~urtemberg 1872 Mitteilungen der wtirttembergischen forstlichen iv ersuchsantalt (1906?) 1874 Mitteilungen aus dem forstlichen Versuchswesen Vienne 28 Osterreichs (1877) 1875 talie ~nnali del Regio Istituto Superiore Forestale Nationale, Firenze (1914) Brunswick 1876 Baviere 1881 A-Isace1882 Monatsbericht tiber die Beobachtungsergebnisse der Lorraine Icorstlich-meteorologischen Stationen in ElsaB-Lothringen 1882-1888) Danernark 1882 lForstlige Forsegsvaesen i Danemark (1905) France 1882 IAnnales de l'Ecole nationale des eaux et forets et de la Nancy) Station de recherches et experiences forestieres (1923) Hesse 1882 aoon 1887 1888 ~uisse Mitteilungen der Schweizerischen Centralanstalt fur das orstliche Versuchswesen (1891) Hongrie 1898 IErdeszeti Kiserletek (1899) lBel.eioue 1896 1902 Suede lMeddelanden den fran Statens skogsforsoksanstalt (1904) tEtats-Unis 1909 Russle 1909 Finlande fommunicationes ex Institut quaestionum forestalium 1917 Flnlandiae editae (19·19) Norvege 1917 Meddelelser fra Vestlandets Forstlige Forsoksstation 1917) Roumanie 1933 Tableau 3. Chronologie de la creation des stations de recherches 1870-1917 avec leurs revues. Source: d'apres Grandeau L., 1905-1907. Lieux
1 1
a Mariabrunn, Voir Hasel K., Forstgeschichte. Ein Grundrififur Studium und Praxis, Hamburg-Berlin: Parey, 1985, p. 258. 23
28 En 1887. la station de recherches est transferee
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
MUTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES
Un rapprochement des forestiers avec Ie monde universitaire , Ju~que dans la se~ond~ rnoitie du XIXe siecle, dans la plupart des pays d'Europe, I enseignernent forestier s est forme en dehors de l'universite, et des grands centres u~b~ins afin de rapprocher les forestiers du terrain, d 'autant plus que I'unlversite n'est, en general, pas preparee a assurer une formation dans une science appliquee. II s'aglt aussi d'ecarter les eteves du monde urbain, des« plaisirs faciles » et de les preparer la vie austere d'Ingenieur forestier. Les forestiers jouissent d'une reelle autonomie. lis ecrivent et puisent leurs sources dans des revues forestieres, qui ne sont guere consultees par les universitaires. Cette dichotomie se confirme au niveau des editeurs avec ceux qui publient des o~vrages d'agronomie ou de foresterie comme Berger-Levrault (Nancy) et Paul Parey (Be~IIO), et. ceux qui assurent la publication de manuels de botanique comme Masson (Pans) et FIscher (lena). Toutefois, it la fin de ce siecle, ces differences s'estompent. En effet, .I'augmentation de la masse des connaissances sclentifiques exige une formation forestiere plus longue et plus approfondie. Initialement de deux annees dans la plupart des pays europeens, I'enseignement est rallonge, iI passe de trois it quatre ans.
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Etats Allernagne AutricheHonarie Principaute de Finlande Roumanie
Centres Aschaffenbourg Mariabrunn
Annees 1878 1875
Lieux Munich Vienne
Statuts Universite Ecole superieure d'agronomie
Evo (1862)
1908
Helsinki
Universite
Bucarest (1883) 1918 Bcole d'enseignement sunerieure " Tableau 4. Transfert de la formation forestiere au setn de l'enseignement superieur avant 1918.
agricoles en Allemagne. Des forestiers inities aux sciences naturelles emergent comme Ie Fran~ais Edmond Henry (1850-1932). Apres avoir acheve ses etudes a I'Ecoie des Eaux et Forets de Nancy en 1873, iI Y est attache aupres de l'agronome Louis Grandeau (18341911) en tant que preparateur et entame alors des etudes en sciences naturelles a ['universite de Nancy, avant de succeder a Auguste Mathieu (1814-1892) en 1880, comme charge des cours de geologie, de mineralogic et de zoologie. Ce complement de formation dans les sciences naturelles ouvre aux forestiers les colonnes de revues non-forestieres, Ainsi Henry est charge de la partie pedologie au sein des Annales de Geographic a partir de 1891. Une revue forestiere allemande, Ie Forstlich Naturwissenschaftlich Zeitschrift (Revue forestiere et naturaliste), offre I'opportunlte a des botanistes de s'y exprimer. Elle a ete fondee en 1892 par Ie baron Carl von Tubeuf (1862-1941), alors maitre de conferences en botanique a I'ecole superieure d'enseignement technique de Munich30 . Cette revue se voulait etre un interrnediaire entre les sciences naturelles et Ie monde forestier. Cette experience unique a perdure jusqu'en 1920. Des agronomes, des forestiers allemands et suisses (Jaccard, Arnold Engler) s 'y sont ex primes, ainsi que des botanistes comme Andreas F. W. Schimper (1856-1901), soit autant de personnalites qui ont laisse un nom dans I'histolre de l'ecologie, Peu a peu les passerelles s'etablissent entre la foresterie et Ie monde des sciences naturelles. En fait, on assiste it une uniformisation de la pratique scientifique : place plus importante donnee a la recherche et au laboratoire, role des revues scientifiques dans la diffusion du savoir et professionnalisation du personnel, soit autant d'elernents qui favorisent la diffusion de I' ecologle dans les sciences forestieres et dans laquelle l'Allemagne tient une place preponderante.
Le modele allemand I
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En France, I'Bcole forestiere de Nancy, partir de 1889, ne recrute les eleves que s'Ils sortent de I'institut agronomique a Paris ou de I'Ecoie poly technique. Dans quelques pays d'Europe, la formation forestiere passe sous la coupe des universites ou des ecoles superieures d'enseignement technique. L'opportunite est ainsi offerte aux etudiants en foresterie de poursuivre leur cursus jusqu'au doctorat, done d'effectuer un travail de recherche. Si plusieurs centres integraient I'enseignement superieur, des forestiers ont pr~cede. Ie. mouvement en cornpletant leur formation initiate par des etudes universuaires. Ce lien a toujours existe, mais leur interet s'est porte davantage sur Ie droit et la cameralistique que sur les sciences naturelles, ce qui correspond aux preoccupations d'ordre juridique des administrations forestieres jusqu'aux annees 1870. L'opposition a un usage paysan de la Foret (paturage, coupes de bois) s'opere a coflt de reglernents et de lois 29. C'est ainsi que Bernard Danckelmann (1831-1901), sorti de I'academie forestiere d'Eberswalde en 1852, apres quelques annees sur Ie terrain, fait des e~ude~ de droit et de sciences politiques, en 1855/56, Berlin, pour finir par prendre la direction de son ecole en 1866. Toutefois a la fin du XIXe siecle, les preoccupations ecologiques se font plus pressantes face I'echec de reboisernents en montagne notamment dans les Alpes, dans les landes de Lunebourg et sur d'anciennes terres
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L'adoption et la generalisation du laboratoire que ce soit en botanique, en agronomie ou en foresterie ont pour origine I'espace allemand. Dans la seconde moitie du XIXe siecle, I' Allemagne est Ie centre universitaire europeen voire mondial apres la naissance de I'Empire en 1871 it Versailles. La connaissance de la langue allemande fait partie du bagage minimum de tout universitaire de rang it l'epoque surtout chez les forestiers, En effet, les premieres academies forestieres sont apparues au debut du XIXe siecle dans les Etats germaniques. Leur modele (organisation et enseignernent) s'est etendu dans la plupart des pays europeens et aux Etats-Unis souvent la suite de sejours au sein de ces academies. Ainsi Ie Francais Adolphe Parade (1802-1864) a frequente Tharandt, academic relevant du royaume de Saxe, de 1817 it 1819~ puis iI est devenu professeur de sylviculture, en 1825, it l'Ecole royale des Eaux et Forets de Nancy avant d'en devenir Ie directeur de 1830 a 1864. En Suede, en 1823, une ecole forestiere privee est fondee it Stockholm sur Ie modele allemand, de rneme que celie de Novo-Alexandria implantee en 1860 dans la partie polonaise de I'Empire russe. L'Allemagne est it la fois un centre de formation et d'information. De formation, car nombreux sont les scienLifiques it integrer dans leur cursus un sejour dans ('une des universites allemandes. Pour les francais, ce voyage s'effectue apres la Guerre de 1870171. La defaite a fait l'effet d'un electrcchoc. Les universitaires se sont interreges sur
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29 Ainsi pas moins 180000 delits forestiers sont commis, done constates dans Ie Palatinat en hiver
1843/1844, voir Schmidt U. E., Der Wald in Deutschland im 18. und 19. Jahrhundert, op. cit. 24
30 Auparavant,Tubeuf a suivi des etudes en foresterie
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a l'universite de Munich de 1881 a 1885.
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LA CONSCIENCE D/UNE ECOLOGIE
MDTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES
les raisons de cette deroute, Tres vite, ils ont trouve une explication : la science allemande, et au travers elle son universlte, a offert cette victoire, argument commode qui evacue toute responsabilite du militaire et renvoie I'Etat devant ses responsabilites en matiere d'education, Toutes les disciplines scientifiques ne sont pas touchees, ainsi, parmi celles qui relevent de l'ecologie, seul Ie courant vidalien en geographic effectue ce deplacernent, Comme centre d'information, ses revues et manuels allemands possedent une aura qui assure a leurs auteurs une audience a I' etranger, Cet echo repose sur de puissantes maisons d'edition comme Fischer (lena), Paul Parey et Gebriider Borntraeger (Berlin). Elles ne se contentent pas de promouvoir les auteurs allemands hors des frontieres, mais elles traduisent egalement des etudes de scientifiques etrangers et, du meme coup, leur donnent une dimension internationale. Ainsi, en 1895, Ie botaniste Eugenius Warming (1841-1924), professeur l'unlversite de Copenhague, fait paraitre un ouvrage de geobotanique en danois. L'annee suivante, iI est edite en allemand chez Gebruder Borntraeger et permet a l'ecologie de prendre forme en Allemagne, en France, en GrandeBretagne et aux Etats-Unis-". Par la suite, iI est traduit en polonais (1900), en russe (1901) et en anglais (1909). Ces editeurs s'occupent egalement de la publication de revues telles Ie Botanische Jahrbucher fur Systematik, Pflanzengeschichte und Pflanzengeographie (Annuaires de botanique pour la systematique, I'histoire des plante et la geographic des plantes) et les Beihefte zu Botanlsche Zentralblatt (Supplement a la feuille de botanique) edites par Fischer. Toutes les deux recensent les articles relatifs la botanique tant en Allemagne qu'a l'etranger, lIIustrant parfaitement Ie processus qui prevaut a I'epoque : l'Allemagne recolt I'information, la classe, la resume en allemand et la redistribue dans Ie monde scientifique, Ces revues fournissent des resumes, mais publient parfois des theses notamment celie du Suedois Henrik Hesselman (1874-1943) en 1904 sur la physiologie des feuillus suedois ou des etudes remarquables dont celles du botaniste Suisse Eduard Rubel (1876-1960) en 1912 sur la repartition de la vegetation dans la region de Bernina la frontiere avec I' Italie 32. Cette puissance de I'edition s'affiche au niveau des collections comme Ie Handworterbuch der Naturwissenschaften (Dictionnaire manuel des sciences naturelles) lance en 1912 par l'editeur Fischer et surtout la serie encyclopedique Die Vegetation der Erde (La vegetation de la terre), parue chez Engelmann, encadree par Adolf Engler (18441930) et Oskar Drude (1852-1933), dont I'ambition est de donner un panorama complet des formations vegetates. Tous les deux sont des professeurs de botanique reputes: Ie premier l'unlversite de Berlin et Ie second au polytechnicum de Dresde. Cette collection renforce, non seulement, I'emprise de la science allemande, mais elle est aussi porte use d'une methodologle dans I'approche du milieu vegetal. Chaque auteur doit decrire la physionomie de la vegetation tout en faisant un lien avec les facteurs qui conditionnent la flore savoir Ie climat et la localisation. Les redacteurs ne sont pas seulement des
universitaires allemands, ils proviennent du monde germanophone tel I' Autrichien Gunther Beck von Mannagetta (1856-1931), mais aussi de I'etranger comme I'Etasunien John William Harshberger (1869-1929), pour la vegetation de l'Amerique du Nord, et Ie Neo-zelandals Leonard Cockayne (1855-1934) pour celie de la Nouvelle-Zelande, Ces deux derniers ont d'ailleurs redige leurs etudes en anglais. Si les signes dernontrant Ie role central de I'Allemagne dans la diffusion des sciences ne manquent pas, les causes sont pi us difficiles determiner. Elles ont ete pendant longtemps attribuees son mode d'organisation et d'enseignement. Sur ce point, iI existe un veritable my the fondateur de l'unlversite allemande, liee a la defaite de la Prusse face aux arrnees napoleoniennes en 1806 qui a provoque une reorganisation de I'enseignement superieur et la fondation, en 1810, de l'universite de Berlin. Sur les conseils de Wilhelm von Humboldt (1767-1835), Ie frere du naturaliste, deux principes ont ete retenus : solitude et liberte. Solitude dans l'acquisition du savoir et liberte dans les reflexions scientifiques ! La recherche er I'enseignement sont intimement lies, soit la theorie et la pratique. En fait, l'unlversite a ete reorganisee en opposition au modele francais de la grande ecole. 11 s'agit d'integrer les elites anciennes (noblesse) et nouvelles (bourgeoisie) dans un cadre donne pour batir une culture prussienne et plus tard allemande, dans un espace d'emulaticn constitue par I'ensemble des universites germaniques. Christophe Charle attribue I'efficaclte de I'enseignement superieur la concurrence que se Iivrent les universitaires entre eux : « La reputation conquerir pour progresser dans l'echelle des universites et des fonctions implique de se distlnguer aux yeux de ses pairs sur ce « marche academique » .. la mise en place d'enseignements specialises d'initiation aux methodes de recherche est un moyen pour attirer les etudiants les plus mobiles et les plus motives - et qui sont prets a verser des droits supplementaires, gage de prosperite de l'universite et du professeur et d'elevation du statut social »33. Pourtant Ie modele allemand ne sedu~t pas I'ensemble des observateurs etrangers. Ainsi Ie geographe Francais Raoul Blanchard (1877-1965) se rend en Allemagne au debut du XXe siecle, et en etablit un constat peu f1atteur: « J'en ai rapporte d'excellents souvenirs, sauf que je n' en ai pas tire grand enseignement pour mon institut, sauf Berlin " ailleurs, les laboratoires sont rudimentaires, ou manquaient »34. Les scientifiques allemands eux-rnernes s'indignent parfois d'un manque reel de moyens, comme I'agronome et pedologue Eilhard Alfred Mitscherlich (1874-1956). Ce dernier son arrivee comme charge de cours I'unlversite de Konigsberg (I'actuelle Kaliningrad), en 1906, relate dans ses memoires : «Au niveau des locaux de mon institut, cela a l'air assurement desole. II y a un vieux pavillon, pas du toutmuni d'une cave, de plain-pied .. en soi tres confortable .. en outre, it y a des champignons dans les pieces et l'humidite des murs s'elevait plus d'un metre contre les parois, ... »35. Pourtant, I'espace allemand attire et reste incontournable. 11 fonctionne comme une caisse de resonance. Chaque nouveaute scientifique doit passer par l'interrnediaire de ses revues, etre reprise par ses universitaires, pour atteindre une audience internationale. Le passage par ce pays cautionne et legitime un travail, une approche. Le systerne universitaire allemand ne
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II s'agit du Plantesamfund. Grundtrak af den ekologiske Plantegeograji, traduit en allemand sous Ie titre suivant Lehrbuch der iJ'kologischen Pflanzengeographie. Eine Einfiihrung ill die Kenntnis der Pflanzenvereine (Manuel de geographie ecologique des plantes. Une introduction a la connaissancedes communautes vegetates). 32 Hesselman H., « Zur Kenntnis des Pflanzenlebens schwedischer Laub-wiesen ", Beih. Bot. Cbl, 17,1904, pp. 1-311; RUbel E., «Pflanzengeographische Monographie des Berninagebietes », Bot. Jahrb., 47, 1912, pp. 1-616. 26
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31
33 Charle c., « Les universites germaniques : des mythes fondateurs de l'Education, n" 62. 1994, p. 13.
a I'histoire sociale »,
Histoire
34 Blanchard R., Je decouvre l'universite : Douai-Lille-Grenoble, Paris: Fayard, 1963, p. 125. 35 Mitscherlich E. A., Lebenserinnerungen, Halle (Saale) : Waisenhauses, 1945, p. 18. 27
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MUTATIONS RURALES ET SCIENTIFIQUES
genere pas toujours des innovations majeures, mais it reprend a son compte celles qui sont formulees hors de ses frontieres,
scientifiques europeens : I'espace mediterranean, encore une fois, c'est la richesse et la particularite de la flore qui est recherchee, particullerement dans les zones montagneuses. Toutefois, ce n'est pas l'ensemble du pourtour mediterraneen qui est investi, mais des espaces bien polices: Ie Sud de la France et I' Afrique du Nord, dont I' Algerie au debut du XXe siecle. Les scientifiques qui se rendent dans ces endroits nesont pas forcernent animes par une volonte de decouverte, par un esprit de curiosite. Les perspectives de carriere font aussi partie de leurs calculs. Ainsi Ie botaniste Schimper,professeur non-titulaire en pharmacie a I'universlte de Bonn, sejourne a Buitenzorg en 1889 et1890. II produit, a son retour, une etude remarquable et rernarquee et oblient un poste fixe comme professeur titulaire a I'universite de Bale. En effet, face a I'afflux de jeunes docteurs dans les annees 1880, decrocher un poste fixe dans une unlversite allemande devient de plus en plus difficile, il faut se distinguer de ses homologues et Ie sejour de recherches sous les tropiques en offre I'opportunite. L'emprise coloniale de I'Europe sur l'Afrique et l'Asie fournit aussi des occasions aux scientifiques, ces derniers sont d'ailleurs associes pour effectuer la mise en valeur de ces territoires au service de la metropole, C'est en partie I'ceuvre du botaniste Auguste Chevalier (1874-1956) engage dans I'aventure coloniale rnalgre lui en Afrique noire. En 1898, Ie general Louis Edgard de Trentinian (1851-1942), gouverneur du Soudan, cherche un botaniste pour faire partie de I'expedition mititaire a travers la boucle du Niger en vue d'etudier la flore, les plantes a caoutchouc et Ie coton, en d'autres terrnes d'en evaluer Ie potentiel. Chevalier est designe d'office, aucun volontaire ne se presentant, C'est, pour lui, I'aube d'une grande carriere d'agronome tropical. Pour Ie Museum, c'est I'occasion de rehausser son prestige aux yeux des autorites francaises et de garder Ie monopole d'investigatlon scientifique dans ce domaine. Les voyages touchent les botanistes mais guere les forestiers en dehors de quelquesuns qui sont porleurs d'une sylviculture dite proche de la nature comme les allemands Heinrich Mayr (1854-1911) et Alfred Moller (1860-1923). Le premier a effectue un tour du monde qui I'a rnene en Inde, au Japon et aux Etats-Unis afin d'etudier les essences exotiques dans leur milieu d'origine de 1887 1890 en vue de leur introduction dans les forets allemandes. Le second a fait un sejdur de recherches au Bresil aupres de son oncle Ie botaniste Fritz Muller (1822-1897), le fondateur de la station de recherches de Blumenau dans ('Btat du Santa Catarina38 . Ce peu de gout ou bien I'Impossibilite technique et administrative de se rendre 11 I'etranger se retrouve au sein des espaces nationaux. Les forestiers allemands sont formes dans leur region respective et en sortent peu. En Suisse, its se partagent les postes en fonction de leurs origines (germanophone, francophone, ... ). La necessite de communiquer avec les cornmunautes villageoises implique ce type de repartition. En France, pays disposant d'une formation centralisee, les forestiers sont formes a Nancy avec comme terrain d'application la foret vosgienne, par des professeurs « nes dans l'Est au ayant fait de cette region leur patrie adoptive »39. Les excursions dans la foret mediterraneenne ne font partie du programme qu'a la fin du XIXe siecle avec Ie developpernent des moyens de communication. Ceux qui sont envoyes
Espaces et representation scientifique Ce rapport entre I'espace et l'ecologie a ele aborde par Jean-Marc Drouin36. II est vrai qu'il se pose avec une acuite particuliere en ecologie puisque celle discipline scientifique puise, pour partie, ses origines dans la geobotanique. Les noms de ces fondateurs sont souvent associes a des espaces particuliers : Alexandre de Humboldt (1769-1859) et Ie Chimbozaro (Equateur), Darwin et les Galapagos (Equateur), Vassili V. Dokuchaev (1846-1903) et les terres a chernozem dans Ie sud de la Russie. Pour Ie premier, ce serait au cours de I'ascension de ce volcan culminant a 6272 m. qu'il aurait pris conscience de l'existence des etages de vegetation. Le second aurait trouve, dans ces lles, matiere a s'interroger sur I'origine des especes pour ne trouver la reponse que vingt ans plus tard. Enfin Ie troisieme a propose une vision biologique du sol apres avoir etudie ces riches terres able. Ainsi I'espace questionnerait, interpellerait, mais, en fail, seuls les esprits prepares sont receptifs. Humboldt aborde Ie Chimbozaro petri de « Naturphllosophie », theorie qui envisage la nature comme un tout ou chacun des elements est lie les uns aux autres. Darwin a ete mis sur la voie par la lecture d'un ouvrage de geologie de Charles Lyell (1797-1875), qui voit dans la nature une lutte incessanle pour I'existence dans un jeu perpetuel d'extinction el de creation37 . Enfin Dokuchaev approche ces terres apres avoir lu les ouvrages de Humboldt, de Darwin et de Lyell. Tous les espaces n'interrogent pas les esprits prepares, ces derniers les ont selectionnes. II existe des Iieux privilegies. II y a ceux ou les facteurs Iimitant s'expriment avec force: Ie Groenland, la Scandinavie, la Siberie, qui tous voisinent avec Ie cercle polaire affichant la limite de la vegetation arbustive sous I'action du froid et du vent. Les deserts tel Ie Sahara obeissent a la merne logique, Ie manque de precipitations regulieres reduit les possibilites de vie. Pour les scientifiques, ce sont des espaces aises a etudier (nonobstant les conditions de vie). En effet, its ne doivent prendre en compte qu'un nombre limite de facteurs dans leurs etudes (la temperature, Ie vent, la transpiration, etc.). La situation s'inverse lorsqu'ils investissenl les zones equatoriales, ou I'absence de contraintes climatiques permet Ie developpernent d'une flore luxuriante, Dans ces zones, les scientifiques ont privllegie deux Iieux: la foret amazonienne et Ie laboratoire de Buitenzorg (I'actuelle Bogor) situe sur l'i1e de Java alors colonie neerlandaise. Ce dernier, fonde en 1817, n'est, a I'origine, qu'un jardin botanique, dirige depuis 1880 par Ie Neerlandais Melchior Treub (1851-] 910). Celui-ci en a fait une station de recherches avec I'aide de capitaux allemands et, a partir de 1885, it I'a dotee de laboratoires et de logements d'accueil. Elle devient alors un lieu de passage obligatoire pour de nombreux scientifiques germanophones. Autre lieu, souvent Ie plus accessible pour la plupart des
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36 Drouin J.-M., Reinventer la nature. L 'ecologie et son histoire, Paris: Desclee de Brouwer, 1991, pp. 111-128 et Dupuy M., « L'importance de I'espace extra-europeen dans la formation de l'ecologie 1805-1915 », Histoire au Present, Decouvertes et explorateurs, 1994, pp. 375-384. 37 11 s'agit de Principles of Geology, London: John Murray, 1832, p. 190, pour plus de precisions voir: Worster D., Les pionniers de rEcologie. Une histoire des idees ecologiques, Paris: Editions Sang de la terre, 1992, p. 412.
38 Fritz MUlieretait aussi en relation epistolaire avec Darwin dont il partageait les convictions. 39 Reini Eug. (E. Guinier), « La botanique it lecole forestiere. Reponse it M. Paul Sylve », La foret 1886,p.171.
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ensuite dans Ie sud de la France ou bien dans les colonies ne disposent pas du bagage technique necessaire. lis doivent se former sur place4O •
espace hornogene. 11 ne se prete pas a une exploitation rationnelle d'apres les administrations forestieres. Les landes sont un espace d'une autre nature. Elles sont souvent Ie produit d'une deterioration du manteau vegetal, en general de la foret, qui a produit une flore specifique empechant toute reconquete forestiere. Ainsi pour les landes de Lunebourg situees au nord de l'Allemagne, leur degradation remonte au XIe siecle avec la decouverte de salines dont I'exploitation a necessite une forte consommation en bois de feu. Au XVIe siecle, la lande a deja pris Ie dessus et sert a l'elevage du mouton. Au XIXe siecle, la conquete de cet espace est entamee afin de gagner des terres pour I'agriculture. Cette mise en valeur passe egalement par leur reboisement que ce soit en France dans Ie Sud-Ouest, en Allemagne et au Danemark. II s'agit d'effacer cette image laissee par les recits des voyageurs et des geographes de « deserts », de « steppes », de « mort ». Ce vide, Ie forestier se fait fort de Ie combler non sans difficultes. Ainsi en Sologne, Ie reboisement s'effectue d'abord avec du pin maritime comme dans les Landes de Gascogne mais les gelees de I'hiver 18791880 font comprendre leurs erreurs aux forestiers et ceux-ci ont alors recours au pin sylvestre42 . A l'oppose de cet espace du vide, la foret vierge presente un espace plein. Elle exerce un attrait particulier parmi les forestiers de I'Europe germanophone au debut du XXe siecle, Elle est un element dynamique porteur d'une sylviculture naturelle a opposer a celIe nettement plus artificielle provenant de I' Allemagne du Nord, de la Prusse. Elle renvoie a la foret primitive composee de feuillus, de chenes, dans laquelle Arminius (Herrmann) a ecrase les legions romaines en I'an 9. L'Allemand, l'homme de la foret a vaincu Ie mediterraneen, I'homme des contrees deboisees, de la nature dornestiquee. L'ecologie .en s'efforcant de degager Ie manteau originel, qui ne peut etre que forestier participe a ce my the. La foret vierge forme un modele transposable en Allemagne, mais elle est situee sous les tropiques et surtout en Amerique du Nord. Les avantages qu'offre la foret vierge sont multiples. Elle produit du bois « fentement mais bon compte »43. Les ternpetes et les insectes y operent moins de de gats que dans les forets monospefiques en raison de la multipllcite des essences et dell classes d'age, Le sol est protege par I'absence de coupes a blanc. Toutefois, comme le reconnait Mayr, la foret vierge n'est pas forcernent adaptee aux besoins de I'homme. La regeneration est beaucoup plus longue et, d'autre part, les colosses faconnes par cette foret sont moins nombreux el parfois moins gros que ceux ernanant des forets artificielles. Pour corriger ces defauts, une gestion forestiere s'impose, en d'autres termes, la foret a besoin du forestier et d'une administration. L'ecologie naissante donne des arguments scientifiques en faveur d'une sylviculture proche de la nature, mais tous les tenants de cette nouvelle approche ne partagent pas ce point de vue. Ainsi Karl Fricke (1859-1914), Ie dlrecteur de I'academie forestiere de Hann.-MUnden (Prusse), rejette vivement ces affirmations en avancant que Ie feu, les ternpetes detruisent parfois en Amerique du Nord, de grandes surfaces, done denudent Ie sol et arnenent fatalemenl a un peuplement d'age egal, Le debat est amerce et n'est d'ailleurs toujours pas eteint..;
Des espaces aconquerir et source d'inspiration En dehors de ce monde mediterraneen, quatre types d'espace ont marque la foresterie europeenne : la montagne, Ie marais, les landes et la foret vierge. Les trois premiers sont des terrains conquerir, des espaces du vide, sur lesquels, aux yeux des forestiers, iI·faut reconstituer Ie manteau arbore. Le dernier est d'une autre nature, Ie forestier a affaire a une foret qui produil du bois en se passant de lui ... Dans la seconde moitie du XIXe siecle, les forestiers allemands, autrichiens, suisses, francais, italiens se lancent I'assaut des cimes. lis ont pour mission de recouvrir I'espace montagnard de forets afin de proteger les populations des plaines des dangers des inondations, de I'erosion et de redonner la prosperite aux communautes montagnardes. L'ambitieux programme se heurte, en France, a la resistance des habitants, qui y voient une volonte de controle politique sur des comrnunautes situees sur Ies marges de l'autorite francaise, Les forestiers ont affronter un deuxieme ecueil : les contraintes du milieu qui restreignent Ie choix des essences, et surtout, i1s doivent admettre que la foret a des Iimites, qu'au-dela d'une certaine altitude, iI faut laisser la place aux herbages. Ce contact avec I'environnement montagnard, notamment celui situe dans I'espace rnediterraneen, a marque une generation de forestiers qui ont ete les porte-parole de I'ecologie en France: Louis-Ferdinand Tessier (1861-1941), Georges Fabre (1844-1911), Jean Salvador (18771964). Tous ont ete impllques dans la politique de reboisement des terrains de montagne. Parmi les espaces du vide, Ie marais tient une place a part. II est un objet d'attention aussi bien de la part des agronomes, des forestiers que des botanistes. Particullerement present en Europe centrale et scandinave, il se forme 11'1 ou I'eau deborde et lorsque Ie climat per met la formation d'une tourbe. II possede sa propre ecologic et un sol mouvant, souvent repoussant pour I'homme, dont la mise en valeur est difficile comme Ie souligne cette expression allemande: «D'abord fa mort, en deuxieme fa misere et en troisieme le pain »41. C'est un lieu qui renferme la mernoire, absorbant les imprudents ou Ies malchanceux pour les rendre quasi-intacts quelques siecles plus tard. 1\ conserve Ie pollen, temoin de la vegetation anterieure et de I'action de I'homme sur Ia nature, en ce sens, iI est une mine pour les scientifiques qui peuvent ainsi reconstituer l'evolution du manteau vegetal de certaines regions, Leur mise en valeur a deja fait I'objet d'une politique publique que ce soit dans Ie marais poitevin et aux Pays-Bas des Ie XVlIe siecle. Au XIXe, leur assechement devient une mesure hygienique, iI est necessaire d'ecarter cet espace ou I'eau stagne se chargeant de maladies infectieuses. 1\ faut egalement gagner de nouvelles terres agricoles pour retenir une population, notamment en Allemagne, qui a tendance a. emigrer aux Etats-Unis. En Finlande, les marais sont etudies, au debut du XXe siecle, en vue de leur reboisement. Nous n'avons pas affaire a un espace vide d'arbres, ils sont presents sous forme de bouleaux, d'aunes et de peupliers, mais Ie marais n'est pas un
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40 Les prernieres lecons sur Ics forets colonialcs n'ont ete donnees, a Nancy, qu'a partir de 1902 par AntoineJolyet (1867-1942), charge de cours de sciences forestieres, 41 Gorissen I., Die grossen Hochmoore und HeidelandschaJten in Mitteleuropa. Siegburg: Sclbstvcrlag !ngmar Gorissen, 1998, p. 190. 30
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42 II n'en a pas toujours ete ainsi. Deux polerniques symboliques sc sont deroulees cn France et en
Allemagnedans Ie premier quart du XXe siecle, voir Ic chapitre quatre, 43 Mayr H., Waldbau aufnaturgesetzlicher Grundlage, Berlin: Parey, 1909, p. 5.
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Les centres de l' ecologic en Europe Localisations
Types de centres
Ino
Inf
For
Centres russes : St Petersbou!1L Dorpat Marginaux
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Centre finlandais : Helsinki Centres etasuniens :
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+ +
Universite de Chicago ._________ + Universite du Nebraska + - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ . _ . _ - - - - -----Berkeley +
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+ ------
Centres britanniques : --.f!!.'!!!:!.~_R.0u!...I' etudeJ!!L!a veg~tatif!.!!. brit!!!}!.~ __ ----
Station agronomique de Rothamsted
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+
+
Centres danois : Ecole superieure de veterinaire et d'agronomie + Laboratoire de Carlsberg --_.- -+- Universite de Copenhague +
Peripheriques
Centres suedois :
+
~jversite
d'Uppsala_ _____ Unlversite de Stockholm
+ + + +
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- - - - - -_._--
+
Centres autrichiens : Universite de Vienne
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I
Ecol~...!..'!P.~ri~re d'agro!]~ie-~
--Universite d'/nnsbruck
+ -+- + ---+ ------ -----+ + --_. ---- ----
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Vienne __.______
,
I
Universite allemande de Praeue
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Centre suisse: Ecole Polytechnique Federate de Zurich
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Centres fran~ais : Convergents
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+ +
Museum d'Histoire nature lie . -----Ecole normale superieure --- - -+- - _ . Laboratoire de biologie vegetate de Fontainebl!!..~_ + + Universite de Montpellier + + ---- ---i!n~ersite de.!!ancy -_'!:..- + ---------------.--_..Ecole nationale des Eaux et Forets de Nancy + +
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Centres allemands : Universite de Berlin Universite de Munich ._._ Academie forestiere d'Eberswalde_. Laboratoire d'Anton de Bary a StrflSbourg __Academie jorestiere d' Ha.nn. -Munden Academie agronomique d'Hohenheim
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Tableau 5. Centres par lesquels transite l'ecologie 1880-1915.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
LES CENTRES DE L'ECOLOGIE EN EUROPE
A la lecture du tableau, un premier constat s'impose : les grands centres de l'ecologie sont situes en Europe centrale et occidentale. lis regroupent I'espace germanophone et la France. Les autres gravitent autour avec un aspect etonnant : la marginalisation de la Grande-Bretagne. En outre, Ie statut de centre d'innovation n'est pas une condition sine qua non pour assurer sa promotion merne si cela contri bue a sa reconnaissance. A ce niveau, il est certain que I'obstacle linguistique joue un role majeur, comment aller se ' former en pedologic en Russie sans connaitre Ie russe ? Mais surtout la logique interne au niveau des carrieres scientifiques constitueun frein ou bien un accelerateur puissant aux echanges scientifiques. Ainsi se rendre en Allemagne pour un scientifique scandinave n'offre pas les memes perspectives de carrieres, ni les memes conditions de recherches que s'il opte pour I'Empire russe ou les Etars-Unis. Les centres d'innovation concernent rarement la foresterie. Sur ce point, la foresrerie est avant tout une science appliquee et n'est guere porteuse d'avancee theorique. Toutefois ce schema merite d'etre nuance dans un domaine: la pedologic ou les forestiers tiennent une place deterrninante dans son developpement, Des centres marginaux dans la mouvance de l'Empire russe La Finlande et la Russie font partie, avant 1914, d'un merne ensemble geopolitique, La Finlande est une principaute au sein de l'Empire russe et dispose d'une relative autonomie. Sa rninorite suedoise a continue de maintenir des contacts avec I'ancienne puissance tutelaire : Ie royaume de Suede'. Elle constitue Ie noyau cultive et domine I'enseignement superieur, qui se resume l'universite d'Helsinki, OU la plupart des enseignants sont des suedophones, lis puisent leurs informations surtout dans les champs scientifiques allemands et suedois et tres rarement dans I' Empire russe. Ce schema domine jusqu'au debut du XXe siecle, epoque, ou les scientifiques appartenant la majoritefinlandalse commencent s'affirmer et s'exprimer en finnois et en allemand. La promotion de leurs scientifiques se deroule alors en relation avec la montee du nationalisme. Leur reconnaissance internationale est un acte politique d'autant plus que, depuis 1898, une politique de russification du pays a ete entreprise. Parmi les scientifiques finlandais, Ie botaniste Johan P. Norrlin (1842-1917), un suedophone, a joue un role considerable, plus par son enseignement que par ses publications. II a insiste sur l'etude des espaces naturels non touches par I'homme et il est Ie premier finlandais avoir mene des travaux sur les comrnunautes vegetates en attachant plus d'auention a la vegetation qu'a la flore-. II a forme une generation de botanistes qui ont laisse un nom dans I'histoire de I'ecologie de ce pays: les suedophones Ragnar Hult (1857-1899) et Alfred O. Kihlman (1858-1938) et Ie Finnois Aimo K. Cajander (18791943). Ce dernier est devenu professeur de sylviculture aI'universite d'Helsinki en 1908. L'affirmation d'Helsinki et, au-dela, de la Finlande sur Ie plan international peut etre reduite a deux facteurs. Le premier repose sur l'existence de milieux naturels propices a la
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I En 1809,Ia Paix d'Hamina a attribue la Finlande Ii I'Empire russe. 2 Faire I'inventaire de la flore d'une region, e'est s'interesser a toutes les especes presentes independamrnent de leur quantite, point qu'aborde l'etude de la vegetation qui s'interesse aux especes qui forment Ie « tableau naturel qu'offre le pays». Pavillard L, Elements de sociologie vegetale (Phytosociologie}, ActualitesSci. et Indus., 251. Paris: Hermann, 1935,p. 5.
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recherche comme les marais et surtout Ie cercle polaire arctique, region OU la foret affiche -sa frontiere. C'est sur ce theme que Kihlman, en 1890, publie une etude en allemande. Son ambition est double. Sur Ie plan scientifique, il s'efforce de decerner quel facteur du milieu fixe une limite a la vegetation. Sur Ie plan politique, it s'attache a demontrer qu'il J:xiste une flore finlandaise qui se rattache a celie du bouclier scandinave, se distinguant nettement de la flore russe. La geobotanique devoile les frontieres naturelles et assure sa promotion en servant la cause nationale finlandaise. En Europe, son elude est bien rer;:ue car elle correspond aux preoccupations des geobotanistes et des forestiers. Le second facteur, deja evoque, est I'affirmation du nationalisme finlandais dans lequel Kihlman, puis Cajander sont impliques. S'exprimer en finlandais dans les revues scientifiques est un signe identitaire, mais user de I'allemand, c'est la certitude d'avoir une audience au-dela des frontieres, Leurs publications oscillent done entre les deux langues. Leurs revues, dans leurs titres, refletent ce caractere national comme celie de la societe geographique de Finlande, Fennia (1889). Voisine de la Finlande, mais egalement sous tutelle russe depuis 1721 : I'Estonie. Celie province est regie par une oligarchie de barons allemands qui possedent les deux tiers des terres agricoles du pays. En 1802, une universite a ete fondee a Dorpat (Tartu) dotee de privileges. L'allemand, au meme titre que Ie russe, a etc reconnu comme langue d'enseignement et les universitaires ont Ie droit d'elire leur recteur. Ceci s'est traduit par une predominance des enseignants germanophones qui sont cinquante-deux en 1892, contre seize russes. Cette proportion s'est inversee en raison d'une active politi que de russification et, en 1900, seuls six professeurs dispensent leurs cours en allemand essentiellement en theologie, Ceci s'acheve, en 1917, par une totale russification de I'universite, D'une maniere generale, l'universite de Dorpat sert d'Intermediaire entre les productions russes et allemandes. Mais de fait, elle favorise surtout Ie transfert des travaux produits par I'Allemagne vers I'Empire russe. La science en Russie, a la fin du XIX~ siecle, beneflcie d'une dynamique favorable suite a la defaite en Crimee de 1856 et a l'arrivee au pouvoir d'un empereur liberal: Alexandre II (1855-1881). Un vaste elan ~e reformes a touche I'ensemble de la societe, caracterise, en 1861, par l'emancipation des serfs. Son but est de passer d'une societe traditionnelle a une « grande societe .», dotee d'institutions modernes. Dans ce mouvement, la culture n'est pas oubliee. L'« intelligentsia» s'engage aussi bien en litterature que sur Ie plan scientifique, car a ses yeux, s'investir dans les sciences naturelles, c'est agir en faveur du peuple, c'est la possibilite de lui apporter les bienfaits prodigues par la science. Douze instituts majeurs sont fondes a Moscou et dans la capitale, Saint-Petersbourg, ils concernent les mines, la rnedecine, la foret, Ie droit et les formations d'ingenieurs. Le nombre d'etudiants augmente. Les facultes de sciences naturelles profilent de cet afflux. Elles comptes 962 etudiants en 1865 et 3.837 en 189g4. Le premier congres des naturalistes russes reunissait 465 participants en 1867, a la veille de 1914, il
3 Kihlman A. 0., « Pflanzenbiologisehe Studien aus Russich-Lappland », Acta Soc. pro fauna et florafennica, 6, 1890, p. 1-264. 4 Me Clelland J. C., « Diversification in Russian-Soviet Education», in K. H. Jarausch, The transformation of higher learning 1860-1930. Expansion, diversification, social opening and professionalization in England, Germany, Russia and the United States, Stuttgart: Klett-Cotta, 1983, pp. 180-195. 35
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
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en rassemblait plus de 500OS. Les scientifiques russes sont l'ecoute de l'evolution de la science a l'etranger, Plusieurs ouvrages de reference sont traduits. L'origine des especes de Darwin paralt en russe en 1864, cinq annees apres sa sortie en anglais. Non seulement, i1s recoivent I'information produite en allemand ou en francais, mais ils poursuivent leur formation en Europe occidentale, encourages par Ie pouvoir. Ainsi Ie microbiologiste Sergei N. Winogradsky (1856-1946), apres des etudes aSaint-Petersbourg, se rend aupres ' du botaniste Allemand Anton de Bary (1831-1888) a Strasbourg en 1887, puis a Zurich et enfin a I'lnstitut Pasteur. Le geochimiste Vladimir Vernadskij (1863-1945) fait un voyage de recherches qui Ie mene a Naples, a Munich et a Paris de 1880 a 1890. C'est dans un tel contexte que l'ecologle prend son essor avec pour centre I'universite de Saint-Petersbourg, qui dispose de moyens financiers importants et d'une plus grande liberte d'action que celles de Moscouet de Kiev. L'ecologle russe s'Irnpregne de pedologic sous l'action de Dokuchaev, professeur de pedologle a l'universite de SaintPetersbourg de 1883 a 1897. II a engage ses eleves (Ie pedologue Glinka, Ie forestier Morosow, Ie biochimiste Vernadskij, etc.) vers une vue dynamique du sol. Son enseignement a touche aussi bien les naturalistes que les forestiers. Ces scientifiques sont aides par la politique agraire de mise en valeur de la Siberie et de modernisation de I'agriculture entreprise partir de 1906 par Ie ministre de l'Interieur Piortr A. Stolypine (1862-1911). De 1906 a 1916,2,5 millions de fermiers s'etablissent en Siberie, en Asie centrale et au Kazakhstan. Les pedologues participent a cette entreprise. Sous la direction de I'un d'entre eux, Konstantin D. Glinka (1867-1927), i1s effectuent une serie de cartographies des sols de ces regions. Ce travail de terrain favorise la formation d'une equipe partageant les memes conceptions du sol, encourage les discussions, confronte les theories a la realite et s'est avere particulierement fecond, Si d'un cote Ie pouvoir cree des conditions favorables la promotion de la recherche, Ie contexte militaire et politique constitue un frein serieux au developpement scientifique. Ainsi en 1905, a la suite de la Guerre russo-japonaise, Winogradsky exercant a SaintPetersbourg dernissionne, n'etant pas d'accord avec la politique de restriction des credits affectes la recherche. II se retire dans son domaine en Ukraine, ou il s'efforce d'en ameliorer la productivite, Face aussi aux mouvements sociaux et politiques qui se manifestent dans les universites, Stolypine, partir de 1908, accroit la repression au sein du monde universitaire. C'est ainsi que, en 1911, a l'universite de Moscou, 44 % du personnel operant dans les sciences naturelles sont resilies, dont Vernadskij qui trouve une porte de sortie au Museum mineralogique de Moscou ou il se consacre a plein temps a la geochirnie'', Malgre de reelles innovations scientifiques, que ce soit en Finlande (Kihlman pour ses travaux sur la limite horizontale de la foret), en Russie (Dokuchaev en pedologic, Mendeleeiv en chimie), ces champs scientifiques restent l'ecart du monde universitaire occidental. Leurs revues sont consultees a I'etranger occasionnellement. Ces scientifiques attirent l'attention I'occasion de leurs sejours de recherches, en tissant des liens personnels qu'ils s'efforcent d'entretenir au gre des evenernents politiques et diplomatiques.
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LES CENTRES DE L'ECOLOGIE EN EUROPE
Des centres anglophones marginalises La marginalisation des centres anglophones semble a priori beaucoup moins justifiee que pour les precedents. En effet, I'anglais est, deja a l'epoque. une langue internationale comprise par de nornbreux scientifiques. Pour la Grande-Bretagne, Ie cas est plus complexe par rapport aux Btats-Unis qui apparaissent comme un pays neuf et eloigne de I'Europe. Les scientifiques europeens se rendent aux Btats-Unis pour y decouvrir et analyser des paysages et non pas pour se former dans les laboratoires contrairernent a certains centres anglais, comme celui de la station agronomique de Rothamsted, qui accueille, en 1911, I'agronome Francais Demolon. Comment justifier un tel c\assement lorsque Ie centre britannique a produit Darwin? En fait, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en matiere d'ecologie vegetale ont pris une direction differente vis-a-vis du continent europeen. Le particularisme nord-americain est lie a la dimension du pays qui encourage la constitution d'une communaute scientifique autonome, En Grande-Bretagne, il est dfl a un retard de professionnalisation dans les sciences naturelles. Longtemps les elites anglaises ont refuse la specialisation au nom du maintien de la culture generate. Aux Etats-Unis, la generation qui emerge a la fin du XIXe siecle ne s'est forrnee qu'au sein de ses unlversites, Le sejour l'etranger ne s'impose plus pour faire carriere. En revanche, la comprehension de I'allemand voire du francais reste indispensable. La precedente, celie des annees 1870, a passe en Europe comme Ie botaniste Asa Gray (1810-1888), qui sejourne, en 1840/41, en GrandeBretagne, en France, en Italie, en Autriche, en Baviere et en Suisse. Cette premiere generation avait, parfois, des attaches avec Ie vieux continent. Ainsi Eugene W. Hilgard (1833-1916), ne en Baviere, vit aux Etats-Unis depuis l'age de trois ans. II se rend en Europe en 1849 pour parfaire sa formation a l'universite d'Heidelberg, puis au polytechnicum de Ziirich et l'ecole royale des mines de Freiberg (Saxe)". En Grande-Bretagne, sauf en agronomic, les scientifiques relevant de l'ecologle vegetate ont sejourne en Europe conti nentale, Robert Smith (\ 873-1900) se rend a Montpellier aupres de Charles FlahauIt (11852-1935)8. Francis W. Oliver (\ 864-1951) passe deux ans en Allemagne, mais ce 'n'esr pas avant I'annee 1911 qu'une oeuvre significative apparait'', Par contre Ja production etasunienne est beaucoup plus precoce et trouve un debouche dans les revueseuropeennes hormis les revues forestieres, Ces dernieres ne recensent pratiquement jamais les productions etats-uniennes et anglaises, dont la foresterie n'est pas encore reconnue. La foret nord-americaine interesse les forestiers europeens par son aspect naturel et les essences qu'il est possible d'implanter en Europe tel Ie Douglas. En outre, les forets sont exploitees par de grandes societes privees
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5 Hachten E. A., « In Service to Science and Society: Scientists and the Public in Late-NineteenthCentury Russia », Osiris, 17,2002, pp. 171-209. 6 Bailes K. E., Science and russian culture in an age of revolutions, Bloomington: Indiana University Press, 1990, p. 238.
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7 Hilgard fait partie des scientifiques qui ont participe it la naissance de la pedologie, II a developpe une theorie voisine de celie de Dokuchaev liant Ie sol au cIimat. Voir Jenny H., E. W. Hilgard and \ the birth of the modern soil science, Pise : Geochemica, 1964, p. 144; Boulaine J., Histoire des pedologues et de la science des sols, Paris: INRA, 1989, p. 285. 8 Robert Smith, ecossais, est entre en contact avec un eleve de Flahault, Marcel Hardy, qui a effectue sa these sur la geographic et la vegetation des Highlands en 1905. 9 Tansley A. G., Types of british vegetation, by members of the Central committee for the survey and study of British vegetation, Cambridge-London: Cambridge University Press, 1911, p. 436.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGlE
LES CENTRES DE L'ECOLOGIE EN EUROPE
qui se soucient peu de leur regeneration et les forestiers s'evertuent surtout a proteger la foret du feu delaissant les questions de sylviculture l''. En fait, dans ce pays, I'enseignement forestier fait son apparition a la veille du XXe siecle, la premiere ecole forestiere a ete fondee en 1898 a Biltmore (Caroline du Nord) par Carl Schenck (1868-1955), un forestier hessoisl '. En Grande-Bretagne, la aussi, I'enseignement forestier n'a guere de racine. II est delivre, depuis 1867, pour moitie a Nancy et pour moitie en Allemagne. Dans ce dernier pays, l'accord n 'a pas ete reconduit en 1875 ce qui laisse a I'Ecole des Eaux et Forets de Nancy Ie soin de former les forestiers britanniques. La premiere chaire de foresterie est creee en 1884 dans I' etablissement d'enseignement superieur d'ingenieur de Cooper's Hill pour repondre aux besoins du service forestier en Inde. Elle est transferee, en 1905, a Oxford. Entre temps, une nouvelle chaire a ete fondee a I'universlte d'Edinburgh en 1887. Ainsi, ce n'est que depuis la fin du XIXe siecle, que la foresterie britannique dispose d'une autonomie de formation. Toutefois, il faut attendre l'annee 1927 pour gu'une premiere revue forestiere anglaise d'envergure voit Ie jour: Forestry. Aux Etats-Unis, l'ecologie s'est developpee d'une facon independante par rapport a I 'Europe. Des 1893, Ie congres de botanique de Madison recommande d'adopter Ie terme d'« ecology» pour designer un nouveau champ de recherches'S. Apres 1870, sous l'impulsion de botanistes comme Gray et Charles Edwin Bessey (1845-1915), les universites et facultes agronomiques se dotent de laboratoires, imitant en cela Ie modele allemand. Deux ecoles emergent. La premiere liee a I'unlverslte de Chicago est reductionniste et individualistique, influencee par les conceptions de Warming et d'Alphonse de Candolle. Elle s'oriente vers la recherche pure et aborde la nature plus dans un sens de preservation que de controle, A sa tete se trouve John Merle Coulter (1851-1928), un ancien etudiant de Gray. L'influence de Warming est liee a la reception de son ouvrage des 1895, l'annee de sa parution, en langue danoise, ce qui montre les liens etroits qui existent avec I'Europe, doubles des ressources liees a l'immigration. A la parution de son manuel, un etudiant rapporte : « Pas un de no us ne pouvait lire le danois excepte un etudiant danois, qui put traduire deux au trois chapitres, et le lendemain Coulter pouvait donner un cours merveilleux en ecologle »13. Henry C. Cowles (18691939~ qui a recu une bourse pour etudier a I'universite de Chicago en 1895 apprend le danois, Coulter I'invite a verifier la validite des theories de Warming en prenant comme objet d'etudes les dunes du lac Michigan. Les resultats paraissent dans Ie Botanical
Gazette (Ia gazette botanique), revue fondee en 1875 par Coulter... et qui est recu en Europe. La seconde ecole est holistique et organique et a herite d'une quadruple influence : des botanistes Drude, Humboldt et Grisebach et du philosophe Herbert Spencer (18201903). EHe a eu pour centre l'universlte du Nebraska, fondee en 1869 par Bessey dont frederic Edward Clements (1874-1945) a ete l'eleve. Ce « Land-Grant College », c'est-adire une universite ou I'enseignement de I'agriculture est obligaloire. En fait, au milieu du siecle grace a I'impulsion de riches fermiers et de leurs journaux, a la lumiere des travaux de Liebig, une pression s'est exercee au niveau federal pour que, dans chaque Etat, un centre d'enseignement en agronomie soit cree, Afin de justifier les sommes allouees aux chercheurs, en I'occurrence les botanistes, les recherches doivent deboucher sur des applications pratiques en agriculture ou dans l'amenagement. Ceci a marque Clements, qui a ete, de 1907 a 1910, conseiller aupres de I'administration forestiere federale, En la fois un ouvrage outre, un de ses ouvrages majeurs, Plant indicators (1920), est theorique et pratique pour I'agriculture et la gestion du territoire. En Grande-Bretagne, deux ecoles s'opposent. La premiere a une approche morphologique et physiologique de la vegetation. Elle a pour representants frederick Bower (1855-1948), professeur de botanique a l'universite de Glasgow, et Isaac Balfour (1853-1922), professeur de botanique l'universite d'Edinburgh. Irnplantes en Ecosse, ils s'exprlrnaient dans Ia revue Annals of botany, dirigee par Balfour. La seconde ecole a pour centre l'universite de Londres ou officie Oliver, lui aussi professeur de botanique. II represente une ecologic petrie de geographic botanique qui doit etre utile la societe. La parution en allemand de I'ouvrage de Warming produit un decllc sur une poignee de botanistes, renforce en 1898 par l'ouvrage du botaniste Allemand Schimper qui propulse l'ecologle vers la voie de i'autonomie!", Pour mieux en saisir la portee, Arthur G. Tansley (1871-1955), alors assistant en botanique a l'universite de Londres, effectue un voyage de recherches en Egypte et Ceylan pour verifier la validite de I'approche de Schimper. A son retour, iI fonde une revue The new Phytologist et reunit un groupe de botanistes qui, en 1904, se constitue en un Cornite central pour I' etude et la recherche sur la vegetation britannique afin de coordonner les etudes au niveau national sur la vegetation, de cartographier cette derniere, s'appuyant d'ailleurs sur un article du botaniste Francais Flahault paru en 1897 dans les Annates de Geographie l 5, et de promouvoir l'ecclogie comme science el comme vocable puisque des scientifiques lui preferent encore Ie terme de «Bionomics» ou d'«Histoire naturelle», Ce groupe connait son apogee avec la publication de Types of British Vegetation (Les types de la vegetation britannique) qui COIncide avec la tenue de la premiere excursion phytogeographique internationale dans les lies britanniques en 1911 16• Par la suite, ce groupe se disloque, chacun suivant sa propre carriere: Charles E. Moss (1872-1930) s'engage dans la floristique et devient professeur de botanique en Afrique du Sud; un autre, Thomas W. Woodhead (1863-1940) se consacre a I'histoire locale, iIIustrant ainsi Ie faible degre de professionnalisation de
Schafer I., Holz. Ein Naturstoffin der Technikgeschichte, op. cit. a l'universite de Tubingen (Bade) en 1889 et a exerce en Inde aupres de Sir Dietrich Brandis (1824-1907) puis aux Etats-Unis a partir de 1895. Voir Bartels H., «Carl Alwin Schenck», in M. Scheifele, E. Niel3lein, « Biographie bedeutender Forstleute aus BadenWilrttemberg », Schiftenreihe der Land- Forstwirtschaft aus Baden-wurttemberg, 55, 1990, pp. 613-615. 10 Radkau J.,
II Schenck a ete forme
12 La rneme annee, Ie president de la British Association for the Avancement of Science, John Scoll ~urdon-Sanderson (1828-1905), decrit I'vcecology» comme une branche de la biologie au rnerne
titre que la morphologic et la physiologie. Voir Lowe P. D., «Amateurs and professionals: the institutional emergence of british plant ecology», J. Soc. Bibliography of natural history, 7, 1978, pp. 517-535; Cilladino E., «Ecology and the professionalization of botany in america, 18901905 », Studies in HistoryofBiology, 4, 1980, pp, 171-198. 13 Blumenfeld J. C., « Plant ecology comes on age in the United States », Transactions of the Wisconsin Academyofsciences. Arts and Letters, 81, 1993, p. 13. 38
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14 II s'agit du Pflanzengeographie auf physiologischer Grund/age (Geographic des plantes sur des bases physiologiques). ~ 15 Flahault C., « Essai d'une Carte botanique et forestiere de la France. Feuille de Perpignan », Annales de Geographie, 6, 1897, pp. 289-312. 16 Dans cet ouvrage, la part belle est faite a la foret, au manteau originel des lies britanniques. En fait Tansley desire sauver la civilisation britannique d'elle-meme en redonnant sa place a la foret, a ses racines. Voir Anker P., Imperial Ecology. Environmental Order in the British Empire, 18951945, Cambridge: Harvard University Press, 2001, p. 344. 39
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l'equipe et de la botanique anglaise a cette epoque!", Cette desagregation du groupe et Ie peu d'encouragement de ses pairs incitent Tansley 3 partir 3 Sydney, pour y enseigner la botanique. Mais sous la pression de ses amis, iI change d'avis et s'engage dans la fondation d'une societe. En 1913, Ie Cornite central pour I'etude et la recherche sur la vegetation britannique est rernplace par Ie Conseil de la societe britannique d'ecologie dote, des Ie depart, d'une revue Ie Journal of ecology. Ce changement de statut a aussi pour objectif d'obtenir des fonds gouverncmentaux plus facilement. Ainsi 3 la veille du premier conflit mondial, I'ecologie anglaise commence a se structurer et 3 afficher son autonomie sans pour autant parvenir a une reconnaissance. Elle s'est forrnee sur un programme de recherches relevant de la geographic des plantes, mais les hommes qui I'animent ne disposent pas de positions dominantes dans le champ universitaire anglais. Tansley n'est que lecteur en botanique a l'universlte de Cambridge depuis 1907. En revanche, en agronomie, une station de recherches s'est forgee une reputation : Rothamsted, fondee en 1843 sur les terres de Sir John Bennet Lawes (1814-1911). Elle a connu son heure de gloire de 18503 1880. Elle reconquiert a nouveau son audience tant en Grande-Bretagne qu '3 I'etranger sous I'action de I'agronome Alfred Daniel Hall (1864-1942) entre en 1902 et d'Edward John Russel (1872-1965). Ce dernier integre Rothamsted en 1907 et en devient Ie directeur en 1912, annee au iI publie un ouvrage majeur: Soil conditions and plant growth (Conditions des sols et croissance des plantes). II est traduit en allemand en 1915, en francais en 1923 et a connu neuf reeditions jusqu'en 1961. Russel a eu se faire une place rnalgre I'hostilite manifeste de ses atnes qui ne voyaient aucune application de la chimie en agriculture. Dans ses travaux, iI s'est efforce de faire Ie lien entre Ie laboratoire et le terrain. Ainsi une ecologic du sol s'amorce a la veille de la premiere guerre mondiale. Etre un centre marginal avant la premiere guerre mondiale repose sur des criteres qui ont ete definis dans I'introduction : une propension a se former a I'etranger, une absence de citations sauf pour des eeuvres specifiques dans les revues forestieres, Toutefois un critere semble se degage celui de la jeunesse des groupes et institutions porteuses de l'ecologie que ce soit en Finlande, en Russie, aux Etats-Unls ou en Grande-Bretagne avec Ie groupe de Tansley. La plupart n'ernergent qu'a partir des annees 1870 et leur ascension s'accornplit dans les annees 1890-1910. C'est une difference fondamentale avec les centres convergents au l'ecologie est produite par des hommes occupant des chaires dans des universltes anciennes que ce soit la chaire de botanique de Montpellier avec Flahault, celIe de Zurich avec Schroeter ou bien celie de Berlin avec Adolf Engler. Leurs titulaires beneficient d'office d'un reseau qu'i1s ont a ani mer contrairement aux centres marginaux ou les reseaux sont souvent 3 creer pratiquement de toutes pieces.
Le royaume du Danemark est dans une position intermediaire entre celui de Suede et I'empire allemand. II possede un vaste territoire, Ie Groenland, un espace ideal pour etudier les limites de la vegetation et peu modifie par I'homme. Warming s'y est rendu en 1885. Derriere ces etudes, I'objectif du gouvernement danois etait de mettre en valeur les terres possedees en dehors du continent europeen (lies Feroe, Islande). A Copen hague, I'ecologie se partage entre trois Iieux. Le premier occupe I'institut de botanique de ['universite autour de la chaire de botanique detenue par Warming de 1886 1910 puis par son eleve Christen Raunkiaer (1860-1938) de 1911 3 1923. Les deux autres appartiennent l'ecole superieure de veterinaire et d'agronomie avec d'un cote la chaire de physiologie vegetale dirigee par Wilhelm Johannsen (\857-1927) et de I'autre Ie departement forestier. Non loin de Copenhague, il existe Ie laboratoire de Carlsberg, fonde en 1876 par Ie brasseur du merne nom. 11 comprend deux departernents : la chimie et la physiologie. II a accueilli en son sein Johannsen comme assistant de 1881 1887. Toutefois, ce n'est qU'3 partir de 1897, que les chercheurs ont pu disposer de locaux beaucoup plus prop ices la recherche. Parmi les membres du conseil d'administration, on compte Warming qui en fait partie de 1889 a 1921 et Ie preside de 19143 1921. Grace a sa position, il peut ainsi faire allouer des bourses de recherches pour I'etranger. Ce laboratoire possede une revue dont Ie premier nurnero parait en 1878. Chaque article est alors resume en francais. A partir de 190 I, elle est editee en deux numeros separes : I'un en danois et I'autre dans une langue etrangere (francais, anglais et allemand) mais Ie titre reste en francais : Comptes
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rendus des Travaux du Laboratoire Carlsberg. La foresterie danoise baigne dans un contexte bien particulier dans les annees 1860/80. La defaite .du royaume du Danemark face 3 la confederation germanique, en 1864, a entraine la perte du Schleswig, done des meilleures terres agricoles. Pour remedier 3 ce problerne, mais egalernent pour offrir du travail au proletariat rural, une equipe de jeunes ingenieurs dans Ie Jutland fonde la Societe danoise des landes pour mettre en valeur les terres sableuses de cette region par Ie drainage et la reforestation. Resultat, en 1914, les terres agricoles perdues avec Ie Schleswig sont regagnees dans Ie JUtland. En 1867, afin de mener bien les travaux de reboisement, un ingenieur, sorti de I'ecole forestiere de Copenhague, Peter-Erasmus MUlier (1840-1926), est envoye dans divers centres europeens, II sejourne ainsi a l'academie de Hohenheim (Wurtemberg), en 1868, ou iI se prend d'interet pour les sols forestiers et ou officie Emil Wolff (1818-1896), un chimiste agricole, ne Flensburg (Schleswig) alors sous domination danoisel''. II se rend it Zurich, a Nancy, en Belgique et a nouveau en Allemagne. A son retour, Muller enseigne it I'institut agronomique jusqu'en 1882, puis il fait carriere dans I'administration superieure forestiere, II s'efforce d'integrer les sciences naturelles son enseignement, et de former des eleves. Malgre les efforts de la foresterie danoise, il faut attendre 1901 pour qu'une station de recherches soit fondee et 1905 pour qu'elle soit dotee d'une revue et d'un budget proprel",
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Les centres peripheriques danois et suedois Le monde scandinave est domino par les deux principales puissances qui exercent leur tutelle dans .Ies sciences. Leur reputation depasse largement leurs frontieres et leurs travaux trouvent un echo regulier parmi la cornmunaute scientifique europeenne. 17 Ce faible degre de professionnalisation se rencontre outre-atlantique it I'image de la carriere de
Roscoe Pound (1870-1964) qui apres avoir rnene des etudes de droit collabora en tant que botaniste avec Clements dans son etude sur la phytogeographie du Nebraska avant de devenir professeur de droit a Harvard en 1910. 40
18 Wolff etait un partisan des engrais azotes s'opposant sur ce point it Liebig, tenant des engrais mineraux, Voir Klemm V., « Emil Theodor von Wolff. Chemiker und Agrarwissenschaftler 18181896", in G. Taddey, Fischer 1. (Hg.), Lebensbilder aus Baden-Wurttemberg, Bd 18, Stuttgart: W. KohlhammerVerlag, 1994, pp. 330-349. 19 En fait, la recherche etait assuree depuis 1883 par Ie service des arnenagernents de l'Etat. Voir Perrin H., « Le Danemark forestier », Ann. Ecole Nat. EauxetForea-.l, 1923,pp. 1-106. 41
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Les etudes danoises ont dynamise I'ecologie par leur caractere innovant avec les publications de Warming, Raunkiaer, Muller, etc., jusque dans les annees 1960. Deux facteurs peuvent expliquer ce succes. Les reseaux batls par leurs scientiflques sont tres diversifies. Si l'Allemagne occupe une place importante en tant que sources d'information et de formation, les scientifiques, un degre moindre, ont etabli de solides relations avec d' autres centres. Le forestier Adolf Oppermann (1861-1931) paracheve sa formation en Autriche-Hongrie. Le botaniste Frederik Weis (1871-1933), apres avoir etudie it I'lnstitut Pasteur a Paris, au laboratoire de biologie vegetale de Gaston Bonnier (1853-1922) se rend dans celui du microbiologiste Martinus W. Bejerinck (1851-1931) a Delf aux PaysBas. Le second facteur reside dans les liens qui se sont tisses enlre ces differents centres. La demarche de Warming est descriptive, celie de Johannsen, experirnentale, En Suede, cette difference a provoque une forte rivalite entre deux centres: Uppsala et Stockholm. Or au Danemark, ceci n'empeche pas la collaboration. Ainsi c'est Warming qui obtient a Peter Boysen-Jensen (1883-1959), I'eleve de Johannsen, une bourse de recherches via la Fondatlon Carlsberg afin qu'i1 puisse effectuer un sejour de recherches aupres du physiologiste Allemand Wilhelm Pfeffer (1845-1920) Leipzig. Au sein de I'ecole superieure d'agronomie, des travaux interessant la foresterie, qui ne sont pas Ie fait de forestiers, sont pourtant publies dans la revue de la station de recherches forestieres, c'est Ie cas pour ceux de Weis en 1906 et 1908, aspect exceptionnel en Europe it l'epoque. En Suede, I'enseignement superieur a ete reorganise entre 1852 et 1870 s'inspirant du modele allemand au niveau du cursus universitaire et de I'organisation des recherches autour du laboratoire. Deux centres rivaux ont emerge en botanique a la fin du XIXe siecle : Uppsala avec comme chef de file Rutger Sernander (1866-1944) et Lund avec Fredrik Wilhelm Christian Areschoug (1830-1908). Sernander a fait ses etudes it I'universite d'Uppsala et, en 1894, iI y obtlent un poste de maitre de conferences. Influence par Ie botaniste Finlandais Hult, il developpe la sociologie vegetate et la geographic des plantes. Pour cela, iJ beneficie du soutien de Frans Kempe (1847-1924), directeur d'une compagnie forestiere et grand proprietaire forestier. Ce dernier croit en un arnenagement rationnel des forets reposant sur des bases botaniques et geologiques. Voyant que Ie gouvernement el I'ecole forestiere hesitent fonder une station de recherches forestieres, il fait don d'une large somme a I'universite d'Uppsala pour creer une chaire de biologie vegetate, qui echoue entre les mains de Sernander en 1905. La conceplion de la nature qui triomphe ainsi it Uppsala releve du descriptif. En effet, les botanistes s'appliquent it decrire les groupements vegetaux, it analyser leur presence et non expliquer leur adaptation au milieu, ni eclairer les mecanismes internes propres it la plante qui lui permettent de faire corps avec son environnement. Dans cetle approche, Ie contact avec la nature s'opere par I'excursion, moment pendant lequel les eleves apprennent it regarder comme leur maitre. Dans Ie clan rival, it Lund, la chaire de botanique est detenue par Areschoug de 1879 it 1898. II est Ie premier a installer un laboratoire de botanique et est un ardent propagandiste des theses darwiniennes. Son eleve, Otto Rosenberg (1872-1948) poursuit cetle direction it I'universite de Stockholm ou iI est professeur non titulaire en 1904. En 1911, ll occupe la chaire d'anatomie des plantes et des sciences cellulaires. A Lund puis Stockholm, une direction opposee est prise reposant sur Ie laboratoire. Ainsi pour Rosenberg, si l'environnement exerce une influence sur la vegetation, il faut Ie prouver en Ie mesurant, ce qui amene, en 1917, Henrik Lundegardh (1888-1969), un de ses eleves, mettre en place une station de recherches sur I'lie de Halland Vadero, transferant Ie laboratoire sur Ie terrain. .
A Stockholm, iI existe aussi une ecole forestiere, C'est au debut du XXe siecle qu'elle s'ouvre sur la recherche et les sciences naturelles. En fait, ceci est I'aboutissement d'un changement de politique forestiere opere depuis 1860. L'heure n'est plus au liberalisme mais it I'intervention. L'Etat suedois entreprend une politique active de reboisement dans Ie nord du pays, rachete des forets des proprietaires prives, si bien que les forets domaniales passent de 425.794 ha en 1870 a 4.636.779 ha en 1911. Enfin la loi pour la protection des forets adoptee en 1903 est mise en application partir de 1905. Ceci constilUe des conditions propices a la creation d'une station de recherches forestieres, en 1902, dotee , partir de 1904, d'une revue, MeddeLanden fran Statens
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Skogsftirsoksantalten (Communications de La station de recherches forestieres suedoises), dont les articles, regullerernent recenses dans les revues f'orestieres allemandes, com portent tres souvent un resume en allemand. Des sa fondation, la station integre dans ses rangs un botaniste de formation, Gunnar Andersson (1865-1928) qui prend comme assistant Hesselman. Le premier a ete forme a Lund et a travaille sur l'histoire de la vegetation suedoise, Le second a etudie les sciences naturelles a Uppsala et a Stockholm. Tous deux sont de formation non-forestiere et introduisent I'etude des sciences naturelles au sein de la foresterie suedoise, d'autant plus aisernent qu'Andersson enseigne la botanique I'institut forestier partir de 1906. En 1912, iI devient membre de la direction de l'ecole superieure forestiere et de la station de recherches forestieres. Ceci denote une reconnaissance de ses travaux et de I'utilite des sciences naturelles pour la foresterie. Dans l'ensemble, Ie champ scientifique suedois est tourne vers I' Allemagne, consideree comme un centre d'information. Ses scienLifiques Iisent, mais aussi s'expriment souvent en allemand. Le sejour dans une universite etrangere releve des tenants de J'ecophyslologle, de I'experirnentatlon. Areschoug s'est rendu a Tubingen, Rosenberg a Bonn, Lundegardh a l'universite de Leipzig aupres du physiologiste Pfeffer. Pour les geobotanistes, Ie complement d'information est fourni par Ie voyage. Ainsi Sernander se rend, en 1886, en principauterde Finlande pour y rencontrer Hult, puis dans Ie sud de la France et en Italie pendant I'hiver 1902 /03. Andersson a effectue un sejour dans Ie Caucase en 1897 puis dans Ie Norrland au pres du cercle polaire, en 1900. Que ce soit pour Ie Danemark ou la Suede, leurs scientifiques sont Ius et connus hors de leurs frontieres, Ces liens sont deja anciens et remontent a Linne (Uppsala). Avant 1895, Warming est un botaniste apprecie en France, en Allemagne, en Suisse, etc. L'information ou I'innovation qu'i1s peuvent done produire circule aisernent vers les centres convergents. En revanche, les scientifiques etrangers ne viennent pas se former dans leurs universites. Des botanistes se rendent bien en Suede tel Flahault en 1878, mais c'est pour etudier Ie paysage et rencontrer quelques professeurs dans Ie seul dessein de s'informer et non d'acquerir un diplome.
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Les centres convergents : une Autriche-Hongrie au cceur de I'Empire, une Suisse integree au monde germanophone
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Ces cenlres dependent de deux espaces: I'un germanophone et I'autre francais, Le premier est compose de I'Emplre austro-hongrois, de I'Allemagne et de 1a Suisse. Bien que nous ayons affaire a trois entites politiques bien differentes, 1'enseignement universitaire offre des structures identiques. Les cours sont organises en semestres, les formations reconnues et dispensees en allemand sauf dans 1a Suisse romande. Ceci
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LES CENTRES DE L'ECOLOGIE EN EUROPE
constitue un formidable outil d'echanges pour les etudiants mais aussi pour les enseignants. Nombreux sont les scientifiques allemands a. obtenir une chaire a. Prague, BlUeou Vienne avant de pouvoir postuler en Allemagne. Dans I'empire austro-hongrois, Vienne domine et rassemble plusieurs formations superieures : l'universite, I'ecole superieure d'enseignement technique et I'ecole superieure d'agronomie ou l'enseignement forestier est dlstribue. En dehors de Vienne, l'ecologle se developpe a. Innsbruck et a I'unlverslte allemande de Prague. A Innsbruck, la geobotanique fleurit en raison de la proximlte d'un terrain d'etudes ideal: les Alpes. Elle est representee en la personne de Kerner von Marilaun qui y enseigne I'histoire naturelle a partir de 1860, puis la botanique de 1867 a 1879 avant d'etre happe par Vienne. Prague est une etape en vue de parvenir a obtenir une chaire dans la capitale. Telle est la strategic du botaniste Hans Molisch (1856-1937) qui, apres avoir effectue ses etudes a l'universlte de Vienne aupres de Wiesner, enseigne I'anatomie et la physiologie vegetates a l'universite allemande de Prague a partir de 1894, puis succede a. son maitre en 1909. La seconde chaire de botanique a. Prague est detenue par Moritz Willkomm (1821-1895) depuis 1874. II a dispense des cours d 'histoire nature lie a l'academie forestlere de Tharandt (Saxe) de 1855 a 1868 puis de botanique a I'universite de Dorpat (Estonie). C'est l'Autrichien Beck von Mannagetta qui occupe sa chaire en 1899. Ce dernier forme a. Vienne n'avait aucune perspective de carriere dans la capitale, car il s'entendait tres mal avec les deux piliers de l'ecologie vegetate : Wiesner, Ie physiologiste, et Kerner von Marilaun, Ie geobotaniste. II s'est done rabattu sur la capitale bohemienne. Vienne est Ie cceur scientifique de I'empire austro-hongrois correspondant a son statut de capitale. 'Ses instituts attirent les etudiants des diverses parties de l'empire, qui a leur tour, une fois leur position acquise, produisent des eleves, C'est ainsi que Julius Stoklasa (1857-1936), ne en Boheme, se forme a l'ecole superieure d'agronomie a. Vienne, puis a l'universlte de Leipzig avant d'integrer en 1897 I'ecole superieure d'enseignement technique de Prague. Son domaine de recherche est la biologie des sols, l'etude des liens entre les plantes et Ie sol. Wladyslaw Szafer (1886-1970), un botaniste appartenant a la mlnorite polonaise de l'empire austro-hongrois, a fait ses etudes a. l'universlte de Vienne de 1905 a. 1908, puis a Lemberg (Lvov en Pologne)20. En 1917, il prend la direction de I'institut de botanique de l'universite de Cracovie, qui fait partie de I'empire austrohongrois, ou il fonde une ecole de geobotanlque, Vienne, non seulement attire les etudiants de I'empire, mais assure egalement ses scientifiques une visibllite l'etranger gmce aux publications de l'academie des sciences (sessions hebdomadaires ou mernoires). Ce centralisme se retrouve dans la formation des elites forestieres. Elle est delivree a l'ecole superieure d'agronomie depuis 1875 et les eleves de l'ensemble de l'empire viennent s'y former sauf ceux qui proviennent de la partie hongroise. En Hongrie, I'enseignement forestier se deroule a. Schernnitz en Haute Hongrie, ou, depuis 1808, il existe une acadernie des mines et de la foret, mais depuis Ie compromis hongrois de 1867, les cours sont desorrnais dispenses en hongrols-l. Ce passage du rang d'academie a. celui d'ecole superieure en Autriche s'est aussi concretlse au niveau institutionnel par un changement de ministere de tutelle en 1878. Desormais ce centre ne depend plus du
ministere de 1'agriculture mais de celui des cultes et de l'enseignement. Toutefois, it faut attendre I'annee 1905 pour que cette ecole obtienne Ie droit de delivrer des doctorats, La recherche forestiere est du ressort d'une station fondee a. Vienne en 1874, puis transferee non loin de la capitale a. Mariabrunn en 1887. A ces debuts, elle n'emploie a. temps plein que deux chercheurs. En 1914, its sont neuf. Elle dispose d'une audience a. l'etranger par sa rev ue les Mitteilungen aus dem forstlichen Versuchswesen Osterreichs (Communications de la station de recherches forestieres autrichienne). Le centre forestier de Vienne est egalement caracterise par un certain degre d'ouverture sur Ie monde non1873, Ie botaniste Wiesner a exerce comme professeur titulaire de forestier. De 1870 phy~iologie vegetate a. Mariabrunn. Puis, a I'unlversite, il a eu comme eleve Cieslar qui devient, en 1905, professeur titulaire de production forestiere (sylviculture et utilisation des forets), La station de recherches forestieres a integre, au depart, un botaniste de formation: Franz von Hohnel (1852-1920). Celui-ci y sejourne de 1877 a 1880 en raison d'une tuberculose et en attendant d'obtenir un premier poste a I'ecole superieure d'enseignernent technique de Vienne. Malg!e tout, les scientifiques autrichiens restent dans une position subalterne par rapport a leurs homologues allemands. Aucun scientifique, en ce qui concerne notre domaine, forme en Autriche n'acheve sa carriere dans une universite allemande. Ainsi Ie geographe Albrech,t Penck (1858-1945), specialiste des eres glaciaires dans les Alpes, apres aVOIr effectue ses etudes en Allemagne, puis enseigne a. l'universite de Munich en 1883, accepte la chaire de geographic physique de Vienne avant d'acceder en 1906 a. la , chaire plus prestigieuse de Ferdinand von Richthoffen (1883-1905) a. Berlin. ' Cette subordination vis-a-vis de l' Allemagne se rencontre dans la formation des etudiants autrichiens. Ainsi Cieslar passe Ie semestre d'hiver 1883/84 a l'universite de Munich. Toutefois au niveau des botanistes, la demarche est differente, ceux qui relevent de la geobotanique n'eprouvent pas ce besoin. lis peuvent effectuer leur carriere en se dispensant du .sejour a l'etranger ainsi. q~e du voyage sous les tropiques. En fait, l'empire austro-hongrois recele une flore sufftsamment diverse pour constituer, a. elle seule un objet d'etudes, En effet, dans sa partie sud-ouest, il comprend la Dalmatie a la flore mediterraneenne etudiee par Beck von Mannagetta, Une partie du massif alpin a. I'Ouest, au Nord les Monts de Boheme et la plaine hongroise a l'Est sont investies par Kerner von 22. Marilaun En ~evanche, pour les scientifiques qui ont opte pour la physiologie vegetate. done Ie laboratoire, Ie passage par I' Allemagne s'impose. Wiesner et Hohnel ont effectue leur doctorat en Allemagne, Ie premier a I'unlversite de Jena (Thuringe), en 1860, et Ie second dans Ie. laboratoire de physiologie vegetate dirlge par de Bary a Strasbourg, en 1876. Toutefois, une fois Wiesner installe a la tete de la chaire d'anatomie et de p~y~io~ogie vegetate a. Vienne, il en profite pour exercer un veritable magistere dans cette discipline, voyant d'un mauvais ceil ses eleves se rendre a I'etranger. Un de ses etudiants, Molisch lui fit part un jour de son intention et Wiesner lui signifia sechernent qu'Il n'apprendrait rien de plus ailleurs.I'eleve a obtempere... et a fini par lui succeder En Suisse, un centre domine : l'Ecole Poly technique Federale de Zurich. Elle detient une place centrale dans la formation et la diffusion de I' ecologic. La carriere de Ca~1 Schroeter (1855-1939) iIIustre bien cette situation. Titulaire de la chaire de botanique depuis 1883, il en~eigne aux ingenieurs agronomes et forestiers. II s'est tourne vers la
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20 Lvov appartenait a l'ernpire austro-hongrois depuis Ie partage de la Pologne en 1772 et faisait partie de la Galice. Elle avail ete dotee d'une universite allemande en 1784. 21 Le compromis signe a la suite de la defaite de l'empire d' Autriche a Sadowa face a la Prusse en 1866 donne une autonomie politique et culturelle a la Hongrie.
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22 Beck von Mannagetta G., Die Vegetationsverhiitnisse der illyrischen Lander, Leipzig: Engelmann, 1901, p. 534; Kerner von Marilaun A., Das Pflanzenleben der Donauliinder, Innsbruck : Wagner's Verlag, 1863, p. 348. 45
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geobotanique en 1882 a la suite de la lecture de l'ouvrage du juriste Hermann Christ (1833-1933) sur les paysages suisses 23. Tout au long de son parcours scientifique, il a tisse un reseau tant en Suisse qu'a l'etranger, II a collabore avec Ie botaniste Kirchner de I'academie d'agronomie de Hohenheim pour une etude sur la vegetation du lac de Constance-". II s'est noue d'amitie avec Flahault, de Montpellier, a I'occasion des travaux sur les terminologies en geobotanique entames lors du congres international de botanique de Paris en 1900 auxquels il s'associe de 1905 a 1910. En outre, il est aide par un mouvement europeen conjuguant la notion de patrimoine avec celie de redecouverte de la nature ce qui conduit la Confederation helvetique a fonder, en 1906, la Commission suisse de la protection de la nature dans laquelle siegent de nombreux scientifiques dont Schroeter. Dans la merne lancee, est cree, en 1914, Ie Pare National Suisse, dans les Alpes, avec pour mission: la reconstitution de la nature avant que I'homme ne l'ait foulee, Ce pare offre un terrain d'etudespour lui et ses eleves, Toutefois si Zurich domine, un second pole tente de faire contrepoids : Geneve, Deux personnalites y ont marque la botanique : A. de Candolle et John I. Briquet (1870-1931). Le premier a succede a son pere en 1835 comme professeur et directeur du jardin botanique. II en a ete exelu en 1850, pour des motifs politiques. Le second est devenu, en 1896, Ie directeur du conservatoire du jardin botanique, poste qu'il occupe jusqu'en 1925. En fait, Geneve pourvoit de l'information, mais n'est pas un centre dans lequel les scientifiques viennent se former contrairement a Zurich. Au debut du XXe siecle, la geobotanique suisse est empreinte d'amateurisme et impregnee par un livre publie en 1879 de Christ, un passionne de botanique qui a ecoute, en auditeur libre, les cours du botaniste Allemand Alexander Braun (1805-1877) a l'unlversite deBerlin ou il cornpletait sa formation en droit. A la facon de Humboldt, dans son ouvrage, il a decrit les paysages suisses dans leur globalite, s'efforcant de tisser des liens entre la topographie, Ie elimat, la vegetation, les animaux, Ie sol et I'influence humaine. L'amateurisme est encore present au niveau des carrieres. II n'est pas necessaire d'avoir etudie la botanique pour emerger dans ce domaine. Ainsi RUbel a fait des etudes de chimie a Zurich, obtenu son doctorat en 1901, puis s'esl tourne vers la banque, reprenant I'affaire de son frere, En 1904, il s'engage dans la geobotanique et entame une recherche dans les Grisons sur les recommandations de Schroeter. Josias Braun (18851980), Ie futur Braun-Blanquet, qui fonde une ecole de sociologie vegetale au lendemain de la premiere guerre mondiale, n'a fait aucune etude universitaire. Selon les voeux de sa famille, il est destine a prendre en charge Ie magasin de denrees coloniales et la graineterie de son onele. En attendant, il est apprenti dans une banque privee. Son lemps libre, ille passe a herboriser el participe aux excursions organisees par Schroeter. Il est peu a peu appele aparticiper ades releves et asuivre des cours aZurich comme auditeur libre, puis Schroeter I'envoie a l'universlte de Montpellier, qui lui offre la possibilite de decrocher son seul diplorne : un doctorat, qu'il obtient aupres de F1ahaulten 1914. En revanche, parmi les forestiers, la professionnalisation est beaucoup plus poussee avec la creation de la station de recherches forestleres, dotee d'une revue qui acquiert tres vite une forte audience a I'etranger et de chercheurs qui n'enseignent pas a I'Ecole
Poly technique Federale de Zurich. Elle s'accompagne d'un renforcement du caractere national de la foresterie helvetique, La chaire de sylviculture est depuis 1882 entre les mains d'un forestier Allemand: Anton Biihler (1848-1920), forme a l'universlte de Tiibingen. C'est sous son action quela station de recherches forestieres a ete fondee en 1888, dotee de moyens suffisants pour fonctionner. En 1896, il est appele a Tiibingen et rempiace par un forestier Suisse: Arnold Engler (1869-1923). Des lors, la Suisse prend ses distances avec son voisin germanique en rejetant Ie modele sylvicole fonde sur la coupe rase et la regeneration artificielle au profit de la foret jardinee, pronee par Ie forestier Romand Henry Biolley (1858-1939). Ce mouvement sylvicole s'est affirme en Suisse romande, region qui affiche son ldentite et son autonomie avec la fondation, en 1900, du Journal Forestier Suisse. 11 est Ie pendant du Schweizerische Zeitschrift fur Forstwesen (Revue suisse pour la foresterie), fonde en 1849 dans lequel ne paraissent que des articles rediges en langue allemande. De fait, ces revues touchent deux publics differents a l'etranger. La premiere rencontre un echo en France, pour I'essentiel en Franche-Comte, region frontaliere de la Suisse et sert de trait d'union entre la production helvetlque, y compris en langue allemande dont elle resume les travaux, et la production francaise. La seconde revue exerce Ie merne role vis-a-vis des regions Sud de l'Allemagne (la Baviere et Ie Wurtemberg) et l'Autriche. En ecologie, la Suisse possede des representants dans la plupart des domaines: la botanique (Schroeter, Riibel, Jaccard, Brockrnann-Jerosch), la geographic (Jakob Friih), la limnologie (Francois-Alphonse Forel). Ce succes helvetique peut s'expliquer par les competences linguistiques des scientifiques tant en allemand qu'en francais, La position geographique avantage ce pays, iI est traverse par I'arc alpin, un massif qui concerne aussi bien l'Autriche-Hongrie, que l'Aliemagne et la France. Cette derniere partage egalement Ie Jura. Les questions sylvicoles debattues en Suisse ne sont done pas etrangeres a celles de ses voisins. Les scientifiques suisses ont su egalement diversifier leurs reseaux, deja dans leur formation. Schroeter s'est rendu la Berlin et a fait un tour du monde avec un sejour a Buitenzorg. Le francophone Paul Jaccard (1868-1944) s'est rendu au laboratoire de biologie vegetate de Fontainebleau, Heinrich Brockrnann-Jerosch (1879-1939) et Braun-Blanquet a l'unlversite de Montpellier aupres de Flahault. lis ont une approche pragmatique faite par des hommes ayant une vision globale de la nature heritee de Christ. Les travaux de Schroeter sont souvent produits en vue de leur portee pratique com me la mise en valeur des marais 25• Enfin, la protection de la nature a change de nature: il ne s'agit plus de proteger un monument naturel mais bel et bien un espace. Ce changement d'echelle constitue un veritable moteur pour la geobotanique suisse. Ainsi, I'ecologle est generee dans un contexte ou I'Identite nationale helvetique se construit autour du territoire et des montagnes, deux espaces dans lesquels les botanistes et les forestiers sont appeles a intervenir : les premiers en etablissant un inventaire de la flore et en retrouvant Ie paysage naturel du pays; les seconds pour proteger cet espace des mefaits de l'erosion preservant ainsi l'ldentite de la nation. Ces multiples facteurs font de Zurich un centre envoyant ses eleves hors de la Suisse mais accueillant les scientifiques etrangers tels Ie Russe Winogradsky en microbiologie, Ie forestier Danois MUller, etc., rivalisant avec les centres allemands.
23 Christ H., Das Pflanzenleben der Schweiz, Zurich: Friedrich Schulthess, 1879, p. 488, traduit en francais en 1887 et paru it Paris sous Ie titre: Lajlore suisse et ses origines. 24 Schroeter C., Kirchner 0., Die Vegetation des Bodensees. J. Die "Bodensee-Forschungen", 9, Lindau: J. T. Stettner, 1896, p. 122; Die Vegetation des Bodensees. 1/. Die "BodenseeForschungen", 9, Lindau: J. T. Stettner, 1902, p. 86. 46
25 Schroeter C; Frith
J., Die Moore der Schweiz mit Berucksichugung der gesamten Moorfrage,
Beitrage zur Geologie der Schweiz, herausgegeben von der geolog. Kornrnission der Schweiz. Naturf. Ges. Geotechnische Serie. III. Lief., 1904, p. 751.
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L'Allemagne : Ie cceur scientifique de I'Europe L'Allemagne dans la seconde moitie du XIXe siecle est devenue la puissance politique, militaire et economique de l'Europe continentale sous I'impulsion de la Prusse. Ses frontieres butent sur l'Empire russe a l'Bst et, a l'Ouest, se terminent sur les royaumes des Pays-Bas, de Belgique et la Republique francaise, Dans cet ensemble, les regions' continuent d'affirmer leur personnalite notamrnent par Ie biais de I'enseignement superieur. Celui-ci forme Ie personnel administratif et les ingenieurs du Land. Les eccles superieures forestieres illustrent parfaitement cet aspect. Elles sont huit. La Prusse possede deux academies forestleres : l'une a Eberswalde, a 50 km a l'Est de Berlin depuis 1830, et la seconde a Harm-Munden. Cette derniere a ete fondee en 1868 a la suite de l'annexion des petits Etats de I'Allemagne du Nord en 1867 afin de garder la mainmise sur un personnel forestier qui, auparavant, se formait a Brunswick (principautede Brunswick) ou a Eisenach (Btat de Thuringe), villes qui echappent au controle direct de la Prusse. A cette explication politique s'ajoute tine justification ecologique. La formation des forestiers a Eberswalde s'appuie sur les massifs resineux composes de pins sylvestres. Or, ces territoires conquis sont dornines par les feuillus qui exigent une gestion differente, Malgre tout, lors de son ouverture, Harm-Munden est peuplee d'enseignants formes a Eberswalde. Ce n'est qu'au debut du XXe siecle qu'elle prend son autonomie recrutant un personnel issu davantage de ses rangs et non passe par Eberswalde. La Saxe possede l'academie forestiere de Tharandt qui gere son journal Ie Tharandter Forstliche Jahrbuch (Annuaire forestier de Tharandt). En Thurlnge, les forestiers relevent de I'ecole forestiere d'Eisenach depuis 1830. En fait, ce centre est en concurrence au niveau du recrutement avec Tharandt et Harm-Munden. II n'a jamais pu devenir une ecole superieure d'enseignement forestier, ni avoir Ie statut d'acadernie ou bien disposer d'une revue permettant d'afficher son identite, Ce faisant, Eisenach a evolue, partir des annees 1900, en un etabllssement de formation pour Ie personnel communal ou prive forestier provenant de la Prusse, des provinces Baltes, de Bulgarie ou de Serbie. N'ayant pu franchir Ie pas vers l'integration dans Ie champ scientifique allemand, cette ecole etait condamnee a vegeter ou a disparaitre. C'est ce dernier point qui I'a em portee avec la guerre. Les relations avec l'etranger sont alors rompues et, en 1916, elle est supprimee26. Dans Ie Wurtemberg et en Hesse, I'enseignement forestier est delivre dans les universites de Tubingen et de Giessen. En Bade, il se deroule dans Ie cadre de l'ecole superieure d'enseignement technique de Karlsruhe. Leur organe d'expression est la plus ancienne revue forestiere allemande: I'Allgemeine Forst- und Jagdzeitung (Journal general sur La for~t et La chasse) fondee en 1825. Enfin, en Bavlere, les forestiers suivent les cours a I'universite de Munich depuis 1878 et s'expriment dans les colonnes du Forstwissenschaftliche ZentralbLatt (Feuille centraLe des sciences forestieres] auquel s'ajoute, en 1892, une seconde revue Ie Forstlich Naturwissenschaftliche Zeitschrift (Revue forestiere et de sciences naturelles). La diversite de ces formations masque une hlerarchie, Que ce soit en foresterie ou sur Ie plan universitaire, deux centres dominent : Berlin/Eberswalde et Munich. L'universite de Berlin concentre plusieurs personnalites de I'ecologie : Adolf Engler en botanique et Richthoffen puis Penck en geographic. A cote de cette structure universitaire traditionnelle, au debut du XXe siecle, a Berlin-Dahlem,
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plusieurs instituts de recherches sont fondes sous Ie titre: «Land und Reich» (Pays et Empire)27. Trois champs sont couverts : l'eau avec I'Institut pour I'hygiene de l'eau et du sol fonde en ] 901 ; les epizooties et la Foret avec la station biologique de recherches Imperiale pour l'agriculture et la foret creee en ]905, dotee d'une revue en 190628. Munich rivalise davantage dans Ie secteur forestier avec son homologue de la Prusse. L'integration de cet enseignement dans I'universite en 1878 a, en quelque sorte, libere la recherche du poids de I'administration forestiere. Les enseignants de Munich se sont eriges contre Ie modele sylvicole longtemps prone en Saxe et en Prusse privilegiant l'enreslnernent massif et la coupe rase. lis se sont orientes vers une sylviculture favorisant la regeneration naturelle. Ce lien avec les sciences naturelles se retrouve dans Ie parcours scientifique de plusieurs enseignants. La chimie agricole est enseignee par un ancien eleve de Liebig, Ernst Ebermayer (1829-] 908), partisan ardent de la methode experirnentale et du laboratoire. La production forestiere est du ressort de Karl Gayer (1822-1907), qui a commence ses etudes par les sciences naturelles avant de se tourner vers la foresterie faute de ressources suffisantes. Munich attire les forestiers etrangers comme Ie Russe Morosow, qui sejourne egalernent a Eberswalde, I'Autrichien Cieslar et Ie Suisse Arnold Engler. Tous trois sont d'ailleurs dans leur pays respectif des partisans d'une integration des sciences naturelles. dans I'enseignement forestier et, a fortiori, dans la pratique forestiere. Les forestiers ont egalement la possibilite d'obtenir Ie titre de docteur ce que Ie statut d'academie n'autorise pas. Ainsi Alfred Dengler (1874-1944), apres ses etudes a Eberswalde, reussit son doctorat en 1903 aupres de Mayr, Ie successeur de Gayer. Munich debauche aussi certains professeurs d'Eberswalde, Robert Hartig (1839-1901) delaisse la chaire de botanique qu'it detenait depuis 1871 pour celie Munich, en 1878. Ramann, professeur titulaire depuis 1890 a Eberswalde, occupe la chaire de pedologic et de chimie agricole de Munich a partir de 1900. Si Berlin et Munich exercent leur predominance, d'autres centres ont su se creer leur autonomie. En agronomie, l'academie de Hohenheim, proximite de Stuttgart, beneficie d'une renommee tant en chimie agricole qu'en botanique. II existe aussi a Hohenheim une station d'etudes des graines, aspect important lorsque les forestiers pratiquent une sylviculture de plantation qui exige ensuite un reensemencement, Dans cette academic, la visibilite des travaux de ses enseignants est assuree par la maison d'edition Ulmer depuis la fin du XIXe slecle, En physiologie vegetale, il faut citer Ie laboratoire de Bary a Strasbourg. Celui-ci apres avoir fonde des laboratoires a Fribourg (1855), puis a Halle (1867), a ete appele dans la ville alsacienne en 1872. L'universite de Strasbourg dispose d'un soutien financier de la part de l'Emplre, afin de creer un pole scientifique face a la France. Tres vite, son laboratoire attire denombreux scientifiques provenant d'AlIemagne, d'Autriche (Hohnel) et de la Russie (Winogradsky). Toutefois, a sa mort, en 1887, son institut n'attire plus d'eleves, son successeur ayant pris une toute autre orlentation-".
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27 Ruske W., « AuBeruniversitiire technisch-naturwissenschaftliche Forschungs- anstalten in Berlin
bis 1945 w in R. RUrup (ed), Wissellschaft und Gesellschaft, Berlin: Springer, 1979, pp. 231-263. 28 II s'agit des Mitteilungen aus der biologischen Reichsanstalt /iir Land- und Forstwirtschaft (Communications de la station biologique imperiale pour l'agronomie et la foresterie).
26 Voir Schwarz E., « Vom Werden und Wachsen der Eisenacher Forstlehranstalt unter Gottlob Konig », Forstarchiv, 61,1990, pp. 237-242.
29 A I'epoque, Ie nouvel occupant d'une chaire n'etair pas tenu de suivre les orientations de son
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predecesseur.
~....,.------------. LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
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du XIXe siecle, la difference entre universites, academies et ecole superieure d'enseignement technique s'estompe. Les eccles forestieres et agronomiques se fondent dans I'enseignement universitaire, meme si dans certaines regions (Prusse et Saxe), il y a encore des resistances. Ce changement de .statut leur donne l'autorisation de delivrer des doctorats, droit reconnu aux eccles superieures d'enseignement technique a partir de 1900. La dynamique de la societe allemande engendre aussi un accroissement du nombre des etudiants done des candidats potentiels aux postes de maitre de conferences qui, eux, n 'augmentent pas en proportion. Ceci profite d'ailleurs aux centres forestiers qui offrent des postes de professeurs en meteorologic, en botanique et en chimie agricole. Ceux-ci ne sont plus consideres avec dedain, Desorrnais les candidats qui se presentent sont beaucoup plus diplornes que ceux de la precedente generation.
descriptive ou l'eeil nu est Ie maitre, pour une systematique fondee sur la h h 'd" d . rec ere e '· t passan t par I In erme laue u microscope, du rasoir et du scalpel Ceci s'est r' I' J:. diffi I ' , .. . ea IS., non sans I ICU tes aupres des taxinornistes du Museum qui se sont efforces pendant I . , d' ' P usreurs annees. entra~er ses travaux en refusant de communiquer les plantes dont it avait besoin sous divers pretextes, (« classification non encore etablle, pas disponible pour l'instant besoi~. d'une autoris~~ion speciale, etc. »)32. En revanche, van Tieghem ne croyait pa~ dans I Influence du milieu sur la plante,
A la fin
La France: une ecologie limitee a quelques centres La France a perdu de son importance en tant que centre scientifique international entre Ie debut et la fin du XIXe siecle. En 1805, Humboldt publie Paris son ouvrage de geographie des plantes en fraw;:ais30. En 1896, I'ouvrage fondateur de I'ecologie redige par Warming paralt en allemand. La production francalse s'agissant de l'ecologie n'est guere traduite, peu d'etudiants etrangers viennent se former en France sauf dans quelques centres precis. En fait, en ecologle, trois laboratoires ont acquis une dimension internationale : l'Institut Pasteur et Ie laboratoire de biologie vegetate de Fontainebleau, tous deux situes sur Paris, et I'Institut de botanique de l'universite de Montpellier. Le centre de Fontainebleau a ete fonde en 1889 par Bonnier, professeur de botanique a la , Sorbonne sur Ie modele de l'Institut Pasteur. Ces deux centres de recherches formes autour du laboratoire disposent chacun d'une revue qui rend compte des travaux effectues : les Annales de l'Institut Pasteur et la Revue Generate de Botanique. Celui de Montpellier est I'heritier d'une grande tradition en botanique-'J. En ecologie, il a construit sa reputation autour de la personnalite de Flahault. Au debut du XXe siecle, it gere un soli de reseau en France et a l'etranger, entretenant une correspondance regullere avec Adolf Engler (Berlin) et Schroeter (Zurich). La science francaise dans Ie domaine de l'ecologie, en cette fin de XIXe siecle, est marquee par son centralisme, ce qui n'est pas propre a la France, avec une concentration de la recherche sur Paris au travers trois poles fondamentaux : la Sorbonne, Ie Museum et l'Ecole normale superieure. A la Sorbonne, regne Bonnier, depuis 1887. I1a profite de sa position pour promouvoir les sciences naturelles dans I'education, tant au niveau du ministere que des ecoles et du grand public. D'un autre cote, il a contribue a professionnaliser davantage la botanique en fondant son laboratoire de Fontainebleau. Le Museum s'est engage dans la recherche et a neglige sa fonction museologique dans les annees 1860 autour, entre autres, du laboratoire d'anatomie de Philippe van Tieghem (1839-1914) qui a eu pour eleve : Flahault, Bonnier et Chevalier. L'action de van Tieghem a ete decisive, car iI a detache la botanique de la systematique purement
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30 Voir Serres M., «Paris 1800», in Serres M. (Ed.), Elements d'histoire des sciences, op. cit., pp. 337-361. 31 Montpellier a ISte Ie siege d'une importante universite de medecine et. les connaissances
medicinales ont longtemps repose sur la reconnaissance des plantes et de leurs usages.
