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PAR SERGE/ULY musez-vous: prenez n'importe voir le monde et de le comprendre, de qui inventez le traitement idoin...
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PAR SERGE/ULY musez-vous: prenez n'importe voir le monde et de le comprendre, de qui inventez le traitement idoine. Bref, quel journal télévisé, ouvrez travailler, d'aimer et de mourir, de désirer quand on est malade on subit. Et la prise un journal au hasard de conscience de laecrise a bien .et de déprimer sont mises en pièces par . et comptez le nombre de fois où le un bouleversement général de tous commencé de cette manière: « Docteur je mot crise est utilisé. ordonnancements. ne me sens pas très bien; qu'est-ce que je Telle actrice a fait une crise de nerfs, Il faudrait inventer de nouvelles peux faire 7» Et en 1981 les Français, par Andropov est mort d'une crise cardiaque expressions pour désigner l'ampleur du exemple, décident de changer de tandis que la crise libanaise rebondissait phénomène et je crois qu'on gagnerait à médecins: ils abandonnent Giscard et et que le gouvernement de Pierre Mauroy utiliser le langage des vulcanologues. On Barre pour essayer la médecine du se coltinait pour la vingt-huitième fois la devrait parler, par exemple, de secousses docteur Mitterrand, sur le thème: « Je crise de l'emploi avec en prime la crise historiques, de tremblements de société, préfère Mitteirand parce qu'il fait moins des chantiers navals; rien n'est d'éruptions technologiques et de raz de mal. » Et puis les Français découvrent en évidemment réglé du côté de la crise valeurs. 1983 que Mitterrand, aussi, « ça fait mal ». scolaire, tandis que Ronald Reagan Ce serait nettement plus évocateur que Mais surtout ils sont en train de découvrir reprenait pour la 3l7 e fois le dossier de la l'usage incantatoire du mot crise. On qu'il n'y a pas de docteur miracle. Et pour crise internationale et que la Banque devinerait mieux ainsi que le paYsage une raison bien simple : la crise est mondiale réexamine celui de la crise culturel, que l'espace humain, que négative pour autant qu'elle est subie financière mondiale; les ligues de la comme une maladie, comme un accident l'organisation des sociétés, que la majorité silencieuse ont déclaré la guerre géographie sociale et industrielle sont en de parcours; alors-là les carottes sont à la crise morale, tandis qu'un sociologue train de devenir méconnaissables à nouscuites, avec au sans docteur, nous célèbre associé à un non' moins célèbre sommes certains de devenir les victimes mêmes. Or ce n'est pas ce que dit le mot sexologue nous revèle!' ampleur . crise. La prise de conscience des de la crise, de nous enfermer dedans et de insoupçonnée de la nouvelle crise du bouleversements en cours est positive déraper à terme dans ce purgatoire sexe, Toscan du Plantier, lui, se débat économique et social qui s'appelle le certes, mais elle teste entachée d'une . toujours avec la crise du cinéma, qui vision trop incidemment médicale. On dit sous-développement. comme chacun sait se décline en crise de la crise comme on nommerait une Une des causes de la « crise» l'image, en crise des scénarii,en crise maladie. économique en Europe est notamment financière, et j'en passe; j'allais oublier L'économie est donc malade, et quand due à cette « passivité» sociale et trois crises politiques je ne sais plus où, on est malade, en toute logique c'est au -industrielle. C'est pourquoi, pour rendre une crise parlementaire ailleurs et la crise médecin d'intervenir. L'homme de l'art est la crise positive; il faut transformer les provoquée dans une entreprise alors censé définir une thérapeutique, sujets passifs en sujets actifs, faire des nationalisée par la démission du PDG, et bref un moyen de gUérir. Et d'une certaine citoyens assistés des citoyens puis trois cents variantes de crises entreprenants. manière, quand on se retrouve avec le économiques, 500 millions de crises de Quels sont les syII]boles mêmes de ce mot crise dans la bouche, il y a souvent nerfs parce que les actrices n'onipas le sous la langue l'envie de dire que dès la - que l'on a appelé l'Etat providence 7 La monopole de ce genre de crise, pas plus fin de la maladie tout redeviendra comme Sécurité sociale, les allocations familiales, que y ouri Andropov n'a celui des crises avant, qu'il s'agit donc d'un mauvais· l'assurance chômage, l'assurance retraite. cardiaques. Pour raccourcir, je passe sous moment à passer si l'on se conforme à Les peuples occidentaux ont vécu dans. silence les crise.s de larmes, les crises l'ordonnance! Un peu de chômage, un une sorte d'ouate sociale depuis vingt d'appendicite et les crises de foie peu de pouvoir d'achat en moins pendant ans. Et c'est parce que cette ouate devient tellement communes, et je m'arrêterai deux ou trois ans, deux ans de un peu humide, se déchire par endroits que progresse enfin comme une traînée convalescence à petite vitesse et je vous avec la crise spirituelle sous l'angle musulman: à Alger ou au Caire on garantis une croissance forte dans les de 'poudre la conscience ambiguë de la explique le phénomène intégriste par la années suivantes! crise. Si les politiques voulaient servir à crise des idéologies laïques ... quelque chose,ils devraient se donner Seulement voilà, il n'y a pas vraiment Le mot crise hante donc notre vie de médecins qui soient en mesure de pour unique fonction de provoquer, quotidienne. proposer une thérapeutique garantie sur d'encourager et d'animer une sorte de Au hit-parade des utilisations, ce mot facture, et surtout, ça ne sera jamais plus « grande révolution culturelle bat tous les records depuis la fin des occidentale » (ça serait justement le comme avant. Il faut mieux s'enlever tout années soixante-dix: Son succès, la de suite cette métaphore maladive de la _ symétrique inverse de la GRCPchinoise) généralisation de son usage à tous les tête si on ne veut pas finir lobotomisé destinée à transformer l'attitude de leurs domaines est sans doute l'un des grands c'est-à-dire condamné au sousconcitoyens face à la crise. En d'autres événements de ces dernières années. En développement. A l'inverse, osons une termes, il s'agit bel et bien de faire de tout cas, un événement qui n'a rien image nettement plus choquante: l'effet « Vive la crise! » un mot d'ordre d'innocent. C'est le signe en traduction des transforrriations que nous sommes en populaire. Un mot d'ordre susceptible de simultanée d'une prise de conscience train de subir dans nos existences sera gagner.des élections pUisqu'on en revient aussi important en intensité et en toujours là à un moment ou à un autre. Et extraordinaire. conséquences de tous ordres qu'un comment je vous prie 7 En donnant à Nous sommes en effet en train de chacun d'entre nous le désir de changer découvrir qu'aucun domaine de notre vie, changement de sexe. En fait, c'est d'un fusse le plus marginal, le plus futile, n'est changement de vie dont il faudrait parler. de vie, c'est-à-dire dans une même Et finalement : tout est là, nous sommes existence changer plusieurs fois de à l'abri d'un changement, d'un-accident, effectivement en train de changer de vie. profession, de lieu d'habitation, d'une perturbation fondamentale et simultanément nous découvrons qu'il y cr Le mot d'ordre, si tant est que cette forme éventuellement même de pays, de des liens, des rapports même s'ils sont très de communication soit encore résidence et par voie de conséquence de indiscrets entre l'économique, le politique, pratiquable, n'est plus « changer la vie », culture, d'amitiés et de partenaires, tout le psychique, le diplomatique, le sexe, le en restant soi-même. C'est à cela qu'il mais changer de vie. -. cinéma etc. Et puis cette conception malàdive nous faut aujourd'hui nous préparer: il Mais plus encore, que si le mot crise· véhiculée subrepticement par le mot crise faut apprendre à domestiquer· « la crise». _ a un autre inconvénient : quand vous êtes Car telle est bien la principale découverte dévore ainsi notre vocabulaire et nos modes d'expression de manière aussi visité par une bande de virus, vous êtes de ces dernières années, plus exactement cancéreuse, c'est tout simplement parce K.O. et vous ne pouvez pas faire la re-découverte; la crise est notre destin que nous sommes en train de vivre l'une - autrement que de remettre votre sort entre et son horizon est planétaire. « Vive la CenÏ1méroa de ces époques charnières de l'histoire de les mains des spécialistes: Certes, il est trise ! » donc pour autant que nous été réalisé en toujours plus 'facile de guérir lorsqu'onen soyions en mesure de susciter une l'humanité où une civilisation succède à co-édition une autre, où des manières de vivre, de a vraiment envie, mais c'ést rarement vous - véritable culture de la crise.• avec Le Seuil
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Partout ça crie, partout ça grogne, ça coince, ça désespère ... Couchée la crise !Debout les morts!llfaut op-ti-mi-ser. C'est le langage de quelques-uns. Tel Yves MONTAND, up au hit politique. Ugagne parce qu'il dit· haut et fort ce que personne .. . ne veut dire. ' En pub, c'est pareiL li faut innover, être rapide, anticiper les courànts socioculturels porteurs, prendre le bon risque au bon moment.
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CHANGER AVANT QUE LE MONDE CHANGE.
LA CRISE P
IERRE MAUROY se plaignait, sont pas innocent~::;. Les mots comme début février, que les médias ne . « crise », « difficultés monétaires » ou « contraintes extérieures» sont de vieilles fussent P,as assez « explica.tifs » au métaphores qui ont trop servi. .. d'excuses. ' sujet de la crise. Le regret n'est pas nouveau. Tous les gouvernements ont Quand ils étaient dans l'opposition, les socialistes n'admettaient pas la réalité rêvé, à un moment ou à un autre, d'une d'une crise en laquelle ils voyaient alors presse - cours du soir - dont la pieuse .1' alibi de la droite. lecture inclinerait, jour après jour, les De la même façon aujourd'hui, citoyens au civisme et, bientôt, aux l'opposition impute à la seule sacrifices intelligemment consentis. responsabilité du gouvernement tous les Normal. Celui qui possède un peu d'information sur le long terme malheurs des Français. C'est la règle du s'impatiente toujours dévant l'incrédulité jeu politique qui est un jeu menteur. frondeuse de qui n'est pas informé : « Ah ! L'ennui, c'est qu'en disqualifiant ainsi, si nos électeurs savaient !» par avance, le langage, il rend toute, Quelquefois, cet agace:r;nent prend force explication inopérante. Les Français, de loi. On sait dans quels pays. JI ne s'agit vieux habitués de la démocratie plus alors de démocratie. Une presse parlementaire, ne s'en laissent pas « explicative », c'est le nom qu'on y donne compter. Même quand, par exception, il le faudrait. à la presse muselée. , Et pourtant, c'est vrai, les' périodes de L'incohérence, parce qu'aucune grandes mutations exigeraient des efforts explication véritable ne saurait faire l'économie d'une analyse globale. La pédagogiques particuliers à destination du grand public. Malheureusement, ces clarté exigé dans ces moments-là un minimum de hauteur. Ce n' est pas le efforts, même quand. ils sont sincères, propre de l'esprit de parti. Chacun sait butent sur deux obstacles quasi cela. Sur ce terrain, ni la majorité d'hier ni insurmontables : le soupçon et celle d' aujour~'hui n'ont fait preuve d'une l'incohérence. clairvoyance minimale qui donnerait du Le soupçon, parce que les poids à leurs discours sur la crise. De 1974 « explications» d'un gouvernement ne
à 1981. la droite s'estpeureusement bouché les yeux; elle a récusé à plusieurs reprises les scénarios et les projections des experts du Plan et continué d'annoncer, avec une légèreté persévérante, d'illusoires « sorties du tunnel ». Quant auX socialistes ils donnent, depuis 1981, l'impression de découvrir les réalités de la crise, lentement, 'beaucoup plus lentement que les Français euxmêmes. Ce qui est un comble! Restent les intellectuels, les essayistes et les journalistes. C'est par eux que, pour une large part, le message a commencé de passer. Mais si mal! Nous soriunes un pays de philosophes, moins soucieux des faits que des théories, peu portés au pragmatisme. En dair, nous aimons surtout écrire ou lire dans nos journaux des sentences, des aphorismes et des jugements de valeur. La réalité nous rebute un peu et nous tenons le simple .« récit» d'un événement pour un genre mineur. . Ce qu'on a voulu pourtant, ici, c'est moins discourir savamment sur la crise qil'en raconter l'essentiel, en suivre le fil. Avec un peu de distance ét de simplicité .•
. SOMMAIRE 3 ÉDITORIAL: VIVE LA CRISE! 5 RACONTER LA CruSE 5LA PÉDAGOGIE DE LA,GAFFE 8 QUAND LE RICHE MAIGR1T, LE PAUVRE MEURT 10 LESENFANTS GÂTÉS Il LETTRE AUN COUSIN D'ALGER 12 UN SANDINISTE A PAruS 14 '« LES TRENTE GLORIEUSES» ' 18 1929: LA VRAIE CRISE 22 LA GÉOGRAPHIE DES PIQUE-ASSIETTE . 26 « TOUJOURS PLUS» 28 QUAND L'EUROPE ÉTAIT LE CENTRE DU MONDE 30 LE MONDE A BASCULÉ . 32 LES ÉTAPES DU DÉCLIN
l~ÉM:~~IE ABON
MARCHÉ 36 FINIES LES JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD MATIÈRES PREMIÈRES A GOGO 38 FINIE LA JEUNESSE. 40 LE HIT PARADE DES ARMES DU TIERS MONDE 41 FINIELA PUISSANCE MILITAIRE 41 FINIE L'AVANCE TECHNOLOGIQUE 46 ET SI LE MEXIQUE NE PAYAIT PAS 50 L'EFFONDREMENTEST POSSIBLE 54 IL N'y AQU'A... 55 IL N'Y AQU'A TRANSFORMER LES CHÔMEURS EN FONCTIONNAIRES L y cr un néo~réalism,e français. En dix' nationale de dire « chiche» à ceux qui période d'illusionÎyriquè des jeunes 56 IL N'y AQU'A , ans de crise, on a essayé de par le piaffaient depuis si longtemps en lisière barbes socialistes; le gouvernement s'est RENVOYER LES monde toutes les médications de l'Histoire. contenté de mettre en pratique un slogan' IMMIGRÉS possibles. Aucune n'a réussi. Très Faute d'avoir mesuré la profondeur de hérité de soixante-dix ans de jacobinisme 58 IL N'y A QU'A longtemps pourtant, les Français ont la crise, d'avoir perçu l'ampleur du à la sauce Marx: de l'État, encore de FERMER LES refusé de voir la crise en face. Pendant retournement historique, les socialistes si l'État, toU)' ours de l'État. Relance" FRONTIÈRES 60 LA flN DES presque une décennie, ils ont cultivé remplis de certitudes ont raté ce rendeznationalisations, impôts n9uveaux, plans POLITIQUES l'illusion du bout du tunnel, refusant toute vous-là. « L'autre logique» s'est brisée industriels: tout allait à l'Etat, tout y ÉCONOMIQUES baisse du pouvoir d'achat, poursuivant non sur le mur d'argent, mais sur celui de revenait. Mais tout a raté, ou presque. 62 TRENTE ANS leur quête sans fin du bien-être matériel. la réalité. Mais ils ont aussi rendu un Dans les douze mois qui ont suivi cette DE CROISSANCE négligeant l'investissement, comme si le grand service: la relance ratée, le année illusoire, il a fallu brûler à la ZÉRO ralentissement de la croissance et la colbertisme impuissant qui a défini leur sauvette ce qu'on avait adoré. On ne· 64 LA GUERRE montée du chômage devaient vite politique pendant un an, jusqu'à la volte~ pouvait trouver meilleure réqabilitation de N'EST PLUS UNE ::;'évanouir, comme un mauvais rêve face de la rigueur, ont eu le mérite, de l'initiative et de l'individu. L'Etat était SOLUTION économique. Longue, décevante"rebel,le vacciner l'opinion. L'état de grâce a monté sabre au clair à l'assaut de la crise 68 TOUS AMITEMPS? auX politiques toutes faites, cette crise surtout fonctionné comme une pédagogie ,et s'était pris les pieds dans le tapis. Il lui 69 L'ATOUTDU aurait bien fini par ramener les plus de la crise. Une pédagogie par la gaffe: faut bien aujourd'hui céder quelque peu TRAVAIL AU NOIR myopes à la lucidité. Mais il manquait un en se trompant avec un constant la scène aux vrais acteurs. Car c'est dans 70 L'ÉNARQUE, LA événement politique. La moitié des enthousiasme, mais en ayant quelques la vie quotidienne que la grande mutation VENDÉE ET Français, entretenus par une opposition mois plus tard le courage de reconnaître qu'on appelle crise par commodité se L'ORDINATEUR qui répétait de bonne guerre que la crise - en partie - leurs erreurs, les socialistes manifeste le plus clairement. Comme ces 72 QUAND LA n'était pas fatale, dans le souci de ne pas lont discrédité pour un temps les potions vieilles forteresses reléguées dans un rôle COMMUNICATION exonérer de ses responsabilités la magiques dont les hommes politiques font secondaire par l'évolution de l'art EXPLOSERA ma)' orité, croyaient de bonne foi les leurs programmes. Peut-on espérer que le militaire, la masse grisâtre de l'État 74 LES JAPONAIS SONT UN PEU structures économiques et la mauvaise débat public y gagne en qualité? Hors français ressemble de plus en plus à un RINGARDS volonté des dirigeants' de l'époque des bilans politiques, des plaidoyers et château-fort inutile. La vie est ailleurs, elle 76 LE CHÔMAGE, responsables du marasme. Une « autre des réquisitoires partisans, ce sera le sourd de la crise, par l'entreprise, par UNE CHANCE POUR politique », une « autre logique» devaient principal bénéfice de l'alternance. l'initiative, par la communication. Ironie L'ENTREPRISE? permettre de libérer la production, de Il y en a un autre: le retour de la d'une histoire qui joue à qui perd gagne. 78 UNE SEMAINE créer des emplois, de sauvegarder le société civile. Cette première année de C'est la gauche pétrie de révérence DANS LES ÉTATSpouvoir d'achat. Y croyaient-ils vraiment? pouvoir socialiste, si néfaste a u . étatique qui ,en a fait la preuve. • UNIS D'EUROPE En tout cas, ils voulaient en avoir le cœur socialisme, aura été celle d'un étatisme 80 L'ENNUI, C'EST net. Ce fut le défi du la mai. Une volonté virulent. Quoi quo 'il ait fait pendant cette LAURENT JOFFRIN QU'ON APERDU , '-:-_ _ _ _ _ _ _--'-_..:.,-_ _ _~-------'-----------------,----------,. TROIS ANS
LA PÉDAGOGIE DE LAGAFFE I
JE LA VOIS PEU CETrECRISE EN OCCIDENT
Avouons pourlanl que ce désaslre-là n'eslpas spectaculaire. Si loul va mal en Europe, c'esl dans un décor à peu près intact. On Vil ceHe crise le pied au chaud elle ventre plein. Une seule catégorie de victimes: les chômeurs. El encore! Même sur , ce terrain, les catastrophes
.Pedro à Mexico, Bronislaw à Varsovie, Jean-Michel à Paris. Un seul mot, la crise. Mais trois mondes différents.
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Pedro avait un bon job dans une usine banlieue de Varsovie où travaille Bronis_chimique de la banlieue de Mexico. Cer- law, ne seront pas touchés : environ tes ,pour un salaire un peu inférieur au la 000 zlotys, soit quelque l 500 francs par SMIC, il usait sa santé dans les vapeurs mois. Mais les autorités ont déjà annoncé insalubres, passait deux heures par' jour des hausses de prix de 20 à 50 %, qui dans les autobus puants et bondés pour diminueront le pouvoir d'achat d'autant. rejoindre son appartement sombre et sur- Solidarité avait obtenu l'instauration des peuplé à l' autr~ bout de la ville, au milieu «samedis libres ». Pour accroître la pro. d'embouteillages océaniques. Mai$ enfin duction, les militaires ont rétabli la sela vie devenait supportable. Les enfants maine de six jours. Mais c'est la situation étaient nourris, la femme se rassurait. Le de l'approvisionnement qui inquiète le dimanche, il pouvait mêmè aller aux arè- plus Bronislaw. Déjà, Maria, sa femme, nes ou au «, futbol » dans une Volkswagen passe plus de trois heures par jour à faire d'occasion. En cet été ,1982, tout s'effon- la queue. Il le sait, le rationnement des ,dre : la crise frappe le Mexique. Comme produits alimentaires sera bientôt rencinq cents de ses camarades, comme les forcé. Déjà, il ne mange presque plus de cinq cent mille travailleurs qui ont perdu viande. La section syndicale indépenleur emploi depuis' le' début de 'la réces- dante a été dissoute à Ursus. Elle continue sion, Pedro a été licencié. Il n'y a pas clandestinement. Mais son moral est trop d'indemnités de chômage au Mexique. bas pour pouvoir réagir. Pedro voit ses jours s'écouler dans l'anJean-Michel aime bien l'imprimerie goisse. Dans quinze ,jours, ses économies Montsouris. Le travail est dur, il faut sont épuisées. , souvent rouler la nuit pour respecter les Bronislaw ne craint pas le chômage: il impératifs des journaux clients. Mais il a n'yen a pas en Pologne, en tout cas pas la fierté de son métier. Sa qualification lui sous la forme habituelle. Mais cela ne permet de toucher" un salaire correct, supprime pas l'angoisse. (Effet d'une plus 6 000 francs par mois. Mais comme celle grande discipline, bu bien fin de la pénu- de tous les secteurs traditionnels de l'inrie du stockage organisé par les autorités dustrie française, la crise de l'imprimerie en vue du coup de force : l'approvisionne- . s'approfondit en cet été 1982. Pour l'insment s'était amélioré pour quelques mois tant, Montsouris tient encore le coup. Un après le 13 décembre.) En cet été 1982, la contrat de solidarité a réduit à trentecrise économique reprend de plus belle. cinq heures la durée du travail en Les salaires de 'l'usine d'Ursus, dans la l'échange d'un assouplissement des . nor-
mes de travail sur les rotatives. Mais le déficit se creuse. Tôt ou tard, la firme devra en tirer les conséquences. Déjà les effectifs ont été beaucoup réduits. TeanMichel a tr.ente-cinq ans. S'il est sur la liste des licenciés économiques, il ne pourra évidemment pas bénéficier d'une mise à la retraite anticipée. Il touchera, certes, une indemnité de licenciement et une allocation chômage d'environ 4 500 francs. Mais il faudra retrouver un emploi, certainement pas dans l'imprimerie, qui ne cesse de débaucher. Ce sera la reconversion, hasardeuse; difficile. Il faudra changer de métier, peut-être de région. Avec dans l'intervalle au moins six mois de chômage. Mais, dans le f,and, Jean-Michel ne s'inquiète pas tant. Sa' femnleest fonctionnaire. Il y a les indemnités de chômage, la formation professionnelle et le syndicat, très puissant. Il arrivera bien à s'en tirer. Trois réalités, un seul mot. La crise affecte simultanément le sort de trois ouvriers, un Mexicain, un Polonais, un Français. A chaque fois les mêmes phénomènes reviennent : baisse du pouvoir d'achat, insécurité, angoisse. Qui pourrait pourtant assimiler ces situations ? Derrîère la fumée des mots, il n'y a plus une crise, mais deux : celle des riches et cèlle des pauvres. La baisse d'environ l % du revenu national entraînée par le plan Delors a fait
aIIendues ne. se sonl pas produiles. « Avec 500 000 -chômeurs, 1er FrCll'lCe explosercrit B, discrit jerdis Georges Pompiclou..Leur nombre crujourcl'hui clépasse les cieux. millions. Oucdre lois plus! Où est l'explosion ? B'hcrbiluercril-on cru sous-emploi lui· mime?Pcrs d'explosion. pas cie bcrisse clu pouvoir cI'erchcrl, pas encor& cie « soullrcrnce B : si c'esl bien cI'une crise qu'il s'ergit, alors elle est clu « troisième type B. C'est-à-clire inconnue cles médecins. Si c'est une mcrIerclie, c'est .un cCll'lcer encore inclolore, clCIl'lgereux pcuce qu'inSaisissable, molle épreuve...
de la récession de 1983 la plus dure depuis la guerre. La France n'a connu un tel freinage de la production qu'en 1975, juste après le premier choc pétrolier. Augmentations des impôts, économies dans les dépenses sociales, augmentation des faillites d'entreprises : l'économie française traverse ses plus durs moments depuis trente ans. Mais dans le même temps, la production industrielle polonaise a chuté de moitié. Les comparaisons· sont difficiles : les évaluations officielles sont suspectes, celles des économistes critiques manquent de base statistique. Mais l'ordre de grandeur n'est pas douteux. En raison de la crise, le niveau de vie des Polonais a diminué en moyenne de plus de 30 %, sinon 40 %. Au Mexique, la croissance est soudain tombée de 8 % à un peu moins de zéro à la suite de la médication prescrite par le Fonds monétaire international. Le chiffre est un 'Peu moins spectaculaire, mais il s'applique à un revenu par tête très pas. Et surtout, ce taux de croissance de 8 % permettait de faire augmenter de 4 % par an le nombre des emplois. Chiffre minimum: en raison d'un~ démographie galopante, la quantité de main-d' œuvre s'accroît de 3,7 % par an. L'q:rrêt de la croissance a fait exploser le chômage. C'est le deuxième terme de la comparaison. Les deux millions de chômeurs que compte la France sont ressentis comme
cours de sa monnaie. Les trois dévaluations' subies en deux ans ont réduit d'environ 20 % sa valeur' par rapport au mark. Elles marquent la gauche du sceau de l'infamie monétaire. Pendant l'été 1982, le une calamité nationcde. Quelque 9 % de peso mexicain a perdu 70 % de' sa valeur. chômeurs : le taux est jugé insupportable. Quant à celle du zloty, elle a été divisée Il est de plus de 48 % au Mexique. En par dix depuis le début de la crise. France, 97 % des citoyens d'âge actif La France traîne comme un boulet ses travaillent: Seulement un peu plus de 50 % 10 % de taux annuel de hausse des prix, au Mexique. soit :un peu moins de 1 % par mois. Les La Pologne ne compte pas de chô- hausses. de prix annoncées par le régime meurs : c'est le privilège des pays socialis- polonais à diverses occasions s'étalaient 'tes. Mais on s'arrête généralement là entre 20 et 50 % selon les produits. Elles quand on évoque le sujet. Un seul oubli : étaient appliquées du jour au lendemain. le plein emploi est obtenu à l'Est par des En temps normal il est vrai, les pays méthodes qui jetteraient dans la rue, en socialistes ne connaissent pas d'inflation. une protestation violente et légitime, tous Les prix sont fixés autoritairement par les les syndicats d'Occident. Lès emplois sont fonctionnaires du Plan. Ils peuvent rester tout simplement répartis de.manière auto- stables pour de longues périodes. Un bon ritaire. On cherche en principe à faire point pour le socialisme? Oui si l'inflation correspondre les postes et les quolifica- pouvait se ramener à la hausse des prix. tions. Mais le critère de fidélité politique On sait qu'elle est un phénomène plus l'emporte toujours sur celui de la compé- vaste; produit par une disproportion entre tence. Le chômage n'a pas été supprimé, la quantité de monnaie en circulation mais interdit. Celui qui ne trouve pas de dans un pays et la quantité de marchanposte le satisfaisant doit accepter ée qu'on dise produite, A prix libres, l'inflation se lui donne, sous peine de tomber dans la traduit par des hausses. A' prix bloqués catégorie des parasites. L'application par la pénurie : les acheteurs ont plus d'un système semblable en France ferait d'argent à dépens-er qu'il n'y a de biens disparaître le chômage en six mois. A sur le marché. C'est la longueur moyenne condition d'en finir avec la démocratie. des files d'attente dans les boutiques qui Le franc est une monnaie faible. La mesure le mieux le taux' d'inflation en France doit périodiquement dévaluer le pays socialiste. Quiconque a voyagé en Une décharge urbaine en Amérique latine; le self-service des pauvres.
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PRENONS 'GARDEAU NOMBRILISME
est Européens privilégiés, mais peu d'entre eux savent encore s'en réjouir. Pire encore: les, périodes de crise, le retour de ceHe vieille « peur de ' manque» provoquent un repliement sur soi ,assez hargneux. Le tiers-mondisme a vécu. et avec lui disparail une ,certaine ouverture sur le monde. Les années de crise sont forcément xénophobes. Plus quejamœs pourtant. les Européens auraient besoin de se voir à travers un regard étranger...
Pologne, sait que le pays est depuis quel-, ques années en situation d'hyperinflation. Les Français s'inquiètent du décalage conjoncturel qui les sépare des autres Occidentaux. Faute d'avoir réalisé à temps les assainissements nécessaires, les Français sont obligés de freiner leur économie quand leurs concurrents commencent à connaître la reprise. Mais ce n'est qu'un retard conjoncturel. Tous les experts prédisent à l'économie un taux de croissance à moyen te.rme d'environ 3 % par an. Nantis de l'histoire comme tous les Occidentaux, la France en pleine crise continuera à s'enrichir. Les Mexicains sont condamnés à l'austérité, la vraie, pour environ une décÈmnie. Les Polonais ne pens~nt plus en années, mais en généra:.. tions. Pendant l'été 1982, les Françàis commencent à comprendre que la gauche devra: elle aussi composer avec la crise, et mettre fin à la hausse du pouvoir d'achat. C'est l'état d'austérité, durement ressenti, Au milieu de ce même été, le maire de Miel y Narriaga, bourgade mexicaine du nord, procl1e de la frontière dès ÉtatsUnis, convoque une conférence de presse. Les journali~tes s'y rendent, intrigués : il ne se passe jamais rien à Miel y Narriaga. Cette fois c'est un événement. Le maire démissionne. Avec la crise économique, ses administrés ne se nourrissent plus que de plantes sauvages et de piment, mâché doucement pour atténuer' les brûlures d'estomac. Le maire abandonne. Il a décidé de partir vers lE! nord, pour s'engager clandestinement dans une ferme califor• nienne: Au moins il pourra manger. LAURENT JOFFRIN
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Un écrivain marocain décrit la France. Un ~ Un Algérien'écrit à son cousin. La crise ch( permanence. Quand on parle des luttes, c'est d'agitation nerveuse ou d'accès de LES ENFANTS colère qu'il s'agit. La lutte des classes est une affaire lointaine et presque oubliée. GÂTÉS La notion même de peuple paraît ana-
chronique. C'est rare qu'elle apparaisse dans le discours politique de quelque tendance que ce soit. On parle en revan'La France est un pays heureux, un peu che d'une société de cadres, de travailmorose mais heureux. Il ne le sait pas ou leurs, de chômeurs, de demandeurs d'emplutôt feint de l'ignorer. Son bonheur n'est ploi et aussi d'immigrés. Pas de peuple. pas euphorie, mais un état devenu banal, C'est un ensemble d'individus regroupés assez naturel pouf ne pas être remarqué. en syndicats, associations, groupes proC'est un pays qui vit sur des acquis qu'il fessionnels, corporations, etc. C'est en ce conserve précieusement et améliore en sens que 'la notion même de solidarité ne rencontre pas d'écho dans la réalité. Elle paraît déplacée, non signifiante, creuse : il manque pOl1r qu'elle puisse se réaliser un peuple uni et motivé par les mêmes aspirations, visant les mêmes objectifs, capable de renoncer à un peu plus de confort et de consentir quelques sacrifices, Or, ce à quoi on assiste ces derniers temps, c'est l'expression bruyante du « chacun pour soi». Lorsqu'en juin dernier les agents de l'EDF-GDF firent une grève générale accompagnée de manifestations dans les rues, je fus impressionné: si la France a été privée dans sa grande majorité de courant et de gaz, c'était certainement parce qu'une grave menace pesait sur la sécurité de l'emploi\ ou bien qu'une décision inattendue et arbitraire allait bloquer les salaires ou même les réduire. Une telle mobilisation, l'ampleur des protestations, la violence des slogans criés dans la rue, tout cela devait répondre en fait à une grqnde injustice, En effet ! Le malheureux gouvernement eut l'idée, non pas de procéder à des licenciements ou de baisser les sàlaires, mais simplemept de s'attaquer à une citadelle imprenable, à un tabou absolu qui n'est ni de gauche ni de droite, un château fortifié, une espèce de coffre-fort quia la vertu de rendre irréversible et éternel tout ce que la classe ouvrière y dépose : les avantages acquis, L'État voulait, non pas arinuler ces avantages en nature auxquels les agents de l'EDFGDF ont droit, mais simplern.ent d'en réviser le' taux pour économiser quelque deux milliards de francs. Quelle erreur! Quelle folie! Quelle audace et aussi quelle méconriaissance de l'esprit et du tempérament des syndicats ! Le gouvernement révisa non pas le taux mais sa position. Les choses revinrent dans l'ordre, .~ et1e consomm,flteur ordinaire continue de d subir les hausses de prix de l'électricité et ::t: dl..l.gaz. ;~ Tout cela a l'air normèll : en temps de !Q crise, on est plus fragile, plus susceptible , le gouvernement polonais a déjà rationné la plupart des produits de base, et facilement irritable. En France, on parle sera bientôt le tour de la vodka. Les Polonais prennentleurs précautions. beaucoup de crise. On dirait qu'on en PAR TAHAR BEN JELLOUN p
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[ndiniste arrive à Paris. 1ge .de visage. parle pour ne pds l'affronter ou pour en différer les effets et leurs conséquences. Le plus curieux c'est qu'on exige des remèdes magiques, quelque chose de l'ordre du miracle : arrêter l'inflation et le chômage sans consentir d'effort particulier, sans sacrifice, sans rien changer à ses habitudes ni· toucher au confort qu'une glorieuse période de prospérité a apporté à l'Europe. . . On a appris dernièrement, entre deux scandales non aboutis, que la France a ses analphabètes et ses pauvres. Le corps de ce pays s'est développé assez harmonieusement jusqu'aux années soixantedix. Voilà qu'on constate, à la faveur d'un malaise, que l'âme de ce pays souffre en silence dans une partie cachée de son univers. Un univers fermé, enveloppé par une immense moustiquaire. Est-ce possible de continuer ainsi d'habiter une maison sans fenêtres? Dans un territoire où l'on tolère de moins en: moins les voisins, les étrangers? C'estcéla la crise : ne pas penser à ouvrir des fenêtres dans les murs de la maison pour non seulement permettre au soleil d'entrer, mais aussi pour voir ce qui se passe autour de cette demeure surchauffée, bien gardée èt assez triste parce que peu de naissances viennent l'égayer. Voir ailleurs pour rendre l'état des choses relatif.' . Sur les murs de Paris de grandes affiches avec en gros plan le visage d'un enfant africain ou asiatique, un visage ou plutôt un regard qui ne demande rien, qui n'accuse même pas, mais se donne pour ce qu'il est dans l'absolu: une détresse qui dit la mort, l'impossibilité physique d'être, de marcher, d'apprendre, de rire et de mourir de vieillesse. Cette campagne' contre la faim voudrait sensibiliser les Français. Mais ils ne sont pas insensibles; ils saVent que la famine sévit du Sahel, au nord-est du Brésil. Mais combien font le lien entre la crise qui froisse ici quelques visages et affame là-bas tout en creusant d'immenses fosses communes pour les morts? La crise est une maladie qui se répand. Si l'Europe a des palpitations, certains pays du tiers monde subissent des infarctus souvent meurtriers. Alors tout le monde est malade? Non, ou plutôt tous les corps ne souffrent pas aux mêmes endroits. Ce que l'Europe appelle crise c'est un peu moins de privilèges, un peu moins' d'argent, des vacances écourtées, des avantages auxquels il va falloir renoncer, une espèce de recul ou de stagnation dans le niveau de vie. C'est une sorte de migraine qui instaure insomnie et inquiétude. Ld crise ést peutêtre ~dans la tête, comme disent les sociologues. En tout cas, comme le signale
Le pétrole devait sortir le Mexique du sous-développement. Edgar Morin,. « ce n'est pas une culture en pleine crise qui va donner des solutions pour une économie de crise» 1 C:est un' peu des crises d'asthme, des:perturbations qui alertent. . . Pendant ce temps-là, le corps"dil tiers monde est ravagé; la famine est'installée aussi bien par le ciel que par les' dictatures militaires. Il a la fièvre et assiste à là mort de ses enfants. Ici, l'imagination est enrhumée. Le jeunesse s'ennuie et se laisse facilement arnaquer par le new-look d'un imaginaire de pacotille. C'est connu, les humeurs des enfants gâtés s'engluent souvent dans la
métaphysique sur papier glacé. Enfants dévastés dans un corps étroit, un corps, empêché de vibrer. et dé s'étonner. La, crise a commencé à partir du moment où tout un pays.a perdu la faculté de s'élon.:. ner, la faculté de l'enthousiasme créateur, . la force et le désir de changer de regard, de sortir de soi, et de ne,plus être encombré de sa seule image. La culture d'aujourd'hui est éparpillée dans la fadeur et le manque d'exigence. On assiste de plus en plus à la promotion de chanteurs sans' voix, de livres sans auteur, je veux dire sans réel sens de l'écriture, de films sans consistance avec
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un goût prononcé poùr la vulgarité, Paris, mais je ne fais· pas la queue à biance de dynamisme et l'efficacit? des . comme si la France était une terre morte, l'arrêt d'autobus comme à Alger,· je me . servic~s. Après,. tout continuait q me sem.. sans respiration, sans' mouvements, sans suis acheté une voiture. Pas besoin de bon bler énorme : Paris, les autoroutes, l'actiaudaces. ' d'achat comme à Alger. Et je n'ai pas eu vité commerciale, la vie économique. Un Quand on a pris l'habitude d'être as- à attendre trois ans comme toi avant de abîme par rapport à mon pays. Tu avais déjà quitté l'Amérique cen:sisté, on perd le souffle et on ne s'occupe m'installer au volant d'une Peugeot. Saisque de son propre corps. Ce qui manque tu qu'une 504 -de 1975 que tu payes traIe? Jamais. le plus alors,' c'est la gratuité du geste, la jusqu'à 7 millions, ici on peut l'acquérir Et la « crise» de l'économie française et générosité, pas Jant à l'égard de ce tiers pour 8 000 F ? L'essence est plus chère, d'accord, mais occidentale, on t'en a parlé? monde meurtriinai;:; à l'égard de son Très vite.C'est un professeur quia lancé propre pays. On devient un être amputé. au moins tu roules. Ici, on peut trouver des Et la crise, c'est aussi de ne pas s'en - magnétoscopes, des chaînes stéréo, des le thème dans notre -cours d'apprentisvoitures neuves, mais en vente libre, pas sage de la langue française. rendre compte. • Ça t'a étonné? TAHAR BEN JELLOUN au marché noir, comme cela arrive quelquefois à Alger. Oui, beaucoup. Je ne m'attendais' pas à Les livres aussi sont en vente libre, débarquer dans un pays supposé en même ceux quisol'lt contre le gouverne- crise, étant donné l'image qu'on a de ICI ment. France en Amérique centrale: celle d'une Les salaires aussi sont plus élevés, un nation très industrialisée, très riche, -sans enseignant français gagne presque trois' misère, sans faim, sans exploitation d'une fois ce que perçoit un maître algérien. classe sociale par une autre classe. Et ici; Je n'ai pas vu de crise économique qu'est-ce que faitrrion professeur? Il nous visible à part le chômage. . présente, à nous étudiants étrangers, pour Younès, 25 ans, est arrivé d'Alger, ily a La France c'est un pays poUr-les hom- la plupart venus du tiers monde, des deux mois et demi. Employé dans une mes qui travaillent, les chômeurs je ne ' statistiques portant sur les cinq dernières entreprise de publicité de la région pari- .sais pas comment ils font pour vivre. Mais. années, d'où il tire des conclusions dra-· _sienne où il s'est installé, sa vision de la quand tu as un emploi ainsi que .- ta matiques et tout à fait surprenantes pour crise économique n'est pas tout à faitla femme~ tu trouves tout ce que tu·veUx. Au nous. même que la nôtre. Il explique son point _moins ici, mon cher Merzak, quçmd tu Et quand tu sortais du cours et que tu te de vue dans une lettre envoyée à son arrii' gagnes de l'argent, tu he manques pas baladais dans la ville, ce qUé tuconsta;' Mérzak. d'idées pour le dépenser.tais autou.r de toi correspondait effective;Mon: cher Me:rzak, _. Ton cousin Younès Cela fait maintenant deux mois et demi (Enquête de Luc Bernard) _ ment à un drame social? Pas du tout! que j'ai quitté Alger. Et je me suis installé . Donc, ton professeur mentait? dans la banlieue' parisienne. Tu serais C'est uné question de mots. Au Nicara": vraiment étonné de voiravèc quel1e facigua et dans le tiers monde, « drame lité j'ai troUvé un logement. Ici, pourtant, social », dest mourir de faim. En Trance., ils se plaignent. Les propriétaires, paraît", «drame social » c'est manger un peu il,depuis la loi d'un ministre soc~aliste, un' moins. . èertain. QuilHot, ne. veulent plus Jouer La situation des chômeurs, ça te fcÎit leurs appartements. C'est peut-être vrai à .... Paris, mais en banlieue pas de problème. « Donc, la prétendue crise occidentale,' également rigole~ ? Pas vraiment. Etre chômeur en France, Efde toute façon, leur crîse à eux' n'est , tu t'en fiches? ' rien comparée à notre pénurie d'habita~ . ~ Oui, ça me fait rigoler. » , c'est vivre une situation difficile 'mais pas au sens où on l'entendrait tians. Quand j'ai raconté à mes am~s, mon n· est nicaraguayen. Il a vingt-cinq ans. dramàtique, dans mon :pays. cher Merzak, que tu vivais avec ton frère, Dans sa bourgade natale, au nord du ta lemme, ta belle-sœur, sa mère et vos . pays, ses amis le surnomment Moncho.Ce Quelles images t'impressionnent le plus quatre enfants, neuf en.tout dans un trois~ jeune homme est arrivé en France, il y a dans les' rues de Paris? . pièces, ils n:ont pas voulu me croire. -. quelques mois, afin de -poursuivre des - L'abondance des biens de toutes sortes; Et toi, tu seras aussi étonné. d'appren- études universitaires. Moncho n'est pas un lè haut niveau de consommation de la dre qu'en France, on vit à trois, le mari, la «. chico plastico »; appellation do:nnée aux grande majorité des, géns. Toutes ces femme et un enfantdansun F3. . minets de la bourgeoisi(9 de Managua. ménageres qui sortent des supermarchés Ne crois pas qUe ton cousiri Younès est Son père est un ouvrier atl chômage, sa en poussant des chariots débordant de devenu millionnaire, je n' 'habite pas les mère est une paysanne qui .tient une victuailles. Alors je compare ça aux màiChamps-ElY$ées, mais dans le sl.lpermar-, modeste épicerie. Moncho' a toujours tra~ gres achats que font mes compatriotes. . ché de ma.banlieue, on trouve plus de vaille le jour et étudié le soir. A la fin de avec leurs tickets de rationnement. Et puis produits que dans le Monoprix de la ses étudès secondaires, il s'est engagé le budget des ménages consacré à la capitale de l'Algérie, dans la lutte politique contre Somoza'. Il nourriture des chiens et des chats. Et. Ce mois-ci, j'ai pU manger-des pananes, terminait sa première année d' études uni- même à l'habillement des toutous. C'est ce que je n'avais pas eu l'occasion de versitaires, toujours en suivant les cours fou, ça! Des chiens avec des petites faire depuis huit ou. neuf mois .à Alger. Et du soir, lorsque ses amis du Front sandi- vareuses -! Et, dans le même temps, j' qi encore tu te souviens des chaîneskilomé.. · niste ont chassé le dictateur. L'an 1 de la appris qu'en France, un enfant était mort triques que l'on avait dl1 faire pour en révolution commençait. de froid dans un grenier. Alors' ça. me acheter. Moncho était membre des milices popu- déboussole. Et les jeunes Français, queleffette font.,. Ici, tu n'as pas besoin de sortir de ton lci:ires sandinistes. Ce militant s'est acbureau avec un sac en plastique dans ta quitté des «tâches révolutionnaires» à ils? poche, dans l'espoir de croiser un vendeur l'ordre du jour : campagne nationale Sur le plan matériel, ils' sont chouchou~ à la sauvette. D'après ce que j'ai constaté, d'alphabétisation, cueillette gratuite du tés. Ça se remarque au fric qu'ils cdnsala France importe beaucoup de produits café, du coton, entraînement militaire en crent à l'achat de leurs vêtements, à leurs' et on n'a que l'embarras du choix. . vue de résister aux offensives de IGl' loisirs - ils ont presque tous des chaînes Si tu veux t'acheter un survêtement, tu «contra» (la contre~révolution somoziste) stéréo, c'est dingue! -, aux sports, etc. n'as pas que l'ensemble sport Sonitec, tu ou d'un débarquement .de , « marines ); Sur le plan moral, îe les trouve confus et peux préférer Addidas, Lacoste et bien . américains. Moncho rêve pour son pays même parfois désespérés. Un désespoir d'enfant gâté? d'autres marques encore. d'un régime fondé sur la justice sociale et Gâté aujourd'hui, mais qui a peur de ne J'aime me promener, regarder les vitri- les libertés. Il n'est ni marxiste ni léniniste. nes. On trouve tous les prix; vraiment pas Il refuse de voir le Nicaraguayen passer plus l'être demain. Ils sont égoïstes, les jeunes Français? ' cher à Barbès, chez Tati (tu connais 'le de la domination « yankee» à la dominaMatériellement oui, mais mo.ralement nom, Mourad avait ramené des sacs en tiGm soviétique.' «Je suis un nationaliste, plastique l'an dernier}, oU plus col1teux dit-il, et mon nationalisme se veut pro gres- j'ai l'impression qu'ils cherchentquelqu~ .sur les Champs-Élysées, à Montparnasse. siste et basé sur une vaste entité solidai- chose. :Seulement quelle classe !Cardin, Yves re : l'Amérique latine.» En France, il Quoi? Saint· Laurent, Dior; des costumes à.· approuverait plutôt les grandes orientaPeuf-être à se débarrasser d'un senti2200 F - à ne pas .mettre tous les jours -, tions politiques et économiques de l'actuel ment de culpabilité. . bien sl1r, tout le monde ne peut pds se les' gouvernement. Boursier du même gduverEt ça te gêne, leur consciencemalheupayer.' ' n e m E m t , ce garçon est un des bénéficiai- reuse? Les tentations ne manquent pas, les res de la cooperation officielle franco~ Ça me fait' un peu pitié puisqu'ils se parfums pour les femmes, les chapeaux. nicaraguayenne .. sentent malheureux. Après, je me dis que Même les bébés ont des vêtements dont tu Qu'est-ce qui t'a le plus frappé à ton çà leur passera, que c'est lié à l'âge, aux études, et qu'ensuite ils feront comme ne pourrais Pas retrouver]'équivalent arrivée en France? • dans la qualité pour les adultes, à Alger. _ _ . L'énorÎÎlité de l'aéroport - c'était à . leurs parents : ils s'accommoderont. Ma banlieue est à vingt minutes de Roissy -'- son niveau technique, l'amPropos recueillis par Julien Liège
LETTRE A UN COUSIN .D'ALGER
'. UN SANDINISTE. 'APARIS
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JE NE SAVAIS PAS L'EUROPE SIRleRE
R. .
cie crue sans sacrmer le pouvoir cI'achat et sans s'appauvrir, bien au contraire. L'explication est POuriantsimple : si l'EUrope a pu tirer ainsi sur ses /ÎI réserves B, grignoter ses « marges B (au clélrimentcle l'investissement), c'est que celles-ci étaient consiclérables. Et cela grace à un phénomène historique sans précédent: l'enrichissement cie l'après-guerre. De 1946 à 1976. en une génération, le
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En trente ans, les pays européens ont multiplié leur revenu pa~ Les « trente glorieuses» : trente années qui bouleversèrent le monde. L'expression est passée dans le langage courant, tant elle désigne bien ce court instant de l'histoire, de 1945 à 1975, pendant lequel un enrichissement sans précédent a transformé la vie des Occidentaux. Elle a une origine précise, un livre dè Jean Fourastié, économiste et sociologue dont on peut.ne . pas partager les options politiques, mais qui a eu le mérite d'avoir le premier délimité cette période décisive. La thèse du livre est tout entière contenue dans une introduction lumineuse qui sert de base à cette présentation. Point de statistiques globales et désincarnées,.· point de tendances générales sans consistance : deux villages, Cessac et Madère. L'un a connu les « trente glorieuses», l'autre non. L'un se trouve en Frahce, l'autre dans un pays encore pauvre, la Grèce ou le Portugal. , Madère compte 534 habitants, dont les quatre cinquièmes sont nés dans le village ou dans. des paroisses voisines, distantes de moins de 20 kilomètres; soit moins de quatre heures de marche. Laplupart des éléments du niveau de vie et . du genre. de vie des habitants sont restés . très proches de ce qu'ils étaient au XIXe siècle. La taille moyenne desadolescents à l'âge de 20 ans est de 165Gentimè~ tres pour les garçons et de 155 centimètres pour les filles. Les caractères généraux de la morphologie 'des bébés, des enfants et des adolescents sont· ceux du siècle dern,ier. Très peu d'enfants dépassent le niveau de l'école primaire. Sur 279 actifs, 208 sont agriculteurs, 27 artisans, et 12 commerçants. Seules 19 personnes sont recensées cOII}me employés. Ce sont 5 instituteurs, le' teceveur des postes, le .facteur, la secrétaire de mairie, le garde champêtre· et quelques employés de mai..: son. Il n'y a que deux cadres ou techniciens. . Ces 208 agriculteurs ne possèdent en tout que deux tracteurs, souvent hors d'usage. Il faut alors un long délai pour que la machine soit réparée. Hormis les rares entrées de revenu procurées par le traitement des quelques fonctionnaires de village· - la Sécurité sociale joue un rôle marginal - la quasi-totalité des ressour'ces de Madère vient de l'agriculture. La faiblesse des rendements, liée à l'arriération des méthodes de culture, et l'irrégula- _. rité des récoltes due aux variations climatiques maintiennent le niveau de vie très bas. Le contraste éclate si l'on traduit en temps de travail le prix des mêmes objets à Madère et à Cessac. Pour avoir un kilo de pain, l'habitant de Madère doit travailler 24 minutes, celûi de Cessac 10 minutes. L'écart est encore plus grand pour les autres denrées : 45 minutes contre 13 pour un kilo de sucre, 7 heures contre 1 h25 pOur unkilo de beurre, 8 heures contre 45 minutes pour un poulet, 300- heures contre 20 pour un petit poste de radio. La disparité est encore plus forte pour les autres produits manufacturés. En moyenne; le niveau de vie de Cessac est de 4 à 5 fois plus élevé que celui de Madère. Pour cette raison, la consommation des gens de Madère est composée pour' les trois quarts de produits ~limentai- Paris. Poite de-Clichy, 1952. La crise du logement toucherait à l'époque des millions
pouvoir d'achat moyen de chaque Européen a été multiplié par quatre. Aujourd'hui, nous sommes ,::.--.,-.
