À Jeanne et Chantal
L’auteur tient à remercier les étudiants de la Licence Arts du Spectacle Cinématographique et du ...
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À Jeanne et Chantal
L’auteur tient à remercier les étudiants de la Licence Arts du Spectacle Cinématographique et du Master Cinéma et Audiovisuel Spécialité Théorie, Histoire, Esthétique de l’Université Paris 8 qui ont suivi et accompagné les tribulations de cette réflexion, et Fabrice pour tout.
INTRODUCTION ........................................................................13 ÉCHOS 1 : UN TEMPS D’ÉCART ............................................23 1 – LE TEMPS DES MOTS ................................................................25 USAGES ET ÉTYMOLOGIE DE LA PARODIE ET DU PASTICHE ............25 LE SECOND DEGRÉ CINÉMATOGRAPHIQUE SELON GENETTE ..........28 2 - LES NOTIONS DE RÉFÉRENCE ET D'EMPRUNT AU CINÉMA ....33 RÉFÉRENCES CINÉMATOGRAPHIQUES ET HYPERCINÉMA ...............34 RÉFÉRENCES CINÉMATOGRAPHIQUES ET DÉBAT POSTMODERNE ...38 ÉCHOS 2 : LE TEMPS DES FILMS .........................................47 1 - AUX ORIGINES DU SECOND DEGRÉ CINÉMATOGRAPHIQUE...49 2 – LES DIFFÉRENTES PRATIQUES DU PASTICHE CINÉMATOGRAPHIQUE ..................................................................54 L'IMITATION SÉRIEUSE ....................................................................54 Une certaine forme d'hommage : le numéro Girl Hunt dans Tous en scène ...............................................................................................54 Le réemploi d'un savoir-faire éprouvé : le film noir dans le cinéma policier français ..............................................................................61 L'IMITATION SATIRIQUE : LE SIGNE DE L'EXASPÉRATION ...............68 L'imitation satirique d'un auteur : Mel Brooks et Hitchcock..........69 Un sursaut critique et identitaire : western italien et western hollywoodien ..................................................................................77 L'IMITATION LUDIQUE : LE PASTICHE PUR ......................................87 Un principe comique efficace : les gangsters ludiques du Pigeon de Mario Monicelli..............................................................................88 Un jeu créatif entre parodie et pastiche : Mars Attacks ! un pastiche au sens étymologique du terme.....................................................101 GENRE, PARODIE ET PASTICHE .....................................................109 Évolution du genre et second degré..............................................110 Existe-t-il un genre parodique cinématographique ? ....................117 3 - LES DIFFÉRENTES PRATIQUES DE LA PARODIE CINÉMATOGRAPHIQUE ................................................................123 LA TRANSFORMATION LUDIQUE : LA PARODIE PURE ...............123
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Une fonction comique : les Marx Brothers Chercheurs d'Or s'amusent avec Le cheval de fer de John Ford..............................123 Escrocs mais pas trop de Woody Allen face au Pigeon : hommage à un maître de la comédie ou pure spéculation ?.............................131 LA TRANSFORMATION SATIRIQUE : LA PARODIE SELON LA VULGATE ......................................................................................................137 Une transformation qui adhère au film : James Tont, un exemple à part................................................................................................137 Une critique corrosive : Touche pas à la femme blanche et La charge fantastique ........................................................................140 LA TRANSFORMATION SÉRIEUSE : UNE PRATIQUE PLUS FRÉQUENTE QUE L'ON NE LE CROIT ...................................................................148 Une filiation nostalgique : Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et Quand la ville dort de John Huston..............................................149 Hommage à un modèle d'emprunt : Ghost Dog de Jim Jarmusch et Le samouraï de Melville...............................................................160 À LA MARGE, LE REMAKE .............................................................166 Le remake substitutif ....................................................................170 Le remake fracture........................................................................173 Le remake réinterprétation............................................................178 DE L’IMPORTANCE DU PERSONNAGE AU SECOND DEGRÉ : LES SPÉCIFICITÉS DU PERSONNAGE PARODIQUE ..................................186 ÉCHOS 3 : DES VOIX SANS MAÎTRE ? ...............................201 1 – LA SUBVERSION ONTOLOGIQUE DE LA PARODIE ET DU PASTICHE .....................................................................................203 DÉTOURNEMENTS DU FONCTIONNEMENT DE LA FICTION CINÉMATOGRAPHIQUE CLASSIQUE ...............................................203 DE L’UTILITÉ SOCIALE D’UNE SUBVERSION JURIDIQUEMENT RECONNUE ....................................................................................218 2 – RÉALISATEUR, SPECTATEUR, RÉFÉRENCES ........................223 RÉFÉRENCES EXPLICITES ET SPECTATEUR : UNE MÉMOIRE À L'ŒUVRE ........................................................................................224 RÉFÉRENCES ET AUTEUR ..............................................................234 3 – POLYPHONIES, VOIX PLURIELLES ET SINGULIÈRES ............244 LA VOIX CRITIQUE, EFFET PREMIER DU SECOND DEGRÉ ...............245 POLYPHONIE DES RÉFÉRENCES .....................................................246 PASOLINI ET LE PASTICHE, LES VOIX DE LA MULTITUDE ..............247
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4 –LES RÉFÉRENCES POSTMODERNES : MUETTES ? .................251 DE LA NEUTRALITÉ DU PASTICHE .................................................251 SOYEZ SYMPAS, REMBOBINEZ .........................................................255 CONCLUSION ...........................................................................261 BIBLIOGRAPHIE .....................................................................267 INDEX DES FILMS...................................................................285
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Introduction Le mépris, souvent inconscient, dans lequel critiques et ouvrages théoriques tiennent les parodies et les pastiches cinématographiques, suffit à lui seul à justifier l’existence de cet essai. Les critiques préfèrent souvent traiter ces films comme des comédies, surtout s’il s’agit de films d’auteur bénéficiant d’un a priori et d’une reconnaissance tout à fait favorables1. Le terme « parodie » est jeté sur des films plus populaires, plus triviaux, tels que la série des Austin Powers. Cette discrimination de la parodie et du pastiche n’est pas nouvelle et les auteurs de la littérature classique pratiquaient déjà un tel ostracisme. Boileau dans l'Art poétique omet la parodie des genres secondaires, lesquels comprennent pourtant la satire et le vaudeville. De surcroît, et ce malgré l'influence des burlesques italiens et de leur sens aigu de la parodie, des auteurs d’œuvres burlesques comme Scarron mais aussi Marivaux, préfèrent considérer leurs productions comme étant des comédies2 plutôt que des parodies, ce qui s'avère nettement plus valorisant dans un contexte littéraire totalement soumis à la hiérarchie générique établie par Aristote. Cette partition des genres fait de la parodie le genre, ou du moins la catégorie d’œuvres la plus éloignée de l’idéal que constitue la tragédie. De là à considérer la parodie comme inférieure à toutes les autres catégories littéraires, y compris la comédie, il n’y a qu’un pas franchi allègrement par les classiques. Ces derniers n'utilisent pas fréquemment le mot « parodie » qu’ils envisagent à la fois comme une catégorie d’œuvres et comme un ornement littéraire. Ainsi, selon Du 1
Voir l’analyse d’Escrocs mais pas trop de Woody Allen. Genette G. 1982, Palimpsestes - La littérature au second degré, Du Seuil, Paris, chap. 5 .
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Marsais, le terme « [p]arodie signifie à la lettre un chant composé à l’imitation d’un autre, et par extension on done le nom de parodie à un ouvrage en vers, dans lequel on détourne dans un sens railleur des vers qu'un autre a faits dans une vue diférente. »3. L’écho de ce chant qui se dédouble, la « parodie », qualifie donc l’œuvre tout en faisant partie des figures de style qui transforment le sens des vers empruntés : « […] les passages, ausquels on done un sens diférent de celui qu’ils ont dans leur auteur, sont regardés come autant de parodies, et come une sorte de jeu dont il est souvent permis de faire usage. »4 Caractérisant à la fois l’ensemble de l’œuvre et un procédé rhétorique, la parodie vise à la plaisanterie et n’est pas considérée avec beaucoup de déférence, ceci expliquant sans doute la répugnance des auteurs à désigner d’eux-mêmes leurs œuvres comme étant des parodies. Cette incursion auprès des classiques permet de mettre en perspective le comportement de la critique cinématographique, toujours inféodée à une conception des genres héritée du classicisme cinématographique et à l’appareillage théorique qui l’accompagne. Elle met également en lumière un questionnement auquel le cinéma n’échappe pas : la parodie étant à la fois un procédé et une catégorie d’œuvres, comment prendre en compte les deux facettes de ce phénomène sans s’éloigner de la réalité même de la parodie ? À savoir, comment analyser ces références de la façon la plus précise possible tout en tenant compte de la manière dont elles agissent sur l’ensemble du film et notamment dans ce qui le caractérise aux yeux du spectateur. Ce double mouvement articule l’ensemble de cet ouvrage aussi bien dans la méthode d’analyse des films mise en œuvre qu’à travers les questionnements sur les relations entre les références et la notion de genre, les interactions avec le spectateur, mais aussi 3
1730, Des tropes ou des diferens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, chez la Veuve de J.-B. Brocas, Paris, p 251-252. 4 Ibid, p.251.
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avec l’auteur. La prise en compte des réactions des spectateurs s'effectue sous la forme d’études en terme de réception, ce qui, au grand dam de certains, rend parfois nécessaire de convoquer la presse généraliste, constituant souvent le seul témoignage qui nous reste de la rencontre entre le film et un public donné. Valoriser la parodie et le pastiche cinématographiques ne signifie curieusement pas valoriser les films qui relèvent de ces pratiques. La plupart des films étudiés dans cet ouvrage sont considérés de façon paradoxale comme des classiques de l’histoire du cinéma, comme des films d’auteur, sans que la dimension des références soit précisément prise en compte. Il s’agit donc avant tout d’identifier, de décrire comment fonctionnent ces modes de références tant négligés que sont la parodie et le pastiche. Comprendre comment ils sont utilisés, à quelles fins, quels effets ils produisent, pour qu’enfin puisse être envisagée la mesure de leur apport à l’art du cinéma. En effet, la place que la théorie du cinéma attribue à la parodie et au pastiche est à l’image de leur considération. Si les références cinématographiques bénéficient de l’apport de la Nouvelle Vague et peuvent à ce titre trouver une place valorisante dans l’appareil critique comme étant à la fois des pratiques créatives, cinéphiles et le fait d’auteurs avérés, il en est tout autrement pour la parodie et le pastiche. Un gouffre de déconsidération isole les références comiques, railleuses, satiriques, des autres, d’apparences plus neutres ou plus sérieuses. Pourtant, la ludicité évidente des réalisateurs de la Nouvelle Vague aurait pu ouvrir la voie à une réflexion plus générale sur les références cinématographiques, la dimension ludique relevant aussi bien du cinéma de la Nouvelle Vague, que de films plus populaires et ouvertement comiques à l’instar des comédies italiennes. En effet, le premier malentendu théorique n’est-il pas d’avoir toujours séparé les références en fonction de leur usage comique ou non - sans s’être posé préalablement la question non moins cruciale de l’existence de points communs quant au fonctionnement desdites références ? 15
Ainsi, Cawelti observe que certains films fonctionnent comme des « parodies tragiques »5 et son analyse des réemplois génériques par le cinéma américain postmoderne souligne effectivement la nécessité d’envisager ces modes de relations entre films indépendamment des régimes. Nous entendons par régime la couleur de la référence : satirique, ludique, sérieuse… Le régime dépend à la fois de la fonction de l’emprunt et de sa tonalité globale. Par exemple la satire peut avoir une fonction critique, et une tonalité d’ensemble agressive vis-à-vis de l’œuvre empruntée. Pour revenir à Cawelti, la typologie qu’il propose ne permet toutefois pas de résoudre cette difficulté puisqu’il met au même niveau genre (burlesque), régime (sérieux nostalgique) et discours (démythologisation et réaffirmation du mythe comme mythe)6. Enfin et surtout, son approche rituelle repose sur le fonctionnement générique des films plus que sur leur dimension proprement référentielle. Il tend de fait à ignorer les emprunts à des films singuliers. Nous n’en retenons pas moins la mise en évidence du nécessaire dépassement des régimes : l’analyse de la parodie et du pastiche ne peut s’en tenir uniquement aux films comiques. Cet ouvrage ne cherche nullement à remettre en cause les analyses des références dans leurs effets comiques ou leur appartenance aux genres de la comédie et du burlesque, phénomènes que nous n’avons au demeurant aucune prétention à aborder. À aucun moment il ne sera ici question du rire en termes de gag ou d’effet comique, non par manque d’intérêt, mais bien au contraire parce que nous pensons que ce sujet, déjà utilement débattu, et le nôtre, se superposent et se complètent. Par ailleurs, nous sommes convaincus que les nombreux textes sur le comique cinématographique ont, par
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Cawelti J.G. 1997 (1995), Chinatown and generic transformation in recent american films, dans Grant B.K. (dir. par) Film genre reader II, University of Texas Press, Austin, pp. 234. 6 Ibid, p. 243.
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leur intérêt, contribué à éclipser la question qui nous intéresse, à savoir celle des références dans leur fonctionnement. Il n’en demeure pas moins que la théorie du cinéma ne s’est guère penchée sur la parodie et le pastiche cinématographiques en tant que tels avant la publication de l’ouvrage de Gérard Genette. Bien qu’ayant trait au domaine littéraire, Palimpsestes a transformé non seulement l’analyse et la perception de la parodie et du pastiche mais également, d’une manière plus générale, l’étude des références cinématographiques. Dans son ouvrage, Genette redéfinit les frontières de l’intertextualité telle qu'elle était explorée par Julia Kristeva7 et le collectif Tel Quel8. Ce faisant, il donne la part belle à la parodie et au pastiche puisqu’il justifie, à travers la difficulté à les y situer, un remaniement de cette catégorie qui se voulait initialement un carrefour des références et des influences composant un texte. Genette propose qu’un ensemble nommé « transtextualité » regroupe les cinq types de relations les plus fréquentes pouvant exister entre des textes, en particulier l’intertextualité et l’hypertextualité. L'intertextualité devient « […]une relation de co-présence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d'un texte dans un autre. »9 Elle comprend les citations, le plagiat et l'allusion. L'hypertextualité, quant à elle, désigne la relation d'un texte à un texte antérieur dans une manière qui n'est pas celle du commentaire et qui opère par transformation ou par imitation. La parodie et le pastiche en font partie. Genette réorganise donc complètement l'intertextualité telle que l'a définie Kristeva : la parodie et le pastiche sont évacués de cette catégorie désormais limitée à d’autres phénomènes littéraires précis. Il leur crée un ensemble spécifique, l'hypertextualité, le lieu de la littérature au second degré. 7
1969, Séméiôtiké, Seuil, Paris. Barthes R., Derrida J. (et al.), 1968, Théorie d’ensemble, Seuil, Paris. 9 Genette G. 1982, op. cit. p. 8. 8
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Genette propose une redéfinition de ces termes et de ces pratiques qui éclaircit la compréhension et l’analyse que l’on pouvait alors en faire, y compris dans le domaine du cinéma puisqu’il se risque à son application sur un film. Application qui, on le verra, si elle n’est pas exempte de reproches, a eu pour mérite de dynamiser la théorie du cinéma sur un point qu’elle occultait littéralement. Dans la foulée de Palimpsestes, sont publiés des ouvrages qui pour la première fois envisagent les références cinématographiques comme une question théorique méritant un développement. Parmi les plus productifs, doivent être mentionnés les ouvrages de Metz10 et de Stam11, tous deux développant le sujet sous un angle ouvertement réflexif. Ne se consacrant pas uniquement à la parodie et au pastiche, ces textes ont toutefois la vertu de ne pas les exclure et d’en envisager les apports sous un angle discursif, ce qui était jusqu’alors pour le moins inédit. Aux côtés de la citation et d’autres procédés réflexifs tels que l’allusion, elles sont décrites comme un repli du cinéma sur lui-même, repli produisant un discours du cinéma sur le cinéma – Metz – ou repli éloignant le cinéma du réel – Stam. Les références cinématographiques participent ainsi à l’éclosion du cinéma moderne en aménageant des enclaves de liberté à l’intérieur des conventions du cinéma classique12. Ces deux textes ont à leur tour ouvert la voie à une multitude de tentatives13 concernant les emprunts cinématographiques sans que jamais ne soient à la fois spécifiées dans leur fonctionnement 10
Metz C. 1991, L’énonciation impersonnelle ou le site du film, Méridiens Klincksieck, Paris. 11 Stam R. 1992 (1985), Reflexivity in film and literature : from Don Quixote to J.L. Godard, Columbia University Press, New York. 12 Voir le chapitre “Détournements du fonctionnement de la fiction cinématographique classique”. 13 Cela va du simple collage terminologique à des tentatives plus constructives, par exemple, le cycle de conférences programmé à la Cinémathèque Française et publié par Aumont 1996, Pour un cinéma comparé, influences et répétitions, Cinémathèque Française, Paris.
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référentiel et analysées simultanément les pratiques de la parodie et du pastiche cinématographiques. Il faut toutefois mentionner les ouvrages d’Harries14 et de Dyer15 proposant chacun une approche inédite du point de vue de la théorie cinématographique, mais malheureusement se focalisant uniquement sur la parodie pour le premier et sur le pastiche pour le second. Il faut également évoquer l’apport inestimable des travaux de Bakhtine dont l’influence sur la théorie du cinéma, malheureusement cantonnée à l’étude des genres, n’a pas encore porté tous ses fruits concernant les emprunts. En effet, Bakhtine a développé une conception extrêmement positive de la parodie, à la fois agent du renouvellement littéraire et élément profondément subversif des pratiques carnavalesques. Il ne tient qu’à nous de bénéficier de cet immense apport théorique. Le cinéma postmoderne a rendu indispensable la prise en compte des références et toute une littérature a ainsi fleuri, s’attachant aux emprunts certes, mais sans les envisager dans leur fonctionnement propre. Le poids de certains textes théoriques sur l’art postmoderne rend d’autant plus problématique la question des régimes qu’elle y joue une fonction discriminante. Ainsi, pour les adeptes de Jameson, le pastiche sera invariablement neutre, tandis que pour les émules de Hutcheon la parodie sera irrémédiablement ironique. Dans ce contexte, la nécessité de dépasser les régimes pour appréhender le fonctionnement de la parodie et du pastiche dans son ensemble et sa diversité devient donc cruciale. L’approche théorique et méthodologique de cet ouvrage doit donc être suffisamment souple et proche de la réalité des références étudiées pour pouvoir prendre en compte les opus classiques, modernes et postmodernes. Attachée à l’étude des formes des références, de leurs préalables comme de leurs 14 15
Harries D. 2000, Film parody, BFI, Londres. Dyer R. 2007, Pastiche, Routledge, Oxon.
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effets, elle consistera donc avant tout en une approche que l’on pourrait qualifier d’intertextuelle contextualisée, notamment par une prise en compte systématique de la réception des phénomènes étudiés. Seul moyen de saisir la fragile relativité de leur existence et les enjeux théoriques qui se trament derrière cette complexité. La parodie et le pastiche sont des échos, différés, différents, prolongements actuels d’expressions nécessairement révolues dont ils portent les voix jusqu’à nous, spectateurs contemporains. Des voix transformées par le travail du film, du spectateur et du temps dont nous cherchons à comprendre les fonctions et sonder la virulence. Dans un premier chapitre, nous envisageons ce que la théorie du cinéma peut retenir de Palimpsestes et ce qu’elle peut lui opposer. Il s’agit de considérer comment la théorie du cinéma peut s’approprier des notions issues d’autres disciplines artistiques et comment, enfin, elle peut tenter de combler cet écart autant chronologique qu’ontologique. En imposant ses spécificités, le cinéma offre un nouveau regard sur l’ouvrage de Genette : comment considérer par exemple le remake, qui apparaît comme un phénomène proprement cinématographique, distinct de la parodie et du pastiche, tout en s’intégrant au second degré tel que le définit Genette. Ces réflexions sur l’étymologie, le parcours théorique de ces notions et les caractéristiques de leurs manifestations cinématographiques seront fort utiles pour cerner le rôle qu’elles jouent dans le débat contemporain sur les références postmodernes. Dans un deuxième chapitre, nous proposons de nombreuses études de films afin d’appréhender concrètement la variété de formes et de fonctionnements de la parodie et du pastiche cinématographiques. Elles permettent également d’envisager à chaque fois le mode d’existence des références, notamment en terme de réception, et de soulever un certain nombre de caractéristiques et d’interrogations théoriques.
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Enfin, un dernier chapitre explore la dimension polyphonique des références étudiées, aussi bien dans ce qu’elles expriment grâce à leur fonctionnement référentiel même que dans les qualités de subversion ou de neutralité qu’on leur prête.
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Échos 1 : un temps d’écart
1 – Le temps des mots Usages et étymologie de la parodie et du pastiche La parodie et le pastiche sont deux pratiques artistiques ancestrales, pendant de nombreux siècles, le mot parodie couvrit les deux acceptions qui n'en formaient qu'une seule aux yeux des artistes comme des critiques, confusion qui demeure d’ailleurs fréquente. Le mot « parodie » vient du grec Parôdia, composé de para (le long de, à côté de) et ôdé (l'ode, le chant) : parodie signifie étymologiquement « chanter à côté », chanter faux, en contrechant, chanter dans un autre ton. Comme le remarque Hutcheon16, rien dans l’étymologie du terme ne spécifie le régime de la parodie, para pouvant aussi bien être interprété comme « contre », « à l’opposé de », que comme « à côté de ». La première interprétation suggère la raillerie, la critique, alors que la seconde peut être sérieuse, voire même déférente. Ce point est fondamental car nous considérons que les pratiques parodiques ne peuvent être systématiquement associées à une fonction comique, qu’elle soit ludique ou satirique. Dans l’Antiquité, la parodie désignait la transposition d’une mélodie dans un autre ton. Ce changement appliqué au texte modifiait la diction ou son accompagnement musical. Par la suite, la parodie est intervenue dans le texte pour lui donner une autre signification, notamment en dissociant la lettre, le style et l’esprit du texte : elle devient la
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Hutcheon L. 2000 (1985), A theory of parody - The teaching of twentieth century art forms, University of Illinois Press, Urbana & Chicago, chap.2.
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raillerie des genres sérieux telle la Deiliade de Nicochares, Iliade inversée, Iliade de la lâcheté17. Dans la partition aristotélicienne, à la tragédie et à l’épopée font face la comédie ainsi qu’un registre non spécifié pouvant correspondre à la narration comique, à la parodie. L’objet décrit, inférieur et commun, est typique de la comédie et de la narration comique. Il s’agissait de passer des personnages et des actions nobles de la tragédie et de l'épopée à un domaine familier, outrancièrement dégradé, donc vulgaire en regard du premier. Ces genres « bas » ne s’appuient pas sur la tradition : ils prennent du recul dans la relation aux modèles et sollicitent l’invention. Ils entretiennent donc des relations critiques à cette tradition. La fonction satirique de la parodie est une de ses motivations profondes. Par ailleurs, ce refus de la tradition, s’il se veut critique, doit faire référence, d’une manière ou d’une autre, aux éléments ainsi visés. Les œuvres conçues de la sorte ont donc également pour caractéristique la pluralité des styles et des voix puisqu’ils parodient des genres élevés, rapportent des dialogues, citent, jouent avec les langues, dialectes, jargons. L’exemple de la Deiliade laisse penser que la relation aux modèles passait aussi par la parodie dans une Antiquité soumise à l’idéal homèrien. Différents types d'imitations coexistent : l'imitation sérieuse (l'Art grec et l'Art étrusque) et l'imitation irrévérencieuse, celle du rejet des modèles. « Dans l’Antiquité, la parodie était inhérente à la perception carnavalesque du monde. »18 Pour autant, bien qu'étroitement liées, parodie et carnavalesque ne désignent pas exactement les mêmes phénomènes. À l’intérieur du large champ tant culturel que social recouvert par l'ensemble du carnavalesque, la parodie constitue une pratique artistique précise. Le 17
Citée par Aristote, éd. consultée 1980, La poétique, Du Seuil, Paris, chap.2 18 Bakhtine M. 1970 (1963), La poétique de Dostoïevski, Du Seuil, Paris, p. 175.
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carnavalesque s'attaque aux hiérarchies, aux contraintes sociales et culturelles, aussi bien religieuses qu'économiques ou militaires ; la parodie, elle, s'attaque aux modèles artistiques les plus estimés et les plus pesants. La parodie est passée du chant aux textes chantés puis aux œuvres littéraires d'une manière plus générale. À l’origine, elle est donc essentiellement littéraire et musicale. Par la suite, elle désignera également des pratiques picturales et, enfin, cinématographiques. Le pastiche vient de l’italien pasticcio qui signifie pâté : le pastiche était un mélange d’imitations assemblées de façon à former un ensemble cohérent quoique composite. Là encore, l’origine du terme ne se caractérise pas par un régime particulièrement ludique ou satirique. Il s'agissait durant la Renaissance italienne de peintures intégrant les imitations de différents peintres, ce travail se voulait sérieux. Contrairement à la copie, ce n'était pas un tableau particulier qui était imité : le sujet du tableau changeait mais le style du ou des peintres imités était conservé. Ensuite, toujours en Italie, le terme a tout naturellement été employé à propos des opéras composés de morceaux provenant d'autres œuvres. Le mot « pastiche » intègre le vocabulaire pictural français au XVIIIème siècle parmi tout un ensemble de termes dont le pittoresque, la caricature, l’esquisse, le grotesque… Perçu de façon négative, à la limite du plagiat, comme en témoigne Dubos : « On appelle communément des pastiches les tableaux que fait un peintre imposteur, en imitant la main, la maniere de composer et le coloris d'un autre peintre, sous le nom duquel il veut produire son ouvrage. »19. Le pastiche désigne alors l’imitation stylistique des grands maîtres par des peintres en mal de génie. À l’origine pictural et musical, le pastiche devient littéraire (les célèbres pastiches de Proust20 19
Dubos J-B. 1733, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, édition de P.-J. Mariette, Paris, pp. 70-71. 20 Proust M. 1992 (1919), Pastiches et mélanges, Gallimard, Paris.
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imitant Flaubert), puis s’étend au cinéma, là encore selon une chronologie des médias assez prévisible. De cette présentation étymologique sciemment lapidaire émergent les qualités structurelles de la parodie et du pastiche telles que la pluralité des voix et la dimension subversive de la parodie, la proximité avec le plagiat et le déni artistique dont souffre le pastiche. La dimension sérieuse qu’ont pu avoir ces deux pratiques y est aussi clairement révélée et demande à être prise en compte. Le 7ème art, malgré sa capacité quasiment innée à emprunter, a semble-t-il conservé un temps d’écart, du moins sur le plan scientifique, puisqu’il faut attendre que le domaine littéraire s’empare du sujet, et d’un objet cinématographique, pour qu’enfin la question des références cinématographiques n’apparaisse plus simplement comme une donnée critique mais comme un réel enjeu théorique.
Le second degré cinématographique selon Genette Dans le chapitre XXVI de Palimpsestes Genette procède à l’analyse hypertextuelle d’un film, Play it again Sam (H. Ross, 1972), avec les outils forgés par et pour le littéraire. Genette intègre cette étude à la suite du chapitre sur l’antiroman. Il compare notamment le fonctionnement hypertextuel du film à celui de Don Quichotte : « […] Woody Allen (ou son personnage, dont j'ai oublié le nom) est à Humphrey Bogart (c’est-à-dire au type de personnages qu’incarnait généralement celui-ci) ce que Don Quichotte est à Amadis, et plus généralement aux héros de romans de chevalerie : fanatique du genre et de l’acteur qui l’incarne […]. »21 Ce chapitre est le prolongement direct du précédent puisque c’est en regard de l’étude sur l’antiroman qu’il faut
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Palimpsestes, op.cit, p. 176.
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comprendre l’expression « […] art parodique […] »22 attribuée au film de Woody Allen : « L’antiroman est donc une pratique hypertextuelle complexe, qui s’apparente par certains de ses traits à la parodie, mais que sa référence textuelle toujours multiple et générique […] empêche de définir comme une transformation de texte. Son hypotexte est en fait un hypogenre. »23 Le terme hypogenre est ici tout à fait approprié, il aurait pu aussi convenir en regard du film noir puisqu’il permet avec justesse de distinguer l’œuvre singulière transformée (hypotexte) du genre imité (hypogenre). Or dans son analyse, Genette utilise un terme unique pour désigner « [l]’hypertextualité cinématographique (hyperfilmicité) […] » qui fonctionne avec son « hypofilm »24. L’hypofilm est effectivement clairement désigné par deux citations : le titre du film cite une réplique de Casablanca (M. Curtiz, 1942) et la dernière séquence du même film est citée intégralement. Par la suite, Woody Allen répète le dialogue de cette séquence : il s’agit à la fois d’une citation textuelle texte identique, emploi explicite et référencé puisque le spectateur en a eu connaissance au début du film dans sa version originale - et d’un travestissement filmique, puisque le changement de contexte diégétique et d'interprète le transforme. Genette associe toujours le comédien à la dimension générique à laquelle il fait allusion de nombreuses fois sans pour autant la développer : « film noir Bogartien »25 , Woody Allen est « fanatique du genre et de l’acteur qui l’incarne »26… Bogart intervient donc dans la fiction de Play it again Sam 22
Ibid. p.177. En effet, il utilise ici la parodie pour désigner le rapport à un film certes, mais aussi à un genre. Or, il n’existerait pas de parodies de genres au sens strict mais des pastiches. 23 Ibid. p.170 et 171. 24 Ibid. p.175 et 176. 25 Ibid. p.176. 26 Ibid. p.176.
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comme le digne représentant de la séduction masculine dans le film noir : « le héros cynique qui séduit les femmes par sa dureté même »27. Les attributs de son fantôme, l’imperméable, la cigarette, le chapeau mou sont suffisamment vagues pour ne pas renvoyer à un film particulier mais à une imagerie plus large, le film noir, avec ou sans Bogart. Le Bogart de Casablanca n’a pas l’apanage de la séduction comparé par exemple à celui du Grand sommeil (H. Hawks, 1946) où un certain nombre de femmes lui font des avances : deux riches héritières, une libraire et une conductrice de taxi ! Idem dans Le Faucon maltais (J. Huston, 1941) ou Les Passagers de la nuit (D. Daves, 1947). Dans les films noirs, les hommes sont souvent conquis plus ou moins malgré eux par des femmes qui se jettent littéralement dans leurs bras : Assurance sur la mort, La Dame de Shanghai, Boulevard du crépuscule… Genette, dans sa transposition de l’hypertextualité à l’hyperfilmicité, néglige un élément fondamental des relations hyperfilmiques et même transfilmiques : les acteurs. En effet, dans un roman, un personnage peut être parodié (Amadis par exemple), des personnages peuvent être pastichés (les héros du roman de chevalerie). De même, un personnage de film peut être parodié (le héros de Casablanca), des personnages peuvent être pastichés (les « héros » du film noir). Mais l’acteur introduit une dimension supplémentaire, car il est également possible de parodier le jeu de Bogart dans Casablanca et de pasticher le jeu de Bogart dans ses films noirs. Et c’est bien ce dont il s’agit dans le cadre du film de Ross, qui ne se prive pas d’exploiter les liens qui existent entre le célèbre acteur underplay et le genre noir. De même, lorsque Woody Allen acteur reprend les répliques de Bogart, Woody est son personnage certes, mais il est aussi pour le spectateur l’acteur de nombreux films qui construisent l’image d’un homme maladroit dans ses relations avec les femmes. Il reste, pour le spectateur, le réalisateur de 27
Ibid. p.176.
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comédies. Tous ces éléments participent à la dédramatisation finale et à la parodisation de Casablanca. Du reste, Genette sent ce poids stratégique des comédiens sans parvenir à l'exprimer : il est particulièrement flou et à tendance à confondre les comédiens et leurs personnages, il a oublié le prénom de celui joué par Allen et ne cherche pas à savoir si les références désignent l'interprète ou son rôle. D’une manière générale, le cinéma exploite l'imagerie véhiculée par les acteurs pour construire ou déconstruire des genres, des typologies de personnages, des relations plus ou moins chargées de sens entre des films singuliers… L’acteur devient ainsi un élément incontournable de la parodie ou du pastiche cinématographiques tout en introduisant une différence fondamentale entre les analyses littéraire et filmique des références. Concernant le genre, Genette ne cite à aucun moment le film noir dans son ensemble. Il préfère employer la dénomination « hard boiled »28 pour désigner les références génériques, élargissant ainsi considérablement son corpus. Cette expression littéraire désigne les textes policiers publiés dans la revue Black mask, dont certains fonderont le roman noir. Employé à propos du cinéma, il renvoie au genre noir, bien sûr, mais également aux autres adaptations de cette littérature au cinéma (du Little Caesar de Mervin Le Roy à The Long goodbye de Robert Altman). Il désigne donc le film noir mais aussi sa généalogie (films de gangsters, policiers, puis noirs), et sa source d’inspiration (les romans et nouvelles adaptés, ainsi que la participation d’écrivains tels que Raymond Chandler, William. R. Burnett, Dashiell Hammett à l’écriture de scénarios hollywoodiens). Le terme « hard boiled » déborde donc amplement du film noir puisqu’il désigne une pluralité de genres, des relations entre genres et des pratiques de créations cinématographiques. L’étude hypertextuelle de Play it again Sam menée par Genette dépasse donc largement le cadre du filmique 28
Ibid. p.177.
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puisqu’elle renvoie à des dispositifs proprement cinématographiques (genres, filiations, écriture, Hollywood). Elle présente l’immense avantage de mettre en relation des pratiques cinématographiques d’emprunts variées avec celle de la parodie et du pastiche littéraire et de faire ainsi bénéficier le film étudié d’un cadre théorique, qui, s’il ne lui est pas parfaitement adapté, a au moins le mérite d’exister… Néanmoins ce simple plaquage d’une analyse littéraire sur un film, malgré toute la sympathie que Genette semble avoir pour cet objet d’étude particulier, ne pouvait pas prendre en compte la spécificité même du film, à l’instar du fait qu’un même élément puisse à la fois être une citation textuelle et un travestissement filmique par l’effet même de l'interprète, du montage et de la mise en scène. Il faut donc tenir le cap d’une poétique du film qui en soit réellement une, avec une méthodologie et des moyens d’analyses proprement cinématographiques.
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2 - Les notions de référence et d'emprunt au cinéma Il devient ici possible et nécessaire de préciser la notion de référence en matière de cinématographie. Le terme « référence » vient du latin referre qui signifie rapporter. La référence permet donc le report d'une œuvre dans une autre en mettant en relation des éléments qui peuvent être présents comme absents. Seules la citation et l'inclusion reposent sur la coprésence physique du film rapporté. Dans le cas de la parodie ou du pastiche cinématographiques, les références mettent nécessairement le film en relation avec un élément physiquement absent, le film second doit alors évoquer les œuvres antérieures grâce à un jeu de ressemblances. Seul le spectateur peut faire la référence, c'est-à-dire pallier l'absence physique de l'œuvre première en se la remémorant : il met ainsi en relation, par l'intermédiaire de sa mémoire, l'œuvre seconde et l'œuvre première physiquement absente mais soudainement mnémoniquement présente. La parodie et le pastiche recourent donc à la mémoire du cinéma et à la mémoire du spectateur. Ce fonctionnement reste dans l’ensemble comparable à celui des références littéraires et Du Marsais observait déjà l’importance du travail mémoriel du lecteur à propos de la parodie : « On a la liberté d'ajouter ou de retrancher ce qui est nécessaire au dessein qu'on se propose ; mais on doit conserver autant de mots qu'il est nécessaire pour rappeler le souvenir de l'original dont on emprunte les paroles. L'idée de cet original et l'application qu'on en fait à un sujet d'un ordre moins sérieux, forment dans l'imagination un contraste qui la surprend, et c'est en cela que consiste la plaisanterie de la parodie. »29
29
op.cit. p.252
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Se dessinent alors différents types de rapport aux références cinématographiques : le spectateur peut connaître l’ensemble des films réutilisés, seulement une partie, ou ne pas les connaître du tout. Sa relation à l'œuvre sera donc plus ou moins pleine dans la mesure où il sera capable de percevoir tout ou partie des relations entre les différents films, tout comme il peut aussi les ignorer. Dans ce dernier cas, il ne distinguera pas la référence comme telle et le film sera perçu indépendamment de ces relations. De la sorte, les emprunts étudiés sont étroitement dépendants du savoir et du comportement du spectateur : c'est de lui qu'in fine leur existence dépend.
Références cinématographiques et hypercinéma En se risquant à quelques collages terminologiques, l’hypercinématographie correspondrait à la présence par transformation ou par imitation dans un film, d’un ou d’autres films plus anciens. L'hypofilm serait le film premier, celui auquel il est fait référence. L'hyperfilm serait le film second, celui qui parodie ou pastiche. Néanmoins, il faut ici reconnaître que d’autres terminologies font aussi bien notre affaire telles que « film cible » ou « film premier ». Genette propose une définition de l’hypertextualité qui présente à la fois l’intérêt de distinguer clairement la parodie du pastiche et de traiter d’un même mouvement les différents régimes, ludique, satirique et sérieux. La nature de la cible lui permet de partager sans équivoque la parodie du pastiche, la première s’attaquant à un corpus singulier et le pastiche à un corpus pluriel. La parodie se caractérisera comme une transformation, détournement d’une œuvre singulière et le pastiche comme une imitation, synthèse stylistique et thématique déformante, d’un genre ou de tout autre corpus pluriel pouvant par son principe d’homogénéité s’offrir à cette pratique. Par ailleurs, Genette remarque bien la nécessité de ne pas cloisonner complètement la parodie et le pastiche dans des régimes strictement ludique et satirique ou 34
dans une fonction purement burlesque. Il va même jusqu’à risquer l’expression « parodie sérieuse », justifiée par la nécessité de comparer des œuvres qui, quoique différentes dans l’effet produit, reposent sur un fonctionnement référentiel commun30. Il s’agira donc dans cet ouvrage d’approfondir par la comparaison notre connaissance des références cinématographiques en évitant autant que possible le cloisonnement fonctionnel traditionnel opposant références comiques et non comiques. L’étymologie des termes concernés nous y autorise doublement et les possibles de la parodie et du pastiche, comme pratiques, comprendront aussi, au sens large, des régimes sérieux. Si dans le domaine littéraire, imitations et transformations occupent le champ couvert par l'hypertextualité, le cinéma nous confronte à une troisième variété de pratique très fréquente : le remake. En effet, dans la mesure où il transforme une œuvre antérieure, le remake appartient à l'hypercinématographie sans qu’il ne soit pour autant possible de l’assimiler à la parodie pour des raisons qui semblent à première vue évidentes et qui tombent sous le bon sens puisque chacun semble à même de distinguer une parodie d’un remake. Effectivement, contrairement à la parodie, le régime du remake n’est jamais ludique ou satirique, raison pour laquelle Raphaëlle Moine le classe dans les transpositions, confirmant ainsi la nature « hypertextuelle »31 de ce dernier. Comme la parodie, le remake transforme un film précis, la référence reste au singulier. Se dessine ici une catégorie de relations qui semble inexistante dans le domaine littéraire et mérite par conséquent qu’un minimum d’attention lui soit consacrée32. Il devient donc nécessaire de dépasser le strict collage terminologique pour une approche adaptée à l’art cinémato30
Op. cit. 1982, voir le chapitre VII et plus précisément les pages 32 à 35. 2007, Remakes : les films français à Hollywood, CNRS Editions, p.27. 32 Voir le chapitre « A la marge, le remake » 31
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graphique, dans le respect de ses caractéristiques esthétiques, techniques, organisationnelles, culturelles, permettant à la fois de souligner le travail fait sur la référence et le régime des relations suscitées. Cette dernière peut être singulière ou multiple, les régimes peuvent être variés mais l’œuvre première est physiquement absente et a subi des modifications. Le dispositif cinématographique et par conséquent le spectateur ne sont pas éjectés de ce jeu de miroirs déformants. Ils font partie intégrante de ce processus d’assimilation et de perception. Par ailleurs, de ces caractéristiques découlent deux éléments fondamentaux pour notre étude : l’exclusion de la citation et l’impossibilité théorique de concevoir des références hypercinématographiques neutres. L'hypercinématographie écarte la citation. D'une part, parce qu'au sens strict, la citation a une portée didactique, scientifique qui l'éloigne sensiblement du travail artistique33. La fonction de la citation suppose une certaine rigueur, une exactitude. À ce niveau, il n'y a pas de transformations possibles. D'autre part, parce que prise dans une acception plus large, la citation implique le prélèvement, la greffe. C'est un élément importé, tel quel, dans une autre œuvre : ainsi, la citation textuelle s'effectue sans modification sur la nature du médium (le texte reste texte) et sans modification notable sur le corps même du texte. La marge de liberté, de transformation créatrice y est somme toute fort réduite. Le simple fait de ne pas isoler le texte prélevé par des guillemets ou des effets de mise en page, et de ne pas mentionner l'origine de la citation suffisait au XVIème siècle à la transformer en sentence. L'absence d'indication précise en généralisait le propos : « La citation s'est en quelque sorte fondue et estompée dans le lieu commun sans qu'importe son auteur ou sa formulation propre. Mais qu'elle se détache, isolée, dans un texte, qu'elle soit accompagnée des marques de 33
Chateau D. 1998, L'héritage de l'art, L'Harmattan, Paris, pp.372 et 373.
36
son origine, et elle récupère la plénitude de son statut. »34 En d’autres termes, ce qui sépare la sentence de la citation chez les classiques, ce sont justement ces signes d'hétérogénéité du texte qui n'ont pas simplement pour effet d'isoler le texte prélevé du texte d'accueil mais qui affirment également l'existence d'un sens premier avec lequel il faut composer. La citation se spécifie donc bien par sa rigueur tant au niveau du sens, que de la typographie : elle ne laisse aucune place aux transformations quelles qu’elles soient puisque dès que l'on touche au texte prélevé ou que l'on supprime ses marques distinctives, il n'y a plus citation. La reproductibilité du film permet cette exactitude de la citation, et différentes marques rendent pleinement sensible la présence du film prélevé dans le film35. La citation est donc exclue de l'hypertextualité tout comme de l'hypercinématographie. Genette36 démontre que toutes les utilisations d'œuvres antérieures, même les plus neutres comme les traductions, ont de façon consciente ou involontaire une action sur l’œuvre à laquelle elles se réfèrent. Ce que les artistes empruntent au travail des autres peut marquer une volonté de soumission, d’admiration pour ce travail. Quels que soient le mode d’utilisation et les intentions, la nouvelle création n’est jamais complètement neutre vis-à-vis de l’ancienne. Or, concernant le pastiche, et notamment le pastiche cinématographique, la question des régimes a été fortement bousculée par une certaine conception des références postmodernes parfois présentées comme étant neutres. Cette question de la neutralité n’est pas un point de détail car elle repose sur encore d’autres définitions des références étudiées et entraîne avec elle toute la polémique sur la 34
Beugnot B. 1994, La mémoire du texte, Honoré Champion, Paris, p. 285. 35 Parmi les multiples procédés utilisés, citons pêle-mêle : l’écran dans l’écran, le changement de grain ou de texture de l’image, le passage de la couleur au noir & blanc, la présence de spectateurs en amorce dans l’image… 36 Op. cit. 1982, chap. XL.
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fonction très controversée de la parodie et du pastiche postmodernes. L’approche développée ici étant avant tout poétique, il n’a pas été nécessaire jusqu’à présent de relater les définitions ni la teneur du débat philosophique concernant la parodie et le pastiche. Il reste néanmoins indispensable de se positionner clairement, ne serait-ce qu’en ce qui touche directement à nos définitions et donc aussi, à notre méthode d’analyse. Par ailleurs, le débat postmoderne, notamment en ce qui concerne le pastiche, s’est constitué de façon non négligeable sur des exemples cinématographiques, conférant ainsi au cinéma un rôle sinon moteur, du moins porteur, situation totalement inédite dans l’usage de cette terminologie. C’est bien la première fois que le septième art n’hérite pas après coup, et après tous les autres arts, du nouvel emploi qui a pu être fait du mot « pastiche ». Des films faisaient partie des premiers pastiches postmodernes identifiés : le temps d’écart est enfin comblé.
Références cinématographiques et débat postmoderne L’art moderne, et donc aussi postmoderne, se caractérisent dans leur relation aux œuvres passées. Le premier se construit dans un désir de dépassement, de discontinuité37 pouvant aller jusqu’au refus. Le second, au contraire, se construit sur et avec le passé, en essayant d’instaurer une relation entre le présent et ce que l’on peut ou ce que l’on est contraint de réutiliser du passé. La parodie et le pastiche, parce que leur mode référentiel renvoie aux œuvres passées tout en les modifiant, ont ainsi pu être perçus comme étant symptomatiques de l’art postmoderne. Des films sont apparus parmi les premières manifestations sensibles de ce glissement
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Meschonnic H. 1988, Modernité Modernité, Jean Verdier, Lagrasse, p.68.
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dans la postmodernité, scellant ainsi les emprunts cinématographiques et la question postmoderne. Dans ce débat sur la parodie et le pastiche postmodernes, la relation au passé est déterminante puisqu’elle fonde la distinction entre le moderne et le postmoderne et ce, qu’il s’agisse aussi bien des partisans de l’ironie que de ceux de la neutralité. Cette relation est tellement fondamentale que la question de savoir sous quel régime sont réemployées les œuvres du passé a totalement occulté une autre question tout aussi capitale : quelles sont les œuvres réemployées ? Il est étonnant de constater que ce souci permanent de la relation au passé ne porte pas aussi sur le nombre et la qualité de l’objet de la référence. En effet, cette caractéristique n’est jamais utilisée par les tenants de ce débat philosophique afin de définir la nature des références et encore moins dans l’analyse qu’ils en font. Prenons Baudrillard pour commencer puisque Jameson, le chantre du pastiche postmoderne, exploite des notions développées par le premier38 dans un texte où le terme de « postmoderne » n’apparaît pas. Baudrillard dresse un constat partant du principe que le réel historique est perdu, comme tous les référents. À partir du moment où, dans la société décrite, l’Histoire n’existe plus comme référent, et avec elle les œuvres du passé, il devient inconcevable que cette société puisse produire des références : logiquement elle ne cherche pas à faire réémerger le souvenir des œuvres passées mais à produire des œuvres qui ont la prétention de simuler le passé. Au demeurant, contrairement à Jameson, Baudrillard n’utilise à propos des films concernés ni le terme de pastiche, ni de parodie. Il précise clairement que ce qui relève du simulacre ne peut coïncider avec la parodie ni même avec le pastiche comme le confirme la citation suivante : « Il ne s’agit plus d’imitation, ni de redoublement, ni même de parodie. Il s’agit d’une substitution au réel des signes du réel […] »39 Il s’agit 38 39
Baudrillard J. 1981, Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 235p. Ibid. p.11.
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de « plagiat »40, de « remakes parfaits »41 dans le sens où ils reconstituent des époques, des styles datés, avec une technicité irréprochable de façon à abuser les spectateurs. La différence avec Jameson est considérable puisqu’il ne s’agit en rien de pastiche mais de plagiat. Le plagiat n’a pas pour but de produire du sens mais de la rente, le plagiat ne crée pas, il refait sans invention, sans âme, avec pour seule logique le calcul. Exactement tout ce qui caractérise le cinéma du simulacre décrit par Baudrillard. Les films simulacres cités, les « remakes parfaits »42 comme Chinatown (R.Polanski, 1974), 1900 (B.Bertolucci, 1976) ou Barry Lyndon (S.Kubrick, 1975), ne sont pas des remakes parce qu’ils referaient un film du passé, mais parce qu’ils simulent le passé. La cible désignée n’est pas un film singulier, ni même un genre ou l’œuvre d’un auteur, c’est une période. Cette dernière peut être cinématographique comme elle peut ne pas l’être. D’où l’utilité de la distinction entre Last picture show (P.Bogdanovich, 1971) et Barry Lyndon, le premier ayant pour cible une période historique et cinématographique, les années cinquante dans leur facture classique, tandis que le second a pour cible une période historique, le XVIIIème siècle. Dans les deux cas, il s’agit de reconstitution historique, dans les deux cas, il n’y a pas de référence possible puisque le but est de simuler et non pas de créer un lien entre des œuvres. Mais l’une seule d’entre elles fonctionne dans une relation au cinéma que l’on peut qualifier de réflexive. Baudrillard juxtapose ces exemples sans doute pour souligner que la période cinématographique s’insère à l’intérieur de l’Histoire et Last picture show participe donc au même titre que les autres films cités à l’entreprise de simulation du passé décrite. Une catégorie de cible extrêmement large donc et qui dépasse de loin le cadre de celles généralement désignées par les références cinématographiques étudiées dans cet ouvrage. 40
Ibid. p. 75 Ibid. p. 73 42 Op.cit. p.73. 41
40
Chez Jameson, les films cités se recoupent nettement avec les exemples donnés par Baudrillard, la cible du pastiche est aussi historique mais ici l’appropriation du passé passe par une imitation stylistique43 qui affecte la qualité de l’image, tout comme ce qui relève de la reconstitution44 afin de masquer la contemporanéité du film. La cible est un passé stéréotypé45 : contrairement à Baudrillard, il ne s’agit plus d’Histoire, ni même de représentations de l’Histoire, mais de simulacres qui ne rendent du passé et non pas de l’Histoire, que des apparences et des conventions. Là encore, la cible excède de loin le cadre de ce qui est ordinairement recouvert par le pastiche, l’imitation stylistique n’étant au fond qu’un des procédés utilisés pour atteindre un objectif le dépassant de loin : la simulation d’un pseudo passé vidé de toute dimension historique. On retrouve néanmoins la description de procédés réflexifs à propos de Blow out (De Palma, 1981) mais Jameson s’attache plus à la représentation des procédés techniques cinématographiques qu’à la relation au film d’Antonioni. À nouveau, la référence est mise de côté. Comme le remarque avec justesse Naremore46, le passé stéréotypé ne constitue pas une cible en soit, c’est une construction imaginaire propre à chacun et surtout à Jameson. La nostalgie du passé est en fait orientée vers des objets différents : Polanski n’est pas nostalgique des mêmes éléments du passé que Kubrick, leur relation au passé, à l’Histoire diffère. Jameson, triste et pessimiste, charge les films du poids de sa propre nostalgie. Chez Baudrillard comme Jameson, la cible désignée tout comme l’usage qui est fait des termes remake ou pastiche, nous interdisent de penser qu’il puisse s’agir là de références. 43
1984, Postmodernism, or the cultural logic of late capitalism, New Left Review n°146, p. 65. 44 Ibid. p. 67 45 Ibid. p. 68. 46 Narmore J. 1998, More than night – Film noir in its contexts, University of California Press, Berkeley/Los Angeles/Londres, chap. Parody, pastiche, fashion.
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Par ailleurs, le vocabulaire utilisé par Jameson laisse comprendre que le pastiche, au sens strict du terme, c’est-àdire le mélange des styles, n’a pas lieu puisque la contemporanéité est masquée : un style ancien domine et ne permet pas à l’hétérogénéité du film de se faire ressentir. Lorsque l’imitation stylistique a lieu, il ne peut s’agir pour lui que d’un élément purement rhétorique visant une toute autre fin. Son usage de la terminologie de « pastiche » est donc globalement douteuse : la cible désignée peut dépasser un cadre purement artistique et par ailleurs, pour assumer sa dimension de simulacre, l’emprunt est masqué donc peu lisible en tant que tel ce qui évidemment compromet son fonctionnement référentiel. À l’inverse, pour Hutcheon, la parodie est la forme postmoderne parfaite47 et le pastiche n’a que peu de place dans ses travaux. Il faut dire que sa définition de la parodie pourrait très bien contenir aussi les références imitatives, du moins lorsqu’elles sont satiriques puisqu’elle la conçoit comme une répétition dont l’effet est de susciter l’ironie dans le lieu même de la ressemblance48. Cette définition pourrait en fait englober toutes les références hypertextuelles satiriques indépendamment de toute considération poétique ou stylistique et plus encore, si l’on prend en compte le fait que cette mise en avant de l’ironie n’exclut pour elle ni les régimes ludiques ni même sérieux49. L’ensemble des références hypertextuelles se trouve en fait contenu dans sa définition de la parodie, sans véritable nuance pour les 47
1999 (1988), A poetics of postmodernism, history, theory, fiction, Routledge, New York, p.11. 48 « The collective weight of parodic practice suggest a redefinition of parody as repetition with critical distance that allows ironic signalling of difference at the very heart of similarity » 1999 (1998) op. cit. p. 26. Ou encore une imitation caractérisée par une inversion ironique : 2000 (1985) A theory of parody - The teaching of twentieth century art forms, University of Illinois Press, Urbana & Chicago, p.6. 49 « To include irony and play is never necessarily to exclude seriousness and purpose in postmodernist art. » op. cit. 1999 p. 27. et aussi dans op. cit. 2000, pp.32-33.
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distinguer les unes des autres, le fait de nier la dimension hétérogène du pastiche ne constituant pas en soi une définition suffisamment opérationnelle pour isoler le pastiche de la parodie. Cette définition de la parodie se garde bien de spécifier les cibles désignées et les exemples donnés, avant tout littéraires50, laissent entendre qu’il peut s’agir pêle-mêle de textes singuliers, de genres, de traditions et de conventions. Elle justifie cet élargissement notable de la cible parodique, notamment par rapport aux définitions plus restrictives qu’en propose Genette, par le fait que sa conception de la parodie est ancrée historiquement parlant, et procède de l’observation de pratiques artistiques51. La parodie est considérée d’emblée comme réflexive à la fois dans ce qu’elle désigne et dans ce qu’elle produit. En effet, si les cibles couvertes par la parodie sont ici floues, elles restent néanmoins circonscrites à l’intérieur du domaine artistique et visent à produire un discours sur l’art et sa place dans la société postmoderne. Il ressort de ce rapide tour d’horizon qu’aucun des principaux tenants du débat ne caractérise les références par leurs cibles, dans ce qu’elles détournent. Leur typologie joue sur l’ambiguïté ainsi produite afin de désigner aussi bien le procédé que l’œuvre ainsi produite. Aucun d’entre eux ne s’interroge sur la différence d’effet produit, en termes de discours mais aussi de fonctionnement, entre des cibles qui vont du singulier au très large (styles cinématographiques historiques) en passant par les genres et autres conventions artistiques. Pourtant, la relation au passé n’est sensiblement pas la même, pour un régime identique, entre une référence à une œuvre singulière et des ensembles beaucoup plus larges, génériques, stylistiques ou autres. Pour la première, la relation 50
Il faut toutefois mentionner son article An epilogue : postmodern parod: history, subjectivity, and ideology concluant un numéro spécial consacré au cinéma et reprenant de ce fait différents exemples de films : 1990, Quarterly review of film and video vol.12 N°1/2, pp.125 à 134. 51 Hutcheon L. 2000 (1985), op. cit. “A new introduction, an old concern”.
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contextuelle est possible sans être systématique alors que pour les autres, elle est quasiment incontournable. Réemployer une œuvre unique ou un genre, un style, ne peut avoir strictement le même effet, y compris dans l’analyse de la relation au passé, et en ce qui nous concerne, nous maintenons notre choix terminologique comme étant à ce jour le plus précis et le plus à même de démêler les enjeux des références cinématographiques. Par ailleurs, nous remarquerons que les films cités par Baudrillard datent du début des années soixante-dix, 1974 pour Chinatown, les films anticipent ainsi les différentes manifestations théoriques de ce post pluriel, dont le discours emblématique de Charles Jencks en 1975. Pour une fois, pour la première fois, le cinéma anticipe, ou du moins est en phase avec ces nouvelles pratiques et conceptions des emprunts. Il se voit ainsi appliquer un nouvel usage terminologique du mot pastiche car il s’agit bien de donner à ce terme, avec l’emploi qu’en fait Jameson notamment, une valeur et une signification inédites : un doublon, une sorte d’homonyme, un faux ami, amnésique de l’histoire du terme et de ses pratiques, ignorant aussi bien sa dimension subversive que sa capacité à stimuler le renouvellement artistique. Néanmoins, de grandes divergences apparaissent quant aux rôles, régimes et définitions faites de la parodie et du pastiche postmodernes. Premièrement, il est contradictoire d’appréhender ce phénomène typiquement postmoderne qu’est le pastiche pour Jameson, avec des notions qui peuvent apparaître comme étant caractéristiques de la modernité. Effectivement, ce plagiat que Baudrillard avance avant le pastiche Jamesonnien ne peut pas être vecteur d’Histoire parce qu’il ne cherche pas à porter un regard sur le passé, ni à lui redonner une nouvelle forme. Le plagiat comme les films simulacres, tels qu’ils sont commentés par Baudrillard, sont dans une logique de substitution, nous sommes bien dans la simulation, et non pas dans la recréation : recréation comme renouvellement des 44
formes par la critique, recréation par la remise à disposition du passé, présent grâce à la référence. De cela il n’est point question. Le fait est qu’absolument rien de formel ne distingue la parodie moderne de la parodie postmoderne, et il en est de même pour le pastiche. Sur ce point, les pratiques cinématographiques coïncident avec cette même observation opérée par Dentith52 pour le domaine littéraire. La question qui se pose alors est évidemment de savoir si réellement quelque chose isole les références modernes des références postmodernes puisque ni le régime, ni la forme, ni la fréquence ne semblent caractériser plus l’une que l’autre. Reste donc le contenu et l’effet recherché par la référence. Il est vrai que les références postmodernes n’ont jamais une fonction simplement comique, même lorsqu’elles sont drôles, elles sont porteuses d’un discours. Si l’on prend deux films postmodernes étudiés dans cet ouvrage, Escrocs mais pas trop et Mars Attacks ! (T.Burton, 1996), il apparaît que dans les deux cas, les films sont porteurs d’une critique assez fine du milieu culturel dans lequel les auteurs se trouvent par définition, celui_des Américains aisés. Dans les deux cas, la critique dépasse le cadre proprement cinématographique pour s’étendre à une critique culturelle mais aussi sociale et politique. La mise en résonance des sources multiples, d’origines variées tant du point de vue temporel qu’artistique, n’est pas là pour mettre en avant l’auteur comme une figure hétérogène53 à son contexte. Au contraire, tout en exprimant leur critique, Allen comme Burton, se situent dans le contexte 52
2000, Parody, Routledge, Londres, p. 160. Chose que l’on retrouve aussi bien chez Melville, Godard, et Leone ou d’une façon bien différente chez Pasolini. Les références sont chez ces auteurs une façon de se distinguer, en tant qu’auteur, par rapport à un contexte donné, national, générique, ou encore social. En ce qui concerne Pasolini, l’usage du pastiche tel qu’il le concevait, notamment l’imitation de parlers populaires, permettait une sorte d’échange entre l’auteur, celui qui manipule et imite ces parlers, et la vox populi présente à travers l’expression populaire. 53
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critiqué et assument cette position dans ce qu’elle peut avoir d’inconfortable mais aussi d’ambigüe. Contrairement à l’artiste moderne qui s’inscrit à l’écart des systèmes subissant son opprobre, nos deux réalisateurs postmodernes restent en son sein et ne se privent pas d’utiliser les moyens de ce système pour le critiquer, qu’il s’agisse d’Allen à l’égard de la bourgeoisie new-yorkaise (son public de prédilection aux États-Unis) ou de Burton à l’égard de l’entertainment américain qui le finance. Ces deux réalisateurs fonctionnent à l’intérieur de ce système comme le font les références : ils détournent en utilisant comme outil ce qu’ils détournent. Cette position se caractérise donc par l’impossibilité de toute opposition duelle, de tout manichéisme ni même de description simpliste et peut caractériser l’usage des références postmodernes. Comme le remarque Hutcheon54, cette situation ambiguë de l’auteur ne désamorce pas la subversion de son œuvre, bien au contraire, sur le long terme, ce minage de l’intérieur peut s’avérer particulièrement efficace. Autre fait notable, la façon dont nous interprétons les références, de quelque période qu’elles soient, les transforme aussi en références postmodernes, systématiquement intégrées à une dimension réflexive, ce qui n’a rien de péjoratif en soi. Nous cherchons à leur attribuer une fonction discursive et à saisir ce qu’elles peuvent nous révéler du passé, non pas comme un témoignage issu d’un contexte de production donné mais dans ce qu’elles semblent nous enseigner par leur dialogue avec les œuvres passées.