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L~ troisie~e pole e~t ~onstit.ue par les .normaliens d'ou sont issus van Tieghem et B~nnter: ~epU1s 1860, lis mvestissent la science francaise detronant les polytechniciens qUI s~ dirigent vers les metiers de I'ingenlerie et de l'armee. Toutefois a l'Ecole normale superieure, la voie ecologique s'exprime au travers de la geographic de Vidal de la Blach e qui assure sa visibilite par une revue: les Annates de Geographie, fondee en 1891 soutenue par un editeur : Armand Colin. II a forme ainsi de nombreux eleves dont E~manuel. de Ma.rtonne (1873-1955), Blanchard et Max. Sorre (1880-1962). L .Inte.r~entlOn de ~Idal de la Blache en ecologie est en relation avec la reconnaissance sCI~nt~flq~e de la. geographie. Cette derniere suit un mouvement parallele la botanique q~1 d. ~n mventatre de noms est passee a une explication causale de la vie et de la repartition des piantes. La geographic est passee d'un inventaire de noms de lieux a une recherc~e c~usale .sur la repartltion des ~ommes et de leurs activites sur terre. Sur ce plan, elle re.leve a la fois des sCle~ces humal,~es, car l'Homrne est au coeur de son analyse, et ~es scrences naturelles ; c~r I Homme s implante dans un espace et doit compter avec les elem~nts de la ~atur~. Vidal de la Blache s'est evertue d'ancrer la geographic dans Ie do marne des sciences naturelles et des sciences de I' homme. Pour cela, it a utilise la formule de «. ge~~raphie humaine » et surtout I'ecologle naissante, qui donne les fondements scientifiques a sa doctrine, et lui permet de se distinguer de l'histoire, de la geolo~ie et de la soclologlev. Ainsi FIahault sert de caution scientifique dans Ie comite de redaction des Annates de Geographie ainsl que Henry, un forestier, specialiste reconnu de ~a p~dologie, la aussi une discipline emergente, Ce faisant, et c'est la Ie troisieme interet II fait de la geographic une discipline scientifique part entiere, ' Les centres parisiens ont aussi feconde la province. Blanchard s'installe a Grenoble FIahault a Montpellier. D'autres norrnaliens font souches a l'universite de Nancy avec Gran~eau, un pharmacien de formation, mais qui s'est tourne vers I'agronomie, et Ie botaniste Ge?rges Le Monnier (1843-1931). En fait, en dehors de Paris, avant 1914, deux centres d.omlD,ent chacu? dan~ deux d.omaines diffe,rents: I'un en ecologie vegetate, Mo~tpellJer, I ~utre en ecologle forestiere, Nancy. A Montpellier, Flahault occupe la chaJ~e. ~e ,b~t~~lque de 188~ a 1.9.27. II n 'e~t 'pas venu directement a I'ecologle. II a ete sensibilise a I etude de la repartition des vegetaux lors de son sejour en Scandinavie en compagnie de Bonnier. Mais c'est a Montpellier qu'il fait Ie pas decisif, Anatomiste de formation, a son arrivee, it ne peut poursuivre ses travaux dans ce domaine faute de laboratoire et se tourne vers I'algologie et l'etude de la flore regionale. En 1889/90 un I?stitu.t de botanique e~t cree grace au soutien de Louis Liard (1846-1917), Ie directeu~ de I enseignernent superieur avec lequel F1ahault a de bonnes relations. II oriente ses \
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32 Warming a connu les memes desagrernents a Copenhague,
c., «L'invenlion de la "geographic hurnaine" au tournant des annees 1900: les vidaliens et I'ecologie ». Col/oque sl/r l'histoire de La geographie franraise au XIXe et debut du XXe. Paris, 1990, p. 142 33 Robie M.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
LES CENTRES DE L'ECOLOGIE EN EUROPE
recherches vel'S I'etude de la flore rnediterraneenne et la phytogeographie et finit par attirer des etudiants etrangers en raison de son activite sur Ie plan international. En effet, en 1899, a I'issu du congres de geographic a Berlin, une commission ne comprenant que des allemands a ete formee pour tenter d'unifier Ie vocabulaire en phytogeographie. F1ahault estime que ce domaine est du ressorL des botanistes, contactant divers phytogeographes, it s'ensuit une seriede reunions internationales dont la premiere se deroule a Paris en 1900, lors du congres international de botanique. En depit de ses efforts, F1ahault ne parvient pas a degager un consensus. Au congres de Vienne, en 1905, it est associe au Suisse Schroeter afin de proposer, pour celui de 1910 a Bruxelles, une serie de definitions et de donner son unite a la phytosociologie, sans succes, Ce lien personnel avec ce botaniste suisse permet a Flahault d'accueillir quelques-uns de ses eleves dans son institut. L'enseignement de F1ahault a seduit egalernent les scientifiques francais. Sorre, normalien, geographe, eleve de Vidal de la Blache, fait en sorte d'etre mute a I'ecole normale de Montpellier pour pouvoir effectuer sa these sous sa direction. Jules Pavillard (1868-1961), apres avoir etudie la botanique a I'universite de Bordeaux, obtient un premier poste d'enseignant au lycee a Grenoble en 1894. En 1895, it enseigne a Montpellier, ou iI s'engage dans une these de botanique delaissant la geologie. F1ahault a reussi a fonder un centre autonome en botanique hors du giron parisien, formant des eleves qui ont offlcie, pour la plupart, dans Ie sud de la France. Surtout, iI a noue des relations etroites avec Ie monde des forestiers en s'interessant aux questions forestieres grace a deux hommes : Eugene Durand et Georges Fabre (1844-1911), qui lui ont fait prendre conscience du role de I'arbre dans la protection du sol et de la legitirnite de la politique de reboisement menee par I'administration forestiere, Cette collaboration avec les forestiers s'est traduite par la publication d'un article au sein de la Revue des Eaux et Fortis qui a fait date et par les contacts qu'iI a tenus au pres des forestiers avec qui it a tisse des liens amlcaux'", Sur ce plan, Flahault a servi d'Intermediaire (volontaire) entre l'ecologie vegetate et la foresterie francaise, Le second centre provincial relatif a l'ecologie forestiere est Nancy avec son universite et son ecole forestiere. II faut ramener cette ville a sa situation geographique, a la frontlere de I'Allemagne depuis la defaite de 1870. L'universite de Strasbourg a ete transferee dans cette ville qui assure, desormais, Ie role de vitrine de la science francaise, A Nancy, ont officie Ie geographe Vidal de la Blache de 1872 1877, I'agronome Grandeau de 1869 1893 et Ie botaniste Le Monnier. Toutefois la strategic de carriere en France reste focalisee sur Paris. Vidal integre I'Ecole normale superieure en 1877 et Grandeau Ie Conservatoire National des Arts et Metiers (CNAM) en 1893. La proximite de cette universite n'est pas restee sans consequence sur I'Ecole des Eaux et Forets qui, suivant Ie mouvement general en Europe, s'ouvre sur Ie monde universitaire. Quelques cleves y cornpletent ainsi leur formation comme Philibert Guinier aupres de Le Monnier et du zoologiste Lucien Cue not (1866-1951). Grandeau, qui delivre un temps des cours a l'ecole forestiere (1873-1888), forme deux forestiers: Henry et Paul Fliche (1836-1908). Ces forestiers inities aux sciences naturelles, qui enseignent des rnatieres non specifiques ala foresterie, sont davantage enclins a s'exprimer dans des revues non-forestieres. Ainsi Henry se revele vite indispensable dans la revue de Grandeau, les AnnaLes de La science
agronomique francoise et etrangere, en traduisant de l'allemand plusieurs etudes phares en pedologic, celles du forestier Danois Muller, de I'agronome Etasunlen Hilgard, de I'Allemand Ehwald Wollny(1846-1901)35. Cette participation ace mouvement general se manifeste egalement par la promotion de la recherche avec la fondation de la station de recherches, par Ie partage de I'enseignement des sciences naturelles la suite du deces de Mathieu en 1880, avec d'un cote la botanique attribuee a F1iche et de I'autre la zoologie et la geologie pour Henry. Enfin, les forestiers de Nancy ont un debouche chez l'editeur Berger-Levrault, dont la maison a ete transferee, apres 1870, de Strasbourg a Nancy. II assure la publication d'ouvrages de forestiers et de la Revue des Eaux et Forets a partir de 1914. ' Cette ouverture recele toutefois ses Iimites. Les enseignants sont surcharges de cours. Ainsi Antoine Jolyet, en 1913, apres Ie depart d'Henry et de Francois Dubreuil (18461932), enseigne la culture pastorale, les repeuplements artificiels, la zoologie, la pisciculture, les sols forestiers. La station de recherches manque cruellement de moyens financiers et les enseignants de Nancy participent peu aux colloques internationaux. Enfin, I'esprit de corps pese de plus en plus, puisque tout nouvel enseignant en cette fin de XIXe siecle, doit etre un fils de forestier, en d'autres termes, un heritier de la fibre forestiere. L'acquisition de connaissances extra-forestieres peut se faire soit en cornpletant sa formation, soit en s'informant des productions universitaires. A la veille de la premiere guerre mondiale, I'Ecole forestiere de Nancy n'a pas pleinernent opere Ie transfert d'une foresterie fondee sur l'experience celie reposant sur l'experlmentation, Ainsi des la fin du XIXe siecle, l'ecologie dispose de relais parmi les plus grandes universites europeennes sauf en Grande-Bretagne, Relais qui seront d'autant plus efficaces que ces hommes disposent d'entrees prlvllegiees dans les plus importantes revues comme celie des academies des sciences. Parmi les forestiers, I'acces aux sciences naturelies se manifeste sous deux aspects : en integrant des hommes de formation nonforestiere comme dans la plupart des centres forestiers europeens sauf en France ou bien en completant la formation forestiere par un sejour dans une universite, Ces scientifiques ant servi de cheval de Troie la diffusiqn de I'ecologie dans leurs champs et eccles respectifs. i
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34 Flahault C., « Les limites superieures de la vegetation forestiere et les prairies pseudo-alpines en France », Rev. Eaux et Forets, 11,1901, pp. 385-401 ; 417-439.
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35 MUller a distingue les divers profits des sols. Hilgard a dernontre I'influence du climat sur la formation du sol. Wollny s'est evertue a demontrer l'influence des facteurs physiques (lurniere, hurnidite, chaleur) dans Ie sol sur la vegetation. Au-de/a de leurs apports, its sont parvenus a la connaissance des scientifiques francais en etant d'abord passes par I'Allemagne, pays incontournabledans la circulation de I'information scientifique. 53
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Une integration de la flore et du sol C'est au travers de deux grandes voies, la botanique et la pedologic, que l'ecologie est parvenue a la conscience des scientifiques. La premiere puise ses origines dans les travaux de Humboldt, la seconde dans ceux des chimistes Joseph Priestley (1733-1804) et Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794). Malgre ces chemins divergents, les interrogations ont ete identiques. Les scientifiques ont cherche, d'un cote, a definir les facteurs qui regissent la repartition des vegetaux el des types de sols tanl sur Ie plan horizontal que vertical (Ies horizons). L'ceil sert de rnediateur, les differences sont visibles l'ceil nu. Elles passent par des prelevements de la flore et de sols. De l'autre, les chercheurs se sont interroges sur les relations qui existent entre la vegetation et Ie sol, entre les plantes et les facteurs du milieu (chaleur, humidite), Le regard du scientifique est mediatise par Ie microscope et I'usage de differents instruments dans un espace specifique : Ie laboratoire. Ce dernier est ala fois un lieu precis, defini, identifiable, it tend egalement a elre transpose sur Ie terrain, a devenir ambulant. Ces deux courants ont irrigue la foresterie europeenne a des degres divers selon les champs scientifiques. En Autriche, en France et en Finlande, les forestiers se sont eveilles a I'ecologie via la botanique, En revanche, en Allemagne et en Russie, l'ecologie s'est affirrnee par la pedologic.
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Climat et repartition des vegetaux La voie botanique est la mieux exploree dans Ie domaine de l'histoire de I'ecologie, Selon Acot, « C'est ce courant, et lui seul, qui conduira l'elaboration et la mise en relation des grands concepts de l'ecologi~ » I, au travers deux interrogations: quels Iacteurs conditionnent la repartition des vegetaux ? Quels types de groupernents vegetaux ces divers facteurs occasionnent ? ! Le climat a d'abord ete considere comme I'element causal pour la repartition des vegetaux sur la Terre sous l'action de deux de ses composantes : la temperature el les precipitations, que ce soit pour Humboldt ou pour Ie botaniste Allemand Grisebach qui ecrit : «Dans la plupart des cas, c'est le changement du climat qui isole les flores naturelles du globe »2. Ce lien a ete, par la suite, affine et quelque peu remis en cause. Ainsi, Ie botaniste A. de Candolle, en 1855, tempere son role et ajoute deux aulres facteurs : Ie temps et Ie sol3. II estime que la vegetation d 'une contree est la fois Ie produit du climat, du sol et de I'histoire, c'est-a-dire Ie fruit des diverses successions geologiques, La relation entre Ie sol et Ie c1imat est avancee par d'autres botanistes comme Kerner von Marilaun, Ie Suisse Jules Thurmann (1804-1855) et Ie geologue Contejean. Pour Thurmann, I'etat physique du sol et son mode rnecanique de
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I Acot P., Histoire de l'ecologie, Paris: PUF, 1988, p. 18. 2 Grisebach A., La vegetation du globe, Paris: 1.-B. Bailliere, 1878, p. 7. 3 Candolle A. de, Geographie botanique raisonnee ou exposition des faits principaux et des lois concernant la distribution geographique des plantes a l'epoque actuelle, Paris-Geneve : Masson, 2 vol., 1855, p. 1365.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
UNE INTEGRA nON DE LA FLORE ET DU SOL
desagregation sous-tendent la formation et la repartition de la vegetation. Contejean, apres
Galapagos. Ces diverses zones doivent etre definies et eclairees. A ce titre, en 1817, Humboldt distingue seize formes fondamentales qui passent a dix-neuf dans la seconde edition de Ansichten der Natur (Aspects de la nature) en 1826. Elles ont pour nom: formes du Bananier, des Malvacees, du Cactus, des Coniferes, etc. A la maniere des systernaticiens, Humboldt fonde son observation sur Ie regard. II rompt I'unite de la nature, iI la desunit en plusieurs ensembles partageant certaines caracteristiques avec leur milieu et pose les premieres pierres d'une nouvelle discipline: la geographic des plantes", Sa classification oscille entre les especes ret les families. Elle marque un essai d'ordonnancement autre que taxinomique parmi les milliers d'especes qui s'offrent au regard du naturaliste sous l'equateur. Cette demarche est reprise par Grisebach. Comme Humboldt, it part du climat et cerne cinquante-quatre formes biologiques dans Die Vegetation der Erde(La vegetation de la terre) parue en 1872, qui passent a. soixante dans la seconde edition de 1885 8 . Dans un me me espace clirnatique, il differencie plusieurs formes vegetales en fonction des especes, du feuillage, etc. Ainsi pour Ie « domaine mediterraneen », iI determine dix-huit formes vegetales dont les « arbres a feuillage toujours vert », la « forme du laurier », la « forme de l'olivier », La mediation entre la nature et Ie savoir scientifique passe par Ie regard, l'ceil nu, qui garde chez Grisebach un role fondamental pour definlr une forme vegetale, II reste fidele a. Humboldt.
avoir suivi les conceptions de Thurmann, n'a retenu que la composition chimique. Leurs travaux ont contraint les botanistes, dans la seconde rnoitie du XIXe slecle, prendre en consideration Ie sol, mais sur un plan local, Ie facteur premier dans la repartition des vegetaux restant au climat. A l'operation comblnee de ces deux elements, iI s'est ajoute celui de la vegetation ellernerne, de la vie. L'action du climat, du temps et du sol, melee it la latitude et it I'altitude ne peut suffire a. eclairer la repartition des vegetaux et des animaux, iI faut rajouter la concurrence que la vie livre a. la vie, voie ouverte par Darwin. Les especes chez Darwin menent la lutte selon trois points: entre especes sembi ables, entre especes differentes et entre elles et Ie milieu. Ce combat recoupe plusieurs aspects: la concurrence, la predation, la competition et la cooperation et iI se situe sur deux plans: I'occupation d'un espace et la reproduction dans Ie temps. L'influence de Darwin dans la formation de l'ecologie est problernatique, car nombreux sont les fondateurs de cette discipline a. se revendiquer du courant lamarckien (Bonnier, Flahault, Warming). En outre, dans Ie monde forestier, I'agent qui opere la selection des essences est Ie forestier ... Dernontrer I'adaptation des especes vegetales a. leur environnement s'est avere essentiel dans la reconnaissance de I'influence du milieu sur la croissance des vegetaux, Dans les annees 1880, Bonnier transplante des plantes issues d'un meme pied dans les Alpes et les Pyrenees et demontre que, selon Ie eli mat, elles prennent une physionomie differente", Dans Ie me me esprit, I' Autrichien Wiesner mene une serie de travaux sur I'absorption et la transpiration des plantes, et parvient aux conclusions suivantes : « La
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structure des lines favorise, celie des autres retarde l'emission de l'eau absorbee. Les mecanismes qui activent l'emission de l'eau caracterisent la structure hygrophile; ceux qui activent l'absorption et retardent la transpiration caracterisent la structure xerophile. Les vegetaux xerophiles redoutent les climats pluvieux, its sont ombrophobes; les vegetaux hygrophites les recherches, ils sont ombrophiles, .. .»5. II distingue egalernent, dans ses travaux sur I'action de la lumiere vis-a-vis de la forme des feuilles, les especes heliophiles des especes heliophobes : « Les feuilles des plantes heliophlles sont souvent
verticales ou perpendiculaires aux rayons solaires, tandis que les feuilles des plantes d'ombre s'etalent horirantalement, se superposent sou vent et se croisent de maniere a former une sorte de mosaique complete, qui offre a la lumiere faible une surface ininterrompue »6. Non seulement, les facteurs du milieu influent sur la repartition des vegetaux sur la Terre mais aussi sur leur physionomie. Celte emergence du milieu change Ie statut de la plante, qui de simple objet taxinomique est devenu un etre vivant prenant une physionomie propre en fonction de I'environnement dans lequel elle pousse. La vie a ete don nee aux vegetaux, L'action de I'ensemble de ces divers facteurs produit une vegetation donnee dans un espace precis, or la presence de facteurs sembiabies en differents points du globe ne donne pas une flore identique ou la meme population animale comme I'a constatee Darwin aux
Vers I'etude de la vegetation en elle-rneme
A cote de ces tentatives de definition des divers groupements vegetaux de la planete, un autre mode de classification, plus fonctionnel, reposant sur Ie concept de « formation» s'impose sans grandes difficultes, Ce terme a ere formule par Grisebach en 1838. II lui a donne la definition suivante : « Je designe comme «formation phytogeographique » un groupe de plantes representant un caractere physionomique defini comme une prairie. une foret, etc. La formation est tantot constituee par une seule espece, tanttit par un complexe d'especes dominantes de la meme famille, tantot enfin par un agregat d'especes diverses presentant dans leur organisation quelques particularites communes " tels sont les vegetaux herbaces vivaces des pelouses alpines. Ces formations se repetent sous l'influence de conditions locales semblables, mais elles trouvent leur limite climatique avec celie de la flore naturelle qui les constitue »9. Ce concept fonde l'unite de l'espace sur les « particularites communes» des especes, Grisebach ordonne ainsi les formations: « Forets, formations de buissons, prairies et alpages, roseraies, savanes, steppes et deserts »10. I1l'utilise pour la premiere fois en 1845,.dans une etude sur la tourbe dans les marais d'Ems (Basse-Saxe),
7 Castrillon A., «Alexandre de Humboldt et la geographic des pIantes »,
Rev. Hist. Sci., 45, 1992, p.
430. 4 Bonnier G., « Cultures experimentales dans les Alpes et les Pyrenees », Rev. Gen. Bot., 2, 1890, pp. 513-548;« Recherches experimentales sur I'adaptation des plantes auclimat alpin», Ann. Sci. Nat. bot., 7, 20, 1894, pp. 217-360. Cette approche est dans I'esprit des theories de Lamarck. 5 Flahault c., « Les progres de la Geographic botanique depuis 1884, son etat actuel, ses problemes », Progressus Rei Botanica, 1, 1906, p. 262. 6 ibid., p. 268.
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8 Grisebach A., Die Vegetation der Erde nach ihrer klimatischen Anordnung. Ein Abriss der vergleichenden Geographie der Pflanzen, Leipzig: Engelman, 1872, 2 YOI., p. 603 et 709 ; 2" edition 1885,2 vol., pp. 567 et 693.
Uber den Einflu13 des Klimas auf die Begrenzung der natlirlichen Floren phytogeographique», op. cit., p. 123. 10ibid., p. 54.
9 Grisebach A., «
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UNE INTEGRATION DE LA FLORE ET DU SOL
Toutefois, ce concept souffre de deux handicaps, il eclaire, mais n'explique pas, c'esta-dire, il perrnet de mieux decouper I'espace (Ie reordonner) mais les causalit~s sont absentes. Enfin, il reste encore f1ou, iI faut done I'affiner, Ie subdiviser. Les botanistes se sont achemines vel's la notion d'association vegetale deja avancee par Humboldt en 1805. En 1872, Grisebach a tente d'apporter une premiere reponse, ou du moins d'arneliorer la classification operee par Humboldt, avec Ie terme de formes vegetates, sans grand succe~, car restant purement physionomique. La tentative la plus fructueuse est celie du Francais Henri Lecocq (1802-1907). Fort de la lecture de Humboldt, il publie un ouvrage en neuf volumesll. Partant de la station, qui comprend I'ensemble des facteurs agissant sur" un espace determine et produisant un certain type de vegetation, il determine des groupements vegetaux qu'i1 nomrne «association vegetate ». Ces groupements so~t composes d'especes assernblees non plus d'apres leur physionomie, leur appare~c~, mal.s en fonction de leur abondance au travers de I'outil statistique. Dans ces associations, II differencie quatre types despeces : les dorninantes, essentiell~s, acc~ssoires et accidentelles. Cette demarche instaure une nouvelle approche, mars en raison de sa position dans Ie champ universitaire, une universite provinci~le (Cler~.ont-Ferrand) dotee d'une recente faculte des sciences, fondee en 1854, hors du giron panslen, encore plus de I'horizon europeen, iI ne rencontre guere d'echo et ne fait pas ecole. II est redecouvert dans les annees 1880 par F1ahault qui, explorant depuis Monlpellier Ie Massif central, recommande de se concentrer sur les plantes communes (dominantes ou essentielles) d'un espace donne pour caracteriser I'association presente et de delaisser quelque peu la
les champignons et crustacees » 13. A l'Interieur, iI distingue plusieurs strates appelees Bestand (Peuplement) : les arbres, les arbustes, les fougeres, les herbes, les mousses, faisant de chaque formation un « enchainement de peuplements » qui dependent chacune
physionomie. Si I'adoption de la notion d'association vegetate conduit s'ecarter de la f?rme que prend la vegetation, cela n'emancipe pas la geographie des plant~s du poids de I.a taxinomie. Le pas est Franchi par de Candolle, en 1874, avec un article dans lequel II propose une classification non plus fondee sur I'espece, mais sur les caracteres physiologiques des plantes l2 . Rejetant la classification reposant sur les lignes isothermes herltee de Humboldt, iI fixe des « groupes physlologiques » en usant de deux facteurs (toujours cette volonte simplificatrice) : I'humidlte et la chaleur, delaissant la temperature. Les vegetaux sont ainsi classes en plantes xerophiles (chaleur fort~ .et humidite faible), mesotherrnes (chaleur et hurnidite moyennes) et megatherrnes (huml~lte et chaleur fortes). Cette classification s'ecarte de la notion d'espece et ouvre la vote it
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I'ecologie. Pendant que de Candolle deli vre la classification des vegetaux de I'~mprise taxinomique, Kerner von Marilaun emprunte une demarche differente de~botanJstes de l'epoque en s'interessant a la repartition de la vegetation sur Ie plan vertical. ?~ns son ouvrage de 1863, Das Pflanzenleben der Donauldnder (La vie des pLantes des regions du Danube), il definlt douze formes fondamentales (Grundform) dans la nature: « Les arbres, les bulssons, les arbustes, les herbes, Les pLantes feuilles, les plantes champignons, les pLantes grimpantes, les plantes filaments, Les roseaux, les graminees,
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II Lecocq H., Etudes sur La geographie botanique de l'Europe et en particulier sur la wIgetation du plateaucentral de la France, Paris: Bailliere, 1854 ~ 1858.
12 Candolle A. de, « Constitution dans Ie regne vegetal de groupes physiologiques applicables geographie bolanique ancienne et modeme ", Arch. Sc. Phys. Et nat., 50, 1874, pp. 5-42.
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I'une de I'autre. Kerner von Marilaun offre une vision holistique de la foret, qui ne peut plus etre consideree comme une somme d'arbres. Au contraire, elle est un ensemble stratlfie de divers composants, partant du feuillage pour aboutir aux mousses!", Cette stratification fait encore appel au regard, elle garde un aspect concret aux yeux de I'observaleur. La vegetation a ete ainsi hierarchisee de la formation vegetate it I'association, de I'arbre it la mousse, mais ceci reste encore confus, chaque auteur tentant d'imposer ses vues dans Ie champ scientifique de la biogeographie. La nature est complexifiee, Ainsi pour la recherche des differents facteurs qui expliquent la repartition des etres vivants, d'une causalite simple avec Ie clirnat (Humboldt, Grisebach), no us sommes passes a une causalite plurielle avec de Candolle (climat, sol, humidite), mais dans I'ensemble, I'approche reste physionomique et floristique. Si la recherche des facteurs favorisant ou defavorisant les especes vegetates est mise en avant, iI existe peu de travaux sur les plantes elles-mernes, sur la facon dont elles s'organisent selon Ie milieu. Malgre tout, dans les annees 1880, les conditions en faveur de I'emergence de I'ecologie sont faites. L'espece vegetate s'est integree dans Ie paysage: d'un nom latin, elle est devenue la caracterlstique d'un milieu. La classification repose sur quelques elements que ce soit chez Grisebach ou chez Kerner von Marilaun. Le couvert vegetal doit etre decode a l'oeil nu, d'ou se partagent entre les forets, les paturages, les marecages, etc., mais aussi entre Ie feuillage, les arbustes, les buissons, ... Avec Lecocq, apparalt une autre facon de d'ordonnancer la nature, ici, iI delaisse ce qui est directement reperable (sens commun), au profit de ce qui est rendu visible par la statistique. Le decoupage de la vegetation devient artificiel et perd de son evidence pour I'amateur...
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L'ecologie reconnue
A la fin du XIXe siecle, Ie pas vel's la reconnaissance de I'ecologie est pret a etre franchi. Ce mot a ete cree par Ernst Haeckel (1834-1919) en 1866, mais iI ne I' a pas appliquee dans une etude precise. Trois botanistes : Drude, Schimper et Warming, selon les historiens Donald Worsler et Ludwig Trepl, engagent l'ecologie dans la voie de la legitimation scientifique. Drude, professeur de botanique et directeur du jardin botanique de Dresde de 1879 a 1920 a abandonne « La floristique pour se consaerer l'etude du developpement de certaines formations vegetates particulieres et de "la dependance mutuelle du regne animal et vegetal dans Leureconomie domestique" »15. En mettant en relation les especes,
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13 Du Rietz G. E., Zur methodologischen Grundlage der modernen Pfianzensoziologle, Wien : Holzhausen, 1921, pp. 51-52 14 Ses travaux ont ete poursuivis par Ie Finlandais d'origine suedoise HuIt qui a distingue sept strates. Voir Callander R., The history of botany in Finland 1828-1918, Helsinki: Tilgmann, 1965, p.75. 15 Du Rietz G. E., Zur methodologischen Grundlage der modernen Pflanzensoziologie, op. cit., p. 220.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
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les formes et Ie milieu, iI ecarte la conception c1assique de I'histoire naturelle qui marque une cesure entre I'espace d'un cote et les especes de I'autre. Drude associe I'espace et les etres vivants, chacun agissant et se modifiant l'un sur I'autre. II ouvre Ie chemin a la soclablllte des especes et met I'accent sur la possibilite de proceder a des echanges pour des especes evoluant dans des regions differentes mais dont la formation paysagere presente la merne configuration. Ainsi les sapins de la Foret-Noire peuvent etre remplaces par ceux de la Siberie. En insistant sur ce point, iI donne une plus grande legitlrnite a I'introduction d'essences etrangeres dans lesforets gerees, Warming est considere comme Ie plus important par les historiens de l'ecologie. Ses contemporains ont eu un jugement similaire. Ainsi en 1912, pour les botanistes Suisses Brockmann-Jerosch et Rubel, ilest celui qui a introduit « le concept d'ecologie dans la geographle des plantes »16. Warming a porte son attention sur les facteurs de I'environnement et sur la facon dont la vegetation reagit, Dans son livre, il distingue deux types de geographic des plantes : la floristique et l'ecologlque. La premiere a pour objet I'inventaire des flores, leur extension, leurs limites ; la seconde enseigne comment sont les plantes!", Sa methode s'ordonne en trois etapes : d'abord inventorier les especes associees dans une merne strate, puis decrire leur physionomie et enfin expliquer les causes. Comme on Ie voit, l'espece est et reste incontournable, mais elle change de nature et perd son aspect taxinomique. lei, ce n'est pas la flore en tant que telle qui l'interesse mais la facon dont elIe s'organise avec d'autres especes et son milieu. Com me element premier dans I'environnement, Warming met en avant l'humidite et differencie quatre comrnunautes vegetates : les hydrophiles, les mesophiles, les xerophytes et les halophytes (plantes qui poussent sur un sol salin). En insistant sur la forme blologlquel'', iI introduit un regard purement ecologique de la vegetation. D'une vegetation concue comme un compromis entre un sol et un c1imat, iI ajoute I'aspect qu'elIe prend pour s'adapter au milieu. En ne prlvlleglant que Ie facteur « hurnidite », iI s'inscrit en droite ligne des travaux de CandolIe et minimise I'action de la temperature comme facteur limitant. De suite, I'ouvrage de Warming noue avec Ie succes dans Ie milieu des botanistes. Ainsi, pressentant que ce livre apporte quelque chose de nouveau, Ie botaniste Anglais Tansley apprend I'allemand et raconte que, a la suite de sa lecture, iI a eu la reaction suivante : « Je me Souviens, finissant de travailler avec ce livre en 1898 et allant parmi les champs pour voir jusqu'a quel point les communautes vegetales que celles de la contree Warming a decrites pour le Danemark correspondaient anglaise »19.
Quant a Schimper, il contribue a la naissance de l'ecologie en ('engageant dans la physiologie vegetale 20. II ordonne les formations vegetales en fonction du c1imat et du sol (edaphique), ce dernier vient corriger I'action du premier sur la f1ore. II distingue alors trois types de c1imat : - Le type hygrophytique donnant des hygrophytes : plantes dont la structure favorise la transpiration; - Le type xerophytique dormant des xerophiles : plantes dont la structure ne favorise pas la transpiration; - Le type tropophytique dormant des tropophiles : plantes dont les structures favorisent alternativement la transpiration ; pendant la saison seche, elIes sont xerophiles et hygrophytes durant la saison humide. Dans son classement, disparaissent les halophytes. Ses experiences rnenees a Buitenzorg ont dernontre que ces plantes peuvent pousser sur des sols non-salins, ce sont done des xerophytes qui prosperent dans les milieux humides. Pour etayer son argumentation, iI fait la distinction entre la secheresse physique et la secheresse physiologique du sol, ainsi dans un sol riche en sel soluble, une plante ne peut guere trouver de I'eau, car Ie processus d'absorption est perturbe, Comme Ie souligne Acot : « On voit a que I point l'ecologie de Schimper est profonde. Le facteur de l'humidite est pris en compte au niveau du retentissement des variations de la pression osmotique dans les tissus et non plus au niveau de la plante en general »21. Son ouvrage de 1898 est aussi richement illustre par des photographies. II est un des premiers biogeographes a utiliser ce
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precede. Apres 1898, l'ecologie est devenue une approche, une facon d'aborder la nature. Les premiers pas vers sa reconnaissance en tant que discipline scientifique ont desorrnais ete effectues, Toutefois, son champ n'est pas encore c1airement defini ce que souleve Ie botaniste Etasunien Cowles en 1901 : « En l'espace de quelques annees, le theme de l'ecologie est parvenu trouver une place plus ou moins importante partout ou la botanique est etudlee sous ces aspects gefleraux. Les limites du sujet, toutefois, n'ont pas encore eli definies, if n 'y a pas eu non plus beaucoup de tentatives faites pour sortir de ce chaos »22. Cependant au congres international de botanique de Bruxelles en 1910, Flahault et Schroeter notent que, s'i1 n'est pas encore possible de s'entendre sur des notions comme l'associatlon et la formation, « un mot peut etre defini des present: le terme d'ecologie »23. Et deja ce vocable avail pris pied dans la foresterie.
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La botanique et la foresterie : une ignorance mutuelle 16 Brockmann-Jerosch J., RUbel E., Die Einteilung der Pflanzengesellschaften nach okologischphyniomischen Gesichtspunkten, Leipzig; Engelmann, 1912, p. 4. 17 Warming E., Lehrbuch der oekologischen Pflanzengeographie, Berlin; Borntraeger, 1896, p. 412. 18 C'est-a-dire la « forme que le corps VI!getatif de la plante (de l'individu) revet en harmonieavec
le milieu environnant et sous laquelle s'accomplissent les phenomenes vitaux, du berceau a la tombe, de la germination /2 la maturation seminate. jusqu '/2 la mort », Pavillard 1., Elements de sociologie vegetale (Phytosociologie), op. cit., p. 6. 19 Tansley A. G., « The early history of modern plant ecology in Britain », Journal of ecology,35, 1947, p. 130.
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Dans la deuxieme moitie du XIXe siecle, la botanique aborde une nouvelle etape comme I'explique Ie botaniste Francals Henry Jumelle (1866-1935) en 1893 : « Quand la botanique etait purement descriptive, elle avait besoin que de locaux pour classer ses 20 Schimper A. F. W., Pflanzengeographie auf der physiologischer Grundlage, Jena: Schirnper, 1898, p. 876. 21 Acot P., Histoire de l'ecologie, op. cit., p. 59. 22 Cowles H. c., « The physiographic ecology of Chicago and vicinity; a study of the origin, development, and classification of plant societies », BotanicalGazette, 31, 190 I, p. 73. 23 Flahault C., Schroeter C., « Projet de nomenclature phytogeographique », op. cit., p. 126.
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collections .. quand elle est devenue anatomique, illui a fallu des instruments d'optique perfectionnes maintenant qu 'e/le est experimentale, elle exige des champs de culture »24 et Flahault de critiquer les chercheurs qui se cantonnent a examiner « la structure des plantes sans se preoccuper de rechercher les relations entre cette structure et les conditions de leur vie, ou bien ils s'efforcaient defaire connaitre les phenomenes de la vie vegetate sans se soucier assez de determiner les especes chez lesquelles lis les
indication precieuse sur les possibilites de reboisement d'une region et dans I'emploi de telle ou telle essence. En 1886, Ernest Guinier (1837-1908), inspecteur des Eaux et Forets, note que le cours de botanique est secondaire dans l'esprit des eleves de l'Ecole forestiere de Nancy. Son faible coefficient n'encourage pas l'interet pour cette matiere, l'etudiant travaillantjuste assez pour ne pas perdre trop de points. En fait, les preoccupations des forestiers sur Ie terrain ne sont pas d 'ordre biologique, mais relevent du juridique (fixation des droits d 'usage, lutte contre la delinquance en foret, .delimitation des parcelles, etc.), Ainsi Karl Friedrich Roth (1810-1891), juriste et forestier est appele a Aschaffenbourg (Bav iere), en 1859, comme professeur de sciences forestieres, de droit forestier et de police forestiere, Cette juxtaposition de ces trois enseignements montre la relation etroite qui existe entre eux. En Allemagne, Ie poids des cameralistes en foresterie, plus ferus de droit et de finances que de sciences naturelles et de techniques forestieres, predispose les etudiants Ii completer leur formation par des etudes juridiques.
observatentsl>. La botanique observe et prend en compte les facteurs du milieu, ce faisant, elle eleve son regard sur I'arbre, la foret, elargissant ainsi son champ d'investigation. . Pendant longtemps, la botanique a ignore l'arbre, A ce propos, Ie botaniste Francais Charles Royer (1832-1883) ecrit en 1883 : «L'avouerai-je a rna confusion. j'ai herborise quinze annees dans la plupart des bois des environs de Montbard, avant d'y avoir constate la presence du Sorbus latifolia (Alisier de Fontainebleau). C'est que. par un tort commun a la grande majorite des botanistes, l'attentlon meme au sein des bois. se porte presque toujours exclusivement sur les plantes herbacees »26. D'un autre cote, les forestiers ont affiche un mepris certain envers la flore du sol. Pour Bernard Lorentz (17751865) et A. Parade, les fondateurs de l'ecole forestiere de Nancy, les vegetaux ligneux de petites tailles, tels les arbustes, indiquent Ie mauvais etat des forets et I'herbe n'est qu'une vegetation parasite. La foret, c'est d'abordune futaie et ne doit etre qu'une futaie. Ce dedain des forestiers vis-a-vis de la flore ne se limite pas la France, ainsi Ie Russe Anton von Kruedener (1869-1951), I'ancien directeur du domaine forestier de la couronne, rapporte les propos d'un vieux forestier : « Le reste des plantes - elles ont pour moi toutes un meme et unique nom, .. , herbes de Dieu! »27. En realite, la botanique est tributaire de son image, une science reposant sur la taxlnomie dont les preoccupations paraissent, non sans raison, etrangeres a celles des forestiers, Des flores forestieres sont pourtant redigees, mais elles ne prennent en compte que les vegetaux ligneux, choix que Mathieu justifie de la sorte dans la preface de sa flore forestiere, en 1860: « La connaissance des plantes herbacees les plus repandues dans les
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forets, de celles surtout qui envahissent et gazonnent le sol au prejudice des regenerations. ou qui par leur presence en caracterisent les proprietes chimiques et physiques, est certainement interessante et utile a acquerir. J'admets sans difficulte qu'elle est plus importante que celle de maint arbrisseau rare et de taille exigue decrit dans la Flore. par la seule raison que les tissus en sont de consistance ligneuse »28. Dans son desir de servir les forestiers, Mathieu a prefere s'en tenir aux arbres et arbustes. Toutefois, il reconnait bien volontiers que la connaissance de certaines plantes est une
24 Benest G., « Le laboratoire de Biologie vegetale de Fontainebleau, creation et heritage de Gaston Bonnier», Bull. Soc. Bal. France, 137, Lettres bot., 1990, p. 116. 25 Flahault C., « Les progres de la Geographic botanique depuis 1884, son etat actuel, ses problernes », op. cit., p. 244. 26 Royer C; « Les Sorbus Scandica Fries, Fallacina et Latifolia Pers dans la cote-d'Or », Bulletin de la Societe botanique de France, 3D, 1883, p. 233. 27 Kruedener A. von, « Ober Waldtypen im allgemeinen und in bezug auf Deutschland im besonderen », Zeitschrift fiJr Forst- und Jagdwesen, 58, 1926, p. 602. 28 Mathieu A., Riche P., Flore forestiere. Description et hlstoire des vegeraux ligneux qui croissent spontanement en France et des essences importantes de l'Algerie, 4° edition, Paris: J.-B. Bailliere et Fils, 1897, p. XIII.
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Des forestiers convaincus
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Mathieu s'est efforce, en vain, Nancy d'eveiller les forestiers l'utilite de la flore dans leur gestion, sans succes. Toutefois, partir du moment ou des botanistes se sont in,teres~es a la foret avec Adolphe Chatin (1813-1901), alors professeur de botanique, de geologie et de zoologie a l'ecole de pharmacie de Paris, mais aussi Flahault, les forestiers ont commence a y preter attention en leur offrant deja la possibilite de s'exprimer dans la Revue des Eaux et Forets29 . Ceci traduit une nouvelle conception de la foret, qui ne doit plus etre consideree comme une somme d'arbres. Les herbes, les arbustes ont leur importance, un droit au regard. Leur connaissance peut s'averer capitale pour la gestion d '~n peuplement. Point difficilement acceptable par certains forestiers peu ouverts aux sciences naturelles. En 1871, Felix Jolyet ,( ?-1876) fait un plaidoyer sur I'utilite de la botanique et souligne que : « Deux regions qyant meme altitude et meme nature de sol n'ont PaS necessairement meme vegetation ~ et it poursuit : « C'est pour avoir oublie cette
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simple verite que quelques forestiers se sont exposes a des insucces en voulant introduire des essences nouvelles dans des cantons qu'ils n'ont etudies qu'au point de vue du sol et de l'altitude. lis auraient dfi chercher a connattre en meme temps les maxima et les minima de chaleur et d'humidite atmospherique, puis les temperatures moyennes de chaque saison, puis le nombre moyen par annee de jours de soleil, de pluie, de brouillard, etc., etc. »30. Le recours a la botanique s'impose pour eviler de telles erreurs en realisant un inventaire des « plantes compatriotes » de chaque espece, ce qui permet de savoir, avant d'introduire une essence dans une region donnee si, deja, ces plantes existent « l'etat spontane »,
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29 Chatin A., « Le chene pubescent et la truffe », Revue des Eaux et Forets, 14, 1875, pp. 302-303 ; « La truffe » [notice bibliographiqueJ, Revue des Eaux et Forets, 31, 1892, pp. 455-457. En fait, ce ne sont pas des articles mais des cornptes-rendus d'articles rediges par les forestiers. Flahault C., « La limite superieure de la vegetation forestiere et les prairies pseudo-alpines en France », op. cit. 30 Jolyet E, « Botanique forestiere ». Revue des Eaux et Fortis, 10, 1871, p. 169. 63
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Dans Ie dernier quart du XIXe siecle, les esprits evoluent, En 1878, Charles Broilliard (1831-1910), professeur 11 Nancy, qualifie la foret «d'association vivante de vegetaux »31. En 1889, Boppe, professeur d'arnenagement et sous-directeur de l'ecole, deflnlt la foret comme « Un organisme complexe dans lequelles vegetaux, l'atmosphere et Ie sol entrent commefacteurs »32. En 1897, E. Guinier donne la definition suivante: « La foret, c'est
d'une excursion dans les Vosges, Guinier « a arrete les eleves pour leur parler de la vegetation, it est interrompu par le directeur [Charles Guyot] par les mots suivants "C'est aujourd'hui une excursion de sylviculture" »37 ...
l'ensemble des vegetaux qui occupent Ie sol, - lichens, mousses et autres cryptogames qui tapissent la terre, - herbes, graminees et autres, qui disparaissent en hiver, sauf a renaitre de leurs souches ou de leurs semences, - ronces, airelles, broussailles, morts-bois, formant sous-etage avec les jeunes plants des bonnes essences forestieres qui s 'y trouvent plus ou moins elances, plus ou moins gros, plus ou moins serres, en taillis ou en futaie »33. Dans cette vue vegetate de la foret, les animaux sont absents, mais cela temoigne de I'emergence d'une nouvelle generation de fore stiers sensibilisee aux sciences naturelles. En effet, les annees 1890 sont une periode de promotion pour les sciences naturelles dans la foresterie europeenne via E. Guinier (France), Cieslar (Autriche), Nandor Illes (Hongrler'", Robert Hartig (Allemagne). En 1891, Cieslar souligne que la sylviculture doit etre concue comme de « la physiologie des plantes appliquee »35. En outre, iI note a propos d'un livre de R. Hartig « que seule la recherche dans les sciences naturelies est en etat de procurer une base exacte au savoir forestier »36. Enfin, pour Ie Danois MUller, I'art forestier n'est qu'une application des sciences biologiques. Au debut du XXe siecle, Andersson en Suede, BUhler en Suisse, P. Guinier en France, Morosow en Russie, Friedrich Erdmann (1859-1943) et Heinrich Vater (1859-1930) en Allemagne, tous revendiquent I'importance de I'etude des sciences naturelles pour la gestion forestiere. Cet appel touche I'ensemble de la foresterie europeenne, cependant sa reception dlffere selon les lieux. Dans les centres forestiers ou les liens avec I'universite sont plus etroits (centres scandinaves, germanophones et russes), l'ecologie s'insinue sans soulever de vives protestations. En revanche, dans ceux plus isoles des reseaux universitaires telles I'Ecole forestiere de Nancy ou bien I'acadernle de Tharandt en Saxe, les forestiers engages dans la voie de l'ecologie doivent faire face ade multiples difficultes dans l'achat de livres , d'instruments que ce soit pour P. Guinier ou bien Vater 11 Tharandt. Ainsi lors
La voie agronomique : de la circulation des elements it la pedologie
Guinier P., « La science forestiere et la lutte contre l'erosion vers la fin du XIXe siecle », in Academic d'AgricuIture de France, A l'occasion du bi-centenaire (1761-1961). Les aspects et les etapes de la recherche agronomique en France, Paris: Academic d'AgriculLure de France, 1961, p.
31
37. 32 Guinier P., « L'evolution scientifique de la foresterie », Bulletin de la Societe Forestiere Royale
de Belgique, 58, 1951, p. 452. Guinier E., « Le mouton », Revue des Eaux et Forets, 1897, in L. Boppe, A. Jolyet, Traite pratique de sylviculture. Les forets, Paris: Bailliere et fils, 1901, p. VIII. Dans cette definition, il y manque les anirnaux. 34 En 1884, Ie Hongrois Nandor Illes (1836-1907) affiche la merne preoccupation. Voir Csapody I., Jakucs P., «The relationship between Hungarian forestry research and vegetation research », in G. Jahn, Application of vegetation science to forestry, The Hague-Boston-London: Dr W. Junk Publishers, 1982, pp. 225-266. 35 Cieslar A. : « Die Naturwissenschaften im waldbaulichen Unterrichte » (Les sciences naturelles dans I'enseignementsylvicole), Land- undforstwirtschaftlichen Unterrichts-Zeitung, 5,1891, pp. 1-
33
18. 36 Centralblattfur das Gesamte Forstwesen, 15, 1889, p. 21
Das Holzder Rotbuche, par Cieslar A., p. 25. 64
a 26, CR de I'ouvrage de Hartig R.,
n.ne .s'agit pas de retra~er I'histoire de la pedologic mais de determiner en quoi la constitution de la pedologie a rejailli dans I'ecologie appliquee au travers les deux principales etapes : la circulation des elements et l'acquisltlon de I'autonomie de la pedologie en tant que science, avant de s'interesser plus precisement aux liens avec les forestiers. Avec la circulation des elements, l'attention s'est focalisee sur la relation existant entre la plante et Ie sol, en particulier au niveau des racines. Des la fin du XVIIIe siecle, ce theme est aborde par Lavoisier mais c'est surtout dans la premiere moitie du XIXe siecle que cet aspect est approfondi grace aux travaux du Suisse Theodore de Saussure (1767-1845), de l'Allemand Liebig et du Francais Jean-Baptiste Boussingault (18021887). Le premier montre, en 1804, que la plante fixe Ie carbone et que Ie sol fournit I'azote et, en 1822-1824, iI demontre que les plantes se nourrissent et respirent. La nuit, elles .a?sorb~nt .I'o~~gene et ~x~alent Ie gaz carbonique. Le jour, elles restituent l'oxygene au milieu. Liebig s interesse a I humus et prouve, en 1840, par I'etude de plantes marines, qu'el.les ne puisent pas leurs ressources dans I'humus, puisqu'i1 est absent, mais dans des solutions rninerales, d'elernents presents dans Ie sol marin. L'absence de I'un d'entre eux peut ernpecher Ie developpement de la plante. Ce dernier point est plus connu sous Je nom de la « theorie des facteurs limitant », Enfin Boussingault effectue ses recherches sur I:azote dans sa ferme experirnentale de Pechelbronn en Alsace. n etablit que les plantes nrent I'azote du sol et non de 1'air. Si ces manifestations sont mises en evidence il reste a en determiner Ie processus. Dans la deuxieme rnoitie du XIXe siecle, cette question est resolue grace aux travaux de Louis Pasteur (1822-1895), qui met en relief Ie role des micro-organism~s, des bacterles dans la circulation des elements. Dans ce domaine, les recherches de Winogradsky, au debut du XXe siecle en Russie et en France revelent que la fixation de l'azote dans Ie sol est realisee par les bacteries, qui tissent une 'relation entre Ie monde vivant et le regne mineral. Si les echanges qui se produisent dans Ie sol entre ces divers composants sont mieux connus, dans Ie merne temps, la notion rnerne de sol evolue, De simple produit de la roche-mere, il devient, a la fin du XIXe siecle, Ie resultat a la fois de la roche-mere du ~Ii~at, de .Ia vegetation et d~ sa pr~p~e organisation. La pedologic suit une voie identi'que a I ecologic des plantes, ou les vegetaux sont la consequence de I'interaction entre Ie climat, Ie sol etleur pro pre organisation. Ce changement de statut s'opere dans les annees 1860/80 sous l'action des Allemands: Carl Sprengel (1787-1858) et Albert Fallou 07941877) et du Danois Miiller. Le premier voit dans Ie sol un produit de la roche-mere issu de I'action de forces comme « l'eau, l'oxygene, l'acide carbonique de I'air, Ie chaud et le froid, la vegetation et l'electricite »38. n insiste egalement sur J'action du c1imat dans la
37 Rol R., « Hommages rendus
a la rnernoire
de M. Ie Directeur Guinier, en France », Revue
Forestiere Francaise, 14, Memorial PhilibertGuinier,Juillet 1962, p. 588. 38 Boulaine1., Histoire des pedologues et de la sciencedes sols, op. cit., p. 73. 65
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formation des proprletes chimiques et physiques du sol. Le second Fallou, toujours en partant de la roche-mere, conceit Ie sol comme une formation separee et cree Ie mot pedologic, qui figure dans Ie titre de son ouvrage de 1862 39. Enfin Muller invente Ie terme de profil et distingue differents types d'humus : Mor, Mull et tourbe Mullartiger (classe en Moder par Kubiena en 1953), aux alentours de 1880. Dans I'ensemble, pour ces auteurs, Ie sol n'est que Ie produit de la roche-mere. Ramann definit encore Ie sol, en 1905, comme provenant « de la decomposition de la couche ultime de la croute terrestre .. les roches se melent aux nombreux restes morts de planteset animaux»4O. Le Francais Henry abonde dans sa direction propos du sol forestier qui est « la zone superficielle de l'ecorce terrestre dans laquelle penetrent les racines des arbres »41. II n'a donc qu'une faible epaisseur et n'a aucune dynamique. II n 'evolue pas, seuls les elements eirculent. Un premier pas est amerce avec un ouvrage de Darwin de 1881 et traduit en francais l'annee suivante sous Ie titre : Ro!« des vers de terre dans La formation de La terre vegetale42. Dans ce livre, iI montre que la «terre.animale» n'a pas un caractere immuable mais qu'elle se transforme, rompant avec une vision fixiste du sol que soutenait Boussingault. Toutefois, Ie pas definitif est realise par Dokuchaev qui degage la pedologic de la chimie agricole. Ce dernier tire sa legltimite de son etude sur les terres a chernozem du sud de la Russie. Les cereales de cette region sont exportees par Ie port d'Odessa vers I'Europe du Nord au profit de negociants de Salnt-Petersbourg, Ces terres sont done d'une grande importance economique. Leur fertilite provient d'une epaisse couche d'humus de couleur noire appelee « chernozem ». Ce sol est connu des agronomes en Europe rnais aussi des forestiers, iI fait d'ailleurs I'objet d'une polemique scientifique au sujet de son eventuel boisement. En d'autres termes, ces terres sont-elles naturellement exemptes de forets ou non 743 En 1873 et 1875, deux annees de secheresse sevissent dans la zone des steppes chernozem. Afin d'exploiter d'une maniere plus rationnelle ces terres, et de la, de limiter la portee des futures secheresses, iI est fait appel Dokuchaev en 1877, alors conservateur au laboratoire geologique de l'universlte de Saint-Petersbourg. II en sort un ouvrage en 1883 dans 1equel il devoile ses conceptions du sol44. Pour lui, le sol est la combinaison de quatre facteurs : des organismes vivants et morts, de la roche-mere, du climat et du relief. II Ie considere comme un corps naturel qui ne doit plus constituer Ie chapitre d'un cours de geologie ou de mineralogic, II pense meme qu'i1 est Ie quatrieme regne de la nature cote du vegetal, de I'animal et du mineral. Dote d'un corpus theorique, iI enrichit cette discipline, la pedologic, des attributs institutionnels necessaires. Une premiere etape est franchie, en 1892, lorsqu'il participe la reorganisation de I'Institut agronomique et forestier de Novo-Alexandria (aujourd'hui Pulavy en Pologne), ou il cree la premiere chaire de pedologic au monde. A l'epoque, iI
est toujours professeur l'universlte de Saint-Petersbourg et ce, jusqu 'en 1897. La seconde est marquee, en 1899, par la fondation de la premiere revue de pedologie : Pochvovedenie (pedologie). Sa vision du sol I'a conduit a lui donner une dimension spatiale, et a encourager la pratique cartographique afin de delimiter les differents types partir de 1899/190045 . de sol, tant sur Ie plan horizontal que vertical (Ies profils) ~~kuchae: ~t ses e!ev~s se. sont efforces de promouvoir leur conception en Europe par I intermediaire de reunions internationales qui, a la fin du XIXe siecle, forment un nouvel espace de rencontres pour les scientifiques et un lieu de confrontations pour les nations. Do.kuchaev fait ex~oser ses travaux aux expositions universelles de Paris (1889) de Paris (1900), ou iI envoie une collection de 245 Chicago (1893), pUIS de nouveau nu~eros (cartes, photographies, documents) plus un bloc de chernozem de 8 rrr'. En 1909, se nent a Budapest une conference internationale d'agrogeologie rassemblant onze pays. Ramann en est le president, le Russe Glinka et Ie Roumain G. Munteanu Murgoci (18721925) les rapporteurs. La participation des scientifiques russes a ses differentes reunions internationales leur permet de se faire connaitre. Ceci aboutit, en 1914, a la traduction en allemand de I'ouvrage de pedologle de Glinka qui presente une synthese des travaux de la pedologic russe 46.
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C.~tte conc~ption du sol trouve un relais en Allemagne aupres de Ramann, qui cree la deuxierne chaire de pedologie au monde l'academie forestiere Eberswalde en 1895. I?ans c.e pa~s, .I'~doption des conceptions de Dokuchaev a ete preparee par Hilgard. Cet Etasunien d ongme allemande a fait une partie de ses etudes en Allemagne et en Suisse au milieu du XIXe siecle puis est revenu en Europe en 1893, l'annee de la traduction d'une etude par~e ~n an aupa.rava~t en anglais47 . Hilgard introduit une zonalite des sols reposant sur les differences climatiques au me me titre que Dokuchaev. Fort de ces diverses influ:nces, Ra~ann,. dans les annees 1905/1910, degage la pedologie de la chimie agricole et, des 1906, I ancien responsable du departernent forestier dans Ie gouvernement de Basse-Baviere Ferdinand von Raesfeldt (1(837-1913), a propos de la reedition de son ?~vrage de pedol.~gie, salue : « Sa conception de La terre comme un grand organisme qui, ICI pour La premiere fois, esquisse une etroite relation entre Le sol et le climat et montre une future "biologle de La surface de la te1rre" »48. Son successeur a Eberswalde depuis 1901, Albert, s'engage dans la rnerne direction en s'efforcant de regarder Ie sol biologiquement et non mecaniquemenrb',
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39 Fallou A., PedoLogie oder Allgemeine Bodenkunde, Dresde : Schonfeld, 1862, p. 488. 40 Ramann E., Bodenkunde, Berlin: Springer, 1905, p. 1. 41 Agafonoff V., « Quelques reflexions sur I'histoire de la pedologic », Annales de la science agronomique franraise et etrangere, 1926, pp. 132-153. 42 Darwin C., The formation of vegetable mould through the action of worms with observations of their habits, London: J. Murray Eds, 1881, p. 328. 43 Moon D., «Were the steppes ever forested? Science, economic development and identity in the russian empire in the 191h century», Dealing with diversity, 2nd International Conference of the European Society for Environmental History, Prague, 2003. 44 Dokuchaev V. V., Le tchernozem russe (en russe), Saint-Petersbourg, 1883, p. 376.
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Du sol
a la station
,. Au ~e?u.t du XXe siecle, Ie sol s'affirme comme un element propre et n'est plus I intermediaire entre Ie regne mineral et vegetal. La pedologic revet les caracteres d'une 45 ?n retrouve iei les memes preoccupations que pour Ia geographie des plantes, rnais la demarche est inverse. 46 Glinka K., Die Typen der Bodenbildung; Berlin: Gebrueder Brontrager, 1914, p. 365 .. . I gard E. W., « Uber den EmfluB des Klimas auf die Bildung und Zusammensetzung des ~odens », ~orschungen aus der Gebieteder Agrikulturphysik, Heidelberg: Winter, 1893, p. 92. Allgemeine Forst- und-Jadgzeitung, 82, 1906, pp. 262 a 269, CR de I'ouvrage de E. Ramann, Bodenkunde, par Raesfeldt E, p. 267. 47 H"I
49 Hilf H. H., « Robert Albert zum Gedachtnis », Forstarchiv, 24, 1953, p. 201. 67
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
UNE INTEGRATION DE LA FLORE ET DU SOL
discipline scientifique et parmi les noms mentionnes figurent des forestiers (Muller, Ramann et Henry). Cette presence rernarquee rei eve de trois raisons. La premiere se rapporte au lien deja avance entre I'arbre et Ie sol par ses racines. Deuxiemement, la pedologie, contrairement ala botanique, s'elabore au sein d'instituts moins prestigieux tournes vers I'application (stations agronomiques, eccles superieures d'enseignement technique) par rapport a I'universite. Troisieme raison, dans ce domaine, les forestiers disposent de leur propre tradition et ont integre la dimension chimique du sol 50. L'arrivee d'un nouveau paradigme, Ie sol comme un organisme, s'est operee differernrnent selon les pays. En Suede, en Suisse voire en Autriche, la pedologie s'insinue sans atteindre son autonomie avant I'entre-deux-guerres, En France, elle est, au debut du XXe siecle, representee par Grandeau et Henry, qui ont passe sous silence les travaux de Dokuchaev. En fait, ils lui ont prefere ceux de Pavel Andreievitch Kostychev (1845-1895). Ce dernier a sejourne en Allemagne et en France, ou iI a ete au contact de Grandeau. Kostychev a developpe une conception opposee a celie de Dokuchaev sur I'origine de la terre a chernozem qu'i1 attribue a la degradation de la roche-mere. Grandeau decede en 1911, Henry part a la retraite en 1913, apres avoir publie Ie premier ouvrage sur les sols forestiers en francais en 191051• Desormais, Ie cours a Nancy sur Ie sol est assure par Jolyet, qui enseigne egalement la culture pastorale, les repeuplements artificiels et la zoologie, ... Le vide cree par leur disparition n'est pas cornble de suite. La Russie, Ie Danemark et I' Allemagne appartiennent a un groupe de pays ou la pedologic acquiert son independance avant Ie premier conflit mondial. Elle devient Ie fondement de l'ecologie forestiere russe sous l'action de Morosow, eleve de Dokuchaev, qui enseigne la sylviculture a partir de 1901 a Saint-Petersbourg. Ainsi l'abord d'un massif forestier passe par une etude du climat qui agit sur la formation du sol, ce qui debouche sur Ie type de sol, qui selectionne les plantes, qui forment les associations vegetales, Au Danemark, Muller est convaincu de l'utilite des sciences naturelles pour la foresterie et de I'importance des etudes pedologiques. II engage ses eleves dans cette voie. En Allemagne, Ie sol devient I'indicateur de l'etat de sante d'une foret et, partant de Iii, d'une bonne sylviculture, sous-entendue qui ne pratique pas la coupe rase. Les travaux s'orientent alors sur Ie role de I'humus. En fait, les forestiers se sont surtout interesses a la partie superieure de l'humus, la litiere, Cette derniere est enlevee dans I 'amenagement des forets allemandes car jugee nuisible au developpernent de I'arbre. C'est egalement une pratique paysanne pour produire du fumier. Dans ce domaine, en 1876, Ebermayer, un ancien eleve de Liebig, decrit, la formation de la lltiere. II est parti du feuillage, a calcule Ie poids des feuilles recues par Ie sol, analyse leur decomposition dans la formation de 1'humus dont it determine quatre types; I'humus fertile, I'humus poussiereux et tourbeux, I'humus acide, I'humus astringent. Mais quel que soit Ie type, la fertilite du sol ne peut etre maintenue que si Ie forestier permet a I'humus de se regenerer, Pour eel a, iI faut maintenir la litiere au sol en laissant suffisamment d'arbres qui puissent, par leur feuillage, l'alimenter. En d'autres termes, iI s'oppose ii la pratique excessive de la coupe ii blanc, la RaubwirtschaJt (exploitation abusive). S'enteter a relever la litiere conduira precise-t-il, sur un ton apocalyptique, dans sa conclusion, fatalement ii la deforestation, ii la formation de landes
voire a une terre recouverte par Ie lichens 52 . Par ses travaux, Ebermayer fournit des arguments scientifiques ii un courant sylvicole qui se developpe dans Ie sud de l'Allemagne et en Suisse en reaction contre la sylviculture heritee de la Saxe et de la Prusse. Ce mouvement s'inscrit en faux contre la coupe a blanc qui denude brutalement Ie sol et provoque la mort de precieux organismes vivants et contre les peuplements monospecifiques qui appauvrissent la fertllite du sol. Les etudes sur Ie sol, au-deja des questions sur l'humus et son entretien, ont conduit les forestiers ii la notion de station. Elle a ete formulee par Thurmann en 1849, reprise par Kerner von Marilaun et la definition suivante a ete proposee en 1910 par F1ahault et Schroeter: « Une station est une circonscription d'etendue quelconque, mais le plus
souvent restreinte, representant un ensemble complet et defini de conditions d'existence, exprlme par l'unlformite de la vegetation. La station resume tout ce qui est necessaire aux especes qui l'occupent, la combinaison des facteurs climatiques avec les facteurs edaphiques et les rapports reciproques des etres vivants, c'est-a-dire les rapports de chaque espece avec le climat, le sol et avec les especes auxquelles elle est associee »53. Parmi les forestiers, cette notion est adoptee par Ramann en 1893 dans son Forstliche Bodenkunde (Pedologic forestiere), puis par Dengler, Erdmann, Cieslar et Vater. Ce sont les pedologues qui l'ont mise au cceur de leur analyse avant les botanistes. Ramann conceit la station comme une unite ayant une vegetation specifique en liaison avec Ie sol et Ie climat. A cela Vater ajoute la situation (la topologie), car pour lui it ne fait aucun doute que la forme de la plante (la physionomie) est en etroite relation avec celie du sol. Ce sont les forestiers allemands et autrichiens qui I'ont employee, non sans quelques difficultes. Ainsi Vater constate arnerement, en 1908, que son utilite n'est toujours pas percue, ni celie de la pedologic par Ie monde forestier 54. L'ecologie est en formation comme la pedologic en ce debut de XXe siecle,
Die gesamte Lehre der Waldstreu mit Riicksicht auf die chemische Statik des Waldbaues, Berlin: Springer, 1876, p. 116ltraduit en russe en 1894].
52 Ebermayer E.,
53 F1ahault C.• Schroeter C., « Projet de nomenclature phytogeographique », op. cit., p. 137. 50 Jolyet F., « Botanique Porestiere », op. cit. 51 Henry E., Les sols forestiers, Nancy: Berger-Levrault, 1908. p. 492.
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54 Vater H.• « Die Bodenanalyse und ihre Anwendung in der Forstwirstschaft »,
Forstliche Jahrbuch, 58. 1908, p. 1. 69
Tharandter
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L' ecologie complexifie la nature: l' exemple de la foret En s'introduisant dans les sciences Iorestieres, I'ecologie a remis en question quelques certitudes affirrnees par les forestiers et complexifie Ie fonctionnement de fa foret et de l'arbre. Les de bats ont porte sur Ie role de la Iurniere, I'existence de races it l'interieur des especes et sur l'utilite economique des exotiques. Ce dernier point est it mettre en relation avec I'elaboration et I'affinement des tables de production (tables qui permettent d'evaluer sur Ie long terrne la croissance de l'arbre) qui ont contraint les forestiers a integrer les facteurs du milieu. Ces discussions se deroulent au moment ou la foresterie se rapproche de I'universlte et ou des universitaires investissent la Foret. Elle n'est plus l'objet specifique des forestiers, elle interesse des climatologues et des botanistes qui participent deux debars : I'influence du manteau forestier sur Ie ctimat et les timites (horizontales et verticales) de la Foret.
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Foret / c1imat : un lien aaffirmer Au XVlIIe siecle, Ie rapport entre la Foret et Ie climat est afflrrne dans les ecrits de l'Abbe Jean-Baptiste Du Bos (1670-1742) en 1719, membre de I' Acadernie francaise, dans ceux du philosophe David Hume (1711-1776) vel's 1750. Toutefois, la deforestation est percue positivement. Elle rend Ie cIimat plus modere, plus propice l'activite agricole aux yeux des physiocrates. Un constat identique est realise en Amerique du Nord sur la cote Est par Thomas Jefferson (1743-1826)1. Toutefois a la fin du XVlIIe siecle, apres 1789, des voles s'elevent en France afin de denoncer les effets nefastes de la deforestation/. Degrader Ie couvert fores~ier, c'est perturber Ie clirnat, (hivers plus rigoureux, moins de precipitations), donc: diminuer la production agricole. Les droits feodaux ont ete abotis. Les paysans peuvent exploiter les bois cornrnunaux leur guise. Ce discours masque un relent legitimiste. En 1821, une enquete est diligentee par les prefers aupres des Maires, pour qu'i1s decrivent les degradations constatees sur Ie climat local depuis trente ans, c'est-a-dire 1791, soit depuis la Revolution et l'Empire ... A partir des annees 1840, avec les politiques de reboisement, Ie role moderateur de la Foret est revendique avec plus de force aussi bien en France, qu'en Suisse, en Autriche et dans les Etats du sud de I'Allemagne. Cet argument est renforce par l'action protectrice de I' arbre contre l'erosion des sols. La Foret filtre I'air de ces elements malsains. Elle preserve Ie sol et Ie climat. Elle n'est pas qu'un simple intermedlaire mais l'agent de leur equillbre, Les geobotanistes, dans cette premiere moitie du XIXe siecle, portent un regard inverse. La
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I Jefferson T., Notes on the State of Virginia, Paris, [785, pour plus de precisions voir le chapitre deux: «The Great Climate Debate in Colonial and Early America» in Fleming J. R.• Historical Perspectives on climate change, New York, Oxford: Oxford Univesity Press. 1998, p. 194. 2 Rougier de [a Bergerie l-B., Traite d'agriculture pratique ou annuaire des cultivateurs de la Creuse et pays circonvoisins .. avec des vues generales sur l'economie rurale, les bites Ii laine, les prairies artificielles, les effets physiques des arbres sur les montagnes, applicables Ii tous les departements de la Republique, Paris, [795, p. 420.
L'ECOLOGIE COMPLEXIFIE LA NATURE
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
climatiques sur de petites surfaces notamment sur les facteurs de repartition de la flore sur les sols calcaires. II dernontre que cette flore ne repond pas a une composition chimique ou aux conditions physiques propres ce type de sol, mais qu'elle obeit une autre logique dans laquelle interviennent la temperature, Ie taux d'hurnldite au niveau et dans Ie sol, les differentes forces du vent, quasi nulle la surface et plus elevees au fur et mesure que I'on s'eleve, etc. Ce faisant, iI minimise I'action du sol dans la distribution des vegetaux et met I'accent sur les differentes composantes du climat. II fonde ainsi la microclimatologie doni Ie representant a ete Rudolph Geiger (1894-1981) la station de recherches forestieres bavaroise partir des annees 1920.
vegetation est le produit du climat, mais Humboldt, dans son K osmos, reconnait ('influence de la Ioret sur Ie c1imatlocal. Dans la seconde moitie du XIXe slecle.xette question fait I'objet d'experirnentations. En 1864, Ebermayer obtient I'autorisation de la part du ministere des finances bav~rois d'eriger trois stations meteorologiques forestieres. II etablit un reseau de double stauon : une en forct et une autre, a proximlte, afin de pouvoir prouver si localement la Foret influe sur Ie c1imat. Sa demarche est reprise en France (1866), en Suisse (1869), en Prusse (1874), en Suede (1876), en Autriche (1877). Cette persistance a vouloir dernontrer I'action de la Foret comme agent determinant de l'equllibre du climat, du sol et du regime des eaux est mettre en relation avec la conception liberate qui regne parmi les Etats visa-vis du patrimoine forestier. Ebermayer est invite a effectuer cette recherche la suite d'une surexploitation des forets dans les regions industrielles. Les autorites craignent des effets nefastes sur Ie c1imat et en matiere hydrologique. Mathieu rnene ses travaux sous Ie Second Empire ou iI est evoque, a nouveau, la possibilite de vendre des forets domaniales pour alleger la dette publique. Son enquete doit etablir la preuve que la Foret lutte contre les rigueurs du c1imat et contribue ala prosperite du pays, ce qu'il demontre ... Ce debat n'est pas reste purement forestier, les c1imatologues s'en sont meles. II est I'objet du congres international de meteorologie en 1878 a Rome, discipline qui s'est organisee par la fondalion de societes de meteorologic en Grande-Bretagne (18~0~, en France (1852). Des reseaux d'observations sont installes sur I'ensemble du terntoire a partir des annees 1870 en Russie, en France, en Allemagne, afin de relever les temperatures, les precipitations, etc. Dans les manuels de climatologie, I'influence de la Foret est regullerement evoquee que ce soit dans ceux de I' Autrichien Julius Hann (18391921), du Francals Alfred Angot (1848-1924), du Russe Alexander Voejkof (18421916)3. Tous ces auteurs tirent leur information des travaux des forestiers, dont les premiers resultats montrent que la foret agit sur Ie c1imat local. Entre Ie couvert boise et 0 I'air libre, la temperature varie selon les auteurs de 1 (Ebermayer - 1873) 0,1 0 (Schubert - 1917). Selon Mathieu, Ie milieu forestier augmente la pluviosite de 30 %. Anton MUttrich (1833-1904) d'Eberswalde a mesure un accroissement des precipitations dans les landes de Lunebourg depuis 1877, en fait depuis la campagne de reboisement... En revanche, pour Ie meteorologue Suedois Hugo Emanuel Hamberg, la foret n'influe guere sur le climat et I'on peut sans crainte reduire Ie manteau forestier. Son eradication rr'entrainerait pas une modification du regime des precipitations, mais cela agirait sur I'ecculement des eaux et la fonte des neiges", Dans ces discussions, iI est difficile d'opposer les forestiers d'un cote aux c1imatologues de I'autre. Si les partisans d.'une influence determinante de la Foret sur Ie climat se rencontrent davantage parmi les forestiers (Mathieu, Muttrich), tous ne partagent pas cetle idee. Les Allemands Ebermayer et Adam Schwappach (1851-1932) emettent des doutes, Pour eux, la Foret n'exerce aucun role sur Ie c1imat a I'echelle regionale ou nationale. Cette problernatlque du role de la Foret sur Ie c1imat surgit achaque fois ou Ie manteau forestier est menace Toutefois, delaissant Ie niveau global, au debut du XXe siecle, Gregor Kraus (18411915), professeur de botanique I'universite de Wurzbourg, s'Interesse aux variations
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Les Iimites des forets et les aires de repartition: objets de controverses La discussion sur les frontieres de la vegetation forestiere a ete beaucoup plus vive que Ie precedent. En effet, reconnaitre une limite a la foret, c'est delimiter le champ d'action du forestier. Pour les forestiers du milieu du XIXe slecle, la Foret est la vegetation naturelle qui regnerait en maitre sur I'ensemble du globe, si I'homme n'intervenait pas, possedan~ des frontieres au nord du bouclier scandinave et en montagne au-dela de 3.000 metres. A la fin du XIXe siecle, les botanistes scandinaves (Andersson, Sernander, Kihlman) s'efforcent de definir les facteurs du milieu qui entravent l'expansion de la Foret. La Suede est engagee dans une politique de reboisement dans Ie Nord du pays. Les scientifiques finlandais, quant eux, cherchent fixer les frontieres naturelles de leur nation. Ces derniers demontrent que la limite horizontale de la vegetation forestiere ne depend pas.de la temperature mais de I'action des vents sees hivernaux. En revanche, en montagne, selon Brockmann-Jerosch c'est la temperature qui fixe la limite verticale de la foret, les autres elements com me Ie vent, Ie sol et les precipitations n'agissent que localement'', I Les forestiers ont ete egalement sensibilises aux questions des aires de repartition des essences, repondant un voeu em is lors de la premiere reunion de I'Union Internationale des Stations de Recherches Forestieres eh 1892. En Allemagne, Dengler (Eberswalde) effectue une etude, en 1904, sur Ie pin sylvestre et, en 1912, sur I' epicea et Ie sapin pectine, soit trois essences particulierement employees par la foresterie en Allemagne du Nord", En France, Tessier tente de cerner sur Ie mont Ventoux, en 1900, I'aire de l'epicea et du meleze en utilisant la flore comme une indicatrice suivant en cela les recommandations de Flahault".
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5 Brockmann-Jerosch H., « Baumgrenze und Klimacharakter», Beitr. Geobot. Landesaufn., 6,
1919,p.255. 6 Dengler A., « Untersuchungen tiber die naturlichen und kiinstlichen Verbreitungsgebiete einiger
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( 3 Angot A.,Traiti eLementaire de meteorologie, Paris: Gauthier-Villars, t899, p. 417 ; Voejkof A., Die Klimate der Erde. J. Teil, Jena: Costenoble, 1887, p. 316; Hann J., Handbuch der Klimatologie, J. Bd. Allgemeine Klimatologie, Stuttgart: Engelhom, 1897,p. 404. 4 Hamberg H. E., Om skogarnes inflytande pa Sveriges klimat (De l'i"jluencedes forets sur le climat de la Suede), Stockholm: Norste dt & Soner, 1885, p. 76. 72
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forstlich und pflanzengeographisch wichtiger Holzarten in Nord- und Mitteldeutschland. 1. Die Horizontal-verbreitung der Kiefer (Pinus silvestris L.) », Mitt. forstl. Versuchsw. Preussens, 1904, pp. 1-132; « Untersuchungen tiber die naliirlichen und kiinstlichen Verbreitungsgebiete einiger forstlich und pflanzengeographisch wichtiger Holzarten in Nord- und Mitteldeutschland. II. Die Horizontalverbreitung der Fichte (Picea excelsa L.). III. Die Horizontalverbreitung del' Weisstanne (Abies pectinata D. C.)), Mitt.forstl. Versuchsw. Preussens, 1912, pp. 1-131. 7 Tessier L.-F., « Le versant meridional du massif du Ventoux », Revue des Eaux et Forets, 39, 1900,pp.65-84,97-106,129-14O. 73
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE Plus ambitieux, un forestier Allemand, Mayr, elabore une loi, en 1909, fixant I'aire de repartition des forets a la surface du globe. S'inscrivant dans une tradition remontant a Humboldt, il lie la foret et la temperature de I'air, Ie sol n'intervenant que localement. Ainsi la ou la temperature des quatre mois de l'ete, c'est-a-dire de la periode vegetative, est inferieure a 10° C, il ne peut y avoir de formation forestiere. 11 differencie aussi plusieurs aires de vegetation forestiere dans lesquelles les essences y trouvent leur optimum, qui ont pour nom: Palmeteum, Lauretum, Castanetum, Fagetum, Abietum et Picetum, Alpinum. Ces idees ont suscite de vives reactions de la part de Max Kienitz (1849-1935), charge du cantonnement d'enseignement forestier de Chorin pres d'Eberswalde, qui rabaisse la temperature limite de 10° a 8°. 11 estime que I'activite vegetative de I'arbre s'etend au-dela de quatre mois puisqu'elle debute a partir de 5°8. En dehors de cette querelle de chiffres, ce debat montre I'existence d'une tendance parmi les forestiers a repousser les frontieres de la vegetation forestiere, merne si, par ailleurs, ils , , reconnaissent que la foret a des Iimites. Sur ce plan, la montagne est un parfait exemple. A la fin du XIXe siecle, forestiers et botanistes sont d'accords : les frontieres actuelles de la foret ne refletent pas les llmites naturelles. Flahault souligne ce fait en 1884 : « Les temoignages certains s'accumulent ; la limite actuelle des forets n'est pas leur limite normale. II y a, entre la limite actuelle et la limite qu'occupait primitivement la vegetation ligneuse, une zone intermediaire qui tend a s 'elargir, a s 'etendre vers le bas, aux depens de la zone des forets subalpines »9. Afin de les determiner sur Ie terrain, il est fait appel a plusieurs methodologies: la toponymie, l'analyse pollinique et la botanique. La palynologie a trouve son expression a la suite des travaux de Carl Albert Weber (1856-1931) qui en 1893 dernontra que la presence de pollen dans les tourbieres indiquait certes la presence de telle espece d'arbre mais leur quantite donnait egalement une idee du paysage forestier aux alentours a une epoque donnee, II etalt possible de retracer la dynamique de la vegetation. Autre methode, I'existence de certaines plantes sur Ie terrain qui sont a ce sujet des indicatrices precieuses de la presence ulterieure d'une foret, « Dans les Alpes et les Pyrenees, c'est le Rhododendron ferrugineum qui est le reactif de la vegetation forestiere, qui lui survit, qui demeure apres lui comme un temolgnage irrecusable... », ecrit Flahault qui, par ce biais et sur un point essentiel de la politique forestiere en France, dernontre qu'il est utile de connaitre la flore du sollO. En effet, de nombreuses erreurs ont contraint les forestiers a tenir davantage compte des facteurs du milieu, d'affiner leur choix dans les essences. Leurs capacites techniciennes etaient en jeu. Cette polilique de reboisement a genere deux polemiques revelatrices de la nature des champs forestiers francais et allemand: celie qui oppose Ie botaniste Paul Graebner (1871-1933) au forestier Erdmann au debut du XXe slecle et celie entre Ie botaniste Felix Lenoble (1867-1949), inspecteur du travail de son etat, et I'inspecteur forestier Paul Mougin (1866-1939) dans les annees 1920. Elles se sont produites sur deux terrains symboliques : les landes en Allemagne et la montagne en France.
8 Zeitschrift fur Forst- und Jagdwesen, 41, 1909, pp, 339 ii 347, CR de I'ouvrage de Mayr H., Waldbau auf naturgesetzlicher Grundlage. Ein Lehr- und Handbuch, par M. Kienitz, p. 340. 9 Flahault c., «Les progres de la Geographic botanique depuis 1884: son etat actuel, ses problemes », op. cit., p. 306. 10Ibid., p. 307.
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L'ECOLOGIE COMPLEXlFIE LA NATURE Les deux botanistes ont insiste sur l'action des forces de la nature. Graebner voit dans a propos de I appauvr,l.sse",lent du .sol. Les vegetaux ligneux tirent beaucoup plus d'elernents mineraux du sol qu lis n en resntuent, ce qui conduit peu a peu a son epulsement. Graebner applique ce ~~ocess~s ~ la lande de Lunebourg. Si au depart la foret a dornine, elle a pulse les matlCre~ ml~erales du sol et fini par ne plus trouver de quoi se nourrir. Le sol s'est appauvn et s est rapproche de la roche mere, ce qui a rendu impossible la formation d'une foret et la lande a commence a regner, Dans un tel contexte, Ie reboisement est une vaine entrepris~ a moins de recourir massivement a l'engrals!'. Lenoble, par ses recherches, est par.venu a la. co~clusion que la forst dans les Alpes ne peut depasser les 2.500 metres, mars su~tout II s attaque aux deux dogmes majeurs de la politique de reboisement : la foret regulatrice du eli mat et agent de lutte contre I'erosion. Avec l'aide des travaux de geobotanlstes, il estime que ce n'est pas la foret qui influence Ie c1imat mais l'inverse et que .I'erosion est un phenomene geologique naturel propre a la montagne. S'enteter a reboiser dans les espaces ou la foret n'a pas sa place c'est engloutir les deniers publics pour rien sur des motifs peu fondes, Les administrations forestieres ont replique au travers deux hornrnes : Erdmann l'adm.ini~trateur du ~antonnement des Iandes de Neubruchhausen (Bass~-Saxe), e~ Mougin, inspecteur general des Eaux et Forets, Tous les deux sont des hommes de terrain co~naissant parfaitement les regions enjeux des polemiques. lis ont repondu point par POint a.u~ argu~ents avances. Erdmann estime que seule une sylviculture rationnelle peut parvenu a recreer un sol forestier. Mougin, qui voit dans Ie reboisement des montagnes de la « bOlaniq~e appliquee »12, fixe la limite forestiere a 2.650 m. s'appuyant sur les tra.vaux de,Ple;re Buffault (1866-1942) dans Ie Brianconnais qui a rencontre a cette altitude des melezes et des pins Cembro a « l'etat isole », II ajoute : « M. Lenoble a declare n 'avoir ja1~ais. vu d'arbres au-dessus de 2500 m. .. moi-meme, je n 'en ai pas rencontre : est-ce a dire que la vegetatipn forestiere ne puisse s'elever jusque-la et monter plus haut encore? Nullement »13 ... ' A.u travers de ces polerniques, Ie support utilise pour leur visibillte trahit Ie fonc~lO~nement de leurs champs scientifiques. En France, les deux protagonistes se sont e~prJmes dans deux revues: la Revue de; Geographie Alpine dirigee par Blanchard, un geographe, et l'Arbre, la revue de la Societe des amis des arbres, pour laquelle Lenoble a use de son « droit de reponse qu 'une jurisprudence constante a reconnu a toute personne n~mm~ment critiquee dans un periodique »14. En Allemagne, la controverse s'est deroul~e par ouvrages interposes, celui de Graebner s'inscrit dans la prestigieuse collection d' Adolf Engler, Die Vegetation der Erde (La vegetation de la terre), celui d'Erdmann est publie en 1907 chez Springer l 4.ElIe a rebondi egalement dans les colonnes de la revue forestiere d'Eberswalde. Ces differents supports expriment leur champ forestier respectif. En France, no us avons un reflexe de corps. Lenoble est accuse d'incompetence en matiere forestiere
I~s lande~ une formation naturelle et s'appule sur les theories de Liebig
11 Graebner P., Die Heide Norddeutschlands und die sich anschliessenden Formationen in t~OlogiSc~ler Betrachtull~, Die Vegetation der Erde, 5, 1901, p. 320 : 2· edition 1925. Mougm P., « Le reboisernent dans les Alpes meridionales », Revue de Geographic Alpine, 1925,
12, p. 216. 13 Ibid., p. 263.
14 Erdmann F., Die nordwestdeutsche Heide inforstlicher Beziehung, Berlin: Springer, 1907, p. 75.
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
L' ECOLOGIE COMPLEXIFIE LA NATURE
comme Graebner, mais la controverse ne s'etend pas au cceur de la revu~ forest.i.ere de Nancy, qui en fait un compte-rendu partisan. En Allemagne, deux forestiers (Moller e~ Albert) se desolidarisent d'Erdmann dans la revue d'Eberswalde. Ces deux homme~, qui ont eu une formation en sciences naturelles, renvoient Graebner et Erdmann dos-a-dos, chacun detenant une part de verite. Dans les deux cas, nous etions en pres,ence d'u~ espace sur lequel les botanistes et les forestiers ont des pretentions. Graebner a et~ ~omme en 1903 par Ie ministre de I'agriculture de la Prusse, membre de la comrmssion de consultation pour la mise en valeur economique des landes de I' ~llemagne du Nord. ,E~ ancrant, la vegetation dans I'espace et Ie milieu, les botanistes ont com~.ence· a revendiquer leur utilite dans I' exploitation de ces terres. En participant a la politique ~e reboisement les forestiers se sont aventures sur les terres sans arbre, longtemps Ie terrain
- L'influence de la lumiere sur les plantes dans leur physionomie entre les especes heliophiles et hellophobes, theme de recherches aborde par Wiesner l6, mais egalernent par Ie forestier Bernard Borggreve (1836-19]4). Ce dernier dernontre, que Ie developpement de la forme du tronc et des cernes est independent I'un de l'autre. II a ainsi etudie des arbres et arbustes aux troncs deformes et en a conclu que leur forme resulte de causes externes, done du milieu, et ne peut etre attribuee a des causes internes!" ; - L'etude de la quantile et de la qualite de la lumiere recue par la foret menee par Ie Suisse Hermann Knuchel (1884-1964)18. Cette importance donnee a la lumiere a excede Fricke, Ie directeur de l'academie de Harm-Munden, qui, en ] 904, publie un article virulent, dans les colonnes de la revue forestiere autrichienne. En fait, il s'adresse Cieslar de I'Ecoie superieure d'agronomie a Vienne, Ie speciallste en ce domaine denoncant Ie dogme de la lumiere qui s'est ernpare des forestiers : « Ainsi pendant que Warming reduisait les differences des soi-disant
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d'investigation des botanistes. . . . .' La rencontre sur Ie terrain avec des specialistes venus d'autre~ d~s~lphnes,.la fixation de limltes a la foret, done a I'action du forestier, I'absence d'unanirnite s~r Ie hen e~tre la foret et Ie climat ont mene a une desacrallsation de la foret, Desormal.s. celle-c~, a un espace precis, alloue, qualifie par Fabre et F1ahault de terres a « vocation forestiere », qu'ils distinguent des terres it « vocation agricole »,
essences d'ombre et de lumiere en differences au niveau de la transpiration, nous, fore stiers, prenions soin de toutes les formations biologiques et ecologiques en foret les reduisant a l'influence insuffisante ou suffisante de l'utillsatlon de La lumiere. roo'] Le partage entre essences d'ombre et de lumiere est le fondement de notre systeme forestier. Nous parlons de croissance par l'exploltation de la lumiere, de coupes claires, de surcrott de lumlere, de coupes sombres, de surfaces de semences claires et autres lumieres. Quand une regeneration naturelle ne se developpe pas selon nos VlEUX, alors c'est encore trop sombre et elle doit etre, nouveau, eclaircle )}19. S'appuyant sur les travaux de Wiesner et surtout de Warming, Fricke insiste sur Ie role de la transpiration. II reprend les recherches de Moritz Busgen (1858-1921), qui a lntegre, depuis 1901, Harm-Munden, sur la concurrence entre les racines dont la croissance peut constituer uri frein au developpernent des arbres. Cieslar n'a pas replique imrnediatement a Fricke. Toutefois, en 1909, a la suite de recherches approfondies, Cieslar refute son argumentation et demontre que la distinction entre essences d'ombre et de lumlere est scientifiquement fondee 20 . Par la suite, en 1929, Ludwig Fabricius (1875-1967), professeur de sylviculture a Munich, prou~e que Ie manque de lumiere engendre plus de dommage que la concurrence entre les raclnes-I, Cette polemique emanant d'un centre prussien provoque une reaction a Vienne, ainsi, c'est la un des points forts de cet espace germanique, lorsqu'une question importante surgit, elle interesse I'ensemble des forestiers de cet espace et ne reste pas cantonnee a l'Interieur de frontieres nationales. Cet article de
La foret et l'arbre : jeu de lumiere et variabilite de l'essence
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La complexification du fonctionnement de la foret et de I'arbre aux yeux d,~s fore~tiers est la consequence logique du developpement des sciences naturelles et de I ecologle au sein de la foresterie. Jusqu'a la fin du XIXe siecle, la foret est encore concue comme une somme d'arbres enfermee dans un cycle. Le modele saxon s'est developpe autour de c~ schema: plantation -coupe rase - plantation, qui doit rapporter 3% I'a~. II s'est etendu a l'Allemagne, l'Autriche, la Scandinavie et la Suisse. En France, la sylvlcultu~e repose sur la regeneration naturelle. L'amenagement des forets est fixe pour 50 vorre 12.0 ans, prenant un caractere i mmuable. Cette gestion atemporelle de l' espace forestler est confrontee, dans les peuplements monospecifiques de I'Europe centrale, aux, attaques d'insectes, aux maladies, a une perte de productivite de la foret, En France, les ~checs e~ matiere de reboisements ont conduit les forestiers a s'interroger sur le~r pratique et ~ trouver des reponses dans les sciences naturelles non sans de vi~~s ,diSCUSSions: q~.e c~ .SOlt sur Ie role de la lumiere dans la croissance des peuplements, I Ide~ de race~ a I interteur des especes d'arbres, Ie recours aux essences exotiques. Seule la mise au point des tables . ." de production n'a guere ete contestee. Dans Ie vocabulaire forestier, la lumiere dispose d'un champ lexical partlcuherement fourni: eclaircie, coupe sombre, coupe claire. En 1852, Gustav Heye.r (1826-1883), alors maitre de conferences en sciences forestieres a l'universite de Giessen, consacre un I5 ouvrage au comportement des essences forestleres vis-a-vis de I~ I.umiere et.de l'ombre . En 1877, l'adoption du papier photographique permet de ~uan.tlfle~ la lumiere recue par les feuilles. Les travaux s'orientent, par la SUite, dans deux directions :
IS Heyer G., Uber die Ermittlung der Masse, des Althers und des Zuwachses der Holibestande, Dessau: Druck und Verlag von Moritz Katz, 1852, p. ISO. 76
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16On doit it Wiesner (1893) la distinction entre les especes ombrophobes (qui ne tolerent guere les precipitations) et les especes ombrophiles (qui recherchentles precipitations). 17Borggreve B., Die Holtrucht. Ein GrundrijJ fur Unterricht und Wirthschaft. Berlin: Parey, 1885, p.195. 18 Knuchel H., « Spektrometrische Unlersuchungen im Walde », Milt. schweiz, Anst. forstl.Vers.Wesen, 9, 1914, pp. 1-94. 19 Fricke K., « "Licht-und Schatten Holzarten" ein nicht begrundetes Dogma», Chi ges. Forstwes., 30, 1904, p. 318. . 20 Cieslar A., « Licht- und Schattholzarten, Lichtgenuss und Bodenfeuchtigkeil », Cbl. ges. Forstwes., 35, 1909, pp. 4-22. 21 Fabricius L., « Neue Versuche zur Festellung des Einflusses von Wurzelwettbewerb und Lichtenzug des Schirmstandes auf den Jungwuchs », Forstwissenschaftliches Centralblatt, 51, 1929, pp.477-506. 77
LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
L'ECOLOGIE COMPLEXIFIE LA NATURE
Fricke a fait date. II a montre aux forestiers germanophones que la croissance de l'arbre ne se resume pas un jeu de lurniere, qu'elle est plus complexe qu'i! faut integrer d'autres elements comme les racines, la transpiration, etc. Si l'environnement influence la forme des arbres, un autre aspect preoccupe les forestiers tenants de l'ecologle : I'existence de varietes dans les essences forestieres. Les premiers travaux des systematiciens ont permis de differencier les essences Iorestieres, Les reboisements attirent I'attention des forestiers sur la selection des plants. Ainsi en 1890, au congres international d'agriculture et de foresterie Vienne, la resolution suivante est adoptee : « La selection devrait etre travaillee en premier, afin que soient employes pour chaque espace de croissance et chaque espece d'arbres des semences recueillies dans des stations precises, afin de produire des arbres, lesquels sont, a cet egard, parfaitement adaptes depuis plusieurs generations leur station. Dans cette meme direction. les travaux des stations de recherches forestieres doivent etre organises dans ce domaine »22. La redecouverte des lois de Mendel, en 1900, fonde scientifiquement I'existence de varietes au sein d'une me me 'espece. Toutefois, sur Ie terrain, des resistances pointent. En 1906, P. Guinier, assistant avec son pere au congres de la societe forestiere de Levier (Doubs), est ternoin d'une empoignade entre Henri Adler, ancien polytechnicien, ingenieur des Ponts et Chaussees en disponiblllte et exploitant forestier Bayonne, et les forestiers. Adler soutient que, dans les Pyrenees, la sapiniere peut survivre a la coupe a blanc, rnalgre sa reputation d'essence d'ombre. II appuie ses propos sur une foret, exploitee par sa societe, situee dans Ie canton du Creux de I' Agre23 . Les forestiers se sont souleves contre ces affirmations, Ie sapin etant une essence d'ombre. Visitant les sapinieres de l'Aude et Ie canton d' Agre quelques annees plus tard, Guinier doit se rendre al'evidence : Adler avait raison. II exlste bien une race meridionale de sapin, Ainsi Ie milieu pese sur la physionomie de l'arbre, une marne espece pouvant varier dans sa forme d'un endroit l'autre et, par la, posseder des caracteristiques propres. Ceci concerne en premier chef la politique de reboisement, qui ne peut s'effectuer avec n'importe quelle varlete, Le forestier doit faire en sorLe que les conditions ecologiques soient identiques entre Ie lieu ou les semences doivent etre repandues et celui de leur provenance. Une etude prealable de la station est done necessaire, Cette polemlque a propos de I 'existence de varietes au sein des essences forestieres a rejailli aussi propos de I'introduction d'exotiques dans les forets nationales.
xenophobes a I'egard des irlandais et des britanniques d'ou il etait originaire24. La querelle sur les exotiques s'inscritdans ce contexte. L'introduction d'essences etrangeres en Europe a commence des Ie XVle siecle avec I'expansion europeenne, mais pas pour peupler les forets, Ces arbres ont d'abord ete irnplantes dans les jardins botaniques et relevent davantage de I'horticulture que de la foresterie. A la fin du XVlIIe siecle, Henri Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) prone I'ernploi d 'especes etrangeres dans les forets, Une premiere serie de discussions se deroulent sur ce theme jusqu'en 1830, puis reprennent dans les annees 1880. L'accroissement de la demande de bois d'a:uvre pour soutenir l'industrie contraint I 'administration forestiere a fournir du bois. Seules certaines essences exotiques comme Ie Douglas peuvent a moyen terme satisfaire cette demande en raison de leur croissance rapide. En Allemagne, Ie chancelier federal Otto von Bismarck (1815-1898) en est l'initiateur, lui-rneme etant un grand proprietaire forestier. L'introduction d'exotiques au sein des forets n'est pas allee sans resistance de la part de .cert~ins forestiers qui ont oppose deux modes de raisonnement : les uns de type nationaliste, les autres s'appuyant sur un discours scientifique. Que ce soit en France, en Allemagne ou en Autriche, I'Identite de la foret semble rnenacee par I'intrusion d'essences etrangeres ce qui fait dire a Mayr sur un ton ironique que dans la foret allemande ne doit exister qu'un : « Forestier allemand qui se promene seulement sous des ar~re~ ~llemands et peut-etre aussi qui tire sur des chevreuils allemands »25. Sur Ie plan sctentiflque, ces opposants recommandentla plus grande prudence avant d'introduire une espece. L'un des fondateurs de l'ecole forestiere de Nancy, Parade, a forrnule dans les annees 1860 qu'il faut « imiter la nature », en d'autres termes, ne rien bouleverser. Cette vue est renforcee par des arguments de type darwinien la fin du XIXe siecle, En Europe, la nature a.effectue sa propre selection, les essences restees sont les plus resistantes et les mieux adaptees contrairement aux exotlques, dont la reintroduction exige beaucoup de soins. Sur ce plan, ces dernieres relevent de l'horticulture. Enfin, elles ne sont pas exemptes de maladies. Elles peuvent merne introduire des parasites dans les forets du continent. '
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La menace etrangere : des exotiques aux tables de production Le theme de I'introduction d'especes exogenes devint I'objet d'un vif interet dans la seconde moitle du XIXe slecle, Des barrieres douanieres furent erlgees pour lutter contre l'introduction de parasites (insectes, plantes, champignons) afin de proteger la production locale, ce titre fut signee en 1881 la convention de Berne contre Ie phylloxera, Aux Etats-Unis pour lutter contre une chenille qui s'attaquait aux arbres urbains, Ie moineau fut introduit et souleva alors de vives discussions accompagnees de connotations
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A ces arguments, les partisans des exotiques repliquent que s'ils s'efforcent de les promouvoir, ce n 'est pas pour remplacerl les essences indigenes mais pour accroitre la production ,de bois et diminuer les importations contribuant a la prosperite de l'economie nationale. A la lumiere des travaux de geographes comme Penck et de botanistes comme Sernander et Andersson, leur introduction n' est en fai t qu' un retour a Ia nature telle qu'elle existait avant les glaciations. II s'agit de restaurer un patrimoine. Enfin, elles presentent des avantages d'ordre ecologique, ce que souligne Guinier : « Des exotiques peuvent utiliser des stations OU aucune essence indigene ne prospere ou ne donne de produits remunerateurs : c'est le cas du cypres chauve dans les marais de Provence roo .J. D 'autres ... sont indemnes de maladies: on a reconnu l'immunite du meleze du Japon visa-vis du chancresl'',
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22 Tschermak L., « Die wissenschaftlichen Arbeiten Professor Dr. Adolf Cieslars », Centralblatt fur das gesamtForstwesen, 54, 1928, p. 247. 23 Moreau R., « Reflexions sur les forestiers comtois », Bulletin trimestrielle -SocieteForestiere de Franche-Comte et des provincesde l'Est, 44, L991, p. 22. 78
24 Coates P., «The 'little foreigner' : the controversy over the 'english sparrow' in the United Slates (l860s 10 circa 1900»), Dealing with diversity, 2nd International Conference of the European Society for EnvironmentalHistory, Prague, 2003. 25 Heyder 1. C, Waldbau im Wandel, Frankfurt am Main: 1. D. Sauerliinder's, 1987, p. 278. 26 Guinier P., « Le role des essences exotiques dans la foret francaise : historique, principes et methodes », Comptes rendus hebdomadaires de l'academie d'agriculture de France, 23, 1937, pp. 1020-1021. 79
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LA CONSCIENCE D'UNE ECOLOGIE
L'ECOLOGIE COMPLEXIFlE LA NATURE
Pour ernporter la conviction, plusieurs strategies sont employees. En Allemagne, en 1886, l'administration bavaroise envoie Mayr aux Etats-Unis, au Japon et aux Indes, pour etudier les diverses essences susceptibles d'etre exploitees dans les forets allemandes. Les stations de recherches developpent des programmes d'etudes notamment en Prusse autour du Douglas. En France, des arboretums sont fondes par des proprietaires prives comme Ie domaine des Barres par Philippe-Andre de Vilmorin (1776-1862) en 1820, iI a ete acquis par l'Etat en 1873. D'un autre cote, P. Guinier et A. Jolyet creent, en 1901, I'arboretum d'Armance a proximite de Nancy, dans I'indifference de I'administration forestiere : « On considerait les efforts de ceux qui, se vouant a l'etude des arbres et des plantes, sont regardes comme se detoumant du milieu forestier »27. Enfin la propagande est aussi assuree par I'Interrnedialre des societes de dendrologie et de leurs revues. Une premiere societe volt Ie jour en Allemagne en 1892. En France, elle est fondee en 1905 su~ une initiative d'un forestier: Robert Hickel (1861-1935) qui enseigne la sylviculture a I'Ecoie Nationale d'Agriculture de Grignon (Yvelines). Elle se donne trois buts: encourager I'etude des vegetaux Iigneux, vulgariser la connaissance et promouvoir les exotiques. Ainsi Ie debar sur les exotiques epouse parfaiternent celui sur .l'ecologie forestiere, D'abord entre les partisans et les opposants, les premiers ont pour nom: Guinier, Hickel, Parde, Fabre (en France), Cieslar (en Autriche), Arnold Engler (en Suisse), Schwappach, Mayr (en Allemagne), soit autant d'acteurs qui se sont efforces de promouvoir les sciences naturelles aupres des forestiers. Les opposants, a quelques rares exceptions pres comme Borggreve, sont peu ouverts a ces nouvelles sciences et recommandent la prudence. lis n'envisagent pas la possibilite que la foret puisse faire l'objet d'une recherche, ce qu'exigent les exotiques. Ainsi, avant d'adopter une essence exotlque, il faut tenir compte de sa station d'origine, done du climat et du sol, mais aussi des formes qu 'elle prend dans cette rneme station. Nous retrouvons bien la les trois grands aspects de I'ecologie, a savoir qu'une vegetation est, a la fois, Ie produit d'un climat, d'un sol et de sa propre organisation. L'entree des exotiques s'est accompagnee d'une phase experimentale aussi bien dans les arboretums que dans les stations de recherches forestieres, II faut verifier s'ils s'adaptent ou non, si Ie rendement est bien conforme aux attentes. lis rentrent ainsi dans les tables de production. Ces dernieres permettent de prevoir la croissance d'une essence dans une region donnee, done son rendement en bois. Elies constituent un outil de gestion essentiel pour Ie forestier. En outre, elles sont un indicateur de l'etat de sante d'un peuplement. Pour peu que celui-ci manifeste des signes de faiblesse, il faut en chercher les raisons: gestion sylvicole, raisons climatiques (suite d'annees humides ouseches), etc. Leur elaboration est liee a I'histoire de I'enseignement forestier, soit a la fin du XVIlle siecle avec les travaux du forestier Chistian von Seebach (1793-1865) sur les eclaircies du hetre rouge. Toutefois, c'est dans la seconde moitie du XIXe siecle que les tables de production se generalisent dans Ie cadre des differentes academies forestieres et dans I'Europe germanique. Elies ont accompagne et precede la mise en place des stations de recherches. En effet, les travaux ne peuvent etre effectues que dans la moyenne et la longue durees pour pouvoir donner des resultats fiables, c'est-a-dire dans une structure capable d'assurer ce type d'observation. Leur developpernent est lie egalement a une gestion partlculiere ~ui releve de la theorie de la rente fonciere. Les proprietaires forestiers attendent une certame
productivite, les tables de production sont Ia pour confirmer leur esperance. Leur mise au point ~ contrain~ les forestiers a prendre de plus en plus en compte les facteurs du milieu, la station au sem de laquelle les essences ont pousse, Un des premiers a integrer cette dimension a ete Schwappach a Eberswalde. II a beneficie du formidable reseau de placettes developpees en Prusse, pas moins de 800 en 1892, pour produire un ouvrage de 28 reference en 1912 . Dans ce manuel, iI distingue les diverses zones de croissance en fonction du climat, de la situation et du sol. II associe les differents facteurs du milieu. Ainsi iI apparait clairement qu'en fonction de ces contraintes une merne espece selon Ie lieu n'a pas un rendement identique. Ces tables de production constituent des rnodeles afin d'obtenir un maximum de bois sur pied et d'utiliser au mieux Ies forces naturelles. Quel est l'etat de I'ecologie a la veille de la guerre ? Si elle est reconnue parmi les botanistes, elle n'a pas encore atteint son autonomie. En Suede, en Finlande, en France en Autriche, en Suisse, c 'est Ie courant issu de la botanique qui irrigue les forestiers.' En Allemagne, au Danemark et en Russie, c'est surtout celui provenant de la pedologic qui prend Ie dessus. En Finlande, en France voire en Hongrie, le debar se focalise sur l'utilite de la flore comme indicatrice, en Allemagne sur la necessaire preservation du sol. Ainsi des ses debuts, I' ecologie investit des domaines restes des classiques : - Les lirnites : ou commence et ou finit la Foret ? En d'autres termes, quel est Ie champ d'action du forestier ? - Les aires de repartition: les aires naturelles forment-elles vraiment des frontieres naturelles ? Faut-il absolument respecter les aires naturelles? - Les exotiques : en les introduisant, I'homme ne joue-t-il pas avec la nature? - La Foret et Ie climat : quel est Ie role de la Foret sur Ie climat global? Sur Ie I climat local ? Autant de themes, qui n 'ont pas cesse, pour certains, de soulever des passions tout au long du XXe siecle. D'un autre cote, au travers la foret, Ie lien entre la production de bois et l'.ecologie n'a cesse de se renforcer, de s'affiner et trouve son expression avec les exotiques et les tables de production.
