DU MÊME AUTEUR La Salsa “pa’ bailar mi gente”. Un phénomène socioculturel, París, L’Harmattan, 1998. Ma salsa défigurée “pa’ que afinquen ”, París, L’Harmattan, 2001 La salsa en Europa : rompiendo el hielo, Caracas, ed. Fundación Vicente Emilio Sojo, 2007.
COLLECTIFS :
Sydney Huckinson, Dancing in place : how salseros create local varietes of a global dancing, University of Houston (Texas-USA), 2010 Parole et Musique dans le monde hispanique, Presses de l’Université de Picardie, Amiens, 2006. La fête en Amérique latine, América (Cahiers du CRICCALUniversité Sorbonne Nouvelle-Paris III, N° 27), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001. Músicas, sociedades y relaciones de poder en América Latina, México, Universidad de Guadalajara, 2000. [Dir de Gérard Borras].
PRÉFACÉS
Claire Hertz, Salsa, une danse aux mille couleurs, L’Harmattan, 2007. Fréderic Negrit, Musique et immigration dans la société antillaise, L’Harmattan, 2004.
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Aux salseras et salseros…
REMERCIEMENTS
Mes sincères remerciements et toute ma gratitude à : Pascale Cognet qui a assuré la correction afin que cet ouvrage ait une meilleure lisibilité. José Henriquez « El Che » pour son immense collaboration. Nathalie Nguyen-Tang pour la composition photographique. Anne Carter pour la conception des illustrations et la réalisation de la couverture. Egalement pour les échanges : aux Dj’s Orlando Arana « Orlando de Cali », Juan Pablo Martinez Yepez « El Cuco de la salsa » et Jorge Enrique Romero Escobar « El Niche » ; Carmencita, Andreas, Silvio, Carole Fitoussi et Julie, Sophie et Jérôme Robert Octavio Cadavit et Mercedes Mancera pour leur accueil. À tous ceux qui ont répondu à l’enquête.
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Enfin, nous tenons à remercier toutes les personnes figurant sur les photos. L’auteur les dégage de toute responsabilité quant à l’opinion exprimée dans cet ouvrage.
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Vos impressions, remarques ou suggestions sont les bienvenues : Saul Escalona :
[email protected]
“LES NUITS DE LA PEÑA”
Au cœur de Saint Germain des Près dans une petite rue se
niche La Peña,1 un des établissements les plus recherchés des soirées latines parisiennes. Mais, plus qu’un lieu de fête, François Douchet en a assuré le développement culturel pour qu’elle devienne un des centres hégémoniques de la culture latinoaméricaine. C’est dans cette ambiance chaleureuse que nous avons souvent discuté de salsa…. François Douchet a proposé le titre de cet ouvrage. Je remercie très profondément François Douchet pour avoir accepté l’idée de ce livre ainsi que toute l’équipe de l’établissement : Eva Ludnai, Patrice Sokolsky, Jonathan, Liliana, Oumar, Yves…
1
Située au 3, passage de la Petite Boucherie dans le sixième arrondissement de Paris.
A PROPOS DE LA PEÑA
François Reichenbach, mon regretté ami, ce réalisateur de renommée internationale, grand amoureux du Mexique auquel il a consacré beaucoup de son talent, disait en parlant de Saint Tropez que « c’était magique ». Pourtant, ajoutait-il, il existe bien d’autres villages en France, tous aussi beaux et parfois même plus jolis, mais ils ne sont pas « magiques ». On pourrait dire de même de La Peña car la communauté latino-américaine, sa diaspora, son intelligentsia ont élu domicile dans ce lieu mythique de Saint Germain-des-près. C’est « comme à la maison » se plaisent-ils à dire. Les personnalités qui y défilent, se retrouvent entre copains comme s’ils étaient chez eux puisque ce sont elles et les autres latinos qui ont créé l’endroit. Si celui-ci est si convivial, si « festif », c’est grâce à eux. En ce qui concerne plus précisément mon rôle, je n’ai fait qu’accompagner le succès du phénomène latino-américain que j’avais identifié dans la décennie de la fin du siècle passé au travers de la culture musicale et gastronomique cubaine. Je n’ai fait qu’élargir le concept à l’ensemble de l’Amérique latine et ce dans tous ses développements géographiques et culturels. En l’an
Une histoire de la salsa à Paris 14 _____________________________________________________ 2000, sur la suggestion de mon amie Claudie Druon de Soza, la plus parisienne des citoyennes Mexico-Françaises, je me suis décidé à créer La Peña à Saint Germain dans ce quartier de la capitale, au cœur de Paris et du monde de la culture. Le succès a été immédiat, tout s’est enchaîné très vite, par le bouche à oreille et la réputation de l’endroit. A ma grande satisfaction, les files d’attente pour être de la fête ne se sont jamais taries. La Peña est devenue l’espace ludique, amical et culturel du monde latino. Nous devons ce succès à ceux qui en ont fait leur « Maison », la maison des latinos ! Souvent tous ces amis de La Peña me congratulent et me remercient du soutien apporté à leur culture au point de me gêner mais c’est à moi de les remercier de la reconnaissance qu’ils m’apportent, tout comme le fait dans ce livre mon ami Saúl Escalona. Grâce à eux, je peux dire avec une fierté latine et je veux dire en toute humilité : J’existe !
François DOUCHET
INTRODUCTION L
a salsa, ah ! Toujours la salsa… Pour certains, elle signifie fête, pour d’autres, elle est synonyme d’espoir, de communication voire de rencontre. Nous, c’est son mystère que nous avons tenté de déchiffrer en ajoutant ces lignes à tant d’autres déjà existantes en la situant dans un des lieux les plus attrayants de sa mouvance parisienne récente. L’idée de faire un livre sur La Peña-Saint Germain est venue lors de la soirée du neuvième anniversaire, en mai 2009, lorsqu’au cours d’un échange cordial avec José Henriquez « El Che », ce dernier s’est dit être prêt à apporter sa contribution au
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projet, grâce à une importante iconographie photographique recueillie depuis de nombreuses années. La difficulté, pour mener une telle étude, était de rencontrer des personnes disposées à livrer des témoignages, émettre des opinions, donner des impressions, enfin, à relater des anecdotes vécues lors de leur passage dans cet établissement. Certains argueront que, faire un travail sur ce lieu n’a de sens que s’il s’inscrit dans la continuité de l’histoire de la salsa à Paris. C’est pourquoi nous y avons ajouté en sous titre : « Une histoire de la salsa à Paris ».
* Dans toutes les sociétés, la fête a toujours été un élément déclencheur de communication, de célébration. Certes, pour qu’il y ait fête, il faut quelque chose à célébrer : c’est justement pourquoi, nous nous sommes intéressés à La Peña-Saint Germain car là, il y a toujours matière à partager. Autrement dit, ce lieu n’est pas sous l’emprise exclusive des latinos mais là, les latinos, les franco-latinos ou les latino-français ont trouvé une réponse satisfaisante à leur désir de faire la fête. Cette manière de faire la fête se traduit par la construction d’un idéal collectif capable de réunir des individus ou des groupes d’individus autour d’un ensemble de valeurs qu’ils partagent, un peu au sens où on l’entend dans le théâtre ou la musique, mais qui ressemble plutôt ici à un répertoire identitaire. A la lumière de cette ambiance, nous nous sommes attachés à identifier les paramètres culturels qui permettent d’établir des relations plus facilement. Si la fête conduit à la célébration d’événements, elle permet aussi de se retrouver et de partager des moments de convivialité lorsqu’on se retrouve entre amis mais la particularité ici, c’est que ce lieu permet que des vies s’entrecroisent construisant ainsi un réseau social plaisant à la fois solidaire et différent, essentiel à l’ouverture la plus large possible vers un maximum de gens. Ainsi l’évocation des faits, des gestes,
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Si La Peña m’était contée !
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des conversations du moment a permis de décrypter les comportements individuels des personnes en train de faire la fête. On voit, ici et là, les signes d’une ambiance chaleureuse : par le récit de séquences festives, on peut donc dire que la salsa façonne le lieu, la joie, l’amour, la quête d’une rencontre constituant autant de représentations différentes qu’il y a de visiteurs. Les danseurs en sont les protagonistes ainsi que le public dont font partie les habitués accoudés au bar entrain de siroter leurs mojitos sous les sonorités percutantes de la musique. Tous y vivent en acteurs et, qui plus est, sont porteurs de valeurs partagées par les amants de la salsa. Ce regard, n’est en fait, pas très nouveau. Nous l’avions déjà abordé dans d’autres ouvrages (L’Harmattan, 2001). S’il est donc dans « l’air du temps », c’est parce que la salsa fascine toujours. Elle est un enchantement qui fait découvrir des sentiers nouveaux vers des mythes imaginaires en écrivant le récit et en offrant la vision d’un idéal qu’elle pense être celui de ses fans.
* Nous remercions les amateurs passionnés qui, par leurs récits, nous ont permis de clarifier et d’approfondir l’histoire de La Peña-Saint Germain. Cette histoire, nous la livrons dans cet ouvrage au travers de dix chapitres : avec des récits dont la narration mêle parfois fiction et réalité, mais toujours basée sur des faits réels où personnages réels et fictifs cohabitent, se succédant comme les différentes chansons proposées par les Dj’s, se mélangeant entre eux et en constituant le corpus. Il nous a semblé préférable de ne pas dater les évènements en une chronologie linéaire sur une période si longue par souci de clarté même lorsqu’il s’agit d’évènements qui se sont réellement déroulés. Chaque chapitre peut être considéré comme le récit d’une soirée ou d’une année…, au lecteur d’en juger…
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Dans cet ouvrage, certains faits identifiables ont été modifiés, de même que les personnages identifiés par leur nom et prénom sont des personnes de la vie réelle, mais les personnages identifiés par leur seul prénom sont des personnages fictifs créés pour la narration. En aucun cas, ces personnages ne correspondent à ceux de la vie réelle. Toute ressemblance avec des personnes existantes est purement fortuite et relève simplement du hasard. Nous vous invitons donc à parcourir ces lignes en écoutant l’air de salsa dédié à La Peña-Saint Germain : « Vamos vacilando vamos guarachando, que la rumba va a empezar en La Peña-Saint Germain…»2
2 « Nous allons nous amuser / nous allons danser / car la fête va commencer / à La Peña-Saint Germain…».
I Pourquoi
diable Roberto s’inquiète-t-il tant de son projet ? Arrivera-t-il vraiment à le mener à bien ? Y-a-t-il vraiment besoin de s’inquiéter ? Il n’a plus d’idées et pense qu’une sortie lui apportera le souffle nécessaire pour continuer. Il décide alors d’aller s’amuser. C’est un soir d’hiver et il fait froid dehors. Il prend son manteau et part… En sortant du métro Mabillon dans le sixième arrondissement de Paris, il se dirige vers la rue de la Petite Boucherie. « Brrrr ! ... J’en ai assez », marmonne-t-il. Le froid qui traverse son corps l’incite à marcher vite dans la rue déserte et carrément mortelle. En poussant la porte d’entrée, il a le sentiment de se trouver enfin dans son monde, même si ce n’est pas encore très animé, il trouve l’ambiance de la soirée qui lui a manqué. Dès
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qu’il entre, l’univers qui l’entoure lui est familier, il regarde les gens d’une façon amicale, comme s’il attendait un geste que l’occasion tardait à lui présenter. Brusquement, quelqu’un l’interpelle : « Roberto, qu’est-ce tu fais avec un parapluie dans un endroit comme La Peña ? Ici, il ne pleut pas, ici, on vient pour danser, s’amuser, tu es fou ! sí mon ami, tú estás loco, loco de verdad… », comme dit la chanson : « Viendo un zapatero ñoco siempre se le enreda el hilo el tipo se vuelve loco y tú loco loco, yo tranquilo. Y tú loco, loco pero yo tranquilo…».3
Après avoir salué quelques amis, il s’attarde à discuter avec le barman avant de commander un mojito.4 Très bien, merci. Et avale une première gorgée, il se sent mieux, lui qui ne touche à l’alcool qu’à de rares occasions en soirée, trouve un certain réconfort dans l’ambiance et dans l’enivrement que lui apporte le rythme percutant de la salsa. Même s’il a quitté son pays, Puerto Rico, il y a fort longtemps déjà, il ne vit pas de nostalgie, cependant les souvenirs de son enfance le rattrapent au son de cette musique et de la relation qu’elle permet d’entretenir avec les participants. Tout compte fait, c’est un encouragement pour son esprit et il se réjouit intérieurement d’être là. Malgré son enthousiasme il ne peut s’empêcher d’interpeller le Dj’s : change la musique ! Il jette un regard sur la piste de danse et aperçoit une jolie fille qui a de l’allure, elle se trémousse, déhanche son corps parfaitement dessiné qui dégage une sensualité à fleur de peau. 3 « En regardant un cordonnier au doigt coupé / s’emmêler toujours les fils / le type devient fou / et toi fou, fou, et moi tranquille / Et toi fou, fou mais moi tranquille…». Chanson Tú loco y yo tranquilo, interprétée par Piro Mantilla. Disque: Pa’ afuera de Roberto Roena y su Apollo Sound. Réf. Fania - lps 88.348 4 Boisson à base de rhum blanc, de glace pilée, de menthe fraîche, de citron, de sucre et d’eau gazeuse.
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Roberto la regarde, extasié, comme si les mouvements qu’elle faisait le troublaient dans ses zones d’ombre, ses tabous, dans sa vie de célibataire. Une fois encore, il pense : peut-être attend-elle un danseur qui s’aventurera à l’accompagner, et s’interroge : « dois-je aller lui tenir compagnie ? » Quand il s’avance sur la piste, il se plie en deux, « gardez le rythme » –lui dit-il. De l’autre côté de la piste, on se bouscule, on se remue aussi, dans un coin les filles dansent tandis que la plupart des garçons accoudés au bar, boivent leurs mojitos ou autres boissons... « Rucutupla cupla, Rucutupla cupla, yo soy el señor bongó y vengo a pedirle a Roberto que me de una explicación porque en vez de acariciarme me pega en vez de abrazarme y de darme un beso me pega con los palitos…».5 – Vous avez une drôle de façon de remercier les gens qui souhaitent vous accompagner à la danse, lui glisse-t-il. – Et vous, vous avez vu comment vous traitez le Dj’s…, dit-elle. Elle rit. – En plus, vous n’êtes pas du tout mon genre. Roberto se sent profondément blessé par ce qu’il vient d’entendre, lui qui imaginait chez cette fille une certaine douceur par sa manière de danser, est surpris… Il éprouve un sentiment d’impuissance et décide alors de retenter sa chance en se montrant plus humble et en la faisant danser. Il y met plus d’ardeur… Le morceau sur lequel il danse, convient parfaitement bien. Quand il lui fait faire un tour, le mouvement de va-et-vient la colle contre
5 « Je suis le monsieur bongó / et viens demander à Roberto qu’il me
donne des explications / car au lieu de me caresser il me frappe / au lieu de me caresser et de m’embrasser / il me frappe avec des bâtons… ». Chanson Yo soy el señor bongó (Je suis le monsieur bongó). Disque: El Señor Bongó de Roberto Roena y su Apollo Sound. Réf. Roan 20063.
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lui. Le buste ferme de la fille s’écrase contre le sien et il sent qu’elle respire plus vite, elle éprouve une forme d’excitation, de tremblement intérieur lorsqu’ils exécutent certains pas. Il a l’impression d’avoir réussi et s’en réjouit… François Douchet assis au bout du comptoir contemple paisiblement les entrants, un coup d’œil lui suffit pour voir qui arrive. A La Peña tout le monde peut entrer, bien sûr à condition d’avoir envie de s’amuser. L’établissement est l’un des plus fréquentés à Paris par la communauté latino-américaine mais, également, par tous ceux qui aiment faire la fête sans distinction culturelle. C’est dans cette ambiance que des amis viennent tard la nuit pour finir la soirée, certains après avoir mangé au restaurant passent pour prendre un verre. Enfin, d’autres, qui se promènent de boîte en boîte dans la nuit parisienne à la recherche d’amis, finissent ici. La Peña représente ainsi un des établissements les plus recherchés des soirées latines parisiennes. Autrement dit, un lieu de convivialité. Le seul coin où l’on peut discuter tranquillement, c’est la loge en entrant à gauche, elle n’échappera pas longtemps cependant à l’ambiance frénétique… Minute après minute, le lieu commence à avoir un air de samedi soir ou de soirée d’été où l’on ne peut plus bouger, c’est justement ce que les gens cherchent, un peu de chaleur humaine, un lieu servi par l’existence de relations où l’amour peut prendre la forme d’une danse, un lieu où les moments essentiels de la vie s’habillent imaginairement en gaieté. Elle est bien là cette gaieté, comme l’aboutissement d’une scène presque sentimentale et touchante, qui fait que les admirateurs s’enfoncent un peu plus profondément dans le mystère d’une rencontre due au hasard. – On danse encore un morceau ? lui demande Roberto. – D’accord…, répond-elle. – Vous vous appelez comment ? – Isabelle, et vous ? – Roberto. – Vous venez souvent ici ?
23 Si La Peña m’était contée ! _____________________________________________________ – Non, c’est la première fois mais j’adore la salsa.
D’ailleurs, moi, c’est la salsa cubaine que je préfère, confie-t-elle. – Mais non ! Il n’y a pas de salsa cubaine, ni colombienne ni portoricaine d’ailleurs…, la salsa est une seule musique, bien sûr avec des particularités qui diffèrent surtout en fonction de la touche personnelle de celui qui dirige le groupe ou l’orchestre, du musicien ou de l’interprète ; enfin, la typologie à laquelle vous faites allusion est une pure invention française qui génère un peu de business. – C’est vrai ? Le Dj’s, Orlando de Cali6 continue sa promenade musicale en adoptant un dispositif léger, c’est-à-dire qu’au crescendo de l’ambiance festive, il introduit sa note personnelle, celle qu’il a connue dans sa ville de Cali et qui lui a tant donné de succès. D’ailleurs Orlando, avec son surnom « de Cali » qui lui fut octroyé par les fans pour le différencier d’autres Dj’s, connaît toute la panoplie de la salsa dura7 et les derniers hits qui envahissent les 6 Orlando Arana est originaire de Cali (Colombie). Il fut le premier
directeur musical de La Peña depuis son ouverture jusqu’à l’année 2004. C’est principalement lui qui a impulsé La Peña comme un des lieux les plus prisés pour ceux qui aiment la musique latine. Dans son parcours, on le considère comme l’un des promoteurs musicaux latino-américains à organiser des fêtes, concerts et autres manifestations avant que la salsa ne devienne danse à la mode. Au début des années 2000, il fut l’un des créateurs de nuits salseras à Paris voire un des « oiseaux de nuit » de la salsa, comme l’appelle tendrement Laure Caillaud. Voir Brazuca, N° 19, 15 juin 2002. 7 Le terme « salsa dura » ou « salsa brava » renvoie à l’une des périodes de l’histoire de la salsa. A ses origines, dans les années soixante, cette musique comportait toute une richesse musicale et exprimait dans ses textes des allusions à la revendication sociale et culturelle, c’est donc dans cette période qu’émergent les principaux artistes, musiciens, orchestres et chansons qui font référence et que l’on compare à d’autres périodes, dont la musique est plus mélodique et moins rythmique, par exemple, à la période de la « salsa érotica ».
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bacs musicaux en Amérique latine, il les a tous, c’est la condition pour être au diapason de la mouvance salsera de l’autre côté de l’Atlantique, comme il le dit lui-même : « il faut toujours être au courant de ce qui se passe là-bas pour pouvoir rester dans la mouvance de ce qui se produit… », ajoutant au passage que « la salsa constitue bien une démonstration de l’apport des Latinoaméricains à l’Europe, à travers cette musique se profile la présence d’un visage de joie et le retour d’un boomerang qui correspond à l’histoire et à l’esprit non revanchard des peuples qui autrefois furent colonisés et violentés. Aujourd’hui, nous apportons avec cette musique la joie et la chaleur de tout un peuple…». François Douchet guette l’arrivée de José le photographe, mieux connu comme « El Che »8 : – Comment tu vas François ? Y a-t-il du monde ? demande-t-il. –Eh bien ! Ça commence à se remplir. On s’attend, tu sais bien, à ce que les gens arrivent tard, répond François. El Che profite pour lui montrer les dernières photos qui, pour partie d’entre elles, seront données aux personnes qui y figurent, si elles viennent ce soir. Isabelle est confuse, elle qui voulait danser sur le style qu’elle avait appris, se trouve mal à l’aise face à ce danseur qui remet en cause sa vision de la salsa. D’un air curieux, elle lui demande d’être plus explicite : – Tu sais, on peut se tutoyer… – Bien sûr, glisse Roberto.
8 José Henriquez est originaire du Chili, sa vocation pour la photographie
l’a amené à la musique caribéenne ; il est aujourd’hui l’un des personnages du monde salsero parisien, avec son béret à la Che Guevara, il parcourt les fêtes, les festivals et autres lieux nocturnes toujours à la recherche de l’image insolite. Nous l’appellerons désormais « El Che ».
25 Si La Peña m’était contée ! _____________________________________________________ – Peux-tu m’expliquer pourquoi tu ne fais pas de
distinction entre les différents styles de salsa ? – En Amérique latine –lui répond-il, sur un ton professoral, les danses en couple dont fait partie la salsa, sont avant tout un défi de séduction entre un homme et une femme9 ; cela fait partie de l’histoire et vient de la conquête quand les esclaves à travers leurs danses…, et puis oh ! s’exclame-t-il subitement, ceci serait trop long à commenter, je te propose de boire un verre, de discuter plus tranquillement là-bas et on dansera après… – D’accord, dit-elle. Roberto pense qu’elle est ingénue ou naïve mais en fait, il ne comprend pas que pour elle il existe différents styles de salsa et différents genres musicaux ; lui qui a appris à danser depuis tout petit, sans cours, en se déhanchant dans les rues ou dans les bals populaires, comme le font les gens dans les Caraïbes, trouve cela étonnant. L’histoire pique sa curiosité et une inspiration hésitante lui fait penser, tout à coup, qu’Isabelle après tout attend peut être autre chose qu’un discours sur la salsa. Le défi commence alors à lui faire tourner la tête et s’inscrit comme la construction d’un désir qui se fait de plus en plus pressant, au fur et à mesure que l’alcool commence à faire son effet. 9 Depuis longtemps en Amérique latine les danses à deux ou en couple
permettent au couple de jouer sur l’attirance et le refus, sur l’approche et la fuite, comme dans le cas de la rumba guaguancó quand l’homme, au moment où la femme ne peut plus faire le geste de se couvrir, réalise un geste de pubis en avant. Certains musicologues appellent ce geste vacunao (mouvement du bassin), de là, la phrase chantée que l’on trouve dans beaucoup de chansons « en el yambú no se vacuna » (rumba sans danse n’est pas une rumba). Voir à ce propos Helio Orovio, Diccionario de la música cubana, Editorial Letras Urbanas, La Habana, 1981, pp.367-369. Par ailleurs, le musicologue colombien Alejandro Ulloa dans El baile: un lenguaje del cuerpo (Cali, 2005) signale que lorsqu’on danse en couple, il existe une distance minimale à ne pas transgresser, autrement, la distance entre les corps favorise les caresses, les embrassades, les contacts de peaux, ce qui permet de sentir le parfum de l’autre et percevoir ses vibrations…
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Pendant ce temps, Orlando de Cali met le feu aux platines : « Ala-lolé lolé lalá-lo-loló lolalala-lalalá oiga mi socio oiga mi cumbilan, que voy en camala-calá alala-lelelee lolo-lolá epílame pa los ancoros como le giro este butín guaguancó…, alalolé-l-o-o-o-la oiga mi socio oiga mi cumbilá, le voy a encalamacaló le-e-lo-la-alolo-lo loló epílame pa los ancoros como le giro este butín gua-guan-có, cuando mi mene era un chiquitín y ya empezaba a rodar pachitum jamercoyando y no me pudo tirar pallá pallá, oye-ló ala-le-le-loo lolololololololá y el niche que facha rumba aunque niña bien tullida cuando varan a la pira lo altare la araché, el niche que facha rumba e-e-e-e-e-e-e chinfanchum jamercoyandoyando lo altare la araché mira cómo nos mira cómo nos mira cómo nos coge la noche lo altare la araché e-e!, el niche que facha rumba pero melé pero melé nos coge la noche lo altare la araché aunque niña bien tullida lo altare la araché pero caina caina nos coge la noche lo altare la araché, mira macochó mira macochó mira macochó ma-co-chó lo altare la araché, el negro el negro que monta coche lo altare la araché…».10 Eva Ludnai, d’un air joyeux, se met à jouer des maracas dans le tempo derrière le comptoir où elle sert chaque client qui demande un verre… Allez, tous en même temps ! ordonne Orlando avec son micro, cherchant à faire bouger les récalcitrants accoudés au bar. Jacques et Christophe qui sirotent consciencieusement leurs mojitos commencent à bouger et à avoir envie de danser. 10 Cette chanson fait référence à un noir (en argot « niche » est un terme péjoratif) qui aime les fêtes, la diversion et les femmes, il est toujours attrapé lorsqu’il fait des agressions et se fait réprimander. La chanson comporte un mélange de mots yorubas, bozal et espagnol. Chanson : Lo altare la are che, de Richie Ray y Bobby Cruz. Voir aussi, l’œuvre d’Andrés Caicedo, Que viva la música, Plaza y Janes, Bogotá, pp. 154155.
27 Si La Peña m’était contée ! _____________________________________________________ – A ta santé, dit Jacques. – A la tienne, mon ami, répond Christophe. Je sais ce que
je vais faire, j’en bois deux et ensuite je vais danser, je me lance. Tu as vu la fille habillée en rouge, là-bas, elle est canon, et en plus elle danse bien. – Laquelle ? – Là-bas, au bout. – Bon Dieu ! ... Il a raison. Il faut que je m’y mette moi aussi…, pense Jacques. Le public continue à arriver. François Douchet se fait plus présent, cherchant à mieux contrôler la situation, il va ici et là, saluer les uns et les autres, éparpillés d’un coin à l’autre. La bonne humeur est au rendez-vous. Raúl Paz11 fait son apparition. Il est content de se retrouver à La Peña pour y rencontrer ses amis et faire la fête, il boit un verre avec El Che qui lui demande : –quoi de neuf ? Avant de répondre, il s’élance dans une improvisation de chant face à un public médusé, ce qui permet au Che de le photographier et d’expliquer aux autres qui est Raúl Paz. « ¿Por qué te empeñas en destruir mi felicidad? Busca lo tuyo y déjame en paz, cuando te quise no me querías y me decías cuento na’ más oye y ahora mi vida… es que todito ha cambiado ya no te quiero más…».12 11 Chanteur et musicien d’origine cubaine ; il est l’un des « parrains » de
La Peña. 12 « Pourquoi tu t’acharnes à détruire mon bonheur ? / Laisse-moi en
paix / quand je t’ai aimée, tu ne m’aimais pas / et tu me disais, c’est pas vrai / écoute, maintenant, ma vie / tout a changé / je ne t’aime plus… ». Chanson Busca lo tuyo (Cherche ta voie), interprétée par Cheo Feliciano. Disque: Eddie Palmieri and his orchestre – Champagne. Réf. Tico lp H65.