Iuatre. Une période unique dans l'histoire de l'humanité. res, dont la moitié de pain et de pommes de terre. Au contraire l'alim~ntation est beaucoup plus variée à Cessac, et elle ne représente surtout qu'une petite partie des dépenses, le reste allant au confort domestique, aux transports, à la culture, etc. _- La structure de la population active a été bouleversée dans le village français : les agriculteurs ne sont plus que 53 sur 215 actifs. Le groupe dominant est - composé de travailleurs du secteur tertiaire, employés de bureau, de banque, d'administration ou commerçants : lO2 personnes sur 215. Pourtant ces 53 agriculteurs, comparés aux 208 de Madère, tirent du sol un produit trois fois supérieur à celui de Madère par hectare. -Comme le nombre de travailleurs à l'hectare est quatre fois plùs faible, cela veut dire que la productivité du travail agricole est douze fois plus forte à Cessac qu'à Madère. On pourrait certes objecter que les terres ne sorit pas les mêmes, que le climat diffère. C'est là que l'exemple de Fourastié prend tout son sens. On l'aura sans doute compris : Cessac et Madère ne sont qu'un seul et même village, pris à deux dates, avant et après les trente glorieuses.
eHeclivement - et mathématiquement -: quatre fois plus nches que nos parents.. ._ .. Le ,Pluséliaitge est quuntelévéneménlait pu passer à peu près inaperçu. Lancés dans une course elhénéeàla consommation, nous en venons spontanément à considérer chaque nouvel avantage acquis, chaque «confort D supplémentaire comme naturel. Chauffage, voilure, électroménager, nourriture, habillement, etc. Nous sommes devenus riches sans nous en rendre compte. . Mais qu'est-ce que cela veut dire au juste « devenir richeD?
DIX ANS DE CRISe DIX ANS DE CONSOMMATION Certains aristocrates ruinés festoient en buvant leur cave dans leur château en ruine. Deux cents millions d'Européens se sont conduits depuis 1973 comme - ces nobles désargentés qui ne veulent pas renoncer à leurs plaisirs d'antan. L'Europe n'a jamais autant consommé depuis le début de la crise. Ce n'est pas qu'une formule. Chaque année, le pouvoir d'achat a progressé en moyenne de 2,5 %, et les dépenses des ménages à pèu près au même rythme. Le ralentissement de la croissance n 'y a rien fait. En toute quiétude, les Européens -ont continué d'accumuler toutes sortes de biens matériels. Ils ont même fait mieux. Après ces trente années consacrées pour J'essentiel à J'acquisition de leur équipement ménager et de leur automobile, ils ont diversifié et raffiné leur consommation, affectant des sommes croissantes aux voyages, aux loisirs et à la culture. Comme si la crise avait rendu le superflu encore plus nécessaire. Les consommations publiques ont subi la même évolution. L'Etat-providence n'a cessé d'étendre son aile protectrice sur la société. De 1973 à 1982, la part des dépenses publiques dans le revenu national est passée de 38 à 52 % en France. Une progression semblable s'est produite dans toute l'Europe. Cet appétit étonnant a bien sûr sa contrepartie. La part de la consQmmation. a augmenté de cinq points dans le produit national : celle de J'investissement a baissé d'autant. Alors que parmi les cent plus grands groupes mon-diaux le profit des· soCiétés européennes représentait 1,4 % des ventes pendant la période, celui des· firmes américaines s'élevait à 4,8 % et celui des groupes japonais à 2,4 %. L'Europe sacrifiait J'avenir au présent. Pendant ces diX ans le nombre des erpplois dans la CEE a baissé de trois millions. j
ançais.
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Ce village s'appelle Douelle, il est situé dans le Quercy, Jean Fourastié y passe toutes ses vacances depuis trente ans. C'est en compulsant les recensements de 1946 et de 1975, comme chacun peutIe faire en France, qu'il a pu décrLre aussi précisément sa transformation. C'est Douelle, village français semblable à des milliers d'autres, qui est passé en trente ans d'un état classique de .sous-développement à la norme actuelle des campagnes françaises. Ainsi la fantastique progression des rèndements agricoles ne tient en rien à des conditions, ne doit rien à la nature et tout à la techniquep.e l'homme. C'est par une injection massive d'énergie mécanique, 40 tracteurs,à une forte consommation d'électricité et de pétrole, que les agriculteurs de Douelle ont plus que décuplé leur efficacité. Le bouleversement de là consommation a naturellement suivi celui de la production. Sur les 243 foyers d'aujourd'hui, plus de ·230 ont le confort moderne, qui va d'une cuisine parfaitement équipée (210 réfrigérateurs, 50 congélateurs, 180 machines à laver), aux w.c. intérieurs ~ chasse d'eau, à la salle de bains à eau courante chaude et froide. Il y a 110 téléphones pout 670 habitants en 1975 contre 5 en 1946 et 280 automobiles contre 5. On ne s'étonnera pas que la société ait été entraînée dans le même mouvement "que l'économie. En 19.46 tout le monde va à la messe le dimanche, contre 15 à 20% de la population aujourd'hui. L'église qui contient 250 personnes se remplissait deux .fois chaque dimanche matin; elle n'attire plus la foule que les jours de fête ou pour l'enterrement des notables. Aujourd'hui, seuls 210 habitants sont nés. dans le village, 376 sont nés ailleurs, dont 328 hors du département. Presque tous les tertiaires travaillent à l'~xtérieur, à la ville, distante de Il kilomètres, ou même beaucoup plus loin, certains enseignants donnent leurs cours à 100 ou 150 kilomètres, tandis que la secrétaire' de mairie du village habite à 40 kilomètres, A ces déplacements quotidiens s'ajou-
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Les années 50. Pas d'eau chaude, pas de réfrigérateur, encor~ moins de lave-vaisselle. On avait oublié què des cuisines comme celle-ci aient pu exister, '
RAPPORT DE LA MUTUALITÉ SOCIALE DU LOT ", DATÉ DE 1959, ET DECRIVANT UNE SITUATION TYPE DANS LE SECTEUR DE LIMOGNE (EXTRAITS) "
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« On qccède'Jtri~'l~i/~CIisons d'habita- « Ces carences se retrouvent dans l'ali,tian, par un escalier aux marches taillées mentation des enfants. (...) dans la pierre et terminé par une terrasse « Vêtements large,' mal abritée des intempéries, et « L ~aspect physique des femmes est calsurmontée d'un auventobs.curcissant la qué sur le sol, façonné par leur mode de cuisine. , vie. On voit encore quelques vieilles pay« La cuisine est spàcieuse, peu entrete-' nue et éclairée par une ou deux fenêtres sannes, de taille moyenne, plutôt minces, étroites. La porte d'entrée, de bois plein, 'ridées, voûtées et édentées. Vêtues de est constamment ouverte, ce qui donne un noir, elles portent un caraco très ajusté à peu plus de clarté dans lapièce, qui est la taille, s'évasant sur une ample jupe de en réalité le lieu de séjbur de toute la lainage, plissée ou froncée, atteignant jusqu'à leurs chevilles. ' famille. (...) « Leurs cheveux sont emprisonnés sévè« Très peu de cuisinières, mais usage de - rement dans la "cravate" noire du pays [à ''potagers'' (poêle à charbonille), généra- Douelle, on disait ''le mouchoir" -mutlement situés dans l'embrasure de la fenê- sadu -:-] nouée sobrement sur le côté de la tre, où l'on fait fricasser lapin ou poulet. tête. Par-dessus la jupe, pour travailler, « Le centre de la pièce est occupé par elles revêtent le tablier noir ou bleu foncé une table de chêne aux lfgnes massives à rayé fait dans un tissu solide. Elles sortent l'extrémité de laquelle est le ,tiroir conte- peu deleurs mas, si ce n'est pour aller à nant l,e pain. Bien souvent elle a vu naître la foire et à la messe, soucieuses uniqueles propriétaires des lieux. Les chaises ment du travail de la terre et de l'éconoremplacent peu à peu les bancs. mie. Leurs mains calleuses et rêches té.,. « Dans chaque maison on trouve une ou moignent de l~urs multiples travaUx.. deux chaises basses sur lesquelles on La paysanne plus jeune ne porte plus s'assièd le soir au coin de l'âtre, dites aujourd'hui le costume local. Elle est en"càdières basses". Les mères s'en servent core vêtue de noir, sans élégance, ni souci pour langer leurs enfants sur leurs ge- de mode, Le costume du dimanche est noux. Contre le mur, la grande horloge, porté tant qu'il peut faire usage. La forme partie intégrante du mobilier de chaque de la veste, les chapeaux n'ont pas de ferme. date. . « Les poutres mal équarries et noircies « Jeune fille, la femme est plus' coquette supportent les anneaux de saucisses et les· et porte des vêtements aux tons clairs et ~ épis de maïs. aux formes plus seyantes, mais classiques. « L'électricité est dans toutes les maiSon manque d'élégance semble être dû sons, mais l'installation est assez rudimen- au souci d'économie et au peu de choix taire. Tous ùis services, qui pourraient en des boutiques environnantes. Gracieuse être tirés ne sont pas exploités. Une am- niêmeet parfois bien faite, la jeune fille, poule unique et de puissance insuffisante une fois mariée, va être rapidement défor'éclaire la grande cuisine... mée par les maternités et le travail de la « Dans pre~que tous les cas, on' peut terre. Peu à peu, elle se vêt de noir, ,et ne déplorer une mauvaise organisation du consacre à l'entretien de ses vêtements travail, d'où accroissement de la peine, de que le temps indispensable. Elle va de la fatigue, des pertes de temps. Cette moins en moins chez le coiffeur et ne se mauvaise organisation est due : aux di- farde plus. Beaucoup de jeunes femmes "mensions exagérément grandes de la ramassent leur chevelure en un chignon pièce; à une mauvaise disposition des sévère. différents postes de travail (espace impor« La f~mme qui a atteint- la cinquan~ tant entre les uns et les autres); aux taine n'est jamais allée chez le coiffeur. conditions inconfortables dans lesquelles Elle ne se lave que très rarement la tête, s'effectue le travail : cuisine à l'âtre, n'en ressentant pa$le besoin. (. .. ) vaisselle fCrite sur un évier' absolument « La femme accomplit toùtes ses besoinadapté; peu de matériel utilisé. gnes dans de très mauvaises conditions. Elle fait la lessive pliée en deux, sur un « La nourriture baquet qui n'est même pas à sa portée et « Peu de femmes savent faire la cuisine qu'elle doit vider ou remplir au fur et à et établir des menus rationnels. mesure des besoins. .Elle fait bouillir son « La cuisine est toujours. faite rapide'ment. La soupe de campagne, aux multi- linge à l'âtre, dans un' chaudron, tout ples légumes, qui bout à l'âtre toute la comme elle y fait cuire l'alimentation du . matinée, est l'alimentation de base. Il est bétail « Pas d'endroit réservé pour faire la fait un usage abondant de lard, de petit salé, de quartiers d'oies, de saucisse. Les toilette. Parfois, on troUve· une table de toilette, un broc et une cuvette- dans un mets sont très gras. ' de la chambre à coucher. La pièce coin « La femme n:achète de viande de boucherie que le dimanche. Elle prend de n'est pas chauffée ou l'est insuffisamment. « Le lavage. des' mains -avant le repas préférence du pot-au-feu. Elle ne sait n'est pas systématique. On utilise la fon" accommoqer la viande que d'une autre taine en cuivre .ou, ''l'oy~re'' (pierre plate façon: à la poêle; , et creusée de l'évier) que l'on remplit « Les menus, sont établis de façon irrationnelle. Ils doivent être -réalisés très d'eau avec la "casse" (louche en cuivre). « En général, la fermne ne fait appel rapidement. L'éventail des mets est assez aux conseils d'un médecin que lorsqu'elle réduit, la ferilme ayant surtout à sa dispoest vraiment malade. Fatiguée, elle prend sition les produits de la ferme, qu'elle des potions, des remèdes de bonne accommode de façon toujours semblable. femme, des comprimés d'aspirine. . « Le repas du soir "laisse beaucoup à « Pourquoi? Parce que cela entraîne désirer; une assiette de soupe, une cuillerée de confiture, quelques noix, telle est des frais; par négligence; parce que la femme est dure à Ta peine; parce que le , une de ses compositions fréquentes. travail commande... » « Les menus du dimanche sont presque exclusivement basés sur la viande. La femine prévoit deux où trois plats, pas de légumes. Source: Jean FourasHé, Les Trente Glorieuses,
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Le' moderne n'était qu'un mot, et la crise du logement, une réalité. tèmt les déplacements de loisir, weekends, vacances, voyages d'étude. Le nombre moyen de' kilomètres parcourus par chaque habitant 'en une année a été multiplié par 80. .' Alors que 150 des 163 maisons avaient plus dé cinquante ans d'âge en 1946, et se , trouvaient dans un état médiocre, 50 d~s 212 maisons d'aujourd'hui ont été construites depuis vingt ans, et toutes les maisons anciennes ont été rénovées. La rue du' village est p:r:esque aussi animée que celle d'une grande ville. Les habitants sont sans cesse dans leur voiture pour aller chercher' leur pain ou leurs cigarettes à 500 mètres de chez eux. Les habitants de Douelle vivent encore dans les mêmes rues, traversent la même campagne pour aller travailler. Mais ce n'est plus le même travail,' et ce n' est plus la même vie. ' " •
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RAPPELEZ· VOUS LE DRAME DES ANNÉES. 3D ,
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24 'octobre 1929 :.ler·j:èûdl. noitdè Wall Street. La Bourses'effoné
.lapr()qucti()I) iIlq1l,~tri§lle.ehWe brutalement. L' Occidents'er,tfor réèessîori~·a·eson2HÎsfÔire:;(En:point de mire, le nazisme ellClgu~
chœgêde .
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personne ' . ' . /': n'échappe à un , « Le Gulf Stream véi'd'cms''un sens (de besoin: réflexe de ' comparaison l'Amérique vers l'Eur,ope), mais J'or va historique. L'étalon dgns l'autre.)} Ce proverbe boursier '. de mesure pour. donne une id~~ de lafqrce d'at!taction de.' évaluerd.ilD$tii1~b '. "Yil81~§~I'E?et~ur: !~$:Ç.cif?itauxr}l8?diaux' ~~;. ',' lagravitéèlenolre Ce' mOlS c.deseptemore 1929.:·Avec sO" crise, c'est encore hausse des cours, ininterrompue depuis le souvenir de éelle:pll.1sieurs mois, la Bourse new-yorkaise est des années 30. ., ' 'en traIn de devenir la, huitième merveille Panigu.eboursièré du monde. Qu'on en juge: les cours ont c
::I:~a::Unis,
chômeurs, exodes sur les/routes du Midwest et Raisins delacolère!De 1929 à 1932, la production industrielle avait baissé de 30 %en France, de 40 %en Italie, de 50 %en Allemagne! Simultanément, la crise des années 30 avait provoqué un effondrement des échanges et de l'emploi. Ce que les gens réclamaient à l'époque, c'était des choses
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grimpé de 31 % depuis le début del'an~' née, de 72 % depuis 1927, et' de 123 % depuis 1926: La spéculation est au zénith. Les bariques étrangères; les particuliers, jusqu'aux mandarins de Shanghaï,appor~ tent leurs liquidités au StoCk Exchange. Cet afflux d'argent inquiète le Federal Reserve Board, incapable, malgré ses manipulations à la hausse du prime rate, de réduire les facilités de crédit accordées aux personnes jouant à la Bourse. Ces personnes, on en évalue le nombre à deux millions : beaucoup de petits épargnants, qui ont retiré leur argent des banques. Et des gros requins comme les principaux agents de change de Wan Street, nouveaux dieux des médias. Les magazines féminins vantent leur glamour supérieur à celui des stars de Hollywood. Le jus de palourde dont ils se délectent au luncheon club de Wall Street devient le drink à la mode dans les -bars huppés de la côté E s t . · ' Le jeu du comment-devenir-riche-d'uncoup devient vite insensé. La foule des boursicoteurs, de plus en plus irresponsa~ ble; accroît considérablement les risques d'un renversement de tendance. Les petits poissons.manquent des qualités nécessai~ res à la survie. A l'origine, la ,croissance' des cours correspond à l'expansion économique américaine qui a suivi la crise de 19191921. Le nombre' des,' automobiles est passé de 1,9 million en 1919 à 5,6 millions en 1929. Les mœurs ont profondément changé surIe nouveau contirient. La nouvelle civilisation de consommation massive a permis de véritables booms sur le marché des radios, des réfrigérateurs, des meubles et induit une hausse corollaire des investissements. Mais dès l'été ,29, la demande s'est ,stabilisée et même tassée. Malgré la publicité qui se développe, les achats n'augmentent plus. L'euphorie n' est préservée qu'à force d'artifices, notamment grâce à la presse qui ne livre que des informations propres à. faire grimper les cours. Seul le vieux Alexci:nder Noyes, dans sès pages financières du New York Times, s'inquiète du niveau fou de la spéculation. Pendant l'été 29, la produc-' tion automobile fléchit (416 000 voitures en septembre contre 622 000 en mars), les' prix agricoles s'affaissent, le volume du fret stagne, les échanges intérieurs et extérieurs ralentissent. Au niveaù mondial, la situation est contrastée. La toute-puissance de Wall Street couronne la domination nouvelle des États-Unis. D.e l'autre côté de l'Atlanti-
Après le jeudi noir, la machine ne redémçrrre pas, le krach accentue la grande dépres que, l'économie allemande redémarre Imais sur la base d'un endettement gigantes que et de capitaux US. L'inflation menace. Streseman dirige un pays convoité par le nazisme et le communisme. Depuis la grande guerre, le ROY9ume-Uni connaît ,une crise économique chronique. Fin mai, le travailliste Mac Donald a succédé, au la Downing Street, au conservateur Lord Baldwin. En Italie fasciste, l'industrie et
l'agriculture suffoquent. L'inflation galope. L'Autriche est déchirée par des crises ,politiques. Le Japon et l'Australie nagent en plein marasme. La Russie s1alinienne fait face à la disette. Seule la France de Poincaré semble bien se porter. On n'y compte que 13 000 chômeurs. Paris reste assis sur son tas d'or et harcèle sa voisine germanique à propos des réparations de guerre.
re, le krach s'étend à tous les secteurs de l'économie, ~e dans la plus grande 're. Les années où la démocratie faillit disparaître.;
on qui rôde depuis l'été. On manque de travail, dé pain,
~t
même parfois de' cô'uiagé:
Fin septembre, à New York, les cours ser: « Octobre est un mois particulièresont artificiellement gonflés. Ils ressem- ment dangereux pour spéculer à la blent à un soufflé géant que la moindre' Bourse. Mais il y en a d'autres : juillet, panique peut effondrer. Cette panique, janvier, septembre,avril, novembre, mai, elle va naître de la banqueroute fraudu- juin, mars, décembre, août et février. » leuse à Londres de Clarence Hafiy. Jeudi 24 octobre; tout le quartier de Le 4 octobre; le marché se déglingue à Wall Street est en état de siège. Des Wo:IIStreet et connaît sa plus importante. milliers de clients font la queue devant les baisse de l'année. La drolatique prédic-banques. Un cri se fait entendre partout: tion de Mark Twain commence à se réali- « Vendez, vendez au cours.» Dans les
locaux de la Bourse règnent confusion, panique, chaos. Un raz çle marée de liquidation submerge tout. Au cours de la débâcle, près de 13 millions d'actions ont changé de main. Record sans précédent J . Les pertes ont atteint près de 3 milliards de dollars. Les agences publient un communiqué : « Le pire est passé.» Le nouveau président américain, Hoover, affirme le . lendemain : « Les activités fondamentales du pays, production et distribution, reposent sur des bases. saines, très prometteuses pour l'avenir. » Mais après le jeudi noir, la machine ne redémarre pas. Pire, le' mardi suivant, 29 octobre, la débandade s'accroît. Le déluge des ordres de vente balaie à nouveau le hall du Stock Exchange. 16 378 000 actions . ont été vendues. Les pertes, pour la seule Bourse de New York, atteignent 10 milliards de dollars :. deux fois la totalité de la circulation fiduciaire arnéricaine est partie en fumée en une seule journée! Le t6tal du gâchis. est en fait de 50 milliards de dollars. La hausse des douze derniers mois est effacée en une semaine.' Entre un et trois millions d'Américains sont affectés directement par le krach. Certaines fortunes s'écroulent et l'on raconte que les employés d'hôtel de New'York demandent à leurs clients s'ils. vl3ulent une chambre pour' dormir ou pour sauter. Le krach joue surtout un rôle de révélateur. (La conjoncture ne l'a pas attendu pour se renverser) . Il amplifie un phénomène profond et durabLe. Minant la confiance, il renforce la prudence des investisseurs (née de la hausse des taux d'escomptè) et lance la grande dépression qui rôde depuis l'été. Sur le moment, le krach laisse indifférente l'Europe, sauf Londres où la City, mal remise du scandaleHatry, frissonne et Berlin menacé, car directement dépendant des capitaux US. .' Le retournement de l'automne 29 n'a à première vue rien d!exceptionnel. Il semble respecter la chronologie cyclique des crises, telle qu'on la connaissait au XIX· siècle. Pourtant, sans à-coups, les années 1929-1932 vont se révéler meurtrières. L'économie US est la première frappée. Le volume de la proguction industrielle s'écroule. A l'indice 100 pris pour l'année 1929 correspond un indice 81 en 1930 et 54 en 1932. La production s'est donc réduite de moitié en trois ans. Les USA ne retrouveront pds le niveau 1929 avant la Seconde Guerre mondiale. C'est la chute de la production de biens durables qui est la plus forte. Les difficultés agricoles se développent, le bâtiment s'es. souffle. Les chefs d'entreprise révisent leurs prévisions à la baisse : ils cessent les embauches, réduisent les horaires, multiplient les mises à pied. L'investissement s'effondre. (En 1933, l'investissement- brut ne représente que la % du niveau de 1929). Contrecoup, les banques, surtout les petites situées dans les smalltowns, disparaissent, affectées par la contraction
essentielles: manger, survivre... La crise, c'était l'angoisse, c'était le drame. Des . catastrophes en chaîne sans commune mesure avec les ralentissements sOmme toute modérés que nous connaissons aujourd'hui. Les souvenirs de 1929 jouent. pour nous, dans un sens plutôt rassurant. Mais la mémoire collective entraîne d'aulres sortes de conséquences. Selon ce qu'ils ont vécu après 1929, les peuples d'Europe ont aujourd'hui une sensibilité différente face aux catastrophes économiques. En Allemagne par exemple, on reste . beaucoup plus obsédé par l'inflation que par le chômage. En France, c'est l'inverse: l'inflation fait moins peur parce qu'on a moins .souffert. Conclusion: leS souvenirs de 1929 continùent de peser lourdement sur les politiques anti. crise choisies aujourd'hui par les gouvernements. Est·ce logique t Risque.t~on de vivre un nouveau 1929 ?
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de la masse monétaire et l'écroulement des reverlUs. Au nombre de 29· 000 en 1921, elles ne sorit plus,que 1 200 en 1933. La crise aux USA entraîne une baisse radicale des échanges internationaux. De 1929 à 1933, les importations de 75 pays membres de la SDN baissent de 69 %. Des barrières douanières nouvelles s'érigent pour défen.dre les économies nationales menacées. La demande de matières premières, affectée par la baisse d'activité, s'effondre (au Brésil, on brûle les excédents de café dans les chaudières des' locomotives). Les prix mondiaux plongent. Depuis les années 1925-1926, ils ne montaient plus guère mais ils subissent maintenant une véritable dégringolade. Entre 1929 et 1932, ils reculènt de 17 % au Japon, de 18,6 % aux USA, de 12 % en France, de 14 % en Grqnge-Bretagne. Comme, à l'imitation des Etats-Unis, la contraction
La patience face à la récession.
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de l'activité est générale (en 1932, la production allemande n'atteint que 52 % de son niveau de 1929, la production française 77 %), le PNB atteint des profon~ deurs abyssales. Partout le pessimisme règne et lamine les espoirs des investisseurs (la chute des investissements est radicâle aux USA, au Canada et en AllemagnE?). Le chômage prend des proportions gigantesques. En 1932, il touche plus de 20 % de la population active américaine (3 % en 29), plus de 18 % en Allemagne. (6 % en 29), 15 % en Angleterre (8 % en 29). C'est l'ère de la soupe populaire, des marches de la faim et de l'apparition des bidonvilles. La France, contaminée plus tard par la crise, voit sa population inemployée croître dans les années 1934-1936. Outre son ampleur, ce qui frappe dans le chômage des années 3D, c'est qu'il,ne
sera pas suivi d'un redressement symétri- - distraction ne chôment pas. La radio se que (sauf en Allemagne nazie). Aux USA, répand en Europe et aux USA. Le cinéma, en 1936, au maximum de la reprise, il devenu depuis peu parlant, capte l'attentouche encore 10 % de la population ac- tian d'un public immense. Hollywood se tive, un niveau proche du maximum enre- polarise sur des sujets joyeux, comédies gistré pendant la crise de 1921. musicales et autres films d'aventures. Tout Le système monétaire mis en place juste si le film noir naissant et le cinéma après la Grande Guerre n'a jamais vrai- comique (Chaplin tourne tour à tour Les ment joué son rôle. L'étalon-or a été Lumières de la ville et Les Temps inoderabandonné au profit de l'étalon de chan- nes) tendent un miroir timide à la société ge-or. Il y a deux monnaies centrales : le américaine. dollar et la livre. Le métal jaune joue le En littérature, l'époque des grands bou,tôle de réserve en compagnie des devises. ,leversements formels est déjà passée. Ce patchwork monétaire n'a rien de ras- Kafka est mort en 1924, Proust en 1926, surant. Entre 1930 et 1938, les capitaux Dos Passos cr déjà mis au point ses flottants jouent une valse sinistre entre montages et Hammett inventé le livre l'Allemagne où ils reviennent après 1930, noir ... Mais les écrivains américains porl'Angleterre où ils débarquent ensuite et tent une attentiQn particulière à la crise et la France qu'ils visitent après la mort du à ses conséquences. James /Agee écrit Front populaire. Ces mouvements errati- Louons maintenant les grands hommes, ques n'aident évidemment pas les pays 'Steinbeck Les Raisins de la colère et Dos européens à stabiliser leur économie. Passos Big Money. En 1931, l'Autriche connaît une grave Les attitudes politiques des citoyens' panique financière qui gagne bientôt la . sont bouleversées par les événements. Grande-Bretagne. Le dollar est dévalué, L'homme de la rue éprouve une méfiance puis la livre. Le, système monétaire se accrue pour les régimes parlementaires et disloque peu à peu. Quatre groupes se les économies libérales qui n'ont pas su le forment: le bloc dollar (USA.et Amérique protéger de la crise. L'Allemagne vire au latine), le bloc sterling (Grande-Bretagne brun nazi. Les démocraties sont ébranet empire), le bloc or (Belgique, Pays:-Bas, lées. Le capitalisme est sauvé, mais de Suisse, Italie et la France, jusqu'à la justesse, et mis en résidence surveillée. dévaluation du franc, en 1936) et les pays Le Royaume-Uni est le premier pays à à change multiple. consacrer l'intervention de l'Etat et le L'écroulement de l'économie mondiale protectionnisme, au rebours de toute sa a bouleversé bien des habitudes. Parado- vieille tradition manchesterienne. Les xalement, les chômeurs, s'ils font des éco- marchés agricoles sont organisés, l'indusnomies sur la viande et les vêtements, trie contrôlée, la sidérurgie intégrée dans réservent une part des' plus importantes le British Iron and Steel. de leurs maigres ressources au cinéma et Une fois élu Président des États-Unis aux loisirs. Malgré un pessimisme ambiant (en 1932), Franklin Delano Roosevelt met à couper au couteau, les industries cie en place un personnel politique coupé
Pour les Américains des années trente, l'économie est des milieux financiers discrédités. Quant à sa nouvelle politique, elle se révèle délibérément, résolument interventionniste et réformiste. S' appuyant·sur le monde ouvrier et des secteurs· nouveaux de la sociéte américaine, le New Deal bat en brèche le vieux rêve 'américain des pères fondateurs. La France reste tard à l'écart' de la crise. Attachée à la parité or du franc, elle fait longtemps figure de Suisse au milieu
de la tempêté. Mais face aux dévaluations sion en cela annonce la Seconde Guerre du dollar et de la livre, elle doit, pour , mondiale : dès 1934, le Japon avance en sauver ses exportations, imposer une poli- Chine. En 1935, l'Italie met la main sur tique déflationniste avec son cortège de l'Ethiopie. La guerre d'Espagne éclate en baisses de solaires. Très mal reçue, cette 1936. Un conflit majeur couve. La crise ne sera d'ailleurs vraiment politique fera.le lit du Front populaire. En Allemagne; au Japon, en Italie; les surmontée qu'avec cette Seconde Guerre régimes autoritciires contrôlent les échan~ mondiale, ses millions de morts, ses desges extérieurs; corsètent la. vie sociale, tructions massives et l'effort de reconstrucdrainent les budgets et les efforts vers les tion conséquent qui suivra. • .industries de guerre. La grande dépresEDOUARD WAINTROP
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PARLONS DES·· PRIVILÈGES
P: incIign~es
grèves, on risque vile de verser clans unanli· syndicalisme dangereux. Ou pire encore! Ce sonl . loujours les revenclicalions du Dans le succès phénoménal du livre de voisin qui François de Closets (Toujours plus 1), puparaissenl abusives, chacun . \ blié en juin 1982, il n'y a sans doute pas sail celci ! El que, des motivations angéliques. L'envie d'ailleurs la crise délicieuse et sournoise y eut sa part. d'aujourd'hui lail Cueilli à froid par la crise, sentant venir aussi - elloul de les vaches maigres et la rigueur socialiste, même - de vraies viclimes, Chômeurs chaque Français pouvait - grâce à lui lorgner chez le voisin et même· mesurer dans l'angoisse, son infortune. Ou sa chance. C'était le immigrés dronlés « système D » enfin mis à jour, la démerde . aux nouvelles
La géographie des pique-assiette
Oambéescle
racisme, quart . monde de la misère qui, à nouveau, gagne dulerrain dans les « zones D, elc. Et pourtant! . Commenl nier, malgré loul cela, l'évidence, Dcins les pays d'Europe
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franchouillarde montrée du doigt. Sous le vernis, la combine... Les chuchotements de fric et de fisc de toute une société subitement branchée sur la sono du bal. Ah, le pied! Le livre tombait d'ailleurs au meilleur moment. En· pleine période de pédagogie collective, de « dévoilement» d'une crise durable dont il allait falloir· -". et pour longtemps - s'accommoder. A l'annonce officielle des futurs sàcrifices imposés par la dureté des temps, le réflexe était logi-. que: est-ce que le type 9u sixième qui est. employé des Caisses d'Epargne, pharma~ cien, curé de paroisse ou fonctionnaire à l'EDF allait en baver autant que moi? Dans la restriction, chacun devenait pointilleux sur la question de la répartition des sacrifices. Normal! De Closets permettait ainsi aux Français de toucher du doigt l'incroyable archaïsme d'une société «à l'espagnole» dans une économie « à l'allemande». . Mais l'affaire « Toujours plus» comportait une autre leçon .•Plus fondamentale celle-là. Elle illustrait, preuves en main, la sénilité assez troublànte, l'emphase creuse dL1 langage politique. Pendant que les partis de droite ou de gauche, les bateleurs d'estrade et les idéologues rad/ soc s'affrontaient au nom des grands principes; tandis \ que sur la .scène du théâtre une lutte des classes de cartonpâte amusait la galerie,· la société réelle se terrait dans un espace compliqué avec des gaIeries souterraines, des recoins obscurs, des petites fêtes cachées, des butins particuliers, prébendes diverses et privilèges clandestins. Sous la France des grands ancêtres et des principes· solennels, celle, moins palpitante, des minicorporatismes et des « avantages en nature » ; sous la grande fête du Panthéon et de la République, la minuscule géographie des pique-assiettes. Entre ces deux France-là, un gouffre immense que chacun et depuis longtemps fait semblant de ne pas voir. Entre les « inégalités» sonores des discours et celle plus prosaïque du « terrain» ; .entre les mots de la politique et les choses de la vie, un ëspace infini. Et près d'un million d'exemplaires légitimement Vendus ... Tou-jours plus participait ainsi au décrassage urgentissime du vocabulaire partisan auquel nous convie la crise. Et ce n'est pas fini. Il reste beaucoup de toiles d'araignée sur les tentures et les vieux ors de la "République moderne! •. JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD Les pharmaciens ne se laissent pas Jaire. Le prix des médicaments baisse de 1,5 %. Into1érab.
Syndicalisme ou social.:.corporatisme? Les techniciens contre ,le déménageFeuilleter l'album social de 1983, c'est voir apparaître un cortège de l?anderoles ment d'Antenne 2 de la rue Cognacq-Jay èt entendre retentir comme. une longue à l'avenue Montaigne. C'est la fragmentapkrinte les mêmes slogans scandés aux tion du centre nodal qui assure la distrimégaphones : « non aux licenciements! » bution des images et des sons des trois d'un côté pour ceux que la crise frappe de chaînes que craignent les techniciens. plein fouet, et «défense du pouvoir Antenne 2 aura le sien dans ses nouveaux . d'achat» pour les autres ... C'est la France locaux. aux deux visages. ' , D'abord le visage de la vraie crise. TRI POSTAL L'année 1983, qui s'est terminée par la , 23 mars.. Grève cqntre un déménagetragédie de Talbot et ses mille neuf cent ment, au centre de tri de Toulouse. Huit cinq licenciements autorisés, avait débuté cents postiers en grève à Toulouse : ils aussi par des conflits dans l'automobile. protestent contre le transfert du, centre de Décembre 1983, l'ombre des,' CRS sur tri à. la périphérie de la, ville, et veulent Poissy,' drôle de samba sociale où la une réduction du temps de travail de 39 h génération usée des immigrés' demande à 38 h, pour le personnel de jour/et 35 à son compte. Les OS maghrébins rompant 32 h 30 pour les équipesde:nuit, en aVec la CGT veulent retourner au pays et échange de l'allongementdt;t.temps de 'estiment le prix de ce retour à 200 000 'F transport. Après six semaihes de grèves, chacun. Onze mois auparavant, jan- .' ils reprennent le travail, en, ayant satisfacvier 1983, cinq semaines de grèves dqns tion 'sur leurs principales revendications. l'automobile secouent ,la France. ' Trois millions de lettres étaient en souf-, 'Renaul t -Flins, Renault-Billancourt, france. Chausson, Citroën-Levallois, Citroën-Ncmterre et Citroën-Aulnay cessent le. travail. GABELOUS Lés grévistes réclament tout à la fois une 24 mars. Les douaniers mécontents. augmentation de salaire et de meilleures. Les. gabelous en grève laissent filer les conditions de travail. En pleine crise, c'est le cercle vicieux des qualifications qui voitures' aux frontières. Ils réclament la continue à provoquer des conflits. Tou- compensation des heures travaillées la jours en cause la même grille de classi- nuit. fication qui bloque les carrières et DENTISTES condamne les OS à le rester à vie. A ces 2 avril. L~s professions de la santé sont revendications professionnelles s'ajoute .. celle de «la dignité retrouvée», mise en en colère. Les dentistes' s'opposent à un financeavant par les OS immigrés, 53 % des dixsept mille sept cents salariés de Flins, 55 % ment des cabinets mutualistes par" la des douze mille quatre cents de Billan- Caisse nationale d'assurance maladie, court, 52 % des trois mille sept cents de particulièrement inopportune, estiment-ils, Chausson, 72 % des six mille cinq au moment où le gouvernement impose un cents d'Aulnay. Le .choc est dur, la lutte prélèvement supplémentaire.....pour équiliâpre, le réveil glauque. Une petite phrase brer le budget socia1. maladroite de Pierre Mauroy, qui accuse les ouvriers 'islamiques, n'apaise pas le . DOCKERS 8 avril. C'est au tour des dockers ... conflit qui se durcit à Aulnay, où des échauffourées entre grévistes et' non-gré- . Tous les ports ont été paralysés par une vistes font vingt-cinq blessés. La direction 'grève des dbckers qui réclament le mainde Citroën licencie quatre délégués CGT tien du droit à la préretraite à cinquantedont Akka Ghazzi, le symbole de ce cinq ans. mouvement. . La France, médusée, assiste à la télévi- FOOTBALLEURS sion, au, bras de fer entre syndicats et 13 avril. Les stades désertés? direction. A Aulnay, la CGT fait entrer et Les footballeurs professionnels menaressortir les 12 salariés licenciés, et Flins cent de ne, pas terminer le championnat se met en grève contre trois licenciements --après l'annonce du plan de rigueur qui de délégués CGT. limite, voire diminue leurs salaires. Ils Mois il y ct aussi la France protégée, la protestent contre l'absence de mesures France des statuts et des avantages ac- . fiscales accompagnant le plan. quis, celle d'un certain social-corporatisme. Inutile de l'analyser longuement. Il FONTAINIERS suffit d'en lire l'anthologie. 13 avril. Ils sont une centaine. Les fontainiers, qui n'àvajent pas coupé CROUPIERS l'eau depuis trente ans sont en grève, ils 3 janvier 1983. Les croupiers du Loews à réclament une augmentation de 600 F. ~ Monte-Carlo en grève pour le maintien « Nous ne sommes pas des privilégiés, ~ des avantages acquis et la sécurité. . répliquent-ils à la mairie de Paris qui les CI accuse d'être des nantis, de toucher entre ~' DÉMÉNAGEMENT 6300 et 10500 F, de jouir dé la retraite à 9 17 mars. Grève contre un, déménage- ,50 ans, et; pour la moitié d'entre eux, d'avoir des logements de fonction. ment à Antenne 2.'
happés par la' récessioD, chacun défend bec et ongles,_ avantages parlicuHers en re61antle « mistigri» de la crise au voisin. En clair, la catégorie des « vieux miles » (salariés honuDès, . bénéficiant d'un emploi stable) s'arrange -tous secteurs confondus - pourlaire supporter le poids de la crise par les nouveaux marginaux maintenus en dehors de l'appareil économique: lemmu, jeunes, immigrés... Entre les « vieux miles » ainsi protégés on peut mime dire qu'il existe un consensus caché en laveur du' chamage, voisin que chacun s'en, , prend. Quand on ne peut plus rien . aHendra de l'Étal , providence, ruiné et impuissant, c'est encore vers le voisin que l'on tourne son agressivité, Toujours plus! Oui, plus la croissanctt est molle, plus les sociétés sont dures.
,
.es voilà dans la rue.