28 Schwappach A. von, Ertragstafeln der wichtigsten Holzarten in tabellarischer und graphischer Form, Neudamm : Neumann, 1912,p. 82 ; 2"edition 1923, p. 64 ; 3"edition 1929, p. 74.
27 ibid.
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Deuxieme partie
L'ecologie en application I
1915 -1945
La periode consideree ici repose sur un paradoxe, L'utilite de l'ecologie est, peu a peu, admise parmi Ie monde forestier europeen, mais l'ecologle en tant que science reste cantonnee au stade de I'approche au sein d'une discipline don nee que ce soit en botanique, en limnologie ou en zoologie. Plus que jamais les reseaux scientifiques s'inscrivent dans les evenernents poIitiques et sociaux qui, dans l'entre-deux-guerres, ont ete de deux ordres. Sur Ie plan geopolitique, on assiste a une multiplication des Etats, done des centres scientifiques, et a la naissance de I'URSS. Sur Ie plan economique, l'Europe subit plusieurs soubresauts : apparition de l'inflation et deux crises economiques, la premiere dans les annees 1920 en Europe centrale et la seconde en 1929 debouchant, en Allemagne, par l'arrivee des nazis au pouvoir. Dans ce climat, l'Allemagne perd sa place centrale dans la diffusion des sciences en general et de l'ecologie en particulier. Elle est sortie affaiblie de la guerre, mais a garde une importance relative, relent de sa puissance anterieure jusqu'a l'avenernent du nazisme. Cet affaiblissement correspond a une hornogeneisation de la pratique scientifique en Europe. La hierarchie, done la distance entre les centres, n'est plus aussi tranchee qu'au debut du XXe siecle, Desorrnais la plupart des centres disposent de laboratoires, de revues, ce qui a pour corollaire une augmentation de la quantite d'information produite. En foresterie, l'ecologie vehiculee au travers de disciplines com me la pedologie et la physiologie vegetale s'impose sans rencontrer de grandes difficultes. Le debar est plus apre en sociologie vegetale, Si l'Idee d'un decoupage de I'espace en unites naturelles n'a guere eu d'objections, en revanche, la methodologie employee a engendre de vives discussions entre ces diverses ecoles (Uppsala, zuricho-rnontpellleraine, sovietique, ... ). La foresterie fut impliquee car la foret offre un terrain d'application done de legitimation a I'etude des groupements vegetaux, Enfin cette multiplication des etudes scientifiques sur la foret ameliore la connaissance des forces naturelles qui I'agitent et mettent a mal plusieurs theories sylvicoles dites « proche ~e la nature ».
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Guerre, foresterie et ecologic La guerre peut etre un accelerateur de I'Histoire ou former une rupture radicale. Les faits viennent conflrrner ces deux versions. La perte d'influence de I'Allemagne et la montee en puissance des Btats-Unis remontent au debut du XXe siecle, sur ce plan, la guerre n'a fait qu'accelerer Ie cours des evenements. On peut parler de rupture pour la Russie, devenue I'URSS en 1922, mise au ban des nations, mais qui, jusqu 'en 1932, a maintenu des liens avec les centres europeens. Rupture aussi dans les relations scientifiques franco-allemandes, la France est Ie vainqueur et I' Allemagne Ie vaincu.
Une guerre profitable it l'ecologie et nefaste it la science allemande Les effets pendant ce conflit tant sur les reseaux, que sur la science? sont sans surprises. D'abord, comme les forestiers francais, allemands et autrichiens ont un statut militaire, i1s ont ete nombreux a etre mobilises et a tomber au front comme Fricke en 1915 a Ypres I. Ensuite, la guerre a eu aussi des consequences rnaterielles : surexploitation des forets pour bati r et con solider les tranchees, destructions des laboratoires situes a proximite du front dont celui du pedologue Albert Demolon (1881-1954) a Laon (Aisne). Enfin, les communications scientifiques ont ete perturbees voire interrompues. Les travaux ne circulent plus entre les pays belligerants. Dans la Revue des Eaux et Forets, des Ie debut du conflit, les etudes allemandes ne sont plus referencees. En revanche, dans les revues allemandes, les travaux anglais et francais figurent dans les recensions critiques I jusqu'en 1915. En dehors de ces aspects generaux, la forte demande qui s'exerce sur Ie bois constitue un terreau favorable a l'expansion de l'ecologie au sein de la foresterie. Des forestiers allemands, deja sensibilises aux sciences naturelles, sont requis pour assurer I'exploitation de massifs forestiers en Europe de l'Est.C'est ainsi que Konrad Rubner (1886-1975) decouvre la foret « naturelle » de Bialowie~a2. En France, P. Guinier s'investit dans l'etude de la resistance du bois: la xylologie, appreciee dans I'aviation et l'artillerie, Oeuvrant pour la patrle, cela a favorise son accession au poste de directeur de l'Ecole des Eaux et Forets de Nancy. En Suede, Ie premier conflit mondial a provoque une hausse de la consomrnation de bois. Son approvisionnement en charbon importe d'Allemagne et de Grande-Bretagne n'est plus assure. Pour faire face a cette situation, la station de recherches forestieres est mobilisee et des moyens tant en credits qu'en hommes lui sont affectes, II s'agit d'accroitre Ie rendernent de la foret suedoise. Hesselman, Ie directeur de la section des sciences naturelles, recrute trois assistants: Carl Malmstrom (1891-1971), Lars-Gunnar Romell (1891-1981) et Olof Tamm (1891-1973), constituant une solide
1 Fricke a remis en question Ie « culte de la lumiere » des forcstiers, voir Ie chapitrc quatre. 2 Cette forst situee aujourd'hui a l'Est de la Pologne, a la frontiere avec la Bielorussie, a ete exploitee tardivcment apres I'annexion russe de 1795. En 1888, elle dcvient la propriete du tsar, sa reserve de chasse. Ceci a permis de preserver une faune (Ioups et bisons) et une flore relativement riches.
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
GUERRE, FORESTERIE ET ECOLOGIE
equipe qui engage la foresterie suedoise dans la voie de I'ecologle". A ces consequences pendant Ie conflit s'ajoutent celles qui ont perdure apres 1918. Au lendemain de la guerre, I'isolement de I' Allemagne qui a ete au ceeur de la diffusion des sciences en Europe avant 1914 semble consomme. Sa defaite se traduit par un bannissement de ses scientifiques et de ses anciens allies a I'echelon international. Ainsi l'Association Internationale des Academies devenue Ie Conseil International des Recherches exclut pour douze ans : l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie. L'allemand n'est plus accepte com me langue de communication. Le conseil de la Societe des Nations fonde une commission internationale de cooperation intellectuelle dontle philosophe Henri Bergson (1859-1941) est Ie president. Celui-ci en ecarte tous les allemands ou germanophones. Martonne agit de merne au sein de l'Association de geographle intematlonale", Cette politique d'evincement est activement menee par les scientifiques francais parmi lesquels existe une culture de germanophobie. Dans les revues forestieres francaises, les travaux allemands disparaissent des bibliographies. Huffel professeur deconomle forestiere a Nancy, qui a perdu un fils a la guerre, lorsqu'il reprend dans la Revue des Eaux et Forets la recension d'ouvrages allemands, accompagne ses resumes de propos antiallemands. Ainsi en 1930, il redlge une critique positive d'un livre de Wagner sur I'arnenagement forestier, mais accornpagnee de ce type de remarques : « Le style de M. Wagner est frequemment empetre, penible a lire, trop sou vent depourvu de La clarte et surtout de La simplicite desirables. Mais ce sont la des defauts qui se retrouvent plus ou moins souvent dans presque tous les ouvrages d'erudition allemands »5. Ces diatribes ne se limitent pas qu'aux ouvrages rediges par des allemands. Ainsi Ie conservateur forestier Pierre Buffault (1866-1942), dans un article sur les forets de Finlande, estime que la classification de Cajander, par sa «complexite »et son «souci du detail» sent «l'influence germanique »6. Cette attitude se retrouve en dehors de la foresterie. Le micropedologiste Etasunien Selman Abraham Waksman (1888-1973) raconte dans ses rnemoires sa visite chez Demolon dans son laboratoire de Laon : « [II] s'exprimait bien en anglais. Blesse de guerre, il critiquait, peut-etre pour cette raison, tres severement les travaux de certains ' savants allemands ou de ceux qui sont influences par les Allemands »7. Cette mise au ban de la Republique de Weimar s'accompagne de complications internes. L' Allemagne est coincee entre la reconversion d'une economie de guerre, les reparations a honorer et des troubles politiques. Cela se ressent sur les conditions de travail des chercheurs notamment parmi les forestiers. La station de recherches forestieres d'Eberswalde manque de personnels. Pour aider la recherche scientifique face a la penurie de rnoyens, Ie 30 octobre 1920, cinq academies scientifiques s'unissent pour fonder la Notgemelnschaft der Deutschen Wissenschajt, (Association de soutien a la science allemande). II s'agit de l' Association des universites allemandes, la Societe KaiserWilhelm pour I'avancement des sciences, l'Association allemande des clubs scientifiques
et techniques, enfin les associations allemandes des naturalistes et des physiciens. Les difficultes financieres n'epargnent pas les editeurs. Paul Parey cesse de soutenir la revue de Tubeuf, Ie NaturwissenschaJtliche ZeitschriJt fur Forst- und Landwirtschaft, qui a joue un role federateur dans la diffusion de l'ecologie, elle disparait en 1920. Les grandes revues allemandes qui reccnsent les travaux sur Ie plan international et qui, parfois, assurent les traductions d'etudes etrangeres n 'accomplissent plus leur mission. Le Botanische lahresbericht (Le rapport annuaire de botanique) parait toujours mais avec retard: l'edition de 1923 presente les travaux de l'annee 1915 ... Le Botanische Jahrbucher (L'annuaire de botanique) et Ie Botanische Centralblatt (La feuille centrale de botanique) ont perdu non seulement une partie de leur public, mais aussi ne sont pas remplaces, a l'etranger aucune maison d'edltion n'etant prete a prendre leur relais.
3 L'ecologieest bien ici au serviced'un rendement : accroitre la production de boisen foret. 4 Schroeder-Gudehus B., Les Scientifiques et la Paix - La communaute scientifique internationale au coursde annees 20, Montreal: Presses de l'universite de Montreal, 1978, p. 137. 5 Revue des Eaux-et-Forets, 68, 1930, CR de l'ouvrage de C. Wagner, Lehrbuch der theoritischen Forsteinrichtung, par G. Ruffel, p. 994. 6 Buffault P., « Les foretsde Finlande », Revuedes Eauxet Forets, 62, 1924, p. 202., 7 Waksman S.-A.,Ma vie avec les microbes, Paris: Albin Michel, 1964, p. 176. 88
Un passage de temoins: de I'Allemagne vers les Etats-Unis Les difficultes rencontrees par l' Allemagne, merne si elle garde en elle un potentiel scientifique, ont favorise I'ascension des Etats-Unis dans l'entre-deux-guerres. Trois signes confirment ce passage de temoins. L'anglais devient une langue de communication pour les scientifiques issus des centres marginaux ou convergents. Ainsi en 1930, Ie forestier Danois Carl Bornebusch (1886-1951) publie en anglais une etude sur la faune du sol dans la revue de la station de recherches forestieres''. Toujours au Danemark, partir de 1933, les Comptes Rendus des Travaux du Laboratoire Carlsberg sont rediges en anglais. En 1938, Ie pedologue Autrichien, Kubiena, fait paraitre un ouvrage de micropedologie aux Etats-Unis edite par I'universite ou il sejourne en qualite de professeur invite 9. Les Etats-Unis, second signe, ne representent plus un lieu ou les scientifiques europeens viennent y decouvrlr des espaces juges naturels desormais, ils s'y rendent pour y completer leurs etudes. Ce pays est devenu un espace de formation. A ce titre, la Fondation Rockefeller fournit des bourses: d'etudes aux scientifiques de moins de 35 ans desirant se rendre aux Etats-Unis. En 1925, Ie botaniste Allemand Heinrich Walter (18981990) en beneficie. II se rend au Desert Laboratory aTucson (Arizona), dirige par Forest Shreve (1878-1950) et au centre de Lincoln (Nebraska), ou John Ernst Weaver (18841966) travaille sur la prairie. L' Allemagne peine Ii assurer Ie financement des sejours a l'etranger de ses ressortissants en raison de ses problernes economiques. II faut aussi ajouter, que I'heure n'est plus en geobotanique, a I'etude des unites vegetales sur des continents entiers, mais davantage a l'etude des groupements vegetaux au niveau local. Le voyage perd done de son absolue necesslte, En revanche, en physiologie vegetate, les sejours a l'etranger sont encore legitimes par l'etude de I'adaptation des vegetaux aux ~onditions extremes (deserts) voire optimales (equateur), Le sejour de recherches aux Etats-Unis concerne les scientifiques suedois (Romell, Turesson), suisses (Jenny), autrichiens (Kubiena) et allemands (Tischler, Walter), dans deux domaines necessitant un equipement particulier: la microbiologie du sol et la physiologie vegetale, Cela ~ correspond egalement a une strategic de carriere. En Suede, il s'agit d'accroitre ses
a
Bomebusch C., «The fauna of forest soils », Det Forstlige Forsogsvaesen i Danmark, 11, 1930, pp. 1-256. Auparavant iI avait accornpagne ses articlesd'un resumeen anglais. 9 Kubiena W. L., Micropedology, Ames, Iowa: College Press Inc., 1938, XVI, p. 243. 89
8
GUERRE, FORESTERIE ET ECOLOGIE
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
Amani en 1934, en Afrique de l'Est, une station de recherches agronomiques fondee par l'Allemagne dans son ancienne colonie africaine. Le geographe Carl Troll (1899-1975) participe a une expedition scientifique dans I'Himalaya en 1937, une region symbolique dans I'imaginairenazi. Ce regime, en matiere de reseaux, a signifie un repli sur soi pour I' Allemagne. La politique d'autarcie engage egalernent les scientifiques. Les reseaux soot ordonnances selon I'Idee de la «Grande Allernagne » en direction de l'universite allemande de Prague, lieu de formation des Allemands des Sudetes, et les centres autrichiens surtout apres l'Anschluss l-.
chances pour obtenir un poste, afin de s'imposer face aux eleves de l'ecole d'Uppsala. Ce schema, nous I'avons deja rencontre avant 1914, mais Ie sejour a l'etranger s'eff~ctuait, a l'epoque, en Allemagne ... Le troisleme signe reside dans leur richesse, de debiteurs de l'Europe avec 1a guerre, les Erars-Unls sont devenus crediteurs. lis subventionnent des sejours de recherches (bourses), soutiennent financierernent certains centres en Europe. La Fondation Rockefeller vient en aide a la construction d'une station de recherches forestieres Sopron en Hongrie. Si les Etats-Unis attirent les reseaux scientifiques, ils ne sont pas en position dominante. Le monde forestier reste encore a l'ecart de ce mouvement, la foresterie etasunlenne ne disposant pas de signes de reconnaissance en
a
Europe. L'affaiblissement de la position allemande ne signifie pas sa disparition. L'Allemagne structure encore la science en Europe centrale. Elle possede, pour partie, son pouvoir de caisse de resonance. Sa langue, dans plusieurs disciplines, fait partie du bagage de tout scientifique de rang: en physiologie, en sociologie vegetales, en pedologie, etc. Si les scientifiques etrangers n'y sejournent plus guere, ils publient encore dans des revues allemandes. Ainsi Ie premier ouvrage d'ecologle du Suedois Lundegardh est edite chez Gustav Fischer en allemand'", Le livre de microbiologie du sol du Hongrois Daniel Feher (1890-1955) est traduit en allemand en 1933 et la revue forestiere d'Eberswalde, (Zeitschrlft fUr Forst- und Jagdwesen), publie des articles du pedologue Tcheque Antonin Nemec (1894-1958)1l. Toutefois, la strategie de publication a change. Les travaux d'auteurs etrangers parus en Allemagne ne sont plus Ie produit de scientifiques en train de batlr leur carriere, mais touchent des personnalites legitlmees dans leur champ national, dont l'ambition est desormais d'acquerir une dimension internationale. Ainsi Nemec est deja directeur du departernent de biochimie forestiere a la nouvelle station de recherches agronomique a Prague Dejvice. Le botaniste Danois Boysen-Jensen s'exprime dans la revue allemande Planta, a partir de 1928, apres avoir accede au poste de professeur de botanique a I'universite de Copenhague. Ce role structurant, l'Allemagne I'assure rnalgre les pressions internationales, jusqu'a l'avenernent du nazisme. La volonte expansionniste de I' Allemagne nazie conduit a une reorganisation des reseaux. Les scientifiques tcheques se tournent vers les revues francaises. Les sovietiques rompent les contacts avec leurs homologues allemands autant pour des raisons internes correspondant a une restructuration de la science sovietique que pour des raisons externes. Seuls 1es scandinaves maintiennent leurs relations. Aucun ouvrage significatif paru dans les annees 1930 en ecologie n'a ete traduit en langue allemande. Les scientifiques d'origine juive, dans ce domaine, s'exilent. Le botaniste Otto Schwarz (Michael Evenari/1904-1989) se rend en Palestine en 1933. D'autres sont inquietes comme Ie botaniste Kurt Hueck (1897-1965) dont l'epouse estjuive. II est ecarte de l'enseignernent en 1937 car il refuse de divorcer. II doit delaisser son poste de maitre de conferences a I'ecole superieure d'agronomie de Berlin. La non-appartenance au NSDAP nuit a ceux qui desirent se rendre hors des frontieres. Les espaces investis a l'etrauger Ie sont souvent en fonction de criteres geopolitiques nazis. Walter se rend
a
10 Lundeglirdh H., Klima und Boden in ihrer Wirkung auf das Pflanzenleben, Jena : Fischer, 1925, p.4l9. 11 Feher D., Untersuchungen uber die Mikrobiologie des Waldbodens, Berlin: Springer, 1:33,~. 272; Nemec A., Kvapil V., « Biochemische Studien U~~r die AzidiUit der Wald.btiden »,.Zeltschrift fiir Forst- und Jagdwesen, 56, 1924, pp. 323-352; « Uber den Einflu13 verschidener Bildung von Nitraten in Waldbtiden », Zeitschriftfiir Forst- und Jagdwesen, 59, 1927, pp. 321-351 ; 385-412. 90
De l' affai blissement des Etats a l'emergence de centres homogenes Dans I'entre-deux-guerres, I'affaiblissement de l'Allemagne s'accompagne d'une perte d'influence d'autres puissances scientifiques. Vienne n'est plus Ie centre d'Interet au sein de l'Empire austro-hongrois desorrnais disloque. La Suede a perdu son role d'animateur au niveau du bouclier scandinave. L'URSS est isolee, aucun scientifique europeen ne s'y rend pour des raisons politiques. Dans un domaine comme la sociologie vegetale, une autre logique s'impose : celie des ecoles. La classification des cornmunautes vegetales devient un des enjeux de l'ecologie, Plusieurs eccles se sont formees et pretendent a I'universalite quels que soient les espaces. Afin de rendre les resultats comparables, il est necessaire d'employer une methode identique. Sur ce point, en Europe, il existe un veritable chaos. En Suede, deux eccles s'opposent : Stockholm et Uppsala dirlgee par Du Rietz (1895-1967). A Montpellier, trois centres aux directions opposees cohabitent a la fin des annees 1930: la Station Internationale de Geobotanique Mediterraneenne et Alpine (SIGMA) dirigee par Braun-Blanquet, la chaire de botanique de l'unlversite detenue par Louis Emberger (1897-1969) et enfin I 'ecole nationale d'agriculture ou officie Georges Kiihnholtz-Lordat (1888-1965). En Autriche, a Innsbruck (Tyrol), Ie botaniste Helmut Gams (1893-1976) s'evertue a promouvoir les conceptions de Du Rietz. En Carinthie, toujours dans la chaine alpine, a Villac~, Ie forestier Erwin Aichinger (1894-1985) se revendique du courant Braun-Blanquet... . Au sujet des centres, ceux-ci s'homogeneisent peu a peu, mais des ecarts subsistent. L'Europe scientifique se partage en deux grandes unites avec d'un cote, un ensemble relativement hornogene dans lequel nous retrouvons la France, les pays du Benelux, l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, les pays scandinaves, la Grande-Bretagne, I'ltalie et parmi les pays de l'Europe de I'Est, les Etats baltes, la Pologne, la Hongrie, la Tchecoslovaquie et !'URSS. La seconde comprend la peninsule Iberique, I'Europe balkanique et danubienne, ou quelques rares scientifiques integrent les reseaux europeens. Les laboratoires y sont encore faiblement equipes et la foresterie est peu reconnue hors de leurs frontieres nationales. Que ce soit pour la Bulgarie, la Roumanie ou la Yougoslavie, ces pays recelent des forets jugees naturelles, interessantes a etudier, mais qui ne passent pas pour des rnodeles de sylviculture. Cette hornogeneisation prend sa source dans une harmonisation des formations. Les ' tenants des nouveaux centres qui emergent dans l'entre-deux-guerres ont suivi des etudes, pour la plupart, dans les centres convergents avant la guerre. Desorrnais, ils en reproduisent I'enseignement que ce soit Stoklasa, en Tchecoslovaquie, a I'Ecoie superieure
12 Au sujet de I'influence du nazisme en ecologie voir Ie chapitre sept.
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION
GUERRE, FORESTERIE ET ECOLOGIE
d'enseignement technique de Boheme, ou bien Szafer, forme a Vienne et produisant des eleves a Cracovie devenue polonaise. La formation des forestiers en Europe s'est, elle aussi, orchestree dans la duree des etudes (trois annees) et generalisee. Les derniers Etats ne disposant pas d'un enseignement forestier superieur sequipent, seule I' Albanie fait exception. Enfin la distance qui separe les forestiers du monde universitaire est, en partie, abolie. En Allemagne, les dernieres academies forestieres integrent I'enseignement superieur. Hann.-Munden passe sous la coupe de l'universite de Gottingen en 1939. Tharandt fait partie de l'Ecole superieure d'enseignement technique de Dresde en 1929. Eberswalde est transformee en une ecole superieure en 1921 avec Ie droit de delivrer des doctorats. En Hongrie, I'Ecole superieure des Mines et des Forets devient en 1934, la faculte des lngenieurs des Mines, des Forges et des Forets, dans Ie cadre de l'unlversite polytechnique de Budapest. Dans I'ensemble, les travaux des non-forestiers sont davantage recenses dans les revues forestieres, y compris dans la Revue des Eaux et Forets. Les rnatieres qui ne sont pas naturellement forestieres comme la meteorologie, la pedologic, la botanique, reIevent de scientifiques ayant ete formes dans ces disciplines sauf en France. Les liens entre les non-forestiers et les forestiers se nouent egalernent autour de recherches menees en commun. Geiger, Ie directeur du departernent meteorologic a la station de recherches forestieres bavaroise, collabore avec Wladimir Koppen (1846-1940), de I'observatoire maritime de Hambourg. A Copen hague, Detlev MUlier (1899- ?), botaniste a l'universite, mene une serie de travaux sur la productivite primaire des vegetaux avec Carl Marenus Meller (1891-1978), professeur de sylviculture de l'ecole superieure d'agronomie. Cette harmonisation a ete aussi Ie fruit de rencontres internationales. Les excursions phytogeographlques internationales reprennent, en 1923, en Suisse. Les deux premieres se sont tenues en Grande-Bretagne (1911) et aux Etats-Unis (1913). Elles sont desormais pilotees depuis un cornlte central dont le siege est a Zurich et leurs travaux sont publies par les Yeroffentlichungen des geobotanischen Institutes Rubel in Zurich (Publications de l'institut de geobotanique Rubel a Zurich). En reunissant les scientifiques de plusieurs pays, ces rencontres sur Ie terrain leur offrent la possibilite de confronter leurs theories vis-a-vis de leurs pairs. Elles permettent d'accorder les methodes de travail et d'ancrer certaines traditions nationales, car pour chaque centre, la tenue d'une telle excursion est I'occasion d'afficher ses resultats et la validite de son approche. Elles ont eu pour cadre la Suede et la Norvege (1925), la Tchecoslovaquie et la Pologne (1928), la Roumanie (1931) et I'ltalie (1934). Les congres internationaux ne reprennent que dans la deuxlerne rnoitie des annees 1920. Le premier congres international de botanique a lieu aux Etats-Unis, en 1926, a Ithaca (New York), mais ce n'est qu'avec celui de Cambridge, en 1930, que les discussions sur les definitions des termes employes en phytogeographie closes depuis Bruxelles (1910) resurgissent et se poursuivent en 1935 a Amsterdam. Dans la foresterie, Ie rythme est quelque peu identique. En 1926, se tient a Rome Ie premier congres international de sylviculturel-'. En 1929, les forestiers se rassemblent a nouveau, a Stockholm, dans Ie cadre de l'Union Internationale des Stations de Recherches Forestieres, les assemblees suivantes ont lieu a Nancy, en 1932, puis a Sopron (Hongrie) en 1936. Cette fois, its regroupent I'ensemble des chercheurs europeens y compris francais sauf ceux issus de I'URSS.
En parallele avec cette harmonisation des centres, une nouvelle conception de la recherche prend racine: I'etude de la nature depuis un laboratoire installe en son sein. La demarche est differente de celie initlee par les agronomes et les forestiers qui visent a tester la meilleure methode pour profiter au mieux des forces de la nature. Ici iI s'agit d'etudier la nature pour elle-merne, son fonctionnement sans l'alterer s'inspirant en fait du laboratoire de Buitenzorg sous les tropiques. Plusieurs laboratoires sont eriges dans des lies: Halland Vadero en 1917 (Lundegardh) et Hiddensee en mer Baltique (Leick de l'universire de Greifswald) en 1930. En Algerie, Charles Killian (1887-1957) cree Ie laboratoire de biologie saharienne de Beni-Ounif. Ce mode d'investigation est surtout I'apanage des physiologistes mais egalernent des hydrobiologues. Les echanges scientifiques furent confrontes au contexte particulier de cette periode : mise au ban de l'Allemagne, avenement et isolement de I'URSS, politique d'autarcie de I'Allemagne nazie, crise economique. Malgre tout, les contacts entre les scientifiques se sont intensifies au travers des congres internationaux, auxquels ils peuvent se rendre plus facilement du fait des progres dans les moyens de communication. En outre, dans l'etude des groupements vegetaux, une logique d'ecole I'emporte, les botanistes et forestiers ne se revendiquent pas d'une methode allemande, suedoise, mais d'un centre lie a un homme (Braun-Blanquet) ou a une ville (Uppsala). Ceci est d'autant plus paradoxa I que les Etats nations se sont multiplies en Europe.
13 En fait, Ie premier congres de sylviculture s'etait tenu lors de I'exposition universelle de Paris en
1900.
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Les centres marginaux et peripheriques Types de centres
Localisations Centres russes : St Petersbourg Centres britanniques :
Marginaux
Oxford Station agronomique de Rothamsted Centre hongrois : Ecole superieure des mines et des forets de Sopron
Ino
Inr
+
+
For
+ _.._ -+---+ +
+
+ + + + +
---_.
Centres tcheeoslovaques : _i!niversite allemande de Prague Ecole superieure de Boheme Centre polonais : Universite de Cracovie Centre ita lien : Universite de Florence Centre estonien : Universite de Dorpat Peripheriques
--
+ +
Centres autrichiens : Universite de Vienne + ------._------ - - - ---Ecole superieure d'a8!!J...!].~'!!.ie df!"yienne __. + ._--_._Universite d'Innsbruck + . ------+ -_._-- - _ Station de recherches de pedologic et de + + vegetation alpine de Villach I
--
Centres etasuniens : 1-_!1nivr:!site du Nebraska __ : _ _._______ Laboratoire de Pikes Peak Centre danois : Copenhague Centre finlandais : Universite d'Helsinki
+
+ + +
----
+ +
+
Centres suedois : Universite d'Uppsala Universite de Stockholm
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+ +
+
Tableau 6. Centres par lesquels transite l'eeologle 1915-}945.
Promotion des Etats-Unis et de la Finlande, declassement de I'Autriche, c'est l'evolution la plus visible des centres pendant I'entre-deux-guerres. Le reste traduit une certaine permanence. L'ecologie en URSS et en Grande-Bretagne poursuit un developpernent autonome, meme si elle beneficie d'apports exterieurs, Les centres de l'Europe de I'Est et du Sud, dans leur majorite, fonctionnent dans un cadre politique different et n'interessent qu'occasionnellement les scientifiques des autres pays. Des Etats-Unis, les europeens ne retiennent que l'Idee de climax, en dehors des travaux en microbiologie. Les travaux etasunlens ne figurent guere dans les recensions critiques des principales revues forestieres, En Scandinavie, la Finlande s'impose com me modele forestier en matiere d'ecologie avec la mise en application de la theorie des « types de foret » de Cajander. Le Danemark reste un centre d'innovation. Enfin en Suede, l'ecole
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L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
LES CENTRES MARGINAUX ET PERIPHERIQUES
d'Uppsala triomphe sur sa consoeur de Stockholm, mais ne parvient pas a s'enraciner en dehors du pays.
de «bourgeoises», de « dangereuses », de « non ecologiques », les adopter, c'est se rnettre en porte-a-faux vis-a-vis du regime ... 3 Enfin, pour consolider sa position, it adhere au PCUS en 1935. Les purges staliniennes ecartent des rivaux potentiels dont Robert Ivanovic Abolin (1886-1939) et J. Zinserling, deux specialistes des marais, qui decedent dans les goulags. Dans ce contexte de terreur, les grands projets de Staline sont un bienfait pour une meilIeure connaissance des milieux. En effet, en 1932, Ie pouvoir desire irriguer plus de quatre millions d'hectares dans la Basse-Volga afin de lutter contre la secheresse et d'aider la production agricole. Sur ordre de I'acadernie des sciences, le terrain est investi par une cohorte de pedologues et de botanistes dont I' Autrichien Gams, sous la direction de Boris Aleksandrovic KelIer (1874-1945). Leur mission etait de fixer les limites a ce projet d'irrigation, quelles etaient les potentialites des sols notamment des sols salins, ces derniers etaient-ils dans un processus de salinisation ou bien avaient-ils atteints leur seuil maximum? Les conclusions furent c1aires: oui ce projet etait possible et accompagne d'un reboisement, if conduirait a un adoucissement des conditions c1imatiques ... 4 Les scientifiques sovietiques ont reussi a propager leurs travaux a I'exterieur de leurs frontieres entre 1925 et 1932 via l'Allemagne. Le lien entre I'URSS et la Republlque de Weimar est la consequence de la mise au ban de ces nations par la communaute internationale au lendemain de la Grande Guerre. II a ete de nature econornique et militaire mais aussi scientifique. Plusieurs etudes sont traduites et paraissent dans des revues allemandes, aussi bien forestieres que botaniques et dans la collection encyclopedique dirigee par Emil Abderhalden (1877-1950), Ie Handbuch der biologischen Arbeitsmethoden (Manuel des methodes de travail en biologie)5. Les scientifiques sovietlques -ont beneficie du role, certes amoindri, de caisse de resonance du champ scientifique allemand. La propagation des travaux sovietiques est relayee egalement par les exiles russes. Ceux-ci sont de deux ordres : d'une part les natifs de I'ancienne Russie parlant Ie russe, mais qui n'y ont pas acheve ou realise d'etudes comme Ie microbiologiste Waksman et Ie botaniste Walter6 ; d'autre part, ses scientifiques, porteurs d'une solide reputation, qui ont emigre en Europe occidentale teis Ie pedologue Valerien Agafonoff (1863-1955) et Ie microbiologiste Winogradsky (France) 7; Ie' baron Kruedener (Allemagne). Ces exiles ont
Un developpernent autonome : I'URSS et la Grande-Bretagne Le developpement de l'ecologie, en URSS, s'est ordonne en deux etapes, A partir de 192111922, une fois la paix civile revenue, 1a science sovietique a de nouveau pour centre Saint-Petersbourg, debaptisee en Leningrad. Dans son universite officient Sukachev comme professeur de sylviculture, Ie successeur de Morosow depuis 1917, Glinka en pedologie et Vernadskij, directeur de I'institut du radium en 1926. Tous sont d'anciens eleves du pedologue Dokuchaev. Toutefois si, dans la Russie tsariste, Saint-Petersbourg a exerce une autorite sans reserve, dans I'URSS sa suprematie est contestee par I'universite de Moscou, devenue la capitale. Toujours en botanique, d'autres universitas commencent a se manifester : Kiev (Ukraine), Kasanf'I'atarstan), Tachkent (Ouzbekistan), etc. Un bouillonnement intellectuel anime par differentes eccles traverse la geobotanique sovletique, Le pouvoir s'interesse a l'environnement a partir du moment ou la situation politique se stabilise en faveur des bolcheviks. En 1921,.iI instaure des zones de protection de la nature dans un but scientifique et culturel, En fait, il s'agit de proteger les forets devastees pendant la guerre civile, tant pour satisfaire les besoins en bois de feu de la population, que pour s' assurer des revenus par l' exportation du bois. La restauration de cet espace forestier passe par une meilleure comprehension de la nature et des etudes en ecologic sont encouragees pour profiter au mieux des forces naturelles. Cette peri ode florissante, . tant au niveau des de bats, que des recherches, s'acheve en 1931, annee de I'apparition d'une nouvelle revue en URSS, Ie Journal d'ecologie et de biocenologie. 1931 est une annee charniere pour les sciences biologiques. L' enseignement universitaire est reorganise en fonction de ce qui possede une application directe. Le developpement industriel prime et les forets sont a nouveau surexploitees, L'introduction d'especes animales et vegetales exotiques est encouragee, Ceci se realise sous la terreur et I'historien Russe Vassilij Barbov precise : « En 1931, les discussions philosophiques
furent interdites, et l'influence passa a un groupe d'ideologuesofficiellement designes. C'est alors que se renforca la pression generate sur la biologie. Les canzpagnes dirigees contre telles ou telles orientations scientifiques devinrent mieux ciblees et plus violentes. Par exemple, on reduisit au minimum - ou on liquida - les recherches consacrees aux communautes vegetates et animales, de meme que l'emploi de methodes mathematiques en biologie, etc. »1. Le pouvoir interdit toute discussion sur la nature me me des groupements vegetaux, ce qui permet aux conceptions de Sukachev, alors en position dominante de s'imposer notamment sur celIes de Leont 'ev Grigorevic Ramenskij (18841953), de l'institut agronomique de Moscou/, II isole egalernent Vasilij Vasil'evi Alechin (1882-1946) si bien que, a sa mort en 1946, aucun de ses eleves n' occupe sa chaire. . Sukachev jette l'anatherne sur les theories de Braun-Blanquet qu'il qualifie de «fausses »,
I Barbov V., « Le darwinisrne russe », ill P. Tort, Dictionnaire du Darwinisme et de l'evolution, Paris: PUF, 1996, p. 1097. 2 II est vrai aussi que ce demier est d'un caractere renferrne el d'une grande rigueur it son egard, jugeant d'un ceil critique ses travaux, II eut tres peu d'eleves et ne fut jarnais titulaire d'une chaire. 96
Korotkov K., « Entwicklung des waldpflanzensoziologischen Ansatzes im Bereich der ehemaligen UdSSR », Ber.d. Reinh. Tuxen-Ges .. 4, 1992, pp. 173-190. 4 Keller B. A., « Einige Ztige in der Evolution der Vegetation der Kaspischen Niederung und die Frage tiber die Dynamik der Vegetations- und Bodenzonen », BeT. Schweiz. Bot. Gesell., 46, 1936, pp.28-42. 5 Cette collection, inspiree des encyclopedias du XVIIIe siecle, s'etale de 1910 it 1939 et comprend 107 volumes qui representent 95.000 pages ecrites par 944 auteurs. Voir Gabathuler J., Emil Abderhalden, St Gallen: Komm. Buchhandlung Ribaux, 1991, p. 362. 6 Waksman est ne en Ukraine en 1888 au sein d'une famille juive. Apres quelques etudes it I'universite d'Odessa, iI emigre aux Etats-Unis, en 1906, pour ecbapper a l'antisemitisrne ambiant. Walter est ne a Odessa, en 1898, dans une famille allemande. II a fait ses etudes dans cette ville puis a rejoint l'AlIemagne en 1919, pour echapper it la conscription imposee par I'armee rouge. Voir Waksman S. A., Ma vie avec les microbes, op. cit., p. 343 ; Walter R., Bekenntnisse eines Okologen, Stuttgart : Fischer, 1989, p. 365. 7 Agafonoff est un ancien eleve de Dokuchaev et a sejourne it Paris de 1906 it 1917. Avec la Revolution russe, iJ retourne dans son pays. [J revient definitivement en France en 1921. 97
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION
LES CENTRES MARGINAUX ET PERIPHERIQUES
su prendre place dans les divers champs scientifiques, Winogradsky Ii I'lnstitut Pasteur, Agafonoff au Museum d'Histoire naturelle Ii Paris, d'ou il elabore la premiere carte pedologique en France en 1927, enfin Kruedener Ii la chambre agricole bavaroise. Dans I' ensemble, its ont apporte les conceptions pedologiques de Dokuchaev et favorise la reconnaissance de la pedologic comme une science autonome aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis. lis sont tenus informes de ce qui se produisait en Union Sovietique, d'autant plus que les chercheurs russes ont entretenu une correspondance avec certains exiles comme Ie souligne Walter: « Je recevais beaucoup d'ouvrages russes, parce que les botanistes russes savaient que je pouvais lire leurs travaux »8. Ces exiles synthetisent leurs travaux voire traduisent des articles ou des ouvrages comme Erwin Buchholz (1893?) parmi les forestiers et Selma Ruoff (1887- ?) pour les botanistes allemands'', En URSS, ces centres sont Ii la fois des lieux d'innovation, cette fois-ci dans Ie domaine de la sociologie vegetate, et d'information. Toutefois, leurs recherches transpercent difficilement les frontieres en depit de I'actlvite des exiles. Sauf en pedologie, les scientifiques ne peuvent se rendre Ii l'etranger. Aucun sejour de recherches n'est effectue en URSS. Dans une telle situation, la production scientifique est Ii usage purement interne, ecrite en russe, accentuant ainsi l'Independance de ce champ scientifique. A I'isolement diplomatique et ideologiquede I'URSS correspond celui d'un autre type: la Grande-Bretagne. L'ecologie britannique en sociologie vegetale et en foresterie a peu interesse les scientifiques du continent. Elle s'est resolument tournee vers la production etasunienne. Un domaine fait exception: les travaux des botanistes portant sur les espaces coloniaux notamment ceux de Thomas F. Chipp (1886-1931) et de Paul Westmacott Richards (1908-1995). lis ont ete Ius par des scientifiques appartenant aux deux autres puissances coloniales: la France et la Belgique. La station agronomique de Rothamsted n'attire plus que les membres du Commonwealth. En outre, la science des sols anglaise ignore pratiquement les travaux des « continentaux », tres peu cites dans les ouvrages de la pedologic britannique. Dans ce contexte de repli sur I'Empire, qui est, Ii I'epoque, fort vaste, I'ecologle eprouve de multiples difficultes Ii etre reconnue. La creation d'une societe d'ecologie, en 1913, dotee d'un journal n'a pas suffi. Afin de relancer I'interet pour cette approche, Tansley, en 1917, publie, en compagnie d'autres auteurs, dans Ie New Phytologist une encyclique en faveur de l'ecologie. Les reactions sont vives. Cette demarche est meme traitee de «botanical bolchevisrn » (bolchevisme botanique) par Frederick O. Bower (1855-1948), un partisan de I'approche morphologique. Au lendemain du conflit, ne pouvant obtenir de poste au sein de I'universlte'P, mais aussi cheque par les problernes mentaux dont les veterans de la guerre souffrent, Tansley abandonne la botanique pour la psychanalyse. En 1923, it sejourne Ii Vienne pour suivre I'enseignement de Sigmund
Freud (1856-1939) puis retourne en Angleterre. 11 pratique la psychologie Ii Cambridge, mais it revient Ii ce que Freud appelle son « sujet mere» : la botanique, car iI lui manque les bases mediclnales pour exercer ce travail. A la fin de 1923, Tansley dispose de temps libre, il n'a aucun poste. 11 se consacre alors Ii la redaction de deux ouvrages d'ecologie vegetale!' et insiste sur les aspects utilitaires de I'ecologie. En 1924, la conference Imperiale de botanique lui attribue la direction du Cornite britannique pour la vegetation de I'Empire (British Empire Vegetation Committee) dans Ie dessein de rediger un guide pour les forestiers, les agronornes, les entomologistes, applicable dans les differentes colonies. II est edite en 1926 12. Son engagement lui vaut, en 1927, son integration parmi Ie corps professoral d'Oxford. II collabore etroitement avec Ie professeur de foresterie Robert Troup (18741939) qui officie Ii l'institut imperial des forets fonde en 1924 afin de former Ie personnel forestier pour securiser les besoins en bois de l'Empire 'J, Premier pas vers une legitimation de l'ecologie, mais les critiques restent vives. En 1929, Ie botaniste Harold Jeffrey (I891-?) voit dans cette science une description et une speculation non confirrnee par des preuves experirnentales. La demarche reste descriptive contrairement Ii la physiologie. En fait, Ie Rubicon est franchi avec la seconde guerre mondiale. Comme iI faut pallier la desorganisatlon du commerce des cereales en raison de la guerre sousmarine, la sociologie vegetate (done Tansley) est mobilisee afin de rechercher dans les lies britanniques de nouvelles terres arables en s'aidant de la flore comme indicatrice. Ce brusque interet pour l'ecologie se traduit dans Ie nombre de membres de la Societe britannique d'ecologie, passant de 361 en 1939 Ii 485 en 1945, alors qu'ils etaient encore 305 en 1933 ... Si la Grande-Bretagne reste un centre d'information, elle se dote d'un nouveau statut : celui de centre d'innovation. En 1935, Tansley cree Ie terme d'« ecosysterne », sans grand succes, En fait, il faut attendre I'annee 1942 pour qu'il revete la dimension que nous lui connaissons aujourd'hui grace aux travaux de l'Etasunlen Raymond Laurel Lindeman (1916-1942). En zoologie, en 1927, Charles Sutherland Elton (1900-1991) fonde l'ecologie animale et deflnit les notions de chaine et de cycle alimentaire, de pyramide des nombres et de niche ecologlque. II trouve une audience au-dela des pays anglophones, sur Ie continent notamment en Allemagne.
Winogradsky avait sejourne en Europe occidentale et recu une invitation de 1'lnstitut Pasteur en , 1891, qu'il n'avait pu honorer. 8 Walter H., Bekenntnisse eines Okologen, op. cit., p. 120. 9 Buchholz ne it Bialystok en Russie aujourd'hui en Pologne, descend d'allemands issus de la Silesie et a fini ses etudes forestieres a Novo-Alexandria en 1918. En 1920, il se ref'ugie en Allemagne. Voir Anonyme, « Erwin Buchholz - ein siebziger », Forstarchiv, 35, 1964, pp. 167170. 10Tansley a postule pour une chaire Ii Oxford, mais Balfour, d'une ecole rivale, faisait partie du jury d'admission... 98
Centres marginaux de l'Est et du Sud de l'Europe Ces centres relevent de deux categories, soit ils evoluent a l'imerieur de pays qui existaient avant la guerre comme les Pays-Bas, I'Italie et la Serbie, devenue la Yougoslavie, soit its fonctionnent dans un cadre politique different comme en Hongrie, en Pologne, en Estonie et en Tchecoslovaquie.
t 1 Tansley A. G., Element ofplant biology, London: Allen & Unwin, 1923, p. 410 ; Practical plant ecology. A guide for beginners in field study of plant communities, London: Dodd, Mead&Company, 1923,p. 230. 12 Tansley A. G., Chipp T. F. (eds), Aims and Methods in the Study of Vegetation, London: Brit. Emp. Vegetation Committeeand CrownAgents for Colonies, 1926,p. 383. 13 Anker P., Imperial Ecology. Environmental Order in the British Empire. 1895-1945, op. cit. 99
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Nombreux sont ceux deja presents avant 1914, dont les responsables ont frequente les laboratoires les plus prestigieux, a I'exemple du Polonais Szafer et du Tcheque Stoklasa, formes a Vienne. Desormais, l'un a Cracovie et l'autre a Prague produisent des eleves qui, dans la gestion de leur carriere, n'envisagent plus leur formation dans la capitale autrichienne. La liberation de la tutelle politique de I'Empire austro-hongrois est allee de pair avec une reorientation des echanges scientifiques. A partir de 1928, plusieurs scientifiques polonais, qu'ils soient jeunes ou confirrnes, sejournent a la Station International de Geographic Mediterraneenne et Alpine (SIGMA) de Montpellier. Leurs travaux interessent les scientifiques europeens en raison d'abord de l'objet etudie : la montagne. Vlado Tregubov (1904-1974) porte son attention sur les forets vierges des Alpes Dinariques (Bosniejl'', L'equipe de Szafer investit les monts Tatras situes au sud de Cracovie. L'interet de leurs etudes a l'etranger provient de la methodologie employee dans l'etude des groupements vegetaux : celie de Braun-Blanquet. Appliquer telle approche, c'est etendre Ie rayon d'action et le rayonnement de cette ecole. En effet, un merne espace pouvait etre difficilement etudie selon une methode differente par une autre equipe pour la simple raison, qu'un etudiant n'allait pas s'engager dans une voie divergente a celie pronee par son professeur... En fin de compte, aborder un espace, c'est se l'approprier. Une logique identique prevaut avec les travaux de Ivo Horvat (18971963), de l'institut de botanique la faculte de philosophie de Zagreb, dans les Alpes en Croatie, ceux de Jaromir Klika (1888- ?), Ie directeur de l'institut dendrologique a l'ecole poly technique de Prague, dans les Monts de Boheme. Ces scientifiques engagent leur laboratoire dans la voie instauree par Braun-Blanquet, L'Estonie constitue un cas a part, Ie centre de Dorpat devenu Tartu (en estonien) existait deja avant la guerre. Ce pays est devenu independant grace a I'action de l'armee allemande. En effet, en 1918, les barons baltes font appel It celle-ci afin d'eviter la sovietisation de la societe et pour se maintenir au pouvoir. Son independance est assuree, mais au profit des estoniens qui investissent les differentes instances du pouvoir, dont l'unlversite de Tartu, En 1929, ils representent plus de la rnoitie des enseignants et 80 % des etudiants au detriment des russes qui, en 1917, controlaient tous les postes des. Si la logique nationale l'emporte dans les carrieres, la reconnaissance des travaux des scientifiques et, au travers eux, de 1'Estonie passe par la redaction d'articles dans leurs revues ou d'un resume dans une langue internationalement reconnue: l'allemand, I'anglais ou Ie francais, lis se sont aussi exprimes, mais plus rarement, dans des revues etrangeres allemandes, erasunlennes et francaisesIS. En matiere forestiere, les Btats europeens nes du traite de Versailles presentent pour la Pologne et la Yougoslavie la particularite d'etre formes de territoires relevant de traditions forestieres differentes, Ainsi la recomposition de la Pologne s'est faite sur des terres issues de la Prusse (Haute Silesie), de l'Empire austro-hongrois (Galice) et de I'Empire russe It l'Est, done toutes de droits forestiers differents, des lois de 1875 pour la partie prussienne, de 1852 pour la Galice et de 1888 pour la partie russe. Une premiere loi de protection de la foret est votee en 1919, puis completee en 1924. Malgre tout, Ie droit forestier
au~richien est reste en vigueur dans Ie Sud jusqu 'en 1928. Un scenario idenlique se
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14 Tregubov est un fils d'irnmigre russe ne i\ Saint-Petersbourg refugie en Yougoslavie en 1918. II a effectue des etudes aux Pays-Bas (Wageningen), B. Nancy et a Montpellier. Voir Braun-Blanquet J., « Tregubov V., Prof. Ing. Dr. VladoTregubov », Yegetatio, 35, 1974, pp. 147-148. IS Markus E., « Verschiebung der Naturkomplexe in Europa» Geogr. Zeitschr., 32, 1926, pp. 516541 ; LippmaaT., « The unistratal concept of plant communities (the unions) » Amer. Midland Nat., 21,1939, pp. 111-145.
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presente en Yougoslavie et l'unification juridique du pays sur Ie plan forestier est realisee en 1929. En Tchecoslovaquie, en 1919, une nouvelle loi forestiere est adoptee afin de marquer son independance dans ce domaine vis-It-vis de I'Autriche. Dans un lei contexte, I'ecologie gagne des positions. En Pologne, l'enseignement forestier est assure It Varsovie l'institut agronomique, dans lequel Wladyslav Jedlinski (1886-1934) est professeur de sylviculture. Influence par les travaux de Morosow Moller Biolley et ~ajander, il milite pour l'integration de la phytosociologie et de I'ecol~gie dan~ la, forestene. En Hongrie, la defaite militaire offre I'occasion a I'ecologie de se developper. Avant la guerre, I'enseignement forestier etalt dispense It Selmecbanya (Chemnitz) en Haute Hongrie, au pied des Carpates, region qui assurait ses besoins de bois d'eeuvre et de chauffage grace It la presence de grandes forets domaniales. En 1918, ce centre est occupe par les troupes tcheques et apres Ie traite de Versailles, rattache It la Tchecoslovaquie. La formation forestiere est transferee It Sopron It proxirnite de la frontiere aut.richienne, a~ec I~ soutien financier de la Fondation Rockefeller. Mais, la perte de cette region a change radicalement la donne forestiere, La part des forets domaniales s'effondre de 15,9 % a 4,1 %. Les forets soumises au regime forestier ne sont plus ~omposees de fU~ie mais de taillis, longtemps meprises par les forestiers. La Hongrie doit Importer son bois, La nouvelle politique forestiere encourage Ie reboisement et la transformation des taillis en futaie. La recherche It Sopron est mobilisee pour repondre It ce defi tant en sociologie vegetale avec Pal Magyar (1895-1969) qu'en microbiologie des sols avec Feher, Ie directeur de l'institut botanique It Sopron. En Italie, la foresterie s'inscrit dans un mouvement europeen d'Integration de l'enseignement forestier dans I'universite, Ce transfert est realise en 1914, de I'Bcole nationale forestiere de Vall ambrose l'universite de Florence. En 1922, la station de recherches forestieres est restructuree et Aldo Pavari (1888-1960) en prend la direction. ~e ?erni~~, venu d.e l'agronomie, a sej9urne It I'academic forestiere de Tharandt et It I umversite de Munich en 1911. Convaincu de l'utllite de I'ecologle, il engage des travaux dans ce domaine et forme les futurs ingehleurs forestiers, puisqu'il est, It partir de 1924, professeur de sylviculture. Son audience internatlonale, Pavari I'acquiert par l'interet porte par les forestiers francais pour I'espace mediterraneen notamment sous I'action d'Hickel avec lequel il fonde I'association Sylva mediterranea en 1922 afin de prendre en compte la specificite de la foret mediterraneenne en matiere de reboisement et en vue de I'introduction d'exotiques pour repondre It la demande en bois de chauffage des populations locales, de I'industrie naissante et de I'exigence d'autarcie de I'ltalie fasciste. Ces centres produisent tous de "information qui trouve une ecoute dans les autres pays, par l'intermedlalre de la langue allemande dans 1es annees 1920 et du francais dans les annees 1930. En revanche, ce ne sont pas des centres de formation, ils ne font pas partie des strategies de carriere d'autant plus que I'enseignement se fait dans une langue (hongrois, tcheque, slovaque, estonien, etc.) qui ne fait pas partie du bagage linguistique des scientifiques. L'innovation esl bien presente, En Italie, Pavari developpe une approche specifique inspiree de I' Allemand Mayr dans I' etude des groupements vegetaux, En \ Estonie, Teodor Lippmaa (1892-1943) fonda sa propre ecole de sociologie vegetale.' Toujours dans ce pays, legeographe Eduard Markus (1889-1971), en 1925, formule le concept de Naturkomplex, qui vise saisir la complexite des relations qui se jouent dans la nature, precedant celui d'ecosysteme, Leurs approches sont connues des scientifiques europeens, mais ne sont guere reprises, faute d'un reel relais, mais aussi en raison du poids pris par les autres eccles.
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION Succes en filigrane de I'ecologie etasunienne et une Autriche dechue Centre de formation pour quelques scientifiques europeens, les Etats-Unis commencent s'imposer sur Ie plan international, merne s'ils ne font pas encore ecole parmi les scientifiques du vieux continent. C'est pourtant dans ce pays qu'une histoire de I'ecclogle forestiere voit Ie jour en 1916 ainsi que Ie premier ouvrage forestier faisant explicitement reference l'ecologie en 1928 16. Autant de signes indiquant que l'ecologle a acquis une reconnaissance. Les eleves de Bessey, de Cowles et de Gray occupent des postes dans les nouvelles universites du «Midwest », En 1915, R. H. Wellcott, professeur I'universite du Nebraska, Victor Shelford (1877-1968) de I'IIIinois et de zoologie Cowles (Chicago) fondent la Societe arnericaine d'ecologie, qui compte a la fin de la merne an nee 307 membres. En 1920, elle se dote d'un journal, Ecology qui succede la revue Plant World, a I'image de sa consccur britannique. En 1930, une deuxieme revue voit Ie jour, axee sur la publication de travaux de recherches: Ecological Monographs. En ecologic vegetale, Clements, soutenu par l'Institut Carnegie, a reussi imposer ses vues. II s'adonne la recherche et la formation d'etudiants diplornes de I'universite du Nebraska et d'autres universites qui beneficient de credits academiques pour venir etudler dans son laboratoire alpin de Pikes Peak fonde en 1905 (Colorado). Clements controle aussi Ie laboratoire de Lincoln et celui de «Mission Canyon» cree en 1925, toujours avec I'aide financiere de l'Institut Carnegie. Son seul opposant a ete Henry Allan Gleason (1882-1975), qui refuse de considerer I'association comme un organisme. Pour lui, elte n'est qu'une comcidence doublee d'une construction mentale, Ses idees sont refutees lors du congres international de botanique d'Ithaca en 1926. Gleason est alors rejete hors de la sphere des ecologistes etasuniens jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale!". L'historien de l'ecologle Nicholson, tout en ne niant pas ses donnees, a montre par ses etudes que l'ecologie etasunienne presente dans l'entre-deux-guerres plusieurs signes de faiblesse dans ce champ scientifique, Ainsi l'Institut Carnegie se desengage de l'ecologle, En 1927, la section ecologie perd son independance pour devenir une simple division de biologie des plantes. L'accent est mis sur la genetlque et I'embryologie. Clements doit se separer de nombreux assistants faute de credits et, lorsqu'il prend sa retraite en 1941, it n'est pas rernplace. Enfin, dans les cours de botanique et de zoologie delivres dans la plupart des universites des Etats-Unls, l'ecologie reste encore ignoree. Ceci n'ernpeche pas les travaux de I'ecologie etasunienne de trouver un relais en Europe par l'intermedlalre des scientifiques venus s'y former. Des botanistes, Werner Ludi (1888-1968) en Suisse et Pierre Allorge (1891-1944) en France, ont ete convaincus par certaines des theories de Clements et les ont integrees dans leur corpus theorique puis elles se sont repandues chez les forestiers, Centre de formation, d'information, les EtatsUnis endossent ces deux aspects. En matiere d'innovations, la periode est peu fertile en ecologic vegetate, Clements ne laissant guere d'espaces a des conceptions rivales aux siennes. En revanche, les travaux effectues en rnicropedologie sous la direction de
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t6 Boerker R. H., « A historical study of forest ecology; its development in the fields of botany and forestry », Forestry Quarterly,16, 1916, pp. I-53; Tourney J. W., Foundations of silviculture upon an ecologicalbasis, New York: John Wiley, 1928, p. 456. 17 Gleason est aussi pris par ses travaux en taxinomie et disposait de peu de temps pour se consacrer II l'ecologie, si bien qu'il finit par abandonner ce domaine definitivernent en 1939. Voir: Hagen J. B., « Clementsian Ecologists: The Internal Dynamics of a Research School », Osiris, 8, 1993, pp. 178-195. 102
Waksman au « college» de Rutgers (New Jersey) sont porteurs de nouveautes, II a d'ailleurs accueilIi dans son laboratoire Ie Suisse Hans Jenny (1899-1991) en 1926 et I' Autrichien Kubiena en 1932/33. Si les Btats-Vnis attirent I'attention des scientifiques europeens, it n'en est plus de rneme de I'Empire austro-hongrois. Son demantelement a affaibli les centres autrichiens. Vienne ne rayonne plus sur un large espace. Les etudiants des anciennes provinces de I'Empire devenues des pays independants, ne viennent plus s'y former. En botanique, Innsbruck supplante la capitale en physiologie vegetale sous I'action d'Arthur Pisek (1894-1975) et en geobotanique avec Gams. Ces deux scientifiques n'ont pas frequente Vienne. Gams a fait ses etudes it I'Bcole Poly technique Federate de Zurich aupres de Schroeter ~uis a passe son habilitation it Innsbruck. Pisek est un pur produit de cette universite, A Innsbruck, i1s ont leur terrain d'observation, la haute montagne, a une heure du centre ville, grace l'amenagement d'un telepherique en raison du developpement des sports d'hiver. Pisek a ainsi transplante son laboratoire a l'air Iibre. Vienne maintient son rang dans deux domaines : la zoologie avec Wilhelm Ktihnelt (l~0~-~988) a I'universite et la pedologic par Kubiena et Herbert Franz (1908-2002), un speclaliste de la faune du sol. Ces deux derniers ont ete formes it l'ecole superleure d'agronomie. Kubiena y est devenu professeur de pedologic et de geologie en 1941. Franz a sejourne au Museum d'histoire naturelle de 1936 it 1938, puis a dirige l'institut de recherche en agriculture alpine du Reich Admont (Styrie) de 1940 it 1944. Ce faisant, les revues phares Vienne ne sont plus celles qui relevent de I'academic des sciences, mais des periodiques couvrant la biologie ou de la pedologic : Biologia Generalis (Biologie generate), Bodenkunde und Pflanzenemdhrung (Pedologie et fertilisation des plantes). Cette perte de prestige a finalement ravale I' Autriche au rang de centre d'information. En matiere forestiere, un basculement s'est aussi opere. Si l'ecole superieure d'agronomie de Vienne forme toujours des ingenieurs forestiers, en revanche la station de recherches forestieres perd quelque peu de son attrait international. Sa revue ne constitue plus une source significative d'information' pour les forestiers ecologistes l'etranger, Le cent~e d~ I'~cologie forestiere n'est plus Vlenne, mais la station de recherches dirigee par Erwin Aichinger (1894-1945) situee it Villach (Carinthie), Celui-ci est, a I'origine, un ~eometr~ forestier. II a fait ses etudes l'e1cole forestlere de BrucklMur (Styrie), dans une ecole qUI forme Ie personnel subalterne, puis travallle pour Ie compte de proprietaires prives, En 1923/24, it suit des cours a I'Bcole Poly technique Federale de Zurich et a I'unlversite de MontpeIIier aupres de F1ahault, Pavillard et Braun-Blanquet. Convaincu par la validite des theses de ce dernier, il fonde dans Ie cadre du cantonnement forestier de Rosenbach (Carinthie) 1'« Arbeitstelle fur Alpenliindische Yegetationskunde und Bodenkultur » (Ia Station de recherches de pedologic et de vegetation al pine) en 1927 afin d'initier les forestiers de Carinthie it la sociologie vegetale. En 1930, elle est rattachee a la SIGMA, ce qui lui donne une dimension internationale et lui octroie davantage d'eleves, De fait, sa station s'elargit aux scientifiques. En 1931, elle est transferee a Klagenfurt (Carinthie), puis en 1933, a Villach ou Aichinger amenage trois salles: un herbier, un laboratoire de pedologie et une bibliotheque, La me me annee, it passe son doctorat a l'Ecole superieure d'agronomie. C'est la premiere fois qu'un forestier non forme it Vienne reussit ce dipl6me. En 1934, il obtient son habilitation l'universite de Vienne. Aichinger a conquis sa reputation par son passage dans les universites etrangeres mais surtout par Ie biais de son centre de formation, visite par de nombreuses personnalites scientifiques. Reconnu par ses pairs comme scientifique, c'est plus tard qu'il acquiert les
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION signes de legitimation qui lui ouvrent les portes de l'universite d 'abord a Fribourg (Allemagne) en 1936 puis a Vienne en 1939. En matiere de recherche, Aichinger et ses collaborateurs s'efforcent de recenser et de delimiter les differentes associations vegetales de la foret, des prairies, des champs, leur relation avec Ie c1imat et Ie sol ainsi que leur dynamlque-''. Ces travaux ont une portee pratique. Les forestiers qui sejournent dans sa station sont la pour decouvrlr l'utilite de la sociologie vegetate dans la gestion des massifs forestiers alpins. lis doivent pouvoir reconnaitre quatre a cinq cents plantes et pas uniquement celles presentes dans les forets, L'apprentissage s'effectue sur Ie terrain afin d'etudier la flore dans son environnement, de determiner les societes vegetates tant au' niveau des forets que des prairies et d'en definir leur application en matiere sylvicole. Les rapports avec I' Allemagne ont egalement change. Dans I'entre-deux-guerres, les autrichiens ne s'y rendent plus pour y completer leur formation, au contraire, ils cherchent un complement dans d'autres centres: en Suisse (Zurich), aux Etats-Unis voire en France (Ie Centre National de la Recherche Agronomique ou CNRA de Versailles). Toutefois, I' Allernagne reste Ie siege de I' ecophysiologle en Europe, discipline representee a Darmstadt avec Bruno Huber (1899-1969) puis Otto Stocker (1888-1979) et a Hohenheim avec Walter. Une legltimite internationale dans cette discipline ne peut s'acquerir qu'en publiant dans la principale revue de physiologie vegetale : Ie Jahrbuch fur wissenschaftliche Botanik (Annales de botanique.scientifique], ce que fait Pisek a partir de 1923 depuis I'universite d'Innsbruck, Ce dernier, entre 1923 et 1941, sur quatorze articles n'en a publie que trois dans des revues autrichiennes, Ie reste etant destine a des journaux allemands. Les liens entre. Aichinger et I' Allemagne sont tenus. Sa station a obtenu une reconnaissance de la part des scientifiques etrangers et autrichiens au debut des annees 1930 puis, en 1935, elle est devenue un centre de formation pour les forestiers allemands 19. Comme Pisek, Aichinger s'exprime dans des revues forestieres allemandes. Mais surtout il est un ardent partisan du national-socialisme, adjoint au Gauleiter de la Carinthie. Son engagement lui vaut I'exil a la suite de I'interdiction du NSDAP en Autriche, Aichinger integre l'unlversite de Fribourg en 1936 et yenseigne la sociologie vegetate forestiere, C'est la premiere chaire de ce type en Allemagne. Elle a ete amenagee pour lui en raison de sa fidellte a l'ideologie nazie20. En 1938, un autre Autrichien, Leo Tschermak (1882-1969) vient occuper la chaire de sylviculture a Fribourg marquant ainsi I'Anschluss. C'est la premiere fois qu'un forestier non allemand detient une chaire cle de la foresterie allemande. En 1939, Aichinger et Tschermak incorporent I'ecole superieure d'agronomie de Vienne comme professeur respectivement de sociologie vegetale et de sylviculture, arrive egalemenr Erwin Schimitschek (1898-1985), professeur d'entomologie
18 Wendelberger G., « Erwin Aichinger - 60 Jahre », Angew. Pflanzensoziologie, [Festschrift Aichinger II, 1954, pp. XVIII-XIX. 19 Ace titre, Ie centre de Villach releve plus des centres convergents que peripheriques, , 20 Plusieurs scientifiques autrichiens ayant adhere au NSDAP en Autriche ont dO s'exiler vers l'Allemagne et obtenu des postes comme Friedrich-Carl von Faber (1880-1954), professeur de botanique II l'universite de Vienne depuis 1931. II a adhere au parti nazi en 1934 puis a ete contraint de quitter l'Autriche. En decembre 1934, il occupe la chaire de botanique de l'universite de Munich et reprend l'ouvrage de Schimper qui sort I'annee suivante. Voir: Oberkofler G., Goller P., Materialen zur Geschichte der Naturhistorischen Disziplinen in Osterreicb : Die Botanik an der Universitdt lnnsbruck (/860-/945), Forschungen zur Innsbrucker Ilnlversitatsgesohichte XVII, Kommissionsverlag der Wagner'schen Universitatsbuchhandlung Innsbruck, 1991, p. 176. 104
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et de protection forestleres-l. La me me annee Franz Hartmann prend en charge la pedologie forestiere 22. Quelques mois apres I'Anschluss, Ie regime nazi dispose d'hommes fideles dans I'enseignement forestier. Ce faisant, I'ecclogie est representee dans les principales chaires a I'ecole superieure d'agronomie.
L'ecologie dans les centres scandinaves Le centre danois, limite a la capitale, continue de se caracteriser par une interpenetration entre I'universite et l'ecole superleure d'agronomie a l'image de la carriere de Detlev MUller. Ce botaniste a suivi des cours a l'universite aupres de BoysenJensen et de Raunkiaer avant d'entrer, en 1923, comme assistant a l'ecole superieure d'agronomie. En 1927, iI devient maitre de conferences a I'universite, mais publie, pour la premiere fois, un article dans la revue de la station de recherches forestieres danoise en compagnie de Boysen-Jensen sur la production de matiere d'un jeune peuplement de frenes 23• II revient a I'ecole d'agronomie, en 1935, en tant que professeur avant de succeder a Boysen-Jensen, en 1949, a l'universite. Le passage par l'ecole superieure n'a pas nuit au deroulernent de sa carriere. Un changement s'est manifeste dans Ie champ scientifique danois. Ce n'est plus la voie geobotanique de l'ecologie qui I'emporte mais celie de la physiologie contrairement a ce qui se deroule en Suede. En effet, Warming meurt en 1924, un an auparavant son eleve, Raunkiaer son successeur depuis 1911, a dfi quitter la chaire de botanique pour des raisons de sante. La geobotanique perd ainsi deux eminents representants possedant une assise internationale. Ceci profite a I' ecophysiologie qui tient le devant de la scene. A. l'universite, en 1927, la chaire de Johannsen est dedoublee et partagee entre deux de ses eleves : Boysen-Jensen herite de la botanique et Weis de la physiologie vegetale, chaire que MUlier occupe en 1935. La physiologic s'affirme egalement au laboratoire de chimie de Carlsberg avec Ie biochimiste Carsten 'Olsen (1891-1974). Cette voie a genere des travaux significatifs dans Ie domaine de I~ productivite primaire des vegetaux 24. Sur ce point, Ie Danemark est encore un centre d'innovation. En s'engageant dans la physiologic, les scientifiques ont renforce leurs relations avec Ie champ scientifique allemand s'ecartant de la Suede. Quant ala foresterie, elle soigne ses liens avec I'Allemagne. Elle accentue aussi ses echanges avec les forestiers francais, par l'Intermediaire de Perrin, professeur de sylviculture a Nancy a partir de 1928. L'ecologle au Danemark suit un developpement sans faille. D'un autre cote, la Finlande lance Ie premier programme d'ecotogie appliquee des son accession a
21 Schirnitschek a fail ses etudes II l'ecole superieure d'agronomie de Vienne entre 1919 et 1924 et s'est engage dans I'etude des insectes forestiers. De 1937 II 1939, it etait professeur II la faculte forestiere de Bahcekoy II proxirnite d'lslanbul en Turquie. De 1936 a 1938, Tschermak a egalement enseigne dans cetle faculte, Voir Hafner F., « Hundert Jahre akademisches Forststudium in Osterreich », Chi. ges. Forstwesen, 84,1967, pp. 65-98. 22 II est I'auteur, au lendemain de la guerre, du premier ouvrage decologie forestiere,
Forstdkologie, Vienne: Springer, 1952, p. 460.
Boysen-Jensen P., MUlier D., « Undersokelser over Stofproductionen y yngre Bevogsninger af Ask og Bog», Det Forstl. Forsogsvesen i Danmark, 9, 1927. 24 Voir chapitre qualorze. 105
23
r L'ECOLOGIE EN APPLICATION
LES CENTRES MARGINAUX ET PERIPHERIQUES
l'mdependance en 1917. La aussi, il y a eu un basculement. Avant 1914, l'ecologie est dominee par des geobotanistes issus de la rninorite suedoise : Hult, Kihlman, Norrlin. Apres 1917, I'ecologie forestiere passe entre les mains des forestiers de la rnajorite finlandaise, repondant une politique de finlandisation de I'administration et de l'universite. Ce transfert s'est realise sous l'action de Cajander. Oepuis Ie debut du XXe siecle, Kihlman I'a engage dans Ie mouvement nationaliste finlandais et en a fait le specialiste de la foret. C'est en partie sur son initiative que Cajander est parvenu au poste de professeur de sylviculture a l'unlversite d'Helsinki en 1911. En 1917, Cajander occupe la direction de I'administration forestiere et, en 1922, il est Premier ministre et ministre de ' I'agriculture. La foret tient une place capitale dans l'economie de ce pays et confere une importante responsabilite a celui qui assume la direction de son administration ou les fonctions de ministre de I'agriculture. Cajander exerce la haute main sur la foresterie en recrutant d 'abord des forestiers de culture finlandaise pour la station de recherches forestieres, fondee en 1917. Ces hautes fonctions lui ont offert I'occasion de mettre en pratique sa theorie des « types de forets » sans rencontrer de vives resistances ... Cet engagement ecologique de la politique forestiere a interesse la plupart des pays d'Europe en particulier I' Allemagne, pays avec lequel les forestiers finlandais entretiennent de soli des relations 25. Forte de cette image de modele, la Finlande est res tee un centre d'information. En effet, I'application des types de forets, theorle forrnulee en 1909, l'echelle d'un pays n'a laisse, que peu de place aI'innovation. Le champ scientifique suedois a ete le lieu d'une lutte entre l'ecole de Stockholm et d'Uppsala, entre la sociologie vegetale de Du Rietz et la physiologie vegetale de Rosenberg, dans Ie laboratoire duquel ont sejourne : Lundegardh, Rome II, M. Gottfrid Stalfelt (1891-1968),' Gote Turesson (1892-1970), etc. Tous rejettent I'approche empirique d'Uppsala fondee sur I'observation et la description. Pour eux, si Ie milieu influence la vegetation, il faut Ie mesurer en transportant Ie laboratoire sur Ie terrain. C'est dans cet esprit que Lundegardh a installe dans l'lle de Halland Vadero, en 1917, une station de recherches, par laquelle transitent plusieurs scientifiques dont Ie botaniste Allemand Stocker en 1925. Elle est, dans un premier temps, rattachee a I'universite de Lund puis, a partir de 1926, I'institut de botanique de la station centrale pour la recherche agronomique aStockholm. Les scientifiques issus de Stockholm pour faire triompher leurs idees ont cherche a disposer d'une chaire via laquelle i1s seraient en mesure de former des eleves, or c'est sur ce dernier point qu'ils ont echoue sauf Stalfelt qui a herite de celie de son maitre Rosenberg en 1941. En 1917, la chaire de physiologie vegetale de Lund est libre. Lundegardh est candidat, mais les autorites academiques qualifient son travail de speculatif et optent pout une personnalite plus traditionnelle. La chaire de botanique de Lund, a nouveau vacante en 1927, est attribuee a Thoralf Gustaf Elias Fries (1882-1930), un eleve de Sernander contre Turesson. Celie d'Uppsala est briguee, en 1934, par trois candidats: Du Rietz, Romell et Turesson, la aussi c'est Ie premier qui I'emporte. Les principaux tenants de l'ecole de Stockholm obtiennent des positions secondaires dans Ie 'champ scientifique suedois, Turesson est professeur de botanique systematique et de science hereditaire dans un nouvel erablissement, une ecole superieure d'agronomie en I'lnstitut Central de 1935. Lundegardh devient professeur de botanique agricole Recherche agronomique en 1926. Romell, ne pouvant avoir de poste en' Suede, se rend a
Paris a I'lnstitut Pasteur, il est marie avec une francaise, puis aux Etats-Unis a I'universite Cornell. II revient en 1934 et travaille comme chercheur a la station de recherches forestieres suedoise, Cette suite de deconvenues a eu des consequences dans leurs travaux en ecologie, Lundegardh s'est oriente vers la physiologie pure et la chimie, Turesson vers la systernique et la genetique, Romell ne forme pas d'eleves et Stalfelt ne parvient pas a institutionnaliser I'ecologle, ni a enroler des etudiants pour effectuer des recherches dans ce domaine. L'affirmation de l'ecole d'Uppsala a signifle Ie rejet de l'ecologie en tant que discipline scientifique-s. Les representants de l'experimentation au niveau de la nature, qui ont ete les precurseurs de l'ecologie au lendemain de la guerre, sont au fait de leur discipline, formes Ie plus souvent a l'etranger. Lundegardh a complete sa formation a Leipzig et plus tard a ete invite a fonder une station experirnentale en ecologie a Brno en Tchecoslovaquie. Romell, Turesson sont passes par les Btats-Unis. Mais au-dela de cet echec, c'est aussi un affrontement entre deux groupes sociaux et culturels. L'approche de Lundegardh, Turesson, Romell est moderniste, apprise dans une universite radicale a I'oppose d'Uppsala, plus conservatrice dans une Iocalite de province. Lundegardh est Ie fils d'un maitre tailleur de Stockholm, Romell d'un bourgeois engage, Stalfelt d'un petit fermier et it est sympathisant du parti communiste. Turesson est en but contre Ie systerne universitaire suedois et prefere se former aux Btats-Unis. Leurs adversaires ont leurs assises sociales dans de petites villes provinciales. Tous sont lmpregnes par I'atmosphere qui regne dans la Suede du debut de XXe siecle melee de conservatisme et d'amour de la nature. O'ailleurs en ce qui concerne la politique environnementale, les deux groupes different. Du Rietz desire conserver la nature telle qu'elle est, de ne rien changer. Romell veut line utilisation rationnelle des ressources naturelles, ouvrir la nature au public et amenager des aires de recreation autour de Stockholm. Nous avons bien la deux conceptions antagonistes, qui se retrouvent au niveau scientifique. A cote de ce combat d'ecoles, I'ecologie a penetre la foresterie, Pendant la guerre, Ie recrutement de trois assistants dans Ie departement forestier, Malmstrom (forme Uppsala), Romell (Stockholm), et Tamm, a renforce les etudes en matiere d'ecologie forestiere. L'ouverture sur Ie champ non-forestier se traduit par l'integratlon au sein de la station de recherches forestleres d'etudiants passes par Stockolm (Melin, Romell), en attendant qu'ils puissent postuler a un poste de professeur de botanique a l'universite ... Hesselman est, desorrnais, dans une meilleure position, il est professeur de sciences naturelles a l'institut forestier depuis 1917 et surtout, entre 1925 et 1939, il dirige la station de recherches forestieres, II oriente ses eleves vers les relations entre les plantes et Ie sol, mais I'ecologie reste, pour lui, une approche et non pas une discipline-", Que ce soil en botanique ou en matiere forestiere, la Suede est un centre d'information, les travaux qui paraissent dans la revue de la station de recherches forestieres sont regulierement recenses dans les principales revues forestieres europeennes. L'innovation est aussi presente, que ce soit par Du Rietz, ou bien par
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25 Pour une analyse plus approfondie voir dans Ie chapitre huitles parties au sujet des types de foret,
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26 Soderqvist T.,The ecologists from merry naturalists to saviours of the nation. A sociologically informed narrative survey of the ecologization of Sweden 1895-1975, Stockholm: Alrnqvist & Wiksell International, 1986, p. 115. 27 ibid., p. 103
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION Turesson qui cree, en 1922, Ie concepl d'« ecotype »28. En revanche, peu de scientifiques viennent se former en Suede en dehors de quelques sejours effectues a Uppsala (I'Autrichien Gams) ou bien Halland Vadero, dans cette derniere, l'Impossibllite pour Lundegardh d'obtenir un poste a sa convenance, a oblitere les chances d'un developpernent international.
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Les centres convergents suisses, francais et allemands Types de centres
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Centres suisses:
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Centres franeais : Museum d'Histoire naturelie
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La SIGMA
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Ecole nationale des Eaux et Forets de Nancv
Centres allemands:
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Ecole superieure d'enseignement technique de Darmstadt ........................................................... ,
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Service central de cartographie vegetale de Stolzenau 7. Centres par lesquels transite I'ecologie 1915-1945.
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Promotion de la Suisse et declassernent de I' Autriche, voici les deux principales caracteristiques des centres convergents pendant I'entre-deux-guerres. L'Allemagne reste inevitable et la France, revitalisee par sa victoire, malntient son rang. Ce sont des centres incontournables comme source d'information. lis donnent, en fait, vie aux innovations, qu'i1s produisent parfois, qu'ils recuperent souvent et accueillent les scientifiques europeens.
28 Par ecotype, Turesson designe les variations hereditaires que prennent les plantes
a l'interieur
d'une merne espece en fonction des contraintcs ecologiques. II est parvenu 11 ce resultat en rassemblant plusieurs echantillons d'une me me espece provenant de milieux differents dans un rnerne espace. Ces plantes ont reproduit leur difference soulignant ainsi J'existence « de veritables races ecologiques ». Turesson G., « The genotypical response of the plant species to the habitat », Hereditas, 3, 1922, pp. 211-350.
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La Suisse: une ecologic au cceur de I'Europe Les centres helvetiques sont devenus des rnodeles tant dans l'etude des groupements vegetaux grace aux travaux de Schroeter, de RUbel et surtout de Braun-Blanquet qu'en foresterie avec Ie developpernent d'un type de sylviculture « proche de la nature» : la foret jardinee, La station de recherches forestieres a accelere Ie passage vers une foresterie reposant sur les sciences naturelles. Les articles de sa revue, les Mitteilungen der
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
LES CENTRES CONVERGENTS
Schweizerischen Anstalt flir das forstliche Versuchswesen, sont regulierement recenses
s'interesser de plus pres cette science-, Par la suite, parvenu au poste de professeur <E sylviculture, Leibundgut a exige de ses etudiants avant chaque etude d'un massif forestier un releve des groupements vegetaux, La station federate de recherches forestieres n'est pas en reste. Le poste de directeur est occupe successivement par Engler, Flury (1923) et Burger (1934). Tous les trois sont convaincus de l'utilite de cette approche dans leur specialite, que ce soit l'etude des semences, Ie role de la lumiere sur la croissance des vegetaux ligneux (Engler), la mise au point de tables de production (Flury), Ie lien entre Ie climat et la foret, mais aussi entre la matiere vegetate et le volume des troncs (Burger). Dans les annees 1920, la Suisse est au coeur de l'ecologie europeenne, grace aux recherches de Braun-Blanquet, par Ie centre de RUbel, et la recherche forestiere. L'innovation est presente par l'intermediaire de Braun-Blanquet et en foresterie. Ainsi, en 1929, Burger inaugure des travaux sur le lien entre Ie bois, la quantite de feuilles et la croissance des arbres, premisses a ceux sur la productivite primaire. Toutefois, apres Ie depart de Braun-Blanquet en 1928, la Suisse perd quelque peu de son importance malgre l'Institut RUbel. Seule la foresterie attire toujours I'attention des forestiers europeens,
dans les colonnes des journaux forestiers allemands, autrichiens, francais, suedois, etc. La professionnalisation plus precoce de la recherche forestiere a porte ses fruits. Zurich lJffirme sa position dominante, Cette ville regroupe deux centres. Le premier se nomme I'Ecoie Poly technique Federate. L'ecologie y est enseignee par Ie botaniste Schroeter jusqu'a sa retraite en 1926. Son successeur semble tout designe en la personne <E Braun-Blanquet, son eleve qui dispose d'une audience a l'etranger, II est d'ailleurs maitre re conferences depuis 1922. Finalement, la chaire est attribuee a Ernst Gaumann (18931969). Cet echec est imputable, selon Ellenberg, au fait que Braun-Blanquet ne possedait qu'un seul titre universitaire : Ie doctorat, obtenu l'universlte de Montpellier. Or pour y occuper une chaire de professeur, il faut detenir tous les diplomes du corpus dont Ie baccalaureat, Decu, Braun-Blanquet quitte la Suisse et se rend Montpellier ou il fonde la SIGMA. Ce revers fait perdre du prestige la chaire, Gaumann delaissant I'approche ecologique pour la mycologie et la pathologie vegetate. Dans cette ecole, l'ecologie est egalement representee par Ie conservateur du Museum de botanique, poste detenu, depuis 1896, par Martin Rikli (1868-1951), auquel succede, en 1930, Walo Koch (1896-1956). Tous deux ont enseigne et participe aux excursions organisees pour les forestiers et les agronomes I. A cote des botanistes, la pedologic acquiert son autonomie grace aux travaux de Jenny avant son depart pour les Etats-Unis et d'Hans Pall mann (1903-1965), qui devient professeur titulaire et directeur de I'institut de chimie agricole en 1936. La guerre de 1914, en supprimant les echanges en matiere agricole avec ses voisins, a contraint la Suisse a ameliorer Ie rendement de ses sols et encourager la recherche dans ce sens. Ces deux pedologues ont aussi etroiternentcollabore avec les phytosociologues dont Braun-Blanquet. A proximite de I'Ecoie Poly technique Federale, il existe un autre centre important: Ie « Geobotanische Forschungsinstitut RUbel » (I'Institut de recherche en geobotanique RUbel). II a ete fonde en 1918 et dote, des ses debuts, d'une revue intitulee
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Veroffentlichungen des geobotanischen Institutes Rubel in Zurich (Publications d: l'institut de geobotanique Rubel a Zurich). Son champ d'investigation couvre un triple domaine: la geographic des plantes, l'ecologie vegetate et I'histoire de la vegetation. En 1929, iI est transfere dans une maison avec des assises plus larges suite a des dons genereux des sceurs de RUbel. Cet institut offre une bibliotheque, une collection, des instruments et des salles de travail aux chercheurs. II dispose pour reussir de trois facteurs : d'abord de l'autorite et de la fortune de RUbel, un eleve de Schroeter, d'autre part sa situation geographique, Zurich, Ie centre du savoir en geobotanique. Enfin, il possede une revue qui publie les comptes-rendus des excursions internationales de phytogeographie, partir de 1922, organisees depuis Zurich,lieu du siege permanent. Cet institut a permis un homme comme Ludi de lui donner les moyens de s'ancrer dans la geobotanique et re delaisser I'enseignement secondaire en occupant Ie poste de directeur de 1931 a 1958. Le declin de la chaire de botanique de Schroeter a renforce l'autorite du centre de RUbel, dont la direction est devenue un des postes phares en matiere de geobotanique, Elle a ete, par la suite, occupee par Ellenberg de 1958 a 1966. Dans les cours de foresterie prodigues l'Ecole Poly technique Federale de Zurich, l'ecologie a conquis la plupart des postes des: la botanique (Koch), la pedologie (Pallmannj.I'amenagement forestier (Knuchel). Enfin, en 1940, Hans Leibundgut (19091993) succede Walter Schadelin (1873-1953) en tant que professeur de syl viculture. Son predecesseur,Schadelin, a assiste au developpement de la sociologie vegetate et admis son utilite, Ne rnaitrisant guere ce domaine, d'apres Leibundgut, il a invite ce dernier a
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La France: une ecologic en proie aux querelles d'ecoles
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Si le Museum d'Histoire naturelle de Paris, Ie laboratoire de biologie vegetate situe Fontainebleau et la chaire de botanique de MontpeIlier forment toujours les trois principaux poles de I'ecologie en France, de nouveaux centres emergent: Grenoble, Lyon, Toulouse, Ie CNAM a Paris, Ie CNRA a Versailles. L'ecologie se diffuse, mais aucun scientifique ne cherche a en faire une discipline scientifique, eIle reste au stade re l'approche. , , A Paris, Ie premier fait marquant est la perte d'influence de I 'Ecole normale superieure en ecologic qui correspond a un changement de strategic de la part des normaliens. Ceux-ci s'investissent dans les sciences «pures» . telles la physique et les mathematiques au detriment des sciences de I'observation comme les sciences naturelles. En outre, la geographic vidalienne est sous la houlette de Martonne, professeur a la Sorbonne depuis 1919 et directeur de I'institut de geographie de 1927 a 1944. EIIe ne dispose plus d'eminent representant l'Ecole normale.' L'ecologle vegetate a toujours sa place la faculte des sciences de Paris, mais la disparition de Bonnier en 1922 laisse Ie champ Iibre au Museum'. Dans cetle institution, l'ecologie est representee par AIIorge, qui a effectue son doctorat so us la direction de Bonnier au laboratoire de Fontainebleau. En 1922, il entre au Museum comme assistant au laboratoire de cryptogamie pour en devenir Ie sousdirecteur en 1926. II rassemble autour de lui une equipe au parcours identique (faculte des sciences, laboratoire de Fontainebleau), comprenant Raymond Gaume (1885-1964) et Paul Jovet (1896-1991)4. Toujours au Museum, I'ecologie figure egalernent au laboratoire <E phanerogamie, detenu depuis 1931 par Henri Humbert (1887-1967) qui s'est illustre, en
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1 Rikli a enseigne la chimie de I'alimentation a partir de 1909 et Koch la botanique. Rikli a organise a partir de 1906 vingt-et-un voyages d'etudes sur Ie pourtour mediterraneen.
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2 Entretien avec Leibundgut, Zurich, 23 septembre 1988. 3 Le representant de Bonnier en ecologie vegetate est son gendre Raoul Combes (1883-1964), \ qui y est maitre de conferences depuis 1920 puis professeur sans chaire en 1932. 4 Gaume, a partir de 1919, a frequente Ie laboraloire de cryptogamic de Louis Mangin (18521937) du Museum comme travailleur libre. Jovet a travaille sous la direction de Combes a la faculte des sciences de Paris. Allorge V., «Raymond Gaume (17.11.1885 - 5.12.1964) », Revue bryologique, 90, 1967, pp. 388-395; Sauvages dans fa ville,' de l'inventaire naturaliste a l'ecologie urbaine : hommage a Paul Jovet, Paris: Journal d'agriculture traditionnelle el de botanique appliquee, 1997, p. 607.
III
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
LES CENTRES CONVERGENTS
1927, par une etude sur la flore malgache>, Enfin, Chevalier, depuis 1928, est titulaire dl la chaire d'agronomie tropicale. Le CNAM reunlt plusieurs centres d'interet de l'ecologie, La pedologic est assuree par Demolon qui y enseigne la chimie agricole de 1927 a 19456 . La physiologie vegetate compte comme representant Pierre Chouard (1903-1983), qui finit par acceder, en 1938, a la chaire d'agriculture et de productions agricoles, apres avoir effectue sa carriere dans les universltes provinciales (Bordeaux et Rennes) et vainement tente d'entrer au Museum. Non loin de Paris, I'lnstitut Pasteur fait amenager a BrieComte-Robert (Seine-et-Mame) un laboratoire d'agriculture bacteriologique pour Winogradsky en 1922. . A Montpellier, cohabitent trois centres dont deux de reputation internationale. Le plus ancien, dans I'histoire de I'ecologle, est la chaire de botanique de I'universite detenue par Flahault. Deux de ses eleves lui ont succede tour atour. Le premier a ete Pavillard de 1927 a 1937, qui a partage les orientations de l'ecole Braun-Blanquet. Le second Emberger, a partir de 1937, s'y est oppose. Contrairement a ce qui s'est deroule a Zurich, la chaire dl botanique de Montpellier a garde sa reputation dans Ie domaine de l'ecologie, Le second centre est la SIGMA, fondee en 1928 par Braun-Blanquet, a la suite de son echec a Zurich, qui acquiert rapidement une audience internationale attirant des scientifiques de la plupart des pays europeens en dehors de la Scandinavie et de la Grande-Bretagne", Le troisieme est lie a la chaire de botanique de I'Ecoie d'agriculture de Montpellier occupee par KuhnholtzLordat depuis 1924, un eleve de cette ecole et de Flahault. Par l'lntermediaire des deux premiers centres, MontpeIIier continue de drainer des etudiants qui ont laisse un nom dans I'histoire de l'ecologie vegetate tels : Marcel Guinochet (1909-1997) assistant-delegue au laboratoire de botanique d'Emberger de 1939 a 1943, Rene Molinier (1899-1975), professeur de sciences naturelles au lycee Thiers de Marseille, qui soutient sa these en ' 19348 . Dans la France meridionale, un nouveau centre s'est forme aToulouse, sous I'action re trois hommes : Ie biogeographe Gaussen, les forestiers Tessier et Salvador. Gaussen a fait toute sa carriere a Toulouse. Entre a l'universite en 1912, iI obtient sa licence en 1914. Mobilise, il est prisonnier et revient de captivite en 1918. En 1919, il passe I'agregation, enseigne au lycee et, en 1921, devient preparateur de botanique a l'universlte et ensuite chef des travaux, En 1926, apres avoir soutenu son doctorat a la Sorbonne sur Vegetation de la moltie orientale des Pyrenees [sol-climat-vegetation), il poursuit son parcours comme maitre de conferences. En 1938, il est professeur a titre personnel. II a ete influence par les conceptions de FIahault au sujet de la cartographie de la vegetation. Tessier a ete conservateur forestier sur Toulouse de 1912 jusqu'a sa retraite en 1927, lui suecede Salvador, jusqu'en 1938, annee ou il est nomrne inspecteur general. Ceci a assure une stabilite a la tete de la conservation avec la presence de deux personnalites, pendant vingtcinq ans, marques par l'ecologie, Gaussen aete en contact avec ces forestiers et c'est d'ailleurs sur I'initiative de Tessier, qu'il inaugure un laboratoire a Joueou dans les Pyrenees centrales, en 1923, situe a 1.0OOm d'altitude. En 1928, un arboretum y est fonde afin d'etudier I'adaptation de resineux exotiques au c1imat de la region, mais les premieres
plantations n'ont lieu qu'en 19349 . Enfin, en 1932, avec I'aide du doyen Paul Sabatier (1854-1941), Gaussen fonde la Federation pyreneenne d'Economie montagnarde, equipee d'une revue 10. Le centre de Toulouse s'est donne des moyens d'expression et a forme des eleves dont Paul Rey (1918) nomme sous-directeur du Service de la Carte de la vegetation de la France en 1945. Dans les Alpes, Grenoble fonctionne autour de la personnalite de Blanchard, professeur de geographic et d'une revue, la Revue de Geographie Alpine. Dans la rnerne universite officie Maurice Parde (1893-1973) comme professeur de geographic qui redige en compagnie de Leon Parde (1865-1943) un ouvrage lntitule Arbres et forhs". Dans la vallee du Rhone, Lyon est marque par la presence du botaniste Jean Beauverie (1874-1938) aupres de qui Guinochet a fait ses etudes de 1927 a 1931. Beauverie, Ie gendre du botaniste Antonin Magnin (1848-1926), y enseigne la botanique depuis 1923 s'attachant a restaurer la memoire de son beau-pere, Celui-ci avait quitte I'universite de Lyon sous la pression re certains professeurs pour Besancon, Ces demiers avaient vu dans la creation de la Societe botanique de Lyon une concurrence a leur enseignement. Enfin, il existe un demier centre situe a Alger represente par deux personnalites : Rene Maire (1878-1949) et Killian. Le premier enseigne la botanique, depuis 1911, a I'universite cependant souligne Guinier : « Il ne s'attachait pas aagir sur les etudiants, ni aorienter les recherches des travailleurs d! son laboratoire, auxquels it laissait toute liberte. Le fait est qu'il n'a pas forme d'eleves »12. Le second, Killian, professeur de botanique agricole partir de 1933, fonde Ie laboratoire de Beni-Ounif. II accueille de nombreux scientifiques etrangers dont Ie Hongrois Feher et s'oriente vers la physiologie vegetale. Au-dela de cette simple enumeration, deux logiques spatiales s'imposent. L'attractivite du champ universitaire parisien correspond aux structures dorninantes de l'universlte en France, qui, drainent les carrieres vers Paris. Une autre logique tient aux proprietes re I'espace. Certaines universites brillent par leur absence en tant que centre. Bordeaux, Rennes, Clermont-Ferrand ne sont que des etapes pour des carrieres qui se veulent parisiennes. Deux espaces continuent de legitimer les travaux des biogeographes et des phytosociologues: I'espace mediterraneen l (Montpellier et Afrique du Nord) et I'espace rnontagnard avec les Alpes (Grenoble), les Pyrenees (Toulouse) et Ie Sud du Massif central (Montpellier), permettant a ces centres d'assurer leur autonomie par rapport a Paris, dont . its sont suffisamment distants.
5 Humbert H., La destruction d'uneflore insulaire par Ie feu. Principaux aspects de la vegetation a Madagascar, Memoire de l'academie malgache, 5, 1927, pp. 1-78. 6 Demolon assure un enseignement identique it l'Ecole du genie rural a partir de 1927. Collectif d'auteurs, «Albert Demolon», Ann. Inst. Nat. Rech. Agron. Serle A., Ann. Agro., 6, 1955, pp. 959-981. 7 Voir chapitre neuf. 8 Molinier R., « Etudes phytosociologiques et ecologiques en Provence occidentale », Ann. Mus. Hist. Nat. Marseille, 27, 1934, pp. 1-274, Comm. SIGMA,3S, 1934.
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Professionnalisation de la pratique scientifique francaise En dehors de ces logiques spatiales, les carrieres scientifiques ont change d'aspect. En botanique, la professionnalisation s'acheve, Emberger peut etre considere com me Ie demier representant d'une carriere de type XIXe slecle, c'est-a-dire effectue des etudes de pharmacie pour devenir professeur de botanique. II a obtenu un doctorat en pharmacie a Lyon en 1921. Charge de cours a Montpellier, it entre en contact avec Flahault et s'engage dans la voie de I'ecologie vegetate. Les scientifiques qui emergent dans les annees 1930 n'ont plus un tel parcours. lis ont, dans leur tres grande majorite, fait des etudes en sciences naturelles. 9 Anonyme, « Henri-Marcel Gaussen (1891-1981) », Bull. Soc. Hist. Nat. Toulouse, 118, 1982, p. 10. 10 II s'agit des Annales de la Federation pyreneenne d'Economie montagnarde. II Parde L., Parde M., Arbres et forets, Paris: Colin, 1938, p. 224. 12 Guinier P., « Rene Maire (1878-1949) », Revue Forestiere Francoise, 1, 1949, p. 78.
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Autre signe, I'obtention de l'agregation dans Ie domaine des sciences naturelles tend a devenir un passage oblige. Avant la premiere guerre mondiale, ce concours conceme surtout les geographes, peu de naturalistes ensont titulaires contrairement a l'entre-deuxguerres. Ceci implique un sejour dans l'enselgnement secondaire plus ou moins long, ce qui est nouveau. Gaussen y reste deux ans, Molinier de 1927 a 1939 13• Cependant sa detention n'est pas une condition sine qua non pour parvenir a un poste. Em berger, issu re la pharmacie, non-titulaire de ce concours succede pourtant a Pavillard a la chaire re botanique de Montpellier. La publication de travaux ayant fait autorite et la filiation scientifique (etre l'eleve de) priment encore. Mais derriere ce changement de parcours se profilent une professionnalisation du champ scientifique et une unifonnisation des carrieres possibles. Le demier changement significatif reside dans la recherche scientifique avec la promotion du statut de chercheur. Avant la Grande Guerre, Pasteur a obtenu la creation du paste d'agrege preparateur qui permet de se consacrer pleinement a la recherche sans devoir donner de son temps pour I'enseignement. L'entre-deux-guerres est marque par I'extension de centres ayant la recherche pour vocation. Avant 1914, elle est cantonnee soit dans les laboratoires des unlversltes, soit dans des instituts specialises comme I'lnstitut Pasteur voire Ie laboratoire de biologie vegetate de Fontainebleau. Toutefois ce demier fonctionne davantage com me Ie laboratoire de la faculte des sciences de Paris et non com me un centre de recherche independant. En fait, l'universlte a du mal a soutenir la recherche. Ainsi Martonne s'oriente, en 1926, vers l'Ecole Pratique des Hautes Etudes afin d'effecluer des travaux que la faculte des lettres de Paris ne peut financer!". Cette nouvelle donne engendree par Ie premier conflit mondial a mis en avant Ie role des scientifiques dans l'elaboration des annes modernes. Au lendemain de la guerre, il existe tout un mouvement en faveur de la science et des savants. C'est la campagne re Maurice Barres (1862-1923) sur la pauvrete des laboratoires, la journee Pasteur, etc. En 1924, sur I'initiative parlementaire de Paul Painleve (1863-1933) et d'Emile Borel (18711956), la taxe d'apprentissage est creee, Elle est de 0,2 % sur res salaires payes par Ie patronat francais, dont Ie septieme est destine aux laboratoires. Une serie de mesures aboutissent a la formation de deux centres: Ie Centre Nationale de la Recherche Agronomique en 1928, ancetre de l'Institut Nationale de la Recherche Agronomique et Ie Centre National de la Recherche Scientifique en 1939. L'origine du CNRS remonte a 1901 avec la creation de la Caisse des Recherches Scientifiques afin d' «encourager la recherche plutot que recompenser la decouverte »15. A l'epoque, l'Academie des sciences pratiquait Ie contraire, affectant les 9110e de I'argent destines aux scientifiques pour les prix et III0e pour les bourses... La conception du travail scientifique relevait d'un certain ideal d'abnegatlon, mais les progres de sciences telle la physique ont rendu vitaux les achats d'equipements aux coOts non negligeables, Toutefois il faut attendre 1939 pour voir la fondation du CNRS. Cet organisme est Ie fruit de la volonte d'un groupe de scientifiques proches de la SHO, du parti communiste comme Frederic Jotiot-Curie (1900-1958) et Paul Langevin (1872-1946) qui se sont opposes aux deux bastions des forces conservatrices de I' epoque : I' Academie des sciences et Ie Conseil
superieur de I'instruction publique. Pour eux, la science est I'instrument du progres, mais il faut donner a la recherche des possibilites de s'epanouir dans une structure qui assurerait aux chercheurs un salaire sans contrepartie d'enseignement, des locaux et des moyens materiels pour effectuer les experiences necessaires. La creation du CNRS incame I'institutionnallsation du chercheur et I'abandon du decouvreur, Le second volet de la recherche conceme I'agronomie. Dans ce domaine, elle a ete depuis longtemps organisee. Ainsi, en 1881, il existait vingt-quatre stations ou laboratoires agronomiques en France mais ala suite du protectionnisme symbolise par les lois Meline, elles ont surtout vegete faute de soutien. Or la guerre a montre les timites re I 'agriculture francaise, une partie de son territoire, ou les sols ont un rendement superieur a la moyenne, a ete occupee. Ces pertes n'ont pu etre com pensees par une intensification re la production sur les terres restees vacantes car la guerre sous-marine a gene I'approvisionnement en engrais. Apres 1918, une potitique active est engagee en faveur re la recherche agronomique. La loi de finances du 30 avril 1921 autorise la creation d'un Conseil d'Administration de l'Institut des Recherches Agronomiques (IRA) et, a la fin re cette annee-la, la decision est prise d'installer un centre de recherches a proxirnite de Paris, aVersailles. La construction est commencee en 1923 et Ie centre entre en activite en 1928. II comprend cinq stations: « Trois d'entre elles constituent les volets du triptyque Plante-
13 En 1939, it est fait prisonnier et reste en Allemagne jusqu'en 1945. Ce n'est qu'en 1946 qu'it . obtient, en dehors de ses heures au lycee, un poste de charge de cours a I' universite de Marseille avant d'y devenir maitre de conference en 1948. Jullien R, « Rene Molinier 1899-1975 », Bull: Mus. Hist. Nat. Marseille, 35, 1975, pp. 279-281. ' 14 Plus tard, it finit par diriger Ie laboratoire de geographic generale au CNRS OU it preside la commission geographic. Voir Dresch J., « Emmanuel de Martonne, organisateur de la geographic francaise », Bull. Ass. Geogr, Franc., SO, 1973, pp. 543-549. 15 Picard J. E, Pradoura E., «La longue marche vers Ie CNRS (1901-1945) », Cahiers pour l'histoire du CNRS 1939-1989, Gap: Editions du CNRS, 1989, p. 10.