54
Hutcheon L. 1990, op. cit. p. 129.
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Échos 2 : le temps des films
1 - Aux origines du second degré cinématographique Si l’on admet comme point de départ les définitions de Genette, la parodie cinématographique est la transformation d'une œuvre par un film second qui instaure avec l'œuvre parodiée une relation qui ne réside pas dans le simple fait de la transformation. Dans la parodie, la référence cherche à exprimer quelque chose sur l'œuvre parodiée. Quant au pastiche cinématographique, il s’agit de l'imitation d'un ensemble d'œuvres par un film. Il peut prendre pour référence l'œuvre d'un auteur, du genre, d'une école… et ce de n'importe quelle discipline artistique. Tout comme la parodie cinématographique peut, a priori, transformer les œuvres de toutes les disciplines artistiques. La parodie cinématographique, tout comme le pastiche, n'a pas, pour l'instant bénéficié de recherches historiques précises et il est difficile encore aujourd'hui, de retracer avec rigueur leurs prémices. Néanmoins, une chose est certaine : très tôt, le cinéma a parodié et pastiché. Dan Harries55 fait remonter les pratiques imitatives et transformatives au début du cinéma, lorsqu’un film était immédiatement copié par les firmes concurrentes. Il cite comme exemple le célèbre Arroseur arrosé des Frères Lumière (1895) suivi d'un Garden scene d'Edison étrangement ressemblant. Il s'agissait effectivement probablement d'une des premières références d'un film à un autre, mais ici le but n'était pas de porter un regard sur le film d'autrui, mais bel et bien de limiter les risques de concurrence en proposant, sur un marché donné, des biens en tout point comparables à ceux de l’adversaire. Le principe étant d'accaparer les parts de marché d'autrui, il s’agit donc ici d’un plagiat et non pas d’une parodie.
55
Harries D. 2000, op.cit. p.12
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Le second degré distingue de façon décisive la parodie du plagiat : il doit être sensible dans la première, alors qu'il tend à disparaître du dernier. Au-delà de la finalité56, la distance à l'égard du modèle distingue la parodie du plagiat. Dans celuici, il n'existe aucun recul par rapport au modèle puisque justement, il cherche à s'y substituer57. Si les premiers emprunts entre films apparaissent dès les débuts du cinéma, on ne peut pour autant en déduire que la parodie et le pastiche cinématographiques ont existé d'emblée. De même, la présence d'éléments comiques dans des films réflexifs ne suffit pas à faire figure de pratique parodique. Concernant les références entre films, il semble pourtant difficile de départager sans aucune ambiguïté les pratiques parodiques du plagiat. Ainsi, Harries mentionne un film de Griffith, The Curtain pole (1908) dans lequel Mack Sennett reprend le personnage du dandy popularisé par Max Linder. Harries en déduit que Sennett parodie58 le personnage construit par Linder. C'est oublier deux choses : d'une part, le personnage d'une série de films ne se parodie pas, il se pastiche car il nécessite la synthèse des caractéristiques communes à toutes ses apparitions. D'autre part, une âpre concurrence existait au sein du cinéma burlesque : prendre le personnage d'un autre ou s'en moquer revenait à lui ravir ses 56
Le problème juridique est d’ailleurs entier comme l’explique R.A. Posner dans When is parody fair use ?, op. cit. pp.67 à 78. Comment savoir, d’une façon juridiquement valable, si imitations, copies, emprunts sont légaux ? Ce sont précisément ces limites qui distinguent juridiquement la parodie du plagiat. Pour Posner, dans le cas de parodies, l'œuvre parodiée est la cible de la parodie, c’est elle qui est visée. Alors que dans le cas d'imitations abusives (plagiat), l'œuvre réutilisée est la flèche, c'est-à-dire le moyen d’atteindre un objectif qui lui est étranger, le plus souvent crapuleux. En d’autres termes, la parodie cherche à se distinguer de l'œuvre parodiée dans la mesure où elle veut la critiquer tandis que dans le second cas, la nouvelle et ancienne œuvre se fondent afin de profiter de la ressemblance pour atteindre des objectifs de notoriété, de vente,… 57 Maurel-Indart H. Du plagiat, 1999, P.U.F, Paris, chap. 7. 58 Op. cit, p.12-13.
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spectateurs. Parodies et pastiches servaient le plagiat dans une industrie naissante où le principe du fair use n'était pas de mise. En revanche, lorsqu'à l'intérieur d'une même société de production, les réalisateurs se pastichaient, comme à la Biograph où Sennett se moquait des mélodrames de Griffith, il est alors possible d'avancer l'hypothèse de références au second degré ne servant pas de couverture au plagiat. Bien entendu, le cinéma s'est aussi attaqué aux autres disciplines artistiques. L'étroit mousquetaire de Max Linder (1922) parodie avec irrévérence le célèbre roman d'Alexandre Dumas. Les situations cocasses, comme lorsque D'Artagnan n'arrive pas à monter sur son cheval, cumulent avec un humour purement cinématographique tel le ralenti utilisé pour montrer que le cheval est drogué. Mais ce qui peut-être domine cette parodie est un sens profond de l'ironie et des multiples façons dont celle-ci peut avoir des expressions cinématographiques. L'ironie littéraire est antiphrasique59 : la phrase exprime une chose mais de façon implicite, suppose son contraire. « L’ironie est une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu’on dit : ainsi les mots dont on se sert dans l’ironie ne sont pas pris dans le sens propre et littéral. »60 L'écart entre ce qui est effectivement dit et ce qui est compris crée l'ironie. À de multiples reprises, Max Linder utilise la relation entre l’image et les intertitres de façon à ce que le sens de l’un puisse être relativisé, voire nié, notamment lorsqu’il introduit la reine par un carton « A Paris, la reine se grise de plaisirs ». L'iris s'ouvre lentement sur une main balançant mollement un mouchoir et découvre le visage d'une femme hideuse, empreint d'un profond ennui tandis qu'autour d'elle, les dames de compagnie jouent de la musique en se 59
Hutcheon L. 1981, Ironie, satire, parodie. Une approche pragmatique de l’ironie, Poétique XII (46), p.142. Nous avons ici affaire à un mode antiphrasique dans la mesure où l'image contredit et annule l'expression verbale des personnages. 60 Du Marsais M. op.cit. p.162.
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trémoussant avec frénésie. Le carton est en décalage total avec l'image qui montre l'inverse de ce qu’attend le spectateur : la reine rayonnante de beauté du roman devient un laideron, le plaisir devient lassitude et enfin, la notion de plaisir même déroute par l'anachronisme du divertissement (un saxophone et une danse syncopée). La phrase exprime une chose mais l'image nous montre son contraire : par un procédé proprement cinématographique, la phrase revêt, rétrospectivement une valeur ironique certaine, en décalage total avec ce qui est montré. Ce décalage ironique n'est pas sans esprit : le film tout entier repose sur ce principe. Max Linder détourne l'autorité de la lettre à des fins comiques grâce à des procédés proprement cinématographiques. Le plaisir d'une parodie cinématographique d'un texte, c'est exactement cela : le décalage entre ce qui est écrit - et que tout le monde connaît et ce qui est montré dans le film. Lorsque le cinéma s'attaque à des films, il va de même porter ses choix sur les œuvres les plus illustres, les plus populaires, les incontournables de chaque époque. C'est ce que réalise Buster Keaton dans Les Trois âges (1923), parodie d'Intolérance de Griffith (1916). Il reprend la construction du film en volets se situant chacun à des époques différentes, présentant un fil directeur et une certaine répétition de l'histoire. L'habileté de Keaton réside dans le détournement des prétentions philosophico-historiques de Griffith, réduites à la simple répétition d'une historiette amoureuse des plus classiques : une jeune fille a deux prétendants. La petite trentaine d'années qui sépare Keaton des débuts du cinéma est aussi celle nécessaire à l'instauration du droit d'auteur : il n'est déjà plus possible de plagier à tout va. Scénarios et personnages sont protégés par le droit d'auteur et leurs bénéficiaires veillent jalousement à ce qu'il soit respecté. Le plagiat devient ainsi une pratique minoritaire au bénéfice de la parodie et du pastiche qui, à défaut de proposer un exact équivalent au spectateur, peuvent le détourner d'une série, d'un genre, d'un personnage ou d'un film à succès, en les lui montrant sous un jour peu favorable. Ils égratignent, 52
destituent et participent ainsi à la perte d'aura des grands mythes cinématographiques et donc à l’éviction de concurrents trop populaires. Par conséquent, il ne faudrait pas croire que les parodies et les pastiches soient indépendants de toute pression économique. Bien au contraire, c'est bien souvent un contexte concurrentiel tendu qui favorise l'éclosion de films au second degré. Ainsi, seront étudiés dans cet ouvrage certains films policiers français ou encore des westerns italiens qui constituent une réponse esthétique et économique face à un cinéma hollywoodien agressif et omniprésent, alors même que les industries du cinéma française et italienne se trouvaient dans une situation de crise61. L'instauration d'un droit d'auteur fort privilégie donc le développement de ces exceptions que constituent la parodie et le pastiche. La chose n'est pas sans intérêt, d'une part, le droit favorise la créativité mise en jeu dans cet écart propre au second degré et reconnaît ainsi le rôle actif de la parodie et du pastiche au sein du renouvellement artistique. D'autre part, l'évolution de l'application du droit est révélatrice du changement dans la conception du film. Le droit d'auteur va progressivement s'appliquer au scénario, aux personnages, à la mise en scène : le plagiat devient rapidement trop risqué. Il ne reste donc que la parodie et le pastiche pour lutter contre les concurrents envahissants, les héros omniprésents, les genres étouffants, les grands maîtres de la réalisation, les styles à la mode, tous les symboles arrogants de la réussite et du « bon goût » cinématographique d'une époque. Un contexte économique tendu favorise bien souvent le second degré, pour autant ces films ne se réduisent pas à une simple réponse concurrentielle, ce sont avant tout des réponses esthétiques, créatives et revendicatives.
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Sur ce sujet, voir les parties concernées et aussi, Sorin 2002.
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2 – Les différentes pratiques du pastiche cinématographique La pratique du pastiche cinématographique est extrêmement fréquente. Ayant pour cible privilégiée les genres cinématographiques, bien connus du grand public, par conséquent relativement faciles à identifier, il devient de fait un élément de la dynamique générique quasiment incontournable. Toutefois, les imitations de l'ensemble de l'œuvre d'un auteur ne sont pas à négliger. Elles portent bien sûr sur les réalisateurs les plus célèbres dans le contexte de production du film second.
L'imitation sérieuse Souvent considéré comme étant moins corrosif, plus déférent, le pastiche est plus facilement associé au régime sérieux que n’a pu l’être la parodie. Les pratiques imitatives sérieuses sont effectivement fréquentes, qu’il s’agisse d’hommage ou d’assimilation d’un savoir-faire et de données génériques. Il s’agit ici de montrer que loin d’être neutres, ces forgeries, pour reprendre la terminologie genettienne, sont porteuses à leur façon, d’un certain regard sur les éléments empruntés, y compris dans les situations les plus opportunistes. Une certaine forme d'hommage : le numéro Girl Hunt dans Tous en scène Tous en scène de Vincente Minnelli (1953) comporte un numéro nommé Girl hunt imbriquant différentes imitations, les plus évidentes concernant le film noir et la littérature hardboiled.
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Le rideau du théâtre s'ouvre sur un mur tapissé de couvertures de Pulps62 faisant ainsi explicitement référence à la littérature policière qui a engendré le roman noir et nourri le film noir63. Le tir d'une mitraillette fend en deux l'affiche centrale, le mur s'ouvre sur un décor urbain nocturne. Le récit, sur un mode familier émaillé d'argot, est mené par une voix off masculine. Le numéro, dès les premiers plans, reprend des caractéristiques du film noir, lui aussi urbain, nocturne. La voix masculine contribue également à faire du personnage masculin le narrateur privilégié du récit noir comme c'est le cas dans Gilda de Charles Vidor, Boulevard du crépuscule ou Assurance sur la mort de Billy Wilder. Une bagarre et un meurtre, éléments récurrents du roman et du film noir, mettent le détective Riley, joué par Astaire, sur une piste : il recueille sur les lieux du crime des objets lui permettant de résoudre une histoire particulièrement incompréhensible, l'aspect insondable du récit étant une autre caractéristique du roman et du film noir. Les indices le mènent tout d’abord dans un atelier de couture, il y rencontre une femme fatale, sexy et brune, dont la coiffure évoque Ava Gardner dans Les Tueurs de Robert Siodmak. Tout comme les femmes fatales du film noir, elle envoûte le personnage masculin, la scène de séduction devenant ici une danse dont les ondulations évoquent la démarche du serpent, et mène la victime complaisante dans un piège, un atelier de mannequins démantelés où il est assommé. Le second personnage féminin arbore une chevelure blond platine. Elle se jette littéralement dans les bras de l'enquêteur, le sexappeal étant autre caractéristique du héros du récit noir. La blondeur peroxydée évoque une innocence trop voyante, trop artificielle et sophistiquée pour être honnête, d'ailleurs, dans 62
Magazines populaires, plutôt bon marché, dans lesquels les lecteurs américains pouvaient suivre les aventures policières des héros hard-boiled. 63 La littérature hard-boiled participe à la genèse du film noir dans la mesure où elle a formé les auteurs qui écriront ensuite les scénarios et adaptations des films de gangsters et des films noirs, notamment le prolifique Ben Hecht.
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Girl hunt, elle caractérise la criminelle. Elle rappelle l'apparence trompeuse des femmes fatales dans la lignée des personnages joués par Barbara Stanwick dans Assurance sur la mort ou Rita Hayworth dans La Dame de Shanghai d'Orson Welles. Enfin, la scène du bar, avec son un air de jazz et son atmosphère enfumée évoque sans conteste le film noir, lieu d'une tabagie contagieuse et surtout, espace privilégié du jazz, notamment dans les films de Siodmack qui recèlent de fabuleux moments musicaux. Autre référence au film noir, lorsque l'enquêteur est assommé, l'image tournoie afin d'évoquer la perte de conscience du personnage. Le film noir s'est fait une spécialité des plans subjectifs : l'expérience de La Dame du lac constitue de ce point de vue, un extrême du genre. Sans aller jusqu’à cet extrême, Le Faucon maltais de John Huston présente un plan relativement comparable à celui de Minnelli : lorsque l'enquêteur joué par Humphrey Bogart est drogué, l'image devient floue et bascule pour représenter le malaise du point de vue du personnage. Mais dans le film de Minnelli, le tournoiement a pour axe le centre de l'image où se situe la tête de l'assommé. Ici, seul le tournoiement est subjectif, il ne s'agit donc pas d'un plan subjectif au sens strict du terme. Cet étrange décalage par rapport aux conventions du film noir provient de l'hétérogénéité même du numéro Girl hunt, mélangeant film noir et comédie musicale. Car si Tous en scène est une comédie musicale, Girl hunt ajoute aux conventions de la comédie musicale et à l’imitation du film noir une seconde imitation : celle des comédies musicales de Busby Berkeley. Berkeley affectionnait la thématique du kaléidoscope, images presque abstraites recomposées autour d'un même axe. Il usait abondamment de mouvements de caméra basés sur les déplacements des danseurs ; le cercle était aussi chez lui une figure à partir de laquelle il organisait ses gigantesques compositions : filles en cercle, les pieds au centre rejoignant un immense miroir, danseuses en rondes vues en plongées, alignements de cerceaux… tout était prétexte à circularité 56
(Chercheuses d’or de 1933, 1933 ; Prologue, 1933 ; Dames, 1934 ; Banana split, 1943). Ce plan semi-subjectif de tournoiement dans Girl hunt semble être la résultante un peu curieuse de cette fusion du film noir et de la comédie musicale à la façon de Berkeley. Cette imitation du style de Berkeley n'est pas ponctuelle à cet unique plan. Imbriquée à l'imitation du film noir et du roman noir, elle détermine en fait l'ensemble du numéro. Il débute sur un lever de rideau et se clôt sur les applaudissements du public : Berkeley avait l'habitude d'entamer et de terminer ses numéros de la sorte, c'était pour lui une façon d'inscrire le gigantisme de ses numéros à l'intérieur d'un espace scénique nécessairement restreint. Les superficies immenses, les compositions somptueuses, le nombre incroyable de danseuses, tout cela s’incorporait au monde réaliste des personnages et du récit par le biais de la magie du spectacle. Contre toute logique, la démesure hollywoodienne intégrait ainsi les contraintes du théâtre de variété. La topographie des numéros musicaux de Berkeley est difficile à réaliser : le sol immaculé rejoint fond et plafond, en dissout les limites de façon à limiter les effets de la perspective et toute évaluation en terme de taille ou de distance. Ses numéros glissent d'un décor à un autre, d'une composition à une autre sans portes ni déplacements pouvant expliquer la circulation entre ces espaces de la caméra ou des danseurs. Le raccord est en général basé sur un objet qui effectue la transition entre les tableaux. Ces objets jouent dans la chorégraphie un rôle presque aussi important que les danseurs : les accessoires (miroirs, cerceaux, violons…), les ornements des costumes (les fameuses bananes de Carmen Miranda dans Banana Slip), effectuent un lien thématique entre les tableaux et participent à leur composition. Minnelli utilise aussi des objets afin de créer des liens entre les différents tableaux du numéro, ce sont les indices qui remplissent ce rôle. On remarquera que dans les récits policiers, les indices sont généralement des détails tandis qu'ici, ce sont des objets d'une certaine taille. Tous trois 57
recueillis sur les lieux du premier meurtre, ils justifient chacun à leur tour le passage d'un lieu à un autre : le morceau d'étoffe introduit l'atelier de couture, la touffe de cheveux conduit à la maison de perruques et l'os mène au bar. Chacun de ces tableaux débute par un plan dans lequel Riley tient l'indice concerné à la main et le compare à un élément du décor dont il semble effectivement provenir, permettant ainsi au personnage de glisser d’un espace à un autre. Enfin, Minnelli joue avec les espaces indéfinis tels que les affectionnait Berkeley. Ainsi, Riley grimpe à un escalier de secours rouge sur un fond bleu : le décor semble flotter dans un espace éthéré, abstrait, propre à Berkeley tandis que l'escalier de secours est typique des lieux sordides du film noir. Enfin, le goût pour les contrastes colorés ajoute à ces imitations la signature de Minnelli. De même, dans le décor du bar, dans celui de la ville nocturne ou diurne, sol, ciel, fond ont une couleur unique, respectivement rouge, noire et blanche. En gommant ainsi toute perspective, Minnelli joue avec son sens de la couleur, les lieux du film noir et l'espace selon Berkeley. Minnelli emploie donc les caractéristiques des numéros musicaux de Busby Berkeley sans faire référence à un film particulier. Il s'agit incontestablement d'une imitation sérieuse du style du réalisateur : à aucun moment, elle ne se moque de son modèle, elle ne prend pas non plus énormément de liberté à son égard, ni ne cherche à rivaliser de virtuosité avec lui. Sans être dénué d'humour, le rire n'est pas la motivation de ce réemploi qui dans tous les cas, se garde bien de railler le style Berkeley. Il s'agit d'un hommage au fondateur de la comédie musicale cinématographique de la part d'un des maîtres du genre hollywoodien. Au début des années trente, Berkeley a apprivoisé les contraintes du cinéma parlant et a su, grâce à ses Chercheuses d’or, faire oublier aux spectateurs les affres de la crise économique avec des numéros étourdissants et révolutionnaires. Berkeley a fait exploser les conventions de la comédie musicale telles qu'Hollywood les avait héritées des 58
spectacles musicaux de Broadway. Il libère la caméra de la frontière qui séparait scène et gradins, elle peut virevolter audessus de la scène, circuler autour des jambes des danseuses, frôler les corps. Les contraintes de la scène sont passées outre au profit d'un espace immense, indéfini, s'ouvrant sans cesse sur d'autres décors. Berkeley a su introduire dans la tradition du spectacle musical une gestion de l'espace et du mouvement proprement cinématographiques. Minnelli lui rend un hommage justifié via ce numéro voué aux références cinématographiques, lui-même enchâssé dans un film relevant des « self-reflective musicals64 », c'est-à-dire dédié à la célébration du genre. L’interprétation de chansons déjà connues du grand public et porteuses d’histoire, ou encore la présence de comédiens capables d’évoquer le genre, font partie des moyens mobilisés afin d’évoquer les qualités mythiques de la comédie musicale, notamment sa capacité à unir l’art et la vie. Girl hunt cumule donc différentes imitations, différents modes référentiels faisant appels à la mémoire des spectateurs. Ainsi, l’absence de paroles du numéro Dancing in the dark, constitue un appel à fredonner65 et en ce sens joue avec la mémoire du spectateur et sa connaissance des classiques de Broadway, plongée aux origines du genre, probablement fonctionnelle pour le spectateur américain des années cinquante mais totalement inopérante, ou presque pour la plupart de nos contemporains. De même, aujourd'hui Berkeley n'est guère connu du grand public et seuls les amoureux de la comédie musicale connaissent ses films. Dans les années cinquante, il en était autrement : ses grands succès sont encore présents dans les mémoires et il demeure en activité, essentiellement comme chorégraphe, suffisamment populaire pour que d'autres comédies musicales lui fassent référence, y 64
Feuer J. The self-reflexive musical and the myth of entertainment dans Grant B.K. (dir. par) Film genre reader II, University of Texas Press, Austin, pp. 441 à 455 65 Ibid, p. 452
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compris en Europe où il ne bénéficiait pourtant pas d'une large audience. Par exemple Richard Pottier, réalisateur français spécialiste du genre, lui rend hommage dans le final de Sérénade au Texas (1958). La référence au film noir et au roman noir, évidente, pour ne pas dire incontournable, masque partiellement celle à Berkeley, plus fondue et nécessitant une cinéphilie plus pointue. Elle peut en partie expliquer l'importance des objetsindices moteurs de l'enquête, ou encore le tournoiement de l'image. Les hommages à Berkeley et au film noir sont suffisamment imbriqués pour que l'identification des références au film noir comble l’éventuelle lacune causée par la méconnaissance des films de Berkeley. Dans un tel contexte, l'hétérogénéité de style du numéro musical introduite par la référence à Berkeley peut passer inaperçue. En d’autres termes, la culture cinématographique permet de déceler des différences, elle crée des reliefs qui permettent aux références d'apparaître comme telles car il n'y a de référence que là où la distance, même infime, est sensible. Minnelli peut faire référence à Berkeley, une comédie musicale peut faire référence au film noir, mais elle ne peut faire référence à la comédie musicale comme genre : elle y participe de l'intérieur. En effet, renvoyer à quelque chose nécessite la création d’un lien entre deux éléments inévitablement distincts. Quelle serait sinon l'utilité de mettre un objet en relation avec lui-même ? Même lorsqu'un film se cite, cette distance est présente par le temps écoulé entre les plans cités et leur citation, par une mise en abîme soulignant que l'on voit le film du film66, etc. Si le spectateur n’a pas les connaissances lui permettant de sculpter cette distance, de
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La mise en abîme et les procédés réflexifs sont très fréquents dans ces cas d'autocitation. Ils permettent de créer une distance entre un film premier et un film second qui pourtant n'en font qu'un. Par exemple, Mel Brooks, dans La Folle histoire de l’espace utilise un magnétoscope permettant aux personnages de savoir ce qui va leur arriver : il leur suffit de se passer la cassette du film La Folle histoire de l’espace.
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façonner des écarts – comme de distinguer la mise en scène selon Berkeley et selon Minnelli – la référence ne peut exister. Enfin, le spectateur connaissant suffisamment bien la comédie musicale pour déceler la référence appréciera l'hommage au maître tout en ayant probablement le sentiment d'appartenir au petit clan des rares privilégiés capables d'une telle prouesse. Son amour pour le genre sera récompensé. S'il est particulièrement attentif, comme nous avons tenté de l'être, il constatera peut-être que l'hommage de Minnelli est aussi pour le réalisateur une façon de souligner les particularités du style de Berkeley comme les siennes. Loin de souscrire à une vision unifiée du genre, la référence permet à Minnelli de situer avec exactitude son art au sein de la comédie musicale : coloré, moins gigantesque et plus proche de la tradition de Broadway que celui du père de la comédie musicale hollywoodienne. Le réemploi d'un savoir-faire éprouvé : le film noir dans le cinéma policier français Dans le cas précédent, l'imitation sérieuse permettait, entre autres, de rendre hommage à un réalisateur tout en situant historiquement et esthétiquement le travail de l’auteur du film second au sein du genre. L'imitation sérieuse peut avoir d'autres fonctions, notamment favoriser l'assimilation d'un savoir-faire, elle constitue ainsi un vecteur d'apprentissage et de familiarisation avec les procédés et les styles d'autrui67. Dans les années cinquante et soixante, le cinéma policier français s'appropria progressivement certaines caractéristiques 67
En littérature, l'imitation des grands auteurs faisait partie des techniques d'apprentissage des écoliers et écrivains en herbe. L'ouvrage d'Albalat A. 1991 (1901), La formation du style par l'assimilation des auteurs en est un exemple. Il en était de même en peinture ou en sculpture.
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du film noir abondamment distribué depuis la Libération68 afin d'intégrer la tension éprouvante du film noir dans leurs drames policiers. Par exemple, il n'est pas impossible d’entendre un personnage masculin raconter son histoire en voix off comme dans La Métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Defferre (1965) et tel que l’a banalisé le film noir. À la fin du film, un commentaire en voix off sur la promenade des prisonniers, sur une vue en plongée par le personnage principal incarcéré, montre la façon dont il perçoit le monde : une société de cafards sur laquelle exercer sa rancœur. La voix associe l'image à la subjectivité du personnage, l'effet déroutant de cette plongée écrasante exprime l'égarement du personnage. Le procédé comme la noirceur du propos constituent ainsi un emprunt ponctuel au film noir tandis que le restant du film est filmé de façon plus classique. Dans Classe tout risque de Claude Sautet (1960), une voice over présente les personnages et la situation, puis résume la fin de l’histoire, un peu à la façon dont Billy Wilder introduit et clôt Boulevard du crépuscule (1950). Cette voix qui débute et parfois conclut le récit n’est pas toujours attribuable à l’un des protagonistes de l’action, c’est notamment le cas dans Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville (1955) ou Le Fric de Maurice Cloche (1958). Cette voice over dépossède alors les personnages de leurs aventures et introduit un point de vue distancié. Ainsi dans Bob le flambeur, le réalisateur se pose comme narrateur lorsque sa propre voix annonce qu'il va raconter une histoire. Dans Le Fric, le commentaire moralisant semble être une version sonore des cartons d'avertissements des films de gangsters hollywoodiens des années trente tout en étant beaucoup plus cru. Le ton académique est remplacé par une image, une sentence sans appel : « Payer de leur sang leur semble moins pénible que de payer de leur sueur. » Cette phrase se rapporte à l'ensemble de l'intrigue : des truands s'entre-tuent pour des diamants. À l'identique des cartons des 68
Plus précisément l’été 1946.
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films de gangsters, le ton et le contenu moralisant désolidarisent l’auteur des actions représentées dans le film. Ici, l'introduction du récit par une voix off sert à imposer le réalisateur comme narrateur. En lui permettant de se réapproprier le récit au détriment des personnages, sa voix l'incarne et l'anthropomorphise, constituant ainsi un détournement notable du film noir. Ce dernier, au contraire, a tendance à utiliser ces voix off pour inscrire le récit sous le sceau d'un narrateur interne à la diégèse, le plus souvent le personnage principal masculin. Le film policier français a utilisé de façon systématique ce procédé du film noir qui consiste à faire du personnage principal l’énonciateur du récit grâce à l’utilisation de la voix off et de créer des effets étranges et déstabilisants comme les récits post mortem. Tel est le cas du récit du meurtre par l’assassin d’A double tour (Claude Chabrol, 1959) également introduit par sa voix en in « J’étais dans ma chambre… » puis un fondu introduit le flash-back. Il n’y a donc pas de récit en voix off mais, à la manière d’Assurance sur la mort (B.Wilder, 1944), le flash-back est attribuable à un narrateur masculin qui raconte au sens littéral l’histoire de « son » crime. Le récit du meurtre décrit la demeure familiale et celle de la victime comme un univers étrange. Dos au mur, l'assassin sort de la maison, une ferronnerie projette un entrelacs d'ombres sur son visage et le mur puis il rentre chez la victime. La scène, filmée de l’intérieur, le montre s’introduisant dans la maison, vu dans le reflet d’un miroir teint en jaune. Il parle à la victime en se regardant dans un miroir qu’il brise. Il la poursuit, leur course est montrée dans le reflet d’une sphère puis à travers le miroir jaune. Enfin, le meurtre est filmé en ombres chinoises derrière le panneau japonais rappelant ainsi des plans de meurtre similaires du Grand sommeil et de Scarface69 où les silhouettes s’effondrent derrière une vitre en 69
Voir à ce sujet l'analyse de ce passage de Scarface (Howard Hawks, 1932) dans la partie consacrée aux remakes.
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verre dépoli. Puis, l’assassin est vu à travers un aquarium, un travelling longe une étagère : une alternance de récipients et d'objets colorés plus ou moins transparents obstrue l’image. Cette séquence multiplie donc les jeux avec les reflets, les ombres, les transparences dans une tradition esthétique rappelant le film noir, la couleur en plus. Ce traitement de l’image souligne l’aspect inquiétant de la situation et rend l’agression particulièrement spectaculaire. Mais ici, comme dans la plupart des autres films policiers français, cette esthétique n’est pas celle de tout le film. De plus, elle ne cherche pas à déstabiliser le spectateur qui connaît déjà les lieux sous un angle plus neutre et pour lesquels il a donc pu acquérir des points de repères. Cette esthétique permet donc de différencier nettement le narrateur de ce récit, c'est-à-dire l’assassin, d’autres instances présentes dans le film, notamment le récit du père, plus conventionnel avec sa série de champs contrechamps, le plus souvent en plans rapprochés. Ce traitement de l’image lors du crime viserait donc surtout à souligner la folie de l’assassin, l’aspect délirant de sa perception du réel. L'aptitude du film noir à exprimer des atmosphères inquiétantes est détournée pour souligner la folie et la subjectivité du personnage. D’une manière générale, le film policier français fait grand usage des ombres, sans pour autant chercher à recréer l’univers claustrophobique du film noir. L’ombre est devenue un élément incontournable de la photographie du film policier mais elle n'exprime pas nécessairement la mort à venir, la folie ou l’enfermement. Dans Mélodie en sous-sol (Henri Verneuil, 1963), lorsque le voyou rentre par une trappe dans l’ascenseur, le plan cadre le bout de son pied qui se balance dans le vide et son ombre, énorme, remplit l’image. Cette utilisation des ombres est limitée à la partie du film consacrée à la réalisation du coup. Associé à des cadrages accentuant des effets étranges du décor, notamment de nombreuses plongées et contreplongées, cet emploi des ombres au moment stratégique du récit permet de créer une atmosphère inquiétante et de 64
renforcer ainsi les effets de la tension narrative toute entière suspendue à cette interrogation : quand le coup va-t-il dérailler ? Le pressentiment de l’échec imminent se confirme lorsque le décor projette une ombre grillagée, composée de losanges, sur le visage d’Alain Delon. À la fin du Faucon maltais, les grilles de l’ascenseur projettent aussi une ombre en losanges sur le visage de la jeune femme, inscrivant sa figure dans l’univers carcéral et la mort certaine qui l’y attend. Dans le film de René Clément, cette même ombre participe à un effet de suspense bien particulier : le spectateur sait, notamment par son expérience du cinéma hollywoodien, que cette ombre a une connotation funeste. Il se met ainsi dans une position d’attente qui renforce la tension narrative du coup. Ce film réemploie les techniques du film noir et la connaissance qu’en ont les spectateurs pour les détourner à des fins narratives sans nécessairement en confirmer le sens. Le film finit sans ou avant - que les personnages ne soient arrêtés. Ici les conventions du film noir sont certes utilisées afin de susciter un effet spécifique sur le spectateur, mais elles ne cherchent en aucun cas à recréer les effets déstabilisants et angoissants du film noir. Limitées à un moment précis du film, elles perdent de leur portée au service du seul suspense. Cette utilisation de l’esthétique noire à des fins narratives se retrouve aussi dans Razzia sur la chnouf (Henri Decoin, 1955) et Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1954). Ce dernier fonctionne de façon comparable à Mélodie en sous-sol. Lorsque Max sort du club (Touchez pas au grisbi), il est suivi par une ambulance puis pourchassé par deux hommes dans le hall de son immeuble : les plongées se multiplient, l’éclairage cru de la cage d’escalier éclaire violemment les visages patibulaires des agresseurs et la rampe d’escalier projette sur le mur un entrelacs d’ombre et de lumière. Ces effets cumulés parviennent à rendre inquiétant un espace familier, la cage d’escalier d’un immeuble cossu, et par ce biais à renforcer l’aspect critique de la situation. Dans Razzia sur la chnouf, les éclairages sont souvent 65
contrastés. Ainsi le bureau du Nantais est plongé dans l’ombre tandis que les personnages situés aux abords du lampadaire sont fortement illuminés. Il faut aussi mentionner l’étonnant éclairage du laboratoire, le ventilateur projette sa gigantesque ombre en mouvement dans toute la pièce, la plongeant tour à tour dans l'obscurité et la lumière. Les éclairages confèrent un aspect étrange et inquiétant aux lieux associés au trafic de drogue, sans pour autant développer une esthétique noire sur l'ensemble du film. Un autre plan, assez curieux, rappelle également le film noir. Un des rares plans subjectifs de Mélodie en sous-sol a lieu quand Francis ferme les yeux : l’image est noire avec des effets lumineux flous puis un iris en forme de fente verticale s’ouvre et découvre le paysage, un peu comme si ses paupières s’ouvraient. De même, lorsqu’au début des Félins (René Clément, 1964), Marc est assommé, la caméra vacille et bascule au niveau du sol. Ces plans rappellent les plans subjectifs présents dans les films noirs hollywoodiens. La référence est explicite dans la mesure où le film noir a systématisé l'emploi des plans subjectifs. Dans Mélodie en sous-sol, le plan subjectif décrit semble gratuit. Il ne correspond à rien de particulier, il fonctionnerait plutôt comme un hommage, une reconnaissance ouverte de l'influence du film noir. Dans Les félins, le plan subjectif exprime le glissement de Marc dans le cauchemar : après sa perte de conscience, il ne connaîtra plus jamais la liberté, victime entre les mains des gangsters ou séquestré dans la demeure de Barbara et Mélinda. Ce plan effectue une transition entre l'univers doré des palaces et celui de la lutte pour la survie, de la poursuite sans fin. L'imitation du film noir est ici un choix judicieux : en inscrivant le film dans cette lignée, elle fonctionne comme une référence tout en ayant un rôle narratif précis, à savoir souligner l’entrée dans le cauchemar et la paranoïa. Ces films policiers français ont donc retenu du film noir l'utilisation de la voix, des cadrages étranges, des plans et récits subjectifs mais pour l'appliquer à un moment précis du 66
film : ils n'expriment plus l'univers cynique et labyrinthique du genre hollywoodien mais la seule psychose de certains personnages, leur perte à venir. Ils imitent donc l'esthétique du film noir et emploient ce savoir-faire, cette expression cinématographique d'un malaise à de toutes autres fins. Ici, la connaissance que le spectateur peut avoir du film noir lui permet de faire la relation entre cette esthétique bien particulière et les risques pris par les personnages. La familiarité du spectateur au film noir favorise la relation entre leurs destins et celui des protagonistes du film noir, généralement voués à la mort ou à l'échec. La connaissance du genre par le spectateur assure un suspense certain aux passages les plus tendus de l'action, principalement les scènes d'agression ou de réalisation du coup. Les références et l'utilisation systématique du savoir-faire hollywoodien ne sont pas sans agacer certains critiques tels Charensol, écrivant férocement à propos d'A double tour : « En outre, on trouve ici tout ce que les analphabètes doués d'une vaste mémoire ont appris dans les ciné-clubs : la psychanalyse selon saint Hitchcock et les plafonds selon le révérend père Orson Welles ; quant aux mouvements désordonnés de la caméra, ils traînent dans tous les travaux pratiques de l'Idhec. »70 Comme l'exprime clairement le titre de cet article Le reflux de la nouvelle vague, le critique n'a pas effectué la relation entre l'imitation du film noir et la tradition française de réemplois du savoir-faire hollywoodien : il ne s'attaque pas au cinéma policier français mais à la Nouvelle Vague, c’est-à-dire à un courant usant abondamment des références cinématographiques. Il ramène le film noir au thriller, Hitchcock fonctionne alors comme une référence au cinéma policier américain connu des lecteurs. Son nom constitue aussi une façon d’évoquer le travail critique de Chabrol et la relation entre les jeunes turcs devenus réalisateurs et l’auteur sacré des Cahiers du Cinéma. 70
"A double tour : le reflux de la nouvelle vague", Les Nouvelles Littéraires du 11/12/1959, revue de presse BIFI.
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Charensol associe ainsi étroitement les metteurs en scène de la Nouvelle Vague à ces pratiques imitatives et cinéphiles. Il est intéressant de constater que ce phénomène d’emprunt pourtant bien antérieur à la Nouvelle Vague semble avoir été complètement occulté par les pratiques de cette dernière et que là où Charensol distingue deux écoles – les réalisateurs qui ont appris leur métier par le système de l’assistanat et les autres, les cinéphiles et les scolaires – nous ne voyons qu’une remarquable continuité, tant du point de vue des films et des genres empruntés que de la fonction des références. Ces imitations sérieuses du film noir portent sur les caractéristiques générales du genre qui permettent de créer un univers angoissant et déstabilisant, elles sont effectivement utilisées afin d'éprouver le spectateur, d'ajouter à la tension narrative ou de rendre compte de la folie de certains personnages en faisant partager aux spectateurs leur point de vue. Ces imitations sont autant de références au genre dont l'influence sur le film français devient ainsi particulièrement sensible, pour ne pas dire assumée par les réalisateurs chez lesquels ces emprunts sont particulièrement appuyés (Chabrol, Verneuil, Clément), voire récurrents (Melville, Verneuil).
L'imitation satirique : le signe de l'exaspération L’imitation satirique serait a priori peu fréquente puisque nécessitant une connaissance aboutie d’un corpus multiple, elle supposerait une forme réelle d’intérêt de l’auteur pour l’objet imité, cette attention pouvant sembler antinomique avec la dimension satirique. Néanmoins, la charge n'est pas impossible et a pour cible privilégiée des groupes de films incontournables et par rapport auxquels il a pu sembler salutaire de se positionner de façon irrévérencieuse : le refus des modèles prégnants, des genres adulés, des panthéons aveuglants sont souvent les véritables motivations de l'imitation satirique. C'est en même temps ce qui en fait l'utilité et rend la satire socialement acceptable, même 68
lorsqu’elle transgresse les règles de la bienséance et du bon goût. L'imitation satirique d'un auteur : Mel Brooks et Hitchcock Mel Brooks est un génie du second degré cinématographique. Sa carrière est entièrement consacrée à l'imitation et à la transformation hilarante de genres, d'œuvres et de films populaires. Les Producteurs pastiche la comédie musicale, Le Shérif est en prison le western, La Folle histoire de l’espace s’attaque aux films de science-fiction et constitue une parodie appuyée de La Guerre des étoiles, et Le Grand frisson est une imitation de l'ensemble des films d'Alfred Hitchcock. L'imitation satirique s'attaque très souvent à des genres ou à des séries, mais ici, l'humour ravageur de Mel Brooks s'en prend à un maître du cinéma. Pasticher un auteur revient à imiter son style, sa manière et ses thèmes de prédilection : tout ce qui peut apparaître comme étant caractéristique de l'ensemble de ses films et non pas de certains de ses films. Par conséquent, le pastiche d'un auteur ne saurait être une somme des parodies de chacun de ses films. Si le réalisateur visé est réellement un auteur, alors il doit exister entre ses films une continuité, une parenté de forme et d'idée71 qui rende possible l'imitation. Néanmoins, il est très rare de trouver des pastiches purs d'auteur sans que l'on puisse pour autant imputer ce fait à la qualité de l'œuvre imitée. Prenons le cas du Grand Frisson, ce film imite l'œuvre de Hitchcock, grand auteur s'il en est, pourtant le film est émaillé de nombreuses références à des films particuliers. Sans avoir la prétention de les mentionner toutes, nombre d'entre elles sautent aux yeux comme la référence à la scène 71
Dans la mesure où l'auteur imprime au film sa façon de percevoir les choses, voir à ce sujet Bazin, 1957, De la politique des auteurs, Cahiers du Cinéma n°70, pp.2 à 11.
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d'agression sous la douche de Psychose, celle totalement irrévérencieuse à Les Oiseaux lorsque des pigeons attaquent les personnages en leur déféquant dessus, ou encore l'emprunt du vertige de Stewart dans Vertigo. Ces références renvoient à des films extrêmement célèbres du réalisateur et sont d'autant plus facilement identifiables qu'elles se focalisent sur des éléments clés du film emprunté. Ainsi, les références aux Oiseaux ou à Vertigo passent par des objets qui renvoient directement au titre du film. Quant à celle sur Psychose, elle se base sur la scène la plus célèbre du film. Au demeurant, la presse a immédiatement reconnu ces emprunts72 : Jean Wagner73 fait même la part entre ceux qui sont évidents et ceux qui le sont moins. Effectivement, il faut faire la différence entre les références qui sont minimes, fugaces et celles qui bénéficient d'un développement. Ainsi, la caméra située sous une plaque de verre renvoie à The Lodger. Ce film d'Hitchcock n'est pas le plus populaire et il s'agit fort probablement de la seule référence explicite le concernant. Référence qui de surcroît est fort courte et ne se répète pas. Le spectateur, s'il ne peut que remarquer l'incongruité du cadrage, peut en revanche passer totalement à côté de l'identification de la référence et mettre cet étrange cadrage au crédit des multiples bizarreries dont Mel Brooks raffole, l'emprunt étant effectivement relativement discret et le film peu connu du grand public. À l’opposé, il est difficile, voire quasiment impossible pour le spectateur de passer à côté des références à Les Oiseaux, Psychose ou Vertigo tant elles sont appuyées. Il faut en effet prendre en compte différents facteurs tels que la durée de l'emprunt, sa place dans le récit et sa récurrence. Par exemple, les références à Les Oiseaux ou Psychose ne participent pas à l'avancement du récit, alors qu’à 72
Qu'elle soit américaine ou française : Wagner J. 1978, Le Grand frisson, Télérama n°27/09 ; X 1978, "Le Grand frisson" de Mel Brooks, Libération du 28/09 ; Cebe G. 1978, Le Grand frisson, Ecran n°73 ; Hege 1977, High anxiety, Variety Film Review 1975-1977 du 21/12. 73 Op. cit.
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chaque fois, une séquence entière leur est consacrée. Ces moments n'ont d'autre raison que l'emprunt irrévérencieux et fonctionnent comme des enclaves parodiques que le spectateur doit absolument reconnaître. Par contre, concernant le vertige accompagnant le personnage pendant tout le film, l'emprunt à Vertigo est suffisamment répété pour ne pas être anodin et participe pleinement à la caractérisation du personnage comme à son mode d’action. Cet emprunt interagit donc avec le récit. Il est de surcroît appuyé par la scène finale dans le clocher qui renvoie bien entendu au dénouement de Vertigo. Il est donc important de faire la part entre les références « clin d'œil », fugaces et peu indispensables à la compréhension du film de celles qui, nettement plus appuyées, ne doivent pas échapper à la vigilance du spectateur pour que celui-ci comprenne bien le film, c'est-à-dire non pas simplement le récit mais la démarche générale du réalisateur. En effet, si Mel Brooks souligne avec tant d'insistance certaines références volontairement lisibles, c'est parce qu'il tient absolument à ce que le spectateur les identifie. Ces emprunts sont autant de mini-parodies à l'intérieur du film dans la mesure où il est fait référence à chaque fois à un film singulier avec pour objectif de déclencher le rire du spectateur. Ces mini-parodies assument deux fonctions : la première est d'offrir un développement comique, la seconde est de faciliter l'identification du pastiche par le spectateur. Le cumul de références à des films singuliers permet d'identifier sans équivoque l'œuvre d'Hitchcock comme étant la véritable cible du film. La parodie est ici au service du pastiche et participe à sa construction comme à son identification. En effet, c'est bien au travail du maître que s'en prend Brooks, et non pas à quelques films connus. Le titre original, High anxiety, renvoie d'emblée à l'attente angoissée et insoutenable que le virtuose du suspense infligeait à ses spectateurs. Mel Brooks s'attaque effectivement aux thèmes, au style, aux personnages caractéristiques de l'œuvre d'Hitchcock.
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S’agissant des personnages, l'on retrouve celui de la jeune femme blonde et sophistiquée qu'Hitchcock affectionnait : pulpeuse, d'une beauté classique et d'une extrême élégance. La jeune femme a en effet poussé le goût du coordonné d'une façon exagérée : son sac à main est assorti au motif de sa robe ainsi qu'à son ours en peluche et à sa voiture. Le personnage principal, joué par Mel Brooks, ne se contente pas de rappeler par son nom, Thorndyke, le héros de La Mort aux trousses. Son prénom Richard Harpo rappelle aussi le célèbre Marx Brother : le personnage sera donc la conjonction étrange du héros hitchcockien et du clown. Quant au style, il fait l'objet d'imitations réflexives et comiques. Par exemple, chez Hitchcock la musique participe pleinement à la tension et de ce fait, est très présente. Aussi Mel Brooks n'hésitera pas à en faire un emploi particulièrement voyant. L'orchestration philharmonique intervient en force lors des moments dramatiques et l'orchestre apparaît même à l’image au détour d’une route. Les célèbres mouvements de caméra d'Hitchcock sont également mis en évidence à l’occasion d'un travelling dans lequel la caméra brise une vitre : la virtuosité du maître nécessite le subterfuge, le trucage, le studio, ses velléités de réalisateur sont un obstacle au réalisme ou du moins au sens commun qui veut que, logiquement, une caméra ne se déplace pas infiniment sans rencontrer d'obstacle. Parmi les thèmes chers au maître, Brooks emprunte au thriller hitchcockien ses leitmotivs narratifs tels que la poursuite, le complot, la séquestration, l'usurpation d'identité ainsi que l'application simpliste de la psychanalyse pour expliquer le comportement du personnage. Ici, Brooks, par-delà le rire, effectue une critique bien réelle du thriller Hitchcockien, notamment dans ce qu'il peut avoir d'appliqué et de systématique. En effet, Hitchcock suivait à la lettre un certain nombre de principes narratifs censés assurer son impact
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auprès des spectateurs74. Brooks s'amuse à enchaîner les uns après les autres : suspense, poursuite, complot, séquestration, de façon quasiment énumérative mettant ainsi à jour les ficelles du maître. D'ailleurs, un personnage se nomme Macguffin, nom qu'Hitchcock donnait à l'un de ses procédés narratifs qu'il croyait inusables. La trop rapide psychanalyse du personnage en fin de film et sa naïve prétention à expliquer de façon simpliste l'ensemble de son comportement, fonctionnent aussi comme une critique des principes narratifs hitchcockiens qui résultaient d'une psychanalyse rudimentaire appliquée aux spectateurs comme aux personnages. En effet, si la psychologie de ses personnages se construit sur quelques principes psychanalytiques, Hitchcock utilisait aussi la psychanalyse pour, d’après lui, délivrer à son insu le spectateur de ses basses pulsions75. Brooks souligne l'aspect totalement invraisemblable de ces psychanalyses éclairs qui délivrent le personnage en quelques minutes des traumatismes les plus profonds. Ainsi, c'est en pleine action, alors qu'il est suspendu dans le vide, que Thorndyke parvient miraculeusement à soulager son inconscient : la dimension banale et grotesque du souvenir à l’origine du trauma ne fait qu’appuyer un peu plus la satire à l’égard de l’usage de la psychanalyse par Hitchcock. Toutes ces références prennent en compte l'œuvre d'Hitchcock dans sa globalité et essayent d'en dégager les grands traits avec un sens certain de l'exagération, du ridicule et parfois une certaine trivialité. La plupart des critiques n'ont pas été insensibles à cette imitation : « C'est la première fois que Mel Brooks s'attaque (c'est le mot) à l'œuvre d'un auteur. »76 Même si les trop évidentes mini-parodies tendent parfois à masquer l'imitation : « […] Le Grand frisson se présente 74
J.Douchet 1960, Hitch et son public, Cahiers du cinéma n°113, pp. 7 à 15 75 Ibid. 76 J.Wagner, op.cit.
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comme une série de pastiches des films de Hitchcock […] »77. Mais le plus étonnant est la certitude affichée des critiques concernant le fait que Le Grand frisson est un hommage : de Variety à Libération en passant par Écran, ils sont nombreux à insister sur le fait que l'apparente irrévérence de Mel Brooks est en fait un signe de son admiration pour Hitchcock. Cèbe mentionne deux fois dans son article qu'il s'agit d'un hommage78, « un tendre hommage au maître »79, « l'un des plus sûrs hommages qu'on ait jamais rendus à l'œuvre d'Hitchcock »80, etc. Pourtant, à y regarder de plus près, le film de Mel Brooks n'a rien d'un hommage : le réalisateur critique âprement les principes narratifs dont Hitchcock se faisait une fierté, il souligne l'archaïsme de son utilisation de la psychanalyse, se moque de ses mouvements de caméra et arrose de guano ses archétypes de personnages. Le sens du gag de Mel Brooks ne doit pas faire oublier que, derrière le rire, se trouve une critique féroce associée à un certain souci de dévalorisation. Le régime serait donc nettement satirique. Mais comment une satire peut-elle aussi constituer un hommage ? Ce paradoxe peut s'expliquer de diverses façons. Il existe un consensus autour de la personne d'Hitchcock, réalisateur populaire, star du box-office et auteur sacré par le cénacle des Cahiers du Cinéma. S'en prendre à Hitchcock revient à se faire de nombreux ennemis. Pour cette raison, Mel Brooks a dédié son film au réalisateur et usé d'un grand tac à l'égard du maître du suspense81. Ces données paracinématographiques ont pu influencer la réception du film
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X, Libération, op.cit. Le lecteur remarquera le contre-emploi du terme "pastiche" qui sert ici à désigner des parodies. D'ailleurs, l'article se poursuit par l'énumération des références à des films particuliers. 78 Op. cit. 79 X. Libération, op.cit. 80 J. Wagner, op.cit. 81 Il lui aurait rendu visite et offert des cadeaux. Bendazzi G. 1980, Mel Brooks, Glénat, Grenoble, p.124.
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au point de transformer la satire en hommage. Il semble toutefois difficile d’adhérer sérieusement à cette hypothèse. Il serait plus crédible d'avancer que les critiques se sont réfugiés derrière les trop manifestes preuves d'amours paracinématographiques de Mel Brooks envers Hitchcock pour excuser en quelque sorte l'irrévérence du film. Ils ont accepté de fermer les yeux sur ce crime de lèse-majesté pour des raisons probablement fort variées : le film les a amusés, Mel Brooks est un réalisateur attachant qu’ils n'ont pas forcément envie de massacrer et qui a peu de spectateurs. Et pour certains critiques, peut-être une arrière-pensée : cela ne fait pas de mal de descendre Hitchcock de son piédestal… Mais Mel Brooks, lui, a-t-il opportunément fait croire qu'il appréciait le maître afin de protéger son film ? Ou bien l'admire-t-il réellement ? C'est bien là l'ambiguïté de l'imitation satirique : la satire, destructrice, suppose une certaine hargne, tandis que le principe même de l'imitation induit une bonne connaissance de l'œuvre concernée. Pour cette raison l'imitation satirique concerne souvent des films que l'auteur n'a pas pu éviter de voir. Cela explique ainsi le nombre important de charges cinématographiques attaquant la télévision réalisées par des cinéastes excédés par la bêtise des publicités imposées entre les programmes (Femmes au bord de la crise de nerf d'Almodovar, 1988) ou indignés par le comportement des magnats de l'audiovisuel (Ginger et Fred, Fellini, 1986). Mais rien n'obligeait Mel Brooks à aller voir les films d'Hitchcock si ceux si lui déplaisaient. Peut-être Mel Brooks s'est-il lassé de la constance du maître ? En effet, Hitchcock est l'auteur par excellence pour les importantes similitudes existant entre ses films : toutes ces parentés construisent une œuvre apparemment homogène mais cette répétition des principes narratifs, ces ressemblances entre des personnages ou entre des situations peuvent être perçues, non pas comme le signe d'une personnalité qui imprime sa marque à tous ses films, mais comme celui d'un essoufflement, une absence de créativité, bref, une usure qu'il 75
faut dénoncer afin de relancer le processus créatif et éviter l'idolâtrie ou tout culte esthétique de la personnalité82. Ici la charge remplit un des grands principes carnavalesques : assurer le renouvellement créatif et la pluralité des goûts en s'attaquant à ce qui est source d'influence dominante, à ce qui est au cœur du consensus. C'est avec une certaine trivialité, en se déguisant, en se salissant, que Mel Brooks cherche à détrôner Hitchcock du piédestal sur lequel public et critiques l'ont hissé. C'est probablement cette capacité à se mettre luimême en jeu en tant que comédien, à payer de sa personne sans hésitation dans ses films83, qui fait de Mel Brooks une personnalité attachante et sincère dans ses satires. Son objectif n'est pas de se mettre en valeur mais bien de destituer ce qui est trop influent : succès du box-office (La Guerre des étoiles avec La Folle histoire de l’espace) genres mythiques (les films d'épouvante avec Frankenstein Junior, le western avec Le Shérif est en prison) et auteurs. Détrôner un auteur suppose la reconnaissance de son sacre, de son pouvoir et de son art : s'il existe une forme d'hommage dans la satire, elle tient probablement dans cet aveu qui n’a rien de paradoxal puisqu’elle rejoint ici un art des contraires qui n’est visiblement pas du ressort exclusif de la parodie. Non seulement l’exemple donné par Le Grand frisson démontre on ne peut plus clairement que la parodie n’a pas l’apanage de la satire mais il lui vole dans le même temps une autre de ses caractéristiques : pouvoir être à la fois ironique et déférente. En effet, pour Linda Hutcheon84, la parodie joue sur les paradoxes, ce qui en fait une forme idéalement postmoderne permettant d’entretenir une relation au passé mêlant autorité et transgression. Or, il semble ici que les pratiques imitatives peuvent jouer sur certains registres a 82
À propos des dangers du culte esthétique de la personnalité, voir Bazin, De la politique des auteurs, op. cit. 83 Hormis le fait que Mel Brooks joue souvent des personnages fous ou désolants, il n'hésite pas à se présenter de façon peu valorisante dans des costumes ou des situations ridicules. 84 op.cit. 2000 (1985).
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priori dévolus aux pratiques transformatives car non seulement la charge étudiée absorbe de nombreux éléments parodiques, mais de surcroît elle suscite le même paradoxe car elle entretient une relation au passé fort semblable et qui tient dans la nature même de ce type de références. Destituer est une façon de reconnaître l’existence de l’institution, cette existence suffit à en justifier la destruction. Un sursaut critique et identitaire : western italien et western hollywoodien Comme son nom l'indique, le western italien est un genre cinématographique entièrement basé sur l'imitation d'un genre étranger, le western hollywoodien. Le western italien est donc, par son origine même, un genre au second degré, tant sur un plan historique, que thématique ou stylistique. Le traitement du westerner, personnage principal du western hollywoodien, témoigne des emprunts et des écarts du genre transalpin envers son modèle. L'agilité est une des qualités requises du westerner hollywoodien, elle lui permet de survivre et de combattre dans un contexte hostile. Le westerner italien va récupérer cette aptitude en la détournant, à l’exemple du personnage de Ringo dans Le Retour de Ringo et Un pistolet pour Ringo de Duccio Tessari, 1965. Le premier consacre une scène à l'entraînement de Ringo qui, avec son arme à feu, vise une pomme de pin et avant qu'elle n'ait atteint le sol, tire sur une timbale de façon à ce que la pomme de pin puisse y finir sa chute. Dans le second, lors du gunfight final, Ringo vise une cloche, la balle ricoche sur la cloche et atteint l'ennemi. Dans ces deux cas, l'agilité et la rapidité déployées sont tellement invraisemblables, exagérées, qu'elles prennent une valeur comique. Par ailleurs, ces exemples compliquent avec plaisir le dispositif consistant initialement à atteindre simplement une cible, en y ajoutant une seconde difficulté : la timbale prête à accueillir la pomme de pin et le ricochet de la balle sur la 77
cloche. Cette surenchère du dispositif et donc de la prouesse se moque clairement du raffinement des démonstrations d'habileté de certains westerns hollywoodiens, particulièrement exacerbées dans Winchester 73 (Anthony Mann, 1950)85. Les deux films de Tessari pastichent ces exhibitions du western hollywoodien : ils en exagèrent les modalités à des fins purement comiques et transforment en gags les scènes de démonstration d'habileté, ordinairement consacrées à la valorisation du héros. L'imitation de cette scène conventionnelle du genre est satirique dans la mesure où, par l'absurdité de l'exploit accompli, elle remet en cause la crédibilité de la performance des personnages westerniens. Elle dénonce en même temps la surenchère de performances à laquelle se livrent tant les personnages que les films. Quoique souvent stoïques, les westerners italiens ne sont pas dénués d'humour. La malice des personnages s'exprime quelle que soit la situation par un sens de la répartie comique et des insultes imagées. Par exemple, lorsqu’Harmonica (Il était une fois dans l'Ouest, Sergio Leone, 1968) arrête Cheyenne pour la prime qui lui permettra d'acheter la ferme, Cheyenne s'exclame qu' « à l'époque de Judas, il y avait déjà des fils de putes ! » Cheyenne taquine Harmonica avec sa vulgarité coutumière, sans colère ni peur, malgré la position délicate dans laquelle le met ce dernier. Cette malice montre le flegme du personnage, son détachement, c'est-à-dire son héroïsme et ce, en même temps que sa trivialité. Toute la complexité du westerner italien s'exprime avec cette malice : personnage ambigu, il acquiert le statut de héros par son sacrifice à demi consenti pour être mieux dévalorisé par la bassesse de son vocabulaire. 85
Le film débute par l'acquisition d'une Winchester lors d'un concours d'habileté où les personnages rivalisent d'ingéniosité pour trouver des épreuves toujours plus difficiles et spectaculaires. Nombreux sont les westerns où les personnages peuvent faire la démonstration de leur dextérité afin d'évaluer et de faire apprécier leur force et les affrontements à venir (Vera Cruz, Robert Aldrich, 1955 ; Les Sept mercenaires, John Sturges, 1961 ; …)
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Oreste de Fornari écrit à propos de Sergio Leone que « [s]es westerns sont des images tragiques sur des dialogues de comédie. »86 Mais il n’y a pas que Sergio Leone qui fasse dire des bons mots, voire des vulgarités à ses acteurs, dans Touche pas à la femme blanche (Marco Ferreri, 1973), en arrière plan d'un rendez-vous amoureux, le chanteur romantique roucoule « I fuck with her like a tiger », créant ainsi un décalage amusant entre l’image du couple guindé et l’accompagnement chanté. Les insultes, les jeux de mots, les maximes colorées et le vocabulaire familier tirent les dialogues vers le registre vulgaire dans un effet de travestissement. En effet, tous les personnages s’expriment ainsi, tandis que dans le western classique, la vulgarité et le drôle étaient respectivement le fait des villains ou des faire-valoir. Aligner le discours des personnages principaux sur celui des villains constitue déjà en soi un travestissement mais il n’est pas transformé en imitant uniquement le registre des villains du western classique. Comme le souligne la citation de Fornari, le style imité est celui de la comédie pour le sens de la répartie et du bon mot. Le travestissement est présent puisque les westerners passent d'un style de discours sérieux et correct à un style vulgaire issu de la comédie et des villains du western hollywoodien. Ici la transformation n’agit pas sur le personnage d'un film singulier, tous les personnages typiques du western sont contaminés par ce langage hybride. Dans les westerns italiens, l’ensemble des protagonistes est touché par la vulgarité, y compris celui de la jeune promise comme la belle Jill dans Il était une fois dans l’Ouest. La fiancée s’avère être une ancienne prostituée à la répartie spirituelle et triviale comme en témoigne le dialogue dans la taverne où elle interroge ironiquement le tenancier pour savoir si les hommes qui ont emprunté la baignoire avant elle l’ont utilisée ensemble. Tous les personnages du western hollywoodien sont visés, la cible est bien générique, il ne peut donc s'agir de travestissement au 86
1997, Sergio Leone le jeu de l’Ouest, Gremese, p.124.