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Christophe prend la décision et se lance sur la piste pour danser avec la fille habillée en rouge qu’il voit danser seule. – Vous dansez superbement bien mademoiselle, lui glisset-il, tout en dansant à son tour. – Merci, dit-elle. – Peut-on danser ? Insiste-t-il. – Avec plaisir. – Votre prénom c’est… – Océane. – Ah vraiment ! C’est un joli prénom et celle qui le porte aussi, lui dit-il en compliment, cherchant à attirer sa confiance. – Merci, répond-elle. Vous êtes très galant et en plus, vous aussi, vous dansez bien. Christophe sent que sa galanterie a fait effet et se dit : « maintenant tout est possible. Allons, il faut que j’agisse vite sans être vulgaire ni ordinaire. D’abord, je vais la serrer dans mes bras de manière à pouvoir faire des tours plus facilement et, ensuite, je la toucherai avec mes mains. Mieux vaut… ». A ce moment, le Dj’s Orlando de Cali annonce au micro l’arrivée d’Azuquita.13 – Moi mon prénom, c’est Christophe. Et vous faites quoi dans la vie ? lui demande-t-il. – Je suis attachée de presse dans une grande maison d’édition parisienne, affirme-t-elle avec assurance. – Intéressant ! s’exclame-t-il, enthousiasmé. – Vous avez déjà écrit des livres ? – Non, en revanche, je lis beaucoup, au moins une douzaine par semaine, c’est un travail qui exige beaucoup de disponibilité et requiert de la curiosité. C’est un peu la folie mais, la vie, voyez-vous, est comme un roman incomplet, dit-elle. – Vous voulez dire quoi au juste ? Interroge Christophe.
13 Luis Camilo Argumedes, chanteur et musicien d’origine panaméenne,
fut le pionnier de la salsa à Paris à la fin des années soixante-dix. Il est aussi un des « parrains » de La Peña.
29 Si La Peña m’était contée ! _____________________________________________________ – C’est en lisant une œuvre sur la littérature latino-
américaine que je me suis intéressée à ce continent, à sa culture, enfin, à ses musiques diverses et variées qui font la joie de ces gens, qui vivent en faisant la fête et auxquels un rien suffit pour leur redonner de l’espoir, explique Océane. Ainsi, j’ai pu découvrir que la salsa est née, par exemple, dans un contexte socio-économique qui est parfois méconnu en Europe, où l’on recherche surtout un certain exotisme, au détriment de la culture. Peut-être les Latino-américains n’ont-ils pas suffisamment contribué à dévoiler les traits culturels de cette musique non plus. Certes, le regard d’un observateur saisit l’image de gestes simples, sensuels des danseurs qui correspondent à des schémas romantiques. C’est ainsi que se construit, jour après jour, une attirance pour la salsa. Mais qu’importe ! Tel est l’un des aspects sympathiques que je trouve fascinant en venant ici. L’œil est attiré irrésistiblement quand les corps se mélangent dans une symbiose d’un pas de salsa. Ne serait-ce que pour cette raison, j’aime la danse à deux.
II E
h bien ! Je ne sais pas pourquoi j’avais envie de sortir ce soir. Je préfère, en général, inviter mes amis à venir chez moi pour être plus tranquille, mais certains soirs on ressent le besoin d’un peu d’alcool, d’un peu de contact humain. Quoi qu’il en soit, j’avais envie de sortir et je suis sorti. Je suis sorti car j’étais à bout de souffle. Je savais aussi qu’en venant à La Peña, j’allais trouver quelques amis avec qui discuter. C’est d’ailleurs, l’une des choses qui m’incite à venir, pour me retrouver entre amis, ceci dit, il est aussi plus facile de se faire des connaissances ici que dans d’autres lieux du même genre. Pour moi, La Peña a son importance car elle
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est l’héritage, voire le fruit de ce que d’autres « promoteurs musicaux » latino-américains essentiellement ont impulsé : d’abord, toutes les associations qui tournaient dans les années quatre-vingt dans le cercle étudiant avec Iván Monteverde, Alejandro Santa Cruz, Oscar Jara, Juan Castañedas, Octavio Cadavit, Homero Cardozo « Manso », Mario Gamboa, Sylvie Peristeris, entre autres, parce que le public avait commencé à aimer de plus en plus les fêtes latines, c’est pour cela qu’il a fallu trouver des salles, des boîtes ou des lieux convenables comme L’Ecole Supérieure d’Architecture, Les Bateaux Mouches, L’Espace Voltaire, L’Orée du Bois, La Sélénite, Le Tango, etc., pour pouvoir les accueillir. Ensuite, dans les années quatre-vingtdix avec Lázaro Despaignes, Luis Rossich, Romero Díaz, Ohan Mara, Pierre Tellier, Fusto, entre autres, qui programmaient dans des lieux comme La Plantation, Sabor a mí, Le Shéhérazade, Le Tapis Rouge, le Salon Hoche, Le Forum de Grenelle, La Java et bien sûr, sans oublier l’incontournable Chapelle des Lombards, etc., etc. Le seul établissement qui a échappé à ce tourbillon c’est L’Escale, ouverte depuis les années soixante-dix, elle eut ses moments de gloire dans un premier temps, programmant la musique folklorique et dans un deuxième temps, affichant la musique tropicale avec des groupes comme Los Machucambos, Bonbón Tropical, La Orquesta Malanga, le groupe Salsa y Control ou l’orchestre Los Salseros avec les musiciens Pedro Campana, Pablo Garcia, Roland Marming, Felo, Sergio Barreto, Freddy Rincón, entre autres. Aujourd’hui, elle est toujours située dans la rue Monsieur le prince dans le cinquième arrondissement mais son audience a évolué. Enfin, tous ces musiciens qui ont contribué par leur joie à rythmer les nuits parisiennes, tels Alfredo Rodriguez, Alfredo Franchesqui « Cutufla », Otto Palma, Cuchi Almeida, Felipe Monque, Eduardo Valz, Diego Pelaez, Tito Puentes, Oscar López, le percussionniste Ricardo et bien sûr Azuquita, et aussi des musiciens de calibre international comme Anga Díaz, Orlando Poleo, Yuri Buenaventura…,14 pour ne citer qu’eux et mes 14 Voir de l’auteur Ma Salsa défigurée, L’Harrmattan, 2001, pp.37-41.
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excuses si j’en oublie des tas d’autres… Et puis, plus récemment, Fusto et Pierre Tellier à La Java, avec ses Cuba Jam Sessions, le journaliste Rémy Kolpa-Kopoul et Romero Díaz à La Coupole ; Les Etoiles avec ses Jeudis des Etoiles, etc., etc. Je pensais donc changer un peu d’air, pour avoir de nouvelles idées pour le projet que je mène et mes souvenirs me rattrapent au son de cette musique qui m’est si familière. Comment pourrais-je oublier ces agréables souvenirs de ma jeunesse et les sensations qu’elle me procure ? Ce Dj’s me torture quand il lance : « Oye mi rumba que buena / yo me piro pa’l solal… ».15 Par contre, et voilà le paradoxe, je n’imaginais pas rencontrer cette fille charmante, pense Roberto lorsqu’il est tiré de ses pensées par une voix connue. – Salut Roberto ! – Bonsoir Armando, comment vas-tu ? Content de te voir, répond-il. – Bien, moi aussi je suis content de te voir, aujourd’hui c’est mon anniversaire. Je suis avec Mario et Andrés. – Mes félicitations, on va fêter ça… Ça s’arrose ! Salut les amis. Tiens, je vous présente Isabelle. On discute sur le fait qu’il y ait un seul type de musique salsa et non pas plusieurs comme on le dit si souvent en France, n’est-ce pas ? –argue Roberto. – Enchanté de faire votre connaissance -souffle Armando, avec amabilité. Je suis de son avis mais, il faut ajouter que depuis quelques années il y a de nouvelles façons de la danser, la chorégraphie s’inspire principalement des styles que l’on dansait à l’époque du mambo. Aujourd’hui, ces styles que l’on trouve presque partout dans les cours de danse dans le monde entier, comme en France, sont ceux d’Eddie Torres, du New York Style, celui de Los Angeles ou LA, du mambo on 2, de la rueda de casino... Pour beaucoup de fans la manière de danser la salsa suit
15 Allusion à la chanson Ahora sí (Maintenant oui) : « Ecoute ma rumba
qu’elle est bonne / maintenant je m’en vais… ». Disque: 45 Aniversario – Sonora Ponceña.
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l’un de ces styles, ce qui est un peu faux pour danser à l’aise, ajoute-t-il, en soulevant son verre : à la nôtre, à la salsa ! – Merci pour les explications -dit Isabelle, en invitant sa copine Ludmilla à se joindre à eux… Je pense qu’en Europe nous considérons le rapport au corps, voire à la fête d’une manière différente mais pas opposée à la vôtre. Je considère que pour danser la salsa, il faut savoir faire les pas pour s’accorder à l’autre et mettre en scène des chorégraphies. – Il ne s’agit pas d’opposition mais de conceptions différentes, nous le voyons bien à la façon de danser à deux, telle que je viens de te l’expliquer. Ceci dit, la salsa n’en distille pas moins un exotisme sympathique, c’est une danse à deux qui conduit au rêve, au désir…, dit Roberto, avant de s’adresser à Isabelle plus sereinement : tu veux danser ? « Vamos a bailar la murga, la murga de Panamá, los muchachos se alborotan cuando la ven caminar. Murga pa’aquí Murga pa’alla. Ésta es la murga de Panamá…».16 Dès les premières notes de la chanson, le public commence à fredonner les paroles et à chantonner les strophes, certains restent même debout au milieu de la piste, ce qui impose aux danseurs de nombreux contournements pour se retrouver à deux sans pouvoir faire des figures mais bien au contraire, en dansant plus serrés voire collé-serrés comme le font les antillais avec le zouk ou la biguine.
16 « On va danser avec la murga / la murga de Panamá / les enfants se
remuent / quand ils la voient passer / La murga par ici / La murga par là bas / C’est la murga de Panamá…». Chanson : La murga de Panamá. Disque: Wilie Colon et Hector Lavoe. Réf. Fania.
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– Comment allons-nous être là-dedans ? questionne Isabelle, un peu gênée par la multitude de gens présents sur la piste. – Ne t’inquiète pas, lui glisse Roberto. On va se frayer un chemin par l’accès le plus simple ; un trajet qui nous permettra de bouger, au mieux de trouver un endroit dans lequel nous serons bien pour danser ; il me semble que là bas, à côté de la porte on peut danser tranquillement, sans problème. De plus, l’obscurité du coin nous protège temporairement d’autres danseurs qui ne voudront pas s’y aventurer. Alors, tu viens ! Un plaidoyer qui laisse davantage les instincts primaires s’exprimer, faisant une démonstration, Roberto lui fait comprendre qu’ils danseront sans relâche. Pour commencer, il y va lentement, tout en jouant de figures suaves qui ne demandent pas grand mouvement et donnent l’occasion de continuer à parler en dansant –c’est le début d’une danse où la démonstration technique n’est pas nécessaire–, pour animer leurs gestes et pour s’exprimer avec plus de spontanéité, il l’amène soudain vers un des bords de la piste et lui chuchote à l’oreille : « c’est plus calme, ici on dansera plus tranquillement… » Roberto voit dans la glace sa jolie tête, son corps. Elle se hausse davantage, et son domino se tendant par derrière, dessine la cambrure de sa taille, le développement de ses hanches. Il la tient par la ceinture et ils se lancent en un rythme parfaitement réglé. Il sent une attraction pour elle. Mais ils ne parlent plus. Seulement des gestes s’échappent, des regards qui les conduisent à l’intuition imminente qu’ils sont faits pour s’entendre. En quête de plaisir immédiat et malgré le peu d’espace dont ils disposent, ils se gavent de figures compliquées et deviennent vite complices : – C’est super ! Ce que nous venons de faire. Est-ce que tu y songeais, toi ? … Continue Roberto, troublé davantage. Tu vois, moi je danse la salsa, pas la salsa cubaine ni portoricaine et pourtant, on arrive à s’accorder. – Tu es malin ! lui dit-elle, d’une manière affectueuse. – Ma chère Isabelle, on continue.
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Depuis quelques heures, l’atmosphère est envahie par une musique qui vous emmène vers d’autres cieux. Recherchant la convivialité, certains témoignent que la magie de cette musique les transporte dans les Caraïbes, surtout lorsque résonnent les percussions et que les barmans commencent à danser tout en servant les clients. D’autres assurent même que sa chaleur est une invitation à jouer la musique, à danser pour apporter de la gaieté. Or, lorsqu’on fait référence à ce lieu, ce n’est pas seulement parce qu’il y a de la musique, c’est surtout parce que c’est un lieu nocturne où s’entrecroisent des tonalités culturelles multiples et, comme annoncé précédemment, il constitue l’héritage de ce que les promoteurs latinos ont impulsé. La Peña, située au cœur du quartier Latin, à deux pas du Café Flore, haut lieu mythique de la littérature française fondé en 1885, a depuis le début de ce siècle fait en sorte que se croisent les destins de personnalités diverses dont l’imaginaire, les rêves et la réalité notamment sont bien différents. Mélangeant sans distinction les individus et les confrontant à leur propre personnalité, ceux-ci trouvent leur plaisir dans une quête perpétuelle du bonheur impulsée par la musique et l’ambiance créée, accompagnée d’alcool. Dans des décrochages symptomatiques, des silences déchirants. Dans le rythme lancinant de la musique se construit quelque chose qui vrille le cœur. La salsa en est le personnage principal. Et chaque chanson de salsa apporte son lot de réjouissances : « Vamos todos a bailar al estilo africano si no lo sabes bailar yo te enseñaré, mi hermano… Cheche colé / Cheche colé…».17
17 « Allons tous danser / sur le style africain / si tu ne sais pas le danser / je t’apprendrai, mon frère… / Cheche colé / Cheche colé…». Chanson Cheche colé, interprétée par Héctor Lavoe y Willie Colón Disque: El crimen paga. Réf. Fania - lps 77.798.
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Verre à la main, les uns se laissent enivrer par le rythme contagieux qui en remue plus d’un, les autres se racontent leurs dernières vacances entre deux cocktails. Mais ceux qui sont venus pour s’amuser, profitent largement du feu inébranlable que lance le rythme de la musique salsa. Ce moment particulier propose une altérité quand ils se retrouvent dans une ambiance qui, bien que proche, leur est étrange car l’altérité « …est le fondement de la danse populaire, qui est donc toujours une forme de transe, même si celle-ci peut être vécue de façon plus ou moins paroxystique. Dès qu’on danse en musique avec d’autres, on devient différent de son moi habituel, on se surprend soi-même, on est autre car on s’exprime à travers l’Autre. La danse fait prendre conscience qu’une altérité nous habite en permanence et se manifeste à cette occasion… ».18 La démonstration, en revanche, vient de la piste de danse, il suffit de suivre le parcours de trois couples de danseurs pour voir que l’habileté avec laquelle ils dansent est un mélange détonant de merveilleux et de réalisme, mais aussi d’un pragmatisme tranchant, qui rend l’invraisemblable ou l’inacceptable évidents. Danser ce n’est pas une question de talent, c’est simplement avoir envie de bouger son corps. Ainsi, l’envie de danser provient de sensations que l’être humain porte en lui, innées ou acquises, ce n’est pas le débat mais, ce qui est sûr c’est que certaines cultures les développent plus que d’autres. Alors, si le tourbillon des fêtards est bon, les éléments se mettent à s’animer et la fête recommence en permanence jusqu’à ce quelle soit bien réussie. Orlando de Cali, le self made man, bien entouré par ses nombreuses amies assure à merveille, les chansons qu’il balance entraînent un défilé de danseurs vers la piste mais, également, imposent à ceux qui ne dansent pas l’obligation invisible de bouger leurs corps. Il y a ceux qui bougeront du premier coup attirés par les sonorités des instruments et la rythmique des chansons, et à qui l’on a envie de demander ce qu’ils ressentent lorsque commence la chanson. Il y a ceux qui, du fond de leur accablement, n’entrent pas dans la danse, au moins pas avant 18 France Schott-Billmann, Le besoin de danser, 2001, Odile Jacob, p. 39.
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longtemps et parfois même pas après avoir ingurgité plusieurs verres de mojitos. Angela Bird19 fait son apparition saluant les uns et les autres, parfois en embrassant certains. Inconsciemment, elle presse le pas pour déposer les empanadas20 et autres spécialités qu’elle a apportées comme tous les soirs pour les vendre. Elle s’arrête pour les disposer à la vue du public, qui malgré la faim n’en consomme pas pour autant. El Che comme à son habitude ne tarde pas à prendre un cliché d’elle. Elle est arrivée en souriant et avoue : « je suis toujours contente d’être ici, je souhaite apporter quelques idées pour que cet établissement devienne un lieu de référence latino-américain, pas tant sur le plan de la fête, ce qui est important pour nous, mais de la culture, il faut qu’ici soient promues des expositions, des conférences, qu’un pays latino-américain puisse venir chaque mois montrer sa physionomie… ». El Che l’interrompt subitement : . – Les empanadas sont-elles délicieuses ? demande-t-il à Angela. – Tu n’as qu’à goûter, lui répond gentiment Angela. – D’accord, j’espère qu’on va se régaler, dit El Che en lui en commandant plusieurs. – Quelle est la programmation que vous êtes en train de monter ? –questionne-t-il. – Avec François Douchet, nous réfléchissons –répondelle– à une programmation sur des expositions comportant un « pays à l’honneur », ainsi, chaque mois, il y aura des conférences, des artistes qui viendront, des images exceptionnelles qui seront présentées et qui permettront de diffuser davantage la culture 19 Journaliste d’origine panaméenne. Elle a contribué à faire de La Peña
un des lieux mythiques de la mouvance latino-américaine, en apportant sa passion, la cuisine et, dans un deuxième temps, en participant en tant qu’attachée de presse auprès des ambassades latino-américaines à la faire connaître. 20 Sorte de galette de mais avec de la viande farcie ou de fromage.
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latino-américaine. A mon sens, c’est l’occasion de montrer ou de faire connaître la particularité de chaque pays du continent sudaméricain avec des représentants ou des personnalités invitées autour d’une soirée spéciale dédiée au pays à l’honneur. – Tiens-nous au courant, glisse El Che, avant de partir prendre d’autres clichés. « Nací moreno, porque así tenía que ser, y en mi cantar yo voy a explicar. Porqué yo nací, moreno… Y mi madre fue la rumba…».21 Entre temps, Patrice Sokolsky apparaît, s’assoit à côté de François Douchet et après avoir échangé quelques mots, part aussitôt saluer Bárbara Luna22 qui arrive accompagnée de quelques autres latinos, puis, s’en va contrôler que tout se passe correctement. Ce lieu charismatique, à l’atmosphère cosy, où l’on entend les meilleures musiques latinos nous l’avons dit, est l’héritage des mouvances latino-américaines des décennies passées. Rien d’étonnant que les amateurs de salsa et les représentants de la culture latine s’y rendent dès qu’ils en ont l’occasion. C’est aussi pour cela que les latinos y viennent. A la Peña, il ne suffit pas de jouer la salsa pour séduire l’indispensable public qui va avec, en revanche, le contact facile entre les participants, la bonne humeur régnante, les rencontres des amis impulsent l’existence d’une 21 « Je suis né métis / parce que ainsi devra être / et dans mon chant / je veux vous expliquer / pourquoi je suis né / métis… / et ma mère fut la rumba… ». Chanson : Moreno soy (Métis je suis). Disque: Bobby Valentin. Réf. Fania. 22 Musicienne d’origine argentine : inclassable car elle est imprégnée de l’âme de son pays et aussi d’autres cultures. Elle mélange le tango, le folklore de son pays et des rythmes d’ailleurs.
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culture, pour ainsi dire, salsera à La Peña… Les détracteurs diront que cela leur rappelle les vacances en Espagne. Cependant, ils restent frileux quand le constat montre que de toutes les boîtes, discothèques ou autres établissements qui s’ouvrirent lors de l’engouement pour la musique latine à la fin des années quatrevingt-dix, seulement celui-ci a encore pignon sur rue. De ces bases vacillantes a émergé un sentiment d’appartenance à La Peña, comme le dit une fan « on se salue d’une même manière quand on sait qu’on s’est connu à La Peña ». Dans ces conditions donc, surgissent des particularités assez singulières, qui intéressent toute étude sociologique et contribuent symboliquement à faire de La Peña, un des lieux où le spectacle latino est populaire et, en même temps, il génère des comportements individuels partagés par tous comme le montre bien l’anecdote des empanadas qui étaient en vente et s’épuisaient assez rapidement, les clients n’en consommaient pas, force est de supposer que c’étaient les employés qui les mangeaient. Elles remportaient un tel succès auprès de ces derniers, qu’on arrêta quelque temps après. Et comme La Peña appartient aux fêtards inscrits dans une certaine mouvance culturelle, on ne peut passer sous silence une autre anecdote, d’ailleurs historique, que peut être peu de monde connaît : cet établissement aurait pu fermer ses portes aux alentours des années 2002 quand les propriétaires des lieux poussés par la bulle immobilière spéculative de l’époque ont voulu augmenter le loyer de manière exorbitante voire récupérer les lieux, comme en témoignent les piges de certains journaux parisiens.23
23 Voir Le Canard Enchaîné du 6 février 2005, p. 5 et Le Parisien du 2 février 2006.
III Ce
soir-là on découvre aussi Yomira John24 qui de passage à Paris a fait un saut à la Peña pour saluer ses amis. Elle n’a rien perdu de sa bonne humeur et se trouve sans cesse sollicitée par une multitude d’admirateurs lui réclamant un autographe. D’autres invités privilégiés sont aussi présents, nous remarquons Xavier d’Arthuys, commissaire général de La Cita de Biarritz, Rodrigo Triana, cinéaste colombien du film « Como el Gato y el Ratón », Luis Alberto Restrepo, directeur de cinéma et 24
Chanteuse d’origine panaméenne.
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de télévision colombienne venu promouvoir son long métrage « La Primera Noche » ; Michael Hainsworth qui dédicace son roman « Olinda » publié chez L’Harmattan. Des musiciens Brésiliens, Nazaré Pereira ont fait un « bœuf » et Ricardo Vilas, le chanteur carioca venu pour le lancement de son CD « Mandinga de amor ». Alvaro Lemos qui a mis son restaurant « El Sol y La Luna » 25 à disposition des invités… Tout juste auparavant, le chanteur Victor Manuel vient de recevoir les représentants de La Peña-Saint Germain dans sa loge à l’Elysée Montmartre où il se produisait. Les belles filles Valérie et Jayne, ambassadrices de charme de La Peña étaient aux anges, rayonnant de beauté, comme à leur habitude… ».26 François Douchet, après avoir fait sa tournée, est enclin à se livrer à de petites réflexions excitantes. Il s’assoit au bout du comptoir et se laisse submerger par ses pensées qui le conduisent à porter un regard sur le long chemin parcouru depuis qu’il a ouvert cet établissement : « Penser que les débuts ont été douloureux, qu’il y a dix ans cet endroit était désert, vide, dans tous les sens du terme, le voir aujourd’hui avec cet univers latino, me fait chaud au cœur. Mon affaire avait pour objectif comme tant d’autres dirigées par des français, de divertir les gens en tenant compte de leurs envies et de leurs différences dans le domaine de l’amusement. Mais avec le monde latino, c’est autre chose... Je me souviens quand Le Paradoxe –c’était le nom de la boîte qui existait avant La Peña et dont j’étais le propriétaire– ne tournait plus et les choses se sont compliquées. Là, j’allais mal... J’avais découvert la musique latino-américaine par le biais d’amis à moi, particulièrement une amie proche, Claudie, qui de retour du Mexique me racontait avoir été enthousiasmée par la manière dont
25 Restaurant colombien situé au 31, rue Saint Jacques dans le cinquième
arrondissement de Paris. 26 Angela Bird, « Les nuits de La Peña » in Brazuca, décembre 2001, N° 15, p.10.
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les gens se rencontraient là-bas dans les cantines, les peñas27 : tout de suite je fus contaminé par son récit et par le fait qu’elle refusait de verser dans le phénomène de mode cubain qui régnait à ce moment là à Paris, pour faire partager cette musique à un public plus vaste. D’autant plus, que François Reichenbach, un autre ami, qui travaillait avec elle et aussi amoureux fou du Mexique, partageait également ce point de vue. C’est ainsi qu’est née La Peña en l’an 2000. Les premiers mois commencèrent essentiellement avec des musiques venues du Brésil, pourtant rythmées et sensuelles, elles n’attiraient pas la foule ; nous proposions aussi des expositions et un programme culturel, mais voyant qu’au bout de deux mois cela ne prenait pas, nous avons changé nos fusils d’épaules pour nous tourner vers la salsa, voire vers la salsa dura, celle que les gens réclamaient et réclament encore. Là, vraiment, la fascination fut immédiate, je peux dire que le succès était au rendez-vous : files d’attente qui révèlent chez les spectateurs et le public un engouement formidable pour l’établissement. Parallèlement, à la même époque, nous avions pris une petite formation de salsa dirigée par Ricardo « Conga », qui jouait en live. Le succès a été important, au point que les files d’attente s’allongèrent encore davantage et que le public nombreux attendait dehors, c’était la rançon du succès et nous avons été obligés d’arrêter la prestation du groupe pour donner plus d’espace à la piste de danse ; c’était un choix cornélien pour La Peña, en effet, la formation a contribué également à impulser un bon départ… La diaspora latino s’est précipitée aussi à La Peña, ce qui n’est plus toujours le cas aujourd’hui. En fait, La Peña doit son succès au concept utilisé à savoir de ne pas en faire seulement un lieu de musique où les gens viennent danser, mais aussi et surtout, 27 Les « cantinas » sont des lieux où les gens viennent pour passer un
moment entre amis ou en famille, pour boire un verre ou manger, on en trouve particulièrement au Mexique. Les « peñas » sont des lieux de diversion ou de spectacles où l’on vient soit pour écouter la musique soit pour discuter autour d’un verre, on en trouve principalement en Argentine, au Chili, au Pérou et en Uruguay.
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un espace de rencontre où l’on peut à la fois discuter, boire et s’amuser. Moi, j’ai été happé par le mouvement latino et terriblement surpris que certains m’appellent « maestro », tout en me remerciant d’avoir créé pareil endroit, bien qu’à mon tour, ce soit moi qui devrais les remercier. Comment pourrais-je m’approprier une culture que je viens à peine de connaître et à laquelle je suis encore redevable ? Le peu d’espagnol que je parle, c’est à La Peña que je l’ai appris. L’essentiel pour moi, aujourd’hui, c’est que mon cœur est latino... Je me souviens lorsque Samantha, une fille qui travaillait avec nous comme barmaid m’a proposé de me présenter quelqu’un, un promoteur musical de la salsa qui avait une certaine réputation dans ce milieu, Orlando de Cali. Quand nous avons fait connaissance et avons discuté de la démarche à adopter, je l’ai laissé faire puisqu’en fin de compte, c’était lui le connaisseur, le professionnel. C’est ainsi qu’Orlando de Cali est devenu le premier directeur musical de La Peña. Il a donc su imprimer sa marque à La Peña en retranscrivant à sa manière l’image joyeuse et festive de la ville de Cali,28 dont il est originaire et surtout avec une bonne dose d’humour musical, il a suscité sur la scène parisienne le goût pour la fête qui caractérise ces villes caribéennes. 28 La ville de Cali est située dans le département de la Vallée du Cauca
(Ouest de la Colombie), elle a la particularité de se transformer tous les ans durant dix jours, du 25 décembre au 3 janvier pour organiser la « Feria de la Caña de Azúcar » où des spectacles, des courses de taureaux, des danses folkloriques, des concours de beauté et de danse ainsi que des concerts de salsa. L’ensemble de la population se mélange dans une liesse collective qui va au-delà du dépassement des barrières sociales pour fêter pendant ce laps de temps cet événement. D’autre part, Cali est une ville festive, la rumeur fait courir que, c’est dans cette ville qu’il y a les plus jolies filles de l’Amérique latine et quand, elles marchent leurs pas sont guidés par le rythme des percussions. Voir aussi de l’auteur « La fiesta colectiva: un concierto de salsa » in América, 7ème Colloque international : "La fête en Amérique Latine”, Cahiers du CRICCAL, N° 27, Presses de la Sorbonne Nouvelle et d’Alejandro Ulloa, La salsa en Cali, ed. Universidad del Valle, 1992.
