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PRINCIPALES DATES BIOGRAPHIQUES de Gerard Moignel Ne Ie 26 juin 1912 a Caen (Calvados). Decede Ie JO juillet 1978 it Trelleborg (Suede). Etudes au Lycee Malherbe, a Caen, et it la Faculte des Lettres de l'Universite de Caen. Licencie es-Lettres classiques, Universite de Caen, 1932. Agrege de Grammaire, 1938. Docteur es-Lettres, Paris, 1957. Mobilise du 15 avril au 30 juillet 1940. Sous-lieutenant, puis lieute nant de liaison administrative a la Mission Militaire aux Armees Alliees en Afrique du Nord et en France (interprete d'anglais), du 3 octobre 1943 au 6 novembre 1945. Professeur delegue d'enseignement secondaire (successivement a Rouen, Evreux, Vire, Eu, Nyons et Lyon, 1932-1938). Professeur agrege au Lycee de Nice (1938-1942), puis au Lycee E.F. Gautier a Alger (1942-1950). Charge de cours de philologie fran~aise a l'Universite d'Algel' (1949 1950). Assistant (1950-1953), charge d'enseignement (1953-1957), maitre de conferences (1957-1958), professeur titulaire (1958-1961) de philo logie fran~aise a l'Universite d'Alger. Maitre de conferences (1961-1962), professeur titulaire (1962-1965) de philologie romane a l'Universite de Strasbourg. Professeur titulaire de philologie fran~aise a l'Universite de Nice (1965-1970). Professeur titulaire de langue fran~aise a l'Universite de Paris Sorbonne (1970-1978). Directeur des cours pour etrangers au Centre Universitaire Mediter raneen a Nice (1966-1970). Directeur des etudes au Centre International d'Etudes franc;aises de Nice, session d'ete, 1967.
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DATES B10GRAPIIJQL'ES DE G.
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DATES BIOGRAPHlQUES DE G. MOIGNET
~IOIGXET
11
Fondateur du Centre d'etudes de romanistique a l'Universite de Nice. Organisateur du Va Congres international de langue et litterature d'oc et d'etudes francoprovenc;ales, Nice, septembre 1967 ; publi cation des Actes, Paris, Les Belles Lettres, 1974.
lec;ons et conferences: a la Radio Algerie (6 conferences sur Je theme «Ie bien dire ", 1948; conferences sur les origines du theatre franc;ais et sur Ie theatre medieval en France, 1949-50) ;
Membre elu du Comite consultatif des Universites, section Lettres, 1969-1975. Membre coopte du Conseil du Centre de Philologie et de Litteratures romanes de Strasbourg (1971).
aux Universites de Tiibingen (1961, 1965), de Montreal (1968), de Madrid, de Barcelone et de Murcie (1971), de Yaounde (1972), de Tunis (1974, 1975, 1976, 1977, 1978), de Lund, de Turku et de Helsinki (1974), de Brazzaville (1976) ; d'Angers (Cerc1e armoricain de linguistique et de dialectologie, 1964), d'Aix-Marseille (1965, 1972), de Caen (1970), de Lille (1972), de Metz (1972), de Clermont-Ferrand (19n), de Rouen (1978) ;
Membre du Conseil International de la Langue Franc;aise (elu en 1972). Commandeur des Palmes academiques (1967).
Membre de la Societe de Linguistique de Paris, de la Societe de Linguistique romane, de l'Association Franc;aise de Linguistique appliquee, de la Societe Ronc;esvals, de l' Association de Defense de la Langue franc;aise, de l'Association pour l'Enseignement du Franc;ais, de l'Association des Medievistes (en 1973, president de la Commission sur l'ancien franc;ais it l'agregation), de la Societe de Langues et de Litteratures medievales d'oc et d'oll, de la Societe Dante Alighieri, de l'Association Universitaire pour l'Entente et la Liberte.
Cours et seminaires : au Centre de Philologie et de Litteratures romanes de Stras bourg, enseignement regulier de 1961 it 1965, puis tous les ans plusieurs lec;ons jusqu'en 1977 ; it l'U.E.R. de civilisation, Universite de Nice, de 1970 it 1974 ; it l'Institut d'Etudes iberiques de Paris (seminaire de grammaire
et de psychosystematique, en collaboration avec Maurice Molho), depuis 1973 ;
a I'Ecole
Normale superieure de Fontenay-aux-Roses (cours de grammaire franc;aise), 1974-1976;
a l'Universite
Laval, a Quebec (recherche au Fonds Gustave Guillaume et enseignement au Departement de Linguistique), aout-novembre 1968 et septembre-novembre 1969 ;
a la Sir George
Williams University 1969, 1970 et 1974;
a l'Universite a l'Universite
a Montreal,
session:::; d'ete
de Montreal, sessions d'ete 1970 et 1971 ; de Jerusalem, fevrier-mars 1973;
it la Societe Dante Alighieri (1959) :
a la
Radio France, emission de France-Culture, sur la Chanson de Roland, interview enregistree d'avance et diffusee Ie jour de son deces, Ie 10 juillet 1978, et Ie Iendemain;
communications: a divers colloques et congres, notamment de la Societe Ronces vals (1961, 1964, 1970, 1973, 1976), de Linguistique et Philo logie romanes (1962, 1965, 1968, 1971), de Langue et Littera ture d'oc (1964, 1970), de l'Association canadienne-franc;aise pour l'avancement des Sciences (Ottawa, 1968) ; aux Journees consacrees a l'ceuvre et a la pensee de Gustave Guillaume (Nancy, 1967) ; a la IVe biennale de Ia langue franc;aise (Men ton, 1971) ; aux colloques de Bruxelles (gram:maire generative et psychomecanique du langage, 1974), de Metz (modeles logi ques et niveaux G.'analyse linguistique, 1974 ; theorie psycho mecanique de l'aspect, 1978), d'Amiens (psychomecanique du langage et analyse de l'ancien fram;ais, 1977), d'Ivry (relations predicat-actants, 1978), etc.
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~IOIGNET
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CHRISTINE WnnlER
du XIII" Congres international de Iinguistique et de philologie romanes (Quebec, 29 aout-5 septembre), Quebec, Presses de l'Universite Laval, vol. 1, pp. 1.061-1.074. 66. Grammaire de l'ancien franr;a.is, 2" ed. revue et corrigee, Paris, Klincksieck, 447 p. 67. C.r. de E. Eihorn, Old french, a concise handbook (Cambridge, 1974), dans Cahiers de civilisation medievale, XIX, pp. 283-285.
RlBI.IOGRAPlIIE DES TRA Y,\l'X DE G. :\IOlGNET
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3. Robert Martin, {( The French Contribution to modern Lin guistics: Theories of language and methods in syntax, Paris, Klincksieck, 1975, pp. 30-38, 77-82, 85-89. 4. Marc Wilmet, Gustave GuiLlaume et son Ecole linguistique, 2" ed. revue, Bruxelles, Labor, Paris, Nathan, 1978, en particu lier pp. 161, 163, 164, 165, 168-169, 174. NECROLOGIES
1977
68. "Ancien franc:;ais si/se", dans les Travaux de linguistique et de litterature, XV, 1, pp. 267-289. 69. «Psycho-systematique du langage et analyse de l'ancien fran c:;ais », dans les Actes du Colloque « Linguistique et philologie » (Amiens, 29-30 avril 1977), Amiens, Centre d'Etudes medievales de l'Universite de Picardie (diff. Paris, Champion), pp. 59-78. 70. C.r. de Pol Skarup, Les Premieres Zones de Ia proposition en ancien franr;ais. Essai de syntaxe de position (Copenhague, 1975), dans la Romania, XCVIII, pp. 260-264. 71. Avant-propos de Naoyo Furukawa, Le Nombre grammatical en franr;ais contemporain, Tokyo, France Tosho (Dif£. Paris, Nizet, 1978). 1978
72. «Si et autour de si dans Les quinze joyes de mariage », dans les Travaux de linguistique et de litterature. XVI, 1, p. 411-425. 73. "La grammaire des songes dans La Qneste del Saint Graal », dans Langue franc;aise, nO 40, pp. 113-119. 1980
74. «La theorie psycho-systematique de l'aspect verbal», dans les Actes du colloque « La notion d'aspect (Metz, 18-20 mai 1978), Centre d'Analyse syntaxique de l'Universite de Metz (diff. Librairie Klincksieck, Paris), pp. 41-49. Sous presse : 75. La Systematique de Ia langue franc;aise, dans la {( Bibliothcque franc:;aise et romane ", serie A, Paris, Klincksieck. ETUDES CONSACREES A L'CEUVRE
DE GERARD MOIGNET
1. Marc Wilmet, Gustave Guillaume et son Ecole linguistique, Bruxelles, Labor, Paris, Nathan, 1972, pp. 116-117; v. aussi Index des auteurs. 2. Robert Martin, «Le Francais Moderne dans l'histoire du Guil laumisme », dans Le Franr;ais Moderne, XLI, 1973, pp. 338-343.
Robert Martin, dans la Revue de linguistique romane. XLII, 1978, pp. 476-480. Brochure-Programme du Centre de Philologie et de litteratUl'es romanes, Strasbourg, fasc. 24, 1979, p. 124.
Christine WIMMER
A propos du « verbe voici - voila» A man pere
Si la mise en evidence du verbe voici - voila» a lors de sa parution, Ie par sa hardiesse et Ia finesse nalite, elle a de quoi enthousiasmer Ie soutient du fonctionnement de la ploie croyant en avoir la maitrise savante ou commune et en ce qu'elle de Ia du su iet dans un coonce. Le psychanalyste, membre de la Cause Freudienne, fidele a I'enseignement du Dr Lacan a Ie gout sinon Ie devoir d'interroger Ia Iinguistique dans sa pratique; Ie langage, est-il utile de Ie rappe Ier, est specifique de la relation humaine au symbolique. La decou verte de Freud, Ia revolution Freudienne a ete d'etablir qu'il n'y a de l'inconscient que parce qu'il yale lang age, voir «I'interpretation des reves », Ie «mot d'esprit et ses rapports avec I'inconscient" et « Ia psychopathologie de la vie quotidienne}). Le Dr Lacan reprend resolument qu'il n'y a de linguistique que parce qu'il y a de l'in conscient. Nous ne sommes pas loin de Ia psychomecanique, dans ce souci des phenomenes mentaux qu'elle affirme dans sa recherche, mais Ia n'est pas une linguistique, et son abord des faits de Ia langue est totalement different. Les lois du qui de parallele ont fonde la linguis com me science et la comme praxis sont inscrites lois de condensation et de deplacement, processus a la structure biDolaire du lan gage mise en evidence par soit la A Dartir de ces lois une notion nouvelle s'est imposee qui est nouvelle en ce sens qu'elle n'a rien a voir avec ni avec ce que desie:ne Ie par exemple. Cette notion de sujet demande une definition dont la approche donnee par Ie Dr Lacan est: « Ie sujet, c'est Ie sujet parle» (Ecrits, subversion du et dialectique du desir, ed. Seuil, p. 800), mais a dire? Et qu'est-ce que l'inconscient ? « L'inconscient", nous apprend-on (Lacan au seminaire « les psychoses ", 1956-1957, inedit), " est Ia somme des effets de la parole
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sur un sujet a ce niveau ou Ie sujet se constitue des effets du Hant». Autrement dit, Ie sujet, Ie sujet qui parle est ce qui se constitue a partir du de la langue qui lui preexiste. Ainsi s'eclairent les formules suivantes, passees quasiment dans Ie discours commun : « Ie discours de l'homme c'est Ie discours de l'Autre », et «Ie desir de l'homme c'est Ie desir de l'Autre». Nous reviendrons sur ces notions de l'Autre et du Desir. 8i Ie sujet se constitue des effets du il est par la meme a rechercher au niveau de l'inconscient dans Ie seul temoi gnage est 1a condi tion meme a savoir Ie dans toute terme avec la les Cichoppe du fait meme de sa presence.
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besoin qui pour se satisfaire ne ferait pas tant d'histoires s'il n'y avait Ie signifiant. C'est ainsi que l'objet, l'objet en jeu dans toute demande, est essentiellement autre que Ie contenu de la demande. La consequence en est que dans tout acte d'enonciation qui se manifeste par un cnonce nous affair£' a une sorte de combi natoire ou, du fait de la qu'on peut definir par tous les autres, par I'ordre par Ie langage lui-meme, la chaine signifiante, par La reference tonte discussion, Autre qui, avec un grand est en fait un lieu defini. Du fait de Ia de l'Autre existe donc un rapport it du desir, Ie petit autre, qui est aussi mon alter ego, un rap-' port d'identification qui fait que je reconnais l'objet et que je me reconnais comme ex-sistant a cet
Ainsi Ie dans son ecoute en est-il a reperer, dans Ie discours de celui qui parle, sa place de sujet. c'est-a-dire Ie rap port entretenu par celui qui parle de la parole et du langage. D'ou parle celui qui parle, que veut-il faire reconnaitre par son dire? qu'est-ce qui est mis it jour a travers Ie defile du signifiant, a travers cette chaine parlee dont l'origine lui est tout a fait exterieure mais dans laquelle il est enW,rement pris? II est pris dans cette chaine car il ne peut faire autrement dans son statut d'etre humain ou toute relation est une relation de symboles, de signifiants, qui rend tout problematique quant aux objets et aux autres comme tout un chacun peut s'y affronter des qu'il de cerner et de preciser un signifie. Ce qui est constate est que Ie est battu en breche constam ment par Ie sens, Ie sens etant ce qui s'impose independamment du signifie dans une relation de a signifiant soit par meta phore soit par ce qui a amene Ie Dr Lacan a faire du signifiant et du signifie deux dHferents avec la consequence d'une opposition de la notion de a ce1k de
Ce qui me constitue comme sujet, mais sujet de l'inconscient conditionne par Ie signifiant sous lequel je do is m'abolir pour affir mer mon existence, a ete mis en forme par Lacan de la maniere suivante (Ecrits, Ie seminaire sur la lettre volee, p. 53) avec toutes les reserves que comporte un schema: ®'utre 8ujet (es) 8 C), - - - - ...- - -
Ce qui se passe est que Ie mot ne meme ce qui tue la l'abolissant sous Ie echanges verbaux. Le mot est Ie meurtre de la chose, s'est plu it enoncer Ie Dr Lacan. Par la-meme un manque se cree, un manque ne peut jamais etre comble. C'est dans ce manque que, chez l'etre humain, la demande du besoin dans un desir sans cesse renouvele car ne pouvant rejoindre son objet. Le sujet parlant est ainsi un etre de c'est dans Ie fait meme de parler, dans la demande que la notion de sujet est inseparable de la notion de desir, c'est ce1a meme qui rend si compliques et parfois si con flictuels les echanges interhumains a travers les objets.
Nous avons l'emerveillement a la lecture de l'article «Le verbe void-voila» de voir, mis en place par un abord radicalement autre, tout ce cheminement compliquc qui fait que dans toute enonciation il y a un sujet reperable, non pas au niveau d'un pronom personnel qui Ie designe, mais au niveau d'un qui Ie ; dans Ie sens qu'il Ie fait exister au niveau symbolique humain nous sommes loin du « je pense done je suis» ou l'accollement des deux enonces n'assure en rien l'existence d'un sujet parlant tel que cela vient d'Ctre developpe.
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Toute demande ainsi est insatiable car soutenue par un desir qui par son lien au signifiant est structuralement insatisfaisable sinon de maniere breve et ponctuelle, Ie manque Ciant indestruc tible.
Ce qui est clairement pose pour Ie psychanalyse a travers ce modele d'analyse distributionnelle dCfini par Robert Martin dans sa notice necrologique (Revue de Linguistique Romane, juillet-decembre 1978) sont les problemes poses par Ies rapports de l'E':>nonciation et de l'enonce, la personne et l'objet, Ie desir face it la notion fondamen tale d'existence.
Dans tout discours il y a done un sujet qui parle et qui parle au niveau de son desir it travers toute demande laissant choir Ie
« Void-voila forme une sorte de sans variation morpho logique verbale, unipersonnel, unimodal (indicatif) et l1nit"''''' ..... '',."
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(present) qui designe ce qui est positivement dans Ie moment meme de la parole ». « Une des formes que peut prendre Ie verbe d'exis tence, la forme la plus deictique, celIe de la presence positive dans Ie moment de la parole» (G. Moignet, Etudes de psychosystematique franr;aise, p. 57). Ces citations s'imposent, on ne peut mieux expri mer ce dont n est question. Le desir, tel que nous l'avons introduit, est present de fac;on plus allusive, dans Ie texte, par Ie soin a souli gner l'expressivite dont se charge Ie verbe voici-voila.
je pense a ce que je suis Ill. ou Je ne peux pas penser» (op. cit., p. 517). Autrement dit, des que je me mets dans un signifie, je ne suis qu'un leurre qui ne repond en rien a rna situation de sujet de signifiant. Cette existence du sujet, sa situation hors du discours fait retablir la phrase citee plus haut par la correction syntaxique: « nous sommes trois freres, Ernest, Paul et moi », par l'abolition du de l'enonciation sous Ie sujet de l'enonee.
Nous retrouvons donc, dans cette etude, l'importance du mo ment meme de la parole OU nous reconnaissons la supn?matie de h~nonciation sur l'enonce. Nous entendons par enonciation « l'acte meme en question sans Ie restreindre aux dements appartenant au code de la langue et dont pourtant Ie sens depend de facteurs qui varient d'une Emonciation a l'autre : par exemple je, tu. ici, mainte nant, etc. » (Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov Dictionnaire ency clopedique des sciences du langage, p. 405). Nous prenons ce terme cn ce qu'il soutend Ie sujet desirant, Ie sujet de l'inconscient, rare ment sinon jamais signifie par un je ou un tu, la langue Ie reconnait assez facilement dans des formules telles que « je Ie dis et je Ie repete )} soulignant que Ie je ne suffit pas a Ctablir Ie sujet (Dr Lacan, Le Desir et son interpretation, sem. annee 1957-58, inedit). II Ie designe en fait mais en position d'objet exactement comme cela est mis en evidence par Ie verbe « void-voila» dans: me voici « te voici » « Ie voila» « Ah ! te voila? oui je voila
Le je, sujet de l'enonciation, n'est jamais aussi bien mis en evidence que lorsqu'il est occulte, nous rappelle Lacan, par exemple dans les formes verbales imperatives et dans Ie vocatif (seminaire Ie « Desir et son interpretation» 1958-1959, inedit).
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« La personne est compatible avec Ie verbe voici-voila mais en posi tion d'objet seulement", souligne G. Moignet (op. cit., p. 53). Le rapprochement avec la formule du poete «je est un autre)} nous restitue admirablement la position speculaire de l'objet et de l'autre. Le systeme de la langue imparfaitement connue de cet enfant cite dans la « grammaire des fautes)} met en fait Ie je du discours tout a fait a sa place d'objet et situe Ie sujet, Ie sujet de l'enonciation a {{ voila ». La formule correcte de « me voila » met en evidence qU'effecti vement ce qui peut Ie mieux signifier un sujet c'est un certain effa cement de ce qui grammaticalement Ie designe ; cela nous renvoie a Ia reponse de cet enfant dans Ie Test de Binet: « j'ai trois frel'es, Ernest, Paul et moi » ou Ie je et Ie moi sont exaetement mis sur Ie meme plan en semantese, mais au rang d'objet, comme Ernest et Paul dans une incompatibilite syntaxique. II y a confusion du sujet de l'enonce pris la en tant qu'objet avec la place occupee par ce1ui qui parle comme sujet du signifiant (Lacan, Ecrits, l'instance de la lettre dans l'inconscient, p. 516) « La place que j'occupe com me sujet de signifiant est-elle par rapport au sujet du signifie concentrique ou exeentrique? voila la question », et il retablit la formule du cogito cartesien par: «je ne suis par la ou je suis Ie jouet de rna pensee ;
Le « je voila)} illustre cela de mamere exemplaire montrant l'etape a franchir pour aller au « me voila » et au voila!", reponse d'impatience de tout sujet interpelle de maniere imperative. Cela ne correspond pas a deux fonctions differentes du sujet mais a Ia duplieite meme de toutes les fonctions du lang age ; c'est la structure meme du langage, c'est sa structure signifiante qui comporte la duplicite interne de tout enonce, a savoir Ie proces de l'enonce et celui de I'acte d'enonciation (Lacan). Cette duplicite interne de tout enonce qui permet de dire tout en ne disant pas est une propriete essentielle du signifiant, c'est la possibilite de s'affirmer en s'annnlant. C'est Ie sens de la Verneinung Freudienne la denegation qui explique Ie refoulement et la cen sure. Les formules privilegiees «je ne dis pas que .. « de dire que. . . en sont un temoignage. >
",
Ce qui inaugure donc Ie signifiant, c'est ce qui se pose comme pouvant etre efface, il est trompeur a la difference du signe qui ne feint pas d'etre autre chose que ce qu'il est. L'animal utilisant Ie signe peut feindre mais ne peut pas feindre de feindre, Ie signifiant ne subsiste que dans son effacement qui est son seul moyen de per petuer; il indique qu'il y a la possibilite d'un dit refoule, qu'il y a la possibilite d'annulation et celle de substitution, qu'il y a la possibi lite d'un fonctionnement verbal 1:3. ou on l'attend Ie moins, Ie devoi lement de voici-voila en tant que verbe, la demonstration magistrale de ce qu'est voici-voila a l'insu de celui qui l'emploie. La possibilite de l'utilisation de voici-voila au niveau de la negation, soulignee par G. Moignet, confirme pleinement sa position de signifiant comme pouvant etre efface par ou se pointe Ie sujet desirant exactement comme Ie ne dit forclusif de Damourette et Pichon, qui annule lorsqu'il s'accompagne de la particule pas ou que avee la pointe de regret discernable dans l'enonciation. De meme la possibilite de l'accolement du ne discordantiel, ou expletif pour les autres grammairiens, avec voici-voild qui indique a la fois la presence et l'absence comme dans l'exemple classique «je crains qu'il ne vienne» qui veut dire, comme chacun sait, « je
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X. .\XQl"ETIL-\IOIGXET
A PROPOS
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crains qu'il vienne», donc quelque chose de positif, mais qui laisse entendre « j'aimerais bien qu'il ne vienne pas », ce qui par annulation exprime Ie vrai desir.
mentale specifique dans sa conception du systeme de 1& ce est exactement au point de rencontre de l'interrogation du et celle du psychanalyste quant a cette troisieme personne.
De meme l'exemple cite par G. Moignet( op. cit., p. 47): « je serai un autre roi que ne me voila » laisse entendre Ie desir de celui parle d'etre celui qu'il est ou du moins qu'il crait etre.
La ou Ie linguiste la reconnait comme 1a plus presente eUe est la moins formelle puisqu'elle est i801ee sous Ie concept de « personne de semantese », la ou ce patient la soutient c'est au niveau d'un ree1.
Le ne est la, insiste Ie Dr Lacan, entre Ie proces de l'Emonciation et celui de l'enonce. C'est Ia que se repere Ie sujet et son desir.
En ce qui concerne Ie psychanalyste, revenons au schema que nous avons introduit plus haut. Tout Ie systeme de Ia langue peut etre situe a ce que nous avons isole comme l'Autre, qui est la un Autre qui preexiste a tout et qui en est la condition, Autre qui permet, du fait meme qu'il soit innomable, la possibilite de reconnaissance de l'autre comme autrui, ou Ie moi est exactement reperable au meme niveau, et Ia reconnaissance de l'objet qui me ~~~~~+ de me reconnaitre moi-meme comme existant.
Cette « presence positive» du verbe voici-voila dans Ie moment de la parole, si elle pose et deveioppe I'importance de Ia place de l'enonciation par rapport a 1'E~nonce, pose par la-meme Ie probleme de la personne (Ie verbe est dit impersonnel et unimodal Une sorte de temoignage de ce lien qui eXlste entre Ie problCme de l'{monciation et celui de la personne nous est donne par ce discours d'un patient psychose : «Pour moi la communication entre deux personnes malgre moi, a mon corps defendant, quelque chose que j'appelle Ie teleguidage . quelqu'un teh~guide, (,'est Ie maitre de la communication je subis Ie telE~guidage -- je voudrais que vous m'expliquiez ce mecanisme. La personne a qui je m'adresse quand je parle est tele guidee, je suis teleguide. Peut-etre y a-t-il une parole libre, des gens qui ne sont pas teIeguides, mais je ne Ie crais pas. Tout Ie monde est teleguide, vous aussi vous etes teIeguidc2, mais vous savez comment ceia marche parce que vous etes psychiatre. C'est parce que je pen;ois apres coup Ie sens des mots que je parle de teleguidage, c'est a cause aussi des introjections nocturnes ». Les propos cites sont interessants du fait de montrer qu'une sorte de collapse de l'enonciation et de l'E~nonce chez ce patient a introduire la troisieme personne de faGon quasi nominale, materialisee, dont I'existence, si elle est a chercher, est indubitable; par Ia-meme il nous fait vaciller au niveau d'une interrogation: sujet pariant? sujet parle? Pour lui ceia ne fait aucun doute, il est sujet parie et nous sommes tous paries, parIes par une tierce personne qui tire les ficelles du de Ia G. MOignet, dans son article « sur Ie systeme de Ia personne ~n franc;ais », allant a l'encontre de Benveniste, reaffirme cette troi sieme personne la reconnaissant non seulement dans Ia declinaison verbale, dans Ie pronom personnel, mais encore dans Ie substantif suivant la conception de Gustave Guillaume. « Tous les substantifs de la langue franc;aise, sans exception, sont de troisieme personne » (op. cit., p. 89). C'est exactement ce que dit Ie patient cite haut quand il affirme Ie systeme du teleguidage parce qu'll pen;;oit apres coup Ie sens des mots. Avec l'acuite d'esprit que lui donne sa pathologie
Ce que Ie patient ne reconnait pas en affilmant cette troisieme personne comme reelle est sa propre existence. Ce qu'affirme Ie en la demontrant au niveau d'un sy~teme symbolique a travers la classe des choses, mais completement subvertie par Ie substantif, est l'existence du sujet parlant, existence la OU, du moins apparemment, il n'est aucunement formalise sinon au niveau du 'I
La pathologie, dans Ie cas particulier qu'on vient d'examiner, a mis en evidence que Ie collapse de l'Autre avec un autre met dans une position tout a fait impossible celui qui parle. Dans la commu nication telle qu'elle est decrite, il ne s'agit nul1ement d'un je et d'un tu pouvant se differencier et se reconnaitre au niveau d'un il (d'un il qui n'existe pas dans Ie reel), mais il d'une relation duel1e sans aucune mediatisation possible; Ie symbolique et Ie reel sont confrontes sans que l'imaginaire, par l'objet, vienne Ia media tiser dans une reconnaissance formel1e. La langue est la fonctionnant toute seule, les individus n'y sont qu'a leurs corps defendant. L'individu n'est pas Ie sujet, ou bien alors, s'il est sujet, il est mutile du langage et par Ia-meme dans l'impossibilite de desireI'. Le patient interroge sur ce qu'il appel1e «les introjections nocturnes» no us repond avec un certain comme si cela etait une evidence, que notre pauvre esprit n'avait pas saisie, que c'etait ainsi qu'il appelait ce qui lui etait dicte dans son sommeil comme devant etre ses desirs et ses actes de la journee. Le desir c'est }'Autre pris pour un autre qui 1'a, cette troisieme personne. Effectivement il n'y a plus la qu'une ~eule personne possi ble qui vient de l'Autre et qui n'est perceptible qu'au niveau d'un tu. Ce1a se voit egalement chez Ie jeune enfant au debut de son du qui retourne sous une meme forme Ie mes sage qui lui est adresse "tu viens ... , tu veux ... », comme cette autre patiente arrieree, psychosee, qui faisant une demande la place
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au niveau ou elle pourrait lui etre faite: "t.u veux du chocolat", n?petant ces mots inlassablement, meme apres satisfaction, cher chant peut-etre quel est Ie mystere du desir. Si Ie linguiste place dans l'ordre des personnes, au niveau du pronom personnel, Ie je, Ie tu, puis Ie il, Ie psychanalyste, avec Lacan, pose d'abord Ie tu, Ie sujet parle, qui pour advenir dans Ie leurre commun de la maitrise du langage doH ensuite integrer Ie il pour parler au niveau d'un je. Mais Ie je n'est jamais aussi present que lorsqu'il est occulte et cela de faGon privilegiee dans Ie verbe, comme Ie dit G. Moignet : « etant intimement lie au moment de Ia parole, Ie verbe est du meme coup intimement lie a l'auteur de Ia parole» (op. cit., p. 91).
Temps et Espace
1. Temps
2. Le temps guillaumien. 3. Temps d'avant et temps d'apTlJs (TI, T~).
Si Ie verbe est intimement lie a l'auteur de la parole, il ne rest pas de n'importe quelle maniere, et c'est ceia qui est demontre de fac;on particulierement fine et eclairante dans Ia mise en evidence du "verbe voici-voild". L'approximation de la traduction par Ie syntagme « il y a ci et la» est precieuse pour l'analyste car eHe lui permet d'avancer qu'" il y a » de l'ex-sistence dont seulle signifiant atteste, ci et lao
4. Autres distinctions impIiquant du temps (T3, T4).
5. Tableau d'ensembLe. 6. La combinatoire.
7. Typologie. «Locke, au XVIF siecle, imagina, pour la rejeter, une langue impossible dans Iaquelle chaque chose, cha que pierre, chaque oiseau et chaque branche aurait eu son nom propre. Funes conc;ut un jour une langue analo gue, mais il y renonc.a, car eHe lui semblait trop generale, encore trop ambigue. En efiet, Funes se souvenait non seulement de chaque feuille de chaque arbre de chaque bosquet, mais egalement de chacune des fois qu'il l'avait vue ou imaginee ... II comprenait mal que Ie symbole gemerique chien put s'appliquer a un si grand nombre d'individus de taille et de forme si varh~es; mais il n'admettait pas que Ie chien vu de profil a 15 h 14 put avoir Ie meme nom que Ie meme chien vu de face a 15 h 15 ».
L'auteur de la parole n'est la en tant qU'auteur, non seulement parce qu'il a disparu completement sous Ie signifiant «voici-voila », mais aussi parce qne ce signifiant dans Ie leurre du d6ictique, sous lequel il se presente, est un verbe qui par son effacement meme en tant que verbe, devoiIe par Ie genie du linguiste, avec sa forme unipersonnelle contient cette combinatoire par OU Ie sujet peut s'affirmer comme ex-sistant.
Paris.
Espace.
Nicole ANQUETIL-MOlGNET
J. L. Borges, traduit de Ficciones, ed. Planeta, Barcelona, 1979, pp. 116-117.
1. TEMPS
Ivi ESPACE
a) La place de l'homme Le philosophe s'est toujours pose Ie probleme du Temps, plus rarement celui de l'Espace. La raison en est que Ie Temps est notre maitre, que nous Ie subissons, qu'il nous echappe, alon; que l'Espace semble maitrisable, que nous Ie dominons (en nous y deplal:;ant volontairement), que nous Ie conquerons. L'Homme se trouve ainsi place en position de « transition » entre l'un et l'autre :
L
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TE:lIPS lOT ESP ACE
Temps+
l'ensemble (les actants semantiques apparaissant generalement sous la forme nominale). Ce sont eux que la topologie represente par des lignes
1 Homme 1
Espace HommeHomme+ --+ Espace-
A
Ce schema fait apparaltre la dualite de l'homme, patient et agent.
B
ou mieux : Temps+
I I
I
E!
Topologie du DON (evenement), analyse en trois etres : A dona teur; B donataire; C chose donnee. = temps de l'evene ment; El etat de depart (A C; B), E2 etat d'arrivee (A ; B+C) ; El EZ extension de l'evEmement.
L'homme est toujours dans son instant: il ne peut y echapper. II y vit, et toute sa pensee est contemporaine de l'instant ou elle se manifeste. En consequence, on ne posera pas de question a ce sujet. On admettra des interrogations comme :
L'etre se situe dans l'Espace (il est Espace). Linguistiquement ce sera Ie nom, qui resulte de l'analyse des evenements dont nous sommes les temoins: Evenement Etres.
-
La-bas. Jean. Un homme. Bien. mais ce serait un non-sens que de demander
2.
es-tu? puisqu'il n'y a qu'une seule reponse, eternelle : (celui de la communication).
«
dans notre instant»
U~
TEMPS GUILLAUMlEN
a) Nom et verbe
Gustave Guillaume et ses disciples posent comme contrainte fondamentale de la pensee, la succession: Espace Temps
L'instant pose un probleme metaphysique, Pour dire l'instant, au moins s'en approcher, Ie langage a recours a une transposition (axe T2, ci-apres).
Sur ce modele, la realisation linguistique homologue est: Substantif Verbe
c) Evenement et etres
--+~I-----------+
Le mouvement (qui entraine changement) est Ie principe du monde. II est Temps, qui agit sur l'Espace, lequel donne l'impression d'etre stable. En perspective humaine, je peux rester au meme endroit (cas de la majorite de la population du globe), mais je ne peux rester au meme moment: Je reste ici
..
I
EI
b) L'instant
es-tu? qui es-tu? qU'es-tu? comment es-tu ?
.
~r I
ou
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BERNAHD POTTIER
Nous ne pensons pas qu'il y ait une correspondance entre Ie Temps « concept », Ie verbe « partie du discours et la morphologie verbale ou « ensemble des categories semantiques exprimees par des morphemes lies au lexeme verbal dans certaines lane-ues natu relIes ».
reste maintenant (I),
L'evenement sera donc changement impIiquant du temps. Lin guistiquement, ce sera la proposition (phrase ou enonce suivant Ie niveau considere), L'evenement est un tout, qu'on peut analyser comme relation entre des etres. ou elements individualisables de
L'unite minimale de pensee etant pour nous l'evenement (fait d'experience), Ie nom sera considere comme la partie du discours fondamentale, celle de la forme que prennent les etres (personnes, choses, entites ...) participant a I'evenement. En fait, to utes les langues ont des noms, et toutes ont des enonces incluant des noms
(1) La
cO-Occurrence dans un discours de maintenant et rester n'est pas impossible, mais elle renvoie necessairement a un effet de sens du type « a partir de maintenant »,
(2) Cf. l'ut1lisation d u modele de Rene Thorn dans B. Pottier, « Semantique et topologie », Festschrift Kurt Baldinger, Tubingen, 1979, pp. 3-8. 2
l~.
35
TE:I[I'S ET ESPACE
BERNARD POTTIER
34
on a affaire a un temps Tl qui est celui qui s'impose a l'homme, et dont la perception instaure l'instant vecu (L,), toujours fuyant, toujours renouvele, transfert perpetuel d'une fraction de temps a venir en temps venu (n (j) de G. Guillaume). Ce sentiment de vivre I'instant permet de distinguer Ie non-arrive et l'arrive par rapport
(ou leurs repniisentants). La categorie dite verbe est tres variable suivant les langues, et a un statut tres specifique suivant les cas. Les logiciens ne s'y sont pas trompes, qui donnent comme elements essentiels : Proposition -+ Nom.
a io
D'ailleurs l'histoire meme de nombreux substantifs montre qu'ils proviennent d'enonces integres (d. derivation, composition).
(du JE) :
"'1.,/
reel ~~ actuel}
Avec raison, G. Guillaume caracterisait Ie nom par son inci dence interne, c'est-a-dire son autonomie de signifie. Celui-ci de vient atemporel, et partant verse essentiellement a l'Espace: Evenement-Temps -+ Nom-Espace.
virtuel (ou irreel)
A tout instant (io etant constamment present pour moi, bien que
toujours different par rapport au temps d'univers) e), Ie JE peut
declarer un ensemble d'evenements perc;us ou consideres camme
realises, on non-realises. Certaines langues connaissent une forme
verbale «virtuelle », s'appliquant a tout evenement hypothetique.
En fran<;ais, on a recours a de nombreux procedes: si j'avais;
l'aurait-il vou1u que ... ; it etait une fois; ce serait interessant;
imaginons que je sois (suis) au Japan, ... Au reel. il a ecrit trois
romans; je suis en Europe.
Le verbe devient alors l'element predicatif par excellence (mais non exclusivement), et, combine a une base nominale, il constitue un enonce. Mais il n'est absolument pas obligatoire en tant que categorie dans bien des langues, ou tout au moins dans un nombre considera ble de constructions de certaines langues. Les deux autonomies d'existence universelle sont donc: (i) Nom (ii) Nom X Predicat (Proposition) dont la version linguistique est: (i) Substantif (ii) Base nominale X ensemble predicatif (Enonce).
Rappeions l'exemp1e guillaumien :
reel virtuel
cinq minutes p1u,; tard »
Le train deraillait Ie train deraillait
«
y
La predication peut etre exprimee par des categories syntaxi ques tres variees. En franc;ais, on trouve : Ie verbe (± complemen tation), l'adjectif predicatif, Ie substantif predicatif :
Le train derailla
(derailla : « anti-virtuel »).
2) Nous proposons de retenir Ie terme d'aoriste pour 1a position conceptuelle envisageant Ie refus de la distinction «reel/virtuel", Ie terme neutre donc. II s'agit de l'evenement-en-soi, dont l'expres sion franc;aise la plus adequate semble etre I'infinitif : « Voyager est un p1aisir)) (f).
.---(est) mon ami Ce chat _(est) noir ~ dort a mange La souris
3) Nous appelons ce temps TI Ie temps d'existence, Ie plus pro che de la categoric de 1a modalisation. Le .IE enonciateur attribue a l'evenement dont il parle un degre d'existence, et non un degre de certitude comme c'est Ie cas d'une modalite.
Un evenement etant situe dans Ie temps, l'expression de ce dernier est frequemment liee a celIe du verbe. Mais Ie verbe ne peut etre considere comme un universel. Ce n'est qu'au niveau de telle langue naturelle qu'on pourra avec interet Ie considerer comme une plate-forme semantique (d. la valence, l'actance, Ie module ...).
b) T2, Ie temps d'apres
1) L'homme (Ie JE) peut prendre en charge I'organisation du temps, et tout naturellement Ie modeler sur ~a representation cons truite de l'espace. Apparait a10rs T2, Ie temps spatialise de G. Guil laume:
3. TEMPS D'AVANT ET TEMPS D'APRES: Tl, T2 a) T1, Ie temps d'avant
1) Dans Ie schema Temps
r::l
----------~~~
Esp ace
(3) D'ou l'assimilation souvent faite entre instant et eternite. (4) « Le voyage est un plaisir» conserve cette propriete aoristique.
,
L
36
BEHXAHD POTTlEH
Tl
r-::-l
Espace
----------~~
J
TE~IPS
.
Nous distinguons dans l'aspect: Integrite du proces (perfectivite) ViSlon de la limitation ou non-limitation d'un proces (temps borne et temps non-borne).
T2
~
I£l-bas, lei derriere
~)
(a)
11 s'agit d'une metaphorisation de la representation spatiale.
Deixis spatiale : JE ici
ld, la-bas devant
#
futur
u
~
•
JE present (avoir des annees derriere soil
(avoir des annees devant soil
Le temps deictique correspondant iI JE est 1e present. Le fran c;ais utilise banalement ces trois epoques : hier en ce moment domain il travailla je travaille je travaiHerai deux heures (il a travailIe) Le temps devient jia:e par l'espace de .IE pris comme repere. dans le cas de TI, il existe un terme neutre, qui refuse l'epoque, Ie gnomique ou valeur semantique generique, qui
en franc;ais est frequemment la forme du present:
« Qui va a la chasse perd sa place»
2) Comme
Avant de vous inviter, je voudrais savoir si vous mangez des huitres ». «
f
i
I• f
II ~
4. AUTRES DISTINCTIONS IMPLIQUANT DU TEMPS: a) T3,
T"
l'aspect
1) C'est ce que G. Guillaume appelait Ie temps interiorise, inde pendant des autres temps Tl et T2.
(5) Il a travaille, forme issue de T3, occupe de plus en plus cette position
conceptuelle. Le passe cede la place
a
I'aspect accompli.
Etapes du developpement d'un proces dans son pro pre temps.
Un proces non-borne est dit imperfectif : -oE.-- ••
eSdPace
Deroulement du proces
2) La perfectivite
Deixis temporelle : passe
37
ET ESP.\CE
•
•
.... - - - - - - - -
•••
---='' ' -+
"Pierre est jeune", «Pierre sait l'anglais ", Pierre ecri.t (n est ecrivain)", « Pierre a deux voitures", « Pierre n'est pas lil". La perfectivite est marquee dans certaines langues par des particules. En franc;ais c'est Ie contexte qui fournit des indications: «Pierre a ecrit deux lettres en dix minutes». Certains lexemes possedent un seme de ponctualite (procE~s inextensible) et sont perfectifs par nature: « La bornbe a eclat6 a 8 heures ». On constate que, pour des raisons opposees, Ie developpement cursif (ci-apres) ne peut Nre applique: d'etre jeune d'avoir deux voitures Imperfectif : *Pierre est en train de ne pas etre Iii de savoir l'anglais Ponduel: *La bombe est en train d'eclater
a8
heures.
De nombreux lexemes sont aptes iI fonctionner dans Ies deux categories: imperJectif
Travailler, toujours travailler ! Jean marche difficilement II est arrive
Perfectif
II a travaille pendant deux jours Il marchera deux heures II est arrive hier.
Le franc;ais a developpe toute une chronoIogie de Ia pe7'Jectivite, que nous resumons dans Ie tableau suivant.
38
TE~IPS
flEHXAHD POTTIEH
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III er ........
M-'" III Ill,
'"
Le franl;ais possede egalement un
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1'1) N
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..... 1'1)
3) Le deroulement
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1'1)
9. .... II> 1'1)
2
jt>, vais ecrire (proximite d'avant)
7
je cesse d'ecrire (cessatif)
3
je me mets Ii ecrire (inceptif)
6
je finis d'ecrire (terminatif)
4
je commence Ii ecrire (inchoatif)
_.
(1). I'D.
11>, M
5
Ill,
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.....
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..-+
q« 1'1)
III
o.:~
(1). ::r
3.
.....
(relatif d'avant)
je suis en train d'ecrire
(cursif)
(')"'1::':
(1) 11>. ::r I'D ,., 0 '"
::r<: .....
......
I'D
~) t'D~
'i:J ;J>
::0 'Tj
D'autres situations sont possibles: 5 +5' : je continue Ii ecrire, j'(kris encore" ; proces repete : j'ecris encore h (a nouveau) ; 3 + sub jectivite d'attente : fai tini par ecrire, etc...
;J>
::3
~
b) T4, la chronologie relative
Un evenement A peut etre mis en relation chronologique avec un autre evenement B. C'est Ie temps relatif :
c::
~
:j
~
posteriorite III
-----------------------------O'Q=';
je n' ecris pas encore
je viens d' ecrire (proximite d'apres)
I1j
~ .....
1
8
(1)
";Ill IllCltl
... '" "''" ~.L ::;
o
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2
1
(1), ......
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~3
je n'ecris plus (relatif d'apres)
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(ii'
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t'D
_.~
3~
'"
£
::r .......... III
Nous nous limitons au schema suivant, qui donne les princi pales positions remarquables dans ce mouvement,
~'
::r ::r
;:== ::rCltl ... 0
~
0.1'1)
sur-accompli» : «quand i1
(£) ~ - . ::r (1)......
Ill'
(1)
3~
::rill
III
'"o ,.,'"
«
a eu grossi de deux kilos, il se mit au regime".
o.~er
... ... Ill'
39
ET ESP ACE
ttl
As
::6 ; :::. ,.,
~
1'1)
::r ...... '" ..... ..... 1'1) Ill-
III
~
.$..
(6) Grevisse, § 658, rare. Cf. « Je Ie trouve grossi ». (7) Ce serait Ie cas de He dicho, prononce en fin de conference.
~...
(1)
,.,~ c:
.!::!
Al
0 I
I
anteriorite
contempo raneite
A2
Al
«il est parti avant qu'il pleuve ", « tu aurais dD. reagir aupara vant ». pleuvait» « Sors maintenant ! » A2 : « il est parti alors »; « il rentrera apres huit As: «il est parti apres qu'il ait heures ». :
La
«
concordance des temps» est Ie domaine de T4,
flE:R~ARIl
40
TD!PS ET ESPACE POTTIER
(*) Un reel au futur peut sembler contradictoire. Mais une volonte
5. TABLEAU D'ENSEMBLE
conceptuell e peut rendre cette combinaison viable. De meme qu'on peut mettre au un eVEmement qui n'a pas eu lieu (irreel du on peut mettre au futur «categorique » (G. un evenement que ron considere comme dcvant arriver: « Je viendrai demain» (c'est comme si c'etait fait). Le systeme franGais de base reflete cet etat de choses :
[!J Temps d'existence
(THESE). Repere mobile, l'instant io coexis tant avec Ie moment de Ia pensee.
"Y
ree ' I .. (these)
~ Temps spatialise
VIr ' tuel (hypothese)
« aoriste » (terme neutre)
(EPOQUE). Repere fixe, l'espace du JE.
[!EJ
.. passe
II
futur
present
.. II
gnomique » 1/ (terme neutre) «
~ Te~p~ i~t~riorise (~SPE~-::~_~:pere : Ie p_r~:~~Iui-meme.. ~
,
Temps relativise (CHRONOLOGIE). Repere : un evenement B.
.
A3
m A2
it ecrivait
il ecrirait
? modalite:
H ecrit
il ecrira
categorique :
L ____ • (perfectJvIte) \
+ ____ -' derouIement du proces:.. I
a) mtegnte du proces:
b)
IND.
\ modalite: non-categorique : (il avait ecrU)
Al
,
b) T3 applicable Ii toute combinaison Tl Tt
T!,> T2p: Tlr T2,,:
Remarques : 1) Tl a des affinites evidentes avec 1a modalite (jugement du JE) : cf, en franGais Ies auxiliaires modaux. Ies particuIes modales (si, que), Ies modes (indic./subj.). 2) Qui etudie par exemple I'impadait (entree formelle) comprendre sa polysemie» en Ie rapportant a Tl (virtueI), T~ (passe), T'l (imperiectif), Tl (forme de concordance). De meme pour Ies autres «temps morphologiques ».
it ecrivit (il a ecri t)
Tlr T2p:
J'aurais bien voulu etre la : etat impcrfectif J'aurais bien voulu avoir ete la : accompli Pierre est aimable : etat impcrfectif Pierre devient aimable : inceptif ou inchoatif Le chateau a ete restaure par l'UNESCO : accompli Le chateml est en train d'etre restaure par l'UNESCO : cursif (present).
c) T4 organise les relations entre les evenements caracterises par Ie complexe Tl_T2-Ta : « Je me suis mis a. travailler avant que Jean n'arrive»
...--..--
~....----
A
6. LA COMBINATOIRE a) TI
A. T! (reel), T2 (passe), T3 (inceptif B : T! (reel), T2 (present), T:l (ponctuel)
T4: A anterieur a B
T2
~
reel (r)
T2
passe (p)
Le chateau a ete restaure par l'UNESCO. Ce fut un grand mi nistre.
present (0)
Pierre est aimable.
B
virtuel (v) J'aurais bien voulu
etre lao
!
Mode:
J
modale du franGais (B au subjonctif). arriver
B...
I
n 0
'"
I
A ...
En ce moment je vou drais bien etre une souris.
-----:
-..
se mettre
a.
~ avant
futur (f)
-
Pierre ira demain (*)
Si tu Ie lui proposais, 1. accepterait peut etre.
.,
Comparer a: « Quand Jean est arrive, j'etais deja en train de travailler
-
2*
».
42
HEHXAHD POTTIEH
arriver
B4
~ r
A..
\.
'----'" I
A propos de la notion d'incidence en psychomecanique
deja
I
I
en train de Vne meme situation referentielle est ainsi vue dans deux optiques differentes, d'ou 1a parasynonymie entre les deux enonces.
7. TYPOLOGIE On pourrait, it partir de tels criteres, caracteriser les langues naturelles en fonction de la gramrnaticalisation qu'elles ont realisee dans l'expression de ces axes conceptuels. Chaque langue aurait ainsi recours it ces domaines dans une proportion variable: uTI [:> T2 Y T:l bTl. Ce serait-1a un bien difIicile travail. Irreel, ou irrealiste?
Paris.
Dans Ie seminaire que G. Moignet animait avec M. Molho, on a sans cesse confronte les notions fondamentales rle 1a psychomecani que aux exigences theoriques de la linguistique contemporaine : en portent noiamment temoignage la these de J. Cl. Chevalier et les articles de M. Launay. Traduisant des intuitions, decrivant des mecanismes vectoriels, la terminologie guillaumienne C) recourt naturellement a la meta phore, tentation, danger et moteur de l"explication scientifique (M. Black, P. Ricceur et, en dernier lieu, R. Martin, 13). En attendant 1a publication de !'index general des reuvres (Ler;., 4, 10 et 158, n. 2 e)), en hommage a l'ami fraternel trop Wt parti, ces quelques rapprochements de textes et ces rapides sondages dans l'reuvre de notre commun maitre sur la notion d'incidence Guillaume en reclame c1airement la paternite, dans son cours du 17 mars 1949, au moment de : faire intervenir au nombre des formes vecirices menant it la partie de discours. une notion nouvelle. ires importante dont avant nous qui en faisons etat depuis longtemps, aucun gram mairien n'a fait etat (4). Cette notion est celle d'incidence. Elle a trait au mouvement absolument general dans Ie langage, selon lequel, partout ei toujours, U Y a apport de signification et reference de ['apport a un support. La relation apport/support est couverte par Ie mecanisme d'incidence (LeQ., 2 137 et ibid., 152).
Bernard POTTIER
(1) A
l'epoque de G. Guillaume, on ne songeaii guere it ({ formaliser comme on fait aujourd'hui, parfois sans veritable rigueur (cf. les jusies remar ques de Culiom : on reprochait meme a Guillaume ses figures et sel' schemas. Meillet, par soud de l'arbitraire du signe, conservait Ie voca bulaire traditionnel, en en definissani ei en precisant rigoureusement l'emploi. (2) On renvoie aux Leqons par les chiffres arabes qui disiinguent Ie;; 4 vol. parus, aux articles regroupes dans Langage et Science du langage, par L.S.L. ei, par P., aux Principes de linguistique theorique. (3) Par laquelle nous avons tente de rendre compte (1973) des effets de sens parallelement expliques par Ducrot (1972, 114 sq.) grace au concept de predicat complexe. (4) « ... question capitale et inaperr,;ue jusqu'a, present des linguistes (Leg., 2, 149) et, en 1944 : « C'est une propriete dont les grammairiens n'ont jusqu'ici ... jamais fait etat ». (P., 203).
44
JEA~ STloFA~Il\I
Manifestement, il ignore l'emploi qu'en fait a meme epoque, Tesniere (dont la doctrine syntaxique, iI est vrai, sera connue en grande partie a titre posthume, vulgarisce par ses disciples, puis ses lecteurs : Fourquet, Garde, Zemb, etc.) et qui se rapproche, d'ailleurs plutot de celui, dans la linguistique d'expression anglaise, de Scope. Dans la tradition grammaticale, l'adjectif incidente C'), sOUvent substantive, designait les subordonlll2es, notamment les relatives et visait, comme Ie remarque justement ,1. Cl. Pariente (44, col. moins Ie fait syntaxique de la subordination que Ie caractere accessoire, secondaire, de l'information semantique ajoutee a l'un des termes de la proposition pour en preciseI' la comprehension (relative explicative) ou en restreindre l'extension (... determina tive). Curieusement, Guillaume jugeait inutile de signaler que ce meme terme d'incidence jouait un role essen tiel au moins 20 ans, dans sa theorie du verbe. Est-il besoin de rappeler qu'en chronogenese, au mode indicatif, Ie present separe non seulement, - par position -, les deux epoques passee et future, mais aUssi, par composition les deux niveaux d'incidence et de decadence, du temps qui vient et du temps qui s'en va? Si Ie present n'en fait pas, morphologiquement, la difference, ils correspondent pour Ie passe et Ie futur it deux series distinctes : passe et futur « simples » signifiant une incidence tenue sur decadf'nce nulle I formes en -(r)ais (imparfait et «conditionnel »), une incidence poursuivie en decadence. Des Ie mode nominal. d'ailIeurs, s'opposent l'infinitif qui demeure totalement en incidence et les deux participes : present ou cette incidence se poursuit en decadence et passe tout entier deca dent (par ex. : Ler;., 4, 147). Est-ce donc la simple homonymie? Et d'autant moins genante
apparemment que Ie mot se trouve en des contextes bien diffe
rents: etUde du systeme verbal d'un cote, des parties du discours et
de la syntaxe de l'autre. Point n'est besoin de solides bases structu
rales pour distinguer !'incidence qui s'oppose a la decadence (et que
Guillaume nomme, d'ailleurs, occasionnellement, pour cette raison:
antidecadence, Ler;., 4, 135), des emplois au ce terme designe, 11 lui
seul, Ie mecanisme d'apport de signification 11 un support. Aussi la construction est-eUe generalement absolue dans Ie premier cas et comporte-t-elle SOuvent, dans Ie second, l'epithete d'internelexterne et un complement prepositionnel avec ti (inCidence [externeJ du verbe I de l'adjectif au substantif; de l'adverbe a une precedente incidence). En lexigenese, entrent dans ia distribution d'incidence : meca nisme, jeu (auxquels i1 fournit eventuellement I'epithete d'inciden tiel: mecanisme -, jeu -, Lee., 2, 181 ; 3, etc.), jouer. En chrono genese, en revanche, on ne saurait parler, et c'est Ie seul emploi
LA Kana;\;
D'I~C!DEI\CE
45
relatH du terme, que de l'incidence d'un procE~s au temps. Incidence 'Y glose parfois accomplissement (" en accomplissement, autant dire en incidence », Lee., 4, 86) ou se glose par gUrvenance (<< de son inci dence, de sa survenance», ibid., 89). Guillaume emploie meme les genitifs explicatifs : incidence d'accomplissement et decadence d'ac compli (ibid., 92). Mais n'a-t-on pas, cependant, la meme image dans les deux series d'emplois? - CelIe d'une chute (qu'on songe it l'etymologie de casus, cas) dans un domaine donne, plus precisement d'un apport d'ordre lexical, notionnel a un support formel, grammatical ou d'une survenance d'accomplissement, d'evenement dans Ie temps conte nant. Ne pourrait-on meme aller jusqu'a dire que l'incidence de chronogenese forme une espece du genre que constitue l'incidence de lexigenese? LivreI' la notion de travail au support qu'offre la chronogenese, la faire incidente aux diiferentes categories aspectuel les, modales et temporelles, c'est creer Ie verbe, la partie de discours travaiHer et sa conjugaison. Au stade du mode nominal, travailler simplement engage dans !'incidence au temps rer;oit simultanement une incidence interne quasi nominale qui Ie rend apte a remplir Ie role de sujet ou d'objet: «travaHler me fatigue, je n'aime pas travaHler ». II n'a pas a chercher hors de lui-meme un support. C'est avec l'entree en decadence, au participe present et au participe passe, que travaHlant, travaille auront besoin d'etre incidents a un terme exterieur a eux et prendront valeur adjectivale. Se bornera-t-on a caracteriser les deux ,;ortes d'incidence en cantonnant rune dans l'univers-temps? On sait ,en effet, que Guil laume fonde sur l'opposition de ce dernier a l'univers-espace, celle du verbe au nom (l'infinitif, deja engage dans l'univers-temps restant Ie plus proche de l'univers-espace, proximite que souligne parfois l'identite formelle, par ex. celIe d'etre, substantif et d'etre, Encore convient-il iei de prevenir une confusion encore trop frequente ell : ainsi lisant dans Moignet (1965, 5:3) que: «Les pronoms personnels ontiques appartiennent au plan nominal, spa tial, dimensionnel, Ies pronoms existentiels au plan verbal, temporel, adimensionnel", Skarup se dit pret a: accepter cette formule it condition de ne pas y voir autrc chose qu'une fa<;on de dire ceci: « Les pronoms A r = disjointsl se trouvent dans les memes zones 01'1 se trouvent egalement les noms dont beaucoup designent des objets places dans l'espace et ayant des dimensions (dans les memes zones se placent aussi d'allleurs, les membres d'autres parties du discours) ; les pro noms B [= conjoints] se trouvent dans la me me zone ou se trouvent egalement les verbes finis qui se conjuguent selon la categorie des temps et qui ne designent pas des objets ayant des dimensions» (1:1).
Donner une interpretation referentielle du mentalisme guillau mien est ici moins grave que de preteI' des contenus notion nels et
Seul Ie FEW en datant l'emploi d'Acad. 1740, semble ignorer la Gram. maire et la Logique de Port-Royal. (6) Benveniste la commet-il (1967, 152) ?
46
JEA~
concrets a ce qui, comme l'indique Ie nom meme de psycho mecanique, doit se concevoir comme mouvements de la pensee d'une position a l'autre, d'un a un autre, comme meca nismes. Guillaume ne con<;oit pas l'univers-espace et l'univers-temps comme des categories universelles de la raison ou comme des formes a priori de la sensibilite qui fourniraient les cadres les plus generaux du classement des parties du discours. Se fondant sur le principe, faut-il dire saussurien (7)?, qu'il n'est dans la langue que des diffe rences (il aimait mieux dire: « on ne pense que par contraste il recherche Ie mecanisme fondamental qui, sous Ie vaste ensemble des lexemes differencies en reseaux plus ou moins laches et sous fermement structure, des oppositions du type bon/matwais, grand/petit, etc., une fois d6passe Ie contingent, 1'evitabLe s'affirme inevitabLe: non plus Ie contenu des divers contrastes, mais 1a forme meme du contraste, ce qui les et donne a 1a sa mobilite et sa condition d'existence: Ie tenseur binaire radical Cl (P., 200 sq.). Une fois ecartees toute notion, toute a partir d'un infini vide de tout contenu, 1'esprit peut alors cons truire un espace et Ie doter de dimensions (en nombre variable pour les mathematiciens, trois pour et l'usage communs). A cette premiere tension partant de l'infini et tendant vers Ie singulier en succede une seconde qui, a de ce point de version, dans une successivite et une addition d'instants engendre un temps all ant a son tour a l'infini. ce qui caracterise et definit cet univers espace et, partant, la categorie du nom ce n'est pas Ie lieu ou se discerne C') telle ou telle notion (jour, mois, ann('e et temps evoquent des portions de duree ou la dur6e elle-meme comme Longueur, superficie, des realites spatiales) (111), mais le mecanisme, par lequel cette notion cst abstraite d'une infinite qui la subsume, spatiale ou temporelle n'importe. Ce qui fait, en tant que partie de langue, Ie nom, c'est ce mouvement de soustraction sur une totalite, Inversement, ce qui constitue l'univers (7) Sans
LA ;';OTION D'I;';ClDE~CE
STf:F,\KIKI
soulever ici l'epineuse question de I'influence de Saussure sur Guillaume (minimisee par R. Valin), on rappelera : 1) QU'elle s'est exercee d'abord par I'intermediaire de Meillet diffusant nement parisien du maitre ; 2) qu'a partir du moment ou Ie CLG depasse Ie cercle etroit des lin guistes pour atteindre Ie public cultive, Guillaume detinit volontiers sa doctrine rapport a lui ; 3) qU'une lansonienne de textes ne doit pas [aire oublier Ie cadre Ie moment de I'histoire des idees et de Ia linguisti tous deux vecu. (8) Autrement ({ argumente », ce meme tenseur binaire, engendre I'article ou Ie nombre. (9) Pour Ie sens de ce dernier terme, cf. ({ Discernement et entendement dans Ies langues : mot et partie du discours )), 87-98. que Ie verbe ne (10) La grammaire modiste avait deja fortement signifie pas Ie temps, mais Ie consignifie, alors que des mots comme dies, annus, tempus qui Ie signifient sont soustraits, par la forme de substantifs, a Ia duree et au changement· en somme, que la langue lOin de copier la realite exterieure lui prete la forme utile aux neces sites de la representation et de l'expression (ef. Pinborg).
47
temps et Ia categorie du verbe, c'est la reversion au temps d'un con tenu lexical: course ou travail pour obtenir courir ou travailler. Ce sont ces deux operations d'export et d'import qui definissent fonda mentalement les categories du nom et du verbe : pour ces dernieres, I'image contenue dans incidence est bien celIe d'une chute », d'une echeance de signification lexicale dans un contenant, une forme grammaticale propre, mais pour Ie nom, une operation de sens inverse, d'export a alors que pour Ie verbe, celle d'import, constitutive de l'univers-temps se prolonge en celle d'apport du signifie lexical aux diverses categories grammaticales qui consti tuent Ie support: voix, aspect, mode, temps et personne ordinale (11). Et cette incidence morphologique va, entre autres, se donner pour appui, pour base, pour support, Ie temps incident ou si ron prCfere l'incidence du temps. Et, comme Ie remarque R. Valin, Guillaume n'hesite pas a par Ie terme meme de verbe, Ie vu en incidence (chronogenetique) : expliquant que Ie theme du passe d(~nonce une contradiction «entre Ie cine tisme decadent, proprium du passe et Ie statisme d'incidence ... du preterit defini », il ajoute: Des Ie passe sue cede Ie passe
!'instant qu'on emploie ce qui fuit, descend, au verbe a lui-meme en incidence ... Ie mouvement inherent
temps, on oppose, en erfet, qui, dans Ie passe ruyant, se continuee, refusant ... dans a cette epoque. (Ler:;., 4, 135),
L'incidence de chronogencse semblerait ici recevoir de la cons truction meme du temps d'evenement lie par definition au lexical un caractere plus « concret que l'incidence de nese (12). Celle-ci demeure bien purement mecanique, relationnelle, comme l'illustre bien l'exemple, donne par Guillaume lui-meme des noms propres. Ceux-ci, dans la tradition grammaticale se voient d'ordinaire attribuer (l ::) une fonction purement referentiel1e (11) dont une doctrine mentaliste et vectorielle, psychomc'canique en un mot ne peut se contenter. Pour Guillaume, Pierre, par ex., est nom en tant qu'« apport qui s'est trouve dans la pensee un support (Lec;:., 3, 55), que resultant du mecanisme qui a defere un certain contenu mental, l'idee que je peux me faire de tel ou tel au sup port des categories de nombre (en l'occurrence, Ie singulier ab de genre, de personne troisieme. Peu importe d'ailleurs que (11) J.-Cl. Chevalier a propose une genese des divers moments de la forma tion du verbe dans sa tho a laquelle nous renvoyons. (12) Pour la distinction du temps d'evenement inclu dans Ie verbe et du temps d'univers qui Ie contient et plus generalement pour une theorie generale du temps en psychomecanique, cf. la pref. de R. Valin a Ler:;. 1.
(13) Purs relata pour Branda! « dont la seule fonction est de deSigner des objets propres» {( qui n'impliquent ni liaison (r) ni description (d) (Les parties du discours, Copenhague, Munskgaard, 1941, 91). (14) La meilleure etude sur Ie sujet reste celie de J.-CJ. Pariente : Le et Z'individuel, Paris, A. Colin, 1973. Cf. aussi M. Le Bihan, Note sur noms propres, Ling. Invest. II, 2, 1978, 419-427. (15) Dont font sortir les besoins de I'expression ou de l'expressivite: « Le Pierre d'aujourd'hui n'est plus celui n'auLrefois ». « Tu as vu Ie Pierre 1 )).
LA :-;OTW:-': D'I:-':CIDEKCE
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49
JEAN STtFANl!'o!I
l'apport de signification soit plus ou moins precis et juste, il suffit que j'imagine un quelconque contenu: prendre I.e Piree pour un homme, c'est encore declencher correctement l'operation "nom propre " et son incidence. Dans l'incidence de chronogenese, non seulement apport de signification (riMe de travail, par ex.) et Ie support, successivement fourni par Ie temps in posse, in fieri, puis in esse semblent confondre eiroitement contenu lexical et contenu grammatical (comme Ie prouve l'emploi de verbe ci-dessus mentionne), mais aussi les ele ments de l'incidence morphologique s'y imbriquent etroitement, si, comme dit Guillaume, l'apparition du temps in fieri !1'est autre que celIe de: deux visuaJisations du temps... suscltees par l'intervention de la personne. Celie du temps adverse it la personne qu'i! sou met et celle du temps propice Ii la personne qui Ie voit s'etendre devant elle SOliS l'espece d'un champ ouvert Ii son activite. (l.er;., 4, 147-148 ; cf. LSI., 193).
A ceux qui seraient tentes d'opposer l'aspect concret, positif, vecu de !'incidence de chronogenese au caractere purement cinetique et relationnel de l'incidence morphologique, on conseillera de ne pas confondre dfets de sens rendant toute la complexite du reel et cinetismes et positions qui les permettent. Ainsi Guillaume rappelle que la seule difference en langue entre imparfait et passe simple est celle de l'entree ou non en decadence, du simple franchissement d'un seuil. Mais, en discours avec chaque jour it travaiUa, Oil dit a partir d'un instant un d'incidence au temps, il travai11a cha que jour» (Lee., 1, 114 et ibid., 122) ; travaHLait evoquerait la meme incidence comme succedant a des decadences :mterieures et inter preterait la meme realite extra-lmguistique non plus comme taire, mais comme maniere de taire. Le discours tire ainsi Ie meilleur parti de ce qui est, en langue, pur cinetisme. Aussi est-ce comme cinetismes qu'en langue, les deux types d'incidence « agissent" eventuellement l'un sur I'autre. On sait l'inten"t constamment porte par Guillaume au verbe aUer dont la morphoZogie, assurait-H, eut du suffire it lui reveler tout Ie systeme du verbe: Ie radical aH- s'y est etendu, par analogie, it toutes les formes relevant d'une maniere ou d'une autre du passe: 1) chronogenetique pour les modes nominaux (anterieurs aux autres en chronogenese) : aller, aZlant, aIle, 2) temporel : aHa is, aHai, 3) de la «personne double (ou de " dualite personnelle », Let;., 1, 83). Le present franc;ais dont l'extn@me e1roitesse s'obtient par superposition du chronotype a incident au chronotype w decadent (cf. par ex. Let;., 4, 140) offre avec Ie premier chronotype une assieUe suffisante it La personne simple:
Mais que la personne solt double, l'assiette d'un seul chrono type lui sera trop etroite: deux lui seront necessaires, d'ou l'obligation de recourir au chronotype w (L S L, 124) (1Ol).
La person ne double, en eHet est « moins une person ne qu'un rapport interpersonnel », Moignet, 1965, 22), Ie cinetisme qui de mol me porte vers toi ou vers lui, d'ou l'impossibilite de trouver dans Ie seul chronotype (! un support suffisant 7). Et Ie commentaire de Guil laume vaut d'etre commente :
e
Dans la categorie de la personne, Ie passe oblige de la per sonne double est autant de soustrait au present de l'interlocu Lion que cette categorie, la personne en tant que categorie, ne releve pas du temps pense, qu'on peut ad libitum concevoir passe, present ou futur, mais du temps vecu pendant lequel on parle, qui ne peut etre con<;:u que present --, serait par definition en droit de revendiquer tout entler (L S L, 125).
La typologie des langues se fonde pour lui sur la part respective faite a la langue et au discours : iC'i a ete retire au discours, a l'endo
phrastie ce qui a ete accorde a la langue, a la partie de langue (improprement, pour Guillaume, dite partie du discours) pour en faire veritablement un mot: en latin arnb'ulamus peut former it lui seul une phrase: il trouve en lui la personne double en fonction de sujet. En franc;ais, au contraire. la personne incluse dans allons constitue un predicat logique et Ie verbe doit trouver hors de lui meme son support dans Ie pronom personnel nous.
Le mecanisme d'incidence « couvrant » tout apport de significa tion a un apport cree non seulement en langue, les partie d'oraison, mais, en discours, la phrase, Et ici encore l'emploi du meme mot en chronogenese et en syntaxe se justifie pleinement. De meme que l'incidence au temps constitue l'essentiel, Ie moment createur qui fait du verbe une partie du discours et que temps et personne voient leurs cinetismes respectifs se confondre partiellement, de meme incidence chronogenetique et incidence syntaxique sont etroitcmen liees. La subordination, fait de syntaxe e1 done, pour Guillaume, se deroulant dans Ie present de la parole, de la phrase, fait Ie plu large usage des valeurs temporelles resultant de la chronogenese Pour rendre compte de phenomenes d'accord comme celui qui trans pose au passe: je sais que tu es maracle, . . , qu'il viendra, par j savais que ttl, etais malade, ... qu'il viendrait, Guillaume recourt a l notion de decadence syntaxique (ou meme styHstique pour l'impar fait hypocoristique ou celui de politesse) : il nous Me ainsi un de moyens lexicologiques qu'on pouvait avoil' de distinguer incidenc de chronogenese et incidence de morphologie et de syntaxe seconde etant censee sans antonyme). Bien plus, il note que:
(16) (17)
Meme explication pour av-oir, av-ons (Ler,;., 152). pe Le chronotype a occupe par la premiere des personnes formant la pe sonne double se convertit en (J) quand la seconde person ne de la sonne double occupe a son tour a (v. fig. Lee., 184).
LA ~OTlO~ D'INCIf)EKCE
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51
JEAN STlcFAl\INI
la decadence syntaxique est sujette a apporter avec elle une quantite minime de decadence morphologique, les deux deca dences se maintenant en continuite (Lee!:;., 1, 138).
Si bien que dans notre exemp1e, viendrait, amene par phenomene d'accord syntaxique, renferme aussi un peu du caractcre hypothe tique que 1a decadence morphologique, chronogt'metique donne a viendrait. Bonne occasion sans doute pour rappeler a qui ferait 1a part trop grande au « vecu» de l'incidence de chronogenese, au role determinant de 1a personne et de sa vision du temps, 1a remarque de Guillaume: De plus en plus ... par l'ctude comparee des divers syste mes linguistiques, je me persuade que ce qui a fait les langues et leur structure est moins psychologique que mecanique, psycho mecanique. La pensee oMit a des conditions mecaniques, et il lui sufnt de faire un premier pas dans une direction pour devoir continuer Ie mouvement jusqu'au bout, et toujours par conti nuation, sans revenir sur ses pas, engager ensuite un mouve ment de replique dans la direction opposee. Or un accident sans portee peut fort bien etre la cause de la direction dans laquelle s'opere Ie premier pas, duquel suivra tout Ie systeme des autres pas. (Le!:;., 2, 193).
J ean STf~F ANINI
Aix-en-Provence.
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Le systeme de I'article francrais : un bilan critique Le 18 mai 1978, a Metz, au premier soir du coHoque sur La notion d'aspect, je raccompagnais Gerard Moignet vers l'h6tel que nous habitions dans Le centre de La ville n ~)enait d'exposer en 1J,ne synthese magistrale Le point de vue guillaumien. Lui sllccedant a la tribune, j'avais adopte Ia meme definition onomasiologique mais defendu un reperage semasiologique different. N ous conversions tout en marchant. Sans se departir de son habitue He courtoisie, Gerard Moignet reprenait I'un apres l'autre ses arguments et reaffirmait sa conviction inalteree. J e vais peut etre vous etonner », me dit-il soudain, « on retoucherait plus facile ment Ie systeme de l'article que celui du verbe. »
C'est avec emotion que je me suis rappele ces paroles ou moment d'offrir les quelques pages qui suivent a 1a mernoire du grand lin guiste disparu. ~~
On sait combien l'ceuvre de Gustave Guillaume fait Ia part belle a l' article; 1912. -
Etudes de grammai1"e franc;aise logique, I, L'article:
116 pages.
1919. - Le probleme de I'article et sa solution dans la langue franc;aise . 320 pages,
1944. - Particu1arisation et generalisation dans Ie systeme des articles fran<;ais: 14 pages. 1945, La question de l'article; d'une raison qui s'est opposee jusqu'ici dune cooperation etroite et fruc tueuse des linguistes historiens et des linguistes theoriciens: 10 pages. - Logique constrttctive interne dll systeme des articles fran <;ais : 17 pages, L'initiateur de la psychomecanique allait encore revenir sur Ie sujet dans La langue est-eUe ou n'est-elle pas un systeme? (1952), dans I'etude ouvrant Ie recueil posthume Langage et science dll lan gage (1964) et a diverses reprises dans les Le<;ons de linguistique d'ores et deja pUbliees par les soins de Roch Valin (1948-49 et
)'IARC WIDlET
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20 L'orientation « fermante » d'un pole (+) a un pole (-) 1949-50). La derniere mention connue remonte a 1957 (voir Princi OU bien «ouvrante» d'un pole (-) a un pole (+) - du cinetisme pes de linguistiqlle theorique de Gustave Guillaume: le~on du concerne; 7 mars sous I'intitule Systeme du mot et systeme de l'artide) (1). 30 La succession dans un ordre irreversible des trois cinetismes D'un bout a I'autre, Guillaume n'a jamais cesse de voir en l'article un aetualisateur nominal, c'est-a-dire un operateur du tran sit Langue -.:,.. Diseours. La decouverte independante de la chrono genese (vers 1927) et celle de I'ontogenese (vers 1938) I'ont nean moins conduit a envisager 1'« auto-realisation» du morpheme, puis Ie couple « annonciateur formel + pourvoyeur materiel» que forme Ie determinant avec son determine. Renon~ons
pour cette fois a suivre les meandres d'une reflexion etalee sur pres d'une demi-siecle. Au-dela des redites inevitables, des contradictions, des fausses pistes et des « rf'pentirs», Ia thi'wrie de I'article recele plusieurs difficultes. Avant toute chose, un bref rappel parait indispensable. Le systeme de l'article fran~ais se recompose en Langue de trois mouvements de pensee (appeles indifferemment « cinetismes }) ou « tensions »). 1° une tension anti extensive, orientee du general ( ) au particulier (-), dont Ie signe est Ie morpheme UN; 2° une tension extensive, orientee du particulier (-) au general (+), dont Ie signe est Ie morpheme LE ; 3° une tension transextensive, orien tee de l'abstrait ( ) au concret (-), dont Ie signe est Ie morpheme 0(2).
Schematiquement :
taire des articles.
TEMPS OPERATIF.
L'acte de langage ou Ie passage du plan de La Langue au plan du
Discours requiert selon Guillaume un temps coneret, quoique extre
mement bref : « La pensee en action de langag e exige reeUement cIu
temps" e)· Cet axiome divise jusqu'aux disciples du linguiste
fran~ais.
Avant de choisir la stricte orthocioxie, Boch Valin avait balance entre un temps operatif « tan tOt reel, tantot imaginaire ,> (I). Les materialistes Maurice Toussaint (1972) et Robert Lafont (1978) iden tifient aujourd'hui les cinetismes mentaux avec des processus neu
roniques e)· Dans l'autre camp, Henri Bonnard (1961, 1969) ou Jean Stefanini (1967) prefereraient ramener les diagrammes du guillaumisme a un simple ({ schema des latitudes d'expression »
L'article, en tout etat de cause, permet d'economiser l'hypothese psychologique. Qu'il s'agisse de l'existence meme des tensions, de leu orientation ou de leur succession, noUs nous en tiendrons aux don
(+)
( +)
an tiextensif, extensif, transextensif. Chacune de ces propositions e.st discutable. Nous y reviendrons apres avoir dit un mot du temps operatif et dresse un premier inven
nees de la philologie.
v~
'<}
(-)
o INVENT AIRE DES ARTICLES.
..
En Discours, la valeur d'emploi des articles UN, LE ou 0 depend de trois parametres: 1° La suspension du cinetisme antiextensif, extensif, trans extensif a proximite ou a distance d'un pole ) ou d'un pole (-) ; (1) Pour les references bibliographiques et un resume des theses guillau miennes, cf. M. Wilmet, Gustave Guillaume et son ecole Linguistique, Paris-Bruxelles, Nathan-Labor, 2" ed., 1978. (2) Guillaume dit « universel » et ({ singulier numerique » au lieu de « gene ral» et {( partlculier)i ; en revanche, il parle bien voir son titre de 1944 - de « particularisation » et de ({ generalisation ».
A cote des articles UN, LE et 0, Ie systeme reserve une place la combinaison DU DE LE. Le role du morpheme DE
(3) Temps et verbe. Theorie des aspects, des modes et des temps (Pari Champion, 1929), p. 8, n. l. (4) Voir successivement l'Avant-propos it Ja reedition de Temps et ver (1965), p. XV, et Ja copieuse Introduction aux Leqons de linguistique Gustave Guillaume, I (Quebec-Paris, Presses de Laval-Klincksiec 1971), pp. 9-58. (5) M. Toussaint, Vingt ans apres ou Gustave Guillaume et la neurolingu tique analytique, dans Revue Romane, 7, 1972, pp. 68-89. - R. Lafont F. Gardes-Madray, Le travail et la langue (Paris, Flammarion, 1978). (6) H. Bonnard, Le systeme des pronoms qui, que, quoi » en jranqais, da Le Frangais Modeme, 29, 1961, p. 176, et Gumaume, il y a vingt a dans Langue Franqaise, 1, 1969, pp. 27-28. - J. steianini, Approche guillaumisme, dans Langages, 7,1967, p. 77.
56
«inverseur») serait de transformer 13 tension extensive en une tension antiextensive, mais Guillaume ne se prononce pas clairement quant a sa nature (7). Soit:
57
LE S\STf:\fE DE 1:.\HTICLE 1""I-\A:\(:.\IS
\L\RC WIDIET
Abstraction faite du temps operatif, Ie signifie de puissance convenant indifferemment aux emplois (1), (2), (3), (4) ne saurait ctre que dynamique : GENERIQUE
INDIVIDUEL ~------------
(+)
r:x:l
t:1
~
c:::
(-)
Cette navette du (+) au (-) produit non seulement les valeurs extremes du gEmeral (phrases 1/2) et du particuher (phrases (3/4) mais, en principe, une infinite d'effets intermeciiaires Guillaume s'abstenant toutefois de fournir aucun exemple d'interception a distance des poles, envisageons d'autres possibilites : (5) a. L'homme est un loup pour I'homme,
(-)
La superposition aux articles UN, LE, DU des categories du genre et du nombre circonscrit en fin de compte trois groupes semiologiques (plus l'article zero) : UN (une) LE (la, les) DU (de la, des) Depourvu de pluriel propre en franc;ais moderne, l'article UN trouvera au sein des deux series concurrentes un plw'ieI sernanti que: Ies ou des, PREMIER PARAMETRE: SUSPENSION DES CINETISMES.
Nous distinguons trois cas: 1° les articles UN et LE, 2° l'article DU, 3° l'article 0. 1° UN et LE ont des acceptions en apparence contradictoires et synonymes deux a deux: un sens genenque « n'importe quel ou« tout» : (1) Un enfant est toujours l'ouvrage de sa mere. (2) 1979 a ete l'annee de ['enfant. un sens individuel
«
un et un seul» :
b. Un homme est un homme. Les sentences (5 a) et (5 b) se demarquent de (1) et (2) par
l'extension superieure du nom homrne (ou, corollairement, par une
cornprehension inferieure, puisque enfant designe un petit d'hom
me»). L'interpretation generique » des articles n'est nullement affectee. (6) Le pithecanthrope est l'ancetre de l'homme.
D'hornrne a pithecanthrope, nouvelle reduction d'extension (com parer la proposition vraie Un pithecanthrope est un hornrne avec sa reciproque fausse Un hornrne est un pithecanlhrope). L'enonce (6) continue cependant a viser tous les membres de la c1asse. Nous appellerons extensite la quantite d'etres ou d'objets auxque1s Ie Discours applique un nom, indepf'ndamment de son extension a. Durant la prehistoire, l'homme vivait de la chasse. b. I./homme du XX" siec1e a perdu son instinct de chasseur. c. Un grand homme a padois de petits cotes. Le circonstant durant La prehistoire, Ie « complement determi nabf» du XX' siecle et l'adjectif qualificatif grand restreignent l'extension du noyau nominal hornme sans agir sur son extensite, toujours maximale: « LouS les hommes prehisioriques/contempo rains/de genie ...
»
(8) Voila plus de dix ans que l'homme marche sur la lune. Peu importe Ie nombre exact d'individus ayant foule Ie sol lunaire. Extensite maximale encore: « Voila plus de dix ans que l'homme (representant l'hurnanite) a conquis la lune ».
(3) Un enfant crie dans la chambre voisine.
(4) Fatigue de pleurer, l'enfant s'est tu. (7) Comparer
Le probleme de l'article et sa solution dans la langue jran gaise (Paris, Hachette, 1919), p. 117, n. 1 : ({ De est une preposition, mais sa fonction, en ce cas, est celie d'un article », et, par exemple, Langage et science du Zangage (Paris-Quebec, Nizet-Presses de Laval, 1964),
p. 178: « Pratiquement la regie peut etre posee de I'impossibilite de construire I'article partitif III ou Ie mot de ne s'est pas abstrait comple tement du systeme de la preposition pour entrer dans celui de l'article. })
(8) Sur l'extensite (que Guillaume a longtemps confondue avec I'extension des logiciens), cf. R. Valin, Grammaire et logique: du nouveau sur l'article, dans Travaux de Linguistique et de Litterature, 5, 1967, pp. 61-74 : N. Furukawa, Le nombre grammatical en jrangais contem porain (Tokyo, France Tosho, 1977) ; M. Wilmet. Pour une description objective du syntagme nominal, dans S. De Vriendt et Ch. Peeters. Lin guistique en Belgique (Bruxelles, Didier, 1977), pp. 119-128) (I'innovation consiste it liberer l'extension de la Langue pour l'envisager aussi en Discours).
LE SYSTf:~1E DE t' ARTICLE FRAN(:AIS ~!ARC
58 (9) Sur
59
WIL\tET
le Racine mort, le Campistron pullule.
Le Racine: extensite individuelle du nom propre ou extensit{; generale (par antonomase : "Ie theatre classique ») ; le Campistron: non pas «plusieurs Campistron» mais «Campistron fait souche» (extensite = 1) ou plutot «Campistron et ses pareils» (extensite maximale).
femmes, chiffons .. .), Ie seul a illustrer deux saisies successives sur la tension 3: parler de politique aux abords du pole (+), parler politique au voisinage immediat du pOle On retiendra simplement que Ie nom politique a garde d'un exemple a l'autre une extensite constante. Ainsi, Ia tension trans extensive n'adopte pas le meme critere de definition que les prece
dentes. (10) a. La viande se sert avant le fruit. b. Apportez la viande et Ie fruit.
Malgre Ie collectif fruit « des fruits (10 a) et (10 b) alternent une extensite generique un quelconque assortiment de fruits») avec une extensite singuliere (<< la corbeille de fruits »).
DEUXIEME PARAMETRE: ORIENTATION DES CINETISMES.
II apparait en conclusion que les articles UN et LE proposent effectivement Ie choix du pole ( ) ou du pole mais d I'exclusion de toute saisie moyenne.
10 Des 1919, Guillaume avait bel et bien elucide la pretendue equivalence de UN et LE « generiques » : « ... il faut entendre dans: L'hornme se forme par l'experience, la leGon abstraite, et dans: Un homme se forme par l'experience, la leGon avec l'exemple en Vue» La monographie de 1944 ne fera que theoriser cette im pression a partir des deux phrases, empruntees it Damourette et Pichon, Un soldat fran<;ais sait resister d Ia fatigue (implication: « je resiste» si Ie soldat est locuteur, « tu resistes» s'il est allocutaire, « il resiste» si un soldat fran<;ais, absent de l'interlocution, s'en trouve d'aventure Ie temoin ou Ie veritable destinataire) et Le soldat fran~ais sait resister it la fatigue (aphorisme pur, constat d'histo den)
«(
a UN
et LE, l'article DU s'accommode d'une extensite aussi large ou etroite que le contexte Ie prescrit : Ie syn tagme du vin designe n'importe quelle quantite positive, y compris Ia totalitc, comme suffirait a Ie suggerer 1a mise en equation d'un theme construit avec LE generique et d'un predicat forme avec DE : Le vin, c'est toujours du vin ; la biere, ce n'est jamais que de Ia bif~re ou Les hommes sont des hommes : et dans Ie cadre d'une extension reduite : Du vin blanc desaltere mieux que du vin rouge. 2° Contrairement
Notons ici que Ie pluriel de UN sera LES ou moins souvent DES si Ie singulier revet un sens generique. La phrase (1) corres pond a (11 a) et (11 b), la phrase (3) a (12), 1a phrase (4) a (11) a. Les enfants sont toujours l'ouvrage de leur mere.
b. Des enfants sont toujours l'ouvrage de leur mere. (12) Des enfants crient dans la chambre voisine.
(13) Fatigues de pleurer, les enfants se sont tus.
3° Compte non tenu des archaYsmes (p. ex. Ie morpheme zero subsistant de nos jours devant un nom de personnel, Guillaume examinait en vrac trois sortes d'articles 0 : Ie type « synthetique» perdre pied, tenir tete, faire front, sans equivalent atteste avec article UN ou LE ;
avoir la foil avoir foi, avoir un bon sommeil/avoir - Ie sommeil, perdre sa patience d'ange/perdre patience, se servir d'un d'outil, qui interesse la succession des tensions (para metre 3) ; Ie
parler de poUtique/parler politi que (etc.: cuisine,
Reprenons notre revue en trois points:
e').
En revanche, on ne voit pas quelle serait 1a portee universelle de l'article LE d'extensite individuelle; comparer (14) et (15) : (14)
Un soldat franGais vient de s'ecrouler, mort de fatigue.
(15) Le soldat franGais qui vient de s'ecrouler ...
Le postulat suspect d'une tension 2 ouvrante remet en cause Ia symetrie des articles UN et LE.
20 Le morpheme DE constituant Particle DU est issu, par de semantisation progressive, de la preposition homonyme (p. ex. J e reviens de Paris ou Rep7'enez de ce plat), dont il conserve ment Ie dynamisme ( +-) -+ Sa fonction specifique est celle d'un article d'extensite nulle : Je ne bois jamais de vin (1
(9) Le prob!eme de !'article (1919), p. 231, § 130. (10) Cf. Langage et science du !angage, pp. 153-154. - A rapprocher de J. Damourette et E. Pichon, Des mots a la pensee. Essai de grammaire de la langue franr;atse. 1911-1927 (Paris, d'Artrey, s.d.), I, p. 494, § 379. (11) En 1919, Guillaume analysait dans Ne pas avoir d'argent une preposition DE + article zero (Le probleme de l'article, p. 297, § 191). - Cf. M. Wil met, Sur {( de}) inverseur, dans Travaux de Linguistique et de Littera ture, 12, 1974, pp. 301-323.
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~L\HC WIUIET
SYSTi::,m DE I/.\BTICLE FIL\X(:"\[S
En schema:
(+)
( +)
~
t:1
t;rj
(+ )
61
de haut vol, par contre, tenir tete semble bien abstraire» une idee de son siege physique; et se seTviT d'un outil demande un instru ment preexistant, done concret, tandis que seTviT d'outil detourne l'objet utilise de sa destination primitive. Bernard Pottier (1962) souPGonnait deja Guillaume d'avoir pris un eIfet pour la cause el). A la lumiere du pal'ametre 1, nou;;; dirions que Ie nom sans article, denue d'extensitc autonome, s'adapte 6troi tement a un autre mot du discours (p. ex. la locution verbale tenir tete -= «resister", J'ai sommeiI je suis ensnmmeille ", Ce man ehe nOlLS servira d'outil « ce manche sera Qutil», Dupont parle politiqlle = «une politique it la Dupont »).
v~
t:1 t;rj
TROISIEME PARAMETRE: SUCCESSION DES' CINETISMES.
(-)
On comprend immediatement que: DE ne s'associe a LE qu'enLre Ie pole ( sion des tensions UN et LE : du vin ;
) et Ie ;;cuil d'inver
- Passe ce cap, DE sert a UN autant qu'a LE: Je n'ai plus de vin/Je n'ai plus de fruit(s) ; Loin de faire double emploi avec Ie numeratif UN, I'article DU exprime en vision massive une realite continue (p. ex. du beun-e) ou discontinue (p. ex. manger du cure) : cette faculte suppose que LE ait sa valeur generique dans I'amalgame DU (l L'alternance DU/DE plus au moins plus ou mains contraignante s'observe dans taus les contextes ou un element renfon;ant la polarisation aniiextensive du morphc·me DE, entrave l'entree en action de l'article LE (I::) : • epithete qualificative ant(:posee au epirhete seule apn?s Ie pronom en: Je vends de bons vins (fran<;ais classique : de bon vin) ou Des pommes, j'en vends de helles ; • derriere une quelconque indication de quantite: beaucoup/ trap/peu . .. de vin/pommes ; • en « atmosphere negative (negation absolue, subordonnee de comparaison, voire negation relative) : Je ne vends plus de pommes, Des pommes, j'en vends pl1ts que je ne vends de poires, Je ne bois de vin qu'en hiver. 3° Gustave Guillaume n'a guere creuse sa dichotomie intuitive d'un pole absirait (+) et d'un pole concret (-). Si l'on peut admettre avec lui que perdre patience dEmote un oubli passager d'une capacite pour l'esscntiel conscrvee avoir de la patience, ou que parler politique convient mieux a une conversation « terre it terre» qU'a un discours
Pour doter la tension transextensive d'un minimum de vraisem blance, Logique constructive inteTne du systeme des aTticles franc;ais (1945) assimilait Ie terminus ad quem « genfral » de la tension:': a un terminus a quo «abstrait» sur la tenslon 3, deux carncterisations concernent, si l'on comprend bien, run" l'e:rtensite du substantif determine, l'autre Ie sens dudit substantif. Les phrases (16) et (17) montrent que ces facteurs ne sont nullement lies: (16) Le courage, d'ou qu'il vienne, est respectable
(= extensite generale).
Le courage dont il a fait preuve en la circonstanee ... extensite particuliere). L'espeee d'escamotage auquel s'est livre Guillaume trouverait a Ia rigueur une justification dans If' tour fermeT boutique « renon eer », au Ie nom complement resume en les symbolisant toutes les activites commerciales (abstraction issue de la generalisation) ; mais il n'explique ni avoiT la foil avoiT foi (deplacement semantique de la « croyance » a la « confiance »), ni avoil' un bon sommeil/avoiT som etc. La successivite des cinetismes 1 antiextensif et 2 exiensif offre un terrain plus sur a la reflexion. Nos phrases (3) et (4) ci-dessus refusen! d'echanger leurs arti cles : Un enfant erie -4- L'enfant s'est tu, non pas: L'enfant erie -+ Un enfant s'est tu. Cette constatation reussit-elle a fonder Ie temps operatif ou, au moins, l'ordination logique des tensions? Deux contre-arguments se presentent d'emblee : 1° LE ne presuppose UN qu'au pole individuel: Un hornme passe L'homme se retourne. En emploi generique, nos enonces et (2) ci-dessus restent permutables dans la chaine syntagma
(12) Voir une seconde preuve ci-dessous, parametl'e 3, 20. (3) Cf. M.
Wilmet, Anteposition de l'adjectif et variation de l'article partitij,
dans Revue des Langues Romanes, 82, 1977, pp. 429-437.
(14) B. Pottier, L'absence d'article en fran<;ais et sa motivation, dans Revue de Linguistique Romane, 26, 1962, pp. 158-162.
LE SYSTJO~lE DE L' ARTICLE FRAN(;AIS
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63
MAHC WIUIET
tique : Un enfant est Pouvrage de sa mere, merfl.e durant I'annee de I'enfant ou Meme durant l'annee de l'enfant, un enfant est l'ouvrage de sa mere.
Pas plus que l'orientation cinetique, Ie rang des tensions n'epuise l'opposition UN /LE. Une synthese des parametres 2 et 3 serait souhaitable. 2° Le morpheme DU annule en tension 2 1a notoriete inherente a LE (trait qui Ie separe sans equivoque de la preposition contractee : Servez-moi du meme vin que tout d l'heure « de ce vin-1a »). Son registre est a cet egard celui de l'article UN : Appelez un taxi -,. Le
taxi que vous avez appele, Servez-vous du vin avez pris, etc.
Le vin que vous
En definitive, UN, DU et LE expriment chacun a leur fa<;on l'extensivite du substantif, soit qu'ils erigent un ou plusieurs ele ments en ensemble (fonction « extensive » : LE), soit qu'ils prelevent sur l'ensemble un ou plusieurs elements (fonction "partitive» : UN, DU). Quelques exemples : (18) a. Un enfant crie. b. L'enfant s'est tu. L'element « enfant I), isole de sa classe de reference par Ie jeu de l'article UN (18 a), est reconstitue en singleton (18 b). (19) a. Un homme bien portant est un malade qui s'ignore. b. Le vin, c'est toujours du vin. Les deux articles UN et DU effectuent dans leurs ensembles un tirage aleatoire, comme si les elements « enfant» ou «vin» etaient contr6les un a un jusqu'a epuisement de l'extension (lG). (20) L'homme est un animal raisonnable. Verite statistique, tolerant a ce titre quelques exceptions. On considerera au rebours l'incompatibilite de UN generique avec Ie superlatif re1atif: *Un Siamois est Ie plus beau des chats ou *Un Franr;ais est Ie plus brave, etc., tous adages qu'il serait impensable de verifier exhaustivement dans la multitude des cas particuliers.
CONCLUSION. Des trois variables servant en psychomecanique a definir l'arti cle, notre enquete n'a finalement retenu - et encore, au prix d'un serieux amenagement - que Ie premier parametre, en l'occurrence (15) Voir la communication de G. Kleiber et R. Martin, La quantification universelle en franc;ais (colloque d'Ivry sur la quantification dans les langues nature lies : 11. 3. 1977).
l'atensite nominale (et non l'extension). On a decouvert dans l'orientation et la successivite des cinetismes deux manifestations de 1'6xtensivite, tour a tour «partitive» (dissociant l'ensemble et les elements) et «extensive» (confondant les elements et l'ensemble). pour Ie surplus, la tension transextensive 3 ne resiste pas a l'exa men (16). Quant au temps operatij, sa necessite ne s'impose jamais. Ce bilan negatif a pourtant une contrepartie.
L'extensite, l'extension et l'extensivite procurent au-dela du
systeme de l'article 1a clef d'une descripti.on coherente des deter
minants, que Guillaume, peut-eire prison nier de la tradition sco laire, avait abusivement cloisonnes.
Au moment de conclure, retra<;ons-en les lignes de force:
10 La dichotomie extensite/extension divise les determinants
du substantif en deux groupes :
_ Les quantijiants declarent l'extensite du noyau. Ils rassem
blent les adjectifs numeraux cardinaux, la plupart des indefinis, les
articles, les demonstratifs et les pOf;sessifs.
_ Les caracterisants limitent l'extension du noyau. Ils reunis
sent eux les numeraux ordinaux, les indefinis non quantifiants (en particulier autre et meme), les possessifs « toniques" mien, tien, sien, les adjectifs qualificatifs et assimiles (epithetes preposition nelles: une montre en or, subordonnees relatives: Ie chat qui dort, fausses appositions: Ie roi Louis ou Ia ville de Paris) (17). 20 Les quantifiants se repartissent dans deux sous-groupes en
fonction de l'extensivite : _ Sont partitijs : les numeraux, les indefinis et les articles UN, DE, DU, chaque espece se differenciant ensuite par l'extensite (numerique, donc univoque, pour les «nombrants» deux, trois, (16) Dans une these de 3. cycle consacree a L'article zero en anglais moderne (dactylographiee, Lille, 1978), M.-J. Lerouge, exploitant les inMits de Guillaume, montre que Ie linguiste a fait marche arriere depuis 1945 en postulant pour l'article deux positions extremes: l'une anterieure a la tension 1, la seconde posterieure it la tension 2. Et d'autres extraIts des Lec;ons de linguistique manifestent une evidente perplexite, comme celul-ci, date du 9 mal 1957 : «Une question particulierement traitee la derniere fois a ete celie de l'article zero. c'est-a-dire de l'absence d'artlcle. Elle fait dans les langues ou l'article a rec;u un grand deve loppement des difficultes conslderables. On pourrait dire de l'etude de l'article zero que sa difficulte grandit au fur et a mesure que se carac terisent mieux les differentes valeurs que l'article represente» (cite p. 278). (17) Les deux groupes des quantifiants et des caracterisants ne sont pas impermeables: nul, divers, ditterents deviennent caracterisants si on les postpose, tel, quel, les demonstratifs et les possessifs associent etroi tement la caracterisation a la quantification, etc. (je compte revenir sur la question dans un gros article en preparation : La place de l'epitnete quaUficative en jranc;ais contemporain. Etude grammaticale et styUs tique).
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,fARC W(UIET
quatre . .. ; de variabilite etroite pOur les indefinis plusieurs, beau coup, pen ... · de variabilite large au bipolaire pour Je numeratif UN, Ie positif DU et Je massif positif ou negatif DE) (l S). - Sont extensifs : I'article LE bipolaire), les demons_ tratifs (extensite individuelle de LE information deictique: Ce livre = « Ie livre qui est sur Ie bureau etc.) et les possessifs (exten site individuellc de LE information personnelle : mon livre = Ie livre a moi », etC')
Quelques aspects du « modalisateur »
0
3 Le nombre grammatical imprime it l'extensite l'oPposition binaire du singulier (:::;; 1) et du pluriel C? 2). II en resulte que les indeIinis certain, quelque ou n'impoTte quel sont a ce point de vue des synonymes de l'article UN « individueJ alors que la forme les ad libitum un LE « non generique» (p. ex. Fatigues de pleu 1'er, les (= « deux, quatre . .. ») enfants se sont tus -'" Fatigues de pleureT, (tous) les enfants se +~,.,_ .. "
Bruxelles.
Marc WILMET
Hypothese de travail (ou «concept regulateur ») dans une semantique des «relations de verite}) (1), la notion de « modalisa teur» appartient a la «composante semantico-Iogique" du langage dont la structure d'ensemble est de la forme M [R ab ...]. Symbole R: Toute proposition est Ie lieu d'une relation entre argu ments a, b ... ; la relation en tant que telle est designee par Ie terme de foncteur; son contenu (qui s'oppose a toutes les autres relations possibles) est une composition de predicats appeh~s noemes. Symbole M : La relation Rest elle-meme modifice par un ensemble M d'operateurs, ensemble appele modalisateur. On se propose ici de definir au moins sommairement quelques unes des composantes de M. La gencralite riu sujet ne doit pas faire illusion: on ne considere d'aucune manh~re ces rHlexions comme Ie resultat d'une recherche, mais plutot comme un cadre d'etude. Cha que partie, chaque paragraphe meme demanderait des justifications precises. M est fondamentalement Ie lieu ou s'evoque la verite de ce qui est dit. Sous toute phrase se per<;oit l'idee que ce qui est dit est vraL Alors que la proposition logique est et qU'elle prend indiffe remment la valeur « vrai» (V) ou ({ faux» (F), la phrase du langage naturel est assertee (a moins qU'elle solt interrogative ou injonctive), et Ie locuteur lui assigne par principe 1a valeur V. Mais en fait, dans Ie langage naturel, Ie V ne s'oppose pas stric tement au F. Cerner la notion de « modalisateur », c'est d'abord s'interroger sur la relativite de la verite linguistique (I). Ainsi appa raitra Ie rapport, dont il sera question a Ia semantique des mondes possibles (II), puis it celle des univers de discours (III).
(18) Deux indetinis ont un champ aux articles. mais seulement en contexte negatif : aucun et (p. ex. Pour aucune/nulle Supplique qu'il adresse, ne le secourez pas et Il ne vous adressera aucune/ nulle vous SUPPlique).
On proposera en conclusion un schema d'ensemble, mais un schema tout a fait provisoire puisqu'on n'aura eVOQUe, si Co2 n'est allusivement, - ni Ie mode (ou il faudrait montrer que les idees guillaumien nes si magistralement developpees par Gerard Moignet (2) ne sont pas incompatibles avec un modele semantico-Iogique), Inference, antonymie et paraphrase, Paris, Kl!ncksieck, 1976. (2) Essui sur le mode subjoncti/ ..., Paris, PUF, 1959, 2 vol.
(1)
3
66
ROBERT
~IARTIX
QCELQCES ASPECTS l)U ,,!lWDALISATEUR
67
»
laid signifie sans plus que ce seuil n'est pas franchi, mais que, etant - ni les auxiliaires de mode et les adverbes de (peut donne l'infinite des valeurs possibles, on peut s'en rapprocher aussi etre, probablement ...), que l'on voudra (elLe n'est pas laide « pas vraiment belle, mais ni Ie rapport qu'entretient Ie modalisateur aux formes inter hors du champ de la laideur »). jectives (symbole E de A. Banfield 0), probleme sans doute Le ± V peut venir aussi de l'imprecision des quantificateurs : important qu'il n'y paraft d'abord. Les Bretons sont perseverants est ±V, car cet enonce n'impJique d'aucune fac;on (contrairement a Tous les Bretons sont perseverants) ,J. que Pierre, qui est breton, soit perseverant. "'1
r. -
RELATIVITE DE LA VERITE LINGUISTIQUE
Le modaJisateur n'est alors concerne que secondairement: il se
que tel locuteur soit plus sensible qu'un autre a tel ou tel
des choses, auquel cas Ie flou conduit a des verites changean
tes selon les « univers de discours ». Pour Jeanne, on est malade au
moindre toussotement ; pour on ne l'est pas aussi Iongtemps
que l'on tient debout. Consequences que tout cela. Le flou est
ailleurs : dans la relation elle-meme.
La verite, en langage natureL a tous les caracteres de la relati 'lite. En effet: 1. la verite linguistique est modulee : une' phrase peut etre plus ou moins vraie 2. Enonces qui peuvent etre vrais 2. la verite linguistique est modalisable: elle est liee aux mondes possibles (0 p) ; Autre source de relativite: l'assertion peut concerner un 3. la verite linguistique est une verite assertee: Je locuteur domaine de mondes possibles. En disant : Pierre est peut-etre rentre, affirme ce qu'il croit etre vrai ; ce qui est vrai pour lui ne j'attenue l'assertion par un operateur de probabilite. Ce qui est dit rest pas necessairement pour autrui ; la verite, si l'on pre est donne comme possible et non pas comme certain. Le locuteur fere, vaut a l'interieur d'un univers de disc ours (l:V) ou uni pose Ie retour de Pierre dans un monde possible (0 pl· La semanti vers de croyance ; que des mondes possibles se trouve ainsi liee, soit a !'ignorance du (il est peut-etre rentre), soit a l'incertitude inherente a l'avenir 4. une phrase, quoique bien fOrl!!Ce, peut n'etre pas decidable (Pierre rentrera fait envisager un monde a un instant t, t to, ou (etre ni vraie ni fausse : It-V). pest vrai). 1. Enonces plus ou moins vrais 3. Enonces declares vrais Les enonces peuvent eire :+-V, vrais par certains aspects et faux Le propre de la verite linguistique - constatation banale mais par d'autres. Ainsi Pierre est malade peut etre vrai en ce sens que qui n'en est pas moins decisive - est une verite prise en charge par Pierre souffre d'un soup<;on de laryngite, mais faux en ce sens que quelqu'un. Un enonce est vrai pour quelqu'un. Tout l'effort du Iocu rien ne l'empeche de vaquer a ses occupations. Le ±V se trouve teur consiste a faire admettre ce qu'il croit etre vrai. Peu importe ainsi fondamentalement lie a R (et non a M). II tient en effet : que Ie locuteur mente: aux yeux du linguiste est vrai ce que Ie - au vague des preciicats : un signifie est un ensemble £lou de locuteur asserte, la pn§somption etant celle de la sincerite. Peu proprietes inegalement pertinentes. Qu'est-ce qu'etre ma1ade? etre importe que Ie locuteur se trompe, que ce qu'il dit etre vrai ne intelligent? Qu'est-ce que 1'amitie? une ideologie? Et meme une corresponde pas aux donnees de l'univers. Une assertion vehicule en voiture? On fort bien l'enonce, apparemment contradic tant que telle sa propre verite; celle-ci vaut a tout Ie moins a l'inte toire: c'est une voiture sans en etre une (<< Ie vehicule en question rieur d'un univers dont Ie locuteur a tort ou a raison, de bonne a certaines des proprietes caracteristiques d'une voiture, mais cer foi ou non- se porte Ie garant ("1). taines seulement ») ;
>
- au flou de l'operateur d'inversion (beau/laid): pas beau s'oppose de fac;on binaire a beau et tombe ainsi dans Ie champ de laid; mais laid vient de !'inversion de beau, ce qui suppose une echelle qui conduit insensiblement de 1a beaute a la Iaideur (ou l'inverse) avec un seui! separateur du beau et du laid; des lors pas (3) Le Style narratij et Za Grammaire des discours direct et indirect, trad. fro in ; La Critique generative, Change, 16-17, 1973.
Mais i1 va sans dire que ce qui est vrai pour l'un peut fort bien ne pas l'etre pour tel autre. Certaines phrases apparemment contra (4) Au demeurant, cette verite, bien qU'elle soit objectivement une croyance, n'est en aucun cas donnee comme telle. Grande est la distance entre Pierre est rentre et Je crois que Pierre est rentre : verite dans un cas, affirmee sans hesitation; assertion nuancee dans l'autre qui permet sans honte de se dedire.
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()l'ELQCES ASPECTS DC . ,fOIlALlSATElm
RORERT :\L\HTl:\
dictoires trouvent lil. leur explication. Cette erreur n'en etait pas une : ce dont on parle est erreur dans un certain univers (celui de l'interlocuteur p. ex. ; ou bien du locuteur :it une date anterieure) ; mais ce n'est pas une erreur dans l'univers ac1.uel du discours. 11 faudrait ecrire : Cette « erreur » n'en etait pas une.
A I'affirmation de A : Tu continues a Ie moquer de moi (pOSe tu te mOques de moi ; pp tu t'es deja moque de moi tout a l'heure), B peut repondre soit par (a), (b), (c) ou (d) : (a) Qui, je Ie reconnais (PP : V ; pose: V) (b) An, non! Cette lOis, non! (PP : V , pose: F) (c) Je
reconnais que je viens de plaisanter, mais tout
a l'neure,
non!
(PP : F ; pose: V)
(d) Mais je ne me suis jamais moque de toi! (pp : F ; pose. F).
4. Enonces ni vrais ni faux Un enonce asserte dans un univers U' et dont les presupposes ne sont pas remplis dans U sera, par definition, V dans U. La phrase Pierre est reste Ii Paris enoncee par Marie n'es1. pas decidable pour Jeanne si celle-ci estime que Pierre, a aucun moment, n'a ete a Paris. La valeur se definit ainsi a partir de la presupposition C'). La relation presuppositionnelle est une relation analytique (notee AR). Tautologie du langage naturel, une teJle relation est valide independamment du locuteur et independamment de toute .situation de discours. C'est une rcIation entre p;~rases, valable anterieurement a toute enonciation. On dira donc que p presuppose q [\ (p .--+ q») si et seulement s'il est analytiquement vrai que (p ~ q) et que (rv p ~ q). Soit (0) : A
(p
q) :
Dr. \ (p ~ q) 1\ \
(rv p ~ q).
Mais Ie phenomene semantique de la presupposition doit pouvoir etre relie a I'imonciation effective, c'est-a-dire a l'assertion, insepa rable du fonctionnement linguistique. On admettra que A (p R q) que, quel que soit l'univers de discours OU pest asserte p), Ie locuteur y admet obligatoirement q dans sa relation R it p. Ainsi pour ,\ (p q) : si un locuteur asserte p (au rv p), il lui faut admettre, dans son univers, sous peine de contradiction, la verite de q. L'interlocuteur, quant a lui, reste libre, dans son univers, d'admettre ou de ne pas admettre q. S'il considere que q est faux, on dira que pour lui, par definition, p a la valeur V. En d'autres termes, la verite de p n'est pas pour lui decidable.
'*
REM. La non-decidabilite (itV) correspond au sentiment d'absurdite que fait naitre globalement l'enonce dont les presupposes (pp) sont contestes (faussete des pp dans l'univers de l'interlocuteur). Il reste que les composan tes de Penonce (respectivement pp et pose) peuvent etre mis en doute sepa rement.
(5) Et non l'inverse. On se refusera donc de definir la presupposition par la valeur #V (valeur de p si son presuppose q est faux), sous peine de se rendre prisonnier du cercle. (6) Cette formulation corrige ce que Ie symbole de necessite n avait de genant dans R. M. 1976, p. 48. La definition proposee n'echappait pas it la difficulte mainte fois signalee des enonces tautologiques. Le symbole d'analyticite A n'appartenant pas au langage des propositions, rien ne permet d'en supposer la transitivite dans la forme (eI. (p =? q) 1\ )" (rv p~ q)) ~ q.
On voit ainsi que la relativite de la verite vient de sources fort diverses. Le :i~ Vest lie au flou du signifie It'i-meme ; il concerne Ie symbole R de la formu1e liminaire. Les mondes possibles et Ie,; univers de discours touchent en revanche la fonction meme de M. Quant a la non-decidabilite, elk vient de la confront;ltion de deux univers de discours; les presupposes peuvent etre con testes : c'est dans l'univers du contestataire que l'enonce qui les vehicule est indecidable.
II. -
MODALISATEUR ET MONDES POSSIBLES
1. L'idee de « monde possible»
L'idee de monde possible est fortement liee a celIe de temps. Lieu de l'incertitude, l'avenir est forcement imagine et se trouve ainsi, par nature, charge de modalite. 11 est Ie domaine privilegie du possible, Ie lieu de ce qui, non enregistre dans Ia memoire, relev€ sans plus de conjectures. Mais cette incertitude peut etre egalemcnt celIe du passe au du present. L'ignorance de ce qui a lieu, une information insuffisante, la non-inscription dans la memoire en un mot conduit a imaginer Ie possible, et des lors se cree un champ de modalite. Pierre a sans doute prefere s'en alLer : la preference de Pierre est E-voquee hypo thetiquement, dans un monde possible. On conc;oit ainsi que, dans les operations modales, Ie temps occupe une place tout a fait determinante. 2. Mondes possibles et operateuT tempore/, (TPS) a) Le present. Soit la phrase suivante : Je redige en ce moment ma contribution aux "Melanges G. Moignet ». Nous sommes Ie 8 janvier 1980 a cinq heures du matin. A C'et instant precis, une partie de mon article est deja achevee; redaction opcree en une somme d'instants (I) (WI, ())2 • • • m") qui appartient desormais au passe. Une partie reste a rediger: je compte Ie faire dans un avenir (1, forme de son ci)te d'une somme indefinie d'instants. Mais alors que (0 appartient au monde de ce qui est invsriablement inscrit dans Ie temps et dont il est impossible de faire qu'il soit autre qu'i1 n'a etc (irreversibilite du temps), a est Ie lieu du possible. Rien ne
70
garantit qu'a l'instant at qui vient, je pourrai effectivement poursui vre ma redaction. Que je sois brusquement pris d'un malaise, et c'en est fait de ma reflexion. Qu'un demon ayatollesque parvienne a brouiller definitivement Ies cartes, et tout mon expose, au milieu de l'apocalypse, s'en ira en fumee helas avec tout Ie reste. Ou, plus banalement, que je m'apef'{;oive de !'indigence de tout cela, et je renoncerai de moi-meme. Autant d'hypotheses, autant de mondes possibles. II est vrai que l'un d'entre eux se irouve fortement privi legie : celui ou, monde des attentes, rien de tout cela ne m'empechera d'aller jusqu'au bout. On peut ainsi representer n, d'instant en instant, Comme une configuration de possibles, plus ou moins vrai semblables (ensemble m), ou Ie monde des attentes (m*) occupe une place preponderante : seui! s
separateur de a et
ensemble m des mondes possibles
b) Autres temps grammaticaux. A partir de cette image du present ou (JJ apparait comme inserit dans Ie monde m, de ce qui a eu lieu et a, d'essence modale, comme une ramification infinie de possibles, tout l'ensemble des temps des operateurs temporeIs _ se met aisement en place. Alors que pour Ie present Ie seuil s cOIn cide avec t", moment de la parole. il est anterieur, sans autre modi fication, pour I'imparfait res t..) .~ s']. Le futur, vide de toute partie (J), place Ie seuil s posterieurement 1:1 t". Quant au conditionnel, n',duit comme Ie futur 1:1 el, son seuil s est posterieur 1:1 s'. Soit en schema
<
e) :
(7) Le passe simple demanderait un developpement specifique. Son caractere non analytique l'oppose fortement it l'imparfait. Gustave Guillaume Ie construit comme on sait sur (1. J'en viens it me demander si ce n'est pas I'inverse, selon un schema comme celUi-ci :
~
Present: Imparfait:
(0
(0
I
(mo) c:. S~~ s = to (mry) I _~ J!.111. (s
Futur :
Ia
(m)
s> to Conditionnel: I a (m) s>s'
3. Mondes possibles et operateur de determination nominale (DET) On sait combien sont imbriques les temps grammaticaux et les determinants du substantif. Le diTeeteur signait les livrets seolaires, phrase ambigue (<< M. X, Ie directeur, etait en train de .. »; « Le directeur avait pour mission de ... »), perd son ambiguYte si l'on remplace l'imparfait par Ie passe simple (Le directeur signa . ..).
En fait cette phrase est doublement ambigue ; un autre exemple permettra de Ie montrer mieux (a) Lamartine est genial. Cet enonce implique : Les azuvres de Lamartine sont des reuvres de genie. Toutes ? Pas forcement. Lc flou des quantificateurs, Ie flou des signifii?s laisse ouverte la possibilite que Jocelyn p. ex. ne Ie soit pas. Cela tient 1:1 1a valeur ~v que peut prendre toute relation R en tant que telJe ; on considerera done ceUe valeur comme independante en principe du modalisateur. (b) Uauteur des Meditations est genial. Cet enonce ambigu peut s'interpreter : fl.. dans une lecture referentielle: « Lamartine (repere comme l'auteur des Meditations) est genial», auquel cas (b) cst stritement equivalent a [3. dans une lecture attributive-referentielle: «L'auteur des Meditations, quel qu'il soit, est genial» (ce qui n'implique d'aucune fa<;on que Lamartine, auteur des Harmonie~, de Graziella, de J oee lyn . .. , Ie soit egalement. La propriete « etre auteur des Medita tions » (Ax) et celIe d' « etre genial » (G,) sont reli~;es dans les mondes possibles (<< Etre l'auteur des Meditations, c'est etre genial »), en meme temps que auteur des" Meditations» refere it un persollnage de m,), que je sache ou non I'identifier a Lamartine. SoH:
n.
(0
------~
mO
71
QCELQCES ASPECTS DU " MODAUSATEUH ,
ROBERT MAHTIX
s to Oll Ie seuil s serait en meme temps une limite de perfectivite. Si ron concoit (l comme Ie lieu des mondes possibles, Ie passe simple ne peut plus se decrire que par Ie biais de OJ. Je reconnais bien volontiers que mes
J m, \:;f x (Ax => G,)
I mo,
(E!x, Ax)
I
J
Ces deux lectures valent aussi pour Le directeur signait les livrets scolaires. a. Lecture referentielle : Le directeur = M. X m o , E!x, x est Ie direeteur et x signe Ies Iivrets scolaires.
a et w n'ont plus grand chose de commun avec les chronotypes guillau miens. M. MOignet m'a plus d'une fois fait observer mes ecarts, mais avec une indulgence dont il ne s'est jamais depart1. (8) Tout ce paragraphe s'inspire de la these encore inedite de Georges Kleiber sur la notion de reference (Strasbourg, 1979). Les exemples lui sont empruntes : mais G. K. n'utilise pas la notion de « monde possible »),
72
ROBERT ~L\RTIN QUoLQCr:S ASPECTS DC ' :'JODALlSATEl'R ,
p. Lecture
refcrentielle - attributive. Le directeur = M. X, mais la relation est construite en intension, c'est-a-dire dans les mondes possibles (m)
J m, Vx (Etre directeur
l mo, E!x,
x)
EN
= (Signer les livrets seclaires\) I
x est Ie directeur
(
L
Mais i1 s'y ajoute une troisieme lecture, exclusivement attributive: « Ie directeur, quel qu'il soit, a pour mission de ... ". Lecture situee uniquement dans m :
m, V x (Etre directeur x) ::::> (Signer les livrets scolaires ,) Deux remarques s'imposent ici : 1. L'operateur DET qui amene tel ou tel type de lecture lou Ie laisse indecidable) se trouve domine par l'operateur TPS : signait \ Le directeur \ signe (Zes livrets scoZaires: ces trois phrases sont ( signera)
73
moi \ ici maintenant p
On conc;oit des lors que Ie modalisateur ne soit pas etr'anger aux mecanismes du discours direct (DD) ou du discours indirect (DIl et meme, plus generalement, aux faits que la grammaire generative place dans Ie « complementiseur» (COMPL.). 1. Le disc ours direct
Impossible de decrire Ie DD par la notion de litteralite (n). Trop de faits s'y opposent. En effet, Ie DD s'utilise : 2. Les formulations ei-dessus, notamment I'index {( m», ont un carac dans un contexte futur: Tu lui diras: « . . . » (Ces paroles tere tout a fait provisoire. En particulier, elles ne prejugent en rien des n'ont jamais ete dites ; l'idee de litteralite n'a aucun fondement) ; relations, a preciser, entre les notions d'e:ristence, de reference, de determi nation, de monde Possible. dans un contexte hypothetique: S'il Ie dit: « . . . », reponds que . .. (meme remarque) ; Relie aux «mondes possibles ", Ie modalisateur M se compose dans un contexte negatiI : Il n'a pas dit : " ... », mais . .. ; donc de deux opcrateurs, etroitement dependants: TPS et DET ; ce _ avec valeur allusive: Tanti3t tu dis: « fais ceci ", tantOt tu qui peut se schcmatiser ainsi, TPS portant sur R et DET sur les arguments a, b ... : dis: « fai3 cela " ; _ avec un sujet collectif (discours imaginaire) : Les Americains TPS raisonnent ainsi : « . . . » egalement ambigues.
-in l
R
DET
III. -
a
b
f
MODALISATEUR ET UNIVERS DE DISCOURS
Ce qui est vrai pour Pierre ne !'est pas forcement pour Paul: assertee, la verite ne vaut, redisons-le, que dans un univers de discours. Un tel univers se deHnit par les coordonnees enonciatives du moi - ici - main tenant. Les operateurs TPS et DET se trouvent ainsi domines par un operateuI' modal de plus grande generalite. Nous l'appellerons EN (<< operateur d'enonciation »). Son role est de fixer l'espace enonciatif dans lequel operent TPS et DET. EN cree l'univers de discours. Soit en figure (ou L = locuteur et ou p tient la place du schema precedent) :
A cote de ces arguments, celui du discours resume (<< ••• », dit-il en substance . ..) n'a plus qu'une importance minime. La litteralite du DD tient du mythe. II faut chercher ailleurs un critere acceptable de definition (10). Ce critere est celui de l'espace enonciatif (' 1) : alars que dans la forme Pierre dit que p l'espace enonciatH - unique - est celui du locuteul' (L), la forme Pierre dit: p) comporte deux espaces dis tincts: celui du locuteur (Pierre dit ... ) et celui de Pierre (1). Si ron prefere, L recree, a l'interieur de sa propre parole, l'espace d'un locuteur 1. (9) Comme Ie font la plupart des dictionnaires de Jinguistique. Definition comparable chez J. Authier, Les Formes du dis(;ours rapporte, DRLA V 17, 1978, notamment pp. 50-51. Interessantes reserves, cependant, pp. 75-76. (0) Impossible, a mon sens, d'utiliser dans la definition du DD la notion d'autonymie (J. Rey-Debovc, Le Metalangage) ou celle. apparentee, de refIexivite (F. Reeanati, La Transparence et l'enonciation). Le DD, tout en etant presente comme un dire, ne cesse a aucun moment de renvoyer a l'univers. Aucun des signes qu'U comporte ne peut etre considere comme renvoyant it lul-meme. (11) Cette definition a deja ete proposee par J. Fourquet, Prolegomena, 1970, 99, comme Ie rappelle E. Faucher dans Linguistica Palatina, 24, 1978 (Definition du discours indirect).
3*
74
nODEBT
Bref, Ie DD modifie l'espace enonciatif ; Ie DI Ie laisse inchange. Qu'a la faveur de ce changement, on s'en tienne habituellement a la litteralite n'a rien pour etonner ; mais c'est une consequence et non pas un principe. 2. Le discours indirect Dans Ie DI, l'espace enonciatif est celui de L. Mais la valeur de verite de P » n'est pas prise en charge par L (la responsabilite est laissee a 1). L garantit seulement que p a 13 meme valeur de verite que « P » ; en d'autres termes, il se porte garant de l'invariance des valeurs de verite. Cette invariance est observee : - si pest une paraphrase de « p» (Pierre: «Je vais badigeon ner les murs de blanc" <==;> Pierre a dit qu'il peindrait Ie ?nUl' en blanc) ; - si pest impliquc par" p» (Pierre: "J'ai change I.e joint de culasse de ma voiture » => Pierre a dit qu'il a repare lui-merne sa voiture) (12). L'unicite de l'espace enonciatif entraine diverses consequences. - Les connotations appartiennent a L (II, m'a dit que les flics l'avaient interroge: flic n'est pas nccessairement un mot de 1; la connotation en est acceptee par L). - Certains types de presupposes (notamment ceux que vehicu lent les relations appositionnelles) appartiennent egalement a L: n m'a dit q1te Sophie, la jolie blonde que tu as vne l'autre jour, a ... (impossible pour L de mettre en cause ces presupposes: *... la jolie blonde que . .. mais qui n'est pas jolie du tout . ..) (1:') : les presuppo ses "appositionnels» apportent sur l'argument x des precisions descriptives qui ne mettent pas en cause l'adequation a x du predicat verbal; des lors Us relevent de la responsabilite de L. En revanche les presupposes dont la negation rendrait absurde 13 predication elle-meme sont pris en compte par 1 et, du meme coup, L se menage Ia possibilite de les contester: Pierre m'a dit qu'd I.'aeroport d'Orly les policiers l'avaient interroge sur . .. ; mais 11. n'a jamais ete d Orly. Les « appreciatifs» ou « evaluatifs» (comparables a des pre dications appositionnelles sur xl appartiennent eux aussi a L: Jacqnes m'a dit qu'il allait mettre un peu d'ordre dans 'son caphar natim (14). Certains elements « interjectifs» (symbole E de A. Banfield) ne peuvent trouver place dans Ie DI: 'n m'a dit que bravo! Les (12) Le
QCELQl'ES ASPECTS DU , :\IODALISATEUR ,
~!.\RTIN
fait que Pierre ait repare lui-meme sa voiture para it Ie plus impor tant a L: la «Ioi d'exhaustivite» est ainsi preservee. Impossible de rapporter « Je pars d~main » par Pierre m'a dit qu'i! partait demain ou apres demain. Pourtant {( P » => p. (13) C/. J. Authier, op. cit., p. 27 et la these, encore inectite, de B. Cerquiglini. (14) Exemple de J. Authier, parmi d'autres, p. 28.
75
autres sont nccessairement des interjections de L: II m'a dit que pierre, helas . ... REMI. Dans Ie discours indirect Jibre (DIL), Ie Iocuteur se confond avec un co-Iocuteur dont i1 evoque, explicitement ou non, la pensee, Ie sentiment u Ie dire. Des lors on ne sait plus qui prend effectivement en compte la ~aleur de verite : Paul vient de telephoner: it est tres deprime «( il m'a dit qu'il est tres deprime» ou « j'ai constate qu'il est tres deprime», ou les
deuX ?) (15). L'espace est celui de L, confondu avec Ie co-Iocuteur : temps, deictiques de lieu et pronoms personnels se reperent sur Ie moi - ici - maintenant de L
(\6) :
Avais-je / avait-il Ie droit de ...
« je me demande actuellement si j'avais ... »
ou
« je me demandais alors 5i j'avais ... »
« qqn (p. ex. Pierre) se demande si ... » ou « qqn se demandait si ... » L dispose des pensees ou des sentiments d'autrui comme s'ils etaient les siens propres : Ie DIL, par nature, plonge dans l'ambigulte.
Consequence inevitable. les formes de E appartiennent a L :
Paul vient de telephoner: cet imbecile de Pierre a... (I'appreciation
contenue dans imbecile est assumee par L - sauf apparition de guillemets). OU
REM2. DD, DI et DIL sont compatibles avec les gUillemets des {( Hots textuels», fragments dont les connotations, les presupposes ou la valeur appreciative ne sont pas ceux de L (voire de I). L'i!ot textuel sous-entend toujours un {( comme dit x », OU X est ou non identifiable par I'interlocuteur,
3. Modalisateur et «complementiseur" a) Le mecanisme du DI ne peut se comprendre qu'a la faveur d'une theorie de que, mieux de (k-) (17), et plus generalement du « comph~mentiseur ».
On defendra iei l'hypothese que Ie propre de (k-), en son role syntaxique d'enchassement, est de suspendre la verite de la proposition p qu'il introduit. La valeur de p se entierement par Ie semantisme de l'e!ement introducteur conjonction) : -1 p pour 1
n dit que p pour L
? -1 p pour 1
Il s'imagine que p rv p pour L
dehors de valeur de determine (verbe ou
Autre exemple de J. Authier, p. 79. (16) L'exemple cree de toutes pieces par Ch. Bally (Figures de pensee et formes linguistiques, Germ. rom. Monatsschr. VI, 1914, pp. 405-422 et
(15)
456-470; p. 419 : Pierre m'avait donne r,endez-vous pour huit heures .. mais, empeche au dernier moment, je n'avais pu ni Ie rencontrer ni Ie prevenir. Pierre vint au devant de moi, attendit long temps .. il s'inquie tait : lui serait-il arrive quelque chose? Etait-il malade? Et personne de sa part 1) quoique fort artificiel, peut se comprendre, dans une situa
tion ou Ie dire concerne Ie locuteur lui-meme, par un renversement de I'espace au profit du {( co-locuteur )) explicitement identifie. (17) Sur I'unite de que, G. Moignet a ecrit des pages decisives (voir toute la troisieme partie des Etudes de psycho-systematique Iranr;aise). Elles ne paraissent d'aucune fa<;on incompatibles avec ce qui suit.
76
nom:HT
Il sait que p
Ql"EU)l'ES ASPECTS DC . :\IOI>ALISATITfl
~L\HnX
q. Ainsi (?), (k-) et 8i entrent tous trois dans Ie « complementiseur ", dont la fonction semantique, on Ie voit, est fondamentalement une
-j p pour 1
-j p pour L
REM1. Si 1 L, dire ou savoir restent possibles, mais pas s'imaginer . *je rn'imagine que p. Mais on accepte ; Pierre dit que je m'imagine que P. ou dire que ouvre it nouveau pour L la possibilite de contestation;
(a) pour L, (b) pour L, pl.
p (je ne m'imagine pas que p, pest vrai) p (je ne m'imagine pas que p je n'ai jamais pense que
REM!. Les mecanismes de suspension par k- de la valeur de verite expliquent certaines phrases apparemment contradictoires ; Il dit que Jeanne ne fait pas ce qu'elle lait ('elle ne fait pas ce qu'elle lait) ; la relative ce qu'elle fait est prise en charge par L, 1e deictique ce suffisant, par sa valeur referentielIe, it rendre deCidable, pour I, Ill. Proposition Jeanne ne fait pas
ce(ci).
La suspension de la valeur de p entraInc, dClns la subordormee, Ia correlation modale soit de l'indicatif, soit du subjonctif. Probleme fort complexe qui, dans l'optique adoptee ici, trouverait peut-ctre une solution it partir de l'hypothcse que Ie subjonctif s'impose chaque fois que la proposition enchiissee n'esl pas assumable; et 1'on distinguerait : les propositions non assumees parce qU'el1es S011t indecida bles (aussi bien pour 1 que pour L) ; Il doute que Sophie s'en aWe; les propositions non assumables dans leur causalite;
fonction modale.
:r: Cette evocation succincte laisse dans l'omble un grand nombre de difficultes : il faudrait par exempIe preciser la place exacte des faits que recouvre Ie symbole E; preciseI' aussi la structure du « complementiseur » et s'interroger sur Ie r61e qu'y tient vraisembla blement la preposition de. On n'a rier: dit non plus des predicats mo daux (PR. MOD.) (adverbes de phrases et auxiliaires de mode) et de leur articulation au modalisateur tel qu'il est con<;u ici, c'(;Ost a-dire comme un systeme complexe d'ope r atellrs. L'ensemble des donnees est Drovisoirement synthetise dans 10 schema ci-dessous.
EN
~ ~~i L
~
~
,------------~-----------
( maintenant
p
TPS COMPL.
[?j'[k-j -
~ ~
b) Faisant dependre la valeur de verite de ce qui precede, Ie morpheme (k-) se trouve investi d'une fonction comparable a celle des morphemes interrogatifs dont Ie proprc est de subordanner la valeur de verite it celle de la reponse sollicitee. Notons par l'i,Ie ment interrogatif. (?) et (k-) se combinent dans Ie si interrogatif indirect.
1
I
8)
PR. MOD. -
[R a bJ
t
~I______------~ DET.
en
De mcme que l'e1E~ment (k-) porte soit sur TPS (prop. soit sur DET (prop. re1.), de meme varie l'incidence de (?) : s'il est incident a TPS, l'interrogation est totale ;~,il I est it DET, l'interro gation est partielle. c) Le morpheme hypothetique si a pour propriete, dans Ia forme si p, q, de suspendre simultanemenl la valeur de p et celle de q : ce qui est declare vrai, c'est la relation (en gros implicative) (l~) de p it (18)
VOir notre contribution aUK Mel. Coseriu (it paraitre).
N.B.
PR. MOD. [R a b] » est peut-etre une representation accepta ble pour l'adverbe de phrase (predication complexe). Pour les auxiliaires de mode, on preierera sans doute « [PR. MOD. a b (composition de pn:'>dicats).
Paris.
Robert MARTIN
Relatives restrictives,
SN glmeriques et interpretation conditionnelle
Nous nous proposons d'examiner dans cet article la these de l'interpretation conditionnellQ des enonces comportant des relatives restrictives constituants d'un SN gEmerique. Cette these, defendue entre autres par Vendler (1967 et 1968), Rohrer (1971 et 1973), Stockwell et alii (1973) pour tous les SN generiques, et par C. Fuchs et J. Milner (1979) pour les SN gcncriques quantifies par l'article indefini un uniquement, assigne aux enonces gcneriques contenant des relatives restrictives comme 1) une representation scmantique de forme Si ... alors. Elle ctablit une relation de paraphrase entre
les enonces 1) et l'enonce de forme hypothetique 2) :
1) a) Les serpents qui sont venimeux sont dangereux b) Le serpent qui est vertimeux est dangereux c) Un serpent qui est venimeux est dangereux 2) Si un serpent est venimeux, it est dangeTeuX Les consequences d'une teUe mise en relation sont importanles, que soit Ie traitement ulterieur que l'on adopte. Que l'on se place en scmantique interpretative, en posant comme Jackendoff (~) une regie d'interpretation semantique, ou que I'on postule dans Ie cadre d'une semantique generative une representation semantique de forme hypothetique, il est clair que les pf/lpositions relatives de 1) ne peuvent plus etre considerees comme des relatives restrictives, mals sont a ranger, comme Ie soulignent Stockwell et alii (19n, p. 421), avec les «pseudo-relatives" telles que les phrases clivees C'est . .. qui, les phrases existentielles Il y a ... qui, etc. Ce resultat nous paraH errone. II ne nous semble pas que les enonces de forme 3) soient, comme l'affirment Stockwell et alii pour l'anglais, la seule source des propositions relatives de forme 4) :
n
(1) Exemple de Z. Vendler (1968, p. 24). (2) Stockwell et alii (1973, p. 430) signalent que Jackendoff dans un article non pub lie du M.LT. (Speculations on presentences and determiners, 1968) propose une regie d'interpretation generale qui vaut a la fois pour 3) et pour 4), de telle sorte qu'il n'est pas necessaire de deriver une forme de I'autre. (3) «Sentences of the form IF Generic NP j VP m THEN Generic NP; VP n are the sole source of relative clauses of the form Generic NP i THAT VP VP n» (1973, p. 430), rn
80
GEOHt'ES KI,EIBEH
3) Si SNj generique SVIlI , alors SNi generique SV" 4) SNi generique qui SV m SVll
Nous exposerons dans une premIere partie Ia these de l'interpreta tion conditionnelle. Nous montrerons ensuite que Ies arguments presentes ne sont pas determinants, Ni I'existence d'enoncf's hypo thetiques correspondants ni l'argument existentiel d'une sous-classe referentielle vide ne permettent d'assimiler a des conditionnelles Ies enonces comportant des relatives restrictives constituants d'un SN generique,
L LA THESE CONDITIONNELLE 1. Considerations semantiques
HEL.\Tl\'ES HESTHICTIYES
81
seconde contrainte est cependant necessaire, qui explique pour'quoi ce sont finalement les SN generiques avec relatives restrictives qui sont les meilleurs candidats a une interpretation hypothetique. Quoique quantifies universellement, des ('non<:,es comme ~~) nc se laissent guere paraphraser par des enonces hypothetiques comme 4) : 3) Les voitures q1i.e Jacques a ache tees ant dil cotHer cher 4) Si Jacques a achete des vaitures, eHes ant d~1 cO'llter cher L'enonce 3) comporte l'indication existentielle 'il y a des voitures
que .Jacques a achetees', absente dans 4) comme il ressort de l'oppo sition des enonces 5)/6) :
5) ? Je ne sait si Jacques a acheLe des voitnres, mais Les
voitures qu'il a achetees ont dil coilter cher
6) Je ne sa is si Jacql1.es a achete des vaitures, mais s'il en
a achete, eUes ant dil cafiter cher
A l'origine de la these conditionnelle se trouve la representa La paraphrase conditionnelle est, par contre, possible avec les SN tion des determinants generiques un, les, Ie, tous les, chaque, tout, generiqucs contenant des relatives non appositives (c,). Les enonces etc., par Ie quantificateur universe! "I de Ia 10gique des predicats, gen6riques 7), consideres comme equivalents, peuvent etre mis en La proposition universelle ("Ix) (Fx _ Dx), que 1'on peut gloser par relation avec 1'6nonce Si ... alon; 8) : 'Pour tout x, si x verifie F, alon x verifie D', est une proposition 7) a) (Tautes) Les voitures Qui Bont rapides sont dange « conditionnel1e ». Meme s'il n'existe pas d'individus qui satisfont au reuses predicat F, c'est-a-dire meme s'il n'existe pas de « F ", Ia proposition b) La voiture qui est rapide est dangereuse peut etre vraie. II n'en va evidemment pas ainsi dans Ies enonces de c) Une voiwre qui est rapide est dangereuse langue naturelle, parce que Ja quantification y est restreinte. Au lieu elle est dangereuse 8) Si une voiture est d'operer sur tous les individus possibles (les ;c de la logique), Ie quantificateur porte sur la c1asse restreinte par Ie substantif du SN L'argument cssentic1 en faveur de cette assimilation est l'absence de quantifie (4). L'existence de cette classe ref6rentielle peut etre dite presupposition ou d'implication existentielle, Si les enonces 7) peu presupposee, Un enonce comme Les chimpanzes sont amnsants ne vent etre paraphrases par 8), c'est que, malgre la forme du SN, ils ne saurait ainsi etre represente par la proposition (Y:r.) (x est
- si un chimpanze aime les artichauts). Une Stockwell et alii parlent, sans plus, de relatives dans les SN generiques, (4) Cf. O. Ducrot (1972, p. 236) : «Ie nom qui les (les actualisateurs) suit
fonctionne, non pas comme Ie nom d'une propriete, attribuee a tel ou
tel individu du monde, mais comme Ie nom d'une classe, dans laquelle
s'opere la quantification )).
c,est parce que l'analyse hypothetique separe ces relatives des relatives restrictive:>. II ne fait cependant aucun doute que les appositives ne sauraient donner lieu a une paraphrase conditionnelle, Ainsi renonce Les serpents, qui sont venimeux. sont dangereux ne saurait etre assimile a 'si les serpents sont venimeux, Us sont dangereux', puisqu'il asserte au contraire que les serpents sont venimeux et dangereux.