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sens strict du terme, mais d'une charge dont le but est de dévaloriser non pas l'objet imité mais celui auquel s'applique l'imitation : en effet, ces emprunts aux personnages de la comédie et des villains du western hollywoodien imités ne dévalorisent pas ces derniers, ils sont déjà des perdants, des petits, des mauvais. À cette charge s’ajoute une infantilisation du westerner qui n’est pas non plus sans rappeler la comédie italienne87. Ringo (Un pistolet pour Ringo) mêle ingéniosité et malice dans ses propos comme dans son comportement : il utilise des pétards pour délivrer des otages et joue à la marelle alors que quatre hommes sont prêts à l'abattre. Ces jeux liés à l'enfance font de Ringo un personnage espiègle. Ses réparties moqueuses et sa boisson préférée, le lait, achèvent de l'infantiliser complètement. Cette exagération de la jeunesse des westerners classiques est satirique dans la mesure où elle dévalorise le héros : son sang-froid devient de l'insouciance, sa vitalité et son goût du risque frôlent l'irresponsabilité, son implication dans l'action n'est pas morale mais ludique tout comme sa violence… Ces caractéristiques sont aussi présentes chez Personne et Trinita, personnages burlesques et insouciants à l'extrême, incarnés par un Terence Hill au physique juvénile et élastique dans Mon nom est Personne (Tonino Valerii, 1973) et la série des Trinita. Les westerners italiens détournent donc les qualités du héros hollywoodien avec un sens certain de la satire : son agilité est raillée, son courage est transformé en une inconscience infantile. Et, coup de grâce, les nobles motivations du personnage hollywoodien sont inversées. Chez les héros de westerns hollywoodiens, les motivations morales sont de rigueur et supplantent les intérêts pécuniaires : ce peut être la vengeance d’un proche (La Poursuite infernale, 1946, John Ford ; Le Gaucher, 1958, Arthur Penn ; L’Homme de la plaine, Anthony Mann, 1955) 87
Voir l’analyse du Pigeon.
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ou l'application de la justice (Rio Bravo, 1959, Howard Hawks),... Si la présence d'or ou de dollars est un élément récurrent du western américain, l’or est rarement désiré pour lui-même mais dans l’objectif de réaliser des projets. Même les personnages a priori intéressés, relèguent à l’accessoire leurs préoccupations économiques s’ils sont des personnages principaux. Tel est le cas révélateur des Sept mercenaires qui insistent pour être payés mais l’aspect dérisoire de leur salaire (20$ contre les 600 habituels !) montre bien que leurs motivations se situent ailleurs… Le Gary Cooper de Vera Cruz se vend comme mercenaire parce qu’il cherche les fonds qui lui permettront de commencer une nouvelle vie mais finalement il rallie les Juaristes par estime, la cause démocratique l’emportant sur le pécuniaire. Les motivations des westerners hollywoodiens sont donc essentiellement morales, même lorsque leur intérêt individuel entre en jeu dans la mesure où le personnage, par son action, participe à la construction du pays par l'application de la loi, de la démocratie ou par le développement de la croissance économique. D’une manière générale dans le western américain, les personnages intéressés par l’argent en soi sont souvent les vilains et plus particulièrement, les hommes de main, prêts à tout dès lors qu’ils sont payés. Ainsi dans Rio Bravo, les tueurs qui se font descendre après leurs méfaits ont toujours leur salaire en poche, preuve de leur vénalité. Le western italien procède à l’inverse : le westerner est indifférent, marginalisé, aucune conscience sociale ne l’habite donc et c’est en parfaits individualistes que se comportent ces personnages, motivés par leur ego et la quête d'argent. Kowalski dans Le Mercenaire (Sergio Corbucci, 1968) est un professionnel qui ne connaît pas les états d’âme des Sept mercenaires. Obsédé par l'argent, il négocie son contrat même lorsque sa vie est en risque et extorque ainsi de fortes sommes au groupe de révolutionnaires menés par Paco. Ces deux aventuriers forment un couple qui n’est pas sans rappeler celui de Vera Cruz par le contexte des guerres mexicaines associant 81
un personnage idéaliste et un autre vénal. Mais à entendre Paco définir la révolution « Tuer les patrons et prendre leur pognon », on peut se demander si son idéal, libérer son peuple, n'est pas simplement le prétexte à une forme déguisée de quête mercantile. Contrairement au Sudiste de Vera Cruz qui soutient les Juaristes sans en tirer d’avantages, Paco a tout à gagner de son engagement : sa liberté, un statut, de l’argent, la célébrité… Au regard du film d'Aldrich, celui de Corbucci semble bien plus cynique : la générosité de cœur et les valeurs de courage, l’idéal démocratique sont ici ramenés à des préoccupations individuelles et matérielles. De même, lorsque l’Étranger de Leone aide, ce n’est pas par altruisme, même s'il délivre Marisol et rend l’or. Mitchell88 interprète le comportement louable de l’Étranger dans Pour une poignée de dollars (Sergio Leone, 1964) comme relevant de l’aspect mécanique du personnage, toujours dans un détournement satirique du mercenaire altruiste et des conventions du westerner hollywoodien. Marisol est mêlée aux luttes de clans, dont on sait que l’Étranger cherche à profiter. Dans un premier temps, il la délivre des Rojos, non pas pour la libérer, mais pour la livrer aux Baxter. Le véritable enjeu n’est donc pas véritablement Marisol mais la mise à sac du village au profit de l’Étranger, comme le rappelle le titre du film. Marisol n’est qu’un pion lui permettant de déséquilibrer ses adversaires et il ne lui rend la liberté que lorsqu’il n’a plus besoin d’elle. Baldelli note que le héros italien est un antihéros du western américain car il n’est pas motivé par une morale, mais par sa seule vénalité89. Plus encore, le westerner italien tend vers le personnage de l’homme de main hollywoodien ou du villain. En effet, qu'il soit mercenaire (Kowalski dans Le Mercenaire), chasseur de primes (Le Bon, la brute et le truand, Pour quelques dollars de plus, Sergio Leone, 1966 et 88
1996, Westerns - Making the man in fiction and film, University of Chicago Press, Chicago & Londres, chap. 8. 89 1967, Western à l’italienne, Image et son, n°206, pp. 31 à 42
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1965) ou hors-la-loi (Le Dernier face à face90Le Mercenaire), il tue pour de l’argent : la bande de Fletcher assassine l’enfant qui compromet l’attaque de la banque (Le Dernier face à face), l’Étranger compte froidement les cadavres dont il va toucher la prime à la fin de Pour quelques dollars de plus, Paco et ses amis révolutionnaires attaquent des banques pour payer leur mercenaire. La quête d’argent de l’Étranger dans la trilogie Leonienne a tendance à l’humaniser, d’une part, parce qu’elle est la manifestation d’un besoin chez un personnage que tout indiffère et, d’autre part, parce qu’en le rapprochant des villains du western américain, cette soif le démystifie. Le western italien imite les personnages du genre hollywoodien, il fusionne les caractéristiques des héros et des villains en un seul afin de dégrader irrévocablement la figure du westerner, détournée et avilie. Profondément individualistes, les deux compères de Mais qu'est ce que je viens faire au milieu de cette révolution ? (Sergio Corbucci, 1972) recueillent un bébé abandonné afin de le troquer contre les faveurs des révolutionnaires. Ils ne sont même pas solidaires : en bon égoïste, Albino refuse de partager sa nourriture avec Guido affamé, dans la tradition des odieux personnages qui composent le répertoire de la comédie italienne et dont Vitorio Gassman est le digne représentant : « Il est significatif que Gassman était et est une icône dans l’inconscient collectif italien, il est devenu une des figures les plus reconnues du prétendu style comédie italienne ; traditionnellement, il a joué des personnages types désagréables et compromis, égoïstes et égocentriques tels que l’illustrent ses rôles dans La Grande guerre de Mario Monicelli et Le Fanfaron de Risi. »91 Le westerner, via son 90
Sergio Sollima, 1967 "Significantly, Gassman was and is an icon in the Italian collective unconscious, he has become on of the most recognizable ‘face’ of the socalled ‘comedy Italian style’; traditionally, he has played unpleasant and compromising, selfish and self-absorbed character types as exemplified by his roles in Mario Moniccelli’s The great war and Risi’s The easy life." 91
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interprète, est contaminé par l’égoïsme des personnages de la comédie italienne. Dans le western hollywoodien classique, la vengeance individuelle s'assortit généralement d'un intérêt collectif. Ainsi, Wyatt Earp (La Poursuite infernale) sur la tombe de son frère associe sa vengeance à l'idée de construire un monde où les jeunes pourront grandir à l’abri de la violence. Dans ce cas, intérêts collectif et individuel coïncident. La justification de la violence passe ici par une nécessité collective, tandis que dans le western italien, elle reste purement individuelle : par exemple, Django (Django, Corbucci Sergio, 1966) tue tous les membres d'une secte d'extrême droite uniquement par haine, il n'a aucune conscience du fait que son acte peut servir la collectivité. D'ailleurs, il n'y a pas de collectivité, Tombstone, qui est aussi le nom de la ville de La poursuite infernale, est une ville morte, sans avenir à construire car une fois la cité nettoyée par Django, il ne restera plus personne. La violence du personnage ne peut servir ici un intérêt collectif, elle est purement individuelle, intéressée et destructrice. Kaminsky analyse cette caractéristique du westerner italien comme une critique du capitalisme dont la logique purement matérialiste serait exacerbée de façon ironique. Cette transformation du héros en antihéros par l’absence de valeur, de conscience sociale au profit de l’individualisme et de l’enrichissement, peut rapprocher ces personnages du western italien des antihéros italiens tels qu’ils apparaissent dans les années cinquante dans Le Cheik blanc (Frederico Fellini, 1952, It) par exemple. Le western italien procède d'un double mouvement qui imite le western américain pour mieux s'en moquer tout en ayant recours aux procédés du cinéma italien, notamment dans ses parodies, la comédie et le néoréalisme. Le sens de la satire acerbe est hérité de la grande vague des « parodies » italiennes. Le goût des antihéros, des personnages infantiles, Gieri M. 1995, Contemporary italian filmaking strategies of subversion, University of Toronto press, Toronto, p.190.
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du réalisme et de l'humour parfois trivial provient quant à lui de la comédie italienne. La réflexion sur les formes du cinéma hollywoodien associée au refus d'une adhésion totale à ses conventions et à ses discours, trouve son origine dans le néoréalisme. Dans les années soixante en Italie, s'attaquer au western revenait à s'attaquer au cinéma hollywoodien envahissant et réactionnaire, pour reprendre le vocabulaire de l'époque. L'imitation satirique constitue alors le moyen efficace et particulièrement réussi de s'approprier la culture d'autrui dans un mouvement critique qui mette en avant des identités propres. Le succès du western italien tient probablement au fait qu'il a réussi à détourner un genre internationalement connu du public, évoquant « le cinéma hollywoodien par excellence » pour reprendre la célèbre formule d'André Bazin. En effet, au début des années soixante, la question de savoir si le public connaissait le western hollywoodien ne se posait même pas : inondant les écrans d'obscures séries B ou de succès commerciaux comme Les Sept mercenaires (1960), le western était connu de tous. L'identification du genre imité était optimale, la probabilité d'un spectateur totalement lacunaire étant quasiment nulle, ce qui n'exclut pas les différences de savoirs qu'il y ait pu avoir entre les habitués du genre et les occasionnels. Aujourd'hui, le phénomène s'est inversé : si tout le monde a l'impression de connaître le western, le référent n’est plus le western hollywoodien mais le western italien. Régulièrement diffusés à la télévision et fort populaires, les films de Leone, Corbucci ou la série des Trinita ont imposé auprès du grand public leur propre vision du western92. Les spectateurs actuels sont donc moins enclins que ceux des années soixante à 92
Selon une enquête de Jean-Michel Guy, Impitoyable a été vu par 8% des spectateurs (dont 3 au cinéma et 5 à la télévision ou en vidéo) tandis qu'Il était une fois dans l'Ouest a été vu par 79% des spectateurs (dont 21% au cinéma et 58 à la télévision ou en vidéo). Guy J-M. 2000, La culture cinématographique des Français, La Documentation Française, Paris, 349 p.
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apprécier le détournement que le western italien effectue du genre dans la mesure où leur connaissance du western est grandement déterminée par les films transalpins. Les westerns italiens et hollywoodiens fusionnent depuis dans une nouvelle perception du genre sans s'arrêter au grand public, les ouvrages traitant du western sont de plus en plus nombreux à intégrer le western italien93 reflétant ainsi la mutation du genre, y compris parmi la communauté des cinéphiles94. Le western y gagne en souplesse, en ouverture mais le western italien y perd un peu de sa verve. Pour ce public qui fusionne identité du western et western italien, il n'y a plus à proprement parler de second degré. Ces spectateurs ne peuvent plus mesurer la distance qui séparait ces deux westerns, neutralisant ainsi l'irrévérence, la critique, la satire du genre transalpin à l'égard de son modèle, ce qui n'était fort heureusement pas le cas lors de son apparition. En effet, le tollé critique qui accompagna les premiers succès du western italien reposait sur la dénonciation de cette imitation satirique, perçue comme étant à la fois irrespectueuse et frauduleuse à l'égard du western hollywoodien, et plus particulièrement du western classique. Comme en témoigne Jean-Marie Sabatier plus de dix ans après l'émergence du western italien : « […] on ne lui a pas pardonné d'avoir adopté, de par son existence même, une position iconoclaste de lèse-majesté. Il est un genre inscrit en faux contre un genre préexistant, légitimé et culturellement reconnu. Le "spaghetti western" est le premier et le seul genre 93
C'est le cas d'ouvrages comme celui de Mitchell L.C, op. cit. ou de Leutrat J-L (1995, Le western - Quand la légende devient réalité, Gallimard, Paris, 160p.). Consacrés au western, ils intègrent le western italien au genre tout en se gardant bien de les confondre. 94 Même les étudiants en cinéma, que l'on peut considérer cinéphiles, subissent fortement cette prédominance du western italien dans leur conception du western et citent spontanément les films de Leone lorsque l'on demande un titre de western. Bretèque de la F. 1998, Les jeunes face au western - Cinq générations d’étudiants en cinéma, Cinémaction n°86, pp. 220 à 227.
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parricide de l'histoire du cinéma. »95 Les effets destructeurs de la satire ne sont donc pas passés inaperçus aux yeux des critiques : Leone est « loin de respecter la tradition »96, « [s]on premier film, Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars) est très habile : il sait exploiter toutes les règles du genre, en les chargeant, en les portant à un niveau presque caricatural ; mais il ne dépasse pas le pastiche. »97 L'imitation satirique du western hollywoodien a donc bien été identifiée, rattachant le genre italien à la tradition du pastiche et à ce que l'on nomme couramment la « parodie italienne ». Il apparaît de façon évidente que l'identification de l'emprunt dépend étroitement de l'érudition du spectateur, en l'occurrence sa connaissance du genre, dans le cas présent grandement déterminée par un contexte où les diffusions télévisées jouent un rôle majeur dans l'acquisition d'un savoir cinéphile98. Le western italien est bien la preuve qu’un genre au second degré est possible et que le pastiche a la force de modifier en profondeur l’identité d’un genre aussi établi que le western.
L'imitation ludique : le pastiche pur Pastiche au sens propre du terme, l'imitation ludique est extrêmement fréquente, que son objectif soit de faire rire ou de rendre hommage, voire les deux en même temps. D'une part, il se caractérise par une grande liberté et créativité à l'égard des modèles et d'autre part, en opposition à la satire, il apparaît comme nettement moins destructeur.
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Sabatier J-M. 1976, Profil exemplaire d’un genre bis : le “spaghetti western”, Image et Son n°305, p.46. 96 Gili J-A 1969, Un univers fabriqué de toutes pièces, Cinéma 69 n°140, p.81. 97 Fofi G. 1966, Lettre d’Italie : les westerns et le reste, Positif n°76, p.29. 98 Guy J-M 2000, op. cit.
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Un principe comique efficace : les gangsters ludiques du Pigeon de Mario Monicelli Impossible de consacrer un ouvrage au cinéma au second degré sans se pencher sur ce phénomène d'emprunts cinématographiques d'ampleur qu’est la parodie italienne. Sans être typique de la « parodie italienne », notamment en termes de moyens, Le Pigeon (Mario Monicelli, 1958) bénéficie à la fois de la présence de Totò et du génie de Mario Monicelli, maître de la comédie italienne, pour s'attaquer au film policier et plus particulièrement aux films de gangsters et aux films sur « un coup »99. Le pigeon s'inscrit par son générique même dans cette veine parodique. Gassman et Mastroianni sont habitués aux rôles d'antihéros. Gassman, associé jusqu'alors aux personnages de villains (Riz amer, Giuseppe De Santis, 1949), joue pour la première fois un rôle comique. Pour l'occasion, il transforme quelque peu son physique, notamment les lèvres et le nez à la façon d'un boxeur, afin d'en faire un « sympathique benêt »100. La distribution situe donc déjà le film dans l’univers de la comédie et de la défaite, et n’incite pas le spectateur à prendre très au sérieux les personnages. Dès l'ouverture, le film annonce sa mixité : un casting proche de la comédie italienne et un cadre typique du cinéma policier, un décor urbain nocturne sur fond de jazz. L'imitation des films sur un coup domine l'organisation du récit puisque l'on y retrouve les étapes types que sont la formation de l'équipe, la préparation du coup, la réalisation du coup et une conclusion, souvent négative. Des films comme Quand la ville dort ou Bob le flambeur reposent sur ces différentes étapes. L'imitation de cette catégorie de films policiers est donc déterminante dans l’organisation du récit, 99
Films qui portent sur la réalisation d'un coup par des truands : braquage, cambriolage, arnaque, etc. 100 "un tonto simpatico" Della Casa S. 1986, M. Monicelli, Il Castoro Cinema n°124, p.34.
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tandis que la comédie se greffe au niveau des personnages et de leur univers. La présence de la comédie italienne est particulièrement sensible puisqu’elle participe à l’italianisation des personnages et des thématiques des films de gangsters et du film noir hollywoodiens. Comme le remarque Legrand,101 les personnages du sicilien, du jeune premier, les thèmes de la débrouillardise et de l’incompétence, le milieu des marginaux sont autant d’éléments typiques de la comédie italienne des années cinquante. Effectivement, les personnages du Pigeon n'ont rien de gangsters traditionnels et leur équipe bancale, éclopée et inexpérimentée laisse augurer leur échec. Le photographe joué par Mastroianni est obnubilé par le bébé dont il a la charge, encombré par son bras plâtré. L’organisateur est un amateur doublé d’un pitoyable boxeur, leur complice Mario les abandonne le jour J, les deux derniers compères de la bande ont des fixations qui compromettent le bon déroulement de l’opération : pour l’un, c'est la nourriture, pour l’autre, la virginité de sa sœur. Le plus expérimenté d'entre eux, Dante (Totò), enseigne aux apprentis casseurs comment forcer le coffre dans un curieux accoutrement composé d'un pyjama, d'une robe de chambre à rayures, d'une écharpe en laine et d'un chapeau mou. La robe de chambre et le chapeau mou évoquent vaguement la silhouette du personnage américain en imperméable et chapeau mou, et plus certainement celle d'un véritable épouvantail. Dante est certes un professionnel, mais il est incontestablement ridicule. Leurs vêtements les renvoient tous à l’univers de la rue : le blouson noir ou le col roulé sur une veste bon marché. Campannelle porte ce que ses camarades nomment le parfait uniforme du cambrioleur : un bonnet, une veste déchirée et un pantalon bouffant. Nous sommes loin de l'élégance tapageuse 101
Legrand G. La comédie des monstres, 1998, Un’altra Italia (dir. par S. Toffetti), Cinémathèque Française, Mazzotta, Paris, Milan, p. 84.
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des gangsters traditionnels. De même, leurs menus larcins se déroulent principalement dans un univers populaire : le vol d’une caméra aux puces ou d’un landau, la petite escroquerie du pigeon… Habits et compétences les caractérisent comme des malfrats de petite envergure. Toute comparaison avec les gangsters traditionnels les dessert. Or le film suscite ce parallèle en faisant référence à des films particuliers et en jouant avec les attributs du gangster que sont les voitures et les armes à feu. L’apprenti truand sicilien (Ferribotte), obnubilé par la virginité de sa sœur, est prêt à tuer son comparse qui a eu le tort d’aller parler à la jeune femme, alors qu’il n’aurait même pas dû voir son visage. À cet effet, il l'enferme chez elle toute la journée. Les autres membres de la bande l’empêchent de poignarder le jeune homme qui manifeste le désir de se ranger afin d’épouser la jeune femme. Ferribotte rejoint en cela le personnage de Scarface qui tue son complice quand il le retrouve aux côtés de sa sœur. À la jalousie maladive du personnage de Hawks est substitué un sens outrancier de l’honneur et des responsabilités familiales que les autres comparses caractérisent comme étant typiquement siciliens. Les films de gangsters accentuaient déjà les dérèglements psychologiques caractéristiques des gangsters : la jalousie, l'orgueil démesuré, le sentiment d’invulnérabilité (Little Caesar, Ennemi public…). À cette accentuation, Monicelli substitue une caricature du grand frère sicilien aux traditions paternalistes rigides et meurtrières. Le personnage de Scarface est donc véritablement transformé, seuls ses rapports excessifs à sa sœur sont conservés tout en étant transposés dans des motivations d’une italianité prononcée. Ce choix est judicieux dans la mesure où il permet d'exacerber des caractéristiques italiennes fréquemment employées par le cinéma, tout en suscitant la relation avec un célèbre personnage hollywoodien. Ferribotte, comparé à Scarface, n'est pas un vrai truand : ce n'est ni un criminel, ni un voleur de grande envergure, ni même un leader de gang. Ferribotte fait tout à moitié : il 90
menace sans être crédible, participe à un cambriolage sans voler et fréquente une bande de petits délinquants. L'écart est nettement dépréciatif concernant la fonction de malfrat de Ferribotte. En revanche, la dédramatisation du personnage contribue à le rendre plus sympathique. En ne s'opposant finalement pas à l'union de sa sœur, Ferribotte gagne une qualité dont Scarface est vidé : Ferribotte, malgré ses excès, reste un personnage foncièrement humain, trop attaché à sa sœur pour compromettre ses chances de bonheur. Il constitue ainsi un cas typique de transvalorisation102 cinématographique complexe : la dévalorisation du personnage révèle symétriquement ses qualités intrinsèques. Attribut du gangster hollywoodien, ostentatoire objet de travail, la voiture est, dans Le pigeon, détournée de ses fonctions habituelles. Premièrement, incapables de voler des voitures, nos apprentis truands doivent se contenter de voler des landaus, ce qui est évidemment nettement moins prestigieux et peu rémunérateur. Deuxièmement, la scène de poursuite en voiture achève définitivement la symbolique de l'automobile. Les personnages étant bien trop pauvres pour posséder une voiture, la poursuite a donc lieu dans des autotamponneuses. Cosimo aborde un véhicule de foire, saute dedans et dit au jeune conducteur « Suis cette voiture… Plus vite ! » en désignant Peppe au volant d’un des engins de foire. L’imitation de cette scène récurrente du film policier qu’est la poursuite en automobile, transposée de la ville nocturne déserte à la foire avec ses badauds, inscrit définitivement les truands sous la bannière des grands enfants. Della Casa103 remarque que cette infantilisation correspond à la bande, à la représentation de l'amitié virile revisitée par Monicelli. Cette thématique, très fréquente dans le cinéma hollywoodien, était quasiment inexistante dans le cinéma italien. Monicelli décrit 102
La transvalorisation complexe est un terme employé par Genette à propos de pratiques littéraires qui fonctionnent d'une façon fort comparable (désacraliser un héros pour le rendre plus humain), 1982, op. cit, chap. LXXIV. 103 Op.cit. p.35.
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cet univers masculin comme une régression des personnages dans le monde des jeux de l'enfance, ou plutôt de l'adolescence (la petite délinquance, les flirts, les sorties en bande, les auto-tamponneuses…). Hormis le ridicule de la situation (Cosimo, d’un âge mûr, recroquevillé dans la petite voiture), l’idée même de suivre une auto-tamponneuse est absurde : où irait-elle puisque tous ses parcours sont circonscrits à l’intérieur même de la plate-forme rectangulaire ? Il s’agit donc d’un pastiche satirique des courses-poursuites du cinéma policier, du thriller et autres films d'action. La thématique de l'infantilisation des personnages et de leur univers permet de déconstruire complètement la figure du gangster classique en s'attaquant à ses compétences comme à ses attributs. Lors de la scène du hold-up, Monicelli porte un coup fatal à l'imagerie du gangster en s'attaquant à son arme à feu. Mis à l'écart de la bande, Cosimo cherche à se venger en essayant de vider le coffre que convoitent ses anciens complices. La ruelle obscure aux pavés luisants de pluie et aux néons rappelle les décors des films noirs, Cosimo se faufile à l'intérieur du Mont-Piété juste avant sa fermeture. Cosimo a jeté un journal sur son arme à feu qu'il pointe en direction du caissier. Ce dernier nullement impressionné évalue rapidement la valeur de l'arme et propose un prix dérisoire. Cosimo est un mauvais braqueur, incapable de s'imposer ou de faire peur. Qui plus est son arme à feu est un modèle dépassé, en très mauvais état. En plus de l'incapacité chronique de Cosimo à réaliser toute entreprise illicite, le flegme du guichetier nous informe du peu de valeur du contenu du coffre : il ne lui est même pas venu à l'idée que l'on puisse chercher à le braquer. Ultime dégradation des attributs du gangster, l'arme à feu sert ici le pastiche des films policiers. Les préparatifs du vol sont décrits dans le détail et suscitent les premières difficultés : dans un film sur un coup classique, une fois les écueils de la constitution de l’équipe et du financement du coup réglés, tous les problèmes sont aplanis. 92
Mais ceux rencontrés par les apprentis casseurs italiens sont nombreux. Il leur faut effectivement de l’argent. Alors que les gangsters traditionnels vont généralement chercher des fonds auprès d'un homme du milieu particulièrement riche et influent, les malfrats du Pigeon règlent ce problème d’une façon nettement moins professionnelle : Mario, l'orphelin, va demander de l'argent à ses « trois mamans », les employées de l'hospice qui l'ont élevé. Plongé dans l'univers de son enfance, Mario retrouve ses habitudes : il fait le mur, s'assied sur son ancien lit. La thématique de l'infantilisation se confirme, l'emprunt aux « parents » est le premier recours de nos apprentis malfrats. La quête de fonds inscrit les protagonistes dans un univers profondément populaire et infantile, totalement extérieur à celui du gangstérisme, révélant une fois de plus l'amateurisme des personnages. Dénués d’expérience, toutes les étapes de la préparation du coup leur posent problème. Il leur faut apprendre à percer le coffre et à trouver comment s’introduire dans l’appartement. Ce dernier écueil compromet même la réalisation du coup : séduire une bonne pour lui subtiliser les clefs de l’appartement de ses employeurs. Peppe s’éprend de la jeune femme et refuse de la compromettre. L'incapacité professionnelle de Peppe le dévalorise tout en révélant ses qualités de cœur. Toute la partie du film concernant leur relation de séduction, de jalousie et les mensonges respectifs des deux amoureux relève clairement de la comédie. Lorsque les truands préparent le vol, la voix off de Peppe le décrit tel que les choses devraient se passer et la caméra accompagne de panoramiques les déplacements fictifs de son récit. Comme dans les films de gangsters et certains films noirs, le spectateur dispose d’un savoir équivalent à celui des personnages : il peut ainsi observer la réalisation du coup dans ses moindres détails, suivre avec une tension croissante le moment où l’engrenage déraille, en anticiper les conséquences. Cette connaissance du déroulement du coup par le spectateur sert donc habituellement la tension du film. 93
Dans Le pigeon, le plan connaît plusieurs changements de parcours : passer directement à l’appartement grâce à la clef de la bonne ou non, circuler par les toits. La version initiale est finalement conservée : ils entreront par la cave à charbon, puis par la verrière, atteindront la fenêtre… Mais rien ne se passe comme prévu et ce dès l’entrée dans l’immeuble : le tas de charbon sur lequel ils devaient glisser est en fait une fosse remplie de liquide dans lequel tombe Campannelle, ce qui n’est pas sans effet comique. Cette séquence du coup, traditionnellement sérieuse dans le film hollywoodien, perd tout suspense dans le film italien où elle devient source de gags multiples. La tension suscitée par la réalisation du coup est en permanence désamorcée puis réamorcée. Les personnages passent par les toits, traversent une verrière, quand tout à coup la lumière s’allume. Leurs silhouettes se découpent alors nettement sur la verrière illuminée. La peur d’être vus ainsi que l’impossibilité de se déplacer les mettent dans une position particulièrement vulnérable de laquelle découle une certaine tension : vont-ils être surpris ? Mais voilà que sous la verrière, un couple commence à se disputer, les apprentis voleurs sont agacés puis intéressés par la discussion animée qui s’éternise. La tension créée par le risque soudain est donc diluée, la curiosité l’emportant sur la peur et le rire sur la tension. Le savoir des spectateurs est utilisé à des fins comiques : l’écart entre le plan tel qu'il était prévu et tel qu'il se déroule ne sert pas la tension dramatique mais met les personnages dans des situations grotesques (la chute de Campannelle dans la fosse, la scène de la verrière) et souligne par ce biais-là l'incompétence et l’infortune des personnages. Le dramatique est transformé en comique, seule la méthode narrative reste. Il s’agit donc bien d’un pastiche des films policiers. De même, lorsqu’enfin parvenus dans l’appartement, les casseurs entreprennent la destruction du mur, ils brisent une canalisation d’eau, déclenchant ainsi une inondation. C’est alors qu’arrive le concierge de l’immeuble qui vient téléphoner. L’arrivée impromptue du concierge, la peur à 94
nouveau d’être découverts, qu’il se rende compte des dégâts, créent une nouvelle mise en tension. Une fois de plus, le dialogue (cette fois-ci au téléphone) estompe la tension en suscitant des effets comiques. Le concierge interprète les dégâts comme étant l’œuvre des chats, la disproportion entre l'importante fuite d’eau et les animaux créant un décalage amusant. Le concierge s’en va, laissant les apprentis voleurs à nouveau seuls dans l’appartement. Toute peur ayant disparu, ils s’y sentent très à l’aise, suffisamment pour s’attabler en discutant. Finalement, au lieu de vider le coffre, ils dévalisent le frigidaire et encore avec peine puisque Campannelle a besoin d’aide pour l’ouvrir. Le passage du coffre au frigo, des objets précieux aux aliments est extrêmement dévalorisant pour les protagonistes. Il exprime leur incompétence totale en même temps que leur grande pauvreté : voler de la nourriture est le triste lot des indigents. L’explosion de gaz provoquée par leur imprudence les chasse de l’appartement. Dans Quand la ville dort, une explosion compromet aussi les voleurs, mais elle n’a pas lieu par inadvertance : le casseur emploie de la nitroglycérine pour forcer le coffre, la déflagration déclenche l’alarme et le gardien se rend alors dans la salle du coffre. Auparavant, les truands ont accédé à la bijouterie en cassant un mur. Autant de points communs qui scellent donc la relation entre les deux films. La transformation du gardien de la bijouterie en gardien d’immeuble est quant à elle révélatrice de l’aspect satirique de la parodie, essentiellement dépréciatrice, la transformation d'un film particulier servant à appuyer la référence au genre policier. L'objet même de leur convoitise creuse un écart significatif entre les deux films. D’un côté les malfrats de Huston, ou de n'importe quel film sur un coup, dérobent des choses de valeur (pierres, bijoux, billets de banque, lingots) dans des lieux prestigieux ; de l’autre, les apprentis casseurs de Monicelli se contenteraient volontiers des vieilleries du mont-de-piété : au luxe ostentatoire et à l'inaccessibilité des premiers correspond l'aspect populaire et modeste du second. 95
Chassés par l'explosion, les protagonistes retrouvent leur quotidien (le bébé à garder, la sœur à surveiller). Seuls Peppe et Campannelle ont moins de chance, enrôlés malgré eux dans un bureau de recrutement dont Campannelle est finalement expulsé. À la punition de la prison se substitue ainsi le travail salarié. Le parallèle n’est pas sans ironie si l’on se rappelle qu’au début du film, le boxeur accepte d’aller en prison contre une somme d’argent. Dans leur échelle de valeurs, la prison est moins dégradante que le travail : « J’ai grandi en prison, c’est la meilleure des crèches de Rome » avoue Campannelle. La prison semble faire partie du quotidien de ces apprentis voleurs. Elle est source de gags, notamment à travers les dialogues au parloir où Cosimo cite le code, exprimant ainsi ce que la situation a pour lui d'habituelle. L'univers carcéral perd ainsi toute dimension tragique ou sinistre. Il est intéressant de constater que le perçage du mur a été décrit comme étant une parodie du Rififi chez les hommes104. En effet, les plans, dans lesquels Peppe tourne le levier du cric en transpirant à grosses gouttes et en grimaçant, insistent sur l’effort, le travail physique investi dans la destruction du mur. Notions mises en avant dans le film de Dassin, notamment par la longueur de la séquence. Si des éléments du Pigeon comme les personnages, l’explosion, l’arrivée du concierge, la quête de financements, ne laissent aucun doute quant à la parodie de Quand la ville dort105, il n’est pas exclu que ces plans de forage du mur du film de Monicelli soient un travestissement de la longue séquence du film de Dassin. Le régime est satirique dans la mesure où l’expression même de l’effort fourni souligne l’incompétence des personnages : les plans rapprochés sur les visages grimaçants rendent les personnages extrêmement expressifs alors que les voleurs français sont concentrés, donc 104
Par exemple Legrand G. op. cit. Quand la ville dort, Du rififi chez les hommes sont les films qui viennent à l'esprit des critiques italiens à propos du Pigeon, par exemple, Laura G.E. Quattordici film indicativi, 1958, Bianco e Nero n°10-11, p.40. 105
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moins bavards, habitués à prendre sur eux. De plus, à la quantité de travail fourni ne correspond évidemment pas le résultat espéré. La destruction du mur n’est qu’une étape chez Huston comme chez Dassin, tandis que dans le film de Monicelli, elle devient un obstacle infranchissable. L’accélération du montage et de la musique montre du reste que le perçage du mur est le moment paroxystique du casse : les apprentis malfrats ne le dépasseront pas. Mais Du rififi chez les hommes est lui-même une transformation du film de Huston, le clin d’œil du Pigeon au film français est peut-être aussi une façon de s’inscrire dans la lignée des films européens qui détournent librement le cinéma hollywoodien. Le vol du Pigeon mêle parodie (Quand la ville dort, Du rififi chez les hommes) et pastiche (film noir, film de gangster). Dans tous les cas, le régime peut sembler profondément satirique : dévaloriser les voleurs à tout prix, les déchoir de leur statut mythique de héros tragiques pour les ramener à la dimension plus humaine et faillible des personnages de la comédie italienne. Ce faisant, la comédie valorise ces personnages qui deviennent tendres, humains, fragiles et drôles. Cette transvalorisation tempère l'aspect satirique de la dégradation, les gangsters déchus gagnent en humanité et finalement, le résultat est certainement plus ludique que satirique. Les apprentis truands de Monicelli ne sont pas des monstres mais de grands enfants qui jouent aux caïds avec une maladresse qui les rend de fait inoffensifs et donc éminemment sympathiques. L’univers des apprentis casseurs du Pigeon est pauvre : un grand ensemble d’immeubles austères et lépreux. En marge de la ville, sur un terrain vague, une femme vit seule dans une roulotte, Campannelle habite dans une masure accolée à la voie ferrée. Ceux qui ont un travail ne peuvent le pratiquer et donc en vivre : le boxeur est trop mauvais dans sa discipline et le photographe n’a plus d’appareil photo. Quant à Mario, chercher un emploi avec son diplôme d’ébéniste délivré par l’orphelinat le répugne. C’est le besoin vital d’argent qui les 97
motive donc à entrer dans l’illégalité et à vivre de menus larcins. Ce milieu misérable pourrait être filmé de façon tragique mais, comme le remarque Della Casa, « […] le gag s'intègre au drame quotidien, […] »106. Ces situations dramatiques sont en fait le prétexte à des digressions humoristiques à l’instar de la phrase du photographe « Mon fils en prison ? Jamais ! Il ira quand il sera grand. » Au contraire, dans les films policiers, lorsque ces problèmes sociaux sont représentés, ils le sont de façon tragique. Le pigeon utilise l’architecture italienne, les immeubles ornés de grandes arcades sont réservés au centre-ville de Rome, notamment le quartier où le coup a lieu. Ces façades romaines sont décrépies, délavées, révélant le ruissellement des pluies passées dans un souci du détail, réaliste jusque dans l’arrièreplan, rappelant ainsi le néoréalisme. Ces lieux manifestent simultanément dégradation et italianité. La périphérie dans laquelle vivent les personnages oppose à ces arcades méridionales de grands immeubles, avec pour tout ornement, d’innombrables fils électriques courant d’un palier à un autre. Le générique du film a pour arrière-plan une rue déserte encadrée de grands buildings rectangles dans lesquels les fenêtres allumées découpent de petits carrés. De nuit, ces blocs opaques dressent l’image d’une banlieue moderne et froide. Cette vision contrastée et divisée de la ville rappelle surtout les films de gangsters où les truands évoluent dans l'underworld, face pauvre et obscure de la grande cité. De cette banlieue romaine, la ville dessine un horizon crénelé de constructions à perte de vue. Sur le toit de son immeuble, Dante explique aux compères la typologie des coffres-forts. Derrière lui, la balustrade en béton menace de s’écrouler tant elle est érodée. Les apprentis casseurs l’écoutent, adossés à un pilier en béton délavé que surmonte une poutre en béton. Cette poutre traverse l’image de gauche à droite, séparant les buildings à l’horizon du reste du ciel. Le cadre, ainsi 106
Della Casa, op.cit, p.35.
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redessiné, inscrit les personnages dans un rectangle de béton et des immeubles à perte de vue. Il emprisonne les protagonistes dans une ville-étau : celle dont ils ne pourront s’échapper, tentaculaire, infinie. La cité des films de gangsters hollywoodiens était aussi représentée comme un étau dans la mesure où les personnages n'en échappaient pas indemnes. Tandis qu’ici, ils sont emmurés vivants dans un cadre sans ciel, sans avenir, sans échappatoire. Seul Cosimo, victime d'une malchance fatale, meurt écrasé par un bus lors d'un vol à la tire, répétant ainsi le destin tragique des gangsters hollywoodiens condamnés à mourir dans la ville (Little Caesar, Scarface…). Le pigeon imite le film policier d'une manière générale tout en s'attachant plus précisément au film sur un coup et aux films de gangsters. Ludique dans son traitement du récit, de l'univers, et de l'imagerie policière qu'il détourne avec une inventivité et un sens inégalé de la comédie, Monicelli fait aussi référence à des films particuliers comme Scarface ou Quand la ville dort qui lui permettent d'appuyer un peu plus le pastiche en renvoyant à des films très connus et représentatifs du genre. L'infantilisation des personnages et leur incapacité viscérale peuvent sembler être une totale régression par rapport au professionnalisme des gangsters traditionnels si l'on ne prend pas en compte ce que cette dévalorisation apporte en terme d'humanisation. Parfois ridicules, les personnages n'en sont pas moins attachants par leurs tentatives maladroites et pacifiques de sortir de la misère écrasante dans laquelle ils vivent. Le souci de réalisme confirme la nature d'éternels perdants des personnages mais leur donne aussi une épaisseur sociale : ces marginaux sont tellement confinés dans leur pauvreté que leurs ambitions sont à la mesure de leur misère. Triste constat, et finalement si nos personnages volent le contenu d'un frigo à défaut d'un coffre-fort, c'est sans doute parce leur indigence les pousse vers une délinquance pour laquelle ils ne sont pas doués. Contrairement aux gangsters traditionnels, généralement condamnés à une fin sordide et 99
violente, nos apprentis truands sont eux condamnés à une pauvreté sans rémission. Aussi n'en sont-ils que plus touchants lorsqu'ils s'amusent avec l'insouciance des enfants. Ludiques jusque dans leurs comportements, les apprentis truands jouent aux auto-tamponneuses et à faire des bêtises en bande. Dans ce contexte, leur tentative de vol peut aussi être perçue comme un jeu107 qui leur donnerait temporairement l'illusion de lutter contre leur pauvreté. Partant, la comédie italienne tempère la dégradation des personnages et évite à cette imitation ludique du film policier de sombrer dans une satire sans appel. L'influence du néoréalisme est sensible à travers la nécessité d'une description sociale sans fard. Le pastiche d'un genre essentiellement américain et français n'empêche en rien Le pigeon de tendre vers une tradition cinématographique italienne qui a imposé la nécessité d'une implication sociale du cinéma et la description cinématographique minutieuse de l'état du pays. Ce mélange de réalisme social attaché à la réalité urbaine italienne et d'imitation de cinématographies étrangères n'a pas échappé aux critiques italiens. Ils ont d'ailleurs reconnu la référence aux films sur un coup, notamment son impact sur la construction du récit : « Le scénario s'articule de façon assez souple autour des vicissitudes d'une bande pour organiser un coup "scientifique", ce que le cinéma a rendu célèbre avec des films du type de Quand la ville dort et Du rififi chez les hommes. »108 Par l'intermédiaire de ces deux films marquants des années cinquante, le critique identifie un groupe particulier de films policiers, les films sur un coup, sans pour autant rendre compte du régime de cet emprunt. La relation au 107
En effet, fait en bande, avec un minimum de risque et le désir de se mettre dans la peau de vrais gangsters qui font un "coup scientifique" comme le dit Peppe (Vittorio Gassman), le vol peut être aussi perçu comme un jeu collectif : les personnages jouent aux truands. 108 "La sceneggiatura si articola asssai sciolta attorno alle vicende della banda per organizzare un colpo "scientifico", di quelli che il cinema ha reso famosi con film del tipo di The asphalt jungle e di Du rififi chez les hommes." Laura G.E. op.cit. p.40.
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second degré avec le personnage du gangster n'a pas échappé non plus à l'œil des critiques : « Dans ce film l'intention parodique est claire à l'égard d'œuvres comme Rififi et aux gangsters à présent habituels et idéalisés ; mais il s'agit d'une parodie discrète, ébauchée qui sert à présenter et à mettre en action, sur fond de bourgade et baraques romaines […] »109 « Discrète », le qualificatif souligne la nature de l'imitation qui a été perçue, semble-t-il, comme étant modérée, autre traduction possible de discreta. Le critique observe bien que ce sont seulement certains éléments du film de gangster ou du film sur un coup qui sont plongés dans un univers typiquement italien. Sélectif, Monicelli ne cherche pas à faire un film de gangster italien mais bien une comédie qui utilise la comparaison qu'elle suscite avec le film policier pour rendre encore plus pitoyables et attachants les inoffensifs et romantiques loosers dont elle retrace les péripéties. Un jeu créatif entre parodie et pastiche : Mars Attacks ! un pastiche au sens étymologique du terme Mars Attacks ! de Tim Burton est un film de genre, une science-fiction dans l'ensemble relativement fidèle à l'idée que l'on peut s'en faire. S'y retrouvent la thématique de l'invasion extraterrestre, le délire paranoïaque des grandes puissances mondiales, la surenchère technologique, ainsi que le retour à l'ordre et la morale particulièrement voyante qui concluent le film puisque de sympathiques marginaux sauvent la planète tandis que les personnages cyniques et égoïstes ne survivent pas aux envahisseurs. Tim Burton exploite l'univers fantastique, invraisemblable de la science-fiction pour créer 109
"Nel film è chiaro l'intento parodistico rispetto ad opere come Rififi e alle ormai consuete idealizzazioni del gangsterismo; ma si trata di una parodia discreta, accennata solo quel tanto che serve a presentare e mettere in azione, sullo sfondo delle borgate e delle baracche romane […]" Spinazzola V. 1958, Il soliti ignoti, Cinema Nuovo n°136, p.252.
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des gags et un monde totalement loufoque, une sorte de grand bazar où se côtoient les choses les plus improbables. Pour ce faire, Tim Burton cumule les emprunts. Ses sources sont fort diverses, allant des publications bon marché aux cartes illustrées pour adolescents en passant, bien évidemment, par le cinéma. Le péplum fait notamment une irruption inattendue avec le personnage du centurion. Ce père de famille travaille dans un casino à thèmes, ici l'Égypte antique. Tout le personnel y est déguisé avec des costumes particulièrement clinquants qui ne sont pas sans rappeler la rutilance des péplums des années cinquante et soixante. L'anéantissement du casino va entraîner la dispersion de ces éléments antiques dans tout l'univers du film avec le décor en ruine du casino mais surtout grâce aux personnages costumés en déroute qui sèment l'imagerie du péplum au sein d'une Amérique moderne. De plus les ruines des villes saccagées offrent à la fin du film, lors de la remise des décorations, un arrière-plan composé de vestiges de colonnades qui inscrit une fois de plus la présence du péplum au sein de la sciencefiction. Le centurion, avec son armure et ses sandales de légionnaire, ne se contente pas de participer à cette contamination de l'imagerie d'un genre par un autre. Il intervient aussi dans l'action en digne héritier du péplum des origines, le péplum italien des années dix, celui des premiers « Maciste ». En effet, comme le célèbre personnage italien, le centurion de Tim Burton est un personnage de couleur : le premier Maciste de la série, celui du Cabiria de Pastrone, est un esclave noir à la force colossale, entièrement dévoué au service de ses maîtres et prêt à sacrifier sa propre vie pour assurer leur bonheur. Le centurion de Tim Burton possède lui aussi une force colossale et un courage hors du commun qu'il met au service d'autrui : seul, il fait face à une armée de Martiens pour que des humains puissent avoir la vie sauve. Sa force lui permet de vaincre l'armée martienne lors d’un étonnant match de boxe. L'univers du péplum substitue les armements technologiques de la science-fiction à un affrontement 102
physique aussi inattendu que drôle dont la logique perturbe pour la première fois de façon profonde celle de la sciencefiction et la suprématie des Martiens. En effet, dans l'univers de science-fiction de Mars Attacks ! rien ne laisse entrevoir un retournement de situation en faveur des humains, totalement démunis technologiquement, stratégiquement et psychologiquement face à la violence jubilatoire des envahisseurs. Ce match de boxe, réelle atteinte au genre, est la première grande victoire face aux extraterrestres puisqu’un homme seul et désarmé parvient à bout de toute une armée suréquipée : la survie de l'espèce humaine est donc possible. Il n'est pas anodin de constater que c'est justement l'abandon d’un des principes du genre de la science-fiction, la surenchère technologique comme moyen de lutte, qui perd ces extraterrestres. En leur proposant un match de boxe, le centurion fait appel à la démoniaque ludicité des Martiens, mais surtout il les fait pénétrer dans son univers, celui du péplum et des corps à corps, ce qui va momentanément priver les extraterrestres de leurs foudroyants désintégrateurs. La collusion des deux genres va donc permettre la victoire de ce Maciste contemporain. La suprême victoire, celle qui éradique les Martiens, repose elle aussi sur l'hybridation de la sciencefiction par deux autres genres : la comédie musicale et le film de guerre. Dans les comédies musicales hollywoodiennes, les problèmes trouvent leur solution par la musique, dans la pratique de la danse ou du chant permettant aux personnages d'exprimer leurs sentiments, d’apprendre à travailler ensemble et donc à vivre ensemble, de construire quelque chose de positif qui va illuminer leur quotidien. Évidemment, ce moyen est à la hauteur des problèmes rencontrés par les personnages des comédies musicales, c'est-à-dire le plus souvent des questions affectives ou liées à l'univers du spectacle. Dans les comédies musicales, les numéros musicaux ont donc rarement à répondre à la violence, à la mort. Tim Burton va par conséquent créer un fort effet de surprise par la disproportion entre le problème à résoudre, sauver la planète de la violence 103
martienne, et la solution musicale. Contrairement aux comédies musicales et contre toute attente, la musique a une action violente puisqu'elle fait exploser, pour des raisons inexplicables, le cerveau des envahisseurs. Cette musique folk, contrairement à l’usage qui est habituellement fait de la musique dans les comédies musicales et le cinéma classique, a une action sans aucun rapport avec ce qu’elle exprime, dénuée qu’elle est de toute agressivité comme de tout sentiment épique. Le réalisateur joue avec cette solution musicale pour accentuer l'effet d'invraisemblable fantastique et se moquer ainsi des fausses explications qui accompagnent l'arsenal technologique habituel aux films de science-fiction. Il s’agit par ailleurs de ridiculiser les solutions violentes qui dans le film, échouent toutes de façon lamentable qu'il s'agisse du déploiement des troupes américaines ou de la bombe atomique. La solution musicale est à cet effet associée à l'imagerie du film de guerre, la musique est répandue par des avions de l'armée filmés rasant le sol comme s'ils déversaient du napalm. La fin du film rend la référence à la comédie musicale particulièrement évidente. Les comédies musicales se terminent par un final, à la fois spectaculaire et musical. Tim Burton construit son final en deux temps. Tout d’abord, la chute des Martiens se fait dans une apocalypse joyeuse et spectaculaire, cumulant la présence d'effets spéciaux et de musique. Puis, le film s'achève sur un numéro chanté : la chanson particulièrement mièvre de Tom Jones semble dompter les animaux qui accourent l'écouter rappelant ainsi les comédies musicales pour enfants à la Mary Poppins ou encore certains films de Walt Disney. D'une manière générale, Tim Burton imite la comédie musicale et le péplum, plus pour détourner les conventions de la science-fiction que pour s'en moquer ou les critiquer. À la fois drôle et très libre dans sa façon de mélanger les genres, Tim Burton effectue ici deux emprunts ludiques s’intégrant dans une démarche plus globale de référence à la culture populaire. 104
Dans Mars Attacks !, la culture populaire et plus encore le mélange des cultures populaires sauvent le monde. De la musique folk à la comédie musicale en passant par le dessin animé ou le péplum, tous les éléments qui assurent la survie de la planète relèvent de la culture populaire. À cet égard, Maciste n'est pas seulement un personnage de péplum, il est aussi un des premiers héros de la culture populaire cinématographique internationale110. Au niveau de la construction du film même, l'hybridation de la science-fiction permet aux solutions d'émerger et aux humains de faire face. L’hétérogénéité générique constitue un vecteur de solutions, un mélange reposant grandement sur la culture populaire. Tim Burton, probablement sans le savoir, a fait de son ode délirante à la culture populaire une illustration parfaite du pastiche. Mars Attacks ! est un pastiche au sens étymologique du terme, pasticcio, mélange, agrégat d'imitations. Il trouve sa cohérence et son identité dans cette hétérogénéité affirmée et justement, parce qu'il est profondément hétérogène, Mars Attacks ! n'est pas qu’un pastiche : il cumule le pastiche et la parodie, l'imitation et la transformation. En cela, le film de Tim Burton est fort proche du mythe de Frankenstein. Il emprunte à cette série cinématographique le sens de l'expérimentation monstrueuse dont font preuve les extraterrestres et leur machinerie aux formes géométriques. La greffe entre la journaliste et son chien minuscule111 semble un écho drolatique au terrifiant Frankenstein : les disproportions et la différence de nature de l'un, les coutures et la difformité de l'autre, rendent criante l'hétérogénéité de ces corps monstrueux. Cette curieuse poésie de l'hybride 110
Concernant l'histoire cinématographique de Maciste et sa place dans l'émergence d'une culture populaire internationale, on ne peut que vivement conseiller la lecture des travaux de Monica Dall'Asta, respectivement Un cinéma musclé (1992, Yellow Now, Crisnée) et Italian serial films and 'international popular culture (2000, Film History, vol.12 n°2, pp.300 à 307). 111 On peut aussi y voir une référence à l’unique gag de l’Invasion des profanateurs (Kaufman, 1978).
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traverse toute l'œuvre du réalisateur, des personnages d'outretombe des Noces funèbres (2005) aux troublants hommessinges de La Planète des singes (2001). Mars Attacks ! s'inscrit clairement dans cette veine : la multiplicité et l'évidence des emprunts le composent tout entier à la façon du monstre couturé. Parmi ces nombreuses références se trouvent donc aussi des emprunts faits à des films singuliers. Ainsi, la construction générale du scénario, l'omniprésence du président des ÉtatsUnis, ou encore l'échec de la solution atomique sont directement issus d'Independence day. Ce dernier est littéralement ridiculisé par Tim Burton qui s'attaque à la domination américaine, au patriotisme et autres valeurs nationalistes et réactionnaires véhiculées par Independence day, film « américanocentriste » où l'armée américaine glorifiée ne se contente pas de sauver la planète mais délivre tout l'univers d'une menace latente. Las Vegas est par exemple, et dans une certaine mesure, représentative de l'image que les États-Unis donnent d'eux : le mirage de la fortune facile, le sens de la démesure et du spectaculaire ostentatoires. Tim Burton transforme la ville du rêve américain en un carton-pâte clignotant qu'il décompose pièce par pièce avec un plaisir trop évident pour ne pas être critique. Les édifiantes constructions s'écroulent comme les décors dans les films de Buster Keaton : en révélant qu'elles ne sont que des décors, en mettant en péril le corps des personnages sans pour autant être réellement inquiétantes. « Et comme Mars Attacks ! ridiculise Las Vegas, la métropole américaine à la croissance rapide […], Independnence day célèbre l'hégémonie militaire et culturelle de l'Amérique. »112 Tim Burton grille les têtes brûlées belliqueuses de l'armée américaine, rend la bombe atomique inoffensive dans une 112
"And as Mars Attacks ! ridicules Las Vegas, America's fastest-growing metropolis […], Independence day celebrates American military and cultural hegemony." Hoberman J. 1997, Pax Americana, Sight and Sound vol. 7 n°2, p. 8.
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flatulence irrévérencieuse, montre un État américain aussi démuni que les autres nations et transforme le président des États-Unis en une incarnation pantalonnesque mégalomane. Plus encore, en faisant sauver le monde par le mélange des cultures, Tim Burton s'attaque à la suffisance des États-Unis telle qu'elle est revendiquée par Independence day et à travers elle, à une certaine idéologie américaine. Au-delà de la transformation satirique, le but suivi semble bien être une critique politique et culturelle, la nature subversive de la transformation satirique menant alors à une réelle satire sociale. Parmi les nombreuses références à des films singuliers, celle au film de science-fiction The Earth of the flying saucer est particulièrement récurrente. Tim Burton multiplie les emprunts : non seulement la forme des soucoupes volantes est identique, mais de surcroît, elles sont équipées du même émetteur de rayon coudé. Dans les deux films, la tour des nations est envahie, l'obélisque est brisé et une soucoupe sombre spectaculairement dans l'eau. On y trouve également de grands casques et des boîtes crâniennes transparentes. Burton utilise toute l'imagerie de ce film en conférant aux accessoires de la série B la technologie des grands moyens hollywoodiens. Avec une joie féroce, Tim Burton fait s'écrouler lourdement l'obélisque sur d'innocentes victimes là où dans le film premier, les gros blocs de polystyrène rebondissaient en un trucage maladroit. La dissémination des emprunts faits à The Earth of the flying saucer et à Independance day permet de renforcer les liens étroits entre Mars Attacks ! et la science-fiction et de faire ainsi de cette dernière le genre même du film malgré les nombreuses imitations d'autres genres. La parodie sert à renforcer le pastiche, à le désigner avec assurance tout en construisant un premier ancrage générique, les genres rapportés devenant alors nécessairement hétérogènes. Ces nombreux emprunts n'ont pas échappé à l'œil vigilant des critiques. Trop nombreuses pour être véritablement occultées, trop voyantes pour passer inaperçues, les références aux films 107
de science-fiction des années cinquante et aux publications bon marché sont clairement identifiées. Récemment sorti en salle et encore frais dans la mémoire des spectateurs, Independence day est immédiatement mis en relation avec Mars Attacks ! Les critiques consistent au demeurant largement en une analyse comparée des deux films. Mais là où les journalistes français louent la créativité113 de Burton et sa méchanceté114 à l'égard d'Independence day, les Américains désapprouvent115. Les régimes ne leur ont donc pas échappé : la satire extrêmement corrosive à l'égard d'Independence day en fait un danger pour l'industrie cinématographique hollywoodienne, c'est de l’« antientertainment »116 écrit un journaliste américain scandalisé, c'est un « […] antidote marrant, malin, mais également cruel à l'indigérable choucroute fascistoïde d'Independence day […] »117 remarque un journaliste français. La ludicité dont fait preuve le réalisateur est aussi relevée : « […] une œuvre drôle, inspirée et inventive dans la façon même dont elle jongle avec les clichés les plus conventionnels d'une certaine sous-culture américaine. »118 Ces emprunts particulièrement voyants aux films de sciencefiction et à Independence day semblent occulter les autres aux yeux des journalistes et soulignent ainsi la proéminence de la science-fiction sur les autres genres. En effet, Mars Attacks ! malgré son hétérogénéité reste un film de science-fiction. Les pastiches de la comédie musicale, du péplum ou du film de guerre s'ajoutent aux conventions de la science-fiction pour créer un univers fantaisiste et délirant, jouant avec humour sur les décalages et les clichés. Le 113
Rauger J-F. 1997, Une invasion d'extra-terrestre pour rire, Le Monde 27/02, revue de presse BIFI. 114 Séguret O. 1997, Mars décroche la lune, Libération 26/02, revue de presse BIFI. 115 Voir l'étude de la presse dans Hoberman J. op.cit. p. 8. 116 Le New Yorker cité dans ibid. p. 8. 117 Séguret O, op.cit. 118 Rauger J-F, 1997, op.cit.