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Sol-Climat, les deux autres representent les disciplines phytosanitaires, Pathologie et Zoologie. En /930, deux nouveaux laboratoires sont crees, le premier pour l'etude des sols, [... ] le second pour une nouvelle discipline, la Phytopharmacie »16. En 1934, Ie laboratoire des sols est acheve, Les services administratifs sont regroupes dans un nouveau batiment et Ie Service Central de Documentation est transfere de Paris a Versailles. A partir de cette date, Ie centre est operationnel, mais la meme annee Ie gouvernernent supprime I'IRA et rattache la recherche agronomique au ministere re I'agriculture!". Ceci freine Ie recrutement de nouveaux chercheurs et les investissements necessalres pour equiper les laboratoires. Dans I'ensemble, la recherche en agronomie est regardee avec desinteret. Selon Jean Cranney, Ie chercheur a I'Institut de Recherches Agronomiques dispose d'un salaire inferieur a celui d'un cantonnier de la ville de Paris. Emmanuel Dauthy, sous-directeur de I'enseignement et de la recherche au ministere re I'agriculture de 1940 a 1962, raconte: «Les agros choisissent enfonction de leur rang, le
Genie rural, les Eaux et Forets ou les Harm. Les autres partent aux colonies apres un an d'ecole a Nogent-sur-Marne. Ceux qui veulent rester en France choisissent les services agricoles ou l'administration. Aller dans la recherche. c'est prendre un poste d'auxiliaire temporaire et done avoir, a peine, les moyens de survivre. La recherche n'est pas un metier »18. Un effort est fait aI'egard de la recherche agronomique, mais celle-ci ne comprend pas la foret. A Nancy, la station de recherches forestieres possede, desormais, des moyens et s'est dotee d'un signe de visibllite avec la creation des Annales de l'licole nationale des Eaux et Forets, mais sa parution n'est pas regulierel''. Dans la Revue des Eaux et Forets, un index bibliographique volt Ie jour en 1926, intitule « Revue des revues» dont Ie responsable est un forestier convaincu par les theses de F1ahault: Tessier, qui bientot
16 Geslin M., «Le centre national de recherches agronomiques de Versailles », ill Academic d'Agriculture de France, A l'occasion du bi-centenaire (1761-1961). Les aspects et les etapes de la recherche agronomique en France, Paris: Academic d'Agriculture de France, 1961, p. 62. 17 Cette suppression n'affecte pas seulement la recherche agronomique, mais conceme aussi l'Institut National de l'Hygiene Social fonde en 1924. 18 Cranney J., 1NRA.' 50 ans d'un organisme de recherches, Paris: INRA, 1996, p. 36. 19 Le premier volume parait en 1923, Ie second en 1928.
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dispose de temps libre, puisqu'il est admis a la retraite en 1927. L'ecologie est vehiculee pa! l'enseignement de Guinier en botanique forestiere qui, depuis 1920, est Ie directeur re I'Ecoie des Eaux et Forets, mais aussi par Auguste Oudin (1886-1979), professeur de la science du sol et de pedologic en 1930, enfln par Perrin, professeur de sylviculture a partir de 1928. Les forestiers n'eprouvent plus Ie besoin de completer leur formation a l'universlte de Nancy. Cette derniere n'est plus la vitrine francaise face a l'Allemagne, Strasbourg etant reconquise. L'information en matiere d'ecologie forestiere est produite a Nancy, mais aussi par des forestiers exercant sur Ie terrain a Toulouse (Tessier et Salvador), avec Roger Sargos (1888-1966) pour la foret landaise20. Les forets des colonies africaines font I'objet d'etudes ecologiques de la part de forestiers comme Andre-Marie Aubreville (1897-1982) qui, de 1925 a 1937, est inspecteur et chef des services des Eaux et Forets en Cote d'Ivoire. Centre d'information, la France recele egalement des centres de formation, qui attirent des scientifiques venant de la plupart des pays europeens. Sur ce point, Montpellier grace a la SIGMA reste attractive et poursuit une tradition inauguree par F1ahault. L'Ecole forestiere de Nancy accueille Ie Yougoslave Tregubov qui y fait ses etudes de 1932 1934. Le Suedois Romell travail Ie, en 1926, a l'Institut Pasteur aupres de Winogradsky. I:'Autr!chien Kubiena sejourne au CNRA de Versailles en 1935. Le microbiologiste Etasumen Waksman, lors de ses deplacements en Europe, ne manque aucune occasion pour se rendre dans Ie laboratoire de Demolon a Laon. Le Hongrois Feher frequente celui re Killian aBeni-Ounif en Afrique du Nord. Les attentes des scientifiques sont diverses. A la SIGMA, ils viennent s'initier a I'analyse des groupements vegetaux selon la methode re Braun-Blanquet, ce sont souvent des etudiants qui preparent un doctorat dans leur universite d'origine. D'autres (Kubiena, Feher) recherchent une collaboration ou bien I'occasion d'effectuer des travaux dans un cadre different (Ie Sahara pour Feher). Si Ie champ scientifique francais a acquis une audience, en revanche il produit tres peu d'innovations en dehors de certaines formulations faites par Martonne (I'indice d'aridite) et par Emberger (quotient pluviothermique) qui n'eveillent guere d'lnteret aI'etranger,
les deux partagent com me point commun : Ie voyage d'etudes. Stocker s'est rendu dans Ie desert egypto-arabique et a Buitenzorg (Indonesie), Walter en Arizona dans Ie Sud-Ouest africain et en Afrique centrale. ' Toujours en physiologie, deux autres centres se sont affirmes: I'universite allemande re Prague et celie de Greifswald. A l'unlversite allemande de Prague, deux personnalites ont laisse leur empreinte: Karl Rudolph (1881-1937) et Franz Firbas (1902-1964). Ce dernier forme dans cette universite s'est toume vel's l'analyse pollinique en raison de la presence re tourbieres dans la region et d'un expert en la matiere: Rudolph22. II peut paraitre etrange d'integrer cette universite au sein de I'espace allemand bien qu'elle fasse partie politiquement de la Tchecoslovaquie. En fait, cette universite qui accueille d'abord les allemands des Sudetes, reste sur Ies plans de carriere des scientifiques allemands ou autrichiens. Toutefois, dans les annees 1930, elle est sur Ie declin, En 1928, Firbas part pour Francfort, apres avoir etudie l'adaptation de la flore au marais en transferant Ie laboratoire sur Ie terrain. A Greifswald, la physiologie est du domaine d'Erich Leick (18821956) qui y exerce depuis 1918. II devient, en 1928, professeur titulaire et directeur re I'institut d'ecologie des plantes, Ie premier a s'intituler de la sorte en Allemagne. En 1930, iI fonde une station de recherches biologiques sur I'ite de Hiddensee, dans la mer Baltique23. Dans l'ensemble, les scientifiques, qui se sont engages dans la physiologie vegetale se sont exprirnes dans deux revues: Ie Bericht der deutschen botanischen Gesellschaft (Bulletin de la societe allemande de botanique) et Ie Jahrbuch fur Wissenschaftliche Botanik. En geographic des pIantes et en phytosociologie, les centres sont, la aussi, nombreux : Bonn (Schwickerath), Berlin (Diels) et surtout l'office provincial pour les monuments naturels de Hanovre dirlge par Reinhold Tuxen (1901-1971), un fervent de Braun-Blanquet, Tuxen a ete. forme a la phytosociologie par ce dernier lors d'un sejour a Zurich en 1926. Convaincu de la justesse de cette approche, il cree un groupe d'etudes floristiques et sociologiques en 1927 qui reunit au depart des naturalistes de divers horizons. Des 1929, Ie groupe se dote d'une revue les Mitteilungen der floristich-sotiologischen Arbeitsgemeinschaft (Communications du groupe d'etudes jloristique et sociologique). Le pas decisif est effectue en 1931, annee oula cartographie de la province de Hanovre est attribuee a l'office provincial pour les monuments naturels qui confit a Tiixen ce travail. Celui-ci s'etablit a Stolzenau. Ce travail cartographique a attire plusieurs chercheurs qui se sont inities ala methode Braun-Blanquet et.dont les etudes ont trouve un debouche dans la revue qu'il dirigeait. C'est aussi I'opportunite pour de jeunes scientifiques, souvent etudiants, de se faire un peu d'argent. Ellenberg a ete recrute, car il savait bien dessiner les profils pedologiques, il est vrai qu'Ellenberg a longtemps hesite entre la peinture et les sciences naturelles. Toujours dans les institutions qui dependent de la protection de la nature, it faut aussi citer la « Station de I'empire pour la protection de la nature »(Reischsstelle fur Naturschutz) ou officie Hueck, un botaniste, collaborateur scientifique de 1924 a 1944. Dans un domaine voisin de I'etude des groupements vegetaux, la geographie du paysage, Ie courant ecologique est represente par Troll, professeur et directeur du departernent de geographic outre-mer et coloniale a Berlin de 1929 a 1936, puis
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L'AlIemagne: une expansion de l'ecologie L'ecologie ne releve plus seulement de la botanique et de la pedologic, elle touche la limnologie avec August Thienemann (1882-1960), la zoologie avec Karl Friederichs (1878-1969). Elle s'est aussi diffusee dans de nombreuses unlversites, a ce titre, Berlin et Munich n'exercent plus leur hegemonic. En botanique, elle est professee a Fribourg (Oltmanns), Bonn (Schwickerath), Wurzbourg, Jena, Dresde, Stuttgart, etc. La physiologie vegetate est menee par trois centres : Darmstadt (Stocker), Tharandt (Huber) et Stuttgart-Hohenheim (Walter). Tous font partie d'une ecole superieure d'enseignement technique liee a la Foret pour Tharandt, a l'agronomie pour StuttgartHohenheim, couvrant ainsi les trois domaines de la botanique: la botanique generate, I'agronomie et la foresterie. Huber et Stocker sont passes par Fribourg au debut du XXe siecle et ont sui vi les cours de Friedrich Oltmanns (1860-1945). Stocker a, entre autres, complete sa formation aupres d'Ernst Stahl (1848-1919) a Jena ainsi que Walterl l . Tous 20 Francois T., « Les forets d'epiceas des Alpes », Revue des Eaux et Forets, 77, 1939, pp. 582-598. Pour Sargos voir dans Ie chapitre huit la partie intitulee Les types de loret : un accuei/ reserve a l'etranger 21 Stahl est un partisan de la methode experirnentale. II a travaille notamment sur I'influence de la lurniere sur les pIantes ainsi que sur la facon dont les plantes se protegent contre les attaques
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d'escargots. Voir Cittadino E., Nature as the laboratory. Darwinian plant ecology in the German \ Empire, 1880-1900, Cambridge - New York: Cambridge University Press, 1990, p. 199. 22 L'analyse pollinique a ete pratiquee en Pomeranie par Hugo Gross (1888-1968), professeur de sciences naturelles a Allenstein en lycee, Rudolph est I'auteur d'une etude sur la reconquete de la foret au lendemain de la demiere glaciation intitulee : «Grundziige des nacheiszeitlichen Waldgeschichte Mitteleuropas », Beih. Bot. Cbl., 47, 1929, pp. 111-176. 23 Leick a laisse son nom dans I'histoire de I'ecologie vegetate par ses etudes sur la rosee. Voir: Steubing L., «Erich Leick », Ber. deut. botan. Ges.,70, 1957, pp. 51-53.
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professeur de geographic economique et directeur du departernent de geographie economique
d'entretenir les fonctions sociales et physiques de la population 28. Le contexte n'est plus Ie rneme, apres 1918, les mouvements de protection de la nature connaissent un net regain d'interet et aupres du public. C'est une reaction envers la culture pessimiste qui s'est developpee apres la chute du Reich syrnbolisee par Oswald Spengler (1880-1936)29. Les Allemands desirent renouer avec leurs racines au travers la foret, ernblerne romantique de la culture allemande. Des postes ont ete offerts par les offices regionaux des monuments naturels aux scientifiques, notamment a Hueck et a Tuxen, d'ou i1s ont pu former des eleves. Ces associations de protection de la nature ont participe au developpernent de la cartographie vegetate et ont tisse un lien entre les forestiers et les phytosociologues re l'ecole Braun-Blanquert'', Ainsi Hueck a realise la carte de la vegetation de la foret d'enseignement de Chorin, pres d'Eberswalde en 1931.
aI'institut d'etudes maritimes jusqu'en 193824.
La pedologic est reconnue et enseignee dans de multiples centres au statut different a l'ecole superieure d'enseignement technique de Dantzig (Strernme), celie d'agronomie d: Berlin representee par Robert Ganssen (1903-1983), a l'unlverslte de Gottingen grace a Edwin Blanck (1877-1953), a l'universltede Konigsberg (Mitscherlich), etc. Enfin, en Iimnologie, emerge Kiel avec Thienemann et Wolfgang Tischler (1905- ?). En fait, ce centre est deja ancien en ecologie, mais il est reste sur les marges de notre sujet. II a deja accueilli Karl August Mobius (1825-1908), Ie createur du concept de « biocenose » ainsi que Friedrich Dahl (1856-1929),l'auteur du mot« biotope »25. Ces deux scientifiques ont acheve leur carriere a Berlin, au Museum de zoologie. Mobius y est entre en 1887 et a fait venir son eleve, Dahl, en 1898. Kiel beneflcie de la presence d'une station de recherches en hydrobiologie a PIOn que dirige Thienemann tout en enseignant a l'universite de Kiel d: 1917 a 1957. A la lecture de ces noms, l'ecologie est bien professee dans la plupart des centres universitaires allemands non comme une discipline a part entiere mais comme une approche. Sur ce plan,l'information produite est tres riche, car elle ernane de presque toute l'Allemagne et de domaines differents (sociologie vegetale, physiologie, limnologie, pedologic, zoologie, etc.). Ceci se ressent sur les carrieres. Le sejour a Berlin ne s'impose plus. En revanche, plusieurs scientifiques allemands se rendent a l'etranger pour se former, que ce soit Ellenberg a Montpellier en 1932, ou bien Walter et Tischler aux Etats-Unis. L'enseignement superieur s'est aussi professionnallse, Un parcours tel celui de Kirchner n'est plus possible26. Seule la protection de la nature, celie relevant des offices provinciaux pour les monuments naturels (Denkmalpjlege) accueille des scientifiques aux carrieres quelque peu atypiques comme Tuxen et Hueck. Tuxen a fait des etudes de chimie jusqu'au doctorat et c'est dans Ie cadre de son travail dans I'office provincial pour la protection des monuments naturels, qu'il a ete amene a s'interesser a la biologie, puis a la sociologie vegetate, grace notamrnent a Hueck. Ce demier a fait des etudes de sciences naturelles, de geographic et d'economie politique car iI desirait devenir banquier, puis it s'est tourne vers la protection de la nature et a obtenu un doctorat en sciences naturelles en 1925. Tuxen diplorne en chimie a fini par devenir Ie representant de l'ecole Braun-Blanquet en Allemagne... L'action en faveur de la protection de la nature entre Ie debut du XXe siecle et Ie lendemain de la guerre a change de nature. En 1906, Ie gouvernement prussien erige la premiere station regionale pour les monuments naturels dotee d'une revue27. Elle a ete fondee afin de proteger des aspects remarquables de la nature et de la culture: un arbre, un edifice, etc. Apres la defaite, la conception de la protection de I'environnement evolue vers une vision plus globale, desormais il s'agit de proteger un paysage en son entier afin
24 En 1937, il occupe alors la chairede Leo Waibel (1888-1951) a Bonn. Waibel en a ete ecarte pour des raisons raciales. Ceci perrnet a Troll d'echapper aussi aux pressions politiques de la . capitale. Bohrn H. (Hg.), Beitrdge zur Geschichte der Geographie an der Universitiit Bonn, Bonn: Ferd. Di.immlers Verlag, 1991, p. 328. 25Mobius a ete professeur de zoologie a l'universite de KieI de 1868 a 1888. II a ete charge par Ie gouvemement prussien de rernedier a la diminution des banes d'huitres dans le SchleswigHolstein. 26 Kirchner avail fait des etudes de philologie avant de devenir professeur de botanique a Stuttgart-Hohenheim.
27 II s'agit des Beitrdge zur Naturdenkmalpflege (Contributions aux monuments naturels]. 118
Une formation forestiere integree au champ universitaire allemand La formation forestiere depend desormais soit d'une universite, soit d'une ecole superieure d'enseignement technique. Le processus entame avant la guerre s'est acheve avec
l'lntegration de Tharandt, en 1928, au sein de I'ecole superieure d'enseignement technique de Dresde. Les differents centres forestiers peuvent delivrer des doctorats et surtout les professeurs ont la possibilite de fixer des objectifs de recherches independamment des exigences de I'adrninistration forestiere. Cette integration se realise au prix d'un regroupement de deux anciens centres forestiers : Tubingen et Karlsruhe sur Fribourg en 1920. Cette proposition faite en 1907 comprenait initialement Giessen (Hesse), ou I'enseignement forestier s'est maintenu jusqu'en 1938 date a laquelle it a ete dissous, laissant la gestion de l'espace de I'Allemagne du Nord-Ouest entre les mains de I'Ecoie superieure de Hann-Mundentl. L'enseignement forestier bien que dispensee pour former Ie personnel regional prend davantage en compte Ie caractere des forets presentes, ainsi se trouvent reunies les surfaces forestieres (Waldjliiche) et les zones de croissance (Wuchsgebiete). Chaque ecole dolt assurer un enseignement dans un espace forestier plus ou moins hornogene (Cf. tableau 8)32. Comme les etudiants peuvent realis~r un doctorat et une habilitation au sein d: l'enseignement superieur forestier, i1s n'eprouvent plus Ie besoin de se rendre dans d'autres universites, La qualification universitaire tend a prevaloir sur l'experience acquise sur Ie terrain, rneme dans un domaine aussi important que la sylviculture. Ainsi Rubner devient professeur de sylviculture a Tharandt en 1928, muni d'une experience de deux annees comme garde general, mais it est titulaire d'un doctorat, d'une habilitation et a ete maitre de conferences a l'universite de Munich. En revanche, Ie parcours de Karl Vanselow (187928 Barthelmess A, Wald - Umwelt des Menschen : Dokumente zu einer Problemgeschichte von Naturschutz, Landschaftspflege und Humanokologie, Freiburg, Munchen : Alber, cop., 1972, p. 332. 29Spengler fut l'auteur du Declin de I'Occident pam en 1918. 30 La cartographie de la vegetation perrnet de restituer le couvert vegetal originel ou du moins naturel, Elle est aussi un enjeude lutte entre les differentes eccles de sociologie vegetale, Celie qui I'emporte peut ainsi imposer ses vues car plusieurs representations cartographiques ne peuvent representer un rnerne espace pourdes questions de cout, 31 Cette simplification de I'espace n'affecta pas seulement les eccles forestieres, mais aussi I'administration forestiere, ainsi en Thuringe, une demi-douzaine d'Etats sont rassernbles sous la houlelle d'une seule administration forestiere. 32 Hesmer H., Meyer 1., «Waldkarten als Unterlagen waldbaulicher Planung », Forstarchiv, 16, 1940, pp. 287-315. 119
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1969) fait encore exception. En 1923, iI est professeur de syl vicul ture a Giessen, apres avoir refuse les offres de Tharandt et d'Eberswalde, soit deux centres integres depuis peu dans Ie cadre unlversitaire'-'. II est, bien entendu, titulaire d'un doctorat effectue a Munich, mais it a son actif une pratique de quinze annees sur Ie terrain differents echelons I'administration forestiere bavaroise.
Eberswalde continuent d'exercer leur predominance. Toutefois, pendant cette periode, on assiste au renouveau de Tharandt en ecologie, dont la revue, Ie Tharandter Forstliche Jahrbuch, reprend I'analyse bibliographique d'ouvrages et d'articles partir de 1926, abandonnee depuisl891. Cette ecole a recu I'apport d'un contingent de forestiers forme a Munich, en botanique, Ernst MUnch (1876 -1946) en 1921, en sylviculture, Rubner en 1928, en pedologic, Gustav Adolf Krauss (1888-1968) en 1925. Leur apport a permis l'ecologie de prendre definitivernent racine, mais leur integration n'a ete que partielle. Quelques-uns lorgnaient encore sur Munich. MUnch et Krauss, des que I'occasion s'est presentee, ont reintegre leur universite mere, en 1933 pour Ie premier et 1935 pour Ie second.
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Centres Munich Fribourg
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Essences dominantes Epiceas Pins Epiceas et sapins
Prealpes Franconie
Foret-Noire
Wurtemberg Hetres Spessart Melange hetres-pins Palatinat Pins Rive gauche du Rhin Formations de chenes-hetres Vallee du Haut-Rhin iusau'au Main, Pins et de hetres Tharandt Thuringe Foretsd'epiceas Berglandes Pins-epiceas Sitesie Forets de chenes Bord de la Baltique et Pomeranie de l'Est Pins Eberswalde Mecklenbourg Pins-hetres Rezion de Dantziz Feuitlus et reslneux (nins) Harm-Munden Harz Epiceas Hesse Hetres Lande de Lunebourg, partie de la Weser Pi ns-chenes et du Bas-Rhin Zone de reboisement du Holstein Eniceas Tableau 8. Centres et regions forestieres ell Allemagne dans Pe ntre-de u xg ue rres , Les forestiers allemands s'expriment, pour leur grande majorite, dans les revues trouver leur public. La premiere, Ie Forstliche Wochenschrift Silva (Revue forestiere hebdomadaire Silva), fondee en 1913, ouvre ses colonnes aux forestiers convaincus par l'utilite des sciences naturelles. Son editeur est Paul Parey. II en assure la publication jusqu'en 1937, annee ou it la rattache au Forstwissenschaftliches Centralblau, qu'il edite egalernent, Paul Parey jugeant qu'il y a, en Allemagne, trop de revues forestieres, La seconde publication sort en 1926 apres la crise economique et s'intitule Forstarchiv (Archives forestieres). L'innovation majeure au niveau des revues fut la systematisation d'un cornite de redaction comprenant des specialistes issus de diverses eccles d'Allemagne ou d'Autriche. Ceux-ci ne sont pas forcement des enseignants, ils sont parfois des forestiers de terrain, appartenant I 'administration forestiere, Ainsi en 1930, sur les seize personnes du cornite de redaction Forstliche Wochenschrift Silva, onze sont des forestiers de haut rang ou membres de la . haute administration forestiere. Ces comites ont pour mission de filtrer I'information qui doit etre publiee, Cette charge ne peut plus revenir au seul directeur en raison d'une specialisation toujours plus poussee des disciplines et egalernent d'une augmentation en traiter et selectionner, Dans I'ensemble, ces revues forestieres volume des articles restent toujours attachees des centres precis. Parmi les centres forestiers, Munich et
forestieres, Parmi elles, deux nouvelles ont reussi
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33 En 1934, Vanselow, titulaire du doctorat effectue en 1909 a l'universite de Wurzbourg, devint professeur de sylviculture a Fribourg.
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Centres forestlers Fribourg
Revues Forstliche Wochenschrift Silva Alleemeine Forst-und Jazdzeitune Allgemeine Forst- und Jagdzeitung Munich Forstliche Wochenschrift Silva Forstwissenschaftliches Centralblatt Tharandt Tharandter Forstliche lahrbuch Eberswalde Forstarchiv Zeitschrift fUr Forst- und Jaedwesen Mitteilungen Forstwirtschaft und Forstwissenschaft Harm-Munden Zeitschrih fUr Forst- und Jaedwesen " Tableau 9. Liens entre centres forestiers allemands et revues forestieres. L'ecologie a bien conquis la plus grande partie du champ forestier, notamment Ie triptyque: pedologic, botanique, soit les deux grandes branches de I'ecologie, et sylviculture. Cependant des differences locales persistent. A Eberswalde et Hann.MUnden, l'ecologie releve de la sylviculture et de la pedologie afin de repondre aux questions que se posent les forestiers sur la baisse de productivite de leurs forets, attribuee a une degradation du sol en raison d'un ce~in type de sylviculture. Le centre de Tharandt confronte a des problemes identiques, a longtemps privilegie les etudes du sol. C'est l'arrivee de forestiers passes par Munich qui, fait basculer ce centre vers une approche plus globale, incluant la sylviculture et la botanique. En revanche, Munich et Fribourg ne favorisent aucune voie particuliere. L'ecologle semble avoir pris sa place en Allemagne. Toutefois, elle ne fait pas encore l'unanimite comme Ie relate Ellenberg. Lorsqu'it a voulu effectuer son doctorat aupres de Firbas, en 1937, son chef de departernent Gottingen lui a tenu les propos suivants : «L'ecologie n'est pas une science, je vous previens avant d: jaire ra. 9a n'a aucun avenir »34. Malgre tout, contrairement it ce qui s'est passe en Suede, probablement en raison aussi d'un nombre plus important d'universites, la voie experimentale de l'ecologle s'est affirmee sans demeles avec la sociologie vegetale.
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Nazisme et ecologic L'Allemagne pendant I'entre-deux-guerres a bascule d'un regime dernocratique vcrs un regime totalitaire, bousculant ses reseaux d'information. Sur un plan interne, Ie nazisme a profite ala biologie fondee sur l'heredite et I'ecologie.
34 Entrelicn avec Ellenberg, Gottingen, 11 juillet 1987. 121
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LES CENTRES CONVERGENTS
L'ECOLOGIE EN APPLICATION L'arrivee des nazis au pouvoir a engendre I'exclusion des juifs de I'enseignement superieur et de I'administration. Gams, dont Ie grand-perc etait juif, est contraint de quitter son poste de professeur l'universite d'Innsbruck en 1938, apres I'Anschluss, malgre ses sympathies pour l'ldeologie nazie. II reste au service du Reich en raison de ses connaissances des langues scandinaves et du russe. Cet ostracisme s'elargit aux Allemands dont les epouses sont d'origine juive (Hueck). Soutenir les juifs ou bien ne pas partager les orientations du regime conduit des sanctions. Ainsi Huber a aide un de ses etudiants, achever son doctorat Ie plus rapidement possible Schwarz, juif allemand, ne Metz, apres I'accession des nazis au pouvoir en janvier 1933. Schwarz se rend peu apres en Palestine ou if prend Ie nom d'Evenari. Huber est rem place par Stocker et trouve un poste a Tharandt dans un centre moins prestigieux. Des pressions sont exercees sur les professeurs pour qu'ils adherent au NSDAP, beaucoup finissent par accepter com me Vanselow en 1937. Ce demier postule, l'epoque, la chaire d'arnenagement forestier et de production a l'universlte de Munich. II fait I'objet d'une enquete de la Gestapo sur la demande de I 'association nazie des rnaitres de conferences. Son adhesion au NSDAP ecarte les soupcons et lui permet d'obtenir ce peste, En revanche, toujours a Munich, Ie professeur de sylviculture Fabricius refuse, if est contraint de prendre sa retraite en 1940. L'ecologie releve de la biologie, or cette derniere a ete particulierement choyee de la part des nazis qui desirent fonder scientifiquemenL la domination de la race arienne. La notion de groupe est au cceur de I'ideologle nazie, niant Ie libre-arbitre de I'individu. En biologie, il existe un courant identique lie a la theorie de I'organicisme ou Ie tout est superieur la somme des parties, aspect developpe par des hommes tels Ludwig von Bertalanffy (1901-1972), Thienemann et Friederichs. Ce demier formule, en 1927, Ie concept d' « holocene» qui englobe, a la fois, la cornmunaute vivante et I'espace dans lequel elle vlt, L'homrne fait egalement partie de cet ensemble. La nature faconne son psychisme mais aussi les « races ». Parmi les ecologues forestiers, Aichinger fait Ie rapprochement entre la sociologie vegetate et l'ideologie nazie 194335. Dans cet article, iI compare les societes vegetates aux societes humaines. Ainsi les conditions favorabJes generent une vegetation riche et inversement, les plantes adoptant leur forme en fonction des contraintes imposees par Ie milieu. Ainsi plus elles s'eloignent d'un milieu propice, plus leur physionomie se degrade. Par consequent chaque cornrnunaute vegetale occupe une place qui lui est propre au me me titre que les societes humaines. Ces dernieres correspondent, en fait, aleur environnement : les milieux pauvres en vegetation com me la toundra ont donne les societes nomades, peu evoluees, les milieux riches comme ceux des hetraies melangees, ont donne des paysans. Ces differences creent une hierarchic, Les societes issues des sols peu fertiles des toundras sont peu developpees, celles produites par Ie milieu forestier de fa hetraie melangee et de la chenaie ont attelnt un stade superieur. Ce rapport entre Ie sol et les societes humaines est si etroit qu'il ne faut pas Ie changer. Ceci passe par Ie refus de la coupe blanc, des peuplements monospecifiques, qui appauvrissent Ie milieu. 11 s'agit egalement d'empecher I'extension des races d'arbres au-dela de leur communaute d'origine. Com me les societes humaines, les comrnunautes vegetates possedent leur espace vital (Lebensraum) au-dela duquel elles ne peuvent prosperer et qu'i1 ne faut pas perturber. Le devoir du phytosociologue est de deflnir . ces communautes, de fixer leurs « frontieres naturelles», en d'autres termes de determiner I'aire d'expansion du peuple a1lemand36 . La conjonction entre Ie vocabulaire social et
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35 Aichinger E., «Pflanzen- und Menschengesellschaft, ein biologischer Vergleich », Biologia Generalis, 1943, 12, pp. 56-79. 36 Aichinger E., «Neue Wege der Vegetationskundlichen Forschung », Jahresber. Dtsch. Forstverein, 1935, p. 263.
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scientifique est totale. Les botanistes depuis Ie debut du XXe siecle se sont evertues a bien differentier les associations humaines et vegetates, les secondes relevant plus du hasard et ne repondant pas une volonte consciente. Aichinger rompt cette distinction et ancre la phytosociologie au service d'une ideologie. La promotion de la biologie est aussi une occasion pour certains scientifiques (Friederichs, Thienemann) de galvaniser l'ecologie et de tenter de lui donner une place centrale dans les sciences naturelles. En 1932/33, R. Genschel, un enseignant en biologie du secondaire, voit dans l'eugenisme et l'ecologle Ie moyen de renouveler I'enseignement de la biologle-". Pour Friederichs, l'ecologie est la science de la nature par excellence ajoutant que: «L'ecologie concerne les relations des organismes avec leur habitat.
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Dedans sont compris les rythmes biologiques, climatiques, cosmiques dans leur continuite et les hauts et les bas des variations des populations humaines et animales»38. Elle couvre I'ensemble des disciplines relevant des sciences naturelles. Friederichs propose un cursus universitaire en ecologic etale sur six semestres. L'Allemagne hitlerienne offre l'opportunite des scientifiques de faire progresser leur conception de la science (Friederichs) ou bien de legltimer la place de la sociologie vegetate (Aichinger) dans la construction du Reich. Elle permet aussi Ie developpement de la cartographie vegetale dont Ttixen est Ie maitre d'oeuvre. 11 a su profiter du vaste programme autoroutier lance par Ie pouvoir. En 1935, afin que Ie trace des voies s'integre dans Ie paysage, qu'i1 n'altere pas I'harmonie creee par les communautes vegetates, Fritz Hildebrand, Ie directeur regional des forets aupres du service forestier du Reich, fait appel ses services. Accompagne d'Ellenberg, Ttixen parcourt une bonne partie de I'AlIemagne pour lnserer voire camoufler les autoroutes dans Ie paysage. 11 peut mettre en oeuvre la cartographie de la vegetation du Reich au l/25.000c par l'intermedlalre d'une station centrale de _recherches en cartographie vegetale, La cartographie a une importance strategique pour etablir des terrains d'aviation par exemple ou pour signaler les terrains marecageux aux chars. Surtout, son elaboration necessite du personnel ce qui permet Tuxen de I'initier la methode Braun-Blanquet... Le nazisme impregne egalement la teheur du debar scientifique. Pour Friederichs, l'ecologie est une « doctrine de sang et de sol »39. En 1939 dans les colonnes de la revue Chronica Botanica. Gams, un partisan de] I'approche d'Uppsala en sociologie vegetale, distingue quatre eccles phytogeographiques : russe, scandinave, anglo-americaine et zuricho-rnontpellieraine e (exactement franco-slave de l'Ouest) »40. Le ton est donne la premiere page, des qu'il rend compte de l'ecole Braun-Blanquet, Gams emploie les mots ~ «dogme », «inconsequence», «designation arbitraire d'associations», «ecole autoritaire » qui refuse d'employer les noms proposes par des tenants d'autres courants pour designer certaines associations, etc. Ces termes, iI ne les adresse qu'a 1'« ecole francoise ». L'ideologie nazie rejaillit ainsi sur Ie debar scientifique. Braun-Blanquet a replique par un tres court article et l'allusion politique faite par Gains qui classe son ecole comme etant
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37 Genschel R., «Organisches Denken und Biologieunterricht », Der Biologe, 2, 1932/33, pp, 257-261. 38 Friederichs K., « Okologie als Wissenchaft von der Natur oder biologische Raurnforschung » (Ecologie comme science de la nature ou de recherche biologique spatiale),
Sammlung Bios, Bd 7, Leipzig, 1937, p. 75. 39 Ibid., p. 91. 40 Gams H., « Die Hauprichtungen der heutigen Biozonotik », Chronica Botanica, 5, 1939, p. 133. 123
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d'origine slave, il repond par une insinuation, elle aussi entre parentheses: « (On remarque les arrieres gouts politiques) »41. La foret dans l'imaginaire nazi occupe une place centrale, plus que Ie lac ou d'autres elements de la nature. Un lac, un marais peuvent evoluer vers une autre forme naturelle, sou vent une foret, mais cette derniere apparalt comme Ie point d'aboutissement du monde vegetal. A cette idee de « peuple eternel » (ewigen Volks) correspond celie de nature eternelle, C'est dans ce contexte que l'Idee professee par Moller en 1920 sur la foret permanente ou Dauerwald, retrouve une nouvelle vigueur encouragee par les autorites 42. Plus prosarquement, la foret foumit des arguments aux theories raciales. Dans un ouvrage. de Hugo Keller, un professeur de biologie du secondaire, intitule, So lebt die Waldgemeinschajt (Ainsi vit la comrnunaute forestiere), paru en 1936, l'auteur rend compte d'une experience faite partir de graines de pin provenant de differentes parties £E l'Europe (Sud de la France, Belgique, Finlande et l'Ouest de la Hongrie). Elle demontre que les arbres produits sont moins grands que ceux dont les graines proviennent de la Rhenanie. En 1941, Hesmer fait remarquer que si les races russes et finlandaises de pin sylvestre avaient ete irnplantees dans la region d'Eberswalde, il n'existerait pratiquement pas de foret43 . L'anthropologue Eugen Fischer (1874-1967), expert pour les questions £E colonisation des territoires occupees, estimait que !'implantation de germains n'etait possible que dans les terres couvertes de forets opulentes'l". L'expansion allemande dans les territoires de l'Europe de l'Est a ete accompagnee par ses scientifiques. En 194/, Walter est appele par Ie ministere de l'education et des sciences pour occuper la chaire de botanique generale dans la nouvelle universite du Reich de Posen (Poznan) «qui pour la science devait etre une fenetre sur I' Est »45. En 1943, il est charge du controle pour la mise en place d'instituts agronomiques en Europe orientale. La meme annee, il publie, so us l'egide de l'Office colonial allemand, une etude sur I~ vegetation £E l'Europe de l'Est46. Ici, Ie biogeographe, mais ceci vaut aussi pour les forestiers, est appele germaniser ('espace par une reecriture de la vegetation. II ne s'agit pas de traduire des eeuvres existantes, mais d'impregner une marque allemande sur l'espace conquis. La science est au service d'une politique, d'autant plus que les scientifiques polonais comme Szafer sont reduits au silence. Walter n'est pas Ie seul implique dans cette entreprise. Gams, en janvier 1943, se rend en Ukraine et en Crirnee afin de definir des espaces naturels proteges, qu'ils soient ou non occupes par des habitants. Les biogeographes sont mobilises pour etablir des cartes de la vegetation, dans Ie cadre du departement £E cartographie du Reich, toujours d'un point de vue strategique. lis ont pour nom: Erich Oberdorfer (1905-2002), Ellenberg, Joseph Schmithiisen (1909-1984), tous d'anciens collaborateurs de Tuxen... Si Ie nazisme a acheve de confiner I' Allemagne sur Ie plan international, en revanche, il a constitue un facteur dynamique pour I'ecologie, me me si la tentative de Friederichs £E
donner Ie statut de discipline scientifique l'ecologle n'a pas abouti. II a aussi favorise Ie developpement de l'ecole Braun-Blanquet en Allemagne. Toutefois, si l'ideologie nazie possede des ancrages holistes, ou Ie tout l'emporte sur l'Individu, il faut rester prudent quant aux conclusions sur les rapports entre holisme et nazisme en science. L'embryologue, Hans von Driesch (1867-1941), un des theoriciens de l'holisme, s'est engage, dans les annees 1920, dans les mouvements pacifistes et dernocratiques. II a ete un des premiers aetre destitues apres la prise du pouvoir par Adolf Hitler en 1933. En outre, si cette vision globale du monde triomphe dans les premieres annees du regime, a partir £E 1937/38, elle ne perdure pas, elle est remplacee par un aSfect plus pragmatique com me l'illustre parfaitementl'aventure de la « foret perrnanente s'i , mais aussi la transformation de la chaire d'Aichinger Fribourg apres son depart, Ie terme de sociologie vegetate dlsparait au profit de celui de production ...
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A la veille de la seconde guerre mondiale, l'ecologie ne possede pas encore un statut scientifique assure que ce soit aux Etats-Unls, en Grande-Bretagne, en URSS voire au sein de l'Allemagne nazie. En Suede, la vole experimentale representee par l'ecophysiologie a ete isolee par les tenants de l'ecole d'Uppsala. La France et la Suisse semblent formees une exception. Dans ces deux pays, l'ecologie n'est pas revendiquee com me une discipline scientifique mais s'inscrit davantage comme une methode au service d'une discipline reconnue telle la biogeographie, la phytosociologie ou la foresterie. Si Ie contexte politique et economique a joue sur les reseaux, favorise certaines ecoles (Uppsala, Sukachev en URSS), il n'a pas nuit au deploiement de l'enseignement £E l'ecologie dans les eccles forestieres en Europe, que ce soit en botanique, en pedologie ou en sylviculture. Aux yeux des forestiers, la foret n'est plus une somme d'arbres, mais elle possede une flare specifique dont la connaissance est utile dans la gestion des massifs. Le sol est un organisme preserver ou entretenir par une pratique sylvicole adequate ou bien par I'usage d'engrais. Seuls les animaux n'etaient pas encore integres cet ensemble forestier si ce n'est comme nuisible (insectes ravageurs).
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41 Braun-Blanquet J., « Lineares oder vieldimensionales System in der PfIanzensoziologie? », Comm. SIGMA,74, 1939, p. I. 42 Voir chapitre trois. 43 Hesmer H., «Ausprache tiber die Kommunikation von Erwin Aichinger, Uber die . Ersetzbarkeit der Faktoren im Lebenshaushalt unsere Baurne, Straucher und Krauter », Mitteilungen der Herman-Goring-Akademie der Forstwissenschaften, 1, 1941, pp. 86-87. 44 Deichmann U., Biologists under Hitler, Cambridge, London: Harvard University Press, 1996, p. 161. 45 Walter H., Bekenntnisse eines Okologen, op. cit., p. 121. 46 Walter H., Die Vegetation Osteuropas unter Berticksichtigung von Klima, Boden und wirtschafltiches Nutzung; Deutsche Forscherarbeit in Kolonie und Ausland, ed. K. Meyer 9, Berlin: Parey, 1942, p. 104 ; 2' edition 1943.
47 Harrington A., Reenchanted Science. Holism in german culture from Wilhelm lJ to Hitler, Princeton: Princeton University Press, 1996, p. 309.
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Accepter et circonscrire l'ecologie Dans I'entre-deux-guerres, l'ecologie s'est developpee dans differentes disciplines : l'ecophysiologle, la pedologic, la Iimnologie, la climatologie, I'entomologie, la zoologie et I 'etude des groupements vegetaux. Dans cet ouvrage, il n'est pas question de retracer Ie cheminement de I'ecologle dans chacune d'elles, mais de s'interesser aux principales repercussions en ecologic forestiere. Certaines avancees n'ont guere suscite de debars parmi les forestiers que ce soit en pedologic, en physiologie vegetale, en revanche I'utilisation re la flore comme indicatrice a pose de multiples questions. L'idee que la foret ne forme pas un ensemble homogene, au contraire, qu'elle soit composee de plusieurs unites est bien acceptee. Mais, comment definir ces unites? Avec quels criteres ? La premiere proposition est venue des Finlandais, dans les annees 1920, avec la theorie des «types re foret » de Cajander. Appliquee en Finlande, elle a ete discutee dans toute I'Europe, pour rester cantonnee a son pays d'origine.
Des innovations sans vagues L'interet porte au sol n'a guere souleve de discussions entre les forestiers. Ceux-ci ont fait partie, la plupart du temps, des fondateurs de la pedologic dans leur pays que ce soit en France (Henry, Oudin), en Allemagne (Ramann), en Finlande (Aaltonen), etc. En physiologie, I'heure n'est plus ala polemlque, Ie role de la lumiere n'est plus I'objet ell controverses, Les forestiers adoptent sans difficulte la theorie des «types biologiques» ell Raunkiaer et celie d'Egon Ihne (1859-1943) en phenologie. Enfin, la notion de climax, venue des Etats-Unis, s'insinue parmi les botanistes et les forestiers, leur offrant une idee plus precise du devenir des massifs, a condition que les amenageurs laissent faire la nature. Dans les annees 1920, Ie sol est desormais concu comme une entite biologique. La traduction en allemand d'un ouvrage du Russe Glinka, en 1914, a mis a la portee des scientifiques europeens les travaux de la Ipedologie russe. Ceux qui ont ful Ie regime sovietique ont fait Ie reste. La pedologic s'Institutionnalise. Une societe internationale est fondee en 1924 a Rome. Elle tient son premier congres en 1927 a Washington, Ie second se deroule a Leningrad en 1930, Ie troisieme a Oxford en 1935 et Ie quatrieme, prevu en 1941 a Berlin, a ete annule, A I'lnterleur des pays, des societes de pedologic volent Ie jour en Allemagne (1926), au Danemark (1928), aux Pays-Bas (1935), en Pologne (1937). En 1934, sur une initiati ve de Demolon et d'Oudin est creee I'Association francaise pour l'etude du sol. Les pedologues ont precede a un decoupage vertical du sol, qu'i1s ont nomme : profil. Chaque profit est compose de plusieurs horizons designes par les lettres A, B, et C, systeme admis dans les annees 1930. lis ont egalement decoupe Ie sol sur un plan horizontal posant comme postulat que Ie sol est discontinu, aux scientifiques de mettre a jour ces discontinuites, Toutefois, la designation des unites differe selon les Etats et les \ ecoles. Chacun tente d'imposer la sienne avec I'aide de la cartographie, qui affiche les differents types de sol d'un continent, d'un pays ou d'une region mais qui est aussi Ie reflet d'un courant de pensee dominant. Ainsi, en 1914, Glinka et son equipe etablissent la carte pedologique de I'Empire russe. En Roumanie, la premiere carte du pays est editee en 1929, en Yougoslavie en 1930. En 1935, Oudin lance la carte pedologique de la France au l.OOO.OOOe en compagnie de Georges Aubert (1913) du CNRA. Elle ne sera publiee qu'en 1950 en raison de I'ampleur de la tache, des moyens affectes et des evenements politiques.
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
ACCEPTER ET CIRCONSCRIRE L'ECOLOGIE
En Allemagne, Stremme, entre 1924 et 1926, realise plusieurs types de cartes pedologiques, Sa methode est reprise en Saxe par Krauss (Tharandt), Ainsi Ie sol commence etre repertorie l'echelon national, mais egalement l'echelle regionale. Ceci n'est qu'un debut, une analyse plus fine au niveau des massifs forestiers demande du temps et un financement, conditions qui ne seront reunies qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les travaux concernant la pedologic se sont orientes egalement sur les microorganismes et la faune dans Ie sol. L' Amerlcain Waksman et I'Autrichien Kubiena montrent I'importance des bacterles dans la formation de I'humus com me agent ¢ decomposition et de synthesel. En 1932, dans un article paru dans Ie Forstwissenschaftliche Centralblatt, Ie Danois Bornebusch attire I 'attention des forestiers sur la faune du sol. II dernontre que plus un sol est fertile, plus Ie poids des animaux est grand, plus il est pauvre, plus Ie poids est faible. L'etude de la faune devient un indice precieux pour Ie forestier. Afin de prevenlr un appauvrissement de la faune, notamment des vers de terre, Bornebusch recommande d'eviter les peuplements purs notamment ceux d'epiceas en favorisant la croissance des herbes. Le sol n'est pas que Ie receptacle des mineraux pulses par les racines. II possede une vie animale qui conditionne la croissance des arbres. Si les resultats de Bomebusch donnent des arguments aux partisans de la futaie rnelangee, ceux de Walter Wittich (1897-1977), professeur de sciences forestieres a Eberswalde, rehabilltent la coupe ablanc dans une etude qu'i1 publie en 1930. II demontre, contre toute attente, que celle-ci n'a pas d'effets forcement negatifs sur les organismes du sol et que, dans certains cas, elIe peut etre un excelIent moyen de desinfectlon-. Wittich, par ce travail, tente d'assainir un debar passionnel entre les anti- et les pro-coupes a blanc, les premiers se situant du cote d'une sylviculture proche de la nature, les autres etant les des conclusions partisans d'une Foret artificielle. Pour Wittich, iI ne faut pas se Iivrer abusives mais tenir compte des conditions du milieu ... Le Hongrois Feher confirme ses propos en 1933 et montre que la brutale exposition du sol aux rayons ultraviolets ne detruit pas les bacteries, car ces rayons sont filtres et rendus inefficaces des les quatrelcinq premiers centimetres du sol3. Les recherches en ecophysiologie ont pris de multiples directions. L'adaptation des pIantes au milieu fait I'objet d'etudes specifiques, que ce soit en montagne (I'Autrichien Pisek), dans les marais (I'Allemand Firbas) ou dans Ie desert (I'Allemand Stocker). Le Suedois Turesson s'evertue de Iier l'heredite des especes avec Ie milieu, approche originale pour l'epoque, En 1922, il cree Ie concept d'« ecotype », qui est Ie resultat de la reponse genotypique d'une ecoespece a un habitat particulier, l'ecoespece etant un ensemble re populations capables d'echanger leurs genes sans perte de fertilite dans leur descendance. Une rnerne espece peut varier d'une station a I'autre, si ces variations se perpetuent, se reproduisent une fois les plantes transferees en laboratoire, on peut alors parler d'ecotype, Les travaux de Turesson ont eu leur application dans la selection des semences notamment en matiere de reboisement. A Hohenheim, Walter etablit la loi de la constance relative re la station (relativ Standortskonstanu. A titre d'exemple, un forestier, avant de classer la vegetation, doit analyser les proprietes de la station a I'aide d'indicateurs comme les
plantes. lis permettent de reveler, au travers de la presence de certaines especes, l'humidite ou la secheresse de la station. Walter a mis en avant qu'ils ne sont valables que pour une seule zone c1imatique, dans un autre lieu, les especes indicatrices perdent de leur valeur car elles ne rencontrent pas forcernent les memes conditions. D'autres recherches portent sur la circulation des elements. Ainsi, en 1926, MUnch a mis en relief Ie processus combine de I'assimilation de I'eau et du sucre dans les feuilles et les racines ou Druckstromtheorie. Deux etudes ont attire I'attention des forestiers: les « types biologiques» de Raunkiaer et la phenologic d'Ihne. Ces deux scientifiques ont formule leurs theories au debut du siecleprecedent, mais elles n'ont ete reprises par les forestiers que dans les annees 1920. Raunkiaer s 'est focalise sur I'adaptation des vegetaux a la saison defavorable, pour trois raisons: d'abord elle est plus facile a observer, ensuite c'est Ie point ou les vegetaux se differenclent Ie plus, la reaction des plantes la saison favorable ne creant pas de grandes differences entre eux. Enfin la mauvaise saison intervient comme facteur determinant dans la selection naturelle. Toutefois, Raunkiaer ne s'est pas interesse I'ensemble de la plante mais la partie la plus sensible la mauvaise saison savoir les bourgeons, dont la f1oraison assure la perpetuation de l'espece, La plus ou moins grande resistance des bourgeons aux variations climatiques permet de definir les types biologiques et de caracteriser un climat. En effet, une aire climatique peut etre definie par « le ou les types biologiques auxquels appartiennent, relativement ou absolument, fa majorite des especes »4. II a ainsi distingue cinq types:
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1 Kubiena W. L., Micropedology, Ames, Iowa: College Press Inc., 1938, XVI, p. 243 ; Waksman S. A., Humus : origin, chemical composition and importance in nature, London : Bailliere, Tindall & Cox, 1936, p. 494. 2 Wittich W., « Untersuchungen tiber den Einflul3 des Kahlschlages auf den Bodenzusland », Mitt. Forstwirtsch. Forstwiss., I, 1930, pp. 438-506. 3 Feher D., Untersuchungen uber die Mikrobiologie des Waldbodens. op.cit.
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Types Phanerotypes
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Caractertstiuues
Arbres et arbustes dont les bouraeons sont oeu proteges Chamephytes Plantes bouraeons persistants places peu de distance du sol HernicryptoPlantes dont les bourgeons sont fleur du sol, i1s sont proteges par ohvtes la terre et par les debris veaetaux Qui la recouvrent Geonhvtes Bourzeons persistants places dans la terre adifferentes profondeurs Therophytes Plantes qui passent Jar saison defavorable a l'etat de graine et ne se developpent Que pendant la bonne saison Tableau 10. Les types biologiques de Rauukiaer. Sources: Raunkiaer C., 1905.
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Partant des types biologiques, Raunkiaer a discerne les formations d'apres les especes dominantes qui sont ensuite rapportees en fonction du type biologique. Sa classification est a la fois floristique (reposant sur la connaissance des especes) et physionomique. L'avantage d'un tel systerne reside dans la mise en avant des proprietes selectives d'un milieu donne qui met en relief les conditions d'existence independarnment des associations vegetates. Parmi les forestiers, sa theorie est presente, en AJlemagne, chez Hartmann au debut des annees 1930. En France, P. Guinier y faitreference a plusieurs reprises dans ses cours en 1932/33. Ihne est un representant de la phenologic, c'est-a-dire de l'etude du climat non d'apres des observations meteorologiques mais d'apres son action sur les plantes selon les saisons et les divers moments du jour. Cette discipline a ete, pendant longtemps, peu etudiee, ce qui l'a desservie, les scientifiques s'evertuant a trouver des relations causales entre les temperatures et I'etat de la vegetation. En 1905, dans une grande revue de geographie ~
c., « Types biologiques pour la geographic botanique », K. Danske Vidensk. Selsk., Overs. over Forhandl.,2, 1905, p. 347. 129
4 Raunkiaer
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
ACCEPTER
allemande, Ihne propose une classification de la vegetation independante de l'entree des saisons''.
Pertodes
Manifestations
Epoque de l'eveil de la vegetation, debut de la floraison de I'if, du noisetier et du marsault Debut du Debut de la floraison de l'erable et du cerisier, feuillaison du orinternps chataignier, du meleze.du bouleau, du hetre et du chene Debut de la floraison du chataignier, de l'erable, du pin sylvestre, Plein feuillaison de I'eoicea et du saoin blanc orintemos Debut de la floraison du tilleul d'ete (Sommerlinde) et du seigle Ete precoce
Pre-printemps
d'hiver
Debut de la recolte des cereales, debut de la floraison du tiIIeul d'hiver (Wintertinde) Gelee des fruits des ifs, tilleuls, erables Temps de la coloration des feuillus
Plein ete
Ete tardif Automne , .. Tableau 11. Classification ph.enologique d'Ihue. Sources .lhne E.. /905.
Cette entree selon les saisons differe en fonction de I'espace, plus precoce au sud et en basse altitude, plus tardive au nord et en montagne, ce qui a conduit Ihne developper une cartographie qui s'avere un complement des cartes c1imatologiques. II part done de la valeur indicatrice de la vegetation. Ces conceptions n'ont attire les scientifiques que dans les annees 1920, que ce soient les Autrichiens Gams (botaniste), Hann (c1imatologue) ou l' Allemand Walter ,(botaniste). Ce theme de recherches a interesse les forestiers car les arbres sont soumis a I'action constante du climat sur plusieurs annees, La connaissance re l'entree en floraison des essences selon les regions se revele primordiale, ne serait-ce que pour les dates des plantations ou des semis. Les travaux d'Ihne ont interesse la foresterie pratiquant ce type de sylviculture reposant sur Ie triptyque: plantation - coupe rase plantation, savoir les forestiers allemands. Si les travaux de Raunkiaer et d'lhne ont mis pres de vingt ans a conquerir Ie monde forestier, la notion de climax n'a mis qu'une dizaine d'annees, L'idee qu'une vegetation evolue vel's un stade equllibre appele Ie climax a ete synthetisee par I' Americain Clements entre 1916 et 1920 6. Selon Clements, la constitution de la cornmunaute vegetate s'opere en trois etapes : une migration, souvent composee de mousses, de lichens; une installation enfin une competition (Ia lutte pour la vie), pour arriver a un equilibre qu'il nom me Ie « climax », Afin de reiever ces differentes successions, Clements met au point avec Roscoe Pound (1870-1964), en 1898, la methode des quadrats qui consiste a reiever des plantes et ales c1asser en fonction de leur abondance, prenant pour base Ie metre carre pour les prairies, 10 m 2 pour la brousse et 100 rn? pour les forets? Ces quadrats repartis
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5 Ihne E., « Phiinologische Karte des Friihlingseinzugs in Mitteleuropa », Peterm. Geogr. Mitt., 51, 1905, pp. 97-106. 6 Le mot de climax a ete inspire d'une etude du Finlandais HuH en 1886, parue dans Ie Botanische Centralblatt, puis reprise par Cowles en 1899 dans son etude sur les dunes du lac Michigan. Toutefois, c'est Clements qui lui a donne corps. Clements F. E., Plant succession. An analysis of the development of vegetation, Carnegie lnst. Washington Publ., 242, 1916, pp. 1-512 ; Plant indicators: the relation of plant communities to process and practice, Carnegie lnst. Washington Pub!., 290, 1920, pp. 1-388. 7 Clements F. E., Pound R., The phytogeography of Nebraska. J. General survey, Lincoln: Nebr. Univ., Bot. Seminar, Bot. Surv. Nebr., 1898; 2' edition, 1900, p. 442.
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sr CIRCONSCRIRE L'ECOLOGIE
sur un territoire donne, servent de parcelles temoins au fil des annees, d'ou I'emploi d'une serie d'instruments pour mieux mesurer les changements qui se realisent dont Clements en decrit I'utilisation en 1905 8 . L'etude d'une comrnunaute vegetate donnee consiste a determiner a quelle etape elle se situe au niveau de sa progression vel's son climax. Elle est, en fait, un superorganisme qui nait, se developpe et meurt. Ses idees ont ete diffusees en Europe continentale par Ie Suisse Ltidi et Ie Francais Allorge, qui a integre la notion de climax dans sa definition de I'association vegetate, sans pour autant la mentionner : «L'association est un groupement vegetal caracterise essentiellement par une composition floristique determinee et relativement constante dans les limites d'une aire donnee .. toute association represente un stade plus ou moins stable et de dureeplus ou moins longue dans une serie progressive ou regressive d'associations »9. Braun-Blanquet I'a reprise dans ses etudes sur la garrigue mediterraneenne. Parmi les forestiers, Guinier y fait allusion en 1932 dans un article sur les types de forets du Jura, mais iI utilise des guillemets lorsqu'il emploie cette expresslon!". En Allemagne, en 1930, pour la premiere fois, Hartmann y fait reference dans Ie titre d'un article dans Ie corps duquel il distingue Ie climax de la vegetation et celui du sol sans citer Clements I I. Par ce biais, ce sont les pratiques sylvicoles qui sont visees, celles qui ne respectent pas les lois de la nature. Comme toute vegetation se developpe afin de former une societe durable (Dauergesellschaften), Ie botaniste dolt s'efforcer d'en decouvrir Ie sens. Pour cela, iI faut passer par l'etude des pollens dans les tourbieres pour reconstituer Ie paysage naturel et repondre aussi aux questions des aires naturelles des essences, point aborde par Herbert Hesmer (1904-1982) a Eberswalde. Celui-ci, convaincu que la volonte de maintenir un peuplement en resineux dans la partie nord de l'Allemagne va a I'encontre du climax, propose de creer des parcelles de 5 a 20 ha et de laisser la vegetation forestiere croitre. II n'a pas eu Ie temps de mettre au point son projet a cause de la guerre. Dans l'ensemble.Ia plus grande partie de ces travaux n'a guere engendre de troubles au sein de la foresterie en Europe. La pedologie fait partie de l'enseignement forestier. Le sol est a preserver de I'erosion, aspect reconnu pepuis Ie XIXe siecle, et de certaines pratiques sylvicoles. La notion de climax etait plus porteuse de polerniques, Elle pouvait etre recuperee par les partisans d'une sylviculture naturelle, au du moins offrir un argument re plus aux detracteurs de la Foret artificielle dims les pays germaniques. En fait, elle est venue en complement d'etudes polliniques, quand Ie terrain Ie permet, ou bien phytosociologiques, qui revelent l'etat naturel de la vegetation. Ces divers travaux couvrent deux aspects de I'ecologie qui se rejoignent: reconstiluer la nature telle qu'elle a ete (analyse pollinique) ou bien telle qu'elle sera (climax).
Les types de foret de Cajander et de Morosow : aspects theoriques Le premier a donne une portee pratique a l'approche sociologique de la Foret fut Ie Finlandais Cajander dans les annees 1920, a la faveur de i'independance de la Finlande. Sa methode a suscite de nombreuses discussions en Europe, sans pour autant etre retenue. En 8 Clements F. E., Research methods in ecology, Lincoln: Univ. Pub!. ce., 1905, p. 334. 9 Allorge P., Les associations vegetates du Vexin francais, Nemours: Andre Lesot, 1922, p. 342. 10 Guinier P., « Les associations vegetales et les types de forets du Jura francais », Ann. Ecol. Nat. Eaux et Forets, 4, 1932, pp. 262-279. II Hartmann F. K., « Uber Boden- und Vegetationsklimax, Wald- und Bestandtypen », Forstl. Wochenschr. Silva, IS, 1930. pp. 41-46; 49-51. 131
r :".1
L'ECOLOGIE EN APPLICATION URSS, les conceptions de Morosow ont gerrne, mais n'ont guere ete mises en pratique avec les evenements politiques (guerre civile et stalinisation de I'economie). Classes Caracterlstluues TVDes Forets des Vegetation plus ou I'ype afougere ....ype a Oxalis et landes moins xerophile (Pin) Maianthenum ....ype a Geranium et
Drvooteris
Situations Vallees Sud Sud Pentes et vallons du Nord
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Type Oxalis et Sud et centre Myrtillus I'ype Myrtillus Formations morainiques du Type Hylocomium et Sud Wvrtillus . Nord I'ype Yacclnium Bosquets Extreme Nord et sur les montagnes I'ype Calluna Extreme Nord sur sols sablonneux Type Empetrum et ~ols de bruyeres sees Myrtillus Iidem mais sur les plus sees du Type Myrtillus et Nord Cladina ~ables sees du Nord Tvoe Cladina Tableau 12. Les, types de forets selon Cajander. Sources.' Cajander A. K., llvessalo Y., 1921.
Forets raiches, iches en mousses
Mousses et airelle myrtille, absence d'essences nobles (Epicea, bouleau, Din) Sol sec, lichens, allune, Vaccinium vitis-idoea et Empetrum nigrum (Pin)
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Le principe des types de foret de Cajander consiste a depasser Ie concept de Bonitdt, re fertilite qui renvoie a I'arbre, au sens systematique et quantitatif, pour I'envelopper dans la vie et a se soustraire aux classifications traditionnelles de forets de pins, d'epiceas, etc., qui ne donnent aucune idee precise du milieu. Pour lui, la flore se regroupe sous I'influence re facteurs biologiques et ecologiques, elle est done une puissante indicatrice du milieu bien meilleur que I'arbre. En effet,lorsqu'un espace se libere, sous I'action du feu ou a I'issue d'une coupe, ce sont les plantes qui I'occupent en premier avant les arbres. Leur Iongevite etant inferieure acelie des vegetaux Iigneux, elles retrauvent plus facilement leur equilibre biologique. En outre, I'influence de I'arbre sur la flare est tres faible, cette derniere est une entite a part entiere. Sans pour autant nie que I'introduction d'essences nouvelles peut entrainer des changements dans sa composition, iI est toujours possible de determiner Ie type par la presence de piantes accessoires, reliques, qui fournlssent indirectement des informations sur la nature reelle du groupement vegetal. Pour definir les types, Cajander precede selon quatre criteres. II fixe Ie noyau de plantes toujours presentes, ensuite il precise celles presque toujours presentes mais moins abondantes, puis iI s'attache aux caracteristiques, qui n'existent que dans I'association etudiee, enfin iI distingue les plantes qui n'y figurent pas. II a propose une premiere classification en 1909, modifiee en 1921, dans sa deuxierne etude sur les types de foret l 2 . Au travers de la simple mention d'un type, par exemple celui a Myrtillus, Cajander designe les forets d'epiceas, de bouleaux et de pins situees dans les formations morainiques
12 Cajander A. K, I1vessalo Y., « Uber Waldtypen II », Acta Forest. Fenn., 20, 1921, pp. 171.
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ACCEPTER ET CIRCONSCRIRE L'ECOLOGIE du sud de la Finlande. Le forestier possede done une idee precise du milieu dans lequel doivent evoluer les essences. Ses theories ont ete confirmees par Viktor Toivo Aaltonen (1889-1955), professeur re pedologic a Helsinki, sur la forme dusr:steme racinaire et les besoins en lurniere des arbres qui varient en fonction du type de foret 3. Enfin Ie dendrologue Yrjo IIvessalo (1892-1983) valide egalement I'approche de Cajander. Ainsi il realise une etude comprenant 467 plots repartis ainsi : 241 dans les peuplements de pins, 87 dans les peuplements de sapins, 119 dans les bouleaux et vingt autres parmi differentes especes. Les resultats montrent une bonne correlation entre les types de forets et la productivite des peuplements forestiers mais aussi Ie nombre de troncs par hectare, leur repartition, leur hauteur moyennels. Trois disciplines (botanique, pedologic, dendrologie) ont converge dans leurs resultats et ont renforce la legitimite des theses de Cajander. Dans Ie rneme temps, sur Ie plan politique, ce demier s'efforce de les faire appliquer par I'administration forestiere. Par ce biais, des les annees 1920, la Finlande passe au statut de modele forestier et les types de forets, re I'experimentation a la politique forestiere, En URSS, en typologie forestiere, les forestiers ont adopte les idees elaborees par Morasow dans la Russie tsariste. II a travaille, dans les annees 1890, dans Ie Sud de la Russie comme forestier dans des forets de pins et cherche a savoir d'ou pravenaient les differences de croissance entre peuplements composes pourtant d'especes identiques. II a ete amene a etudier Ie sol, impregne par la pedologic de Dokuchaev, et en a fait une classification. Puis iI a developpe son corpus theorique en gardant Ie sol com me element central. Pour lui, I'etude d'un massif forestier passe par la prise en compte de cinq facteurs : « 1. Les proprietes ecologiques des essences .. 2. le milieu geographique .' climat, roches de base, relief, sol .. 3. les relations bio-sociales : a) entre les plantes sur lesquelles fa communaute forestiere s'assemble et b) entre elles et lajaune .. 4. les causes historiques et geologiques et 5. l'action de l'homme »15. Vers la fin de sa vie, iI en est arrive a la conclusion que chaque type de peuplement est lie a une zone climatique specifique, Les plantes ne sont pas rejetees, mais serventd'indicateur de I'etat du sol, pour sa teneur en eau, en calcaire, en fer, en sel. La classification des forets repose sur Ie triptyque: climat, sol et f1ore. Mais Ie processus d'approche suit un ordre precis: etude du c1imat dont depend la formation du sol, puis definitipn des types de sol, qui accueille les plantes, celles-ci se regroupent et forment les associations vegetates. Sukachev a poursuivi les travaux de Morosow en s'imposant face a l'ecole de Moscou dirigee par Alechin qui a opte pour I'approche d'UppsaIa fondee sur les dominantes. A I'oppose, Ramenskij a developpe une approche de la vegetation similaire a celie d: Gleason aux Etats-Unls, plus ecophysiologlque en considerant Ie tapis vegetal comme une continuite instable et multifactorielle. Dans ce cadre, on ne peut pas distinguer d'associations vegetales, Sukachev a enrichi l'heritage de Morasow par I'apport des theories de Cajander. Tout en s'appuyant sur l'etude des types de sol, iI est parti des plantes dominantes, d'un nombre redult d'especes, qui possedent des proprietes communes (croissance, productivite, hauteur, ... ), qui synthetisent les conditions du milieu. En outre, en Iimitant Ie releve a quelques elements de la flore, Ie travail et la classification de la
13 Aaltonen V. T., « On the space arrangement of trees and root competition », Journal of Forestry, 24, 1926, pp. 627-643. 14 I1vessalo Y., « Tutkimukia metsatyypplen taksatorisesta merkityksesta, nojautuen etupaassa kotimaisten kasvutaulujen laatimistyohon (Resume en allemand : Untersuchungen iiber die taxatorische Bedeutung der Waldtypen,hauptsachlich auf den Arbeiten fiir die Aufslellung der neuen Ertragstafeln Finnlands fuBend) », Acta Forestalia Fennica, 15, 1920. 15 Sukachev V. N., « Der Waldtyp », Forstarchiv, 3, 1927, p. 382. 133
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
ACCEPTER ET CIRCONSCRIRE L'ECOLOGIE
vegetation sont facilites dans un vaste pays comme I'URSS. Sukachev a ainsi defini les principales phytocenose (vegetation) :
economique qui frappe I' Allemagne, au debut des annees 1920, favorise la recherche d'un autre modele sylvicole moins couteux et la reconnaissance de l'utilite des sciences naturelles en sylviculture. Notons que les partisans de Cajander en Allemagne (Rubner, Feucht, Hartmann) sont, pour la plupart, en debut de carrieres et qu'ils sont convaincus re l'utilite des sciences naturelles pour la sylviculture. Cajander leur en apporte la preuve. Si Ie contexte de l'apres-guerre peut expliquer l'ecoute particullere que rencontrent les theories de Morosow et surtout celles de Cajander, elles n'ont pas eu la merne portee, La theorie de ce demier a ere discutee dans la plupart des pays europeens, En revanche, I'audience de Morosow s'est lirnitee a I'Allemagne et a I'Autriche. Plusieurs facteurs expliquent ce phenomene, tout d'abord la mort de Morosow en 1920. Son ouvrage paru en 1928 est deja ancien, it n'est que la traduction d'un livre datant de 1912. Sukachev, son successeur, a vu ses ecrits traduits en allemand dans des revues ou collection de botaniques en dehors d'un article en 1927 pour Forstarchiv 20 . II a poursuivi I'eeuvre de Morosow done apporte des modifications, mais il n'a pas la possibilite de construire des reseaux en Europe. Les scientifiques sovietiques ne peuvent se rendre a l'etranger et surtout les forestiers Europeens ne peuvent guere voyager sur place comme en Finlande afin re constater de visu la validite de I'approche. Les sovietlques beneficient toutefois du relais des exiles russes notamment Kruedener, mais celui-ci est dans une position subalterne au sein du champ scientitique allemand, il n'obtient un poste fix.e qu'en 1928 et pas dans un centre forestier-I. Entin les idees de Morosow arrivent tardivement, a une epoque ou les conceptions de Cajander sont etudiees sans encore etre remises en cause. Les conceptions de Cajander ont ete accueiIIies favorablement en Allemagne pour les raisons deja evoquees, Elles ont fait I'objet d'un programme de recherches notamment de la part de Wiedemann, mais aussi au Canada et au Danemark. En Suisse, en Suede et en France, les relais font defauts, En Suede, Hesselman, Ie directeur de la station de recherches forestieres, a mene ses recherches sur Ie sol et non sur la flore et it n'a guere engage re recherches pour verifier la validite de I'approche de Cajander. Toutefois, dans les annees 1930, les forestiers Malmstrom en Sue1e, W. Opsahl et Agnar Barth (l871-?) en Norvege, ont developpe une typologie des forets selon les principes de Cajander, En Suisse, elles ont trouve une ecoute aupres de Burger, qui a redlge un article positif sur ce theme, Ie seul qui soit paru sur cette quest/on dans ce pays. En fait, les forestiers suisses ont oriente leurs travaux sur la validite de leur approche sylvicole : la foret jardinee. En France, la reticence au modele tinlandais tient ades facteurs lies au rejet de l'allemand. Toutefois, les theories de Cajander ont trouve un soutien aupres d'Andre d' Alvemy (1873-1931) et de Sargos. Alverny, alors inspecteur forestier, a montre que les tarifs re cubage pour Ie pin sylvestre dans la region d'Aurillac se rapprochent du type a airelle myrtille. Sargos a ete beaucoup plus loin et a realise un c1assement des forets des pignadas en prenant comme indicatrice la flore du so122.
Types
Types de nhytocenoses Edificateurs
Caracteristiques
Types d'origine
Types qui n'ont subi aucune influence humaine ou animale Types dezresslfs Tvoes anthrooiaues Assectateurs Types d'origine ou lis sont souvent conquis par des peuplernents edicatorophiles d' edificateur Types edicatorophobes lis ecartent les edlficateurs Tvoes adventifs Associations relevant du hasard .. , Tableau 13. Classification des groupements vegetaux selon Sukachev . Sources: Korotkov K.,1992. Cette classification proposee en 1928 repose sur un vocabulaire speciflque la distinguant de ce qui se developpe en Europe non-comrnunistel", Toutefois, Sukachev n'a guere eu la possibilite de I'appliquer en raison d'une reorientation de l'economle a partir re 1931.
Les types de foret : un accueil reserve aI'etranger Les conceptions de Cajander et de Morosow se sont propagees en dehors de leurs frontieres. Le deploiement des theories du forestier finlandais s'est deroule en trois temps. Dans un premier temps, de 1909 a 1919, les travaux sont restes internes au champ forestier finlandais. De 1919 a 1930, ces idees se deploient en Europe et sont commentees dans les revues forestieres. Les articles sur ce theme se multiplient a partir de 1922 en Allemagne, en Hongrie, en Suisse et en Scandinavie. Cajander elargit son champ d'action en publiant une etude en anglais en 1926 afin de toucher Ie continent nord-amerlcain 17. A I'epoque les forestiers francais ne portent qu'un interet limite a ce debat, A partir de 1930, I'approche de Braun-Blanquet supplante la theorie des types de foret, Toutefois, peu d: temps avant sa mort en 1943, dans lntersylva, Cajander fait paraitre une etude en francais sur ce sujet et, en 1944, pour la premiere fois, elle fait I'objet d'un article dans la Revue des Eaux et Forets ... 18 Que ce soit pour les theories de Morosow Oll de Cajander, Ie passage par I' Allemagne reste essentiel, reprenant les reseaux deja constitues avant la guerre, d'autant plus que la premiere etude de Cajander sur les types de foret, parue en 1909, s'appuie sur les forets allemandes. C'est en validant son experience au sein de I'espace allemand que Cajander a pu legitimer son intervention en Finlande. L'URSS, au debut des annees 1920, entretient des relations privilegiees avec I' Allemagne, la traduction de I'ouvrage de sylviculture d: Morosow est un signe de ces relations I9. En outre, Ie contexte est propice. La crise 16 D'ailleurs
a partir
de 1935, Ie tenne de phytosociologie fut remplace par celui de phytocoenologie. Voir Barbov V., « Le darwinisrne russe », op. cit. 17 Cajander A. K., «The theory of forest types », Acta Forest. Fenn., 29,1926, pp. 1-108. 18 Cajander A. K., «Nature et importance des types de forst (en Finlande et en Allemagne) », Intersylva; 3, 1943, pp. 169-209. 19 Morosow G. E, Die Lehre vom Wald, trad. par S. et H. Ruoff et D.-E Buchholz, ed, par K. Rubner, Neumann: Neudamm, 1928, p. 375. Cet ouvrage, publie en russe en 1912, a ete traduit 134
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sur une initiative de Rubner et avec I'aide de deux scientifiques russes, un botaniste (Ruoff) et un forestier (Buchholz), tous les deux exiles en Allemagne. 20 Sukachev V. N., « Der Waldtyp », op. cit. 21 Un laboratoire de pedologic avait ete amenage pour Kruedener a la chambre agricole bavaroise tenue par I'Union des proprietaires forestiers. Voir Rubner K., « Arthur Freiherr von Kruedener », Forstarchiv, 23, 1952, pp. 14-16. 22 Sargos R., « Statistique de la production de bois et de gemme de la foret landaise en 1937 », Rev. Eaux et Forets, 76, 1938, pp. 37-51,116-127.
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ACCEPTER ET CIRCONSCRIRE L'ECOLOGIE
L/ECOLOGIE EN APPLICAnON Types
Sol
Regeneration naturelle
Da
Bois de mine papeterie
Bois de sciage m3
m3 sol de sable peu assuree profond faible couverture
Les dunes
100.000
a
2,0
2,0
]
vegetative
Vieille propriete et ses extensions sur sol JeU orofond ou assez orofond Terrains sol de bonne en grande partie 125.000 1,0 Qua/ire assuree fouzere Terrains de bonne pas sol 150.000 I,D ajonc qualite, au sous- completement assuree sol argileux Terrains par la- 100.000 sol sec epuise, genee 1,2 callune par suite d'un callune intense drainaze Lande, sol suoerficiel sur alios Lande sol relativement interdite 275.000 1,0 brande salin sol non assaini, interdite Lande 150.000 1,0 d:: molinie vole en sterilisation Tableau 14. Les- types de futaie selon Sargos, Sources: Sargos R., /938.
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3,0
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2,8
a
1,5
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2,2
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1,0
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Sargosl est parti du constat que les rendements varient selon la nature des terrains l'amenant distinguer six types de futaie de pins regu Ii ere. II a poursuivi son raisonnement en l'etendant au rendement en gemme. Cette classification constitue un bouleversement des conceptions forestieres admises l'epoque par les forestiers francais qui, s'ils ant reconnu I'utilite de la flore comme indicatrice, ne sont pas prets franchir Ie pas suivant : c1asser les forets en faisant abstraction de I'arbre. En outre, Alverny et Sargos sont des forestiers quelque peu marginaux. Le premier, inspecteur Aurillac (Cantal), est un partisan de la methode d' Adolphe Gurnaud (1825-1898), c'est-a-dire de la Foret jardinee, et il meurt en 1932 23 . Le second, inspecteur du service economique des bois, a reinregre l'administration forestiere depuis 1934 pour mieux faire valoir les interets des proprietaires forestiers du Sud-Ouest/". Tous les deux ne sont pas des forestiers detenteurs d'une position capable de generer une ecole ou un courant. lis n'enseignent pas et ne gerent pas de massifs pendant suffisamment de temps pour y laisser leur marque. Si Ie jeu des reseaux a pu jouer dans la diffusion des idees de Cajander, Ie refus ou bien la reticence s'appuient sur trois types d'arguments scientifiques : la valeur de I'arbre en tant qu'indicateur du milieu, la negligence du sol et fa speciflclte du milieu finlandais. Le premier a surtout ete repris en France notamment par Buffault qui, tout en admettant que la
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I
flore constitue un bon indice, estime que l'arbre ne doit pas etre exclu pour etablir une typologie des stations. En fait I'approche purementCIloristique souffre de deux defauts, pour certains (Tessier, Rubner), l'arbre joue sur la repartition de la flore, il cree son propre milieu. II doit done figurer comme un indicateur. D'autres scientifiques, davantage impregnes de pedologic, attirent I'attention sur Ie sol, dont certaines proprietes ne peuvent etre revelees par la flore, iI faut d'abord passer par une analyse pedologique, Cette negligence du sol a ete reprochee Cajander par des forestiers russes (Sukachev, Kruedener), suedois (Hessel man) et allemands (Rebel, Erdmann). Ces deux demiers ont d'ailleurs mis Ie sol au cceur de leurs etudes, Ie premier pour refuter la theorie de la rente fonciere, Ie second dans la question des reboisements des landes de Lunebourg. Le troisieme type d'arguments renvoie ala speciflclte du milieu finlandais. La Finlande presente une unite de sol et de c1imat sauf dans Ie Nord aupres du cercle arctique. Ces forets sont composees essentiellement de quatre especes (pin sylvestre, epicea, bouleau et tremble). En revanche, pour Louis Lavauden (1881-1935), un pays comme la France qui comprend des milieux varies et dix-sept essences principales ne peut pas reprendre cette theorie, Pour Ie Suisse Burger, les theories de Cajander ne sont valables que dans les espaces naturels fortement conditlonnes par Ie c1imat. En insistant sur Ie milieu, cela a Ie merite de ne pas declarer fausse la theorie de Cajander et de la cantonner dans un espace precis, done de preserver son propre champ dans lequel on peut rester fldele a .ses convictions. Cet argument de la speclficite ecologique a ete employe, pour la premiere fois, propos de la question des types de forets et repris l'egard de Morosow, Iiant sa theorie aux grands espaces russes. II a ere, par la suite, souvent repris dans les diverses que relies opposant les eccles de sociologie vegetate. Les conceptions de Cajander et, aun degre rnoindre, celles de Morosow ont permis aux forestiers de les detourner de I'arbre afin de prendre en compte davantage la flore du sol ainsi que les travaux provenant de la geographic des plantes. Meme si leurs theories n'ont pas trouve d'application directe hors de leurs frontieres, elles ont ouvert la voie a d'autres eccles qui ont su mobiliser des reseaux plus efficaces mais qui n'avaient plus demontrer la validite de I'approche floristique voire pedologique de la Foret.
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23 Gurnaud avait edifie a partir de 1858 une methode sylvicole proche du jardinage qu'il intitula methode du controle en 1880. II avait ete exclu de I'administration forestiere en 1866 car il voulait poursuivre I'experimentation de sa methode. II fut un des fondateurs de la Societe forestiere de Franche-Comre. 24 Sargos avait bien suivi une formation forestiere It Nancy puis avail mis en disponibilite en 1920 pour se consacrer a I'exploitation des bois tropicaux puis a partir de 1930 ala gestion de la foret landaise.
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9
L'ecole de Braun-Blanquet au coeur des controverses Dans Ie continent europeen, deux eccles de sociologie vegetale se sont affrontees melant a leur rivalite les forestiers, il s'agit de I'ecole d'Uppsala dirigee par Du Rietz et celie de Braun-Blanquet appelee aussi sigmatiste. Ces courants sont nes en 1913, annee de parution de deux etudes fondatrices une de T. G. E. Fries en Suede et I'autre de BraunBlanquet en Suisse.'. Elles n'ont cesse de jouer de rivalite jusqu'au debut des annees 1930, ou I'ecole de Braun-Blanquet a commence a prendre Ie dessus a une epoque ou les forestiers se detournent des conceptions de Cajander pour s'interesser aux idees de BraunBlanquet.
Vers une conception ecologique de I'association En 1910, au congres international de botanique de Bruxelles, les botanistes se sont quittes sur un constat d'echec, lis n'ont pu se mettre d'accord sur une definition commune pour la plupart des termes phytosociologiques. Pourtant en 1913, les botanistes suedois d'Uppsala se rallient aux conclusions de Bruxelles relatives a I'association definle comme « un groupement vegetal de composition fioristique determinee, presentant une physionomie uniforme et croissant dans des conditions stationnelles egalement uniformes. L'association est l'unite fondamentale de la Synecologie »2 et a la formation vegetale, cette derniere etant «l'expression actuelle de conditions de vie determinees. Elle se compose d'associations qui, dans leur composition floristique sont differentes, mais qui correspondent a des conditions stationnelles semblables et revetent des formes de vegetation analogues »3. Pour Flahault et Schroeter, «l'association est la derniere expression de la concurrence vitale et de l'adaptation au milieu dans le proupement des especess". Elle ne doit pas etre consideree comme une organisation humaine reunie pour un objectif commun, mais comme la somme d'individus qui, dans un cadre donne, y trouvent une pleine satisfaction. Ce cadre est fourni soit par Ie milieu (sol ou clirnat), soit par la presence de certaines especes, La designation des associations peut s'operer en langage courant ou bien « au moyen d'une ou plusieurs especes dominantes » auxquelles on peut adjoindre Ie suffixe
I Fries T. G. E., « Botanische Untersuchungen in nordlichen Schweden: Ein Beitrag zur Kenntnis der alpinen und subalpinen Vegetation in Tome Lappmark» Yetensk. och prakt. unders. i Lapp/and. anordn. av Luossavaara-Kiirunavaara Aktiebolag. Flora och Fauna, 2, 1913, pp. 1-361 ; BraunBlanquet J., « Die Vegetationsverhaltnisse der Schneestufe in den Ratisch-Leponischen Alpen. Ein Bild des PfIanzen-Jebens an seinen aussersten Grenzen », Neue Denkschr. Schwetz. Naturf. Gesell., 48, 1913, pp. 1-348. 2 AahaultC., Schroeter C., « Projet de nomenclature phytogeographique », op. cit., p. 121. 3 ibid. p.
123.
4 ibid. p. 136.
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU CffiUR DES CONTROVERSES
etum, mais ce mode de designation ne s'attache qu'a une partie des especes composant I 'association>.
independamment de leur nombre, dans un type d'association »9, Brockmann-Jerosch a inventorie differentes associations vegetales et, pour chacune, il en a fait un releve
Si les botanistes de I'Europe centrale, occidentale et scandinave s'accordent sur lesdites definitions, a la veille de 1914, il ne reste qu'a trouver une methodologie commune afin de relever les associations sur le terrain. Le principe de base demeure Ie merne : proceder par un inventaire floristique, puis a « un triage ». Flahault s'lnteresse avant tout aux especes dominantes, il ecrit ainsi en 1901 : « Parmi les especes qui
floristique. Pour les associations vegetales de merne nature, il a rernarque que certaines especes reviennent dans plus de 50 % des cas, d'autres dans au moins 25 % et enfin pour certaines dans moins de 25 %. II distingue alors trois categories : les constantes, les accessoires et les accidentelles. Les constantes sont separees en deux: les plantes caracteristiques et les ubiquistes. Les premieres caracterisent I'association, les secondes ne sont pas specifiques une association particuliere, Elles ne peuvent la deflnir. Ce faisant, Brockmann-Jerosch jette un pont vers I'etude des groupements vegetaux pour eux-memes, ou la phytosociologie prend en compte la composition floristique des associations vegetales et « les rapports reciproques de ses cohabitants »10, La differenciatlon entre physionomie et ecologie est effectuee par RUbel et Brockmann-Jerosch en j 912. RUbel reagit d 'abord contre les conceptions angloarnericalnes qui nient I'existence de formation, car leur decoupage n'est pas natureI. Ensuite, partant du fait que Ie c1assement de la vegetation en fonction de criteres physionomiques ne repose pas sur des criteres ecologlques, iI realise un travail purement physionomique dans la region de Bernina au sud-est de la Suisse it la frontiere avec I'Italie. Puis avec I'aide de Brockmann-Jerosch, il Ie generalise it la terre entiere, lis mettent en evidence que Ie caractere physionomique de la vegetation est independent en partie des conditions environnementales. Un merne groupement vegetal peut exister sous differents facteurs ecologiques. lis concluent : « La physionomie doit seulement jouer un role jusqu'a un certain point, lorsqu'eLle est fondee ecologiquement »11. Leur systeme, en fait, renforce la distinction entre, d'un cote, la physionomie et la composition floristique et, de I'autre, l'ecologie du milieu. Finalement, la connaissance d'une region donnee, en botanique, doit partir de la flore pour deboucher sur son ecologie. L'etude de la vegetation s'est ainsi detachee de la physionomie pour s'orienter vers l'ecologie. Plusieurs courants se sont formes en Europe. En URSS, elle est basee sur I'etu~e du sol. En Grande-Bretagne, elle s'Inspire de la methode developpee par Clements aux Etats-Unis. Les deux courants majeurside I'Europe continentale, les ecoles d'Uppsala et de Braun-Blanquet, ont pris une directidn differente, tout en reposant sur une approche floristique, la flore etant l'indicatrice devoilant Ie milieu.
composent l'association, les unes sont dominantes, soit parce qu'elles sont caracteristiques du paysage vegetal, par la tallle, le nombre, la forme ou la duree des individus (especes sociales), soit par l'action qu'eLles exercent sur l'habitat en creant pour ainsi dire la station. Dans nos forets de France, par ex., les arbres, Chenes, Hetres, Pins, etc., sont dominants a la fois par la taille, le nombre, laforme et la duree .. ils sont en meme temps les vegetaux les plus hauts et les plus nombreux .. ils occupent le plus d'espace, ont une duree indefinle et occupent leur place dans le paysage en toute saison »6. Sa classification repose sur la physionomie de la vegetation et la connaissance du milieu dont I'association est Ie produit. Au debut du XXe siecle, cette approche physionomique est remise en cause par les travaux des Suisses Jaccard, Brockmann-Jerosch et RUbel. Jaccard s'est apercu que deux prairies alpines distantes de cinq/six km ne sont pas composees des memes especes, Cette variation traduit des conditions de stations differentes contrairement aux apparences. II etablit ainsi quatre categories d'especes en fonction de leur degre de frequences : tres frequentes, frequentes, de moyenne frequence et rares. Partant de cet outi! statistique, iI elabore divers coefficients dont celui de communaute, fonde sur Ie nombre d'especes communes entre deux espaces etudies, afin « d'evaluer le degre de similitude ou de dissemblance des stations» 7. L'analyse statistique part ainsi du constat que les conditions du milieu selectionnent les especes sur Ie plan numerique (nombre) et taxinomique (especes, genres, classes). En 1907, Brockmann-Jerosch propose de fonder la classification des associations non plus sur les dominantes mais sur la base des constantes. II oppose sa conception « floristico-physiognomique » it celle de Schroeter qu'i1 juge « topographicophysiognomique ». Comme il I'ecrlt : « Je voudrais mettre en avant au contraire de
Schroeter la flore de la station et concevoir comme unite l'association d'une flore homogene et uniforme [... 1Schroeter donne plus de poids £l ce qui est invariable dans la station pendant que pour moi l'argument reside dans l'homogeneite de la flore »8. Plus loin, iI poursuit: « Pendant que Stebler et Schroeter mesuraient l'importance d'une espece par son poids en pourcentages dans une pelouse, je desirerais proposer de se renseigner en premiere ligne sur ces especes qui apparaissent plus ou moins constamment
5 Ce precede a ete mis au point par Ie botaniste Danois Schouwen 1822. Voir Acot P., Histoire de l'ecologie, op. cit., p. 98. 6 Flahault c., « Les timites superieures de la vegetation forestiere et les prairies pseudo-alpines en
a
Les eccles d'Uppsala et de Braun-Blanquet : aspects theoriques L'ecole d' Uppsala definlt les associations vegetales en fonction des constantes c'est-adire des especes dominantes quantitativement et non physionomiquement. Pour les determiner, Du Rietz a utilise la methode quadratique mise au point par Stebler et
7 Jaccard P., « Etude comparative de la distribution florale dans une portion des Alpes et du Jura »,
9 ibid. Brockmann-Jerosch fait reference a l'etude suivante: Schroeter C; Stebler F. G., « Beitrage zur Kenntnis der Matten und Weiden der Schweiz. X. Versuch einer Ubersicht tiber die Wiesentypen der Schweiz », Landwirtsch. Jahrb der Schweiz; 6,1892, pp. 95-212. 10 Pavillard J., Vocabulaire de sociologie vegetale, op. cit., p. 15.
Bull. soc. vaud. sc. nat., 37, 1901, p. 578. 8 Brockmann-Jerosch J., DieFlora der Puschlav, Leipzig: Engelmann, 1907, p. 244.
physiognomischen Gesichtspunkten, op. cit., p. 10.
France », op. cit.
140
II Brockmann-Jerosch H., RUbel E.,
Die Einteilung der Pflanzengesellschaften nach dkologisch141
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON
L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU CffiUR DES CONTROVERSES
Schroeter en 1892 . L'espace doit etre decoupe en cent carres et I'espece presente dans chaque carre obtient Ie coefficient I, dans 99 carres : 0,9, etc. Toutefois, la premiere difficulte reside dans la definition de l'aire minimum de chacune des parcelles. De 1918 1920, une serie de recherches sont entreprises «au sujet de l'influence de l'etendue de la surface d'etude sur la quantile d'especes recurrentes mentionnees dans toutes les surfaces d'etudes» 13. Le resultat fail apparaltre que Ie nombre d'especes recurrentes diminue en dessous du metre carre et qu'au-dessus, il ne s'accrott pas d'une rnaniere significative. Les constantes ont, done, une aire minimum d'un metre carre, definie de la sorte : «La surface minimum d'une association est la plus petite superficie, sur laquelle l'association atteint sa quantite definitive de constantesevi, soit 90 % des constantes. Elle a ete affinee en fonction du milieu: les espaces pauvres en especes (associations mousses, de marais, de 2 landes) 1m ; les associations plus riches (forets, buissons, prairies) 4m 2 ; les tres riches (forets de prairie) a 16m 2 • La methodologie developpee par l'ecole d'Uppsala s'est dotee d'un vocabulaire afin de marquer sa speciflclte. Elle a elabore une classification calquee sur la taxlnomlel''. Ainsi, au me me titre que les especes vegetates sont affiliees de la plus petite unite la plus grande, les groupements vegetaux doivent etre organises de la
chaque strate »16. Ainsi, au debut des annees 1920, l'ecole d'Uppsala presente un corpus coherent, tant au niveau du vocabulaire que de la methodologie. L'ecole Braun-Blanquet a pris une option differente. Partant de la conception de l'association vegetate adoptee lors du congres de Bruxelles, qui insiste sur la necessite de prendre en compte I'ensemble des plantes presentes, Braun-Blanquet estime indispensable d'operer un tri, toutes les plantes n'ayant pas Ie me me interet. II rejette Ie fait d'attribuer une valeur aux vegetaux dominants, qui sont bien souvent des ubiquistes, se rencontrant dans plusieurs associations. II s'inspire des conceptions de Brockmann-Jerosch et de Robert Gradmann (1865-1950), auxquelles il emprunte I'Idee d'abstraction dans I'approche floristique de la vegetation et la caracterisation de I'association a partir de certaines plantes directrices tLeitpflanzen) 17. En 1915, Braun-Blanquet ecrit : « Au-dessus une des constantes, no us placons les caracteristigues, generalement particulieres association donnee. Les caracteristiques peuvent etre considerees comme l'expression la plus precise de l'ecologie d'un groupement »18, dont il dislingue deux types: - Les caracteristiqucs de premierordre, elles definlssent a coup sur une association, indiquant que cette derniere est un point d'equilibre durable avec Ie milieu; - Les caracteristiques de second ordre ou les especes sont «mains rigoureusement determinees let] trouvent leur optimum biologique dans une association donnee, sans toutefois y eIre strlctement localisees», Leur avantage se revele lors de l'etude des groupements perturbes par "action de I'homme. Leur presence permet de situer ces groupements « dans l'enchainement des associations» 19.
12
a
a
a
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meme facon : Clan (Sivve)
Synusies
Phvtocoenoses
Classe Ordre Famille Tribu Genre Section Espece
Panformion Panformalion Formion Formation Subformion Subformation Federion Federation Associon Association Consocion Consociation Socion Sociation Serle taxinornique Forme vivante Isocecie Isocoenose Serle physionomique Tableau 15. Classification taxinomique de Du RIetz. Sources: Whittaker R. H., 1962.
L'unite de base chez Du Rietz est done la sociation, terme qu'il formule en 1927, sur une proposition de Rubel pour Ie dislinguer de celui d'association vegetate, qu'i/ employait auparavant, reprit par I'ecole de Braun-Blanquet, II lui donnela definition suivante: « [Une sociation est] une phytocenose stable d'une combinaison d'especes homogenes et essentielles, c'est-a-dire au minimum avec des dominantes constantes dans
Schroeter C., Stebler F. G., « Beitrage zur Kenntnis der Matten und Weiden der Schweiz. X. Versuch einer Ubersicht tiber die Wiesentypen der Schweiz », op.cit. 13 Du Rietz G. E., « Vegetationsforschung auf soziationsanalytischer Grundlage », in E. Abderhalden (ed.), Handbucb der biologische Arbeitsmethoden, Xl. Methoden zur Erforschung der Leistungendes Pflanzenorganismus, Berlin-Vienne : Urban & Schwarzenberg, 1930, p. 423. 14 Du Rietz G. E., Fries T. G. E., Osvald H., Tengwall T. A., « Gesetze der Konstitution naturliche Pflanzengesellschaften », Yetensk. och prakt. unders. i Lappland, anordn. av LuossavaaraKiirunavaaraAktiebolag. Flora och Fauna, 7, 1920, p. 35. 15 Cette demarche ne lui est pas propre.J'ecole de Braun-Blanquet a eu la meme pretention. 142 12
a
a
5 = exclusives 4 =electives
3 =preferantes
2 =indifferentes
abondamment dans pi usieurs Accidentelles
1= etrangeres
Especes n'apparaissant qu'accidentellement dans un groupement
determine .Tableau 16. Degres defidelite selon Braun-Blanquet. Source : Pavillard J., 1922. L'association au sens de Braun-Blanquet esL done: « Un groupement vegetal plus ou moins stable et en equllibre avec le milieu ambiant, caracterise par une composition floristique determinee dans laquelle certains elements exclusifs ou peu pres (especes
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16 Du Rietz G. E., « Vegelationsforschung auf soziationsanalytischer Grundlage», op. cit., p. 307. 17 Gradmann R., « Uber Begriffsbildung in der Lehre von den Pflanzenformationen », Bot. Jahrb., 43,1909,pp.91-103. 18 Braun-Blanquet J., "Les Cevennes rneridionales (Massif de l'Aigoual). Etude phytogeographique, These faculte des sciences de Montpellier, p. 43. 19 ibid., p. 44. 143
L'ECOLOGIE EN APPLICATION caracteristiques], revelent par leur presence une ecologie particuliere et autonome »20. Cette approche floristique embrasse a la fois la geographie de I'association vegetate (I'aire), son histoire (I'evolution) et son ecologie (Ie milieu). La determination des caracteristiques repose aussi sur la notion de fidelite qu'il adopte en 1918, pour en donner une version definitive en 1921, en definissant cinq degres (cf. tableau 16). Braun-Blanquet a rentorce Ie contenu de sa theorie, en collaborant avec un pedologue, Jenny dans une etude cornrnandee par Schroeter, pour la commission scientifique du pare national Suisse, afin de relever la flore phanerogamique et les groupements vegetaux des Alpes centrales. Cette etude a permis de faire un lien entre Ie dynamisme de la vegetation et les transformations du sol. Au debut des annees 1920, Braun-Blanquet dispose d'un corpus theorique important, valide sur Ie terrain, mais iI n'a pas encore fait ecole.
Opposition et aire d'influence des deux ecoles Ces deux ecoles se sont appuyees sur la definition de I'association vegetale proposee par Flahault en 1910, mais elles ont pris deux directions differentes : Ecole d'Uppsala Ecole de Montpellier Petites associations Associations plus grandes (microassociations) (macroassociations) 2 Caracterisation par les constantes Caracterisation Darles caracteristiuues 3 Insiste sur la structure en strate Insiste sur la comoosition floristique 4 Insiste sur I'etude des quadrats pour Insiste sur I'estimation et Ie besoin determiner les constantes d'experience pour iuaer de la fidelite 5 Essai d'une recherche quantitative sur Les especes caracter istiq ues sont la nature des associations suffisantes sur ce point 6 Les associations ont un caractere Elles sont une unite abstraite concret 7 Supposition qu'une coupure nette Acceptation d'une intergradation des separe les unites associations 8 Refus du concept d'individu Utilisation du concept d'individu d'association d'association 9 Regroupement des associations en fonction des relations topographiques et dynarniques dans une vegetation complexe 10 Regroupement des associations par Regroupement des associations par une leur physionomie dans les formations hierarchie des alliances, etc" au-dessus des associations Tableau 17. Differences entre les ecoles d'Uppsala et de Montpellier. Sources " Whittaker R. H.,
1
1962.
Concernant leur influence, jusqu'en 1928, I'ecole d'Uppsala beneficie d'un dynamisme superieur a celie de Braun-Blanquet, puis cette dernlere prend Ie pas sur sa rivale qui perd des positions en Europe.
20 ibid,
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L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU CffiUR DES CONTROVERSES Dans un premier temps, l'ecole d'Uppsala prend Ie dessus. Son rayonnement s'etend a I' Allemagne, (Hueck et Kaiser), la Hongrie (Rapaics, So6), la Tchecoslovaquie (Klika, Rudolph, Zianik), I' Autriche (Gams, Vierhapper), dans les pays baltes (Waren, Vilberg) et en Scandinavie sauf en Finlande. En revanche, Braun-Blanquet n'a pas une assise aussi aisee, En France, il a etabli des liens avec Pavillard (Montpellier) et Allorge (Museum), en Pologne avec Szafer (Cracovie) et possede quelques contacts avec des personnalites isolees en Tchecoslovaquie (Schuster) et en Autriche (Aichinger). Cette preponderance de I'ecole d'Uppsala s'explique, deja, par la publication d'un ouvrage de sociologie vegetale de Du Rietz en 192121. II est redige en allemand et parait chez un editeur autrichien. A la merne epoque, Braun-Blanquet n'a publie que des articles, mais ses idees sont exposees dans un ouvrage de Pavillard, Vocabulaire de sociologie vegetate, paru en 1922 qui devient tres vite un classique. En 1923, Du Rietz assure la visibilite de ces travaux grace a la Societe de sociologie vegetate (Vtixtsociotogiska sdllskapeti. Elle est dotee d'une revue s'intitulant Svenska Yaxtgeografiska Sdllskapets Handlingar (Recueil suedois de sociologle vegetate), dont la parution s'arrete en 1926 pour reprendre en 1929 sous Ie nom d'Acta Phytogeographica Suecica. Enfin, en 1925, I'ecole d'Uppsala organise la quatrierne excursion phytogeographique qui permet d'afficher leurs conceptions aux yeux des invites. A partir de 1928, la situation s'inverse avec l'edition de l'ouvrage de phytosociologie de Braun-Blanquet chez un editeur repute, Springer, dans une collection dirigee par Walter Schonichen (1876-1956), Ie directeur de la Station publique pour Ie soin des monuments naturels22, Ensuite, n'ayant pu succeder a Schroeter it Zurich, Braun-Blanquet a su rebondir et fonder la SIGMA a Montpellier ce qui lui permet de produire des adeptes, position que ne possede pas Du Rietz. D'autant plus que Braun-Blanquet, s'exprimant aussi bien en allemand qu'en francais, forme des eleves de diverses nationalites. Enfin, il beneficie de relais grace a ses partisans qui assurent la propagation de sa methode: Aichinger (Autriche), Ttixen (Allernagne), Lebrun (Belgique) et Diemont (Pays-Bas), Dans les annees 1930, il elargit ses positions a I' Allemagne, la Hongrie, la Tchecoslovaqule-', les Pays-Bas, l'Autriche, la Palestine, tandis que Du Rietz maintient son influence aupres de scientifiques isoles en Allemagne (Meusel), en Autriche (Gams), en Scandinavie a I'exception de la Norvege, ou Rolf Nordhagen (1894-1979) affiche sa preference pour I'approche sigmatiste. L'espace scientifique europeen n'offre guere de lieux de confrontations en dehors des excursions phytogeographiques internationales, qui se poursuivent dans I'entre-deuxguerres. Elles servent surtout l'ecole organisatrice qui a la maitrise du terrain. Les congres internationaux ont bien ete relances, mais ce n'est qu'a partir du congres de Cambridge, en 1930, que les discussions sur Ie vocabulaire utilise en sociologie vegetale reprennent pour la premiere fois depuis Bruxelles, Toutefois elles n'aboutissent pas. Le congres d' Amsterdam, en 1935, Ie dernier avant Ie second contlit mondial, ne fait qu'enteriner les divergences et se conclut de la sorte :
21 Du Rietz G. E" Zur methodologischen Grundlage der modernen Pflanzensoziologie, Wien: Holzhausen, 1921, p. 267 22 Braun-Blanquel J., Pflanzensoziologie. Grundziige der Yegetationskunde, Berlin: Springer, 1928, p. 330. 23 Dans 1es annees 1930. des scientifiques leis Klika (Tchecoslovaquie) et Soo (Hongrie) delaissent I'approche d'Uppsala au profit de celie de Braun-Blanquet.