82
L'enonce 10) ne saurait, selon Vendler, eire paraphrase par parce qu'i! peut eire vrai, sans qu'obligatoirement la proposition n existe des serpents venimeux soit vraie. La possibilite qu'il y ait ou n'y ait pas de serpents venimeux reste ouverte.
p
14)
SN
13) Si un serpent est venimeux, il est dangereux
2. Considerations syntaxiqtws L'interpretation eonditionnelle entraine, avons-nous dit, l'exclu sion des relatives non appositives constituants de SN generiques de la classe des relatives restrictive". Une tel1e exclusion s'avere pre deuse pour les analyses des relatives restrictlves qui exieent la eoreierentialite, telles que l'analyse SN-P (la NP-S Analysis) de Ross (') ou la tentative semantico-logique de Thompson (') de deriver les restrictives comme les appositives d'une coordination de predi cations portant sur Ie meme argument. L'analyse SN-P represente l'enonce Le professeur que j'ai aime
est mort par l'indicateur
SV
~~
12) Certains serpents sont venimeux et ceux qui sont veni meux sont dangereux Seule une interpretation eonditionnelle permet de rendre compte de ee fait. C'est done 13) et non 12) qui servira de paraphrase a 10 (n) :
83
REL\T[YES RESTIUCTIYES
GEORGES KLElI3ER
SN
P
est mort
~~v \
V~N
\ \
professeur j' ai aime Ie professeur Ie La pronominalisation relative exige la coreference des deux SN Le professeur. Or, cette exigence ne peut etre satisfaite lorsqu'il d'un SN generique. On ne peut, en eUet, representer l'enonce 10) Les serpents qui sont venime71x sont dangereux par 15), car les deux SN Les serpents ne sauraient etre coreferentiels, a moins de considerer la relative comme une appositive. 15)
p
(6) Le
raisonnement de Stockwell et alii (1973, p. 429) est sensiblement Ie meme. La paraphrase par Si ... alors est la seule paraphrase qui con vienne pour les SN generiques contenant des relatives, parce qu'un enonce tel que a) n'implique ni b) ni c) : a)
Un lion qui n'a pas assez
a manger est dangereux a manger assez a manger
b) Il existe des lions qui n'ont pas assez c) Certains lions n'ont pas
SN
C. Fuchs et J. Milner (1979, pp. 138-139), qui restreignent, ainsi que
no us I'avons note ei-dessus, l'interpretation conditionnelle aux SN quantifies par un, utilisent egalement l'argument existentiel pour justi fier I'analyse hypothetique. En effet, la reponse polemique e) ne consti tue pas, selon elles, une ({ veritable remise en cause du discours » d) du locuteur, puisque celui-ci peut toujours contrer cette reponse en ripos tant par f) :
a
Une voiture qui roul~ 140 km;h est un danger public
e) Mais aucune voiture ne mule a 140 km/h !
f) Je ne jaisais qU'evoquer cette possibilite !
d)
On remarquera qu'un tel raisonnement s'appJique aussi aux SN generi ques quantifies par l'article defini, l'enonce g) pouvant donner lieu egalement a la reponse e) et a la riposte f) : g)
Les voitures qui roulent
a 140
SV
~
~
Det
km/h sont un danger public
Ettant donne que c'est cet argument qui etaye l'analyse conditionnelle. iI n'y a aucune raison de la limiter aux SN generiques quantifies par un. La position de Vendler et de Stockwell et alii est de ce point de vue-Ia plus logique que celie de C. Fuchs et J. Milner. (7) J. R. Ross, 1967, Constraints on Variables in Syntax, cite par Stockwell et alii (1973, p. 427). (8) Appelee Deep-Structure Conjunction Analysis (cf. S. A. Thompson, 1971).
P
SN
N
SN
SV
D0N L
s ont venimeux
1 les
serpents les
1
serpents
6
sont dangereux
84
r;EOW;ES KLElllEH
RELA TIYES HFS'! H1CT1\'FS
85
Le probleme se pose quasiment de la memE: maniere a Thomp II. CRITIQUE DE LA THESE CONDITIONNELLE son. On sait qu'eUe propOSE: de deriver restrictives comme apposi tives d'une coordination de predications pOl·tant sur Ie meme argu Notre critique de !'interpretation conditionnelle comprendra ment. Ainsi la structure (J'ai renconn? jille) (Hlie paTte Ie trois parties. Nous montrerons que la paraphrase hypothetique Si .. sera la source de l'enonce J'ai rencontn5 la .fille qui parle Ie ba"que. alo TS n'est pas toujours possible, que les enonces contenant des rela II est clair, comme Ie souligne Thompson (J 971, p. 8:3), qu'une telle tives non appositives constituants d'un SN generique ne sont pas ne convient pas aux relatives non appo"'itives des SN gene equivalents il des enonces de forme Si p, q, ('t, enfin, qu(' riques: "a sentence such as Men who smoke pipes look distin existentiel n'est pas determinant. guished, which contains a relative clause with a gene;:-ic head noun, obviously does not have a conjunction such as (Men smoke (men look distinguished) as its source ». 1. Les paraphrases hypothetiqnes Que l'on adopte donc la solution semantico-logique de Thomp SOn ou I'analyse SN-P, on est obligt, de postuler un traitemen1 differen t pour les rela ti ves non appcJsiti VI'S des SN generiques. L'interpretation conditionnelle permet de contourner ceUe diffi culte: de telles relatives scront derivees de la structure sous-jacente aux phrases hypothetiques Si ... alors. 3. Consequences
Nous avons note ci-dessus que la paraphrase des emmct's 7) par
un enonce hypothetique de forme Si un N ... alr)?'s impliquait l'equi
valence des determinants generiques Or, la quantification uni
verselle operee par ces determinants n'est pas toujours la meme C1),
de telle sorte que selon Ie determinant utilise, la paraphrase avec
l'article indefini dans la conditiormelle peut se reveler impossible.
Ainsi Un, en tant que quantificateur distributif, ne peut se substi
tuer a Ie, les, lorsque ceux-ci fonctionnent comme quantificateur
collectif avec un predicat de classe (I~). 18) et 19) ne donnent
lieu a une paraphrase Si un ... alors :
18) Les serpents qui sont venimen:r sont Tares 19) Les seTpents aui ont Dlus de tTente metres de long n'existent pas 20) .Si un serpent est venimen.:c, il est Tare 21) 'Si un serpent a plus de trente metres dt; l.ong. il n'existe pas
II est important d'examiner les consequences de conditionnelle des relatives non appositives des SN premier lieu, consequence mineure, mais qui a neanmoins son importance, l'equivalence semantique etablie entre los enoncl's 7) (Toutes les voitu1'es/Ln. voiLure/Une voiture qlli sont /est sont/est dangerellse(s) et l'enonce 8) 8i nne voituTe f?lit rapide. die est dangereuse repose sur l'equivalence des quantificateurs univer sels les, tOllS les, Ie, un, etc. Plus importuntps se n"velent les conse L'enonce 22), a cause du verbe s'aimeT de la relative. provoque les quences de l'assimilation de la structure scmantico-logique d'un memes embarras. 23) ne saurait etre considE:rE' comme une para en once comme 7) a une structure conditionn~'lle en Si ... a/oTS. L'effet principal en est une dislocation du SN. Le phrase de 22) : universel n'opere plus sur une sous-classe referentielle constituce 22) Les etres qui s'aiment reussissent lew' vie par Ie substantif et la relative, mais uniquewent sur b classe deter 23) Siun etre aime un autre Nre, il (ou ils) reussit sa vie mince par Ie substantif N. La relative ne SPIt donc plus a former On notera encore qu'un enonce negatif avec toUf. les ne peut donner au, si 1'0n pn.'!fere, a restreindre la classe N, mais est lieu a une paraphrase de forme Si un N ..., il ... 24) n'a manifeste amenee a jouer un r61e predicatif identique a celui du SV. En d'autres termes, elk ne constitue plus unrc prl'dicalion interne au ment pas Ie meme sens que 25) : SN, mais une predication externe au SN (I"). L'enonce 10) Les seT 24 Tous les serpents qui son! 1'enimet!:c ne son! pas pents qui sont veni,meux sont dangeH~ux aura pour representation dange1'eux non quantifiee 16), dans laquelle V (venimeu.1:) et D (dangereux) 25) Si un serpent est venimeu::r, il n'est pas sont des predicats externes qui po':tent sur l'argument Sx On peut certes retorquer que l'impossibilite de paraphraser les pents), et non 17), dans laquelle D, Ia seule predication externe. ne enonces 18), 19), 22) et 24) par Si 1m . .., il ." nest pas liee au pro porte pas sur Sx, mais sur l'ensemble V(Sx) : bleme des relatives qui no us concerne Ici, puisque lin ne ,murait 16) V(Sx) -+ D(Sx) commuter avec les au tous les dans les enonce" de dpnart. On observe D [V(Sx)]
(9) Les articles ne figurent pas dans la representation sous-jacente. (10) Cf. G. Kleiber ('t R. Martin, 1977, p. 21.
(11) Cf. Z. Vendler (1967, pp. 70-96), G. Kleiber et R. Martin (1977), H. W. Viethen (1977). (12) Pour la notion de predicat de Classe, voir D. M. Perlmutter (1970).
87 HELATI\'ES HESTRfCTI\'ES
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GEORGES KLEIBER
cependant que, si 1'on garde les memes determinants dans l'enonce hypothetique, Ie resultat s'avere egalement negatif pour la these conditionnelle, puisque 18) et 19) donnent lieu aux enonces anomaux 26) et 27), et 22) et 24} aux enonces 28) et 29), qui ne sauraient etre consideres comme leurs paraphrases ainsi que nous Ie verrons ci-dessous : 26) *Si les serpents sont venimeu,r, ils sont rares 27) *Si les serpents ant plus de trente metres de long, Us n'existent pas 28) Si les etres s'aiment, its reussissent leur vie 29) Si taus les serpents sont venimeux, irs ne sont pas dangereux Il est certes possible d'eviter la difficulte que represente l'interpre tation conditionnelle des enonces 18) et 19) et celle des enonces 22) et 24), en refusant d'une part a 18) et 19) ]e statut d'emonce generi que (1:1) et en soulignant d'autre part Ie caractere particulier de 22) (d. la presence d'un verbe reciproque) et df' 24) (d. Ie probleme de
taus les avec la negation). Une telle echappatoire, justifiee ou non, s'avere vaine, parce que meme les enonces dans lesquels un peut se substituer a les, Ie, etc., ne trouvent pas toujours non plus une paraphrase naturelle en Si un N ..., it . .. Ainsi 30) et :H) se laissent difficilement paraphraser par un {monce conditionnel de forme Si un N ... il ... : 30) Un enfant qui est perdu est un enfant qui est mort 31) Un lion qui est affame est un dangereux animal On observe en effet que 32) et 33) p3.raissent peu naturels, que 34) et 35) ne correspondent plus a la structure semantique de la condi tionnelle Si un N .. '.' il ... proposee, puisque Ie SN ce du second membre n'est pas coreff~rent du SN du premier membre (H) : 32) ? Si un enfant est perdu, il est un enfant mort 33) ? Si un lion est affame, it est un dangereux animal 34) Si un enfant est perdu, c'est un enfant qui est mort 35) Si un lion est afjame, c'est un dangereuT animal
nest egalement difficile de considerer les enonces 37) comme des paraphrases adequates des enonces 36) : 36) a) Les rnagasins au ron vend des livres s'appeltent librairie Le mag
ou t'on vend des livres s'appelte librairie
b) Un magasin ou t'on vend des livres s'appeUe librairie
asin
c)
37) a)
? Si l'on vend des livres dans les magasins, Us
s'appeltent librairie
b) ? Si l'on vend des livres dans un mag asin , H s'appeUe
librairie
ants Les enonces 38) se revelent par ailleurs egalement embarrass , car les enonces hypothetiques 39) qu'on peut leur faire correspondre font apparaitre une des differences semantiques essentielles, nOus semble-t-il, entre les enonces conditionnels et les enonces avec rela tive, a savoir l'opposition c1asse referentiel1e / sous-classe referen tielle: 38) a)
Seu!s les enfants qui sont sages re<;oivent des bonbons
b) Senl l'enfant qui est sa.g e reqoit des bonbons
c) Seul un enfant qui est sage rer;oit des bonbons Les/Ie/un enfant ne rer;oit (Te<;oivent) des bonbons 39) a) que s'il est (s'ils sont) sage(s) b) C'est selllement s'il est (s'ils sont) sage(s) qu'un (les) enfant(s) rel;oit (rer;oivent) des bonbons
2. Differences de structure
Meme dans l'hypothese la plus favorable, celle de la correspondance Les serpents qui sont venimeux sont dangereu:r / 13) Si un serpent est venimeux, il est dangereux, il n'y a pas d'equivalence semantique, car la structure semantico-Iogique des enonces conte nant la relative ne peut etre assimilee a cplle d'une phrase condi tionnelle, comme Ie prouvent les deux observations suivantes. II n'est guere possible de deriver un SN generique contenant une relative d'une conditionnelle, si ce SN se trouve deja lui-meme dans une phrase hypothCtique (I~') :
(13) 18) et 19) ne sont plus des enonces genenques, si l'on definit l'enonce generique comme etant un enonce dont le precticat vaut a la fois pour chaque individu de la classe et pour toute la classe. (14) Il faut toutefois noter que a) et b) constituent des paraphrases hypo thetiques possibles de 30) et 31) : 30) a) Un en/ant, s'il est perdu, est un enfant qui est mort b) Un lion, s'il est a/fame, est un danyereux animal
Cette observation merite une etude a part. Nous nous contenterons ici de trois remarques : 0) on peut voir une certaine ressemblance entre l'ordre des mots de a) et b) et la forme de la proposition univel'selle (vx) (Fx ...... Yx) Fx Yx x un enfant s'il est perdu est un enfant qui est mort 1
2
3
Oil Ce fait est a relier au comportement de tout dans de tcls enonces. A l'enonce Tout Alsaeien qui bait de la biere devient obese peut correspondre c), mais non d) : c)
d)
(iii) Il
Tout A lsacien, s'il boit de la biere, devient obese *Si tout Alsacien boit de la biere, il devient obese
est peut-etre possible d'analyser les enonces a) et b) comme ayant la forme sous-classe referentielle/predicat en considerant la sequence un en/ant, s'il est perdu com me formant un argument duquel est predique le SV est un enfant qui est mort. A moins de recourir it une solution ad hoc, celle d'une conjonction de (15) conditionnell : Si un serpent est venimeux et s'U est aflame,. . (cf es
stockwell et alii, 1973, p. 430).
m:l
RELAT[YES HESTHlCT[\'ES
GEORGES KLEIBER
Si un serpent qui est venimeux est affame, il est dangereux b) *Si un serpent, s'il est venimeux, est affarne, il est dangereux
40) a)
On observe, en second lieu, que seul l'enonce avec la relative donne lieu a une negation po1emique : 41)
Un serpent qUi est venimeux n'est pas dangereux, car il n'existe pas de serpents venimeux
42)
*Si un serpent est venimeux, il n'est pas dangereux, car il n'existe pas de serpents venimeux
La difference Ia plus importante entre la structure semantico 10gique de 10) et celle de 13) reside dans 1'0Pposition classe referen tielle/sous-classe referentielle, Nous avons p.ote ci-dessus que l'in terpretation conditionnelle a pour resultat de faire porter Ie quan tificateur universel sur la cIasse refE'?rentj0Ile determinee par Ie substantif N et non sur une sous-cIasse referentielJe determinee par N relative. Il nous semble au contraire que 10) se ~epare de 13), parce que Ie pn;;dicat etre dangereux porte sur la sous-cIasse ser pents venimeux et non, comme dans 13), sur la cIasse serpents en generaL En d'autres termes, nous refusons la dislocation du SN en Si un N SV, ... Il existe des indices syntaxiques contre une te11e dislocation: 1a cohesion d'un SN comme Ceux qHi luttent (d. Ceux qui luttent sont ceux qui vivent), la pronominalisation de IR relative par tel (cL Un serpent qui est venirneux -~ un tel serpent), etc. IIs ne sont toutefois pas determinants. Decisive, par contre, se rev-eJe Ia comparaison de:; enonces avec relatives et des enonces hypothetiques correspond ants, dans les deux enonces, I 'article defini est Ie quantificateur. Il ressort clairement de 43)/44) que, dans un caR, c'est des Alsaciens buveurs de biere qu'il est dit qu'i!s sont obeses, alors que, dans Ie second cas, c'est des Alsaciens en general qU'il est dit que s'ils boivent de la biE"re, alaI'S ils sont obeses : 43) Les Alsaciens qui boivent de la biere sont obeses 44)
Si les Alsaciens bOivent de la biere, ils sont obeses
L'addition de Taus
cette difference:
45) Tous les Alsaciens qui boivent de la biere sont obi'ses
difference entre 43) et 49) Si un Alsacien boit de fa biere, il est obese est moins nette que celle qui oppose 43 a 44). C'est pour cette raison que les tenants de !'interpretation conditionnelle ne proposent que des paraphrases hypothetiques de forme Si UN N . " II n'en reste pas mains que la comparaison de 43) avec 44) prouve que Ies SN generiques Art. D~f!ni +, N + Relative non appositive ?etermir:,ent une sous-classe referentlelle et ne peuvent par consequent etre representes par une structure hypothe La question est plus delicate avec les SN quantifies par Un
e
II semble bien d'apres 50), 52) et 54) qu'un opere sur 1a classe N et non sur la sous-c1asse N + relative, d'ou les gloses hypothetiques 51), 53) et 55) :
50) Un loup qui sent venir la mort se couche Ii te1're (17)
51) Si un loup sent venir la mort, il se cmtche Ii terre 52) Un chien qui est en col ere aboie 53) Si un chien est en col ere, il al}oie
54) Une baleine qlli est malade ne chante pas
55) Si une baleine est malade, elle ne chante pas
II ne s'agit, en fait, que d'un eifet hypotht>tique qui s'explique par la nature du quantificateur un et, secondairement, par des facteurs pragmatiques. Determinant se revele l'effet contraignant de l'article defini par rapport a l'article indefini. Si l'idee de sous-classe referentielle parait plus evidente avec leslie qu'avec Un, c'est parce que l'article defini presuppose (1 ') l'existence de la sous-cIasse refercntielle, alors qu'Un ne fait que poser cette sous-clC'.sse. n suffit, en second lieu, que les connaissances pragmatiques que nouS possedons sur la rela tion entre la c1asse N et Ie pn§dicat de la relative favoriseni 1'inter pretation en termes de classe referentielle et non de sous-classe, pour que la dislocation des SN Un+N+relative en la forme Si zm N SV paraisse naturelle. C'est parce que nous savons d'un point de vue pragmatique qu'ils peuvent s'appliquer a chaque membre de la classe referentielle concernec (cf. loup, chicn et ba/eine) que les predicats sentir venir la mort, etre en co/ere et etre malade ne passent pas pour decouper une sous-c1asse referentielle qui s'oppo serait a la sous-classe compJementaire ne satisfaisant pas au predi cat donne. Avec des predicats que nOs connaissances pragmatiques
46) Si tous les Alsaciens boivent de la biere, ils sont obeses
Meme lorsqu'il s'agit d'une existence totalement virtuel1e, l'opposi tion classe/sous-c1asse subsiste comme en temoigne la comparaison de 47) avec 48) : 47) Les hommes qui seraient des hides seraient heHreux
48) Si les hommes etaient des betes, ils seraient heureux
Elle se trouve cependant attenuee si l'on substitue a l'article defini de la phrase conditionnelle 1'article indefini un. n apparait que la
(16) Nous laissons de cote Ie probleme de Tout (cr. ci-dessus note 14). (17) Exemple de C. Fuchs et J. Milner (1979, p. 138), qui signalent comme autres gloses quand, a chaque jois que:
Quandla chaque jois qu'un loup sent venir la mort, il se couche it terre.
(18) Ou bien (cr. l'operation de flechage de culioli) suppose une extraction prealable. Selon C. Fuchs et J. Milner (1979), l'extractlon d'un element se differencie de l'operation de flechage, parce qu'elle ne permet pas de contraster cet element avec les autres de la classe,
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GEORGES KLEInER
n'attribuent pas a tous Ies membres de la cIasse ref{~rentieIIe, I'idee d'une sous-c1asse malgre Ie quantificateur Un, se substitue plus facilement a celle de la c1asse referentielle et, partant, elimine l'interpretation hypothetique. On interpretera ainsi moins volontiers les SN de 56) (exemple de C. Fuchs et J. Milner, 1979, p. 138), 57) et :36) c) deja cite en termes de c1asse referentielle, parce que nous savons que tous les chn"!tiens ne meritent pas Ie nom de chretien, que tout livre ne traite pas de Ia linguistique et que 1'on ne vend pas des bYres dans tous les magasins (If') : 56) Un chretien qui merite ce nom se Boit d'aimer son
prochain 57) Un livre qui porte sur la linguistique est interessant 36) c) Un magasin Ott l'on vend des livres s'appelle
librairie Les enonces 50), 52) et 54) ne representent pas, par consequent, une preuve probante en faveur de !'interpretation en termes de classe referentielle des SN quantifies par Un. Le test de pronominalisation montre au contraire que de tels SN constituent bien un argument qui ne peut etre decompose. Ainsi, aux enonces 50), et 54), mais non a leurs correspondants hypothetiques 51), 53) ct 55), peut-on faire correspondre des enonces OU Ie SN indefini est repris par Ie pronom demonstratif <;:a, comme dans 58) .
58) Une baleine qui est malade, <;:a ne chante pas 59) ? Si une baleine est malade. <;:a ne chante pas II en resuIte que l'enonce Un serpent qui est venimeu:r est dange reli:r aussi bien que l'enonce l_es se1'pents qui sont venimeux sont dangereux aura pour repri.sentation non quantifiee 17) et non comme iI decouIe de l'interpretation conditiormelle . 17) D [V(Sx)]
16) V(Sx) __ D(Sx)
3. L'argument e:"Cistent~el II reste toutefois a rendre compte du principal argument en faveur de l'interpretation conditionneIle, l'argument existentiel. Par rapport a 60) Les serpents que j'ai attrapes sont dangerenx, l'enonce 10) Les serpents qui sont venimeux sont dangerenx presente un caractere existentiel neutre qui est a l'origine de 1a these condition nel1e. Qu'en est-iI exactement de cet argument? S'H etait decisif, tous les SN de la forme analysee, a cnractere existentiel neutre, devraient etre passibles de l'interpretation con ditionnelle. Or, i1 n'en est rien, comme i1 ressort de (19) On notera a l'appui de notre affirmation que dans ce cas les gloses temporelJes quand, a chaque lois que paraissent moins naturelJes.
RELATIVES I\ESTRICTIVES
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61) Un hamme qui ne hat sa femme qne de temps en temps
est mains sage qn'un hom me qni bat sa femme tant Ie temps Les deux SN de 61), parce qu'ils presentent Ie meme trait hypothe tique quant a l'existence d'hommes qui ne battent leur femme que de temps en temps ou qui la battent tout Ie temps, devraient s'inter preter conditionnellement et done donner lieu a une paraphrase hypothetique. Seul Ie premier SN, cependant, se laisse disloquer en Si lLn N SV, . ' . : 62) SI un homme ne bat sa femme qne de temps en temps, il est mains sage au'un homme qui bat sa femme tout Ie temps 63) *Si un homme ne bat sa femme qlLe de temps en temps, it est mains sage que si un hamme hat sa femme tout Ie temps L'interpretation conditionnelle n'est pas liee au contenu du SN, puisqu'en inversant les arguments de 61) et en operant Ie change ment de moins par pins on obtient un enonce equivalent qui auto rise, cette fois-ci, la paraphrase hypotheiique du SN qui dans 61) ne pouvait etre interprete conditionnellement :
64) Un homme qui bat sa femme tout le temps est plus sage qu'un homme oui ne bat sa femme que de temps en temps 65) Si un homme bat sa femme tout Ie temps, il est plus sage qu'un homme mLi ne bat sa femme que de temps en temps 66) *Si un homme bat S(l femme tout Ie temps, il est plus sage que si un homme ne la bat que de temps en temps II est par consequent illicite de fonder }'interpretation condition nelle des SN generiques contenant une relative non appositive sur leur caractere existentiel « neutre ". II no us faut, par contre, expliquer la difference existentielle entre des enonces comme 60) et 10). Autrement dit, pourquoi 10), et nen 60), est-iI susceptible d'etre mis en patallele avec un enonce hypothetique? Nous repondrons en deux et<)pes. Nous rappellerons premierement que I'existence de serpents qui sont venimeux n'est pas presupposee a priori. II ne s'agit point, comme pour 1a presuppo sition existentielle Iiee au substantif serpent, d'une verite referen tielle analytique eO). La verite de la proposition 'II existe des ser pents venimeux' n'est pas une verite lingnisiique comme l'est celle
(20) Cf. O. Kleiber, 1978.
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(d-:OI{(;ES KLEInE/{ REL\TIYES HESTRlCTI\'ES
de 'II existe des serpents', que l'on peut symbOliseI' par la formule 67) qui se lit 'Pour tout locuteur, Pest neces'}airement vrai' l ) : 67) "r/ Loc, 0 P
e
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70) Je cherche un etudiant qui sach.e quatre langues 71) L'homme qui aUl'ait parle d ce moment-La aurait
ete
tue On remarquera, en second lieu, que l'pxistence de serpents qui sont venimeux ne se trouve pas non plus specifiee, puisqu'iI s'agH de SN generiques. Elle n'est nUlJement ancree par des points refe rentiels dans un monde donne comme rest I'existence des serpents de 60). La relative de 60) est une relative specifiante au, si l'on prefere, identifiante dont Ie role consiste a particuIariser l'objet de reference a l'aide des points de (cf. j'ai attmpe) qu'elle comporte. J:'·Tous avons montre ailleurs e::) que la difference entre predicat specijiant et predicat non Sppdjiant permettait de rendre compte de l'impossibilite d'introduire au moyen de l'article ind6fini un un individu particulier dans un enonce nont Ie preaicat et ait non specifiant. 68) n'est gucre susceptible d'une lecture specifique : 68) Un homme est chauve
e")
nous Entendons. Uexistence de serpent!" que j'ai att!'apes n 'est pas <1 mettre SUI' Ie mome plan que la presupposition existentiel!e li&e au substantif serpents. La verite referentielle ric cette dc'rniere est une verite analy1ique, alors que la verite de II y a des serpents que j'ai attrapes (ou J'ai attrape des serpents) est une verite contingente, empirique. Alors qu'il n'est pas Possible de remettre en cause 1'exis tence d'une classe de serpents, un interlocuteur peut mettre ton doute l'existence des serpents attrapes par Ie locuteur (cf. Mais tu n'as pas attrape de seTpents f)_ II reste que pragmatiquement Ie Iocuteur eroit en l'existence specifique de tels serpents. Autrement dit, ('tant specifiee par des points rCferentiels qui l'ancrent d:-ms un monde donne, I'existence des serpents que fai attrapes ne peut evidemment etre hypothetique, meme s'il ne s'agit que d'une existence vraie empiriquement. Naus repr('senterons ainsi Ia verite referentielle de 60) par 69), qui se lit 'il existe au moins un locuteur pour lequel i1 est necessaire que P, c'est-il-dire ici n existe des serpents que j'ai attmpes, soit vrai' : 69) .3 Loc, [] P La preuve en est que si Ie Iocuteur ne tient pas pOur certaine cette
existence specifique, au meme s'il Ia consid(~re comme ineelle, il est
tenu de Ie signaler par des moyens divers, tels que, par exemple,
l'emploi l'irreel) : des modes (cf. 70) pour ]'existence potentielle et 71 pour
est l'abreviation pour locuteur, l1 symbolise l'operateur de necessite
(cf. R. Martin, 1976, p. 30, pour l'axiome 0 p "---, I- p ou I- P signifie
'il est vrai que p'), et P represente ici la Proposition 'il existe des ser
pents'.
(21) Loc
(22) Z. Vendler (1968) a fort bien entrevu cette exigence. (23) G. Kleiber, 1979, pp. 295-298.
Avec Ie SN Les serpents qui sont venimeux, aueun ancrage referentiel n'est effectue. 8i la sous-classe l'(?ferentielle peut eire vide, c'est (i) parce qu'il ne s'agit pas d'une verite referentielle analytique et (ii) parce que la relative ne comporte pas de points de reference qui fixed Ie referent dans un monele donne. On obsel'vera ainsi que des enonces comme 72), que l'on considere souvent comme des enonces generiques, ne donnent pas lieu it des paraphrases hypo thetiques telles que 7:3) et 74), car leur relaLive specifiante exclut toute interpretation hypothetique : 72) Les cigognes qlti vivent en AI.sace n'aiment nlns les grenouilles 73) Si les cigognes vivent en Alsare, eUes n'aiment plus les
74) Si une cigogne vit en Alsace, eHe n'aime nOllilles
les gre
Avec les relatives specifiantes, il y a une presupposition existentielle pragmatique : Ie locuteur croit obligatoiremf'nt, a moins de contre venir aux lois langagieres, en mentant par exemple, en l'existence specifique d'individus qui sont 'tels-et-tels'. Avec les relatives non specifiantes des SN generiques, cette pr6supposition pragmatique est absente. II est possible qu'il y ait des serpents venimeux. Nous representerons donc, par opposition a 69), la verite rell'rentielle des enonccs Les serpents qui sont veni.meuT .. " Un serpent qui est veni (24) On remarquera que l'interpretation conditionnelle est possible pour 70), fait signaIe par C. Fuchs et ,J. Milner 0979, p. 139), comme pour 71),
fait signale par M. Grevisse (§ 1010) : a) Tout
ctudiant, s'il sait quatre langues, est (un etudiant tel que ceiui) que je cherclle b) Si un homme avait parle a ce moment-La, il aurait ctc tue
II est significatif que l'on ne propose de deriver ni 70) ni 71) d'unc source en Si. La raison en est que !'interpretation conditionnelle des enonces generiques commc 10) exige que les deux SN soient corefe rentiels : Si SN j SV, alors SN i SV (cf. la regIe 3) ci-dessus). L'enonce Une baleine qui est malade ne chante pas correspond aussi bien a c) Si une betleine est malade, elle ne chante pas qu'a d) Si elle est malade, une baleine ne chante pas. Or, prenons Ia paraphrase con ditionnelle b) de 71). Le SN il ne correspond pas it un homme comme elle a une baleine dans c) et d), mais renvoie a 'cet homme', c'est-a-dire it 'I'homme qui aurait parle a ce moment-lil:. Contrairement a d), I'enonce e) exclut la coreference entre il ot un homme : e) *S'il l avail parte a ce moment-la, un homme l await ete tui? Par consequent, si 1'on derive 71) d'une source en Si .. . aZors, 11 faut aussi deriver Ie second membre de b) (il aurait ete tue) d'une source en Si . .. alors, dans laquelle, evidemment, Ie second membre se prete it nouveau it une analyse condltionnelle et ainsi de suite.
HEL.\TIYES RESTRICTIYES
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meux . .., etc., par la formule 75) ou l'operateur 0 de possibilite marque ce qu'on a appele Ie caractere existentiel neutre du SN : 7;;) :3 Loc,
P
On comprend a present pourquoi la paraphrase conditionnelle est possible. L'ensemble N + relative non specijiante (ou selective comme l'appelle K. Ebert (1971) constitue une sous-elasse rcferentielle. L'existence des individus de cette sous-classe n'est cependant ni presupposee par la langue, - ce n'est pas 1.me verite rcferentieUe analytique -, ni impliquee par des points rf2ferentiels (ou speci - ce n'est pas une existence specifiquc -. Nous rappelle rons que si cIle paralt « plus hypoth(,tique avec l' article indefini qu'avec l'article defini, c'est if cause de la presupposition existen tielle qui s'attache a ce demier. Nous n'avons pas aborde dans notre l,tude la question de la nature des relatives qui suivent l'article indefini Un generique. Mais, quel que soit Ie statut exact qu'on leur reconnaisse (ni restric tive, ni appositive 7), il est clair qu'eUes sont identiques aux relatives restrictives qui suivent 1'article defini generique sur un point au moins, Ie probleme de l'interpretation conditionneUe. II est faux d'assigner aux enonces J 0) Les serpents qni sont venimeux sont dangereux et 1) c) Un serpent qui est venimeux est dangereux une representation hypothetique, ou, pour conclure en d'autres termes, l'exemple canonique Les hommes qui sont pieux sont charitables, utilise par Port-Royal ell) pour illustrer la notion de relative restric tive, n'a pas a etre verse dans la categorie des pseudo-relatives: les relatives des enonces 10) et 1) c) restent ... des relatives.
KLEIBER
Strasbourg.
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(25) '11 existe au moins un locuteur pour lequel il est possible que P, c'est a-dire Il existe des serpents venimeux, soit vrai'. (26) Arnauld (A.) et Nicole (P.), 1662-1683, p. 166.
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•
Le systeme de si en franr;ais moderne. Reflexions apres une soutenance AVANT-PROPOS Gerard Moignet a publie ces dernieres annees trois articles sur si ; Ie premier concerne Ies aboutissements de si et de sic latins en ancien fram;ais; Ie second concerne Ie moyen franc;ais (I). Ces arti cles resultent de sa n?flexion sur Ia representation des signifies grammaticaux et sur la du mot. A ce titre on les confrontera it son chapitre "La Conjonction de subordination» des Etudes de psycho-systematique franc;aise (:l), Ils introduisent aussi a une his toire du systeme de si (I). Par ailleurs des articles d'orientation philologique ont ete cunsacres recemment it si et it sic en latin et a leur evolution dans les langues romanes (I). De mon cote je decris si en franc;ais moderne dans rna these ('). Mon travail aboutit a une caracterisation detaillee des emplois de si dans I'enonce et dans l'enonciaiion, it laquelle on poulTa confronter Ies € t ats de langue precedents du moyen franc;ais, de l'ancien franc;ais, voire de diffe Ancien francais si! se", Travau:z: de linguistique et de litteraiure, XV, 1, 1977, pp, 267 -289 ; " Si et aut~ur de si dans les quinze joyes de mariage », ibid" XVI, 1, 1978, pp, 411-425 ; « Psycho-systematique du langage et analyse de I'ancien franc;ais », communication publiee dans les Actes du Colloque d'Amiens (29-30 avril 1977), Amiens, Centre d'Etudes mectievales de l'Universit6 de Picardie (Diff, Paris, Champion), pp. 59-78, La communication reprend dans ses grandes « Ancien fran c;ais silse » et met en evidence la conjonction de linguistiques qui appuie la these de Gerard Moignet et la methode de I'expose psycho systematique. (2) Etudes de psycho-systematique franqaise, Paris, Klincksieck, 1974, (3) Gerard Moignet preparait une communication a ce sujet pour Ie colloque sur la syntaxe du moyen fran<;ais dc Bruxelles en septembre 1978, (4) V. en particulier pour ce sujet, R. De Dardel, « Les Propositions opta tives romanes introduites par si et par se », Neophilologus LXII, 1978, pp, 39-50 et ({ Sur si en roman Zeitschri/t jur romanische Philologie, XCIV, 1978, pp. 257-365, ainsi que Nilton Vasco da Gama, « La poly semie et la polyfonctionnalite du fran<;ais si. Essai d'explication inter romane », Travaux de linguistique et de litterature, XVII, 1, 1979, pp. 27-85. (1) «
« si » en !ranqais moderne ; ses emplois dans l'enonce et dans l'enonciation, These d'Etat soutenue a Paris IV en mars 1979.
(5) Le Systeme de
4
98
CIlRlSTI:\E WnBIEH
rentes epoques du latin, afin de cerner exactement les modifications qui affectent si au cours de son histoire. L'analyse des emplois depend de l'hypothese que j'adopte sur si et permet donc d'eprouver l'adequation et la portee explicative de cette hypothese et de son fondement psycho-systematique. Je presente ici cette hypothese et les grands traits de la syntaxe de si. Cependant des difficultes susei tees par mon explication et de nouvelles confrontations avec les articles de Gerard Moignet me conduisent a modifier iei la formu lation que j'avais adoptee dans rna these du contenu de si. J'intro duis en meme temps quelques arguments supplementaires pour repondre aux objections qui m'ont ete faites pendant la soutenance.
INTRODUCTION Gerard Moignet montre (1) que dans la langue attestee par la copie de Guiot du Perceval de Chretien de Troyes, l'existence des deux formes si et se n'est plus que la manifestation sonore des deux etats, moins grammaticalise, d'adverbe, plus grammaticalise, de conjonction, d'une seule unite de langue. Si et sc sont des variantes conditionnees par la syntaxe. Cependant l'adverbe, quand i1 signale qu'il y a un lien entre l'enonciation qui precede et l'enonce qui suit, donc quand il est Ie moins predicatif, admet deux variantes condi tionnees par l'environnement phonetique' s' devant toute voyelle et les formes d'enclise, se, sans doute par differenciation, devant Ie pronom personnel Ii, et par assimilation devant une forme faible de verbe, creusse par exemple. Que cette confusion formelle soit accep tee prouve qu'on s'achemine vers l'unification du signifiant ; celle-ci cst realisee en moyen fram;ais. Nous adoptons l'hypothese qu'en fran<;ais moderne, l'adverbe d'affirmation, l'adverbe d'intensite, la conjonction sont des emplois d'un signe unique de langue (Ii). Mais ces fonctions de si sont bien diverses et en ancien fram;ais l'unite supposee a la source de notre si se presente meme sous deux formes phoniques. Dans ces conditions, sur quel1e definition de I'unite linguistique une telle affirmation repose-t-elle: « si cst un signe unique de langue» ? Le decoupage traditionnel en mots depend de la place qu'on fait en fran<;ais, plus ou moins systematiquement, a la flexion. La methode distributionnelle ne fournit pas non plus de methode pour separer automatiquement les homonymes qui peu vent eire des mots de signifiant, de genre, de categorie semblables (6) Cette hypothese heurte Ie sens commun. Un eleve confondra plus faei lement dans son analyse les emplois de que. Mais dans queUe mesure Ie sens commun n'est-U pas forme par l'enseignement de la grammaire scolaire? Une grammaire qui ignore des phrases comme : Du diable si j'y aurais pense! Si on ne peut plus s'amuser ! Si tu as soil, it Y a de la biere au frigidaire. Une minute, si vous permettez. Ces emplois trcs spontanes meri\,ent bien qu'on suspende la classification traditionnelle.
LE SYSTr:~IE DE Sf E,," FHA:\<;AIS ~IODEJ\XE
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et de distribution partiellement commune (AIR triste, AIR glacial), des polysemes qui peuvent apparaitre sous des formes phonetiques et des categories differentes, des fonctions tres diverses (dont 011 ne peut rien dire si on n'a pas une idee claire de ce qu'on entend par leur « distribution complementaire }»). En fait, l'unite linguistique se definit en fonction de l'approche adoptee. Gustave Guillaume ne s'est pas preoccupe d'une definition operatoire du mot. Le mot est pour lui une unite grammaticale (c'est-a-dire qui a une place dans la syntaxe de la phrase) puisque toute de mot s'acheve par une morphogEmese, ou determination grammaticale. Mais chacun des moments de la d'un mot peut etre Ie debut d'une morpho
genese. Aussi des mots pn?sentent-ils plusieurs etats grammaticaux.
D'autre part on admet, en psycho-systematique, que cette difference
entre les etats grammaticaux peut se manifester par une variation
dans Ie signifiant: Le mot peut done se presenter sous plusieurs
formes phoniques (que/quai, ne/nan, me/moi, puis/peux, etc.). C'est
en definitive la reussite de l'hypothese sur Ie systcme du mot qui
fonde son unite. (Bien entendu, des couples de mots peuvent aussi
constituer des systemes : un/le, pcu/un pcu.)
Autre objection a notre hypothese: on a pu dire que la forme elidee moderne, s', etait Ie seul continuateur correct de se ancien fran<;ais, malheureusement limUt' a la suite conjonction pronom personnel. Sc aurait donc subi un double accident phoneti que: i1 aurait ete confondu par erreur (1) avec si ; la distribution de sa forme elid6e aurait (,te reduite. Mais examinons precisement la distribution des differentes formes gravitant autour de si et l'evolution de cette distribution d'apres les documents que fournit G. Moignet. Se s'eJide en effet devant toutes les voyelles en ancien fran<;ais. On vient de rappeler que dans une de ses fonctions, si presentait deux variantes phoneti ques: s' et sc. En moyen fran<;ais l'elision ne se produit plus que devant i/(s) ; se n'apparalt plus qU'exceptionnellement, a la place de s' (et dans un tour qui, en ancien fran.-;ais, pouvait eire pris en charge a la fois par l'adverbe et par la conjonction mais de prefe rence par l'adverbe). Ailleurs on a toujours si, pour la fonction 7) L'erreur, la « faute de langage» suffit-eUe a expliquer l'evolution? Si du fran~ais moderne ne reunit pas purement et simplement les roles de se et de si de I'ancien fran~ais. Non seulemenL Ie fran~ais exprime beaucoup de Significations que Ie latin, les langues romanes et les lan gues germaniques geographiquement proches structurent autrement, par des formes si et se dont les correspondants etrangers appartiennent it d'autres systemes (non sans curieuses analogies avec Ie fran<;ais : cf. if anglais a la place de whether, ob allemand traduisant parfois notre si 5, I!ielleicht notre si 3, so allemand reunissant des sens de si ancien fran
100
ell nIST!:\E wnDI En
d'adverbe \manJtestee parfois par la postposition du sujet), et pour Ia fonction de conjonction. L'interpretation s'impose : De l'ancien au moyen fran~ais a) on conserve I'opposition entre la fonction d'ad verbe et Ia fonction de conjonction, b) on fait de Ia forme si ei ses variantes phonetiques Ie signifiant unique de toutes les fonctiom; du systeme, c) on n§duit ces variante,' a une s'. et on en limite la distribution a la presence de iUs I pronom personnel.
1. LE SYSTE~ME DE 81 Pour figurer le systeme de s/., no us adoptons Ies prineipes de l'explication psycho-systematique: La genese des mots est constituee en deux etapes: I'ideogen(~Se, repr~)senta1ion d'une operation de pensee; la morphogcnese, determination des propI"iett's grammati cales du mot. L'ideogenese se poursuit n{'cessairement par la mor dont I'intervention peut suspendre Ie Cours de I'ideo genese. Une intervention tardive, au tprme de l'ideogcm\se ou peu avant ce terme, dMinit un etat predicatif du mot qui se manifeste par la relative autonomie syntaxique, une morphologie developpef'. un contenu facile ,1 reformuler. Les interventions tre, precoces ou subduction (') un ~)tat non pn:'>dicatif du mot. ce qui se manifeste par une grande dependance morphologie qui laisse peu de ChOIX, un contenu phrasable parce qu'il se reduit a la fonction tion n'est que » lui pronoms fonction). L'ideogenese de si repI"f2Sente l'operation de la pensee qui
adopte successivement l'attitude hypothetique puis I'attitude th~)
tique. A son aboutissemenl, l'ideogcnese reprcsente l'attitude thc
tique. Les saisies au terme du mouvement ou operees tres tardive
ment assoeient ce contenu ,1 une morphologie de mots predicatifs ;
L'adverbe d'affirmation, symbolise Ici par si ], est saisi au terme de
l'ideogenese. 11 constitue un enonce et une enonciation independants
et rappelle Ie contenu d'une enonciation distincte en en inversant
Ia forme negative en forme affirmative. L'adverbe d'intEmsite, si 2
iei, saisi peu avant I'achevement, a une autonomie moindre, puisqu'i!
se jOint necessairement a l'une des deux parties du ou et signifie a propos de leur contenu. Quand est interrompue plus tOt, tres t6t, eUe represente l'attitude tique et forme Ie contenu de mots subduits ; Ies emplois de Ia con jonction» si, nous dimns du nominalisateur si. 8i exige la presence d'une proposition pour former avec elle une unite syntaxique. Dans ce syntagme, la Proposition fournit Ie contenu particulier, evene mentiel, et l'option du Iocuteur pour l'affirmation ou pour la neg a (8) V. dans rna these la note 7 at) je
lanmc interessant la subduction;
fait dans ces textes.
les passages edites de G. GUi/ Ie choix que G. Moignet a
LE SYSTI'::\l1' DE Sf E:\ FH.\:\(,:.\IS
)I 0]) E1\:-.'[·:
101
t.ion, choix prealabIe, necessaire a toute pn§dicati.on ("). Si retient ;p rapport de l'evenement en question it son ;c;ujet dans Ie virtuel. 8i nominalisateur :i'appJique donc necessairement sur Ie choix prealable entre J'affirmation et la negation. Ainsi ]'hypothese met f'n question une proposition soit affirmative, soit negative. II en va rle meme pour l'application de que, et on qllcstionne, on asserte Loujours sur une proposition pr~)alablement d6termine;; par la forme 3.ffirmative ou negative. CeUe nf'cessii6 manifeste U1K' contrainte a I'attitude hypoth6tique et a ]'attitucle thl'tique de la pensee. Envisa geI' i'eventualite d'un evenement - pour Ie propm:er comme cadre hypothetique au discours par exemple qu'on (·carte d'abord 1'6ventualit6 Opposl~e. L'atliiude lhNique est d'abord lc these de contenu oppose, c'est l'vident. cette d~'marche necessuire. Une ~;aisie ires precocE', liminaire, repre sente Ie refus d'une eventualite. C'est Ie ccntenu de 8i, symbolise par si 5, dans des exclamatives comme: Si je m'uUendais d V01iS rencontrer! Je veux etre pend1/. si :je vow; ai reCOJl.1E( I « Ceries, je ne m'attendais pas .it \lOUS voir », « ceries, je ne vous ai pas reconnu 8i 5 6voque Ie contenu de la prfJposition comme un possible et Ie declare faux tout ~ la fois. 8i ') revient donc ~\ contredire Ie choix entre la forme affirmative et la forme de la negation dans 18 pro position. La complexite de cette representation qui resulte de la liminaire de Ia saisie 5 est toujours chargee d'expressivite dans les emplois du discours. lJltelieuremeni, l'ideogenese represente l'attitude hypothetique, c'e;,t-a-dire qui consiste a considerer un purem('nt virtuel. C'est Ie contenu de si "conditionnel", 81 "interrogatif indirect si « de souhait », « de regret ». 8i, symbolise par 8i 4, pr6sente Ie contenu de Ja comme possible, com me ayant auU;nt de chances d'etre que de n'etre pas C"). de si tend a Ia repr('sentation dll Saisie au seuil de la representation de l'attiiude l'at1itude thetique, .<;i, symbolisc' rar 8i 3, affirme Ie caractere effeetif -i'un eventuel : 8i 3 associe l'affirmation du caractere cf£ectif et 1a possibilite du caractere lieulement eventuel ; c'est l'eiapc neccssaire ment nreaIablp a l'atiitude thHiaue. La complexitc d.e la repr('sen distingue ici l'incidence, rapport de la verbe a un support personnel qui etabl!t la propOSition et ne peut mise en cause, de la predication, ou attribution dun certain evcnement verbe it un certain support sujet, qui, elle, pent etre affirrnee, nice, mise en cause, it la suite de Teyssier, « La Grammairc de !'interrogation et ses pre des lungues rornanes, LXXX, 1974, pp. 7-56. 110) Mis en ccmme de simples (;ventuels, un contenu de forme et un contenu de forme n0gative devraient etre equi valents. En effet Ie discours exploite cette equivalence dans des contex tes qui expriment l'ignorance . {( Et ne puis-je savoir si j"aime ou si je hais ! i), « Etre ou ne pas etre )). Mais precisement, parce que considerer un eventuel, c'est d'abord ecarter l'eventuel oppose, la formulation rete nue est et dans l'enonciation Ie choix est significatif. L'hypo these et l'hypothese negative se eontredisent et la question positive ne suggere pas la meme reponse que la question negative. Ce point est a etudier. (9) Je
LE
S'iSTJ::~lE
DE Sf E:-:
FBAX~AlS
103
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CIIHISTl:--:E WDDlEH
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tation qui resulte de la position de seuil de si .} est chargee d'expressivite dans tous ses emplois de discours. Si .3 met en evidence la verite de P (11). Au-dela du seuil qui introduit a l'attitude thetique et qUI per met la constitution de mots predicatifs, l'unite semantique apparait moins nettement : les fonctions grammaticaies de si 2 et de si 1 en sont la cause. Si 2 porte a un indetermine si Ie contexte Ie suggere), relatif, Ia qualite exprimee par l'adjectif ou l'adverbe. Cette indetermination est une mise en cause, mais la continuite semantique avec si 3 est rompue parce que si 2 n'interesse que des categories nominales tandis que si 3 interesse Ie rapport du verbe au substantif sujet. Mais l'unite semantique du systeme apparait clai rement avec si 1. Si 1 reunit les poles du systeme que Ie cours de l'ideogenese analyse precedemment comme un dynamisme. predicatif, si signifie a propos d'une enonciation independante (ou d'un choix du negatif que Ie discours exprime diversement Ie chapitre I de notre these examine ce point-), et inverse donc un choix negatif explicite. Nous representons ici l'entier du systeme de SUBDUCTION
l'ideogenese de si, les salSles de cette ideogEmese dues a des inter ventions de plus en plus precoces de la morpho genese, et qui consti tuent des etats de plus en plus pousses de subduction: respective m si 1, a l'aboutissement du systeme, si 2 issu d'une saisie legere ent en avance sur Ie terme du mouvement, et en de<;a du seuil ment (do Ie franchissement permet les formes moins et tn?s predicati nt si 3, si 4, si 5, n2sultats des saisies encore tardive, precoce et tres 5), preco ce . II. ILLUSTRATION DES EMPLOIS DE S13 ET DE 815 Chacun des nominalisateurs est limite par une certaine distri
bution compatible avec Ie contenu de la saisie. Si 3 et si 5 en
culier apparaissent chacun dans un grand nombre de cadres, speci
fies par leur lexique, leur contexte, les conditions de leur enoncia
tion, l'acte de parole que leur enonciation constitue.
A. S13
Si 3 Pest une independante et une exclamation:
1) Si c'est beau!
Interventions precoces de la morphog(mese
(Prono nce devant Ie spectacle commente.)
2) Si je me
(Ap. A. Henry, p. 244. Le contexte fait craindre au locuteur en doute.)
Si 3 P complete un verbe par lequel on
l'autre
a temoin
de l'intensite, de la verite du fait: 3) Regarde Ie soleil s'il est rouge! (Ap. Sandfeld, § 38.) 4) Tu vois, petit, si rai bien [ait de t'avertir. § 43, p. (1 et 4 peuvent avoir une interpretation opposee si on leur applique, en un second temps, la loi rhetorique de l'antiphrase.) Si 3 P complete un verbe dont Ie sens revient a evaluer les chances d'existence de l'evenement CVll":lUo;;
5) Ca ne m'etonne pas si tu en T'I"rl::lis si souvent.
§ 218, p.
Si 5
Si 4
IDEOGENESE
Si 3 SEUIL de nominalisation et de predicativite
(11) Les trois saisies de si, S 5, S 4, S 3, sont une replique des trois saisies du mouvement dialectique (dont la deuxieme saisie permet entre autres l'acte illocutoire de la question). S 1 : Affirmation vigoureUse de ce qui
pourrait etre mis en cause « Etais-je heureux en ces temps! » ; S 2 : Mise en debat « Viendra-t-il ? II ; S 3 : Refus vigoureux de ce qui est comme eventuellement possible « Est-il permis ! )). V. l'analyse de Moignet, « Esquisse d'une theorie psycho-mecanique de la phrase interrogative ", dans Etudes de psycho-systematique jranc;aise, op. note 2. Les dernieres publications de Gerard Moignet nouS invitent reexaminer certaines de ses analyses precooentes. lei i1 faut reflechir a l'orientation opposee du systeme de si et du mouvement dialectique.
104
CIlRIST/:\E
\yDl~IEB
LE SYSTf:,lE DE S1 E:\
6) Mais c'est un miracle s'il n'y a pas eu de mort. Un bebe d'un an, notamment, l'a echappe belle. (France-Inter, Informations, 2. 11. 1976.) 7) Peu importe si pareille affirmation jure avec Ie nom de marque. (Galliot, Essai sur la langue de la n?clame, p. 109.) 8) Jean Montaron, ce n'est pas un hasard si tout a l'heure en commen!;ant, vous avez immediatement parle des pau vres. (J. Paugam, France-Culture, « Parti-pris », 24. 9. 1976.) 9) Ce n'est pas de leur faute s'Bs n'ont pu venir.
(Ap. Grevisse, § 923,
apprend-on 10) C'est par pure jalousie tard son opuJente chevelure. (Ap. Renchon, p. 123.) 11) A peine si tu Ie sentiras. (Ibid., p. 11
si dIe lui tondit
Si 3 P constitue un theme commente par la principale. Celle-ci exprime la circonstance laissee dans !'indetermination par la for mulation si 3 P : 12) [... J si une justice est respectable, c'est bien celle-Ia. (A. France, L'Anneau d'amethyste, V, p. 91.) 13) Si elle avait nomme Raoul Murcien, c'etait en toute inno cence.
(Id., ibid., III, p. 74.)
Si 3 P est juxtapose it une « principale)). Si 3 P P' se paraphrase
il est vrai ..., (en revanche) il est aussi vrai La phrase souligne
La coincidence des deux verites, suggerant Ie plus souvent la contra
diction qu'il y a a cette cOIncidence: 14) [... Jsi Ie XVIII" siecle, considere dans son ensemble, peut paraltre Ie siecle du crime, Ie XIX" siecle, vu de haut, pourra etre nom me, S1 je ne m'abuse, Ie siecle de l'amendE honorable.
(Id., ibid., II, p. 27.)
Si 3 P P' se paraphrase it l'aide de puisque Si 3 P P' comporte un acte d'enonciation (l~) qui se presente pour P' ; si 3 P a pour role de Ie justifier: 15) Maintenant, chere Linda, si moi je cherche a faire plaisir a toi et it ta mere, il faut que toi aussi tu cherches a me faire plaisir.
(Montherlant, Don Juan, I, 2, p. 44.)
FIL\I\~;AIS
~/oJ)ER~E
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B. 815 P
Si 5 Pest une independante et une exclamation: 16) Eh bien! Si je m'attendais a vous rencontrer ! (Ap. Henry, p. 231.) Si c'est permis de s'abimer Ie temperament comme \;a ! (Ibid., p. 244.)
18) Si ce n'est pas malheureux!
Eventuellement appuyee d'un J'ai assiste en tout et pour tout a une seule seance des Communes et je veux etre pendu si je me souviens de quoi on y parIait. (J. Romains, Les Pouvoirs, I, p. ou d'un appel au temoignage de quelqu'un : 20) Regardez plutOt mes mollets, si on ne dirait pas des bougies. (Ap. Sandfeld, § 38, p. 66.) Dans l'enonce independant Comme si P : 21) Comme si, au lieu de venir espionner dans mon sous-sol, il ne ferai t pas mieux de veiller au grand coulage de la-haut. (Ap. Renchon, p. 91.) 22) De quel crime je veux parler, infame! comme si tu ne savais pas ce que je veux dire! (Moliere, ibid., p. 92.) (On formule dans P quelque chose qui pourrait justifier Ie compor tement de l'auire ; comme etablit Ie rapprochement entre ce qui est en train de se derouler et ce contenu ; si 5 exprime que ce contenu est evidemment faux. Ainsi Ie comportement de l'autre perd sa legitimite. La formuIe est un reproche. On y trouve I'imparfait hypothetique, mais aussi les temps qui disent I'epoque de l'evene ment, rarement iI est vrai, a l'exception du conditionnel qui signale que c'est une eventualite que I'on met en cause.) N.B. Hormis ce dernier emploi de si 5, to us les si 5 et tous les si 3 sont suivis des temps iels qu'on les utilise dans la proposition independante. Seu] si 4 peut etre suivi de l'imparfait hypothetique et du present design ant l'avenir. se sert d'une des saisies du mouvement dialectique ; l'imperatif permet l'ordre), c) les additions, les selections dues a notre connaissance du contexte et de la situation et it l'application de lois rhetoriques (comme l'antiphrase, supra, ex. 1 et 4). La description linguistique doit deter miner l'interference de ces composantes de la signification. La question est posee dans notre these, notamment dans la ConclUSion, § 2. On voit 1ci qu'un role illocutoire est attribue it si 3 P, si 4 Pl, si 5 P independants, it si 3 P lie it P' et it si 4 Pl lie it P2.
(12) Pour
rendre compte de la signification telle que l'allocutaire ou l'audi teur la recoit, on distingue a) Ie sens de l'enonce resultant de la conven tion saussurienne de la langue, b) Ie sens attribuc conventionnellement au fait de l'enonciation de telle structure linguistique (ainsi la question
4*
106
CHRISTI;>';E \vDDIER I.E
III. QUESTIONS POSEES PAR S1 4 P "INTERROGATIVE INDIRECTE L'OPposition si/que, opposition du dialectique et du thetique, prend en charge l'opposition conceptuelle ignorance/savoir. Cette opposition structure l'ensemble lexical des verbes susceptibles d'etre completes par si 4 P : classe de verbes notionnellement anterieurs au savoir et qui expriment la recherche du savoir, toujours suivis de si (regarder, examiner, se soucier, hesiter, discuter, etc.); verbes de connaissance, dont ignorer/savoir constituent Ie paradigme. que Ie contexte (negation, dans l'avenir, repetition de l'action, carac tere exceptionnel de l'evenement, etc.) rend analogues a ignorer et qui sont ainsi, suivant Ie cas, completes par si P ou par que P ; verbes que Ie contexte assimile occasionnellement D ignorer. L'opposition si/que, combinee au choix de la personne sujet et a celui du temps, permet de distinguer l'ignorance du locuteur, celIe du sujet (celIe du beneficiaire du savoir dans Ie cas du verbe dire et de ses synonymes). Le locuteur choisit les introducteurs de si P a partir d'une formule semantique: la creativite est ici limitee par des caracteres seman tiques et syntaxiques et par des normes d'utilisation (pourquoi plutot regarder si qu'ecouter si, ne pas decider si que ne pas choisir si, demander si que se renseigner si 7). L'ignorance est exprimee par des contextes autres que verbaux : no us consacrons les chapitres XL a XLII de notre these a d'autres positions de si 4 P dans la phrase: attribut, complement d'adjectif, de substantif, voire independam ment de tout contexte d'ignorance, a la place de l'explicitation « la question si P ». IIors phrase, si P peut etre coordonne a une question directe, constituer un titre, resumer une attitude interrogative pre cedente (V. infrn exemples 43, 44).
IV. QUESTIONS POSEES PAR Sf 4 P " SUBORDONNEE HYPOTHETIQUE» A) Sens de l'enonciation, sens de l'enonce
La juxtaposition de si 4 P et d'une autre proposition, designee
ici par P2, peut signifier la relation d'une condition Pl it sa conse
quence P2, en vertu de la position de si 4 dans Son systeme, position
definit l'ensemble si 4 P comme un avant et du virtuel par rapport it P2, car cette relation logique est de meme orientation que celIe qui sous-tend la relation conceptuel1e de la condition it la consequence. Mais pour que cette signification apparaisse, il faut que P2 soit, dans l'enonciation, une assertion qui ne se montre pas en tant que telle, qui se derobe derriere l'evenement asserte (l a). Si au contraire P2 s'impose en tant qU'enonciation (cela peut etre pro (13) Le rOle de i'assertion dans l'enonciation est d'imposer a l'allocutaire de prendre ce qu'on lui dit pour vrai, absolument. L'allocutaire accueille Ie
SYSTJ~:\[E
DE .'01 E1\ I'HAKCA1S :\!oDEHKE
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Voque par Ie choix d'auxiliaires comme devoir, faUoir qui montrent Ie locuteur supputant la vraisemblance, la necessite de ses assertions, par l'introduction d'un conditionnel au moyen duquel Ie locuteur signale la reserve qu'il met a son dire, par la presence d'un impe ratif, auquel cas Ie locuteur agit, etc.), si 4 Pl apparaitra comme uno permission que Ie locuteur se donne pour se livrer a l'acte P2. Donnons-en quelques exemples. Si P conditionne l'acte de prendre la parole (cL si j'ose dire) : 23) Si tu as soif, il y a de la biere au frigidaire. (0. Ducrot, Dire et ne pas dire, p. 176.)
Si P conditionne Ie jugement a l'origine de l'enonciation (cL si je ne me trompe, si je comprends bien) : 24) Vous etes deja blesse a mort, si vous acceptez ainsi de mourir. (Montherlant, Don Juan, III, 4, p. 136.) Notons que si on exprimait l'eventualite, si 4 P, a l'imparfait hypo thetique, c'est Ie verbe de declaration ou de jugement sous-jacent qui apparaitrait au conditionnel : Si vous acceptiez ainsi de monrir, nons penserions, no us saurions que vous etes dej(l blesse a mort. Le conditionnel : vous seriez deja blesse a mort ne serait pas un condi tionnel d'evenement soumis a une eventualite, mais justement Ie conditionnei signe du raisonnement, qui pourrait etre explicite par « c'est donc que ». Si P declenche la declaration d'une position per sonneDe (sans du tout en determiner Ie contenu) : 25) Je ne suis point fache. - Tu res, te dis-je. Si tu veux que je Ie sois, je ne demande pas mieux ; (Diderot, Jacques le Fataliste, p. 312. « Si tu veux que je Ie sois, moi, en ce qui me concerne, je ne demande pas mieux », ou sache que je ne demande pas mieux C'est Ie sens des deux propositions en presence qui nous avertit que nous n'avons pas affaire dans ces cas a un evenement conditionne et a sa condition; l'independance des temps en presence, parfois Ie fait que P2 soit a un temps reclame par l'acte illocutoire en cours, l'imperatif par exemple, confirment notre analyse. B) Le rOle des temps dans Si 4 PI P2 dans l'expression de la
relation condition/consequence Si au contraire l'enonciation P2 se dissimuie derriere I'evene ment, c'est la relation condition!consequence qui apparait au pre contenu, I'evemement asserte, sans tenir compte de l'acte d'enonciation qui Ie produit, a moins que Ie locuteur n'ait manifeste son raisonne ment, un doute, etc., au cours de son enonciation, comme dans les exem pIes ci-dessus. Dans Ie premier cas, l'allocutaire retient dans 5i P l'eve nement condition dont P2 est I'evenement consequence. Dans Ie second cas, 5i P apparait comme une condition que Ie locuteur met It son dire.
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ClIRISTll\E \\TIDIER
I.E SYSTl~~IE DE Sf DI FHA~<;A1S ~IODER"'E
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mier plan. Cette relation est confirmee et diversifiee par Ie choix de certains couples de temps. Les images de la relation conditionl consequence obtenues s'expliquent par la place de ces temps dam Ie systeme de l'indicatif et par leur Rtructure propre. Imparfait! conditionnel ne situe pas les evenements temporellement l'un par rapport it l'autre et n'exprime que leur successivite logique ; impar fait/ conditionnel ne situe pas non pJ us les evenemen ts en cause dans Ie temps, donc par rapport a l'epoque du locuteur, et ne les marque pas de l'epoque a laquelle se tient Ie raisonnement. De ce fait ce couple donne la vision la plus abstraite de la liaison entre les deux evenements. Pnisent/futur tout au contraire exprime l'ecart de temps effectif qui separe la cause de la consequence. II situe la consequence par rapport a repoque de locuteur (dans son au-dela), et marque l'epoque passee it laquelle se tient Ie raisonnement par la forme imparfait/conditionnel qui est donc ambigue. Present/futur donne ainsi de la relation la vision la plus concrete et convient quand les evenements en cause imposent leur epaisseur temporelle. Present/ present n'exprime ni successivite temporelle, ni successivite logique, et ainsi , convient moins pour traduire la relation de la condition a la consequence. Ce couple traduit cependant bien les cas 011 les evenements sont concomitants, ou quand la relation qui les lie est permanente, ou se verifie habituellement. Present/present offre une vision plus concrete que imparfait/conditionnel puisque ce cou ple situe les evenements dans Ie temps du locuteur. Mais present/ present est souvent employe pour des evenements de fait successifs, mais dont on omet la realite temporelle pour faire ressortir I'imme diatete de leur relation: cette operation d'abstl'action rapproche present/present de impal·fait/conditionnel. Present/present s'oppose ainsi sur une autre base, a chacun des deux autres couples. Certaines successions d'evenements admettent la triple traduction, mais habi tuellement, chacun des trois couples de temps selectionne Son lexi que. Le degre d'abstraction d'imparfait/conditionnel Ie rend compa tible en fait avec toutes les sUccessions d'evE'mements ; HIes marque de !'image de la relation de condition a consequence qui lui est propre (I~). L'emploi de present/futur et celui de present/present sont bien plus limites.
la substitution de present/present qui exprime l'immediatete de la consequence, a present/futur, de rigueur ici - la victime ne sera mise a mort qu'apres qu'elle aura bouge - correspond a la substi tution d'aspect dans P2 et se justifie dans Ia situation: exprimer I'imminence du danger.
Dans une situation qui jUstifie l'expressivite, on peut faire glisser un couple de verbes de sa traduction propre a une autre des deux traductions: c'est un ecart stylistique si on peut mettre en rapport Ie sens des verbes et la difference systematique entre les constructions. Ainsi dans: 26) Si tu bouges, tu es mort
Selon que j'ai trouve dans ma boHe une lettre timbree a 1 F 30 ou que je n'ai pas trouve de Iettre, Ia phrase est in-eelle ou potentielle. La phrase interrogative reduite a si 4 PI (qui est une sollicitation pour qu'on formule Ie consequent) est egalement ambigue selon ce que je sais des faits: 30) Mais s'il avait ecrit ?
(4) Si l'evenement condition et I'evenement consequence sont de ceux qui se sUccedent necessairement dans Ie temps, si l'evenement consequence se situe dans I'avenir du locuteur, ces significations nous sont trans mises avec Ie sens du verbe, ou par Ie contexte. Imparfaitlconditionnel est compatible avec ces significations, il les colporte en quelque sorte ; il ne les exprime pas. Illes absorbe dans l'image abstraite d'une relation de condition a consequence.
Irreelle si je sais qu'i! n'a pas ecrit, Ia phrase est potenticlle si je n'en sais rien et que je n'aie momentanement pas Ie moyen de verifier. On n'a pas l'irreel non plus si l'une des deux propositions est a une forme simple mettant en cause l'avenir : 31) S'il avait ecrit, tu trouverais la lettre en rentrant seule ment ; il est trop tot de s'inquieter.
La regula rite des associations couple de temps lexique, permet aussi au linguiste de situer Ie point de deviation dans les asso ciations fautives qu'elles soient voulues par l'auteur ou dues a I'inadvertance. Ainsi dans 27 : 27) Si tu supprimais a present Ies prophetes, les choses memes prendraient une voix, et si te refusais a l'entendre, toi-meme prophetiseras. (Gide, ap. Grevisse, § 1037, 2°.) Gide substitue au conditionnel de rigueur Je futur qui, lui, ne peut constituer la suite d'un imparfait hypothHique et introduit, dans Ie cadre hypothetique impose par si 4 PI P2, une affirmation absolue. Ainsi Gide exprime la force de la verite qui surgit, partout. C) Potentiel et irreel
Cette opposition n'a de sens qu'appliquee imparfait/conditionnel ;
a
la combinaison
a) II semble qu'on ait toujours l'irreel quand on combine, dans une phrase assertive, Ie plus-que-parfait hypothetique et Ie condi tionnel passe: 28) S'il avait eu ta lettre, il aurait repondu. Mais ce n'est pas Ie cas si la phrase est interrogative, c'est-a-dire si je m'interroge sur les consequences d'une hypot.hese que je ne puis verifier: 29) S'il avait affranchi sa lettre avec un timbre de 1 F ] 0, la lettre me serait-elle parvenue aujourd'hui?
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CllRtSTINE
WnI~lER
LE
Cette phrase 31 est ambigue comme 29 et 30. La phrase 32 est necessairement au potentiel, car Ie locuteur ne peut avoir aucune connaissance de l'avenir que si met en cause: 32) Si je devais mourir ce soir, je n'aurais meme pas merite de laisser un nom sur une langue, une empreinte dans une memoire. (G. Duhamel, Journal de Sa lavin, 7 janvier, p. 10.) b) La combinaison imparfait/conditionnel, elle, est toujours ambigue. L'interpretation depend de Ia possibilite qu'a Ie locuteur de connaltre les faits en cause. Le caractere invraisemblable des situations (Si Ie Diable boiteux nous soulevait dans les airs . ..) n'en est qu'un cas particulier et n'est pas interessant a considerer, car l'invraisemblance n'est jamais qu'un fait culturel. Nous nous en tiendrons donc a la conclusion: Ie fran<;ais pos sede une forme destinee a exprimer l'irreel: la construction si 4 PI P2, assertive, couplant Ie plus-que-parfait hypothetique avec Ie conditionnel passe. Cette construction signifie i) que Ia realisation de P2 depend de la realisation de PI, ii) que Ia n~alite dement la possibilite, envisagee, de P1. Ailleurs, c'est la connaissance que nous avons des faits, ou notre experience, qui deeident de l'interpretation : il n'y a pas de forme linguistique speeialisee dans l'expression du potentiel en fran<;ais. N.B. La combinaison imparfait/conditionnel concerne l'actua lite ou l'avenir ; elle est ambigue sur ce point par constitution lin guistique. S'il existe une affinite entre la nature de l'evenement et l'epoque a laquelle on l'attribue (action - avenir, etat - present), celle ci n'est pas determinante a elle seule; Ie rang de Ia personne, la possibilite qu'on a de soustraire un evenement a I'avenir en Ie con siderant dans sa permanence, pesent egalement sur l'interpretation. II y a une forte correlation entre l'attribution de l'evenement
a
une des deux epoques et l'interpretation potentielle et irreelle parce que ce qui est present a des chances d'etre connu - ; mais les deux attributions ne se recouvrent pas. La combinaison pltts-que parfait/conditionnel passe peut egalement concerner l'avenir: 33) Si j'etais parti demain, j'aurais ete accompagne par mon pere. (Martinon, p. 360, n. 2.) II semble que certains verbes seulement soient susceptibles de cette interpretation. Quoi qu'il en soit, on voit que cette attribution a l'avenir n'entame pas Ie caractere irreel de l'eventualite. D) Uinsertion de si 4 PI P2 dans Ie discours
Lorsque si 4 P1 P2 appartient a une phrase complexe, dans Ie style indirect ou Ie style indirect libre, les temps definis pour Ie
SYSTE~IE
DE Sf EN FRANCAlS
~!oDER~E
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cadre si 4 PI P2, dans son sens condition/consequence, Bont en partie masques par les faits de concordance. Une autre condition peut se joindre a la suite si 4 P1 P2, exprimee ou non au moyen de si : 34) [... J et s'il arrive malheur a I'otage, c'est la peine de mort pour les ravisseurs s'ils sont arretes et juges. (France-Inter, Informations, 3. 2. 1976. La ponctuation re produit a peu pres Ie rythme de l'expression orale.) 35) - Leur apprenez-vous quelque chose? [...J Non, Madame. [... J S'ils sont sots, ce que je leur apprendrais ne Ies rendrait que plus sots. (Diderot, Jacques Ie Fataliste, p. 168.) P2 peut etre absent: parce que Ie Iocuteur s'est interrompu, acei dentellement ou intentionnellement, parce que la sequence si 4 P1
appartient a une enoneiation anterieure et n'est que citee (infra, exemple 45), parce que si 4 P1 conditionne un fragment anterieur. Le consequent peut n'etre pas verbal. Attribution d'une qualite a un substantif . 36) Eh bien, iei il n'y a den, sauf un machin extrcmement precieux, mon vieux, pour vous et pour moi, et si on trouve des types a frictionner. (J. Giono, Le Hussard sur Ie to it, p. 62. Dans Ie pays devaste par Ia peste. Ie heros et un medeein viennent de trouver une bouteille d'eau-de-vie. Precieux si, pour Ie cas oU ... ».)
Presuppose compris dans une enoneiation : 37) On ne peut semble-t-il que souligner la fragilite de sem blables reconstructions, S1 elles ne sont pas appuyees sur des analyses distributionnelles [... J (M. F. Mortereux, Langages, 1974, 36, p. 29. «Ces recons tructions sont fragiles si ... ».) Dans tous ces cas il faut determiner l'ineidence de si P et formuler la demarche par Iaquelle l'auditeur y parvient. Les regles reg1ssant la syntaxe des temps dans si 4 PI P2 guident cette demarche. Les cha pitres XVII a XXI de notre travail classent ces situations syntaxi ques et examinent Ie mecanisme de l'interpretation.
V. PEUT-ON JUSTIFIER L'ATTRIBUTION DE SI
NOMINALISATEUR A TROIS SAISIES DISTINCTES?
On surprend quand on affirme que Ies deux adverbes si et la conjonction si ne sont que des emplois d'un signe unique de langue. On surprend a nouveau quand on fait eclater la conjonction en trois emplois de discours: si 3, si 4 et si 5. Une objection grave a cetto these en effet: Tandls que si 4 est employe essentiellement dans deux cadres (hypothese, interrogative ,indirecte) ou les commutations sont tres nombreuses et que Ie sens qu'on attribue traditionnelle
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CIIRISTIl':E
ment 11 si dans ces cadres (<< hypothetique '>, «interrogatif indirect») est tout 11 fait distinct de la position si 4 dans Ie systeme : « represen tation du possible », si 3 et si 5 appartiennent, eux, chacun a un grand nombre de cadres offrant souvent peu de commutations, voire Or on a peine a distinguer, dans la formulation, Ie role de si 3 et de si 5 dans ces cadres et la definition des positions S 3 et S 5 dans Ie systeme. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux voir dans si 3 et dans si 5 des emplois de la saisie 4, distingues de si hypothetique et de si interrogatif indirect par Ie contexte? Mais voici trois arguments qui etayent notre hypothese des trois saisies si3, si4, si5. A) Les emplois de si 4 : si hypothetique, si interrogatif indirect, sont en distribution comph?mentaire (nous negligeons, pour fier, si dit « de souhait », «de »). Cette complementarite est une necessite qui resulte de l'analyse. Le linguiste distingue des emplois d'une saisie lorsqu'une difference semantique interessante est en relation reguliere avec une difference distributionnelle. nest evident que les diff('rences de sens qui n'ont pas a leur origine deux saisies distinctes sont Ie fait du contexte. Ces differences se parta gent necessairement la distribution de 1a saisie. On Ie constaterait pour 1a distribution des emplois des temps, de l'imparfait par exem pIe: l'imparfait, par sa structure, est compatible avec certains contextes ; de ces emplois resultent des « valeurs » qui sont en distri bution complementaire. Or si 3 a une distribution en partie identique a celle de si 4, soit si interrogatif indirect, soit si hypothetique (1 c'). Ceci exclut que ce que nous appelons si 3 et si 4 soient des emplois, differencies par Ie contexte, d'une meme saisie. Qu'on ne pas imputer 1a diffe rence entre si 3 et si 4 au contexte, on Ie verra sous B. (II est possible que les resultats de deux saisies aient des distributions totalement distinctes ; c'est Ie cas lorsque ces resultats constituent des de discours differentes, par exemple si 1 adverbe d'affirmation et si 2 adverbe d'intensite, ou que pronom interrogatif ou exclamatif (15) Nous
LE SYSTE~IE DE Sf EX FRAK(,:AIS ~IODER:-lE
\Vm~IER
relevons dans Ie discours les cadres ou apparaissent les differents si les hypotheses sur si nous permettant de distinguer dans leur contexte ce qui est pertinent. Nous deduisons des definitions des saisles les commutations possibles dans chaque cadre; aussi pouvons-nous prevoir les contextes communs a differentes saisies. Ainsi si 3 et si 4 interrogatif indirect completent tous deux des verbes ; une partie de ces verbes admet (avec une autre orientation de leur sens) a la fois si 3 P et si 4 P. Cependant seul V si 4 P peut etre coordonne a un second si 4 P au moyen de ou exclusif, tandis que si 3 P n'est compatible qu'avec un ou metalingui5tique, signifiant l'equivalence: «ou 5i vous preferez >l. Si 3 P et si 4 P hypothetique se rencontrent a la suite de verbes ; mais si 3 P Y est en position de complement d'objet, si 4 P en position de «complement circonstanciel». Plus frequente est I'ambigulte des se quences si p c'est et si p q, moules communs aux deux saisies. Dan" les deux ce sont essentiellement Ie choix des temps et la signification qui y associee qui guident I'interpretation.
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et que conjonction (1fl). Mais cette difference distributionnelle n'est qu'une consequence de l'exploitation des saisies ; eUe n'est pas une consequence necessaire du systeme. II existe bien des exemples de resultats de saisies distinctes qui ont des distributions en communes, ainsi Ie particulier et le general, Ie mode indicatif et Ie mode subjonctif, saisies de la chronogenese (car ce qui determine Ie choix entre ces saisies n'est pas toujours manifeste dans Ie contexte) B) Le cas de 1a suite ambigue si P q nous fournit un second
argument pour attribuer Ie nominalisateur au moins a deux saisies
distinctes, ici si 3 et si 4. Ce passage de la Iettre que m'adressait Ie
Secretariat de la Sorbonne :
38) Si vous avez deja deux inscriotions a l'Universite, en
vue du doctorat de 3" cycle, vous n'etes pas obligee de vous
inscrire une troisieme fois.
(Secretariat, Paris-Sorbonne, 24. l. ) 977.)
ambigu, pourrait faire penser qu'apres tout l'interpretation est un fait pragmatique: elle dependrait uniquement de la connaissance a de la situation (pour moi viens, dans une Iettre prece dente, de rappeler mes inscriptions anterieures, il est clair que Ie secretaire a utilise si 3). Dans ces conditions, i1 n'est plus besoin de supposer deux saisies : si sprait neutre du point de vue de la reulite des faits; Ie contexte deeiderait seul de cet aspect du sens. Mais il est d'autres exemples ou nous voyons Ie locuteur introduire une en depit de ce que suggere Ie contexte. Le locuteur est maitre d'introduire Ie sens qu'il veut: {( il est vrai que" ou « i1 est possible que ». En voici un exemple. Salavin vient d'accomplir un acte herolque mais il ne retrouve pas sa interkure; il est anxieux, Et pourtant, pour evoquer cet etat, il utilise si 4 : 39) Si ma bonne action me jetie dans Ie trouble moral comme Ie pourrait faire une infamie, je ne comprends plus. Duhamel, Joumal de Salavin, 19 juillet, p, 124.) Salavin a preU're mettre en cause cet evenement qui Ie surprend et Ie dec;oit. La valeur de si ne resulte donc pas du contexte; eUe lui appartient en propre et Ie linguiste est bien oblige d'en rendre par Ie systeme de la langue, soit en supposant deux si homo nymes, soH, ce que nous faisons, en supposant une polysemie de si. (16) V. les chapitres consacres a que par G. Moignet dans ses Etudes de psycho-systematique, op. cit" note 2.
(17)
De meme devoir vcrbe exprlmant la neccssitc et devoir auxiliaire ont des distributions partiellement communes. Or la methode psycho-systema tique presenterait l'auxiliaire comme un etat subduit, ou saisie precoce, de I'ideogenese qui, developpee jusqu'a son terme, fournit Ie verbe. En revanche Ie Iinguiste distingue deux roles de l'auxiliaire: Selon que I'auxiliaire concerne l'avenir ou qu'll concerne l'actualite ou Ie passe, il aura p::mr sens « on s'attend, avec une forte probabilitc it ce que ... l) ou « selon toute probabilite I'evenement est ou etalt ... »; ces deux roles se partagent evidemment la distribution de I'auxiliaire.
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CHRlSTI:\E WDL\fER LE SYSTI~ME DE Sf EK FRANCAIS :'>IODERNE
C. Si 3 P, si 4 P, si 5 P constituent tous des independantes. Or la signification de certaines d'entre elles ne peut etre attribue qu'au si precisement utilise. Examinons quelques-uns de ces cas: « Si m'attendais a vous rencontrer r »
(Si 5. Supra, ex. 16.)
41) « Si je me rappelle ! »
(Si 3. Supra, ex. 2.)
42) S'il etait la !
(Si 4.) 43) -
Mon capitaine! mon pauvre capitaine ! vous l'avez connu?
- Si I'ai connu ? un grand homme bien fait [... J (Si 4. Diderot, Jacques Ie Fataliste, p. 226.) 11 y a du vrai dans ce que vous dites la [... J Du vrai ! ... Comment, s'U y a du vrai ! ... Je vous dis ... (Si 4. G. Courteline, Les Linottes, VI, p. 113.) 45) Si Dieu veut, elle aura demain une maison ou son chant fera jaillir dans chaque ame une 10uffe de £leurs. Si Dieu veut, c'est-a-dire si mon reve se realise. (Si 4. Montherlant, Le Maitre de Santiago, II, 1, p. 75. Don Bernal, evoquant la prochaine union de son fils et de Ma riana, reprend une partie de son enonce pour l'expliquer.) Les actes constitues par 44 et 45, et reconnus a leur intona tion (question ou mouvement d'impatience a propos d'un dit, citation d'une parole precedente) pourraient avoir pour objet un tout autre contenu. Si P n'y est qu'une des structures possibles. On peut citer n'importe quel fragment d'enonce pour Ie commenter et on voit par 43 et 44 qu'une question ou une attitude de doute precedentes peu vent susciter une demande d'eclaircissement comme dans 43, ou un moUvement d'indignation comme dans 44, et bien d'autres senti ments encore, que rendrait l'intonation. Dans 40-42 au contraire, l'intonation, Ie sens et la presence de si sont indissociables : on ne peut retirer a ces intonations la structure introduite par si. L'into nation signale Ie sens, mais Ie sens est constitue au r:p.oyen de si. Dans 43-45, on decouvre des roles a si, distincts du contenu de
nation: si manifeste que c'est une question (ou un doute) qu'on
reprend (pour s'interroger a ce sUjet dans 43, pour s'en indigner
dans 44) ; si appartient a une phrase hypothetique anterieure, dont
on reprend un fragment (quel que soit Ie motif de cette reprise).
Dans 40-42 au contraire, si on retire a si !a responsabilite de l'enon
ciation, on ne sait plus quel role lui attribuer. Si dans 40, 41, 42 doH donc chaque fois etre different. On ne Ie contestera pas pour 42 ou specifique et ou on reconnaitra imme si s'accompagne d'un diatement Ie si exprimant Ie souhait (c'est-a-dire une exploitation de langue du cadre si 4 Pi P2 auquel on retire significativement la portion necessaire P2). Mais on pourrait confondre si de 40 et de 41 et des deux si Ie reflet d'une attitUde interrogative. Le detail du sens: affirmation appuyee dans 41, refus vigoureux dans 40,
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proviendrait du contexte, et c'est ce contenu resultant que l'intona tion prendrait en charge. Mais si on n'avait dans 40 et dans 41 si et deux interpretations resultant du contexte, ce que nous analysons comme deux saisies distinctes si 3 et si 5, devrait se pre senter en distribution complementaire : contexte X -+ sens attribue jusqu'ici a si 3 ; contexte Y -+ sens attribue jusqu'iei a si 5 (X et Y formant ensemble Ie complement de la distribution ou nous recon naissons si 4 hypothetique). Or si, effectivement, si 3 et si 5 ont une distribution limitee, rien ne nous permet d'affirmer qU'elles soien~ complementaires. Si elles s'excluent, c'est pour la raison evidente que les saisies 3 et 5 ayant des roles distincts, les contextes qui les reclament s'excluent. D'autre part, si on assimile si dans 40 et dans 41, c'est, avons-nous dit, sur la base de leur parente avec Ie si inter rogatif indirect, celui de 43 et de 44. Mais en plus des differences deja mentionnees entre d'une 40-42 et d'autre 43-45, on constate que les conditions d'enoneiation de 40 et de 41 sont diffe rentes de celles de 43 et 44. 43 et 44 sont toujours precedes de l'ex pression, ou d'une manifestation du doute : si rappelle ce doute en l'attribuant a l'interlocuteur; 40 et 41 s'en passent parfaitement. C'est plutOt de l'enonciation de 40 et de 41 que I'auditeur deduit qu'un doute etait possible. On a donc besoin d'une polysemie dont Ie systeme guillaumien figure la genese - pour rendre compte des roles differents de si dans 40, dans 41, dans 42, dans 43-45.
CONCLUSION On n'a pu qu'evoquer iei les regles de la syntaxe de si. Seu! l'examen d'un tres grand nombre d'exemples permet de mesurer a la fois la diversite et la rigueur de leur application. Alors seulement on peut isoler Ie mecanisme de !'interpretation, et faire la liste des cas d'ambigui'te, et determiner la « profondeur» de cette ambigulte : S'il est chez lui, c'est bien est une ambiguite « profonde » ; les deux structures ne different que par 1a saisie de si (si 3 ou si 4); Ne t'etonne pas s'il sonne est une ambigulte moins « profonde », car les deux structures se separent sur deux points: les saisies de si (si 3 ou si 4) et l'organisation syntaxique (V objet, ou prineipale - subordon nee hypothetique). Le mode d'application des regles dans notre domaine Ie type de grammaire adoptee; une grammaire enumererait toutes les suites correctes ne nous suffirait pas, car celles-ei sont en nombre illimite (toutes les combinaisons de temps pratiquement dans Ie cadre si 4 Pl P2 ; limitation semantique et non formelle, donc ouverte a l'analogie, dans Ie cadre V si 4 P) et sont SOuvent ambigues (si 4 Pl imparjait P2 conditionnel realise trois structures temporelles). II nous faut donc une grammaire qui assode leurs interpretations aux diverses realisations de discours, donc a partir d'hypotheses sur Ie contenu des composants et sur Ie mode de la composition. Nous n'avons pas introduit dans cet article les elements que notre analyse nous fournit sur Ie role purement diffe
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CIlRISTI:\E wnnllm
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LISTE DES OUVRAGES D'OU SONT TIRES LES EXEMPLES DE SI
renciateur ou positivement signifiant du fait grammatical ou syn taxique (IS), ni sur l'interaction des deux types de regles du Compo sant linguistique et des regles du Composant pragmatique (1"). Notre courte presentation rappelle la demarche essentielle de la psycho-systematique: decouvrir Ie fait de langue qui explique les faits de discours. Elle montre la difficulte de l'entreprise une difficulte sur laquelle G. Guillaume revient souvent eO). Si nous decouvrons dans la syntaxe de si (attribution de l'opposition con ceptuelle ignorance/savoir a l'opposition systematique si/que ; affi nite entre les structures temporelles imparfaitlconditionnel ou pn?sentlfutur et la saisie 4 dans Ie cadre syntaxique si 4 Pl P2 ; applications de la syntaxe de si au detail des phrases) l'action des psycho-mecanismes organisateurs qui attestent l'activite mentaIe sous-jacente au langage (comme a toute activite humaine, mais Ie langage en est Ie champ privilegie), Ie ledeur se demande assure ment quelle peut etre la forme d'une description exhaustive du systeme de la langue. Autrement da, l'examen attentif du discours, appuye d'une hypothese explicative, decouvre bien l'affinite entre les deux adverbes si et la conjonction si sous leur diversite distribu tionnelle; elle fait apparaltre une grande rigueur dans la syntaxe de si. Mais a quel niveau d'abstraction faut-il se placer pour formu ler l'unite qui explique cet eventail d'emplois ?
Strasbourg.
Christine WIMMER
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T. I, La Conjonction « si» et Z'emploi des jorrnes verbales.
Kr. Sandfeld. _ syntaxe du francaiS contemporain, t. II, Les propositions subordonnees, 2" ed. - Geneve. Droz, 1936.
(18) Pour une these aux antipodes de la notre, v. J. C1. Milner, De Za syntaxe a l'interpretation. Quantites, insultes, exclamation, Paris, Seuil. 1978. (19) La question est examinee par Oswald Ducrot et J. C1. Anscombre dans Anscombre et Ducrot, « L'Argumentation dans la langue», Langages, 1976, N° 42, pp. 5-27 et dans J. C1. Anscombre « Il etait une fois une princesse aussi belle que bonne );, Semantikos, 1975, N° 1, pp. 1-28 et 1976, W 2, pp. 1-26. (20) V. en particulier Principes de linguistique theorique de Gustave Guil laume, Paris, Klincksieck. 1973, pp. 34-49.
Sur quelques
propric~tes
de I'adjectif de relation
L'adjectif de relation (1) n'occupe l'avant-scene ni des grammai res scolaires, ni des dictionnaires, ni des ouvrages de linguistique. Generalement mentionne comme une sous-classe des adjectifs quali ficatifs, cet adjectif est decrit sommairement et caracterise par les proprietes suivantes : 1. Du point de vue syntaxique, il dWere de l'adjectif qualifica tif en refusant la construction attributive (*La critique est musicale, a partir de La critique musicale), la variation en degrc ("'La critique tres musicale), l'anteposition au nom (*la musicale critique) (2) et la coordination it un adjectif qualificatif ordinaire (*la critique musi cale et severe de M. X).
2. Du point de vue morphologique, il se presente comme un adjectif derive par suffixation d'une base nominale. 3. Du point de vue semantique, il marque une relation entre deux notions distinctes, au lieu d'indiquer une qualite comme l'adjectif qualificatif, d'ou son appellation d'adjectif de relation. Les relations que signifient ces adjectifs sont synonymes de celles que l'on peut identifier entre deux noms relies par une preposition (Nl + Prep. + N2). relation agentive (Ie voyage presidentiel: Ie voyage du president: Ie voyage que fait Ie president); relation d'objet Iogique (l'election presidentieHe); relation locative (Ia vie parisienne ; la vie d Paris) ; relation instrumentale (liaison aerienne : liaison par avian), etc. Dolt la theorie emise par Ies generativistes
n,
(1) Nous
tenons it remercier tout partieulierement A. CulioH, qui a eu la gentillesse de nous expliquer plusieurs pOints theoriques importants pour eet article. Nous devons egalemenL beaucoup aux discussions que nous avons eues avec J. Kawaguchi et les participants de notre semi naire it Strasbourg, notamment M. Hug, G. Kleiber, M. Riegel, A. Schnei der et C. Wimmer. (2) L'anteposition est parfois admise : par exemple dans la divine parole (la parole de Dieu) ou l'humaine condition (la condition des hommes). (3) On trouvera une bibliographie de ces travaux dans la these de Judith, N. Levi, qui fait Ie point sur cette approche: The syntax and semantics oj non-predicating adjectives in English, Indiana University Linguistics Club, 1976. Cf. egalement R. Schmidt, L'adjectij de relation en jran<;ais, italien, anglais et allemand, KUmmerle, Goppingen, 1972 (compte rendu in Fran<;ais moderne, 1975, 4, pp. 362-6) et U. Wandruszka, Franzosische Nominalsyntagmen, Munich, W. Fink. 1972. Nous remercions M. Hug du resume critique qu'il a bien voulu nous faire de cette dernlere these.
. ,\D.JECTIF DE REL.\TiO);
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Im~"E TA~ll3.\·~IECZ
qui proposent d'analyser ces adjectifs comme derives par une sene de transformations (notamment d'effacement e1 de nominalisation) d'une structure sous-jacente comprenant un substantif de tete et une phrase associee (N +- S). On signale encore que ces adjectifs de relation peuvent presen ter a l'occasion Ie mcme comportement syntaxique que Ies adjectifs qualificatifs. I1s cessent alors d'indiquer une relation et deviennent qualitatifs. Ainsi dira-t-on d'un soliste que son jeu est tres musicaL Ces observations n'ont, it notre connaissance, suscite que des explications dont il est difficile de se satisfaire. On a invoque tantOt un principe d'economie et de coherence - mais quelle economie ? tantOt une extension analogique: ces adjectifs, prises dans Ies nomen clatures techniques auraient, par contagion, envahi Ie vocabuiaire courant. Invasion regrettable, au dire des puristes, en raison de l'ambiguJ:te frequente de ces adjectifs (I). Sans vouloir, dans Ies limites de cet article, elucider toutes Ie" questions que posent ces mysterieux adjectifs, nous voudrions tenter de definir quelque peu leur statut theorique d'un triple point de vue: grammatical, notionnel et referentiel. 1. Role de La syntaxe dans L'interpnHation relationnelle de l'adjectif de relation
Pour la commodite de l'expose nous opposerons, au seill de Ia categorie usuelle des adjectifs qualificatifs, ceux qu'on dit marquer une qualite (les qualitatifs) et ceux qui indiqueraient une relation (Ies relationnels). On remarquera cependant que Ie meme adjectif se prete souvent a un emploi qualitatif et un emploi relationnel. On ne saurait donc imputer a Ia seule composante notionnelle Ia distinction entre adjectif de qualite et de relation. Mais peut-Hre est-ce une imbrication de caracteristiques notionnelles et syntaxiques qui es1 a l'origine du fait que la plupart des adjectifs susceptibles d'etre interpretes relationnellement peuvent aussi s'entendre qualitative ment, alors que beau coup d'adjectifs ne presentent qu'un emploi C'est pourquoi, nous essaierons d'abord de demeler les facteurs syntaxiques des facteurs notionnels. Quei est l'impact de la construction syntaxique sur l'interpre tation des adjectifs qualificatifs? Les quatre proprietes syntaxiques qu'on donne comme caracteristiques des adjectifs de relation se retrouvent en fait avec des adjectifs qu'on ne considere generalement pas comme relationneis pour autant. Par exemple, gauche, droit, cadet, etc., sont n'.fractaires a Ia construction attributive (*sa fille est cadette, *sa jambe est droite, au sens de jarnbe droitel gauche), it la graduation (*sa fme plus. tres cadette), a la coordination avec un (4) Cf. H. Bonnard, « L'adjectif», in Grand Larousse de la langue /ran gaise, I, pp. 56-7, article encyclopedique de Grammaire et linguistique.
adjectif qualitatif (*sa fitle jolie et cadette) et a I'anteposition (*sa cadette fine). n existe egalement des adjectifs dont Ie semantisme notionnel exclut la graduation (carre. isocele, etc.), assodee a une modalite assertive positive. Mai;:; sous negation, doute, interrogation, il est possible d'avoir : ce n'est pas tres carre, etc. D'autres adjec;-tifs enfin refusent et Ia construction attributive et Ia b!raduation (tels que ultime, triple. etc.). On voit par la que les proprietes syntaxiques des adjectifs de
relation sont negatives. n s'agit de restrictions entravant Ie libre
fonctionnement des regles generales qui gouvernent In syntaxe de
l'adjectif qualificatif. Dans ces conditions, Ie comportement synta
xique des adjectifs de relation. loin de pouvoir rendre compte de
l'emergence d'une signification relationnelle, apparait lui-meme
com Ie resultat de contraintes que ron doH, a leur tour, expliquer.
me A cet effet, nous examinerons d'abord l'opposition entre quaLite et
reLation, pour essayer de degager les rapports qu'il peut y avoil' entre ces limitations syntaxiques et certaines proprietcs notionne11es des adjectifs qualificatlfs.
2. Les rapPo1'ts de qualite et de relation Une precision terminologique prealable ;;'impose. Les termes usuels de qual-itc et de relation ne concernent pas Ie sens lexical des adjectifs qualificatifs. On ne rangel'a pas parmi les adjectifs relation nels, par exemple, voisin, proche ou mitoyen qui designent pourtant des relations spatiales. Mais, cOl1siderant que la categorie adjec tivale a pour caracteristique de poser une notion comme existen tiellement (ou conventionnellement) rattachee a un autre domaine notionnel, c'est une propriete <;(;!mantique des rapports noues par de tels couples de notions que designent respectivement les termes de relation et de qucrlitc. La q1Lalite correspond a « un rapport d'inherence» ou de transitivite intrinseque entre une notion substanti vale et la notion adjectivale qui lui est rappoI'tl"e: par exemple entre jeu et musical dans Ie syntagme jeu musical., Ia notion de musicalite a laquelle renvoie musical est donnee comme inhe rente a celIe de jeu. Quant a la relcrtion, eUe correspond a « un rapport de transitivite extrinseque» intervenant par consequent entre deux notions exterieures rune a I'autre C'). Ainsi Ie syn tagme critique musical etablit un rapport de relation extrinscque entre Ies notions de critique et de musique qu'implique, cette fois-ci, musicaL L'adjectif qualificatif aurait donc la faculte de reperer une notion _ par exemple musique - soit par rapport a Ia propriete definitoire qui constitue Ie «centre attracteur " du do maine notionnel, sclon l'expression d'A. Culioli, en l'occurrence La musicalite, c'est-a-dire Ia musique, musique; soit par rapport a une
(5) Cf. H. Bonnard, art. cit. n. 4, p. 56.
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IRmm TA~IBA-~fECZ
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L' ADJECTIF DE RELATIOl\
autre notion, 01stmcte, mais associee: ce qu'exprime la paraphrase assez gauche de relatif d (Ia musique), qu'une notion est envisagee dans sa relation a une autre Reste a expliquer pourquoi certaines notions adjectivees se pretent exclusivement a un rapport tant6t quaJitatif, tantot relation alors que d'autres admettent les deux, mais avec des modula tions semantiques.L'explication est a rechercher dans l'existence de proprietes distinctives communes a tous les membres de chacune de ces trois categories de notions adjectivales. Or, quand on considere les definitions lexicographiques des adjectifs qualificatifs, on <;oit qu'elles dissocient, en les paraphrasant de maniere analytique, les differentes composantes qui se trouvent amalgamees dans I'en semble structure qu'est un adjectif qualificatif. Ces gloses defini toires (I) comportent n§gulierement Un substantif _ en presentant Ie meme radical que l'adjectif defini variable pour chaque definition (ainsi musique ou musicalite dans Ie cas de musi cal). Cette variabilite meme n'est-el1e pas 13 preuve que ces substan tifs correspondent aux notions particulieres denommees par chaque adjectif, et, par consequent, ne detiennent pas l'invariant classifi catoire que no us cherchons a decouvrir ? A ce substantif est associee, Ie plus SOuvent, une tournure composee d'un pronom rdatif et d'un vel'be (qui appartient, qui est propre d la musique, qui ales qualites de la musique, par exemple). Si ron fait du relatif sans antecedent Ie representant des domaines notionneis non specifies qui seront mis en rapport avec la notion adjectivale definie par la glose, il ne reste plus qu'a situer sur Ie verbe relateur 1a propriete distinctive contribuerait a l'etablissement des significations relationnelle
ou qualitative des adjectifs. (Nous disons contribuer plut6t que
determiner, parce que dan~ Ie cas de sens relationnel nous avons
affaire a des relations de relations, avec tout ce que cela suppose de reactions et d'interferences semantiques entre les termes relies et Ie relateur). Ne pouvant, dans Ies Ii mites du present article, envisager les propriet6s de tous les verbes susceptibles d'apparaltre dans Ies lexicographiques d'adjectifs qualificatifs, no us nous borne
-----(6) On
remarquera que l'adjectif substantive se prete Plus communement
une interpretation qualitative que relationnelle, l'adjectif de relation
presentant une certaine resistance a la substantlvation (Ie scola ire Ie
presidentiel? Ie petroljer), a moins qu'i1 ne s'agisse de substantivation
reposant Sur l'ellipse, par metonymie, d'un terme associe (la matemelle :
I'ecole matemelle). De meme l'adverbe en -ment derive de ces adjectifs
correspond Ie plus souvent a des interpretations qualitatives (scolaire
ment : de maniere scolaire, plut6t que d'un pOint de vue scolaire, sur
Ie modele de meteorologiquement). Et bon nombre d'adjectifs de rela
tion ne permettent pas la derivation d'un adverbe en -ment, a peu pres reguliere avec les adjectifs de qualite, Ii quelques restrictions pres (cf. G. MOignet, Etudes de Psycho-systematique /ranr;aise, « Uincidence de l'adverbe et l'adverbialisation des adjectifs», Klincksieck, Paris, 1974, Pp. 117-136.
a
(7) On
exclut ici les definitions qui se font ou antonyme.
a l'aide d'un adjectif synonyme
rons a l'examen de deux types de paraphrascs definitoires, qui s'imposent a l'attention a la fois par leur recurrence et par leur caractere dc prototype d'autres paraphrascs synonymes. Ce sont les definitions cn Qui A et en Qui concerne + pred, + Nom, auxquelles il scmble dc ramener les paraphrases mains usuelles en : qui (est) produit, qui de, qui constitue, etc., d'un et en qui se rapporte d, qui est propre £1, etc., de l'autre, paraphrases mains abstraitcs que les p1'E?cedentes, ct par la plus d6pendantes du semantisme des variables lexicalcs reliees. . 3. Proprietes sernantiques des gloses et concerner
';f'r>'t(}i.r(>.~
en avoir
La repartition de ces deux types de gloses est remarquable. En effet lcs adjectifs definis par ces gloses se divisent en trois groupes : 1. Ceux qui n'admettent que la paraphrase en avoil'; 2. ceux qui n'admettent que cclle en concerner; 3. ceux qui admettent ces deux de paraphrase. Or, lcs adjectifs giosables par avoir, presentent Ie comportcment syntaxique regulier des adjectifs qualificatifs et indiquent une relation qualitativc, de transitivite intrinseque. Ccux glosables par concerner font, au contraire, l'objct des restrictions syntaxiques caracteristiques des adjectifs de rf'lation et indiqucnt une relation de transitivite extrinseque. Quant aux adjectifs de la troisieme categoric, ils cumulent les propri6ies des deux categories precedentes, d'ou leur ambivalence semantique. II est donc tentant d'attribuer a des proprietes specifiques aux relateurs metalinguisti ques avoir ct concerner l'apparition d'un scns soit relationnel, soit qualitatif. La premiere difference distinctive tient evidemment au seman Usme notionnel propre a ces deux relateurs. Alors que concenter instaure une relation entre les deux co-domaines des « concern ants d'une part et des «concernes de l'autre, aVoir, lui, determine les deux co-domaines des « possedants» d'une part et dcs « possedes » de l'autre. Autrement dit avoir et concerner se comportent comme dcs expressions fonctionnelles a deux places d'arguments dont l'une est toujours saturee par l'argument que designe Ie substantif de la glose (par exemple rnltsique, dans qlLi concerne La musiaue) et l'autre, toujours vide, est marquee par Ie relatif sujet, parce que prive d'ant6cedent. On decele une seconde difference discriminatoire dans des predeterminants accolE?s au substantif qui argumente respect i vement la place du concerne et du possede. En face de: qui a du, des N (avec des variantes zero/Ie), on trouve en effet regulierement : qui concerne Le/les N (avec une variante en zero). A l'interieur de chaque categorie de paraphrases, la variation singulier/pluriel est due au trait nombrable/non nombrable attache a la notion substan tivale. D'ou l'opposition, par exemple, entre: « ancestral, qui con cerne les ancetres, et : « familial, aui concernc La famille, ou encorc
L',\DJECTIF DE HEL\TIOX
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11lI':\E 'L\:IlB.\·:lII:CZ
entre: « epineux : qui a des epines, et « gracieux, qui a de la grace Le semantisme du premier argument peut egalement avail' une incidence sur Ie choix du nombre. Ainsi « Ie systeme bancaire « concerne les banques », mais un «credit bancaire» ., concerne la banque ». Quant a l'arEcle zero, il s'agit, avec avoir de certaines locutions qui exclueni l'emploi du p::lrtitif : peureux, qui a peUT, et non: qui a de la peur ; frileu.y, qui a et non du .froid, et avec concerner d'une contrainte qui sur Jes adje(;tifs derives de nom propre. Dans les gloses en avoiJ\ une autre variante du partitif se rencontre quelquefois: c'e,~t l'article defini: qui a la trouilte ; tuberctllen.1:, qui a la tuberculose. Dans la mesun: ou nous n'avons pas affaire a des syntagmes permettant la libre alternance des articles, nous con;;idererons ces expres~ions comme des varianies figees (qui demancll'Taient d'::lilleur's a etre du type prohibe dans ce cas: avoir du N.
cos de la dasse construite sur eette notion, sOlt la classe notionnelle dans son integralite. Ces deux points de vue s'excluent mutuel lement, et s'appliquent soit a des notions distinctes, soit a une meme notion mais de manicre aHernee, engendrant deux interpretations semantiques de ce domaine notionnel (par exemple mu~'ical, vision interne-partielle: qui a de la nwsicalite: vision externe-globale, concerne la llwsique). Tantot un seul adjectif sera 10 support
semiotique do ces deux vi sees notionnelles, tanti'Jt Ie recours a deux
suffixes distincts permettra de les dissocier: ainsi on derivera
d'hal'monie, par vision interne-partielle, harmonieux (qui a de l'rwr monie) et, par vision oxterne-globale hanrtonique (qui concerne
l'harmonie). nest remarquable ioutefois que la solution offerie par
une double suffixation ne soit exploitee que sporadiquement, alors
qu'el1e permettrait de lever toute ambigu'llC
Sans generaliser prematurement nos conclusions en affirmant que l'interpretation qualitative resulte d'une vision interne-pal'tielle d'une notion adjectivee, et l'interpretation rC'lationnelle d'une vision externe-globa1e, il est indeniable qu'il existe une correlation ontre la glose definitoire en a'1-'Oir ot l'interpretation qualitative d'une part, et celIe en concenler et !'interpretation relationnello d'autre part. Comment expliquer ces fai.ts? Comment justifier la compa tibilitc de certaines notions avec une seule de ces ou avec les deux? L'examen des propri(,tcs t'cferentielles attaches aux enonces definitoires des adjoctifs qualificatifs nous apporte les premiers elements d'une reponse a ceHe question fort eomplexe.
Le jeu des pred~>i('rminants joint au semantism::! des verbe:: relateurs nous donnent deja une idee Ie terme de relation appliqt1{~ ~\ hon avec avoir l'element notionnel identifU; au « possede,' ne peut etre ni un aement unique, ni la totalite des ('Jement;;; appartiennent a cette classe notionnelle. Pour repn'ndre notre exemp1e: noueux ne peut renvoyer ni a un/Ie 'luEud U~lement defini ou indefini de 1a classe notionnelle ctre-na?ud), ni a tow; Ie;; na~ucls. II renvoie forcement a une certaine quantile de nceuds indefinie, mais comprise dans l'intervalle que bornent d 'un c6t~ de l'autre la to1;11i1e, Ainsi s'explique, peut-etre, la possi bilite de graduer cette notion (ben((COllp de y!'a?uds, pIns ou moins de en avoil' et 4. Statlitreierentiel des paraphrases nocuds, plus noueux, t1'f?S nouegx). Ainsi s'cxpliaue t'llcore Ie fait concerncr que ious les syntagmcs compose's de qui a refusent l'adjectivation en qui est A, meme Les enonces definitoires de type: qm a/ concerne, del. N obeissent Par exemple : qlii a un nez ne donnera pas a certaines regles de construction qui restreignent Ie choix des un peTe ne donnera *qui est patcrnel Dans la relation avec conceT determinants de N, ainsi que celui des temps et des modalites, On ner, en revanche, l'eIement notionnel identifie au concenu~ ne peut remarque, en eHet, l'exclusion devant N d'un possessif, d'un demonseire qu'une classe noiionnelle tod entiere : c'e5t-;)-din" soit la tota d'un article specifique (defini ou indefini): jeminin, par lite des occurrences de ceUe lorsqu'il de nombrable exempIe, ne sera jamais defini par: qui concerne salcett€ nne (par exemple bancail'e, qui concen!e t9utes les femme (pl'ecise). Le seul temps atteste est le present (dit atemporel) classe dans son eniier quand on a affaire a du continu de l'indicatif, et, on ne releve qu'une modalite : l' assertion (positive concenw la medeeine), soit it 1a classe dans son unicite, quand il ou negative: courageux: qui a du courage, ou: qui n'a pas s'agit d'un etre unique (lunail'e, qui concel'ne la lune : Pour expliquer cet ensemble de phenomenes remarquables, nous concerne Freud). C'est ce qu'indique l'emploi obJigatoire et exclusif nous placerons dans 10 cadre theorique de l'enonciation-predication d'un article dit generique dovant Ie subst,mtif de 1a glose. MaiE defini par i\. Culioli C)· envisager une classe dans sa totaJite, singuliere au plurieIIe, c'est se refuser 1a possibilite do la graduer, de 1a rolativiser en ponderant les elements qui 1a composent les uns par rapport aux autres. Voilil (8) Cf. A. Culioli, Transcription du Seminairc de D.E.A.: Recherches en sans doute pOUl'quoi, entre autres raisons, les adjectifs qui se pretent Linguistique, Theorie des Operations enonciatives, Departement de Recherches !inguistiques, Paris VII, 1975-6 ct bibliographic jointe des a ce type de gloses sont incompatibles avec une variation en degres travaux d'A. Culioli, pp. 253-4. Cf. egalement, C. Fuchs et A. M. Leonard, de comparaison. Suivant done Ie point de vue qu'on adoptera pour Vers une theOl'ie des aspects, les sysUmes du franQais et de l'anglaiS, considerer une notion adjectivee, on prendra en compte soit une Mouton, EPHE, 1978. partie inferioure a la totalite mais superieure a l'unite des oceurren-
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I: .\D.JECTlF DE REL.\TlOX
IRtXE TA\IB.\-\IECZ
Sans entrer dans Ie detail de cette theorie, nous lui emprunte rons Ie principe que tout enonce resuIte d'un enchainement complexe d'operations de reperage, permettant de relier entre eux des termes et des relations entre ces termes, a partir du repere fondamental que constitue la situation d'enonciation. Celle-ci se definit par un double systeme de coordonnees, permettant de reperer l'enonce d'une part par rapport aux locuteurs-enonciateurs et d'autre part par rapport au moment de l'enonciation. Qu'on nous pardonne cette simplifica tion cavaliere, dans la mesure au elle sert notre present propos. Selon cette perspective theorique, l'adjectif possessif sera la trace d'operations de reperage d'un meta-enonce reconstruit hypo thetiquement, impliquant notamment que 1e possessif soit Ie substi tut anaphorique du terme nominal qui lui sert de repere. Pour comprendre un syntagme comme: qui a son audace, nous sommes obliges de nous reporter a « l'audace de quelqu'un », defini par rap port a une situation enonciative determinee. De meme qui a cette audace n'est significatif que repere par rapport a un enonciateur et a un moment d'enonciation specifies. L'impossibilite d'avoir un adjectif possessif, demonstratif ou un article defini/indefini parti cularisant tiendrait donc a une caracteristique enonciative de ces gloses : l'absence de reperage a un enonciateur determine ou deter minable. N'est-ce pas d'ailleurs ce que confirme l'emploi regulier d'un relatif sans antecedent, qui impose une lecture circulaire : a de l'audace celui qui a de l'audace, en n'assignant aucune valeur precise a la place argumentative, laissee vide: ( ) a de l'audace, empechant de la sorte tout reperage a une quelconque situation enonciative. L'invariabilite temporelle, liee a l'emploi exclusif d'un present indetermine, suggere egalement qu'on n'assigne au:::un reperage temporel defini aces gloses, qui seront, de ce fait, reperables par rapport a n'importe quel moment d'enonciation. Quant a la modalite assertive obligatoire, elle indique que l'enonce est necessairement rep ere par rapport a un enonciateur qui s'en porte garant, du moment qu'il l'asserte. En se combinant a l'absence d'un enonciateur precis a un moment d'enonciation defini, cette modalite assertive confere aces enonces definitoires la pro priete d'etre toujours enon<;ables par n'importe qui, a n'importe quel moment. Car toute modalisation - dubitative, negative, asser tive, etc. etant interdite en dehors de l'assertive, quiconque enonce ces gloses ne peut que les asserter, et un enonciateur est substituable a un autre, puisque to us s'equivalent et n'ont aucune prise personnelle et temporaire sur l'enonce. Un tel type de repe rage, qui correspond a Ce qu'A. Culioli nomme un parcours de to utes les valeurs possibles d'une classe de situations enonciatives, sans en selectionner aucune, soustrait donc ces gloses definitoires aux con tingences enonciatives: d'ou leur caractere anonyme (Ie lexicogra phe ne se donne pas comme sujet enonciateur) et leur valeur de verite generale, incontel>table (modalite fixe).
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Une derniere propriete, moins apparente, de ces paraphrases definitoires tient a l'orientation referentielle opposee, qu'instaurent les relateurs avoir et concerner. Avoir etablit entre les deux places d'arguments qu'il determine une hierarchie referentielle, de sorte qu'on doit reperer les valeurs assignees a la clas~e des « possedants » par une mise en relation directe avec la situation d'enonciation, alors que les valeurs assignees a la classe des « possedes» seront reperees indirectement a cette meme situation d'enonciation, par une mise en relation avec un des « possedants )'. Cette obligation de reperer d'abord Ie « possedant » et de construire, a partir de ce pre mier reperage, celui, mediat, du possede resuIte du semantisme d'avoir dans sa relation a un point de vue interne-partiel sur les notions qui viennent instancier la place des « possedes ». On cons truit ainsi une relation d'appartenance-inclusion entre l'ensemble defini par la propriete p et toutes les valeurs notionnelles qui, ctant pourvues de cette propriete p, appartiennent a cet ensemble. La propriete ( ) etre audacieux, par exemple, definira la classe de tous les individus, si divers soient-ils par ailleurs, qui « ont de l'au dace ». Ce qui necessite qu'on repere d'abord des individus deter mines et par rapport a ceux-ci la propriete ( ) etre audacieux. Un tel ordre de reperage, qui decide de l'orientation referentielle de la glose, apparalt a la lumiere des paraphrases synonymiques en : un homme, son audace, ou : l'audace d'un homme pour un homme auda cieux. Le possessif indique ici clairement que homme sert de repere a audace, consideree donc uniquement dans son rapport d'apparte nance a homme. Le relateur concerner, aSSOCle a une classe de « concernes» vue globalement de l'exterieur, institue une orientation referentielle exactement inverse de celle liee a avoir. Il suffit, pour s'en convain cre, de comparer l'ordre des termes dans les paraphrases d'un homme audacieux a celui que revelent les memes types de para phrase appliques au syntagme, la theorie jreudienne: Freud, sa theorie, la theorie de Freud (et non: + la theorie, son Freud). Ce qui implique Ie reperage de theorie par rapport a Freud, et celui de Freud par rapport a la situation enonciative-origine, car un terme ne peut servir de repere s'il n'est lui-meme determine, c'est-a-dire repere a une situation d'enonciation. Comment une notion adjectivee qui, no us l'avons vu, est toujours reliee a une autre notion substan tivee va-t-elle constituer Ie repere principal du syntagme nominal auquel elle appartient ? S'il est vrai, comme 1e dit O. Ducrot, que Ie substantif est « un element necessaire de toute demonstration », car « l'acte de demonstration n'est acheve que grace a la presence d'un nom, necessaire pour delimiter l'objet indique »C'), la seule fa<;on d'octroyer a l'adjectif Ie role de repere premier, tout en Ie reperani a la situation d'enonciation par l'intermediare d'un substantif, sera de Ie reperer plusieurs fois. N ous ne retiendrons ici que l'operation (9) Cf. O. Ducrot, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972, p. 242.
""T
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1H1~"'E TA~J]H-~JECZ L'.\DJECTIF DE RELATION
de repcrage relative au meta-enonce, reservant provisoirement l'examen des autres reperages qui vont intervenir lors du passage de ce meta-en once definitoire a un enonce particulier.
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nombre de ceux ont cette meme propriete. Mais tout un ( ) qui ( ) a de l'audace ne s'identifie pas au domaine notionnel defini par la propriete ( ) etre-audace. Car, com me chacun sail. avoir n'est pas etre.
Une des caracteristiqlleS fondamentales de l'adjectif qualificatif est, on Ie sait, de presenter une notion de maniere compacte, il1ter disant toute fragmentation, puisque l'adjectif, a la du n'a pas la capacite de construire une classe d'occurrences a partir d'un notionnel defini. Ainsi l'adj la notion ( ) etre-instrument et non des OCcurrences de la classe batie sur cette notion: un, des Au niveau de la nanmhrase l'adjectif, soit renverra a la notion qU'iJ de maniere vague, en la distinguant de tout ce qui n'est pas elle : ce qui est instrument, par opposition a cc qui n'est pas instrument; soit determinera cette notion a l'aide du seu] reperage possible: celui du domaine notionnel par a lui-meme, auto-reperage circulaire qui eqllivaut approximativement a : est instrument ce qui est instrument, par excel lence, puisqu'il s'agit d'une relation symetrique.
L'orientation referentielle propre a ces deux de gloses n'explique-t-elle pas la possibilite ou l'impossibilite de la cons truction attributive avec les adjectifs repondant a ces definitions? L'orientation referentielle imposee par etre relateur attl'ibutif coYncidant avec celIe qu'impose avoir dans ces les adjectifs du type avoir accepteront la construction attributive, en regIe gene rale. Par dans la glose : ce morceau a de la musicalite et dans Ie attributif : ce morceau est musical, c'est marceau sert de a la musicalite. Avec concerner, au contraire, on a une orientation inverse de celle determinee par puisque dans un tel que la critique musicale, dans un pre mier temps par rapport a musique, de son cote deja auto reperee. D'ou Ie blocage de la construction attributive qui exige un reperage de musiq1te par rapport au repere critique. Blocage disparaitra, des qU'on aura affaire a une construction contrastive: cette critique n'est pas musicale, mais litteraire, parce qu'alors musi cal devient par rapport au domaine notionnel gEmerique critique, un sous-domaine qui s'identifie a sa propriete dHinitoire ( ) etre musique, et se localise dans la critique.
Comme Ie « concerne» constitue Ie principal r(~ferentiel dans les definitoires en concerneT, il recevra au moins cette determination par auio-reperage. N'est-ce pas la raison pour laquelle Ie terme qui vient instancier la place du « concerne renvoie obli gatoirement a un domaine notionnel vu dans son integralite: les c'est-a-dire a la fois les L'auto-reperage obligatoire du « concE'I'ne» impUque que Ie de tout autre chose qui n'est pas domaine notionnel qui instancie cette place permette la construction Mais pour pouvoir etre d'un substantif design ant la classe correspond ant a cette notion, il faut que Ie puisque, nous l'avons vu, seul Ie nom ala capacite de constituer un par une propriete definitoire telle que, des qu'nn cons objet» selon l'expression d'O. Ducrot. N'est-ce pas la l'aison pour truit une classe a partir de cette notion, toutes les occurrences de laquelle de relation est en avec un substantif cette classe soient identifiables grace a cette qui leur est rHere a la meme notion que lui, affinite Ie plus souspecifique. Ce qui revient it poser une relation (symetrique
vent marquee par un radical commun et une differenciation suffi et reversible) entre chaque occurrence d'une classe notionnelle et la
xale? II n'est pas necessaire que l'adjectif soit derive de ce substan ~. propriete definitoire qui structure Ie domaine notionnel associe a
tif bien que ce soit la regIe generale il suffit qu'il puisse etre cette classe. Soit, en prenant pour exemple instrumental: tout ins
mis en correlation avec un nom designant la meme notion que lui: trument est instrument et tout ce qui est instrument est un instru
d'ou les adjectifs de relation relies a des radicaux savants (aqua ment ou encore: Freud est qui est Freud. tique/eau, ville/urbain) d'ou encore la possibilite de former des adjectifs de relation sur un radical verbal, a condition qu'il existe Dans Ie cas des gloses en avail', un tel auto-reperage est exclu,
un substantif deverbal renvoyant au domaine notionnel defini par du fait que les notions qui instancient la du possede» ne
l'adjectif (respiratoire/respiration, circulatoire/circulation) (10). sont pas reliees par un rapport d'identification a celles
la place du « possedant On a donc affaire ici a une relation asyme Enfin Ie fait que l'adjectif de relation etablisse un rapport entre no'cionnel « concernant» <:t toute une classe de «con non situant des occurrences de classes notionnelles dans un domaine notionnel qui ne se confond pas avec ceux que recouvrent ces classes de notion, bien que tous ces domaines la plupart des adjectifs deverbaux et les aient en commun la propriete definitoire du considere. Par nent pas d'adjectifs interpretables re;~~~~~~:~~,e~~n~~; c'est qU'ils ne tout individu qui a de l'audace possede sans etre iden deflnissent pas la notion verbale (Ie indique par tifiable au moyen de cette propriete non definitoire _ la propriete Ie verbe), mais les classes d'agent ou associees it la notion ver ( ) audace, et pourra toujours, par consequent, etre «localise» au bale, par exemple: les deverbaux en -eur de type agentif: berceur, menteur, etc., ou les deverbaux de type passif. <
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L'.\DJECTIF DE BELA TlON
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lHtXE
131
T.\~fI3.\-:\IT·:CZ
cernes» rattaches a un autre domaine notionne1 rend compte de la valeur classifiante, plut6t que qualifiante de ces adjcctifs. Le syn tagme musique instrumentale, par exemple, designe Ie domaine de la musique restreint a celui de Ia musique pour imtruments. On comprend ainsi Ie succes des formations comportant des adjectifs de relation dans les terminologies techniques et scientifiques qui proce dent a des classements hierarchiques de notions emboitees par parti tion d'un ensemble notionnel en sous-ensembles specifiques. Quant aux adjectifs qui connaissent un emploi tan tOt qualitatif, tan tot relationnel, il semble que ce soient des adjectifs de relation devenus adjectifs de qualite par glissement metaphorique ()u meto nymique, comme l'indique 1a glose fn§quente de l'interpretation qualitative par qui ressemble a. Ainsi un style hugolien n'est pas Ie st~Jle qui concerne Hugo, mais qui ressemble a celui d'IIugo. Cette qualification ana10gique consiste donc a reperer l'occurrence d'une sous-classe notionnelle en l'identifiant a celle d'une autre sous-classe d'un meme domaine notionnel (celui de style ici), ce qui revient a lui attribuer, a travers la fiction d'une analogie, la propriete definitoire de la classe repere (ce qu'on pourrait appeler dans notre exemple, «l'hugoleite »). Ce reperage, se faisant par localisation-inclusion, presente donc la meme orientation n:,ferentielle que les schemas d'enonces attributifs (son style est hugolien). On peut reconstituer ce processus d'identification analogique, meme la ou il ne laisse pas de trace dans la glose definitoire. L'emploi qualitatif de musical, par exemple dans un jeu musical, ne s'explique-t-il pas par un transport metonymique qui attribue a jeu la propriete definitoire de la notion musique : la musicalite? De tels glissements de sens etant courants, on ne s'etonnera pas que la plupart des adjectifs de relation soient susceptibles de devenir qualitatifs-appreciatifs, dans la mesure OU une proprietc definitoire cesse d'etre identifiee a toutes les valeurs de la classe qu'elle definit, des qu'j] n'y a plus auto-reperage mais reperage a une autre notion. En revanche les adjectifs derives de notions essentiellement qualitatives seront incapables de se preter a une interpretation rela tionnelle. Comment en effet un domaine notionnel resultant de 1a reunion de plusieurs domaines heterogEmes, et donc necessairement dMini par rapport aces domaines, pourrait-il etre pose de maniere autonome et reperc par rapport a lui-meme? De maniere plus concrete, comment reperer par exemple la classe des attdacieux par rapport a elle-meme, alors que chaque audaciettx a une audace particuliere determinee par repcrage de la propricte audace a une certaine audace qui est l'audace de quelqu'un. 5. Du meta-enonce definitoire Ii l'enonce d'un adjectif de relation Les caracteristiques referentielles des periphrases en avoir et concerner que nous venons de relever, sont en fait transferables a tous les adjectifs qui rec;oivent ces deux types de gloses, puisque, par
convention, la definition lexicographique equivaut au defini. Mais l'adjectif auquel s'appliquent ces definitions n'est pas identique a celui qu'on trouvera dans un enonce. Le terme servant d'entree a un article de dictionnaire symbolise I'invariant de toutes Ies occurren ces possibles de ce terme et se definit en dehors de tout contexte. 11 correspond a un "preconstruit» theorique, deduit de divers cons truits et permettant de re-construire ceux-ci. L'absence de tout reperag e enonciatif precis au niveau de la definition revele Ie carac tere d'enonqable de celle-ci et par suite de l'adjectif qu'elle definit.
pour devenir terme d'un m € once, cet enonc;ahle va faire l'objet
d'operations d'cnoneiation-predication, qui vont construire ses va
leurs referentielles en Ie rattachant a des situations d'enoneiation
determinees. Chaque operation va assigner a l'adjectif une nouvelle
valeur en l'integrant a des structures relationnelles speeifiques,
construites par chaque enonciation. Ce qui explique que l'adjectif ainsi "module» par ajustements successifs a une situation cnoncia tive particuliere ne soit plus l'equiva1ent de sa definition, qu'on ne pourra, dans ces conditions, lui substituer. Ce qui explique egalement les variantes qu'on observe d'un dictionnaire a I'autre dans 1a defi nition des adjecti!s. Les 1exicographes, se p1ac;ant a des niveaux d'analyse differ-ents et mal determines, integrent a 1a glose clefini toire des valeurs resultant deja de la relation de I'3djectif a un domaine notionnel determine. Bref, Us confondent Ie « preconstruit avec differents degres de « construit ». Nous n'aborderons pas ici Ia description detaillee de ces mises en relation enonciatives d'un adjectif de relation. Nous ne ferons qu'en esquisser Ie derou1ement schematique sur un exemp1e: la musique instrumentale. Ainsi que nous I'avons dit, au niveau de l'enonc;able on a affaire a une notion auto-reperee : les instruments instruments, a l'exclusion de tout autre chose qui n'est pas instru ment et a l'inclusion de tout ce qui est instrument, et a une notion adjectivee, que l'on doit envisager relativement a une autre notion nominale. Cette derniere est iei la musique. On reperera ensuite cette notion a celle d'instrumental : musique qui cone erne les instruments. Puis cet ensemble relationnel (musique qui concerne les instruments) sera repere par rapport a une situation enonciative, en s'identifiant a une musique determinee, reperage dont Ie predeterminant de tete est la trace' Ia musique instrumentale. Si Ie referent est une musi que et non les instruments n'est-ce pas parce que, comme Ie dit O. Ducrot, « Ie nom permet de constituer un objet, alors que l'adjec tif distingue un objet deja constitue d'un autre» (11)? ce qui fait que Ie designe est ici la musique spccifiee par rapport aux inst1'u ments, et non l'inverse. Ces differentes operations de reperage devraient pouvoir rendre compte des trois types d'interpretation que peut presenter un adjec tif de relation. 1. L'interpretation identificatrice : la chaleur estivale (11) Cf. O. Ducrot, op. cit., n. 9, pp. 242-3.
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lRE!\E TA~lBA-)IECZ
(une chaleur identifie d celle de l'ete, avec article defini devant ete). 2.L'interpretation sous-dassificatoire en espece: une chaleur esti vale, par opposition a d'autres chaleurs: une chaleur d'ete, d'au tomne, etc. (avec article zero devant ete). 3. L'interpretation quali tative analogique: une chaleur estivale, une certaine chaleur dis tincte de celle de l'ete, mais comparable a cette derniere : une cha leur, pour ainsi dire, d'ete (avec article zero devant ete). Et les « reactions» semantiques des deux domaines notionnels mis en rapport par concerner devraient egalement intervenir et contribuer a construire les valeurs referentielles propres a chaque enonce comportant un adjectif de relation.
Strasbourg.
Irene TAMBA-MECZ
« DE » prefixe adverbial
On sait que Ie prefixe de des adverbes fran<;ais comme dessous, dessus, derriere, dehors remonte au latin vulgaire ou desubtus, desursum, deretro, deforis etaient encore consciemment analysables en de subtus, de sursum, de retro, de foris : il y a filiation phoneti que de la preposition de au prefixe de-, et pourtant que retrouve t-on dans celui-ci du contenu semantique de celle-la? Dans une phrase comme :
Il arrive de la rue. la preposition exprime encore, comme en latin, la relation locale d'Cloignement, de separation; elle a Ie « sens unde ", car la phrase repond a une question avec « d'ou », telle que: D'ou arrive-t-it ? Au contraire, dans des phrases comme :
Il arrive dehors.
Il couche dehors.
Ie prefixe de- n'indique plus separation; il aurait plut6t Ie « sens quO» (lieu ou l'on va) et Ie « sens ubi » (lieu au l'on est), si Ie fran <;ais n'avait confondu ces valeurs sur lesquel1es il questionne indiffe remment par l'adverbe ou: OU arrive-t-il ?
OU couche-t-il ?
De parait etre devenu une simple marque de cIasse grammati calc, un morpheme d'adverbe: il oppose respectivement dessous, dehors, dedans en tant qu'adverbes aux prepositions sous, hOTs, dans; comparer :
La bouteille de gaz doit etre hors de la maison. La bouteille de gaz doit eire dehors. L'absence de toute trace de seme separatif dans Ie prefixe du compose dehors explique seule qu'on puisse faire preceder ce mot de la preposition de, separative:
D'ou vient-il ? -
Il vient de dehors.
Cette derivation etait recursive en latin, puisque la suite de intus, apres avoir engendre en bas latin l'adverbe (non separatif) deintus, auquel remonte l'adverbe ancien fran<;ais denz, a engendre
, DE
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I'Rl~FlXE ADYERBJ\L
IfE)\l\l DO:-;)\ARll
par Ie meme processus I'adverbe non separatif dedeintus, auquel remonte l'adverbe fran<;ais dedenz (ecrit aujourd'hui dedans). L'an den fran<;ais connait enfin Ie compose dededans a valeur adverbiale non separative; Nul meillor chevaHeT cha dededens n'avom. (Godefroy de Bouillon, 201) Ces possibilites de composition ont ete etudiees par Mme M. Perret dans un article de Langue fram;aise (nO 40, decembre 1978, pp. 18-30). Du tableau qu'elle dresse a partir d'un ensemble de 600 locutions ({ tire des dictionnaires et grammaires de la langue des XI"-XVIC siecles», il ressort que la recursivite immediate (c'est a-dire sans autre element interpose) se renconire exclusivement pour Ie prefixe de- ; dans les sequences comme en envers, en environ, Ie premier en est la preposition, dans un de ses sens ordinaires, qui ne s'est jamais soudee a l'adverbe suivant. Pour expUquer la formation d'un adverbe comme deden2 ou dededenz, il faut ecarier !'idee de' redondance, car un tel besoin de renforcement aurait engendre aussi bien des adverbes comme *soussous, *sussus, *forisforis, qui pourtani n'ont pas existe ; il aurait affecte les prepositions en tant que telles, et l'on aurait dit *adad, *perper, composes qui n'ont pas existe, non plus que *dede. Le processus de formation a ete tres savamment analyse et decrit par Torsten Savborg dans sa these publh<;e a Upsal en 1941 : Etude sur Ie role de la preposition « de» en latin vulgaire et en ancien gallo-roman. Une seule fHiere rend compte de tout; Preposition Ex. : de
+
+
Adverbe --c.- Adverbe compose.
retro --c.- deretro (fr. derriere).
Une fois cree, l'adverbe tend a recevoir facultativement un regime (derriere Ie mur), devenant alors preposition sur Ie modele d'un grand nombre de mots du latin vulgaire qui avaient les deux fonctions. Selon S§.vborg, I'emploi adverbial du mot compose precede toujours l'emploi prepositionnel. Un des grand merites de sa these est d'etablir historiquement, a force de depoUlllements et d'exempli fication, cette qui, simplement postulee, n'aurait pas suffi a etayer la solution de notre probleme. Quant
a une
filiere comme
Preposition
+
Preposition
Preposition composee
elle n'a etc normale ni en latin ni en fran<;ais. Une sequence comme de chez dans Je viens de chez Paul n'est pas un syntagme : de y introduit un groupe prepositionnel chez Paul (ou chez toi, chez Ie coiffeur) en marquant la relation de lieu (sens « dou ») qui unit ce complement au signifie verbal; dans un tel contexte, de conserve
son semantisme de preposition, et ne sera jamais soude a la prepoe sition suivante au point de constituer une locution prepositionnell *dechez. Il en est de meme si de n'a que son sens « possessif " d'intro ducteur d'un complement de nom: Ie cdte de chez Swann. Une exception comme de par (Je vous salue de par Ie roi) n'est,
on Ie sait, qu'apparente : par (souvent ecrit avec -t au Moyen Age)
v remonte au nom latin parte, et l'ensemble de par Le roi signifie
"" de la part du roi
».
«(
Savborg mentionne pourtant par preterition puisqu'el1es n'ont
rien a faire avec la question dont nous nous occupons», ouvrage
cite, p. 63) les combinaison:-; de deux prepositions synonymes : de +
ab, de + ex (ir. des) ou Joseph Hermann (Le Latin vuLgaire, p. 100)
voit des redondances de la langue vulg aire . lei Ie besoin de renfor
cement s'accompagnait du besoin de restaurer par un appoint de
matiere phonique 1a preposition ab con fondue avec ad devant con
sonne, et la preposition ex en voie de disparition. Un autre grand merite de Savborg, sa principaIe "trouvaille », est d'avoir rompu avec l'opinion traditionnell e -- deja exprimce par les grammairiens latins selon laquelle la creation par coalescence d'adverbes tels que deforis a sens non separatif aurait (~te l'aboutis ris sement d'une sorte d'usure des sequences telles que de fo ou de aurait eu initialement Ie sens sE'paratif (comme de en franc;ais dans la phrase n vient de dehors). Observant que les adverbes comme deforis ont beaucoup moins souvent Ie sens «d'ou» que Ie sens « ou", Savborg tient pour probable que la fonction non separative 6tait originelle dans ces adverbes, et il explique Ie recours a de (ou ab dans les seque:1.ces comme a fariS, ab intus) par l'imitation des locutions anciennes a base nomi.nale comme ab interiore/ exteriore parte, ou l'emploi de ab, auquelle latin vulg aire a toujours substitue de, n'avait pas Ie sens separatif : ab y indiquait, par exception a ses valeurs habituelles, la direction comme dans ab oriente (a rest), a fTonte (de froni), a tergo (par derriere). Au cours des sieeles, eL particulierement en gallo-roman, de assuma par predilection cette fonction de prefixe servant seulement a caracteriser les adverbes de lieu relatifs» (p. 184). A propos de desursum (fr. dessus), Siivborg ecrit : Nous pensons que la composition avec de a justement eu lieu afin de preciser Ie sens de repos de l'adverbe ; puis ce prcfixe et l'adverbe se sont soudes pour ne plus former qu'une seule parti cule exprimant l'idee de 'ou'. » (ibid.). Tout en adherant a l'explication du sens non separatif de de par Ie modele les locutions comme de (interiore/ exterim'e/sinistra/ altem, etc.) parte, on peut tenir ce modele pour une condition per missive (un catalyseur) plutot que pour la cause de la prefixation. J'emprunterai pour cela a Savborg des materiaux qu'il nous livre sans en tirer lui-meme tout Ie parti possible.
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lfE)lRI BO)l~ARIJ DE" I'RI::F1XE AllYERlll.\L
Analysant scrupuleusement Ie sens des sequences de adverbe en latin vulgaire, il ne manque jamais de faire etat d'emplois {( sepa ratifs» it c6te des emplois " de repos », voire «de mouvement (au sens «quo »). Ainsi, pour deforis (p. 75) : Lumen autem de foris non affertur (Voyage d'Etherie, XXIV, 4) Collirio intus oculum curabis, deforis autem tetrafarmaco (Chiron, 23, Pour desursum (p. 89) . De surso deorsum ducendas sunt manus (Oribase, IX, 348, 9) Radix de susu una est, de jusu plures (Dioscoride, II, 245, Cette dUalite de sens (unde ubi lou quo!), mise en evidence tout au long de sa these, aurait dO. I'amener it douter que de ait ete choisi pour «preciser Ie sens de repos» de l'adverbe, alors que Ie sens separatif, dans I'emploi prepositionnel, gardait toute sa vitaliU; en roman, en gallo-roman, en fran<;ais, supplantant meme ab et ex dans cette valeur. Un mot polysemique peut-il servir a opposer entre eux les differents sens qu'il exprime? Bien plus satisfaisante est l'explieation que l'on peut trouver dans Ie domaine syntaxique. La tendance des adverbes it clevenir prepositions est, dans I'his toire du latin, un fait constant qui n'est pas lie au sens des mot~ interesses. Par exemple, en bas latin, l'idee d'accompagnement etait exprimee par la preposition apud, devenue en fran<;ai;; 0 : 'l'ouse fiIle] gaie o ses mot.tons
'l'rovai sanz compegnons.
(GUillaume de Dole, 4576-78) . Associe it un pronom regIme neutre, apud donna un adverbe
apudhoc dont l'aboutissement fran<;ais est l'adverbe avuec (ovuec) :
Et La pucelle vint Ovoeques (ibid., 5001)
Bien qu'il ait ete forme en ajoutant a la preposition un reglme representant Ie terme «but de la relation qu'eUe denotait, cet adverbe en vint it exprimer it son tour la relation pure, et la desi gnation du terme but fut deleguee it un nom ou pronom regime: Or deiist servir ovoec ciaus
QUi sont jieve d'ancese1'ie (ibid., 5406-08).