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LES ANGLAIS AUSSI
< privilèges» adoptée. Malgré une dernlère nous sommes victimes' de la psychose 18 avril. Quatre semaines de conflit . grève" le 14 avriL de pression sur le de "Closets. Nous ne sommes' pas trop pour trois minutes de toilette à British parlement, la loi «anti-privjlèges» des payés, ce sont les qutres qui ne le sont Ecureuils a été adoptée. Elle prévoit un pas assez.» Les Ecureuils jouissent Leyland (Grande-Bretagne). Cinq mille ouvriers, qui refusent d'aban- nouveau statut national et tend à une d'avantages peu répandus : sécurité de donner les trois minutes dont ils béné- harmonisation des avantages des salariés l'emploi, salaires de 30 % supérieurs à. ficiaient traditionnellement pour se laver des Caisses d'épargne. Elle abroge les ceux des banques, sept serpaines de vaaccords locaux dont certains, comme à ,cances, prêts avantageux... les mains, sont menacés de licenciement. « Mais les Caisses d'épargne n'ont pas Cannes, donl].aient jusqu'à vingt mois de ÉCUREUILS salaires aux Ecureuils. Ceux-ci protestent. le monopole des privilèges, ceux. de la 23 avril. Caisse d'épargne: la loj « anti- «Nous ne sommes pas des privilégiés, Banque de France, déclare François de Closets à «Libération» , les valent bien. Comme ceux des Communautés euLes cadres aussi sont dans la rue. Sages avec leurs cartables, mai~ déterminés. ropéennes,du Crédit nationaL. du Crédit foncier, de certaines caisses de retraite, . de certaines mutuelles, de certains agriculteurs en « souliers vernis ». » Le toilettage des privilèges sociaux de~ vrait" bientôt se poursuivre avec les huissiers et les notaires. TÉLÉ
27 avril. Trente grévistes éteignent la télé. Tout s'est joué au centre technique de la SFP par où passent les images des trois chaînes et où une trentaine de grévistes a 8ufffi pour tout bloquer. La grève à été lancée par la CGT de l'audiovisuel pour des raisons salariales liées à la rediscussion de la convention collective. ANPE
30 avril. Le mouvement des «partageux» du travail stoppé. Ils ne sont que' trente-neuf employés modèles de l'ANPE de Rennes-Nord à cotiser bénévolerrient pour assurer l'embauche de « leur »chôm.eur. Les syndicats n'aiment pas ça, L'expérience s'arrête en février 1984." BOUCHERS
5 mai 1983. Cent cinquante-sept corporations dans la rue. Les bouchers et les poissonniers .descendent dans la rue ainsi que les cafeti~rs pour protester contre le contrôle des prix. Selon le ministère de l'Économie, leurs prix ont trop augmenté. 3 à 5 % pour les poissons alors que les prix de gros restaient stables : 7,3 % pour les boissons quand la hausse ne devait pas dépasser 4,7 %. Les bouchers ont déversé une demitonne d'abats dans les locaux du Centre dl études et de recherches des coûts parce que la' profession n'a pas apprécié la façon dont on avait parlé de ses bénéfices. Ils ont augmenté de 17 % en 1982 mais baissé de 12 % en L98l et augmenté de 8 % en 1980: EDF-GDF
31 mai. Les électriciens et les gaziers en grève. 80 % des gaziers et électriciens ont observéune grève de quatre heures pour protester contre le projet de la direction. de remettre en cause le tarif préférentiel dont bénéficient les agents pour leur consommation: 4 centimes contre 45 centimes le kilowatf-heure. Un avantage acquis parmi de multiples autres ... «Mais les vrais privilégiés sont ailleurs », affirment les salariés d'EDF-GDF. TAXIS
Avantages acquis touj ours. Les socialistes plient devant le lobby des taxis. Ils acceptent la détaxation des carburants à uQ,e profession' fermée qui refuse obstinément de créer des emplois malgré la croissance des besoins. MÉTRO
17 juin. Métro parisien rare. . Sous le pavé, la grève, au-dessus la
PTT. La grève tourne à la bagarr~ avec la maîtrise. Chacun défend bec et ongles ses avantages acquis. pagaille. La grève du métro -parisien, domadaire. contre le transport des malades par les contre le blocage des salaires des agents , Et le 3 février 1984, -les emplc;>yés de pompiers. Lei circulaire ministérielle, qui de conduite,. provoque son cortège habi- banque sont à nouveau dans la rue. n'autorise les pompiers à transporter les tuel de nuisances et de lamentations. Défense du pouvoir d'achat. Non, nous ne malades qu'en cas de carence des ambu,. Commentaire désabusé (et log}que) d.e sommes pas des privilégiés, scandent-ils, lanciers; n'est pas respectée, affirment-ils. ' « Libération» : morale de l'histoire, les même s'ils reconnaissent avoir certains automobilistes vont espérer que la grille avantages (l'4 e mois, et même dans cer- MÉDECINS de classification des agents' de conduite tains établissements" 16e èt 17e mois, des 27 septembre., Les blouses blanches voient ,du métro soit aménagée. prêts avantageux à 3 %). 60 % des grévis- rouge. tes mit débrayé selon les syndicats. Les médecins en ont assez d'être consi':' PHAllMACIENS 'dérés comme des nantis.' La Confédéra18 juillet. Difficile de trouver des médi- DIMANCHE~ tion des syndicats' médicaux français' encaments la nuit : il y a grève des gardes .. 15 septembre. Les tris pQstaux sont para"' tame « une guérilla administrative» de Les pharmaciens dont le revenu net lysés. , protestation contre la taxe professionn'elle annuel moyen était de 245000 F en 1980, . Les postiers se mettent en grève contre et la non-revalorisation de la visite. et dont les bénéfices ont progressé, de un plan de restructuration de la poste qui 20 % en 1981 et de 13 % en 1982 (selon une supprime ,le travail dominical et les avan- CADRES étude du CERC) , ne se laissent pas faire. tages qui y sont liés: jours de récupéra,3 octobre. Grève des cadres C:G.G Leur grève des gardes est bien suivie. Ils . tion et prime de 400 à 500 F. Paul Marchelli lance un produit « new protestent contre la' baisse de 1,5 % du look» surIe marché revendicatif. La grève prix des médicam~nts remboursables par PAPIER dé l'électricité. Jeudi, de 20h 30 à 20 h 35, la Sécurité sociale qui entraîne une dimi2 septembre. La Chapelle-Darblay en éteignez vos lumières, vos radios et vos nution de 10 % des revenus de la profes- grève. ' , sion. Et sont opposés à la création de Produisons français pour l'indépendance télévisions en signe de protestation, contre pharmacies mutualistes. Leur mouvement de la presse. Une grève dure et active de , la perte du pouvoir d'achat-. Manque de chance, on ne saura jamais est suscité par la publication du rapport la CGT pour sauver le groupe papetier les résultats 'de cette consultatiori novaSerusclat qui décrit les avantages dont français. Un plan de sauvetage est monté. trice, Paul Marchelli n'aura pas accès aux bénéficie cette profession : implantation 3,2 milliards de francs, dont 2,3 milliards centraux EDF. réglementée, concurrence limitée, problè- de fonds publics, pour sauver un millier mes d'invendus pratiquement inexistants. d'emploi. Chaque emploi maintenu coûte FONCTIONNAIRE Et au bout du compte, des gains qui, donc plus de 2,3 millions. ' 4 novembre. Grève pour un déménagedépassent ceux des cadres supérieurs. ment. AMBULANCIERS ' Le, personnel du ministère des Affaires BANQUES 26 septembre. Halte à l'impérialisme des sociales cr fait grève pour protester contre 28 juillet. Ne touchez pas au samedi. pompiers. le transfert de certains services à la- porte Sept cents ambukmciers bloquent la de Vanves. Grève des banques contre le décret qui menacerait les deux jours de repos heb- plqce de la Concorde pour protester (Enquête de Luc Bernard) c,
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Sur les cartes de géographie, les taches de couleur remplissaient la moitié du globe. Chandernagor,Pondichéry, l'Anna,met'l'Expo coloniale~ Jean Lacouture raconte. Le centre? Nous étions « le» monde. Sur les murs de nos salles de classes, le « hicsunt leones» de jadis avait été remplacé par des taches. immenses; roses pout les Anglais, violettes pour nous : et pas plus que je ne supportais les raclées que les rugbymen britanniques infligeaient auxnôtres,je ne me résignai::; à l'ampleur de ces étendues roses, à l'étroitesse de nos plages violettes, sur les cartes d'Afrique et d'Asie. Quant au reste, il ne comptait pas. Rigoureusement pas. Il y avait bien les « petits Chinois » dor1t la faim chronique excitait l'esprit de charité de nos familles; les jeûnes de Gandhi qui les portaient, eUx, au sarcasme; il y avait ces récoltes de café que l'on brûlait au' Brésil dans les locomotives, quand on « L 'œuvre
civilisatrice de la France impériale », brochure réalisé~ en 1943.
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ne les jetait pas aux murènes, comme les esclaves' d'Apollinaire - ce dont on ne savait s'il fallait in,criminer la perversité des banquiers nord-américains ou l'imbécillité essentielle des producteurs de cette Amérique aux pieds nus; il y avait aussi les boxeurs noirs qui' venaient sur nos rings conquérir une gloire de trois sous, . en attendant de finir à Barbès, tuberculeux, drogués'ou aveuglés; ily avait une cohorte insaisissable de barbares qui n'osaient même plus h'apper' aux portes des empires couleur de roseet de violette. Nous autres, à Bordeaux,' étion~-nous un peu mieux informés, en tant qu'anciens' négriers, fondateurs de comptoirs, importateurs d'épices? Mon grand-père paternel était fonctionnaire à la Martinique, un de mes oncles intendant à Madagascar, un autre magistrat à Saïgon (où il eut à connaître du dossier d'un inculpé nommé André Malraux), d'autres encore vendaient un peu de tout en Nouvelle-Calédonie. Et quand on se hasardait à parler d'argent à Ja tabl~ de faffiille, c'était de la hausse vertigineuse ou. de la baisse sou. daine des titres de Tay Ninh ou des Terres rouges ... Mais quoi? Ce n'est pas parce qu'on exploite un champ qu'on estjrltéressé par les mulots. Qui savait'alors ce qu'était une ethnie africaine? Qui savait autre chose du Tonkin que la chute du cabinet Jules Ferry, le& tirailleurs du général Sarrail et les langueurs de filles aux. yeux oblongs? Il y (lVait bien sûr quelques livres, de temps à autre, de Pierre Mille, de Farrère ou de Roubaud. Il y avait, une fois tous les trois àns, un entrefilet dans Le Temps signalant Une échauffollrée en Annam ou quelque famine dans la boucle du Niger. Mais ces rumeurs hors de notre muraille impériale n'étaient pas plus propres à émouvoir l'opinion publique que le ·ressac qui battait à" Biarritz le rocher de la Vierge. De tels mouvements semblaient relever, plutôt que de la politique, de la. météorologie ou de l'hygiène publique, comme une épidémie de grippe. Qui ose .dire pourtant que nous ne
jetions qu'un regard dédaigneux sur cet , empire de violettes? Coup sur coup, en 1930 et 1931,' nous célebrâmes, non pas ces peuples qui nous étaient soumi$, mais la vertu que nous avions mise et mettions à les soumettre : mieux,' à faire reluire' à leurs yeux nqïfs l'hypothèse d'une évenPalanquin sur la piste de Bontog, aux Philippine:
tuelle assimilation. Ce furent les fêtes du centenaire de l'Algérie et l'exposition coloniale. Je n'qi gardé aucun souvenir des premières, sinon de quelques sermons de mes maîtres jésuites qui donnaient à croire que le maréchal Bugeaud. était parti pour lci croisade, n'ayant eu en tête que de convertir Abd-el-Kader à la religion romaine, et une active campagne menée aussi bien dans l'enseignement privé que public pour recruter de jeun~s militants à la Ligue maritime' et coloniale - dont la majorité de mes camarades arborèrent .pendant deux ou trois ans l'insigne. Mais l' « expo colo », ça, c'était quelque chose! Imaginez Viricennes hérissé de forteresses soudanaises, de kasbah marocaines, de villages bambaras, le tout
C'était le bon temps.
couronné _par un Angkor-Vdt d~ carton scandale. Mais là encore, le scandale couleur de crocodile, d'une beauté à la était d'abord en l'auteur lui-même. . Piranèse. Quel écolier d'aujourd'hui s'est La crise elle-même, celle du début des vu proposer une Clussi fabuleuse machine . années trente qui va conduire la France à à rêves ? . la grande déflation Laval de 1935, puis Dans le film consacré pat' Henri' de aUx correctifs justicialistes du Front popuTurenne à l'Indochine (et sur lequel je ne laire, générateur de la réaction Reynaud partage pas. l'opinion négative du critique de 1938, la crise modifie très peu CE:) type de Libé) on entrevoit ces,merveilles, exhi- de rapportsentte centre et périphérie bées' par un Paul Reynaud irradiant de pour ce qui concerne la France. Si les . cours des matières premières grimpent un suffisance bonimenteuse. Croyez-cvous que cette exposition de peu partout à la veille de la guerre génie àsiatique ait donné conscience à notre grandeur de la réalité des civilisations périphériques? Il serait intéressant de compulser la presse du temps. Il serait difficile d'y trouver une étude sérieuse. de l'architecture khmère au temps' des cathédrales. Plus facile d'y lire l'éloge de l'école française d'Extrême-Orient, gardienne de ces merveilles. De cet impérialisme dont nous 'vivions, on peut dire qu'il était peu vécu, dans la mesure où T objet n'en était pas vu. Quel macho s'accomplirait en èopulant. av~c la 'femme invisible? Qu'est-ce qu'un désir myope, une étreinte de nuçxge? Nous n'étions pas tout à fait les maîtres, n'ayant pas conscience de l'esclave. Dévoilements? Personne, au moins dans les' milieux dirigeants, ne lut la formidable préface de Malraux à l'Indochine SOS d'André Viollis. Plus rares encore étaient les' lecteurs de Félicien Challaye, accusa:teur du système, des brochures de Jean Rons le trotskiste, de Jacques Viot, de 'la gauche socialiste autour de Marceau-Pivert. Et qui dira l'impact, dans les groupes influents, des témoignages de Gide' '- Voyage au Congo et Retour du Tchad? Un provocateur? Un incorrigible déviant? Et personne ne1sut découvrir, au 'temps de sa publication (tronquée) la signification anticolonialiste de la Rose des sables de Montherlant. Seul. peut-être le Voyage au bout de la nuit fit éclater un début de
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permettant aux exportateurs de souliers tchèques de tripler leurs chiffres· d'affaires en Asie entre 1935 et 1938 -notre bon vieux, imbécile et ruineux protectionn~sme nedonn,e a:ucupe. charice aux « sujets>~ de notre Empire de le payer, avec leur cacao et leurs bananes, quelques espbdrilles ou soutien-gorge supplémentaires . .Une exception tout de même. Le latex indochinois est acheté aussi. par des industriels américains. LeS- titres des Terrés rouges montent si bien et si vite que, pour mon premier bac, quelques mois avant la guerre,'monoricle d'Indochine m'offrit· une raquette neuve. . C'est ainsi,quand on est au centre du monde, qu'on prendconsciençe des réali~ tés coloniales ~t des mécanismes.clehmpérialisme.. JEAN LACOUTURE
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'E NE CROIS
PLUSAUX
CARTES DE GÉOGRAPHIE'
les écoiiOmiistèiperdre leur latin et les experts se réfugier dans la rhétorique. Une chose est sOre: la crise - notre cancer - est grave. A ne plus comparer avec quelque refroidissement passager, grippage provisoire du . . système, cafouillage occidental dont il suUiraii d'attendre la rémission! Des choses ont été et ne seront plus. Pendant plusieurs siècles l'Europe a été le centre du monde. A tous égards: économique, .intellectuel, technolOgique, militaire... Elle . régnait sur la planète,en gouvernait les peuples et en tirait son pr06t. Notre richesse d'aujourd'hui, le niveau de vie dont nous béné&cions encore, l'avance
... Depuis 1945, les États-Unis ont raison de se voir à la plàce du vieux continent...
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o
Longtemps, l'Europe a été le centre du monde. Amorcée au XVIe siècle grâce à l'eXpansion maritime, l'occupation de la planète - parfois de façon irréversible comme en Amérique et en Australie - se poursuit jusqu'aux lendemains de la Première Guerre mondiale. Les représentàtions du monde, héritées,de la projection de Mercator l'attestent: tout; durant quatre siècles, tend à s'ordonner autour de l'Europe. Malgré leur puissance indus.' triellè, les États-Unis restent tournés vers l'hémisphère ouest et le Pacifique. Les empires coloniaux européens englobent la,lus grande partie du monde afroasiatique. Qu'il s'agisse. de civilisation, d'économie ou de puissance militaire, l'Europe reste l'acteur principal de l'Histoire. Deux guerres mondiales et leurs conséquences réduisent l'Europe occidentale à un rang désormais mineur. N'ayant pu, au lendemain de la' Seconde Guerre mondiale, constituer une unité politique ni assumer, par voie de conséquence, une défense autonome, l'Europe occidentale, aujourd'hui, représente une puissance industrielle et commerciale importante mais particulièrement vulnérable. Dans un monde en rapide mutation où les capacités d'adaptation technologico-culturelles sont essentielles, elle est distancée dans des domaines essentielles par les ÉtatsUnis et le Japon tàndis que l'URSS est devenue, au cours des deux dernières décennies, une puissance militaire mondiale partiCulièrement redoutable. .• 0
G.e.
qui eslla natre : tout c:ela est aussi le lruit d'une .prééminenc:e hislorique qui a c:essé d'être. Si l'on veut des dates symholei, c:itons-en trois: avril 1974 el la révolution portugaise, c:'est l'Afrique noire enfin décolonisée = mars 1975 et la .chute dit Saigon. c:'estla 6n de l'homme blanc: en Asie. 1974etla c:rise du pétrole, c:'est aussi, d'une c:ertaine manière, lu rupture du pariage c:olonial de la planète. Nous n'ac:hèterons plus, dans l'hémisphère sud, les produits qu'il nous laut à un prix 6xé par nous. Trois petites dates, trois péripéties négligeables? Elles soulignent en fait un gi~antesque relc»umemenl historique aux c:onséquenc:es inc:alc:ulables. L'EuroPe n'est plU$ le moteur du monde. Ni son . c:erveau. Elle est un c:ontinent vieilli, gueHé,'plus que jamais, par un irrésistible déclin. Mais c:omme il est dil6c:i1e d'admeHre c:e qui est et cl'en tirer leS c:onséciuenc:es ! Au sec:ours, toutes nos c:arlesde géographie sont devenues lausses... 0
...mais le vrai centre de gravité est là, autour du Pacifique. Adieu, l'Europe !
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LES· ETAPES DUDÉCLIN Les deux guerres mondiales, la dépression, la décolonisation, l'Europe s'efface, Claude Paillat raconte.
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à retirer précipitamment les milliards de dollars qu'ils avaient investis dans l'industrie allemande: Outre~Rhins' ouvre donc une crise fantastique jetant des millions d' ouvriers et d'employés au chômage, ruinant les' classes moyennes. Cet événe:ment majeur porte un coup' mortel à la République de' Weimar, elle-même déjà affaiblie par les inconséquences des partis politiques où l'on voit le Parti communiste alleJIland (le premier en Europe) livrer une guerre sans merci qùx sociàuxdémocrates, qui sont un des piliers de la jeune. démocratie issue de la défaite de 1918, et faire ainsi étrangement le jeu des nazis. Chancelier du Reich 'le 30' janvier 1933, Hitler prend, en six mois de poùvoir, une multitude de décisions qui auraient dû donner à réfléchir... ' Aux Indes, en Egy}?te, en Palestine, en Indochine, dans les Ëtats du Levant, au Maroc, des difficultés d'une extrême gravité poursuivent l'ébranlement deS deux principaux empires coloniaux, •• En Angleterre le coût de l'assurancechômage (dont les syndicats et les travaillistes n'admettent pas la réforme) met en danger la livre sterling (que la France dit soutenir). Evénement inimaginable: mécontents de la diminution de leurs soldes, les équipages de la Royàl Navy se mettent en grève à lnvergordon ! L'incroyable politique étrangère britannique (remorquant celle de la France) fait le jeu et les succès d'Hitler. Dans l'affaire des sanctions contre l'Italie, Londres jette le Duce' dans les bras du Führer et coupe ainsi toute possibilité de secourS aux États de l'Europe centrale menacés par l'expansionnisme allemand, ,La France vit ses derniers mois de grande puissance. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l'URSS se partagent une Europe laminée comme jamais elle ne l'a été. Victoiieuse comme l'avait été la France en 1918, l'Angleterre est à son tour à genoux et saborde son empire colonial. Déchiréeeri factions, la France ne survit qu'avec des transfusions américaines et s'engage en Indochine dans un conflit qu'elle n'a plus les moyens de 'mener. L'Italie est en proie à la misère. En Allemagne, Soviétiques et Américains font sentir leur férule et s'arrachent les techciens qui avaient forgé l'armée si redoutable d~Hitler. L'Europe, indépendante, fière, première puissance du monde, cl vécu. , A l'Est, le communisme impose son terrible système politique et économique. A l'Ouest, les démocraties occidentales sont peu ou prou un « protectorat » américain que le Plan Marshall aide à survivre puis à reprendre une vie normale ». Certes existe un embryon d'organisation économique européenne limité à l'Occident, mais on en connaît Tes fragilités, les crises à répétition. Pour l'instant seuls les ÉtatsUnis sont en 'mesure de protéger militairement leurs alliés européens des tentations soviétiques, mais aucun dirigeant anglais, français ou allemand ne· sait ce que serait la décision finale de Washington en cas d'une troisième gùerre mondidle. Le Japon atomisé, refait sur le modèle américain tout en gardant ses qualités propres, est devenu une fantastique puissance industrielle et commerciale concur. rençant à l' occasiori son ancien vci:inqueur. Quand retrouvera-t~il une réelle . puissance militaire, et dans quel but? Les empires coloniaux ont disparu, laissant la place à des États indépendants et qui font partie de ce qu'on appelle le tiers monde. Nul ne peut dire quand s'arrêtera l'instabilité de cette nouvelle force où les luttes idéologiques dominent de loin les réalités économiques... • CLAUDE PAILLAT*
En trente ans; deux guerres monçliales s'ajoute la tempête qui se lève sur ses et leurs conséquences ont entraîné l'effa- possessions d'outre-mer. Les seuls bénéficiaires de la « guerre cement de l'Europe en tant que première puissance du globe depuis plus de dix civile» qui, selon le mot du général Lyautey en 1914, a ravagé l'Europ~ pendant siècles. En 1919, derrière, une façade de gloire plus de quatre ans sont les Etats-Unis. et de prestige qui lui vaut d'être le siège ,Avant le' conflit, ils connaissaient une de la Conférence de la paix, IG France est fabuleuse expansion fondée sur leursimen réalité un pays épuisé, exsangue, menses richesses naturelles et exploitées E?ndetté fabuleusement et dont le principal avec une grande' capacité imaginative. èréancier, américain, entend se faire rem- Devenue monnaie internationale, le dollar bourser. Une passionnante enquête of- aide l'hégémonie américaine qui remficielleétale les carences et les retards (déjà inquiétants avant même 1914) dè l'appareil économique et industriel. Minée par un chômage considérable, l'Angleterre taille, sur le continent, des croupières à son partenaire de l'Entente Cordiale. L'Italie, qui fait également paT~ tie des vainqueurs du conflit, remâche son amertume de ne pas avoir reçu toutes les dépouilles qu'elle escomptait et s'enfonce dans. une crise sociale, économique et politique qui fait le lit de l'ancien socialiste Benito Mussolini. Ni Londres, ni Rome, ni Paris ne sont donc en état de promouvoir un plan de sauvetage de l'Europe. ' , ' . Il ne peut pas venir non plus d'une Allemagne en pleine anarchie (mais dont l'appareil qe production est intact), pi des nouveaux Etats issus de la dissolution de l'Empire austro~hongrois auxquels les signataires du désastreux Traité de Versailles n'ont pas fourni les moyens de survie économique. La Grande Guerre a bouleversé les circuits bancaires et financiers sans que les hommes de 1919 se soient préoccupés de leur vitale remise en ordre, ou mieux, de leur rénovation. place celle de l'Europe. Wall Street a Le prosélytisme de la jeune révolution détrôné ,la City de Londres comme precommuniste et le slogan du « Droit des mière place boursière du monde. On ne peuples à disposer d'eux-mêmes» du pré- peut plùs rien décider sans que d'une sident américain Wilson sont de puiSsants façon ou d'une autre interviennent les explosifs contre les empires d'outre-mer représentants, so-qvent des financiers de' 'qui font partie de l'image de marque des premier plan, des Etats-Unis. grandes puissances française et britanniPendant l'entre-deux-guerres ,-'- vingt 'que, de leur situation stratégique dans le ans entre le Traité de Versailles et l'attamonde, niais aussi de leurs systèrries que de la Pologne par l'Allemagne -' commerciaux. l'Europe est 'dominée par l'échec de ses Or quelques 'exemples annoncent de entreprises et ne parvient pas à remplacer formidables soubresauts. EI11919 toujours, le monde détruit à tout jamais en 1914cinq officiers algériens servant s,ous l'uni- 1918. C'est le cas en France, par exemple, forme français demandent aux Etats:.Unis avec les différentes tentatives pour assaid'intervenir en faveur de l'indépendance nir les mœurs politiques et sortir du. de leur pays dans des termes qui en 1954 conservatisme, économique; l'autorité de seront ceux du F.L.N. Par la poste, Poin- l'État se dilue dans les extravagances du caré, président de la République, reçoit régime d'assemblée. Rien n'arrête l'agoun tract sur « les revendications du peuple ,nie de la Ille République. annamite» signé du futur Ho-Chi-Minh, En présentant à l'automne 1930 son déjà assidu des milieUx révolutionnaires. projet de Fédération européenne, Aristide Aux Indes" symbole même de la puissance Briand, ministre des Affaires étrangères, anglaise, l'avocat Gandhi prend la tête crée certes Un «choc» mais éphémère, de la révolte. Par son encyclique « Maxi- avec l'entrée GU Reichstag de 102 députés mum Illud » le pape Benoît XV signifie ses nazis. Après la Seconde Guerre mondiale, distances" avec les, puissances coloniales. Jean Monnet concrétisera peu à peu, et A Bakou, les Soviets tiennent le premier non sans mal, une partie du projet de Congrès des peuples d'Orient. Briand. Ainsi, aUx, convulsions d'une Europe Dans l'immédiat, le krach de Wall Street incapable de remettre de l'ordre chez elle, de 1929 contraint les financiers américains * Historien
N'OUBLIONS PAS: UN 3e
CHOC
. PÉTROLIER POSSIBLE
q;;. 1
e Kippour, ce id de 1979, après la révolution iranieDDe - a coûlé à l'Europe des miUiODS de ch&meurs en plus. Aujourd'hui. nous éproUVODS un dangereux el illusoire souiagemenL La récession . . ' mondiale, les économies d'énergie failes pCïr les pays d'Europe, onl reltché la "(il leur ov.oit fcdlu à peine quelques heu- leDSion sur le res de palabres pour décréter le quadru- marché pétrolier. A plement du prix du pétrole en décembre courilerme,le p.-ix 1973, puis son doublement en 1979), ils ont du pétrole baisse. dû se résigner l'an dernier à baisser de La lenlation esl cinq dollars le pri~ de leur baril. grande de vivre Contraints et fon:::és par l'état dépressif du comme si l'orage marché. Le monde occidental, qui avait élail passé, ce que lonlla plupart des assisté ébahi.à la montée en puissance de gouvernements l'OPEP, savourait sa vengeance; le cartel .européeDS. En fait. payait enfin les conséquences des deux: nous resloDS à la chocs pétroliers, par un juste retour des merci d'un choses. troisième, d'un quatrième ou d'un cinquième choc pétro6er. L'Europe loul entière esl un peu comme un malade qui dépend étroilemenl de ses perfusioDS : comme Jlui, nous dépendoDS de. ce qui peul se passer aulour des champs .pétro6ers d'Arabie Saoudile ou du
Le 3e choc pétrolier est inévitable. En l'an 2000, le baril atteindra sans doute 55 dollars contre 29 actuellement. J
trepris depuis .c1973. Même si cela coûte cher, pas question de brûler impunément de l'essence ou du fuel sous prétexte que leur . prix a baissé l'or noir reste une denrée rare. Il recommencera 'à flamber avec la reprise mondiale. L'avertissement est clair. Et pourtant on aimerait ne pas . y croire tarit la situation actuelle a quelque chose de réconfortant pour nous, pauvres Occidentaux. Car enfin, s'il ya aujourd'hui des gens dans la mouise, ce sont bien les émirs de l'OPEP. Si prompts autrefois à imposer leur diktat
Les experts sont parfois de vilains rabat-joie. Alors· que le prix du pétrole risque une fois de plus de chuter en raison de Id faiblesse persistante de la demande, ils vous annoncent froidement, le nez plongé dans leurs courb~s, l'arrivée d'un troisième choc pétrolier. « El]. l'an 2000 le baril atteindra sans doute 55 dollars (contre 29 actuellement) et si vous ne voulez pas sublr le contrecoup de cette hausse, vous avez intérêt à prendre vos précautions. » Pas question donc de relâcher les efforts d'économie d'énergie en-
ÉVOLUTION DU PRIX DE RÉFÉRENOEDE L'OPEP {EN DOLLARS) DEPUIS 1910 .
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Plus jamais. non plus Jamais - ou en loul cas pas avanllrès . longtemps - nous ne pourroDS, comme autrefois, coDSidérer le pétrole comme une deces .. res nulius D donl on dispose à volonlé.
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pétrolier mondial. Et pourtant,la tension monte dans le Golfe. En guerre depuis quatre ans, l'Iran et l'Irak sont à bout de souffle. Plus de 3PO 000 morts de part et d'autre, des réserves financières qui s'épuisent, un mécontentement qui gronde à l'intérieur des frontières, tout est réuni pour mettre un point final au conflit. Le scénario le plus probable passe par le lancement d'une grande offensive iranienne à laquelle les Irakiens répondEi::mt en bombardant les gisements pétroliers de Khomeini. L'Iran réagit immédiatement en bloquant le détroit d'Ormuz, par où transitent encore .34 % des exportations mondiales. Dans cas extrême, pas de problème, répondent en chœur les milieux pétroliers : le manque à gagner qui en résulterait (8,5 millions de barils/jour) serait largement compensé par les stocks existants et l'augmentation de la production des autres pays, y compris celle de J'Arabie Saoudite. En perspective de cette crise, le pays du roi Fahd a en effèt eu, soin de stocker 7 millions de tonnes de pétrole en dehors du Golfe pour pouvoir ravitailler l'Europe, les Cqraïbeset l'Asie , du Sud-Est. Aucun risque donc de pénurie à condition que le blocage d'Ormuz ne se prolonge pas au-delà de quelques semaines. Ce qui est peu probable, corppte tenu de l'engagement pris par les Etats-Unis d'intervenir militairement pour rétablir 'la libre circulation dans le Golfe. Peu inquiets pour cette année, les experts commencent toutefois à plisser le front dès qu'on leur parle de la prochaine décennie. Stable jusqu'en 1990, aHirmentils, le baril de pétrole grimpera ensuité progressivement pour atteindre 55 dollars à l'horizon 2000. Simples prévisions, mais qui sont tout. de même fondées sur des arguments solides. Première certitude: si la reprise américaine gagne les autres pays industrialisés, la demande pétrolière repartira. Pour un taux de croissance du PNB de 3,5 % par an, l'Agence Internationale pour l'Énergie prévoit en' effet une hausse de4% de la demande pétrolière des pays de l'OCDE. Pour peu que la reprise s'étende aussi aux pays du Tiers Monde et c'est le boom assuré : n'ayant pas eu les moyens pendant la récession de développer leurs . propres ressources pétrolières, ils sont plus que tout autre tributaires du pétrole dans leur développement énergétique. Au point qu'ils devraient consommer plus d'un tiers du pétrole mondial en l'an 2000, contre 12 % actuellement. Seconde certitude : l'essor démographique qui s'annonce dans ces mêmes pays contribuera à accroître la demande pétro~ lière d'une part et à réduire l'offre d'autre part. L'Equateur, le Gabon, l'Indonésie et . Le temps béni du super à petit prix et du plein sans douleur. l'Egypte' présentent à cet égard le même profil. Aujourd'hui, exportateurs de pémême voie: lui aussi mise sur le nucléaire, perdre son rôle de leader au profit des trole, ils risquent de devenir au cours de malgré les risques de séismè qui rendent .. autres producteurs, qui fournissent au-. la prochaine décennie importateurs, en l'entreprise très dangereuse. Il réduit' ainsi . jourd'hui près de 64 % du pétrole mondial. raison de la faiblesse de leurs réserves et de 3 % sa consommation pétrolière. AilVu l'état pléthorique du marché, le de leur taux de natalité très élevé. l~urs, on préfère miser sur le charpon :'les pri~cipal danger qui guette l'OPEP. est Troisième et dernière certitude : le péEtats-Unis et l'Allemagne, qui possèdent bien une nouvelle chute des prix. Car la trole va devenir de plus en plus rare, en d'énormes réserves, rouvrent leurs mines. reprise mondiale, seule à même de sortir raison de l'épuisement des réserves. Bon C'en est fini de la suprématie pétrolière. les émirs du marasme, n'est pas encore au nombre de' puits (comme ceux de la mer Face à la contraction de la demande, rendez-vous. Elle interviendra au mieux du Nord) seront vides dans dix ans et les émirs, en toute logique, diminuent leur au quatrième trimestre 1984, affirment les comme la recherche pétrolière s'est consiproduction - qui chute de 50 % entre 1980 experts. Entre-temps, la demande chutera dérablement ralentie ces dernières anet 1983 - et ajustent leur prix. Pour encore de 3,2 millions de barils/jour une nées, en raison de la. baisse des prix du certains, l'effort n'est guère douloureux: difficile épreuvepciur l'OPEP, qui doit se brut, -aucun autre ne pourra prendre le avec son confortable matelas de devises réunir début mars. A la veille de cette relais tout de suite. Résultat : la queue (quelque 160 milliards de dollars), l'Ara- rencorttre, le marché joue la baisse~ « Ya- basse, les consommateurs devront à noubie Saoudite peut attendre sans problème mani aura beaucoup de mal à convaù:icre veau frapper à la porte des pays du l'arrivée· de jours meilleurs. Mieux, elle ses partenaires de consentir de nouveaux Golfe, qui possèdent les plus grosses ' économise ses réserves qui demeurent efforts. Et si lui-même refuse de réduire sa réserves pétrolières. Jolie revanche pour aujourd'hui encore les plus fortes du production, c'est la chute assurée », l'OPEP. monde. Rien d'étonnant donc à ce que le affirme un spécialiste. Autre signe de la . Moralité : si l'Europe veut échapper au Saoudien Cheik Yamanisoit le. maître dégradation de la situation : naguère si troisième choc pétrolier, elle a tout intérêt d'œuvre de cetteveloppementdu pétrole, prompt à s'enflammer, le marché ne réa- à mettre une croix sur l'or noir. • pour payer ses importations de bien ali- git plus aux incertitudes politiques qui A .menlaires et nour politique réaliste. Lui continuent de peser sur lé. ravitaillement FRANÇOISE FRESSQZ .':1.'"--_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Piqués au vif par l'apparition de ces nouveaux parvenus qui osaient ,s'enrichir sur leur dos, l'Europe et les Etats-Unis préparaient en effet leur riposte depuis 1973. Lorsque le baril de pétrole passe brusquement de 5,11 à 11,65. dollars, ils décident de s'affranchir progressivement de leurs nouveaux maîtres en réduisant leur consommation pétrolière. Le ralentissement de la croissance les y aide grandement. La montée de l'inflation, l'apparition de déficits commerciaux importants les contraint en effet à assainir leur économie. Entrés en récession,_ ils réduisent considérablement leurs importations de pétrole. Les chiffres parlent d'eux-I,l1êmes : entre 1977 et 1982, la consommatiori pétro~ lière d@s pays de l'OCDE chute de 17 %. Mais la récession n'explique pas tout. Les pays consommateurs cherchent aussi, par des politiques volontaristes, à se passer de l'or noir. dans la mesure de leurs moyens. Pour y parvenir, chacun. développe sa propre recette. Dès 1973, la France se lancé à grands frais' dans un ambitieux programme nucléaire. L'addition est salée puisque EDF a emprunté à ce jour plus de 180 milliards de francs pour financer ses investissements, mais le but semble atteint; le pétrole, qui couvrait 60 % de notre consommation énergétique en 1975, n'en jassure plus que 40 % aujourd'hui. Sa part tombera à 30 % en 1990, si l'effort est poursuivi. Le Japon suit la
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n'a rien à perdre. Le Nlgeria- avait tout misé sur le développement du pétrole, pour payer ses importations de biens alimentaires et nourrir ses 82 millions d'habitants. Il ne s'en sortaujoùrd'hui qu'en empruntant. D'où une déstabilisation du régime, et une tentation de plus en plus grande de rompre la discipline de l'OPEP pour pouvoir produire plus. Les Nigérians ne sont pas les seuls à tenir ce langage. Confrontés à leurs propres difficultés, les Iraniens et les Algériens exigent, eux aussi, une augmentation de leurs quotas de production, en expliquant.: « Nous nous· serrons la ceinture depuis trois ans et cela ne sert à rien.» Le pire, c'est qu'ils disent vrai. Tandis que l'OPEP réduisait son offre, d'autres pays producteurs faisaient leur apparition sur le marché : la GrandeBretagne avec son pétrole de la mer du Nord, le Mexique, l'Alaska et une dizaine d'autres petits producteurs qui, dès 1973, s~étaient mis à explorer leurs propres gisements rentabilisés par la hausse permanente des prix de l'OPEP. Mis ·bout' à bout, leur production pèse d'une façon considérable sur le marché pétrolier, d'autant qu'elle augmente de 12 % par an. Résultat : malgré les efforts draconiens de l'OPEP, l'offre mondiale de pétrole n'a diminué que de 5 % entre 1981 et 1982. Elle reste largement excédentaire. Le ,cartel n'a finalement réussi qu'une chose :
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La crISe ·esIIDOIDS robaste"·
.w1IDeVolvo.
Lareprise'est là. Aux USA et en Grande-Bretagne, elle est en marche avant. Il faudra se faire une raison~ , La conception et les matériaux utilisés pour fabriquer' de la crise . sont entièrement à revoir. \ . Ils crient; tempêtent, fônt .illusion quelques années, mais finissent toujours par rendre l'âme.'
"Tout le contraire d'une Volvoquiest pensée et fabriquée pour 'durer longtemps. T~ès 'longtemps: 19,3 ans exactement. Oui, vous avez bien lu, la durée moyenne de vie d'uneVolvo . est de 19,3 ans. Un record à· ce jour inégalé. Alors, ce ,n'est pas encore aujourd'hui que la crise nous donnera des leçons
La crise est en train de rouiller!, de longévité. VOLVO
MODÈLE PRÉSENTÉ 240GLE,MILLÉSIME 84. VOLVO FRANCE. 49 AVENUE D'IENA, 75116 PARIS ,TÉL: (1) 723.72.62.
NOUS NE SOMMES PLUS SûRs DE NOS APPROVI. ·SIONNEMENTS
FINIESI..ESMATIERES PREMIÈRES· A GOGO ,
les pI!I:olielrs ne exceptions, mais l'un cles aspects clu nouveau meMIe cie relations à l'économie mondiale: celui cie l'interd.4penclance el cie la vulnérabilité. Qu'il, s'agisse cles matières ))remières, cles capilàux internationaux ou cles transferls cie teclmologies, c'est un enviionnement beaucoup plus clur elséleclif " ,.,qui succède à la féicililé pélrolièie cles années 60 comnieâ là facilité financière cles années 70. Aujourcl'hui, la mise en valeur cles richesses minières s'effedueautant én fonction clurisque politique que cles consiclérations économiques : tanclisque l'Afrique fournUseur trfiditionnel cie , l'EÛrope - est " clélaissée, les investissements se concenlrent sur ' quelques pays «sûrs » (Amérique clu Norcl,Austràlie, Brésil...). De mime, la carle financière moncliale est en évolution rapicle. A1orsqù8' l'Amérique Icdine est sous le poumon, cI'acier cllI FMI. les capitaux aiftuent 'vers les ÉlaIs.Unis~ ,Iaissanfà l'Europe • le choiXenlré cles' taux cI'intérêt ~ "clissuasifi ou une chute plus forle encore cie ses monnaieS face au clollar. De mime enfin, le clurcissement technologique américain tencl·i1 à s'étenclre clu élomaine cles échanges Est/Ouest à celui des relations avec les concurrents japonais et européens cie l'Amérique. Dans ce nouvel environnement, il faut avoir les reins solides el savoir se redéployer vite: l'Europe le saura· I-elle?