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mélange des genres assouplit la science-fiction, qui en regard du film de Tim Burton, semble tout à coup trop sérieuse, paranoïaque, outrancièrement manichéenne et aux conventions attendues. Une pointe de satire donc, dans ce pastiche qui utilise les références génériques pour perturber la logique même de la science-fiction.
Genre, parodie et pastiche La relation entre la notion de genre et les pratiques imitatives comme transformatives est suffisamment étroite pour ne pas soulever un certain nombre de questionnements d'ordre autant méthodologique que théorique. En effet, la distinction entre parodie et pastiche ne repose-t-elle pas aussi sur la capacité de ce dernier à aborder la généricité ? Les pratiques imitatives, parce qu'elles peuvent s'attaquer à un corpus pluriel, sont les seules à pouvoir renvoyer, déformer, travailler les genres. Par ailleurs, les imitations de genre sont de loin plus fréquentes que les imitations d'auteur, de série ou d'école. Plus encore, il est possible de se demander si ces dernières ne sont pas elles aussi, tout comme les pratiques transformatives, tributaires de l'imitation des genres. Comme on a pu le constater avec l'imitation satirique de Hitchcock par Brooks dans Le Grand frisson, l'imitation et la référence au genre, en l'occurrence le thriller, sont inévitables bien que la cible désignée soit autre, puisqu’il s’agit ici de s’en prendre à l’œuvre d’un auteur. En effet, dans la mesure où le corpus imité appartient à un ou plusieurs genres, il est difficile d'envisager toute pratique imitative qui ne réfère pas, peu ou prou aux genres. De même, il convient de se demander si la parodie d'un film entraîne toujours le pastiche du genre auquel le film premier appartient. Est-ce que, finalement, l'imitation de genre, récurrente, populaire, indispensable, ne serait pas la forme principale du second degré cinématographique et la parodie, difficilement distinguable en pratique du pastiche, une simple variante théoriquement probable ? Le débat postmoderne sur 109
le rôle et la définition non moins confuse de l’une et de l’autre n’est-il pas lui aussi symptomatique de cette ambiguïté ? Autrement dit, la distinction entre parodie et pastiche est-elle effective en dehors de spéculations purement théoriques ? Dans les études de cas proposées, parodie et pastiche semblent bien indissolublement liés : à l'intérieur du pastiche, des micro-parodies renvoient à des films emblématiques du genre (Mars Attack !) ; dans les parodies, des éléments de pastiche facilitent l'identification du film dans la mesure où le genre est plus aisément identifiable qu'un film singulier (Touche pas à la femme blanche). Il existe néanmoins des cas pour lesquels la parodie demeure indépendante du pastiche. Par exemple, dans Le Bon, la brute et le truand, western italien, se trouve une référence à Ennemi public, film de gangster. Tuco entre chez un armurier, monte lui-même son pistolet avec des pièces éparses et finit par braquer l'armurier. L'action et la situation sont fort semblables à une scène du film de Wellman. La référence est ludique, le comique ironique se répétant du film premier au film second. Ennemi public est suffisamment emblématique du film de gangsters pour pouvoir l'incarner. Néanmoins, il apparaît chez Leone sans aucune référence au genre. Les armes à feu, la violence, les rapports de force relèvent aussi bien du western que du film de gangsters, ce qui explique sans doute pourquoi cette parodie s'insère aisément dans un genre différent de celui du film premier. Il est donc possible de faire référence à un film de genre sans pratiquer l'imitation du genre en question. La distinction entre parodie et pastiche est donc bien effective et la parodie parfaitement autonome malgré l’apparente prégnance du pastiche sur cette dernière. Évolution du genre et second degré Le second degré cinématographique joue grandement avec les genres. Il nous semble alors légitime de nous interroger quant à son impact sur cette cible privilégiée ? 110
La théorie littéraire s'est à maintes reprises posé la question de l'évolution des genres, notamment le rôle que peuvent y jouer des pratiques que nous qualifierons rétrospectivement d'hypertextuelles : imitations et transformations apparaissent comme des agents particulièrement dynamiques des mutations des genres et avec eux, de la création littéraire dans son ensemble. Avant les romantiques, la théorie des genres fonctionnait autour d'un genre étalon. Il permettait de juger les œuvres et de fournir le cadre qui rendait possible la production des œuvres tendant vers cet idéal. En d'autres termes, cette conception des genres était pragmatique et conditionnait la création des œuvres, les déterminait. Cette relation d'imitation et d'assujettissement de la création n'était pas envisagée en terme de relation entre les œuvres car il s'agissait en fait de la relation que chaque œuvre entretenait à un idéal et non pas à un ensemble de textes. Si en réalité, la pérennité d'un genre passait par des pratiques imitatives, la théorie littéraire avant les romantiques refusait de se pencher sur leurs rôles. D'une part, parce que l'on croyait que seule la relation à un idéal esthétique pouvait produire une œuvre artistique digne de ce nom et, d'autre part, parce que les pratiques telles que le pastiche semblaient peu dignes d'intérêt, les registres ludiques et comiques étant relégués selon la partition Aristotélicienne en bas de la hiérarchie littéraire. Or, il semblerait qu’Aristote ne voyait pas dans la parodie une ramification inférieure d'un genre noble mais un genre mineur à part entière. Cette conception de la parodie comme genre est loin d'être inintéressante. Ce cloisonnement avait probablement pour objectif d'isoler à l'extérieur de la tragédie et de l'épopée, des œuvres ne représentant pas l'idéal du genre, quoiqu’entretenant un certain nombre de points communs avec lui. « Avec la naissance du romantisme, tout change : il ne s'agit plus de présenter des paradigmes à imiter et d'établir des règles, il s'agit d'expliquer la genèse et l'évolution de la
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littérature. »119 Dès lors, les genres et leurs différentes phases peuvent être envisagés comme participant à l'évolution littéraire. À la fin du XIXème siècle, Brunetière120 renouvelle la théorie des genres en puisant dans la biologie. Il introduit le point de vue généalogique, c'est-à-dire celui de la filiation des œuvres, et distingue l'influence du contexte, mineure, de celle des œuvres entre elles, déterminante. Pour Brunetière, les genres ont une vie de type organique tant dans leur évolution interne que dans leurs interrelations. Ainsi les genres naissent, croissent, ont une période de maturité puis déclinent. Cette conception darwinienne des genres introduit l'idée qu’ils luttent pour survivre et seuls les genres les plus adaptés peuvent se développer. À cette fin, ils vont muter dans une suite insensible de transformations. Certaines de ces conceptions restent vivaces, notamment l'idée de cycle de vie, d'interrelations entre les genres et de transformation interne. Par exemple, le pastiche associé à l'idée de déclin est souvent perçu comme le signe de la fin du cycle de vie d'un genre. Enfin, Bakhtine décrit le rôle fondamental de la parodie et du pastiche dans les mutations du genre. Ces mutations sont le produit de textes pouvant éclairer rétrospectivement sous un nouvel angle les textes antérieurs, susciter des relations entre certains textes et de la sorte créer de nouveaux ensembles de textes. Par exemple, Bakhtine observe que lorsque le roman devient un genre dominant, les autres genres prennent une « résonance nouvelle »121. Les mutations, en fonction du principe de différence, peuvent aboutir à l’isolation d’un nouveau genre122. La mutation qui 119
J.M. Schaeffer, 1989, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Du Seuil, Paris, p.34. 120 Brunetière F. 1914, L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature, Hachette, Paris, 283 p. 121 Bakhtine M. 1978 (1941), Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Paris, pp. 443 et 444. 122 Deleuze G., 1985, Différence et répétition, PUF, Paris, Conclusion.
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mène à la création d’un nouveau genre peut se faire de façon progressive, notamment par le jeu de la parodie123 qui devient ainsi un agent majeur de l'évolution littéraire : la parodie qui, chez Bakhtine inclut ce que nous nommons pastiche, n'est plus alors uniquement synonyme de déclin mais aussi de renouvellement et de création. En accordant à la parodie une place à part entière au sein de l'évolution littéraire, Bakhtine fait bien plus, il lui donne une dimension esthétique réelle. Enfin, la théorie littéraire s'est bien entendu posé la question de l'évolution littéraire en termes de filiation, de relations particulières entre auteurs. Au début du siècle, Albalat124 effectue un vaste travail sur l'assimilation des auteurs : l'œuvre d'un auteur s'assimile dans la mesure où elle peut s'apprendre. C'est alors un acte conscient, avec une méthodologie précise permettant au novice de s'imprégner tant des thématiques que des caractéristiques stylistiques de l'œuvre étudiée. Albalat met donc en relation l'assimilation avec un certain nombre de pratiques que nous qualifierons d'hypertextuelles. Il introduit l'idée d'un travail consciemment fait sur un corpus : c'est un choix délibéré de l'apprenti auteur, effectué selon des critères de goûts et de sensibilité. Implicitement, la théorie littéraire distingue donc les mutations qui se font en douceur, dans la durée, de celles plus radicales qui peuvent être perçues comme une forme de rupture. Elle attribue ces mutations en grande partie aux pratiques imitatives et transformatives, l'imitation sérieuse d'un genre, d'un auteur étant plus enclin à favoriser les mutations lentes, tandis qu'imitations et transformations satiriques engendreraient des mutations plus radicales. La critique et la théorie du cinéma se sont emparées avec plus ou moins de bonheur de ces notions issues du littéraire et l’on retrouve, pêle-mêle des notions comme celle du cycle de vie
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Bakhtine M. 1978 (1941), op. cit, pp. 443 et 444. Op. cit.
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des genres cinématographiques125, des approches se revendiquant de Bakhtine126, et même l’idée que certains genres cinématographiques sont épiques, particulièrement le western. Le pire est que, reprenant de façon implicite la partition aristotélicienne et une conception somme toute assez classique de la création, la théorie du cinéma a grandement ignoré la parodie, le pastiche, et largement méprisé le remake qui, loin d’être valorisés pour leur participation à l’évolution des genres et l’émancipation artistique qu’ils suscitent, sont en général décrits comme des pratiques commerciales et populaires, vides de tout intérêt esthétique. Néanmoins, certaines questions soulevées pour le littéraire méritent de l’être aussi pour le cinéma, ne serait-ce que pour comprendre le rôle des parodies et pastiches au sein de la création cinématographique et revaloriser par ce biais leur place dans l’histoire du cinéma. En effet, tout au long de cet ouvrage, il a été constaté que le second degré apporte une certaine richesse en termes de contenu et de liberté créatrice. Il permet aux réalisateurs à la fois de s’exprimer et de se situer. Il convient à présent de s’interroger sur les conséquences de ces pratiques à un niveau plus vaste que le film à proprement parler. Le second degré participe-t-il à l’évolution des genres cinématographiques ? De quelle manière ? En est-il un agent ou une conséquence ? Laurent Jenny s’est posé la question à propos du littéraire. Dans un article nommé Stratégie de la forme127, il développe l’idée que certaines « formes » (pour reprendre sa 125
Lorsque Gauthier se penche sur le comportement de la critique française, il remarque la tendance qui consiste à parler du western comme d’un genre moribond. Cette appréhension du genre comme cycle est effectivement très présente dans l’étude des genres cinématographiques. Dans 1972, Mort et résurrection du western, Image et son n°258. 126 De nombreux exemples cumulent dans Refiguring american film genres dirigé par Browne, 1998, University of California Press, Berkeley / Los Angeles / Londres. 127 1976, Poétique n°27, p.257 à 281.
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terminologie) peuvent faciliter l’intertextualité128 : « Et on pourrait par exemple faire l’hypothèse que ce sont les textes les plus strictement ou outrageusement codés qui donnent matière à la "redite". »129 Il précise que ce « surcodage » suscite la parodie et qu’il correspond particulièrement bien aux genres : « Comment d’ailleurs définir le surcodage ? Tout genre dépassé n’apparaît-il pas automatiquement comme surcodé pour la simple raison que son codage devient apparent ? »130 Jenny étudie la relation de cause à effet entre la forme d’un genre et les pratiques parodiques. Son étude présente l’intérêt de chercher dans les œuvres premières des caractéristiques qui auraient favorisé l’emprunt et de prendre en compte le rôle qu’y joue le genre. Tout d’abord, n’importe quel genre n’est pas concerné, mais un genre à un certain stade de son évolution. Ceci n’est pas sans rappeler l’étude du roman par Bakhtine, selon qui, les variétés du genre romanesque, dès qu’elles se banalisent, s’exposent à la parodie et au travestissement131. Il est légitime de se questionner sur l'éventualité de phénomènes comparables à propos des genres cinématographiques : le western italien a multiplié les emprunts à son homologue américain, ce dernier présentait-il un stade d’évolution qui l'exposait particulièrement au second degré ? Vu sous l’angle de la banalisation, il est clair que nous avons à faire à un genre extrêmement populaire des années quarante et cinquante, distribué de façon massive, diffusé jusque dans les salles de quartier132. Même si ces films n’étaient pas les préférés des spectateurs, tous connaissaient le genre en
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Jenny prône une définition de l’intertextualité qui intègre la parodie. Ibid. p.260. 130 Ibid. p.260. 131 1978 (1975), op. cit. pp. 443 et 444. 132 Sorin C 2001, Assimilation du cinéma de genre hollywoodien en France et en Italie après 1945 : étude appliquée au western et au film noir, thèse, Université Paris 8. 129
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question. Bazin133 ne se trompe pas lorsqu’il voit dans les contrefaçons, les pastiches ou les parodies de westerns, les manifestations de la vitalité du genre. L’article Évolution du western fait un bilan tout à fait précis du genre : il est perçu comme étant moins homogène qu'avant la guerre, composé de films classiques et de sur-westerns. « Si le genre western était en voie de disparition, le surwestern exprimerait effectivement sa décadence et son éclatement. »134 Derrière l’optimisme de Bazin se profile l’idée que le western traverse une phase correspondant malgré tout à une certaine dégradation par rapport au western classique. Les sur-westerns jouent avec les caractéristiques du genre en les exacerbant. Les westerns classiques sont rétrospectivement évalués à la lumière du sur-western : toutes les conventions du genre deviennent apparentes et les westerns s'exposent alors à la parodie et au pastiche135. Le western, dès les années cinquante, présente effectivement des caractéristiques qui banalisent sa présence et en rendent les principes particulièrement sensibles. Autant d’éléments qui ont certainement suscité les pratiques hypercinématographiques. Ces pratiques ciblant de préférence des genres susceptibles d'être identifiés par les spectateurs, il est logique qu'elles s'en prennent avant tout aux genres les plus populaires, banalisés, connus. Cet exemple souligne que la renommée ne suffit pas, le genre doit aussi être à la limite de la sur-caractérisation : ses propriétés doivent sembler évidentes, presque trop voyantes. Toujours avec l’exemple du western italien, cette évolution du western a relancé la production internationale de western et a suscité de multiples réactions qui ont véritablement 133
Préface à l’ouvrage du même titre de J.L. Rieupeyrout, 1953, Le western ou le cinéma américain par excellence, Du Cerf, Paris, p.7. 134 1955, Evolution du western, Cahiers du Cinéma n°54, p.26. 135 En fait, le western a déjà rencontré une première phase de parodies et de pastiches américains dans des films burlesques hollywoodiens, suscitée par l'immense popularité du genre aux Etats-Unis.
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redynamisé le genre, qu’il s’agisse d’une surenchère avec le western crépusculaire (Peckinpah) ou d’un retour vers le classicisme (Eastwood). Loin d’être un genre parricide, il semble au contraire qu’en imposant au genre un assouplissement de ses conventions136, le western italien lui a permis de se pérenniser. En d’autres termes, le second degré participe à l’évolution des genres cinématographiques et il existe bien un état du genre qui favorise son apparition. Pour autant, cela ne veut pas dire que le second degré ne constitue qu’un état du genre. On a vu que pour la théorie littéraire, la place de la parodie diffère si elle est considérée comme un genre à part entière (Aristote) ou si elle est envisagée comme une phase d'un genre (Bakhtine). La première option voit dans la parodie un genre qui par comparaison avec les autres genres n’est pas digne de devenir un modèle et donc de participer à une évolution littéraire à la poursuite d’un idéal, alors que la seconde option voit dans la parodie un élément indispensable à la dynamique des genres et au renouvellement littéraire. Loin d'avoir réfléchi au sujet, il semble au contraire que la théorie du cinéma l’ait royalement ignoré. À l’instar d'Aristote, ne peut-on pas soulever l'hypothèse qu'il existe aussi un genre parodique au sein de la production cinématographique ? Existe-t-il un genre parodique cinématographique ? Parfois caractérisés d’anti-génériques137 par leur capacité à détourner les conventions génériques, la parodie et le pastiche 136
On observe par exemple une ouverture géographique (Le Mexique), temporelle (jusqu’aux années 20), politique (discours plus à gauche), stylistique (libertés avec la transparence),… 137 Shlonsky T. 1966, Literary parody, remarks on its methods and function, dans Jost F. (ed .) Actes au IVème congrès de l’association internationale de littérature comparée vol. I et II, Mouton & co, La Hague/Paris, p. 797.
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ont du mal à s’insérer dans une partition des genres fonctionnant sur la caractérisation des genres les uns par rapport aux autres. La parodie et le pastiche se présentent souvent comme des catégories transversales aux genres cinématographiques : le pastiche, on l'a vu, repose fortement sur la relation aux genres et la parodie, quoi qu’on en dise, aussi, tout en maintenant possible son autonomie à l’égard des genres. De surcroît, la dimension répétitive du genre, sa capacité à réutiliser les mêmes matériaux, lui confère d’emblée une dimension intertextuelle138 non négligeable se superposant aux relations architextuelles, proprement génériques. Certaines transformations ou imitations, généralement sérieuses, peuvent rester à l'intérieur du genre cible : nul ne contestera que Le Samouraï de Melville est un film policier. Bien entendu, la distance inhérente au mode référentiel empêche malgré tout d’inclure le Samouraï au film noir, encore moins hollywoodien. De même, le western italien constitue à la fois un prolongement du western et une production clairement distincte du genre hollywoodien. Dans le cas des régimes satiriques, voire ludiques, on observe très souvent un glissement du genre cible vers d'autres catégories : Go West, s'il se réfère au western de Ford et intègre bien les Marx Brothers dans l'univers westernien, n'est pas pour autant considéré comme un western mais comme un film burlesque. De la même manière, Le Grand frisson est considéré non pas comme un thriller mais comme une farce ou comédie loufoque, tandis que les films de Woody Allen sont systématiquement rattachés à l'inépuisable registre de la comédie, y compris lorsque ses personnages sont des truands se livrant à un cambriolage. Néanmoins, certains corpus à l’instar du western italien, se présentent comme un ensemble de films parfaitement hypercinématographiques tout en étant clairement identifiés par le public et la critique sous la dénomination qui leur est 138
Altman R. 1999, Film/genre, British Film Institue, London, p. 25.
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propre139. Nul ne leur contestera non plus leur dimension répétitive et cumulative140. Par conséquent, il devient nécessaire de s'interroger sur la possibilité d'un genre au second degré. C’est-à-dire d’un corpus, nommé de façon adéquate et dont la cohérence se fonde sur la récurrence du second degré et la nécessité de cumuler les références cinématographiques. L'existence de corpus purement hypercinématographiques et cohérents génériquement parlant, comme le western italien ou français, incite à répondre par l'affirmative. De surcroît, l'existence d'un corpus italien, particulièrement prolifique et portant le nom de parodie italienne tend à accréditer cette possibilité d'un genre parodique cinématographique. Souvent confondue avec la comédie italienne, elle y participe au côté de la farce. En italien, Farsa désigne d'une manière souvent un peu générale ce type bien particulier de comédies italiennes reposant totalement sur le comique et parodia correspond de façon plus précise aux films qui s'attaquent à d'autres films. Ainsi, dans la farsa, l'intrigue et la psychologie des personnages sont souvent minorées au profit d'un comique de situation, ce qui la distingue d'autres comédies italiennes comme la comédie sentimentale ou la comédie de mœurs. La parodie italienne recouvre une abondante production de films, souvent des petits ou moyens budgets, toujours populaires, ayant vu le jour entre la fin des années quarante et le début des années soixante-dix. Ces films répondaient de façon carnavalesque et épidermique au cinéma à succès, le 139
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le western italien démarre réellement avec Pour une poignée de dollars en 1964 alors que la production de westerns en Italie lui est bien antérieure : c'est à partir du film de Leone que le public et les producteurs vont découvrir que tout en étant italien, un western peut présenter des qualités et faire des recettes. À partir de ce moment, les Italiens peuvent abandonner les pseudonymes américains jusqu'alors utilisés afin de faire passer leurs westerns pour des productions hollywoodiennes. Le western italien peut alors enfin avoir une identité propre. 140 Caractéristiques pointées par Altman comme étant typiques des genres : 1999, op. cit.
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plus souvent étranger, dans un pays où l’industrie cinématographique, quoique dynamique, était à reconstruire et où le cinéma américain occupait généreusement les écrans sans laisser beaucoup de parts de marché à l’abondante production locale. Ces parodies italiennes vont donc s’en prendre à des films américains (Mais qu’est-il arrivé à Baby Totò ? mais aussi français (Totò le Moko) et même italiens (Totò, Pepino et la dolce vita). Il s’agit ici de références à des films singuliers comme l’indiquent sans conteste les titres cités. Nous sommes donc bien dans le domaine de la transformation, le régime ludique et/ou satirique de ces films en faisant indubitablement des parodies. D’autres renvoient à des corpus pluriels, qu’ils soient sériels (Totò Tarzan) ou génériques (Le Pigeon), le terme de parodie italienne recouvrant en fait également des films qui relèvent du pastiche. Certains, comme Le Pigeon, s’inscrivent à l’intérieur de la comédie italienne, ces deux corpus se recouvrant largement. Illustre fille du néoréalisme, la comédie italienne a développé à travers la parodie italienne un courant lui permettant de gérer les influences et les pressions culturelles multiples que subissaient le cinéma ainsi que la société italienne. Car comme le souligne Steno dans Un Américain à Rome (1954) le cinéma étranger, dans un pays en reconstruction, peut devenir symbolique des tensions culturelles, sociales et politiques présentes. Dans l’exemple cité, typique du contexte de l’après-guerre, le cinéma est décrit comme une partie intégrante de l’occupation militaire, commerciale et culturelle de l’Italie par les États-Unis. En France, à la même période, le Parti Communiste Français développait une analyse comparable du rôle du cinéma hollywoodien dans la politique extérieure américaine. La parodie italienne correspond donc à un contexte économique et politique précis, elle s’inscrit dans un système de production bien rodé, avec ses vedettes et scénaristes attitrés, et recycle d’une façon particulièrement économique les décors déjà mis en place pour d’autres productions : Les Week-end de Néron (Steno, 1956) sont très profitablement 120
tournés dans les locaux de la Titanus, spécialisée dans la production de péplum. Si la parodie italienne prouve l’existence de corpus génériques parodiques, cela ne signifie pas pour autant que toutes les pratiques du second degré s’intègrent automatiquement à un genre parodique, soit parce qu’elles restent accolées d’une façon ou d’une autre au genre cible, comme le western italien, soit parce que public et critique les ont associées à une terminologie autre, souvent plus large, qu’il s’agisse de la comédie ou du cinéma burlesque. Il va de soi que ces pratiques sont par définition tournées vers le corpus cible. Par conséquent, la motivation première de leur auteur n’est pas de s’orienter dans une logique de genre, comme un réalisateur choisit de faire un film policier, mais effectivement une logique que l’on pourrait à la rigueur qualifier de « discursive » 141 - critiquer, louer le genre cible. Lorsqu’elles émergent comme corpus générique, comme c’est le cas de la parodie italienne, c’est qu’effectivement il existe, au niveau de la production comme du public, la reconnaissance de cette entité pour elle-même et non plus uniquement dans des relations à des films premiers. La logique du filon142 ou la popularité de comédiens comme Totò ou Steno sont sûrement aussi importantes dans l’émergence de ce genre parodique qu’un ras-le-bol général face aux succès du box-office. La parodie peut donc fonctionner comme genre dans certaines conjonctures mais est-ce bien notre intérêt, son intérêt que d’exister à l’intérieur d’un cloisonnement qui la protège économiquement, institutionnellement tout en la neutralisant ? En effet, tout comme Aristote lui attribue une place dans sa hiérarchie générique ayant pour effet de l’isoler et de la 141
Pour reprendre la terminologie de Dan Harries sur le sujet bien que nos conclusions diffèrent notablement : Film parody (op.cit) p.7. 142 Dans la production cinématographique italienne, le filon désigne une pratique consistant à exploiter de façon intense une veine à succès jusqu’à son épuisement total comme cela fut le cas du film d’espionnage ou du western italien.
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déprécier, la parodie italienne comme genre est éminemment populaire, considérée comme triviale, de pur divertissement. Ce statut générique, s’il lui permet de toucher un large public n’en discrédite pas moins le contenu ou du moins lui fait perdre une partie de sa portée. Irrévérencieuse sans être prise au sérieux, elle ne remplit qu’à moitié son rôle… C’est peut-être bien pour cela que Derrida se refuse d’utiliser les termes de parodie ou de pastiche à propos de l’imitation satirique des genres discutée dans La loi du genre143. Donner un nom à ce qui caractérise une œuvre dans son ensemble, c’est déjà la rattacher à un genre, à un ensemble qui a, sinon des règles, du moins un mode de fonctionnement. La parodie et le pastiche existent comme genres, inévitablement, par la simple utilisation que nous faisons de ces termes, indépendamment des œuvres elles-mêmes. Ils sont genres et états du genre, ils fonctionnement comme genre et quoi d’autre qu’un genre aurait cette capacité à décloisonner toutes les catégories issues de la partition Aristotélicienne ? Car c’est bien cela que nous décrit Derrida. Ces imitations satiriques sont à la fois un état du genre, sa folie, sa capacité à mettre en jeu son identité et, dans le même temps, par le bouleversement catégoriel qu’elles produisent, l’irruption d’une nouvelle catégorie. Dans un jeu que l’on pourrait qualifier de carnavalesque, la parodie et le pastiche comme genres interrogent aussi bien les genres visités que la notion de genre elle-même. Ils destituent pour restituer, reconstituer. Il faut faire avec.
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Dans 1986, Parages, Galilée, Paris, pp.249 à 287.
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3 - Les différentes pratiques de la parodie cinématographique Parodie, le terme est tellement usité concernant les emprunts cinématographiques, qu’il tend à absorber des types de références très variés. Il s’agira dans cette partie de s’en tenir strictement aux pratiques transformatives, c’est-à-dire ne s’attaquant qu’à des cibles singulières.
La transformation ludique : la parodie pure De loin la plus populaire, la plus fréquente et la plus étudiée, la transformation ludique constitue la forme parodique par excellence. Une fonction comique : les Marx Brothers Chercheurs d'Or s'amusent avec Le cheval de fer de John Ford Les Chercheurs d'or (Edward Buzzell, 1940) offre un remarquable détournement du Cheval de fer de John Ford (1924). La relation entre les deux films est particulièrement voyante : d'une part la thématique du récit est centrée dans les deux cas sur la construction du train et la spéculation qui l’accompagne et, d'autre part, certaines scènes cumulent suffisamment de ressemblances pour ne laisser aucun doute quant à la nature référentielle du film des Marx Brothers. Ainsi, la dernière séquence correspond dans les deux films à l'inauguration du chemin de fer et présente des similitudes frappantes. La référence à l'illustre film de Ford ne laisse aucun doute. Si l'objet central des deux films est le train, les Marx Brothers en proposent une vision qui se distingue nettement de celle de John Ford. Dans Le Cheval de fer, le train est le symbole de l'union du territoire américain car il permet de relier l'Est et l'Ouest. 123
Selon la même logique, la construction des voies ferrées favorise la formation du jeune couple, lui-même symbole de l’unité du pays, jeune, animé par le désir de construire un rêve qui profite à chacun, et promis à un avenir prospère. L'achèvement du chemin de fer permet en outre la réunion des ouvriers de différentes communautés se retrouvant avec force d'accolades : Chinois, Irlandais, Italiens… tous ont appris à se connaître et à s'apprécier sur le chantier. La division de l'équipe en deux n'entame en rien leur amitié et la fin du chantier les réunit à nouveau dans la liesse. Le chemin de fer favorise le melting pot dont le chantier est l'incarnation, les moments de détente favorisent les échanges entre les ouvriers d’origines variées. Lors du travail, chacun mobilise toute son énergie dans la construction du projet. D'ailleurs, les plans du chantier soulignent l'effort fourni et l'organisation des travailleurs qui, au rythme des cadences, ne forment plus qu'un seul corps. L'avancée de la locomotive marque la progression de leur travail et l'accomplissement d'un rêve collectif. Cette symbolique du train et de son chantier est valorisée par le traitement sérieux et solennel de sa construction et de son inauguration. La longueur de la cérémonie prête au train une importance hors du commun, tandis que les plans sur la foule, tour à tour larges et rapprochés, soulignent la communion des esprits et l'émotion de chacun. Toute la collectivité fête le train et les héros s'inscrivent en son sein. Enfin, le sens du détail historique confère à la fiction le sceau de l'authenticité. Comme le précise l’intertitre qui précède la cérémonie, Ford a utilisé des locomotives d'époque. De plus, il semble s'être basé sur des archives dans la reconstitution de la cérémonie, comme en témoignent les plans d'ensemble de l'inauguration, en tous points conformes avec les photographies144 de l'événement historique. Enfin, le long 144
Current K. & W, 1978, Photography and the old west, Abradale Press, Harry N. Abrams, New York. D'ailleurs, le dernier plan de la cérémonie est un plan d'ensemble reprenant la disposition de la photographie
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plan fixe sur le portrait de Lincoln à la fin du film achève de conférer à la construction du train une dimension tant historique que symbolique. À l’inverse, les Marx Brothers cherchent à ôter au train toute solennité et à le décharger de sa symbolique. Chez John Ford, l'inauguration est précédée d'une séquence valorisant la construction des voies : l'effort des ouvriers est souligné par de nombreux plans sur les hommes au travail ou s'essuyant le front avant de reprendre l'ouvrage avec détermination. Dans Les Chercheurs d'or, la cérémonie est précédée d'un délirant périple en train durant lequel les Marx Brothers débitent le train afin d'alimenter la chaudière et d'avancer, toujours plus vite, dans une course effrénée contre les villains du film. John Ford insiste longuement sur la pose des lourdes traverses, à l'inverse, dans le film des Marx Brothers, les rails sont arrachés et le train tourne en rond tel un manège comme le soulignent les dialogues. Harpo replace ensuite les rails sans aucune difficulté à la façon d’un jeu d’assemblage. Non seulement l'effort physique des ouvriers est dénié mais de plus, la très sérieuse construction du train s’inscrit dans le domaine de la légèreté, celui du jeu. Les Marx Brothers n'ont de cesse de jouer avec les éléments du train, détournant des objets chargés d'une symbolique forte. Il en est ainsi des roues qui leur servent à affûter une hache afin de débiter les wagons, faisant participer indirectement la vitesse à la destruction du train. De même, le transport des planches arrachées au train décline toute une série de catastrophes burlesques. Les Marx Brothers se sont réparti les tâches avec une certaine cohérence, écho à l’organisation du travail mis en place sur le chantier de Ford : Groucho conduit, tel autre s'attaque à telle voiture… ce qui ne les empêche pas de cumuler les maladresses et les contretemps. La chaudière se mentionnée : légèrement à l'écart de la foule, un photographe de dos, immortalise l'événement. Peut-être un hommage ou une référence discrète de Ford quant aux sources documentaires photographiques employées afin de reconstituer l'inauguration.
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transforme en machine à fabriquer du pop-corn, les morceaux de bois durement acquis s'envolent ou tombent du train. Les outils, les planches, leur joyeuse désorganisation renvoient à la thématique du chantier, prétexte à des gags qui soulignent la ludicité des personnages mais surtout leur irrespect total pour le train qu'ils mettent à sac avec bonne humeur. Les Marx Brothers inversent littéralement la thématique du Cheval de fer : il ne s'agit plus de filmer la construction du train mais sa destruction. La course folle oppose deux modes de locomotion, le train étant talonné de près par une carriole. Non seulement le train n'est pas plus rapide que le cheval mais de plus, il consomme énormément d'énergie. Le train est terriblement dépendant : il faut l'alimenter en permanence pour qu'il maintienne sa folle allure alors que le cheval a dans le film, de ce point de vue, une relative autonomie. Ainsi comparé au cheval, le train n’apparaît plus nécessairement synonyme de progrès. La course est le prétexte à une véritable mise en concurrence des deux moyens de locomotion. D'ailleurs le montage alterné entre le train et la carriole établit clairement la comparaison tout en imitant une convention de représentation des poursuites dans le western. Le train s'en sort vainqueur non pas pour ses qualités intrinsèques mais grâce à un concours de circonstances145 qui précipite la carriole dans une rivière, pendant que la locomotive, insatiable consommatrice de bois, exige la destruction des wagons pour avancer. Nous sommes loin de la vision progressiste de Ford. La folle course des Marx Brothers rappelle que construction ne va pas sans destruction et que les mécaniques modernes posent le problème de la consommation d'énergie. L'enthousiasme du Cheval de fer est fortement tempéré, à la limite de la satire, les Marx Brothers proposent une description totalement irrévérencieuse du train dans laquelle le progrès ne se fait ni sans violence ni sans inconvénients. 145
L'attelage se décroche juste au moment où la carriole se trouve sur la voie de chemin de fer.
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L'inauguration des voies ferrées achève d'ôter au train toute symbolique. La grosse caisse crevée inscrit d'emblée la cérémonie dans l'univers du gag et de la maladresse. Vêtus de costumes bariolés, les Marx Brothers sont à l'honneur, c'est à eux d'enfoncer le fameux tire-fond en or à l'aide d'un maillet démesuré qui s'écrase sur le crâne du président de la compagnie de chemin de fer et le fiche dans le sol jusqu'au cou. Les Marx Brothers se félicitent au milieu de la foule atterrée : la cérémonie se termine ainsi, sur le discrédit du représentant de la compagnie de chemin de fer, le dernier symbole à ridiculiser avant que le film ne s'achève sur une fanfare guillerette. Aussi courte que celle de Ford était longue, l'inauguration des Marx Brothers en reprend tous les éléments : la fanfare, le tire-fond en or, la disposition des trains et de la foule autour des rails. La composition des plans d'ensemble comme le déroulement des réjouissances sont identiques mais dépourvus de toute solennité : tout est prétexte au gag et à la légèreté. Critiques et irrévérencieux à l'égard du train, les Marx Brothers sont finalement fort proches de la satire et pourtant, leur relation au film de Ford reste profondément ludique. Certes, ils se moquent du côté lourdement symbolique du Cheval de Fer, mais bien plus que le film, ce qui est visé à travers Les Chercheurs d'or semble bien être le train, entreprise marchande qui au nom du profit et sous le prétexte du progrès, exproprie, pollue, exploite. Si satire il y a, elle semble avant tout sociale tandis que la relation au film de Ford peut être qualifiée de ludique par l’utilisation des éléments empruntés, détournés de leurs fonctions avec une liberté totale, beaucoup d'humour et une dose certaine d'ingéniosité. Ils jouent à transformer la chaudière en machine à pop-corn, le représentant de la compagnie en tire-fond, ou encore les roues en affûteuses. Du reste, l'univers du jeu et de l'enfance se retrouve aussi bien dans le caractère insouciant et parfois infantile des personnages, que dans le train transformé provisoirement en manège ou dans la montagne de pop-corn qui ensevelit Groucho. 127
Les Chercheurs d'or est une parodie, pour nous, spectateurs du XXIème siècle. Mais pour le public des années quarante, quelle était la nature de cette relation entre les deux films ? Nulle, si l'on en croit les critiques qui couvrirent la sortie du film aux États-Unis. On ne trouve aucune mention de la parodie au film de Ford, ni dans le New-York Times, ni dans l'Harrison's Report ou Variety. C'est exactement comme si Les Chercheurs d'or ne faisait pas référence au Cheval de Fer ou plutôt comme si les critiques ignoraient totalement l'existence du second, chose fort peu probable puisque dans cette même presse, le film de Ford avait été accueilli comme un événement, le meilleur western jamais tourné146. Comment peut-on totalement oublier un tel chef-d'œuvre même avec seize années d'écart ? Le film des frères Marx est bien évidemment mis en relation avec l'univers westernien sans pour autant qu'aucun western ne soit cité, « [l]'arrière-plan est le vieil Ouest »147, « […] dans le mauvais, très mauvais Ouest […] »148. Le décor est planté comme si le film appartenait pleinement au genre, encore que « le mauvais, très mauvais Ouest » n'exclue pas une pointe d'ironie dans l'utilisation que font les Marx Brothers de l'univers westernien. Le film est décrit comme un assemblage hétéroclite de situations comiques, de numéros musicaux, de romance, de « slapstick » ce qui est, pour les critiques, une façon de le mettre en relation avec leurs films
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"Today "The Covered Wagon" stand out as the best Western that even been turned out. The "Iron Horse" is as good. In some respects it is even better […]"X 1924, The Iron horse, Harrison's Reports and Film Reviews, 6/09, Hollywood Film Archive, Los Angeles, p143. 147 "The background is the old West" X. 1940 (1992), Go West with the Marx Brothers, John Carroll and Diana Lewis, Harrison's Reports and Film Reviews, 21/12, Hollywood Film Archive, Los Angeles, p.202. 148 "[…] in the bad, bad West […]"T.M.P. 1941 (1970), Go West, The New-York-Times Film Reviews 1939-1948, 21/02, The New-York Times Company, New-Yok, p.1772.
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précédents149 et la tradition du music-hall. La scène de la folle course du train a marqué les critiques : « Les vingt dernières minutes pendant lesquelles les Marx Brothers prennent le contrôle d'un train de passagers, devrait faire frémir autant qu'amuser les spectateurs […] »150 mais malgré l'attention particulière accordée à la fin du film, aucune mention n'est faite de sa relation ouverte avec le film de Ford. Si l'on en croit les critiques, le film n'a pas fonctionné comme parodie lors de sa sortie : tous les indices qui fondent la référence sont ignorés, la relation au Cheval de Fer n'existe pas pour eux. Ne fonctionnant pas, la nature référentielle du film reste masquée, illustrant ainsi la possibilité qu'a le spectateur d'ignorer totalement la dimension parodique d’un film. La non validation du fonctionnement parodique fait du film une œuvre première, dénuée de références. Comment expliquer ce refus de reconnaître les références alors même que le film premier était connu des critiques ? Ce qui est en cause ici ne pouvant en aucun cas être attribué aux lacunes du public visé. Il semblerait que les pratiques journalistiques américaines d'avant-guerre ne cherchaient pas à identifier les références d'un film151. Le descriptif du film, se cantonnant le plus souvent à un bref résumé de l'histoire, ne laissait pas de place à ce genre de remarques, pas plus qu'à une analyse du contenu ou du style. En fait, les seules relations mentionnées étaient des comparaisons qualitatives avec les précédents films du réalisateur ou des comédiens. Les critiques, qu'ils aient
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WALT 1940 (1983), Go West, Variety Film Reviews 1938-1942 vol. 6, 25/12, Garland Puplishing Inc. New-York et Londres. 150 "The last twenty minutes, during which the Marx Brothers take over and run a passenger train, should thrill as well as amuse spectator […]"X. 1940 (1992), Go West with the Marx Brothers, John Carroll and Diana Lewis, Harrison's Reports and Film Reviews, 21/12, Hollywood Film Archive, Los Angeles, p.202. 151 On observe par exemple le même phénomène avec la parodie d'Intolérance que Keaton développe dans Les Trois Ages.
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identifié la référence ou non, ont soigneusement écarté tout ce qui dans le film, révèle sa nature parodique. Il est intéressant d'observer comment la perception nonparodique du film intervient sur son fonctionnement général, sur sa compréhension par les spectateurs. En effet, le récit du film repose sur la spéculation immobilière accompagnant la construction du chemin de fer et les efforts fournis par les Marx Brothers pour faire le bonheur d'une charmante personne qui risque de perdre simultanément son amoureux et ses terrains. À partir de là, les Marx exploitent la thématique de l'Ouest en situant leurs numéros dans les lieux typiques de l'univers westernien : le saloon, le campement indien… Les numéros placent le récit entre parenthèses, suspendu au profit du rire, du loufoque, des anachronismes et de l'absurde. Les numéros des Marx sont difficilement compatibles avec les exigences de cohérence et de logique du récit si ce n'est la folle poursuite qui tient peut-être là l'explication de sa réussite et de sa force. À y regarder de plus près, tous ces éléments des Chercheurs d'or se trouvent dans Le Cheval de Fer : le jeune couple qu'il faut unir, les petites gens qui risquent de perdre une occasion de s'enrichir, le conflit dans le saloon, la menace indienne, les bureaux du ministre, etc. À chaque élément du film de Ford, sa saynète dans celui des Marx Brothers : la romance tributaire du sort du chemin de fer, la spéculation, la bagarre dans le saloon, le triomphe du train, la réunion des amoureux, l'inauguration. La parodie justifie en ce sens l'enchaînement des numéros puisque leur thématique adhère fortement au récit de l'œuvre de Ford. La relation entre les deux films donne une certaine cohérence aux Chercheurs d'or, elle constitue un fil directeur qui justifie la mise en place des différents épisodes et explique la corrélation entre le destin du jeune couple et la construction du train. En ignorant la nature parodique du film, les critiques privent le film de sa richesse, de son unité et d’une certaine forme de cohérence. C’est probablement la raison pour laquelle il est décrit comme un assemblage hétéroclite de numéros 130
musicaux, de slapstick et de clowneries diverses. Privé du bénéfice de la référence, le film devient un patchwork, une série de numéros de music-hall qui n'ont d'autre justification que d'être des numéros typiques152 des Marx Brothers. Le film y perd, incontestablement. Escrocs mais pas trop de Woody Allen face au Pigeon : hommage à un maître de la comédie ou pure spéculation ? Escrocs mais pas trop de Woody Allen pose inlassablement la question l'imitation au sens large du terme : le film s'achève sur un échange de parures, l'une n'est qu'une vulgaire imitation de l'autre, bijou d'une valeur inestimable. Frenchy, la femme du personnage principal, n’a de cesse de reproduire les comportements d'une classe sociale qui la méprise. Son mari, Ray, semble une actualisation vieillissante de Peppe du Pigeon. Objets, personnages, histoire ramènent le thème du film, non pas à une simple satire sociale, mais bien à une question esthétique : les fruits de l'imitation sont-ils culturellement et artistiquement inférieurs à l'original ? Est-il possible de les apprécier pour ce qu'ils sont ? Les objets mercantiles comme la parure, n’ayant d'autre valeur que marchande, perdent ce qui fait leur intérêt lorsqu'ils sont le fruit d'une reproduction : ils n'ont que l'apparence de l'original, ce sont des faux, des simulacres, leur valeur est nulle mais leur pouvoir d'illusion, ou plutôt de duperie, est grand, dernier piège tendu à Ray. En d’autres termes, ces objets n'ont de valeur que pour ceux qui ignorent leur statut d'imitation et l'erreur d'appréciation repose sur une carence de savoir. Ray, celui qui justement refuse de s'éduquer, est incapable de distinguer les deux colliers alors 152
"[…] a reminiscent of the early Marx pictures […]", "Antics of Groucho, Chico and Harpo are familiar to audiences […]" Walt, op.cit, p. ; "As is usual in Marx comedies, Groucho displays a weakness for beauteous blondes and Chico gives piano recital […]", T.M.P. op.cit.
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que Frenchy, du premier coup d'œil, sait qu'il s'agit d'un faux qu'elle détruit sans aucune hésitation. C'est précisément ce savoir qui obsède Frenchy : savoir-vivre, goût, culture, Frenchy a l'impression que seul un apprentissage intensif fera enfin d'elle quelqu'un de la haute société. Frenchy imite l'upper class en espérant ainsi échapper à sa condition de nouvelle bourgeoise. Pour son professeur particulier, David, Frenchy ne sera jamais qu'une parvenue que ses efforts pour se cultiver enfoncent chaque jour un peu plus comme autant d'aveux de son origine sociale. Pour David, Frenchy n'est qu'une imitation de grande bourgeoise, un être déprécié qui ne mérite ni affection, ni pitié. En effet, David évalue Frenchy selon un principe économique qu'il applique aussi bien aux autres, aux œuvres d'art, aux objets qu'à lui-même. Le cynisme et la froideur de ce marchand de tableaux à moitié gigolo sont ceux de la société marchande, pour qui le beau et l'humanité n'ont d'autres valeurs qu'économiques. Parce que David est soumis au système marchand au point d'y conformer son jugement, il est dans l'incapacité de distinguer ce qui a une valeur économique et ce qui la transcende. Peuton en effet évaluer selon le même principe des objets, des êtres et des œuvres parce qu'ils ont en commun un processus d'imitation ? Certainement pas. Le désir de savoir de Frenchy est d'autant plus touchant qu'il révèle la naïveté et la maladresse du personnage. Cela la rapproche de son mari, elle, la femme d'affaires, la cuisinière émérite, la travailleuse insatiable aux mains d'or, affublée d'un mari malchanceux, maladroit et candide. C'est précisément parce que Frenchy ne sera jamais une grande bourgeoise, guère plus qu'une caricature, qu'elle est profondément humaine et sympathique. Le processus d'imitation révèle sa nature que tout tend à ignorer : finalement, personne n'a de considération pour la soif de savoir de Frenchy, pourtant qualité positive s’il en est. Ray ne comprend pas les motivations de sa femme et David n'y voit qu'une prétention sociale déplacée. Il est évident qu’Allen écorche aussi par ce biais la business woman. 132
Personne ne trouve grâce aux yeux du réalisateur, pas même Ray faisant par dépit le choix de la bêtise lors de son rapprochement avec la cousine idiote. L’imitation des différentes classes sociales possède un fort potentiel satirique : le traitement de la nourriture est à cet égard révélateur, qu’il s’agisse de la prétentieuse cuisine française ou de la cheap fat food, chacun en prend pour son grade. De la haute bourgeoisie, des parvenus ou du bas peuple, aucun groupe social n'est meilleur ou pire que l'autre, ce qui n’empêche pas le réalisateur de jeter son dévolu sur les classes populaires, celles qui, semble-t-il, savent apprécier le cinéma et en faire une référence culturelle. Ainsi, le cinéma sur petit écran serait aux classes populaires ce que la peinture ou la danse contemporaine sont à la haute bourgeoisie. Le parallèle est réducteur et n'a d'autre fonction que de situer le réalisateur par rapport aux différentes classes sociales : s'il devait en choisir une, ce serait celle des malchanceux, celle des pauvres et des humbles, celle dont le potentiel de sympathie repose sur la vulnérabilité, en un mot, celle qui rappelle les personnages fétiches du réalisateur. Et dans Escrocs mais pas trop, celle qui regarde des films. Il n'y a donc pas d'évaluation possible entre Frenchy et son modèle. Premièrement, parce que Frenchy est un être humain. Deuxièmement, parce que les différentes classes sociales et leurs cultures sont comparables, aucune n'est supérieure à l'autre. Troisièmement, la position de Woody Allen souligne que sa balance personnelle penche en faveur de l'imitation, de la caricature et non pas du modèle. Bien plus que leur position sociale, finalement très volatile, les personnages sont caractérisés par leur culture et leur rapport à l'art. Le film effectue ainsi de nombreux glissements entre la dimension sociale des personnages et leur relation aux œuvres d'art : David mercantilise les œuvres, Frenchy est complexée par cet art qu'elle ne comprend pas et qui cristallise sa position culturelle et sociale, Ray ne veut rien savoir de ces arts dans lesquels, excepté le cinéma, il ne se retrouve pas. 133
Non seulement la culture de Ray est essentiellement cinématographique mais de plus, le personnage lui-même est hypercinématographique. En effet, Ray est un mélange adroit des précédents personnages de Woody Allen dans la même veine des nigauds sympathiques de Prends l'oseille et tire-toi et d'un grand raté du cinéma, le personnage de Gassman dans le Pigeon de Monicelli. Peppe, le personnage de Gassman, tout comme Ray, sort de prison et semble poursuivi par une malchance indécrottable. Tous deux mettent au point un plan compliqué pour atteindre le coffre-fort. Dans les deux cas, le plan suppose que des murs soient détruits, ce qui pose de sérieux problèmes d'orientation à nos personnages et génère à chaque fois de cocasses fuites d'eau. Aucun des deux ne parvient à atteindre le coffre convoité, ni même le local où il se trouve. L'équipe qui les assiste renforce un peu plus la parenté puisqu'ils sont tous deux accompagnés d'incapables multipliant les maladresses. L'un d’eux passe son temps à chaparder des biscuits tout comme le Campannelle de Monicelli. Enfin, les deux films sont accompagnés d’une bande-son musicale aux tonalités jazz. Or tous ces éléments sont assez vagues et relèvent de nombreux principes de la comédie : les personnages maladroits et malchanceux (à commencer par Keaton et Chaplin) accompagnés de voleurs à la petite semaine sont relativement fréquents, pour ne pas dire attendus. De même, la fuite d'eau est un élément comique particulièrement utilisé dans les comédies. Enfin, les pulsions gourmandes du comparse de Ray ne sont peut-être là que pour souligner le savoir-faire culinaire de Frenchy et anticiper ainsi la succes story pâtissière. Et le jazz est une des signatures de Woody Allen. Finalement, tout ce qui semble construire la référence peut aussi la déconstruire. Il manque l'indice clef qui ôterait tout doute et affirmerait clairement l'emprunt. Les critiques ne sont pas ici d'une grande aide : lorsqu'il y a rapprochement avec le Pigeon, ce n'est pas pour établir la référence mais souligner que les deux casses sont réalisés dans le même 134
esprit, à la façon de153… Personne n'envisage réellement cette première partie du film comme une référence à un trésor de la comédie italienne. Le seul élément pouvant éventuellement aller dans le sens de la parodie est la nature référentielle du film qui se construit tant sur le plan thématique que citationnel. En effet, la récurrence du thème de l’imitation conforte l’idée que le film a pu être construit selon cette logique d’emprunt. De ce point de vue, l’art peut être considéré comme le référent fondant les personnages socialement mais aussi cinématographiquement. Ce que suppléent les citations filmiques qui émaillent le film, qu’il s’agisse de White heat (Raoul Walsh, 1949) ou de Hight sierra (Raoul Walsh, 1941), deux films mettant en scène des personnages de truands décadents, pouvant ainsi apparaître comme des modèles cinématographiques de Ray. Ces films font partie de la culture cinéphile de Ray, ils le construisent comme une sorte de Michel Poiccard vieillissant, tout comme ils peuvent être les sources d’inspiration d’Allen, faisant de Ray un pastiche cinématographique comme pouvait l’être le Peppe de Monicelli. Une grande similitude existe donc entre nos deux films sans pour autant suffire à garantir la dimension purement parodique d’Escrocs mais pas trop. D’autres allusions, comme celle de David au Portrait de Dorian Gray, renforcent la dimension clairement référentielle du film. La thématique du film et sa nature référentielle autorisent l’analyse parodique sans pour autant la certifier. Enfin, dernier argument, Play it again Sam, qui n’est pas un film de Woody Allen, même s’il y joue et en a écrit le scénario, cite l’affiche du Pigeon et pastiche dans un cours passage, des comédies italiennes du type Pain, amour et fantaisie (Luigi Comencini, 1953). Cela ne fonde pas la parodie, certes mais établi une filiation très claire entre le Woody Allen et Monicelli. 153
Mérigeau P. 2000, Fortune cookie, le Nouvel Observateur du 07/12, Revue de presse BIFI ou Morice J. 2000, Escrocs mais pas trop, Télérama du 06/12, Revue de presse BIFI.
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Nous sommes donc ici dans l'impossibilité de certifier la référence qui n'est peut-être qu'un produit de notre imagination, ce qui ne l’empêche en rien de fonctionner ni même de produire du sens.
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La transformation satirique : la parodie selon la vulgate L’usage commun du terme « parodie » dissimule fréquemment le travestissement, transformation dont le pouvoir destructeur, s’il est souvent mis au service du rire (James Tont), n’est pas vide non plus de tout sens tragique (Touche pas à la femme blanche). Une transformation qui adhère au film : James Tont, un exemple à part James Tont contre Goldsinger de Bruno Corbucci constitue ce que l'on pourrait nommer une « parodie idéale ». Œuvre d'un auteur fort peu connu154, film culte invisible, fantôme cinématographique pour cinéphiles, James Tont n'a rien d'un film obscur, ni même d'un petit film de cinéma bis. Drôle et inventive, cette transformation de Goldfinger gagne d'autant plus à être connue qu'elle réussit le pari extrêmement périlleux d'adhérer au film premier le plus étroitement possible. En effet, dans les exemples étudiés, les transformations s'attachent à une ou deux séquences marquantes du film premier, à un personnage ou à une trame narrative suivie avec beaucoup de liberté. James Tont est une parodie idéale car ce film est du premier au dernier plan un travestissement de Goldfinger et chose incroyable, cela n'est en rien fastidieux. Comme son titre l'indique d'emblée, James Tont contre Goldsinger désigne sans ambiguïté comme cible Goldfinger, un opus de la série des James Bond particulièrement réussi. 154
Le nom « Corbucci » est surtout connu grâce à Sergio Corbucci, le frère de Bruno, et le réalisateur de westerns italiens fort populaires. Bruno Corbucci était surtout scénariste, il a participé à l'écriture de nombreux succès de Totò. Il avait donc déjà une sérieuse pratique de la parodie lorsqu'il a réalisé ce film.
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« Tont » vient de tonto qui signifie nigaud en italien, il n'en faut pas plus pour transformer James Bond en imbécile, le choix du comédien étant d'ailleurs sans équivoque puisque le très sexy Sean Connery est remplacé par Lando Buzzanca, un inconnu maigrelet et plutôt fat, ce qui n'empêche en rien de belles inconnues de lui tomber dans les bras. Le machiavélique Goldfinger devient un producteur de disques yé-yé dont l'ambition secrète est de détruire le parlement des Nations Unies grâce à un disque piégé. Corbucci conserve l'ambition démesurée et dévastatrice de la puissance maléfique mais lui attribue des procédés et des pouvoirs moindres, l’objectif de cette dernière en paraissant d’autant plus disproportionné. Le personnage de James Tont, ne serait-ce que par son physique, présente une version nettement dépréciée de James Bond. Dépourvu de charme, de force et d'adresse, il a troqué les voitures de luxe contre une petite Simca. Il est la principale victime du sadisme de Goldsinger. À l’inverse, James Bond échappe toujours in extremis aux pièges sadiques qui lui sont tendus, ce qui permet une érotisation du personnage sans atteinte à la virilité et à la force tranquille qu'il incarne155. Corbucci démonte les mécanismes de cette érotisation en plaçant son personnage dans la situation d'une victime féminine. Icônes érotiques s'il en est, les James Bond girls subissent d’ordinaire toutes les pulsions destructrices : la jeune femme dont le corps est enduit d'or présente de façon particulièrement voyante ce traitement sadique et voyeur du corps féminin. Ce n'est donc pas un hasard si Corbucci choisit de faire endosser ce rôle à son personnage masculin. Enduit d'or, James Tont ne doit sa survie qu'à sa masculinité. Ce passage, quoique trivial, a le mérite de souligner en le détournant le processus d'érotisation de la série. En inversant les rôles, Corbucci met en évidence la partition sexuelle du 155
De ce point de vue, Casino Royale (Campbell, 2006), propose une variation inédite de cette relation entre mise en scène sadique et virilité du personnage.
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traitement des corps. Cette inversion se fait bien entendu au détriment de l'espion : l'érotisation n'aboutit pas car le personnage, même enduit d'or et victime de pulsions sadiques, reste toujours aussi négatif en terme de sex-appeal. De surcroît, dans une série où la partition des rôles est nettement sexuée, les inverser au détriment du personnage principal est inévitablement dévalorisant. Dépouillé de son charme, de sa force et de son érotisme, l'espion international est complètement dégradé, la satire est entière. Cette critique peut s'étendre à la série dans son ensemble. Néanmoins, elle se construit essentiellement sur des éléments propres à Goldfinger : nous restons bien dans le domaine de la transformation et de la référence à une œuvre singulière. Il s'agit donc bien d'un travestissement. En effet, le film s'attache pas à pas à reprendre tous les éléments marquants du film premier : la visite du laboratoire et la découverte des gadgets, l'enquête, la peinture d’or, la poursuite en voiture, la capture de l'espion, la fuite et la neutralisation de l'ennemi. Corbucci évite le piège de l'énumération fastidieuse et attendue de ces événements en proposant des détournements très souvent inattendus : les essais du laboratoire se font non pas sur des mannequins, mais sur des êtres humains, la petite Simca de James Tont se camoufle en changeant de couleur, l'espion sauve l'ONU en se transformant en Discobole, etc. L'attrait du film réside justement dans la capacité du film à détourner tout en déjouant les attentes des spectateurs. Ces derniers connaissent tous Goldfinger, un des épisodes les plus réussis, mais surtout le plus populaire d'une série qui ne l'est déjà que trop. En choisissant ce film pour cible, Corbucci postule que ses spectateurs l'auront vu et il base ses effets sur leur savoir. Ils sont censés prévoir plus ou moins l'enchaînement des principaux épisodes, en revanche, ils sont dans l'incapacité d'anticiper le traitement imposé par la transformation, d'où un effet de surprise constamment renouvelé. Pour ce faire, Corbucci évite de reproduire le même processus de transformation d'une scène à une autre : 139
inversion, truchement d'accessoires, exagération, disconvenance, dévalorisation… sont appliqués aux différents personnages et situations de façon très variée. L'adresse de Corbucci réside dans sa créativité lui permettant d’introduire de nouvelles modalités de transformations sans briser pour autant le style ou le rythme du film, chaque modalité cumulant avec les précédentes ou reposant sur une situation particulière. À cet égard, James Tont est radicalement différent des autres satires de la série, notamment les Austin Powers156 dont le comique repose sur un principe unique, le décalage temporel entre Austin et le monde avec la différence de comportement sexuel qui en découle. Ce principe est appliqué aux différentes situations et suscite ainsi des gags qui finiraient par devenir prévisibles si l'enchaînement des situations ne nous était pas inconnu. Par ailleurs, ces Austin Powers sont essentiellement imitatifs puisqu'ils s'attaquent à la série des James Bond dans son ensemble. L'originalité et la difficulté de l'entreprise de Corbucci n'en sont que plus évidentes. C'est donc sur l'inventivité des gags et la mise en déroute des attentes des spectateurs que repose en grande partie la réussite de ce film et c'est seulement à ce prix que la parodie idéale, ou pour être exact, le travestissement idéal d'un film, est possible. En d’autres termes, la prise en compte du spectateur et de son savoir est une donnée essentielle de cette pratique, elle participe autant au fonctionnement de la référence qu’à celui du comique. Une critique corrosive : Touche pas à la femme blanche et La charge fantastique Diamétralement opposées à la parodie intégrale qu'est James Tont, les miniparodies sont extrêmement fréquentes, divers exemples ont déjà été rencontrés à l’occasion d’analyses de pastiches, qui à l’instar du Grand frisson de Mel Brooks, les 156
Austin Powers (1997) et Austin Powers - L'Espion qui m'a tirée (1999) de M. Jay Roach.