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« Ah, quel parcours ! A son apogée, La Peña, désormais appelée La Peña-Saint Germain parce que située à Saint Germain des Près, a pris l’initiative de lancer la manifestation culturelle « un pays à l’honneur ». Le premier pays invité fut l’Equateur, pays qui a très bien joué le jeu avec une belle soirée et que l’on ne peut que féliciter. La même chose se produisit avec le deuxième pays, le Costa Rica, dont le Consul de l’époque Sergio Mena Diaz devint par la force des circonstances un assidu de ce lieu. L’Uruguay a également apporté son folklore et son code de l’honneur à ces événements qui permirent à chacun de laisser courir son imagination sur les pays latino-américains. Il est à noter que dès ce jour l’exposition « Miroir et Recyclage » du jeune artiste uruguayen, Renato Scremini, est devenue permanente puisque nous l’avons achetée tant elle nous plaisait ! On se laisse surprendre par les clichés stéréotypés sur ces pays qui n’ont aucun lien avec leur culture, avec leur physionomie réelle... De notre côté, nous avons voulu découvrir sans tabou les sujets d’actualité trop souvent abordés ou présentés à la hâte dans les actualités et déconnectés de la réalité alors même qu’ils constituent pour beaucoup de gens de là-bas le quotidien. Première à donner l’impulsion, La Peña-Saint Germain a contribué aux événements lancés par Orlando de Cali, en sponsorisant d’abord, la venue de Victor Manuel ou d’Andy Montañez, entre autres, puis, en apportant son concours à d’autres manifestations culturelles qui permettaient de donner une image contemporaine soit de la salsa à laquelle nous nous référons soit à des événements culturels latinoaméricains, comme : le Carnaval de Rio, les événements de la revue Brazuca, ainsi que d’autres événements. Elle s’est aussi trouvée associée à la publication Latinoscope, à la célébration de la Fête Nationale du Mexique, à l’action humanitaire dans le cadre du festival Trans’latines qui a permis de récolter des fonds pour l’envoi de médicaments et de matériel médical à la clinique Los Olivos, à Lima au Pérou et au Festival Mundo Latino, manifestation qui a rassemblé deux fois de suite un nombreux
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public autour des animations, spectacles et expositions.29 Dans le même esprit, nous avons organisé avec Radio Latina et le cinéma Latina, par exemple lors de la sortie du film « Un taxi pour trois » du réalisateur Orlando Lübberf, et en compagnie de Silvia Baleat et de beaucoup d’autres, une soirée conviviale pour célébrer cet événement. D’ailleurs, lorsque la mairie du sixième arrondissement a organisé la manifestation annuelle « Un Livre, Un Café », destinée à faire se rencontrer écrivains et grand public, il nous a été demandé à notre plus grande satisfaction d’y participer, figurant ainsi aux côtés de prestigieux établissements tels que le Café de Flore, les Deux Magots, la Brasserie Lippe… François Douchet est toujours plongé dans ses pensées lorsqu’un groupe de fêtards arrive, tout joyeux, mais cette fois-ci il ne réagit pas. Allez avancez ! crient certains pour pouvoir entrer. La voix forte de quelqu’un parlant espagnol retentit en écho à celle du salsero Oscar De León interprétant la chanson Llorarás, llorarás : « Sé que tú no quieres que yo a tí te quiera siempre tú me esquivas de alguna manera… Lo único que yo quiero, no me hagas sufrir más…».30 La transition est immédiate pour les arrivants qui se retrouvent plongés dans une atmosphère assez envoûtante grâce à la convivialité qu’elle dégage, surtout quand il s’agit d’essayer et d’improviser d’une façon complètement décomplexée des pas de danse. Dans les entrailles du jeu, Cynthia, une jolie fille originaire 29 Le festival « Mundo Latino » a eu lieu en 2001, au Parc de la commune
d’Issy les Moulineaux et en 2002, au Parc de la commune de Saint-Cloud. 30 « Je sais que tu ne veux pas que je t’aime / toujours tu m’évites d’une manière ou d’une autre / ce que je veux seulement / c’est que tu ne me fasses plus souffrir ». Chanson Llorarás llorarás (Tu pleureras et tu pleureras). Disque: La leyenda viva–Vol. 2. Oscar De León. Réf. TH 2958.
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de Cali, venue avec le groupe, entre en scène en se mettant à chanter et à danser sur le style de sa ville natale, provoquant l’attraction de tous et de toutes et le rêve chez certains qui sont subjugués par la manière insaisissable dont elle coordonne les mouvements de son corps avec les pas de danse qu’elle effectue, un art qui n’appartient qu’à elle. Sa spontanéité entraîne les autres filles à danser dans une imitation qui est perçue comme une caricature de la domination de l’homme car la question de savoir qui invite qui, ne se pose plus. De manière générale, à La PeñaSaint Germain, la plupart des fans passionnés sont des femmes. En bénéficiant d’un emplacement central dans la ville parisienne, La Peña-Saint Germain dispose d’une bonne image qui consolide ses relations avec ce public en particulier, ce qui ne l’empêche pas d’attirer d’autres promeneurs ou touristes. Cynthia n’est pas une habituée du lieu, elle y vient de temps à autre avec des amis pour se divertir un peu après avoir dîné au restaurant. Ce soir-là, elle joue l’ambassadrice, non pas du lieu mais de la musique qu’elle affectionne tout particulièrement depuis son enfance. Elle est venue en France, il y a déjà quelques années pour faire des études et comme tant d’autres de ses compatriotes, elle y est restée. Pour cette raison, cette soirée se révèle idéale pour décrocher un peu de la vie quotidienne et elle sent l’inspiration d’un peu de créativité en montrant à ses amis tout ce qu’elle sait ou peut faire, quand il s’agit de danse et, surtout de salsa. Admirant sa manière de danser, Miguel et Juan, respectivement vénézuélien et péruvien, tous les deux accoudés au comptoir un verre à la main, ne peuvent s’empêcher de lui faire des compliments. Juan, dit à Miguel : « il faut absolument que tu lui proposes de danser. Nous allons bientôt savoir si c’est une vraie danseuse… ». Miguel réfléchit, même s’il est vénézuélien, il est conscient qu’il ne sait pas danser la salsa. Il sait donc qu’il est dans une mauvaise posture, lui qui dans son pays d’origine n’aimait pas cette musique, parce qu’assimilée aux gens des barrios (quartiers), ici, dans la lointaine Europe, à Paris, il se sent obligé de l’aimer voire de la danser pour pouvoir être au diapason de la mouvance latine et retrouver ainsi ses amis. Pour
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Juan, les choses sont plus simples, moins imprégné des valeurs nord-américaines, il se sert de cette musique pour attirer les filles, pour montrer ses talents et séduire le monde français dont il ne connaît pas encore les codes. Dans ce sens, il a un avantage sur son ami Miguel. Il sait que le temps d’une danse, il peut mettre une fille à ses pieds. Cependant Juan s’aperçoit que Cynthia est plus qu’une danseuse, la souplesse de son corps met en évidence une richesse truffée de subtilités cachées dont seules les filles de Cali possèdent le secret. Lui, adepte des soirées mondaines, dont celle de La Peña-Saint Germain, a l’habitude de se montrer plus provocateur, mais cette fois, il ressent un brin d’inquiétude qui le perturbe. Il se lance enfin en l’invitant à danser et s’aperçoit vite qu’il n’est plus le meneur du jeu. Il a affaire non pas à une fille qui lui dit non, mais à une danseuse qui veut vraiment danser et qui, d’ailleurs, sait le faire. En dansant, il lui revient à l’esprit un des refrains d’une des chansons de Rubén Blades : Echa’ pa’lante Pablito, a la vida mete mano…31 Il n’est pas à la hauteur des enchaînements que propose sa partenaire. Il ne s’agit pas de figures codifiées, comme en font beaucoup d’autres danseurs, mais du contact physique, comme dans les Caraïbes, où s’entrecroisent les jambes et se mêlent les soupirs des corps. La chanson se termine, aucun mot n’a été échangé. Seul reste le souvenir instantané du contact. Malgré la force évocatrice de la chanson suivante Juan n’a pas pu assurer la suite. Pour les autres membres du groupe, il s’agit maintenant de mettre en pratique la leçon que Cynthia vient de leur donner avec une habileté déconcertante acquise sans qu’elle n’ait jamais eu besoin de suivre des cours. Paradoxalement, les autres membres du groupe ne s’intéressent guère à leur propre corps qui pourrait leur permettre de faire des improvisations mais plutôt coincés par pudeur, n’osent pas le bouger, tel l’albatros de Baudelaire. Cette 31 « Vas y, en avant Pablito, attrape la vie…». Allusion faite à la chanson Pablo Pueblo. Disque : Metiendo mano. Willie Colón et Rubén Blades. Réf. Fania lps 88.758.
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particularité, visible dans les cours de salsa qui fleurissent depuis que cette musique est devenue une mode, entraîne chez les débutants une difficulté à prévoir l’évolution des pas car, si ces danseurs sont en mesure de reproduire des chorégraphies, il leur est en revanche beaucoup plus difficile, voire impossible, faute d’avoir appris sur la musique, d’adapter leur danse pour effectuer des changements, d’improviser de façon spontanée lorsque la musique s’accélère. Autrement dit, le fait d’apprendre à danser sans écouter la musique, sans entendre les différentes cadences structurelles d’une partition musicale, empêche les novices d’anticiper et de s’adapter aux conséquences les plus diverses que peut entrainer une situation particulière. « Son las cinco de la mañana y ya amanece, Juan Pachanga bien vestido aparece todos en el barrio están descansando y Juan Pachanga en silencio va pensando que aunque su vida es fiesta y ron, noche y rumba, su plante es falso, igual que aquel amor que lo engañó…».32 Armando, d’origine colombienne, du même groupe d’amis, s’approche du comptoir, tout près de Miguel et de Juan à qui il glisse quelques mots : « Eh compay, tu n’étais pas à la hauteur ! Elle danse superbement bien… ». – C’est une virtuose ! Cette fille m’a donné chaud au corps, déclare Juan, un peu déconcerté. Au moins, moi j’ai essayé mais Miguel, lui ne fait que regarder. Miguel ne bronche pas.
32 « Il est cinq du matin et c’est bientôt le jour / Juan Pachanga bien
habillé apparaît / dans le quartier tous se reposent / Et Juan Pachanga silencieusement pense / que malgré le fait que sa vie ne soit qu’amusement / elle est complètement ratée comme l’amour qui l’a trompé…». Chanson Juan Pachanga. Disque : Rythm machine – Rubén Blades. Réf. Fania lps – 88.835.
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– C’est la première fois que j’ai vraiment plaisir à regarder une fille danser la salsa de cette manière là, elle a un feeling en dansant qui provoque de l’admiration... assure Armando. – Pas qu’en dansant, dit Juan. A en juger par sa beauté et par la sympathie qu’elle dégage, tu voudrais bien t’engager le plus rapidement possible. Et il se regarde dans la glace, rajuste une mèche et répète, la prochaine fois que je me lance, vous n’allez pas y croire ! – Pourquoi ? questionne Miguel. – Il y a une différence de style, répond Juan. Tous le regardent de façon soupçonneuse. – Mon vieux Juan, si tu t’embarques dans cette voie-là avec des idées de ce genre, tu risques d’avoir des déceptions : beaucoup de gens que viennent ici veulent seulement danser, c’est tout ! confie Armando. – Mes amis, vous ne connaissez rien à la danse, réplique Juan, un peu énervé. Moi j’étais une fois en République Dominicaine et je me souviens bien de la chanson « El amigo y la mujer » de Cuco Valoy33 qui fait allusion à un homme qui n’accepte pas que qui que ce soit danse avec sa femme parce qu’on peut l’enflammer, dans le sens figuré du terme. Bref, je vous dis, que je ne suis pas venu pour séduire, draguer ou tout ce que vous pensez mais pour danser, m’amuser avec vous, néanmoins le temps d’une danse je vous assure que je peux faire craquer une fille… – Tu veux dire que tu viens ici pour draguer les filles ? répète Armando. – Mais non ! Regarde Miguel il ne danse pas, il ne bouge pas, il ne fait que boire, dit Juan. Nous venons à La Peña-Saint Germain pour nous retrouver, pour discuter entre amis parce qu’ici nous pouvons croiser d’autres connaissances, enfin parce qu’en venant ici tu peux avoir des surprises agréables, comme ce fut le
33 Chanteur et musicien de salsa d’origine dominicaine. Allusion à la
chanson « El amigo y la mujer » (L’ami et la femme) in disque : Tiza.
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cas pour mon ami Michael qui rencontra un vieux copain qu’il avait connu à Quito et qu’il n’avait pas vu depuis plus de cinq ans. Tu vois ! – D’accord ! On verra quand il t’arrivera ce qui est arrivé à « Antonio El Macho », comme l’illustre Les aventuras de Brazuca : « c’est inscrit dans ses gênes, Antonio vit pour séduire et aimer… Mais pourquoi diable échoue-t-il à chaque fois ? Caroline, Florence, Marie, toutes ses tentatives ont tourné à la catastrophe… ».34 Là, on va rigoler, assure Miguel. « Oye y ese pito, si es que la rumba es sabrosa así se goza, vaya, bailala mira si es que te pica la mano. Así se goza, así se goza. I’ll never go back to Georgia. Never, never…».35 François Douchet toujours plongé dans ses pensées est rejoint par Patrice Sokolsky, par le péruvien Umberto, par JeanMy Cochois et Nicolas Jiménez Roldan,36 puis d’autres habitués qui viennent d’arriver. A ce petit comité, il glisse quelques mots :
34 Allusion à « Antonio El Macho », textes écrits par Bruno Sanson, Philippe Lepeuple et Jérôme Lucereau dans plusieurs numéros du magazine Brazuca. Cf. N° 31, novembre 2003. 35 « Ecoute et ce sifflet / on s’amuse / c’est que la rumba est bonne / on
s’amuse, danse / si la main te pique / on s’amuse / je ne retournerai plus jamais en Georgie / plus jamais…» Chanson El Pito. Disque : Que carnavales aquellos – Joe Cuba and Sextet. Réf. Fania. 36 Jean-My Cochois promoteur musical français, fut le directeur artistique du Festival Mundo Latino ; il a aussi programmé le Festival « L’été sera show » au Bataclan en juillet et août 2000 et plusieurs autres concerts latinos. Nicolas Jiménez Roldan, d’origine mexicaine, est le directeur de la publication Latinoscope.
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– Vous vous rappelez le premier artiste qui est arrivé à La Peña. C’était Raúl Paz, il venait tout droit des Etats-Unis, je l’avais rencontré par l’intermédiaire d’un ami à moi qui était son producteur. Nous avons discuté et sans même l’avoir entendu rien qu’en parlant, je me suis dit, il va cartonner…, comme le courant est passé entre nous, je lui ai proposé d’être le parrain de La Peña. « D’autres artistes de renom sont passés à La Peña-Saint Germain aussi. A mon sens, ils se sont sentis comme chez eux, que ce soient des artistes latino-américains comme Azuquita, Yuri Buenaventura, Chichi Peralta,37 Luis Felipe Gonzalez, Juanes… ou des artistes français comme Carlos, Dany Brillant, Daniel Auteuil…, ils savent bien que quand ils viennent ici, ils sont chez eux… « J’ai voulu une ambiance conviviale avec des invités, parfois triés sur le volet, pour leur faire partager ma passion pour ce monde latino, qui me fascine tant… ».
Orlando de Cali appelé à de multiples fonctions fut remplacé de temps à autre par le Dj’s Cuco,38 par la suite ce dernier est devenu plus régulièrement responsable des platines. Etant dans la même lignée qu’Orlando, excellant aussi sur la scène musicale, il a offert aux fans la continuité et une nouvelle occasion de venir montrer ses connaissances. Ainsi, Cuco devint le Dj’s attitré de La Peña-Saint Germain, bien qu’Orlando continuât à en être le directeur et le responsable musical. 37 Yuri Buenaventura, musicien d’origine colombienne s’est fait connaître
surtout par l’interprétation en version salsa de la chanson « Ne me quitte pas » de Jacques Brel. Chichi Peralta : musicien originaire de la République Dominicaine, il s’est produit en France à l’occasion du Festival Mundo Latino en 2002. 38 Juan Pablo Martinez Yepez. Il acquit le surnom « El Cuco de la Salsa » lors d’une prestation au Balajo, quand un ami chilien surpris par son agréable prestation musicale le surnomme « Cuco » ; ce mot a plusieurs sens en fonction des pays du continent, soit il se réfère à un animal soit au numéro un ou au vainqueur d’une compétition.
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Cuco s’est rendu populaire parce qu’il a quelque chose d’insaisissable ou, du moins, s’applique à ne pas être classé. Il est plus qu’un de ces amateurs de musique qui existent dans les Caraïbes voire dans son pays natal, il connaît tout d’un groupe ou des formations musicales sans être vraiment musicien, mais il sait associer les genres sans artifice, parce qu’il est capable d’analyser la psychologie du public au goût de la chanson attendue. Fidèle à sa technique de satisfaire ses fans, il incarne son personnage avec soin pour créer ainsi un choc salutaire qui fera que tous ceux qui écouteront les morceaux qu’il a choisis, trouveront du plaisir et la route du bonheur. Il y a donc chez Cuco un plaisir assumé à se jouer des conventions. Avec ce nouveau venu sur la scène de La Peña-Saint Germain, personne ne pouvait désormais rester sans bouger.
IV P
rofitant d’une pause dans les déchaînements du Dj’s Cuco, Roberto chuchote à Isabelle : que penses-tu de ce lieu ? – Il y a six mois, j’ai commencé à suivre des cours de salsa cubaine à La Pachanga, c’était bien, puis, je suis allée danser au Mandunga,39 avec ma copine Ludmilla nous avons entendu parler de La Peña-Saint Germain et avons souhaité la connaître, répond Isabelle, en enchaînant rapidement. C’est vrai qu’ici on trouve un 39 Mandunga, cette boîte n’existe plus.
La Pachanga, au 8 rue Vandamme dans le 14ème arrondissement de Paris.
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lieu plutôt typique pour les franco-latinos à Paris, ce qui le distingue des autres établissements. C’est amusant ! Nous ce que nous voulons, c’est faire la fête. Si l’ambiance de plus est décontractée, tant mieux. Pour moi, tout est lié, la musique et les images. – Moi, je suis architecte et je travaille dans un cabinet d’architecture dans le huitième arrondissement. Actuellement, nous préparons une maquette sur une tour à construire dans le quartier de La Défense. J’ai trente huit ans. Je cherche quelque chose que personne n’a encore trouvé mais qui apportera au projet un élément susceptible de se concrétiser dans l’univers commercial où l’on vit. J’ai un passé mouvementé, un peu chaotique, ce qui peut être normal pour quelqu’un qui vient de l’étranger. Mais, attention n’aie pas peur…, lui annonce Roberto. – Bien, concède-t-elle, pas très rassurée. A condition que tu sois honnête. – Quelle idée ! dit-il en souriant. – Eh ! bien, je tiens à garder certaines valeurs. Ce n’est pas parce que l’on vient s’amuser un peu que l’on fait n’importe quoi, confie Isabelle, avec une certaine détermination. Roberto la regarde soudain comme s’il la connaissait depuis longtemps. Non pas pour son discours mais pour son attitude à l’égard des hommes, elle se comporte comme si elle cherchait dans cette conversation à lui trouver des contradictions. Il en est tout à fait conscient. Cela lui rappelle une anecdote à propos de Tito Rodriguez,40 à l’occasion du 25ème anniversaire du Palladium, à New York, quand il s’adressa lors d’un concert à six femmes assisses à une table non loin de l’orchestre, celles-ci lui demandaient pourquoi il buvait autant, il leur répondit que c’était du thé et leur fit goûter parce qu’elles étaient incrédules, avant d’enchaîner son pot pourri des meilleurs boléros des compositeurs latino-américains.
40 Chanteur et musicien d’origine portoricaine.
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– Je ne demande pas mieux, dit Roberto. Ce que je suis venu chercher c’est un peu de réconfort, pas une relation sentimentale… quoique… Dernièrement je travaille beaucoup et j’ai besoin d’inspiration pour avoir de nouvelles idées. Ah ! J’oubliais ! Ce que tu veux, c’est parler de salsa, s’écrie-t-il. – Eh ! Oui. Avec ma copine Ludmilla nous sommes venues pour danser ; pour retrouver l’ambiance que nous aimons ; pour écouter de la salsa et boire des mojitos ! D’ailleurs la musique qui passe ici nous a permis de découvrir davantage la salsa mais aussi des musiques moins connues comme la bachata, le vallenato, le rock latino… ; dans les cours, on ne nous apprend pas à les danser. Ici, c’est magique, tout le monde danse, même si l’espace est restreint. C’est formidable d’entendre parler espagnol tout le temps même si nous n’y comprenons rien ! Entre éclats de rire et amusements, –Roberto griffonne quelque chose dans son carnet pour noter le numéro de téléphone qu’il demande à Isabelle. – On n’a pas fini. Je croyais que nous danserions toute la soirée. Tu vas déjà t’en aller ! S’exclame-t-elle. Roberto hésite… Il sait qu’il a son projet à finir. Il n’est pas tard mais il ne voudrait pas perdre de temps. Tournant la tête d’un côté, il aperçoit les fêtards exultant de joie, s’amuser, il s’interroge, il hésite… pourquoi ? Il ne le sait pas. Il n’est venu que pour danser un moment cependant la rencontre avec Isabelle le fait changer d’avis d’autant plus que la réalité le rattrape car à cet instant, comme lors d’un brusque changement de décor il entend les strophes de la chanson « Lejos de tí », de son compatriote Angel Canales,41 que le Dj’s Cuco vient de lancer. Elle provoque chez lui de la joie lorsqu’il suit le rythme encore au ralenti ; elle lui rappelle des souvenirs inoubliables qui le touchent profondément ; elle réveille en lui aussi la nostalgie de son pays 41 Ángel Luis Canales est chanteur et musicien de salsa d’origine
portoricaine. Ses principaux succès sont les chansons « Sabor de los Rumberos Nuevos », « Lejos de tí » et « Perico Macoña ». Ángel Luis Canales est surnommé « El Diferente ».
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comme le font d’autres chansons de salsa qui exaltent l’identité portoricaine : « Yo nací en Puerto Rico y me crié en Nueva York pero nunca me olvidaré de mi tierra borinqueña. Nunca podré olvidar… tampoco como se baila... ».42 Il se remet de ses souvenirs. Il hésite encore…, et lorsqu’il contemple Isabelle d’un regard intense, un tressaillement parcourt son corps. N’importe qui éprouverait un plaisir immense dans une pareille situation. Ainsi, il lui propose de continuer à danser. Il se rapproche d’elle et l’embrasse. Elle pointe la sensualité de sa bouche et le regard de Roberto s’éclaircit subitement, la délectation profonde de ce baiser fait comprendre alors à Isabelle à quel point ses sensations de joie étaient justifiées. Il y a une belle note quelque part… Juste à l’entrée de l’établissement un groupe d’amis latinoaméricains, exubérants et joyeux, se retrouve, discute et se raconte des souvenirs qui les ont marqués. Après être allés dîner au restaurant El Sol y La Luna d’Alvaro Lemos, certains ont l’habitude de venir danser. Dans le groupe, on croise Carlos Donoso, Nancy Murillo43 et Liliana, qui tout sourire, parlent de cette soirée comme d’une « belle fête ». En réalité, ils évoquent le 42 « Je suis né à Porto Rico / et élevé à New York / mais je ne pourrais jamais oublier / ma terre borinquenne / Je ne pourrais jamais... / non plus comme on danse...». Chanson Lejos de ti. Disque : Sabor d’Ángel Luis Canales. Réf. Alegre Records. 43 Nancy Murillo est chanteuse et musicienne d’origine colombienne. Carlos Donoso est d’origine colombienne, il est le créateur de l’association Explosión Cultural Latina et de nombreuses activités comme le Festival du Film Documentaire Colombien et le Carnaval Colombien à Paris, entre autres.
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jour où la Colombie était à l’honneur. Liliana raconte donc que ce soir là, ils étaient arrivés plus tôt pour le vernissage de la soirée… Si ce soir-là, il y avait beaucoup de Colombiens, c’était tout spécialement parce que la Colombie était à l’honneur en ce mois de juillet et cela ne pouvait pas mieux tomber puisque ce pays fêtait son indépendance le 20 de ce mois. Radio Latina rendait hommage à cet événement, en transmettant en direct depuis La Peña-Saint Germain son émission « l’officiel de la salsa », animée par Roberto Burgos44 avec de nombreuses personnalités dont Yuri Buenaventura…45 Nancy Murillo, était joyeuse comme la plupart du temps et pleine d’entrain, son élégance concurrençait son esprit festif. Avant la première note de la chanson suivante, qu’ils connaissaient par cœur, on distingua la voix poétique, celle de Nancy, qui avec un güiro à la main, produisait des sonorités rythmées et fortement attrayantes pour que ceux qui se trouvaient à ses côtés décident de ne pas manquer une occasion de s’amuser. « Qué romántica luna, el lucero que es lelo, de mirar en tu valle la mujer que yo quiero. Y el jilguero que canta, calles que se levantan, carnaval en Juanchito. Todo un pueblo te inspira....». 46 Quelques instants auparavant, Yuri Buenaventura et Azuquita avaient improvisé, lors de l’émission en direct à l’antenne de Radio Latina, un duo « à capella » montrant leur talent et leur amour pour la Colombie ainsi que pour le public 44 Journaliste d’origine chilienne, il est l’animateur vedette des musiques latino-américaines sur Radio Latina. 45 Brazuca, N° 27, juillet-août 2004, p.1. 46 « Quelle romantique lune, d’étoile belle / regarder dans ta vallée la femme que j’aime / le chardonneret qui chante / rues qui se lèvent / Carnaval à Juanchito / tout un peuple t’inspire …». Chanson Cali pachanguero - Grupo Niche.
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présent, comme on peut le lire dans le magazine Brazuca47 du Brésilien Aristao Barroso qui consacrait un gros plan sur ce pays, avec des reportages et des interviews de personnalités colombiennes (Miguel Gomez-Martinez, ambassadeur à l’époque ; Maria Luisa Saavedra, Arturo Quintero ; Luis Lema, entre autres). D’autres disent que la soirée d’honneur consacrée au Panamá fut meilleure parce qu’il y avait beaucoup d’ambiance aussi. Bref, ce qui est remarquable, confie José Luis –un des camarades– s’adressant au groupe d’amis avant d’entrer, c’est que ce bar musical est au cœur de la vie culturelle des pays latinoaméricains en citant : la fête de l’indépendance du Mexique organisée le 15 septembre dernier à la salle Wagram ou du concert d’Andy Montañez du 18 octobre au Bataclan. Aussi, nous avons vu passer ici Jaime Tefoya (Mexique) et Doris Ospina (Colombie) exposer leurs œuvres ; le mythique Angel Parra (Chili) parler de son livre et de son disque dans le cadre de l’ « officiel de la salsa » avec Roberto Burgos ; l’acteur espagnol Javier Bardem ; l’humoriste colombien Mariconsuelo ; le tennisman chilien Fernando Gonzalez ; l’acteur français Jean-Pierre Malo ; Luis Enrique Pérez, un des représentants de l’ambassade de l’Equateur ; Pascual Saturrio, Conseiller à la présidence de la République Dominicaine ; Silvia Baleat du cinéma Latina qui a célébré plusieurs sorties de films dans cet établissement... Lorsqu’entre le groupe dans la pièce traversée de lueurs fuligineuses, résonne l’air d’un morceau de salsa connu, attirant, cadencé, dévalant des montagnes rythmiques faites de percussions et de trompettes, invitant les arrivants à mêler leurs envies de chanter et de danser, ce que font aussitôt Carlos Donoso et Liliana. La chose ne semble surprendre personne. D’autant que tous ceux qui les connaissent, savent bien qu’ils viennent pour faire la fête, et comme par magie, on dirait qu’ils viennent toujours quand l’ambiance est excellente. De plus, ils savent transmettre leur joie 47
Cf. N° 37 du magazine.