Chacun des adverbes simples etudies par Savborg a tendu a subir cette evolution, deja remarquee par Priscien (P. 83). Foris,
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adverbe en latin classique (p. 7:3), fut preposition en "latin deca dent» (Gaffiot), et Savborg en donne p. 79 des exemples dont les plus anciens sont d'Apulee ou de l'Itala (saint Matthieu). lntus, adverbe en latin classique (p. 81), fut preposition chez les poetes a partir de Lucn2ce (p. 8:3). Su.per etait des l'epoque classique adverbe et preposition; son concurrent sursum etait adverbe, mais Savborg a releve un exemple d'emploi prepositionnel dans Ie latin tardif des arpenteurs (GTOmatici veteres, 308, 16: sursum monte). Subtus, adverbe c1assique, se rencontre en bas latin comme preposition 91). Ante etait adverbe et preposition a l'epoque classique; son derive antea etait adverbe. Retro, adverbe de lieu et de temps en latin classique, etait preposition a l'epoque postclassique (p. 97). Contra etait les deux a l'epoque classique. Juxta aussi. La double appartenance morphologique d'un mot n'est pas sans inconvenient pour l'expression, surtout a une epoque ou toutes les prepositions gouvernaient un cas unique confondant Ie datif, l'aceusatif et l'ablatif, et pouvant aussi bien marquer la fonction objet direct. L'absence de regime dans l'emploi adverbial pouvait en trainer soit la confusion d'un objet direct avec un regime de la preposition, soit un sentiment d'incompl(>tude tel qu'en eprouvent les Franc;ais d'aujourd'hui quand un mot comme avec, pour ou sans est construit absolument (oratio imperfecta pour Priscien, oraison imparfaite pour ses successeurs et disciples fran<;ais). S'il en fut ainsi, on comprend que lcs Latins. puis les FranGais, aient cherche a readverbialiser les mots devenus prepositions, ou du moins a marquer clairement leur emploi adverbial. Plusieurs faits peuvent etre interpretes comme des tentatives en ce sens : L'adjonction d'un pronom regime: c'est Ie cas pour ante ipsum, etymon probable du franGais ainc;ois ; Ie proced6 adverbialise meme de pures prepositions comme il est montre plus haut pour apud hoc (fr. avuec) et comme l'adverbe ancien fran<;ais ades (lat. ad ipsllm) en donne un autre exemple. - La substitution a une prepositi(ln de sens comparatif comme ante, post d'une forme calquee sur les comparatifs neutres adverbia lises : *antius (fr. ainz), "'postius (fr. puis), imitant melius et superills, etc.
- L'anteposition d'un adverbe deictique : "'ecce haclillac intus (fr. c;aienz/laienz), "'ecce hac/mac deorsllm (fr. r;a.111s/1ajus); fro la mont, laval et, avec surcomposition, r;a/la dedans/dessus/dessous, etc. -
La construction prepositionnelle de l'adverbe :
Faire preceder l'adverbe d'une preposition, c'est lui donner la valence d'un substantif, en faire Ie terme but, donc presume final, d'une relation dont l'expression abstraite est assumee par la prepo sition. Le « but» d'une relation est en mathematique un « ensemble» 5'
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DE" PHEFIXE ADYEl\IHAL
et l'on sait qu'un ensemble se compose de n'importe quoi, pourvu qu'une propriete (a defaut d'une designation extensive) Ie definisse. Proust intitule un de ses romans Du cote de chez Swann, un autre Le cote de Guermantes: les deux titres definissent un ensemble aussi nettement l'un que l'autre, et Ie changement n'est motive que par la delicatesse du styliste. De la meme maniere, Ie syntagme de Finterieur est h~gitimement remplac;able par de dedans, en latin de interiore parte par de intus ; a l'epoque ou intus pouvait etre adverbe ou preposition, deintus etait marque comme adverbe, parce qu'intus y devenait l'equivalent d'un nom comme interior pars.
repoS» (p. 184). II reduit ainsi aux expressions du lieu un pheno mene plus general, qui explique aussi bien la prefixation de puis dans l'adverbe temporel depuis. On voit d'ailleurs mal pourquoi intus, par exemple, ne se suffirait pas pour exprimer « la situation d'un lieu relativement a un autre . Enfin Savborg sans doute s'il pense a la preposition ab (et non ad) quant il note p. 215 que les adverbes de temps, a la difference des adverbes de lieu, ont une predilection pour Ie prefixe a-, d. adont, atant, anuit, alors et, subst., au matin, au soir, etc. ». avec la preposition d
Il ne lui a pas echappe que, des l'epoque latine, des mots com poses a valeur adverbiale comme desllper correspondaient a des QuelJe preposition choisir ? La plus con forme au semantisme de simples pouvant etre prepositions comme super (p. 25) ; mais il s'en l'adverbe, la mieux congruente a tous ses emplois. En latin, in. qui autorise pour supposer avec Lofstedt que latus preposition aurait pouvait signifier "sur» (in rnuro) ou contre» (In Catilinam ora ete forme par deprefixation sur l'adverbe delatus. II etend (p. 139) tiones) a servi a former insuper (<< dessus »), incontra (<< contre») ce type d'explication a plusieurs autres cas, faisant des prepositions pour adverbialiser les hybrides super et contra. Mais dans Ie domaine coste, viron, chez les derives regressifs des adverbes decoste, environ, des adverbes de lieu, ou l'opposition latine « unde ubi quo »/ enchez. II reconnait cependant que « nous ne savons pas avec assez « qua» s'etait simplifiee en roman jusqu'a devenir l'opposition de precision a quelle epoque ces changements se sont ope res : si {( d'ou OU» du fran<;ais, la preposition de dut peut-etre sa for tune a la polysemie qui permettait de l'employer au sens unde » c'est dans Ie latin vulgaire ou dans Ie franc;ais prelitteraire». En l'absence quasi totale de textes a l'appui, pourquoi ne pas s'en tenir comme au sens « ubi» ou « qUO» : de Ia desuper qui des l'epoque classique concurren<;ait super et insuper selon Siivborg (pp. 65 ss.). au processus general d'evolution decrit ci-dessus? Mais on suit L'ancien fran<;ais a perpetue toutes ces formes: sore, ensore, desore, Siivborg plus volontiers quand i1 suppose (p. 321), avec Gerdau entre encontre. autres (Die franzosische Priiposition « en 1909), que la preposition dans, dont l'usage se developpa dans la seconde moilie du XVI" S., Un complement peut etre greffe sur un complement. Tout terme fut creee a partir de de dans ; en effet l'ancien denz (XI!"), hybride, but d'une relation peut, s'i! re<;oit lui-meme un complement, devenir n'apparalt que tres rarement dans les textes, pourtant nombreux, une sorte de relais dans l'expression d'une relation complexe; de l'ancien et du moyen franc;ais (1) ; Ie naufrage de en (meconnaissa compareI' : ble dans les formes d'article contractees ou et es) a d'nilleurs contri bue a faire naitre ou renaltre Ie monosyllabique dans autant que Nous allions de ce cote.
l'antonymie de hors, nybride oppose a l'adverbe dehors. Nous anions du cote de ( vcrs) Guerrnantes.
Dans la premiere de ces phrases, cote est un nom comme pou vaient l'etre les mots latins latus et costa; dans la seconde, du cote de prend un sens relationnel abstrait, comme ce fut sans doute Ie cas en latin parle pour latus qui devint preposition (d. a. fr. lez ~a fontaine), et en bas latin pour costa (d. a. fr. coste la fontaine). Rappelons que ces mots, readverbialises en deIa.tus, incosta, decosta (adverbes, puis prepositions), ont donne en fran<;ais les hybrides delez, encoste, decoste. De Ia meme mamere, insuper, incontra, desuper sont devenus hybrides comme Ie sont en ancien franc;ais ensore, encontre et desore. Il n'est pas question, dans les limites du present article, d'etu dier historiquement, ni meme d'enumerer tous les cas de readver bialisation par prefixe prepositionneI. Le travail est fait dans une tres large mesure par Savborg a qui 1'on ne peut l'eprocher que d'avoir donne la primaute au facteur semantique : expression de la «situation d'un .lieu relativement a un autre» (p. lOB}, du sens de
On sait que Ie souci, chez les grammairiens du XVII" s., de distinguer les adverbes des prepositions mit fin a l'hybridite de dessous, dessus, dehors, de dans, auparavant (v. Brunot, H.L.F. III, pp. 626-29). Faut-il y voir l'effet d'une tendance obscure heritee de l'epoque latine? Tendance hereditaire n'a pas de sens pour un lin guiste : les memes causes ont simplement les memes e£fets, indepen damment de l'epoque et du lieu. Faut-il plutOt supposer chez les hommes du Grand Siecle la decouverte consciente du principe general defini ci-dessus (fonction adverbialisante de la preposition prefixee)? Hypothese defendable, encore qu'ait pu jouer confuse ment la recherche d'un equilibre rythmique entre les suites equiva lentes Preposition + Nom comme saus le to it et Prefixe + Preposi tion comme dessous. (1) Mile
Marchello-Nizia, dans son Histoire de la langue /rant;;aise aux XIV· et XV· s. (Bordas 1979, p. 272), en donne de plus nombreuses references d~nt
plusieurs sont empruntees it Tobler-Lommatzch, C. Fahlin, Bek kers, Shears, mais la majOrite des textes invoques sont d'une aire ou l'influence du proven\;al dinz est possible.
DE, I'I\l~FIXE .\])YElml.l(
140
141
lIE'\m l\O'\,\,IRD
Il faut en tout cas reconnal'tre que la distinction n'a pas depasse un nombre tres reduit de microsystemes antithetiqucs OU les condi tions etaient les meilleures : il existait des prepositions simples S01LS, snr (prononce souvent [su]), hors a c6te des composes dessons, desslLs, dehors. Si pres n'est pas devenu la preposition d'un adverbe et si Ie premier a pu exprimer la proximite surtout locale pendant que Ie second exprimait surtout l'uIteriorite temporellc, c'est proba blement parce que l'antonyme avant n'etait pas scindable en a *vant; si derriere, comme apres et avant, resta hybride, c'est que riere avait disparu depuis longtemps et que l'antonyme devant n'etait pas non plus scindable. Ainsi les couples antithetiques avant/ apres, devant/ derriere resterent-ils hybridcs sans qu'aucun gram mairien en flit choque. Un obscur instinct analogique est sans doute a l'origine de la creation d'un adverbe de sans, dont fait etat Lucien Tesniere dans ses Elements de lingtdstiq1te strttcturale, et que l'on entend dans une parlure plebeienne ou rurale; l'analogie est sans doute phonique (sans/ de sans comme [su)/ desslls et SOtts/ dessous), car l'antonyme avec n'a pas de forme adverbiale prefixee. Ce derive sans tradition ecrite echappait de toute faG on au champ d'etude de n'exprimant Ie lieu ni par nature ni par figure. S'il fallait resumer Ie present article en plar.;ant tous les fait;.; dans une perspective historique, je dirais d'abord, avec les indo europeanistes depuis Hermann Paul: au commencement etait l'Ad verbe. Une premiere loi d'evolution (recursive) s'ecrirait: Adverbe -,.. Preposition. La prefixation de defense se formulerait alors : Preposition
Hybride -)- Adverbe compose.
Il n'est pas exc1u que cette formule, par af)plication inverse analogique, ait donne naissance a des prepositions: dans d'apres de dans, et selon Savborg lez, coste, viron, chez d'apres delez, decoste, environ, enchez. Hypotheses theoriquement plausibles, a confirmer par les textes. Dans Ie champ des adverbes de lieu, Ie prefixe de eut la prefe rence en bas latin, sans doute pour la valeur tres abstraite qu'il avait anciennement dans les locutions du type de ... parte. Cette vacuite de semantisme rendait possible son emploi recursif. Les ecrivains fran<;ais ont eIimine au cours des siecIes les sur composes comme dedevant, dedesso1Ls, qui ne disaient pas plus que devant, desso1Ls. Leur defaveur peut n'etre due qu'a l'aversion du fran9ais pour la repetition du morpheme de dans une meme fonc Hon; la meme repugnance explique qu'on n'ait jamais dit : *Il est
accuse de de grands crimes (v. mon article SUl' une regIe d'efface ment en moyen franc;ais, dans Sernantique lexicale et semantique grammaticale en moyen jranc;ais, Actes du Colloque tenu a Bruxel les les 28-29 septembre 1978, publies par Marc Wilmet, V.U.B.). La conscience d'une valeur preposition nelle des formes simples par opposition aux formes prefixees en de- fonctionnellement hybri des a peut-etre amene la creation de dans par les ecrivains du XVI" s., si vraiment ce mot ne continuait pas l'ancien hybride denz du Moyen Age. En tout cas, les grammairiens du XVII" s. ont expli citement condamne l'emploi prepositionnel des formes en de- aux queUes correspondait une forme simple : sous/dessouS). Ce retour intuitif aux sources ne depassa pas l'interpretation et Ia repartition fonctionnelle des formes conservees. Aucune prefixation nouvelle n'en decoula, et Ie fran<;ais commun n'a jamais admis un adverbe comme "'de sans dont on ne saurait dire s'il est une creation ou une survivance de Ja langue populaire.
Paris X-Nan terre.
Henri BONN ARD
Lexique, semantique et grammaire dans la voix verbale en fran~ais La verite linguistique avant tout» G_ Moignet, Correspondance, nov. 1972. Les derniers seminaires de Gerard Moignet avaient porte sur Ie probleme de la voix. La maniere dont il avait aborde Ie sujet (1) etait surprenante tant elle sortait des cadres habituels. Nos questions temoignaient, par leur vehemence, de l'etat de surprise que nous eprouvions face it ce bouleversement. Nous devions en reparler apn?s les vacances ... Le dialogue a it notre grande peine, interrompu. Mais les questions sont encore la, brulantes. Quelques-unes meritent qu'on prolonge la meditation. Et d'abord celle-ci: it quels cadres morphologiques doit-on s'arr€ t er pour etudier Ie probleme de la voix? A ceux que la tradi tion a consacn?s, conjugaison active, passive, pronominale? A ceux plus substils a percevoir et que M_ Moignet voulait desormais mettre en lumiere: it l'aspect immanent, signifie lexical + morpho logie, it I'aspect transcendant et bi-transcendant, choix de l'auxiliaire -+ morphologie ? La perplexite est d'autant plus grande que si l'on tient compte pour une definition de la voix du signifie lexical du verbe on ne sait plus ou s'arrete la LANGUE et ou commence Ie DISCOURS. Et, en pedagogie, l'expose devient perilleux. Aussi, revenant aux fondements de Ia theorie, nous avons essaye de nous demander s'il n'y avait pas moyen de concilier les points de vue de fa<;on it repenser Ie probleme tout en integrant Papport nouveau. Pour commencer, il nous faut souligner avec M. Moignet que les denominations d'actif, passif, pronominal cachent beaucoup plus qu'elles n'en disent sur Ies phenomenes concernes. Qui n'a pas remarque que nombre de processus verbaux exprimes it l'actif signi fiaient un € t at du sujet: j'ai une migraine epouvantable, je suis prete Ii vous ecouter; une caracterisation: la chatte trone sur Ie ji
(1) On trouvera un expose de cette theorie dans Diathese et voix verbale. IJes verbes jondamentaux du francais (1980. SOllS pressel et dans Syste matique de la langue jrancaise (ii. paraitre).
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1..\ YOIX YElUL\U': EX FH.\:\C.\IS
.\XXETTE Y.\SS.\XT
du salon; un mouvemeni affectif dont Ie sujet est Ie j'ai ressenti un choc a l'annonce de cette nouvelle; une passivite : il a re~u un coup fatal? ... Qui n'a vu que la periphrase etre + participe passe est un veritable Janus dont il est difficile de deceler en discours la nature: passif? acEf: periphrase a valeur attribu tive? (2). Qui ne se laisserait tenter par la classification que la Grammaire du franc;ais classique et moderne C) propose des verbes pronominaux, integrant les uns avec les autres avec Ie passU, faute de trouver un trait de signification comm"m a tous les emplois des verbes pronominaux )) (§ 328) ? Le probleme, malgre la passionnante these de M. Stefanini (I), demeure entier. Les cadres de la morphologie verbale denommes passif, pronominal ont-ils une veritable autonomie morpholo gique? A cette derniere correspond-il une unite de signification distinctive et systematique? A la premiere question il a ete largement repondu dans la these de M. Stefanini C'). De l'actif au pronominal en passant par Ie passif, la distribution des formes est rigoureuse et ne souffre aucune ambigulte: FORME ACTIVE
PASSIVE
PRONO MINALE
ASPECT IMMANENT
TRANSCEN·· DANT
BI-TRANSCEN DANT
sujet : forme simple
idem.
idem.
verbe: forme simple
AVOIR p. passe ETRE p. passe
AVOIR+EU • p. passe AVOIR+ETE 1 p. passe
sujet : forme simple
idem.
idem.
verbe: ETRE+ p.
AVOIR ETE! p. ETRE + p. passe?
AVOIR+EU-l ETf: +p.
sujet : forme contl'astee
idem.
idem
verbe: forme simple
ETRE + p. passe
ETRE+EU+ p. passe
(2) On lira avec interet,
a ce
propos, I'article PASSIF du G.L.L.F. (Grand
Larousse de la langue jranqaise) ainsi que la discussion de ce par R. Martin (1971), p. 65. Cf. aussi infra, note 24.
probh~me
(3) 1962, par. 328. Nous renvoyons a la bibliographie en donnant comme reference la date de publication. (4) 1962. (5) 1962, chap. II. Pour Ie passif, cf. infra, note 24.
145
Sans doute Ie frant;ais ne possede-t-il pas une morphologie des vo integree au verbe: elIe est periphrastique pour Ie passif et ix exprimee par morpheme specifique, Ie pronom conjoint, pour Ie pronominal. S'il nous venait a l'idee de refuser d'admettre l'exis ten de cette morphologie du fait de son caractere extra-desinentiel, ce no refuserions, suivant If> meme raisonnement, celIe de us a l'oppose du latin, est aussi periphrastique (,l Une autre ques qui se pose est celle de savoir si on doit considerer comme LlUII constituant une voix speciale les verbes qui s'auxilient a l'actif avec
tTRE comme Ie suggere G. Guillaume dans son article Existe-t-il
un deponent en franr;ais ?
II resie, cependant, que si la these de M. Stefanini a fait la
preuve d'une morphologie pronominale autonome, distinctive, a la
suite de M. Moignet, de J.-C. Chevalier (X), d'autre<;; encore CO), il
nous apparait clairement que les criteres d'activite, de passivitc, de
voix moyenne avec dosage d'activite et de sont insuffisants
a determiner Ie caractere distinctif des cadres morphologiques au
du SIGNIFIE en de la forme. De je marche a je m'avance il n'y a guere de difference dans Ie rapport d'activitl; du sujet au verbe ; de je m'ennuie a je d'ennui la forme verbale n'empeche pas qu'au resultat soit exprimee l'idt'e d'un etat que subit Ie sujet ; de la branche casse ~I La branche se casse logiquement Ie sujet n'est pas actif et Ie verbal, hors de tout contexte, exprime une caracterisation du sujet comme l'exprimr:rait la bran che est cassable; de !a branche se casse a La branche est cassee, d'aucuns verront uniquement une difference d'aspect: processus verbal en cours de rt:alisationltranscendance de ce dernier et expres sion de son resultat.
Dans une optique guillaumienne, nous insisterons avec .f.-C. Chevalier eO), sur Ie fait, primordial a nos yeux, qu<~ ce n'est pas parce que des formes differentes expriment en discours des resultats semantiques sensiblement equivalents faut en conclure que les formes en question n'ont pas de signifie linguistique et ou'il n'existe pas de systematique de LANGUE. Les signifies de DISCOURS sont certes eqUlvalenlS mais on ne peut retrouver la structure «PROFONDE» des faits en reduisant les uns aux autres par transformation, effacement, etc., des mani festations de SURFACE ». (6) Monsieur Moignet soutenait, au COUTS de son seminaire sur la voix, n'y avait pas de morphologiC des voix en fran<;ais du fait qu'elle integnle a la forme verbale. (7) pp. 127-142. (8) 1978, pp. 78 et sqq., pp. 95. 131. (9) Cf. R. L. Wagner et J. Pinchon, Passim; Cf. aussi les article du G.L.L.F. sur les voix. (10) 1978, pp. 94-95. L'auteur fait ici une critique des positions generativistes et transformationnelles dans Ie traitement de ce probleme.
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147
1..\ YOIX YERBALE EX FHA]\(;.\IS
A]\:\ETTE YASSA]\T
Notre travaH de linguistes ne consisterait-il pas plutOt a essayer de deceler, derriere les formes et leurs emplois, l'explication syste matique et mecanique susceptible de rendre compte du fait que des effets relativement semblables soient produits par des moyens differents ? Toute l'reuvre de G. Guillaume repose sur ce principe. La theorie de l'article a permis de comprendre dans quelles conditions l'article un et l'article Ie produisaient des effets de sens equivalents en DISCOURS tout en etant definis en LANGUE par un mecanisme specifique a chacun d'entre eux dans Ie cadre d'une systematique (11). La theorie des modes et des temps a permis d'expliquer dans quelles conditions systematiques et mecaniques l'impatfait peut alterner a une nuance pres avec Ie passe simple ou Ie conditionnel passe: qnelques instants pLns tard il tombait/serait tombe /tomba Ie passe compose peut alterner avec Ie passe simple: lorsqn'il 1.'int la voir eUe lui dit que . .. / lorsqn'il est venn La voir elle lui a dit que ... Apres les etudes guillaumiennes faites sur ces SUj2tS. et d'autres encore, une personne avertie ne s'aviserait pas de confondre les faits de LANGUE et ceux du DISCOURS.
Reprenant
1. «Evoquant une semantese engagee dans Ie temps, Ie verbe traduit un phenomEme evoluant d'une position de commencement a une position de fin, ou mieux, d'une causation a une effection, selon
1a cinese : causation
Les principes qui nous ont guidee sont le'l suivants: pour la voix, comme pour toute forme systematiq'.le, I'idee a ne pas perdre de vue est, qu'en discours, toute forme est deja « chargee» d'un contenu semantique dil au signifie lexical du verbe, au signifie referentiel du sujet, au signifie de leur rapport. Raisonner a partir de chanter, Pierre chante, de casser, Ia branche casse, c'est deja raisonner dans Ie cadre d'un contexte. II faut donc revenir aux formes dans leur nudite, dans leur purete systematique. (11) 1964, Particularisation et generalisation dans Ie systeme des articles jrangais, pp. 143-156. Cf. aussl pp. 157-166 et pp. 167-183.
Au sujet de la theorie des modes et des temps, cf. G. Guillaume, 1929, 1964, 1971, 1974 ; R. Valin, 1964 ; A. Vassant, 1977, 1980.
effection .J
Par causation, nous n'entendons pas la cause reelle, physique
ou autre, du phenomene en question, mais la position mentale a
laquell il est juge opportun de prendre depart pour l'evocation du
e pheno : il s'agit de la base a partir de laquelle Ie phenomene mene peut etre non pas engendre, mais simplement dit, la fin du langage
etant de dire les choses apres les avoir con<;ues » ~).
e
2. ,,(...) 1a voix est (...) la solution linguistique du probleme de la discussion du rapport a etablir entre l'evenement et son sup port personnel (...) » (1 :1).
Figurativement: sujet (FORME GRAMMATICALE) support de signification
.
verbe
(FORME GRAMMATICALE)
apport de signification
.)
RAPPORT DE SIGNIFICATION
SYSTEMATIQUE
II est vrai, cependant, qu'en ce qui concerne Ie probleme de la voix aucune solution satisfaisante n'a ete produite a ce jour. L'enteiement peut-etre, la volonte, certainement. de veiller a ce que dans Ie cadre d'une theorie certains principes fondamentaux soient toujours presents dans la recherche d'une solution, faute de on perd de vue la coherence de l'ensemble, nous ont amenee, beneficiant des travaux de nos predecesseurs, de leurs tatonnements, de leurs trouvailles, a percevoir un debut de solution a ce probleme du signifie des voix en fran<;,ais. Nous n'en livrQns Ie resultat titre tres hypothetique encore.
a M. Moignet deux de ses definitions:
Ie probleme sera pour nous celui de savoir si a chacune des formes du verbe, active, passive, pronominale, correspond un signifie de langue distinctif integrable dans cet ensemble systematise qu'on appelle la VOIX. La solution a laqueUe nous sommes parvenue nous permet de repondre positivement a cette question. Les observations auxquelles nous nous reportons pour etayer cette solution sont nombreuses : Dans Ie paradigme verbal, ou sont exprimees tout a la fois les categories de personne, temps, mode, aspect, voix, la forme simple du verbe dite active» represente par rapport a la forme periphras tique dite passive» une anteriorite systematique dans Ie cadre de l'aspect tensif ou immanent. En effet, au niveau du mode quasi nominal, a la tension du verbe exprimee par la forme active de l'infinitif :
1973, p. 361. (13) 1974, p. 73.
(12)
t
chanter
.. .. .. .. .. .. .. '"
L\ YO!;;' YEl\l\.\LE EX F1\.\:\(:·\15
.\:\:\ETTE Y.\SSA:\T
148
succede une etape intermediaire, ou tension et detension coexistent, rendue par Ie participe present:
I"
+-
... -....---+-i
chantant
puis une etape ou Ia detension est integrale, tt aduite par Ie participe passe, «[orme morte}) du verbe dit Guillaume car ce qui fait la caracteristique meme du verbe, sa capacit~' d'evoquer une semantese 5e deroulant dans Ie temps, n'y existe plus. I'll
chante
,
De l'une a l'autre de ces trois formes, une chronologie notion nelle s'impose. Au fur et a mesure qu'un evenement s'inscrit dans Ie temps, dans Ie sens de son accomplissement, il passe par une etape au il est partiellement accompli pour aboutir a celle ou il est inte gralement accompli. Si nous retenons Ie terme de M. Moignet rativitii pour denommer Ia phase dynamique
149
mieu , no us appellerons des « actants» (1"). Ceux-ci varient en nom x bre selon la lexigenese verbale. Leur choix en tant que supports d'une opcrativite ou d'une resultativite verbale releve de la compa tibilite semantique qu'une langue, au CaUl'S de son histoire, a instau re entre support et apport de predicativite (iI"j. De meme qu'on ne e dire *Ie chaise parce que la langue dans son histoire a attribue
peut aU mot chaise Ie genre Edif du feminin, de meme on ne concevrait
pas de dire *La pomme dart, Ia pomme casse. Mais on dira PierTe,
l'eau dart, La branche casse. C'est l'affaire du lexicologue et de l'his
torien de la langue de determiner dans queUes conditions Ie verbe
caSs a ete amene a admettre les combinatoires syntaxiques et
er semantiques qui sont les siennes. Ce qui a introduit de 1a confusion, a notre sens, dans la recher
che a travers Ies sieeles du signifie de la voix (17), c'est Ie fait de ne
pou demeler, dans un rl2suitat discursif, ce qui revient a la
voir forme elle-meme et ce qui revient au signifie referentiel denotl~ ou
evoque par les rapports morpho_syntactico-lexemati q ues (1').
La LANGUE n'est pas pure forme; elle est mode de represen tation de la realite referentielle dont eUe parle tout en en parlant. S'iJ est loisible de retrouver dans ses schemes constructeurs des reflets d'oppositions pragmatiques et logiques, 1e plus souvent on aboutit a un echec lorsqu'on veut reduire ses desseins constructeurs a ce que nous croyons etre la pragmatique et la 10gique scientifique ment etablies
C
Ainsi dans les schemes verbaux que les grammalrlenS ont dcnommes intransitivite, transitivite directe, on peut retrouver des images des rapports de puissance presents dans la realite. Celui qui bat est agent, celui qui est battu est patient. Celui qui fait quelque chose est logiquement ragent de la chose faite qui est Ie Mais si c'etait cette pragmatique-la que la langue avait adoptee en se construisant morphogenetiquement, il nom; serait impossible de dire avec les memes formes je construis nne maison, ';'n; p,~gl1.1ie un (15) Les termes de sUe et de gene, utilises par J.-C. Chevalier, 1978, passim, p. 78, nous semblent trop charges semantiquement encore pour pouvoir etre retenus dans Ie cadre de notre propos. Ceux d'actants repris a Tesniere nous paraissent plus neutres. Monsieur Moignet parlait d'« ayants part ». (16) On lira avec grand interet I'article que G. Moignet a consacre 11 l'ana lyse semantique des rapport de prCdicativite, d'incidence, dans la transi tivite ; ct. 1973, 1974. (17) Pour un hlstorique, on consultera J. stefanini, 1962, chap. II. Les articles du G.L.L.F, consacres 11 la voix s'y reportent. (18) Dans une etude des effets de sens des voix verbales en discours, les affinements apportes 11 la notion de reference par T. Fraser et A. Joly, 1979, seraient 11 retenir. (19) Pour une critique de la methode onomasiologique dans I'etude de;; temps et de l'aspect, cf. notre travail, 1977. Nous y examinons les metho dologies proposees par divers linguistes, W. A. Bull, A. Klum, K. Heger, M. Wilmet, R Martin.
LA YOl X YERlL\LE E); FR.\>;~:>\ IS
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·\>;);ETTE YASS.\>;T
scheme linguistique de la transitivite: sujet-verbe-objet. Mais, S1 eIle en a tenu compte, c'est, a notre sens, en leur accordant une concevabilite qui s'abstrait hautement de la pragmatique. EIle s'est pla au niveau tres general de la mise en rapport, en incidence, descee formes vehiculant ce scheme et a integ re , du meme coup, la
fon creative de Ia pense e construisant le langage tout en s'y
ction informant: sa fonction REPRESENTATIVE. Ceux qui voudraient
retroU , dans Ie scheme pragmatique, Ie scheme linguistique,
Dans la voix «active», a partir du moment au on declare Ie sujet . aur ver
perdu de vue que la langue est construction mentale et non support de l'operativitc verbale, cela suffit pour comprendre que, ont calque de la realite extra-linguistique.
reellement ou figurativement, cette opcrativite lui est deferee dans A cet egard, la comparaison entre des emplois de l'actif et du
Ie cadre de la forme chronogenetique que prend Ie radical verbal Le contexte referentiel lexical, situationnel, contextuel, pragmati pronominal est revelatrice. D'un cote, des contextE'S facilement glo
que, permettra d'inferer Ie rapport semantique reel existant entre sables: je me lave, semblent traduire cette reallte d'un agent exer
<;ant une activite sur lui-meme simultanement. Dans ils se battent
Ie support et l'apport. Ainsi, dans Ie cadre de la voix active, sous les l'autre) l'agent est discernable du patient par inference. Mais
cases reservees morphogenetiquement au sujet, au verbe, au comple er ment d'objet, s'il y en a un, on peut introduire des contenus lexicaux qu'on examine ces chases s'ecrivent et ron est en peine de demel en quoi les choses font une activite quelconque. On pouna certes ou referentiels variables: dire que si « eIles s'ecrivent)} c'est parce qu'elles possedent une SUJET INFERENCE VERBE vertu leur accordant de « se laisser ecrire)} lorsqu'on « veut les sujet agent du processus Pierre mange ecrire». On en conclura que la forme declare que Ie sujet est a la fois agent et patient tout en specifiant que Ie « vf'ritable ,) agent reste ~iege du processus Pierre dort tout de meme la personne qui ecrit ; a la suite de quoi on classera sujet C~ source du processus la chaise repand une odeur cet effet de sens dans Ie passif pronominal ». Mais, que l'on desagreable examine un emploi comme cette clef ferme la porte du salon, on la cheminee sujet source du processus fume constatera, qu'en ce cas encore, la clef est a la fois agent et patient Pierre = agent du processus fume du processus verbal puisque pour « fermer la porte du salon" il faut Ie chat trone sur Ie fauteuil sujet support de qualifi qU'elle possede une constitution telle que Ie mecanisme de fermeture cation ne puisse se faire que par cUe; mais, en meme temps, on fer a valoir qu'il faut l'intervention d'un veritable agent pour que la preuve de Pierre rec;oit des coups sujet = patient du proces ive la puissance de la clef soit fournie. Situation medio-pass d'un Dans tous les cas, une operativite verbale est rapportee a un sujet, pourtant traduite par une forme active cette fois. Nous sommes support sujet. Qu'il en soit l'agent veritable ou non c'est par infe loin du scheme x R y. Nous avons encore une fois Ia preuve que rence qu'on Ie deduira. La voix, pour ce qui est de son role linguisti des signifies contextuels semblables peuvent etre traduits par des que, morphologique, y est indifferente. moyens differents. Et cependant, en s'instaurant, la LANGUE, d'ans sa systemati Que nous dit la forme pronominale en regard des criteres d'ope que, a conserve des traces du moule reierentiel a partir duquel elle rativite et de resultativite que nous avons retenus pour definir s'est batie. Les rapports de puissance observables dans la realite l' actif et Ie passif ? extra-linguistique et qu'on peut schematiser par une relation x R y ou x est l'agent et y Ie patient semblent etre transportes dans Ie Selon toute vraisemblance, que nOUS avons affaire a une opera tion complexe du fait que Ie support sujet est transmue en une forme «objectal » de lui-meme avant meme que l'operativitc ver (20) Nous relevons dans Ie G.L.L.F., p. 4.063, article PASSIF ; « Les gram e mairiens les plus traditionnal1stes observent parfois que la forme pas bale ne lui soit rapportee. C'est l'indice qu'il faut apporter a la sive n'exprime pas toujours a proprement parler une action « subie par relation sujet-verbe une interpretation distincte de ce qu'elle est a
echec, il accumule res erreurs; d'expliquer l'existence de; il est vendu un nombre considerable d'exemplaires de cet ouvrage. Si l'on peut dire que Ie sujet « fait I'action » exprimee par Ie verbe dans Ie premier cas, ce serait forcer les choses que de Ie dire dans les deux suivants et, concernant Ie quatrieme, nous avons affaire it une forme passive qui ne parle pas de l'objet de l'action eO).
Ie sujet ». La remarque vaut pour Ie complement du verbe actif, et I'on plaisante facilement sur des phrases comme Paul a regu la gijle, ou iI parait abusif de voir dans Ie sujet Paul, 1'« agent» d'un proces. Ce raisonnement serait juste sl Ie verbe gijler avalt He employe, car Paul n'a gifle personne, mais Ie verbe est recevoir : Paul a bien fait ['action de recevoir. » C'est nous qui soulignons. Ce passage illustre la confusion que Ies grammairiens entretiennent entre Ia reference lexicale et la valeur de Ia forme grammaticale. (21) Sur la chronogenese, cf. G. Guillaume, 1929, 1964.
l'actif et au passif. Ce qu'il faut mettre en comparaison pour determiner l'origina lite d'une forme verbale ce ne sont pas des emplois de la forme avec des semanteses differentes, mais des emp10is d'une meme semantese avec des sujets differents et des formes differentes :
152
1..\ \"(llX VERBAl.!' E" FHA:\,:.\IS
.\:-;:-;ETTE Y.\!';S.\:-;T
Ce n'est qu'apres avoir procede a l'etude distributionnelle d'un verbe, Ie dispositif des variables etant bien decrit, qu'on peut se poser la question de savoir : 1. B3n quoi consiste
de la forme.
2. Ce qui, dans la semantese verbale, a permis combinatoires d'exister.
a
certaines
Le travail du grammalnen, de l'historien de la langue et du lexicologue peuvent alors se completer harmonieusement. Pour ce qui est du travail du grammairien, etant donne la nature de la forme pronominale, trois solutions sont possibles dans la deter mination du rapport 1. On considere que nous avons affaire subjectal-objectal, l'operation (,tant simple.
a un
support complexe,
2. On considere que no us avons affaire a un support simple, l'operation etant complexe et necessitant une analyse permettant de determiner son rapport au support. 3. On considere qu'on a affaire a un ensemble inextricable ou on ne peut resoudre qui du support ou de l'operation est complexe.
De fait, et puisqu'elle se prete a ces trois analyses, la voix pro nominale est les trois a. la fois. Cela explique qu'en discours on en revienne constamment a trois valeurs do min antes : Reflexivitc : reflechi, reciprocite : Ie sujet est a. la fois agent et patient. Passif pronominal ou, au terme d'une analyse, on determine par inference si Ie support sujet est agent, patient, site, siege ... Moyen, ou on ne parvient pas a determiner Ie role precis du sujet dans l'operativite verbale. Dans les trois cas cependant, Ia forme nous dit que Ie support est en meme temps support de l'operativite et support poten tiel d'autres rapports avec la predicativite de la semantese verbale. Expliquons-nous. A la voix « active », Ie sujet du verbe est, avec les verbes transitifs, dans Ie cadre d'une meme distribution syntag matique, seulement support de l'operativite verbale : je mange une pomme ne peut pas se denouer en je suis mange. Avec les verbes intransitifs, deux cas sont a prevoir : je marche ne peut se denouer en je suis marche, mais j'entre peut se denouer en je su.is entre, j'embarque en je suis em barque, j'ai embarqw~ : cependant, comme nous allons Ie voir, c'est a la faveur d'un fait de semantese culier. A l'oppose, avec une tournure pronominale, Ie support sujet est non seulement support de l'operativite verbale mais, en denouant la relation qu'il entretient, par l'entremise de la morphologie prono minale, avec la semantese verbale, on decouvre qu'il peut jouer
153
vis-a.-vis de celle-ci tous les roles que peut assumer un pronom con joint: je Ie lave, je me lave: fonction d'objet ; .1e lui marche sur les pieds, je me marche sur Ie pied: complement d'inieret ? je lui achete une t)oiture, je m'achete une voiture . complement d'attribution ; je lui parle de ce tab leau, je me pa1'Ie (<< je parle a mon bonnet») : complement d'objet second? j'aperc;ois mon erreur ne se differencie de je m'apen;?ois de mon errellr que par une nuance fugace, consta tation de l'existence de quelque chose, accent mis sur Ie mouvement mental de «reflexion» par lequel se fait la prise de conscience du fait constate, .Ie vais, je m'en vais, je dors, je m'endors ne se diffe rencient superficiellement que sur la base de l'aspect: action en cours, inchoativite. Parallelement a ces faits qui concernent Ia fonc hon du support sujet de l'actif, ou pour parler plus juste, du support d'une operativite verbale, on con!'tate que si celle-ci est transitive, Ie complement d'objet devient, au passif, Ie support de d'une resultativite, sans equivoque aucune, mais que lorsqu'il de vient support d'une forme pronominale ses rapports avec l'operation s'embrouillent: des facteurs s<,mantiques supplementaires sont necessaires pour lever l'ambigulte : je mange La pomme, la pomme est mangee, La pomme se mange: Ie syntagme verbal est perfectif, Ie complement d'objet est un inanime, Ie pronominal prend valeur de " passit }). Mais je respecte Ie president, Ie president est respecte, Ie president se respecte : Ie syntagmc verbal est imperfectif, Ie com plement d'objet est un anime, Ie pronominal prend valeur de reflechi ou dans certains contextes elabores, de «passif : dans notre pau s , un president se respecte ou mieux, " <;a se respecte » ; Ie complement est un inanime, la valeur « passive» reapparait: Ie travail se res pecte ici. Mais la nuance est importante : la proposition prend valeur de precepte, « on doH respecter ». D'autres semanteses sont encore plus difficiles a. analyser. ,J'enmtie Paul devient Paul est enl1:uJJc au passU et refuse comme equivalent semantique Paul s'ennl1ic; je casse la brand~e se tOUI'ne en la branche est eassee, La branche se casse, La branche casse mais je brise Ie vase n'admet que Ie vase est Ie vase se brise et non *le vase brise. Selon une serait trop longue a deve!opper ici, c'est parce que, dans certain;.: contextes, couper, briser impliquent les semes agent moyen ou instrument tandis que casser n'implique, comme cu';"~ ,--,-", Ie seme moyen ou instrument: Ie poulet (se) cuit, La branche \"c;J casse; Ie gateau se coupe, *CO'upe ; Ie vase se brise, *brise. Bien des problemes restent poses Iorsqu'on aborde Ie lexique et les relations semantiques des composants des syntagmes. II apparalt, cependant, au terme de ce developpement, que si a l'actif et au passif Ia relation entre l'operation verbale et les actants, qU'elle accepte par compatibilite semantique, est univoque, au pro nominal elle est toujours equivoque de par la forme verbale elle meme. 11 nous reste a. montrer pourquOl Ie choix de l'auxiliaire et son role soutiennent notre interpretation des faits. Pour cda nous essaye
154
.\:-iXETTE YASSA1\T
rons de determiner Ie facteur qui appelle cet auxiIiaire tant dans Ie cas des verbes diLs deponents que dans celui du passif et du pro nominaL Les verbes «deponentS» (22) sont ceux qui se conjuguent avec l'auxiliaire etre a l'aspect transcendant de l'actif: j'entTe/je suis entre. Les grammairiens ont de longue date (Meigret, 1550) (~") reconnu l'existence de deux grandes categories de verbes, perfectifs/a action continue, qui sont d€!llommes d'un auteur a 1'auire, determines/ incietermines, conclusifs/non conclusifs, a parfait inte,grant/- diri mant, cycliques/non cycliques, perfectifslimperfectifs. Les prototy pes en sont marcher/entrer.
Entrer c'est, de par Ie sens du verbe, amorcer Ie mouvement de franehissement d'un seuil et mener ee mouvement jusqu'a son terme. Le verbe impose done par son sens Ja fin de son propre mouvement. Pour G. Guillaume, c'est Ia passivite du sujet face au terme de son activite qui appelle l'auxiliaire titre, signe du passif. Pour M. Stefa nini, il cst Ie signe d'une limite de tension interne au verbe l ),
e
Marcher, c'est amo rcer Ie processus verbal ainsi denom
me
et Ie poursuivre indefiniment jusqu'a ce que pour une raison ou une autre soit mis fin. pour Guillaume, Alwir serait Ie signe de l'activite du sujet tant dans la conduction de revenement que dans e la decision de son interruption. L'explication apporte par M. Stefa nini a ce sujet ne noUS a pas parue clai.re. Avoir redonnerait une
nouvelle tension au verbe qui atteint sa detension, dans Ie caS de
marcher. Dans celui de sortir l'extension serai.t deja marquee par
etre sorti. Un autre auxiliaire ne saurait lui donner une tension nou
velle. 11 nous semble qu'il n'a pas ete explique, 5i la detension
e
d'entrer est entre, pourquoi l'exten5ion de ce verbe est exprime par
ny
etre,
A vrai dire une analyse plus pouss ee d'entrer et de m.archer perm de mieux cerner Ie probh':mc. Tout d'abord il {aut etre atten en
et pas confondre la realite notionnell e avec la rcalite evenem tif a ne tiene ce que Ie langag e permet de dire (LANGU];;) et cc qu'il dit
e reeHem dans I'usage qui en est fait (DISCOURS). Notionnell ent ment, entrer est l'integrale d'un ensemblE' semique eomportant commencement, laps de realisation et fin. En figure:
[~
ENTRER
·1
(22) Cf. G. Guillaume, 1964, passim" marcher, en revanche, est l'integrale d'un ensemble seroique de n (23) Cf. J. Stefanini, 1962, chap. I et G.L.L,P" PASSIP, integrales d'un meme mouvement continument repete, n etan (24) En linguistique guilJaumienne, Je ({ passif operatif » est celui qui, par Je sens, equivaut it l'immanence de l'adif correspondant: ie respectc Ie indefini: president (present), Ie president est respecte (present) ; je constTuis une maison (present), la maison est constTuite avec len/cur (present), Le passif {( resultatif» est celui qui, par Ie sens, equivaut a Ill. transcen dance de l'actif correspondant: je construis une maison (present), la + + maison est construite : a eli! constTuite (valeur de passe compose). Ces denominations permettent de distinguer les cas au la periphrase etre + participe passe exprimerait un « veritable passif» (operatifl de ceux ou elle exprimerait une resultativite verbale prenant valeur adjectivale. En Notionnellement, la resultativite intcg rale d'entrer n'est attein cela, l'attitude guillaumicnne ne fait que corroborer les precautions qu'au terme de ce qu'implique entrer notionnellement, Mais, to ra constamment rappelees par les grammairiens de la tradition ]orsqu'i! jours notionnellement, la resultativite de marcher est integ opposent « passU d'action» et « passif d'etat», Cependant. a y bien immediatement. Marcher se transmue en marche integral insta refleehir, tout ce raisonnement nous semble paradoxa!. Car, en regar dant les choses de pres, etant donne que dans Ie cas du passif resultatif tanement, une possibilite existe de determiner par les voies de Ia substitution et de l'equivalence semantique la limite separant une valeur de l'autre par Dans la realite pragmatique que traduit un enonce, la resul adjonction d'adverbe, expression de l'agent, etc., il nous semble que Ie tivite notionnellc integrale d'entrer cOlncide avec Ia fin de l'even r probleme reste entier car, dans Ie cas du passif operatif, la periphl'ase etre + p. passe demeure invariablement ambigue. L,e president est res ment, tandis que, dans Ie cas de marcher, Ia resultativite integ de l'evenement est une sorome d'integrales de resultativite noti peete est-ce toujours un « veritable passif )) '? Aucun critere de substi tution ne peut en decider. A notre avis, dans toute Ja demarche tradi nelle. En figure: tionnelle, on a encore eonfondu la forme et son signifie discursif. pour nous Ie passif c'eat la periphrase eire + p. passe quand clle declare que pour designer les FORMES concernees mais en spccifiant 1a valeur son sujet est support de l'operativite d'une resultativite. Ce sont ses LANGUE de ces formes et, leurs valeurs discursives a la faveur d combinatoires en discours avec un Iexcme perfect if ou imperfectif, analyse fine des contextes lexlcaux et referentiel s qui la cha.rgen d'autres elements contextuels ou referentiels qui feront varier sa valeur DISCOURS. fi:TRE + p. passe est une forme neutre qui necessite discursive. Dira-t-on que Ie present de l'indieatif n'est pas un « verita analyse. II resterait it savoir queUe donnee semi que dans etre ble present» lorsqu'jJ devient historique ou it vaJeur de futur? Ce e et a a ete retenue par la langue lors de rectification de son systcm . C'es serait prendre les etiquettes aceolees aux formes pour Ie signifie de Ill. des problemes que resout M. Moignet dans sa theorie de la voix forme, erreur que d'aucuns helas continuent a perpetuer, (Cf, notre etude sur Ie present, 19T1, 1980), A notre sens, du fait que la terminologie (1980, SOUS pressel. d'actif, de pass if, de pronominal, existent, on peut continuer a l'utiliser
l~J
;~J ~=:E~R····<·f~:~
156
A:-;:-;ETTE YASS.\:-;T 1..\ yO/x YERBAI.E E:\ FH,\:'\(.:.\lS
I [
OPERATIVIT~J
Lorsque cette resultativite est reprise par un auxiliaire pour exprimer une nouvelle tension verbaIe, Avoir + participe passe seront rapportes au support de l'operativite verbale, Ie sujet de la forme {( active» ; avoir etre participe passe Ie seront au support de Ia rcsultativite verbale. Dans ce dernier cas nous remarquerons que la resultativite notionnelle et la n?sulto.iivite evenementielle cOinciden t.
ENTRANT ... -----+ [I-RESULTATIVITE] ENTRE
)'1
seuil d'atteinte de I'integralite notionnelle et evenemen tielle Dans Ie cas de marchf?r, Ia resultativite integrale de la notion ne cOIncide figure: pas avec la esultativite integrale de l'evenement. En
[~
MAR C If E R
11>]
[m"'he:] [maceh':] [mmhe:] [macehe:][ma"h':]
" [~arche
, , [~archc [~arche J[~arche
resultativite integrale de la notion
~
[~-.c--ar-c-he- ]
.;
]
]
]
t I]
MARCIfE
[...
157
ENTRER
rE?sul taU vi te in U~grale de 1'6venement. Avoir et Rtre comme auxil:aires de I'aspect transcendant ouvri
ront une nouvelle tension au verbe en declarant Ie mode d'acquisi
tion de la transcendance: apparemment, fin de limite de tension
interne a la semantese verbale dans Ie cas de entrer~ absence de
limite de tension interne a la semantese verbale dans Ie cas de
marcher. Retenons, cependant, par ailleurs, l'existence de ce fadeur
suppI6mentaire de la coIncidence de la rf2sultativite notionnelle avec la resultativite evenementielle dans Ie cas des verbes a fin de limite de tension. Nous allons Ie voir rcapparaitre dans l'analyse des verbes transitifs. Nous comparerons manger une pomme, syntagme per fectif a respecter un travail, syntagme imperfectif. Le premier fonc tionne comme entrer en ce sens que l'objet determine Ia fin de I'operativite verbale ; ceUe-ci n'atteint son integralite que lorsque Ia pomme est integralement mangee. En figure:
[I
MANGER la pomme
[...
MANGE(E) la
Dommp
.J
.']
Inversement, avec respecter un travail, Ie travail est integrale ment respecte des qu'on declare qu'on Ie respecte. L'evenement peut se prolonger indefiniment. II en decoulera une resultativiie consti tuee de n integrales de resultativite notionnelle integrale. La resul tativite notionnelle ne coIncide pas avec 10. resultativit6 evenemen helle. Cependant, a l'aspect transcendant, Ia nouvelle tension s'ex primera, pour Ie sujet de l'operativite, au moyen de l'auxiliaire avoir : j'ai respecte ce travail, et pour Ie support de Ia resultativite par l'o.uxiliaire avoir + etre: ce travail a Ne respecte. Neanmoins, comme tous les grammairiens ront remarque, la proposition ~a pomme e.~t mangee correspond davantage par Ie sens a j'ai mange la pomme qu'a je mange III pomme. Jnversement, Ie travail est res pecte correspond uniquement a je respecie Ie travail. La solution a ce probleme no us semble Ia suivante : lorsque Ie support de la resultativite verbale fait s'actualiser Ia COIncidence de l'integralite de la resultativite notionnelle et de la resultativite evenementielle, la periphrase etre pa?·ticipe passe declarera et Ia passivite et l'aspect transcendant. C'est ce qui se produit dans Ie cas de manger une pomme, la pomme est mangee. Dans Ie cas inverse, Ia periphrase n'exprimera que Ie passU. Etre est donc a Ia fois auxiliaire de voix et auxiliaire d'aspect. En ce qui concerne j'entre/je suis entre, I'allxiliaire etre est retenu pour exprimer l'aspect transcendant parce que Ie sujet de I'opera tivite d'entrer, du fait meme qu'j] a ete support de celle-ci depuis Ie commencement jusqu'a la fin, se trouve etre aussi celui qui a actualise la COIncidence de la resultativite de I'evenement et de la resultativite de la notion, tout en ayant ete Ie support de l'opera tivite verbale. Ainsi il ne suffit pas de dire que c'est parce qu'il y a limite de tension que l'auxiliaire etre peut fonctionner comme auxi liaire d'aspect. II faut, en outre, que Ie support de cet aspect trans cendant fasse s'actualiser la COIncidence de la resultativite notion nelle et de 10. resultativite evenementielle. A partir du moment ou il y a manger une pomme, ee n'est pas Ie support de l'operativite verbale qui fait que nous aboutissons a la pomme est mangee, malS bien la fin de Ia pomme. On peut manger une pomme, une pob'e et une banane: manger se poursuit, mais la pomme est mangee, ~a poire est mangee, la banane est mangee constitueront des resuitativites ou il sera parle du support qui, dans I'operation, a fait cOIncider la fin de cet evenement avec la fin notionnelle de manger une pomme, une poire, une banane e~).
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.\":-:ETTE Y.\SSA"T
Selon ce raisonnement, entrer/etre entre n'est pas un cas de dcponence. Nous sommes bien a « I'actif ». Au terme de ce developpement, on comprendra pourquoi l'auxi Haire etre esi retenu dans Ie cas du pronominal. Que nous dit cette forme sinon que Ie sujet est support d'une operation complexe dans laquelle il est impossible a priori de definir s'il est seulement sup port de l'operativite verbale seule ou support de sa resultativite seule. Le pronom conjoint oblitere run et l'autre rapport a l'aspect tensif. Du fait qu'a l'aspect transcend ant l'auxiliaire avo'ir est, d'une maniere univoque, l'auxiliaire du support de I'operativite verbaIe, que etre est ceIui du support de la resultativite verbale, dans Ies conditions que no us avons vues, etre respecte, etre manue pass if + aspect transcendant), ou encore celui du support de rativiie verbale qui fait s'actualiser la resultativite notionnelle et evenementielle, entrer, etre entre, aspect transcend ant (on comprend l'hesitation historique de Ia langue: j'embarque, j'ai embarque, je pour y cueiHir du suis embarque, ({ j'ai descendu dans mon romarin» chanson enfantine), etre est Ie plus apte a s'adapter au contexte semantique de la morphologie verbale pronominale. Dans celle-d, l'operation, par sa complexite, ne denoue pas dans l'operati vite verbale Ie rapport support d'operativite/de resultativite. S'etre + participe passe obliterera it son tour les relations univoques de l'aetH, du passif, et laissera au contexte lexical et referentiel Ie soin de denouer les rapports. Si l'on dEmoue ces rapports, on se retrouve avec des resultats selon la semantese verbale, nous rameneront aux schemes deja presents dans l'actif et Ie passif mais completes lexicalement de ce qu'exprimait en outre de l'actif et du passif, la forme pronominale :
je lave: je suis lave:
L\ \'OIX YEHBALE E,\f FHA:\<:.\IS
rapport a l'actif correspondant qu'a une nuance fugace pres, je suis celui qui mange la pomme tout en prenant a cette operation un particuHer on retrouve la formulation traditionnell e des
grammamens Ie denouement se fait du cote de l'operatif en
mange La pomme, tout en y prenant un interet particulier: je me
suis mange une pomme ; du cote du resultatif : La pomme est man gee: passif et aspect transcendant. En revanche je me respecte se
denoue en je respecte moi-meme, je suis respecte par moi-meme;
tuais je suis respecte n'equivaut pas a un aspect transcendant , Je me
, suis respecte =~ j'ai ete respecte par moi-meme. Mais, dira-t-on, dans Ie cas de s'evanouir, de s'apercevoir de, comment se denoue l'operation? Nous tombons ici dans Ie scheme de l'intransitivite, S'evanouir implique une limite de tension; la resultativite notionnelle et evenementielle co'incident du fait de l'actualisation de 1a semantese par Ie support de l'operativite. 11 en je suis evanoui / je me suis evanoui, II en est ainsi de je m'assois, je me suis assis, je suis assis, je me li~ve, je me suis leve, je suis Leve. Pour ce qui est de je m'ape1'l;ois de, c'est l'objet de rna perception menta1e qui fait coincider 1a resultativite notionnelle et la resu1tativite evenementielle: La chose est aper<;ue mentalement, eUe a ete aper<;ue. D'un contexte it l'autre, c'est Ie rapport lexico morphologico-syntaxique qui nous eclaire sur l'effet de sens de l'enonce discursif. Les parametres de l'analyse nOUS sembient coherents. La lan gue, dans sa construction formelle, si notre raisonnement est bon, aurait tenu compte des faits suivants : 1. L'existence d'un scheme operationnel dans lequel a une rativite succede une resultativite, d'abord partielle,Quis integrale :
OPERATIVITE
support d'operativite ; support d'operativite de resultativite ;
je me lave: sujet support d'operativite complexe; denoue ment: je suis lave par moi-meme, j'ai ete lave par moi-meme, Le lexique vieni it la rescousse du grammatical pour expliciter Ie sens du rappori entretenu dans l'operativite verbale entre Ie support et l'operation. Au resultat : je suis Lave, forme neutre qui ne nous ren seigne pas sur la nature de Poperation dont eUe resulte, ce que fait {( je me suis lave ». Nous noterons que Iorsque l'operation en question represente un scheme de transitivite, la periphrase etre participe passe se char gera des memes effets de sens que ceux que nous avons observes pour manger une pomme, respecter un travail. Si tant est que l'on dise « je me mange une pomme)} ou Ie pronominal ne se glose par
159
, \ I.
ol"'~f--__
~,
•
RESULTATIVITE
2. La difference entre deux types generaux d'operations: per
imperfective, Ie critere de reconnaissance etant que la resultativite notionnelle co'incide ou ne coincide pas avec la resulta tivite evenementielle. 3. Dans un systeme OU Ie mot se definit par son signifie lexical et son signifie grammatical, Ie lexique dE'motant la matiere particu
161
LA YOlX YERB.\LE E~ Fl\.\~(;AIS
160
.\~~ETTE
YASS.\~T
4. Elle s'est donnee trois formes tenant compte de tous ces facteurs. Dans cet ensemble, a l'aspect immanent, la forme « active» dit que Ie sujet est support d'une operativite verbale d'operation simple, la forme passive qu'i! est Ie support de l'operativite (etl'e) d'une resuItativite verbale (p. passe), la forme pronominale, est Ie support d'une operativite d'operation complexe dans laquelle i1 est formel1ement refuse de dire comment l'operativite se denoue en resultativite. A l'aspect transcend ant, une nouvelle operativite s'ouvre au verbe. L'auxiliaire avoil' declare que Ie support de cette nouvelle operativite a ete support de l'operativite antecedenle; l'auxiliaire etl'e declare que Ie support de cette nouvelle operativite a de l'ope rateur de la coincidence de la resultativite notionnelle et evenemen Helle ou support d'operativite de la resultativite verbale. La forme pronominale de l'auxiliaire etre, s'etl'e, que Ie support de cette nou velle operativite a ete support d'une operation complexe.
II. T RAN S C END A N C E d' actif et de pronominal
I. IMMANENCE d'actif et de pronominal
liere a traiter et la forme 1a maniere generale dont celle-ci est traitee, l'economie consiste a limiter Ie nombre de formes par les queUes Ie plus grand nombre possible de rapports semantiques seront exprimes, Ie contexte lexical ei situationnel se chargeant, dans son rapport avec la forme, de livrer Ie resultat semantique discursif.
OPERATIVITE II
OPERATIVITE I
~
tension: (se) chanter
entrer
....
~
,
entrant
(se) chantant
+-+-~-~
•
« chante »
~
t ""
« a (se) chanter»
AVOIR (chante) detension : chante, entre
;::sI'
S'"I!:TRE (chante)
)fit
RESULTATIVITE INTEGRALE \"' "I!:TRE (entre) • It II .. ~ .. .. .. "I!:TRE (construite) tension de etre (chante)
(construite)
..... .....
"" +
p-< B
etant chante -..,......-+- +-- .... «ete chante» '" a etre chante»
p::j {il
On en conclut que, si avoir est seulement auxiliaire d'aspect, eil'e est a la fois, dans les conditions que nous avons vues, auxiliaire de voix et d'aspect.
?;
, detension: ete chante
AVOIR (ete chante) (ete construite)
RESULTATIVITE INTEGRALE Le caractere general des formes est S1 hautement abstrait que la langue peut se permettre de traiter toute Ia sem::lntese verbale comme lieu d'une operativite ou d'une n§sultativite ou d'une opera tion complexe ; c'est ce qui se produit avec ]'unipersonnel passif ou pronominal; operativite de la semantese : perdre un nombre consi derable d'objets dans Ie metro: resultativite verbale: il est pe1'du un nombre.. ; traitement de cette semantese par Ie pronominal; se perdre un n9mbre considerable . .. ; operativite de cette operation complexe ; il se perd un nombre considerable . .., ("tc. Nombre de conclusions peuvent etre tirees de cela, celle-ci entre autres, que Ie pronominal est second par rapport a l'actif par traite ment formel de la semantese verbale ; que Ie passif est second par rapport a l'actif par chronologie notionnelle. L'ensemble auquel nous avons abouti, et qui nous parait cohe rent, est formalisable. Schematiquement nous Ie representerions ainsi;
IMMANENCE de passif
TRANSCENDANCE de passif
Le systeme des voix tel que nous venons de l'exposer ne traite que de la morphologie verbale, permet de comprendre comment s'organise la systematique des voix, tout en rendant compte du fait que des effets de sens divers soient exprimes par 1a meme forme, ou que des effets de sens semb1ables soient vehicuh~s par des formes differentes. L'evenement "qu'est la phrase» n'y est pas confondu avec les evenements « que relate la phrase» (2;;).
Cf. R. Valin, Grammaire et logique : du nouveau sur l'article, TraLiLi, (25) 1967, V, 1. Klincksieck, Strasbourg, p. 68 et J.-C. Chevalier, passim, pp. 88 et 249.
6
162
AXl'\ETTE
LA YOIX YEIIBALE EX FH.\:\C.:.\IS
YASSA~'T
aurions-nous pu poursuivre l'analyse si nous n'avions benefich~ des travaux de nos devanciers, dont M. Moignet est l'un des maitres incontestes? En resume, si no us adoptons les formules d'operativite I, pour parler de raspect immanent, transcendant, bi-transcendant, et celle de resultativite pour parler du participe passe, nous formule rons Ie resultat des rapports sujet-verbe dans Ie cadre morphologi que de la voix en fram;ais de la maniere suivante : ASPECT: IMMANENT
TRANSCEN DANT
BI-TRANSCEN_ DANT
FORME «ACTIVE )}
sujet : support de l'operativite I d'une operation
support de l'operativite II et de l'operativite I d 'une operation
_ de l'operativite III, de l'operativite II et I d'une operation
FORMg «PASSIVE»
sujet: support de l'operativite (etre) de la resultativite (p. passe) de l'operativite I d'une operation simple ou complexe.
support de l'operativite II et de l'operativite de la resultativite de l'operativite I d'une operation simple ou complexe.
support de l'operativite III, de l'operativite II, et de l'operativite de la resultativite de l'operativite I d'une operation simple ou complexe.
FORME « PRONO MINALE
sujet: support de l'operativite I d'une operation complexe.
support de l'operativite II et de l'operativite I d'une operation complexe.
support de l'operativite III, de l'operativite II et de l'operati vite I d'une operation complexe.
VOIX
On comprend pourquoi, a l'aspect bi-transcendant, Ie pronomi nal s'auxilie avec etre et avoir: c'est que l'operativite III a partir d'un resultat d'operativite II qui n'est pas complexe en elle meme mais seulement du fait qu'elle reporte dans son resultat la complexite de l'operativite I qui, elle, etait complexe. La memoire de l'antecedence semantique se marquera par la des deux auxiliaires: etre d'abord, avoir ensuite : je me suis eu lave. Ainsi, dans Ie cadre d'un meme paradigme, sont distingues les rapports de voix (rapport semantique sujet/forme verbale), d'aspect (expression morphologique de !'immanence, de la transcendance, de la bi-transcendance), de mode (notre analyse est degagee de tout mode particulier, s'est faite a partir des formes les plus generalen du verbe, celles du mode quasi-nominal) de temps (chaque forme
163
verbale reporte en elle-meme les resultats obtenus au niveau des formes les plus en Y ajoutant ses caracteristiques propres), de personne (personne virtuelle dans Ie mode quasi-nominal, actuelle dans les modes personnels). Annette VASSANT
Suresnes.
BIBLJOG RAPHIE
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et en jTanr;ais), Editions hispaniques, Paris.
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Grand Larousse de la langue fran9aise, (1971-1978), Larousse, PariS.
Les degres de I'alterite et Ie signifie de puissance
de quelques verbes
exprimant I'idee de « (faire) devenir autre»
On sait
a quel
point Gerard Moignet attachait de l'importance
a l'unite organique du signe linguistique et a la notion de «signifie de puissance ", principe de cette unite, qu'il opposait aux « effets de sens» dont la diversite peut etre extreme. Plusieurs grands articles illustrant cette idee ant paru dans la meme revue que ces Melanges lui sont d6dies. Je pense en particulier au Systeme du paradigme qui-que-quoi (I), a La systematique d11 mot qtte e), a Ancien frant;ais si/se (I). De tels travaux, ainsi que Ja these restee inedite d'un de ses disciples les plus enthousiastes, Andre Eskenazi (I), ont attire mon attention sur la possibilite d'appliquer cette notion aux mots Iexicaux et non plus seulement aux morphemes grammaticaux. La notion de « signifie de puissance", heritee de Gustave Guillaume par Gerard Moignet lui-meme, peut-elle avoir une utilite en lexico logie? C'est une question que j'ai deja effleuree dans la precCdente livraison de cette revue (Il), apres en avoir discute avec Robert Martin dont la pensee a subi, au moins a certaines etapes de son d('veloppement, I'influence de ces deux maltres. Celui-ci, dans Ie meme numero, me tend une perche en ecrivant. a quelques pages d'intervalle: «De tels signifies de puissance, que l'analyse permet peut-etre de degager meme pour les mots lexicaux, auraient un tel caractere de gEmeralite (si I'on veut qu'ils conviennent effectivement a tous les signifies d'effet) qu'ils seraient inevitablement communs a plusieurs signes. Et ainsi, ils n'auraient pas de pertinence. « Faire devenir autre'" vaudrait pour changer, mais aussi pour transformer, modifier, reformer, renover, et beaucoup d'autres (7). Essayons de voir s'il en est bien ainsi !
(1) Travaux
de Linguistique et de Litterature V, 1, 1967.
(2) Ibid, VI, 1, 1968. (3) Ibid., XV. 1, 1977. (4) Les designations de l'homme noble dans les romans de Chretien de Troyes et de Guyot. These pour Ie doctorat es iettres, Universite de Paris IV, 1976, ex. dactyiograph1E§ (travail novateur et stimulant). (5) Gustave Guillaume, Langage et science du langage, Paris, Nizet, 1964, p. 246.
(6) Travaux de Linguistique et de Iitterature, XVII, 1, 1979. (7) Ibid., p. 261.
LES DEGm,S DE L' AL n:nITTo,
166
SIG"'lFI1~ DE
PUiSSAl\CE
167
JACQCELIXE PICOClIE
La notion d'" autre ", inanalysable en semes plus simples qU'elle meme, impossible, donc, a definir, si ce n'est par opposition au « meme », fait partie de la couche la plus primitive des structures semantiques du langage, comme les notions connexes d'" un» et de ({ multiple de« substance» et d'" accident ", de « lieu ", de « temps", d'« etre" et de « devenir I). Mais les divers supports de l'adjectif antre, eventuellement complexes, peuvent etre affectes d'une «alteration» sous divers aspects: ameliorer, deteriorer, sont « faire devenir autre sous l'aspect de la qualite» ; peindre, teindre, blanchir, rougir, « (faire) devenir autre sous l'aspect de la couleur }) ; amo/Lir, dnrcir, « (faire) devenir autre sous l'aspect de la consis tance I>, etc. ChangeT, tl'ansformeT, modifier, TefonneT, rcnover, aux quels nous ajouterons, pour faire bonne mesure, renouveler et echanger, quoique plus generaux, ne fonctionnent pas differemment, par rapport a autre, qui se trouve a leur egard dans une situation que Gustave Guillaume aurait appelce « subduction exoterique etant un mot « ideellement antecedent par rapport a tout cet ensemble lexical. Par sa combinaison avec differents aspects de ses supports, l'adjectif aniTe, dont Ie signifie de puissance est a la fois parfaite ment clair, parfaitement un, et parfaitement indefinissable, peut produire toute une polysemie de signifies d'effet dont no us allons essayer de faire l'inventaire en utilisant la terminologie tres c1assi que de substance et d'accident et une troisieme categorie pour laquelIe nous adopterons Ie terme d'espece (encore qu'on pourrait hesiier entre celui-ci et natw'e, ou genre, ou dassel. Nous n'attache rons d'ailleurs aucun poids philosophique ou scientifique a ces mots que nous considererons seulement comme des « semes presupposes par Ie simple fonctionnement du langage. C'est de cette maniere seulement, au niveau des d'effet du mot autTe, qu'on peut, on Ie voit, parler do « degres de l'alterite >l. Et 1a these que no us nous appretons a soutenir est que ce sont ces divers «degres de l'aIterite» et leurs diverses combinaisons, qui vont servir de signifie de puissance aux verbes ei-dessus enumeres. DEGRE Zf~RO DE L'ALTERITE OU IDENTITE: Je tire une serviette d'un tiroir ; elIe est bleuc, en tergal. carn~e ; elle appartient a l'espece «serviette », a pour substance une certaine quantite de tissu, et comme accidents sa forme, sa dimension, sa couleur. Je la range apres usage; la rep rends Ie lendemain; c'est toujours Ia meme serviette. Je vais a la poste: je trouve derriere Ie guichet quelqu'un qui appartient a l'espece «eire humain employe des P et T », ayant une certaine substance, celIe de M. Dupont, et cer tains accidents: cheveux bruns, visage rond et souriant. J'y retourne Ie lendemain, M. Dupont est toujours la : c'est Ie meme employe qui me re<;oit. Les trois aspects du support: espece, substance, accidents, restent stables; du temps a passe, voila tout! (8) G. Guillaume, op. cit., p. 74.
DEGRE 1 DE L'ALTERITE : Je tire du tiroir une premiere ser viette, bleue, en tergal, carree, puis une autre serviette, bleue, en terg , carree, exactement pareille a la premiere: ce sont les deux al Les deux unites appartiennent a la meme espece « ser memes. viette », ont les memes accidents (" bleue» « carree »), mais 1a substance est differente : une autre quantite de terga1 entre en jeu et eUes se trouvent juxtaposees dans l'espace. A ce niveau, l'espece et les accidents restent stables; soule. la substance change. Autre et mem apparaissent tous deux possibles, en distribution comple e mentaire, mais non synonymes a proprement parler, meme mettant
l'accent sur ce qui est stable, et autre sur ce qui varie.
DEGRE 2 DE L'AI..TERITE: Mes belles serviettes bleues ont
bouilli accidentellement, se sont deformees et ont perdu leur eclat.
Je retourne a la poste un an plus tard; M. Dupont est toujours
derriere son guichet, mais, relevant de ma1adie, il est tout autre que
ran dernier; ce n'est plus Ie meme: grisonnant, amaigri, une ex pression de lassitude.. Espece et substance sont stables, mais les
accidents ont change. DEGRE 3 DE L'ALTERITE : Lasse de voir des serviettes b1eues sur ma table, ren mets d'autres, des rouges. Je retourne a la poste et trouve derriere Ie guichet, non plus M. Dupont, mais un autre employe, M. Durand, qui ne lui ressemble pas du tout. L'espece « serviette» ou « etre humain employe des P et T » reste stable, mais snbstance et accidents changent. DEGRE 4 DE L'ALTERITE : Je renonce a mettre sur 1a table mes serviettes deteintes; je leur couds une petite attache et je les accroche au mur ; leur substance est toujours la meme (meme quan tite de tergal) mais leurs accidents ont change ainsi que leur espece : elIes sont devenues antTe chose que des serviettes : eUes sont passees de l'espece « serviette» a l'espece « torchon ». De meme, Ie gland est autre chose qu'un chene; forme, couleur, grandeur, tous les accidents sont extremement differents; pourtant Ia substance (ou quelque chose de cette substance, en l'occurrence Ie code genetique) reste la meme. La bauxite et l'aluminium sont deux choses diffe rentes et pourtant certains caracteres substantieUement communs permettent Ie passage de l'un a l'autre. Et, par on ne sait queUe operation mysterieuse, de la snbstance d'une citrouille, une fce peut faire tout autre chose: un carrosse !
DEGRE 5 DE L'ALTERITE: Mecontente de mon achat d'hier, je retourne au magasin avec des serviettes ; je les rends et demande qu'on me donne a la place autre chose: des torchons ; je vais a la banque avec des francs et fen ressors avec des dollars. Deux voisins pratiquent le troc : l'un donne a l'autre un mouton, l'autre lui four nit une certaine quantite de pommes de terre. L'espece et les acc!, dents ont change; Ie mot de substance lui-meme ne peut plus etre
I.FS DV(;H1::S DE I.'ALT1':RITJ':, SIGXIFll': DE pt'ISSA0:CE
168
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.L\C(lCELIXE PICOCllE
vent aus en etre differentes, cette identite ou cette alterite n'etant si en consideration, DEGRE 2 : Cette actrice a renouveLe Ie paS prises rote de Phedre: c'est toujours un role de theatre (espece); c'est toujours Ie texte de Racine (st~bstance); mais l'interpre1ation est autre (accidents) et de 1'0rdre du « jamais VU», Ici, la permutation 11 est donc evident que, d'une serviette comparee a une autre avec changer, sans etre aussi impossible qu'au degre 1, est difficile, serviette identique, jusqu'a un mouton compare a des pommes de changer €:tant a la fois moins precis (n'impliquant pas forcement
terre, il existe toute une gradation de manieres d'etre {( autre ", l'ide de « jamais VU») et trap puissant (entralnant facilement
scIon les diverses combinaisons de ces trois semes fondamentaux e vers les deg l'esprit res superieurs et suggerant une alteration du
que sont l'espece, l'accident, la substance, et d'un quatrieme, peut texte). DEGRE 3 : je renouveUe ma gaTde-robe : ce seront toujours
etre variante subduite de la substance, la valeur. des vetements constituant une garde-robe (espece); mais d'autres
quantites et d'autres natures de tissus (substance), d'autres couleurs
Comment situer sur cette echelle les verbes changer, l'enouve et d'autres coupes (accidents). ler, modifier, transformer, echanger, renover, reformer? Le verbe renouveLer signifie donc bien « faire devenir autre »,
Le verbe CHANGER se signale par sa capacite a ex primer tous mais avec un dynamisme beaucoup moins puissant que changer,
les degres de l'alterite de 1 a 5. DEGRE 1 : je change les serviettes retenu qu'il est du cote de meme au degre 1, et empeche d'atteindre
(en les rempla!;ant par d'autres qui peuvent etre exactement sem aUX deg 4 et 5, qui sont les degres les plus eleves de l'alterite,
res blables); Paul change de chemise (il en met une propre qui peut TRANSFORMER passe directement du deg re 2 au degre 4 et eire exactement semblable a la precedente). DEGRE 2 : M. Dupont ignore tous les autres : DEGRE 2 : je transforme ma maison : c'est a bien change; la maladie l'a beaucoup change. DEGRE 3: }e change toujours une maison (espece) ; je ne l'ai pas mise par terre pour tout de robe (fen mets une bleue a manches courtes a la place d'une rouge a manches longues). DEGRE 4 : la fee change Ia citrouille en reconstruire, i1 subsiste les murs, ou du moins une bonne partie d'entre eux (wbstance) ; mais enfin, j'ajoute un etage, je deplace carrosse, DEGRE 5 : je change des francs contre des dollars, des c1oisons, et l'aspect, exterieur et interieur, sera tres different On voit que l'utilisation des prepositions en et contre, de meme de ce qu'il etait (accidents). DEGRE 4 : Cette usine transforme la que l'obligatoire substitution du pronom autre chose it l'adjeciif bauxite en aluminium: ce n'est plus la meme espece : il n'existe pas autre caracterisent les degres d'alterite les plus eleves ; la preposi de mines d'aluminium et on ne fait pas de casseroles de bauxite; tion de pouvant apparaltre au degrc 1 comme au degre 3 n'est pas l'aspect est tres different (accidents) ; l'integrite de la snbstance est aussi pertinente. partiellement, mais non profondement atteinte, la bauxite ctant composee en majeure partie d'un oxyde d'aluminium. II est donc possible de cIasser les divers emplois de ce verbe On pourrait donc proposer comme « signifie de puissance» de dans un ordre allant du plus au moins ou vice-versa. L'aIliance de transformer « action sur la substance d'un etre entrainant une alte la notion elementaire d'alterite et du dynamisme qui en ordonne les ration profonde tantOt des seuls accidents, tant6t des accidents et de diverses applications est justement ce qu'on pourrait appeler Ie « signifie de puissance » du verbe changer, l'espece elle-meme »,
employe a proprement parler; ce qui reste de commun aux deux termes de l'echange est quelque chose de plus abstrait encore que la substance: 1a valeur.
Les autres verbes envisages: ecitanger, modifier, renover, RENOUVELER n'est capable, lui, de balayer que les trois pre reformer ne sont capables que d'un seul degre de l'alterite et leur miers degres : DEGRE 1 : n'ayant pas ete entendu, je renouvelle ma signifie de puissance se reduit - du moins pour 1es trois premiers question; autrement dit «je pose une seconde fois une question semblable» ; c'est toujours une question (espece), sa formulation est d'entre eux - a leur signifie tout court. identique (accidents), mais c'est une autre emission de voix (subs ECHANGER prend Ie relai de changer au DEGRE .5 ou s'epuise tance), Ici, la permutation avec changer n'est pas possible: je change ~nfin son dynamisme : changer X contre Y ne se dit guere que de ma question signifierait au moins «je pose 1a question sous une 1 argent. On peut changer des francs contre des dollars, mais on ne forme differente» (degre 2) ou «je pose une autre question» peut guere qu'echanger des serviettes contre des torchons ou un (degre 3), 8i l'on se souvient qu'au premier degre de l'alterite autre mouton contre des pommes de terre, et meme fonctionnent de fa!;on complementaire, on constatera que renouveler est plutot du cote de meme et changer du cOte d'autre ; MODIFIER, DEGRE 2: j'ai modifie mes plans: ils restent des ce qui compte dans je renouvelle ma question, c'est que j'emets deux pla?"s (espece) ; ils concernent toujours la meme action (substance) ; fois la meme question; dans je change les serviettes, c'est que je roms un nombre pluS ou moins important de details ont ete changes mets sur la table d'autres unites de l'espece « serviette », qui peuvent (accidents), fort bien etre semb1ab1es aux premieres, mais qui, apres tout peu 6*
170
LICQU·:L!XE I'ICOCIJE
RENOVER, DEGRf!: 2 : j'ai Tf2nOVe ma boutique: elle reste Une boutique (espece); Ies murs, Ies disPOSitions d'ensemble restent en place (substance); mais son aspect change (accident8) en ce sens particulier qu'elle parait desormais neuve. REFORMER est un cas assez particulier : reformer des institu_ tions, c'est les faire passer d'un etat mauvais a un etat meilleur (eventuellement l'etat originel, altere au Cours des ans); reformer des abus, c'est apparemment Ies detruire, IE's faire passer a I'etat de non-a bus ; reformer un wagon, Ie faire passer de I'etat de « bon pour Ie service» a celui de inapte it servir Si Ies deux premiers exemples peuvent se ramener a un seul (abus pouvant etre considere comme une des substantivations possibles de "mauvais») Il n'en est pas de meme du troisieme, qui constitue une seconde acception passablement heterogene a Ia premiere. If!' ACCEPTION: I'espece {( institution» est associee a une substance (regiements administra_ dont Ies accidents (incoherences, injustices) sont {( mauvais ". On « fait devenir a1ttres» Ies accidents, et Ies voila « bons» (cohe rence, justice, etc.). 2(' ACCEPTION : I'espece wagon» est associee a une certaines 8ubstance (carroserie et tapisserie plus au moins usagees) dont un des accid0nts est Ia qualification « en service». On Ie « fait devenir autre" et Ie voilR «hoI's service Un point commun a ces deux acceptions est de se placer au DEGRE 2 de l'alterite. Mais les accidents dont il s'agit dans l'un et I'autre Cas sont apparemment incoherents, opposes sans etre vrai ment antonymes, et on pourrait envisager de parler d'homonymie plutot que de polysemie. Peut-etre cependant pourrait-on considcrer qu'il y a en commun tous ces emplois !'idee de sUpprimer ce qui est mauvais» ou « faire devenir non-mauvais ", l'idee de « [aire devenir bon» n'etant que secondaire, derivee, et particuliere a certains emplois, et l'une des mani€?res de rendre un objet « non-mauvais ", c'est-a-dire « non nuisible» pouvant etre non pas Ie « faire devenir bon», mais Ie « reduire it l'inlltilitA». .
a
Le DEGRE 2 est donc particulicrement charge, puisque s'y
rencontrent les verbes changer, modifier, transformer, renouveler,
renover, reforrner. SUI' ce point particulier, ces six verbes peuvent
etre traites comme un champ generique dont changer serait l'archi
Iexeme par rapport auquel modifier et transformer s'opposent
respectivement par les semes «superficiellement» et « profonde
ment », renover et renouveler par l'oPposition du « neuf ", ou « non
use » et du « nouveau » OU « jamais vu ", Ie « neuf » ctant tout it fait compatible avec du « deja vu )} et meme a Un retour a l'etat primitif ; reformer enfin, se distinguant par Ie seme « suppression d'un acci dent mauvais »,
ou
Tout cela peut etre resume dans Ie tableau de la page sUivante, On interpretera Ie sillnp comme « qui ne change pas et Ie
LES
nu;m~s
IlE L·.ILTLHlTI):. SI(;:';IFll': DE PFISS.I::\CE
signe comme « qui change ou pas".
»,
Ie signe ± comme
171
qui change peu
CONCLUSION: Y a-t-il une contradiction entre Ia notion clas sique de polysemie et celle de signifie de puissance? Nullement! Un mot polysemique est capable de parcoul'lr une certaine trajee toire reliant un maximum a un minimum ou I'inverse; dans d'au tres cas, probablement, deux ou plusieurs trajectoires, diversement orientees, d'un maximum a deux ou plusieurs minima (on pourrait sans doute analyser ainsi Ie verbe voir). Sur ces trajectoires, Ies distributions et les contextes determinent des zones qui constituent precisement les diverses acceptions du polyseme, et Ie passage de l'une a l'autre peut tres bien s'exprimer par les categories de la polysemie interne ct de la polysemie externe et leurs sous-catt'gu!'ies inventoriees par R Martin dans l'article d~'ja cite. Ce qu'il cst peut eire utile d'appeler « signifie de puissance» ne serait pas seulement Ie minimum semantique commun a toutes les acceptions, qui est d'autant plus tenu que Ia trajectoire est plus longue et que Ie pro cessus de subduction a fonctionnc davantage, mais aussi Ia capacite de parcourir une certaine trajectoire et pas une autre, de ce mini mum it ce maximum. L'une des deux methodes d'analyse consiste a prendre les diverses acceptions d'un polyseme comme des realites toutes faites et a envisager leurs relations d'un point de vue Iogique, l'autre, ales considerer, d'un point de vue genetique, comme Ies diverses etapes d'un mouvement de pensee sous-jacent. Que ces diverses acceptions s'expliquent par des combinaisons de semes et d'actants, c'est bien certain; mais il nous semble qu'il peut s'expli quer aussi, a un niveau plus profond, par un certain dynamisme propre a un polyseme et un seul, qui lui fait produire certaines de ces combinaisons comme un pommier produit des pommes, et Ie laisse incapable d'en produire certaines autre;;, comme un pommier qui ne produira jamais de Le philosophe Lachelier, defendant Ie mot nat UTe contre des collegues qui Ie jugeaient trop polysemique pour etre rigoureuse ment utilisable, ecrivaH: « L'emploi exc1usif d'un mot plus precis special a chaque acception ferait evanouir ce qu'il y a de I'i§ellement un, et en meme temps de profond et de philosophique dans cette large Signification. II ne faudrait peut-etre meme pas tant specifier et distinguer les sens, et laisser un meme mot evoluer librement de l'un a l'autre, pourvu qu'on sente, entre tous ces sens, un rapport de filiation et une identite fondamentale. Les mots d'une langue ne sont pas des jetons, ils ont en eux-memes une phusis. Ils n'ont pas un nombre determine de sens; il y a en eux, comme dans tout ce qui est vivant, de I'infini)} ('). Sous Ie nom de « signifie de puis sance », c'est cette phusis que no us avons cherche a apercevoir. Etait-ce un fan tOme ? (9) Cite dans Ie Vocabulaire technique et critique de la philosophie cl'Andre Lalande, Paris, P.U.F., edition de 1968, p. 670.
172
.IACUCELIXE P[COCIlE
TABLEAU RECAPITULATIF
une seule et meme chose
les deux memes choses une autre chose toute pareille
Trois aspects en commun DEGRE ZERO espece ~~ rien ne change substance accidents De~.x aspects en commun DEGRE 1 je change les espece serviettes substance accidents Paul change de chemise je renouvelle ma question DEGRE 2 M. Dupont a change; espece la maladie l'a bien substance change; je modifie accidents mes plans; je trans forme rna maison, je renove rna boutique, l'actrice renouvelle son role; Ie ministre reforme les institu tions; la SNCF reforme un wagon Un seul aspect en commun
DEGRE 3
je change de robe espece substance =f: je renouvelle rna accidents =1= garde-robe DEGRE 4 changer une citrouille espece en carrosse - trans substance former de la bauxite accidents en aluminium trois precedents aspects en commun, intervention d'un 4" DEGRE 5 changer des francs espece contre des dollars; substance =1= echanger des serviet accidents =1= valeur C~ tes contre des tor chons.
I
"*
I
M. Dupont est tout autre depuis sa maladie
une autre robe, difierente de la premiere autre chose (resultant d'une transformation) Aucun des
autre chose (resultant d'un troc)
Amiens.
"*
"*
"*
"*
.Jacqueline PICOCHE
L'exception etla ,est,iction dans les langueS ,omanes La presente etude se propose de placer dans une perspective rom les procedes syntaxiques fran<;:ais decrits par Ie regrette Gerard : eUe rapprochera ces procedes de ceuX qui sont ane Moig net n0L
utilises par Ie roumain, l'italien ct l'espag
Au preal , il est utile de rappeler la definition des e able e d'exception et de restriction, voire de cell d'adversatif - exprime parfois par les memes termes que ceUX qui entrent dans les deux premiers tours _ et de preciser auss i la nature des moyens lexicauX
notion~'
qui concurrencent ces formules l'yntaxiques. L'excepti (ou exclusion) est jointe a une phrase qui, sans elle, constituerait on neanm oins un tout acheve, une «categori.e genera1e (of. Moi,net, p. 19) ('); rexceptio n con
tram~e
de ... L'adversatif _ dans certaines constructions, voisin de l'exceptif c (cL ibid., pp. :'39-40) _ met, lui, en rapport deux termes qui sont tous deux particuliers (d, ibid., p. 53) : il s'exprime par des conjon tions de coordination: fran<;ais mais, roumain dar, insa., $i ... , italien ma, espagnol pero, sino, mas. La restriction (ou limitation) fait au contraire partie integrante de la phrase qu'eHe nuance, et qui ne comporte pas de categoriC ent generale (cf. ibid., p. 19). Ce sont des adverbes qui formul 1a es restriction de fa<;on positive: fran<;ais seulement, roumain doar, italien solo, soltanto, soLamente, espag no1 s6lo. Et les langu romanes preferent meme ces adverbes, tandis que Ie fran<;ais recourt volontiers a ne .. , que. Les diverses formul es romanes excepti ves et restrictives, carac terisees quasi toujours par 1a presence de 1a negation, proviennent
(1)
Cf. in fine, la liste des ouvrages cites.
D.\:;S
175
rxs I..\:;(;CES RO)[A:KES
EXCEPTIO);" ET
174
Lons ,[OUI1:--:
de trois sources distinctes - dont il sera question ici succes.sive ment : I'hypothese negative (1), la negation d'alter1te (II) et la negation de la superiorite (III). Un dernier probleme ~era examine, et qui gagne a etre replace dans une perspective rom"lne : celui des rapports entre deux des constructions restrictives de l'ancien fran <;ais : ne ... mais que et ne ... que (IV).
I. DE L'HYPOTHESE NEGATIVE A L'EXCEPTION
ET A LA RESTRICTION
Les locutions conjonctives qui expriment l'hypothese negative - et qui sont issues du si non latin - engendrent des formulEs a valeurs exceptive, restrictive et adversative en espagnol, en italien et en ancien fran<;ais. La question ne se pose pas en loumain introduit l'hypothese par clad!.. [§ 1J En latin meme, si non remplace eventuellement nisi, et inversement nisi s'emploie au "ens de si non (d. Hofmann-Szantyr, § 367, p. 667). Les successeurs romans de ce dernier ont repris des nuances semantiques que permettait nisi. Cette con.ionction intro duit une hypothese negative ( " S1 ... ne . pas : d. Riemann Ernout, § 209, p. :599 et n. 2, et § 262 f, p. 5:50). Mais son sens premier est « excepte si et ce apres une neg'ltion pt dans une interrogation (d. ibid., § 209, p. :599, Hofmann-Szantyr, § ;"367 d, p. 668). Nisi devient mcme un simple adverbe (~ excepte »; d. Riemann Ernout, § 209, rem. III, p. 401), de sorte qu'on rencontre Ie pleonasme nisi si (c « excepte si » • d. ibid.).
Derriere une negation ou une idee negative, nisi peut aussi avoir une valeur adversative (-' « mais »: cf. Hofmann-Szantyr, § 367 e, p. 668). Enfin la formule nonnisi prend un sens r'estrictif (c «seule ment »: d. Hofmann-Szantyr, § 367 d, p. 668, Riemann-Ernout, p. 401, n. Apn?s une proposition affirmative, nisi peut aussi etre exceptif Hofmann-Szantyr, § 367 d, p, 668 et p. 855: add. a p. 668) et adversatif (d. Melander, Etude, pp. 117-118) et nisi quod ou nisi quia equivalent alors a « S1 ce n'est que» (cL Hofmann-Szantyr, § :316 Zusatze u, p. 587, Riemann-Ernout, § 209, rem. IV, p. 401, Melander, ibid., p. 118). On est done, des Ie latin, sur Ie chemin de!' sens que prellnent les successeurs romans de si non [§ 2] Des trois Jangues ou l'hypothese negative se mue en une formule a valeur exceptive ct restrictivc, seul l'italien persiste a employcr aussi se non pour l'hypothese negative (<< se non studi, non
«(
promo »), la surenchere va1eva quanlO 101'0, se non di sso pili»), Ie correctif «( se non a1tro ho fatto un esperimento» du moins, en tout cas, pourtant ...), Ie concessi.f (<< se non pigro, almeno poco 1aboriosO ),). Mais 1a forme est se nO et non se non si la parti cule cquivaut a toute une donnee hypothetique ( « autrement » ;
d.
studia, se no guai a te »). e L'ancien franc;ais a recouru a sinon pour l'hypothes negative
«( ja n'istreit de prison se par li n' en issoit : Wace, Moignet, e p. 57).
Mais actuellement sinon ne s'emp10ie plus pour l'hypothes sauf s'il
d'une ellipse autrement» ; cf. « e11e n'avait pas encore
quitte Paris, sinon eUe fut repassee au foyer» (Robert, t. VI,
p. 451 b), pour la surenchere une force indifferente, sinon enne
mie ») et au sens de « a defaut de» (" il est, sinon intelligent, du
«
«(
moins consciencieux ,,).
L'espag distingue , lui, Ie sino exceptif du si no hypothetique
nol «< si no haces nada, ayudame "), elliptique (<< si Ie veo, Ie hare tu recado; si no, Ie escribire ») ou aveC des valeurs de surenchere (<< valia tanto como e11os, 8i que) no valli'!. mas ),) oU de « a defaut so de» (e1 es, si no inteligente, al menos escrupu10 »). Cecent n'est pas seu1ement une question de graphie, mais d'intensite d'ac sur Ie de si no. [§ 31 Le sino espagnol, Ie se non italien et 1es se non ou sinon franC;ais _ suivis eventuellement de que/che introduisent tous trois l'exceptio (§§ 4, 5 et 6). La valeur adversative « mais ») n existe surtout en espagno1: eUe se limite en italien aUnu sennoche ; et en fran<;ais ce n'est que l'ancienne langue qui a con 1e se ... non adversatif (§ 7). L'emp10i restrichf existe en espagnol et en italien, et en fran<;ais plus ancien seu1ement (§ 8).
710
(~
10 L' exception
Les trois 1angues expriment l'exception par sino, se non ou sinon lorsqu 1a phrase est negative (§ 4) et interrogative (§ 5). 8i e elle est affirmative, Ie castman emp10ie aussi un sino exceptif : par contre, dans ce cas, ce n'est que l'italien ancien et Ie fran<;ais litte raire qui attestent cet usage (§ 6).
l§ 41 Dans une proposition negative, 1a categorie genera1e de laque11e on iso1e un element peut etre evoque e par ot1'a coso., altro ou autre chose: i1 s'agit d'une nuance de qualite (a); oU par un indefini qui introduit un aspect quantitatif (b). Ou bien la preposi tion exprime une circonstance qui fait exception a 1a negation tota1e (c). a) Espagno1: "no puede haberlo dicho pOI' otra caSa sino pOI' broma (Molin , t. II, p. 1173 b) ; « nO quie ro otra coso. sino que me er
dejeis en paz» (ibid.).
176
LOns
~lOnu~ EXCEpno~
En italien l'usage est ancien ou litteraire: «Cosi mi stringe Amore, / ch'altro non posso fare / se non tornare a voi, donna valente » (Mazzeo di Ricco, Battaglia, t. I, p. 363 b) ; {( A te la speme / nego, mi anche la speme ; e d'altro / non brillin gIl oc(;hi tuoi se non di pianto» (Leopardi, ibid.. v. 363c). selon Petrocchi (t. I, p. 80 b), une phrase tel1e que « non e altro se non .. . » n'est pas populaire. Frant;ais: "Apres quoi il ne me reste plus autre chose a faire, sinon de m'ecrier avec Ie prophete ... » (Bossuet, p. 139); «je ne sus lui repondre autre chose, sinon que ce (Laclos, Robert, t. VI, p. 451 a). n'etait den» b) Espagnol: {( Nadie sino el puede haberlo dicho t. II, p. 1173 b) ; « no deseo nada ,~ino descansar ». Italien : « N eSSuno puo averglielo detto se non iu nulla da temere se non un suo ritorno prematuro ».
» ; «
(MolineI',
non avete
Frant;ais: «Personne de ses amis n'est entre, sinon vous;) (Moignet, pp. 140-141); Je n'ai rien it dire encore sur (;0 sujet, sinon de ne pas comprendre» (Sevigne, ibid., p. 139). c) Espagnol : « el silencio no fue interrumpido sino por esta sola observacion del guia » (Ramsey, p. 2J 6) ; «no me gusta ese pes(;ado sino con salsa» (Bouzet, § 692). Italien : «di qui non usciro se non per ... Frant;ais: «mais cet animal-Iil ne merite pas que je lui parle, sinon pour l'injurier» (Marivaux, MOignet, p 159). [§ 5J Accord des trois langues pOur employer ces conjonCtions, avec un sens exceptif, en rapport avec un interrogatif ; c'est celui-ci qui evoque la categorie generale. Par la conjonction exceptive c'est une n§ponse negative qui est attendue. Espagnol: l Quien sino tu es capaz de hacer esa? (MOlineI', « l En donde, sino en SeVilla, podia encontrarse tanta gracia? (Martinez, p. 1346 b).
t. II, p. 1173 b);
Italien : « Chi ci aiutera, se non lui?
»
Frant;ais : «Qu'est-ce qu'un poeme en prose, sinon un aveu de
son impuissance? » (Voltaire, RObert, t. VI, p. 451 a).
ET HESTHlCTlO;-';
1l"\~S
LES
L.\~(;U:S
HO:l>IA)lES
177
En italien et en frant;ais un tel usage est ancien ou litteraire. Itallen: « Rendegli t1l,tta la Lombardia e wtto il paese, se non fu la Marca di Trovigi» (Dante, Crusca, t. XI, p. 209 b); « nudo, se non quanto vergogna il velo» (Petrarque, Tommaseo-Bellini, t. IV, p. 738 a). FranGais : « et Ie bon homme .. jure tout quanqu0 el lui a dit, sinon qu'il ne deffendra pas sa maison au jeune compaignon n'en peut mais» (Les Quinze joies du mariage, Moignet, p, 1J 6) ; « Galant homme, sinon qu'il etait quelque peu paillard» (Rabelais, Robert, t. VI, p. 451 a).
2° Uadversatif [§ 7] L'usage adversatif de sino (que) est frequent en espagnol, surtout en rapport avec une negation exprimee par no, no solo ou no solo no: no busco las riquezas si,no la gloria» (Martinez, p. 1346 a) ; « no trabaja sino descansa » (ibid., p. n45 b) ; «no corta el mar sino vuela» (Bouzet, § 999); « no basta que me 10 digas, sino que 10 vel' yo mismo » (ibid., § 1000) ; «no pido que me quiera, sino que no me ofenda » (Martinez, p. 1346 a); « no solo en Espafia, sino tambien en el estranjero se Ie admira» (Bouzet, § 691); no solo nos aburre, sino que nos marea con su charla» (ibid., § 1000) ; « no solo no dormia, sino que ademas moiestaba a los compafieros» (Bouzet, § 691). Dans une phrase interrogative: "l Par dicha vas caminando a pie y descalzo por las montafias Rifeas, sino sentado en una tabla como un archiduque? » (Cervantes. Martinez, p. 1346 b = mas bien). Apres une principale affirmative: « Ie occuri6 enamo rarse de Maigualida Ladera. En rcalidad la habia estado desde nifio, sino que bajo la forma de un aborrecimiento rencoroso por una broma inocente» (Gallegos, Ramsey, p. 579 pero). En italien cette valeur adversative ( mais) semble reservee a sennoche: {( avevo promesso d'andarci, se non che ora mi viene in mente che non posso» (Cerruti-Rostagno, p. 1305 c); «il ragazzo fece di sua testa, sennoche ebbe presto a pentirsene» (Regula-Jernej, p. 272).
Ce n'est que l'ancien franGais qui ait un se . .. non adversatif: en lui n,en avoit nulo hlauvaise, se bone non (Aucassin et Sneyders de Vogel, § 334) ; "ne voient borde ne maison / ne borc ne vile. se bois non» (Eneas, Moignet, p. 57). «
[§ 6J Avec une principale affirmative, l'espagnol E:mploie sino
dont la valeur exceptive est en rapport avec todos : « respondieronle
que todos (escuchaban), sino su sefiora que quedaba durmlendo con
su marido» (Cervantes, Martinez, p. 1346 b); "todos lloraban sino ella» (MolineI', t. II, p. 1173 b); «todos sino yo Ie admiran (Bou zet, § 1000 b). Sino que est aussi exceptif: {( tras todos estos venia un hombre de muy buen parecer, de edad de treinta afios, sino q1l,€ al mirar metia el un ojo en el otro » (Cervantes, Martinez, p. 1345 b) ; «estoy contento, sino que no me encuentro bien» (MolineI', t. p. 1173 b).
3° Le restrictif [§ 8J
II y a restriction lorsque disparalt Ie terme general
(<< autre chose / den / quoi ? / tout ... ») dont Ie sinon isolait un
element, Cette conjonction introduit un terme indispensable a l'achevement de la phrase. Une telle formule est utilisee par l'espa gnol et l'itulien, mais en fran<;ais elle n,existe que dans la langue plus ancienne.
179 FXCFPTIOX FT I\ESTRfCTIOX D.\XS LES L\XG1:ES RmlANFS
r.ons
178
,100'RIX
Espagnol: «no se oian sino lamentos» (Martinez, p. 1345 b) ; « no hace sino bostezar» (Ramsey, p. 216) ; « no quiero sino que me dejeis en paz» (Moliner, t. II, p. 1173 Italien : « non S1 vedevano se non delle porte chiuse» (Camugli, § 177, p. 181, n. 1) ; « non sei se non un ignorante » (pezard, § 204 a) : «non desiderei se non la risposta a una ragione ... » (Galilee, Crusca, t, XI, p. 210 a). Franc;ais : « il est tout manifeste que ce fer n'est sinon un mise rable reste de . , . » (Corneille, Moignet, p. 139).
II. DE LA NEGATION DE L'ALTERITf: A L'EXCEPTION
ET A LA RESTRICTION 10 Ualterite et L'exception [§ 9] En latin classique, derriere nihiL aliud, nisi est de regIe Hofmann-Szantyr, § 320, II, b, Zusatze (I : p. 595). Les langues romanes ont conserve cette form11le, mais en rempIac;ant nisi pal' les successeurs de si non (d. supra, § 4). Le roumain lui, ne recourt pas a cette tournure exceptive, I'hypothese negative etant exprimee. non par quelque *sa nu, mais par daca nu. Mais, en latin derriere nihil aliud, nisi a pu etre remplace par quam (d. Hofmann-Szartyr, ibid.). De meme apparait ne aliter quam (Riemann-Ernout, § 279 d : p. 587 et n.
que du nouvel empereur »); nu inoata altundeva dec'it unde este apa mai adinca (ibid., p. 385 il ne nage pas aHleurs que la ou l'eaU est plus profonde); alta solutic nu este dedt sa pleci ime diat» (Acad. Gram., t. II, § 1014 it n'y a pas d'autre solution que de partir immeciiatement). Italien: « e per quanta Renzo guardasse innan7.1, non vedeva
altro che quella croce}) (Manzoni, Battaglia. t. I, p. ~63 c); {( tuUe
queUe esortazioni non servirono ad altro che a confermarlo nel
diseg no ... » (Manzo ni ,
Le franC;ais plus ancien nie avec Ie seul ne : « Quant l'entent li
~,raitre, n'en fait el qu'il s'enrage» (AioI, Moignet, p. 79); « vous
m'asseurez qu'il n'a eu aultre chose de vous que les esgratinures et
coups de poing? (Marguerite de Navarre, ibid., p. 157). Actuel1e
ment l'adverbe negatif est pourvU d'un 9.ccompagnateur: « com
ment ! etre exile, ce n'est point vous faire d'autre mal que de vous
envoyer manger votre bien chez vous? » (Collin d'Harieville, ibid.,
p. 163) ; « ce n'est pas autre chose qu'une « aUaire I), une « combine» de vaste envergure (Martin du Gard, Robert, t. I, p. 347 b). L'espagnol connait cette construction: « Y no hizo otra cosa que encoger los hom bros ... » (Cervantes, I, 28, p. 254 a); « porque los mal colocados deseos no pueden traer consigo otros descuentos que los semejantes }) (ibid., II, 49, p. 803 b); yo no he de estar obligado a otra cosa que a mirar pOI' por su persona en 10 que ... » (ibid., II, 4, p. 506 a) ; «la cabeza sin toca, ni con otra cosa adornada que con sus mismos cabelloS» (ibid., II, 49, p. 804 a). MolineI' (t. I, p. 789 a) note la tournure no ser otra cosa que ». En outre: «Y no les pedia otTa recompensa que el que la asocial' an a sus exitos » (Maurois, trad., p. 575).
[§ 10] II en resulte dans les langues romanes - et ceite fois aussi en roumain - une autre construction exceptive, ceHe ou les indefinis tels que otra cosa, altro, autre chose et roumain altceva sont suivis des conjonctions que, che, decit.
L'indefini d'alterite qui accompagne la negation est Ie terme essentiel qui confere it Ia principale un sens acheve. Pour exprimer l'exception positive envisagee dans la subordonnee, les langues n'eprouvent done plus Ie besoin d'un terme issu de si non au seman Usme expressif, mais se contentent d'un que, che, decit qui « inver sent» simplement Ie mouvement negatif (d. Moignet, pp. 5 ss.). II y a deux variantes de cet exceptif: celle ou la categorie generale n'est exprimee que par Ie terme d'alterite (§ 11). et cene ou celui-ci est precede d'un indefini negatif de quantite (§ [§ I1J Roumain: «nu (Conachi, Ciobanu, p. 376 = souffrances ») ; d-aLtceva (Teodorecu, ibid., p. 383
am aU tovara:;; decit durerile mele» je n'ai pas d'autre compagnon que mes sa nu vorbiti/dedt de nou-mparat» ne parlez pas de quelque chose d'autre
l§ 121 Roumain: n-a fost acasa nimeni altcineva dec'it eu» (Lombard, p. 367 a la maison il n'y a eu perso nne d'autre que moi)' «nu ti-am spus nimic altceva dedt ce ~tiam ca te intere » (Ciobanu, p. 385 je ne t'ai rien dit d'autre que ce que je
savais qui t'interesserait). Italien : :E qui fuori in persona; e chiede nient'altro che d'esser introdoUo da vossignoria » (Manzoni, Battaglia, t. I, p. :~63 Franc;ais: « Personne autre que moi peut-etre n'y etait venu » Robert, t. I, p. 346 a) ; « Ces hommes qui ne recherchent que l'esprit, ne sont rien d'autre que des genies froids» (Faguet, ibid., p. 347 b). L'espagnol ne recourt pas a otro que; derriere ces pronoms l'exception, soit sino (nada/nadie (nadie mas que: d. infra, § 23). adjectif indefini: ninguna otra
une formule du type *nadalnadie indefinis negatifs, il utilise, pour sino: d. supra, § 4 b), soit mas que Mais l'espag nol peut dire avec un persona que el puede hacerlo ».
D.\>;S LES L.\~G{"ES H(l:IL\~ES
181
EXCEPTIO>; ET
180
Lon8 ,HH'H1X
2° Indefini negatif
conjonction : excepti.f
[§ 13) I.e roumain, l'italien et Ie franc;ais mais non l'espa gnol - possedent donc une construction exceptive dans laquelle, avec une negation, apparaissent successivement les pronoms indefi nis de quantite et l'adjectif d'alterite (personne / rien d'autre que . ..). Et c'est precisement cette construction qui a engendre - dans ceE: trois langues donc, mais non en espagnol des formules dans les quelles les indefinis du type alt, alt1'0, autre . .. ont disparu. II en est resulte deux construction distinctes.
Celle d'abord avec l'indefini de type negatif (nimenilnimic, nessuno/niente, personne/rien) et les conjonctions, et qui demeure, par suite des indCfinis, une formu1e a valeur exceptive (§ 14). La seconde construction se passe meme des indefinis negatifs : il n'y a plus que l'adverbe negatif et 1a conjonction : sans categorie generale donc, cette formule est restrictive. et les termes introduits par la conjonction font partie integrante de la phrase (§§ ]5, 16). [§ 14) Roumain: « n-a fost acasa nimeni dedt eu» (Lombard, p. 367 it la maison il n'y a eu personne sauf moil ; « nu era nimic dedt un vint subtire i;ii caldut ... » (Ciobanu, p. 381 = i1 n'y avait rien qu'un vent leger et chaud ...); Rindunica nlt-i;ii face cuib nicaieri dedt la noi» (Acad., Gram., t. II, § 678 =' l'hirondelle ne fait son nid nulle part (ailleurs) que chez nous).
ItaBen : «10 patria / non ho che il trono, a cui / llulla io pre pongo che 1a vendetta» (Foscolo, Battaglia, t. HI, p. 28 c) ; «non c'e pili niente / che un gorgoglio / di grilli che mi raggiunge » (Montale,
tive: je me suis donc contente de dire les faits tels qu'ils se sont passes (...) n'alterant pas la verite que pour les evenements tout a fait insignifiants CZola, Moignet, p. 168). Mais actuellement l'intro duction du pas signifie Ia negation de la restriction: « il n'y avait pas que des foreis, i.l Y avait les bois}) (Hugo, ibid., p. 171).
I§ 16] S'il est inutile de multiplier les exemples du ne . .. que
fran<;ais, il est opportun au contraire de citer quelques exemples des
constructions roumaines et italiennes.
Roumain : « nu se auzeau dedt greierii ~i cosai;iii» (Ibraileanu,
Dict. cont., t. II, p. 31 a = on n'entendait que des grillons et des
sauterell ); n-a venit dedt cine trebuia» (Ciobanu, p. 384 ~ il
es n'est venu que celui qui etait necessaire); « dar pe drum nu alerga
dedt praful ridicat de un vint baltaret» (Macedonski, Dict. cont.,
t. II, p. 31 a ~ mais sur la route ne courait que la poussiere soulevee par un vent des marais) ; "nu putem primi linga noi dedt barbati fara :;;ovaire (Sadoveanu, Acad., Gram., t. II, § 511, p. 84 nouS ne pouvons accueillir pres de noUS que des hommes decides); cautind intr-o parte i;ii in alta ... nu gasi dedt un tron odorogit» (Ispirescu, Dict. cont., t. II, p. 31 a cherchant d'un cote et de l'autre ... il ne trouva qu'un tronc delabre); nu ridid'i mlna dedt a-$i potrivi mai bine pe cap chipiul» (Camilar, ibid. il n'eleve la main que pour mieux arranger son kepi sur sa tete) ; « vagoanele nu drculau dedt cu perdel trase» (C. Petrescu, ibid. les wagons ne circulaient ele qu'avec les rideaux tires) ; « iata pistolul ... il tiu eu, n-ai dedt sa tragi piedica" (Negruzzi, ibid. voila Ie revolver, je Ie tiens, moi, tu n'as qu'a tirer la detente) ; « n-are dedt sa se ascunda, daca. Ii e frica» (C. PetrescU, ibid. il n'a qu'a se cacher s'il a peur). Italien : « nella conca ospitale / della spiaggia / non erano che poche case (Montale, Battaglia, t. III, p. 28 c) ; « egli non aveva pili dinanzi che un orizzonte fatto di un ciel0 e di una terra egualmente vuota» (Oriani, ibid.) ; « non conosceva don Rodrigo che di vista e di fama» (Manzoni, ibid.) ; « Ne bisognoll e adoperar ranello, / che quando il chiaro sol si fu levato (Berni, ibid.) ; « avendomi Fran cesco detto che voi non andresti che levato il sole, venendo a casa vostra la mattina a giorno» (Sassetti, ibid.).
ibid.).
Fran<;ais: «personne que moi, je Ie repete, ne pent juger Elle nore» (B. Constant, Moignet, p. 168) ; «helas! je ne veux rien, rien que votre bonheur (Collin d'Harleville, ibid., p. 169).
30 Adverbe negatif
+ conjonction:
restrictif
[§ 15) La seconde construction, celle a valeur restrictive, et constituee d'une negation et d'une conjonction est consideree parfois comme une creation particuliere du fran<;ais (ne ... que). C'est a tort, car Ie roumain et l'italien connaissent aussi respectivement nu ... dedt et non . .. che.
Toutefois en roumain et en italien les nu et non sont des nega tions completes. En fran<;ais, par contre, Ie ne n'est plus qu'une negation incomplete (<< immanente ») susceptible soit de se poursui vre en une restriction «< il ne reste qu'un livre»), soit d'etre confir mee par un accompagnateur (<< il ne reste pas un livre I»). Certes la negation complete fut longtemps possible dans la formule restric-
III. DE LA NEGATION D'UNE SUPERIORITE A L'EXCEPTION ET A LA RESTRICTION
1
La negation de Ia superiorite a l'aide des success eurs de l'ad verbe de gradation magiS engendre, elle aussi, eventuellement des formules exceptives et restrictives, et ce en roumain, en espagnol et en ancien franc;ais, non en italien. Ces troi!' langues divergent pourtant, et par l'aspect des formules ou les successeurs de magis
182
Lons }lot:ru\, EXCEPTlO~
sont utilises, et par Ies vaIeurs exclusives ou dominantes qu'eHes permettent. Le mai roumain n'entre, a notre sens, que dans un sim ple adverbe restrictif. Le mas eSpagnoI ne sert guere qu'a marquer Ia restriction, mais Ies formules en sont varices. En ancien franc;ais, par contre, c'est Ia valeur exclusive qui s'est imposee; puis les constructions ont ete abandonnees. Une description scparee de ces trois langues mettra mieux en relief Ia physionomie de chacune d'eHes. 10 Le roumain En roumain nu ... mai a une valeur quantitative ou temporelle, et nu ... mai ... declt nie une superiorite (§ 17). Toutefois cette derniere formule n'implique pas - contrairement a ce qui a ete dit - queIque nuance de restriction (§ J 8). Mai s'introduit. iI est vrai, dans une autre construction restrictive; mais celle-ci existe indepen_ damment de mai, et ce mai a alors une nuance temporelle (§ 19). La seule valeur restrictive de mai est celIe de I'adverbe numai (§ 20). [§ 171 Nu ... mai limite une quantite: mai mult decit atita nu ~tiu » (Lombard, p. 366 ~. je n'en sais pas davantage). A la diffe rence de l'espagnoI (d. infra, § 21), nu . .. mai marque aussi Ia cessa tion d'une action: «nu am mai ajuns acasi:!» (Acad., Gram., t. II, p. 311 je ne suis plus arrive a la maison). II y a nt;gation d'une Superiorite dans: "nu e mai inteligent decit tine» (c- iI n'est pas plus intelligent que toil.
[§ 18J On a estime (cf. Acad., Gram., § 1132) que dans des phrases
comparatives negatives qui dependent d'une principale ou entrent
des pronoms comme nimic rien), altceva ( autre chose), ou Ies
adjectifs ou pronoms alt ( autre), nici un aucun), I'idee de com
paraison est «associee a I'idee de restriction ». Tel secait Ie cas de:
«nu mi e nimic mai drag dedt sa stau de vorba 1.'1..1 dumneata
ibid. rien ne m'est plus cher que de bavarder
avec toil. Amon sens, i1 n'y a pas de nuance de restriction: i1 n'est
pas dit qu'« i1 n'y a que bavarder avec toi qui me selit cher ", mais
simplement que" bavarder avec tOl m'est Ie plus cher »
(Bratescu-Voine~ti,
Deux autres phrases sont citees, cette fois sans ces pronoms ou adverbes, ou l'on a vu une restriction: « intr-o lunga noapte de iarna, nu poate fi mai frumoasa petrecere decit sa stai la taifas, in caldura, cu un om patit ... (Caragiale, ibid. par une longue nuit d'hiver, i1 ne peut y avoir de distraction plus belle que de faire la conversation, au chaud, avec un hom me d'experience ...). L'auteur C'est a tort au,;si qu'on a vu {( une idee d'exception» (cf. Acad., Gram.,
647) dans: « nimic nu mi se pare mai solemn decit a merge pe joS»
rien ne me semble plus soiennel que d'alJer a pied).
(Cillinescu, ibid. En effet, la phrase ne dit pas que « rien n,est solennel sauf d'aller a
pied » mais que « aller a pied est Ie plus solennel ». §
ET HESTHICTIO.\ D.\:->S LES LA:->Gl'ES HmL\\'ES
183
ne dlt pas que « c'est seulement une telle conversation au chaud qui constitue une bene distraction », mais qu'« une telle conversation est la plus belle distraction ». Dernier exemple allegue : « Bogata, n-are placere mai mare pe lume decU sa-.\;i arate unei amice sarace toale tele » (Caragiale, ibid. ~-. riche, elle n'a pas de plaisir plus grand (au monde) que de montrer ses toilettes a une amie pauvre). II n'est pas dit que {( cette femme riche n'aime que de montrer ses toilettes ... » mais que « son plus grand plaisir est de les montrer I). [§ 19] Mai entre, il est vrai, dans Ia formule restrictive nu ... dedt vue supra (d. § 16). Par exemple : « acuma nu-mi mai ramine dedt sa mor" ( maintenant il ne me reste plus qu'a mourir) ou « 0, a~ vrea sa nu mai fiu dedt boarea vintului, 0 raza de lumina» ( oh, je voudrais n'etre plus qu'un souffle de vent, un rayon de Iumiere). Mals mai a iei simplement Ie sens temporel de « desor mais» (d. supra, § 17)
[§ 20] II reste donI.' que la seule formule ou mai a une valeur restrictive est l'homonyme (d. Lombard, p. 334) de nu mai, c'est a-dire numai (c~' seulement) : « sta numai ln Bucure;;;ti (ibid. c.' il habite seulement a B.) ; « a fost pe masa numai cartea ,) (ibid., p. 367 -~- sur la table il y a eu seulement Ie livre) (1).
20 L'espagnol En espagnol no ... m(is est utilise pour limiter une quantite, mais a la difference du nu . .. mai roumain --- non pour la cessa tion d'une action (§ 21). En soi, rIO . .• mas . .. que nie essentiellement une superiorite (§ 22). Toutefois l'exception peut etre exprimce par la meme formule lorsque celle-ei est combinee avec d'autres ele ments : no ... mas . .. que este et nadie mas que (§ 23). La restriction se rend par no mas (§ 24), no ... mas que (§ 25) et no mas que (§ 26). Mas est aussi adversatif (§ 27) et rnas que concessif (§ 28) : c'est utile de Ie rappeler pour la comparaison avec l'aneien fran<:;ais (d. infra, §§ 33, 34). [§ 211 La formule no . .. mas s'emploie en rapport avec une quantite davantage) : « no tengo mas papel », {( nadie Ie via mas aquel1a tarde ». Par contre la cessation d'une action ou d'un etat est rendue par no ... ya ou ya no ( desormais):« no tengo ya espe ranza de llegar », « no queremos perder ya tiempo ", {{ nadie vendra ya ", «ya no vendra nadie ".
numaidecit est un adverbe qui signifie ({ immectiatement, absolu ment ... » (4) Numai en arrive a renforcer la locution restrictive nu . .. decit : « Ah ! ~i scrisul nu-mi spore~te decit numai catra tine» (Conachi, Dict. cont., t. II ; p. 31 a Ah ! je n'ai envie d'ecrire (!itt.) que seulement pour to! ». (3) Et
._.,_",,...,'1 ..'( \).\:\S I.ES L\XGI'!'S HO:lIA>:ES
184
LOl"IS 'IOl'RIX
[§ 22J No ... mas ... que sert a nier une superiorite : « todos los tesoros no son mas envidiables que una buena fama Certaines phrases se rapprochent parfois de l'exception et de la restriction, mais en restent neanmoins distinctes. Tel est Ie cas de: «nadie 10 sabe mas que Anselmo» (Alonso, t. II, p. 2733 a) : Ie mas porte sur un verbe, est place apre5 lui, et suivi immediatement de que; la reste la negation d'une superiorite: «personne ne Ie sait davantage (I mieux) que Anselme c'est-a-dire« Anselme Ie sait mieux que quiconque». Ce n'est pourtant pas, comme Ie Martin Alonso (= « sino »), une formule excepti ve ; la phrase ne dit pas que « personne ne Ie sait 5i ce n'est Anselme». Ce n'est pas non une restriction, c'est-a-dire que il n'y a qu' Anselme qui Ie sache » ou que « seul Anselme Ie sait ,). [§ 23] exceptive.
185
EXCEPTIO:\ ET
Mais Ie no ... mas . .. que peut se muer en une formule
a) Tel est Ie cas de " no hay mas salida que esta ». Le mas pre cede une categorie generalc presentee au singulier; et la de la phrase (<< no hay mas salida ») peut constituer un tout acheve (= il n'y a pas davantage de sortie »). Le que qui, en fait, poursuit la phrase, introduit un pronom demonstratif qui constitue une sorte de rupture avec ce qui precede, et evoque - par Ie no que cet exemplaire en est soustrait. L'exc('>ption porte alors sur la comme dans no tengo mas traje que este ». Mais mas peut aussi etre considere comme ayant une valeur plus qualitative (") : « il a pas d'autre sortie 5i ce n'e5t celle-ei » ou « je n'ai pas autre vetement sauf celui-ci ». Et tel est Ie cas dans: « no se puede pasar por mas camino que este» (MoHner, t. p. 358 b). En effet, derriere une negation, l'opposition du quantitatif et du qualitatif se neutralise dans un signe ambivalent Moignet, p. 51). On est pres d'une formule restrictive (d. infra, § 25): no mas que esta salida» ou « no tengo mas que este traje ». b) Mas que est aussi une locution exceptive si la categorie gene rale est exprimee par un indefini : «no se 10 he dicho a nadie mas que a ti» (Moliner, t. II, p. 359 b); « no se 10 he dicho a nadie» constitue une proposition complete; on en excepte: sino a ti ». Il en est de meme dans: « son las que no sacan las faltas a las demas, para que las senoras no atiendan a nadie mas que a ellas» (Bena vente, Keniston, p. 259). On est pres du nada mas que restrictif (d. infra, § 25 in [§ 24] La restriction peut s'exprimer par no mas derriere un mot. Elle porte sur une quantite comme dans: « un dia no mas
necesito para arregJdl ciertos asuntoS» (Gald6s, Melander, Elle a aussi une valeur qualitative comme dans: debe darle? - El de amigo no mas» (ibid.) II en est de meme pour nada mas. La locution introduit une
s quantite dans: « los primeros anos nada mas (Galdo . ibid., p. 83) ;
eUe limite une ,,,,,,lite dans: eres un pensamiento nada maS)?
[§ 25] Si la construction ou mas et que sont separes est d'un
emploi limite (cL supra, § 23), par contre celie ou les deux elements
se suivent est frequente; eUe exprime la restriction parce que Ie
complement introduit par mas que reste dependant du syntagme
verbal: no tiene mas que siete anos» (Moliner, t. II, p. 359 a), (, no
sabe mas que 10 que aprendi6 en la escuela" (Martinez, p. 859 b).
C'est une restriction qui porte sur une quantite.
Mais dans d'autres cas. sa valeur est plut6t qualitative, et syno nyme de otra cosa sino; par exemnle dans: "no hacia mas que mirarle» (Martinez, p. 859 a), « no pensaba mas que en comer (ibid.) ou yo ya no soy mas que un numero" (Rusinol, Keniston, p. 259 (1). Certaines phrases sont certes proches de l'expression d'une exception, mais en restent toutefois distinctes. C'est ainsi que « A la verdad, hasta entonces no teniamos motivos mas qwz para felici tarnos» (Ramsey, p. 216) ne pas, comme Ie dit Ramsey (<< except») que noUS n'avons pas de raisons si ce n'est de nOUS felieiter ». On veut simplement dire que «noUS n'avons que (/ nous avons seulement) des raisons de noUS f&hciter ».
La mas de la for mule restrictive peut etre renforce par un pronom indefini : «no han quedado aqui nada mas que las personas de absoluta confianza (Munoz Seca, Keniston, p. 259). Nada mas forme iei une locution restrictive; il y aurait eU exception dans Ie cas de: no ha quedado aqui nadie mas que las personas .. , per sonne saur , .. ; cf. supra, § 23 in fine).
[§ 261 dans
La langue classique a recouru a une locution restrictive la negation precede immediatement mas: «acompa
(6) En espagnol d'Amerique. no mas a, outre la valeur de ({ solamente », celie de « precisamente» (( Asi no maS» : Kany, p. 314), de « pues» (<< i Diga no mas! : ibid., p. 315), de ({ apenas» (<< al no maS llegar» : ibid., p. 316) et est aussi sans connotation detcrminec «( (, Que no mas has L'espagnol traldo ? » : d'Ameriquc ibid., p. 317). connait encore les formules restrictivcs no ... no mas et no no mas : « Ramirito no cstaba no maS enfermo, sino que. .. (ibid., p, 314); « antes los senores casaos bailaban con las muchachas Y con las demaS senoras, no no mas con sus mujeres (ibid.). (7) En Amerique aussi no ... no maS que: « no habia no mas que carpas ))
(5) cr, aussi : « l Desea Ud mas vino ? » encore « los demas» = les autres.
desirez-vouS d'autre vin ? Cf.
(Kany, p. 314),
186
LOL'IS ~rOURIN EXCEPTION ET RESTRICTION DANS LES LANGUES ROMANES
fiadas no mas que de mis criadas}) (Cervantes, WaIIenskOId, p. 429) ; « y en verdad estoy por condenarlos no mas que a destierro perpe tuo}) (Cervantes, I, 6, 17). On peut en rapprocher la formule sans autre negation que Ie nada qui precede mas: « Ie pido el consenti_ miento y nada mas que el consentimiento" (Rusinol, Keniston, p. 259) ; ({ en primer lugar, Rojas solamente es mi amigo, nada mas que mi amigo» (Dicenta, ibid.). [§ 27] Mas est done utilise frequemment pour exprimer la restriction, plus rarement, on l'a vu (cf. supra, § 23), pour l'excep_ tion. Rare est aussi l'emploi adversatif de mas.
Apres une proposition negative, la langue c1assique recourt it un mas adversatif : « no tenia celada, mas a esto supli6 su industria (Cervantes, Martinez, p. 861 a). Actuellement ce mas ne se rencontre gUere que dans la prose sOignee, et ce apres une proposition affirma tive pour marquer une adversation restrictive, de forme ou de sens negatifs: « cierra los oj os, mas no duerme» (Bouzet, § 997); « hizo 10 que pudo, mas fracas6» (ibid.). Habituellement l'espagnol lUi prefere pero, et apres une proposition negative, sino. [§ 28] QUant a la locution conjonctive mas que, eIle exprime une concession (c~ aunque) : «iras mas que te pese» (Moliner, t. II, p. 359 b), «mas que nunca vuelva» (Alonso, t. II, p. 2733 a), '( por mas que hagas no 10 conseguiras » (Martinez, p. 860 a). 3° Uancien franr;ais
En ancien fran<;ais, ne ... mais, mais . .. ne nient une superiorite quantitative et la poursuite de l'action ou de l'etat (§ 29). Et alors que Ie no mas espagnol et Ie numai roumain expriment la restriction (cr. Supra, §§ 24, 20), ne . .. mais - aux elements separes est, lUi, exceptif (§ 30). A la difference aussi de l'espagnol et du roumain, il n'existe pas
en ancien fran<;ais, pour une comparaison de superiorite, de formule
du type (ne) ... *mais . .. que, aux deux derniers elements separes (k).
En realite, mais que forme toujours une locution (ne ... mais
que ou ne . .. ne mais que). Celle-ci est aussi habituellement excep
tive (§ 31) et - contrairement it l'espagnol (cf. supra, §§ 25, 26) _
rarement restrictive (§ 32). En outre, ne .. . mais que est adversatif
(§ 33) et - suivi du subjonctif - a une valeur co n ditionnelle, even
tuelle, voire temporelle (§ 34). f§ 29] Rares sont les exemples ou mais est un adverbe quanti tatif: ({ ne pooit chevauchier mais» (Huon, Foulet, § 301); ({ n'a mais amfant}) (Alexis, MOignet, p. 37 « i1 n'a pas d'autre enfant ») ; (8) Tels que serait p. ex. : «"Mais est isnels qu'espreviers ne arunde» ou
« Il ne fut *mais sainz que David, ne *mais saiges que Salomon ».
187
«mais n'avrai amfant}) (Alexis, ibid., p. 30 "en plus, en outre l» ; « cinc ans vesqui puis Charles et non mais (Couronnement Louis,
Melander, L'origine, p. 80). L'adverbe a une valeur temporelle dans: "ne grant joie mes n'en avrai » (Vair palefroi, Foulet, § 364).
[§ 30]
Mais exprime l'exception dans differents cas.
a) Dans une phrase negative - ou ne est a lui seul une negation complete Ie mais qui regit immediatement un numeral (\I) mar que l'exception: il affirme l'existence de cette quantite: « des set (escuz) qu'il porte ne lit lait mais un» (Chans. Guillaume, Moignet, p. 35 « il n'en laisse pas si ce n'est un}»; «ne vit mais quinze jors» (Chans. d'Antioche, Tobler-Lommatzsch, t. V, col. 865 ne vit pas outre quinze jours») ; « n'en i a mais cinquante sis» (Roman de Troie, Melander, Etude, p. 152 = outre cinquante-six il n'y en a pas). b) Dans d'autres phrases, negatives aussi, la categorie generale, it laquelle il est fait exception, est exprimee par un indefini de quantite: « Lo roi Lelr par els remande / Qu'od sa fille rien ne demande, / Mais la pulcelle seulement)} (Brut, Melander, Etude, p. 153). On notera aussi: « Jo ne sai veirs nul home / Ne mes RolIant, ki uncore en avrat hunte)} (Roland, Moignet, p. 44). c) La negation d'un indefini d'alterite peut etre suivie d'un mais exceptif: « N'a autre rien n'entent ne bee / Mais solement it lui deceivre )} (Chron. de Benoit, Melander, Etude, p. 152) ; « Que d'autre chose n'a espeir / Mais de tot faire son volair » (ibid., p. 153). d) Si la phrase est positive, la categorie generale est souvenf marquee par l'indefini tout: « Tote esteit neire mes un bras qU'elle ot blanc)} (M. Aym., Moignet, p. 43); «Tuit sunt ocis cis Franceis chevalier, / Ne mais seissante, que Deus at espargniez}} (Roland, ibid., p. 44). [§ 31] Un autre exceptif est mais que: la principale peut etre negative ou positive.
a) Dans Ie premier cas, l'adverbe negatif constitue une negation complete, separee du mais que par une pause: « encore n'en fussiens nous certein mais que par olr dire)} (Joinvillc, ibid., p. 93) ; « et leur fut dit que la prochainete que Ie roy d'Engletere se disoit avoir ou royaume de France ne lui venoit mais que de par sa mere)} (Gr. Chron., ibid., p. 106); «comme cele qui ne quiert mes qu'ele soit delivre d'eus)} (Mort Artu, ibid., p. 84) (10); « N'i ot ne per ne (9) Non comme dans: « mais de quarante teises del mur en abatrai» (Voyage de Charlemagne, Wallensk61d, p. 397). (10) Dans Les signes de l'exception (p. 84), Moignet hesite entre Ie sens
DA);S I.ES L.\);(~CES l\O:\IA:;\ES
189
EXCEPTIO); FT
188
LOl'IS
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escuier, / Ne mais que sei et son destrier (Thebes, Melander, Etude, p. 129) ; « Onques nen ot aYe de nule feme aidable / Ne mais que de Jesu Ie pere esperitable (AioI, Moignet, p, 34). b) Si 1a principale est positive, eUe contient souvent l'indefini tout: « De pan et yin sanctificat / Tot ses fidels i saciet. / Mais que ludes Escarioth / Cui una sop a enflet 10 cor}) (Passion, Moignet, p. 30); « Seneschaus, je vous comment que vous ne vous couchiez des or en avant, tant que aies tOHZ les feus de ceans estains, ne mais que Ie grant feu qui est en Ia soute de la nef » (.Joinvillc, ibicL, p, 93).
IV. ANCIEN FRANGAIS NE ... MAlS QUE ET NE ... QUE [§ 351 Le fait que ne ... mais que a connu une valeur restric tive (d. § 32) pose le probleme de son rapport avec Ie ne .. , que ent restrictif. Sur ce point, les vues du regrette Moignet ont evolue. Dans la premiere edition de son travail, il estimait, contrairem , entre autres, a Lerch, que « l'hypothes e de 1a chute du mot mais de ne . . ' mais que paraJt difficile it soutenir)} (Moignet, 1''' edition, p: 45). C'etait au contraire dans la negation de l'heterogt'nite
autre que -+ ne . . , que) qu'il voyait la source exclusive de ne . ..
[§ 32J Mais que exprime une limitation lorsque Ie terme regi fait partie integrante de la phrase. Cette restriction porte essentiel lement sur une quantite.
que.
a) La phrase est negative dans: «Jo ai cuntc n'i ad mais que VII liwes » (Roland, ibid., p. 20) ; " ja soit ce ke fevriers n'n a ( def jours) mes ke XXVIII quant il n'a bissexte» (Brunet Latin, ibid" p. 93); « ne demora Guillaumes mais que deus jours iki), (B. De Comm. Wallenskold, p. 402); "De cent milliers n'cn pout mais qu'uns aIer» (Roland, ibid., p. 401).
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b) La formule restrictive peut devenir ne mais que, et affecter un verbe a la voix affirmative: "ne mais ke quinze jors al secle demora» (Poeme moral, ibid., p. 401). f§ 33J Mais que -- et non simplement mais est aussi un adversatif ( mais bien) : « Argent ne aur non i donet / mas que son sang et soa carn» (Passion, Moignet, p. 70); « Et ne vous doubtez, car du vostre ne voulons nous vaillant un petit denier, mais que vostre bonne amour sans vi11enic }) (MeIusine, ibid.., p. 106). [§
:HJ En outre, mais que est une locution conjonctive qui peut
avoir maintes valeurs. Suivie de l'indicatif, Ie sens en reste exceptif (<< sauf que ", mis a part que ») (II). Suivi du subjonctif, mais que introduit une restrictive hypothetique' 1a visee hypothetique elle meme (...) subit une restriction» (ibid.., p. 77) et les sens sont a condition que », « pourvu que « si seulement (12) ou bien « 1a restriction porte sur Ie resultat de l'operation de supposition» (ibid., p. 78) ; « meme si ", « des que » {( exceptif» et la signification « plus ». Dans sa Grammaire (p. 278)' il traduit par « pas plus que», et n'y voit donc que la negation d'une superiorite quantitative. (11) {( 81 ne sc;;avoit que dire, mais que point ne Ie laisseroit tant que leur chemin it vouldroit tenir» (Jehan de Paris, MOignet, p. 120 ; cf. supra. § 31). (12) Cf., par exemple, respectivement les citations extraites de Jehan Maillart (ibid., p. 94), du Roland (ibid., p. 31) et de Eneas (ibid., p. 77). (13) Cf., par exemple, respectivement les citations faites des Quatre livres des Rois (ibid., p. 77) et ue Malherbe (ibid., p. 137).
Dans la seconde edition, Moignet concede qu' « une double ori gine est chose concevab1e» (2" edition, p. 3). Il semble pourtant
hes . D'une part, il dit qu'il ne faut pas partir de ne ... mais que
iterexpliquer ne ... que (2" edition, p. 47), car" it l'oligine (...) il
pour Ie tour) est de l'ordre du qualificatif» (p. 51). D'autre part,
« cependant un nombre important d'exempIes, un peu posterieurs
er (...) comporte apres que une indication numelique qui fait pens pluto a ne ... mais ... que (...) et a une valeur quantitative (p. 51). t La comparaison des faits romans incite a adopter Ie point de vue de la premiere edition plutat que ce1ui de la seconde. [§ 36] En ancien fran<;ais, le ne .. · que a un large d'emplois restrictifs, alo rs que Ie ne . mais que n'a guere de valeur restrictive que devant les numeraux (d. § ; il est exceptif (d. § 31) ou adversatif (cf. § :33). I.e ne ... mais nol que aura coexiste un temps avec Ie ne ... que, tout com me , en espag , no . .. mas que est utilise, a cote de no ... sino (d. infra, n. 16 et 17). Le ne .. , mais que 5e sera efface, lui, devant ne . . , que, mais n'aura
;~2)
h,~bituel1ement
pas contribue a son avenement. En effet : 1 magiS etait un « terme essentiel (...) dans Ie comparatif dE: 0 superiorite » (Moignet, Pi' ed., p. 45). Si l'espag nol et 1e roumain l'ont conserve dans cette fonction (d. §§ 22 et 17) ,- mais non l' ancien fram;ais (d. supra, n. 8) _, aucune des deux languE'S ne se sont passe respectivement de mas et de mai pour aboutir a un eventuel es que qui n'existe pas 1), et a un nu . .. dedt, qui, lui, est issu *no ... exclusivement de nu ... altceva. . dectt (d. §§ 13 a 16). Dans ute Ie nu . .. dec'i.t restrictif un mai peut s'introduil'e, mais celui-ci aio
e
(14) « 'No tiene que siete anoS serait un gallicisme gravement incorrect (cf. Martinez, p. 860). On a cru decouvrir un exemple de cette construction dans Cervantes : « y yo en todo este tiempO no he visto que el sol del cielo de dia, Y la luna Y las estrellas de noche») (1, 49). Mais l'edition du IV centenail'e (l967) precise dans les notes (p. 1.799, n. 41) : « Quiza c se olVida en la impresian un mas que habria en el original : {( No he visto mas que el sol ». A nos sel' esto un italianismo ). Et l'editeur cor rige (p. 803 a) : « no he visto (mas) que ... )'
LOUIS MO[JRJN
EXCEPTIOX EI' RESTRfCTIOX DA:.iS LES L\NGUES
simplement une nuance temporclle (cf. § 19), tout comme en italien ou Ie successeur de magis n'entrc pas dans les comparatives d'inegalite - pi'll, adverbe a la fois de quantite (= davantage) £'t de cessation d'un etat ne ... plus) nuance eventuelJemC'1Jt Ia formule restrictive non ... ehe mais n'en est pas l'origine (cr. §§ 13 a 16): c'e28piu t.« non ru, p. c). niente que un gorgoglio de grilli » (Montale, Battaglia,
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2° Le roumain et 1'espagnol ont COnSel'Ve Ies formules avec Ies elements separ{:s, c'est-a-dire nu ... mai. . decit pour Ia compa_ rative negative de SUperiorite en roumain (cf. §§ 17 a 19), et Ie no ... mas . .. que en espagnol non seulement pour la comparative (d. § 22) n mais aussi eve tuellement pOur la restriction (cf. § 23). En frangais au contraire mais que forme toujours une locution.
3° Et celle-ci est sans valeur qUantitative. Le ne . .. mais seul est d'ailleurs rarement quantitatif (cf. § 29) ; mais de est rarissime (cf. WalIenskold, p. 397, n. 1) et supplante par plus de. Ne .. . mais est habituel1ement exceptif (d. § 30), et rna is evidemment adversatif. 40 Le ne . .. mais que, qui a perdu sa valeur origineIIe, n'est pas precede de quelque indefini negatif te1s que nient, rien, personne,
alors que Ie roumain Ie fait (ef. § 18) et aussi l'espagnoI (d. § 23
in fine, § 25 in fine et § 26).
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50 Et pOur reprendre les termes meme de Moignet (2" edit., p. 47), il est « invraisemblable que mais que (...) se soit dissocie en
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mais / que, au point que Ie premier element mais n'ait plus He compris c'est-a-dire Ies sens exceptif et adversatif soit reVenu au sens premier de « plus» et ait pu ainsi disparaltre » (ibid.).
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[§ 37] Le type si non (I) - non present en roumain _ exprime
a la fois l'exception (§§ 4, 5, 6), 1a restriction (§ 8) et l'adversatif (§ 7)
en itaJien, en espagnol et en ancien frangais. Le moderne
n'utilise sinon qUe pour l'exception.
