AGRONOMES ET TERRITOIRES
Biologie, Ecologie, Agronomie Collection dirigée par Richard Moreau professeur honoraire à l'Université de Paris XIL correspondant national de l'Académie d'Agriculture de France Cette collection rassemble des synthèses, qui font le point des connaissances sur des situations ou des problèmes précis, des études approfondies exposant des hypothèses ou des enjeux autour de questions nouvelles ou cruciales pour l'avenir des milieux naturels et de I'homme, et des monographies. Elle est ouverte à tous les domaines des Sciences naturelles et de la Vie. Déjà parus Claude MONNIER, L 'agriculture française en proie à l'écologisme, 2005. Arnaud MAUL, Approche évolutionniste de la sexualité hUn'laine,2005. Laurent HERZ, Dictionnaire des animaux et des civilisations, 2004. Michel DUPUY, Les cheminements de l'écologie en Europe, 2004. René MONET, Environnement, l 'hypothèque démographique, 2004. IgnacePITTET,Paysan dans la tourmente.Pour une économiesolidaire,2004. Ibrahim NAHAL, La désertification dans le monde. Causes - Processus Conséquences - Lutte, 2004. Paul CAZAYUS, La mémoire et les oublis, Tome 1, Psychologie, 2004 Paul CAZAYUS, La mémoire et les oublis, Tome II, Pathologie et psychopathologie, 2004. PREVOST Philippe, Une terre à cultiver, 2004. LÉONARD Jean-Pierre, Forêt vivante ou désert boisé, 2004. DU MESNIL DU BUISSON François, Penser la recherche scientifique: l'exemple de la physiologie animale, 2003. MERIAUX Suzanne, Science et poésie. Deux voies de la connaissance, 2003. LE GAL René, Pour comprendre la génétique. La mouche dans les petits pois,2003. ROQUES Nathalie, Dormir avec son bébé, 2003. BERNARD- WEIL Elie, Stratégies paradoxales en bio-médecine et sciences humaines,2002. GUERIN Jean-Louis, Jardin d'alliances pour le XXIè siècle, 2002. VINCENT Louis-Marie, NIBART Gilles, L'identité du vivant ou une autre logique du vivant, 2002. HUET Maurice, Quel climat, quelle santé ?, 2002. ROQUES Nathalie, Au sein du monde. Une observation critique de la conception moderne de l'allaitement maternel en France, 2001. ROBIN Nicolas, Clônes, avez-vous donc une âme?,
2001.
BREDIF Hervé, BOUDINOT Pierre, Quelles forêts pour demain? Eléments de stratégie pour une approche rénovée du développement durable, 2001. LAMBERT Denis-Clair, La santé, clé du développement économique. Europe de l'Est et Tiers Mondes, 2001.
Deuxième édition des entretiens du Pradel
AGRONOMES ET TERRITOIRES
Actes du colloque 12 et 13 septembre 2002
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Degli Artisti 15 10124 Torino ITALIE
~L'Hannattan,2005 ISBN: 2-7475-7997-2 EAN 9782747579971
TABLE DES MATIERES
Les e11;jeuxdu territoire Penser la terre dans la France d'aujourd'hui (Jean VIARD) La géoagronomie, un nouveau territoire ?(Georges BERTRAND) Changement climatique, gestion des ressources et territoires (Bernard SEGUIN) Lesfilières agricoles territorialisées (Lucien BOURGEOIS) Les nouveaux liens sociaux au territoire (Christian DEVERRE) Territoire: Agronomie, géographie, écologie, où en est-on? Point de vue d'un agronome de la recherche publique (Jean
9 11 25
B 0 IFF
73
IN)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
35 49 57 71
Apropos de l'écologie (Henri DECAMPS). 79 Le regard d'un géographe(Jean RENARD) 85 Territoire: Des démarches pluridisciplinaires de recherche Environnement et territoire,. La déforestation en forêt des Mikea (sud-ouest de Madagascar): thématiqque et questions de recherche (Chantal BLANC-P AMARD et alii) 95 Quels dispositifs pour une gestion concertée des ressources dans les écosystèmes pastoraux? Une équipe d'agronomes, écologues et zootechniciens construit des propositions de recherches (PierreLou is OSTY et alii) 119 Vers une approche agro-ethnologique au service de la gestion des territoires ruraux (DEPIGNY et alii) ComjJrendre l'organisation spatiale des exploitations et des territoires: une recherchelformation (Sylvie LARDON et alii) 145 Territoire: des concepts et des méthodes 159 Entre forme et sens: le territoire comme objet géographique (Hervé GUMUS CHIAN) 161 Le système de culture: Différents niveaux d'organisation territoriale à distinguer et articuler (François PAPY et al.) 171 Les unités agro-physionomiques: des entités spatiales pour l'analyse des usages agricoles du territoire (Pascal THINON) 183 Activités agricoles, territoires et questions d'environnement: Quelles entités d'action? (Stéphane BELLON et alii) 199 Le bassin d'approvisionnement: territoire de la gestion agronomique de la qualité des productions végétales (Marianne LE BAIL) 213
De l'assolement observé à l'assolage à expliquer: agronomes et géographes à la croisée des préoccupations environnementales et paysagères (Marc BENOIT et alii) 229 L'agriculture banale a-t-elle une place dans le projet agriurbain ?(André FLEURY et al.) 243 Des entités spatiales à l'usage des agronomes: les terroirs viticoles (Emmanuelle VAUDOUR et al.) 255 Différentes manières de concevoir les usages agricoles de I 'espace(Anne MATHIEU et al.) 269 Caractériser les pratiques d'élevage et les conceptions des éleveurs pour comprendre l'usage d'un territoire local (Jacques LA
SSE
UR)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
283
Le système irrigué comme territoire (Thierry RUF) 295 D'une agriculture modernisée à une agriculture territorialisée Quelle place pour l'expertise agronomique dans les politiques décentralisées? (Pierre-Antoine LANDEL) 309 Expériences de Recherche, de Développement et de Formation sur et pour le territoire 323 En zone vulnérable, quelles unités intermédiaires d'analyse pour l'agronome et pour le géographe ?(Stéphane BELLON et alii) 325 L'agriculture périurbaine à la croisée des territoires. Situation et enjeux autour de Montpellier (Françoise JARRIGE) 345 Variabilité spatiale et temporelle des exploitations et usages agricoles sur un territoire: première étude de cas en Auvergne et perspectives de recherche sur la multifonctionnalité de l'agriculture (Hélène RAPEY et alii) 363 Comment évaluer les contraintes spatiales à l'utilisation des prairies et les marges de manœuvre des exploitations face à des demandes environnementales? Un exemple d'OLAE en Vendée (A lai n HA
VE T eta
I i i) .. . . . . . . . . . . .. . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . .. .. . .. . . . . .. . . . . . .. .. .. .. .. 383
Le schéma d'Organisation territoriale de l'exploitation agricole Un outil dans l'étude des relations agriculture-environnentent (Christophe SOULARD et alii) 395 Agronomes et territoires: réflexions et perspectives 419 La liaison entre agriculture et élevage: de nouvelles fonctions et de nouveaux modes d'organisation à l'échelle des territoires (GiIles LEMAIRE) 421 Les agronomes entre agriculteurs et usagers du paysage (JeanPierre DEFFO NTAINES) 435 6
L'agriculture, l'artificialisation du milieu naturel et la demande soc
i ale
(Sy I vie
BONNY)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 443
Quels agronomes pour quels territoires? Le territoire, un concept porteur d'intégration et de marginalisation au sein de la discipline (Patri ck CARON) 467 Agronomes et territoires Les trois métiers des agronomes (Michel SEB
ILL
0
TTE)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 479
7
Les enjeux du territoire Des chercheurs de diverses disciplines du CNRS et de l'INRA et un responsable d'une instance professionnelle agricoles croisent leurs regards sur le territoire et l'agriculture. Ils définissent un contexte et désignent de nouveaux enjeux.
Penser la terre dans la France d'aujourd'hui Jean VIARD 1
Résumé Nos modes de vie, notre imaginaire des lieux, nos métiers ont changé; nous sommes entrés dans la société de la personne, de l'individu réalisé, mais aussi du risque, de l'imprévisibilité à long terme. La science avance, la richesse est produite par des cerveaux, la culture se replie et le politique se fissure. Aujourd'hui, avec la mobilité généralisée, le territoire se constitue de plus en plus comme une durée, où le lointain est plus proche que le proche. La ville et l'urbanité s'étalent. Dans notre société de la dualité d'usage des territoires, à usage d'habitat et de loisir, de la généralisation de l'urbanité, du décalage. de la vieille société paysanne masculine localisée avec la nouvelle société de mobilité largement féminisée, quelle sera la place du monde agricole? Il lui appartient de réfléchir à de nouvelles compétences de mise en scène, à la gestion du vivant, à l'honneur de son métier, au plaisir de nourrir; à la qualité des produits. .. En dépend toute sa place sociale. Mots clés: Monde paysan Modernité - Territoire Mobilité Agriculteurs - Citoyenneté. -
-
Abstract Our lifestyle, our concept of place and of work have changed: we live in a world centred on the person, on the complete individual. But in this world we have to live with risk, with the unpredictable future. Science has progressed, our brains have produced new riches, but our sense of culture has regressed and our political structures are showing cracks. Today, with widespread mobility, the concept of territory has altered to the point where what is far seems closer than what is near. Weare witnessing the effects of urban sprawl. In today' s society, there are conflicting images of the countryside: it is a place to live and enjoy leisure activities, a place where the old 'masculinedominated' rural population comes face to face with the new 'feminineinfluenced' mobile population. And what is the place of agriculture in all this? The time has come for thinking about new ways to develop and manage
1 Directeur
de recherche
CNRS.
nature, to acknowledge the role of the farmer and the farm labourer, to savour the fruits of the land, to offer quality produce. . .. And thus enhance the place of the farmer in our society. ](ey-words : rural society, modern life, concept of territory, mobility, farmers, citizenship Que peut-on dire aujourd'hui des enjeux liés à la terre de France, au territoire-sol? Qu'est-ce qui change et quelles en sont les permanences? Quelle est la place de la terre ouverte par le sillon, la place de la terre regardée, de la terre caressée? L'usage amoureux des lieux ne prend-il pas le pas sur la production de produit? Toutes ces questions sont liées à l'évolution de nos modes de vie, à notre imaginaire des lieux, à la transformation des métiers. Rares sont les périodes où la société, la représentation du proche et du lointain, les différences du masculin et du féminin, les techniques et les savoirs ont autant changé que depuis un demi-siècle. Nous ne pouvons tout explorer en un temps limité. Mais acceptons l'hypothèse de changements fondamentaux de paradigmes, sur les relations naturelculture, sur la place du travail, sur la position des femmes, sur la sédentarité et sur les grands mythes du futur. Nous entrons dans la société planétaire de la personne où nos patries sont plus des identités que des territoires, où l'avenir même de l'espèce humaine sur la terre n'est plus garanti, où les progrès fulgurants des techniques et des savoirs bousculent les certitudes les plus solides, y compris par la manipulation de la nature elle-même. Mais que l'homme saura-t-il en faire? Atteindra-t-il le seuil éthique nécessaire à ces nouveaux pouvoirs? Saura-t-il les mettre en partage? Ou l'arme de la manipulation biologique sera-t-elle l'arme des siècles à venir? Nous n'en savons rien. Et pourtant il faut penser, agir et espérer. Longtemps le court terme fut pour les populations une difficulté supérieure au long terme. Nous avons pour ainsi dire inversé l'ordre des risques, du moins dans l'humanité développée. Se nourrir demain est quasiment certain pour deux tiers de l'humanité, la vie sur la Terre en 2500 est plus douteuse. L'identité française en 2050 est presque déjà là, en 2500 c'est plus discutable. L'usage des territoires de 2050 est aussi largement déjà là car nous avons intégré la mobilité et la vitesse, l'instantanéité planétaire dans nos quotidiens. Mais en 2500 ? Installer ses enfants avant de mourir fut longtemps un objectif de la vie; aujourd'hui, le plus souvent, nous héritons quand nous sommes nous-mêmes retraités. Connaître ses arrière-petitsenfants devient banal. Je ne dis pas cela pour ouvrir une vaste parabole sur les temps du monde. Juste pour soutenir mon propos par un arrière-fond de bouleversements, pleins d'espérance mais aussi de dangers qui nous ont fait entrer dans la 12
société de la personne, de l'individu réalisé, mais aussi du risque, de l'imprévisibilité à long terme. Paradoxe de notre deuxième modernité.
1 - Le temps et l'espace se donnent à voir autrement Je dirai, d'abord, que notre façon de lire les sociétés change fondamentalement, et ces grands changements s'opèrent au niveau des structures imaginaires, qui interviennent fortement dans ce qu'on voit ou qu'on ne voit pas. Nous pouvons aborder ce phénomène par plusieurs entrées. Après seulement, nous nous rapprocherons des changements concrets d'usages et de pratiques. La première entrée est que le futur comme valeur positive a reculé ces trente dernières années: c'est la conséquence d'un monde où on a moins d'espérance sur l'avenir, et où, par contrecoup, le passé prend alors beaucoup (trop ?) de place. Cela bouleverse certaines grilles de lecture, en
valorisant les choses anciennes, ou ce qui est perçu comme ancien - le repli sur le local et le national notamment - et, par contrecoup, en rejetant le rationnel, la science, les études scientifiques... Cela a de multiples conséquences, on le constate au niveau du politique. On pourrait dire: la science continue à avancer, la culture se replie et le politique se fissure. La deuxième entrée, qui se situe aussi au niveau de l'imaginaire, mais déjà plus proche des pratiques, est que le territoire, qui était un espace, se constitue de plus en plus comme une durée. Les lieux sont à un temps les uns des autres: à 3 heures de Paris, à 20 minutes d'Aubenas, et tout se pense en
temps et ce "territoire-temps" a un centre - là où je suis - et moins de frontières. Ces frontières sont en outre fluctuantes, évolutives, différenciées.