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Le tiers monde fournissait naguère àJ'Europe tout ce qu'elle voulait, sans limites. Ce,temps est révolu. Toutes les matières premières sont désormais stratégiques. course aux nouveaux matériaux de substi. Survenant dans le climat intellectuel par le durcissement des échanges. Les transformatiâns en cours du mode tution. qu'illustrait le premier rapport au Club de La politisation des échanges qui affecte Rome, le'ç:hoc pétrolier de 1973-1974 avait d'échange international poussen1 à un été très largement interprété comme le type de relation entre pays beaucoup plus le domaine des matières premières est signe' avant-coureur d''ime généralisation instable et hiérarchisé queprécédem- visible également dans le domaine des des problèmes de rareté. L'épuisement ment. Le risque POUl; l'Europ-e est de se échanges de technologie. Les préoccupa- ~ des ressources naturelles étaitŒu cœur trouver.aubasde la hiérarchie qui Se met tions de sécurité que les Américains exprides réflèxions-géopolitiques de l'époque, en place au sein du triangle occidental ment en matière d'exportation vers les pays de l'Est ont déjà pour effet de et c'était sur le front des matières premiè., (États-Unis; Jappn, Europe).· Qr, ce que nous avons appelé aillèurs perturber les relations de l'Europe avec res que l'on attendait ,le prolongement naturel des tensic5nspétrolières. ', « le retour du stratégique » pousse égale- l'un de ses marchés traditionnels. Mais, de Dix ans plus tard, et malgré un.second ment à une déstabilisation de la position manière plus diffuse et plus grave, elle a choc pétrolier, il apparaît que la réblité éminente que l'Europe avait réussi à at- également un impact sur la capacité de internationale n'a pas été au rendez-vous, teindre vers le début de la décennie l'Europe à « s'approvisionner» en technoqûe lui· fixait, avec pourtant une belle précédente. Sans défense - au sens d'une logie auprès des États-Unis dès lors que assurance, la prospective. La flàrnbée des défense militaire autonome de l'ensemble ceux~cimettent en place" au nom des prix des matièrespreInières au milieu des de son demi-continent -l'Europe occiden- 'risques d'exportation vers l'Est, des procéannées 70 a fait place à une, chute saris tale est nécessairement perdante à la dures de contrôle et de limitation qui précédent des cours que la seule réces~ montée des tensions tant sur son territoire affectent les échanges Est-Ouest et dont sion mondiale ne peut s-o.ffire à expliquer. (elJromissiles) qu'à ses portes (Pologne, les arrière-pensées commerciales ne sont, ,Des mécanismes "de substitution de Liban ... ) ou qu'au plan global (relance de en réalité, pas toujours a;bsentes. Dans le même temps, l'accession au Japon au grande ampleur sorifà l' œuvre tandis que la course auxarniements). " La montée des tensions accélère en tout rang de « leader» dans un nombre limité la croissance, avec laquelle certain pays renouent déjà, se révèle beaucoup :plus cas le passq:gé d'une «carte plate» des mais croissant de secteurs implique lui économe en énergie et en matieres pre- échanges, telle qu'elle existait dans les aussi, en raison de la plus grande capamières qu'on ne l'aurait imaginé: " années 60 et au début des années 70, à cité du système japonais, des difficultés Pourtant, sous une forme différente, l'in- une «carte 'en relief» dans laquelle les accrues poude reste du monde à accéder , sécurité économiquequ'illustrbient les effets de domination et de hiérarchisation aux technologies. deux chocs pétroliers s'est bel et bien se révèlent beaucoup plus importants. La Au total" un système d'échanges relatirenforcée. Paradoxalement, un événe-' sécurité des approvisionnements enpétro- vement transparent et ouvert est en passe ment vécu voici dix ans donne la« prise les et en matières premières ·fait l'objet de se transformer en un ensemble hiérarde pouvoir» d'un groupe de~pays (en d'inquiétudes plus Çliguës et fait apparaî- chisé de rapports de domination et d' op" l'occurrence J'OPEP) apparaît comme le tre la vulnérabilité qui est celle del'Eu~ . position. premier acte d'une « perte de pouvoir» de rope ,et du Japon eri comparaison des Le durcissémËmt des échanges pose la communauté internationale sur l'en- États-Unis. 'Loin de s'atténuer, cette vulné- davantgge de problèmes à l'Europe semble du système économique. Dans rabilité différentielle est accentuée par la qu'aux Etats-Unis (dont le degré d'ouvercette perspective, la baisse actuelle des place croissante que prennent les consi- ture, bien que croissant; reste bien moinprix du pétrole est un facteur tout aussi dérations' dites de« risque politique» cire) et même au Japon (lui aussi nette~ alarmant d'insécurité que l'avait été le dans .les décisions d'investissements et de ment moins ouvert) puisqu'un japonais quadruplement des prix puisque cette financement. ,S'q:gissant des matières pre- exporte, par tête, deux fois moins qu'un baisse (dont On 'ne peut dire si elle est ou mières minérales, l'Afrique se voit ainsi français et surtout suffisamment dynaminon durable) menaceleprocessl1s délaissée, malgrE§ l'ampleur de ses res- que au plan technologique et industriel d'adaptation mis en route par les hausses 'sources potentielles, au profit de, pays pour jouer la carte du redéploiement précéderltes. ' « sûrs»' au premier rang desquels leS permanent Plus' généralement, la nouvelle ihsécu:" l'Europe; le Canada, l'Australie et, jus'Mais, au-delà de ce développement du rite· économique tient aù caractère' extrê- ,', qu'àJa crise/financière récente, le Brésil commerce, c'est l'organisation même de la mement volatile 'de l'ensemblre des et le Mexique.' " " " production qui se redéploie dans une grands paramètres économiques internaLe yieux schéma de type néo-colonial perspective mondiale. L'émergence de sotionaux ainsi qu'au processus de. hiérar- , sur lequel des générations de « tiers mon- ' ,ciétés «transnationales» qui, avait marchisation que porte enJui le nouvel envi- distes » avaient fondé leur discours accu- qué lès années 60 a été relayée' par ronnement financier et technologique. , sateur cède ainsi place ·àunschéma rétablissement d'alliances entre grands Tel Janus, l'échange international est en différent que J'on pourrait qualifier, par groupes' industriels pour affronter les riseffet.source -tout à la fois de prospérité et référence ironique au mot d'ordre de la ques qu'implique la: grande mutation de risque, dans des proportions,' qui dé- CNUCED,d'« autosuffisance collective»' technologiqu~~ penderltde la mani~re, plus ou moins des pays riches. Dé mêrne, que la part de Or,à J'évidence, l'axe principol selon efficace~t harmonieuse dont s'effectue la l'OPEP dans les exportations mondiales lequel se développent ces nouvelles c.e.o,régulation de" ces échanges.. Or "trois , de pétrole est tombée en dessqus de celle pérations' industrielles est nippo-améri,grands types de développement interve- des producteurs non-OPEP au début des, cain. L'accord entre General Motors, et nus depuis le début des années 70 dans années 80, de même les exportations de Toyota pour 10: production en commun 'l'ordreresp~ivement du géopolitique, du matières premières en provenance du Sud d'une petite voiture, l'accord, entre Kodak technologique et de l'économique ont cèdent-elles.lepas devantles productions et Matsushita ou l'accord plus général considéràblement accru le niveau de ris- du Nord, tèmtde matières premières que auquel l'Admirlistration Reagan tente de que qu'implique l'échange international. de nouveaux matériaux de substitution. parvenir avec les Japonais autour des Or, cette vulnérabilité accrue ne touche Frappant au premier chef les pays du tiers technologies civiles à implications militaipas de la même façon l~s divers groupes monde, cette modification de la carte des res(électronique, lasers, nouveaux matéde pays: tandis que les Etats-Unis renfor- échanges défavorise également l'Europe riaux... ) soulignent le risque d'émergence cent leurs positions - nous sommes quel- puisque celle-ci est pauvre en matières d'un condominium technologique' améri- . ques-uns à trouver rétro le discours à la énergétiques et minérales, dépend, plus cano-japonais. modesurlè déclin américain -, l'Afrique, que ,d'autres d'une Afrique dont l'outil Alors que l'échange commercial débou~ l'Amérique latine et l'Europe apparaissent minier se détériore et risque d'être distan- che ainsi sur l'intégration industrielle, les comme les trois zoneS les plus menacées cée par les États-Unis et le Japon dans la groupes européens se présentent en ordre
dispersé. Tandis que quelques géants négocient le libre recours à leur réseau euroHéen contre une association privilégJéeaveC un géant américain ou ·japonais (ainsi de raccord entre' Philips et ATT), bien des groupes européens sont trop vulnérables pour prétendre à autre chose qu'une position de. sous-traitant ou ·dé distributeur. La·· troisième source d'insécurité économique tient à ce qu~ les modes de régulation internationaux à l'abri -desquels s'était jadis développé le «miracle européen »n'ont pas résisté à la montéecle l'interdépendance. A des modes de régulatiOnquelque peu archaïques mais qui avaient du moin::ï le mérite de la stabilité (fixation des prix du pétrole par les majors, fixation des taux de change par les banques centrales,cOntrôles nationaux . des mouvements de capitaux... ) ont succédé dès mécanismes beaucoup plus vo-:latilesfaisant une place plus large au jeu de l'offre et de la demande. Il est probable que bon nombre des modes antérieurs de régulation ,n'auraient de toute façon pas . été capables de résister aU développemerit foudroyant des. flux internationaux : ainsi le système de charges fixes hérité de Bretton Wooqs était-il pratiquement incompatible avec l'existence de pools d'eurodevises (devises disponibles en dehors de leur pays d'émission) ,passés de 70 milliards dé dollars à la· fm· des années 60 à l 000 milliards de dollars en termes nets au début des ànnées 80. Mais cette évolution a. été de plus encouragée par les théOriciens libéraux· et· par les autorités américaines qui ont vu dans la déréglementation (<< deregulafion »J le moyen le plus efficace cl' assurer un fonctionnement harmonieux du système d'échangeR Or c'est à l'inverse que l'on a assisté: loin de se stabiliser à leur « niveau d'équilibre» ,. les grands paramètres de la vie économique internationale (cours du dollar, 'prix du pétrole et des matières premières ... ) ont été l'objet de fluctuations de grande ampleur de nature à remettre en, cause les investissements les mieux calculés. Plusdépep.dante du çommerce que le Japon et les Etats-Unis, pauvre - à l'inverse de ces derniers '::"enmatièrés premières et en pétrole, et devant utiliser· une rp.onnaie étrangère (en l'occurrence le dollar) pout l'essentiel de ses importa-" tions et de ses emprunts, l'Europe est tout particulièrement exposée à· ces .risques nouveaux, Ainsi un pays comme la France a-t-il vu la hausse du: dollar annuler, et même inverser, les effets de la baisse récente des prix du: pétrole tandis que sa stratégie de diversification énergétique (en l'occurrence nucléaire) voyait son coût considérablement alourdi par la nécessité de rembourser, en dollars également, les emprunts contractés pour les Comme les autres matières premières, le cuivre est devenu aussi sensible que le pétrole financer. Dans la période récente, cet environnement non régulé et hautement volatile a nétaire fait· de taux d'intérêts élevés, d'un aux banqu~s de bien vouloir « recyCler.». servi de milieu de propagation au choc né dollar fort. et, surtout, d\lIle beaucoup Pour l'Europe, cette transformation sonne de la mise en place, en octobre 1979, plus grande sélectivité dans le fonctionne- le glas des stratégies cl' ajustement par le d'une politique américaine monétaire tout . ment du système bancarre esttrès proba- financement sut lesquelles elle· s'appuyait entière tournée vers l'élimination de l'in- blement appelé à durer malgré les fluc- pour èrtténuer l'impact des chocs extéflation intérieure. Eh quelques mois" on tuations aûxquelles on peut· s'attendre rieurs. A ceux qui, depuis 1974; se demanpassait de l'euphorie du « recyclage» qui tant pour çequi est du dollar que des taux daient à quelles matières premières avait caractérisé le système financier de- d'intérêtR Il renvoie en effet à une nou..: s'étendraient les tensions de. type «choc puis le premier choc pétrolier à un durcis- velle donne financière en' faveur des prê- pétrolier», le président d'une grande maisement extrême des relations financières. teurs dont les effets se, font sentir aussi son de courtage suggéraü ainsi· une réFinis les taux d'intérêts négatifs en bien dans la mise au pas des grands ponse inattendue en soulignant que « l'ar. valeur r.éelle (c'est-à-dire jnférieurs au emprunteurs du tiers monde par leurs gent est là matière première la plus fonataux d'inflation). Finie là disponibilité eh créanciers .que dans le recours. désormais mentale» (<< money is the ultimafe apparence illimitée de ces capitaux inter- systématique par les déposants améri- commodity »J. .. • nationaux auxquels on avait pris l'habi- cains et, à un moindre degré, européens, ALBERT BRESSAND* tude de recourir systématiquement que ce à des mécanismes de prOtection contre les soit dans le tiers monde,. pour effacer effets de l'inflation. Finie l'ère de l'argent l'impact du prélèvement pétrolier et de la bon marché que des déposants acceprécession mondiale ou bien, en Europe, laient· de laisser. sur des comptes non * Docteur en économie, Albert Bressand est conseilpour lesAi/aires économiques internationciJes du pour financer les déficits de l'État protec- , rémunérés ou que des prêteurs en état de ler centre d'analyse et de prévision du ministère des teur ... sur-liquidité (ainsi des pays de l'OPEP Relations extérieures. Il s'exprime ici à titre stricteCe grand durcissement financier.et mo- après les chocs pétroliers) demandaient . ment personnel.
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MALHEURAUX PEUPLES QUI VlEILLlSSl;NT
~à. ~~bi.n
une bombe que la démographie réserve à l'Europe. Hier ellCOre, faœà des colonies mal nourries, déchDées par la mortcdité infantile, l'EUrope était le lieu du dynamisme démographique. Des familles nombreuses, une population en augmentation conslante. Le boum des naissances apièsla dernière . guerre nouS avait conforté dans l'idée que, décidément, . l'avenir et la jeun~se étaient à J'0us. Ce n'est plus vrai. Tous les pays européens connaissent, à deS degrés divers, le même elonclrelilenl. Ils onl à peu près tous, depuis quelques années, franchi la ligne rouge du . fameux .. 2,2 enfants" par . femme,taux .. minimum , indiSpensablé pour
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L'Europe représentait encore 16 % de la populationmondialel occupions il ya 2 000 ans. Et la dégringolade nI est pas terminÉ En 1950, l'Angleterre dvec 50 millions Mille ans plus tard, ce pourcentage de-' moitié. En 1945, lesdeux supèrpuissances d'habitants est le 8e pays le plus peuplé meurait inchangé. A partir du Moyen Age, dépassent globalement l'Europe Gt si l'on du monde, l'Allemagne le ge avec 49 mil- l'Europe se IIlettait. à croître légèrement se fie comme précédemment aux naissanlions, l'Italie le 10e avec 47 millions, et la plus vite que. le. reste du monde: 14 % de ces, elles représenteront bientôt le double France le Il e avec 42 millions. . la population mondiale en l700, 16 % en . de la population de l'Europe. Migrations, . Au début de 198t les quatre grandes 1800, 18 % en 1900. Mais déjà, un fléchis- expansions .territoriales, minorités féconnations d'Europe ont perdu cinq places. sement s'opère en regard des futurs empi- des, toutes ces raisons onljoué, mais leur au classement : au 8e rang mondiàL on res quibord~nt l'Europe· à l'Est et à conséquence est la même : tassement de trouve maintenant le Bangladesh,' avec . rOuest. La pORulation de la Russie ajou- rEurope et renforcement constant'des 97 millions d'habitants, au ge rang le tée à célIe des Etats-Unis, quin'atteintpas Etats,-Unis et de l'URSS. Constatons que la Pakistan, au l Oe le Nigeria, et au Il e rang le tiers de celle de l'Europeen 1800, . politique et la démographie vont au même . le Mexique, avec 76 millions d'habitants. s'accroît au XIX" siècle pour' arriver à la rythmé. La France, l'Angleterre et l'Italie seront dépassées cette année par les Philippines, et dans deux ou trois ans par la Thaïlande et la Turquie .. Cette régression relative en est à son, début et sa poursuite est déjà inscrite dans la pyramide des âges de chacun des pays européens. Sans faire de prévisions compliquées, toujours suspectées et .d'ail~ . leurs souvent démenties, on peut Cbnstater simplement que la pyramide des âgés déctit le proche passé et le proche futur . d'une population. En effet, comme les . écarts de mortalité se réduisent entre les pays, une forte propbrtion de personnes âgées témoigne' d'une population plus nombreuse il y. â quelques décennies. De même, lorsque les .enfants sont èn large proportion, on en déduit oisément que la : population dans une t:r;entairie d'années' sera plus impbrtante. . Dès lors, le nivealides naissances' donné une assez bonne idée du niveau de .' la population trente années plus tard, quand les nouveau-nés seront devenus' . des adultes dans la force de l'âge. En comparant le nombre des naissances' dans chaque pays .. actuellement, nous obtenons donc' un ordre' de grandeur des populations vers 2015/ Le résultat est assez surprenant lors:qu'on le résume sur un. tableau où l'on dispose les 30 pays les plus peuplés en- Plus de 7 enfants, en moyenne, par femme en Algérie. 1950 à côté des 30 pays où les naissances ont été les plus nombreuses en 1982, donc ceux qui seront les plus importants en 2015 (si l'on se souvi.ent des remarques LES 30 PAYS LESPLUS PEUPLÉS EN 1950 (MILLIONS) . précédentes). La France passe du Il e 1 Chine ................. ,........ 558,2 12 Bangladesh .............. . 41,0 23 Thaïlande ........•........ :. 20,0 rangàu28e , le Royaume-Uni duSe au 30e ; 2 Inde ...... ....... .......... ...... 352,7 13 Pakistan ... :................. . 36,5 24 Allemagne Est.......... . 18,4 l'Italie et l'Allemagne disparaissent du 14 Nigeria. ...................... . 34,3 25 Birmanie .................... . 18,4 3 URSS ........................... 180,1 Classement pour 2015. L'Allemagne, qui 4 Etats-Unis.: .................. 152,3 . 15 Espagne .................... . 27,9 26 Argentine .................. . 171 fut à la fin du XIX" siècle la quatrième 5 Japon........................... 83,6 16 Mexique ..................... . 26,6 27 Iran ............................. . ](;'9 puissance mondiale, a eu l'année der6 Indonésie.................... 75,4 17 Vietnam ....... ,............. . 24,6 . 28 tthiopif3 ..................... . 16,7 nière moins de naissances que le Ghana, 7 Brésil........................... 52,9 18 Pologne ..................... . 24,5 29 Roumanie ................... . 163 moins que l'Ouganda, que l'Irak, que le 8 Royaume-Uni........ ,.... 50,6 19 Philippines ................ . 21,Q 30 Yougoslavie .............. . ](1,2 9 Allemagne fédérale. 50,0 20 Turquie ...................... . 20,8 NépaL que la Corée du Nord, que le Pérou ou le Vénezuela. En. groupant en~ 10 Italie,........................... 46,8 21' Egypte ....................... . 20;4 Source : N ations- Unies semble les riaissances de tous les pays 11 France ........................ 41,7 22 Corée du Sud .......... _. 20;4 . (ESA/P/WP.55). d'Europe (à l'exception de l'URSSL on voit, . selon ce même 'principe, que la LES 30 PAYS OÙ LES NAISSANCES SONT LES PLUS NOMBREUSES EN 1981 population européenne, .à la prochaine 1 Inde ............................... 26,3 12 Egypte ................. :..... . 1;97 23 Maroc.......................... 1,01 génération, représ~ntera seulement 4;6 % 2 Chine ............................ 23;5 13 Iran .............................. . 183 24 Kenya ,... ,............... :.... 1,00 du total mondiaL 3 URSS ................. ... ......... 5,2 14 Philippines................. . 1:80 25 Soudan ... ~................... 0,97 Cét effacement démpgraphique de l'Eu4 Indonésie...................... 5,0 15 Japon .......................... . 1,54 26 Algérie........................ 0,95 rope rompt avec son histoire millénaire. Si 5 Bangladesh .....•........... 4,7 16 Turquie ...................... . 1,52 27 Tanzanie ....................0,94 l'on admet les. estimations convergentes 6 Nigeria................. ......... 4,2 17 tthiopie ...................... . 1,50 28· France .................. :..... 0,80 des auteurs les TIlleux documentés (John '7 Pakistan........................ 4,1 18 Birmanie .......... :......... . 1;44 29 Colombie ........... ,........ 0,78 Durand ou J.N., Biraben), l'Europe conte8 Brésil.......... ... ........ ...... 4,119 Zaïre ........................... . 1A3 30 Royaume-Uni.... ,.,.: .... . 0,73 nait ,12% de ra population mondiale à 9 Etats-Unis ......... ,......... 3,65- 20 Thai1ande ............... ;... . 1,32·. Source: World Population Data. l'époque du Christ et de César (30 millions 10 Mexique...................... 2;42 2) Afrique du Sud ........ ,. 1,10 Sheet du Population . Reference sur 250 millions dans le monde entier). Il Vietnam ...................".. 2,11 .22 Gorée du Sud ........... . 1,03 Bureau.
assurer le simple
~ouveUemmentde
en l 950. Avec ,Il %,en 1984, nous retrouvons la place que nous e.Unpays comme l'Allemagne aura disparu dans trois siècles.
la population. Rien ne permet de " penser que lei , choses, s'ammgeront sur ce lerrciin. Pas même les, encouragements nalalistes que, " prodiguenl " désonncds la plupart des ' , gouvernements. , Au rythme actuel. la population de pays comme,
l'Allemagne de l'Ouesl aura pratiquement disparu en trois siècles. Mais nous n'auronS pas , besoin d'aileneire si longtemps af&onler les problèmes créés par eeHe • panne » des naissaàees. Poids de plus en plus lourd de la popa!ation
"ur
maclive,
&naneemenl aléatoire 'des retrailes, atonie g~ér~e de .Ia , SOCléle,repli frileux vers le passé, ele. Face à: touleel... le fanlastique essor démographique de l'hémisphère sud, où certains pays voienlleur . poplllation doubler lous les vingt ans, aggraverCi sans cesse un déséquilibre déjà: vertigineux. Malheur aux vieux! '
En 1950, la population de l'Europe a sent comme de grandes puissances sÛT 'la moyenne en Iran, Algérie, Irak, Pakistan, , déjà nettement diminué en valeur relative, ,scène démographique internationale. On Syrie, au Sénégal, au Soudan, au Niger) ? mais elle comprend encore ,16 % des hu.., peut les dasser en trois rubriques : des Comme les pays des autres groupes, en ,mains. A partir de ce moment, le déclin 'pays vraiment peu développés, des pays tout cas, ils contribuent à cette nouvelle démographique s'accélère, Avec 11 % de qui se développent rapidement, et recou- donne démographique où des partenaires la population mondiale en 1983, nous papt ce premier critère, des pays musul- inattendus sont apparus : le Japonne retrouvons la place que nous occupions il mans. pense guère à l'Europe, mais s'inquiète Les pays peu développés types sont lè de ses voisins coréens, philippins, et bieny a 2 000 ans ; avec cés moinsdè 5 % qui se profilent, nous sérons dans une situa- ' Nigeria, le Vietnam, le Zaïre. La crois- tôt indonésiens qui progressivement le tion démographique entièrement nouvelle sance de leur population' ne donne aucun concUrrencent sur les autres marchés et signe de ralentissement.' Tout porte' à sur leur propre marché. La France, l'Italie, (sur 3,6 % des terres émergées). Qui donc est en train de reléguer la croire que leur masse 'démographique l'Allemagne verront,dans les trente pro:" population européenne à la portion augmentera encore pendant longtemps. chaines années, apparaître' de l'autre congrue? On pense immédiatement à Les vivres ne constitueront pas un obsta": , côté de la. Méditerranée des pays aussi l'Inde et à la Chine. Mais, le péril jaune de, car ces pays ont de bons potentiels pel,lplés qu'elJes, Maroc, Algérie, Egyptei est une idée fausse. Ily a 2000 ans, on agricoles et les surplus alimentaires à, Turquie. Les Etats~Unis, ,eux-mêmes taloncomptait déjà deux Chinois pour un Euro- l'échelle mondiale vont sans doute s'accu- nés par le Brésil, seront nettement doublés par l'Amérique latine. ' , , péen. C'était encOre le cas à l'époque de muler durant la prochaine décenrlie. Cette' nouvelle distribution des populaLes pays en développement rapide forGuillaume le Conquérant, puis à celle de François 1er, c'est toujours vrai aujourd'hui ment le second groupe. Ils se situent au tions entraînera-t-elle des changements (490 millions d'Européens et un milliard sud-est de l'Asie et en Amérique latine: économiques et politiques? Les nations de Chinois). On assiste même à un léger Thaïlande; Philippines, Indonésie, Colom.., ont souvent craint de manquer d'hommes, recul de la: Chine, doublée par l'Inde pour bie,Brésil,Mexique. Alphabétisés, ces' mais plus souvent encore elles ont croulé le nombre des naissances. Mdis le sous- pays s'industrialisent vite; disposent de sous leUr nombre. La Chine et 1'Inde, ,continent indien n'est, pas non plus res- bonnes ressources naturelles et sont très longtemps immobilisées par leur propre ponsable'de la régression européenne. La loin d'avoir épuisé leur potentiel agricole. masse, souhaitent échapper à cette inertie population mondiale ,comprenait L5% Seront-ils de nouveaux partenaires ou de en limitant
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. NOUS NE SOMMES PLUS. LES PLUS FORTS .
·dans le monde. C'est &ni ! Les guerres coloniales. les« sales guerres» n'ontpas seulement démontré que de puissantes armées. fortes de la .technologie occidentale. pouvaient êtrê tenues en échec par des . maquisards, Elles ont aussi marqué la fin d'un certain ordre. militaire mondial, En 1984. .niles chars•. ni les missiles anti. . aériens. ni les avions de chasse supersoniques. ni même. bientôt, l'arme nucléaire ne sont plus le privilège des pays industrialisés, .Une chose est de comprendre cela: une autre chose est d'en prendre concrètement conscience, Peu ·de
Français se doutent aujourd'hui que de «petits pays » cortune la Syrie. le Vietncun.I'Egypte ont davantage d'avions et de divisions blindées que la France, .Chaque mois pourtant, . l'actualité internationale est porteuse de «signaux» militaires auxquels on devrait prêter , davèmtage
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LE HIT-PARADE DESARMES DU TIERS-MONDE
L'Europe menait naguère la politique de la canonnière. Elle n'a plus de canonnières. Ce sont .les pays du tiers monde qui sont, pour la plupart, armés jusqu'aux dents. . .
LE SAM 7 « STBELLA ». Missile antiaérien de fabri. cation soviétique. Se porte ·à l'épaule comme uri vulgaire fusil de chasse. Rejeton miniaturisé et destiné à l'infanterie de la nombreuse famille $AM . (Surface to Air Missil) bien connue des pays du tiers monde. Au Nord-Vietnam, les SAM 2, 3 et 6 s'étaient rendus célèbres en descendant· plusieurs milliers; d'civionsaméricains. Le SAM 7 qui, en fait, existe depuis plu!l de dix ans, met les avions de chasse les plus modemes à portée du plus loqueteux des maquisards (voir nos Jaguar au Tchad ...). C'est le type d'arme qu'attendent désespérément les guérilleros afghans. .
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HÉLICOPTÈRE UH 1 ŒOQUOIS. Vedette américaine incontestée du film de F;F. Coppola, «Apoca1ypse Now ». Conçu en 1965 par la firme Bell, équipé de 2 ou 4 mitrailleuses Browning de 7,62 mm, cet hélicoptère est devenu le symbole de la défaite américaine au Vietnam, guerre pour laquelle il avait été fabriqué à des mllliers d'exemplaires. Au Vietnam, la fameuse l'· division de cavalerie aéroportée américaine - la first cav - alignait 600 Iroquois à elle seule; Efficace mais vulnérable, cet hélicoptère fut la cible par excellence des maquisards viêt-cong et des soldats nord-vietnamiens: En 1971, lors de la bataille de Tchepone, sur la piste de Hô Chi. Minh, près de 400 Iroquois furent abattus dans la même journée. Equipe aujourd'hui de nombreuses. armées pro-occidentales dont celle d'Israël.
--,
M-16. Fusil d'assaut américain, mis au point jusque dans son design au milieu dès années soixante par les experts de la. Rand Corporation puis fabriqués à des millions d'exemplaires. Conçu à l'origine pour la guerre du Vietnam et cOmlne l'arme antiguérilla par excellence. Robuste, simple, muni d'une poignée au~dessus du canon. Tire des balles de petit calibre; mais dotées d'une très grande vitesse initiale. Le. M-16équipe désormais les guérillas pro-occidentales ou, comme en Erythrée, les maquisards qui récupèrent l'essentiel de leur armement sur l'ennemi. Dansplusievrs pays, on.a fait une version civile; 22 long rifle, du M-16, pour les militaristes mytho, et même une version plastique pour les enfants!
Dans un monde surarmé, l'Europe ne fait plus le poids. Un entr€ Libération: Est-ce que le potentiel mili- conflit déterminé par la volonté irakienne taire conventionnel de l'Europe ne s'est de ravir l'hégémonie régionale qui a été . pas globalement affaibli depuis 20 ans, l'apanage de l'Iran au cours des années par rapport à ceux de certains pays sur- soixante-dix. armés de l'hémisphère sud? . Le conflit sino-vietnamien lui aussi Gérard Chaliand: Le potentiel militaire échappe aux catégories commodes mais conventionnel de l'Eur6pes'est affaibli, de étroites du type Est-Ouest, Nord-Sud. Une façon relative par rapport. à celui de .fois encore, il l?'agit d'un conflit dicté par certains pays sur-:armés de l'hémisphère . des intérêts d'Etats dans le cadre d'hégésud, Cela ne .fait pas de doute, mais ce .monies régionçrles. En fait, dissimulé der"' phénomène est tout à fait normal. La rière l'écran de l'idéologie, c'était déjà le quasi totalité des pays afro-asiatiques ne cas du conflit frontalier de 1959 entre la disposaient pas d'armées il y a une tren- CHine et l'Inde. Il va de soi que pour taine d'années. Depuis que les États asia- exercer des politiques régionales de cette tiques sont devenus indépendants, on as- sorte, on.a besoin d'armées· relativement siste à urie autonomisationpolitique et·· puissantes et nombreuses. militaire croissante. Ori le remarque au':' Il y cr un certain nombre de pays,au jourd'hui avec le conflit irako.,iranien qui Sud, qui disposent de forces armées nun'est ni Est-Ouestni Nbrd~Sud, mais un mériquement importçmtes: Vietnam, Indo-
nésie, Inde, Chine Corée du Nord et du Sud, Thaïlandè, Pakistan, Iran, Turquie, Égypte, Algérie, Maroc, Brésil, Argentine, Mexique, Cuba. etc. (je ne mentionne ni Israël ni l'Afrique du Sud). Les gUerres coloniales ont montré que des armées classiques pouvaient être tenues· en échec par des guérillas. Mais n'est-on pas maintenant parvenu à un autre stade: celui d'une montée en puissance des armées classiques possédant une technologie de pointe dans les. pays du tiers monde eux,.mêmes. Les armées coloniales peuvent·en effet être tenues en échec par des gUérillas. Ajoutons qu'à l'exception de Dien Bien Phu (1954), il s'agit non pas de.déficits militaires mais de défaites politiques. Les Soviétiques, par exemple/ne quitteront
KALACHNIKOV AK'47•. Fusild'assaut de fabrication soViétique. C' est la grande vedette.' la star. la divine.de toutes lesglierres du tiers monde.' Conçu par un ingénieur soviétique au début des années cinquante. eXiste en. différentes versions. et même dans une version chinoise. Son chargeur recourbé vers l'avant. son canon court et sa crOSSe' amoVible sont ciussi" célèbres dans.la jeunesse àtrô- . asiatique de Bob Marley ou Oum Kàlsoum ; (au Viet~ nam. les G.I. affirmaient re~ coimaUre entre mille le
B-40 ANTICHAR. Par sa maniabilité. sa légèreté et sa simplicité d·emploi. cette roquette _antichar soviétique joue lin peu le même rôle que celui des SAM .7 contre les avions. Elle équipait déjà Vietnam les forces communistes.. Surtout utile dans les combcits de rue. les embuscades. Grande puissance de pénétr.ation des blindages. Un inconvénient : le B~40 ne possède pas de système de guidage .comme les Sagger ou les Swater. plus modernes. qui furent utilisés efficacement par l'infanterie égyptienne pendant la guerre du Kippour. Avec le B-40. il faut viser. mais les Palestiniens et les différentes milices libanaises en font une consommation astronomique.
au
DOUTCHKA. Mitrailleuse lourde de fabrication sovi~tique. Est de~ venue célèbre' doris les médias. surtout gr6ce aux Palestiniens et plus tard à la guerre du Liban. La Doutchka. montée sur affût à l'arrière d'une Land Rover ou d'une Toyota. est empoignée et brandie de manière assez phallique par son servant qui est ainsi dans la position du skieur nautique. Arme de irès. gros calibre . dontlà-' cadence lente. est encore dans l'oreille de tous les' correspondants de guerre. elle a fait l'affaire des combattants sarahoui du Polisario et des unités cubaines en Afrique.
KATIOUCHA DE 122 l\IJl\/I. Roquette auto-propuls~e de fabrication soviétique. s'est d'abord illustrée. elle aussi. au Vietnam.C' est avec des Katioucha montées 'sur des rampes de bambou que le viêt-cong et les NordVietnamiens ont harcelé pep.dant . des années les positions améri. caines. Elle est devenue. doris le . même temps. l'obsession des habitants de haute Galilée en Israël. soumis au tir de Katioucha des Palestiniens. Au Liban. utilisée sur allilts multitubes et sur une grande échelle. elle a remis en vogue une désignation datant de la dernière guerre : les orgues de Staline.
CdlentioD.Quand l'Angleterre et la puissante Royal Navy peuvent s'enorgueillir d'avoir battu... l'Argentine aux Malouines, c'est bien. que quelque chose est . ~II_
cléfinitivement . changé daias le monde. Quand la· FrCQIce engage ses avions de chasse au Liban ou au Tchad, les résultats' . sont maigres pour.ne pas dire plus,
.décidémenL plus rien n'est . comme avant. Sans doute, l'avance technologique d'une société ne se i'Cdlrape-t1tlle paS aussi facilement qu'on le croit, Sans doute; le nombre .de chars, d'avions et de missiles que peut aligner un pays n'est-il qu'un faeleur parmi d'autres. (On a vu des armées aritlmiétiquement puissantes s'effondrer face à un adversaire plus' faible parce que la capacité militaire dépend aussi de la cohésion sociale et politique d'un pays,dela maturité technologique d'une société,) Les pays. d'Europe . . peuvent encore se rasiurerde ceUe façon; Mais pour combien de temps? Ne faut-il pas s'habituer dès à préseiltà vivre dans un monde où .les armées européennes, fussent-elles réunies, ne seront jamais que des forces parmi d'autres, Si nous devions un jour déclarer la guerre à tel ou tel pays du tiers monde . (paramètre sateur en instituant une cohésion. une nucléaire mis à discipline. des normes nouvelles. ect. La part); serions-nous grande leçon de trente-cinq ans de conflit sOrs de la gagner?
tien avec Gérard Chaliand, expert en.questions stratégiques
pas l'Afghanistan. même si leurs troupes y tionales anciennes (Chine. Vietnam. Copiétinent. Sur le plan strictement militaire. rée. etc.) ou l'épaisseur culturelle. l'habila guerre d' Algérie était gagnée. Les tude de labeur patient et minutieux. la succès des guérillas ne démontrent pas cohésion. ainsi que les traditions militaires israélo-arabe. c' est la supériorité militaire grand"':chose sur le plan strictementmili- rendent mieux à même - à cet égard. le d·une. nation industrielle de trois. millions taire que vous soulevez. cas japonais est exemplaire -'- de pouvoir de, citoyens 'par rapport à une coalition . QUdnt à la puissance des armées clas- . mener une guerre moderne de façon ef- d'Etats regroupant soixante millions envisiques possédant une technologie de ficace. rond·habitants. pointe dans les pays du tiers monde; elle En principe. cela devrait être le cas -:Même en 1973. une fois passée la surest questionnable. Il faut partir. qU'on le parce que. ce sont des sociétés semi- prise initiale (un élément qui peut déséveuille ou non. d'un constat: s'agit-'il de industrielles avancées des États du cônequilibrer n'importe quelle puissance) les pays semi-industrialisés ou de sociétés à sud: Argentine. Chili - et aussi Brésil. Israéliens l'ont emporté. La percée de peine en voie de sortir du sous-développe- Cela dit. il. faut rappeler que le clivage Sharon qui. désobéissant aux ordres renment? En d'autres termes: quel est leur entre société industrielle et non indus- verse la situation aux lacs amers. est-elle niveau? Il faut,' je crois. ne pas être trielle marqué par un autre rapport au aussi caractéristique d'une soéiété indus'obnubilé. par le cas vietnamien; Il .n' est . temps et au travail est décisif du point de trielle.démocratique. __ .. . . pqs généralisable au tiers monde. Je dirai vue militairR D·ailleurs. dans les gUerres Du côté égyptien. on sait que le général qu'il ya. en Extrême Orient,de vieilles révolutionnaires de type léniniste~maoïste. Gamassi voulait pousser l'avantage initial _ _.....;...s~o..;.c_ie_'t_é_s_.. _ay_a_n_t_c_o_nn_u_._d..,.e_s_fo_rm_at_io_n_s_n_a_-__c_·e_s_t_l_'id_é_Q_~_o..;..gJ._·e..,.....,..qw._. _·_j"'-o_u_e.....;...u_n·_r_ô..;.l_e_m_o_d_e_ru_·-__ju_s_qu_._·_à........o....,c_cu_p_e_r_l..,.es_c_o_ls_d_u:-;_S_in_a_ï_:e_t_qu ......e....... · ';41
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Sadate s'y est opposé. Le général Ça- sous-développement (relatif) de rArgen- militaire à la défaveur des pays occidenmassi s'est plié aux ordres, qui militaire.:. tine, c'est la préparation minutieuse de la taux. Le problème, c'est celui de la déterment étaient absurdes et politiquement logistique. Les soldats argentins ont été mination et de la t(macité politique. très discutables. Il ne faut pas surestimer autarit éprouvés par le froid et la faim que En matière militaire, la maturité technola technologie de pointe. Il faut savoir en' par les offensives britanniq1.,l.es. Du, côté logique d'une société joue un rôle vrai et faire usage, et l'intégrern'est pas facile. anglais, en . revanche, tout ou presque ne s'acquiert pas en une génération:, mais L'acheter est plus facile que r assimiler: Si avait été prévu. l'armée britannique est la capacité de m.obilisation d'un peuple, r on est incapable de réparer, d:ïmprovi-' une excellente armée de métier et la leçon . la volonté de se battre, ce qu'on appelait ser, bref de dominer la technologie, on est des Malouines au regard de la question autrefois le «moral«, ne jouent-ils pas un encoreJoin du compte. que vous posez, c'est "de démontrer les rôle aussi important? Or, sur ce dernier Quelle leçon peut-on tirer de l'affaire capacités des armées des sociétés indus- point, les jeunes pays de l'hémisphère ' des Malouines? Une victoire britannique, trielles dans une guerre classique. sud ne sont-ils pas plus spontanément certes, mais ,aussi la puissante Royal Dans une affaire comme l~ Liban, on « guerriers» que nous? . Navy tenue en éch~c. par les Argentins, ce voit bien que les armées des pays iri.dusLa maturité technologique est essenqui, avec du recul,' paraît extravagant. . trialisés ne pouvaient pas fçrlre grand- tielle à la conduite d'une guerre moderne Les Malouines appellent deux commen- chose, même d'un point de Vue stricte- -, classique. On ne saurait trop insister làtaires : d'une part, pour rhistorien, c'est ment militaire (le raid manqué desE:ten- dessus. Reste un élément primordial : le une ironie que de voir la Grande-Breta- dards sur Balbeck), le croiseur Arlzona au moral. C'est à cela que vous faites allugne qui, il y a 70 ans, à la veille de 1914, large de Beyrouth qui fait beaucoup de sion. Je pense que pour les engagés les fci:isait trembler le monde et régnait sur les bruit).· N'est-ce. pas l'amorcèd'une nou- gens' de métieI;, cela ne pose pas de océans, se réjouir, aujourd'hui, d'infliger velle.donne militaire à la défaveur, des problèmeda:t:ls les sociétés industrielles. une défaite militaire à une puissance de pays occidentaux? Les jeunes pays de l'hémisphère sud deuxième ordre comme rArgentine. , A u Liban,les armées des pays indus- sont surtout guerriers quand il s'agit de Vos questions d'ailleurs sont davantage triels ne combattent pas. Il faut partir de lutte patriotique. l'allant des troupes iradictées par les modifications historiques là. Elles agissent comme des forces de kiennes au début du conflit irako-iranien des quarante dernières années (que la . pression politique. Savez-vous que les et celui des troupes chinoises lors du conscience du public commence seule- guerres gagnées sont pleines de raids conflit sino-vietnamien n'a rien de ment à intégrer depuis une dizaine d'an- manqués? On finit par avoir une concep- convainquant. nées : c'est une des conséquences de la tion cinématographique et médiatisée de Non, ce qui pose problème; c'est la crise), que par dès considération pure- la guerre. Les guerres gagnées ont aussi capacité des sociétés industrielles à enment militaires. leurs batailles perdues. Ce qui compte, caisser des pertes. On le voit avec les D'autre part, pour l'observateur des c'est de durer et de l'emporter finalement Israéliens ou les Américains de façon èhoses militaires, c'est .précisément un (les guerres classiques ne sont pas que nette. Plus une société est industrielle; conflit qui conforte la thèse que je défends des opérations ponctuelles). Le problème moins elle paraît capable de subir des ici·: la supériorité globale des nations au Liban, c'est qu'.il y a une impasse pertes. Encore que cela mérite d'être industrielles; Non pas que les Argentins politique, une situation politico-confes- nuancé : c'est une chose d'aller combattre n'aient pas été capables de se servir sionnelle bloquée avec diverses immix- - sans y être absolument tenu -sur un d'armes très sophistiquées -'- comme le tions qui alimentent la guerre. civile. A théâtre étranger, et une .autre de se battre matériel français qui a infligé une perte l'heure actuelle, le problème pour les le dos au mur, chez soi, sur son terrain, .sévère,àla marine britannique. Les avia- Américains et les Français, c'est de savoir pour ne pas subir. Cela change radicale-: teurs argentins par exemple, se sont re~ si les dirigeants politiques peuverit, mal- ment: l'enjeu étant vital, les risques sont marquablement comportés dans l'ensem- gré leurs opinions publiques, laisser leurs assumés. • . Prgpos recueilli~ par ble. Mais ce qui a manqué du côté. troupes au Liban pour un temps prolongé. __4Z~~a_.r_g_e_n_t.1_·n_,_e_t-c-'e_s_t_à_c_el,....a_q_li_e_s..:.e..:.m...,.-e_su_r_e_·_le___E_n_fa_i_t,_i_l_n_'y_a_p_a_s_d_e_n_o_u_v_e_ll_e_d_o..:.n..;...n....;.e...,..;...'-'-""---'-"________J_ea ........ n_-C....;.l_a.;....u....;.d_e.....G_._U_IL_L_E_B_A_._U. .D..,.... .