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Le type magis (III) s'introduit en roumain, en espagno! et en
ancien La ou magis pres€>nte la comparaison de sUperiorite,
c'est-a-dire en roumain et en espagnol, il est utilise aussi pour Ia
restriction: Ce exclusivement en roumain (adverbe numai : § 20), et
essentiellement en espagnol (§§ 24, 25, 26), qui limite les emplois
pour l'exception (§ 23) et n'y recourt que rarement pour l'adversatif (§ 27). Inversement en ancien frangais, OU mais n'existe pas dans la comparative de superiorite, mais sert peu pour 1a restriction (§ 32) mais surtout pour l'exception (§§ 30, 31) et l'adversatif (§ 33), ce dernier etant conserve par Ie frangais mod erne. L'italien a aussi un usage rna adversatif.
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La negation d'alterite (II, 10) ne permet que I'exception, et elle Ie fait dans les quatre langues (§§ 11, 12). Elle evolue en une formule avec l'indefini de la qUantite nulle (II, 20) qui, elle auss!, se cantonne dans I'exception, et ce en fran<;ais, en italien et en roumain (§ 14), mais non en espagnol. Elle aboutit a la construction en simple nega tion + conjonction (II, 30) - la moins chargee semantiquement qui est reservee a 1a restriction, non seulement en fral1<;,ais, mais aussi en roumain et en italien, non en espagnol (§ 16).
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[§ 38) L'expression syntaxique de l'exception et de 1a restric tion pouvait done se fain:, en ancien fran<;ais, seIon trois type essen tiels : sinon, mais et Ie simple que. Le fram;ais moderne a elimine dans ces cas l'usage du type en mais, reserve sinon pour l'exception, et recourt au que pour les deux notions.
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C'est dire que en dehors du roumain _ il existe des concur rences entre trois au deux types. Elles varient selon Ies conditions d'empIoi. Dans les limites de notre enquete qui de toute evidence devrait etre completee et nuancec quelques observations semblent se degager.
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a) Les indefinis de quantite nulle ou 1a negation d 'aIU~riU~ ne permettent que l'expression syntaxique de l'excE'ption. Celle-ci peut etre introduite en franGais par sinon, en esp:.gnol par Sino, en HaIien par se non (§§ 4 a, 4 b). Elle l'a ete aussi en ancien fran<;ais par mais (§ 30 b, c), alors que l'espagnol n'utilise mas que que derriere Ie quantitatif (nadie mas que: § 2:3 b). L'exception se contente aussi de la simple conjonction dans les deux cas (§§ 11, 14) en (qu.e) ct (§ en 11) italien (ehe), seulement derri&re l'indefini alterit6 en espagnol (1 ;').
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b) Derriere a 1a £ois les inddinis de la quantite nul1e et d'alte
rite, il n'y a aussi que l'exception et ce avec la simple conjonction
dans ]es qUatre langues (§ 12): rien d'autre que, nient'altro ehe,
nu ... nimie altceva, ninguna otJ'a ... que.
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(5) Non derriere celui d'alterite : ({ *no . '. otm cosa mas qUe}) ne se dit pas en note 5. raison du sens eventuellement qua.1itatif de mas . cf. § 23 a et
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1° L'exception a ete autrefois exprimee en Iram;ais par mais (§ 30 a), mais que, ne mais que (§ 31 a) ; eUe l'est encore en espagnol par mas... que este (§ 23 a). Mais l'espagnol recourt surtout it
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c) Avec l'adverbe negatif seul se presentent l'exception et 1a restriction.
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194
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195
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sino (lG), et l'italien et Ie fran9ais moderne exc1usivement a se non et sinon (4 c). 2° Pour la restriction, espagnol et italien emploient aussi sino et se non (§ 8). Toutefois dans les deux langues il y a une concurrence: en espagnol celIe de mas que (§ (17), en italien celIe du simple che (§ 16). Le fran<;ais a eu, dans ce cas, sinon (§ 8) et mais que (§ 32 a) ; mais il a abandonne mais que, a reserve sinon pour l'excep tion, et conserve que pour la restriction (§ 16). d) Dans une enonciative, il restriction.
y avail' aussi exception et
1° L'exception a ete exprimee en ancien fram;:ais par (ne) mais (§ 30 d) et (ne) mais que (§ 31 b), et en espagnol classique par no (Inada) mas que (§ 26). Le sinon que rcleve du franc;ais litteraire (§ 6) et Ie se non italien cst ancien (§ 6). Mais l'espagnol utilise encore sino (§ 6).
2° La restriction, rare en proposition 3ffirmative, se faisait en ancien fram;ais a l'aide de ne mais que (§ 32 b) ; et l'espagnol Ie fait encore par no (In ada) mas (§ e) L'interrogative positive recourt, pour l'exception, aux suc cesseurs de si non en fran<;ais, en espagnol et en italien (§ 5).
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Ces concurrences appellent des recherches plus poussees. Et, entre langues, les similitudes de certaines formules n'impliquent evidemment pas l'identite des usages qui en sont faits. C'est ainsi que si Ie ne . .. que franc;ais a un equivalent en italien et en rou main, ces deux langues preferent, semble-t-iL a cette expression syntaxique - et negative de la restriction, son affirmation posi tive par des adverbes.
Gand.
Louis MOURIN
(16) Exceptif, maS introduit une quantite, voire une qualite (cL § 23), alors que sino est suivi plutot d'un complement de maniere (cf. § 4 c). C'est a tort que Bouzet (§ 692) parle de «restriction» dans une phrase telle que «no 10 conseguirtts sino ejercitandote todos los dias» : c'est une exception. (17) En espagnol 10 . .. mas que restrictif se rendra frequemment, mais non exclusivement, par « pas plus que)) (d. § 25), et Ie no . .. sino par « pas autre chose que)} (cf. § 8).
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BUT, CAUSE ET MOBILE. Le cas de I'espagnol classique A date classique et meme plus ancienne, on voit l'espagnol exprimer un evenement dont il poursuit Ia realisation aussi bien par porque + subjonctij : « EI daba tantas voces y hacia tales extr~mos, que movia a los hombres a que rifiesen y castigasen a los muchachos porque no Ie tirasen trapos y aun piedras », Cervantes, El licenciado Vidriera, Clasicos Castellanos, p. 39. « Y procurando no dexar de la mano a su mujer, porque no tomase a ofenderle, vivio algunos afios ». Maria de Zayas, Novelas amorosas y ejemplares,
que par para que
sUbjonctif :
« No sirvieron de nada para con el capell an las prevenciones y advertimientos del retor para que dejase de llevarle ». Cervantes, Don Quijote, IIa parte, cap. I. « Y para qu.e 10 creais en Rejas, que dormiremos esta noche, con dos asadores me vereis hacer maravillas Quevedo, El Buscon, cap. 8.
».
Dans Ie meme temps on voit porque indicatif introduire un evene ment que l'on donne pour la cause ou l'explication d'un autre: « ... dijeron que aSi 10 hac lan, y 10 harlan, con la voluntad y cuidado posible, porque echaban de veT que su sefior por momentos iba dando muestras de estar en su entero juicio ». Cervantes, Don Quijote, IIa parte, cap. 1. « Yo voy huyendo dellos como de la horca y falto poco para sublrme a ella, porque de sus manos me saeo la justicia y me pusieron tras la red ». Mateo Aleman, Guzman de Aljaraehe, IIa parte, lib. II, cap. IV.
Est-ce a dire qu'il y avait alors deux fac;ons de dire Ie but? et que l'une avait assez de parente avec Ia representation de Ia cause pour que l'on put passer de l'une a l'autre par une simple variation de mode? Mais en ce cas, queUe parente? Le meme constat et les memes questions peuvent etre faits sur les prepositions qui entrent en composition dans Ie signifiant de porque et de para que. L'infinitif en effet qui suit por et para me donne l'image d'un evenement projete :
198 JEAX-CLA{-OE CI!E\'ALIER BET. CAt'SE ET )IOBILE
({ Acordaron de no tOcarle en ningun punto de la andante caballerfa, POl' no ponerse a peligro de descocer los de la herida, que tan tiernos estaban ".
j'edifie successivement: rune qui me propose l'ordre de conception des deux operations, l'autre qui me fournit l'ordre de leur effection ;
Cervantes, Don QUijote, lIa parte, cap. I. « POI' muchos ». oirle refiir y responder a todos, Ie seguian siempre
I
II
-------------------------~
Cervantes, £'1 licenciado Vidriera, op. cit., p. 39. (( Y para salir de dudas Ie respond] por otro billete que aquel dia por la tarde la visitaria por la calleja detras de la rasa ». Mateo Aleman, Guzman de Aljarache, ITa parte, Libro I, cap. V.
B
A
B
Ordre de conception
A
Ordre d' effection Fig. A
II est remarquab1e que run soH l'inverse de J'autre. En eIfet obliga tion m'est faite, dans rna representation, de concevoir d'abord desmentir et ensuite ce qui m'en rendra capable. Mais l'obIigation n'est pas moins etroite par laquelle je me represente que je ferai d'abord les gestes qui me mettront a meme d'executer ceux de desmentir. Cette inversion doit etre regardee comme Ie propre des cas ou Ie terme que j'assigne i un acte a ete, sous forme d'image, l'excitation meme a cet acte.
( Para sacarle desta extrana imaginaci6n, muchos, sin aten der a sus voces Y rogativas, arremetieron a el y Ie abrazaron». Cervantes, £'1 licenciado Vidriprn op. cit., p. 36.
Et seuI por a pouvoir pOur me declarer qU'un evenement, que je regarde comme realise, tient a 1'6gard d'un autre un role de cause; {( ... de 10 cual recibieron los dos gran contento, por pare cerles que habian acertado en haberle traido encantado en el carro de los bueyes». Cervantes, Don QUijote, IIa parte, cap. 1. « Cuando murin, POl' no quedarle hijos, mand6 su hacienda a dona Gracia, si fuese monja en el monasterio en que estaba Serafina ».
On relevera enfin que cette representation - ou cet arrange ment - , je peux me la donner des elements que met en jeu Ia phrase (a), mais aussi Ia phrase (b). La situation qui a provoque chacune d'elles se Iaisse ainsi dans l'esprit disposer semblablement : ce n'est donc pas elle qui separe (al de (bl. Ce pourrait etre ce que de cette image elles choisissent d'exprimer.
Maria de Zayas, Novelas amorosas 11 ejemplares, Real Academia espaiiola, Biblioteca selecta de cliisicos espanoles, Madrid, 1948, p. 216.
Supposons a present que I'acte vise, A, trouve a se realiser, et que je Ie dise, que je me place pour Ie faire Ia meme ou il s'effectue. Si je continue de considE:'rer la relation qu'il entretient avec le proees B (borrar ou entrar), la probabilite est forte que je produise des phrases comme :
* Soit les deux phrases suivantes : (a) ( Borrar las huellas para desmentir al cazador ». Saavedra F'ajardo, Idea de un principe politico
(c) (( Desminti6 al cazador porque borro las huellas)) (ou (( habia borrado »). (d) (( Desminti6 las espias porque se entr6 (ou se habia entrado) en una casa que ha116 abierta ».
cristiano representada en cien empresas.
(b) ({hall6 Por abierta desmentir jas eSPias (. .. ) se entr6 en una casa que ». Cervantes.
Dans l'une et dans l'autre il est declare au moins une meme chose.
on cherche a realiser un proces A nomme desmentir. Et dans rune
et dans l'autre la representation du proces A dedenche la represen
tation d'un proces B (ici bon'ar las hue/las, Ii se entro en 1£na casal
qui est repute, s'il s'actualise, conduire a l'actualisation du premier.
Je con<;ois donc d'abord l'operation de desmentil'. Ne pouvant m'y jeter aussitot, je monte en esprit l'operation qui m'y conduira et qu'elle me souffle, qu'elle me dicte. C'est pour concevoir, du meme pas, qU'il me faudra d'abord borrar las huellas ou enh'arme en una casa si je tiens a desmentir cazador et espias. Ce qui revient a dire que me donnant premierement une Operation A, je me mets en quete deuxiemement de l'operation B qui me donnera pouvoir pour l'effectuer, et comprends troisiemement que j'executerai d'abord cette operation B pour, quatriemement, donner realite a l'operation A. Je suis donc fonde a voir entre ces operations deux relations que
199
I'
Je tiens alors que, passant de (al et (b) a (e) et (d), j'ai dans Ie monde des phenomenes conserve a l'acte B son anteriorite. .Ie constate en outre que demeure affirmee la propriete qu'U avait, dans Ie meme monde des phenomenes, de faire etre l'acte A. Mais s'est evanouie I'indication explicite qui portait sur l'etre X, auteur de I'aete A (1 1; dans (al comme dans (bl en effet il m'est dedare que c'est en visant A que X execute B. Cette intention, si elle existe, m'est tue dans (cl eomme dans (dl. Auditeur, den ne m'interdit donc de Ia supposer. Rien non plus ne me fait obligation de croire a son existence. Ce qui animait X a ete ecarte : j'y ai gagne de pouvoir I'imaginer, ou de me Ie defendre, selon ce que je sais de X, selon ee que m'en donne a savoir Ie contexte ou selon Ie type de relation que l'experience et la dans Ie cas examine, de l'acte B -- ce qui est tout a fait oecasionnel. Les relations de A Ii B peuvent en effet se maintenir teUes qu'elles sont ici decrites lorsque A et B sont rapportes it des etres distincts : (( Borro (B) las huellas para que el cazador se extraviase (A) ».
(1) Et,
.6...
200
.JEA:\'-CLXCDE CllEYALIEfi HCT, CACSE ET ,1()BJLE
statistique me font postuIer entre A et B. Maintes fois j'ai pu verI fier que l'acte de borrar las huellas se donnait pour objet de gener une poursuite ou de la frapper d'impossibilite. En consequence, que je Ie voie relie a desmentir al eazador et mon mouvement Ie plus spontane sera de conc1ure qu'il a ete execute a dessein, et tres pn~ci sement pour atteindre Ie resultat dont on Ie fait iei la cause. Mais je peux me garder de ee mouvement ; si par ailleurs il m'est donne a comprendre que c'est tout a fait par hasard accidentellement _ que les traces se sont trouvees effacees, OU que c'etait dans une autre VUe que celIe d'egarer Ie chasseur. Et borrar las huellas n'en sera pas moins la cause de desmentir al cazador.
5) de sa propre position pour l'apprehension de ce systeme; }'instant d'effection de I'operation A.
Soit, reduit et simplifie en figure: dans qJ
IB
9
Al t
L
C Fig. B
J'observe done par 1a que, choisissant pour point-repere ]'instant d'effection de A, je mets it l'ecart de la representation qui sous-tend rna phrase un element que les sequences (a) et (b) inc1uaient; Ie point de vue de X, qui est Ie point de Vue d'un acteur. Je peux bien, dans la representation que je me monterai de Ia situation rapportee, Ie reintroduire si celle-ci Ie permet ; je ne peux faire qu'il ne soit plus inscrit dans la representation que rna phrase vehicule. Et ce constat oblige a reprendre et a affiner ce que la Fig. A assoyait.
Dans (e), L se donne la representation: 1) d'un eire X. 2) de deux representations dans cet etre X ;
et R 2 •
3) de leur succession: Rl R 2 • 4) du caractere operant de cette successivite : RI => R 2 . C'est RI qui dans X declenche R 2 • 5) du contenu de chacune de ces representations; la represen tation Rl d'une operation A a dans l'esprit de X amene Ia represen tation R2 d'une operation B, mais te11e que B soit la condition d'exis tence de A. 6) du lieu de realisation de cette condition: Ie monde cp des phenomenes. 7) de sa propre position pour l'apprehension de ce systeme; l'instant d'effection, dans qJ. de l'operation B.
Soit donc les deux phrases suivantes ; (e) Arrim6se un dia, con grandlsimo tiento, porque no se que brase, a la tienda de un Hbrero. Cervantes, El licenciado Vidriera, op. cit., p. 49. ([) No se quebro porque con grandisimo tiento Un dia se arrim6 a 1a tienda de un librero.
Toutes deux sont l'expression d'une representation qui est cel1e que Ie locuteur L a su se monter. Mais de quoi est-elle faite? Comment s'organise-t-elle dans (e) et dans (f) ?
Soit, porte en figure'
On conviendra de noter comme suit les elements qui intervien nent dans ces deux sequences: A no quebrarse. B X L
201
I
arrimarse con grandisimo bento. el licenciado Vidriera. Ie Iocuteur.
dans X
Rl
clJ
;) R2
I ~~AI 1
L
C Ie contenu de representation que se donne Ie locuteur. Dans (f), L se donne la representation: 1) de deux operations; A et B.
dans If C Fig. C
2) de leur Succession : B A. Ce qui se conserve et ce qui varie de la Fig. B a la Fig. C, c'est a-dire de la representation qui sous-tend la phrase (f) it celle que vehicule la phrase (e), est donc aisement perceptible. L'une et I'autre, c'est I'evidence, sont des representations que L se monte. Et, dans l'une comme dans I'autre, L figure au titre d'element d'element de representation. 11 s'erige en observateur du systeme et, du meme coup, en devient une piece par rapport a laquelle to utes Ies autres se disposent et sont reperees. Dans la Fig. B, l'operation B sera dotee
3) du caractere operant de cette relation d'anteriorite a poste riorite : B::::} A (deux operations en effet peuvent n'avoir pas la meme date, et celle qui precede etre sans effet sur l'existence de celle qui suit: c'est tout Ie contraire que L ici se propose de voir). 4) du lieu d'existence de ces proprietes ; Ie monde menes.
qJ
des pheno
7*
202
BCT, CACSE ET ,IORlLE
JE.\X-CL.\l"D!' CIIE\'.\UER
du pouvoir de faire etre l'operation A, mais elle sera toujours appre hendee a partir de son ulteriorite, a partir de son effeL Dans la Fig. C, Ie mcme rapport se retrouve mais porte cette fois non plus sur les representations que L se donne des operations A et mais sur la representation qu'il se propose de representations qu'il a un autre, a X. Rio a encore la propriete de donner naissC'.(1ce a l'autre, et L une fois de plus saisit cette relation en prenant la ou il en situe Ie second element, R 2 • -
Je suls donc ici et la devant deux termes semblablement relies l'exlstence du est reputee produire l'existence du second observateur considere en se donnant pour poste Ie second' P
Q
t
o Fig. D
Cette identite de structure, c'est a porqge qu'il est demande de la signifier. Que dans un cas (phrase (f) et Fig. B) soient mises en rela tion les que de deux operations se donne un obser de tout locuteur possible, et que dans l'autre C) ce soient celles de representations que Ie meme observateur suppose a un etre singulier, on a la la raison de rune des differences que l'on a relever entre (e) et C'est observateur qui etre vous, moi ou tout autre, l'impression d'" de la relation que declare la Les representations qu'il met en c:euvre - les siennes, les miennes, les votres sont celles que lui impose Ie monde (r des Et la representation que des memes operations pourrait se donner l'etre (ou les qui y est engage n'intervient it aucun moment. D'ou la liberte, plus haut, qui est laissee it l'auditeur ou au lecteur : Ie Licencie de Verre ne s'est pas brise, et c'est dO. au grand soin qu'il a mis it s'approcher de la boutique du libraire. Tout Ie monde sur ce point peut s'accorder et chercher, en cons~quence, a y voir une donnee positive, « objective ". Mais ce soin et cette precau tion introduits par Ie Licencie de Verre dans son deplacement, il n'est pas dit furent une action volontaire ct con.:;ciente. J'ai de bonnes raisons de Ie supposer. Je n'y suis pas contraint" Et quand je Ie Ie contenu de la phrase n'en serait pas La volonte et !'intention du Licencie ne s'y inscriraient pas. Elles demeureraient une par Ie lecteur que je Buis et tend it y voir une Elles resteraient hors phrase. Elles entreront que si dans la representation que L edifie il les fait l'espece de deux representations qui auraient joue, l'une ant l'autre, dans un eire particulier, ici Ie Licencie. L'intervention de cet etre specifique entraine pour Ie lecteur l'impression qu'il attache a la phrase (e) et qui est }'inverse de celle qui lui venait de la phrase (f) : I'impression de «subjectivite".
203
La s'arretent les similitudes qui se declarent dans porque et les differences qui a s'exprimer dans une forme Fig. D). Car si, dans Ia B, L est en A et Ie rapport qu'il appre hende considere dans Ie monde q', dans la Fig. C L est en B, et pour la consideration d'un double rapport: celui dont Ie lieu, comme dans Ia Fig. est Ie monde q', et celui qui a son siege dans l'esprit de l'etre X ce dernier etant anterieur a l'autre. B et A i1 n'en aller autrement conservent dans Ie monde
(A) d'un element causateur B (semblablement
dans son antecedence) devient cf. C une
et qui se dessine dans la seule puisque le dernier point du temps a avoir re~u actualisation est celui-la meme ou s'installe L et B. ]Vfais dans Ie meme temps que L considere Ie monde (p et declare que B Y est Ia cause d'une consequence A qui est encore a venir, il doit ce qui fut dans X. II lui est de dire que la representation de B y est la consequence de la d'un A recherche, et que B Y est la condition, supposee de l'aUeinte de A. Lorsqu'il annonce donc l'actualisation de B (ex.: Arrim6se can grandisimo tiento), il ne pn2dit pas l'actualisation d'un A qui s'en deduirait et qu'il faudrait placer dans un instant ulte rieur, a venir. C'est ce que feraient toutes les constructions para tactiques que l'on voudra bien imaginer : ({ Arrim6se Y no se quebr6, Se arrima can grandisimo tiento y no se quebrara., etc. Il pose d'un evenement (B) dont les pouvoirs dans Ie monde ep ne sont que ceux qu'a bien voulu, dans !'instant anterieur, lui suppo ser l'etre trouve engage et qui Ie produit. Pour A ne se dessine pas dans un instant de son avenir (2). Il n'y pas, amene la par la realisation declaree de B, et avec la seule et mince impro babilite qui s'attache au futuro L, pour Y n'a plus a sa disposition un instant qui serait de meme de meme nature actualise dans Ie monde (f' - que celui dont il se voit locataire et qu'il partage avec B et avec X, mais qui s'en par la date, qui serait ulterieur. Les pouvoirs de B ne sont plus ceuX que L, comme tout autre, constate et declare. 115 sont ceux, inverifies, que X lui accorde. De la realisation de B je ne peux plus deduire ceUe, de A. Je dis seulement que de la realisation effective et constatee de B, X attend ceHe de A. Celle-ci ne m'apparait donc plus qu'a travers la representation que X s'en donne. Elle n'est plus dans Ie systeme de coordonnees qui est Ie mien et dont je fais la mesure de tout _ celui de l'"h;""tivite donc '-, mais dans
Ie resultat
celui de X, D'ou Ie (2) Sur la valeur d'actualisation du futur d'indicatif et ce qui Ie separe de cf. Jean-Claude Chevalier, Verbe et phrase (Les proble tout subjonctif en franqais), Editions hispaniques, Paris, mes de la voix en espagnol et 1978, pp. 51-52.
BuT, CACSE ET ,\WHILE
204
205
.JEAX-CL\UlE CIlE\-ALIER
Ainsi porque m'indique que Ia representation et I'execution de B ant ete appelees chez X par Ia representation de A , Ie subjonctif me signifie que ce meme X, par la representation qu'il s'est for gee des rapports de A et de B, attend de l'execution du second la reali sation du premier_ Simultanement donc j'apprends ce qui a conduit a B, ce qui en est Ie mobile (porque), et ce a quoi Best cense con duire, ce qu'on lui fait poursuivre, ce qui en est Ie but (subjonctif) : tout cela considere a partir d'un poste d'observation qui est l'instant d'effection de B.
*
Restent les cas de para que qui ne se laisse suivre que du sub jonctif: (g)
t{ " y cierra, como he dicho, en tanto que hago senas a los huidos y ausentes, para que sepan de tu boca esta hazafia ». Cervantes, Don Quijote, IIa parte, cap. XVII, Clasicos Castellanos, t. V, p. 315.
lei tout pareil, dira-t-on, c'est la representation de A (saber de tu boca esta Iwzana) qui, dans l'esprit de X (don Quichotte), a enfante la representation puis l'execution de B (hacer senas). Et tout pareil encore, ajoutera-t-on, il est entendu que de l'execution de B X escompte la realisation de A. II serait vain de ne pas souscrire a un tel jugement. Ce n'est pas assez cependant pour que l'on en deduise l'egalite des deux construc tions (porque + subjonctif et para que + subjonctif) et la constante possibilite de leur commutation. lei, comme en tant d'autres occa sions, ce serait confondre trois choses qu'une analyse attentive doit maintenir distinctes: ce que la phrase dit, la representation qui a permis cette declaration et l'objet d'experience qui s'est laisse tra duire dans cette representation. Ainsi de ce que, place devant les phrases (e) et (g), je suis capable de me donner assez d'elements et tels que, dans les deux cas, la representation de la Fig. C en puisse etre edifiee, il ne m'est pas permis de conclure a l'identite de ce que disent ces deux phrases. Tout au plus a ce qu'eHes me renvoient, l'une et l'autre, a un objet dans lequel j'ai trouve a isoler les ele ments necessaires au montage de cette representation. Les objets auxquels font reference ces phrases ont donc permis la constitution d'une meme representation. Mais c'est par ce que de cette represen tation el1es ont choisi d'exprimer, de dire, de declarer, qu'elles se separent_ Car, comme je ne transforme pas en representation tout ce qui est dans l'objet, je ne traduis pas forcement en mots tout ce qui est dans rna representation. Tres precisement, et dans Ie cas en question, ou bien je n'exprimerai que la seconde partie de rna repre sentation (sur la Fig. C ce qui se produit dans
Les consequences s'en decouvrent aisement. Choisir de ne for mul que Ie second temps, c'est se detourner de ce qui avait amene er l'esprit de X et conduit a son execution. Ce n'est pas en B dans declarer l'inexistence ; c'est faire silence sur cette phase d'un proces sus dont seule la partie seconde me retient. J e ne vais Fas nier que B soit dote de cause au de raison; et pas davantag e que ce soit 10. representation de A qui chez X a excite celle de B et Ie passage a l'aete. Je n'ai d'attention, et je Ie dis, que pour une operation B it la realisation de laquel1e j'associe une attente : cel1e des consequences .que son auteur lui assigne. Que la representation de ces consequen ces ait chez ce meme etre appele a l'execution de B, c'est possible; je Ie tais. En somme, aposte au point ou surgit B, je refuse de regar der vers l'arriere, vers ce qui a pu susciter ce B. Je ne consens a porter mon regard que vcrs l'avant, vers l'avenir qui lui est aUribue, vers A. Je ne disconviens pas que don Quichotte ait eu Ie desir de faire apprendre aux fuyards, par la bouche de leur gardien, l'exploit qu'il vient d'accomplir face aux lions, ni que ce desir rait anime a faire des signes pour rappeler ces memes fuyards. Mais c'est preci sement ce que je ne dis pas. 11 ne m'interesse pas d'expliquer ces gestes, d'en dire Ie passe, de preciser d'ou ils viennent. Ce que j'entends signifier, c'est leur au-dela, c'est ce que j'imagine atteindre par leur moyen, c'est ce qui a mon estime en emanera. De sorte lecteur peut bien m'opposer sa certitude e1. m'objecter que c'est paree qu'il veut faire connaitre son exploit que don Quichotte agite les bras. Ce Iecteur-Ia, alars qu'il croit m'entretenir de la phrase (g), me parle de la representation qu'il est possible de tirer de la situa tion rapportee. Et il s'empeche de voir que pour porter dans une phrase l'entier de cette representation il aurait faUu user de p01'que qui est Ie seul moyen de marquer la raison de B (hago sefi,as). Tout comme il se prive de comprendre que c'est la meme repre;;entation, mais partiellement convertie en mots - dans sa sEule seconde partie _, qui a appele para que. 11 s'en aviserait, qu'aussit6t ced lui apparaitrait: que ce qu'il accepte, selon les circonstance;;, de nommer impLicite, pre!;nppose ou implication n'est souvent dans la representation dont la phrase est issue que la part qui n'en a pas ete retenue. 11 decouvrirait aussi qu'a l'affirmation d'un fait, hago senas par exemple, je peux en maintes occasions opposer une ques tion qui est ou de la forme ~.por que? ou de Ia forme i. para que? Que j'ai la possibilite en somme de m'enquerir ou bien d'OI\ il vient ou bien d'ou il va. S'il vient d'un autre fait actualise (d. Fig. B), il il est entendu que la reponse a la premiere question sera du type: hago senas porque tengo miedo. Mais s'il vient, chez celui qui en est I'auteur, de l'image d'un acte attendu, recherche, desire, poursuivi, alors la reponse sera: porqtL€ sepan de ttL boca esta hazana. De sorte que, du meme coup, se trouveront effectivement dec1arees et 1'ori gine de hago senas et la suite qui lui est assignee et en est esperee. Quand, par la reponse ai,Para que?, je ne fournirais d'i'(1,dication, comme il m'est demande, que sur ce que vise hago senas, sur ce qui est escompte dans son ulteriorite. On se condamnera donc a ne rien entendre a l'affaire tant que, pour en traiter, on nefera usage que
207 m·'r.
206
CA1:SE ET :\!QBlLE
.JEAK-CLAl:DE CIIE'-ALTER
« pusieronle en unas arganas de paja, como aquell
donde !levan el vidrio, igualando los tercios con piedras, y entre paja puesto algunos vidrios, porque se diese a entender que como s vasO de vidrio 10Cervantes, llevaban m licenciado Vidriera, op. cit., P 44.
de notions comme cel1e de " finalite". Au motif que dans plusieurs cas para que pourrait etre substitue a porque et que dans les phrases, sous l'une et l'autre forme, on se croit en mesure de reconnaitre l'idee de finalite, on faii l'egalite de porque et de para que (I). Alors que si porque paral.t iei :
Ce sont autant de reponses a des demandes qui roulaient sur Ie motif, sur Ie mobile, sur Ie moteur et Ie ... pourq1wi ou des disposi tions prises par Guzman ou de Ill. conduite de certains pri<'lces ou des precautions successivement de l'ecuyer del Bosque, du ROJ et des transporteurs du Licencie de Verre. Elles en sont comme l'explica e
tion, la justification. Et on aurait voulu restreindre la repons a ce
qui de chacun de ces gestes etait attendu, qu'on aurait use de para
« De industria la hermosa Lisis quiso, como ya desengafiada
de don Juan, y agradecida a don Diego, mudar el estilo de sus versos, porque no CI'LUsase el tratar de amor ni desamor mas disguto en los dos eompetidores ». Maria de Zayas, Novelas amorosas y ejernplares, op. cit., p. 220.
c'est en reponse a une question qui poria it sur la raison du vouloir de Lisis, sur ce qui l'a declenche ; et si para que est convoque la :
que comme dans les phrases qui suivent :
« Pero no por llorar Y lamentarse dejaba de aporrear al rucio para que se alejase del carro ». Cervantes, Don Quijote, op. cit., cap. XVII, t. V,
« Lamentandose Tiberio de que vivia poco seguro de algu nos senadores, quiso Asinio Gallo saber del los que eran, para que fuesen castigados }). Saavedra Fajardo, Idea (te un principe ..., op. cit., t. II, Ernpresa XLIV, p. 180.
p. 309.
« A los padres toca el encaminarlos desde pequenos por los paso de la virtud, de la buena crianz a Y de las buenas s Y s cristianas costumbres, para que cuando grandes sean baculo de la vejez de sus padres Y gloria de 5U p05teridad n. Cervantes, ibid., cap. XVI, p. 291. « y quitandol las lazadas del yelmo para ver 5i era muerto e y para que Ie diese el aire si acaso estaba vivo, via ... » Cervantes, ibid., cap. XIV, p. 265. (' AlIi verdaderamente se saben conocer y estimar los meritos de cada uno, premiandolOs con justas Y debidas honras, pam que se ani?nen todos a la virtud Y no esLiJnen los principes a
c'est a la suite d'une question dont !'objet n'etait plus la raison du vouloir d'Assinius Gallus, mais la fin qu'il se proposait. Que In representation de cette fin ait ete, comme dans Ie (~as precedent, a l'origine du desir ou du mouvement volitif ne change rien a la chose et n'infirme guere l'analyse : encore une fois, c'est la manifestation que les deux circonstances rclatees se laissent ramener a une meme representation generale, ceJle dp la Fig. C. On ne trouvera rien d'autre derriere les exemples suivants :
pequena gloria ... » Mateo Alemiln, Guzman de Al/arache, IIa parte,
« ... ibalo disponiendo poco a poco, porque despues no viera visiones y se .}@' hici.era novedad 10 que me viese haeer ».
Lib. II, cap. 2. « Si queriaS errarme para que snpiess en que era esc1aua tuya, i. de donde has imaginado que yo repa ro en que todos 10
Mateo Aleman, Guzman de Aljarache, IIa parte, Lib. 11, cap. II, Clas. Cast., t. III, p. 254. « Otros principes se muestran divertidos en sus acciones, porque se crea que obran acaso )}. Saavedra Fajardo, Idea de un principe ..., op. cit., Empresa XLIII, t. II, p. 170. « No ha de ser as! -. replic6 el otro porque se han de echar dentro de las talegas, porque no se las lleve e1 aire, media docena de guijarros lindos y pelado:> )). Cervantes, Don Quijote, Ila parte, cap XIV, op. cit.,
t. V, pp. 255-256.
« Su Majestad ha hecho como prudentisimo guerrero en
proveer sus estados con tiempo, porque no Ie haUe desapercebido el enemigo ». Cervantes, ibid., cap. I, p. 29.
sepan ?
n
\
L
'li ..!
(3) Cf. Maria Moliner, Diccionario de uso del espanol : « Par que: para que: ({ Se 10 dije par que viniera antes ». Esta expresi6n en dos palabras no equivale a ({ porque ». Es facil distinguir cuando debe usarse una u otra
de ambas expresiones si se observa que la primera expresa finalidad y en
ella ({ por» puede ser substituido por ({ para», mientras que la segunda expresa causa ... »
as
»
Lope de Vega. La Dorotea, Act. I, Esc. 5, Ed. Edwin S. MorbY, Madrid, 1958, p. 100.
ne s'agit plus de rendre compte de la bastonnade que Sancho inflige a son roussin d' Arcadie ou d'entrer dans les sentiments qui animent les parents et aideraient a comprendre l'education dispensent. On n'a d'yeu x que pour ce qui est tenu d'en resulter : ici l'eloignement de l'fme, la Ie role ulterieur des enfants. L'operation mentale qui chez Sancho a precede les coups qu'il assene et chez les parents l'enseigne ment qu'ils prodiguent, cette operation est gom mee. Elk est ecartee de ma consideration. Fait important, on rele vera que dans Ie second cas eHe pourrait bien n'avoir meme pas existe, et ce serait assez pour avoil' empeche qu'on la nomme 1.•. 11 n'est pas dit en effet que la pensee de don Quichotte ait et.e comme 1a hate Ie donnerait trop facilement a entendre: qu'il appartient aux parents d'elever leur progenitul'e dans les principes indiques, avec la conscience egolste que, ce faisant, ils se preparE'l'ont un soutien pour leurs vieux jours. Cette charite trop bien comprise est
1
208 BPT, CAl'SE E'1' WlB1LE
meme contraire au regime mental et affectif que Cervantes attribue a son heros. Ce qui est affirme ici, c'est bien plut6t Ie point de VUe d'un observateur exterieur : celui qui est indifferent a la mecanique interne des parents et considere Ja relation gu'iI peut etablir entre deux evenements successifs de l'histoire, purges des intentions et de Ia conscience de leurs acteurs. Que la vertu et Ia morale chretienne gUident les parents si l'on veut et non s'iIs veulent _ que plus tard, cuando sean grandes, les enfants remplissent Ia fonction qui leur incombe. L'un entrafne l'autre, inevitablement. Si inevitabIe_ ment qu'il n'est pas besoin aux parents d'avoir la representation de A. II leur suffit de faire B : A s'en suivra. De faire B pam que A s'en suive. II est pose Ia comme une loi de l'histoire : Ies proprietes et Ies pouvoirs de Ia vertu et de la morale chretienne.
209
dans Ie prochain exemple de Saavedra Fajardo: se estuvieron quedos »), pousse que j'etais par ce que je les crois pouvoir produire. Je suis alors dans Ie cas de 1a Fig. C, et porque de ce fait se trouve convoque: «. . peru los de mayor juicio se estuvieron quedos mirando a Neron, porque no se injiriese que conocjan la violencia de aquella muerte, sino que la tenian POl' natural )l. Saavedra Fajardo, Idea de un principe .. ., Empresa XLIV, t. II, p. 181.
Mais Ie plus frequent est que je n'aie aucune part dans l'accession de ces etats ou de ces resultats a I'existence. Ou bien j'ignore leur origine, ou bien Us me furent imposes par d'autres. Je n'ai des lors qu'a prendre ach~ de ce qu'Us sont. Autant dire que je ne suis pas en possession a partir d'eux de me construire Je premier temps de Ia Fig. C : leur existence ne derive pas de la representation que je me serais don nee de ce qU'elle me permettra d'atteindre. Qu'ils appa raissent en outre dans un mouvement prospectif (d. haber cLe, par exemple), et l'usage de pat'a que devient une quasi obligation:
Et ici paral't la seconde consequence, annoncee plus haut, de I'hypothese qui gouverne toute cette etude. Si dans bien des cas recourir a para que, c'est choisir de n'exprimer que Ie second temps d'une representation qui a la forme de la Pig. C, il faut supposer : 1) qu'il est des situations ou la probabilite de faire ce choix
l'emporte. II n'est qui !'inclinent verspas lui. oblige, mars des forces pesent Sur Ie Iocuteur
«
Cuanto piensas que has de padecer para que te sujran
y te consientan ?
2) que, reciproquement, d'autres situations se prE'sentent qui
invitent Ie Iocuteur a ne pas ecarter de sa consideration, et partant
Son expression, la totaIite de la representation. D'ou son recours
itdeporque.
»)
Mateo Aleman, Gu.zman de Al/arache, IIa parte, Lib. II. cap. 2. {( Y ha de ser condici(m de nuestra batalla que el vencido ha de que dar a la voluntad del vencedor, para que haga del todo 10 que quisiere, con tal que sea decentc a eaballero 10 que se Ie ordenare )}. Cervantes. Don QUijote, IIa parte, cap. XIV,
3) qu'un dernier type de situations ne se laisse ramener qu'a 1a
seconde sequence de Ia representation (Pig. C) et oblige, en conse
qUence, a l'emploi de pam que.
p. 253.
« Y el orden que tuvo para que Ie diesen de comer sin que
C'est ce qU'enseigne Ie moindre examen de l'espagnol c1assique :
a el llegasen rue poner en la punta de una vara una vasera dc orinal, en la cual Ie ponian alguna cosa de fruta ). Cervantes, El licenciado Vidriera, p. 38.
a) L'acte de promettre (B) peut naftre de sa representation et
cel1e-ci de la representation de ce qu'on en attend (A). Rien ne
m'interdit donc d'en concevoir 1a cause, et sous l'espece de ce qu'on
espere de cette promesse. Mais je ne peux faire que !'idee meme de
promettre ne m'engage l'esprit vers l'avant, vers l'avenir, vers l'objet
promis. C'est assez pour que, du meme mouvement, fapprehende A
dont j'ai pose qU'iJ doH deriver de la realisation de la promesse;
pour que je Ie voie se profiler au-dela de I'objet promis et atteint, et
non d'user dans l'en-de<;a de 1a promesse. C'est assez pour que ma pente
soit de para que: « ... Y demas desto habeis de prometer (si desta contienda Y eaida quedarades con vida) de ir a la ciudad del Toboso, Y
presentaros en su presencia de mi parte, para que haga de vos 10 qUe maS en voluntad Ie viniere )).
Le meme raisonnement vaui bien sur pour les cas ou Ie poste Ii se trouve tenu, en pleine generalite, par des sub~tantifs :
1 •,t
Cervantes, t. V, p. 268. Don QUijote, IIa parte, cap. XIV,
Pareillement les etats Ou les re,mltats - tout ce qui s'exprime par quedar, tener, padecer, hallarse, estar, etc. -, je peux m'y etre mis a dessein ou les avoir recherches (ct. la construction pronominale
.
&
« ... porque en tales easos la severidad y recato, la disimu laci6n en el semblante, la generalidad y equivocaci{)n advertida en las palabras. para que no dejen cmpefiado al principe ni den lugar a los desinios 0 al engafio, usando de semejantes artes no para ofender n! para burlar la fe publica, G que otra cosa es sino doblar las guardas del animo? }) Saavedra Fajardo, Idea de un principe ..., Empresa XLIII, t. II, p. 168.
b) Qu'a l'oppose je fa sse de verbes comme rogar, pugnar, procu rar, buscar, rabiar, prevenirse les occupants du poste B, et aussi.t6t, avec la force presque d'un automatisme, s'evoque dans l'esprit l'image d'un A que ces verbes poursuivent certes, mais image surtout qui chez X Ies a provoques. II y a la comme la traduction et 1a consequence d'une experience familiere. Tout ce qui est recherche en nous, effort pour obtenir, preparation, nous observons sans cesse
nt"T, c.\l'SE ET ,[()HILE
210
211
JE.\X CL.\U1E CIIE\',\UER
« Si la mucha gana de pelear, senor caballero, no os gasta la cortcsla, por ella os pido que alcels la visera un poco, porque 1/0 vea 51 la gallardla de vuestro rostro responde a la de vuestra
que nous y avons etc excites par la representation de ee qui en sera Ie terme ou l'aboutissement. La aussi on cherche ce qui est trouve en esprit. Les elements sont done reunis pour qu'on n'cvite pas Ia representation de la Fig. C et, consequemment, l'emploi de porque:
disposicion ».
« . , . y les rogaba Ie hablasen ".partados, porque no se que brase ». Cervantes, El lieeneiado Vidriera, p. 39. « Y procurando no dexar de la mana a su mujer, porque no tornase a ofenderle, viviD algunos anos ». Maria de Zayas, Nove/as amorosas 1/ ejemplares. {( A 10 cual el muchacho respondi6 (. . .) que iba a la ciudad de Salamanca a busear un amo a quien servir, por solo que Ie diese estudio ». Cervantes, El lieendado Vidriera, p. 10.
Certantes, ibid., cap. XIV, p, 260.
Pidi6 TomaS Ie diesen alguna funda donde pusiese aquel vasa quebradizo de su cuerpo, pOTque al vestirse algun vestido
estrecho no se quebrase )). Cervantes, El licenciado Vidriera, p. 37.
Et l'on se sent forti fie dans cette meme conclusion, si l'on considere qu'apres un long discours qui pourrait avoil' lasse l'auditeur, c'est par Ie meme tour que l'on tend a s'en justifier: ({ porque vea vuesa merced si quien viene desta ralea podra dar su parecer en semejantes causas ». Cervantes, Don Quijote, IIa parte, cap. XIII,
{( ... pues porque cobre otro eaballero el juicio ha perdido, se hace 61 loco, y anrla buseanclo 10 que no sf despues de hallado Ie ha de salir a los hocicos ». Cervantes, Don Quijote, IIa parte, cap. XIII,
p. 245. « porque vea vuesa merced, senor don Lorenzo, si es ciencia
mocosa 10 que aprende el caballero que la estudia Y profesa }). Cervantes, ibid., cap. XVIII, p. 33l.
p. 238. {( Rabiaba Sancho por sacar a su amo del pueblo, porque no averiguas.e la mentira de la respuesla que de parte de Duleinea
Ie habia llevado a Sierra Morena ». Cervantes, ibid., cap. IX, p. 172. « ... los cuales (los malignos magos), anteviendo que yo habia de quedar vencedor en la contienda, se previnieron de el caballero vencido mostrase el rostro de mi amigo el Bachlller, porque la amistad que Ie tengo se pusiese entre los filos de mi espada y el rigor de mi brazo, y temp/ase la justa ira de mi coraz6n ». Cervantes, ibid., cap. XVI, p. 279.
II est par ailleurs remarquabic q\\e toute activite declarative mani festee dans des verbes comme decir, pedir, etc., appelle justification. On ne 5e contente pas, avec une certaine brutalite, de viser a intro duire quelqu'information dans l'esprit de l'inter1oeuteur, a l'y ins crire; a l'y asseoir a toute force- ce qUfc ferait para que. Plus poliment sans doute, on donne 1a raison de son pn')pre discours. Certes elle est a chercher dans ce qu'il vise. Mais a proceder ainsi on annonce Ia hierarchic de ses soucis : on l>ntend ec1airer I'(lutre sur ce dont on est mil plutOt que de n'avoir d'interet qu'a ce qu'on lui impose. La etait peut-etre Ie plus fin de la courtoisie. Des exemples du moins com me ceux qui suivent ne decouragent pas d'y croire :
c) D'autres notions enfin soni rebelles aux deux temps de> la Fig. C. Elles declarent une objectivitl" une donnee qui vaui pour
ceIui-ci, pour celuj-Ia, pour tel (Jutre pour tous enfin; ce revient a eliminer l'etre x sur qui repose Ie double mouvement qui appellc porque + subjonctif, El1es m'apportent une propriete de l'univers ou d'un de ses fragments: ceUe propriete ne peut done etre nee, comme l'idee et l'execution d'un aete, d'une representation qui amaH germe dans J'esprit d'un etre singulier. Ainsi tenir que B est neccssaire pour que A soit ne me fait d'aucune fac,on tirer cette necessite de la representation que j'aurais de A. De B je regarde vers un A a venir ; je suis impuissant a me 1e peindre, SOUS queIque forme que ce soit, dans son antecedence. On en di rait tout autant de l'idee de suffisance (bastar), d'utilite (servir), d'oPportunite (oca sian), etc, De
la des exemples comme :
« Advirti61e que anduviese maS atentado en acometer loss peligros, a causa que su vida no era suya, sino de todos aquello que Ie lwbian de rnenesier para que los amparas e y socorriese en sus desventuras Cervantes, Don Quijote, na parte, cap. TV, p. 91. «
Eso me basta a mi- respondiil don Quijote
ere a vuestro engafio
para que
)l.
Cervantes, ibid" cap. XIV, p. 261.
« Sirvate este advertimiento, Sancho, para que discreta Y bienintencionadamente pongas en mis oidos la verdad de las cosas que supieres de 10 que tc he preguntado ». Cervantes, ibid., cap. n, p. 57. « ... 10 eual dio ocasion a Hanon para que int.entase otra nueva traicion contra ellos ». Saavedra Fajardo, Idea de un principe ..., Empresa XLIV, t. n, p. 118.
« Digo esto porque sepa el senor Bacia que Ie entiendo ». Cervantes, Don QUijote, ITa parte, cap. I, t. V, p. 43.
«Todo esto he dicho, Ama mja porque veas la diferencia que hay de unos caballeros a otros ». Cervantes, ibid., cap. VI, p. 116, « Digolo porque este advertido que mientras nuestros duefios rifieren, nosotros tambi6n hemos de pelear y hacernos astillas». Cervantes, ibid., cap. XIV, p. 254.
~
212 ClfE\'AL/EH
* Une etude que ne limiteraient pas les mesures d'un simple article montrerait sans peine que Ies raisons qui font user de para que sont Ies memes qui font obligation ailleurs de recourir a para + injinitij, et que celles qui conduisent a l'usage de porque Sont stric_ tement dans d'autres entourages syntaxiques celIes qui T!> ment c1a para. por + injinitij. Necessite, suffisance, utilite, etc., requierent Effort, recherche, prevision, preparation demandent por. Si l'on veut mesurer Ie prix de l'ensemble theorique sur lequel ces raisons reposent, il y a la un parallelisme qui a peut-etre Ie droit d'Hre regardc comme un gage de moindre inexactitude. Paris.
Sur la grammaire de I'objet en espagnol Un trait de l'espagnol est que, sous certaines conditions que la grammaire normative s'est appliquee a ctecrire, Ie complement d'objet se construit non point directement, mais au moyen d'un indice prepositionnel a.
Jean-Claude CHEVALIER Le phenomene a donne lieu a de nombreuses approches theori ques qui, en derniere analyse, se ramenent toutes a la proposition d'Andres Bello au § 889 de la Gramatica: «La preposicion a se antepone amenudo al acusativo, ... y significa entonces personalidad y determinacion ». Les deux principes, a la fois descriptifs et explicatifs, que Bello pose au depart de sa breve exegese, sont ceux m€>me que manipulent les linguistes qui s'interessent de nos jours a la question: Ies uns accordent unp. prevalence quasiment exclusive a ce que Bello denom mait « personalidad » et qui n'est, sous sa plume, qu'une modalite de la distinction traditionnelle en grammaire comparative de l'anime et de l'inanime ; d'autres orientent l'analyse en direction du rapport determination/indetermination, qui s'erige a leurs yeux en critere operatoire decisif ; d'autres enfin, soucieux d'eclectisme, ten tent de combiner l'une et l'autre de ces deux categories en vue de produire, par Ia combinaison de l'animation et de la determination, une syn these explicative d'un phenomEme apparemment trop complexe pour se laisser apprehender a partir d'un seul point de vue. L'objet du present memoire est de reprendre 1& question a partir de l'aperception d' Andres Bello qui, si eUe reste opcratoire au niveau de la description des faits, n'en requiert pas moins qu'on mette en lumiere, par une analyse theorique plus poussee, la nature et la signification du rapport qui s'etablit dans Ie syntagme nominal espagnol, entre la « personnalb;ation » et la « determination ». Ce rapport n'a toutefois d'incidence effective en syntaxe espa gnole que si Ie nom remplit la fonction accusative, c'est-a-dire lors qU'il se presente en fonction d'objet direct. Le fait majeur est la : toute tentative d'explication qui se fonderait sur une theorie du genre (<< personnel» ou « anime ») ou de la determination nominale, sans se subordonner it la consideration primordiale de la fonction ne manquerait pas de s'accuser inadequate. On se trouve donc en pre sence d'un phenomene qui ne se laisse analyser qu'a condition de ne
214 :lL\l:RlCE :lIOLflO LA
jamais perdre de vue Ia hierarchie operative des facteurs qu'iJ met en ceuvre et dont les effets s'imbriquent dans Ie [onctionnement du systeme: ainsi Ie genre « personnel» sera operant ou non selon la nature semantique du verbe ou 1a qualite, de sOL variable, du deter_ minant qui introduit Ie nom objet dans Ie dlscours, et inversement tel verbe, ou telle c1asse de verbe, imposera la preposition a l'Objet, qu'il soit ({ anime» ou «inanime", independamment du degre de determination qui lui serait affecte. I.e facteur determinant en premiere instance est donc d'ordre fonctionnel ou casuel. Ceci signifie qu'il est, certcs, d'ordre synta xique, puisqu'il releve de la syntaxe effective du verbe en phra:;:e; mais aussi d'ordre semantique. dans la me:mre ou la syntaxe du verbe decide celIe de la phrase) n'est qu 'une consequence obli_ gee de (elle sa structure actantielle.
(;n.n[~[AmE
DE f.'OBJET E); ESP.\(;);OL
215
compte tenu du fait que Ie gene ne se laisse concevoir dans une perspective temporelle, queUe qU'elle soH, que s'il se place dans l'antecedence de ce qui en emane. --)
II ne sera question ici que de la structure Jexigenetique xOy dont il vient d'etre fait etat, et qu'on n'envisagera que sous l'ordi nation seconraire yOx, qui est celle de la semantese verbale tE:mpo ralisee, c'est-a-dire prete a recevoir, par l'effet de Ja morphogcenese, 'une argumentation temporelle correspondant a sa foncHon dans Ja phrase. Cette structure est du reste celle d tous If'S verbes actifs et transitifs de la langue, - ce qui est Ie cas de tous ceux dont Ja grammaire ressortit a la presente etude L
:
---..
Realiser Ie verbe en phrase, c'e~t pourvoir, par Ie truchement de la personne, aux fonctions actantielles representees par Jes postes y et x. Or si ron attribue un rang personnel a l'un et/ou a l'autre des deux actants lexigenetiques, singulierement celui de Ja per sonne troisieme, qui est celle du nom, on ell vient a produire hors verbe l'assiette d'une designation nominale r6fE-rable en Jexigenese verbale soit au gene, soit au site. Dans Ie premier cas, Ie nom aura fonction «sujet selon la terminologie gl'ammaticale cour'ante; dans Je second, la fonction du nom sera celIe d' «objet ». Les fonctions de sujet et d'objet ne sont donc que des proprietes morpho-syntaxi ques que Ie nom s'attribue par dE-legation des ;,emes adantiels 'Y et x operant en lexigenese verbale. Inversement, ceux-ci ne peuvent etre entendus dans l'edifice semantique du verbe que comme des postes vides de toute substance, et qui ne s'argumentent qu'en fonctlon de representations nominales (ou pronomlnaJes) qui leur sont referees de l'exterieur, c'est-a-dire dans Ie champ du contexte phrastique.
qui est celIe du sUpport de l'operation (a.:), de l'operaiion elle-meme
(0), et enfin de la cause don1 celle-ci procede (y) (1).
La realisation du verbe en phrase consistera donc a referer aux postes xl'Y des masses semantiques qui se determineront fonction
l~'ur
Les reflexions qui suivent 0nt fondement a la these de notre collaborateur J. C. Chevalier: Vel'be et phTase( les problernes de la voiJ:' en espagnol et en tranr:;ais), Paris, 1978. La theorie que l'ouvrage developpe consiste it defInir Ie verbe de langue non plus seulement par ses proprietes morphologiques (dec1inaison par cas de mode, de temps et de personne), mais essen tiellement par la structure de sa lexigenese c'est-a ..dire de la sem,m_ tese verbale, Celle-ci implique en tout etat de cause 1a representa_ tion, variable selon les verbes, d'une operation 0 mettant en cause deux etres dont l'un est son lieu d'appIicatiol! et de developpement (site dans la terminologie de J. C. Chevalier, dellote x), et l'autre son causateur OU facteur originel (gene, note 1/). SoH donc une ordi nation: xOy
Cette ordination est c('lle des elements constitutifs de la lexi genese aVant qu'intervienne aucune intellection tempprelle de l'edi fice semantique qU'ils instituent Celle-ci toutefois s'impose inevita blement, une fois Ia structure lexigenetique posee, du fait que l'operation 0, par cela meme qu'eHe est une operation, apporte avec soi l'image du temps et, l'apportant, oblige a y distribuer les actants qu'eHe met en ceuvre, a savoir x et y. La prise en conSideration du temps notionnel precedente, soH: d'operation conduit a une ordination inverse de la ----+
a.:Oy ~ yOX,
On trouvera p. 78 de l'ouvrage de Chevalier un expose des raiSons qui
conduisent Ie lingUlste it recuser la terminologie traditlonnelle d'agenl
et de patient, manifestement inadequate au phenomene qu'il lui est
demande de deSigner.
nellement comme sujet/objet du verbe yO:!.:, lequel est lui-meme, par l'operation 0 qu'll implique, une masse semique adossee aux semes actantieis intraverbaux. On doit done s'attt'ndre a ce que des prablemes de compatibilite ou au contraire d'incompatibilite puis sent surgir entre Ies masses referees aux postes x et y, ou encore entre rUne ou l'autre de celles-ci et la masse semique impliquee dans (2) 11 n'y a pas lieu de tenir compte, en effet, de la structure !exigenetique identifiee et dec rite par Chevalier comme etant celIe de semanteses verba!es dont Ie propre est d'impJiquer, une fois poses Ie site et I'opera tion 0, !'identite du site et du gene. Les verbes porteurs d'une lexigenese
:xo; sont
les verbes intransitifs (cf. Chevalier, op. cit., p. 83 sq.). 115 nc nous interessent pas. Que! que solt, en effet .Ie regime de I'objet, non prepositionne ou prepositionne, !a condition de transitivite demeure en tout etat de cause sauvegardee. ce que fait apparaitre la passivation extensive it tous les verbes it objet prepositionnable : Nuestras tropas
destruyeron al enemigo
=
El enemigo Jue destruido por nuestras tropas,
216 }L\DHCE }1Or.no
L.\
la representation de O. La syntaxe du verbe se determine en espa_ gnol en fonction des rapports qui s'institueront entre les masses elE'mentaires dont il vient d'etre fait Hat. Un cas optimum pourrait etre celui OU, ,L' et y fonctiol1nant comme referents de substances nominaies rapportees it I'operation 0, On se trouverait avoir face it un gene qui serait pleinement gene, un site qui ne serait que site, les deux actants s'equiIibrant sans restric_ tion aucune dans leurs fonctions respectives. Le cas qu'on vient de decrire est celui meme ou rien ne vient perturber Ie rapport teJ qu'il est donne dans la structure intraverbale yOx. La perturbation ne peut venir, en fait, que de la matiere, substance au structure, des etres nominaux au pronominaux que les actants sont commis it prendre en charge et qui se trOllveront Ies representer en phrase. Il suffit, en effet, que l'etre linguistique representatif de x exerce sa pesee propre SUr la fonction actantiell e qu'jj represente POur que x s'inscrive mal dans la structure yO;)::, ce qui aura pour effet d'en perturber Ie fonctionnement. On ,:'!ura alors I'('cours a une procedure cOmpensatoire qui, dans Ie cas qui nous OCCUpe, n'est autre que l'intervention de la preposition a. Le prepositionnement, on Ie sait, n'affecie que l'objet. Tout se passe, en effet, comme si seul x etait en cause, au plutOt Son repre sentant nominal, et qU'aucun desequilibre np put survenir dans la structure VOx en raison de Ia discordance it x ou a I'ensemble Ox de l'etre nominal representatif du gene y. La cause est que Ie seman teme verbal impliquant necessairement une operation et un gene causateur de la dUe operation, celUi-ci, sous la representation nomi nale qui lUi est impartie, ne peut que rester identique a IUi-meme et it sa fonction --..en raison de la position aperturale qu'iJ occupe dans la sequence yOx. Quelle que sOit, en effet, la qualite de I'etre qui Ie
represente, Y ne saurait laisser de se presenter comme la cause
originelle de 0, car s'il ne l'etait point, l'operation a _ et, conse
qUemment Ie verbe - ne POUtTait s'instituer. Aussi seul 1'0bjet
portera-t_il resultativement en syntaxe la marque des discordances
et desequilibres qui, par l'effet d'interferences semantigues pertur
batrices, risquent d'alterer Ie fonctionnement en phrase de la struc ture yOx. -.~
Le desequilibre des fonctions actantiell es signifie, en vrai, que
dans leur rapport it 0, x et Y ne parviennent pas it s'etablir confor
mement it leurs statuts respectifs de site et de gene. Un site qui ne
serait pas parfaitement et absolument site, aurait en lUi quelque
chose d'un gene, une operativite caUsatrice qui n'appartient en pro
pre qu'it Y; et inversement un gene qui n'accederait point it la qua lite pleine de gene, ne pourrait etre qu'un gene diminue et partici pant it proportion de I'inertie propre au site. I1 va de soi, du reste, que Ies deux phenomenes sont dans un rapport de compensation
(~R.DB['\II1E
DE r;on.!ET E:\" ESl'A{;:\"OL
217
rt?ciproque: 8i Ie site, en raison de la representation nominale qui lui est impartie, s'active si peu que ce soit en gene, l'activite causa trice de celui-ci s'en trouvera reduite d'autar.t, et s'il se trouvait au contraire que, pour quelque raison que ce soit, Ie gene dans son rapport it 0 se voyait ampute d'une part de son operativite, il appar tiendrait au site d'en recueillir Ie benefice au detriment de son statut fonctionnel propre. Un exempIe parfaitement illustratif fera apercevoir ce qu'est en syntaxe espagnole Ie rapport site/gene) l'un et l'au tI"l~ operant sous Ie couvert de leurs representants nominaux respectifs. La phrase suivante, recueillie par Gili Gaya dans son Curso superior de sintaxis espanola et qui emane d'un communique de Ia d(,rniere guerre, est d'autant plus eclairante qu'eHe ne met pas en cause les distinctions traditionnelles de I'anime et de l'inanime : Nliesiros caws den'ibaron dos a~)iones enemigos !J averiaron a otros tres. Le texte comprend deux structures ver\)alcs: Iderribaron l et I averiaron/ dont les constituants actantiels ent pour representant;') hors verbe des etres nominaux identiquC's 01..1 de meme espece: Nuestros cazas represente Ie gene commun, tandis que aviones enemi gos a pour fonction de representer sous variation numerique dos) les sites respectifs des deux structures en cause. Dans un premier temps, Ie representant ciu gene f'voque eelui-ci dans Ie plein exercice de son operativit(, : cien-ibul"on, ce dont temoi gne la construction directe de l'objet representatif de .T. Dans un second temps, Ie meme y apparait comparaiivement diminue dans son operativite, puisque, ayant vocation d'abattre les avions enne mis, il n'a pu cette fois que les cndommagcr (averiaron) : Ia perte d'activite causatrice dans Ie gene est corre!ativement creditee du site, qui de ce fait cesse d'etre un .1:: strict, - ce qui signifie la surve nance de la preposition: [averiaron] A otros tl'es [aviones enemigosj. On observera toutefois que Ie prepositionnement n'est pas oblige' il suffit qU'economie soit faite du rapport de comparaison entre les deux semanteses verbales pour que Ie gene de averiaron represente par TLuestros cazas ne soit plus senti comme partiellement diminue dans son operativite, et que les deux constructions coordonnees se presentent comme rigoureusemeni paralleles : Nuestros cazas den'i baron dos aviones enemigos y aveJ"iaron otros tres. Qu'il soit permis d'avancer en vue de l'exempIe qu'on vient d'analyser, qu'il se pourrait qUE' l'intervention, traditionnellement reconnue comme determinante, du genre anime, ne soit qu'un cas de figure inscrit parmi d'autres nans Ie champ d'une theorie plus extensive. L'anime/inanime dont il est fait etai dans les grammaires n'est dans nos langues qu'un genre strictemeni semantique, sans morpho logie proprc it lui conferer statut de genre grammatical: il ne se declare, au vrai, que dans et par Ie rapport du semanieme au refe rent d'experience : soldado ou alumna ne ressortissent a l'anime que
LA
218
)\Ut:H1CE
GR.\~!:\L\lHE
DE L'OR.IET
E~ ESP.\G~()L
219
~IOLIIO
parce que j'eprouvc comme animes les eires qu'ils designent et qui transferent leur propriete d'animation aux representations linguisti ques qui leur correspondent. Que la distinction de l'anime aii son fondement a l'cxpcrience ou au langage, il n'est pas interdit de poser qu'elle consiste a attri buer a l'etre en cause une capacite operative, doni seraient au contraire dcnucs les inanimes voues per se a 1'inertie. II suffira donc qu'intervienne au titre de representant nominal du site un anime pour que x ne puisse plus fonctionner comm(' site dans la structure
y exerce son activite operative dans une consommation incomplete, imparfaite de l'operatio n perder : il n'en resulte pas une pede, mais chose d'autre, qui est de la nature de la perte, a savo;r une
diminution qualitative de I'etre voue a occuper la position de site
(pierde a suS hijos). Il en va de meme de robar, qui signifie tant6t
voleI', depouiller» (robar a un viajero) t
(l'obm' una maleta, urw nifia) ; dans ce dernier cas, l'activite opera
tive du aboutit a une pleine et entjere appropriation tandis que
dans Ie premier, il n'est pas question de s'approprier l'6tre en fonc
tion d'objet, mais seulement une partie de lui-nleme : ses biens, ou
son argent.
Le paragraphe qui precede noUS a mis en pre:..;ence de syntaxes
oU ce n'est pas 1'animation/inanimation du site qui est determinante,
bien qu'elle soit encore pour qudque chose dans 1a fabrication du
signifie de phrase, mais la fonction ou concevabilite du gene en face
dont i1 est Ie facteur. A 1a limite, on rencontrera de l'operati ment des
on cas au seul est en caUse Ie rapport independam de toute distinction d'animation/inanimatio n . Auss i en va-t-il dans les enon controversifs: Tl'ipas !levan pies, que no pies a tripas. 8i ces l'axiom que ce sont Ies tripes qui portent (rv conduisent) l'on pose n e les pieds, et que son renversement n'est pas concevablc, ant on 1'eno cera sous negation, Ie sujet et l'objet s'intervertiss reeiproque e ment de part et d'autre du verbe Clui demeure inchang . Il en resulte une syntaxe ou Ie prepositionnement c:ignifie que l'objet represen tati£ du site, n'est pas veritab1ement tel, mais Ie gene meme qui, SOUS 1a fonction du site qu'jl emprunte par artifice de demonstration, n'en continue pas moins a se prevaloir de sa capacit6 open\tive propre.
xOy, dans la mesure ou, contraint d'assumer la semantese de
il cn vient a prendre sur lui une operativite contradictoire a son statui, - ec doni la consequence est la survcnance de la construction prcpositionnce. Le fait que la distinction animc/inanime ne ressortissc pas a la morphologic, mais a la seule semantique ct, par son intermediaire, a l'experience, explique sa fluidiie et Ies nombreux echanges ou transports impressifs dont elle fa;t l'objet en pratique espagnole. On rencontrera donc des cas d'inanimation de l'anime (Me [men las mujeres mas hermosas del reino, ou x fonctionne comme site strict en depit de la qualite de son representant nominal) ou, plus ordinai rement, d'animation de l'inanime. Ce dcrnif'r phcnomcnc rcquiert pour sc produire que la visee du verbe Ie permette, c'est-a-dire Ie contenu de 0 et son rapport a y et a x. Ainsi on dira en chimie : I,os acidos atacan a los metales, dans la mesure ou 1<1 semantese d'atacal' se represente comme un aflront.ement entre agresseur et agresse, l'agresse opposant a l'agression une quelconque resistance, ce n'est concevable que si on lui attribue une capaeite operative non nulle. II suffit que cette impression prevale pour qu'il soit fait appel au prepositionnement. 8i au contraire Ia semantese d'atacar se demetaphorise assez pour ne plus evoquer, s'agissani de corps inertes, Ie rHuel conflictif de l'agression, on aura la construction non-prepositionnee de l'objet: Los acidos atacan los metales. Qu'on substitue au verbe atacar un corroer exclusif de toute animation du site aussi bien que du ger:e, et ron obtipndra une syntaxc non prepositionnelle: Los acidos corroen los meiales, exemptc d'alter nance (·Los acidos carmen a los metales est agrammatical ou, pour Ie moins, douteux).
II faut en venir enfin a un cas ou 1a definition du rapport apparait commandee par Ie contenu meme de O. n s'agit des verbes marquant l'ordre re1atif (preCedeT, seguir, acomp(dlar), l'egalite ou la prevalence (iglLalar, supe,'al" aventfljar, e:r;cedeT, etc.), qui tous requierent Ie prepositionnement de leur objet, quel qu'il soit, c'est a-dire de sa qualite indcpendamment d':mime ou d'inanime: E1o al'ticulo pl'ecede al substantivo ; La primavel'a siglte al 'invierno ; N siempre las pTendas del alma acompanan a las del cuerpo; Este p,'oducto igual Y aun MH>ril.llia a !os sirnilaTes del extranjero ; etc. a Le propre des verbes de ce type est de hierarchiser les positions relatives des etres qu'ils mettent en rapport que a precede, suive ou accompagne b, qu'Hl'egale ou 1e surpas se , la relation est signifiee par un verbe dont la semantese s'c\Ccuse habile ~l assigner sa position a a en fonation de celIe que s'aUribue b. A utrement dit, Ie rapport qu'institue 0 et qui conditionne 1a syntaxe du verbe, s'etablit entre un term subordonnant (b) et un terme subordon ne (a), Ie subordon e nant fonctionnant comme un repere de position. Or c'est au repre sentant nominal de x que revient la fonction subordonnante, tandis e que y, ou l'etre qui 1e represente, s'attribue la position 8ubordonne . n en resulte, du cote du gene, une devaluation de son operativite ne propre, incompatible avec un statut passif de subordon , et aU
Un cas qui a retenu l'aUention des grammairiens cst cclui des verbes qui apparemment « changent de sens selon qu'ils admettent une construction non-prepositionnee ou preposition nee. Ainsi perdel' signifie «perdre» s'jJ Implique l'inanime, «cor rompre, gater ", s'il implique l'anime: Pierde sus hijos el que deja de tenerlos ; pierde a sus hijos el que con su nimia indulgencia y sus malos ejemplos los corrompe (Bello). II semble que soii iei en cause Ie rapport de 0 ou de ~ a y : dans un cas Ie gene apparait engage dans l'entiere consommation de l'operation 0 (pierde su for tuna, pierde sus hijos : ce qu'il avait, il ne l'a plus) ; dans l'autre cas,
....
UE 1:0BJET E:-; 1·:SPA(;:-;OL
221
LA
220
enes operation te11e qu'a partir d'une extensive d'objets homog , i1 est procede a l'extraction de l'un d'eux, quelconque absolument: un hombre, Dans un deuxieme moment operatif, l'objet en question est facu1tativement reference a un etre specifique, individuable: un hombre designera alors un homme dont je saursis definir l'allure, Ies fonctions, ou, a 113 limite, l'identite. La Lem:ion n'est autre, en fait, que 1'image formell e de l'operation extractive, et par la meme
~erie
~L\t:HICE ~IOLllO
contraire, du cote du site, un import d'operativite - celle d'un subordonnant - contradictoire avec son statut actantiel. D'ou la survenance obligee de la preposition. II apparalt donc, ala lumiere de nos analyses, que la distinction animelinanime, dont il restcrait encore a comprendre la nature (on aura l'occasion d'y revenir), n'est pas explicative en soi, ou ne 1'est, lorsqu'il y a lieu de la retenir, que si on la rapporte a la structure actantielle du verbe, ce qui revient a dire que ce n'est pas Ie caraciere anime du substantif objet qui en derniere instance suscite la preposition, mais l'alteration de l'equilibre intraverbal x/y, alte ration dont un facteur parmi d'autres est effectivement l'impression de 1'anime dans Ie complement d'objet.
singularisante, dont il vient d'etre fait etat.
rs
. La tension II opere l'inclusion d'un objet dans une ou plusieu
series plus ou moins extensives. Dans un premier moment operatif,
en question se representera, dans la serie ou il s'inclut, e
com reference a un etre et, de ce fait, specifique et individuablrise:
ment me el hombre designera des lors un homme antecedem
singula et dont l'assiette de notoriete est la serie meme, memorielle et con
textuell , des etres avec lesquels il coexiste, expliciternent ou non,
e discourS; Un hombTe Y una mujer Hamaron a ta puerta. dans mon El hombTe paTecia viejo Y cansado.. Dans un deuxieme moment, par obliteration de toute espece de reference singuliere, l'objet s'inclut dans une serie au pein de laqueUe il ne renvoie plus a un etre specifique, mais se represente com me un eire quelconque satis faisant seulement aux conditions de d{>finitio n de la serie : El hom bTe es mortal ne designe plus un eire sing ulier , mais n'importe quel homme s'inscrivant en tant qu'homme dans la serie me des cas de mortalite. La tension II devra donc s'entendre com 1a represenus tation de l'operation inclusive, e1 par 1a universalisante, ci-dess
*
La singularisation ou determination de l'objet nominal n'est pas sans incidence, on Ie sait, sur la syntaxe du verbe. On dira en en espagnol : tener 'l.ma criada enjeTma s'il s'agit d'une quelconque domestique qu'il n'importe pas de specifier, mais tener a tma criada enfeTma des l'instant que ]'individualite de 1'eire en cause se repre sente fortement a la pensee du 10cuteur, et t1'neT a Ia cTiada enferma ou s'evoque sous article el (Ie pn"positionnement est desormais inevi table) une personne ressortissant deja au notoire. Ces phenomenes sont apparemment sans rapport avec ceux doni il a ete fait etat dans 1a premiere partie de ce memoire, encore qu'ils se marquent par la meme syntaxe. Ce fait nous paraU determinant, et si l'on en tient compte, comme il semble qu'il faille Ie faire, il y aura lieu de rapporter tous les cas qui nous occupent, quelles que soient leurs differences, a un meme principe d'explication.
decrite. Qu'on observe, sans entrer plus avant dans Ie detail de la theo rie, qu'eUe rend assez bien compte des distinctions que fait appa~ raitre Ie prepositionnement : Tener una cTiada eltJenlla est un cas de tension I extractive ou n'intervient aucune visee de referencia lite. Celle-ci s'ajoute a l'operation d'extraction dans Tener a una criada enfeTma, au una criada evoque SOUS preposition un eire sin gulier immediatement individuable. Une fOls la singularisation acquise, 1a notion en garde 1a marque (on ne rC'vient pa,; sur l'acquis)
On se trouve iei en presence d'operations mentales dont Ie systeme de 1'article offre une assez exacte image.
n a ete dit de l'article que son systeme se recompose de deux tensions successives dont 113 premiere deveIoppe une cinese d'appro che et 1a seconde, une cinese d'eloignemenL Le centre inversif du systeme est la representation de singulier. La tension I (article un) vise ce centre a partir de l'universel apertural (U 1 ) ; 1a tension II (article ell s'en eloigne en direction d'un universe1 second et con clusif (U 2 ). Soit :
.
~
S U
Tension I 1m
en tension II : teneT a la criada enfeTma. Tout se passe comme 5i Ie prepositionnement, lorsque 1a ten sion I est en cause, conferait a l'etre dont je parle une sorte de pre sence in situ qui Ie renvoie immechatement a sa situation de referent. Observar a una nina, par opposition a observ a )" una nina individue 1a mIette et l'amene pour ainsi dire dans mon champ: eHe est 1a comme moi-meme et partage aveC moi Ie benefice de l'existence, disposant apparemment au meme titre que moi de l'ensemble des proprietes assignabIes a la premiere perso nne que je suis, a savoir : a) l'unicite ; b) la specificite ; c) l'etre-la ; d) !'immediate apprehen
Tension II el
u
Cette figure n'est, au vrai, qu'une symbolisation d'un ensemble d'operations complexes, dont elle apporte une image simpIifiee dans l'abstrait. L'article doit eire entendu dans nos langues comme un operateur de seriations. La tension I, singularisatrice, implique une
\
L
sibilite. Ceci revient a dire que Ie singulie-:: qui s'inscrit dans Ie centre inversif du systeme de l'article est quelque chose qui est de mon
223 L.\ r;nA),I'IAIRE DE L'on,JET E:\ E51''\(;:\01.
222
~L\nUCE ~IOLllO
ordre, ou Je me reconnais, et qui n'est autre que l'image speculaire de MOl, du MOl reel, singulier absolu, modele et referent oblige de toute singularite. Poser un singuIier, c'est, avant tout, me representer un Nrc identiquc a moi sous Ie rapport de 1a singularite. On devra donc considerer que Ie MOr ree1-· ce1ui effectif du 10cuteur, et non point sa representation personnellc delocutable se constitue en referent de singularite et occupe a ce titre ]e centre du systeme bi-tensoriel de l'artide. Ce qu'i1 y ::.. en ce centre, ce n'est pas, du moins en pensee espagno1e, un point S theorique et adimensionne1, mais l'etre meme du MOl. C'est du reste par sOP attache au MOl referentiel que Ie system€: a son ancrage a la realite (I). II s'ensuit que 10ute operaticn qui vise a d'fereucer une notion a l'image d'un etre singulier. quel qu'il soit, aboutit a con ferer a cette notion, fut-ce fictivement, des proprie1es qui sont celleo:: du MOl referentiel.
La cause des phenomenes qui nous occupent n'ctant pas dans Ie contenu semantique des objets nominaux, mais dans 1a structure actantiell du verbe et dans les perturbations qui en affectent l'equi e libre, on en viendra a s'interroger sur 1a nature du site et du gene, afin de se donner une comprehension plus exacte de ce que peut Nre un site qui, accueillant en lui (pour quelque raison que ce soit) un import d'operativite contradictoire it son statut, se trouve devoir aSsumer quelque chose d'un gene. Le gene represente, on Ie sait, dans la structure yO:r Ie facteur operatif ou l'operation 0 a sa cause et son origine. Il est essentielle ment un principe operatoire necessaire, puisqu'en son absence aucune operation, quelle qu'en soit 1a nature au la teneur, ne saurait se concevoir. I1 s'ensui.t qu'un site qui s'attribuerait contradictoire ment des proprietes de gene, 5erait un site qui verrait conferer une capacite operative proprement genique qu'il n'ntilise pas, puisqu'il est site et Ie demeure, mais dont i1 ne laisse pas de detenir occasion nellement la puissance, - quelque chose d'analog ue dims ]'inverse a ce que pourrait eire un gene qui oblitererait son operativite propre jusqu'a la reduire a la limite de l'inertie, sans rcnoncer pour autant au principe actif dont il est Ie depositaire.
Le moment est venu de se demander pourquoi une meme syntaxe de preposionnement intrrvient nominal se singularise ou s'il ressortit a l'anim~'. La raison en est que si Ie MOl est Ie prototype meme du singu lier, dont il se constitue referent, il l'est aussi de l'animation L'anime par excellence, c'est Ia personne humaine, et dans l'humain, Ie MOl. Attribuer Ie genn' ~mim6 a un etre, c'est reconnaitre en lui des proprietes que je retrouve en moi, et, consequemment, a me Ie repn2senter capable au meme titre que moi de rc-ssentir ou Ie subi, de bouger, etc. Bref, derripre Ie syst&me qu'on deerit lei, on reneontre partout un MOI basial qui en es1 Ie n";ferent effectif.
Or l'operativite n'est-eUe pas une propriete fondamentale de 1a personne humaine et, singulierement, du MOl, ce qui d'abord se marque a travers Ie modele du I2ngage dont i1 assume la production au titre de 10cuteur? Operateur du langage, on Ie voit s'eriger dans 1e langage en referent oblige de toute activite operative. Aussi est-ce au MOl reel, C'est-a-dire au MOl locuteur.. qu'i1 convient de referencer la representation du intravcrbal (Ie gene n'est-il pas mon identique sous Ie rapport de la puissance de faire ou defaire, d'agir, de connaitre, d'exister, etc. ?), et, au-dela du gene, l'image ente fonctionnel1e du sujet. De meme que Ie gene se repres comme Ia projection en structure actantielle de 1'operation mo"ique, de meme Ie sujet grammatical, quel qu'il soit, ne l'est jamais que par delega tion du MOl en delocution de lui-meme.
II suffira done que l'objet nominal participe, en 1aison de la visee singularisante qui l'informe, de la siugularite specifique du MOl, pour qu'au sein de la structure actantie1le intraverbale, Ie site, que I'objet represente, s'attribue quelque chose dc:' la eapacite opera tive inherente a MOl, ce qui a pour dfet d'alterer I'equilibre des actants et de susciter la survenance de Ia preposition (I).
-,
-1.
II est toutefois des cas, on 1'a vu, ou l'objet nominal cst prcpo sitionne sans ressortir pour autant a 1u definition dti genre anime. N'y aurait-il pas lieu dans ces conditions d'approfondir, en vue de lui conferer une puissance explicative superieure, Ia pl'~~sente esquisse theorique?
On se trouve maintenant en possession d'un principe explicatif applicable a tous les cas de transitivite prepositionnelle recenses par Ies grammaires espagnoles. dont l'alternance repose HUr deux images cOlnplementaires du plurie!. Une premiere est celie d'un pluriel qui se represente comme une somme d'individus comptes un par un du premier au demier, chacun continuant de se prevaloir de sa specificitc. Le resultat en est une construction plurielle prepositionnee : => La escuela de la guerra {3S la que jonna a
(3) De meme, c'est par la presence constitutive du MOl reierentiel au sein du present de locution, que le systeme verbo-temporel de la chrono genese garde adherence a la realite de l'experience-tcmps. Cf. sur ce
point notre Verbe et petsonne en espagnol, a paraitre dans les Cahiers
los grandes Mats 5i capitanes. au lieu de se representer operativement la somme des eires
de linguistique hispanique medievale, 1980.
(4) Si I'etre singulier est l'identique du MOl sous Ie rapport de I'unicite, iI n'en va pas de meme au pluriel au iI arrive que s'obliterent les effets de la singularisation qualitative/quantitative. On dit au singulier : La escuela de la guerra es la que forma al gran
eapitan. A cette phrase correspondent en espagnol deux pluralisations
1
en cause, on ne retient que l'ensemble somme qui en resulte, on se retrouve en presence d'une totalite ou la specificite qualitative de chacun nee s'evanouit. On a des lars une construction plurielle non_preposition La escuela de 1a guerra es la que jonna los grandes capitanes.
=
224
LA GHA)BL\!HE DE I;OBJET E:'; ESPAG)lOL
~L\CHICE ~!oLlIO
Ce principe repose sur une consideration d'ordre theorique, a savoir qu'un loin d'Ctre une structure immanente de l'esprit adhere par les referents qu'il integre Ii I'experience reelle dont i1 est Ie denotateur. II resulte, au vrai, d'une tension antagoniste et, par Ia-meme, constructive Ia contradiction se surmontant sans cesse en direction d'une mei11eure position du probleme entre Ia struc ture linguistique et Ie referent d'experience qui Ia suscite et dont eUe est, en dernier ressort, une dHinition deictique. Le referent basial dont il a ete question a plusieurs reprises dans les pages qui precedent est Ia personne du MOr reel, existant dans l'espace et dans Ie temps comme etre physique, psychique, social, economique, etc. Ce MOr reierentie1 est celui qui, en tant que locuteur, pratique l'experience de son dans Iequel il place au titre de moi grammatical, c'est-a.-dire de premiere personne delocutee.
225
Ie personneL Tout se passe comme si Ies notions espagnoles se definissaient, certes, dans Ie delocutable, mais sans rompre jamais pour autant Ie rapport de similitude/difference qui les lie au Mor basial, ce dont la consequence est qu'elles restent disponibles pour que son image s'y investisse. Or si Ie Mor refE~rentiel n'est autre que celui du Iocuteur, cons tructeur et utilisateur du langage, on en conclura que l'espagno1 est une structure linguistique qui s'edifie a moindre distance du reel .(Ies adherences sont encore sensibles) qu'une langue comme Ie fran \;ais, dont Ie locuteur-constructeur s'est apparemment prescrit de faire abstraction de lui-meme. Aussi Ie fran\;ais est-il une langue qui tend a s'abstraire du Mor referentiel, c'est-a.-dire de l'expe rience, et de ce fait, s'edifie a plus grande distance du reel que les langues mOlques dont Ia structure est commandee par leur atta che forte au referent.
Ceci pose, Ie systeme fonctionnel qu'on s'est propose tient son unite de la presence continflment operante en lui du MOr fonctionne iei conjointement comme referent de I'ani mation, de la singularite et de I'operativite genique.
Paris.
La projection de ces divers phenomenes dans In structure actan tieHe du verbe a cette consequence que, quelle que soit }'impression qui prevaut, Ie mediatise par l'objet qui Ie represente, reeoit l'image du MOr et, de ce fait, prend sur lui par accommodation quelque chose de I'operativite molque. Jl en resulte, malgre 1a diver site des impressions en cause, une syntaxe, qui ne se con\;oit que si on rapporte l'ensemb1e des phenomenes i't leur caUS'3 referentielle commune. On comprend des Iors que, loin de se presenter comme un faisceau d'emplois disparates, Ia transitivit0 pr0positionnelle espagnole forme un tout coherent. Non seulement on ne saurait se surprendre que Ia « personnalite )) ou la «determination de l'objet, selon Ia terminologie de Bello, produisent d'identiques effets en syntaxe, mais encore doit-on considerer qu'en raison dE: leur com mune reference au MOL leur dissociation est inconcevable. II n'en reste pas moins que l'espagnol, par son traitement origi nal de la fonction objet, occupe (avec Ie roumain) une place a dans la Romania. Rien de tel en fran<;:ais. La systematisation morpho-syntaxique du fran<;:ais repose sur un principe qui est a l'oppose de celui qui a pf!?valu en espagnol, i't savoir que Ies notions nominales sont une chose et que Ie MOr en est une autre: partage franc entre l'ensemble des eires notionnels qui tous, parce sont notionnels, ressortissent a 1a delocution, et la presence d'un MOr reel qui n'opere que dans son rapport au seu1 de Ia personne. Entre Ie notionnel a-molque et Ie champ de la personne verbale fondee au MOr, s'institue en fran\;ais 1a frontiere separative du nom et du verbe, de l'espace et du temps. En espagnol, au contraire, l'image referentiel1e du MOr appa rait intervenante en tous lieux, aussi bien dans Ie notionnel que dans 8
Maurice MOLHO
La « polysemie » de la preposition italienne da L'un des principes Ies plus feconds de la psychomecanique du langage est que Ies morphemes (mots" grammaticaux », desinences, marques de categories) possedent une valeur fondamentaie unique, un « signifie de puissance ", que Ie linguiste a pour tache de decou vrir. II lui faut, pour cela, depasser Ie plan du discours, car cette valeur fondamentale ne se con fond avec allcun des effets de sens qu'on y rencontre ; eUe les permet tous mais s'en distingue radica lement, en particulier par Ie fait qU'elle est de nature cinetique. Des lors, la premiere des operations mentales qui rendent possible l'uti lisation en discours de ces morphemes est la saisie, en l'un de ses points, du mouvement qui d6finit leur signific de langue, chaque saisie donnant un effet de sens ou un groupe d'effets de sens. Les cineses qui definissent l'article et ceJles qui creent les diffe rents morphemes de la conjugaison du verbe fran<;ais sont mainte nant bien connues, ainsi que les saisies particulieres auxquelles e1les se pretent, et l'on peut considerer que les travaux que G. Guillaume a consacrcs aces problemes ont donne des assises solides it Ia theorie unitaire des morphemes. II fallait neanmoins en etendre l'application pour en confirmer la portee. C'est une entreprise au service de laquelle G. Moignet avait su mettre toute la penetration, toute la rigueur et toute la hardiesse qU'elle exige. II est ainsi parvenu a percevoir clairement ce que doit etre la valeur en langue des mots fran<;ais qtte et si, du mot italien che. Mots qui, remarquons-Ie, sont parmi les plus poly valents au niveau du discours et pour lesquels, par consequent, il etait Ie plus difficile de trouver un signific unique;> derriere la diversite des emplois. Mais, pour G. Moignet, la difficulte ajoutait, semble-t-il, iJ. l'aitrait de la tache: il se sHuait aux antipodes d'une linguistique se donnant comme seul objectif la constatation des pretendus caprices de la langue. C'est de tous les aspects de cette recherche que nous avons tente de nous inspirer dans cette etude Ott nous nous proposons d'indiquer queUe est la representation en langue de la preposition du.
*
II convient d'abord de souligner la polyvalence de cette prepo sition. Le seul domaine des complements de lieu en offre une illus
L\< I'OLYS1~~IIE " DE /J.t
223
229
JEAX CEHYOX[
tration remarquable : la OU Ie grec ancien et Ie latin distinguaient obligatoirement quatre types, OU Ie franc;ais a recours a plusieurs prepositions, ou Ies langues en general, romanes ou non, marquent des oppositions non seulement par la semantese des termes mis en relation, mais aussi par un Jeu de prepositions et/ou de desinences casuelles, l'italien peut, dans certains cas, n'employer que da; On a en effet : Franc;ais Je vais (je suis) chez l'avocat. J e vais (je suis) au coiffeur. Je viens de Rome. Je passe par Bologne.
Italien Vado (sono) dall'avvocato. Vado (sono) dal parrucchit:re. Vengo da Roma Passo da Bologna.
En face de quatre prepositions franc;aises, on trouve donc une seule preposition italienne. Peut-il d'une neutralisation, particuliere a l'italien, d'oppositions generalement senties comme essentielles? C'est difficile a admettre. Aussi est-on amene a affiner la description et Ie commentaire en precisant : I - a) qu'apres les verbes qui signifient monvement vers ou situa tion dans l'espace (ou qui se pretenl a l'expression de ces notions), l'emploi de da est restreint 'lUX comp16ments ayant Ie trait anime humain et que, en dehors de ce cas, l'opposi tion marquee en franc;ais par Il/ de (aller (eire) ,j Rome/venir de Rome) l'est en italien par aida (andare (essere) a Roma/ venire da Roma) ; b) que passare da Bologna est rare: on dit Ie plus souvent passare per Bologna; c) que ce n'est que dans l'expression du mouvement Il parti?' de que da semble convenir dans tous les cas; d) que la neutralisation est donc assez limitee et que la formu lation la plus generale d'un point de vue contrastif sur les complements de lieu en franc;ais et en italien ferait ressortir non pas des differences, mais l'existence, en italien, d'Ull de marques parallele a celui du franc;ais : Fr. a / de / par
It. a / da I per;
II - que, dans Ie domaine des prepositions de faible specificite, « neu tralisation» n'a pas Ie meme sens que dans Ie domaine lexical: Ie contexte dans lequel les Gallois emploient l'adjectif de cou leur glas peut n'apporter aucune indication permettant de savoir si c'est de bleu ou de vert qu'il s'agit. Au contraire, l'entourage d'une preposition comme da, principalement les deux termes qu'elle met en relation, suggere en general dans une large mesure a quel type de rapport on a affaire. La « neutralisation» n'est done que partielle. PlutOt que d'em ployer ce mot, il serait peut-etre plus exact de dire que, dans
les quelques emplois exammes d-dess us , la preposition da est dechargee du soin d'exprimer les oppositions « lieu ou L'on val lieu d'ou L'on vientllieu par ou l'on passe ». Mais, quelle que soit la terminologie que ron adopte, i1 y a la une possibilite propre a l'italien qu'il faut expliquer. Et la difficulte du probleme est accrue par Ie nombre et la diversite des autres emplois de da. En voici une liste, avec des exemples empruntes a La grammatica italiana de S. Battaglia et V. Pernicone ; la traduc tion que noUS en donnons permet de constater que les moyens de rendre da en fran<;;ais sont multiples. Da intl'oduit : Ie complement d'agent: Il ladro fu arrcstato dagli agenti. (Le voleur fut arrete par les agents.) ; Ie complement de cause: Tremare dal heddo, (Trembler de froid.) ; Ie complement de consequence: E cosi bravo da riuscire. (11 est assez fort pour reussir,) ;
Ie complement de moyen: ne indovinai la commozione dalla sua
voce. (A sa voix, je devinai son emotion.) ;
Ie complement de point de depart dans Ie temps: E arrivato da
ieri mattina. (11 est arrive depuis hier matin.) .,
certains attributs: Comportarsi da gentiluo mo , (Se comporter
comme un gentilhomme.); Trattare da nemico. (Traiter en
ennemL) ; des complements de verbes, de noms, d'adjectifs, de pronoms, de phrases, aux effets de sens varies. _ destination: Bicchiere da vino. (Verre a distance: Died metri dalla porta, (A dix metres de la porte.) ; epoque (de la vie) : Da giovane. (Etant jeune.) ; eventualite, necessite: Camicie da stir are. (Chemises a re passer.) ; Niente da opporre. (Rien a objecter.) ; partie: Cieco da un occhio. (Aveugle d'un ceiL) ; _ prix: Un pranzo da mille lire. (Un repas a mille !ires.) ; provenance: Noi discendiamo dai Romani. (Nous descendons des Romains) ; Estrarre il ferro dalle miniere. (Extraire Ie fer des mines.) ;
qualite: lsotta dalle bianche mani. (Yseut aux blanches
mains.) (l). (1) Nous n'avons pas conserve, dans ce recensement des emplois de da, l'ordre qu'on trouve dans La grammatica itallana. Manifestement, celui-ci a eLe choisi par les auteurs pour faire apparaitre une continua tion ou une filiation par rapport auX valeurs des etymonS latins lda viendrait de de+alJ et de def-ad selon la n, 9 de la p. 420). Cette methode de classement, qui est celle de la plupart des grammaires et des dictionnaires, est trompeuse: elle suggere des derivations qui. Ie plus souvent, n'ont rien de reeL
LA
230
231
JEA>: CEHYOXI
M. Wandruszka (1976) voit dans l'echec de M. Crisari une bonne raison de faire marche arriere. Mais sa propre analyse est si peu convaincante (-I) qu'eHe incite au contraire a persevereI' dans la recherche de l'unite qui se cache derriere la diversite.
En presence d'une telle diversite, faut-il renoncer, pour cette preposition tout au moins, a decouvrir une valeur fondamentale unique en langue? C'est ce qU'ont fait la plupart des grammairiens qui se sont pose la question. Et c'est en general sur l'etymologie de da, vraie ou fausse (2), qu'ils s'appuient pour lui attribuer au mini mum deux valeurs fondamentales.
*
Comme nous l'avons dit plus haut, dans ce genre de recherche c'est l'adoptio d'une demarche de type guillaumien aui nous parait n etre la condition d'un progn?s. Elle consistera tout d'abord a poser que, s'agissant d'une prepor sition, la valeur en langue ne saurait etre statique ; puis a cherche des indices de ce que peut etre Ie cinetisme fondamental qui donne
On peut citer pourtant une tentative d'interpn?tation unitaire: celIe de M. Crisari (1971). Les preliminaires de cette etude sont excellents: l'auteur montre bien que la signification globale d'un groupe compose de deux termes relies par une preposition resulte de l'interaction du sens de chacun des composants. De IiI decoule la necessite de proc6der a des analyses semantiques approfondies - et faisant la part qui leur revient aux proprietes fonctionnelles - aussi bien des termes en que.. ,tion que de la preposition. La suite est con sacree a la definition de la valeur fondarr,entale en langue des prepositions simples de l'italien. Da est reserve pour la fin. L'auteur definit cette preposition comme instituant un rapport dans lequeJ l'un des termes existe comme antecedent de l'autre «( precedente »). Puis, suivant la meme methode que pour les autres prepositions, il montre, sur une serie d'exemples, que l'on retrouve cette valeur dans divers emplois.
da.
OU les chercher? Bien entendu dans ce qui est directement observable. Nous commencerons donc par l'examen de certaines conditions d'emploi de da et, d'autre part, nous tiendrons compte des ie indications qu'on peut tirer de la semiolog . 11 est permis de supposer a priori que, parmi les emplois, les plus revelateurs seront ceux oll l'on observe une concurrence entre da et une autre preposition, surtout 5i la repartition entre l'une et l'autre dessine une limite tres nette a l'interieur du domaine qu'eHes se partagent. Le cas exemplaire est celui du complement indiquant ne Ie terme d'un rnouvernent vel's. Quand ce terme est une person , a est rigoureusement eXclu, on ne peut employer que da : 1. ·Vado al dentista. 2. Vado dal dentista. et da est exclu quand Ie terme du mouvement est un lieu:
Mais c'est de tous les effets de sens que doit rendre compte une interpretation unitaire et cela nous oblige a considerer que la tenta tive de M. Crisari aboutit a un echec puisqu'il ne voit pas (nous ne Ie voyons pas non plus) comment son interpretation de da pourrait expliquer des emplois comme passare da Roma (passer par Rome), il Libro e da Maria (Ie livre est chez Marie), e da questa parte (i1 est de ce cote-ci).
3. ·Vado da Roma.
D'ailleurs, si elle n'est pas assez g€ m erale pour expliquer tous les emplois, elle a en meme temps Ie defaut de l'etre trop puisque la notion de precedente logico» pourrait egalement caracteriser Ie role du regime dans un certain nombre d'empiois de a, di, su, etc. Battaglia et V. Pernicone (1951), apres G. Devoto (1940). conslderent comme etablie la double origine de da (cf. supra, n. 1). Mais en fait elle n'est nullement prouvee par I'existence d'un continuateur pho netique de de-ad dans certains dialectes. La tendance des linguistes historiens est pIut6t de faire venir Ie da italien uniquement de de-ab (cf. E. Poppe, 1963, p. 265, n. 3). Cette seconde critique a He formulee par M. Wandruszka (1976). Mais ceIui-ci ne songe pas a se demander pourquoi Ie regime d'une preposi tion apparalt si sou vent comme etant l'antecedent logique du terme complete. La reponse reside dans un fait de psychomecanique bien mis en Iumiere par G. Moignet (1974) ; l'operation que signifie une prepo sition est regressive; a !'inverse de celle que signifie Ie verbe tranoitif, el1e prend son depart au support d'apres, au regime, qUi, a l'egard de cette operation, est declare en fonction d'element causatif, tandis que Ie support d'avant fait figure d'element resuitatif. Par 1I1L, Ie regime d'une preposition est toujours, d'une certaine maniere, l'antecedent Iogique de son support d'avant. Cette qualite apparait plus ou moins
La relation entre rnouvernent vers et anirne hurnain se caracterisant en general par l'absence de contact entre la fin du mouvement et Ie point vcrs lequel il est oriente, Ie monopole de da dans l'expression de cette relation peut etre interprete comme une aptitude de cette preposition a traduire simultanement un mouvernent vers et un maintien a distance. La preposition a, parce qu'eHe signifie un mou vement d'approche sans exclure la possibilite d'une coincidence ter
(2) S.
(3)
POLYS1'::lllE , DE D.i
minale ne convient pas ("). :;
nettement au niveau de l'interpretation du discours. Elle est perceptible dans de nombreux emplois quand il Y a accord entre Ie mouvement particulier que signifie une preposition et cette orientation regressive de I'operativite de toute preposition. (4) II reprend ['hypothese de la double origine mais ce ne sont pas deuX, mais trois valeurs fondamentales auxquell es on parvient, selon ce lin guiste. quand on examine les divers emplois de da. La ({ these du mono semantisme» lui parait donc indefendable. (5) Le a fran<;ais a egalement cette valeur. Quand les francophones disent :
233 LA ' POLYS1':MIE ' DE DA
232
JEAN CERVONI
Mais l'observation n'aura d'interet dans notre recherche que si ron peut en faire d'analogues sur d'autres emplois, aussi differents que possible du premier. Envisageons done Ie cas qu'on pourrait qualifier de contraire, celui ou da introduit Ie complement de point de depart. On pourra parler d'une analogie avec Ie cas precedent, malgre Ie fait que Ie mouvement a traduire soit cette fois un mou vement a partir de, si l'on retrouve une certaine forme de maintien a distance. Elle existe en effet, quoique moins perceptible que dans Ie cas precedent du fait que la classe a laquelle appartient Ie nom complement (animes ou non-animes) n'a pas d'influence sur Ie choix de la preposition: on dit aussi bien 4. Vengo da Roma. que 5. Vengo da Giuseppe. (Je viens de chez Joseph.) Si da marque la non-coIncidence entre Ie point de depart d'un mou vement et la personne humaine dans 5, c'est d'un autre type de maintien a distance qu'il dans 4. Notre hypothese est que la distance, ici, est celle que revele une comparaison avec 6. Sono di Roma. (.Ie suis originaire de Rome.) De meme que a peut marquer l'approche avec cOIncidence termi nale, de meme di marque l'eloignement avec coYncidence initiale. Cette idee de cOIncidence est sentie en italien comme convenante quand Ie lieu est intimement associe a la personne, lui est, pour ainsi dire, consubstantiel (H) et comme non-convenante quand il n'est, comme dans 4, qu'un lieu ou, simplement, l'on etait avant de dire qu'on en vient. Si un Romain, un homme ne a Rome, dit: « Vengo da Roma ", ce n'est pas de Rome en tant que ville ou il est ne qu'il parle. On voit ce qu'est Ie «maintien a distance» dans ce cas: une sorte de restriction dans l'adherence, qu'on ne sent que grace a l'opposition avec di. II est vrai que certains emplois semblent ruiner cette expli cation: ceux OU, pour marquer Ia provenance, di et da semblent interchangeables :
(6)
« je vais au dentiste », au lieu de « chez Ie dentiste», Us utilisent une possibilite que leur offre leur langue de traiter de la meme fac;on l'anime et Ie non-anime. Notons que cette possibiJite ne s'etend pas aux cas ou Ie complement est un nom propre de personne, sauf pour tra dulre une volonte de contact d'un type tres particulier ; « Si tu ne viens pas a Lagardere ... ». En italien, un certain nombre de notions sont senties comme des attri buts de la personne. Dans une etude remarquable, A. Rocchetti a mon tre que ce fait « joue un role capital dans la difference de comportement de l'italien et du franc;ais dans l'emploi de Particle.» (1977, p. 60). Nous nous proposons de montrer ailleurs que dans un autre domaine egalement, celui de la transitivite, les differences entre les deux langues s'expliquent en partie par Ie mode particulier qu'a chacune d'eUes de concevoir la personne. (Cf. I'opposition Ti penso I Je pense a toO.
7. Uscivano dt cittil. 8. Uscivano dana citta. En realite, l'absence d'article dans 7 et l'emploi de l'article defini dans 8 indiquent bien que Ie complement citta n'est pas envisage de
ere la meme manh?re dans les deux phrases: 7 sugg l'association
e intim entre la personne et Ie lieu. (L'association observe dans 6
e doute Ia plus intime de toutes, mais eUe n'est pas la seule est sans . possible: on peut concevoir d'autres liens entre une perso,nne et un lieu que celui qui resulte de la naissance dans ce lieu; il est revela teu qu'un nom comme casa soit presque toujours introduit nnepar
di r article apres un verbe comme uscire.) Dans 8, la perso sans et la
ville sont deux entites independantes. L'affinite de da avec l'article
dMini, qui, en italien encore plus qu'en francais, sert a designer des
objets « sous Ie point de vue de l'espece, du type, de la categorie espece ou categ orie connues, habitueUes ... » (1), c'est ceUe de deux
mots que leur valeur fondamentale rend aptes a poser l'element
qu'ils introduisent com me une reference bi.en distincte de la per
~
sonne qu'elle situe. Ce commentaire s'applique tout auss i bi.en
a un
autre cas sou-
vent cite d'" interchangeabilite (~): 9. Piangeva di 10. Piangeva dana gioia. pour souligner la difference au moyen d'une glose un peu lourde, on pourrait dire que dans 9 il s'agit du sentiment particulier qu'eprouve Ie sujet, tandis que dans 10 la joie est Ie sentiment bien connu dont on sait que l'un des effets peut etre de provoquer les larmes. Avant de developper notre hypothese, noUS examinerons un dernier cas d'alternance dil da qui semble la contredire. Nous l'illus trerons par un passage de roman ou il est question du village natal me du heros, Cantevria. Ce nom est employe deux fois com comple ment d'origine proprement dite, la premiere fois precede de di, mais la seconde fois «de da dopo : Solo qualche mese si seppe che veniva, in seguito a trasferimento d'ufficio, dal capoluogo della provincia; ma che era di Cantevria, un paesucolo della Valcuvia, a pochi chilo metri da Luino. « Da cantevria con quel nome?») si domandava la gente. E nessuno credeva possibile ... ») ( " )
Si la difference entre 4 et 6 est celle que noUS avons indiquee, com ment da peut-il se substituer a di dans une phrase ou c'est bien du (7) J.
Brunet, Cours de grammaire descriptive de l'ita!ien. J'extrais ces !ignes d'un passage cite par run des auteurs de Aggiornamento, 2 (cf. A. Rocchetti et alii. 1977, p. 125). (8) Les lignes qui suivent indiquent sans ambiguIte que pour nous di et da ne sont pas plUS interchangeables dans cet emploi que dans Ie precedent. (9) P. Chiara. La spartizione, Arnoldo Mondadori editore, 1964, p. 9. Bien entendu, c'est nous qui SDulignons di et da.
s·
235
LA , POLYSE~IlE , UE ])A
234
JEA~
CEIWO:\!
mouvements antinomiques, l'autre, jamais totalement annule, em peche Ie premier d'avoir un devdoppement complet. Insistons sur ce point important qui explique que da n'est jamais un synonyme rigoureUx de di ou de a, pas meme dans les cas ou une substitution parait possible: meme si l'annulation tend a la totalite pour l'un des mouvements en meme temps qu'elle tend vers zero pour l'autre, la nullite ou la completude n'est jamais atteinte. Le schema represen
lieu d'origine d'une personne qu'il s'agit? A notre avis, cette substi tution est rendue possible, ici, par l'existence d'un facteur de distan ciation propre a la phrase ou l'on trouve da. Ce facteur est l'expres sivite destinee a mettre en relief l'incredulite des gens et obtenue par l'absence de verbe, qui a pour consequence que la personne a laquelle Ie lieu est cense etre associe (Ie sujet de era dans era di Cantevria) n'est pas representee. C'est la dissociation ainsi sUggen2e qui amene l'emploi de da, et que da contribue a traduire.
tatif de cette preposition serait donc :
---------j
II est evident qu'on ne peut pretendre trouver des intentions de ce genre dans les groupes tres usuels ou da relie directement un prenom et Ie lieu de naissance du personnage designe par ce prenom, par exemple : Leonardo da Vinci.
--- ---------------------
et, si l'on porte sur Ie schema les deux types principaux de saisies:
~~
Nous proposons plus loin une explication de cet emploi
*.
;--------------rl
S\
11 y aurait donc une analogie entre 2 (Vado daIl'avvocato) et 4, 5, 8, 10 (Vengo da Roma, etc.) : dans tous les cas, da implique une certaine forme de maintien a distance; cependant, les mouvements evoques par vado et par vengo sont naturellement sentis comme antithetiques.
Pour ne negliger aucun de ces deux aspects, et compte tenu du fait que, du point de vue semiologique. da se presente comme une combinaison du phoneme stable de di et du phoneme unique de a : /d(i)/ -/ /a/ _ _ /da/, on peut supposer que Ie cinetisme qui cree da est complexe, qu'il comporte a la fois un mouvement prospectif et un mouvement retrospectif, dont il faut preciser Ie mode d'asso ciation. Celui-ci ne saurait etre une simple succession dont Ie schema representatif serait :
La quantite de mouvement contrarie contigue a la reference, si petite soit-eUe, est ce qui rend la preposition apte a signifier une certaine forme de maintien a distance. Nous avons deja dit ce qu'elle est dans Vado daH'avvo cato . Dans Bicchiere da vino, tout comme dans Ie groupe Cane da caccia, eUe donne l'effet de sens «hypothese de destination» (l Dans Niente da opporre, l'ecart entre la notion evoquee par opporre et ceUe que signifie niente est comparable a celui qui caracterise les exemples precedents puisqu'il s'agit, dans cette expression, de la virtualite d'une action envisagee comme possible, donc situee a une certaine distance du reeL
~I
S'il etait cela, en effet, meme en supposant la possibilite de plusieurs saisies differentes, plus ou moins proches de la reference R, soit du mouvement prospectif, soit du mouvement retrospectif, la preposi tion ne possederait pas une valeur specifique : elle serait tant6t un equivalent de a, tantOt un equivalent de di. Les exemples d'emp!ois examines ci-dessus suffisent a prouver qu'il n'en est rien.
Tous ces emplois correspondent a la saisie Sl (predominance du mouvement prospectif). Nous rattacherons a ce groupe les emplois ou domine une idee d'approximati on : _ Stava da Santa Maria Novella \ r _ Quando la pestilenza del 1348 in Firenze diede occasione al
11 est plus satisfaisant de concevoir leur association constituee de te11e sorte que, quand une saisie fait predominer l'un de ces (10) Cf. intra, p. 236. Il nous parait preferable d'envisager ce cas conjointe ment a quelques autres apres avoir presente notre theorie concernant la representation en langue de la preposition.
(11)
52
(11) I1 serait preferable de marquer les deux saisies sur le meme schema, mais la clarte en souffrirait. (12) La formule se trouve dans les pages de Probleme de l'article ou G. Guil laume etudie l'opposition un chien de berger/Ie chien du berger (§ 33). (13) Quoique rare en italien contemporain, cet emploi S'y rencontre encore.
.i
J....
L,\ . l'OLYS1::~1ll: ' DE lJ.t
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237
JL\:\ CER\"O~l
La convenance de da dans l'expression du rapport d'agent s'explique par Ie fait que la phrase a complement d'agent, de meme que la preposition da, represente une certaine forme de mouvement
Boccaccio di scrivere Ie « Novelle », egli aveva da trenta anni (11). E da questa parte (1 ainsi que ceux ou c'est l'absence de deplacement ressort: Sono dall'avvocato.
contrar1e, Une notion comme celle de passage en relation avec un nom de erer lieu (passare da Bologna) rend la preposition apte a sugg que 1a reference est approchee, puis quittee presque simultanement, la penetration dans Ie lieu n'etant pas necessairement impliquee (1").
II existe en effet un argument pour ne pas Ies expJiquer, comme on serait tente de Ie faire de prime abord, par une saisie mediane cn?ant un equilibre entre Ies deux mouvements: l'cmploi de a dans Va do aRoma et dans Sona a Rama indique que Ie mouvem('nt prospectif que a se ,1 une double interpretation; la visee porte ou bien sur Ie mouvement et sur Ie point d'aboutissement, ou bien seulement sur celui-ci. II en est de meme dans Ie cas d'une pn?domi nance du mouvement prospectif de da, avec ceite simple difference: quand la vi see porte sur Ie point d'aboutissement, celui-ci ne coIn cide pas avec R, mais avec St.
*
Au terme de cette etude, on comprend pourquoi, dans Ie titre,
nOUS avons mis entre guillemets Ie mot polysbnie: Ia polyscmie
n'existe qu'au niveau du discours. En langue, c'esi. une fois de plus,
a l'unite que ron parvient pourvu que l'on renonce a une conception
statique du signifie des morphemes.
Les autres emplois de da correspondent a une saisie de type S". L'idee de distance resultant de l'annulation par une quantile varia ble de mouvement prospectif de la partie initiale du mouvement retrospectif retrouve plus ou moins. Elle est assez nettemeni perceptible dans E cosi bravo da riuscire : Ie degre de la qualite est defini a partir de sa consequence, mais cellt'-ci n'est que virtuelle, donc non-coIncidente.
Jean CERVONI
Elle rest encore, mais a un moindre, dans des emplois comme Un p1'anzo da mille lire. Comportarsi da gentiltwmo. lsotta datle bianche mani, Da giovane. Entre l'objet, Ie fait, l'etre lier designe par Ie support d'avant de la preposition et la reference par rapport a Iaquelle il est defini (Ie il n'y a pas adherence totale : la reference est signalee com me reference, comme modele, comme type servant a definir ; elle garde un certain df'gre de ralite meme si, en meme temps, eUe convient comme qualification du terme oarticulier qui la precede. Da giovane evoque l'idee d'une que ne Ie ferait Quando era giovane. Le repas definit par Ie syntagme Pranzo da mille lire coute, a coute, coutera effectivement mille lires. Cependant I'idee d'une categoric de prix n'est pas totalement absente. Au contraire, dans Isotta dane bianche c'est Ie degre de particularite du detail isole de l'ensemble que constitue la personne d'Yseut qui permet de de non-adherence, donc d'une certaine formIC' de distance.
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M. Crisari. IJe preposizioni sernplici italiane: un approccio semantico, dans Grammatica tras/orrnazionale ilaliana, Bulzoni, 1971, pp. 97-116. G. Devoto, {( Preposizioni dans Lingua Nostra, 2. 1940, pp. 104-111. _ G. Guillaume. Le problerne de l'article et sa solution dans la langue fran "aise, Nizet, Paris, 1975. _ G. Moignet. « sur la « transitivitc indirecte » en fram;ais», dans TraLiIA, XII, 1, Strasbourg, 1974, pp. 281-299. E. Poppe, {( Studi sui significati di da », dans studi di Ii/ologia italiana,
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L'explication de E arrivato da ieri mattina Oll de Leonardo da Vinci n'est pas fondamentalement differente: Ie residu de mouve ment prospectif agit comme une indication, au sens etymologique du terme, comme une designation du moment ou du lieu constituant Ia reference a partir de laquelle cst dite la notion exprimee par it arrivato. situe Ie personnage dont on parle (Leonardo). (14) Exemple tire du Dizionario de Battaglia, Article DA, 10, p. 1.087, 2< col. (15) Dans ce dernier cas, Ie sens du substantif complement contribue pour une bonne part a suggerer l'idee de localisation imprecise.
M. Wandruszka, « L'italien et Ie fran<;ais : analyse interlinguistique de Ia preposition italienne DA », dans Melanges otterts a Carl Th. Gossen, 1976, pp. 905-923.
I
i
L
E. poppe (art. cit., p. 297) que da en est venu a etre employe (16) dans des cas ou l'on veut de courte duree, ainsi dans la phrase de Manzoni : « ... vorrei passare un momento da queI paese ... )). Nous dirons que, dans cet empIoi, un momenta favorise une interpretation maximale de cette quasi-simultancitc.
Prefixes et constructions analogues exprimant I'exces en italien et en roumain Aussi bien en italien qu'en roumain, la notion d'exd~s apparait dans Ie systeme prefixal comme un prolongement et une conse quence de l'intensification. Nous nous proposons d'analyser ici Ie prefixe italien STRA et Ia correlation radical - derive en STRA-, du type: (adj.) vecchio - stravecchio (vb.) dire - stradire, avec ou sans nuance pejorative et de les comparer avec les prefixes et les constructions equivalents en roumain.
•>1
f
LITALIEN (1) Le prefixe STRA- s'accole, en italien) aux adjectifs et aux verbes, afin de creer des derives qui indiquent Ie plus frequemment Ie superlatif de Ia qualite ou Ie degre intensif de l'action exprimee par Ie radical: (ricco) - straricco (parlare) - straparlare. Provenant du latin EXTRA, Ie prefixe garde en italien les deux significations possibles de l'etymon : a) Un premier STRA- cree la serie des derives du type: straordinario : qui sort de l'ordinaire, comme dans Ie fran c;ais «extraordinaire». straripare : deborder, sortir des limites de la rive. Le prefixe signifie ici
«
a l'exterieur ",
«
en dehors de
».
II est evident que dans ces cas, l'emploi du mot de base en correlation avec Ie derive n'est pas possible. (1)
L
Une grande partie des informations sur J'italien sont dues A. Colombo.
a
Madame
240
CHARLOTTE SABETAY-SCIIAPIRA PRI~FIXES
straordinario dit Ie contraire de ordinario et non pas son Super_ latif. D'autre part, Ie verbe *ripare n'existe pas.
b) Le deuxieme STRA- - celui qui nous interesse plus particu lierement ici - fonctionne comme intensificateur et se extre_ mement vivant et productif. L'on peut creer des en STRAles verbes et adjectifs simples:
ex. : povero - strapovero
fare - strafare ... etc.
a partir
de presque tous
L'emploi simple du derive Correspond au superlatif absolu: E straricco. signifie: «II est extremement, excessivement riche
».
D'EXCES EN IT.\LIE:-.i ET EN
lWl:~IAlN
241
De cette double prefixation resulte un STRA- compose, homo nyme avec les deux autres et qui, lui aussi, est intensificateur. Par des voies plus ou moins differentes, les derives des trois prefixes expriment Ie renforcement et l'intensite. d'une maniere assez curieuse, le premier et Ie dernier STRA-, au lieu de concurrencer et d'affaiblir Ie deuxieme, qui seul est producteur de creations libres. renforcent et motivent celui-ci dans l'esprit du locuteur. La construction
radical - derive
est donc bien vivante en italien et creatrice d'une richesse stylisti que qui caracterise aussi bien 1a langue ecrite que 1a langue parlee.
C'est surtout dans l'emploi du derive juxtapose au radical sim ple qu'apparaft la notion pejorative d'exces : una idea consciuta - straconSCiuta un vestito vecchio - stravecchio.
II. ROUMAIN
Quant a la correlation entre Ie verbe radical et son derive en STRA-, l'idee d'exces est d'autant plus sentie qu'il y a, entre les deux, Ie derive en RI-, exprimant la repetition indefinie de l'action : l'ho detto, I'ho ridetto, l'ho stradetto.
Parmi Ies langues romanes, seul Ie roumain possede une cons truction tout a fait analogue. La aussi l'expression de l'exces est prevue par la structure meme du systeme prefixal.
c) II existe aussi un troisieme STRA-. qui ne provient pas du latin EXTRA, mais du latin TRANS.
Mais en roumain STRA-, prefixe presque homonyme et d'ori gine identique a celle du STRA- italien, n'est pas Ie seuI a exprimer l'intensification et l'exces. Son concurrent RAsIRAZ- s'avere a 1a fois plus vivant et plus productif.
TRANS a donne en italien Ie prefixe TRA- :
traboccare
travestire
travedere ... etc. Certains de ces derives admettent une nouvelle prefixation, en
S-. Parmi ses multiples significations, S- d{mombre celIe d'jntensifi
cateur, comme dans
graffiare - sgraffiare
correre - SCorrere
battere - sbattere
lanciare - slanciare
II s'attache aux derives verbaux en TRA- pour indiquer Ie renforcement de l'action : traboccare - straboccare
(vedere) - travedere stravedere
(2) Cf. G. Rohlfs: Grammattca storica della lingua italiana e dei suoi dialetti, edizione italiana aggiornata, EinaUdi - Piccola Biblioteca, 1969, PP. 351-354.
a) STRA-
Cite (en derniere position, il est vrai) par la grammaire de Tictin (I) parmi les plus frequents prefixes du roumain, STRA- ne semble pourtant creer qu'un nombre tres limite de derives. Aboutissement roumain du latin EXTRA-. cette particule est definie dans Ie dictionnaire de Saineanu (~) comme "exprimant l'in tensite d'une action ou Ie degre superieur d'une qualite ». L'inventaire des derives prouve que cette definition est juste, mais incomplete. Le prefixe STRA- s'accole, en effet, aux noms et aux adjectifs avec la signification mentionnee par $iiineanu, mais iJ s'attache d'autre part aux verbes avec une signification differente : « a travers >), « de part en part» : ex. a strabate ». Le nombre des derives nominaux ou adjectivaux en STRA- est vraiment tres restreint : (3) H. Tictin : Gramatica Romiina. Etimologia $i siniaxa, IIIe edition, revue par I.-A. Candrea, TEMPO, Bucarest, 1945, p. 148. (4) Lazar Siiineanu, Dictionarul Universal al Limbii Romiine, IIIe 00., 1914.
243
PRl~FIXES D'ExCts E:-l ITALlE:-l ET E:-l ROt:)IA.!:-l
242
CHARLOTTE S.\RETAY-SClJAPIRA
strabun strabunic, strabunica stramo~
stdinepot
demie). Or, « signlfle llueralelllC'H mere », « plusieurs fois grand-mere ", et non pas
striHund (employe surtout au
pluriel « din strafunduri»)
stravuiet (rare)
stdllimpede (rare)
stravechi
Si l'on laisse vechi» est «bunica» tantival. «
revue des derives verbaux nous conduit Le en
liste limitee :
a stdibate
transpercer a a voir a travers a foudroyer
.t
Quasi synonyme de « stramo~», « strabun » s'est lexicalise avec les sens de « aieul », « aieux ", « ancetre» et constitue Ie seul exem pIe ou Ie radical « bun n'est plus reconnu comme un mot vivant. Plus elabore que Ie dictionnaire de ~ijjneanu, Dictionarul limbii romdne merare contemporane, edite par l'Academie Roumaine C) passe en revue ces derives et analyse Ie prefixe STRA- comme : « ••• (un) element de comnosition formant. a Dartir de substan l'anciennete, l'ori tifs lointaine ». Sont cites vechi ».
a
titre d'exemple
« stI'amo~ »,
«
strabun
la
a
une
lci aussi l'analyse des derives est garantie par l'existencc de presque tous Ies radicaux a l'etat independant : a vedea, a fulgera
l
Le verbe « a bate» ({( battre ») se retrouve dans un certain
nombre d'expressions avec la signification « courir » :
a bate stdizile : « courir Ies rues"
a bate dmpii : I(lit) courir les champsi «parler de fac;on
incoherente )}.
stra
Le
a
En admettant que stranepot» ait ete forme par avec « strabun», «strabunica», «strabunic », l'on est en cffet oblige de constater que la plupart des radicaux expriment la vieillesse des humains ou des choses. Mais il serait faux de transferer sur Ie pre fixe la signification des mots de base: « ai'eux », « ancetl'es », « arriere-grands-parents », « tres vieux » au « antique» sont des ter mes qui doivent la notion d'anciennete ou d'eloignement dans Ie passe aux mots de base respectifs et non pas au «un
Ioin
autre signification.
grand-pere
Les derives sont analyses sans aucune difficulte, tous les mots de base existent a l'etat independant : « bunic », « bunica", « mo~" (qui, d'ailleurs s'emploie aussi, en Moldavie, pour « grand-pere »), « nepot» et « vechi ».
plU~ que
«
taine ». La fonction d'intensificateur est decele e par Ie Dictionnaire de t' Academie uniquement dans les verbes «a striHuci », "a stralu mina ». La du prefixe dans ces verbes avec Ie sens de « beaucoUP» «fortement », « enormement» est d'autant plus sus pecte que, par ailleurs, precedant des verbes, STRA- a une toute
rare, seul stra Ies noms bunic subs-
(( buna » - « bunul " signifient aussi
«
«
transpercer })
«
piqueI'»
En ajoutant au verbe radical Ie seme « a travers », Ie prefixe produit des derives pedectifs qui indiquent des actions achevees (strapunge, strafulgera). C'est peut-etre dans la perfectivite qu'il faut chercher Ie point d'interference semantique entre STRA- preflXe nominal! adjectival et prefixe verbal.
« stravuiet » pourrait a la rigueur etre interprete comme bruit qui vient de loin ", comment exnliauer. en rev an du prefixe dans {( stri'ilimpede ?
«
a straIuci», "a stralumina» signifient primitivement, a notre briller a travers », «ec1airer a travers» et s'inscrivent ainsi dans la liste des derives verbaux en STRA-.
« i
fonctionne comme un inten
Seul, ({ a stracura », avec sa variante moderne, plus frequente. ({ a stre
La meilleure preuve en est la synonymie du mot «strilbunica» avec celui, rare, de "razbunica» (d. Ie Dictionnaire de l' Aca
(6) cura» (du lat. « extracolare ») est aujourd'hui completement lexicalise.
Le radical n'existe pas a l'etat lndependant et Ie prefixe s'emploie Ie plus couramment sous sa forme STRE- rare et moins reconnaissable. Le mot etait deja prefixe en latin.
(5) Edition 1957.
i
~
244 CIIAHI.OTTE SABET,\ Y-SCI!APIRA PRI::FIXES IYEXCJ'SS E:>i 1'1'.\L1E1\ ET E:>i HOl'~L\I:>i
L'alliance des verbes comme «eclairer ", «briller », «foudroyer avec Ie prNixe « a travers ", «de part en part ", implique a elle seule une intensification de l'action. D'autre part, les participes passes des verbes derives,
245
Seule l'expression nominale «din mo:;;i stramo:;;i » se rapproche formellement de la correlation italienne, sans impli que I' toutefois l'exces.
strafulgerat, striUuminat, striHucit auxquels viennent s'ajouter les adjectifs derives par suffixation: stralucitor, stralucios (rare)
C'est un autre prefixe qui se charge, en roumain. de cet effet stylistique.
sont aisement interpretes comme des adjectifs precedes du STRA intensificateur.
b) RAS/RAz-
Stralucit» a perdu tout it fait Ie sens initial et s'est lexicalise avec la signification de « brillant ", excellent », voire illustre «
Le prefixe RAs/RAZ-, originaire d'un croisement possible entre Ie slave RAZU- et Ie latin RE EX-, ou de chacun pris separement, indique, a l'avis de Saineanu (') " une n?petition (plus intensive que RE-) souvent avec une nuance pejorative ».
Ces verbes peu nombreux et « a striiluci » plus particulierement, constituent donc Ie point de convergence semantique des deux STRA- en roumain.
La aussi il y a lieu d'affiner un peu l'analyse. Le Dictionnaire de l' Academie distingue, en effet, plusieurs RAs-.
Le nombre restreint des derives en STRA- semble dementir l'affirmation de Tictin selon laquelle Ie prefixe serait frequent. Mais, bien que peu nombreux, les mots en STRA- sont, en revanche, assez usites. L'emploi courant et l'analyse aisee des derives devrait, a priori, assurer au prNixe une productivite importante. Or, STRA- est loin d'etre aussi vivant en roumain que l'est !'On equivalent STRA- en italien. Le locuteur contemporain du roumain ne peut pas conside rer STRA- comme un element de composition lexicale libre.
...
Pourtant EXTRA-, forme savante moderne, n'est pas un vrai concurrent pour Ie vieux STRA-. Le dictionnaire n'offre que peu d'entrees en EXTRA_ (<< extrafin ", «extraordinar », « extravagant des emprunts tardifs au fran<;ais. souvent non-analysables (<< extra ordinar ", « extravagant »).
«
extra:;;colar
C'est dans la repetition simple de l'action qu'il faut chercher Ie sens des verbes a rascumpara, a se razgindi classes par Ie Dictionnaire de l' Academie sous la definition: (expri mant) l'idee de revenir a un etat anterieur ),. Obtenir a nouveau ce que nous avons jadis possede est, certes, Ie resultat de l'action signifiee par « a rascumpara » ; en revanche, « a se razgindi » ne dit pas necessairement ({ revenir a une decision (ou pensee) anterieure », mais, tout simplement « changer d'opi nion ».
Par ailleurs, EXTRA- cree des termes modernes dans lesquels
i1 garde son sens primitif : « a l'exterieur», «en dehors de» .
ex. :
Disons d'emblee que ce prefixe s'accole, a peu d'exceptions pres rasbucuros ", "raspoimiine )', «raspar », {( din riisputed »), aux verbes. Sa signification evolue d'une « n?petition » simple de l'action exprimee par Ie verbe de base a la reiteration indefinie et meme excessive de cene-ci. (<<
».
C'est que, dans Ie prefixe RAS-/RAz- il y a une progression de sens qui va de la repetition simple, a travers l'idee d'une ou plu sieurs revolutions completes, a l'action prolongee, menee jusqu'a l'exces.
Deux autres concurrents recents, ARH1- (<< arhiplin », « arhicu
noscut ») et ULTRA- (<< ultramodern ») accusent egalement une pro
ductivite tres faible. La construction italienne
radical - derive en STRA
II est possible, en effet, de regrouper les derives selon cette progression: - une seule repetition de ractian, equivalente au prefixe RE se retrouve dans a rasadi, rasad ou RAs- signifie « a nouveau ».
marquant l'exces n'est pas possible en roumain avec les derives en STRA-. La raison principale, nous l'avons vu, est Ie fait que, accole aux {(verbes, trop ». Ie prNixe signifie « a travers» et non pas « beaucoup ou
1
(7) Op. cit.
246 CHARLOTTE SAIlETA Y-SCliAI' IRA PRl~FlXES D'EXCI~S
La rencontre de RAs- avec un radical qui commence par un s rend l'analyse et l'identification du prcfixe plus difficile et favorise la confusion avec RE-.
Sauf pour a « rasfata/a razgiia» ou Ie mot de base n'existe pas independant, tous les autres derives exprimant l'exces peu vent se construire en correlation avec Ie radical.
a l'etat
qui implique la repetition indefinie de I'action exprimee par Ie radical «a suei ». lei, comme dans bon nombre d'autres derives, Ie prefixe renferme !'idee de l'accomplissement d'un tour complet. Suivant Ie mot de base, Ia signification du derive devient:
- tourner:
ex.: a rasfoi
Pour illustrer «a raslntelege» : « comprendre jusqu'aux moin dres details, completement, parfaitement », Ie Dictionnaire de l' Aca demie choisit un exemple de Ion Creanga ou Ie derive est presente en correlation avec Ie mot de base: « Unirea face puterea, oameni bunL Ei, acum cred c-ati inteles ~i raslnteles »,
accomplir un tour entier et revenir au point de depart: ex.: a rascumpara
Cette structure est tres productive en roumain, surtout dans la langue parlee, Ie plus frequemment pour marquer la repetition excessive de l'action verbale. Elle est possible bien plus rarement avec des derives adjectifs.
accomplir un tour entier et changer d'etat: ex. : a rascloei
a raspopi
a se razgrndi
accompli I' en sens inverse l'action exprimee par Ie radical: ex.: a rasturna a rastalmaci raspar (subst.)
.
accompli I' plusieurs tours et s'eloigner (dans Ie temps) : ex.: razbunic, razbunica (subst.)
raznepot (subst.)
raspoimiine (adv.)
rastimp (subst.)
De cette progression resuIte une signification nouvelle _ tensification - comme dans: «
ecarter tres largement les jambes
247
a rasfata/a razgl:ia a rasciti a rasintelege.
Tel est Ie cas de
a rasuci
a discracara: plus vaguement dans
EX ITALlEX ET EX R()U~IAIl\
Ainsi, Ie prefixe roumain STRA-. semblable a bien des points de vue a son equivaJent italien STRA-. presente une vitalite moindre et ne permet pas la construction syntagmatique radical - derive signifiant l'exces. Cette construction est pourtant possible en roumain grace au prefixe RAs/RAz-, concurrent de STRA- et plus productif que celui-ci. Mais, bien que frequente en langue parlee, la correlation radical - derive semble, en roumain, eire reservee aux derives verbes.
I'in
»,
HaIfa.
a rascroi : " couper profondement en biais» a n'isplamadi: (fig.) « creer par une longue elaboration» (Dictionnaire de l'Academie)
et, exceptionnellement :
Ie substantif rasputere", employe au pluriel : « din dlspu teri }}: «de toutes les forces» l'adjectif « rasbucuros }}: « excessivement content». L'intensification se colore parfois d'une nuance pejorative indi quant l'exces : a rascoace
a raszice
I
1
Charlotte SABETAY-SCHAPIRA
Problematique du changement linguistique et psychosystematique du langage La pierre de touche de to ute tentative structuraliste- c'est a-dire synchronique d'explication du phcnomene linguistique est paradoxalement, et demeurera, I'explication diachronique. Des l'ins tant en effet qu'on pose au postule ce qui est generalement accepte depuis Saussure - que, de moment en moment et tout au long de son histoire, la langue est un systeme, et que d'autre part on admet - ce qui n'a jamais etc mis en discussion - qu'elle evolue, i1 decoule necessairement de ces premisses qu'entre deux etats de langue consideres les changements ne peuvent etre que systemati ques. Ce dont les Iinguistes ont depuis fort longtemps la preuve du cote de la matiere sonore mise en ceuvre par Ie langage humain - dans ce qu'on est convenu d'appeler les lois» phonetiques, ainsi que dans les {( correspondances» qui en resultent entre langues apparentees. II peut paraitre curieux, a premiere vue, que Ie cote systemati que de la langue se soit d'abord I'evele a travers les sons et que, une fois devenus attenti.fs au changement phonetique, les linguistes aient tres vite apen;u et formule Ies regies qui Ie regissent, alors que nune part pourtant on n'a su apercevoir ni Ie systeme de depart, ni Ie systeme d'arrivee, ce qu'on nous pn?sente generalement sous ce nom n'etant jamais autre chose que Ie paradigme des sons d'une langue. Comment, dans ces conditions, expliquer que. dans !'igno rance au l'on etait des etats systematiques entre lesquels cUes s'inscrivent et dont eUes definissent les modalites de transition, on soit si rapidement arrive a formuler les regles de passage d'un etat a l'autre? II n'y a pas Ia de mystere. La chance des comparatistes pour quoi ne pas Ie dire, car ce n'est en rien diminuer leur merlte -- a ete que, dans cette partie de la langue, les consequences de la trans formation d'un systeme en un autre systeme s'accusaient une a une observables sans qu'il soit besoin, pour en apercevoir Ie caractere systematique, d'avoir a reconstituer Ie tout systematique sur Iequel eUes portent temoignage. L'observabilite physique et directe des Consequences phonetiques du passage d'un etat de systeme it un autre rendait possible Ie recours a la methode comparative deja pratiquee avec succes par d'autres sciences d'observation, notamment la zoologie et Ia botanique. Aussi, une fois la methode adaptee it son
250
CIlA,SGDIEKT
ROCll YAUK
nouvel objet, Ie succes ne se fit-il pas aHendre : en l'espace d'un demi-siecle, l'essentiel de ce que nous savons aujourd'hui en matiere de linguistique historique etait Ce succes meme aHait pourtant, apres l'extraordinaire activite de Ia seconde moitie du XIxe siec1e, etre responsable de Ia longue stagnation qui devait suivre et au CaUl's de laquelle aucun progres important ne devait eire enregistre, qui fut de nature a imp rimer a la science du langage naissante un sec-ond souffle. Apres Ie monu mental ouvrage de Brugmann et Ie memoire de Saussure sur les voyelles, on assiste a un patient travail de mise en place des faits de detail, mais rien de vraiment nouveau, meme pas apres la decou verte du hittite et Ie dechiffrement des petites langues asianiques et du mycenien, ne se fait jour.
251
aUcune ne reussit tant s'en faut a connattre une faveur univer selle. Donnees phonetiques, morphologiques et, plus recemment, syntaxiques furent successivement soumises au test de methodes diverses d'analyse, dont aucune n'a encore reussi a ce jour a s'impo sel', en depit des allures formalistes que certaines sont parvenues a se donner. Ce qui tient a ce que de chacune les esprits exigeants sont en droit d'attendre qu'elle fasse la preuve qu'elle est capable, selon Ie vCEU implicite de Saussure, d'expliquer Ie langage comme pheno dans l'instant seul lieu concevable de son existence et mene de son fonctionnement et cela, sans contredire a l'acquis de la grammaire comparee.
C'est a ce dernier aspect seulement du probleme que l'on s'inte
ress dans la presente etude, ainsi que l'anno nce l'intitule choisi.
era On reviendra en une autre occasion sur l'autre aspect, c'est-a-dire sur les conditions qu'emporte avec eUe la constitution de la linguis tique en science capable de theoriser son objet. pour l'instant, on se contentera de montrer comment dans 1e cadre d'un des structura lismes en presence celui, pas tout a fait comme les autres, de ent Gustave Guillaume - se pose Ie probleme du changem linguis
Bien SUr il y eut Ie ConTl~ de linguistiqne generale et Ies immen ses espoirs qu'il suscita. Pourtant, a distance, Ie bilan des travaux inspira directement ou indirectement reste dccevanL Alors que personne n'avait pu serieusement contester l'essentiel des acquisi tions de la linguistique historique comparative, on vit naitre, apres Saussure, d'interminables querelles d'ecoles, et fait a nos yeux remarquable et symptomaUque, aucune methode ou technique d'ana lyse, quelle qu'en ait pu etre a un moment donne la vogue, ne rcussit a susciter un consensus. Que se passait-il donc?
tique. Il n'y a guere de risque a affirmer que la psychosystematique du langage de G. Guillaume est presentement la seule methode structurale d'analyse du langage pour laquelle Ie changement 1in guistique ne fasse pas probleme, et pour laquelle, par consequent, les resultats acquis de la linguistique historique comparative ne constituent pas une gene. Dans une etude pubW:!e il y a quelques annees sous Ie titre de La methode comparative en historique et en psychomecanique dn langage (1), nous avons essaye de montrer qu'il ne risquait pas d'y avoir de conflit entI'e la methode d'analyse de la linguistique guillaumienne et la grammaire compa ree, pour la bonne et simple raif'on que cello-l a est 1a continuation necessaire, Ie depassement oblige et attendu de celIe-d. Les comptes rendus parus de cette etude noUS ont prouve que, assez souvent, nous n'avons pas ete compris. Il est meme arrive que certains ont pretendu demontrer que nouS ne savions meme pas ce qu'est la methode comparative. Malgre ces incompl'ehensions et Ie ton pole mique sur lequel quelques-unes ont ete exprimees, nous n'avons aucunement l'intention de revenir sur Ie sujet et les considerations qu'on va lire se situent dans Ie prolongement des perspectives ouver tes par cette etude deja ancienne a laquelle, pour un ec1airement en profondeur des problemes ici soulev(~s, Ie lecteur voudra bien continuer de se reporter, de mcme qu'aux ecrits publies de Gustave
II se passait que Ia linguistique entrait en crise, crise dont dIe n'est pas encore sortie. Une mutation lui efait demandee, que les linguistes tantot inspires par un travers historiciste acquis a la faveur meme du succes et de la rigueur de Ia methode comparative, tantot par continuation d'une mentalite neo-positiviste, heritee du moment ou se forgea la methode comparative s'obstinaient a refuser. De science excl usivement taxonomique et paradigmatique qu'elle avait etc jusque-Ia, il etait exigc de la linguistique qu'elle s'eleve, pour continuer de progresser, au rang de science theorema tique, c'est-a.-dire de science capable de theoriser en to ute Sllrete et securite son C'est ce que confusement, comme d'autres grands esprits de l'epoque don t Ie trop injustement oublie Meillet, F.' de Saussure avait pressenti. De la l'insistance avec laquelle il reclame des lin guistes que, sans cesser pour autant de prendre en ligne de compte l'aspect historique des faits linguistiques, ils veuillent bien aussi desormais s'interosser au fait primordial sans lequel Ie 1angage n'aurait pas d'histoire de I'existence du langage dans 1'instant. Malheureusement, parce qu'il n'etait assorti d'aucune methode en rendant possible la mise en application, Ie conseil de Saussure demeura a peu pres lettre morte. Non pas qu'on pretendi.t n'en pas tenir compte. On vit, tout au contraire, prendre naissance et se developper des tendances diverses que Ie terme generique, aujour d'hui singulierement galvaude, de structuralisme recouvre assez bien. Des techniques multiples d'analyse furent proposees, dont
ET
Guillaume. nest manifeste, au regard de qui veut bien se preteI' a une lecture attentive des ouvrages - anciens ou recents cOnSaC!'l2S
L
(1)
Presses de l'Universite Laval, Quebec, 1964.