Notre culture du territoire - de la frontière communale, nationale - se mue en frontières fluctuantes autour de centres, qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Henri Mendras dit que la Patrie est devenue une identité plus qu'un territoire [2] ; une idée à méditer. J'appelle cela la société d'archipel [5], pour montrer, qu'en fait, notre rapport au territoire aujourd'hui est une addition d'archipels qui n'ont pas la même centralité ni les mêmes frontières. Si on applique le modèle jusqu'au bout, chacun a son archipel territorial où il se sent chez lui. Ces archipels, à certains endroits, se superposent, se juxtaposent, s'opposent... Cette entrée par le temps, qui est une vieille question philosophique, est en train de devenir une catégorie centrale du politique: on le voit dans les villes avec les bureaux du temps. C'est un enjeu important parce que la ville a aujourd'hui entre trente et quarante kilomètres de diamètre: l'enjeu, c'est d'être à une demi-heure du centre-ville, c'est le temps que je mets pour accéder au lycée, au supermarché... Le temps que je mets en voiture (trente 13
kilomètres) est le même que mettait, à pied, mon père pour aller travailler mais aussi le serf du Moyen Âge: cinq kilomètres, c'était la dimension moyenne d'un territoire communal. Cette question du temps et de la vitesse entraîne une tout autre organisation de l'espace Ge rappelle que 70 % des agriculteurs sont à moins d'une heure d'un centre-ville). Ce rôle nouveau de la durée n'est pas simplement un problème des gens des villes. Il est aussi celui des gens des campagnes. Il y a des campagnes qui se vident, il y a des campagnes qui se vident moins, il y a des campagnes qui se peuplent, et la proximité avec la ville est un des critères de cette sélection. Donc, il y a une ville diffuse, et il y a une campagne qui se transforme de ce fait même. Le grand changement, c'est que la mobilité est rentrée partout dans le quotidien. Ce sont d'ailleurs les femmes d'agriculteurs qui parcourent le plus de kilomètres. C'est la grande invention des trente dernières années: on fait trente kilomètres par jour et par Français (de plus de six ans), quand, dans les années cinquante, on en faisait cinq par jour et par Français. Ce développement des mobilités, paradoxalement, diminue les migrations. On ne cesse de parler de migrations. Or, les migrations (les grandes), sur notre planète, régressent. Hervé Le Bras montre qu'alors qu'on en a si peur, elles diminuent. Et l'on se rend compte que, plus on est dans des espaces de mobilité, moins il y a de migrations permanentes et définitives. Plus alors, on peut avoir des relations longues avec "ses" territoires au-delà des évolutions du monde de la production et du travail. On revient en vacances, on tente d'y habiter. On est alors, pour une part sans cesse croissante d'entre nous, dans un rapport de déplacement alternants dans l'infranational,comme pour l'international. 12 % des terriens visitent chaque année un autre pays que le leur, mais seulement 2,5 % vivent à l'étranger. Ceci n'est pas forcément la représentation commune - celle-là est construite avec la mémoire de l'exode rural et des rapatriements postcoloniaux - mais c'est un élément très important à garder en mémoire. On voit bien, pour ne prendre qu'un exemple, que depuis que l'Europe s'est élargie vers l'Est, les migrations ont diminué et seuls les séjours de six à huit mois, pour gagner de l'argent, ont augmenté. Dans un espace de mobilité et de croissance, la migration définitive, d'une certaine façon, régresse. On avait aussi observé ceci au moment de l'entrée du Portugal dans l'Union européenne. Le départ définitif de sa région, sa ville, son pays, n'est pas un désir spontané massif. L'homme est d'abord culture, symboles, souvenirs. Troisième entrée concernant l'imaginaire: le lointain est aujourd'hui plus proche que le proche. On sait mieux, ce matin, ce qui s'est passé aux EtatsUnis que ce qui se passe dans le village voisin, dans la rue voisine. On s'éloigne du voisin et on se rapproche du lointain. D'une certaine façon, là encore, cela modifie la perception de la proximité; en termes politiques, cela donne un affaiblissement profond de l'agora, une crise de la citoyenneté. . 14
D'où. le discours politique de replâtrage sur la proximité, sur" la France d'en bas ", une expression que je n'aime pas. Nos sociétés ont été historiquement
tellement liées par le proche -la rue, le quartier, le village, l'usine - qu'elles ont tendance à inventer la proximité pour pallier aux nouvelles relations créatrices et sélectives entre lointain et mobilité. Ces trois entrées sont de grands bouleversements, auxquels s'ajoute une révolution sur le vivant: on est en train de passer de la sélection des espèces à la manipulation du vivant. Le monde agricole en souffre parce que c'est par là que la mise en scène de cette révolution biologique a commencé: OGM, clonage, etc., cristallisent un débat qui n'était pas philosophiquement et politiquement construit. Il faut ajouter à tout cela des remarques à propos du travail: nous travaillons en moyenne 63 000 heures dans notre vie et nous allons vivre 700 000 heures. 63 000 heures, c'est le temps légal en France pour avoir droit à la retraite. Nos parents, nos grands-parents, dans les milieux populaires, en 1900 par exemple, ont travaillé 200 000 heures et la vie durait en moyenne 500 000 heures. Cela signifie que le temps de travail, qui représentait 40 % de la vie sur terre dans un pays développé comme le nôtre, occupe aujourd'hui moins de 10 % de la vie d'un homme. On a gagné 100 000 heures de vie en une seule génération. Aujourd'hui, nous gagnons 6 heures de vie par jour. 50 % des petites filles qui naissent aujourd'hui atteindront 100 ans en France. Leur espérance de vie moyenne, c'est 100 ans! Cela veut dire que penser une société à 100 ans devient nécessaire puisqu'il y a des gens qui naissent aujourd'hui et qui connaîtront cette société-là. ,
Toutes ces mutations du temps - en durée, en structure, en qualité, évidemment - nous transforment, nous bouleversent énormément. Il faut se rendre compte aussi qu'au sein d'une vie consacrée à 10 % au travail salarié, nous avons 18,8 ans d'études pour 40 ans de travail, c'est-à-dire une année
d'études pour deux années de travail - alors qu'en 1900, on commençait à travailler à Il ans et souvent avant -, tout en considérant que 85 % de mamans travaillent. Ainsi, si les hommes travaillent moitié moins depuis la guerre, les femmes travaillent deux fois plus. Au-delà des chiffres qui ne sont jamais que des moyennes et des faits, cela bouleverse la place légitime de la valeur du travail long, cela pose la question du désir des autres temps, y compris pour se consacrer à désjrer l'autre. Enfin, ces mutations bousculent les équilibres des genres comme on dit aujourd'hui. Ceci est sans doute l'élément le plus novateur sur le long terme. Le couple formé par l'homme fort et la femme mère à protéger est ébranlé, dans le quotidien, dans le travail, dans la cité. Et ceci concerne particulièrement le monde paysan qui est resté un monde d'hommes. En particulier parce que les agriculteurs sont entrés depuis quarante ans dans une logique dominée par la production de quantité de denrées. Des denrées qui vont être achetées à l'unité par des femmes qui font de la cuisine par 15
affection. Comment leur vendre du désir alimentaire? C'est une question centrale de l'avenir de l'agriculture. Celle-ci s'est repliée sur le produit et sur la quantité de production, sur un monde d'hommes, qui doit passer vers le monde des femmes, parce que les femmes tiennent encore, à côté du travail, la question alimentaire. Daniel Cohen donne une représentation complémentaire forte de ces grandes tendances: 60 % des gens en France aujourd'hui, comme en 1900, travaillent à produire les biens et les services dont nous avons besoin. Les métiers ont changé, le commerce, la production des biens, le chauffage, les maisons... mais le nombre d'actifs de ce nécessaire reste constant. Seulement, en 1900, il y avait 40 % de pauvres ruraux, d'errants, de saisonniers, qui faisaient le ramassage, la cueillette, le charbon de bois... Cette classe rurale pauvre a disparu - absorbée par l'usine et l'école- et a été remplacée par une classe nouvelle qui entretient nos corps. Ce qu'on a inventé au siècle dernier, c'est 40 % d'emplois pour l'éducation, la santé, la culture, le sport, le tourisme. 40 % du travail vise à entretenir le corps et l'esprit des autres là où hier il n'y avait bien souvent que les prêtres. Cette rupture dans les civilisations rassemble tout ce que nous avons essayé de décrire rapidement. Elle accentue l'écart entre les mondes qui y ont accédé et ceux qui ne l'ont pas (encore ?) atteinte.
2 - A qui appartient l'espace? Pour en venir à l'agriculture, notons qu'aujourd'hui 50 % du sol de France est tenu par les agriculteurs. La moitié de ces surfaces est tenue en sociétés, c'est-à-dire que le paysan propriétaire, pour sa part, ne tient plus que 25 % du sol de France. Les parcs naturels régionaux détiennent 10 % des sols de France, et vont probablement rapidement parvenir à 20 %. Il reste 680 000 fermes éparses, souvent non contiguës; presque 50 % d'entre elles sont dans la France de l'Ouest ou le Bassin parisien, c'est-à-dire que le monde agricole n'a rien d'homogène sur le territoire. Sur 100 agriculteurs, il y en a 1 dans le Sud de la France, 48 dans la France de l'Ouest. Donc, les représentations d'homogénéité qu'on en a sont erronées. Mais dans le même temps, on est passé, en vingt-cinq ans, de 7 millions de jardins privatifs à 12 millions. 53 % des Français possèdent un jardin, d'agrément ou agricole. 25 % des fruits et légumes sont auto produits. C'est un élément essentiel, notamment pour les pauvres, pour ceux qui ne sont pas pris dans le filet du social et qui accèdent au sol. Mais cela veut dire aussi qu'en France, la moitié de la population a les mains dans la terre, pioche, sarclette, écoute les nouvelles agricoles, etc. Même si ce n'est pas pour le consommer en tant que produit alimentaire, le jardin entraîne des grands 16
changements. 680 000 fennes, 12 millions de jardins, cela résume un double mouvement, un glissement du sol et de son travail vers la civilisation urbaine, un nouveau triomphe de la terre dont les agriculteurs ne sont plus les héros. Alors comment se représente-t-on la campagne? Eh bien d'abord comme un paysage naturellement pour plus de 80 % d'entre nous. Presque autant de ruraux disent la même chose et 40 % des agriculteurs aussi, c'est-à-dire que la campagne de production agricole n'est plus la représentation dominante des campagnes. C'est là une première rupture absolument essentielle. Apparue dans les années soixante, elle s'est développée comme chez les Anglo-Saxons, chez qui cette notion de paysage a presque un siècle. La campagne, comme nous l'avons analysé avec Bertrand Hervieu [1] est pour la majorité d'entre nous symbole de beauté et de liberté, la ville incarnant le travail et le loisir. Cette liberté-là est celle de l'individu qui sort du contrôle social, ce n'est pas la liberté de Max Weber et de George Duby, celle de " la ville qui rend libre", celle qui a pennis l'émancipation des anciens ordres aristocratiques. La ville rendait libre depuis le Moyen Âge, parce qu'elle affranchissait du seigneur et faisait entrer dans l'espace de la cité/citoyenneté. Aujourd'hui, la campagne rend libre parce qu'elle libère du contrôle social. C'est d'ailleurs pour cela que les gens qui vont à la campagne rêvent souvent plus d'isolement que de sociabilité. Ils ne retournent pas vers un Eden perdu. Ils cherchent du hors-sol social, une campagne pour être entre soi, à l'abri des murs et des haies. Il s'agit là d'un nouveau modèle d'utilisation de la campagne en dehors du contrôle social. Cette lecture a été récemment reprise et développée par Jean-Didier Urbain [4]. Ce n'est pas le seul usage nouveau de la campagne, mais c' en est une nouvelle dimension forte. Derrière ces représentations, il y a bien sûr des pratiques sociales. 50 % des Français habitent à côté de ce qu'on appelait la ville en 1950, c'est-à-dire dans un périurbain plus ou moins large, plus ou moins profond. Et beaucoup plus de Français ont le sentiment de vivre à la campagne que ce que les statistiques nous disent. Car là où l'un nous parle du sentiment qu'il a de son lieu de vie, les autres classent les communes par taille. De toute manière, ces dix dernières années, 3 millions de gens sont sortis des villes d'hier et même le " rural profond" a, pour la première fois depuis un siècle, regagné un peu de population: 300 000 personnes dans les cantons les plus dépeuplés, même s'il reste encore quelques cantons en voie de vieillissement absolu et de mort humaine et sociale, mais, de plus en plus rares. Il s'agit là de bouleversements de très longue période qui nous font comprendre que l'urbanité a maintenant largement quitté la ville, qu'elle s'est généralisée à la part de la planète qui regarde le journal de 20 heures: 95 % des agriculteurs regardent la télévision à 20 heures comme les gens des villes. Le monde du journal de 20 heures, c'est la quasi-totalité de la société 17
française et européenne, plus de la moitié de la planète, le monde restant étant dans une autre histoire-temps. On peut prendre d'autres indicateurs de ces mutations: par exemple, une forte majorité des agriculteurs font aujourd'hui leurs courses au supermarché, et dans la plupart des familles, les enfants, de plus en plus souvent les femmes, travaillent" hors champs" et de plus souvent, en ville. Tout cela signifie que l'urbanité se développe bien sûr à la ville, qui a son mode d'organisation de l'habitat, mais aussi à la campagne qui a un autre mode d'organisation de l'habitat. L'agriculture est entrée dans l'urbanité et la question de l'étalement de la ville est aussi celle de l'intégration du monde agricole au monde de la ville, y compris dans le territoire. La reconquête de la ville passe aujourd'hui par cette question de la place de l'agriculture, de la nature, etc., à l'intérieur du tissu urbain, dans cette hypermobilité qui sélectionne les territoires sans homogénéité, parce que la population ne se diffuse pas de la même manière autour de Metz et autour d'Aix-enProvence, parce que la France touristique se peuple beaucoup plus vite que la France non touristique (le Sud a doublé sa population en vingt ans), parce que le processus est en train d'atteindre la Bretagne, le nord de Rennes (pas encore Bordeaux mais cela ne saurait tarder), parce que le processus de dépopulation continue dans l'Est et le Nord. La France n'est d'ailleurs pas un cas unique de ce type de bouleversements.
3 - Quel monde paysan? Le monde paysan a été bouleversé trois fois en un siècle. Tout d'abord, la Troisième République a été fondée, pour en finir avec un siècle de guerre civile et d'insécurité, sur l'alliance du paysan propriétaire et du bourgeois des villes. C'est le pacte républicain qui a fait que le paysan est devenu propriétaire, chef de famille, soldat, conseiller municipal. C'est le cœur d'un dispositif politique, d'un imaginaire politique, qui va de Méline à Chirac. Par certains côtés, Chirac est encore très près de ce modèle, mais ce vieux fond est en train de se défaire, évidemment. La France est le seul pays à avoir eu un modèle de la paysannerie dans la modernité, une paysannerie à qui on demandait d'assurer la stabilité politique; on a exclu les pauvres des campagnes et on a découpé les communes, le Sénat, les cantons, etc. Cela a permis qu'il n'y ait pas de révolution pendant un siècle. Je rappelle qu'aujourd'hui encore, 50 % des conseillers généraux sont des agriculteurs (beaucoup retraités); 100 députés dépendent du monde agricole pour leurs élections. L'action d'Edgar Pisani a correspondu à un deuxième pacte. On a dit aux paysans: maintenant, vous allez produire des quantités car nous ne pouvons plus compter sur les colonies pour nourrir les Français (et on avait 18
durement appris pendant la guerre le risque alimentaire lié aux importations). On produisit alors des quantités pour assurer l'indépendance nationale. L'Europe fut quasiment fondée sur le modèle français de rapport à la terre, ce qui a donné lieu à la politique agricole commune. On fonda, par le sol, une espérance politique commune pour la Paix et contre le communisme. Or, il se trouve que le communisme s'est effondré et que cette fondation est en crise profonde. Puis l'agriculture, d'abord productrice de quantité, a commencé à être remise en question avec l'apparition de surproductions dès 1984. Depuis il est légitime, comme le fait toujours Edgar Pisani, de s'interroger sur les relations entre une agriculture marchande et une agriculture ménagère [3]. Derrière, ces problématiques que vous connaissez, il y a de nouveaux usages des sols, de nouvelles idées du rapport entre paysans et territoires, un nouvel imaginaire de la campagne. La campagne est à la fois elle-mêlne dans sa propre histoire, mais aussi le lieu de la nature, le territoire qui n'est pas la ville dense et où donc on peut vivre hors des contraintes de la cité. .Ne confondons pas les usages résidentiels ou de vacances essentiellement de type périurbain, mais pas toujours, avec une nouvelle vague néorurale post soixante-huitarde. Si les lieux sont parfois les mêmes, la France des autoroutes et des TGV est passée par là pour marier jour après jour la plupart des campagnes avec les cités. Le territoire vitesse a pris le pouvoir. Les vacances à la campagne se passent principalement dans le département et la région d'habitat, forme de prolongement de la périurbanisation dans un modèle plus aisé, birésidentiel. La campagne, c'est tout au long de l'année, dans la proximité. C'est donc une relation profonde et continue qui structure fortement les territoires, y compris le territoire électif souvent. Ce mode d'usage se fait beaucoup avec une lecture naturelle de la campagne, une lecture écologique. Cette lecture écologique est à l'origine la projection d'une pensée protestante sur le rapport au vivant. Par ailleurs, on a une culture plus dominée par une pensée catholique, centrée sur le travail et sur les signes manifestes du travail de l'homme, donc sur l'église et sur le village, sur le patrimoine. Le monde protestant a, lui, un rapport à la nature plus près du sacré. Cette culture protestante s'est développée aux Etats-Unis puis est revenue par l'Angleterre et l'Allemagne. En outre, quand on observe l'électorat Chasse, pêche, nature et tradition, on constate que ce sont surtout des hommes ruraux - souvent plus que des agriculteurs - qui défendent à leur manière l'ancienne culture rurale populaire; le cœur de l'écologie, par contre, est majoritairement porté par des femmes urbaines: les filles de l'exode rural, en quelque sorte, qui projettent sur la campagne cet exode rural que leurs mères ont voulu, et qui se retrouvent dans le projet politique qui relie par la nature le territoire dont elles sont parties. 19
Et attention, dans la même commune, le bourgeois urbain qui s'installe à dix kilomètres de la ville, le fils du village qui construit la maison neuve, le consultant qui a posé là sa famille et parcourt le monde, tous ne partagent pas le même territoire même s'ils habitent le même lieu. Leur diversité génère en réalité une nouvelle diversité, celle-là même qui fait passer la société du village à l'urbanité. 4 - Retour au métier de la terre dans ces campagnes archipels .