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de vivre en contaminant le public présent. Miguel Benitez, le barman colombien est radieux avec ses excellents cocktails, il est une mine précieuse de renseignements. Même s’il rencontre énormément de gens, il ne se départit jamais de son amabilité légendaire. – J’aime tout ce qui sort de l’ordinaire, avoue Océane en s’adressant à Christophe. Pour le moment, je n’ai que deux passions qui répondent à mes désirs, la danse et la lecture, déclaret-elle. La première, la danse classique, que je pratique depuis toute petite, c’est pourquoi mon corps est habitué aux mouvements et la deuxième, parce qu’en lisant je découvre d’autres terres inconnues, c’est une évasion. A vrai dire, pour moi les deux font partie de ma vie et remplissent ainsi mon cœur. Christophe comprend alors qu’elle est célibataire. Autrement dit, il peut tenter sa chance. Il la trouve charmante et essaie d’engager une conversation afin d’en connaître davantage sur cette attachante danseuse qu’il vient de rencontrer. Après tout, elle lui plaît, bien que l’approche qu’elle a des musiques latinoaméricaines particulièrement de la salsa, contraste avec la vision débridée qu’il a lui de cette musique. Hésitant, il n’ose pas le lui dire. En l’écoutant parler, il éprouve une sorte de fascination et décide de ne rien laisser passer pour attirer davantage son attention. De ce premier constat, il ressort qu’ils ont des affinités, il pense que tout se mérite et implore un échange, lui demandant son avis sur tout, spécialement sur l’amour et sur la sensualité à danser à deux à laquelle elle avait fait référence. Cela laisse présager de la relation qui les rapproche ou qui est en train de naître. – Aujourd’hui, je vais à des endroits où il y a une ambiance latino parce que les contacts entre les gens s’établissent plus facilement. Pour moi, il y a moins de conventions ou de formalisme que du côté français, même si c’est ma culture. Et la musique fait rêver. J’ai appris à danser en suivant des cours de salsa portoricaine. Mais en allant danser dans d’autres lieux où la plupart des filles ont appris la salsa cubaine ou d’autres styles,
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vraiment, je ne pouvais pas danser, je comprends mieux ce que souligne Jack Przybylski, chroniqueur salsero dans une note dans Ma salsa défigurée.48 Là, vraiment, c’est rude ! Et je suis absolument d’accord avec lui ! s’écrie Christophe. – La difficulté majeure c’est que les élèves se laissent impressionner par les professeurs qui leur transmettent le style sur lequel eux même ont appris. Souvent guidés mécaniquement voire sans sentir la musique, les élèves dansent donc sans différencier les divers genres musicaux. Pour eux, ceci peut paraître normal car ils apprennent à danser sans musique, à bouger seulement les bras et les pieds, sans donner d’importance aux mouvements des hanches ou du bassin. Cela ne permet pas d’ailleurs l’improvisation qui peut être faite par les mouvements du corps au moment d’une danse perçue différemment à un instant donné. Tu apprendras pourquoi il est important de ne pas s’enfermer dans des schémas préconçus, avec un imaginaire réduit à des figures de pas ou de chorégraphies. Enfin, tous ces gestes qui suivent le rythme d’une partition musicale doivent pouvoir être la sublimation d’un arrangement peaufiné où l’on trouve une simplicité sensuelle voire une certaine sensualité quand on danse à deux. Par conséquent au moment de danser à deux, une sorte d’implication intime doit être retrouvée, encore mieux, doit pouvoir se manifester. Ne partagestu pas mon avis ? l’interroge Océane. Christophe est un peu embarrassé. Lui qui voulait danser, si possible rencontrer une fille pour danser toute la nuit, se trouve au cœur d’un discours philosophique sur la danse. Lui qui a appris à danser la salsa avec des chorégraphies, non pas en bougeant naturellement son corps, comme elle le lui explique, mais sur le style portoricain, se sent mal à l’aise et décide de lui proposer : « et si on dansait ! » – Je suis désolée. Tu ne m’as pas dit ce que tu en penses… bredouille-t-elle.
48 Œuvre citée, pp.84-85.
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– Il n’y a rien d’écrit sur la salsa ou comment la danser à deux, marmonne--t-il. – Tu n’as rien à dire sur la question donc. Tu ne satisfais que tes besoins élémentaires, ose-t-elle. Christophe comprend que ce n’est pas gagné. Sous prétexte de partir aux toilettes il appelle son copain Jacques, qui n’est pas loin et la lui présente, il profite de ce moment pour partir. Océane entame la conversation avec Jacques qu’elle trouve plus intéressant que Christophe. Quelques mots de cet aimable échange suffisent pour qu’ils commencent à danser. Entre eux, aucune ambigüité n’est perceptible, à son retour Christophe comprend qu’elle n’est pas attirée par lui. Peut-être sa faute est-elle de n’avoir pas répondu à sa question mais, avait-il vraiment envie de discuter ? Après tout, plutôt Jacques qu’un autre… A la fin, cela reste en famille, se dit-il, en s’éloignant pour chercher une autre partenaire qui voudrait bien lui accorder une danse. José, Marcos, Luis et Pablo deux Vénézuéliens, un Dominicain et un Péruvien, du groupe des latinos se retrouvent à l’intérieur dans un coin, sirotant leurs mojitos tout en continuant la discussion commencée quelques heures auparavant, ou mieux se remémorent des souvenirs de La Peña-Saint Germain. « J’ai fortement apprécié la présence ici de Maraca Valle qui est venu après avoir donné son concert au New Morning et présenté son dernier CD « Lo que quiero es fiesta », vous vous rappelez, nous avons pu mesurer sa cadence et son inventivité à jouer de la flûte, à mon avis, ceci lui a permis de renforcer son image auprès du public qui le connaissait peu et de découvrir cet excellent musicien de la nouvelle génération cubaine. C’était pharamineux ! » raconte José. Pour moi, réplique Marcos, le plus étonnant fut lorsque Dany Brillant, le chanteur français est venu présenter son dernier disque enregistré à Porto Rico où il était allé chercher l’inspiration, quand en sortant de La Peña il déclara « c’est un endroit merveilleux où l’on peut écouter de la musique latine tous les jours… et c’est à Saint Germain des Près. » Eh ! les gars, indique Luis, vous oubliez le Dominicain Luis Miguel del
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Armague, le roi de la bachata qui est venu lancer son dernier album « Abrázame » et a participé à une soirée bachata, en ajoutant, il y a eu également lors du quatrième anniversaire aussi Tata Güines, le percussionniste vénézuélien Orlando Poleo ; puis, nous avons côtoyé également les chanteurs portoricains Luisito Carrión, David Pabón et Frankie Negrón, ce dernier a rendu visite à La Peña au moins deux fois, après son concert à l’Elysée Montmartre ; le chanteur dominicain de bachata Adil Esqueda ; la chanteuse brésilienne Ana Torres ; le chanteur vénézuélien Luis Felipe Gonzalez ; Andrés Viafara de la formation musicale colombienne « Suprema Corte ». Pour moi, commente Pablo : ce qui m’a le plus amusé c’est quand Juanes49 est venu, après son concert à la Scène Bastille, je me souviens qu’il voulait simplement boire un verre, en toute tranquillité, lorsqu’il a voulu jeter un coup d’œil au sous sol, le Dj’s a annoncé son arrivée au micro, ce qui a eu pour effet immédiat de le faire fuir ! Et ne parlons pas de la fête improvisée qui eut lieu, après le concert de Chichi Peralta pour la deuxième édition du Festival Mundo Latino, ce fut épique ! Tous rigolent, c’est l’occasion pour El Che de prendre une photo du groupe. – On l’attend ta photo, José, lui glisse l’un d’entre eux. – Pas de souci, tu la mettras bientôt dans ton album, répond-il, en leur demandant pourquoi ils rigolent autant. – Nous parlons des concerts et des bons souvenirs…, affirme Luis. – Et alors ? lance El Che, faisant semblant d’être un peu déconnecté. – Prends-toi un mojito et viens nous raconter, toi tu dois savoir beaucoup de choses, renchérit Marcos. – Je ne mens jamais lorsqu’on me pose une question directe. Mais moi je préfère parler de toutes les jolies filles que
49 Juanes, de son vrai nom Juan Esteban Aristizábal Vásquez, est compositeur et musicien d’origine colombienne.
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j’ai photographiées, ça c’est visuel, c’est-à-dire que c’est l’image sensuelle de la salsa à Paris, répète El Che. – Bien joué. Alors ! montre-nous, acquiesce l’un du groupe, une nouvelle fois. José sort un des albums qu’il emmène régulièrement avec lui et leur dévoile avec précaution le recueil iconographique dont il dispose, l’œuvre qu’il a entamée depuis plus de quinze ans en parcourant les concerts, les bals, les discothèques, enfin les fêtes salseras parisiennes. Tous restent ébahis par la promenade graphique qui assure rêves et souvenirs, rendant les personnages à l’aboutissement d’une œuvre non voulue, au départ, mais qui émaille la réalité d’une vaste et passionnante quête du pouvoir de la musique et de ce monde en soi. « Mala gente te burlaste de mis sentimientos y ahora te lamentas… Vas a pagarla caro porque a mí ya no me interesas porque eres una mentirosa y una... Mala gente…».50 Roberto après avoir écouté toutes ces chansons qui lui font revivre sa jeunesse et, en agréable compagnie, décide de rester avec Isabelle. Le lendemain sera dur, pense-t-il, mais sa passion pour la salsa lui redonne vie. Entre-temps, il entend les amis dire : « ah ! Roberto est tombé… ». Ce qui ne l’empêche pas de proposer à sa partenaire de continuer la danse. Il évoque avec grâce l’amitié, cette autre façon de parler d’amour. – Tu sais, tu me plais, lui dit-il, en l’embrassant à nouveau. 50 « Méchante / tu t’es moquée de mes sentiments / et maintenant tu
regrettes / tu vas la payer cher / parce que tu ne m’intéresses plus / parce que tu n’es qu’une menteuse et une… / Méchante…». Chanson Mala gente. Disque : Un dia normal (Un jour normal) - Juanes. Réf. Universal
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– Toi aussi, affirme Isabelle, tout en ajoutant, je fais une fête ce vendredi, si tu peux venir, cela me ferait énormément plaisir. – C’est d’accord. Tu habites où ? Ils continuent à danser, comme s’ils étaient seuls sur la piste, inspirés simplement par le désir de danser en couple un morceau de salsa ; ils ont trouvé ainsi l’espace d’intimité qui leur manquait. De son côté, Jacques en faisant danser Océane a compris qu’il fallait être modeste, d’autant qu’elle sait mieux que quiconque s’exprimer avec le corps en suivant la musique. Il sait que ce qu’elle veut, c’est danser, elle n’a plus envie de parler... et ça ! Christophe ne l’avait pas compris, sans pourtant connaître la teneur de leur discussion. – Je m’appelle Jacques, lui dit-il. Je ne danse pas bien la salsa, j’improvise en fonction de ce que je vois et de ce que je ressens ; je ne parle pas non plus espagnol. – Moi, c’est Océane. Ce n’est pas un problème, l’important est de s’amuser, c’est pourquoi nous sommes là, n’estce pas ? Je suis française et j’ai peut-être un avantage sur toi, je parle espagnol, par conséquent je comprends les chansons et, la danse est ma passion aussi, ajoute-t-elle tranquillement. Jacques se laisse guider par sa partenaire, « c’est presque déraisonnable », remarque d’un air grincheux Christophe qui contemple la scène en buvant un verre de whisky à côté du bar. D’heure en heure, la tendance festive se confirme : le public se fait plus nombreux, de même que les « chanteurs » fictifs surgissant de partout, inspirés certainement par l’alcool, forment à l’unisson des voix une chorale presque familiale qui ne signifie rien, tellement les accords sont désastreux. Vers minuit déjà, la plus part des habitués sont arrivés. François Douchet, comme à son habitude, les reçoit cordialement réservant une accolade amicale à certains, tandis que el Che, qui est là aussi, profite pour prendre encore des photos. Remarquons, à
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ce moment, la présence des personnalités : le photographe Jean Marie Perrier, le réalisateur Olivier Marchal, le chanteur Hervé Vilard, la chanteuse mexicaine Guadalupe Pineda, le chanteur Patrick Juvet, le scénariste Simon Michael ainsi que le mannequin Karen Mulder… Saluts, poignées de main, courtes discussions… La seule spécificité, c’est la conscience partagée par tous que venir là, c’est pour s’amuser. Des personnalités aux gens ordinaires, qu’ils soient représentatifs ou non, les participants à La Peña-Saint Germain par la diversité des profils, se révèlent ainsi être les acteurs particuliers mais des acteurs quand même du lieu qui composent sous une autre perspective, l’assistance présente à cette réalité festive. Sur le moment, Jacques a le sentiment que tout est impeccable pour lui. En quête d’une meilleure compréhension de sa partenaire, il retrace avec subtilité sa personnalité, voire sa sensibilité pour la musique, cherchant même au travers du discours qu’il avait à peine entendu lorsqu’elle discutait avec Christophe à propos de la danse ; il essaie de mieux la comprendre avant d’entamer une discussion, il l’imagine alors d’une façon presque palpable dans les rapports qui régissent l’homme et la femme quand ils dansent. Mais sa réflexion concerne seulement la salsa, c’est-à-dire, son ambiance, son monde… , a-t-il tort ? –se demande-t-il. Il pense que la salsa apporte aux individus une existence temporaire, en effet, une sorte d’extase lorsqu’on la danse. Or, se rappelle-t-il, après avoir vu un jour des danseurs de tango, il s’était fait la réflexion alors que ce dernier autant que d’autres musiques pour danser en couple entraîne les danseurs « dans son jeu osé et ambigu », comme le souligne Elena Oulissova51 se référant à ce dernier.
51 « Le tango mon plaisir amer », in Pour, « Danse, Education et Société », GREP, N° 145, 1995, pp.123-125.
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« Yo sé que tú mi amor, no podrás olvidar, los besos que te dí, en tu boca sensual… Aquí en Caracas estoy pensando sólo en tí… Tú me recordarás…»52 Finalement l’important c’est de vivre intensément ces moments, –se dit Jacques. Partager dans une ambiance qui lui est familière, même s’il n’en maîtrise pas tous les codes ce n’est pas pour lui un handicap. Ému de danser, il reconnaît que l’illusion est parfaite et dans ces conditions là, il ne lui manque rien, sauf évidemment l’essentiel : que son ami Christophe trouve une partenaire pour danser…
52 « Je sais que toi mon amour / tu ne pourras pas oublier / les baisers
que je t’ai donnés / sur ta bouche sensuelle… / Je suis ici à Caracas / en pensant seulement à toi / Tu te rappelleras de moi…». Chanson Pensando en tí (En pensant en toi). Cheche Mendoza.
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V L
e vendredi comme convenu Roberto se pointe chez Isabelle vers vingt heures. Elle donne une petite fête pour des amis ce soir-là. Il frappe à la porte, Isabelle, vêtue d’un tailleur bleu, toute radieuse, le reçoit agréablement. Il lui a apporté un bouquet de fleurs. Au salon deux couples, Sandrine, Michel, Laetitia, Louis et sa copine Ludmilla sont assis, ils attendent d’autres amis qui doivent bientôt arriver. Après l’avoir fait entrer et l’avoir présenter aux autres convives, elle l’invite à la cuisine et lui murmure à l’oreille : « On ne s’embrasse pas, je ne veux pas qu’ils sachent…,
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au moins pas maintenant… ». Roberto reste un peu perplexe mais il comprend vite la situation. – Vous êtes latino-américain, n’est-ce pas ? s’enquiert Sandrine. – Oui, originaire de Porto Rico, répond Roberto avant d’ajouter, c’est difficile à expliquer. Vous savez Porto Rico n’est pas un pays mais « un territoire rattaché et appartenant aux ÉtatsUnis mais non une partie des États-Unis ». Porto Rico est soumis aux pleins pouvoirs du Congrès sous la « Clause territoriale » de la Constitution américaine. La loi fédérale des États-Unis est applicable à Porto Rico même si l'île n'est pas un État de l'Union et n'a pas de représentant ayant pouvoir de vote au Congrès américain. – On connaît peu de choses de cette île, ajoute Louis. – C’est vrai ! En fait, l’île de San Juan de Porto Rico appelée par les Indiens, Borinquen, est l’une des quatre grandes Antilles. Par ailleurs, les Portoricains ne souhaitent pas l’indépendance des Etats-Unis, vu les ressources dont ils disposent, ils savent bien qu’ils seraient vite condamnés à la famine. Chaque fois que je peux, je m’efforce d’expliquer un peu son histoire sans oublier de dire que les États-Unis font la loi dans la région, comme ils l’ont fait avec Cuba en décrétant l’embargo depuis presque soixante ans. Si vous me permettez, j’ajouterai que lorsque vous entendrez dans une chanson de salsa les mots « Borinquen » ou « areito », (bal), ils proviennent de Porto Rico, ceci est une démonstration que la salsa, c’est nous, les portoricains qui l’avons inventée, argue-t-il avec fierté. – J’entends parler de salsa comme d’une danse exotique, propice pour la drague, je l’ai déjà vu danser, elle me rappelle la mode de la chanson La lambada, avec ses jolies filles qui se trémoussent, mais personnellement je ne danse pas, concède Michel. – Et la salsa, vous la dansez ? je la trouve difficile avec toutes ces chorégraphies que l’on voit, dit Laetitia. – Vous vous trompez, c’est facile à danser, jure Roberto en faisant un clin d’œil à Isabelle.
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– C’est vrai ! surtout lorsque l’on danse avec un bon cavalier, dit Isabelle, en souriant agréablement. – Ce sourire dissimule quelque chose, grimace Sandrine. – D’accord, d’accord… vous voulez un sourire sexy, alors ! murmure Isabelle. – Je suis de l’avis d’Isabelle… poursuit sa copine Ludmilla. Roberto réclame à Isabelle son manteau et cherche son mp3, après s’être assuré qu’il l’a, il propose à Isabelle de le connecter sur son ordinateur ou sur sa chaîne afin de leur faire écouter quelques chansons. Tous acquiescent en levant leurs coupes de champagne. Roberto semble content, flatté il entame avec légèreté quelques pas avec Ludmilla. Et comme si cette musique lui appartenait, il lance à tous : – Vous le savez autant que moi, les hommes désirent les femmes, et les femmes désirent être désirées… alors ! un pas de salsa est toujours nécessaire pour commencer. Pour ceux qui ne savent pas danser, ce n’est pas grave, il faut se laisser aller, venez ! Tous commencent la séance, verres à la main. Ils peuvent remercier Roberto de ce cours personnalisé, original et décontracté qui fait prendre conscience que cette musique, n’importe qui, peut la danser. L’aventure est lancée lorsque les autres amis arrivent, Gaëlle, Nathalie et Olivier qui se retrouvent sur une merveilleuse piste de danse. Il ne leur reste plus qu’à se servir à boire et se joindre à l’apprentissage. « Yo canto salsa porque en la salsa, encuentro siempre lo que hace falta, para cantarle a mi sufrimiento, lo que no cabe en un ritmo lento. Y con la excusa de su sabor… Le pongo música a mi dolor... ».53 53 « Je chante salsa parce que dans la salsa / je trouve toujours ce qui me
manque / pour chanter ma souffrance / ce qui n’entre pas dans un rythme lent / et avec l’excuse de sa saveur / je mets ma douleur en musique…».
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Les filles sont contentes et se trémoussent paisiblement avec une envie de faire la fête. Nathalie et Olivier ne dansent pas. Tous les autres s’amusent en dansant. Conscient du retard à rattraper, Michel comme un joueur agressif qui n’hésite pas à bluffer, tente de montrer ce qu’il sait faire. Mais ses mouvements brusques en dérangent plus d’un, même sa copine Sandrine. En fait, il rappelle l’un des personnages que l’on retrouve dans presque toutes les boîtes de salsa, La Tornade, dont l’espace minimaliste pour danser est de dix mètres carrés, autrement vous vous prendriez vite le coude ou le talon, voire même sa main dans la figure…54 Mis à part cela, Michel face à ses amis sait garder son « calme » tout en laissant transparaître ses émotions. – Attrape ta partenaire ainsi..., ta main gauche avec la sienne, ta main droite sur les hanches, sur l’épaule, tourne-toi légèrement de ce côté-là …, explique Roberto à Michel gentiment. – Vous voyez, c’est facile à danser, insiste-t-il. Mais comble de malheur, personne ne veut danser avec Michel. Il paraît déçu et s’assoit malgré ses efforts d’apprentissage. Caroline, Ludivine et trois autres amies, après avoir fini leur cours de salsa décident d’aller au restaurant avant de passer à La Peña-Saint Germain. C’est la première fois qu’elles y mettront les pieds, conseillées par leur professeur afin de pratiquer davantage. En arrivant, elles trouvent un emplacement plutôt original, qui contraste justement avec un bar musical, qui invite à la fête mais, au fur et à mesure que le temps passe l’ambiance se fait plus conviviale et plus joyeuse. Une véritable visite festive où tout le monde peut danser, ce qui est plutôt bien, –se disent-elles. Cependant Caroline, Ludivine et ses trois amies ne resteront pas longtemps à danser seules. Elles ne sont pas tout à fait habituées à danser en couple car pendant les cours elles ne l’ont pas fait ou pas Chanson Yo canto salsa (Je chante salsa). Disque: Lo que pide la gente (Ce que les gens demandent) – Fania All Stars. Réf. : Fania – slp 629 54 Cf. Escalona, Op. cit., pp.104-107.
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appris. Par chance, elles se trouvent confrontées à de vrais danseurs, en somme, à de galants cavaliers qui manifestement veulent simplement danser et non pas faire des pirouettes. Elles sont agréablement surprises et éprouvent un immense plaisir à se trouver dans ce lieu sensible : symbole de fête latine. Elles s’aperçoivent qu’une grande partie des danseurs, filles et garçons, dansent différemment du style qu’elles connaissent. Après avoir vu la manière spectaculaire dont ils bougent leurs corps et enchaînent les pas, voire les vingt pas de la « cañandonga »,55 obligatoires de tout « salsero caleño », elles entreprennent de donner un sens à leur présence, en mettant en application de façon ludique leurs connaissances visuelles. Il n’en reste pas moins que l’inspiration n’est pas au rendez-vous. Les cinq filles sont vite invitées à danser par des partenaires qui les impressionnent par leur façon de les guider et par les multiples manières de déhancher leurs corps. Caroline, après avoir dansé à plusieurs reprises, regagne le coin où ses copines sont assises, elle leur glisse : si j’avais su que ce lieu existait, je n’aurais pas pris des cours pour danser la salsa mais je vous aurais proposé de venir directement ici, au lieu de perdre notre temps à tourner en rond durant des mois pour faire des pas…, ça paraît tellement simple quand on danse, enfin, quand on les voit danser que l’on peut se demander…, puis, il y a aussi le Dj’s que j’entends appeller « Cuco », il a l’air vraiment gentil et professionnel, c’est énorme ! Enfin, c’est comme si on était dans une fête de famille. Mais le plus sublime est que Carlos, mon partenaire de danse, m’a dit : « que j’étais la plus belle ! » – C’est qui Carlos ? demande Ludivine. – Qui ? Qui ? C’est lequel ? dis-nous, insiste Sophie, une autre amie.
55 Allusion aux pas nécessaires que tout salsero doit savoir faire pour
participer aux marathons de danses qui se réalisent pendant la « Feria de la Caña del Azúcar » en Cali, Colombie.
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Caroline n’a pas le temps de leur répondre que Carlos revient pour l’inviter à danser encore une fois, ce qu’elle ne refuse pas, bien entendu.
« Si huele a caña, tabaco y brea, Usted está en Cali, ay mire, vea!... Si las mujeres son lindas y hermosas… Aquí no hay fea para que veas. En Cali mira… se sabe goza…».56 Chez elle, Isabelle propose aux danseurs et aux autres convives de passer à table. Le dîner commence et, Laetitia remercie Roberto pour ce cours improvisé et sympathique. C’est l’occasion pour Olivier –qui n’avait pas dansé d’ailleurs- de questionner les convives : – Ne vous laissez pas impressionner par ces danses à la mode. Mon avis sur la salsa est que c’est une musique comme d’autres musiques pour se divertir. Pourquoi chercher l’exotisme ? demande t-il. – Moi je ne suis pas de ton avis, on a besoin d’exotisme, c’est vrai qu’en France on manque de musiques pour danser en couple, mis à part ce qui se fait dans les guinguettes ou avec le tango, d’ailleurs tu y vas toi danser là-bas ? Rétorque Laetitia. – Je crois que tu ne te rends pas compte mais, je pense que tu te trompes, ajoute Ludmilla s’adressant à Olivier. 56 « Si ça sent l’alcool / tabac et goudron / vous êtes à Cali / eh :
regardez, voyez / Si les femmes sont belles et charmantes / ici il n’y a pas de moche à voir / A Cali, regarde, on sait s’amuser…». Chanson Oiga, Mire y Vea. (Ecoute, Regarde et Voit). Disque: Sencillos y Otros – Orquesta Guayacan.