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emploient afin de désigner sans équivoque la cible de l'imitation. Le procédé est très fréquent, aussi convient-il d'examiner une de ses parodies dans le pastiche pour en comprendre le fonctionnement propre. Marco Ferreri a mis son humour bien particulier, son art très personnel de la réalisation et sa conscience politique au service d'une imitation satirique d'une grande inventivité, bénéficiant à la fois de la tradition comique du cinéma populaire italien et des audaces du cinéma moderne français. Les auteurs de cette dernière ont déjà écorché le western hollywoodien à diverses reprises, qu’il s’agisse d’Une Aventure de Billy le kid (1970) de Luc Moullet ou de Vent d'Est (1969) de Jean-Luc Godard dans lequel Ferreri fait une apparition aussi réflexive que drôle. Trois années plus tard, Ferreri s'attaque à son tour au western dans Touche pas à la femme blanche et pour ce faire, il intègre à son imitation une référence à un western particulier La Charge fantastique de Walsh (1941). Les personnages mis en scène sont des acteurs mythiques de l’histoire de l’Ouest tels que le commandant Custer, Buffalo Bill ou Calamity Jane. Ces héros, comme la thématique de la bataille de Little Big Horn, font appel à tous les westerns qui s’y réfèrent peut-être plus qu’à l’Histoire des États-Unis. Ferreri s’attaque à la représentation cinématographique de ces personnalités historiques, loin du point de vue de l’historien, ni même du souci de réalisme historique tel qu’il pouvait se manifester dans le western italien. Il compose son personnage principal sur une transformation de celui de Walsh, en s'attachant notamment à souligner la marginalité de Custer. Ferreri procède comme dans la comédie antique, ancêtre de nos parodies contemporaines. Le sujet de La Charge fantastique est « noble » : il s'agit un épisode tragique de l'Histoire américaine présenté par Walsh comme la lutte de deux titans héroïques, le chef Indien et le militaire ressentant l'un pour l'autre une estime partagée. Ferreri abaisse ce sujet en le situant dans un contexte proche du lecteur : Paris au début des années soixante-dix, la construction du chemin de 141
fer devenant celle du RER. En actualisant son sujet, Ferreri le démystifie mais de plus, afin de ridiculiser définitivement le héros hollywoodien, Ferreri laisse le commandant Custer baigner dans l'univers des guerres indiennes, créant ainsi une réelle fracture entre Custer et le monde dans lequel il évolue. Son arrivée à cheval dans le centre d'un Paris contemporain, ses tenues militaires d’une autre époque, le fait qu’il soit étranger au quartier des Halles, tout tend à le marginaliser, à créer un fossé entre le personnage et le contexte diégétique. Il constitue une pièce rapportée, tant du point de vue du genre que de la chronologie, héros de western hollywoodien dans une comédie franco-italienne, et personnalité historique du XIXe siècle plongée dans le Paris contemporain. Combattant d’une autre époque auquel le général, joué par Noiret, a fait appel pour régler une situation actualisée. Pourtant, ce sont bien des Indiens que Custer doit éliminer mais les références à la politique étrangère, aux expulsions liées au chantier des Halles qui constitue le décor, inscrivent le conflit dans une perspective contemporaine qui ne fait que renforcer l'aspect déplacé du commandant. Ce décalage est flagrant lorsque l'on compare le traitement infligé à Buffalo Bill qui pour sa part, appartient à l’univers contemporain : le Wild West Show se déroule dans un pub, ses aventures sont mises en relation avec la politique nordafricaine. Des broderies hippies actualisent sa tenue. La transformation de Buffalo Bill correspond à une intégration du personnage au contexte, alors que celle de Custer l’isole, l’archaïse et le met en porte-à-faux. La représentation du commandant Custer, interprétée par Mastroianni, est nettement plus irrévérencieuse à l’égard du mythe que celle de Buffalo Bill. Ce dernier construit sa propre légende grâce à un spectacle mégalomane tout en ayant conscience de jouer un rôle : maquillé, roulant des yeux, refusant de partager l’espace scénique du cabaret, là où Custer reste lui-même un militaire en parade. Cette qualité réflexive de Buffalo Bill le rend moins incongru, moins déplacé, voire moins dégradé que le personnage de Custer. 142
L'actualisation du contexte confère aussi au film un discours politique d'autant plus facilement identifiable qu'il est fort peu allusif. Ainsi, les représentations des Indiens, des pauvres et des injustices qu’ils subissent peuvent être perçues comme une prise en compte du social, voire du politique. Les Indiens sont affamés, expulsés, massacrés. Le décor du chantier des Halles peut être vu comme une revendication politique : les pauvres sont évacués du centre de Paris au profit des investisseurs évoqués par le décor de la Bourse ou encore les actions reçues en cadeau par la fille du Général. De façon comparable, Touche pas à la femme blanche joue sur la permanence des anachronismes qui créent une multitude d’échanges, de confrontations entre une Histoire passée et une Histoire présente : costumes du XIXème dans un Paris contemporain, cavalerie au milieu du chantier des Halles, construction de la première voie ferrée à l’époque du RER… Innombrables sont les éléments qui, dans chaque plan, développent cet anachronisme au cœur du film : par exemple, certains personnages portent des costumes d’époque, d’autres des vêtements contemporains et, enfin d’autres des habits mêlant les deux périodes. Ferreri télescope deux univers temporels et géographiques distincts en un seul. Ce faisant, il fusionne deux genres différents : le western pour les chevaux, les costumes d'époque et les personnages mythiques de l’Ouest ; la comédie pour le décor contemporain, les comédiens (Mastroianni, Yanne, Noiret,…) et les gags. De la rencontre de ces deux mondes émerge un commentaire social et politique. Ferreri démystifie le western classique en rendant la légende héroïque comparable à l’histoire contemporaine : cruelle, triviale et mercantile. Le contenu politique du film participe donc au travestissement du personnage en dévaluant ses motivations et le cadre de son intervention historique. Par effet d’entraînement, la transformation satirique du personnage concourt à la dépréciation générale de l’événement historique, la célèbre bataille de Little Big Horn devenant le lieu de toutes les fantaisies macabres possibles. Réciproquement, le parallèle entre le XIXème et le XXème 143
siècle suscite une dévalorisation mutuelle, le chantier des Halles avec son cortège d’expulsions apparaissant en retour comme injuste et destructeur. Ferreri ne recule devant rien pour démystifier Custer et sa bravoure. Déjà orgueilleux, belliqueux et socialement inapte dans La Charge fantastique de Walsh, Custer devient hystérique, secoué de rires, de sursauts agressifs, de velléités combattantes exacerbées ou de frissons. Le personnage de Ferreri développe une évidente dimension pathologique. Le militaire, incarné par Errol Flynn resplendissant de santé et de vigueur, devient fébrile, caractériel et son comportement sexuel fait l'objet d'un détournement sans précédent. L’infirmière, jouée par Catherine Deneuve, et le commandant Custer tombent amoureux. L'infirmière est accompagnée d’une imagerie romantique, des robes d’époque toutes en dentelles vaporeuses et des effets de flou encadrent son visage dans des tons blancs ou rosés. Elle vénère le Commandant et la hiérarchie militaire. Lui est impétueux, destructeur, militaire. Ces deux stéréotypes caricaturent le clivage westernien femme/soumission et douceur, homme/domination et destruction. Dans l’intimité, ils se permutent : l'infirmière prend les initiatives et porte dans ses bras jusqu’au lit, un général défaillant. Dans cette scène, les stéréotypes s’inversent donc provisoirement en créant ainsi une nouvelle caricature qui les démystifie un peu plus. La représentation du couple, du sexe, des sexes dans le western américain est remise en cause, monde masculin où les femmes sont rares et souvent déjà caricaturées telle la brave et attentionnée femme au foyer de Custer dans La Charge fantastique. Ferreri accuse dans un premier temps les traits des personnages dans une charge qui permet ensuite de les inverser d'une façon d'autant plus radicale, surprenante et drôle. Ce faisant, il enlève au commandant Custer en caleçon le dernier prestige du militaire : son uniforme. L'uniforme fétiche, attribut de la virilité, disparaît révélant un homme d'une flagrante faiblesse. Autre façon de dégrader le héros, Ferreri l'associe à des 144
éléments vulgaires. Par exemple, en arrière-plan d'un rendezvous amoureux entre Custer et l'infirmière, un chanteur roucoule « I fuck with her like a tiger » créant un décalage amusant entre la situation romantique et la trivialité des paroles de la chanson que l'on peut rapporter aux intentions de Custer. La vulgarité du chanteur est en quelque sorte partagée par les deux héros, amoureux faussement platoniques, ce qui bien évidemment les déprécie un peu plus. Chez Walsh, Custer et Crazy Horse ont l'un pour l'autre une estime partagée. Cela a pour effet de renforcer la nature héroïque de Custer, en le mettant à l'abri de la haine et du racisme : Custer ne se bat pas par goût du sang ou mépris de l'autre, mais parce qu'il est heureux d'avoir trouvé un adversaire à sa mesure. Ferreri inverse diamétralement cette caractéristique du personnage pour l'inscrire dans un contexte raciste auquel Custer participe pleinement, notamment par la petite phrase « Touche pas à la femme blanche ! » qu’il adresse à son éclaireur indien. En effet, la dénonciation du racisme est omniprésente dans l'univers de Touche pas à la femme blanche. Celle-ci demeure dans les phrases, les expressions et le vocabulaire dépréciatif employés à propos des Indiens. Par exemple, le général s’exclame « Encore un troupeau d’Indiens, ils vont finir par remplir ce trou ! ». Des éléments du décor rappellent constamment la condition des Indiens et l’indifférence des citoyens blancs : les corps d’Indiens pendus se balancent nonchalamment en arrière-plan du rendez-vous amoureux entre Custer et l’infirmière. Enfin, une scène explicite clairement la condition des Indiens : des dizaines d’Indiens, hommes, femmes et enfants, sont enfermés dans une immense cheminée en briques que les militaires font exploser. Cette séquence où des Indiens sont enterrés vivants est spectaculaire : la construction s’affaisse lourdement dans un nuage de poussière. La notion d’enfermement, le nombre des victimes, le racisme manifeste, la présence militaire sont autant d’éléments explicitant la thèse du génocide indien. L’infirmière embaume les cadavres d’Indiens en les éventrant 145
et en les vidant de leurs entrailles. Commentaire ironique sur la fonction des infirmières de l’époque, cette séquence, en exposant ces corps vidés destinés à la curiosité des enfants et des passants, souligne une fois de plus le non-respect total du corps d’autrui pour des raisons racistes et confirme l’hypothèse que le massacre des Indiens est décrit comme un génocide. La façon comique dont est traitée cette scène en renforce la subversion157 : le western est une violence devenue spectacle, comme le rappellent les corps exposés avec une légèreté sans précédent. Ce thème se retrouve aussi bien dans le traitement du spectacle de Buffalo Bill, parade macabre, que dans l'association permanente du spectacle et de la mort qui trouve son apothéose lors de la bataille finale. Les figurants sont nombreux, de même que les chevaux, et la poussière se soulève en nuages épais. Après une parade militaire avec chevaux et uniformes, la bataille a lieu. Les militaires s’effondrent, ainsi que l’infirmière. Une flèche lui transperce le cou de part en part. Tout est spectaculaire : l’immense décor du chantier, le millier158 de figurants, mais également les blessures. S’y retrouve une tradition du final propre au monde du spectacle et souvent récupérée par le cinéma hollywoodien, notamment dans certains westerns, par la présence du gunfight final. Chez Walsh aussi, la dernière charge présente les ultimes instants de Custer de façon très spectaculaire. Le western est donc bien critiqué comme étant le spectacle de la mort, un génocide élevé au niveau d'un mythe par une culture à laquelle le cinéma participe activement. Parmi ces figures de bourreaux transformés en héros afin de créer la légende qui donne à l'inacceptable l'apparence de la vertu, Custer figure en bonne place. Militaire de carrière, chargé de mettre un terme aux guerres indiennes par la violence, il a en 157
Vatrican V. 1993, Touche pas à la femme blanche, Cahiers du cinéma n°HS, p. 111. 158 Le tournage de ce film était à lui seul un spectacle tant par son aspect insolite que par les moyens mis en œuvre comme en témoigne Demange J. 1974, "Custer tourné aux Halles", Western revue n°15, p. 6 à 13.
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fait mené ces troupes à la mort dans une cuisante défaite, la fameuse bataille de Little Big Horn qui fait l'objet du film de Walsh comme de celui de Ferreri. L'imitation satirique du western est donc étroitement associée à la parodie de la Charge fantastique. Bien entendu, il y a eu d'autres westerns hollywoodiens sur Custer ou la bataille de Little Big Horn. Pourtant c'est bien au film de Walsh que Ferreri a choisi de faire référence. En effet, le personnage de Ferreri est, comme on l'a vu plus haut, complètement en porte-à-faux avec l'univers dans lequel il évolue. Or déjà chez Walsh, Custer est marginalisé dans la mesure où il s'avère incapable de mener une vie civile normale. Walsh peint une personnalité complexe, vaniteuse mais courageuse, uniquement tournée vers la performance physique et surtout capable de retourner contre lui sa propre violence. Ce militaire qui ne brille qu'au combat ou dans les compétitions sportives, dépérit lorsqu'il n'est pas sur le front. Le Custer de Walsh n'est donc pas un héros parfait, le surhomme qui cumule toutes les qualités, mais il reste un héros malgré tout, machine de guerre, militaire valeureux, virtuose du combat animé par des valeurs de respect de l'adversaire, d'estime des Indiens et bien entendu, de sentiments nationalistes. Ferreri accentue la névrose du personnage et le transforme en fou furieux assoiffé de sang, hystérique, raciste et manipulé par ses supérieurs hiérarchiques. Il y a donc bien une transformation satirique du Custer de Walsh. La présence de cette parodie dans le pastiche n'a pas été identifiée par les critiques. Plusieurs explications sont possibles. Premièrement, cette transformation satirique s'attache essentiellement au personnage. Elle est par conséquent fondue dans l'imitation du western et a du mal à s'en distinguer. Elle émerge par moments, notamment lorsque Custer entre en jeu, pour disparaître totalement lors des scènes dans la Bourse, avec Buffalo Bill ou chez les Indiens. Deuxièmement, l'imitation satirique du western est quant à elle tellement évidente qu'elle a pu masquer la parodie. 147
« Depuis longtemps, Ferreri avait envie de dissoudre le mythe du western […] »159, « […] désacralisation d'un genre comme justement le western hollywoodien […] »160. L'imitation satirique a bien été décelée, au détriment très probablement du travestissement. Troisièmement, le fort contenu politique du film a lui aussi occulté sa nature hypercinématographique. Les anachronismes du film facilitent les rapprochements, non pas avec d'autres films, mais avec la situation contemporaine : « Les soldats bleus vous ont parfois d'évidentes ressemblances avec les CRS à l'uniforme à peine plus foncé. »161 Le politique éclipse la parodie, peut-être parce qu'il la détermine. Ici comme dans de nombreux films du cinéma moderne français, les références sont subordonnées à des impératifs tels que le manifeste (À bout de souffle) ou au politique (Vent d'Est). Irrévérencieuse et carnavalesque, la parodie est en effet utilisée pour ses facultés éminemment subversives, cette subversion en s'attaquant ici à un symbole historique, dépasse le cadre purement cinématographique pour contaminer le champ politique remplissant ainsi le rôle social dévolu au carnavalesque.
La transformation sérieuse : une pratique plus fréquente que l'on ne le croit À l’exemple des imitations sérieuses, le régime sérieux des pratiques transformatives n’induit en rien la neutralité. Bien au contraire, cette forme de création dont nous étudierons un 159
Depuyer C. 1974, Ferreri : un cinéma de mœurs-fiction, Cinéma 74 n°190-191, p.190. 160 "dissacrazione di un "genere" come appunto il western hollywoodiano", U.F. 1975, Non toccare la donna bianca, Cinema Nuovo n°235-236, p.273. 161 Huleu J-R. 1974, "Touche pas à la femme blanche" de Marco Ferreri, Libération 24/01, Revue de presse BIFI.
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exemple moderne et postmoderne, entretient une relation particulièrement dense et orientée à l’œuvre empruntée. Par ailleurs, les deux études de cas suivantes permettront d’introduire en creux le prochain chapitre consacré au remake qui constitue à sa façon, une autre forme de transformation sérieuse. Une filiation nostalgique : Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et Quand la ville dort de John Huston Jean-Pierre Melville avait une affection particulière pour les films hollywoodiens des années trente et quarante, ainsi qu'une fascination certaine pour les films noirs. Aussi, lorsqu’apparaît sur les écrans Quand la ville dort de John Huston, auteur du Faucon maltais, Melville ne pouvait qu'accorder une attention particulière à ce film. Il le bouleversa à tel point qu'il décida de modifier radicalement le scénario de Bob le flambeur, alors en projet. Melville rêvait de faire un film comme Quand la ville dort, un film tragique sur la préparation d'un coup162. Et non content de le devancer de la sorte, Huston a réalisé un film mythique, indépassable. Il ne restait plus à Melville qu’à lui rendre hommage des années plus tard dans un film devenu lui aussi un monument du patrimoine cinématographique. À première vue, Le Samouraï n'est pas le film de Melville le plus proche de Quand la ville dort. Le Cercle rouge semble nettement plus en phase avec sa thématique : la description minutieuse de la préparation d'un coup tragique réalisé par une équipe bancale quoique composée de professionnels. Le coup réussit mais la suite leur est fatale : les voleurs meurent le nez dans l'herbe tout comme le personnage principal du film de Huston. Contrairement au Cercle rouge, dans Le samouraï ce n’est pas la fin mais le début du film qui tisse une référence explicite 162
Entretien réalisé par Beylie C. et Tavernier B. 1961, Cahiers du Cinéma n°124, p. 10.
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avec Quand la ville dort. Les deux films débutent sur une ville nocturne, deux truands tentant d'échapper à la police après avoir commis un délit. Jeff Costello, le samouraï, vient d'exécuter un patron de boîte de nuit avec un sang-froid et une précision toute professionnelle. Dix, le personnage de Huston, a braqué un commerçant et le film débute alors qu'il s'enfuit. Les truands de Melville et Huston sont arrêtés lors d'une rafle de police et sont confrontés aux témoins afin d'être identifiés. Les deux personnages sont donc dans des situations fort comparables. Néanmoins, la référence n'est pas encore explicite car le délit est très différent. De plus, Melville a choisi de montrer le meurtre tandis que Huston ne filme pas le braquage, Costello se construit un alibi calculé à la seconde près alors que Dix se contente de se réfugier dans un bar. Les différences entre les deux films sont à la fois trop nombreuses et importantes pour qu'il soit, à ce moment précis, possible d’établir toute relation. En revanche, la scène d'identification des suspects évoque avec précision la même scène de confrontation dans Quand la ville dort (Huston, 1950) : les hommes en pardessus et chapeau mou sont alignés sur le fond rayé de la toise, hommes ramassés au hasard des descentes nocturnes de police. Dans les deux films, les coupables ont été raflés et sont soumis à l’appréciation des témoins. Dans le film de Huston, les suspects ne correspondent pas au profil recherché : l’un est de taille moyenne et plutôt corpulent, l’autre est un blond minuscule. Seul le physique de Dix correspond à celui de l'homme recherché et il semble désigné de fait, mais le témoin hésite : « Il avait un chapeau ». Les suspects mettent leurs chapeaux. Le témoin hésite toujours. Un champ contrechamp en plan rapproché sur leur visage souligne le jeu de regards qui circule entre le suspect et le témoin. Le policier tente de lui forcer la main : « Il était grand, portait un complet sombre et un feutre, vous ne voyez pas ! ». Mais le témoin refuse de reconnaître Dix qui est relâché. Idem, dans Le Samouraï : les témoins hésitent, une femme dit « L’homme portait un chapeau. », les témoins mettent leur chapeau, un témoin 150
reconnaît le tueur, les autres pas. La relation entre les deux films est alors évidente : ce jeu avec le chapeau, mis à part l’hommage qu’il constitue au film de Huston, remplit en outre une fonction narrative. D’une part, il superpose le temps d’une séquence les personnages joués par Delon et Hayden, suggérant ainsi aux spectateurs la très probable fin tragique du premier. D’autre part, lorsque le commissaire réclame du témoin principal l’avis qui déterminera le sort du tueur, le spectateur peut anticiper, toujours par superposition, que le témoin l’a reconnu mais refuse de le dénoncer. Là encore, un jeu de regards en champ contrechamp appuie la relation entre les deux films et confirme l’accord tacite entre le témoin et le suspect. Dans les deux cas, ce procédé permet de présenter rapidement et froidement le personnage principal. Dans les deux cas, il est coupable mais la ressemblance s’arrête là : le casier judiciaire de Dix révèle un délinquant de petite envergure, un looser de la rue tandis que celui du Samouraï est vierge. Face au sangfroid et à la minutie du meurtre auquel les spectateurs viennent d’assister, ce casier vierge démontre la virtuosité sans égale du tueur. La relation avec le personnage de Dix permet donc de valoriser professionnellement celui du Samouraï. Chose notable, cette valorisation ne repose pas sur la dévalorisation de son modèle, Melville n’égratignant pas le héros de Huston pour avantager le sien. La comparaison se fait par l'intermédiaire du spectateur mettant en relation les deux personnages, le récidiviste vivant de petits larcins et le tueur professionnel inconnu des services de police. Ce parallèle n'enlève en rien à Dix son aspect pathétique et tragique tout en rendant Jeff encore plus mystérieux. Si l’on peut parfois dire de certains personnages énigmatiques qu'ils sont opaques, Jeff semble transparent, vide comme son casier judiciaire. Il n'a pas de passé, contrairement à Dix, nostalgique de son enfance et soupirant après le rêve du ranch familial perdu. Enfin, Melville récupère le comportement du policier de Huston faisant comparaître le coupable parmi des suspects le 151
désignant expressément comme le seul homme correspondant au profil. Le commissaire de Melville devient alors pour les spectateurs un homme prêt à tout pour confondre le tueur. Il s’avère effectivement que le commissaire du Samouraï met toute la technologie dont il dispose au service d'une enquête qui prend l'allure d'une traque : le tueur est suivi, mis sur écoute, ses déchets sont ramassés, son appartement est visité et surveillé. Le commissaire est même prêt à corrompre l’alibi du tueur par le moyen du chantage. La référence au film de Huston permet donc de situer très clairement les deux personnages principaux du film de Melville, ainsi que la nature de la relation qui va s'instaurer entre eux : une poursuite inexorable et fatale. Mais Melville ne s'arrête pas là : la confrontation se poursuit avec cette fois-ci un plus grand nombre de suspects qui échangent leurs pardessus et chapeaux mous à la demande du commissaire tentant ainsi de brouiller les pistes sans résultats. L'alibi, un homme croisé dans un hall d'immeuble avoue ne pas se sentir capable de reconnaître l'homme qu'il a croisé et recompose pourtant la silhouette exacte de Jeff en identifiant son visage, son chapeau et son pardessus. Étonné par la précision de la mémoire de l'homme le commissaire s'exclame : « Qu'est-ce que ça aurait été si vous aviez eu le sens de l'observation ! ». L'avenir de Jeff est étroitement dépendant de la mémoire des autres : il faut que son alibi se souvienne de lui. Il fonctionne en quelque sorte comme une référence : Jeff a semé des indices visuels forts qui doivent éveiller la mémoire de son alibi et lui permettre de le reconnaître. En effet, la rencontre à une heure très tardive était inattendue. De même, la tenue vestimentaire compose une silhouette bien particulière et complètement décalée par rapport au contexte diégétique. Dans le Paris des années soixante, la silhouette de Jeff évoque les années quarante. Elle ne pouvait que marquer l’imaginaire de l’homme alibi, de même qu’au niveau référentiel, elle évoque sans conteste les personnages de films noirs. Le jeu d'échange de chapeaux et de pardessus est une façon de 152
souligner la particularité vestimentaire du personnage, de jouer avec la silhouette du protagoniste de film noir pour retourner à la silhouette de Jeff, entière et identifiable : Jeff est un tout, un bloc impossible à confondre ou à fractionner parce qu'il est décalé par rapport à son contexte, parce qu'il n'est pas un personnage, mais une silhouette dont on ne saura jamais rien. Jeff n'est pas un être humain, sa seule identité est d'être un tueur qui a l'allure d'un personnage de film noir et ce, sans aucun désir de réalisme ou de crédibilité de la part du réalisateur. Les gangsters cinématographiques, qu’ils soient français ou américains, inspirent l'auteur bien plus que la réalité, d’où un certain mimétisme, d'un personnage à un autre, d'un film à un autre. Ces ressemblances sont renforcées non seulement par la constance de quelques accessoires comme le chapeau mou, le trench-coat ou l'arme à feu, mais aussi par un irréalisme assumé163. Ainsi, Lautner164 juge Le Samouraï ridicule car il arrange son chapeau avant de tuer, ce qu’il trouve totalement invraisemblable. Mais ce petit geste, tout comme les gants blancs de monteuse165 qu'il porte, contribuent justement à situer délibérément le personnage dans l'univers du cinéma et non pas dans celui de la pègre parisienne. Loin d’être anodins, ces détails inscrivent le personnage dans une généalogie du gangstérisme cinématographique. Il n'est en rien l'ersatz d'une réalité sordide, mais constitue un pur personnage hypercinématographique. Autre élément distinctif de Jeff, il ne parle quasiment pas. Melville renforce ainsi l'étrangeté du personnage et le démarque notamment de ses contemporains cinématographiques en tournant complètement le dos à la tradition 163
C’était notamment le cas de Melville qui admettait que sa vision de la pègre n'était pas toujours réaliste, cf. J. de Baroncelli, 1970, Le Cercle rouge, 22.10. Le Monde. 164 Le co-scénariste des Tontons flingueurs est interviewé par Brisset S. dans 1997, Du rififi chez les flingueurs, Polar n°18, pp. 91 à 96. 165 Nogueira R. 1996 (1973) Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, L'Etoile/Cahiers du Cinéma, Paris, p.162.
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théâtrale et littéraire du cinéma policier français et en revendiquant ainsi l’influence des personnages d’action hollywoodiens. Parmi eux, le gangster façon Little Caesar figure en bonne place : il parle peu et seul son comportement permet de cerner sa personnalité. Les cambrioleurs de Quand la ville dort sont peu loquaces et lors du coup, ils sont totalement muets : l'action se passe volontiers de dialogues, leur attitude suffit à exprimer leur intériorité. Le samouraï récupère cette silencieuse gravité qui dirige toute l'attention des spectateurs sur le comportement et le corps du personnage, son habillement, ses gestes, ses postures. Mais celui du Samouraï n'exprime rien d'autre qu'un professionnalisme mécanique, la maîtrise parfaite de soi, une concentration de chaque instant parce que toute sa vie est entièrement consacrée à son métier de tueur. Contrairement aux truands hollywoodiens, on ne lui connaît ni famille, ni passion, ni perversion. Son rôle de tueur le constitue entièrement. Melville utilise la concentration muette qui servait le professionnalisme des protagonistes hollywoodiens pour l'étendre à tout son personnage, en gommer toute trace d'individualité et le tourner tout entier vers sa nature de tueur hypercinématographique. Même situation, même décor lors de la première confrontation, même phrase des témoins, même jeu de regard, même refus de reconnaître l'évident coupable : la référence à Quand la ville dort est indiscutable. De la simple ressemblance de situation, Melville cumule petit à petit les points communs jusqu'à ce que la phrase « L'homme portait un chapeau » avalise définitivement la référence. Le spectateur est ainsi progressivement mis sur la piste de la référence. L'écho entre les deux films se confirme progressivement jusqu'à la quasi-citation du dialogue qui certifie l'identification de la référence. Melville va même jusqu'à répéter lors d’une seconde confrontation l'échange des chapeaux avec une insistance qui appuie délibérément la référence. Cette stratégie des indices mise en place par Melville souligne la détermination du réalisateur à ce que sa 154
référence ne passe pas inaperçue. Il tient à ce qu'elle fonctionne car elle construit la nature hypercinématographique du personnage, raison pour laquelle, tout comme pour les gants blancs, elle est volontairement particulièrement voyante. Melville cumule en répétant une troisième fois cette confrontation. Dans le bureau du commissaire, Costello est confronté une dernière fois aux témoins dont on exige un avis catégorique. Les parois de verre dépoli rayé recréent dans le bureau un décor fort comparable à la toise sur laquelle sont alignés les suspects chez Huston et dans la première confrontation chez Melville. À nouveau, les témoins sont questionnés, à nouveau le jeu de regard avec le champ contrechamp mais ici, deux différences notables s’installent. Tout d’abord, l’espace exigu du bureau crée une proximité inédite entre les personnages. Ensuite, chez Huston, lors du champ contrechamp, Dix est filmé de face mais le contrechamp nous présente le témoin de profil, comme fuyant le regard grâce au raccord. Au contraire, Melville répond au champ plein cadre de Costello un plan plein cadre de face de la jeune pianiste, le témoin clé. En changeant simplement le raccord, Melville construit entre les personnages autre chose qu’un rapport de force, le début d’un échange, d’une relation. Cette répétition de la confrontation étend notablement la durée de la séquence concernée qui est quatre fois plus longue chez Melville que chez Huston. Melville dilate en jouant sur des augmentations systématiques : il a plus de témoins, plus de suspects, il montre dans le détail l'organisation policière et ajoute la déposition de l'alibi. Si la référence au film de Huston est évidente, les modifications imposées au modèle n'en sont pas moins présentes. Modifications qui ne cherchent en rien à se moquer ou à faire rire de Quand la ville dort. Ici la transformation est sérieuse. En rapprochant son personnage de celui de Huston en particulier et des personnages noirs hollywoodiens en général, Melville rend hommage à John Huston, le père du film noir, tout en tournant le dos à la tradition du film policier français. Melville parvient, tout en 155
restant d’une grande fidélité à l’égard du film de Huston, à installer des différences qui lui permettent de construire ses personnages, de pressentir le devenir de leurs relations. Cette économie, d’une grande rigueur formelle, n’a rien à envier au classicisme hollywoodien et participe à l’hommage : certes, ces détails soulignent l’art de Melville, mais ils magnifient avant tout la force et la rigueur de la mise en scène de Huston. Les renvois à Quand la ville dort, au film noir, manifestent la nostalgie du cinéma hollywoodien en noir et blanc des années quarante-cinquante, tandis que le refus patent de créer toute parenté avec la tradition du cinéma français, bien plus qu'un rejet, révèle un fort sentiment de solitude. Jeff avec sa silhouette de héros hollywoodien est à peu près aussi décalé dans le Paris des années soixante que pouvait l'être Melville au sein de la production française166. Ce décalage dans la façon de faire et de concevoir le cinéma se retrouve dans les moindres détails de ses films, par exemple les fenêtres à guillotine du Doulos, incongrues dans un pavillon de la banlieue parisienne. Melville expliquait qu'aucun laboratoire parisien ne comprenait ce qu'était le « noir américain » car il était le seul à le réclamer167, révélant ainsi la solitude du réalisateur dans toute sa matérialité. Chez Melville, les références expriment le sentiment douloureux de l'écoulement du temps associé à un besoin de rompre l'isolement. La référence est dans ce cas une façon de rattacher le film à un corpus cinématographique et d'éviter ainsi que l'œuvre soit orpheline, c'est-à-dire appréhendée dans un contexte qui n'est pas complètement le sien. En l'occurrence, pour Melville, le 166
Proche dans un premier temps des réalisateurs de la Nouvelle Vague, Melville en 1967 ne se trouve plus aucun point commun avec eux, il est même très critique à leur égard "Et ce que l'on a appelé la nouvelle vague a contribué beaucoup à la détérioration du cinéma français." Quant au cinéma traditionnel français, Melville n'était guère plus indulgent (pénurie de sujets, influence néfaste de l'Etat…). Interview de Melville dans Langlois G. 1967, Le Samouraï, Les Lettres Françaises du 01/11, Revue de Presse BIFI. 167 Beylie C. et Tavernier B.op. cit. p. 1 à 22.
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contexte dans lequel inscrire Le Samouraï ne pouvait pas être le cinéma policier français contemporain168, trop bavard169 ou trop politique. Les références lui permettent de situer autrement son film, en lui créant un contexte qui lui est propre : celui du cinéma hollywoodien des années quarante et cinquante. Ce n'est donc pas par rapport à une réalité contemporaine au contexte cinématographique immédiat du film qu'il faut appréhender le personnage principal. Au contraire, la référence au film de John Huston tend vers un passé plus lointain géographiquement et historiquement : la tradition des films noirs hollywoodiens. D'ailleurs, il n'est pas sans intérêt de constater que Melville a attendu un certain temps avant de renvoyer à Quand la ville dort. Il avait conçu Bob le flambeur en opposition à ce film. Douze années plus tard, il peut enfin lui faire ouvertement référence, comme si dans sa relation nostalgique au cinéma hollywoodien170, les œuvres qu'il utilisait pour situer ses films ne pouvaient prendre corps qu'à une certaine distance temporelle de lui. Le Samouraï est désengagé, froid, formellement parfait. Le sentiment de vide qui se dégage du film comme du personnage n'est pas le reflet d'une possible vacuité mais de la réelle douleur d'un auteur solitaire et nostalgique. Les spectateurs français de l'époque ont-ils réellement été en mesure d'extirper Le samouraï du contexte du cinéma français pour le plonger dans celui, pourtant révolu, de l'âge d'or du cinéma américain ? A priori, ils ont bien inscrit le film au sein du cinéma policier hollywoodien mais ce, sans pour autant 168
"C'est un genre [le film policier] qui inspire peu les cinéastes français. Je trouve qu'il est le plus difficile. Vraiment, il n'y a que les Américains qui y soient parvenus." Interview de Melville par Langlois G. op.cit. 169 Serges Daney remarquait ce traitement très particulier de la parole qui le distinguait de ses contemporains à propos d'Un flic, 1991, Un flic dans un petit écrin, Devant la recrudescence des vols de sacs à main, Aleas, Lyon, pp.23 à 25. 170 A ce sujet, on ne peut que renvoyer au documentaire de Labarthe, 1970, Jean-Pierre Melville, Cinéma de notre temps.
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extraire véritablement le film de la production française. Ainsi, on a pu lire : « Melville […] s'est pourtant plié aux exigences du genre. Il a battu sur leur propre terrain les meilleurs spécialistes américains du "suspense". »171 Ici Melville n'échappe pas à sa condition de réalisateur français « nécessairement » en concurrence avec ses collègues américains, selon l'esprit revanchard prévalant depuis les accords Blum-Byrnes, ce qui est évidemment une aberration pour qui connaît l'affection de Melville pour cette cinématographie. Avec plus de discernement, Baroncelli observe « [u]n heureux mélange d' "efficacité" américaine et d'esprit de finesse dans la tradition française. »172 Ce faisant, il souligne la mixité de l'art de Melville, où la technique, la maîtrise formelle et l'influence américaines sont au service d'une culture indéniablement française. Les critiques ont observé la relation entre Le Samouraï et un ensemble aux contours plutôt flous : le film policier américain, le cinéma hollywoodien. La référence singulière au film de John Huston et l'importance des emprunts dans la constitution du personnage sont toutefois apparues. Ainsi il a été écrit à propos de la direction d'acteur : « Melville a retrouvé là l'un des secrets du cinéma américain. Bien sûr, quand Alain Delon passe la main sur le bord de son chapeau, on pense à Humphrey Bogart se pinçant l'oreille ou à Paul Muni faisant sauter des pièces de monnaie dans le creux de sa main. »173 La critique a parfaitement compris que Jeff Costello n'est pas un personnage construit sur une observation de la criminalité contemporaine mais uniquement sur ses précédents cinématographiques hollywoodiens. Elle s'amuse d'ailleurs à déguiser l'identification de la référence au film de John 171
Chazal R. 1967, Le Samouraï, France-Soir du 26/10, Revue de presse BIFI. 172 Baroncelli de J. 1967, Le Samouraï, 30/10, Le Monde, Revue de presse BIFI 173 Tremois C-M 1967, Le Samouraï, Télérama du 12/11, Revue de presse BIFI. D’ailleurs, le lanceur de piécettes n’était pas Paul Muni mais George Raft !
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Huston sous la forme d'une référence au titre original du film : « De la première à la dernière image, on y observe le comportement du tigre dans l' "asphalt jungle", la jungle de l'asphalte. »174 La référence fonctionne puisqu'elle a visiblement été identifiée. D'une manière générale, les critiques remarquent tous la relation au cinéma hollywoodien et la volonté de Melville de se situer dans un entre-deux : pour eux, il n'est pas possible d'isoler le réalisateur français de son contexte de production, et pour cause ! Comme il a été vu dans le chapitre consacré à l'imitation du film noir par le cinéma policier français, Melville a en commun avec un certain nombre de réalisateurs français la pratique de l'emprunt au cinéma hollywoodien. Chez la plupart de ces réalisateurs, nous avons vu que cette imitation était une façon de concurrencer le cinéma hollywoodien sur le terrain des genres en lui empruntant un certain savoir-faire. Cela explique en partie la maladresse de la citation de Chazal. L'originalité de Melville, et ce qui fait aussi sa solitude est précisément ce refus d'envisager la relation au cinéma américain comme une compétition tout en bénéficiant de l’efficacité et de la popularité des films américains. En cela, sa démarche est radicalement différente de celle de ses homologues français, malgré leur indéniable point commun puisqu’ils puisent dans le même répertoire175. Encore une autre façon pour Melville, de se situer en marge, voire même au-dessus des contingences protectionnistes de la profession.
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Tremois C-M, op. cit. Chapitre : « Le réemploi d'un savoir-faire éprouvé : le film noir dans le cinéma policier français » 175
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Hommage à un modèle d'emprunt : Ghost Dog de Jim Jarmusch et Le samouraï de Melville Devenu à son tour un auteur mythique, Melville est à présent un modèle pour des réalisateurs du monde entier, de John Woo à Quentin Tarantino. Jim Jarmusch emprunte explicitement au Samouraï dans Ghost Dog, la voie du samouraï (1999). Le titre présente d'emblée le personnage par sa vocation, l'art de tuer pour les autres, et crée un premier écho avec le samouraï de Melville vivant sa profession de tueur d’une façon quasi mystique. Ce lien n'est pas anodin. Dans l'histoire du cinéma, si les personnages de tueurs à gages sont nombreux, en général leur vocation est issue d'un engrenage de violence ou d'une nécessité économique. Elle peut également s’expliquer par un certain nombre de tares psychologiques. Mais rares sont ceux qui, comme les personnages de Melville et Jarmusch, vivent leur travail de tueur en s'y investissant corps et âme, dans une sorte d'abnégation sacrificielle qui, plus qu'un métier, en fait un véritable mode de vie, une raison d'être à part entière. Leur solitude, leur mutisme, leur quotidien dans lequel le crime ne s'accompagne pas d'un luxe ostentatoire mais au contraire d'une absence totale de confort et de superflu, sont autant de signes d'une motivation intérieure commune qui transcende le stéréotype du tueur cinématographique traditionnel et nous présente deux personnages qui assassinent non pas par vengeance, mercantilisme ou sadisme mais par essence. Leur solitude à tous deux est d'autant plus évidente qu'ils sont abandonnés par leurs commanditaires et sont de ce fait confrontés à de puissants réseaux. Dans Le Samouraï, Jeff doit simultanément se battre contre la mafia opaque, mystérieuse et tentaculaire de ses commanditaires et contre la police tissant sur Paris une véritable toile d'espions censés le piéger. Ghost Dog affronte lui aussi un réseau : la mafia italienne, avec sa hiérarchie, ses gardes du corps et ses tueurs 160
qui le traquent dans New York. Sans intimité, leurs appartements sont visités par leurs ennemis et l'état de leurs seuls compagnons, un oiseau en cage affolé ou des pigeons massacrés, leur indique le passage des importuns. Les deux personnages sont donc fort proches mais les points communs entre les deux films ne s'arrêtent pas là. Bien au contraire ils cumulent du début jusqu'au générique de fin dans lequel Jarmusch remercie Cervantès et Melville. Les deux films présentent une trame narrative comparable : alors qu'il exécute un contrat, un tueur, malgré son professionnalisme, est repéré par une jeune femme, témoin inattendu. Dès lors, les commanditaires du crime n'auront de cesse d'essayer de le supprimer. D'ailleurs, ces films commencent tous deux de façon symétrique : le titre, qui semble introduire une dimension moyenâgeuse asiatique, est immédiatement démenti par un contexte occidental, urbain et contemporain. Le samouraï en question est nécessairement en décalage par rapport au contexte historique, culturel et social. Ce décalage est confirmé par la marginalité du personnage qui nous est présenté d'emblée comme un homme vivant seul, à l'écart de la ville et de ses habitants : un étrange silence règne dans l'appartement de Jeff, le logement de Ghost Dog se situe sur les toits, au-dessus de la ville. Marginalité aussi de leurs activités car les personnages de Melville et de Jarmusch se mettent rapidement à l'action : ils volent une voiture et vont tuer un homme, après quoi ils croisent une jeune femme dont l'appartenance à la mafia causera leur perte respective. Jeff est tué en retrouvant la pianiste qu'il a croisée dans un couloir immédiatement après le crime ; Ghost Dog est traqué car la jeune femme présente sur les lieux du meurtre est une riche héritière de la mafia. Ghost Dog élève des pigeons qui seront tués, marque funeste du passage de ses poursuivants ; plus modestement, Jeff possède un canari en cage dont l’affolement signale l’intrusion d’importuns dans son domicile. Ces oiseaux constituent une sorte de prolongement des personnages, totalement en phase avec leurs maîtres, 161
attentifs au moindre signe de leur part dans une sorte de communication muette, particulièrement spectaculaire dans Ghost Dog menant le ballet de ses pigeons d’un mouvement de bras tel un chef d’orchestre, moments de communion avec l’animal, de respiration, de pause qui suspend la traque. Ces oiseaux incarnent les personnages, piégés, traqués, mais aussi prisonniers d’un ensemble d’obligations, spirituelles (la voie du samouraï), professionnelles qui rendent toute fuite impensable. Les tueurs effectuent tous deux le meurtre en gants blancs. Ces fameux gants de monteuse étaient dans Le Samouraï une allusion réflexive au dispositif cinématographique, ce n'est donc pas un hasard si Jarmusch choisit de les conserver : tout comme Jeff, Ghost Dog n'est pas le reflet d'une réalité sociale176, il est avant tout un personnage hypercinématographique, c'est-à-dire un être fictif qui s'annonce comme tel, construit grâce aux films qui l'ont précédé. De multiples emprunts construisent ce personnage atypique et participent à l'élaboration du récit. Pour autant, Ghost Dog n'est ni un remake du film de Melville, ni une fidèle copie : nombreux sont les écarts entre les deux œuvres et ces écarts ne sont pas simplement le fait de la réactualisation du film premier. Si Le Samouraï semble être de loin la référence la plus déterminante, il n'est pas le seul film à être emprunté : La Marque du tueur de Suzuki (1967), Le Point de non-retour de Boorman 1967), Le Doulos de Melville sont également à l'honneur. Est aussi cité un dessin animé dans lequel Betty Boop attrape des oiseaux. La force de la mise en abyme tient à l’écho visuel très fort entre le dessin animé cité et les personnages. Le geste de Betty Boop double de celui de Ghost Dog lorsqu’il danse avec ses pigeons et sa coiffure répète 176
Jarmusch va dans ce sens lorsqu'il explique qu'il s'intéresse plus aux personnages qu'aux groupes sociaux et que Ghost Dog n'est pas un "porteparole de la communauté noire". Blumenfeld S. 1999, Interview de Jim Jarmusch, réalisateur, Le Monde du 21/05, Revue de presse BIFI.
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celle de la jeune spectatrice. Plus encore, la citation fait aussi écho aux personnages du Samouraï puisque la coupe garçonne est également celle de la pianiste et que les oiseaux de Betty Boop enfermés dans le filet évoquent le canari de Costello prisonnier de sa cage. La mise en abyme est d’autant plus vertigineuse qu’elle démultiplie dans l’image personnages, actions et référents. Elle dépasse de loin le cadre narratif pour imposer la référence au Samouraï comme constitutive des personnages. En effet, la parenté entre la citation et le contenu général du film est très lâche : le filet et les oiseaux prisonniers pouvant éventuellement évoquer le réseau mafieux ou la traque des personnages. Au contraire, la mise en abyme repose sur un effet visuel très fort et affirme de façon répétitive particulièrement appuyée le fonctionnement référentiel du film comme étant primordial. La mise en abyme désigne le mode référentiel du film avant même les éléments narratifs177, elle en apparaît doublement réflexive. Ghost Dog fonctionne de façon Don Quichotesque : comme le personnage joué par Woody Allen dans Play it again Sam, les références qui le constituent, le modèle qui le guide, le situent en marge du contexte dans lequel il se trouve. L’actualisation a ici un fonctionnement bien différent de celui du remake puisqu’elle n’est pas là pour adapter un film premier aux exigences d’un public contemporain mais pour creuser l’écart entre le personnage à la droiture moyenâgeuse et une société américaine égoïste et mercantile. Marginal, isolé, Ghost Dog communique peu et par des biais inattendus. Les pigeons voyageurs lui permettent de rester en contact avec la mafia et les échecs sont un de ses rares moyens d'échanges avec son seul ami qui ne parle pas sa langue. Pourtant, le personnage de Jarmusch est sur certains points plus en phase avec la société que Jeff Costello. Dans 177
En ceci, elle se distingue de la mise en abyme telle que décrite par Sébastien Fevry. 2000, La mise en abyme filmique – essai de typologie, Editions du Céfal, Liège, 173p.
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l'analyse précédente, Jeff apparaît aussi transparent que son casier judiciaire, sans passé, sans affects. Ghost Dog, lui, a un passé, un trauma qui revient sous forme de rêve et justifie à ses yeux sa vassalité en même tant qu'il explique au spectateur l'origine de sa vocation : l'enfant de la rue, lors d'une agression extrêmement violente, a été sauvé par Louis, un petit parrain de la mafia, qui a exécuté sous ses yeux ses deux agresseurs. La vocation de Ghost Dog a par conséquent un ancrage social déterministe : l'enfant noir dormant dans la rue, agressé par deux blancs, ne pouvait que devenir un marginal et délinquant. D'ailleurs, Ghost Dog tue hors contrat deux chasseurs parce qu'ils sont racistes. Leurs propos sur l'ours chassé sembleraient un écho du discours de l'extrême droite américaine s'il ne s'appliquait pas à un animal. Or cet animal est une métaphore de Ghost Dog, l'homme noir traqué par les blancs, depuis qu’au début du film, la lecture d’un livre pour enfant effectue le parallèle entre l'ours et le personnage. Les vêtements de Ghost Dog contribuent à l'insérer dans le milieu gansgta dans lequel il ne vit pas : les symboles de ses breloques, tout comme les saluts codés que lui adressent les jeunes du quartier sont autant de signes qui le rattachent à la communauté noire hip-hop sans pour autant l'y intégrer. Ghost Dog ne cherche pas à participer à la vie de cette communauté, juste à s'en faire reconnaître, il ne discute pas avec les jeunes qu'il croise mais il les salue, il ne fait pas de musique et ne va pas à des concerts, mais écoute du rap dans les voitures qu'il vole. Pratiques culturelles individuelles et privées, communication sommaire et avortée, l'appartenance de Ghost Dog à la communauté noire gangsta est toute relative. Au contraire, le personnage de Melville ne se distingue pas par des éléments culturels qui permettraient de le situer. Ses vêtements issus du film noir comme son nom à consonance italienne le rattachent non pas à une origine sociale mais cinématographique, celle des films de gangsters. Autres différences, Ghost Dog parvient à éliminer toute la branche de la mafia qui le menaçait alors que Jeff est abattu avant d'avoir pu les atteindre. Ghost Dog décrit la mafia avec 164
une précision cocasse, Melville rend cette organisation mystérieuse en ne dévoilant que quelques-uns de ses agents sans jamais préciser leur fonction ni leurs raisons d'agir. Nombreux sont les écarts qui font de Ghost Dog une œuvre originale, d'une créativité indéniable. Il s'agit bien d'une transformation sérieuse, le remerciement à Melville en fin de générique certifie la référence et l'applique rétrospectivement à l'ensemble du film, la notion même de remerciement inscrit sans conteste la référence dans le domaine de l'hommage. Hommage valant autant pour ses films que pour son art de l’emprunt, celui de savoir utiliser de façon originale et inventive l'œuvre d'autrui tout en ayant la capacité d’assumer ses influences. Plus qu'un coup de chapeau, il s'agit là d'une véritable révérence. D'ailleurs, la référence a été très facilement identifiée. L'ensemble des critiques évoque les références au film de Melville qui sont apparemment perçues comme autant de façons pour Jarmusch de « dresser des passerelles entre l'Europe et les États-Unis »178 ou d'assumer « l'influence d'un certain cinéma européen »179. Les références permettent de souligner la part d'incompressible hétérogénéité de la culture américaine180, le film devient la métaphore d'une culture qui se veut le démenti formel des mythes simplificateurs de l'Amérique. Le choix de New York, ville tournée géographiquement, culturellement, vers l’Europe apparaît ainsi comme un choix aussi symbolique. Expression d’une Amérique dont l’histoire est aussi celle d’un trauma - l’enfant noir menacé par des blancs, travaillant pour eux, tué par eux – faisant de Ghost dog, malgré sa marginalité, le symbole d’une communauté afro-américaine en quête de repères. Cette histoire américaine n’est pas que de fureur, elle est aussi une 178
Morice J. 1999, Ghost Dog, Télérama du 06/10, Revue de presse BIFI. Rauger J-F 1999, Le Kung-fu, chorégraphie du rap, Le Monde du 21/05, Revue de presse BIFI 180 "Cultures et mythologies se caractérisent aussi par l'hétérogénéité : tout cela désigne aussi Jarmusch lui-même, cinéaste qui cherche à décrire la nature hétérogène de l'américanité […]" Rauger J-F 1999, ibid. 179
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histoire d’échange, de circulation des cultures, des modèles. Le second degré cinématographique apparaît alors comme un des moyens possibles afin d’exprimer cette hétérogénéité sans la réduire et en faire une caractéristique essentielle et assumée de la seule culture américaine possible, celle de la mixité. En cela, Jim Jarmusch n'est pas tellement éloigné de Tim Burton.
À la marge, le remake Comme l'indique son nom sans ambiguïté, le remake est la recréation d'un film déjà réalisé181. En relation avec un film antérieur, ne relevant pas du commentaire, le remake se glisse aisément à l'intérieur de l'hypercinématographie et plus particulièrement des pratiques transformatives. En effet, dans le cas du remake, l’emprunt d’un film premier par un film second est évident et assumé. La recréation n'est pas propre au cinéma et existe dans les autres arts. Bazin voit dans cette pratique « […]une constante de l’histoire de l'art » et remarque que la copie participe à l'évolution des arts, que « […] le cinéma répète spontanément le comportement historique des autres arts »182. La littérature abonde d'exemples : pour le seul Robinson Crusoé (1719) de Defoe, il existe toute une variété de réécritures, allant du Robinson Allemand de Campe (1779) à celui de M. Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967) en passant par Giraudoux (Suzanne et le Pacifique, 1921). La théorie littéraire désigne par transposition toutes les transformations 181
Il se distingue en cela des différentes versions qui transforment le film sans vraiment s'en distinguer. Par exemple, la version censurée d'un film ne constitue pas à proprement parler une recréation. Éthiquement, cela s'approcherait plus de la destruction : G.Canova propose de nommer ces versions des "remakes-criminels" (1984, Cinema mutante e sovversivo, Segnocinema n°15, p.14). Les coupes effectuées dans le film conduisent à une seconde version qui va très souvent remplacer totalement la première : non seulement, il n'y a pas recréation mais de surcroît, l'existence du film premier n'est souvent que virtuelle. 182 Bazin A. 1952, Remade in USA, Cahiers du Cinéma n°11, p.54.
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sérieuses. Seul le cinéma attribue à certaines de ces pratiques transformatives sérieuses une terminologie aussi particulière que répandue : le remake. Cette dénomination proprement cinématographique révèle toute l'importance du remake qui occupe une place à part au sein de la production de films. Phénomène fréquent, il correspond à une organisation de la production. Connu du public, le remake s'annonce d'emblée comme une pratique tant artistique qu'économique, sociale et culturelle. Contrairement à la théorie littéraire qui intègre ces recréations au sein de la transposition, il convient donc de traiter le remake en marge des pratiques transformatives sans perdre de vue les critères qui les caractérisent : la relation à l'œuvre première et la faculté pour le spectateur d'apprécier ces écarts. Contre toute attente, Genette n'a pas suivi cette voie qui semble pourtant la plus cohérente par rapport à sa démarche : il produit toute une classification reposant sur un foisonnement de critères. Il remarque bien que certaines transpositions peuvent occulter leur nature hypertextuelle183, notamment lorsque leur motivation est idéologique ou esthétique. Un ouvrage peut être réécrit de façon à ce qu'il soit conforme à une certaine idéologie comme ce fut le cas des textes revisités afin d'être destinés aux enfants. Mais soucieux de mettre un peu d'ordre parmi l'incroyable variété des transpositions littéraires, Genette cherche avant tout à classifier en fonction des moyens employés pour transformer. Ainsi, il met à jour des pratiques qui, pour certaines, se retrouvent au cinéma telles que le changement de contexte diégétique, les modifications de l'action ou l'intervention sur la signification de l'œuvre,…, cette dernière étant un effet plus qu’un moyen de la transformation. La théorie du cinéma propose elle aussi tout un système de classification reposant par exemple sur la nature de l'objet repris : ainsi, il y aurait des remakes inspirés d'un film (ceux qui nous intéressent), les remakes inspirés d'un film et d'une 183
Genette, 1982, op.cit, p. 237 et 357.
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œuvre non cinématographique (par exemple, un film qui se réfère à la fois aux adaptations cinématographiques d'un roman et au roman lui-même), les remakes suscités par l’inspiration commune d'une œuvre non cinématographique (par exemple toutes les adaptations de Madame Bovary)184. En ce qui nous concerne, seules appartiennent à l'hypercinématographie les formes de remakes entretenant une relation explicite à un film antérieur. Ainsi, les adaptations n’entretenant pas de lien référentiel avec de précédentes adaptations filmiques du même ouvrage ne peuvent être considérées comme des pratiques hypercinématographiques. Par ailleurs, plutôt que de décliner tous les moyens employés dans ces transformations particulières que sont les remakes, il semble ici opportun de continuer à pratiquer la méthodologie employée, à savoir le fonctionnement référentiel, notamment dans la relation aux spectateurs et de l’effet produit tant en termes de régime que de contenu. Nous retenons donc que le remake opère sur un film premier entier, alors que la parodie peut agir sur une cible fragmentaire de nature filmique ou pas, et que son régime, s’il n’est certainement ni ludique ni satirique, ne peut toutefois suffire à le définir puisque nous venons d’étudier deux exemples de transpositions qui ne sont pas des remakes. Pour Bazin, le remake n'est « […] autre chose que la réactualisation d'un film […] ». 185 En effet, dans le remake, les transformations procèdent par l'actualisation. Le remake actualise le style devenu vieillot, l’univers fictionnel, le contenu sous-jacent du film… Et il n’est d’ailleurs pas toujours évident d’attribuer un régime au remake dans la mesure où son métadiscours ne porte finalement pas tant sur le film premier que sur ce qui l’entoure. Contrairement à ce que décrit Baudrillard186, il n’y a pas là neutralité mais 184
J'emprunte ici une des classifications esquissée par Bazin (1952, op.cit. pp.54 à 59) et proposées par Protopopoff (1989, Qu'est-ce qu'un remake ?, Cinémaction n°53, p.17). 185 Bazin A. 1951, A propos des reprises, Cahiers du Cinéma n°5, p.55. 186 Baudrillard J. 1981, op.cit.
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déplacement de l’objet du discours. La parodie est comme un repli du cinéma sur lui-même tandis que le remake se tourne vers un extérieur social, historique, politique… Les deux sont souvent mêlés, de sorte que le remake n'est pas exempt de parodie et lorsque Herzog recrée maladroitement la silhouette de Nosfératu, il y a dans cet attachement à l'allure du personnage, une fascination pour la création de Murnau tout à fait évidente. Ici, l'actualisation participe à une transformation sérieuse pour le moins admirative. Le remake entretenant très souvent une relation ouverte à l'œuvre première, ne serait-ce que par son titre, son statut d'œuvre seconde peut sembler évident tant pour le chercheur, le critique que le spectateur. En fait, il en est tout autrement. Raphaëlle Moine187 part du principe que le remake cherche à effacer le film premier, voire même qu’il repose entièrement sur l’ignorance qu’ont les spectateurs du film premier dans le cas de remakes américains de film français. Ignorance voulue et entretenue par les producteurs de remakes n’hésitant pas à acheter les droits de distributions des films français concernés dans le seul but d’empêcher la distribution du film premier sur le territoire américain. Pour ce public américain, effectivement, le remake fonctionne comme un film premier. Cette forme de remake substitutif très fréquente ne doit pas pour autant masquer les autres et il serait abusif de généraliser le fonctionnement du remake à partir de ce cas particulier qu’est le remake américain. D’ailleurs, Bazin souligne l’importance de la vivacité du film premier dans la mémoire des spectateurs : le remake a lieu « [l]orsque le succès d'un film a été assez grand pour que son souvenir ait encore valeur commerciale […] »188. Effectivement, un certain nombre de remakes reposent sur des succès internationaux, ils exploitent la popularité passée du film premier, la connaissance qu'en ont les spectateurs, nombreux et peut-être désireux de voir se renouveler une 187 188
2007, op. cit. Ibid. p.54.
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expérience à laquelle ils attachent de bons souvenirs. Le récent remake de Psycho (Gus Van Sant, 1998) procède de ce principe en réactualisant un film culte dont le souvenir est maintenu vivace par de nombreuses diffusions télévisées. Le remake utilise donc bien la connaissance que les spectateurs ont du film : il espère peut-être hériter de l'aura du film premier, mais surtout, en jouant avec ce savoir du spectateur, il rend possible l'appréciation des écarts entre les deux films. Nous l'appellerons donc le remake réinterprétation. Enfin, il existe une troisième forme de remake, entre le remake substitutif et le remake réinterprétation : le remake fracture. Ce dernier tend à se comporter comme un remake substitutif tout en rendant particulièrement sensibles certaines relations avec le film premier et en jouant par certains aspects avec la connaissance que le spectateur peut avoir du film premier. Le remake substitutif Le remake substitutif désigne les recréations filmiques qui cherchent à se substituer189 au film d'origine afin de suppléer aux carences dues aux habitudes du public et à un sens parfois aigu du protectionnisme de la part des distributeurs et des exploitants. 189
Le remake substitutif, très fréquent notamment dans le cinéma américain, est souvent perçu comme emblématique du remake. Il est possible de lire que "Ce que nous dit sans cesse la pratique intensive du remake dans le cinéma américain, c'est que le pouvoir des films est justement de se "faire oublier", de se laisser remplacer […]" (Nacache J. 1999, Comment penser les remakes américains ? Positif n°460, p. 79) ou encore "Dans l'usage américain, la publication d'une nouvelle version entraîne la disparition des précédentes […]" (Masson A. 1999, Améremake, Positif n°459, p.76). Les deux auteurs remarquent, à juste titre, cette caractéristique du remake qui consiste à se substituer au film premier. C’est aussi la ligne suivie par Raphaëlle Moine (2007, op. cit). Toutefois, cela n'est pas le propre de tous les remakes américains (voir l'analyse des remakes ré-interprétation).