Au regard de tous ces bouleversements,revenons aux enjeux agricoles et
à la place qui leur reste au sein du monde rural et du territoire. Rappelons que les agriculteurs dans les villages représentent en moyenne 10 % de la population. Dans un village moyen, il y a 30 % d'ouvriers, 30 % de retraités, 20 % de cadres. Les cadres ont doublé dans les villages en vingt ans, les commerçants n'y habitent pas plus qu'avant et les agriculteurs bien sûr diminuent. Les agriculteurs en âge de prendre une succession sont environ 6000. Or, il faudrait 12 000 successions pour maintenir seulement le nombre actuel d'exploitations. Les paysans ne produisent donc plus assez de successeurs et c'est d'ailleurs le groupe social qui a le moins envie que ses enfants soient paysans! Dans la France d'aujourd'hui, les gens des villes sont plus favorables au fait que leur enfant devienne paysan: ils ne se rendent peut-être pas bien compte des difficultés du métier... mais c'est une indication importante en termes d'imaginaire. D'autant que nous savons par ailleurs que nous sommes entrés dans une époque où le travail physique du corps est moins honorable qu'hier. C'est aussi vrai pour les bouchers, les charcutiers, les maçons. Quand un jeune a passé vingt ans de sa vie à écouter quelqu'un parler, il n'a même pas été initié au travail physique du corps. L'homme fort et physique, marqué par son métier, est moins désirant et moins désiré par les dames, et quand les dames s'arrêtent de désirer un groupe social, le groupe social change de métier; cela s'est déjà vu au moment de l'exode rural de la fin du XIXe siècle. L'ouvrier à casquette de danseur était vu comme séduisant, bon amoureux et bon amant, et le paysan était vu comme lourdaud. La production des stéréotypes érotiques est une des catégories d'actions politiques et sociales trop souvent sous-estimée sur toutes ces questions. Posons alors quelques constats qui peuvent nous éclairer sur les perspectives du monde agricole. D'abord, la ville s'étale et continuera à s'étaler dans toutes les sociétés et l'urbanité s'étale encore plus que la ville physique. Cela est lié à nos sociétés de mobilité et au déplacement des lieux de création de la richesse. Aujourd'hui, l'essentiel de la richesse est produit dans les villes. Pendant longtemps, la richesse était produite dans les terres. C'est pour cela que les terres grasses et profondes étaient des régions plus 20
riches. Ensuite, la richesse est venue des mines et des usines. Maintenant, la richesse est produite par des cerveaux, dans le cadre d'une économie cognitive urbaine. La ville est la machine qui produit cette richesse et où se concentrent le travail et son apprentissage. Logiquement, on a donc tendance à habiter à côté de son lieu de travail, en partie à côté de la ville donc. Et la très grande ville est le lieu de la jeunesse et du célibat parce que c'est le lieu des études et du loisir. La majorité des logements de Paris sont ainsi habités par des personnes seules. On étudie et on se séduit en ville, on se reproduit autour des villes et on revient parfois en ville après. Cette présentation schématique nous dit bien que notre dynamique d'usage des territoires s'inscrit dans une nouvelle logique, celle des trajets de vie. Et ceux qui sont astreints à la sédentarité sont à contre-rythme de la mobilité moderne. Dès qu'on a des enfants, on rêve d'une maison avec jardin, on rêve d'un barbecue, on rêve de cette société où le lien social se construit dans le temps libre avec au cœur de nos pratiques sociales le logement. Le lien social s'est largement privatisé. En dix ans, par exemple, le nombre de dîners chez les copains en semaine a augmenté à Paris de 60%, alors que, dans les années soixante-dix, la maison était le lieu des repas familiaux, de la parentèle. Les groupes sociaux dominants ont tous des chambres d'amis, les groupes sociaux moyens rarement et les groupes sociaux populaires jamais. On voit bien que cette capacité à ce que le logement devienne le cœur d'un lien social privatif est très liée aux questions qu'on se pose parce que cette tribu amicale rêve de quoi? D'un jardin, d'un barbecue, pour faire tribu, et pour faire tribu, le territoire idéal du logement, c'est le périurbain. Et ce qui vaut pour I'habitat régulier vaut pour les courts séjours et les week-ends, voire une partie des vacances. 65 % des séjours de vacances se passent chez les parents et des amis: la première destination des vacances, c'est l'amitié, c'est la famille souvent dans sa propre région. Cette privatisation des liens sociaux a donc des effets sur le territoire, sur l'usage des lieux, en ville comme à la campagne. On aboutit à la démocratisation des anciennes pratiques des élites: avoir un pied en ville et un pied à la campagne, soit avec un habitat périurbain très confortable qui est majoritaire, soit avec une résidence secondaire: Il %des logements sont des résidences secondaires, en moyenne utilisées 45 jours par an par au moins trois familles. Et la campagne retrouve ainsi cette classe de propriétaires résidants ou semi-résidants non exploitants qu'elle avait en partie perdus durant le siècle du triomphe du paysan propriétaire exploitant. Nouveaux usages, nouvelles propriétés, nouvelles représentations, nouvel imaginaire... Alors oui, le monde agricole va encore être contraint au changement. D'abord en redécouvrant que sa place sociale n'est pas réductible à des quantités produites. Le symbole du paysan dans notre société est bien souvent la vente directe, le marché, le produit du terroir. Cette paysannerie que l'on voit, celle qui tient les marchés, est perçue par les professionnels 21
comme marginale; or elle incarne de plus en plus la figure du paysan, c'est lui la parole de la paysannerie française vis-à-vis des populations. Pisani parlait de l'agriculture marchande et n1énagère. Il y a là, à l'intérieur du monde agricole, un enjeu gigantesque de reconquête imaginaire de la production, en acceptant que cette forme de paysannerie soit partie prenante de ses porte-parole. S'il n'y arrive pas, la perception" écolo-urbaineliberté" que j'ai évoquée deviendra dominante. Le monde agricole doit comprendre cette rupture, avec une difficulté majeure qui est la suivante: alors que la société change si vite, 80 % des agriculteurs vivent et meurent là où ils sont nés et là où ils seront enterrés. Leur vitesse de mutation culturelle n'est donc pas la même que celle de l'ensemble de la société: L'immense mutation technique des cinquante dernières années s'est faite avec une fidélité profonde au niveau culturel, notamment parce qu'il n'y a pas de déplacement géographique. Parallèlement, et dans la même perspective du positionnement social et culturel de la paysannerie, celle-ci devra rénover son rapport au féminin, c'est-à-dire la maîtrise du désir de nourrir, qui représente une chaîne symbolique fondamentale. La paysannerie pour défendre sa place symbolique, ses droits aux aides et même ses droits au territoire, va devoir mener une politique de relation et de communication pour intégrer nos sociétés médiatiques modernes. Enfin, les enjeux agricoles sont désormais de niveau planétaire. Le Sud a besoin de vendre ses fruits et légumes, une vache qui vient d'Amérique latine peut être meilleure et moins chère... Là encore, le territoire même du métier va être amené à changer. Le paysan de demain n'aura pas forcément à exploiter uniquement le sol sur lequel il est installé. Il fera aussi de la
consultance, comme parfois il le fait déjà - une partie des producteurs de tomates de Provence-Alpes-Côte d'Azur n'ont-ils pas des affaires au Maroc? Les rapports entre le paysan et le sol dans le siècle qui nous attend risque d'être beaucoup plus complexe qu'aujourd'hui. La grande question alors du monde paysan est et sera: ce changement, on le subit, ou on l'accompagne, ou on le précède? En ce moment, massivement, les paysans disent accepter le changement parce qu'ils n'ont pas le choix. Ce n'était pas le cas dans les années soixante, ni avec le CNJA, ni avec la Jeunesse agricole chrétienne
-
l'autonomie
des femmes paysannes,
toutes ces réflexions
très
profondes du monde agricole dans les mouvements catholiques de l'aprèsguerre. Dans les années cinquante, les jeunes agriculteurs étaient porteurs et partenaires de l'innovation. Quel nouveau contrat peut aujourd'hui être passé entre la société, son sol et sa paysannerie? La question demeure ouverte. Dans notre. société de la dualité d'usage des territoires, de la généralisation de l'urbanité, du décalage de la vieille société paysanne masculine localisée avec la nouvelle société de mobilité largement féminisée, le monde paysan, à nouveau est aux portes du changement. Le 22
futur n'est jamais écrit. Tout dépendra de la construction des imaginaires, de la construction du politique, de la reconquête des agriculteurs sur l'imaginaire du territoire rural. Il y a un immense besoin de capacité de mise en scène, de réflexion sur la gestion du vivant, sur l'honneur du métier, sur le plaisir de nourrir; sur la qualité des produits... Pour finir simplement, je dirai que si 20 % des agriculteurs ont voté Front national lors de l'élection présidentielle de 2002, c'est-à-dire presque autant que les ouvriers, c'est que le politique est le lieu où s'inscrivent toutes ces ruptures. Cela veut dire que les hommes qui ont fait peu d'études, les hommes dont la force des muscles était le principal vecteur de production, de domination des femmes et du politique, ces hommes qui manifestent, qui dominent les femmes, ces hommes qui par là même sont dans une vieille histoire de 1'homme qui construit sa vie à la force du poignet, ces hommes-là sont en souffrance et en désarroi dans une société qui glisse vers la puissance dominante du cerveau, transformant le corps en objet esthétique et ludique. C'est cela aussi qu'exprime le vote d'extrême droite. Observons le politique comme un lieu qui nous permet de voir ce qui ne s'exprime pas toujours. Il y a des périodes où le politique se met à tanguer à certains endroits. En ce moment, il tangue dans les campagnes, à soixante kilomètres des villes, comme il tangue dans les anciennes cités ouvrières. On n'a pas su refonder le pacte républicain de Gambetta, on n'a pas refondé un modèle territorial pour nos communautés mobiles mais localisées. On a besoin d'un nouveau Jules Ferry. On parle tout le temps de décentralisation: or plus on décentralise, plus l'abstention grandit. Comment alors reconstruire de l'agora, comment reconstruire de la citoyenneté, à quelles échelles de territoire pour faire sens dans une société de mobilité? Nous avons là à relever un défi fondamental qui est de réinscrire la citoyenneté dans un nouveau modèle territorial. Est-ce que le grand débat sur la décentralisation va en donner les moyens? Je ne donnerai pas un avis tran~hé, mais je crains que nous ne soyons que dans une réorganisation interne du monde des notables. Puisse l'avenir me donner tort. Références bibliographiques (1) l'Aube, (2) (3) l'Aube, (4) (5)
HERVIEU Bertrand, VIARD Jean, Au bonheur des can1pagnes, 1996. MENDRAS Henri, La France que je vois, Autrement, 2002. PISANI Edgard, Pour une agriculture marchande et ménagère, 1994. URBAIN Jean-Didier, Paradis verts, Payot, 2002. VIARD Jean, La Société d'archipel, l'Aube, 1994.
23
La géoagronomie, un nouveau territoire? Georges BERTRAND
1
Résumé Le retour, et le recours, au territoire est-il un repli frileux sur une valeur refuge? Une fuite en avant à contre-filière ? Ou bien une révolution copernicienne pour une nouvelle agronomie en quête de redéploiement scientifique et d'ouverture culturelle? La géographie, qui se définit comme science du territoire, est-elle en première ligne? Depuis leurs origines l'agronomie et la géographie ont suivi, avec des hauts et des bas, un cheminement de conserve sur un même territoire. Le nouveau rapprochement qui s'opère autour de la géoagronomie soulève de multiples questions qui nous confrontent à la complexité-diversité de territoires où l'agriculture n'occupe plus une position dominante: une naturalité toujours présente mais de moins en moins naturelle, l'émiettement des grands agrosystèmes traditionnels et l'apparition de terroirs dits de reconquête, l'émergence. du paysage porteur de valeurs essentiellement citadines, l'indispensable dépassement de la biodiversité par la géodiversité globale du territoire, l'obligation de sortir de la parcelle et de l'exploitation agricole pour maîtriser les jeux d'échelle dans le temps comme dans l'espace. La géoagronomie peut représenter, sinon un nouveau paradigme du moins un simple biais à la fois épistémologique, méthodologique et didactique qui pourrait, en s'inspirant, par exemple, du système pluridimensionnel GTP (Géosystème - Territoire - Paysage), impulser la géoagronomie dans une dialectique territoire-filière impliquant, dans un même mouvement, les pays du Nord et les pays du Sud. Le géographe n'a pas de réponses à donner. Il pose des questions. Ce champ se rattache à la géographie par les objets d'étude, les structures spatiales, la dynamique des phénomènes et les activités dans le territoire. Mais son analyse est dans l'agronon1ie car les facteurs de structuration du territoire sont recherchés dans le fonctionnement et la dynamique des systèmes techniques aux différents niveaux oÙ s'organise l'activité agricole. (J.-P. Deffontaines) (3) Après le grand bond de l'interdisciplinarité tous azimuts auquel nous avons tous participé, il y a comme une insatisfaction et un vide. Les 1
G. Bertrand:
Professeur
étnérite de géographie.