252
CTJ.\:-;(;E,lE\:T u::\(;nsTIOCE E1' PSYCllOSYSTI'::-I.\1'IQCE
253
HOCll YALlX
qui, pourtant, n'y existait pas. En realite, ce serait lil commettre une erreur de methode. En quoi consiste-t-elle? En ce que tout ce que la methode comparative permettrait dans ce cas de poser, ce serait l'existence, a date prehistorique par rapport aces d'un mot de forme *illo/*illa, par exemple, et dont la ancien ne entretient avec la signification des actuels corres des langues en question un rapport dont la nature resterait et que la methode traditionnelle est impuissante a definir.
aux changements qui se sont operes depuis l'indo-europeen commun jusqu'a te11e ou tdle langue, ancienne ou mod erne, que, sous les affirmations souvent un peu imprudemment des auteurs, il subsiste de tres nombreux problemes et que Ies zones d'ombre ou de clair-obscur sont beaucoup plus nombreuses que les zones de lumiere. Cela est particulierement vrai en ce qui a trait a la et a la syntaxe. En tamment se pose Ie probleme de l'herite et celui des souvent sans solution par les voies de la methode traditionnelle et consequemment indHiniment ouverts aux controverses. Qu'on par la des
En restituant ains! un article en latin, on ne serait touiefois pas
totalement dans Ie faux, en ce sens qu'il a bien existe en latin une
realite a correspond aujourd'hui celle de l'article dans les
langues romanes iei retenues. On fait en effet que Ie latin historique
disposait d'un demonstratif me dont certaines formes sont a l'origine
des formes attestees des articles franc;ais, espagnol et italien. Seule
ment voila: ce mot etait en latin un demonstratif et non pas un article, et ce n'est pas en expliquant, comme on l'a fait si souvent, que l'article n'est qu'un demonstratif affaibli, qu'on rend une raison suffisante des faits. La verite est que sous Ie couvert du signe mate riel me du latin, il s'est op{~re une revolution systematique dont la methode traditionnelle est impuissante a rendre compte, revolution consistant en l'apparition d'une categorie grammaticale nouvelle qui, se cherchant un moyen d'exteriorisation, l'a trouve
anterieurement affecte a la signification d'une
mais partageant avec eUe une fonction et des
saient d'une synapse
synapses durer un temps plus ou moins tibles ensuite de se resoudre par l'invention d'un signe nouveau a etc Ie cas pour Ie demonstratif - affecte a l'ancienne dont, au resultat, la semiologie se trou.ve, d'une a une autre C)· avoir
Ces sans cesse renaiss'lntes tiennent, la plupart du temps, a ce que, sans bien s'en rendre compte, on indu ment, a de la methode pratiquee, en lui demandant quer ce pour quoi elle n'a pas ete faite. On oublie trop facilement, par que la methode comparative traditionnelle n'est competente, en to ute rigueur, que dans la restitution d'61ements phoniques plus ou moins complexes: phonemes, syllabes, de mot et, dans les cas privilegies, mots entiers. Pour l'ordinaire, les difficultes d' explication croissen t a proportion de la complexite des ensembles phoniques consid('res. De la la difficultE:~ de et Ie nombre restreint des mots dont l'origine peut etre consideree comme certaine. Le comparatiste sait qu'une etymologie n'est que ou moins probable, la probabilite s'eauinollant. dans Ies meilleurs cas, a la certitude. I.e talon d' Achille de la methode si )'('1at ron nous permet cette de la methode telle _ ne se restitue pas avec rigueur. par un instinct les hans comparatistes ant da se conten tel' d'un lien lache, tres souvent, entre les sons et la signification. Or Ie malheur du linguiste historien veut que la morphologie a mains de confondre sous Ie nom de morphemes, ce qu'il arrive qu'on fasse, les signifiees et les sons qui les signifient soH tout entiere du cote de la signification. De la Ie caractere souvent aleatoire des reconstructions et, par voie de consequence, l'incerti tude de l'explication. II n'est, pour s'en convaincre, que d'ouvrir un traitc de grammaire compar('e d'une famille quelccnque de surtout dans les cas ou il n'est reste aucune trace ecrite de la originelle. Arretons-nous a un premier exemple, facile: celui de rarticle dans les romanes. Faisons l'hypothese reste du latin. La comparaison du fran<:;ais, de a supposer soient les seules d'hui une tradition continue deouis Ie a dans la
Cette impuissance de la grammaire comparee a rendre raison de la revolution systematique a laquelle correspond l'apparition de l'article _ revolution qui, une fois aperc;ue, permet de comprendre les changements de valeur, apparents pour tous, de l'aneien demons tratH me _ n'est aucunement imputable, au titre de vice, a la methode sur laquelle eUe se fonde. II arrive seulement que cette methode cesse d'etre sure lorsque, subrepticement, on depasse les bornes de sa competence en l'utilisant en vue de la restitution d'une categorie grammaticale ou lexicale, sa fonction heuristique Hant de retracer l'histoire des sons et groupes de sons lies aux significations et non celle de ces eUes-memes. Le vice ici d6nonce, a propos de l'exemple ""rif'At.ural de l'article, n'est donc pas un vice
L
(2) Syn9.pse : de deux et, plus de puissance (3) Dans Ie cas de l'article un, par contre, la synapse de l'arikle et du numeral dure Comme dure toujours une autre synapse, ceUe sous le, la, les, en de l'articlc et du pronom dit personnel (cf. note de la page 260).
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de la methode elle-meme, mais un vice d'emploi. On s'etonne soit si courant dans les manuels consacres it l'histoire de telle ou telle langue au famille de et qu'on ne se soit pas rendu compte qu'il introduit ainsi partout une dans l'etude historique de la morphologie. Une chose est l'histoire des signes - de la semiologie - et autre chose l'histoire des categories et systcmes signifies par la A pratiquer les manuels et traitc:s de grammaire comparee de toute espece dont nous a dote l'erudition, aujourd'hui enorme, des compa ratistes, on se rend tres vite compte que non seulement n'est nulle faite nettement la distinction du signe - au sens guillaumien (I) et du signifie, mais que, sous ce demier, persiste une autre ambi resulte du traiiement identique accorde a ce que les laumiens appel1ent Ie materiel - exclusivement lexical et mettant en cause les bases de mot ou radicaux tibles de venir s'accoler les differents affixes --- et le implique toute la derivation et la suffixation ressortit tant6t au lexical, tantOt au grammatical. De la superposition de ces multiples ambigultes resulte ce que nous avons appelc plus haut Ie elair-obscur qui caracterise toute l'histoire de la morphologie, clair-boscur auquel il arrive, 10rsque Ie souci de vouloir tout expliquer inspire Ie savant, de tourner parfois a l'embrouillamini, voire a la contradiction. Autant Ie lecteur sou deux de rigueur peut se sentir a l'aise dans les demonstrations portant sur la restitution des sons isoles ou des ensembles de sons etablissant la parente des langues, autant il lui arrive de se sentir par la dialectique facile et peu exigeante des l'aisonnements retracer les de tel ou tel element Qu'on songe ici, par a l'histoire de la indo-europeenne ou encore a cel1e de la declinaison nominale. Cet etat de choses est-iI irremediable? La pratique des derniers representants du comparatisme indo-europeen e1. Ie pointillisme auquel on a Cte reconduit, lorsqu'on s'est applique a travailler dans des secteurs plus pourraient Ie donner a croire. En tout cas, on a la la preuve que l'enseignement de Saussure, en depit de l'admiration de commande dont il a etc l'objet, n'a guere porte de fruits. Ce n'est pas medire que d'affirmer que, reserve faite de progres de dCtail nombreux venant confirmer l'acquis anterieur, la grammaire dans ses secteurs essentiels, marque Ie pas depuis la fin du XIxe sieele. Nulle part iI ne s'est produit de ~~ d'orienter la recherche dans des voies nouvelles Oll les sont legion, trouvent une amorce de solu _ . tentatives structuralistes que l'on peut denombrer n'ont d'aucun cote _ _ L'l..l_
(4) Pour Gustave Guillaume Je mot est un signijiant compose d'un signe et d'un signijie.
emporter la conviction. Est-ce a dire qu'il faille renoncer a tout de voir un jour la linguistique historique deboucher sur un lui permette de reprendre un second depart et sa trouee dans la prehistoire ? Le attendu - c'est ce gu'on voudrait montrer rc dans les vont suivre - viendra a son heure et malg les preventions, repugnances et reluctances dont eUe c. etc de la part des mal informes de ce est ce renou veHement de la psycho-systematique du langage de Gustave Guillaume. bien que cette science n'en soit encore qu'a ses premiers pas et a ses premieres audaces, on voit, a la e lumiere des analyses synchroniques qu'elle sait produire du langag , quantite de probh?me~ diachroniques restb; jusqu'a ce jour sans solution. Celui par exemple, plus haut evoque, de la cate grammatkale de l'arhele. En raison de l'insigne indigence. en l'occurrence, des explica tions traditionnelles qui n'ont jamais su voir, dans l'article, qu'un du numeral dans Ie cas de dit indefini, au pour ce qui est de dit dejini, on noUS pardonnera de choisir une fois de plus, comme premier exemple illustratif, cette categorie grammaticale, au risque de donner a cer tains l'impression de ne savoir pas parler d'autre chose. Notre fication, cette fois encore, sera 1a du systcme ainsi que la de l'appareil etymologique qu'il met en cause. Qu'on se rassure cependant: d'autres exemples viendront plus loin. Mais, pour revenir dans l'immediat a l'article, que noUS permet de com prendre, de l'histoire de ce systeme, la psycho-systematique du lan gage? Beaucoup de choses, on va Ie voir. Elle commence par apprendre au a distinguer avec soin ce qui, dans la genese d'un quelconque, releve du et consequemment n'a et 11e peut avoir de realite que reh?ve du signe, n'""t_i'l-c1ire dE'S moyens pour doter Ie signifie d'apparences a quoi on ne risque plus de cvu'~'de la semiologie _ en l'occurrence les :')ons ou complexe de sons un, une, Ie, la, les _ avec celle des valeurs attachees auX signes et reconnues comme Ciant, ici, les valeurs propres de l'article. A l'interversion pres des termes de signe et de signijiant, cette distinction est la distinction saussurienne du signifiant et Elle n'a donc rien d'insolite. Mais G. Guillaume ne s'arrete pas lao 11 i.nvite Ie li.nguiste a tenir compte, dans Ie systeme du mot, de l'anteriorite du par rapport au signe, Ie etant appele .- ce qui va de soi par Ie signific et non l'inverse. Or cette precession du a des consequences ques considerables. Elle permet de comprendre com ment, lorsqu'un signifie nouveau dans la langue, il lui faut chercher et trouver un signe ~'~f'f'r()('hf'r. et ce signe - sauf
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cas d'emprunt a une langue etrangere on comprendra que la ne puisse Ie creer de toutes pieces, etant necessairement con trainte de Ie trouver dans Ie materiel phonique et semiologique dont elle dispose au moment ou Ie signifie nouveau apparait. Cela est evident pour ce qui est de la materialite phonique des plus ou moins nombreux dont se recompose Ie signe : tout signe nouveau represente une utilisation du systeme de sons dont dispose une langue. Mais il y a plus. Ne disposant pas d'un agence ment de sons fait tout expres pour etre assode au signifie nouvelle ment apparu - ce qui impliquerait contradiction et supposerait que Ie signifie, par definition nouveau, etait deja connu - la langue, la ou il ne s'agit pas d'un mot de fabrication savante, va cegulierement emprunter Ie dont elle a besoin au plus pres, c'est-a-dire a l'un des signifies en elle nantis d'un signe qui alor's, un temps plus ou moins long, recouvrira synaptiquement deux signi fies differents mais, du fait d'une identite perc;ue sous un nombre n de rapports, sentis voisins. el€~ments
Ce n'est donc pas par hasard si partout 1'on voit l'article dit indefini - article de tension I chez G. Guillaume s'instituer sous un ancien numeral, avec lequel il continue de faire semiologique ment synapse pendant un temps plus ou moins long (jusqu'a nos en franc;ais, en allemand, en grec moderne, etc.) , ni non plus S1 l'article dit defini (article de tension II), s'institue presque partout sous la semiologie d'un ancien demonstratif avec lequel, de meme, il continuera pendant plus ou moins longtemps a faire semiologique ment synapse. Comment se justifie Ie choix, pour l'article indefini, d'un ancien numeral exprimant l'unite et, pour l'article defini, d'un ancien demonstratif? II suffit d'avoir present a Ie scheme explica teur du systeme de I'article en psycho-systematique pour qu'imme diatement tout s'eclaire. On nous permettra de Ie reproduire une fois de plus:
tension I U1
tension II UN
..
1
S
2
LE
..
U~
L'article un et il en va ainsi dans touies les langues qui ont fait l'invention de cet article est porteur d'un mouvement de particularisation dont l'interception livre, selon qu'elle est plus ou moins ou tardive, des valeurs pouvant varier en extensite de l'universel, premiere valeur possible, au singulier, derniere valeur
que soit susceptible de livrer l'article en question. Pour ce qui est de le, il recouvre, en successivite, un mouvement inverse de genera lisation, susceptible, comme Ie premier, d'interceptions plus ou moins ou tardives livrant des valeurs plus ou moins con trastees, dont les extremes sont, au depart, celle de singuLie1' et, it l'arrivee, celle d'universeL Autrement dil, Ie systeme de l'article est construit tout entier ce qui n'est pas un hasard C') - autour de la position de singulier dont un represente un mouvement
d'approche et Ie, un mouvement d'eloignement.
Ce systeme pose en langue systeme qui n'est pas directement
observable et dont on peut tout au plus, si 1'0n est attentif, observer
les consequences en discours --- i1 devient manifeste qu'impressive
ment l'article Ie, qui presuppose la position de singuliel' a laquelle il
prend origine et sans laquelle i1 n'a pas de sens, est constamment,
tout au long du mouvement d'doignement de cette position qu'il
represente, un rappel oblige de cette position, rappel d'autant mieux perc;u qu'on s'est moins eloigne de la position de singulier. Y a-t-il lieu de s'etonner, dans ces conditions, que l'on ait partout recouru, pour signifier Ie mouvement attache a la tension II, generalisatriee, de ce systeme a un ancien demonstratif, c'est-a-dire a une forme au depart une valeur anaphorique ? Le seul que nous ayons en memoire ou i1 pourralt sembler qu'il n'en aille pas ainsi serait celui des quelques romans dans lesquels, exceptionnellement, l'article de tension II s'institue non pas sous l'ancien dfmonstratif me, mais sous l'ancien pronom d'identite ipse. L'exception n'est pas genante, car Ie pronom ipse satisfait d'une autre maniere a la condition fondamentale rem plie par ille et qui Ie predestine a devenir Ie de l'8rtic1e de tension II, l'identite etant, par force, un cas d'anaphore. Comment saurait-il y avoir impression d'identite Ii\. ou il n'y aurait pas recon naissance et done rappel d'un certain nombre de traits? Une propriete commune justement a ipse et a me propriete qu'on ne trouve nulle part signalce et qui est pourtant determinante dans Ie choix du signe destine a evoquer Ie signifie vehicule par I'article _ est qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre attaches au rapport allocutif. En latin, hie et iste etaient, on se souvient, lies l'un a 1a premiere personne ordinale et l'autre a la seconde, me evoquant la troisieme. Quant a ipse, il n'a pas de personne a lui propre, celle du nom ou du pronom auquel il est rapporte. II est curieux que les historiens n'aient jamais observe Ie fait et ne se saient jamais demande pourquoi on n'a jamais vu l'article dit determine s'instituer sous un pronom impressivement attache soit a rune soit a l'autre des deux personnes allocutives (hie ou iste). (5) On se contentera de dire que la position de singulier est la seule qui cO'incide avec l'experience que l'homme ll- de l'univers extra-mental, ou tout se propose a sa connaissance sous la forme de realites individuees, autrement dit singulieres.
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Est-il besoin d'ajouter que nulle part il n'est vu et dit comment, ainsi qu'on l'a pourtant partout intuitivement pcr<;u, les mots un et le _ ou leurs equivalents dans d'autres langues ont pu, a d'origines apparentes auss! diverses, se constitucr en ; com ment et pourquoi notamment, c'est autour de 1a position centrique de singulier, que Ie systeme s'est partout developpe ; comment aussi, une fois il offre en successivite deux cinetismes inverse~ articules sur 1a position commune de singulier, avec 1a possibiliie de dans la seconde de ses deux articulations, ce qu'on a des articles partitifs (dg, de la, des) ?
Ce fait, qui a echappe it I'attention, n'est pourtant pas imputable au hasard. S'il en est partout ainsi, c'est que l'article- ainsi que Ie montre et demontre la psychosystematique du langage est Ie signe de la forme la generale du substantif, son et que Ie substantif est de soi - comme Ie montre l'accord du verbe un mot de troisieme personne. OU l'on voit que, dans Ie cas de l'article systematique rend raison demonstratif, avatars au terme desquels on voit. ment, naltre et se I'article, qui n'est aucunement, comme on l'a si sans preuves affirme, un demonstratif affaibli. Voir ainsi les c'est refuser de reconnaltre l'originalite gram maticale de I'article et Ie reduire au rang de sous-produit, lui qui represente partout une categorie hautement abstraite et une con qucte tardive de la pensee commune constructrice du Ce sur quoi on s'est hypnotise et continue de Ie faire, c'est sur l'accident apparent dont il prend Ia figure a ses origines, apparence d'accident Ia synapse semiologique qui maintient pendant un temps plus ou moins long l'ambigulte discursive du signe sous lequel il que l'on voit alors continuer de recouvrir Ies ancien tout en assumant celles, de est d'autant plus irritante aux yeux des que l'article de tension II est, d'epouser des extensites larges et n'evoque, par \;Vll;,e"'lUell notions demeurees encore tres particulieres et peu ou lisees. De a date ancienne dans l'histoire de toutes les OU it s'est institue, Ie recours tres eiendu a l'article zero. Interessante a observer est, sous ce rapport, une langue comme Ie bulgare moderne, ou I'article de tension II est justement en train de se generaliser par quoi nous entendons iei de s'etendre it des valeurs progressivement de plus en plus generalisees de la notion evoquee par Ie substantif, mais encore, somme toute, assez peu extensives. De la I'embarras, comique a certains egards, des et des puristes qui ne comprennent rien a ce qui se passe sous leurs yeux, faute d'une theorie juste leur permettant les faits et de les comprendre.
n'est-il jamais explique de et comme tout systeme, est la
rien, dans les explications traditlOnnelles, qUI soit de nature it nous
donner les moindres indications sur ce qui fonde en rationalite
commune Ie en question et qui, par en eclaire
les vraies, lesquelles sont a chercher non pas du cote de la
semiologie c'est-a-dire de l'appareil de affecte a 1a
lisation des articulations du systeme - mais du cote de la realite mentale cachee - c'est-il-dil'e du signifie- dont les ne sont, a proprement parler, que Ie vehicule. Du fait primordial que l'article est ne de l'experience, accumulee au long des millenaires, que les hommes d'une certaine collectivite ont pu avoir du maniement, de plus en finement contraste, de la categorie preexistantc du substantif et des variations que ce maniement entraine dans la 1ar geur momentanee, en discours, du champ d'application de 1a notion confere son individualite a tel ou tel substantif de ce fait n'eut pu surgir, en commune, Ie dont l'article represente, en sa souveraine elegance, la solution, nulle part il n'est me me fait etat. A
'Art;"r;
Avant de quitter l'article - pour passer a des de que la psychosystematique changements linguistiques - on nous permettra dernieres observations rapides concernant J'article un. On a voulu y voir un affaiblissement du numeral un. Ce qui, a la reflexion, ne pent guere faire de sens : Que pourrait bien eire, en e£fet, une unite faib1e? La enCore tout a echappe it l'historien de l'essentiel du phenomene. Ce que l'on n'a pas vu, c'est que, de 1a possibilite d'evoquer Ie premier de la serie - deja savante a un certain degre des nombres arith et, par consequent, d'ctre pense comme Ie principe de la numeration, Ie mot un, ou son equivalent semiologique, a de, par tout ou l'on a vu naitre un article de tension I, investi de 1a possi bilite d'evoquer des unites extensives de plus en plus largement au titre de forme non.
it 1a definition
indefiniment repetable au sein d'une forme introduit, conde son iteration, par la court, mais qualitativement et, -~ .._--" non plus de discontinuite et de pluralite, mais de continuite et d'uni cite. Aussi, sous un article, Ie singulier ne s'evoquera-t-il comme l'une des extensites en fait la plus petite
Meme phenomene on y a fait allusion plus haut .- pour l'article un, que l'on voit presque partout continuer de fonctionner en synapse semiologique avec Ie numeral affecte a 1a designation de l'unite. La aussi les explications traditionnelles sont notoirement insuffisantes. De meme que dans Ie cas de Ie article on avait de deriver ses valeurs nouvelles de celles d'un ancien on a tente d'expliquer les valeurs de un article comme une extension et un de celles du numeral de meme nom, refusant du meme coup, et sans meme s'en rendre compte, to ute specificite au systeme de I'article et confondant une fois de l'histoire du systeme avec celle du signe qui lui sert phonetiquement de support.
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tension I est generatrice, instituant ainsi une equipollence entre Ie singulier qualitatif et Ie singulier quantitatif, la difference _ fort subtile - qui continue d'etre perc:;ue etant Ie resultat du fait que, dans un cas (un article), Ie rapport contenant/contenu, obligatoire ment lie a toute image d'extensite, est parcouru >;elon l'ordination Ct alors que dans l'autre (un numt'ral) l'ordination devient CU -',. Ctc C'est aussi sur cette impression qu'est fondee la difference fort mince, qui separe les deux sens du mot singv.lier en pensee savante, seion que Ie mot est oppose, en logique, a unil'eTsel OU, en grammaire, a pluTiel, car il s'Oppose effectivement nux deux. Ne disposant pas d'un instrument d'analyse leur permettant de marquer Ia difference entre Ie singulier qualitatij, qui s'Oppose a l'universel, et Ie singulier q~wntitatiJ, qui contraste avec Ie pluTiel, Ies historiens de la langue sont donc excusa bles de etre mcpris et de n'avoir vu dans l'article un a ses origines - cpnque ou il ne peut epouser que des extensitcs restreintes qu'un affaib!issement et un flechissement de sens du numc'ral un, avec leouel du reste, comme on 1'a signale, il continue presque partont a faire semiologi quement synapse. Ce probleme des synapses scmiologiques est appde a devenir I'un des problemes majeurs de la linguistique historiql!(: de 1'avenir. En morphologie du moins, il est tres rare que les convergences semiologiques observees soient l'effet fortuit d'un hasard. Souvent reconnues, elles ont ete generalement imputees a l'AnRlogie, qui est Ie grand deus ex machina des historiens du langage. Leur impor tance qui est grande tient a ce qu'elles sont, au niveau des faits de langage apparents, les temoins de la teleologi.e cach{'e, pour employer un terme redevenu a la mode, qui oriente et polarise l'evolution morpJl.Ologique des langues. Finement interrog(:es, dIes
gUident Ie chercheur dans la decouverte des rapports secrets qui
lient et relient entre eux Ies systemes et articulations de SystE'll1e.
Au nombre de ces faits ei effets de convergence qui sont sou vent, mais pas toujours forcement, les memes d'une langue il l'autre ou d'une famille de langues a une autre (Hl, il y a encore celui, plus haut signale, de l'identite dans une langue comme Ie fran<:ais identite qui se retrouve ailleurs des formes de l'article de tension II et de ceIles des pronoms dits personnels de troisieme personne ordinale: Ie, la, les, comme chacun sait, permetient de dire aussi bien Je LE vois, que LE livre que je vois, etc:. Cette synapse s6mio logique n'est aucunement, elle non plus, a mettre au compte ni d'un accident historique qui l'aurait fOl'tuitement instituee, ni d'une maladresse au d'une inadvertance des sujets parlants qui amaH (6) Les rapports systematiques qui lient une forme a une autre Bont multi ples et une synapse ne privilegie toujours qu'un nombre n, petit, de ces rapports au prejUdice des autres. De la, seJon les langues, les tendanccs diverses qu'on peut observer, tendances tres certainement souvent condi tionnees par des faits contingents.
CITAXGDIE~T
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abouti a une regrettable confusion: elIe est, elle aussi, motiveec Si, faveur des multiples avatars dont la categorie du pronom est universellement Ie siege dans l'histoire des langues, cette synapse a pu se constituer et s'instituer, c'est en raison de la similitude mecanique et fonctionnelle qui lie operativement, par dela toute difference, l'article de tension II a la categoric des pronoms per sonnels.
a la
Un fait incontestable est que ni Ie article ni Ie pronom ne sont par eux-memes, avant emploi en discours, habiles a evoquer quelque substance notionne11e que ce soit. D'autre part run et I'autre, sous emploi de discours, sont en rapport immediat avec une substance nominale dont l'un Ie pronom personnel - est Ie 'rappel et dont l'autre - rarticle - est l'appel, mais dans des conditions OU, opcra tivement, ce dernier ne cesse pas, pour autant, d'evoquer retrospec tivement la position centrique de singulier dont il est par force, Ie 'rappel. Ainsi Ie article et Ie pronom personnel apparaissent-i1s avoir en commun d'etre run et l'autre, en definitive, des instruments men taux de rappel, ce rappel etant, dans Ie cas de l'article Ie, celui purement formel -- d'une position systematique, et, dans Ie cas du pronom Ie, celui d'une substance notionnelle prealablement evoquce en discours. Ce qui n'empeche aucunement Ies deux formes en question d'accuser entre eUes une autre proprieti: commune, qui est d'Ctre l'une et l'autre impuissantes ,) evoquer en langue - c'est a-dire avant emploi en discours - un contenu notionnel quelconque, autrement dit d'etre rune ei l'autre, en langue, des contenants sans contenu, propriete qu'ils partagent avec d'autres mots grammaticaux, notamment l'article un, Ies possessifs mon, ton, son, etc., Ies noms de nombre dits adjectifs numeraux cardinaux, et d'autres encore, tous mots et categories que G. Guillaume appelle, pour sa part, des pronoms completijs et qu'il oppose aux pronoms par lui denommes suppZetiJs (1). Si maintenant, apres ces rapides considerations sur Ie systeme de l'article, on passe a celuj du nom- choi,,! comme second exemple pour illustrer la puissance explicative de la psychosystcmatique du langage en matiere de changements linguistiques - on cons tate que, la aussi, la linguistique historique laisse sans explications nombre de phenomenes dont certains, pourtant singulierement voyants, sont meme passes sous silence. Parmi les plus negliges figure celui, particulierement interessant, de la declinaison ou l'on voit convergeI' en un meme ({ nreud » - Ie mot est de Meillet - les categories du genre, du nombre et de 1a fonction, posant ainsi a l'historien du lang age un probleme demeure jusqu'a ce jour a peu pres inextri (7) Le mot Ie appartient ainsi tantot, lorsqu'il est article, a la categorie des pronoms completifs, tantot, lorsqu'i! est pronom dit personnel, a la cate gorie des pronoms suppletifs.
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CHA~GE~IENT L1::-';Gl'ISTIQCF 101' PSYCllosys'N:~rATlQnc
cable.
comme on s'est contente pour l'ordinaire de Ie progressif de la flexion casuelle au benefice de la preposition et d'un jeu de desinences de plus en en imputant Ie phenomene a la caducite des fins de mot et a une usure inevitable qui en n?sulterait, c'est, a la verite, satisfaire a bon compte une curiosite que l'on veut pourtant scientifique. N'y aurait-il pas lieu d'inverser la donnee du probleme et de se demander au lieu d'etre la cause du fait observe, la caducite des finales ne serait pas que la consequence phonetique, a plus ou moins long terme in&vita bIe, d'un penomene cache echappant a l'observation directe? en tout cas, ce qu'incite a penseI' la psychosystematigue du au regard de laguelle la realite linguistique est souvent tres differente des apparences. Partout en effet ou l'observation et la reflexion peuvent prendre appui sur des suffisamment tout se passe comme si, bien loin que les changements et Ie obeissuient leur imprimant une direction. Ce par aux yeux de l'observateur arme d'une theorie livrant une vue suffisante du fait explicateur cache, la poussiere des faits apparents, au lieu d'offrir l'image d'un desordre defiant Ia s'ordonne soudain en des schemes evolutifs d'une extreme coherence. Ce sont ces de force, qui n'ont rien de fortuit. est a la grammaire COmparee d'observer, sans corn...... 1'on a appele les « developpements paralleles £)
Dans Ie probleme particulier qui va etre maintenant l'objet de notre consideration, notre examen ne tiendra compte que du genre et de la fonction, parce que c'esi la, qu'en l'etat actuel des recher ches qu'elle inspire, la psychosystematique du est en situa tion de permettre de comprendre Ie mieux ce qui se passe. Disons tout de suite qu'historiquement et sans que Ie fait, pourtant manifeste, aU beaucoup attire l'attention des Comparatistes d~>ux cas ont re<;u un traitement privilt>gie: Ie nominatif et l'accusatif, affectes respectivement, comme l'on l'un it l'expression de Ia fonction sujet et l'autre it celIe de la fonction d'objet direct. Soit Ie paradigme latin de l'adjectif bonus, qui resume assez bien les carac sur no us voulons attirer l'attention : animc
nominatif accusatif genitif datif ablaiif
inanim6
feminin
masculin
bon -A -AM
bon -US ,-UM .
-AE -AE -A
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Quels sont les traits semiologiques - on dirait communement mor phologiques (avec l'ambigulte denoncee plus haut) - les plus sail lants de cette declinaison latine ? Les suivants : 1. Identite de desinence de l'accusatif - la consonne M - aux trois genres: f. bona -M, m. bonu -M, n. bonu - M ; 2. Identite du vocalisme prcdcsinentiel (U) au nominatif et a l'accusatif du masculin et du neutre, mais voca!isme propre au fcminin 3. Identite des desinences nominative et accusative au neutre (trait commun a tout l'indo-europeen) ; 4. Desinence caracteristique en -s au nominatif masculin ; 5. Desinence zero au nominatif feminin; 6. Identite des desinences du masculin et du neutre aux cas autres que Ie nominatif et l'accusatif, mais jeu de desinel'ces propres au fcminin aux memes cas, Tels ctant les voyons maintenant comment Ie cadre theorique de la psychosystematique permet de les interpret.er et comment cette ne contredit d'aucune maniere aux faits gencralement consideres comme historiquement etablis. Au
de la psyehosystematique, l'opposi Hon des genres est essentiellement Londe sur une designe par tel ou tel au refuser la caDacite d'action ou de retrouve Ia la distinction, de I'anime et de l'inanime. sur ce consiste en ce que Ie contraste n'est pas a ses yeux, ainsi qu'on Ie croit ment, fonde essentiellement sur l'opposition des sexes, mais sente, au sein de l'anime, la distinction de deux cas d'animation : un cas d'animation majeure, semiologiquement exprime par Ie genre masculin, et un cas d'animation mineure, rendu par Ie feminin (S). Nous ne saurions ici, par manque d'espace, degager to utes les consequences a ce jour reeonnues de cette maniere de voir. Nous ne retiendrons done que celles qui apportent l'explication des faits directement constatabIes au niveau de la semiologie, c'est-a-dire pour Ie langage traditionnel - de la morphologie. Le de ces faits observables qui se trouvent ainsi expliqucs est, partout ou les evolutions phonetiques ulterieures n'en ont pas brouille l'his
neutre (8)
bon -UM
-------
-I -0 -0
--'
Les conseauences de ce fait sont remarauables en russe, ou l'on volt la a l'anime majeur et cela (de la l'assimilation des desinences du genitif) et en accorder une a l'anime seulement, Ie pluriel ayant Ie comportement de majeur, c'est-a-dire indiscriminant Ie genitif et l'accusatif. Mais tout aussi interessants sont les faits hittites concernant le comportement de l'inanime sous Ie rapport de la fonction (cf. Bul. de la Soc. de ling. de Paris, T. LVII, rasc. 1, 1962, pp. 44 sqq).
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CHA!'IGE'>IENT LlNGUlSTIQUE ET PSYCIIOSYSTE:\!ATIQUE
Roell VALIN
Sans nier la possibilite de convergences purement fortuites par exemple la desinence latine -m de premiere person ne du singu lier, que l'on retrouve identique en sanskrit et sous la forme -n en grec, et la desinence -ml-n d'accusatif ici en cause, desinences qui n'ont rien a voir l'une avec l'autre - sans donc nier la possibilite de telles rencontres, il est aise de prouver que l'identite haut constaU,e entre la desinence accusative du masculin et du feminin et la desinence unique du neutre au nominatif et a l'accusatif n'a rien, elle, de fortuit, mais represente au contraire un fait de synapse, hautement significatif, denon<;ant des affinites de nature profondes entre les formes. Mais pour que cette parente devienne transparente _ parente a laquelle les formes en question sont redevables de leur prise en charge par un meme signe il est necessaire d'examiner, ne fUt-ce que superficiellement, les rapports qu'entretiennent Ie
Ie caractere manifestement secondaire et l'apparition relative ment tardive du feminin, Ce caractere tardif se reconnait a de nom breux traits dont Ie principal est I'obscurite etymologiquement moins grande des desinences de feminin. Un fait sous ce rapport particulierement frappant est l'existence partout - sauf dans Ie pronom (universellement archalsant) - d'un jeu complet de desi nences propres au feminin, alors qu'aux cas autres que Ie nominatif et I'accusatif Ie masculin et Ie neutre fonctionnent en synapse. Meme remarque au sujet de Ia voyelle predesinentielle du nominatif et de l'accusatif (d. p. 262) dans la deciinaison a trois genres semiologique ment distingues : Ie masculin et Ie neutre fonctionnent, la aussi, en synapse, en regard du feminin qui un vocali~me caracte ristique. Observables non seulement a date ancienne, mais meme encore aujourd'hui Iii ou s'est conservee une declinaison un peu etendue, cette synapse semiologique du masculin et du neutre est particulie rement significative. Elle serait, a elle seule, une preuve suffisante du caractere historiquement marginal et secondaire du feminin. A date prehistorique dans la pIupart des langues - c'est Ie cas notam ment du sanskrit, du grec et du latin n'existait que l'opposition animclinanime, etat de fait qui s'est conserve en hittite ou Ie genre appcIe commun» - contrairement a ce qu'ont cru un moment certains comparatistes ne represente pas un etat evolue all se serait perdue une distinction prealablement mais tout au contraire un etat archaYsant ou la dite distinction ne s'etait pa!'! encore etablie.
genre et la fonction.
I
Nombreuses sont du reste dans les aut res langues, a date histo les traces de cette indiscrimination originelle des sous-genres masculin et feminin. Presque partout subsistent dans les langues demeurees largement flexionnelles, des types archulsants de decli naison!'! mixtes ou un de desinences indifferenciant Ie masculin et Ie feminin s'oppose a des desinences neutres : qu'on songe seule ment a Ja declinaison -is/ -e du latin et a celle en -as/-on du grec ancien dans les adjectifs du type (V-oyo;. Le souci et la necessite d'etre bref nous obligent a n'en pas dire davantage ici, mais nous invitons Ie lecteur a poursuivre lui-meme, avec ces vues en tete, l'examen de la morphologie nominale et aussi car elle est souvent extremement eclairante - de celle, singulie rement archalsante, du pronom. Pour l'instant d'autres sujets d'ob servation, plus pressants, nous sollicitent. Un fait universellement observable, et depuis longtemps apen;u, est l'identite des desinences du neutre au nominatif et a l'accusatif cela quel que soit Ie type de declinaison - et ce fait, en soi deja remarquabIe, se double, dans Ies declinaisons a theme en (5 (fern. a), d'un autre, non moins frap pant, qui est la presence a l'accusatif du masculin et du feminin d'une caracteristique semiologique - tantot -m, tantot -n suivant Ies dialectes - que l'on retrouve au nominatif-accusatif neutre. Cette semio10gie est-elle motivee ?
265
II a ete dit plus haut que Ie contraste anime/inanime reposait fondamentalement sur une discussion de puissance. Or, que sont, dans Ie phenomene de la transitivite verbale- par rapport a laquelle se definit Ie contraste qui les oppose - les fonctions gram maticales de sujet et d'objet direct exprimees par les formes de nominatif et d'accusatif? On pourrait dire, en simplifiant enorme ment la realite, que la fonction de sujet evoque, au sein de Ia transi tivite, la situation d'un etre qui fait que!que chose, alors que la fonction d'objet direct signifiee par l'accusatif est. par contraste, la situation d'un etre dont it est fait que!qlle chose. De la une con gruence impressive inevitable entre l'anime et la fonction sujet et une autre, non moins imperative, entre l'inanime et la fonction objet. Avec ces faits de congruence en tete, essayons maintenant d'un peu reflechir a ce qui se passe lorsqu'un anime est en fonction direct et un inanime en fonction de sujet. pour comprendre _ et en apercevoir toutes les consequences morphologiques la discongruence impressive qui resulte de l'emploi d'un inanime en fonction de sujet et d'un anime en fonction d'objet direct, il y a lieu de s'aviser, des Ie depart, que sauf emplois possibles dans certaines langues (ll) Ie genre est un attribut permanent reconnu a un certain etre, tandis que les fonctions de sujet et d'objet direct sont des situations momentanees liees au rapport contingent que Ie nom entretient avec les autres elements de la phrase ou il est dit de lui quelque chose. Dans ces conditions, il devient manifeste que Ie nominatif et l'accusatif sont, dans la declinaison, des cas privilegies, et il n'y a en consequence pas lieu de s'etonner de les voir, tout au long de l'his
.
l
(9) On songera ici a la liaison du neutre et du diminutif dans certaines langue;; (cf. allemand. grec ancien, etc.j et a des feminins du type She is pouring en anglais familier.
9'
266
CIIA~GDlE~T L1>-:GOSTlQCE ET PSYCllnSYSTI::.:II.\TIQUC:
ROCII YALl:-f
toire des langues, bE'meficier d'un traitement particulier. C'est ainsi que, dans la declinaison binaire archaYsante, qui n'oppose semiolo giquement que l'anime et l'inanime, its sont les seuls cas ou se mar que la distinction des genres. De meme, dans la deciinaison ternaire, ils sont les seuls a porter la marque des trois genres. Mais il y a plus, et beaucoup plus significatif. Dans la declinai son Lernaire (type bonus) on aper<;oit nettement Ia valeur semiologi que des desinences. Particulierement interessante est la desinence -m qui, dans l'anime a l'accusatif, et a l'accusatif seulement, mais que l'on voit apparaitre a la fois au nominatif et a l'accusatif dans l'inanime. L'expHcation Ie lien qu'on vient de montrer entre Ie genre et la fonction n'est pas a chercher loin: comme cela se produit si souvent ailleurs dans la Ie morpheme -m assure la synapse semiologique de l'inanimaiion permanente d'Oll la synapse resultante du nominatif et de l'accusatif dans Ie genre inanime - et de l'inanimation momentanee (par fonction logique assumee) dans Ie genre anime OU Ie masculin represente Ie cas d'animation majeure et Ie feminin Ie cas d'animation minel1re. Ainsi Ie morpheme -m apparalt-il habilite a denoncer dans l'anime une situation transitoire creee par Ie rapport du nom au verbe (fonction direct) et dans l'inanime, une diathese durable de l'etre designe lexicalement par Ie substantif, c'est-a.-dire Ie genre gram matical. Et la ne s'arrete pas l'extraordinaire coherence de la semiologie des cas nominatif et accusatif. On a deja. note que Ie masculin cas d'animation majeure porte, au nominatif, un morpheme os) qui est refuse au feminin, cas d'animation mineure. De la, l'anime se scinde en les deux cas que no us savons, l'apparition, au nominatif feminin, d'une forme representant Ie theme nu, c'est a-dire d'une forme a morpheme zero. Cet etat semiologique se retrouve en grec et en sanskrit. Tous ces faits sont bien connus des comparatistes. Si reussie que soit la semiologie de la dec1inaison dite faible des noms ena (f. a), de telles reussites n'ont rien d'oblige. Elles se realisent au hasard des innombrables contingences a. travers les queUes se deroule l'histoire des langues. Partout subsistent a cOte des etats semiologiques reussis, qui sont regulierement les recents, des vestiges plus ou mnins nombreux des ctats semiologi ques anterieurs, vestiges qui sont les temoins d'etats systematiques revolus. 'l'elles sont, universellement, les formes dites fortes en morphologie, formes dont !'interet est d'aider a apercevoir et a reconstituer les etats de systeme dont sont issus les systemes recents recouverts par les semiologies innovees - du type bonus ici lesquelles coexistent parfois fort longtemps avec les semiologies revolues (type tristis, triste). Le fait important a retenir, dans l'analyse qui precede, est la distinction constante et indispensable de ce qui releve du signe, de
267
la semiologie, et de ce qui concerne le signijie, ou, pour parler avec plus de precision, le systeme psychique C'est au prix de cette distinction que l'histoire des systemes deviendra claire. Dans Ie cas de la declinaison nominale, a laquelle nous venons de consacrer un long developpement, la muliiplicite des paradigmes ou types de declinaiso n est un fait de semiologie. Les distinctions de genre, de nombre et de fonction que cette 8emiolog ie bigarree recouvre, sont des faits psychiques caches dont la reconstitution, en s'aidant des semiologiques, permet seule de comprendre ce qu'il est advenu, a une epoque donnee, d'une systematique anterieure. Sans cette reconstitution prcalable des etats successifs de systeme, I'his toire des langues est un texte indechiffrable dont l'interpretation devient arbitraire. Ce qui a tres souvent ete Ie cas en morphologie des langues indo-europeennes. L'un de ces faits nombreux - qui, faute d'une methode adequate, ont echappe a la des comparatistes est celui, sous l'ecroulement apparent de la declinaison, de l'institution d'une systematique psychique nouvelle de la fonction, systematique que l'on voit _ une fois qu'on a appris a lire et a interpreter les faits de semiologie apparents - se preparer depuis les plus lointaines origines attestees. Depuis les origines, en effet, les cas nominatif et accusatif accusent un comportement semiologique particulier. Outre les faits plus haut evoques, il convient de signaler dans les langues qui ont conserve Ie duel _ notamment en grec ancien et en sanskrit la synapse reguliere de ces deux cas, la meme synapse apparaissant regulierement la ou, Ie duel aboli, l'on voit la declinaison vieil anglais, grec moderne, roumain, par exemple ne Dlus retenir que trois ou quatre cas. Cette systematique nouvelle de la fonction, c'est celle d'hui rcalisee dans les nombreux idiomes indo-europeens ou il ne reste apparemment plus rien de l'ancienne deciinaison nominale rien, sauf precisement, en synapse sous la forme unique du substan tif, les deux cas sujet et objet direct, toutes les autres fonctions ayant ete devolues a la preposition. On est la, une fois de plus, en presence d'un fait de convergence dont la signification a echappe a la grammaire comparee. pour en apercevoir la il eut fallu aux comparatistes etre armes d'une theorie permettant, apres resti tution de Ia systematique de depart et de cene d'arrivee, de faire une lecture correcte des faits de semiologie attestes. C'est alors, et alors seulement, qu'on voit Ie desordre et la confusion des faits apparents s'ordonner selon des lignes de force qui sont celles-memes du devenir de la langue, et que, du meme coup, J:lnn::lrait cctte curieuse teleologie dont no us avons parle plus haul. Dans Ie cas qui nous interesse ici, tout se passe en effet comme si la visee secrete de la pensee commune constructrice du langage et des systemes qui en materialisent Ie. eontenu de concevabilite avait ete d'operer de plus en Dlus nettement en elle Ie partage, voue
L
268
ROCH VALIN
a s'accomplir
depuis les ongmes, entre les fonctions intra-verbales de sujet et d'objet direct c'est-a-dire les fonctions directement liees au ph€:momene de la predication et de la transitivite et toutes les autres - les extra-verbales lesqueUes sont devolues desormais, pour expression, a la preposition. Plus d'ambigulte ni de double emploi desormais : d'un cote, un cas synaptique unique regroupant sous lui les fonctions antinomiques de sujet et d'objet direct la curieuse fonction intermediaire d'attribut), et de l'autre tous les cas rendus par preposition. eet Hat est aujourd'hui celui, entre des langues romanes autres que Ie roumain.
BUT,
morpheme de la subordination dans I'histoire
de I'anglais
Ainsi vue, l'histoire des avatars de la flexion nominale devient intelligible et il ne reste plus qu'a scruter de plus a travers une theorie plus complete, les etapes successives de cette en direction d'un but vise des les origines, E-tapes attestees par de nombreuses langues, tant anciennes que modernes.
1. Le mecanisme de Ia 1.1. G. a bien montre (1) que Ie fait de la subordination consiste a poser une phrase sous un a eUe, la subordonnee Hant une « phrase devenue sous-phrase et mise dans la mouvance d'une autre phrase» (op, cit" p. 208). En franGais, Ie principal operateur de cette mise en dependance est que. L'anglais possede deux relateurs qui fonctionnent en complemen tarite, d'une part that, d'autre part but lorsque la subordination est negative dans des conditions que je me propose d'examiner. Aupa ravant voudrais rappeler les caracteristiques essentielles de la
Le moment est venu de clore cette etude. On eut aime pouvoir y ajouter un ou deux exemples mettant en cause la morphologie verbale, et cela en raison meme de l'obscurite qui regne de tout temps dans ce chapitre de la grammaire comparee, obscurite qui est a nos yeux l'indice d'une importante revolution systematique dans la prehistoire immediate des langues indo-europeennes. La aussi, en effet, la psychosystematique du langage permet deja, n'en soit encore ses debuts, de comprendre nombre de faits dont la competence de la methode fJU""~'
Quebec.
subordination. Soient les deux phrases: (1)
Phrase integrante : He knows X
ou X est une « pro-forme» representant un complement virtue1. On peut l'actualiser sous la forme generalisante (2) Phrase
a integrer
: I am not gone.
La mise de (2) dans la dependance de (1) suppose deux a) nominalisation de (2) a l'aide de that: THAT I am not gone b) integration ou «enchassement» dans (3) He knows THAT I am not gone
avec, dans ce cas particulier, possibilite d'« effacement» du rela teur:
(4) He knows I am not gone.
La phrase nominalisee en a) est le substitut de X, Devenue sous-phrase, eUe se comporte camme un substantif de discours. Toute nominalisation implique necessairement une decategorisation de Ia
Roch VALIN
1.2. On peut identifier avec G. tion : par Ie dedans et par Ie dehors. La (1) Dans
i
L
types d'integra est un exemple
« Systematique du mot QUE », Etudes de psychosystematique jran gaise, 1974, pp, 184-211. Cet article avait ete publie dans Travaux de Unguistique et de litterature, VI, 1, stra.<;bourg, 1968.
Ai\DBI~
270
JOL Y
d'integration par Ie dehors: c'est la phrase tout entiere (I am not gone) qui, de l'exterieur, est nominalisee puis integree. En tant que substantif de discours, toute phrase nominalisee est apte a assumer les fonctions du nom substantif : -
fonction sujet : (5) That he is dead seems tolerably certain
avec, Ie plus souvent, extraposition en fin de phrase de la sous phrase nominalisee, it prenant la place formelle de sujet gramma tical (support de predication) : (6) It seeems tolerably certain that he is dead
fonction attribut (7) The worst thing is that he never answers our letters
fonction
0 bj et
:
(8) I believe that he is dead
fonction preposiEonnelle : (9) Men differ from brutes in that they can think and speak.
Jespersen, a qui j'emprunte ces exemples, a fort bien reconnu les fonctions substantivales de ces sous-phrases nominalisees, puis qu'il y voit des « primaires» (Essentials oj English Grammar, 1933, ch. XXXIII). Or on sait que dans sa theorie des rangs, Ie primaire correspond a ce qu'on appelle, en grammaire systematique une partie du discours a incidence interne, c'est-a-dire un substantif (Jespersen, The Philosophy of Grammar, 1924, pp. 96 sq.). L'integration par Ie dehors s'effectue d'ordinaire par Ie moyen de ce qu'on appelle traditionnellement la conjonction de subordina tion. 1.3. L'integration par Ie dedans se produit avec la proposition relative. A partir de la phrase (10) You met the man
on obtient Ie syntagme nominal (11) The man (that) you met
l
BCT, :\lOBPlII'::\IE DIO SCBOHDl:\ATlOY
en syntaxe anglaise. La combinaison inverse des deux syntagmes you met et the man permet d'obtenir successivement la phrase (10) et Ie syntagme nominal (11). La subordonnee relative de (11) ne fOllctionne pas non plus comme la subordonnee completive de (3). La completive est en effet un substantif de discours alors que la relative est un adjectif de discours : celle-ci a une incidence externe de premier degre, ceUe-Ia une incidence interne. Dans Ie cas ou la relative n'est pas determi native, comme en (11), mais « explicative», eUe est utilisee comme apposition au substantif antecedent, l'incidence ne changeant d'ail leurs pas. 1.4. De l'integration par Ie dedans a l'integration par Ie dehors Ie subordonnant subit une dematerialisation. La conjonction n'a plus la fonction representative qui caracterise Ie pronom relatif. Sa fonc tion n'est que d'integrer une phrase apres l'avoir nominalisee. On est donc fonde a representer sur un axe operatif de subduction (d'un (+) de matiere a un (-) de matiere) les deux types de subordon
nants :
THAT
THAT conjonction pronom relatif r avec fonction representative ~ sans fonction representative (integration par Ie dehors) (integration par Ie dedans)
Fig. 1
1.5. Comme fro que, that (et ~a replique but), est un mot COllte nant a l'endroit d'une phrase qu'il integre. La phrase integree est une phrase « synthetisee » et Ie subordonnant une forme integrante. G. Moignet (op. cit., p. 209) oppose C:eux mouvements antagonistes qui pourraient bien etre Ie fondement de la syntaxe indo-euro peenne _, un mouvement analytique fermant qui livre Ie mot dans la phrase, auquel replique un mouvement synthetique ouvrant, qui livre la phrase dans Ie mot (a rapprocher de Guillaume, Let;ons de linguistique 1948-1949, vol. B, pp. 63 sq.). En figure:
ou l'on voit l'integration s'effectuer au sein meme de la phrase, et non plus de l'exterieur. On a successivement : a) nominalisation : THAT you met b) integration a l'objet : the man (THAT) you met. On observera que, contrairement au subordonnant d'une completive comme (3), that nominalise ici au travers d'une representation d'etre: il rappelle un antecedent. En (3) comme en (11), lorsque, selon Ie cas, la subordonnee ou Ie pronom relatif sont en fonction d'objet, on peut effacer Ie subordonnant. De l'hypotaxe on passe a la parataxe par simple juxtaposition de la phrase ou de l'element integrant (He knows ou the man) et de la phrase integree (I am not gone ou you met). L'ordre des mots est donc un discriminant capital
271
tension 2 : synthetique la phrase dans Ie mot
tension 1 analytique Ie mot dans la phrase
Fig. 2
Moignet fait remarquer que ce tenseur est, avec une argumentation differente, celui de l'article, et que par consequent que, signe de la tension 2 synthetisante ci-dessus, equivaut a I'article le (ef. Guil laume, Langage et science du langage, pp. 143-149). Que, comme l'article le est en effet l'assiette formelle d'un substantif, en l'occur
1
272
ANDRE JOLY
rence Ie substantif de discours qu'est Ia phrase nominalisee (ef. supra § 1.2.). Que et Ie sont la forme integrante du substantif qui suit et qui ne fait qu'apporter la matiere notionnelle manquante. Ainsi que, c'est la phrase nominalisee moins sa substance semantique propre. Artiele et subordonnant sont bien des synthetiseurs, signes de deux tensions ouvrantes mecaniquement identiques. La semiologie de l'anglais confirme cette analyse: Ie subordonnant that (qui est aussi un deictique) et l'artiele the sont etymoIogiquement Ie meme mot. (Cf. T. Fraser & A Joly « Le systeme de la deixis. Esquisse d'une theorie d'expression en anglais", dans Modeles linguistiques, I, 2, Presses Universitaires de Lille).
2. BUT subordonnant : les tours en usage dans l'histoire de L'anglais Ces remarques autour de la problematique de la subordination l'analyse des etaient necessaires avant d'aborder Ia description emplois de but. On observera que si but se determine par rapport a that dont il est dans une tres large mesure la replique negative, il est soumis a des contraintes tres strictes. La subordonnee qu'il introduit doit etre dans l'etroite dependance de la principale qui la regit, but fonction nant comme Ie correlatif d'une negation contenue dans cette pale. C'est dire que certaines des fonctions substantivales propres a Ia phrase nominalisee (ef. § 1.2.) lui sont interdites. Ainsi, pour emprunter un exemple a Jespersen (Negation in English ..., 1917, p. (12) It must not be denied but I a plain dealing villaine
(Shakespeare)
avec sujet formel it et extraposition en fin de phrase de la sous phrase nominalisee, on ne peut mettre la subordonnee en position effective de sujet : (12') 'But
I am a plain dealing villaine must not be denied
ce qui est possible avec une subordonnee introduite par that, comme dans l'exemple (5) ci-dessus.
But peut historiquement eire utilise comme particule compara tive, comme pronom relatif et comme conjonction de subordination. 2.1. BUT dans les phrases comparatives Cet emploi, qui remonte au XIIe sieele, est sorti de l'usage vers la fin du XVII" s. (no more... but) ou dans Ie dernier tiers du XVIII" s. (no other ... but), bien qu'on en trouve sporadiquement des exemples dans Ie courant du XIxe s. En void un exemple : (13) And yet Necessity (...) is represented by Horace as a female personage ; for no other reason, that I can guess, but because her name in Latin happens to have a feminine termination (Beattie, 1783).
1
BCT, ~!ORPHE~IE DE SUBOBDI~ATION
273
Than, aujourd'hui correlatif regulier du comparatif negatif, apparait assez tOt dans l'histoire de l'anglais. Dans mon corpus (2), j'en releve un exemple des Ie debut du xvre sieele. 2.2. BUT relatif negatif 11 est l'equivalent actuel de that (who, which) ... not, comme l'atteste l'exemple suivant ou l'alternance est relevee a la meme page et dans un contexte strictement identique : (14) « I shall go there myself, » replied my father; « and there are no means that I will not resort to. to discover this infamous plot. No,» exclaimed he, striking his fist on the table (. . .), « No means but I will resort to» (Marryat, 1834) .
Le correlatif de but dans la principale peut aussi etre un mot semi negatif (scarcely, hardly, etc.). Les premieres attestations de ce tour remontent au XVI" s. II decroit regulierement pour ne subsister aujourd'hui que dans la langue litteraire. Des les origines, on rencontre deux types de relatives introdui tes par but: 10) Ie plus frequent, celui ou but se comporte en taus points comme un pronom: i1 rappelle un antecedent et assume la fonction que celui-d aurait dans la subordonnee. Void un exemple en fonction objet:
(15) (. .. J there's not an article but he has broken (Etherege, 1676) .
20) Ie second type est celui ou la relative introduite par but com
porte aussi un pronom personnel qui rappeUe l'antecedent. Dans ce prono m » relatd a but, i1 cas, Jespersen refuse la qualite de l'appelle «relative connective» (Negation ..., p. 129): (16) There should not be stirring a cousin in any quarter but he would wind him straight (COny-Catchers, 1552).
Ce second type de subordonnee est considere par certains grammai riens dassiques comme l'origine de l'authentique relative introduite par but (ef. O.E.D., but C. 12. b.). Pour Curme par exemple (Syntax, 1931, III, § 23, II. 5), la relative serait derivee de ce qu'il appelle une «proposition adverbiale resultatlve du type (17) Nobody knew him but he loved him,
par « suppression» du pronom personnel. Cette explication est tout a fait plausible. On vena Dlus loin ce que signifier Ie passage d'un type a l'autre. (2)
Mon corpus est constitue par un ensemble de textes en prose couvrant plus de quatre siecles de l'histoire de l'anglais (du milieu du XVI" s. a aujourd'huiJ et representant environ 9.000 pages in-8°. II va sans dire qu'etant donne l'espace necessairement restreint dont je dispose, j'ai du me resoudre it donner une description tres schematique - mais non deformante - des principaux tours en usage.
274
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2.3. BUT introducteur de Sllbordonnees conseclltives
24) ('
On peut distinguer trois types de subordonnees : 2.3.1. Type 1 : (18) It never rains but it pours
t d
no
\ but he vas right in principle eny ( that he was right in principle (Stevenson, 1889).
II sufnt que la principale soit simplement dubitative, c'est a-dire qu'eHe ne declare pas positivement un evenement negatif pour que but soit recuse au profit de that
bien atteste dans mon corpus tout au long de la periode moderne jusqu'a la fin du XIX" s. La subordonnee exprime sur Ie mode negatif l'idee d'inevitabilite, de consequence ineluctable et but equi vaut a (so) that ... not. En dehors de phrases figees comme (18), il est aujourd'hui remplace par that . .. not, et surtout par withollt + -ing: (19) You cannot look but yOU will see it _ without seeing it.
Id I cou
275
(25) I know not that we lost thirty men in all the time of our siege (Cromwell 1645).
Voici pour chaque sous-groupe quelques exemples d'illustration choisis parmi les moins anciens:
you cannot look
2.4.1. Apres les verbes d'evenements mentaux conceive, believe, imagine, conclude, be sure)
2.3.2. Type 2 :
(26) « I didn't know (. .. ) but that Lammle might be reserved about his affairs» (Dickens 1864).
(20) Can you touch pitch but yOU defile yourself ?
2.4.2. Verbes de perception (see, perceive discern, hear) Ils denotent en fait dE:s evenements de perception mentale e1 non physique:
Ce sont des phrases dont la principaIe est interrogative, interro-I'! negative ou negative. Curme les appelle des" clauses of pure result }) (1931, nI, § 28.5). B11,t, encore employe dialectalement _ et aussif but that et but what - equivaut a that . .. not, mais d'autres equi-1 valences sont possibles:
(27) (... ) I do not see but that mine are as well worth a glass of grog as his (Marryat 1834).
2.4.3. Verbes declar&tifs (say, tell, persuade) but / /Jut that ibut what you defile
(21) Can you tOuch
(28) That same day (I will not say but wlwt I watched) I had the satisfaction to see ... (Stevenson 1889).
\ yourself? pitch. that you do not defile yourself? without defiling yourself ? , and not defile yourself?
r
2.5. BUT signe de l'hypothese Le schema Ie plus frequent fait apparaitre une principale com portant un modal (would, should) ou un preterit modal (had) expri mant, negativement ou non, l'irreel, et une subordonnee enonc;ant la condition negative qui a empikhe la realisation de l'evenement exprime dans la principale :
2.3.3. Type 3: Not (never) so . .. but.
Not so. " b11,t est la version negative de so that: (22) So
brave that he ventured that ... not).
Not so brave but he hesitated
(29) I had been drowned, but that the shore was shelvy and shallow (Shakespeare 1597).
Ce tour est irregulierement atteste dans mon corpus, du XVI" s. a la fin du XIX". L'anglais contemporain semble preferer Ie developpe ment en that . .. not.
Le dernier exemple clair que je releve date du debut du XVIII" s. : (30) And I should not have known them, but tlwt I perceived them by my senses (Berkeley 1713),
2.4. BUT apres les verbes e.rprimant des evenements mentaux, les verbes de perception et les verbes dectaratifs Je rassemble sous cette rubrique trois sous-groupes illustres respectivement par les verbes know, see et say. II s'agit d'exemples archalques, dialectaux ou populaires (Curme 1931, III, § 24 III). L'O.E.D. les traite conjointement avec deny, co qui constitue une erreur de methode. En effet, les verbes appartenant a ces trois grou pes se distinguent de deny par Ie fait qu'ils n'ont pas un semantisme negatif. Or, comme Ie fait remarquer Jespersen, bllt n'a pas 1a meme valeur seIon qu'il cst en correlation avec IE'S uns ou avec l'autre. Exemple:
!
\ but it is all true (23) I don't know (that it is not aU true )
2.6. BUT apres les verbes de semantisme negatif
I
~
j
I
Contrairement a ce qui se passe avec les verbes exprimant des evenements mentaux (§ 2.4.), la subordonnee n'est pas negative, d. exemple (24) et aussi : (31) It must not be denied but I am a plain dealing villaine (cit. par Jespersen, Negation . .., p. 129)
j
signifie: « It is certain that I am .. sous-rubriques :
,
- not doubt but (that) : Nombreuses attestations dans mon corpus jusqu'a la fin du XIX" s. :
t
i
<
)).
On peut c1asser ces verbes en
(32) He never doubts but that he is in a situation to cope with the natives (Thackeray 1844)
276
277
BeT, ~!ORPllE~!E DE SUIIORDlNAT!O:N ANDRI': JOLY
La phrase exceptive est Ie lieu d'une inversion. Ainsi :
not deny but (what/that) : Bien atteste jusqu'a la fin du XVIII" s., puis sporadiquement au XIxe ; d. exemple (24).
(34) He drinks nothing BUT gin
oppose un enonce de signe negatif (<< il ne boit rien ») a un enonce de signe positif (<< il boit du gin») et place ce second cnonce dans un certain rapport au premier. De la meme maniere, mais en sens
Mais des Ie XVIIe s. deny en contexte negatif peut etre SUlVl d'une subordonnee introduite par that ou d'une subordonnee sans relateur:
oppose:
not fear, question, disown, despair, Emplois deputs longtemps archaiques.
(35) He drinks everything / anything BUT gin
fait suivre un enonce positif (<< il boit de tout ») d'un enonce de signe negatif (<< i1 ne boit pas de gin ») (l). Dans les deux cas, but est un operateur d'inversion, ce qui se laisse schematiser comme suit: ,.BUT-.,.
(33) (... ) you will not deny, that the two angles of a triangle are equal to two right ones (Goldsmith 1766)
but (that) :
- not hinder but et les autres verbes d'empechement (prevent, restrain, hold, forbear, miss, faiL) : Emplois eux aussi archalques. En anglais contemporain la de ces verbes sont suivis de from + -ing (ou -ing seul) ou bien lIs regissent une proposition infinitive. Sur la construction de ces ver bes en vieil anglais, d. Joly, «La negation dite 'expletive' en vieil anglais et dans d'autres langues indo-europeennes », Etudes ses, 1972, 1, pp, 30-44.
ev"~ ~
:-) (-)
mouvement de negativation
(+)(.::)
mouvement mouvement de de positivation positivation
Fig. 3
mouvement de negativation
N.B. __ La partie hachuree indique que Ie mouvement en cause n'est pas
conduit jusqu'a son terme. II est precisement interrompu par l'inversion
SOUS
signe but.
3, Analyse systematique de BUT, opemteur de Sub07'dination
But, inverseur de mouvement, a pour fonction d'extraire un element d'un ensemble en Ie plagant, selon Ie cas, dans un champ de positi vite ou dans un champ de negativite. Le passage historique de l'exception a la restriction presuppose l'effacement de Ia negation dans la principale, en v.a. de ne ... butan a (2) ••• butan, ce qui donne en anglais moderne: (36) He is BUT a child, issu d'un ancien: (37) He NIS BUT a child.
Les differents emplois que je viens de recenser posent Ie pro bleme du statut de but comme element de relation. L'impression dominante est qu'il est la replique negative de that. Contrairement il effectue l'integration d'une sous-phrase a une phrase tou negative, Mais selon Ie type de la matrice et Ie semantisme du verbe recteur, but est interpretable de diverses manieres, ce que font bien apparaitre ses gloses en anglais contemporain : d'un cOte that, de l'autre that (who, which) ... not, than, without, if . .. not, from. Autrement dit, la subordonnee introduite par but a tanti'lt une tonalite positive, tantot une tonalite negative. Je me propose donc d'analyser cas par cas ce curieux fonctionnement de but en ren voyant au mecanisme de la subordination evoque au § 1. Mais il est auparavant necessaire de rappeler ce qu'emporte avec lui Ie but.
Soit en figure: -.
..... ..... ,..
BUT . . tI"I"-...
___~_-::.::~I.c:
•
(ne) Fig. 4
3.1. Exception et restriction
Avec la restriction i1 n'y a plus a proprement parler d'inversion (l'inversion est implicite) et de plus, comme Ie rem1lrquait Breal, «la negation est devenue superflue, Ia particule but en ayant assume Ie sens » (Essai de semantique, p. 207). Curieusement, la fonc tion inversive tend a se confondre avec la fonction negativante.
But est un des morphemes les plus polysemiques de l'anglais. II est a la fois signe de l'exception, de la restriction, de la subordi nation et de l'adversation. Dans une etude a paraitre e), j'ai analyse ses deux premieres valeurs, probablement les plus anciennes et montre comment on passait de rune a l'autre. (3) «BUT as a Sign of Exception and Restriction in the History of English», a paraitre dans les Actes du Colloque « Aspects of Negation in the Germanic Languages» organise par Ie Centre de Recherche sur les Langues Gerrnaniques, Universite de Paris-Sorbonne, 21-23 juin 1979.
(4) Sur la difference entre any (thing) et every(thing), cf. Joly, ({ Any et some. Essai de grammaire systematique », Rencontres linguistiques, Travaux XIII, C.I.E.R.E.C., Universite de Saint-Etienne, 1976, pp. 51-52.
1
279
BeT, ,[QRP!llo:\IE ])1' sn30RDlXATro~
278
AXDJ\I:: .lOLY
sccutive. Never ... but, distribue sur les deux termes, fait de la consecution une veritable implication: rain ::J pour. On constate d'ailleurs que whenever, adverbe compose (conj. + adv.) et never . .. but (adv. conj.) fonctionnent de fa<;on diametralement opposee pour produire en fin de compte Ie meme resultat. Sous forme de diagramme, chacun des elements sous analyse etant affecte du signe
C'est ce qui s'observe lorsque but devient operateur de subordina tion. Je vais done examiner son fonctionnement comme pronom relatif et conjonction, en laissant de cote Ie cas des phrases compa ratives ou but than, que j'ai traite dans Joly, Negation and the Comparative Particle in English (Presses de l'Universite Laval, Quebec, 1967), d. notamment pp. 30-31.
(
conj. when (+)
3.2. BUT pronom relatif Voir tours en usage au § 2.2. J'ai indique plus haut que la rela tive avec presence d'un pronom personnel rappel ant l'antecedent, du type:
adv. never (-)
(38) Nobody knew him but he loved him
1
BUT signe integration d'inversion/ par Ie dedans negation
+
BUT signe de nominalisation/ integration
-r
+
+
(40) I am not so drunk
(39) Whenever it rains, it pours,
conj. but
~(+)
(-)
\ but I can ride i /. tlta t I canna t n'de \.!
On dira en revanche:
8i la fonction "representation d'etre» est refmee, but cesse d'etre pronom relatif pour devenir ce qu'on appe[]e traditionnellement une conjonction de coordination. On est de ce fait reconduit it l'integra tion par Ie dehors.
ou l'adverbe ne porte que sur Ie premier terme de la sequence con-
(
(Borrow, The Bible in Spain, 1843).
BUT signe de nominalisationlintegration et de representation d'etre
Trois grands types de subordonnees consecutives ont ete prece demment distingues (d. § 2.3.). Dans tous les caR, but provoque une mise en contraste (inversion/negation) entre deux imonces places dans un etroit rapport de consecution (cause --'>- effet). Prenons (18) a titre d'illustration. Les deux enonces. e l (it never rains) et e 2 (but it pours) entrent dans un double rapport dont les quatre elements sont etroitement imbriques puisque la sequence consecutive rain pour est elle-meme modulee par la correlation never . .. but. Cette phrase declare que « pleuvoir d verse » (pOUT) est toujours entraine (never . .. but) par chaque occurrence de « pleuvoir» (rain). La cor relation negative a pour effet de mettre en relief Ie caractere ineluc table de la consecution. Cette mise en relief disparait en contexte positif dans la paraphrase:
~
comme dans:
PRONOM signe de representation d'etre
3.3. BUT integrateur des subordonnees consecutives
adv. ever ~ (\-)
Le troisieme type de subordonnee consecutive (not so ... but) engage a reflechir sur la valeur de la negation dans l'equivalence but that . .. not et, du meme coup, sur la valeur negative de but,
etait vraisemblablement a l'origine de l'authentique relative npga tive. Cela signifierait qu'on est passe de l'integration de la subordon nee par Ie dehors a son integration par Ie dedans (§§ 1.2. et 1.3.). Ce passage aurait pour resultat une operation de cumul sur Ie relatif : BUT integration par Ie dehors signe d'inversion/ negation
ou du signe (-) ;
1 I I
(41) I am so drunk that I cannot ride but etant iei recuse en raison de l'absence d'un element negatif dans la principale. Dans cette derniere phrase la consecutive est pleine ment negative: (it is a fact that) I cannot ride. Au contraire, en (40) la consecutive equivaut a un enonce positif (I can ride), cette phrase signifiant en realite «mon degre d'ivresse n'est pas tel que je ne puisse manter a cheval ». On peut donc se demander si la negation a tout a fait la meme valeur dans les deux phrases. En (40), la negation impliquee par but est appelee par celle de la prineipale dans Ie champ de laquelle elle echoit. De la les jeux du (-+) et du (_) que j'ai signales plus haut a propos de never . .. but, correlation negative dont on a vu qu'eHe debouchait sur du positif (= 'whene ver). En (40), Ie not de la consecutive pourrait done bien ne pas avoir pleine valeur negative, comme Ie donne a penser son equivalent latin quin dans un contexte identique ou la negation expletive du fran<;ais, negation «faibIe)} (cf. Joly, «La negation dite expletive en vieil anglais et dans d'autres langues indo-europeeanes ", Etudes anglaises, 1972, XXV, 1, pp.
3.4. BUT apres les verbes d'ev(mements mentaux, de perception et de declaration
l
Pour les tours en usage, v. § 2.4. Les phrases reunies sous cet intitule repondent au schema idee-regardante-prineipale - idee regardee-subordonnee (d. Joly, op. cit., 1972, p. 43), ou l'idee regardante fonctionne comme un contenant negatif (I do not knoVJ, etc.) a l'endroit de l'idee regardee dont Ie contenu peut etre positii (ou considere comme tel) ou negatif.
BeT,
280
ANDHI': JOLY
POSITION
Le cas ou ce contenu est positif presente un interet pour l'ana lyse de that. Dans la phrase (25) I know not that we lost thirty men, Ie contenu positif de l'idee regardee peut en fait etre interprete de deux manieres : (a) soit comme effectivement positif (<< We actually lost thirty men»), (b) soit comme puissancieHement positif (" We may have lost thirty men »); on pourrait alors traduire. «je ne sache pas que nous ayons perdu ... » dont la valeur dubitative est bien connue. Cette seconde interpretation, par opposition a (a) mon tre que that, comme d'ailleurs que en frant;ais (cf. Moignet, 1974, pp. 204, 206) peut emporter un contenu notionnel hypothetique, tout en continuant a signifier un mouvement de pensee positivant. Cette valeur hypothetique apparalt bien dans: (42) When night came, she said she felt herself well amended and very hungry, not knowing for her part that she had eaten her supper the night before (Witchcraft, 1589).
On observera que, lorsque Ie contenu de la subordonnee est positif, quelle qu'en soit l'interpretation, that e~t utilise a l'exc1usion de but. Lorsque Ie contenu de Ia subordonnee est negatif, on a vu que but pouvait etre utilise en alternance avec that . .. not: \ but it is all true ) that it is not all true \ (23) I don't know
I
lei, contrairement au cas analyse precedemment (§ 3.3. not so ... but), but implique une negation pleinement negative (,( je ne sais/ savais pas que tout cela n'est pas vrai »). La confrontation de ces deux types d'emplois confirme done qu'on aurait bien sous but (et sous not) deux valeurs differentes de la negation: negation minimale
II
(-)
SUPPOSITION hypothese
einetisme de SI position but (= if ... not)
BUT 2
3.5. BUT signe de I'hypothese negative La rubrique precedente a fait apparaitre que that peut etre l'equivalent de if. De meme, but pourra signifier if ... not (d. les tours en usage, § 2.5). Ce parallHisme n'a rien de surprenant dans la mesure ou, jusqu'a present, on a vu but fonctionner comme repli que negative de that. L'interet de ce rapprochement est de montrer que that et but, integrateurs de subordonnees, ne signifient pas simplement, de fa<;on statique, Ie fait de poser (these), mais qu'ils signifient un mouvement d'approche de la these a partir de l'hypo these, comme l'indique la figure ci-dessous. Par saisie au plus pres de !'instant initial, SI' on obient that/but a valeur de supposition; la saisie en S2, instant final, livre la valeur de position:
S2 but (= that .. · not)
Fig. 6 La valeur de but en SI apparait lorsque la modalite de Ia phrase est
hypothetique dans Ies conditions decrites au § 2.5. Soit Ia phrase 'type:
(29) I had been drowned, but that the shore was shelvy and shallow (Shakespeare 1597).
La principale exprime ce qu'on appelle l'irreel du passe, manifeste ment assoeie a l'idee de negation. En modalite thetique on aurait (29') I was not drowned because the shore . .. Dans Ie::; deux cas on remo de l'effet a Ia cause. Le passage de Ia modalite thetique a nte Ia modalite hypothetique consiste a enoncer I'inverse de ce qui est, en d'autres termes a hypothetiser Ie reel, ce qui est une autre manh:'>re de Ie nier. Le tableau suivant, qui illustre ce passage, montre l'inversion des signes dont on peut affecter chacun des enonces: modalite thetique
1 : effet I Vias not drowned
..
2: cause because the shore Vias shelvy
modalite hypothetique
.
(+)
(-)
•
•
I had been drowned
but that the shore Vias sheivy
(+)
(-) (= if ... had ... not ...
negation maximale
Fig. 5
these
that
that (= ••,
been) Fig. 7
(+)
BUT 1
281
,[oRPI1r:::\lI~ DE SCBORDl:-
Cette inversion de signes se traduit: 1°) par l'abandon de la nega tion formelle dans la principale et l'emploi. d'une forme verbale surcomposee (have + be -ed) qui, en soi, marque la realite d'un proces mais, associee a Ia subordonnee, exprime l'hypothese, 2°) par l'abandon de la conjonction causale thetique (because) dans la subor donnee au profit de la conjonction hypothetique (if), l'introduction de Ia negation not chargee de signifier la condition negative et Ia transformation de if ... not en but (that). II n'est pas sans interet de relever que but (that) ne peut intro duire Ia subordonnee exprimant la condition negative que si celle-ci fait effectivement suite ala principale en discours. Je n'ai rencontre dans mon corpus aucun cas d'inversion subordonnee/principale. On ne dira donc pas:
(43) "But that the shore was shelvy and shalloW, I had been
drowned.
282
BeT, ~IOHPIII~~tE DE SCBORDl)iATIO);
ANDRE JOLY
On sera tenu de dire: (43') It the shore had not been sheIvy and shallow, I had/would
have been drowned.
La raison en est que but doit, d'une maniere ou d'une autre. entrer en correlation avec un element (cas de l'exception ou de la restric tion) ou un enonce qui lui est anterieur (sur cette contrainte synta xique, d. ci-dessus Ie debut du § 2). 3.6. BUT apres les 1)eTbes de semantisme negatif
Voir § 2.6. pour une description des tours. La presence de but comme introducteur de l'idee regardee s'explique par Ie fait que l'idee regardante est fOTmeUement negative (I don't deny, doubt, question, disown, despair, etc.), comme dans les cas cites prece demment, not so ... but (§ 3.3.), I don't know bnt (§ 3.4.). Mais ici not, negation formelle, est a mettre en rapport avec un verbe de semantisme negatif (negation materielle ou notionnelle), si bien qu'on obtient au resultat une idee regardante positive: I don't signifie « r admit ", I don't doubt, I am sure », etc. But n'est done choisi comme introducteur de l'idee regardee que pour rappeler la negation formelle, sans consideration du contenu resultativement positif de l'idee regardante. NoUonnellement, but equivaut a that avec lequel il peut d'ailleurs alterner : (24) J cmtld not denu bt/t he was right in principle (accord formel avec l'idee regardante) / that he 'was right, . , (accord notionnel avec l'idee regardante), L'absence de negation apres that indique a l'evidence que la subordonnee est pleinement positive, But, voulu par accord formel, a He tres t6t non adequat et des Ie XVIF sh~c1e, parallClement a not doubt but, on trouve not doubt regissant directement la subordonnee. That fera son apparition un peu plus tard, La seule presence de negation notionnelle dans la principale ne suffit pas pour appeler but comme introducteur de la subordonnee, que celle-ci soit par ailleurs positive ou negative: (44) *I deny but I was there.
Mais on dira : (45) I deny that I was (not) there.
Pour que but apparaisse, l'idee regardante doit donc contenir une negation formeHe. Une precision doit toutefois etre apportee a propos de l'expres sion 'tis pity but jouant Ie rOle d'idee regardante et attestee jusque vers Ie milieu du XIX" siecle : (46) They say 'tis pity but all that deal with common women should be served so (Wycherley 1675).
Le recours a but semble infirmer l'idee que cet operateur de subor dination n'apparalt pas lorsque !'idee regardante n'est que notion nellement negative. En effet, avec 'tis pity but, force est de constater que la negation n'est pas formellement presente. Nous serions donc
283
reconduits au cas de deny, doubt, etc. Le cas est cependant distinct. Contrairement aux verbes que je viens de citer, 'tis pity est une locution a caractere m?gatif parce qU'elle implique une idee d'appre dation critique. Le prob1eme de la visee critique qu'emportent cer tains verbes ou certaines locutions (d. en fram;ais regretter, il est dommage que, etc.) a ete traite par G. Guillaume des 1929 dans Temps et verbe (reed. 1965, pp. 30 sq.). Dans Ie mecanisme de 1a subordination, ces verbes et locutions sont des idees regard antes qui, de fac;on generale, signifient soit « trouver bien ", soit « trouver mal », c'est-a-dire qu'ils obligent a prendre une certaine distance par rapport au reel, ce en quoi consiste justement 1a visee critique. Cette distance, qui est une forme de negation, se rend en franc;ais par l'emploi du subjonctif dans la subordonnee, en d'autres termes par une remontee chronogenetique, De la meme maniere, bien quc formellement non negatif, 'tis pity est senti et correctement inter prete comme une idee regardante fondamentalement negativante dans la mesure ou elle inverse Ie contenu de l'idee regardee. La visee est differente de cel1e des verbes de semantisme negatif. De la l'em ploi de but, 4, La systematique de BUT
4.1. Conjonction de subordination, mais aussi preposition excep tive et adverbe restrictif (d. § 3,1.), but donne lieu it une foule de constructions et d'emplois. L'O,E.D. en recense trente-trois, compte non tenu de l'emploi comme conjonction de coordination adversative que j'ai laisse de cote ici, mais qui pourrait faire l'objet d'une etude a part. Toutefois 1'0.E.D. ne met pas ces differentes valeurs en rapport et l'impression dominante, confirmee par 1a pluralite des denominations grammaticales utilisees pour decrire but est qu'il n'existe pas de lien entre elles. Or la diversite qu'on observe a pour seul lieu Ie discours, car en langue cette multiplicite de valeurs se laisse ramener a un signifie de puissance qu'on peut dCfinir comme la faculte de transcender une limite, c'est-a-dire, d'opposer deux lieux, un premier lieu deserte a un second lieu effectivement occupe en pensee. De la decoulent to us les signifies d'effet que pu analy ser ici meme ou dans l'etude a laquelle il est fait reference au § 3.1. 8i but est apte a exprimer l'exception et la restriction, s'il a pu longtemps servir et sert encore d'introducteur de subordonnee, c'est en raison de son signifie de langue, qui fait de lui un exterioriseur et un inverseur par excellence, De la aussi sa relation etroite avec la negation. Relation ambigue, car but n'exprime jamais direciement la negation, il ne fait que 1a suggerer. Ce1a s'explique encore 5i l'on veut bien considerer que but signifie en langue prise de position dans un lieu par desertion d'un autre lieu. Or deserter, c'est creer un vide, donc introduire Ie negatif. On comprend que but, partage entre deux Heux d'ou sa fonction privilegiee de correlatif, de conjonctif _ exprime toujours 1a dialectique du plus et du moins. La-dessus repose 1a complexite de certains emp1ois.
m;T,
4.2. Ce que je voudrais tenter de decrire pour terminer, c'est l'entier du de but, en d'autres termes distribuer les rents emplois les uns par rapport aux autres en les refe rant au de puissance. Existe-t-il un ordre les « difierents» but? Cette question peut aussi se poser en de diachronie : I'ordre d'apparition historiquc des de but a-t-il une raison profonde ou bien est-il Et que! rapport entretient-il avec l'ordre
8
I BUT i --------+
i8
2
83
~
285
DE S\;BOHDJ:\.\TJ())\
lui toute idee regardante impliquant la negation et susceptible d'affecter Ie contenu de la phrase qu'il nominalise. En 8 4 but, qui integre en lUi une phrase en la nominalisant par Ie dehors - et non par Ie dedans, comme le pronom relatif a une fonction pro de celle du subsiantif, c'est-a-dire qu'il est dote de I'incidence interne. Tout au ment aI!t~ge, slgnmer aes rapports ae plUS en refletent les relations impliquees dans Ie mecanisme d'incidence. On a yu que but passe de l'incidence externe de second degre adverbiale) a l'incidence externe de (fonction adjecti vale) pour finir it l'incidence interne (fonction substantivale). Cette double ordination - desemantisation progressive parallelement a un changement systematique d'incidence est tout a fait remar quable.
Comme dans Ie cas de que en _' __ y_'~ \~ •. H"VlgIlt:!l WI
predicativite
~lORPIIE:,lE
84
i
axe de ·subduction adverbe adverbe pronom conjonc et pre- (restrictif) relatif tion position (exceptif)
Quand ala successivite historique de but, eUe reproduit de faGon non moins remarquable la successivite systematique. La saisie 81> qui livre Ie but exceptif, est incontestablement la premiere qui ait ete operee; les attestations de la plupart des tours remontent au moins aux IX" et X" siecles. La valeur restrictive obtenue en seconde saisie est issue de la precedente et n'apparait de faGon certaine que dans Ie courant du XIV" sieele. Quant a La survenance historique de but operateur de subordination, en et elle est encore poste rieure, et l'apparition du pronom relatif est vraisemblablement anterieure a celle de la conjonction (cf. § 2.2.). La plupart des tours ou but est subordonnant sont en effet attestes pour la premiere fois au XVI" sieele.
(S est Ie seui! de predicativite . St. S" etc., representent les saisies successives qui Iivrent les valeurs discursives de but).
8
La saisie en 8 1 un eloignement minimal de la
cativite. Le but que cette interception de l'axe n'est
pas it proprement parler predicatif, mais il emporte un contenu de sens surtout it date ancienne «a utan bCttan d'ou PVf>t>nf';
>
8 2 livre une valeur mecamquemen1 issue de la preceaente, mais par rapport au sens premier de butan. Hut alors comme adverbe avec une signification lexicale proche de celIe de only, « seulement ».
Que la successivite historique reflete assez fidelement la succes sivite systematique n'a en soi rien de surprenant, On conGoit sans que les valeurs desemantis('es aient succede en glossogenie aux valeurs proches de la predicativite. La survenance historique des valeurs de l'article Ie en fran<;ais s'effectue dans Ie meme sens (cf. Guillaume, Langage et science du 1964, pp. 162-163).
La saisie en est moins But pronom relatif n'a pa" un sens qu'on puisse aisement identifier et, correlCltivement, son role grammatical est accru. II est dote a la fois a'un pouvoir d'integration et d'un pouvoir de translation qui lui fait rapporter a un antecedent, a titre d'ajout notionnel, Ia phrase qu'll integre (d. § 1.3.). On obser vera a ce propos qu'en but a deja une fonction translative (a l'endroit de lui-meme) puisque, adverbe, il a une incidence externe de second degre. En 8 a cette incidence est de premier degre.
Pour parachever l'etude de but, dont Ie present article constitue Ie second volet, ii resterait d'une part a situer :>ur l'axe de subduc tion de la Fig. 8 la saisie qui livre la conjonction " adversative)} (ou les saisies qui correspondent a ses differentes valeurs), d'autre part a rendre compte de La lente disparition de certains emplois de ce morpheme extraordinairement polysemique au cours des deux ou trois derniers sieeles. Mais il est peu probable qu'on puisse jamais expliquer ce dernier phenomene.
8 4 est une saisie proche de la pnScedente, mais systematiquemeni encore plus tardive. But est plus dematerialise qu'en 8 : il a perdu 3 sa fonction representative (cL § 1.4.). En revanche, sa fonction inte grative s'est accrue, puisqu'il est capable de nominaliser toute sorte de phrases et qu'il est devenu un apte it laisser passer a travers
Lille.
1
Andre JOLY
A propos des Serments de Strasbourg :
les origines de I'ordre des mots du fram;ais
Pour exprimer d'une fa<;on qui ne soit pas banale notre recon naissance a Gerard Moignet d'avoir bien voulu abandonner un moment ses travaux scientifiques pour participer a la bataille de l'enseignement du fran<;ais a une heure ou nous etions presq ue seuls a la mener, je voudrais, moi aussi, quitter les domaines qui me sont habituels et me placer exceptionnellement dans Ie "ien a l'occasion de l'hommage qui lui est rendu. Abordant la proto-histoire de cette grammaire de l'ancien fran<;ais qu'il a si lumineusement exposee, j'etudierai l'ordre des elements de l,("nonce - suivant Ie titre du dernier chapitre de son livre - dans les Serrnents de Strasbourg. L'observation de base est que l'ordre des mots dans Ie texte roman est curieusement semblabIe a l'ordre des mots dans Ie texte tudesque», c'est-a-dire germanique. L'hypothese est que ce paral Ielisme n'est pas du aux simples circonstances de la redaction, mais repose sur Ie fait que l'ordre des mots de l'ancien franGais - du tres ancien franGais du moins - est fortement influence par Ie super strat germanique. Sans nous arreter aux nombreuses etudes dont Ie texte a fait l'objet (1), mais qui n'abordent qu'accessoirement Ie sujet qui nous occupe, nous commencerons directement par l'examen des faits, en suivant l'ordre meme de Gerard Moignet dans sa Grarnrnaire de l'ancien franc;ais. Mais voici d'abord les deux textes en regard, Ie fran<;ais et Ie germanique. Nous adoptons la disposition instituee par A. Ewert dans son article The Strasburg oaths e): c'est celle qui nous a paru convenir Ie mieux a notre propos. Nous laissons meme subsister la transposition latine proposee par Ewert, car elle fournit des points de repere commodes; peut-eire pourrait-on Ia corriger sur quelques points de detail a la lumiere des rcflexions de H. L. W. (1) Dans
L
un article intitule «Linguistique moderne et enseignement du franr;ais : bluff ou mise en condition? », destine au numero special de la Revue des deux mondes du 15 septembre 1971, qui joua Ie role que l'on sait dans I'affaire du {( plan Rouchette» et de la « commission Pierre Emmanuel ». (2) Transactions 01 thf! philological society (1935), pp. 16-35. A. Ewert pre sente son texte latin comme une reconstruction composite, utilisant la phraseologie de documents similaires, notamment Ie serment de Co blence, qu'il reproduit p. 18, note.
288
FIU~DEruc DELOFFRE LES
Nelson (l) ou de Gerold Hilty e). Mais peu nous importe, Puisque leurs remarques ne portent que sur des points de graphie, et qUe nous ne nous interessons qu'it l'ordre des mots.
(3) «
Die Latinisierung in den Strassburger Eiden», Vox romanica, 25/1, pp. 193-226. (4) « Die Romanisierung in den Strassburger Eiden)), Vox TOmanica, 25/1, 1966, pp. 227-235. Cet article, comme Ie precedent et la plupart de ceux qui sont cites dans la presente etude, m'a ete obligeamment signale par Mme Robert Martin. Sans la bibliographie qU'elJe a reunie pour moi, il m'aurait ete impossible, it cette epoque de l'annee, de m'acquitter de rna contribution. (5) Abreviation de nomen, representant la personne visee. Ewert attrlbue a une mauvaise interpretation de ce sigle la corruption du passage lostanit. 1966,
DE L'ORDRE DES
~IOTS
DU
FRA~(.:AIS
289
"nec ego nec null us quem ego inde retornare possum, noh ih noh thew nohhein then ih es irwenden mag, ne io ne neuis cui eo returnar int pols, 16. *auxilio contra n illi non ero. widhar Karle imo ce follusti ne wlrdhit. in nulla ajudha contra Lodhuwig nun Ii iv er. 15.
1.
•Ad Dei voluntatem et ad POpuli christiani In Gode8 minna ind in thes christanes folches Pro Deo amur et pro christian poblo 2. *et nostrum commune salvamentum,
ind unser bedhero gealtnissi,
et nostro commun salvament,
3. *de isto die inantea, in quantum mih! Deus fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got d'ist dl in avant, in quant Deus 4. 'scire et posse donaverit adjutor ero gewizci indi madh furgibit, so haldih savir et podir me dunat, si salvarai eo 5. 'isti fratri meo n C,) tesan minan bruodher cist meon fradre Karlo et in adjudha et in cadhuna cosa 6. 'sicut homo per drictum esse debet fratri suo, S080 man mit rehtu sinan bruher scal, si cum am per dreit son fradra salvar dift, 7. *in hoc ut iIIe mihi similem promissionem faciat, in thiu thaz er mig so sama duo (MS. soso maduo), in a quid iJ mi altresi fazet, 8. *et ab Lodhario nullum placitum inibo indi mit Luheren in nohheiniu thing ne gegango et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai 9. 'quod, per meam voluntatem, isti fratri meo n (.,) the (MS. zhe), minan wilIon imo qui, mean vol, cist mean fradre Karle 10. 'in damno sit. ce scadhen werhen.
in damno sit.
11. *Si n sacramentum, quod fratri suo fi juravit, Oba Karl then eid. then er sinemo bruodher Ludhuwige gesuor, Si Lodhuuigs sagrament, que son fradre Karlo jurat, 12. *conservat, et n meus senior,
geleistit, indi Ludhuwig min herra
conservat, et Karlus meos sendra
13. 'quod suo fratri n juravit. infrangit,
then er imo gesuor. forbrihchit,
de suo part non (MS. il) lostanit,
14. *si ego ilIum inde retornare non possum;
ob ih inan es irwenden ne mag,
si io returnar non hnt pois,
ORIGI~ES
1. LE SYNTAGME NOMINAL La preposition precede toujours, dans notre texte, Ie syntagme nominal; ceci est vrai de ab (ab Ltkther); de (d'ist di ... ; de suo [sua] part); in (in aiudha et in cadhuna cosa; in damno; sans compter in avant et in quant) ; pro (pro Deo amur et pro (...) salva ment). II en est de meme pour les expressions correspondantes du texte germanique; de meme aussi dans Ie texte latin tel que M. A. Ewert l'avait reconstitue e). Nous n'insisterons pas sur ce point, qui ne fait pas difficulte. Pour Ie syntagme nominal lui-meme, on distinguera les cas de rection et d'accord. Les groupes en rection II s'agit des complements de nom. On en a deux exemples dans les Serments, l'un et l'autre au debut du texte :
Pro Deo amur et pro christian pablo et nostro commun salva ment Pro Deo amur, pour l'amour de Dieu, constitue un exemple classique d'ordre «regressif du complement de nom. Il est signale par Gerard Moignet (Ii), qui en donne d'autres exemples similaires, avec des noms tels que Dieu ou roi pour complement, auxquels il faut ajouter ceux qu'aUegue Tobler (1), egalement avec Dieu et roi comme complements de nom. Le second exemple, moins souvent remarque, est constitue par
pro christian poblo .. , salvament. Le fait que poblo, cas oblique, sans article, soit complement de nom - et non pas complement pre positionnel dependant de pro - est atteste par la version germani que ou il s'agit manifestement d'un genitif :
In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gealtnissi (6) Grammaire
de l'ancien francais, p. 349. Casus oblicus 1m Sinne des possessiven Genltivs dem regierenden Worte vorangestellt », Vermischte Beitriige zur jranzosischen Gramma tik, I" serie, n° 11, 1921, pp. 71-77.
(7) {(
10
290
FRU)I~H1C DELOFFRE
II y a la un cas assez remarquable d'inversion du complement de nom, lequel se trouve sur Ie meme plan que les mots en accord: nostro commun. C'est un premier parallelisme avec Ie texte germa nique; parallelisme aussi, peut-etre, avec un texte latin dont pro viendraient les deux textes en langue vulgaire, puisque rien ne s'opposerait en latin it l'ordre du texte. En tout cas, seul l'ordre n?gressif est sur ce point atteste dans notre texte.
Les groupes en accord Le principe formule par Gerard Moignet: « Les elements for mels precedent les elements notionnels." (Grammaire de l'ancien fran<;ais, p. 343) peut etre applique ici de fac;on con stante. Mais notons d'abord un absent de taille, l'article (K), qu'on attend pour tant devant christian poblo et surtout devant Ie mot sagrament defini par une relative determinative (Si Lodhuuigs sagrament que son fradre Karlo jurat, conservat). Ceci est d'autant plus curieux que Ie texte germanique contemporain Ie comporte chaque fois (in thes christa.nes folches ... ; then eid, then er . ..). Restent les demonstratifs et possessifs, ioujours anteposcs. A savoir les demonstratifs ist (d'ist di in avant) et cist, lequel a priorite sur Ie possessif (cist meon fradre Karlo). LC' texte germanique est chaque fois exactement parallele, a savoir fon thesemo dage et thesan minan bruodher Les possessifs sont toujours anteposes dans les deux textes. Soit, outre Ie cist meon fradre deja cite: nostro commun salvament, son fradra, mecm vol (germanique: minan willon), son frad1'e, meos sendra, de suo [sua] part. A noter que Ie texte latin elabore par Ewert, comme on l'a dit, sur la base de textes latins attestes de serments a peu pres contemporains, comporte en proportion a peu pres egale la postposition (4 exemples) et l'anteposition (4 exemples) de l'adjectif possessif. ({ Certains adjectifs pronominaux qui generalement excluent l'article (...) precedent egalement Ie substantif» (ibid., p. ::l43). Les trois adjectifs indefinis du texte confirment cette remarque: in cadhuna cosa, nul plaid, in nulla ajudha. Le seu] adjectif correspon (8) Peut-etre est-il present dans Ie passage corrompu lojtanit ou lostanit, dans Iequel 101 pourrait representer 10 suen ; mais on a propose aussi de faire de 10 Ie pronom et de s wit un datif ethique (?) soit un element constitutif de la forme verbale qui suit (ostanit ?). (9) L'expression ne se trouve qu'une fois; la seconde fois qu'apparait Ie franc;;ais cist meon lradre, Ie texte germanique Ie remplace par Ie pro nom imo.
LES
ORlGl~ES
DE I.'ORDnE DES ,lOTS DF FRA};(,:AIS
291
dant du texte germanique (qui n'a d'cquivalent exact ni pour in cadhuna cosa ni pour in nulla ajudha) est egalement antepose, dans in nohheiniu thing. « L'adjectif, quand il cst anteposc, classe Ie nom, avant sa defi nition precise, dans certaines categories gEmerales : grandeur, valeur (...), rang social ... » (Moignet, ibid., p. 345). L'adjectif postpose, au contraire, apporte une qualification tardive, Ie plus souvent par ticularisante» (p. 345). Les deux seuls adjectifs qualificatifs du texte fran<;ais sont anteposes, dans christian poblo et dans nostro commun salvament. Le texte germanique comporte la meme disposition (thes christanes folches ; unser bedhero est un groupe au genitif plurieI). A noter que Ie texte latin de Ewert n'antepose l'adjectif qu'une fois (ad nostrum commune salvamentuml, et Ie postpose dans l'autre cas, suivant l'usage normal bien atteste par ailleurs (populi christiani, cf. populus romanus, etc.).
Quelques conclusions tres claires se degagent de cette premiere partie de l'examen : l'ordre des mots du texte fran<;ais est tres gene ralement du type « regressif », c'est-a-dire que Ie determine suit Ie determinant; il est toujours d'accord sur ce point avec Ie germani que tel que Ie texte des Serments Ie presente, tandis que Ie texte latin reconstitue est loin d'obeir a un ordre aussi strict. Karl Mi chaelsson avait pose la question: «L'anteposition de l'adjectif epi thete en franc;ais est-elle due it l'influence germanique? » eO). II y repondait negativement. Les observations qui precedent ne confir ment pas ses vues; il est vrai qu'elles reposent sur trop peu de donnees pour etre decisives.
2. LE SYNTAGME VERBAL Sous ce titre, no us etudierons essentiellement la place du verbe dans la phrase (en proposition principale, en proposition subordon nee introduite par un conjonctif). Le verbe, disait Gerard Moignet (ibid., p. 350) « peut constituer Ie noyau d'un syntagme qui peut comporter des formes nominales de verbe, participe et infinitif, des pronoms conjoints et des adver bes ». Dans la prose du debut du XIII" siecle, ajoutait-il, Ie verbe auxiliaire ou semi-auxiliaire precede gencralement Ie participe et l'infinitif ». Mais antcrieurement, et surtout en vel'S et dans les chansons de geste, les formes nominales du verbe peuvent ah;;e ment preceder les formes personnelles de I'auxiliaire». Cette der niere vue cst entierement confirmee par notre texte: savir et podi1 me dunat, salvar dift, mi altresi fazet, nunQ1wm prindrai, in damno (10)
Melanges de linguistique of/erts
a Albert
Dauzat, Paris, 1951, pp. 215-223.
292
FHImI::RlC DELOFFHE
sit, ... retornar non l'int pais, eo returnar int pais, li iv er (11), autant de formules dans lesquelles Ie verbe personnel suit des infi nitifs, des adverbes et des pronoms. Dans tous ces cas, la similitude avec l'ordre des mots dans Ie texte germanique est lrappante. Nous y reviendrons, mais il faut affiner l'analyse en recourant a une distinction entre l'ordre des termes en proposition prineipale et en proposition subordonnee. Celle-ci, qui n'a guere d'importance en latin, en a au contraire beau coup en germanique, et specialement en haut allemand, Ie francique rhenan en l'occurrence. En proposition prineipale, Ie verbe apparait une lois, dans notre texte, en position mediane; plus precisement, dans ce premier exemple, la phrase commen!;ant par toute une serie de complements (prepositionnels, Pro Deo amur... et conjonctionncls: in quant Deus . ..), ceux-ci sont repris par St, ce qui entraine l'inversion du si salvarai eo cist mean fradre Karla; a noter que Ie pronominal, est exprime (eo), peut-etre avec valeur d'em phase. Dans les autres cas, il apparait en position finale; a savoir une fois en finale absolue :
in nulla ad'iudha contra Lodhuwig nun Ii iv er et une fois en fin de proposition, mais avec Ie developpement d'un complement antepose au verbe (plaid) par une proposition relative: et all Ludher nul plaid nunquam prindrai qui, mean vol, cist mean fradre Karle in damno sit Dans les deux cas, Ie sujet n'est pas exprime, apres l'avoir He precedemment dans d'autres propositions: soit dans la subordonnee (si io ... ne io ...) soit dans la prineipale precedant celle aui nous interesse et coordonnee avec elle (salvarai eo). Sur ces differents points, Ie texte germanique offre une corres pondance quasi parfaite : a si salvarai eo repond so haldih (12), a nul plaid nunquam prindrai repond in nohheinieu thing ne gegango, tandis qu'a la position finale de er fait pendant celle de wirdhit.
LES ORIGINES DE I.'ORDRE DES ~!OTS DU FRA:\,~~AIS
293
si cum am per dreit son fradra salvar dift soso man mit rehtu sinan bruher scal (l!l) in a quid il mi aItresi fazet in thiu thaz er mig so sama duo qui, mean vol, cist mean fradre Karle in damno sit the, minan willon imo (H) ce scadhen werhen Si sagrament (...) conservat Oba Karl then Eid (...) «<;;,,<;;lO,CH que son fradre Karla jurat then er sinemo bruodher Ludhuwige gesuor et (sous-entendre sil Karlus meos sendra de suo (sua] part non los tanit (1~') indi [sous-entendre oba] Ludhl1w'ia min herra then Eid then er imo gesuor (l fi), forbrihchit si io returnar non l'int pois ob ih inan es irwenden ne mag (neuls] cui eo retornar int pois [nohheim], then ih es irwenden mag On sait que cet ordre, predominant en haut allemand, est devenu de regIe en allemand moderne. Qu'il soit constamment observe dans Ie texte fran<;ais est un fait significatif : d'autant plus qu'il est loin d'etre aussi predominant en latin c1assique, ou meme en latin de chancellerie du IX" siec1e. Les sacramenta conserves de l'epoque, qui sont en latin, comportent a peu pres autant d'exemples ou Ie verbe n'est pas a la fin que d'exemples ou il l'est, et preeisement dans des formules toutes proches des notres (17). Cela renforce la valeur probante de l'usage que l'on a constate ici. (13) Le texte allemand ne repete pas l'infinitif haldan, mais seulement
l'auxiliaire.
(14) L'allemand
emploie Ie pronom personnel au lieu de reprendre la formule complete.
soit l'interpretation donnee a ce passage corrompu, Ie Bens (15) Quelle est ( n e tient pas Ie sien) et Ie fait que Ie dernier mot est un verbe n'est conteste par aucun des commentateurs. (16) Le franc;ais n'a pas d'equivalent a cette relative, G. Waitz, Deutsche Ver!assungs (17) Ewert (art. cit., p. 22) cite, geschichte, IIIll (Die Ver!assung
jriinkischen Reichs) ; II., 289-301,
etc., des phrases comme les suivantes : Ab ista die in ante .fidelis ero
Meme parallelisme etroit en position subordonnee. lei, la ten dance n'est pas equivoque: Ie verbe de la propositioh subordonnee est touiours a la fin, tant en fran<;ais qu'en germanique :
in quant Deus savir et podir me dunat so fram so mir Got oewizci indi madh furgibit
(11) Nous
interpretons - sans certitude tv (plutot que iu) comme ibi. On pourrait songer a y voir un equivalent de eo, io (je), qui apparaissent plus haut. Mais, outre que la difference de graphie s'expliquerait mal, l'ordre des mots ne nous paraitrait guere naturel. (12) Haldih est une forme contractee (verbe + pronom sujet).
secundum meum savirum sicut Francus homo per rectum esse debet suo regi . , . ; jidelis era N. imperatori per rectam fidem secundum meum scire et posse . .. ; adjutor ero ei secundum meum scire et posse, sicut per drictum debet esse homo domino suo; In quantum ego scio et Intel lego ab isto die in antea ; a cote de in quantum mihi Deus intellectum dederit. Dans Ie texte du serment de Coblence, prononce en 860, repro
duit par A. Ewert, p. 18, note 2, Ie verbe est median dans les deux seules propositions principales, final dans une dizaine de propositions subor donnees conjonctives. Mais 11 est a noter, comme Ie dit Ewert, que « the Latin is held to be a translation from the German, mainly on the ground of certain germanisms )l. Du reste, Ie fait que cet ordre soit pra tique dans les actes latins de la chancellerie germanique des merovin giens ou des carolingiens ne peut en aucune fac;on aller c~ntre la these qui voit dans cet ordre un trait proprement germanique !
294
FIUml~RIC DELOFFRE
LES ORIGj:-':ES DE L'ORDRlc DES ~IOTS Ill' FIUl'>~:AIS
LA PLACE DES PRONOMS PERSONNELS Une attention speciale doit etre attachee a la place des pronoms personnels, celle-ei etant en franc;ais tres particulh~re. Le pronom sujet II est toujours exprime dans Ie texte germanique: il l'est en general dans Ie texte franc;ais. On l'y trouve : a) en position forte, en tete d'une proposition prineipale prece dee d'un systeme hypothetique (ne io ne neuls, § 15) ; meme chose en germanique (noh ih ...) ; b) inverse, comme on l'a vu, dans une proposition principale commenc;ant par des complements: si salvarai eo (germ.: so hald ih] ; c) en tete, juste apres le (;onjonctif, dans les pr0positions cir constancielles suivantes : in a quid il mi altresi fazet [germ. : in thiu thaz er mig so sama duoJ si io returnar non l'int pais fgerm. : ob ih inan es irwenden ne magJ (ne io ne neulsJ cui eo returnar int pais [germ. : (noh ih noh thero nohheim) then ih es irwenden mag) cas auxquels on peut ajouter Ie suivant, si l'on considere qu'om est deja sur Ie chemin qui l'amimera a devenir un pronom : si cum om per dreit Son fradra salvar dift (germ. : rehtu sfnan bruher scalJ.
8080
man mit
Le pronom sujet n'est pas exprime dans Et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, phrase coordonnee a si salvarai eo, Le germani que n'emploie pas ici davantage Ie pronom (indi mit Luheren in nohheiniu thing ne gegango).
295
place au debut de la phrase, immediatement apres Ie pronom sujet, s'il existe, et meme une fois directement aprcs Ie conjonctif (so fram so mir Got), En franc;ais, au contraire, il est place en position « con », immediatement avant Ie verbe, sauf dans l'exemple suivant : in 0 quid il mi altresi fazet, identique a l'ordre du germanique in thiu thaz er mig so sama duo Ce qui peut s'expliquer par Ie fait qu'altresi fazet correspond idee simple.
a une
Voiei les trois autres exemples, avec l'equivalent germaniqu'2 entre crochets, d'abord avec un seuI pronom complement: in quant Deus savir et podir me dunat [so fram so mil' Got .. puis avec deux pronoms : si io returnar non l'int pais rob ih inan es irwenden ne mag) in nulla aiudha contra L. nun Ii iv er [widhar K. imo ce follusti ne wirdhit]. Les deux derniers exemples comportent, outre Ie pronom per sonnel proprement dit, la premiere fois comme complement d'objet direct, accusatif en germanique, la seconde fois comme complement indirect, datif en germanique, les formes de pronoms-adverbes int et tV (si l'on interprcte cette forme comme issue de iti, ce que, pre cisement, l'ordre des mots confirme fortement). Comme en franc;ais moderne, ces pronoms adverbes s'in::;erent - et sont les seuls termes a pnuvoir s'inserer - entre Ie pronom personnel et Ie verbe. Dans Ie texte germanique, comme en allemand moderne, ce genre de pronom adverbe es (pas d'equivalent a iv iei) se place apres Ie pro nom personnel proprement dit, c'est-a-dire, ctant donne la place de ce dernier, qu'il n'est pas forcement conjoint au verbe.
On saisit iei une des caractcristiques de la syntaxe du franc;ais, II n'est pas exprime dans la relative que son fradre Karlo jurat,
alors qu'il l'est cette fois dans Ie germanique (then er sfnemo bruod a toute epoque, l'usage de pronoms «conjoints» habituellement her Ludhuwige gesuor). anteposes a la forme verbale. Des considerations complexes de phonetique syntaxique donnent ici au franc;ais une place it part, meme parmi les langues romanes. II est difficile de tirer des conclusions de ces exemples assez
peu nombreux. IIs correspondent a l'usage du plus ancien franc;ais,
On peut seulement emettre l'hypothese que la generalisation du
pronom sujet en roman a pu etre favorisee par Ie contact avec Ie
CONCLUSION germanique, qui l'emploie plus couramment que Ie latin.
Le pronom personnel complement
Pour interpreter correctement ces observations, un certain nombre de remarques peuvent encore etre faites.
Les deux textes comprennent quatre exemples paralleles qui permettent de compareI' l'usage des deux langues.
Certes, une correspondance etroite entre les deux textes a etc recherchee par les redacteurs, soit qu'iIs aient travaille sur un texte latin commun redige d'abord, soit pour toute autre raison. Cepen dant, cette similitude ne va jamais jusqu'a une transposition servile, comme celle qu'on remarque, par exemple, dans la traduction gothi
Dans Ie texte germanique, conformement a ce qui se passe encore en allemand mod erne, Ie complement direct ou indirect est
296
LES OHlGI:\ES DE r;Of\DnE DES ,lOTS DC FfL\;\CMS
FRI~])I'H1C DELOFFRE
que de la Bible (18). A plusieurs reprises, on a releve en note des divergences touchant au detail du texte, ou des differences concer nant certains aspects de l'ordre des mots, tels que la place des pro noms personnels complements. Du reste, s'il importait evidemment que Ie texte des deux serments fut senti comme rigoureusement equivalent, il ne pouvait etre question de prononcer devant les armees ou a plus forte raison de leur faire prononcer un texte qui ne leur parut pas ecrit dans un langage naturel. Comme l'ecrivait Mario Roques « A Strasbourg, i1 s'agissait d'ailleurs de declarations a faire comprendre d'embh~e des auditeurs, qui devaient les accepter et les repeter pour leur compte. lei un texte latin n'etait plus de mise, des traductions calquees sur Ie latin pas davantage, et non plus des calques d'une langue vulgaire sur l'autre (20). Il a fallu rroiger des textes par alleles, directement ou a l'aide d'un mOdele latin ou vulgaire, en les formulant dans l'esprit et pour l'intelli gence de ceux auxquels ils s'adressaient. » II est encore plus significatif que lorsque Ferdinand Brunot donne une transposition en fran<;ais du XI" sieele de la version romane des Serments, il n'eprouve aucun besoin de modifier sur quelque point que ce soit l'ordre des mots du texte ; voiei d'ailleurs cette version : Por Dieu amor et por del crestiien people et nostre comun salvement, de cest jorn en avant, quan que Dieus saveil' et podeir me donet, si salverai jo cest mien fredre Charlon, et en aiude et en chascune chose, si come on par dreit son fredre salveir deit, en <;0 que il me altresi facet, et a Lodher nul plait onques ne prendrai, qui mien vueil cest mien fredre Charion en dam seit. Se Lodevis 10 sairement que son fredre Charlon jurat, con servet, et Charles, mes sire, de soe part 10 soen ne tient, se jo retorner ne ren puis, ne jo ne neuls cui jo retorner en puis, en nule aiude contre Lodevic ne li i ier.
On peut encore observer que si l'ordre des mots du latin s'accorde aisement, sur quelques points, avec celui du texte roman, par exemple en ce qui concerne l'anteposition du complement de nom, sur d'autres il en differe sensiblement. On ne peut dire, par exemple, que l'adjectif possessif soit normalement antepose en latin. On ne constate pas non plus dans cette langue, avant que ne s'exer cent les influences germaniques, de difference radicale suivant que Ie verbe se trouve en proposition prineipale ou en subordonnee: dans ce dernier cas, la position finale est loin d'etre exclusive comme c'est iei Ie cas. A titre d'indication, la position finale du verbe, chez Saint-Augustin, qui est en moyenne de l'ordre de 25 Q/ o des cas (~1), (18) Voir la these de Jean Fourquet, L'ordre des elements de la phrase en germanique anCien, Etudes de syntaxe de position, Strasbourg, Impri merie Alsacienne, 1938, in-8°, 299 pp. (19) ({ Les serments de Skasbourg », Medium Aevum, t. V (1936), pp. 157 et suiv. (20) C'est nous qui soulignons. (21) Ce chiffre m'est aimablement communique par mon collegue J. Helle gouarc'h.
297
ne comporte pas une proportion de position finale en subordonnee beaucoup plus considerable qu'en proposition principale 8i l'on considere que Ie parallelisme de l'ordre des elements de l'eno entre les deux textes n'est du essentiellement ni a une nce transposition mot a mot, ni a une influence de l'ordre des mots latins i1 reste a se demander queUes sont les raisons de cette etroite parente. Comme il est hors de question que l'ordre roman r ait influence l'ordre germanique, il reste pour expUque l'ordre roman tel qu'il apparalt deux hypotheses: celle d'un substrat et celle
e"),
d'un superstrat.
Le seul substrat auquel on puisse penser serait Ie gaulois. Or, un
eminent specialiste comme M. Guyonvarc'h tient cette hypothese
pour tres peu vraisemblable. Certes, on sait tres peu de chose sur
l'ordre des elements de l'enonce dans cette langue. Mais ce qu'en
seigne la linguistique comparee ne va nullement dans ce sens. Le
point Ie plus frappant est celui de la position finale du verbe lorsque
la phrase commence par un element conjonctif c'est-a-dire Ie plus
souvent un relatif ou une conjonction issue d'un relatH - ; or, Ie
systeme du celtique, represente par l'irlandais ancien, ne confie pas
ici la marque de la subordination a un outil special que noUS appe
Ions relatif, mais a un indice verbal, c'est-a-dire a une modification
suffixale du verbe; et, dans ce systeme, Ie verbe se trouve natu
rellement appele a ouvrir la proposition subordonnee 1 Ce nui est
contraire, precisement, au systeme que nous avons trouve.
Reste l'hypothese d'une influence du superstrat germanique. Elle est loin d'etre nouvelle, nous le savons. Mais elle est surtout invoquee, par exemple par Ferdinand Brunot dans sa magistrale Histoire de La Langue fran~aise, t. I, a propos du vocabulaire ou de (22) A titre de verification, dans un texte de prose courante de la Peregri natio Aetheriae, 1-3 (V" siecle), voici les chiffres concernant la place du verbe ; soit, en proposition principale, 14 exemples de la position me diane (comparable en general a celle du franc;ais moderne), 1 exemple de la position initiale, 4 exemples de la position finale et, en proposition subordonnee, 17 exemples de la position mediane, ou initiale et 17 exem pies de la position finale. Dans quatre cas, Ie verbe est seul avec Ie subordonnant. Ces chiffres sont tres eloignes de ceux des Serments de Strasbourg, et peu eloignes, au moins en proposiUon principale, de ceux qui apparaitraient dans l'equivalent du meme texte en fran<;ais moderne. (23) Nous ne partageons pas l'avis de M. Ruggiero Ruggieri qui attribue a I'({ influence latine» les exemples d'« inversion syntaxique» des deux textes vulgaires (( La stratigraphie linguistique interne des Serments de Strasbourg», TravauX de linguistique et d.e litterature, III, 1, 1965, pp. 81-92) ; nouS avons disc ute en detail tous les exemples d'inversion qu'il cite pele-mele, pp. 84-85. Au contraire, A. Tabachovitz va dans notre sens en considerant que la langue des deux textes est « en accord avec l'usage linguistique idiomatique de l'epoque» et que leur compa raison doit « se fonder sur ce qu'on sait ou ce qu'on peut presumer avoir ete l'etat linguistique fran<;ais resp. allemand a I'epoque» «({ Les Ser ments de Strasbourg », Vox romanica, XVII, 1958, pp. 36-61, et specia lement p. 52). 10'
298
FHJ':DI~HIC DELOFFHE
la phonetique. Or, precisement, Ie vocabulaire de la version romane des Serments de Strasbourg est entierement d'origine Iatine, aux noms propres pres (de meme que Ie vocabulaire de la version tudes que est entierement germanique, au mot christan pres). C'est a propos de l'ordre des mots que l'influence germanique nous paralt, de loin, la plus importante. Si notre hypothese est exacte, cette influence aurait fortement contribue a enrayer l'evolution tres avancee de l'ordre des mots des types conformes a la sequence « regressive» (determinant determine) aux types conformes a la sequence « progressive» (determine - determinant). II y a la un si vaste domaine, et nous sommes si peu qualifies pour y faire autre chose qu'une incursion rapide en hommage a un grand romaniste, que nous preierons laisser a d'autres, s'ils Ie jugent bon, Ie soin de confirmer ou d'infirmer notre impression I).
e
Paris.
Frederic DELOFFRE
Sur la valeur de la graphie nevoid, nevuld dans Ie manuscrit d'Oxford La forme issue du lat. n e p 6 tern «petit-fils», « neveu", se rencontre, dans Ie manuscrit d'Oxford de la Chanson de Roland, quatorze fois (I) avec la seconde des deux ~ignifications et, a deux exceptions pres, elle est toujours ecrite avec une I que ne justifient ni l'etymologie ni h~volution phonetique; nevoId 824, 121 g, 2870, 3109, 3182, 3689, 3754, pI. nevolz 2420, nl?vuld 216, 2876, neuld 2894 (2) et 171 Les deux exceptions sont les suivantes ; - PUT rnun neud que vuldTeie tTW)eT 2859 fol. 521''', ligne 3) ou les editions de Bertoni, de Roncaglia et de Segre conservent a (1) Cf.
(24) En achevanL la correction des epreuves, no us pouvons profiter de quel ques remarques faites par notre co!legue Paul Valentin. Ligne 4. gewizci et madh sont des substantifs ; para!lelement, savir et podir doivent sans doute etre consideres comme des infinitifs substantives; c'est aussi I'avis de notre collegue Robert Martin. Le redoublement de la negation dans in nohlleiniu thing ne gegango est normal. « L'ensemble est libre et tres idiomatique par rapport au roman.» Ligne 11, gesuor est un preterit (forme perfective en ge-, cf. geleistit) : ce qui confirme que jUrat doiL etre considere comme un parfait (jural. Ligne 15, thero est un genitif plurlel, antecedent de then. Conclusion de M. Valentin: « Le texte allemand donne une assez nette impression de naturel (sauf pour la longueur et la complexite des phrases : mais nous sommes dans la langue des juristes). Donc rien ne s'oppose it ce qu'on Ie considere soit camme l'original sur lequel Ie roman aurait ete traduit, soit en tout cas comme Ie resultat d'une redaction libre, it partir d'un original latin par exemple. La tradUction du traite d'Isidore qU'etudie F'ourquet [N.B.: op. cit., chap. III) est precisement un modele remarquable, et longtemps unique, de cette maniere de faire. »
Ie releve exhaustif des occurrences de cette forme dans Ie glossaire de L. Foulet (dans J. Bedier, La Chanson de Holand, Commentaires, 1927l. Dans les pages qui sui vent, je renvoie aux vers et aux laisses du Roland d'apres I'admirable edition critique procuree par Cesare Segre (Milano-Napoli, 1971) et ou I'on trouvera aussi Ia bibliographie des autres editions que rai utilisees (pp. XXXVII et XLIX-LID. L'edi tion de Leon Gautier dont je me suis servi est la 8' (1887), reimprimee en 1920 ; celle de L. Cledat, la 9", chez Garnier, s.d. ; celle de Hilka et Rohlfs, la 7· (1974). Quant aux Extraits de la Chanson de Roland publil:~s par Gaston Paris, je renvoie a la 11' edition, chez Hachette. 1911. A ajouter it la bibliographie de Segre l'ectition de Gustav Grober dans la Bibliotheca romanica, n'" 53-54, Strasbourg, Heitz, s.d. (parue entre 1905 et 1910), qui a Ie merite d'etre une premiere edition fidele (mais non diplomatique comme celle de Stengel, Heilbronn, 1878) du manus crit d'Oxford (v. Grober, ib., p. 13L (2) La forme neuld, reproduite fidelement telle quelle par Bertoni, Ronca glia et Segre, et corrigee sans doute inutilement en ne[v1uld par Grober et par Hilka-Rohlfs, est transcrite it tort nevuld (sans indica tion de la forme manuscrite) dans les editions de Gautier (manque dans Ie glossaire), de Bedier (mais Foulet, gloss., neuld) et de Moignet, et nevolt dans celie de Jenkins. (3) II est vrai qu'au vers 171 Richard Ii velz e sun ne[uld] Henri (fol. 4'°, 2" ligne), la deterioration du parchemin en avant d'une cassure du feuillet anterieure a la copie (aussi au verso, v. la reproduction photo typique du ms. editee par Ie Comte Alexandre de Laborde, SATF, 1933) ne laisse apparaitre, apres un ne demeure net (et non neu Roncaglia, Segre), que de legers vestiges d'un u et d'un I, mais Segre a recanstitue avec raison neuld, tandis que les autres editions supposent nevoId (de meme Ch. Samaran, Romania 55, 1929, p. 405, et ed. phototypique de Laborde, p. 43; Muller et Gautier n.evuld; Hilka-Rohlfs nelvoldJ), sans que, it la suite de ne, il y ait assez d'espace pour quatre Jettres (Grober ne non complete, avec note; « rasure apres ne»; de meme Foulet, gloss.).
300
(;(COH(;ES STR.\K.\
titre neud sans! (de meme Grober et Hilka-Rohlfs ne[v]ud), tandis que les trois editions frant;aises Ies plus repandues reconstruilSent a tort, avec I, nevuld (Gautier; dans Ie glossaire cette occurrence manque) ou nevoId (Bedier [Foulet, gloss., donne pourtant la forme du manuscrit] ; Moignet qui, en note, prend neud pour une abrevia tion; sur la transcription de Cledat, v. ci-dessous, note 8) ; - Guard(et) a la tere, veit sun nevod gesir 2885 (fol. 52\°, 1"" ligne) ou, cependant, il s'agH, d'apres Ch. Samaran (I). d'une retou che due au reviseur d'un nevoId primitivement ecrit ot que toutes les editions adoptent, y compris celIe de Serge (seules les editions de Stengel 1900 et de Grober conservent nevod ; Foulet, gloss., nevod ; Th. Miiller:! nevuId, mais apparat critique nevod; Gautier nevuld, mais gloss. nevod s.v. nies et nevoid s.v. nevuld). 1. nevoId, nevuld dans la langue du copiste.
II est evident que I'l, dans Ies formes en question, ne pouvait pas avoir Ia valeur phonique de [I]. Leon Ch~dat parIaH de « la forme etrange nevoId ) (gloss. de son ed., p. 239 b). Hermann Suchier (La Chanr;un de GuilleIme, 1911, p. XXII), dont l'avis a ete adopte par Joseph Bedier, pensait qu'il fallait interpreter cet 01 comme une fat;on particuliere de noter la diphtongue ou », et Bedier voyait cette meme diphtongue aussi dans nevuld (Comrnentaires, p. 259). En revanche, pour Gerard Moignet a qui nous devons une edition de la Chanson de Roland dont l'interet reside surtout dans Ies notes linguistiques et Ia traduction, 1'1 serait « purement graphique dans nevoId, nevuId» (p. 281), tandis que, dans une note au bas du v. 171, l'editeur semble se contredire en interpretant -ld a la maniere de Bedier comme « une graphie de -ud final» (p. 36). L'interpnhation de Bedier et la seconde interpretation de Moi gnet attribuent a 1'1 Ia valeur de ['11,1. ce qui est surement juste C), mais elles supposent, dans la langue du copiste, l'existence de Ia forme francienne nevout, avec diphtongaison de [oJ ferme en [0'11,], ce qui est difficile d'admettre chez un copiste ang10normand (ou un auteur normand) ; on sait que la diphtongaison de [6] n'a pas atteint la Normandie (U), ni, a plus forte raison, Ie norm and d'Angleterre, et que, dans ces domaines, les [6] fermes, accentues et inaccentues, libres et entraves, sont tous devenus ['11,] qui est generalement note u (1). On ne peut pas non plus voir dans ot un contrepel du digraphe 55, p. 406, et ed. phototypique de Laborde, pp. 22 et 49. (5) On salt que la vocalisation de 1'1 implosive remonte au VII< siecle, v. surtout les arguments irrHutables fournis deja par Meyer-Lilbke, Hist. Gr. der franz. Spr. I, 4 e ed., 1933, § 169, pp. 137 -138. (6) Fouche, Phon. hist., p. 306. V. encore ci-dessous, note 18. (7) C'est en effet la graphie norm ale dans Ie ms. d'Oxford (BMier, Comm., p. 256). Toutefois, on y trouve trois fois la graphie ou pour 0 inaccen tue : Il Ie fait pendre 0 ardeir ou ocire 3670 « aut ; ailleurs u, par ex. 1880), S'it troevent ou, bataille quident rendre 3004, S'il troevent ou, bataille i ert mull grant 3025 (dans les deux derniers cas, ou, de ubi, (4) Romania
SEHJ1.fI. STi\TUJ lJA:\S I.E ~IS. f)'OXFOHD
301
au exprimant Ia voyelle ['11.], comme ce sera Ie cas ulterieurement, par ex. dans coldre coudre» dans Ie ms. A d'Eneas 7086, de Ia fin du XIIP siecle ou du debut du XIII" (Est de 13. France, mais certains traits de l'Ouest). En effet, a cote de nevoId, Ie copiste ecrit n(?vuld et neuld, or ni }'interpretation de Bedier par la diphtongue [0'11.], ni ceUe, que je viens de rappeler, par ou= ['11,] ne rendent compte de la sequence ul dans laqueUe on ne peut surtout pas voir un Si, au contraire, on adopte Ie point de vue de Moignet sur 1a valeur purement graphique de 1'1 dans nevchl, nevvJd, cette I n'aurait eu aucune valeur phonique et Ie mot aurait ete prononce [nevo(t)], nev'u(t) (~). Mais pour quelle raison cettE' l purement gra phique aurait-elle ete notee ? VI etymologique aurait-elle ete muette eUe aussi en position implosive? On a certes reIeve trois ou quatre cas d'omission de l: enca[llcereni 1660 (Segre p. 305; ed. Bedier encacerent 1670, et non v. 1627 qui, indique au glossaire, correspond aux editions Fr. Michel, Th. Miiller, Stengel [encacentJ, Gautier [encaLderentJ), ad encha[qcet 2785, Ii mie[l]z gv.a.riz 2473, ainsi que 147 (sur ce cas, v. Segre, p. 26), mais ce sont des cas isoles, de simples fautes de cop ie, et l'edition Segre restitue 1'1 avec raison entre crochets (ii). Partout ailleurs I'l implosive est systematiquement notee, et bien qu'on ne rencontre pas encoro un seul cas de notation u (10), l'l implosive etait, a l'epoque de l'execution du manuscrit d'Oxford (entre Ie 2" quart du XII" siecie et ca. 1170), depuis temps vocalisee en ['IL] (cf. ci-dessus note 5, ainsi que l'avis de Moignet lui-meme, p. 281 ; v. aussi la forme healmes 683, 712, a cote de (h)elmes, avec a qui suppose la vocalisation).
transforme en oi par grattage du second jambage de l'u. cf. Bedier. Comm., p. 232, et Samaran, ed. phototypique, p. 49; ailleurs u 108. 2402-4, 0 2667. 2676). De meme, Ie scribe ecrit ou systematiquement et ceci ne semble pas avoir ete suffisamment remarque (cf. Bedier, Comm., p. 256. Moignet, p. 279 ; v. cependant G. Paris, Extraits, p. 10, § 28) dans dous « deux» et amsdous, ansdous (v. les nombreuses occurrences dans Ie glossaire de Foulet s.v. ambedui et dous). et la encore, 5i cette graphie do it etre attribuee, non pas a l'auteur (v. ci-dessous), mais au copiste, il ne s'agit vraisemblablement pas d'une diphtongue [c'Ul issue de 6 ferme par diphtongaison, mais soit d'une combinaison de 6 + 0 final (d u 0 s. G. Paris, l.c.), soit plut6t d'un u ['ILl anglonormand. Sur les premieres attestations de ou exprimant ['Ill, v. deja G. Paris, La Vie de saint Alexis, 1872, pp. 61-62. Dans clou 3584, jous ({ feu)l 3586 (ms. fuus), 3912, 3917, cous {( cuisiniers)) 1817, sarcous 3692, out « il eut» 3219, pout « il put » 1198, etc., c'est un autre [a'll L avec r01 ouvert. (8) G. Paris (Extraits), L. Cledat et Jenkins transcrivent systematiquement nevot sans I (Jenkins pourtant deux fois nevolt 2876 et 2894, probable ment par erreur), tandis que E. Stengel (Das altjranz. Rolandslied, kri tische Ausgabe, 1900)' tout en signalant chaque foi5 la le<;on du ms., generalise partout. egalement sans 1, la forme nevod (exceptionnelle ment nevut 216 et nevud 2859). (9) Le meme verbe inc a 1 cia r e « poursuivre» avec -1- aux vers 2166, 2460, 2796, et subst. enchulz « poursuite » 2446, 3635 ; voeU, volt passim. nO) II ne faut pas oublier que u avait la valeur de Iii], sauf en (anglo) normand et, sans daute aussi. en partie dans l'Est (v. ci-dessous, note 18), ou il se pranon<;ait, selon Ies Cas [til ou ['Ill.
XEHJU), Xf;\TLD DAXS LE ,IS. I)'OXFORD
302
303
GEOJH;J·:S STHAKA
En fait, Suchier et Bedier (ainsi que Moignet dans la note au v. 171) avaient raison d'interpreter, dans les formes graphiques dont il est question, 1'1 comme un ['Ill, mais etant donne qu'il s'agit d'un manuscrit anglonormand ou tout 6 ferme doit Nre lu ['Ill et que cette voyelle est effectivement Ie plus souvent notee u (11), il ne faut pas partir de Ia nITold, qui n'est p1.:>1"C''I''''c a net'old. Pour ce qui est de la ce n'est francien et, en general, dans la zone centrale de la Picardie a l'Orieanais, qu'elle aurait pu la pronon dation [nev6u], tandis qu'en anglonormand (et en it faut la lire [nevuJ, exactement comme Ia graphie nevuld Le probleme de « la forme nevoId» n'est donc pas un probleme de la valeur de 1'1, mais celui de la valeur de 1'0. Ce qui surprend dans Ie cas qui nous Dccupe, c'est la constance de la graphie nevold, nevuld avec I dans Ie manuscrit d'Oxford ou, en fait, dans une seule attestation (v. 2859 cite ei-dessus) sur qua torze, Ie mot est note sans I. On pourrait aussi s'etonner de ne pas rencontrer cette meme graphie avec 1 dans d'autres mots contenant la succession 6 u) cons. Or, il sufnt de les ouvrages de Dhonetique historique pour se rendre compte que les mots de ce ne sont pas nombreux. Par ailleurs, la plupart d'entre eux ne pas dans Ie Roland: on ne releve que v 6 t a (male) vade 221, 507, 699, 1277, 2098, 3459, pro(z)d1Lme 1288, etc.,
c a u d a) «queue» 1494 ((~d. Bedier, p. 312 ; ed. Gautier 1655 let non 1665 gloss.]), merveiHus, -e vingtaine d'occurrences), ou l'on pourrait s'attendre eventuellement a retrouver la graphie 01 ou ul (flur atteste une douzaine de fois, ou ure « heure » qu'on rencontre au moins quatre fois, ne semblent pc.::; pouvoir s'y preter, Ie groupe -11'- n'etant pas fran<;ais), tandis que d'autres mots susceptibles de presenter cette graphie sont absents du texte, par ex. v 6 t u ou n 6 d u dont on relevera plus tard des graphies telles que vud (Quatre Livres des Rois, anglo norm ., ca. 1170, 6u egalement nevud « petit-fils)} ; FEW 14, 636 b, et 7, 95 b) ou vou
(Wace, d. Keller, p. 100 a), mais aussi voul (Les Vreux de l'Eperuier,
ms. ca. 1435 ; FEW 14, 636 b). ainsi que nClu nreud Froi.::sart. noul
cue «
en 1507 (FEW 7, 171 2. ResuUat de n e p 6 t e m dans Ia langue de l'auteur.
Dans cas seulement sur les ou l'on releve notre mot, celui-ci figure a l'interieur d1.l vers (vv. 171, 2859, 2885, :n09, ::5754). Dans les neuf autres cas, il est place a l'assonance, ce qui pour rait eclairer la valeur de 1'[6] ferme et libre dans la langue de l'auteur. En effet, la graphie ol, destinee a representer e la diphtongue [oul issue de la diphtongaiso n de cet 6, ne pourrait-ell pas remonter a l'auteur? S'il en etait ainsi, Ia question de savoir si « la Chanson a etc ou non ecrite d'abord en francien ou en nOl'mand » (Moignet, p. 278) serait evidemment resolue en faveur du francien. Or, depuis Gaston Paris, on sait que Ie Roland ne distingue pas 1'0 ferme libre et 1'0 ferme entrave et on en a conclu que, dans la de l'auteur, ce:; deux Haient confondues en u rul ; elles se confondaient en outre avec les jj devant consonne nasale. s'etaient fermes en anglOnorrnand) 2). Les lais:;es ou ees trois a l'assonance sont nombrem;es eo:), et il suffira de rappeler iei, a titre d'exemples, quelques series de mots en 6 ferme entrave et en 6 suivi d'une consonne nasale (a ferme ou ouvert) qui assonnent avec Ie mot nevoId (nevuld) : curs (laisse CCIV), jar, tw'S « tours» (f. pl.), trestuz, sujurn (CCLXVI) ; nus ({ nous » (CLXXVII, CCXXVIII) ; raisun, dun, nun « non» (XV), nuns «nom» (CCLXVI), barun, -on (XCIV, CLXXVII, CCIV, CCVI, CCXXVIII, CCLXVI), divers substantifs en -un comme bricun, jelun, esperuns, gunfanun, garc;un,
a l'assonance
e
Lion, perTum, pasmeisun, prisun, cumpaignun, Carlun, Guenel'un, Maretc. (XV, XCIV, CLXXVII, CCIV, CCVI, CCLXVI), en -un P entrave comme m'unz « monts » (CLXXVII, CCLXVI), munt 3 p. sg. derumpt 3" p. sg. indo stint (CLXXVII, luinz «loin» (CLXXVII) ;
exemples : lu « loup)} 1751, la tue amurs 3107, sue {( sienne» 1527, buche 1530, juildres ({ foudres» 1426, genuUz 2192, cunte « comte » 327, 378. 1529, 2320, ... hume « homme» 1433, 1666. 2153 •.. , (a cote de home), unt ({ ils ont », vunt « Us vont » pass., etc, etc.
(11) Quelques
(12) (13)
G. Paris, Extraits, p. 10, ~ 25 ; sur les assonances de 6 avec (; devant nasale, v. Georges Lote, Histoire du vers jranc;ais, t. III. 1955, p. 215. Voir Ie tableau des assonances dans I'edition Hilka-Rohlfs, p. 13.
304
XEW)LD . .\'1':\T13) D.\o;S I.E ~IS. J)'OXFOlUl
(;EOW;J,S STHAH,\
305
hom (XV, XCIV, CLXXVII, CCXXVIII), front (XCIV), vunt (CCLXVI).
D'autres mots en 6 ferme libre comme vigur, proz, meillors, empereur, flur, valor, etc., assonnent avec des mots en 6 entrave tels que fuls (pI. de fuZc « troupe, multitude surt 3" p. sg, ind, pres. «il surgit», de surdre (CXI), respunt 3" p. sg. indo pres. (LXXX), estor, desuz, poinz « poing », punz « pommeau de l'epee» (CVI), urs « ours» (CXXXVI, CLXXXV), genuilz (CLXI), .iuinz joint )', subj. duinst (CLXV), sucurs, a curls] (CLXXXV), blunt (CXCIlIl, vo(e)iz [vuis] «voix» (CCLXXII), ou avec des mots en 0 primitif devenu 0 devant nasale : punz « ponts », unt ils ont (CXCIII); de meme, 0 libre dans demurent et 6 entrave dans curtes assonnent avec cunte « comte » (CCXXIII), etc.
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Cette fusion des 6 fermes libres avec les 6 fermes entraves, loin une particularite de la Chanson de Roland. se rencontre dans d'autres textes, non seulement assonances (d. F. Brunot, HLF 1, 152-153), mais aussi rimes (11), or « etant donne Ie sort posterieur de ces deux 0 ... dont l'un est devenu [u] (t9rre > tour), et l'autre eu (flare > £leur) ", F. Brunot pensait que, malgre l'union de ces voyelles a l'assonance, €lIes devaient tout de meme etre distinctes (l.c.) C"). Georges Lote (ouvr. cite, III, p. 177) envisageait meme l'assonance des deux 6, libre et entrave, comme une espece d'analo gie ne correspondant pas a une prononciation n~elle: puisque 0 et o etaient identiques devant une entrave dont In premiere consonne etait n (p 0 n tern> pont et m 6 n tern> mont), que d'autre part o libre devant nasale et 6 libre en meme position l'etaient egalement (b 0 n urn> bon et d 6 n urn> don), on aura considere que 0 libre et 6 entrave pouvaient eire eux aussi appal'ies a la rime» (1 d\~tre
En realite, la fusion des 0 libres et des 6 entraves est un fait regional, aussi bien de l'Ouest que de l'Est (17) ou, dans les deux positions, 6 a abouti, des Ie XI" siecle, a [u], Ie 6 libre par la regres sion de la diphtongue [ou] a [u], ou plutOt par 1a fermeture directe de [6J en [u], comme en syllabe entravee, sans qu'il y ait eu diphton gaison (lH). Pour M. K. Pope, 1a presence des a::;sonances de ce type (14) D'apres Georges Lote, ouvr. cite. p. 176, il s'agirait d'« reuvres qui appar tiennent a toute la France, ecrites par les poetes les plus divers ». (15) Avis repris par Charles Beaulieux, Histoire de l'orthographe !ran<;aise, t. I, 1927, p. 52. (16) Lote a raison d'ajouter que « cette interpretation suppose chez les poetes beaucoup de sciences et des raisonnements bien ~ubtils » ... (17) Par la suite il s'est repandu aussi ailleurs, par ex. chez certains auteurs du Nord (Gautier de Dargier, Reclus de Mollien!), Gautier de Coinci, etc.), ou il a ete releve par Georges Lote, v. ci-dessus, note 14. (18) Carl Theodor Gossen, Franzosische Skriptastudien, 1967, pp. 88-115, surtout la carte, p. 112, et son commentaire pp. 110-113, et plus speclale ment Pierre Gardette, Pour une geographie linguistique de La France, in Melanges Georges Straka, 1970, t. I, pp. 262-273, ou J'on lit, pour la premiere fols, sembJe-t-il, l'opinion, tres vralsemblable a mon sens, selon laquelle la diphtongaison 6 > [cul n'aurait atteint nl l'Ouest ni
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l'Est et Ie [u I viendrait, dans ces aires laterales, directement de la fer meture de 6. Aux cartes de Gardette representant \'extension de [u] dans queue, nceud et gueule a l'epoque modeme, j'ajoute une carte de neveu qui montre, elle aussi, bien qu'il s'agisse d'un mauvais mot temoin, quelques residus de l'ancienne forme non-diphtonguee a I'Ouest et a I'Est (voir ci-dessus).