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Ces remakes substitutifs sont des films comme Buddy, Buddy (Wilder, 1980), recréant avec des vedettes américaines (Jack Lemmon) un film étranger, en l’occurrence le français L'Emmerdeur de Molinaro (1975). Le remake s'adresse alors à un public qui n'a pas vu le film d'origine. Les raisons de cette lacune sont multiples : un marché fermé aux cinématographies étrangères, une appréhension des spectateurs à l'égard des films doublés ou sous-titrés, mais aussi une stratégie délibérée de blocage de la distribution par les producteurs ayant acheté les droits de remake. Les motivations des producteurs sont donc d'une part, de minimiser leurs risques en finançant des films basés sur un précédent succès commercial ou d'estime et d'autre part, de renouveler la production locale par un afflux d'idées d'autant plus originales qu'exotiques. Les sociétés de production américaines se sont fait une telle spécialité de ces remakes substitutifs qu'ils ont pu être qualifiés d'américanisation190 des succès européens. Ces remakes entendent donc clairement se substituer, sur un marché localisé, au film d'origine sans pour autant enfreindre le droit d'auteur. En effet, sans le consentement des détenteurs de droits d’auteur sur le film premier, le remake substitutif n'est rien d'autre qu'un plagiat, c'est-à-dire une production cherchant à se faire passer pour une autre à des fins pécuniaires ou de notoriété191. La cession des droits des auteurs est bien entendu indispensable, seule démarche garante de la bonne foi des producteurs et des auteurs du remake. Un certain nombre d'éléments peuvent attester de cette bonne foi tout en fournissant au public les informations lui indiquant qu'il a affaire à un remake. La moindre des choses est bien sûr la mention des auteurs et du titre orignal du film premier au crédit du générique et des affiches. Mais il semblerait que ce minimum ne soit pas toujours respecté. Par 190
Bazin 1952, op. cit. pp.56 et 57, ou Rouyer P. 1996, L'Armée des douze singes, Positif n°421, p.6. 191 Maurel-Indart H. op. cit. chap. 7.
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exemple, le générique de The Man who loved women (Edwards, 1983) ne mentionnerait à aucun moment le nom de Truffaut, auteur du film premier L'Homme qui aimait les femmes (1976)192. À ce niveau, il y a lieu de se demander si le film d’Edwards est encore un remake puisque le public auquel il était destiné ne connaissait pas l'œuvre première et de surcroît, ne disposait même pas du minimum d'informations lui permettant d'établir la relation entre le film qu'il allait voir et un film étranger qu'il n'avait pas vu. Dans ces remakes substitutifs, le remake n'est pas opérationnel puisqu’il ne fonctionne pas comme référence pour le public auquel il est destiné193. En effet, dans le meilleur des cas, le spectateur a pu lire dans le générique que le film qu'il va voir est la transformation d'un précédent : il sait qu'il va voir un remake, le remake existe sans pour autant fonctionner. Le spectateur n'ayant pas vu le film premier, il n'est pas en mesure d'apprécier les écarts et les points communs entre les deux films, il ne saura pas si ce qu'il voit propose une nouvelle interprétation ou au contraire, est d'une déférence totale à l'égard de son modèle. En un mot, le spectateur ne peut pas mettre en relation les deux films pendant le temps de la projection car il lui manque un des maillons de la chaîne. Encore une fois, la culture du spectateur intervient directement sur sa perception du film. Conçu pour ce spectateur lacunaire, le remake substitutif prend bien soin de ne pas lui faire sentir cette carence, l’organisation du récit est respectée de façon à ce qu'à aucun moment, le spectateur n'ait la désagréable impression que des choses lui échappent. Le remake substitutif ne joue pas avec la culture du spectateur, mais au contraire, il met tout en œuvre pour pouvoir s'en dispenser. Il y a remake substitutif lorsque le film prend en charge cette éventuelle carence du 192
Selon Protopopoff, 1989, op. cit. p.15. En ce point précis, nos propos recoupent tout à fait ceux de Raphaëlle Moine (2007, op.cit). 193
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spectateur et a été produit à l'intention de ce public lacunaire. Ce comportement est radicalement opposé aux pratiques parodiques entièrement basées sur l'appréciation que le spectateur peut faire des écarts entre films premier et second. Le remake substitutif se tient donc en marge de l’hypercinématographie et constitue une des limites des phénomènes référentiels étudiés dans cet ouvrage. Le remake fracture D'emblée, Les Sept mercenaires de Sturges annonce ouvertement sa relation avec Les Sept samouraïs de Kurosawa (1954) : la ressemblance des deux titres et le générique expriment clairement la filiation entre les deux films. Ce lien était suffisamment évident pour être relevé par les critiques lors de la sortie du film en France : « Comme le générique le proclame sans honte, ce film est "basé sur l'histoire" du film d'Akira Kurosawa […] »194 « En effet, Les Sept mercenaires de John Sturges n'est rien de moins que le célèbre "remake" (si l'on peut dire) du célèbre film de Akira Kurosawa. »195 De la revue de presse du film de Sturges ressortent deux éléments fondamentaux. En premier lieu, le film de Kurosawa, sorti en 1955 à Paris, était connu du public français, et en second lieu, le film de Sturges est immédiatement identifié comme un remake. Les Sept mercenaires ne cherche donc pas à se substituer au film de Kurosawa encore présent dans les mémoires. À l’inverse, les deux cohabitent et en 1964, les deux films ressortiront en salle simultanément. Pourtant, après une rapide présentation du film et de sa nature de remake, les critiques ne cherchèrent pas à étudier la relation entre les deux films de façon très poussée. Ils ont 194
Thirard P-L 1961, Les Sept mercenaires, Les Lettres Françaises du 09/02, Revue de Presse BIFI 195 Salachas G. 1961, Les Sept mercenaires, Télérama du 12/02, Revue de presse BIFI
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remarqué le changement de genre et de contexte : « Les "desperados" remplacent les "samouraïs"… et le reste suit. »196 « C'est une idée géniale que d'avoir westernisé "Les sept samouraïs". »197 Là s'arrête l'étude des ressemblances et des divergences entre les deux films : « Négligeant les querelles de principe, mes critiques porteront sur le film luimême. »198 « Ce préambule me permet de parler à mon aise des Sept mercenaires, excellent western de John Sturges et d'oublier le très beau film de Kurosawa, après un coup de chapeau initial. »199 L'étude portera ensuite invariablement sur la relation que le film entretient avec le western : la critique du film de John Sturges tend à le rendre totalement autonome de son référent. En d’autres termes, pour les critiques, Les Sept mercenaires est incontestablement un remake mais leur approche du film tend à nier ce phénomène pour l'étudier comme un western comme les autres. Nous sommes bien avec Les Sept mercenaires à mi-chemin entre le remake réinterprétation, reposant entièrement dans sa relation au film premier, et le remake substitutif, totalement autonome. Ce phénomène peut se comprendre de deux manières complémentaires. Premièrement, le comportement des critiques peut en partie s’expliquer par un certain nombre de principes esthétiques forts, en vigueur dans les années soixante et suffisamment normatifs pour conditionner la rédaction des articles. Le remake est dans son principe même contestable pour ces critiques comme le remarque Bazin : « La pratique du "remake" fait contre elle l'unanimité de la critique. Mais l'indignation qu'on manifeste à son égard n'est pas sans être fondée d'abord sur quelque confusion et elle recèle un paradoxe esthétique qui mériterait une analyse détaillée. »200 En effet, dans un milieu critique se 196
Ibid. Lebesque M. 1961, Les Sept mercenaires, L'Express du 02/02, Revue de presse BIFI 198 Salachas, op.cit. 199 Thirard, op.cit. 200 Bazin A. 1952, op.cit. p.54. 197
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convertissant au culte des auteurs, de la personnalité, et donc entièrement porté sur l'originalité intrinsèque du travail de certains réalisateurs, le remake en tant que copie, « décalque »201, ne peut être qu'une production alimentaire, indigne de toute considération. D'ailleurs, lorsque Bazin cherche à valoriser un remake, il s'attache aux éléments totalement innovants, aux ajouts ou transformations radicales qui personnalisent le remake202. Reconnaissant la valeur du film de Sturges, les critiques n'ont pas cherché à l'étudier dans sa relation au Sept samouraïs pour éviter probablement d'égratigner cet auteur prometteur déjà remarqué par Coup de fouet en retour (1956) et Le Trésor du pendu (1958). Enfin, quant à la presse généraliste, elle ne s'adressait pas à un public spécialement cinéphile, et donc elle rendait sa description du film plus accessible en la basant sur le western, un référent plus porteur pour le spectateur des années soixante. Deuxièmement, Les Sept mercenaires est construit a priori de façon à être appréciable pour un spectateur qui a vu le film de Kurosawa comme pour celui qui l'ignore. Reprenant fidèlement les personnages et les situations, le film de Sturges se dispense finalement assez bien de la connaissance du film de Kurosawa. Il fonctionne de ce point de vue d’une façon tout à fait autonome. Le changement de contexte crée des différences notables. Par exemple, ce ne sont ni les mêmes armes, ni les mêmes paysages, éléments fondamentaux des genres concernés. Pour autant, ces écarts comme ces ressemblances ne révèlent pas un regard particulier sur le film 201
Bazin A. 1951, op.cit. p.54. Par exemple à propos du remake M de Losey, il écrit : "Alors que Fritz Lang avait tout fait en studio, Losey utilise largement les extérieurs. Ce sont d'ailleurs, quand on les isole de l'ensemble, les bons éléments du film, par lesquels ce jeune et vigoureux metteur en scène témoigne qu'il mériterait un meilleur sort ; on sent que si le scénario le lui permettait, il ne demanderait qu'à faire un bon film et d'un ton assez personnel. Mais en même temps les impératifs du remake lui imposent d'absurdes retours à l'expressionnisme […]"Bazin A. 1952, op.cit, p.58. Cette citation révèle combien la pratique du remake s'oppose à la valorisation de l'auteur pour Bazin.
202
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premier si ce n'est que les Sept samouraïs était déjà très proche du western. Le remake de Sturges semble en effet tourné vers lui-même, vers le genre203, plus que vers le film premier. En témoigne la caractérisation caricaturale des personnages, partagés entre les innocentes et inoffensives victimes de blanc vêtues, les opportunistes méchants avides et les sauveurs mercenaires au grand cœur. Comme beaucoup de sur-westerns, ce film joue ouvertement avec les conventions du genre. Il semble parfaitement autonome du film premier si ce n'est pour quelques détails. Prenons par exemple le crâne rasé de Yul Brynner. Cette caractéristique capillaire qui, si elle n’était pas systématique, était toutefois suffisamment fréquente pour être associée à l’image du comédien, n’est pas sans effet sur le remake. Dans les westerns, les crânes rasés sont peu fréquents, surtout lorsqu’il s’agit du westerner et ce détail incongru lui confère une certaine étrangeté. Chriss, le personnage joué par Brynner, est un aventurier se faisant remarquer au début du film par un acte de bravoure et de tolérance : enterrer un homme de couleur dans un cimetière réservé aux Yankees et gardé par une poignée de citadins racistes. Ce conflit révèle le vieil Ouest sous un jour peu flatteur, univers violent et intolérant, entièrement régi par la loi du plus fort, où « les armes valent plus que les hommes » pour reprendre l'expression du personnage. Un contexte aussi dur ne peut que valoriser le personnage qui parvient à y imposer le respect des lois. Ce premier conflit présente donc Chriss à son avantage. De nombreuses contre-plongées attestent ce que le spectateur a déjà compris : c'est bien lui le héros du film. Le personnage principal des Sept samouraïs est lui aussi introduit d'emblée par une action héroïque : il sauve un enfant kidnappé. Pour ce faire, il use d'une ruse fort habile : afin que
203
"Nous sommes au bord de la parodie inconsciente." remarque Salachas à propos du western, soulignant bien ainsi que le remake développe un point de vue distancié sur le genre, op.cit.
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le malfrat ne se méfie pas de lui, il se déguise en prêtre et pour parfaire son allure, il se rase le crâne. Le remake opère donc deux transformations par rapport au film premier : il subtilise la ruse du samouraï par la froide assurance du mercenaire et omet le pourquoi du crâne rasé de Chriss. Pourtant, ce crâne crée un écho très fort entre les deux films : le changement de contexte intervient sur tous les éléments du décor, sur tous les accessoires, il n'est pas jusqu'aux silhouettes des personnages que le truchement de costumes transforme. Seul reste ce crâne rasé pour évoquer le corps du héros japonais, créer une parenté physique entre les deux personnages et laisser une marque durable du film premier dans l'image du film second. L’analogie, peut-être volontaire, entre l’apparence du personnage du film premier et le comédien du second, a pu motiver le casting. Il va de soi que Sturges aurait eu du mal à justifier dans le contexte du vieil Ouest le recours au déguisement en prêtre japonais. Au mieux, il aurait pu l'affubler en moine catholique, mais peut-on sérieusement imaginer Yul Brynner arborant fièrement une tonsure ? Le fait est que ce détail crée une lacune dans le remake : ce crâne est incongru, étrange pour un héros de western et le spectateur ne peut en trouver la raison au sein même du film. Il existe une faille, une fracture dans la cohérence du film que ne suffisent pas à justifier les habitudes capillaires du comédien, l’apparence d’un personnage principal dans un genre aussi normatif que le western étant trop importante pour être livrée à l’excentricité des acteurs. Cette fêlure, seuls peuvent la combler les spectateurs ayant vu le film premier. Pour eux, ce détail constitue un clin d'œil au film de Kurosawa. Sturges crée ainsi une connivence avec ces spectateurs, ajoutant au plaisir de la projection celui de la satisfaction de faire, comme lui, partie des connaisseurs. Pour les spectateurs lacunaires, l'incompréhension de ce détail ne changera pas radicalement leur relation au film, l'ensemble du récit n'en souffre nullement ni même la construction du personnage. Il lui manque juste une épaisseur qui, si elle 177
contribue à la richesse du film, ne rend pas pour autant opaque le comportement ou l’identité du héros. Les spectateurs lacunaires les plus observateurs, les plus familiers du western, ressentiront une impression d'étrangeté, de perte dans leur relation au film. Fracture du film second qui se déchire pour laisser entrapercevoir le film premier à ceux qui ne peuvent pas voir. Le remake réinterprétation Par son titre même, Scarface de Brian de Palma, renvoie directement au film homonyme de Hawks. Contrairement au titre du film de Sturges qui en changeant simplement un mot suffisait à anticiper le glissement d'un genre à un autre, contrairement aux titres des remakes de films européens très souvent modifiés par la traduction du titre original, de Palma a choisi de conserver le titre du film premier et certains critiques éprouvant tout de même le désir de distinguer les deux, le rebaptiseront parfois « Scarface II »204. Cette décision ne peut venir du désir de substituer le film de Hawks par un film plus récent pour la simple et bonne raison que le Scarface original est un classique des classiques, internationalement diffusé et connu, comptant parmi les films cultes des cinéphiles. Le public du monde entier a vu, ou ne serait-ce qu’entendu parler, du Scarface de Hawks. Il est donc inutile d'espérer s'y substituer. Le titre crée un lien étroit, évident, entre les deux films, le spectateur ne peut que le considérer à l'intérieur de cette relation. Il annonce ouvertement la nature de remake du film et cette révélation est d'autant plus importante que les deux films sont en fait fort différents, suffisamment de transformations intervenant pour qu'un spectateur distrait n'effectue pas la comparaison entre films premier et second. 204
Hatzfeld J. 1984, "Scarface II" : parano, mégalo, délabro, Libération du 13/03, Revue de Presse BIFI.
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La première de ces transformations est l'actualisation du film original. Bien évidemment, cette actualisation passe par un changement de contexte entraînant d'importantes modifications sur les actions et caractéristiques des personnages. Le glissement, du Chicago des années vingt à Miami dans les années quatre-vingt, entraîne avec lui le changement de la nature du trafic, de l'origine du personnage et des décors. La vente illicite d'alcool devient celle de drogue et va s'accompagner d'une triste constatation : comme beaucoup de revendeurs, le personnage principal s’y adonne. Originaire d'une vague d'immigration récente, il peut difficilement rester italien. C'est donc un jeune cubain qui débarquera, non pas dans l'enfer urbain et tentaculaire des grises villes du Nord, mais en plein rêve américain, ensoleillé, constellé de filles en bikinis, où les limousines décapotables filent sur de larges avenues bordées de palmiers. Le gangster des années trente, par sa rapide ascension et sa fulgurante décadence, était une métaphore de l'économie américaine des années vingt, l'euphorie et le développement de l'après-guerre brutalement interrompus par la crise de 1929. Il exprimait de surcroît la rage de survivre et de parvenir auprès de spectateurs minés par la crise économique et désireux eux aussi de s'en sortir par n'importe quels moyens. Dans les années quatre-vingt, la figure du gangster ne correspond plus aussi étroitement à une situation économique et sociale, elle évoque la mafia, des interrelations politiques et financières à l'échelle internationale. L'origine cubaine du personnage confirme ce changement fondamental de la figure du gangster : Fidel Castro avait envoyé un bateau de réfugiés aux États-Unis et ce faisant, en avait profité pour vider ses prisons. L'allusion aux relations particulièrement tendues entre Cuba et les États-Unis rappelle que la guerre froide était encore vivace au début des années quatre-vingt et que l'Amérique Reaganienne cultivait avec succès la paranoïa collective. À ce niveau, la paranoïa que le truand développe par sa consommation croissante de drogue n'est pas sans évoquer l'absurdité d'une humanité que la peur pousse à 179
encourager l'acquisition des moyens de sa propre destruction. Dans ce contexte outrancièrement radicalisé, le souci d’intégration à la société américaine se manifeste par une adhésion simultanée à un arrivisme forcené et un anticommunisme revendicatif. Le Tony de De Palma, tout comme celui de Hawks, entre en étroite résonance avec le contexte de production du film, mais ce n'est plus le même cadre sociohistorique ni le même personnage. Bazin était très sensible aux relations que le film entretenait avec son contexte205. Pour lui, le remake ne pouvait être « […] autre chose que la réactualisation d'un film […] »206 et ce même sans moderniser l'univers diégétique, le remake, en déplaçant le film dans un contexte de réception différent, en modifie la relation aux spectateurs. De surcroît, le film refait bénéficie des dernières innovations techniques, d'une mise en scène contemporaine, de comédiens aux goûts du jour, etc. Scarface n'échappe pas à ce phénomène particulièrement sensible en ce qui concerne la représentation de la violence. Cette thématique qui traverse l'histoire du cinéma a pour particularité de dater considérablement un film. Le film de Hawks débute par un meurtre : une salle de réception déserte, le sol jonché des reliefs d'une fête mouvementée, seul un convive reste, il téléphone. Un panoramique sur la droite découvre une silhouette qui se glisse vers la gauche, la caméra la suit toujours par un panoramique. La silhouette s'immobilise derrière une cloison en verre dépoli, elle tire plusieurs coups avec son arme à feu. La camera poursuit son panoramique vers la gauche et découvre le corps du fêtard étendu sur le sol. A l'élégant mouvement de balancier de la caméra correspond un sens certain de la tension narrative, le fait de ne pas voir les traits du meurtrier aiguise la curiosité du spectateur et conférant au personnage un aspect mystérieux. Le tueur pénètre dans un espace où la caméra ne va pas, malgré son apparente mobilité, 205 206
Bazin A. 1951, op.cit, p.54. Ibid, p.55.
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ce qui lui confère un pouvoir certain. De plus, le spectateur ne le voit pas s'enfuir une fois le forfait commis : la caméra s'arrête sur le corps de la victime, le criminel hors champ semble s'être volatilisé. Bien que le mouvement de caméra associe le cadavre et les coups de feu, ce meurtre n'est pas représenté à l'écran, le tueur est montré en ombre chinoise alors que sa victime est hors champs le temps de l'acte. Le spectateur ne voit finalement que la conséquence de ce meurtre, autant pudique qu'impénétrable. Dans le remake, la première scène de violence est l’assassinat de l’ancien castriste dans le camp des réfugiées cubains : alors que le camp est soulevé par une émeute, la victime s’échappe d’une cabine téléphonique pour être poignardée par Tony qui l’abandonne à la caméra. Mais finalement, malgré la présence du téléphone, le lien avec le premier meurtre du premier Scarface apparaît plus nettement lors de la seconde scène de violence, la plus marquante aussi : le meurtre dans la salle de bain. L’acte de torture, pourtant hors cadre est représenté d'une façon extrêmement crue : le sang gicle, la victime crie, étouffée par son bâillon, le corps mutilé pend lamentablement dans la douche comme un morceau de viande sur l'étal blanc du boucher. La caméra coince le spectateur dans l'espace exigu de cette pièce, la tronçonneuse s’agite à la frontière du cadre, laissant au spectateur le loisir d’imaginer. Comme dans son modèle, le trafic est étroitement associé à la pratique de la violence mais cette dernière diffère notablement : l'arme à feu, attribut et outil du gangster, devient dans cette scène une tronçonneuse, à la démesure des esprits déformés par la consommation de stupéfiants et peut-être influencés par un classique du film d'horreur (Meurtre à la tronçonneuse, 1974), drogue et cinéma s’associant dans cette surenchère de violence. Le sang-froid et le professionnalisme du gangster initial font place à une violence convulsive, à une impulsion destructrice. L'élégance sobre et efficace de la mise en scène d’Hawks est surenchérie par le rouge du sang, l'exposition des plaies. Et ironie de la mise en scène, deux vitres en verre dépoli tissent le lien entre le premier meurtre de Scarface et 181
celui de son remake. La camera à l’extérieur de l’hôtel, se hisse à hauteur de l’appartement et se trouve confrontée au hublot de la salle de bain, en verre dépoli, opaque. Le spectateur sait que le massacre a commencé mais il ne peut rien voir, comme si ne montrer que des ombres chinoises, à la Hawks, était ne rien montrer du tout. Puis enfin, Manny viendra sauver son ami en abattant une autre baie vitrée en verre dépoli, la réduisant en miettes pour permettre à la violence vengeresse de faire irruption dans la pièce. Ce verre qui faisait l’élégance et le mystère du meurtre chez Hawks devient chez De Palma un obstacle à détruire. La représentation de la violence est effectivement modernisée par le contraste des couleurs, la crudité de la caméra et de la scène filmée, l'expression de la souffrance de la victime et cette surenchère dédoublant une scène unique de meurtre en deux actes, chacun d’une violence inouïe. De Palma a bénéficié à ce titre d'un certain relâchement de la censure, encore que, comme Hawks, il s'amuse avec provocation à en explorer les limites. Le Scarface original, tourné en période d’instauration du code Hays, a vu sa sortie repoussée de plusieurs années. Son remake, lui non plus, ne passa pas bien loin de la sentence suprême, la mention X qui lui aurait fermé tout le parc de salles grand public français207. Chacun joue avec la limite tolérable imposée par les instances de censure propres à son époque et ce que peuvent supporter les spectateurs contemporains au contexte de production du film. En ce sens, De Palma adhère aux principes et au génie du marketing du tandem Hawks/Hughes : rien ne vaut le scandale pour attirer le public. Comme le remarque Hatzefld208, cette modernisation de la violence bénéficie de l'apport d'autres films de gangsters, récents et sanguinolents. Il ne fait aucun doute que les deux Parrain de Coppola (1971 et 1974) ont fortement marqué 207
Romon P. 1983, "Scarface 2" presque ixé, Libération du 27/12, Revue de Presse BIFI. 208 Hatzfeld J. op. cit.
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cette modernisation de la violence du truand, le visage d'Al Pacino créant un écho très fort entre le film de De Palma et les deux Coppola. Le critique énumère les films dont l'influence est particulièrement sensible, la prise en compte des relations que le remake entretient avec son modèle fait émerger d'autres emprunts et souligne ainsi la nature ouvertement référentielle du remake. À ce niveau, le remake, par sa modernisation, semble tourné tout entier vers la société américaine des années quatre-vingt, Hollywood compris. Ces références sont une façon d'inscrire encore plus clairement le film dans un contexte défini : historique, social et cinématographique. Cette réactualisation ne se contente pas de gommer les effets du temps en supprimant ce qui pourrait sembler désuet, ce à quoi le public a fini par s'habituer. À cet égard, les programmes télévisés et les vidéocassettes ont efficacement complété le travail des cinémathèques et des ciné-clubs : valoriser des films anciens, familiariser un certain public à voir des films passablement datés. Le glissement, auquel Bazin était particulièrement attentif dans les années cinquante, s'est généralisé dans les décennies suivantes : « A l'illusion primaire et totale dans laquelle se perdait jadis le spectateur, à l'identification sans recul, à l'ivresse de la présence cinématographique dont le charme ne devait être troublé par aucun signe des temps, se substitue peu à peu et au moins partiellement une illusion consciente et consentante, différente sans doute de celle du théâtre mais supposant au moins comme celle du livre la possibilité de participer à un univers imaginaire en dépit des parures de style dont le vieillissement ne permet plus de confusion avec l'actualité réelle. »209 L'actualisation ne peut se justifier uniquement par la suppression de ce que le modèle pourrait avoir de suranné. En revanche, son principal effet réside dans la réinterprétation totale du film premier à l'aune de sa contemporanéité. La modernisation engendre une multitude de modifications qui 209
Bazin A. 1951, op.cit. p.56.
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ne manifestent pas un regard particulier sur le film premier mais produisent un discours nouveau. Le spectateur n'ayant pas vu le film de Hawks, mais en ayant simplement entendu parler, verra dans le Scarface II un bon film de gangsters dont il sait qu'il a pour source un film des années trente. Il remarquera qu'il y a actualisation dans la mesure où De Palma n'a pas cherché à recréer l'univers de la prohibition, une atmosphère rétro ou encore un style cinématographique dépassé. Il a conscience de voir un remake sans que vraiment celui-ci puisse fonctionner. Par contre, lorsque le spectateur a vu le Scarface de Hawks, le remake existe et sa fonction référentielle peut être activée. Le spectateur va évidemment remarquer l'actualisation mais il va surtout pouvoir la mettre en perspective par rapport au film premier. Dans sa relation à l'original, le remake donne à la modernisation tout son sens, la comparaison entre les deux films rend les modifications d'autant plus significatives qu'elles deviennent flagrantes. Il se peut que certaines de ces modifications soient exceptionnellement tournées vers le film premier. Ainsi, le traitement du gangster par De Palma a pu parfois sembler irrévérencieux à l'égard de son modèle : à propos de la scène où le truand plonge son visage dans la drogue et en ressort tout enfariné, Romon écrit qu'il s'agit d'une « séquence presque parodique »210. Le « presque » est ici fort révélateur de l'ambiguïté du remake, trop proche de la parodie pour ne pas parfois y verser un peu. Mais si l'on prend le film sous un angle plus global, il est bel et bien tourné vers la société qui lui est contemporaine. Reprenons l'exemple de la première séquence de meurtre : une parodie du Scarface de Hawks aurait exprimé « Ce film de gangster n'est vraiment pas assez violent », alors que le remake de De Palma nous dit « Ce film de gangster n'est plus assez violent ». Autrement dit, il ne formule aucun reproche à l'égard du film premier, il
210
Romon P. op. cit.
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constate en revanche que le cinéma n'est plus le même211, le public a changé, l’Amérique aussi et il exprime cette transformation sociétale par le biais du remake, c'est-à-dire la référence à un film à partir duquel l'écart de cette transformation pourra s'évaluer. Tout le remake tend vers ce mouvement, tourné vers un extérieur qui n'est pas le film premier, ce dernier étant totalement réinterprété par rapport à cette extériorité. Si l’on doit s’interroger en terme de régime, il faut d’emblée reconnaître que le remake est une transformation d’un film singulier dont l’objectif n’est pas de porter un regard sur l’œuvre empruntée mais d’utiliser la comparaison suscitée afin de porter un regard sur la société, son évolution et avec elle, éventuellement celle du cinéma. Il n’y a pas neutralité, mais l’objet auquel s’applique le régime n’est plus le film luimême mais ce que la comparaison désigne, un ailleurs extracinématographique. Ceci ne veut pas dire que le remake n’a aucun effet sur le film premier. Parmi ces conséquences que l’on peut qualifier de secondaires, il est notable que la réactualisation rende particulièrement sensibles les conventions, tics stylistiques, contraintes morales du contexte de l’œuvre première. Ce travail rétrospectif aide le spectateur à reconstruire le passé contemporain au film premier. Le remake procède ainsi à l’inverse de la parodie et des autres transformations étudiées : au lieu de sortir l’œuvre première de son contexte afin de la faire dialoguer avec le présent et éventuellement, fabriquer un 211
Rauger J.F. remarque lui aussi que le remake souligne ce glissement du cinéma américain dans la saturation (1996, Remakes américains, (dir. par Aumont J.) Pour un cinéma comparé, influences et répétitions, Cinémathèque Française, Paris, p.249). Cette surenchère est un phénomène autant cinématographique que social. Concernant la représentation de la violence, elle prend ses sources aussi bien dans la surenchère carnavalesque du cinéma populaire italien des années soixante que dans une modification sociale dans la relation aux images de toutes natures (la photographie de journalisme et la guerre du Vietnam, les programmes télévisés et la description de l'actualité…).
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nouveau contexte sur mesure dans lequel situer l’œuvre seconde, le remake, lui, ancre fortement l’œuvre première dans un passé concrétisé par la différence qui sépare les deux films. Le passé n’en est que plus présent. Au fond, dire, « ce film de gangster n’est plus assez violent » est aussi une façon de sous-entendre qu’il l’a été. L’objectif du remake sera donc d’essayer de retrouver cette empathie extraordinaire qui a pu se jouer entre le film premier et son contexte. Finalement, l’hommage, en filigrane, n’est pas bien loin.
De l’importance du personnage au second degré : les spécificités du personnage parodique L’analyse du texte de Genette met en lumière l’importance du personnage parodique cinématographique et permet d’ores et déjà de l’envisager comme un des éléments distinguant le fonctionnement des références littéraires et cinématographiques. Le personnage cinématographique est généralement incarné par un acteur. Reproductible, le film répète à l'envi cette performance de comédien unissant si bien l'homme et le personnage qu'à terme, les deux deviennent indissociables. Figure populaire, aisément reconnaissable par le spectateur, le comédien facilite l’identification des références et par ce biais même l’effectivité du second degré. Ici, la relation entre la personne du comédien et le personnage est incontournable. Elle n'est pas sans rappeler les termes de la fameuse crise du personnage212, qui dessine les contours d’un Icare littéraire, trop proche de l’idée de personne pour ne pas mettre en péril sa propre souveraineté. 212
Ce refus du personnage traditionnel se manifeste de façon polémique et emblématique dans les textes d’Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute, respectivement : 1963 (1970), Pour un nouveau roman, Gallimard, Paris et 1956, L’ère du soupçon, Gallimard, Paris.
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Or, cette fusion de la personne et du personnage est constitutive du personnage cinématographique. Dès les années dix, la parodie cinématographique a su très rapidement tirer parti de cette donnée du personnage cinématographique. Parodier un personnage permettait, par-delà le second degré, d’égratigner l’image des vedettes des sociétés de production concurrentes. Le star-system a amplifié ce phénomène de glissement personnage/comédien. D’une part, la promotion des films joue sur cette confusion et d’autre part, la popularité grandissante de certains acteurs en a fait un vecteur privilégié des pratiques parodiques : le visage, la silhouette ou la démarche du comédien deviennent des attributs favorisant la reconnaissance du personnage parodié. Le personnage parodique cinématographique joue sur cette fusion entre personne et personnage, lui qui est essentiellement abordé dans un contexte postérieur à celui de la crise du personnage avec des outils forgés par et pour le littéraire. Ainsi, lorsque Genette se risque à élargir son approche au cinéma, il néglige l'importance du comédien. Il est donc indispensable d’ajouter une dimension supplémentaire à celles déjà développées par Genette à propos du personnage parodique cinématographique dans son analyse de Play it again Sam. Certes, un personnage peut imiter un ensemble de personnages, dans ce cas, on parle de pastiche, et un personnage peut renvoyer à un personnage singulier, auquel cas, il y a parodie. Mais le personnage cinématographique fait plus. En effet, l’acteur introduit une dimension supplémentaire et, il est également possible de parodier le jeu de Bogart dans Casablanca, et de pasticher le jeu de Bogart dans ses films noirs. Il ne s’agit pas de caricature, cette dernière s’attaquant à la personne et non pas à son travail d’artiste213. Et c’est bien 213
Comparons ce qui est comparable : on caricature la personne (artiste, politicien …), on parodie ou on pastiche sa production intellectuelle (le jeu de l’acteur, le style du romancier…).
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de pastiche dont il s’agit dans le cadre de Play it again Sam qui ne se prive pas d’exploiter les liens unissant l’acteur underplay au genre noir : l’imperméable et le sex-appeal du personnage second y caractérisent non pas uniquement le protagoniste de Casablanca mais l’ensemble des rôles endossés par Bogart pour le film noir. De même, les précédents rôles interprétés par Allen construisent une image du comédien qui participe aussi à la parodisation de Casablanca. L’acteur constitue ainsi un élément incontournable de la parodie et du pastiche cinématographiques et le cinéma ne se prive pas d’exploiter ce potentiel qui, loin d’être un écueil à la perception et à la création du personnage, constitue en fait sa première richesse. Ce jeu de relations comédien/personnage peut ainsi être envisagé selon deux modalités : ce que fait le personnage en terme de second degré et la façon dont le comédien intervient dans ce second degré. Concernant le strict fonctionnement du second degré mis en œuvre par le personnage cinématographique, apparaissent donc non pas deux, mais quatre déclinaisons. Premièrement, le personnage au second degré peut être la parodie d’un personnage d’un film singulier : dans Fifa e arena (Mario Mattoli, 1948) Totò parodie le personnage principal de Blood and sand (Rouben Mamoulian, 1941). Deuxièmement, le personnage peut être le pastiche d’un personnage pluriel, le plus souvent générique : Laurel et Hardy avec leur mulet pastichent la figure du cavalier de western dans Way out west (James W. Horne, 1937). Troisièmement, le personnage peut comporter la parodie du jeu d’un comédien dans un rôle précis, ce qui bien évidemment contribue à l’élaboration du personnage au second degré. Par exemple, dans Le Grand frisson (Mel Brooks, 1977), Mel Brooks exagère la façon dont James Stewart exprime les vertiges de son personnage dans Vertigo. Quatrièmement, le personnage peut pasticher le jeu d’un comédien en général, comme dans l’exemple cité plus haut de Play it again Sam, le pastiche de Bogart accentuant la 188
nonchalance et la prononciation pour le moins particulière du comédien. De plus, Allan Felix, joué par Woody Allen, pastiche à son tour Bogart, et de façon volontaire, marmonne des formules de tombeur, il imite ainsi le jeu de Bogart. Ce faisant, le pastiche du comédien appuie la nature Don Quichotesque d’Allan Felix, personnage vivant sous l’influence totale du film noir et cherchant dans la fiction un modèle jusque dans la façon de s’exprimer. Dans ce jeu de relations complexifiant déjà le fonctionnement du personnage cinématographique au second degré, l’action spécifique du comédien peut être décrite selon le même principe. Le comédien peut bien évidemment faire référence à un personnage singulier ou pluriel, mais il peut aussi renvoyer à lui-même, à ses propres rôles précédents. Ainsi dans Mon nom est Personne (Tonino Valerii, 1973), la présence d’Henri Fonda évoque ce qu’est devenu le westerner à travers la carrière exemplaire de ce comédien qui a joué aussi bien pour John Ford que pour Sergio Leone. Edward G. Robinson et Bogart reprennent leurs personnages de gangsters dans Brother Orchid (Lloyd Bacon, 1940). Nombreux sont les exemples de films où les comédiens représentatifs d'un genre, d'un personnage ou d'un film acceptent de se plier aux caprices du second degré. Le premier effet est de faciliter l'identification de la référence : plus le comédien sera connu, plus il sera aisé à un grand nombre de spectateurs de reconnaître la cible. Le deuxième effet est de susciter un fort impact émotionnel auprès du spectateur : les souvenirs des films premiers émergent avec d’autant plus de virulence que le comédien, par son visage, sa voix, sa silhouette, les rappelle avec énergie. Comme le décrit Comolli, « [l]e personnage nous parvient comme un effet de corps dans l'image. Il aura beau avoir été travaillé longtemps, défini, constitué comme un scénario, ce n'est pas l'ordre d'investigation mais l'ordre d'exposition qui s'énonce dans un film : apparaîtra d'abord le corps, le corps comme un masque vide, et le personnage ne
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viendra qu'ensuite […] »214 En d’autres termes, quelles que soient la force et la présence du personnage, il est d'abord et avant tout un corps qui attend d'être rempli, mais qui n'est pas vide pour autant. Il est un peu tous ses personnages précédents, surtout si le comédien est connu. Il faut parfois du temps pour que le personnage prenne le dessus, et dans le cas des films au second degré, il arrive que cela soit quasiment impossible car différents éléments du film ne cessent de ramener le spectateur aux anciens rôles du comédien et exploitent au contraire sa présence comme un vecteur référentiel. Par exemple dans Il était une fois dans l'Ouest (Sergio Leone, 1968), le personnage de Franck, joué par Henri Fonda, a sa logique, ses motivations, un passé, un caractère. Pour autant, certains détails, comme les longs manteaux, sont là pour ramener à l'esprit du spectateur, l'image de ses anciens rôles, en l'occurrence La Poursuite infernale (John Ford, 1946). Dans Mon nom est Personne, Henri Fonda incarne Jack Beauregard, forme vivante des souvenirs des personnages joués par Fonda. Il n'a d'autre fonction ni d'autre caractéristique que d'évoquer sa propre légende. Le récit ne construit pas Beauregard, ce serait presque l'inverse : les séquences sont motivées par les références bien plus que par des impératifs en termes d'action ou de progression narrative, d'où l'aspect décousu du film. Les références s'enchaînent les unes aux autres sans pour autant être interdépendantes. Beauregard est le lien puisqu'il est la légende de l'Ouest, parce qu'il appartient, grâce au corps d’Henri Fonda, à cette légende construite par le western hollywoodien. Plus encore, la présence de Fonda crédibilise Beauregard : un inconnu pourrait-il décemment représenter la légende, traverser un Ouest fantasque et burlesque sans jamais être ridicule ? Beauregard n'est possible, n'existe que parce qu'il
214
1977, Un corps en trop, Cahiers du cinéma n°278, p.6.
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est interprété par Henri Fonda, la seule star du western hollywoodien à avoir joué dans des westerns italiens215. Ce choix de casting est extrêmement destructeur pour la cible car ici, la présence du comédien d'origine peut agir comme une caution. Elle crédibilise le discours destructeur du pastiche de western et renforce ainsi son esprit critique. Mon nom est Personne constate la fin d'une légende, le western traditionnel, fatigué et désabusé, s'effaçant derrière le western européen, excessif et carnavalesque. Fonda vieillissant incarne à merveille cette idée, plus encore, il en est la démonstration : ceux qui ont fait la légende du western ont vieilli ou sont morts, et entraînent avec eux le western hollywoodien vers son déclin. Le fait que Fonda accepte de jouer dans ces films au second degré peut aussi laisser supposer au spectateur qu'il acquiesce cette idée ou du moins qu'il l'accepte. Dernier effet venant renforcer celui-là, la présence de Fonda rappelle avec beaucoup d'intensité le western classique, ses propres westerns et cette intensité contribue à sa destruction, elle la décuple : le western classique est d'autant plus détruit, moqué, qu'il est présent. On fait appel à lui pour mieux le ruiner. L’utilisation de comédiens renvoyant à leurs propres rôles accentue donc la dimension satirique, pour ne pas dire destructrice du second degré puisqu’elle y participe tout en cautionnant le discours qui l’accompagne. Le comédien peut également référer à un autre comédien et à ce qu’il représente. C’est le cas dans Play it again Sam : le personnage à l’imperméable, joué par Jerry Lacy, imite Bogart-comédien-de-films-noirs, d’ailleurs, sur la fiche technique du film, le nom du personnage en question est bien Humphrey Bogart. D'une manière générale, lorsque les références renvoient à des comédiens, ces derniers sont extrêmement connus et par conséquent aisément reconnaissables par les spectateurs. 215
Eastwood, Van Cleef ou Bronson n'étaient pas des stars internationales avant de jouer dans des westerns italiens.
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Enfin, certains comédiens renvoient directement à la notion de second degré cinématographique. Deux figures emblématiques de la parodie cinématographique évoquent à elles seules cette pratique : Totò et Mel Brooks. Totò était la vedette incontestée de ce phénomène d'emprunts cinématographiques d'ampleur qu’était la parodie italienne. En effet, des années quarante à la fin des années soixante, de très nombreuses parodies italiennes216 ont été produites. En fait, leur dénomination est trompeuse, la terminologie « parodie italienne » recouvrant aussi bien des parodies comme Totò, Pepino et la dolce vita (Sergio Corbucci, 1961), que des pastiches comme Totò Tarzan (Mario Mattoli, 1950). Plus ou moins réussis, ces films étaient fort populaires, notamment grâce à la notoriété de Totò, véritable emblème de ces satires217 : son seul nom suffisait à transformer un titre de film en parodie218. Tout succès au box-office était passé au crible et les plus grands héros du cinéma, femmes ou hommes, jeunes ou vieux, beaux ou laids, réapparaissaient systématiquement sous les mêmes traits, ceux de Totò, identique à lui-même. Dans ces « parodies », Totò a le même rôle, le sien : Totò joue Totò. Ici, la fusion entre personne et personnage est totale : ils portent le même nom, un nom que toute l’Italie connaît tandis que dans le privé, Totò tente de troquer sa généalogie contre celle d’un prince, générant ainsi une réelle confusion sur l’identité du comédien alors que celle du personnage est restée, quant à elle, immuable. Le jeu de Totò refuse tout naturalisme, systématiquement désarticulé, se déplaçant avec une sorte de mouvement de balancier inimitable, répétant éternellement les mêmes grimaces afin d’exclure définitivement de son jeu toute forme d’expression 216
Amico M. 1989, La parodie dans le cinéma italien d’après-guerre, Cinémaction n°53, p.152. 217 Spinazzola V. 1974, chap. 6 : Il fenomeno Totò e la farsa cinematografica, Cinema e publico, Bompiani, Milan, pp. 84 à 101. 218 Par exemple Qu'est-il arrivé à Baby Totò ? (Ottavio Alessi, 1964).
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psychologique. La seule trace d’existence du personnage qu’il est censé représenter ne peut venir que des attributs de ce dernier, le plus souvent vestimentaires, rejoignant ainsi la tradition scénique du travestissement : Totò-identique-à-luimême ne peut pas être crédible en tant que personnage autre que Totò, générant ainsi un double effet parodique. D’une part, l’inadéquation entre le corps de Totò et le costume est en elle-même comique. D’autre part, ce refus d’incarner ses personnages constitue également une forme de critique de toute prétention naturaliste, de ce principe qui veut que les comédiens tentent de se fondre dans leurs personnages et dont Gassman219 pourrait être le digne représentant italien. Quant à Mel Brooks, sa carrière de réalisateur et de comédien est entièrement consacrée à l'imitation et à la transformation hilarante de genres, d'œuvres et de films populaires. C'est avec une certaine trivialité, en se déguisant, en se salissant, que Mel Brooks cherche à détrôner les héros cinématographiques. C'est probablement cette capacité à se mettre luimême en jeu en tant que comédien, à payer de sa personne sans hésitation dans la plupart de ses films220, qui fait de Mel Brooks une personnalité attachante, sincère dans ses satires et dont la mission semble être de destituer systématiquement ce qui est trop influent. La carrière de Mel Brooks est ainsi complètement orientée vers la parodie et le pastiche. Tout comme Totò, Mel Brooks reste identique à lui-même malgré ses personnages, et de film en film, se retrouvent les mêmes mimiques, le même refus du vraisemblable et le même sens du travestissement. Ces deux artistes ont donc consacré leur carrière au second degré et leur seul nom dans un générique ou un titre de film suffit pour en identifier la présence. La relation de ces deux comédiens à leur personnage est très particulière, et l’on 219
G. Legrand, op. cit. p.86. Mel Brooks joue souvent des personnages peu gratifiants et n'hésite pas à se présenter de façon peu valorisante dans des costumes ou des situations ridicules. 220
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pourrait même dire destructrice, dans la mesure où leur personnalité écrase leurs personnages un à un : ils jouent toujours leur propre rôle et inévitablement, leurs personnages se ressemblent tous. Ici la personnalité du comédien supplante systématiquement le personnage au second degré. Ce dernier phénomène fait ressortir deux caractéristiques du personnage parodique cinématographique. Premièrement, si ces deux comédiens parviennent à évincer si facilement la composante psychologique de leurs personnages, c’est peutêtre justement parce que le personnage parodique a comme particularité de ne pas avoir une psychologie d’une grande finesse. En effet, héritier du clown221 et de ses homologues cinématographiques, son développement psychologique est souvent réduit à l’essentiel par des comédiens qui opèrent sous le couvert d’un masque (les postiches des Marx Brothers par exemple). Deuxièmement, cette psychologie plus que sommaire du personnage parodique a tendance à valoriser sa corporéité : il est avant tout un corps travesti et malmené. De cette série de déclinaisons entre le personnage et le comédien, il ressort que le jeu, le corps du comédien, tout ce que sa présence évoque, participent aux ressorts du second degré cinématographique et désignent la cible avec autant de puissance que n’importe quelle action ou situation. Le récit ne vient qu’en arrière-plan et il s’avère par conséquent impossible d’aborder le personnage parodique cinématographique selon des conceptions directement issues du littéraire. En effet, si le personnage parodique cinématographique se compose bien évidemment aussi par ses actions, ses dialogues, ses relations aux autres personnages, il apparaît ici clairement que le comédien est également choisi pour ce qu’il représente : ce que son nom évoque, ce que sa silhouette rappelle. En d’autres termes, la corporéité du comédien, l’ensemble de sa carrière sont tout aussi importants que la façon dont le récit compose le personnage. 221
Sur le sujet, voir Odile Crépin, 2005, Le clown cinématographique, thèse de doctorat, Université Paris 8.
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Si le corps du comédien fait le personnage au second degré, peut-on dire pour autant qu’il existe une confusion entre la personne du comédien et son personnage pour reprendre ici la problématique littéraire ? Tout comme le personnage parodique, le personnage historique joue sur la relation entre personne et personnage. Ce n’est pas un hasard si les textes sur le personnage historique222 s’ancrent dans le contexte théorique de la crise du personnage. L’utilisation de personnages historiques représente une difficulté réelle pour l’écrivain223, mais il ne faut pas croire pour autant que le lecteur est victime de cette confusion personne/personnage. Jean-Marie Schaeffer224 remarque que la distinction entre les deux instances persiste puisque le lecteur a la possibilité d’évaluer le personnage selon sa conformité avec la personne ou du moins ce qu’il connaît d’elle. L’attrait et la difficulté du personnage historique viennent donc non pas de cette confusion personne/personnage mais, au contraire, de cette distinction qui accorde au lecteur un pouvoir redoutable : celui de comparer, juger, évaluer. Au cinéma, il en est ainsi du personnage historique comme du personnage parodique et c’est justement le jeu sur cet écart qui fonde le fonctionnement du second degré de ces personnages. Un premier type d’écart apparaît d’emblée à la lecture des textes de Jean-Louis Comolli lorsqu’il reprend à son compte l’exercice littéraire consistant à travailler la comparaison entre le personnage fictif et le personnage historique. Puis quelques années plus tard, Comolli se penchera sur le cinéma de Totò, comédien de parodies et de pastiches s’il en est, avec le bénéfice de ce travail sur le personnage historique. Dans le film historique comme dans la parodie, on attribue un corps à 222
Qu’ils soient cinématographiques (Comolli, 1977, op. cit) ou littéraires (Barthes, 1970, S/Z, ed. du Seuil, Paris). 223 Roland Barthes, 1970, ibid. pp.108-109. 224 1972 (1995), Personnage dans Oswald Ducrot, Jean-Marie Schaeffer (dir. par) Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, éd. du Seuil, Paris, pp.622-630.
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un personnage possédant déjà un corps et l’existence du personnage, sa perception par le spectateur, vont reposer sur sa conformité, son vraisemblable et la nature interprétative des écarts entre ces deux corps. Ce premier écart repose donc sur la différence entre le personnage premier et le comédien qui le parodie ou le pastiche : lorsque le comédien parodie ou pastiche ses personnages précédents, il a parfois beaucoup changé (Henry Fonda a vieilli). Et lorsqu’il s’agit d’un autre comédien, il n’est pas rare qu’il soit choisi pour ses différences avec le personnage premier. Ainsi un chétif laideron est censé incarner James Bond dans James Tont contre Goldsinger (Bruno Corbucci, 1965). La reproductibilité du film accuse parfois cet écart : des citations filmiques peuvent venir raviver les souvenirs du spectateur et activer la comparaison entre personnages premier et second. Ainsi, dans Play it again Sam, une citation de la dernière séquence de Casablanca permet au spectateur d’envisager sans aucune ambiguïté la relation parodique qui existe entre les deux films mais de plus, elle permet aussi de considérer visuellement l’abîme qui sépare le physique de Woody Allen de celui du héros de Casablanca. On peut également retenir du texte de Comolli la capacité du personnage cinématographique à apparaître avant d’être. En d’autres termes, le personnage cinématographique se caractérise en premier lieu par son apparence et ce qu’elle évoque au spectateur, un second décalage se forme donc entre l’apparence du comédien et son personnage. Ainsi, le comédien principal de James Tont est chétif et laid, ce qui n’a en soi rien d’étonnant, cela fait partie de la dévalorisation de James Bond. Pourtant, malgré son apparence peu attractive, les femmes tombent dans les bras de James Tont qui est à sa façon un personnage de séducteur. Il existe ici un décalage entre ce qu’est le comédien et son personnage. Et ce décalage participe au second degré, notamment par la construction d’un univers absurde conditionné par les règles de la série ainsi soulignées.
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Il existe enfin un troisième écart suscité par cette distinction entre la personne du comédien et son personnage, que l’on pourrait qualifier d’ontologique puisqu’elle repose sur la différence entre tout individu et sa représentation cinématographique. Les premiers théoriciens du cinéma, Balazs225, Delluc226, Epstein227, relatent tous cette capacité du cinéma qu'ils la rapportent au procédé de reconstitution du mouvement228 ou à la photogénie. Pour reprendre Epstein, le cinéma remet constamment en jeu l’image de soi mais aussi du monde. Le cinéma fait relativiser, douter de ce que l’on voit, de ce que l’on est. Si de nos jours, l’accoutumance que nous avons au cinéma peut nous le faire paraître comme moins déstabilisant, il n’en demeure pas moins que cette différence entre le comédien et sa représentation cinématographique existe et contribue à construire les spécificités du personnage cinématographique. Si l’on s’en tient aux précurseurs de la théorie du cinéma précédemment cités, il s’avère que les spécificités du cinéma observées dans leurs essais contribuent aussi à éloigner un peu plus la personne du comédien de son personnage. Cela apparaît particulièrement clairement avec le gros plan, dont on sait l’importance qu’il a pris dans la constitution des personnages comme dans l’avènement du star-system. La parodie ne se prive pas d’exploiter cette propriété du cinéma pour créer ses personnages au second degré. Ainsi, dans Mon nom est Personne, Jack Beauregard et Personne bénéficient tous deux de gros plans de visages mais leur traitement diffère considérablement, y compris à l’intérieur d’une même séquence. Ainsi pour un même lieu, l’auberge de Mamita par 225
1977, L’esprit du cinéma, Payot, Paris. 1920 (1984), Photogénie, dans Ecrits Cinématographiques I, édition de la Cinémathèque Française, Paris. 227 1955, Esprit de cinéma, édition Jeheber, Genève-Paris. 228 Parce qu’elle ne restitue le mouvement qu’en l’altérant, l’image cinématographique, par définition, ne reproduit pas parfaitement le réel, il en va de même pour tout ce qui se trouve devant l’objectif, à commencer par les comédiens. 226
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exemple, Beauregard est filmé en gros plan avec une certaine douceur, la lumière semble tamisée et crée un halo ouaté229 qui gomme les petits défauts du visage, atténue la dureté des lèvres pincées et du regard glacial d’Henry Fonda. Au contraire, Personne est filmé en gros plan avec un éclairage plus dur, qui révèle avec un souci du détail minutieux toute la saleté du personnage, couvert de crasse et d’aliments. Ici le gros plan contribue à caractériser les personnages et à les opposer, ce faisant il accuse la distinction entre les deux westerns qu’ils représentent : Beauregard figure le western classique, celui qui idéalise l’Histoire et ses protagonistes, tandis que Personne se veut un digne représentant du western italien, plus jeune, plus cru et sans concession. Le gros plan associe cette caractérisation aux deux personnages et participe ainsi au fonctionnement critique du second degré. Toujours dans le même film, des trucages cinématographiques comme l’accélération des gestes de Personne, servent à créer des gags et partant se moquent du peu de vraisemblable des prouesses des héros de western. Il pourrait en être dit autant du cadrage ou du montage. Nul doute que sans ces propriétés du cinéma, les personnages parodiques perdraient une grande partie de leur épaisseur et de leur subversion. Nul doute non plus que ces propriétés éloignent définitivement le comédien de son personnage dont la relation ne saurait être décrite uniquement en terme de performance. Le cinéma ajoute au personnage des caractéristiques qui dépassent de loin ce qu’est le comédien. Par ailleurs, il est remarquable que pour décrire la représentation humaine au cinéma, Epstein ait recours à des notions qui semblent un écho de celles avancées pour caractériser la crise du personnage dans le domaine littéraire, ce fameux doute que l’on retrouve chez Robbe-Grillet230 ou Sarraute231. 229
Ferreri procède de même dans Touche pas à la femme blanche (1974) lorsqu’il se moque du traitement du personnage féminin dans le western. 230 Op.cit. 231 Op.cit.
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Mais contrairement à ce qu’avance Sarraute à propos du septième art232, le cinéma ne se met pas à douter de ses personnages par un effet de contamination du champ littéraire, laissant ainsi au lecteur le soin d’anticiper une inévitable crise du personnage cinématographique. Non, le cinéma fait douter et ce depuis le début. Et les personnages cinématographiques composent avec ce doute. Loin d’être handicapante, la relation entre le comédien et le personnage participe à la richesse de ce dernier. En effet, le cinéma, on l’a vu, tire profit autant que possible de cette incarnation, de ce qu’elle entraîne comme effets. On peut même dire que ces relations de jonctions et d’écarts constituent à elles seules une bonne partie des rouages parodiques. Le cinéma joue sur la fusion personne/personnage pour constituer ses personnages au second degré alors que le spectateur se base pour sa part sur la distinction entre les deux pour évaluer le second degré. Le fonctionnement du second degré dépend donc étroitement de ce mouvement qui apparaît plus complémentaire que contradictoire. Le personnage au second degré cinématographique, se comprend donc selon trois facteurs absolument indissociables : le spectateur, la corporéité et ce à quoi il renvoie. Le savoir du spectateur suscite la référence et enclenche l’identification du second degré. Comme on a pu le constater, le jeu, le corps du comédien, les personnages antérieurs que sa présence évoque, sont les ressorts fondamentaux du second degré cinématographique et désignent la cible avec autant de puissance que n’importe quel comportement ou attribut. Enfin, le personnage parodique se caractérise par rapport à ce qu’il réfère: c’est à l’aune de ce ou ces films qu’il se spécifie et crée ces écarts ludiques ou ironiques qui font du personnage parodique un personnage à part entière, une construction originale.
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« Cependant, il semble que le cinéma est menacé à son tour. Le « soupçon » dont souffre le roman, le gagne. » op. cit, p.76.
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Le récit ne vient qu’en arrière-plan et il s’avère par conséquent impossible d’aborder le personnage parodique cinématographique selon des conceptions directement issues du littéraire et encore moins de la narratologie. La critique que l’on a pu faire du texte de Genette ne fait que confirmer cette singularité du personnage cinématographique et l’impossibilité de l’envisager séparément du corps qui l’incarne. Non seulement l’industrie cinématographique joue sur cette relation quitte parfois à favoriser un peu plus la confusion comédien/personnage mais la parodie et le pastiche eux-mêmes jonglent avec afin de renvoyer le spectateur de l’un à l’autre. La théorie du cinéma a elle-même souvent eu du mal à envisager cette spécificité dans toute sa richesse et l’on ne peut que déplorer l’absence de documents de référence sur le personnage parodique cinématographique.
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Échos 3 : des voix sans maître ?
1 – La subversion ontologique de la parodie et du pastiche Détournements du fonctionnement de la fiction cinématographique classique233 L’antédiluvienne partition entre le cinéma du réel, des Frères Lumière, et celui de l’illusion, de Méliès, pourrait laisser croire que la relation au réel divise la production cinématographique. Le film de fiction joue sur ces deux potentialités sans nécessairement les opposer, et ce que l’on appelle communément l’illusion cinématographique repose en grande partie sur une confusion volontaire entre l’univers fictionnel du film et le réel des spectateurs. À l’intérieur de cette catégorie de films, la parodie et le pastiche cinématographiques, en prenant pour cibles des films singuliers, des genres ou des auteurs, ne se contentent pas d’égratigner personnages, sujets et styles. Ils s’attaquent également à la relation entre la fiction et le réel : toute velléité de réalisme, d’authenticité ou de vraisemblable est systématiquement raillée. Plus encore, certains de ces films s’en prennent aux facteurs de l’illusion cinématographique. Par les références et la nature distanciée du second degré, la parodie et le pastiche brisent la relation habituelle du spectateur au film de fiction dit « classique ». Ce faisant, ils détournent de maintes façons les relations qui lient réel et fiction. La théorie du cinéma elle-même n’envisage pas la relation du spectateur au film sans passer par le réel. À commencer par Bazin qui la caractérise par la croyance envers l’image photographique décrite comme une empreinte désintermédiée 233
Version remaniée d’un article publié sous le titre Réel et film de fiction : détournements de la parodie et du pastiche cinématographiques dans Jolly G. (dir. par) 2007 Le réel à l’épreuve des arts, L’Harmattan, Paris, pp. 89 à 106.
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du réel, mécanique et neutre par essence. Il existerait ainsi une crédulité du spectateur à l’égard de l’image photographique dont bénéficierait le film de fiction. Pour Bazin, une telle croyance ne peut se confondre avec l’illusion234 : elle ne trompe pas le spectateur puisqu’ « […] elle est le modèle »235. Le spectateur ferait l’expérience du réel aussi par le cinéma et la qualité de cette expérience ne viendrait pas de la capacité d’illusion du cinéma puisque le spectateur sait que ce qu’il voit est un film (et non pas le réel) sans que cela n’entache sa relation au film. Ce qui n’est pas le cas du trompe-l’œil comme le fait judicieusement remarquer Richard Allen236. L’image photographique et le trompe-l’œil multiplient les détails et peuvent tous deux prétendre à la reproduction fidèle du réel. Néanmoins, contrairement à la photographie et au cinéma, le jeu du trompe-l’œil réside dans sa capacité à jouer avec les sens du spectateur (Est-ce réel ou est-ce un tableau ? Est-ce une photographie ou une peinture ?…). Pour Bazin, ce n’est pas uniquement la capacité de l’image cinématographique à enregistrer les détails du réel qui fonde son pouvoir sur le spectateur mais avant tout sa neutralité qui l’autorise à participer à l’existence du réel et en particulier, à prolonger cette existence. Cette relation à la temporalité et le refus d’envisager le film comme une illusion, distinguent clairement l'approche de Bazin des différentes appréhensions théoriques de l’illusion cinématographique. En effet, ces théories, basées pour la plupart sur le cinéma classique, envisagent plutôt l’expérience du film comme un éternel présent. Et ce qu’elles cherchent à décrire n’est finalement pas tant la relation au réel ou la capacité du cinéma à reproduire le réel mais plutôt cet effet du film sur le spectateur que l’on peut nommer l’effet de réel. La 234
Bazin A. 2002 (1958), Ontologie de l’image photographique, Qu’est-ce que le cinéma ?, pp.11 et 16. 235 Ibid. p.14. 236 1997 (1995), Projecting illusion, Cambridge University Press, Cambridge, p.104.