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L'ECOLOGIE EN APPLICA nON 0
1 Le terme de sociation «soit employe pour designer les unites de vegetation basees surtout sur la dominance dans les diverses strates» ; r Le terme d'association «soit employe pour designer les unites de vegetation basees sur les especes caracteristiques et dlfferentielles au sens des phytosociologues zurichomontpellierains, ou du moins pour des unites de meme ordre d'importance»; 3 Sociations et associations peuvent etre reunies en alliances, au sens de ZurichMontpellier, et celles-ci en unites superieures, et Pavillard de conclure : « C'est tout et c'est bien ainsi »24. En d'autres termes, I'emploi d'une ou I'autre de ces techniques avalise les resultats, En outre, Ie fait de redulre les problernes de terminologie' en sociologie vegetale entre deux ecoles assure leur preeminence sur les autres dans l'Europe non-sovietique, A defaut des rencontres sur Ie terrain, leur confrontation s'est portee dans les colonnes de revues. En 1925, Ie Yierteljahresschrift der Naturforschung Gesellschaft in ZUrich (Revue trimestrielle de la societe naturaliste de Zurich) publie un article ecrit en commun par Gams et Du Rietz avec la reponse de Braun-Blanquet, Gams recidive en 1939, dans Chronica Botanica, et pour la seconde fois, Braun-Blanquet juge bon de repliquer25 . Les critiques formulees en vel's l'ecole Braun-Blanquet ont ete de deux ordres : a l'interleur de sa discipline et a I'encontre de la sociologie vegetate. Les premieres relevent de Du Rietz et de Gams. Pour eux, les caracteristiques nepeuvent etre I 'expression ecologique de toute une association. En outre, certaines associations definies par Braun-Blanquet ou ses eleves ont peu de fondement. Ces erreurs doivent invalider I'approche sigmatiste. BraunBlanquet a reconnu Ie premier point, pour Ie second, il ne nie pas de telles erreurs, il les attribue a la jeunesse de son approche et demande simplement du temps. Le second faisceau de critiques est davantage du fait de botanistes ou de forestiers qui eprouvent une meflance a propos de la notion d'association vegetale. Pour les Francais Roger Heim (1900-1979) et Lenoble, la nature est un lieu de competitions et non d'entraide comme Ie suggere Ie terme d'association. Un autre courant inspire des idees de I'Etasunlen Gleason et du Russe Ramenskij estime que chaque groupement vegetal est une individualite, qu'il n'y en existe pas deux de comparables. En outre, les associations vegetales sont une construction abstraite, qui ne se retrouve pas dans la nature. Le tapis vegetal n'est qu'un continuum, on glisse plutot que I'on passe d'un groupement a un autre. Dans ce cadre, il est presque impossible de tirer des frontieres entre ces divers groupements. 11 est donc plus prudent de s'en tenir aux conditions du milieu qui permettent de definir les possibilites de croissance des piantes. La lutte entre les deux ecoles a deborde sur Ie champ forestier, qui s'est focalise sur l'ecole Braun-Blanquet. L'approche d'Uppsala a convaincu, un temps, les botanistes, mais n'a guere touche les forestiers y compris en Scandinavie. C'est d'ailleurs a partir du moment ou I'ecole Braun-Blanquet commence a s'imposer que les forestiers s'y interessent, persuades, pour certains, de l'utilite de l'etude des groupements vegetaux dans la pratique forestiere prenant appuis sur Ie modele finlandais. 0
24 Pavillard J., « La nomenclature phytogeographique devant Ie congres d' Amsterdam », Communications de la SIGMA, 46, 1936, p. 6. 25 Le plus souvent, c'etaient les eleves de Braun-Blanquet qui prenaient une part active aux d~bats.
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L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU C<EUR DES CONTROVERSES
Controverses forestieres Les idees de Braun-Blanquet ont eu une ecoute differente selon les pays. En Europe centrale, en dehors de quelques tlots de resistance, des forestiers ont repris ses theories. En revanche, en France et en Italie, deux pays bordes par la Mediterranee, Braun-Blanquet a rencontre une franche opposition. En URSS, Sukachev a jete l'anatheme sur son nom et ses idees. Enfin, en Scandinavie, la foresterie a ete dominee par les personnalites de Cajander en Finlande et de Hesselman en Suede, Ie premier appliquant sa propre theorie, Ie second s'en tenant d'abord au sol. L'interet que les forestiers ont porte la methode de Braun-Blanquet fail suite aux etudes sur les types de forets de Cajander. Ce dernier a preuve que la flore peut servir d'indicatrice pour determiner les differents types de stations. Les forestiers, au debut des annees 1930, sont la recherche d'une methode qui correspond leurs attentes. Dans Ie merne temps, Braun-Blanquet produit des etudes speciflquernent sur la foret. En fait, il cherche a dernontrer sur Ie terrain de la foresterie et de I'agronomie I'uti lite de la phytosociologie. En Europe centrale notamment en Allemagne et en Autriche, quatre structures ont joue un role decislf : - Le reseau des offices provinciaux pour les monuments naturels ou Tuxen officie. Braun-Blanquet a profite de ses ramifications en Allemagne pour donner de multiples conferences; - Le centre de Villach (Autriche), tenu par Aichinger, un forestier ; - Le centre de Stolzenau, dirige par Tuxen, proche de Harm-Munden. Tuxen s'est interesse aux forestiers selon deux modalites : premierement, en participant aux assemblees des forestiers allemands, que ce soit sur Ie plan national, en 1931, a Berlin, il n'est pas intervenant, mais participe aux discussions, ou bien au niveau regional comme en 1932 en tant que communlquant-". Deuxlemement, il a publie, entre 1929 et 1932, neuf etudes concernant directement la foret, Un hom me comme Hartmann qui cherche definir les unites vegetales dans les forets a eu ainsi de nombreux contacts avec Tuxen ; - La constitution en Allemagne d'un groupe d'etudes en sociologie vegetale forestiere (Arbeitsgemeinschaft fur forstliche Yegetationskunde) en 1928. 11 tient sa premiere cession en 1929, autour de personnalites telles que Hartmann (Harm-Munden), Rubner (Tharandt), Hesmer (Eberswalde), Feucht (forestier a Stuttgart), etc. ; et comprend trois departements. Le premier aborde l'etude de la geographic des plantes et la repartition des especes forestieres, Ie second leur histoire et Ie troisieme la sociologie vegetale forestiere. Afin de convaincre les forestiers de I'utilite de la sociologie vegetale, des excursions sont organisees a chaque assemblee de I'association des forestiers allemands. La premiere a eu lieu en Carinthie dans Ie domaine d' Aichinger, soit dans un terrain deja bien balise. Toutefois, les difficultes sont nombreuses. D'abord, les excursions doivent se produire dans les environs de la reunion, ceci implique une connaissance phytosociologique preexistante des Iieux ce qui n'est pas toujours Ie cas. Certains endroits sont bien etudies
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26 En 1932, Tuxen est intervenu par deux fois aupres de I' Association des forestiers Allemands du Nord-Ouest de l'Allemagne et du Harz. Tuxen R., «Wald- und Bodenentwicklung in Nordwestdeutschland », Ber, o». d. 37. Wanderversammlung d. nordwestdtsch. Forstver. zu Hanllov~r; 1932, pp. 17-38; « Die Bedeutung del' Vegetationskunde fur die Forstwirtschaft mit besonderer Beriicksichtigung Nordwestdeutschlands », Ber. d. Harz-Solling-Forstvereins ilb. d. 54. Hauptversammlung in Harzberg a. H. Hannover, 1932, pp. 15-21. 147
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU C<EURDES CONTROVERSES
d'autres non. Ensuite, le nombre des participants depend de la meteo, A Stuttgart (Wurtemberg), ils sont ISO, le temps est beau. A Breslau (Silesie), dans une region moins connue avec un temps peu clement, ils sont entre vingt et trente. En outre, l'unanirnlte ne regne pas parmi les tenants de I'approche sociologique de la foret au sein meme de ce groupe d'etudes. Rubner juge la voie de I'ecole zuricho-rnontpellieraine speculative notamment dans les espaces trop transformes par I 'homrne contrairement aAichinger. L'operation conjuguee de ces quatre elements a permis aux theories de Braun-Blanquet de penetrer dans Ie milieu forestler allemand. A ce sujet, Elisabeth von Gaisberg (18951938) et H. Schmid, dans un article sur les types de station d'eplceas du Wurtemberg, relatent leur approche methodologique. lis sont partis de la methode de Cajander pour verifier Ie rapport entre la station et Ie rendement en bois, puis i1s ont change d'orientation au profit de «la theorie floristique, genetique et par-dessus tout ecologlque des associations de l'ecole de l'Europe centrale (voir Braun-Blanquet, Hartmann) »)7. Ce changement d'approche ne s'est pas fait sans difficulte comme Ie soulignent les diverses reunions des forestiers allemands. Lorsqu'i1 est fait mention de la premiere fois du nom de Braun-Blanquet en 1929, celui-ci est siffle et, en 1935, Hesmer, citant son nom, note avec satisfaction qu'il n'est ni mal ni bien recu, En 1931, Otto Feucht (1879-1971) du service forestier de Stuttgart regrette « que la sociologie vegetate soil encore si peu connue dans les cercles forestiers»28. Pour emporter la decision, en dehors des canaux decrits ci-dessus, les forestiers ecrivent des articles dans des revues forestieres, essentiellement dans Forstliche Wochenschrift Silva et dans Forstarchiv. Cette derniere, en 1932, consacre un nurnero special aux apports de la sociologie vegetale pour la foresterie. Mais la conviction se gagne par des etudes de terrain et, ce titre, deux ont fait reference. La premiere a ete redigee par Braun-Blanquet et porte sur les associations forestieres du nord de la Suisse29. La seconde a ete ecrite par Hartmann en 1933 et couvre les peuplements forestiers de I' Allemagne du Nord 30 . Dans cette etude, il distingue les types de foret des types de peuplement. Les premiers concernent les unites naturelles resultant du climat, du sol et d'autres facteurs propres a la station. Les seconds comprennent les unites d'economle forestiere qui tiennent compte des unites naturelles et de I'influence de l'hornrne. Si les debats ne manquent pas sur I'approche Braun-Blanquet, un point est specifique aux forestiers allemands: Ie retour a la nature. En effet, en retrouvant les unites naturelles, n'est-on pas tente de revenir la foret telle qu'elle se presentait avant I'intervention de l'homme ? Sur ce point, des hommes comme Aichinger, Hartmann, Hesrner, sont tres clairs. Si I'utilisation de la methode Braun-Blanquet fait resurgir les unites naturelles, ce n'est en aucun cas un retour aux origines, mais: « Au lieu d'une economie forestiere
natures/", afin d'eviter certaines erreurs comme I'Introduction de resineux dans les associations de Quercito-carpinetum de la Prusse de I'Est plus propices au chene, Leur but est de definir les stations forestieres afin de produire Ie plus de bois possible en utilisant des essences adaptees qu'elles soient exotiques ou non. Toutefois les tenants de I'apport de la sociologie vegetate a la foresterie affichent aussi clairement leur preference pour la regeneration naturelle et les peuplements melanges. La presence des forestiers convaincus de la justesse des vues de Braun-Blanquet dans les colonnes des revues, sur Ie terrain de I'assernblee des forestiers allemands s'accompagne de leur accession des postes de responsabilite, Leurs carrieres sont, sur ce point, revelatrices, que ce soit pour Aichinger, Hesmer ou Hartmann. Tous les trois ont la particularite d'avoir une formation forestiere et non-forestlerel-. En outre, Hesmer et Hartmann ont exerce, un temps, comme assistant a I'institut de sylviculture d'Eberswalde tenu par Dengler. Pourtant, lorsqu'ils prennent parti en faveur de la sociologie vegetale, que ce soit pour les types de foret ou la methode Braun-Blanquet, leur statut n'est pas encore assure, ils ne sont pas en position de force dans Ie champ forestier. lIs s'expriment d'ailleurs dans des revues de creation recente, que ce soit Forstarchiv ou Ie Forstliche Wochenschrift Silva. En 1936, changement d'echelle, ils occupent des positions cles dans le champ forestier allemand. Aichinger est professeur de sociologie vegetale a Fribourg. Hartmann devient professeur titulaire a Harm-Munden et y fonde I'institut de sylviculture. Enfin Hesmer est nomrne directeur de I'institut de sciences forestieres Eberswalde et deux ans plus tard, il succede Dengler la tete de I'institut Moller en sylviculture. A la veille du second conflit mondial, plusieurs centres sont investis par les partisans de Braun-Blanquet, mais toute I'Allemagne n'est pas touchee, Tharandt reste elolgnee de ce debat, Tres peu d'articles sont publiesdans Ie Tharandter Forstliche lahrbuch sur ce sujet. Les regions gagnees aux theories de Braun-Blanquet se situent dans Ie nord-ouest de I'AlIemagne, grace a I'action de Tuxen a Stolzenau et de Hartmann a Harm-Munden, et dans sud-ouest dans Ie pays de Bade et Ie Wurtemberg autour du centre de Fribourg sous I'influence d'Aichinger, Feucht et d'Oberdorfer33 . II est legitime de s'interroger sur Ie fait que la sociologie vegetale se soit surtout developpee dans des centres forestiers de moindre importance que ceux de Munich et d'Eberswalde. Fribourg est de creation recente et Hanu-Munden dans une position inferieure tant en moyens qu'en personnels par rapport a Eberswalde. Pour cette derniere, meme si Hesmer occupe un poste important, il ne peut guere produire d'eleves au marne titre qu'un Dengler qui est encore en poste. En outre, il s'est surtout engage dans la voie de I'analyse pollinique. L'absence de representants de Munich s'explique aussi par les orientations prises par les professeurs. MUnch en botanique forestiere s'est engage vers la physiologie, Fabricius ne manifeste d'lnteret ni pour la question des types de foret, ni pour les theories de Braun-Blanquet.
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arbitraire, it doit etre pratique de nouveau une economie forestiere conforme
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27 Gaisberg E. V., Schmid H., « Uber Fichten-Slandortstypen in WUrttemberg », Forstarchiv, 9, 1933, p. 59. 28 Feucht 0., « PfIanzensoziologie und Forstwirtschaft », Forstl. Wochellschr. Silva, 7, 1931, p. 121 29 Braun-BlanquelJ., « Zur Kenntnis nordschweizerischer Waldgesellschaften», Beih. Bot. Cbl., 49, 1932, pp. 7-42. 30 Hartmann
F. K., « Zur soziologisch-okologischen Charakteristik der Waldbestlinde Norddeutschlands. Beitrage zur Beschaffung der pflanzensoziologischen und okologischen Grundlagen fUr die Unterscheidung neuer Wald- und Bestandtypen », Forstl. Wochenschr. Silva, 21, 1933, pp. 161-168,241-247,249-254,313-318. 148
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31
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Hesmer H., « Neue weg der vegetationskundliche Forschung », Jahrbuch der deutsche
Forstverein, 1935, p. 236.
Aichinger a suivi les cours de Schroeter a Zurich en 1923/24. Hesmer etait a l'universite de Kiel i en 1926/27 et Hartmann a celie d'Halle en 1921/22. 33 En 1936, Oberdorfer publie la premiere carte de la vegetation sur I 'ensemble d'une province, Ie pays de Bade, pour l'Allemagne. II est aide scientifique en botanique el protection de la nature dans la collection regionale badoise pour l'histoire naturelle a Karlsruhe et donne des cours de sociologie vegetate a Fribourg apres Ie depart d'Aichinger. Oberdorfer E., Lebenserinnerungen des Pflanzensoziologen E. a., Jena-Stuttgart : G. Fischer, 1995, p. 94. 149 32
L'ECOLOGIE EN APPLICATION En Suisse, la demarche a ete differente et les idees de Braun-Blanquet n'ont pas rencontre d'opposition. L'interaction entre Ie champ forestier et non-forestier est deja
importante. Braun-Blanquet a dernontre son interet pour la foret par son etude de 1932. Auparavant, Walo Koch avait prepare Ie terrain en publiant en 1926 une recherche sur les associations du nord-est de la Suisse34. Enfin, Leibundgut devient professeur de sylviculture, en 1939. C'est un partisan de I'approche Braun-Blanquet. En Hongrie, Ie processus est comparable Ii ce qui se deroule en Allemagne. L'utilite de la flore en foresterie a ete eveillee avant la guerre dans la foresterie par llIes et F. Kiss. Ce dernier a utilise la flore du sol afin de definir les posslbilites de reboisement. Toutefois, les idees de Braun-Blanquet penetrent par l'Intermediaire de Rezso Soo (1903-1980), a Debrecen (Hongrie), a partir de 1928, qui fonde son ecole de geobotanique. II s'ecarte alors de I'approche d'Uppsala. Enfin Magyar, assistant Ii la station de recherches forestieres de Sopron, fait la liaison avec les forestiers par ses travaux sur les reboisements des sols sablonneux en 1933 et 193635. A ce processus d'extension de la methode Braun-Blanquet, d'autres centres prennent une direction opposee, .
Le front du refus : I' exemple francais En France et en Italie, deux pays rnediterraneens, les theories de Braun-Blanquet n'ont guere rencontre de succes aupres des forestiers. Bien que la SIGMA ait ete fondee Ii Montpellier, que Braun-Blanquet ait fait de nombreuses etudes sur la vegetation rnediterraneenne dont sa these, et que cet espace legitime done son approche. Ceci tient essentiellement a la position de force que les deux representants de l'ecologie forestiere detiennent dans leur champ scientifique : Guinier (France) et Pavari (Italie). Le premier est professeur de botanique et surtout directeur de I'Ecoie nationale des Eaux et Forets, Ie second est professeur de sylviculture et directeur de la station de recherches forestieres a l'universite de Florence. Ces deux pays ont une formation forestiere centralisee qui interdit pratiquement a toute dissidence d'avoir droit au chapitre. Guinier est reste fidele Ii Flahault et Pavari Ii Mayr, Leurs eleves se sont evertues Ii reproduire Ie modele enseigne. Pourtant, Braun-Blanquet s'est adresse, Ii plusieurs reprises, aux forestiers francais, Afin de les convaincre, U s'est efforce d'attirer leur attention sur la valeur indicatrice de la flore en tenant compte des echecs en matiere de reboisement dans les Cevennes meridionales, du Pic de la Fajole au Grand Aigoual. « Ce resultat negatif etait pourtant a prevoir»36, ecrit Braun-Blanquet, car la presence d'un Jonc tJuncus trefidus) et d'un trefle alpin indique des conditions de station tres rigoureuses interdisant toutes plantations. II est aile plus loin en assurant la promotion du pin d'Alep. Pour lui, cette essence est la meilleure assurance de la reconstruction du paysage degrade mediterraneen en vue de realiser son climax autour du Chene vert. La phytosociologie repond a deux questions: «
L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AUCCEUR DES CONTROVERSES Comment et quand introduire le Pin d'Alep ?... Quelles sont les associations vegetates qui l'acceptent volontiers et sans interventions trop couteuses ? »37. Ce faisant, iI intervient directement dans Ie choix des essences, domaine devolu aux forestiers. Toutefois, il a toujours pris soin de preciser que ses conseils en la matiere ne font pas de lui un forestier, iI en est un auxiliaire. Ces exemples ont ete recurrents tout au long de sa carriere. Nous les retrouvons en 1936, dans son etude sur la chenaie d'Yeuse, en 1949, dans une communication SIGMA et, en 1952, dans un article pam dans Scientia3 8 . II profite de chaque occasion pour souligner que certains forestiers francais comme Max Negre (1880-1960) sont convaincus par ses methodes ... Ce qui rebutent les forestiers francais, c'est Ie mode de designation des associations vegetales, non seulement I'ajout du suffixe etum, mais egalernent Ie fait de qualifier les associations ou des resineux dominent et prosperent par Ie terme de Quercito-carpinetum, qui indique la presence du chene visiblement absent. A cette critique, les forestiers ajoutent que la validite de la rnethodologie de Braun-Blanquet se pose pour les forets fortement touchees par I'homme ou la flore a ete profondement rnodifiee sur une longue duree. Elle ne possede plus de reelle valeur indicatrice. Les forestiers francais ont privilegie une autre piste s'appuyant sur l'etude du climat, avec Martonne et Emberger s'opposant a I'approche floristique de Braun-Blanquet. En 1926, Martonne propose une formule pour c1asser les climats : I'indice d'aridite. II Ie presente, la merne annee, dans trois revues au public different : les Comptes rendus hebdomadaires des seances de l'academie des sciences, La MeMorologie et Ie Bulletin de l'association de geographie francaise. La premiere est la revue officielle de la science francaise, lue a I'etranger, la seconde, I'organe de I'association des meteorologues francais. La derniere est caracteristique des geographes francais et Martonne en est Ie fondateur, En outre, a cette date, il est un scientifique reconnu et professeur Ii la Sorbonne. Un an auparavant, it a reedite son ouvrage fondamental, Ie Traite de geagraphie physique, en collaboration avec Chevalier et Cuenot.j Cinq ans plus tard, Perrin fait part de l'Interet de cet indice pour la foresterie dans les Comptes rendus hebdomadaires des seances de I l'academie des sciences et lors du congreside I'Association Francaise pour I'Avancement des Sciences a Nancy de 1931. I Martonne a mis au point cette notion en etudiant les regions ou les precipitations ne forment aucun ecoulemenr, qu'll designesous Ie terme d'areisrne. II a remarque que la repartition de ces zones depend d'une certaine quantite de precipitations (P) et d'un certain degre de temperature (T), Elles sont done localisees. II aboutit ainsi a la formule qu'il a nomme « Indice d'aridite » : P 1=--·
T+lO
Perrin a repris cette classification en I'adoptant ala foret. II est parti de I'indice 20 soit « le minimum exige par les formations ligneuses »39 jusqu'a 40, qui marque l'optimum d'une formation forestiere, Guinier en a fait part dans son cours et en a donne Ie tableau suivant:
34 Koch W., « Die Vegetationseinheiten del' Linthebene unter Berucksitigung del' Verhaltnissse in del' Nordoslschweiz. Systernatisch-kritische Studie », Jahrbucb St Gallen Naturw Ges, 61, 1926, pp. 1-146. 35 Csapody I., Jakucs P., «The relationship between Hungarian forestry research and vegetation research », in G. Jahn (Ed.), Application of vegetation to forestry, op. cit., pp. 225-266.
37 Braun-Blanquet J., « La phytosociologie au service du pays », Communications de la SIGMA,
36 Braun-Blanquet J., « Un problerne econornique et forestier de la Garrigue languedocienne »,
39 Perrin H., « Indices d'aridite et types de vegetation forestiere », Comptes rendus hebdomadaires
Communications de La SIGMA, 35, 1934, p. II.
des seances de l'academie des sciences, 1931, p. 1272. 151
ISO
102, 1949, p. 13. 38 Braun-BlanquetJ., « Phytosociologie appliquee », Scientia, 87, 1952, pp. 155-161.
L'ECOLOGIE EN APPLICATION
L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU CffiUR DES CONTROVERSES p
I voisin I voisin I voisin I voisin
de de de de
5 10 20 30
Desert Steppe (herbe en taches discontinues) Prairie Foret commence Foret prospere 1>40 .. Tableau 18. Indices d'arid,te et vegetatIOn. Sources,' Guinier P., 1996. Un tel indice permet, en premier lieu, de savoir si une region est propice ou non a' la vegetation forestiere et de determiner a quel type elle se raccorde. Cela facilite done les reboisernents, s'i1s sont possibles ou non et I'lntroduction des exotiques « puisqu'il
autorise la determination de l'adaptation biologique la plus conforme au climatde la station envisagee et facilite la comparaison de ce climat avec celui qui regne au pays d'origine des especes a introduire »40. En 1930, Emberger ecrit pour la Revue Generale de Botanique l'article suivant : « La vegetation de la region mediterraneenne. Essai d'une classification des groupements vegetaux », dans lequel iI propose un quotient pluviothermique. Sa publication est reprise et discutee longuement dans la Revue des Eaux et Forets par Salvador sur sept pages. Emberger est parti du climat, car iI fixe la vegetation d 'une region et il en donne la definition suivante : « La Region represente une grande etendue. possedant partout les
memes trails generaux determines par un climat uniforme dans ses caracteres essenuelss/r), Chaque region est divisee en territoires climatiques caracterises par un etage de vegetation, son tour, subdivise. Mais Emberger ne se contente pas de Iier clirnat et vegetation differents niveaux, iI met en parallele sa classification avec celie des taxinomistes ou des phytosociologues comme Du Rietz et Braun-Blanquet, Comme tout part du climat, iI faut degager une formule qui puisse Ie deflnir, plus precise que l'indice d'aridite, qu'i1 juge « insuffisant pour exprimer les phenomenes biologiques »42. Pour elaborer ce quotient, Emberger s'attache trois facteurs climatiques: les precipitations, les temperatures et l'evaporation, afin de mesurer la secheresse du c1imat. Les premieres, i1les mesure par la formule :
a
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a
PxN 365 P represente les precipitations et N Ie nombre de jours de pluies.Les temperatures sont calculees en fonction des moyennes des minima du mois Ie plus froid (m) et du maxima du mois Ie plus chaud (M) ce qui donne:
M+m 2 Enfin, I'evaporation est mesuree par la soustraction suivante :
M-m Plus l'ecart entre les deux est grand, plus l'evaporation est forte. Le tout aboutit au quotient pluviornetrique : 40 Perrin H.,« Indices d'aridite et types de vegetation forestiere », op cit., p. 1273. 41 Emberger L., « La vegetation de la region mediterraneenne, Essai d'une classification des groupements vegetaux », Rev. Gen. Bot., 42, 1930, p. 26. 42 ibid. p. 31 152
2[(M;m )X(M -m)]
x 100
Son quotient soufre de suite d'un defaut, iI obtient Ie meme resultat pour Boulogne (Pas-de-Calais) et pour Skikda (Philippeville) en Algerie. Emberger a alors recours a un tableau ou, dans les ordonnees, sont inscrits les produits du quotient et sur les abscisses la moyenne des temperatures minima, ce qui lui donne une vision plus realiste du climat. Fort de cette modification, iI distingue cinq etages de vegetation.
Vegetation foresuere produite
Types de climat
II n'exclut pas forcernent la vegetation forestiere ; les forets y sont habituellement tres claires et comparables aux savanes Climat mediterraneen et etage de II se caracterise par des forets de Thuya et de Pin vegetation mediterraneen semi- d'Alep, Cypres, Genevrier rouge et Pin Pignon arides Climat mediterraneen et etage de C'est l'etage de l'Olivier, du Lentisque et du Chenevegetation mediterraneen Liege Climat rnedlterraneen et etage de vegetation mediterraneen arides
ternperes
Climat mediterraneen et etage de «Nulle part la foret ne croft avec plus de vigueur ; vegetation mediterraneen nulle part ailleurs elle n'abrite plus de richesses». On y trouve les chenes feuilles caduques, Ie chene humides vert, Ie cedre, les sapins, Ie pin maritime, Ie pin Laricio, Ie chataignier Climat mediterraneen et etages L'arbre y rencontre sa limite. En desso us, iI est de vegetation mediterraneens de compose surtout de resineux : Cedrus, Abies, Pinus. JunifJe~us hautes montaanes Tableau 19. Les elages de vegelation d'apres Ef"berger. Sources: Emberger, 1930.
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Cette classification permet de mieux definir les possibilites en matiere d'introduction d'especes, de reboisements aussi bien en France qu'en Algerie ou au Maroc. D'autre part, elle rassure Ie forestier puisque Emberger n'exclut I'arbre d'aucun etage sauf des limites superieures. Entin, il redefinit c1airement Ie problerne de la limite de la region mediterraneenne en France qui, depuis les travaux de Durand et Flahault, repose sur I'olivier. Pour Emberger, I'indice est rechercher dans la conjugaison de deux facteurs: une augmentation de la pluviosite et des temperatures basses, soit des indices quantifiables ... Pourquoi Emberger recoit-ll un tel eloge sur plus de sept pages dans la revue forestiere? Jusqu'en 1930, iI n'a ete ni cite ni mentionne dans cette revue. En outre, iI n'enseigne pas en France rnais au Maroc, ou iI est Ie chef du service botanique de l'Institut scientifique cherifien, En fait, il a eLe seduit par Flahault, lorsqu'iI enseignaiL a la faculte de pharmacie de Montpellier. Dans son article sur la vegetation mediterraneenne, ille cite \ des Ie premier chapitre en precisant qu'i1 reste fidele aux principes ernis au congres de Paris en 1900. S'ille critique dans sa conclusion au sujet de la valeur de I'olivier comme indicateur des lirnites de la region mediterraneenne, il rappelle que, pour I'epoque, Flahault et Durand ne disposaient pas d'indicateurs valables. En d'autres termes, iI s'inscrit en droite ligne des travaux de F1ahault et ne fait que poursuivre son ceuvre, Sur ce
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L'ECOLE BRAUN-BLANQUET AU CffiUR DES CONTROVERSES
plan, il offre toutes les garanties pour les forestiers dont Guinier. De plus, il investit un espace sensible: la Mediterranee et ce n'est pas un hasard que ce soit Salvador qui fasse Ie commentaire de I'article, alors conservateur a Toulouse. Enfin, Emberger presente un systeme a opposer a celui de Braun-Blanquet Salvador Ie signale sans ambages. En montrant la dependance de la vegetation vis-a-vis du c1imat, son etude «interesse tout speclalement les forestiers, qui ont beaucoup plus apprendre de l'ecologle que de la phytosociologie pure et qui sont beaucoup plus pres de la vieille Ecole du professeur Flahault que de l'ecole Pavillard-Braun-Blanquet »43. Emberger a ete toutefois critique par Alfred Joubert, non dans la Revue des Eaux et Fortis, mais dans Ie Bulletin trimestrlel - Societe forestiere de Franche-Comte et des Provinces de l'Esr44. Celui-ci souligne Ie rnerite d'Emberger d'avoir degage pour les forestiers la notion d'etage de celie d'altitude. En revanche, il affiche sa reticence a I'emploi de formules rnathematiques, tendance qui existe depuis longtemps parmi les forestiers francais, mais aussi allemands. Surtout, Joubert insiste sur la necessite de prendre d'abord en compte la dynamique des associations. Emberger a continue ses travaux dans cette direction. En 1937, il est devenu professeur de botanique a Montpellier, succedant a Pavillard. En 1943, il publie un article dans Ie Bulletin de la societe d'histoire naturelle de Toulouse'>. Dans son introduction, il ecrit : « Le probleme de l'alre de vegetation mediterraneenne en France est, en effet, inseparable de celut de l'etendue du climat mediterraneen. C'est done l'ecologle que nous demanderons la solution du probleme et non aux methodes floristiques»46. Des Ie debut, il s'oppose aux phytosociologues refusant d'accorder une valeur indicatrice fiable a I'olivier ou chene vert comme Ie preconise Braun-Blanquet. Pour Emberger, tout part du climat, il delirnite la vegetation et represente I'elernent stable. De nouveau, it en arrive une formule qui exprime la limite du c1imat mediterraneen ou si Ie resultat est superieur 7, alors nous sommes hors de I'aire du climat rnediterraneen :
la un point de difference essentiel par rapport aux autres Btats europeens, En Allemagne, en Autriche, la phytosociologie accompagnee d'une analyse pollinique des tourbieres doit definir les aires de repartition des essences sans recourir a des formules. En France, le debat est restecentre sur les limites, que la biogeographie permet de tracer scientifiquement en se passant des services de la sociologie vegetale, D'un autre cote, la biogeographie s'affiche comme une science exacte degagee de I'impression. Emberger utilise a plusieurs reprises I'image du voyageur qui se rend compte de certains phenomenes mais qui ne les explique pas, a ce propos il ecrit : « Aucune limite ne frappe davantage le voyageur le moins averti des choses de la geographie que celle qui separe le « Midi» du reste de la France »48. Le scientifique est la pour fa demontrer, la formuler ...
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Pluviosite estivale(p
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Moyenne des maximums du mois Ie plus chaud (M) Que ce soit Martonne ou Emberger, I'enjeu est bien Ie merne, il s'agit «de classer rationnellement les divers types de vegetation [... ] en faisant abstraction de la composition floristique: tous les ensembles de vegetation qui croissent sous un meme climat sont homologues, equivalents, quelle que soit leur composition floristique »47. L'objectif est de se passer de la phytosociologie ou de minimiser son utilite, Comme cette derniere s'appuie sur la flore ou plus precisement sur I'association qui doit reveler toute I'ecologle du milieu, un scientifique comme Emberger prend appui sur Ie climat pour aboutir a des formules avec lesquelles il delimite les divers groupements vegetaux. C'est
Revue des Eaux et Forets, 69, 1931, p. 340 a p. 348, CR de I'article de L. Emberger, « La vegetation de la region rnediterraneenne », Revue Generate de Botanique, 1930, par J. Salvador, p. 342. 44 Joubert A., « Sur un essai de classification des groupements vegetaux », Bulletin trimestriel Societe forestiere de Franche-Comte et des provincesde l'Est, 19, 1931, pp. 158-160. 45 Emberger L. « Les limites de l'aire de vegetation rnediterraneenne en France», Bull. Soc. Hist. Nat. Toulouse, 78,1943, pp.158-180. 46 ibid., p. 158. 47 Emberger L., « Une classification biogegraphique des c1imats», Annee Biologique, 1955, p. 231. 154
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Des voies dissidentes : Tharandt et l'ecole de Nirnes En Europe centrale, un llot, Tharandt, a pris une orientation differente sous la houlette de Vater et de Krauss. En 1924, Ramann, Ie professeur de pedologic, et Rebel, Ie rapporteur en sylviculture et en amenagement du Land de Baviere, desirent mettre en place dans chaque service d'amenagernent au sein des circonscriptions administratives de la Baviere une etude des stations. Auparavant, ils doivent former un assistant: Krauss, mais ce plan ne peut etre realise. Krauss est appele a Tharandt pour succeder a Vater. La, il va s'attacher a Ie realiser, d'autant plus que Vater a deja en tame une reflexion dans ce sens. Krauss s'appuie sur les « zones de croissance» (Wuchsgebieten), non sur les frontieres administratives afin de proposer des amenagements sylvicoles en fonction de ces zones naturelles et non plus selon Ie cantonnement. L'unite fondamentale, forrnulee par Vater des 1923, est done la « zone de croissance », definie par une situation, un climat et un sol identiques. Si la flore peut servir d'indicatrice, Ie sol reste l'element primordial puisqu'il contient certaines proprietes perrnanentes que ne possede pas la flore. Le but est de produire une cartographie des differentes stations en Saxe afin d'aider les forestiers : dans leurs pratiques sylvicoles. Pour etabllr avec certitude ces stations! Krauss fait appel a plusieurs specialistes issus de differentes disciplines (botanistes, geologues, pedologues, climatologues), qu'iI regroupe au sein du Groupe de travail regional pour les stations forestieres (Regionale Arbeitsgemeinschaft fUr forstliche Standortskunde) fonde en 1926. II s'agit de prendre en compte Ie paysage forestier dans sa complexite. Ce groupe collabore avec la direction regionale des amenagements forestiers de Dresde, I'administration regionale geologique de la Saxe et, a partir de 1927, avec la station de recherches en pedologic forestiere de I'universlte de Jena. Peu a peu, Ie champ d'investigation est etendu de la Saxe la Silesie et aux Sudetes, apres leur annexion. Les travaux trouvent un debouche dans Ie Tharandter Forstliche Jahrbuch parfois so us la forme d'un nurnero thematique. Enfin, des excursions sont organisees avec des etudiants de Tharandt sur les lieux d'investigation du groupe de travail. Cette politique a dure dix ans et s'est achevee en 1936. Un an auparavant, Krauss a ete appele pour rem placer Richard Lang (1882-1935) a la chaire de pedologie de Munich. Cette demarche a ete innovante. Pour la seconde fois (apres la Finlande), une administration forestiere s'est engagee dans I'etude des stations sur I'ensemble d'une region en vue d'amenager des forets,
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48 Emberger L.,« Les limites de I'aire de vegetation rnediterraneenne en France», op.cit., p. 158.
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Si, en Allemagne (3 Tharandt), il s'est deploye une voie originale en dehors des courants dominants, en France une approche similaire voit Ie jour dans I'espace rnediterraneen : l'ecole de Ntmes, Cette derniere se developpe en opposition a celie de la SIGMA et 3 I'administration forestiere, Elle s'est federee dans Ie Sud de la France, au contact de personnalltes comme F1ahault mais surtout de Kiihnholtz-Lordat, professeur de botanique 3 I'Ecole nationale d 'agriculture de MontpeIlier. Elle a reuni des forestiers comme Ducamp, Airne Flaugere, Joubert. Ces hommes se sonL exprlmes dans Le chene, edite, 3 partir de 1932, par la Societe Forestiere Mediterraneenne et Coloniale. Leurs travaux ont ete aussi reiayes dans Ie Bulletin trimestriel - Societe Forestiere de FrancheComte et des Provinces de l'Est. Enfin, elle s'appuie sur I'arnenagement de la Foret de Valbonne (Gard). Le massif de Val bonne a ete I'objet d'une etude particuliere faite par deux forestiers (Flaugere et Joubert), un phytogeographe (Kuhnholtz-Lordat), un geologue (Marcelin) et Ie conservateur du Museum d'histoire naturelle de Nimes pour la pedologief", Cette recherche est la premiere etude collective reunlssant divers specialistes en vue de I'amenagement optimum d'une Foret. La prochaine 3 avoir une telle dimension a eu lieu en 1958 avec la Foret du Ban-d'EtivaI 50. La Foret de Valbonne s'etale sur 1.400 ha et est composee de taillis dont l'evolution a ete jugee regressive, c'est-a-dire 3 l'oppose d'une evolution climacique par Kiihnholtz-Lordat. Le but de I'amenagement est de renverser cette tendance et d'engager la Foret vers son climax afin qu'elle se regenere par ses propres moyens et qu'elle puisse fournir un maximum d'«utiliti». La methode proposee consiste en une re-colonisation par taches 3 partir des perimetres les moins degrades, localises generalement dans les combes fraiches, les talwegs et les replats. Des resineux doivent y etre introduits avec parcimonie dans un deuxieme temps, auparavant il faut laisser du repos 3 la Foret pour recreer une « ambiance» forestiere favorable. II s'agit de creer, 3 terme, une futaie jardinee, Le forestier est ainsi amene 3 surveiller de pres l'evolution du massif en se gardant d'intervenir notamment dans les clairieres qui seront comblees naturellement. Par cet arnenagement, les forestiers de l'Ecole de Nlmes disposent done d'un modele. Leur idee centrale est d'appeler en faveur d'une sylviculture qui differe selon les lieux tenant compte des dimensions ecologiques du terrain. II faut respecter la nature et ne reboiser que 13 ou c'est necessaire. Pour cela, i1s reprennent Ie concept forge par FIahault de « terres vocation forestiere » et s'appuient sur une autre idee: toute formation vegetale cree sa propre ambiance. En effet, la Foret genere un climat interne et une ambiance forestiere, Ces deux notions sont voisines, mais pas identiques. La premiere renvoie 3 la constitution d'une vegetation propre 3 la Foret qui forme un milieu specifique, independant du climat externe. L'arnbiance fait reference 3 une conception dynamique de la Foret. Si elle contient la notion de climat interne, elle fait aussi reference dans la reconstitution d'un massif ala necessite de reconstruire les elements qui assurent 3 la Foret sa perennite comme Ie sol forestier. Ainsi, une fois l'ambiance arnorcee, me me si on a affaire 3 un terrain degrade, la formation aboutit naturellement 3 son climax.
En 1938, Ktihnholtz-Lordat donne une dimension nationale 3 cette ecole dans La Terre tncendieet), Dans la conclusion generate, il rappelle les objectifs de I'ecole de Nirnes, ceci prend en fait la forme d'une mise au point. Ses tenants ne desirent pas transformer la garrigue en une hetraie mais « reconstituer une foret assurant elle-meme sa perennite malgre le berger »52. II s'agit done de reconstruire une Foret climacique, peu sensible au feu et autorisant l'elevage. Cette ecole emerge 3 I'epoque ou les besoins en bois d'oeuvre se font sentir, ou l'industrie papetiere fait pression pour utiliser massivernent des resineux, En 1933, la Foret de Valbonne est transforrnee, avec d'autres massifs, en une reserve naturelle sur une initiative de Max Negre, Elle devient un objet d'etudes, une particularite, rnais, par ce biais, perd son role de modele. L'amenagement propose ne concerne qu'une Foret dont la reconstitution echappe, en fait, a la societe, une Foret pour elle-rneme, La hierarchie forestiere a ecarte cette nouvelle ecole comme Ie mentionne Buttoud : « Refusant d'abord de cautionner les critiques, l'appareil marginalisa ainsi ses plus grands sylviculteurs qui furent peut-hre des ecrivains prolifiques, mais qui ne gravirent jamais les plus hauts echelons de la hierarchic administrative »53. En outre, la prudence s'impose, Ie long terme forestier fait loi, si certaines methodes peuvent apparaitre comme defectueuses, rien ne prouve que les autres apportent un meilleur resultat. En d'autres terrnes, l'experience prend encore Ie pas sur I'experimentation, Cette ecole souffre d'un autre handicap: Kiihnholtz-Lordat ne peut produire d'eleves, II forme des ingenieurs agronomes qui ne sont destines ni a I'Ecole forestiere de Nancy ni a la recherche. Les postes des sont a Nancy pour I'enseignement et la recherche ou a Paris pour I 'amenagement, En s'imposant dans Ie champ de la sociologie vegetate, I 'ecole Braun-Blanquet a deborde sur la foresterie suscitant des debars, des oppositions, des reactions. En d'autres termes, toute approche en matiere de sociologie se definit par rapport a I'ecole zurichomontpellieraine y compris pour l'approclje de Du Rietz sauf en URSS qui poursuit une voie independante, Dans Ie monde forestier, cela genere deux approches : celie de Tharandt et l'ecole de Nimes, ou la sociologie vegetale deborde sur la sylviculture. Que ce soit aTharandt, a Nancy, en Finlande, l'ecologie se donne pour mission de definir Ie cadre dans lequel Ie forestier est appele a intervenir, A aucun moment, avec I'apport de la phytosociologie ou de la sociologie vegetale, iI n 'est question de sylviculture. Malgre tout, la frontiere a ete vite franchie a I'image de cette ecole nimolse.
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49 Flaugere A., Marcelin P., Kuhnholtz-Lordat G., Joubert A., «Science forestiere et phyLosociologie. L'enseignement de la Foret de Valbonne», Annales de l'ecole nationale d'agriculture de Montpellier, 1933, p. 160. 50 Duchaufour P., Parde J., Jacamon M., Debazac E., « Un exemple d'utilisation pratique de la cartographie des stations: la Foret du Ban d'Etival (Vosges»), Revue forestiere francaise, 10, 1958, pp.597-630.
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51 Kuhnholtz-Lordat G., La Terre incendiee, Nirnes : Maison Cartee, 1938, p. 361. 52 Ibid., p. 255.
53 Buttoud G., ettat forestier, Politique et administration des forets dans l'histoire francoise contemporaine, op. cit, p. 201.
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Ecologic et sylviculture d'une alliance objective a une refutation I Des Ie debut du XXe siecle, Ie rapport entre ecologic et sylviculture s'elabore, La sylviculture s'efforce de reposer davantage sur des bases scientifiques plus que sur des criteres economiques. L'image fournie par la foret vierge et la volonte de proteger Ie sol constituent autant d'elements developpes dans Ie Sud de I'Allemagne et en Suisse autour de modeles comme Ie Femelschlag (regeneration par coupes progressives) de Gayer, Ie Blendersaumschlag (coupe en lisiere a forme jardinatoire) de Christof Wagner et la foret jardinee de Gurnaud-Biolley, Les sciences naturelles tendent cautionner ces methodes. Dans les annees 1920, la situation s'inverse, I'ecologie sert refuter deux theories: Ie Blendersaumschlag et Ie DauerwaLd (la foret permanente) de Moller.
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La construction d'un lien Dans les annees 1880, deux courants convergent dans I'espace germanique. Le premier repose sur I'idee d'une sylviculture proche de la nature fondee sur la regeneration naturelle et la creation de peuplements rnelanges-, L'expression « d'economle conforme La nature» fait son apparition dans les ecrlts de forestiers allemands dont ceux de Gayer. Le second 'provient des sciences naturelles. II vise comprendre les mecanismes qui permettent au milieu de se reproduire et cherche a reconstituer Ie paysage naturel en dehors de I'influence de I'Homme. Desirant s'appuyer sur des bases naturelles, ce nouveau courant sylvicole tisse une alliance 'objective avec l'ecologie naissante. Ce type de sylviculture a pris naissance en Allemagne du Sud et en Suisse en opposition au modele dominant: plantation - coupe blanc - plantation. Les forets y sont plus diversifiees, notamment en raison d'une presence plus affirrnee de feuillus, pour experimenter d'autres methodes sylvlcoles, Enfin, la structure politique joue un role important: Ie poids des regions en Allemagne et I'organisation confederale de la Suisse ont offert a des courants de trouver un terrain d'application a I'echelon regional. En France, la centralisation n'offre pas la rnerne marge de maneeuvres. Toutefois, la sylviculture francaise ne repose pas sur des bases identiques par rapport a ses voisins. La doctrine qui prevaut a pour objet la realisation de lafutaie pleine et s'organise autour des principes definis par Lorentz : « Production soutenue, regeneration naturelle, amelioration progressive »3. Elle a pour nom, la methode allemande, en raison de son
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1 II paraissait difficile de separer I'histoire sylvicole d'avant la guerre de 1914 de celie de l'entredeux-guerres, les deux phases etant etroitement liees. 2 Schutz J.-P., Sylviculture J. Principes d education des forets, Lausanne: Presses Poly techniques et Universitaires Romandes, 1991, p. 12. 3 Buttoud G., L 'Etat forestier. Politique et administration des forets dans l'histoire fran raise contemporaine, op. cit, p. 186.
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ECOLOGIE ET SYLVICULTURE
origine, et pour maitres : Parade et Lorentz''. Cette conception erigee en dogme ne souffrail pas la moindre critique. A partir de 1870, sa remise en cause s'accompagne d'une modification de l'idee meme de foret qui n'est plus consideree com me une somme d'arbres mais comme un organisme. La sylviculture francaise suit une voie specifique et se degage de I'influence allemande en developpant l'eclalrcie par Ie haut mieux adaptee aux futaies de feuillus. II ne s'agit plus de reproduire un modele mais de s'adapter au terrain. Ainsi Alfred Puton (1832-1893), professeur d'amenagernent forestier Nancy, estime que lorsqu'un arnenagement prend fin, la regie ne doit pas etre de le reproduire sine die, iI faut, au contraire, etudier Ie peuplement et reprendre son arnenagernent soit en Ie maintenant, soit en Ie transformant, tout depend des conditions locales. Le jardinage, condarnne par Parade et Lorentz, reapparait, a partir de 1885, sur les forets situees sur des pentes tres fortes pour etre generalise aI 'ensemble des forets alpines afin de favoriser la regeneration naturelle. En Allemagne et en Suisse, les theories sylvicoles se sont fondees sur des experiences locales. Gayer est indissociable de sa gestion de la Foret domaniale de Heinheimerforst (Wurtemberg), Wagner a gere, de 1896 a 1903, Ie cantonnement forestier de Gaildorf (Souabe) et Biolley la Foret de Couvet (canton de Neuchatel). Gayer a forrnule Ie Femelschlag dans les annees 1880. Ce dernier est une conception sylvicole qui vise a promouvoir une economic naturelle. II rejette l'emploi de la coupe blanc qui revient miser tout sur une seule espece et releve du jeu de hasard. Le sol ne doit jamais etre libere afin de proteger la Foret contre l'erosion et l'assechernent. Muni de ces principes, il faut constituer une Foret durable et amenageable, c'est-a-dire qui puisse utiliser au mieux les forces de la nature sans les bouleverser. La realisation de cet objectif passe par la foret melangee tant au niveau des essences que des ages sur de petites surfaces, sur lesquelles la regeneration se realise naturellement tout en maintenant la couverture arboree, II doit y regner un certain desordre a l'Irnage de la foret vierge. Toutefois, cela ne signifie pas que ce systeme puisse etre etendu a toutes les stations. Au contraire, dans certains cas, Ie peuplement artificiel s'impose, la oil la regeneration naturelle ne parvient pas a prendre racine, mais un imperatif reste : ne pas denuder Ie sol. Les theories de Gayer ont trouve un echo en Suisse aupres d'Arnold Engler. Son ouvrage de sylviculture a ete traduit en russe en 1898, en francais en 1901 et en neerlandais en 1908 5. En Allemagne, Ie Femelschlag est reste une question interne aux regions du Sud (Baviere, pays de Bade, Wurtemberg). II n'a ete mentionne que trois fois lors des assernblees generales des forestiers allemands (1880,1890 et 1901) et n'ajamais fait I'objet d'une recommandation generate. Wagner n'a pas eu Ie merne parcours que Gayer, apres des etudes en foresterie a l'universite de Ttibingen, il entre dans le service forestier prlve pour prendre en charge la direction du cantonnement du comte de Puckler-Lirnpurgisch de Gaildorf dans Ie Jura franconien en 1896. A partir de 1902, il commence a donner des cours a I'universite de Ttibingen avant de succeder a Carl Julius Tuisko Lorey (1845-1901) l'annee suivante comme professeur de sciences forestieres. Avec la publication de deux ouvrages, en 1907
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et en 1912 6, il atteint sa notoriete
et, en 1913, lors de l'assernblee generale des forestiers allemands, Ie Blendersaumschlag est I'un des principaux themes de discussion. Dans son premier livre, Wagner explique que la sylviculture doit respecter deux principes : un ordre naturel et un ordre economique, et qu'aucun des deux ne peut prendre Ie dessus sur l'autre, Mais il est necessaire de suivre l'ordre naturel de la Foret pour obtenir la meilleure rentabilite, Son systeme cherche a maintenir la fertilite du sol, a utiliser au maximum les possibilites de la station, a eviter I'exposition brutale du sol a la lurniere et a garder une certaine humidite. Le Blendersaumschlag repose sur Ie peuplement melange et la regeneration naturelle. Rejetant les coupes sur de grandes surfaces, il instaure comme principe la petite coupe avec une recolte et un rajeunissement par bordure et par bande tout en pratiquant la regeneration naturelle. Son objectif vise a reduire les coOts de production et a produire Ie plus possible de bois. Sa demarche au depart etait theorique, il n'a pas emprunte la voie habituelle qui consiste Ii partir d'une pratique forestiere puis a la theoriser et enfin a la generaliser. Au contraire, apres avoir concu son projet, ll I'a appliquee dans Ie cantonnement de Gaildorf autour de 1900. Wagner etalt egalement porteur d'une vision globale de la foret, ce que Karl Abetz a souligne dans sa necrologle : « C'etait un homme ayant un regard scientifique global... Aujourd'hui [en 1936] ra nous semble une evidence, de poser un regard global en premier plan; mais ce n'etait pas le cas it l'epoque »7. Gaildorf a ete la vitrine des conceptions sylvicoles pour Wagner. II ya accueilli des forestiers venus d' Allemagne du Nord (Moller et Kienitz). En revanche sa theorie n'a pas deborde les frontieres de I' Allemagne. Elle a ete forrnulee par ecrit a la veille de la premiere guerre mondiale et n'a pas dispose du temps necessaire pour trouver un echo a I'etranger. En outre, elle est apparue comme etant trop specifique au WurLemberg. La theorie de la Foret jardinee n'est pas nouvelle et a ete forrnulee en 1873 par August Bernhardt (1831-1879), professeur de sciences forestieres a Eberswalde, mais sans succes'', En fait, elle resurgit en Suisse avec Biolley qui, apres avoir suivi des etudes Ii Zurich, est entre en fonction Ii Berne. Le' Conseil d'Etat du canton de Neuchatel a fait appel lui pour remplacer Moritz Neukonim, comme premier inspecteur forestier du Valde-Travers (canton de Neuchatel), Mais c'est surtout dans I'amenagement de la Foret de Couvet que Biolley s'est illustre. Dans cette foret, son predecesseur a voulu imposer un ordre Ii la foret, il I'a decoupee en cent parcelles et chaque annee une coupe rase est procedee sur l'une d'elles. Ainsi au bout de cent ans, I'ensemble de la Foret doit avoir ete exploite et un nouveau cycle d'exploitation est amerce. Biolley rejette cet amenagement et, en vertu des principes de la methode du controle du Francais Gurnaud, il amenage la Foret en vue d'en constituer une Foret jardinee, Pour lui, il s'agit de profiter au mieux des forces naturelles de la foret, qui sont triples: Ie sol, l'atmosphere (chaleur et lurniere) et Ie peuplement. II suffit done d'occuper au maximum la surface du sol et la hauteur accessible dans l'atmosphere, en privilegiant des arbres d'ages differents, permettant ainsi
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6 Wagner C., Grundlagen der raumlichen Ordnung im Walde, Tilbingen: H. Laupssche
4 Lorentz avait suivi I'enseignement de Heinrich Cotta (1763-1844) a Tharandt qui preconisait la conversiondu taillis en futaie. S Gayer K., Waldbau, 1880,Berlin: Parey, p. 700; 2"edition 1883,p. 592 ; 3"edition 1889,p. 619 ; 4· edition 1898,p. 626. 160
Buchandlung, 1907, p. 320 ; Der Blendersaumschlag und sein System, Tubingen : H. Laupssche Buchandlung, 1912.p. 368. 7 Abetz K., « Christof Wagner », Forstarchiv, 12,1936, p. 322. 8 Bernhardt A., « Forstwirthschaftliche Probleme », Zeitschr. F. Forst-u. Jagdw., 13, 1873. pp. 225233. 161
r L'ECOLOGIE EN APPLICATION
ECOLOGIE ET SYLVICULTURE
s'etendre du sommet des grands arbres jusqu'aux jeunes plants. Fort de son experience de terrain, Biolley etend sa methode dans Ie canton de Neuchatel et iI la popularise par ses ouvrages: Le jardinage cuLturaL (1901) et L'amenagement des forets par la methode experimentale et specialement de La methode du controle (1921). Ainsi Biolley n'est pas un universitaire mais un praticien qui a generalise sa methode sur toute une region. En outre, iI a beneficie de l'apport de Gurnaud. Ce dernier n'est pas parvenu aconvaincre les autorites forestieres francaises du bien fonde de ses theories qu'i1 a appliquees en Franche-Comte, soit une region voisine de la Sulsse'', Face a ce succes, la station de recherches forestieres suisse a engage une serie de recherches atin de verifier la validite de I'approche de Biolley. C'est ainsi qu'Arnold Engler a effectue des travaux sur I'influence de la lumiere chez les feuillus, point particulierement important dans une futaie jardinee, Knuchel dans sa these parue en 1914 montre que Ie peuplement melange de resineux et de feuillus favorise Ie rajeunissement naturel, allant dans Ie sens de Blolleyl''. Pour la premiere fois, la validite d'une theorie sylvicole a ete l'objet d'une recherche scientitique, l'experience acquise sur Ie terrain n'est plus suffisante. Proteger Ie sol, ne pas J'exposer, diversifier les ages et les essences constituent autant de points communs entre ces differentes theories sylvicoles qui se veulent proches de la nature, de la foret vierge. Elles exigent aussi une gestion plus fine des forets soumises. Toutefois, un changement important s'est opere en exposant la foret jardinee a l'experimentatlon. II faut desormais une caution scientifique pour valider une approche. Un pas a ete franchi. ..
vivant l2 . Pour Moller, tous les elements de la foret sont lies les uns aux autres, pour peu qu'une coupe a blanc s'abatte sur une partie et c'est tout I'organisme foret qui en patit, Dans ce cadre, la mission du forestier est de s'assurer de la permanence de la foret, Dans cet organisme, M611er inclut aussi les animaux, ce qui est nouveau, car les forestiers ne regardent que la partie vegetate de la foret n'envisageant les populations animales que sous I'angle des nuisibles ou de la chasse. Pour maintenirI'equillbre du peuplement, il faut donc garder un etat boise permanent, par Ie melange des ages et des essences. L'utitisation de feuillus aux racines profondes accelere Ie recyclage des elements nutritifs contenus dans Ie sol au profit de I'arbre et evite qu'its soient ainsi entraines par les eaux d'infiltration. D'autre part, Ie maintien de la couverture morte, des ram illes, profite a I'humus et forme une sorte d'ecran entre Ie sol et I'air evitant de soumettre les couches superficieIles du sol aux extremes de temperatures. Les coupes doivent s'effectuer sur des arbres choisis pour encourager la regeneration natureIle. Moller s'appuie sur un exemple qu'i1 relate dans un article paru en 1920 13. II s'agit du domaine de Barenthoren, situe a une centaine de kilometres au sud-ouest de Berlin. II est recouvert par 700 ha de forets dont plus de la moitie issue de terres agricoles. Le proprietaire Friedrich von Kallitsch (1858-1939) I'a acquis en 1884 : « It y trouva seulement 67 hectares de vieux peuplements (ages de pLus de 60 ans}, la majeure partie etant constituee par des fourres et des bas-perchis, dont l'ag« est compris entre 1 et 40 ans. Les peuplements sont entrecoupes de vides et le sol est couvert de callunes. On y pratiquait l'enlevement des aiguilles et des feuilles mortes et l'amenagement en vigueur prescrivait La realisation echelonnee des parties agees au moyen de coupes blanc»14. Face cette situation, iI a decide de laisser la couverture morte, de gerer les arbres un par un, de maintenir done I'etat boise, et d'engager la foret dans la voie du peuplement melange avec regeneration natureIle. Ceci s'est avere etre une reussite et a servi d'exemple aux idees de Moller. I1I'avait deja visitee avant que von Kallitsch n'en prenne possession. II en etait parvenu a la conclusion, a l'epoque, que la foret etait passablement a la fin de ses capacites, II s'y est rendu a nouveau en 1911, sur I'invitation d'un neveu de von Kallitsch qui suivait ses cours. A l'issre de la visite, iI fut litteralement enthousiasme face au succes de la transformation, mais ce n'est qu'au lendemain de la premiere guerre mondiale qu'i1 avance sa theorie. II rendlt public ses idees par un petit opuscule d'une soixantaine de pages, qui parut au lendemain d'un echec cuisant, ne recevant aucune voix, au poste de recteur de l'ecole superieure d'Eberswalde, lui I'ancien directeurl'', Pourquoi ce succes aupres d'une partie des forestiers allemands de ce concept de foret permanente ? En fait, la conjugaison de quatre facteurs a permis son emergence:
a la lumiere de
La «foret permanente »
OU
Dauerwald : theorie et reussite
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La caution scientifique a fini par manquer la theorie de la « foret permanente » qui, apres avoir suscite de vifs espoirs dans Ie milieu sylvicole, a ete rejetee, sans pour autant disparaltre, ressuscitant a I'occasion des evenements politiques. Elle a ete presentee au lendemain de la premiere guerre mondiale par Moller. Sa theorie est fondee sur une certaine idee de la sylviculture et de la foret, Avant toute operation sylvicole, il est necessaire d'effectuer une etude s'appuyant sur les sciences naturelles, essentiellement la . botanique et la pedologic afin de donner une base scientifique. En revanche, Moller se refuse considerer la sylviculture comme une science, car elle ne repose pas sur des lois naturelles. C'est une technique visant satisfaire les besoins humains. Toutefois Ie ceeur du debar porte sur la conception de la foret assimilee un organisme par Moller. II est parvenu cette conclusion lors d'un entretien avec Ramann, Ie pedologue, C'est une reponse a leurs recherches sur «l'unite biologique de la foret dans toutes ses relations La station et au monde des organismes vivants» II. Moller a ete aiguille sur cette voie par un livre d'Emil Rossrnassler (1806-1867), dans lequel I'auteur compare la foret a un etre
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10 Engler A., « Untersuchungen tiber den BlaUausbruch und das sonstige Verhallen von Schattenund Lichtpflanzen der Buche und einiger anderer Laubholzer », Mitt. schweiz. Anst. forstl.Vers.Wesen, 10, 1911, pp. 107-177; Knuchel H., « Spektrometrische Untersuchungen im Walde », op.cit, II Ramann E., « Alfred Moller. Dern geschiedenen Freundel », Zeitschr. f. Forst-u. Jagdw., 45, 1923, p. 2.
12 Rossrnassler E. A., Der Wald: den Freunden und Pflegern des Waldes / geschildert, Leipzig: Winter'sche Verlagshandlung, 1863, p. 628. 13 Moller A., « Kiefem-Oauerwaldwirtschafl. Untersuchungen aus der Forst des Kammerherrn von Kallitsch in Barenthoren, Kreis Zerbst, Dem Andenken des t Oberforster Semper gewidmet », Zeitschr. F. Forst-u. Jagdw., 1920,52, pp. 4-41. j 14 Schaeffer L., « Le rnouvement forestier a l'etranger, La foret permanente ou Oauerwald », Revue des Eauxet Forets, 75, 1937, p. 30. 15 Eberswalde changeait de statut d'academie, elle se transformait en ecole superieure, ce qu'avait toujours combattu Moller. En outre, peu de temps auparavant il avait fait venir Ie general Erich Ludendorff (1865-1937) a I'ecole, marquant son opposition au regime de la Republique de Weimar.Voir: Milnik A., Das Leben Alfred Moilers /860-1922, Eberswalde: Forstliche Biographien, 2001, p. 160.
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9 Moreau R., « Reflexions sur les forestiers comtois », op. cit., pp. 9-38.
ECOLOGIE ETSYLVICULTURE
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON - Le statut de I'auteur, Moller est un professeur reconnu de sylviculture, de l'un des plus grands centres forestiers allemands(Eberswalde) dont il avait ete Ie directeur ; - II fait de ses idees un systeme, s'appuyant sur un exemple precis. De cette pretention aI'universalite nait une farouche opposition; - La rencontre d'une pensee avec Ie terrain a ete deterrninante. Le domaine de von Kallitsch n'est pas inconnu des forestiers, Duesberg I'a aussi cite comme exemple dans son ouvrage Der Wald als Erzleher (La foret comme pedagoguejl'' ; - Le lendemain de la guerre a occasionne un terreau favorable a ce type de discussions. La nature devient un objet d'attention de la part des allemands quis'y ressourcent en reaction contre la culture pessimiste qui regne en maitre. La crise economique qui sevit alors en Allemagne affaiblit les moyens d'intervention en foret, Dans ce contexte, un homme propose une sylviculture qui se fonde sur la regeneration naturelle et qui permet de baisser les coOts d'exploltation,
prenait en exemple Ie domaine de Barenthoren, iI a focalise son attention sur ce massif. II s'est interroge sur son etat initial en 1884. En comparant les massifs voisins et en consultant des temoins, il en est venu aux conclusions suivantes. Si Ie cantonnement en 1884, lorsque Moller est venu Ie visiter, etait pourvu de vieux peuplements de qualite mediocre, iI n'etait pas aussi degrade que ne l'avait estirne Moller. En effet, iI s'etait nettement ameliore, tant du point de vue du sol que du peuplement depuis 1860, soit avant l'intervention de von Kallitsch. De plus, les bases de calcul utilisees par Moller pour estimer la production etaient fausses, I'estimation de 1872 ne pouvant donner une estimation claire de la productivite du peuplement. Wiedemann elargit son etude aux forets avoisinantes et cons tate que la regeneration naturelle est plutot Ie produit de la station que d'une technique sylvicole particuliere, aux conditions pedologiques comparables, malgre la pratique d'une eclaircie par Ie bas et Ie ramassage de la couverture morte. En outre les resultats des analyses de I'humus, effectues en laboratoire a Eberswalde, ne montrent aucune difference entre les divers peuplements (jeunes et vieux) l'Interieur de Barenthoren et avec les peuplements voisins. Wiedemann poursuit sa demonstration en s'en prenant 11 la regeneration naturelle. Celle-ci a ete operee dans un terrain favorable en raison de I'absence de secheresse au niveau de la surface du sol pendant I'ete, de mauvaises herbes et d'un revetement en humus brut. La presence naturelle d'un gazon epais facilite la germination et la pousse des graines. L'action de l'homme n'y est pour rien en dehors du maintien de la couverture morte sur Ie sol qui a offert des conditions encore plus propices, En voulant encourager la regeneration par d'importantes coupes claires, cela a conduit a un epuisement du sol com me Ie denote la pr~s.ence de. lan.des qui colonisent Ie sol expose a la lumiere, puis I'appauvrissent. Dengler rejoint aUS&1 WIedemann dans ses remarques, pour lui la degradation du sol par la coupe a blanc dans la gestion des peuplements de pins n'est pas prouvee, En 1926, Wiedemann conclut dans un article: « Les conclusions de Moller sont par
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La «forst permanente » falsifiee Les critiques concernant sa methode se sont focalises sur deux points. En premier, de nombreux forestiers comme Schwappach, Fabricius, Wiedemann, lui ont demande ce qui differenclait sa theorie de celie de la foret jardinee. Sur ce point, i1s n'ont pas obtenu de reponses satisfaisantes, Moller decedant en 1923. Toutefois, il a ecrlt que: « Tout type
d'exploitation qui reconnait comme princlpe la permanence de la foret doit eIre appele foret permanente »17. Le second porte sur I'assimilation de la foret a un organisme, qui a e?gendre une forte opposition. Dengler lui prefere Ie terme de biocenose car, pour lui, les differentes composantes de la foret ont bien une dependance les unes envers les autres mais pas aussi poussee que dans un organisme. D'autre part, comparer la foret a un organisme comme Ie corps humain, ce n'est pas possible, une foret peut renaitre de ses cendres, apres une explosion voicanique, une tempete, Ie corps humain non. Si cette idee de Moller a ete vivement debattue parmi les forestiers, Ie botaniste Walter, Ie biologiste Thienemann et Ie zoologiste Friederichs, tous partisans d'une approche globale de la nature, lui font un accueil favorable. Moller etant mort peu de temps apres la formulation definitive de sa theorie, ce sont ses eleves et partisans qui I'ont col portee en particulier Ernst Wiebecke (1863-1925). D'apres Joachim Chr. Heyder, iI l'a desservie plus qu'il ne l'a servie pour trois raisons: d'abord, par ses exageratlons, souvent outrancieres, ensuite en reduisant l'importance de la station au profit de I'economique, enfin, en affirmant sans s'appuyer sur des bases scientifiques. Pour mieux verifier les theses de Moller, Eilhard Wiedemann (1891-1980) les soumet a une serie de recherches et publie les resultats en 1925 18• Comme Moller
16 Dliesberg R., Der Wald als Erzieher : nach den Yerhdltnissen des preussischen Ostens geschildert, Berlin: Parey, 1910, p. 204. 17 Moller A., Der Dauerwaldgedanke, sein Sinn und seine Bedeutung, Berlin: Springer, 1922, p.
24. Die praktischen Erfolge der Kieferndauerwaldwirtschaft. Untersuchungen in Bdrenthoren, Frankfurt a. d. Oder un Eberswalde. Studien iiber die friiheren Dauerwaldversuche und den Kiefernurwald, (avec la colloboration de H. Hesselman), Braunschweig :.Verlag Vieweg, 1925, p. 184. 18 Wiedemann E.,
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consequent - je regrette de ne plus pouvoir me taire, pas seulement douteuses comme on l'admettait jusqu'a present, mais manifestement fausses et pour cela arejeter »19. Derriere ces propos sans appel, ce que combat Wiedemann, c'est la foret naturelle. Le dernier chapitre de cette etude ne laisse aucun doute sur ce point. II voit dans la foret permanente la resurgence du modele de la foret vierge qui donne trop de place au hasard et exclut Ie forestier. L'echec est a attribuer d'abord de la mort de I'auteur, des 1923, soit trois ans apres avoir exprime c1airement ses idees. D'autre part un de ses partisans, Wiebecke, meurt lui aussi tres tot: en 1925. II a publie un petit ouvrage sur la question en 1920 qui a rencontre un grand succes aupres des proprietaires prives en raison de I'assurance qu'il montre en matiere de croissance des arbres et de diminution des coOts20. A partir de 1925, tour a tour, la theorie du « Dauerwald » subit deux assauts : Le premier se manifeste lors de I'assernblee generate des forestiers allemands ou Dengler s'oppose fermement a l'Idee organique de la foret. Pendant cette reunion, l'inspecteur forestier du pays de Bade, Eugen Gretsch (1859-1934), resume ainsi la situation: « Vous savez tous que voici trois annees d
Dessau, sur Ie theme de la forst permanente un immense Hosanna a retenti. Chaque ,
19 Wiedemann E., « Die praktischen Erfolge des Kiefemdauerwaldes », Forstl. Wochenschr. Silva, 14, 1926, ios.us. 20 Wiebecke E., Der Dauerwald in 16 Fragen Landwirtschaftskammer, 1920, p. 51.
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u.
Antworten, Stetlin: Verl. d.
L'ECOLOGIE EN APPLICAnON Hosanna est pousse sur le ton: Foret permanente partout! Et hier, le meme theme est a l'ordre du jour et de nouveau le meme Hosanna resonnait mais hier il vint un autre mobile : Foret permanente avec grande precaution! »21. Le second provient de Wiedemann avec la parution de son etude qui falsifie les resultats de Moller. Ce changement d'attitude s'explique par la pertinence des critiques et Ie statut des opposants aux theories de Moller. Wiedemann est directeur de la station de recherches prussienne, Dengler professeur de sylviculture successeur de Moller. La position des partisans de Moller n'est pas aussi haute, ils ne peuvent produire d'eleves qu'en essayant d'appliquer les theories de Moller, Wiebecke pres d'Eberswalde et von Keudell a Hohenlubbichow, mais sans resultats probants. Ainsi des 1926, la « foret permanente » a perdu de son aura et de son attraction a l'exception de quelques fideles. En outre, la reprise economique rend beaucoup moins imperative Ie recours a une autre methode. Cependant un facteur nouveau enrraine la resurgence de cette theorie. Les partisans de Moller occupent Ii partir de 1933 les plus hautes spheres du pouvoir en particulier von Keudell, qui devient a cette epoque inspecteur general forestier (Generalforstmeister) son superieur hierarchlque etant Hermann Goering (1893-1946) en tant que ministre de l'interieur de la Prusse. Ceux-ci s'efforcent d'appliquer Ii l'echelle de la Prusse la theorie de la forst permanente, mais ils se heurtent a une vive resistance des forestiers d'Eberswalde en particulier de Wittich, Wiedemann et Dengler. Tous les trois ont eu a subir des sanctions. Wiedemann a ete ecarte du rectorat, Dengler interdit d'examen ainsi que Wittich. A ce dernier, il est propose une chaire a Munich, qu'il refuse. II est Ii deux doigts d'etre demis de ses fonctions, mais, en 1937, von Keudell perd son poste car la politique forestiere change. Comme il faut preparer la guerre, la production de bois prime, or la foret permanente ne peut en produire une quantite suffisante Ii court terme. Wittich et Dengler sont alors rehabilites et les theories de Moller mises en reserve. Cette vision organique de la foret a cependant attire des scientifiques non-forestiers qui partageaient une vision globale de la nature que ce soil Walter, Friederichs ou bien Bertalanffy.
D'une mise en pratique
a une remise en cause du Blendersaumschlag
Dans Ie sud-ouest de l'Allemagne, Wagner profite de sa position acquise au sein de I'appareil forestier du Wurtemberg, ou il est Ii la tete de la direction des forets en 1920, pour s'efforcer de generaliser sa theorie, Les premieres mesures visent Ii maintenir intactes la force du sol. Pour cela, il prone Ie melange des essences, la regeneration naturelle et ecarte la coupe Ii blanc sur de grandes surfaces. Au depart, ses idees penetrent sur un terrain favorable prepare deja par ses ecrits. Cependant tres vite Wagner se heurte Ii de vives resistances, tout d'abord liees Ii son caractere autoritaire. II ne souffre aucune critique. Cela se ressent dans I'administration forestiere du Wurlemberg ou il veut imposer ses vues. Les attaques ont surtout porte sur la generalisation de ce systerne qui n'autorise aucune autre pratique sylvicole. Victor Dieterich (1879-1971), professeur de sciences forestieres a l'universite de Fribourg, qui a succede a Wagner Ii la tete de l'administration forestiere en 1925, a condamne cet aspect en appelant Ii un plus grand respect de la station. En 1927, Ie comite financier de la diete du Wurtemberg demande de faire des exceptions en fonction
ECOLOGIE Ef SYLVICULTURE des particularites locales dans la gestion des forets, l'essentiel est que les objectifs de production ainsi que Ie respect des sols soient maintenus. A propos de la foret de Gaildorf, ou pour la premiere fois Wagner a applique ses conceptions, Rebel, en 1922, et Theodor Hepp (1876-1953) en 1926, president de la societe des agents forestiers de I'Btat wurtembergeois, estiment que, dans ce massif, Wagner a rencontre une situation ideale, mais dans les autres parties du Land, la situation n 'est guere favorable car Ie climat est moins chaud et les precipitations plus abondantes notamment dans Ie nord 22. La regeneration naturelle ne prend pas partout. Une autre erreur tient au melange des essences. L'introduction du Blendersaumschlag est partlculierernent avantageuse pour I'epicea et aux essences de lumiere comme Ie hetre qui, peu Ii peu, dominent les peuplements. En revanche, il defavorise Ie sapin. A Gaildorf, ce dernier a quasiment disparu. Finalement un tel systeme conclut Haufe, en 1952, n'est pas possible si on veut respecter la nature 23. C'est en luttant contre elle qu'il est possible de I'etablir, Wagner a fini par reconnaitre en 1932 lors de l'assemblee des forestiers allemands que son systerne rencontre des lirnites en Allemagne du Nord, mais il reste convaincu que Ie Blendersaumschlag est applicable partout avec avantage, la ou la foret melangee domine. Face a ce faisceau de critiques mais aussi en raison de son attitude dogmatique, en 1924, Wagner doit quitter la direction des forets pour devenir professeur d'amenagernent forestier Ii l'universite de Fribourg jusqu'a sa retraite en 1935. Le Blendersaumschlag reste un cadre general mais plus une ardente obligation au sein de I'administration forestiere du Wurtemberg. II faut bien ici separer la theorie de I'homme. II a combine pour la faire triompher de signes de reconnaissance: l'experience de terrain, un poste de professeur d'ou il a produit des eleves de 1903 Ii 1914 puis de 1924 Ii 1935, par deux fois Ii des postes cles, la premiere Ii celui des sciences forestieres, la seconde a celui de l'amenagement, Enfin son passage au poste supreme de directeur de I'administration forestiere, merne si cela a ete un echec, lui a offert la possibilite d 'appliquer ses idees sur une plus vaste echelle, II a done eu Ie facteur temps. Que ce soit pour Wagner ou Moller, .leurs theories buttent sur ce non-respect de la station. Cette derniere devient l'indicatricie cle de la sylviculture. Les theories sylvicoles ne sont plus forcernent generalisables Ii l'ensemble d'un pays, mais correspondent Ii un milieu donne. Le merlte du Dauerwald a ete d'imposer Ie sol comme objet central de la sylviculture celui-ci devant faire l'objet de soins. Toutefois Ie processus de falsification entre les deux theories n'est pas pareil. En etudlant la foret temoin de Barenthoren, Wiedemann s'attaque au coeur de la conception de Moller. En revanche, pour Wagner, la gestion de Gaildorf n'a pas ete remise en cause, seule sa generalisation a ete condamnee. D'un cote nous avons un rejet complet d'une theorie de l'autre une acceptation mais dans un cadre bien precis. Dans les deux cas, nous avons eu une refutation au travers d'etudes scientifiques s'appuyant sur les sciences naturelles. Ce sont les arguments d'ordre ecologiques qui ont emporte la decision plutot que ceux d'ordre economiques rnerne s'ils sont sous-jacents.
22 Rebel est conseiller rninisteriel et directeur du service de sylviculture au ministere de I'Btat
bavarois. 23 Haufe H., 30 Jahre Blendersaumschlag in Wiirttemberg. Beitrdge zur Kenntnis des praktischen
21 Gretsch E., « Aussprachezu Referat Dauerwald », Jahresber, DIsch. Forstverein, 1925,p. 269.
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Erfolges des Blendersaumsystems, Frankfurta. M. : Sauerlander, 1952, p. 60.
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L'ECOLOGIE EN APPLICATION On peut mesurer I'espace franchi au niveau des conceptions sylvicoles par les conclusions de deux congres de sylviculture. Le premier se tient a Rome en 1926. Jedlinski, professeur a l'ecole superieure d'agronomie et de sylviculture de Varsovie, souligne que, a terme, la penurie de bois menace. II faut trouver de nouvelIes methodes d'arnenagement pour accroltre la production en tenant compte des travaux de Morosow, Moller, BiolIey, Cajander. II propose alors au congres de voter en faveur d'une resolution demandant que Ie « programme d'etudes des ecoles superieures de sylviculture soil complete par l'introduction, ou par l'extenslon de sciences naturelles telles que la phytosoctologie et l'ecologle » et, en deuxieme proposition, que I'etude « des associations forestieres naturelles encore existantes » soit encourageev', Cette seconde proposition est votee ainsi qu'une resolution insistant pour que l'economie forestiere s'appuie davantage sur les sciences naturelIes. Dix ans plus tard, au congres de I'IUFRO tenu a Budapest, la validlte de I'approche phytosociologique en foresterie est pleinement reconnue comme Ie montrent les resolutions adoptees : « Considerant que les travaux phytosociologiques jusqu'a present ont demontre que par l'etablissement des associations forestleres et de leurs variantes leur habitat commun peut etre determine. Considerant que cette determination est d'une grande importance economtque, etant donne que pour etre durable la sylviculture dolt avoir lieu dans les limites naturelles ; estime qu'il serait desirable qu'une communaute internationale de travail pour la sociologie des plantes forestieres appuytit la cooperation et organisdt la denomination uniforme des associations forestieres estime que cette communaute internationale de travail aurait pour tache d'etablir et de continuer un recueil des associations formees conformement aux directives exposees dans le rapport et internationalement reconnues de meme que de leurs variantes. En particulier, cette communaute aurait a etablir les lignes directives a observer en vue d'une cartographie forestiere phytosociologique internationale »25. L'ldee de la discontinuite du tapis vegetal a triornphe dans les differentes eccles de sociologie vegetale qui se moblisent pour imposer leur modele dans ce contexte propre a l'entre-deux-guerres, ElIes sont liees a des centres et des espaces particuliers. L'ecole sovietique de Sukachev s'est appuyee sur la pedologic marquee par les idees de Dokuchaev des ses debuts. CelIe d'Uppsala s'est imposee en Suede contre celie de Stockholm. L'ecole etasunlenne est liee surtout au centre de Lincoln avec Clements 26 . Enfin l'ecole Zurlcho-montpellleraine a pris racine en Suisse et a Montpellier. De cetle Iiste, plusieurs pays sont absents, tout d'abord I' Allemagne, on ne trouve pas « d'ecole alIemande », ou « d'ecole » affiliee a une universite en particulier. Sur ce point, I'espace alIemand a ete Ie centre des controverses entre les deux grandes eccles europeennes, s'y
24 Jedlinski W., « Necessite de nouvelles methodes d'amenagement des forets», Actes du premier congresinternational de sylviculture Rome, 1926, vol. IV,lIIe section, p. 78. 25 Actes du deuxieme congres international de sylviculture Budapest, 1936, Bulletin quotidien, vceux et resolutions adoptes, p. 16. 26 Dans la premiere partie, it a ete fait mention de l'ecole de Chicago, mais ce qui a retenu I'attention en France et en Allemagne, ce sont les idees transmises par Clements. 168
ECOLOGIE ET SYLVICULTURE imposer, c'est acquerir pratiquement une legitimite universelIe. On retrouve la un caractere propre a I'espace germanique, il n'est pas forcernent generateur d'innovation, mais une grande partie des innovations doit passer par ce champ pour assurer leur audience. L'espace anglais s'est tourne vers les Etats-Unls. Enfin Ie Danemark constitue une exception, it y a bien une ecole Raunkiaer (mais pas de Copenhague), qui constitue une approche plutot physiologique de la vegetation. L'origine de ces ecoles a ete attribuee a I'espace qui les environne des les annees 1920. L'historien Max Nicholson a d'ailleurs ecrlt : « Ce type d'explication [... ] a ete appele l' «ecologic de la tradition ecologique», ou l't'ecologie des ecologistes" »27. II est certain que les theories de Clements et de Sukachev se pretent aux espaces faiblement peuples contrairement a celIe de Braun-Blanquet, Les types de forets de Cajander sont en relation avec la pauvrete de la flore finlandaise ainsi que I'approche de Du Rietz. Toutefois, comment expliquer que des botanistes confrontes a une vegetation identique en viennent a proposer plusieurs classifications en des termes differents ? L'espace rnediterraneen a genere au moins quatre approches rivales autour de Braun-Blanquet, Emberger, Kuhnholtz-Lordat et Pavari. La methode de Braun-Blanquet s'est propagee en Norvege, en Pologne, en Hongrie, dans des regions aux conditions ecologiques differentes. La theorie des types de Cajander a ere concue en s'appuyant d'abord sur les forets allemandes avant de trouver son champ d'application en Finlande ... L'ecologie a bien emerge. En typologie des stations, a fa fin des annees 1930, elIe fait I'objet d'une application sur Ie terrain a l'echelle d'un pays en Finlande, d'une region en AlIemagne et d'une foret en France. Elle a conquis des postes cles parmi les divers centres forestiers europeens, surtout ce1ui de fa sylviculture, que ce soit en AlIemagne, en Italie, en France-en Pologne, etc. Toutefois, l'ecologie n'a pas conquis Ie stade de fa discipline scientifique rnalgre quelques tentatives avortees en Suede et surtout en AlIemagne. A ce propos, Pierre Dansereau (1911) ayant decouvert I'ecologle a l'Institut agricole d'Oka dependant de I' unlversite de Montreal part continuer ses etudes en Europe, toutefois it ne trouve pas de cours d'ecologle, Ie seul ecologiste etant Braun-Blanquet, mais it est en dehors des structures universitaires, it se rend alors a l'unlversite de Geneve reputee pour la taxonomie. Ce pas sera franchi au lendeIhain de la seconde guerre mondiale.
27 Nicholson M., The development of Plant Ecology, 1790-1960, These, Universlte d'Edinbourg, 1983, p. 78.
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Tr ois ie m e partie
De la typologie des stations
,it Pecologie systemique
1945 - 1980
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Depuis 1945, I'ecologie a revetu les statuts d'une discipline scientifique. En Europe, ce passage s' est realise dans les annees 1960 avec les creations de chaire d' ecologie generale, de revues d'ecologie et la mise en place d'un cursus specifique grace a I'adoption d'un nouveau paradigme forge autour du concept d'ecosysterne. Toutefois, ce dernier s'est installe au coeur des sciences forestieres qu'a la faveur du debat sur Ie deperissement des forets au debut des annees 1980. Avec I' ecosysterne, Ie scientifique envisage desormais I'observation de la nature sous la forme de relations et non plus comme Ie produit d'un rapport. Le milieu est constitue d'une somme d'elements qui interagissent les uns sur les autres. Deregler I'un d'eux, c'est risquer de remeUre en question Ie tout, au merne titre que Ie battement d'ailes d'un papillon en Australie peut provoquer une ternpete en Floride... Cette « nouvelle ecologie » a ete importee des EtatsUnis d'abord en Europe de I'Ouest, puis de I'Est, l'Allemagne ne structurant plus les reseaux en Europe. Toutefois, la RFA a renoue avec son pouvoir de caisse de resonance dans les annees 1980 grace au deperissement des forets (Waldsterben). En parallele a ce developpernent, la gestion de I'environnement preoccupe Ie politique. A partir du debut des annees 1970, presque tous les Etats europeens se detent d'un rninistere de ce type. Le mot « ecologic » finit par faire partir du vocabulaire courant. Dans les medias, iI renvoie a la protection de la nature et aux atteintes au milieu. Cette politisation des questions environnementales dans un contexte de rivalite Est-Ouest doublee d'une volonte de faire reconnaitre I'ecologie en tant que discipline pleine et entiere a joue un role majeur dans la diffusion de I'ecologie, a la fois, comme frein (typologie des stations en France) et aussi comme accelerateur (diffusion de la theorie de I'ecosysteme grace au Waldsterben). L'ecologie se repand et dans Ie rnerne temps la foret poursuit son expansion aidee par I'intensification de I'exode rural. Cette derniere endosse de multiples missions: protection (dunes, montagnes, especes animates depuis les oiseaux jusqu'aux insectes, flore), production de bois (emploi des exotiques, ?'engrais, enresinernent), lieu de detentes pour les citadins, etre un objet d'etudes dans les reserves naturelles, etc. Le forestier doit prendre en compte toutes ces composantes,' d'autant plus qu'j) n'est plus seul a donner un avis autorise sur la gestion forestiere, il dolt faire face aux « ecologistes », D'un autre cote, un pas a ete franchi avec la generalisation de la typologie des stations en Europe. Elle est appliquee des les annees 1950 en RDA, dans les annees 1980 en France, marquant I'aboutissement d'un processus debute en Finlande dans les annees 1920 au prix d'un changement, la aussi, de paradigme, de discontinu Ie tapis vegetal devient un continuum.
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L' ecologie sous Ie sceau du politique La recherche scientifique s'est developpee sur de nouvelles bases dues it la competition entre les deux supergrands. Elle revet une importance strategique aussi bien pour les Etats que pour les entreprises. A ceci s'ajoute une dimension internationale de I'activite du scientifique encouragee par des organismes tels I'UNESCO et la FAO. L'ecologie beneficie de ce contexte et sort du cadre scientifique pour tomber dans Ie domaine public. L'environnement devient un indice de la qualite de la vie donc de la bonne gestion de la societe. La foret ri'echappe pas it ce phenomene, Elle n'est plus un objet de lutte entre une administration et Ie monde paysan, desormais Ie forestier doit faire face it de multiples demandes, parfois contradictoires, dans sa gestion des massifs forestiers: produire du bois, amenager des aires de detente, proteger des especes, combattre contre les effets de la pollution ...
Internationalisation et polarisation de I 'activite scientifique Depuis la fin du XIXe siecle, Ie mode de fonctionnement scientifique occidental repose sur Ie laboratoire compose d'une equipe de chercheurs professionnels qui assure leur vlsibllite par des revues voire des ouvrages. Ce modele s'est repandu sur I'ensemble de la planete, y compris les anciennes colonies (cf. tableau 21). Desormais un scientifique face aun sujet donne se trouve en presence d'un nombre considerable de sources emanant de divers horizons geographiques provenant de la plupart des pays europeens et du continent americain it I'exception de I'Amerique centrale. L'Afrique noire et quelques pays asiatiques produisent, quant it eux, peu d'information. Cette diversite se rencontre egalement dans Ie nombre de revues presentes sur Ie rnarche scientifique en raison de la multiplication des centres de production et d'une specialisation de plus en plus poussee des sciences. Ainsi leur nombre a augmente de plus de 400 % par rapport au debut du XXe siecle :
Avant 1914 Apres 1945 1915-1945 Rev. For. Rev. NonRev. For. Rev. Rev. For. Rev. for. Non-for. Non-for. 49 1778 846 147 445 3740 895 1925 4185 .. Tableau 20. Evolution du nombre de revues utilisees en eeologle dans l'ensemble des champs depuis 1880. L'internationalisation et la multiplication des sources ont ete accentuees par la systematisation d'espaces de rencontres com me les congres et les colloques. Ceux-ci reprennent au debut des annees 1950. Le congres international de botanique a lieu it Stockholm en 1950, Ie precedent s'etait deroule a Amsterdam en 1935, puis it Paris en 1954. Le premier congres de I'IUFRO se tient a Zurich en 1948. Le suivant a lieu a Rome en 1953. Les congres internationaux se multiplient. Ainsi, toujours dans notre domaine, de 1950 a 1964, its s'en deroulent 80 contre 36 entre 1897 et 1913. Non seulement its
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reprennent, mais ils obeissent a un rythrne regulier. Leur tenue est programmee et attendue, Cette recrudescence s'explique, en partie, pour des raisons techniques. Les moyens de transport sont plus rapides avec Ie developpement de I'aviation et plus sflrs, Sur Ie plan economique, l'ere de prosperite des annees 1950/60 facilite leur financement. La multlplicite des disciplines encourage aussi leur organisation. Cela releve aussi d'une strategic pour assurer la visibilite d'une discipline et, en lui dormant un caractere international, lui donner une legitlmite. Cet echelon mondial a ete abondarnrnent utilise par I'ecologie dans les annees 1960 au travers d'Institutlons telles I'UNESCO et la FAO. Pays
RFA RDA Autriche Bel i ue Bul arie Danemark Es a ne Estonie Finlande France Grande-Breta ne
Grece Hon rie Irlande Islande Italie Lettonie Luxembour Nerve e Pa s-Bas Polo ne Portu al Roumanie Russie/URSS Suede Suisse Tchecoslova uie You oslavie Arabie Saoudite
E Irak
Pays
Australie Nouvelle-Zelande Canada Etats-Unis Ar entine Bolivie Bresil Chili Colombie Cuba Mexi ue Venezuela Chine Inde Indonesie Ja on Malaisie Sri Lanka Viet-nam Afri ue du Sud Maroc Tunisie
L'ECOLOGIE SOUS LE SCEAU DU POLITIQUE - De la crise de 1929 marquee par une surproduction agricole et par une extension de la pauvrete done de la malnutrition; - De la mise au point par les nutritionnistes de methodes de calcul afin de mieux definir la quantile de nourriture necessalre I'homme en rapportant les besoins alimentaires en nombre de calories. lis ont pu ainsi rnettre en evidence la malnutrition; - Le troisieme est propre au second conflit mondiaI. Des 1943, les Etats-Unis et les Allies ont bien conscience qu'au lendemain de la guerre, i1s vont devoir faire face dans une Europe devastee d'importants problemes alimentaires. Pour cela, du 18 mai au 3 juin 1943 a lieu une conference Hot Springs (Arkansas) aux Etats-Unis qui reunit quarante-quatre gouvernements. lis s'accordent sur la necessite de fonder une organisation permanente de I'alimentation et de I'agricultu're. Une resolution est emise avec pour objet la « realisation d'une economie d'abondance », mais surtout « d'obtenir La delivrance de La faim de tous Les peuples, dans tous Les pays »1. Cette organisation, la FAO, est fondee Ie 16 octobre 1945 a Quebec. A Quebec, iI est bien fait reference a la foret, mais la FAO ne s'y interesse qu'a partir de 1949 avec Ie parrainage du troisierne congres forestier mondial a Helsinki, mais des la sixieme session de la conference de la FAO, en 1951, la foret rentre parmi ses objectifs, selon trois rnodalites- : - En diffusant des informations, en 1948, elle fournit Ie premier inventaire des ressources forestieres mondiales, qui sera suivi par d'autres plus complets en 1953, 1958, 1963, etc. Ces inventaires ne se contentent pas de definir les ressources existantes, mais i1s dressent les tendances futures en matiere d'exploitation des forets ; - En insistant sur la protection des forets afin d'evlter la desertification ce qui passe par une active politique de reboisement ; - En favorisant la creation de structures forestieres : administrations, ecoles, legislations et politiques forestieres, A cote de la FAO, I'UNESCO, (Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture) voit Ie jour en 1946'et son siege est fixe a Paris. Avant la seconde guerre mondiale, iI existait deja des organismes dont I'objet etait d'assurer la cooperation entre «intellectuelss-'. En 1922, une Commission internationale de cooperation intellectuelle avait ete creee avec comme president: Bergson. Elle disparait en 1940. En 1943, la quatrieme conference des ministres allies de I'education emet Ie voeu de voir se constituer une instance internationale en education sous Ie nom de I 'UNECO. La science est absente des premieres preoccupations des fondateurs, mais I'utilisation de la bombe atomique sur les villes d'Hiroshima et de Nagasaki eveille la conscience de scientifiques sur les consequences de leurs decouvertes. L'UNECO se transforme en UNESCO. Des 1946, celle-ci conclut un accord avec les organisations non gouvernementales en matiere de cooperation scientifique avec Ie Conseil International des Unions Scientifiques (CIUS). Celui-ci, fonde en 1931, se veut Ie representant des scientifiques sur Ie plan mondiaI. II est compose d'une vingtaine d'unions scientifiques internationales. L'UNESCO verse aussi une subvention annuelle I'UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature), creee en 1948 a Fontainebleau. En dehors des aides financieres, elle s' investit dans de grands desseins. Son premier projet majeur est dO a une initiative de l'Inde et a eu pour
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Tableau 21. Sources des informations en ecologie forestiere entre 1880 et 1980.
Ces organismes sont nes avec la seconde guerre mondiale. La FAO (Food and AgricuLture Organisation) est issue d'un triple mouvement : . 176
I FAO, La FAa ses 40 premieres annees, Rome: FAO, 1985, p. 10. 2 C'est l'annee ou la FAO fixe son siege a Rome. 3 Valderrama F., Histoire de ['UNESCO, Paris: UNESCO, 1995, p. 471.
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but la mise en valeur des zones arides. Lance en 1951, il n'a ete vraiment operationnel
qu'entre 1957 et 1964. Ces organisations fournissent, par leurs programmes et leurs moyens financiers, de nouvelles ressources dont profitent les scientifiques. Elles influent sur les carrieres scientifiques, permettant de les prolonger au-dela de l'age legal de la retraite et du cadre national comme pour Guinier au sein de la Commission internationale du peuplier". Pour les scientifiques de l'Europe de I'Ouest, la reconnaissance internationale tend devenir un atout supplernentaire. II faut s'efforcer de paraitre dans les congres intemationaux, de publier dans des revues etrangeres, souvent de langue anglaise, qui disposent d'un capital symbolique important. Ce qui a ete une pratique propre aux champs scientifiques perlpheriques jusque dans les annees 1930 se generalise desorrnals, signe d 'un basculement du centre de la science vers les Etats-Unis voire I'URSS.
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Concentration des reseaux autour des deux grands Derriere cette internationalisation et cette dispersion, bien reelles, ou Ie scientifique
n'est plus, aujourd'hui, capable de porter son attention sur I'ensemble des informations qui paraissent dans son domaine, se profilent une concentration. Les sources essentielles se limitent quelques revues phares. La communication transite par une ou deux langues en priorlte I'anglais ou Ie russe (pays de I'Est), L'allemand et Ie francais sont devenus des langues marginales meme si des scientifiques francophones dans les annees 1960170 revendiquent leur identite. Dans les publications, les articles sont resumes systematiquernent en anglais ou en russe. En Europe, deux puissances cristallisent les reseaux : I'Union Sovietique et les BtatsUnis, mais toutes les deux ne reposent pas sur des bases similaires. Elles ont profite inegalement de la disparition, provisoire, du champ scientifique allemand entre 1945 et 1947. Dans l'irnmedlat apres-guerre, la plupart des scientifiques allemands mais aussi autrichiens ont ete dans l'Irnpossiblllte de travailler en raison des destructions dues aux bombardements. D'autres ont fui face a l'avancee de I'arrnee rouge. Certains sont prisonniers. Enfin nombreux sont ceux qui ne peuvent plus enseigner cause de leur appartenance au NSDAP. Les revues ne sont pas encore autorisees a paraitre. Le systerne universitaire allemand est completement desorganise surtout a l'Est. Ce vide est comble par les Etats-Unis et I'URSS mais seuls les premiers disposent de moyens suffisants. Ainsi les Btats-Unis, par l'Intermedialre de I' US Information Service, mettent a la disposition du CNRS dix tonnes de papier pour assurer les publications de revues prioritaires. Des accords sont passes afin de venir en aide aux chercheurs francais, allemands, suisses, neerlandais pour qu'ils se forment aux Btats-Unis. La Fondation Rockefeller intervient egalement en financant I'achat de materiel, en soutenant les colloques dont celui du CNRS en 1950 sur I 'ecologie, Des dons de revues etasuniennes, anglaises et sovietiques sont faits aux bibliotheques pour completer les annees manquantes notamment de 1940 a 1944. A I'Est, I'URSS s'efforce d'attirer les reseaux en sa direction avec difflculte. En effet, si la defaite de I' Allemagne a Iaisse la place vacante, son declln en tant que centre
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4 Guinier part a la retraite en 1941. II se lance dans l'etude du peuplier, it est \'animateur de 1a Commission Nationa1e du Peuplier puis de la Commission Intemationale du Peuplier dans Ie cadre delaFAO. 178
L'ECOLOGIE SOUS LE SCEAU DU POLITIQUE structurant remonte aux annees 1930 avec I'avenement du nazisme. La seconde guerre mondiale n'a fait qu'accelerer ce processus. Les Etats-Unis, depuis I'entre-deux-guerres, sont devenus un centre de formation et jouissent deja d'un fort prestige. A la rnerne epoque, I'URSS,en raison de son orientation ideologique mais aussi pour des raisons internes, s'est isolee de I'espace scientifique europeen, La science sovietique surtout en environnement n'est pas parvenue a conquerir un large public sauf en pedologie, En etendant son emprise sur l'Europe de I'Est, elle n'avance pas en terrain conquis comme Ie font les Btats-Unis. D'autant plus que, avant la guerre, la langue anglaise etait largement comprise par la plupart des scientifiques europeens contrairement au russe. En outre, I'URSS deploie son influence sur des pays qui sont restes pour certains a la peripherie du developpernent scientifique (Bulgarie, Pologne, Roumanie) contrairement a la France, la Grande-Bretagne, a la Suisse et aux pays scandinaves, qui eux font partie de I'aire d'influence etasunlenne. La peur du « Rouge» a incite de nombreux universitaires a prendre la fuite aussi bien en Hongrie, pays qui a collabore avec l'Allemagne, qu'en RDA ou, dans les six universites est-allemandes, 85 % des professeurs et assistants en poste dans Ie semestre d'hiver 1944/45 ne sont plus membres du corps enseignant. L'annexion des Btats baltes a amene une eradication des anciennes elites et une mise sous tutelle de centres qui, avant la guerre, avaient obtenu leur reconnaissance comme Tartu (Dorpatj/', La reconstruction des centres scientifiques s'est operee dans la partie Est de I'Europe sur des bases differentes. En fait, dans la plupart des pays passes sous obedience sovietique, les elites scientifiques qui ne sont pas trop compromises, y compris en RDA, sont maintenues en place. Szafer peut ainsi poursuivre son activlte en Pologne ainsi que Nemec a Prague, Soo et Feher en Hongrie. Toutefois ces scientifiques ne publient plus guere a I'Ouest, A cette premiere generation, succede dans les annees 1960, apres la construction du mur en RDA, une sec on de dont Ie recrutement s'effectue davantage sur leur fidelite ideologique. L'action est mise sur I'enseignement et les etabllssements d'enseignement superieur sont reorganises de facon rompre l'autorite des « mandarins ». Cette nouvelle generation a ete eduquee dans Ie cadre d' un pays socialiste. L'appartenance au parti dominant conditionne la carriere scientifique. Selon les Btats, des liens avec les pays occldentaux se maintiennent rnalgre tout. Ainsi au sein du groupe d'etudes en sociologie vegetale forestiere (Arbeitsgemeinschajt fur forstliche Vegetationskunde), les excursions redernarrent en 1954 aussi bien en RDA qu'en RFA. Apres la construction du mur de Berlin, les contacts avec les scientifiques estallemands s'interrompent jusqu'a sa chute. En revanche, ils reprennent avec la Pologne en 1977, qui accueille I'excursion cette annee-la, Dans I'ensernble, les scientifiques de l'Ouest entretiennent de meilleures relations avec les tchecoslovaques ou polonais qu'avec ceux de la RDA. A ce niveau, l'Autriche, en tant que pays neutre, sert d'lnterrnedlaire, Pour les scientifiques de I'Europe de I'Est, la participation des congres internationaux est plus systematique que pendant la periode precedente, ou les sovietiques se sont rendus tres rarement hors de leurs frontieres. II s'agit d'afficher la presence de la science des pays socialistes. Tous ne peuvent participer aces congres surtout, s'Ils se deroulent a l'Ouest, Les credits en devises manquent surtout apres Ie second choc petrolier de 1979. lis doivent presenter des garanties tel Hermann Meusel (J 909-1997), professeur de botanique a Halle, qui est membre du SED (Parti Socialiste Unifle). Enfin, leur fidelite est assuree
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5 Un biologiste comme Eduard Markus (1889-1971), professeur de geographie it Tartu suivit l'armee allemande en deroute en 1944 et se refugia en Allemagne puis aux Etats-Unis, 179
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par une surveillance etroite de leur police politique, qui compte des informateurs parmi les scientifiques...