·FINIE I.1A.VANCE TEe ·NOLOG~ . •. •. UE "
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NOUS RATONS LA3e RÉVOLUTION
INDUSTRIELLE
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L'Europe n' a 'plus le monopole du sCIvoir-faireindustrieL explique Michel Albert. 1ly a même ' certains prod,uîts qu'elle ne sail pasfabriquer~ Entre les nouveaux pays industriels et les nations l~s plusmo.dernes, elle est prise dans un, étau. Libération : Vous pensez vrcriment que ,l'Europe pourrajt être W1 continent en voie de sous';:développement ? Michel Albert: C'est vrai. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ce que nous venons . de vivre, ce n'est pas seulement une crise, c'est un formidable bascule'- ment de l'histoire. En simplifiant leschoses, on peut dire que s'est alors amorcée une double' inversion des raretés. Ce qui était abondant devient rare, ce qui était rare devient. abondcmt. Avec la guerre du Kippour, c'en est fini des ressources énergétiques à bon marché. Les habitants des pays indusJrialisés découvrent rétrospectivement qu'ils ont bénéficie pendant trente ans - et sans s'en rendre compte d'un privilège qui leur semblait «naturel» ... Et simultanéme_nt, l'Europe,. confrontée à cette nouvelle rareté, perd le savoir-faire industriel dont elle avait avec l'Amérique du Nord le quasi-monopole. Les deux privilèges historiques qui fondèrent notre prospérité s'effondrent. Oui, la carte du monde a changé oui, l'Europe commen,Ce à rouler sur le plan incliné de la décadence. Concrètement, cela se traduit de quelle façon? Mais regardez autour de vous, nos vieilles industries, celles qui faisàient no'tre force et notre orgueil, sont frappées de plein fouet. 1° L'industrie textile ne résiste plus ou très mal à la concurrence sauvage des industries dynamiques de Macao, de Corée du Sud ou de Taïwan, concurrence d'autant plus dure que, là-bas, les salaires des ouvriers ne sont pas ceux de chez nous. 2° La sidérurgie, notre sidérurgie, vous savez très bien qu'elle va mal, qu'elle est depuis des années sous la tente à oxygène des crédits publics. Des régions entières, et pas seulement en France, sont véritablement sinistrées. Depuis' des années, nous n'avons pas voulu reconnaître qu'ayec le minerai de fer assez pauvre de Michel Albert, ancien commissaire au plan~ chez nous, et notre charbon coûteux, nous PDG desAGF, auteur du « Pari Français » étions mal placés pour avoir une sidérurgie forte. Alors, au lieu' de réduire pro-' gressivement notre production, nous' seront pas' demain, à leur tour, dans le avons voulu artificiellement continuer. collimateur dela concurrence? Chez nous, on pense volontiers que la . Oui, mais tout ça, c'étaient les vieilles sidérurgie, c'est l'affaire de patriotisme. / industries, les secteurs traditionnels; ce , 3° Maintenant, c'est de l'industrie auto- ne sont pas forcément ceùx de l'avemr.. mobile qu'on s'inquiète. C'est elle qui doit C'est peut-être vrai. Encore qu'à chalicenderdans les pires circonstances, elle que effondrement d'un secteÜT, ce sont qui n'a pas su s'organiser, se moderniser des centaines. de milliers de chômeurs en à temps. On voit l'exemple de Talbot. plus. Mais le plus grave, en ce qui 4° La construction navale, et,- malgré concerne l'avenir, c'est que l'Europe vient de brillantes exceptions - vous savez de rater la troisième révolution indusqu'elle va mal et que nous ne sommes trielle. ' plus capables d'être compétitifs face aux La troisième, celle de l'avenir, ,c'est la chantiers yougoslaves ou japonais. révolutionelectronique et informatique. . Mais qui nous dit qUe les rares secteurs Mais celle-là, ce n'est pas en Europe. sur lesquels nous sommes encore forts, qu'epe s'est produite. C'est là-bas, très comme l'aéronautique par exemple, ne loin, sur les rives du Pacifique et au Japon:
L'EurOpe et pays développés lorinaientune sorte >cIe gigantesque atelier au milieu du monde. capable d'importer les matières premières venues du sud et de réexporter tous Je vais vous donner un exerr:lple, que je azimuts les objets trouve speçiaculaire: C'est une petite, cal- qu'il était seul ci culc:itrice ~lectronique qui n'est pas plus savoir fabriquer; grosse qu'une carte de crédit et qui fonè- CelacmssL c'est tionIle sans pile grâce à la lumière am- 6ni.Et pl..s biante: C'est Je derniermo<;ièle fabriqué gravement qu'on le croiL Quand . au Japon. Eh bien, je ne suis pas sûr que ne le Brésil en arrive nous, en France, nous sachions, un jour, à fabriquer un fabriquer cela ! Quand on parle de la modèle d'avion et troisième révolution industrielle ou des ci le vendre ci malheurs de l'Europe, c'est à des choses l'année française, on devrait mieux comme cela qu'il faut penser. Pour en prendre conscience, il suffit mesurer le poids du symbole. d~entrer au rayon art ménager d'un grand magasin. Les produits traditionnels dits Aujourd'hui ont suigi un peu « blancs» (les réfrigérateurs, les machi- partout dans le nes à laver, les aspirateurs) sont en monde-et général de mar~ue européenne, mais notamment en Asie pour les produits' nouveaux; à Rase. élec- - des concurrents tronique, dits « bruns» (télé-couleur, chaî- redoutables, des nes hi-fi, magnétoscopes), les fabrications mini~JcIpol1, comme américaines et surtout japonaises sont Taïwan, la Corée du SucL Hong dominantes. . . Et' ce n; est pas seulement dans ces Kong. dynamiques, domaines de l'avenir que l'Europe est Plus plus rapides, plus surclassée. Faute de s'être automatisée compé61ifs, ils assez rapidement, notre industrie automo- meHent ci mal nos bile est aujourd'hui concurrencée par la vieilles industrieS. compétitivité des Japonais. Nous avons Hier, le tex6le, . perdu le quasi-monopole de l'exportatioh aujourd'hui, la des automobiles que nous avions acquis construc6on .navale el après la guérre. ' Mais est-ce que c'est si grave que ça de l'automobile~ par en6en, rater, à son début, une révolution indus- pans l'indUstrie trielle? Une fois qu'elle a eu lieu,finale- européenne ment, tous les pays en profitent. . s'eDoncire. Et ce Oui, mais ça n'est vrai qu'en appa- n'est pas &ni. rence. Réfléchissez un peu à ce que sont .Les deux premières devenus les paysi qui, autrefois, étaient révolutions comme nous des pays' civilisés, avancés, industrielles et qui ont raté les deux premières révolu- celle de tions indup;trielles. Le plan incliné de la l'électricité el celle décadence dont je vous parlais tout à dé la machine ci -s'étaient l'heure, il pourrait très bien nous conduire vapeur produites d'abord à devenir une espèce d'Afghanistan. en Europe, avant Ce qu'il faut retenir donc, c'est que d'essaimer un peu dans cette crise-là, l'Europe n'a vraiment partout dans le pas eu de chance! • monde. Mais la Ah non! Ce serait trop facile de dire troisième cela. Ça .serait se consoler à· trop bon révolu60n compte. Si elle avait voulu, l'Europe aurait industrielle, celle encore bien assez d'atouts pourfaire face. c18l'électronique, passe loin de Mais il .aurait fallu, pour cela, unir se~ se nous, sur les rives forces. Or, c'est le contraire qu'ont fait les du Pacifique. On pays européens. Chacun d' entre eux a saura peut-être voulu tirer son épingle du jeu, tout seul. demain ce qu'il en Les politiques européennes qui, dans cer- coûte de rater une tains domaines, commençaient à devenir révolution' vraiment communautaires sont entrées en industrielle.
divergence. En fait, devant ce formidable défi que nous lançait l'Histoire, nous nous sommes conduits comme des gamins. Alors, si on voulait être précis, ce n'est pas l'Europe qui est en voie de sous-développement, c'est la non-Europe .. On s'est bouché les yeUx quand il aurait fallu regarder la réalité en face. On s'est divisé quand il aurait fallu s'unir:
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Est-ce que vous pouvez me citer un exemple? . Malheureusement, II y en: a beaucoup ! Le Marché commun agricole qui occupe tant d'heures à la télévision est un bel exemple de cette non-Europe dont jè vous parle. Il n'existe plus depuis 1969 puisque les produits agricoles ne peuvent plus franchir librement les frontières sans faire l'objet de droits de douane positifs ou négatifs : les fameux montants compensatoires monétaires. Face à la crise et au ralentissement de la croissance, l'Europe devait développer, en priorité, ses investissements. On attend toujours la création d'un véritable Marché commun des capitaux ! Et ,ce n'est pas le désordre monétaire dans lequel vit la Communauté qui 'y contribuera! Certes, la création du Système monétaire européen a marqué un. progrès incontestable. Mais c'est le seul grand progrès accompli. Jamais'depuis,sa création, voici un quart de siècle, le Marché commun n'a été autant tiraillé entre des politiques économiques divergentes. Et trop occupée par ses chamailleries incessantes, l'Europe ne prépare pas, son avenir. Elle ne développe ni sa recherche, ni son industrie pour lesquels il n'existe pas d'espace commun. E\t l'exemple le plus grave de tous, c' est p~ut-être notre insouciance à propos du' pétrole. Vous savez que nous avons subi deux chocs pétroliers, en 1974 et en 1979. Des centaines de milliers de chômeurs. Aujourd'hui, on a l'ünpression de respirer un peu, parce que la récession économique a fait qu'on a moins besoin de pétrole et que les prix ont baissé. Mais les gens sérieux savent que le jour où nos économies repartiront, nous' risquerons aussitôt de subir un troisième choc pétrolier aussi dévastateur... Face à cette menace, certains pays ·comme la France ont pris de sages décisions : ils ont su faire des économies d'énergie très importantes, ils bnt su aussi mettre sur pied de nouvelles sources d'énergie avec le nucléaire. . Mais à l'échelle de i'Europe, hélas,c'est bien l'insouciance, la frivolité et l'aveuglement qui ont prévalu. Nous dansons. L'Europe depuis dix ans est comme une vieille dame dans la gêne qui se donne l'illusion . ~qu'elle est encore riche parce qu'elle vend ses bijoux, un par un... • Propos recueillis par Luc Bernard
MINITEL: UN TERMINAL FRANCAIS TRES INTERNATIONAL ' LI autopsie du fleuron de l'industrie des « télécom » révèle une réalité incontournable il nly a pas beaucoup de composants français dans ce pur produit nationaL .. En 1982, le gouvernement annonçait avec fracas le lancement du programme d'action pour la filière électronique, un ensemble de mesureS spectaculaires des-. tinées à revigorer une électronique française plutôt souffreteuse. 1984. Sur les murs de Paris, des affiches de publicité finement suggestives viennent
annoncer la bonne nouvelle, : Minitel est là. " S'il est un appareil qui symbolise notre éleclroniqué, c'est bien le terminal télématique« Minitel» : ce fleuron de notre industrie des «télécom», qui sera distribuégratuitement à 3 millions d'usagers du téléphone, est présenté par la, DGT (Direction générqle des télécommunications)éomme l'exemple même du produit français. . 600 000 Minitel ont d'ores et déjà été commandés à quatre constructeurs nationaux : Télic-Alcatel, Matra, Thomson et la Radiotechnique (filiale du Hollandais Philips). Sciences et Vie a voulu savoir ce qu'était un «produit français », ce qu'il « avait dans le ventre »0 Sciences et Vie s'est procuré un terminal « Minitel », fabriqué par Télic-Alcatel. Et a demandé à la ' firme de lui fournir la liste détaillée des piè'ces de l'appareil avec leur paxs d'origine. Télic-Alcatel a refusé. ' Sciences et Vie a démonté l'appareil et voici le résultat : chaque fois que la provenance d'un, composant a pu être identifiée elle a été indiquée. ' Une chose saute aux yeux: sur les trois , cartes que comporte l'appareil, il n'y a pas beaucoup' de composants français. Même le tube cathodique qui compte pour 23 % dans le prix de revient est japonais. Conclusion de Sciences et Vie : de deux choses l'une: ou l'industrie française n'est pas capable de fabriquer des composants de qualité, et, c'est une grave faiblesse; OU elle en est capable et alors il faut en déduire que l'administration et les constructeurs français préfèrent enrichir les firmes étrangères... avec l'argent des contribuables. 0
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Clavier français NEC,
THOMSON
Japon
France
CARTE UNITÉ CENTRALE' TELle
France
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Etats-Unis
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France
Pays-Bas
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Suède mais fabriqué en France"
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Japon ou HongKong ou Tqïwan
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J'A! COMPRIS LA MENACE DU DÉSORDRE
MONÉTAIRE
trop complexes pour qu'on s'y .
intéresse, ()nlaisse .parler les experts. ()n a torl : le dérèglement du système 6nancier mondial, Wiauré . après la guerre par les accords de BreHonwood, est sans doute pour l'opinion l'aspect le plus négligé de la . .crise. Ce n'est pourlant pas le moindre. En lail,le monde occidental . est peHé, jour après jour, par une véritable thromboSe financière. Sans enlrer dans les détails, évoquons deux exemples. Le système monétaire, en eUel, est . ' désormais .. habité» par deux énormes houles de leu, cargaisons mal arrimées dont les . mouvements risquent cl tout moment de couler lebaleau. Coïncidence: chacune cl'elles pèse à peu près le même poids. 600 miliards de dollars, de quoi bo1isc:uIer tous les pare-feu el de propager
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Un grand pays endetté refuse de rembourser ses créanciers. Labourse craque, les épaignantss/affolent.; Heure par heure/le récit du krach·' monétaire qui menace l'Occident. Mexico, dimanche après~midi. Un soleil dépêche de l'agence Reuter, .les actions d'hiver réchauffe la grande place Zacalo, des banques les plus engagées au Mexi~ hérissée de drapeaux~ La propagande du que. commencent à céder du terrain. En Parti révolutionnaire institutionnel a quelques instants, le marché" tourne à . drainé une foule .immense, électrisée par. l'hystérie. la rhétorique de combat de José Luis . Jacksonville, Michigan, dimanche soir.' Lopez Portillo,qu'une crise sociale sans Le téléphone sonne. dans une grande· précédent' vient de ramener au pouvoir, maison de'bois, au bord du lac' Michigan. Le Mexique, crie le Président,ne peut plus « Ces salauds de Mexicains nous claquent supporter les oukases du Fonds monétaire entre les doigts. »' Zachary Bennett se. fige international, qui' étrangle l'éconoInie du ~urplace. Le moment qu'il redoute tous pays dans le nœud coulant des prêts sous les jQurs depuis trois ans est arrivé. La condi,tion. . . . Chase Manhattan, qu'il dirige depuis le Le 11exiquedoit quelque 80 milliards de retrait de David Rockefeller, a prêté . dollars aux banques occidenfales. n avait' 1,6 milliard de dollars au Mexique, la compté sur le pétrole pour rembourser : moitié de ses fonds propres. Bennett le sait les prix de l'or noir se sont effondrés. Le bien : il dirigeait le département internakrach pétrolier se rilUe en krach financier, tionalavant son accession au· sommet. Le Mexique n'a même plus de quoi payer C'est lui qui ayait négocié les prêts avec les intérêts de sa dette. Pour survivre, il a ces ministres téméraires, qui avaient tout fallu passer sous les fourches caudines misé sur le pétrole. Bennett avait imposé des bahquiers, Le précédent gouverne- des taux d~intérêt qui assuraient la fortune ment avaIt JOUé le jeu, lamort dans l'âme. de la Chqse. C'était l'époquebù les plus Pour tenir sa parole, le Mexique consom- grandes banques envoyaient une Rolls merait moins, arrêtant brutalement une avec chauffeur et quatre ou cinq cadres croissance de 8 % par .an, qui suffisait d'état-'majorquand le moindre fonction-' pourtant à peine à absorber le surplus de naire des pays en développement débarmain-d'œuvre produit par une. démogra- quait àun aéroport. La croissance mon. diale, le boom pétrolier, l'explosion du phie galopante. Mais l'élève-modèle du FMI avait trébu- commerce. mondial, tout semblait emporché. Dans un pays qui sortait à peine du terces pays neufs vers un développement sous-développement, bouleversé par un' rapide. Les banquiers étaient là pour le exode / rural massif et une urbanisation financer .. Avec les' taux' qu'ils obteriaient anarchique, la médecine du FMI avait de ces gouvernemÊmts fragiles, ils ramas-·· manqué de tuer le malade. Grèves géné- seraient en bout· de ligne plusieurs fois la rales, début de famine, renaissance de la mise. Bennett s'en souvenait comme si guérilla paysanne, émeutes meurtrières c'était hier. Il avait dû son ascerision à ces . dans cette mégalopole bouillonnante opérations de haute volée. qu'était devenue Mexico. Pour la première Mais l'arrêt de la croissance avait tout fois, le système quasi séculaire du PRI, le compromis .. Les nouveaux pays industriels parti populiste et. autoritaire né ,de la sont maintenant paralysés par le poids de guerre civile, héritier· unique de toute leur dette. Du coup, les banquiers sont . l'histoire du Mexique; de Moctezuma et condamnés à vivre au bord du gouffre. Et Cortèsà Zapata et PanchoVilla, mena- '. cette fois, Bennett sent le sol se 'dérober çait des' effondrer. Dans un sursaut déses:- sous ses. pieds. «OK, dit-il à son chef péré, le PRI avait violésapropre légalité, cambiste qui a interrompu son week-end· pour rappeler au pouvoir José Luis Lopez en famille, j'appelle Don». Mais Donald Portillo, héraut d'un national-populisme Regan, secrétaire du Trésor dé l'adminisagressif. Le dos au mur, le Président tration Reagan, chevauche dans son déclare la guerre .financière. Il dénonce. ranch. 'Berinett repose lentement le téléunilatéralement l'ensemble de sa dette . phorie. Pour la première fois de. sa car. «. Le Mexique ne paiera pas». Le .défi· rière, la peur l"empêche de réfléchir. D'est libérateur soulève une tempête d'accla- en ouest, comme une onde de' choc, la mations dans le petit peuple aux abois, nouvêlle de lafClillite mexicaine touche Au bord de la désagrégation depuis les toutes les places financières, au fur et à émeutes de la faim, le PHI vient de redres- mesure que les· Bourses entrent en acti'ser magistralement la situation. poliJique. vité.. A Hong Kong, la baisse s'étend aux Les syndicats rallient lei gouvernement, le aùtres valeurs' bancaires, A Koweït,' le patroridt se tait" '1' opposition hierdéchaî~ dollar s'effrite et l'or gagne dix points Em née rentre dans le rang, réduite au si- une heure. A Paris età Londres, en :ri:tilieu lence par l'unanimité populaire. Lopez de journée, toute la Bourse décroche. A Portillo à gagné une manche. Il lui reste à Wall Street vers 17 heures, c'est la chute faire face aux conséquences de son coup libre. de force. Dans de.ux heures, il aura ligué . Washington, lundi, 19 heures. Ronald contre lui,et contre le Mexique, tous les Reagan réunit un conseil de crise dans le' maîtres' de la fmanceinternationale, Le' bureau' ovale. Le Président revient de , vent selève. . . Tokyo~ 'dimanche soir. En raison du décalage horaire, c'est au Japon que la En cas de crise de confiance, les dépo~ décision. mexicp:ine produit . ses prerniers sants demandent la conversion de leur L-~_ff_e_ts_._T~r_6_is_rru_'_·n_u_t_e_s_a_p_r_è_s_l_a_t_o_mb_.~e_'e_,_d_e_l_à__·_c~o_m_p __te__ b_a_n~c_a_rr_è_e_.n__b_il_le __ ~_.______________________~__________________~__________
l'incendie monétaire sur toute la planète, . · 600 milliards de dollars. c'est d'abord le montant global des échanges pétroliers . (5 %du produit mondial), CeUe somme colossale est à la merci de UucluaiionS . erraliqu8i(baisse . ou hausSé du pétrole. guerre au . Proche-Orient ou dans le Golfe. ·révolutions arabes. etc,) qui influencent le cycle économique ·mondiCd. Pour une pari, cet argent est un super impat. · prélevé sur nos économies par les puys du Golfe et qui cherche un . , «perchoir Di une · massue oscillant désormais sur nos têtes, Mais 600 milliards de dollars. c'est aussi le montant global de la deHe des seuls puys en voie de développement. aujourd'hui . étranglés par leurs charges . ·financières, Cet ·argent qui a peu de chance d'être jamais remboursé. 6gue pourtant à l'aclifdes grandes banques occidentales, . Hypocrisie . dangereuse. connivences chuchotées: ci'est sur cet argent6c1if que repose, tout l'éqUilibre. du système, SanS le savoir. l'Europe dort, la têleposée sur du vide, .
La planche à billets est trop lente pour,répondre à ùne demande massive. En cds de panique financière, lacessafion de paiements est CE Californie; il est bronzé et détendu. Do- trompés, c'est à leurs actionnaires de fallu ensuite dresser un plan de bataille nald Regan, son presque homonyme, ré- supporter les pertes. » Le Congrès avait pour s'approvisionner en billets, et sume la situation : encore une journée ou pris le' relais : pas, un sou pour les commencer à évaluer les pertes. Le , deux à ce rythme, et le système bancaire banquiers. Le Président\ devait en tenir diagnostic est simple : les déposants vont américain se retrouve par terre. La Mai-:- compte.' A 20 h~ures, lé porte-parole de la se précipiter aux guichets pour demander Maison-Blanche lit un communiqué dans des billets. Mais le total des billets en son~Blanche et la Réserve fédérale doi., vent déclarer immédiatement que les ban- la salle de presSe. du rez-de-chaussée: 'circulation est très inférieur au montant .. ques seront secourues quoi qu'il arrive. K Le Président a pris. contact avec le, des .. seuls dépôts à vue. Au' bout .de « Je viens d'avoir Paul, répond le Prési- président du Mexique. Il espère arriver. à quelques heures, il faudra fermer et se dent. Je lui ai demandé si nous pouvions un accord da:ns les jours qui viennent. cEndéclarer en cessatiori de paiements, à ,....+to~""-h·o . jusqu'à demain, il pense que 'attendant, il estime que le secteur privé moins que laRéserve fédérale né se porte oui. » Paul Volcker dirige la Réserve fédé~ est assez solide pour faire face à la garante, avec raccord de la MaisonBlanche. Il faudra aussi liquider toutes les raIe, la b~nquecentrale des États-Unis, situation.. » .' Detroit, mardi matin. Michael Hendrick créances possibles . pour faire face aux qui dispose d'une réelle autonomie vis-àouvre comme tous les matins son quoti- demandes de remboursement. La Chase a vis du gouvernementd? Washington. " «Pourquoi attendre? », s'écrie Regan, dîen, le Detroit Free Press. Une manchette prêté à d'autres banques, à très court nous risquons de tout faire sauter!» C'est barre toute la une: «Le lundi noir des terme. Elle demandera à récupérer son Edwin Meese,le principal conseiller politi- banqu~s américaines». Sa femme Elaine argent.· Mais ce réflexe logique précipi., que du Président, qui lui répond':« Le lit par-dessus son épaule. « Ces Mexicains . tera la crise: les emprunteurs liquideront Président a.le Congrès sur le. dos, Don, il sont des escrocs. On leur prête des mil- à leur tour leurs créances. De proche en avait désapprouvé le sauvetage de liards et ils refusent de rembourser., - Tu proche, la faillite gagnera tout le système Chrysler à l'époque; ses électeurs n'ad- as vu, le journaliste dit que la Chase et la . bancaire, qui s'effondrera comme un châmettront pas qu'il vol~ au secours des Citicorps risquent de faire faillite. C'est teau de cartes. Bennett apprend que les banques aussi vite .. Après tout, les ban- bizarre, ils doivent avoir des assurances épargnants sont de plus en plus nombreux à se présenter dans les agences, quiers ont de l'argent, ils peuvent s'en . pour ce genre de chose. - Pas sûr. » Dons tous les États-Unis, les Américains dans tout lE? pays. A 11 h 15, il appelle sortir.» « C'est cie la folie ! », hurle Regan. . « rappelle Lopez Portillo, tranche le Prési- effàrés commencent' à douter. Les plus Donald Regan. Washington, mardi midi. Cette fois, le dent, et nous attendons jusqu'à demain 'vieux se souviennent du jeudi noir de midi.» Depuis plusieurs mois, une. campa- 1929. Tout avait commencé comme. ça. Président a cédé. Tant pis pour le gne politique de grande envergure se Alors les plus prudents prennent dix.minu- Congrès, la maison brûle. Le Pré~ident a développe contre les banquiers, sous l'im- tes dans la matinée, et vont retirer leurs convoqué toutes les chaînes dé télévision pulsion du, monétariste Milton Friedman. économies des agences bancaires. dons son bureau: {( Le gouvernement New York, mardi, 11 heures. Zachary. américain,eri acèord avec le président de « Secourir les banques, disait le prix Nobel d'économie, reviendrait à faire payer Berinettn' a pas dormi de la nuit. Pendu la Réserve fédérale, garantit toutes les la facture aux contribuables. Les' ban- au téléphone, il a .conféré toute 'la soirée créances mexicaines du système bancaire quiers ont pris leurs risques, s'ils se sont avec ses homologues de Wall Street. Il a américain.» Mais cette fois, le {{ Great c
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Faitoutes mes économies dans cette·banque. Ils doi~ent metE9rnhourser, c'estmon argent, ils ri'ont pas le droit de fermer les pottes cornILle ça. » '. . . Paris, mercredi, 8 h§lures; .. Le krach américain fait la mçmchette de tous les quotidiens. La veille, la tél~vision a diffusé des images de bagagesdans les agences · bancarres, juste âpre~dÊVdîsco1irs de Ronald Reagan. En principe, les Français n'ont rien à craindre, le système financier est . entièrement nationalisé. Le. gouverriemÉmt garantit par hypothèse les creances des banques: Mais plusieurs articles lais,:,' sent, planer un doute. Il ne s'agit plus seùlement des créances .mexicairies, déjà . très lourdes dans le bilan des grandes . . banques. frémçaises, mais' d~ ce que les' spécialistes 'appellent une « crisedeliquidités». Si tou$les déposants viennent au même moment réclamer leur argent en billets,"le'systèmebancaire ne Peut pas · faire face. Il. y .a automatiquement cessa':' tion de paiements. Alors dansla mati:t;lée, les. prudents et les inquiets commencent à' affluer aux guichets de la BN.P;'qu. grédit . · lyonnais et des autres banqu~s.~,' ". . . . . . Francfort, mercredi, Il heures;· La. pamque s'est déclarée beŒlJcoup plus. vite en Allemagne, où la garantie étatiqué:..ne joue pas a priori. Dans la princip';Ile· agence de la Rheinische Bank, la polIce doit intervenir brutalement pour délivrer les employés enfermés dans le bureau du , directeur par une foule déchaînée. Dans toute l'Europe, des scènes semblables se déroulent dans des agences de banques et de maisons de crédit. . Bâle, mercredi, 15 heures. Les ministres des FinanCeS et les gouverneurs dep banques centrales des pays les plus iicl;1es du monde se réunissent d'urgence pour tenter d'enrayer la paniqué. En upe' demi~ . heure, ils tombent d'.accordsurle communiqué suivant :. « Les . principaux 'pays industriels ont déCidé d'engager irnmédia.,. tement une négociation avec le Président ~ Lope.z Portillo dans~e. but d.' a
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EEFFONDREMENT"E: En principe, explique l'économiste Denis Kessler, tout a été pré' LespTêts seront rééchelonnés, les banques secourues. Mais l'é<
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Il y a un an, les engagements douteux du système bancaire américain étaient estimés à 140 milliards de dollars, soit environ 11 000 francs par famille américaine. On estime que les banques françaises détiennent plus de 150 milliards de francs de créances douteuses sur les pays en développement; ces concours représentent plus d'une fois et demie les fonds propres de l'ensemble des banques inscrites. Ils sont de plus très concentrés sur quelques établissements. Celci signifie que si ces créances sont définitivement perdues, chaque Français perdra quelque chose comme 20 % dé l'argent qu'il a déposé silr son compte-chèque. Quels~nt les établissements dont vous parlez t;~:,' '. Cinq;' banques françaises viennent de perdre du terrain dans ce qu'on appelle les « ratings» internationaux, qui expriment ,la confiance de la communàuté Denis Kessler, économiste, financière dans leur solidité. C'est l'effet université Paris X Nanterre conjugué de la faiblesse de leurs fonds propres et de l'importance. excessive de Libération: L'engagement des principa- leurs engagements. On dit toujours que les pays emprunles banques occidentales dans les pays· en développement peut-il conduire à un teurs sont en fait en position de force ... C'est faux. Tous les prêteurs sont ligués. effondrement· général" du système finan. cier mondial. tel qu'il est décrit dans lè Si jamais un pays déclare ne pas vouloir scénario que nous venons de présenter? rembourser, il est écarté pour un temps Denis Kessler :. Il est en effet possible. indéfini du marché international des capimais peu probable. Il faudrait une singu- taux, les relations commerciales normales lière conjonction d'événements ·défavora- sont interrompues .. Tout converge en fait bles pour aboutir à une crise financière vers les FMI, qui met des conditions dracointernationale de cette ampleur. Cela dit, niennes pour l'octroi de nouveaux prêts. on ne sait jamais. Les pays débiteurs perdent le contrôle de· Quels seraient ces événements? leur politique économique intérieure,avec Il faut distinguer crise de solvabilité et les coûts sodaux et politiques que cela crise de liquidité. Le scénario part de la entraîne. Le PIE du Brésil cr par exemple première pour arriver à la seconde. Crise baissé de 6 points à la suite des mesures de solvabilité: un pays emprunteur n'a imposées par. les pays prêteurs. On plus la .force économique de rembourser connaît les conséquences sociales et hu. ses pr~ts, on doit luLvenir en aide. La crise' maines de.cette récession imposée. . Mais le rééchelonnement iridéfini des de liquidité est plus dramatique, c'est ce qui se passe lorsqu'un pays .n'a plus la prêts ne revient-il pas à un effacement de possibilité de .réunir les fonds pour faire la dette? face à une échéance de remboursement. Le rééchelonnement signifie qu'on étaCela suppose qu'il n'arrive à obtenir ni un blit un nouvel échéancier des rembourserééchelonnement de sopcrédit, ni un prêt ments, en faisant notamment en sorte que relais auprès d'autres banques, ni une les intérêts soient versés, de manière à avance du Fonds monétaire. Il est alors considérer que la créance. n'est pas perobligé de se'·· déClarer en" cessation de due. Il est probable que les pays en paiements. . développement ne seront pas capables de , PourquOie'id-ce peu probable? rembourser le capital des emprunts. Mais Parce que les répercussions d'un tel l'important est que la machine tourne', que événement sur les banques prêteuses èt les intérêts soient payés. Au demeurant," il sur l'ensemble du système financier sont arrivera un moment où,' par le jeu des trop graves. En cas d'accident, les ban- taux d'intérêt, le total des intérêts rem- . ques se retournent vers leur banque cen- . boursés compensero en. grande partie le trale, lesquelles feront éventuellement, p:p- '. capital .avanç:é.' UHé· grande partie des pel au FMI pour qu'il consente de hou- prêts consentis aux PVQ étaient assortis veaux crédits au pays en difficulté. En fait, de taux d'intérêt variables. La hausse des tous les créanciers de tel ou tel pays se taux de la fin des années soixante-dix a groupent. pour agir en commun. A ce ainsi entraîné une augmentation considé-, moment, les pays créanciers obtiennent 'rable de)a charge de la dette pour les du pays débiteur des politiques économi- pays débiteurs. Le taux d'intérêt réel sur ques destinées à lui permettre de rem- les marchés internationaux (inflation débourser un jour, la plupart du temps par duite) était de - 0,4 % en 1980. Il est passé une déflation. On s'arrange en fait pour en 1981 à +9,4 % et + 6 % en 1982. que les pertes éventuelles des banques . Il y aura tout de même des pertes de n'apparaissent jamais' telles quelles dans créance, quelle que soit kt manière dont les bilans, et aussi pour qu'aucune ban- elles seront exprimées. Qui les supporque ne soit jamais acculée à la faillite, de tera? manière à ne pas entamer la confiance Schématiquement, il y a deux hypothègénérale dans le système bancaire. ses. La première est celle de la fièvre. Les Quel est l'ordre de grandeur des' enga- banques centrales des pays prêteurs peugements des banques occidentales dans ' vent venir au secours des banques en leur accordant des prêts. Mais ce mécanisme les pays en développement?
est inflationniste : ce sera dans ce cas le corps. social, ou plus exactement ceux dansJe corps social qui sont mal protégés contre l'inflation, qui paieront pour les prêts non remboursés. L'autre hypothèse, c'est l'opération chirurgicale. Les banques trop engagées font faillite, et ce sont leurs actionnaires et leurs déposants qui supportent l'ardoise. Quelle est l'hypothèse la plus probCI~ ble? On ignore les conséquences de faillites bancaires sur l'ensemble de l'économie. Les choses peuvent bien se passer (sinon pour les banques touchées), mais elles
;T POSSIBLE pour éviter une catastroph'e monétaire. lafaudage est fragile. , l
Cela sigrufie qu'il fallait prêter autrement. L'augmentation du prix du pétrole et le début de développement des hâuveaux pays industriels ont entraîné une véritable course- spéculative des industriels et des banquiers qui voulaient tous prendre ce train en mo:rche ? C'était l'époquedu miracle br~silien ou mexicain. La croissance des crédits a été sans . commune mesure avèc la croissance réelle à long ternie de ces pays, et donc avec leurs possibilités véritables de remboursement futur. Ce fut un métier très lucratif que de prêter des sommes énormes à ces pays. Il fallait bien que cette distorsion soit un jour compensée. Au moindre choc, un reflux massif devait se produire. Il y a eu un double choc : lès pays exportateurs de pétrole ont vu leurs . recettes s'effondrer en raison de la pléthore énergétique née de la récession mondiale : leur balance des paiements est devenue négative. Deuxièmement, le r~ tournement de la politique monétaire a entraîné une hausse des taux d'intérêt .sur tous les marchés financiers. Les pays endettés ont commencé immédiatement à avoir des difficultés de paiements, en raison du doublement soudain de la charge des remboursements, conjugué à la baisse des recettes d'exportations due à la récession mondiale. Pouvait-on faire autrement? C'est 'difficile à dire, mais ce qui. s'impose au bon sens, c'est une politique plus concertée entre le nord et le sud, dans .laquelle les financements sont associés· à des projets solides de développement industriel à moyen terme, et dans laquelle on obtient une certaine stabilisation des recettes des PVD par régulation des cours .des matières premièreS. C'est une vieille idée, toujours avancée et toujours négligée, mais devant les dangers actuels, elle commence à faire son chemin. Vous mett$Z en. cause les responsabilités du Nord. Les pays du Sud n! ont-ils pas aussi commis des erreurs? Si: La facilité d'accès de ces pays au crédit international.a fait qu'ils se sont dispensés de mobiliser leurs ressourèes nationales, notamment d'épargne,. de choisir les projets les plus productifs ou les . ~ plus rentables et de développer suffisamment leurs recettes' d'exportation. La crise les frappe d'autant plus durement· que ~ leurs circuits financiers intérieurs sont dé~ sorganisés,.que leur fiscalité est inexis~ tante, bref qu'ils doivent encore une fois 8 s'en remettre à l'aide extérieure, eux qui :s aspirent à une plus grande indépendance .. Ceci se traduit notamment par un en qIide aux pays en~ettés accroissement du différentiel d'inflation en faveur des pays riches. Ce différentiel peuvent aussi dégénérer en une crise de était de 29 % entre les pays pauvres non': confiance massive, internationale, qui· producteurs de pétrole et les pays indusmettrait en danger l'ensemble du système. trielsen 1983,contre 16 % en 1979. On retomberait alors sur l'hypothèse dé- \ Voulez-vous dire que les efforts doivent veloppée dans votre scénario. L'autorité venir principalement des pays en dévepolitique devra arbitrer entre ce risque, et loppement? / ' . les coûts sociaux et politiques d'une pousNon, La remise en ordre des économies sée inflationniste. En fait, toute la tactique concerne l'ensemble des pays du jeu des institutions financières consiste à es- mondial. Lei: désinflation, la réorientation sayer de gagner du temps, pour amortir des politiques industrielles, la nécessité de les pertes sur une période aussi longue . l'investissement productif, le retour aux que ,possible, et d'éviter: tout accident équilibres extérieurs, la rèdéfinition du . brutal. rôle de l'État sont des impératifs qui Cela veut-il dire qu'il ne fallait pas.. s'imposent à tous. •
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seulement le • Café du
Commerce-. PoHlicieJIS, économistes, hommes de la rue, écrivains ou saltimbanques, tous. savent_ ce qu'U faudrait faire, etleproclamenL De quoicomp;ser un beau DorDège. Sa lecture est d'aulant plus amusante que les observateurs un peu plus sérieuX font aujourd'hui un constal inverse : on n'y comprend plus )rien. on ne sait plus quoi faire. • Face à la récesiion persistante, peulon Ure dans le 'demier rapport de , l'Institut français
'Gérard Deuil (SNPMI) : « Il faut réhabiliter le profit, réduire le train de vie de l'État: » Jean-Pierre Chevènement (PS) : «Il faut réduire le déficit commercial cette année, tout de suite, en même temps, lutter contre le cbômag~ en maintenant un certain taux de croissance. »
Jean-François Deniau (UDF) : {{ La voie qui est sage est une voie, où l'on continue le progrès social, où l'on continue à réduire les inégalités sociales, une voie qui crée des emplois. »
Lionel Jospin (PS) : {{,Il faut développer la croissance sociale compte tenu de tous les facteurs de productions inemployés et des réserves de productivité existants. »
IL N'YAQU7\. TRANSFORMER LES Dans une petite ville, le maire embauche dans les services mu
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Le maire de, Sénac est un homme de bon sens et de bonne volonté. Aussi 'quand l'entreprise Michaud, qui emploie quelque sept cents personnes à la sortie de la ville, annonce qu'elle doit licencier deux cents de ses salariés, il refuse de baisser les bras. Avec cinq cents habitants, dans cette Charente peu industrialisée qui dépend de la prospérité de son agriculture, mais surtout" de la vitalité de ses moyennes entreprises qui emploient
des milliers de, travailleurs alentour, Sénac souffrira beaucoup de ces suppressions d'emplois. Deux cents chômeurs, de plus dans une petite ville : il faut réagir. Deux jouis après l'annonce des licenciements, le maire réunit son conseil municipal. Les services communaux, explique.., t-il, manquent de main-d'œuvre pour répondre à toutes les demandes;' il 'serait dans ces conditions absurde d'entretenir à ne rien faire deux cents chômeurs qui
trouveraient à s'employer si utilement. Au terme d'un long débat, tant la proposition du maire surprend! le conseil accepte: les deux cents salariés licenciés seront embauchés dans les services municipaux. Plusieunf conseillers ont bien sûr soulevé la question du financ~ment. {{ Tout le monde doit ,être solidaire, répond le maire.' Nous emprunterons pour faire face aux premières échéances, mais je vous propose de voter dès aujourd'hui une
Jacques Chiràc (RPR) : « Il ~e suffit pas de traiter les effets du chômage, il faut s'attaquer aux causes. Voilà pourquoi je propose. une politique différente qui consiste à créer des emplois véritablement supplémentaires. »
Pierre Lambert Mme Icberg (CGT (Parti communiste des fonctionnaires) : internationaliste) : « Nous pensons «Face à la gravité pour notre part qu'il de la situation de faut continuer à l'emploi dans)e créer des' emplois pays, la position du de fonctionnaires. Parti communiste in- La France est loin: ternationaliste est claire, nous estimons d'être un pays sousque la majorité des députés PSet PCF, administré comme' élus par la population laborieuse, doit on le croit souvent. voter d'urgence une loi interdisant les On manque par licenciements. Elle peut le faire,elle doit exemple d'enseile faire. » gnants pour un enseignement de qualité. On manque de douaniers pour lutter contre les fraudes de capitaux. On manque de personnel de poUce pour mener Une politique de prévention. »
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des relations inlernationales (IFBI),les experts chargé$ d'analyser la crise et de dé&nirles. poBtiquesà adopter semblent. dé$ormais bien loin des certitudes ' iereines qu'ils . CISS8Il!IÏent jadis aveclanlde superbe.les
rapports
économiques des ~ . grands orgcmiimes '" internationaux -, GAn,Banque IDOndiale, FMI, . .OCDE - laissent ceDe année le lecteur insatisfait, tanl pep' l'incapacité è1e ces organismes à présenler des voies' nouvelles pc»,Ù sortir de la crise que par le sentiment que se .développe une réelle crise de coDfiance el d'identilé au sein des institutions économiques . internationales,» Mais U en faut plus . pour troubler leS hommes poBliques ou les stratèges de quailier. AIoüs, proposez donc: mi petit jeu loul . simple: el si nous prenions quelques « Un'y a qu'à» au mol? .
Charles Fiterman' (PC) : «Il faut donner la priorité à la satisfaction des besoins par la production nationale, arrêter tout de suite les fermetures d'entreprises; les licenciements, produire français, en protégeant nos productions contre les importations abusives. » Geôrges Marchais (PC) : « Il faut arriéliorer les conditions de travail et porter la durée hebdomadaire à 35 heures avéc . j'insiste - maintien intégral du pouvoir d'achat du salaire et des garanties en matière cci' organisation du travail. » . Paul Marchelli (CGC) préconise « le ren'voi chez eux des travailleurs immigrés comptant moins de dix années de présen.ce, dans de bonnes conditions économiques et sociales. » .
Aux Pays-Bas aussi : C'est un député, M. HanS Janmaat, qui veut chasser.les immi~ grés. ~(Les Pays-Bas sont pleins à cra~ quer, c'est la faute aux étrangers» estle ; . slogan qui sous-tend tout le programme ~ de son partL •
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(Enquête de Luc Bernard.)
:HÔMEURS EN FONCTIONNAIRES licipaux les salariés au chômage. LI affaire· tourne mal. augmentationdE;ls impôts locaux qui per- son bon sens, les syndicats son souci des mettra de financer ces créations de postes intérêts des travailleurs. On vient de parsans aliéner l'indépendance financière de tout dans la région pour observer ce que la commune. » Aussitôt dit aussitôt fait, les tout le monde appelle désormais « l'expéédiles votent une augmentation des taxes rience de Sénac». Ce sont jusqu'aux d'habitation, qui touchent les particuliers, augmentations d'impôts qui sont accepet de la taxe professionnelle, que paient tées dans trop de récriminations. Chacun . comprend que l'urgence était trop grande les entreprises. Ces mesures astucieuses et éourageu- pour qu'on puisse inaintenants'arrêter à ses valent au maire un regain de popula- d: égoïstes. considérations pécuniaires. La rité. Ses àdministrés louent son énergie et crise est là : il faut serrer les coudes.