Maison de la Recherche
GEODE - UMR 5402 CNRS
questions vives qui se dessinent et les méthodes pour les aborder nous renvoient aux disciplines mais les débordent toujours autant. Se pose alors de façon concrète la mise en forme de systèmes transversaux, circumdisciplinaires, bien circonscrits, construits et finalisés, sinon permanents du moins dotés d'une certaine durabilité. Illes faut plus aisés à mettre en œuvre et surtout plus efficaces que les enchevêtrements interdisciplinaires traditionnels. La géoagronomie, dont J.-P. Deffontaines nous propose de suivre les premiers sentiers, ne défriche-t-elle pas un nouveau territoire de recherche qui, tout à la fois, transcende les deux disciplines concernées et contribue à discipliner la prolixité interdisciplinaire? Ce pari, qui ne peut que nous enrichir, mérite d'être relevé. L'agronomie est, consubstantiellement, une science doublée d'un art qui s'enracine dans le territoire. La parcelle agricole, lieu des techniques et des pratiques, en est l'unité fonctionnelle de base et, souvent, la référence privilégiée, voire unique. Le tout est de sortir de la parcelle. Or, l'agronomie contemporaine a un problème existentiel avec un territoire devenu plus urbain que rural et plus rural qu'agricole. La parcelle et l'exploitation agricoles, les terroirs ainsi que toutes les formes d'emprises agricoles, ne sont plus que des éléments parmi d'autres d'une mosaïque géographique morcelée et instable, soumise à de multiples stratégies économiques et valeurs culturelles contradictoires. L'agronome est de moins en moins seul sur sa parcelle. Il lui faut s'ouvrir à la complexité du territoire. Le retour, et le recours, au territoire, n'est pas univoque. Il exprime des cas de figure multiples et contradictoires. S'agit-il d'un repli frileux sur une valeur refuge: le champ bucolique? S'agit-il de rompre le fil de la filière et d'une fuite en avant, à contre-filière? S'agit-il d'une avancée raisonnée dans la tradition de l'agronomie classique? Ou bien s'agit-il des prémisses d'une révolution copernicienne, annonciatrice d'une nouvelle fonne d'agronomie, en quête de redéploiement scientifique et, plus encore, d'ouverture culturelle. A la recherche d'une meilleure adéquation avec la globalisation et la mondialisation des questions sociales et environnementales ? Il Y a certainement un peu de tout cela: du technologique et du culturel, de la méthode et de la pratique, du patrimoine et du prospectif, de l'agronomique et de l'interdisciplinaire. Dont du géographique. La géographie, qui se définit généralement comme une science du territoire est-elle, pour une fois, en première ligne? Y aurait-il avec l'agronomie une certaine convergence épistémologique qui pourrait augurer d'une future confluence conceptuelle et méthodologique? Dans une sorte d'entre-deux disciplinaire. Sans pour autant se couper des autres disciplines. Vers une « science diagonale» au sens de R. Caillois. Mais ici le but final importe moins que l'intention et la démarche. Au centre du débat il yale territoire. Mais de quel territoire s'agit-il? L'ambiguïté de ce terme n'a cessé de croître. Il s'emmêle, sans se 26
superposer, avec les notions d'espace, d'environnement, de paysage, voire avec des concepts scientifiques tels que l'écosystème, le géosystème, l'agrosystème. Nous n'entrerons pas dans des querelles byzantines. Le territoire ne se taille pas à la mesure d'une discipline voire d'un objectif particulier. Il n'y a pas plus un territoire de l'agronome qu'il n'y a un territoire du géographe. Seul existe le territoire des hommes aujourd'hui dilaté à la planète entière. Avec, à la base, cette nouvelle donne qui constitue le leitmotiv de notre propos: nulle part l'agricole, voire le rural, n'est l'unique moteur et cela jusqu'à l'échelle de la moindre parcelle ou du moindre troupeau. D'où cette affirmation de B.Vissac (15) que nous faisons nôtre: notre questionnement est celui de la contribution de l'agriculture au développement d'un territoire plutôt que du développement de l'agriculture dans un territoire. C'est déjà une première approche de la géoagronomie. 1 - L'agronomie un même territoire
et la géographie:
un cheminement
de conserve sur
L'analyse des rapports historiques entre les deux disciplines est ici hors de propos (2). Par contre, il est indispensable de mettre en perspective la prise en considération commune du «géographique ». Par cet adjectif substantivé nous désignons cette dimension d'essence territoriale dont la géographie s'est fait une spécialité mais qui n'a jamais été absente de l'agronomie. Jusqu'au milieu du XXe siècle, la campagne française, sous les apparences d'un ordre éternel des chan1ps, a constitué un socle territorial plus ou moins stable et un patrimoine scientifique commun à plusieurs générations de chercheurs. Citons quelques noms parmi d'autres: M.Bloch, P. Deffontaines, A. Demolon, R. Dion, D. Faucher, G. Haudricourt, L. Febvre, A. Meynier, etc. Les thèmes abordés font la part belle au territoire, à son organisation, à sa mise en valeur: structures agraires des finages et parcellaires des terroirs, techniques et pratiques agricoles, analyses des différentes révolutions agricoles . Avec le souci minutieux du terrain et de l'enquête, au plus près des réalités humaines. L'agronomie française était imprégnée d'une culture générale historico-géographique très territorialisée et très régionalisée qu'elle a en grande partie perdue. A ce jour, demeurent de nombreuses filiations qui ne sont pas seulement professionnelles. Les Trente Glorieuses marquent, sinon une rupture, du moins une distension des liens. Paradoxalement, alors que l'aménagement du territoire est au cœur de la reconstruction économique et sociale, on assiste à un double mouvement de remembrement brutal du territoire et à un démembrement des disciplines et des recherches. De plus en plus artificialisé et homogénéisé, le territoire est géré sur des bases productivistes de court terme. L'indispensable approfondissement des disciplines et l'apparition de 27
nouvelles spécialisations concourent au compartimentage des interprétations scientifiques. Les technologies, de plus en plus « avancées », tendent à se substituer à la méthode et l'épistémologie est passée de mode. L'émergence en France, vers les années 1970, de l'écologie de synthèse ne corrige que très partiellement ce parcellement des savoirs agronomiques dans la mesure où l'écosystème, d'essence naturaliste, s'arrête souvent sur les marges de l'espace cultivé (5). Pendant ce même temps, la géographie s'épuise en débats internes et se morcelle. La géographie physique s'étiole. La géographie rurale devient une branche de la géographie sociale, dans l'ombre de la ville. Aujourd'hui l'interdisciplinarité, en dépit de ses flottements (9), a rapproché les hommes et les idées. ,Le territoire, si malmené, est de retour. Après le temps des filières s'agit-il du temps des territoires? Substitution et/ou complémentarité? Ce n'est pas au géographe de répondre mais il a beaucoup de questions à poser. 2 - Le vertige de la conlplexité (M. Sébillotte) : quelques questions vives sur le territoire. La complexité est à la base (E. Morin). Nous n'avons plus le choix. Les problèmes que les agronomes se posent et que les non-agronomes leur posent transgressent de plus en plus largement le champ traditionnel de l'agronomie. En fait, ils n'ont plus de frontières. Tout en développant de profondes racines agronomiques. Parmi ces questions multiformes et toujours enchevêtrées, nous n'avons retenu que celles qui portent directement sur le territoire. Sans épuiser le sujet. 1).Des natures pas très naturelles mais une naturalité omniprésente mal assumée. Il n'y a pas de territoire, et pratiquement d'agriculture, sans terre; sans cette part de naturel qu'impliquent le vivant et les grands cycles biogéochimiques. Les catastrophes naturelles et les changements et/ou oscillations climatiques, l'épuisement de certaines sources naturelles, sont là pour nous le rappeler. Pourtant, la question de la nature au quotidien ne paraît plus essentielle. Elle est occultée par l'économicisme ambiant et, paradoxalement, masquée par l'émergence des toutes puissantes biotechnologies. De fait, il est de plus en plus difficile de faire un bon usage de la nature(7). Après avoir surmonté un déterminisme naturel honteux (2), il faut aujourd'hui dépasser les réticences, effacer les lacunes en évitant le mélange des genres. Entre les conceptions métaphysiques de la Nature, opposables à l'Homme, et les processus bio-physiques qui fondent les productions végétales et animales conduites par les sociétés humaines, il y a de multiples transitions et manières d'aborder le sujet. Avec différentes combinatoires entre faits naturels et faits sociaux. L'anthropisation tend à devenir le 28
processus dominant... mais une part de nature persiste toujours. Le concept de naturalité tel qu'il est avancé par I.Lecomte (8) mérite d'être approfondi: « la naturalité d'un système écologique s'apprécie le long d'un gradient. La véritable naturalité peut être estimée en fonction de l'influence des activités humaines sur l'évolution du système considéré ». La recherche de modèles d'anthropisation-artificialisation doit être systématisée à toutes les échelles temporo-spatiales. C'est un grand pas de plus sur la voie déjà tracée du « profil cultural» (S. Hénin). 2) L'espace agricole de la fin de l' agrosystèn1e au renouveau des terroirs. La mosaïque agricole avec ses parcelles, ses terroirs et ses pays, fonctionnait sur la base d'un système territorial généralisé et organisé, sinon indépendant du moins autonome. Aujourd'hui, cet agrosystème tend à devenir une sorte de kaléidoscope agité par d'incessantes secousses, agricoles et non agricoles, et dévoré par de plus en plus larges empiétements urbains. Tout en entretenant encore la plus grande partie du territoire, avec difficulté il est vrai, l'agriculture est repoussée sur les marges du système économique et social ainsi que du système écologique. Son territoire est de moins en moins un agrosystème auto-organisé et cohérent. Comme le déplorent déjà B. Hervieu et E. Pisani dans Le Monde du 12 mars 1996, aux territoires succèdent des bassins céréaliers, porcins, allaitants, laitiers qui font de nos territoires un puzzle aux pièces disparates. Cette rupture du continuum territorial et de sa logique fonctionnelle est lourde de conséquences écologiques, économiques, voire psychologiques: rupture ou dénaturation des stocks et des flux de matière et d'énergie, difficultés d'exploitation, isolement et « ensauvagement ». Les contraintes imposées aux agrosystèmes traditionnels n'annoncent pourtant pas lafin des terroirs. Si certains de ceux-ci s'effacent, remplacés par la friche, le béton ou le bitume, d'autres résistent, se consolident ou se créent autour de productions de qualité. Les terroirs viticoles ont depuis longtemps donné l'exemple. Les terroirs de reconquête se tTIultiplient et les chercheurs retrouvent l'importance de la cOlnposante physique de l'effet terroir (4). 3) Ne pas se tromper de paysage: le paysage-territoire à la fois paysagedécor et paysage-outil. L'irruption du paysage et des valeurs esthétiques et patrimoniales qui lui sont attachées bouleverse notre vision du territoire. Ce n'est qu'un début. Du territoire, le paysage n'est pas seulement l'apparence. Il en constitue 1'architecture matérielle, visible par tous, et il en exprime la permanence patrimoniale. Il est la mémoire longue des campagnes. Dimensions un peu trop oubliées par l'agronomie classique qui s'est focalisée sur la production dans l'espace et sur l'espace de production. Le paysage tel qu'il est aujourd'hui perçu et vécu exprime un sorte de revanche culturelle d'origine urbaine contre les excès d'un désenchantement et d'une laïcisation du territoire. L'angélus de Millet tinte à nouveau sur la 29
campagne française, symbole d'un pseudo-retour à une pseudo-nature. Même agrémenté, ce paysage agricole n'est pas un jardin et il ne relève pas de techniques jardinatoires. Le paysagisme n'est qu'une nouvelle dimension d'un territoire qui demeure encore pour longtemps dessiné par la production et qui doit à cette dernière son équilibre d'artifice et son charme d'artefact. Si les paysages extraordinaires méritent une attention particulière ils ne doivent pas masquer la multitude des paysages dits «ordinaires» qui constituent, de fait, l'extraordinaire harmonie et diversité des campagnes (10). 4) De la biodiversité à la géodiversité territoriales: les géosystèmes et les jeux d'échelle temporo-spatiaux. Dès les années 1950, alors que le botaniste H. Gaussen stigmatisait l'absence de dÙnension biologique en géographie, le géographe D. Faucher définissait, dans l'introduction de sa Géographie agraire, l'agriculture comnle une biologie. Avec l'appui grandissant de la biologie et de l'écologie, l'agronomie est devenue l'une des grandes sciences du vivant. L'écosystème a bien rempli sa mission. Mais l'agronome ne peut en rester là. Il est en permanence confronté à la complexité spatiale et temporelle du territoire: relief, climat, eaux courantes ou stagnantes, sols, qui interfèrent au sein du milieu cultivé. Les éléments abiotiques sont en interaction permanente avec les composantes biotiques et anthropiques. L'agrosystème est un géosystème tronqué et modifié pour produire une récolte (2). La combinaison entre tous ces éléments change dans le temps et dans l'espace. Pour maîtriser ce jeu d'échelle essentiel à la compréhension de l'espace agricole et rural, l'agronome doit s'extraire de la parcelle et de l'exploitation agricole. Il lui faut, plus que jamais, appréhender la structure et le fonctionnement des systèmes territoriaux à toutes les échelles d'espace et de temps. 5) Le temps et les états du territoire. La durabilité ne sera qu'un motvalise tant que les chercheurs n'auront pas analysé les multiples temporalités du territoire: durées, périodisations, rythmes, y compris crises et catastrophes. Le territoire n'existe concrètement, aussi bien pour l'agriculteur que pour le scientifique, qu'à travers ses états (instantanés, quotidiens, saisonniers, annuels, interannuels, etc.) et leur succession. Les journées du PIREVS (Programme Interdisciplinaire de Recherche sur Environnement, Vie et Sociétés) du CNRS (Toulouse, 1998) font le point des recherches sur les temps de l'environnement et leurs répercussions sur le fonctionnement des territoires (1). En concevant, a priori, le territoire comme un espace-temps, on évite l'écueil de références temporelles disparates puisées dans d'autres disciplines. Des notions de base de l'agronomie telles que la potentialité, la fertilité, la ressource, peuvent être ainsi recadrées dans un territoire donné, pour un système de production donné et dans un temps donné, en fonction d'une société donnée. Il reste à l'agronolue à se doter d'un outil territorial efficace. 30
3 - Vers une géoagronomie, Caillois)
l'utopie
d'une science diagonale (R.