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– Exactement, je suis de ton avis Ludmilla, renchérit Nathalie, sa copine. Je pense que tu dis ça Olivier parce que tu ne sais danser sur aucune musique... C’est un peu aussi ta façon de voir et d’agir, d’ailleurs comme beaucoup d’autres gens car ils ne dansent pas ou n’apprécient aucune musique. – Moi la salsa me rappelle les vacances en Espagne, le soleil, la sensualité qu’elle recèle et ces gens toujours joyeux, même si je n’y connais pas grand-chose, mis à part ce que je viens de danser ce soir, ah ! ah ! ah ! dit Sandrine avec humour, tout en demandant à Roberto son avis sur la question. – Quoi d’étonnant dans cette vision ? Attention, dit Roberto l’image que certains ont de la salsa correspond bien à celle justement de La lambada où des jolies filles en petites jupes se trémoussent…, je vous dis NON ! Ce n’est pas ça, la salsa, vous vous trompez…, il boit un verre de vin et continue : connaissezvous ses origines ? Le terme « salsa », est né dans les années soixante du siècle passé mais, l’histoire de cette musique remonte à la conquête de l’Amérique et elle rappelle justement une culture qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire du continent latino-américain et qui en rappelle directement un des épisodes les plus douloureux et en même temps des plus fructueux pour l’avenir des terres découvertes et colonisées par les Espagnols : la traite des Noirs et le développement de l’esclavage, du XVIème au XIXème siècle. Issue d’une longue maturation des musiques afrocaraïbes principalement afro-cubaines, la salsa comme son nom l’indique, littéralement la « sauce », est un mélange de rythmes, de genres et de styles transposés dans le creuset new-yorkais, à la suite du formidable exode qui, dans les années soixante, précipite des centaines de milliers de personnes des campagnes vers les villes, et vers ce qui, aux yeux de certains, passe pour un Eldorado et se révélera parfois être un enfer : les Etats-Unis. Elément fédérateur, la salsa, dont chaque pays de la zone caraïbe s’attribue tour à tour la paternité, vaut d’abord par son rythme, ses sonorités, ses percussions. On lui attribue trois caractéristiques essentielles : la base du son cubain avec l’incorporation du trombone, la référence au « barrio » quartier, en l’occurrence le Bronx, avec son
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esprit festif, sa violence, sa vitalité et l’appartenance revendiquée à la communauté latino-américaine. C’est aussi un élément de différenciation par rapport au rock. Attachée avant tout à rendre compte des événements de la vie quotidienne, la salsa vaut aussi par ses paroles, rarement innocentes ou réductibles à des onomatopées rythmées. La violence, la vie et la mort, la politique s’y croisent selon les tempéraments des auteurs et de ses interprètes. Violence de la rue, violence de la prison où certains musiciens ont séjourné pour usage de drogue, ce qui explique la violence des titres, des paroles, de la musique : accélération intense du rythme, crescendo du piano jusqu’au climax où les timbales se déchaînent pour entamer la forte « descarga » finale. Enfin, la salsa c’est aussi une manière de vivre, une conception de l’existence des rapports particuliers à l’autre. On y retrouve l’esprit de la fête, avec sa vocation à la globalité qu’Octavio Paz57 a soulignée dans certains de ses essais, et parfois la nostalgie prégnante des exclus ou des opprimés. Elle est aussi l’expression d’un certain machisme dans sa définition de l’amour et dans son système de représentation de la femme. Dans les années quatrevingt, la politique y fera irruption minoritairement, avec le Panaméen Rubén Blades, parolier et chanteur percutant et inspiré … – Qu’en dis-tu ? Demande Sandrine à Olivier. – Je ne peux que remercier Roberto pour cet éclairage historique qui me dépasse, tellement je ne connais rien sur ce sujet. Bravo ! se défend-il avec amabilité. – Moi j’avais commencé à aimer la salsa la première fois quand j’avais vu les « papis cubains » c’est-à-dire, Compay
57 Ecrivant mexicain (1914-1998) de renommée internationale pour son
immense œuvre littéraire de poésie, d’essais, etc., qui abordent la thématique des Indiens, de l’identité mexicaine ou de la culture latinoaméricaine contemporaine. En 1981, il reçut le prix Cervantes et en 1990, le prix Nobel de Littérature.
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Segundo58 et son groupe au Palais des Congrès, c’était fascinant ! dit Ludmilla. – Excuse-moi encore une erreur d’appréciation, explique Roberto en s’adressant à l’ensemble des convives : d’une manière générale, le continent sud-américain présente une diversité de musiques qui comprend la musique traditionnelle de chaque pays voire de chaque région dont le tango, la musique cubaine et la salsa. Bien que, pour cette dernière, son origine se fonde sur le son montuno,59 on ne peut confondre la salsa avec la musique cubaine ou vice-versa… Pour ce qui est de la genèse salsera à Paris, je vous recommande l’ouvrage Ma salsa défigurée60 qui retrace l’arrivée de cette musique à la fin des années soixante-dix avec le concert du groupe La Típica 73 emmené par Cheo Feliciano,61 qui lance le chanteur Luis Camilo Argumedes, mieux connu comme « Azuquita » et décrit comment cette musique s’est développée, comment elle est consommée et comment elle est perçue par le public parisien. Ce motif de discussion fournit à Isabelle le prétexte pour proposer une « sortie salsa ». Elle estime que celle-ci sera un voyage initiatique pour découvrir l’univers de cette musique et de son ambiance. Tout le monde est d’accord. Elle désigne Roberto en tant qu’organisateur, tout en lui demandant s’il connaît un restaurant latino pas loin de La Peña-Saint Germain qu’il pense le plus approprié avant d’aller s’amuser. Roberto acquiesce. Heureusement qu’il a ses références.
58 Compay Segundo, chanteur et musicien de
« son » d’origine cubaine; son vrai nom était Máximo Francisco Repilado Muñoz. 59 Rythme traditionnel cubain. 60 Chez éditions L’Harmattan, 2001. 61 Chanteur et musicien de salsa d’origine portoricaine.
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Caroline et Carlos, à La Peña-Saint Germain, après avoir dansé, rejoignent le groupe d’amies de celle-ci. Caroline leur présente le danseur qui lui plaît beaucoup et ils repartent aussitôt danser. Juste avant de partir Carlos présente ses amis aux filles. Oscar, l’un d’entre eux invite Ingrid à danser. – Je m’appelle Oscar et toi ? – Ingrid. – Tu parles espagnol ? l’interroge Oscar. – Non. Et toi tu es de quelle origine ? Lui demande-t-elle. – Je suis péruvien… – Tu sais, tu danses bien la salsa, lui annonce-t-il. – Ah bon ! C’est la première fois qu’on me dit cela. Tu le dis pour me faire plaisir, dit-elle. – Mais non, c’est vrai que tu danses super bien. Depuis un moment, je te regarde et tu sais, tu es vraiment la plus belle de toutes… – Merci, c’est gentil. Je suis touchée. – « Es verdad, eres la más bella » (c’est vrai, tu es la plus belle)… – Merci. Pendant ce temps là Yván, équatorien et Rodolfo, colombien, deux des amis de Carlos, s’approchent. Yván entame la conversation avec Sophie et Rodolfo invite Ludivine à danser : – Comment tu t’appelles ? – Ludivine. – Moi c’est Rodolfo… – Tu sais, tu danses bien la salsa, lui annonce-t-il, tout en profitant pour la serrer davantage. – Merci, ça fait à peine trois mois que j’ai commencé à suivre des cours. – Ah ! c’est pour cela que tu danses super bien. Flattée, Ludivine s’abandonne, troublée par Rodolfo qui la serre encore plus en l’empêchant de bouger et lui chuchote à l’oreille : tu sais, tu es la plus belle de toutes… Profitant d’une pause ils se retrouvent tous pour faire plus ample connaissance, Rodolfo, Yván, Oscar et Carlos se prennent
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un mojito et les filles chuchotent entre elles leurs impressions : Ludivine se penche vers ses amies en disant, Rodolfo danse super bien et en plus il m’a assuré que « j’étais la plus belle de toutes ». Ah bon ! s’étonne Ingrid, c’est drôle Oscar m’a dit exactement la même chose, que je danse super bien et que j’étais la plus belle de toutes… . En prenant congé, les amis d’Isabelle la remercient pour cette belle soirée, bien réussie et conviennent d’attendre son coup de fil pour l’adresse du restaurant. Isabelle propose à Roberto un dernier verre avant de se quitter, ce qu’il accepte volontiers. – C’était bien ta soirée et tes amis sont très sympathiques. – Merci. – Et si on dansait ? dit Roberto. – Super, répond-elle. Isabelle se lève, pose son verre sur la table et s’approche de lui. Roberto cherche dans son Mp3 une chanson plus appropriée pour la circonstance, ils commencent à danser tout en s’embrassant langoureusement. Elle lui fait des caresses élaborées. Il répond en pressant de ses lèvres la bouche fraîche d’Isabelle, lèche le bout consentant de sa langue. L’embrasse sur la poitrine. Tout son corps s’émeut, en réclamant davantage… Dans un mouvement magnifique, elle se place pour mieux le sentir, répond par des caresses sur sa peau en glissant ses mains sous les vêtements... On pourrait dire que leurs deux corps ne font qu’un. Elle sent la douceur de ses mains, dans cet enivrement sensuel, elle se donne à lui… et, ils font l’amour sur le canapé, sur le tapis, dans la chambre où ils comblent tous leurs désirs. « He llenado tu tiempo vacío de aventuras no más, y mi mente ha parido nostalgias sin quererlo yo… Hasta en sueño he creído
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tenerte devorándome…».62 La mélodie de la chanson les imprègne de sensualité, ils continuent à s’embrasser jusqu’à ce que s’achèvent toutes les chansons qu’il avait programmées. Chaque seconde renforce l’intimité qui s’établit entre eux. Des intuitions sans images les transmutent en complices volontaires d’un rêve partagé. Au lever du jour, ils se réveillent, s’embrassent longuement à nouveau, puis, Roberto lui exprime son plaisir d’être avec elle et de l’avoir rencontrée. Il s’apprête à la quitter lorsqu’elle lui glisse : « après le dîner ou, plutôt après la fête, ce soir, nous reviendrons ici, j’aimerais rester avec toi… ». – Je serai là . A ce soir ! lui assure-t-il l’embrassant encore une fois.
62 « J’ai rempli ton temps vide / seulement d’aventures / et ma pensée a
eu la nostalgie / sans que je le veuille…/ même dans les rêves j’ai cru / que tu me dévorais…». Chanson Devórame otra vez. (Viens, dévore-moi). Disque : Un nuevo despertar (Un nouvel réveil ) – Lalo Rodríguez. Réf. Top Hits 10216093.
VI I
l faut dire que lorsqu’il s’agit de boire un verre, les amis trouvent toujours un lieu où le faire. Le rendez-vous est donc pris pour ce jour là, à La Peña-Saint Germain. Elohim, Florencio, Gilberto arrivent les premiers, ils rencontrent Nicolas Roldan qui vient distribuer le Latinoscope63 de l’année. Cette occasion est d’autant plus intéressante qu’elle leur fournira un prétexte pour la discussion de la soirée. Tout est bon 63 Publication représentant l’annuaire du monde latino en France ; à l’écriture de ces pages, elle en est à sa septième édition.
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pour parler, c’est ce qui fait la beauté et la magie de ces rencontres. Ainsi Gilberto avec sa connaissance du monde latino souligne : « Depuis que je suis en France, à Paris, j’ai vu circuler beaucoup de revues sur l’Amérique latine, certaines ont eu une vie tellement éphémère que l’on peut se demander quel en était l’objectif ? » – Comment peux-tu dire cela ? Que veux-tu dire ? demande Florencio. C’est plutôt un point positif, tu sais bien que c’est à partir des années quatre-vingt avec la publication « Sol a Sol » que l’affaire a commencé. Après, il y en a eu tellement que nous ne savons plus combien. Je peux quand même citer : El Correo de Macondo, Los Latinos Magazine, Europa Latina, Revista Latina, Arriba Latino, Radio Latina Magazine, Latina News, Brazuca, Latin Paris, Latitud ; Latinoamérica al día…; seule cette dernière revue parait toujours. Puis, d’autres de moindre envergure ont aussi circulé, comme Culture Latina, Expresión Latina... Enfin, l’important c’est que toutes ces publications ont permis de consolider le réseau social et culturel latino-américain qui s’est développé davantage depuis deux décennies et s’est encore accru aujourd’hui à l’heure d’internet. – En effet, d’une façon ou d’une autre, ces magazines ont permis de tisser des liens entre les latino-américains et de trouver un moyen pour s’informer, aussi minime soit-il, renchérit Florencio. Tout en poursuivant : ce qui est curieux c’est que la plupart ont tourné autour voire donné une importance considérable à la musique, que cela soit dans « Latina Magazine » dans « Salsa Rumba Magazine », particulièrement consacrés à la salsa ou dans d’autres revues à vocation plus culturelle… Ces publications ont donc permis la promotion des restaurants, des concerts et de donner des informations sur les principaux clubs de salsa à Paris ou sur les cours de salsa, etc. Autrement dit, cela ne peut qu’être bénéfique pour nous. – Les verres sont vides, allez ! Une nouvelle tournée de mojitos, Nicolas tu t’en prends un? demande Elohim, avant de commander. – D’accord, d’accord…, murmure-t-il.
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Antonio et Ygor arrivent du concert de Tito Rojas64 qui a eu lieu à l’Elysée Montmartre. – Salut tout le monde ! disent-ils. – Alors ! Il était bien ce concert ? demande Gilberto. – Super… Sacré ambiance…, et plein de filles à croquer, répond Ygor. Comme nous avions rendez-vous avec vous, nous nous sommes éclipsés à la fin de la première partie... Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir Tito Rojas, même si c’est le temps d’une chanson. Puis, il commande deux mojitos et dit : on va demander à Cuco de mettre une de ses chansons, pourquoi pas ? – Attends, attends ! dit Gilberto, en prenant l’air d’un chef de troupe, pour les mojitos c’est bon mais selon moi, Tito Rojas n’est pas le meilleur, je préfère Gilberto Santa Rosa65. La discussion s’enflamme. – Que connais-tu de Gilberto Santa Rosa ? lui reprochentils. Tu l’as vu seulement une fois quand il est venu jouer à Paris. – Vous racontez n’importe quoi, dit Gilberto, en haussant légèrement la voix. – Allez ! Allez ! On se calme…, écoutons plutôt ce que vient de lancer le Dj’s Cuco, sans le savoir, il nous donne raison, dit Florencio, en se moquant de Gilberto : « Si tú habías pensado por un minuto que el sabor de este negrito se había terminado, estás equivocado estás recontra equivocado... Si tú me preguntas dónde estaba yo... Estaba preparando mi sabor... ».66
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Chanteur et musicien de salsa d’origine portoricaine. Il est surnommé « El Gallo ». 65 Chanteur et chef d'orchestre de salsa d’origine portoricaine. Il est surnommé « El Caballero de la salsa ». 66 « Si tu avais pensé seulement une minute / que ma joie était finie / tu t’es trompé / tu t’es bien trompé / Si tu me demandes où j’étais… / je
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Ecoute Gilberto ! même Roberto Roena se moque de toi avec sa chanson « Estás equivocado…, estás recontra equivocado », se moque Antonio… Francisco, Javier et Manuel reviennent de la discothèque El Globo, malgré l’ambiance sympathique qu’il y avait, ils ont préféré rejoindre leurs amis. Notons au passage que la rencontre entre amis est une habitude à La Peña-Saint Germain. C’est une tradition sacrée voire une espèce de rite de pouvoir se retrouver tous et boire un ou plusieurs verres ensemble. Cette rencontre renvoie à un positionnement culturel selon lequel les relations s’établissent en fonction des rapports qui existent entre les uns et les autres et en fonction des besoins. Ces rencontres jouent le rôle de famille, notamment de catalyseur d’amitié dans ces confins du monde éloignés de leurs propres mondes. Dans ce lieu précis, les rapports s’établissent entre les gens selon quatre dimensions : occuper l’espace pour danser ; boire un verre comme si l’on était chez soi ; partager les règles d’usage avec les autres et enfin, proposer une certaine « image » de soi. Dans ces conditions, certaines formes de rassemblement amical sont étroitement liées à l’appartenance communautaire ; être membre d’un groupe n’est inscrit nulle part, seul prévaut le fait d’en faire partie et de s’identifier aux codes et règles de fonctionnement. Ainsi, l’un des aspects les plus notables, c’est la mise en lumière du comportement de chacun lorsqu’il est dans le groupe : la gentillesse, le sens de l’humour, la courtoisie qui ne se réduit pas aux conventions formelles des courbettes lorsque les garçons invitent une fille à danser ; cependant les fonctions de hiérarchisation qui s’établissent font ressortir des traits ancrés culturellement qui dépassent les clivages de cette harmonie qui les caractérisent. – Qu’est-ce qu’il y a ? Vous êtes un peu crispés, questionne Francisco, le premier. Vous n’êtes pas venus ici pour faire ces tristes mines.
préparais ma saveur…». Chanson Estás equivocado (Tu te trompes). Disque: Regreso (Retour) - Roberto Roena y su Apollo Sound.
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– Gilberto, vous le connaissez, il croit tout savoir, lui répond Florencio, tout en lui demandant : « El Globo, c’était bien ? Il y avait du monde ? » puis sur un ton autoritaire : « buvez un verre ! » – Ça commençait à se remplir, j’ai l’impression qu’ici il y a plus de monde que là bas, n’est-ce pas ? dit Javier en s’adressant principalement à ses deux compagnons. – C’est pourquoi nous sommes ici, souligne Gilberto, un peu apaisé. – Justement, je crois que nous sommes un groupe d’amis qui veut prouver que l’amitié est importante ; certes nous ne sommes pas en Amérique latine mais nous y faisons référence en permanence lorsque nous discutons, mieux encore nous agissons ou nous nous comportons comme si nous étions là bas. Preuve en est par exemple, à l’heure de régler l’addition, là, il n’y a jamais personne, dit Francisco avec clairvoyance se remémorant d’autres situations. – Ne t’inquiète pas Francisco, l’important, c’est de vivre le moment ! souligne Gilberto. A cet instant, le Dj’s Cuco, comme à son habitude annonce au micro l’arrivée de Maritza Arizala « La reina de la salsa colombiana », qui toute souriante salue les uns et les autres. Florencio l’invite aussitôt à danser. Le groupe d’amis augmente, c’est encore une nouvelle occasion pour Elohim d’ordonner : « Eh ! Barman…, une nouvelle tournée de mojitos, por favor ! » La discussion se focalise cette fois sur les cours de salsa : « en fait, je vous dirai ce que j’ai vu ; ou si vous préférez ce qu’il me semble avoir vu et vous pourrez juger par vous-même. La plupart des danseuses voulaient danser à la mode de « la rueda », avec des tours par ci, des tours par là…, certains danseurs s’efforçaient bien de danser manifestement avec une certaine joie et sur un autre style mais la plupart des filles préféraient les éviter ; moi-même j’en ai rencontré une qui m’a dit : « que je n’étais pas dans le tempo –de la musique– car je ne la faisais pas tourner… », insiste Ygor, en souriant.
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– Et tu as fait quoi ? l’interroge Gilberto. – Je l’ai laissée sur la piste : ahahahah ! – Bien fait ! le conforte Gilberto sûr de lui. – C’est curieux, n’est-ce pas ? d’abandonner quelqu’un avec qui l’on danse, sans réaction de sa part, puis tout à coup de se demander pourquoi l’avoir fait, –avoue Ygor, avec un sentiment de culpabilité. Je n’arrive pas trop à l’exprimer. J’aime de moins en moins aller danser, non pas parce que les gens « savent danser la salsa » maintenant, mais parce que ce que veulent la plupart des gens c’est faire des chorégraphies, avec comme motivation principale : « impressionner la galerie ». Ceci vous le voyez partout : à la fête de Radio Latina au Chalet de la Porte jaune, dans les divers clubs ou discothèques, dans les concerts… – Ça me fait penser –rétorque Elohim– à ce que disait Jack « El Oso », pourquoi faire simple si l’on peut faire compliqué ? : « On est loin de l’époque où dans une soirée salsa, on ne trouvait guère que quelques latino-américains sachant danser, et une foule de badauds se trémoussant « au feeling ». Aujourd’hui, tout le monde prend des cours. De quoi intimider les néophytes. Encore un peu, on ne pourra plus aller danser sans avoir passé son DESS « Danseur de salsa »…67 – C’est vrai que ces temps sont révolus, mais le mal est fait, c’est de cette façon que beaucoup ont appris à la danser, c’est pourquoi nous venons plutôt à La Peña-Saint Germain : heureusement qu’ici l’on peut danser comme on le souhaite, « plus pour s’amuser que pour entrer en compétition », assure Gilberto, confiant et fier de lui. « Barman, tu remets une tournée pour tous, por favor ! – ordonne Elohim, une nouvelle fois. – Vous savez qu’au mois de mai prochain je pars en Equateur, dit Ygor. Je vais « recharger les piles », après cet hiver rigoureux, ça vaut la peine ! – Tu as de la chance. Je t’en veux toujours mais tu es mon ami. Vale, lui dit Antonio, affectueusement. 67 « DESS : danseur de salsa », in Latina Magazine, N° 10, p. 5.
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– Yo voy a echar un pie68 leur signale Florencio en partant danser. « 4 cocos, 5 cocos y a mí no me dan un coco... Bailando yo con María quise tocarle su coco... de pronto, ella me decía Azuquita no que me sofoco... ».69 – Cet été, je vais certainement descendre à Marseille, voir mon ami Ernesto Concha qui fait un travail important pour la culture latino-américaine avec son association Salsapaca, je pense aussi voir Rafael Quintero avec son groupe Sumbao, espérant qu’ils se produiront quelque part et après, en route pour le festival Tempo Latino dans le Gers où je visiterai mon ami Eric Duffau et la fête gasconne. Extraordinaire, non ! leur raconte Antonio, avec enthousiasme. – C’est important de prendre l’air ailleurs, cela permet de se reposer… au moment où les vacances sont présentées comme un produit de « consommation »…, marmonne Manuel. Personne ne dit aucun mot. – Alors, que pensez-vous du dernier CD d’Alfredo Cutufla y su Charanga Nueva ? Je l’ai écouté, il est super ! –dit Javier, en attendant une réponse de la part du groupe. – Cutufla, il y a longtemps que je ne l’ai pas vu, note Manuel, un peu étonné.
68
Je vais aller danser.
69 « 4 cocos, 5 cocos / et à moi on ne m’en donne pas un seul / tous ces
cocos que je touche / qui me font tourner la tête / En dansant avec Marie / j’ai voulu toucher son coco / soudain, elle me dit / Azuquita non ! j’étouffe… ». Chanson 4 cocos, 5 cocos. Disque: Cuba son - Azuquita and Los Jubilados. Réf: Universal, CD LC 00699.
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– Ce que je sais c’est qu’il va souvent se produire à Amsterdam, en Hollande ; il est tout le temps en tournée. Admiratif, Javier vante avec satisfaction son ami Cutufla. – Azuquita y su Melao se produisent dans deux mois au New Morning, il faut que nous achetions les billets –insiste-t-il, ce concert, il ne faut pas le rater, d’autant plus qu’on y présente également Vany Jordan.70 – Tranquilo ! On verra le moment venu qui est l’organisateur : tu sais bien comment c’est ! –réplique Gilberto avec son air de connaisseur. – Tiens ! tu peux demander aux gens de Latina, de Radio Latina qui sont là, eux doivent savoir –lui dit Gilberto. – Eh ! Juan ou Roberto Burgos pouvez-vous nous dire qui produit Azuquita au New Monrning au mois de mai prochain ? – leur demande Javier. A ce moment, Pepe, le péruvien, un autre ami et un habitué des soirées de La Peña, s’approche et glisse au Dj’s Cuco : « Tu peux mettre un boogaloo, je suis en train de danser avec une blonde, une suédoise, elle est plus grande que moi et je suis obligé de sauter pour arriver à sa hauteur… ». Un des amis du groupe qui a entendu, souffle aux autres : « Regardez le petit, il a demandé un boogaloo pour danser avec une suédoise… OUI, il faut qu’il saute pour pouvoir l’embrasser », –les rires fusent de tous les côtés – ; Francisco ne mâche pas ses mots : « Eh ! Pepe, quelle chance tu as, un gars aussi moche que toi avec une belle blonde ». Mais ce dernier avec son sens de la répartie, lui répond du tac au tac: « Nous ne sommes pas tous pareils, c’est comme les billets de banque, aucun ne ressemble à un autre car chacun a un numéro de série différent… ». Tous éclatent de rire à nouveau. En même temps, Magaly, une jolie équatorienne s’approche d’eux pour les saluer et profite alors de l’occasion pour rajouter une couche : « heureusement que ce sont les plus moches qui cherchent les 70 Chanteur et compositeur d’origine franco-colombienne ; il fut sacré
« Meilleur nouveau talent 2007 » par la Mairie de Paris et Radio France Bleue.
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suédoises », et au tour de Pepe de répondre, « Non ! c’est que, plus tu es moche, mieux tu le fais… ». Javier en voyant le vendeur de fleurs passer à côté d’eux, saute sur l’occasion pour chuchoter : « Epa ! Pepe offre lui plutôt une fleur… ». Et Pepe de confier : « Non, vale, les fleurs c’est pour les morts, c’est un jardin que je veux lui offrir… » avant de partir danser tout content sur l’air de la chanson demandée. La salve d’applaudissement à peine terminée, un membre du groupe murmure à Magaly : « est que tu t’es mis du sucre dans les yeux ? » – Pourquoi ? –répond-elle surprise. Et lui de lui avouer : « parce que tu as un regard très doux… ». Et puis de rajouter : « tu sais, aujourd’hui, tu es encore plus belle qu’hier… ». Magaly est contente. Pour elle c’est le début d’une belle soirée. Chose étrange, mais agréable, c’est que les latinos aiment faire des compliments aux femmes, cela fait partie de leur culture, de leur idiosyncrasie et les femmes latinas apprécient qu’on leur en fasse même si ce sont des mensonges. De tels compliments laissent pantoises ces femmes et mettent en lumière le rapport de séduction qui s’établit dans une société donnée et que l’on ne peut dissocier de son histoire ; l’amabilité voire la galanterie dont joue l’homme latino a pour objet donc, soit de séduire l’autre, soit de montrer qu’il est le meilleur. Ainsi, dans ces sociétés, les « piropos »,compliments, en alimentant les relations entre les individus font partie de la vie quotidienne, ils contribuent au jeu de répartie dans les conversations et parfois, nous en trouvons l’écho dans les chansons qui transcendent ainsi les différences culturelles et sociales : l’objectif étant de faire en sorte que celle à qui il s’adresse, se sente bien. A chaque « piropo », individuel ou collectif, est associé un sentiment ou une affection, il doit toucher…, voilà une manière très humaine d’envisager la difficile relation humaine. Même si l’égalité des sexes s’inscrit dans les mœurs comme dans les lois nous ne pourrons jamais, par exemple, éviter
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d’entendre dans le métro ou dans le bus, à Caracas, à Bogotá ou à Quito, qu’il n’y a plus de Messieurs comme antan… Mais nous sommes à Paris, à La Peña-Saint Germain, et les latinos, principalement les hommes en jouent, provocant des sensations inédites chez la gent féminine : étonnement, altération du regard, incompréhension. Enfin tous les ingrédients dont dispose un bon acteur pour faire une bonne prestation, ici, ne produisent pas toujours le même effet. Autrement dit, pour créer du rêve, le poème doit être dépourvu de cadences hiératiques pour atteindre le but désiré. C’est sans doute ce qui fait le charme de ces compliments. Cette caractéristique particulière à la culture latinoaméricaine, transcende même la pulsion de vie dont jouissent les latino-américains leur permettant d’oublier parfois, presque immédiatement ou momentanément, le chagrin d’une terrible déception ou d’un événement, comme ce fut le cas par exemple, lors de la cérémonie d’adieu au musicien Rafael Cortijo71 à l’occasion de l’enterrement du célèbre musicien portoricain durant lequel, une foule évaluée à dix mille personnes en a accompagné la dépouille jusqu’à sa « dernière demeure ». De façon impromptue, arrivent à petits pas en dansant, Rogelio, un équatorien avec Katherine, sa fiancée, une jolie polonaise brune, aux yeux verts turquoise ; tout le groupe se tait : « Compadres », je vous présente ma fiancée, dit-il au groupe, intimant aussitôt à son amie l’ordre de ne pas danser avec Manuel. Personne ne dit rien… mais tous rigolent discrètement et Gilberto d’ajouter : 71 Rafael Cortijo (1928-1982), né à Porto Rico, débuta dans la musique
comme joueur de bongo. Sa rencontre avec Ismael Rivera permit de donner un nouveau souffle à la plena ; leurs premiers grand succès fut « El Bombón de Elena » et « El Negro Bembón ». Il fut l’un des plus grands joueurs et interprète de « plena ». Pour plus d’information à ce sujet lire L’enterrement de Cortijo : chronique portoricaine, Edgardo Rodriguez Julia, trad. de Claude Fell, L’Harmattan. Plena : genre musical portoricain.