I
306
XEHJUJ. XE,'!'Ul D.\);S LE )IS. p'OXFOHD
(iEOW;U; STHAKA
de la nasalisation de cette tandis que Georges Lote, tout en reconnaissant que on assonait encore avec () et 4U'il n'etait done pas croit pouvoir remarquer, chez l'auteur du Roland, un effort pour grouper a l'interieur d'une meme laisse les mots en -on» cite" III, pp. 195 et 215). Quant a notre regrett':: collegue et ami Moignet, il affirme, dans son edition, p. ~80, que, dans Ie Roland, « ] aI ferme suivi de nasale + cons. ou de nasale finale (21) est nasa lise, puisqu'il fournit l'assonance de nombreu"es laisses, sans me lange: XVII, CXLII, CCXXI, CCXXXV'" mais il ajoute aussit6t qu'il " alterne frequemment ave:: [0] ferme oral: d. LXXX herbus : . : bT1LU1' : flam bins : : suns)).
dans Ie RoLand (aussi celle des rimes dolor: estor, ('tc., dans Ie Roman de Troie) est une preuve de normande de l'auteur Latin to Modern French . .., 2" 1952, p. 502, § V). la prudence s'impose. II existe, dans Ie Roland, des assonances de foul avec [01 (ant [< h a b u i t1 ou pont pot u j t] : cars, tost, ost, porz, pore, mOl't, or, etc., laisses XCIE, CXIX, CCXXXI; An:jon : fort, res noz, mort, port, corn CCX), de [oil avec (poi: cunfort, tort, or, cars, fort, les noz CXLIV), de [oil (ou avec [0] (ou [u]) [vois] ou rvui.~] : color, dulur, barun, cmpe reur CCLXXII), de avec Ie] (Deu : S1Lnet, abez, alumer, el CCXI), de al [au] et [ail avec [a] (chaIt, defalt, halt: c1Lmbat, it e01'nat, vendrat, ... : vait CLV ; altre : large, bataille, vasselage, ... CCLXXX; alqnes, altres: arbres, marbre, pasmet,... CLXVrrn (l :I), et ces assonances prouvent qu'une diphtongue descend ante accentuee sur son premier segment pouvait tn2s bien assoner avec une identique a ce segment. En consequence, une assonance de provenant de la diphtongaison francienne de 0 libre dans nevou, avec 0 ferme entrave non diphtongue etait tout a fait pos sible C"') et il n'est pas interdit d'en supposeI' la presence dans l'ori ginal du Roland, Dans ce cas, evidemment, "eule la graphie 01 sera it a attribuer a l'auteur qui s'en serait servi pour exprimer la pronon ciation [Ou], tandis que la 11,1 ne peut de toute faGon appar tenir qu'a la copie anglonormande dans certes, quelques 01 ont subsiste, mais dont Ie scribe devait prononcer [u], comme je crois l'avoir demontre, dans les deux cas. En conclusion, il faut done admettre que l'origine normande de l'auteur du Roland n'est nullement assuree et que, du moins, pour ce qui est du traitement de 0 ferme libre, il ne peut pas etre evoque en faveur de cette origine. Ainsi, Gerard avait raison de considerer cette question, contrairement a M. K. Pope et ,\ d'autres, comme n'etant pas resolue (p. 278). On ne pourra sans doute jamais dire avec certitude si l'auteur pronon<,:ait rnev61J,j et [flourl en fran cien ou [nevu] et [flUTt en normand.
3. 6 devant consonne nasale dans La
n
~'
Si l'on examme de plus pres le texte, on constate que huit laisses masculines en tout assonnent en -on (-un) (12), sans qu'il y ait melange avec 0 (u) final ou devant consonne orale a s'ajoutent, d'une part, une laisse feminine en -on (un)-e (XXIX), et d'autre part, deux laisses masculines uniquement en -0 (-'1L) oral (LXVI et CXI). En revanche, dans 34 laisses l'auteur <5 (u) final suivi d'une consonne orale et 0 (u) suivi d'une conson ne nasale Cette proportion, qui est tres en faveur des laisses OU il y a melange des deux 0, est significative et ne semble permettre de parler ni d'un «effort pour grouper les mots en -on» ,- c'est Ie contraire, melange des deux 0, qui l'emporte, et de loin nl par Consequent, a propoS de la langue de l'auteur du Roland, d'une «tendance a nasaliser 0 devant consonne nasale e';). Les regroupements des 0 devant nasale se limitent a quelques laisses dont la plupart sont d'ailleurs relativement courtes (entre 8 et 14 vers; senles les laisses CXVIII et CXLI sont plus longues, de 18 et de 27 et dont l'assonance, facile, utilise des mots et formes qui se sur les levres, etant aussi courants que don, font, mont" non, nom, loin, poing, nombre de substantifs en -on (y L'ompris les cas baron, Carlon, MaTsilion, ",tr.t la desinence verbale de la 1'" p. pI. (21) Cette precision n'est pas necessaire, car en ane, franQais et jusqu'au XVI" siecie, on prononQait les voyelles nasales aussi devant les conson nes nasales intervocaliques. (22) Laisses XVII, XXXII, XLVIII, LXX, CXVIII, CXLI, CCXX, CCXXXIV. (23) Assonances masculines: XV (un seul [qd final. nevu/,d 216), LXI (un seul [ul + cons. orale: plurt 773), LXVIII. LXXX, XCIV, XCVIII, CVI, CXXXVI, CLXI, CLXV, CLXXVII, CLXXXV, CXCIII, CCIV, CCVI, CCXXVIIl, CCLXVI, CCLXXn, CCLXXV (un seul [ul devant cons. orale: amor 3810) ; assonances feminines: II, L, LXXIV, XCIX, CXVI, CXXXII, CXLIX, CLXXXVI, CXC, CCXIV, CCXXIII, CCXXXIII, CCLV (un seul [u] I cons. orale e: cure 3541), CCLVIII,
de L'anteuL
D'apres Gaston Paris. 1'0 devant consonne nasale ferme, v. ci-dessus) avait, dans la Chanson de Roland, (, une tendance a se nasaliser, mais il pouvait encore assoner avec 1'0 ordinaire» p. 10, § Bedier, dans ses C07'1mentaires, ne parle pas '\
(19) Sur l'existence de ces assonances et la faveur dont elles jouissaient en anc, fram;ais. v. Georges ouvr. cite, chap. sur les voyelles et les diphtongues orales au pp. 135-1B7. La meme remarque vaut pour lans)dous (20) Cf. G. Lote, ouvr. cite, p. (v. cl-dessus, note 7) qui assonne avec nevoId dans les laisses CCIV et CCVI, ainsi qu'avec Ilur, dulur, valor, suI « seul », meillors, etc., dans CVI, CXI, CCVI, mais aussi avec des 6 fermes entraves dans curs CCIV, estor, desuz, res punt CVI, luiS « troupeau, bande», surt «il sort» CXI, avec des 6 + nas. dans barons, pasmeisuns CCVI ,etc.
307
I' I
I,
~
CCLXIIl.
(24) Parmi ces () en finale. huH fois nevoid.
(25) V. Ie tableau des assa'nances dans l'edition Hilka-Rohlfs, p. 13, dont je puis confirmer l'exactitude et l'exhaustivite. (26) II est interessant de constater que, dans la laisse XV qui, en regard de 15 vers en -0 + nasale, ne contient qu'un seul vers en [-6] : Ne ben ne mal ne respunt sun nelJuld 216, ce dernier est remplace, dans les ver sions rimees C 258 (ca. 1300) et V 7 (fin XIII' s.l, par un texte different pour eviter la finale en [-6] oral: Toz coiz se tint, ne disC ni 0 ni non, cf. I'ed. Segre, p. 37, apparat critique au bas de ce verso
308
(;EOR(;ES STRAK.\
-~ns, fut. 6 -ont, les verbes ont, vont, etc. Ces regroupements, qui paraissent etre plut6t Ie fruit du hasard ou de la commodite du choix des mots, ne sont pas de nature a pouvoir faire reculer dans un passe plus lointain la nasalisation de 0 que, depuis longtemps, on a pu dater, precisement par l'examen des assonances et des rimes, de la seconde moitie du XII" siecle (27).
*
En resume, on peut affirmer qu'independamment de la graphie -old ou -uld, Ie copiste anglonormand ne pouvait prononcer autre ment que [nevu] qui assonait pour lui parfaitement avec tous les u [u] anglonormands libres et entraves; la seule valeur possible de l en cette position etait Ie son ['u], et cet [u] se confondait pour ce scribe avec l'u precedent, faisant en fait, pour lui, double emploi avec ce dernier. Quant a l'auteur, s'il etait Normand, c'est aussi [nevu] qu'il pronont;ait et tout se passait, dans sa conscience linguis tique, comme pour Ie scribe anglonormand. Si, au contraire, il etait de l'ne de France ou d'une autre partie de la zone centrale Oll 0 ferme libre s'etait diphtongue en [oul, et ou par ailleurs l -+ cons. ne pouvait pas avoir non plus autre valeur que celle de [u], il pronon t;ait (nevou] et l'assonance avec cors « course '), jor, tor, etc., etait tout aussi irreprochable qu'en (anglo)normand celle de [nevu] avec curs, jur, tur. Enfin, quant a la nasalisation de 0 -+ cons. nasale, ce probleme n'a pu etre esquive, puisque nevold, -uld assonne avec raison, -un, baron, -un, monz/munz, etc., ce qui signifie que, dans la langue du poete du Roland, 0 devant nasale n'etait pas encore nasalise.
Strasbourg.
Georges STRAKA
Le tour Li seneschaus, il et ses frere, dans Ie Cleomades Dans son article XXXIII des Melanges de grammaire franc;aise, pp. 287-289, Adolf Tobler a etudie Ie type de coordination Li sene schaus, il et ses frere (l). Tobler voit la une construction « ingenue », qu'il decrit comme suit: « Quand deux membres de proposition nominaux ou prono minaux ou quand un membre nominal et un membre prono ment minal sont coordonnes par et ou ne, il arrive couram , beau coup plus sou vent qU'aujourd'hui, que la proposition, apres s'etre presentee d'abord sous la forme qu'elle aurait avec un seul de ces deux membres, est en quelque sorte corrigee par la nom repetition du premier membre, sous la forme d'un pro auquel on adjoint Ie second au moyen de et ou ne. » Tobler ajoute que Ie choix du membre isole n'est pas indifferent
(cependant, il ne noUS dit rien de bien precis a ce propos), mais que,
parfois, la construction n' a aucune valeur particuliere e)·
Avant d'etudier cette construction en elle-meme, voyons quel est l'usage qu'en fait, dans Ie dernier quart du XIII" siecle, un ecrivain « provincial» et quelque peu conservateur, Adenet Ie Roi, dans son Cleomades C). En contrepoint, il sera fait appel a une prose anterieure d'une vingtaine d'annees et qui developpe, elle aussi, un recit romanesque, Laurin (~) ; la construction en question est cepen dant nettement plus rare, et moins souple, dans Laurin, ceuvre d'un ecrivain assez gourd.
(1) D'autres
(27) Cf. mon etude sur les voyelles nasales dans la RLiR 19, 1955, pp. 254 255, maintenant dans Les sons et les mots, Paris, Klincksieck, 1979, pp. 510-511.
syntacticiens s'y sont interesses : voir, en dernier lieu, G. An toine, La coordination en franr;ais, t. II, Paris, 1962, pp. 755 et ss., qui mentionne et discute les divers avis. (2) Le terme carriger utilise par Tobler ne convient pas: il s'agit, non pas e d'une correction en cours de discours, mais du choix prealabl d'une construction bien determinee. II faut bien distinguer la reprise du nom par un pronom de la reprise du nom par lui-meme (cf. je serf Deu al mas tier, Deu et saint Pere ..., ex. cite par G. Antoine, p. 757), simple recherche stylistique. (3) Cf. A. Henry, Les ceuvres d'Adenet Ie Roi, tome V, Cleomades, 2 vol., Bruxelles, 1971. L'reuvre compte 18698 octosyllabes. (4) Le Roman de Laurin, fils de Marques Ie senechal, ed. L. Thorpe, Cam bridge, [1958] ; ecrit vers 1260 par un auteur inconnu.
U SEXFSCII.U·S.
310
.\LBEHT IlEXRY
Dans Ie Cleomades, Ia construction se rencontre presque tou jours dans Ie cas du sujet du verbe, Ie prime actant de L. Tesniere (0). II y a cependant deux passages au moins ou interviennent Ie second actant et meme, dans notre second exemple, Ie second et Ie tiers actant plus ou moins confondus (1) Bien cuidoient (7) cel jour conquene (693) Marcadigas, lui et sa terre. (2) Et puist [Di.eul Ie duc Jehan garder (18667) de Brabant, en honnour monter Ie vueille et Ii doinst chose fa ire que lui et au siecle pUist plaire. lui et monseignor Godefroit ! !'<) La meme observation peut Hre faite a propos de Laurin, ou l'on releve un cas de complement d'objet : (3) Adont leur a conte ou sa dame estoit ldit la suivante qui accompagnait sa reine dans sa Juite solitaire] et comment elle fut demouree en Secille et Ii marcheans la ramena pour vendre. «Et la vendi a cest bourjois, Ii et moL et se il ne fust, ... }) (p. 379). La reprise est immediate en (1) et differee en II faut rapprocher de ces complements Ie ({ sujet reel,> de Ia construction impersonnelle, ou unipersonnelle, illustree, dans Ie C/'eomades, par un emploi avec ~emi-2.uxiliaire : (4)
ne S'ot povoir de retenir Galdas, ainc;ois couvint cheir, lui et Ie cheval en un mont.
(1073)
C'est Ia fonction sujet qui nous fournit Ies materiaux Ies plus abondants. Remarquons des maintenant que les facteurs constituant Ia reprise sont, morphologiquement, au cas sujet dans Ie Cleomades ; dans Laurin, Ie facteur pronominal de ceUe reprise est tantOt au cas tant6t au cas regime, ce dernier l'emportant en nombre, tandis que Ie facteur nominal est, sembJe-t-il au cas sujet (1
avez entendu ainsi com adouba Nostre bons rois Pepins Symon qu'il molt ama, Et lui et ses deus jils.
(9) Dans la plupart de nos exemples, on trouve un substantif feminin. (10) On sait que les formes predicatives du cas regime des pronoms person nels ont concurrence de bonne heure, notamment en coordination, les
311
Sl'.'i FIUIRE
Les termes coordonnes en reprise peuvent faire bloc avec Ie " sujet-chef
avant ou apres Ie verbe : (5) conment la royne Ynabele, ele et Clarmondine la bele, encontre Ie roi s'en venoient. (6) Lors ont les sachies Cleomades, il Durbans.
»,
(16293)
(9998)
sujet-chef» par un segment de la ou peuvent etre separes du phrase: (785) (7) Fercatas Ie fist bien ce jour, il et ses freres et Ii lour. (8) conjols les ot la ro)'ne (16510) forment, et ele et Clarmondine. Donc, si l'on designe par a' Ie pronom qUI rep rend Ie sujet
exprime une premiere fois A, a' et B (11), reprise immediate, ou
A [...], a' et B, reprise differee (1:\).
Reprise immediate et reprise differee figurent aussi dans Lau rin, mais avec une predominance nette (9 exemples SUI' 11) et comme mecanique de Ia variante {A, en tete de proposition, [...], a' et B, en fin de proposition 1 Mais A, au lieu d'etre exprime par un subslantif, un pronom (a), si Ie nom en question figure dans une precede: (9)
mais ains que il fussent meu, ne il ne Argente la bele.
l'etre par
( 18430)
dans Ies vers qui precedent ceux qui viennent d'etre cites, il a He question de Galdas, de sorte que il de H fussent est, synthetiquement, si ron peut dire, anaphorique et cataphorique ; il reporte, en meme temps, a Gal.das, qui precede, ct a i/, (Galdas) Argente, qui suivent. Peut-(>tre se demandera-t-on deja s'il exactement de la meme construction que Li seneschaus, i/. et ses frere. Jusqu'a nouvel urdre, proposons Ia formule A . . . (ab) [...]. ne a' ne B.
(5) Cf. L. Tesnicre, Elernents de 81mlaxe structurale,·p. 102; les actants
sont essentiellement, du point de vue de la fondion, Ie sujet, Ie comple ment d'objet direct et Ie complement indirect de la grammaire tradi tionnelle. (6) lui du vers 18671 reprenant Ie et Ii ( Jehan) du v. 18669; lui du v. 18670 renvoie au sujet Dieu. --- Parmi les exemples cites par Tobler, il y a plusieurs cas de second actant. (7) Sujet : cinq rais ennemis de Marcadigas. (8) Compo dans Berte aus grans pies, ed. A. Henry, vv. 3208 et 55. : Bien
n r:1'
(11)
(12)
par ex., G. MOignet, Grom formes correspond antes du cas sujet (cL, 137 et s. ; L. Foulet, Petite maire de l'ancien jranr;ais, PariS, 1973, les articles bien connus du syniaxe de l'ancien jranr;,ais, pp. 149-153,
meme auteur dans Romania.
Dans les formules utilisces lci et plus loin, la majuscule designe un nom, la minuscule un pronom et la minute veut dire que Ie facteur qui en est pourvu est en reprise. L'asterisque signifiera que Ie pronom qui en est pourvu est un signe zero. Je reprends. en la modifiant (on vena plus loin pourquoi), la termino logie de G. Antoine dans son importante these citee ci-dessus, pp. 755 756, ou il est questi.on de « coordination avec reprise immediate» et de « coordination differee avec reprise»; I'auteur place d'ailleurs cette derniere avant l'autre dans scs consid!'rations. Nous aborderons plus loin Ie probleme de 1a nature du procede.
313
U SENESCHAl'S, lL El' SES FRERE
312
ALBERT IIE:\gy
Le plus souvent, a peut meme ne pas etre exprime, puisqu'en ancien franl,;ais Ie sujet pronominal conjoint est encore loin d'avoir toujours un marquant explicite l ) :
e:
Baldigans et Melocandis (16879) conme courtois et bien apris adestroient Meniadus. Quant a son ostel Iu venus, et il et sa mere et lor gent. (11) [Raison ... J. mais n'l vorroit Malstrie (compl. d'objet) mener, ne ele ne Avis (11) (14520)
(10)
A ces deux exemples correspondraient respectivement les formules A. . . *a [...J, et a' et B et C et A.. // *a [... J, ne a' ne B. D'ou se posera la question de savoir s'il faut ou non introduire une virgule au v. 10390 cite ci-dessous : (12) Et Cleomades l'en mercie. La courtoisie moult Ii plot que Sartans de Satre dit ot. En son cuer plaint moult durement ee qu'il est bleciez telement, sachiez que moult en ert dolans. Lors sont assis, il et Durbans.
(10390)
Et il en est de meme dans l'exemple suivant : (13) ... mout avoient mene seur Ie chemin, il et Galdas, vie de feste.
(18420)
Avons-nous affaire, en (12) et en (13), a un sujet postpose ou a une reprise du sujet selon la formule (*ab) [... J, a' et B? Avant de tenter de repondre, il reste a examiner Ie comportement du verbe. Lorsque l'ensemble sujet, en bloc unique ou fractionne, precede Ie verbe, celui-ci est regulierement au pluriel : (14) Cleomades, Il et Durbans, a Verde Coste s·arreerent. US} Cleomades, en eel point droit, il et Galdos, s'entreneontrerent. (16) conment la royne Ynabele, ele et Clarmondine la bele, encontre Ie roi s'en venoient. (17) Or vous dirai conment Flourete, ele et Lyad6s et Gayete, furent liement recetie5.
(11242) (11376)
(16293)
Lorsque, dans le cas d'une reprise differee, Ie terme A seul pre cede le verbe, celui-ci est regulieremenl au singulier; a l'exemple (7) ajoutons :
(19) Melocandis a tous plaisoit,
et il et ce que fait avoit.
(20) Baldigans est avoec tous dis,
H et Ii rois Melocandis
et de barons mout grant plente.
(2168)
(16727)
On comparera, dans Laurin, . (21) Synador descent rde cheval, apres Ie tournoi], il et Ii Rommain (ses compagnons de combatJ. (p. 28) / Synador monte ou cheval et se met a la voie, il et si compaignon. (p. 30) / Sirrus si s'en entre en la cite, il et sa gent. (p. 57) / Pallas a.voit este abatuz, il et ses chevaus tout en .1. mont. (p. 66) ; (22) Li sires de Gorre 5i se appareilla Ii et sa gent. (p. 48) i Marques a pris congie lui et 5a femme. (p. 136) / Quant Ii empereres ot soupe, lui et Ii baron de l'empire, il se atropellerent Ii uns <;a 11 autres Ill.. (p. 67) J [.,.J et quant Marques a ce veti 5i se pensa qu'il se retrairoit lui et sa gent. (p. 332) / La dame S'est mise a la voie 11 et sa maisniee. (p. 203).
Dans les memes conditions, mais avec un a pronominal (mar quant explicite ou signe zero), au lieu de l'habituel A, Ie verbe est au singulier ; a l'exemple (11) ajoutons : (23)
Quant a son ostel fu venus, et n et sa mere et lor gent.
(24) Bien fist ce qu'il i aferi,
et II et la royne aussi
et ell de la vile et sa gent.
(16882) (16613)
Mais dans ce meme cas, Ie verbe se trouve aussi au pluriel, ce qui semble signifier, comme on l'a vu dans les exemples (9), (12) et (13) que a ou *a vaut (ab). Laurin n'offre, sauf erreur. aucun exem pIe identique a ceuX dont i1 vient d'etre question, a partir de (23). Lorsque Ie sujet nominal vient apres Ie verbe, celui-ci est tantOt au singulier :
(16437)
On comparera dans Laurin (1 ;') : (13) Cf., par ex., G. Moignet, Gramm. de l'anc. fr., op. cit., pp. 128 et 357 ; Ph. Menard, Syntaxe de l'ancien franc;ais, 2' ed., Ii 55. (14) II semble bien qu'on doit rapporter ne eli! ne Avis It Raison et non it Maistrie. (15) Les exemples de Laurin sont repris tels qu'ils sont imprimes dans l'edi
tion Thorpe.
(18) Li sires de Gorre lui et ses genz atendoient ceuz qui venoient moult ordeneement. (p. 26)
Car venus est, s1 com j'entent, Bleopatris, il et sa gent.
(26) vint Ii messages, ce me semble, et il et Ii chevaus ensamble. (27) Mais ains que dedens fust entres Ii r ois Carmans, Il ne sa gent.
(2S)
(28) Conjols les ot Ill. royne forment, et ele et Clarmondine.
(16) En (21), a' est au cas sujet ; en (22), au cas regime.
(HOll)
(15069)
(16250)
(16509)
314
tan tot, plus rarement, au pluriel : (29) A Verde Coste sont venu Cleomades, il et Durbans.
y) coordination avec reprise immediate (11675)
Pris est par force Ii riches reis Guaifjers, II et sa fille et sa franche moillier Et trente mile de chaltis prisoniers.
Dans Laurin, on releve un exemple comparable aux exemples (25)
a (28) : (30)
La nouvelle en vint a Dyogenne la femme de Syrrus et a Galyenne que Pallus avoit este abatuz, 11 et ses chevaus tout en .1. mont, et l'avoit Ii damoisiaus de Puille abatu. Adont jist Galienne grant joie Ii et Dyogenne et dient entre elles que elles n'en feroient ja sambiant que elles en seiissent riens (17). (p. 66)
.'.
""
e
G. Antoine S), qui, apres Tobler, a examine de pre:] notre construction, y voit surtout ce qu'il appelle une coordination diffe ree: c'est pour lui un type" a ... a' et b ou Ie premier terme (a) est repris, apres coup, sous une forme pronominale (a') a laquelle se coordonne immediatement Ie deuxh::me ierme (b»). C'est en note seulement qu'il rappelle que a' et b peuvent etre repris «aussitot derriere a» et qu'il ajoute que Tobler «s'attachE' au fond plus au fait de la reprise qu'au tour diffeTE~ ». Pour G. Antoine, toujours, ce type a ... a' et b « n'offre sans doute aucune difference fondamen tale de structure avec l'autre scheme, plus elementaire, a . .. et b : dans les deux cas, on a affaire it ce que l'on apPE'llera dorenavant une coordination differee, l'une sans et l'autre avec reprise. En revanche, les distinctions d'ordre psychologique posees par Tobler nous ont paru pleinement legitimes ... ». Ailleurs ell), G. Antoine rep rend de biais Ia question en grou pant «quatre varietes possibles de structures qu'il distingue et illustre comme suit: «
a) coordination diffen?e commune Garde m'avez et servi par amor
(Char., 306)
~) coordination differee avec reprise variete exc1usivement reservee, du reste, ainsi que la suivante (y) aux groupes de noms de personnes
Li reis Guaifiers i est emprisonnez,
TJ et sa fille, sa feme as grans beltez
Et trente mile de ehaitis encombrez.
(Cour., 304-6)
(17) Comme on Ie voit, Ie verbe fist est au singulier, mais un second verbe, dient, coordonne au premier, est au plurieI, parce que venant apres l'enonce de tout Ie sujet multiple. Galienne est une jeune fille noble, compagne de I'imperatrice Dyo genne; hierarchiquement, elle est au-dessous de ceite derniere. Mais Galienne aime « Ie damoisiau de Puille» et eUe est done l'actant Ie plus interesse a I'action de jaire grant joie.
(18) Op. cit., p. 752. (19) Op. cit., p. 755.
315
U SESESClI.\f·S, Jl. fiT SES FlUmE
,\LIlERT IIEKRY
(Cour., 350-2)
0) coordination avec incise Vos avroiz Chartres et OrHens me lerez
Et la corone, que plus n'en quier porter. (Char., 529-30)
»
Et pour l'auteur, de ces quatre vanetes, '( les deux premIeres representent seules a nos yeux Ie type 'differe' proprement dit ». On voit que G. Antoine a ete sensible surtout a la coordination et a la place des elements. 11 apparalt cependant les deux exem pIes paralleles du Couronnement Louis sont, a cet egaI'd, significatifs que les varietes ~ et y ne peuvent etre separees, d'autant qU'elles sont reservees ({ aux groupes de noms de personnes». D'ou, chez Ie lecteur, l'impression de distorsion devant ces deux etiquettes: coor dilwtion dijferee avec reprise et coordination avec reprise imme diate. Or, c'est l'ensemble lterme repris ct terme coordonne} qui est, ou non, differe; dan1' l'un et l'autre cas, 1e facteur coordonne est joint directement au terme repris, et il est d'ailleurs, syntaxique ment aussi bien que psychologiquement, dans son prolongement. L'originalite du tour consiste justement a combiner un mode de reprise (a deux variantes), une coordination et une semantique (a preciser), Ie tout intervenant dans des limites synta xiques nettes. Ces limites syntaxiques sont d'autant plus a souligner qu'elles n'ont pas et&, semble-t-il, remarquees et qu'eHes regissent toutes les vari&tes: la construction intervitnt uniquement, en dfet, dans Ie cas des actants (qu'il faut decidement considerer comme constituant une categorie veritable). Et ceci n'est pas sans s'accorder pleinement avec Ie fait qu'elle est limitee a des ({ groupes de noms de person nes » ; mais il faudra voir de plus pres ce que signifie cette limita tion a des actants humains. Si nous degageons les varietes structurales actualisees dans nos exempIes, nous constatons que s'opposent deux groupements, selon que Ie terme qui sera repris est un nom ou un pronom dernier etant au moins anaphorique d'un nom anterieurement exprime) ; la structure fondamentale reste 1, l' et 2 / / 1 [... J, l' et 2, avec ses deux variantes dont la seconde etait sans doute plus expressive encore que l'autre, puisqu'elle fait appel a un facteur productif en plus: I
lO
A, a' et B, verbe au pl uriel verbe pI. a' et B, verbe sg. A, a' et B,
(5) (29) (25), (27)
(17)
316
verbe pI. 2° A [...], a' et A [... verbe sg.] , a' et B et C, et a' et B, A [... verbe verbe sg. A [... J, et a' et B,
(15) (7), (20)
(19)
(8), (26), (28)
II
1° [... verbe sg.] *a, et a' et B, *a [... verbe sg.], ne a' ne
*a [... verbe sg.], et a' et B et C,
(24) (11) (10)
2° (ab) [... verbe pl.],) ne a' ne B,
[... verbe pl.] (*ab), a' et
317
U SEXf;SCII.U·S, lI. liT SES FIWHE
,\LBEHT I1E:>HY
(12), (13)
L'ensemble de la reprise peut constituer une coordination sim ple l' et 2 ou une des varietes de la coordination soulignee, l' et 2 et 3, ... / et (ne) l' et (ne) 2 et (ne) 3, ... Mais, qu'on y prenne bien garde, cet et (ne) introductif ne coordonne pas toute la reprise a ce qui precede impossible de coordonner un tel'me a lui-meme - il s'agit d'un et (ne) de soulignement de la serie coordonnee interieure a la reprise meme. Et ceci montre que Ie procede dominant est la reprise, mais une reprise qui limitee a elle-meme ne pourrait fonc tionner. En outre, dans Ie Cleomades du moins, la coordination soulignee intervient surtout avec la reprise differee, et surtout lorsque Ie pre mier terme est exprime pronominalement (a [...], et a' et B) e"). Faut-il deduire de la qu'il y avait une tendance a compenser Ie vide cause par Ie differe et a compenser la tenuite du pronom sujet. pres que toujours enclitique ou meme signe zero? Le comportement du verbe de la phrase ne differe pas essen tiellement de celui d'un verbe a sujet multiple L'element repris et les elements qui lui sont coordonnes peuvent constituer une serie de deux ou de plusieurs termes. Mais l'essentiel, c'est qU'une contrainte semantique (ou referentielle?) est inherente a la construction meme que nous etudions. II a ete question d'un « groupe de noms de personnes ». En realite, il faut dire plus exacte
rnent que Ie premier terrne refere toujours a un etre humain (22), ou a une personnification (ex. 11), et que Ie second terrne de la coordi nation en reprise a) est presque toujours un norn de person ne (ex. 2, 3,5,6,8,9,12, 13, 14, 15, 16, 17,29), ou de personnification (ex. 11), ou un norn cornmun evoquant une personne ou un collecti! d'etres hurnains (ex. 7, 10, 18, 20, 23, 25, 27), plus rarernent un nom d'animal (ex. 4 et 26), ou un nom de chose (ex. 1 et 19). En outre, entre A et B existe un lien referentiel hierarchique: A vient, psy <;hologiquement, avant B, il merite, en quelque sorte, plus de consi deration (24), parce qu'il lui est superieur socialement (ex. 2, 3, 5, 7, 8, 9, 10, 16, 18, 24, 25, 27, 28), ou parce qu'il regente ou possede B
(ex. 1, 4, 19, 26), ou parce qu'il prend l'interet Ie plus marque a
l'action exprimee par Ie verbe (ex. 30), ou parce qu'il l'ernporte dans
l'esprit de l'auteur (ex. 6,11 ?, 12, 13, 14,15,17,20,23,29) e:;)·
e
Des maintenant, la construction A, a' et B, / / A [... J, a' et B, nous parait donc differente de la veritable coordination differee A [. , .] et B, vu !'importance des contraintes syntaxiques et sernan tiques. Mais qu'en est-il de la variante (ab) ou (*ab) [... verbe au plu a' et B (21i) ? Pourquoi serait-il interdit de dire que dans Ie vers L01'S sont assis, il et Durbans, de l'exernple (12), il et Durbans est Ie sujet en inversion, comme, par exemple, sans inversion, dans ce passage de Laurin (p. 335) : Marques se leva. Il et Ii baron sont alez au moustier ? Nous en reviendrions alors a un simple fait de coordi nation. On trouve naturellement dans Ie Cleomade.s, avec inversion ou non, la coordination courante A et B et la coordination soulignee et A et B (par ex., vv. 16349 et 16695). S'il y a, dans ces cas, plus de deux sujets, des variations stylistiques pourront se presenter: ... mais a ce s'acorderent Cleomades et il l= Carmansl ensamble
et Meniadu5, ce me samble,
Baldigans et Melocandis,
tout s'acorderent. ce m'est vis,
k'a la feste Galdas iroient.
(18106)
En ce qui concerne l'accord, assez souvent, comme en ancien fran <;ais, en general, Ie verbe reste au singulier (d. vv. 6949,7977, 10176, 11497, 16536, etc.), meme, parfois, quand il y a coordination souli gnee (v. 18119). (22) II en est de meme dans les exemples cites par Tobler. -
(20) On ne pourrait avoir une reprise immediate et sentie comme telle que
si Ie pronom sujet etait exprime explicitement par une forme forte ou par une forme conjointe venant apres Ie verbe, du fait. par exemple, que la proposition commencerait par un adverbe ; et l'on aurait sans doute alors un pronom pluriel ce qui, on Ie verra plus lOin, peut influer sur la nature me me de la construction. (21) Cf. L. Foulet, Petite synt., op. cit., § 291; Ph. Menard, Syntaxe ..., op. cit., pp. 128-129.
Parfois, on l'a vu, Ie premier terme est exprime par un pronom anaphorique, et il faut alors se reporter au substantif represente. (23) Nous pouvons, en effet, quant aux considerations du moment, limiter la serie a deux termes. (24) On peut falre la meme observation a propos des exemples rassembles par Tobler. (25) Memes remarques a propos des exemples de Laurin.
t26) Le pronom pouvant se placer, selon les cas, avant ou apres Ie verbe.
U
318
.\I.BEkT
On notera les deux
a cote du verbe au :;:ingulier, Ie
au ayant He, entre-temps, exprimes: ot Car lem' devoir entierernent (vv. J.U·""<'-')
La coordination diffen:'e se rencontre : Sorrnans ti rous li ot ocis son chevaL. et Garsianis
Mais les vers suivants car bien Ie poons tesmoignier, je et Durbans, par verite.
car nous l'avons bien esprouve.
. . . . .. ce tesmoigne chascuns grant et moien et Ii conmuns.
Melocandis et Baldigans, chascuns leur samble mout plaisans.
a la nature
et, d'autre part, (ab) (... v. pl.] ,a' et B. Dans ce cas, ce sont les traits semantiques a l'expression avec reprise, et qui se degageront du contexte, qui 1a distingueront de l'expansion paracette derniere a-t-elle que l'autre a rli<;m;HU ?
a vivre
dans la
langue, Sans doute des contraintes plus rigoureuses en ce qui concerne . l'ac y sont-elles pour quelque chose. Mais ne faut-il cord pas tenir compte de la disparition de facteurs sociologiques et cultu rels qui auraient favorise, eux, la naissance de ce procede de sur face? Nous en sommes reduits aux hypotheses. II n'empeche que ce tour apparait vraiment « feodal", dans son soud tres net mer, de maniere expressive, un type d'egards tellement une societe reellement, formellement et minutieusement hierarchi see. D'autant que l'ancien fran<;ais a encore connu d'autres modes S d'expression de l'expansion en rallonge du syntagme actantiel ).
Jusqu'id, pas de confusion possible avec notre parce qu'il n'y a aucune forme de reprise d'un premier terme.
quant
319
II. EI' SBS FRBHE
IIE~HY
(10632)
(10192) (2103)
e
de la construction, differents de
(9) mais ains que il fussent meU.
ne il ne Argente la bele
Albert HENRY
ou de (12)
lors sont assis, il et Durbans
?
N'avons-nous pas affaire des deux cotes a une exuami1U du svntae:me pronominal sujet, ce pronom non? Quand Ie premier terme est un substautif ou qu'il est prono minal, Ie verbe etant au singulier aucune hesitation n'est per mise; et il en est de meme pour Ie scheme (*ab) [... verbe pl.] A. a' et B, (ex. Lors ant les espees sachies Clearnades, il et Durbans). Nous avons affaire a ce qu'on pourrait appeler I'expansion en rallonge d'un syntagme actanciel, ou la reprise avec rallonge de l'actant humain. Mais la realisation {pronom pluriel a b [... verbe pl.] ,a' et B,} quant a la forme syntagmatique, soit une expansion en du syntagme pronominal actandel, soit une expansion du syntagme pronominaL Encore la confusion n'est pOS:SHlle que dans Ie cas d'actants humains des deux cotes. Ceci ne veut pas dire que cette variete formelle de est ineluse dans Ie tvDe plus vaste que serait a to utes les substances: sur la liane de Les structures restent differentes : d'une part,
[... v pl.]
et B
(27) Vers 957-958 : Garsianis est sujet differe. Comp.. de Saint-John Perse : Les armes au matin sont belles et la mer.
(28) Nota.mment, Ie type avec entre; cf., par ex., atant s'en vet entre lui et nain. 11 sera. etudie ailleurs.
Le subjonctif present dans les propositions hypothetiques en ancien franc;ais Le subjonctif present est un temps peu employe en ancien fran <;ais dans les propositions hypothetiques introduites par se ou dans les comparatives hypothetiques introduites par comme ou comme se. Normalement, les subordonnees hypothetiques amenees par se se trouvent a l'indicatif present, si l'hypothese porte sur un present futur tres probable et tres vraisemblable, a l'indicatif imparfait ou au subjonctif imparfait, si l'hypothese concerne un present-futur incertain ou invraisemblable (1). Quant aux comparatives hypothe tiques introduites par com(e) ou com(e) se, elles evoquent une res semblance imaginee par l'esprit. Le temps utilise en ancien fran<;ais est donc habituellement l'imparfait du subjonctif, plus rarement l'imparfait de l'indicatif, marquant qu'il s'agit d'une consideration virtuelle, et meme irreelle e). De loin en loin, toutefois, se rencontre un subjonctif present dans la proposition hypothetique. Un des textes les plus anciens et les plus venerables, Ia Chanson de Roland conservee dans Ie manus crit d'Oxford, nous en apporte un exempIe : S'en rna mercit ne se culzt ames piez E ne guerpisset la lei de chrestiens,
Jo Ii toldrai la corune del chef.
2682
La subordonnee hypothetique est negative, mais la principale, qui est affirmative, se trouve au futuro A vrai dire, 8i l'on regarde Ie glossaire du texte etabli par Lucien Foulet e), on observe qu'a cote de cet exemple unique de subjonctif present iI y a une masse consi derable d'hypothetiques, soixante-six, si j'ai bien compte, ou se se construit, comme on s'y attend, avec l'indicatif present. L'hypothese au subjonctif present reste done une exception. Cette impression premiere est confirmee si l'on examine d'au tres chansons de geste. La dissertation de Gustav Busse, Der Con jUnctiv im altfranzosischen Volksepos (Kiel, 1886), qui a depouille quarante-trois epopees, n'apporte aucun exempIe du phenomene. 11 (1) Cf.
G. Moignet, Grammaire de l'ancien jranQais, Paris, 1973, pp. 242-43 et Ph. Menard, Syntaxe de l'ancien franQais, Bordeaux, 1973, pp. 235-37. (2) G. MOignet. op. cit., p. 248 et Ph. Menard, op. cit., p. 230. (3) Cf. J. Bedier, La Chanson de Roland, Commentaires, Paris, 1927, p. 470. 11
322
PIIILIPPE ~IENAnD
LF: SllBJOXCTIF PRl,SEXT D.\NS LES IlVPOTlltTIQL'ES
se peut que ce critique ait oublie <;a et la quelques attestations. Mais l'absence de toute reference est en elle-meme significative. Si Ie subjonctif present etait frequent dans les hypothetiques, cela se verrait. On Ie remarquerait.
exemples n'appartiennent sans doute pas au texte original du Jeu, car la presence du subjonctif ajoute une syllabe de trop au vel's. II en va ainsi au vel'S 512 avec prenge :
A bien chercher, on trouve, cependant, quelques exemples analogues a celui de la Chanson de Roland. La dissertation d'Arthur Kowalski, Der Conjunctiv bei Wace (Breslau, 1882, Diss. de Gottin gen) en releve un temoignage dans Ie Rou de Wace :
De meme, au vers 705 du J eu :
Demandez Ie pruveire. cum se vus moriez (II, 2386).
L'edition procuree recemment par A. J. Holden donne un texte iden tique: Dementez vous forment, souplrlez et plaingniez Com se vous morissiez, et fort vous complaingniez, Demandez Ie provoire, com se vous moriez. II, 2386
Le probleme est de savoir ce qu'est moriez. Faut-il y voir un sub jonctif avec Kowalski (p. 47) ou bien un imparfait de l'indicatif avec Andresen, l'editeur du texte (Heilbronn, 1879, p. 583)? Sans doute, morissiez au vel'S precedent est un impariait du subjonctif et on pourrait supposeI' que Ie meme mode apparait au present sous la forme moriez, d'autant que dans les comparatives hypothetiques l'imparfait de l'indicatif est assez rare au XII" sieele, meme si on en trouve des exemples chez Chretien de Troyes comme Ie montrent les dissertations de J. Klapperich, Historische Entwicklung der syntaktischen Verhdltnisse der Bedingungssiitze im Altfranzosischen (Altenburg, 1882, p. 26) et de E. Muller, Die Vergleichungssdtze im Franzosischen (Gottingen, 1900, p. 43). Toutefois, on rencontre chez Wace des imparfaits de l'indicatif dans des subordonnees hypotMti ques: a preuve les vel'S 3734-3736 du Rou. Surtout, alors que la desinence monosyllabique -iez est une terminaison de subjonctif, la desinence disyllabique -fez est une finale d'imparfait de l'indicatif. lci Ie compte des syllabes exige une prononciation mor'iez. Le der nier editeur n'enregistre pas moriez dans son glossaire (t. III, p. 198) et n'indique pas son sentiment dans une note. Meme sf pour la seconde partie du Rou, contenue :::eulement dans une copie du XVII" sieele, nous ne pouvons plus atteindre Ie texte authentique de Wace, la prudence conseille de considerer moriez comme un imparfait de 1'indicatif. En revanche, plusieurs exemples indiscuiables ont ete produits par J. H. Lenander dans son etude, L'emploi des temps et des modes dans les phrases hypothetiques commencees par « se» en ancien frarLl;ais (Lund, 1886). II releve quatre attestations dans les Qu,atre Livres des Rois, deux dans les Lois de Guillaume le Conquerant et deux autres dans Ie Jeu d'Adam (4). A vrai dire, les deux derniers (4) Op. cit., pp. 74 et 83.
N'est hom que vus en face ale, Par cui soiez vus ja rescos,
Se moi nen prenge pite de vus.
323
510
Si tu m'odes, GO iert a tort.
Dans les deux cas, il faut l'indicatif dans l'hypothetiqlle pour que Ie vers ait son compte normal de syllabes. Mais Ie ('opiste anglo normand n'a pas ete gene pour transformer l'indicatif en subjonctif. Pour lui Ie subjonctif etait naturel en pareil cas. Les exemples tires des Lois de Guillaume Ie Conquerant ou des Quatre Livres des Rois sont tout a fait indiscutables. II suffira ici de citeI' deux specimens du second texte pour observer que la princi pale est tantot au futur, tantot au subjonctif de souhait. Forment iert ore marriz, si nus Ii diums que mors est Ii enfes (160). Cel mal vienge sur mei que a lui vendrad, si ceste requeste ne Ii turt a mort (230).
Au vu de ces divers exemples et aussi du vers 2681 du Ro~and, J. Lenander a estime que cette construction du subjonctif present apres se etait un phenomene archaYque, caracteristique des premiers monuments de la langue fram;aise, mais qu'il etait en train de dispa raltre « peu de temps apres Ie debut de la langue litteraire}) (p. 98). D'autres etudes anciennes signaleni au passage cette tournure peu frequente. Ainsi l'etude de A. Gille, Der Konjunktiv im Franzo sischen C'), sans apporter d'exemples nouveaux. Le travail de A. Sechehaye, L'imparjait du sub,ionctif et ses conCUTrents dans les hypothetiques normales en franc;ais, rappelle que Ie subjonctif pre sent en latin a valeur de potentiel, et parfois aussi d'irreel et cite quelques exemples interessants du tour qui nous occupe, un dans Ie Bestiaire de Philippe de Thaon, deux autres dans la chanson de Boeve de Haumtone ('l Dans ces phrases Ie verbe de la principale est soit au present de l'indicatif, soit au futur, soit a l'imperatif. Parlant des Juifs, Ie BestiaiTe de Philippe de Thaon declare: Ja n'ierent cunverti, Se Deus n'en ait merci.
89
Boeve de Haumtone offre une principale au present dans Ie vel'S suivant: Ore me covent morer, si il ne seit mes amis
484
(5) Cf. Archiv filr das Studium der neueren Spracnen und Literaturen, t. 82, 1889, p. 43. (6) Cf. Romaniscne Forschungen, t. 19, 1906, p. 336.
324
PIJILIPPE ~I~;XARD
I.E Sl'BJO"'CTlF PllESE1\T IJAXS I.ES
Ni Gille ni Sechehaye ne cherchent a expliquer Ie phenomene et a Ie localiser dans l'espace et dans Ie temps. lIs se contentent de rele ver quelques exemples. La dissertation de .J. Klapperich, Historische Entwicklung der syntaktischen Verhiiltnisse der Bedingungssii1.ze im Altfranzosischen (Altenburg, 1882, p. 15) enregistre huit exemples empruntes surtout au monde anglo-normand ; Ie Roland (2681), Ie Comput de Philippe de Thaon au vers 2303 (S'el cumenst en jenvier) les Lois de Guil laume Ie Conquerant, Ie J eu d' Adam, la Resurrection anglo-nor mande et aussi l'exemple de poesie courtoise tire de Matzner qui sera cite plus loin. A ses yeux c'est une construction analogue du tour latin Insidiis hic ero, si quid deficias. Dans son examen Die Vergleichungssatze im Franzosischen (Gottingen, 1900, p. 41), E. Mliller releve deux ou trois cas de sub jonctif present dans les comparatives hypothetiques et note tres justement que la conjonction se manque parfois, si bien que l'on trouve seulement com(e) au lieu de com(e) Sf!. II cite ainsi ce passage de Floris et Liriope : Li frons est com ivoires plains,
Ausi com il soit fais de mains
Meme chose pour Ie
1605
passe dans Gaydon :
As mains se tiennent Ii baron alose, Tout autresi com aient carole,
p. 58
II faut attendre l'Historische franzosische Syntax de Lerch pour que nos connaissances sur cet emploi du subjonctif present fassent des progres notables et que :;:'elabore alors la doctrine communement admise a ce sujet. En 1925, dans Ie tome I de sa Syntaxe il reI eve sans s'y attarder un exemple de com se suivi du subjonctif present (p. 294). Mais dans Ie tome II du meme ouvrage, en 1929, il rassemble toute une serie de propositions hypothetiques introduites par se et ou figure un subjonctif present: outre les exemples du Roland, du Bestiaire de Philippe de Thaon, du J eu d' Adam et des Quatre Livres des Rois que nous connaissons deja, il ajoute une nouvelle liste de temoignages tires du Com put de Philippe de Thaon (2303), des Qua tre Livres des Rois (cinq exemples), de Floovent (1993) et surtout de Boeve de Haumtone (21 exempIes). II cite egalement deux exemples du XIII" siecle, l'un de Raoul de Houdenc, l'autre emprunte a une chanson courtoise de la duchesse de Lorraine, publiee dans Ie recueil de Matzner. Ce dernier presente la particularite que la proposition hypothetique a un sens concessi! : Pour ce, se jou ne vous voie,
(AU/T. Lieder, XLI, 51)
Ne vous oubli je mie.
De ces faits Lerch tire une conclusion: cet emploi est atteste pres que exclusivement dans Ie dialecte anglo-normand et tout particu lierement au sein de textes savants (p. 209), Touchant la chronologie de ce tour, Ie meme auteur fait observer qu'il continue d'etre utilise a Ia fin du Moyen Age. II produit, en eHet, huit exemples empruntes
IIYI'OTIIl~T1QUES
3:;"5
au moyen fran<;ais, depuis les Miracles de Notre Dame (I. 110) jusqu'a Pathelin (1064). Dans la plupart de ces citations la principale se trouve au futuro C'est Ie cas, par exemple, des vel'S de Pathelin : Avoy! chascun me trompera Mesouen, se je n'y pourvoye.
1063
A partir du XVI" siecle Lerch n'en trouve plus trace: Seit dem XVI. Jahr. einschliesslich scheint die Konstruktion nicht mehr vorzu kommen (p. Les explications de Lerch vont devenir classiques. A sa en 1939, R. L. Wagner estime que cette construction se cantonne dans les textes anglo-normands» et" eteint vite apri\s avoir Iangui sans succes » (1). A ses yeux Ie tour constitue d'un futur dans la principale et d'un subjonctif present dans Ia subordonnee est un tour mixte, la construction normale etant d'employer Ie pn"sE'nt de l'indicatif dans la subordonnee (p. 308). En fait, ce savant ne pro duit guere qu'un seul exemple, celui du Roland, et durcit un peu la de Lerch. En 1957 I'Historische franzosische Synta.x d'Ernst Gamillscheg mentionne rapidement Ie fait qui nous interesse. Il rep rend l'exem pIe de la Chanson de Roland, du Bestiaire df: Philippe de Thaon et aussi Ie vers 555 de Boeve (E si le destrer ne seit en mei bien espleez . .., si Ie mei toile.?:) et rappelle qu'il s'agit Ia d'une construc tion dialectaIe, appartenant a l'anglo-normand (S). II cite aussi ques exemples du XVI'- siecle pour montrer que ce tour est connu jusqu'a Malherbe (p. 720). Ce dernier point est important. Ferdinand Brunot l'avait deja remarque en 1909 dans son HistoiTe de Ia lnngue franr;aise, ou il note que Malherbe protes1e contre les vers de Desportes: Si du porteur d'Europe aux Jumeaux il arrive
Et sortant du printemps il croisse les chaleurs ...
Malherbe s'ecrie: "il devroit dire il accroit . . , On ne dit point s'il fasse cela, mais s'il fait cela» ("). En outre, Gamillscheg presente deux exemples de comparative hypothetiquc introduitc par com(e) suivie d'un subjonctif present (p. '748). Ainsi pcu a peu des rectifica tions et des precisions nouvelles sont apportees par les critiques. En 1959 dans son importante these Gerard Moignet observe d'abord qu'il y a tres peu de cas au se interrogatif indirect soit suivi d'un subjonctif present. II en reI eve toutefois trois exemples, deux dans Ie Tristan de Thomas. un autre dans la Folie Tristan d'Ox ford (10). c'est-a-dire dans d~s textes anglo-normands. Pour les pro
cr.
Les propositions hypothetiques commenr;ant par «si)), Paris, 1939, p. 266 et p. 282. (8) Historische /ranzosisch.e Syntax, Ttibingen, 1957, p. 719. (9) Cf. tome III, Paris, 1909, p. 573. (10) Cf. Essai sur Ie mode subjonetij en latin postelassique et en ancien /ranr;ais, Paris, 1959, p. 410.
(7)
326
PllfLIPPE ~[j':~ARD
LE SCBJO:-:CTlF PRESS:\T
DA~S
I.ES IIYPOTlIl':T1Ql:ES
327
positions hypothetiques au subjonctif present il passe plus vite, mentionnant quatre exemples connus (Ie Comput, Ie Roland, les LOis de Guillaume, les Quatre Livres des Rois) et concluant que la cons truction est propre au domaine normand et anglo-normand (p. 477). Comme R. L. Wagner, il pense que c'est la une tournure «artifi cielle et improductive, conservee dans la societe fermee des Nor mands d'Angleterre » (p. 477).
appartient au texte authentique, car il est donne par tous les manus crits, sauf Ie manuscrit G qui dit seust. On peut donc faire fond sur cet exemple, tout en observant que c'est la un emploi isole chez Ie romancier champenois. Si ron regarde, en effet, la bonne etude de Fritz Bischoff, Der Conjunctiv bei Crestien (Hane, 1881), on s'aper <;oit que Ie critique allemand n'en a pas reIeve d'autre manifes tation
Telle est la doctrine classique communement. admise par les erudits. J'ai suivi ces avis autorises dans rna Syntaxe en 1973 et me suis contente de citer un exemple tire d'un texte anglu-normand, la Vie de saint Thomas Becket de Garnier de Pont-Sainte-Maxence :
Un exempJe du Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel a echappe 'jusqu'ici aux depouil1ements des amateurs de syntaxe. C'est Ie suivant:
Ne trover nel purrunt, s'a Sanz ne l'augent querre
Aujourd'hui je me demande s'il ne faudrait pas apporter quelques nuances et quelques correctifs a ce que disais brievement en 1973 «L'emploi du subjonctif present dans la subordonnee est un fait dialectal qui se trouve surtout dans les textes anglo-normands » (11). II est bien vrai que certaines ceuvres anglo-normandes. comme les Livres des Rois ou Boeve de Haumtone, presentent du phenomene un nombre de cas assez remarquable. Mals il faut peut-eire se gurder de croire que la tournure en question est exclusivl'ment angIo normande. Si l'on regarde avec attention la litterature medievale des XII" et XIII" siecles, on decouvre des exemples de cette cons truction dans bien d'autres dialectes. D'abord, il serait prudent de ne pas separer dans l'etude qui nous interesse les hypothetiques et les comparatives hypothetiques introduites par se. Sans doute, au point de vue du sens il y 0, souvent une difference importante entre la comparative hypothHique au subjonctif present qui garde toujours une valeur d'irreel et la simple hypothetique au subjonctif present qui conccrne parfois un avenir tres vraisemblable. Mais la forme exterieure est la meme, puisque ces propositions comportent a la fois la conjonction se et Ie subjonc tif present. Avant de les distinguer, il est permis de les rassembler, pour voir la veritable extension du subjonctif present en dehors du monde anglo-normand. Un exemple apparalt dans Ie Chevalier au lion de Chretien de Troyes. Et la 0i1moisele autresi Va regardant environ li,
Can s'ele ne sache qU'i! a.
Sire, se Dieus me gart de honte, De meskeanche et de prison,
C'on ne nous prengne a occoison.
Que nous ne soions tout pendu,
Si tres bien vous sera rendu,
Que d'or fin ares plain un bac.
2572
3051
Cl. Buridant et J. Trotin traduisent justement «comme si eUe ne savait rien de ce qui se passe» (12). Litteralement Ie vers signifie « comme si eUe ignorait ce qu'il avait Le subjonctif present sache (11) Op. cit., p. 235, § 264, remarque 2. (12) CI. leur traduction, Paris, 1971, p. 81. Cet exemple avait deja He releve par Klapperich, op. cit., p. 29 et par E. Muller, op. cit., p. 41.
977
Albert Henry traduit: «Patron, si Dieu me garde d'une honteuse mesaventure, du malheur et de capture, si no us ne sommes pas pris sur Ie fait et tous pendus ensuite, vous serez si bien paye que vous aurez tout un bac rempli d'or fin ». Malgre l'avis autorise de l'edi teur, je prefererais traduire pour rna part "aussi vrai que je sou haite que Dieu me garde ... » et voir dans Ie que du vers 979 un « a condition que ». La formule se Diex me gart, se Diex m'a'it, se Diex me salt, etc., avec subjonctif de souhait est trop repandue pour qu'on puisse voir dans l'exemple du Jeu de saint Nicolas tout t:ni ment une simple hypothHique. Mieux vaut laisser de cOte cet exemple et Ie prendre pour une reference optative servant de confir mation a une affirmation. Un exemple indiscutable de subjonctif present apres se se ren dans Ie Dit de l'eschacier publie autrefois par A. Jubinal dans ses Jongleurs et troLtveres (Paris, 1835, p. 151) et reimprime par mes soins dans les Melanges Ch. Foulon (Rennes, 1980). Dans ce texte Ie jongleur s'ecrie : c~ntre
Que Diex doint, s'il Ii place, Que vous aiez tranchhl Chascuns de vous Ie pie !
46
II est malaise d'assigner une date a une piece courte comme Ie Dit de l'eschacier, mais on pourrait penseI' a la deuxieme moitie du XIII" siecle. Le Jeu de La Feuillee d'Adam de la Halle, compose apparem ment en 1277, nous offre une nouvelle attestation de subjonctif pre sent, mais dans une comparative hypothetique. II s'agit de la des cription de Maroie : Les sourchiex par sanlant avoit Enarcans, soutiex et lignies (13) Cf.
p. 118.
93
PlIlLJPI'E ~rENAHI)
328
De brun poi! con trais de pinchel, Pour Ie resgart faire plus bel ; Or les voi espars et drechies, Con s'i1 voelent voler en I'air.
LE Sl'DJONCTIF I'HESENT I>AXS LES IlYPOTlIETIQFES
96 99
II enregistre aussi un passage de Cliges ou apparait un subjonctif passe: Einsi comme d'aucune chose Ait vers Ii mespris et forfeit, S! sanble que vergoigne en eit (ed. Roques, 4254) ({ comme s'i1 avait mal agi et manque a ses devoirs envers elle »
Lc subjonctif voelent se rencontre ici dans un texte franchement picard. Dernier exemple releve: Ie vers 509 des Conges de Baude FastouI, ecrivain picard, s'il en est: Adan l'Anstier et Jehan Joie, S'a ces deus congie nc prendoie, Je m'en iroie laidement. J'ai tant eli de lor monnoie, S'a nului congie prendre dole, Estre i doivent nonmeement, Car je tieng d'aus entierement Amour et vinage ensement, Dont ja departir ne cuidoie.
Dans ses tres utiles Etudes syntaxiques sur la chronique des dues de Normandie par Benoit (Lund, 1976), Sven Sandquist ne peut presenter aucun exemple sur de Benoit, mais mentionne plusieurs hypothetiques au subjonctif present etrangeres au domaine anglo normand I ). II prete attention aux vers de Baude Fastoul eites plus haut et releve quatre autres cxemples interessants :
e-
II n'a pas farce vers vos trois
Se Dius ne Ii aiut manois.
510
(Bel Inconnu, 1025)
« II ne peut resister a vaus trois, 5i Dieu ne lui apporte imme diatement son aide»
On pourrait ajouter d'autres E::xemples a cette serie. Les diction naires et syntaxes nous offrent, en dfet, divers cas de comparatives hypothHiques introduites simplement par com(e), et non eom(e) se, mais egalement construites au subjonctif present. La dissertation de Georg DubisIav, Uber Satzbeiordnung fiir Satzunterordnung im Alt jranzosisehen (Halle, 1888, p. 16) en donne deux specimens:
Se j'en doie avoir jaie ou ire, Plus longuement n'i atendrai (Cristal et Clarie, 857)
Quant Karadas vit Ie message, Son pense choile come sage, Car penser doH on clos avoir, Se ce soit folie ou savoir.
Si par resemble fiere beste, Com les gens doie corre sus.
(Premiere continuation du Conte du Graal, Mss. TDV, 6703)
(Guillaume de Palerne, 5526)
II faut comprendre
«
329
comme s'il allaH s'eIanccr sur les gens
Autresi s'en torna com ait Ie sens derve (Renaut de Montauban, 128, 25)
L. Foulet remarque que c'est Iii une construction exceptionnelle, car on dit normalement ou soit folie ou soit savoir, comme il apparait au vers 6761 du manuscrit T (1 :0). Vos Ie sarez, ce dist Ii rois, Se lever puisse de cest dois
On entendra « comme s'il etait devenu enrage». G. Dubislav remarque justement que Ie subjonctif present peut apparaitre apres aussi que ou Ie simple que signifiant aussi que Si me semble Ii terme Ions Que je nel vi venir <;a sus
Qu'i1 ait passe un an et plus.
(Guillaume de Palerme, 1346) « Le temps ou ]e ne 1'ai pas vu venir ici me semble aussi long que s'il y avait un an ou plus ».
Le Tobler-Lommatzsch (1, 597-598) produit deux autres attes tations : Oroilles droites et petites, Si com soient ou chief escrites (Floris et Liriope, 233)
(Premiere Continuation, Mss. TVD, 15029)
A vrai dire, dans ce dernier exemple on peut hcsiter. L. Foulet inter prete auirement que Sandquist. II comprend « aussi vrai que je souhaite pouvoir me lever ... ». Mais Ie sens parait plus net si l'on entend « si je peux me lever ». On ne tiendra pas compte des sub jonctifs presents d'assertion optative que Sven Sandquist melange facheusement aux authentiques hypothetiques. Ainsi l'exemple sui vant du Chevalier de La Charrette ne saurait etre retenu : Cil respont : « Se je sole sax, Ja mes de toi n'avrai pitie, Puis c'une foiz t'ai respitie ». (2912-14)
II faut comprendre iei « aussi vrai que je souhaite Ie salut de mon arne ». Manifestement nous n'avons pas affaire a une subordonnee hypothetique.
« comme si elles etaient imprimees sur son visage » Ausi com lui n'en caille Prist Ie bareil. (Barbazan et Meon, I, 222, 426)
(14) Cf. p. 127. (15) Cf. Vol, III, Part 2, Glossary of the First Continuation, Philadelphie, 1955, p. 271.
11·
330
331
I'IIILIPI'E ~l!~:-IARD
LE Sl'13JO~CTIF PRl~SE:\T DA:-IS LES IIYPOTIll~T1Ql'ES
Ces divers temoignages permeUent de se faire une idee de l'emploi du subjonctif present en ancien fran;;:ais. II faudrait ajouter que Ie moyen fran<;:ais continue cette tradition. Lerch l'avait juste ment remarque. Apres lui d'autres erudits ont ramasse de nouveaux exemples. R. Gardner and M. A. Greene en citent trois echantillons dans leur Syntaxe (In), deux tires de la Chirurgie d'HeD.ri de Monde ville, un de Fouke Fitz Wal'in qui est un tcxte anglo-normand. II suffira ici de citer un exemple de la Chir1A.rgie :
Haumtone en offrent plusieurs exemples. Mais ce tour se trouve un peu partout loin de l'aire anglo-normande, dans des textes pi cards ou champenois. On ne saurait lui assigner une zone dialectale bien dMinie. Ce n'est pas un phenomenc de syntaxe regionale, semble-t-iI. II se rencontre dans d'autres Iangues romanes. L'anden espagnol Ie connait comme l'ancien franc;ais (IS).
Se ulcere ancianne ne puisse estre autrement curee, chose profitable est fere nouvele ulcerc jouste icelc (1531).
Les deux erudits americains ont observe que dans Ie texte d'Henri de Mondeville sur quarante-sept exemples d'hypothetiques, Ie sub jonctif present apparalt vingt-cinq fois. Peter Wunderli produit deux exemples nouveaux dans son etude Die Teilnktualisiernng des Ver balgeschehens (Subjonctif) im Mittelfranzosischen (Ti.ibingen, p. 551) : Amcz moi et amez mes hommes, si voeulliez regner longue men. (La Sale, 24) Je prie Dieu qU'i! mc puist faillir, sc je, pour paine ne pour ennuy qui me puist escheoir, je tc faille ct. que jc face mon pouoir de toy despeschier ct dclivrer (Berinus, 73).
L'etude rapide de Frede Jensen, The Syntax of the Old French Subjunctive (La Haye, 1974, p. 101) re1eve encore un exemple pro venant de la Chirurgie de Mondeville : Se Ie temps soit chaut et la plaie a este ouverte ..., ceste cure ne doit pas estre commenchic ... (899).
Mais la tournure ne semble plus guere employee au XVI" sieele et devient manifestement hors d'usage a l'aube du XVII" sieele. Que conelure au vu de ces t('moignages? On ne saurait oublier, d'abord, la rarete du phenomc'ne. Le subjonctif present n'est fre quent ni dans les comparatives hypothetiques ni dans les simples hypothHiques. II n'est repandu que dans les fausses hypothHiques du type se Diex m'aH, se Diex me gart, se Diex me voie. Pour la tour nure qui nous interesse il faut chercher tres longtemps avant d'en trouver c;a et la quelques exemples. En second lieu, il ne semble pas possible de localiser dans l'espace ou dans Ie temps cette construction rare: Elle apparait des Ies plus anciens textes : a preuve la Chanson de RoLand. Elle surgit a plusieurs reprises au XIIe et au XIII" sieele, puis reparait en moyen franc;ais, avant de disparaitre au XVIe siecle (17). On avait soutcnu trop vite qu'elle se cantonnait aux textes anglo-normands. II est vrai que les Quatre Livres des Rois ou la chanson de Boeve de (16) Cf. A brief Description of Middle French Syntax, Chapel Hill, 1958, p.107.
(17) La these d'Edmond Huguet, Etude sur la syntaxe de Rabelais, Paris, 1894, n'en cite aucun cxemple.
Comment interpreter cet emploi du subjonctif present dans Ies hypothetiques et dans Ies comparatives hypothetiques? Une in fluence se serait-elle exercee des comparatives sur les hypotheti ques? A vrai dire, il n'y a pas plus d'exemple de subjonctif present dans les comparatives hypothetiques que dans Ies simples hypotheti ques. Quand on raisonne sur des chiffres tres bas, il est vain de speculer. Nous avons trop peu d'attestations pour essayer d'entrevoir une influence dans un sens ou dans l'autre. Contentons-nous de constater qu'il y a un paralleJisme entre l'emploi du subjonctif present dans Ies hypothetiques et dans les comparatives hypothe tiques. Le subjonctif present a-t-il Ia meme valeur dans ces deux types de propositions? Au premier abord, dans Ies hypothetiques simples ou Ie mode normal est l'indicatif present, on a affaire, dit-on com munement, a une supposition qui porte sur un present-futur indubi table, ce qu'on appelait autrefois une hypothese rt~elle, Bedingungs siitze der Wirklichkeit (1:'). En revanche, Ies comparatives hypothe tiques relevent normalement de l'imparfait du subjonctif en ancien fran<;:ais puisqu'elles evoquent une supposition contraire a la realite. II est plus facile de justifier Ie subjonctif present dans ce dernier cas, en rappel ant que la distinction que nous faisons aujourd'hui entre potentiel et irreel n'existait pas dans Ies Iangues anciennes ni dans les esprits. En latin Ie subjonctif present pouvait marquer non seulement Ie potentieI, selon I'usage elassique, mais encore l'irreel du present en) dans les hypothetiques simples. De plus, dans Ies comparatives hypothHiques introduites par quasi et tam quam Ie subjonctif present est courant e1 ). Sans invoquer une influence du latin, qui serait peu vraisemblable, on peut rappeler ces faits paral lcles pour comprendre l'apparition episodlque du subjonctif present dans les comparatives hypothCtiques. Apres tout, quel que soit Ie temps du subjonctif, la presence du mode suffit. Le subjonctif indi que bien que l'on a affaire a une hypothese virtuelle. Pour les simples hypothetiques, les explications avancees sont nombreuses. Klapperich a cru a un latinisme (2~). Invoquer une influence du latin est admissible en certains cas: la langue des tra (18) Cf. Fred Jensen and Thomas A. Lathrop, The Syntax oj the Old Spanish Subjunctive, La Haye, 1973, p. 79, § 179. (19) Comme dit Klapperich, op. cit., p. 15. (20) Cf. A. Ernout ct Fr. Thomas, Syntaxe latine, Paris, 1953, pp. 376-77. (21) Ibid., p. 388, § 380. (22) Op. cit., p. 15.
332
PlIILIPPE ~I!~.NARD
ducteurs, par exemple. II peut en aller ainsi pour Ie texte des Quatre livres des Rois. On pourrait y songer aussi pour certaines ceuvres du moyen fran~ais. Mais Ia presence du subjonctif present dans des textes tres divers et it des moments differents de I'histoire exclut une influence directe du latin. Faut-il voir alors une influence du subde souhait des fausses hypoth~~tiqU(;'s du type se DieT me gart, se Diex me voie ? Ce n'est pas it rejeter absolument, mais cela impliquerait une analogie purement formelle et une erreur d'inter pretation. Si ron cherche une explication analogique, on peut faire va]oir egalement que ]'hypothese coordonnee par et ou et que est normalement au subjonctif en ancien franGais. A partir d'exemples comme se je muir et ele rev eigne (Ji::ree, 2722) si je meurs et revienne ", on a pu employer par analogie Ie subjonctif present dans une hypothetique introduite par se. Telle est l'idee de Gamillscheg, de Gardner et Greene ou de Jensen eO'). Ce n'est pas impossible. Mais il est peut-etre plus satisfaisant de penser qu'a certains moments on a employe apres se un subjonctif present parce que Ie subjonctif est tout naturellement Ie mode de l'hypothese, comme on Ie voit en latin avec les conjonctions dum, modo, dum modo, en ancien fran avec mais qu.e, en moyen fran~ais avec pose que, Slippose que Sans doute, ce]a veut dire que dans ces cas In conjonction se n'a plus introduit une hypothese vraisemblable, actuahsee au present de l'indicatif. B~l1e a amene une supposition relevant du possible, nne pure eventualite. Mais il n'y a aucune raison d'en etre surpris. Cette perspective est parfaitement meme si elle est rare dans l'ancienne langue.
Paris.
Philippe M:f~NARD
En depouillant B.N. 25566. Grammaire et dialectalite
Robin et Marion et la Feuillee ayant ete mis a un programme dans les editions de Langlois, nous avons dli etudier Ie vrai texte d'apres des reproductions de la copie; c'est ainsi que nous sont apparus les tresors philologiques de ce recueil bien connu. Nous nous proposons d'envisager ici la concurrence de je et de jou, et la repar tition des formes dialectales et des formes communes du demonstra tif. Nous n'avons pas depouille tout Ie volume; mais nous avons etabli un reIeve exhaustif des formes que nous considerons dans un corpus de plus de dix mille vers: outre RM, etudie d'apres des photographies du manuscrit, les trois « appendices" des CFMA, litteralement reproduits par Langlois et la Feuill.ee, desormais acces sible dans l'edition correcte de .J. Dufournet (Gand 1977), nous avons passe au crible Saint Nicolas (edition Henry) et les parties en vers de Renart le Nouvel (edition Roussel). pour cette derniere ceuvre, nous ne sommes pas alle au-del a du v. 6734 : la fin est en effet l'ceuvre d'un autre copiste. La transcription demeure presque impeccable, mais la langue est differente, et DOUS avons ete contraint de laisser de cote ce temoignage afin de travailler sur un corpus vraiment homogene. Voici ce que l'on trouve, et comment nous proposons de traiter la donnee philo]ogique.
JE et JOU
(23) Cf. Gamillscheg, op. cit., pp. 717-720; Gardner and Greene, op. cit., pp. 107-108 ; Jensen, op. cit., p. 102. (24) P. Wunderli a rappele la construction de pose que et suppose que en moyen francais, op. cit., p. 548.
Apres avoir exclu les cas ou les deux formes ne sont pas compa rabIes (exemples de la rime, je graphie en toutes lettres mais ne comptant pas pour une syllabe, alors que ne s'elide jamais), nous avons conserve un total general de 569 occurrences. Je est atteste 504 et jou, chose a p;iori paradoxale dans une copie artesienne, 65 fois seulement (11,42 %). Cette disproportion laisse esperer que Ie assigne it la forme dialectale un statut particulier, et nous avons cherche a Ie verifier en considerant toutes les positions syn taxiques ou les deux formes figurent :
334
.\:'\DRg ESKf::'\AZI
1) Pronom
devant initiale consonantique
Type St N. Type St N.
1109 872
J'ai les des, giet pour tous cheus. Jou giet ! Diex Ie meche en mon
2) Pronom conjoint devant initiale vocalique
Type Renart Type RM
preu!
3827 667
Fors chis vens dont je ai parle. Et jou ai deus froumages fres.
313 218
devant initia/e consonantique S'en ai je bien d'aussi tenchans. Aussi ai jou deus Ermenfrois.
3) Pronom
Type Feuillee Type Feuillee 4)
n.:,,;. 25566: GR.-\:\L\L\IHE ET
34 279
Pour che l'aour je et retlaim. Si puisse jon estre
5) Pronom
Renart Type St N. 6) Phrase
1387 934
a verbe
Se je Roussel mon fil avoie. Et jou ja issir ne m'en quier.
zero; pronom coordonne
Types Renart
3699
Renart
2264
] 7 (1) 3 ex. 10
Pour la position 1, il y a 1 seul de jou d,ms Renart (16 dans Ie theatre); Ia proportion de je y est done tres voisine de 100 0/0. Inversement, en position 2, les trois exemples de je sont dans Renart; Ia proportion de jou est de 100 % dans Ie theatre. La ten dance a la distribution complementaire est on ne peut plus evi dente: je conjoint devant initiale consonantique / jOlt conjoint devant initiale vocalique. Cette repartition a peut-etre pour objet de lever l'ambigu'ite de la suite je ai, qui peut se lire en une syllabe ; mais comme Ie copiste ecrit constamment j devant (9 devant i), il faut attribuer a la constance de cet usage une linguisti que: du fait que jou ne s'eJide jamais (alors que je ecrit en toutes lettres s'elide parfois en position postposee antevocalique), et que l'enclise *joul n'est pas attestce, du moins dans notre corpus, connait l'enclise on doH considerer que jou est l'apres de et sur Ie vecteur de droite croissant. La grande frequence dc jou en position conjointe antevocalique s'explIque sans doute par un phenomene de compensation: la voyelle, constituant de base du mot (il n'cxiste pas de mot sans voyelle en fran<;.ais) est ravant de la consonne, qui contient en outre un trait de plus: l'obsiacle a l'eva cuation de l'air : jou voyelle = apres + avant; je + consonne avant plus apres (1).
45 ex. 13 (I)
4 ex. 9 11 ex. 3 C')
Mi home estes, et
vo sire. .. et seroie cachie Je et Ii mien du regne hors. Types Feuillee 994 Le cors et jou l'escorche. Renart 6391 Mais servi et jou et me gent Les avons en foi 10iaument.
8 ex.
13
Les deux variantes sont done en distribution complementaire. La domination de la forme commune dans les positions 1, 3, 5, avec des proportions de 96,22, 77,58 et 78.57°jn. Celle de la forme dialectale apparaft, mais de fa<;on moins nette, dans les positions 2 (76,92 010), 4 (69,24 Ofo et 6 (62 On peut s'etonner de voir la supe riorite de je dans les positions ou il triomphe beaucoup plus ecra
En position 3, on s'attendrait it ne rencontrer que je devant initiale consonantique; de fait, je est majoritaire' mais sa fre quence est beaucoup moins qU'en position et jou solidement atteste. Le fait confirme ce que nous disions de la posi tion dc jou par rapport a je. Par definition, l'inversion est une tion d'apres; eIIe s'accommode donc plus volontiers de l'apres lin guistique jou que l'antcposition (22,42 % contre 3,77
17/450 3,77 : RM 97, 142, 624 (2 fOis), 682; St N. 466, 627 (2
fois), 848 (2 fois), 872, 893, 1107, 1169, 1473 (2 fois) ; Renart 6630.
(1) Jou
(2) Je 3/13 23 : Renart 1390, 1560, 3827. Jou 10/13 = 77 : RM 173,
683 ; appendice I 48, 96 ; appendice II 6, 47 ; St N. 1022 ; Renart
5287.
77,58 %. - Jou 13/58 - 22,42 r;~ : F. 165, 218, 338, 755 ; RM 354, 671, .71 ; Renart 4505 ; St N. 532, 727, 911, 1323, 1459. (4) Je 4/13 30,76 % : RM 66 ; St. N. 34 ; Renart 439, 5186. _ Jou 9/13 69,24 6465. % ; F. 279, 989 ; RM 45 , St N. 306, 975, 1010, 1067, 1104 ; Renart (3) Je 45/58
=
(5) Je 11/14 = 78,57 : F. 626 ; RM 308 . appendice I 117 ; St N. 32, 111, Renart 1387, 2072, 3124, 3411, - Jou 3/14 = 21,43 % : St N. 245 ;628, 553, 934. 38,1 : F. 639 ; RM 274 ; St N. 896 ; Renart 3699, 1701, 2265, Jou 13/21 62 % : F. 604, 631, 994 ; RM 134, 280, 449, 453 ; 2296, 5642. St N. 825, 1170 ; Renart 1398, 5368, 6391, 6412.
335
sante que celIe de jou dans celles ou il est majoritaire; mais la simple consultation des notes 1 a 6 donne I'explication : la repartition des deux variantes n'est pas homogene dans Ie corpus depouille. Renart contient 139 des 504 occurrences de je {27,57 0/0), et seulement 9 des 65 exemples de jou (13,84 %). L'etude de la distribution des deux variantes permet d'aboutir a des resultats beaucoup plus significatifs et spectaculaires si l'on tient compte non seulement des situations syntaxiques mais encore des textes qui les produisent.
433 ex.
postpose devant initiale
Type St N. Type FeniHee
DlALECTALIn~
(6) Je 8/21
1
(7) C'est a un phenomene de compensation que G. Moignet attribue Ie developpement de la forme predicative du pronom regime devant infini tif ; voir Le pronom personnel jranvais, p. 63. (8) Le copiste, qui transcrit constamment la forme reduite du pronom elide prepose antevocalique, ne Ie fait jamais dans la position inversee: il pergoit une difference linguistique et la note. Comparer Feui1lee 1 Segneur saves pour quoi fai mon abit cangiet ? et Feuillee 539 Ai 1e emploie bien .xxx. saus? (= ai j') (voir les autres exempies dans F. 999 ; RM 167 ; Renart 4373). Cet usage est egalement absolu dans Ie cas de ehe, me, etc.; on rapprochera par exemple Feuillee 236 Maistres, m'en estuet il gesir ? et Feuillee 246 Biaus maistres, consillie me aussi (=, m'aussi).
336
B.N. 25566: GR,\:IDL\IBE ET D1ALECTALlTf:
ANDRI': ESKENAZI
(2 fois). La frequence inhabituelle de jou en position pf!2COnSOnan tique, particulierement importante dans 1e theatre (10/11) laisse supposer que jou l'otroi revetait une expressivite specifique et mar quait un tournant, un temps fort de l'intrigue. Il nous est malaise de nos jours de l'apprecier pleinement.
La position 4, en revanche, laisse apparaitre une frequence moindre pour jou que la position symetrique 2. Presente it 100 % dans Ie theatre en position preposee antevocalique, Ia variante dialectale n'y figure qu'a 80 Ofo (8 ex. sur 10) en position inversee antevocalique. Nous avons cite plus haut St N. 34 ; I'autre cas est RM
66
Encore en ai je en mon sain
Les autres exemples de jou anteconsonantique, tous dans Ie theatre, sont RM 97, 682 ; St N. 446, 872, 893, 1107. Les trois derniers exemples sont interessants: its contiennent un appel a l'attention d'un joueur s'appretant it jeter les des. On les confrontera a des cas en apparence identiques, mais probablement mnins charges d'affec tivite (St N. 1089, 1109).
On peut imaginer que, dans Ies deux exemples, 1a main du copiste a ete influencee par une anticipation du trace du e par Ieque1 com mence Ie mot suivant ; Ies deux exceptions seraient alors dues it un accident dans Ia transcription. La position 5, ou Ie pronom est disjoint du verbe, donc auto nome, relativement, est une position predicative. Or jou n'est atteste dans cette situation que dans une proportion de 21,42 01 0 ; on notera cependant que les trois exemples de la forme dialectale sont dans Ie theatre, ou la statistique donne 3/9 33 0/0. La position 6 est prMicative par excellence (voir Moignet, Pro nom personnel, pp. 86-87). La statistique genera Ie donne ici encore une proportion relativement faible de jou (62 %), mais la statistique particuliere au theatre un chiffre plus important: 9/12 = 75 %. II apparait donc que les situations authentiquement predicatives don nent une proportion de formes marquees moins importante que les situations qui Ie sont moins evidemment (les positions antevocali ques). C'est pourtant en position 6 que 1'0n voit apparaitre moi (RM 678, 686 moi et vous). On trouve une confirmation de ce desinteret pour la notation de la forme predicative dans Ie fait que jamais jou n'est atteste devant Ie verbe suppleant jaire : Feuillee
864
Je l'arai bien tost mis en sen lit, ensi que 1e lis l'autre an Jakemon Pilepois
(voir encore RM 349, Renart 1506, 1627, 2544, 3124, 3397). Ce qui semble interesser davantage Ie copiste, c'est la predicati vite de discours. C'est pourquoi jou est nettement majoritaire (56/65 = 86 °fo) dans Ie theatre: il marque certains temps forts d'un discours nerveux, familier, destine it un public local: ni la Feuillee ni Saint Nicolas n'ont, semble-t-il, circule. Au contraire, 1a portee de Renart le Nouvel a peut-etre laisse croire au scribe que l'reuvre serait diffusee. Cette particularite du discours theatral nous ramene aux 17 cas ou jou est prepose a une initiale consonantique (type Un seul de ces exemples figure dans Renart : 6630
Li rois a dit : « Et jou l'otri ».
Or, nous avons dans notre corpus 15 autres exemples de l'otroier precede du pronom de 1a premiere personne. 5 fois, Ie pronom cst je : Renart 2147, 2456, 3601, 4775 et FeuilU!e
893
Par Ie saint Dieu, et je l'otroL
Les dix autres exemples sont dans Ie theatre, et on a toujours jou: RM 624 (2 fois) et 142; St N. 627 (2 fois), 848 (2 fois), 1169, 1473
337
Jou est, dans tous les cas releves, une forme marquee, l'apres de 1a forme commune je, que l'argument de cette position soit une predicativite de langue ou une predicativite de discours :
je
jOu
, Le "pronom neutre est antepose a un vNbe a initiale voca lique dans 97 exemples. Le type Renart 2627 ... dont c'est doleurs .. apparait 84 fois (l'), soit dans 86,59 ofo des cas, et Ie type Renart 5090 ... que c/I'est doleurs . 0 13 fois, soit dans une proportion de 13,41 /0 Cette situation, tres nette, confirme ce que nous disions plus haut: relision etant Ie temoignage d'une decroissance, la position antepos~'e devant voyelle est un avant, or 1a forme commune est l'avant de 1a variante dialectale. Notre copiste realise done la coin cidence d'une situation (la decroissance) et du signe qui y corres pond, 1a forme commune, non marquee. Nous ajouterons, non sans prudence, l'observation suivante : la repartition des deux variantes n'est pas homo gene. Le theatre presente 54 occurrences des deux formes, et 4 seulement sont dialedales (7,40 %) : ch'est dans Feuillee 286 ; RM 159, 473 ; appendice II 44. Dans Renart, Ie total des formes est de 43, et ch' apparaU 9 fois (21 °/0) : ch'est 211, 1638, 5090, 6589, (9) Ce chlffre tient compte des cas ou c· est une forme de regime: Renart 3954, 6550. (10) y compris les deux formes de regime: Renart 731, 6333.
jl
E.):. 23566
A):DHI:; ESIU,;':AZI
338
Devant initiale vocalique, Ie sujet antepose etait atteste 13 fois, et jou apparaissait 10 fois; chou est Ie seul atteste dans cette situa tion : on rencontre 12 fois Ie type
6611 ; ch'ert 350 ; ch'estoit 734 ; ch'a fait 731, 6333. 8i notre remar que etait fondee, elle confirmerait ce que nous avons signale a pro pos de la repartition de je et de jou selon Ie genre de l'ceuvre trans crite. Le theatre contient la grande masse des exemples de la forme dialectale jou parce que l'opposition des deux variantes est signi fiante, la forme diaiectale etant marquee par rapport a la forme commune. Mais I'alternance c'/ch' est libre, fortuite, non exploita ble ; Ie theatre n'a done que faire de Ia forme picarde, et Ie copiste l'evite avec un plus grand soin que lorsqu'i.l transcrit Renart.
Renart
Chou est grasse qui vient de Dieu (12)
5263
Absent de la position anteposee devant initiale consonantique, chou est atteste 6 fois dans la position inversee devant consonne (contre 32 exemples de che, soit dans une proportion de 15,78 %) ; on pourra rapprocher, entre aut res
Feuillee
et c'
339
GBA)DL\IHE ET Dl.\LECT.\UTlc
St N.
che
Qu'est che ? Seront hui mai:; riotes ?
557
Qu'est chou? Qui nous a esvillie ?
1279
(n)
Le fait n'est pas pour nous etonner; aux observation:; de la note 8 nous ajouterons la constatation concordante que, devant initiale vocalique, la forme reduite c' ou ch' n'apparait que dans Ie cas de l'anteposition, et OU nous opposerons
et
Feuillee
286
Ch'est trop bon a dire a vo feme
Feuillee
245
Et pour cite as Ie ventre enfle 5i
(= ch').
(Les deux autres exemples de che ,~ ch' sont dans F. 631 et 849). II va de soi que, de rigueur en position anteposee devant initiale vocalique, chou figure dans aucune exception en position inversee : Ne retenant que les formes comparables des deux variaDtes, nous en avons releve 417 exemples, dont six seulement a initiale c- (II). Ce que nous avons constate a propos de c' et de ch' laissait prevoir ce resultat: du moment que la forme reduitc, en decrois sance de tension se presente Ie plus souvent sous l'espece de la variante commune, il etait clair que son apres, la forme pleine, devait apparaitre sous l'espece de la variante dialectale. Les formes en -e sont nettement majoritaires: il y en a 372, soit 89 0/0; nous retrouvons done ici la situation statistique qui nous etait apparue a propos de je et de jou (jou : 11,420/0 ). comme precedemment. nous etablissons une statistique des frequences par genre, nous obtenons Ie resultat suivant : Ie theatre contient 129 des 372 attestations de che (et ce), soit 35 et 36 des 45 occurrences de chou (et soit 80 "/n. Cho1l et che representant dans Ie theatre un total de 165, chou y apparait dans la proportion de 36/165 22 Ofo ; dans Renart, la relation est de 9/252 3,6 % de chou et 96,4 de che. II n'y a la rien qui puisse surprendre qui a analyse la situation de jou par rapport a je; chou sera tres vraisemblablement di,fini comme un apres de che. Void Ie detail de la repartition des variantes. Nous avons remarque au debut de cette etude que jou antepose devant verbe a initiale consonantique etait represente par 17 exem pIes. Che sujet antepose est atteste 96 fois devant un verbe a initiale consonantique, et Feuillee
696
Feuillee
Dont sera chou au ju des des
Ce que nous venons de dire ne concerne que Ie pronom sujet. Dans le cas du pronom regime, Ia situation est differente. Lorsque Ie pronom regime est antepose a une initiale consonantique, la situation est identique a cene du pronom sujet: la position est attestee 65 fois, et on a che dans tous les cas sans exception: 7
St N.
t! •
Clle nous content Ii voir disant.
Mais alors que Ie sujet conjoint devant voyene apparait toujours sous la forme chou, Ie pronom r('gime n'est atteste que sous Ia forme che (quatre fois seulement, il est vrai uniquement dans Renart) : Renart
882
Tout che a fait faire Renart
(1 ~)
Dne seule fois, Ie regime est inverse devant initiale vocalique, et on a chou: Renarl
,t ~>
Certes, dame, che poise mi
est Ie seul type atteste. (11) Ce: FeuilU!e 253, Renart 1137 a, 4732. Cou: st N. 491 ; Renart 899, 5376.
416
(voir aussi RM 471 et St N. 1151).
r
i
5264
Renars ne tient point chou a gieu.
Alors qu'il emploie sans aucune exception la forme dialectale pour Ie sujet devant voyelle, en anteposition comme en inversion, Ie copiste semble bien exemples sont malheureusement rares) (12) Voir aussi RM 513, 578, 674 ; st N. 421, 426, 472, 518 ; Renart 5347, 5376, 5572, 6356. On constate que Renart, qui ne contient que 9 excmples de chou, en place 5 dans cette position, qui n'est representee que par 12
exemples au totaL
(13) Les autres exemples figurent pour cl!e dans F. 132, 223, 228, 401, 512, 557,
591, 730, 766, 767, 911, 988, 1026 ; RM 38, 48, 27i, 390, 478, 625. 721, 736,
752, 768 ; St. N. 594, 611, 785, 811, 923 (2 fois) : Renart 5948, 6502. Pour
chou dans F. 847 ; RM 212, 213, 264 . St. N. (14) Voir aussi 2881, 2924, 6465.
340
BS. 255,,6: GRA~DIA[H[-: ET DL\I.ECTALITI~
.\KnRl:: ESKlt};AZI
reserver chou a 1a position inversee. Peu prodigue de 1a variante picarde quand il transcrit Renart, il juge bon de gaspiller plus de Ia moitie de son stock pour Ie sujet antepose devant voyelle, et de Iesiner pour Ie regime dans la meme situation, alors que Ie type n'est represente que quatre fois. Cette attitude est peut-etre signi fiante, malgre Ie petit nombre des cas. Che et chou sujets sont attestes 152 fois dans notre corpus; en 38 passages, ils sont en posi tion inversee (25 %). Regimes directs, nous les avons releves en 70 passages; une seule fois, nous avons un regime postpose, et Ie copiste a choisi chou. La place du regime cst donc fixe dans 1a quasi totalite des cas, et, dans la quasi totalite des cas, la foncHon est notee par la forme commune. C'est que Ie regime est un avant; depourvu la plupart du temps de marque flexionnelle, c'est Ie cas de la non fonction, Ie sujet, pourvu d'une marque spedfique, etant Ie seul a exercer une fonction par rapport au syntagme verbal; le regime est un cas passif, Ie sujet un cas actif, et ce n'est pas un hasard si Ie feminin, genre faible, ignore 1a piupart du temps l'oppo sition casuelle d'un sujet et d'un regime. On est done fonde a situer Ie regime en decroissance de tension, et Ie sujet en croissance; la repartition de che et de chou, l'un avant et l'autre apres, correspond exactement a la situation linguistique: dans Ie cas du regime, Ie seul cas ou la forme est postposee (apres) est compatible avec la variante marquee, chatt : r~~gime
'
passivite non fonchon
"
sujet ,JfI activite / /' fonction/'
,
CHE
'
'
/'
"
"
/'/' "
CHOU
/'
"
'It.i
/'
11 reste dans Renart 3 exemples de chou, que void:
898 6340 4529
L'olifant sonna hautemcnt
chiex qui a <;'OU estoit esliex.
Dont drecha Lyonniaus sa chiere
et dist : ( Renars, de chou ouvre
aves tant que vous en sai gre.
Si tost que chis cans fu pardis,
Ii rolne a gete un ris
de chou que Harouge at cante.
Dans les trois cas, nous avons affaire a un regime prepositionnel, une fois antecedent d'une relative, et deux fois seul devant voyelle, comme il se doit. Le pronom seul en fonction de regime prepositionnel devant consonne est atteste 62 fois dans notre corpus; il y en a 49 exemples dans Renart, sans que no us en ayons un seul de la forme dialectale ; Ie theatre contient 13 autres exemples, dont 4 de chou: Feuillee
237
Neni!! ja pour chou n'en gerres !
(Les autres exemples dans F. 778, 999 ; St. N. 491).
341
La proportion de chou est de 6,45 (I/o pour l'ensemble du corpus, et de 31 Ofo pour Ie seul theatre, cette proportion etant relativement importante. Il ne nouS a pas semble que ron pilt repartir les exem pIes de chou et de che selon un critere particulier, et on rapprochera de FeuiHee 237 RM
89
Ja pour che ne vous ameraL
(Les autres exemples du theatre dans F. 46, 81, 832; Ap. 1 57, 92 ; Ap. II 53 ; St N. 34, 106). Si noUs considerons maintenant Ie meme pronom regIme prepo sitionnel seul, mais devant initiale vocalique, la situation change sensiblement. Le pronom est atteste en tout 16 fois, dont 14 dans Ie Renart : 12 che et les deux exemples de chou ci-dessus mentionnes. Nous avons deux exemples du pronom dans Ie theatre, deux lois chou:
FeuiUee
194 462
Or puis seur chou estre escoliers Li papes, qui en chOu cut coupes est eureus quant il est mort.
Le theil.tre ignore done completement le type
1140
De che at Renars Ie cue!: lie
que nous avons encore releve aux vv. 2060, 2717, 3547, 3761, 3917, 4010,4901,5091,5190, 5540, 5852. Selon que Ie regime prepositionnel seul est devant consonne ou devant voyelle, la statistique generale passe de 6,45 a 25 (I/o, la statistique particuliere du theatre de 31 a 100 %, et celIe de Renart de 0 a 14,28 (I/o (2/14). Les proportions indiquent que cette position est hierarchiquement la seconde, der riere celIe de sujet antepose devant initiale vocalique. 11 faut que les circonstances soient pressantes pour que Ie copiste se dedde a lacher des chou dans Renart. Sans doute avons nous un regime, mais deux arguments se pretent a l'apparition de chou: la position antevoca lique, maintes fois invoquce comme determinant.e, et qui commande, par une sorte d'effet de compensation, l'usage de la variante dialec tale, et le fait que la fonction de regime prepositionnel est une situation predicative: Ja preposition spatialise, realise un mouve ment de situation dans l'environnement, et c'est pour cela que Ie pronom personnel apres preposition est toujours de forme predica tive, par opposition au pronom regime sans preposition. Lorsque Ie pronom regime p,epositionnel est antecedent d'une relative, on trouve encore che et chou. Nous avons releve 13 exem ples d'un demonstratif antecedent d'un relatif, et chou apparait trois fois ; a Renart 4531 cite plus haut, il convient d'ajoute:' F. 62 : St N. 976. 11 y a donc 10 exemples du type: Feuillee
22
Cuidies vous qu'il venist a chief, biaus dous amis, de che qu'il dist ?
(Pour les autres, voir RM 158; St N. 1262; Renart 2315, 2497, 3610, 3640, 4715, 4741, 5071). La proportion generale de chou est de 23 % des exemples; la proportion particuliere de Renart est de 12,5 Ofo
342
[).:\. 2:;.;(i0: GRA'J:\I.\JHE ET m.\I.Ef:T.\l.IT!~
.\:\DliI': ESlm:\.\ZI
(1/8), et celle du theatre de 40 % (2/5). Deux facteurs expliquent une telle frequence : la situation de regime prepositionnel et Ia fonction d'antecedent d'une relative. On constate en effet que, d'une maniere generale en ancien fran<;ais et particulierement dans RenaTt, c'est Ie relatif de type cil qui sert d'ant6cedent du relatif. En effet, l'ante cedent du relatif equivaut a un substantif predetermine pal" Ie lorsque c'est un pronom : Feuillee
et
a l'artic1e
1053
Diex! qui est chiex qui la se keute
(~
li hon)
Ie lorsqu'il est predeterminant d'un substantif :
Renart
2770
Rois, or me baillies chele clef que vous aves de chel wiket.
(=
la clef)
Le demonstratif de theme -I ne rHere pas a l'espace immediat, mais definit un mouvement large, ou une absence de reference :::pa Hale: il constitue l'apn:,s du demonstratif a -s-. qui n~fere de faGon precise au jehu; or chou est l'apTE?S de che. En 12
,
non re'f'crence au /' /! le.I tu
reference au' '- je/tu dialogue ',
'
recit /'
./
/'
"", ,
CIST CHE (UN) mouvement particularisant"
"
/'
/' CIL ' . /'/' CHOU /''' (LE) / mouvement generalisant
La coherence de la situation linguistique et du signe choisi est donc une fois encore realisee. La position d'apres de l'ant6cedent de la relative est du reste attesiee dans notre corpus hors du cas particuJier du regime pn?po sitionnel. Chou apparalt une fois comme attribut du sujet : RM
38
Est che chou que vous demandes ?
et deux fois comme regime direct: Feuillee Feuille.e
3 263
81 avertirai chou que j'ai piecha songiet. Fait est. Rewarde en ceste crois, et si di chou que tu i vois.
Parallele a la construction preposition I che, choul relative, nous avons aussi la construction preposition I che, choul conjonctive. Nous avons denombre un total de 64 exemples des deux types
et
RM
116
par Ie saint Dieu, j'ai desvestu pour che qu'U fait froit men jupel
RM
761
Et tu verras passer d'escole pour chou que tu m'as acole.
Dans ce nombre, i1 y a sept exemples de la construction avec chou. La proportion generale donne Ie resultat de 7/64 10,93 %; Ia statistique propre au theatre est de 7/12 = 58,33 % d'exemples de chou (1H). Eu egard au petit nombre des exempIes, on peut tenir pour comparablcs les proportions respectives de chelchou regimes prepo sitionnels introduisant une relative ou une conjonctive : 11 n'apparait donc pas que Ie copiste distingue Ie que re13tif et Ie que conjonctif, ou tout au moins, qu'il juge utile de la noter s'il la perc;oit. 11 eut ete instructif d'etudier la concurrence de che et de chou non par une preposition et introduisant une conjonctive. Malheureusement, Ia variante dialectale est absente dans cette position, et Ie fait est peut-etre fortuit, puisque Ie theatre, temoin privilegie, ne contient que Ie seul exemple de
st N. 207 Che qu'i! rist primes, c'est vos biens (17)
II nous reste deux exemples de chou:
st N. 1133 A! sains Lenars, elm desous !
Feuill,fe
808
32
che n'est pas che que je demant
est atteste 26 fois (1 :;). La proportion generale est faible (3 chou/29 10,34 % ; S1 on limite la statistique au seul theatre (3/11 27,27 eUe se rapproche de la precedente (40 Ufo). Mais les exempies sont si peu nombreux que la statistique est sans grande signification. (5) Voir aussi : F. 291, 460 ; RM 78, 532 ; St N. 393, 1379, 1433 ; Renart 213, 812, 1454, 2067, 2098, 2384, 2617, 2919, 3600, 3978, 4314, 4334, 4570, 5366, 5488, 5980, 6469, 6733.
Mais I<'ortune ore Ie desmonte,
et tourne chu dessous dcseure.
On peut identifier chu comme une variante graphique de chou. Outre que Ie grapheme u peut fort bien, dans un texte picard, repre senter Ie phoneme [u) (l '), che est atteste une fois dans cette position: Feuillee
861
Mais, se je puis, U ert en bierc, ou tOUl'neS che devant d8rriere.
Cette construction appelle chou, ou tout au moins l'admet, parce que Ie pronom n'a pas de valeur deictique, et ne refere en aucune fac;;on a l'environnement du moi-ici-maintenant. Chou a donc Ie meme statut que dans la position d'antecedent d'un relatH (voir la figure ci-dessus). La confirmation de cette situation d'apn'!s de chou est l'usage constant du demonstratif Hechi en -I- devant un adverbe: Renart
959
En face de ces trois cas, Ie type
RM
343
Engien ne criement ne assaut chi! dedens.
Le dernier exemple de notre inventaire est dans une phrase zero: Feuillce
404
a verbe
Se che non, Robers SoumUlons, qui est nouviaus prinches du pui, vous ferra.
(16) Chou: F. 377, 487, 787 ; RM 762 ; Ap. III 5 ; St N. 635, 1455. ~- Che : F. 593, 950 ; RM 117, 720 ; St N. 1518. (17) Renart 1623, 1773, 2445, 3058, 3275, 3978, 4675, 4693, 5801 (18) Cette graphie est cependant rarissime dans la partie de EN 25566 qU'a transcrite notre copiste : Renart 3285 cTupe pour croupe.
344
B.X. 2;;566: GRUDL\IRE lOT DLI.LECTALlTI'
345
ANDRE ESKENAZI
Position predicative, mais forme commune. Il est vrai que nous n'avons pas d'autre exemple. La repartition de che et de chou inspire les memes conclusions que celle de je et de jou : la forme dialectale est beaucoup plus fre quente dans Ie theatre que dans RenaTt, et son emploi correspond toujours a des situations qui definissent la variante comme un apn'!s de la forme commune.
LES FORMES FLECHIES DU DEMONSTRATIF Le copiste graphie 174 fois chi et pas une ci; en face des 27 chaiens, pas un exemple de la forme fran~aise ; il Y a bien deux cas ou apparait ~a (RM 271 dec;a; RenaTt 5681 c;a), mais on lit cha 43 fois. La forme commune dans Ie cas de l'adverbe demonstratif apparait donc dans une proportion negligeable. I1 en va tout autre ment lorsqu'on examine la statistique du demonstratif flechi. Nous avons releve 545 occurrences pour les formes du demons tratif flechi, dont 112 sont attestees avec la graphie fram;aise, soit 20,55 %. Void Ie detail, qui est fort instructif. ChiL, chiILe, chis, chie:r, chiaus, cheus, cheLui et cheH represen tent un total de 241 occurrences. En face, aucune forme fran~aise. Pour Ie reste, on reI eve une correspondance des formes picardes et des formes fran~aises. CHE predeterminant 106 43 (HI) CHES CHELE pTonom 8 CHELE predeterminant 18 CHEL pred6terminant 11 CHIST pronom plurie1 2 CHIST pn?d. piuriel 0 CHEST predeterminant 2 CHESTE pronom 0 CHESTES pronom 0 CHESTE predeterminant 2
CE predeterminant 2 6 CES CELE pronom 0 CELE predeterminant 9 CEL pn§determinant 6 CIST pronom pluriel 1 6 CIST pred. pluriel 19 CEST predet. CESTE pronom 4 2 CESTES prorom 57 CESTE predel.
(1,85 (12,24 %) (33 (35
(90 %)
(96
La statistique est claire: 89 des 112 occurrences de la variante correspondent aux formes en -st-, soit 79 % • En face, nouS n'avons que 6 attestations de la variante dialectale, sur un stock de 433, soit 1,38 0 / 0 • Sur 95 attestations des formes en -st-, les six exem pIes de Ia variante diaiectale representent un pourcentage de 6,31 0/0 . fran~aise
(19) Dont un exemple du pronom : St N. 1137.
Nous avons vu ci-dessus que Ie demonstratif en -st- declarait dans Ie discours une position d'avant en langue; une fois de plus Ia coinci dence est realisee entre une situation linguistique d'avant et l'em ploi systematique de la variante fran<:aise. Chest et eheste predeterminants sont attestes 4 fois, contre 76 ; la proportion est de 4/80 -~ 5 %. Corn§lativement, on attendrait une statistique voisine pour eet et ee[e predeterminants. Il y a bien dis tribution complementaire, mais on constate que la variante com mune est iei attestee dans 15/44 cas 34 0 / 0 • La forme dialectale attendue est solidement il:stallee, mais moins que prevu. C'est que, dans Ie cas des predeterminants chel et chete, une influence domi nante a ete contrecarree par des facteurs de resistance. Ce qui domine, c'est la position d'apn}s, marquee par Ie theme en -t- ; mais des arguments contradictoires existent, que nous avons deja evoques plus haut : la «fonction» de regime, avant de Ia fonction sujet, et Ie genre feminin, genre faible, en decroissance de tension. II y a aussi Ie statut semantique du predeterminant, avant du pronom, Ie pronom cumulant Ie contenu du substantif et de son pred6termi nant : chH chH hon e"). L'equilibre de la dominance et des resis tances est au benefice de l'argument dominant: l'ab:oence de refe rence a l'espace du je/tu ; mais les autres arguments exercent une influence non negligeable. Qu'un de ces arguments fasse defaut, et la resistance cesse : nous avons releve 9 exempies de chele pronom, ei eele est inatteste. C'est egalement a un jeu complexe d'arguments contradictoires que l'on doit attribuer l'absence complete de cil, meme comme predeterminant. L'argumenl predeterminant, et, quand il se presente, l'argument singulieT sont completement neu tralises par la dominance: non-rej'eTence a l'espace du je/tu, maseu lin, On peut tenir pour neglige abies les deux exemples de ce prede terminant, eu egard aux 106 che; mais il y a 6 ces en face des 42 ches, et l'on doit expliquer la disparite, ce qui ne donne guere de peine. Che et ches n'appartiennent pas aux series en opposition (-st-/-H mais c'est surtout vrai pour che qui, en tout etat de cause, constitue une troisieme forme de pre determinant regime singulier. Che n'est pas un substitut de cest et de chel devant consonne : cest et chel, attestes ensemble 32 fois, Ie sont 14 fois devant initiale consonantique. En revanche, correli6 de fa<:on evidente ache, ches l'est aussi aux series en -st- et en -[- : c'est Ie seul predeterminant regime piuriel qui corresponde aUX singuliers cest, ceste, cheI et che[e, depourvus de pluriels specifiques. Ches est donc installe dans Ie systeme du demonstratif par une double correlation: formelle et (20) Le temoignage formel de cette situation est l"exclusion, dans notre corpus, des formes etoffees cheli et chelui dans Ie cas du predetermi nant; on sait que c'est Ie cas general en ancien fran~ais. Un autre temoignage apparait dans Ie fonctionnement de cestes, qui n'est jamais predeterminant.
346
,\:\DRI::
ESKI~1\ AZI
dominante (relation ache), fonctionnelle et resistante (relation aux series en -st- et en -l-). La resistance n'est pas tres forte, car la dominance est immediatement perceptible, mais elle n'est pas sans effet, Un dernier point retient l'attention: l'absence totale de la forme cis, meme comme predeterminant, en face des 38 occurrences de chis. L'analyse du discours laisse clairement apparaitre que chis est Ie cas sujet de cest, comme chil celui de chel ; or Ie predetermi nant sujet pluriel (apres) apparait toujours sous la forme cist (6 fois). Comment expliquer que Ie singulier (avant) ne soit jamais atteste que sous la forme dialectale? Ce que nous venons de dire de ches nous aidera : Ie copiste est surtout sensible a l'evidence immediate. Or l'opposition des deux series ne joue pas sur une opposition rna is sur une opposition Dans la variante combinatoire chis, la presence du theme -st- est occultee; elle est claire dans Ie plu riel: de la cist. Cette sensibilite a 1'evidence immediate nous a tout au long de notre etude. Le copiste pcr~oit et note d'un avant, auquel Ia forme commune, et d'un marquc par Ie recours a la variante dialectale Iorsqu'elle n'est pas profondement enfouie dans la langue. La position avant Ie ou apres, l'anteposition a une initiale vocalique ou consonantique, la presence ou l'absence d'un theme en -st- ou en -l- sont des realitcs qui ne peuvent cchapper a un scribe tant soit peu vigilant dans Ie cours de sa transcription; de meme que la subduction formelle mar quee par I'elision (C'est/CHE ju), ou la marque vocalique alternant dans cel et dans chil. Lorsque cette opposition n'est pas immediate ment sensible, la notation de I'alternance forme commune/forme dialectale devient aleatoire, sans cesser d'etre recuperable pour Ie a l'afflit d'informations. Et c'est cela qui nous a paru important: les habitudes ques de notre copiste demeurent constamment linguistique ne peut se fonder que sur des criteres materiels breux et assures; pour la mener a bien, il importe ressources du discours, dont les graphies, trop souvent font incontestablement partie, comme nous avons tente de l'etablir. A cet egard, l'exemple de la partie de B.N. 25566 que no us avons etudiee merite d'etre retenu, car il montre que la philologie d'un texte est entierement exploitable pour qui veut bIen la consulter. Ce sera notre premiere conclusion. La secondc, qui decoule de la premiere, est que Ie materiel philologique dOlt etre authentique; nous n'aurions pu nous livrer a l'experience que nous avons presen tee en prenant pour base un texte maquille : Ie linguiste, utilisateur des textes au meme titre que Ie litteraire, est en droit des editions ricwureusement bedieristes. Notre troisieme conclusion s'impose avec autant de force. Voila un Arrageois qui exploite avec une belle constance les disponibilites du discours franc;ais et du discours picard. Aurait-il fait usage des
BS
25:,()G; G R.\:.DL\IHE ET
J) I.\LECTAI.I'n':
347
ressources de la langue commune avec tant d'fl-propos, s'il se flit agi d'un dialecte, comme Ie lorrain ou l'anglo-normand? Assurement pas: il n'y a pour lui qu'un dialecte, marque, Ie sien propre. On sait depuis que la denomination ne correspond aucu a la realite linguistique telle que Ia revelent les textes . nous saisissons l'occasion de qu'il doit eire meconnaitre !'interet des qui aboutissent a la localisation des copies par l'f.-tude minutieuse de la langue, nous estimons plus urgent d'etudier systematiquement la dialectalite des copies localisees et datees, et ce serait une illusion que de pretendre relever les traits typiquement artesiens dans B.N. 25566. Les deux mains arrageoises qui se sont succede pour transmettre Renart le Nouvel apportent en effet des temoignages differents. Dans Renart I, les graphies destinees a faciliter les lectures ad Hbitum sont pratique ment inexistantes; on en releve dans Renart II (par ex, v. 6972 cemin; v. 7049 cevaliers. Renart I lit toujours chevalters). Renart I ignore boin et lor, majoritaires dans Renart II, surtout Ie premier, d'usage presque absolu. Les graphies ki et ke sont relativement rares dans Renart I, et dans Ie theatre, frequentes dans Renart II ... Pour chou et des deux copistes est presque identiquc. Mais alors que Ie ne connait que chi, Ie second connait surtout ci (7 fois atteste contre deux fois chi) ; Ie ecrit 73 fois chiex, chieus, que Ie second ignore: il ecrit chius (6739, 6761, 6777, 7500, 776:1, 7860), que l'on ne trouve pas dans la transcription de son predeces seur. L'alternance des formes a c- et a ch- initiaux, dont nous avons constate la belle regularite dam: Renart I ne se rencontre pas dans l'reuvre du second copiste. Renart I ne lit que clle predeterminant (68 fois) ; Renart II uniquement ce (22 fois), Dans Renart I, on ne lit que cheus; cette forme n'est pas attestee dans Renart II (ceus vv. 7455, 7464, 7839), non plus que d
tes dans Renart II. Nous avons seulement rencontre un
ch'- regime antepose devant initiale vocalique. Les
nees a faciliter des lectures ad libitum, qui n'existent
traces dans Renart I, sont tres largement majoritaires, beaucoup
348
AXDRI~ ESK":XAZI
plus fn§quentes que dans Renart II (21). Ce trait explique que pas une fois Ie copiste ne graphie chou: il ecrit c;ou (que Renart II lui meme ignore) 104 fois et c;o (inatteste sous les deux plumes qui ont transcrit 25566) deux fois. En face de ces 106 Occurrences de la variante it vocalisme dialectal, 22 ce seulement ; la variante it VOca lisme dialectal est donc presente dans 106/128 ~. 82,81 % des cas, alors que nos deux autres copistes ne l'utilisent que moderement (dans Renart I, 9/252 = 3,57 %). 11 des 22 ce figurent dans la posi tion de regime antepose devant consonne, qui n'admet que 2 des 106 C;ou, C;O. C'est la distribution complementaire que nous avons remarquee en etudiant B.N. 25566. 9 autres occurrences de la va riante fram:;aise figurent dans la position de sujet antepose devant initiale consonantique ; en face, 5 seulement des 106 formes it voca lisme dialectal: la distribution complementaire est encore bien marquee, et conforme it ce que nous a appris B.N. 25566. Les deux mains qui ont copie 25566 font un usage tres modere de jou (9/148 dans Renart I 6 (/0) ; B.N. 375 Ie transcrit 106 fois, et ne graphie je que 52 fois Ijou 67 (/0). Le gros des emplois de je figure en position de sujet untepose devant initiale consonantique : 50 exemples sur 52 ; cet usage est conforme a celui que nous avons remarque dans B.N. 25566. Mais jou est bien loin detre exclu de cette position: on l'y trouve 68 fois (64 % des attestations de la forme). Le materiel philologique est donc different dans les trois copies, et les affinites syntaxiques, certaines mais irregulieres. Cha que copiste fait de Ia disponibilite qui lui est offerte l'usage qu'il utile.
Clermont-Ferrand.
Andre ESKENAZI
NATURALIA. Notes lexicologiques 1. A r pen t e use, g e 0 met r e, sorte de chenille a demar che caracteristique. Le FEW, s. geometra, IV, 117 b, indique: « che nille geometre 'genre d'insecte l{~pidoptere nocturne' (Land 1834 1851), geometre f. (Boiste 1803-1829; seit Lar 1872»). Le TLF III, 525 b donne arpenteuse comme adjectif et nom fem.: «ChenilLe arpenteuse ou absol. arpenteuse ", « Synon. geometre". La premiere attestation fournie est de 1776: «Arpenteuse. Denomination com mune a toutes les chenilles qui n'ont que dix a douze iambes. Leur demarche leur a fait donner ce nom", Encyclop. Materiaux pour l'histoire du vocabulaire francais, II, 12, reunis par P. Enckell sous la direction de B. Quemada, donnent s. v. un exem pIe d'arpenteuse en 1742, dans la traduction par P. Lyonnet de la Theologie des insectes de F. Lesser, II, 57, note.
Arpenteuse et geometre temoignent de l'effort des savants du XVIII" s. pour donner des equivalents fran<;ais au terme de latin scientifique geometra. C'est Ie naturaliste hollandais J. Goedaert a la fin du XVII" s., a pratique Ie calque d'un terme rural precise) qui designait certaine chenille verte: «Hanc, juxta cum rusticis nostratibus viridem geometram nun cupare soleo, eo quod quotiens prorepit, se attollit & demUtit, adinstar Geometrae agrum virga metientis ; quodque colore viret ", Metamorphosis et Historia naturaLis insectorum, Medioburgi s. d., II, 53. Cet ouvrage est traduit en fnmc.ais par un anonyme, qui geometra en «arpenteuse" et garde «geometre» pour l'homme charge d'arpenter : 1700: « J'ay appele cette Chenille l'Arpenteuse-verte, parce qu'en rampant elle se dresse & se baisse comme un Geometre, !orsque de sa verge il arpente & mesure les terres, & parce qu'elle est de couleur verte », J. Goedaert, Histoir{! Naturelle des Insectes Selon leurs Ditterentes Metamorphoses, Amsterdam, II, 61.
(21) Curieusement, EN 375 lit cependant chi 12 fOis, et ci 21. Rappelons que Renart I ne connait que chi, et Renart II que ci !
Arpenteuse designe donc ici une particuliere de chenille. Mais Ie naturaliste Reaumur, qui connait bien Goedaert, auquel il renvoie a l'occasion, va faire des deux mots, arpenteuses et georne tres, synonymes, des noms qui designeront tres precisement les chenilles de ses cinquieme et sixieme classes, caracterisees par Ie nombre de leurs jambes (respectivement douze et dix) et la maniere de se deplacer aui en resulte :
350
KATFHALIA. :\OTES LEXICOLOGHKES
RA DrOXD ARYEILLER
1734: «Cette sorte d'allure a fait nommer ces chenilles des geom~tres ou des arpenteuses ; elles semblent mesurer Ie
chemin qu'elles parcourent. Lorsqu'elles font un pas, eUes appliquent sur Ie terrein la partie de leur corps qu'elles avoient courbee pour se preparer it marcher; elles l'y appliquent, dis-je, comme un arpenteur y appliqueroit sa chaine», R. A. de Reaumur, Memoires pour servir it l'histoire des lnsectes, Paris 1734-1742, I, 71.
L'emploi de ces deux mots dans ce sens tres preCIS se n~pandit rapidement dans les ouvrages d'histoire naturelle, les memoires de Reaumur ciant de grande reputation. L'expression Chenilles Ar penteuses» se lit dans Ie DRUA I, 172 b, en 1759. Geoffroy utilise les deux termes de geometres et d'arpenteuses comme noms et comme adjectifs : 1762: « c'est ce qui les [sc. ces chenillesj a fait appeler par la plupart des auteurs, geometres ou arpenteuses. Ces arpen teuses it douze pattes sont assez grosses», « Nous parle
rons des phalenes singulieres que donnent ces chenilles arpenteuses », E. L. Geoffroy, Histoire abTl?gee des insectes qui se trouvent aux envi1'ons de Paris, Paris, II, 14; « ces arpenteuses n, ({ Ces petites arpenteuses», II, 15' ({ Celles it dix & douze pattes sont du nombre de que nous avons appellees r... J chenilles arpenteu ses ou geometres », II, 96.
En resume, arpente~Lse 'sorte de chenille', 1700, traduit geome tra, qui calque lui-meme la designation ncerlandaise d'un insecte. Comme nom, arpenteu.se prend son sens definitif de 'chenille a dix ou douze jambes, a demarche caracteristique', chez Reaumur, en 1734. Geometre, qui adapte geom etra. double Ie mot precedent chez Ie meme savant.
2. Bon net s, noms de champignons. Le FEW, s. abonni.s, XXIV/I, 44 a, signale : « Nfr. bonnet de fou 'espece de champignon' (seit Besch 1845). Nfr. bonnet de crapaud 'espece d'agaric' (Besch 1845; Lar 1867); bonnet de vache (Besch 1845 - Ac 1932). -- Nfr. bonnet d'argent 'espece de champignon' (seit Besch 1845)). Preci sons, a propos de la derniere denomination, que Besch 1845 dit
exactement: « Petits bonnets d'argent ", s. v. bonnet. L'identification de ces vegetaux et l'origine de leurs noms ne sant pas donnees. Le bonnet de rente'
apparalt d'abord sous une forme un peu diffe
1790: «Sterbeeck les nomme stultorum cucul!us, camme pour dire bonnet des joUS», J.-J. Paulet, Traite des champi gnons, Paris 1790-1793, I, 163; « Champ[ignon]. dit Bonnet des fous. r... 1 Stultorum cuculli fasciculus Sterb. tab. 25, fig. H », Synonymie des especes, n° 60. I, 539 a.
F. van Sterbeeck avait juge ces champignons tres sembI abIes a de petits bonnets de fous (bouHans), c'est pourquoi i1 avait appele leur touffe: "Bundelsots-cappen», sait «in't Latijn, Stultorum cucuHi fasciculus ", Theatrum fungorum oft het to oneel der camper-
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noelien, t'Antwerpen 1675, 239. Paulet simplifie la denomination laUne et la traduit. Le DSN a pour source principale, sinon unique, pour ce qui concerne les champignons, Ie traite cite de Paulet. On verifie sans peine qu'il a pris a ce dernier les nombreux noms de champignons formes de bonnet et d'un complement. Le plus sou vent, la forme est recopiee teUe queUe. Pour Ie vegetal en question, cependant, on constate une legere modification: 1817: « Le Bonnet de jou. Autre agaricus, figure dans Ster beeck, tab. 25, f. H », DSN, V, sup., 24.
Besch 1845 reprend cette forme sans changement. Elle designe la coHybie a pied en fuseau, Agaricus (CoHybia) fusipes Bull., d'apr
a notre
1790: « Les autres champignons de cette planche IXVII de Sterbeeckl, depuis la lettre E jusqu'it 0, tous poreux &
changeant de couleur lorsqu'on les coupe [... J sont des especes des dix-neuvieme & vingtieme genres pernicieux de rEcluse. [. .j Sterbeeck leur a donne les noms de tete, de bonnet, de pain, &c. de crapaud ou de grenouil les», Paulet, op. cit., I, 145; « Bonnet de crapaud St. 145 », table, I, 618 a.
Sterbeeck avait appele la plante XV1I, K «Padden hoct, bufo num pileus, in't Latijn", parce que, dit-il, des crapauds et des grenouilles ctaient blottis en grand nombre sous les specimens de cette espece qu'il avait trouves dans un canal a sec, Theatrum gorum 184. Apres hesitation, Paulet calque a peu pres «bufonum pileus». Le DSN, source de Besch 1845, adopte la forme de Paulet : 1817 : « Le Bonnet de crapaud, espece de boletus qui change de couleur », DSN V, sup., 24.
Le traite de 1790-1793 permet I'identification du bonnet de cra paud. Paulet (I, 146) indique que les especes F, K, 0, de la planche XVII de Sterbeeck correspondent au nO 44, var. b, de sa Synonymic des Especes (I, 534 b), soit au Boletus luridus Schaeff. ; c'est en fran c;;ais Ie bolet blafard ou faux cepe.
Bonnet de vache apparait d'abord sous une formc un peu diffe rente, accompagne de synonymes : 1790: «Ch[ampignon]. dit Bonnet de matelot, ou Bonnet it vaches », Paulet, op. cit., Synonymie des Especes, n P 58, I, 538 b. 1793: «Le Bonnet rabattu ou de matelot », avec renvoi au meme numero de la Synonymie, ibid., II, 249.
L'Esc1use avait signale un champignon veneneux, poussant dans les bois, dont il precisait: « a Germanis Kueling appellatur: quo niam vaccae valde appetunt», Rariorum Plantarum historia, Ant verpiae 1601, 282. Sterbeeck se reiere a ce passage et etablit une equivalence savante au mot allemand: « in't Latijn Flmgus vacci
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nus », op. cit., 210. Paulet cite dans sa Synonymie, au numero indi que: « Fungus vaccinus Sterb. tab. 21, fig. CCC. - Fungus pan;us, parvi galeri formam exprimens, rufus C. Bauhin, p. 273, nO 27; & Raii, Synops. III, nO 35. - Fungus minor capitulo pileum nauti cum referente, pediculo longiore Buxbaum, cent. IV, tab. 21, p. 29 [en realite : p. 13] ». II traduit donc l'adjectif vaccinus de Sterbeeck, dont on a vu l'origine, Ie galerus 'bonnet' de G. Bauhin et de J. Ray ou Ie pileus 'id.' de J. C. Buxbaum, la reference au matelot etant prise chez Ie dernier auteur. La denomination est quelque peu modifiee par Ie DSN :
3. F 0 i n d u r, nom de plante, Le FEW III, 456 b indique, pour Ie sens de foin dur, 'hypericum perforatum', c'est-a-dire en fran<;ais Ie 'millepertuis officinal' ; il donne pour la premiere attestation de ce mot compose: Th 1564; il ne manque pas de faire observer en note, sans preciser les rapports du mot fran<;ais et du mot allemand: « Die pflanze heisst auch d. hartheu, Pritzel-J 187 » 461 a, n. 9. La source du dictionnaire de Thierry 1564 parait etre ici, comme souvent, la traduction du traite de boianique de L. Fuchs par
E: Maignan:
1549 :
1817: « Le Bonnet rabattu ou de matelot. C'est l'agaricus mam mosus, Linn., aussi nomme bonnet (]e vache», DSN V, sup., 24.
D'ou, chez Bescherelle (1845): « Bonnet rabattu ou de mate lot, ou bonnet de vache », L'identification a l' Agaricus mammosus de Linne est deja dans Ie traite de Paulet, I, 538 b. Le meme Paulet examine dans son traite l'apport de J. Ray a la mycologie. II signale dans la Synopsis methodica stirpium Britanni carum, editee en 1690, 1696 et 1724, un certain nombre de champi gnons qui poussent en touffes et observe: « Le troisieme, qui est Ie plus petit, a des tetes en forme de petits bonnets: Ray donne la figure de ceux-ci, planche X», op. cit., I, 194. On lit en note les caracteristiques de ce vegetal, auquel Ie ~avant anglais ne donne pas de nom: « Fungi plures juxta se nascentes, parvi, turbinati, candidi ubivis coloris ». Paulet conclut: « Ie troisieme, d'un blanc de lait par-tout offre une touffe de petits champignons de forme agreable, & une espece nouvelle (synonimie des especes, nO 137»), ibid, Cette Synonymie presente bien:
1817: « Les Petits bonnets (]'argent. Agaricus qui naissent en touffe, et figures dans Ray ... », DSN V, sup., 24.
II s'agit cette fois d'une creation de Paulet, d'apres la forme et la couleur du vegetal. Ces petits bonnets d'argent pourraient etre les petits bonnets de H. Baillon, soit l' Agaricus corrugis Pers., Diction naire de botanique, Paris 1876-1892, I, 450; ce -champignon est nomme par Gerth van Wijk Agaricus (Psathyra) corrugis Pers., op. cit., I, 37 a. Les bonnets, en tant que noms de champignons, sont ignores de Boiste 1829, Raymond 1836, Land 1836. Releves dans Besch 1845, ils proviennent d'un dictionnaire de sciences naturelles (1817), qui reproduit, en les modifiant parfois un peu, les formes fran<;aises creees par Paulet dans un traite de 1790-1793. Ce dernier a puise a des sources diverses ; la plus importante, pour les bonnets, est un traite de Sterbeeck (1675).
Ascyron en Grec ou Ascyroeides, se nomme pareillement
en Latin Ascyron: il est incogneu des apothicaires. Aulcuns l'appellent, Foin dUL [... J Ascyron est vne des especes d'Hypericon, ou Millepertuys : & n'est a luy en aulcune chose different, sinon que en grandeur: vray est aussi, qu'il ha les rameaux plus grands. Ledict Ascy ron est fort branchu & rouge. II ha les feuilles iaulnes : la semence, semblable a celie d'Hypericon ... », Fousch
«
24.
Ce texte ne renseigne nullement sur l'origine de la denomination fran<;aise. Mais Ie traite original explique au meme endroit: « Offi cinis ignotum. Germanice Harthow, id est, durum foenum appella tur », De Historia stirpium commentarii insignes, Basileae 1542, 73. Durum foenum est donc la traduction d'un mot allemand et, a son tour, fain dur est un calque de l'expression latine. De la traduction de Maignan, Ie nouveau mot passe une premiere fois, en 1564, dans un dictionnaire d'usage general. Dne seconde traduction de l'ouvrage de Fuchs suit de pres la premiere; on l'attribue a G. Gueroult. Elle presente un chapitre : 1550:
«
De Foin dur, ou Iaunette espece de Mille pertuis»,
L'Histoire des plantes mis en commentaire par Leonart Fuscils, Lyon, 56 a.
1790: « Les petits bonnets (]'argent », Paulet, op. cit., I, 558 b.
Suivent Ie texte cite de Ray et sa reference. L'expression passe sans changement dans Ie DSN, ou Bescherelle la prendra :
353
XATCRALI.\. XOTES LEXICOLOGIQCES
R.\ Y~IOXD ARYEILLER
C'est dans ce dernier ouvrage, entre autres, que se documente Cot grave dans Ie domaine de la botanique. On retrouve bien dans Ie celebre dictionnaire : 1611 : « Foin dUL Hard Hay, S. Peters wort, square S. Johns grasse », Cotgr. s.v.
01'
great
Le calque foin dur n'etait en France ni une forme populaire, ni une forme commode pour un classement scientifique. II ne devait pas etre repris par les grands dictionnaires des XVIF-XVIIle s., Fur 1690, Corn 1694, Trev et Enc. II est sur que l'ascyrum de Fuchs est un millepertuis, mais ce n'est ni l'androseme officinal, Hypericum androsaemum L., objet, dans Ie traite, du chapitre 25, ni Ie millepertuis officinal, Hypericum perforatum L., objet du chapitre 322. Comme il est loin d'etre evi dent que l'ascyron des Grecs et des L3.tins soit justement l'ascyrum de 1542, il faut s'en remettre, pour identifier ce dernier, a la des cription du grand botaniste et a la gravure qui l'accompagne. On a vu par la traduction de 1549 que 1a description est breve. Heureuse
12
354
ment R. Dodoens, qui reproduit exadement Ie dessin de Fuchs, la complete dans son ouvrage. On peut se reporter a la version fran <;aise qu'en donne Ch. de L'Escluse, Histoire des Plantes, Anvers 1557, sous Foin dur, 49-50. Il d'une grande plante, a la tige rouge, aux feuilles velues, aux fleurs plus grandes que celles du millepertuis officinal et d'un jaune plus pale, fleurissant en juillet et aout « es hayes et taillis ». Ces joints a la gravure, con duisent surement au millepertuis herisse, Hypericum hirsutum L. Foin dur est un exemple, entre beaucoup. de calque d'une forme latine traduisant une denomination popuIaire etrangere.
4. T u pin a m b is, sa u v ega r d e, m 0 nit 0 r, noms de le zards exotiques. Le FEW XX, 82 b, so us Tnpinambas, n'a pas rcleve Ie premier de ces mots. C'est bien la, cependant, I'etymon de nambis, reptile saurien. Dans l'in-folio publie en 1648 par J. de on lit dans la partie redigee par G. Marggraff van Liebstad, dit Marcgravius, et intitulee « Historiae rerum naturalium Brasiliae libri octO» : «TEIVGUACV & TEMAPARA Tupinambis: Lacertus egregius», 237, suit une description de l'animal, Historia naturalis BrasiHae, Lugduni Batavorum et AmsteIodami, II. Ce gros lezard bresilien est identifie par Friederici 2 : Tejus Ameiva Merr., Monitor Merr., Tejus nigropunctatus Spix. Le terme de «Tupinam bis» est un datif pluriel et suit la denomination que Marcgravius attribue aux Tupinambas, peuple du groupe des Guaranis. On trouve dans Ie mcme ouvrage, entre aut res, Brasiliensibus ", « Lusitanis », « Belgis » et «nobis» dans Ie meme emploi. Mais, par une curieuse erreur, Seba, qui cite tres souvent Marcgravius, a compris Tupinam bis comme un nominatif singulier designant Ie lezard. D'ou sa redaction: 1735: « N°.2. Lezard Tupinambis d'Amerique, Amphibie. [Texte latin conjoint: « Lacertus, Americanus, Amphibius, Tu pinambis dictus »]. II est encore nomme communement Sauvegarde. L'on raconte pour une chose vraye, que cet Amphibie etant au bord de l'eau, (car il ne se hazarde jamais en pleine mer,) entendant ou voyant venir a lui un Crocodile, qui a ce qu'on sait est un autre Amphibie vivant egalement sur terre & dans la mer, il jette alors (de la crainte qu'il a d'etre devore par cet Animal) un cri terrible; ce que les hommes qui se baignent autour de cet endroit entendant, ne manquent 'point de gagner au plfrt6t Ie rivage, parce que Ie Crocodile se jetteroit pareil lement sur eux ; mais a cause de la petitesse de ses pieds, il ne peut facilement les atteindre, ni meme courir aussi vite que notre Lezard, qui conservant de cette far;on la vie aux Hommes, merite avec raison Ie nom de Sauve garde qu'on lui a donne », A. Seba, Locupletissirni Rerum Thesauri accurata descriptio, Amsterdam, II, 91.
Tupinambis, nom de lezard ainsi cree, va etre adopte par les ouvrages de sciences naturelles publies dans la suite. Ainsi, par exemple:
355
~.\TCrBLL\. :>.'OTES LEXICOLOGIQUES
RADIO,,]) ARYEILLER
1754 : « 54. Lezara de I'Amerique, Amphibie, nomme Tupinarn bis, & de I'espece de ceux qU'on nomme Sauvegardes. Seba p. 91. t. 86. n. 1 », Klein I, 217. 1788 : « Le Tupinambis (al », en note: « (a) Tupinambis, en Amerique. [ ... 1 Lacerta monitor, 6. Linn. amph. rept. », B. de Lacepede, Histoire naturelle des quadrupedes ovi pares et des serpens, Paris 1788-1789, I, 251 ; {( Le Tupi nambis est Ie meme animal que Ie Iczard du Bresil, appelle Tejuguacu & Temapara Tupinambis », I, 255. 1789 : « Le Tupinarnbis 2. Lfacertal. Monitor L. pedibus penta dactylis », A. Bonnaterre, Tableau encyclopedique et methodique des trois regnes de la nature. Erpetologie,
Paris, 37 a.
An X [1801-1802] : « Le Tupinarnbis proprement dit, ou Sauve garde», F'. M. Daudin, Histoire naturelle, generate et particuliere, des reptiles, Paris, Ill, 20 ; ({ Le Tupinambis du Nil, ou Ie Va ran d'Egypte », III, 51 ; ({ Le Tupinambis etoile d'Afrique
1805 :
III, 59.
Les Tupinambis », A. Brongniart, Essai d'une classifi cation naturelle des reptiles, Paris, 41.
«
Cuvier, qui a remarque la meprise de Seba, € " ite Ie mot, Le Regne animal distribue d'apres son organisation, Paris 1817, 11, 23, texte et n. 1. Mais il n'est pas suivi. Le terme passe dans les dictionnaires de sciences naturelles, NDHN (1804) XXII, 483 - DSN (1828) LVI, 78 DCHN (1830) XVI, 432 a. II fait adresse dans Raymond 1823, Boiste 1829, Land 1836, Besch 1846, LarI, Lar 1933. II a encore sa place dans le Grand Larousse encyclopedique, s. v. : 1964: « Tupinambis [bis] n. m. Lezard des Antilles et de I'Ame rique du Sud, de la famille des tejides. (La plus grande espece est Ie teju, ou sauvegarde (Tupinambis teguixinJ, qui atteint 1,20 m de longueur. [.. .] Son nom usuel de « sauvegarde » fait allusion au sifflement qu'il fait enten dre en presence d'un crotale) ».
Sauvegarde est releve par Ie FEW XI, 134 b, au sens de de reptiles sauriens qui sifflent a l'approche des serpents a sonnettes', Ene 1765 - Lar 1875. On a vu supm que Seba utilisait Ie terme en 1735. Mcme forme dans la version neerlandaise. Deja en 1734: « Lezard Tejuguaeu d'Amerique, tres-grand, qu'on appelle aussi Sauvegarde, Amphibie, & marbre par tout Ie corps », I, 154, avec renvoi it « Mile Meriaan » ; « les divers Tejuguaeus ou Sauvegardes i), I, 155. M.-S. Merian avait en eHet signale : 1726: « Pour I'embellissement de la planche j'ai mis sur cette plante un petit animal que I'on nommc Sauvegarde [texte latin conjoint: {( animalculum, quod vocatur Sau vegard»] & qui avec Ie terns, devient grand comme un Crocodille de dix ou douze pieds ". Dissertatio de genera tione et metamorphosibus Insectorum Surinamensium .. , Dissertation sur la generation et les transformations des Insectes de Surinam ..., [traduction franr;aise signee
RoussetJ. La Haye, commentaire de la planche 4.
Apres 1735, Ie terme se rencontre fn?quemment, souvent avec refe rence it M.-S. Merian. Exemples : 1754: {( Sauvegardes », Klein, passage cite supra tupinambis.
a
propos de
356
H.\DIO:\D ,\HYEILLEI1
1758: « une espece de Serpens, qui se trouvent dans les Forets de Surinam, & que les Hollandois nomment Sauvegar des », A. Prevost, Histoire generale des voyages, ed. in-12, Paris 1746-1789, LIV, 430. 1759: « Sauve-garde, animal qui avec Ie temps, dit Me Marie Sybille Merian (Hist. des lnsectes de Surinam, Planche IV.), devient grand comme un Crocodile de dix ou douze pieds», DRUA IV, 70 b.
1765: « Sauve-garde; [ ... l en Indien Pagara, en Negre An glois Sapagar. Cet animal qui est une espece de Lezard. devient aussi grand qu'un Crocodile de douze ou quinze pieds de long». « Je ne sai pourquoi on lui a donne Ie nom de Sauvegarde». Ph. Fermin. HistolTe naturelle de la IIollande equinoxiale, Amsterdam, 31.
Le sens nouveau du mot fran<;ais (J 726, 1734) est donc pris au neerlandais, langue dans laquelle sauveganl(e), evidemment d'orl gine franqaise, designait un saurien de Surinam. M.-S. Merian ne donne pas les raisons de cette appellation. Mais les savants, en gene ral, se rallient a l'explication de Seba ; variante : la crainte du cro codile devient chez certains la crainte du c:rotale. Les naturalistes de la fin du XVIII" s. et ceux de la premiere partie du XIX" ont beaucoup discute pour savoir si Ie sauvegarde et Ie tupinambis appartenaient au meme genre. Le recent Grand LaTousse encyclo pedique, on l'a vu, fait du sauvegarde la plus grande espece de tupinambis. On y lit encore, s. v. : 1964: « Sauvegarde n. m. Nom usuel d'une espece de grand lezard (V. Tupinambis) ».