Le titre est provocateur. L'idée est utopique. Il ne s'agit que de se projeter au plus loin pour agir au plus près. L'inventaire des questions vives, pourtant très incomplet, nous laisse en présence de fragments de territoires (parcelles, terroirs, bassins, paysages, espaces dits naturels. ..) et d'éléments spatiaux disparates (sols, végétation naturelle ou cultivée, eaux...). Comment rendre compte, dans un même mouvement, de l'unité du fait territorial et de son caractère multifonctionnel dans le temps et dans l'espace ? N'est-ce pas changer le vertige de M. Sébillotte en mirage? La question n'est pas seulement de l'ordre de la méthode mais d'un paradigme, bien plus large, comme le recommande E. Landais, qu'un simple paradigme expérimental (6). Si ce mot effraie par son ambition, parlons humblement de biais comme le berger de A.Leroy qui ajuste la gestion de son troupeau et de son pâturage à partir de techniques et de pratiques toujours réinventées (3, p. 157). Pour valoriser au mieux le territoire, nous proposons au débat un système d'analyse à trois niveaux: épistémologique, méthodologique, didactique. 1) L'élargissement préalable du champ épistémologique: du profil cultural au profil culturel. Des publications vivifiantes, par exemple dans le Courrier de l'environnement de l'INRA, viennent secouer l'édifice agronomique et proposer de nouvelles voies de réflexion, autocritiques et ouvertes sur une interdisciplinarité réévaluée. Ce réveil épistémologique concerne très directement le rôle et la place de l'agronome sur le territoire. La première urgence est, y compris pour les non-agronomes, de définir un nouveau champ sémantique et conceptuel qui ne sera pas sans rappeler le débat critique livré, il y a quelques décennies, autour de la notion de fertilité. Toute l'approche environnementale du territoire est concernée et aucune discipline en particulier n'en possède les clés. Par exemple, que signifient ressource naturelle, potentialité, durabilité, irréversibilité, renouvelabilité, etc., hors de tout système de références socio-culturel enraciné dans un espace-temps donné? S. Hénin en proposant le profil cultural comme l'interface agronomique entre le naturel et le social a définitivement changé le regard de l'agronolne sur le champ cultivé. Aujourd'hui, les évolutionsrévolutions subies à la fois par l'agriculture et par le territoire nous amènent à concevoir des outils qui embrassent le Inonde non-agricole et nonagronomique. Sans oublier les spécificités des pays du Sud. La littérature agronomique, celle des sciences sociales, voire la littérature scientifique, ne suffisent plus. Con1poser demande une tension entre local et global, voisin et lointain, récit et règle, l'unicité du verbe et le pluralisme inanalysable des sens, n10nothéisme et paganisn1e, l'autoroute internationale et les villages retirés, la science et les littératures (14). 31
2) Une méthode multidimensionnelle pour appréhender le territoire tel qu'en lui-même: la contribution du système tripolaire GTP (1). Les analyses sectorielles, de plus en plus spécialisées et finalisées fournissent une masse envahissante de faits d'observation et de résultats d'expérimentations. Pour aussi indispensables qu'elles sont, elles ne peuvent suffire à saisir la structure et le fonctionnement interactifs du territoire. Si elles font office de connaissance des processus elles ne s'élèvent jamais jusqu'à l'intelligence du système-territoire. L'écosystème constitue le meilleur exemple de concept rassembleur et téléologique concernant le monde vivant. Toutefois, il ne peut exprimer toute la complexité-diversité du territoire que ce soit dans ses aspects abiotiques (relief, modelés, climat...), socio-économiques et, à plus forte raison, culturels (artialisation, patrimonialisation...). De plus, il faut prendre en compte la diversité des approches et des finalités qui se développent et souvent s'opposent sur un même territoire. La méthode ne peut se fonder sur un concept unique et univoque. D'où la proposition de traiter du territoire à travers un système tripolaire qui ménage trois entrées principales dans un même territoire (il peut y en avoir d'autres) : -
le géosystème-sourcetraitant des objets et des processus bio-physiques
qui, pour l'essentiel, sont déjà plus ou moins anthropisés ; -
le paysage-ressourcement appréhendant la ditnension sensible et
symbolique au travers des représentations socio-culturelles ; -
le territoire-ressource qui prend en compte les structures et les
fonctionnements liés aux activités socio-économiques, compte tenu des données géosystémiques et paysagères. A ces trois concepts ou notions de base correspondent trois grilles spatiotemporelles spécifiques, sans emboîtement de principe, ce qui permet de mettre en évidence les contradictions, discordances et déphasages qui sont à l'origine de conflits territoriaux où l'agriculture a sa part et que l'agronome doit contribuer à démêler. Une telle démarche scientifique, aux frontières de l'agronomie et de la géographie, permet de situer l'activité agricole et l'intervention de l'agronome dans les mouvements de plus en plus saccadés des sociétés et des territoires. 3) Pour une didactique du territoire. Cet élargissement de la pensée et de la méthode est déjà largement amorcé grâce aux efforts pédagogiques engagés, en particulier par l'enseignement agricole. Celui-ci a intégré la double dimension économique et écologique désormais indissociable dans la problématique environnement ale et, encore plus nettement, dans celle du développement durable qui commence à prendre de mieux en mieux en compte les agronomies des pays du Sud. La dimension territoriale n'est pas absente mais elle n'est traitée qu'au travers de la production et de la productivité (quand ce n'est pas du productivisme). L'analyse naturaliste des géosystèmes anthropisés et l'analyse socio-culturelle des représentations 32
paysagères sont en train de faire évoluer les contenus traditionnels de l'enseignement agronomique. C'est le cas des travaux exemplaires de Y. Michelin à l'ENITA de Clermont-Ferrand (14) et de L. Lelli à l'ENFA de Toulouse (10). Nous renvoyons à leurs travaux pionniers. L'extrait des Sentiers d'un géoagronon1e de J.-P. Deffontaines placé en épigraphe de cette communication trace des perspectives qui ne concernent pas seulement l'agronomie. Il reste à prolonger cette proposition en l'ouvrant encore davantage. La question n'est pas de ramener sur l'agronomie toutes sortes d'apports extérieurs. C'est de permettre à l'agronomie de sortir de l'agronomie, de se reconstruire et de se redéployer vers de nouveaux horizons... qui ne sont pas tous géographiques. Sans rien perdre de la dimension agronomique. S'agissant... de la gestion de l'espace rural, n10ins que jamais, on ne peut prétendre la penser à travers les seuls systèmes techniques, mais on ne peut pas non plus la penser sans eux (13). L'agronomie est déjà une science interdisciplinaire mais est-ce la bonne ? Cette interrogation de D. Moriss (12), teintée d'humour britannique, doit, elle aussi, être prolongée... mais est-ce la bonne... pour affronter les questions territoriales et environnementales de demain, celles des pays du Sud comme celles des pays du Nord? La géoagronomie, soucieuse à la fois de dimension territoriale et de dimension sociale et culturelle n'est peut-être pas la bonne réponse, et surtout pas la seule. Mais elle est l'une des bonnes questions à poser à la communauté des agronomes assemblée sur le territoire d'Olivier de Serres. Références bibliographiques (1)- Barrué M. et Bertrand G. (éd.), Les temps de l'environnement, Journées du PIREVS, Toulouse, 1997, Presses Universitaires du Mirail, 544 p., et Bertrand C. et G., Le géosystème : un espace-temps anthropisé. Esquisse d'une temporalité environnementale, Idem, pp. 65-76. (2)- Bertrand C. et G., Pour une histoire écologique de la France rurale, in Duby G. et Wallon A., Histoire de la France rurale, Le Seuil, Paris, vol. 1, 1975, pp. 35-116. (3)- Deffontaines J.-P., 1998, Les sentiers d'un géoagronome, Arguments, Paris, 360 p., p. 69. (4)- Dorioz J. M. et al., La composante milieu physique dans l'effet terroir pour la production fromagère, Le Courrier de l'environnement de l'INRA, 2000, na 40, pp. 47-55. (5)- Hubert B., A propos du Causse Mejan, Nature - Sciences - Sociétés, Elsevier, Paris, 2002, pp. 67-69. (6)- Landais E., 1998, Agriculture durable et nouveau contrat social, Le Courrier de l'environnement de l'INRA, na 33, 1998, pp. 5-22. 33
(7)- Larrère C. et R., Du bon usage de la nature, 1997, Aubier, ColI. Alto, Paris, 355 p. (8)- Lecomte J., Réflexions sur la naturalité, Le Courrier de l'environnement, INRA, 1999, na 37, pp. 5-10. (9)- Legrand P., Repères dans le paysage agricole français, Le Courrier de l'environnement de l'INRA, na 33, 1998, p. 81. (10)- Lelli L., Le paysage ordinaire: l'exemple du Nord-Comminges (Haute-Garonne, France). Essai méthodologique et pratique, Thèse de doctorat, Géode - Université de Toulouse-Le Mirail, 2000, 325 p. (11)- Michelin Y. et al., Le paysage dans un projet de territoire. Démarche et méthode expérimentées en Limousin, Chambre d'Agriculture de la Haute-Vienne, 2002, 67 p. (12)- Moriss D., La place de l'agronomie dans la recherche environnementale, 1998, Dossier de l'environnement, INRA, na 17, pp. 6770. (13)- Osty P.-L. et al., Comment analyser les transformations de l'activité productrice des agriculteurs? Propositions à partir des systèmes techniques de production, Etud. Rech. Syst. Agraires, Dev. INRA, 1998, na 31, pp. 397413. (14)- Serres M., 1983, Les cinq sens, Grasset, Paris, p. 262. (15)- Vissac B., 1989, in MarchaI J. Y., Quand les agronolnes s'en vont aux champs, L'Espace Géographique, na 3, 1990-1991, p. 217.
34
Changement climatique, gestion des ressources et territoires Bernard SEGUINl Résumé L'évaluation de l'impact du changement climatique sur la gestion des ressources et les territoires doit prendre en compte, en premier lieu, l'impact prévisible sur la production végétale à partir des connaissances disponibles sur l'écophysiologie des cultures, appliquées à la simulation des effets des scénarios climatiques (incluant l'augmentation du C02 atmosphérique). En s'appuyant sur une présentation générale des conséquences attendues, et par ailleurs des observations concernant les évolutions récentes du climat et de ses conséquences sur la phénologie de certaines cultures pérennes (arbres fruitiers et vigne), ces effets sont précisés pour les grandes catégories de production au niveau de la France (grandes cultures annuelles, prairies et élevage, cultures pérennes). Ils conduisent à identifier les modalités d'adaptation au niveau des systèmes de culture pratiqués actuellement et dans le même contexte géographique. Au delà cependant, il convient de considérer un deuxième niveau, qui pourrait passer par un déplacement des systèmes de production en latitude ou en altitude et l'introduction de nouvelles espèces, puis celui correspondant à l'adaptation au niveau des territoires, dont les déterminants seront évoqués en conclusion. Mots-clés: Agriculture, production agricole, systèmes de culture, territoires, écophysiologie, changement climatique
Abstract: Climatic change, resources management and territories The evaluation of the impact of climatic change upon resources management and territories needs to firstly consider the predictible impact upon plant functioning, by using the available knowledge on crop ecophysiology applied to simulate the effects of clilnate scenarios, including the increase of atmospheric C02. The predicted consequences are firstly presented in general terms, then detailed for
1
INRA
Unité Agroclitn,
Site Agroparc,
dOlnaine Saint-Paul,
84914 Avignon
Cedex 9
each main type of production in France ( annual crops, pastures and perennial crops), taking into account recent observations about the evolution of climate and related consequences on crop phenology (especially fruit trees and vine). They lead to indentify the main lines for the adaptation at the level of present cropping systems, considered as geographically stable. However, this level. needs to be completed by a second one, corresponding to a possible shift in latitude or altitude, as well as the introduction of new crops. Ultimately, a third level of adaptation will correspond to the evolution of territories and land use, whose determinants will be discussed in the conclusion. ](eywords : Agriculture,agricultural productivity, cropping systems, territories, ecophysiology, clin1atic change Introduction2 Les aspects généraux de l'impact du changement climatique sur la production agricole ont fait l'objet ces dernières années de plusieurs ouvrages (voir en particulier (4), (9) et (10), complétés par la synthèse effectuée par Soussana (13) ) qui permettent d'avoir une vision exhaustive des processus mis en jeu et de leurs caractéristiques par grands groupes de production et grandes zones géographiques à l'échelle mondiale. Au niveau de la production agricole française, l'article de Delécolle et al (1) a permis de présenter un premier diagnostic.L'objectif de cette comlTIunication est de reprendre ces éléments, en les actualisant avec des observations sur le passé récent et en analysant les conséquences pour la gestion des ressources et les évolutions des territoires qui pourraient résulter du changement climatique. 1 - Les impacts du changement climatique sur la production végétale Ces impacts peuvent s'évaluer en s'appuyant sur l'ensemble des connaissances disponibles dans le domaine de l'écophysiologie, intégrées au sein des modèles de fonctionnement des couverts végétaux qui traduisent l'effet du climat sur les fonctions élémentaires. Il est nécessaire d'y adjoindre l'effet additionnel de l'augmentation du C02 atmosphérique, qui a fait l'objet, durant les vingt dernières années, d'un ensemble de travaux à caractère expérimental, au laboratoire en conditions contrôlées (enceintes 2
Ce texte s'inspire pour une grande pati de la cotntnunication préparée pour le colloque' EtTet de sene, organisée par l'Acadétnie des sciences du 16 au 18 octobre 2002 tnpact et solutions: quelle crédibilité? ' à l'Institut de France à Paris, qui fera l'objet d'une publication sous le titre :adaptation des systètnes de production agricole au changetnent clitnatique', à paraître dans le nutnéro thélnatique des COlnptesrendus Geoscience-vol335 (2003).,
36
climatisées et serres) ou dans les conditions naturelles en utilisant des dispositifs d'enrichissement en C02 spécialement mis au point à cet effet (11). En considérant comme données d'entrée les climats prévus par les scénarios correspondant, en gros, à l'hypothèse d'un doublement du C02 pour la fin de ce siècle, ces travaux permettent de prévoir les grandes lignes suivantes: une stimulation de la photosynthèse de l'ordre de 20 à 30 %, conduisant à une augmentation résultante de l'assimilation nette de l'ordre de 10 à 20% en prenant en compte l'augmentation de la respiration liée à l'effet de l'augmentation de la température à l'inverse, un raccourcissement du cycle, de par cette même action du facteur thermique, pendant lequel le couvert végétal peut absorber l'énergie lumineuse par la photosynthèse - enfin, de l'amélioration de l'efficience de l'eau par suite de la diminution de la conductance stomatique sous l'effet de l'augmentation du C02. Au bout du compte, le bilan résultant au niveau de la production de biomasse peut prendre des aspects variés, en fonction du type de couvert (par exemple, l'influence de l'élévation du C02 sur le fonctionnement photosynthétique est plus forte pour les couverts en C3 que pour ceux en C4) et des conditions climatiques associées aux conditions culturales pour les plantes cultivées. Il faut souligner que ces grandes lignes ne tiennent pas compte des effets possibles au niveau des bilans hydriques et minéraux (en particulier azotés) et de leur interaction, pas plus que des modifications éventuelles d'autres facteurs climatiques qui jouent également sur le fonctionnement écophysiologique, tels que le rayonnement solaire, 1'humidité relative de l'air ou la vitesse du vent. Cette remarque restrictive, liée aux insuffisances actuelles des scénarios climatiques, doit d'ailleurs être élargie, à ce stade de l'exposé, à un ensemble de limites qui apparaît pour le moment au niveau de ces scénarios par rapport à l'objectif d'estimation des impacts sur la production végétale. Outre l'incertitude encore grande sur la pluviométrie, et ses conséquences de premier ordre sur l'alimentation en eau des couverts végétaux, ces limites sont liées pour l'essentiel à la seule disponibilité de prédictions sur la valeur moyenne des variables climatiques, sans que soient évaluées avec une finesse suffisante en termes d'échelle temporelle les caractéristiques de variabilité d'une part, de valeurs extrêmes de l'autre. On peut citer, à ce niveau, et en en restant au seul facteur thermique, l'importance d'épisodes très brefs de gel pour les températures basses ou d'échaudage pour les valeurs élevées. Si elles conduisent à moduler quelque peu la vraisemblance des impacts décrits schématiquement ci-dessus, sans cependant la remettre en cause à 37
notre sens, ces remarques soulignent également l'attente vis-à-vis des progrès des connaissances en modélisation du climat, qui évoluent cependant rapidement actuellement. A ce propos, il faut signaler qu'une autre demande, portant cette fois sur la résolution spatiale, est en voie d'être satisfaite, puisque les scénarios actuellement élaborés au CNRM permettent actuellement de descendre à une maille élémentaire de 50 km ( au lieu des 200 km accessibles précédemment) (8). 2 - Les impacts sur la production des cultures en France A - Le cas des grandes cultures et des prairies Les éléments de réponse qui viennent d'être présentés au niveau du fonctionnement écophysiologique des couverts végétaux ont pu être traduits en termes de conséquences sur la production des grandes cultures et des prairies, qui occupent une part prépondérante de la superficie agricole utile en France. Au niveau des grandes cultures, les résultats des simulations effectuées avec les modèles de culture CERES et STICS sur le blé et maïs présentés dans (1) permettent de conclure à des effets légèrement positifs sur le premier (avec des augmentations de rendement allant de 2.5 % à 5.7 % pour les sites de Versailles, Toulouse et Avignon, suivant que le blé est irrigué ou non), et des effets plus variables sur le maïs (+ 10 % à Versailles sans irrigation, - 16 % à Avignon sans irrigation). Dans tous les cas, l'efficience de l'eau serait améliorée, avec une réduction simulée de la consommation en eau allant de 0 à 16 % (tableau 1). Culture 1
blé
maïs
2
blé
Consommation en eau - 1.7
Lieu
Rendement
Versailles
+ 5.7
Avignon (irr)
+ 2.5
-5.4
Versailles
+ 10.6
-12.4
Avignon (irr)
- 16.1
-16.2
Toulouse (irr)
+ 4.0
-5.8
Versailles
+ 2.9
0
38
résultats1 : scénario transitoire GISS, année 2030, 460 ppm, moyennes sur 30 années résultats2: scénario ARPEGE- Climat, anomalies sur 7 ans, modèle STICS, effet C02 non pris en compte,moyennes sur 16 amlées Tableau 1. Variations simulées des rendements et des consommations eau de cultures de blé et de n'lais en différents lieux (exprimées pourcentages des valeurs simulées en conditions actuelles (d'après (1))
en en
Au niveau des prairies (13), la conjugaison de travaux expérimentaux (sous serre et en enrichissement naturel à l'extérieur) et de modélisation à partir du modèle d'écosystème prairial PASIM conduit à envisager, dans les conditions du Massif Central, une augmentation de la production de biomasse aérienne de l'ordre de 25 % (dont 18 % attribuables au seul doublement de C02 ), ce résultat devant être complété par un effet positif sur les protéines du foin récolté (+ Il %). En tennes de système d'élevage, la valorisation de cette augmentation de production supposerait une augmentation du chargement animal (en gros de 20%) ou une augmentation de la saison de pâturage de l'ordre de trois semaines, pennettant d'accroitre respectivement l'ingestion et la production de viande de 7 à 20 % pour la première et de 2 à 20 % pour la seconde. Il faut ajouter à ces effets globaux une modification attendue de la composition botanique (en faveur des légumineuses fixatrices d'azote lorsque la prairie est bien exploitée ou des dicotylédones non fixatrices dans le cas inverse), avec un effet sur la biodiversité qui serait cependant faible d'après les résultats expérimentaux. Il faut cependant souligner que ces résultats doivent être relativisés, dans la mesure où les impacts sur l'alimentation hydrique sont encore mal cernés (avec les incertitudes sur la pluviométrie, non seulel11enten valeur annuelle, mais aussi dans sa répartition saisonnière) et ses interactions complexes avec la fertilisation azotée. C'est un des points essentiels sur lesquels doivent porter les travaux dans ce domaine, qui par ailleurs doivent être complétés par l'étude des impacts sur la qualité du produit récolté (travaux en cours sur le blé dur, qui montrent que la teneur en protéines des grains serait diminuée). Enfin, et bien que ce point important soit souligné régulièrement, l'effet du changement climatique sur les maladies et ravageurs d'une part, les mauvaises herbes d'autre part, a fait seulement l'objet de considérations générales et doit absolument être approfondi dans le futur proche pour qu'une esquisse plus complète de la question soit présentée.