Un an plus tard, l'ambiance a changé. Plein de bonne volonté, le maire a mis en marche un étrange mécanisJ;Ile. D'aucuns mettent d'abord en. doute l'efficacité d'un accroissement des effectifs des services municipaux. Beaucoup rendent de réels services et s'intègrent bien dans la marche des services. Mais d'autres n'ont pas la formation adéquate, ni le goût pour devenir de bons agents 'dù service public. Les lourdes structures de l'administration
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interdisent de, toute manière les adaptationsèt les déplacements de personhel' nécessaires. Récemment étendu aux collectivités locales, le statut de, la fonction publique empêche de gérer rationnellement cet afflux soudain de main-d'œuvre. Les habitants de Sénac ont l'impression en grande partie justifiée que les mesures prises ùn an plus tôt ont abouti à une· chute de la productivité des services mu:" nicipaux. Si bien que le désagrément produitp.ar 'le relèvement des impôts est très supérieur aux bienfaits prodigués par le renforcement des effectifs. Mais il y a plus grave. Un an plus tôt, l'entreprise Michaud ne s'était résolue à risquer un conflit social que dans la dernière extrémité. Ses déficits s' accumu~ laient depuis phisieurs exercices àla suite de la perte de plusieurs marchés. L'ampu-: tation qu'elle avait pratiquée lui a permis ,de rétablir quelque peu les comptes. Mais ajoutée à l'alourdissement d'autres char- ' ges, l'augmentation de la taxe professionnelle qu'elle ,doit acquitter à la commune de Sénacl'a renvoyée dans le rouge. Ila fallu augmenter le prix dans une situation de 'concurrence au couteau : d'autres marchés ont été perdus. Pour la deuxième fois en un an, elle a trop d'ouvriers pour le travall qu'elle peut leur donner. Il faut encore licencier ,: cette fois, ce sont deux cent cinquante travailleurs qui font les frais de l'opération. Aujourd'hui, dans une commune aux finances délabrées, touchée de plein fouet par le chômage, le maire de.Sénac médite sur les méfaits du bon sens. L'embauche de fonctionnaires pèse sur le se€teur productif : en créant des emplois, on peut en détruire d'autres. Il n'avait jamais rien vu de cela dans les discours politique~ ni dans les journaux. On est mal informé~ Et si cette. fable était uné réalité? Ne parlons plus d'une petite ville, parlons de l'Europe. Depuis le déclenchement de la crise, les pays européens n'ont cessé d'accroître le montant des prélèvements obligatoires qui pèsent sur l'économie. En dix ans, le pourcentage moyen est passé d'environ 35 %à quelque 50 %. Ces dépenses ont été apparemment bénéfiques pour l'emploi, en assurant l'embauche de pombreux fonctionnaires, le soutien à des industries en difficulté, l'aide à la création d'entreprises, et beaucoup d'autres interventions positives. Mais la balance a deux plateaux. La charg~ principale de ces dépenses a pesé sur les entreprises. Non' pas tant sur les profits distribués aux actionnaires, d'un montant trop faible. pour suffire à cet usage : sur 'l'investissement, qui n'a pratiquement pas progressé en Europe depuis 1973. Faillites, suppressions d'emplois, 'licen-' ciements : l'Europe possède aujourd'hui une administration nombreuse et bien protégée, et douze millions de chômeurs. C'est une illusion courante en matière d'emploi que de ne considérer' que les emplois visibles, et non ceux qui, par, l'argent dépensé ou économisé ici, sont créés oU détruits ailleurs. De même, on croit favoriser l' emploi en créant des postes dans l'administration, sans considérer que' les sommes ainsi distraites à l'épargne ou à la consomma.tion seront perdues pour d'autres activités; Faute d'instruments adéquats pour faire des comparaisons,' on se conduit comme si la balance n'avait qu'un seul plateau. Mais la création d'emplois dans -la fonction publique n'est positive que s'il n'existe pas d'autre usage plus' créateur d'emplois ou « protecteur d'emplois». Elle a o:ussi des effets négatifs sur le bien-être général si les biens collectifs qu'elle permet de produire apportent une satisfaction moindre que celle qu'une création de biens privés aurait procurée. . • . LAURENT JOFFRIN
IL N'Y A QU7\.FE Magnétoscopes japonais, ordinateurs. arné: les industries nationales.Une seulesolutior Nos entreprises sont menacées, les fail- riches, s'ils souffrent d'une moindre prolitesàugmentent, de nombreuses usines gression de leurs revenus, ils continuent débauchent ou ferment leurs portes. Cer- lentement de s'enrichir... ' tes, en 1983 les exportations ont progressé Mais les États~Unis et lé Japon, donne mais notre balance commerciale est en- protectionnisme est bien connu, ne s'en core trop négative; de sorteqùe la santé sortent-ils pas mieux que nous? Si on y du franc est fragile. Le niveau de vie des regarde de plus près, on :s'aperçoit que Français est en cause. ces deux pays ne sont peut-être pas aussi Alors pourquoi ne pas réduire nos im- fermés que certains exemples peuvent le. portations? Certes, nous sommes obligés' faire croire. Ainsi ils sont plus ouverts que d'acheter ailleurs ce que notre sous-sol ne l'Europe aux produits fabriqués par le contient pas ou ce que notre sol ne tiers monde. En ,1980, ceux-ci corresponproduit pas : le pétrole" les minerais daient à 27 % des importations américaiindispensables, ou les denrées tropicales, nes de produits industrialisés, à 30 % des car nous ne pouvons pas davantage nous )mportçrtions japonaises et à 8 % des impasser de' cuivre que de café.,. Mais portations françaises. Lp: même année, les pourquoi importer les produits que nos achats de l'Américain moyen aux usines manufactures peuvent fabriquer? Pour- du tiers monde étaient supérieurs de 30 % quoi, en effet, dépenser des devises au- èi ce1.lX des Européens. Quant aux Franjourd'hui si 'coûteuses et si rares? Pour- 'çais, à 45 % en dessolls, ils se situent au quoi faire tourner les usines des autres mêrp.e niveau que les Anglais et les Japoalors qu'il n'y a pas assez de travail chez nais, ni plus, ni moins ... .nous et que le chômage augmente? PourAlors la réalité serait-elle plus compliquoi, en effet, si on peut l'éviter? quée qu' ori ne le dit? Vouloir reconquérir Trois cas se présentent. Ou bien ces le marché intérieur c'est croire que nous objets qui viennent de si loin ne sqnt pas devons tout faire parc.e que nous savons vraiment nécessaires. Michel Jobert disait tout fabriquer (les Français ne sont·ils pas bien que les magnétoscopes ne sont pas-les plus intelligents, du monde ?). Si nous indispensables auX Français ... ' Alors nous nous résignons à ne pasextraire de notre pouvons bien nous en passer. Ou bien ils sol l'étain ou ,le chrome, si nous ne pousont utilesi mais aucune usine française vonsrécolter ni mangues ni bananes, ne les produits. Alors,il faut le faire car on nous comprenons mal qu'ily ait des trous ne fera croire à personne que le génie dans nos productions. français est incapable d'y parvenir. Les Ainsi nous disposons des plus belles centrales nucléaires, l'Airbus et le TGV forêts d'Europe et nous importons des sont autant de preuves du contraire, Ou meubles et de la pâte à papier. Scandale pien enfin, )ies atelîers français fabriquent pour beaucoup! Et voilà pourquoi depuis déjà ces produits. Il est alors scandaleux· des années, nous investissons l'argent· de'leur préférer des objets en provenance public dans des usines agonisantes de de l'étranger ... Bref, le bon sens comme le pâtes à papier. Et voilà pourquoi comme patriotisme conduisent à l'évidence. Les le phénix, les plans « meubles» renaissent temps sont devenus trop durs pour que les uns après les 'autres.· De même, le, nous puissions nous permettre tout à la raisonnement, en termes de filière (par fois de gaspiller des dollars, dès marks ou 'exemple la filière électronique), suppose des yens, et de supprimer. des milliers implicitement que nOus devons tenir tous d'emplois qui font tellement défaut. De les maillons de la chaîne de production. , sorte que pour beaucoup la conclusion est C'est ce que Michel Albert appelle le sans appel : il faut fermer nos frontières, il «complexe de la machine à traire » : dans est temps de mobiliser nos douaniers. un pays qui compte 12 millions de vaches, Mais comment font les tlutrespays, il n'est pas normal qu'on ne fabrique pas comment font donc nos concurrents qui, de machines à traire r C'est peut-:-être vrai autant que nous, doivent affronter 'les en théorie, mais ce n'est malheureuserigueurs de la crise? Là, il faut distinguer, ment pas praticable. Pourquoi ? d'.uncôtéceux qui depuis longtemps déjà ' . D'abord, à cause'de l'extraOrdinaire ont, pris l'habitude de filtrer soigneuse- variété des produits industriels. Le cataloment les importations pour défendre .leurs gue ,complet des' matériaux, des demifabrications locales: les pays de l'Est et la produits, des composants, des sous-enplupart des nations sous-développées; de sembles, des machines, des équipements l'autre, ceux qui ont progressivement et pounmir des produits de la consommaabaissé les barrières douanières, et quition est devenu incroyablement épais; Qui pratiquent plutôt la liberté des échanges: plus est, il évolue tous les jours. Pour un la plupart des pays riches et notamment article qui disparaît parce qu'U est pél'Europe, l'Europe qui a vécu trente an- rimé, combien apparaissent plus perf9rnées d'expansion économique remarqua- mants ou moins chers. Quel extraordible, en même temps que les échanges noire choix dans les vis et les boulons commerciaux y prenaient un essor consi- {que nous importons, c'est"VréIi, en quandérable (environ la moitié des échanges tité). Quelle famille nombreuse que celle des pays de la Communauté se fait préci- des colles et des adhésifs. Quelle' abonsément avec les autres partenaires euro- dcmce sans cesse renouvelée dans les péens). Peut-on dire que depuis dix ans, composants électroniques! Et tous ces les premiers ont mieux résisté que les objets trouvent leur justification! Certains séconds? La réponse est négative. Les sont chers parce qlJ.e l~urs conditions pauvres le sont devenus davantage (pen- d'utilisation sont ·très-dures (dans la mésons aux supermarchés dévalisés dans le tcillurgie ou l'aéronautique). D'autres, sud, du Brésil ou aux émeutes en Tunisie moins performants, ne coûtent presque ou au Maroc). Cependant, les pays qui se rien mais sont produits et consommés par développent le plus vite, ceux qui sortent millions. En vérité, nous saurions sans de la pauvreté, sont aussi ceux qui échan- doute faire tout cela, mais sommes-nous gent le plus. C'est par exemple le cas assez nombreux? dans l'Asie du Sud-Est. Quant aux pays • D'autant plus que les seules consom-
RMER LES"FRONTIERES \
c,ains,chemises sud-coréennes :.~~s produits étrangers suivent' la protection. Super gabelou à'Ta'iescousse~ C'est si simple~ .. fab~iqué, plus performant et moins cher. Il est facile de le comprendre. ' On aura plus de chance de trouver une excellente machine d'assemblage en interrogeant aussi les constructeurs d'Osaka, de Düsseldorf ~t de San Francisco. On disposera des composants les , plus avancés, en mettant en concurrence , les meilleurs spécialistes mondiaux. Ainsi le produit «made in France», pour être compétitif, intégrera le plus souvent des productions étrangères. Pour être vraiment performante, il est peu vraisembla": ble que sa valeur ajoutée puisse être intégralement française. Imaginons la situation d'une industrie qui se trouverait coupée de ses sources , d'approvisionnement à l'étranger. C'est un sèénario de guerre, c'est un scénario de pénurie. Nos avioIÎS ne voleraient plus car leur électroniqUe est en partîe améri-éaine, nombre de nos équipements électroniques ,tomberaient en panne faute de composants, privés de pièces de rechange les produits domestiques s'arrêteraient, les' voitures elles-mêmes ne rouleraient plus guère car les productions de sous'" ensembles sont largement internationalisées. Sans oublier l'inéluctable déclin des exportations, car nos clients se détourneraient de nous et parce que nos produits, moins' performants et plus coûteux, ne se vendraient plus. Les usines qui travaillent pour l'extérieur devraient alors fermer leurs portes., La pénurie s'installerait à l'intérieur et le chômage augmenterait en attendant la reconversion problématique de nos usines d'aéronautique en fabriques de meubles ou de machines à traire! Et notre balance commerciale ne se redresserait pas. Car il faudrait bien continuer d'importer du pétrole. Avec quoi pourrions-nous le payer? Ainsi, la fermeture des frontières est une , fa:usse bonne idée, tout comme la reconquête du marché' intérieur et comme le refus de la pénétrafion étrangère. Notre iirtérêt est au contraire d'acheter aux 'autres ce qu'ils savent faire mieux et moins cher. Notre pouvoir d'achat en est évidemment renforcé. A condition naturellement que nous soyons capables d'inven~ o ter, de produire et de vendre au monde ~ entier, certains produits pour lesquels ~ nous so~es les me;~lleurs. Et ils le seront ~ en partIe par ce ,qu ils auront su prendre chez ,les autre!:). Il ne faut donc pas Les magnétoscopes bloqués à Poitiers en 1982. Vous avez dit protectionnisme ? ~ déplorer la pénétration étrangère,' car elle est bénéfiqùe pour les utilisateurs mations' nationales: ne permettraient~ pas Conclusion: dans la plupart des métiers inqustriels et pour les consommateurs. Il d'obtenir des séries économiques. Pour industriels il faut occùper une part suf- faut au contraire s'en féliciter. Mais' à ,la atteindre à la f()is la performance et -le fisante du marché mondial. C'est une condition que, dans quelques domaines, moindre coût, .il faut entretenir des servi- condition impérative, si on veut rester notre part du marché mondial se'développe. On le voit bien, un pays moderne ces techniques, il faut s'équiper et instal- dans la course . • Mais alàrs, pour exporter, il faut bien ne doit pas rechercher l'équilibre de ses ler des machines productives et chères. échanges secteur par secteur et pays par ' Pour amortir ces frais, il faut fabriquer en importer. quantité sufHsante. C'est Vrai pour les - D:abord parce que les pays clients pays: C'est Un .médiocre objectif technoavions comme pour les stylos à bille, pour ,refuseront rapidement d'acheter nos pro- cratique, qui he peut conduire qu'au dé-:les Illicro-ordinCrteurs comme pour .les duits si nous refusons les leurs. Pour clin, puis à un protectionnisme plus ou autoIllobilesL .2Qur les téléviseurs comme maintenir l'emploi dans nos chantiers na-' moinS avoué qui préparera de nouveaux pour les vêtements. Les' besoins des Fran- vals, nous préférons y construire des ba- reculs. çois représentent quelques centièmes seu- teaU1C gruIniers, plus chers que les navires Allons! Il n'y a que les faibles à voulàir lement des besoins mondiaux. Les concur- yougoslaves. Alors la Yougoslavie s'irrite se protéger. De' surèroît, le protection': rents qui disposent de marchés intérieurs et n'achètera peut-être pas nos avions nisme ne protège pas. C'est au contraire 'plq,s importants, comme les-Américains ou A 320 ! Ce faisant, chacun joue à qui perd le pire des vitriols, c'est l'agent corrosif le 1 plus sûr de notre pouvoir d'achat. • . ,les Japonais, ou ceux qui exportent beau- gagne. - Mais il y a une autre raison: C'est coup comme les Allemands, auraient JEAN-DANIEL LEFRANC* donc un avantage décisif sur les usines que le recours aux techniques et aux françaises qui' travailleraient pour le seul procédés' étrangers conduit presque tou": * Ancien directeur de'la stratégie- chez Thomson, marché intérieur... jours à un produit mie1.J.X conçu,.mieux auteur de l'Industrie, le Péril français, Le Seùil.
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IL.N'YAQU7-\. RENVOYE Deux millions d/immigrés/ deu~ millions de chômeurs. Inacceptal: L/ arithmétique triomphe du cœur et de la raison. Maria, José '. ~Jusqu'au dernier moment, elle avait. naux », mais que tout le monde appelait teIluà venir travailler. Plus l'après~midi « la catapulte », avait jusqu'à ce jour . s'aVançait, plus Maria Da Silva avait d1:l appartenu à la catégorie n° 3, et était mat à retenir ses larmes. Celafâisait simplement Contraint à un examen menmalntenant plus de dix ans qu'elle venait, suel de situation. trois après~midis par semaine faire le. Mais un jour, Edouard vint voir José ménage chez les Kupferman,un couple dans là serre des rosiers. «Ecoute, José, d'enseignants d'Orléans. Maria Da Silva, hier soir on a eu une réunion de la' . son mari José et.leurs deux·enfants étaient Chambre d'agriculture. L'envoyé du préinstallés depuis quinze ans dans la ville c fetnous a dit que les aides àl'Erxportation, de Jeanne d'Arc, qui rassemblait la plus c'est prioritairement à ce,ux qui emploieimportante communauté portugaise en ront les jeunes sortis du Centre... » dehors. de la région po:risienne. Là lé~ .« J'ai compris », répondit José. Il tourna. gende voulait que ce rassemblement lusi~ .. le.dosàEdouatd et S(3 remit à repiq:uer les 'tanien soit dû au fait que les immigrants, boutures: Le soir, il nettoya· ses outils, fit . débarquant à la gare d'Austerlitz trou- un dernier tour des serres, arrachant une vaient l'endroit si peu accueillant qu'ils mauvaise:herbe par-ci,. fermant une porte '. • .reprenaient sur le champ le train en sens par-là.' Il monta dans sa 305 Diesel,. et se rendit inverse, et descendaient ensuite à la' première gare" Les Aubrais. Les paysans directement chez les Kupferman. Peut-être venus· de la région de Bragance ou du que le patron cie sa femme, qui était un Tras-os-montes trouvaient alors sans monsieur « Trrès instroui ... » pourrait faire . peine à s'embaucher chez les gros céréa- quelque chose... . liers de Beauce ou les riches pépiniéristes Freddy Kupferman était très gêné. Toudu Val de Loire. tes ces histoires d'immigrés lui rappelaient Longtemps, même en voyant partir peu les récits de son père racontant la Poloà peu les Marocains de l'usine Renault de gne pendant la guerre, le racisme, la Saint-Jean-de-la-Ruelle, les Algériens des fuite ... On n'en était certes pas là, les entreprises de terrassement et de travaux choses se faisaient "dans les formes. et publics et les Turcs de l'usine Hutchinson même avec «humanité, en tenant compte de Montargis, les' Portugais. avaient cru des casindividuels », comme ne cessaient que cette histoire de retour au pays ne les de le répéter la brochette de ministres et concernait pas. Le Portugal ne venait-il de hauts fonctionnaires chargés d'explipas d'entrer dans le Marché commun? quer dans les médias le bien-fondé des Oui, .mais le prix du ticket d'entrée de mesures gouvernementales. Mais il avait Lisbonne et de Madrid dans la CEE a été l'étrange impression de vivre un bégaiela renonciation à la clause de libre circu- ment de l'histoire, d'être au surplus, le cul lation des travailleurs. Et alors la machine entre deux chaises, dans l'inconfort, une bureaucratique s'était mise en marche. position qui ne lui était pas naturelle. Il Chaque préfecture avait dû, dans un était· le premier d'une longue lignée qui premier temps, faire un recensement gé- ne fût pas de cette rac~ des boucleurs de néral des étrangers. Ces derniers avaient valises, qui avait peu . d'espoir de mourir été alors classés en trois catégories : les là où ils étaient nés ... chô;meurs, tout d'abord. Leur cas avait Plus égoïstemeilt, le départ de Maria, vite été réglé :. une fois calculé leur solde que venait lui annoncer solennellement. d'allocations, ils avaient trente jours pour José, l'irritait parce qu'il mettait en désé.quitter le territoire avec le maigre pécule quilibre le cQmpromis sur les tach)'
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Prends ta valise, Mahmoud. La France a pour n
ticket choc! » . avait, cèrtes, reçu un prix au .dernier Salon de la Communication, mais n'avait eu que des effets limités. Résultat un retour en force de l'utilisation des automobiles individuelles, embouteillages, nervosité, rixes ...
R LES IMMIGRES ~. Le
gouvernement décide de r~mplqcer les uns par: les autres. \1ahmoud et les autres font leurs valises. Brillante idée.
Non, 'Freddy ne pouvait que dire à José et Mmia que leur retour au pays n'était peut-être que provisoire~ que les gens allaient "hnir par se rendre compte du désastre. Bien sûr, promis, juré" les prochaines vacances familiales, ce sera le Portugal, la mer et les retrouvailles ... Néanmoins, Freddy promit d'accompagner le lendemain José et Mmia à la préfecture voir les gens de « La catapoulté ». Le dialogue avec la secrétaire permanentée de frais fut d'une sobriété exemplaire: « Non, monsieur, aucune.dérogation n'est possible. Monsieur Da Silva vient d'être versé dans la deuxième catégorie, j'ai là le rapport trimestriel .de l'entreprise Perdereau... mais bien sûr, monsieur Da Silva sera prioritaire si jamais les frontières étaient à nouveau ouvertes... ». Freddy éclata : « Vous n'avez pas honte 1 Pendant des années, vous .avez mangé les légumes plantés par José Da Silva et rout ce que vous trouvez à dirEt, c'est partez, on vous écrira! ». Freddy bafouillait. De rdge, il arracha l'affiche ,qui ornait le bureau de la secré. taire et qui représentait un paysage sable-cocotier. José Da Silva le prH alors par le bras.« Pmtons, Moussié Koufermdné, vous voyez bien qué ·c'estfoutou... »' La colère de Freddy redoubla, lorsque rentré chez lui, il apprit en ouvrant le journal local, que la Chambre de commerce : « mettait en garde les autorités contre les excès du décret d'incitation au retour, ,et demandait au gouvernement de confier aux organismes paritaires la mise en œuvre d'une véritable politique de l'emploi qui ne désorganise pas l'économierégionale ». « Ces salauds! Ils étaient tous,., il y a cinq ans, au banquet organisé pm Le Pen à Orléans, ils buvaient du petit lait !» Son orgonisation personnelle ,était totalement perturbée : l'Arabe, de la rue voisine était retourné'à Djerba, et passé 7. heures; plus moyen d'avoir une plaque , .' de beurre ou un litre de lait. Les notes du' , .garagiste devenaient obèses, depuis que Mehmet, ,l'ouvrier t:urc de la station-ser~ , vice, qui vous décabossait une, aile en deux temps trois mouvements, avait cédé :sa place à un apprenti stupide et avait rejoint Izmir. MêII).e la pizza voisine n'avait plus le même goût : en cuisine, c'était Mahmoud, l'Egyptien, qui faisait les « Vesuvio» et les « Çalzone >l, et aujourd'hui, la pâte lourdingue du remplaçant lui restait sur l'estomac. Hélène, sa femme, craignait pour son poste d'institutrice : dans son école, les effectifs allaient baisser de moitié. Elle, qui avait été une des plus actives promotrices des « ZEP » (zones d'éducation prioritaires) et qui avait volontairement choisi son école pour mener des expériences d'enseignement pluri:"ethniques, allait· retrouver l'ennui des CMI homogènes et les pments ambitieux pour leurs petits-futurspolytechniciens... _ A quatre heures et demie, comme chaque jour, Denis Kupferman, huit ans, rentant refusé d'inscrire le slogan au fr:onfon des mairies. trait de l'école. Comme d'habitude, il avait préparé sur le chemin, la vanne qu'il Face à José Da Silva,' Freddy Kupfer- remonter le niveau, lamentable des élè- allait faire à Mmia. Aujourd'hui, c'était " man se sentait impuissant, honteux. Il ne ves ! » Dans les salles des profs et rriême les fausses dents de vampire qu'il avait savait que lui dire. Au lycée où il ensei- . dans les réunions syndicales, le départ ' empruntées à son copaiIii Philippe . Mmia ouvrit la porte. Denis rëleva ses gnait lës lettres, il avait fini par se fâcher des immigrés, c'étoit la fin de la déca'avec la plupart de ses' collègues.' « Enfin, denc,e de l'enseignement français, le re- babines. Maria se mit à pleurer. ,. on va pouvoir travailler sérieusement et tour à l'âge d'or des forts en thème ... LUC ROSENZWEIG " 59
JE CWNS QUE , LESGOUVEB-
NEMENTSN'Y PUISSENT PAS GRAND-CHOSE
LA. FIN DES POLITl
S'il y avait une politique capable de sortir les économies occi e pourquoi .depuis plus de dix a n:rh.é.e s' aucune des médecines tre
écCllnollllÏques » et . des gouvernements 'ayant promis à leurs électeurs d'en appliquer telle ou telle variante, Variante de gauche: le keynésianisme : variante de droite: le monétarisme, En simplifiant à l'extrême, on peut .dire que toute la vie politique occidentale de ces 50 dernières années s'est ramenée à ceHe alternance du chaud et du froid. du frein et de l'accélérateur, de la gauche et de la droite, L'une vide les caisses: l'autre les remplit: le Père FoueHard succède
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. Libération': Est-ce vrai qu'aucune politi- de consommer !Je carica.tureun peu, bien que économique classique ne fonctionne . sûr, mais tels étaient bien les principes de plus? ' cet aristocrate anglais" M. Keynes, qu'un En effet, face à cette crise-là, aucune Américain démocrate, M. Roosevelt, mit le des politiques traditionnelles nefonc- premier en pratique. tionne plus. Ni l'accelérateur, ni le frein. Ça non plus, ça ne fonctiollne plus. Pourquoi? " Michel Albert: Qu'est-ce que ça veut D'abord parce qu'il n'y a plus de crois. dire: le frein et l'accélérateur? sance. Et puis pour des tas de raisons qui On peut essayer de rester schématique, seraient trop longues à énumérer en dé- ' bien sûr, parce que tout ça mériterait des nuances. Disons que la politique tradition- tail. Mais je vais vous en citer deux, faciles à comprendre. n~lle dans un système 'libéral, c'était que La première, c'est que maintenant, l'Etat ne devait jamais accélérer lui-même le cours normal des choses. On disait : il parce que nous sommes des poys déve-" ne faut' pas dépenser plu~ qu'on ne ga- loppés, nos économies sont étroitement gne. Il ne faut pas que l'Etat întervienne dépendantes les unes des autres. Dons ce ou le moins' possible. Ce qui compte en que nous consommons, dans ce que nous priorité, c'est la bonne santé des entrepri- achetons, ou dans les matières premières dont nous avons besoin pour faire tourner ses, leur compétitivité. Dans cette optique-là, quand ça va mal, les usines, une bonne partie vient de il faut se serrer la ceinture, consommer l'étranger. Si dans un pays, vous distrimoins, investir davantage, et accepter au buez du pouvoir d~achat, cet argent risque moins provisoirement, . une augmentation de servir à relancer les industries des pays voisins. C'est ainsi qu'en 1981-1982, . de chê)mage. C'est un peu la politique du père Fouet- comme en 1974-1975, une bonne partie tard. Si VQus êtes sages, si vous acceptez des sommes que la France a consaCrées à de faire des sacrifices, ça ira mieux de- la relance budgétaire s'est retrouvée dans main. El). gros, c'est à peu près 'ce qui les caisses des fabricants d'automobiles correspond 'à ce que les économistes allemandes : nous avons eXporté moins de appellent le monétarisme.· On peut dire Renault et de Peugeot et importé davanque c'est cette politique qu'a appliquée tage de Wolskwagen et de BMW. Résul' avec beaucoup de fermeté, Mme Thatcher tat : déficit extérieur. en Angleterre. Et la deuxième raison? Le déficit extérieur, c'est la deuxième Et pourquoi ça ne marche plus mainte- raison. Elle mériterait d'être expliquée nant? encore plus en détail. Mais disons qu'en Parce que ça augmente considérable-' un mot, quond un pays franchit la ligne ment le chômage qui coûte cher à tout le rouge du déficit extérieur, il cesse d'être monde. Et ce chômage nuit à la moderni- libre de sa politique économique FlOur la sation des entreprises. Quand il y a beau- bonne raison' qu'il doit emprunter à coup de chômage, un patron hésite à l'étranger pour faire ses fins de mois. Un mettre un robot qui supprimerait encore pays qui s'endette affdiDlit sa monnaie et, quelques emplois. à la limite, risque de perdre même, un jour Enfin/ autant il est nécessaire que les ou l' dutre, son indépendance nationale. profits des entreprises o:ugmentent pour Ce qui se passe à ce moment-là peut qu'elles soient davantage musclées, au- avoir des conséquences particulièrement tant l'expérience montre que ce n'est pas dramatiques, comme on l'a vu récemment suffisant pour que les chefs d'entreprise se en Tunisie et au Maroc où ce ne sont plus' mettent à réinvestir. Autrement dit, les les gouvernements de ces pays qui ont sacrifices que Mme Thatcher demande pris les décisions mais un fonctionnaire aux Anglais restent stériles parce qu'il a anonyme envoyé par le Fonds monétaire manqué à l'Angleterre Id capacité d'asso- international. cier l'ensemble des forces sociales comme J'ont faitles Japonais ou les Suisses. Est-ce qu'on peut dire que r accéléraIl y a un mot qui- traduit ce fait, c'est le teùr, c'était les politiques de gauche et le mot consensus. Sans consensus rien n'est frein, les politiques de droite? . possible. ~ Oui, dans une certaine mesure, le frein En fait, si l'on freine trop .fort au- c'est la droite, et l'accélérateur c'est la jourd'hui, la voiture peut quitter la route. gauche. Mais ce n'est pas si simple que Et en politique, quitter la route, c'est ça. On a vu et on voit encore des gouverperdre les élections. nements de gauche contraints d'appuyer sur le frein sous peine de catastrophes Alors, l'accélérateur, c'est le contraire? financières, ou des gouvernements de C'est vrai, l'accélérateur, c'est ce qu'on droite obligés d'appuyer brusquement sur a appelé le keynésianisme. La pensée de, l'accélérateur pour éviter des catastroKeynes, vous savez en économie, ça avait phes électorales. L'hypothèse la plusfréété une révolution inouïe. Keynes, d'une quente, c'est quand les gouvernements certçiine manière, c'est le Freudde l'éco- viennent d'être élus, ils sont obligés de nomie. Il disait: pour relancer l'économie, tenir leurs promesses et d'appuyer sùr, et grâce à l'intervention de l'État,c' est l'accélérateur en distribuant du pouvoir pas compliqué, il faut libérer les désirs, d'achat. Puis, dans un deuxième temps, consommer davantage, depenser plus mais très vite, les dures réalités les obliqu'on rie gagne. Tant pis s'il y a un peu , gent à donner un coup de frein qu'on partout des déficits budgétaires, en ache- baptise selon les cas,' de rigueur ou d'austant plus, les consommçxteurs feront tour- térité. ner les usines, et au bout du compte, on Dans ces pays comme l'Allemagne ou retombera sur nos pieds. l'Autriche, on a essayé de doser avec Vous vous rendez compte de cette révo- quelques succès les coups de frein ou les lution, l'économie relancée par le plaisir coups d'accélérateur.
Aux États-Unis, M. Reagan est un champion du frein ? Justement, M. Reagan, tout en' ayant l'image. de l'homme de droite classique, entouré de conseillers se~ réclamant du plus strict monétarisme, est certainement devenu celu qui appuie le plus sur l'accélérateur aujourd'hui. Il faut dire qu'il a la chance, lui, d'avoir à sa disposition, la planche à billets, le dollar, monnaie internationale, qui lui permet de faire financer aux autres P5lYS, le formidable déficit extérieur des Etats-Unis. Ce que ne peut pas faire la France ... Alors, que fait M. Mitterrand? M. Mitterrand a d'abord appuyé sur l'accélérateur, il a ,ensuite appuyé sur le frein. Mais il ne faudrait pas croire que c'est propre à M. Mitterrand. Déjà le précédent septennat avait commencé par une politique qui était plutôt une politique de l'accélérateur et qui, ensuite, à partir de 1976, après l'arrivée de M. Barre, a été une politique du frein. Tous les pays européens, d'ailleurs, ont joué des deux successivement. Ce qu'il y a de plus frappant dans tout cela, c'est que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les politiques de rigueur « à la française }) ont toujours été, et sont encore,' moins '. sévères que les politiques de rigueur des pays voisins. Ni le frein, ni l'accélérateur, aucune politiqÙe n'a plus de chance de réussir? S'il y avait, aujourd'hui, un modèle de politique économiqùe parmi les pays qui nous entourent, ça se saurait. Après dix ans de crise, est-ce que vous voyez un pays qui en est maintenant sorti? Ce modèle ce n'est certainement pas l'Angleterre avec ses trois millions de chômeurs/ ni même l'Allemagne, qui Cl pourtant l'économie la plus puissante, et la société la mieux organisée pour sortir de la crise. Chacun de ces pays, comme le nôtre/ donne la preuve qu'il n'y a plus de solution solitaire. S'ils agissent isolément, . en ordre dispersé, les gouvernements des pays eùropéens ne pourront guère que géreda crise. • Propos recueillis par Luc Bernard
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UESECONOM1·· UES ltalès de la crise ça se saurait. Michel Albertéxplique litionnellesn a réussi à guérir le malade. l
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LES GOUVERNEMENTS DANS LE LABYRINTHE GRANDE-BRETAGNE'
BELGIQUE
ÉTATS-UNIS'
Mo~rguérie
Un pied sur chaque pédale
La double conversiQn des présidents
Au début de la crise, la Grande-Bretagne est en état de quasi-stagnation mais elle a découvert du pétrole en mer d'Iroise et vient d'élire un gouvernèmênt travailliste. Celui.,.ci cherche à relancer l'investissement ' tout en contenant les prix. Mais sous la,pression des syndicats'les salaires s'envolent (au détriment des profits et des investissements). Les employés du secteur public sont déjà 3 millions en 1976. Cet , hyper-keynésianisme dominé par les syndicats est un désastre: En 1979, les travaillistes perdent les élections. «Maggie» Thatcher prend la barre, ça va chauffer! Soucieuse, comme Reagan, de réagir contre la «décadence », la dame de fer appuie vigoureusement sur le frein et s'attaque de front aux syndicats. Réduction des dépenses publiques, diminution des impôts directs : c'est du monétarisme (pur et dur: (En réalité, «Maggie» doit plusieurs fois temporiser en autorisant des augmentations de salaires forcément inflationnistes, notamment pour les fonctionnaires et les mineurs ... ). Dans l'emsemble, ce coup\de frein provoque une augmentation record du chômage (3,3 millions en .1983) et accélère un processus de « désindustrialisation». De 1979 à 1982, le produit intérieur brut recule d'environ 5 % et la production manufacturière de 20 %. En revanche, c'est vrai, l'inflation est spectdculair.ement jugulée et le déficit budgétaire diminue des deux, tiers. en quatre ans. «L'Angleterre r.isque de mourir guérie», avait murmuré, un jour, un membre de l'opposition.. La plaisanterie n'est plus tout 'à fait à l'ordre du jour. Une reprise sensible est enregistrée ·en 1983 : amélioration de la croissance (3 %), nouvelle réduction de -l'inflation, balance commerciale en excédent. .. Le nombre des chômeurs, en revanche, devrait atteindre 4 millions à la fin de l'année 1984. Le climat social n'est pas bon et, cette fois, pas de guerre, des Malouines en perspective ... Les paris restent ouverts ! •
Après' 1974, la Belgique a conduit son Scénario de western. Premier épisode : économie avec un pied sur l' accél~rateur un président keynésien dans l'âme (Cat. keynésien, l'autre sur le frein monétariste. ter) découvre, mais trop tard, les inconvéA conduite ambiguë, résultats parado- nients d'une relance par le déficit budgéxaux : d'un côté, des dérapages incontrô- tairé et perd les élections .. Sa politique, lés des revenus" de l'autre, la vigilance certes, avait .permis de diminuer de 2 miLmonétariste de l'Institut d'émission belge lions et demi le nombre des chômeurs et freinant à mort pour éviter la' banque- de créer 10 millions d'emplois. Mais le prix route. Mais çe syncrétisme était celui du à payer était trop lourd : baisse catçxstrodésespoir. «Le pays est au bout de son phique de la productivité, inflation record rouleau» pouvait déclarer François Per- de 11,3 % et alourdissement de la bureausoons, ancien ministre de la Culture. Prin- cratie. En 1978, Garter change de cap à cipal piège diabolique de l'économie 180 degrés et appuie délibérément sur le belge : l'indexation automatique des sa- frein : diminution de moitié du déficit laires aux effets pervers. Situation loufo- budgétaire et restrictions monétaires; Trop que : un paradis social dans un cimetière tard! économique! La Belgique devenait Second épisode : porté par une réaction l'homme malade de l'Europe. droitière et ultra-monétariste, Ronald ReaEn décembre 1981, arrive au pouvoir à gan fpit passer sans transition l'Amériquè Bruxelles une coalition de centre droit de la surchauffe à la bouillote glacée. dirigée par Wilfrid Martens. Objectif d'ur- Programme musclé : réduction des impôts, gence : freiner à mort, réduire les déficits, amputation des crédits sociaux, diminudiminuer les dépenses sociales, augmen- tion de la masse monétaire, avantage aux ter les impôts. Il s'attaque - enfin - à riches, «les pauvres paieront ». Il ne faut l'indexation automatique des salaires. plus, écrit Georges Glider,l'un des idéoloC'est un remède de cheval, mais comme . gues du président, que les braves gens l'écrit le Financiàl Times : « La Belgique « paient pour les buveurs, les fumeurs, les avale sa médecine.» Le climat social, drogués, ,les victimes de maladies vénénaturellement, se, tend. Grandes grèves riennes et les clochards». Les résultats sur des services publics en septembre 1983, le chômage et l'inflation sont meilleurs reprü;e des affrontements linguistiques, qu'on ne l'a dit en Europe, mais au prix etc. Et ce' n'est sûrement pas fini. Il est d'un déficit budgétaire record de 185 mil_da~gereux de freiner trop tard. • liards de dollars. Sur ce point, en tout cas voilà Reagan devenu keynésien! ,.-
RFA Lebon élèvepi~gé Pays du «consensus social», sachant mieux qu'un autre maîtriser l'inflation et protéger sà monnaie, l'Allemagne fédérale, au début de la crise, c'était le « bon élève» dans une classe de cancres. Elle avait d'ailleurs préféré 'limiter sa. croissance pour sauvegarder ses équilibres financiers, notamment celui de la balance extérieure, en excédent. C'est sur la demande de ses partenaires européens souhaitant lui voir jouer le rôle de « locomotive» de la CEE qu'elle accepta, en 1978, d'appuyer pur « l'accélérateur» de la relance: Pour le bien de tous, en somme! Les résultats n'ont pas été mauvais pour l'Europe entre 1979 et 1981, mais fort coûteux pour l'Allemagne' qui vit se creuser, pour la première fois, un déficit des paiements courants. D'où. la nécessité d'appuyer dare-dare sur le frein, quitte à voir augmenter sensiblement le chômage. Cette « politique de la locomotive» coûta son fauteuil au chancelier Schmidt. Aujourd'hui, la RFA d'Helmut Kohl a reconquis une nouvelle marge d'expansion et sa balance des paiements courants est de nouveau en excédent. Mais le déficit budgétaire est aujourd'hui très important. Pas qUestion de l'augmenter en pratiquant unè énergique relance plus ou moins keynésienne. Malgré sa désinflation et' son excédent, la RFA est piégée. , Certes, l'économie àllemande a donné, en 1973, l'impression de sortir lentement de sa langueur mais l'État n'y est pas pour grand-chdSe. •
au Père NOël, lous les 5 ou 10 ans, inais Gu bout clu compte, l'un et l'autre jouenlleur raie: vive la clémocratie ! Or, toul cela aussi pciiait fini. Depuis 1974, aucune cie ces vieUies ieceUes ne marche plus. Conuile si ceUe crise-Ià avait aBolé les boussoles. Carter à Reagan, cie Schmiclt à MilleRand, cie Trucleau à Felippe Gonzales, tous les gouvernements se criSpelit sur les cOnuilail.cles, en vain. La leçon cie tout ' cela est plus intéressante que les polémiques vieillies qui servent encore cie CI bruit cie foncl » à la vie politique. Devantcefte criselà, les gouvernemQts, quelles que soient leur bOnne volonté ou leurs bonnes intentions, ne sont plus que cie pauvres petites choses clésarmées, à peu près ' impuissantes. Alors?
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SUÈDE Adieu Keynes! La Suède fut longtemps le pays social démocrate modèle et le champion, toute catégorie de « l'accélérateur» keynésien. Or, c'est dans un singulier «chassé~ croisé>; idéologique 'que «la» crise a précipité le pays. Dans un premier temps (l974~1976), priorité est donnée à l'emploi et au maintien des hausses de salaires pat Olof Palme qui accepte ainsi une augnientation des déficits budgétaires; Mais très vite les déséquilibres financiers deviennent explosifs et les socia-démocrates perdent les élections de 1976. Les partis « bourgeois » arrivés au pouvoir et soucieux « d'appuyer sur le frein» doivent pourtant dévaluer plusieurs fois la couronne suédoise, réduire drastiquement le pouvoir d'achat et... nationaliser beaucoup' d'entreprises en faillite. En 1982, à nouveau, on «sort les sortants» et les socio-démocrates retrouvent le pouvoir. MÇxis plus question cette fois d'appuyer sans précaution sur l'accélérateur. La politique engagée par Olof Palme est rigoureuse: dévaluation de 16%,blocage des prix, baisse de 5 % du pouvoir d'achat en 1983. Extrait du rapport présenté en 1981 au congrès du syndicat LO : « L'austérité suppose une énorme reconversion des syndicats qUi ne doivent plus réclamer les salaires nomimaux les plus élevés mais au contraire les plus modérés possi-. 1;:>le. » Adieu Keynes! ' •
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ETDIREQ'ON SECBOYAIT TBOPRICHE
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avons dônc Sni par croire que ceHe croissance était devenue l'état naturel de nos sociétés. Aujourd'hui. la croissance zéro n'est plus une rêverie écolo. mais une réalité d'autant plus amère que nous ne l'avons pas voulue. Du coup. les dis.cours changent du tout au tout. Le travail redevient un « élément de la dignité humaine» ; la société de consommation n'est plus un « emer aliénant» mais un paradis presque perdu. Quant aux points de croissance, ils sont désormais comme une comptabilité de l'espérance distillée, soir après soir, au journal lélévisé.On pourraitlonglemps disserter sur ceHe inconséquence des intellectuels soixante-huitards ou sur la versatilité de l'opinion. Là
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1975-2015: TRENTE ANS DE CROISSANCE ZERO Et si les « trente glorieuses}} étaient suivies cl/autant d/années de stagnation? Pierre RosanvallQn décrit ce que seraient les conséquences d/un tel scénario sur les économies occidentales. Et sur la démocratie. L'année 1995 a indéniablement marqué un tournant. On s'en aperçoit du moins rétrospectivement aujourd'hui, à vingt ans de distance. Le prerilier Congrès mondial de socio-éêonomie, qui s' est t~nu à cette date, était en effet passé presque inaperçJ.l à l'époque. Il est vrai que tout le monde avait alors bien d'autres chats à fouetter. Le monde occidental vivait encore sous le choc de la guerre qui avait suivi le ,Qlocage du golfe d'Ormuz et un coup d'Etat militaire en Italie avait bouleversé, cette année-là, la configuration européenne. Il n'est pas étonnant qu'un modeste rassemblement scientifique n'ait guère retenu l'attention dans ces conditions. Pour- . tant, on le sait maintenant, la constitution de la sodo-économie en discipline proprE? allait radicalement modifier les représentation traditionnellement admises de la' vie économique. Il faudrait se reporter à toute la littérature. des années 1970 et 1980, qui n'est malheureusement plus connue que dans quelques cercles de spécialistes, pour mesurer la portée d'une rupture que nous avons du mal à saisir depuis qu'elle s'est effectuée. Le plus simple est peut-être de rappeler ici les grandes lignes de la communication du Pr T. qui fut l'événement de ce congrès. Pour faire une comparaison commode, on peut dire qu'elle introduisit un changement d'optique équivalent à celui qu'avait opéré la {{ Théorie générale}} de Keynes soixante ans auparavant. T. avait d'abord expliqué comment il avait fallu vingt ans de croissance faible ou rwlle, entre 1974 et 1994, pour que l'on $6" pose vraiment la question des effets d~une non-croissance de très longue durée dans des termes qui ne soient ni ceux de la théorie des cycles (de Marx à Schumpeter) ni ceux de la théorie statique de l'état stationnaire (formulée pour la première fois par Ricardo). Ce sont en effet autour de ces deux schémas explicatifs que s'étaient alterna-
tivement ordonnées les représentations de ce qu'on avait longtemps continué à appeler, par commodité, {{ la crise }} : images vulgarisées au début des années soixante-dix par le Club de Rome d'une finitude physique (ressources naturelles, espace) et d'une finitude économique (saturation des marchés, limites de la société de co_nsommation); multiples vaiiantes des théories de la {{ reprise }} dans les années quatre-vingt, allant des spéculations sur les conditions d'adaptation à la troisième révolution industrielle aux débats sur le rôle de l'État et l'initiative individuelle; réévaluation des conditions de la régulation écononlique globale (référence à la nécessité d'un nouveau compromis sala-
rial d'un côté, insistance sur l'extension des mécanismes de marché de l'autre) . A ces représentations de la crise et de la non-croissance, T. avait opposé le concept de stabilité dynamique. Nous n'en retiendrons que l'idée, maintenant admise comme un fait d'évidence, sans rentrer dans les détails complexes de sa démonstration. La non-croissance, argumentait T., peut recouvrir deux types de réalité. Elle peut d'abord caractériser les sociétés traditionnelles sans innovation technologique. Elle signifie alors qu'une société se reproduit à l'identique en s!insérant de façon purement répétitive dans la longue durée. La non-croissance de la fin du xxe siècle est naturellement d'un autre ordre. Le solde de l'activité économique globale reste stable - la {{ valeur }} des biens produits; mesuré par le P.N.B., n'augmente pas ~ alors même que les mouvements internes de la vie économique s'accélèrent sous l'effet du progrès technologique. Elle ne qualifie donc pas une société stationnaire, mais au contraire une société en déstabilisation permanente. Le changement technologique produit des effets immédiatement inscrits dans la struéture sociale par le jeu des déversements d'emploi et de l'accélération des différences de productivité entre les secteurs; il n'y a plus de médiation économique à proprement parler. En un sens, l'économie disparaît dans sa spécificité d'interface entre la technologie et la société. D'un autre éôté, le découplage entre les activités {{ économiques}} (production de biens et de services pour le marché) et les activités direct(3ment sociales (les usages du temps personnel) a rendu progressivement vide de sens les notions de richesse globale et de travail à· temps plein. Ce que les économistes comme T. avaient mal perçu, il y a vingt ans, ce sont les conséquences politiques d'un tel état de fait. Contentons-nous de mentionner brièvement les deux plus importantes d'entre elles. Le rôle de l'État a tout d'abord été considérablement rriodifié. L'Étaj-providence s'est 'peu à peu dissénliné dans· un enchevêtrement complexe de syst?mes assuranciels et mutuellistes de socialisation des risques dans lequel les frontières entre le privé et le public' sont devenues indiscernables; ce qui a progressivement mis fin à l'habitude de se référer au taux.des prélèvements obligatoires cpmme indicateur des rapports Étatsociété.'La tâche principale de l'État èst maintenant de gérer le temps sodal. Sa
L'an 01 ; l'utopie de Gébé résumait tous les espoirs des partisans de la croissance zéro.
n'est pail le problème. Si ICI .. croissernce zéro» èst inClcceptcrble, derngereuse, ce n'est pas pour cles rcrisons morClles ou intellectuelles. Après tout quernd - on vientde s'enrichir de 300 % enlrente CIDS, il ne devrait pas êlre théoriquement dramatique de voir ses nwenus stagner - voire légèrement diminuer penderntlrente ClUlres années, Mcrisle problème est plus concret, plus .. ,tedmique » : noire système politico.éconômiqu e tout entier est fondé sur l'hypothèse de la croissernce. Pour reprendre noire compœcrison, les démocrCllies modernes sonl des cyclistes qui tiennent bien leur' équilibre à condi60n de ne pas s'crrrêler. Aujourd'hui,ICI .. non-croissernce » rigidifie les relations sociales, exacerbe les conflits, Aterme c'est peut.êlre bien la démocratie qui est en péril. Lcr démocratie, c'esl-à. dire ce système , inouï, exceptionnel, minoritaire sur lâ plernète. On aurcrit torl de le croire garernti pœ l'histoire dé l'Europe occidentale;
Dans la conscience co11èctive~ l'usine ferinée et la . . , dureté des rapports sociaux se sont substitués à la fonction est d'optimiser la synchronisation différence avec la. problématique anté- l'ère de la pure conflictualité démocratides rythmes technologiques et des défor- rieure des corporatismes. Elles ne sont que. C'est le temps du palabre. Seuls mations de la structure sociale globale. Il / plus en effet sociologiquement spécifiées quelques pays y sont malheureuseIJlent est devenu une machine à redistribuer le dans la durée, puisqu'un même individu parvenus. On sait que de nombreux Etats temps entre les groupes sociaux et une change plusieurs fois de camp dans sa forts et autoritaires se sont au contraire agence distribuant aux individus des op- vie. L'a révision récente du statut de la érigés là ou les rigidités du système socioportunités d'action pour maîtriser leurs fonction publique ayant d'ailleurs donné technique ont réduit la capacité d' arbi~ usages du temps. Les problèmes de for- son plein· effet à ce nouveau cours des trage des acteurs collectifs (les syndicats mation, d'emploi, de reconversions, de choses en opérant une rupture symboli- par exemple), exacerbant les corporaretraite ont tous été reconsidérés· dans que décisive. La qualité de la vie démo- tisme,et organisant la société en une c:r:atique s'est du même coup améliorée. mosaïque de néo-féodalités. Les situations cette optique. La nature des affrontements sociaux Face à l'État synchronisateur, une société de déclin qui en ont résulté ont en effet s'est donc également transformée.: Le politique plus vigoureuse a pu se dévelop- permis à une demande d'autorite de grosconflit structurant des sociétés entrées per ,dans ce. contexte de plus. grande sir, certains peuples se résignant alors à dans l'ère de la stabilité dynamique est . visibilité. Les rapports sociaux étant mé~ déléguer' à un maître qui les écrase la celui des forces de sédimentation contre diatisés par des situations sociales, plus tâche de trancher leurs différents. C'est • les forces d'innovation, ces forces étant flexibles parce que garanties face aux pour eux le temps du silence. PIERRE ROSANVALLON d'ailleurs devenues anonymes d'où la aléas du temps, sont ainsi entrés dans
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VOUS Y CROYEZ, :VOUS, A LA "GUERRE?