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première illusion237 du film serait donc sa capacité à suspendre le temps ou à aménager sa propre temporalité, ce qui peut sembler pour le moins une atteinte au réel. Le cinéma de fiction, notamment le cinéma classique238, a habitué les spectateurs à une gestion du temps dominée par la logique narrative et la primauté de l’action. Cette accoutumance facilite la compréhension du récit et surtout l’intégration du fonctionnement temporel du film, d’où l’impression que le déroulement du film est naturel alors qu’il est en fait acquis. La transparence du montage renforce cette impression de fluidité temporelle, de continuité et donc de proximité avec le réel. Le fait que les personnages semblent vivre dans un monde parallèle à celui du spectateur, avec un passé et un futur (la promesse d’une vie commune évoquée par le baiser final par exemple) renforce à la fois la présence de l’univers fictionnel et l’idée qu'il s'agit d'un monde en soi, avec un fonctionnement temporel comparable au nôtre. De cette parenté émergent à la fois une certaine crédibilité et surtout l’impression de réel qui est la base de l’illusion cinématographique. Le film deviendrait une sorte de monde parallèle au nôtre. Ses ressemblances avec le réel seraient si fortes que les spectateurs utiliseraient les mêmes capacités pour comprendre un film que pour comprendre le monde qui les entoure239. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’ils les mobilisent de la même manière ni aux mêmes fins. De même, les émotions vécues par le spectateur sont comparables aux émotions suscitées par le réel et elles sont bien réelles dans la mesure où les larmes comme les palpitations du spectateur ne sont ni feintes, ni virtuelles : l’univers du film a beau être fictionnel, 237
Voir ibid. p.110-114. Bordwell D, Staiger J, Thompson K. 1985, The classical Hollywood cinema, Routledge & Kegan, Londres et Bordwell D. 1985, Narration in the fiction film, Routledge, Londres. 239 Grodal T. 1997, Moving pictures, Clarendon Press, Oxford, pp. 28-29. 238
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les émotions qu’il provoque, notamment par le biais des personnages, sont quant à elles, concrètement présentes. Cette relation bien particulière aux personnages, l’identification, est caractérisée par une réaction émotionnelle et psychologique du spectateur déterminée par le vécu du personnage à l’écran. Contrairement aux idées reçues, l’identification aux personnages ne dépend pas de la qualité de l’illusion cinématographique, ce serait même plutôt l’inverse puisqu’en suscitant des émotions comparables aux émotions éprouvées au quotidien, l’identification renforce l’impression de réel dégagée par le film. Par ailleurs, l’identification, tout comme le récit et le cadrage, concentre l’attention des spectateurs sur les personnages, ce qui évite que leur attention ne se porte sur les propriétés formelles du film. Elle favorise ainsi l’immersion du spectateur dans l’univers fictionnel. La parodie et le pastiche bousculent complètement cette relation du spectateur au film et par conséquent, s’en prennent à ces liens très particuliers qui se tissent entre la fiction et le réel. Ils ont pour moyen d’action trois éléments intimement liés : les références, la réflexivité et la raillerie. Le spectateur est indispensable à l'existence des références. Seule la mémoire du spectateur peut faire appel au film premier et mettre ainsi l'œuvre première et l'œuvre seconde en relation. Identifier les références au second degré mobilise donc de nombreuses facultés du spectateur, facultés qui sont d’ordinaire employées à la compréhension du récit, du fonctionnement propre à l’univers fictionnel et de ses personnages. La recherche des références peut apparaître comme un jeu de piste. Lorsque les références sont multiples dans un film, la relation qui s’instaure entre le film et le spectateur repose bien souvent sur la satisfaction à identifier les références et parfois à les interpréter. Ce phénomène est particulièrement évident dans les films de la Nouvelle Vague ou plus récemment dans ceux de Tarantino.
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L’attention du spectateur se canalise sur la quête des références au détriment de son investissement dans la fiction : le spectateur traque les indices, compare, au lieu de se focaliser sur les personnages, sur l’enjeu du récit… En fait, ce dernier s’est déplacé et n’est plus essentiellement de nature intradiégétique. En effet, les références proposent un mode d'appréhension du récit complémentaire du fonctionnement narratif. Le spectateur en mesure de mettre en relation Les Chercheurs d'or et Le Cheval de Fer ne s'interroge plus sur l'issue de la lutte, il se doute bien que la fin du film second sera étroitement liée à celle du film premier. Lors de la course-poursuite finale entre le train mené par les Marx Brothers et la calèche des villains, le suspense du montage alterné en est considérablement altéré et l'utilisation systématique de ce montage apparaît alors sous son jour comique. L'alternance désolidarisée de toute tension narrative génère un comique de répétition auquel s’associe la raillerie à l'égard d'une des formes récurrentes du western, à savoir l'utilisation de ce type de montage pour la scène non moins itérative de la course-poursuite. Le second degré installe donc une relation distanciée au récit, à ses stratégies habituelles d'implication du spectateur et à ses modes de production d'émotions. Ce fonctionnement narratif devient lui-même objet de raillerie dans la mesure où le spectateur ne lui étant plus complètement soumis peut donc en prendre conscience. Le plaisir des films au second degré ne provient donc plus des émotions générées par la réalisation cinématographique du récit (peur, angoisse, curiosité, satisfaction…) mais plutôt du plaisir ludique lié à la reconnaissance et à l'interprétation des références, enfin du rire et du contentement liés à ce mode d'appréhension du film : celui de savourer le produit de sa cinéphilie et d'échapper, pour une fois, aux traditionnelles stratégies d'implication du récit. D’une certaine façon, la parodie et le pastiche font sortir le spectateur de l'univers fictionnel. En effet, dans un film de fiction traditionnel, tout est fait pour faciliter l'immersion du spectateur : il faut que le spectateur puisse y retrouver des 207
points communs avec son quotidien (écoulement du temps, système de valeurs…), il faut que les enjeux ne lui soient pas étrangers, la réalisation et le montage doivent être le plus transparents possible… La parodie et le pastiche fonctionnent autrement, même s’ils peuvent parfois être qualifiés de transparents et si l'univers fictionnel décrit est susceptible d'entrer en résonance avec celui du spectateur. En effet, sous l'apparence de films de fiction traditionnels opérants dans des genres connus (comédie, burlesque…), la parodie et le pastiche proposent un univers fictionnel dont le but n'est pas uniquement l'immersion du spectateur mais plutôt d'orienter l'esprit du spectateur vers un monde extérieur à celui de la fiction et des relations de va-et-vient qu’elle entretient avec le réel : il s’agit de guider le spectateur vers le monde des références, celui des autres films et de l'histoire du cinéma. L'univers fictionnel des parodies et des pastiches est à la fois à l'origine des références et fonctionne par et pour elles. En effet, les caractéristiques de cet univers sont celles sur lesquelles s’appuie le pastiche en les reproduisant. Reproduction dans laquelle le second degré s'installe bien souvent par le biais de l'exagération : ainsi, dans Laurel et Hardy au Far West240, la victime est une caricature personnifiée de l'innocence et ses bourreaux sont le vice incarné, ce qui est déjà une façon de se moquer du manichéisme du western. Il arrive qu’une fiction soit prévue pour fonctionner avec ou sans l'identification des références, tout comme d’autres reposeront entièrement sur l’effectivité du second degré. Ces variations interprétatives ne sont pas nécessairement binaires (le spectateur reconnaît ou ne reconnaît pas la référence) mais peuvent jouer de façon tout à fait adroite avec la complexité des références et la variété de la culture cinématographique comme il l’a été démontré à propos de la piécette jetée en l’air dans Certains l'aiment chaud. Les références cinématographiques peuvent donc être conçues 240
Horne J. W. 1937
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pour être perçues de différentes façons et le récit, la compréhension des personnages, le fonctionnement de l’univers fictionnel peuvent alors s’adapter aux différences de savoir des spectateurs. Les interrelations entre le récit, l’univers fictionnel et les références peuvent donc être multiples et agir à différents niveaux de compréhension du récit. Mais dès que les références sont identifiées, la relation du spectateur à la fiction en est profondément modifiée pour les raisons évoquées plus haut auxquelles s’ajoute une variation notable : la fiction n'apparaît plus qu'à travers le prisme des références et le spectateur. Autrement dit, les comportements dits classiques du spectateur face à la fiction tels que l’attitude référentielle, privilégiant l’appréhension de la relation fiction/réel, ou l’attitude fictionnalisante, privilégiant l’investissement du spectateur dans l’univers fictionnel, sont éclipsées au bénéfice d’attitudes qui peuvent être qualifiées de critiques241. Les deux premières sont les plus fréquemment mises en jeux par l’interrelation qui se crée entre le spectateur et le film classique, elles sont suscitées aussi bien par les attentes du spectateur que par la capacité du film lui-même à y répondre. Les attitudes critiques se caractérisent quant à elles par un effet de distance qui pousse le spectateur à s’interroger sur les systèmes de valeurs érigés par le film, sur sa dimension générique, intertextuelle, et réflexive. Les phénomènes étudiés permettent donc de contourner volontairement des attitudes de réception par la mise en place de dispositifs particuliers. Les références participent à la logique de l'univers fictionnel et relèguent à l'arrière-plan les sacro-saintes obligations du film classique : des notions telles que le vraisemblable, la cohérence ou encore l'authenticité ne sont plus de mise. La parodie et le pastiche excusent tout ce qui en temps normal est 241
Beylot P. 2005, Le récit audiovisuel, Armand Colin, Paris, pp.116 à 119. Je reprends ici la terminologie de Pierre Beylot même si son usage du terme « référentiel » (le réel pour référent) n’est pas sans confusion avec l’emploi que nous en faisons dans cet ouvrage.
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à omettre, ou plus précisément, elles donnent une place à ces transgressions. On peut trouver ici une explication au phénomène souligné par Stam242 : les procédés réflexifs, dont font partie intégrante les références, sont plus facilement acceptés par les critiques quand il s’agit de films ouvertement comiques. Et de citer en exemple Woody Allen et Mel Brooks, auteurs de parodies et de pastiches s’il en est. Cette tolérance peut certes être due à la personnalité sympathique et décalée des réalisateurs cités, mais il semble toutefois que cette capacité de la parodie et du pastiche à donner une place et un rôle, relativement compréhensibles au spectateur moyen, à ces procédés anti-illusionnistes, suffit en soi à les justifier et donc à faire accepter tout ce qui est habituellement banni d’un film classique. Ainsi, les anachronismes, l'absurde, l'illogisme ou l’envers du décor font partie intégrante du fonctionnement du second degré et sont utilisés de façon extrêmement fréquente voire récurrente afin de destituer les films ou les genres ciblés. Et ce rôle, facilement compréhensible même pour un spectateur récalcitrant, suffit à justifier l’emploi de ces mêmes moyens qui peuvent lui sembler obscurs dans un film moderne. Les nombreux anachronismes volontaires des parodies ou des pastiches font de même : en brisant la cohérence temporelle du film, ils l'ouvrent à un extérieur contemporain à sa réalisation. La cohabitation de ces différentes temporalités au sein d'un même univers ruine toute cohérence et fluidité temporelle classique. Or la fluidité temporelle fait partie intégrante de l’illusion cinématographique, la rompre par des anachronismes revient à s’attaquer la ressemblance entre le film et le réel. Par ailleurs, les références elles-mêmes en renvoyant à des films passés inscrivent le film dans une continuité temporelle qui n’est plus celle du récit mais de l’histoire du cinéma : écueils permanents à l’éternel présent de l’image cinématographique, les références reconstruisent un cadre historique dans lequel situer le film. 242
Stam R. 1992 (1985), op. cit. p.128-129.
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Le second degré reconstitue sa propre logique, son mode de fonctionnement interne, à l'abri des contingentements habituels : réalisme perceptif, vraisemblable, transparence… Autant de notions motivées par l’illusion de recréer le sentiment du réel et auxquelles la parodie et le pastiche ne sont plus soumis. La parodie et le pastiche n’ont pas de velléité de réalisme : il importe peu à leurs auteurs de créer l'illusion d'un monde réel ou même cohérent. Une autre forme de cohérence est recherchée : la ligne de conduite générale à l'égard des œuvres premières. Grâce au second degré, l'univers fictionnel n'est plus construit ni évalué à l'aune du réel, du crédible, mais il est entièrement agencé selon une logique interne, elle-même tournée vers l'histoire du cinéma, vers la cinéphilie. C'est alors l'imaginaire, la mémoire et la passion qui dictent leurs lois, rien d'étonnant donc à ce que l'univers des parodies et des pastiches soit absurde, poétique et surprenant. Pour reprendre la terminologie de Barthes243, cela signifie que dans la relation du spectateur aux parodies et aux pastiches, le monde auquel le spectateur est en fin de compte renvoyé n'est pas celui du réel mais de la textualité : la textualité du film renvoie aussi bien à la textualité des œuvres en général qu'à la galaxie de l'histoire du cinéma. En faisant référence à d'autres films, la parodie et le pastiche, renvoient bien sûr aux films premiers mais également aux autres films qui font référence, utilisent les mêmes procédés, ont eu recours aux mêmes figures. Ce sont des films entièrement tournés vers la mémoire du cinéma, vers leur propre histoire, au détriment du réel. Le pastiche et la parodie, par le principe même de la référence cinématographique, sont réflexifs. Tout d'abord, parce que ces films renvoient à d’autres films et produisent ainsi, par la nature des régimes, une certaine forme de discours sur le cinéma. La raillerie ou le coup de chapeau en sont les manifestations les plus évidentes. La moquerie exprime une 243
Barthes R. 1997(1975), Théorie du texte, op. cit. pp.371 à 374
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critique tout comme l’hommage une reconnaissance. Ce discours du cinéma sur lui-même est par définition réflexif. Ensuite, les références agissent sur le spectateur de façon réflexive puisque son attention se focalise sur les références au détriment du reste. Ainsi, lorsque le spectateur est à l’affût des références, prêt à saisir le moindre indice en faisant un usage intensif de sa mémoire et de sa cinéphilie, il se trouve dans une situation particulièrement active par rapport au film, ce qui est précisément un des effets recherchés par la réflexivité. Enfin, les parodies et les pastiches font fréquemment usage d’éléments typiquement réflexifs tels que montrer certains éléments du processus de projection ou de fabrication du film comme l’orchestre de la musique de fosse qui apparaît au détour d’une route dans Le Grand frisson de Mel Brooks. En tant que comédies ou films comiques, la parodie et le pastiche constituent une enclave grand public dans la catégorie des films réflexifs. Cette capacité à toucher un large public, notamment des spectateurs peu habitués à intellectualiser les films vus, rend d’autant plus subversifs la parodie et le pastiche et d’autant plus important leur rôle réflexif au sein du cinéma. La parodie et le pastiche mettent en œuvre cette distance typique de la réflexivité de diverses façons. Premièrement, la distance entre le spectateur et l’univers fictionnel a été évoquée précédemment : l’attention du spectateur est portée sur les références et son investissement dans le récit, envers les personnages s’en ressent. Deuxièmement, la parodie et le pastiche creusent également une distance entre le film et le réel : les références construisent un univers auto-référentiel qui se justifie par luimême et non pas dans sa relation au réel. Si Ford réalise Le Cheval de fer avec un évident souci d’authenticité, ce n’est assurément pas le cas des Marx Brothers qui ne cherchent pas à rendre leur reconstitution historique plausible, ni même à toucher du doigt une réalité historique. Les Chercheurs d’or est entièrement tourné vers le film de Ford et c’est là son 212
ancrage, son univers de référence. Sans rejoindre la dichotomie de Stam entre les esclaves du réel et les créateurs suprêmes244, il faut tout de même reconnaître que la parodie et le pastiche libèrent le réalisateur d’un certain nombre de contraintes liées au poids du réel et lui laissent le loisir de céder ou non aux règles du ressemblant, du vraisemblable, de l’authentique et du véridique. Troisièmement, le principe même de la parodie et du pastiche repose sur la distance entre le film et la cible : la moquerie, la satire, la liberté des relations ludiques supposent un recul de l’auteur à l’égard des modèles et invitent le spectateur à prendre ce recul envers les films ou les genres ciblés. Ce principe carnavalesque de destitution amplement décrit par Bakhtine245 à propos du littéraire se vérifie également dans le domaine du cinéma. Les genres, les séries, les auteurs, les films visés sont les plus populaires, les plus influents, les plus prestigieux. La parodie et le pastiche modifient la relation du spectateur aux films visés de façon projective et rétrospective : après avoir vu James Tont contre Goldsinger, il peut reconsidérer les conventions surfaites de la série des James Bond, tout comme par la suite il ne pourra plus voir de films d’espionnage246 sans occulter complètement la conscience qu’il a de ses conventions. Dernière action réflexive, la parodie et le pastiche soulignent l’artificialité de la représentation cinématographique et donc interrogent la relation du cinéma au réel. En effet, montrer des éléments du dispositif cinématographique tels que la caméra, les rails de travelling, l'envers du décor, par-delà l’effet comique souvent recherché, sert également à rappeler au spectateur la nature factice de l’univers fictionnel, qui, malgré 244
Les esclaves du réel seraient les artistes soumis au règne du mimétisme, aux lois du réalisme, du vraisemblable tandis que les créateurs suprêmes, tels les dieux, créeraient des mondes dans une totale liberté. Op. cit. p. 129. 245 Bakhtine M. 1978 (1941), op.cit. et, 1970 (1963), op.cit. 246 Un des filons prolifiques du cinéma italien contemporain du film de Corbucci.
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sa crédibilité et son degré de réalisme, reste construit, pensé, choisi. Il en va de même pour la relation consciente au récit. Ces films « self-consciouseness »247 soulignent la nature fictionnelle, conventionnelle, pour ne pas dire convenue, du récit. Dans La Folle histoire de l’espace, les personnages se passent la cassette vidéo du film pour connaître la suite de leurs aventures. Il s’agit ici de désamorcer tout effet de suspense créé par le récit et de se moquer de cette tarte à la crème du film d’aventure qui veut que les personnages se sortent in extremis d’impasses totalement closes. Mel Brooks prend le contre-pied du récit, puisque les personnages ont conscience de vivre une histoire, ils trouvent la solution à leur impasse en visionnant leur propre histoire. La surprise du spectateur ne vient pas de l’aspect incroyable et providentiel du retournement de situation mais de l’auto-conscience du statut fictionnel des personnages et de la façon dont ils l’exploitent. Encore une fois, le principe de continuité temporelle est malmené et avec lui l’illusion cinématographique : non seulement il est possible aux personnages de se projeter dans leur futur mais de surcroît, cette anticipation se justifie par la reconnaissance de leur statut fictionnel, donc échappant à la rationalité. C’est une façon de souligner le principe narratif des parodies intégrales, ces films qui s’attachent du début à la fin à la parodie majeure d’un film. L’intérêt de ces parodies n’est évidemment pas l’histoire, les aventures des personnages, puisque le spectateur les connaît déjà. Leur intérêt réside justement dans la conscience de cette impossibilité et dans ce qu’elle ouvre comme potentiel critique et ludique. C’est une preuve de plus du peu d’intérêt des enjeux narratifs de ces parodies et pastiches : pour le spectateur, cet intérêt réside ailleurs. Par la raillerie, la satire, les parodies et les pastiches cinématographiques s’attaquent très souvent à des conventions de représentation et dénoncent ainsi leur existence même.
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« auto-conscients » Stam, 1992 (1985) op. cit, pp.127-166.
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Par exemple, le western italien, par le biais du pastiche, se moque de l’absence de réalisme du western classique, l’univers pouilleux du vieil Ouest décrit par Leone, Sollima et bien d’autres, est un écho ironique aux décors pimpants et proprets des westerns américains. Dans le même état d’esprit, les exploits surhumains des westerners italiens se veulent une exagération satirique des exploits de leurs homologues américains. L'agilité est une des qualités requises du westerner hollywoodien. Le westerner italien a récupéré cette aptitude parfois en la détournant comme dans les exemples de Personne ou des Ringo. En ôtant aux exploits accomplis tout vraisemblable, ces films évaluent de façon négative la crédibilité des personnages du western hollywoodien et invitent les spectateurs à faire de même. Le pastiche du western américain dénonce l’absence de réalisme de cette production. De cette manière, le western italien renonce à une certaine forme de réalisme puisqu’il refuse de présenter les exploits de façon crédible. Le pastiche que constitue le western italien s’attaque donc aux conventions de représentation du genre ciblé, ce qui est une manière non seulement de les dénoncer mais aussi de rendre l’adhésion à ces films plus difficile. Cela ne veut pas dire que le western italien renonce pour autant à toute forme de réalisme, la volonté de décrire un vieil Ouest pouilleux témoigne aussi d’un certain souci du détail authentique (les vêtements sont usés, les bouches édentées). Cette quête d’authenticité a pour enjeu principal, non pas de favoriser l’illusion cinématographique, mais de stimuler une critique du western américain, de se rapprocher de l’histoire américaine et de pratiquer ainsi une certaine dénonciation politique. En effet, il ne s’agit pas de rapprocher l’univers du film du réel pour susciter une impression de réel chez le spectateur mais plutôt de le convaincre que, malgré sa fantaisie, cette description de l’histoire américaine est précisément la bonne. Ici, la véracité et le pouvoir de conviction du film se désolidarisent de l’illusion cinématographique dans ces films tout en références, complètement réflexifs et qui, de surcroît, 215
renoncent aux émotions les plus exaltantes du western, donc les plus susceptibles de favoriser l’immersion dans le film. En effet, dans le western, les exploits, les gunfights sont des moments extrêmement chargés d’émotions, qui jouent à la fois sur la sympathie que le spectateur porte au personnage et sur l’émerveillement lié à la prouesse. Or, nos westerns italiens refusent ces émotions, soit en se moquant des exploits comme il a été dit plus haut, soit en démystifiant complètement l’exploit (le plastron pare-balles de Pour une poignée de dollars) ou encore en proposant un personnage principal suffisamment antipathique pour gêner l’identification (Django). Il s’instaure ainsi dans ces films à la fois un refus de ces conventions qui provoquent l’illusion (atteintes multiples à la transparence, refus de l’identification et de certaines émotions) et des conventions du genre. En d'autres termes, c’est toute une conception du réalisme qui est remise en cause au bénéfice d’une vérité historique et politique. S’affrontent ici deux conceptions du réel analysées par Balazs248. Le réel des majors249 passe par l’accumulation de détails, alors que le vrai réel, le seul possible à son sens, est déterministe et peut s’exprimer dans les films les plus fantaisistes. Lorsque la conception du réel repose sur l’idée de vérité, et notamment de vérité politique comme c’était le cas pour ce théoricien marxiste et ces réalisateurs italiens pour la plupart d’extrême gauche, la fantaisie, l’absurde, le refus des conventions, bref, l’irréalisme assumé cachent bien souvent des velléités de réalisme. D’une toute autre manière, Totò s’attaque au jeu naturaliste des comédiens et dénonce ainsi cette convention tellement fréquente et intégrée que le spectateur a souvent tendance à l'occulter. Les plus grands héros du cinéma réapparaissent 248
1977, op. cit. Payot, Paris. Dans L’esprit du cinéma, il s’agissait d’une critique des films de la Nouvelle Objectivité aux prétentions réalistes et neutres, politiquement parlant. 249
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sous les mêmes traits, ceux de Totò et ce sans aucun souci de vraisemblable. L’absence assumée d’expression psychologique exclut tout naturalisme du jeu du célèbre comédien. De cette manière, Totò se moque de toute une tradition d’acteurs mais également de la relation qui unit le spectateur aux personnages car en refusant la dimension psychologique du personnage et en refusant le naturalisme, Totò ne se contente pas de se moquer de ses collègues, ni d’avertir les spectateurs de l’existence du naturalisme comme convention. Bien plus encore, Totò propose un personnage immensément populaire sans jamais céder aux conventions qu’il dénonce : Totò parvient à se faire aimer et accepter du public tout en refusant l’identification. Ce jeu satirique et agressif trouve naturellement sa place dans ce que l'on appelle les parodies italiennes. Même s'il n'est pas le propre de la parodie ou du pastiche, il est l'expression d'une forme de second degré que Totò exporte volontiers dans tous ses films. En refusant le naturalisme, Totò se situe dans une autre famille de comédiens, celle de la commedia dell’arte, il produit sa propre généalogie et rappelle ainsi à chacun que son personnage est né sur les planches, et non pas derrière une caméra. La parodie et le pastiche court-circuitent donc les relations habituelles du spectateur au film de fiction. Ce dernier est perçu dans sa relation aux autres films, il s’inscrit ouvertement dans un contexte purement cinématographique, au détriment de sa relation au réel. Les références, par la réflexivité et la raillerie des conventions de représentation qu’elles mettent en œuvre, poussent le spectateur à s’interroger sur la nature artificielle de la représentation cinématographique et donc d’une certaine façon sur la relation du cinéma au réel et à l’effet de réel. Simultanément, les références poussent le spectateur à entretenir avec le film une relation de nature ludique qui gêne considérablement les processus d’immersion du spectateur dans la fiction fondés sur l’identification, les stratégies d’implication d’ordre narratologique ou l’exploitation des émotions. Tout ce qui favorise la relation entre le réel et la 217
fiction, et donc l’illusion cinématographique, est systématiquement réduit. De même, la mise à mal d’autres facteurs clés de l’illusion cinématographique, tels que la fluidité temporelle et le vraisemblable, compromet fortement son effectivité. La parodie et le pastiche s’acharnent à réduire tout ce qui rapproche la fiction du réel : le film n’est alors plus perçu comme une représentation du réel mais avant tout comme un réseau d’influences, d’emprunts et de relations entre les films. Ces dernières sont suffisamment denses et riches pour offrir au spectateur de multiples voies d’interprétation et de compréhension du film sans nécessité de se référer au réel ou bien, si tel est le cas, c’est alors très souvent un moyen d’interroger la notion même de réel dans ce qu’elle peut avoir de polémique et contradictoire.
De l’utilité sociale d’une subversion juridiquement reconnue En matière juridique, la parodie, le pastiche et la caricature constituent de véritables phénomènes, aussi complexes que problématiques. La position exceptionnelle qu'ils occupent à l'égard du droit d'auteur est révélatrice des enjeux artistiques, économiques, culturels et sociaux qu'ils focalisent d'une façon tout à fait singulière. Tout d'abord, la citation, la parodie, le pastiche et la caricature sont les seules exceptions que tolère la législation concernant la réutilisation publique d'œuvres protégées par le droit d'auteur. En effet, hormis l'usage strictement privé et le cadre familial, toute réutilisation totale ou partielle d'une œuvre protégée nécessite l'accord des ayants droit, le plus souvent les auteurs et leurs héritiers, auxquels s'ajoutent leurs ayants cause notamment dans le cas du cinéma, les producteurs cessionnaires des droits. La citation est tolérée à deux conditions. Premièrement, elle doit avoir une finalité précise, essentiellement servir une
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information (par exemple dans des ouvrages scientifiques, dans un article ou un journal télévisé,…), être didactique ou critique (texte polémique, compte rendu de lecture dans une revue…)250. Deuxièmement, elle doit respecter un certain critère de proportionnalité251. En d’autres termes, la fonction doit s'accompagner d'une forme définie pour rester légale. Par exemple, sous le prétexte d'informer, il n’est pas possible de bénéficier du droit de citation pour radiodiffuser une chanson entière ou rééditer un roman de façon intégrale. Le problème demeure concernant les images : un tableau, une photographie ou un photogramme fractionnés deviennent illisibles, impossibles à identifier et à étudier. Autrement dit, citer une image revient très souvent à la reproduire en entier, le critère de proportionnalité n'est alors pas respecté. Pour cette raison, la citation des images n'est pas tolérée252. Cependant, ces dernières années, la jurisprudence a évolué de façon favorable au droit de citation. Ainsi, il est reconnu légal de reproduire un tableau pour illustrer le propos d'un journaliste dans un journal télévisé253. Pour l'instant, il reste difficile de justifier par la citation, le réemploi de plans ou de séquences. Certains juristes classent la parodie, le pastiche et la caricature parmi le droit de citation254 : la citation s'étend alors à tout type d'emprunt ou de référence ne cherchant pas à détourner les gains de l'œuvre première. Pourtant, la parodie, le pastiche et la caricature débordent amplement du cadre de la citation, tant du point de vue du critère de proportionnalité que de la finalité informative. En effet, non seulement ces pratiques peuvent reprendre une œuvre dans son intégralité, mais qui 250
Gautier P-Y 1999 (1991, 3ème ed), Propriété littéraire et artistique, PUF, Paris, p.300. 251 Ibid. 252 Ibid, p.304. 253 Schmitt J.M., 2003, Droit à l'image : les dérives d'une protection, Le journal des arts n°170, p.26. 254 Strowel A. 1999, Some reflexions on the parody exception, Les frontières du droit d'auteur, ALAI, Cambridge, p.124.
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plus est, elles ne recouvrent a priori aucune fonction informative. Il devient alors légitime de s’interroger sur ce qui caractérise juridiquement la parodie et le pastiche. Plus encore, quelle finalité justifie une telle exception au droit d'auteur ? Au regard de la loi, les caractéristiques de la parodie, du pastiche et de la caricature sont avant tout comiques et satiriques. La critique en fait aussi partie, étant entendu qu'elle se présente sous une forme spirituelle255, comprenons par là que la critique ne revêt pas ici la forme d'un commentaire mais reste artistique. La nuance n'est pas sans intérêt. Qu'ils soient comiques, satiriques ou critiques, la parodie et le pastiche induisent une certaine distance par rapport à l'original. Sans recul, il n'y a pas de critique possible : le comique ou la satire ne peuvent émerger sans modification entre l'œuvre première et seconde, aussi minime puisse-t-elle paraître. Autrement dit, ils doivent s'en distinguer clairement et comporter un certain nombre de différences notables par rapport à l'original256. C'est tout le problème du fair use dans le système du copyright257 et de la « loi du genre »258 pour reprendre les termes du code de la Propriété Intellectuelle en France. Dans les deux juridictions, la parodie, le pastiche et la caricature nécessitent la loyauté. Ils ne doivent pas chercher à nuire259, 255
Durrande S. 1995, La parodie, le pastiche et la caricature, Mélanges en l'honneur de André Françon (Françon A. coll), Dalloz, Paris, pp.133 à 142. 256 Un jugement récent opposant le groupe Prisma Presse et l'association Apodéline (le 13 février 2001) confirme cette nécessité première : "La parodie ne permet pas la reproduction même partielle de l'œuvre première, qui ne peut être utilisée comme telle." (Hazan A. La parodie face au droit d'auteur, Le Monde du 04/04/2001, document en ligne). Il souligne ainsi la nette distinction avec la citation ainsi que la nécessité d'éviter toute confusion avec l'œuvre parodiée. 257 Posner R.A. 1992, When is parody fair use ?, Journal of Legal Studies vol.XXI, pp. 67 à 78. 258 Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle 259 Colombet C. 1994, Propriété littéraire et artistique et droit voisins, Dalloz, Paris, p.172.
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ils ne peuvent se faire passer comme reflétant la vérité ou la réalité260 et doivent s'avancer clairement comme étant purement fictionnels261. Ils ne peuvent pas non plus utiliser la ressemblance avec l'œuvre première pour accaparer ses parts de marché, si l’œuvre seconde tente de s'y substituer à des fins mercantiles, on parle alors de plagiat ou de contrefaçon. La parodie, le pastiche et la caricature constituent des exceptions juridiques. Ils ouvrent la porte à de nombreux abus mais ces pratiques restent tolérées et protégées car elles relèvent d'enjeux fondamentaux pour toute société démocratique. En effet, ces exceptions sont protégées au nom de la liberté d'expression et de la liberté de création. Imaginons une juridiction ne comportant pas cette exception, nul doute que les auteurs, peu désireux de voir leurs œuvres raillées, n'accorderaient pas le droit de parodier ou pasticher leur travail262. Le droit d'auteur deviendrait alors une entrave au droit d'expression et de création, c'est-à-dire au droit de critiquer ou de rabaisser une œuvre par les moyens qui lui sont propres, à savoir par un biais artistique. L'exception juridique que constitue la tolérance pour la parodie, le pastiche et la caricature est donc indispensable à la liberté d'expression. Plus encore, en favorisant une forme de création subversive, le droit d'auteur permet aux modèles trop prégnants d'être contestés : il favorise la pluralité des discours et des formes, tout en participant au renouvellement artistique. La parodie, le pastiche et la caricature sont des sortes d'exutoires qui contestent les valeurs fortes, les discours dominants, les figures incontournables : le Tribunal de Paris « […]avait jugé qu'il n'était pas excessif de la part du bouffon, de revendiquer "l'exercice d'un droit à l'irrespect et à 260
Edelman B 1999, Liberté de la presse, parodie et concurrence déloyale, Recueil Dalloz 31ème cahier jurisprudence, p.451. 261 Par exemple, la caricature d'un homme politique, qui tenterait de se faire passer pour lui afin de lui faire attribuer des propos qu'il n'a pas tenus, est totalement illicite : cela relève de la diffamation et de l'usurpation. 262 Colombet C., op.cit, p.173.
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l'insolence, dès lors qu'il remplit une fonction sociale éminente et salutaire qui s'exerce par principe, légitimement, au détriment des puissants, des personnages publics, de ceux dont on parle ou dont les idées sont connues ; il participe à sa manière, à la défense des libertés."263 » 264 En ce sens, la parodie, le pastiche et la caricature concourent à l'équilibre social et culturel. Enfin, dernier point de taille, en droit, la parodie s'applique aux œuvres musicales, le pastiche aux œuvres littéraires, la caricature aux arts plastiques265. Cette terminologie diverge notablement de celle, déjà confuse, du langage courant, de la poétique ou de l'histoire de l'art. En pratique, les juristes ont tendance à ne pas respecter cette partition : la caricature s'applique aussi aux personnes, « parodie » est souvent employée pour les productions audiovisuelles ou les logos de marques. Les juristes reconnaissent d'ailleurs l'arbitraire et l'insuffisance de cette typologie juridique ne correspondant ni à la variété de ces pratiques ni à leurs propres besoins et Gautier va jusqu'à l'abandonner266. Comme le remarque Strowel267, cette typologie juridique ne permet pas de distinguer si l'objet réemployé est une œuvre singulière ou un style propre à un auteur. En d’autres termes, elle ne permet pas de diviser ce qui est protégé par le droit d'auteur de ce qui ne l'est pas : un style, un genre, sont difficilement protégeables, le droit d'auteur s'attachant non pas aux idées mais aux formes268 qui les concrétisent. Durrande269 souligne aussi les contradictions de cette typologie juridique et va même jusqu'à se demander si d'autres terminologies ne sont pas plus pertinentes et
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TGI de Paris, 9 janvier 1992, cité par Edelman B. 1999, op.cit, p.451. Edelman B. 1999, op.cit, p.451. 265 Colombet C., op.cit, p.172. 266 Gautier P-Y 1999, op. cit, p.308. 267 op.cit, p.124. 268 Gautier P-Y 1999, op. cit, pp.51-52. 269 op.cit, p.135. 264
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avancer les définitions Genettiennes comme lui semblant bien plus commodes ! Cet insert juridique confirme l’enjeu social et artistique de la parodie et du pastiche ainsi que la difficulté à les définir et à les cadrer avec précision. Très récemment, la crise diplomatique internationale due à la publication des caricatures de Mahomet a souligné à la fois l’importance sociale et culturelle de nos exceptions au droit d’auteur mais aussi de leur fragilité. Car le débat ne portait pas tant sur le contenu des dessins que sur leur publication : le droit à la caricature n’a pas été remis en cause en tant que tel mais sa pratique jugée irresponsable, voire provocatrice, bel et bien contestée. Un droit donc, reconnu comme tel, tout en étant désavoué en ce qui caractérise ses pratiques, à savoir l’excès et l’irrévérence. Ceci révèle à la fois la réelle force subversive et la faiblesse de ces pratiques : à peine tolérées, parfois contestées, elles ont un besoin vital de la protection juridique pour continuer à exister. Par ailleurs, ce contexte met à jour de façon incontestable la vivacité du paradoxe ordinairement attribué à la parodie et au carnavalesque270 mais qui s’applique ici à l’ensemble des exceptions juridiques commentées : tout en étant réellement subversives, ces pratiques sont néanmoins tolérées et protégées par le droit d’auteur. Cette association entre autorité et transgression, reconnaissance et destruction est aussi cœur de la problématique esthétique des phénomènes étudiés.
2 – Réalisateur, spectateur, références Le fonctionnement de la référence postule l’action du spectateur : c’est à lui de reconstruire ce lien entre les films, lien que le réalisateur a voulu plus ou moins voyant, plus ou moins ténu. 270
Hutcheon L. 2000 (1985), op. cit. pp.69 à 83.
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Références explicites et spectateur : une mémoire à l'œuvre Les références cinématographiques rendent particulièrement sensible la question du spectateur car elles appellent son attention : reconnaîtra-t-il la référence ? Telle est la question sur laquelle repose le fonctionnement de nombre d'entre elles. Parmi les références cinématographiques mettant le film en relation à un élément physiquement absent, figurent les imitations et les transformations évoquant des œuvres antérieures grâce à un jeu de ressemblances. Ces similitudes fonctionnent comme autant d'indices qui stimulent la mémoire du spectateur et lui permettent, à terme, d'identifier la référence. Lorsque le spectateur reconstruit la référence, c'està-dire comble l'absence physique de l'œuvre première en se la remémorant, il met en relation, par l'intermédiaire de sa mémoire, l'œuvre seconde et l'œuvre première. Ces références recourent deux fois à la mémoire du cinéma : celle que le spectateur possède et celle exprimée dans le film même par le simple fait de le mettre en relation avec un film antérieur. Le spectateur est donc indispensable à l'existence de toute référence : lorsque le film second contient un renvoi à un film premier en l'intégrant physiquement, seul le spectateur a le pouvoir de découvrir cette hétérogénéité et de mettre les deux en relation271. Sans cela la référence cinématographique n'opère pas. Concernant les références imitatives et transformatives, seule la mémoire du spectateur peut faire appel au film premier et mettre ainsi en relation l'œuvre première et l'œuvre seconde. Les références cinématographiques rendent donc particulièrement sensible la question du spectateur. Ce dernier est la condition sine qua non de leur fragile existence suspendue à deux facteurs déterminants, à savoir le comportement du spectateur face à la référence et sa culture. 271
Pour paraphraser Compagnon A. 1979, La seconde main ou le travail de la citation, Seuil, Paris, p.73.
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Indépendamment de tout bagage cinéphile, il arrive que le spectateur ne soit pas attentif et laisse échapper les indices qui lui auraient permis d'identifier la référence. Il peut aussi les remarquer sans chercher systématiquement à identifier le film auquel il est fait référence. Le spectateur n'est pas un automate, il réagit comme bon lui semble, quand bon lui semble, ce qui théoriquement donne lieu à trois cas de figure. Premièrement, le spectateur peut ignorer la relation entre le film premier et le film second et cela pour différentes raisons : il peut ne pas avoir vu le film premier ou ne pas prêter attention aux indices. Deuxièmement, le spectateur peut découvrir la relation entre le film premier et le film second. Il a identifié les indices et trouvé le film correspondant. Il peut alors envisager les divergences et les similitudes qui existent entre les deux films. Enfin, le spectateur peut inventer une relation entre des films, c'est-à-dire qu'il peut concevoir une relation qui n'était pas prévue par l'auteur. Les références hypercinématographiques créent des relations entre le film premier et le film second. Ces relations expriment toute une palette de régimes qui recouvre aussi bien le ludique, le satirique, le sérieux que l'ironie ou la déférence. La perception de ces nuances est extrêmement relative, subjective et rend donc là aussi la question du spectateur particulièrement problématique. En effet, l’interprétation de ces régimes peut varier en fonction de l’époque, de la culture et de la sensibilité des spectateurs. Par exemple, l’arrivée du personnage joué par Luis Mariano dans la ville texane de Sérénade au Texas (Richard Pottier, 1958) est faite de façon à valoriser le personnage : la foule, pourtant fort préoccupée par les expulsions des fermiers, accourt pour voir le chanteur parader dans un costume de cow-boy, figure supposée incarner des valeurs viriles et courageuses. Le plan d’ensemble montrant Mariano aux rênes de la carriole, chantant au milieu d’une foule croissante, souligne bien le souci de valorisation du personnage et de son 225
acteur, valorisation passant par une utilisation sérieuse de l’univers westernien emprunté par cette comédie musicale. Si les spectateurs octogénaires perçoivent cette arrivée comme relevant d’un régime sérieux, la jeunesse actuelle272 y voit un régime satirique. Le fait de revêtir d’un costume de cow-boy Luis Mariano, qui incarne actuellement le summum du kitch, confère rétroactivement à tout l’univers westernien un aspect surfait auquel il faut ajouter une perte totale de crédibilité. Il s'agit d'une charge involontaire273, le changement de contexte du film second créant un décalage favorisant une transformation du régime. Ce dernier est involontaire dans la mesure où il n'a pas pu être anticipé par l'auteur. Les spectateurs sont donc susceptibles d'interpréter une relation cinématographique sous un régime qui n’était pas initialement prévu par le réalisateur. Ce risque est d’autant plus élevé que le sérieux, la satire et le ludique relèvent grandement des goûts et de la culture cinéphile du spectateur : ce qui est totalement irrévérencieux pour un puriste du western, par exemple, montrer un héros chevauchant une mule (Pour une poignée de dollars) peut s’avérer simplement ludique pour un autre. Mais pour que le spectateur interprète la référence, encore faut-il qu'il la reconnaisse. Lorsque le spectateur passe à côté de la référence explicite malgré la stratégie de gestion des indices mise au point par le réalisateur, il l'intègre au récit, à l'univers diégétique. Si le spectateur du Retour de Ringo manque les parodies de l’Odyssée et de Rio Bravo274, il ne saura pas qu’épouse et 272
Le comportement hilare de mes étudiants de Licence à la vision de cette séquence confirme cette hypothèse. 273 Nous transformons ici la notion littéraire de pastiche involontaire (Schaeffer J.M. 1989, op. cit. p. 138) dans la mesure où l'exemple donné relève du satirique. 274 Les références à L'Odyssée sont confirmées en différents points par le personnage de Ringo qui, de retour de guerre, s’aperçoit que d’autres tentent de lui usurper sa place sociale et conjugale. Il décide alors de se faire passer pour un mendiant afin de reconquérir son dû. La femme de
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shérif sont acquis à la cause de Ringo. Mais peu importe : le fait de douter de leur fidélité ajoutera un peu de suspense à l’action. La référence est alors fondue dans ce que le spectateur a compris du récit. Totalement dissoute, elle n'existe pas pour lui. En revanche, dans certains cas, il est vrai que la reconnaissance des références peut paraître indispensable, obligatoire275. Il est très difficile de comprendre la narration et les effets de mise en scène de Mon nom est Personne pour quiconque ne connaît ni le western hollywoodien ni le western italien. Pourquoi Personne poursuit-il Jack ? Pourquoi s’acharne-t-il à le confronter avec la Horde ? Pourquoi ces effets sonores au début du film ? Autant de questions qui resteront sans réponse pour le spectateur lacunaire. Il pourra toujours tenter de s'accrocher au personnage de Personne dans un univers dont l'aspect hétéroclite et incompréhensible risque de le déranger. Dès lors, si le spectateur du Retour de Ringo est capable de suivre le récit sans reconnaître les références, c’est que le film le permet. En d'autres termes, le réalisateur est contraint d’envisager les différentes possibilités interprétatives de ses références, à moins qu'il n'assume le choix de Tonino Valerii pour Mon nom est Personne et prenne le risque de perdre le spectateur dans un film organisé par les références. Car, comme il l’a été vu à propos des Chercheurs d’or, les
Ringo est montrée brodant. La référence à Rio Bravo, outre les points communs du récit (une ville est aux mains d'un gang, le seul homme capable d'imposer le retour à l'ordre n'est assisté que par des marginaux, des alcooliques) est particulièrement flagrante lorsque le shérif répète le geste de l'adjoint alcoolique de Rio Bravo : il vide son verre d’alcool dans une bouteille. Ces références à l’Odyssée et à Rio bravo permettent toutes deux au spectateur les ayant identifiées de savoir que l’épouse comme le shérif sont dévoués à Ringo, ce qui jusqu'alors restait incertain. En deux plans très courts (la broderie et le verre versé), les références explicites, par les liens qu’elles tissent, expriment avec une force inouïe la nature de ces deux personnages et ce qu’il est possible pour Ringo d’attendre d’eux. 275 Pour reprendre la terminologie de Riffaterre.
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références structurent le film, le spectateur lacunaire s’expose donc à une perte réelle de la cohérence interne du film. Ces variations interprétatives ne sont pas nécessairement binaires mais peuvent jouer de façon tout à fait adroite avec la complexité des références et la variété de la culture cinématographique. Billy Wilder ménage son public avec une grande finesse dans Certains l'aiment chaud (1959), notamment lors du célèbre passage de la piécette : le gang de Spat, joué par Georges Raft, arrive dans l'hôtel, les truands procèdent à leur inscription au congrès de la mafia. Un jeune gangster lance une pièce en l'air, Spat le regarde avec attention, puis lorsqu'il repasse devant le jeune homme, toujours occupé à lancer sa pièce, Spat lui demande « Où astu appris ce truc ? », attrape la pièce et la glisse dans la poche du jeune truand. Cette phrase peut être comprise au moins de trois façons différentes par le spectateur. Premièrement, pour celui qui n'aura reconnu aucune référence, cette phrase peut exprimer l'agacement de Spat face au comportement nonchalant, voire insolent de son cadet. Deuxièmement, le spectateur peut se souvenir que Georges Raft était célèbre dans les années trente pour ses rôles de gangster. « Où as-tu appris ce truc ? » peut alors renvoyer à la façon dont le jeune comédien s'inspire des personnages de gangsters pour construire son propre rôle reprenant à son compte l'arrogance tapageuse des tueurs à la façon de Scarface, Little Caesar ou Ennemi public (William Wellman, 1931). Le spectateur identifie alors le pastiche des films de gangsters auquel procède d'ailleurs Billy Wilder dans l'ensemble du film. Troisièmement, le spectateur a pu reconnaître la référence à Scarface où le jeune truand, joué par Georges Raft, avait pour manie de lancer une pièce en l'air. « Où as-tu appris ce truc ? » attire l'attention du spectateur sur ce geste anodin et en le soulignant, rend la référence particulièrement explicite. Cette petite phrase devient alors un échange réflexif entre comédiens : le plus âgé faisant remarquer au plus jeune qu'il ne fait que parodier un de ses anciens personnages. L'interrogation met l'accent sur 228
l'origine de l'emprunt. La référence parodique à Scarface permet alors d'accuser le pastiche du film de gangsters en effectuant une relation explicite à l'une de ses productions les plus célèbres et les plus représentatives276. Toute l'habileté du dialogue réside dans le fait qu'il est suffisamment souple pour s'adapter aux différents savoirs du spectateur, qu'il soit lacunaire, qu'il ne reconnaisse que le genre ou qu'il parvienne à identifier le film de Hawks. Les références cinématographiques peuvent donc aussi être conçues pour être perçues de différentes façons. Un certain nombre d’acquis du spectateur influent donc sur sa rencontre avec le film, et relèvent aussi bien de la connaissance du cinéma que de la culture générale. Esquenazi277 s’attache dans son ouvrage à diviser en deux la mémoire du spectateur avec, d'une part, les acquis antérieurs à la projection du film et dont fait partie la culture cinématographique et, d'autre part, ce qu’il nomme la mémoire paradoxale, ensemble organisé des événements du film jusqu’à l’événement perçu actuellement. Son étude repose alors essentiellement sur la mémoire paradoxale. Il est en effet tentant de penser qu'elle est sensiblement autonome de la mémoire cinéphile dans la mesure où elle dépend étroitement du film. Mais dans l’exemple cité du Retour de Ringo, le spectateur fait appel à ses connaissances cinéphiles et de culture générale. Elles lui permettent de reconnaître les références, puis il les interprète (fidélité des deux protagonistes). Pour cela, il met en relation les références identifiées et ce qu’il a retenu du film jusqu’à l’instant présent. Il fait donc correspondre mémoire cinéphile et mémoire paradoxale. Mais plus encore, il ajoute cette nouvelle information à ce qu’il a
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Certains l'aiment chaud est émaillé de références explicites à d'autres films de gangsters dont Little Caesar et Les fantastiques années 20 (Raoul Walsh, 1939). 277 1994, Film, perception, mémoire, L’Harmattan, Paris, 225 p.
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retenu du film et s’en sert pour anticiper le comportement des deux personnages en question. Non seulement mémoire cinéphile et mémoire paradoxale sont en étroite relation, mais qui plus est, la mémoire paradoxale est également déterminée par la culture cinématographique et générale du spectateur puisque les références peuvent constituer des éléments significatifs dans la compréhension du film. La culture cinéphile joue donc un rôle capital puisqu'elle est indispensable à l'identification des références qui elle-même peut avoir une incidence sur la compréhension du film. Certains nécessitent un spectateur érudit, pour ne pas dire spécialisé. Pour reconnaître la référence au film de Samuel Fuller dans À bout de souffle, il faut avoir lu les Cahiers du Cinéma et se le rappeler : le raccord entre l'iris (Michel se sert d'une affiche roulée comme d'une longue-vue) et le baiser peut sembler étrange, du moins inhabituel, et attirer ainsi l'attention du spectateur sans qu'il ne sache vraiment si cela désigne une référence, et laquelle. Seul le lecteur du numéro 76 (1957) des Cahiers du Cinéma278 reconnaîtra l'emprunt à Forty guns de Samuel Fuller car Jean-Luc Godard y décrit et commente la scène empruntée. Seul ce spectateur précis pouvait vraiment prêter attention à ce raccord et trouver le film correspondant. À la lumière de l'ouvrage de Kline279, nous nous rendons parfaitement compte que seul un spectateur attentif, possédant une culture générale développée, notamment cinéphile et littéraire, peut pénétrer le jeu des références des films de la Nouvelle Vague.
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Toujours dans cette critique du n°76 (p. 41), Jean-Luc Godard mentionne que le film de Samuel Fuller ne sortira pas en France. La référence n'est donc adressée qu'à un public très restreint : les professionnels du cinéma qui ont pu comme Godard voir le film et les lecteurs attentifs des Cahiers du Cinéma. Il faudra attendre dix ans pour que le film de Fuller soit diffusé en France. 279 1992, Screening the text - Intertextuality in new wave french cinema, J.Hopkins University Press, Baltimore, 308 p.
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Il est vrai qu'en multipliant les emprunts, ces jeunes réalisateurs ont tendu une perche aux spectateurs : le cumul les rend sensibles, attire l'attention et leur grand nombre accroît les chances d'en reconnaître quelques-unes. Mais là encore, une érudition certaine est requise. Les pastiches et les parodies populaires s'adressent également au grand public, aux cinéphiles de tout crin, peu importe dès lors qu'ils ont vu les incontournables du moment. Le mélange du pastiche et de la parodie permet à chacun de s'y retrouver : les références parodiques cumulent pour désigner le genre sans équivoque. Le pastiche renvoie aux genres que chacun connaît ; il fonctionne comme une référence minimale et permet au spectateur d'identifier le minimum de repères nécessaires au fonctionnement du second degré. Comme le remarque avec justesse Luc Moullet, à propos d'Une Aventure de Billy le kid (Luc Moullet, 1970) s'attaquer à un genre très populaire comme le western lui permet de faire passer sa critique parmi les cinéphiles du Quartier Latin comme auprès du grand public : « […] on peut toucher un public plus vaste par la destruction de ce genre. On dit toujours que le nouveau cinéma fait des films pour cinéphiles. En réalisant un western qui a parfois un côté destructeur au mythe, on n'est plus seulement dans le rouage des cinéphiles ; presque tout le monde devient cinéphile, enfin tous les spectateurs. »280 Le pastiche d’un genre permet dans ce cas de toucher un plus large public et de faire référence à des « mythes » directement liés au western, donc extrêmement connus comme le personnage légendaire de Billy le kid. À ce niveau, le pastiche est un choix délibéré du réalisateur pour ne pas l'identification des références à l'unique public du « nouveau cinéma ». Dans cette situation, la notion même de cinéphilie devient délicate, le public populaire connaît très bien certains genres, il a ses propres références : il est cinéphile même si sa cinéphilie se distingue de celle des chercheurs, des critiques 280
Propos de Luc Moullet dans Cornand A. 1972, Entretien avec Luc Moullet - Une aventure de Billy le Kid, Image et Son n°265, p. 53.
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de cinéma ou des amateurs du « nouveau cinéma ». Les références hypercinématographiques ne sont donc pas réservées exclusivement à un public déterminé : chaque pratique déploie un jeu particulier de relations à la culture cinéphile qui lui est propre. Face à l'incroyable richesse en références du cinéma populaire281, il serait préjudiciable de priver l'analyse des relations entre les films d'un tel potentiel en termes de créativité comme de variété. Entre ces deux extrêmes du cinéma pour cinéphiles du Quartier Latin et cinéphiles du cinéma populaire, certaines pratiques cinématographiques cherchent à établir une relation spécifique au public, à jouer sur les différentes sensibilités et cultures comme nous l'avons montré à propos de Certains l'aiment chaud. D'autres films chevauchent différentes cinéphilies, à l’instar de Jean-Pierre Melville lorsqu’il rend hommage à des films ou des genres souvent connus du spectateur des années cinquante et soixante dans des films, tel Le doulos, qui n’ont pas toujours été adressés à un public très populaire. Il est donc impossible de généraliser la relation entre une référence donnée et le public, le cinéma offre une multitude de cas de figure différents avec un certain nombre de curiosités. Ainsi, À bout de souffle nécessite un public érudit mais le succès du film laisse penser qu'un grand nombre de spectateurs ont vu le film sans pour autant reconnaître toutes les références. Esquenazi282 remarque d'ailleurs que pour le public français, l'attrait du film résidait aussi dans sa capacité à répondre au besoin d'oublier le contexte de la guerre d'Algérie à travers l'évocation de relations amoureuses libres. À bout de souffle a ainsi pu être apprécié indépendamment de ses références, par un public pour lequel il n'était a priori pas destiné. Le Bon, la brute et le truand, film populaire s'il en est, a rencontré le public du Quartier Latin grâce à une 281
Que l'on pense, par exemple à la prolifique production des parodies italiennes. 282 2000, Le film, un fait social, Réseaux n°99, p.43.
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consécration de la critique. Cette reconnaissance donna lieu à une réflexion sur les références et la relation au genre hollywoodien dépassant la simple identification ludique283. Parce que les références peuvent susciter différents niveaux d'interprétation, parce qu'elles peuvent se dissoudre totalement dans le film, un même film peut être appréhendé de différentes façons par différents publics. Parmi les films à références qui ont généré les approches de différents publics se trouvent généralement de beaux succès en salle comme les deux exemples précédents. Les références cinématographiques imposent de prendre en compte des pratiques extrêmement variables tant en termes de réception que de création artistique : les spectateurs ont des réceptions fort différentes selon leur culture générale comme cinématographique, certaines formes de cinéma privilégient la relation à certains types de publics mais rencontrent parfois des publics différents… Les différentes études de cas présentes dans cet ouvrage soulignent bien la dépendance étroite qui unit les références et les spectateurs mais aussi les spectateurs et leur contexte critique, culturel. Certaines sont niées (Les chercheurs d’or), éclipsées (Touche pas à la femme blanche) ou peut-être inventées (Escrocs mais pas trop) Il existe une interaction très forte entre les spectateurs et les références dans la mesure où elles dépendent des premiers tout en étant capables d'anticiper certaines de leurs variables. La relation entre les spectateurs et la référence confère au film une portée critique et culturelle fort différente en fonction de leur attention, de leur culture et de leur mémoire. En d'autres termes, analyser les références indépendamment du spectateur revient à couper le film de ses possibles, à décomplexifier la notion même de référence, voire à terme, à la nier en lui refusant la considération des principes mêmes sur lesquels repose son existence.
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Les articles de Noël Simsolo ou de Sylvie Pierre.
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Références et auteur Les références explicites renvoient rarement à un éventuel énonciateur interne à l’univers fictionnel du film mais privilégient une instance externe, généralement le réalisateur. À qui d’autre le spectateur du film pourrait-il bien attribuer la construction de ces références, si ce n'est l'auteur ? L'étude des références explicites permet d'affirmer et de préciser cette première hypothèse sans nier pour autant la possibilité d'une référence énoncée par un agent interne à la diégèse. Le cas le plus simple est celui du personnage faisant référence à un film qu'il a vu ou dont il a entendu parler. Lorsque la costumière d'Irma Vep (Olivier Assayas, 1996) parle de Batman Returns (Tim Burton, 1992) et du personnage de Cat Woman, elle cite un film qu'elle connaît et dont elle s'inspire pour moderniser la tenue de Musidora. Pour le spectateur, elle est l'énonciatrice de cette référence même si la dimension très réflexive du film l’invite à la situer dans un contexte plus large. Dans À bout de souffle, le comportement de Michel est probablement inspiré par les films noirs. Michel a pu s'amuser à reproduire consciemment la scène d'agression dans les toilettes en s'inspirant d'une situation similaire dans La Femme à abattre (Raoul Walsh et Bretaigne Windust, 1951) dans lequel joue Bogart, puisqu’avant de passer à l'acte, il contemple longuement une photographie du célèbre acteur hollywoodien. Cette référence peut être attribuée à Michel. Des gestes, comme celui de s'arrêter devant une affiche de Bogart, peuvent constituer des indices tangibles qui vont probablement inciter le spectateur à envisager ce personnage comme étant l'énonciateur de la référence puisque Michel est conscient de son modèle. Lorsque la chronologie et la narration le permettent, l'emploi des références peut donc être octroyé à un énonciateur interne à la diégèse. Mais c'est rarement le cas.
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Un certain nombre d'éléments font que les références explicites sont très souvent impossibles à attribuer à un agent interne à la diégèse. D'une part, les références explicites peuvent être anachroniques par rapport à l’univers diégétique : la scène du marchand d'armes du Bon, la brute et le truand renvoie à Public enemy. De la Guerre de Sécession à la prohibition, soixante-dix années séparent l'univers diégétique du film second de la création du film premier. Ces soixante-dix années sont d'autant plus difficiles à oublier qu'elles comportent, entre autres, l'avènement du cinématographe. Dans ce cas de figure, il est absurde d'attribuer l'énonciation de la référence à une instance interne à la diégèse. Il est à remarquer que les nombreux anachronismes volontaires du western italien ou des comiques américains284 font de même : ils extériorisent l'instance énonciatrice du film en brisant la cohérence temporelle du film et partant, ils l'ouvrent à un extérieur contemporain à sa réalisation. La cohabitation de ces différentes temporalités au sein d'un même univers en rend l'artificialité et la subjectivité particulièrement sensibles au spectateur. Ces références au cinéma et les anachronismes volontaires ont ceci en commun qu'ils créent un décalage et font ainsi appel à une intention qui se situe en dehors du film. Les anachronismes volontaires ouvrent le film à une temporalité extérieure et les références évoquent une cinémathèque mémorielle débordant amplement de l'univers diégétique et de sa chronologie propre. Il ne s’agit pas de nier le fait que le spectateur sait que le film est le fruit de volontés particulières mais de souligner en quoi, les références et plus particulièrement la parodie et le pastiche, ouvrent d’une façon singulièrement sensible le film 284
J'entends par anachronisme volontaire les anachronismes bien évidemment recherchés par l'auteur et soulignés de façon à ce qu'ils ne puissent pas échapper à la vigilance du spectateur. C'est le cas des Chercheurs d'or de Buzzel où, dans l'univers de la conquête de l'Ouest, les Marx Brother téléphonent au shérif pour réaliser aussitôt que le téléphone n'est pas encore inventé.