Pour Ie troisieme vocable, Ie FEW VI/3, 78 b donne les indica tions suivantes: «2. Nfr. moniteur m. 'saurien de la Guyane, qui. dit-on, siffle a l'approche du serpent' (Boiste 1826 Lar 1874), moni tor (seit AcC 1840) [... J Das spanische SUdamerika entlehnte moni tor als bezeichnung einer gewissen art saurier. Aus dem sp. entlehnt 2 ». Aucune reference n'est fournie pour Ie mot espagnol de ce sens. Le Grand Larousse de La langue fran<:;aise propose la meme origine , on lit sous monitor: « mot espagnol de memc sens, du latin monitor, guide, conseiller (v. moniteur), ce saurien passant puur prevenir l'homme de l'approche des crocodiles ». Mais on cherche en vain l'espagnol monitor pourvu de cette signification dans Ie Tesol'o de Covarrubias et dans les ouvrages modernes suivants: Diccionado hispanico universal. Enciclopedia ilustTada en lengua espafiola. Bar celona s. d.; Real Academia espanola, Diccionano de La Lengua espafiola, 19" ed., Madrid 1970' M. Alonso, Diccionario del espanol moderno, 4" ed., Aguilar 1972; Vox. Diccionario general ilustrado de La lengua espanola, 3" ed., Barcelona 1973 ; Dicciona1'io de La Lengua, Barcelona, ed. Argos-Vergara, 1977. Corom I, 194 a nc signale pas ce sens pour monitor. Fait plus grave, monitor, camme nom espagnol d'un saurien, manque dans Friederici 2 , repute tres complet, chez F. J. Santamaria, Diccionario general de americanismos, Mejico 1942, chez M. A. Marinigo, Diccionario manual de ame1'icanismos, Buenos Aires 1966. En ce qui concerne les ouvrages de sciences naturelles, pour la periode 1734-1850, aucun de ceux que nous avons consultes
:\.nTH.\f.lA. :\OTES LEXICOLO(;IQl'ES
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ne four'nit, dans sa synonymie, un espagnol monitor. En 1820, les listes de synonymes de B. Merrem, toutes proches de l'exhaustivite, sinon exhaustives, font leur belle place aux 1angues vivantes; eUes ne presentent aucun exemple de monitor en espagnol, pour les especes rattachees aux genres" Varanus» et «Teius» ; voyez Ver such eines Systems der Amphibien, Marburg, 58 a 62. II paraH done prudent, dans ces conditions, de ne pas faire fond, du moins jusqu'a plus ample informe, sur monitor, nom d'un saurien en espagnoi d'Amerique. Une autre raison pousse a la meme reserve. Anterieu remeni au franqais, Ie latin scientifique a utilise Ie mot Absent du Systema naturae de Linne dans l'edition de Leyde 1756, il apparalt dans l'edition de Stockholm 1758-1759: «Lacerta [... J Monitor. 5. L. cauda carinata, corpore mutico T, 201. L'article donne pour caution deux ouvrages, dont Ie premier seul est cite: Mus. Ad. Fr. 1. p. 41. Lacerta cauda aneipiti integra, pedibus pentadactylis, digiti8, omnibus unguiculatis*. Seb. mus. 2. t. 86. f. 2 t. 105. f. 1. [-J 1. t. 94. f· 1. 2. ibid. Le Museum S:'" Ii:'" M:/is Adolphi F1'iderici, Hol miae 1754, est lui-meme dli a Linne. L'animal en question y est appele par Ie sous-titre marginal: « [Lacerta] tigrina I, 41. Cinq denominations tirees de Seba forment la synonymie. Ni ce lezard, ni aucun autre H,zard ne re<;oivent iei Ie nom de monitor, I, 40-47. Le second livre auquel renvoie Linne en 1758 est encore la descriptio de Seba. Aux references du Systema naturae correspondent dans cette derniere, respectivement: Lacertus Americanus, Amphibius, Tupinambis dictus ... Lezard Tupinambis d'Amcrique, Amphibie", II, 91, texte cite supra ~ « Lacertus Tejuguacu, oculeus, seu Saw'us dictus, Ceilonicus; mas ... Lezard Tejuguacu, marquete de taches comme d'autant d'yeux ; au Ie Saurus de Ceylon, Male. Les Fran<;ob I'appellent aussi Lezard de Mer, & les Hollandois Ie nomment De fenseur du rivage de la Mer f« Beschermer van het Zeestrandt », d'apres la version hollandaise] II, 111. ({ LClcerta, Amboinensis, elegantissima; foemina... Lezn:rd d' Amboine, maunifiq1.le, Fe melle », I, 147. Lacerta Amboinensis, elegantissima; mas prio ris ... Lezard d' Amboine, magnifique, Male du precedent », ibid. Ni les titres, ni les textes qui les suivent n'emploient ni ne citent Ie mot monitor. En revanche, Linne renvoie justement au chapitre de Seba qui explique comment Ie tupinambis annonce par son cri la presence du crocodile (II, t. 86, f. 2, p. S 1 : v. ci-dessus). Tout se passe done comme si Ie grand naturaliste s~edois avait Ie premier utilise Ie latin monitor 'avertisseur', dans un classement systemati que (1758), pour designer une espece de saurien. Or !'importance du Systema nat1tme est telle que desormais Lacerta monitor» sera mentionne, avec reference a Linne, par a peu pres tous les traites de sciences naturelles europeE:'ns. Pour la France, on peut relever, outre les passages deja cites de Lacepede, 1788, et de Bonnaterre, 1789, « Linnaeus et Gmelin [... J ont nom me lacerta monitor, Ie stellio salvator de Laurenti », Daudin, op. cit., an X, III, 10 ; « Le tupinambis de Seba [... J : c'est Ie type du lacerta monitor de Linnee '>, P. A. Latreille, Histoire naturelle des reptiles,
RAY~10l\D ARYEILLER
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Paris, an X-an XI, IV, 242-243 ; «Tupinambis, nom vulgaire d'une espece de lezard (lacerta monitor Linn.) », NDHN 1804, XXII, 483 ; «Le tupinambis, L. monitor », Brongniart, op. cit., 1805, 41. Etc. II paralt certain, dans ces conditions, que c'est Ie monitor latin de Linne que Cuvier fait passer au franc;ais. Ce savant distingue deux genres chez les « Lacertiens " ; Ie premier est designe de la maniere suivante: 1817: « Les Monitors appeles nouvellement par une erreur sin guliere, Tupinambis ), G. Cuvier, Le Regne anima! distri bue d'apres son organisation, Paris, II, 23.
Ce genre comprend trois sous-genres : « monitors proprement dits ", « dragonnes" et « sauvegardes II, 24-26. Le passage du mot aux didionnaires de sciences naturelles est tres rapide: des 1818, Ie NDHN2 XXI, 329 a un article monitor, avec reference a Cuvier. Mais Ie classement de ce dernier ne fait pas l'unanimite. A. M. C. Dumeril et G. Bibron Ie critiquent a plusieurs reprises dans leur Erpetologie generale, Paris 1834-1854; v. en particulier III (1836), 442 et 465. Pour leur compte, ils emploient varan comme nom de genre. Le point est fait, dix ans apres, par le DRN : 1846: «MONITOR. REPT. Cette denomination signifie qui avertit ; on l'a donnee it des Sauriens de taille moyenne. dont les uns vivent en Afrique et dans I'Inde, passent pour prevenir l'homme de l'approche des Crocodiles, ce sont les Varans ; tandis que les autres, qui sont les Sau vegardes ou Tupinambis habitent j'Amerique chaude. Cuvier et plusieurs naturalistes encore. ont employe generiquement Ie mot Monito?'; mais MM. Dumeril et Bibron, dont nous suivons Ja methode, ne laissent pas dans Ia meme famille les Varans et les Sauvegardes, et pour eviter toute equivoque, ils abandonnent I'expression meme de Monitor », DHN VIII, 312 b.
Mais les dictionnaires sont conservateurs. Besch 1887, s. v., garde a monitor la valeur generale indiquee par Ie DRN en debut d'article ; de meme Ie LarI. Toutefois, pour Ie Lar 1931, monitor est 1'« Ancien nom des reptiles sauriens appartenant au genre varanus ». Dans Ie Grand Larousse encyclopedique (1963) et Ie Grand Larousse de La langue fran~aise (1975), monitor est encore un ({ Autre nom du varan ". La variante francisee moniteur est une creation de Boiste 1823, du moins si on l'en croit (sigle «B,,). On la lit encore dans Besch 1887 (1).
Paris.
(1) Les abreviations sont celles du FEW.
Raymond ARVEILLER
« Monstre » au
XVIe
sh~cle
Etude lexicologique C'est assurement aux ongmes de I'Humanite que remonte l'in teret, mele de crainte ou d'horreur, inspire a l'homme par les monstres. Dans Ie monde chretien, ceux-ci sont d'origine biblique; on les rencontre notamment chez les Prophctes : dans Esa'ie (XXVII, 2), dans Ezechiel (I, 4 a 26), dans l' Apocalypse (IX, 7 sqq., XVII, 3), etc. Ces monstres ainsi que ceux dont parient les auteurs du haut Moyen Age comme Isidore de Seville ont ete frequemment evoques, aussi bien dans la litterature hagiographique et les Bestiaires que sur les tympans des cathedrales, les miniatures (Clavis Physicae, Rortus deliciarum), etc. Qu'il symbolise la terre gaste de la Genese ou qu'il soit associe a I'eau ou au vent, le monstre a hante les medievaux. Faut-il voir Ia comme le pense Le Goff (1) ({ une forme de protestation contre l'homme image de Dieu» et l'expression d'un courant anti-humaniste, ou pIut6t comme Ie croient certains anthro pologues l'expression d'un rite de passage et Ie symbole d'une reno vation? Jonas sort regenere du ventre de la baleine et les theolo ont vu en lui une prefigure de la Resurrection. Mais ne pourrait-on penser aussi que la representation du monstre est assi milable a la transgression d'un tabou? Elle agirait alors comme une sorte de catharsis, d'exutoire, et libererait chez l'homme des fantas mes d'origines diverses, mais lies surtout a un sentiment de culpa bilite relatif aux rapports sexuels.
*
A premiere vue on pourrait croire que l'importance du monstre aurait dD. diminuer a l'epoque de la Renaissance et que celle-ci se limiterait a des formes rationalisees issues de l'Antiquite pai'enne (chimeres, sphinx, etc.) a laquelle on n'accordait aucune existence objective. Une telle opinion serait peu fondee. La recrudescence des proces de sorcellerie de 1400 au milieu du xvn e siec1e, l'attirance pour les images de mort ou de decrepitude, la vogue de la demono logie, de la necrornancie, etc., tout cela nous montre l'ambigulte essentielle de la Renaissance: a la seduction des Venus de Botticelli et du Correge s'opposent la Duchesse laide de Quentin Metsys (1) La Civilisation de l'Occident medieval, p. 614.
360
(iEOHGES lIIATOI\l';
1515), les cauchemars de Jerome Bosch et les peintures manieristes d'Arcimboldo (1527-1593) OU la figure humaine est composee d'un assemblage monstrueux de legumes, de poissons ou de fruits. Ces contradictions ou s'affrontent Ie gout de Ia vie, dans ce qu'il a par fois de plus sensucl, et l'attirance pour d'inquietantes difformites, constituent un phenomEme collectif dont il ne serait pas impossible de determiner les composantes (2); ce qui est plus etonnant sans doute, c'est de constater souvent chez les esprits les plus ec1aires, les plus critiques, Ies plus ouverts a I'experience, cet appel de l'irrationnel (I). La recrudescence au XVIC siec1e du theme de la monstruosite est signalee par un nombre important d'ouvrages appartenant a la litterature ou a la para-litterature, ecrits par des cosmographes comme Thevet, des naturalistes comme Pierre Belon, des huma nistes comme Bodin, et des medecins comme Wier ou Pare; la poesie a apporte egalement sa contribution avec Ronsard et Du Bartas; enfin, il faut signaler l'interet que presente chez Rabelais la tera tologie. Independamment du theme gigantal, limite en fait aux deux premiers volumes, et des monstres n'ayant qu'une existence symbo lique e), nous rencontrons dans Ie Quart et dans Ie Cinquieme Livres un nombre considerable d'indications tirees soit de recits de voyage, soit de Pline, EBen, Pulci, etc., relatives au "monstrueux physetere» (baleine) (IV, 23), au renoceros, au chameleon, aux elephans (V, 30 et 31), aux hidres, phreni:r. unicornes, etc. Du point de vue qui no us interesse ici, Ie plus important de ces ouvrages consacres a l'insolite est assurement celui d'Ambroise Pare, Des Monstres et prodiges, publie en 1573 et reedite en 1575, 1579, 1595 et 1607 C'). Nous examinerons, en nous fondant sur un examen lexicologique, la notion de « monstrueux» telle qu'elle se presente (2) Sur l'absence de la notion d'impossible: L. Febvre, Le Probleme de l'incroyance au XVI' siecle, passim. (3) A cette categorie appartiennent les monstres decoratifs importes d'Italie figurant dans les dessins capricieux appeles au XVI" sicele crotesques ou grotesques. Cf. H. Havard, Dict. de l'Ameublement qui cite de nom breux exemples, et G. Matore, Grotesque, in Melanges Mario Roques. J. Baltrusaitis, auteur d'excellents ouvrages sur Ie bestiaire fantastique du Moyen Age, et notamment Reveils et prodiges (Paris, A. Colin, 1960). indique (p. 355) que Ie terme de drollerie, signale par lui en 1565, s'applique a I'imagerie dans la seconde moitie
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361
chez Pare et dans un certain nombre d'autres (Euvres. Une telle etude, condamnee ici a la brievete, pourrait etre utilement pour suivie.
*
Chaque epoque a du monstre une conception particy,liere qui n'est d'ailleurs pas homogene : les hommes du XVle siecle- n'etaient pas d'accord sur Ie sens qu'il convient d'attribuer a monstre et a monstrueux. Contrairement a Pare, Scaliger (Ceard, p. XXXI) refuse de confondre Ie rare et le monstrueux, et Belleforest, a sa suite, critique ceux qui ont monstrifie ce qui ne l'etait pas. Chez Pare Ie mot monstre a un sens tres general; on a pense que cette indetermi nation etait d'origine affective. II est de fait que Pare manifeste pour Ie monstre et en general pour tout Ie domaine de ce qu'on appelle depuis Ie xn e siecle les occultes choses (H) un interet qui depasse assurement Ia curiosite scientifique. Pare est fascine par Ie monstre comme plus tard Ie seront Lautreamont et Kafka. De l'examen des textes fournis par Pare, deux acceptions fon damentales du monstre peuvent etre degagees : 1° }<~st monstrueux ce qui, de maniere evidente, est difforme, presente des anomalies (Ie mot apparait en 1570, anomal est un peu anterieur) ; en un mot ce qui n'est pas conforme, est en desaccord avec l'espece commune. Ne citons qu'un exemple de Pare: les " deux enfans gemeaux hermafrodites estans joints dos a dos, l'un a l'autre» (p. 25, 20) ("). II faut distinguer de ces Monstres ce que Pare designe par Prodiges: «ce sont choses qui viennent du tout c~ntre Nature, comme une femme qui enfantera un serpent ou un chien» (preface, p. 3)). Une troisieme categorie nous est offerte par les mutilez: « ce sont aveugles, borgnes, bossus, boiteux, ou ayant six doigts a la main (... J, (preface, p. 3). 2° Le terme de monstre s'applique egalement a tout ce qui, dans Ie monde animal (et eventuellement vegetal) presente un caractere collectif (et non plus individuel) de grandeur ou de conformation, pouvant etre qualifie de bigearre (ou bizarre, terme du XVIe siec1e), de prodigieux (fin xve siec1e), de formidable (1475), de gigantesque (fin XVIe siec1e). Appartiennent a cette categorie, la giraffe, l'ele phant, la baleine, etc. II en est de meme de certaines coquilles (6) La notion de sciences occultes ne naitra qu'au XVIII' siecle, au moment
meme ou tout occultisme aura disparu de disciplines comme la chimie, ]'astronomie, etc., dont Ie statut est devenu scientifique, alors qu'aupa ravant elles se trouvaient confrontees a certains mysteres dont la solu tion paraissait echapper a la raison. (7) Le mot est nouveau au sens de « contradiction»; iI apparalt chez Montaigne en 1580. (8) A titre indicatif rappelons au lecteur la description d'un enfant mons trueux falte par Montaigne (Essais, II, 30). 12*
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363
estranges dont «on peut dire que Nature, chambriere du grand Dieu, se joue en la fabrication d'icelles » (p. 117). Pare dont l'esprit critique est moins aigu que celui de Scaliger ou de Rabelais place dans cette categorie des animaux comme Ie pyrassoupi « espece de Hcorne» (p. 133), la bete « dicte Haiit» qui ne vit que de vent, Ie triton et la serene, Ie monstre marin « ressemblant a un Evesque ", etc. (P. 102 sq. fig. 40 et 42).
pres ou de loin a une intervention extra-terrestre. Notre auteur distingue d'abord deux causes ou la presence divine est evidente : «la premiere est la gloire de Dieu, la seconde, son ire (14). Dans d'autres cas ou interviennent des causes que nous appellerions « natureUes ", Pare ne mentionne pas l'intervention directe de Dieu, mais il est evident que celle-d, bien qu'indirecte, est Ie moteur initial de la monstruosite.
Est donc monstrueux pour Pare (et sans doute est-ce la une opinion fort repandue a l'epoque) non seulement ce qui est difforme, mais tout ce qui etant merveilleux, se situait en dehors du commun, et revelait l'action ou la presence de ce que nous appelons Ie sacre (H). Dans les maladies elles-mcmes, dit Pare citant Hippocrate, « il y a quelque chose de divin, dont l'homme n'en s<;auroit donner raison» (p. 59). A plus forte raison l'intervention divine apparait eUe dans la naissance des monstres proprement dits qui, dit Pare, « sont Ie plus souvent signes de quelque malheur a advenir (p.
Parmi ces derniers cas, Pare mentionne notamment: 1° Des accidents physiologiques (':i): trop grande quantite ou insuffisance de semence, angustie ou petitesse de la matrice, etc. Les hermafroclites et anclrogynes sont nes d'une copulation ou «la femme fournit autant de semence que l'homme proportionnement» (p.
2° L'imagination : c'est ce que Pare appelle la vertu imaginante (p. 37), l'anomalie etant due par exemple a un songe fantastique H) de la femme «ce pendant qu'elle conc;:oit ou au fait qu'eHe a vu reellement alors une chose ou un animal « monstrueux » (grenouille, veau, etc.). 3° Des compositions complexions physiques hereditaires ou acciclentales (pp. 4 et 45). Exemple « les gouteux engendrent leurs enfans gouteux ». 4° L' « assiette indecente de la mere ", c'est-a-dire une position inadequate adoptee frequemment par la femme enceinte (par exem pIe les cuisses croisees) (p. 5° ({ Chute ou coups donnez c~ntre Ie ventre» de la future mere. 6° « Des monstres qui se font par corruption ou pourriture» (p. 60), excrements, corps morts, etc. C'est Ie cas d'un serpent issu de la decomposition d'un cadavre. 7° ({ L'artifice des meschans belistres de l'ostiere (17). Pare mentionne dans les chapitres XX a XXIV les nombreux artifices realises par des gueux qui simulent toutes sortes de maladies, comme par exemple une cagnardiere CS) qui feignait d' « avoir un chancre
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Merveille et merveilleus tres employes en ancien franc;:ais sont frequents notamment dans 18 Queste clel Graal) C") impliquent un sentiment d'admiration qui est lie Ie plus souvent a la conscience du surnaturel ; ils sont associes a eshabi, enchantement, et a du XIve sieele a proclige ell. Vers Ie XV" sieele la notion tend a se laYciser C~); il reste que, chez certains, eUe garde l'essentiel de l'acception ancienne; c'est Ie cas de Pare qui distingue les paroles emises par un maniaque et les choses merveilleusement grandes » dites par ceux qui sont, par voie de sorcellerie, «tourmentez des diables» (P. 94).
:r: Les causes de la monstruosite ont naturellement attire l'atten tion de Pare. Comme nous rayons remarque, tout ce qui est prodi gieux (D), hors nature, est dans l'esprit de ce chirurgien associe de (9) Au XVle sieele sacre est seulement adjectif ou participe passe. (10) Exemples p. 7 de l'edition Pauphilet (Paris, Champion, 1972). (11) «Prodiges estoient appellee aucunes merveilleuses aventures qui ave noient c~ntre Ie cours de nature pour signifier aucune grande beson gne qui estoit a avenir (Bersuire in Littre : prodige1. (12) En voici un exemple du XVI" siecle : ( Les plus belles vies sont, a mon gre, celles qui se rangent au modelle commun sans merveille li, (Mon taigne, III, 431, cite par Villey, Lexique de la langue des Essais). On trouve dans Ie meme auteur « merveilleusement afflige)) et «( merveil Ieusement absurde»; pour merveilleux: « c'est un tesmoignage mer veilleux de la faibiesse de nostre jugement » : Ie mot a seulement ici la valeur de « remarquable li. Huguet, Diet. de la l. fro du XVI's. definit merveille par « admiration » et « etonnement ». II signale dans la merna famille les mots merveiller, merveilleur, merveilleusement, merveilleux «extreme li. (13) « Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos [... J », Montaigne dans Villey, op. cit.
(14) P. 4. Pour la gloire de Dieu on peut citer « l'homme qui estoit nay aveugle» et a qui N. S. a fait recouvrer la vue «it fin que les ceuvres de Dieu fussent magnifiees en luy)) (p. 5), La colere de Dieu peut affec ter la forme d'une punition frappant des accouplements monstrueux (bestialite) ou interdits: « les femmes souiltees de sang menstruel engendreront des monstres» (p. 6). (15) « La consideration (des choses naturelles) appartient it la premiere partie de Medecine, dite Physiologie» (Pare, (Euvres, t. I, Introd., III). Pare oppose la Physiologle it I'Hygiaine ou Diaitetique et a la Thera
peutique.
(16) Fantastique
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a au XVI" sieele les sens 1° d'imaginaire, 2" de bizarre. (17) Les gueux ou belistres de l'ostiere sont des mendiants qui allaient de porte en porte. Dans Gargantua (chap. I) Rabelais dit que plusieurs « gueux de l'hostiere, souffreteux et miserables [. .. J sont descenduz de sang et ligne de grandz rois et empereurs». Cf. Cinquiesme Livre, chap. XI. (18) Gueuse ou prostituee.
364
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Dans Ie long poeme consacre par Ronsard aux demons (21), une autre conception se fait jour. Le poete distingue deux categories de demons: les bons qui « viennent de l'air » (vers 209) et les mauvais font noircir la Lune et 22:3) « ••• apportent sur la Terre
Pestes, fievres, langueurs, orages et Tonnerre. »
Le nombre de ces esprits favorables ou monstrueux qui peuplent l'air que nous respirons est considerable, car (vers 59 sqq.), « Quand l'Eternei bastit la grand' maison du Monde, II peupla de poissons les abysmes de rOnde, D'hommes la et l'Air de Daimons, etJes Cieux D'anges l...J »
*
(19) Rabelais se moque des diables dans Ie TIers Livre. chap. XXIII.
(20) A plusieurs reprises Pare estime necessaires les proces de sorcellerie (et
les condamnations qui peuvent etre prononcCes), mais il semble hesiter au sujet des incubes (<< demons qui se transforment en guise d'hommes. et ont copulation avec les femmes sorcieres ») en raison de l'opinion des mectecins qui attribuaient a l'incubat des causes physiologiques. (21) L'Hymne des Daimons (edite par A. M. Schmidt, Paris, A. Michel, 1938), que Pare cite (chap. XXV) et dont il s'est inspire.
365
Des indications precedentes nous pouvons degager un certain nombre de renseignements sur une attitude assurE:'ment frequente au XVlc siede et dont Pare, qui n'a pas innove en ce domaine, nous fournit des exemples nombreux.
en la mamelle» (p. 70). Certains de ces miserables « ont desrobe de petits enfans et leur rompent bras et jambes» afin d'apitoyer les gens. 8° L'adion des «Demons ou Diables qui font « des choses monstrueuses» (p. 80): 11 y a des sorciers et enchanteurs, empoi sonneurs, venefiques, meschans, rusez, trompeurs, lesquels font leur sort par la paction (pacte) qu'il" ont faite aux Demons, qui leur sont esdaves et vassaux. Et nul ne peut estre sorcier que premiere ment n'aye renonce Dieu [... J, et prins volontairement l'alliance et amitie du diable ». L'existence des sorciers est aux yeux de Pare indubitable; elle est prouvee par « l'authorite de plusieurs Docteurs et expositeurs» (commentateurs) : « tesmoin Moyse» (Exode, Deute ronome) et saint Augustin (I!I). Les individus « possedez des De mons e") parlent la langue tiree hors la bouche, par Ie ventre, par les parties naturelles, et parlent divers langages incogneus (p. 83), mais aussi ils deplacent les montagnes, font parler les chiens, etc. II est frequent aussi que les soreiers soient des « nuileurs d'esguil lette ", c'est-a-dire que, par malCfices, ils empechent la consomma tion des mariages (p. 100). Les demons « habitent es carrieres" et dans les mines ou ils poussent des cris fort estranges et espouvantables ,) (p. 84). On leur a donne differents noms comme cacodemons (d('mons pervers), incubes, succubes, coquemares, gobelins, 11l.tins, etc. (p. 82). Le demon incube est appele vulgairement chanche-p011let (p. 99). Quant a la magie, elle est exercee par des necromanciens, chiromanciens, hydromanciens, geomanciens, pyromanciens, acromanciens (p. 90).
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1° L'homme n'a pas le droit de creer des monstres ni d'en sus citer l'apparition . c'est une besogne sacrilege. 2° II est inexact de croire, comme Ie fait Ie vulgaire, que les saints envoient aux humains des maladies (celles-ci sont une punition . infligee par Dieu), mais ils peuvent les guerir.
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30 Les monstres sont certes des anomalies, mais si l'on depasse eette constatation ban ale, on s'apef(~oit que dans un monde fonde sur l'harmonie universelle e~), au Macrocosme et Microcosme se refletent reeiproquement, il existe des correspondances multiples expliquent souvent des monstnwsites apparentes) entre les differents elements constituant I'Univers: qu'il s'agisse de pierres imitant les hieroglyphes ou de phenomenes vitaux (animaux ou plantes). La mer, par exemp1e, qui est un element privilegie en 1'0ccurrenee, reproduit sous une forme animale les organes humains (ceux des parties intimes par exempIe, p. 112) ; elle imite nos mala dies (<< la figure du chancre de mer ressemblant aux tumeurs chan creuses fig. 63 bis), elle possede un diable, un lion de mer, un moyne, un evesq1te « vestu de ses habits pontificaux (fig. 42), etc. Les monstres ne sont done insolites (Ie mot apparait en 1495) qu'aux yeux de l'homme. Contrairement a ce qu'on pourrait croire, iis ne se manifestent pas d'une manier€ : isolee et aberrante. Comme 1'indique Bodin dans la Demonomanie e:\), « l'harmonie periroit si les voix con1raires n'estoient liees par voix moyennes». Les etres ont ete situes par Ie Createur, les uns par rapport aux autres, comme les mai110ns d'une chaine. Ce n'es! pas pour rien que Ie mot transi tion apparait au debut du XVle steele avec Ie sens de « moment passager Entre l'homme et la pierre, tout ce qui vit se definit par ce qui l'entoure, it n'y a que des intermediaires : Ie singe est inter mediaire entre I'homme et les autres animaux, « entre les animaux terrestres et aquatiques sont les amphybies, comme les bievres, loutres, tortues [... J» e·'); quant au ehamelon, qui se comporte comme un mirouer, et dont Pare possedait un specimen, i1 est une sorte d'abrege du monde animal ear il tient a la fois du poisson, du eochon, de la tort1te et du crocodile. Dans Ie domaine de Ia les Heterogeneites e·-') ne sont qu'apparentes; eomme Ie dit Mon (22) Cf. l'introduction de Ceard (p. XXXVIII sqq.) aux Monstres et Prodiges de Pare. (23) Cite par Ceard, op. cit., p. XLI. (24) Id., ibid., p. XLI. (25) Homogene apparait en 1503 chez Ie medecin Chauliac en m{!me temps qu'homogeneite. Het(!rogene et lultel'ogimeite sont de la fin du XVI· siecle.
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taigne (Essais, II, 30). «Ce que nous appelons monstres ne Ie sont pas a Djeu, qui voit en l'immensite de son ouvrage I'infinite des formes qu'il y a comprinses ; et est a croire que cette figure qui nous estonne, se rapporte et tient a quelque autre figure de mesme genre inconnu a l'homme. » La theorie qui assigne une fonction representative a chacune des de la chaine des etres vient d'Aristote pour qui «Dieu et la nature ne font rien en vain ». Avant d'6tre ridiculisee par Ber nardin de Saint Pierre, Ia conception finaliste a ete developpee par Galien dont se gausse Rabelais dans Ie Tiers Livre (chap. VII) (2n).
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Nous avons qu'il ne serait pas inutile de proposer a nos lecteurs une representation graphique du champ semantique de Monstre tel qu'il apparait dans les (Euvres de Pare. Certains termes figurant sur Ie schema n'appartiennent pas a cet auteur; ils Ctaient tous employes a Ia fin du xvr e siecle.
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cite Galien qui « dict la teste estre faicte pour les ceilz». Panurge ajoute « Au regard du hault de chausses rna grande tante Lau rence jadis me disoit qu'it estoit faict pour la braguette ». Notre auteur decrit en detail les mceurs du dragon dans Ie Livre des Animaux (CEuvres, t. III, p. 753) : « les dragons [. ..] par leur finesse et malice» vainquent les elephants.
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(26) Rabelais
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N.B. II n'a pas ete fait mention dans les lignes qui precedent de l'interpretation symbolique des monstres qui ferait l'objet d'un autre travail. Contentons-nous de signaler que la Renaissance a, comme Ie Moyen represente allegoriquement les personnages de l'Autre Monde, les Vices et les Vertus, par des etres monstrueux : Ie Christ est une licorne, Ie Diable est un dl'apon (animal dont I'existence n'est pas mise en doute par (27), la Fraude est une fille au corps de poisson, etc.
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A propos de certains termes scientifiques du XVIe siecle Comme on sait, l'epoque de Ia Renaissance dans Ies Lettres et dans Ies Arts se caracterise aussi par un renouveau des Sciences et, de ce fait meme, par un renouvellement et une extension du voca bulaire scientifique et technique (v. F. Brunot, H.L.F., II, pp. 36-80 et 215-241). Un des traits dominants de cette evolution cst Ia creation de termes savants ou bien Ie remplacement sur un meme mot, du suffixe populaire par un suffixe savant. C'est ainsi que dans de nombreux cas Ie suffixe -aison, dit populaire, a ete Climine au profit de -ation qui, lui, est de formation savante : apelaison ----+ appellation arestoison ----+ arrestation donaison --;.. donation rovaison ----+ rogation etc., etc. II est donc d'autant plus etonnant (v. Brunot, ibid.. p. 190 n. 3) de voir se former dans la meme periode des termes scientifiques en -aison, alors que Ie meme mot suffixe en -ation est deja atteste au meme moment (ou bien avant) et souvent employe aussi par Ie meme auteur.
Il y a principalement deux domaines ou se manifeste ce pheno mene: Ies sciences naturelles, la grammaire.
1) LES TERMES DES SCIENCES NATURELLES
Nous avons releve les suivants (nous donnons chaque fois entre parentheses la date d'apparition du terme correspondant en -ati.on) : alteraison (alteration, XIII" s.) egalaison (equation, id.) (1) (1) Esgualation, Cotgr. 1611; egalation, Monet 1636 (FEW, XXIV, 213 b. aequalis).
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TElnIES SCIE~TIFI(KES Ill' Xn e s.
GEOHGES )IERK
enHammaison (inflammation, XIV" enluminaison (enluminacion, ca. 1470; evapeuraison (evaporation, XIV" s.) e:r.halaison (exhalation, id.) humectaison (humectation, id.) sepa1'aison (separation, id.) ge1'minaison (germination,
XIV€
s.)
Sur ces neuf termes en -aison, les huH premiers sont employes par Du Perron, Premier Discours tenu a Ia table du Roy a Fontainebleau s.d., redige vers la fin du XVI" s., publie au debut du XVII" Le neuvieme, germinaison, se trouve chez Le Fevre de La Boderie, UHarmonie du monde, divisee en trois cantiques, Paris 1578. Du Perron traiie de la formation geologique de Ia Terre, donc de phenomenes naturels : ALTERAISON signifie chez Du Perron « Ie fait d'e1re sec », en parlant de la Terre; il dit: « Un des elements a besoin d'estre sec et l'autre humide: a fin que run et l'autre, sans une devanciere alteraison, ne soient de la cause faisante ruinez a l'instant» (op. cit., pp. 365-6). D'apres Gdf. et Hug. Ie terme d'aUe1'ilison se trouve aussi chez A. Du Moulin et chez Vauquelin de la Fresnaye e) (tous deux du XVl" s.), mais au sens d'« etat de celui qui est altere, grande soif », done aussi un phenomene naturel. Mais Du Perron, dans son meme ouvrage (pp. 28-9), avait aussi employe alteration, au sens d' « action d'alterer, de changer )', action qui suppose l'intervention de l'homme: «en la qualite (du mouve ment) se trouve l'alteration, ou l'on regarde Ie mouvement acque rant et Ie perdant : ainsi quand on change Ie blanc au noir en per dant l'un on gaigne l'autre (1 'intervention de l'homme consiste a changer Ie blanc au noir »). D'ailleurs jusque chez Fur. Ie sens principal, sinon unique, de a/feTation est action qui change la nature d'une chose ». (2) La citation de Hug. (Vauquelin de la Fresnaye. Satyres tranr;oises, a M. de Saintemarthe) n'est pas sure. Hug. dit avoir utilise I'edition de Julien Travers, Les diverses poesies de J. Vauq., sieur de la Fresnaye, Caen 1869. Or a la satyre a M. de Saintemarthe de cette edition (1, p. 181) nous lisons :
« Car cette solf, un peu demeurant comme eteinte,
Tousjours d'alte raison (en 2 mots) aura la gorge atteinte
Rien dans les notes (II, p. 788) concernant ce passage. Et dans Ie « Glossaire pour toutes les reuvres de Vauq. »), que Ie meme editeur a publ1e dans CEuvres diuerses en prose et en vers de J. Vauq. sieur de la F., Caen 1872 (ouvrage que Hug. dit avoir utilise egalement) on ne trouve pas mention du subst. alteraison, mais l'adj. alt, alte «haut, grand, fort )) y est donne. II faut reconnaitre que la le<;on aUeraison est plus satisfaisante pour Ie sens, d'autant plus que Ie mot est atteste ailleurs it la meme epoque.
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EGALAISON figure a deux reprises chez Du Perron dans Ie titre d'un ouvrage d'astronomie : « Campan au traitte qu'il a fait de l'egalaison des planettes Ce Campan est peut-Nre Ie mathemati den et astronome italien Campanus de Novare, qui a vecu au XIII" s., mais dont l'ceuvre (traduction et commentaire d'Eudide) n'a ete publiee qu'au XV" s. Malheureusement nous n'avons pas reussi a savoir Ie titre exact et originel de ce « traUt: ». Du meme coup nous ne pouvons preciseI' d'une fa<;on sure Ie sens de egalaison : il signifie probablement la distance moyenne parcourue par une pIanete (?). En tout cas, it Ia meme epoque, equation a egalement un .sens astronomique: «Quantite variable qu'il faut ajouter ou 6ter aux mouvements moyens des planetes pour oblenir les mouvements vrais (Gdf. IX, 499 a, equacion). Fur. signale Ie meme emploi: « maniere de reduire Ie temps ou les mouvements inegaux du Solei! a un temps egal et moyen ». Le trait dominant de ces definitions est leur caractere agentiel : ajouter, oter, reduire, rendre Le mfr. esgualation signifie aussi « Ie fait de rendre ega] ». Egalaison par contre, dans l'esprit de Du Perron, se rap porte peut-etre au pheno mene naturel qui concerne Ie mouvement des planetes, et c'etait sans doute suffisant a ses yeux pour justifier Ie suffixe -aison. ENFLAMMAISON, proche de exhalaison et souvant dans Ie meme contexte, designe Ie fait spontane d'etre en flammes, en par lant du Soleil: L'esprit de la flamme est une exhalaison ... qui de la flamme abandonnee sort du feu plus subtile et donques rarefaite, non en l'enflammaison (Du Perron, op. cit., pp. 280-1); « Les montaignes ardentes (du Solei!) qui de luy-mesme tirent l'ori gine de leur enflammaison (ibid., p. 325); « comete ou pareille enflammaison» (ibid., p. 327); Ie feu ... un esprit it qui l'enflam maison avient" (ibid.). A de BaH d Remy Belleau connaissent aussi Ie mot avec Ie meme sens, rimant regulierement avec exhalaison. Les vapeurs superieures S'enflammant sous l'adion du soleil, ,( l'en flamezon coulisse (adj.) D'un long trait blanchissant atravers l'air se glisse)} (BaH, Euvres en rime, ed. Marty-Laveaux II, 15); ({ la mesme exhalaison L'engendre (l'astre) dans Ie ciel par mesme en flamaison (ibid., II, 23). Partant de la meme inspiration et traitant Ie meme theme, R. Belleau evoque les pierres qui ({ naissent d'une vapeur et d'une exhaIaizon Qui est et chaude et seiche, et pure enflammaison» (in Gdf.). Le mot paralt egalemcnt chez G. Le Fevre de La Boderie, toujours dans Ie meme sens: Pour ce qu'ils (JupiMars et Saturne) sont plus eloignez (que Ie Soleil), leur enflam maison en mouvement tres leger ne parvient pas jusques a nous» (Uharmonie du monde, divisee en trois cantiques, Paris 1578, p. 93). La Boderie emploie egalement Ie mot par metaphore dans un sens spirituel, religieux: « La grace de Dieu ou l'enflammaison du feu spirituel» (ibid., p. 122). Inflammation par contre, qui dans sa pre miere attestation (Bersuire, FEW, IV, 671 b, inflammatio) a Ie sens non-agentiel de « vive irritation », prend precisement au XVI" s. une valeur bien agentielle : Lemaire de B. I'emploie au sens d'incendie
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volontaire : « l'inflammation de Troye » (Hug.). Les Dict. du XVII" s. (Rich., Fur., Ac. 1694) donnent encore en premier lieu Ie sens de « mettre Ie feu a qch., action d'enflammer» avec la citation: «!'in flammation de la poudre a canon », c'est-a.-dire la valeur agentielle.
EXHALAISON : Depuis Littre, taus les Dict. (aussi bien diet. de langue que diet. etymol.) font apparaHre Ie mot des Ie XIV" siecle, s'appuyant sur la citation de l'Historique de Littre, tiree d'un Petit Traicte d' Alchymie, intitule Le Sommaire philosophique de Nicolas Flamel" in t. IV, pp. 205-244 de « Le Roman de la Rose, par Guil laume de Lorris et Jean de Meung ", ed. Meon, Paris 1813). Or, Meon, au debut de ce "Petit Traicte », p. 205, dit en note: Cette piece a ete collationnee sur l'exemplaire d'un Amateur ...
XYlC
s.
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ne cite qu'exhalation). II est donc tres probable que Ie terme d'exhalaison ne soit entre dans la langue qu'au XVI" s. Du Perron l'emploie 57 fois, Ie plus souvent en rapport avec comme aussi BaH et R. Belleau (v. plus haut s.v. enflammaison). D'ailleurs les deux mots sont tres proches semantiquement chez ces auteurs, les exhalaisons etant la consequence des enflammaisons du Solei! (v. Marty-Lavaux, La langue de La Pleiade, II, 163, au sont cites exalezon chez Balf II, 15, e.1;alaison chez BaH II, 22 et exhalai zon chez R. Belleau II, 158).
ENLUMINAISON: est, de la part du Ie fait d'eclairer la terre: {( Si les parties (du ciel) mains eloignees sont en l'ombre de la terre vefves de lumiere, eUes sont en puissance a. la suivante enluminaison» (Du Perron, op. cit., p. 376). C'est un phenomene naturel ,non-agentiel. Alors que mfr. enluminacion (ca. 1470) et ilLumination (Oresme) ont tous deux a leur apparition un sens non agentiel (Ie 1"1' « a. de recouvrer la lumiere », Ie 2" « a. de recevoir la lumiere de la inspiration FEW, IV, 560 a, illuminare), il faut noter qu'aux XVI"-XVIl" s. illumination n'a que Ie sens bien agentiel d'" action d'eclairer (Hug. et EVAPEURAISON : Une des causes des tremblements de terre, d'apres Du Perron: «La souterraine evapeuraison d'une humeur eveuse estre I'origine du eroulement de la terre» (pp. 446-7). Evapo ration par contre, qui dans sa 11'1' attestation (Dial. S.Greg., Gdt, IX, 574-5) avait un sens non-agentieJ, prend aux XV!"-XVII" s. surtout une valeur ageniielle «a. par laquelle on fait exhaler l'humidite de » (Fur.), «principalement en chimie par Ie moyen du feu », precise Ae, 1694.
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HUMECTAISON : Du Perron (op. cit., p. 284) : "l'humectaison de l'air a la suite de ce que l'eau est changee en air au contact du feu ». C'est donc un phenomene naturel, non-agentiel. Humectation par contre a une valeur agentielle depuis sa premiere attestation (II. de Mondeville, in Gdf.) avec la signification d'« action d'humectel' par l'applieation d'un remede », definition que donnera encore Furetiere.
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!
SEPARAISON: Du Perron (op. cit., pp. 277-8) definit ainsi Ie feu: «Le chaud et sec, qu'on appelle feu, se renge incontinent dessous la vollte inferieure du ciel et justement on ne peut dire de nom, accomodable a toute separaison fumeuse 1.'. Et une page plus loin: « la separaison de l'air entre elements humides et elements secs». Pas de doute, il s'agit d'un phenomene spontane e). Dans Ie meme ouvrage, Du Perron emploie aussi sepa ration, mais pour designer une operation de l'esprit humain: Aris tote a veu que la mesure n'estoit separable de la matiere ... », mais il n'estime pas que "ces mesures demeurantes a la separation des surfaces en la matiere, soient en puissances et mesures de la matiere ... Car ostant de l'un et de l'autre en pensee les sur faces ... » (pp. 85-6). Ailleurs (p. 108), Du Perron oppose la separa tion de « deux choses inegales a leur joignance )): encore des operations de l'esprit humain, en pleine agentialite comme Ie fr. mod. separation,
Bien plus, il y a de fortes raisons de eroire que l'ouvrage attri bue a Nicolas Flamel soit du XVI" s, et non du XIV" s. Dans la Bibl. d'Humanisme et de Renaissance, 3, 1943, p. 215, dans un article de A. Vernet, on parle du « Sommaire philosophique du pseudo Nicolas Flamel»; et Vallet de Viriville (Mem. de la Soc. des Antiq. de Fmnce, 3" 15., III, 1857, pp. 172-197), parlant «des ouvrages alchimi ques attribues a N. Flamel ", pense que l'edition de 1561 doit eire l'edition princeps: il demontre les falsifications et les erreurs qui sont a. l'origine de l'attribution a N. Flamel ; les ouvrages en ques tion seraient en realite du XVI" s. C'est egalement l'avis de G. Ro ques (R.Li.R., 38, 1974, p. 453, La Lexicographie et l'alchimie).
GERMINAISON « fait de germer» employe, sans doute pour la premiere fois, par Le Fevre de La Boderie (op. cit., p. 65) ; il s'agit de la cr(~ation du monde selon la Genese: " jusques au troisieme a este differee la germinaison de la terre». Apres une eclipse de plusieurs siecles Ie mot a ete cree une nouvelle fois par Charles Maurras, avec Ie meme sens: «meme Ie vegetal pousse et s'acerolt par sa vertu interne, par un intime procede de germinaisoIl et d'evolution» (La denteUe du rempart, p. 89, cite par E. Pichon, Les Principes de La suffixation en franr;ais. p. 48). Dans certains dialectes gallo-romans (saint., mdauph.) germinaison est egalement atteste (FEW, IV, 122-3, germinare). II existe aussi un doublet mains savant,
II est d'ailleurs significatif que Gdf. (IX, 528 b) n'atteste exha 1aison qu'en 1585 (sous la forme eX(llaison, odeur qui s'exhale d'un corps », chez Dampmartin) et que Hug. ne Ie donne pas du tout
(3) Chez cotgr. Hill, separaison est defini « action de separer», sans autre expl1catlon.
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TER~!ES
germaison « a. de germer », atteste chez Monet 1636 et qui est encore en usage a Vaux (Ain) sous la forme oarnezQ « id. » CB'EW, ibid.) ("). Ainsi Du Perron et La Boderie (ou leurs contemporains), trai tant de phenomenes naturels, spontanes, qui concernent l'Univers, a l'exclusion de l'intervention expresse de la volonte humaine, crcent des mots savants suffixes en -aison, alors que les memes auteurs (ou leurs contemporains) emploient Ie meme terme suffixe en -ation, lui donnant une valeur agentielle par laquelle s'exprime une action voulue expressement par l'homme-agent. En somme, dans les termes en -aison ragent serait ce que G. Moignet a appele la «Personne Univers
2) LES TERMES GRAMMATICAUX Pendant la meme periode (fin XVl" s. - debut XVII" s.) il est etonnant de constater aussi que les termes grammaticaux, qui pour la plupart existaient au Moyen Age avec les deux suffixes -aison ou -ation, perdent Ie suffixe savant -ation, malgl'e leur radical savant et leur semantisme savant, pour ne garder que le suffixe (dit popu laire) -aison. Voici les dates d'attestation des deux series de termes grammaticaux, d'apn?s Ie FEW: -ATION combincomparconjug declin per 01' term in
-AISON
XIV"-XVW s. XTl"-XVT" s. XIlI"-XVI" s. XII"-1605 (') 1576-1660 127:!-1660
C')
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l)
XVII" s. _ .... XII" s. XV!" s. _ ... XIII" s. - . '" 1671 1370 ----.> -~
(4) La Boderie emploie aussi, avec un sens specifiquement religieux (done technique) des termes comme contemplaison (op. cit., p. 106), determi naison (p. 137), dimaison (p. 513), parjumaison (p. 440), liaison (pp. 154 et 246),devinaison (Discours de l'honneste amour, sur Ie banquet de Platon, pp. 182 et 183). Chez La Boderie, les actions deSignees par ces termes ont toujours pour agent soit Dieu, soit I'homme inspire de Dieu, done des actions qui ne relevent pas de la volonte de l'homme seu!. Or les termes correspondants en -alion sont attestes bien anterieurement : contemplation (XII" 5.), determination (XIV"), dimacion (XIII"), devi nacion (XII!') ; et ils expriment taus une action que l'agent exeeute de sa propre volonte, comme aussi par!umement chez La Boderie lui-meme.
(5) Com me terme d'algebre, encore Trev. 1752, d'apres Ie FEW. (6) Dans son edition de 1529, Geofroy Tory, Champ fleury, ecrit {( La tierce conjugation». Mais dans !'ed. de 1549 (Ou. iI se borne generalement a reproduire la 1" ed.) il corrige conjugation en conjugaison (P. Laurent, Rom. 51, 36), ce qui est significatif de l'evolution. D'apres Ie FEW, II, 1052 a, cOnjugare, a la suite du D.G., la premiere attestation de conju gaison etait de Meigret 1550. (7) D'apres Gdf., puisque Ie FEW ignore Ie mot declination.
SCIEXTIFlQl'ES Ill' XY I" S.
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Ainsi dans les termes scientifiques de la grammaire, termes savants» par excellence, qui decrivent Ie fonctionnement de la langue, c'est Ie suffixe -aison qui l'emporte, Or la langue est aussi dans une certaine mesure un phenomene naturel: elle s'impose au locuteur qui suit ses regles et se soumet a ses structures, Mais en meme temps, inconsciemment, Ie Iocuteur pese sur ces structures de la langue et finit par les transformer, c'est ce que les Guillaumiens appeUeni la « voix moyenne », ou Ie sujet est a Ia Lois et agissant. Voir ,1 ce sujet ce que nous disions sur oraison discours» dans les Melanges Gossen, II, pp. 631-2 ; nous nous contentons de repeter ce que G. Guillaume a dit de la voix deponenie, c'est-a-dire moyenne du verbe latin loquor: «La parole a ses regles auxquelles Ie sujet obeit et ses entralnements auxquels il cede; I'etre agissant qu'est indubitablement celui qui parle se comporie, du fait qu'il suit Ies regles de la parole ou cede a ses entralnements, en etre agi (Existe-t-H un deponent en jran<;:ais?, in Langage et Science du Lan gage, pp. 127-142). «
En resume, Ie suffixe -aison, des Ie XV!" S., prend une valeur non-agentielle : les mots en -aison expriment ou bien un phenomene naturel pour lequel il n'y a pas d'agent (si ce n'est la « Personne Univers "), ou bien une action humaine mais que l'homme-agent ne maItrise pas de sa propre volonte (c'est la voix moyenne »). Cette specialisation du suffixe -aison, qui commence a se mani fester au XVI" s., se realise pleinement en fro mod. Des termes comme jeuiHaison, jloraison, etc., reIevent de la personne Univers, tandis que ceux qui expriment la saison favorable a tels travaux agricoles comme jenaison, etc., relevent a la fois de la meme per sonne Univers et de la voix moyenne, puisque la saison (manifesta tion de l'Univers) s'impose au paysan comme la langue s'impose au loeuteur, sans que ni Ie paysan, ni Ie locuteur ne menent entiere ment leur action de leur seule volonte. F, Brunot (H.L.F., II, p. 190, n. 3) s'etonnp que « ce suffixe, ,\ cette epoque (XVI" s.), s'ajoute surtout a des radicaux savants», C'est que Ie suffixe -aison a pris une valeur particuliere qui n'est pas for cement en rapport avec son origine dite populaire. Et si numeriquement, comme Ie constate aussi F. Brunot (i.bid.), "Ie suffixe savant -ation prcvaut deja sur son concurrent -aison ", c'est qu'a partir du XVI<' s, les domaines ou intervient la volonte de l'homme, en particulier Ies sciences et les techniques, sont appeles a un essor considerable; Ie suffixe -ation l'emporte quantitativement, mais empiete rarement sur Ie domaine reserve a -aison. Voici comment les mots en -aison du XVF d'etudier sont attestes par les prineipaux dict.
S.
que nous Vl'nons
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GEORGES ~IERK
Gdf. alteraison
CompL VIII, 90 a
Hug. I, 174 b
dirnaison
II, 686 c, Gr. ehron. de Fr.
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II, 715 a, La Boderie
III, 188, La Boderie
egalaison enflarnrnaison
enluminaison
IX, 462 c, R. Belleau, La Boderie
germinaison
separaison
La personnalite de Claude Expilly (1561-1636) est attachante. Ce ne fut pas seulement un habile magistrat, charge de missions diplomatiques delicates. L'h0mme de lettres est aussi seduisant: vers d'amour a Gabrielle d'Estrees, Vie de Bayard, Ballets (R.N. ms. 24352, 24354) ... Ce fut meme un grammairien attentif du fran Gais. Son Orthographe fmnt.;oise, selon la pTOnonciation de nostre langue (1618) s'inscrit dans la meilleure tradition iIlustree par Louis Meigret.
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III, 432 a, Balf, R. Belleau
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IX, 528 b (a. 1585) -
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III, 293 b, exhalare XIV" s. (?)
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IV, ]22-3, germinare saint., mdauph.
humectaison (H) parfumaison
Blaise de Vigenere ecrivain, juge par Claude Expilly
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evapeuraison exhalaison
XXIV, 357 a, alterare mfr. 1549, 1585
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conternplaison deterrninaison
FEW
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V, 768 a, La Boderie
V, 633 b, La Boderie
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Strasbourg.
(8) F. Brunot, H.L.F., II, 220 (chez Du Perron).
IV, 854 b, fumus mfL 1578 (La Boderie) XI, 475 b, separare <::otgr. 1611
Georges MERK
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C'est le grammairien que nous presentons en exhumant les notes inedites dont il a couvert son edition de Blaise de Vigenere : De 1a vie d'AppoUonius Thianien (1599), traduction interessante a plus d'un titre. Pourquoi cette rencontre d'un hebrai'sant, du traduc teur des Psaurnes avec un « sage» aussi inquietant? II vaudrait la peine de surcroit de confronter cette traduction avec celIe, incdite encore, de Sebillet: B.N. ms. 1108. La crise de la conscience reli gieuse, apres les remous de la Reforme, se manifeste, je crois, a travers pareilles a:uvres ou miracles et propheties sont soumis a dure confrontation, d'essence historique. Notre propos reste plus modeste: montrer Ie comportement de deux ecrivains. Voici d'ailleurs, a la deuxieme page de cette traduc tion, dans l'exemplaire conserve a la Bibliotheque municipale de Grenoble, Ie jugement d'enscmble de CL Expilly : « Je juge ce livre estre plustost un Roman qu'une hystoire, pour y remarquer beaucoup de contrarietez et de discours assez fai b:es. Et nul ne lira ceste vie qui ne la juge une pure menterie, mesmes n'estant forti fie d'aucun autre autheur que j'aye veu. Et n'est pas a croire qu'un homme estant disparu tout a coup en presence d'un empereur dans Rome, quelqu'un n'en eust escript de ceux qui ont traitte de la vie des Empereurs. Au reste la traduction en est belle et naifve. Mais Vlgenere y a seme des mots un peu rudes comme parforcer, parcourir, parfournir, et autres semblables, y usant aussi de quelques locutions ineptes que yay remarquees du bout de la plume en passant. Et ne puis estre de l'avis de ceux qui tiennent Ie dit Vigenere pour un de ceux qui ont Ie mieux escript en langage fran90Ys. Car il use de de mots rudes ou nouveaux, que Cesar disoit devoir estre comme des escueils, ainsy que tesmoigne Aulu-Gelle, liv. 1" cap. 10 Fait ce 13 de may 1599 a Grenoble ».
Se placer sous l'autorite d'un autre grammairien ne manque pas d'habileie, car l'auteur du De bello galLieo a ecrit aussi un De analo
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Y\'ES LE IIlH
IlI.AlSE DE nGE"j':HE I:CRI",\I"
gia, Voici du reste la regIe d'or de Cesar qui resume assez bien I'esprit de ces gloses :
paroles affectees» 17, 193; sans affecterie» 96: sens trop mal assures a cette date? jeunes aigleaux» 6 : la langue a hesite entre plusieurs diminutifs : aiglereau, aigleron, aigletet ; aigliau esi surtout dialectal. « lesquell<:'s (loix) si vous ne vous proposez debvoir tousjours commander a l'Empereur en estre maistresses, certes vous ne regnerez pas sans recepvoir beaucoup d'algarades et de doubtes et soupc,ons a toute heure" 265 : la phrase semble ampu tee d'un element; maistresses etonne; alparades est bien neuf: Bonaventure des Periers. « allitte» 37 ; orthographe d6fectueuse, «grand amateur de l'antiquit6» 45: Ie substantif paralt concis pour : les traditions antiques, « une p'lisible amia blete » 249: peu usHe ; amabiIite est de 1671. demeure anguste" 31, C,E, : estroitte, - « aorn6 , " d'uD beau f'ceptre» 234: adornare a cede devant ornare! aorer» 296, « orer ce dieu» 292: Ie latin d'Eglise a fait ici Ie succes de la forme moderne, - « me faire appa roil''' 299: l'ancien verbe a surv6cu dans la formule juridique : il appert. - « en luy applaudant» 145: la syllabe inchoative finale a ete generalisee. un fort grand apport de mer» 104, C.E. : abo rd. - Articles: « les jeux de l'Olympie» 175 , « Ie Tigillin, I'un des estroits favoris de Neron» 137 : italianisme, -- « passer a des choses importantes 20: l'histoire n'a pas ratifie romission du determi nant, - « il n'en avoit pas moins de soing que des autres» 130: 1a locution verbale permet d'economiser cleo -- "sacrifier du sang humain » 276 : Ie " partitif » a paru condamnable. « i1 hallette a 1a grosse haleine» 151 : l'adicle double une actualisation, « et apposa sur son autel autant de mie1 a tout son rayon et ses gauffrcs ,) 150; les dix derniers mots ont ete soulignes : mais c'est d tout qui a cho (a propos d'un temple) quatre faces et quatre arestes 143 ; curieuse mise a l'index du dernier substantif
« Habe semper in memoria et in pectore ut tanquam scopulum sic fugias inauditum atque insolens verbum »,
Il arrive que CL Expilly rectifie en marge la forme ou Ie mot qu'il juge contestable: tout est simple alars, Presque toujours, c'est un syntagme qui est soulignc : il faut done s'interroger sur Ie ou les elements contestes, Souvent la censure» porte sur plusieurs lignes qui sont ainsi portees a notre attention, Le sens de cette intervention devient plus discutable, Plus d'une fois meme, i1 est certain que CL Expilly a seulement voulu noter pour lui une reflexion qu'il jugeait importante et d'etendue diverse: « parce que la fortUne ne se montre pas toujours favorable a ceux qui combattent» 1GB, « or pource qu'it telles personnes que nous sommes, qui faisons profession de Philosophie et pru dence, il appartient de rechercher la justice de plus pres qu'aux Roys et Empereurs» 205 (il est douteux que ce soit la locution conjonctive pOUTce que qui ait entraine sa plume); « mais d'estre blasme comme pervers par un sien amy, c'est bien chose plus ennuieuse que tout ce qui pouroit arriver de la part de ses adversaires» 204 (j'ecarte cette nominalisation de l'infinitif comme suspectc); « pourquoy il souffroit qu'on l'appellast dieu ? Parce que taus les gens de bien, dit-il, ant accoustume d'estre honorez de ce nom-lit » 261 (est-ce vraiment une presen tation assez insolite du style indirect qui est en cause? C'est plut6t une idee paradoxale, .. )
On Ie voit, c'est l'exercice meme de la sensibilite a la langue du XVI" s. qui est chaque lois r6clam(~ ! si entre « Blaise de Vige nere, Bourbonnois et Claude Expi11y, dauphinois et parisien, de telles dissonances sont pen;:ues en 1599, notre sentiment a quatre siecles de distance est mis a rude epreuve et peut apparaitre suspect, L'aventure vaut pourtant la peine: interrogeons ces deux documents pour une saisie plus vraie de l'histoire de la langue, Afin de permettre une utilisation rapide de ces notes, nous avons groupe mots ou faits de langue (phonNique, morphologie, syntaxe), a l'occasion style, par ordre alphabctique, plutOt que par notions: prefixes, suffixes, neologismes, archalsmes", C,E. ; represente une correction explicite de Claude Expilly. Get A renvoient aux diction naires classiques : Godefroy, Huguet, Pour les datation.3, nous avons fait confiance a W, von Wartburg, habituellement. Accord, « de moy qui s<;ays» 232, C,E. : scay ; a contre-courant donc - « despravees accoustumances)} 159 : Ie mot vieillissait scIon Vaugelas en 1647 ; mais deja a la fin du XVF siecle ? Adjectif et adverbe, « a ceux qui sont tous accoutumez (Paller par Ie sang plus profond que dans l'eau » 159. Vne incidence au verbe justifiait mieux un adverbe. - « aiseement », 249, 259 nommeement 148; privee ment » 266 : type d'adverbes OU Ie e atone etymologique allaH dispa ralire, la voyelle precedente devenant (~. _. «les plus importants affaires» 161: masculin, au palais, dira Vaugelas! - « user de
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« grains et bacques de myrthe" 150: bacce est plus courant (bacca), - «et autres telles barbouilleries 56; dans H, « un legier barbre 299, C,E, : barbe (cheval de « Barbarie »). « il sera bastant de les retirer de ces folz desirs» 273 : encore dans Chape lain! « les baUifollenes de Neron» 147: neologisme. « qui fait les reuvres de justice scaur'a trop miE'ux juger un procez que ceux qui procedent a 1a baulde, comme s'il couppoient de la chair en detail a la boucherie» 206: plus que 1a comparaison, c'est l'ex pression adverbiale precedente qui est en cause; sans doute: carre ment ", « avec hardiesse marchands blattiers» 15 (de ble) : vieux, comme il (Neron) avoit la couppe au becq 138: impro priete et dissonance, - « une bossette» 125: neologisme d'exten sion. -- «boucqs cerviers» 56, C,E.: loups, - « ses deux mains appuiees sur les brancards de la chaire ou il est assis ,) 180 : vergue dans Rabelais ; mot neuf et sens inhabitue1 ici. « la cuirasse, sal lade et brassals » 47 : piece d'armure pour Ie bras; Ie mot vient du proven<:;al ; brassard l'a evince, - « un seul brein en soy de vcrgo gne» 131: image trop familiere? « certaines brutifves paroles» 295 (confuses) : dans H. - « bufonneries)} 263 : 1'0rthographe souli gne les origines italiennes d'un mot assez recent (1
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« Cabanne» 183: familier, peu noble. « promontoires et cRlles» 142 : avancee rocheuse ? - « une petite lettre plus succincte encore que n'est Ie brief canonique» 125, correction explicite sur prenante : laconique. - « Ie grand carra<;on » 95 : bateau de charge; dans Montluc encore..- « apres avoir donne des cautions juratoi res» 39 : glose explicite avec reference: cautio juratoria. - « cerla tans et causeurs» 242 : senti trop comme un italianisme d'importa tion recente (1543). - « Ie porteur de cestes, pour traiter a bouche avecque l'Empereur» 296 : il faut comprendre, semble-t-il: « cestes lettres» (litterae) bien que Ie substantif soit au singulier quelques lignes plus haut. - (il) « faisoit l'office de chass'avant en l'attelier» 153 : nous dirions : « boute-en-train » ; dans H. - « sans faire autre cas de ses cherleries» 135 ; amuseties ; « charlerie » dans H. : impos ture. « petits chienets» 19: hypocoristique superflu. « a chresme d'argent nous gaignons ces Barbares» 59: image incon grue? « la citadelle» 117: mefiance envers un mot venu de l'Italie encore? Impropriete, plutot. - « coinquinez de meffaicls» 10, 99, C.E. : souillez ; dans H. - « collationner» ]96, 197: prendre un repas leger (1549). -- « n'avez vous point este adverty comme Neron a mis ... » 131 : l'agrafe du style indirect a semble suspecte. « vous n'y trouverez point de compediteur» 122: au sens de « competiteur», apparemment. « son compersonnier» 231, C.E.: parsonnier. - « examiner ses complexions» 62 : les nuances psycho logiques du mot devaient etre recentes. - « Ie peuple se cOllgre geant» 271 : latinisme. - « ce dont je suis cons<;achant» 251 : pre verbe de coloration trop latine. - « leurs joyeux et consolataires propos» 242 : la langue a connu « con:-olatiI» surtout avant de se fixer sur « consolateur». « creincte» 262: orthographe defec tueuse.
« vivre desidieusement » 31, C.E. : ocieusement. « pare comme par despit» 27, C.E. : force; mais l'idee est autre. - « des-auparavant » 290: formation analytique discutable. - « Ie foye ... Ie principal lieu de devinement» 282 : dans H. ; Ie substantif condense beaucoup l'idee ! - « que debura Ion dire de moy» 232: Ie b etymologique peut etre en cause ainsi que la forme Zon plutot que -t-on qui se generalisera. - « Domitian» 223 : pourquoi ne pas Ie franciser? « doncques » 15 : forme adverbiale encombrante en prose. « d'ores navant» 168: simple erreur typographique, je pense. - « soixante ans durant» 28 : syntaxe d'allure archalsante.
tant par les lois que de la nature» 257 : de manque de relief. la langue ne peut plus decliquer» 189, 198' a quoi bon une onomatopee qui sert peu l'idee de calomnie ou de medisance? « les desconvenues et defortunes» 164 : c'est Ie deuxieme substantif qui nous parali hasarde ! - « si que chascun luy faisoit place comme on a de coustume de faire a ceux qui portent des reliquaires» 157; « avoir de coustume» vit encore dans Moliere! « ceux qui en apparence sont les plus terribles et effroiables, sont communement les plus aisez a defferrer » 224 : vieilli et familier au XVII" s. ; mais en 1599 ? - « se defiront » 263 : futur qui ne respe.cte pas Ie radical. « un Edict que personne n'eust de la en avant a chastrer plus des jeunes gaI"{;ons» 219 : plus que la presentation du style indirect, c'est l'adverbe analytique qui est vise. - « ceste jeune demoiselle que Ie Roy Agamemnon luy ost<'.» 84; « quelque jeune et delicate demoiselle» 223 : Ie mot ne doit plus respecter un certain code ~ocio logique. - (cela) « ne veut denoter autre chose sinon» 242 : verbe bien savant! - « de si desbridez desirs» 32 : l'image nous semble heureuse aujourd'hui. - « un tel desdaignement et orgueil» 183: absent de H. ; mais sens clair grace a la reduplication synonymique. « desgorger leurs calomnies» 265, 281: exces de realisme? «
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« ceil effare» 295 : l'expression nous parait si bien venue! avant que d'estre emancipe» 12, C.E. : majeur. - ,( encommen<;a ce silence» 13 : blame par Malherbe aussi ; survit dans La Fontaine. « en son endroit» 24, C.E. : de son cote. « chacune endroit sa chacune de son espece» 218 : Vaugelas condamnera cet emploi. _. « en nous engoulphant en la haute mer» 289 : dans H. ; forme vieillie depuis Le Maire de Belges. - « ces gens-la ... ont en cest endroit enjambe une grande gloire sur les Romains» 136 : remportc ; exten sion metaphorique jugee audacieuse. - « si je ne cognois bien vostre entente» 227 : intention, pensee, sont des sens pourtant bien attestes a cette date. - « entour midy» ] 62 : preposition discutee dans l'em ploi temporel. - (il) alla entrerompre Appolonius» 163 : s'est main tenu jusqu'au debut du XVII'" siecle, face a interTompre (150]). « espouvantement» 186 : vieilli ; mais dans lVIalherbe lui-meme ! les Romantiques lui redonneront force. - (vents qui) « essorent l'air» 79 : image derivee de sens bien attestes dans H. - « ex aims » 272 : orthographe etymologique. - (il) « s'en estoit voulu trop exaspcrer» 138; « expugner» 244; « extravaguamment» 29; « en no us extra vaguant » 214 : Ie latin affleure trop dans ces formations; Ie derive adverbial est pesant.
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« vous ferez que sage» 229 : ancienne locution figee issue d'un quod synonyme de quomodo. - « aucune demeure ferm' attestee» 20 : apocope, elision ou adjectif adverbialise ? - « Ie ferrement doibt estre esloigne des cheveux d'un ~age homme» 271 : pas de ciseaux ou de rasoir ! Mais quel substantif ! Furetiere l'emploie comme terme de chirurgie. - « feuilleter et examiner fort soigneusement tout Ie contenu de l'accusation» 259: Ie premier verbe glissant vel'S les nuances que nous lui connaissons (( parcourir rapidement ») s'accom modait mal d'un tel contexte. - « finablement» 12, C.E.: finale ment ; avec une douzaine d'autres soulignements. - « flagorneries » 264 : tout nouveau, 1583. - « flammesches» 151, dans A. d'Aubigne aussi ! - (converser) « avec les forains» 20:3 : vieux (les etrangers). « la cognoissance des destinees et de la fOI"{;:ante necessite qu'elles charrient avecques elles» 226; la forme adjective verbale a pu susciter des reserves pour l'ensemble de cette phrase si imagee. « les tygres qui se puissent forlonger d'eux» (par leur vitesse) 102 : terme de venerie trop specialise· encore dans Nicot, Mme de Sevi gne ... - « fortitude» 28, 117 : d~calque du latin. - « une fragrante
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odeur " ;{9 : Ie temoignage de Lamartine est tardi! ; ce mot savant a paru peu harmonieux. « ceste pitie et compassion sont les fune railles qu'on peut esIargir a ceux qu'on fait injustement morir 233: ce n'est qu'au XVII" sieele que cette valeur de donner» vieillira (encore dans Bossuet) ; c'est donc !'image qui a paru audacieuse. « sans leur rien demander... que quelques gallettes 275 : famBier? au simplement orthographe? - « et alloit plus grande ment et avec plus de pompe» 157: l'adverbe a semble contestable aupres d'un synonyme plus explicite. « un desir d'hanier la marine 128: elision fautive. « une harde de biches » 77 : terme de venerie trop ::::pecialise ? L'expression se renconire te11e queUe des Le Roman d'Eneas. se mettans ... en hasard de leur vie» 128, C.E. : au hasard ; 133. - "une heredite ou j'aurois succede 269: Montesquieu a utihse ]e mot dans l'Esprit des Lois! - « se hontoit et rougist)} 277: verbe et pronominal desuets. - « avec l'houssine et l'esperon » 46 : baguette flexible (G.) ; vieux donc et puis elision fautivf'. parler ainsi par des hyper bates}) 284 : pas de chance pour cette jeune figure! (1584).
« L'art doncque imitature » 56, C.E. : imitatrice. « immiscer » 64, 162, C.E. : mesler on entremettre ou entremesler. ({ impartir )} 1;{2, 188 : terme juridique. « habillement incarnatin 120: l'italien dialectal a impose: incarnadin.- « leur mariage seroit infauste et malencontreux 73: pourquoi df'uX adjectifs synonymes dont l'un est repris a la langue des augures? Ie iaire se doibt mettre pour» 200: infinitif substantive peu conforme a ]'esprit du fran(,;ais. « car nous estimons estre Ie fait d'un homme sage de vivre paisible ment avec tout Ie monde 196: la proposition infinitive a pu sem bleI' latinisante; la nominalisation suivante de l'infinitif aggrave Ie caractere artificie1 de la phrase. -« prenant du b02uf en cest endroit son instruction de se taire» 188: construction substantive bien concise! - "Ie pouvoir des Tyrans est insuperable et cruel» 258 : decalque du latin. « certain intellect» 55 : trop philosophique ? « il ne luy estoit pas loisible d'intermettre les sacrifices}) 162 : inter rompre ; encore dans Malherbe !
« un jongleur yvrogne» 134: couleur locale deplacee. « comme si 1'on voyoit de lit endroit» 42 : formation adverbiale abandonnee. « un homme descharne et landreux» 21: 1anguissant; hoI'S d'usage. - « laudateur)} 126: latinisme. - (ils) «y presterent fort liberallement leurs oreilles» 196: extension neologique. la claire lucidite d'un mirouer 275: Ie substantif savant fait redon dance aupn?s de l'adjectif. lyonceaux» 22, C.E. : lioneaux: la posterite n'a pas suivi ! « Ie maintenement de la vie» 269, 213, 25 : suffixe encombrant qui cree un neologisme. - (1') «envie, laquelle estant comme une maistresse d'escolle de l'injustice» 185: image trop familiere? "armez de manopples» 34: gantelets (G.) ; mot disparu. - «Sar ments et marcottes de vignes 74; Ie mot etait en concurrence avec
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margotte, marquotte. « collation de marsepans et de compostes )} 186. marcepain existe encore en 1636; italianisme: marzapane. mectant» 128: graphie abandonnee. « innocent de ce qu'ils me mettent a sus » 233 : vieux au sens de imputeI'. « mesmement en un manmer 87: vieillot. - « c'est pour vostre mieux que vous demeu riez encore en service» 298: cette creation reussira. - «mipartis en diverses opinions» 129 (divises) : Ie mot continuer a a perdre de sa vitalite et se specialisera dans la langue juridique. « vostre mode d'aller pieds deschauts» 193: c'est Ie sens de mode qui a dO. provoquer des resistances. L'explication de Furetiere a pieds dec1wux doH etre ecartee ici. « tout mornement » 286 : creation Nauleage» 129 : nau!age est plus courant. - « ceux qui navi guent par la marine 33: 71wTine au sens de meT reste lIsuel au XVI!" s. En fait, c'est Ie verbe six autres fois souJignc, qui est en cause: naviger figure encore dans Ie dictionnaire de l'Acad(,mie de 1694. Negation: « estant autant ou plus surpassez de 1a sapience des Brachmanes de l'Inde qu'ils n'en surpassent les autres sages de l'Egypte» 182, la negation est apparue comme fautive dans un tel systeme comparatif; survivance d'un virtuel.- que non pas
«garny tant d'habitations que de paccages 143; Ie sens : lieu de pature est une extension. « maxime paradoxique 109: dans Cotgrave; paradoxal(e) est de 1584. - «Ie plaisir qu'on peut parce voir» 190: phoneiisme discute. « parcourut» 142: Ie prefixe est de nouveau attaque. La situation semantique est autre dans: pour quoy parcourray je ici les travaux de ... » 163. {( aiant ... par couru une petite chanson de Neron» 135 « tout Ie parensus du train» 124 : formation encombrante.- « les Tyrans, quelque autho rite et pouvoir qu'U se soient acquis par une longue succession de temps, ne laissent pas neantmoins pour cela d'estre a la parfin renversez tout a un instant lorsqu'ils s'en doubteroient Ie moins, par
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des gens de basse estoffe, desquels on tiendroit de compte» 224 : longue censure ou idee interessante a mediter? certaine redon dance existe dans: « neantmoins pour cela ;« a Ia parfin surtout discutabIe: mais Sorel l'emploie encore' « basse estoffe)) se retrouve dans Ie Francion pour designer une condition sociale. « parforcer» 94 (s'efforcer). «parfournir 172: dans Ie Roman Bourgeois aussi ! « partroubler» 7 ... tombent sous une meme condamnation. retrenchant les par trop interruptions des bouf fonneries» 190: creation contraire a l'esprit de Ia langue au lieu d'un adjectif: "excessives». - « passeteaux sur un arbre 106: Ie mot est repete trois pages plus loin. Une erreur de typographic semble improbable. La forme moderne lancee par Rabelais surpre nait donc. - « venger ses pere-mere » 299,244: formation maleneon treuse. « une bonne qu'est passe midy» 287: expression maladroite de la temporalite. « jurer par un platane 201: Ie mot ne remonte qu'a 1535. - « plus-sage et savant » 280 : composition du type tres avec soudure de l'adjectif ; la mise en facteur commun de l'adverbe a pu etre critiquee. « Ie populace)) 15 : genre fautif qui se retrouve dans Saint-Amant! Pasquier voyait dans Ie mot une innovation « par faute d'autre pour denoter un « toute doubte postposee arrierE' 134: Ie feminin au debut du XVII" s. ; c'est donc Ie verbe qui est critique avec cet appendice adverbial, du type: monter en hauL renet d'une syntaxe anglosaxonne. - « les femmes poureuses" 21 : forme de suete. - "ses bords sont pourplantes de sembI abIes arbres» 73: preverbe trop savant. « Ie preambule 288: sens divers bien representes depuis Ie Moyen Age pourtant. « dirons-nous qu'ils precogneussent 274: preverbe et temps de la modalite sans doute contestes: qu'ils aient pu savoir d'avance. « leur secrette pre ordonnance 162: prefixe pedant. (la duree du plaidoyer) « cela vous sera limite a un horloge d'eau premier que de Ie commencer » 268 ; plutot qu'un genre long temps indecis (hortoge), Ie soulignement concerne une locution conjonctive atte~tee toutefois dans Malherbe, « la fa!;on dont il s'y est pris» 195 ; sens tout moderne: « dont il a procede» - « mais Ie merveilleux Empereur ne s'est pas pris garde que pensant regarder aux hommes, il a rendu la terre eunu que» 219; malgre Ia censure globale de Ia phrase, je pense que c'est Ie pronominal qui a provoque Ie plus de reserve. « pres qu'hors d'esperance » 286 : elision fautive. - « pressentir et predire » 261 : Ie premier verbe n'est qu'un decalque recent, 1552. « en son pristin estat» 115 : latinisme. - « mes amis et proche - parens» 268 : accord? - « vie pythagoricienne» 6, 280, C.E. : pythagorique. Pro noms. L'usage moderne se lit a travers les cas suivants: «bien est vray » 6. « car je persiste en ceste opinion, qu'en tout ce qui advenir aux hommes, il n'y a rien, pour si terrible qu'il puisse estre, qui sceut espouvanter un vray amateur de la sapience» 133: l'uni personnel est en cause. - « vou-vous deviez bien plu:;:tost esmer veiller » 8. - {( si nous embarquons}) 153 au lieu d'un pronominal. « or toutes personnes faut qU'elles obeyssent aux lois» 232 : rupture de construction en plus! - « may adverty de tout cela, n'ay voulu
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famir» 264 : un pronom etalt attendu devant Ie verbe principal. « des Tyrans ne n'ay onques rien appriS» 232, C.E. : je n'en ai. « adviser s'll se devoit ou non faire» 164: un representant tonique neutre valait mieux. « Ies propos que Ie jour d'yer passerent entre nOUS» 199, C.E. : qui. « ce qu'a mon advis» 242, C.E. : qui. « ce qu'en Arcardie est tenu pour» 278. - « un quidam 15 (six occurrences) ; Richelet Ie jugera du style burlesque. '« follies et ragements» : 44, 120: acces de rage; « quand elles ragent en celebrant leurs orgies » : 119 ; per<;u comme neologisme. « leurs remonstrances et raisonnemens» 166, 206: Ie contexte s'ac commode assez mal du SE'ns specialise du dernier substantif. « plusieurs autres gros rameaux navigables» 53, C.E.: branches. __ « ratiociner» 165, 249 : n'a pu se debarrasser d'une nuance pejo rative. «Apollinius Ie reconforta a ce qu'il» 34: construction discutee donc. - « qui Ie reduirent» 216: simple barbare. « Ie solei! rehausse jusques au midy )} 94 : a son zenith. « ceux qui rengent la cote» 104: impropriete semantique plus que graphie defectueuse. « cette-cy s'en r'enmalice» 133, C.E. : s'emmalice. « dites moy doncq, retorna a lui demander A ~ 152 : extension seman tique reprehensible ou simplement orthographe anormale du verbe ? « plusieurs poinctes et retraictes» 142 : un terme technique (anse) passait mieux. « Ie luy vouloir retroceder» 217 : langue juridique pedante. « dont vou-vous riolle-piollez» 120: creation par redu synonymique jugee scandaleuse; et pourtant: virevolter ! « si quelque risque notable leur arrive» 128; Ie substantif ne remonte qu'a 1557. - « la rocque d'Athenes» 78, C.E. : Ie chateau ou forteresse. « Flot et reflot» 141: creation de luxe; « rez» 4,
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vieilli. « sacresainctes fontaines 207: sacrosainct n'arparait qu'en 1546. « les plus scelerez de tous aultres » 257 : cette forme n'a pu s'im poser, « en son seant 56 : sur devait deja l'emporter. « sieur secretain » 9, autant que l'alliance « burlesque» des deux mots, c'est la forme du second substantif qui a du choquer , segretain est encore signale par Menage. La forme moderne est dans Amyot. « il voulut encore segreger des dons» 197: latinisme. «A quoy ils respondirent que si, et que, , . » 159 ; cet outil du thetique (d. si sera concurrence par oui. « car qui est celuy qui voullust se ren dre si temeraire que de s'opposer a Neron» 144. A un stade plus dematerialise de sa semantese, si n'est plus predicatif et permute avec assez. Le schema de la phrase est latin du reste. Cf. Bossuet: « plutot rna langue demeure a jamais immobile que de prononcer une parole si temeraire ». de chose qu'il sceusse faire» 271 : barba risme. _ StyLe indirect conjonctionneL « Ie Roy luy demandant ce qu'il devoit faire pour pouvoir regner seurement ? il Iuy fit responce qu'en honorant plusieurs personnes ; et en adjoustant foy a peu» 36 : construction « louche », comme on Ie dira plus tard. « c'est oster l'envie de s'y trouver a ceux qui Ie desireroient d'eux-mesmes, en 13
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les requerant d'y aIler» 121. « s'lls voient que je merite d'estre plustost reduit avec les meschants que les gens de bien, recevant d'eux ce que j'auray demerite }) 186: seul Ie dernier element de cette phrase a He conteste ; on y a done vu un lien maladroit avec Ie debut; Ie pronom eux fait ecran a la clarte du reste. « os de stin ques, de cerfs" 155: identification malaisee. - {( strigues 123 C.E. : striges. - « strapontin}) 94, 188, 288; « dessus ces 'couches et - ;» «autres mattr'as ny-»; «reposer sur un petit-»; (materas, decalque de l'italien a vecu tard). « au plus sublime degre}) 265 : curieuse mise a l'index. « me substraire du peril}) 236: preverbe ! « suppediter (e)) 13 occurrences), C.E. : donte, sur monte. - « sycophantes» 262 : mot du XV" siecIe accueilli seulement en 1762 par l'Academie.
Note sur I'emploi des temps dans
Le Neveu de Rameau
Quand, comment et pourquoi Ie passe simple a-t-il disparu de la langue parlee? Ce probh~me a toujours passionne les linguistes, sans doute parce qu'il est difficile a resoudre. Les grammairiens classiques ne nOus disent rien ou a peu pres rien sur une dont souvent ils ne se sont meme pas rendu compte, et Alexis Fran <;ois est oblige de se referer au temoignage d'un maitre d'ecole (I). Et quand on recourt aux textes, comment deduire de documents ecrits l'emploi des temps dans la langue parlee? Difficulte redoutable qui pose Ie probleme du choix du corpus. II semble qu'en ce domaine on ait manque de prudence. On peut faire a ce sujet trois remarques :
«a la conduite de ceste enorme Talamogue estoient deputez plusieurs mariniers » 96 ; adaptation teBe quelle du grec ou du latin: gondoles avec chambres. « dormir un tant soit peu » 288 : forma tion d'aspect neologique. « un maistre qui est fol et taquain 280: a partir d'avaricieux, Ie sens moderne ne se developpe qu'au XVII" siecle. Ie Nil qui est comme la tasse dont s'abreuve toute l'Egypte» 159: image incongrue plutot que rapport pronominal discute. - « tendre d'oreille}) 213 : tout Ie syntagme a paru suspect. « mon cmur se transchangea soudain» 24::3 : preverbe pedant. (il) « s<;ait tres-que-bien disposer» 192 : formation analytique aban donnee. - « trop bien me semble-t-il » 239 : Malherbe lui a donne Ie coup de grace. - « on Ie voit .. tympaniser par les trompettes» : malgre un caractere savant, ce verbe a eu la vie longue. - " serf et plus que varlet de mes biens» 243, 264 : ancien titre d'honneur pres des Rois, remarque Pasquier ; « et maintenant ... se donne ... a ceux qui entre nos serviteurs sont de moindre condition ». Mais prccis6 ment, l'ancienne forme s'etait maintenue au sens premier, d'ou un ecart remarque ici. - « dedans ce fleuve, une maniere de verm blanc dont ce faict une huille qui s'enflamme» 74: etrange zoologie ! «descriez et vesperisez» 294: ancien terme d'ecole abandonne: reprimander. - « vitupereusement » 234 : adverbe type des « sesque pedalia verba» indHendable! - « les choses humaines sont fort volubles» 285 : decalque.
1 - L'attention eut du se porter tout d'abord sur les documents ecrits les plus spontanes : lettres de particuliers, ecrites sans inten tions litteraires par des gens peu instruits. Henri Frei a montre la voie, qui pour La Grammaire des fautes a utilise les lettres des sonniers de guerre. Les lettres de soldats du XVIII" siecle, par exemple, n'ont pas ete ctudiees. 2 - On fait reference aux textes litteraires, souvent de ma niere imprudente. C'est au stylisticien de dire dans quelIe mesure ces textes sont utilisables. Les dialogues de theatre en particulier sont trompeurs. II est na'if de croire qu'ils r'?produisent fidelement Ie lang age parle. Les drames bourgeois de Beaumarchais, par exem pIe, sont suspects parce que trop ecrits
3 Doivent etre exclus, du moins provisoirement, les textes en verso La versification est trop contraignante pour que l'emploi des temps n'en soit pas perturbe : elIe bannit dans certains cas l'emploi du passe compose pour les verbes a initiale vocalique (I), Ie
Quelles conclusions retenir? Un etat de resonance avec la lan gue du XVI" siecle est si difficile a obtenir ! Les contemporains deja avaient Ie sentiment qu'elle leur echappait. lci, nous voyons a l'reu vre deux esprits pareillement eclaires, unis dans la meme de servir Ie fran<;ais : l'un, plus ardent, sans doute; l'autre plus reserve face a des innovations ou des heritages qui lui paraissaient compromettre jusqu'a la purete, la nettete de la phrase. C'est ainsi que la doctrine classique se constitue : a travers ces courants et ces resistances.
Grenoble.
Yves LE HIR
(1) H.L.F., t. VI, 2" partie, fasc. 2, p. 1457. L'analyse (pp. 1783-1786) de
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textes de Rousseau et de Voltaire me parait tres contestable. (2) Voir mon livre Le langage dramatique, pp. 180-81 et, de fa~on plus generale sur les emplois du passe simple au theatre, pp. 192-193 et 197-207. (3) Voir it ce propos ['article de Ch. Muller « Passe simple et passe compose dans Ie vers classique », dans Langue jranqaise et linguistique quantita tive (Ed. Slaktine, Geneve, 1979, pp. 253-256). Tres significative nous para it l'alternance passe simple/passe compose dans ces deux vers de Lamartine:
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PIEflHE L.\flTlIO:'L\S
BIPLOI DES TE\IPS DA);S LF. XEITC lJE [UJIR.lL'
que-parfait est souvent remplace par Ie passe simple C'), on voit apparaltre a la rime, pour des raisons de variete, des presents inattendus ,",
Deuxieme personne Troisieme personne
Ces remarques faites et voulant etudier, dans une Cl2uvre du XVIII" siecle, I'emploi des temps et en particulier l'alternance passe simple I passe compose, mon ehoix s'est porte sur Le Neveu de Rameau. CEuvre litteraire, soit, mais Cl2uvre dialoguee qui s'efforee de retrouver la spontaneite de la conversation eourante et qui a pour nous !'interet d'avoir ete ecrite a peu pres a l'epoque ou disparaissait definitivement de la langue parlee Ie passe simple (n). Voici done quelques notes sur eette Cl2uvre (7) et sur ee probleme. Et tout d'abord quelques chiffres. II y a dans ce texte probable ment 123 simples. Je dis probablement a cause de quelques formes bivalentes qui morphologiquement (~) peuvent appartenir soit au present de I'indicatif, soit au passe simple. Ces formes appar tiennent toutes, sauf deux ("), au verbe dire, a la premiere ou t1'oi sieme personne du singulier, et, scuvent dans des propositions deca lees (lui dis-je, me dit-il), marqm'l1t les changements de locuteur. Quinze sont, d'apn?s Ie contexte, des passes simples; n y a trois presents (111) et quatre formes pour lesquelles on peut hesiter (11). Cette reserve faite, et si l'on s'en tient au chiffre de 1~3 passe::: s~mon s'aper<;oit que plus interessante que leur nomine global est leur repartition selon les personnes. On a Ie tableau suivant : Premier(' pel'sonne
31 PI.
1
32
Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hote inconnu,
Avant de m'animer quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jete sur ce globe fragile?
Quelle maint'en/erma dans ta prison d'argile ?
(Mediiations, Vlmmortalite, vv. 31-34) (4) ({ Les poetes mettent sou vent l'aoriste pour Ie plus-que-parfait :
D'un Yin, dont Gilotin, qui savait tout prevoir,
Au sortir du consei! eut soin de se pourvoir.
Je crois que... l'usage autorise cette licence, qu'elle est fondee en raison et qu'elle favorise I'harmonie dans que-parfait serait ordinairement lache et trainant (Feraud, Supplement du dictionnail'e critique (inedlt) s. v. preterit.) (5) Presents dits pittores1]ues ; Hugo ecrit dans Les Chiitiments :
« La Deroute apparut au soldat qui s'emeut. »
(6) Voir a ce propos, de Robert Martin, la Note sur les causes de la dispa Tition du PS de la langue parlee modeme (Temps et Aspect, pp. 399-402). (7) Les references renvoient a l'edition critique du regrette Jean F'abre (Ed. des textes litteraires fram;ais). (8) On notera que tressaillit (p. 23) est un present (voir HL.F., VI, p. 1459) ; de meme que souciai-Je (p. 30) pour notre soucie-je, avec une graphie -ai que Vaugelas deja condamnait. (9) S'accroupit, p. 27 et rit. Ce sont, si l'on se rMere au contexte, des passes simples. (10) Pp. 58, 64 (lui dis-je) et 97 (Ie proverbe qui dit ... j, (11) Pp, 63, 74, 105 et 106.
Sg. PI. Sg. PI.
85 5
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90
qui fait ressortir deja que d'une part l'emploi du passe simple a la deuxieme personne est execptionnel, que d'autre part a la premiere, sans etre aussi frequent qu'a 1a troisieme, il est tout de meme ao:sez frequent. Restent a etudier la repartition de ces formes dans l'ccuvre, leurs conditions d'emploi et leur valeur. Mai:;; avant d'entreprendre cette etude il convient de remarquer que la structure du Neveu de Ramea~L est complexe : on y trouve un recit et un dialogue. Le reeit est fait, sur un ton familier, par l'auteur a son ledeur qui est parfois interpelle. Le dialogue s'organise entre Lui et Moi, Ie plus souvent transerit comme un dialogue de theatre. Le recit precede d'abord Ie dialogue (pp. 3-6) puis redt et dialogue alternent, Ie premier soulignant parfois les changements d'interlocuteurs, decrivant Ie plus souvent les pantomimes du Neveu ou notant les reflexions du Moi-Diderot. Il parait done necessaire, pour e1udier remploi des temps, de distinguer recit et dialogue.
I
I
I
I
LE RECIT
"
Comme toujours chez Diderot, l'emploi des temps est extreme ment souple; en temoigne Ie passage suivant particuli&rement caracteristique (pp. 82-11:3) : Et puis Ie voila qui se met a se promener, en murrnurant dans son gosier quelques-uns des airs de l'Isle des Fous, du Pein tre amoureux de son modele, du Marechal ferrant, de la Plai deuse, et, de terns en terns, i1 s'ecrioit, en levant les mains et les au del: Si cela est beau, rnordieu ! Si cela est beau! ... commen~oit a entrer en paSSion et a chanter tout bas. II elevoit Ie ton, a rnesure qu'il se passionnoit davantage ; vinrent ensuite les gesLes, les grimaces du visage et les contorsions du corps : et je dis. bon : voila la tete qui se perd, et quelque scene nouvelle qui se prepare; en effet il part d'un eclat de voix, « Je suis un pauvre miserable . .. })
Le premier present amene par Ie presentatif voild n'empeche pas la phrase de se terminer par un imparfait suivi de plusieurs aut res auxquels suceedent deux passes simples (vinrent et je Le discours direct au present joue son role pour ramener Ie present part. Dans la suite du texte l'imparfait est repris et apres une s{"rie de presents on y revient pour aboutir a Ia phrase suivante ou l'em ploi des temps est tout a fait inattendu : On faisoit des eclaLs de rire a entrouvrir Ie platfond. Lui n'apercevoit rien; il continuoit, saisi d'une alienation d'esprit, d'un enthousiasrne 5i voisin de la folie, qu'i! est incertain qu'iJ en revienne ; s'il ne faudra pas le jetter dans un nacre, at Ie mener droit aux Petites Maisons .. , (p. 83)
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DIPLOf DES TDIPS DA:\S I.E SEVRF DE liAJfKIU
PIERRE LARTlImrAS
La repartition est tres inegale entre les deux interlocutc;urs: 3 pour Moi, et tous les autres pour Ie Neveu. Elle s'explique essen tiellement par Ie fait que l'ceuvre, comme 1e titre l'indique, est cen tree sur Rameau qui raconte et se raconte : Moi n'est Ie plus souvent qu'un faire-valoir, Ie Monsieur Loyal de cette pantomime. C'est lui qui utilise la seule forme de deuxieme personne, vous con9utes (p. 10) ; elle a frappe l'editeur qui lui consacre une note (p. 129), et la trouve amusante parce qu'elle marque que ce dine-r Jut dans La vie de Rameau mieux qu'un evenement histo7'ique. Amusante? Pour nous modernes. L'etait-elle, ou devait-elle l'etre deja pour les con temporains? Disons qu'elle constituait deja un ecart, parce que deuxieme personne. Les 72 autres emplois sont tres inegalement repartis dans les tirades du neveu ; on lit plusieurs pages sans en rencontrer, puis on en trouve, isoles ou en groupe. Lorsqu'on essaie de les classer, une distinction s'impose entre les emplois dans les recits et les autres. Je releverai d'abord les autres.
Le present n'exprime pas un present reel, celui de l'ecriture. II exprime la pensee de Diderot au moment ou Ie Neveu se donne en spectacle, avant, quelques pages plus loin, de retrouvcr son cal me. Cette sorte de mobilite syntaxique explique l'alternance frequente de trois temps, Ie present, l'imparfait et Ie passe simple avec souvent les memes verbes, par exemple avec la periphrase a valeur inchoa tive se mettre a. On trouve en effet : il se mit a contrefaire (p. 48), il se mit a tousser (p. 49), il se mit a faire un chant de fugue (p. 76), il se mit a hocher de la tete (p. 96), mon homme se mit a marcher (p. 97). Ie voila qui se met a se promener (p. 82).
Puis il se remettait a chanter ... et il ajoutait ... (p. 16)
Ces emplois de l'imparfait sont remarquables, en particulier dans Ie dernier passage cite, et pour des verbes de declaration: Puis, se relevant brusquement, il ajouta ... Et mettant sa main sur sa poitrine, il ajoutait ... (p. 21) Ensuite il ajouta (p. 85) ... II ajoutait, c'est ici qu'il faut des poumons. (p. 86)
Ce sont des occurrences isolees ou Ie passe simple exprimc un temps plus ou moins lointain, une chose passee dans un temps dont it ne reste pLus rien et dans lequeL on n'est plus (H). Citons:
On peut y voir deja de veritables imparfaits dits pittoresques ou narratifs (12). Sans doute cette instabilite dans l'emploi des temps se justifie t-elle par Ie fait que les pantomimes du Neveu etant a la fois action et spectacle, Ie texte de Diderot hesite entre Ie recit et la description, et souvent veut etre les deux a la fois. Pour la description cst utilise ordinairement l'imparfait, pour Ie recit, Ie passe simple. Mais l'im parfait peut parfois etre narratif. Quant au present, il a l'avantage de pouvoir etre tantot de narration, tantot de description. Temps non marque, ses valeurs dependent du contexte et du sens des verbes (1:;).
II -
1
I I
~
De Socrate ou du magistrat qui lui fit boire la cigtie, quel est aujourd'hui Ie deshonore? (p. 11)
Cela vous apprendra it rester ce que Dieu vous fit (p. 19)
C'est une de ces figures ... que Dieu fit pour la correction des gens qui jugent it la mine. (p. 59) Quand la nature fit Leo, Vinci, Pergoles e , Douni, eUe sourit. (p. 96) Quand elle fagota son neveu, eUe fit la grimace... C'est ainsi qu'elle me fit et me jetta ... (PP· 96-97) Nous eumes Palissot apres sa Zara: (p. 57) Il y en eut un, ... qui eut, il y a quelques mois, un demele violent. .. (p. 62)
Le rapport imparfait/passe simpie est frequent. comme a l'ordi naire: A peine entrois-je dans la carriere que je dedaignai ... p. 53)
LE DIALOGUE
c'etoit ou j'en etois lorsque je me fis maitre d'accompagne ment. (p. 32) Je n'avois pas quinze ans lorsque je me dis ... (p. 99)
Dans ce dialogue entre Ie Neveu et Moi, on trouve 75 passes simples qui se repartissent ainsi : 14 Sg. Premiere personne 15 1 PI. 1 Deuxieme personne PI. Troisieme personne Sg. 55 59 PI. 4 (12) Sur cet emploi de l'imparfait, voir l'article de Ch. Muller « Pour une etude diachronique de l'imparfait narratif» dans Langue franr;;aise et linguistique quantitative, pp. 39-55. (13) De la sa frequence et ses emplois tres libres (apparition au milieu d'une phrase. non-respect des regles de concordance) emplois que les gram mairiens du XVIIF siecle essaient vainement de restreindre.
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Avec hier, on trouve Ie passe simple en application de la vingt-quatre heures :
des
11 parut sur notre horizon hier pour la premiere fois. Il arriva it l'heure qui no us chasse tous de nos repaires. (p. 62)
Avec jamais on a tantot Ie passe simple, tantot Ie passe compose: ... fils de Mr Rameau, apoticaire de Dijon, ... qui n'a jamais flechi Ie genou devant qui que ce soit. (p. 21) ... jamais on ne vit ensemble tant de betes tristes ... (p. 57)
\.
1
(14) Feraud, Dictionnaire critique, s.v. preterit.
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PIERRE LARTllO)lAS
E)II'LOI DES TE~IPS DAO:S I.B SEVF[, DE llA.'I1EM'
II faut signaler enfin que il y eut un temps au . .. (p. 28) exprime fortement un passe dE.finitivement revolu (l i').
disparition. De ce releve et de ce classement des differents emplois des temps, on peut en effet tirer un certain nombre de conclusions: 1 - II me semble que l'on voit deja apparaitre dans ce texte l'imparfait dit pittoresque ou narratif (voir p. 5) dont l'emploi serait donc anterieur au XIX" siecle. 2 - La repartition des formes de passe simple selon les person nes n'est pas particuliere aux ecrits de Diderot. Dans Ie theatre de Moliere egalement la troisieme personne est plus frequente que la premiere, la deuxieme etant relativement rare. Au lieu de l'opposi tion personne/non personne (1 - 2 'V 3) chere a Benveniste, on a donc une opposition 1 - 3 'V 2. Cela tient au fait que l'on a rarement l'occasion de raconter a l'interlocuteur ce qui lui est arrive. 3 - Dans ce dialogue du Neveu et de Moi, on peut considerer certains emplois du passe simple deja comme des survivances: ils sont commandes soit par l'evocation d'un passe recule, considere comme historique ou h~gendaire, soit par la presence de certains adverbes. 4 - Le passe simple est surtout employe comme temps du recit. Mais dans ce texte qui est cense reproduire une conversation, on voit qu'il a pour fonction plutot d'encadrer Ie recit qui est fait ordinairement au present. C'est finalement l'emploi de ce temps (plus encore que celui du passe compose) qui a contribue a la dispa rition du passe simple de la langue parlee (1'7). 5 On peut remarquer aussi Ie role joue par les formes bi valentes dans Ie passage du passe simple au present ou l'inverse. Dans bien des cas on ne peut dire auquel des deux temps appartient la forme. Ce qui a du favoriser Ie remplacement du passe simple par Ie present. 6 Une etude plus attentive confirmerait l'essentiel : c'est que l'opposition entre Ie passe simple et Ie passe compose (lR) n'est pas ou n'est plus une opposition temporelle, ce qu'ont cru longtemps les grammairiens (Ill), entre un passe lointain et un passe rapproche. Les deux temps expriment Ie passe mais l'envisagent de deux manie res totalement differentes : Ie passe simple exprime un temps revolu, qui desormais appartient a l'histoire ; Ie passe compose exprime un passe acquis, qui existe en tant que resultat et qu'on ne peut effacer. C'est ce que montrerait sans peine une etude de ce dernier temps
Quant aux recits, ils sont au nombre de six: l'un, celui de l'homme de Carthagime (pp. 42-43), est raconte par Diderot lui me:ffie au present. Les cinq autres sont Ie fait du neveu et peuvent s'intituler ainsi : Ie chien de Bourret (pp. 51-52), Ie financier ecrase (p. 71), histoires du premier juif (pp. 73-75), du second juif (pp. 101 102) et Ie diner de la disgrace (pp. 62-65). Ces recits demanderaient une longue etude. Faute de place, contentons-nous de noter que l'emploi des temps, dans les quatre premiers, s'organise ainsi : - Ie chien de Bourret: recit au present; Ie financier ecrase: deux passes simples (on entendit ... on eut beaucoup de peine) encadrent Ie recit OU alternent Ie present et l'imparfait ; Ie premier juif: les passes simples n'interviennent qu'au debut (il conjia, etc.) et a Ia fin. Le recit lui-meme est au present; Ie deuxh~me juif : debut du recit au passe simple; puis em ploi du present. Retour au passe simple pour indiquer Ie denouement. Quant au diner de la disgrace, on y trouve un debut au passe simple pour situer la scene dans Ie temps (parut. arrival. Le com mencement du repas est raconte avec une suite de verbes au present, Ie dernier (dis-je) pouvant etre soit un present, soit un passe. Sui vent des passes simples, Ie dernier rit, forme bivalente, facilitant Ie pas sage au present (se fache, me tient). Retour aux passes simples alter nant avec des imparfaits marquant la duree (Ie Neveu s'attarde). Puis retour aux presents; enfin plusieurs passes simples pour racon ter la fin de la scene. Dans tous ces recits, il y a souvent transcription de dialogues en style direct. On ne trouve jamais, dans ces echanges de repliques, de passes simples (1 '"
*
La lecture du Neveu de Rameau, si elle ne nous indique rien sur Ie moment OU Ie passe simple a disparu de la langue parlee, permet tout au moins de mieux voir selon quel processus s'est operee cette (15) Nous
(17) De nos jours, la plupart des recits se font au present. Voir dans Ie livre de G. Gougenheim, L'Elaboration du jranr;ais jondamental, les deux
avons garde, avec la meme valeur, dans notre langage courant,
(il) jut un temps
textes des pp. 247 et 252. les cas ou, bien entendu, leurs emplois sont opposables. Feraud (Dictionnair/? critique, s.v. preterit) reproehe a. Bossuet d'avoir ecrit : {( Ie seul Childebert s'echapa et l'on ne sait ce qu'il est devenu ». {( On ne dit point d'un prince mort il y a mille ans passes qu'on ne sait plus ce qu'il est devenu) ... Dans Ie Supplement, Feraud cite deux autres textes, OU, d'apres lui, l'emploi du passe compose est une faute, parce que les faits sont anciens. Le linguiste lei ne parvient pas a. oublier la regIe des 24 heures.
(18) Dans
au ...
(19)
(16) Sauf
une fois dans les paroles que Moi suggere au Neveu de prononcer pour rentrer en grace: {( Je me colerois la face contre terre et sans me relever, je lui dirois ... Pardon, madame! pardon! Je suis un indigne, un infame. Ce jut un malheureux instant » ••• Le passe simple coupe ce ," passe du present imagine et suggere qu'il ne doit pas preter a conse
quence.
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1
13"
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PIEHRE LAHTIIO:l;[AS
dans Le Neveu de Rameau OU dans Ie recit il exprime presque tou des resultats ou des consequences. L'opposition entre les deux temps ne saurait etre mieux marquee que dans cet echange de Tlepliques: - De Socrate ou du magistrat qui lui fit bOire la cigiie, quel est aujourd'hui Ie deshonore ? -
(p. 21)
Le voila bien avance 1 En a-t-il lite moins condamne ?
Locutions latines dans Ie dictionnaire franc;:ais
Dans notre conversation courante, comme dans celle de Diderot et du Neveu, c'est le fait que tel ou tel evenement s'est produit que nous exprimons par Ie passe compose; l'evenement peut sur notre situation presente mais ce n'est pas oblige. Lorsque les evenements passes se succedent et que leur enonce doit s'organiser en recit, nous faisons appel ordinairement au present; c'est lui surtout qui, dans cet emploi, a eIimine Ie passe
Je revois enCOre Ie sourire malicieux de Gerard Moignet quand, au cours d'un de ses seminaires au Centre de Philologie, citant une appreciation gu'il avait tiree de la Syntaxe de Georges et Robert Le Bidois, il appuyait cette reference d'un: « Dixerunt Bidenses ». Ce sont la jeux de clercs ou de clergeons ; mais il n'est pas necessaire d'etre docteur pour risquer un: «Dixit Ie Ministre» (I), ni d'avoir « fait ses humanites pour placer « ipso facto », ou « a priori », ou ({ grosso modo» (2); personne n'y verrait d'affectation pedante, et tout Fran<;ais, tout francophone sans doute usc de qu.:lques uns de ces latinismes.
Une derniere remarque : il n'est pas vrai que Ie passe soit exclu de l'histoire. Au contraire l'historien fait appel lui lorsqu'il s'agit, les faits ayant ete racontes, d'Hablir Ie bilan, positif ou d'une action, d'un regne, d'une epoque ( 1 ). II me semble qu'en ce qui concerne du moins l'emploi des personnes du ver-be et la repartition des temps selon l'histoire et Ie discours, les vues de Benveniste sont excitantes pour l'esprit mais discutables (22).
Paris.
C'est la une zone du lexique peu exploree et peu decrite. On connait certes les «pages roses» du Petit Larousse, element quasi immuable du dictionnaire Ie plus populaire ; eUes s'intcrcalent entre la proprement lexicale de l'ouvrage et celle qui traite des noms propres, et s'intitule: « Locutions latlnes et etrangeres », ce situe Ie latin a mi-chemin entre Ie fran<;ais et les langues etran geres. Un coup d'rei! sufnt pour verifier que Ie latin y represcnte une majorite ecrasante ; nous ne parlerons ici que de lui, laissant de cote les {( si parla italiano », « time is money» ou «mehr Licht ".
Pierre LARTHOMAS
(20) « Dieu lui-meme, ecrit Descartes, ne peut faire que ce qui est arrive ne soit pas arrIve.» C'est ce caractere ineffaQable du passe Ie passe compose dans ses plus beaux emplois stylistiques (au du Lac, par exemple). (21) Voir, par exemple, dans I'Histoire de Charles XII de Voltaire, Ie passage consacre it Pierre Ie Grand (livre Ie,) et Ie chapitre final. (22) Voir it ce propos ['article de M. Wilmet, « Recit et discours}) dans Le franr;ais moderne, janvier 1979, pp, 53-57.
Les « pages roses (p.r.) rassemblent surtout des locutions ", donc des sequences de plusieurs mots: on y trouve ben quelques entrees formees d'un seul mot, mais il s'agit alors de formes verba les, qui constituent ou peuvent constituer un enonce complet : exit, dixi, vixit ... ; une forme verbale comme exeat, devenue un substantif fran<;ais, en est exc1ue et figure au dictionnaire de langue (d.l.) ; on y trouve aussi des citations qui sont des phrases, et aux queUes Ie terme de «locution» convicnt mal (omnia vincit anwr; non bis in idem; victrix causa diis placuit, sed victa Cutoni . ..). Les entrees sont suivies d'une traduction fram;aise, eventucllement d'une reference d'origine, parfois d'un exemple Otl l'entree latine est inse ree dans un enonce fram;ais. Mais eUes ne s'8ccompagnent d'aucune indication grammaticale : il n'est pas mentionne que manu, militari est un adverbe ou une locution adverbiale, ou que statu quo est un substantif masculin.
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(1) Ce
dixit s'est repandu au point qu'un journaliste en a tire un jour un pluriel dixint. (2) Grosso modo a pu fournir recemment leurs noms a une paire de chan sonniers, ce qUi atteste Ie caractere populaire de I'expression.
1
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Cll.\RLES :lICLLER
LOCL'TIO:-\S L\.TI:-\ES D.-\:-\8 I.E DICTIO:--i:\.\lRE FRA:\\:.US
leur integration, en general, a ete rapide; a noter que cer tains des substantifs peuvent recevoir la marque graphique du pluriel (albums, accessits) ; d) des locutions (groupes de mots), conservees dans leur forme graphique, qui suivent la prononciation traditionnelle du latin, qui peuvent etre c1assees dans une categorie gramma Ucale et entrer dans un enonce franc;ais : in extenso, modus vivendi, sine die, statu quo, urbi et orbi, etc. ;
Bien que les auteurs du dictionnaire ne s'en expliquent pas, on peut admettre que les latinismes alignes la restent sentis comme tels, alors que ceux qui figurent dans Ie d.l. sont consideres comme integres au lexique franGais, et par consequent dotes d'une identile grammaticale. Distinction interessante, qui du reste justifierait des ajustements et des reclassements lors des rb2ditions C). Ainsi con sensus omnium (p.r.) reste latin, tandis que consensus (d.l.) est devenu un substantif franGais ; on pourl'ait prevoil' que si pro domo sua (p.r.) reste une citation et une allusion historique, pro domo peut figurer au d.l. comme locution adjective (un plaidoyer pro domo) ou adverbiale (plaider pro domo), ce qui n'est pCiS Ie cas. Cette distinc tion devrait exclure d'une nomenclature les elements inscrits dans l'autre: in extenso, in extremis, grosso modo ne sont en effet qu'au d.l., tandis que de jure et de facto, hic et nunc, ne varietur restent dans les p.r., ainsi que, de faGon plus discutable, urbi et orbi, manu militari, et meme Ie tres populaire ad pat?'es, mais ipso facto et modus vivendi ont ete admis dans Ie d.l., Ie second assez recemment, sans etre rayes des p.r. : meprise, ou interpretation subtile de leur statut actuel ?
e) des locutions a valeur de syntagme qui, trop peu popularisees pour figurer dans la categorie precedente, restent des cita tions Iatines : aeq1w animo, aere perennius, aperto libra . .. ; f) des citations formant des (>nonces complets: grammatici
certant ; in cauda venenum ; vade retro ; etc. ; eUes ne sau raient etre considerees comme appartenant au lexique fran Gais, quel que soit leur degre de popularite. Le lexicographe qui ne dispose pas de l'artifice des «pages roses» se trouve donc devant une delimitation difficile, en particu lier pour les locutions, dont la repartition entre nos categories d et e est delicate et mouvante. Les hesitations de nos dictionnaires en sont la preuve.
Ceci pose la question du degre d'integration des emprunts au latin. Quand il s'agit d'emprunts aux « langues etrangeres », les lexicologues distinguent parfois entre les « xenismes », qui designent une realite etrangere et sentie comme telle (isba, dollar, ca'id, .. .), et les emprunts proprement dits, soit que la chose s'introduise avec Ie mot dans la civilisation de l'emprunteur (ca.je, chocolat, tabac ...), soit que Ie mot devienne apte, par generalisation, a nommer les choses de cette civilisation, jusqu'a faire perdre Ie souvenir de son origine etrangere (bclkon, halte, gToupe, sport, tennis, piano, etc.).
Les releves de frequence sont utiles, mais jusqu'ici leurs don nees ne peuvent guere servir que dans des cas assez evidents: a priori, comme on pouvait attendre, arrive en tete: dans Ie Frequency Dictionary d'A. Juilland, il franc hit mem(~ Ie seuil des 5.000 « mots» les plus frequents en franc;ais (grace, il est vrai. aux textes scientifiques et techniques) ; dans les reIeves de Nancy, cette locution a fourni sept fois plus d'occurrences que son antonyme a posteriori, et ses 532 emplois S0 repartissenl, au long d.es quatre 0 0 demi-sieeles », sulvant une ascension triomphale : 11 0/ 0 , 18 :'0, 27 ;0 et 44 0 / 0 • Le T.L.F. nous offre et no us promet, sur ce sujet. des precisions utiles.
Pour des raisons historiques evidentes, Ie cas du latin est diffe rent et complexe. II faudrait distinguer au moins : a) des unites de «formation savante», remodelees en fonction du phonetisme et de la graphie franc;aises, et totalement integrees : procf~s, proceder, procession, exil, indice, etc. ; b) des unites empruntees sans adaptation graphique, mais doni la prononciation ne revele pas l'origine latine: cancer, constat, consul, examen, index, lcwabo, quatuor, tibia, etc. ; c) des unites empruntees sans adaptation graphique, et qui, en suivant la prononciation du latin tradiiionnelle en France, gardent une trace plus ou moins sensible de leur origine savante: adbomen, accessit, album, exeat, processus, veto; (3) 8i les pages roses changent peu au cours des reeditions recentes, elles ont cependant subi, entre les premieres editions (1906) et les plus recen tes, des reductions tres fortes; rien que pour la lettre A (riche, i1 est vrai, en locutions formees avec ab ou ad), une trentaine d'entrees ont disparu, dont deux seulement ont ete reprises dans Ie d.1. ; les suppres sions portent principalement sur des citations litteraires, souvent prises aux Odes d'Horace.
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Mais la popularite de ces locutions varie vite. Certaines connais sent une fortune subite en fonction de l'actualite : statu quo, extrait de la formule juridique eadem statu quo ante, ou in statu quo ante, s'est repandu dans Ie langage politique des annees 30 ; manu militari, peu cite par les dictionnaires aV
j'
1
(4) Les telespectateurs ont comMie de Courteline. faut-iJ en conclure que visuellement, ou qu'elle
pu lire recemment. parmi les sous-titres d'une une transcription' « plaidoyer prodhommo»; I'expression est mieux connue auditivement que n'est plus ni Comprise ni connue ?
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LOCUTIONS LATINES DANS LE D1CTlONNAIRE FRANCAIS
CHARLES MCLLER
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taient aucune, ou presque. On savait trop de latin, a leur cpoque, a 1'eco1e et au Palais, chez les notaires et les medecins, pour juger que ipso facto ou requo animo fussent autre chose qu'une citation. Ce n'est que tres progressivement que 1'Academie, Ie Trevoux et les autres recueils enregistrerent ces expressions qui, peu a peu, deve naient du franc;ais (i). Et il est probable que 1'abandon des {( huma nites », l'oubli par la jeunesse actuelle de l'histoire et de la littera ture de Rome ne font que consolider, de fac;on peut-etre paradoxale, l'assimilation de ces elements empruntes a une langue qui fut, . et naguere, familiere a de larges couches de la societe.
Le plus malaise est de mo.rquer, toujours pour une epoque donnee, les contextes et les niveaux de style qui facilitent leur Certaines de ces locutions sont a peu pres lexicalisees avec un contexte fixe: " ajourner sine die », " un (omite ad hoc », « condi tion sine qua non », « proclamer urbi et orbi », envoyer ad patres ", etc. Mais les localisations changent; on ne se souvient plus que ab irato s'est dit d'abord (et encore chez Chateaubriand) d'un acte ecrit, comme un testament; que in extremis s'est applique d'abord aux sacrements (bapteme, mariage); que ipso facto qualifiait une excommunication; que consensus, encore terme de physiologie pour Littre, est entre en politique et en philosophie sous la forme consen sus omnium, pour reduire ensuite au seul substantif ; manu mili tari, ad patres ont une connotation familiere, souvent ironique ; hic et nunc garde une touche de pedantisme.
Strasbourg.
Charles MULLER
Quant a leur entree dans la langue, les datations sont encore tres insuffisantes. Le Petit Robert donne 1846 pour hic et nunc, alors que Ie Robert lui fournissait une citation de Balzac de 1837; cette datation a ete enregistrce par Le:J.~is et par Ie recent Dictionnaire des expressions et locutions figuri?es d'A. Rey et S Chantreau C). facto etait date un peu partout de 1808 ; les materiaux publies par B. Quemada viennent de Ie faire remonter d'un seul coup a 1688 ("). La aussi, Ie T.L.F. promet des ameliorations sensibles. On se contente souvent d'indiquer que ces locutions sont « em pruntees au latin ». Mais quel latin? Ab ova, pro domo (sua) ont d'abord etc des citations classiques; a l'oppose, grosso modo est d'une latinite douteuse (Eheu ! gemissait Gringoire, basseL latinitas!); «probablement terme d'etudiants ou de basochiens », juge Ie Dict. Etymologique de Bloch et Wartburg. A priori, a contrario sont scolastiques de naissance ; de facto, modus vivendi, hic et nunc nous viennent du droit, in extremis et ipso facto de l'Eglise. Mais beau coup de cheminements restent it retracer.
,,
Une particularite qui meriterait d'etre etudie : bien que les pays voisins du notre aient eu avec Ie latin des contacts analogues, leurs emprunts ne correspond ant pas muvent aux notres. Un coup d'ceil dans quelques dictionnaires bilingues montre que, du fran<;ais it la langue etrangere, il n'y a generalement pas equivalence, mais tra duction. A premiere vue, il semble que Ie fran<;ais ait adopte et assimile ce type d'emprunts avec la plus grande facilite. Nos dictionnaires les plus recents contiennent un nombre consi derable de ces locutions 1atines, en general toutes celIes qui ont ete citees ci-dessus (ab ova, in aeternum manquent dans Ie P.R., ab ira to dans Lexis). Les Iexicographes du XVIIe s., au contraire, n'en admet (5) Les Usucls du Robert, 1979. (6) Materiaux pour l'histoire du vocabulaire franr;ais, Paris, Klincksieck, N° 15, 1978, p. 212.
(7) Le Supplement du Trevoux date de 1752 admet : ad honores, ({ expres
sion latine adoptee par notre langue», avec des citations de Mme Des houlicres, Menage et Regnard ; ad patres, ({ qui cst du franc;ais dans Ie style familicr» (Boursault, Regnard) ; ipso facto, « expression latine qui s'est francisee par Ie frequcnt usage qu'on cn a fait, principalement dans Ie droit canon ». L'Academie a admis : en 1762 ad honores et ipso facto; en 1798 ab irato, ad patres . en 1835 ad libitum, in extremis, statu quo; en 1878, grosso modo, in etc.
i Reinfrei, Heldri et Basin
dans la Premiere branche de la Karlamagnus Saga
Des Ie XIII" siecle, une partie n'}n negligeable de la litterature franGaise medievale a ete traduite en norrois. Que ce soit des chan sons de geste, des romans, ou les lais de Marie de France, les traduc tions sont toujours en prose, car en prose etaient ecrites les sagas indigenes, les contes d'aventures des dieux payens, des rois, des heros et les innombrables sagas de famillc. II existait une poeSle norroise, scaldique, hautemeni elaboree, ou la versification obeissait a des regles d'alliteration ei d'assonance des plus rigoureuses. Dans son Edda, Snorri Sturlusson pr('sente plus de cent modeles de versifications diffcrentes. Le metre est, Ie plus souvent, Ie dr6ttkvaett. Encore plus complique que la versifi cation etait Ie Iangage scaldique, par ses periphrases et images, incomprehensibles pour celui qui n'avait pas de connaissances solides de Ia vieille mythoiogie payenne, a laquelle elles faisaieni constam ment allusion. Entre cette poeSle, hermetique et artificielle, dont les plus anciens poemes remontent au IX" siecle, et Ia prose, il n'y avait pas de transition. Le norrois n'avait done pas de forme poetique simple, apte a recueillir Ie contenu des chansons de geste fram;aises, ni meme des Iais. E. F. Halvorsen dit a ce sujet: « It was just as impossible to write a saga in the dr6ttkvaett metre as to write a chanson de geste in the form of a sonnet. )} On considere que l'epoque des traductions en norrois de la litte rature medievale fran<;aise s'etend de 1220 a 1320 (2). Entre 12:iO et 1250, sous Ie regne de Hakon H5.konarson, se situe la compilation qu'on pourrait nommer « Ie cycle du roi», Ia Karlamagnus saga (KMS), basee, en gros, sur des chansons de geste autour de Charle magne et dont Ia branche VIII, Af Runzivals Bardaga, est une variante de la Chanson de Roland Il est bien connu que la KMS existe dans quatre manuscrits, appeles par l'editeur Unger A, a (de Ia premiere moitie du XIII"
i'
Halvorsen, p. 27. (2) Halvorsen, pp. 13-15. (3) Schlyter, p. 32.
(1)
402
KEnSTl;\1 SClILYTEH
PRE:.m~RE
B, b (plus jeunes) (~). Pour la premiere branche de la Saga, taus les manuscri1s des lacunes. Ainsi, Ie debut ne figure que dans B et ne porte pas de nom, comme to utes les autres bran ches. En guise de titre figure: {( Au nom de Dieu Commence la Saga de Charlemagne et de ses guerriers. »
403
ou i1 faut pourtant regretter un assez grand nombre d'omissions et d'erreurs. Passant en detail chaque chapitre de la Saga, i1 propose comme titre, Vie et chronique guerriere, mondaine ei scandaLeuse de Charlemagne et de sa cour (').
Aucun modele fran<;:ais de cette premlere branche de la KMS n'a ete retrouve. Pourtant, il y a des reminiscences de nombreux recits epiques francais: Raimbaud et Hamon, Girard de \liane, la Guerre de Saxe, Ie Chevalier au Cygne, Ie Voyage de CharLemagne en Orient, l'Entree d'Espaf}ne, rE?cits conserves dans «Un ctat sou vent tres sensiblement anterieur a celui que nous connaissons par Ie remaniement de Bertrand de Bar-sur-Aube, de Nicco16 da Verona ou d'autres arrangeurs de leur acabit. >} e) Pourtant, la KMS, 1 ne consiste pas seulement en des bribes de chansons de geste. Elle constitue Ie recit de la vie de Charlemagne, la mort de jusqu'a la veille de Roncevaux. Sur sa vie de famille nous appre nons, (ch. 33) la mort de sa mere Berta, enterree a Arieborg, (ch. son peche avec sa sreur Gelem dont naltra Roland, (ch. 49) Son mariage avec Adein, la sreur de Namlun (Naimes), (ch. Ie voyage de Roland pour Eiss (Aix-Ia-Chapelle). (II doit ramener Odd geir (Ie Danois), pacifier Ie pays, visiter la femme de Guenelun. Celle-ci Ie seduit, d'ou la haine de Guenelun contre Roland), (dernier ch. 59) Ie choix des douze nairs par Charlemagne.
Recit des chapitres de Ia Heldri et Basin. 1-25
Resume des recherches sur La Premiere branche de La KarLamagnus saga (H) Ie premier editeur, considere les chapitres 1-25 (la cons piration contre Charlemagne it son couronnement) comme une assez fidele traduction d'une chanson de geste perdue. Le reste consiste rait en des extraits de differentes chansons de geste, elabores pour que Ie lecteur fasse connaissance des personnages les plus tants des branches suivantes de la Saga. L'ordre des episodes serait da au compilateur norrois. G. Paris est, grosso modo, de la meme opinion qu'Unger. Storm voit la premiere branche comme une intro a la branche VIII, Af Runzivals Bardaga. A son opinion se rallie Vilhjalmsson, tandis que Rohnstrom consirlere que nous avons affaire a une chronique, compilee d'apres differentes sources, vu les contradictions evidentes dans Ie texte. Le regrette Paul Aebischer est Ie dernier it s'Occuper du probleme, et longuement. Son interet pour la Karlemagnus saga est bien connu. Dans deux ouvrages (1954, 1972) il traite en profondeur de la Premiere branche. Son livre de 1972 se termine par une traduction en francl'lis du texte norrois (4) Unger, pp. III-IV. (5) Aebischer, 1972, p. 55. (6) Cf. Aebischer, 1972, pp. 8-12.
BRAKcrm DE L.\ KARI.A:'L\G:\l"S S.\GA
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J
1, reLatifs aux personnages Reinfrei,
(ch. 1) Le r01 qui avait regne en France, s'appelait Pippin, la reine Berta, surnommee Berta Fotmikla (Berte au grand pied). I1s avaient un fils, et deux fi1ks, G~lem et Belisem. Quand meurt Karl a trente-deux ans. Les du pays veulent Ie tuer, mais Dieu envoie un ange pour Ie prevenir. Avec ses fidCleR il part en secret et arrive a Ardena, chez Ie chevalier Drefia. L'ange ordonne alors a Karl d'aller voler avec Ie voleur Basin, car ainsi il pourra son royaume et sa vie. Karl met Basin en confiance et fait de lui son homme lige. (ch. 2) Namlun Ie conseiller prin cipal, dit a Basin de ne jamais nommer Karl de son vrai nom, mai,; de l'appeler Magnus. Basin et Magnus parient et en Ardenne, au chateau de Tungr, dont Ie comte est Reinfrei. 11s vole ront chez lui. Basin entre, vole autant qu'il peut dans un coffre et retourne aupres de Magnus qui veut, a son tour, entre I' au palais. Basin laisse Magnus cache dans la chambre de Reinfrei et de sa femme. Au bruit que fait Ie cheval que Basin est en train de Ie couple se reveille et Reinfrei revele a sa femme la conjuration contre Karl: ils iront au couronnement de Karl a a Nod, lui Reinfrei et son frere Heldri et encore dix des plus puissants chevaliers qui sont alors nommes (dans la toponymie de la region, on retrouve encore plusieurs de ces noms). Tous porteront un cou teau dans la manche et tueront Karl son couronnemenL Comme sa femme s'oppose a ce plan, Reinfrei, irrite, la frappe sur la bouche et Ie nez qui commencent a Ene se penche hoI'S du lit. Magnus tend son gant droit et y recueil!e Ie sang. Bientot Ie se rendort et Magnus rejoint Basin. (ch. 3) Sur un nouvel ordre de l'ange, ils se rendent a Peituborgar aupres de la reine Berta qui s'etonne d'entendre Basin appeler son fils {( C'est a cause de ses ennemis veulent Ie tuer» dit-il. Berta fait venir l'archeveque Roger de Trevis pour qu'il confirmc Ie nom de Karl Magnus. (ch. 4) Devant la reine et Karl raconte son aventure et nomme les traitres. (ch. 5) Ses [ideles, les plus seigneurs d' Almannia sont convoques. (ch. 6) Au conseil Karl raconte tout et Basin propose qu'on invite au couronnement taus les sei gneurs du royaume. Chacun devra venir avec une grande suite armee. Une solution sera alors trouvee. (Suit la liste des noms de plus de quatre-vingts seigneurs a inviter.) (ch. 7) Le pape Milon convoquera les et eveques. 11s seront fortement armes. (7)
Aebischer, 1972, p. 14.
PRDIIERE BRAXCIlE DE LA KARL.\'!AG:-Il·S SAGA
404
405
KERSTIX SCIILYTER
promet de se faire baptiser s'il gagne la bataille. Vainqueur, il se rend aupres de l'empereur Louis a Meginzuborg (Mayence) ou il re<;oit Ie bapteme. Les annales franques font de Reginfredus et Herioldus deux freres qui, des leur avenement au trone de Jutland, demandent la paix a Charlemagne. La paix est signee en 813, mais en l'absence des rois danois. Ceux-ci recommencent les hostilites, attaquent les Francs et les Saxons. Lors d'une bataille, en 814, Reginfredus est tue et Herioldus, aux prises avec les fils de Godfrey, se refugie aupres de l'empereur Louis ou il est baptise, en 826, avec toute sa famille eO).
L'archeveque Roger part pour Rome, Basin pour la Bretagne, Gerard de Numaia (Nimegue) pour la Saxe, lancer les invitations au couron nement. (Aucune region de la France n'est nommee sauf la Breta gne.) (ch. 10-12) Preparatifs au couronnement, fortifications et em bellissements d'Eiss. (ch. 13) Reinfrei et son frere Heldri arrivent a Eiss par curiosite. Karl demande que Dieu les protege s'ils sont ses vrais amis et les invite au couronnement a la Pentecote. Reinfrei hesite mais Heldri accepte pour lui-meme et pour son frere. (ch. 16) Voyage de Basin en Bretagne. (ch. 20) Retourne a Eiss, Basin a Ie droit de se presenter au roi, car il est son hom me lige. (ch. 23) Apres Ie couronnement, Karl se retire dans sa chrtmbre et les traitres arri vent pour Ie tuer. Reinfrei et Heldri sont les premiers. Deux fideles s'emparent d'eux et de leurs couteaux. Les dix autres traitres entrent, au fur et a mesure, et sont desarmes. Karl montre a Reinfrei Ie gant avec Ie sang et raconte la scene de la chambre au palais de Tungr, mais ce n'est qu'a la vue de son cheval que Reinfrei avoue la trahison. (ch. 24) Karl donne l'ordre de pendre les traitres, mais pensant a la femme de Reinfrei, il decide de les faire decapiter tous. (ch. 25) Karl appelle Basin, lui tend son gant droit et dit : « Tu auras Tungr, la femme de Reinfrei, Ie comte et tous ses biens". Basin baise Ie pied du roi.
Donnees epiques relatives Ii Reinfrei et Heldri Reinfrei et Heldri, reconnaissables sous des orthographes fan
taisistes, sont les fils d'une serve, substituee a Berte aupres de
Pepin, donc des demi-freres de Charles, dans
Berte au grand pied d' Adenet Ie Roi (XIII" siecle) chanson de geste, elaboree, selon l'hypothese des critiques, d'apres un pro
totype perdu;
Mainet, dont il ne reste en fran<;ais qu'un fragment, publie par
G. Paris. Celui-ci suppose que de la chanson de geste perdue derivent les 02uvres suivantes : Girard d' Amiens, premier livre, Ie Karleto de Venise, Reali di Francia, la Cronica general, la Gran conquista de Ultramer, Karl Meinet CI).
Donnees historiques relatives Ii Reinfrei et Heldri Dans les annales et chroniques relatives aux annees 716-719, on lit que Charles (Charles Martel), fils de Pepin (Pepin II), eut comme adversaires en sa jeunesse deux personnages, Raginfredus et Helpri cus (Chilperic). A la mort de Pepin, Charles, batard (fils de la belle AlpaYde), est emprisonne par la reine Plectrude. II s'enfuit de la prison, rejoint les Austrasiens, participe a une guerre contre les Neustriens, en 716. II est battu, mais bientot il reprend les hostilites et emporte la victoire. La bataille a lieu d:ms les Ardennes, a Am bleve. A la tete des Neustriens se trouvent Chilperic et Raginfred (k).
Reinfrei et Heldri ne sont pas de la famille de Charlemagne, ce sont deux vassaux (freres) revoltes contre lui, dans Karlamagnus saga, Premiere branche, ainsi que dans la traduc tion danoise Karl Magnus Kronike, I.
Donnees epiques relatives Ii Basin, le voleur ",vee qui Charlemagne vole
Eginhard parle d'une conspiration contre Charlemagne (Halphen la date de 785 ou 786). Les ann ales disent que cette conspiration avait eu lieu en Thuringe et que Ie chef etait Ie comte Hardradus C').
Dans Ie passage de la chronique d'Alberic des Trois-Fontaines qui fait allusion a la conspiration de Hardradus contre Charlemagne, en 788, il est dit que Ie roi avait eu connaissance de ce complot grace au fait qu'un ange lui avait ordonne d'aller voler e~)·
Dans des sagas islandaises et la chronique d'Adam de Breme, pour l'annee 812, nous trouvons deux pretendants au trone de Jutland appeles Reginfredus et Herioldus (ou Harioldus). IIs succe dent au roi Godfrey (pere d'Ogier Ie danois, selon la legende, et pere de Reginfred, selon les sagas). Apres cinq ans de regne en commun, ils se combattent. Herioldus (ou Harold, selon les textes islandais)
CEuvres fran<;aises ou il y a un echo de Basin: Dans Aubri le Bourguignon l'auteur evoque simplement Ie « fort larron Basin» ; dans Renaus de Montauban quelques vers sont con sacres a Basin, Ie voleur ; dans la chronique de Philippe Mousket il est rappele, en deux lignes, que Basin a ete l'ennemi de Charlema
(8) Cf. Aebischer, 1972, p. 40. (9) Ibid., p. 45, ou, pour expliquer Ie -d- dans Heldri, Aebischer voit une confusion entre Ies noms Hardrad > Hardn~~ et Helpricus, qui aurait dll. donner Helpri.
;'
1
(10) Cf. Pedersen, pp. 6 et 20-21. (11) Mainet dans Romania, 1875, p. 307. (12) Unger, p. XIII.
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PREMIEHE BH.\XClIE DE LA KAHL.\~I.\GXLS SAGA
KEHsnx SClIL,{TEH
Alors qu'il traverse une grande foret, il se met a penser a Elegast, a qui il a retire Ie fief et Ie chateau pour un petit larcin et qu'il a reduit a voler pour survlvre. Karel regrette ce chatiment. II sait qu'Elegast ne vole jamais aux pauvres, seulement aux riches eveques et abbes. Soudain Karel rencontre un chevalier, tout en nair, qui s'arrete et lui demande son nom. Comme Karpl refuse de Ie dire, l'autre propose un duel. A tres grande peine Karel reussit a desar mer son adversaire qui doit maintenant se nommer, Elegast, et raconter sa vie. (Repetition des pensees oe Karel). Karel pretend s'appeler Adelbrecht et etre valeur, lui aussi. IJ a tant vole de richesses aux eglises, aux riches et aux pauvres, sans se saucier de leurs plaintes (!). Quand Karel prcpoO'e d'aller voler chez Ie roi, Elegast refuse. Meme si Ie roi lui a pris ses biens, il est son vrai seigneur. IIs vont voler chez Eggheric van Egghermonde, qui a pour femme la sceur du roi et qui a tant fait de mal et tant trahi de persannes. Elegast entre seul dans la cour du chateau. La, il se met dans la bouche une plante qui lui fait comprendre ce que disent coq et chien. (Suit un episode charmant qui montre la ruse et l'humour d'Elegast). Par sorcellerie il fait endormir les domestiques et ouvrir les partes. II vole des tresors, les apporte a Adelbrecht et rentre au chateau pour prendre, dans la chambre du comte et de sa femme, une selle avec des clochettes. Celles-cl reveillent Eggheric qui tire son epee. Sa femme, effrayee, lui demande s'il est hante par les elfes (1 H). II revele la conspiration contre Karel. Bient6t les conjures seront la, ils ant jure de Ie tuer Ie jour meme. (Suit la scene de KMS, 1, avec la difference qu'ici c'est Ie valeur, non Ie roi, qui recueille Ie sang dans son gant). Par un charme Elegast fait endormir Eggheric et sa femme, s'empare de la selle et rejoint Adelbrecht. En grande detresse et tres en colere, Elegast crie: « J'ai perdu man seigneur, man sei gneur mourra ce matin, Eggheric a jure sa mort». Elegast, Ie proscrit, ne peut pas prevenir Ie roi, Adelbrecht s'en charge et ils se separent. Retourne a Ingelheim, Karel convoque ses conseillers. (Repression du complot tres proche de celle de KMS, 1). Desarme et mene devant Ie roi, Eggheric nie sa trahison. Karel confie a Elegast Ie duel judiciaire. Eggheric traite Elegast de larron et de vilain, a quai celui-ci repand : « Je suis duc moi aussi, comme va us voyez. » IIs se battent toute la journee comme deux ducs. Eggheric, enfin abattu, est retire du champ et pendu avec taus les traitres. Le roi donne la veuve d'Eggheric, sa sceur, a Elegast.
gne avant de l'aider a voler ; dans Jehan de Lanson Ie valeur, Basin de Gennes, d'abord ennemi puis compagnon de vol de Charlemagne, recourt a la sorcellerie (l :1). CEuvres en langues germaniques : Dans la Karlamagnus saga, Premiere branche, basee, repetons Ie, sur des chansons de geste fran<;aises, Ie valeur s'appelle evidem ment Basin. Le valeur ne s'appelle pas Basin mais Elegast, dans Ie texte neerlandais, Karel ende Elegast, allemand, Der mitteldeutsche Karl und Elegast, allemand, Karl Meinet, danois, Karl Magnus Kronike (Alegast). Resume des recherches sur Karel ende Elegast Ce petit chef-d'ceuvre de la fin du XII" au du debut du XIIIr siecle etait longtemps considere comme une epopee d'origine neer landaise. G. Paris Ie conteste dans son Histoire poetique de Charle magne. Le premier editeur neerlandais, Kuiper (1891), se rallie a son opinion, de meme que de Vreese dans son compte rendu de l'ceuvre de Kuiper ("). En revanche, Roemans, dont nous avons utilise l'edi tion, dit dans son Introduction, « Hoegst warscheinlijk is diet Ge dicht oerspronkelijk Diets» (Tres vraisemblablement, ce poeme est originairement neerlandais). II se fonde surtout sur l'onomastique germanique et sur les pouvoirs d'enchanteur d'Elegast (1 ~'). Enfin, a l'aide d'une etude comparative de contes populaires, sur Ie theme du valeur qui aide Ie roi a voler, Marie Ramondt, en 1917, pretend que l'archetype (( oersage ») se serait developpe differemment en France - au il aurait donne Basin - et ,',Ux Pays-Bas - au il CJ.urait donne Elegast (111). Pour la recherche ulterieure sur Ie theme du maitre valeur, voir Wilke (1 i).
Les textes relatifs d Elegast 1. Karel ende Elegast. Karel est a Ingelheim pour tenir audience. L'ange vient lui dire d'aller voler pour garder sa vie. Karel est deja empereur, son pou voir s'etend du Danube a l'est jusqu'a la mer a l'ouest, il regne sur Cologne et Rome, sur la Galicie et l'Espagne. Enfin il oMit a l'ange. (13) (14) (15) (16) (17)
Paris, Rist. poet., p. 318. Cf. Wilke, pp. 2-6. Roemans, p. IX. Cf. Wilke, pp. 2-6. Wilke, pp. 7-9.
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2. Der mitteldeutsche Karl und Elegast (ms. du XV" s.) garde la trame du poeme neerlandais, mais Ie protagoniste n'est pas Ie noble chevalier, a tout prix fidele a son suzerain. Le style elegant, Ie vocabulaire recherche de Karel ende Elegast sont ici remplaces par des formules banales qui se repetent.
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1
(18) Pour les rapports, etablis par Grimm, d'Elegast nain voleur, voir Wilke, p. 64 sqq.