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Seulle second conflit mondial aVait sorti ,les 'économie's occidentales de la crise. Labordbeinterditdésormais aux naM;OI1.sQçcidentales .cetteultime échappatoire.
encore Ioule fraiche ceHe l!!Çon de l'hisloire :les . "\t.. crises inSolubles débouchenll&lou Libération : Il est courant d'attribuer le tuels de ce qu' on appelle « l'autrepolitilard sur la guerre. redressement de l'économie américaine, que ", celle dela relance par la dévalua~ La guerre, c'eslle tion acçélérée de la. monnaie. Il estpossicoup de bislouri après la crise de 1929, à la politique de quedonnenlles New ,Deal menée par Roosevelt. Vous ble d'obtenir par ce moyen un peu de croissance . en .plus. Mais il' arrive. un peuples à êe'qQ~ affirmez au contrair~ que c'est la guerre bride leur destin. >~..;. "q1,l~àproduitce rés.tiltgt... moment où il faut bien solder les comptes, La dernière fois .. Alain Minc:En 1940 ,·après huit ans de rétablir les équilibres. On perd alors plus d'ailleurs, les New Deal, la situation de l'économieamé'que ce qU'bna gagné dans Id première êhoses se sonl ricaine était plus rriçmvaise qù' du début période. . . passées ainsi. La d 1"'" T· d ,. Un change fort fait sansdoute perdre trisede 1929 n'a· e cr cr'lqe. L(l pr6 uction navait pas ~ . Il . r.,e.·. trouv. e.'. .'.', pon n.,iveauant.éI'ie.ur. ,et le nom-.. ' quelques dixièm9sde. points.decrois~ 't'clesc hA ," . encore .accru ..... Il' "", ,.·e epas finàlementvre' ortleurs ' setmt sance. Mais une monnaie" faible fait peraccouché d'Hitler, s'agissait pourTant çIès deux 6bjectifs prindre plusieurs points en raison des déséde Mussolini, cipaux de la politique, de New D.eal. C'est quilibres qu'elle entraîne. La solidité de la Buchenwald el seulement après le déclenchement du monnaie sert iniéux lacr.oissahce que des Hiroshima? La conflit mondial que les États-Unis ont dévaluations accélérées. . . guerrerésoultrop commencé à surmonter la récession. Il y a . La guerre pourrait~elle aujourd'hui serde questions pour eu une sorte de zoom conéeptuel qui a fait vir de nouveau d'issue à la crise? n'êlre pas croire cl la réussite du New Deal, alors Non, à cause de la dimension radicalelenlanle: êh&inage, 'qu'il n.·.'.a fonctionn.é. que d. ans la. rriesure ment nouvelle introduite par l'arme nu,Iolérance des ' cléaire. Sion fait encore üne fois abstracopinions à i'idée de où il était une préfiguration de. l' éçonomie ',' sacrifice, progiès de guerre. .... . tion des aspects humains. de la question, ledinologique, Cet échec' devant la .grande crise se on s'aperçoit que. la guerre atomique est rénovation . retrouve~t-il en Europe? . aujourd'hui ce que les philosophes appelimmobilière el Entre 1932 et 1938, toutes les politiques .. lent un «impensé". Personné ne peut in'dustrielle, elc. économiques, keynésiennes et monétarisimaginer ce. qu'elle pourrait être. Toutes Pourquoi n'en tes sans le savoir, ont été' successivement les matrices classiques du raisonnement serail·il pas de menées. En France, les périodes de politideviennent inopérantes dès qu'on chermême aujourd'hui, que. restr.ictive ont . ,même, été beaucoup che à se représenter ses conséquences. puisqlie, nous Pour cette· raison, la guerre nucléaire ne l'aVons vu, Ioules plus courtes que les périodes de relance. peut en rien servir de perspective, même les voies paci6ques Le' déficit du. budget a même été porté à paraissenl 7 % du produit intérieur, ce qui est consiinconsciente,. à des difficultés économiques. . cond~ées? dérable. Aucùne de, ces actions n'arétabli la croissance . AJa veille de la gU!3rre, ~ Il y a toujours des guerres classiquèsde sitUation des économies européennes 5lpar le monde... . ~ . Oui,maiselles rie jouent, par leur n'était guère meilleure qu'au début de la ~ dimension, qu'un rôle économique seçon': crise.. C'est . seulement après le conflit ". . . . .. .' - daire. A l'échelle de l'économie mondiale, mondial que la reprise cr pu se produire. C'est donc la' guerre qui a servi de' Alam. Mmc, dlre.cteur fmanCIer de Samt- ce sont des escarmouches Gobain,. auteur de «L'Après-crise est Le rôle que laguèrre n~ peut pas jouer politique de sortie de crise? ' commencé ~). esMI tenu par les dépenses d'armement? Il y a quelque provocation à le dire, C'est un cliché répandu de dire qU'èlles compte tenu du cortège d'horreurs qui ' sont un débouché indispensable à l'appaaccompagne. un conflit armé. Mais sans Est-ce à dire que vous çléniez toute reil de production... èynisme aucun, on doit bien constater qU!3 Je ne le pense pas. Il fauIs'armer pour la Seconde Guerre mondiale a été le .. importanceréelleàce qu'on a appelé la des raisons stratégiques et éthiques, mais .prÎncipal facteur d~ la croissance extra- révolution keynésienne? . . Le keynésianisme n'a été à l'origine ni sachant le prix exact de notre vertu: En ordinaire, qui a suivi l'arrêt des hostiiités. Vous soulignez là Une," coïncid~nce, . du démarrage de la croissance ni de son termes strictement économiques, 'les invesmais pas forcément une relation de cause arrêt. Ila en fait besoin de la croissance, tissements militaires sont moins rentables pour pouvoir agir. Le keynésianisme re- que les investissements pacifiques. à effet. Si l'on met à part les drames atroces qui vient à une gestion à la marge, sur la Contrairement à: ce qu'on croit souvent, ont marqué la Seconde Guerre mondiale lancée d'une croissance préexistante; les pays qui doivent beaucoup dépenser pour. ne considérer que ses mécanismes jouant à la marge, il influe peu sur lés poUr leur armement subissent un handiéconomiques, on voit que la guerre a eu tendances lourdes. Ce fut sa chànce histo- cap économique. Pendant le booIIl' de quatre conséquences principales: rique que d.e coïncider avec cette longue l'après-guerre, les.. deux pays qui ,Ont -,-. ". une baisse du pouvoir d'achat de 25 % période d'expansion de l'après-guerrê. ccmriule plus fort tauxdeèroissance sont (ce qui n'est pas si important quand on Cela .dit, il a eu le mérite intellectuel' leJapon et l'Allemagne de l'Ouest, ceuxcompare le chiffre à la ,dimension colos- .d'établir une synthèse entre les nécessités là même que les traités de l'après7guerre sale du conflit) ; économiques de la croissance et les aspi- avaient en partie exempté de l'ef~ortde . défense. . -la destruction d~une partie de l'appa- rations sociales à la redistribution. . Dans son histoire économique de la reil de production; . A moins qu'il ne s' agisse d'une revan~ - le développement d'une immense soif France entre les deux guerres, Alfred che inattendue de la morale sur l'éconode consommation qui ne pourra être satis- Sauvy décrit les succès remportés par la mie, on comprend mal pourquoi l'armefaite qu'après'la guerre; politique "de relance menée en 1938 par ment est moins 'rentable, en termes écono- la distribution de moyens de paiement Paul .Reynaud. miques,que les autres dépenses d'équipour financer la relance de l'investisseIl est à mon avis très difficile de juger de pement... ment. . la politique de Paul Reynaud : elle a été Il l'est moins parce que ces dépenses Ces .quatre facteurs ont permis un redé- immédiatement suivie par la. guerre. Il me n~ont.pasde retombées économiques promarrage rapide de l'économie une fois la . semble que le conflit mondial a évité de ductives. En dehors d'avancéesscientipaix rétablie. Ils comptent à mon avis solder les èomptes des déséquilibres créés fiques rionnégligecibles, ces investissebeaucoup plus que" les politiques conjonc- par. cette relance. à base de dévaluation. . mentsne débouchent pas sur une Pfoduc.turelles mises en œuvre par les gouverne..: La vision de Sauvy me fait penser, toutes . tion capable de les rembourser. , • 64 ments. . proportions gardées,a~. partisans acPropos recueillis par Laurent JOfFRIN
la
ET SI ON PARTAGEAIT' LE TRAVAIL ?
TOUS AMI-TEMPS? La durée du travail a été .divisée par ,deux depuis le début du siècle. 'Guy Aznar a pro,longé la tendance.
n'ont pas &ni d'être plus nombreux. Mais à terme, c'est bien le contenu des mols'comme ch&mage el travail qui va changer; Certains affirment déjà que le travail à plein temps et pour tout le monde est dé6nitivemenl &ni. Il faudra partager =reste à savoir comment. Tous à mi.temps ? Le scénario du sociologue Guy , Azn~ peut ~air-: soume. Mais sali·
on que depuis le début du siècle, nous venons déjà de passer mathématiquelDent du plein temps au mi·temps. En effet, le nombre total d'hèures travailléès par un hommè durant sa vie active a
diminué cie moitié en un peu lIlôins d'un siècle. Est·i1 inconvevable, est·i1 inacceptable d'imaginer qu'il en sera encore une nouvelle foiS ainsi
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Il faut nous mettre en tête la phrase clé de notre futur : le travail à 'plein temps pour tout le monde, c'est fini. C'est' plutôt une bonne nouvelle; s'il s'agit du travail iatigant ou tristÇl. Alors, pourquoi sommes-nous si inquiets? Parce que le travail est mal partagé :, il y en a qui travaillent trop et d'autres pas assez. Ce qu'il faut, c'est inventer,auplus vite, un nouveau système de partage. Le système actuel, celui dans lequel nous sommes plus ou moins, consiste à dire qu'une partie des gens travaillent à plein temps (ils travaill~ht, souvent trop, les journées n'en finissent plus) ; et l'autre partie est inative, et même interdite d'acti.vité. Et attention, ce partag~ n'est pas fait n'importe comment. • Il y a. ceux que l'on écarte, parce qu'on décide qu'à cinquante-cinq ans ils n'ont plus l'âge. '
• D'autres, parce qu'ils n'ont pas encore l'âge. • D'autres, parce que ce sont des fem'mes (on s'arrange pour qu'elles restent à la maison, sinon il y aurait sept millions de chômeurs). • D'autres, qui sont au chômage, parce qu'ils n'ont pas eu la chance d'être dans un secteur qui marche. DanS ce système de partage, qui est ségrégatif, 'ceux qui restent, ce sont plutôt des horntnes, plutô,t entre trente et cinquante-cinq ans, qui ont eu la chance, eux, d'être dans un secteur qui marche. Ce partage-là, je dis que c'est un mauvais partage, injuste, idiot, et porteur de guerre civile. Je vous propose un autre partage; Puisqu'il faut, de tou.te façon, diviser par deux, pourquoi pâs tous à mi-temps, Pourquoi le mi-temps, pou.rq1.1.oi la moitié et non le tiers,
, ,oule quart? Il est bien évident que toutes les formules de temps partiel sont incluses dans le concept de mi-temps. Ce qui y est contenu, en outre et surtout, c'est la notion de double temps qui est en jeu, qui, à l'inverse de l'économie « duale», ne partage pas les gens en deux groupes. Travailler à mi-temps, tous, tout de suite, bien sûr, c'est exagéré, mais il faut savoir que' si seulement 30 % des gens qui travaillent se mettaient à mi-temps, il n'y aurait plus de chômeurs. Le Parlement va discuter d'une nouvelle loi concernant la mise en place du travail à mi-temps. , , Reste, bien sûr, la question de fond, le salaire. Mi-temps, c'est demi-salaire, éyidemment, sinon âucune entreprise ne le supporterait. D'un autre côté, il est impensable de diminuer les revenus, le pouvoir d'achat. ' Alors, comment réussir, en -ayant un .demi-salaire à garder le' même revenu ? C'est le problème de notre société. Il n'est pas insoluble. Voici trois solutions. • Première solution : elle concerne un foyer sur deux qui ne vit que grâce à un seul salaire. Au lieu d'une paye qui rentre à la maison (généralement celle du mari), on peut additionner plusieurs salaires à mi-temps: celui du mari, de la femme, du fils, etc: \, • Deuxième solution : il faut mieux répartir l'indemnité chômage. Le système actuel ne permet pas le travail à mitemps. Il faut, pour encourager les «vieux mâles» "à partager le travail, créer une prime pour les volontaires au travail à temps partagé, qui permettrait aux salariés de se répartir les indemnités de chômage qui leur sont, de. toute façon, versées. Michel Albert a calculé dans Le Pari français le financement d'une telle prime. • Troisième solution: se servir du temps libre pour gagner de l'argent. Ne touchet-on pas là le sujet tabou du travail noir?, Alfred Sauvy vient de publier un pam7 phlet sur- cette question. Et dans d'autres pays européens, en Belgique notamment, on étudie les possibilités d~officialiseT cette forme d'activité. En tout' état de cause, avec le mariage du' temps libre et les nouvelles technologies, on pourra devenir plus riche, en économisant, en proc:tuiscint plus de choses à la maison. Car beaucoup d'activités se passeront à la maison. Vous pensez bien qu'avec la télématique qui transporte l'information, avec les fibres optiques qui véhiculent les images" on ne va pas continuer à passer deux heures par jour, dans le métro. Les maisons d'ailleurs, on les construira soi-même en assemblant des modules. Cela ne veut pas dire qu'on sera devenu robotisé. Au contraire, à mi-temps, on p0u.rra jouer sur deux tableaux. Pour certaines choses, aller plus vite; utiliser la technique la plus moderne. Pour d'autres, aller plus lentement, fabriquer à la main. Un jour, prendre un supersonique, le lendemain faire du vélo. Le bond culturel, c'est de s'emparer d:!-l' temps libre pour inventer une nouvelle société, celle où nous serons plus autonomes. • GUY AZNARD* *, Auteur de Tous à mi-temps, Le Seuil.
Mais les. besoins sont mouvants : la production doit s'y adapter, et dopc la répartition des travailleurs selon les branches. Entre autres conditions, le plein emploi suppose une grande mobilité des travailleurs, géographique et professionnelle. Or pour une grande part le progrès .social consiste à introduire· des rigidités qui améliorent le sort du travailleur, mais .rendent plus difficile l'ajustement. Sur la balance des avancées sociales, il y a deux plateaux, l'un positif et l'autre négatif. L'opinion n'en voit qu'un seul et réclame toujours plus de rigidigé. Si bien , qu'au terme du processus l'ensemble de l'économie se retrouve enserré dans un carcan de règles et de coutumes. Il ne reste plus que deux exutoires pour le désordre nécessaire : les prix et l'emploi. Les freins au licenciement, poursuit Sauvy, sont un progrès indiscutable. Mais les .restrictions au droit de débaucher diminuent le désir d'embaucher. Le salaire minImum protège des millions de travail_leurs. Il en exclut d'autres du marché du travail, qui auraîent trouvé à s'embaucher à un tarif inférieur; mais que les patrons écartent. s'ils doivent les payer au SMIC peirce qu'ils leur èoûtèraientplus qu'ils ne rapporteraient. Le gouverriemept vient de prendre plusieurs mesures d'encadrement et de contrôle du travail intérimaire, de si in<;luvaise réputation. Moralement souhaitables, ces mesures réduisent l'emploi en ,accroissant la rigidité du fadeur travail. m Le travail noir dérive dela réglementa~ tion. Il est n~avec la première loi sur le ~ travail. Le système le sécrète pour garder ~ la souplesse sans laquelle il se gripperait. Tout accroissement de la réglementation Alfred Sauvy, professeur au collège de France. _trouve sa compensation partielle dans la progression de l'économie parallèle. Deux pays, la Suède et l'Italie. Les deux ont mis au point un arsenal très complet de lois sociales et fiscales, parmi lès plus contraignantes d'Europe. Le premier les respecte à peu près, le second beaucoup moins_ A l'indice 100 -en 1960, la production sùédoise se retrouve à 166 en 1982; la production italienne à 200. D'autresfacteurs entrent bien sûr en jeu dans la progression de la richesse nationale. A tout le moins le développement de l'économie parallèle en Italie n'a pas freiné l'expansion. La plupart des économistes pensent même qu'elle en a été un facteur décisif. Faut-il tout accepter? Faut-il réprimer? Sauvy se prononce contre la réduction des charges fiscales et sociales, mais' l'accepte pour certains travaux. Il ne souhaite pas trop de répression, mais ne . préconise la tolérance qu'en cas de dépassement d'un « optimum» entre rigidité ordonnatrice et souplesse clandestine. C'est que l'essentiel n'est pas là.-Il réside plutôt dans l'accroissement prévisible et spectaculaire des migrations clandestines, produit des énormes dés~quili bres démographiques entre Nord et Sùd, et générateur de toute une société paralLa lumière vient-elle du noir ? Il-y a de pertes sèches pour l'État et la Sécurité lèle. Le pays le plus touché par le chôquelques mois un expert commis par le sociale, qui accroissent la charge de ceux mage en Europe est l'Espagne. Pourtant gouvernement proposait ni plus ni moins qui respectent les lois. Le travail noir a un ce pays qui en principe a trop de travailde donner 10 000 freincs à tout dénoncia- coût social: le non-respect de certaines leurs voit arriver sur son sol une immigrateur d'un employeur au noir. La mesure lois soéiales cause un préjudice auX tra- tion clandestine· massive en provenance fut différée, mais la radicaIité du moyen vailleurs qui occupent ces emplois. Il est d'Afrique noire. La pression est trop forte .. proposé indiquait bien l'opprobre qui vrai qu'ils y trouvent parfois leur intérêt. A moins d'entourer d'un autre rideau de pèse sur le travail. clandestin dans cer- C'est loin d'être la règle générale. fer la moitié libre de l'Europe, il deviendra tains cercles officiels. Dans' un livre à la Mais le travail noir n'est· pas tout noir. impossible de laisser pratiquement vides fois important et distrayant, Alfred Sauvy, L'économie parallèle a prospéré pratique- des portions entières de territoire sans que économiste, démographe,. sociologue, es- ment dans tous les systèwes et sous toutes les énormes surplus de main-d' œuvre vesayiste et humoriste, vient remettre les les latitudes. C'est qu'elle n'est pas l'effet nus du Sud ne s'y déversent. Cettequeschoses en place. Le travail,explique-t-il, du goût des hommes pour la transgres- tion, qui transcende le vieux problème de doit plus figurer dans le bilan de la crise à sion, mais simplement la soupape de l'immigration, posant comme point de dél' actif qu' au passif. sûreté qui pallie la rigidité économique. part et non d'arrivée la formation d'une Le travail noir a un coût financier. Il -Le but de l'économie n'est pas le travail, société métissée, devrait préoccuper inreprésente dans un pays comme la . activité souvent pénible et peu gratifiante, finiment plus l'opinion et les gouvernants France quelque chose comme 5 % du PIB. mais la satisfaction des besoins.' Dans le que le phénomène utile du travail noir. • Ce sont autant de flux financiers qui bilan économique de base, le travail est Mais il ne faut pas le dire. LAURENT JOFFRIN échappent au prélèvement public, autant au passif, les richesses produites àJ'actif.
UATOUT· DU TRAVAIL AU NOIR
dans le monde de demain. Celui des robots, des usines informatisées ? Comme si les sociétés civiles pressentaient une telle évolution, on remarque déjà, en profondeur, que la vieUie conception morcrliscdrice et bourgeoise du Iruvail, celle qui nous venait du XIX' siècle, ait en -Irain, doucement, de disparallre. Les Françerls,comme les aulres Européens, s'investissent déjà différemment dans leur Iruvail. Les sondages le prouvent. Ils ne donnent plus tout à fuit la mime définition du mot « réussite ». Le Iruvcdl, en somme, est_ remis à ICI place ». Merls celle fois, on est loin dû utopies soixantehuitardès et des . éleveurs de chèvres exilés dans l'Ardèche. Il s'agit d'un àrbilrage plus .Iroid et plus récrliste enlre cerlcdnes vcrleurs comme le temps libre, les revenus, la sécurité de l'emploi, l'autonoinie .individuelle, etc. Irrésistiblement, les choix individuels se meHent à coïncider UV8C les nouvelles mutations qu'exige l'ap.rès•crise•
Dans le bilan de la crise, le travail noir doit être mis à l'actif et non au passif, explique Alfred Sauvy.
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ÇA BOUILLONNE DE TOUS LESCOTtS
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UENARQUE, LAVENDEE ET UORDINATEUR Le sous-préfet Philippe cleVilliers Si ennuyait. Il a
rts~=i démissionné pour ~onter un spectacle au Puy-du-Fou ave'c .. terme aujourd'hui parait bien vieilli j
l 000 personnes de la région. Il a ensuite fondé une radio libre qui'emploie 40 permanents. Il songe à uneJélévision.
sinon dérisoire, C'est individuellement en effet et « hors institution» que les Français réinventent la M. le sous-préfet s'enpuyait dans les culture, Ils ne sont grises hiérarchies d.e l'Etat français. Il pas les seuls; Au cœur même de la avait pourtant durement bûché pour gacrise, l'Europe gner le droit d'user ses fonds de cûlotte semble vivre une sûr les babcs de l'École nationale d'admi$xlraorclinaire nistration: Mais le pouvoir ne l'amusait ellervescence plus. Au seuil d'une carrière brillante; il créatrice (musique, réalisait qu'il préférait de loin l'initiative et rock, radios libres, l'autonomie, deux denrées rares dans les bricolages de bureaux tristes de la fonction publique. En to"tes sortes, ULM, 1977, Philippe de Villiers démissionne. Il etc,), Depuis longlemrs, semble- avait son bâton de directeur dans sa Ioil, on n avait giberne: il le jette par-dessus son épaule. jalilais assisté à un Pour une' idée, un rêvecoJoré. Cette tel bouillonnement Vendée un peu archaïque ·recèle un trésor d'initiatives, . des plus modernes: son_passé. De Villiers Un état d'esprit imagine un spectacle qui réunirait les nouveau donne à paysans -de l'ancien temps et les technitout cela sa vraie ques les plus futuristes. Le Moyen Age sur dimension: l'engouement pour' scène, l'an 2000 en coulisses. A force de la technologie. démarches, d'explications, de palabres et Hier encore,le de négociations, il convainc les habitants progrès du Puy-du-Fou, le Heu choisi, de l'aider, et technologique l'administration de ne pas entraver ses laisait peur, et les efforts: machines,' tueuses Très vite, le rêve est dépassé par sa d'emplois, ét~eli.t réalisation. Aujourd'hui, l'association "du mal accueUlies. Puy,..du-Fou a déjà Organisé cinq specta- l§. .Confusément, cles. Le dernier, en 1983, a accueilli Radio-Alouette, la première radio locale de France. l'idée de bonheur êtait associée à .230 000 spectateurs, soit deux fois 'plus que c~lIe de campagn.e, le festival d'Avignon. Les l 450 acteurs qui de province ou de se déploient sur doU.ze hectares scéniques -collectivités n'existent pas d'hier. Avant le bées économiqués sur la région son.t déjà lampe à huile. Or, so~t éclairés par le laser le plus puissant . Puy-du-Fou, d'autres festivals se sont plus important~s que beaucoup de P.M.E. to.US ces blocages créés et ont réussi en province, mais créées avec les pompes ministérielles re- . d'Europe. sautent, Les Le spectacle a un chiffre d'affaires de pourquoi celui-ci, plus qu'aucun autre, quises. nouvelles Le refus de .l'institution. -Là encore, de 10 millions de francs et fait revivre l'artisa- fait-il irrésistiblement. penser à. une sorte technologies nat l o c a l . ' , de modèle de « sortie de crise» ? Pour une Villiers témoigne pour «l'après-crise».' fascinent et , Chaque année l' qssociation vote son ~ raison assez simple : l'épopée vendéenne Dans une vieille Europe qui voit s'effonpassionnent, Mieux encore: elle ne , budjet. Les bénéfices ne f"lont jamaisdi:;;tri- de Philippe de Villiers réunit la pluJ:1art drerses institutions, les innovations, la vie, paraissent plus hués. Ils sont affectés à ce que Philippe de des ingrédients qui composent cette indé- le dynamisme se manifestent dans' les inconciliables avec Villiers appelle «la part du rêve». Pre- finissable bonne nouvelle qu'on sent poin- marges, dans le non-institutionnel. Le rel'idée même de fus délibéré de tout ce qui pourrait figer, mier investissement : une radio libre. Là dre derrière Ici crise. Citons-en quatre. culture. Un L'engouement technologique d'abord. scléroser, est si fondamental au Puy-duencore, le rêve était trop petit. Radio , nouveau champ AlDuette est aujourd'hui la première radio C'est de son propre aveu, l'un des rêves· Tou qu'on en a fait un principed~. foncd'activité et de libre de France. Elle emploie unequaran- d'enfant de Philippe de Villiers. Réconci- tionnement. L'association ne continue à créativité se'crée taine de .permanents salariés, aidés de lier la tradition orale et l'ordinateur, met- vivre qu'en évoluant sans cesse, qu'en ainsi: celui de la 110 bénévoles et 300 correspondants. EUe tre la technologie de pointe au service de créant du neuf sur un mode quasi biologicommunication, du « non marchand ». possède quatre studios ultra-modernes et la culture populaire, et au cœur d'une des que. Pas question ici de, succomber aux ee n'est plus du émet 24 heures sur 24 en stéréo. Son tailx provine.es les plus traditionaliste de solennités académiques d'un festival lolklore 1 d'écoute dépasse de quatre points celui l'Hexagone. Ordinairement, c'est un « installé ». Chaque année, une part du
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de France Inter, dans la région. Le mot multimédia est à la mod.e. L'association du Puy-au-Fou a dans la foulée 'créé un hebdo régional,. Alouette Hebdo. Le prochain projet est déjà élaboré, , une station privée de télévision L'eXpérience commence à faire parler d'elle. En janvier dernier, "le magazine Challenge consacrait une cover-story éblouie à ce jeune ancien sous-préfet en, rupture d' administration~ énarque vendéen saisi par l'esprit d'entreprise etl'air du temps. Autour du Puy-du-Fou aujourd'hui, « quelque chose» se passe qui fascine. Et pas" seulement' par l'ampleur du succès. Pourquoi? Les créateurs d'entreprise, les enthousiastes et les aventureux entraîneurs des
thème de débat ou de colloque. Au Puy.., du-Fou, cette réconciliation effective est l'axe même du projet. L'autonomie ensuite. Encore un thème très mode, mis concrètement en pratique ici. Non seulement le projet n'a bénéficié, - et ne bénéficie encore - d'aucune aide pùbÎique, mais l'association duPuy-duFou se paye le luxe de subventionner les pouvoirs public~. dans le département, notamment pour restaurer des· monuments. Finie et enterrée donc la vieille notion d'une culture sous tutelle de l'Etat, sponsorisée, fragile et défiCitaire·. Fini aussi le rapport pathologique entre culture et argent, jugés inconciliables par définition. Au Puy-du-Fou, non seulem~nt un projet culturel se révèle financièrement viable, créateur d'emplois, mais ses retom-
budget est affectée à une création nou.velle. C'est« la part dtirêve ». . L'esprit d'enfance enfin. C'est une autre manière de désigner ce par quoi les sociétés se renouvellent et évoluent, l'in':' dispemsàble folie... «Notre civilisation, dit Philippe de Villiers, a besoin de coups de folie. Poùr nous, une idée clairvoyante, c'est une idée folle qui a réussi. » Reste un détail qui, au Puy-du-Fou, embarrasse' plus d'un visiteur parisien. Philippe de Villiers est chrétien; loin de s'en cacher, il affiime même que la foi est le vrai moteur de cette aventure « libertaire et conviviale». Cela lui vaut queiques soupçons politiques et, de temps en temps, un papier plus ironique. Ce n'est pas grave... • JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD
Un financement original BNP destiné aux Créateurs d'Entreprises industrielles ou prestatatres de services a l'industrie. La création d'entreprise est un facteur vital de l'avenir économique. La BNP propose déjà une gamme étendue de crédits et de services pour répondre à ce besoin. Elle la complète aujourd'hui par le prêtaux créateurs. Ce prêt est accordé au taux de base, sans garantie personnelle, carla BNP sait faire confiance. La BNP va plus loin que la simple étude des problèmes de financement en orientant le créateur pour mener à bien son projet. La BNP investit dans l'tmagination. Réalisons ensemble vos projets.
• IP.LA BAlOUE ESTIOTREMETIER.
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QUANDLACOMMtJN Laser, satellites, télématique, vidéo, câble, réseaux informatiqu l'image sont encore dans l'enfance. Leur développement va tir \
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Jerne souviens vaguement des années soixante-dix en France. Premier média moderne, l'électricité existait déjà depuis ~es lustres, .ainsi que la télévision et la Crise. La banlieue de la terre s'encombrait de satellites de toute nature : des civils, des militaires. L'informatique connaissait sa première expansion «'grand public ». Ces années soixante-dix furent friandes de nouveautés : la nouvelle cuisine - un bout de saumon rose à l'arête, perdu dans une immense assiette -, la nouvelle.philosophie - A bas Marx! A bas les goulags! ~ bas Nietzsche'. (tiens pourquoi Nietzs:che?). Mais du côté des médias rien -de .très neuf. La télé était étroitement surveillée et la radio effroyablement triste avec sa FM presque déserte. Bien sûr, il y avait le cinéma, les cafés et la politique. Le téléphone n'avait pas d'écran et ne servait qu'aux communications vocales. On attendait des mois avant . d'y être raccordé. La presse était très différenciée. Il y avait l'écrite, la parlée et la télévisée. Outre-Atlantique, le paysage était plus riant. Le câble faisait son apparition ainsi que la télédistribution qui couplait satel' lite et câble.Vinrent les années quatre-vingt. En France le téléphone marchait mieux. Le nombre de lignes avait triplé en six .ans. Les nouveaux médiaS, comme les appelait les gazettes 'en papier de' l'époque, faisaient leur percée. La crise. baignait toujours l'occident. Le chômage s'étendait. On utilisait pourtant moins ·le pétrole et .plus les microprocesseurs, qui, bien qu'encore de taille grotesque, témoignaient des progrès. qu'avaient réalisés ·les industriels dans le domaine de la miniaturisation. A Paris, la gauche exerçait le pouvoir. avec quelques bonnes et quelques mauvaises idées. Ainsi avait-elle autorisé les radios locales à peupler: la bande FM, mais tout ~n leur refusant la publicité nécessaire à leur développement. Le gouvernement avait, ébréché le monopole d'Etat de programmation télévisuelle en permettant une première percée du câble. Les Français commençaient à s'extirper du Moyen Age et à se familiariser avec les technologies contemporaines. Banales encore, . puisqu'elles combinaient les câbles (dont certains utilisaient les fibres optiques), les satellites (dont ceux' de rediffusion directe), les magnétoscopes et leurs deux types de vidéogrammes (cassettes et disques) et les ordinateurs (qui devenaient sérieusement miniatures). L'écran de télé rÈmforçait sa position au centre des foyers puisque désormais non seulement il recevait les programmes TV des chaînes d'Etat mais il était capable d' affiçhet, grâce à la vidéographie,. tout un tas d'informations en provenance de banques de données ou de programmes. ' Avec cette féroce manie de l'étiquetage, qui caractérisait les Français du début des eighties, on classait les médias en deux familles: les outils nouveaux (censés prolonger nos sens et notre éerveaù) eUes réseaux (qui permettaient la transmissiqn des messages. Avec avidité, le public se jetait sur le marché du magnétoscope. Malheureusement le gouvernement français de l'époque refusait de tenir compte de :leur soif d'images, de leur faim de, programmes et taxait lourdement ce matériel. Toujours ,aussi insensiblè, il persistait à restreindre
les horaires de diffusion des télés officielles. Mieux inspiré il sut définir un code, . . d'ailleurs âprement négocié, de bon voisinage entre l'industrie du cinéma et les nouveaux médias utilisant le film dans leurs programmes. Les Français découvraient les jeux électroniques .: avec passion. Ils se tournaient vers de nouveaux procédés d'information à la demande : le télétexte, qui, télédiffusé, leur donnait les cours de la bourse, l'état de la .météo ; le vidéotex surtout qui utilisait le réseau téléphonique et permet.:. tait -les premières opérations bidirectionnelles, interactives; base aujourd'hui de nos démocraties post-modernes et néanmoins 'occidentales. Déjà à cette 'époque on pouvait acheter, .réserver, commander produits et services. ", Les journaux de papier s'émerveillaient. des performances des satellites de rediffusion directe qui, en permettant à l'usager la captation immédite. sur téléviseur des signaux émis depuis l'espace, blackboulaient les circuits habituels. Grâce à urie réforme promulguée €ln 1982 le câble pointait. Et la vie des cltoyensdes eighties allait en être toute chamboulée. Bientôtchez eux, à l'abri des agressions,d'un climat de plus'en plus ,', détraqué, il q allaient choisir leurs programmes dans une gamme de plus en plus étendue, puiser dans les banques d'images; et de programmes, passer leurs téléchats, vérifier leurs comptes en banques, dialoguer avec un ami, lire le vidéojournal, faire des virements, recevoir de l'argent optique, donner leur avis surtout et n'importe quoi (par.exemple la nouvelle 'coiffure-choucroute de Marceline Langeais:-Sabbagh, la fille du célèbre couple télévisuel des sixties qui, bon sang ne saurait mentir, présente les informations sur TFl3), engueuler untel, voter" envoyer son courrier,'. recopier des documents. Dans, les premiers temps, nos compatrio:tes, qui n'ont pas la tête très faite pour les bouleversements de ce type,' I}' ont:r pas bien su utiliser toutes ces capacités nouvelles mises à leur .disposition. Puis le travail s'est organisé différemment. Les ouvrièrs se sont mis à télécommander, à partir de leur Iiving-room, des machines qui construisent des appareils qui leur' servent à. contrôler les machines qui construisent. .. Les ingénieurs' dessinent leurs croquis et les. transmettent à des ordinateurs qui les vérifient puis les induisent dans des machines à mémoire. Les agriculteurs dirigent de leur salon toutes les opérations de la traite à'l'abattage, et téléguident leurs moissonnellses-batteuses: Seuls quelques malheureux qui n'ont jamais voulu apprendre quoi que ce soit persévèrent dans des emplois vieillots comme celui de distributeur de lait aux aurores. Pour ma part, toujours journaliste spécialisé dans l'audiovisuel, je me fais projeter une demi-douzaine aeprogrammes par jour dont je rédige la critique sur console avant de l'expédier au télétex-vidéo-journal spécialisé pour lequel je travaille (filiale du groupe Libération International). Defait, avec toutes mes banques de données, au milieu d'un capharnaüm de vidéophones, d'ordinateurs, de machines. à calculer, à trcmsmettre, disposant d'images jusqu'à plus soif grâce aux câbles, . aux vidéothèques, aux. satellites (pardon
Les médias ne cessent de se, diversifier. On atte: aux stations orbitales de télédiffusion habitées), je m'informe, travaille, m'instruis,. je me distrais .et je fais mes achats sans avoir à sortir. Sauf dix minutes par jour, hIstoire de dérouiller lm peu ma grande. carcasse. Hier, je relisais sur mon écran quelques livres électroniques, écrits, il y cr longtemps, sur du papier, des livres qui essayaient de décrire à priori notre époque hypermédiatisée. Mac Luhan (dans les' années soixante) divaguait sur le village global, sur la restauration de la fraternité par la communication de chacun avec tous et de tous avec chacun. Maccache ! Ça pour voir du monde, j'en vois, mais à travers mon écran, en image/vidéo (certes de très bonne définition, mais quand
[CATION EXPLOSERA" ~s
: je communiquerai, donc je
se.ra-i~,Les
~r l'économie. Et transformer la vie.
industries du son et de '
sionomie. On ne rassemble plus les athlètes sur un même stade, mais chacun se dépasse dans 'de gigantesques studios reliés par des satellites. De là peut-être, le déclin du football et du basket. A moins que ce ne soit par cause des charges de plus en,plus lourdes qui pesaient sur ces sports professionnels. J'ai lu dans une vieille revue qu'en 1983, la moitié de la population US travaillait dans la communication. Aujourd'hui le phénomène s'est mondialisé. J'exagère à peine, car. si l'on éxcepte le tiers mOnde qui sert de champ - de bataille pour régler les différends politiques mondiaux, la planète s'est tournée tout entière vers les industries nouvelles' nées de la révolution médiatique. Du côté écologie, grâce à cette révolution, cela va plutôt ,mieux qu'au début des· eighties. Lés automob,iles sont moins no~ breuses et moins utilisées. On transporte plus d'information par signaux hertziens, lumineux ou, autres que d'hommes et de produits. La production de papier qui gachait nos rivières a baissé de façon radicale. La décentralisation est enfin rentrée dans les mœurs d'autant plus facilement que les distances ne sont plus significatives. Les usines de communication sont clean. La France a réussi à trouver des créneaux. Elle fabrique de la fibre optique, des bOutons de consoles et certains programmes informatiques. Le cinéma s'est maintE?nu dans notre pays surtout grâce à la snobisation absolue du public américain qui, un beau jour, a décrété que le bon cinéma ne pouvait être que ftançais .. Depuis . les Ricains sortent par bandes en tenue de soirée pour admirer des films noir et blanc en seize millimètres signés par Pialat, Godard, Bergala ou Rohmer. Trône même à New York, au coin de la Cinquième avenue et de la Cinquante-sixième rue, du moins si j'en crois les infos télévisées de Channel 17, produites directement dans la vieille cité américaine, une statue de Bresson. Du côté des lanceurs de satellites nous avons eu une bonne époqlie autour des années quatre-vingt-cinq mais maintenant qu'il existe des stations orbitales de réémission, Ariane et sa descendance ont· été remisées dans un muséum. Côté multimédias les groupes à dominante française se sont -fait une. place au soleil dans.la galaxie européenne. Hachette vient de liquider RCV (RoussetRouard dirige ub consortium sportif à Boston) ~ais a pris le contrôle d'une if Big Brother. On voit arriver la communication éclatée. douzaine de télés italiennes et -d'une des grandes stations d'émissions vers le monde soviétisé. Le holding vert a passé même !).' Evidemment je suis marié; ma blables films du temps jadis, ces poésies des accords avec RCA qui contrôle NBC femme' habite avec moi aimü que les superbes signées John Ford et Raoul et la sixième chaîne européenne. RTL s'est enfants que je lui ai faits (le mariage a été Walsh. Le bouqUin d'Orwell, 1984, est un acoqu'rné avec Gaumont qui a perdu relancé, il y,a deux ans, par le triple peu simpliste. Le danger de contrôle gé- beaucoup d'argent dans ses opérations salaire: les couples mariés et travaillant néralisé·a existé mais il s'est bien vite . au Portugal. La Gaumont· n'est d'ailleurs reçoivent un troisième traitement -équiva- désintégré devant la multiplicité des in- _ plus dirigée par Toscan du Plantier (qui lent à la moyenne des deux autres). J'ai ventions d'astucieux utilisateurs, les ré-est devenu vedette de cinéma spécialisée fait connaissance de ma feinme par l'en- seal.,1.X parallèles et les courts-circuits dans les films de cape et d'épée), mais tremise, non de ma tante Artémise, mais concoctés par des génies anarchisants. par un ancien critique des Cahiers du -des catalogues matrimoniaux électroni- La meilleure preuve qu'Orwell s'est gouré, ·Cinéma qui s'est révélé génial en opéraques. Plus de balloche où draguer : ils. c'est que son livre est disponible sur tions financières. Pensez que Gaumont sont réservés aux réfractaires;' à ceux qui n'importe quelle bibliothèque électroru- vient dans le même temp~ de perdre une n'ont pas' accès, par volonté ou incapa- .que, sur n'importe quelle console. Et paf! fortune en Europe et de s'octroyer la cité, aux merveilles de l'électronique. Côté forme physique, cela ne cloche" majorité des parts de ,Transamerica-MeNous les citoyens évolués (on- ne parle . pas top non plus. Le culte du corps se trogoldwyn Mayer-CBS-Seagram. Liberaplûs de bourgeoisie), pour rious' divertir, . porte toujours pien. Le jogging n'est pas tion vient d'absorber ITV en Angleterre et nqus préférons le. blietzkrieg et le bridge passé de mode, ni le culturisme. Les le groupe Springer en RFA. électronique ou· visionner ces invraisem- compétitions sportives ont changé de phyEDOUARD WAINTROP
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COMME QUOI ON PEUT Y ARRIVER
~esl
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• usbi • nlà bout cl& souffle. Un venl de déroule souHle sur de nombreux secteurs qui, jadis, 6,enlla 'force du continenl. Mais les grands arbres qui s'eHondrenllonl . plus de bruil que les jeunes rameaux qui poussent. Un délail à ne pas oublier: en France, un bon tiers des entreprises indusbielles demeurent hyper compétitives. El l'Europe si elle le veul a encore des moyens. considérables el de formidables atouts; 'Affaire
d'inlelligence el d'audace: même .dans lessecleurs of6ciellemenlles plus malades, cerlaÏDsréussissenl aussi bien que les Japonais.
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ANNETTE ROUX: LES JAPONAIS SONT PLUTÔT RINGARDS A râge'de 21 ans, Annette Roux reprend la barre des chantiers Bénéteau. L'entreprise familiale ,passe, en vingt ans,·de 17 salariés à plus de 1 000 et son chiffre d'affaires, de 3 millions à 300 millions de francs. nous continuerons, si nos options d'aujourd'hui sont bonnes. Seulement nous ne le saurons qu'après. Pour fabriquer un bateau. de deux mètres, il y a deux ans, il vous fallait . 250 heures de travail, il ne vous en faut plus que 150 aujourd'hui. Cent heures de gc;rgnées, et au lieu de licencier vous embauchez. Surprenant? Sans ce gain de productivité, il est probable que Bénéteau disparaitrait. Tandis que là, réduisant nos coûts de production, nous avons élargi nos marchés, augmenté nofre clientèle et nous avons embauché. . Et vous ne vendez pas seulem~nt en France, mais aussi en Europe? C'est au niveau mondial què se développentaujourd'hui les entreprises. Nous aurions pu nous contenter de notre position de force en France, .maisl'exportationne s'improvise pas. Il nous a fallu quinze ans pour pénétrer dans ces nouveaux marchés. Vos résultats à l'exportation sont àujourd'hui spectaculaires... - Oui, ils sont en progression de 90 %, mais nous avons commencé à exporter alors que nous n'en avions pas besoin. Le premier bureau que nous avons ouvert à New York n'a pas été immédiatement productif. Seulement, le métier de chef ~ d'entreprise, c'est toujours p. révoir, antici~- per, se tenir informé de ce que font les t!l concurrents. . ffi Vous avez un concurrent en Vendée, !2l Jeanneau... ~ Jeanneau, je le connais. Je m'inquiète Annette Roux à la barre. Une croissance plus rapide que celle des Japonais. bien davantage de mes concurrents de l'Asie du Sud-Est. Quand ils surgiront sur le marché, ce sera trop tard, c'est avant Libération: Comme.nt avez-vous Ah! non. J'en serais bien incapable. qu'inaut réagir. cOmnlencé? C'est mon frère qui les a créés, dessinés, Voûs êtes allée au Japon? Annette Roux: Depuis 75 ans, la entièrement. A ce sujet, je voudrais dire Bien sûr, nous y sommes allés au prinfamille Bénéteau fabriquait des bateaux une chose. Il est très important de bien temps. Ce qui nous intéressait, c'était de de pêche, dit Annette Roux. En 1964, ce savoir s'entourer et ensuite de faire voir justement où en était la concurrence. métier-là commençait 'de vivre son déclin, consèÏence. Mon rôle, c'est de diriger les Ses usines n'étaient-elles pas plus moderla meilleure preuvec' est qu'aujourd'hui, il affaires, la technique, je ne m'en mêle nes, son personnel plus productif ? n'y a plus de constructeur de bateaux en pas. Un chef d'entreprise qui veut toucher Alors sont-ils plus modernes? France. Alors, .au lieu de s'épuiser dans à tout limite forcément les possibilités de Leurs outils ne sont pas plus modernes, un secteur qui était mort, ne valait-il pas son affaire. Sans un partage équilibré des leur main-d' œuvre pas plus active. On a mieux en explorer un autre? La réaction responsabilités, une entreprise ne peut vu, on a pesé le pour et le contre, alors on de la troisième génération de la famille pas grandir. est revenu plus tranquille. Mais il faut Bénéteau Iut de s'engager à fond dans le rester prudent, six mois suffisent à tout C'est ça le secret de votre réussite? créneau du bateau de plaisance. Il n'y a pas de secret de la réussite. changer. Et ça a donné de bons résultats ... Vous dites que vous êtes revenue rasContinuellement nos profits sont réinvesÇa ne s'est pas fait tout seul, ni en un tis. Mon salaire, confortable iLest vrai, surée. A quoi pensiez-vous dans l'avion jour~ L'étape décisive date de 1965, Perrémunère seulement et uniquement les du retour? ché au cinquième niveau du Salon nauti- fonctions que j'occupe. Pas question de Je me disais : nous avons tout pour que de Paris, Bénéteau exposa,it. Je trem- vivre sur l'entreprise, réussir, l'Europe a tout pour réussir, mais blait de peur du ricidule, j'avais beau Tenir la barre de Bénéteau, c'est tou- le veut-elle vraiment? écarquiller les yeux, je ne voyais alentour jours choisir?, D'une certàine façon, Annette Roux, aucun voilier qui ressemblat aux nôtres, vous êtes une samouraï vendéenne; Absolument. mais dès l'ouverture du salon, trois mesPar exemple, ·la planche à voile, oui ou qu:est-ce qui vous motive, le goût du . sieurs, jè m'er} souviens très bien, sont non ?.. pouvoir~ le goût de l'argent? venus me voir et m'ont dit.: ({ Madame, Ce n'est pas par goût de l'argent, La planche à voile, c'était un choix vous faites exactement les bateaux qu'il , d'hier. A i'époque la réponse a été non. seulement pour le plaisir de faire quelque nous faut. » Et ils en ont commandé cent. On a préféré autre chose. chose dans la vie. C'est très comparable C'était pour nous des mois de travail. Aujourd'hui. nouveau èhoix, le trima- aux motivations d'un sportif, tirer le maxi. non.? Bénéteau faisait son entrée sur le marché ran, Qm, mum de .soi~même, uniquement pour le de la plaisance • La question est posée. On y réfléchit. plaisir. C'est vous qui les aviez dessinés, ces Bien choisir, tout est là. Nous avons su le Propos recueillis par bateaux? faire hier, Bénéteau a progressé. Demain LUC BERNARD
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Hewlett-Packard a·toujours exporté la majof/té de. ses prodUIts fabriqués en France. Il est aujourd'hui avec 856 MF, le f! exportateur fran,eais dl"nforinatique. Dès à présent le nouveau HP 150, avec son écran tacttle révolutionnaire, est constrUIt à Grenoble et 80 %de la production sera exportée dans tous les pays d'Europe. . C'est une victoire pour HPFrance, qui exporte ainsi du matériel mais. aussi son savoir-faire, puisque c'est à Grenoble que sont faItes les adaptations des logiciels pour toute l'Europe. En fabriquant le HP 150 à Grenoble, Hew(ett-Packard donnera à la France une place de leader sur le marché européen, dans un domaine àl'avenir prometteur: Itnformatique personnelle. Exporter avec la France, nous y croyons!