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vers un extérieur et peuvent rendre présent avec force le réalisateur comme instance énonciatrice. Ces références renvoient à d’autres films, d’autres genres, d’autres corpus se situant dans une sphère extérieure au film285. Explicites, elles insèrent dans l'univers même du film l'existence manifeste de liens entre ce film et d'autres univers. Elles participent d'un mouvement révélant une altérité dans le film. Les références sont explicites, elles sont donc nécessairement consciemment crées par l'auteur qui, par des moyens à la fois nombreux et évidents, met en relation son film avec un autre, des autres. Elles peuvent susciter des instances cinématographiques telles que l’auteur construit ou le réalisateur supposé par le spectateur286. Le fait que ces instances soient extérieures au film ne les rendent pas nécessairement réelles, concrètes : « Et cette image [de l’auteur pour le spectateur] n’est pas non plus textuelle ; elle s’"accroche" volontiers à des indices qui figurent dans le film, mais elle-même n’y figure pas, puisque c’est le spectateur qui la fabrique, en y mettant beaucoup de lui-même. »287 Mais si cette instance est fabriquée, imaginée par le spectateur, le fait d’être virtuelle ne l’empêche pas dans certains cas d’être anthropomorphisée. La figure de l'auteur est peut-être construite par le spectateur, mais elle n’en est pas moins présente. La relativité de l’image de l’auteur, de ce que croit en savoir le spectateur, est d’autant plus pertinente qu'il se trouve des films pouvant être attribués à différents réalisateurs supposés, à différents pôles de production. Par exemple, Pour une poignée de dollars cumule des références au western hollywoodien. Lors de sa sortie en Italie, le public a cru que le réalisateur inconnu, Bob Robertson, était américain et qu’il s’agissait d’un western hollywoodien. Certains ont su que ce réalisateur était Sergio 285
Exceptées bien sûr les autoréférences à l’intérieur d’un même film. J’emprunte ces deux notions à François Jost, 1998, Le temps d’un regard – Du spectateur aux images, Méridiens Klincksiek / Nuit Blanche, Paris / Québec, chap. " L’auteur construit ". 287 Metz C. 1991, op.cit. p.205. 286
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Leone, auteur d’un précédent péplum, et que ce western avait la particularité de ne pas être hollywoodien. Il est aisé d’envisager les écarts interprétatifs produits par cette simple utilisation de pseudonymes : le spectateur a attribué la création des références à des instances différentes. Ainsi, la relation au western hollywoodien a pu apparaître sous un mode référentiel ou pas. En effet, si un réalisateur hollywoodien fait un western, son film n’est pas perçu comme une référence au western hollywoodien, il participe au genre de l’intérieur. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un réalisateur extérieur à Hollywood, a fortiori européen, la réalisation d’un western peut être interprétée par le spectateur comme étant déjà une référence au western hollywoodien. Le pastiche n’est possible que dans la mesure où les deux productions ne sont pas fondues l’une dans l’autre, lorsqu’une différenciation est possible. À cet égard, le comportement de la critique, notamment américaine, confirme la nécessité de cet écart, Pauline Kael288 ayant écrit que seule une cinématographie étrangère pouvait instaurer un tel rapport au western hollywoodien289. En d’autres termes, l’identification de l’instance assumant la création des références crée des reliefs permettant aux références d'apparaître comme telles car il n'y a de référence que là où la distance, même infime, est sensible. Un western italien peut faire référence au western hollywoodien mais il peut difficilement faire référence au western italien comme genre : il y participe de l'intérieur, il n'a pas le recul inhérent au second degré ni à l'acte même de référer290 à moins que 288
Citée par Frayling C. 1981, Spaghetti westerns, Routledge & Kegan, Londres, Boston, Henley, p.39. 289 On retrouve cette notion de distance chez Dalain à propos de Leone : "N'étant pas Américain, il n'était pas lié aux tabous de ce genre de productions, qui sont aux Etats-Unis une tranche de l'histoire nationale. Il a donc pu se laisser aller à toutes les fantaisies […].1995, Western spaghetti, Ides & Calendes, Neuchâtel, p.22. 290 D'ailleurs, les westerns italiens qui font référence au western italien comme genre ont besoin de souligner cette division interne d’une façon
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celui-ci ait atteint ce stade de banalisation et d’évolution générique qui le fractionne de l’intérieur et rende ainsi la référence possible. Même lorsqu'un film se cite, cette distance demeure, le plus souvent par d’une mise en abîme visuelle soulignant que l'on voit le film du film. Pour exister comme telles, ces références cinématographiques supposent leur identification par un spectateur. À cette reconnaissance des références suit la question de leur attribution à une instance cinématographique : au réalisateur, à l'auteur, parfois le scénariste ou l'acteur… L'exemple des westerns italiens de Leone est à nouveau à cet égard fort révélateur. Leone est une des rares personnalités291 du western italien à avoir bénéficié du statut d'auteur et ce privilège n'est pas tant dû à l'immense popularité de ses films qu'à son aptitude à jongler avec les références et les influences. L'apparente virtuosité avec laquelle Leone gère, dans ses films, la culture cinématographique et artistique, rend sa personnalité sensible, incontournable, vivante. Ainsi, lorsque Oreste de Fornari292 démontre en quoi Leone est un auteur, il établit une liste des qualités de ses films, qui sont pour une bonne part liées à ses références et influences culturelles : la musique et le drame de l'opéra, la stylisation des genres populaires, l'utilisation des mythologies de la culture et du cinéma américains, l'emploi de clichés italiens comme le thème de la vengeance, le goût du détail réaliste ou l'humour trivial. Et parce qu'il manifeste une habileté particulière dans l'utilisation de ses emprunts, parce qu'il les souligne et les cumule au lieu de les dissoudre, Leone acquiert le statut d'auteur, et plus particulièrement, celui d'auteur appuyée, en général ils font référence à des films singuliers pour désigner le genre auquel ils appartiennent tous deux, films qui sont généralement datés de l’essor du western italien. Ils soulignent ainsi l’existence d’un « avant » et d’un « après » dans le western italien. C'est le cas de films comme Rita nell'west (Ferdinando Baldi, 1967) ou Mon nom est Personne. 291 Seuls les trois Sergio, Leone, Corbucci, Sollima, ont bénéficié du statut d'auteur, et encore… 292 Op. cit. chap. L'effet auteur.
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postmoderne comme le met en valeur de Fornari293. Cette qualification révèle combien le statut d'auteur de Leone est lié à son goût des références explicites. Dans ce domaine, Leone est loin d’être un cas particulier, à l’instar de Tarantino. La quête de l'instance émettant ces emprunts suscite donc la construction d'une figure qu'incarnent logiquement les auteurs du film, incarnation d’autant plus forte que l'hypothèse d'un énonciateur interne à la diégèse est impossible pour les raisons décrites plus haut. Cette instance doit nécessairement avoir pu être spectatrice des corpus auxquels il est fait référence. Elle a un vécu commun avec le spectateur qui la construit et la déconstruit au gré de sa culture cinéphile et de données aussi variables que le générique ou la promotion du film… Car ce qui est important dans notre cas, ce n’est pas tellement de savoir que nous avons à faire à un auteur virtuel car il s’agit avant tout un auteur qui a été comme le spectateur, lui aussi, assis dans l'ombre, a vu les mêmes films. La référence fait oublier le machinique, l’absence physique du réalisateur, pour recréer une figure anthropomorphisée. L’étude de ces références explicites rend de fait à nouveau possible l’appréhension du pôle auteur / spectateur294 dans la mesure où elles font converger deux notions que l'on a tendance à isoler. En effet, les emprunts expriment les relations que l’auteur entretient avec sa cinéphilie, avec le monde du cinéma. Ce contenu est à destination du spectateur, la référence exprime ce que l’auteur ressent, pense du corpus auquel il est fait référence et éclaire ainsi la démarche d’ensemble du film. Si toute création artistique peut sembler relever du palimpseste, le fait de le revendiquer, à travers la dimension explicite de la référence, est moins fréquent. Lorsque ces références explicites sont soulignées, se répètent, s’affirment, cumulent et participent à la compréhension du film, le 293 294
Ibid. Ecartelé écrit F. Jost, par la désanthropomorphisation.
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réalisateur construit son identité comme étant avant tout celle d’un spectateur. Individualité créatrice, désireuse de jouer avec sa culture cinématographique et celle du spectateur, elle crée ainsi une connivence, une complicité entre elle et son public. Le spectateur se trouve donc au centre même du processus étudié, l’auteur des références se présentant lui-même comme étant le spectateur des films réutilisés. Il n’est pas paradoxal de se poser ici la question de l’acte créatif en terme de réception cinématographique. Le film est alors appréhendé comme une création originale et comme un témoignage sur la réception des films premiers par cet auteur. Concernant la réception cinématographique, nous savons qu'il est impossible d’envisager une réception type pour chaque film donné, il n’existe pas plus de réception anhistorique qu’il n’existe de spectateur générique. Le fait d’étudier la réception à travers une production cinématographique ciblée permet d’envisager un comportement spectatoriel de façon empirique. Le film prend alors la valeur d’un témoignage sur les films référencés. Le western italien critique le contenu historique et politique du western classique tout en exprimant sa fascination pour le sur-western. Les films policiers français admirent l’efficacité de l’esthétique noire dans sa relation au spectateur. Les emprunts y constituent autant de témoignages sur la réception et la considération de ces films et genres américains réemployés. Or, parmi les ouvrages consacrés au spectateur295 en termes de réception ou d’interprétation296, aucun n’envisage le film, l’acte de création cinématographique, comme étant aussi la manifestation affirmée d’un comportement spectatoriel. La valeur de témoignage est ici abandonnée au texte ou à
295
Casetti F.1990, op. cit. Staiger J. 1992, Interpreting films - Studies in the historical réception of american cinema, Princeton University Press, Princeton. 296
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l’expression orale, comme si le cinéma se trouvait dans l’incapacité de penser sa propre histoire. À cet égard, il est fort révélateur que le dernier chapitre d’Interpreting films297 soit consacré à l’étude d’un film parodique, recelant donc nombre de références explicites298. Mais ce film est étudié pour la difficulté d’interprétation qu’il induit. À aucun moment, les références ne sont abordées comme étant les manifestations d’une réception cinématographique antérieure. Elles sont véritablement dépouillées de toute valeur de témoignage. Cette mémoire que supposent les références n’est pas simple, elle n’est pas brute parce qu'il s’agit justement d’une mémoire mettant en œuvre des mémoires humaines avec ses mécanismes d’appréhension et de restitution faillible, avec ses lacunes et sa subjectivité. Et à ce brouillage mémoriel s’ajoutent les altérations produites par le travail artistique qui fait justement qu’une parodie ou un pastiche ne sera jamais une citation. Il n'est pas étonnant qu'un réalisateur obnubilé par la mémoire comme pouvait l'être Leone299 représente les souvenirs de ses personnages dans des images floues, déformées. Dans Il était une fois dans l'Ouest, Franck est dans les souvenirs d'Harmonica une silhouette rongée, une sorte de statue de Giacometti en mouvement se précisant petit à petit et dans Pour quelques dollars de plus, lorsque l'Indio se rappelle le viol, la pluie déforme l'image. Soucieux de donner à la 297
Staiger J. op.cit, Chap.10. Le film étudié est Zelig de Woody Allen. Il est intéressant de remarquer que deux autres films d'Allen, Tombe les filles et Maris et femmes, servent d’exemples à Genette (Palimpsestes, op.cit) et Jost (1998, op. cit, pp.184). Chez ces trois chercheurs, les films de Woody Allen servent à illustrer la difficulté et l’intérêt interprétatif soulevé par des films au contenu parodique. Mais ce contenu parodique n’est pas perçu comme étant luimême l’interprétation d’éléments extérieurs aux films. On peut souligner ici l’importance accordée à la parodie dans l’étude des comportements spectatoriels. 299 Que ce soit par l'importance des flash-back dans ses récits, la présence d'objets symbolisant le passé, les nombreuses relations à l'Histoire… 298
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mémoire un rôle central dans ses films, Leone représente les souvenirs comme des images subjectives, étroitement associées au point de vue de certains personnages. La façon même de les relater rend compte jusque dans l'image de cette altération que la mémoire fait subir aux événements passés. La mémoire véhiculée par les références cinématographiques transforme elle aussi. Elle effectue un tri. Elle tronque, simplifie, embellit, enlaidit. Elle s’oppose en cela aux inclusions, à la citation que l’art cinématographique rend possibles de par sa reproductibilité : la restitution est alors supposée identique même si le contexte qui les encadre les transforme nécessairement de l’extérieur. Au contraire, les références qui nous intéressent sont transformées de l’intérieur, dans leur pâte même : elles ont les qualités les plus à même d'évoquer une mémoire cinématographique du cinéma, c'est-à-dire l'apparence modifiée du souvenir et une relation aux œuvres passées à la fois critique et affective. Ces témoignages nous permettent d'observer la façon dont le cinéma exprime sa propre mémoire du cinéma : savoir comment des films nous renseignent sur des pratiques culturelles, sur les mécanismes de réceptions, sont autant de façons d’envisager une certaine forme d’histoire du cinéma. Cette mémoire n'est pas simple car elle n'instaure pas une temporalité unique. Nous pourrions penser que renvoyant à des œuvres antérieures, nos références tournent le film vers un passé invariable. Il n'en est rien. Lorsque la référence porte un regard foncièrement critique sur le film référencé ou lorsqu'elle est ouvertement novatrice à l’exemple des westerns italiens300, elle souligne l'écart entre le film second et certaines œuvres antérieures. Elle exprime l'écoulement du temps, la distance par rapport à un passé. L'écart entre le film premier et le film second est double : à la 300
Critiques à l'égard du western classique, ils renouvellent la représentation de la violence au cinéma. Voir à ce sujet mon travail de thèse.
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fois le travail fait sur le film premier et la durée qui sépare les créations premières des secondes. Cet écart est d'autant plus sensible que ce doublement le creuse un peu plus et que la référence peut évoquer son contexte d’origine. La référence fusionne ces deux notions de travail et d'écart temporel et induit ainsi l'idée que le film second comme le film premier sont inscrits dans une Histoire en train de se faire et à laquelle le film second participe dans sa tentative de dépassement des œuvres antérieures. Cette conception de l'Histoire suscite l'idée même de transformation des modèles. Le temps devient ici l'allié d'une vision de la création artistique nécessairement originale, contemporaine et irrévérencieuse qui savoure la distance prise avec des pratiques artistiques qu'elle tend à rendre révolues. L’étude du remake de Scarface, va elle aussi dans le sens d’une mise en contexte rendant particulièrement sensible l’écart temporel entre film premier et film second : la société américaine a changé, le cinéma aussi et la représentation de la violence ne sera plus jamais celle du film de Hawks. L’hommage pointe justement dans cette ambiguïté, qui sous le couvert de parler du contexte, nous rappelle à quel point ce film a marqué la représentation de la violence dans les années trente et dont l’aura, chargée de scandale, est parvenue jusqu’à nous. L’hommage peut donc replacer le film premier dans son contexte propre pour en souligner la dimension novatrice, exceptionnelle. Il peut au contraire parfois ne transformer le film premier que pour mieux le valoriser, le regretter, en souligner la constante actualité. La référence devient alors la preuve d'une continuité. Cela peut être aussi le sentiment douloureux de l'écoulement du temps associé à un besoin de rompre l'isolement comme chez Melville. L’emprunt devient ici une façon de rattacher le film à un corpus cinématographique et d'éviter ainsi que l'œuvre soit orpheline, appréhendée dans un contexte qui n'est pas complètement le sien. La temporalité de la référence vient alors contaminer le film second et l’enchâsse comme une seconde peau. 243
Ces différentes temporalités sont d’autant plus complexes à étudier qu’elles sont impossibles à formaliser. La parodie, pas plus que le pastiche, n’est attachée à une relation au temps figée. Celles que nous venons d'évoquer ne sont que quelques points de repère parmi toute une gamme de nuances possibles. À cet égard, il apparaît réducteur de vouloir absolument taxer de moderne ou postmoderne tel ou tel type de référence. La première attitude commentée - critique du modèle - peut sembler symptomatiquement moderne. Pourtant, nos références postmodernes n’ont pas perdu de leur subversion et leur dialogue avec le passé n’a rien de tendre301. De même, les références sérieuses existaient déjà de façon abondante dans le cinéma moderne, à commencer par la Nouvelle Vague, et ont servi ce sentiment de continuité entre passé et présent, y compris là où les jeunes turcs cherchaient la rupture. En effet, leurs corpus d’emprunts les rapprochent du cinéma hollywoodien mais créent aussi un lien fort avec le cinéma policier « à papa », lui aussi construit sur des emprunts aux mêmes films. Nous sommes face à un phénomène qui ne peut être décrit et encore moins compris de façon simpliste par le recours à de grandes catégories dont le tort principal est de masquer la finesse et l’ambiguïté de cette relation au passé, laquelle, parce qu’il s’agit de création, ne peut être systématique.
3 – Polyphonies, voix plurielles et singulières Produit de différentes pratiques, par différentes instances mais aussi perçu et théorisé de façon variée, ce qui s’exprime par et avec les références ne se laisse pas facilement réduire.
301
Voir par exemple les récents pastiches Oss 117, le Caire nid d’espion et Oss 117 : Rio ne répond plus (M.Hazanavicius, 2006 et 2009).
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La voix critique, effet premier du second degré « Les œuvres littéraires ne sont jamais de simples "mémoires", elles réécrivent leurs souvenirs, elles "influencent leurs précurseurs", comme dirait Borges. Le regard intertextuel est donc un regard critique et c’est ce qui le définit. »302 Le cinéma au second degré filme aussi ses souvenirs, il ne livre pas brute la matière qui les constitue ; pour paraphraser Jenny, il est également un regard critique. Dans la plupart des films étudiés, le contenu critique est autonome de toute ambition théorique une et explicite. Mais ce n’est pas parce que ces films de fiction n’ont pas ouvertement une fonction théorique qu’il faut leur dénier toute substance critique. Qui plus est, ce n’est pas nier la nature cinématographique et fictionnelle de ces films que de leur attribuer ce type de contenu. Il n’est pas l’effet d’un décodage qui chercherait absolument à mettre du discours dans le film même s’il est vrai que le regard que nous portons, contextualisé, postmoderne, a tendance à chercher, voire à susciter le réflexif et le discursif. Ce contenu émerge de la confrontation du film et des souvenirs d’autres films : il est un effet de l’émotion, de la comparaison et de la connaissance du cinéma. C’est avant tout un vécu et un savoir qui se dispensent du discours puisqu’ils reposent sur une familiarité avec des formes et des sensations cinématographiques. Ce contenu critique réside dans l’écart entre la référence et ce à quoi il est fait référence. L’image donnée des films premiers se conforme-t-elle à ce qu’ils sont dans l’imaginaire du spectateur ? Cet écart est tributaire à la fois de ce que la référence déforme et de ce qu’elle évoque, donc du travail du réalisateur comme de la mémoire du spectateur303. 302 303
Jenny L. op.cit. p.260. Voir le chapitre « Réalisateur, spectateur et références ».
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Ce contenu qui peut parfois relever de l’hommage, voire de la dévotion, est particulièrement sensible lorsque le régime est satirique comme dans l’exemple du western italien. Ce dernier a déstabilisé le spectateur des années soixante pour lui faire prendre conscience des conventions du genre mais aussi de ce qu’elles sous-entendaient historiquement et politiquement. D’ailleurs, le fait même de faire des « westerns de gauche » était déjà en soi une façon, par contrepoint, de dénoncer l’idéologie véhiculée mais aussi attribuée jusqu’alors au western. De même, la trivialité et les détails crus étaient un moyen de souligner l’absence de réalisme des productions hollywoodiennes. Le western italien joue donc de sa ressemblance et des écarts avec le genre américain pour affiner sa critique du western tout en affirmant son identité. Il est légitime de se demander à quel point les références explicites ne sont pas également présentes pour maintenir toujours vivace la présence d’un genre qui tend à se dissoudre dans le western italien. Mieux entretenir son souvenir, raviver son existence dans la mémoire du spectateur permet à la critique de surgir et d'être effective.
Polyphonie des références Face à ces voix singulières que sont celles des réalisateurs, la question des références comme de toute méthodologie reposant un tant soit peu sur les travaux de l’intertextualité, pose inévitablement celle de la polyphonie. Il faut d’emblée écarter ce qu’expriment les emprunts involontaires qui, bien que légions au cinéma, ne font pas partie des références étudiées dans cet ouvrage. Reste donc la question de ces voix qui s’expriment par la référence dans ce qu’elle rapporte d’hétérogène, dans ce qui émerge de la cohabitation entre les œuvres antérieures et secondes. Le terme « dialogique », tout comme le « two-voiced304 » anglo-saxon conviennent 304
Hutcheon L. 2000 (1985) op. cit.
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parfaitement à la nature binaire de cette expression. Pour conserver l’exemple précédent, ce pourrait être cet échange de point de vue sur l’histoire américaine que le western italien tisse par le biais des références. Cette cohabitation du western hollywoodien dans ces films italiens permet de cumuler ces deux points de vue pourtant distincts sur l’histoire américaine. À ce niveau, tout ce qui crée un écho avec les films antérieurs est susceptible de produire de la polyphonie, qu’il s’agisse de thèmes, de gestes, de décors, de ritournelles, de visages, de cadres, d’effets de montage, de lumière, d’associations multiples qui suscitent le souvenir et la présence des films antérieurs. Ces voix du passé n’entrent pas nécessairement en contradiction avec les voix du film second et il serait simpliste d’en conclure que le passé et le présent se confrontent systématiquement par le biais des références. Cette opposition typique du carnavalesque a été de fait associée au dialogisme de Bakhtine mais la réalité des références dépasse la dualité destructrice des références carnavalesques. Non seulement certaines références appuient et légitiment les voix du passé, comme c’est souvent le cas des régimes sérieux tels que l’hommage, mais de plus, comme le souligne Hutcheon à propos des références postmodernes, le mode du dialogue et de l’échange entre passé et présent s’avère lui aussi parfaitement opérant305.
Pasolini et le pastiche, les voix de la multitude Pasolini, quant à lui, nous propose une conception des voix exprimées par le pastiche qui n’est pas très éloignée de la polyphonie Bakhtinienne telle que Todorov la décrit : « La voix individuelle ne peut se faire entendre qu’en s’intégrant
305
Hutcheon L. 1999 (1998), p.19.
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au chœur complexe des autres voix déjà présentes. »306 En effet, Pasolini remarque que pour faire s’exprimer ses personnages, l’auteur imite des styles, ce qui produit une confrontation entre sa voix et celle plurielle des personnages, non pas pour ce qu’ils disent mais ce par quoi ils le disent, ce que les tournures et le vocabulaire expriment de la culture, du social, du régional. Pasolini se réfère au pasticcio et plus exactement à ce qu’il nomme le pasticciaccio307, une forme de mélange fréquente chez Gadda, décrite dans un premier temps comme la cohabitation du langage littéraire et de la langue parlée populaire. Du choc entre ces deux langues - car c’est bien de langues distinctes dont il s’agit, chacune puisant dans une histoire différente dont découlent un vocabulaire et une syntaxe propres - émerge du politique par la mise en contraste des groupes sociaux auxquels Pasolini les associe. La langue littéraire et uniformisée des élites, du pouvoir et du fascisme s’oppose ainsi aux dialectes régionaux et populaires des paysans et des ouvriers. Pasolini abandonnera ensuite le terme de pasticciaccio pour celui de « mimesis du discours d’une classe sociale » afin d’intégrer au discours indirect libre cette forme particulière d’imitation des langages. Le pasticciaccio apparaît alors comme un des moyens possibles du discours indirect libre puisqu’il exprime une voix plurielle représentative d’une classe sociale. Pasolini a développé de façon conséquente le discours indirect libre, notamment concernant le cinéma. Pour ce qui est du pasticcio cinématographique, plutôt que d’explorer la richesse du cinéma italien populaire, Pasolini s’en tient à une comparaison entre réalisateurs et Gadda qui, étant donné l’estime de Pasolini pour ce dernier, ne peut se faire qu’à la défaveur des films étudiés. Comme le remarque Hervé 306
Todorov T. 1981, Mikhaïl Bakhtine le principe dialogique, Seuil, Paris, p.8. 307 Le novelle dal Ducato in fiamme et Il pasticciaccio, 1973 (1960), Passione e ideologia, , pp. 313-324.
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Joubert-Laurencin308, l’article sur Meurtre à l’italienne309, une des rares « parodies italiennes » étudiée par Pasolini, fonctionne sur le même principe que celui la Dolce vita310. Pasolini présente le pasticciaccio de Gadda comme une combinatoire réemployant les styles et les langues tout en sachant leur imposer son propre contenu, alors qu’au contraire Germi et Fellini cumulent les imitations dans la plus grande confusion sans parvenir à se détacher du contenu des styles empruntés. Il va de soi que le jugement porté sur Meurtre à l’italienne souffre de l’antipathie de Pasolini à l’égard de Germi. Il porte un regard politique sur le film plus qu’une analyse des emprunts qui y sont pourtant multiples qu’il s’agisse du film noir hollywoodien à travers le personnage du commissaire, ou du cinéma policier par la description de l’enquête et de la police comme administration. Évidemment, la critique sociale n’est pas l’enjeu de Germi qui s’arrête à une description sans fard de la société italienne et ne cherche pas à développer un discours politique là où Gadda emploie le pastiche pour complexifier et approfondir sa description de la réalité italienne. Le pastiche chez Germi sert pourtant lui aussi à développer un contenu particulier en interrogeant l’intrusion américaine (militaire, économique, culturelle, cinématographique) en Italie, en mêlant des éléments proprement italiens issus du néoréalisme, de la comédie italienne et des aspects américains provenant du film noir et du policier. Du choc souvent drôle issu de ce mélange, l’ironie pointe comme dans le traitement dégradant du commissaire en pardessus et chapeau mou. Si Germi ne reprend pas le principe des imitations linguistico-sociales de Gadda, c’est tout simplement parce que ce qui l’intéresse dans ce sujet, c’est la relation Italie/Amérique qu’il développe de façon fort cohérente par un mélange de genres italien/hollywoodien. Il est vrai, par 308
Genèse d’un penseur hérétique dans Pasolini P.P. 1987, Ecrits sur le cinéma, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, pp.13 à 95. 309 Le style de Germi, 1987, ibid, pp.180-184. 310 Pour moi, c’est un film catholique, 1987, ibid, pp.148-158.
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ailleurs, que le film de Germi exploite de façon très libre et assez plate le merveilleux texte de Gadda en le situant dans un contexte radicalement différent, en supprimant sa luxuriance sémantique ainsi que sa dimension érotique. De même, il est compréhensible que la résolution de l’intrigue du film, en contrariant la fin ambiguë du roman, ait pu apparaître comme un sacrilège aux yeux de Pasolini. Là où Gadda traitait de la frustration d’une Italie pré-fasciste et de la sauvagerie qu’elle occasionne, Germi, pour sa part, constate que l’Italie postfasciste survit péniblement à l’occupation américaine et que dans le jeu des poupées russes de la domination politique et économique, les perdants sont toujours les mêmes. Ce thème de l’occupation militaire et culturelle américaine est symptomatiquement récurrent dans les comédies italiennes de cette période. De cette analyse somme toute assez injuste que Pasolini fait de Meurtre à l’italienne, il ressort que le pastiche ne l’intéresse que sous l’angle du discours indirect libre, à savoir comme l’expression d’une classe sociale. Si cette conception du pastiche plutôt restrictive ne peut être étendue à l’ensemble des phénomènes concernés par la parodie italienne, elle constitue néanmoins une approche passionnante de comparaison entre les pratiques littéraires et cinématographiques et souligne à juste titre la dimension éminemment polémique, voire politique, des mélanges d’imitations désignés par le terme pasticcio.
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4 –Les références postmodernes : muettes ? De la neutralité du pastiche Jameson311 considère que la parodie n’a plus cours dans le contexte postmoderne et s’éclipse au bénéfice du pastiche, plus neutre, moins satirique. La disparition d’une culture, de valeurs et d’un langage unificateurs rend à ses yeux la parodie inutile : n’ayant plus rien contre quoi s’insurger, elle est, par conséquent, vouée à se raréfier au profit du pastiche. D’ailleurs ce qui distingue peut-être le plus clairement chez lui la parodie du pastiche, est que la première s’attaque à des styles encore en vie, d’où sa dimension subversive, alors que le second emprunte des styles morts. Il est vrai que la parodie a joué dans la modernité ce rôle critique et destituant, mais cela faisait déjà partie de ses fonctions avant la modernité comme en témoigne son rôle au Moyen Âge312 au côté d’autres pratiques carnavalesques. Il n’est donc pas exclu qu’elle poursuive cette tâche dans le contexte postmoderne. Fait avéré, la parodie forme un recours systématique dans un contexte de domination et de concurrence accrues. Comme en témoigne l’exemple du western italien, elle est souvent symptomatique d’une tension culturelle, économique ou sociale et ce, quelle que soit la périodisation. Mais la postmodernité ne garantit pas en soi l’absence de concurrence et de domination culturelles : elle suppose l’absence de cette domination. Pour que cela soit effectif, elle doit être en mesure de contrebalancer toute tentative en ce sens. L’art postmoderne a pour principe de fonder ses pratiques sur celles ayant déjà été utilisées par le passé. À ce titre la parodie, tout comme le régime satirique 311
Jameson F. 1984, op. cit. pp. 53 à 92. Il suffit de lire avec attention les parodies de la Bible qui émaillent Le Roman de Renard pour être convaincu du rôle subversif de la parodie moyenâgeuse. 312
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auquel Jameson l’associe, officie à sa traditionnelle entreprise de déstabilisation : elle est d’une certaine façon, une des formes garantissant qu’un discours, une langue, une culture, une valeur ne puissent prétendre à unifier et à s’imposer face aux autres. La parodie comme la satire ne sont pas exclues, bien au contraire, de l’art postmoderne même si pour Jameson, elles ne lui sont pas caractéristiques au bénéfice du pastiche qu’il estime dénué de toute qualité subversive. À l’instar d’Hutcheon et de Sangsue313, nous n’acceptons pas l’hypothèse des références neutres prônées par Jameson. Pour la première, bien au contraire, dans la parodie postmoderne314, le sérieux ne chasse pas l’ironie, les deux peuvent parfaitement cohabiter à l’intérieur de cette forme, le sérieux n’étant pas, de toute façon, un régime neutre. Jameson décrit le pastiche postmoderne comme neutre, dénué de toute velléité de discours315 sur les éléments empruntés, ce que nous récusons. Les imitations sérieuses étudiées dans cet ouvrage ne sont pas neutres, ne serait-ce qu’au moyen des modifications qu’elles introduisent, pas plus qu’elles ne sont systématiquement postmodernes En effet, si ce discours n’est pas la critique progressiste qui pourrait éventuellement caractériser les références modernes, il n’en est pas moins envisageable. Il peut par exemple s’agir d’une tentative de recontextualisation déférente (voir Melville et le film noir). En effet, chercher à se situer dans la lignée du film de genre hollywoodien, est aussi une façon de s’opposer, sans le dire, au cinéma français, c’est valoriser l’un, notamment dans les éléments conservés, au détriment de l’autre. Cette idée même de neutralité absolue, de regard aveugle sur le passé entre en contradiction totale avec les références étudiées dans cet 313
Sangsue D. 2004, La parodie, une notion protéiforme dans Aron P. (dir. par) Du pastiche, de la parodie et de quelques notions connexes, Nota Bene, Quebec, p. 79 à 102. 314 Donc dans les références hypertextuelles postmodernes pour nous, voir sa définition que nous commentons dans la partie « Références cinématographique et débat postmoderne ». 315 Jameson F. 1984, p.65.
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ouvrage. Par ailleurs, une étude détaillée des films simulacres, pastiches neutres par excellence, révélerait des nuances de la nostalgie teintées d’hommage mais aussi parfois d’ironie comme le démontre Cawelti316. Son analyse de Chinatown met par exemple en évidence le processus de démythologisation générique du film qui s’avère à terme bien plus corrosif que neutre, notamment par le traitement imposé à la figure du privé, impotent, dépassé, incapable d’empêcher la catastrophe finale. Ce principe de la neutralité du pastiche postmoderne ne résiste donc pas à la confrontation avec ce film pourtant emblématique. Le pastiche postmoderne décrit par Jameson emprunte les œuvres dans une relation au passé qui pourrait être qualifiée de morbide puisqu’elles sont qualifiées de mortes317, cannibalisées318, le pastiche constituant une tentative désespérée pour s’approprier le passé. Cette approche extrêmement négative du pastiche s’explique par la conception du passé Jamesonnien : le passé est mis entre parenthèses, effacé319, et il est impossible d’y avoir accès d’aucune façon que ce soit, nous n’en avons que des simulacres qui nous éloignent de la « réelle histoire »320. Ce qui semble être cohérent chez Baudrillard ne l’est plus chez Jameson, puisqu’en reprenant les thèmes de la perte des référents et de la disparition de l’Histoire, il s’échine à qualifier de pastiche les références postmodernes là où il ne peut justement s’agir de références et encore moins de pastiche. En l’absence de tout référent, l’existence de références devient impossible. Le pastiche, tout comme la parodie, ont le pouvoir d’insuffler une nouvelle vie au passé grâce aux modifications qu’ils lui imposent, et c’est là le deuxième point sur lequel il n’est pas possible de suivre la conception morbide de Jameson. C’est justement parce que le pastiche est investi d’un regard que le 316
Cawelti J.G. 1997 (1995), op. cit. Jameson F. 1984, op. cit. p. 65. 318 Jameson F. 1984, p. 65. 319 Jameson F. 1984, p. 66. 320 Jameson F. 1984, p. 67 317
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passé peut continuer à exister, non pas comme le deuil d’une Histoire réelle définitivement perdue mais comme un référent, qui par son ancrage et son existence, permet de se situer. Le principe des références n’est donc pas de recréer le passé mais de renvoyer au passé, ce qui suppose un minimum de distance. À ce titre, il ne peut s’agir de simulacre ni d’imitation neutre. Jameson souligne l’abolition de toute distance, notamment critique, dans l’univers postmoderne qu’il décrit : comment la référence peut-elle alors s’effectuer ? Comment renvoyer à ce qui est indistinct ? Le passé dont parle Jameson a disparu comme référent à force de se confondre avec le présent par le biais de simulations du passé, simulations dont le cinéma est en partie responsable. Pour lui, toute tentative de renvoyer au passé est décrite comme simulacre. Or renvoyer n’est précisément pas une recréation factice mais une stimulation : les références hypercinématographiques font appel au passé, tel qu’il existe dans la mémoire des spectateurs et des artistes. Expérience individuelle, il ne constitue ni une vérité, ni une réelle Histoire, mais le passé tel que la mémoire peut le recréer. Car c’est bien la mémoire qui est mise en œuvre par les références, mémoire sans laquelle les références n’existent et ne fonctionnent pas. Ce qui émerge du passé par les références est, pour paraphraser Saint Augustin, une impression du passé, teintée d’affects et de subjectivité, déformée, altérée ou au contraire densifiée, et ce tant du point de vue du spectateur que du réalisateur321. Par conséquent, ni neutres, ni illusoires, les références ne peuvent, par définition, fonctionner avec ce qu’en décrit Jameson où pour parler de façon plus catégorique, ce que Jameson nous décrit ne relève pas du pastiche ni même des références. 321
Rares sont en effet les réalisateurs qui, à l’instar du Psycho (1998) de Gus Van Sant, basent la création de leur œuvre au second degré sur un découpage minutieux de l’œuvre première : dans le meilleur des cas, ils reconnaissent avoir visionné tel ou tel film pendant la préparation du leur propre film.
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Comme vu précédemment, qu’il s’agisse d’imitation ou de transformation, les références étudiées désignent des films physiquement absents, d’où la nécessaire co-présence à la fois d’éléments devant rappeler les œuvres absentes, et non pas les ressusciter, et dans le même mouvement, leur inévitable modification, donc l’absence de neutralité. Car Baudrillard comme Jameson refusent l’idée que les œuvres en question puissent être porteuses d’un regard sur le passé, d’un discours qui leur soit propre : l’intertextualité est décrite comme une figure de style creuse322, la relation au passé n’est qu’une question d’illusion et d’apparence323, une sorte de bluff technologique qui n’aurait d’autre justification que luimême324. Ils nient ainsi que l’intérêt du pastiche, comme des références d’une manière générale, ce n’est pas tant l’emprunt dans ce qu’il suscite comme ressemblances à son modèle mais bien au contraire, les différences dans ce qu’elles révèlent du modèle, de la relation au modèle. Les références ne peuvent être comprises uniquement dans une relation de fidélité platonicienne au modèle, les ressemblances n’y sont finalement utiles que pour rendre sensibles les différences et désigner la cible, jamais pour la reproduire, y compris dans le cas des remakes.
Soyez sympas, rembobinez Soyez sympas, rembobinez (M. Gondry, 2008), film typiquement postmoderne, interroge les notions de remakes, de pastiche et de parodie mais aussi celle de la perfection technique mise en exergue par Baudrillard325. Les deux personnages principaux de Gondry tournent un premier film, SOS fantômes, dans l’espoir d’en remplacer la cassette VHS 322
Jameson, 1984, op.cit, p. 67. ibid, pp. 66 à 68. 324 Baudrillard, op.cit, pp. 73-74. 325 Ibid, p.74. 323
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irrémédiablement détruite. L’objectif étant de refaire un film dans le but avoué d’une substitution, nous sommes face à une première tentative de remake, voir même de plagiat puisqu’il s’agit de berner, pour la bonne cause, les habitués d’un vidéoclub. Nous retiendrons toutefois la bonne foi des réalisateurs en herbe, qui loin de chercher à causer un préjudice commercial aux auteurs d’SOS fantômes (I. Reitman, 1984), se situent dans une optique altruiste : réparer la perte des cassettes d’un vidéoclub voué à la destruction. Il s’agirait donc plutôt d’un remake même si la question du plagiat est amenée à ressurgir. Ce premier remake substitutif s’avère impossible à réaliser. Malgré la bonne volonté et l’ingéniosité des deux complices, le film second n’est pas identique au film premier, pire, l’écart entre les deux est indicible. La différence de contexte de production agit comme un filtre déformant réduisant tous les trucages hautement technologiques du film premier à un simple bidouillage. La différence est telle que ce qui marque le spectateur, n’est pas le résultat subjuguant de l’effet spécial, proche du zéro, mais les objets et techniques employées, suffisamment incongrus pour prêter au rire. À l’inverse de ce que dénoncent Baudrillard et Jameson, le film second ne se donne pas comme pure surenchère technologique (le même en plus lisse, plus réaliste) mais à l’inverse, à la fois comme une baisse technologique, en terme de savoir-faire et d’accès aux techniques, et comme un déni des trucages sophistiqués imités. La technique en se laissant voir pour elle-même, et non plus dans un effet de trucage toujours plus indécelable, confère aux films seconds un surcroît d’archaïsme rugueux accompagné d’une perte de réalisme. En effet, ce premier remake s’attache aux moments clés du film premier, sortes de punctums qui auraient marqué les deux apprentis réalisateurs. Or dans ces images qui ont frappé l’imaginaire des personnages, les trucages arrivent en bonne place : l’apparition des fantômes ou les éclairs laser sont aussi importants que la musique, rare fraction du film premier à être littéralement citée. La technologie fait partie des éléments 256
marquants d’SOS fantômes dans le contexte de réception d’origine mais à présent elle a vieilli, les rayons laser n’impressionnent plus les spectateurs contemporains habitués à de nouveaux trucages spectaculaires tel le bullet-time. Mettre l’accent sur les trucages technologiques et les substituer par des bidouillages de bricoleurs (une guirlande de noël enroulée sur une canne à pêche simule l’éclair laser), revient à s’en moquer. Gondry décrit la surenchère technologique comme étant dotée d’un pouvoir éphémère sur le spectateur, potentiellement archaïque, inévitablement dépassable. En mettant en avant la fabrication des trucages, véritable préoccupation des personnages et lieu de leur inventivité, il souligne l’adéquation étroite entre les moyens, le style et l’époque des films imités. Il dénonce ce bluff technologique tout en reconnaissant sa capacité à produire des émotions et donc à marquer notre imaginaire. En comparaison, le bidouillage des personnages semble subitement chargé d’âme. Il est non seulement l’expression de l’affection des personnages pour le film, mais valorise aussi leur sens de la récupération, leur inventivité et leur complicité. La technique a une âme, fragile et relative, lieu de l’investissement affectif des spectateurs. Le changement de contexte de production affecte certes le film second - moins de moyens, des comédiens amateurs, pas de décors… - mais ici, et contrairement au remake, le regard semble bel est bien porté sur le film premier. Les différents remakes substitutifs contenus dans Soyez sympas, rembobinez sont très différents des films premiers et les transformations qu’ils leur font subir sont clairement ludiques, nous sommes donc assez proche en substance de la parodie malgré la velléité de substitution que l’écart insondable entre l’original et le film second suffit à ruiner irrémédiablement. D’ailleurs, l’estampille « sweded » apposée aux jaquettes des films refaits montre bien la différence et à terme l’identité distincte de ces films seconds. Les clients du vidéoclub apprécient les films dits « sweded » pour leurs qualités de films seconds, leurs transformations drolatiques : pour eux, 257
ces films fonctionnent comme des parodies plus que comme des remakes. Les films sweded adoptent un fonctionnement narratif minimal, adhérant uniquement aux séquences clés du film premier et omettant tous les détails narratifs faisant fonctionner le récit qui, pour le spectateur, devient elliptique. Cette dimension fragmentaire des films seconds, tend aussi à les rapprocher dans la forme de la parodie. Les majors de l’industrie cinématographique interviennent dans Soyez sympas, rembobinez pour mettre fin à cette utopie de quartier. La condamnation des héros est perçue comme d’autant plus injuste qu’elle permet au spectateur de prendre conscience qu’il ne peut s’agir en fait ni de plagiat ni de remake. La destruction des cassettes par les bulldozers évoque des images326 comparables, diffusées dans tous les médias, et ramène les films à leur statut de produits industriels. Cette image n’est pas sans évoquer la crise actuelle opposant les principaux acteurs des majors à une grande partie de leurs spectateurs adeptes du copiage : les majors usent du droit pour limiter l’usage des films, notamment par les internautes, alors que pour ces usagers, comme pour les personnages du film d’ailleurs, l’appropriation du film dans sa dimension affective et culturelle passe inévitablement par des entorses au droit d’auteur. On refait ce que l’on aime et ce faisant, on soude une communauté autour d’une culture commune et vivante. Ici, l’exception juridique de la parodie ne viendra pas sauver les films sweded maladroitement emballés dans les jaquettes des films premiers. Ce premier bulldozer anticipe la destruction inévitable du vidéoclub à la fin du film. La lutte des personnages contre l’administration, les puissants est évidemment inégale mais si l’imagination et la création artistique ne peuvent lutter réellement contre ces machines de guerre juridico-financières, elle a pour effet positif de créer du lien social, et de souder la population du quartier dans des projets faisant la part belle à leur imagination. De la sorte, leur 326
On se souviendra notamment d’une spectaculaire et médiatisée destruction de fausses montres Cartier.
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relation au cinéma n’est pas empêtrée dans une déférence sclérosante : ils refont leurs films préférés, sans complexes, en se fiant uniquement à leur mémoire, puisque les cassettes des films premiers ont été perdues. Dans Soyez sympas, rembobinez, le passé est source de motivation, il est malléable, au gré des souvenirs et des intérêts des personnages qui n’hésitent pas à fabriquer un faux documentaire pour changer le passé et se convaincre de l’existence d’un musicien célèbre dans leur quartier. La relation à l’Histoire n’est pas déférente, au contraire, il n’y a pas de vérité historique possible mais uniquement ce que les personnages ont envie de croire, ce que les images donnent envie de croire. En ce sens, les images conservent le pouvoir très relatif de fabriquer un mythe, mais d’une façon typiquement postmoderne, l’entreprise est donnée pour telle, personne n’est dupé, ni les habitants du quartier, ni les spectateurs du film dans le film, car tous sont conscients voire acteurs de ce processus de réécriture de l’Histoire qui est donné, lui aussi, comme un processus créatif.
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Conclusion Le peu de littérature consacrée aux références cinématographiques et les trop rares exceptions relatives à la parodie et au pastiche cinématographiques, pourraient laisser croire qu’il s’agit d’épiphénomènes. Nous espérons avoir montré qu’il n’en est rien : ces références ne sont pas restreintes aux films cinéphiles de la Nouvelle Vague, pas plus qu’aux succès populaires de la série Austin Powers. De la même façon, loin de se limiter aux seuls registres satiriques ou ludiques, elles portent sur le cinéma auquel elles renvoient un regard qui peut être nuancé. Ce qui constitue l’écho n’est pas tant la répétition, le semblable, mais cet effet de retour d’un regard rendu sensible par les multiples écarts qui le constituent. Écarts tributaires du contexte, du spectateur, fragiles, relatifs, et pourtant indispensables au fonctionnement référentiel. Omniprésentes, les références participent à la construction des films, à leur compréhension par le spectateur. La subjectivité qu’elles mettent en jeu n’en facilite pas l’analyse mais constitue en revanche un excellent révélateur du contexte culturel dont elles sont tributaires, qu’il s’agisse des valeurs cinéphiles ou esthétiques d’un public donné. Il est ainsi apparu que les références peuvent être parfois niées, non pas pour des raisons de lacunes spectatorielles, mais tout simplement parce que dans certains contextes, les références ne sont pas considérées comme valorisantes, ni pour le critique, ni pour le réalisateur. Encore une fois, le déni des références, plus précisément celui de la parodie et du pastiche, s’avère absolument flagrant. Ces notions sous-estimées depuis Aristote, considérées comme de simples figures de rhétorique ne méritant pas que l’on s’y attache, en marge de la création et de ses auteurs, ont vécu une courte embellie dans les années vingt327 pour être ensuite à nouveau niées. Nous espérons avoir pu contribuer 327
Proust ou les formalistes.
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par cet ouvrage à la revalorisation sans cesse nécessaire de ces notions et pratiques. Cet objectif reposait sur une double exigence qui a guidé notre méthode d’analyse des films comme notre appréhension des différents textes sur le sujet : combiner la précision et la richesse de l’approche intertextuelle à la nécessité de se confronter à la réalité de ces pratiques cinématographiques, notamment en terme de réception. La dimension proprement cinématographique des références y est valorisée dans sa dimension visuelle, sonore, reproductible, ainsi que par la prise en compte de l’apport considérable des comédiens. Cette approche transversale inédite a le mérite de confronter la réalité des références, dans leur présence matérielle et leur rôle à l’intérieur du film, à la toute relativité de leur existence tant du point de vue de l’identification de l’emprunt par le spectateur que par la dimension subjective de l’attribution des régimes comme de leur interprétation. Ce qui justifie, si l’histoire de ces pratiques et l’étude de leur étymologie n’y suffisaient pas, la prédominance du fonctionnement référentiel sur le régime dans l’organisation de la typologie proposée, sans cesse confrontée à la diversité de ces formes tant du point de vue pratique qu’esthétique. Loin de prétendre à l’exhaustivité, il s’agit de proposer ici une réflexion autant qu’une méthode et l’actualité comme l’histoire du cinéma nous livrent une multitude d’exemples d’emprunts perpétuellement renouvelés, ne demandant qu’à être analysés, compris et contextualisés avec un minimum de rigueur et de méthode tant leur complexité est grande. En effet, au-delà de la forme et de la simple identification de l’emprunt par le spectateur, c’est aussi de la cohérence du film dont il faut bien souvent tenir compte, cohérence référentielle, démarche d’ensemble du réalisateur, enjeux et fonction de la ou des références sur l’ensemble du film… À cette complexité s’ajoute celle de notions souvent utilisées de façon contradictoire, s’éclipsant mutuellement au gré des périodes historiques et des enjeux esthétiques : ainsi pour des théoriciens aussi différents que Bakhtine et Hutcheon, la 262
parodie recouvre l’ensemble de ces pratiques. Pour d’autres auteurs tout aussi éloignés que Jameson et Pasolini, à l’inverse, le pastiche domine, voire englobe les pratiques référentielles étudiées. Une mise point terminologique, mais aussi théorique sur l’ensemble de ces usages étymologiques a permis de comprendre en quoi, chez certains, la fonction est déterminante quoique recouvrant des champs susceptibles de se superposer tant leur niveau d’intervention diffère. Ainsi la fonction carnavalesque ou subversive peut agir au niveau du social, du culturel, tandis que la fonction polyphonique intervient au niveau de la production discursive. Chez d’autres, l’attention se porte sur la cible (singulière, plurielle, révolue, présente…) ou encore la forme. Pour comprendre les usages extrêmement variés des termes « parodie » et « pastiche », il était donc nécessaire de se pencher sur la teneur de ces contradictions, débats, contributions, tout comme il était indispensable de suspendre, même provisoirement, cette fuite en avant étymologique pour tenter une mise à plat indispensable à tout préalable d’analyse. L’approche développée dans cet ouvrage demande aussi à être confrontée à d’autres champs que celui de la fiction tels que le cinéma expérimental ou documentaire. À cet égard, on peut imaginer ce que cette recherche pourrait apporter à la compréhension des références internes au documentaire. En effet, la parodie et le pastiche ne sont pas le propre du cinéma fictionnel comme en témoigne l’hommage ludique et affectueux que Jean-Pierre Limosin rend à Alain Cavalier en pastichant ses Portraits328. On pourrait tout aussi bien envisager comment le cinéma de fiction emprunte au documentaire dans des films qui travaillent au renouvellement formel ou se jouent des habitudes des spectateurs comme Le Projet Blair witch (1998, Daniel Myrick, Eduardo Sanche). De très nombreuses pistes restent à explorer, espérons que cet ouvrage aura su convaincre ses lecteurs et leur donner envie 328
Jean-Pierre Limosin, 1995, Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine.
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de poursuivre ce travail de compréhension et de valorisation des références cinématographiques. Cette dernière exigence ne pouvait accepter l’approche complètement négative que Jameson fait du pastiche dans la lignée de Baudrillard et, pour la contrer, il aura fallu invoquer Foucault plus qu’Hutcheon, laquelle, avec son tout parodique, n’est pas de ce point de vue d’une grande utilité. Toutefois, nous retenons de cette dernière l’indispensable prise en compte des références comme pratique. La philosophie comme la poétique nécessitent d’être confrontées à la réalité artistique, non pas parce qu’elles auraient vocation à la décrire ou à l’expliquer, mais parce qu’elles se doivent de s’éclairer. La théorie distingue de la sorte la parodie du pastiche et permet une réelle finesse dans l’examen de ces dernières. Néanmoins, il s’avère que concrètement, la parodie et le pastiche sont étroitement mêlés. Mais pour nous en rendre effectivement compte et mesurer la nature de cet échange, il aura bien fallu aiguiser notre esprit et nos outils d’analyse, l’exercice est loin d’être vain. Penser pour mieux voir et accepter les défis que les œuvres lancent à la théorie. Dans cet ordre d’idées, l’actualité cinématographique offre un amusant exemple d’absurdité théorique. Casino Royale (2006), est ainsi un film premier plus récent que son film second, du même titre, réalisé en 1967 par Huston, Hughes et Guest. Concrètement, la parodie existait avant que sa cible ne soit créée. Il existe une explication rationnelle à cet étonnant phénomène : le film de 1967 était à la fois une adaptation du roman éponyme et un pastiche appuyé de la série des James Bond. Lorsque près de quarante ans plus tard, est tournée une adaptation du même ouvrage, cette fois-ci sérieuse, la ressemblance des situations et des personnages329 motivée par l’adaptation suscite entre les deux films un écho très fort. De ce fait, aujourd’hui, l’imitation satirique semble s’appliquer non plus à la série 329
Notamment les scènes les plus fidèles au roman, celles se déroulant dans le casino.
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mais au Casino Royale de 2006 : le pastiche s’est transformé en une parodie plus ancienne que sa cible. Les récurrences de la série et le principe de l’adaptation ont rendu possible l’inconcevable. Le goût de l’absurde et des anachronismes de notre corpus semble contaminer notre champ d’étude et l’on pourrait en rire si la confrontation des deux films ne nous rendait pas aussi perplexe. La capacité de dépassement de la parodie et du pastiche semble bien s’appliquer également aux textes qui les étudient, dernière boucle réflexive, mise en abîme absolument « fantastique ».
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284
Index des films Brother Orchid, 189 Buddy, Buddy, 171
1 1900, 40
C Cabiria, 102 Casablanca, 29, 30, 246–48, 187, 196 Casino Royale (1967), 264 Casino Royale (2006), 138, 264 Cercle rouge, Le, 149 Certains l'aiment chaud, 208, 228, 229, 232 Charge fantastique, La, 141, 147 Cheik blanc, Le, 84 Chercheurs d'or, Les, 123, 125, 127, 130, 207, 212, 227, 235 Chercheuses d’or de 1933, Les, 57 Cheval de fer, Le, 123, 126, 127, 128, 129, 130, 207, 212, 243 Chinatown, 40, 44 Classe tout risque, 62 Coup de fouet en retour, 175 Curtain pole, The, 50
A À bout de souffle, 148, 230, 232, 234 À double tour, 63, 67 Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine, 263 Américain à Rome,Un, 120 Armée des douze singes, L', 171 Arroseur arrosé, L', 49 Assurance sur la mort, 30, 55, 56, 63 Austin Powers, 140 Austin Powers - L'Espion qui m'a tirée, 140 Aventure de Billy le kid, Une, 141, 231
B Banana split, 57 Barry Lyndon, 40 Batman Return, 234 Blood and sand, 188 Blow out, 41 Bob le flambeur, 62, 88, 149, 157 Bon, la brute et le truand, Le, 82, 110, 232, 235 Boulevard du crépuscule, 30, 55, 62
D Dame de Shanghai, La, 30, 56 Dame du lac, La, 56 Dames, 57 Dernier face à face, Le, 83 Django, 84, 216 Dolce vita, La, 249 Doulos, Le, 156, 162
285
Du rififi chez les hommes, 96, 97
H
E
High anxiety Voir Grand frisson Hight sierra, 135 Homme de la plaine, L', 80 Homme qui aimait les femmes L', 172
Earth of the flying saucer, The, 107 Emmerdeur, L', 171 Ennemi public, 90, 110, 228 Escrocs mais pas trop, 13, 45, 131, 134, 135 Etroit mousquetaire, L', 51
I Il était une fois dans l'Ouest, 78, 79, 85, 190, 241 Impitoyable, 85 Independence day, 106, 107, 108 Intolérance, 52, 129 Irma Vep, 234
F Fanfaron, Le, 83 Faucon maltais, Le, 30, 56, 65, 149, 152 Félins, Les, 66 Femme à abattre, La, 234 Femmes au bord de la crise de nerf, 75 Fifa e arena, 188 Folle histoire de l’espace, La, 60, 69, 76, 214 Forty guns, 230 Frankenstein Junior, 76 Fric, Le, 62
J James Tont contre Goldsinger, 137, 196, 213 Johnny Guitare, 243
L Last picture show, The, 40 Laurel et Hardy au far west, 208 Little Caesar, 31, 90, 99, 154, 229 Lodger,The, 70 Long goodbye,The, 31
G Garden scene, 49 Gaucher, Le, 80 Ghost Dog, la voie du samouraï, 160 Gilda, 55 Ginger et Fred, 75 Go West, 118, 128, 129 Grand frisson, Le, 69, 70, 73, 74, 76, 109, 118, 140, 189, 212 Grand sommeil, Le, 30, 63 Grande guerre, La, 83 Guerre des étoiles, La, 69, 76
M M, 175 Mais qu’est-il arrivé à Baby Totò ?, 120 Mais qu'est ce que je viens faire au milieu de cette révolution ?, 83 Man who loved women, The, 172 Marque du tueur, La, 162
286
Mars Attacks !, 45, 101, 103, 105, 106, 107, 108 Mélodie en sous-sol, 64, 65, 66 Mercenaire,Le, 81, 82, 83 Métamorphose des cloportes,La, 62 Meurtre à l’italienne, 249, 250 Meurtre à la tronçonneuse, 181 Mon nom est Personne, 80, 189, 190, 191, 197, 227, 238 Mort aux trousses, La, 72
Projet Blair witch, Le, 263 Prologue, 57 Psycho (1998), 170, 254 Psychose (1960), 70 Public enemy Voir Ennemi public
Q Quand la ville dort, 88, 95, 96, 97, 99, 100, 149, 150, 154, 155, 156, 157
N
R
Noces funèbres, Les, 106
Razzia sur la chnouf, 65 Retour de Ringo, Le, 77, 226, 227, 229 Rio Bravo, 81, 226, 227 Riz amer, 88
O Oiseaux,Les, 70 Oss 117 : Rio ne répond plus, 244 Oss 117, le Caire nid d’espion, 244
S Samouraï, Le, 118, 149, 150, 151, 152, 153, 157, 158, 160, 162 Scarface (1932), 63, 90, 99, 178, 180, 181, 182, 184, 228, 243 Scarface (1983), 178, 184 Sept mercenaires, Les, 78, 81, 85, 173, 174, 175 Sept samouraïs, Les, 173, 175, 176, 177 Sérénade au Texas, 60, 225 Shérif est en prison, Le, 69, 76 SOS fantômes, 255, 257 Soyez sympas, rembobinez, 255, 257, 258, 259
P Pain, amour et fantaisie, 135 Parrain,Le, 183 Passagers de la nuit, Les, 30 Pigeon,Le, 80, 88, 89, 93, 96, 97, 120, 131, 134, 135 Pistolet pour Ringo, Un, 77, 80 Planète des singes,La, 106 Play it again Sam, 28, 29, 31, 135, 163, 187, 189, 191, 196 Point de non-retour, Le, 162 Portraits, Les, 263 Pour quelques dollars de plus, 83, 242 Pour une poignée de dollars, 82, 87, 119, 216, 226, 236 Poursuite infernale, La, 80, 84, 190 Prends l'oseille et tire-toi, 134 Producteurs, Les, 69
T Totò le Moko, 120 Totò Tarzan, 120, 191 Totò, Pepino et la dolce vita, 120, 192
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Touche pas à la femme blanche, 79, 110, 137, 140, 141, 143, 145, 146, 149, 198 Touchez pas au grisbi, 65 Tous en scène, 54, 56 Trésor du pendu, Le,175 Trois âges,Les, 52 Tueurs, Les, 55
Vertigo, 70, 188
W Way out west, 188 Week-end de Néron, Les, 120 White heat, 135 Winchester 73, 78
Z
V Zelig, 241
Vent d'Est, 141, 148 Vera Cruz, 78, 81
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