39
B
- Retour
vers le passé récent
Les éléments présentés ci-dessus résultent essentiellement de la considération de scénarios encore soumis à beaucoup d'incertitudes. Cependant, la mise en évidence récente d'un réchauffement significatif non seulement à l'échelle globale, mais également au niveau du territoire français (7), sur le siècle passé, amène à rechercher des confirmations de ces projections à partir des observations sur l'évolution récente des productions correspondantes. Sachant que l'augmentation du C02 est actuellement d'un ordre de grandeur plus faible que celui envisagé pour la fin du siècle (+ 30 % au lieu du doublement), c'est essentiellement l'effet d'une élévation de température de l'ordre de IOC (plus précisément 0.9°C sur la température moyenne, avec 0.6°C sur la minimale et I.2°C sur la maximale) que l'on peut essayer d'évaluer. Compte-tenu de la difficulté à récupérer des données fiables sur une aussi longue période, et par ailleurs de l'énorme progrès des performances agronomiques, particulièrement dans la deuxième partie du siècle, il apparaît surtout souhaitable de se concentrer sur celle-ci, sachant qu'une grande partie du réchauffement paraît s'être concentrée sur les dix dernières années. Si les agriculteurs (et les éleveurs) font état d'une modification des calendriers culturaux qui pourrait être liée à cette particularité climatique, il n'a pas encore été possible de l'apprécier de manière objective, pas plus que d'évaluer son poids éventuel dans l'évolution récente des rendements. Par contre, l'analyse des données phénologiques sur les arbres fruitiers et la vigne (cultures a priori beaucoup moins dépendantes sur ce point des décisions culturales) a permis de mettre en évidence des avancements significatifs de stades tels que la floraison des arbres fruitiers (une dizaine de jours en trente ans sur des pommiers dans le sud-est) ou la date de vendange pour la vigne (presqu'un mois dans la même région au cours des cinquante dernières années). (fig I et 2)
40
Ctift Balandran : GOLDEN DELICIOUS - Stade F1. 24/04
..
(
~--(\
\r
19/04
-
[
-
--
(
1~04 09/04 04/04 30/03 25/03 20/03
1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001
Fig 1. Evolution des dates de floraison du pommier Golden delicious à Balandran (région de Nimes. Observations CTIFL) (d'après Domergue 2001 (2))
6126211611-
61194
195
195
196
196
197
197
198
198
199
199
200
Anné
Fig 2. Evolution des dates de vendange à Chateauneuf-du-pape (d'après Ganichot 2002(3 ) )
41
En premier lieu, ces observations permettent de confirmer la tendance générale des mesures climatiques (ce qui n'est pas inutile, car les modifications d'emplacement des stations, de leurs capteurs et systèmes d'enregistrement et, par ailleurs, de l'extension des situations d'ilôt urbain peuvent amener au scepticisme de certains sur les procédures de reconstruction, même les plus sophistiquées, des séries climatiques). Au delà, elles sont utiles pour caler les modèles phénologiques utilisés dans les modèles de culture en général et les appliquer en particulier à ces cultures pérennes pour évaluer l'impact du réchauffement sur leur parcours phénologique. L'intérêt manifeste de ces données a conduit à élaborer un projet de bases de données, pouvant rassembler les partenaires concernés, rassemblant les séries historiques et devant actualiser la collecte future (base Phénoclim gérée par l'INRA Avignon). 2 - Les impacts sur la phénologie des arbres fruitiers et de la vigne L'influence du climat sur ces cultures pérennes (12) nécessite de prendre en compte successivement une période automnale qui correspond schématiquement à un besoin en froid, puis la période post-Ievée de dormance où les besoins en chaleur prennent le relais. L'antagonisme de ces deux actions successives explique, par exemple, que pour certaines espèces comme le pommier, les dates de :Qoraison soient finalement assez voisines entre le nord et le sud de la France. Dans le cas des arbres fruitiers, l'application des scénarios de réchauffement climatique à la vallée du Rhône a permis de prévoir une avancée de la date de floraison finalement faible (de l'ordre de deux à trois jours) par rapport à ce qui est constaté actuellement dans le sud de la vallée (région de Nimes), mais plus marquée (une dizaine de jours) au nord ( région de Valence). La date de floraison joue un rôle important dans la production, car les conditions climatiques influent directement, à ce stade, sur la réussite de la fructification (il est possible d'observer, sur certaines variétés de pêcher, des chutes de jeunes fruits en lien avec des températures basses à cette période). Dans le cas le plus extrême (le gel), il apparaît possible, suivant les espèces et la localisation géographique, que les risques soient accrus par le réchauffement climatique (fig 3). Ceci peut paraître paradoxal: mais, si le risque purement climatique est bien réduit, le risque biologique augmente plus fortement du fait de l'avance de végétation qui expose au gel des organes floraux à des stades plus précoces, et donc plus fragiles. Dans le même ordre d'idées, la probabilité d'occurrence plus forte d'hivers doux amène à des inquiétudes sur le comportement de certains cultivars d'abricotier, qui pourraient connaître des problèmes majeurs de mise à fleur (nécroses des bourgeons floraux). 42
3q00
~OO
&imio1:~œ1ffijà1gB &imio2:
~œ1ffi)àID)
&imio 3: girajo P'ÉMJID"le l1\tOrar LI1cb.t1ara1 dl CD2arra:pBiq..e
2q00
15,00
1qOO
5,00
0,7
qoo op
C ~~œ '1:J 0 C)
\.
N C œ '1:J
CW) c œ '1:J
'0 C)
'0 C)
y FUvMER
./
\.
op .c u 'i: '1:J
N .c
'C '1:J
CW) .c CJ 'C '1:J
0
'0 C)
"0 c)./
u
C) y
J!ERCXJT1ER
op
'1:J CU .c CJ ,,--D;
~CW)
'1:J CU
::ë
CJ D; V
'1:J CU
::ë CJ
D;~
R3J-ER
.Fig 3. Evaluation du pourcentage de dégâts de gel sur les productions fruitières pour différents scénarios climatiques (Avignon) d'après Domergue (2) Dans le cas de la vigne, les scénarios de réchauffement climatique conduisent à une même accélération de la phénologie (fig 4). Pour le cépage Syrah dans la région de Montpellier, ils se traduisent par une avancée du débourrement de fin février actuellement au 10 février dans le cas d'un réchauffement moyen de 2°, et à début février dans l'hypothèse de 4°. Puis une avancée du 12 juin au 24 mai, et au 2 mai pour la date de floraison .Enfin du 13 août au 23 juillet et au 4 juillet pour la date de véraison. En dehors des problèmes éventuels de gel, analogues à ceux des arbres fruitiers, cette avance pourrait avoir des conséquences en termes de qualité à la vendange, dans la mesure où elle décalerait la période de maturation vers des conditions thermiques plus chaudes en cours de nuit (avec des températures minimales supérieures à 18°), alors qu'actuellement elles sont tempérées (entre 14 et 18°) et que ces températures fraîches 43
apparaissent comme un facteur de qualité en zone méditerranéenne. Il s'agit là d'un cas particulier, et des travaux plus complets sont nécessaires pour pouvoir établir avec plus de certitude les impacts du réchauffement sur le potentiel de qualité à la récolte. D'ores et déjà cependant, on peut envisager que l'étroit ajustement entre le milieu (sol, climat) et les techniques culturales qui est à la base du concept de terroir viticole, envisagé sous le seul aspect biotechnique, soit modifié par la nouvelle 'donne' climatique.
Fig 4. Simulations de la phénologie de la vigne (cépage Syrah) en région de Montpellier (d'après Lebon (5)) 3 - Conséquences pour les ressources et les territoires Cette question a, pour le moment, fait surtout l'objet de considérations portant sur les systèmes de culture tels qu'ils sont pratiqués actuellement, en considérant implicitement leur stabilité géographique. A ce niveau, il s'agit essentiellement de mobiliser l'expertise agronomique au sens large pour les adapter aux conditions climatiques modifiées. Cela passe, en premier lieu, par le recours au matériel génétique approprié, mieux adapté aux températures plus élevées, et valorisant au mieux l'augmentation de la photosynthèse et de l'efficience de l'eau, tout en minimisant l'effet du raccourcissement du cycle. Puis par la mise au point d'itinéraires techniques révisés, incluant les apports d'intrants (irrigation, fertilisation). Par ailleurs, ces systèmes de culture devront prendre en compte l'impact du changement climatique sur les maladies et ravageurs d'une part, les mauvaises herbes de l'autre, dont nous avons indiqué qu'ils devraient faire l'objet d'études approfondies dans les années à venir. Enfin, il faudra évaluer plus précisément l'impact environnemental de ces systèmes de culture, pour compléter la définition de leur adaptation. 44
De façon générale, on peut estimer que l'adaptation des grandes cultures pourrait s'effectuer sans trop de problèmes, dans la mesure où les années passées ont montré leurs capacités à évoluer rapidement en fonction, en particulier, des contraintes économiques résultant de la PAC (Politique Agricole Commune) au niveau européen. De même pour les prairies et l'élevage. Il faut cependant relativiser cette vision optimiste sur une capacité d'ajustement rapide (quelques années), en soulignant une fois de plus les incertitudes actuelles sur la pluviométrie et le bilan hydrique. Pour les cultures pérennes, si le diagnostic sur l'adaptation des systèmes de culture reste identique dans ses grandes lignes, la capacité d'adaptation paraît moins forte. Elle nécessite de prendre en compte une durée plus longue, de l'ordre de dix à vingt années. Dans le cas de la viticulture, elle suppose également de prendre en compte une évolution des techniques de vinification, permettant de corriger les modifications de qualité du produit à la récolte. Au delà de ce premier niveau, il doit être envisagé cependant un deuxième niveau d'adaptation, passant par un déplacement géographique des zones de production. Dans le passé lointain, c'est essentiellement cette solution qui a été retenue pour s'adapter aux fluctuations climatiques ( en interaction avec les fluctuations économiques) (3) , avant que les progrès de l'agronomie ne permettent de disposer d'une plasticité plus grande vis-à-vis de ces contraintes. A l'heure actuelle, il n'apparaît pas réellement de signe d'évolution allant déjà dans ce sens. S'il est bien fait état d'ajustements du choix de variétés ou du glissement de calendriers culturaux comme nous l'avons indiqué plus haut, il n'apparaît pas encore de signé tangible de déplacement géographique des systèmes de production. Et pourtant, le réchauffement observé équivaut, sur le siècle, à un déplacement vers le nord de l'ordre de 180 km ou en altitude de l'ordre de 150 m (7) . Ce qui traduit la plasticité déjà évoquée, mais jusqu'où ou jusqu'à quand? On peut donc légitimement envisager l'éventualité de la remontée (vers le nord ou en altitude) de certaines cultures, ou l'introduction de nouvelles cultures au sud. A l'heure actuelle, ces modalités d'adaptation sont encore peu explorées, mais il apparaît souhaitable de les envisager, en évaluant les potentialités agroclimatiques revues dans le contexte des conditions prévues par les scénarios climatiques. Conclusion
En conclusion, il nous paraît intéressant d'évoquer un troisième niveau d'adaptation, portant sur l'occupation du sol, et plus généralement les territoires. Si les deux premiers niveaux que nous avons considérés précedemment s'appuyaient essentiellement sur les conditions 45
biotechniques, la réalité de leur mise en œuvre passe par la prise en compte de déterminants tout autant significatifs: - dans l'hypothèse de déplacements géographiques, le lien avec le caractère local: s'il apparaît possible, a priori, de cultiver du blé ou du maïs dans des régions différentes, cela n'irait pas de soi pour les productions plus typées dont une grande partie de la valeur ajoutée provient de l'existence d'une zone d'appellation ou d'un terroir - de façon plus générale, le poids du facteur économique: dans un contexte climatique modifié, l'ajustement à attendre des zones de production, au niveau des régions, mais aussi à l'échelle mondiale, conditionnera fortement la réalisation de ces possibilités techniques, dans un marché dont les aspects concurrentiels seront fortement perturbés. - enfin, le poids de plus en plus fort du contexte environnement al au niveau des agricultures développées comme c'est le cas en Europe pourrait également influer fortement, cette fois au niveau des fonctions dévolues à l'agriculture. Dans le cadre de cette multifonctionnalité apparue récemment, il est en particulier possible de penser à une affectation des terrains agricoles qui serait en partie conditionnée par l'objectif de limitation de l'effet de serre à l'échelle mondiale (stockage de carbone, utilisation de biocarburants, mais aussi limitation des émissions d'oxyde nitreux et de méthane). Dans cette éventualité, causes et effets du changement climatique se rejoindraient pour fermer la boucle, mais il apparaît bien difficile aujourd'hui d'aller au delà de poser la question!