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– Ça t’étonne ! – Qu’est-ce qui te fait dire cela ? le questionne Elohim. Rogelio ne répond pas. Il a seulement interdit à Katherine de danser avec Manuel mais pas avec les autres, donc Ygor en profite pour l’inviter à danser. Ils partent danser et ne rejoindront le groupe pratiquement qu’à l’aube, un peu avant la fermeture. L’occasion est propice pour que Rogelio sollicite sa copine pour une danse mais elle refuse, elle est fatiguée et désormais, il doit se rendre à l’évidence, elle est en train de le lâcher pour Ygor. C’est sans doute sa faute pour lui avoir interdit de danser avec Manuel. « Regrets éternels, j’avais peur » se dit-il, en pensant à ce revers subi face à tous ses amis. C’était évidemment par dérision vis-à-vis de Manuel qu’il avait demandé à sa copine de ne pas danser avec lui. Mais on a dit et redit que les histoires se construisent avec des personnages sans « mode d’emploi », des errances, des rencontres, des dialogues suffisent pour changer les horizons. A ce moment le Dj’s Cuco qui connaît la psychologie de son public lance une chanson qui rappelle avec brio le déchirement d’un être humain : « Hasta pena me da. La rutina. El truquito. Hasta pena me da. La maroma. Hasta pena me da. Ay bendito ! »72
72 « J’ai de la peine / c’est la routine / le trucage / j’ai de la peine / la
maroma / j’ai de la peine / ah ! heureux ! ». Chanson Ahora me da pena. (J’ai de la peine). Compositeur : Armando Repilado. Interprète : Henry Fiol.
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Dans la salle du fond, dans la semi obscurité, des échanges de baisers se succèdent. Les danseurs qui ont quelque peu oublié dans quel espace ils se trouvent, suivent l’empreinte laissée par les sonorités des instruments, un solo de piano par-ci, un solo de trompette par-là, tout est beau et suffit à susciter les désirs… Parmi ces danseurs, on aperçoit Jacques et Océane danser dans le calme et la joie… Et une voix off, à la façon du salsero Cheo Feliciano, verse le final sur une interprétation du Lamento guajiro : « Sereno pa’ mi lamento guajiro / buscando el amor perdido / canto pensando en tí / mi tierra, es mío tu sufrir… ».73 Il faut que je m’en aille ; bonsoir… lance Florencio, avec précipitation. Antonio et Francisco sont déjà partis. Gilberto réclame : combien doit-on pour les consommations ? Au moment de payer l’addition, certains ont disparu et ceux qui restent n’ont pas assez d’argent pour régler la totalité de la note…
73 « Serein pour ma tristesse / je cherche l’amour perdu / je chante en pensant en toi / ma terre, c’est à moi ta souffrance…». Chanson Lamento guajiro. Compositeur : Juan E. Corret. Interprète : Cheo Feliciano.
VII Pour
sa « soirée salsa », Isabelle a donné rendez-vous vers huit heures du soir à ses amis au restaurant Salsa y Rumba,74 comme le lui a conseillé Roberto. Ludmilla, Gaëlle et Isabelle sont les premières à débarquer. Tous les participants arrivent les uns après les autres sauf Roberto qui se pointe une demi-heure plus tard, tout confiant
Restaurant colombien situé au 10, rue Boutebrie dans le 5ème arrondissement de Paris.
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et décontracté. Octavio Cadavit et Mercedes Mancera, les patrons de l’établissement sont radieux de les recevoir. Contents de se rencontrer à nouveau, ils vont partager une nouvelle expérience autour de la salsa. Ils découvrent un restaurant plutôt sympathique, bien décoré où la musique jaillit en permanence et où pétillent de joie les regards des convives. On voit ou revoit des scènes, on assiste au va-et-vient des amis visiteurs qui passent pour proposer des spectacles ou donner d’autres informations sur tel ou tel groupe musical, pour d’éventuelles prestations ; des couples dansent en laissant leur repas refroidir ; des chanteurs ou chanteuses s’approprient la cave pour un récital improvisé en toute convivialité, le temps de dîner… Cette sortie est importante pour Isabelle, elle souhaite faire plaisir à ses amis en leur faisant partager l’une de ses nouvelles passions : la musique salsa. Même si elle découvre comme le reste de ses amis, ce restaurant latino, elle tient évidemment le rôle d’« hôtesse » et se voit dans l’obligation de s’occuper d’eux. Mercedes et Octavio, les patrons de l’établissement prennent le temps de leur faire part de leur conception de ce que doit être un restaurant latino digne de ce nom ; ils conseillent les convives avec instinct en leur proposant quelques spécialités de leur région : – Je vous propose un « ceviche »,75 fait maison, il est extra…, en second plat une « bandega paisa »... et puis, un dessert typique, goûtez le « dulce con leche ». Sinon, vous pouvez choisir un plat à la carte… A la lumière de ce qui leur est proposé, certains se laissent convaincre, d’autres reviennent sur des choix plus personnels. Quoiqu’il en soit, ils sont là pour s’amuser, ils commencent en 75
Ceviche : spécialité péruvienne, faite à base de poisson cru mariné dans du citron vert, avec du maïs et de la coriandre. Bandega paisa : un des plats typiques colombien, fait de haricots rouges, bœuf, chorizo, œuf, avocat, galette de maïs, banane plantain et poitrine de porc. Dulce con leche : spécialité argentine à base de lait cuit longtemps avec du sucre jusqu’à obtention d’un sirop caramélisé.
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trinquant avec du vin chilien. Isabelle est à l’aise. Elle apprécie d’autant plus la soirée que tous ses amis semblent ravis. – Après la montée des prix du pétrole, comment les pays latino-américains s’en sortent-ils ? On n’entend pas beaucoup de nouvelles au sujet de l’Amérique latine, mis à part quand les chaînes de télévision françaises tombent dans le sensationnalisme ou, comme l’autre fois, à propos de l’affaire Ingrid Betancourt, remarque Nathalie qui travaille comme professeur de mathématiques dans un lycée parisien. – Cela n’empêche pas d’être plus ou moins au courant en suivant les informations sur internet, moi je lis beaucoup de dépêches mais, c’est vrai que je suis bien placé en travaillant dans un journal parisien comme documentaliste spécialisé dans la politique, dit Louis en ajoutant : sur la base d’études que j’ai consultées, je peux dire que seuls le Chili, le Venezuela et le Brésil s’en sortent plutôt bien… – Ce n’est ni mon univers, ni ma culture, encore moins ma terre de prédilection, mais au vu de ce qui se passe sur le continent, le Venezuela est dans une mauvaise posture malgré les abondantes recettes pétrolières encaissées, contrairement au Brésil qui a pu diversifier son économie, souligne Louis. – Je vous propose de changer de conversation. Parlons de salsa, de ce que nous a raconté Roberto hier soir, se souvient Sandrine faisant allusion à la manière dont la salsa est perçue par le public français. – C’est une bonne idée, n’attisons pas ce débat, ajoute Isabelle soucieuse que ses amis ne se disputent pas, tout au moins pas avant d’aller danser. Roberto intervient alors pour mettre en évidence les facteurs qui, selon lui, ont permis l’arrivée de la salsa en Europe voire en France. Il la présente comme un produit dont certains tirent un profit commercial au détriment de l’aspect culturel, c’està-dire, une marchandise culturelle, prête à consommer et à être commercialisée, fondée sur un « art de vivre », offrant toutes les caractéristiques d’une ambiance chaude et exubérante…
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– Attends, attends ! tu veux dire quoi, Roberto ? tu es en contradiction avec toi-même, souviens toi de ce que tu disais hier soir, rappelle Olivier. – La salsa -dit Isabelle, n’appartient à personne, sauf à ceux qui ont envie de faire la fête et de danser… – Moi, je ne parle pas espagnol et je n’y connais rien à la salsa, d’ailleurs, hier soir, c’était la première fois que je la dansais et je ne vois pas pourquoi on pourrait dire que seuls les latinos ont le droit de la danser…, ose Laetitia. – Je crois que je me suis mal fait comprendre, rectifie Roberto, recentrant ses propos sur l’aspect commercial du produit. Il évoque les qualificatifs qui lui confèrent une certaine image où l’occurrence des termes « caliente », « épicée », « sabor tropical » participent de la création d’un certain décor qui convie le spectateur à une déambulation sous prétexte d’être dans une tendance dynamique et conviviale. Il évite le mot « exotisme » qui avait provoqué une forte discussion au cours de laquelle les participants avaient justifié le besoin de danses exotiques justement pour permettre de sortir du quotidien. Il suggère enfin, qu’une vision juste de la salsa est celle qui exalte la joie, la fête, l’amusement, en d’autres termes, celle qui permet aux individus quand ils la dansent, de le faire par plaisir et par amusement et non pas en suivant des pas codifiés ou une chorégraphie qui annihilent toute velléité d’improvisation… « J’ajoute que la jouer perso ne sert à rien, puisque la salsa contribue aussi à nous divertir, à nous faire danser et boire, ce pourquoi nous sommes venus ce soir… Donc à la santé de tous, à la salsa ! » L’argumentaire de Roberto trouve un écho favorable et c’est l’occasion pour les convives d’apprécier les délices du restaurant. – Allons, à quoi bon tout cela, buvons à la salsa ! répète à l’envi Michel. Un peu avant minuit, le groupe décide de partir à La PeñaSaint Germain, non loin de là, guidé par Roberto… Ce dernier, en entrant, salue Oumar et Yves, les vigiles qui les reçoivent avec attention, puis quelques connaissances. Au premier abord, ils sont
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tous décontenancés par l’établissement : ils s’attendaient à un lieu plus grand… « C’est en dessous que ça se passe » -dit-il. Après être descendus dans la cave, juste devant les platines du Dj’s, ils découvrent un public joyeux, des filles qui se trémoussent, des garçons qui se déhanchent accoudés au bar ; certains discutent, d’autres regardent simplement sans avoir l’air de s’amuser ; les fauteuils sont pleins à craquer, les murs de pierre décorés par quelques tableaux d’artistes entre autres ceux provenant de l’exposition de Renato Scremini ; enfin, bref que de la joie, du rire et de l’excitation aussi… ; ils jettent un coup d’œil derrière les arcades et aperçoivent une première piste de danse, puis, plus loin, au fond, une autre plus petite… Nathalie se fait la réflexion : c’est comme une poupée russe, on en ouvre une et il y a en encore une autre… Malgré sa superficie réduite, c’est un lieu incontournable où latinos, stars, musiciens et autres fêtards viennent se défouler. Le Dj’s « Cuco de la salsa », d’origine colombienne, sait « mettre le feu » avec ses musiques : ils découvrent là, la bachata, le merengue et la salsa, qui produisent des danses endiablées en embrasant la piste. C’est donc avec un grand enthousiasme qu’ils se plongent dans cette nouvelle ambiance. – Michel, non sans hésitation, invite à danser sa copine Sandrine qui refuse, il part tout de même sur la piste… « Abran paso… Cosa buena, ábreme paso mamá! que yo vengo bien caliente con Santa bárbara a mi lado... Con su copa y con su espada para aliviarla de todo mal... ».76
76 « Ouvrez le chemin / ouvre moi la voie, ma chérie ! / je viens bien
chaud / avec Santa Barbara à mon côté / avec sa coupe et son épée…/ pour la calmer de tout mal… ». Chanson Abran paso. Disque: Ismael Miranda.
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Tous les amis d’Isabelle échangent leurs impressions sur le repas du début de la soirée. Il en ressort une certaine satisfaction. Apparemment, ici tout semble possible et, constatent-ils, la fête est reine. Alors quoi de mieux pour s’amuser qu’un air de salsa… – Laetitia a envie de danser mais Louis ne veut pas, au moins pas tout de suite ; elle en profite pour se faire inviter par l’un des danseurs latinos. – Vous n’avez pas l’air de maîtriser les pas, lui dit Armando, le danseur latino. – Laetitia rougit et lui répond : hélas ! C’est la deuxième fois que je danse la salsa. – Ce n’est pas un reproche, pour être sincère, c’est seulement une constatation. Si vous voulez bien me suivre, je peux vous apprendre, on danse avec…ajoute-il, lyrique. – Vous vous appelez comment ? – Armando. Et vous ? – Moi c’est Laetitia. – Vous êtes de quelle origine ? lui demande-t-elle – Je viens de Colombie. Je suis en France depuis une vingtaine d’années. – Essaie donc de faire comme ça, un premier pas à gauche, puis, l’autre pas en arrière…, super, tu vois ! Après avoir dansé plusieurs morceaux, elle lui dit avec sympathie en l’invitant à boire un verre : – Parfait Monsieur ! Tu viens… La discussion entre les amis d’Isabelle se déroule avec animation car ils ont tous des avis différents sur la salsa, ce d’autant que l’alcool commence à faire son effet. De son côté, Armando essaye de flirter avec Laetitia et tente de lui faire ressentir la poésie des paroles dans la salsa. Son audace l’amène à conjuguer littérature et musique, il en vient à lui expliquer pourquoi en Amérique latine cette dernière est importante voire ancrée dans l’esprit des gens, dans la culture même, en argumentant, cela va sans dire, qu’il n’y a pas besoin d’imaginaire pour recréer des images que la musique porte en elle ; car pour lui, l’imaginaire, c’est le surréalisme au quotidien, il suffit
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pour s’en rendre compte de lire des auteurs latino-américains comme García Márquez, Vargas Llosa, Ernesto Sábato parmi tant d’autres. Ils décrivent dans leurs œuvres des situations invraisemblables qui émanent pourtant d’une réalité sociale et culturelle. Il passe plus d’une demi-heure à lui expliciter cet univers magique dans lequel baignent les œuvres de certains de ces écrivains et dont la littérature latino-américaine offre un bel éventail. Pour illustrer ses propos mais, dans un tout autre registre, enflammé par cette belle démonstration, il lui cite dans un élan romantique en espagnol une lecture qui lui tient à cœur : « Me miras, de cerca me miras, cada vez más de cerca y entonces jugamos al cíclope, nos miramos cada vez más de cerca y los ojos se agrandan, se acercan entre sí, se superponen y los cíclopes se miran, respirando confundidos, las bocas se encuentran y luchan tibiamente, mordiéndose con los labios, apoyando apenas los labios en los dientes, jugando en sus recintos donde un aire pesado va y viene con un perfume viejo y un silencio… ».77 S’appuyant sur cet éloge des écrivains, Armando conclue sa démonstration en rappelant que la salsa est imprégnée de poésie, il suffit de lire les textes en vers des chansons. Il essaie de démêler les fils de l’inspiration que trouvent certains compositeurs en créant des compositions abstraites, changeantes et volatiles dont on dirait qu’ils en inventent sans cesse la forme visuelle. Il raconte, avec flamme et conviction, la passion qui l’anime quand il danse, parle ou discute à propos de salsa et de tout ce qu’elle incarne. Intarissable, il revient sur le contenu des chansons apportant un témoignage à partir de son vécu ou de celui d’autres dont il a connaissance, aussi insaisissables, qui mettent en scène lieux et 77 « Tu me regardes, de près tu me regardes, chaque fois plus près et alors
nous jouons au cyclope, nous nous regardons chaque fois plus près et les yeux s’accroissent, s’approchent entre eux, se superposent et les cyclopes se regardent, en respirant confusément, les bouches se trouvent et luttent doucement, en se mordant avec les lèvres, en appuyant à peine les lèvres dans les dents, en jouant dans son intérieur où l’air va et vient avec son parfum vieux et son silence… ». [Traduit par l’auteur]. Julio Cortázar, Rayuela, editorial Sudamericana, Buenos aires 1979, p. 7.
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personnages fictifs ou réels, qui font référence à la vie quotidienne ou à des épisodes de l’histoire de la région. Armando s’emploie donc à démonter les ressorts intrinsèques de la diffusion de la salsa quand elle voyage, notamment dans la région des Caraïbes hispaniques et qui la nourrissent à son passage partout en Amérique latine. Il montre comment dans son déplacement, elle véhicule la joie de vivre et de quelle manière elle exalte l’identité latino-américaine et enfin, explique pourquoi les gens de cette partie du globe la réclament. Si elle est bien une des constantes essentielles pour faire la fête, elle est également le baume qui calme les douleurs dans les moments de souffrance ou dans des situations difficiles. Après cet exposé qui, d’ailleurs, les a conduits sur les chemins de l’évasion, ils se laissent emporter par la qualité de la programmation de cette fête. Laetitia fascinée par son récit, l’écoute d’une manière émerveillée, ce qu’Armando ne manque pas de lire sur son visage. N’oubliant pas qu’elle est avec son ami, il l’embrasse cependant, et elle, ne résiste pas. Cette complicité survient à un moment où tous deux sont subjugués par le rythme qui résonne d’une chanson mélodieuse et inextinguible du genre « bachata » : « Señores hagan algo se está muriendo un hombre Llamen a alguién que sepa curar el dolor que da el desengaño de una traición…».78 Son copain Louis, qui l’attend, ne fait pas un geste. Il se rend compte qu’il est inutile d’interrompre la conversation pour le moment. 78 « Messieurs faites quelque chose, un homme est en train de mourir /
appelez quelqu’un qui sache soigner le désespoir / d’une trahison…». Chanson Ese hombre soy yo - (Cet homme c’est moi). Ales Bueno Disque : Sencillos y Otros.
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– Mon copain et moi sommes en froid actuellement. Je serai très contente de te revoir une autre fois, Armando. – Moi, aussi, convenons donc d’un rendez-vous. – Mardi prochain, est-que ça te va ? – Parfait ! Dis-moi l’heure et le lieu… lui demande Armando. D’un simple geste, elle se sépare et chacun part de son côté rejoindre ses amis respectifs. Elle trouvera les solutions à cette situation, se dit-il. – Alors, Laetitia, il est sympa ton ami latino ? D’où est-il ? De quoi parliez-vous ? Lui demande Sandrine, curieuse d’en savoir davantage. – J’ai bien dansé et j’ai appris beaucoup de choses sur la salsa ainsi que sur l’Amérique latine. – Vas-y, raconte-nous, avance Ludmilla. – Pour tout vous dire, commence-t-elle en souriant, je confirme ce que je pense, je le pense de Roberto aussi, c’est que les « latinos » sont des « baratineurs ». Ils savent bien s’y prendre pour arriver à leurs fins. Je veux dire par là que ses propos m’ont séduite, même si j’avais bien imaginé que ce qu’il voulait c’était sortir avec moi, je reconnais que cela m’a plu et on va se revoir… Les amis d’Isabelle sont presque tous en train de siroter leurs mojitos lorsque le Dj’s Cuco annonce au micro l’arrivée d’Indhira Nuñez.79 Sa réputation, dans le milieu latino et aussi français, n’est plus à faire car elle joue avec prestance de la guitare et sait interpréter diverses chansons, fusionnant le classique avec la pop-latine, son répertoire va de la ballade en passant par des rythmes multiculturels tels que le Bolero, la salsa ou autres rythmes latinos. C’est aussi par sympathie pour son public qu’elle vient à La Peña-Saint Germain. Roberto, qui la connaît, la présente au groupe d’invités. Or, tandis qu’elle s’assoit à leur table, Olivier l’interroge en lui faisant la remarque suivante :
79 Chanteuse et auteur-compositeur d’origine vénézuélienne.
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– Pourquoi n’y a-t-il pas plus de chanteuses dans le milieu de la salsa ? Est-ce une musique réservée simplement aux hommes ? – Où est-ce que tu te produis prochainement, j’aimerai bien venir te voir ? Insiste-il. La conversation en reste là. Par ailleurs, on peut le dire, c’est vrai que dans le monde musical salsero on ne connaît pas beaucoup d’interprètes féminines. On le voit bien à travers l’histoire de l’Amérique latine, c’est un point crucial de la culture musicale latino et cela peut se comprendre. A partir du moment où la musique populaire de la région est en train de changer et connaît une meilleure diffusion, une plus grande acceptation du public et une démocratisation du patrimoine culturel, il est évident que d’autres acteurs pourront trouver leur place. Dans l’histoire musicale contemporaine de cette région, il y a eu des femmes d’une extraordinaire virtuosité comme La Lupe, Olga Guillot, Maria Eugenia Delpini ou Celia Cruz,80 pour n’en citer que quelques unes. Puis, il y a aujourd’hui, en termes de salsa, La India,81 par exemple, qui apporte son concours à cet univers… Et même, à Paris, on a vu le groupe de salsa Rumbanana, composée par des femmes musiciennes, françaises et latinas… Donc Messieurs, ne vous étonnez pas, les femmes aussi vous feront danser… Isabelle et Roberto sont en train de danser : – Je me sens très bien, dit-elle. – Je crois que la soirée est réussie et tes copains ont l’air de bien s’amuser, assure Roberto. Et pendant qu’il contemple son 80 La Lupe, de son vrai nom Guadalupe Victoria Yolí Raymond, fut aussi
connue sous le nom de scène « La Yiyi ». Chanteuse d’origine cubaine. Olga Guillot, chanteuse cubaine de boleros. Celia Cruz, chanteuse cubaine de guarachas et de salsa. 81 La India, de son vrai nom Linda Viera Caballero, chanteuse de salsa d’origine portoricaine.
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visage une voix l’interpelle à travers le flot des danseurs : « Roberto, regarde comment je danse, j’ai tout appris en te regardant, c’est bien comme ça ? » – Oui, Michel, lui répond-il, improvise et fais comme tu le sens, tu verras ! – Merci, tu es génial, avance Isabelle. Nathalie et Olivier qui étaient réticents au départ pour danser la salsa, ainsi que Gaëlle et Ludmilla, se joignent à eux, joyeusement. Pour l’heure, c’est juste l’envie de bouger qui les pousse, seulement, la grande difficulté, c’est de s’emparer ou, mieux, de s’approprier la cadence des pas pour suivre le rythme, mais peu importe, l’important est de se défouler puisque c’est pour cela qu’ils sont venus. Si l’on fait abstraction de cet aspect qui n’est pas vraiment une condition sine qua non pour faire la fête, la cohésion du groupe est renforcée. Devant un spectacle si vivant, Michel s’exprime à sa façon avec des gestes pleins d’énergie rythmique qui suivent la pulsion mélodique produite par les déchaînements du va et vient du volume sonore contrôlé par le Dj’s Cuco. La danse, très suivie, est particulièrement animée. Profitant de cette impulsion, Isabelle donne le mot aux autres membres du groupe et les enjoint de venir les rejoindre, ce qu’ils font tous. Pour les uns, il s’agit de mettre en pratique ce que Roberto leur avait expliqué en théorie lorsqu’ils étaient chez Isabelle, pour les autres, il s’agit d’imiter ce que font les autres et de bouger en fonction de ce qu’ils ressentent. Les minutes passent et l’on voit se transformer et se métamorphoser des personnages au gré des multiples et diverses sonorités. Leur pudeur s’efface. Tous souriants et avec des gestes ostensibles, ils suivent un processus que leur impose le rythme frénétique des chansons de salsa désormais, le déplacement de chaque danseur est précédé d’un mouvement corporel, esquisse d’un besoin de danser. Seul leur corps est maître d’en réaliser la transposition. Influencés par les images visuelles de la fête, par l’esthétique surréaliste d’une ambiance qu’ils découvrent, se réalisent des rapprochements insoupçonnés entre eux, les unissant encore davantage.
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Tout porte à croire que la salsa les a touchés au plus profond d’eux mêmes : une contamination dont La Peña-Saint Germain se fait encore l’écho en tissant mille liens dans une ambiance qui génère des flux d’images en abondance, abondance proportionnelle à l’attirance qu’exerce cette précieuse musique. Ce qui fait la richesse de ce lieu, ce sont des petites histoires, des images, des acteurs, des boissons, des cocktails, des anecdotes, des rencontres… Elles donnent à voir et à comprendre pourquoi la salsa contribue à créer une attirance et pourquoi cet établissement invite à partager son quotidien dans une ambiance propice à la créativité. Tous les éléments sont donc réunis pour faire la fête. La salsa, disait-on précédemment, est la reine et La Peña-Saint Germain est un des lieux privilégiés sur la scène parisienne qui en propose une scénographie festive. En retournant s’asseoir, Sandrine souffle à Gaëlle, Nathalie et à Laetitia : « je me suis bien éclatée… » – Moi aussi et je suis d’autant plus contente que tous les copains ont dansé, lui rétorque Gaëlle. – J’aimerais apprendre à bien danser, je pense que je vais prendre des cours comme Isabelle, dit Nathalie à ses amies, je voudrais bien le faire avec Olivier mais il n’aime pas la musique, comment voulez-vous que je l’invite à suivre des cours de salsa ? – Tant pis pour lui, tu y vas toute seule, lui souffle une de ses amies. – Regarde-le, il est au centre de la piste, il s’amuse. Peutêtre que cela va lui donner envie d’apprendre à danser, glisse Gaëlle à sa copine. – Voilà une des différences qui ressort entre nos mecs, les français, et tous ces latinos, quand on voit comment ils se divertissent, comment ils dansent, la manière de bouger leurs corps, comme les africains qui sont là, on ne peut que conclure que nous sommes complètement raides. Certes, c’est culturel mais quand même : on est mal ! Reconnaît Laetitia. L’air d’une chanson de salsa envahi l’atmosphère invitant les danseurs à se précipiter sur la piste.
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« La trigueña Encarnación cuando se pone a bailar no hace más que tararear lo que la orquesta interpreta… Cambia el paso que se te rompe el vestido... »82 Olivier, Michel et Louis rejoignent le groupe à leur table. Olivier en s’asseyant à côté de Nathalie sa copine, est le premier à donner ses impressions : « Une partie de mon individu s’est transportée ailleurs, il y a assez longtemps que je ne m’étais pas si bien amusé, peut-être est-ce l’alcool, peut-être est-ce l’ambiance sympathique dans laquelle nous nous trouvons. En tout état de cause, j’ai décidé d’apprendre à danser la salsa… ». En disant cela il surprend tout le monde, lui qui vit enfermé dans le sien, dans son univers cartésien, en étonne plus d’un… Quoi qu’il en soit, ajoutet-il, à l’intention de sa copine, « le grand changement, c’est que nous allons le faire tous les deux… il est vrai que je suis timide ». Il en profite pour la tourner, la tripoter, la chatouiller, la caresser, et l’embrasse à chaque instant … – Et vous les gars, vous vous y mettez, vous aussi ? Leur demande Laetitia. Isabelle, Roberto et les autres reviennent. Ils sont au complet, c’est encore une occasion d’échanger des opinions. Michel dit : « Moi simple et modeste que je suis, je n’ai pas besoin de suivre des cours pour danser, l’important pour moi, c’est de 82 « La mulâtre Encarnacion / quand elle commence à danser / ne fait
que chantonner / ce que l’orchestre interprète / Change de pas / car ta robe se déchire…». Chanson El paso de Encarnación. Compositeur : Richard Egnes. Disque: Salsa – Larry Harlow. Réf : Fania lps – 88.291.