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KléberBeauvillain, Président du Directoire.
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HP, UN PARTENAIRE DE LA VIE ECONOMIDUEFRANCAISE .
-
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BEGARDEZLA NOU1TELLE GÉNÉBATJON . D1:NTREPBEi-
NE URS
mais simuHtmémenl la Fiance en crise bouillonne aussi d'initiatives commerciales, industrielles ou cc tertiaires »... Ce ne sera pas le moindre des paradoxes de l'alternance de mai 1981. Les socialistes auront surloulréussidans ce qu'ils n'avaient pas prévu ni mime pressenti: légitimer lé pro&1, réinventer l'entreprise. la productivité, la compétitivité. etc. Une nouvelle génération . d'entrepreneurs a . donc débarqué depuis peu sur la scène économique. Leur cc pro&l » les rapprochent . davantage des jeunes « bricoleurs » californiens de la Silicon VaHeyque de M. François Michelin. Les secteurs qu'ils investissent sonl souvent liéS aux technologies de pointe (informatique. télématique. etc.) mais JlCl!.toujours. Et les paris qu'ils gapent·. quelquelois inimaginables : vendre des chewing-jum ou des bandes- . dessinées aux Américains... En clair. l'Europe cc en voie de sousdéveloppement» 'découvre· avec surprise en son propre sein ,une nouvelle raêe de cc samouraïs» qui. ellé. n'a pas l'intention de perdre la guerre économique mondiale. Bonzaï !
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le; libérons les capacités d'innovation, la d'entreprendre ... Bref, «le chômage, c'est une chance pour la France». Le haut fon€:tionnaire à qui je proposais ce titre n'a même pas grincé des dents. Il n'était pas loin d'approuver. Pourtant, que sont devenus les 30 000 en question? Personne n'en sait rien. Derrière quelques éclatantes réussites, la plupart ont fait grimper la courbe du nombre des créations annuelles. Mais on les retrouve dans la courbe d'à côté, qui grimpe aussi, celle des faillites d'entreprises. Quelques enquêtes partielles montrent que la plupart des créateurs d'entreprises démarrent avec 50 000 F ; ce qui est trop faible. On sait aussi que sept entreprises sur dix meurent de maladies infantiles. Et enfin que l'aide Assedic aux chômeurscréateurs varie souvent de 15 000 F à 30 000 F. ce pactole' est un piège; on le reifle et on se plante. Le chômage créateur, aujourd'hui, c'est plutôt la chance des grands groupes industriels. Maintenant que le danger du licenciement est entré dans les têtes, ils font entrer la création dans les mœurs, èt fabriquent un marché du chômeur de luxe. Un technicien de Saint-Gobain à Fumel (1 500 eplois en moins dans un an) peut obtenir 120000 F s'il démissionne pour aller ouvrir son atelier de soudure dans la région toulousaine; En basse Normandie, un concepteur de logiciels s'installe avec 200000 f· de Thomson : chaque fois qu'il embauche un salarié (ou un chômeur) de Thomson, 20000 F de ce prêt sont transformés en subvention. « Un licenciement économique, explique l'un de ces aménageurs sauvages, c'est une indemnité de licenciement plus des ennuis avec l'administration, plus des risques de. grève, plus une image sociale négative. Tout cela coûte au moins le double des 120000 r. Sans compter l'économie d'un poste de travail non rentable. » Mais qui sait faire? Probablement pas les 30 000 chô:r:p.eurs.;créateurs de Martine Frachon. Car ceux qui réussissent aujourd'hui dans la création d'entreprise sont les « durs», nantis d'atouts culturels. Pas l'armée des ouvriers obsolètes. Ils passent à la moulinette des réseaux de parrainage qui trient, sèchement, les projets et les hommes. Et ça fonctionne. Le club Entreprises nouvelles du Limousin: après dix ans de calme plat, 70 créations parrainées; deux ou trois incidents. Eure Initiative: 25 parrainages en deux ans; une seule entreprise vacillante. La chambre de commerce des Yvelines-Essonne: 400 créations en quelques années; le CIC de Versailles : 15 entreprises nouvelles financées en un' an; pas un échec. Les projets parrainés par l' AFACE du baron Empain : ID à 12 % d'échecs avoués. Promotech,-Alsace: trois entreprises réus~ sies par une liaison unlversité-industrie efficace.' Ce qui est nouveau dans les reconversions d'aujourd'hui, c'est que personne n'a plus les moyens de les traiter comme la sidérurgie de 1977 et 1979. En cataplasmant le problème économique de traite.ments sociaux. Alors,en 1984, la prime et le succès iront non à ceux qui payent, mais à ceux qui ont de l'imagination. Qui sauront donner aux chômeurs de l'envie de vivre. Et je ne vois pas grand monde qui connaisse ce métier. Quelques brillants ::;ujets qui ont fait le grand SudOuest. Une ou deux petites équipes parisiennes, tenues pour marginales par les grandes administrations. Quelques aménageurs qui travaillent pour de très grandes entreprises. Quelques élus. C'est tout. Autant dire que les chômeurs, pour créer, en resteront encore longtemps à leur marathon solitaire. ; • BENOîT GRANGER
~"O!onté
Une nouveauté des années 80 : les chômeurs créént leur emploi.
LE CHÔMAGE, UNE .CHANCE POUR
TI ENTREPRISE?
Le chômage est un drame. Mais il sert parfois de catalyseur à la création dl entreprise. . Michel Chambard, 32 ans, un CAP, était automaticieh dans une entreprise de mécanique à Brive. Quand elle a fermé, il avait 8 000 F sur son compte en banque. Un peu de chômage polir se retourner, puis il recommence tout seul à poser des automatismes à la demande. Puis à développer des machines didactiques. Trois ans et dix salariés plus tard, deuxgTos contrats et plus de soucis. «La :créqtlon, ça me travaillait· depuis un moment. Évidemment, le chômage encourage à sauter dans le vide. » Mais le chômage, ce n'est pas qu'un' accident. Ça se manage. Claude Baudel et son copain étaient tous deux fonctionnaires à Cahors. Rejoints par Jacques Labatte, travailleur social, et Roland Burg, qui s'ennuyait chez 'un expert comptable, ils fondent une Scop de bûcheronnage. Mais avant de se lancer, quelques mois de chômage pour préparer le terrain; une formation payée par le Fonds national de l'emploi, le temps de moriter le projet; et la pdme aux chômeurs-créateurs: Au-' jourd'hui, ça marche, sans plus, mais avec des projets grandioses. En plus grand, Elbeuf se mobilise autour de ses 4 000 chômeurs. Après une étude du CNRS qui secoue les partenaires économiques, les élus locaux votent 500 000 F de crédit sur un projet de «mobilisation économique»~ qui en coûtera le double et durera un an. Avec au bout, des créations, des micro-entreprises, des emplois « ëlUto-centrés ».
Beur et chômeur, double handicap. Pourtant l'Est lyonnais, depuis un an, voit fleurir les micro-entreprises (entretien de . façades, confection ... ) qui marchent à la dure loi du marché. Coup double : M. Paupille, directeur départemental du travail et de l'emploi, branche des cadres au chômage sur les beurs au chômage. Et quand le br,anchement réussit, lés premiers gèrent les boîtes dans lesquelles s'activent les seconds. Quant à Michel Bottemanne, d'instituteur à Escassefort, Lot-et-Garonne, il est devenu PDG d'une holding, dont le siège est d'ailleurs au village. Les enfants handicapés dont il s'occupait il y a dix ans devenaient des chômeurs doublement handicapés. Alors il .a développé ses propres micro-entreprises (confiserie, tricycles, chaussures orthopédiques, imprimerie, meubles en kit...);' mélangeant adroitement les financements sociaux et les èréneaux commerciaux bien évalués. Ça marche. Deux sociétés de développement réçnonal,qui ne sont pas philantropes, ont même « mis des billes» dans ses entreprises. Les chômeurs créent. Le dos au mur, 30000 ont plongé depuis trois ans. Avec, trop souvent, pour seul pécule les six mois d'indemnités que l'Assedic leur verse en une seule fois. En novembre dernier Martine Frachon, à l'Assemblée nationale, en tirait argument en faveur du congé-création ppur les salariés. Regardez les c:hômeurs : le mouvement existe; amplifions-
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12 DECEMBRE 1994
LA PRÉSIDENTE EUROPÉENNE EN VISITE OFFICIELLE A WASHINGTON
tout et l'aéronautique européenne se porte bien), Raymond Barre devra pour les discussions «vins et spiritueux'» s'attendre de la part des Américains à une solide résistance. Cette brancheagrbalimentaire est en effet la derni~re qui rapporte encore de l'argent à l'Etat de Californie et l'on sait combien les viticulteurs californiensont contribué au retour de Ronald Reagan sur la scène politique.
Reagan à Thatcher: surveillezvotre ECU, Madame!
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Washington (de notre correspondant) Le boom de l'EC~ et le déséquilibre commercial Europe-Etats-Unis sont au centre des discussions Reagan-Thatc:her , pour la première visite officielle de la nouvelle présidente de l'Union européenne au vieux chef américain. L'ambiance est plutôt tendue, malgré l'ample convergence politique entre les deux leaders libéraux. Reagan a en effet au moins deux bonnes raisons de se plaindre de la politique européenne. Les taux d'intérêt trop élevés à Paris, Londres et Stuttgart continuent de tirer l'ECU vers le haut. La monnaie européenne, pour la première fois depuis sa création comme monnaie unique en 1986, a dépassé cette semaine à Wall Street la barre des 2,50 dollars et la Federal Reserve a dû intervenir une nouvelle fois pour soutèhir Je cours de la monnaie américaine. Deuxième raison d'aigreur pour Ronald Reagan, le déséquilibre commercial entre les deux puissances risque pour l'année 94 de dépasser les '100 milliards de dollars au détriment des États-Unis d'Amérique. La tâche de -la Dame de Fer ne sera pas facile une, semaine à peine après' que le sommet de Madrid l'eut nommée présidente de 'l'Union avec, comme mandat principal. de rétablir' de saines relations avec les USA. C'est en effet la première fois en dix ans - depuis le Conseil européen de Dublin en décembre 84 qui a proclamé l'Union européenne - que le leadership économique de l'EurClpe est aussi éclatant et Ronald Reagan se trouve dans une position intenable. Un de ses principaux chevaux de bataille qui lui ont permis de revenir au pouvoir. en 92 était, l'on s'en souvient, le rétablissement de la position économique des États-Unis d'Amérique face aux blocs européen et asiatique. Aujourd'hui il semble patent que son pays a pris un retard important dans la« quatrième révolution inçlustrielle », celle des protéines, et que son industrie électronique vieillissante éprouve beaucoup de mal à assurer sa reconversion. La tâche du ministre européen du Commerce extérieur Raymond Barre, qui accompagne la Présidente dans son voyage officiel, n'est pas moins délicate. Il doit négocier avec ~on homologue William Block un assouplissement des barriè-. res douanières américaines dans le domaine des vins et spiritueux, et en même temps il mettra la dernière main au contrat d'achat par les compagnies aériennes américaines dé 45 avions. Entente. Si.ce point-là semble acqllis (1 025 avions Entente ont été vendus dans le. monde en
13 DEZEMBRO 1994
LA xe FOIRE EUROPÉENNE D'INFORMATIQUE DE PARIS
Moins de rumeurs mais plus de visiteurs « grand public» autour du stand Thomson-Grundig où trône la nouvelle Traducette. Benito Craxi n'en est pas revenu. La Traducette, qui permet à tous les Européens de se comprendre, pèsera désormais moins de 300 grammes. Elle peut se cacher dans' une pochette de chemise, s'accrocher à la. ceinture ou se glisser dans un sac à main:· Son micro ultra sensible. (de fabrication grecque) lui permet de capter les voix des interlocuteurs sans la déplacer. Le mini écouteur sans fil fabriqué par Grundig au Portugal lui assure une réception d'une étonnante qualité. En recevant des mains ,dù Président Max Grundig (86 ans, sa retraite est annoncée pour 1995) une Traducette dorée à l'or fin, Benito Craxi n'a pas pu s'empêcher de poser la question : « Quand est-ce que vous m'inventez une Traducettepour comprendre les démocrates-chrétiens ? »
Informatique Européenne: toujours puce! Paris (de notre correspondant) Pour la dixième année' consécutive la capitale française abrite la plus importante manifestations mpndiale dans le domaine de l'informatique et de la microélectronique. L~ BIOP 4 et la nouvelle Traducette en sont les grandes vedettes. « Plus les objets exposés sont petits, plus cette foire est immense», cette forte parole fut ·la perle du discours d'ouverture de la Xe Foire Informatique de Paris prononcé . par le ministre européen au programme ESPRIT Benito Craxi. On le sait l'ancien Premier ministre italien est spécialisé dans ce genre de truisme. Son diredeur de cabinet, Carlo çl.e Benedetti (ancien patron d'Olivetti) a eu beaucoup de mal à empêcher son ministre d'enfiler d'autres perles pendant les quatre heures de visite de la Foire. Il faut reconnaître que les sujets d'étonnement innocent ne manquent pas, cette année, à Paris. Le stand le plus impressionnant, au centre du parc immense allant de Villepinte à l'aéroport régionpl de Roissy, abrite la dernière merveille de la firme européenne BIOP: le micro-ordinateur BIOP 4. BIOP, qui regroupe les anciennes sodétés Bull, ICL,' Olivetti et Philips, occupe maintenant 30 % du marché mondial de l'informatique. Avec son nouveau modèle BIOP4 la firme européenne espère emporter les trois-quarts du marché mondial de la micro-informatique maintenant que le cartel nippo-coréen s'est réorienté vers la transmission des données. Autour du stand BIOP les spéculations vont bon train. On chuchote en effet dans les mi-' lieux industriels bien informés que BIOP pourrait prochainement prendre une participation non négligeable dans ra firme amériçaine IBM. .Cette dernière, depuis qu'elle a perdu son procès pour «dumping de matériel incompatible» en 1990, est à la recherche de partenaires pouvant financer sa reconversion. On prête à BIOP' l'intention de prendre le contrôle d'IBM et de centraliser ainsi tout le potentiel de recherche des deux groupes. Le centre de La Gaude (près de Nice) du vieux géant américain serait transformé en «musée européen de l'informatique».
14 DEZEMBER 1994
LA CONFÉRENCE SUR LEDÉSARMEMENT NUCLÉAIRE EN EUROPE VERS UN SUCCÈS START III et le ciel t'aidera! Aix-la-Chapelle (de notre correspondant) Chacun ses armes, chacun chez soi. Telle pourrait bien être la conclusion des conversations SART III entre Américains, Soviétiques 'et Européens qui s'achèvent cette semaine à Aix-la-Chapelle.Dans la capitale de l'Union européenne, le: climat est à l'optimisme depuis qu'Helmut Kohl, 'ministre européen de la Défense, a déclaré hier : « Américains et Soviétiques semblent sur le point d'çrccepter une. réduction substantielle de leurs armements nucléaires stationnés en Europe. Les Eu- . ropéens pèsent maintenant suffisamment lourd pour ne plus accepter de servir de champ de bataille. » Helmut. Kohl. qui présidait la conférence, a d'autre part souligné l'urgence de l'ouverture de négociations sur le désarmement .avec le bloc islamique. « Depuis l'invasion du Maroc par les forces du Croissant, a dédaré le ministre, l'Union européenne p'a que Gibraltar pour la séparer des Etats islamiques. Il faut négocier. Les conversations START III n'étaient que les reliques d'un équilibre international d'un autre âge. Au face à face'EstOuest s'est substituée une confrontation. Europe-Islam. » Dans les milieux diplomatiques de la capitale européenne on pense que la visite officielle·de la présidente Thatcher à Washington devrait contribuer à resserrer les liens entre l'Union européenne et les USA. Les Américains pourraient retrouver leur statut privilégié d'allié numéro un de l'Europe dans l'hypothèse de tensions Europe-}s~a~. Il est·certain ,éga1 ment que 1 cette les Amencams voudrontechanger
; ETATS-UNIS D'EUROPE -
) Dix coupent court à trente ans de palabres et ~de ~e 1994 : pas de regrets. alliance contre un rééquilibrage des relations commerciales Europe-USA.
15 DECIEMBRE 1994
LE SYNDICAT EUROPÉEN DU VIN REFUSE D'ALIMENTER LE FONDS D'AIDE AU TIERS MONDE Les viticulteurs européens :.0 une grappe de radins
production de vins de consommation couLeader aux USA sur le marché des « light wines» elle a envahi l'Europe après avoir conquis l'Extrême-Orient. André Cazes a violemment rejeté l'argumentation d'Andréas Papandreou. « Notre Vinico1a ne se vend quasiment pas en Afrique où les États islamiques font régner la loi' coranique. M Papandréou ferait· mieux de défendre la viticulture européenne face au protéctionnisme amé-' . ricain plutôt que de vouloir lui imposer des charges supplémentaires. » Le leader viticole a par ailleurs annoncé le prochain achat par le S.E.V. des activités européennes de Seven Up, dont les verites ont considérablement baissées dans les huit dernières années.' rante~
Madrid (de notre correspondant) Hier soir le tiers monde avait le vin . triste.. Le IVe Congrès du syndicat ep.ropéen des viticulteurs (S.E.V.) qui se tenait cette semaine à Madrid vient de rejeter la proposition du Conseil européen de créer un Fonds d'aide aUx agriculteurs du tiers mondé. André Cazes, président du Syndi-. cat a déclaré: « Nous ne recevons aucune DECEMBER 16, 1994 aide du gouvernement européen. Nous avons réussi à imposer la viticulture des UN SATELLITE AMÉRICAIN Douze dans le monde entier grâce à notre MISEN ORBITE PAR travail et notre union. Nous payons déjà suffisamment de taxes sans participer, en . UNE FUSÉE EUROPÉNNE plus à un Fonds d'aide gouvernemental L'Europe met l'Amérique sur orbite dont noüs ne pourrons pas maîtriseF l'utili- Kourou (de notre correspondant) Grande première pour Europa. La fusée sation. » Le ministre européen de l'Agriculture, européenne a enfiri atteint l'âge adulte. Andréas Papandreou, a qualifié. cette Le prix de revient d'un lancement d'Euprise de position « d'égoïste et irresponsa- ropa étant maintenant inférieur à celui des navettes américaines, à fiabilité ble ». « Les viticll1teurs sont l'une des catégories égale; une compagnie américaine de professionnelles les plus riches d'Europe. transmission par satellite a confié l'un de Ils le sont en partie grâce aux ventes de ses petits bijoux aux bons soins du lanleur Vinico1a dans les pays les plus pau- ceur de l'ESA (European Space Agency). vres. Il est de leur devoir d'aider les Le lancement s'est bien entendù effectué paysans du tiers monde.» a insisté le sans problèmes et l'ESA se prépare au prochain tir d'Europa, dans deux mois. ministre de l'Agriculture.' Pourtant cette grande première est RappelIons que le VINICOLA, mélange de. tous les vins européens dont la recette aussi une grande dernière puisque l'on . secrète est la propriétê du S.E.V., est assistait hier au dernier tir effectué depuis devenu. l'an dernier Ja boisson la plus la base de Kourou en Guyane française. vendue dans le monde. Après cinq an- En effet les indépendantistes guyannais nées de négociations entre viticulteurs manipulés par les concurrents de l'ESA européens, le VINICOLA s'est· imposé sont de plus en plus dangereux et la base comme une réponse ambitieuse à la sur- de Kourou est devenue un carrefour inter-
Reagan a bien du mal face à la Dame de Fer, présidente des États-Unis d'Europe.
national d'espions de toutes ongmes. Aussi les Européens ont-ils décidé de transférer la base de lancement' sur le sol même de l'Union européenne, sur les bords de la Méditerranée. Le site choisi présente les mêmes avantages de latitude que Kourou. D'ores et déjà les associations de protection' de l'environnement européennes protestent contre le surcroît de population qu'amènera une base spatiale dans lesèaux déjà très souillées de la Méditerranée. Sur ce nouveau site, le prochain lancement d'Europa (dans deux mois) permettra de mettre en orbite un laboratoire spàtial européenèonçu par l'IRE (Institut de Recherche Européen) de Londres. On a appris hier qUE;! lors de sa visite à Washington la Présidente Thatcher avait signé un accord de èoopération spatiale avec les autorités américaines. Aux termes de cet accord; une équipe de chercheurs de la NASA se joindra .aux scientificmes européens à bord du laboratoire spat~al de l'IRE.
17 DICEMBRE 1994
SUR LE TOURNAGE DU FILM DE SERGIO LEONE . « IL ÉTAIT UNE FOIS L'EUROPE» L'Europe, l'ECU et les truands Cinecitta (envoyé spécial) On m'avait dit « tu verras Cinecitta, c'est dingue, c'est l'HollyWood des années 90.,. »HollyWo()d d'accord,mais très italien. Le vieux Leone, par exemple, pour son nouveau film, on dit qu'il a ùn budget géant de 40 milliards d'écus. Mais impossiblede vérifier. Les Italiens pourtant parfois si bavards sont là d'une discrétion incroyable. Agressifs même. C'est que le père Leone vit maintenant dans l'institutionnel. Le roi du western spaghetti fait dans la fresque historique, le très long métrage officiel... JI tourne un film sur l'Eùrope tellement énorme paraît-il, qu'à côté, le Napoléon d'Abel Gance fera cIimable .court métrage. Depuis dix ans qu'il a son sujet dans la, tête, dit-il. Depuis ce fameux Sommet de Dublin en décembre 84 où les dix grands éhefs ont décidé que c'était le moment ou jamais de créer l'Union. Ça a été son chemin de Damas. Et il a décidé de refaire « Birth of a nation» à la sauce européenne, et en beaucoup plus grand. . Aujourd'hui pas possible d'en savoir ". plus. Le maître est enfermé dans .ses studios pour au moins trois mois et rien n'en sortira que le film. Tout ce que l'on sait, c'est que deux assistants vont lui donner un coup de main: Francis Ford Coppola et George Lucas. Ils se sont d'ailleurs installés définitivement en Italie. «, L'Europe est le dernier endroit où l'on fasse vraiment du cinéma, a dit Lucas. Ailleurs on fait simplement. des images. DIDIER POURQUERY
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Libération: Pourquoi avez-vous accepté affabulé pour rester fidèles à leur idéal. Il n'yen a qui soit malhonnête. En trois ans de participer à cette.émission? Yves Montand: A l'origine, c'est Jean- de « socialisme)} il n'y a eu aucun scanClaude Guillebaud qui m'a contacté. Il dale. A votre avis; que va-t-il ressortir de m'a dit qu'il faisait une émissionéconomi. que. J'ai répondu que je n'y connaissais cette émission? Ce sera peut-être comme certains films pas grand-chose en économie, mais il a expliqué que j'en serais simplement le 'politiques que j'ai faits. On n'a pas tout narrateur. Cela m'a paru une borine idée. dit, il y a des choses qui n'y sont pas, Et puis il y a des images qui m'ont frappé comme le problème de la formation des quand il m'a décrit le scénario. Ce jeunes, par exemple. Mais on aura peutcontraste entre le chômage, les difficultés être aussi apporté des éclaircissements, de toute sorte, la crise, et cette augmenta- expliqué aux gens pourquoi certaines tion des ventes des grands magasins pour choses ne sont pas si simples. Il ya des les fêtes, par exemple. J'ai réalisé que solutions qu'on pourrait croire évidentes, nous. continuons, malgré la crise, à vivre comme celle qui consiste à renvoyer les sur l'acquis de ces trente années d'enri- immigrés chez eux pour réduire le chôchissement extraordinaire de l'après- mage. Quand on les met en images, les guerre, ce qu'on a appelé les « trerite certitudes volent en éclats. On reprochera sans doute à rémission glorieuses ». de s'en tenir à des solutions partielles, ce Aviez~vousdéjâ une idée sur la crise? Oui. Il y a des choses que tu vois, mais quirevient à accepter le système tel qu'il que tu n'oses pas trop dire, tu n'es pas est ... Écoutez, nous sommes dans le contexte sûr. Je me souviens d'une manifestation d'agriculteurs contre l'entrée de l'Espa.:. des pays européens, qui sont des démogne dans le Marché commun. Ils étaient craties bancales, avec tous les défauts bien habillés, bien nourris, comme des qù' ori sait, mais .auxquelles nous tenons cadres moyens. Sans vouloir en rien mini- vachement, comme dirait mon petit-fils.' miser leurs difficultés, je dirais que dans C'est tout ce qui nous reste, et ce n'est pas les années trente, c'était tout de même rien. Nous sommes dans un capitalisme autre chose. Les gens se battaient réelle- libéral. Tout ce qu'il y a d'autre, ce sont· les systèmes de l'Est. Si on n'en veut pas, ment pour manger, pour survivre. Y avait-il d'autres choses qui vous aient et nous n'en voulons pas, et si d'autre part on ne veut pas de la révolution « bout du frappé? Oui. Je me rendais aussi compte que fusil », parce qu'on sait ce que ça donne, l'augmE!ntation du chômage était prati- il faut donc inventer autre chose. Mais quemerit inévitable, et qu'on avait fait la tant qu'on n'a rien trouvé, il faut bien faire bêtise, que la gauche a fait la bêtise (je avec. Et notamment, on a absolument 8 dis bêtise pour rester mesuré) de ne pas besoin de maintenir en place les gens· ~ prévenir les gens. Quand Felipe Gonzalès compétents.. Les gens comme Dassault, est arrivé au pouvoir en Espagne, il n'a par exemple,. parce qu'il savent faire Je vous l'accorde. Mais ce qui m'à le rien promis. Il n'a pas dit aux gens que marcher la machine, et bien. Et s'ils le font plus agacé, choqué surtout, c:est Mauroy. leur pouvoir d'achat allait augmenter, au bien, ils ont le droit de faire des profits, il J'avoue que j'ai du mal à l'écouter à. contraire. En outre, il a simplement pré- faut qu'ils fassent des profits. A condition nouveau quand il passe à la télévision. Je venu la classe dirigeante qu'elle devrait de ne pas étrangler les autres, bien sûr. ne veux pas polémiquer, mais un monfaire un effort, un gros effort, parce. que . Vous dites dans rémission que vous sieur qui a dit que tous les clignotants de c'était aussi son intérêt. l'économie étaient au vert, qu'il n'y aurait êtes vous-même une entreprise... Mais en France, peut-on gagner les Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Michel pas de dévaluation) et qu'il se retirerait élections sans rien promettre? Albert, et ma surprise n'est pas feinte s'il devait appartenir à un gouvernement La gauche a gagné à cause du ras-le- dans l'émission. Je gagne de l'argent, appliquant un plan d'austérité, et qui ne bol contre Giscard, pas uniquement à mais je fais travailler des gens. On m'a s'excuse pas après pour dire qu'il s'est cause de ses promesses. C'est Marie- même reproché dans la profession de trompé, c'est inacceptable quand on se France Garaud qui a dit à l'époque : payer mes musicièns plus cher que les· veut Un horrime de gauche. autres. On me reproche ce que je gagne, Si la gauche n'est plus contre le capita« Pourquoi voter pour Giscard, qui promet de faire dans les sept ans à venir ce qu'il mais j'ai fait tout de même rentrer un lisme, commentva-t-elle se définir? n'a pu faire dans les sept ans écoulés? » paquet de devises en France. Vous rigolez, ou quoi? Il y dùra toujours Fallait-il que la gauche fasse .toutes ces Vous avez reproché au gouvernement à se battre pour plus de démocratie, plus promesses, et surtout fallait-il les tenir à de monter en épingle l'affaire des avions de justice, plus de libèrté. Toujours. Cela tout prÏJF, sachant ce qui allait en résul- . renifleurs. N'était-ce pas un peu naturel dit, plutôt qu'homme de gauche, je préfère ter? Ou bien c'est de" l'incompétence, ou de la part d'un gouvernement constam- me définir comme un homme de bon sens; bien è' est un excès de sentimentalisme. ment attaqué sur sa compétence de mon- avec une sensibilité de gauche, si vous Ou un excès de machiavélisme? trer que la droite pouvait aussi se trom- voulez. Le mot gauche cache trop d'aboJe ne le p~nse pas. Ils ont menti, ils ont per? minations, trop de complicités insupporta-
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bles. Je me suis rendu compte qu'il y a facile, non ?Ils ne défilent pas bottés, dans la vie des hommes qui n'étaient pas casqués, avec des uniformes. En fait, c'est nécessairement ·de gauche,' mais qui un mouvement qu'on peut"comparer au étaient des gens généreux, sincères, hon- mouvement poujadiste dans "les années . nêtes et dévoués. Mon pianiste parexem- cinquante, en plus musclé. C'est tout. Il y pIe, Bob Castella. Ou bien François Pé- aura toujours des groupuscules d'extrême' rier, le PrMilliez, ou encore MmeSimone droite. «Je ne suis pas d'accord avec ce Veil, même si nous n'avons pas les mêmes que vous dites, mais je me battrai jus-" qu'au bout pour que vous puissiez le affinités. La famille de gauche utilise trop sou- dire », a dit Voltaire. D'autre part il y a eu, vent des mots inacceptables. A Aulnay, et il y a encore certains petits Pol Pot de la par exemple, on a parlé de la campagne culture de gauche, autrement plus inquiéhaineuse. de la droite pour expliquer la tants. La vraie droite, celle qui est vraidéfaite. C'était simplement pour cacher la ment dangereuse, c'est celle qui tue Pierre faiblesse de la gauche. Merde, la droite Goldmann de deux balles dans le "dos, et après tout, c'est Lecanuet, c'est Chirac, tu ne sais rien. Rien. Tu comprends, çà ? Êtes-vous sorti de la famille de la qui est un excellent maire de Paris, eh oui, comme il y a de bons· maires socialistes, gauche? Oui! sur le plan sentimental. Oui. Je ne c'est Barre, c'est Simone Veil. Ce sont eux qui vous font peur? Vraiment peur ? Mais "supporte plus. les arguments du genre : . de quoi? «Vous faites le jeu de la droite», ou encore: « N'oubliez pas le Chili, le SalvaEt l'extrême droite? On dit Le Pen égale Hitler. C'est un peu dor~ les problèmes du tiers monde. » Ça, je
connais, je connais, arrête papa. Évoquer le Chili, le SalvadQr, le tiers monde ne vous donne pas bonne conscience pour autant. Au contraire. Tiens le Brésil, c'est un pays ou 4 millîons d'enfants naissent chaque année. Même un gouvernement" " idéalement socialiste, ou encore avec un régime idéalement conservateur-libéral, coffiIIle en Suisse (tiens; on n'en parle jamais dé celle-là), ce serait quasiment impossible de leur donner à tous' une éducation .parfaite, du travail, etc. On ne peut tout de même pas dîre que tout est toujours de la faute du capitalisme. N'est-ce pas paradoxal de vousentendre dénoncer le dogmatisme des socialiStes précisément au moment où sous la pression des faits, ils deviennent beaucoup plus pragmatiques? "Dogmatisme? Je dirais plutôt confort de gauche, douillet, sécurisant. C'était bien la peine deux IllOis après le 10 mai de traiter Edmond Maire et ceux qui étaient
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"VIVE LA CRISE! » Hors série Libération Février 1984. Supplément au numéro 860 réalisé à partir de l'émission d'Antenne 2 (Unité de programme Pascale Breugnot avec la collaboration de Bernard Bouthier) et en coédition avec les éditions du Seuil. Scénario: JeanClaude Guillebaud Narrateur: Yves Montand · Rédacteurs en chef : Laurent .Joffrin (Libération) et Jean-Claude Guillebaud . (Société Nouvelle · de Librairie et d'édition) assistés de Luc Bernard. Conception graphique et · réalisation: Éditorial. Documentation: Agnès Hirtz. Graphiques : Michel Berget Publié parla .S.A.R.L. Société Nouvelle de Presse et de Communication (S.N.P.C.). 9, rue Christiani 75018 Paris. Gérants: Serge July, directeur de publication, et Antoine Griset. Commission paritaire: 54072. ISSN 0335.1793. Photo de couverture : Alain Bizos. Ont participé à ce numéro: Michel Albert, Guy Aznar, Tahar Ben Jelloun, Albert Bressand, Gérard Chaliand, JeanJacques Farré, Françoise Fressoz, Benoît Granger, Denis Kessler, Jean Lacouture, Hervé Le Bras, JeanDaniel Lefranc, Julien Liège, Alain Minc, Claude Paillat, Didier Pourquery, Pierre Rosanvallon, Luc Rosenszweig, Michel VidalSubias, Edouard Waintrop. Publicité : Régie Libération (Patricia Raksanyi et Florence Chauvet, assistées de Denise Gauthier).
de son avis de. « gauche maso». Ben voyons. Bon, bref, si aujourd'hui ils deviennent plus pragmatiques,' comme vous dites, tant mieux. Bravo. Mais dans ce cas, je .ne comprends pas, on ne comprend pas, ce qu'ils font avec les responsables staliniens. C'est une obsession? Non, c'est de la lucidité. Pour.l'instant, les Soviétiques font patte de velours, ils mettent la pédale douce. Et c'est vrai que les ministres communistes sont silencieux, discrets, et parfois efficaces. Mais quand on les met au pied du mur on s'aperçoit que par l'intermédiaire de leur secrétaire général, ils' approuvent, ou bien ils trouvent « globalement posîtif» ce qui se passe en Pologne, en Afghanistan, les asiles psychiatriques ou encore la destruction du Boeing sud-coréen, quia risqué de déclencher une troisième guerre mondiale. Imaginez qu'il y ait dans le gouvernement des ge:r-s qui approuvent ce qui se passe au Chili, en Argentine, ou qui trouvent « globalement positif» l'assassinat d'Allende et qui soutiennent Pinochet. Il n'y en aurait que quatre, ce serait encore quatre de trop. Cela dit, je distingue bien entre les responsables, qui savent ce. qu'il en est, et la base. Je n'ai jamais attaqué les militants ou les .sympathisants, je ne les attaquerai jamais.Sauk quand le comité central donne l'ordre de renier ou de rejeter telle ou telle,personne, qui hier encore était un camarade, Charles Tillon par exemple, qui a été l'un des plus courageux et l'un des plus exemplaires, ou encore Arthur London, et qu'ils obéissent. Ils n'agissent pas alors en hommes de gauche, comme ils le prétendent, mais en khomeinistes ! En attaquant aussi violemment les dirigeants communistes, diront certains, vous adoptez la même attitude que celle des staliniens des années cinquante,. qui ne voulaient pas' parler à la droite pour ne pas être contaminés? Non, certainement pas. Je n'empêche personne de penser communiste, c'est leurproblème. Il' ne s'agü pas de faire du maccarthysme. Ce que je ne veux pas, ce contre quoi je me bats, c'est qu'ils veuillent faire, à tout prix, mon « bonheur » malgré moi, malgré nous. Les communistes vous· en veulent d'autant plus qu~ vous faites partie. de leur . mythologie. Georges Marchais était presque sincère quand il rappelait il y a quelques jours qu'il avait vendu des tickets à Issy-les-lYIoulineaux pour vos galas au. théâtre de l'Etoile ... Son émotion était sincère. Encore que cinq jours avant, Fiterman avait qualifié mes propos de haineux, ce qu'ils n'ont jamais été. C'est comme dans les interrogatoires à la PJ. Il y en a un qui fait le méchant et l'autre le gentil. De plus, si je remplissais mes salles, c'est parce que j'étais bon. Sinon les gens ne seraient pas venus. Quand on est bon, ils viennent; quand le film est mauvais, ils ne viennent pas. La présence des communistes au gouvernement· n'est-elle pas ~indispensable aux socialistes pour obtenir une certaine paix sociale? Mais qui vous dit que tout le monde va se mettre en grève si les staliniens quittent le gouvernement? De deux choses' l'une ; ou bien les gens comprennent les réalités de la crise, et alors ils ne font pas grève; ou bien ils ne comprennent pas, et dans ce cas ils seraient déjà en grève. En 1981. en o:utre, l'appareil du PC avait donné la consigne de ne pas voter Mitterrand .. Pourtant Mitterrand est passé, précisément à cause de la base. Vous êtes d'oirigine ouvrière~Mais finalement, vous e~liquez aux syndicats. qu'ils doivent accepter les patrons comme ils sont...
Vous schématisez beaucoup, là ... Bon, mais même si un exploité est con, il· faut rester à ses côtés. Non pas par démagogie, mais parce que si on l'humilie, c'est aussi moi qu'on humilie. Je sais ce que c'est. J'ai travaillé en usine à onze ans et demi, puis dans la métallurgie. Pas très longtemps, il est vrai, mais j'ai vu ce que c'était Ceux qui sont là ont droit au respect. Là-dessus, je ne bougerai pas. Mais il y a des patrons compétents et courageux. Particulièrement dans les PME. Ceux-là, il faut les soutenir. C'est l'intérêt même des salariés. L'entreprise n'est pas seulement un endroit où les gens se battent contre le patron. Souvent, il faut faire bloc. Cela me rappelle une scène de
Vincent, François, Paul et les autres. J'étais un petit patron en difficulté. Eh bien, les salariés étaient avec moi, ils me soutenaient, ils s'inquiétaient de me voir obligé de vendre la boîte. C'est très souvent comme cela dans la réalité. Avec le changement technologique, les progrès scientifiques, il faut aussi faire des efforts. Si on est étranger par exemple, il faut apprendre à parler français mieux que personne, si possible. Et l'anglais, cela ne coûte pas une fortune. Quitte à me répéter, je prends toujours l'exemple de mon pèrè, qui était manœuvre. Il prenait des cours du soir trois fois par semaine pour apprendre le français. Si les gens qui .travaillent se contentent seulement de tendre la main, cela en fait des assistés, et c'est dangereux pour eux. Chez Talbot, on a vu un Maghrébin dire: « Me recycler? Mais je ne sais ni'Iire ni écrire !» Dans une société « idéalement socialiste», il serait peut-être pris en charge, il apprendrait. Ce qui reste à prouver. Demandez donc aux ouvriers russes ou polonais quelle 'place on leur donne s'ils ne savent pas lire et écrire. Mais dans l'immédiat, c'est aussi à lui de se prendre par la main. Il faut comprendre les contraintes qui pèsent sur nous tous. Comparée aux Etats-Unis sur le plan économique, la France,'c'est la Belgique, et encore. Quelqu'un a même dit : « Le poids économique de la France dans le monde, c'est un pois chiche. » Il y a des créneaux qu'on peut prendre, et d'autres pas. La F;r'Once se débrouille bien dans certains secteurs de l'informatique, de la chimie, et quelques autres. Mais il y a d'autres branches où il me semble qu'il lui sera difficile de faire autre chose. Vous plaidez pour une adaptation pure et simple de la France au capitalisme mondial... Écoutez, en cela, je reprends en gros les propos tenus par François Mitterrand il y a quelque temps à la télévision. Bon sang, regardez ce qui se passe : la gauche est bien obligée de reprendre des positions sur l'économie qui étaient traditionnellement celles de la droite. L'ennui, c'est qu'elle a perdu trois ans. Alors je le repète, si cela ne plaît pas, inventez autre chose, les mecs. Mais pas dans l'utopie, on a déjà donné.J'ai commencé à comprendre ces choses dans les années soixante-dix, quand on m'a dit que pour faire une tonne d'acier en France, il fallait quinze à seize heures; en Allemagne dix à onze heures, et· au Japon sept à huit heures, Le problème ce n'est. pas toujours que les ouvriers français gagnent trop, mais plutôt que les autres ont investi massivement pour moderniser la production. La gauche dit aujourd'hui que la droite a laisse pourrir la situation, mais ce n'est pas toujours vrai. C'est la CGT et ici ou là un certain conformisme patronal qui ont empêché les restructurations. Au même moment chez Chrysler, les salariés acceptaient une réduction de salaire pour mo-
derniser l'entreprise. Maintenant, ils ont redressé la boîte. Vous faites référence aux États-Unis dans le domaine économique. Vous avez aussi pris des positions pro-amérj.caines à propos des questions internationales. Etes-vous devenu reaganien? . On peut dire beaucoup de choses sur Reagan, mais quand il eXplique qu'il faut empêcher l'Amérique centrale de devenir une base russo-cubaine, il a raison. Cela dit, j'aurais tendance à lui répondre : «. Alors laissez aussi ces pays développer leur propre démocratie, ils commencent eux a~ssi à écarter leurs propres staliniens. )} La politique extérieure de Reagan ne vous paraît pas susceptible d'accroître les tensions internationales? Non, pas plus que celle des Soviétiques en tout cas. Ona installé les Pershing, et contrairement à ce qu'avaient annoncé certains pacifistes, la planète n'a 'pas explosé. Cela n'empêche pas de discuter bien sûr. A Cuba, par exemple, quand Kennedy a dit à Khrouchtchev : « Retirez vos. fusées, ou bien on va se fâcher)}, ils les ont retirées, et il n'y a pas eu de guerre. Vous savez, d'autre part, Pershing ou non, nous portons la·bornbeautour du cou, et on ne peut plus la détruire, comme l'a dit Kœestler. C'est dans cet esprit que j'ai signé cette pétition sur le Tchad avec Glucksmann et Kouchner, entre autres. Nous n'avons pas .demandé à la France 'd'entrer en guerre. Nous avons seulement dit : «Mettons l'armée de métier à la frontière nord du pays, et discutons.» C'était le contraire d'une politique d'agression. Cela dit, il me semble qu'il y a un danger, c'est le terrorisme. Les Soviétiques ont perdu la bataille des SS 20. J'ai l'impression qu'ils vont chercher à destabiliser l'Europe d'une autre manière. Vous argumentez toujours avec une très grande conviction. Vous arrive-t-il de douter? Vous plaisantez, ou quoi? C'est Nietzsche qui disait: « Toute conviction est une prison. » rajouterai: y compris la mienne, bien sûr. Mais aujourd'hui, je suis plus concerné que jamais par la chose politique. Je serais d'ailleurs incapable de chanter ou de faire un film en ce moment. Je n'ai pris aucun contrat. En dehors d'un 33 tours prévu de longue date de mori ami David Mac Neal. je n'ai pris. aucun contrat. Mon état d'esprit est tel aujourd'hui que j'envisage de ne plus chanter et de ne plus tourner. Je me sentirai trop mal à l'aise. A 62 ans, pour la première fois de ma vie, je suis libre. Cela veut-il· dire que vous comptez jouer un rôle politique? Non. Je ne cherche àconvciincrè personne. Tout ce que je dis, c'est: « Ne me prenez pas pour un imbécile. » Si ce que je dis peut obliger les gens à parler, à bouger, à sortir de leur donjon, c'est padait. Je ne me suis jamais senti aussi vivant. Vous ne vous' prenez pas trop au sérieux? Non pas plus que vous, ou un de yos lecteurs. Non, je pense à ce chef d'Etat suédois qui a dit un jour en conseil des ministres : « J'ai rêvé cette nuit que j '~tais indispensable au pays ; je crois qu'il est temps pour moi de démissionneL'), • Propos recueillis le 8 février 1984 par Jean-Michel Helvig et Laurent Joffrin,
Yves Montand a reçu plus de mille lettres à la suite de son intervention aux « Dossiers de J'écran ». Il lui est matériellement impossible de répondre à toutes. IlpI'ie ses correspondants de bien vouloir l'excuser.
Photogravure et Photocomposition: Publications Elysées. Imprimerie : Omnium Graphique Parisien.