Références
bibliographiques
(1) R.Delecolle, J.F. Soussana, J.P. Legros, Impacts attendus des changements climatiques sur l'agriculture française, C.R.Acad.Agric.Fr., 85 (1999) 45-51. (2) M.Domergue, Impact du réchauffement climatique sur le parcours phénologique d'espèces/variétés fruitières dans la vallée du Rhône. Mémoire ESITPA! INRA CSE Avignon, (2001), 60pp. (3) B.Ganichot, Evolution de la date des vendanges dans les Côtes du Rhône méridionales, actes des 6émes rencontres rhodaniennes, Institut Rhodanien, Orange, (2002), 38-41. (4) GIEC / IPCC, Climate change 2001: impacts, adaptation and vulnerability, Contribution of Working Group II to the third assessment report of IPCC, Cambridge University Press, Cambridge, 2001. (5) E.Lebon, Changements climatiques: quelles conséquences prévisibles sur la viticulture, actes des 6émes rencontres rhodaniennes, Institut Rhodanien, Orange, (2002), 31-36. 46
(6) E. Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l'an mil, Flammarion, Paris, 1983. (7) J.M. Moisselin, M. Schneider, C. Canellas, O. Mestre, Les changements climatiques en France au Xxo siécle : étude des longues séries homogénéisées de température et de précipitations, La Météorologie, 38 (2002 ), 45-56. (8) V.Peramaud, B.Seguin, E.Malezieux, M.Déqué, D. Loustau, Agrometeorological research and applications needed to prepare agriculture
and forestry adapt to 21st century climate change, WMOInt. Workshop on
reducing vulnerability of agriculture and forestry to climate variability and climate change, Ljubljana, Slovénie, 7-9 oct, à paraître dans la revue Climatic change, ( 2002 ). (9) K.R.Reddy, H.F. Hodges, Clhnate change and global crop productivity, CABI Publishing, Wallingford, 2000. (10) C.Rosensweig, D.Hillel, Climate change and the global harvest, Oxford University Press, Oxford, 1998. (11) F.Ruget, O.Bethenod, L.Combe, Repercussions of increased atmospheric C02 on maize morphogenesis and growth for various temperature and radiation levels, Maydica, 41 ( 1996) 181-191. (12) B. Seguin, La recherche agronomique face à l'effet de serre, Le courrier de l'environnement, 46 (2002) 5-20 (13) J.F.Soussana, Changement climatique. Impacts possibles sur l'agriculture et adaptations possibles, in: Demeter, Armand Colin, Paris, 2001, 195-222.
47
Les filières agricoles territorialisées Lucien BOURGEOIS (1) Résumé Pour des motifs de sécurité alimentaire, la production agricole n'a pas subi le même type de délocalisation que certaines activités industrielles. Le territoire, loin d'être un handicap, peut même devenir le principal atout de la production française et européenne. Encore faut-il que la politique agricole favorise le lien entre production et territoire. Abstract For strategic reasons of food security, agricultural production has not been relocated like other industrial activities. Far from being a disadvantage, having productions attached to territories can be a trump card for France and Europe... on condition that agricultural policy provides opportunities to strengthen the link between production and territory. Dans un cadre aussi chargé d'histoire que le domaine du PRADEL, on ne peut pas traiter cette question du rapport entre production agricole et territoire sans un retour en arrière sur les deux derniers siècles. Nous verrons que la division internationale du travail a trouvé des limites évidentes dans le domaine alimentaire à cause de la nécessité d'assurer un minimum de sécurité des approvisionnements. Nous verrons aussi que dans la construction européenne et même dans la localisation de la production en France, la spécialisation n'a pas été aussi importante qu'on ne le pensait. Nous verrons enfin quels enseignements en tirer pour l'avenir en utilisant les résultats de la prospective DATAR Agriculture et Territoires 2015. 1 - La sécurité alimentaire,
un objectif incontournable
Dès la fin du XVIIlème siècle, la question de la spécialisation internationale a été posée pour la production agricole. Les premiers débats théoriques célèbres entre Malthus et Ricardo sont restés dans toutes les mémoires. On a tendance à penser que David Ricardo a largement remporté la victoire en obtenant que le Royaume-Uni supprime les taxes à l'importation sur le blé en 1846. Comme les pays du continent européen ont
1
Asselnblée
Pennanente
des Chalnbres
d'agriculture
suivi la même voie entre 1860 et 1880, on a pu penser que cette stratégie s'est généralisée depuis longtemps à l'ensemble des pays industrialisés. Mais comme l'a montré fort bien Paul Bairoch dans tous ses écrits, la réalité observée a été très différente et les périodes protectionnistes ont été beaucoup plus fréquentes que les périodes d'ouverture des frontières. Qui plus est, la croissance observée n'a pas été plus importante dans les périodes de libéralisation des marchés que dans les périodes d'encadrement. Au titre des idées reçues, on pourrait facilement croire que les Etats-Unis ont toujours été libéraux. Cela n'a pas du tout été le cas. Fiedrich List, un économiste allemand, a fait des observations très perspicaces à ce sujet dès le début du XIXe siècle. Il avait vécu aux Etats-Unis pendant quelques années. Il a écrit dans son livre trop ignoré Système national d'éconolnie politique: Adam SMITH et J-B. SAY avaient déclaré que les Etats-Unis étaient voués à l'agriculture comme la Pologne. Quand on vit que les EtatsUnis cherchaient leur salut sur l'industrie, cette jeune nation que l'Ecole (libérale) avait chérie jusque là comme la prunelle de ses yeux devint l'objet du blâme le plus énergique chez les théoriciens de toute l'Europe...En faisant naître artificiellement des manufactures, les Etats-Unis portaient préjudice non seulement aux pays de plus ancienne culture, 1nais surtout à eux-mêmes. (Fiedrich LIST p. 213). Les Etats-Unis, par construction politique, n'ont pas choisi la voie du libéralisme pour se protéger des produits manufacturés anglais. Cette stratégie a été renforcée encore après la guerre de Secession. C'est le Nord industriel protectionniste qui a gagné cette guerre contre un Sud agricole libre-échangiste. En Europe, au début du XIXe siècle, c'était l'Angleterre qui avait le niveau de productivité agricole le plus élevé. A la fin du siècle, l'Allemagne protectionniste avait largement dépassé le niveau de l'Angleterre libérale. Ajoutons aussi que les expériences libérales de cette époque étaient très liées à l'expansion coloniale. Quand l'Angleterre baissait les taxes sur le blé, c'était pour faciliter l'entrée de marchandises anglaises délocalisées dans les colonies de peuplement. Quand la France a renoncé à produire du colza sur son territoire, c'était pour permettre à des firmes françaises de produire de l'huile à partir des arachides des colonies africaines. Mais même ces expériences de délocalisation contrôlée ont été mises à mal par les crises économiques de la fin du XIXe, et surtout celle de 1929 ainsi que par les guerres mondiales. Les guerres mondiales ont fait apparaître la dépendance de nos économies en matière de sécurité alimentaire. On peut attendre des mois ou des années avant de remplacer une bicyclette ou une automobile, on ne peut pas se passer de manger pendant plusieurs jours. Les crises ont fait apparaître les fragilités sociales de nos sociétés. Si un trop grand nombre d'exploitations tombent en faillite, cela peut avoir des conséquences sur les 50
équilibres politiques d'un territoire ou d'un nation. C'est ce que les dirigeants de la Ille République ont très bien compris en France à la fin du XIXe en confiant à Jules Méline le soin de prendre les mesures qui convenaient pour consolider la construction républicaine après l'épisode Napoléon III (Viard, Hervieu, l'Archipel paysan). Sur le Continent européen l'ouverture des frontières de 1860 a rapidelnent été stoppée dans les années 1880. Pour l'Angleterre, il faudra attendre le lendemain de la crise de 1929 pour qu'ils rétablissent les taxes à l'importation sur les céréales (1932). Faut-il rappeler les affres des tickets de rationnement de la deuxième guerre mondiale qui ont largement contribué à remettre en mémoire les problèmes de sécurité alimentaire. Si l'on ajoute à cela que la guerre froide avait coupé l'Europe en deux parties inégales sur le plan agricole. Du côté Ouest, un espace avec des terres agricoles et une population très nombreuse, du côté Est les greniers à blé traditionnels de l'Europe avec une population peu nombreuse. Il n'est pas étonnant que la PAC ait eu pour objectif d'inciter les agriculteurs à produire "à tout prix" pour assurer l'approvisionnement régulier de consommateurs exigeants. 2 - La PAC n'a pas spécialisé les territoires agricoles en Europe Phénomène plus étonnant, la spécialisation européenne qui était envisagée par les pères de l'Europe entre une France agricole et une Allemagne industrielle ne s'est pas produite. Tout s'est passé comme si la construction européenne effective avait veillé à organiser une certaine forme de sécurité alimentaire au niveau de chacun des membres de l'Europe (Bourgeois, Servolin 2002). Grâce au niveau des prix qui a été fixé pour la première campagne de céréales, aux montants compensatoires monétaires et aux mesures d'aides diverses et variées, la production agricole s'est maintenue en. Allemagne au point d'en faire aujourd'hui le quatrième exportateur mondial de produits agro-alimentaires. Faut-il regretter cette évolution au motif que cela a empêché la France d'exploiter tout son potentiel pour produire la nourriture de la majeure partie de l'Europe? Il n'est pas inutile de se souvenir de la réflexion de Frédricht List à propos des Etats-Unis et de constater que si ce pays n'avait pas eu une politique industrielle dynamique, il ne serait jamais devenu la première puissance mondiale. De la même manière, si la France n'était pas devenue aussi le quatrième exportateur mondial de produits industriels, il y a peu de chance que nous ayons eu le même niveau de vie que l'Allemagne. Il n'y a pas d'exemples dans l'histoire de pays qui se soit développé à partir de ses exportations de matières premières agricoles.
51
3 - Même entre départements beaucoup accrue
français, la spécialisation ne s'est pas
Chose plus curieuse encore, si l'on regarde les évolutions à l'intérieur de la France, il est frappant de constater que l'on n'a pas assisté à une spécialisation régionale très importante. Chacun a à l'esprit, la concentration de la production de porcs et de volailles dans le Grand Ouest et en particulier en Bretagne. Mais il s'agit de productions moins liées au sol que les autres et hors réglementation communautaire. On s'aperçoit au contraire que pour toutes les productions réglementées par la PAC, la spécialisation territoriale s'est peu accentuée (Bourgeois, Desriers 2002). L'exemple le plus caractéristique est évidemment le secteur laitier. Depuis l'instauration des quotas en 1984, chaque département s'est efforcé de garder son potentiel de production. Là encore faut-il regretter des évolutions dénoncées COlnmearchaïques et anti-économiques par certains. Ce n'est pas évident au tenne du travail de prospective que nous avons fait avec une équipe réunie par la DATAR sur le thème Agriculture et Territoires 20i5. Il apparaît en effet que pour les matières premières indifférenciées, on se heurtera à une concurrence de plus en plus vive de la part des pays d'Amérique du Sud, d'Océanie et à l'avenir des pays d'Europe de l'Est et de Russie. Il sera très difficile pour un pays industrialisé à haut niveau de vie de rémunérer le coût de la main d'œuvre et des infrastructures sociales traduit en particulier dans le prix du foncier par des matières premières. On peut chercher à reconquérir de la valeur ajoutée par une différenciation sur les caractéristiques intrinsèques du produit en produisant des variétés particulières, des cépages particuliers ou des processus de fabrication particuliers. Les stratégies peuvent se révéler efficaces mais on constate de plus en plus que même dans ces catégories, on n'est pas à l'abri d'une forte concurrence internationale. Le secteur des vins de cépage est particulièrement emblématique des évolutions défavorables en ce domaine. La seule vraie protection est la liaison du produit et du territoire. Encore faut-il que les mécanismes de propriété intellectuelle soient efficaces comme on a pu l'observer dans les différends entre la France et les USA sur l'appellation Chablis ou Cha111pagne. On peut facilement copier un produit, un cépage ou un processus de fabrication, on ne peut pas copier un territoire.
52
4 - Le territoire, argument de vente. On a I'habitude de penser que le prix du foncier agricole et les charges de structures sont un frein à la compétitivité de l'agriculture française par rapport aux marchés internationaux. Si l'on se contente de comparer les coûts de production entre matières premières indifférenciées, il est sûr que c'est un handicap pour la production française et européenne. En partant de ces analyses, on voit actuellement de plus en plus d'hommes politiques penser qu'il faut accompagner le déclin de l'agriculture européenne et gérer "la restructuration" comme on a géré celle de la sidérurgie ou celle des chantiers navals quitte à y mettre le prix en matière de subventions pendant un certain temps. Ne pourrait-on pas changer d'angle de vue en partant du territoire plus que du produit. Le territoire devient alors une opportunité. Le prix du foncier est certes un coût de production mais il est aussi la manifestation que nous vivons dans un pays à haut niveau de vie avec des consommateurs solvables à proximité. Rappelons à ce sujet que dans un rayon de 1 000 km autour de Metz une étude de l'INED a montré qu'il y avait 25% de la richesse mondiale. Aucune autre zone. du monde n'offre une telle concentration de richesse. Après avoir exploré les différents scénarios d'Agriculture et Territoires 2015, il nous apparaît nécessaire de remettre le territoire au centre du débat. Vu du côté du produit, le territoire est une contrainte. Or une contrainte subie devient toujours une charge de structure supplémentaire alors qu'une contrainte anticipée peut devenir un argument de vente protégé s'il est en adéquation avec la demande des consommateurs. Qui plus est c'est le degré d'exigence des consommateurs les plus proches qui devient alors le meilleur argument de notoriété pour les consommateurs les plus lointains. Même si on part du territoire, on revient au produit agricole! 5 - Les Etats-Ullis ne sont pas prêts à sacrifier leur agriculture nom de la division internationale du travail
au
Nous ne voudrions pas cependant réduire le débat sur la politique agricole à un débat franco-français qui ignorerait les grands problèmes actuels de la mondialisation des marchés. Là encore plutôt que de céder aux effets de mode et aux grandes déclarations politiques dans les rendez-vous réguliers de l'OMC, examinons les faits. Sur le marché des céréales par exemple on peut constater que la production mondiale augmente régulièrement en particulier dans les pays comme l'Inde et la Chine parce qu'ils sont les deux pays les plus peuplés du 53
monde. Ils n'ont pas de problèmes de débouchés intérieurs. En revanche, les exportations mondiales stagnent depuis plus de 20 ans. Cela signifie donc que le marché mondial se marginalise et que la division internationale du travail régresse au bénéfice d'une progression de la sécurité alimentaire de chaque pays. On comprend aisément que cette stratégie soit celle des pays comme l'Inde et la Chine mais quelle n'est pas notre surprise de constater que c'est encore celle des Etats-Unis. On pourrait penser en effet que ce pays qui est devenu, en particulier depuis la chute du mur de Berlin, la seule grande puissance mondiale pouvait se permettre de faire produire moins cher ailleurs une partie de ce qui lui est nécessaire. Ce n'est pas la solution qui vient d'être adoptée par le gouvernement américain. Devant la concurrence actuelle de l'Amérique du Sud et de l'Océanie qui tiraient les prix à la baisse, le gouvernement vient de faire voter une loi qui évite aux exploitations américaines de disparaître. Certes, ce n'est pas une mesure habituelle de fermeture des frontières comme pour l'acier mais il s'agit quand même d'une mesure protectionniste. La concomitance des décisions pour l'acier et pour l'alimentation montre bien que la première puissance du monde ne peut pas se permettre de dépendre de l'étranger aussi bien pour sa nourriture que pour la matière première indispensable pour l'industrie automobile et pour l'arlnement. Même pour des raisons stratégiques de sécurité alimentaire, le salut passe par le territoire national. Si l'on y ajoute les contraintes de développement rural, de paysage, d'environnement, on voit bien que l'entrée territoire est plus porteuse d'avenir que l'entrée produit. N'en déplaise aux économistes classiques plus préoccupés par l'offre que par la demande! Or si l'on veut éviter les crises, il faut réaliser un équilibre entre la création de la richesse et sa répartition. De ce point de vue, l'alimentation reste un enjeu social plus sensible que d'autres secteurs à cause de ses répercussions immédiates sur la survie des populations concernées. La sécurité alimentaire gardera encore longtemps tout son sens au niveau territorial tant que des constructions politiques parfaitement sécurisées n'auront pas été mises en place. Même dans ce cas le territoire pourra être un atout supplémentaire pour valoriser la production.