L'affirmation des politiques scientifiques Avant la sec on de guerre mondiale, les premiers organismes de recherches ont vu Ie jour que ce soit Ie CNRS en France, la Societe Max-Planck en Allemagne, ils se multiplient apres 1945 sous Ie couvert de la puissance publique. L'ecologie beneficie de cette manne et peut ainsi prendre de l'ampleur, d'autant plus que les citoyens et parfois les consommateurs affichent une sensibilite aux questions d'environnement. La recherche est devenue un element essentiel de la croissance economlque et de la puissance des nations. En 1935, Ie budget federal des Etats-Unls flnancait 13 % de la recherche-developpernent qui representaitO,35% du PIB. En 1962, les donnees sont respectivement de 70 % et 3 %. II va de soi ' que la guerre a modifie les politiques scientifiques avec Ie programme nucleaire suscitant la mobilisation et la collaboration d'un nombre inconnu de scientifiques jusqu'alors. Le retour a la paix n'affaiblit pas cet investissement en raison des tensions internationales qui s'affichent partir de 1947 sous Ie couvert de la guerre froide. L'elaboration de grands programmes necessite un apport financier initial important et dont la construction, pour certains Iaboratoires; exige plusieurs annees tel Ie Conseil Europeen pour la Recherche Nucleaire (CERN) Geneve, A Gif-sur-Yvette (Essonne), non loin d'Orsay, est installe un phytotron, en 1954, grace I'action cornbinee de Gaston Dupouy (1900-1985), directeur du CNRS et de Pierre Chouard (1903-1983), professeur la Sorbonne depuis 1953. Le phytotron titulaire de la chaire de physiologie vegetate permet de realiser des etudes en laboratoire en soumettant des plantes a diverses conditions climatiques. II a ete developpe au California Institute of Technology sous I'action de Frits Warmolt Went (1903-1991), un neerlandais emigre en 1932 aux EtatsUnis. Chouard a tente d'instaurer cet equipement des 1945, mais Ie Museum rendit un avis negatif, II a relance son idee lorsque Pierre Mendes-France (1907-1982), dont il est proche, est parvenu la presidence du Conseil en 1954. Le phytotron est alors installe I'endroit ou etait prevu un institut de genetique'', II est inaugure en 1956, agrandi en un grand phytotron partir de 1958 et operationnel en 1965/66. II a abrite Ie groupe d'ecologie experimental sous la direction de Georges Lemee (1908-1997), professeur d'ecologie vegetale I'unlversite Paris Sud Orsay partir de 1962. Les grandes organisations de recherches deviennent la cle de voflte de ce systeme scientifique comme la National Science Foundation inauguree aux Etats-Unls en 1950, la Societe Max-Planck en Allemagne, fondee en 1911, sous le nom de la Kaiser-Wilhelm Gesellschaft, mais qui prend un nouvel essor apres 1945. En France, au lendemain de la guerre, coexistent plusieurs organismes. Le CNRS, refonde en 1946, se heurte des difficultes. Initialement, il devait faire un lien entre la recherche fondamentale et appliquee, mais il est investi, dans les commissions, par des universitaires preoccupes de recherche fondarnentale". En outre, chaque ministere technique s'efforce de promouvoir une recherche lndependante du CNRS. Le Commissariat l'Energie Atomique (CEA), ne
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en 1945, depend du President du Conseil. La demographie est du ressort de l'Instltut National des Etudes Demographiques (INED). Pour mettre en valeur les colonies sur Ie plan agricole, l'Office de Recherche Scientifique Colonial, cree en 1943, est reorganise en 1948 et, en 1953, devient l'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM). L'Institut National d'Hygiene (1941) est, lui aussi, reforme, II a pour objet la direction, I'organisation et la coordination de la recherche medicale scientifique, mais il manque de moyens pour connecter la recherche fondamentale et la pratique medicale. En 1964, une nouvelle reforrne amene la creation de I'lnstitut National de la Sante et de la Recherche Medicale (INSERM) et des Centres Hospitaliers Universitaires. La fonda lion de I'INRA, en 1946, degage I'agronomie de la responsabilite du CNRS. Enfin, la recherche forestiere depend toujours de I 'ecole forestiere de Nancy, et elle est subordonnee la direction des forets. Avec la multiplication des grands organismes en France, la politique pour la recherche s'accompagne en 1954 de la creation, sous Mendes-France. d'un secretariat d'Etat. Cela ne suffit pas. En 1956, Ie rapport Landucci met en avanL les faiblesses tant en hommes qu'en moyens de la recherche. Le 13 mai 1958, l'arrivee de Charles de Gaulle (18901970) change I'atmosphere. Celui-ci est convaincu que la grandeur de la France passe egalement par la recherche scientifique. Le 22 novernbre, la Delegation Generale a la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) est creee8 . Elle a pour mission de mettre en place des « actions concertees » financees par un Fonds National de la Recherche Scientifique et Technique. Dix sont reLenues en 1960 : «Cancer et leucemie,
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neurophysiologie et psychopharmacologle, biologie moleculaire, applications de la genetique, nutrition humaine et animale, analyse demographique, economique et sociale, conversion- des energies. exploitation des oceans, science economique et probleme du developpement, documentation »9. Comme on Ie voit, I'ecologle n'y figure pas, l'etude du milieu ne faisant pas partie de ce domaine, en revanche la biologie rnoleculaire a su prendre sa place. I Dans ce renouveau, I'INRA s'etend d'autres domaines (sante animale, forets et hydrobiologie), mais, il ignore des champs scientifiques nouveaux. Le financement prevu lors du V C plan au niveau de la biologi~ animale et vegetale profite l'universlte, I'INSERM et au CNRS. II apparait netterrlent que, pour I'INRA, ces nouveaux domaines « ne correspondent pas un objectif pour la culture ou pour l'elevage »10. Malgre tout un effort financier et en hommes est realise. En 1959, cet organisme compte 405 chercheurs qui passent 895 en 1967. Les forestiers profitent de cette manne apres l'Integration de la recherche forestiere I'INRA, ils disposent desormais de moyens accrus ce qu'i1s n'avaient pas jusqu'a cette epoque. Mais ce passage so us Ie sceau d'un organisme de recherches marque une rupture. Les nouveaux arrivants doivent etre titulaires du doctoraL, done etre passes par I'universite. En outre, la direction generate de I'INRA contraint les ingenieurs des Eaux eL Forets qui officiaient a la station de recherche forestiere a la demission de leur corps d'origine.
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8 Les deux autres etaient Ie Cornite Interrninisteriel de la Recherche Scienlifique et Technique (CIRST) et le Cornite Consultatif de la Recherche Scientifique el Technique (CCRST). 6 Dupouy s'entendait tres mal avec les geneticiens...
9 Cranney 1., INRA : 50 ansd'un organisme de recherches, op. cit., p. 188.
7 Cranney J., INRA : 50 ansd'un organisme de recherches, op. cit., p. 74.
10 ibid. p. 195.
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De 1947 aux annees 1990, la recherche scientifique a connu trois eta pes II. De 1947 1965, c'est la periode de la guerre froide, elle est orlentee vers la defense. L'ecologie systemique profite de cette manne financiere. Ainsi la Commission a l'Energie Atomique (AEC) subventionne les recherches de Stanley Auerbach (1921) dans Ie laboratoire national d'Oak Ridge (Tennessee) a partir de 1954, afin d'etudier la contamination des sites par les dechets nucleairesl". Ce soutien vient apres Ie test de Bikini, car il s'agit d'analyser les consequences des radiations sur I'environnement et la sante. Les freres Odum beneficient aussi du soutien de I' AEC, a l'universlte de Georgia a Athens et ce des 1951 13. En effet, I'AEC avait I'intention d'installer sur la riviere Savannah pres d'Aiken (Caroline du Sud) un etablissement pour produire du plutonium. Des fonds sont debloques pour realiser un inventaire des especes avant la construction. Eugene Pleasants Odum (1917-2002) y voit l'occasion de concretiser une etude globale (systemique) du milieu et de placer quelques etudiants!", II etudle egalement pour Ie compte de cette commission, les effets des explosions sur les coraux de I'atoll d'Eniwetok, Ie site des essais de la bombe H avec Ie soutien de la National Science Foundation. Pour cela, I'AEC finance la construction d'un laboratoire qui est mis a sa disposition. En 1962, elle desire connaitre les consequences des radiations sur I'environnement en cas de guerre nucleaire. Odum assume la direction scientifique de ce projet et observe une foret avant et apres un essai. L'interet du nucleaire pour les ecologistes est d'evaluer I'impact des essais sur Ie milieu et surtout de mesurer la circulation et I'accumulation des substances radioactives dans les organismes. Ces etudes permettent a des laboratoires de se developper et favorisent I'emergence de la nouvelle ecologic. A Oak Ridge, I'autonomie du departernent d'Auerbach est acquise en 1959, annee ou il devient: la section de radiation ecologlque de la division de la sante physique (Radiation Ecology section of the Health Physics Division) qui, en 1961, obtient son propre batlment. Le fait de travailler en relation avec Ie complexe militaro-industriel a assure Ie statut de « grande science» et aide a la formation de I'ecologie en tant que discipline scientifique aux Etats-Unls. La seconde periode s'etend de 1965 a 1978 et se caracterise par ses priorites sociales. Le phenornene « jeune » emerge et les etudiants affluent au sein des universites. L'environnement lntegre Ie debat politique. Les Iimites de la science et de la technologie sont posees a propos du nucleaire civil et militaire. Face aux desequilibres provoques par I'homme en matiere d'environnement, I'ecologle se revendique comme la seule science pouvant assurer Ie retour a I'equillbre, La necessite de proceder a des etudes d'impact avant d'entarner des amenagements aussi bien en France, en RFA, en RDA ou qu'aux Etats-Unis multiplie les contrats et done les recherches. La troisierne periode qui s' etale de 1978 a 1990 est marquee par un accroissement de la competition economlque et Ie role de plus en plus important de I'innovation. Les
II Brooks H., « Lessons of history: successive challenges to science policy», ill S. E. Cozzens et al (ed.), The Research System in Transition, Amsterdam: K1uwer Academic Publishers, 1990, pp. 1122. 12 Cette annee correspond en fait a une loi I' Atomic Enregy Act qui autorise les industries privees a cooperer avec I' AEC dans Ie developpement des reacteurs nucleaires. 13 Sur Ie role des freres Odum dans Ie developpement de I'ecologie systemique, voir Bocking S., « Ecosystems, Ecologists, and the Atom: Environmental Research at Oak Ridge National Laboratory », Journal of the History of Biology, 28, 1995, pp. 1-47. 14 Craige B. J., Eugene Odum. Ecosystem Ecologist & Environmentalist, Athens and London: The University of Georgia Press, 2001, p. 226. 182
rapports entre industrie et universite se font plus etroits avec la crise economlque qui sevit depuis 1973 accompagnee par une forte hausse du chomage. Ceci se traduit dans un premier temps par une restriction des credits alloues a la recherche. L'environnement devient un enjeu econornique et diplomatique notamment avec Ie Waldsterben (deperissement des forets) qui se manifeste Europe au debut des annees 1980. Pour la premiere fois, une analyse scientifique d'un problerne environnemental prend une envergure economique en raison de I'obligation de rouler avec de I'essence sans plomb partir du I" janvier 1986 en RFA, ce qui contraint les constructeurs d'automobiles a equlper les voitures de pots catalytiques non sans protestations du cote fran~aisI5.
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Des scientifiques entre science et politique Dans les annees 1970, I'environnement entre en politique. Des partis sont crees dans les pays de I'Europe de l'Ouest, A l'Est, des groupes naissent sous Ie couvert des eglises. Cette donne a oblige les scientifiques a se positionner, a prendre leur distance vis-a-vis de la politique, tout en devant intervenir en tant qu'expert aupres des gouvernants done du · . po Iitique ... 16 Les mouvements de protection de la nature datent de la fin du XIXe siecle dans la plupart des pays europeens. lis furent souvent lies aux partis conservateurs et se sont appuyes sur Ie monde rural, desirant maintenir ou restaurer un paysage, fruit du labeur des hommes et/ou de la nature. Apres 1945, I'avenement de la societe de consommation modifie Ie rapport des hommes a la nature. L'historien Suisse Christian Pfister a qualifie ce changerrient de « Syndrome des annees 1950 »17. Jusqu'au debut de ces annees, les societes industrielles puisent leur source d'energie essentiellement dans la combustion de la foret souterraine : Ie charbon. Le budget des menages est absorbe alors par trois postes : la nourriture, Ie logement et l'hablllement, ce qui ne permet aucun debordernent et favorise d'ailleurs Ie recyclage. Au lendemain de la guerre, une nouvelle source d'energie, moins cofiteuse, plus maniable, capable de repondre la demande et la motorisation des societes s'irnpose : Ie petrole, II prend Ie dessus sur Ie charbon a partir de 1957. Associe au fordisme, iI ouvre la voie une economie reposant sur Ie gaspillage et la consommation accompagnee d'une electrification de nos modes de vie. Le symbole en est la voiture qui a etendu son emprise sur I'espace et, conjointement, sur I'environnement en rendant plus mobiles les populations. Le tout se deroule dans des societes qui s'urbanisent, accelerant I'exode rural. Les atteintes envers la nature ne sont plus locales, limitees par exemple aux alentours d'une entre prise polluante, mais deviennent globales (dechets, pollutions transfrontalieres), Dans un tel contexte, les mouvements de protection de la nature et ecologlques emergent. lis se greffent sur deux angoisses : la peur du nucleaire et celie de la surpopulation. La premiere angoisse renvoie a la crainte d'une guerre atomique avec Ie cortege de traces indelebiles que celle-ci peut produire. Le nucleaire tient une place essentielle non
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15 Roqueplo P., P/uies acides " menaces pour /'Europe, Paris: Economica, 1998, p. 357. 16Theys J., Kalaora B. (Cd.), La terre outragee, La Heche : Diderot Editeur, 1998, p. 336. 17 Pfister c., « Das « 1950er Syndrom » - die umweltgeschichtliche Epochenschwelle zwischen Industriegesellschaft und Konsumgesellschaft », in C. Pfister (Hg.), Das 1950er Syndrom. Der Weg ill die Konsumgese//schajt, Bern, Stuttgart, Wien : Paul Haupt, 1995, pp. 51-95. 183
DE LA TYPOLOGIE DES STATONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE seulement dans I'affirmation de la nouvelle ecologle, celie de l'ecosysteme, mais aussi com me point de focalisation des mouvements ecologistes. Ainsi Ie professeur de physiologie des plantes de I'universite de Washington Barry Commoner (1917), un des tenants de l'ecologie politique aux Elats-Unis, fonde dans les annees 1950, Ie « Comlte d'information sur Ie nucleaire » qui devient, par la suile, Ie « Comite d'information environnemental », En ltalie, Ie nucleaire a joue un role majeur dans la structuration du ' mouvement ecologiste ainsi que dans la RFA des annees 1970 18• La seconde angoisse t~ent.sous en un .~ot: surpopulalion. Elle surgit apres la publication de I'ouvrage de I ornithologue Wilham Vogt (1902-1968), The road of survival, traduit en francais, en 1950 19. Vogt reprend les vieux demons malthusiens du rapport population/ressources qu'il transpose a la terre entiere. Ce discours sur les limites des ressources naturelles engendre une critique des societes occidentales, done de la societe de consommation. Sachant la terre limitee en matieres premieres, la question de I'avenir de notre civilisation se pose, d'ou l'idee, issue du Club de Rome, de s'engager vers une croissance zero. Peur de manquer, peur de disparaitre sont les deux elements qui favorisent la prise de conscience du public en faveur de I'environnement et de ce qui nomme l'ecologie dans les annees 1970. Les mouvements de protection de la nature ont beneficieegalement du developpement des medias et de leur effet amplificateur notamment au travers d'evenements comme Ie naufrage du petrolier Torrey Canyon. Ie 18 mars 1967, mais aussi lors de I'affaire du pare de la Vanoise dans les annees 1960 et du Waldsterben 20. Sous la pression mediatique, des associations, du public plus exigeant en matiere de qualite de la vie, I'environnement devient une preoccupation des gouvernants. En RDA, Ie premier ministere de I'environnement voit Ie jour en 1971 et un an plus tard en Pologne et en France. Des conferences internationales sont organisees a Stockholm (1971), Belgrade (1975), Rio de Janeiro (1992). En 1972, se tient la premiere conference des Nations Unies sur I'environnemenl. Des conventions internationales sont slgnees comme en 1979 avec la Convention des Nations Unies sur la pollution transfrontaliere, Les Etats s'engagent a prendre des mesures pour reduire la pollution atrnospherique provoquee par Ie dioxyde de soufre, I'ozone, Ie gaz carbonique. Cette activite politique se traduit sur Ie plan juridique, avec en France, la loi sur les pares nationaux du 22 juillet 1960, celie du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature (patrimoine naturel et biologique). Elle entre rnerne dans les constitutions de la RDA en 1968 (art. 18) et de I'URSS en 1977 (art. 18 et 67)21. L'ecologie politique emerge, au debut des annees 1970, dans la plupart des pays de I'Europe occidentale. En France, cela se manifeste par la candidature de I'agronome Rene Dumont (1904-2001) aux elections presidentielles de 1974 et par celie de Brice Lalonde en 1981. Le contexte est propice. La premiere crise petroliere a fait prendre conscience des limites de cetle ressource energetique, L'heure est a la recherche de sources
18 Neri Semeri S., « Politics and culture of the italian environmental movement in the 1970s» Engels J. I., « West-german environmental movement during the 1970s », Dealing with diversity, 2nd International Conference of the European Society for Environmental History, Prague, 2003. 19Vogt, W. La Faim du monde, Paris: Hachette, 1950, p. 357. 20 La Vanoise, premier parc naturel francais cree en 1963 devail etre restructure en 1969 en vue d'amenager une station de sports d'hiver.
21 La Republique de Weimar dans son art. 150 de la constitution affichait les memes preoccupations Ii l'egard de la nature.
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L'ECOLOGIE SOUS LE SCEAU DU POLITIQUE alternatives : nucleaire, solaire, eolien, geothermie. Le premier depute vert a remporter un siege dans un Parlement national est un suisse, en octobre 1979. Depuis en Europe occidentale, les ecologistes ont obtenu des representants et participent rneme a des gouvernements. Leur action a contraint les partis traditionnels a accorder une place plus importante dans leur programme a l'environnement. La montee en puissance des questions environnementales accompagnees des groupes de pression organises a concerne les scientifiques. Ceux-ci, avec Ie programme nucleaire, ont ete invites a s'Interesser aux consequences sociales de leurs recherches. Des themes comme la surpopulation, l'epuisement des ressources sont autant de sujets qui, au debut des annees 1960, incitent les scientifiques a revendiquer leur place dans la cite, a legitirner leurs recherches et leur discipline. La mise en place du PBI, suivi du MAB (Man and Biosphere), s'effectue au nom de ces thematiques, L'ecologie semble etre la science la plus a meme de resoudre les crises futures. Fondee sur l'ecosysterne, elle seule peut denouer les interrelations qui s'etablissent entre les organismes et predire leur developpement, Ce caractere predictlf amene les chercheurs a concevoir des modeles, afin d'evaluer les consequences dans un ecosysteme des agissements de I'homme. Ce faisant, ils obeissent a une double strategic, d'une part sortir de I'image du naturaliste (du systematicien) et s'affirmer aux cotes de la biologie moleculaire, d'autre part, en investissant le terrain du social, ils desirent utiliser les « ressources socio-politiques au service d'une ambition scientlfique »22. Ceci n'est pas en contradiction avec les revendications des mouvements de protection de la nature du debut des annees 1960 qui insistent sur une meilleure integration de I'homme dans la nature. Plusieurs ouvrages paraissent a cette epoque dont celui de la biologiste Rachel Carson (1907-1964), Le Printemps silencieux, en 1962, qui engendre de multiples debars dans lesquels les scientifiques sont invites a s'exprimer, mais surtout, ces derniers mettent en avant la necessite d'etudier encore plus profondernent la nature pour connaitre son fonctionnement et ses limites. Dans les annees 1970, cette politisation de plus en plus poussee des questions relevant de I'environnement detourne les scientifiques des mouvements ecologistes. lis reviennent a une attitude d'autonomie vis-a-vis du politique. En outre, appeles com me experts dans les nombreuses agences de I'environnement, ils passent pour etre du cO,te du pouvoir aux yeux des ecologistes23. La prise de distance a l'egard des mouvements ecologistes entraine une modification de vocabulaire. Les scientifiques etudiant l'ecologie ne se definissent plus comme ecologistes, qualificatif que l'on trouve des les annees 1930, mais comme ecologues. En outre, toujours pour maintenir une distinction entre l'ecologie politique et l'ecologie scientifique, ils bloquent I'entree de certaines institutions. Ainsi la Societe d'ecologie en Allemagne n'est accessible que sur Ie parrainage d'un de ses membres. En 1977, face au risque que la Societe britannique d'ecologie, par ses adherents, soit engagee dans l'action politique, ses membres chan gent les statuts en precisant que « Les buts de la Societe britannique d'ecologie seront la promotion et l'encouragement de l'education, de 22 Fabiani J.-L., « Science des ecosysternes et protection de la nature », in A. Cadoret (ed.), Protection de fa nature: histoire et ideologie. De fa nature a l'environnement, Paris: I'Harmattan, 1985, p. 92. 23 Cramer J., Eyerman R, Jamison A., « The knowledge interests of the environmental movement and its potential for influencing the development of science », ill S. Blume, J. Bunders, L. Leydesdorff, R. Whitley (eds.), The Social Direction of the Public Sciences. Sociology of the Sciences Yearbook, Vol. Xl, D. Reidel Publisching Company, 1987, pp. 89-115.
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l'enseignement et de la recherche en ecologte »24. La situation devient plus amblgue au debut des annees 1980 avec Ie Waldsterben ou les medias et les mouvements ecologlstes participent a sa popularisation. Partied'un simple debat scientifique en 1981, Ie deperlssement du sapin, cette question deborde dans l'opinion allemande grace a une serie d'articles du Spiegel pour rejaillir sur Ie politique. Un point interessant dans ce debar est la similitude de I'emploi d'un vocabulaire catastrophiste annoncant la mort prochaine de forets que ce soit de la part des scientifiques allemands et des ecologistes. Pour les uns, ce discours accroit les fonds destines a la recherche, pour les autres, cela renforce leur action politique. Dans les pays de l'Est, Ie probleme de I'environnement s'est pose differernment, Jusque dans les annees 1960, il n'est pas occulte que ce soit la pollution de l'eau, de l'air, Ie bruit. Pour etudier la pollution atmospherique, une station experirnentale est fondee a Tharandt, en 1963, en RDA ainsi qu'en Tchecoslovaquie a Prague et en Pologne. Mais l'environnement ne trouve aucun relais social. Les mouvements de protection de la nature, reprenant pour partie leurs preoccupations d'avant-guerre, sont davantage preoccupes par Ie developpement d'espaces verts favorisant la detente du travailleur urbain et I'inventaire des biotopes naturels, En outre, il est difficite pour les scientifiques de s'appuyer sur la theorie marxiste, qui n'a pas aborde de front la gestion des ressources naturelles. Dans sa theorie de la valeur travail, Marx n'a pas pris en compte I'exploitation de la nature. L'element naturel qui n'est pas encore transforrne par l'homme ne possede aucune valeur. Toutefois, en 1950/60, l'optimisme regne. La technique semble etre en mesure de pouvoir resoudre ces problemes, Dans son journal, en 1965, I'ecrlvain Est-allemande Brigitte Reimann (1933-1973) decrit la region de Senftenberg (Brandebourg), comme etant celie de la « neige 'loire », mais elle ne s'en inquiete guere, car on salt que Ie charbon est depasse que Ie nucleaire arrive, a terme, la pollution va disparailre 25. Au debut des annees 1970, la situation change completement, L'environnement devient un enjeu international et un indicateur du bien-eire d'une societe developpee, Les pays du bloc de I'Est ne sont pas insensibles a cet aspect mais ne pouvant agir efficacement sur les emanations, its tentent alors de masquer la realite, accentuee par un raidissement ideologique des regimes. Rendre publique des donnees concernant la pollution, c'est s'exposer a des peines de prison pour les scientifiques pour avoir devoile des secrets d'Etat. En outre, les effets de la crise economique et energetique qui traversent l'Occident se font sentir a l'Est, notamment en rendant l'energie plus cofiteuse. Des pays comme la Pologne, la Tchecoslovaquie et la RDA se rabattent sur I'exploitation de leurs ressources locales (charbon, lignite) beaucoup plus polluantes que Ie petrole. Face a la degradation de leur environnement, des citoyens s'organisent a partir de 1978 en RDA dans Ie cadre de I'eglise reformee, de 1980 en Pologne au sein de Solidarnosc, a la suite de la glasnost en URSS (1985). lis fondent des groupes « ecologlstes » dont Ie but est la protection de la nature et la lutte pour la paix. Toutefois its mettent Ie doigt sur les faiblesses des regimes en place incapables d'assurer une meilleure quallte de vie pour leurs citoyens. Afin d'eviter toute propagande « anti-socialiste », i1s font I'objet d'une surveillance accrue des diverses polices politiques (Stasi en RDA, KGB en URSS, etc.), 24 Sheail J., Seventy-Five Years in Ecology, The British Ecological Society, Oxford: Blackwell, 1987, p. 198. 25 Knabe H., Umweltkonflikte im Sozialismus. Moglichkeuen und Grenzen gesellschaftlicher Problemartikulation in soziallstischen Systemen. Eine vergleichende Analyse der Umweltdiskussion in der DDR und Ungarn, Koln : Verlag Wissenschaft und Politik, 1993, p. 380.
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L'ECOLOGIE SOUS LE SCEAU DU POLITIQUE malgre des signes visibles des effets nefastes de la pollution sur les habitations et les forets dans les Monts metalliferes de Boheme, tant sur les versants tcheque, allemand que polonais. Ces groupes ont fini par miner les regimes en place.
La foret sous pression Au lendemain du second conflit mondial, la foret europeenne est dans un etat desastreux. Elle a ete exploitee pendant la guerre au-dela de ses capacites de renouvellement, subi les devastations liees aux combats comme dans l'ouest de l'URSS, en Pologne et en Allemagne, ou les chablis sont partlculierement importants et mines par les attaques d'insectes. A cela s'ajoute une penurie de bois. Les gouvernements reagissent et prennent des mesures afin de reconstituer Ie manteau forestier mais aussi d'arneliorer la production pour satisfaire la demande en pate de bois et de papier carton. En Suede, cet accroissement de la productivite passe par I'application de la typologie des stations et la genetique. En RDA, la reconstitution du manteau forestier est l'occasion pour de jeunes scientifiques d'instaurer une sylviculture proche de la nature et de rompre avec la foret « capitaliste » qui reposait sur la theorie de la rente fonciere. La croissance economlque aussi bien a l'Est qu'a l'Ouest et I'exode rural Iiberent de la richesse et de l'espace. La foret europeenne s'etend, Elle passe de 133.310.000 d'ha en 1914 a 180.600.000 en 1988, nonobstant les forets de l'ancienne URSS. En Pologne, elle couvre 8.622.000 ha en 1980 contre 6.792.900 ha en 1949. Les ingenieurs forestiers sont dorenavant formes dans chaque Etat europeen y compris en Albanie ou l'enseignement forestier est dispense a l'interieur de l'ecole superleure d'agronomie a partir de 1951. En Europe de l'Est, Ie regime de la propriete fonciere a ete profondernent reorganise et la foriH publique domine. Ainsi en Hongrie, en 1980, l'Etat detient 73,5 % du couvert forestier contre 5 % en 1938. Dans Ie rneme laps de temps, la foret privee s'est effondree de 45,5 % a 7,6 %. L'administration forestiere peut desorrnais agir sans entraves en matiere sylvicole-", La foret n'echappe pas a «I'ideologie de la tonne» qui traverse les bois sur pied doit etre accru afin de soutenir pays a econornie planifiee. Le rendement la comparaison avec l'Ouest. Cette priorite s'affirme avec force dans les annees 1960, la foret est engagee dans la course a la productlvite au prix d'un retour systematique a la genetique (selection des essences), a un usage massif d'engrais et a une rnecanisation plus poussee, La typologie des stations est mise entre parentheses et 1a coupe a blanc fait son retour. En France, la foret accompagne une politique de modernisation agricole. Les previsions tablent sur une forte demande en bois al'avenir, surtout en resineux, or la foret francaise est constituee essentielIement de feuilIus. En outre, elIe a ete geree, jusqu'en 1940, sans se soucier de I'utilisation ulterieure des bois produits, en fait pour elle-meme/". Un vaste projet de reboisement est mis au point dans Ie cadre du plan Monnet. Ainsi it est
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26 En RDA, les urbanistes liberes des eonlraintes de la propriete privee ont manifeste a la creation \ de eet Etat Ie desir de modeler Ie paysage industrie1 et naturel, voir Auster R., Behrens H., Landschaft und Planung in dell neuen Bundesldndem, Berlin: Verlag fur Wissensehaft und Forsehung, 1999, p. 387; Lingner R., Carl F. E., Landschaftsdiagnose der DDR, Berlin: VEB Verlag Teehnik, 1957, p. 148. 27 Buttoud G., L 'Etat forestier. Politique et administration des forets dans I'histoire francoise contemporaine, op. cit., p, 478.
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prevu de reboiser cinq millions d'hectares de friches provenant de terrains liberes par l'agriculture de moyenne montagne. II est done vote Ie 30 septembre 1946 une loi instituant Ie Fonds Forestier National (FFN). II a pour objet d'aider les travaux de boisements ainsi que de reboisements et de faciIiter la mise en valeur du patrimoine forestier, lui echappe : les travaux de protection des sols qui restent du ressort de l'Etat. Le FFN s'inscrit dans une perspective productiviste. II faut produire du bois dans un delai ., relativement bref, pour cela, seuls les resineux et certains feuillus comme Ie peuplier et Ie noyer beneficient de "aide 28 • Le FFN est finance par une taxe parafiscale prelevee sur les produits d'exploitation forestlere et les scieries. II apporte une aide en nature ou financiere. Ainsi pour les boisements inferleurs 2 ha et pour ceux de plus de 10 ha, il peut preter de I'argent interet simple d'environ 0,25 % par an sur 50 ans. Une deuxieme etape est franchie avec la creation, en 1966, de I'Office National des Forets (ONF), un etabllssernent public a caractere industriel et commercial, qui a pour mission la gestion du domaine boise soumis au regime forestier. Cette autonomie permet I'ONF de disposer de fonds independamment' de la politique budgetaire, En fait cette reforme rentre dans Ie cadre plus global des changements qui agitent Ie monde rural avec, entre autres, la Politique Agricole Commune (1958) et, la creation des Directions Departernentales de I' Agriculture et du corps des Ingenieurs du Genie Rural des Eaux et Porets (1965) regroupant les lngenieurs des services agricoles et les hauts fonctionnaires forestiers. L'Ecole de Nancy perd quelque peu de sa speciflcite et fusionne en septembre 1965 avec l'Ecole National du Genie Rural pour constituer l'Ecole Nationale du Genie Rural, des Eaux et des Forets (ENGREF). L'ecole change non seulement de statut, mais abandonne la recherche qui integre Ie CEMAGREF et I'INRA, ou elle est transferee Champenoux aune vingtaine de kilometres de Nancy. En parallele a cette fonction de production, la foret endosse celie de loisirs. A la fin des annees 1950, elle est investie massivement par les populations urbaines qui sont a la recherche d'un cadre vert. A nouveau, les fore stiers parent I'espace forestier de vertus et font de ce domaine un contre-espace urbain ou regnent Ie calme, l'air pur, la dlversite. Elle est censee assainir l'alr, Ie purifier des poussieres et de la pollution. Elle est comparee a un organe vital pour la respiration: Ie poumon. Elle devient un objet d'etudes pour des biologistes a I'image de la reserve biologique de la foret de Fontainebleau, I'ancienne reserve artistique, une portion de foret laissee a elle-merne de 416 ha sur les 25.000 ha de cette foret29. En Allemagne, en 1970, Ie pare national de Baviere est cree. II couv re 13.000 ha et est compose a 99 % de forets dont une partie est exempte de toute intervention humaine, depossedant du merne coup Ie forestier de sa fonction de gestionnaire du milieu. La foret n'est plus leur objet speciflque, d'autres groupes sociaux reclament leur place: les ecologlstes, les associations de protection de la nature, les naturalistes, etc. Le forestier est con teste dans sa gestion sylvicole, dans son metier. Ainsi, en 1967, dans la Revue Forestiere Francoise, des personnes revendiquent ouvertement I'orientation productiviste de la gestion sylvicole. M. de Saint Vaulry explique que: «La foret productrice de cellulose ne saurait etre rentable que si elle se mecanlse totalement... L'ere de la recolte lite la mecanisation s'impose. Jl n'y a pas d'appel... La
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Depuis 1974,six autres essences feuillues ont ele ajoutees, 29 En fait, seulement 136 ha constituent une reserve biologique integrate, Ie reste etant une reserve biologique dirigee, 188 28
"sylvicueillette" deviendra "sylviculture" »30. Le biogeographe Gaussen, en 1964, prend parti pour cette nouvelle orientation: « Un champ de Pins maritimes rapporte de l'argent, it appauvrit le sol. N'a-t-on pas le droit de cultiver un champ de Pins maritimes, quitte a restituer au sol ce qui a ere enleve et a lui donner les qualites necessaires a une nouvelle recolte »31. Ce debar agite les forestiers et les mouvements ecologlstes obligeant I'administration forestiere a composer et a s'expliquer sur sa politique. Les critiques formulees a l'egard des forestiers tiennent essentiellement autour du theme du non-respect de la complexite de la foret et de forces naturelles qui sont en elle. Pour les ecologistes, la Ioret est composee certes d'arbres, mais c'est egalement une flore et une faune specifiques (des oiseaux aux insectes) a respecter, un systerne qu'iI faut preserver et eviter de desequilibrer. Cela passe par la suppression des coupes rases qui detruisent la faune du sol, l'enresinernent qui appauvrit la flore, la faune et qui banalise Ie paysage. Les peuplements monospecifiques doivent disparaitre car ils fragilisent la foret face aux attaques d'insectes et aux tempetes, Enfin, l'Introduction d'exotiques comme Ie Douglas vient bouleverser l'equilibre naturel des forets 32. La nature I'a chasse, ce n'est pas a I'homme de Ie reintroduire. Autant de themes qui ne sont pas nouveaux, ils ont deja fait I'objet de vifs de bats depuis la fin du XIXe siecle en Allemagne et en France mais a I'epoque ils se cantonnaient entre forestiers. Les solutions se laissent deviner d'ellesmemes: prlvilegier les essences locales, les peuplements melanges, les futaies irregulieres avec regeneration naturelle en d'autres termes, se rapprocher Ie plus possible du modele de la foret naturelle. Les forestiers ont repondu aces attaques en soulignant que la foret naturelle n'est pas une panacee. Pierre Bouvarel (1922) et Jean Parde (1919) de la station de recherche forestiere ecrivent en 1964 : « Les sylves naturelles, aux essences melangees, d'tiges varies, utilisent bien insuffisamment la productivite potentielle des stations qui les portent, et ne sont absolument pas economlquement viables : on ne trouve en foret vierge equatorlale que quelques arbres valant liexploitatlon I'hectare, alors que les forets d'Europe occidentale, aux sylvicultures intensives, permettent, sur une surface identique, des coupes de centaines de tiges la fois, -bien adaptees aux besoins de l'homme »33. Au sujet des exotiques, ces essences sont natJrelles a l'Europe, elles ont ete chassees par les glaciations, Ie forestier opere une reintroduction, idees entendues depuis pres d'un siecle ... Cette contestation est propre aux pays occidentaux. A I'Est, la Iigne officielle n'est pas debattue mais deploree par certains forestiers en prive, Depuis 1945, Ie statut de I'espace forestier a considerablernent evolue, La foret a abandonne, en tres grande partie, sa fonction nourriciere et energetique, maintenu, plus que jarnais, son role de fournisseuse de bois. Surtout, elle a revetu un nouveau role: celui d'espace de loisirs, dans les societes du rnerne type. Entre l'Est et l'Ouest, la coupure ideologique soumet la foret a des pressions differentes, A l'Ouest, Ie forestier doit faire face aces detracteurs (associations de protection de la nature, communes, etc.), a "Est, les « ecologistes » luttent aux cotes des forestiers pour sauver les forets des effets de la
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30 Saint-Vaulry M. de, « Prospectives de Sylviculture et de production », Revue Forestiere Francoise. 19, 1967, p. 182. 31 Gaussen H., « La mystique du climax », Revue Forestiere Francoise, 16, 1964, pp. 946-947. 32 Cette essence ne s'implante pas en Europe de l'Est pour des raisons ideologiques : son origine americaine. 33 Bouvare1 P., Parde J., Contribution de La recherche une politique forestiere, INRA, 1964, p. 2.
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pollution atmospherique notamment dans les Monts metalliferes. Ces groupes organisent des actions de reboisement avec I'aide de I'adminlstration forestiere locale. Enfin, depuis 1945, les biologistes en ont fait un lieu d'etudes privileglees, ainsi la protection de la nature en RDA a mis sous tutelle pres de 20 % de la surface forestiere du pays pour Ie bonheur des scientifiques et des chasseurs de la nomenklatura.
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Des reseaux aux poles Le partage ideologique de l'Europe entre les deux grands, Etats-Unis et URSS, I'harmonisation des pratiques scientifiques rendent la classification moins pertinente entre centres convergents, peripheriques et marginaux. L'Europe de I'Est et de I'Ouest sont chacune infeodees a une puissance, a un modele. Les centres europeens de la partie occidentale sont de fait ala perlpherie des Etats-Unis et ceux de la partie orientale a celie de I'URSS. Toutefois, il est possible de distinguer six ensembles: _ L'ensemble sovietique comprenant quelques pays de l'Est qui ont su ernerger par leurs travaux en matiere de typologie des stations: la RDA, la Hongrie, la Pologne et la Tchecoslovaquie; - L'ensemble anglophone, dornine par les Etats-Unis, qui sont devenus, en ecologie generate, Ie centre convergent relaye en Europe par la Grande-Bretagne ; - L'ensemble scandinave qui a perdu beaucoup de son attraction sauf Ie Danemark reste encore un centre d'innovatlon; - L'ensemble germanophone integrant I'Allemagne, la Suisse et l'Autriche qui partagent un mode de formation analogue; - L'ensemble francophone, ce qui est nouveau, tant en typologie des stations qu'en ecologie systemique, iI regroupe la Belgique, Ie Canada et la France; - Un ensemble forme de trois pays: I'ltalie, la Yougoslavie et les Pays-Bas, i1s alimentent en information les principaux centres europeens. Contrairement aux precedents,' ils ne forment pas un tout coherent. lis se rattachent en fonction de leurs preoccupations a I'un des pays cites precedemrnent, l'Italie a la France, la Yougoslavie a l'Autriche et les Pays-Bas a l'Allemagne. Dans cette classification, plusieurs pays sont absents: la Bulgarie, la Roumanie, l'Albanie pour l'Europe de I'Est, la Grece, I'Espagne, Ie Portugal, I'Irlande, l'Islande a I'Ouest. Le manque de structures scientifiques efficientes, les circonstances politiques (I'isolement stalinien de l'Albanie, la gJerre civile puis la dictature des colonels en Grece), la faiblesse econornique n'ont pas permis a ces pays de s'integrer d'une facon durable dans les reseaux europeens, Ceci n'empeche pas l'emergence de personnalites dont les travaux, a un moment donne, attirent I'attention des scientifiques europeens, tels Ie Catalan Ramon Margalef (1919-2004) par ses travaux theoriques sur la notion de niche ecologique, Ie Roumain Bogdan Stugren (1928-1993), auteur d'un ouvrage d'ecologie generate en 1965, paru en RDA en 1978 1, autant de productions episodlques qui laissent a la marge ces centres.
1 Stugren 8., Grundlagen der Allgemeine Okologie, lena: VEB Gustav Fischer Verlag, 1978, p.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
DES RESEAUX AUX POLES Types de poles
Localisations
Anglophones
Peripheriques
Inf
For
+
Scandinaves
Sovietiques
Ino
Centres russes : Saint-Petersbourg + + --I-i:----.M...'!scou________ + __ Ouja , -;__. , _. . ----t--'!.-- _ _. Centre tchecoslovaque: Ecole superieure de Boheme . _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ + 1--_ -----'--'-'c Centres de la RDA : Halle ._ + __.t.; E~~~~ + ---=:..=....:-'-=-'-'-=-="-=---------------I-------:----J---I ___Ihararz..d_t ._____________ + --- --f---- ---Centres hongrois : Debrecen Sopron Centres etasunien : Universite de GeorB.iE.-___ + + - -+- - - - - - - - - i---'--__ Laboratoire d'Oak RidsJ:'___ _ ~__ _.__ fuk + -------.-- - - - - - - + - - 1 Centre britannluue : «Nature conservancy» + + Centre italien: Universite de Florence + Centres yougoslaves :
Ljubjana .-------------------l----1----=."f::-----
Zagreb Centre neerlandats : Oosterbeek Centres de la RFA : __Munich Hohenheim Fribourg
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--+-'----1-----1
+ + + +
+ +
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Germanophones
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+ + +
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
Centres belges : Universite Libre de Bruxelles -_.±.- _"t._ + lnstitut agronomique de Gembloux + r--Station de Recherches des Eaux et Forets + de Groenendaal --Centres fran~ais : -- ---. ---+ - -Grenoble --------Francophones Marseille - - ---- _....:t.... - - - + -- Toulouse _....Montpellier (universite et CEPE) --- -±- ._--Orsav + + Museum d'Histoire naturelle + Laboratoire de biologie vegetale de + + Fontainebleau___________________ -----ENGREF + .----Centre canadien: Universite de Montreal + Tableau 22. Centrespar lesquels transitel'ecologie 1945·1980.
L'ensemble sovietique En 1945, pour la premiere fois, I'URSS n'a plus de cordon sanitaire sur ses frontieres, II a ete repousse plus a I'Ouest jusqu'en Allemagne. Sur cet espace, I'URSS instaure un nouvel ordre ldeologique correspondant au modele qu'elle met en place depuis 1917. Conquete exterieure rime avec conquete interieure, en 1948, Staline lance Ie « Grand plan pour la transformation de la nature », Ce projet vise a mettre en valeur les terres du sudouest de l'Union Sovietique en detournantl une partie des eaux qui se jettent dans l'ocean arctique et a reboiser les terres semi-arides afin de les proteger de I'erosion eolienne et de favoriser les precipitations. Ce plan repose sur la croyance en la toute puissance de la science, ce qui n'est pas propre a I'URSS2. II est anime par deux personnalites : Vassili Robertovich Williams (1863-1939) et I'agronome Trofim D. Lyssenko (1898-1976) qui niaient I'influence des chromosomes sur I'heredite, ainsi d'un epis de ble, iI etait possible de produire des particules de seigle. Lyssenko bannit Ie hasard de la biologie s'inscrivant en faux contre les theories de Mendel sur I'heredlte, En d'autres termes, comme I'Homme, la Nature etait transformable. II s'est impose dans la biologie en s'alliant avec Lavrenti P. Berla (1899-1953), Ie chef de la police sovietique, Critiquer Lyssenko, c'est critiquer Staline lui-merne ... De nombreux professeurs en desaccord avec lui sont contraints a la demission voire executes. Des livres sont interdits, certains corriges comme ceux de Dokuchaev. Jusqu'en 1964/65, Lyssenko exerce une tutelle incontestee. Sukachev en patit lui aussi, I'ayant critique dans un article, il doit abandonner, a partir de 1959, la direction du Botanizheski] Zhurnal, qu'il dirige depuis 1916. Son institut forestier est transfere de Moscou a Krasnoiarsk (Siberie) en 1962 et il perd plusieurs collaborateurs. \ Toutefois, Sukachev a pu garder une certaine independance, car iI beneficle au sein de
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2 L'invention de la bombe atomique a demontre la puissance prometheenne de I'homme et la mise au point du vaccin contre la tuberculose grace aux travaux de Waksman a renforce l'rdee d'une sciencecapable de vaincre I'ensemble des maladies. 193
DES RESEAUX AUX POLES
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
I' Acadernle des sciences de I'appui de biochimistes et de physiciens contre lesquels Lyssenko est impuissant, bombe atomique et conquete spatiale oblige... De plus, associe a ce « grand plan », il en profite pour recruter des biologistes persecutes par les partisans de Lyssenko. Tres vite ce plan devoile ses Iimites. En 1951, 50 % des arbres plantes en 1949 sont morts a cause des conditions de travail irnposees aux paysans et d'une insuffisante prise en compte des facteurs du milieu. Le programme de mise en valeur des terres vierges, impulse par Ie premier secretaire Nikita Krouthchev (1894-1971) en 1954, qui devait s'achever en 1960, ne connait guere une meilleure fortune. Ces terres devaient etre encadrees par une ceinture de chenes aftn d'entraver les vents sees de l'Est et proteger Ie sol de l'erosion, En 1958, I'echec est patent. Ce projet doit etre abandonne, Ces differents revers ont favorise la promotion de l'ecologie et de la geographie. En effet, ces grands travaux ont mobilise plusieurs equipes de chercheurs des biologistes, des forestiers, mais egalernent des geographes, Ces derniers doivent etablir des cartes afin de donner une description des futures terres a mettre en valeur. En outre, les echecs ont genere de multiples rapports de recherches qui portent sur l'impact des reboisements sur la temperature du sol, I'evaporation, les balances en eau, etc. Enfin ces diverses deconvenues ont ete fatales a Lyssenko. II est destitue en octobre 1964. Son nom est raye des heros de la science sovietique. La merne annee parait, en russe, Ie premier ouvrage d'ecologie forestiere ecrit par Sukachev', A partir de cette date, l'ecologle sovietique peut prendre son essor. Le champ scientifique sovietique continue de fonctionner dans une relative independance. Les scientifiques puisent leur information en priorite dans I'espace national. II est vrai aussi que leurs carrieres dependent a la fois de leurs travaux et de leur degre de fidelite au regime. Le sejour l'etranger ne s'impose pas et a longtemps ete suspect sous Staline. Cette autonomie s'est traduite par la production de termes specifiques I'ecologie sovietique : biogeocenose (ecosysterne), edaphotope (sol), aerotope (environnement), etc. Toutefois, I'expansion de I'URSS sur I'Europe, sa nouvelle dimension internationale dans Ie cadre de la guerre froide et de la coexistence pacifique lui donnent l'obligation de tenir son rang. Elle envoie regulierement des delegations de scientifiques, trlees sur Ie volet, a chacun des grands rendez-vous (congres internationaux de botanique, de I'IUFRO, etc.), surtout apres la mort de Staline en 1953 ce qui offrent ases representants I' occasion de confronter leurs theories. En URSS, Ie centre de l'ecologie reste a Leningrad, mais iI a bascule de l'unlversite a l'institut de botanique de l'Academle des sciences. En effet, les autorites sovietiques prlvilegient la voie de I'enseignement dans l'unlversite. Par consequent, les activites de recherches sont transferees au sein de I' Academic des sciences. Dans cet institut officient les eleves de Sukachev : Evgenii Mikhailovic Lavrenko (1900-1987), Leonid Efimovich Rodin (1907-1990), ' .. Moscou continue de se poser en rival de Leningrad. Ainsi en 1950, Ie professeur Anatolij Georgievich Voronov (1911) occupe la premiere chaire de biogeographie en URSS l'unlversite de Moscou. A partir des annees 1960, les centres se multiplient ce qui remet en question la domination exercee par I'ancienne et la nouvelle capitale, lis sont situes a Sverdlosk (Ekaterinbourg) en Oural ou a ete fonde un institut d'ecologie, Krasnorarsk en Siberie (I'Institut du bois et de la foret, en fait celui de
Sukachev), a Novossibirsk, troisieme ville de la Russie en Siberie, et aOufa avec I'institut de botanique dirige par Boris Mirkin de I'universite de Bachkir sur Ie versant occidental de I'Oural. Parmi les differentes Republiques de l'URSS, plusieurs centres possedent leur propre tradition que ce soit Kiev en Ukraine ou les Etats baltes. En Estonie, les botanistes renouent a la fin des annees 1950, apres la destalinisation, avec les travaux de Teodor Lippmaa ( 1892-1943). En Europe de l'Est, I'expansion de I'URSS s'est manifestee, entre autres, par une augmentation des citations des travaux sovietiques, Dans l'ouvrage d'ecologie generate du Roumain Stugren, paru en 1978, elles constituent 38,5 % des sources. II est non seulement de bon ton de puiser son information en URSS, mais aussi de s'inspirer des methodes mises au point par ses scientifiques. Ainsi en Hongrie, les botanistes de Debrecen corrigent leur approche, orientee vers la methode Braun-Blanquet, et integrent les principes de Morosov et de Sukachev, Ce dernier, en difficulte dans son pays, fait office de representant de la foresterie sovietique en Europe de l'Est. II est d'ailleurs recu en grande pompe a Eberswalde en 1955. Toutefois, hors de sa sphere d'influence, I'URSS rencontre plusieurs obstacles. La litterature sovietique est rarement accessible en raison du handicap linguistique. Tres peu de scientifiques sont capables de lire Ie russe, sauf ceux qui sont nes dans line Russie tsariste, Dans les annees 1950, une premiere generation s'eteint, celie qui a suivi des etudes du temps des tsars. Winogradsky meurt en France en 1946, Kruedener Munich en 1951, Agafonoff Paris en 1955, etc. Une seconde generation prend Ie relais. Elle est nee en Russie, mais a fait des etudes dans Ie pays d'accueiI. II s'agit de Vlado Tregubov (1904-1974) dans I'ex-Yougoslavie, d'Alexis Scamoni (1911-1993) en RDA et de Walter en RFA. I1~ parlent encore Ie russe et sont en mesure de servir de relais. Dans les annees 1960-1970, extremement peu de nouveaux scientifiques maitrisent Ie russe a l'Ouest. Le flux d' emigration est tari depuis les annees 1920 et les scientifiques occidentaux apprennent d'abord I'anglais. Dans les p~incipales revues forestieres de la RFA, de la Suisse, de I' Autriche et de la France, les travaux sovietiques sont occasionnellement cites. II n'existe pas de suivi bibliographique. Ils sont, en outre, frappes du sceau politique et engendrent de la mefiance, Ainsi, en 1958,1 Ie forestier Est-allemand Wilhelm Knabe passe a l'Ouest, il est un specialiste du reboisernent des terrils. A I'Ouest, il doit pourtant faire preuve de la qualite scientifique de ses ~ travaux car il n 'a publie dans aucune revue occidentale. En 1966, il integre la station regionale de recherches pour la protection des immissions Essen (Ruhr) comme expert forestier, apres avoir effectue un sejour aux Etats-Unis4. Pour les scientifiques de la RDA, cette situation se compliquait en raison de la fuite des maisons d'edition vers I'Ouest et donc des revues. Chaque universite de la RDA a ainsi cree en 1951 sa propre revue qui devait conquerir une audience comme l'universite Humboldt avec Ie Wissenschaftliche Zeitschrift der Humboldt-Universltat zu
3 Sukachev V. N., Dylis N. V., Fundamentals offorest Biogeocoenology, Moscou : Science Pub. House, 1964, p. 574 (en russe) [traduit en anglais et public chez Oliver & Boyd, Edinbourg-London, 1968,p. 6721. 194
4 Aujourd'hui, la langue russe est comprise par les scientifiques qui ont fait ou commence leur
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Berlin. Dans Ie cadre des pays de I'Est, les scientifiques qui maintiennent une audience internationale sont ceux qui ont deja construit leur legitlrnite avant la guerre. En Hongrie, il s'agit de Feher en micropedologie (Sopron) et de Soo en sociologie vegetale (Debrecen), en Tchecoslovaquie du pedologue Nemec (Prague) et en Pologne du botaniste Szafer (Cracovie). Dans cet. espace, la RDA tient une place a part. La langue officieIle,
carriere en Europe de 1'Est avant 1989.Toutefois il est des domaines ou son usage est indispensable nolammentpour les personnes qui travaillentsur I'Arctique. . 195
DES RESEAUX AUX POLES l'allemand, est non seulement comprise en RFA, en Autriche et en Suisse mais aussi par les scientifiques de I'Europe centrale en raison d'une tradition scientifique deja evoquee. En outre, la RDA herite de six universitas dont Greifswald et Halle ainsi que d'Eberswalde et de Tharandt, deux centres forestiers symboliques. Eberswalde a ete longtemps un centre hegemonique en Allemagne ayant comme rival depuis la fin du XIXe slecle : Munich. Tharandt est Ie plus ancien centre de formation superieure forestiere en Europe. lei contrairement aux autres pays de I'Est ou la plupart des anciennes elites scientifiques relevant de notre domaine sont restees en place, les enseignants dans leur grande majorite ont fui devant l'avancee de l'armee rouge ou bien sont partis quelques annees apres liberant des postes pour de jeunes assistants. Ainsi Scamoni, assistant en 1947 a Eberswalde, devient professeur de botanique et de sylviculture en 1949. Ernst Ehwald (1913-1986), qui a fait des etudes en foresterie a Harm-Munden, Fribourg et Munich de 1933 a 1938, dirige en 1946 Ie departement de recherches de cartographie des stations forestieres a Jena, iI est age de 33 ans, La formation des ingenieurs forestiers, en RDA, est centralisee a Tharandt en 1963 a la suite de la fermeture d'Eberswalde comme centre de formation, mais iI reste une station de recherches forestleres, Eberswalde etait jugee trop proche de Berlin-Ouest (50 km) et ancree dans la Prusse ou I'image du junker a longtemps predornine. II est vrai aussi que, avant la guerre, les enfants de grands proprletaires etaient sur-representee dans les eccles forestieres. A. l'oppose Tharandt est situee en Saxe, dans une region industrielle, ou Ie parti communiste est implante de puis longtemps. Malgre ces changements, I'ecologle reste presente a tous les postes cles occupes par d'anciens eleves de Dengler sur Eberswalde : Egon Wagenknecht (sylviculture) et Scamoni (sociologie vegetale)5. Ehwald, direete~r de I'institut de pedologic, a ete forme, entre autres, a Munich ou officiait Krauss. A Tharandt, I'approche ecophyslologique est poursuivie par Hans Polster (1908-1986) un ancien eleve de Wilhelm Ruhland (1878-1960)6 et assistant de Huber, etc. Cette jeune generation qui prend les devants est, pour partie, l'eleve de scientifiques qui sont passes a I'Ouest avant ou apres la seconde guerre mondiale. S'appuyant sur une tradition forestiere, la RDA se pose en rivale officieuse de I'URSS sur Ie plan scientifique. Sur ce plan, les temoignages concordent, les reunions au sein du CAEM en matiere de typologie des stations, de lutte contre la pollution atmospherique se deroulent en allemand, mais leur compte-rendu est en russe. En fait, la RDA a reconstitue Ie reseau d'influence de I' Allemagne avant I'avenernent du nazisme. En typologie des stations, les conceptions developpees a Eberswalde par Harro Passarge et Scamoni sont reprises, dans les annees 1960, en Tchecoslovaquie et en Hongrie. Elles touchent merne I'URSS au debut des annees 1980. L'Union sovietique a bien etendu son hegemonie sur l'Europe de I'Est, mais, en ecologie, elle reste superficielle. Les centres forestiers des pays du bloc communiste developpent les etudes en ecologle sans reelles contraintes contrairement en URSS. Cet Etat a rente de s'imposer comme centre d'information, de formation et d'innovation. Dans un premier temps, iI a dO composer avec une premiere generation de scientifiques qui avait construit leurs reseaux a l'Ouest, La seconde generation qui emerge dans les annees 5 Ce demier a suivi une formation au jardin botanique de Berlin-Dahlem sous la direction du botaniste Friedrich Markgraf (1897- 1987) qui depuis 1922 s' est interesse it la sociologie vegetate. 6 Ruhland avail enseigne la physiologie botanique a l'universite de Leipzig de 1922 11 1945 puis avait pris la direction du jardin et de I'institut de botanique avant de passer a I'Ouest en 194911 Erlangen. 196
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
1960 parle Ie russe, maltrise Ie discours rnarxiste-leniniste et a souvent suiv i une periode de formation dans un laboratoire sovietique. Cette reorientation forcee des reseaux en direction de I'URSS a ete a double tranchant. D'un cote, les innovations scientifiques produites en Union Sovletique ont pu se propager hors de ses frontieres ; de I'autre, ses scienlifiques ont ete plus sensibles aux travaux effectues dans les Etats freres, Dans ce cadre, I'institut de botanique de Halle dirige par Meusel a su en profiter en envoyant des eleves investir en biogeographie la Siberie, tandis que d'autres, tel Rudolf Schubert (1927), etaient davantage al'ecoute des travaux effectues a I'Ouest.
L'ensemble anglophone et scandinave Les Etats-Unis dans ce pole tiennent une place majeure. lis dominent l'ecologie systernlque au lendemain de la guerre et trouvent un relais en Grande-Bretagne. En revanche, en ecologic forestiere, ces deux centres gardent une place marginale par rapport a la tradition continentale europeenne, Les Etats-Unis cumulent les trois types de centre: information, formation et innovation. Les ouvrages et articles de leurs scientifiques sont Ius jusqu'en Europe de I'Est. Sur Ie plan interne, i1s puisent pratiquement toutes leurs sources dans leur champ scientifique national. lis ont, en outre, un acces prlvilegie aux trois grandes revues de reference de l'ecologie : Ecology, Science et Ecological Monographs. Seul Ie Journal of ecology leur echappe en partie. Les scientifiques de I'Europe de I'Ouest y sejournent plus volontiers. C'est desormais un plus pour sa carriere de transiter par les Etats-Unis. Enfin, la theorie de I' ecosysteme y est forrnulee avant de s'etendre a toute I' Europe. L'ecologie etasunienne menacee dans son existence dans les annees 1930 a atteint son autonomie et s'est institutionnallsee dans les annees 1950, epoque ou se creent de nombreux departements d'ecologie dans les universites. Au lendemain de la guerre, elle est dorninee par deux centres: Yale sous Iia direction du Iimnologue du Georg Evelyn Hutchinson (1903-1991) et Chicago, ou Auerbach obtient son Master, puis iI integre Ie laboratoire d'Oak Ridge et participe a des etudes sur les effets des dechets radioactifs sur les animaux. Les freres Odum ont etudie dans les deux. E. P. Odum a ete en contact etrolt avec Ie zoologue Shelford du groupe de Chicago. H. T. Odum a passe son doctorat en 195 I SOUS la direction de Hutchinson. Tous les deux ont eu une formation en ecologic animate. Le premier a integre l'universite Georgia a Athens (Georgie) en 1957 au poste de professeur de zoologie. Le second a eu un parcours plus instable occupant plusieurs postes a responsabilite tant a I'unlversite (Duke, Chapel Hill, etc.) que dans des centres de recherche dont celui du nucleaire a Porto Rico. Cette ecologle a trouve un relais prlvilegie en Grande-Bretagne, Ce lien n'est pas nouveau, iI date du debut du XXe slecle, Le developpement de l'ecologie ne depend plus d'un centre precis mais d'une institution, Ie Nature Conservancy cree sur une initiative de Tansley et d'Elton dont I'idee remonte aux annees 1930. Tansley desirait accroitre Ie nombre de reserves naturelles. II s'agissait pour lui de vaincre les reticences qui s'exprimaient a I'egard de l'ecologie parmi la communaute scientifique, d'offrir a ses eleves des postes accornpagnes de terrains d'etudes, A. partir de 1942, Ie gouvernement britannique s'interesse it cette question. Tansley et son equipe insistent sur la difficulte de trouver des reserves naturelles integrales en Grande-Bretagne, car la nature britannique a ete profondernent transformee par les activites humaines. D'un autre cote, Tansley concourt it la creation d'un organisme de protection de la nature independant du pouvoir 197
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
DES RESEAUX AUX POLES politique. II est un militant de la Societe pour la paix dans la science, dans laquelle il prone une application econornique et sociale de la science et Ie travail en equlpe, Ce dernier point se justifie dans I'etude des reserves naturelles qui mobilisent des botanistes, des zoologues et des pedologues, Surtout, ilestime, en accord avec Elton, que la recherche doit etre Iibre, que la protection de la nature ne doit pas etre placee sous la tutelle d'un ministere. 11 desire aussi recreer des espaces naturels pour permettre aux britanniques de se ressourcer apres I'epreuve difficile qu'its viennent de traverser. En 1949, Ie Nature Conservancy est fonde en tant que conseil de recherches independent, similaire au Conseil de recherches agronomiques (Agricultural Research Council). Des lors, I'ecologle anglaise peut offrir des perspectives de carriere aux etudiants dont John Derek Ovington (1925). Ce dernier dirige la section foret des sa fondation apres avoir obtenu son doctorat en 19477 . Toutefois, si ses recherches relevent de l'ecologle, il n'y existe pas de departernent d'ecologie avant 1966. L'ecologie anglaise beneficle aussi du soutien de la Societe britannique d'ecologie qui rassemble des membres de plusieurs disciplines, tant en ecologle animale qu'en ecologie vegetate. A ce titre, ceci a facilite les contacts entre les differents chercheurs, non sans difficultes. Ainsi en 1952, une proposition de symposium est faite au conseil de cette societe sur Ie theme: la classification des ecosystemes, Un sous-comite qui comprend Harry Godwin (1901-1985), Ie responsable du Journal of ecology, Elton, etc. est mis en place. Tres vite des divergences apparaissent entre les botanistes et les zoologistes, les premiers n'etant pas encore prets it aborderun tel sujet. Le champ anglophone attire particulierernent les scandinaves. lis s'expriment davantage en anglais, tendance qui s'est dessinee avant la guerre. Toutefois, en ecologic. la production scandinave alimente les theories en cours. La Finlande n'a plus de modele a presenter et Uppsala ne fait plus ecole. En Suede, on peut legitirnernent s'interroger sur cette perte d'influence aussi bien en sociologie vegetale qu'en foresterie. Dans Ie premier dornaine, l'ecole de Du Rietz forme toujours des biogeographes, Son successeur, en 1962, Hugo Sjors (1915) neglige la voie experirnentale et abstraite, poursuivant I'eeuvre de son predecesseur, La demarche reste narrative. Les grandes figures de I'ecologle, dans les annees 1960, sont des zoologistes de l'universite de Lund soit un domaine situe en marge des preoccupations forestieres encore centrees sur I'arbre et Ie sol. Ce sont eux qui fondent en 1948, Oikos, la premiere revue purement ecologique en Suede, dans laquelle on trouve peu d'articles d'eleves de Du Rietz. A Stockholm officie Stalfelt comme professeur de botanique. 11 a bien compris que l'ecologie peut etre une science et non « un hobby exterieur »8, pourtant it dissuade ses etudiants de poursuivre les etudes dans cette direction et les engage vers la physiologie. Toutefois Stalfelt insiste sur la necessite d'etudler, des 1956, les consequences de l'actlvite humaine pour I'environnement, par exemple la substitution de resineux aux feuillus, l'extermlnation des plantes par des precedes chimiques, etc. Son successeur la station de recherches forestieres, Carl Olof Tamm (1919), met I'accent sur les liens entre les matieres nutritives et les arbres forestiers et dirige ses travaux vers I'ecophysiologie.
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En 1960, it change Ie nom de sa chaire qui, de botanique et pedologique, devient la chaire d'ecologie forestiere, C'est la premiere en Europe. Le Danemark suit une voie particuliere. S'Il s'oriente bien vers Ie monde anglo-saxon apres 1945, it maintient son role d'interrnedlaire entre la production scandinave et allemande. Ainsi, Meller, professeur de sylviculture a I'ecole superieure d'agronomie de Copenhague, publie des articles dans pIusieurs revues etrangeres, dans les annees 1950 surtout dans la revue etasunlenne Ie Journal of Forestry. Dans les annees 1960, it ecrit davantage pour des revues allemandes, I' Allemagne ayant acheve sa reconstruction et s'engageant dans des travaux simitaires. Copenhague garde sa place centrale avec d'un cote I'universite, par la chaire de physiologie des plantes qui echoue, en 1949 apres Ie depart a la retraite de Boysen-Jensen, dans les mains de Detlev MUlier (1899), un de ses eleves, et de I'autre, l'ecole superieure d'agronomie. Les travaux des forestiers danois sur la productivite primaire ont deborde Ie simple cadre de la foresterie, dans les annees 1950/60, puisqu'its ont interesse les non-forestiers belges, japonais, anglais, etasuniens et allemands.
Le pole germanophone autrichien et suisse En Autriche, l'ecologie se partage entre trois centres: Arriach, Vienne et Innsbruck. Le premier est tenu par Aichinger qui a dO abandonner son enseignement a l'ecole superleure d'agronomie it Vienne a cause de son passe nazi. II reprend pied dans la comrnunaute scientifique en fondant la revue Angewandte Pflanzensoziologie (Sociologie vegetale appliquee) en 1951. En 1954, il produit un numero special a I'occasion de son soixantieme anniversaire dans lequel de nombreuses personnalites scientifiques allemandes, autrichiennes, suisses, sovietiques, etc., ecrivent des articles dont un d'Ellenberg qui provoque une vive polemique avec Tuxen", Un an auparavant son centre a ete transfere a Klagenfurt (Carinthie) puis integre, en 1958, a la station de recherches forestieres federale de Vienne enfin dissous apres son depart la retraite en 1967. Aichinger a etendu son influence au Sud de l'Europe initiant des forestiers aux techniques de I'etude des stations selon la methode Braun-Blanquet, II accueille ainsi A. Hofmann, un Italien appartenant a la rninorlte allemande du Nord du pays a partir de 1954. II noue aussi des contacts avec les scientifiques yougoslaves comme Tregubov et participe it la fondation de la Societe de sociologie vegetale pour les Alpes de l'Est et Dinariques. A Vienne, I'ecologie est marquee en zoologie par les travaux de Kuhnelt, professeur de zoologie it I'universite de Vienne depuis 1953, en pedologie par ceux de Franz, professeur I'ecole superieure d'agronomie de 1951 1977. Ce dernier s'engage dans l'etude de la faune du sol, dont it faut favoriser les conditions de vie afin de maintenir ou d'ameliorer la fertilite du sol. Toujours dans cette ecole, en pedologie forestlere et typologie des stations s'active Franz Hartmann comme professeur de 1954 a 1962. II est d' ailleurs I' auteur du premier ouv rage en allemand d' ecologie forestiere 10. Cette orientation de l'ecologie rompt avec celie qui a prevalu dans I'entre-deux-guerres, ~ dominee par la botanique dont les tetes de files etaient Aichinger, Cieslar, Tschermak
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7 Pour Tansley, la foret constitue Ie manteau originel de l'Angleterre, d'ou I'importance de la
mission d'Ovington. 8Soderqvist T., The ecologists from merry naturalists to saviours of the nation. A sociologically informed narrative survey of the ecologization ofSweden 1895-1975, op. cit., p. 210.
9 Voir Ie chapitre suivant. 10 Hartmann F., Forstokologie, Zustandserfassung und standortsgemafle Gestaltung der Lebensgrundlagendes Waldes, Wien: Verlag Georg Fromme & Co., 1952, p. 460.
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DES RESEAUX AUX POLES parmi les forestiers. Elle ressurgit avec I'arrivee de Hannes Mayer (1922-200 I), en 1965, a la chaire de sylviculture!'. Cette perte d'influence de la voie botanique a Vienne s'explique egalernent par les vicissitudes de cette discipline dans des annees 1930. La geobotanique ne s'est guere imposee face it la physiologie vegetate. rnalgre la presence de Kerner von Marilaun. Son successeur, Richard von Wettstein (1895-1945), orienta ses travaux vers la systematique. L'etude des groupements vegetaux a semble prendre Ie dessus en 1931 avec I'accession a la chaire de botanique generale de Faber, l'ancien directeur du jardin botanique de Buitenzorg Java, qui oriente les travaux vers la sociologie vegetale, II doit la quitter, en 1935, pour Munich en raison de ses opinions nazies. C'est Karl Hofler (1893-1973) qui lui succede, iI revient a la physiologie pure
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delaissant I'ecologic.
A Innsbruck, la botanique se scinde entre la sociologie vegetale et l'ecophysiologle. Gams relntegre I'universite en 1946 puis devient professeur titulaire en 1949 et poursuit ses travaux sur les groupements vegetaux, toujours en tenant une position critique vis-a~ vis de I'ecole de Braun-Blanquet. L'ecophysiologie est encore representee par Pisek. Parmi ses eleves, Tranquillini accede a la station de recherches autrichienne et Walter Larcher (1929) lui succede en 1965. L'equipe de Pisek continue de publier dans des revues allemandes: Flora, Planta, Bericht der deutschen botanischen Gesellschaft. Les principaux representants de I'ecophysiologle en Allemagne ne changent guere : Stocker (Darmstadt), Huber (Munich) aupres de qui Tranquillini a etudie, et Walter (Hohenheim). Cette presence du centre d'innsbruck a ete recompensee par son integration au PBI grace a l'action de Richard Biebl (1908-1974), directeur de I'institut de physiologie vegetate a l'universite de Vienne. Ce dernier a enseigne a Innsbruck et possedait au sein du comite national du PBl de l'UNESCO, « un grand poids » ce qui a permis au groupe d'Innsbruck d'integrer ce programmel-. La Suisse est sortie intacte du second conflit mondial et les travaux de ses scientifiques font I'objet d'un regain d'interet a l'etranger d'autant plus que les productions allemandes et autrichiennes ont pratiquement disparu entre 1946 et 1948. L'activite scientifique continue de se concentrer sur Zurich autour de deux poles: Ie centre de RUbel et I'enseignement forestier a l'Ecole Poly technique Federale. Le premier est integre dans cette ecole en 1958 en echange de la creation d' une chaire de geobotanique qui est attribuee a Ellenberg. Ceci est Ie resultat des difficultes budgetaires qui ont affecte Ie centre pendant et apres la guerre. Le deces des deux seeurs de RUbel, l'une en 1942 et l'autre en 1953, I'a prlve de leur appui financier. Comme RUbel desirait eviter que, a sa mort, son centre ne soit disperse, iI a decide d'en faire don a I'Ecole Polytechnique Federale de Zurich, au moment ou Ludi, son directeur, prend sa retraite, en 1958. En matiere forestiere, la foresterie helvetlque est gouvernee par la personnalite de Leibundgut, professeur de sylviculture de 1940 a 1979. II a exerce une influence majeure sur la foresterie de I'Europe centrale sur des hommes tels Mayer, professeur de sylviculture a Vienne et Hans Lamprecht (1919) qui lntegre Gottingen en 1966. Sous I'impulsion de Leibundgut mais aussi en collaboration avec Pallmann puis Felix Richard (1915-1984) en pedologie et Ellenberg en botanique, l'etude des stations est encouragee et
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
son utilite est affichee dans les cours de Leibundgut. Tres prolixe, il compte plus de 400 publications depuis 1926 dont quatorzeouvrages. Ses articles sont parus essentiellement dans Ie Schweizerische Zeitschrift fur Forstwesen, I'organe de la societe forestiere suisse. II est d'ailleurs parvenu a la tete de cette revue a un moment de de son histoire en 1946. En fait, iI existait deux revues, I'une en francais, Ie Journal jorestier suisse, depuis 1900, et I'autre en allemand fondee en 1850, or les deux dirigeants, Henri Badoux (1871-1951) et Knuchel, demissionnerent la meme annee, (1945). Les deux revues fusionnent sous sa houlette. II en profite pour donner un caractere plus scientifique a ce mensuel, ce qui correspond aux nouvelles exigences en matiere forestiere avec l'emergence sur Ie terrain de sciences telles que la pedologie et la phytosociologie. Ainsi, I'ecologle Zurich est representee dans les principales disciplines: la sylviculture, la pedologic et la botanique. Toutefois, Ie centre RUbel est plus que jamais au cceur des preoccupations ecologiques, iI est etroitement associe avec Ellenberg la mise au point d'une typologie des stations forestieres en Suisse. II est nouveau impllque dans I'elaboration du PBI autour de la notion d'ecosysteme,
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Le pole germanophone : un centre allemand en renouveau La division de l'Allemagne a fait passer dans Ie camp sovietique des poles importants en matiere forestiere (Tharandt et Eberswalde) mais aussi universitaires (Humboldt a Berlin, Jena, Leipzig). Berlin ne polarise plus I'attention des scientifiques rnalgre la creation d'une universite libre a Berlin-Ouest, mais la difficulte d'effectuer des recherches sur Ie terrain en dehors de I'espace urbain a empeche, dans un premier temps, la reprise des etudes en environnement. Les scientifiques se sont alors interesses it la ville, ce qu'ils avaient neglige jusqu'a present, et ont developpe I'ecologie urbaine. En 1972, un institut d'ecologie est fonde it I'ecole superieure dienseignement technique de Berlin regroupant les enseignements de botanique appliquee, de pedologie et de plantes d'ornernent'J, La resurgence de I' Allemagne sur Ie plan scientifique se manifeste dans les annees 1950 apres la reconstruction politique et en me me temps que I'essor economlque, Les centres forestiers sont reduits a trois: Friburg/Brisgau, Hann.-Miinden, Munich, Ie seul dominant avant la guerre. Deux beneficient des apports provenant de I' Allemagne de l'Est. En fait, iI existe deux voies d'cmigration, du centre d'Eberswalde vers celui d'Hann.-Miinden et du centre de Tharandt vers celui de Munich. Les liens entre Eberswalde et Hann-Munden etaient tres etroits, mais ce dernier a toujours ete dans une position d'Inferiorite par rapport a son homologue prussien. Le rideau de fer a libere Hann.-MUnden de sa tuteIle, d'autant plus que de riombreux scientifiques d'Eberswalde sont venus se refugier a Hann.-MUnden avec leurs archives. Wittich, professeur de pedologic en 1936 a Eberswalde, succede a Heinrich Siichting (1880-1962) en 1949. Fritz Schwerdtfeger (1905-1986), qui enseignait la zoologie avant la guerre, integre en 1950 la station de recherches forestieres de Basse-Saxe avant d'enseigner a nouveau la zoologie a partir de 1954. Cette promotion pour Hann.-MUnden est favorisee egalernent par son integration definitive sur Ie site de I'universlte de Gottingen en 1968. A une epoque ou, depuis 1966, se met en place sous la direction d'EIIenberg, titulaire de la chaire de
II Mayer a ete egalement assistant a Munich de 1961 a 1965. 12 Schurawitzki R., Aufbruch in die Internationalitat, Exemplarische Forschungsleistungen in Osterreich (/975-/985), Wien : Edition S., 1986, p. 271. Innsbruck beneficie aussi d'une situation favorable par la presence des Alpes.
13 Sukopp H., « On the history of plant geography and plant ecology in Berlin », Eng/era, 1987, pp. 85-103.
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DES RESEA UK AUX POLES
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
systematique et de geobotanique, Ie PBII4. A Munich, un mouvement similaire s'est produit, Huber en 1946 prend la suite de Mtinch comme professeur de botanique, tandis que Rubner, l'ancien professeur de sylviculture de Tharandt, parvient de 1950 a 1952 a. donner des cours de sociologic vegetate forestiere. La visibillte des travaux des scientifiques a connu egalement quelques modifications. Les centres forestiers de Munich et de Fribourg n'ont guere change. En revanche, Hann.-Mtinden n'a pas repris la revue d'Eberswalde, le Zeitschrift fur Forst- und Jagdwesen, qui n'existe plus. En matiere d'editeurs, Paul Parey est en relation avec Munich et s'etablit Hambourg, la maison mere ayant ete detruite pendant Ie bombardement de Berlin. Gottingen continue de beneflcier des services de l'editeur Schaper sur Hanovre.
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Centres forestiers Fribourg
Munich
Revues entre 1918 et 1939
Revues apres 1945
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Mitteilungen Forstwirtschaft und Forstwissenschaft
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Schriftenreihe der forstlichen Fakultdt der Universitas Gbttingen und niedersaschsischen der forstlichen Versuchsanstalt
Tableau 23. Liens centres/revues apres 1945 en RFA.
Les centres qui emergent en Allemagne pendant cette periode sont en liaison avec Ie developpement de l'ecologie systernique qui s'impose dans les annees 1960. A ce titre, appartient Ie centre de Kiel ou depuis 1924 exerce Thienemann en hydrobiologiejusqu'en 1957. Toujours dans cette universite, en zoologie, Tischler devient maitre de conferences en 1950 pour devenir professeur d'ecologie en 1963. Depuis 1955, il dirige Ie departernent d'ecologie et de botanique appliquee de la faculte d'agronomie. En fait, Kiel en ecologie a, depuis ses debuts, privilegie les etudes portant sur la dynamique des populations marines, Ie lien population/ressources autour de personnalites comme Adolf Remane (1898-1976) et Hermann Remmert (1931) en hydrobiologie ainsi que Tischler en zoologie. Cette orientation a predispose ce centre a integrer non seulement I'ecologle systernlque en rnettant I'accent sur la circulation des elements, mais aussi a favorise la reconnaissance de l'ecologie comme discipline scientifique. Sur ce point, deux de ses
14 Ellenberga occupe cette chaire de 1966 a 1981, it succede a Firbas aupres de qui il a effectue son doctorat en 1938 a Gottingen. 202
A. L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
scientifiques, Tischler et Remmert, ont ete les auteurs de manuels d'ecologie generate qui ont fait autorite l5 . A cote de Kiel, l'ecole superieure d'agronomie de Stuttgart-Hohenheim devient un centre de formation dans diverses disciplines : en ecophysiologie grace aux travaux de Walter qui accueille dans son departement EIIenberg qu'il a connu sur Ie front russe, mais aussi Helmuth Lieth (1925) qui, apres des etudes a l'universite de Cologne, y devient maitre de conferences de 1955 a 1960. Lieth a ere associe a la mise au point du Klimadiagramm Weltatlas l 6. II se rend au Canada en 1960 puis aux Etats-Unis. II est, des 1962, un militant des nouveIles approches qui se developpent en ecologie et revient en Allemagne en 1977 pour enseigner a. I'universite d'Osnabruck la biologie et l'ecologie. En pedologie, cette ecole voit passer dans ses rangs, Hans-Peter Blume (1933) et Bernhard Ulrich (1926). Le premier integre l'universite technique de Berlin en 1971 et Ie second ceIle de Gottingen en 1953 pour succeder a Wittich en 1965. Ulrich s'est ensuite consacre a. l'etude des ecosystemes forestiers. L'ecophysiologie poursuit son developpement dans les centres deja. cites: Munich (Huber) et Darmstadt (Stocker). Ce dernier mene une serie d'etudes sur I'adaptation des plantes en milieu aride en Israel en coIlaboration avec Evenari un ancien eleve de Huber. Stocker a forme plusieurs eleves dont Otto-Ludwig Lange (1927), qui a ete maitre de conferences a Darmstadt de 1961 a 1962, puis professeur a Gottingen avant de passer, en 1967, a. Wurzbourg. Dans un autre domaine, Bonn devient un centre reconnu en ecologie du paysage sous I'action de Troll, Ie createur du concept d'ecotope, qui fonde la revue Erdkunde (geographie) en 1947. Cette ville promue nouvelle capitale de I'AlIemagne, offre des opportunites a. des scientifiques comme Hesmer qui, ne pouvant revenir a. Eberswalde. it a ete membre du NSDAP -, Yobtient un poste de professeur invite en 1948 avant de devenir directeur du service forestier de recherches et d'enseignement de Kottenforst a Bonn. Entin c'est a Bonn que I'institut de Ttixen est transfere en 1963. En effet, Ie centre de Stolzenau dirig~ par Tuxen, au lendemain de la guerre, est menace de dissolution par les autorites de Basse-Saxe en raison des difficultes economlques de I' Aliemagne. En 1950, T~xen est nomrne au congres de botanique de Stockholm vice-president de la section de botanique forestiere, afin d'ernpecher Ie ministre de I'agriculture de la province de Basse-Saxe de demanteler cette station. En 1956, son institut est transforme en stationfederale pour la cartographie de la vegetation. En 1958 au congres international de botanique de Montreal, Tuxen est president de la section d'ecologie, il fait signer une petition par les participants pour soutenir sa station. II s'agit pour lui de jouer de sa reputation internationale pour assurer sa position vis-a-vis du Land. Cinq ans plus tard, Tuxen est contraint de fermer son centre. Refusant de quitter sa region, iI fonde un petit institut non loin de Stolzenau a Todenmann tiber Rinteln. II s'efforce en parallele de faire eriger a Hanovre une chaire et un institut de sociologie vegetate mais sans resultat, Dans son nouvel lnstitut, iI organise les excursions annuelles de I'association internationale de sociologie vegetate. En fait, iI reprend Ie mode de fonctionnement des excursions phytogeographlques internationales. Sa revue, Mitteilungen der flortstisch-soziologischen Arbeitsgemeinschaft (Communica-tions de la
15 RemmertH., Okologie, Berlin: Springer, 1978,p. 268 ; Tischler W., Einfuhrung in die Okologie, Stuttgart: Fischer, 1976,p. 306. 16 L'objet de cet alias est de donner une idee des temperatures et des precipitations a travers le monde. II s'est inspire en matierede rnethodologie de I'indice de Gaussen. 203
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
DES RESEAUX AUX POLES societe d'etudes floristique et sociologique), continue de seduire un large public et lui survit a sa mort, en 1979, en prenant Ie titre Tuxenia. Cet inventaire traduit une presence de l'ecologie dans I'ensemble de l'enseignement superieur et dans les differentes disciplines, que ce soit en ecologie marine (Kiel), en ecologic du pays age (Bonn et Saarbriicken ou exerce Ie biogeographe Schmithiisen depuis 1959), en botanique (Gottingen, Munich, Stuttgart-Hohenheim), etc. L'Allemagne reste un centre d'information, mais elle renoue avec "innovation en ecologic du paysage au travers Troll.
L'ensemble francophone Les centres francophones englobent Ie Canada, la Belgique wallonne et la France. Entre ces deux derniers espaces, des relations ont ete construites en typologie des stations et surtout en ecologie systemique. Ces echanges se sont etablis des Ie lendemain de la guerre et renforces dans les annees 1960 dans Ie cadre du PBI mais aussi a la faveur d'une nouvelle dimension culturelle nee avec la decolonisation et en reaction a l'americanisation : la francophonie!". Les liens entre I'Europe et Ie Canada en ecologie remontent I'entre-deux-guerres. Pendant cette periode, les forestiers canadiens se sont interesses la methode de Cajander appliquee en Finlande. lis ont eu la visite de scientifiques finlandais comme I1vessalo en 1929 et du fils de Cajander dans les annees 1930. Les relations avec la France etaient alors pratiquement inexistantes. Elles se sont developpees dans les annees 1950 sous I'action de Dansereau. Celui-ci, apres des etudes l'universite de Montreal, sejourne l'universltede Geneve en 1939 ou iI passe son doctoral. II retourne au Canada et, en 1940, devient assistant professeur I'institut botanique de l'universite de Montreal. En 1943 et 1946, iI publie deux etudes particulierernent remarquees en France sur l'erabliere laurentienne, dans lesquelles it decrit les associations vegetates et leur dynamiquel''. Apres la defaite alIemande, la periode est propice. Pour la premiere fois, les forestiers francais effectuent un sejour en Amerique du Nord. Depuis, a intervalIe regulier, iI est fait mention dans la Revue forestiere francaise des publications de Dansereau, Ie commentaire etant assure par Duchaufour. Contrairement a ses devanciers, Dansereau a ete seduit par la methode Braun-Blanquet et iI s'est efforce de la propager parmi les botanistes canadiens. Elle est d'ailleurs reprise par des forestiers (Grandtner, Lafond, Ladouceur, etc.). Dansereau a aussi effectue plusieurs sejours a l'etranger au Bresil (1946) et surtout aux Etats-Unls faute d'un statut satisfaisant dans son pays. De 1950 1955, iI est professeur associe l'universite du Michigan, puis entre 1961 et 1966, iI est assistant directeur au jardin botanique de New York. Dans ce pays, iI s'initie a I'approche ecosystemlque, En 1968, il est professeur d'ecologie et d'etudes urbaines a l'universite de Montreal. Enfin de 1969 a 1977, iI est Ie
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17 Le mot de Francophonie surgit a "occasion d'un numero thernatique de la revue Esprit en 1962 consacre a la langue francaise, Voir: Boumiquel c., Domenach I-M., « Le Francais. langue vivanle », Esprit, 30, 1962,pp. 561-563. l8 Dansereau P., « L'erabliere laurentienne. I. Valeur d'indice des especes», Contributions de l'Institut Botanique de l'Universite de Montreal, 1943, pp. 60-93 ; «L'erabliere laurentienne. Les successions et leurs indicateurs», ibid., 1946, pp. 235-291.
n.
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A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
president du PBI canadien, d'ou iI propage l'ecologle systemique. Ainsi I'integratlon du Canada dans les grands programmes internationaux (PBI), l'interet des forestiers francais pour les forets du Canada, mais aussi l'affirmation identitaire des canadiens francais qui s'est manifestee par un renforcement des liens avec la France, ont donne Ie statut de centre d'information a ce pays. La Belgique offre certaines particularites propres la situation politique et sociale du pays. Sa partie boisee est localisee dans Ie Sud. 81 % des ressources forestieres sont situees en WalIonie contre 18,5% en region f1amande. Les centres dominants font aussi partie du sud a rnajorite walIonne, qu'il s'agisse de Louvain, de Gembloux ou de l'Universite Libre de Bruxelles (ULB). Cette hornogeneite linguistique n'ecarte pas les conflits entre d'un cote, une universite catholique, Louvain, et de l'autre I'ULB, laique, L'enseignement forestier est delivre a l'institut agronomique de Gembloux, fonde en 1860, ou, de puis 1883, existe une station de recherches forestiere, Ces centres belges u'ont vraiment emerge sur Ie plan international qu'a partir des annees 1950. Jusqu'a cette epoque, I'ecologie beIge connait un processus similaire celui des pays voisins. La specialisation a touche les sciences naturelIes a la fin du XIXe siecle, ou les annees terminales a l'universite ont ete divisees en plusieurs disciplines: zoologie, botanique, mineralogie et chimie. La botanique s'est engagee dans la voie du laboratoire, a partir de 1891/92, avec la fondation par Leo Errera (1858-1905) d'un institut de botanique a I'ULB. Dans I'entre-deux-guerres, les scientifiques belges profitant de I'Empire colonial ont multiplle les etudes sous les tropiques et sur Ie Congo beIge avec des hommes comme Walter Robyns (1901- 1986) et Jean Lebrun (1906-1985), ce qui a permis d'acquerir une premiere reconnaissance internationale. Des relations ont ete entretenues avec la SIGMA de Montpellier, Lebrun s'y est d'ailleurs rendu en 1938. Un forestier, R. Mosseray (?-1940), convaincu par la methode Braun-Blanquet, s'en fait un ardent propagandiste, mais it est tombe sur Ie front au debut du second conflit mondial. L'ecologie en Belgique est reconnue avant la seconde guerre mondiale et, en 1941, un Centre de recherches ecologiques et phytosociologiques est cree a l'institut agronomique de Gembloux finance par Ie Fonds national de la recherche scientifique. En 1946, ce centre est charge par l'Institut pour l'encouragement de la recherche scientifique dans I'industrie et I'agriculture, fonde en decembre 1944, de mettre au point la carte de la vegetation et des associations de la Belgique. Ce projet est dirige, ases debuts, par Albert Noirfalise et Lebrun, deux defenseurs de I'approche Braun-Blanquet. II est lance en 1948 et, des 1949, 7.000 ha de forets ont ete etudiees dans les Hautes Ardennes. En 1964, ce programme s'acheve par la creation du Centre d'ecologie forestiere qui insiste sur « une etude sylvo-pedologique, dont le but est la realisation d'une carte representant les zones sylvicoles equipotentielles en fonction d'observations pedologiques et phytosociologiques effectuees sur le terrain »19. A cote de Gernbloux, un autre centre de recherches datant de 1954, s'impose : la Station de Recherches des Eaux et Forets de Groenendaal ou existe un Centre d'ecologle generate de 1957 a 1962, dlrige par Andre Galoux. Ce dernier s'est efforce de determiner des unites fondees sur leur potentialite ecologique. L'ecologie est enseignee a I'institut agronomique de l'unlverslte catholique de Louvain par Lebrun a partir de 1948, qui anime un laboratoire d'ecologie vegetate. A I'ULB, Duvigneaud a developpe sa methode fondee
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19 Rogister J., Galoux A., « Forestry and ecological mapping in Belgium », in G. Jahn Handbook of Yegetation Science, op. cit., p. 121.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
DES RESEAUX AUX POLES sur les groupes ecologiques, reprise en France par Duchaufour-", Que ce soit a Gembloux, a Groenendaal ou a I'ULB, un bouillonnement en matiere de typologie des stations s'est empare de la Belgique. Toutefois, c'est dans Ie domaine del'ecologie systemique que la Belgique tient une place remarquable en Europe avec I'ULB. Cette derniere reunit deux poles importants. Le premier est constitue autour d'Ilya Prigogine (1917- 2003), un physicien Russe ne a Moscou, qui a conduit de nombreux travaux en thermodynamique, un domaine cle dans la constitution de l'ecologle systernique. Galoux a d'ailleurs suivi ses cours. L'autre pole s'est constltue autour de la personnalite de Duvigneaud dans Ie laboratoire des sciences botaniques. Duvigneaud, forme a I'ULB, Y obtient son doctorat en 1940. II acquiert une position centrale dans l'ecologie beIge et est promu professeur titulaire en 1955 a I'ULB. II a egalement noue des contacts avec Ie ministere de l'education nationale ce qui lui permet, en 1959, de fonder un Centre national d'ecologie generale, Enfin, sur Ie plan international, iI a ete un des principaux animateurs du PBI aux cotes d'Ovington et d'ElIenberg. Duvigneaud est venu a l'ecosysteme par ses travaux en botanique en particulier dans les annees 1950 epoque oa iI sejourne au Congo beige. II avait pour mission de determiner la richesse du sol en cuivre, cobalt, etc., d'apres la presence de la flore et, de la, iI s'est interesse a la circulation des elements entre la plante et Ie sol. C'etait un premier pas vers I'etude des cycles biogeochlmiques-l. Des Ie milieu des annees 1950, I'ecologie systemique fait son entree en Belgique. En 1955, Ie rneteorologue Etienne Bernard, de l'lnstitut beIge pour I'encouragement de la recherche scientifique outre-mer, produit une etude dans laquelle iI mentionne les echanges d'energie et de matiere entre les plantes et leur environnement. Lebrun y fait reference dans un article portant sur l'ecologie vegetate, paru la rneme annee dans la Revue des questions scientijiques 22. L'ecologie systernique penetre dans Ie champ forestier grace aux travaux de Galoux mais aussi par res etudes rnenees par Duvigneaud et son equipe (Denaeyer-de Srnet, Tanghe, Kestemont) dans la station experimentale de Virelles-Blalmonr-'. Profitant de ses relations avec Ie minlstere de I'educatlon nationale beIge, Duvigneaud publie en 1962 un ouvrage d'ecologie generate, Ie premier en langue francaise, accompagne de nombreux schemas devenus des c1assiques dans I'enseignement montrant Ie fonctionnement des ecosystemeset. L'ecologie en Belgique a acquis une rapide reconnaissance et obtenu Ie rang d'une discipline des la fin des annees 1950 beaucoup plus tOt que dans la plupart des pays europeens, Dans Ie domaine de l'ecologle systernique, ce pays est devenu en Europe un centre d'information. En typologie des stations, il a ete un centre d'innovation avec la
mise au point par Duvigneaud d'une nouvelle methode d'analyse qui a trouve un relais en France.
L'ecologie en France :une affirmation progressive Le point essentiel pour la recherche en France reside dans la professionnalisation definitive des chercheurs y compris en botanique ou les amateurs sont exclus du debar scientifique. Ces derniers sont assujettis au rang d 'auxiliaire. Les carrieres atypiques comme celie d'Emberger n'ont plus leur place. Les forestiers s'ouvrent encore plus au monde non-forestier. Duchaufour, forme a Nancy, effectue sa these a Montpellier en 1948, puis, apres avoir enseigne la pedologic a I'Ecole Nationale des Eaux et Forets, iI integre, en 1961, la faculte des sciences de Nancy comme professeur de pedologic. En 1958, Aubreville, specialiste des forets tropicales, entre au Museum et dirige Ie laboratoire de phanerogarnie. Pour la premiere fois des forestiers de formation occupent des postes jusqu'ici devolus a des non-forestiers. Cette ouverture reste relative car dans Ie merne temps l'Ecole des Eaux et Forets devenue I'ENGREF n'accueille aucun enseignant de formation non-forestiere. Toutefois, en 1982, une premiere breche est ouverte en botanique forestiere avec Ie recrutement de Jean-Claude Rameau de l'universite de Besancon afin de succeder a Marcel Jacamon25, Paris continue d'exercer sa preeminence, mais d'autres centres provinciaux contrebalancent Ie pouvoir de la capitale dans les Alpes (Grenoble) et dans Ie Sud de la France (Marseille, Montpellier et Toulouse). Alger, jusqu'a l'independance de I'Algerie, en 1962; fait partie des plans de carriere. Paul Ozenda (1920), Ie biogeographe, y obtient son premier poste de professeur en 1949 avant de revenir en metropole a Grenoble pour devenir professeur de botanique et de biologie vegetale en 1954. Le botaniste Quezel, apres avoir ete forme a Montpellier, sui,t Ie merne chemin en 1957, en tant que maitre de conferences, pour devenir professeur en 1959 jusqu'en 1962, annee ou iI entre a la faculte des sciences de Marseille. L'affirmation des centres en province est en rapport avec la mise au point de cartes de la vegetation, qui se developpent au lendemain de la guerre. L'histoire de la cartographie de la vegetation en France a commence avec Flahault a la fin du XIXe. 11 avait etabli une carte de la vegetation de la region de Perpignan au 1/200.000e , mais il n 'avait trouve aucun relais parmi les ministeres pour generaliser ce travail a I'ensemble de la France sur Ie modele de la carte geologique.
Vegetation 20 Voir chapitre treize.
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21 C'est un processus identique qui a permis Schubert l'universite de Halle de passer systernique en partant de la valeur indicatrice des pIantes.
a l'ecologie
22 Lebrun J., « L'ecologie vegetale, Ses Concepts et ses Methodes», Rev. Quest. Scientif., 15,1955,
pp. 321-351.
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
Couleurs
Traits dominants du climat
Oranger Fortes secheresses estivales Rouge Chene vert Jaune Solei! Hetre 81eu Hurnidite Lumiere de haute montagne Meleze, Pins a crochets, etage subalpin Violet Etage aloin Rose idem Tableau 24. L'utilisation des couleurs chez Gaussen. Sources: Gaussen H., 1960.
23 C'est ainsi que, des 1966, les premieres etudes sont parues sur la chenaie de Virelles-Blaimont.
En 1975, Kestemont effectue sa these sur la pessiere ardennaise de Mirwart. Voir Rogister J., Galoux A., « Forestry and ecological mapping in Belgium », in G. Jahn (ed), Handbook of Vegetation Science, op. cit. 24 Duvigneaud P., Tanghe M., « L'ecologie, science modeme de synthese, Vol. 2 : Ecosysternes et biosphere», Docum. Minist, Educ. Nat. cuu; 23, 1962, p. 130. 206
25 Rameau a travaille sur la typologie des stations forestieres auparavant en Franche-Comte.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
DES RESEAUX AUX POLES
A Toulouse, en 1924, Gaussen fit une carte manuscrite des Pyrenees de la region de Foix et se rendit aupres du rnlnistere de I'agriculture sans succes/", Toutefois, celie de Foix NE marque une innovation. Sur une rnerne feuille, figurent une carte botanique, agricole, forestiere et agrologique. Elle estegalernent dynamique, car la vegetation est en phase progressive ou regressive montrant ainsi les traits dominants du climat par un jeu de couleurs (tableau 24). Malgre Ie peu d'enthousiasme affiche par les autorites, la cartographie vegetale a continue de mobiliser les scientifiques. Ainsi, en 1926, Aime Luquet, professeur au college de Riom (63), realise la carte des associations vegetales des Monts Dores au 1/80.000e ; Molinier, entre 1935 et 1939, celie du massif de Sainte Baume au 1/50.000e, sur laquelle les associations vegetates sont regroupees en alliance et en ordre. Au -lendernain de la seconde guerre rnondiale, la cartographie vegetale se systernatise. L'epoque est propice car la guerre a souligne nouveau les !imites de I'agriculture francaise en matiere de productivite. La cartographic vegetale apparait comme un outil permettant de visualiser au mieux les potentialites nature lies des stations. Les phytosociologues abondent dans ce sens notamment Braun-Blanquet. C'est egalement un moyen de faire reconnaitre l'utllite de leur discipline. En 1945 se monte Toulouse la section de la carte de la vegetation, avec I'aide du CNRS, pour etablir une serie de cartes au 1/200.000e sous la direction de Gaussen.Ce dernier a profite de I'accession de Dupouy, Ie doyen de I'universite de Toulouse, au poste de directeur au CNRS, pour obtenir de I'aide de cette institution afin d'eriger un institut pour Ie service de la carte. Commence en 1955, iI est acheve en 1958 27 . En 1961, Gaussen part ala retraite, Paul Rey (1918) lui succede dans un premier temps comme maitre de conferences puis en 1964 en qualite de professeur. ' A Montpellier, Emberger desire mettre en place Ie service de la carte des groupements vegetaux au 1/20.000e • En 1943 il ecrit au directeur du CNRS, afin de creer un service de la carte geobotanique de France. Sa lettre est discutee lars de la session printaniere de la Commission de biologie vegetale, Emberger redige ensuite un rapport adopte Ie 25 novembre, mais les evenements miJitaires et politiques retardent ses desseins jusqu'au 10 fevrler 1947. A cette date, Ie projet reunit sous sa banniere non seulement Emberger, c'est-a-dire I'universlte de Montpellier, mais aussi la SIGMA de Braun-Blanquet, Ie centre rival. Tres vile, ce groupe se scinde en deux. Le premier, dirige par Rene Molinier, veut representor les biocenoses (associations vegetates et animales). II accomplit sept cartesjusqu'en 1962, Ie reste n'etant pas publie faute de credits et en raison de I'ampleur de la tache a realiser, Le second, dirige par Emberger, garde Ie cap et devient, en 1961, Ie Centre d'Etudes Phytosociologiques et Ecologiques (CEPE), avec Ie soutien du CNRS28. La premiere tranche du CEPE est effectuee en 1964 et la seconde en 1968. Le CEPE a ensuite elargi son activite au fonctionnement des ecosystemes forestiers mediterraneens dans Ie cadre du PBI. L'universite de Montpellier est restee un centre d'information et de formation. Nombreux sont les scientifiques a y effectuer un doctorat et a poursuivre leur
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26 Gaussen H., « Expose d'introduction », Methodes de la cartographie de la vegetation, colloques
internationauxdu CNRS, Toulouse 16-21 mai 1960, Paris, 1961, p. 10. 27 Gaussen et Emberger etaient membres du Comite national de la recherche scientifique depuis 1946, dans la section de biologie, plus specialement dans 1a sous-section botanique et biologie vegetale, 28 Mangenot G., « La carriere et l'ceuvre », in L. Emberger, Travaux de botanique et d'ecologie, Paris: Masson, 1971, p. 8. 208
AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
carriere ailleurs : les botanistes Quezel (1955), Michel Gounot et Charles Sauvage (1960), etc., Ie forestier Duchaufour (1948). Emberger a forme egalernent Bartoli en 1962, ingenieur des Eaux et Forets a Grenoble Ouest. Avant la guerre, dans cette ville, deux autres centres cohabitaient : I'ecole d'agriculture et la SIGMA, or tous les deux declinent apres 1945. Le premier s'eteint en 1952 avec Ie depart pour une retraite anticipee de Kiihnholtz-Lordat «Iasse des difficultes
administratives que le Ministere de l'Agriculture lui creait constamment... Hie ne pouvais tolerer une reduction d'activite qui resultait d'une reduction de credits" »29. La degenerescence de la SIGMA s'est deroulee en deux temps. Au lendemain de la guerre, I 'autorite de Braun-Blanquet est a son faite. Les titres de gloire s'accumulent. II est fait plusieurs fois docteur honoris causa, a l'universite de Rennes et I'Ecole Polytechnique Federale de Zurich (1947), l'ecole superieure d'agronomie de Vienne (1948), I'universite d'Alger (1950). En 1949, iI est membre de I'Acadernie des sciences polonaise. Sa methode conquiert de nouveaux territoires : Ie Canada, I'Espagne, Ie Portugal et I'ltalie. La SIGMA est toujours soutenue flnancierernent par la Suisse, les Pays-Bas, I' Allemagne et la France via Ie CNRS, mais elle a perdu Ie soutien des pays de I'Europe de l'Est comme la Tchecoslovaquie et la Roumanie, sauf de la Pologne. Son centre fait encore illusion dans les annees 1950, puis iI periclite dans la decennie suivante. La premiere generation qui a appuye Braun-Blanquet a vieilli et disparait. En 1964, deux piliers de la SIGMA meurent: Combes, professeur de botanique ala faculte des sciences de Paris, et W. C. de Leeuw (Bilthoven aux Pays-Bas). Ses premiers eleves sont devenus des professeurs que ce soit Guinochet Orsay, Molinier Marseille, etc. Us forment leur tour des eleves. Le passage par la SIGMA ne s'impose plus. En outre, son approche a ete remise, pour partie, en cause en Belgique (Duvigneaud), en France (Duchaufour), en Allemagne (Ellenberg, un de ses anciens eleves), et cette fois avec succes, ce qui relegue ses idees dans Ie passe. Braun-Blanquet maintient Ie cap et ne se rattache pas aux nouveaux courants tant dans l'etude des stations, iI reste fidele l'Idee de discontinuite du tapis vegetal, qu'en ecologic systemique. II qualifie d'ailleurs Ie concept d'ecosysteme de « nomen ambiguum », Enfin, la mise en place du CEPE a sonne Ie glas de la SIGMA, qui en soutenant Molinier en cartographie vegetale s'est engagee dans une I impasse. Paris exerce toujours sa tutelle en ecologle, mais un reordonnancement des centres s'est produit. Le Museum perd de son importance. Pourtant la premiere chaire d'ecologie en France y voit Ie jour en 1955, occupee par Kuhnholtz-Lordat jusqu'en 1958. La meme annee, Aubreville succede Humbert la tete du laboratoire de Phanerogarnie. En fait Ie Museum est concurrence en matiere de recherche par de nouveaux venus: Ie CNRS, l'ORSTOM et I'INRA. L'equipe qui existait auteur d'Allorge, decede en 1944, s'est dissoute. Raymond Gaume (1885-1964) est entre au CNRS. Le Museum ne constitue plus un objectif de carriere en ecologic dans les annees 1960 et ne participe pas aux premiers travaux en ecologic systernique. En revanche, l'Ecole normale superieure, qui dans la periode precedente etait absente de I'ecologie, reprend pied avec l'ecologle systernique au travers du laboratoire de zoologie, ou depuis 1962 un DEA en ecologie est organise sous la direction du zoologue Maxime Lamotte (1921). Le bastion reste toujours la faculte des sciences de Paris. Elle forme des etudiants qui font, par la suite, leur carriere en province tel Ozenda qui, sorti de l'Ecole normaIe superieure, y effectue son doctorat. BIle consacre
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29 Heim R., « Georges Kiihnholtz-Lordat (1888-1965), un esprit, un caractere», C. R. Acad. Agric. France, 51, 1965, p. 506. 209
DES RESEAUX AUX POLES un parcours : Chouard devient professeur de physiologie vegetate en 1953 succedant a Combes. Toutefois, elle perd de son attraction au profit de la faculte d'Orsay dans les annees 1960. Cette derniere devient Ie centre de reference en ecologie. Sa fondation resulte de la combinaison de trois facteurs : - Une volonte politique d 'agrandir la faculte des sciences de Paris, en creant dans Ie Sud de la capitale, une nouvelle universite. Des 1954, elle est prograrnmee par Ie Il" plan qui lance aussi Ie troisieme cycle reserve aux etudiants souhaitant s'orienter vers la recherche; - Orsay est le lieu d'installation d'un Institut de physique nucleaire dependant de I'universite et non du CNRS ; - C'est a Gif-sur-Yvette, non loin d'Orsay, que Ie phytotron est installe, II abrite un groupe d'ecologie experimentale sous la direction de Georges Lemee (1908-1997), professeur a la Sorbonne depuis 1960. IIdirige egalement Ie laboratoire de biologie vegetate de Fontainebleau et a ete implique dans r etude des ecosystemes terrestres dans Ie cadre du PB130. A Nancy, I'ecologie est representee dans de multiples enseignements (botanique, pedologie, amenagernent, sylviculture, etc.). L'ecole forestiere poursuit son ouverture sur Ie monde universitaire. Ce phenornene s'accentue dans la seconde moitie des annees 1960, apres la reorganisation de I'enseignement forestier, de la recherche et de I'administration. Des ingenieurs sont envoyes pour effectuer leur DEA ou leur these a Montpellier ou a Orsay. La recherche forestiere releve desorrnais de I'INRA, done de chercheurs titulaires d'un doctorat, ce que I'ENGREF ne delivre pas ... Le second centre de formation forestiere reste l'ecole des Barres. Duchaufour y a enselgne en 1941 comme professeur avant de passer a Nancy comme assistant en 1946. Jean Pourtet (1908-1984), en revanche, apres avoir ete chef de la section d'ecologie des vegetaux Iigneux et gestionnaire de I'arboretum a Nancy y obtient Ie poste de directeur en 1959. L'ecologie en tant que science conquiert son espace en France. En 1950, se tient un colloque du CNRS consacre a I'ecologie, la merne annee parait la revue Vie et Milieu, que Ie zoologue Georges Petit (1892-1973) presente ainsi : «Puisse Vie et Milieu apparaitre, en definitive. eomme la premiere revue francoise d'Eeologie»31. La chaire d'ecologie et de Protection de la nature du Museum fondee en 1955, est rebaptisee, en 1959, en chaire d'ecologie generate. En 1965, Francois Bourliere (1913-1993) note avec satisfaction: « II
n'a guere fallu plus de vingt ans a I'ecologie pour passer du stade de specialite esoterique d'une discipline maitresse de la biologie »32. En 1968, c'est la creation de la
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Societe francaise d'ecologle et, en 1976, de la section d'ecologie du CNRS. Si l'ecologle s'est developpee et fait I'objet d'un enseignement dans les universites, la France n'est plus un centre de formation. Aucun scientifique de rang ne s'y est rendu pour parfaire sa formation. Elle n'attire plus en dehors du monde francophone. II est vrai que
30 La foret de Fontainebleau continue d'etre Ie massif privilegie des scientifiques que ce soit avec Lernee, Arthur Kh. Iablokoff (1902- ?), membre de la commission consultative des reserves biologiques de la foret de Fontainebleau, Clement Jacquiot (1906-1987) qui a eu en charge cette foret et a effectue des recherches it la station de biologie vegetale de Fontainebleau, etc. 31 Petit G., « Remarques sur I'ecologie et la protectionde la nature », Vie et Milieu, 1, 1950, p. 7. 32 Lefeuvre J. C., « La recherche en ecologie en France, heur et malheur d'une discipline en difficulte », Courrier de la Cellule Environnement de l'/NRA, 1985, p. 19. 210
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE les Etats-Unis ont su imposer leur modele. En outre, I'enseignement obligatoire de la langue anglaise en Scandinavie et en Allemagne ne predispose pas les chercheurs etrangers a s'orienter vers l'Hexagone. Elle n'est pas un centre d'innovation. Les critiques fondamentales a I'egard du systerne Braun-Blanquet ont ete du fait de Duvigneaud (Belgique), d'Ellenberg et de Schlenker (Allemagne). L'ecologie francaise est aussi passee a cote de la naissance de l'ecologie systemique et de la fondation du PBI en deplt de la presence de I'UNESCO a Paris ...