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m’éclater, d’écouter ces rengaines qui me font me trémousser et vibrer au rythme des percussions. Je ne vais pas tomber dans une forme d’aliénation en me vantant « oui, moi je suis des cours de salsa, non, c’est clair, je préfère venir ici ou aller ailleurs et danser comme je le sens, sans qu’on me colle l’étiquette « élève de cours de salsa ». – C’est intéressant ce qu’il dit, pour deux raisons, renchérit Louis : la première parce que ressentir la musique c’est-à-dire celle des chansons de salsa, est plus important du point de vue émotionnel que de suivre d’une manière néophyte des pas guidés dont l’écueil résonne comme un copier-coller et, la deuxième, parce qu’elle permet une réflexion sur les origines qui ne se révèlent pas forcement, être celles que nous croyions si l’on se souvient de ce que nous disait Roberto. – Vous avez peut-être raison les gars, mais moi ce que je veux, c’est apprendre les pas simplement pour danser, je ne vois pas où est la contradiction, dit Nathalie. – Dans ta conception des choses, n’y a-t-il pas d’avenir ? De vie à venir ? On exagère beaucoup, argumente Michel. Si tout le monde était de ton avis, de votre avis, ils suivraient tous comme des moutons de Panurge en dansant tous de la même manière…, il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder autour de vous pendant un concert de salsa pour s’en apercevoir. L’important est, je répète, de s’éclater, de laisser exploser sa joie intérieure, donc j’opterais volontiers pour une conquête personnelle qui enlève aux individus la timidité voire le côté introverti pour bouger leur corps ; cela éviterait d’une certaine manière de se focaliser sur les colères, les frustrations et permettrait de s’amuser, avec plein joie, dans l’opulence rythmique que dégagent les chansons de salsa. En disant cela et, malgré tout, je suis de l’avis qu’il n’est pas nécessaire de suivre des cours pour apprendre à danser…
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uan, le péruvien, invite à danser Ludmilla qui accepte avec plaisir. Toutefois, ce n’est pas du goût d’Olivier qui le déplore : « Ah ! Ces gens ne respectent pas nos filles ! ». – Que veux-tu dire ? interroge Sandrine, étonnée. – Je veux dire que nous sommes entre nous et je n’apprécie guère que ce danseur vienne nous importuner. – Je n’imagine pas qu’il y ait eu un instant la moindre gêne Je ne comprends pas. Ne serais-tu pas jaloux, par hasard ? lance Sandrine avec agacement. Ludmilla avait envie de danser, c’est à
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elle seule d’en décider… Cela me fait penser à l’opéra Carmen quand un officier anglais amoureux de cette « bohémienne » débarque en Andalousie, un de ses soupirants, dans une sorte de désespoir, lui reproche de venir prendre leurs filles… Carmen proteste avec force en disant n’appartenir à personne. Et Laetitia de renchérir : – Excuse-moi, j’ai déjà entendu ce genre de propos stupides… moi non plus, je n’appartiens à personne. C’est attristant ce que tu dis là. Tu ne vas pas nous la jouer comme un certain parti politique que je ne nommerai pas en proclamant : les françaises aux français !… Ajoute Laetitia de manière sibylline. Et Olivier de répliquer : – « Dit de façon plus élégante, il aurait dû aller ailleurs... ». Il tente alors de se justifier mais la confusion qui règne dans les têtes est profonde, et personne ne s’aventure plus à lui parler. C’est bien plus tard qu’il comprendra les raisons de cette colère qui a transformé les émotions partagées par le groupe, il y a quelques instants, en un combat solitaire. La discussion à propos de la façon de s’impliquer dans la musique et par conséquent dans la danse, autorise à s’interroger sur l’hypothèse que les femmes seraient plus sensibles à la danse que les hommes : constatation observable lors des cours, des fêtes ou des concerts de salsa, et également à La Peña-Saint Germain si l’on considère le fait que celles-ci sont majoritaires sur la piste. Précédemment, nous évoquions le débat autour de l’envie de bouger son corps pour danser librement et avec plaisir, il convient d’être prudent et ne pas tomber dans les idées reçues qui tendraient à mettre en avant l’instinct maternel ou le côté sentimental, féminin, mieux vaut parler de sensibilité féminine comme déclencheur du désir d’entrer en mouvement. En effet, pour certains chercheurs, il n’y a pas de différenciation notable entre les deux sexes, bien au contraire, « si le corps humain épouse la musique qui l’entraîne à danser, c’est parce qu’elle danse elle-même et entre en résonance
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avec des structures corporelles qui ne demandent qu’à entrer en mouvement… ».83 Roberto se penche vers les personnes réunies autour de la table et leur dit : « je pense à tout cela d’une façon distraite, mais nous vous entendons depuis quelques minutes et honnêtement… c’est regrettable pour vous, Messieurs, que vous tombiez dans cette espèce de jalousie, si vous ne savez pas danser, vous pourriez au moins essayer, ainsi vos « femmes » ne vous échapperaient pas… vous savez, la même situation se retrouve un peu partout, peut être dans le monde entier, en Amérique latine, par exemple, les filles préfèrent les blonds « gringos » aux autochtones, de la même façon beaucoup de femmes aiment les matelots pour leur uniforme… vous voyez, cette fille qui danse là-bas comme elle a l’air décontracté et tant mieux cela fait vraiment plaisir ! » « Ici – poursuit-il- la plupart des filles qui viennent préfèrent boire un mojito ou une vodka orange ou encore une coupe de champagne, tandis que les garçons selon les circonstances, peuvent commencer par une bière et finir avec du whisky ou autre chose, ou inversement. Bref, cela fait partie du paysage musical de la soirée. Et personne n’est là pour interdire ou autoriser quoique ce soit ; chacun fait à son goût, à sa manière... Je ne pense à aucun moment qu’on dérange les gens en les invitant à danser –particulièrement les filles, au contraire, c’est plutôt l’inverse, elles viennent ou disons, on vient là pour ça… Si tu invitais « tes filles » à danser, les autres n’auraient pas besoin de le faire. » – Je le sais bien, dit Olivier tristement. Mais elles…, elles sont avec nous. – Oui, elles sont avec vous mais pas à vous. Il faut arrêter avec ce regard « machiste » que vous portez sur la femme, conclue Sandrine. A cela, il n’y a plus rien à ajouter… Et la voix d’Isabelle s’élève pour inviter Roberto à danser.
83 France Schott-Billman, op. cit. p.15.
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Près des platines, dans un coin, à côté de l’escalier, Milvio Rodriguez « El Astro de la salsa », Hugo Garcia « El Polifacético », José Olivares « El Loco de la salsa » et Julián « El Payaso de la salsa »84 discutent tranquillement en attendant que le Dj’s Cuco leur propose un créneau pour qu’ils puissent passer une ou deux de leurs mélodies préférées. C’est une des particularités de Cuco de faire participer ses amis Dj’s, des connaisseurs bien sûr, afin de mettre encore plus d’ambiance et de montrer ce qu’il est, à savoir un fidèle compagnon. Il est aussi défini par un grand nombre de fans comme un « psychologue du public.,. ». Le Dj’s Cuco est la véritable âme de l’établissement ou le centre névralgique, comme on l’entend dire ici « il est indispensable car à chaque fois que nous arrivons, il nous annonce au micro… ». Ou là, « lorsque nous avons quelqu’un qui fête son anniversaire, il le sait et l’annonce aussitôt… ». Ou bien encore, « c’est surprenant de le voir danser derrière ses platines ou au milieu de la piste… ». « Si por la quinta vas pasando es mi Cali bella que vas atravesando… Y fiesta y rumba y rumba que la feria es de la caña…».85 Il est donc raisonnable de renoncer à cette vision archaïque selon laquelle la femme devrait garder une certaine distance quand elle danse ou se soumettre à l’homme en faisant preuve d’obéissance à son égard, explique Roberto, tout en cherchant à apaiser le malaise créé par Olivier. Un regard lui suffit pour apercevoir Carmencita avec ses lunettes noires, toujours près du Dj’s, à côté du bar. Elle se 84 Les quatre sont Dj’s de salsa sur la scène parisienne. 85 « Si par la cinquième / tu passes / c’est Cali la belle que tu traverses / Et
fête et rumba / et rumba car c’est la foire à la canne…». Chanson Cali aji Grupo Niche.
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trémousse avec joie comme à son habitude, ce qui fait dire à Roberto « vous voyez, je suis fasciné de voir cette fille qui bouge si doucement et si bien…, le spectacle qu’elle donne ne me laisse pas insensible et je l’avoue, j’ai bien envie d’aller l’accompagner mais elle est dans son monde et pourquoi me permettrais-je d’interrompre son inspiration… ». Et il poursuit : – en revanche, si je lui propose de danser et qu’elle accepte, là, c’est autre chose… ». – Cela me conviendrait parfaitement ! dit-il. Michel, qui connaît bien le comportement des hommes par son métier de consultant psychosociologue dans une grande entreprise publique, explique que s’enfermer dans des présupposés ne mène nulle part, sinon à l’autodestruction psychique… ; il se met debout et propose de commander à boire et trinquer à cette soirée pour éviter qu’elle ne tourne à la catastrophe. – C’est précisément cette initiative que salue l’une des filles en l’invitant à danser cette fois-ci. Ravi, il accepte ! Sa copine Sandrine est contente, enfin se dit-elle, il va apprendre à coordonner ses gestes. Dès lors, Michel qui a compris la subtilité des pas pour danser la salsa, a l’air complètement au diapason, il entraîne sa partenaire machinalement dans une cadence infernale, mais avec lucidité, il lui fait faire des tours, certes, pas toujours dans le tempo, cela va trop vite mais au moins il est content et les membres du groupe qui sont assis, les félicitent : « c’est beau ! » Il sourit. Il vient de prendre sa revanche parce qu’au départ personne ne voulait danser avec lui. Lui qui pourtant avait annoncé n’avoir pas besoin de suivre des cours pour danser, ça vraiment ! Cela ne l’empêche pas de rigoler et de dire avec amusement « n’ayez pas peur, lancez-vous ! » et en même temps sur un ton railleur à sa copine Sandrine : « ma chérie, je vais t’apprendre les derniers pas à la mode… ». Isabelle, assise à côté de Roberto, lui adresse un sourire en soulevant son verre à l’adresse de ses amis qui viennent de retrouver calme et tranquillité après cette âpre discussion, dans ce monde bouillonnant de joie, d’extase et de fête.
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– Ouf ! tout est redevenu normal, tous ont l’air content, murmure-t-elle à l’oreille de Roberto. – Oui, lui répond-il en l’embrassant, nous avons bien fait de choisir cet endroit. A cet instant, Océane et Jacques décident de partir. Avant d’arriver à la station de taxi qui n’est pas loin de l’établissement, ils s’arrêtent à mi-chemin, au milieu du boulevard Saint Germain. Ils s’embrassent longuement, sans se rendre compte qu’ils peuvent à tout moment être percutés par une voiture à l’endroit où ils se trouvent. Un automobiliste qui passe, s’arrête, sans la moindre gêne propose de se joindre à eux, c’est-à-dire de partager la fille… ils ne lui prêtent guère attention : la passion avec laquelle ils s’embrassent est plus forte que le froid qu’ils ressentent… Les nuits parisiennes, en ce temps d’hiver, sont glaciales. Ils mettent du temps à parcourir la courte distance qui leur reste à faire car à chaque minute, ils s’embrassent à nouveau… La nuit les enveloppe de sa mélancolie romantique, dans un silence étrange, donnant prétexte aux gestes simples mais remplis d’émotions, de tendresse, enfin de plaisir… Ils sont submergés par cette relation amoureuse et s’y jettent à corps perdu. Océane, cependant, voit en Jacques qu’elle connaît à peine, un être mystérieux. Bien qu’elle soit déjà séduite par son charme, elle a des principes au fond, mais, malgré tout, se dit qu’elle a beaucoup de chance d’avoir rencontré ce garçon qui éveille en elle tant de passion. Visiblement troublée, elle est silencieuse lorsqu’ils montent dans le taxi qui les amènera chez lui. Ils s’embrassent encore avec une ardeur qui efface vite la légère inquiétude qui les effleure. La présence du chauffeur ne les gêne en rien. A partir de maintenant, je me laisse aller, vivons ces moments précieux puisque la vie est belle, réfléchit-elle. Dans le taxi, tout le long du trajet, Jacques la tient serrée dans ses bras. Ils arrivent chez lui. – Mets-toi à l’aise, enlève ton manteau, dit Jacques. Elle hoche la tête en signe d’approbation. – Nous profiterons enfin de la tranquillité, soupire Océane avec plaisir.
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– C’est exact ! concède-t-il. Dès qu’ils entrent dans le salon et s’assoient, il lui parle sur un ton hésitant, de son amour perdu pour une fille qui l’a trahi, du ressentiment qu’il éprouve encore et dont il n’arrive pas encore à se départir. Océane l’écoute attentivement, elle n’intervient pas. La franchise de Jacques la surprend. Elle attendra l’occasion opportune pour donner son avis, peut-être pour lui apporter un peu de soulagement également. Apparemment, il ne souhaite pas s’étendre davantage sur ce sujet mais veut seulement qu’elle le sache. De son récit, elle conclue qu’il est dans une période mélancolique, et loin d’elle toute idée de triompher, elle se dit : « il faut que je l’aide puisque je l’aime… ». Il se lève pour chercher deux verres dans la cuisine, pendant qu’elle reste assise, réfléchissant à la manière de rassurer quelqu’un dans une telle situation… Il revient, pose les deux verres remplis de vin sur la table et en s’avançant vers elle, la dessine, parcourant de ses doigts habiles ses longs cheveux blonds noués en chignon au creux de la nuque… Il se penche vers elle et l’embrasse tout doucement d’un baiser caressant… Jacques n’a qu’un seul désir, être avec elle. Ils ne tarderont pas à se donner l’un à l’autre, d’une manière envoûtante, façon récurrente de combler l’imprévu de leur rencontre, cherchant surtout à rester ensemble. Le lendemain, ne travaillant ni l’un ni l’autre, ils profitent pour discuter de tout et de rien puis décident d’aller se promener ; Jacques la saisit par la main avec tendresse et lui dit : – Tu sais, la vie commence à trente cinq ans. – Que veux-tu dire ? – C’est mon âge, lui répond-il en riant. Et juste à cet instant il lui glisse : – Tu sais, hier, je t’ai parlé d’une fille qui m’avait trahi, en fait je l’aimais vraiment mais elle est partie avec mon meilleur copain, j’étais naïf, je n’ai rien vu venir et, d’un coup tout est tombé à l’eau, c’est pourquoi. Je me suis dis… Je ne veux pas recommencer… et voilà, tu arrives… tu comprends, ce n’est pas simple…
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« La primera noche que te vi yo sabía que eras para mí, jamás otros besos preferí porque siempre estás en mí…».86 A La Peña-Saint Germain, c’est l’effervescence, la fête bat son plein, malgré l’heure avancée de la nuit. C’est que, pour faire la fête, il n’y a point d’heure. Il faut le dire et le redire, de nombreux fêtards continuent toujours d’arriver. En effet, ici la plupart d’entre eux viennent toujours tard, après être passés par d’autres établissements, le Cuba Café, La Coupole quand on y joue de la salsa, le Globo ou autres établissements ou encore d’un restaurant pour dîner, ou parfois directement de chez soi, de chez des amis où l’on se réunit ou d’ailleurs. Comme il se fait tard, les vigiles Oumar et Yves sont toujours sur le qui-vive, bien qu’ils aient l’habitude et n’aient presque jamais rencontré de grandes difficultés avec le public qui fréquente l’établissement. Il y a aussi ceux qui préfèrent venir tard, pour diverses raisons, disons, pour rencontrer des amis déjà là, ou pour rencontrer plus facilement une fille, enfin, pour trouver une ambiance plus chaude et festive… Le premier cas, le plus répandu consiste à passer chez des amis ou faire quelque chose avant de venir soit pour occuper le temps soit pour prendre un peu d’élan en buvant un verre avant, l’important, c’est qu’en arrivant tardivement on est certain de retrouver ses amis ; le second, tout aussi intéressant, s’explique par le fait qu’aborder une fille se fait de façon plus directe, dans cette ambiance, sans nécessiter trop de contacts préalables. Cette technique est courante chez les habitués. Prendre l’initiative, c’est une dimension importante puisque « l’accrochage » demande un certain effort, une forme d’implication. Celui qui commence, montre qu’il cherche quelque chose, ceci dit, cela peut aussi se faire dans le sens inverse… On retrouve le même phénomène dans 86 « La première nuit que je t’ai vue / je savais que tu étais pour moi /
jamais je n’ai préféré d’autres baisers / car je pense toujours à toi…». Chanson Mujer divina. Interprète : Cheo Feliciano – Joe Cuba y su Sexteto.
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beaucoup d’endroits : hommes et femmes peuvent se regarder sans avoir vraiment l’air de vouloir une rencontre, sans que personne ne décide de rien. C’est dans ce créneau qu’évolue Domingo, qui vient d’arriver, originaire de l’Equateur, lui, le vrai « latin lover », avec ses cheveux gominés, sa silhouette à la Travolta et son costume tout propre, il vient toujours après une heure du matin, « c’est l’heure propice », comme il le dit lui-même. C’est intéressant parce qu’à ce moment, la fête est intense et généralement les gens sont contents, gais, joyeux… Après avoir salué Oumar et Yves, puis successivement les habitués accoudés au comptoir, sans oublier François Douchet, Patrice Sokolsky, le barman Jonathan et bien sûr Liliana qui s’occupe du vestiaire, il se prend un mojito avec ses copains Armando et Andrés avant d’entamer la conversation : – Salut les amis ! dit-il en soulevant son verre. – Epa ! José, une photo pour l’histoire, glisse-t-il en même temps au Che qui est en train de discuter non loin de là. Ce dernier s’exécute avec courtoisie. – Alors, c’est comment l’ambiance ? demande-t-il, à ses amis. – Super ! – Bon, on va aller danser ! Il descend et fait le tour des deux pistes, rapidement invite à danser une des deux filles assises sur un banc au bord de la première piste. – Je crois que tu es latina, lui lance-t-il en espagnol. – Ah oui ! Tu es de quel pays, lui demande-t-elle, avec curiosité. – Je suis de l’Equateur, plus précisément de Quito, la capitale. – Moi de Colombie mais pas de la ville de Cali, comme la plupart de mes compatriotes qui viennent ici. Je suis de la cordillère. Ils continuent à danser, tout en parlant et soudain se souvient : – Cela me fait penser à l’œuvre El olor de la guayaba quand l’auteur Gabriel García Márquez dans une conversation avec son
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ami Plinio Apuleyo Mendoza87 fait allusion au caractère différent des habitants de cette région andine plus tristes par rapport à ceux de la côte, comme les danses et, pourtant toi tu prouves le contraire, tu as la joie des filles de Cali, lâche Domingo avec sympathie. Et puis, il reconnaît gentiment : ce n’est pas simplement à Cali qu’il y a de jolies colombiennes… comme le disent certains. – Gracias ! lui répond-elle. La vision de la femme à laquelle tu te réfères donne une idée de ce qu’est notre région voire de la Colombie toute entière, mais elle n’est pas forcément juste, même si c’est une notoriété qui le dit, il me semble qu’il ne faut pas généraliser. – Je suis de ton avis, lui dit-il sereinement. – Quel est ton prénom ? lui demande-t-elle, ajoutant le mien c’est Zulay. – Domingo, comme le dernier jour de la semaine. Alternant discussions et pas de danse, ils se sentent quelques affinités. Alors que la vague festive s’amplifie, eux marquent le pas avec une certaine complicité. Ils ont des points de vue assez proches notamment sur la littérature latino-américaine où leurs opinions convergent. Elle prépare une thèse sur l’œuvre d’Alvaro Mutis,88 entre deux citations de passages de son auteur préféré, elle lui explique le labyrinthe qui unit femmes, poésie et musique, ce dont la littérature s’approprie avec délectation, livrant des pages singulières, passionnantes que l’on ne peut qu’admirer mais qui ont l’avantage de faire comprendre de quoi sont capables ces femmes, qui elles sont et par ailleurs qui en servent la cause. – J’avoue que j’étais venu avec une idée préconçue. Mais il faut absolument que tu saches que ce que tu me décris, me touche profondément. J’aime la littérature latino-américaine, d’ailleurs je passe souvent dans les librairies qui se trouvent rue de Seine ou rue Monsieur le Prince soit pour acheter un livre qui me plait soit pour 87
Plinio Apuleyo Mendoza y Gabriel García Márquez, El olor de la Guayaba, ed. Mondadori, Barcelona, 1994. 88 Né en 1923, poète et romancier colombien, il a reçu de nombreux et importants prix littéraires dont le prix Cervantes en 2001.
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connaître les dernières nouveautés. Je le reconnais, je n’ai d’autre envie que d’entendre ta douce voix en raconter davantage, commente-t-il. Tiens, si l’on s’asseyait ! Ils s’assoient à côté de l’amie de Zulay. Mila est d’origine chilienne, elle aussi fait des études de littérature à l’université de la Sorbonne Nouvelle. Domingo, lui, étudie le théâtre à l’université de Paris VIII et joue dans de petits rôles quand son emploi du temps le lui permet. Mila décrit alors en quoi consiste son travail de recherche et donne un éclairage intéressant sur ce que la littérature apporte à l’homme ; elle entraîne ses deux compagnons dans un voyage initiatique qui mêle films, livres, expositions, théâtre, concerts et dessine des pratiques culturelles que l’on retrouvera dans l’œuvre de tel ou tel auteur, les mélangeant continuellement à la réalité sociale afin d’en donner l’image juste, reflet de la sensibilité humaine. Enfin, elle leur parle de la cueca chilienne89 et cite l’œuvre País sin nombre de Jaime Valdivie 90 qui l’avait beaucoup impressionnée. La conversation tourne autour de cette thématique. Soudain, Domingo l’interrompt pour demander à Mila : « Peux-tu nous parler du mouvement salsa au Chili ? Que penses-tu de la salsa car là-bas, ce n’est par vraiment une danse courante ? » – Tu as peut-être raison mais n’oublie pas que nous aussi nous sommes avant tout des sud-américains, répond Mila et elle ajoute, comme toi j’ai un cœur latino. – Je n’ai pas voulu t’agresser mais seulement savoir comme est le mouvement de la salsa chez vous, au Chili. – C’est bon, dit Zulay. Nous n’allons pas nous fâcher pour cela. Allons danser, j’ai besoin de bouger. 89 Danse de couple où chacun des deux danseurs danse seul, elle symbolise le harcèlement de la femme amoureuse envers l’homme : les danseurs portent un mouchoir dans la main droite, font des figures circulaires, en faisant des tours et demi tours, intercalés entre les refrains. C’est la danse nationale du Chili, aussi dansée en Bolivie, comme danse folklorique, en Argentine et en Colombie, avec diverses variantes selon les régions et les époques. 90 Ecrivain d’origine chilienne.
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« Yo le pido a mi gente que están gozando que la orquesta Lebrón le está tocando algo sencillo, algo movido y bueno que está baila conmigo. echa pa’aca porque bueno está. La orquesta Lebrón... »91 Tout sourire, presque en dansant et rayonnant de beauté, deux jolies filles s’approchent du bar et commandent deux mojitos au barman. – S’il vous plaît ! leur dit-il en les leur apportant. – Avec plaisir, Mesdemoiselles, répète-t-il, émerveillé par la beauté des filles. Et cherchant à entamer la conversation, il enchaîne rapidement : – Alors ! tout se passe comme vous le voulez ? – Ça va, répond l’une des filles. – Pour moi, aussi, je m’éclate, souffle l’autre copine. On n’arrête pas de danser, c’est pour cela que nous sommes remontées ici afin de respirer un peu d’air frais et pour boire un verre tranquillement. Le sourire du barman s’élargit. L’occasion précieuse lui est donnée pour leur demander leur prénom et tenter d’en savoir davantage. – Moi, c’est Alice et elle, c’est Emmanuelle, répond-elle, en souriant. – Je me présente : Jonathan, dit-il. C’est la première fois que je vous vois ici, n’est-ce pas ? – Non, c’est la troisième fois, c’est vrai que généralement nous restons en bas.
91 « Je demande à mes gens qui s’amusent / que l’orchestre Lebrón est en train de jouer / quelque chose de simple, de bougeant / c’est bon pour danser avec moi / venez / ici c’est bon / L’orchestre Lebrón…». Chanson Salsa y control. Compositeur : José Lebrón. Interprète : Pablo Lebrón.
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– Alors ! Que pensez-vous de la salsa ? Est-ce qu’elle vous plaît ? leur demande-t-il. – Bien sûr, c’est pour cela que nous venons, c’est un endroit sympathique, ici on ne trouve pas des gens qui se prennent la tête avec des chorégraphies et surtout, nous dansons avec beaucoup de plaisir, avoue Emmanuelle, en poursuivant : j’adore... – Vous me pardonnerez mais je dois m’occuper des gens à côté, j’arrive tout suite, déclare-t-il en allant servir les autres. En se retournant, il les dévisage et leur dit avec gravité : – Eh bien ! Mesdemoiselles… je suis très heureux du hasard qui vous a conduit à moi… vous auriez pu commander dans le bar en bas mais j’ai compris… – Sí, lui lance Alice, en espagnol, mais on voulait te voir... ! le fixant de ses très beaux yeux bleus. Jonathan est surpris, flatté… et ne répond pas. Les amis d’Isabelle s’apprêtent à quitter le lieu. Allons, dit Michel en se levant le premier. Ils partagent tous le sentiment d’avoir passé une belle soirée, d’avoir été accompagnés par un fin connaisseur et d’avoir découvert un restaurant et un établissement dont la joie et la gaieté permettent de faire passer des moments heureux. Bref, d’avoir vibré aux sonorités percutantes de la musique salsa et surtout d’avoir mis du piment à cette saga festive. Tous sortent et avant de se quitter, remercient Isabelle… – Hasta la vista ! lance une des filles. Isabelle et Roberto partent ensemble dans la nuit glaciale parisienne. – C’est formidable ! S’exclame-t-elle, tout en l’interrogeant aussitôt : est-ce que tu m’aimes ? – Oui. Bien sûr, je t’aime, lui assure-t-il en l’embrassant. – Moi aussi, répète Isabelle maintenant je ne veux pas te quitter.
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– Tu vois, la vie nous réserve des surprises comme le dit la chanson « Pedro Navaja » de Ruben Blades 92 : « la vida te da sorpresas / sorpresas te da la vida / ay Dios ! », je veux dire, que je suis sorti pour prendre un peu d’air, enfin, pour me changer les idées…, maintenant je ne veux pas te quitter. Et Roberto en s’en allant, fredonne sans le vouloir, un peu inconsciemment, l’air d’une des chansons de son compatriote Andy Montañez93 : « Me dices que te has vuelto a enamorar y yo no comprendo lo que dices, si es que de mí te has olvidado ya o buscas otras horas más felices…».94
92 Chanteur et musicien d’origine panaméen. Allusion à l’une des chansons
les plus vendues et écoutées de la salsa : « la vie te donne des surprises / surprises te donne la vie / Ah ! Dieu ! ». Disque : Siembra (Semer). 93 Chanteur et musicien de salsa d’origine portoricaine. 94 « Tu me dis que tu es tombée amoureuse / je ne comprends pas ce que tu dis / si tu m’as déjà oublié / ou est-ce que tu cherches d’autres moments plus heureux…». Chanson Casi te envidio. (Je t’envie presque). Interprète : Andy Montañez.