Elbegast -
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KERSTIK SCHLYTER
PRE:\IlI':Rl: RHAKClIE DE l.A KAm .. \~IA('Xt"S SA(;A
Les rapports entre Ie texte neerlandais et Ie texte allemand sont mis en lumiere par Wilke qui ecrit en conclusion: «Der Karl und Elegast ist unabhiingisch vom mnL Karel ende Elegast nach einer franz6sischen Vorlage entstanden.» (1") L'epopee allemande est, selon Wilke, plus pres du modele fram;ais que l'epopee neerlandaise.
Basin vole Ie cheval du comte, pendant que Magnus (Ie roi) assiste a la scene de Ia chambre. -
3. Karl Meinet (second texte allemand) d'environ 1300, est consi dere comme l'adaptation en allemand du Mainet fran<;ais, deja evo que. Cette grande compilation de chansons de geste commence ainsi : Sur les bords de la Seine, it Balduch, habitent deux freres, Haen(f) frait et Hoderich, selon les uns, fils du roi Pepin de France. selon les autres, fils de paysans. Dans un songe, un nain dit a Hoderich d'aller it Paris, il y apprendra bien des choses. En effet, il y apprend ou trouver un grand tresor. Les deux freres s'installent it Paris, deviennent de plus en plus riches, donnent de leurs richesses au roi Pepin qui, a sa mort, leur confie l'education de son fils Karl, age de douze ans. (Suit Ie recit bien connu des malheurs de Karl, confine dans la cuisine des deux freres, les essais repetes de ceux-ci de Ie faire tuer, la fuite de Karl aupres de Galafre, son retour it Paris plusieurs annees plus tard, la chute et la mise a mort de Haenfrait et Hoderich). Apr.?s Ie recit de la guerre contre les Lombards (cf. Agolant) est insere l'episode d'Elegast. C'est la transposition fidele de Karel ende Elegast. Comme dans ce texte, l'action se deroule it Ingelheim.
Elegast se bat en duel judiciaire, Basin ne se bat pas en dueL Elegast re<;oit la sceur du roi, veuve du traitre, mais non les terres de celui-ci. II rentre dans les siennes. Basin re!;oit la veuve du traitre, ses terres et ses biens. Elegast est un personnage a double face: d'un cote, esprit myste rieux et magicien joyeux; de l'autre, fier chevalier, reduit a voleI' pour vivre, mais fidele a son honneur et it son seigneur. Basin est un voleur renomme. Sans traits caracteristiques accu il est seulement l'outil du roi pour dejouer la conspiration.
Pour une raison ou une autre, Ie poete n(>erlandais a vOl.llu faire de son maitre voleur un chevalier accompli. Elegast ne reconnait pas Ie roi en Adelbrecht, mais It.' roi connait Elegast qu'il a exile a cause de vol chez lui, Ie roL Basin sait qu'il a affaire au roi qu'il doH appeler Magnus, mais Ie roi ne connait pas Basin d'avance. Elegast neerlandais et Basin des te.rtes franr;ais Elegast a ete l'ennemi du roi avant de devenir son compagnon de vol. II en est de meme pour Basin dans la chronique de Phi.lippe Mousket et dans Jehan de Lanson. Dans ce dernier texte, Basin recourt aussi a la sorcellerie.
Nous trouvons done dans Karl Meinet et Ie recit des deux freres batards de Charlemagne, et Ie recit du voleur qui aide Ie roi a voleI'. Les deux episodes sont separes par plusieurs aventures.
II y a donc un lien entre Karel ende Elega.~t et ces deux textes fran<;ais. Dans Ie poeme neerlandais, Ie traitre qui conspire contre Charlemagne s'appelle Eggheric (Eckerich, dans la chanson alle mande). Le seul texte fran<;ais it nommer Ie traitre est Renaus de Montauban. La, c'est Gerin qui, avec les douze pairs, a jure d'assas siner Charlemagne.
4. Karl Magnus Knmike, du XV" siecle, est une traduction en danois de la Karlamagnus saga norroise, mais abregee et con densee, de sorte que les trente-deux premiers chapitres de la Saga (jusqu'a la mort de Berta) sont rendus par six dans la Knmike. On peut noter quelques differences entre les deux textes.
Quel est Ie nom d'Eggheric? II faut mettre en lumiere un fait onomastique.
Dans la Knmike Ie voleur s'appel1e Alegast, bien qu'il joue Ie meme role que Basin de la Saga, role parfois renforce, en raison de la suppres sion d'autres personnages ; Ie couronnement prend place a Eringsborg, daris la Saga it Eiss (Aix-Ia-Chapel1e).
Dans Ie fragment neerlandais de la Cham on de Roland, figure une fois Gerin, l'un des douze pairs. II y est nomme Eggherijn. Dans la version allemande, das Ruolandesliet des PfafJen Kon rad, Gerin parait trois fois, deux fois comme Ekerich. une comme Egeris
Differences entre Elegast du poeme neerlandais et Basin de la Saga
11 faut bien penser qu'Eggherijn ou Eggheric neerlandais (ainsi qu'E(c)kerich allemand) est Ie meme personnage que Gerin des textes fran<;ais. Voila Ie traitre Gerin, l'un des douze pairs dans Renaus de Montauban.
Elegast assiste seul a la scene de la chambre, Adelbrecht (Ie roi) attend dehors. (19) Wilke, p. 85.
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\ (20) Schlyter, pp. 50, 60, 78.
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1
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PRE~UEnE BH.\~CIIE IlE L.\ KARL.\\r.\(;;\l'S S.\(;A
KEHSTIX SCIILYTEH
la bataille de Charles Martel contre Reginfredus et Helpricus a Ambleve, la conspiration contre Charlemagne de Heldri et de Rein frei de Tungr, en pleine Ardenne.
Nous avons done Ie droit de croire que Karel ende Elegast, neer landais, ainsi que Karl und Elegast, allemand, et l'episode de Basin dans Renaus de lYfontauban, aussi bien que Basin dans la Karlama gnus saga, remontent taus a la meme source, une source fran9aise.
Par ailleurs, Reinfrei et Heldri sont representes comme deux freres, mais non apparentes a Charlemagne.
Le poete neerlandais n'a pas change Ie nom du traitre, mais il a change et Ie nom et Ie caractere du valeur. Basin, assez anonyme, dote des dimensions de magicien et de chevalier, est devenu Elegast. De l'hypothetique Chanson de Basin, perdue, il ne no us reste que Ie Basin de la Karlamagnus saga. Il est connu que les traducteurs norrois omettaient ou abregeaient tres souvent des parties lyriques ou psychoIogiques de leurs modeles fran<;ais. Nous n'avons qu'a compareI' Af Runzivals Bardaga avec Ie Roland d'Oxford pour Ie constater. Comment etait Ie Basin original? Surement pas aussi elabore, ni aussi raffine, qu'Elegast, mais non plus 8i frustre que Basin norrois.
parlent Relatives a Charlemagne, les annales citees plus d'une eonspiration contre Ie roi, ourdie par un certain Hardradus, en 788. D'autre part, comme nous l'avons deja vu, pour l'annee 812, Adam de Breme et les Sagas islandaises evoquent les rois Reginfre dus et Herioldus de .Jutland, pays longiemps en guerre avec Char lemagne. II nous parait done plausible de penser que ce sont ces deux derniers qui, dans Ie nord de l'empire de Charlemagne, ont renforce Ie souvenir des noms des adversaires de Charles Martel a Ambleve. Les Reginfredus et Helpricus qui guerroient contre Charles Martel, les Reginfredus et Heroldius de .Jutland, ennemis de Charlemagne, vcrs la fin de sa vie, voila, selon nous, les personnages qui ont donne les Reinfrei et Heldri, adversaires de Charlemagne, dans la chanson qui se deroule dans les Ardennes et qui est notre Saga.
Nous croyons done a une source commune de Basin - Elegast. Peu importe que Eggheric soit comte d'Egghermonde, Eckerich d'Urlous et Gerin de la Ferte. Les noms de lieux varient avec les remanieurs. Karl Magnus Knmike est bien une traduction de Karla magnus saga, malgre Ie fait que Basin ~oit appele Alegast par influence du poeme neerlandais et que Ie couronnement se deroule a Eringsborg, au lieu d'a Eiss.
Mais il y a aussi Ie Hardrad de 788 en Thyringe. A son nom est lie, chez Alberic des Trois-Fontaines, la mention du fait que Char lemagne, sur l'ordre d'un ange, se met a voler avec Ie "larron » pour ainsi se sauver.
L'originalite de la Saga nOlToise est d'avoir rattache l'episode de Basin, non a Gerin, mais a Reinfrei et Heldri. Nous verrons bientOt pourquoi. Rapports entre les donnees relatives d Reinfrei et HeLdri
Nous pensons que c'est a cause de ce Hardrad, connu dans l'ancienne Austrasie, que l'auteur du modele de notre Saga a entre lace l'histoire du voleur et celle des conspirateurs et que, dans la KarlamagmLs saga, Ie voleur Basin peut aider Karl a dejouer Ie complot de Reinfrei et Heldri et que Ie nom de ce dernier, est une confusion de Helpricus, Herioldus et de Hardradus.
et les donnees epiques
Dans Mainet et les chansons qui en derivent, de meme que dans Berte au grand pied, certaines donnees historiques, prop res a Char les Martel, sont reportees (et transformees) sur Ie personnage (litte raire) de Charlemagne.
En plus, la Saga combine la conjuration contre Karl avec Ie dans Ie maquis recit de son couronnement, trait absolument des chansons de geste.
L'emprisonnement de Charles Martel par Plectrude devient la garde humiliante de Charlemagne par ses demi-freres batards (dans leur cuisine I).
II faut voir, derriere les vingt-cinq premiers chapitres de la KMS, 1, trois chansons differentes : une sur Ie couronnement a Aix fourmillent des noms de Jiellx purement germaniques, Trives (Treves), Mystr (Munster), Kolni (Cologne), Prumen (Prumm) lntreit, etc.), une sur la conspiration de Reinfrd et Heldri (localisee dans les Ardennes), et encore la chanson de Basin, rattachee a ces deux per sonnages et non a Gerin, comme partout ailleurs ou figure Ie voleur, qu'il s'appelle Basin ou Elegast.
La fuite de Charles Martel en Ardenne devient la fuite de Charlemagne aupres de Galafre. La batardise de Charles Martel est attribuee, non pas a Char lemagne, mais a ses freres batards Hainfroi et Heudri. (Reinfrei et Heldri sont aussi des personnages historiques, mais sans lien de fraternite entre eux ou avec Charlemagne.) Dans la Karlamagnus saga les donnees historiques, relatives a Charles Martel, sont mieux gardees, En eHet, il y a la fuite en Ardenne (aupres de Drefia, dit la Saga), il y a comme un echo de
411
1
Lund.
Kerstin SCHLYTER
412
KEHsnx SCIlLYTER
BIBLIOGRAPHIE Der mitteldeutsche Karl und Elegast nach der Zeitzer Handschri/i. Hrsg.
von Josef Quint. Bonn, 1927 (Rheinische Beitrage und Hilfsbticher zur germanischen Philologie und Volkskunde, Bd. 14). Karel ende Elegast. Uitgegeven door Rob. Roemans en H. van Assche. Vijfde Uitgave, Antwerpen, de Nederlandsche Boekhandel, 1963 (Klassieke Galerij Nr. 9). Karlamagnus saga och Kappa hans. Fortaelinger om Keisar Karl Magnus og hans Jaevninger i Norsk Bearbeidelse fra det trettende Aaarhundrede, C.R. Unger Christiania 1859. Karl Magnus Krlimike, B. Lindegilrt Kjort, Kobenhavn 1960. Karl Meinet, zum ersten mal herausgegeben durch A. T. Keller, Stuttgart, 1858. Mainet, fragment d'une chanson de geste du XII" s. edite par G. Paris. in Romania 1875. Renaus de Montauban oder die Maimonskinder. Altfranzosisches Gedicht,
nach den Handschriften :mm erstenmal herausgegeben von Heinrich Michelant., stuttgart, Literarischer Verein, 1862.
OUVRAGES CONSULTES Aebischer PaUl, Textes norrois et litterature jran"aise du Moyen .1ge, I. Recherches sur les traditions epiques antl!l'ieuTes Ii la Chanson de Roland d'apres les donnees de la ]Jl'emii!Te branche de la Karlamagmis saga,
Geneve, Droz, Lille. Giard 1954. Aebischer Paul, Textes norrois et la litterature Jranqaise du Moyen Age, II.
Sur trois poemes de Rutebeuf :
La Complainte Rutebeuf, Renart Ie Bestourne
et la Pauvrete Rutebeuf
Si Ia poesie de Rutebeuf a suscite de beaux travaux comme ceux de Nancy Regalado, d'Arie et de Roger Dragonetti (I), elle demeure meconnue, fa ute d'analyses precises de chacun des poemes. Cette Iacune entraine sinon de l'indifference, du moins des juge ments rapides sur Ie caractere repetitif, vOlre fruste de l'ceuvre. C'est pourquoi nous voudrions, avant de passer a l'etude de la Pau vreUi Rutebeuf., nous attacher a la microanalyse de deux passages significatifs. Le premier, au creur de la Camplainte Rutebeuj, com mence par la reprise des premiers vel'S de la Griesche d'hiver et s'epanouit ensuite dans la fameuse evocation des amis emportes par Ie vent (en gras, vers 81-126) ; Ie second constitue Ie debut de Renart Ie Bestaundi sur lequel nous aimerions revenir, la place nous ayant ete limitee lorsque nous avons etudie l'ensemble du poeme
La premier,e branche de la Karlamagmis saga. Traduction compLete du texte norrois, precedee d'une introduction et suit'ze d'un index des noms propres cites, Geneve, Droz 1972.
Halvorsen E. F., The Norse Version oj the Chanson de Roland, Hafniae, Munksgaard 1959
L SUR LA REPRISE DE DEUX VERS DANS LA COMPLATNTE RUTEBEUF 1. Deux evidences au depart: Ia Complainte Rutebe1tf est gref fee sur Ie Mariage RutebeuJ: les premiers vers l'anl1oncent et tout un jeu d'echos Ie confirme (4). Mais ce qui surprend Ie plus, c'est la reprise, aux vel'S 79-81 de la Complainte :
e)
Et si me sont nu Ii coste Contre l'yver.
Cist mot me sont dur et diver,
Dont moult me sont changie Ii ver
Enver antan ... ,
(1) Voir
la bibliographie dans notre Rutebeuj. I. Poemes de l'in/ortune et Poemes de la Croisade. Traductions et etudes, Paris, Champion, 1979. (2) Rutebeuf et le Roman de Renart, dans I'In/ormation litteraire, 1978, n° 1, pp. 7-15. (3) Ed. Fa.ral~Bastin, vers 1-5 : Ne covient pas q!te VOltS mconte i Comment je me sui mis a honte, / Quar bien avez 01 Ie conte! En ([!tel maniere I J,e pris ma fame darreniere ... (4) Avec Ie retour de mots-des comme porte, gesir, amis, des formules voi sines qui signalent l'absence de bOis (Mariage, 68; Complainte, 69~71) ou la desolation (Mariage, 80 ; Complainte, (8) .. ,
414
TROIS
JE,\X DU'Ol:R:\ET
... de toutes pars me muet guerre Contre l'yver. Dont moult me sont changie li ver, Mon dit commence trop diver ...
La Complainte comporte quelques grands mouvements qui se succedent logiquement et chronologiquement, avec toutes sortes de retours et de chevauchements, et qui, par un enchalnement fatal et un appauvrissement continu, enfoncent Ie poete dans la misere : un mariage malheureux, accompagne de la perte d'un ceil la naissance d'un enfant (53-91) ; la maladie du poete et d", sa femme (92-109) , la perte des amis (11 0-147), en sorte que Ie poete n'a rien, depouille de ses biens, de sa force physique, de son talent poetique, de ses plaisirs, de ses amis. La Complainte se termine par une priere aDieu et une requete au comte de Poitiers. Cette impression est renforcee par un jeu d'echos qui donne un caractere obsessionne1 et irremediable a cette image du poete cerne par la misere. Echos formels : Le cuer en ai triste et noirci
De cest meliaing (36-37).
Et s'en sui mehaigniez du cors
Jusqu'au fenir (105-106).
Or a d'enJant gell. ma fame (53). Ma fame ra en/ant ell.
C'un mois entier
Me ra geti sor Ie chantier (96-98).
Mes ostes veut I'argent avoir De son oste,
Et j'en ai presque tout oste,
Et si me sont nu Ii coste . .. (75-78)
... C'onques, tant eom Diex m'assailli En maint coste, N'en vi un seul en mon oste. Je cuit Ii vens leB a oste ... (1l7-120). Je n'ai qu'engagier ne que vendre (14). Mi gage sont tuit engagie (92)
Et nous ne disons rien des variations annominatives :
DE I1CTEHEl'F
415
. , Sanz reclamer, Qu'iJ n'a en els rien a amer Que l'en doie a amor clamer (145-147).
des vel'S 6-8 de la Griesche d'hiver, OU Povrete
Cette reprise est-elle fortuite, sans signification? Bien que nous en rencontrions d'autres, nous ne Ie croyons pas, eu egard a la progres sion du poeme.
POI':~IES
... Qui Ie reclaime, Qui l'aeure et seignor Ie claime, Et qui eels tempte que iI aime ... (151-153).
Echos thematiques sur l'infirmite physique (23-25, 105), Ie denue ment extreme (14, 69, 77, 92), Ia tristesse (36, 72, 80, 101-102), Ia soli tude (95, 119, 125-126), l'appel aDieu (50, 60, 148) ou aux protecteurs (33, 137, 158). Cette progression thematique et ce jeu d'echos viser;t a creer la sensation d'un denuement total, materiel, moral et intellectuel, une impression de vide, voire de mutilation et de deshumanisation qu'evoque la nudite (78). Le poete est depouille de son avoir et de son etre dans un monde eclate, eparpille, disloque (Ie poete et sa femme sont dans deux lits differents) qui perd constamment sa coherence: Quanques j'ai fet est a refeTe (17). La misere est disper sion, ecroulement permanent, doni Ie poete est devenu la conscience. Compagnon de Job au debut du poeme, il descend de plus en plus dans la decheance. C'est alars que survient la reprise des premiers vel'S de la GTiesche d'hiver. Ne signifie-t-elle pas que la (vraie) poesie (re)com mence, malgre soi, quand tout a disparu autoul' de soi, qU'elle nait du vide, du neant, de 1a depossession, de la solitude? II faut mourir a la vie quotidienne, depouiller Ie vieil homme pour (rp)naitre a la poesie: si ce qui est d'iver «de l'hiver» est diver «hostile, cruel, contraire ", de l'iver naissent li ver. L'accouchemeni de la femme de Rutebeuf, signaIe deux fois, nous l'avons vu, prend une valeur sym bo1ique, que souligne Ie jeu tres complexe sur Ie verbe gesir, repris quatre fois en dix vel'S (94, 98, 99, 103). Le poeme nalt de la douleur qui se radicalise dans !'impuissance du poete qui assiste passif au changement (") et qui tente de la depasser ~n se mettant en scene. 2. L'experience poNique n'est pas sans rapport avec l'experience mystique: Ie poete, de son plein gre ou malgre lui, passe par Ie depouillement, l'obscurcissement de la nuit (H), la mutilation de l'etre (1). la solitude - experience douloureuse dont temoigne peut etre Ie nom de Rutebeuf. Seul, Ie vide, en se creusant, rend possible la poesie qui, d'abord, s'exprime a travers les jeux de la poetique pour atteindre les cimes de l'incorruptible beaute, ce que suggereni Ie recours aux hyperboles, les comparaisons plaisantes (Rutebeuf n'est-il pas mehaigniez dou cors « mutile» comme Ie Roi pecheur du remarquer que Ie me se substitue au je : Cist mot me sont dur ei diver, / Dont moult me sont changie Ii ver . .., et Ie jeu sur mots/mau.L (6) Vers 27 : Qu'a mtedi m'est nuiz obscure, et vers 36 : De cuer en ai triste et noirci. (7) Vers 37, De cest mehaing, et 105, Et s'en sui mehaigniez du cars.
(5) A
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JEAK DI'FOLHXET
Graal ?), l'ironie (Tel siecle ai gie au vers 91) et plus specialement les jeux annominatifs qui s'accumulent dans les vcrs 84-109, les mots perdant leur c1arte dans l'epaisseur de plus en plus dense de la polysemie. Jeux facHes, d'abord, sans qu'ils soient pour autant depourvus de signification. Jeux it trois elements, aux vers 84-87 : Ne m'estuet pas taner en tan, Qual' Ie resveil Me tane assez quant je m'esveil ; Si ne sai, se je dorm ou veil, , ,
l'un est en relation avec une idee d'avilissement, compte tenu du metier de tanneur qui etait un metier devalue (~), et d'assimilation a un animal dont on tanne la peau, Ie second peut suggerer l'eveil a une autre realite. Ou jeu a deux termes, au vers 92 : Mi gage son! tuit engagie, Jeux plus complexes ensuite, dans un ensemble tres elabore, fonde sur quelques elements regroupes autour de l'evocation du lit, et en particulier sur la n§petition du verbe gesir, employe au passe compose, it l'imparfait et a l'infinitif, a la voix active et it la voix pronominale (1'), que completent d'autres correspondances: trois mois/un mois entier, sor Ie chantier/en l'autre lit : Car j'ai geil Trois mois que nului n'ai veil, Ma fame ra enfant eu, C'un mois entier Me ra geil SOl' Ie chantier. Je me gisoie endementier En I'autre lit, Ou j'avoie pou de delit. Onques mes mains ne m'abelit Gesir que lors. .
Ce verbe gestr, sur Iequel notre attention est attire, contient toute la signification et Ia symbolique du passage, puisqu'il peut signifier: etre couche, avoir un commerce charnel; etre malade ; eire mort. Ce que confirme l'emploi de l'expression sor Ie chantier qui renvoie - aux treteaux sur Iesquels on exposait un mort, - aux pieces de bois couchees en long sur lesquelles on posait les tonneaux dans les caves: etre rempli sur les chantiers, « etre plein comme un tonneaux ", etalt Ie symbole de la vie heureuse. Au premier niveau, ces mots, qui designent l'envers et l'endtojt, la peine et Ie plaisir, figurent Ie monde renverse ou ce qui devrait (8) Voir Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen Age, Paris, GaUimard, 1977. (9) A remarquer la fonction differente de me devant gesir aux vel's 98 et 99
THOIS POE'!ES DE Hl'TEBElTF
417
etre source de joie procure de la douleur, devient Ie lieu de la souf france. Plus profondement, mort et vie ne font plus qu'un, symbolise par Ie lit, lieu de l'amour et de la vie, lieu de la maladie et de la mort, lieu de la creation poeUque (en rapport avec une des compo santes du portrait stereotype du jongleur) (10) et par l'accouchement difficile, risque, qui ne reussit pas toujours. De meme, derriere 1e vers 105, Et s'en sui mehaigniez du cars, se glisse Ie souvenir du roi mehaigne, depositaire des secrets de l'Autre Monde. La poesie jaillit quand tout a disparu. 3. La descente aux enfers, l'accomplissement total de la pau vrete doit se poursuivre, indissolublement liee a l'ascension poetique qui se fraie difficilement un chemin a travers de nouveaux malheurs (venant des hommes qui abandonnent Ie poete, de Dieu qui ne cesse de Ie harceler, de la nature et du vent qui arrache les feumes et affecte Rutebeuf dans son corps) et d'autres jeux annominatifs qui soutiennent Ia grande poesie : Li mal ne sevent seul venir ; Tout ce m'estoit a avenir S'est avenu (107-109). Ce sont ami que yens enporte, Et il ventoit devant rna porte Ses enporta, C'onques nus ne m'en conforta Ne du sien riens ne m'aporta (122-126).
La parole tend a se rapprocher d'un centre impossible a atteindre, par-dela les metamorphoses et les jeux de mots, par-dela les ruptu res de ton. Devenue instable, eUe cherche a se de passer elle-meme. ce faisant, de la thematique et des jeux du pauvre jon gleur (11), Ie poeme passe a une thematique plus personnelJe a tra vers des symboles elementaires et des images prenantes (Ie vent et les feuilles mortes, la porte), des repetitions signifiantes (ami, emporter), une image continuee empruntee aux travaux des champs (cler seme, feme, porri). Maintenant, plus de double sens : les mots sont rendus it leur plenitude sonore dans une sorte de lourdeur obsedante et repetitive qui voue Ie sens au hasard, au vent qui disperse les notions, mais qui rencontre les grands themes de cette poesie dont notre passage est en quelque sorte Ie microcosme. Dans ce monde dechu, l'amor est morte : plus d'amitie, ni de charite chre tienne. Monde a l'envers, betourne, ou Ie bien, dont les representants sont abandonnes a une solitude complete, est de tous cotes l'objet d'une guerre constante, dans un univers qui s'obscurcit (ce que symbolise la cecite progressive de l'auteur, rappelee par Ie mehain du corps) et que regit la seule loi de la jungle: comme Ie suggere (10) VOir notre ouvrage cite n. I, et en particulier I'etude Rutebeuf au 10 Camplainte du menestrel. (11) Cf.
14
notre etude citee ci-dessus.
1
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JEAN DL'FOl'HNET
TROIS
l'arbre effeuille, echo aux premiers vers de la Griesche d'hiver (12), on depouille de haut en bas de l'echelle sociale, on depouille de tout, des biens, de la sante, de l'amitie ; chacun est reclus dans sa maison, derriere sa porte fermee, voire cloue Ii son lit, sans communication avec sa femme (en l'autre lit) ni avec ses amis, sans que rien soit jamais stable, ballotte que ron est par les coups de vent. La versifi cation est a l'image de cette instabilite fondamentale : un quadri syllabe et deux octosyllabes sur la meme rime, mais jamais les trois vers qui riment ne constituent a eux seuls une meme phrase: ou bien - c'est Ie cas Ie plus frequent ils appartiennent a des phrases differentes (par exemple, vers 106-108, 109-111, etc.) ou bien, plus rarement, ils sont englobes dans des phrases plus vastes (par eXEm pIe, vers 87-91). Ce monde, enfin, est affuble de masques: la faus sete revet les apparences de la verite, les gens font Ie contraire de ce qu'ils disent, et surtout il n'y a plus d'amis ; mais, ce qui est pire, on est entoure de faux amis: l'hostilite prend Ie deguisement de l'amitie.
II. SUR LA STRUCTURE DES VINGT-ET-UN PREMIERS VERS DE RENART LE BESTOURNE Renars est mors : Renars est vis ! Renars est ors, Renars est viIs ! Et Renars regne ! Renars a moult regne el regne ; Bien i chevauche a lasche regne, Col estendu. L'en Ie devoit avoir pendu, Si com je l'avoie entendu, Mes non a voir : Par tens Ie porrez bien savoir. 11 est sires de tout I'avoir Mon seignor Noble, Et de la brie et du vingnoble. Renars fist en Costantinoble Bien ses aviaus ; Et en cases et en caviaus N'i Iaissa vaillant deus naviaus L'empereor, Ainz en fist povre pecheor. Par pou ne Ie fist pescheor Dedenz Ia mer.
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1'0t~lES
DE RFfEllEl'F
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faut y voir a la fois Ie nom or et l'adjectif ort, en sorte que la struc ture bipartite se complique d'un double sens : Renart a l'aspect de mais i1 recouvre vilenie et pourriture. Si l'on poursuit la lecture de ces vingt vers, on constate que Rutebeuf a utilise, avec une singuliere maitrise, toutes les possibili tes que lui offrait la binarite, soulignee d'ailleurs par l'emploi de deus dans la locution toute-faite vaillant deus naviaus : doublets qui ou bien s'opposent (au v. 13, brie et vingnoble ·comme nous Ie verrons plus loin) ou bien se renforcent, par exemple, au v. 13, cases et caviaus ; reprise du meme verbe au present et au passe compose: regne et a regne aux vers 3 et 4 ; reprise de deux formes de la meme declinaison dans un jeu subtil de contraste : sires et seignor aux vers 11 et 12 ;
jeu a la rime sur deux homonymes: pecheor et pescheor aux
vers 19 et 20.
A cette binarite s'ajoute immediatement Ie double sens, que manifeste des Ie second vers Ie mot ors et qui se poursuit avec l'em ploi de Uen le devoit avoir pendu « on pretendait qu'il avait ete pendu» et « il etait legitime qu'on l'elit pendu ", mais qui devient ecIatant avec les vers 13 et 20. Au vers 13, la BTie peut etre une terre pauvre (berrie) ou la terre de Simon de Brion ou de Brie, Ie legat du pape, ou, en relation avec Ie Roman de Renart, la Brie de la branche IX dans laquelle Renart reduit au servage Ie paysan Lietart. Des lors, Ie vignoble designera les plantations de vignes. ou la vigne du Seigneur, l'Eglise, ou la Champagne. Renart domino donc Ie royaume de France et les provinces avoisinantes. Quant au pescheor du vers 20, on peut l'interpreter soit seul, soit lie etroite ment au vers suivant Dedenz la mer. Seul, Ie mot, qui designe un des plus rudes metiers pour les gens du moyen age, evoque : en rapport avec Ie Roman de Renart, Ie malheureux pecheur que fut Isengrin, sot au point d'y Iaisser Ia queue et victime du goupil ; en rapport avec l'Evangile et Ia pratique religieuse, les pecheurs d'hommes: il s'en est fallu de peu que Noble, qui represente saint Louis, ne devint pretre ou moine; en rapport avec la legende du roi pecheur, un prince mutile, mehaignie de son corps.
1. Des que nous lisons les deux premiers vers de ce poeme, nous sommes frappes par leur structure bipartite, fondee sur la i'epetition du nom de Renart et sur l'opposition de ses qualifiants, ce qui est evident pour Ie vers 1 mais l'est moins pour Ie second ou ron a jusqu'a present decele en ors l'adjectif ort «repugnant », alors qu'i]
Mais il y a un jeu avec les mots qui suivent, par une plaisanterie a double detente, en sorte que l'on peut presenter ainsi les deux vers en question:
(12) Vers 1-3 : C~ntre Ie tens qu'arbre desfueille, ! Qu'it ne remaint en bran
pikheur au fond de la mer, c'est-a-dire noye au propre (comme saint Louis faillit l'etre en 1254), ou au figure, emporte par une bourrasque politique.
eke fueille I Qui n'aut a terre . . ,
Par pou ne Ie fist peschcor ...
Dedcnz Ia mer.
1 420
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TROIS por;,IES DE Hl.·TEBlTF
JEA>I DCFot'R>lET
Si a regne des lors el regne,
Et regnera et encor regne :
James a regner ne finra , ..
Bien plus, Rutebeuf est assez adroit pour suggerer dans ce debut Ia double tradition du Roman de Renart L'une, plus ancienne, ou Ie heros demeure, pour une large part, un goupil hante, col estendu, Ia Brie et Ie vignoble, et qui multiplie ses me faits et en cases et en caviaus. L'autre plus recente, ou l'anthropo morphisme l'emporte, faisant de Renart un sire qui chevauche a lasehe regne et brigue de remplacer l'empereur Noble a Constan tinople.
e
Sans doute cette modification est-elle rendue necessaire par la volonte de donner au texte une structure bipartite, mais il est inte ressant de remarquer qu'elle supprime Ie futur et permet de [aire une lecture plus optimiste du poeme, De meme, si Rutebeuf indique que Renart est sires de tout ~'avoir / MonseignoT Noble, il annule tard ce vers en appelant a l'aide Dieu Qui est sires de tout Ie monde (v. 149), tout comme il affirme que Ies conseillers malfai SaJ1tS avront la corde (v, 136), c'est-a-dire seront de parfaits corde liers, mais aussi, et de ce fait, seront pendus, Enfin, les animaux, allies pour Ie mal, finiront par se diviser si l'on en croit la tradition renardesque, et Ie bien a finalement quelque chance de triompher, comme dans Ie Dit d'Hypocrisie qui se termine ainsi (II) :
2. Mais pourquoi cette structure resolument binaire? Sans doute Rutebeuf reprend-il un schema que Ie Roman de Renart avait utjlise: ainsi avons-nous dans la branche IV, v. 25 (ed. Martin), Renart atret, Renart aeole, et en VII, 51, n prent a tort, il prent a droit, Mais il a surtout voulu signaler la cible qu'il visait dans cette continuation: la gent doubliere, comme il appelle les moines men diants dans la Complainte de Constantinople, au vel'S 143. Tout Ie passage apparait des lors comme une critique acerbe de leurs prati ques et de leurs ambitions: ils se pretendent morts au mande par leurs VCEUX de chastete, de pauvrete et d'obeissance, mais ils mani festent une redoutable vitalite en s'appropriant pouvoir et richpsse (vers 1); ils semblent purs et pieux, francs comme 1'0r, mais leur CCEur est rempli d'ordure (v. 2) : malgre tout, ils detiennent Ie DOU voir reel depuis longtemps (vel's 3-4) dans Ie royaume ou ils se sont implantes a une allure demoniaque (v. 5), col estendu, c'est-a-dire pleins d'avidite et d'ambition (v. 6). Ils dominent l'esprit et deter minent la politique de saint Louis et des grands (vers 11-13) , ils ant depouille Ie roi de ses biens qu'il leur distribue avec prodigalit(' (vel's. 14-15), ils l'ont amene a renoncer au luxe de son rang et de sa ronction (v, 19) ; ils ont meme failli faire de lui un moine precheur
« Hypocrisie a tant fait qu'elle s'est rendue maitresse d'une
grande partie de man pays d'origine (La France). De grands docteurs en droit, de grands theologiens, en cour de Rome, appar tiennent it sa suite. Et I'affaire etait ainsi engagee qu'elle dis po sait, pour une election, du plus grand nombre de voix, et j'affirme en connaissance de cause que, si 1'0n avait procede 11 un vote, elle aurait obtenu la seigneurie, elle n'eprouvait pa~ de doute it ce sujet. Mais Dieu considera Ie dommage qu'aurait subi Ie genre humain, si Hypocrisie avait reussi dans son entreprise et dispose d'une telle puissance. A quoi bon allonger mon discours et pro longer mes propos? Ils ne pouvaient pas se souffrir les uns Ie" aut res ; aussi commencerent-ils a proposer leurs suffrages a mon h6te Courtois. Tous l'accepterent avec une belle unanimitc. C'est ainsi que fut elu Courtois it rna plus grande joie ... »)
Le texte devient donc Ia figure du renversement, par lequel Rutebeuf, poete engage, veut etablir 1(' monde dans sa justice, sa verite et sa foi.
(v. 20).
De surcroit, il s'etablit un va-et-vient entre les deux couches semantiques, en sorte que, si Renart, Ie heros litteraire, est mort, Ie;; moines mendiants, ses heritiers, sont bien vivants.
IlL LA PAUVRETE RUTEBEUF I
3. Cette polyvalence d'un texte ou Ie temps et l'espace sont eclates, puisqu'il englobe la terre et la mer, la Brie et Constanti nople, Ie passe mythique de Renart et le futur proche des lecteurs, invite ceux-ci a ne pas en rester a une premiere impression, pessi miste, [ace a un univers ou Renart et ses heritiers semblent tout puissants, En effet, des les vel'S 3-4, l'attention est attiree sur la modification imposee par Rutebeuf a un schema traditionnel avait deja utilise ailleurs, dans la Voie de Paradis, aux vel'S 667-669, a propos d'Envie dont il dit :
Je ne sai par ou je coumance,
Tant ai de matyere abondance
Por parleir de ma povretei. Por Dieu vos pri. frans rois de France,
Que me doneiz queilque chevance,
8i fereiz trop grant charitei.
J'ai vescu de l'autrui chatei
Que hon m'a creli et prestei :
Or me faut chacuns de creance, C'om me seit povre et endetei ;
Vos raveiz hors dou reigne estei,
OU toute avoie m'atendance.
(13) Pour de plus amples details, se reporter a Part. cite n. 2. Sur les asso
nances equivoques en rapport avec Ie nom de Renart, voir R. Dragonetti,
La vie de La lettre au Moyen Aye (Le Conte du Graal) , Paris, Ie Seui!,
1980, p. 82.
3
6
9
12
(14) Nous citons d'apres notre traduction, Rutebeuj, Poesies, Paris, Cham pion, 1977, pp. 72-73,
J
422
JEA)I DCFOl:RNET TROIS POf:)lES DE RCTEI3EUF
423
II
Entre chier tens et rna mainie,
Qui n'est malade ne fain ie,
Ne m'ont laissie deniers ne gages.
Gent truis d'escondire arainie
Et de doneir mal enseignie :
Dou sien gardeir est chacuns sages.
Mars me ra fait de granz damages; Et vos, boens rois, en deus voiages M'aveiz bone gent esloignie, Et Ii lointains pelerinages
De Tunes, qui est leuz sauvages,
Et la male gent renole.
annominatifs dans la strophe 3 et la versification particuliere de Ia strophe 4, en rimes plates, alaI'S que les trois prccedentes sont cons truites sur Ie schema suivant : a a b a a b b b a b b a, ou enCOre: les deux premieres strophes sont univoques, les deux dernieres bour rees d'equivoques et de jeux de mots (l G). Poeme du paradoxe, de surcrolt, puisque Ie poete a de matyere abondance / Por parteir de sa povretei (vcrs 2-3) la penurie materielle signifie une abondance de materiau pour parler de cette penurie et que Ie denuement Ie plus profond s'exprime a travers la surabondance des moyens poeti ques.
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18 21 24
2. Cette piece est d'abord UNE RF~Qu:t<1TE, un discours cona.tif ceries, presente, comme d'autres, un bilan minutieux et sugges tif de la misere du menestrel, mais d'une maniere tout a fait origi nale et prenante, a l'interieur meme de l'reuvrc de Rutebeuf. Si la priere requiert I'utilisation de certaines formules, celles-ci ne sont pas utilisees de fac;on monotone, a en jugel' d'abord par les cinq adresses au roi. qui rythment Ie poeme avec beaucoup de diversite par leur place dans Ie vcrs et la strophe et 6voquent des aspects differents du destinataire qui, tous, doivent amener ce dernier a secourir Ie poete : la noblesse sociale et morale du prince (frans rois de France, v. 4) lui en font un devoir; sa bonte (boens rois, v. 20) doit etre touchee par un denuement si tragique ; sa pui.ssance (Granz rois, v. 25) lui donne les moyens d'etre charitable; enfin, les liens unissent les deux hommes, liens de vassalite suggeres par l'em ploi de sire a deux reprises (vers :33 et 37), constituent pour Ie suze rain une veritable obligation. Genereux, celui-ci sera fideIe a sa fonction royale et a sa foi (Por Dieu vos pri / ... Si fereiz trop grant charitei, vel'S 4 et 6).
III
Granz rois, s'il avient qu'a vos faille,
A touz ai ge faitH sanz faille.
Vivres me faut et est failliz ,
Nuns ne me tent, nuns ne me baille, Je touz de froit, de fain baaille, Dont je suis morz et maubailliz. Je suis sanz coutes et sanz liz,
N'a 5i povre jusqu'a Sanliz.
Sire, si ne sai quel part aille :
Mes costeiz connoit Ie pailliz.
Et liz de paille n'est pas liz,
Et en mon lit n'a fors la paille.
27 30
33
36
IV
Sire, je vos fais a savoir
Je n'ai de quoi do pain avoir.
A Paris suis entre touz biens,
Et n'i a nul qui i soit miens.
Prou ivai et si i preig pou ;
II m'i souvient plus de saint Pou
Qu'il ne fait de nul autre apotre.
Bien sal pater, ne sai qu'est notre,
Que Ii chiers tenz m 'a tot ostei,
Qu'il m'a si vuidie mon hostel
Que Ii credo m'est deveeiz,
Et je n'ai plus que vos veeiz (1.',).
Explicit.
39 42
Le poete flatte donc Ie roi, tout en l'obligeant veut rester digne de sa reputation.
45
a Ie
secourir, s'il
Le prince doit d'autant plus intervenir qu'il est responsable de la misere du pauvre menestret, puisque, par son absence, il a permis aux autres de faire la sourde oreille (vers 9-10), en ne donnant plus l'exemple et en lui manquant au moment Ie plus dramatique de sa vie:
48
Vos raveiz hors dou reigne estei, Ou toute avoie m'atendance (vers 11-12)
1. Ce qui seduit dans l'reuvre de Rutebeuf, c'es.t l'utilisation de structures poetiques fort differentes d'un poeme a l'autre, comme peut l'attester ce dernier exemple, celui de la Pauvrete Rutebeuf. Une premiere lecture nous convainc que ce poeme, fort bien compose avec un dernier vers (Et je n'ai plus que vos veeiz), repondant en echo au premier (Je ne sai par ou je commence), comporte des caracteres specifiques, tels que la densiie extraordinaire de jeux
(17).
Bien plus, il a entraine a sa suite les gens de creur (vers 20-21), crcant Ie vide autour' de Rutebeuf. Mais celui-ci prend un certain nombre de precautions oratoires, faisant en sorte que Ie roi ne se sente pas directement vise et ajou
a y revenir. les jeux semantiques sur saint Pou, l'ap6tre Paul et peu, et sur credo. la prlere et Ie credit, et les jeux sonores, comme au vers 41 prou ... preig pou. (17) La meme idee reappara!t aux vers 25-26, ce qui accroit la responsabilite du roi : .. , s'il avient qu'A VOS faille, / A TOUZ ai ge jailli sanz faille. (16) Par exemple, dans la strophe 4, pour ne pas avoir
(15) Nous
citons Ie texte d'apres l'edition Faral-Bastin ; pour la traduction, se reporter a notre volume Rutebeuj, 1. Poemes de L'intortune et poemes de La croisade, Paris, Champion, 1979, pp. 81-82.
J
1
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JEAN DCFOl'l\NET
tant que toute son esperance reposait entre les mains du prince _ maniere de Ie valoriser et de montrer combien il lui est indispen sable. Entre Ie comportement des autres et I'absence du roi, Rute beuf se contente d'une juxtaposition sans etablir une relation de cause a effet. De meme, apres les vers 20-21, il justifie les initiatives du prince par Ie rappel de la croisade de Tunis et de l'hostilite constante de la male gent reno~e, Ie vrai coupable. D'autre part, ii se fait subtilement pressant quand il ajoute une autre cause a sa misere, Mors me ra fait de granz damages (vel's 19) ; en effet, au jour de sa propre mort, qui sera celui de son jugement, Ie roi se verra demander des comptes sur sa charite. Cette intervention est rendue tragiquement necessaire car Ie poete s'enfonce dans une misere de plus en plus atroce. Les malheurs lui viennent de l'exterieur qui Ie separe des autres et Ie convainc de son impuissance: rappelons-nous Ie vel'S 57 du Ma;-iage Rutebeuf : La sui ou lemail met le coing. I.e voici separe des autres hommes, des bienfaiteurs (vers 21 et 22, avec Ie jeu d'esloignie et de lOintainz), des creanciers (vel's 9), des donneurs d'aum6nes (vers 15 et 28), isole dans une sorte de prison, une trame insaisissable que symbolise tout Ie jeu d'echos et d'annominations dont nous parlerons. Cette defail lance du monde exterieur s'aggrave jusqu'au plus profond du moi du poete. Cette pauvrete n'a pas de debut ni de fin. La parole du malheureux n'est pas ecoutee, ni a fortiori crue. La dette engendre l'endettement dans une sorte de cycle infernal. Les soucis domesti ques, la cherte de la vie vident sa bourse (vel's 13-15), sans que per sonne soit decide a l'aider (vers 16-18). Le manque se radicalise. La parole prend du poids, se dramatise dans Ie retour de faille. Au moment ou se multiplient les jeux annominatifs, Ie corps est atteint par la faim, par la maladie (Je tOllZ de froit, de fain baaille, v. 29), Ie voici a la mort (v. 30), Le denuement est total, et l'on peut mesu rer la distance qui separe ce poeme de la Complainte, puisque, dans celle-ci (vers 99-100), Rutebeuf ecrivait : Je me glsoie endementier
En l'autre lit,
alors que maintenant il nous dit: Je suis sanz coutes et sanz liz (v. 31). Surgit alors la poesie, la parole profonde ancree dans la concrete et imaginaire, que represente la paille (vers 35-36). Dans ce vide somptueux, Ie menestrel rep rend en charge sa pauvrete. Mais il descend encore plus bas. La coupure se fait plus radicaIe: seul a souffrir de la pauvrete au milieu de l'abondance (vel's 39-41), Ie Iangage lui echappe, devenu objet exterieur ; il ne sait plus ce que :representent certains mots: nostre, credo. A travers la pauvrete, la foi s'obscurcit, se degrade, sombre dans l'impossible, marquant pro fondement Ie Iangage, comme l'annom;ait la Complainte de Cons tantinople : Or porroit estre, se devlent,
Que la fol qui foible devient
Porroit changier nostre langage (vers 10-12).
TROIS
POf:~[ES
DE Rt:TEBElT
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La parole de foi fait defaut, la parole qui pourrait racheter. La parole du poete se retourne sur elle-meme: l'exterieur autrui, Dieu - ne n?pond pas et Iui renvoie implacablement son destin de malheur et de solitude. Mais Ie poete masque cette dangereuse desesperance par Ie jeu de mots. II reste que, Iorsqu'il ecrit : li credo m'est deveeiz (vel's 47), i1 nous signifie a Ja fois qu'il ne peut plus emprunter et qu'il ne peut plus prier ni croire a la bonte de Dieu. On passe ainsi d'un manque agissant au niveau social a un manque plus profond, au C02ur de 1'etre, qui se vide de ses raisons d'esperer. II n'est plus qu'une apparence miserable: Et je n'ai plus que vos veeiz (vel's 48). Le vide est terminal, il conclut Ie poeme, plus douloureux que dans la Complainte; c'est maintenant Ie vide du langage qui se scinde et interdit toute communication avec l'exte rieur. Triomphe du negatif, au dernier comme au premier vers, dans une repetition infinie que suggere Ie recours aux rimes plates dont la succession renvoie Ie sujet a lui-meme et renferme dans une structure sans fin ou des elements peuvent s'ajouter sans jamais lui donner un sens, Ie credo lui etant deveeiz. La chronologie s'abolit, car les elements se repercutent les uns contre les autres sans qu'il y ait plus de lien d'anteriorite. II faut remarquer que, dans cette requete, quand Rutebeuf evoque les causes de sa pauvrete, il ne parle que de facteurs qui lui sont exterieurs avarice et egolsme des riches (1~), chier tens et charges familiales, absences du roi et croisades, mort de ses bien faiteurs - alors que dans d'autres poemes intervenaient des ele ments plus personnels: passion du jeu, folie, mauvaise etoile (1 !I), etc. Le destinataire du poeme agit donc sur la themutique dans la mesure ou il oblige Ie poete a adapter Ies composantes de sa requete. Celle-ci, d'autre part, exige que la description de cet etat de denuement devienne hyperbolique, des Ie debut ou la mise en paral lele de la matiere abondante et de la pauvrete appartient a cc jeu d'oppositions si frequent chez Rulebeuf et, pour une part, ressortis sant a l'humour . , . avec un point culminant au vel'S 32 : N'a si povre jusqu'a Sanlis. En bref, tout repose sur une sorte de syllogisme implicite : Rute beuf a touche Ie fond de la misere ; or c'est a cause du roi parti pour Ia croisade ; donc Ie roi doit raider. Mais l'essentiel, pour Ie poete, est, tout en apitoyant, d'habiller sa requete de telle maniere qu'il montre au roi et a sa CaUl' qu'il ne demande pas seulement la charite, puisqu'en ecrivant, il a produit une maniere de chef-d'02uvre qui revele talent et travail, qui pro cure du plaisir, et qui, partant, merite retribution. La poesie inno cente Ia demande d'argent. Le poete n'est pas un parasite queman (18) Evoques aux vers 9-10, puis, de nouveau, aux vers 16-18. (19) Sur ce point, voir notre etude cltee n. 10.
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IE.\:\ Dl'FOCR:\ET
deur qui, a l'occasion, vend sa plume au plus offrant ; c'est un pro fessionnel de la parole, paye en tant que tel, en fonction du travail accompli; mais artisan de luxe, organisateur des plaisirs verbaux, il ne peut etre attache qu'a ceux dont la situation sociale permet ce luxe.
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3. La presence insistante de cette tragi que misere est renforcee par tout un jeu d'echos, a l'interieur du texte d'abord, ou se repon dent d'une strophe a l'autre sans parler pour l'instant des jeux annominatifs de Ia troisieme strophe des mots-cles comme pov~'e tei (v. 3) et povre (vers 10 et 32), nul (vers 27, 40 et 43), taut « man que» (vers 9 et 27) chiers tenz (vers 13 et 45), (je) ne sai (vcrs 1, 33 et Mais ce texte est aussi une sorte de microcosme, lourd, dans une extreme densit6, de tous les autres poemes consacn?s au meme sujet. Il suffit de quelques exemples pour s'en convaincr", : • laille du vers 104 de la Griesche d'hiver (Argent ou faille emporteras) s'epanouit dans les vers 25-27 ;
• la rime coste oste - oste «( hotel») de la Complainte Rute beul se retrouve dissocil,;e aux vers 34 (Mes costeiz connoit Ie pailliz) et 45-46 (Que Ii chiers tenz m'a tot ostei, / Qu'il m 'a si vuidie mon hostei) ; • creu du vers 8 rappeile Ie jeu de mots de la Griesche d'hiver, vers 102, Creus seras ; • la greche « Ia creche» du Mariage Rutebeu/ (vers 39) est a rapprocher des vers 34-36 consacres au lit de paille, it mettre aussi en rapport avec la Complainte, vers 100 : En l'autre lit ; • Ies gages du vers 15 appartient iI. une serie bien representee dans Ia Complainte, aux vers 13 (Je n'ai qu'engagi£r . .. ) et 92 (Mi gage sont tuit engagie) ;
• Ie vers 38, Je n'ai (ie quai do pain avoir, est une variante du vers 104 du Mariage ; Sovent n'i a ne pain ne paste; • au vers 7, J'ai vescu de l'autrui chatet est unc forme abregee de la Mort Rutebeuj (vers 19-20) ; J'ai toz jars engressie ma pance I D'autrui chatel, d'autrui substance ;
• les vers 19-24. enfin, restituent l'atmosphere des poemes de la Croisade (~(').
4. Mais au-debl de cette marche vers la d6possession totale qui coupe toute communication avec autrui (disparition des adjuvants possibles, eloignement du roil, au-dela de ces echos qui enserrent Ie poete dans sa misere, nous decouvrons, derriere Ie jeu des pronoms de la premiere personne du singulier, une autre realite, une struc ture plus profonde, En effet, que remarquons-nous? (20) A quoi il faudrait ajouter tout Ie reseau des oppositions; de matyere abondanc.e . '. ma povretei (vers 2-3) ; Gent truts d'escondire arainie J Et de doneir mal enseignie (vers 16-17) ; bone gent / mal,e gent (vers 21 et 24) ; A Paris suis entre touz biens, I Et n'i a nul qui i soit miens (vers 39-40) ; Prou i voi / et si i preig pou (vers 41),
THOlS l'OE~IES DE Hl:TFBElT
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• La premiere strophe comporte : trois emplois de je, deux de forme pleine au vers I, un de forme elidee au vers 7 : trois verbes a la premiere personne sans pronom exprime ; vers 2, 4 ot 12 ; quatre emplois de me aux vers 4, 7, 9 et 10, • Dans la strophe deux, Ie pronom je n'apparait pas du tout; un seul verbe iI. Ia premiere personne sans je au vers 16 ; trois emplois de me (vers 15, 19 et 21). • Dans Ia troisieme strophe, nouE. comptons quatre Je au vers 26 (011 il est postpose au verbe), aux vers 29, 30 et 31, aceu mules autour d'un vers comportant I'expression je suis mOTS; trois verbes sans je (vers 25, 29 et 33) ; trois me aux vers 27 et 28. • Entin, dans Ia derniere strophe, il y a trois je (vers 37, 38 et 48), cinq verbes sans je RUX vers 39, 41 et 44, quatre me aux vers 42, 45, 46 et 47,
Nous constatons que Ie je culmine dans la strophe trois au moment ou Ie poete se proclame mOTS et maubaiUiz. Que signifie ce fait? Pour l'expliquer, il convient de regarder de pres cette strophe qui, a notre avis, revele la signification profonde de ce poeme. C'est Ia plus riche, la plus poetique (a coup sur, pour les gens du moyen age), la plus signifiante par Ie travail alliteratif remar quable d'intensit6 et d'obstination el). Que l'on en • Tout au long, nous retrouvons Ia syllabe -uill- ; Ies trois pre miers vers sont construits autour de mots de Ia famille de taillir; les trois derniers jouent sur pailliz, decompose en paille et lit ; iI. quoi il faut ajouter la repetition de nuns ne me au vcrs 28, de sans au vers 31, les rimes baille et baaille (vers 28-29), sanz liz et Sanliz (vers 31-32), sans parler des alliterations.
Ce travail vise a evoquer Ie vide par Ie retour incessant des memes sonorites. Le poeme resonne comme une cloche, comme une sphere vide. Image du monde resonnant, simple coquille a l'interieur de laquelle Ie poete est Les mots, vides de leur sens, s'alourdis sent, matiere qui s'emancipe. Tout se resserre au profit de la syllabe -aill- qui rencontre des mots comme ate « aide, secours », et interjection de la douleur. La strophe est ainsi traverse'e d'une lita nie de cris, De surcroit, cette strophe, qui est tout entiere consacree a la pauvrete de Rutebeuf au contraire des deux premieres et qui, tout au long, est assonancee en -ailL-, cette strophe au creur de laquelle apparalt la mort du poete, est charg6e d'une tres forte negativite a quoi tout concourt : adverbes, pronoms et prEpositions comme ntms
(21) La fonJtion phatique du Iangage se double done d'une fonetion poetique dans Ie sens que Sartre et les hnguistes attribuent au terme. « Les poetes, note Sartre, sont des hommes qui refusent d'utiliser Ie Iangage (... ). Le poete s'est retire d'un seul eoup du langage-instrument ; il a choisi une fois pour toutes I'attitude poetique qui considcre les mots comme des choses et non comme des signes» (Qu'est-ce quf', la littem ture? Paris, Gallimard, 1948, p. 18).
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IWFOCH~ET
ne . .. (2 fois), n'a, ne sai, n'est pas, n'a ,fors, sanz (3 fois) ; mots a tonalite negative: faille et sa famille, froid et faim, mors et mau bailliz, povre, paille . .. Ce lieu n'est pas habitable: liz de paille n'est pas liz (v. 35), et pourtant c'est la que nalt la poesie, dans Ie vide, dans la disparition de tout. La pauvrete se creuse, jusqu'a la beance de l'etre qui laisse echapper les mots et la pensce, Ce lit de paille, s'il evoque la pau vrete, rappelle aussi Ia creche de Bethleem, OU naquit Ie Christ, Ie Verbe, Naissance douloureuse dans la chair du Iangage: Rutebeuf est crucifie par la pauvrete, c'est ce qui lui permet d'etre 11 (re)trouve son etre dans la mort au monde, en explorant les limites du langage, lil OU il n'existe pas de certitude, lil OU menace la perte de sens, La poesie, apparait a travers des images fortes et sim ples, riches de valeur symbolique, eclate dans cette evocation de la paille, tout a la fois richesse et, opposee au grain, ce qui reste de la Ie lot des pauvres, une pietre protection Que Ie vent em porte, tout comme les assonances en -aill- ne retiennent pas Ie sens de cette stronhe mais l'eparpillent au gre dE'S sonorites, Dans cette strophe qui constitue Ie sommet du poeme aussi bien dans l'evocation de la misere (je sui mors, dit Ie poete) que par la densite poetique et la richesse symbolique, on passe d'un sur la faille, Ie manque, notion abstraite, il une image simple, qui remplit l'espace: Ia paille, comme les feuilles mortes dans la Complainte, eclate, rayonne, se disperse. Sa couleur rappelle Ie soleil, les rayons du soleiL Naissance divine de Ia poesie a travers Ie manque et Ie depouillement ; decouverte de la richesse spirituelle et poetique par la pauvrete. Mais la paille est chemin vers Ie vide, declin du soleil. N'est-ce pas un feu ephemere, un eclair mystique et poetique qui echappe aussitot au poete? Le langage se retourne contre lui, il Ie separe de lui-meme. La fin de la Pauvrete retrouve Ie debut. • li chiers tens (v. 45) I Entre chier tens (v. 13) • Ii credo nt'est deveeiz (v. 47) ;' Or me jout chacuns de creance (v. 9) ;
• Et 1e n'ai plus
(v.
48) I Je ne sai
(v.
1).
La parole la plus simple, celle des prieres elecmentaires, lui echappe, se brise dans sa bouche. De la, une versification differente dans la derniere strophe, ouverte en une sorte de litanie sans 'cesse reprise: Ie poeme ne se clOt pas avec Ie dernier vers, il semble soumis a un mouvement repetitif qui Ie deconstruit, disque raye qui n'en finit plus de tourner. Mais Ie jongleur n'est plus Ie meme ; il s'est rechauffe un instant au feu de Ia vraie realite dont il reste un poeme, et il a retrouve l'etre, meme si tout continue de lui echapper. Paris,
Jean DUFOURNET
Sur Ie huitain XIV du Lais de
Fran~ois
Villon
Comme on sait, nous possedons depuis quelques annees un Villon a visage nouveau, dO. a un long et minutieux travail de collaboration des medievistes Albert Henry et Jean Rychner, ante rieurement connus par des travaux qui ont fait date. Texte et commentaire (du Testament d'abord 1974], Commentaire du T. [Cl] la meme annee, Texte du Lais et Poemes varies [L. 1977] et Commentaire du Lais et des Poemes varies rC~l de la meme annee utilisent naturel1ement les travaux de leurs predecesseurs, corrigent sur des points si nombreux et avec une telle bilite que Ie lecteur Ie plus souvent se borne it les suivre. Non point qu'ils aient dissimule les difficultes qui subsistent, et sur maint passage ils disent leurs hb;itations, Ie caractere hypothetique de leurs solutions, et parfois ils avouent franchement qu'ils ne savent pas. C'est de Ia grande philologie, qui Iaisse la porte ouverte a de nouvelles recherches sur la Iancee et dans Ia ligne meme de celles ont eux-memes conduites avec un evident bonheur. On voudrait iei soumettre a Ia loupe Ie huitain XIV du Lais, situe au milieu des trois huitains consacres par Villon ii Maistre Robert Valee, son camarade d'Nudes, maitre es-arts comme lui, procureur au Parlement et allie a de riches familIes de bourgeois de Paris. lei comme ailleurs Villon use ironiquement de en laissant supposer mais Ie lecteur n'est pas dupe -- que Robert Valee n'est qu'un pauvre clergeon de Parlement (h. XIII), depourvu de memoire (c'est-ii-dire d'intelligence pratique, d. v. 284); et il legue a son ami trois dons it raison d'un par strophe: ses braies, un Art de memoire, Ie produit de la vente de son haubert pour s'acheter une modeste echoppe d'ecrivain public au nanc d'une eglise, C'est sur Ie huitain median Ch. XIV) que nous voudrions attirer a nouveau l'attention, I1 recele un certain nombre de difficultes de vocabulaire et de syntaxe, dont Ia levee dans un sens ou dans l'autre oriente naturellement l'interpretation. L'helleniste Paul Collomp disait dans son seminaire strasbourgeois que pour les passages difficiles Ie test de controle Ie plus sur etait Ia traduction integrale, revelatrice it la fois des lacunes et des incoherences de I'exegese. A. Lanly (Traduction des 0?1wres de F, Villon, t. I, Paris, 1969) a eu Ie courage couru du meme coup Ie risque) de presenter une traduction integrale du Lais, appuyee sur les commentaires ante rieurs ii celui de Henry-Rychner. La void pour Ie huitain XIV, sur Ie texte a peine modi fie de l'edition Longnon-Foulet (4 e ed., 1932) :
430
p,\\'I. DillS
est de lieu honneste, soit mieulx recompense, Car Ie Saint Esperit I'admoneste, ObstanL ce qu'i! est insens6 ; Pour ce, je me suis pourpense. Puis qu'il n'a sens ne qu'une aulmoire, A recouvrer sur Maupense,
QU'on lui baille I'Art de Memoire. (vv. 105-112 )
Parce qu'il est de milieu honorable, iI faut qu'il reo;oive un legs plus
considerable : que Ie Saint-Esprit I'inspire donc, puisqu'iJ manque d'intelligence; aussi m'est-il venu it I'idee, en y reflechissant, que, puisqu'i! n'a pas plus de sens qu'une armoire,
on lui donne I'Art de Memoire it prendre chez Malpense.
Le texte de l'E§dition Henry-Rychner differe a peine: un point au lieu d'un point-virgule apres insense, de au lieu de a recouvrer, Mal Pense ecrit en deux mots, une virgule apres baille. La traduc tion devrait donc etre sensiblement la meme. Or Ie commen taire de H.-R. les ecarts sont nombreux, et parfois graves. Voici ce que cela donne, en modifiant Ia traduction d'A. Lanly d'apr~~s C~ (nous soulignons Ies differences qui Concernent Ie sen:>, et pla<;ons entre crochets Ies interpretations suggerees par C~) : Parce qu'jJ est d'un milieu honorable, iJ faut qU'i1 soit plus genereusement dedommage,
car Ie Saint-Esprit prescrit de Ie jaire,
vu qu'i1 LIe legataire] est depourvu de sens [= aussi cens, « intel ligence », mais aussi « rentes »1. Aussi me suis-je decide, apres mure reflex ion, puisqu'i! n'a pas plus de sens lcens, revenusl qU'un cOfjre, de me procurer chez Mal Pense, a/in qu'on Ie lui remette, l'Art de memoire.
2 - La premiere et principale difference entre les deux ver
sions porte sur Ie v. 107 : Car Ie Saint EspeTit l'admoneste. La tradi suivie par A. Lanly, faisait de adrnoneste un subjonctif exhor tatif (renforce par car), de l' un pronom masculin se rapportant a Robert Valee, et traduisait adrnoneste par « cc1aire », comme s'il s'agissait d'un ou de plusieurs dons du Saint-Esprit (de ceux d'intelligence, de conseil, de sagesse et de science; d. St Thomas d'Aquin, Sornme theologique, ra, II"", Quest. 68, art. 4) remcdiant a l'absence d'inte1ligence ironiquement suppo;;;ee par V. chez son lega taire. C2 note a juste titre que Ie sens d'« inspirer quelqu'un ') n'est pas connu pour Ie verbe a(d)monester, alors que celui ~e «prescrire quelque chose a quelqu'un » est bien atteste, Ie complement indirect d{!Signant la personne visee et Ie complement d'objet etant toujours dans ce cas un nom de chose (la chose a faire !) ou un pronom neutre se rapportant au syntagme (verbal) et exprimant ce qui est a faire (I). Et C2 de citeI' comme exemple Ie v. 18374 de la Passion de Jean MicheL (cd. Jodogne) : faison ce que Ia loy nous adrnonneste. En (1) Lorsque
Ie complement d'objet designe une personne, Ie sens du verbe est « informer» (d'une nouvelle) et dans ce cas, s'il y a une proposition comphHive, son verbe est a l'indicatif ; cf. p. ex. Passion de Jean Michel
1
St;R I.E lIUT.\IX XI\' DC L.I/8 DE FR.\:XCOIS YlLLOX
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VOlCl un autre, ou Ie complement d'objet est Ie pronom personnel neutre comme chez V. : ... je te pri ... que tu mainteingnes honneste, je Ie t'ay ja amoneste (G. de Machaut, Con fort d'arni, v. 3607). II est vrai que 1'on rencontre rarement des exemples ou, comme dans Ie vel'S de V. et en raison de la genel'alite de la prescription, Ie comple ment indirect de la personne reste inexprime; en voici un, tire de la Passion de Jean Michel (ed. Jodogne), v, 15262 : et son petit faon [« anon »] la [l'anesse] suyvra, comrne Nature I'amonneste. L'interpretation proposee par C~ ne fait donc pas l'ombre d'un do ute. Elle est corroboree par Ie contexte ou Ie verbe a(d)moneste'f ains! construit s'emploie. Le sujet est generalemcnt une entite de nature religieuse ou morale (prophete, pape, nature, amour, espe rance, honneur, etc.) qui a autorite et pouvoir pour imposer un comportement; lorsqu'un verbe lui est adjoint en maniere de dou blet (dans la construction usuelle verbe + verbe quasi-synonyme), ce verbe exprime Ie plus souvent un mouvement de la volonte ou une idee d'obligation: aiguillonner, conjurer, devoir, vouloir. D'ou non pas Ie sens de "consei1ler, exhorter)} frequemment donne par les Iexicographes, mais "prescrire)} selon Ill. traduction de C~; on pourrait traduire aussi par «demander», qui reserve, comme c'est generalement Ie cas, la possibilite d'un re£us ; ou par y obliger, pour marquer un devoir de conscience; ou «enjoindre », Ie caractere imperieux et precis de la demande. Quoi qu'il en soit de la nuance exacte du sens (Villon connait sa langue comme peu d'ecrivains avant lui), voici du meme coup car rendu a sa valeur logique de conjonction explicative, et nous sommes donc en presence d'un raisonnement en bonne forme: une premiere proposition causale (Pour ce qu'il est Ie lieu honneste), qui l'attribution a Eobert Valee d'un deuxiem€ ' legs, idee expri mee par la proposition principale (Faut qu'il soit mieulx recom pense), puis une deuxieme proposition causale introduite par C(L'f, et destinee a justifier faut du vel'S precedent: non sculement Ie supple ment est un droit humain d0. a l'honnetete, mais encore c'est une obligation spirituelle imposee par Ie Saint-Esprit.
(ed. Jodogne), v. 29147 . Mon couraige l« CCBur »] m'amonneste que la chose c'est mal conduite ; ou, s'il y a intention-volition tet que donc Ie verbe est suivi de de -;- in/initiJ ou d'une proposition completive au subjonctif), Ie sens est {( demander, exhorter », exacwment comme lorsque Ie verbe dire et ses congeneres deviennent volitifs; cf. par exemple : Jhesucrist . .. par sa parolle divine vouloit adrecier ({( instruire ») les juifz ... en ... les admonnestant de croyre en Iuy (Thomas WALLEYS, Ovide moralise en pros.e, ms. du XV's., in P. RICKARD, Cftrestomathie de la langue jranr,:aise au XV' steele, Cambridge, 1976, p. 203). Et derechef admonnestee qu'elle [Jeanne] jurast. " de dire verite de tout ce qui seroit demande (Herum requisivimus quod iuraret) (Proces de Con damnation de Jeanne d'Arc, Paris, 1960, t. I, p. 45). Inutile de preciser que cette constrUction n'est pas celIe que suppose Ie vers de V.' Ie Saint-Esprit n'est pas cense donner des ordres au H\gataire de V.
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3 C2 ne dit pas a quelle action precise du Saint-Esprit Villon fait ici allusion. Or cette precision nous parait necessaire pour la coherence de la pensee, et, comme on verra, en raison aussi du vers suivant (Obstant ce qu'il est insense). Aucun passage parallele de l'ceuvre de V. ne permet d'expUciter d'emblee raction incitative que V. attribue iei a l'Esprit-Saint (en Lais, v. 66 et en Testament, v. 796, l'Esprit-Saint est seulement mentionne comme iroisieme personne de la Trinite dans la formule Au nom du Pere, etc.). Nous pensons que par Saint-Esprit il faut entendre ici l'Ecriture Sainte. Celle-ei, explique Saint Thomas (Somme theologique, 1", Quest. I, art. 10) a pour auteur Dieu : auctor sacrae Scripturae est Deus. CeUe doctrine a ete formulee plus explieitement par saint Augustin dans son traite De doctrina christiana, ou l'Ecriture Sainte est en raison de son origine souvent appeh3e Scripturae divinae (par exemple Prologue, 2 et 5 ; II, 62 ; III, 38, 39, etc.). Seion saint Augustin, les ecrivains sacres sont les instruments par lesquels l'Esprit-Saint agit pour traduire Ie message divin, cf. op. cit., III, 38 : ... auctoris, per quem Scripturam illam [ce passage de l'Ecriture] sanctus operatus est Spiritus; ... Dei Spiritus, qui per eum [auctorem] haec operatus est e) ... Dire donc que Ie Saint-Esprit admoneste » que1que chose, c'est la meme chose que dire que l'Ecriture l' « admo neste ». Encore faudrait-il pouvoir preciser Ie ou les passages de l'Ecri ture auxqueis V. fait allusion. Nous avons pu constater ailleurs que V. avait une certaine familiarite avec Ies livres sapientiaux de la Bible, ceux qui precisement ont pour objet de formuler preceptes, injonctions, regles de conduite, a savoir notamment Ie Liure des Proverbes (Pr.) et l'Ecclesiastique (Eccl.). Ce dernier commence par un eloge de la Sagesse, premiere nee de toutes les creatures de Dieu, que Dieu crea in spiritu sancto (Eccl. I, 9). Mais Ic precepte d'aumone et plus specialement de secours a l'indigent est repandu un peu partout dans la Bible (I). Ainsi on lit au Deuteronome, XV, 11 : ... praecipio tibi [dit la Loi], ut aperias manum fratri tuo egeno et pauperi qui tecum versatur in terra.
L'Ecc!esiastique demande que l'on soit genereux envers tous les pauvres: propter mandatum [({ selon Ie commandement»] assume pauperem, et propter inopiam ejus ne dimittas eum uacuum (XXIX,
(2) On sait que cette doctrine est une extension de la deuxieme Epitre de Saint-Pierre, I, 21... Spiritu Sancto inspirati locuti sunt sancti Dei homines [il s'agit des prophetes]. (3) Cf. Paul IMBS, Notes sur quelques huitains du Testament de Villon, in Melanges Jean Rychner, Strasbourg, 1978, pp. 229-240. (4) En saine philologie medievale, la Bible qui compte est la Vulgate latine, qui parfois diverge, par Ie detail du texte ou des references, des Bibles nouvellement traduites sur l'original hebreu ou grec.
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12). On donnera en particulier a un ami: ante mortem (41)1") benefac amico tuo (XIV, 13). On lui donnera aussi de son argent: perde pecuniam propter fratrem et amicum tuum (XXIX, 3). Mais on agira avec discernement et seul Ie juste, l'hommc de bien, a droit a I'au mane: Si benefeceris, scito cui feceris ... Benefic justo ... Da bono (XII, 1 ss); Ie pecheur n'y a pas droit: et non receperis peccato
rem . .., non dederis impio (ibid.). Tout se passe comme si V. avait distribw? les preceptes formules par l'Ecclesiastique (dont il n'avait pas neccssairement garde un souvenir strictement conforme it la lettre du texte) selon Ies trois strophes ou il s'occupe de Robert VaJee : dans Ie huitain XIII il lui attribue un legs en tant qu'll s'agit d'un pauvre (povre clergon, v. 98); Ie huitain XIV Ie privilegie en tant qu'il est sinon person nellement, du moins d'un milieu, d'une famille honnete (de lieu honneste, v. 105); dans Ie troisieme huitain enfin n est question d'une somme d'argent a depcnser au profit du legataire (v. 117) pour assigner sa vie (v. 113) « lui donner les moyens de subsister» scIon C2, ce qui pourrait correspondre au assume [« prends en charge »] pauperem de l'Eccl., XXIX, 12.
4 - Reste Ie vers 108 Obstant ce qu'il est insense, qui fait difficulte pour Ie sens et pour sa place dans Ie raisonnement de V. Car il y a raisonnement, et V. connait sa logique comme il connait sa langue: tout son art est d'utiliser rune et I'autre, correctement employees, pour enonccr des invraisemblances et faire rire un audi toire difficile de c1ercs formes et informes (selon les disciplines du sieele) ; on doit meme dire qu'il est essentiel, pour Ie succes de son entreprise burlesque, que les formes de la pensee et de son expres sion soient respectees aussi integralement que possible, la correction formelle etant Ie point de depart indispensable pour les jeux de pensee et de mots auxquels Ie poete entend librement s'abandonner. Aucune difficulte pour Ie mot insense, dont ce passage de Villon (chez qui l'on ne rencontre que ce seul exemple) represente, jusqu'a plus ample informe, la plus aneienne attestation bien datee ("). Son origine ne fait pas de doute : Ie mot est la francisation du latin de la (4 bis) Et done eventuellement par testament! Rappelons a ee propos Je passage de I'Ecc/esiastique, XXXIII, 24 que nous avons cite dans notre precedente etude sur Villon (cf. supra n. 3) : In die consummationis dierum vita.e tuae, et in tempore exitus tui, distribue hereditatem tuam. (5) Le mystere du Vieil Testament (ed. SATF) possMe deux exemples sous la forme incense au v. 3421, inssense au v. 6449. Mais la date de ee mys
tere est mal assuree : entre 1450 et 1460 ; 1458 Ie plus souvent (informa tion donnee par l'ILF de Nancy). - Rappelons que Villon (Lais, huitains I et II) donne comme date de son poeme Sur Ie Noel 1456.
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P,ll'L DIBS
Vulgate insensatus (1;), atteste dans Ie Livre de la Sagesse, XII, 24-5 : in erroris via diutius erraverunt [les EgyptiensJ, deos aestimantes haec quae in animalibus sunt supervacua [<, meprisables "L inCantium insensatorum more viventes. Propter hoc tanquam pueris insensatis judicium in derisum [« en derision ,,] dedisti [en parlant aDieu]. Cf. encore ibid., XV, 5: aspectus [d'une statue de dieu egypUen] insensato dat concupiscentiam. Le sens ne fait pas de doute. pas que Ie contexte. Le mot appartient au vocabulaire religieux, et Villon s'est con forme a. cet emploi des LivTes Sapientiaux : l'insense designe l'homme qui ne possede pas la sagesse, c'est-a.-dire les prin cipes memes de la morale et de Ia spiritualite judai'que (et chretienne pour un lecteur medieval). Plus dericat a. cerner est Ie sens et I'emploi de la locution con jonctive obstant ce que. A. Lanly, on l'a vu, enregistrant la tradi tion, traduit par puisque ; C~ Ie rend par Vl( que et justific ce sens par Ie mode indicatif du verbe (cf. Cl du Testament. v. 43). Mais alors quel est Ie rapport Iogique de ce vcrs avec la phrase ou les editeurs Ie placent? Parce que Ie legataire est d'un milieu hono rable, il doit recevoir un meilleur cadeau [que d'autres ou quP le precedent] ; et cela parce qu'il est prive d'inielligence)}. II y aurait donc une deuxieme raison a ce surplus d'heritage? Si l'on veut maintenir Ie sens de pnisque, vu que, il vaudraii mieux grouper ce vers avec les vers 108-112, auxquels il fourniraii une justification. Mais alors il ferait double emploi avec Ie vel'S 110: « Puisqu'il n'a pas plus d'inieJIigence qu'une armoire» ; or Villon ne nous a pas habitues a de telles redondances. Mais a-t-on Ie droit de traduire obstant que par puisque» ou «vu que))? On n'a pas remargl1e, semble-t-il, que dans tous les exemples connus (d. Godefroy, s.v.), Iorsque obstant (ce) que est construit avec un verbe non la proposition qui lui sert de est a la forme negative ou contient une idee negative; la formuIe, d'origine juridique (langue des actes pontificaux), servait a. designer les obstacles qui font que quelque chose ne peut pas avoir lieu; c'est Ie cas dans la phrase de .Jean Chartier dtee par C2 : ne povoient plus tenir ladite ville, obstant (ce) qu'il [« l'obstacle etant que »] il y avoit faulte d'argent pour paier les souldoiers. I'u que traduit cetie valeur de obstant (ce) que affaiblit serieusement la force de ce1ui-ci (1). Le contraire sensatus est egalement atteste dans la Vulgate, p. ex. Eccle siastique, XXXVI, 21 : CO?' sensatum, et surtout dans Ie livre des Parali pomEmes, II, I, 11 : Deus dedit David regi filium sapientem, et eruditum, et sensatum, atque prudentem, ut aedificaret domun Domino et palatium sibi. (7) La construction de la principale et Ie sens du subordonnant sont les memes si obstant (devenant participe cireonstaneiel et pouvant done s'aeeorder) est suivi d'un substantif. Cf. Za Passion de Jean Michel (ed. Jodogne) v. 13072: [Jesus parle] Mes amys ... en Tien ne me vouies croyre, obstans voz reprouves mesfais.
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Lorsque la proposition servant de prindpale est affirmative, comme c'est Ie cas pour Ie v. 108 du Lais, obstant (ce) que devient concessif, l'idee concessive etant seulement suggcree par Ie contexte, mais Ie plus souvent explicitee par non, comme dans Ie vel'S 876 du Testament (Ballade pour pTier NostTe Dame) : que comprinse soye entre voz esleuz, ce non obstant qu'oncques Tiens ne vaLuz ; Ie verbe subordonne pouvant etre a l'indicatif ou au subjonctif. On peut paraphraser obstant (ce) que + indicatif ou subjonctij par: «y ayant [seulemenq comme obstacle Ie fait que .. , let qu'on pour-ra donc negligerl » ; d'ou l'idee voisine exprimee plus claire ment par non-obstant, qui insiste sur la non-consideration de l'obsta cle, ce qui se traduit en franGais moderne r;ar quoique. La rarete d'obstant (ce) que avec cette valeur indique sans doute que c'est finalement la mesure du vel'S qui decide de son choix Mais s'il en est ainsi, Ie v. 108 rep rend sa place logique avec les trois premiers vers du huitain: on pourra attribuer ceUe aumone supplementaire a Robert Valee malgrc son etat d'insense (H), l'in sense ctant pour les livres sapientiaux (et pour Ie Saint-Esprit, leur auteur) celui qui precisement devrait etre excIu de Ia generosite du donateur. En d'autres iermes, Villon joue sans doute ici sur trois sens de insense : 1" Ie mot Ie non-suge, c'est-a.-dire Ie pecheur (Robert Valee a une maitresse, cf. v. 104) par Ies Iivres sapientiaux de la Bible, 2" l'homme sans intelligence, sans (en realite tres intelligent), a. qui est destinl'> l'Art de memoire, :3" l'homme qui n'a pas de cens (pas de revenus ; d. Ia graphie incense des mss. BF et cens note sans au v. 222 du Lais et au v. 1:310 du Testament; on sait que Ies variantes c et s sont courantes en moyen franc;ais). Villon se rev(:lerait ainsi, la comme ailleurs, a la fois un excel lent 1emoin de la culture biblique de son temps ou du moins de son un maitre de la langue de cette periode troublee ou peut-etre seule la langue est restee un instrument aussi solide que souple, et naturellement l'humoriste tour a tour cruel ou indulgent (plus indulgent que cruel dans ce passage) qui a fait son renom.
Nancy.
Paul IMBS
«(»)
(8) A
moins que Ie rapport implicite soit seulement d'opposition-restriction .
« y ayant [cependant] ... ».
a remplacer par: « sauf compte de son etat d 'insense ... auquel cas ce sl.i.pplement serait impossible ».
(9) Ce qui, dans l'hypothese de Ia note (8), serait
a tenir
LA RIME DANS LA POESIE DE MALLARME. Maitrise et depassement d'une technique Les observateurs les plus attentifs de la technique du vers chez Mallarme s'accordent pour souligner Ie caractere traditionnel de sa met rique. C'est Ie cas de Jacques Scherer comme c'etait Ie cas d'Albert Thibaudet (1). Et il est de fait qu'une stricte orthodoxie parnassienne demeure Ie trait Ie plus marquant de sa pratique des formes versifiees. Mais, dans Ie temps meme ou cette pratique atteint dans l'reuvre Ie maximum de rigueur, on ne laisse pas d'observer, dans la reflexion du poete (2), un large esprit d'ouverture a l'egard des techniques nouvelles, dont les promoteurs sont au surplus ses disciples. En sorte qu'on peut se demander si ne se trouve pas deja dans sa creation, et au sein meme de cette ortho doxie, l'amorce d'une evolution des formes dont il se declare d'autre part Ie temoin, somme toute, bienveillant. On pourrait pren dre l'exemple de la desarticulation du vel'S, du compte prosodique des syllabes caduques, de la disposition typographique, du demon tage du metre en elements autonomes. On retiendra iei celui de la rime.
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Mallarme ne con<;oit pas, du moins pour son usage personnel, la poesie autrement que rimee, se conformant en cela aux principes de l'ecole parnassienne, tels qu'ils sont enonces notamment dans Ie Petit Traite de poesie jranc;aise de Banville celui auquel voudra s'opposer, a la meme epoque, sur Ie chapitre de la rime, Ie cel(~bre
n-
(1) Jacques Scherer, L'expression litteraire dans l'ceuvre de Mallarme. Paris, Droz. 1947, pp. 197 sq. rd. Grammaire de Mallarme, Paris, Nlzet. 1977. pp. 218 sq. Albert Thibaudet, La Poesie de Stephan.e Mallarme, Paris, Gallimard, 10c ed. 1938, pp. 238 sq. (2) Voir pour cela les appreciations sur les recherches vers-librlstes portees, pass., dans l'essai sur La Musique et les lettres (Paris, Perrin, 1895), dans les Divagations (Paris. Fasquelle, 1897), dans le compte rendu d'entretiens fourni par Jules Huret sous le titre Enquete sur l'ez;olution litteraire (Paris, Charpentier, 1891) et dans Ie resume de synthese qU'cn donne Thlbaudet, op. cit., it la fin du chapitre qu'il consacre au vers de Mallarme. (3) Theodore de Banville, Petit Traite de poesie franiiaise, Paris, Charpen tier, 1872.
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Art poetique" de Verlaine (<< Oil! qui dira res torts de La rime? d'ailleurs lui-meme sur ce point boutade de circonstance plus que traduction d'une pratique. En In matiere Mallarme a tranche une fois pour toutes : c'est Banville qu'il suit. La rime exerce en effet chez lui une triple fonction : fonction esthetique, par l'accomplisse ment, qU'elle parfait, du rHuel poetique; fonction creatrice, par {( I'initiative » que, selon sa formule celebre, elle laisse aux mots createurs de pensces par Ie jeu des associations que ses apparie ments suggerent; fonction motrice enfin par !'impulsion qu'elle donne au mouvement du pm'me du fait meme de 1'obligation d'accoupler les vel's. «
C'est d'abord un soud d'esthetique tout parnassien qui conduit Mallarme a. rimer richement, subtilement, parfois meme acrobati quement. Dans l'ordre phonique, sa poesie ne presente presque jamais de rimes « pauvres », c'est-a.-dire reduites a. 1'homophonie de la seule voyelle tonique en finale absolue de vel'S (type: rcpOs/ herOs) C'). Et l'on signalera a. cet egaI'd Ie caractel'e tres exceptionnel de la rime centrale des quatrains du sonnet Le Pitre chatie, Oll les rimes du premier quatrain: Autre que l'histTion qui du geste evoquais Cornme plume la suie ignoble des quinquels,
qui, teIles queUes, vont bien ensemble, ne re<;oivent qu'un echo affaibli dans Ie second: A bonds multiplies, reniant Ie mauvais Hamlet; c'est comme si dans l'ondc j'innovais
avec les rimes mauvais/innovais, qui vont bien ensemble aussi, mais moins bien avec les precedentes, puisque, si les rimes de chaque paire ont en commun la voyelle finale et la consonne d'appui (-QU AIs/-QUEts d'une part, - VA ls/-V Als d'autre part), les deux paires n'ont en commun que la seule voyelle tonique. Et encore s'agit-il lci d'un flechissement de qualite dans les correspondances d'ensemble, non de detail. Simple cas d'espece, au demeurant. Les rimes de Mallarme, qu'elles soient d'ensemble ou de detail, sont fondees au moins sur deux homophonies, souvent sur trois ou meme davantage, assurant une ferme cohesion sonore aux couples Oil series qu'elles constituent. II y a meme plus. Les vers de Mallarme sont de ceux qui font remonter Ie plus frequemment leurs homo·, phonies au-dela de la derniere syllabe, presentant ainsi une forte proportion de ces rimes que la terminologie technique appelle « leonines » (c'est-ii-dire ('~tendues sur plus d'une syllabe), comme c'est Ie cas dans la premiere strophe du Cantiqlle de Saint-Jean: Aussit{)t reDESCEND IncanDESCENT
(4) Divagations, p. 246.
(5) Les phonemes, lettres, syllabes ou mots objets d'observations particu lieres sont presentes en capitales.
1
L\ RDIE CHEZ
~L\LLAH""::
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ou au debut du dialogue d'Herodiade : ReCULEZ. Le blond torrl?nt de mes cheveux immaCUL1fJS.
Souvent meme la rime est poussee jusqu'a. 1'« equivoque », c'est a.-dire au Jeu de mots complet. Le second quatrain du sonnet limi naire Salut : Nous naviguons, {) mes DIVERS
Amis, moi deja SUT la poupe,
Vous I'avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et D'liIVERS ;
ou celui du sonnet Ses purs Sur les cTli.dences, au salon vide nul ptyx Abolz bibelot d'inanite SONORE {Car Ie Maitre est aile puiseT des pleurs au styx Avec ce seul objet dont Ie Neant S'HONOREJ.
en fournissent des exemples celebres entre cent autres ; et ces rimes " equivoques qui se multiplieront dans les pieces legcres des Poemes de circonstance, mettent sur tels poemes plus profonds, comme la Prose pour des Esseinfes, comme une touche d'ironie en marquant, par l'acrobatie technique avouee, une sorte de recul amuse du poete a l'egard de sa propre creation. Mais il est aussi, toujours dans l'ordre phonique, un plan plus subtil des correspondances de fin de vel's: celui de l'enrichissement de la rime par des correlations moins voyantes et plus nuancees que la simple multiplication des homophonies absolues. A partir en dfet du minimum requis pour obtenir une rime « suffisante» (c'est a.-dire a. partir du minimum de deux homophonies totales) la rime peut s'enrichir autrement que par l'adjonction de similitudes supplc mentaires rigoureuses. Ce peut etre par des correspondances plus souples, modulant sur la rime proprement dite des harmoniques plus raffines. Considerons les vel'S 6-7 de 1/ Ap'res-midi d'un faune : En maint mmeau subtil, qui, demeure les vrais Bois memes, prouve, helas ! que bien seul j{? rn'offrais
La rime est « suffisante» par l'homophonie absolue des voyelles toniques finales (E ouvert) et des consonnes d'appui (R). Mais ces consonnes d'appui sont presentees sous la forme dite (en termes de phonetique) du « groupe combine» (VR/FR), et les consonnes initia les de ces groupes sont en correlation phonique par correspondance de la sourde et de la sonore (V /F) au m€ome niveau d'articulation. Enrichissement donc d'une rime en principe uniquement «suffi sante» par cette modulation sur un meme registre articulatoire. De me me les vers 1-3 du poeme Sainte: A la fenetre reee/ant Le santal vieux qui se dedore De sa viole etincelant Jadis avec flUte et mandoTe
presentent, en theorie, une rime seulement suffisante». Mais en realite, sur une modulation vocalique dans Ie meme registre (E
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LA RDIE CHEZ ~IALLAR:lm
MAZALEYRAT
fermc/E caduc), la rime s'enrichit en s'articulant sur des syllabes penultiemes presque identiques (-Cf:LANT/-CELANT). Et de meme encore a la derniere rime du Fal1ne : Ouvrir ma bouche it l'astre e//icace des vins ! Couple, adieu .' je vais voir rombre que tu devins.
Ia modulation vocalique de l'avant-derniere syllabe (DES VINS/ DEVINS) etend les appels et echos au-dela des strictes homophonies du canon commun. II y a donc chez Mallarme des procedes de perfectionnement sonore de Ia rime sou vent plus delicats que l'addition brute des identites integrales. La perception et I'appreciation de Ia qualite phonique de ses rimes doit, semble-t-il, en etre nuancee d'autant. II ne fait pas que respecter les regles heritees de la tradition romantico-parnassienne. II en subtilise et en perfectionne l'esthe tique et l'esprit, ajoutant a la resonance des ordinaires homophonies des raffinements de correspondance qui font deborder a ses rimes Ie cadre theorique et un peu sommaire des echos absolus. Systeme accorde, en somme, au raffinement d'une poesie qui superpose aux harmonies directes des harmonies plus subtiles et plus voilees, comme elle ajoute au sens direct des mots les detours des des symboles et des allusions. Mais la fonchon esthHique de la rime dans cette poesle ne limite pas son exercice au seul domaine des sonorites. Mallarme est aussi, parmi les modernes, l'un de ceux qui, Ie plus scrupuleusement, pratiquent encore la rime «pour l'a:il». Le fait est assurement a mettre en rapport avec sa preoccupation bien connue du Livre, c'est-a-dire d'abord de l'ecrit. Et l'on sait de reste son souci de la presentation visuelle du poeme tel qu'il apparait dans la mise en pages, les blancs, les decalages et Ie jeu meme des caracteres impri mes - Ie tout trouvant son achevement dans l'extraordinaire travail de disposition du Coup de des. La rime pour l'a:il prend place aussi dans cet ensemble. Mallarme en observe naturellement l'usage dans Ie cas ordi naire des consonnes finales muettes, que la regIe veut identiques ou « equivalentes » (c'est-a-dire gardant en elles la trace ou la virtualite de realisations phoniques analogues type sang/flanc, realisation sanK/flanK - ; critere paradoxalement phonetique, mais facile a expliquer historiquement, d'une regIe de presentation visuelle). Deux infractions seulement, rune et l'autre dans Ie poeme de nesse Le Guignon: la mise en correspondance, dans Ie passage du quatrieme au cinquieme tercet, de sanG avec puissanT et reconnais sanT (non-observance de la regIe d'equivalence), et celle, dans Ie passage du neuvieme au dixieme, de terneS avec citerne et prosterne (non-observance de la regIe des rimes avec -s final et sans -s). C'est peu si l'on considere que la regIe des consonnes finales est deja, quand Mallarme compose, largement assouplie par l'evolution des techniques du verso Sa metrique sur ce point reste d'un impeccable academisme.
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Mais il y a plus. Par dela Ies subtilites ou Ies temperaments de la regIe, Ia recherche d'une homographie des rimes non plus relative comme dans Ie cas des consonnes, mais bien absolue, est constante chez Mallarme. Frequents sont les poemes ou elle est totale, notam ment dans la serie des sonnets, OU la rigueur des correspondances non seulement phoniques, mais aussi visuelles, ajoute comme une surenchere aux exigences formelles du genre. Salut, Placet Victorieusement fui, I,e Tombeau d'Edgar Poe en sont les plus parfaits exemples. Et meme dans les pieces d'une forme plus souple, ces correspondances demeurent largement majoritaires: dans Ie poeme du Faune, sur 55 couples de rimes, 43 sont en homographie absolue, soit les quatre cinquiemes ; marque supplementaire du gout de Mallarme pour une esthetique visuelle du vers, partie integrante de sa conception du message poetique. a l'extreme, on ne s'eton nera plus alors de Ie voir utiliser largement de ceUe pratique de la rime pour l'a:il les licences traditionnelles, en faisant rimer des mots a consonnes finales respectivement prononcees et muettes (mais graphiquement existantes) du type lys/pdlis (Fleurs, 4e stro phe) ou Venuslingenus (Faune, VETS 101-102) - triomphe ultime de la rime visuelle, puisque ces correspondances ne recouvrent meme plus des identites phoniques. Mais la rime n'a pas pour Mallarme qu'une fonction esthetique, que celle-ci soit phonique ou graphique. Elle a aussi une fonction cn§atrice, dans la mesure ou c'est elle qui, bien souvent, commande Ie vers, selon Ie principe de "l'initiative aU.1: mots >l. Thibaudet (H) fait a ce propos un rapprochement imprevu, mais fort juste, entre Mallarme et Malherbe, tous deux poetes d'autant plus portes au detail que leur imagination est moins ample et leur souffle plus court - Ie contraire, en ce sens, de la grande tradition fran<;aise de facilite Iyrique. Et de rappeler Ie mot de Racan sur son maitre: « Il s'etudiait fort Ii chercher des rimes rares et steriles (entendons: 'difficiles a apparier') sur la creance qll/il avait qu'elles lui faisaient produire quelques nouvelles pensees». N'est-ce pas la, «mutatis mutandis ", la theorie meme de la rime creatrice selon Mallarme ? Aussi bien a-t-on pu dire de certains de ses poemes qu'ils etaient comme des « bouts-rimes », la rime preexistant au vers et en condi tionnant la forme et Ie sens meme ; Ie fameux sonnet Ses purs ongles "sonnet en -ix» a cause de la prouesse que reprcsente sa construction sur cette rime difficiIe) en reste l'exemple Ie plus illustre. Aussi bien sur un autre plan la pression de la rime laissee en attente domine-t-eUe tout Ie systeme de composition d'une forme comme la «tierce rime», ou la rime centrale de chaque tercet, demeuree " orpheline », appelle Ie tercet suivant ct en quelque sorte propulse Ie poeme jusqu'a la conclusion du vers final. La rime creatricc, c'est l'inverse en sommc de Ia conception de la rime esclave de Boileau, qui aboutit de fa90n Iogique, dans la metrique (6) Op. cit., p. 243.
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classique, a Ia production d'un modele de rime discrete, souveni bana1e et en tout cas sans eclat, pure marque de fin de vers et sans autre fonction que de tenue rhetorique, d'ordonnance verbale et de soutien harmonique, sans effets qui lui soient attaches. lci au con traire on peut parler de rime-maitresse, qui, par les associations qu'elle entraine, determine souvent, en remontant a partir du mot que son appel suggere, toute 1a creation du vel's. Mallarme exprime d'ailleurs cette idee dans un passage des DilJogations ou il fait l'eloge de cette technique chez Banville, qui en est Ie theoricien, en disant que Ie vers « semble par cUe devore tout entier comme si cette fulgurante cause de delices y triomphait jusqu'ii l'initiale syUabe ,) La consequence, dans les poemes memes, c'est une recherche constante du contraste entre Ie maximum d'identite phonique, voire visuelle, et Ie maximum d'opposition 1exicale, grammatica1e, seman tique et meme volumetrique des mots rim ant ensemble, application exacte et meme largement deve10ppee du principe pose par Ban ville: « Vous ferez rimer ensemble, autant qu'il se pourra, des mots tres semblables entre eu.r comme son et tres difJerents entre eu.r comme sens» (R). Les rimes faciles, chez Mallarme, demeurent l'exception - entendons celles qui procedent des associations meca niques de la langue par Ie jeu des series paradigmatiques reposant sur les rapprochements issus de 18. formation Iexica1e (type lenteurl froideur), du paral1elisme morphologique (avait/buvait), des liaisons semantiques (pere/mere) ou simplement des isometries syUabiques (tous 1es exemples precedents). Considerons un texte de Racine: ces types d'associations y sont constants; rime-esclave. Et c'est ailleurs qu'en reside Ia poesie. Considerons un texte de Mallarme : ils y sont extremement rares. Et il faut regarder comme des accidents des rimes comme celles qui amollissent, par exempIe, 1es quatrains du sonnet Tristesse d'ete : langoureu.r/amoureu.r dans Ie premier, peu reux/heureux dans Ie second - encore que 1a richesse « leonine» y contreba1ance 1a facilite 1exica1e et isometrique. Des cas semblab1es sont exceptionnels, et il faut au contraire noter Ie souci qu'a MaI larme de fuir tous 1es automatismes, autant que Ie permettent les possibilites de rimes disponibles et la logique ou 1a rhetorique du vers a construire sur la rime suggeree par l'appel des sons. Le sonnet de Cygne ({( Le vierge, te vivace et Ie bel aujourd'hui ») est a cet egaI'd exemplaire : Premier quatrain: aujourd'hui / ivre / givre / fui. Pas un auto matisme lexical: tous les mots accouples sont de formations diffe rentes. Pas un automatisme grammatical: nulle rime {( categorielle », c'est-a-dire appariant des mots de memes series grammaticales. Pas un automatisme de liaison semantique: aucun seme de rapproche ment entre les mots rimant ensemble. Large heterometrie pour les rimes exterieures (rapport syllabique 3/1 entre aujourd'hui et fui). (7) Divagations, p. 226. (8) Petit Traite, p. 75.
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LA RDIE CHEZ
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Isometrie pour les rimes centraies (ivre/ givre: 111) ; mais 1a sene des rimes en -ivre n'est guere etendue - servitude de detail, nette ment minoritaire. Second quatrain: lui / delivre / vivre / ennui. Pas un automa tisme, de quelque nature qu'il soit, a l'interieur du quatrain. Dans Ie rapport des deux quatrains, isometrie entre lui et fui, entre vivre et givrelivre ; mais c'est d'un quatrain a l'autre, non dans Ie systeme d'une meme strophe, et la servitude precedemment mentionnee con tinue a jouer. Tercets enfin . agonie/nie ; pris/mepris; assigne/Cygne. Aucun automatisme paradigmatique: vigoureuses oppositions lexicaIes, grammaticaIes, semantiques, volumetriques. Et meme deux rappro chements d'une saisissante etrangete (agonie/nie, assigne/Cygne), ou se concentre Ie sens des tercets et auxqueis Ie monosyllabisme de chaque seconde rime (nie et Cygne) ajoute, dans l'espace vide et Ie silence du paysage, comme un effet d'echo qui en amplifie Ia solitude. Telle est la fonction creatrice de la rime mallarmeenne, Cela consiste a rejeter les automatismes de tous ordres et a ajouter souvent au role d'ordonnance harmonique des segments versifies, que joue traditionnellement la rime, un role r:l.e rapprochement insolite par la vertu des appels sonores, un role de rapprochement imprevu de sensations et de notions. C'est la soumission d'une partie de I'inspiration aces " hasards de Ia rime» dont parlait Baudelaire dans Ie poeme du Solei! (!'). Tantot c'est, comme dans les tercets du sonnet du Cygne, Ie hasard meme de ces rapprochements qui cree une partie du symbole. Tantot, comme dans les quatrains du « sonnet en -ix", c'est Ie rapprochement qui cree I'evocation et l'image (onyx/Phenix); sans parler du cas ou il va jusqu'a creer Ie mot lui-meme et c'est Ie mystere du pty.r qui couronne Ie .cinquieme vel's. Tantot la creation se fait par convergence, comme au debut du Placet futile ou, a revocation classique d'une figure d'Hebe n§pond celle de l'abbe (de cour ou de salon), qui greffe sur un semi jeu de mots la suggestion, par coherence culturelle, de toute une atmosphere de preciosite galante. Tantot elle se fait par divergence, comme au debut de Ia piece Don du poeme OU, a Ia poetique evoca tion de la «nuit d'Idumee repond Ia depoetisation de I'aurore {( deplumee ", rime qui va commander tout Ie processus de devalori sation caracteristique de 1a structure semantique du poeme; la clarte du jour y devenant noirceur; la venue du poeme, «horrible naissance »; et l'expression clichee de sourire ami (s'agissant du createur en face de son reuvre), un «sourire ennemi». Au demeu rant, richesse de la matiere rimee, rejet des automatismes, rappro chement de notions, elaboration d'images, realisation de structures semantiques coherentes ou contrastees que, sans les appels de la rime, 1a langue n'eut pas necessairement etablies, tout ceia sans (9)
Fleurs du mal, LXXXVII.
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doute releve de la theorie la plus commune de la rime, du moins sous la forme heriice des techniques romantiques et plus encore parnassiennes. Mais il est remarquable que chez Mallarme l'appli. cation de cette theorie soit poussee a un point extreme et devienne ainsi un trait caracteristique de sa poesie par ;,;a constance et ses dfets: la maitrise d'une technique, par les resonances qu'elle lui assure, en devient Ie depassE'ment. Entin, outre sa fonction esthctique d'exacte ordonnance du discours par l'homophonie et l'homographie, outre sa fonction crea trice par la greffe de l'idee poetlque sur la suggestion des appels sonores, la rime de Mallarme prend une fonction qu'on pour-rait appeler «motrice» en consider ant son role dans Ie mouvement du poeme. La poesie de Mallarme en dfet n'est pas une poesie de la conti nuite et des ensembles. C'est une poesie du dHail, a saisir figure par figure, image par image, vers par vers, Ie systeme du poeme ne se devoilant que peu a peu. Ce n'est pas une de l'entralnement et des impressions immediaies. C'est une poesie de lente decouverte et de reflexion. D'ou, cela va de mi, sa difficulte d'acces. La conse quence en est que ce qu'on retif'nt de !VIallarme, ce ne sont pas des developpements-- nul n'est plus que lui rebelle au mouvement oratoire; ce ne sont pas des suites logiques ses ruptures de phrase, ses meandres renouveles de suggestions au d'allusions l'in terdisent ; ce ne sont meme pas des enchainementss d'images ou de sensations ses permanentes transpositions de registres et meme de mots en entravent In perception suivie. Ce qu'Ol1 retient de MalIarme, ce qu'on est tent(" en tout cas, d'en reienir, ce sont des details, des metaphores inou'ies. des images etonnantes, mais deta chees de leur contexte, des vers isoles. « Un rare musee de vers isoles », c'est ainsi que Thibaudet definit justement cette ceuvre (1 Et c'est en quclque sorte fatal, par l'eHet meme du mode de compo sition de cette poesie, toute en re1ouches, en reprises, en superposi en parentheses, en recherches complexes, crispees, disconti nues et parfois douloureuses dans leur elaboration meme : l'histoire des textes et l'observation des variantes nous Ie montre assez. Tout Ie contraire, en somme, de la facilite qui procede par larges ensem bles et par amples mouvements: l'anii-Lamartine et 1'anti-Hugo. La consequence de cette observation, si celle-ci est exacte, est aisee a tirer. Ce que Ie souffle ne fournit pas, c'est a la technique de Ie procurer. Et cette technique, c'est pour une large part celle de la rime, qui, en obligeant Ie vers a ne pas rester isole, pousse Ie poeme a progresser et l'idee poetique a se renouveler ou a se transformer. Mallarme en a d'ailleurs parfaitement conscience, qui &crit dans les Divagations: " ... les vers ne vont que par deux ou a p-lusieuTs. en raison de leur accord final, soit la loi mysterieuse de la Rime, (10) Op.
cit., p. 239.
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se revele avec la fonction de gardienne et d'empecher qu'entre taus un usurpe au ne demeure peremptoirement » I). De la, on Fa vu, l'importance, dans les ceuvres de jeunesse, d'une forme comme la tierce rime; de la aussi la place, dans cette poesie, d'une forme comme Ie sonnet, OU chaque vel's ne prend fonction que par rapport a d'autres, dans des systemes dE' rimes predetermines. Et, quand Mallarme se hasarde a de plus longues series de vel'S suivis, comme dans les poemes d'Herodiade ou du Faune, it est tres remarquable qu'il multiplie, dans ses enchainements de VE'rs. les faits de discor dance entre la phrase et Ie metre (rejets, contre-rejets, enjambe ments) ; comme si Ie mouvement devait precisement prendre appui sur la rime enjambee - et de ce fait, par l'artifice correspondant, d'autant plus sensible - pour y trouver, en vue de sa poursuite, un nouvel elan. Ains! la rime chez Mallarmc conditionne Ie pocme et, pour ainsi dire, Ie promeut.
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Resumer ces diverses observations, c'est definir une technique de la rime non seulement l"(?guliere, mais encore recherchee et meme a l'extreme pointe de son application la plus elaboree, celIe du modele parnassien. Mais c'est voir aussi ce respect des regIe:; de l'art oriente par Mallarme dans Ie sens de sa conception propre de la , et des lors la grammaire du vel'S que constituent les regles de 1'ecole devient aussi stylistique du vers par son utilisation (;ons dente, par Ie choix de ses application~i et par la conversion en effets de l'observance meme de certaines de ses normes. e'est voir iei la rime nuancer ses fonctions ordinaires de valeurs adequates a l'esprit meme du systeme mallarmeen: raffinement des correspondances phoniques au-deLi des simples homophonies finales, culte de la poesie visuelle, pouvoir createur des appels sonores. Tout reste parnassien sans doute, mais avec quelque chose de plUS.
Si bien qu'on est conduit a f'ntrevoir pen a peu chez Mallarme une interpretation personnelle de la tradition metrique, qui fait com prendre et Ie liberalisme de ses declarations des dernieres annees et revolution meme qui s'est produite apres lui. Or ceUe evolution, en matiere de rime, quelle est-elle? Elle est dCfinie dans les ecrits theoriques de Gustave Kahn - disciple de Mallarme et notam ment dans la preface de son recueil Les Palais nomades, qui est l' Art poetique du vers-librisme. Elle consiste, pour l'essentiel, a ne limiter la place de la rime aux fins de vers, a la rep andre, a l'annoncer et a 1a disperser en toutes places dans Ie corps meme de celui-ci, ainsi qu'a la decomposer, sur tout Ie vel'S et meme au-del a a l'interieur des vel'S voisins, en alliterations et assonances qui fassent du discours poetique une sorte de tresse harmonique conti nue, au lieu de borner les correspondances sonores aux syllabes (11) Divagations, p. 227.
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finales appanees. Mallarme y a pense, qui appelle cette pratique dans La Musique et les lettres, « jouer avec les timbres ou encore les rimes dissimulees » (12). Les techniques anciennes en ofraient quelques moyens, par Ie jeu des procedes de rime interieure herites, entre autre, des Grands Rhetoriqueurs : rime « brisee ", qui fait se correspondre deux vers successifs par l'homophonie de leur cesure; rime « batelee », qui met en correspondance la fin d'un vers avec la cesure du sui vant; «vers leonin », a l'interieur duquel les deux hemistiches riment ensemble. Mais tous ces procedes avaient ete bannis de la versification reguliere comme nuisibles a la conscience de l'unite du vers, sous Ie pretexte qu'ils donnaient un sentiment de fin de vers ailleurs qu'en cette fin elle-meme reaction typique de la concep tion classique de la rime, qui fait de celle-ci un element d'ordon nance, une marque separative des vers, et non un element de liaison harmonique entre les parties memes du vers ou de vers voisins. Or, ces procedes, Mallarme les remet en honneur, comme ailleurs d'autres techniques anciennes telles que Ie rondel ou la rime equivoque. C'est parfois sans les dissimuler, comme dans Ie sonnet Quand l'ombre menat;a, vers 2-3 : Tel vieux reve, desIR et mal de mes vertebres, Ajflige de perIR sous les plajonds junebres
(les vers riment non seulement par leur mot final, mais encore par leur cesure : rime « brisee ,,), ou dans Ie sonnet Une dentelle s'abolit, premier tercet : Mais chez qui du reve se DORE Tristement DORT une manDORE
(la fin du premier vers rime phonetiquement avec la cesure du suivant rime « batelee » et, dans Ie second vers, les hemisti ches riment phonetiquement entre eux « vers leonin »). Mais, la plupart du temps, l'orthodoxie mHrique subtile de Mallarme voile, « dissimule », seion son mot, ces entorses a la regIe, vestiges retrouves pour raison d'harmonie, sous des correspondances plus feutrees, qui respectent formellement cette regIe tout en repre nant, par d'autres moyens, Ies procedes anciens qu'elie interdit. Considerons Herodiade, vers 61 :
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jour qu'Herodiade avec ejjroi regarde !
La cesure et la fin du vers (Herodiadelregarde) ne riment pas rigoureusement; mais il y a entre les deux finales une si proche correspondance que les effets du vers leonin sont produits sans qu'on en ait formellement un. Revenons au Faune, vers 21-22 : Le visible et serein SOUffle artijiciel
De l'inspiration qui regagne Ie ciel.
(12) La Musique et les lettres, p. 34.
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La fin du premier de ces vers ne rime pas avec la cesure du suivant (artifiCI-EL/inspiraTI-ON) ; mais il y a entre les deux finales une si proche parente phonique par les deux diereses, l'une et l'autre d'attaque sonore identique, que se trouvent realises les effets de la rime batelee sans que Ie purisme metrique puisse formellement accuser Ie poete d'en avoir fait une. C'est ainsi que, tantOt ouvertement, tantot, et plus souvent, de detournee, Mallarme reprend des procedes anciens pour ouvrir' des voies nouvelles: celles des correspondances sonores etendues au-dela des reglementaires fins de verso Les cadres formels restent in changes. Mais en realite, sous cette surface d'un acade misme rarement dementi, c'est toute une conception nouvelle du vers qui s'ebauche. Que se developpe en effet Ie principe des corres pondances sonores internes, et c'est la fin de la rime comme marque immuable des fins de ver:>; comme ailleurs Ie developpement en prosodie de !'idee des muettes amovibles, que Mallarme accueille aussi avec faveur, ouvrira la porte au syllabisme libre. Sans en avoir l'air et sous les apparences de !'impeccable academisme dont on a vu les signes, c'est une partie des transformations modernes qu'imperceptiblement il prepare dans la technique, comme on sait qu'il les realise d'autre part dans les formes de la sensibilite poeti que. Et il faut peut-etre nuancer l'idee courante de son orthodoxie met rique, dont l'attention qu'on a pu y porter permet auss! de mar quer les limites. 11 y a d'une part ce qu'elle est et d'autre part ce qu'elle couvre. Les deux existent, concurremment. fa~on
Paris.
.J ean MAZALEYRAT
Stylistique 1980
Dans un article publie en 1970, nous essayions de faire Ie point de la question, telle qU'elle no us apparaissait a l'epoque (I); les lignes qu'on va lire tacheront de presenter Ie « dix ans apres . Comme auparavant et pour les memes raisons - arin d'abn§ger, et surtout d'eviter Ie deIayage et les polemiques non pertinentes et impertinentes ~ nous continuerons a nous maintenir dans les genc ralites; nous renoncerons aux citations textuelles et aux references exactes ; et nous consacrerons les notes en bas de pag(.: - tn?s limi tees d'ailleurs ~ a des reflexions parenthetiques plut6t qu'a des renvois savants. Mais si notre Stylistique 1970 citait une trentaine de maitres et de collegues auxquels nous devions nos id(,es et nos « contre-idees », nous ne cacherons pas que Styl.istique 1980 Iera, en plus, de vagues allusions, elogieuses ou non, it des linguistes, stylisticiens, semioti dens et critiques tels IVL Arrive, J. Cohen, .r. Derrida, G. Genette, B. Gray, A. J. Greimas, J. Kristeva, P. Kuentz, J. Lacan, C. Levi Strauss, H. Meschonnic, V. Mouron, J. Pohl, R. Pommier, N. Huwet, C. Segre, J. Sumpf, T. Todorov, A. Vanneste, H. Weinrich, M. Wil met, aux ouvrages, sinon de Z. S. Harris et de N. Chomsky, du moins a ceux de leurs epigones et de leurs antagonistes; aux t ra vaux des diverses equipes, encore en vie au dispersees (notamment celles de Paris-Vincennes et de Toronto, et Ie groupe !I). II est entendu enfin que, si a partir d'ici c'est 1a stylistique franr;aise tiendra Ie devant de la scene, la stylistique generale ne jamais les coulisses, d'ou elIe se fer a peut-Nrc entendre de temps en temps assez clairement.
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II no us a paru en 1970 que Ia stylistique se donnait encore beaucoup de mal pour definir son essence, ses objets et son champ d'action ; ses methodes et ses rapports avec Ies disciplines cannexes. Bref, elle combattait toujours, pas tellement pour fa ire reconnaitre 1970 dans Melanges Straka (Phonetique et Linguistique Roma nes), Strasbourg, Soc. Ling. Romane, t. II, 1970, pp. 113-122.
(1) Stylistique
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,\LEX,\:-;lJHE LORIAX
STYLISTrQno 1980
son droit a l'existence, mais pour acceder au statut de "logie» independante et respectable. CeUe problematique exi5te toujours; la meilleure preuve en est, entre autres, la pl6thore de congn?s et de colloques qui entonnent, partout dans Ie monde, les memes refrains - la norme et l'ecart, Ie choix et la contrainte, l'expressivite et l'impressivite, l'encodage, Ie decodage et Ie sun'odage, Ie corpus et j'en passe; d'ailleurs, nos difficultes et nos conflits sont jusqu'a un certain point de pures querelles d'ordre semantique et terminologi que. II est donc inevitable que nous ne soyons pas plus pres, en de trouver les reponses ideales a ces questions, reponses qui puis sent satisfaire, sinon la totalite des fideles, du mains une tres grande majorite.
nalite, pretendue au H?elle (et la valeur de certains generativistes, fran<,;ais et etrangers, n'a plus besoin d'etre demontree). Qu'on nous pardonne si nous n'y voyons qu'une technique et qU'un etat d'esprit ; en dfet, elle est beaucoup plus proche de la grammaire tradition nelle et du structuralisme fonctionnel qu'on ne saurait dire. En tout cas, les arbres qu'eUe cultive et Ie metalangage qui la masque - ni superieurs ni inferieurs a tant d'autres graphes, stemmes, diagram mes et jargons professionnels n'apportent qu'une contribution assez limitee a nos connaissances en general et a la stylistique en particulier.
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Est-ce a dire que nous pietinons sur place? Pas du tout; au contraire, certaines tendances, qui se sont fait jour de plus en plus en cette huitieme decennie du siecle, contribuent constamment a renou veler la stylistique, pour Ie meilleur ou pour Ie pire. II n'y a rien de revolutionnaire et d'inattendu dans ces tendances: la plupart d'entre elles ont commence a jouer depuis un bon moment, surtout a partir des annees 1950; mais c'est seulement depuis une dizaine au une douzaine d'annees que leur influence sur la stylistique est devenue manifeste et parfois meme d'une grande portee.
1. LA LINGUISTIQUE
Les diverses ideologies et techniques structurales du XX" siecle n'ont jamais cesse de se refleter dans la stylistique, qui a essaye d'appliquer a ses besoins, tour a tour ou simultanement, non seule ment les conquCtes « neo-traditionalistes mais aussi celles du for malisme, du fonctionnalisme, du b(,haviorisme, de l'analyse distri butionnelle, etc. L'apport des ecoles fran<;ai~es au domaine stylisti que n'a pas etc trop important: L. Tesniere reste (parce que depasse, pas toujours dans la bonne dir9ction, par la grammaire transformationnelle); quant a Ja psychosystematique, elle n'a jamais touche la masse des linguistes, malgre quelques SUCcE~s dus, apres la mort du Maitre, a la deuxieme et a la troisieme generation des guillaumiens et a leur chef inconteste jusqu'en 1978, Ie regrette G. Moignet. Par contre, d'autres courants linguistiques, soufflant d'outre-mer, ont eu plus d'effet ; on pense naturellement a l'ecole britannique (<< the Firthian School ») et surtout aux diverses implantations chomskyennes en Europe - sans parler de l'analyse harrisienne, qu'on envisagera un peu plus loin. Quoique battue de plus en plus en br
II faut cependant reconnaltre que, sans avoir influence la stylis tique d'une maniere directe, Ie transformationalisme lui a ete en sorte benCfique. D'abord parce que, s'etant transformc lui meme, il a marque recemment une reaction fort salutaire contre la semantophobie de certains formalistes. Ensuite et surtout, parce que tout en essayant de decouvrir ou d'inventer - des structures profondes, il met l'accent sur la performance, sur les structures de surface ou (en bref et en fran<;ais) sur Ie texte. Or pour beaucoup, la stylistique n'est pas essentiellement autre chose que la linguisti que du discours, litteraire ou non.
II. CRITIQUE LITTERAIRE, RHgTORIQUE, POETIQUE, SEMIOTIQUE, TEXTOLOGIE Ces disciplines en admettant qU'elles soient toutes de vraies disciplines bien definies ont ceci en commun avec la stylistique qu'elles reposent, ou devraient reposeI', sur une base linguistique plus ou moins etendue, plus ou moins soli de. Malheureusement, pas mal de rhetoriciens et de semioticiens modernes et pas toujours les plus jeunes parmi eux - n'ont ni la formation linguistique necessaire, ni Ie temps ou la patience de se donner une competence authentique. D'ou tant de travaux rccents qui decouvrent des axio mes de grammaire conn us depuis longtemps par presque tout apprenti-linguiste qui se respecie ; ou qui vous depriment par leur pretention de formuler des « lois ", aussi originales que fantaisistes, de phonologie, de semantique ou de morphosyntaxe. Du reste, c'est iei que la querelle semantique s'engage sur un terrain des plus steriles . les termes qu'on nous propose depuis peu pour designer certains avatars ou prolongements de la stylistique 5e recoupent et n'y ajoutent tout au plus qu'un chapitre nouveau ou un accent insolite. Nous pensons notamment a la serie quasi syno nymique « textologie », «analyse du texte (au textuelle) », « analyse du discours » ; or, il y a moins d'une vingtaine d'annees, un autre neologisme, qui n'a pas pris, semblait recouvrir la meme notion, sans pour autant sonner Ie glas de notre diSCipline - c'etait la " macrostylistique». En outre, quelle ironie! - ces memes disei
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pEnes qui se font fort, sinon de deloger, du moins de fertiliser la se trouvent aujourd'hui exactement la ou se trouvait naguere celle-ci : eUes en sont encore a la recherche d'unc definition univoque, de buts bien determines, d'une methode strictcment scientifique (") : Eternelle grande illusion .. Tout cela n'aurait aucunc importance pour nous si certains theo riciens ne pretendaient annexer la linguistique a la poetique et a la textologie et substituer celle-ei a la stylistique, consideree par eux comme desuete et trap timor6e. Et cependant, iei non plus tout n'est pas noir et negatif. La redecouverte et la rehabili tation de la rhet0riq ue classique, ainsi que l'av(~nement de l'analyse harrisienne ont sOmul? la stylistique et lui ont meme permis de "e ressaisir de ses biens. Ce que bien des stylisticiens souPGonnaient et meme pratiquaient depuis long temps est devenu mainienant une (;vidence admise pHl' it peu pres tout Ie monde: Ia ~;tylistique peut et doit s'occuper de certains elements supra- (ou para-) lingUlstiques. En outre, face it ces nou velles disciplines, la styllstique semble s'etre cristallis6e plus vite et fermement qu'auparavant ; et, fait tn's caracteristique a notre epoque, dIe s'embarras:,e beaucoup moins des faux problemes qui la tracassaient autrefois, a savoir l"inutile opposition st11listirmc des 6valuative ct la fausse dichoiomie littemiu~.
IlL INn:RDISCIPLIN ARIT:f~ Encore une tendanc:e qui n'est pa:s du tout nouvelle, mais dont les influences sur la stylistique se font ,:entir d'une manit\re que - et parrois meme excessive surtout depuis une dizaine d'annees. Elle accomparne d'ailJeurs la tendance precedente, la diffe rence etant qu'alors que la rh{,torique et 1a poetique ~:e placent sur des terrains essentiellement linguistiques, l'interdisciplinarite es;;aie de marier ensembJe les sciences les plus diverses ('t pas necessaire ment fondees sur Ie fait du lang<Jge. De tout temps, c'est l'histoire qui avait He pour la linguistique une fidele alliee, sinon it l'occa sion - une tyrannique patronne; la stylistique moderne, s'etant developpee juste ii. l'epoque de reaction c~ntre l'histoire, a beau coup mains fraternise avec celle-ci: aujourd'hui elle prefere s'associer (2) Comme dans Ie tres stimUlant recuell L'anaZyse du discours. Discourse Analysis, ed. P. R. Leon et H. Mitterand, Montreal, CEC 1976 (actes du Colloque de Toronto 1974). Ajoutons encore un fait non moins caracte ristique : it en juger d'apres la Table des Matieres des Melanges Roch Valin (Langage et Psychomecanique du langage, publication annoncee par les Presses Univ. de Lille au moment ou nous ecrivons ces !ignes). la stylistique serait I'equivalent ou peut-Hre seulement une des subdi visions de l'Analyse textuelle.
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avec l'antl1ropolome, la psychologie, l'esihetique, Ia Iogique for les arts qui opereni dans Ie temps, Ies arts qui operent dans l'cspace; et surtout, au debut de ce dernier tiers du avec Ie materialisme historique et Ia psych analyse. Comme dans Ie cas precedent. rapport de cette inter- (ou pluri-) disciplinarite peut, lui aw:si, et,e faste ou nefaste pour In styIistique, selon l'usage que ron en fait, selon Ie des elements ::tdmis dans ces alliages. Aussi longtemps que la styIistique s'appuie sur des fournis par d'autres disciplines sans quitter la terre ferme la linguistique elle ne peut que s'enrichir a ce contact. Au con traire, si elle se laisse seduire par des intuitions et par des conside rations changeres a sa nature qui lui fassent oublier ses buts n"els, elle risque de se transformer en un commentaire purement
(:1) On peut cependant soutenir que cette consequence de l'interdisciplinarite ·l'estompage des contours n'est pas toujours un desavantage pour la stylistique : grace it ce chevauchement des frontieres entre les diverses disciplines, certains de ses avatars enumeres plus haut - la texLologie par exemple peuvent devenir entierement superflus. Du coup la stylis tique se voit liberee et de la contrainte des definitions trop strictes et pointilleuses, et de la concurrence faite par telle de ses rivales. (4) Expliquons-nous clairement une fois pour toutes : n'etant que philologue (dans Ie sens etymologique du terme), nous n'avons pas Ie moindre droit, pas la moindre intention de contester l'immense valeur de la psychana!yse en psychiatrie; mais nous trouvons absurde la plupart des efforts deposes par des psychanalystes se disant, presque sans aucune prepara tion prealable serieuse, specialistes en langue eL litterature. Tout comme les psychanalystes authentiques seraient sans doute revoltes s'ils voyaient de quoi sont capables certains linguistes et critiques litteraires apres un recyclage-minute en psychanalyse.
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la recherche de la structure profonde est rempli dans la seconde par l'investigation de l'inconscient. Ensuite, parmi les disciplines non linguistiques, c'est la psychanalyse qui rejoint Ie plus volontiers la linguistique, lorsqu'elle essaie d'etablir des correlations entre des phenomenes de phonation, de lexique ou de morphosyntaxe d'une part, et des manifestations du psychique de l'autre. Je laisse ames lecteurs Ie soin de decider, dans chaque cas particulier, s'iI faut prendre au serieux telIe explication litteraire ou linguistique ayant pour point de depart homonymics et paronymies, contrepetries et calembours, alliterations et pseudo-etymologies bref des jeux de mots plutot astucieux que pertinents
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Aux profits et aux perils qui accompagnent les contacts avec d'autres domaines de recherche, connexes ou non, s'ajoute encore un element important et caracteristique - un grave inconvenient, inhe rent semble-t-il a toute discipline se voulant methodique et progres sive a tout et qui risque de prendre des proportions tantes dans toutes les sciences humaines et sociales d'aujourd'huL II s'agit du jargon proJessionnel, que la stylistique a df.! se donner c'etait inevitable mais qU'elle aurait pu limiter au strict neces saire. Au lieu de quoi, e1le a parfois accueilli une foule de termes et de tournures qui, loin de lui etre indispensables, servent souvent pour la platitude et !'ignorance. Ce cmprunte de preference aux divers siructuralismes et a la psychanalyse, se traduit par: un nombre eHarant de vocables inutiles et inutilement hir sutes; des cliches phraseologiques qui menacent non seulcment Ie bon mais meme la correction grammaticale. On est maintes fois ecceurc par la monotonie stylistique de certains essais, qui multi plient sans aucune necessite reelle les "tout se passe comme si ... » et les « au niveau de ... », pour ne mentionner que deux parmi les manierismes les irritants (0). Ceci est surtout embarrassant pour la stylistique, qui aurait df.!, plus que tout autre recherche huma maintenir une certaine tenue litteraire, une certaine (5)
par exemple, d'une exegese litteraire se fondant sur les connotations erotiques du verbe lire, cela Ii propos d'un poe me qui met en evidence Ie mot delire ? ou des tourments qu'on inflige Ii ce pauvre participe !allu pour Ie faire servir de pretexte Ii une interminable dissertation phallographique ? (6) A remarquer ce qu'U y a d'ironique dans cette ecriture stereotypee : l'am bition d'etre original a tout prix dans ses se combine assez souvent avec Ie conformisme Ie plus servile dans choix et Ie dosage des expressions a la mode. t:lA:'ULlU~::"
contre les assauts de la preciosite ridicule. Et l'effet nefaste de cette deplorable predilection pour la cuistrerie s'observe de en plus chez les jeunes : comme certains de leurs maitres, nos cleves tendent a etablir les equations saugrenues suivantes : « limpidite 1- elegance superficialitc » ; «galimatias = profondeur 1- originalite}) (1) ; enfin, par une argumentation et un images, tres suggestifs sans doute, mais qui concretisent suns rcellement preciser, compliquent sans reellement expliquer. Malheureusement, nom breux sont ceux qui oublient que comparaison n'est pas raison,. et qui prennent un peu trap au serieux leur prClpre termino logie : celle-ci n'est souvent qU'une serie de mctaphores approxima tives, autant de tendus par l'affectation a la pensee. Je fais allusion, par exemple, aux prdentieuses ({ dont on no us rebat Ies oreilles ces derniers temps; aux fuyantes :;tructures pro fondes » servant de panacee a n'importe quel probleme de n'ilnporte quelle activite intellectuelle, au sociale; aux ineluctables encodages» et «dl;codages» (en train d'etre remplaces par les " decryptages » ?), etc. Ce n'est pas que nous soyons contre Ie image, bien au contraire - et ces l'auront certainement prouve ; mais l'abus des metaphore:; est particulierement dang..,reux dans les etudes se disant scientifiques : finalement, cette nomencla ture technico1ore s'empare de l'imagination des usagers au point all ni eux-memes ni leurs disciples ne sont plus capables de distinguer entre apparence et substance, entre ombre et proie ...
* Si ron dresse maintenant Ie bilan de ces cleveloppemenis plus ou moins recents, 1'on dccouvrira un achf et un passif charsans qu'on nuisse dire sans hesitation de ouel cote se trouve l'exccdent. Car la stylistique -- la la vraie, c'est-a-dire la a base linguistique - a ,lla fois bEmdicie et souHert de cet incessani tiraillement dans des directions diametralement D'une part, certaines doctrines grammaticaIes, systematisantes a outrance, ont faHIi l'enfermer dans un structuralisme linguistique trop pedes tre, trop etrique, sentant trop l'esprit de geometrie; ce sont lcs nouveaux souffles (de la sociologie, de la semiotique et de la psychanalyse, entre autres) qui lui ont qU'elle se devait d'admettre et d'etudier aussi les facteurs extra-linguistiques. D'autre part, un engouement deraisonnable, immodere, voire pueril pour (7) Le contraire, bien n'est pas vrai non : Ie couple {( limpidite + elegance)}, quoique recommandable, nullement Ie synonyme automatique de ({ profondeur + originalite ).
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<\1.1O)(.\:,\DI1E LOI1L\N
ces memes souffles nouveaux aurait entraine la stylistique vers un subjectivisme vaseux, fonde sur un nombre limite d'idees precon c;ues c'est helas! Ie cas de certains pseudo-stylisticiens; elle a ete sauvee par ce qu'il y avait de positif dans la plupart des systemes linguistiques, a savoir Ie gout pour I'observation et la verification des faits, l'effort sinon vel'S la precision scientifique du moins vcrs un detachement honnete et impartiaL Ainsi la stylistique, ballottee par ces vagues puissantes et diver gentes, a du et doit toujours manCX!uvrer ann d'eviter l'ecueil de » aussi bien que celui du «non-linguisme» (tout comme la recherche litteraire s'efforce, depuis plus d'un demi-sic.>cle, de combattre tantot l'historicisme tan tot l'historiophobie). Somme toute, la stylistique ne s'est pas trop mal tin"e de ce dilemme ; par contre, on l'a vu, elle n'a pas toujours su resister aux doux attraits du verbiage et du charabia.
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Le bilan semblerait donc plut6t nt>gatif ; il Ie serait davantage S1, en simplifiant et en forc;ant un peu les choses, on pensait comme Ie font en effet d'aucuns - que la stylistique, arr1vee a une bifurcation, devrait prendre une decision ct une direction plus nettes. Qu'elle se montre plus resolument linguistique, nous dit-on ; se contente de constituer un appendice, voire un chapitre, de Ia lingu1stique proprement dite ; sinon, qu'elle s'en ~epare defini tivement pour se fondre dans Ia critique litteraire et dans la semio tique (mais on a I'air d'oubHer que cette meme critique, que cette meme semiotique ne vivovent que d'une existence plus que pre caire I). Elle serait donc devenue soit inutile soit depassee ; dans Ies deux cas, sa survivance en tant que discipline autonome ne serait plus desirable, ni meme possible!
STYLlSTlQIJE WHO
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qu'auparavant. II est vrai que, a l'instar de tant de disciplines plus ou moins voisines, elle souffre chroniquement d'un tas de maladies penibles, qui evoluent avec les temps: certaines en sont congenitales, d'autres acquises par contagion; mais aucune, Dieu merci, n'en est mortelle. Le langage humain, quoi qu'on ait pu soutenir autrefois, ne ressemble que tres vaguement a un organisme vivant; la description raisonnee de ce systeme de communication et l'evaluation de son potentiel expressif et impressif (c'est-a-dire Ia linguistique et la stylistlque) tolerent encore moins bien Ia comparaison avec un &ire vivant. Point n'est donc besoin de prolonger la serie de nos meta phores et de cultiver Ie paradoxe, en affirmant que c'est precisement cette fragilite organique- avec ses maladies d'enfance et de crois sance qui demontrerait ]'existence voire la solidite de la stylis-
Que la stylistique ait donc forme ou non I'objet de nombreuses controverses ne prouve den en soi sur son caractere viable et vitaL Ce qui importe c'est d'abord que Ies problemes qu'elle doit confron ter admettent des solutions, meme si ces solutions varient d'une epo que a l'autre, d'un theoricien a l'auire. Aussi longtemps qu'on ne cherche pas Ia perfection ideale· autrement dit la transformation de la stylistique en une science exacte (malgre les grands progres de la statistique linguistique) ni la mNhode une et unique qui convienne a tous les buts, a. toutes Ies facettes, a tous Ies adeptes de la stylistique, il n'y a aucunc raison de s'inquieter, ou de chercher Ie salut dans Ie suicide (c'est-a.-dire Ia fusion avec .- ou d,ms des disciplines encore plus problematiques).
Non, Ia stylistique, telle que nous Ia comprenons, n'est Dulle ment a l'agonie, et meme, tout bien pese, ne se porte pas plus mal
Et surtout, la meilleure preuve de son dynamisme se trouve dans la pratique. Comment peut-on pretendre qu'elle est morte, ou du moins alienee, alors qu'on la cultive si assidCtment? (I) Les etudes stylistiques sont en eHet de plus en plus nombreuses ; recon naissons cependant que parfois nos bibliothecaires les plus fins ont du mal a cataloguer tel ouvrage: faut-il Ie considerer comme linguis tique, stylistique ou semiotique (son titre n'indiquant pas, toujours et infailliblement, la rubrique dans Iaquelle il doit s'inscrire)? Dc meme, bon nombre de monographies d'histoire litteraire et de philo Iogie (dans Ie sens classique de ces termes) se font un devoir de consacrer des chapitres entiers, bien caracterises, a l'aspect purement stylistique du sujet a l'etude. Enfin, l'on constate que l'eventail des etudes stylistiques est en train de s'elargir de plus en plus: d'un cote, la matiere peut en etre Iournie par l'enonce artistique (pas
(8) C'est par exemple Ie titre du chap. I, 1 de C. Bureau, Linguistique jonc tionnelle et stylistique objective, Paris, P.U.F. 1976. Apres y avoir resume Ie debat declanche par certains theoriciens pIut6t pessimistes, en France et ailleurs, I'auteur donne finalement une reponse negative a cette question.
(9) Le plus amusant c'est que sou vent ceux qui deplorent Ie deces, recent ou imminent, de Ia stylistique, citent a l'appui non seulement des ecrits doctrinaires, mais aussi d'admlrables etudes stylistiques contemporaines ! C'est a Ia fois un faire-part borde de noir et un certificat de bonne sante, interessant une seule et meme personne.
II y a un peu plus d'une vingtaine d'annees, on se demandait cncore si la stylistique existait; drx ans plus tard, une f01s cette existence admise, on s'interrogeait sur ses modalites et ses finalites ; aujourd'hui- et c'est tout a fait caracteristique de l'epoque que nous traversons il y en a qui se posent la question « La stylistique est-elle morte ? »
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ALEXAXDRE LORI AN
necessairement ecrit et litteraire) aussi bien que par des corpus moins ambitieux; de l'autre, on multiplie les recherches sur des textes, des auteurs et des genres litteraires d'autrefois. Ce qui ne veut pas dire que la stylistique diachronique soit deja bien avancee; en realite, nous ne possedons que peu d'etudes sur 1'evolution de tel phenomene ou de telle attitude stylistique. Mais patience! les grands travaux d'ensemble viendront plus tard, vel'S la fin de l'epoque presente epoque des essais d'approche et de detail -, et lorsque la stylistique fran<;aise aura trouve son Brunot, probablement it la tete d'une equipe d'experts, ecrira en fin 1'« Histoire de la Langue et du Style ».
Table des matieres Principales dates biographiques de Gerard Moignet Christine WIMMER, Bibliographie des travaux de Gerard Moignet ...................................... ....
Jerusalem.
9 1:~
Alexandre LORIAN
* Nicole ANQUETIL-MOIGNET, A propos du "verbe voici voila»
23
Bernard POTTIER, Temps et Espace ....................
31
Jean STEFANINI, A propos de la notion d'incidence en psychomecanique
43
Marc WILMET, Le systeme de l'article franc;ais: un bHan critique ......................................
53
Robert MARTIN, Quelques aspects du
65
«
modalisateur
Georges KLEIBER, Relatives restrictives, SN generiques et interpretation conditionnelle ........................
79
Christine WIMMER, Le systeme de si en franc;ais moderne
97
Irene TAMBA-MECZ, Sur quelques proprietes de I'adjectif de relation ........................................
119
Henri BONNARD, de prl?fixe adverbial
133
Annette VASSANT, Lexique, semantique et grammaire dans La voix verbale en franc;ais ....................
143
Jacqueline PICOCHE, Les degres de l'alterite et Ie signifie de puissance de quelques verbes exprimant l'idee de «(faire) devenir autre» ............................
165
*
Louis MOURIN, L'exception et La restriction dans Les Iangues romanes .................................. .
173
Jean-Claude CHEVALIER, But, cause et mobile. Le cas de I' espagnol classique .......................... . ... .
197
Maurice MOLHO, Sur la grammaire de l'objet en espagnol
213
Jean CERVONI, La {( polysemie » de Ia preposition italienne da ........................................... .....
227
Charlotte SABETAY-SCHAPIRA, Prefixes et constructions analogues exprimant l'exces en italien et en roumain ..
239
* Roch VALIN, Problematique du changement linguistique et psychosystematique du langage .................... .
249
Andre JOLY, But, morplH'?me de La subordination dans l'histoire de I'anglais ............................. .
269
Frederic DELOFFRE, A propos des Serments de Stras bourg: les origines de l'ordTe des mots du fran<;ais . . . .
287
Georges STRAKA, Sur la valeur de la graphie nevoId, nevuld dans Ie manuscrit d'OxfoTd ..................
299
Albert HENRY, Le tour Li seneschaus, il et ses freres, dans Ie Cleomades ................................... ..
309
Philippe MENARD, Le sUbjonctif present dans les propo sitions hypothetiqnes en ancien fmnc;ais ........ .....
321
Andre ESKENAZI, En depouHlant B.N. 25566. Grammaire et dialectalite .................................. :...
333
Raymond ARVEILLER, Naturalia. Notes lexicoLogiques ..
349
Georges MATORE, Monstre au XVII' siecle. Etude lexico logique ............................................
359
Georges MERK, A propos de certains termes scientifiques du XVI" siecle .....................................
369
Yves LE HIR, Blaise de Vigen ere ecrivain, juge par Claude Expilly ............................................
377
Pierre LARTHOMAS, Note sur l'emploi des temps dans Le Neveu de Rameau ................................ .
387
Charles MULLER, Locutions Iatines dans Ie dictionnaire fran<;ais .......................................... .
395
* Kerstin SCHLYTER, Reinfrei, Heldri et Basin dans la Premiere branche de La Karlamagnus Saga ......... .
401
Jean DUFOURNET, Sur trois poemes de Rutebeuf: la Complainte Rutebeuf, Renart Ie Bestourne et la Pau vrete Rutebeuf ................................... .
413
Paul IMBS, Sur Le huitain XIV du Lais de Pranc;ois Villon
429
Jean MAZALEYRAT, La rime dans Ia poesie de MaHarme. MaHrise et depassement d'une technique ........... .
437
Alexandre LORIAN, Stylistique 1980 ................... .
449
Directeur de la publication: Georges STRAKA A C II EVE IJ' 1 ~I P n I MER L E I S E I' T E \1 1\ II E I!I sun LES PHESSES DE L ' I ~I PHI 11 E HIE n l~ G ION ALE 35·37, HUE DU FOSSI~·DES·THEIZE F 67000 STHASBOUHG
2/1980 - Depot legal: 3" trimestre 1980
N" d'ordre 350/80