Annees
Programmes intel!rant l'ecoloJ(ie
Creation du Comite « Lutte blolozioue » ala DGRST Participation de la France au programme biologique international (PBI) du CIUS (Conseil International des Unions Scientifiques) Creation de la Societe francaise d'ecolozle Participation de la France au programme MAB de I'UNESCO Creation du Comite Equilibres et Lutte Biologique (ELB) de la DGRST Creation du Cornlte de Gestion des Ressources Naturelles RenouvelabIes 1975 (GRNR) successeur de I'ELB Creation du Cornite faune et flore au rninistere de I'Environnement Creation de la section d'Ecclogie (section 29) du CNRS 1976 Creation du Programme Interdisci pli nai re de Recherche sur 1978 I'Environnement (PIREN) au CNRS, son financement etant assure principalement par Ie CNRS et Ie mlnistere de I'Environnement. Creation du Cornite Ecologie et Amenagement Rural de la DGRST. Ce comite peut etre considere comme Ie successeur d'autres comites incitatifs de la DGRST : Equilibres et luttes biologiques. Gestion des ressources naturelles renouvelables Creation du departernent recherche sur les Systernes Agraires et Ie 1979 Developpernent a I'INRA ' Creation du Comite Ecologie et Gestion du Patrimoine Naturel (EGPN) a la Mission des etudes et de la re~herche du ministere de l'Environnement. II succede au comite «Faune et Flore» du meme ministere, 1982 Creation de la section 32 du CNRS qui reunit sous la denomination de «Biologie des populations et des ecosystemes», systematlciens, genetlciens de populations et ecologues et englobe aussi les effectifs de I'ancienne section 29 Creation du Comite Diversification des Modeles de Developpernent Rural 1983 dans Ie cadre du departernent Agro-alimentaire du mlnistere de 1'Industrie et de la Recherche Tableau 25. Chronologie des differentsprogrammes inugrant l'ecologie en France1963-1983. 1963 19641974 1968 1971
L'ensemble peripherique Autour de ces poles gravitent d'autres centres qui ne forment guere d'ensembles structures, etant dans un relatif isolement. La Yougoslavie a profite de son statut de pays non-aligne. Des 1948, elle prend ses distances vis-a-vis de I'URSS, ce qui l'oblige a se rapprocher des pays occidentaux. Dans 211
DES RESEAUX AUX POLES Ie domaine de l'ecologie, elle s'appuie sur une tradition qui a debute deja avec Ie botaniste Lujo Adamovic (1864-1935) au debut du siecle et s'est poursuivie dans les annees 1930 grace aux travaux de Tregubov, un forestier, et d'Ivo Horvat (1897-1963), Ie directeur du jardin et de I'institut botanique de la faculte de philosophie de Zagreb. Tous les deux sont des partisans de I'approche Braun-Blanquet qu'ils ont developpee dans leurs etudes sur la vegetation forestiere, Au lendemain de la guerre, la constitution de six republiques et de deux regions autonomes au sein de la Yougoslavie entraine la creation de centres d'enseignement et de recherches dans chacune d'elles. Ainsi aux facultes d'agronomie et de foresterie de Belgrade et de Zagreb s'ajoutent celles de Skopje (Macedoine), de Sarajevo (Bosnie) et de Ljubjana (Slovenie), C'est surtout dans Ie domaine de la typologie des stations que la Yougoslavie attire I'attention avec Tregubov, chercheur a l'institut des sciences forestieres a Ljubjana partir de 1947 et directeur de la station de recherches forestieres en montagne en 1949. A Zagreb, Horvat coopere avec Ie pedologue Ziatko Gracanin de la faculte d'agronomie et de foresterie. II est aussi en relation avec l'Autrichien Aichinger et s'exprime d'ailleurs regulierement dans des revues suisses, autrichiennes ou allemandes a partir de 1954. Tregubov collabore avec la FAO et Ie CNRS en France. En Italie, c'est la personnalite de Pavari Florence qui regente toujours. II preside la commission des problernes forestiers des pays mediterraneens au sein de la FAO. Son deces en 1960 ne permet pas des voies divergentes de se faire entendre notamment au sujet de l'utillte de la phytosociologie pour les forestiers. Alessandro de Philippis (19082002) de I'institut d'ecologie forestiere et de sylviculture maintient Ie cap fixe par son maitre. De fait, l'Italie perd pied tant en typologie des stations que dans I'etude des ecosysternes. Les Pays-Bas sont deja riches d'une tradition scientifique notamment en matiere de sociologie vegetate grace aux travaux de W. H. Diemont, forme par TUxen 33. En physiologie, Martinus Wilhelm Bejerinck (1851-1931) de I'institut bacteriologique a Delf a fait autorite, Dans les annees 1960, ce sont les travaux de J. Van del' Drift, de I'institut de recherches en biologie appliquee d'Oosterbeek, sur les communautes ani males presentent dans les sols forestiers qui attirent I'attention. Toutefois, la singularite de ce pays reside dans Ie role [oue par ses editeurs d'ouvrages et de collections scientifiques dont W. Junk, qui publient la serle Handbook of vegetation science (manuel de science vegetate) ainsi que la revue Vegetatio a partir de 1948. Dans cette derniere, les articles sont en francais, en anglais ou en allemand. En revanche, les ouvrages parus dans la collection citee ci-dessus sont rediges en anglais et acquierent de fait une audience internationale. Depuis la seconde guerre mondiale, I'ecologie possede Ie statut de discipline scientifique. Elle dispose desorrnais d'une formation propre, de revues, d'une communaute scientifique, sou vent regroupee au sein de societes nationales, et de manuels d'ecologie generate, Cette science a construit sa legitimite a la fois dans Ie champ scientifique et aupres du «grand public », strategic de scientifiques pour servir a sa reconnaissance. Les reseaux par rapport a la peri ode precedente ont essuye des transformations importantes. Les changements politiques les ont en partie restructures
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mais toujours autour des memes centres en foresterie. En revanche, les centres non forestiers connaissent quelques fluctuations, surtout aux Etats-Unis ou ceux qui s'imposent au lendemain de la guerre n'ont plus rien a voir avec ceux qui predorninaient de puis la fin du X[Xe siecle, En Europe continentale, peu ont disparu. La plupart ont su rebondir avec l'ecologie systernique que ce soit Ie CEPE de Montpellier, les unlversites d'Innsbruck, de Halle, ... Cependant une modification notable s'est produite avec les centres de formation. Si, dans Ie cadre national, i1s gardent leur attrait (Montpellier en France, Hohenheim en Allemagne), au niveau international, ces centres europeens ne sont plus aussi attrayants. La circulation des scientifiques dans Ie continent europeen ne fait plus partie des plans de carriere. La France, I' Allernagne, la Suisse, la Grande-Bretagne ne sont plus des Iieux de sejours contrairement aux Etats-Unls et a I'URSS. Le poids economlque, politique et scientifique n ' est pas une explication suffisante. II faut s' interroger sur I'internationalisation de I'information de la recherche, I'opportunlte toujours plus grande de rencontrer d'autres scientifiques lors de symposiums internatlonaux, I'importance d'organismes tels ('UNESCO, la FAO, la force de l'anglais, Ie fonctionnement des champs scientifiques : quelles perspectives de carriere offrent une formation en France pour un scientifique allemand ou autrichien par rapport a un sejour aux Etats-Unls ?
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33 Tuxen R., Diemont W. H., « Weitere Beitrage zum Klirnaxproblern des nordwesteuropaischen Westlandes », Yeroff. Naturw. Ver. Osnabrilck, 23, 1936, pp. 131-184; « Klimaxgruppe und Klimaxschwarm. Ein Beitrag zur Klimaxtheorie », Jahresber. Naturhist. Gesell. Hannover, 88-89, 1936/37-1937/38, pp. 73-87.
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La reconnaissance de l' ecologic de la parcelle Au lendemain de la guerre, un changement de paradigme s'opere en sociologie vegetale. D'une vegetation decoupee en de multiples entites appelees associations possedant leur particularite propre, nous sommes passes a I'ldee de continuite du tapis vegetal, Ie decoupage perdant de son caractere absolu. Desorrnais, iI s'agit de prendre davantage en compte les potentialites des stations. Cette evolution a ete fatale a l'ecole Braun-Blanquet, Elle reste pourtant une source d'inspiration, mais ne possede plus Ie statut de modele. La typologie des stations se generalise en Europe. Debutee des 1918 en Finlande, elle setend, dans les annees 1950, en Belgique, en Hongrie, en Tchecoslovaquie, en RFA, en RDA, en Norvege, Dans les annees 1960, elle atteint l'Autriche et la Suisse, dans les annees 1980, la France. II serait vain de presenter d'une facon synthetique les diverses applications dans les pays europeens car il n'existe pas une seule methode par pays. Toutefois Ie blogeographe Anton Fischer a en distingue cinq differentes en Europe) : - La methode des groupes d'especes sociologiques, ecologiques et socio-ecologiques : elle puise dans Ie systerne Braun-Blanquet mais avec plusieurs nuances comme en Allemagne de I'Est; - La theorie des types de foret de Cajander appliquee en Finlande et en Norvege ; - Les types de developpernent forestiers d'Aichinger s'inspirant de la theorie du climax de Clements mais restant dans Ie releve fidele aBraun-Blanquet ; - La distinction entre la frequence et la dominance developpee en Suede selon la methode exposee par Du Rietz et reprise en partie par Ellenberg et Frank Klotzli (1934) en Suisse en ·1972, tout en relevant de la methode de Braun-Blanquet; - Le systeme des types de forets en fonction de leur dominance et de leur physionomie appliquee dans I'ex-URSS. ; De cet ensemble, quatre cas ont ete retenus : la RFA et la RDA, chacune a leur maniere, ont pris des voies differentes dans deux Etats au passe forestier commun mais aux systernes politiques rivaux ; la France presente la particularite d'avoir developpe son systerne tardivement, enfin I'URSS, apres avoir privllegie I'approche de Sukachev, s'est ouverte ad'autres methodes dans les annees 1980 dont celie de Braun-Blanquet.
Le modele Braun-B1anquet soumis a la critique
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Au lendemain de la guerre, Ie systeme Braun-Blanquet semble etre son faite parmi Ie monde forestier germanophone. L'Autrichien Tschermak, dans son ouvrage de sylviculture, reconnait l'utilite des associations vegetates qui, com me les tables de production, permettent de definir les conditions du milieu-, Parmi les diverses methodes (Morosow, Cajander), iI estime que celie definie par Braun-Blanquet offre les meilleures
) Fischer A" Forstliche Vegetationskunde, Berlin: Blackwell Wissenschaflsverlag, 1995, p. 315. 2 Tschermak L., Waldbau auf pjlanzengeographisch-okologiscger Grundlage, Wien : Springer, 1950, p. 701.
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opportunites. En 1953, Ie forestier Allemand Rubner admet, lui aussi, sa valeur, qu'il jugeait d'un rei! critique quinze ans plus tot3 . Forts de cette aura, les eleves de Braun-Blanquet accelerent la classification des associations vegetales selon Ie modele taxinomique, ce qui ne recoit pas l'unanlmite tant sur Ie principe que sur les modalites parmi les scientifiques. La tendance de la phytosoclologie est de releguer les etudes de terrain a de simples constats floristiques,' delaissant les apports des pedologues, la flore etant censee etre une synthese ecologique en elle-rnerne. Afin d'acceder a I'universallte, l'etude des associations vegetates est poussee au monde des tropiques par Lebrun et par Mangenot et Schnell", Sur ce plan, les reactions sont tres vives. En 1953, Chevalier, specialiste reconnu de la flore africaine, replique par deux articles dans les Comptes Rendus hebdomadaires des seances de l'academie des sciences. Le premier s'intitule : « La negation de la notion des associations vegetates telles qu'elles sont admises par Ie systerne Braun-Blanquet pour les pays temperes et par des auteurs recents pour la grande foret tropicale d'Afrique », Le titre est long, mais explicite vis-a-vis de la notion refutee et du groupe envers lequel il s'oppose. Le second article, « Le remplacement des associations vegetales par la notion des biotopes pour designer les groupements », offre une alternative. Pour Chevalier, la foret dense ne peut receler d'associations vegetales car Ie hasard y est trop important. Le jeu des forces naturelles empeche toutes analyses. Dans les pays ternperes, c'est le contraire, I'influence de I'homme a trop bouleverse la nature pour que I'on puisse retrouver la moindre trace fiable d'association vegetale naturelle. Toujours en 1953, dans la Revue lnternationale de Botanique Appliquee dirigee par Chevalier, parait l'article suivant : « Ce qu'il faut penser des Associations vegetates du systerne J. Braun-Blanquet », II est redige par Chevalier, Aubreville, autre specialiste du monde tropical, et Guinier. Pour la premiere fois, Guinier s'exprlme officiellement sur I'ecole de Braun-Blanquet. II reproche a son systeme d'ignorer I'action de I'homme et des animaux domestiques et souligne certaines erreurs commises dans Ie classement des associations rendant cette approche peu fiable. Guinier, en praticien, montre la vanite de nommer une association dans Ie Jura: Fagetum prealpino-jurassicum, done indiquant une presence ou du moins des conditions favorables au hetre tandis que Ie sapin y abonde et y est bien adapte, Ainsi Ie rejet de I'application des methodes phytosociologiques en terre tropicale deborde sur son rejet dans les pays ternperes. Ce rapport contentieux a l'egard du systeme Braun-Blanquet est speciflque a la France et a I'ltalie. En 1946, un forestier suisse s 'etonne du regard que portent les forestiers francais sur la vegetation forestiere et declare: « Lors de mes recents voyages en France et dans mes entretiens avec les forestiers de ce pays au sujet des sols et de la vegetation qui les recouvre, il est souvent arrive que nous ne nous comprenions pas tres bien .. nous ne nous exprimions pas dans la meme langue. Mes interlocuteurs parlaient « geographie des plantes » et mentionnaient l'individu et sa repartition, je par/ais « phytosociologie » et citais les associations vegetates. Pourquoi les forestiers de la France, qui heberge a Rubner K., Die pflanzengeographischen Grundlagen des Waldbaus, Radebeul-Berlin : Neumann, 4"edition (avecla collaboration de F. Reinhold), 1953, p. 583. 4 Lebrun L, Exploration du Pare National Albert, Mission Jean Lebrun 1937-38, Fasc. 1 : La vegetation de la plaine alluviale au sud du Lac Edouard. Inst. Pares Nat. Congo beige, 2 vol. : p. 800; Mangenot G., MiejeJ., Aubert G., « Les elements floristiques de la basseCote d'Ivoire et leur repartition », C.R. Soc. Biogegor, 25, 1948, pp. 30-34; Schnell R., « Vegetation et Flore de la Region Montagncuse du Nimba», Memoire de l'Institut Francais d'Afrique Noire, 22, 1952, p. 604. 216
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LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE Montpellier le maitre de la sociologie vegetale, Braun-Blanquet, semblent-ils meconnaitre ses travaux? Pourquoi, d'autre part, les forestiers suisses appliquent-ils aujourd'hui deja, dans une large mesure, cette science recente dans la pratique et leurs travaux sylviculturaux? »5. En 1947, Guinochet, maitre de conferences a la faculte des sciences de Strasbourg, ecrit pour Ie Bulletin trimestriel - Societe forestiere de Franche-Comte et des Provinces de l'Est I'article suivant : «Phytosociologie et sylviculture », dans lequel il defend l'utllite de la phytosociologie. II attribue ces jugements negatifs a I'egard de cette discipline a I'ignorance des methodes, aux deformations faites par des critiques virulentes qui entretiennent la confusion, au fait que les forestiers accordent trop d'attention aux especes dominantes qui renvoient a la formation. Pour Guinochet, cette demarche releve d'une etape anterieure, qu'il faut desormais depasser, II est necessaire de progresser, du rnerne coup, il rejette ses adversaires dans Ie camp des passeistes, Enfin, il fait bien la distinction entre Ie travail du phytosociologue et celui du forestier, Ie premier n' ayant pas a se substituer au second'', Guinochet a allume un brOlot. II faut attendre six ans pour que Ie debar reprenne, non plus dans les colonnes d'une revue forestiere regionale, mais dans la Revue Forestiere Francaise , avec un article de Gaussen, en 1953, intitule : «La hetraie sans hetre», Molinier, professeur sans chaire a la faculte des sciences de Marseille, repond l'annee suivante par: «La hetraie sans hetre et I'etage du hetre sans hetraie». Gaussen part de l'idee que la forst cree son propre milieu. Pour etayer sa demonstration, il s'appuie sur les corps simples indispensables a la vie d'un champignon, ainsi en supprimant I'azote Ie champignon meurt. Si on enleve dans une hetraie, la plante Asperula odorata, la hetraie est toujours presente, elle n'est done pas indispensable au hetre, En revanche la suppression du hetre met fin a la hetraie, CQFD. Pour Molinier, I'arbre n'est qu'un element parmi d'autres « car un arbre, s'il est caracteristique d'une association, l'est au meme titre que des especes de moindre rimportance physionomique dont la jidelite au biotope commun est parfois plus grande que celie de l'arbre considere. C'est la une conception phytosocioLogique qu 'il ne faut pas perdre de vue» 7. La polemique ne se deroule pas toujdurs sur un ton aussi feutre, Dans I'article publie en commun avec Guinier et Aubreville, Chevalier juge que les associations vegetales sont « des conceptions de L'esprit » et que la sociologie vegetale « n'est pas actuellement une science et ne le sera probablement jamais»8. II poursuit: « La notion d'Associations ou de groupes superieurs flatte l'amour-propre de ceux qui les creent : elle leur permet d'ajouter leur nom a la suite de La description »9. Le langage scientifique des phytosociologues est traite de «galimatias». La controverse semble trouvee son apogee au
Rieben E., « Les principales associations vegetates du plateau et du Jura Vaudois », Journal Forestier Suisse, 57, 1946, p. 163. 6 Guinochet M., « Phytosociologie et sylviculture », Bulletin trimestriel - Societe forestiere de Franche-Comte et des Provinces de I'Est, 25, 1947,p. 154. ) 7 Molinier R, « La hetraiesans hetre et l'etage du hetre sans hetraie », Revue Forestiere Francoise, 6,1954, p. 146. 8 Chevalier A., Auvreville A., Guinier P., « Ce qu'il faut penser des Associations vegetales du systeme J. Braun-B1anquet », Revue Internationale de Botanique appliquee et d'agriculture tropicale, 33, 1953, p. 323. 9 ibid., pp. 323-324. 217
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congres international de botanique de Paris comme Ie raconte M. Jacamon : « La tournee dirigee par Braun-Blanquet et celle dirigee par Guinier, s'etaient fortuitement retrouvees sur la meme station en Maurienne... et au lieu d'en profiter pour faire beneficier les participants d'echanges sur le terrain, qui n'auraient pas manque d'etre fort interessants, les deux «maitres» s'etaient boudes de maniere evidentel »10. Toujours a ce congres, des discussions sont entarnees autour des rapports entre phytosociologie et foresterle, y participent: Molinier, Emile Lachaussee (1899-1966), un conservateur des Eaux et Forets (France), Galoux (Belgique), Edouard Rieben (Suisse). Molinier reprend une argumentation deja developpee soulignant la difficulte de faire sortir Ie forestier de la formation pour I'attirer vers I'association. Lachaussee, Ie rapporteur general, rend une conclusion rnesuree : « Si le forestier doit tirer le plus grand profit des connaissances
phytosociologiques a condition de savoir les interpreter, le phytosociologue non forestier doit erre tres prudent. des qu'il aborde l'etude des associations forestieres et ne pas negliger l'experlence des forestiers en matiere d'evolution des associations» II.
La critique se deroule au plus haut niveau dans des revues phares de la science
(Academic des sciences) et de la foresterie (Revue Forestiere Francaise). 11 faut noter Ie chemin parcouru, une telle polemlque n'aurait jamais pu avoir lieu dans les colonnes de cette derniere avant la seconde guerre mondiale. Braun-Blanquet semble absent du debat en France. II a reaffirrne sa presence au niveau de la phytosociologie par les reedltlons du Pflanzensorlologie'[. Enfin, en 1954, iI renouvelle une demarche effectuee pres de trente ans auparavant avec Jenny, cette fois-ci avec Ie pedologue Pallmann, dans Ie Pare national Suisse. S'attachant determiner la succession des groupements vegetaux ainsi que leurs conditions de vie, i1s mettent en evidence que les lois regissant l'evolution du sol et de la vegetation valent pleinement pour la sylvlculturel-'. La phytosociologie de Braun-Blanquet est I'objet de vives discussions mais aussi d'un ostracisme lors du colloque international d'ecologie organise par Ie CNRS en 1950 Paris. Le premier de ce type en Europe! Aucun representant de la sociologie vegetate n'est present, seul Gaussen peut s'en revendiquer, mais it est en opposition avec les tenants de la phytosociologie. Dans les contributions de Marcel Prenant (1893-1983) et de Pierre-Paul Grasse (1895-1985), les auteurs insistent davantage sur Ie vivant plutot que sur Ie milieu contrairement a la pratique phytosociologique.
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10 Jacamon M., « Historique des relations entre phytosociologues et forestiers en France », in J.-C. Rameau (ed.), Colloques phytosociologiques : Phytosociologie et foresterie, Berlin-Stuttgart: J. Cramer. 1988, p. 5. II Lachaussee E., « Rapport general de la section 13 », Congres International de Botanique, Paris, 1954, p. 24. 12 Braun-Blanquet 1., Pflanzensoziologie. Grundziige der Vegetationskunde, Berlin: Springer, 2< edition 195 I, p. 65 I ; 3" edition 1964, p. 865. 13 Braun-Blanquet J., Pallmann H., Bach R., « Pflanzensoziologische und bodenkundliche Untersuchungen im schweizerischen Nationalpark und seinen Nachbargebieten. II. Vegetation und Boden der Wald- und Zwergstrauchgesellschaften (Vaccinio-Piceetalia) », Ergeb. Wissensch. Untersuch. Schweiz. Nationalparks, N. F. 4 (28), 1954, pp. 1-200. 218
LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE Des critiques qui font mouche La remise en cause du systeme de Braun-Blanquet est provenue de trois botanistes : Ellenberg, Duvigneaud et Gerhard Schlenker (1910-1994). Le premier a commence ses etudes en 1932 Montpellier OU iI a connu Braun-Blanquet puis iI les a poursuivies en Allemagne. En 1937, it est assistant aupres de Tuxen la station pour la cartographie de la vegetation Hanovre jusqu'en 1939. Au lendemain de la guerre, it devient I'assistant de Walter Hohenheim avant de passer a l'universite de Hambourg en 1953, puis d'occuper la chaire nouvellement creee de geobotanique suite l'integration de I'Institut Rubel dans I'Ecole Polytechnique Federate de Zurich en 1958. Duvigneaud n'a pas eu un parcours identique. Apres avoir effectue des etudes de chimie et de botanique I'ULB, it devient chercheur associe au Fonds National de la Recherche scientifique en 1946. C'est l'annee ou l'Institut pour I'encouragement de la recherche dans I'industrie et I'agriculture alloue un financement au Centre de Recherches ecologiques et phytosociologiques afin d'etablir la carte de la vegetation et des associations vegetates de la Belgique so us la direction de Noirfalise et de Lebrun, deux representants de I'ecole Braun-Blanquet. Ainsi non seulement Duvigneaud ne dispose pas d'un statut assure, mais en outre la cartographie de la vegetation est me nee scIon un systerne dont it ne partage pas les vues. C'est dans un tel contexte que Duvigneaud opere une premiere offensive. II se revendique de trois courants : - Le premier esthonio-americain ali mente par Lippmaa, Cain, Gleason volt dans la nature une suite de groupes ecologlques et geographiques entremeles et interchangeables ; - Le second provient de Meusel, avec son ecole de typologie comparee, ou chaque fiI du tissu vegetal represente une espece «ayant des affinites geographiques» ; - Le troisieme est lie a I 'ecole Zurich-Montpellier, par sa maniere de systematiser la nature, de la hierarchiser, Afin de demontrer 1a faiblesse de la theorie de Braun-Blanquet et la justesse de ses vues, Duvigneaud cite I'exemple de I'association Festuca psammophila-Koeleria glauca dans les dunes de Pomeranie analysee P?r Meusel. Elle a ete classee dans I'alliance Atlantique par I'ecole Braun-Blanquet. Or Meusel a rernarque que cette association comprend huit especes atlantiques et vingt et une continentales, elIe ne peut done pas appartenir au domaine Atlantique. Duvigneaud conclut: «En reallte, la Pomeranie se
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trouve a la limite des secteurs atlantique et continentale et les arriere-gardes de la pelouse seche atlantique .. it serait injuste de donner une valeur sociologique a l'un des groupes et pas a l'autre .. le concept des groupes ecologiques et geographiques permet une interpretation logique de la situation. en considerant que, suivant le groupe dominant, on a affaire a la race continentale d'une association atlantique ou a la race atlantique d'une association continentale »14. Ainsi, pour lui, une association du fait de sa variabilite doit etre envisagee comme un groupe ecologique, dont iI donne la definition suivante : «L'association doit etre definie non seulement par l'optimum de sa variation ecologique et de son stade de developpement, mais encore parce qu'elle devient quand elle s'ecarte de cet optimum» 15.
14 Duvigneaud P., « La variabilite des associations vegetates », Bull. Soc. Roy. BOI. Belgique, 78, 1946, p. 128. 15 ibid., p. 124.
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Huit annees apres cette offensive de Duvigneaud, en 1954, Ellenberg dans un melange Aichinger, prend ses distances vis-a-vis de la theorie de Braun-Blanquetl'', II reconnalt sa simplicite car facile a apprendre, leur application en Europe centrale contrairement aux autres ecoles nordiques, enfin, en se bornant aux especes caracteristiques, on limite leur nombre ce qui en facilite leur exploitation. II decrit ensuite les deflciences. Tout d'abord, en se fondant sur les plantes seules, on se heurte aux changements constants que subit la systematique. D'autre part, les travaux des pedologues ont montre des discordances avec ceux des phytosociologues. Enfin les piantes changent frequemrnent d'endroits ce qui rend plus cornplexe Ie releve, Pour Ellenberg, iI est" preferable de s'attacher aux groupements qui ont Ie merne comportement, la merne constitution ecologlque, plutot que de se fonder sur les especes. II rejette, en fait, une approche purement statistique de la vegetation et se revendique d'un groupe de botanistes qui fonde I'etude des groupements vegetaux sur les especes possedant les memes constitutions ecologiques (les groupes ecologiques) ou qui ont des etendues geographiques identiques ou celles qui permettent de prevoir Ie developpement futur du peuplement. Ellenberg denonce I'erreur operee par de nombreux phytosociologues de ne privllegler que I'association vegetale et de negliger les conditions du milieu: les causes I? Une troisierne personnalite a pris ses distances avec les idees de Braun-Blanquet : Schlenker. II n'est pas un forestier de formation mais botaniste. En 1937, iI est entre dans Ie departernent de botanique du Museum d'histoire naturelle de Stuttgart ou iI s'est consacre la sociologie et la cartographie vegetate avant d'integrer deux ans plus tard, la station de recherches forestieres du Wurtemberg. Mobilise, iI est fait prisonnier sur Ie front russe. A son retour en 1946, iI reprend son poste la station de recherches. Avant la guerre, il a deja critique certains aspects des theories de Braun-Blanquet et s'en est entretenu avec Tuxen, qui I'a recu froidement. En fait, Tilxen excomrnuniait toute personne qui se trouvait en desaccord avec les idees de Braun-Blanquet et pouvait rnerne persecuter ceux qui entraient en dissidence tel Ellenberg qui, depuis la parution de son article, n'avait plus Ie droit de lui rendre visite l8. Un tel comportement encouragea Schlenker a s'engager dans une voie divergente developpee par Krauss en Saxe. Schlenker a cherche a etablir un outil capable d'etre utilise par Ie forestier mais aussi une methode qui puisse delivrer une bonne analyse de la station dans des forets transforrnees par I'homme, ou Ie couvert vegetal ne correspond plus guere au milieu nature\. II devient difficile de reconstituer les associations vegetates d'origine. Schlenker met Ie doigt sur une contradiction de la methode Braun-Blanquet, Ainsi, selon Ie botaniste Franco-suisse, « si deux stations portent la meme association vegetate dans une
sol identique a celie d'une foret de chenes-tilleuls et de charmes naturellement eclaircie et pauvre en hetres. La methode de Braun-Blanquet ne donnant pas entiere satisfaction, Schlenker s'Interesse non pas a quelques plantes, mais a un ensemble d'especes qu'i1 regroupe sous Ie concept d'okologischen Artengruppen, c'est-a-dlre de «groupe d'especes ecologiques », choisies en fonction de leur reaction face a certaines conditions du milieu (temperature, eau, pH, etc.). L'offensive de ces trois personnalites se focalise sur un point: la necessite de prendre en compte les multiples dimensions ecologiques des especes vegetates et des associations vegetales, Ces demieres n'ont pas un developpement mais des developpements possibles qu'il est necessaire d'inventorier. Braun-Blanquet et Tuxen n'ont reagl qu'a l'article d'Ellenberg, paru dans un numero dedie a une personnalite de la sociologie vegetale, Aichinger, qui a rassernble des communications de specialistes reconnus. Ce nurnero special est done sur d'etre lu par un public plus large que les lecteurs habituels de la revue 20 . Peu de temps apres, BraunBlanquet et Tuxen publient leurs mises au point dans la revue de la station de Stolzenau, Angewandte Pflanzensoziologie-), Ces deux auteurs ne s'efforcent pas de remettre en cause les theories d'Ellenberg. lis rappellent leur longue experience dans ce domaine et precisent qu'ils ne sont pas seuls a employer cette methode. Dans son commentaire, Braun-Blanquet, emploie souvent des arguments d'autorite, au sujet des caracterlstiques, elles ne peuvent etre changees (nicht gerilttelt werden). La notion de fidelite est incontestable (unanfechtbar). La validite du systeme de classification et de denomination ne fait aucun doute (kein Zweifel). Pour eux, il faut s'en tenir a cette methode et eviter de se disperser, de brouiller les reperes, Braun-Blanquet souligne que Ie principe d'Ellenberg, s'iLa des qualites, n'est pas generalisable, car on ne peut etudier la nature dans son enlier tant du point de vue geologique, que phenologique et climatique faute de donnees suffisantes. En d'autres termes, ses idees ne sont pas reallstes, Tiixen est beaucoup plus vindicatif. Tout en rappelant qu'Ellenberg n'est pas Ie premier a critiquer cette methode que certains opposants en sont devenus de chauds partisans, iI mentionne qu'i1 a ete son eleve et surtout « qu'il n'a pas jusqu'a present decrit une seule association parmi les associations vegetates de l'Europe dentrale »22. Idees irrealistes, manque de maturite, lnexperimente, la charge contre Ellenberg est feroce, mais sans reelle portee ... Comment expliquer que les critiques ont, cette fois-ci, porte? Elles n'emanent pas de scientifiques au statut bien etablis comme Chevalier ou Guinier. En 1946, Duvigneaud n'est qu'un simple chercheur associe au Fonds de la recherche scientifique. Ellenberg, en 1954, n'est que charge de cours a Hambourg, en revanche, iI est Ie plus ancien eleve de Tiixen. Schlenker est botaniste a la station de recherches forestieres du Bade-Wurtemberg. Trois facteurs ont, semble-t-il, joue : . - L'affaiblissement du centre de Tuxen et de la SIGMA. Le premier est menace par les conditions economiques de l'apres-guerre, iI doit lutter pour Ie maintenir. Leurs assises ne
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combinaison normale d'especes caracteristiques, leur nature doit etre la meme partout dans des limites etroites »19. Schlenker prend Ie centre-pied de cette affirmation en montrant que, dans deux stations differentes, on peut tres bien rencontrer la merne vegetation. II donne l'exernple d'un taiIlis so us futaie de chenes eclalrcie artificiellement dans une association forestiere submontagneuse riche en hetres, Elle presente une flore au
16 Ellenberg H., « Zur Entwicklung der Vegetationssystematik in Mitteleuropa », Angewandte Pflanzensozlologie [Wien] [Festschrift Aichinger I I, 1954, pp. 134--143. 17 A la meme epoque, en physiologie des plantes, deux autres auteurs insistent sur Ie principe de
causalite en ecologic, il s'agit de I'allemand Stocker et du danois Boysen-Jensen. 18 Entretien avec H. Ellenberg. 19 Braun-Blanquet J., Pjlanzensoziologie, Wien : Springer. 1951, p. 52. 220
20 Pourtant des 1952, Ellenberg avait avance une partie de ses idees dans un article paru dans Ie bulletin de la societe botanique allemande, mais il n'avait pas souleve d'objections. Ellenberg H., « Physiologisches und okologisches Verhalten derselben Pflanzenarten », Ber. Deut. Botan. Ges., 65, 1952 (1953), pp. 351-362. 21 Celle revue porte un titre identique a celie fondee par Aichinger et e1les ont ete lancees la merne annee par deux fideles de Braun-Blanquet mais neanmoins rivaux... 22 Tuxen R., « Das System der nordwestdeutschen Pflanzengesellschaften ». Mitt. Flor-soz. Arbeitsgem., 5, p. 159. 221
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sont plus aussi solides. La guerre a bouleverse les reseaux autour de la SIGMA. Pendant cette periode, les relations avec les autres centres ont ete tres lirnitees avec la Belgique, rompues avec la Pologne et la Tchecoslovaquie, ... Or, en 1946, la SIGMA n'a pas encore reconstitue son ancien reseau, un vide existe dans lequel s'engouffre Duvigneaud, a une epoque ou les publications sont rares, inexistantes en Allemagne. Ceci coincide avec les travaux de Duchaufour sur la chenaie atlantique qui est a la recherche d'une methode qui ne soit pas celie de Braun-Blanquet ; - Que ce soit Ellenberg ou Duvigneaud, leurs positions ne sont pas aussi tranchees que celles d'un Gams. Au contralre, elles reprennent en partie Ie systerne de Braun-Blanquet et s'efforcent de Ie combiner avec d'autres methodes s'inscrivant dans une demarche de progres, rejetant les theories de Braun-Branquet dans Ie camp du passe; - Enfin, l'heure en Europe en sociologie vegetate est l'idee de discontinuite du tapis vegetal, que ce soit avec Alexander Stuart Watt (1892-1985) en Grande-Bretagne, Rabotnov en URSS, etc. 23 La repercussion de ces critiques fut divergente selon les pays. Duvigneaud a eu beaucoup plus d'impact en France. Ellenberg a ete davantage ecoute en Suisse, Schlenker dans Ie Sud de l'Allemagne. Cependant leurs conceptions n'ont pas atteint l'ensemble de la communaute scientifique. Ainsi Hartmann, Gottingen, est reste fidele I'approche Braun-Blanquet enrichie des apports de la pedologic.
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Une Allemagne partagee entre differentes ecoles Des Ie lendemain de la guerre, des que les revues forestieres allemandes sont autorisees reparaitre, Ie debar renait. Ainsi la revue Forstwissenschaftliches Centralblatt reprend en octobre 1948, apres trois annees d'interruption et, en 1949, une serie d'articles sont publies sur ce sujet24 . L'approche de Schlenker repose sur un travail d'equipe integrant trois disciplines: la pedologic, la sociologie vegetale etl'histoire forestiere. Cette collaboration est d'autant plus necessaire que I'on glisse d'une association a une autre, iI n'existe pas de « frontieres naturelles » au sein des societes vegetates. Or I 'etude des stations forestieres possede un sens pratique, elle doit deboucher sur une gestion sylvicole. Pour mieux cerner les differentes unites, iI faut multiplier les approches et etabllr ce que Schlenker appelle : « Les quatre principes systematiques legitimes et d'egale importances» que sont « Ie systeme des stations forestieres .. le systeme des types de sol .. le systeme des associations vegetates .. le systeme des types d'histoire forestiere »25. Pour decrire les stations qu'i1
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23 Wall s'efforcait d'accorder Ie point de vue de Gleason qui ne voyait dans I'association qu'une juxtaposition fortuite de plantes et celui de Clements dans son approche dynamique, voir Watt A. S. «Pattern and process in plant community», Journal ofecology, 1947,35, pp. 1-22. 24 Lutz J.-L., « Ubersicht der auf3eralpinen Waldgesellschaften SUddeutschlands », Forstwissenschaftliches Centralblatt, 68, 1949, pp. 76-114 ; Zentgraf E., «PfIanzensoziologie und Waldbau », ibid, pp. 216-220 ; Wittich W., « Wege zu einem Waldbau auf standortlicher Grundlage », ibid., pp. 468-478. 25 Schlenker G., « Entwicklung des in Siidwestdeutschland angewandten Verfahrens der Forstlichen Standortskunde », in Arbeitsgemeninschaft «Oberschwiibische Fichtenreviere» (Ed.), Standort, Waldund Waldwirtschajt in Oberschwaben, Stuttgart: Otto Kehrer KG, 1964, p. 12. 222
LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE assimile a un paysage, iI distingue les Wuchsgebiete (zones de croissance) et les Wuchsbezirke (districts de croissance), reprenant la classification systematisee par Krauss en 1926. Les Wuchsgebiete s'appuient sur plusieurs facteurs comme Ie climat regional, la forme du paysage, les roches, etc. Les Wuchsbezirke constituent l'etape suivante. On s'Interesse ici aux differences locales afin de definir les «unites stationnelles» (Standortseinheiten) en portant I'attention sur les c1imats locaux, les formes d'un plateau, les diverses constitutions du sol, etc. Enfin Ie niveau inferieur est constitue de stations uniques (Einzelstandorte) qui «presentent les possibilites sylvicoles et les risques identiques ainsi que des possibilites de production identiques pour les essences principaless/'", De par sa position Schlenker dispose de plusieurs atouts pour faire valoir ses idees. Membre de la station de recherches forestieres du Wurtemberg, a son retour des camps sovietiques, il devient Ie directeur en 1958 du departernent de botanique et d'etudes des stations pour finir, en 1966, directeur general de la station. D'un autre cote, il assure la promotion de ses travaux en ecrivant des articles dans trois revues forestieres allemandes et la critique des ouvrages concernant la sociologie vegetate dans une quatrieme ce qui lui donne une tribune supplementalre-", En dehors d'une position qui se renforce d'annee en annee, d'une presence au niveau des publications, iI reprend la strategle que Krauss a inauguree dans les annees 1930 en Saxe pour populariser ses conceptions parmi les forestiers. En 1947, sur l'initiative du baron Felix von Hornstein (1883-1963), iI fonde Ie Groupe de travail des zones d'epicea de la Haute Souabe (Arbeitsgemeinschajt Oberschwdbische Fichtenreviere) avec I'appui de Max Maier (1897-1973), Ie chef de la direction forestiere du sud Wurtemberg. Cette association a pour but de saisir Ie developpernent naturel de la vegetation et son histoire forestiere surtout au niveau des peuplements purs d'epicea, I'essence dominante dans cette region 28 • En 1951, iI constitue I'Union pour la cartographie des stations forestieres (Verein fur jorstliche Standortskartierung) dotee d'une revue. C¢ travail est alors confie aux forestiers formes par Ie departement de botanique de la station de recherches aux techniques de la cartographie. En 1985, pres de la moitie de la superficie forestiere du land du BadeWurtemberg sont ainsi cartographiees. I La typologie des stations a pris en RF~ une dimension nationale. En 1954, Ie Groupe d'etude en sociologie vegetale forestiere (Arbeitsgemeinschajt fur Forstliche Vegetationskunde) est reconstitue. Un an auparavant, les autorites forestieres des Lander ont mis en place un cercle de travail pour la cartographie des stations (Arbeitskreisfiir Standortskartierung) au sein du groupe de travail sur I'amenagernent forestier (Arbeitsgemeinschaft Forsteinrichtung) afin de standardiser, dans la mesure du possible, les definitions des termes techniques et les methodes en cartographie des stations. Ce cercle est dlrige par Wittich (Gottingen). La phytosociologie dans ce groupe est prise en charge par Hartmann, puis en 1965 par Lamprecht et depuis 1975 par Gisela Jahn (1920), tous trois de Gottingen, De ces differents travaux, il en est sorti un petit ouvrage intitule
26 ibid.
27 Ces revues ont pour nom respectivement: Allgemeine Forst- und Jagdzeitung, Allgemeine Forstzeitschrift, Mitteilungen des Yereins fUr forstliche Standortskunde und Forstpflanzung et
Forstarchiv, Schlenker G., « Entwicklung des in Siidwestdeutschland angewandten Verfahrens der Forstlichen Standortskunde », op. cit., p. 7. 223
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE Forstliche Standortaufnahme {Releve des stations forestieres] en 1958, reedite en 1966 et en 197829. Mais, si les specialistes eprcuvent Ie besoin d'harmoniser leurs methodes, des points de desaccord subsistent:
Lander BadeWurtemberz
Scientifiques Krauss et Schlenker
Baviere Sarre Basse-Saxe
Hartmann (1946)
Methodes Etudes des stations selon les methodes KraussSchlenker idem idem Etudes des stations selon la methode BraunBlanquet
Knapp idem Trautmann (1952) Rhenanieidem Lohmeyer (1953) Palatinat , Tableau 26. Regions et methodes de types de statton. Sources: Jahn Goo 1982. Hesse
Ces differentes approches sont legltirnees par la nature du terrain selon Jahn. En les foresti~rs o.ntaffaire a des landes de calluna-vulgaris et des forets de pins, Ie recours a la pedologic s'impose davantage en raison d'une acidification plus importante que dans les forets feuillues de la Hesse, ou Ie releve des plantes constitue un indicateur suffisant. Cette explication par Ie terrain a deja rencontre ses limites. Ceux qui ont mene les etudes en matiere de typologie des stations en Basse-Saxe, en Hesse et en RhenaniePalatinat, ont ere en relation avec Tuxen, Knapp, Trautmann et Lohmeyer sont passes par Ie centre de cartographie de Stolzenau. Tous ont collabore etroiternent avec lui et ont appris a regarder les associations vegetales selon la methode de Braun-Blanquet. Schlenker, en desaccord avec Tuxen, a su s'organiser pour faire passer sa methode dans les faits. L'explication par Ie terrain permet a chaque groupe de s'arroger un espace precis. En RDA, la typologie des stations se developpe des 1946 a Jena ou est cree un departernent de cartographie des stations forestieres sous la direction du pedologue Ehwald. En 1950, Ie land de Brandebourg fonde un institut pour la typologie des stations forestieres autour du laboratoire de pedologic a Eberswalde. D'un autre cote, a Tharandt, l'institut de pedologic et d'etudes des stations reprend vie sous la direction de Sachsse un ancien eleve de Krauss. Chacun de ces trois centres se partage I' Allemagne de l'Est ; Eberswalde, Ie Nord; Jena, la Thuringe et Tharandt, la Saxe. Cette politique est encouragee par Ie conseil des ministres des 1952 avec I'institution, dans chaque cantonnement forestier, d'un departement en amenagernent et en etude des stations avec un referent dans ce dernier domaine. En 1955, un institut pour l'amenagement forestier et la typologie des stations est instaure a Potsdam OU siege I'administration centrale. II dispose de quatre relais en RDA : Postdam, Schwerin, Dresde et Weimar. Des 1961, les forets publiques ont ete lnventoriees. En 1969 les forets privees et celles relevant de cooperatives (Genossenschaft) sont achevees a leur tour. Ainsi avant meme la fondation de la RDA, la typologie des stations a su s'implanter pour s'epanouir par la suite. Basse-Sax~,
Arbeitskreis fur Standortskartierung in der Arbeilsgemeinschaft Forsteinrichtung, Forstliche Standortsaufnahme. Begriffe, Definltionen, Einteilungen, Kennzeichnungen, Erlduterungen,
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Hiltrup: Landwirtschaftsverlag, 1966, p. 100. 224
LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE Ceci correspond aussi a une modification de la pratique forestiere a partir de 1950 avec un abandon progressif de la coupe a blanc en faveur d'une sylviculture plus proche de la nature, designee sous Ie terme d' «economie forestiere soignant Ie volume sur pied» (vorratspfeglichen Waldwirtschaft). Ce terme est prefere a celui de « conforme a la nature » (naturgemiifJ) qui est en desaccord avec I'image de domination des forces naturelles inherente a l'Ideologie socialiste. Cette pratique sylvicole est mise en ceuvre officiellement en 1951. Dans son application, elle induit une collaboration entre scientifiques de plusieurs disciplines comme a Eberswalde entre Scamoni (botaniste), Ehwald (pedologue) et Wagenknecht (sylviculture). Dans les annees 1960, la politique forestiere de la RDA evolue vers des methodes plus productives et industrielles surtout a partir de 1967 sous I'impulsion de Gerhard Gruneberg (1921-1981), responsable au comite central du SED de I'agriculture et de la politique forestiere. Elle se signale par Ie retour de la coupe a blanc, un recours aux engrais chimiques, une mecanisatlon plus poussee de l'exploitation forestlere et l'abandon de la typologie des stations forestieres comme principe de base pour la sylviculture et ce jusqu'a la chute du mur en 1989. II fallait produire toujours plus. Dans les deux Allemagne, la typologie des stations n'a pas suivi la meme voie. Elle a ete plus lente a se mettre en place a l'Ouest, plus rapide a I'Est, car elle beneficiait du soutien du pouvoir. Sur Ie plan rnethodologique, I'influence de Krauss de passe les c1ivages politiques. Elle a ete manifeste Jena et Tharandt (RDA) ainsi que dans Ie Sud de la RFA. En revanche, les theories de Braun-Blanquet ont eu plus de poids a l'Ouest qu'a l'Est, avec la fuite de ses partisans face a l'avancee de l'armee rouge.
a
France: 1946-1961 une phase d' approche De 1946 a 1981, iI a fallu pas moins, de trente ans pour convaincre les autorites administratives de mettre en place la typologie des stations en France. Celle-ci s'est deroulee en trois phases: de 1946 a 1:961, une premiere peri ode de reflex ion et d'application sur Ie terrain menee par l'Ecole des Eaux et Forets ; de 1962 a 1975, un deuxieme temps pour la reflexion mais a I'INRA accompagne de nouvelles etudes; enfin, de 1975 a 1981, annee ou la decision est prise de proceder a un releve des stations en France. La premiere phase est marquee par I'activlte de Duchaufour, un forestier de formation engage dans la pedologic. II fait pourtant son doctorat a MontpeIlier, sous la direction d'Emberger, un botaniste. II a eu aussi des contacts avec Braun-Blanquet, qui etait dans I'assistance Ie jour de sa soutenance. De nouveau, on retrouve Ie rneme phenomene constate avec Guinier, c'est-a-dire un forestier de formation s'engageant dans la voie universitaire pour reinvestir son experience dans I'enseignement forestier. En 1948, Duchaufour soutient sa these intitulee : «Recherches ecologlques sur la chenaie atlantique francaise», Pour la premiere fois Ie mot ecologie, merne s'i1 est sous la forme d'un adjectif, est employe dans Ie titred'une parution francaise concernant la foret 30. L'espace qu'investie Duchaufour delaisse la montagne, soil une demarche
La publication de cette these dans les Annales de l'Ecole nationale des eaux et forets et de la station de recherches et experiences forestieres est une premiere, elle recut aussi Ie soutien du CNRS pour couvrirles frais de publication et d'illuslrations. 225
30
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
originale en ecologic forestiere. Son etude a permis d'etablir un lien entre les groupements vegetaux et les types de sols en dormant une place importante I'humus. II a accorde de la valeur aux especes constantes et a repris la conception de Duvigneaud sur la variabilite des associations vegetates. Enfin, il a utilise Ie precede Braun-Blanquet pour realiser I'inventaire floristique-". Deux ans plus tard, en 1950, Duchaufour publie «Recherches sur I'evolutlon des sols calcaires en Lorraine», ou iI montre « que dans un groupement donne, celui de la «fruticee mesophile». pour ne retenir que cet exemple, se rencontraient des especes relevant de cinq unites ecologigues differentes .' les caracteristiques de la fruticee, [. .. J; celles, plus specialisees, de la fructicee mesophile; des elements de fruticee xerophile ; d'autres de la foret de hetre ; des «reliques», enfin, de la pelouse sur calcaire»32. II neglige la lerminologie des phytosociologues pour caracteriser les groupements vegetaux au profit d'une appellation heritee de la pedologie, plus simple, qui correspond iI un vocabulaire deja connu des forestiers. Ainsi, iI qualifie les groupements en Lorraine de mull actif, mull cacique, etc. ' A cote de ces recherches, Rene Rol (1896-1965), professeur de botanique mais aussi sous-directeur de l'Ecole des Eaux et Forets depuis 1944, accorde une plus grande place a la sociologie vegetale dans ses cours. 11 elargit son cercle de relations en nouant des contacts avec d'autres phytosociologues: Lernee, Molinier, Emberger chez qui iI a envoye Duchaufour, en participant a des colloques dont Ie congres international de botanique de Paris en 1954. La merne annee, Rol expose la methode de Braun-Blanquet sans ambages dans ses cours ... 11 redige un ouvrage de botanique forestiere dans lequel ecrit Jacamon: « La Phytosociologie y est presentee de facon claire, objective, principalement la methode Braun-Blanquet ; avec certaines critiques [. ..J. Malheureusement, l- ..J il laissera ce document au stade d'un texte dactylographii»33. Des sessions d' «information» sont organisees par I'ecole pour les forestiers gestionnaires, dont deux en 1954 et en 1958 consacrees aux applications pratiques de la phytosociologie. Une autre etape capitale dans la typologie des stations concerne l'etude de la foret de Ban d'Etival, un massif affecte a l'ecole forestiere de Nancy dans les Vosges, realisee par Duchaufour (pedologue), Parde (dendrologue), Jacamon (botaniste) et Eugene-Francis Debazac (dendrologue). Elle a ete rnenee a la demande de Rol, devenu directeur. Cette etude s'est appuyee sur I'observation du sol et de la vegetation. Dans les deux cas, des types de sol et de vegetation sont definis et leurs concordances ont d'ailleurs frappe les observateurs. Les types I et III peuvent etre c1airement identifies. En revanche, Ie type II apparait comme la transition entre les deux. L'apport de Parde s'inscrit logiquement a la suite de la determination des types, pour en confirmer la validite 34 . 11 s'agit de faire un rapprochement entre la station et la production Iigneuse deja aborde par Sargos en 1938. Entre les trois types, Parde a constate que la regeneration du sapin ne s'opere avec difficulte que dans Ie type I ou iI est concurrence par Ie hetre. Ainsi apres avoir confie Ie
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Jacamon M., « Historique des relations entre phytosociologues et forestiers en France », op. cit., p.157. 32 Bartoli C., « La Haute-Maurienne dans les Alpes occidentales francaises », Ann. Sci. For., 23, 1966, p. 447. 33 Jacamon M., « Historique des relationsentre phytosociologues et forestiers en France », op. cit., p.158. 34 II s'agit d'une demarche analogue it celle qui a prevaluen Finlande aux debutsdes annees 1920. 226 3\
LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE soin a un pedologue et a un botaniste de definir les differents types, i1s ont lalsse la mission de s'adresser en termes forestiers aux amenageurs,
Type
I
Peuplement
Sapin Hetre
II Sapin
Vegetation
Stations
Festuca silvatica Polystichum spinulosum Rubus glandulosa Oxalis acetosella a (facies hygrophile) Sphagnums Mastigobryum trilobatum b (facies mesophile) Hypnum , loreum --_._-_.c (facies xerophile) Leucobryum glaucum abc myrtille et mousses Calluna vulgaris (Callune)
1 - Gres interrnediaire assez riche en argile 2 - Sols colluviaux draines sur versants frais Sols colluviaux mal draines
Gres vosgien, plateaux et pentes exposition de transition Pentes fortes aux expositions chaudes a colluvium grossier
a Parde
Sol Sol brun a Mull acide
Sol de la serie podzolique a Moder ou Mor (+ ou - evolue)
----------
I - Daile de conglornerat Sol d'humus brut (taches de Molinia sur dalle Podzol Pin coerulea et de hurno-ferrugineux III sylvestre Sphagnums) iI alios et iI Mor Sapin epais______ I -Hypnum Schreberi 2 i Sols colluviaux de pentes exposees au Sud I Tableau 27.Types de stations de la foret de 'Ban d'Btival. Sources.' Duchaufour P.. Parde J., Jacamon M.• Debazac E.• 1958. ~
Pour les auteurs, Ban d'Etival represente une foret pilote pour la sapiniere des Basses Vosges. En 1961, paralt une autre etude sur un massif plus vaste de 580 contre 106 ha precedernment, celui de la foret de la Controlerie en Argonne, appartenant ('Ecole des Eaux et Forets, qui doit servir de guide pour les arnenageurs des forets feuillues sur les sols acides de l'Est. Nous retrouvons dans cette etude, Duchaufour, Debazac et Parde, cette fois-ci sans Jacamon, mais avec Bonneau. Six types de forets sont distingues, Des indications en matiere d'enresinement sont donnees. Malgre tout, cette etude reste au stade experimental. En 1961, Duchaufour, qui a ete l'arne du groupe, est nomrne professeur de pedologic a la faculte des sciences de Nancy et directeur du centre de pedologic du CNRS de Nancy, iI s'engage alors dans une autre voie. Pourquoi ce peu d'impact en etude des stations en 1961 ? En fait, les scientifiques n' ont pas trouve de relais actifs aupres de I' administration forestiere pour systematiser la typologie des stations. En outre, its disposent de peu de moyens et Duchaufour d'ajouter : « II ne faut pas oublier qu'a l'epoque (1955-1960), [... J la Direction generale des Eaux et Fortis n'est disposee qu'a accepter une methode raoide d'etude des milieux, prealable a
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227
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
tout amenagement ou projet important de reboisement »35. Les scientifiques sont done condarnnes it etudier des «milieux tres fortement contrastes, done simpLes a definir » ou un «peuplement et vegetation peu perturbes par L'homme »36. Ce que decrit Duchaufour n'est pas propre it la direction des forets.mais est conforme it l'etat d'esprit qui regne au ministere de I 'agriculture qui, it la fin des annees 1950, ne manifeste guere d'Interet pour la recherche. Celui-ci desire d'abord « des «trouveurs» pas des chercheurs, c'est-a-dire, tres vite, des resultats; [menacant] de conditionner Ies moyens aux resuLtats»37. Le debut des annees 1960 est aussi une periode troublee au niveau de I'administration forestiere avec la creation de I'ONF, de I'ENGREF, Ie passage de la recherche sous la coupe de I'INRA, une orientation plus productiviste de la politique forestlere, ... Dans une telle situation, la typologie des stations a peu de place.
D'une phase de reflexion (1962-1975~
aleur mise en ceuvre (1975-1981)
En 1966, parait une etude sur la Haute-Maurienne redigee par Charles Bartoli (19181967) qui fait date 38. II a ete un nouvel interrnediaire entre les forestiers et les nonforestiers. Fils et arriere petit-fils de forestiers, iI a prepare I' «agro» it Marseille avec comme professeur Molinier, un des tenant de l'ecole Braun-Blanquet, qui I'a d'ailleurs guide dans ses investigations en Maurienne-", II effectue ses etudes forestieres a I'Ecole forestiere des Barres et a Nancy. En 1945, iI est affecte a Modane dans la Maurienne. Rernarque par ses amenagements clairs et precis, il monte it Paris au service des amenagernents puis finit par enseigner l'amenagernent a Nancy en 1958. A cette epoque dans la Revue Forestiere Francoise, il assure la critique des livres et des articles concernant la sociologie vegetale, En 1961, iI est ingenieur des Eaux et Forets GrenobleOuest et, en 1962, iI soutient sa these. Dans ce parcours, iI possede trois elements : d'abord des ancetres forestiers, ensuite I'espace, il opere dans les Alpes, massif d'investigation privilegie des botanistes et des forestiers, enfin il a effectue un doctorat a Montpellier. Son etude arrive a un moment OU, en 1966/67, une jeune equlpe de forestiers rentre it I'INRA, forrnee de Michel Becker (1938), Jean-Francois Picard (1944) et Jean Timbal qui desire promouvoir la typologie forestiere. La these de Bartoli, effectuee sous la direction d'Emberger, etablit une synthese entre les travaux des phytosociologues et ceux des forestiers. Comme approche, iI reprend celie de Braun-Blanquet et emprunte a Duvigneaud, l'idee de variablllte des associations vegetales et des groupes ecologlques. II s'inspire egalement de Duchaufour et des travaux des pedologues. Arrives dans Ie laboratoire de Jacamon I'INRA, Picard, Timbal et Becker ambitionnent de mettre au point une methodologie pour rattraper Ie retard de la France dans la caracterisation des typologies forestieres pour Ie jour ou une volonte politique se
a
a
35 Duchaufour P., « Discussion et interventions, a la suite de la communication de Bonneau et Timbal, Definition et cartographie des stations », AnnaLes des Sciences Forestieres, 30, 1973, p. 216. 36 ibid.
37 Cranney 1., INRA " 50 ans d'un organisme de recherches, op. cit., p. 182. 38 Bartoli c., « Etudes ecologiques sur les associations forestieres de la Haute-Maurienne », Ann. Sci. For., 23,1966, pp. 432-751. 39 Ibid., p. 434.
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LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE manifesterait de la part de la direction des forets, Becker souligne d'ailleurs : « Il faut di I' Ire , fai
qu~ r~ c est au re ativement peu, maLheureusement, sur l'incitation de notre hierarchie
scientifique, [ .. .) Les responsabLes du departement foret de l'epoque n'etaiem que lbili , , peu I tses a ces questions de bioLogie forestiere et de diversite du milieu forestier »40.
se.nsl
DI~~?sant de peu de, moyens, ils font avancer les techniques, aides par les eleves de
trOlsl~me an~ee de I'Ecoie des Barres, qui operent surtout dans I 'Est de la France. D'autre part. lis redigent .aussi des etudes au sein de I'INRA afin de convaincre les differents intervenants du bien-fonde de la typologie des stations. Ainsi en 1968, Timbal ecrit un texte ~e. douze pages dans lequel apres avoir critique les phytosociologues qu'i1 accuse d'avoir ignore e La signification ecologique des associations »41, iI propose de revenir aux sources, a ~raun-Blanquet qui lui s'Interesse a ces questions et dont la methode est efficace et simple. Les 24 ~t 25 fevrier 1973, au CNRF de Nancy-Champenoux se tient une reunion sur Ie theme : ~( Ecol.ogie fore~tiere : Station et production Iigneuse » dont les communications et les diSCUSSIOns paraissent dans les AnnaLes des Sciences Forestieres. Parmi les personne.s presentes, nous trouvons des universitaires provenant de centres connus : t;J0ntpelher (Godron, Sauvage), Orsay (Lemee), Strasbourg (Gounot), des professeurs de I EN?REF, des .repre~entants de I'INRA dont Ie service de bioclimatologie de Versailles. Par"!1 les forestl~rs ~Ig~rent des mem,bres de I'ONF de la Lorraine mais aussi, ceux qui r~presentent d~~ mstitutions comme I Institut de Developpement Forestier (lOP) avec Ie dl~ect~~r de I e~oq~e, M. Marion, Ie directeur technique de I'ONF, ... Une unanirnite scientifique et institutionnelle s'ebauche, Les forestiers s'accordent sur I'utilite des groupes ~cologiques comme indicateurs de la station et sur une definition de la station emprunt~e a ~ol datant de 1954: « La station est une etendue de terrain, variabLe en superjir: le, mats homogene quant aux conditions ecologiques qui y regnent. Autrement dit, La stat~on est "". u~ite topographique ~efinie par un ensembLe de facteurs climatiques, edaphl?~es et b~otlques. Dans chaque station existe un groupement vegetal qui La caracterise, et qUI resulte du milieu et des posstbilites floristiques LocaLes »42. Au ~ilieu des annees 1970, les meth;odes sont au point, iI faut passer de la recherche au ~erralll. En 1975: Le T~con et Timbal publient un article sur la cartographie des stations, dans lequel lis exphquent comment cette derniere a ete appliquee dans la foret de Darne~ dans I~s Vosges. En conclusion, ils ecrivent : « L'amenagement d'un massif forestier devrait toujours se faire sur La base d'une cartographie des stations. Or, en Franc~, actue~Lement, ceLa ne se fait que d'une maniere tout a fait exceptionnelte. cont:alrement a ce qui se fait chez nos voisins. en particulier en Allemagne et en BeLgique », SI, pour eux, ce retard s'explique par Ie peu de « connaissance du comportement des grandes essences forestieres vis-a-vis du milieu [ ...] sur l'ecologie des grandes essences forestieres »43, celui-ci n'a plus lieu d'etre, des etudes suffisantes ayant ete faites dans ce domaine. La reconnaissance sur Ie terrain de la validite de I'approche s'acheve en ]976
40 Entretien avec M. Becker, Nancy, 23 septembre 1989.
:~ Timbal J., Apport,de laphytosocio!o~~e cJassiqueenjoresterie,lNRA, 1968, p. 8. Bonneau M., Tirnbal J., «Definition et cartographie des stations» Annales des Sciences Forestieres, 30, 1973, p. 203. ' 43 Le !acon F., Timbal J., « La cartographie des stations. Application Bulle/III de l'assoctatton francaise pour l'etude du sol, 1975, p. 58.
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a l'amenagement des forets
»,
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE avec la parution du Catalogue des stations forestieres du plateau Lorrain, a I'instigation DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
de I'ONF. Cette fois-ci, c'est une region entiere qui a ete analysee. A. la fin des annees 1970, cette equipe de I'INRA a fini par convaincre leurs interlocuteurs de I'interet de ces etudes. Un groupe de travail est instaure sous I'impulsion de I'IDF et de la Direction des Forets afin de reflechir sur les divers aspects de la typologie des stations. Dans ce groupe de travail, cohabitent des personnes de tous les horizons: chercheurs de I'INRA, pedologues du CNRS, universitaires, representants de la foret privee et soumise. La direction des forets degage des moyens financiers ce qui permet, sous la forme de contrats, de multiplier les etudes. La mise en place d'une equipe pour la typologie des stations se deroule en quatre etapes: -Le 31 mai 1978 Ie comite scientifique et technique de I'IOF, preside par Bouvarel, emet « Ie WEU d'une reunion de tous les organismes concernes par l'etude des stations forestieres, pour definir des objectifs et des methodes communs et recenser les moyens disponibles et necessaires pour la realisation d'un programme coherent en la matiere »44; - Le 22 mai 1979, Paris a lieu une reunion « preparatoire a la coordination des etudes et actions concernant la typologie des stations forestieres » de 5 I personnes d'horizons divers « appartenant a l'Administration, l'ONF, la recherche (/NRA, CNRS, CTGREF, AFOCEL). l'Enselgnement (/NA-PG. ENGREF, EN/TEF, Universites), a tous les organismes de la foret privee (ANCRPF,CRPF, Syndicats, /DF et autres organismes, Chambres d'agriculture, groupements forestiers, cooperatives) .. experts jorestiers, sylviculteurs, pepinieristes y sont egalement representes »45. A. la suite de la reunion un groupe national «de reflexion sur la typologie forestiere» est retenu ; - Le 13 decembre 1979 reunion de ce groupe a I'IOF qui reste informel ; - En 1981, affectation par la Direction des forets de credits annuels pour realiser des catalogues de stations, de l'ordre de 500.000 Fen 1981 et, en 1985, de 1.000.000 F. Ce groupe a I'IOF s'est divise en quatre commissions specialisees dont une porte sur l'harmonisation des methodes en typologie des stations46. Une nouvelle definition de la station est adoptee: « La station est une etendue de terrain, de superficie variable. homogene dans ses conditions physiques et biologiques (mesoclimat, topographie, composition floristique et structure de la vegetation, sol). Une station forestiere justifie, pour une essence donnee, une meme sylviculture, avec laquelle on peut esperer une productivite comprise entre des limites connues »47. Elle reprend celie de Rol, mais insiste plus sur les perspectives sylvicoles et utilitaires de la typologie des stations. Au niveau de I'approche phytosociologique, la methode employee est celie des groupes ecologiques : « c'est-a-dire en groupes d'especes ayant sensiblement la meme reponse vis-a-vis d'un ou de plusieurs jacteurs du milieu et, de ce fait, se rencontrant souvent
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44 Dume G., « Activites et resultats du groupe de travail sur la typologie des stations forestieres », in l-C. Rameau, Colloques phytosociologiques : Phytosoclologie etforesterie, op. cit., p. 290. 45 Bazire P., « Historique et organisation du groupe de travail sur la typologie des stations forestieres », Comptes rendus hebdomadaires de l'academie d'agriculture de France, 72, 1986, p, 869. 46 Les trois autrescommissions concernent la documentation, Ie vocabulaire ella formation. 47 Becker M., « Ecophytosociologie et production ligneuse », Annales des Sciences Forestieres, 30, 1973, p. 30 I.
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LA RECONNAISSANCE DE L'ECOLOGIE DE LA PARCELLE ensemble »48. Les recherches entreprises concernent, en 1986, 18% de la foret francaise, soit deux millions et demi d'hectares, et sont l'ceuvre autant des forestiers que d'universitaires renforcant ainsi la collaboration entre forestiers et non-forestiers. Pourquoi a la fin des annees 1970 et au debut des annees 1980, un tel engouement en France pour la typologie des stations? D'abord, il y ales exemples etrangers (Allemagne, Belgique), Le Tacon et Timbal insistent sur ce point dans la conclusion de leurs articles. Nous retrouvons un argument souvent employe depuis Ie XIXe siecle : Ie modele hors de nos frontieres. II est vrai que, a I'epoque, un mouvement en faveur de la typologie des stations parcourt I'Europe. A. ceci, iI faut ajouter une demande du prive. L'etude des milieux represente des lacunes « evidentes a la suite des travaux d'une part des CRPF charges d'elaborer les orientations regionales de production. d'autre part des proprietaires jorestiers confrontes a la presentation d'un «plan simple de gestion» »49. Enfin, pour Ie biogeographe Paul Arnould, il y a eu la pression des ecologistes : «ll nous semble pour notre part que la grande querelle des annees /970 entre ecologistes de tous bords et l'Office National des Forets comme cible principale, a propos princlpalement des enresinements abusijs et des reboisements en timbre poste, a joue un role de detonateur [ .. .] les debats violents partes sur la place publique a propos de la place grandissante tenue par les resineux ont favorise les remises en question et permis l'emergence d'approches nouvelles »50. Ainsi s'acheve un debar qui a emerge au sein de la foresterie francaise cinquante ans auparavant. ..
URSS : la fin du regne de Sukachev En URSS, la typologie des stations a suivi un developpement divergent. Son interet a ete reconnu des l'entre-deux-guerres mais pour des raisons deja evoquees, elle n'a pas connu de portee pratique'". En d'autres terrnes, des releves ont ete operes, mais cela ne s'est pas traduit sur Ie terrain. C'est dans les annees 1950 que la typologie des stations trouve ses premieres applications en fonction des theories de Sukachev, qui regente cette discipline. II detient une position dominahte comme membre de l'acadernie des sciences et a place la plupart de ses eleves des postes des. Ses theories ne souffrent d'aucune concurrence. Les idees de Braun-Blanquet ont ete taxees de « bourgeoises» et, avec un tel anatherne, ne peuvent etre reprises sans risque par d'autres scientifiques. II a aussi interdit I'emploi du terme de « sociologie vegetale », ce qui ecarte nominativement l'ecole d'Uppsala. La situation change dans les annees 1960, d'abord parmi les non-forestiers avant Ie deces de Sukachev en 1966. II est certain que I'affaire Lyssenko I'a fragilise et a ouvert la voie aux critiques. Les theories de Ramenskij sont redecouvertes par Rabotnov, professeur
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48 Becker M., « Avantages et limites de I'etude de la vegetation spontanee pour la typologie des stations forestieres », Comptes rendus hebdomadaires de l'academie d'agriculture de France, 72, , 1986, p. 881. 49 Bazire P., « Historique et organisation du groupe de travail sur la typologie des stations forestieres », op. cit., p. 869. 50 Arnould P., Simon L., Les catalogues des stations forestieres .' de I'histoire d'une idee a ses implications theoriques et pratiques, Manuscrit, p. 4. 51 Voir chapitre 6 231
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE de geobotanique a l'universite de Moscou et celles de Braun-Blanquet rencontrent un echo favorable aupres d'Alexandrova'S, Quatre courants se forment. Le premier, comprenant surtout la jeune generation, s'engage dans la voie des mathematiques et de la I'informatique. Le second applique la methode Braun-Blanquet modelisatlon grace (Mirkin). Le troisierne privilegie I'approche ecophysiologique et biochimique. Le quatrierne s'efforce de trouver un lien entre les partisans de I'existence d'unites vegetates et les tenants du continuum du tapis vegetal. Les conceptions de Braun-Blanquet ont trouve leurs espaces. En fait, I'approche de Sukachev a dernontre ses limites. Elle n'est pas applicable partout ce qui est propice ala recherche de nouvelles methodes. Un des centres de contestation de I 'approche officielle a ete celui d'Oufa en Bachkirie, dirige par Mirkin qui ne s'est pas specialement interesse a la typologie forestiere, C'est un centre marginal par rapport celui de Leningrad. Toutefois, iI faut attendre 1980 pour que la contestation des principes de Sukachev prenne un caractere officiel avec la sixieme conference sur la classification de la vegetation qui regroupe les botanistes qui ne sont pas pleiriement satisfaits des conceptions de I'academicien. lis tiennent leur premiere journee Oufa la fin septembre 1981. Cette reunion officieuse permet de federer les scientifiques de cette obedience. Des serninaires ont lieu dans les locaux de I'universite de Moscou. Cette offensive interne est alimentee par un apport exterieur de scientifiques est-allemands venus effectuer des travaux en URSS, com me Passarge (Eberswalde), en 1972, pour les forets de resineux de la region de Leningrad ou les forets de feuillus de Georgie en 1981. Schubert, un eleve de Meusel, mais qui s'est oriente dans la voie Braun-Blanquet, sejourne en Bachkirie en 1979. La mainmise de I'URSS sur I'Europe de l'Est avait expose ses scientifiques a d'autres conceptions scientiflques, Ainsi Ie courant Braun-Blanquet a su creer sa place a partir d'un centre situe hors des poles dominants en URSS. La pluralite des approches en matiere de typologie des stations qui a existe dans les annees 1920 refait surface I'aube des annees 1980 quelques annees avant la glasnost. Que ce soit en Finlande en France ou en URSS, la portee pratique de la typologie des stations est reconnue et appliquee dans la plupart des pays europeens avec quelques retards pour I'Europe mediterraneenne au terme d'un processus entarne au debut du XXe siecle, Les rnodalites d'application ont varie selon les pays: fruit d'une volonte politique dans la Finlande des annees 1920, produit de I'enteternent de chercheurs en France qui ont fini par trouver une oreille attentive a I'ONP. Mais, quelques soient les Etats, les methodes qui I'emportent sont Ie resultat d'un jeu complexe entre Ie terrain et les positions dominantes acquises par les scientifiques tant dans leur propre champ qu'au niveau politique.
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Le triomphe de I' ecologic systemique L'ecologie systernique, forrnulee aux Etats-Unis dans les annees 1940, s'est introduite en Europe au debutdes annees 1960 via deux programmes: Ie PBI, puis Ie MAB. Elle a conquis Ie monde forestier dans les annees 1970, mais il a fallu attendre la crise du Waldsterben pour qu'elle prenne sa place definitive dans les sciences forestleres, D'autres concepts voisins voire rivaux de celui d'ecosysteme ont ete egalement avances: holocene (Friederichs - 1927), biogeocenose (Sukachev - 1944), biochore (Pall mann - 1947), sans parvenir a s'imposer mais ils ont contribue a preparer les scientifiques europeens a I'adoption de I'ecologie systemique.
Formation et origines du concept d'ecosysterne Dans les annees 1940150, lorsque les premiers defenseurs de la theorie de I'ecosysteme (Lindeman et les freres Odum) emploient cette notion, ils I'ordonnent autour de trois elements: - Le lien entre Ie vivant et Ie non-vivant; - La possibilite de mesurer les echanges entre les divers composants de I'ecosysterne en utilisant une seule unite de mesure : la calorie; - Une dynamique conduisant un etat plus ou moins stable. Ce concept est attache a une periode ou se developpent la cybernetique et la thermodynamique et ou, sous I'action de la technocratie, tout semble pouvoir etre quantifiable. I L'usage du mot ecosysteme a etabli unerupture dans la facon d'aborder la nature, qui separait auparavant Ie vivant du non-vivant; lei la distinction n'est plus de mise, puisque un raisonnement sous la forme d'un rapport se substitue un raisonnement en cycle. L'important ne repose plus sur Ie produit rnais sur la relation. Cette rnaniere d'envisager la nature a ete appliquee par Lindeman dans son etude sur Ie lac Cedar Creek Bog (Minnesota)l. II a defini l'ecosysterne comme une «communaute biotique plus son environnement abiotique »2, OU la matiere circule dans un cycle trophique entre trois niveaux: - Les producteurs : les vegetaux qui utilisent l'energle fournie par Ie soleil pour synthetiser la matiere organique partir des mineraux ; - Les consommateurs : les herbivores et carnivores, qui s'approprient une partie de I 'energie des producteurs ; - Les decomposeurs ; tous ceux qui ramenent a l'etat mineral les organismes morts, bouclant ainsi Ie cycle. Pour dernontrer la facon dont s'effectuent les echanges d'energie entre ces differents mediateurs, Lindeman utilise comme unite de mesure: la calorie'. L'energle devient
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52 Rabotnov est un eleve de Sukachev, mais it a cotoye aussi Ramenskij. Alexandrova a etudie la
toundra et la vegetation du cercle polaire. Elle a ete la premiere a introduire la cybernetique dans l'etude de la vegetation. 232
1 Lindeman R., « The Trophic-Dynamic Aspect of Ecology», Ecology, 23, 1942, pp. 399-418. 2 Deleage J.-P., Histoire de l'ecologie, Unesciencede l'homme etde la nature, op. cit, p. 128. 3 La calorie est aussi dans les annees 1930 une unite de mesure pour les nutritionnistes.
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I'unite commune a tous les membres d'un systeme ou chacun absorbe celie produite a un niveau inferieur et en redistribue a un niveau superieur. Ainsi, les producteurs s'approprient une infime partie du rayonnernent solaire, par Ie processus de la photosynthese, afin d'assurer leur croissance et leur respiration. Les consommateurs par la predation qu'i1s exercent sur les producteurs font de meme'. A ce niveau, iI faut distinguer les consommateurs de premier ordre (Ies herbivores) des consommateurs de second ordre (Ies carnivores). L'adoption d'une seule unite de mesure offre un moyen d'evaluer la productivite nette de chaque niveau trophique ou de I'ecosysteme dans son entier. Elle est calculee de la sorte : A (assimilation) - R (respiration) - P (predation) - D (decomposition). Outre la productivlte, cela denote I'efficacite de chaque transfert d'energie entre les differents niveaux. Ainsi Lindeman montre que les rendements sont beaucoup plus importants au fur et a mesure que I'on s'eleve dans Ie cycle trophique la respiration prenant une part de plus en plus consequente. Ainsi les plantes depensent 20 % de I'energie primaire absorbee pour la respiration, contre 60 % chez les carnivores, a cause d'une plus grande mobilite exigee dans leur quete de nourriture. Ceci debouche sur Ie troisieme point: l'etat d'equilibre de l'ecosysteme ou, du moins, sa dynamique. L'utitisation de I'energle offre la possibilite de verifier son stade de developpernent, Ainsi Lindeman compare I'absorption du rayonnement solaire par les plantes dans Ie lac de Mendota (Illinois) etudie par Ie Iimnologue Chancey Juday (18711944)4 et celui de Cedar Creek Bog. Dans Ie premier, elles en absorbent 0,35 % contre 0,1 % pour Ie second, qui est beaucoup plus avance dans Ie processus d'eutrophisation. Ainsi un ecosysteme qui a atteint son niveau climacique combine une productivite au plus haut et une forte corn'plexification. II fonctionne comme un circuit ferme recyclant sa propre production pour se perpetuer, A I'inverse des qu'il y a une intervention d'un systerne beaucoup plus organise, capable d'absorber plus d'energie, it y a simplification de l'ecosysteme, regression ou stagnation dans son developpement, Ainsi dans les savanes, la presence de grands herbivores (buffles, antitopes, rhinoceros, etc.) allies avec Ie feu empeche Ie developpement normal de la vegetation. De merne lorsque I'homme intervient directement dans un ecosysteme, it Ie modifie, comme dans la foret amazonienne, ou certaines parties ont ete transforrnees en zone d'elevage a productivite moindre. Avec I'energie, Ie chercheur s'est dote d'un outil qui permet de mieux situer les differents ecosystemes dans leur evolution. Cette facon d'envisager I'ecosysterne resulte egalernent de la convergence de la biologie, de la thermodynamique et de la cybernetique, La premiere a fourni la notion de reseau trophique, qui a son origine dans les travaux de deux hommes : Elton et Thienemann. Le premier a concu l'idee de la chaine alimentaire ou reseau trophique. Le second a introduit les termes de producteur, de consommateur, de reducteur et de decomposeur, pour caracteriser les differents roles joues tout au long de ce reseau'', Enfin Tansley dans un article devenu celebre: « The use and abuse of vegetational concepts and terms» (L'utilisation et les abus des concepts et termes en sociologie vegetale) a avarice Ie concept d'ecosysterne. Cet article etait une reponse a une serie d'ecrits du Sud-africain John Philips (1899-1987) professeur de botanique a Witwatersrand sur la nature des
4 Juday C., « The Annual Energy Budget of an Inland Lake », Ecology, 21, 1940, pp. 438-450. 5 Elton C., Animal Ecology, London: Sidgwick & Jackson, 1927, p. 209 ; Thienemann A., « Der Nahrungskreislauf im Wasser », Verh. Deutsch. 2001. Gesellschaft, 31, 1926, pp. 29-79. 234
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE comrnunautes assimilees a des superorganismes'', Tansley reagissait contre ce qu'il appelle un « dogme philosophique » pour eviter une derive philosophique et defendre Ie statut de l'ecologie comme discipline au sein de la biologie. Cette reaction de Tansley masque une lutte contre I'holisme du Sud-africain Jan Christian Smuts (1870-1950) et surtout envers Ie biocentrisme de Philips a savoir que les cornmunautes humaines baignent dans un environnement precis qu'il s'agit de preserver afin de conserver la societe et leur culture. Ainsi l'apartheid trouvait sa justification ecologlque. Dans son article, les premiers paragraphes sont consacres aux critiques de la position de Philips. D'abord, pour Tansley, la succession n'est pas un processus continu, mais depend de facteurs endogenes et exogenes. On n'a pas affaire a un mecanisme harmonieux, la cornmunaute n'etant pas un organisme. D'autre part, la notion merne de cornmunaute est a revoir car elle entraine trop, dans I'esprit des hommes, l'ldee d'une cooperation entre ses membres. II revient aussi sur la notion de climax climatique, qui serait Ie seul climax possible, en fait it existe d'autres formes de climax par exemple celui du sol. Ayant critique ces concepts, il en vient a developper Ie sien : I'ecosysteme afin d'eviter de faire reference a la communaute, au climax et a l'organicisme", Tansley ecrit : « La conception la plus fondamentale est, pour ce qui me semble. Ie systeme en son entier (dans le sens donne par la physique), incluant non seuLement l'organisme complexe, mais aussi le complexe en entier des facteurs physiques formant ce que nous appelons l'environnement du biome - les facteurs de L'habitat dans le sens le plus large [ ... ] Ce sont les systemes ainsi formes qui, du point de vue de l'ecologlste, sont Les unites de base de La nature sur La face de la terre. Nos prejuges natureLs et humains nous forcent a considerer les organismes [' ..J comme Les pLus importantes parties de ces systemes, mais certainement les «facteurs» inorganiques en font aussi partie - its ne pourraient exister d'autres systemes sans eux, et it y a des interactions constantes de toutes sortes a l'interieur de chaque systeme, pas seulement entre les organismes mais entre l'organique r et l'inorganique »8. Tansley insiste sur cette relation entre la matiere organique et inorganlque, c'est Ie point principal de I'ecosysteme. Mais pour lui, cette distinction est quelque peu artificielle car «elles [la matiere organique et inorganique] se chevauchent, s'embottent et interagissent Les unes sur Les autressi, ' II conclut que les ecosysternes tendent a I'equilibre sans jamais Ie realiser completement, Tansley etablit ainsi une rupture. II abolit la frontiere existante entre Ie vivant et Ie non-vivant, remet en cause la vision relativement 6 Philips J. F. V., « Succession, development, the climax and the complex organism: An analysis of concepts », The Journal of Ecology, 22, 1934, pp. 554-571,23, 1935, pp, 210-246 et 488-508. Philips avait travaille dans Ie departernent forestier en Afrique du Sud pour lutter contre la mouche tse-tse au Tanganyika. II avait egalernent sejourne aux Blats-Unis aupres de Clements. 7 En 1928, Ie zoologue Richard Woltereck (1877-1944) parle de « systeme ecologique » pour decrire les relations qui s'etabliseent entre les populations a l'interieur d'un lac. Voir Sch.~arz A. E., «Was heisst «holistisch» in der Limnologie? », Deutsche Gesellschaft fiir Okologie Tagungsbericht 1997 (Frankfurt/M.), Krefeld 1998, pp. 724-728. 8 Tansley A. G., «The use and abuse of vetational concepts and terms », Ecology, 16, 1935, p. 299. II faut noter toutefois que la notion de systerne appliquee au milieu est deja presente chez Tansley des 1904. II I'affirma avec plus de vigueur en 1926 dans Aims and methods in the Study of Vegetation. II estimait que la comrnunaute c1imacique est un systeme en plus ou moins grand equilibre, ce systeme devant inclure aussi les facteurs inorganiques. 9 ibid., p. 300.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
stable du concept de communaute et replace I'homme dans la nature. Pour lui, que ce soit les bisons d' Amerique du Nord ou les animaux de paturages introduits par I'homme en Afrique du Sud, tous participent au me me processus de developpement contrairement a ce qu'estime Philips. Le concept d'ecosysteme integre cette nouvelle dimension bien mieux que les notions de cornmunaute, de biome, etc. Le pas que realise Tansley est fondamental, mais reste une reflexion theorique. Juday puis Lindeman, en 1940 et 1942, offrent des etudes de cas. En 1935, l'ecosysteme chez Tansley apparait comme une forme rnodernisee du concept de communaute, La thermodynamique et la cybernetique forment la deuxierne et la troisieme voies qui ont permis I'elaboratlon et la consolidation de l'ecosysterne. Elles sont Ie reflet de la mathematisation de la biologie, cornmencee dans les annees 1920 avec les travaux des mathematiciens Italiens Alfred James Lotka (1880-1949) et Vito Volterra (1860-1940) parus dans un ouvrage traduit en francais en 1935 10. En thermodynamique ce sont surtout les freres Odum qui I'ont utilisee dans leurs travaux en reprenant ces deux grands principes asavoir : ' - « La premiere loi etablit que l'energie peut se transformer d'uneforme [ ...j en une autre [.. .j mais qu'elle n'est jamais ni creee ni detruite. » - « La deuxieme loi de la thermodynamique enonce qu'aucun processus impliquant une transformation d'energie ne peut se produire sans qu'il y ail degradation de l'energie d'une forme concentree en une forme dispersee »11. La premiere loi fait expressernent reference la circulation de l'energie, Ainsi les rayonnements du soleil sont transforrnes par la photosynthese et engendrent la croissance des plantes. Modifiee de la sorte, l'energie circule dans les differents niveaux trophiques, mais fondamentalernent, elle reste mesurable. La seconde loi, plus connue sous Ie vocable d'entropie, est « une mesure du degre de degradation qui peut affecter la quantite d'energie disponible dans un systeme thermodynamique ferme »12. Ainsi lorsque l'energie est transformee, elle se degrade. Par exemple les plantes ne recuperent qu'une faible partie du rayonnement solaire, Ie reste etant restltue dans I'atmosphere. Ceci touche en fait la stabilite de l'ecosysteme (son degre de desordre, d'entropie). Lorsque la stabilite est atteinte, it fonctionne alors mecaniquernent en circuit ferme l3 . Pour peu qu'un changement intervienne alors de nouveaux rapports s'etablissent dans la circulation et la transformation de I' energie, Aux apports de la thermodynamique s'ajoutent ceux provenant de la cybernetlque, En 1948, Norbert Wiener (1894-1964), un mathernatlclen du Massachusetts Institute of Technology (MIT), redige I'ouvrage suivant: Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine. Ce livre recouvre divers domaines des mathematiques a la psychologie concernant Ie traitement de I'information. II donne corps a un nouveau champ: la cybernetique, ou « l'etude des systemes consideres sous l'angle de la
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10 Lotka A., Elements ofPhysical Biology, Baltimore: Williams & Wilkins Co., 1925; Volterra V., d' Ancona U., Les associations biologiques etudiees du point de vue mathematique, Paris: Hermann & Cie, 1935, p. 96. 11 Odum E. P., Ecologie : un lien entre les sciences naturelles et les sciences humaines, Montreal: Les editions HRW, 1976, p. 61. 12 ibid. 13 C'est la base du raisonnement en thermodynamique qui ne s'appuie que sur des circuits fermes, 236
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE commande et de la communication »14. Si la thermodynamique resulte des machines qui transforment I'energle, la cybernetique correspond a une nouvelle etape dans Ie machinisme, celie qui prolonge Ie systeme nerveux, I'age de la communication avec la radio et I'ordinateur, En ecologie, les freres Odum ont constate la lumiere de la cybernetique que les ecosystemes sont capables d'auroregulation. Face a undereglement, its ont les capacites de s'organiser pour aboutir a un nouvel equilibre ou pour revenir a une stabilite anterieure. Les freres Odum ont ainsi distingue deux types de retroaction ou feed-back: une positive lorsqu'une population s'accrott ; une negative, lorsque celle-ci decroit, Ce jeu entre ces deux retroactions est necessaire pour maintenir un equllibre (horneostasie). Ainsi dans une relation proie/predateur, les deux populations se contrebalancent toujours plus ou moins. Lorsque cette balance est rompue par I'intervention de I'hommeou autre, Ie processus d'autoregulation est enclenche afin de parvenir un nouvel equilibre, L'integration de la thermodynamique et de la cybernetique en ecologie, I'utilisation de la calorie comme unite de mesure n'ont ete possibles qu'avec I'utilisation d'appareils toujours plus sophistiques, done coiiteux necessitant un personnel forme ou bien I'integration d'un personnel initie a la physique. A Innsbruck, Alexander Cernusca, un physicien de formation, a ete associe aux travaux de Larcher en ecophysiologle, afin de mettre au point et d'assurer Ie bon fonctionnement des appareils de mesure, avant de devenir professeur d'ecologie generale. Le traitement des informations exige egalement un materiel informatique qui, d'annees en annees, arnellore ces capacites ouvrant de nouvelles perspectives de recherches. Cette exigence materielle est a mettre en relation avec les facultes economiques et technologiques du pays. Ce ne releve pas du hasard, la naissance de l'ecologie systemique aux Etats-Unis...
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Ecologie et technocratie La crise de 1929 a favorise I'essor des theories technocratiques, car les lois du marche ont montre leurs Iimites dans la regulation de l'economle. L'intervention de I'Etat s'imposait aux yeux du courant keynesien. Sous I'administration Roosevelt commence se dessiner ce que les technocrates ont appele Ie « systeme des prix» (price system). Tout est cense etre mesurable en unite energetique, aussi bien les differents materiaux que Ie travail. Cette vision organiciste est egalement porteuse d'un discours social dans lequel figurent les termes: «ajustement», «adaptation», «integration», etc., ou la collaboration enlre les uns assure la stabilite du tout, Mais il faut controler Ie processus social, Ie reguler. Le pere des freres Odum encourage ses fils dans la voie scientifique afin de developper des techniques pour realiser Ie progres social. En prenant pour fondement la thermodynamique dans l'etude des ecosystemes, E. P. et H. T. Odum ont eu pour but: « L'interpretation de tous les phenomenes concrets en termes de redistribution de matiere et d'idees »15. En outre, en reduisant la complexite, en s'en tenant aux mesures, aux transferts d'energie, les scientifiques ont sirnplifie I'etude de l'ecosysteme, Ceci dispense,
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14 Hebenstreit J., « Cybernetique », Paris: Encyclopedia Universalis, 1995, pp. 983-984. 15 Rich P. H., « The origin of ecosystems by Means of subjective selection », in L. R. Pomeroy, J. J. Alberts, (eds.), Concepts ofecosystem ecology: a comparative view, New Yorkletc.] : Springer, cop. 1988,p.22. 237
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
pour partie, de I'etude du comportement et de la f'lexibilite des especes'P, Cette convergence incite les scientifiques a intervenir non seulernent dans la gestion des espaces naturels, mais egalement dans des secteurs touchant de pres a la politique: Ie lien population/ressources. Enfin il ne faut pas rnesestimer l'Irnpact de la cybernetlque sur les intellectuels nord-arnericains et des technocrates du gouvernement dans les annees 1960. A leurs yeux, la societe forme un systerne ferme dans lequel seules les personnes situees a l'exterieur ou bien dans une position superieure ont une reelle possibilite d'action. Cette idee d'Intervention de I'lngenleur dans la regulation de la societe a pris chez H. T. Odum une autre dimension. Selon ce dernier, Ie fonctionnement de l'ecosysteme peut servir d'exemple a la marc he des societes humaines. Ainsi, en 1957, afin de demontrer la validlte de ses recherches, Odum, avec I'aide de la Fondation Rockefeller, monte un projet dans les forets pluviales de Puerto Rico. Son intention est d'etudier comment un systeme naturel mature evolue lorsqu'il dolt faire face a un apport massif d'energle. De ce travail, il espere en retirer un modele a suivre pour les etres humalns!", Les echanges entre les differents niveaux trophiques sont budgetises, L'energie se substitue a la monnaie. Toutefois Odum recuse, en 1971, cette comparaison, car « l'argent circule. l'energie ne Ie fait pas» 18. En URSS, depuis 1932, les biologistes etaient invites a devenir les ingenieurs de la societe. L'ecologie des annees 50/60 leur en donnait desormais les capacites, par une mathematisation croissante de cette discipline tant sur Ie plan de l'energie que de la dynamique des populations animales. Dorenavant l'ecologue se trouve en position de predire l'evolution des biogeocenoses dans une societe fondee sur la planification econornique. Ce faisant I'ecologie s'affiche comme la «reine des sciences» 19. Face aux perils qui menacent Ie monde (surpopulations, famines), l'ecologiste se pose en intermedlaire capable de resoudre les problernes vitaux de l'humanite. Cela passe par une etude de la nature et les besoins de I'homme. Ce point de vue est clairernent exprime en 1966, parmi les scientifiques qui participent a un colloque sur la productivite primaire qui se tient dans Ie laboratoire de zoologie de I'Ecole normale superieure. Pour Lamotte et Bourliere, l'homme preleve une part importante de la production vegetale et animale dans des biocenoses artificielles, mais s'il veut maintenir un tel rythme sans perturber I'habitat, illui faut passer par l'etude des ecosysternes : « L'Homme pourra ainsi choisir les especes ou les souches les mieux adaptees au contexte climatique et edaphique en cause, et mettre reellement le pays «en valeur» sans risques pour l'avenir»20. L'alimentation de l'homrne est au ceeur des preoccupations de Duvigneaud. La croissance demographlque fait craindre Ie pire avec la pollution, l'expansion urbaine, etc. A ce propos, il ecrit : « Dans le monde moderne, une nouvelle forme de desert prend des proportions considerables : c 'est le desert de briques, betons, ferrailles, asphalte, que constituent les villes, les centres industrlels et les voies de communication, en constante expansion. Ces surfaces steriles, peu favorables a la vie des vegetaux et animaux, rongent le saltus et l'{lg£L comme un
cancer. La surface du «sol-support» remplacant la terre nourriciere atteint deja dans le monde une surface de 500 000 kilometres cartes, so it la surface de la France »21. Ainsi I'homme moderne demande la nature de produire plus mais aussi de lui constituer un cadre de detente et Duvigneaud de conclure : « Jl est comprehensible et utile que l'ecologiste moderne se penche sur ces questions et se preoccupe d'etudler la structure, Le fonctionnement et la production des ecosystemes, bases de la resolution des nombreux problemes qui viennent d'etre evoques »22. Avec cette instrumentalisation de la recherche, avec ce postulat de la complexite, l'ecologue possede la cle pour resoudre ces enjeux et s'impose en tant qu'expert. C'est lui qui peut depelndre au mieux la nature comme Ie suggere Duvigneaud des 1962. Le PBI puis Ie MAB donnent aux scientifiques la possibilite de se faire connaitre et de populariser leurs idees, ou du mains de toucher les
16Taylor P. 1., « Technocratic Optimisrne, H. T. Odum, and Ihe parlialtransformation of ecological metaphor after World war II », Journal of the History of Biology, 21, 1988, p. 232. 17 ibid., p. 231. 18Odum E. P., Grundlagen der Okologie. J. Grundlagen, Stuttgart: Georg Thieme, 1983, p. 55. 19Weiner D. R., A Little corner of Freedom. Russian Nature Protectionfrom Stalin to Gorbatchev, Berkeley, Los Angeles, London: University of California Press, 1999, p. 356. 20 LamoUe M., Bourliere F., Problemes de productivittf biologique, Paris: Masson, 1967, p. 2.
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gouvernants,
Du Programme Biologique International
a I'Homme et la Biosphere
La diffusion de la theorie de I'ecosysteme doit beaucoup a deux programmes internationaux : Ie PBI et le MAB, elabores dans Ie cadre d'organisations internationales et appliques a l'interieur des Etats nations. lis ont ete lances a la suite du succes rencontre, en 1958, par I'annee internationale de la geophysique. Cette derniere a preuve que des actions pouvaient etre rnenees sur Ie plan scientifique au niveau de la planete, Les travaux impulses dans leur cadre ont constitue un formidable tremplin pour I'ecologie systernique en Europe. Le tableau suivant represente la premiere phase du PBI : son installation. La deuxieme se deroule de 1964 a 1967 et s'ordonne auteur de trois axes: production d'ouvrages de rnethodologie, rencontres internationales et realisation de programmes de recherches. Enfin la trolsieme et derniere phase de 1967 a: 1974 est celie du suivi des programmes. Plusieurs points sent a souligner sur la naissance et Ie deploiement de l'ecologie systemique dans Ie cadre du PBI. D'abordi elle s'est developpee autour du concept de productivite, afin d'impliquer des scientifiques provenant de divers horizons (agronomie, foresterie, limnologie, etc.), d'autant plus que Ie mot ecologic n'est pas encore bien connu du public. Ensuite son origine europeenne, l'idee provient de sclentifiques du Vieux Continent agissant a I'interieur d'une association internationale de biologistes et est prononcee officiellernent en 1961 a Amsterdam. Des comites sont fondes dans plusieurs pays pour mettre au point des projets autour d'un seul objet: « Les bases bioLogiques de La productivite et de La prosperite humaine », Le PHI englobe trois domaines: la genetlque, la demographle et I'ecologie, seule cette derniere a fini par prendre Ie dessus. Enfin, Ie role des institutions et des organisations internationales est essen tiel dans les debuts. Elles renforcent la legitimite du projet et, par leurs assises, en assurent la publicite, Ainsi a la premiere session pleniere du PBf Ie 24 juillet 1964 a Paris sur les 136 participants, trente-quatre sont des representants d'organismes internationaux comme fa FAO, I'UNESCO, I'OMS, I'U1CN, l'U1CS, etc.