IX Un coup de fil fait sursauter Gilberto allongé sur son lit. – Salut l’ami, que fais-tu ? Questionne Elohim. – J’étais en train de lire « Managua salsa City ¡Devórame otra vez ! »95 et je me suis endormi. Dans un sens, tant mieux, tu
95 Œuvre romancée dans laquelle l’auteur décrit la vie d’une prostituée et
celle d’un homme ordinaire dans la ville de Managua, qui vivent dans la drogue et sur fond de chansons de salsa. D’une excellente qualité littéraire qui a permis à son auteur de gagner le prix « Centroamericano de
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sais que le samedi, il est préférable de se reposer avant d’entamer une nuit de fête. C’est l’idéal pour être en forme. – Je comprends ! à quelle heure se retrouve-t-on ? – Comme d’habitude ! – A propos ! sais-tu que Cuco n’est plus là. Il y a un nouveau Dj’s surnommé « El Niche »96 maintenant à La PeñaSaint Germain. – Ah bon ! tu le connais ? demande Gilberto. – Non. On m’a dit que c’était un ami de Fercho « El Bacan ».97 – Bien ! alors nous verrons ce soir… « Déjame quererte… No es fácil desnudar tu corazón, para conocerte tendría que trepar en tu balcón.... Una noche, descubrir tu piel y otra noche procurar ser fiel… Cinco noches para estar loco por tí... ».98 Caroline, Ludivine, Sophie et Ingrid ont aussi rendez-vous à La Peña-Saint Germain respectivement avec Carlos, Rodolfo, Yván et Oscar. Les latinos arrivent d’abord mais en ordre dispersé, puis les filles vers minuit. Comme les autres, ils vont vite s’apercevoir que le Dj’s Cuco a laissé sa place… Avec d’énormes Literatura, Rogelio Sinan 1999-2000 à Panamá ». Son auteur Frank Galich, Anamá Ediciones, Managua, 2001. 96 De son vrai nom, Jorge Enrique Romero Escobar, originaire de Cali (Colombie) est arrivé en France en 2002 et a travaillé comme Dj’s dans les établissements El Balajo, El Diablito latino, La Tipaza, El Jet latino avant d’arriver à La Peña. 97 Dj’s colombien jouant sur la scène parisienne. 98 « Laisse-moi t’aimer / il n’est pas facile de dénuder ton cœur / pour te connaître / je monterai sur ton balcon / une nuit, pour découvrir ta peau / une autre pour tenter d’être fidèle… / cinq nuits pour être fou de toi… ». Chanson Cinco noches (Cinq nuits). Interprète : Paquito Guzman.
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regrets, les filles évoquent les moments fantastiques passés lorsqu’il était là. Mais il n’est plus là et le nouveau Dj’s, bien qu’il se positionne dans sa continuité, a une personnalité différente. Néanmoins, il bénéficie d’un bon accueil des fans de l’établissement. Certains sont surpris par les chansons plus longues ou moins consensuelles… La curiosité est au rendez-vous, ils vont découvrir une nouvelle tendance qui propose des formules musicales mélangeant salsa, bachata, reggaeton et autres rythmes éclectiques, l’objectif final étant évidemment de faire en sorte de contenter tous les participants. Ludivine est la première à apercevoir les garçons qui les attendent déjà. Elle est contente et communique aussitôt son effervescence à ses amies en leur demandant de les rejoindre. Saluts, embrassades, échanges de gestes affectueux… – Comment allez-vous ? Interroge-t-elle la première. – Très bien, répondent-ils à l’unisson. Et Carlos de déclarer : « vous êtes toutes les quatre charmantes, absolument charmantes, rien ne pourrait me plaire davantage que la gaieté qui vous fait rayonner … ». Sans attendre, Yván invite sa copine Sophie à danser tandis que les autres s’attardent à discuter. Ecoutez, dit Oscar : « je suis allé, il n’y a pas longtemps, à un Festival de flamenco dans la ville de Nîmes et je vous assure que j’ai vu un spectacle qui m’a fortement impressionné, tant la prestation était magique… ». A propos de mes goûts musicaux, je ne peux pas vraiment dire que j’aime le flamenco, mais par contre, sincèrement j’ai une prédilection pour le fado que je ressens comme une musique plus touchante, plus mélancolique certes, mais plus près de la réalité dans laquelle nous baignons, particulièrement quand nous vivons une déchirure sentimentale, confie Ludivine. Ses amies semblent partager le même avis… A chacun ses goûts, déclare Rodolfo mais, « ta » déchirure sentimentale renvoie à l’approche anthropologique que décrit Michelle Perrot dans son ouvrage paru récemment, dans lequel la représentation des femmes ou du « modèle de la jeune fille » véhiculé par les théologiens, est celui qui se traduit par des rêveries solitaires qui dissimulent tous les secrets et enrichissent le
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désir lorsqu’on est dans l’intimité de sa chambre.99 Par ailleurs, poursuit-il, en Amérique latine, il y a fort longtemps déjà, les hommes préféraient les boléros à une musique plus rythmée, sous prétexte que ceux-ci étaient une véritable radiographie de ce qu’ils vivaient et à laquelle ils s’identifiaient, justement lorsqu’ils étaient en rupture amoureuse. Mais, Rodolfo n’ignore pas que la salsa sous-tend également ce genre thématique, c’est-à-dire celui des chansons qui contribuent à apaiser les manifestations de fièvres émotionnelles générées par l’amour, qu’elles soient romantiques ou érotiques100 ; autrement dit des chansons qui évoquent le désespoir des hommes à la suite d’une rupture amoureuse ou prodiguent des conseils aux malheureux en amour pour surmonter leur détresse. Pour que vous le sachiez, ces chansons sont essentiellement issues du répertoire du compositeur portoricain Tite Curet, précise-t-il. La conversation se focalise alors autour de la musique et du rapport que celle-ci entretient avec la danse. Ce n’est pas s’en faire penser à un passage du roman d’Isabel Allende dans lequel elle décrit une mise en scène au cours de laquelle Honoré demande à Zarité 99 Cf. Histoires des chambres, éd. du Seuil, 2009. Michelle Perrot
« pénètre au cœur des habitations, là où repos, méditation, création artistique, naissance, amour et décès s’accomplissent. Chambres royales aux rites théâtraux, chambres de jeunes filles aux rêveries solitaires, chambres conjugales où les corps à corps scellent les promesses échangées, ces abris familiers dissimulent tous les secrets. À l’horizontal sur un lit ou sagement assis au creux d’un fauteuil… Un réjouissant hommage aux multiples visages de la chambre, pièce universellement intime. » Sophie Lebeuf, in : http://www.evene.fr/livres/livre/michelleperrot-histoire-de-chambres-41174.php?critiques. 100 Dans l’histoire de la salsa quatre périodes comportent des thématiques différentes : de 1960 à 1973, où la thématique prédominant est la revendication face à la marginalité, à la violence ainsi que des allusions à la vie quotidienne du barrio et à la tradition ; de 1974 à 1979, avec des références à faire la fête et la diversion, allusions nécessaires pour toucher d’autres secteurs de la société ; de 1980 à 1984, avec une thématique plus sociale et enfin, de 1985 à nos jours où sont présentées les chansons de salsa érotique et les balades d’aujourd’hui. Voir de l’auteur La salsa, un phénomène socioculturel, L’Harmattan, 1998, p. 63.
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Sedella de danser parce qu’un « esclave qui ne danse pas ne sera jamais libre… ».101 Or cet argumentaire ne trouve pratiquement aucun écho chez les auditeurs de Rodolfo. C’est plutôt une étrange douceur qui émane de leur rencontre, comme si l’énergie et l’envie de se retrouver prenait un tout autre sens. En fait, ce que veulent les filles, c’est simplement danser, ce qu’elles n’osent pas dire pour ne pas fâcher leurs compagnons qui préfèrent discuter. Cependant, il leur suffira d’un geste simple, d’un mouvement du corps en se balançant au rythme des sonorités musicales pour que ceux-ci devinent leur désir. Face à une telle impatience, les garçons vont cette fois-ci se surpasser, aller au bout d’eux-mêmes, voire au-delà, attrapant chacun leur cavalière, ils s’élancent dans un mouvement rythmique comme eux seuls savent le faire et qui plaît tant à leur partenaire. Yván, tout en dansant, saisit délicatement la main droite de Sophie, lui caresse le visage, puis effleure le bout de ses lèvres… – C’est agréable, murmure-t-elle. Il en profite pour l’embrasser… et ils continuent à danser sans pouvoir trop bouger à cause des nombreux danseurs ou non danseurs qui envahissent la piste. – C’est un heureux hasard de te rencontrer, confie-t-il. – Je suis contente, dit-elle, en se laissant guider par son cavalier. Caroline et Carlos dansant bien serrés, se laissent emporter dans une excitation diabolique ponctuée de joie, de rires et aussi d’embrassades fugaces ou au contraire interminables selon le rythme de la musique.
101 La isla bajo el mar, ed. Mondadori, 2009. L’ouvrage décrit la vie de
Zarité, une mulâtresse qui, à neuf ans, fut vendue en tant qu’esclave au français Toulouse Valmorain, propriétaire d’une des plus importantes plantations de sucre de Saint Domingue. L’auteur retrace les conditions de vie et la lutte que les esclaves menèrent pour retrouver leur liberté au XVIIIème siècle, à Saint Domingue et pour se libérer des conventions que la société leur a imposées.
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Quant aux autres, ils sont déjà tous en train de danser. Le sentiment d’un début difficile pour le nouveau Dj’s s’estompe vite, aidé en cela par un décor musical qui a fait ses preuves. Pour lui, il s’agit essentiellement de créer l’ambiance festive qui envoûtera les danseurs, et il y réussit, c’est déjà beaucoup. Donc, un morceau de salsa bien choisi donne un baptême plutôt convaincant… Très concentré, le Dj’s « El Niche » fait de son mieux pour trouver la note juste susceptible de créer une bonne ambiance. Rejetant toute théâtralité délibérément figée, il est attentif aux désidératas du public nombreux qui lui demande tel ou tel morceau. Avec beaucoup de présence d’esprit, il privilégie des chansons empruntes de la sensualité la plus pure comme celles de Tito Rojas : « Comprendo que fallé burlé todos tus encantos jugué con tus sentimientos y hoy me encuentro destrozado te marchaste y hoy no sé de tí… Me mata la soledad…».102
Comme dans un jeu, les danseurs dansent et ceux qui ne dansent pas s’amusent à organiser l’espace et le temps, soit en discutant soit en contemplant les autres danser. Longtemps enivrés par les sonorités de la musique, ces derniers ou ceux qui ne dansent pas gèrent dans leurs contemplations leur émoi personnel, par-delà toute envie de danser parce qu’ils ne savent pas, ou par pudeur, n’osent pas. A la différence de beaucoup d’autres, ces derniers, verres à la main, « revendiquent » une forme d’amusement qui trouve aussi sa place à La Peña-Saint Germain. Ainsi, le Dj’s El 102 « J’ai compris que je me suis trompé / en me moquant de toi / j’ai
joué avec tes sentiments /aujourd’hui je me sens mal / tu es partie et je ne sais rien de toi / la solitude me fait mal… ». Chanson Me mata la soledad (La solitude me tue). Interprète : Tito Rojas.
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Niche entreprend une véritable joute musicale pour rassembler les fêtards dans l’extase d’une allégorie festive qui fera de cette soirée, une soirée réussie. Gilberto est le premier à apparaître ce soir à La Peña-Saint Germain, suivi d’Elohim et de Florencio qui arrivent quelques minutes plus tard. Ils se commandent un mojito et vont saluer le Dj’s El Niche qu’ils ne connaissent pas encore. Après avoir fait connaissance avec lui et avoir échangé quelques mots, ils rejoignent leur place pour contempler la fête. Plus exactement pour participer à la fête. Quelques amis qu’ils n’avaient pas vus depuis longtemps, sont déjà là. Cette fois, les membres du groupe ont envie de danser comme ils s’étaient bien promis de le faire, d’autant plus que ce soir là, il y a beaucoup de monde, particulièrement beaucoup de partenaires potentielles pour danser. Mais ils hésitent encore, partagés entre l’envie d’aller danser ou l’envie de discuter avec les derniers arrivés. En fait, retenus par des d’histoires passionnantes, ils restent et la discussion s’engage. Inéluctablement, les nouveaux arrivants proposent de boire des mojitos et commencent à raconter des histoires sur tout et n’importe quoi, ce qui constitue un véritable rituel permettant de passer un bon moment ensemble. L’un des orateurs pris au jeu, raconte des anecdotes plus invraisemblables les unes que les autres mais ses compagnons, incroyablement perspicaces, même s’ils ne sont dupes, acceptent ces récits entre mensonges et mythomanies et comme dans une pièce de théâtre, sont obligés d’en rire. Experts en rigolades, ils sont aidés en cela par l’arme dont ils disposent, les mojitos, armes dont ils usent et abusent, mais qui sont indissociables pour eux d’une bonne soirée à La Peña-Saint Germain. Cupides, amoraux, ces maîtres du discours ressemblent aux politiciens en quête de voix qui, comme le loup au chien, racontent des histoires dérisoires, en font profession sans manquer de créer des polémiques de façon sporadique. Mensonges, exagérations, vantardises pleuvent… Leur faire confiance serait une grave erreur -se dit Gilberto intérieurement- en revanche, profiter de la situation est une véritable opportunité pour boire un verre à moindre coût.
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« Es más fácil arrancarle la tristeza, que la alegría al corazón, nunca trates de ocultarte de tus penas, ahogándote en el licor, hay que tratar de salir del camino equivocado, al ver que en él no ha logrado la tristeza combatir, no vayas a detenerte, hay que seguir adelante, el mundo es del caminante que no le teme al camino, si un amor te echó al olvido, sigue tu camino andante…».103 Ce même samedi, au cours de l’après-midi, Roberto reçoit un coup de fil d’Isabelle lui proposant de sortir le soir. – Désolé, chérie, je préfère garder ma soirée libre. – Tu n’es pas sympa, dit-elle. – Je te propose que l’on se voie plutôt la semaine prochaine. Et il poursuit : c’est-à-dire, en fait… je cherche une autre date. – Tu n’es vraiment pas sympa, répète-t-elle. – C’est toi qui le dis… – Et que penses-tu faire ? – J’ai invité des amis à passer la soirée chez moi. – Si je comprends bien, tu ne veux pas être avec moi. – Oui, c’est vrai. Il se tait, à court d’arguments. Puis, s’interroge intérieurement : dois-je sortir avec elle ? Sera-t-elle fâchée ? Il se décide alors à lui répondre d’une voix bizarre : « voyons, on se voit la semaine prochaine, si tu veux… ». Isabelle sans en entendre davantage lui raccroche au nez. J’ai le sentiment d’être sous surveillance pourtant je ne suis pas paranoïaque, pense soudain Roberto mais... En fin de compte 103 « Il est plus facile d’ôter la tristesse du cœur que la joie / n’essaie
jamais d’ignorer tes peines en te noyant dans la liqueur / il faut tenter de t’éloigner du mauvais chemin en voyant qu’il ne t’a pas permis de combattre la tristesse / ne t’arrête pas, il faut aller de l’avant / le monde appartient à celui qui ne craint pas de prendre le chemin /si un amour t’a mené à l’oubli, poursuis ton chemin en avançant… ». Chanson Camino equivocado (Mauvais chemin). Interprète: Pedro Conga.
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c’est mieux ainsi, au moins, je pourrais être avec mes amis plus tranquillement. Le soir après huit heures, presque en même temps arrivent Pedro le vénézuélien, Edgar le colombien, Cheo le dominicain et Horacio le chilien. – Comment ça va, mon ami, interroge Pedro en entrant le premier, on m’a dit que tu étais tombé amoureux…, est-ce vrai ? Roberto rit, comme s’il était gêné. – Et toi, quoi de neuf ? Répond-il en éludant la question. Il prend conscience à cet instant que sa relation avec Isabelle le dérange un peu, il n’est plus libre comme avant…, sentiment renforcé par le fait qu’ils viennent de se disputer. – Salut, les copains, entrez ! – Je t’ai amené un nouveau livre qui vient de paraître sur Arsenio Rodriguez,104 je l’ai acheté spécialement pour toi, il retrace la vie de ce formidable musicien dont les compositions sont toujours universellement reconnues, comme je sais que tu t’intéresses à ce domaine, j’espère qu’il te sera utile. – Arsenio est et continuera à être une figure légendaire dans l’histoire de la musique populaire des Caraïbes. C’est lui qui a introduit des changements importants dans les partitions de son comme dans la fusion de la rumba, ajoute Pedro, en demandant à Roberto de mettre un disque d’Eddie Palmieri.105 104 Arsenio Rodríguez (né Ignacio Loyola Rodríguez Scull) est considéré
comme l’un des plus importants musiciens cubains du XX siècle; compositeur prolifique, il a écrit un important répertoire de chansons. Il est devenu aveugle trés jeune et a inventé le son montuno, mélange du son cubain et du guaguanco. Pour plus d’informations sur son oeuvre nous recommandons au lecteur de lire de Pablo Emilio Delvalle Arroyo, Arsenio Rodríguez: Del son a la salsa, Fundación Cultural Clave, Caracas, 2008. 105 Eddie Palmieri est né dans le Sud du Bronx (New York) de parents portoricains. Musicien, compositeur, arrangeur et directeur de plusieurs formations musicales de musique latine ; en 1961 sa rencontre avec Barry Rogers l’amène à fonder l’orchestre La Perfecta. Ils jouaient des improvisations, sans partitions et ils constatèrent que sans les trompettes l’orchestre pouvait avoir une sonorité meilleure et différente, puis,
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– Moi, ce qui me surprend, confie Horacio, c’est que si la salsa est si populaire aujourd’hui en France, pourquoi ne vend-on pas davantage de disques ? – A mon avis, explique Roberto, le problème avec la salsa c’est qu’elle est perçue seulement comme une musique voire une danse essentiellement pour la fête. Les gens, ici, ne vont pas aller acheter des disques de salsa comme fait le public consommateur de rap ou de hip-hop, qu’ils identifient à un mouvement culturel, social et même artistique parce qu’en fait, c’est une chronique de la vie quotidienne des cités, c’est-à-dire, de ce qu’ils vivent tous les jours et dans laquelle ils se retrouvent…, nous avec la salsa, c’est différent, ils ne comprennent pas nécessairement le sens des paroles et ne peuvent donc pas s’y identifier. – La même chose se produit avec les fêtes, argue Cheo, je ne veux pas faire de comparaison mais, un concert de rap ou de hip-hop, on y va pour écouter la musique tandis qu’un concert de salsa, c’est pour aller danser ; l’un et l’autre ne procèdent pas de la même démarche. – Alors ! on l’écoute ou non ce disque de Palmieri ? réplique Pedro. – Voilà pourquoi j’aime bien aller à La Peña-Saint Germain : la musique que les Dj’s y passent est d’une bonne qualité, elle permet de se détendre, même si tu n’y vas que pour boire un coup et écouter, tu passes un moment agréable, confie Cheo le dominicain. – Il faut le dire sans hésitation, renchérit Edgar le colombien. Ce lieu a marqué une étape de l’histoire de la salsa à Paris, c’est toujours un lieu de référence et quand il disparaitra, ce que nous ne souhaitons pas d’ailleurs, on dira alors, là, il y a eu des événements extraordinaires, preuve en est, les latinos en avaient fait leur deuxième maison. – Nous nous sommes tellement amusés à la Peña que c’est comme si nous étions chez nous. Le constat, c’est qu’elle nous fait
ajoutèrent les trombones ; cette sonorité-là était l’originalité du neuf à savoir celle de la musique salsa en gestation.
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toujours penser aux fêtes de chez nous : avec son ambiance, la convivialité, l’alcool, la joie de vivre… Ils s’assoient autour d’une grande table où sont disposés les saucissons, le pain, enfin, tout ce qu’il y a à manger, sans parler des bouteilles de whisky, du vin, du rhum et des bières… la discussion s’éternise sur les souvenirs partagés à La Peña-Saint Germain… Un grand festin… qui soudain les ramène chez eux, dans leurs pays, leurs villes, leurs quartiers où se mélangent florilèges de la fête à de belles histoires particulières propres à une façon d’agir et surtout à de nombreux souvenirs..Les minutes passent et la situation devient plus troublante parce qu’elle remue la nostalgie voire les sentiments, réveillant en plus de la joie, une multitude de souvenirs avec les êtres chers restés au pays. En reconstituant des histoires passées, ils se trouvent des points communs, des liens identitaires, même s’ils viennent de pays différents. Certes, la musique joue à cet instant un rôle important, même si l’alcool aide à exprimer ce que l’on ressent en étant si loin de son pays, Commence alors un long défilé d’images qui transforme les passions en récits. Dans le flot des souvenirs, il y a toujours un repère, un fait qui, lorsqu’il remonte à la surface, déclenche sans que vous vous y attendiez, et pour votre bonheur l’évocation de moments inoubliables. Il n’y a objectivement que très peu de motifs pour pleurer, notamment lorsqu’on observe à cet instant la joie qu’éprouvent les participants à se retrouver, à se remémorer infiniment les aventures et à partager les illusions vécues à La Peña-Saint Germain. Tous sont de cet avis. Et Cheo d’ajouter : j’aimerais vous dire combien je suis fasciné par les images même si l’on vit dans une société où domine la raison. Ceci explique, à mon sens, pourquoi nous avons tant besoin d’une musique comme la salsa pour laisser un peu de place à la fantaisie, au rêve… – Ça ne fait pas vraiment rêver, c’est du quotidien, déclare Pedro. – C’est justement grâce à ce type d’expérience heureuse que nous vivons ce soir en nous retrouvant ici, tous ensemble, que nous trouvons la formule qui nous permet de nous sentir bien dans un monde de plus en plus complexe.
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Dans la chanson de Palmieri, les cuivres résonnent et tous les amis, comme s’ils formaient un orchestre, se mettent à jouer sans s’être concertés, de l’instrument qu’ils affectionnent, la chanson se déroule et apparaît un interprète. L’ensemble a du succès. Pedro aussi car il a su que personne ne pourrait rester insensible à un morceau de Palmieri. C’est ce qui va se confirmer aussi par la suite… Tard dans la nuit, quelqu’un suggère : « après avoir chanté, mangé et bu, si nous allions finir la soirée à La Peña… Au même moment, à La Peña-Saint Germain, Jacques arrive avec Océane pour passer la soirée. Ils danseront toute la nuit dans une délicieuse symbiose, qui les ramène à la première minute de leur rencontre. Océane est toujours soucieuse de ne pas blesser son partenaire qui contrairement à elle danse péniblement. Elle pour qui la danse n’est que sensualité et souplesse, fruit de multiples entraînements depuis l’enfance le ménage avec délicatesse dans une douce cadence. Ils sont là, danseurs amoureux, et comme tant d’autres trouvent dans ce lieu, une certaine intimité dans le bouillonnement de la fête. El Che et d’autres amis, également présents, discutent avec François Douchet et Patrice Sokolsky qui leur font part de la prochaine fête qui marquera un anniversaire de plus pour l’établissement… Et ça, c’est une autre joie en perspective… « Que malo es querer a una mujer que sea celosa, que cuando llegues a las tres de la mañana te abre la boca, y si tu llegas mareadito con tus tragos se vuelve loca, y el sin vergüenza para vago no te dice otra cosa, y si por descuido se te olvida rebuscar el pantalón, yo te lo aseguro que te va a encontrar allí la dirección... » 106 106 « C’est mauvais d’aimer une femme jalouse / qui quand tu rentres à
trois heures du matin, te fait parler / et si tu rentres malade d’avoir trop bu, devient folle / et si par hasard tu as oublié de vérifier ton pantalon / je t’assure qu’elle va trouver l’adresse … ». Chanson Mujer celosa (Femme jalouse). El Gran Combo.
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aetitia attend Armando dans un café près de l’Odéon, à Paris. Même si elle est ravie de cette occasion de le retrouver, la perspective de cette nouvelle rencontre la trouble. – Salut ! Surprise de l’entendre, elle se retourne et ils s’embrassent. – Content de te voir, balbutie-t-elle. – Le plaisir est pour moi… dit-il en lui prenant la main. – L’autre soir, j’ai été agréablement surprise par tout ce que tu m’as raconté sur la poésie dans les chansons de salsa.
Chap. X - Une histoire de la salsa à Paris _____________________________________________________
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Je ne voyais dans la salsa qu’une musique pour danser sans en imaginer le message fort. Attirance réciproque, langage implicite d’une relation qui se dessine, reflet des affinités qui n’ont pas besoin de mots, Juan et Laetitia poursuivent leurs échanges … « On pourrait faire un saut à la Peña » propose Juan en l’embrassant. A La Peña-Saint Germain, c’est le grand jour. Il y a fort à faire car ce soir est un jour anniversaire. On attend de nombreux invités, l’accueil est primordial et la fête doit satisfaire les attentes. Elle doit offrir le meilleur d’elle-même. C’est elle qui mène le jeu, procurant une occasion unique que se rencontrent des personnalités diverses, gens de tous bords, que l’envie de s’amuser réunira grâce à la magie de l’ambiance salsa capable d’effacer les barrières, suscitant à l’inverse toutes les formes de complicités inimaginables ailleurs… La fête, œuvre majeure, fiction, réalité, les deux à la fois…mais fiction d’abord. Nous inventerions des histoires pour lui donner vie s’il en était besoin… La fête d’anniversaire commence. François Douchet, incontournable, ne déçoit pas son public conjuguant profondeur et grâce à l’image de son établissement… soucieux d’en préserver l’avenir. Les cours de salsa ont repris, lit-on à l’entrée. Est-ce bien nécessaire ? s’interroge-t-on. Pour apprendre à danser, ne convient-il pas d’abord d’écouter et de suivre la musique ? celle qui justement est la note primordiale qui incite à bouger… Roberto, accoudé au bar avec ses amis, commande mojito sur mojito… Soudain un de ces amis lui glisse : « je ne voulais pas te le dire… mais cette fille qui te regarde étonnée… » …Roberto tourne la tête, voit Isabelle qui le regarde aussi ; sans se dire un mot, ils ne se quittent plus du regard… « Me dices que te has vuelto a enamorar y yo no comprendo lo que dices…».
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Photos
- José Henriquez « El Che »
A) Page 69 : 1) Jean-Pierre Malo, Patrice, Evika, François Douchet et Camilo « Azuquita » 2) Raúl Paz, François Douchet et les amies de La Peña
B) Page 70 : 3) 4) 5) 6) 7) 8) 9)
Les amis Liliana Murillo; François, Douchet Raul Paz El Canario, Luis Miguel del Armargue et Michael Stuart Les barmans : Jonathan et le Chilien Evika et son amie argentine François Douchet, Simon Michael, Raúl Paz…
C) Page 71 : 10) 11) 12) 13)
El Canario, José Henriquez, Youssef et Camilo « Azuquita » Les beautés de La Peña L’auteur, Vany Jordan, François Douchet et Raul Paz Julián « El Payaso de la salsa », Emilie Vergne et le Dj’s El Niche 14) Les beautés de La Peña
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15) Yuri Buenaventura, Hugo García « El Polifacético » et Milvio Rodríguez « El Astro de la salsa ».
D) Page 72 : 16) Barbara Luna et François Douchet 17) Yomira John et Camilo « Azuquita ». 18) José Henriquez « El Che » et Papo Luca
E) Page 73 : 19) Patrice Sokolosky, Dany Brillant et Evika Ludnai 20) Benni, Rosario et Luis Miguel del Amargue. 21) Youssef et ses amies
F) Page 74 : 22) L’auteur, Gautier et ses amies 23) François Douchet, Raúl Paz, Orlando Poleo, Tata Guines, Nancy Murillo et ses amies 24) Les beautés de La Peña. et le Chilien 25) Andrés, Yuri 26) Wladimir et ses amies
G) Page 75 : 15) François Douchet, Frankie Vargas, Ray de La Paz, Orlando « De Cali » et Ray Sepulveda 16) Mista, Oscar De León, Orlando Poleo et José Henriquez « El Che ».
H) Page 76 : 27) Liliana 28) Evika Ludnai et Patrice Sokolosky 29) Les amis de La Peña .
TABLE DES MATIÈRES
LES NUITS DE LA PEÑA
11
A PROPOS DE LA PEÑA par François DOUCHET
13
INTRODUCTION
15
CHAPITRE I
19
CHAPITRE II
31
CHAPITRE III
41
CHAPITRE IV
55
CHAPITRE V
77
CHAPITRE VI
89
CHAPITRE VII
101
CHAPITRE VIII
115
CHAPITRE IX
129
CHAPITRE X
141
CREDITS PHOTOGRAPHIQUES
143
TABLE DES MATIERES
145
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