21 Duvigneaud P., « La produclivite des ecosystemes terrestres », in M. LamoUe, F. Bourliere, Problemes de productivite biologique, op. cit., p. 39. 22 Duvigneaud P., La synthese ecologique, op. cit, p. 40.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS Dates Mars 59
1960
Evenements Apres la reunion d'un cornlte executif a Cambridge du CIUS, Rudolph Peters, un biochimiste anglais, Lloyd Berkner, un physicien etasunien, Giuseppe Montalenti, un geneticien et president du CIUS se reunissent Presentation du projet au cornite executif du CIUS Reunion d'un comite preparatoire
AL'ECOLOGIE SYSTEMIQUE Actions Naissance de I'idee du PBI
Le theme est: « Les bases Biologiques de la prosperite humaine » Mars Trois axes sont proposes : heredlte ]961 humaine, genetique et etudes des communautes naturelles suscepti bles de modification ou de destruction 1962 Assemblee generate du CIUS Trois aires d'action sont definies : la conservation, la genetique humaine et I'amelioration de I 'utilisation des ressources naturelles Le cornite d'organisation se rencontre Sept sections sont organisees : Mai ]962 a Morges, en Suisse, au siege de -Processus de production, I'UICN -Productivite des Cornmunautes terrestres, -Productivite des Communautes d'eau douce, -Productlvite des Comrnunautes marines, -Conservation des Cornmunautes terrestres, -Adaptabilite de I'Homme, -Utilisation et Exploitation des Ressources Biologiques. ]964 Paris, premiere Assernblee Generate Lancement du programme, dont Ie but du PBI sous l'egide de I'UNESCO est: «L'exploitation optimale, sur une base globale, des ressources biologiques dont l'humanite depend d'une facon vitale pour sa nourriture et pour beaucoup d'autres vroduits»23 Tableau28. Chronologie de la formaiion du PBI. Source: Bourliere F.; Batisse M.. 1978. Donner une dimension internationale a un tel projet, c'est rassembler des chercheurs qui pouvaient etre isoles dans leur pays, mais aussi accroitre sa validite aux yeux des pourvoyeurs de fonds dans les Etats, Le PBI a ete aussi Ie cheval de Troie d'une branche de l'ecologie dorninee par la cybernetique et construite autour de la notion d'ecosysteme, II a favorise la reconnaissance de I'ecologie comme discipline scientifique elle seule etant
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE capable de resoudre les problemes poses par I'homme a I'environnement et de concourir a une utilisation rationnelle des ressources naturelles. Dans la partie du PBI concernant les ecosysternes terrestres, Ellenberg et Ovington ont fixe trois regles dans Ie choix des surfaces a etudier : - Etre aussi naturel que possible; - N'avoir que tres peu voire pas du tout subi I'influence de I'homme ; - Contenir des espaces exploites intensivement. II s'aglt en fait d'estimer et de comparer la productivite des differents ecosysternes terrestres naturels voire transforrnes par I'homme et d'etendre ces recherches sur un maximum de points du globe. Issu de I'experience du PBI, Ie MAB est mis en route par I'UNESCO en ] 970. II poursuit Ie PBI, mais I'amende sur certains points. II doit repondre plus concretement ala gestion de I'environnement. Les espaces etudies possedent un caractere plus anthropique. Cette demande provient des ecologues sovietiques et des pays de I'Est qui ont vu, dans Ie PBI, un programme emanant des pays occidentaux. Le MAB couvre desorrnais des milieux negliges, notamment les forets tropicales, les zones arides et semi-arides ainsi que les deserts 24. L'origine du MAB remonte a l'annee ]965. A I'issu d'une reunion du Cornite consultatif de I'UNESCO pour les recherches sur les ressources naturelles, il est decide d'intensifier les etudes scientifiques des ressources de la biosphere. En novernbre 1966, a la suite de la Conference generate de I'UNESCO, il est dernande au directeur general de convoquer pour ]968: « une conference intergouvernementale d'experts dans le domaine des etudes ecologiques et de la conservation des ressources naturelles »25. 11 faut noter que ces preoccupations sont forrnulees a l'echelon international quatre ans avant la conference de Stockholm. Cette conference a lieu a Paris a I'UNESCO et s'intitule : «I'Homme et la Biosphere». Elle rassemble des representants de I'ONU, de la FAO, de I'OMS, de I'UICN et du PBI. Elle aboutita la constitution en 1969 de cinq groupes de travail comprenant des scientifiques d'une trentaine de pays qui formulent plusieurs projets. Ces derniers sont etudies en detail ~uant leur application et leur financement. En 1970, Ie programme est lance. En novernbre 1971, Ie conseil de coordination se reunit pour determiner ce qui est la fois prioritaire et realisable. Bourliere et Michel Batisse (1923) ajoutent : « Cette premiere session du conseil aurait fort bien pu s 'ajourner sans aboutir un accord d'autant plus que certaines pressions s'exercaient pour que rienne soit entrepris avant fa conference de Stockholm »26. Treize themes prioritaires sont definis :
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Effets ecologiques du developpement des activites humaines sur les ecosystemes des forets tropicales et subtropicales. Effets ecologiques des differentes pratiques darnenagement et methodes d'exploitation des sols dans les regions aforets ternperees et mediterraneennes.
24 Ces espaces ont d'ailleurs fait I'objet d'un programme dans les annees 1950 sous l'egide de
I'UNESCO.
23 Golley F. B., A historyof the ecosystem conceptin ecology. More than the sum of the parts, New Haven & London: Yale University Press, 1993, p. III. 240
25 Bourliere E, Batisse M., « Dix ans apres la Conference sur la biosphere: du concept a l'action », Nature et Ressources, 14, 1978, p. 15. 26 ibid.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE 3
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Impact des activites humaines et des methodes d'utilisation des terres a paturages : savane, prairie (des regions ternperees aux regions arides), toundra. Impact des activltes humaines sur la dynamique des ecosystemes des zones aride et semi-aride, et en particulier les effets de I'irrigation. Effets ecologiques des activites humaines sur la valeur et les ressources des lacs, marais, cours d'eau, deltas, estuaires et zones cotieres, Impact des activltes humaines sur les ecosystemes montagneux. Ecologle et utilisation rationnelle des ecosysternes insulaires. Conservation des zones naturelles et des ressources genetiques qu'elles contiennent. Evaluation ecologique des consequences de I'utilisation des pesticides et des engrais sur les ecosystemes terrestres et aquatiques. Incidences des grands travaux sur I'homme et son environnement, Aspects ecologiques de I'utilisation de l'energie dans les systemes urbains et industriels. . Consequences reciproques de l'evolutiondernographique et genetique et des transformations de I'environnement. La perception de la qualite de I'environnement.
La decision est egalement prise de creer des reserves de la biosphere afin de donner «les bases de reference ou les normes par rapport auxquelles on pourra mesurer l'ampleur de l'evolution etjuger des performances d'autres ecosystemes »27. Ces reserves doivent concerner I'ensemble des biomes de la terre et s'appliquer a des aires naturelles, uniques ou representant « des paysages harmonieux resultant de pratiques traditionnelies d'utilisation des terres» et «des exemples d'ecosystemes transformes ou degrades susceptibles d'etre restaures et ramenes des conditions plus proches de l'etat naturel »28. En 1972, ce programme est approuve par la conference des Nations Unies sur I'environnement humain. Un nouvel objectif est rajoute : celui de la conservation du materiel genetique. Enfin de 1972 a 1976, selon les pays, les projets sont alors planifies. Dans de nombreux cas, ils doivent entrer en action apres la fin du PBI ou prendre sa suite com me a Lamto qui s'insere dans Ie Programme ivoirien d'etude des savanes. En 1976, les premieres reserves de la biosphere sont reconnues. En 1992, a l'issu de la conference de Rio sur I'environnement et Ie developpement, dans Ie cadre de la 14C section du MAB, cinq priorites sont flxees : la protection de la biodiversite et des processus ecologiques, la formation, un systeme global d'observations. Si Ie MAB a succede au PBI, il en differe dans sa mise en ceuvre, Avec Ie PBI, ce sont les unlversites et les organismes de recherches qui ont precise les objectifs. Le MAB est, des sa conception, pris en charge par les gouvernements et non par des academies scientifiques. Ces grands programmes ont ainsi offert un cadre, generes des financements et encourages la recherche en ecologic.
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LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE La mise en ceuvre du PBI : les cas francais et allemands Le PBI a ete applique dans la plupart des pays de I'Europe occidentale et de l'Europe de TEst commela Tchecoslovaquie, la Pologne, I'Estonie et la RDA (Halle) par l'intermedlaire de professeurs etablis, La section sur les « cornmunautes terrestres » a ete animee par trois scientifiques : Duvigneaud, Ellenberg et Ovington. Les deux premiers ont modernise les etudes en typologie des stations. lis ont aussi I'experience de la foret equatoriale, Duvigneaud au Congo beIge et Ellenberg en Amerique latine (Peron). En outre, en 1964, lorsque se mettent en place les comites nationaux, EIIenberg ne reside plus en Allemagne mais en Suisse a Zurich, iI depend d'un centre qui dispose d'un soli de reseau de relations. C'est d'ailleurs parce qu'i1 occupe la chaire de geobotanique qu'i1 est choisi. Ellenberg raconte que Ie zoologue Giuseppe Montalenti (1904-1990) qui fait partie du cornite executif du PBI « a decide qu 'un des lleux des travaux devait se trouver en Suisse, et its vinrent mon institut »29. II est alors engage pour mettre en forme Ie projet aux cotes d'Ovington et de Duvigneaudet s'initie a I'approche systemique. En Europe, un des premiers pays a s'impliquer dans Ie PBI est la Belgique sous I'impulsion de Duvigneaud et de Galoux. C'est encore sous I 'action de Duvigneaud que Ie PBI est promu en France. II prend contact avec des scientifiques francophones et une petite delegation d'entomologistes de I'INRA se rend a Bruxelles en septembre 1963. «Nous etions [relate G. Ricou] totalement ignorants de ce qui nous attendait : un so/ide batail/on d'anglophones travail/ant depuis six mois la mise en place d'un Programme Biologique International (PBl) qui donna, par la suite, un elan considerable l'etude des ecosystemes »30. Ricou revient enthouslasmee et assure la publlcite du projet aupres de ses collegues, La contribution francalse garde un certain acadernlsme au debut. Le PBI a ete diligente par Ie ministere de la recherche qui a passe Ie relais a l'Acadernie des sciences laquelle a forme Ie cornite francais avec pour president Grasse qui a delegue ses pouvoirs a Schnell, membre de l'institutJ celul-ci a reparti les credits. Tres vite les principaux organismes de recherches se sont rnobilises : I'INRA a Rouen et Versailles (station de bioclimatologie), Ie CNRS a Glf sur Yvette, l'universite de Paris-Sud Orsay, I'ORSTOM, I'INSERM, etc. lis se sont, pa~ la suite, retrouves dans Ie MAB rejoint par Ie Mlnistere de I'environnement, la DGRST et Ie Ministere des affaires etrangeres. La France a ete particulierement active dans la mise en place de ce dernier programme et a coordonne son action avec les pays mediterraneens, En France, les recherches rnenees dans Ie cadre du PBI ne se Iimitent pas a un seul espace en raison de la multiplicite des paysages mais aussi des intervenants. Divers Iieux sont proposes: Paris (Fontainebleau), Banyuls (Iaboratoire Arago), Montpellier (CEPE), Toulouse (universite). En Afrique, des centres d'investigation sont presentes au Senegal, en Cote d'Ivoire, a Madagascar, au Congo, ... Finalement quelques endroits sont retenus en matiere d'ecosystemes terrestres : Ie Pin au Haras (Rouen) pour la prairie permanente, la foret de Fontainebleau pour la foret ternperee et Ie Rouquet pour la foret mediterraneenne de chenes verts. En Afrique, trois zones retiennent I'attention du comite : la savane sahelienne de Fete-Ole au Senegal et en Cote d'Ivoire, la foret sempervirente de la Basse Cote d'Ivoire et la savane preforestiere de Lamto.
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27 Programme sur I'homme et la biosphere (MAS) Groupe de concertation : Les criteres et les
/ignes directricesdu choix et de La constitutionde reserves de La biosphere, Rapportfinal, Paris, 2024 mai 1974, Rapport22, p. 9. 28 ibid., p. 16. 242
29 Entretien avec Ellenberg
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30 RicouG., « Hommage Paul Duvigneaud», Bulletind'ecologie, 25. 1994, p 67.
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
Ce dernier resume bien l'approche privilegiee par les scientifiques francais. Le dessein de Lamto en Cote d'Ivoire, anterieur la creation du PBI, etait mene conjointement par I'Ecole normale superieure de Paris, Ie CNRS, et l'universite d'Abidjan, afin d'etudier l'ecologie de la savane. II a ete lntegre au PBI car peu de programmes concernaient les regions tropicales et arides en dehors de la Foret pluviale de Pasoh en Malaisie etudiee par des scientifiques malais, britanniques et japonais, ainsi que la Foret de Chakia en Inde qui relevait de I'universite de Benaras. Le projet de Lamotte et de son equipe differe des projets initiaux du PBI. II est davantage biologique que physique. A Lamto, l'attention est portee sur la biologie des especes ani males. L'ecologie qui y est appliquee s'inscrit dans une tradition d'etude des populations et des cornrnunautes particulierement representee en France. La circulation de l'energie est rarnenee aux differents niveaux trophiques de I'ecosysterne. Ceci prend Ie contre-pied des recherches faites aux Etats-Unis, ainsi les etudes menees par Herbert Bormann (1924) et Gene Elden Likens (1935) dans la Foret de Hubbard Brook (New Hampshire) ont porte sur les relations entre les milieux abiotiques et biotiques, sur les relations biogeochimlques, Le MAB a genere plusieurs projets en France. En 1972, c'est la creation Montpellier avec Ie concours du CNRS d'une ecotheque (un centre d'information ecologique pour la region rnediterraneenne). Diverses etudes sont entarnees sur la foret, en Guyane sous la direction de G. Aubert, sur la Foret ternperee et mediterraneenne avec J. Parde, etc. Cette fois-ci les forestiers francais sont presents par l'INRA, mais, dans l'ensemble, Ie MAB n'a guere abouti des resultats probants sauf en Guyane. Si les scientifiques francais sont venus ce programme c'est en raison des credits qu'it offrait et non reellement de ses objectifs. Dans la seconde phase, la France n'a guere assure de travaux faute de financements suffisants selon Francesco Di Castri : « En fait il n 'y a pas eu sur le
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territoire metropolitain francais un seul grand projet interdisciplinaire d'ecologie qui puisse etre considere comme une contribution internationale au MAB »31. II est vrai que, en rnerne temps OU Ie MAB entrait en phase operationnelle, Ie Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l'Environnement (PIREN) developpait de gros projets interdisciplinaires. Que ce soit au travers du PBI ou bien du MAB, l'ecologie en France a eu du mal a « s'affermir et acquerir ses titres de noblesse en tant que science »32. Sur ce point, Di Castri a mis I'accent sur quatre difficultes : 10 Le mode de financement circulant par de multiples canaux fonctionnant parfois au coup par coup rendant impossi ble toute recherche sur Ie long terme ; 20 Le manque de cooperation entre les chercheurs ; 30 Un isolement de I'ecologie par rapport la biologie moleculaire. Ainsi en 1965, lors de la grande vague de recrutement d'universitaires dans les organismes de recherches ce sont surtout des biologistes moleculaires qui ont ete enroles avant les ecologues, et qui ont donc occupe les premiers des postes de responsabilite, De plus, ajoute Di Castri, la France est absente des grands courants representant l'ecologie mondiale notamment en matiere d'ecologie urbaine ;
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31 Di Castri F., L'ecologie, les defis d'une science en temps de crise, Paris: La Documentation francaise, 1984, p. 42. 32 Di Castri E, « L'ecologie faut-il qu'elle reste une science? », Bulletin d'ecologie, 15, 1984, p.
101.
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LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE 0
4 « Le peu d'harmonisation entre les differentes fonctions de l'ecologie : recherche, formation et enseignement, transfert et application des resultats, vulgarisation et diffusion du savoir »33. Le PBI en France a desire faire plaisir a plusieurs laboratoires et a choisi la voie de la decentralisation. En Allemagne, c'est Ie contraire. Ellenberg est reste conforme aux exigences forrnulees, entre autres par lui, en 1964, a savoir la mobilisation d'une equipe dans une station homogene comprenant differents paysages. Le choix s'est porte sur Soiling pres de Gottingen, une region de basses montagnes (400-500 m) qui comprend plusieurs types de vegetation allant de forets semi-naturelles jusqu'aux espaces cultives, Le lieu est sous Ie coup de la protection du paysage et, partir de 1973, en partie mis en reserve forestiere naturelle. Aces criteres se sont ajoutes des elements plus concrets, mais indispensables la recherche: une capacite d'hebergement suffisante, des possibilites de connexions pour les instruments electroniques qui enregistrent les donnees, une situation geographique centrale par rapport aux instituts qui collaborent avec Gottlngen (Bad
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Hersfeld, Giessen, Hanovre, Brunswick, Wurzbourg, Cologne, Munster, Hambourg et Stuttgart). L'originalite du projet de Soiling reside dans son approche paysagere, Des ses debuts, il est finance par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (Comrnunaute allemande de recherches) qui cree Ie Programme central d'ecologie experimentale en 1966. II s'est acheve en 1973. Par la suite les recherches se sont poursuivies dans une moindre ampleur. Le resultat final a ete publie en 1986. Ce projet a installe l'universite de Gottingen au
cceur des etudes en matiere d'ecosysterne en Allemagne. En ce qui concerne Ie MAB, merne si pour Ellenberg et I'equipe du Salling-Project, ce dessein « n'a pas conduit dans la plupart des pays jusqu'a aujourd'hui [en 1986J a un programme concret sur le long terme»34, a conduit a la mise en place de plusieurs projets importants qui se sont affines dans les annees 1980 sous la pression des mouvements ecologlstes. Deux reserves de la biosphere ont ete reconnues en 1979 : Stecky-Lodderitzer (Elbe moyen) et Vessertal (Vessertal-Thiiringerwald), auxquelles s'est ajoutee, en 1981, la Bayerische Wald. Dans Ie cadre du MAS, Freising a ete un des centres actifs en developpant une approche paysagiste et ecologique, sous la direction de Wolfgang Haber
(1925) et de son equipe. lis ont etudi6 l'influence de I'homme sur I 'ecosysteme montagnard dans Ie pare national et alpin de Berchtesgaden, une station pressentie pour l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver de 1980. L'etude d'impact necessaire dans Ie dossier d'organisation offre des credits a Freising et I'occasion de construire des modeles afin de predire I'evolution de l'ecosysteme, aspect neglige dans Ie projet Solling. A defaut d'obtenir les J.O., cette etude sur Berchtesgaden a servi d'exemple par la modelisation qu'elle tentait d'apporter, c'est-a-dire en s'efforcant d'integrer les capacites predictlves de I'ecologic systernique et par les techniques utili sees (Systernes d'information Geographique), Le PBI a introduit l'ecologie systernique en Allemagne sans pour autant la faire triompher. Le projet Soiling n'a pas ete reconduit ailleurs. En fait, c'est Ie phenomene du Waldsterben dans les annees 1980 qui a precipite son institutionnalisation. Plusieurs personnes qui ont participe a ce projet (Ulrich, Lange, etc.) ont ete lmpliquees dans l'etude du deperissement des forets, Le PBI a forme et fourni les cadres qui ont institue
etre candidate
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33 ibid., p. 102
J. (Hrg.), Okosystemforschung Ergebnisse des Sollingprojekts 1966-1986, Stuttgart: Ulmer, 1986, p. 20.
34 Ellenberg H., Mayer R., Schauermann
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
I'ecologie systemique, Cette « nouvelle ecologie » a pu s'Imposer, car elle s'appuyait sur des bases qui avaient ete au prealable posees par les scientifiques europeens des les annees 1930.
revue generaliste de sciences naturelles'", A cette epoque, il s'attaque a un debat qui divise les entomologistes allemands sur I'origine des gradations des insectes.Pour les uns, elles reposent sur les conditions climatiques, pour les autres sur la defaillance des parasites. Friederichs pose comme hypothese, qu'il n'y a pas un seul element predominant mais une somme de facteurs determinant les conditions de vie des insectes. Nous sommes en presence d'un systeme instable dans lequel se rencontrent des forces favorables et defavorables dont I'action maintient un equilibre relatif. Ceci se joue a I'interieur d'un ensemble appele l'holocene. II regroupe la cornmunaute vivante (Lebensgemeinschajt) et I'espace dans lequel elle evolue (Lebensraum). Friederichs lie Ie milieu biotique et abiotique et se declare pret surmonter « lafaille entre le vivant et le non-vivant »38. Friederichs est un adepte d'une conception holiste de la nature. Pour lui, les parties ne peuvent en rien renseigner sur Ie tout (Gestalt) et lorsqu'un element est isole, il perd certaines proprietes qui faussent Ie regard du scientifique sur son objet. Afin de convaincre ses lecteurs, il utilise la metaphore de la pomme : « Si on veut montrer, ce
Les concurrents epherneres de I'ecosysteme : biochore et holocene
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Des les annees 1930, les scientifiques ont ete confrontes plusieurs concepts voisins forrnules par des hommes proches des milieux forestiers : Ie Suisse Pallmann (biochore), I' Allemand Friederichs (holocene) ou Ie Sovietique Sukachev (biogeocenose). Le premier ernane d'un pedologue, Ie second, d'un entomologiste et Ie trolsierne d'un botaniste forestier impregne par la pedologic. Tous les trois ont eu des rapports etroits avec la foresterie. Pallmann a enseigne la pedologle a l'Ecole Poly technique Federale de Zurich et collabore avec Braun-Blanquet et Leibundgut, Ie professeur de sylviculture. Friederichs s'est interesse aux insectes forestiers. Enfin Sukachev a enseigne les sciences forestieres a l'universite de Leningrad pendant I'entre-deux-guerres. A cette liste, il faudrait ajouter un dernier concept, celui de Naturkomplex (Complexe naturel) formule par l'Estonien Markus, en 1925, qu'il definit ainsi : « Un complexe nature I est la totalite des
phenomenes et des choses, qui sont localisees et reliees causalement les uns avec les autres dans une certaine partie de la surface terrestre »35. Cette notion n'a pas ete adoptee, mais elle a souvent ete rnentionnee dans les discussions concernant Ie concept d'ecosysteme dans les annees 195011960. Par « biochore » (1948), Ie pedologue Pallmann designe la complexite des relations qui se nouent da'ns une station. Afin de determiner les elements propres a la station, la premiere demarche doit avoir pour objet de caracteriser la biochore naturelle, son climax, qui presente un systeme relativement equilibre et de la rendre visible par une carte au 1 : 25000°. Dans un deuxieme temps, il faut analyser fa biochore artificielle, produite par I'homme, par essence fortement desequllibree. La station doit etre, par la suite, geree Ie plus pres possible de la biochore naturelle tout en tenant compte des contraintes econornlques et sociales. Son concept possede d'ernblee une portee pratique et s'adresse aux forestiers. Toutefois, il n'a rencontre que tres peu d'echo, meme s'il etait connu de scientifiques comme Du Rietz et Schlenker. En Suisse, il a seduit, en 1954, Ie forestier Hermann Etter (1912-1997), sans succes36. Celui-ci qui ne disposait pas d'une position dominante dans Ie champ forestier suisse, travaillait pour la FAD. II etait done dans l'Impossibllite de Ie propager efficacement. De son cote, Pallmann ne I'a plus employe dans ses publications ulterieures, Friederichs est I'inventeur du concept d'holocene que Tischler tient pour identique a celui d'ecosysteme. Friederichs a travaille aux lles Samoa puis Java, done sous les tropiques, entre 1912 et· 1921 dans Ie cadre du service colonial de I'Empire. II a ete confronte la richesse entomologique de ces contrees, Revenu en Allemagne, il cree Ie premier serninaire d'entomologie l'universite de Rostock en 1927. C'est aussi l'annee ou, pour la premiere fois, il avance Ie concept d'holocene dans un article paru dans une
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35 Markus E., « Naturkomplex », Sitzungsberichte der Naturforscher-Gesellschaft bei der Universitiit Tartu, 32, 1925, p. 79. 36 Etter H., « Grundsiltzliche Betrachtungen zur Beschreibung und Kennzeichnung.der Biochore », Schweizeirsche Zeitschriftfiir Forstwesen, lOS, 1954. pp. 93-106.
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qu 'est une pomme, on la coupe en deux .. mais les parties ne sont pas la pomme, nous devons de nouveau les rassembler, si nous voulons concevoir sa nature »39. Au travers I'holocene, ce que vise Friederichs, c'est une reconnaissance de I'ecologie en tant que science de la nature. I11'affiche clairement dans Ie titre d'une publication parue en 1937 : «Okologie als Wissenschaft von der Natur oder biologische Raumforschung » (L'ecologie comme science de la nature ou la recherche spatiale biologique). II estime que cette discipline est necessaire car I'homme doit connaitre Ie jeu des forces naturelles lorsqu'il intervient sur l'environnement. Toutefois, il ne fait pas partie Integrante de la nature en raison de la technologie qu'il est capable de mettre en oeuvre. Aux travaux de Friederichs, il faut associer ceux de Thienemann qui a adopte Ie concept d'holocene, II a travaille sur Ie milieu lacustre, car « Ie lac represente un modele
d'une telle unite fermee (relativement), d'un tel microcosme .. et pour cela le chemin mene directement de la limnologie a cette conception synthetique de la nature en son entier. Et ainsi je peux alter de la limnologie a l'ecologle generale, ala theorie de l'ensemble de la nature »40. L 'unite de ce milieu est assuree par Ie cycle trophique, qu'il met en evidence en 1926 en distinguant les producteurs, I(plantes qui synthetisent les rnineraux), les consommateurs (les animaux), les saprophages ou decomposeurs qui font retourner I'etat mineral les organismes vivants. En ayant Ie lac comme objet de recherches, done sujet a I'eutrophisation, it a aborde egalement I'etude des successions, car pour lui Ja biocenose est « un systeme dynamique »41 qui possede sa propre regulation. II ajoute : «
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Cette regulation ne sert pas au maintien ou a la protection d'un seul element du systeme, mais au maintien du systeme dans son entier »42. Mais Thienemann ainsi que Friederichs
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refusent d'assimiler ce tout un organisme. A leurs yeux, la cornmunaute vivante est une somme d'organismes, ils preferent d'ailleurs Ie terme d'organisation. En 1940, Friederichs K., « Grundsatzliches tiber die Lebenseinheilen hoherer Ordnung und den okologischen Einheitsfaktor », Naturwissenschaften, IS, J927, pp. 153-157 et 182-186. 38 Friederichs K., « Okologie als Wissenchaft von der Natur oder biologische Raumforschung », Sammlung Bios. Bd 7, Leipzig. 1937, p. 156. 39 Schwedtfeger E, « Karl Friederichs 75 Jahre alt ", Forstarchiv, 24, 1953, p. 224.
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40 Thienemann A., « Der See als Lebenseinheit », Naturwissenschaften, 13, 1925, p. 187. 41 Tischler W., Ein Zeitbild vom Werdell der Okologie, op. cit., p. 265.
42 ibid.,
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DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
Thienemann en vient a presenter un nouveau concept: Ie biosysterne qui est la somme du biotope et de la blocenose, Son champ d'etudes s'etend au cosmos, c'est-a-dire au Lebensraum, qui se termine aux frontieres du systeme solaire. Le soleil est au cceur de ce systerne, car toute la vie sur terre depend de sa chaleur et de sa lumiere, qui par Ie processus de la photosynthese permet au monde vivant d'exister, d'ou, pour mieux saisir ces differents aspects, I'appel de Thienemann en faveur de la fondation d'une nouvelle discipline: I'ecologie generale, Pourquoi l'Insucces du concept d'« holocene» en Allemagne et a I'etranger ? La question rnerite d'etre posee car a la lecture de I'article de Frlederichs sur l'ecologie paru en 1937, on s'apercoit qu'il utilise souvent Ie mot systeme pour decrire la realite naturelle, s'appuyant sur la physique. Cette etude a etC publiee dans la revue Bios, ou figurent dans Ie cornlte de redaction Thienemann, Jakob v. Uexkull (1864-1944) et Bertalanffy qui fonde, en 1939, une collection en biologie theorique intitulee : Abhandlungen zur Exakten Biologie (Tralte pour une biologie exacte)43. La biologie en general et I'ecologie en particulier s'ouvrent ainsi aux methodes heritees des mathematiques et de la physique. Dans ces travaux, Bertalanffy fait reference 11 I'entropie et aux travaux de Lotka et de Volterra. Des la fin des annees 1930, en Allemagne, Ie potentiel existe pour I'affirmation d'une ecologie systemique, Ce concept d'holocene est repris par des scientifiques allemands mais egalernent l'etranger. Friederichs Ie propage aux Etats-Unis pendant son sejour en 1928, ou iI enseigne I'unlverslre du Minnesota. II propose d'ailleurs un article un journal etasunien, mais iI est refuse car juge peu comprehensible pour les lecteurs moyens44. Ce concept est utilise, en 1939, dans un article de Science redige par deux zoologistes : Warder Clyde Allee (1885-1955), de l'universite de Chicago, et T. Park. lis ecrivent que « l'environnement est holocenotique, ..., c'est une unite composee de nombreuses parts, comme une corde est faite de plusieurs fils »45. Ce terme est repris par William Dwight Billings (1910- ?), du departement de botanique de l'universite de Duke en 195246. Friederichs n'est jamais cite, mais l'emploi de ce terme ne necessite aucune definition ni note pour Ie lecteur. Au debut des annees 1950, Sjors, en Suede, reprend Ie terme d'holocene dans ses ecrits, En 1958, Friederichs presente un article dans Ecology, afin de dernarquer son concept de la notion d'ecosysteme, L'avantage de I'holocene reside, selon lui, dans son ancrage topographique contrairement a l'ecosysteme qui ne recouvre aucune
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43 Le zoologue UexkUII a forrnule en allemand Ie mot Umwelt (environnement) en 1932, qui comprend les proprietes des differentes sortes d'organismes qui se manifestent dans un espace restreint. Chaque organisme forme ainsi son milieu par son comportement et son mode de vie, qui ne sont pas forcement remarques par les autres organismes. Ce n' est pas I' environnement qui conditionne les especes mais bien l'inverse pour UexkUII. Voir Jahn I., Sucker U., «Die Herausbildung der Verhaitensbiologie », in I. Jahn (Hg.), Geschichte der Biologie, HeidelbergBerlin: Spektrum Akademischer Verlag, Gustav Fischer, 2000, pp. 581-600. 44Friederichs K., « A definition of ecology and some thoughts about basic concepts », Ecology, 39, 1958, pp. 155-159. 45Allee W. C., Park T., « Concerning ecological principles», Science, 124, 1939, p. 167. Cet article ne contenait aucune bibliographie et le nom de Friederichs n'est pas rnentionne dans Ie texte, Allee avail repris les idees de biocentrisme de Philips. Chicago etait traversee par des tensions raciales entre les noirs et les blancs. 46 Billings W. D., « The environmental complex in relation to plant growth and distribution », The Quartely Reviewof Biology, 27, 1952, pp. 251-265. 248
LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE realite spatiale bien precise47. Friederichs ne manque jamais une occasion de Ie mettre en avant, comme en 1965, lors de sa participation 11 un symposium de I'association internationale de sociologie vegetale 11 Stolzenau. Comme on peut Ie constater, I'holocene a trouve un echo en Allemagne et lorsqu'Il est rnentionne en 1965 a Stolzenau, iI n'est pas inconnu d'hommes comme Schmithiisen (biogeographe), Scarnoni ou Du Rietz. En outre, il est utilise par des chercheurs nordarnericains et suedois, pour autant iI ne s'impose ni dans ce pays, ni a l'etranger, Si, pour ce dernier espace, I'explication peut se resumer 11 la concurrence beaucoup plus vive de l'ecosysterne, en Allemagne, la question est differente. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, de nombreux biologistes comme Rernane, ont rejete les theories vitatistes et holistes exprirnees par Friederichs et Thienemann, qui avaient trouve leur plein developpernent pendant Ie regime nazi. Toutefois, Ie biologiste Kurt Jax dans une recente etude estime que ce rejet n'a pas ete aussi manifeste, puisque Thienemann et Friederichs ont garde leur position donc leurs reseaux. En outre, les scientifiques allemands ont ete trop irnpregnes de cette vision holiste et organique de la nature pour pouvoir la rejeter purement et simplemenrs'. Malgre tout, Thienemann part 11 la retraite en 1957 et est rem place par Harald Sioli (1910), un expert du fleuve Amazone, qui a passe la guerre au Bresil et Hans-Jurgen Overbeck (1923). C'est ce dernier qui a traduit I'ouvrage d'Odum en 1980, Fundamentals of ecology (Fondaments de l'ecologie). En 1958, Friederichs part son tour la retraite. On retrouve pourtant son influence dans Ie Solling-Project en 1986, ou I'action de I'homrne sur Ie milieu est consideree par Ellenberg cornrne etant un « facteur surorganique » (uberorganischer Faktor), expression empruntee a Friederichs.
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La biogeocenose dans la rivalite Est/Ouest Le concept de biogeocenose a, lui! connu plus de succes, II a ete developpe par Sukachev et iI s'est pose en concurrent au terme d'ecosysteme adopte dans les pays occidentaux. Sa genese remonte aux anqees 1930 et prend sa source dans les travaux des geographes qui ont aborde l'etude du paysage en insistant sur les relations I'Interieur d'un meme espace de differents elements (physique, biologique, etc.). II reprend d'aiIleurs la definition du paysage du geographe et ichtyologiste Leo Semenovic Berg (1876-1950), qui date de 1931 : « Un paysage geographique est la combinaison ou le regroupement d'objets et phenomenes dans lesquels les caracteristiques du relief, du climat, de l'eau, du sol, de /a couverture vegetate et de la vie animale, et aussi les activites humaines, se combinent en un tout harmonieux, typiquementreproduit dans une aire donnee d'une region »49. L'autre voie provient de la geobotanique avec l'etude des relations entre les plantes et leur environnemcnt, ce faisant, iI se refere 11 Dokuchaev et surtout Morosow. En 1942, Sukachev cree Ie terme de « geocenose » qu'i1 remplace par celui de biogeocenose en 1944. Ce concept n' est pas Ie seul forrnule a cette epoque, iI rentre a l'interieur du rnonde sovietique en concurrence avec d'autres comme ceux d'epimorphe (Abolin), de bioecos et de diatope (Nesterov), ... A partir de 1944, Sukachev multiplie lek
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47 Friederichs K., « A definition of ecology and some thoughts about basic concepts », op. cit. 48 lax K., «Holocoen and Ecosystem - On the Origin and Historical Consequences of Two Concepts», Journal of the Historyof Biology, 31, 1998, pp. 113-142. 49 Sukachev V. N., Dylis N., Fundamentals offorest Biogeocoenology, op. cit., p. 6. 249
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
articles dans diverses revues sovletlques (biologie, geographic, academique) pour Ie diffuser et profite de sa position dominante au sein du champ de la geobotanique pour imposer ses vues, facilite par les purges staliniennes dont est victime, entre autres, Abolin ... Pour Sukachev, la biogeocenose est: « Une combinaison sur une aire specifique de la surface de la terre de phenomenes naturels homogenes (atmosphere, strate minerale, vegetaux, animaux et vie microbienne, conditions du sol et de l'eau), possedant ses propres types specifiques d'interaction de ces composants et un type precis d'echange de leur matiere et de leur energie entre eux-memes et avec les autres phenomenes naturels, et representant une unite dialectique interne et contradictoire, etant en constant mouvement et developpement »50.Ce mot de biogeocenose est forme du mot grec koinos (comrnunaute) et des prefixes « bio » et « geo ». Le premier fait reference aux organismes vivants, Ie second a I'espace et a la nature inanimee, Les relations entre Ie vivant et Ie non-vivant sont rnesurees par Ie biais des echanges d'energie. Chez Sukachev, ces methodes sont heritees de la pedologic qui, depuis longtemps, s'est interessee a la circulation des elements dans Ie sol. La propagation du terme de biogeocenose s'est heurtee a plusieurs obstacles. Sur Ie plan interne, Sukachev est critique par Lyssenko qui, en 1952, lui lance: « La sylviculture des steppes n 'a pas besoin de la grande theorie scientifique de la biogeocenose »51. II est pourtant repris dans les pays de I' Est. Ainsi en Tchecoslovaquie, a partir de 1956, une premiere typologie des stations s'effectue en partie sur les travaux de I'ecole geobiocenologique d'Alois Zlatnlks (1902-1979). Sergei Wladimirovich Zonn (1906- ?), de l'institut forestier de I' Academic des sciences de I'URSS, en fait Ie cceur d'un article paru dans la revue forestiere est-allemande en 1955 52. En Occident, il s'est propage grace a la traduction de I'ouvrage de Sukachev et Dylis paru en 1968 soit a une epoque OU Ie PBI est deja bien avarice. Sukachev s'est efforce d'afficher sa difference vis-a-vis du concept d'ecosysteme, qu'Il jugeait trop vague, car une foret, un aquarium, une espece peuvent etre consideres comme un ecosysteme. Ce que souligne aussi Ovington : « Evans (1956) a suggere que, depuis qu'une unite ecotogique de n'importe quel rang peut etre regardee comme un ecosysteme, le terme peut etre interprete jusqu'a inclure la biosphere en son entier ou avoir une nature plus restreinte, pat ex. un gland (Winston, 1956) ou le sol (Auerbach, /958) »53. Pour Rabotnov, c'est la que repose la difference entre les deux concepts. Malgre tout, dans la plupart des ouvrages d'ecologie generate, les auteurs insistent souvent sur les similitudes entre les deux notions. Ainsi Odum, apres avoir defin] Ie terme d'ecosysterne dans son manuel, explique dans une parenthese que: « les concepts -Biacenase et bio~eocenose -, qui sont souvent utilises dans les pays europeens et dans La litterature russe - sont des concepts quelque
50 Ibid., p. 26. 51 Buchholz E., «Der Steppenwaldbau benotigt keine wissenschaftsartige Lehre von der Biogeozonose, Biogezonologie nach Prof. W. Sukatschew », Forstarchiv, 27, 1956, p. 229. 52 Zonn S. W., « Die biogeozonotische Methode und ihre Bedeutung fUr die Erforschung der Rolle der biologischen Faktoren in der Bodengenese unter Wald», Archiv/iir Forstwesen , 4, 1955, pp. 578-587. 53 Ovington J. D., « Quantitative ecology and the woodland ecosystem concept », Advances Ecol. Res.. London, 1,1962, p. 105. 250
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LE TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE peu equivalents it. celui de communaute et d'ecosysteme»54. Duvigneaud ecrit : « Ainsi, chaque biocenose forme, avec le substrat qui l'alimente (edaphotope) et le cLimat dans lequel elle baigne (climatope), un systeme fonctionnel ou biogeocenose (encore appele ecosysteme), qui est l'unite ecalogique par excellence »55. Plus loin, il precise qu'on ne peut pas faire de difference entre les deux au niveau du fonctionnement, mais la biogeocenose prend en compte une seule biocenose tandis que I'ecosysterne, au sens d'Odum, s'attache « it. un ensemble coherent de biocenoses »56. En la rendant pratiquement equivalent a celui d'ecosysterne, la biogeocenose perd de son originalite et ne peut se substituer a un concept deja bien implante, Cette ressemblance s'est accentuee au fiI des annees en raison d'une pratique analogue dans les methodologies employees. Ainsi lorsque Zonn parle de biogeocenose en 1955, il souligne la necessite de mesurer les differents echanges, En 1960, dans son ouvrage de pedologic, il emploie Ie terme de productivlte-". Les methodes heritees de la cybernetique sont introduites en URSS au debut des annees 1960 et appliquees a I'etude des biogeocenoses. Sur ce plan, l'ecologie sovietique suit une demarche parallele a celie developpee a I'Ouest. Le peu de succes rencontre en Europe occidentale pour Sukachev s'explique aussi par la faiblesse de ses reseaux au-dela du rideau de fer. II est cite en 1958 dans Ie Schweizerische Zeitschrift fur Forstwesen et mentionne une seule fois, en 1965, dans la Revue Forestiere Francaise. Ses publications sont ignorees des revues forestieres allemandes. Toutefois, ses theories sont relatees mais dans une chronique forestiere tenue par Buchholz dans Forstarchiv lors de son 75 e anniversaire. Dans les reunions intemationales que ce soit au congres international de botanique en 1959 ou a Stolzenau en 1965, ses partisans sont dans une position marginale. Un exemple assez probant sur ce point est celui de la Suede. En 1954, Du Rietz emploie deja Ie terme d'ecosysteme mais pas dans Ie sens d'Odum, plutot comme une nouvelle maniere de mieux decrire la complexite de la nature. II I'utilise dans d'autres articles dans une revue de botanique suedoise et dans Vegetatio. Dans cette derniere, iI ecrit : « Le marais embrasse par consequent pas seulement le systeme equilibre et combine ou ecosysteme (ecosystem de Tansley /935, 1939, Du Rietz 1954 et autres, Holocene de Friederichs 1937, Thienemann I 194/, Julin 1948 et autres, Biosysteme de Thienemann 1941, Biogeocoenose de Sukachev 1944, 1945, 1953) du monde actuel des organismes et de leur present environnement inerte, mais aussi les residus subfossiles des stades de developpement anterieur de cet ecosysteme »58. C'est en 1950 qu'il a pris connaissance du concept de biogeocenose au congres de botanique de Stockholm, mais des 1954, ille met entre parentheses... Situe hors des reseaux dominant a l'Ouest, qui proviennent des Etats-Unis, surtout absent du PBI, Ie concept de Sukachev n'avait que, peu de chance de se developper en dehors de I'URSS. Celui d'ecosysteme est arrive des Etats-Unis en Allemagne apres sa reconstruction. En France, la rnefiance vis-a-vis de I'organicisme n'a pas permis de debattre sur les notions d'holocene et de biochore. Si Ie mot de biogeocenose est repris dans les pays de I'Est affichant leur fidelite ideologlque, il est supplante dans les annees 54 Odum E. P., Grundlagen der Okologie. I. Grundlagen, op. cit., p. 6. 55 Duvigneaud P., La synthese ecologique. op. cit., p. 46. 56 ibid p. 48 57 Zonn, S. W., Der Einfluss des Waldes auf die BOden, Jena : YEB G. Fischer, 1960, p. 166. 58 Du Rietz G. E., « Die Mineralbodenwasserzeigergrenze als Grund1age einer natiirlichen Zweigliederung der nord- und mitteleuropaischen Moore », Yegetatio, 3,1954, p. 571. 251
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE 1970, sauf en URSS, par celui d'ecosysteme. Ainsi en RDA, ce terme apparait dans les titres d'articles au milieu des annees 1970 notamment dans ceux de Gerhard Stocker, directeur de recherches Ii I'institut de recherches du paysage et de la protection de la nature a I'academie d'agriculture d'Halle, et de R. Schubert, professeur et directeur en geobotanique Ii la section des sciences biologiques de l'universite Martin-Luther d'Halle 59. La presence de cette universite n'etonne guere en raison de la personnalite de Meusel, qui au sein de l'universite a recu regulierernent un homme comme EIIenberg ... En outre Halle est etrolternent impliquee dans le PBl dans Ie cadre du programme sur les ecosystemes terrestres. Enfin, cette notion d'ecosysteme est employee lorsqu'i1 s'agit de decrire les atteintes portees a I'environnement par I'homme. A Tharandt, Harald Thomasius (1929), professeur de sylviculture, en fait etat dans ses articles au debut des annees 1980 60. Ainsi, peu Ii peu en RDA, Ie terme d'ecosysterne finit par supplanter celui de biogeocenose qui n'a, iI est vral, pas connu de reel developpement dans ce pays. Le monde forestier etait prepare a recevoir Ie concept d'ecosysteme, L'etude de la productivite des forets etait au coeur des preoccupations des forestiers depuis la seconde guerre mondiale afin de repondre a une demande croissante de bois dans une economic f1orissante, «Trente glorieuses » obligent. Les concepts rivaux de celui d'ecosysterne ont surtout ete debattus en Europe centrale et scandinave. La Grande-Bretagne, la Belgique, la France et l'Europe mediterraneenne etant absentes de ces discussions. En revanche, Ie mot biogeocenose a ete davantage employe en France qu'en RFA. II est vrai que son usage avait aussi une connotation ideologlque.
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Ecologie systemique et Foresterie
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Les differents apports de la notion d'ecosysteme (productivite primaire, circulation des elements et de I'energie, vision globale de la nature, etc.) ne sont pas une decouverte pour les forestiers. lis disposent d'une tradition interne, qui a prepare I'adoption de l'ecosysteme, Ainsi la productivite a ete vue par I'etude des tables de production. La circulation des elements est au coeur d'une science comme la pedologic dont on sait son importance dans Ie developpement des sciences forestieres.
Des forestiers prepares
a l'ecologie systemique
Ce nouveau paradigme (l'ecosysteme) s'est implante en foresterie dans un terrain deja defriche, L'idee de productivite est au cceur de la foresterie et s'est traduite par la mise au point de tables de production. L'importance des racines dans I 'alimentation de I'arbre, dans sa croissance, dans leur lien entre Ie mineral et Ie biologique est devenue un theme c1assique de la foresterie depuis la fin du XIXe siecle. Enfin, I'influence de la foret sur Ie c1imat a suscite des etudes sur les differents echanges s'operant entre ces deux ensembles Les premieres etudes systematiques sur la biomasse ont ete entreprises par Ie Danois Boysen-Jensen dans les annees 1920 et publiees en allemand en 1932 1• Auparavant les analyses avaient porte sur la photosynthese, la production de matiere des vegetaux dans diverses conditions (temperature, manque de sels mineraux, etc.). Boysen-Jensen, en cherchant eclairer pourquoi les essences de lumiere produisent mains de biomasse Ii I'ombre que les essences d'ombre, en etait arrive ala formule suivante : Production nette Production brute ~ Respiration par les racines, Ie tronc, les branches et les feuilles - Perte de racines, de branches et de feuilles M~I1er, professeur de sylviculture a Copenhague, a poursuivi Ie travail de BoysenJensen et a publie, en 1945, une etude .en allemand dans la revue de la station de recherches forestieres danoise. L'usage de cette langue est delibere, A l'epoque, I' Allemagne est mise au ban des nations, mais Meller assume son choix. Pour la premiere fois un scientifique est tenu de s'expliquer sur I'emploi de la langue allemande. En dehors du fait qu'il maitrlse cette langue, iI sait que les scientifiques qui travaillent dans ce domaine sont des germanophones. Dans son travail, M~I1er s'est interesse a la production globale de I'arbre non seulement au niveau du tronc mais aussi des branches, des racines et des feuilles. Dans cet ensemble, la croissance de bois utile ne forme que Ie tiers. Au debut des annees 1950, de nouvelles publications de Meller en collaboration avec Detlev Miiller, Ie successeur de Boyen-Jensen, confirment et affinent ces resultats, Leurs travaux n'ont guere trouve de debouches dans les revues forestieres aIlemandes et francaises. Seul Ie Suisse Burger en fait une recension critique de pres de neuf pages dans la revue forestiere suisse. Toutefois, la recherche forestiere n'ignore pas ce theme que ce soit
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59 Schubert R.,
«Ausgewiihlte pflanzliche Bioindikatoren zur Erfassung okologischer Veriinderungen in terrestrischen Okosysternen durch anthropogene Beeinflussung unter besonderer Berucksichtigung industrieller Bellastungsgebiete», Hercynia N. F., 14, 1977, pp. 399-412; Stocker G., «Zur Stabilitat und Belastbarkeit von Okosysternen », Arch. Natursch. U. Landschaftsforscb... 14, 1974, pp. 231-261. 60 Thomasius H., « Produktivitiit und Stabilitiit von Waldokosystemen », Sitzungsber. Akad. Wiss. DDR. Math-Nat-Techn.; 9,1980, p. 55. 252
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Boysen-Jensen P., Die Stoffproduktionder Pflanzen, Jena: Fischer, 1932, p. 108.
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
ECOLOGIE SYSTEMIQUE ET FORESTERIE Polster (Tharandt), Huber (Munich) ou Tranquillinl a la station de recherches forestieres autrlchienne-. C'est en Grande-Bretagne, que les recherches d'Ovington sur la productivlte primaire des arbres ont debouche sur.I'ecosysteme foret, Ses premiers travaux, menes en 1957, ont consiste mesurer la production de matiere sec he du pin sylvestre de la canopee jusqu'aux raclnes'. Cette operation passe d'abord par I'abattage d'un arbre particulierement representatif', ensuite elle necessite son transport en Iaboratoire, ou chaque element est separe : branches, troncs, feuiIles, puis seches a une temperature de 80° C. Enfin iI faut quantifier les diverses parties, memes les racines qui sont, elles aussi, extraites du sol. Dans cette etude, Ovington ne se refere qu'une seule fois l'ecosysteme, Jamais iI n'emploie les notions de productlvite primaire, secondaire, de transferts d'energie, etc. II s'en tlent a I'esprit de I'ecologie systemique, En 1959, au congres international de botanique de Montreal, Ovington fait davantage reference a la notion d'ecosysteme. Elle est affichee dans Ie titre de sa communication: « The ecosystem Concept as an Aid to Forest Classification» (Le concept d'ecosysterne comme une aide dans la classification des forets), II part du constat que les arbres atteignent leur maximum de productivite lorsque Ie milieu est favorable. Mesurer cette derniere s'avere un bon indice de classification. Cette fois, iI fait clairement mention I'energie", Les mots de « biomasse », « productivites primaires » figurent egalernent dans Ie texte. En 1960, dans un article du Journal ofecology, iI montre que la photosynthese est I'element vital qui donne corps a la foret, Enfin en 1962 dans Ie premier numero de la revue britannique Advances in Ecological research, Ovington redige l'etude suivante: « Quantitative Ecology and the Woodland Ecosystem Concept» (Le concept d'ecologie quantitative et d'ecosysteme du bois). Se referant aux travaux sur l'ecosysteme, iI porte son attention « sur les relations fondamentales et les balances entre les arbres et les
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animaux, l'environnement physique du sol et du climat, et l'influence de l'homme »5. Ovington a fait Ie pas de l'etude de la biomasse a ceIle de l'ecosysteme, Ce passage, iI l'opere dans une periode ou Ie PBI est mis en place en Europe et dans Ie cadre duquel iI prend une part active. Si la notion d' ecosysteme a pu prendre sa place au travers d' etudes relevant de l'ecophysiologle et des tables de production, elle a emprunte une seconde voie dans la foresterie: la pedologie, II est significatif qu'un homme comme Ulrich, pedologue de formation, impllque en tant que forestier dans Ie Projet SoIling se soit engage dans la promotion de la foret concue comme un ecosysteme. Les fondements de ses conceptions scientifiques reposaient sur les travaux de Wittich, qui avait travaille sur la circulation des elements notamment de I 'azote, sur les relations entre les racines et les substances nutritives du sol. A Munich, la voie systernique a ete representee par Karl Eugen Rehfuess
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
(1933), I'heritier d'un autre pedologue, WiIli Laatsch (1905-1997) qui avait avance, en 1938, que « Ie soln'etait pas un substrat calme mais bien un systeme rempli de vie »6. Dernier domaine propice : la microclimatologie. Les travaux en climatologie avaient fini par gommer Ies effets locaux de la vegetation, du sol sur Ie climat, questions irnportantes pour les forestiers et les agronomes. Cette question fut reprise durant I'entredeux-guerres par Burger, Ie directeur de la station de recherche federate suisse, et par Geiger, professeur de meteorologie, directeur de I'institut meteorologique et de la station de recherche forestiere de Munich. Des eludes furent menees au sujet du bilan hydrique de la foret, de la quantile d'eau recue par les feuilles et Ie sol, du bilan thermique. Toutefois, en 1950, ces travaux franchissent une nouvelle etape, En effet, cette annee-Ia Geiger installe a Hofoldinger, dans une jeune foret d'epicea, des appareils afin de mesurer Ie bilan energetique de la foret. Ce travail est effectue en coIlaboration avec Albert Baumgartner (1919). Ce dernier, entre 1951 et 1953, cherche a calculer la quantite d'energie recue et disposee par une foret dans une journee, en d'autres terrnes, iI tente de fixer son budget therrnique et comment cette energie est redistribuee dans la foret? II demontre que sur 24 heures, Ie peuplement recoit 644 cal.rem', 205 sont perdus dans I'atrnosphere, 391 disperses pour I'evaporation de I'eau par la transpiration des piantes, I3 atterrissent dans Ie sol et 22 dans Ie peuplement (photosynthese), Cette elude est empreinte de thermodynamique, qui dans la physique meteorologique des annees 1950 opere une percee sous I'impulsion du meteorologue Fritz Albrecht (1896- ?)8. Dans Ie me me temps, Geiger parraine un autre travail, paru en 1955, sur I'estimation de la teneur en energie et en eau (rosee) du sol et des couches proches du sol", Ainsi que ce soit par la physiologie, par la pedologie ou encore par la climatologie, Ie monde forestier etait, en partie, prepare a recevoir Ie concept d'ecosysteme,
Foret et ecosysteme : les cas francais et allemand Si les forestiers etaient prets a accueilllr la notion d'ecosysteme, i1s devaient encore franchir Ie pas. En Belgique, la collaboration avec Duvigneaud de I'ULB et Galoux de l'lnstitut agronomique de Gembloux a facilite Ie travail. En revanche en France et en Allemagne, Ie processus a ete beaucoup plus long. II faut attendre la periode du Waldsterben dans les annees 1980 pour que ce concept fasse partie du vocabulaire courant chez les scientifiques travaillant sur la foret, modifiant du merne coup Ie regard porte sur la foret,
6 Laatsch W., Dynamik der deutschen Acker- und Waldboden, Dresden und Leipzig: Theodor Steinkopff, 1944, p. V. 2 Polster H., Die physiologischen Grundlagen der Stofferzeugung im Walde. Untersuchungen tiber Assimilation, Respiration und Transpiration unserer Hauptholzarten, Mtinchen: Bayerischer Landwirtschaftsverlag, 1950, p. 96. Polster a ete aussi un eleve de Huber. 3 Ovington 1. D., « Dry matter production by pinus sylveslris L. ", Ann. Bot., 21, 1957, pp. 287-314. 4 Ovington J. D., « The ecosystem Concept as an Aid to Forest Classification », Silva Fennica, 102, 1959, p. 74. 5 Ovington 1. D., « Quantitative Ecology and the Woodland Ecosystem Concept», Advances Ecol. Res., London, 1, 1962, p. 143. 254
7 Baumgartner A., « Unlersuchungen tiber den Warrne- und Wasserhaushalt eines jungen Waldes »,
Ber. Dtsch. Wetterdienstes, n° 28, 5, 1956, pp. I-53. L'idee de savoir comment l'energie recue du soleil se diffusait, se partageait, etait un objectif de recherches au debut des annees 1940. 8 Albrecht F., « Untersuchungen tiber den Warrnehaushalt der Erdatrnosphare und seine thermodynarnische Bedeutung », Ber. Dtsch. Wetterdienstes in der US-Zone, n° 17,5, 1950, pp. 170,
9 Hofman G., « Die Thermodynamik del' Taubildung », Ber. Dtsch. Wetterdienstes, n° 18,3, 1955, pp. 1-45.
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ECOLOGIE SYSTEMIQUE ET FORESTERIE
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
La Foret a integre les programmes de recherches lies a la nouvelle ecologic et a fait l'objet d'investigation de la part des freres Odum en 1957 dans les forets de Puerto Rico. En effet, I'espace forestier est le systeme le plus productif (pour les forets pluviales) avec celui des estuaires et Ie plus perfectionne (mais aussi Ie plus cornplexe a modeliser). En outre, il offre I'avantage aux scientifiques de pouvoir aborder Ie fonctionnement d'un ecosysteme en evacuant Ie facteur evolutif rencontre dans l'etude des lacs, qui tendent I'eutrophisation, ou de certaines prairies menacees par la conquete forestiere, En 1969, un colloque est organise a Bruxelles par Duvigneaud, so us l'egide de I'UNESCO, avec comme theme: la «Productivite des Ecosysternes Forestiers», OU, sur les 81 laboratoires presents, seul un tiers dependent de centres forestiers. L'ecosysterne Foret (son organisation, son fonctionnement) est analyse par des scientifiques qui ne relevent plus obligatoirement de la foresterie. En France, la Foret de Fontainebleau a ete integree dans Ie PBI sous la direction de Lemee, professeur it Orsay, aide par quatre autres laboratoires : - La station de Sylviculture et de Production du Departernent des recherches forestieres de I'INRA-Champenoux (Jean Bouchon) ; - Le laboratoire des Petits Vertebres du Centre national de recherches zoologiques INRA, Jouy-en-Josas (Francois Spitz) ; - Le laboratoire de la Faune du Sol, INRA-Dijon (Marcel Bouche); - La station de Zoologie et Biocoenotique forestiere, INRA- Versailles (Jorge Paulo Cancela da Fonseca). Les forestiers sont representes par I'INRA, qui est un laboratoire parmi d'autres, et la direction du projet echoue dans les mains d'un botaniste : Lernee. La Foret de chenes verts de Rouquet situee dans Ie milieu rnediterraneen est prise en main par Ie CEPE de Montpellier. L'objet Foret echappe aux forestiers francais ... Si les forestiers francais ne participent pas activement au PBI, cela ne signifie pas qu'ils ignorent les travaux effectues sur les ecosysternes forestiers. Jacamon de I'ENGREF a ainsi envoye plusieurs etudiants se former aupres de Lemee Orsay. La tendance qui se dessine depuis plusieurs annees est bien l'Integration progressive des forestiers dans un champ homogene ou la distinction entre forestiers et non-forestiers finit par perdre de sa pertinence. L'lntegration de la recherche it I'INRA, I'insertion dans Ie laboratoire de scientifiques de formation non-forestiere, Ie fait que de plus en plus de nonforestiers etudlent la foret, facilitent I'assimilation de la nouvelle ecologie. En 1968, lors de la parution de I'ouvrage sur les problernes de productivite biologique dirige par Lamotte et Bourliere, un compte rendu d'une page est assure dans la Revue Forestiere Fran~aiselO. Enfin les travaux de Duvigneaud sont regulierement recenses dans fa Revue
primaire, production utile: methodes d'evaluation, indices de productivite », Enfin Joanny Guillard distingue les roles: « Le chercheur universitaire apportera peut-etre des vues sur
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Forestiere Francoise.
En 1972, lors d'une reunion, deja mentionnee, sur la typologie des stations a Champenoux, Ie mot « ecosysteme » est employe. Bonneau et Timbal de la station de recherches sur les sols forestiers (Champenoux) situent la notion de station par rapport it celie d'ecosysterne : « La notion d'ecosysteme est dynamique et energetique, celle de station est statique et ecologtque »11. Noel Decourt de la station de sylviculture et de production (Champenoux) fait une communication au titre eloquent: «Production
10 Cet ouvrage comprenait les communications d'un colloque organise 11 l'Ecole normale superieure, II Bonneau M., Timbal 1., « Definition et cartographie des stations », op. cit., p. 203. 256
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l'energetique des ecosystemes d'un certain niveau, le chercheur forestier devra en tirer les consequences en matiere de biomasse, Ie forestier gestionnaire parlera en tonnes de matiere seche ou encore en metres cube de bois »12. A chacun son domaine ... Pourtant, si la conception ecosystemique de la Foret prend place parmi les chercheurs, les etudes de cas menees par les forestiers restent exceptionnelles. En 1977, Jacques Ranger, de la station de Recherches sur les sols forestiers et la Fertilisation publie un article dans les Annales des Sciences Forestieres qu'iI debute par ces mots: « Les etudes
de biomasse forestiere, jlorissantes en Belgique wallonne, sont rares en France. Nous avons profite d'une recherche sur lafertilisation d'une plantation de Pin Laricio de Corse roo.J pour en mener une a son terme »13. En fait, Ranger profite d'un projet de recherches pour en faire un autre en parallele.i. La meme annee, Parde lance un appel en faveur des etudes sur la biomasse. II pense que Ie contexte de crise economlque peut favoriser une prise de conscience au niveau de I'utilisation, par exemple, des souches, de certaines racines pour accroitre la production en bois. Parde rappelle aussi les travaux de Duvigneaud. Ceci reste vain. En 1981 paraissent dans les Annales des Sciences Forestieres deux etudes sur les biomasses dans les Ardennes primaires forestieres francaisesl'', Le lieu n'est pas innocent, iI se rapproche des Ardennes belges ou des etudes sur Ie merne sujet ont ete faites par Paule Kestemontl>, D'un autre cote, Montpellier, ce sont Paul Lossaint (1926) et Rapp du CEPE qui precedent a de tels travaux mais dans Ie cadre du PBI. Ce peu d'Interet pour la production primaire de la part des forestiers francais tient au caractere theorique des travaux de Duvigneaud qui ne sont pas ignores, mais comme ils n'ont pas une portee pratique dans I'Immediat, ils ne font pas I'objet d'etudes speclfiques et Jacamon d'ajouter : « Tel individu qui ici travaillait ou enseignait
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de l'ecologie est amene en meme temps a s'occuper de dendrologie, a s'occuper de floristique, etc., de pathologie quelquefois et done une certaine dispersion »16 ...
En Allemagne, la situation est plus ouverte, La theorie ecosystemlque penetre sur un terrain qui a ete, en partie, prepare avantla guerre. Deja en 1941, I'inspecteur forestier Max Seeholzer (1866-1947) voit dans la/foret un holocene et la decrit comme une «
relation de structures» tBetiehungsgefuge), « un systeme qui n'est pas statique mais
Guillard 1., « Une reflexion d'ensemble sur Ie colloque », Annates des Sciences Forestieres, 1973, p. 373. 13 Ranger J., « Recherches sur les biomasses cornparees de deux plantations de Pin de Corse avec ou sans fertilisation », Annatesdes Sciences Forestieres, 1977, p. 93. 14 Nys c., « Modifications des caracteristiques physico-chimiques d'un sol bTUn acide des Ardennes primaires par 1a monocu1ture d'Epicea commun », Annales des Sciences Forestieres, 1981, 38, pp. 237-258 ; Ranger D., Nys C., Ranger J., «1. Biomasse aerienne du taillis sous futaie. Etude comparative de deux ecosystemes forestiers feuillus et resineux des Ardennes primaires I francaises », Annales des Sciences Forestieres, 38, 1981 ; « II. Biomasse aerienne d'une plantation equienne d'epicea commun (Picea abies Karst.), Etude comparative de deux ecosystemes forestiers feuillus et resineux des Ardennes primaires francaises », ibid. 15 Kestemont P., Biamasse, necromasse et productivite aeriennes ligneuses de quelques peuplements forestiers en Belgique, These Universite Libre de Bruxelles, Fac. Des sciences, 1975. 16 Entretien avec Jacamon, Nancy, 24octobre 1989. 257 12
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ECOLOGIE SYSTEMIQUE Ef FORESTERIE dynamique »17. E. Wohlfarth fait mention que, en biologie, l'ldee de totalite est entree en force et cite pour cela Bertalanffyl''. Pour Seeholzer, Ie tout est beaucoup plus que la somme de ces composants. II possede ses propres lois, sa dynamique et il est capable d'autoregulation (Selbsterhaltung). Cetarticle dernontre que la circulation de l'information s'effectue aisement entre Ie champ forestier et non-forestier. La distance entre ces deux champs a ete pratiquement abolie a partir des annees 1930 dans des domaines comme la pedologic et la microclimatologie, dans lesquelles les forestiers sont a la pointe. Enfin, par rapport a la France, Ie champ scientifique allemand est mieux integre dans les reseaux internationaux a I'aube des annees 1960. C'est ainsi que, en mai 1960; se tient a Hohenheim un symposium ecologlque international sur la productivite de la vegetation en hommage a Boysen-Jensen, mort quelques mois auparavant. II est organise par Lieth qui vient d'achever son doctorat a Stuttgart-Hohenheirn aupres de Waller. Des forestiers y participent comme Tranquillini et Aichinger (Autriche), Schlenker (Allemagne). Com me pour Duvigneaud en France, les forestiers allemands sont regulierement lnformes des travaux d'Ellenberg dans les revues forestieres, Ellenberg est deja connu par ses etudes, par la facon dont iI a considere les associations vegetales, pour ses travaux en Suisse en typologie des stations depuis 1958. D'autre part, Ie choix de Gottingen ou existe un centre de formation forestiere et surtout l'Integration d'Ulrich dans l'equipe du PBI, ont favorise la diffusion dans Ie champ forestier de la nouvelle ecologic. Au debut des annees 1970, les premiers ecrits cornprenant Ie mot Waldokosystem (ecosysterne foret) apparaissent dans les titres, (1972 pour Ulrich), mais comme pour la sociologie vegetale dans I'entre-deux-guerres, ce mot qui renferme une conception de la Foret n'est pas cornpletement asslmllel". Les auteurs qui en usent doivent consacrer plusieurs paragraphes pour eclairer la notion d'ecosystemej''. En 1981, dans Forstarchiv, Ulrich doit destiner I'introduction de son article lntitule, « Zur Stabilitat von Waldokosysternen » (Vers une stabilite de I'ecosysteme foret), a definir I'ecosysteme. Alnsi, au debut des annees 1980, ce concept est connu, mais pas dans son epaisseur. Aux yeux des forestiers, iI releve de la recherche fondamentale, il n'a pas trouve d'application, cependant les notions ne leur sont pas inconnues.
Waldsterben et ecosysterne Dans les annees 1980, un theme a occupe la scene mediatique et scientifique allemande, iI s'agit du Waldsterben ou deperissernent des forets. Tres vite, iI a de borde du cadre national pour trouver un echo en Autriche, en Suisse, dans les pays du Benelux, en Scandinavie et en France. En une decennie, Ie Waldsterben est passe d'un simple debat
17 Seeholzer M., « Yom Begriff des Waldes », Mitteilungen der Herman-Goring-Akademie der
Deutschen Forstwissenschaft, I, 1941, pp. 202. 18 Wohlfarth E., « Die Auffassung des Waldes als organische Ganzheit », Forstarchiv, 25, 1955, p.
271. 19 Ulrich B., « Chemische Wechselwirkungen zwischen Wald-Okosysternen und ihrer Umwelt », Forstarchiv, 43, 1972, pp. 41-43. 20 Rehfuess K. E., « Belastungen von Waldokosystemen - Moglichkeiten der Vorbeugung und Abwehr », Forstwissenschaftliches Centralblatt, 93, 1974. 258
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
scientifique a un probleme de societe pour retomber en dehors des preoccupations du public mais restant un centre d'Interet pour les scientifiques me me si la problernatique de base a change 21. De 1976 a 1982, d'une simple hypothese scientifique, Ie Waldsterben emerge comme un phenornene de societe. A la suite de la secheresse de 1976, des symptomes de deperlssements se sont manifestes parmi les sapins en Foret-Noire caracterlses par un jaunissement des feuilles et la formation de couronnes en nid de cigogne. Le mot de Tannensterben ou « deperissement du sapin » reapparait. II a ere deja employe dans les annees 1920 pour decrire un problerne identique, mais n'a pas ete eclaire. En 1927, Wiedemann a etudie cette question et ecarte la pollution atmospherique comme facteur premier. Les effets de cette derniere s'inscrivent, a ses yeux, dans un espace bien delirnite autour des Iieux d'emanation et ses effets ne depassent pas la dizaine de kilometres. Pour lui, Ie deperlssernent du sapin doit etre attribue aux methodes sylvicoles ou bien a l'implantation de cette essence en dehors de son aire naturelle. Pour expliquer a nouveau cette manifestation, dans les annees 1970, les experts forestiers du Bade-Wurtemberg et de la Baviere parlent de mecanisme complexe et formulent comme causes possibles les problemes d'eau, les carences en matiere nutritives, ... La pollution de I'air est bien rnentionnee mais en tant que facteur aggravant. En 1981, la revue Forstwissenschaftliches Centralblatt produit un numero special sur Ie theme du Tannensterben. Parmi les articles, figure celui d'Ulrich, pedologue a la faculte des sciences forestieres de Gottingen, intitule : « Eine okosystemare Hypothese tiber die Ursachen des Tannensterbens » (Une hypothese ecosystemique sur les origines du deperlssernent du sapin)22. Ulrich, s'inspirant des travaux de Wiedemann, pose la question suivante : Quel nouveau facteur est apparu depuis 1842, date des premiers symptornes significatifs du Tannensterben, pour expliquer ce deperissement ? Reponse : la pollution atrnospherique, liee a la revolution industrielle. Pour etayer son argumentation, iI s'appuie sur deux elements qui dernontrent l'anciennete du phenomene : d'une part les travaux de scientifiques allemands qui se sont deja peaches sur Ie problerne du Tannensterben comme Neger - professeur de botanique a l'acadernle forestiere de Tharandt - en 1906/08 et Wiedemann, en 1927; d'autre part sur la dendrochronologie, qui laisse apparaitre une perle de productivite des la fin du XIXe et Ie debut du XXe siecles et, a partir de 1950, ce deperissernent comcide avec la courbe de croissance de I'appareil productif allemand.
21 11 existe desorrnais plusieurs analyses sur ce phenomene : Dupuy M., « Des « Rauchschaden » (dommages par les furnees) au « Waldsterben » (deperissement des forets) en Allemagne de 1880 a nos jours: Hypotheses, certitudes et doutes », Allemagne d'aujourd'hui, 150, 1999, pp. 85-105 ; Ell R., Luhmann H.-J., « Von den Schwierigkeiten der Entdeckung des Waldsterbens in Deutschland. Man sieht nur, was man versteht oder: Schaden ohne Ursache und Ursachen ohne Schaden », Forstarchiv, 67, 1996, pp. 103-107; Holzberger R., Das sogenannte «Waldslerben». Zur Karriere eines Klischees: Das Thema Wald im journalistischen Diskurs, Bergatreute : Eppe, 1995, p. 335 ; Kandler 0., «Pollution de I'air et declin des forets: refutation de la theorie du «Waldsterben» », Unasylva, 44, 1993, pp. 39-49; Thomas J., Die "Neuartigen Waldschiiden" lind die "Klimakalastrophe". Eine Fallstudie uber Struktur und Funktion der Umweltforschung, FrankfurtlM, : Wissenschafts-Verlag Dr. Wigbert Maraun, 1992, p. 237. 22 Ulrich 8., « Eine okosysternare Hypothese tiber die Ursachen des Tannensterben (Abies alba Mill.) », Forstwissenschaftliches Centralblatt, 100, 1981, pp. 228-236. 259
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ECOLOGIE SYSTEMIQUE ET FORESTERIE
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS A L'ECOLOGIE SYSTEMIQUE
Ulrich traduit en termes systernlques un problerne forestier. II faut insister sur ce point. II a ete etrolternent associe au Salling-Project dans Ie cadre du PHI. Concevoir la nature comme un systerne arnene a relier tous les elements les uns avec les autres et a s'lnteresser it leur circulation. Ainsi agir sur I'un d'eux, c'est provoquer des reactions en chaine sur I'ensemble du systerne, Par consequent, I'introduction d'agents polluants conduit a deregler la totalite de l'ecosysteme foret, D'ailleurs Ulrich ecrit : « us membres separes d'un ecosysteme forestler sont si etroitement relies Les uns avec Les autres et ordonnances les uns sur les autres, que l'on ne peut pas en changer ou en degrader un, sans influer sur les autres »23. L'incorporation de la pensee systemique rend beaucoup plus fragileIa nature. Toute intervention de I'homme perturbant son systeme doit trouver un nouvel equilibre. La notion d'ecosysteme permet certes de decrire la nature, mais elle ouvre egalement la voie a la prediction. II devient desormais possible de produire des rnodeles au meme titre que la physique et les sciences economlques. Le scientifique se transforme en un expert capable de predire les consequences de telle intervention humaine sur la nature, en I'occurrence ici la foret, Sur ce point, les' presages sont alarmistes. Ulrich accompagne sa vision systemique de la nature d'une idee popperienne de la science. Plusieurs de ses articles sont completes par une reflex ion philosophique reprenant I'argumentation du philosophe des sciences Karl Popper (1902-1994). Ainsi dans un ouvrage collectif paru en 1983, iI redige l'etude suivante : « 1m Boden lauert der Tod »(Dans Ie sol, la mort attend). Dans son avant-propos, iI donne les trois etapes de l'elaboration d'une connaissance objective: - La premiere consiste a formuler l'expresslon de I'actuel savoir reposant sur des observations mesurees en une hypothese; - La seconde dolt tendre a la falsification de l'hypothese, a sa refutation; - La troisieme conduit a sa reconnaissance, si elle n'a pas ete falsifiee. L'hypothese d'Ulrich a ete reprise par la plupart des forestiers. En 1983, Klaus Thiele, du parc naturel de la foret bavaroise, declare: «Toutes les hypotheses se rejoignent, elLes acceptent la pollution de l'air comme La cause La plus importante quant a la mort des forets. Pas un universitalre de rang n 'estime que, pour les destructions de forets sur de grandes surfaces, it puisse etre trouve, par principe, une autre explication »24. Nous sommes passes du Tannensterben au Waldsterben. Toutefois les scientifiques divergent sur Ie processus. Pour Ulrich, Ie deperissernent commence par Ie sol, provoquant un desequilibre dans I'alimentation des arbres et introduisant un element d'instabilite dans I'ecosysteme. L'agent polluant essentiel est bien Ie dioxyde de soufre pravenant des centrales thermiques et des gaz d'echappement. En revanche, Ie responsable des questions de protection de la nature et des soins du paysage dans I'administration forestiere du Land de Hesse, Karl-Friedrich Wentzel (1918), y voit une depression physiologique provoquee par I'accumulation sur de longues annees d'agents polluants. Heinrich Stratmann (1923), un chimiste qui exerce dans la Ruhr a la station regionale de recherches contre les immissions depuis de debut des annees 1950, insiste sur I'ozone. Malgre tout, les scientifiques s'accordent tres vite sur la notion de WaLdsterben, car iI
s'agit de se demarquer des pollutions classiques (kLassischen Rauchschdden) aux effets limltes localement. Ce debar, entre scientifiques, est reiaye mais aussi alimente par Ie relais mediatique. Le Spiegel reprend les hypotheses formulees, des novembre 1981, dans une serie de trois articles, il parle de la mort lente de la foret par les pluies acides 25. Ces articles paraissent a un moment symbolique, la periode de Noel, ou Ie sapin est roi. Le Stern embraye sur ce theme porteur ainsi que les quotidiens dont Ie Siiddeutsche Zeitung, Ie grand journal du sud de I'AlIemagne, qui y fait regulierernent reference de mars 1982 a mars 1983, c'est-adire jusqu'aux elections legislatives. Les medias alarment I'opinion publique en amplifiant les propos de scientifiques comme ceux de Peter Schutt (1926), professeur de botanique et de pathologie forestiere a I'universite de Munich, qui, en 198/, a propos des sapins declare dans Ie SpiegeL qu'« it ne reste pLus que Les yeux pour pLeurer », qu'on va vers « la pLus grande catastrophe environnementale de l'hlstoire »26. Ulrich estime que dans les cinq prochaines annees, les premieres grandes forets vont disparaltre, qu' il n'y a faire 27. De nombreux ouvrages et articles aux titres sans appel attisent plus rien I'opinion: Die sterbenden Walder. Fakten, Ursachen, Gegenmafinahmen (Les forets mourantes. Faits, causes, contre-mesures) ; Das gelbe Gift. Todesursache : Saurer Regen (Le poison jaune. Origines mortelles : les pluies acides) ; Der WaLd stirbt an Stref) (La foret meurt de stress)28. Relais rnediatique et scientifique finissent par aboutir au politique. En septembre 1983, Ie gouvernement federal instaure Ie programme Rettet den Wald (Sauvez la foret) qui, tous les ans, s'engage a produire un rapport sur l'etat de la foret, Des mesures sont prises, dont I'obligation d'equlper d'un pot catalytique les automobiles en Allemagne. Les centrales thermiques sont pourvues de filtres efficaces contre Ie S02' Ainsi, la question du Waldsterben recouvre deux niveaux: I'un sur les perturbations existant a 1'interieur des ecosystemes forestiers et I'autre technico-industriel puisque des normes europeennes sont adoptees, Le Waldsterben s'appuie sur la pollution atmospherique qui, par principe, ne connait pas de frontieres. Les pays voisins de l'Allemagne disposant d'une industrie et d'un fort pare automobile sont tres vite concernes, Ct, sont d'abord les pays ou regions ou la langue allemande est comprise qui portent un vif interet a cette question: I'Autriche, la Suisse alemanique, l'Alsace et I'Hertogenwald (Belgique), grace surtout aux medias. En France, c'est a partir de 1983 que les choses evoluent au niveau du gouvemement et, en 1985, un Programme de recherche sur Ie Deperlssernent des Forets attribue a la Pollution Atmospherique (DEFORPA) est lance. En Europe de I'Est et en RDA en particulier, les scientifiques sont invites a rejeter par les autorites politiques l'idee de WaLdsterben, qualifiee d'« invention journalistique ». Les atteintes portees a I'environnement par I'industrie est-allemande, tcheque et polonaise sont trap visibles, il faut masquer la realite. La pollution n'est pas niee, mais elle est consideree comme purement locale et, a terrne, pouvant etre resolue par des mesures relevant de la foresterie (plantations d'essences
23 Ulrich B., « 1m Boden lauert der Tod », in D. Guratzsch, Baumlos ill die Zukunft, MUnchen :
Kindler, 1984, p. 157. 24 Thiele K., « Yom Himmel durch den Baum zur Holle », ill D. Guratzsch, .Baumlos in die Zukunft ?, op. cit., p. 155. 260
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25 DerSpiegel, « Das StilleSterben - Siiuregen zerstort den deutschen Wald », 1981, Nr. 47-49. 26Schlitt P.. Der Spiegel, 1981, Nr. 47, p. 96. 27Ulrich B., Der Spiegel. 1981, Nr. 47, p. 99. 28 Bosch C; Die sterbenden Wiilder. Fakten, Ursachen, Gengemaflnahmen, MUnchen : C. H. Beck, 1983, p. 159; Bolsche G., Das gelbe Gift. Todesursache : Saurer Regen, Reinbeck bei Hamburg: Rowohlt-Taschenbuch-Verlag, 1984, p. 315 ; Schutt P., Der Wald stirbt an Strefl, Mtinchen: C. Berte1smann, 1984, p. 260. 261
DE LA TYPOLOGIE DES STATIONS
ECOLOGIE SYSTEMIQUE ET FORESTERIE adaptees, usage d'engrais, etc ... ). Ce n'est qu'a partir de 1988 que les responsables politiques de la RDA revisent leur position et reconnaissent que la pollution constatee n'a plus rien voir, dans la plupart des cas, avec les emanations classiques qui touchent Ie voisinage des entreprises. Si l'hypothese du deperissernent semble avoir conquis des Ie debut la plupart des scientifiques se consacrant a la foret, tous ne partagent pas Ie merne avis, mais, dans un premier temps, Ie doute ne trouve guere de place aussi bien dans les colonnes des journaux que parmi les scientifiques. Ce n'est qu'a partir de 1987 que I'attrait retombe peu peu. Des ingenieurs forestiers suisses s'interrogent sur les methodes et les motivations des scientifiques vis-a-vis du Waldsterben. Sans nier Ie phenornene, ils essaient de recentrer les de bats sur I'usage des techniques sylvicoles, etc. Duvigneaud, en Belgique, s'appuyant sur des auteurs scandinaves, juge que I'acidification provoquee par les pluies acides s'ajoute celie qui est anterieure liee au changernent d'utilisation des sols, la deprise agricole, l'enresinernent (epiceas), ... En France, Ie scepticisme regne parmi les scientifiques qui estiment que leurs' homologues d'Outre-Rhin sont trap influences par les mouvements ecologistes quoique ces derniers s'en soient toujours defendus. Des journalistes et des hommes politiques en Allemagne se demandent pourquoi on ne sait pas encore clairement I'origine du deperissement apres plusieurs annees de recherches et de financements. A ceci les scientifiques repondent qu'ils ont besoin de temps. Desorrnais, a partir de 1987/88, ils ne parlent plus de Waldsterben, devenu trop populaire, mais de neuartige Waldschiiden (Degats des forets inedits). Les scientifiques apportent une distinction. Ceci denote surtout une incertitude quant a I'origine exacte du phenornene, Cela se traduit par la formulation d'une nouvelle serie d'hypotheses : unexces d'ozone, un manque de matleres nutritives, un stress provoquant des perturbations dans les echanges de matieres dans les organes des feuilles, la radioactivite ernanant des essais nucleaires et les ondes electromagnetiques provenant entre autres de radars, etc. Aucunes ne I'emportent vraiment, merne si elles privilegient la cause anthropique, Le doute s'insinue d'autant plus qu'une serie de faits viennent contrecarrer les affirmations des annees 1980. Contre toute attente les resineux se redressent contrairement aux feuillus pourtant moins exposes. Les emanations de soufre diminuent grace la mise en place de precedes plus efficaces en desulfuration des gaz de cherninees a partir de 1983, aux changements de combustibles (gaz et nucleaire), Enfin, une etude dirigee par I'European Forest Institute (EFI) demontre que la foret a progresse en volume dans la seconde moitie du XXe siecle, Les raisons evoquees tiennent une meilleure gestion sylvicole des massifs, mais aussi a la pollution qui, parfois, est fertilisante. L'effet de serre semble jouer egalement car I'augmentation de gaz carbonique faciliterait la croissance des arbres/". Des etudes comparatives sont faites a partir de photographies extraites d'alburns, de cartes postales ou de revues forestieres, entre des peuplements identiques. Certains presentaient, avant 1925, les memes taux de defoliation que dans les annees 1980, mais n'ont pas deperi, D'autres photographies prises dans les montagnes suisses en 1982 et en 1987 montrent une amelioration de l'eta; de certains arbres temoins pendant ces cinq
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annees rnalgre les previslons-". La notion rneme de deperissement est remise en question. Toutefois, les arbres ont bien manifeste les syrnptomes d'un dereglement, mais les causes ne sont pas encore clairement definies, Le mot de cornplexite est avarice et de nouvelles hypotheses sont formulees melant les attaques de champignons, d'insectes, les problernes d'eau, I'effet de serre,le trou d'ozone dans l'atmosphere, ... Ainsi en une quinzaine d'annees, les scientifiques allemands et europeens ont bascule de la certitude au doute. Toutefols, Ie phenomene du Waldsterben a permis de developper les etudes sur les structures et les fonctions des ecosystemes forestiers et de I'arbre. II a ete la premiere application de la theorie systemique aux travaux sur la foret sur une vaste echelle. II a aussi ouvert les yeux sur Ie fonctionnement du champ scientifique en Europe occidentale. Le Waldsterben a fait debloquer des fonds a tous les echelons (regional, national et europeen), utilises par les scientifiques leur permettant de placer des eleves, les postes se faisant rares. lis se sont ainsi engages dans une veritable course aux contrats et Max Krott de mettre Ie doigt sur l'attitude critique des scientifiques vis-a-vis de ceux qui apportent les financements-I. En d'autres termes, etant rernuneres pour etudier voire demontrer Ie lien entre pollution et foret, ils n'ont pas interet prouver Ie contraire. Que dire de I'attitude des eleves de ces scientifiques, avaient-ils les moyens de tenir une position critique? Aujourd'hui, les scientifiques allemands s'interrogent avec leurs homologues europeens et nord-arnericains sur les effets long terme des agents polluants sur la foret ainsi que de facteurs climatiques comme la secheresse, les arbres reaglssant avec parfois plusieurs annees de retard. Les correlations sont, par consequent, plus difficiles a etablir car les recherches sur cette problernatique n'ont ete entarnees que depuis Ie milieu des annees I 98D. Pour cela, un Reseau national d'observation des ecosystemes forestiers (RENECOFOR) a ete mis en place en 1992/94 en Europe couvrant la foret europeenne afin de faire un bilan de sante des forets, Les scientifiques travaillent egalement sur un nouveau theme, celui de « charges critiquef » qui peuvent etre definies comme le niveau des depots d'un ou de plusieurs polluants au-dessous duquel il n'est pas possible d'observer des effets indesirables significatlfs au niveau de l'ecosysteme. Ce concept a ete cree en 1986 au Danemark qui, encore une fois, fonctionne comme un centre d'innovation32 . La question du Waldsterben a permis lecologte systemique de trouver son application. Desorrnais, Ie mot ecosysteme fait partie du vocabulaire courant des scientifiques et des forestiers et n'a plus guere besoin d'etre defini comme a I'aube des annees 1980. Le Waldsterben a aussi repondu aux attentes inherentes aux porteurs du PSI en promouvant I'ecologie au rang de science reconnue et en dormant un role social aux scientifiques, ces derniers devant trouver les solutions pour reguler Ie phenomene. En Allemagne, les chercheurs engages dans Ie Soiling-Project ont ete mobilises dans I'etude du Waldsterben par Ulrich, dormant de fait un caractere ecosystemique a ce phenomene, Un des points intrlnseque a la theorie de I'ecosysteme est sa capacite de prediction. Les
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30 Schweingruber F. H., « Baurne schweizerischer Geblrgswalder auf allen und neuen Postkarten », Allgemeine Forstzeitschrift, 44, 1989, pp. 262-268. 31 Krott M., Managment vernetzter Umweltforschung WissenschaJtspolitisches Lehrstilck, Wien :
Bohlau. 1994, p. 325. 29 Spiecker H., Mielikainen R, Kohl M., Skovsgaard 1., Growth trends in European Forests:
studies from 12 countries. Berlin: Springer, 1996, p. 372.
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32 Nagel H.-P., Gregor H.-D., Okologische Belastungsgrenzen - Critical Loads & Levels. Ein internationales Konzept fur die Luftreinhaltepolitik, Berlin; Springer, 1999, p. 259.
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ECOLOGIE SYSTEMIQUE ET FORESTERIE previsions se sont averees fausses, mais ont debouche sur des mesures positives pour I'environnement, les anglo-saxons ont qualifie ce type de politique de «No regret policy» ... Le concept d'ecosysteme s'est propage dans les divers champs forestiers europeens sans rencontrer de difficultes majeures. II n'a guere faitl'objet de discussions passionnees comme au debut du XXe siecle ou bien au sujet de I'utillte de la sociologie vegetate. Plus que jamais, I'echelon international tient une place deterrninante dans la diffusion de l'ecologie : Ie PBI a bien favorise Ie developpernent de l'ecologie systemique en Europe de l'Ouest et de I' Est. En parallele, I'ecologie de science de la parcelle, de l'etude des comrnunautes vivantes, est devenue une science de la planete, multi pliant les donnees pour rnieux en saisir sa complexlte, sans pour autant donner toutes les des pour comprendre la multiplicite des nceuds qui se nouent. L'ecologie en integrant des elements provenant de la physique et des mathernatiques a voulu se doter des allributs d'une « science dure », mais en fait elle avance surtout des « evidences molles », objet de controverses sur lesquelles Ie politique doit prendre des decisions. L'incertitude fait partie de l'ecosysteme, Ce fut Ie cas du Waldsterben et aujourd'hui de l'effet de serre.
Conclusion
~I =
L'« ecologie » est devenue aujourd'hui une discipline scientifique et il n'est plus question d'aborder une etude du milieu sans la poser en des termes ecologiques. Les forestiers n'echappent pas la regie. En outre, i1s ne sont plus les seuls parler sur la foret au niveau scientifique mais aussi sur Ie terrain en raison de pressions des mouvements de protection de la nature. Desorrnals des scientifiques de formation non-forestiere participent pleinement aux recherches sur cet espace. Sur ce plan, deux mouvements se sont conjugues ; la professionnalisation et l'homogeneisation, La premiere a ecarte les amateurs des discussions scientifiques des la fin du XIXe siecle. Cette professionnalisation s'est achevee pour certains pays comme l'Allemagne et la Suisse a la veille de 1914, en France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ceci s'est traduit par une harmonisation des carrieres scientifiques ou la detention du doctorat est devenue la norme. Elle a renforce aussi la coherence et l'homogeneisation du champ scientifique et rapproche deux champs qui pendant longtemps se sont ignores: Ie champ forestier et nonforestier. Aujourd'hui iI existe de veritables passerelles entre les deux que ce soit en matiere de carrieres, de sources d'information ou bien de debouches pour leurs travaux notamment dans les disciplines dontla specificite forestiere n'est pas forcement marquee comme la botanique et la pedologic comparativement la sylviculture ou la dendrometrie. L'ecologie a pulse sa legltirnite dans les possibilites d'application qu'elle offrait sur Ie terrain. De ce point de vue, I'espace a fonctionne selon trois rnodalites : - Comme espace de validation; iI est la preuve qu'une theorie scientifique est val ide. C'est Ie cas entre les conceptions de Braun-Blanquet et I'espace mediterraneen, des theories de Kihlman sur les Iimites horizontales de la foret et Ie cercle polaire. Enfin ceci a ete net avec les theories sylvicoles a savoir la foret de Barenthoren pour les conceptions de Moller et celie de Gaildorf pour Wagner; - Comme espace d'interrogation : iI montre les Iimites d'une theorie ou d'une pratique et oblige les scientifiques a s'interroger sut leurs methodes ou bien permet a de nouvelles notions de s'infiltrer voire de triompher. Les terres a chernozem confrontees a la secheresse ont favorise la formation des conceptions du sol de Dokuchaev. Chez les forestiers, ce sont les echecs successifs dans certaines zones de montagne en matiere de reboisement qui les ont incites a revoir a la baisse les Iimites verticales de la foret et a s'Interesser davantage a la provenance des semences ; - Comme espace de legitimation; iI ne montre pas la justesse d'une theorie scientifique, celle-ci a deja ete dernontree, mais iI va permettre de I'ancrer definitivement, de I'institutionnaliser. L'application de la methode Braun-Blanquet dans d'autres espaces situes en Pologne, Roumanie, etc., a renforce sa position et lui a donne une valeur universelle. En ce qui concerne les centres, sur un siecle, des permanences subsistent. Des espaces entiers sont pratiquement absents situes dans Ie sud de I'Europe, la peninsule lberlque, l'Albanie, la Grece, la Roumanie et la Bulgarie. lis n'ont pas secrete de centres capables de s'Inserer et de se perpetuer dans Ie cercle des echanges au niveau europeen. Ces espaces n'ont pourtant pas ete negliges. Les forets bulgares et roumaines ont ete etudiees par des forestiers allemands (Dengler) et autrichiens (Tschermak) car recelant des forets considerees com me peu touchees par I'action humaine. La peninsule Iberique a ete regullerernent investie par les phytosociologues de I'ecole Braun-Blanquet. Un autre
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espace, I'actuelle Russie, a su maintenir un developpement autonome. II est manifeste que depuis la revolution bolchevique pratiquement aucun scientifique russe concernant notre theme de recherches ne s'est forme a I'etranger. Nous sommes en presence d'un champ qui a fonctionne en autonomic et qui a pu communiquer avec l'exterieur au gre des conjonctures politiques. Les pays scandinaves ont, au contraire, toujours su, a des degres divers, integres les reseaux europeens en raison souvent d'un champ scientifique limite exigeant de la part des scientifiques des publications dans la langue internationalement dominante (allemand ou anglais) dans leurs revues ou a I'etranger, Ceci s'est souvent accompagne d'un sejour dans un centre convergent. Dans ce monde scandinave, un pays presente une specificite : Ie Danemark avec Copenhague. Ce centre a joue un role cle dans la formation de I'ecologie generate mais aussi forestiere, et ce depuis un siecle, produisant regulierement des innovations que ce soit par Muller, Warming, Raunkiaer, Boysen-Jensen, Meller, Comment expliquer une telle serie ? Un mot pourrait caracteriser cet espace : etroitesse. Ainsi iI fait cohabiter en une merne ville l'universite et I'ecole superieure d'agronomie ou I'enseignement forestier est delivre. Entre ces deux poles, des liens tres denses ont ete tisses que ce soit en matiere de recherche, de carriere. Etroltesse, d'un champ scientifique qui oblige regarder aiIleurs hors des frontieres nationales vers la Suede et I' Allemagne, mais aussi vers les Etats-Unis et la France, elargissant les reseaux et permettant d'acquerir une audience internationale. D'autres pays tiennent une place distinctive: la Belgique, la France et la GrandeBretagne. Cette derniere n'offre que peu de centres permanents, en dehors de celui de Rothamsted, mais l'ecologie anglaise a assure sa vlsibilite au travers d'une revue et d'une association : la Societe britannique d'ecologie, La France a suivi sa propre voie notamment en matiere forestiere, mais d'un cote elle a dispose de centres et d'hommes ayant une envergure internationale comme Flahault, Braun-Blanquet, Gaussen. Elle a ete un espace d'information mais aussi au niveau de quelques centres (Montpellier et Ie laboratoire de biologie vegetate de Fontainebleau) un centre de formation. En revanche, I'innovation en ecologic n'est guere visible en dehors des travaux de quelques biogeographes (1'lndice de Gaussen). Les scientifiques francais n'ont pas ete a I'origine des concepts cles de I'ecologie : biocenose, ecotope, ecotype, ecosysterne, autoecologie, etc. (Ci, un element pourrait etre avance, celui de la faible presence sur Ie plan international des scientifiques francais (forestiers et non-forestiers) en depit de I'existence de scientifiques d'envergure internationale. Ceci est probablement lie a la gestion des carrieres scientifiques. Les scientifiques francais ne se sont guere formes a l'etranger en dehors de la periode situee entre la defaite de 1870 et Ie debut de la premiere guerre mondiale I. lis ont public aussi tres peu dans des revues etrangeres, leurs ouvrages ont ete rarement traduits. D'autres facteurs meriteraient d'etre consideres comme la faiblesse des mouvements de protection de la nature qui n'ont pas genere de programmes de recherches comme en Suisse ou en Allemagne, Ie monopole exerce par Nancy sur I'objet foret lie une integration beaucoup plus lente par rapport aux voisins europeens de Nancy dans Ie champ universitaire ; une faible prise en consideration pendant longtemps de la science approchant I'espace rural que ce soit avec I'agronomie ou bien la foresterie. Si la defaite de 1870 a entraine un fort regain d'interets pour la recherche agronomique mais aussi forestiere avec la fondation en 1882 de la station de recherches forestieres, les lois Meline
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I Ce sejour n'etait pas diplornant, les scientifiques francais allaient en observation a.l'etranger sur quelques mois, souvent rnoins, mais pas pour y acquerir de diplome, 266
ont mis un frein a ce type de recherches. Le lendemain de la premiere guerre mondiale a remis I'ordre du jour la recherche agronomique et forestiere, mais sans grande coherence. Ce n'est qu'apres la seconde guerre mondiale que la recherche agronomique est veritablernent encouragee, la recherche forestiere ne trouve son plein developpement qu'a partir des annees 1960 avec son integration au sein de I'INRA une epoque ou l'ecologle est politiquement mal consideree ... Un pays serait comparable a la France, l'Italie, qui a suivi sapropre voie en matiere d'ecologie forestiere mais qui n'a eu guere de scientifiques evoluant sur Ie plan international comparativement aux pays scandinaves.En revanche, en Europe centrale, un espace a exerce un role structurant au cursus uni versitaire commun : I' espace germanophone compose de I' Allemagne, de "A utriche et de la Suisse. II a exerce une influence durable sur ses voisins situes a l'Est : la Tchecoslovaquie, la Hongrie voire la Pologne et la Yougoslavie. L'Allemagne possede une attraction particuliere de puis sa naissance en 1870 jusque dans les annees 1930. C'est Ie nazisme qui finit par l'isoler, elle resurglt dans les annees 1960 avec I'ecosysterne dans Ie cadre du PBI. Elle renoue avec son passe via Ie Waldsterben qui, d'un problerne allemand, est devenu une question europeenne, La Suisse a trouve sa voie grace au centre de Zurich a la fois pole de formation et de recherches des lngenieurs forestiers on I'interaction entre Ie champ forestier et non-forestier etait deja latente des la fin du XIXe siecle. Enfin iI ne faut pas negliger I'importance des Etats-Unis depuis la fin du XIXe slecle. Dans ce pays, nous sommes passes de centres attaches des espaces precis: Lincoln et la grande prairie americaine, Pikes Peak et la montagne, des centres ou l'environnement ne joue plus un role aussi pregnant comme Oak Ridge ou Athens, les lieux d'etudes variant au gre des contrats (Puerto Rico, etc.) Le scientifique est devenu plus mobile. Dans un autre domaine, Ie monde intertropical a fascine les botanistes et les forestiers et une mention speciale dolt etre faite propos du laboratoire de Buitenzorg en Indonesie, un lieu de sejour privilegle pour de nombreux hotanistes jusque dans les annees 1930. La seconde guerre mondiale etla guerre d'independance ont detourne pendant un temps les scientifiques de .ce centre. L'Afrique du Nord a connu une histoire identique. Elle n 'a cesse d'attirer les scientifiques europeens eh raison de son c1imat mediterraneen, de la richesse de sa flore et des possibilites d'y mener des recherches en toute quietude. Dernier point I'internationalisation, elle n'est pas nouvelle, au debut du XXe siecle et merne avant, iI existe des scientifiques ayant une dimension internationale, cites par leurs collegues etrangers, voyant certains de leurs ouvrages traduits et ecrivant parfois des articles pour des revues etrangeres, Cette dimension est aujourd'hui devenue systematique et surtout les questions d'environnement sont devenucs transfrontalieres notamment depuis Ie Waldsterben reIaye par Ie probleme de I'effet de serre. Des debats resurgissent concernant notamment la sylviculture proche de la nature, mais cette fois-ci, il ne s'agit plus d'une discussion interne un champ scientifique com me ce fut Ie cas souvent de par Ie passe, elle est presente pratiquement dans chaque pays et est animee par des personnes qui relevent de la foresterie et de la protection de la nature voire de partis politiques (les Verts). L'ecologie forestiere permet de mieux saisir l'objet foret, Elle met jour son fonctionnement, Iibre ensuiteaux forestiers d'accroitre les potentialites de la station en introduisant des exotiques (Guinier, Pavari), en ayant recours I'engrais (Albert), en pratiquant une sylviculture prlvilegiant la monoculture (Wittich) ou bien une sylviculture proche de la nature (Leibundgut), etc. Les ecologues peuvent aussi decreter que la nature etant ce qu'elle est, iI ne saurait etre question de toucher quoi que ce solt, au mieux
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y I'homme doit profiter de ses bienfaits a la rnaniere d'un cueilleur. Ainsi I'ecologie qu'elle soit une branche dans une discipline don nee ou bien une discipline pleine et entiere peut aussi bien servir a restaurer la nature, a en sauvegarder un morceau ou bien a I'exploiter au mieux,
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Commission americaine I'energie atomique Association Foret Cellulose Association National des Centres Regionaux de la Proprlete Forestiere Commissariat a l'Energie Atomique Centre national du Machinisme Agricole, des Eaux et Forets Centre d'Etudes Phytosociologiques et Ecologiques Conseil European pour la Recherche Nucleaire Conseil International des Unions Scientifiques Conservatoire National des Arts et Metiers Centre National de la Recherche Agronomique Centre National de la Recherche Forestiere Centre National de la Recherche Scientifique Concil for Mutual Economic Assistance ou CAEM (Conseil d'assistance economique mutuel) Centre Regional de la Propriete Forestiere Centre Technique du Genie Rural des Eaux et Forets Deperissement des Forets attribue la Pollution Atmospherique Delegation Generale ala Recherche Scientifique et Technique European Forest Institute Ecologic et Gestion du Patrimoine Nature Equllibres et Lutte Biologique Ecole Nationale du Genie Rural, des Eaux et des Forets Ecole Nationale des Ingenieurs des Travaux des Eaux et des Forets ' Food and Agriculture Organization Fonds Forestier National Gestion des Ressources Naturelles Renouvelables Institut de Developpement Forestier Institut National Agronomique de Paris-Grignon Institut National de la Recherche Agronomique Institut National de la Sante et de la Recherche Medicale Institut des Recherches Agronomiques International Union of Forestry Research Organization Man and Biosphere (Homme et Biosphere) Massachusetts Institute of Technology Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (Parti National Socialiste Allemand des travailleurs) Organisation Mondiale de la Sante Organisation des Nations Unies Office National des Forets Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer Programme Biologique International Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l'Environnement Reseau national d'observation des ecosystemes forestiers
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SIGMA mCN ULB UNESCO
Station International de Geographic Mediterraneenne et Alpine Union Internationale de Conservation de la Nature Unlversite Libre de Bruxelles Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture
LISTE DES TABLEAUX Tableau I : Superficies boisees et taux de boisement en Europe avant la premiere guerre mondiale
5
Tableau 2: Fondation des principaux centres de formation des ingenieurs forestiers en Europe avec leurs revues
15
Tableau 3 : Chronologie de la creation des stations de recherches 1870-1917 avec leurs revues
23
Tableau 4 : Transfert de la formation forestiere au sein de I'enseignement superieur avant 1918.
24
Tableau 5: Centres par lesquels transite I'ecologie 1880-1915.
33
Tableau 6: Centres par lesquels transite l'ecologie 1915-1945.
95
Tableau 7: Centres par lesquels transite l'ecologie 1915-1945.
109
Tableau 8 : Centres et regions forestieres en Allemagne dans I'entre-deuxguerres.
120
Tableau 9 : Liens entre centres forestiers allemands et revues forestieres,
121
Tableau 10 : Les types biologiques de Raunkiaer
129
Tableau II : Classification phenologlque d'Ihne
130
I
278
Tableau 12 : Les types de forets selon Cajander
132
Tableau 13 : Classification des groupements vegetaux selon Sukachev
134
Tableau 14: Les types de futaie selon Sargos
136
Tableau 15: Classification taxinomique de Du Rietz
142
Tableau 16: Degres de fidelite selon Braun-Blanquet
143
Tableau 17 : Differences entre les eccles d'Uppsala et de Montpellier
144
Tableau 18. Indices d'aridite et vegetation
152
Tableau 19. Les etages de vegetation d'apres Emberger
153
Tableau 20. Evolution du nombre de revues utili sees en ecologic dans I'ensemble des champs depuis 1880
175