54
Références bibliographiques
- BAIROCH Paul, "Victoires et déboires - histoire éconolnique et sociale du 16èmesiècle à nos jours", éditions Gallimard, 1997, 3 tomes "L'agriculture des pays développés de 1800 à nos jours", éditions Economica ère - BOURGEOIS Lucien, "Politiques agricoles", 1 édition 1993, réédition en 1999, collection Domino n° 3, éditions Flammarion, 124 pages "Colloque des Herbages", La Rochelle, mai 2002 "Un monde amnésique", Paysans n° 274, juillet-août 2002 - BOURGEOIS Lucien et SERVOLIN Claude, "La localisation des productions agricoles dans l'UE', Académie d'Agriculture mars 2002 - BOURGEOIS
Lucien
et DESRIERS
Maurice,
"Une concentration
géographique des productions lnodérée depuis 1970", Agreste - cahiers, n02 juillet 2002 p.23-29 - BOUSSARD Jean-Marc, "Faut-il encore des politiques agricoles ?", DEMETER,éditions Armand Colin, septembre 2000. - DEBAR Jean-Christophe, "Faut-il encore des politiques agricoles ?", DEMETER, éditions Armand Colin, septembre 2000
- HERVIEU
Bertrand et VIARD Jean, "L'archipel
paysan",
éditions de
l'Aube, 2001 - HOBSBA WM Eric, "L'âge des extrêntes - histoire du Court XXènte siècle", éditeur Complexe, 1999 "L'ère des empires", éditeur Hachette littératures, Pluriel "L'ère du capitaf', éditeur Hachette Pluriel, 1997 - LIST Fiedrich, "Système national d' éconon1ie politique", collection TEL, éditions GALLIMARD, octobre 1999 MAILLARD Laurent, DANIEL Karine, COLSON François, "Géographie de l'agriculture contmunautaire : les productions soutenues par la PAC ne se concentrent pas", AGRESTE cahiers n° 4, décelnbre 2000
55
Les nouveaux liens sociaux au territoire Christian DEVERRE1 Résumé L'essor des préoccupations concernant les effets des activités agricoles sur la qualité de l'environnement remet en cause le mouvement de spécialisation spatiale et sociale établi par le processus de modernisation agricole. Basé sur l'objectif de maximisation de la production alimentaire, ce processus a été soutenu par d'importants aménagements structurels des territoires (irrigation, drainage, remembrements) et par une législation qui a assuré la prééminence des droits des producteurs agricoles sur l'espace rural au détriment des autres usagers. Dans les domaines scientifique et technique, l'agronomie et l 'éconoluie rurale ont joué un rôle dominant dans l'établissement de cette différenciation spatiale et sociale. Les préoccupations environnementales remettent en cause à la fois la mono fonctionnalité de l'usage des territoires et l'appropriation prioritaire par les producteurs agricoles. La multifonctionnalité des territoires s'accompagne de l'établissement de nouveaux systèmes de relations entre agriculteurs et autres usagers de l'espace rural. Dans cette conjoncture, l'agronomie doit aussi composer avec d'autres disciplines scientifiques, comme l'écologie, dans l'orientation des techniques agricoles. La remise en cause du processus de spécialisation productive spatiale et sociale donne de manière croissante aux territoires ruraux le statut de biens publics, mais les forces du marché peuvent également entraîner une nouvelle tendance à la spécialisation et à la privatisation environnementales. Mots-clés: territoire rural, lien social, lnodernisation agricole, environnement, agronomie. Abstract The growth of concerns about the effects of agricultural activities on the quality of environment questions the trend towards social and spatial specialisation established by the process of agricultural modernisation. This process aimed at the maximisation of food production. It was supported by important territorial planning and infrastructures (irrigation systems, land reclamation, land consolidation) and by laws which provided farmers with pre-eminent rights of access to rural space to the detriment of other potential users. In the scientific and technical fields, agronomy and rural economy
1
INRA Avignon
played a dominant part in establishing this spatial and social specialisation. Environmental concerns question both the monofunctionality of territorial use and the priority of farmers' rights of access. The multifunctionality of territories goes with the institutionalisation of new relation systems between farmers and other rural space stakeholders. In these circumstances, agronomy has to come to terms with other scientific disciplines, such as ecology, in the field of technical recommendations. This questioning of productive spatial and social specialisation increasingly provides rural territories with the status of public goods. But market forces can also lead to new environmental specialisation and land privatisation. [(eywords: rural territory, social tie, agricultural 111odernisation, environment, agronomy. Introduction
J'ai pour habitude, dans la relecture de mes écrits, de faire la chasse au terme nouveau. Outre le fait que ce que l'on baptise souvent hâtivement nouveau se révèle, à un examen plus approfondi, pas si nouveau que cela, l'usage de ce mot est également un moyen commode de ne pas nommer plus substantiellement l'objet ou le phénomène analysé. Et voici que le titre que j'ai moi-même choisi pour cette présentation inclut le terme banni. La raison de cette rupture de tabou tient à l'embarras que j'éprouve à caractériser par un (ou des) nomes) précis la forme (ou les formes) des liens sociaux qui m'apparai(ssen)t émerger entre différents groupes d'agents autour des territoires ruraux, notamment à l'occasion de l'essor des politiques environnementales. Pour expliquer cet embarras, reprenons les fondamentaux. Pour Enlile Durkheim (7), le passage de la solidarité mécanique qui caractérise les sociétés archaïques à la solidarité organique des sociétés modernes fut le produit de la différenciation des individus qui elle-même résulte de la division du travail social. C'est la reconnaissance mutuelle de rôles et de fonctions différentes et complélnentaires à l'intérieur du système social qui fonde les liens sociaux de la solidarité organique. Chaque rôle et fonction sont régis par un système de droits et d'obligations envers les autres agents, droits et obligations relevant pour Durkheim de formes de droit restitutif, en opposition au droit répressif des liens sociaux de la similitude, la solidarité mécanique. Le mouvement de division du travail social s'accentue à mesure que la société se densifie (accroissement du nombre des individus et des échanges entre eux) et l'expansion corrélative du nombre de règles de droit restitutif ou coopératif (civil, comlnercial, administratif.. .) peut être considérée comme un indicateur du progrès.
58
Au niveau spatial, la différentiation des individus et la division du travail social se traduisent par le principe de mise à distance, principe énoncé par Georg Simmel (23) et étudié empiriquement par l'écologie urbaine de l'école de Chicago (12). L'espace de la solidarité organique est en conséquence lui aussi fragmenté, individualisé. Ses territoires se spécialisent, sans pour autant s'autonomiser : suivant le même modèle que les règles de droit et d'obligations entre agents, la circulation des personnes, des biens et de l'argent y est intense, régie par chacune des fonctionnalités reconnues aux différentes fractions de' l'espace. Pour évolutionniste qu'elle soit, cette représentation de l'évolution des liens sociaux dans les sociétés modernes et ses implications territoriales rendent assez bien compte de l'évolution des activités agricoles et des territoires ruraux dans la période dite de la modernisation. J'y reviendrai dans un moment. Néanmoins, depuis quelques années, l'image se brouille, le lTIodèleparaît s'emmêler. De la pollution à la « malbouffe » en passant par la destruction des milieux, les activités agricoles sont soumises à de profondes critiques qui remettent en cause en grande partie le système de droits et d'obligations des agriculteurs établi à l'époque des Trente Glorieuses (4). On assiste à la multiplication des dispositions juridiques d'encadrement des pratiques et techniques au titre de justifications diverses, de la sécurité alimentaire à la protection de la biodiversité, des eaux ou contre les risques. Ces justifications sont portées par des groupes et agents eux aussi très divers qui revendiquent la redéfinition des obligations des détenteurs de droits sur les différentes fractions de l'espace rural. Ceci rend de plus en plus difficile à saisir le rôle ou la fonction attendue par la société de ses agriculteurs. La fortune du terme multifonctionnalité en témoigne. En ce qui concerne les territoires ruraux, le nombre croissant de zonages superposés répondant à ces justifications conduit à s'interroger sur le mouvement de mise à distance: tout se passe comme si l'empilement succédait à la juxtaposition, et c'est avec bonheur que les Systèmes d'Informations Géographiques remplacent les cartes à une seule dimension. Comment donc caractériser les liens sociaux qui s'établissent dans ce contexte autrement que par la pauvreté de l'adjectif nouveaux? 1 - Le dispositif de la modernisation
agricole
Pour tenter d'apporter des éléments de réponse à cette question, il m'apparaît utile de faire un retour sur la période dite de modernisation agricole et d'utiliser comme grille de lecture de ce mouvement les notions de dispositif et de hio-politique développées par Michel Foucault.
59
La notion de dispositif, même si elle est présente dans de nombreuses œuvres de Michel Foucault, n'est vraiment théorisée que dans ses derniers travaux, en parti,culier dans le premier tome de son Histoire de la Sexualité (9). Pour lui, la nature du dispositif est d'être un ensemble résolunlent hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglen1entaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques
(...J Le
dispositif
lui-nlêlne, c'est le réseau que
l'on peut établir entre ces éléments (10, p. 299). Cet ensemble organisé d'éléments hétérogènes constitue une formation qui, à un moment historique donné, a eu pour fonction majeure de répondre à une urgence. Le dispositif a donc une fonction stratégique dominante.(ibid.) Le processus de modernisation de l'agriculture française au lendelnain de la Seconde Guerre Mondiale (et même quelques années auparavant) peutêtre appréhendé globalement au travers de cette notion de dispositif. L'urgence stratégique dominante, c'est à l'époque de fournir en toute sécurité une alimentation abondante et bon marché à une population ouvrière en expansion mise au service de la reconquête de la puissance nationale (3). L'agriculture métropolitaine -mais aussi coloniale- se voit alors complètement remodelée par la conjonction organisée d'un ensemble impressionnant de ces éléments hétérogènes dont parle Michel Foucault. Ces éléments sont suffisamment connus pour ne pas les reprendre en détails (11) et je n'examinerai ici que deux catégories avant de revenir sur la nature des liens sociaux établis par cette période de modernisation agricole: les aménagements architecturaux et les énoncés scientifiques. Si les géographes et historiens ont depuis longtemps insisté sur le fait que les activités humaines, et en particulier les activités agricoles, ont constamment modelé et remodelé les paysages (6, 20), il est incontestable que les équipements architecturaux du dispositif de modernisation de l'agriculture ont été colossaux. On peut citer à cet égard les nombreuses opérations de remembrement, le développement des infrastructures d'irrigation et de drainage ou les entreprises à grande échelle d'amendement des sols «pauvres ». La levée des contraintes -le terme est fréquemnlent utilisé à cette époque- imposées par 1'histoire agraire, le climat ou les milieux entraîne une redéfinition radicale de la différentiation territoriale. En conséquence, les cartographies des pédologues ne se contentent plus de dresser l'inventaire des types de sols -ce qui conduisait à identifier des terroirs ayant telle ou telle vocation- ; elles parlent désormais de potentialités agricoles, c'est à dire des utilisations possibles des sols après aménagelnent. Le sec peut devenir humide grâce à la Compagnie du Bas-Rhône ou l'Office du Niger, l'humide peut devenir sec par les équipements de drainage appropriés. Certes, certaines données du milieu ne peuvent être aussi 60
commodément corrigées, comme l'altitude: on parlera alors de handicaps, appelant des mesures spéciales, un traitement à part. Je vais retenir ce couple potentialités-handicaps pour introduire une autre notion empruntée à Michel Foucault, celle de bio-politique. Au travers de ce terme, il désigne l'ensemble des entreprises d'optimisation du fonctionnement des populations (humaines) de l'époque moderne, de la médecine publique aux grands travaux hygiénistes, en passant par la résorption et/ou la mise à l'écart des catégories sociales pourvues de handicaps comme les fous, les délinquants ou les pauvres. Si les dispositifs caractérisant la bio-politique n'excluent pas la répression -notamment par le biais de l'enfermement (8)-, ils apparaissent plus souvent sous la forme de techniques positives du pouvoir, visant à assurer les. meilleures conditions de croissance et de productivité des populations. Elles s'appuient pour ce faire sur le développement de la rationalité et sur des connaissances scientifiques et techniques (en particulier, dans les cas étudiés par Michel Foucault, sur la médecine et l' économie politique). .
L'objectif stratégique du dispositif de la modernisation agricole, centré sur la sécurité de l'approvisionnement alimentaire de la classe ouvrière, s'intègre bien dans les orientations de la bio-politique. Et ses effets territoriaux, au travers des aménagements architecturaux, peuvent être considérés comme une prise sur le sol par des groupes d'experts scientifiques et techniques (le génie rural) comparable à la prise sur les corps de la médecine ou sur les esprits de la psychiatrie. Déjà, au XIXème siècle, les travaux hygiénistes avaient donné lieu à de telles prises sur les éléments physiques, comme l'endiguement des fleuves pour éviter la propagation des miasmes des eaux vagabondes (10, pp. 207-228). Dans cette prise sur le sol à finalité de production agricole et sur les agents qui l'utilisent, deux disciplines scientifiques ont joué un rôle important par la production d'énoncés normatifs qui ont donné aux aménagements architecturaux leur efficacité économique et sociale: l'agronomie, dans sa définition largo sensu, et l'économie rurale. Par l'élaboration de modèles raisonnés associant les propriétés pédoclimatiques des parcelles agricoles, leurs améliorations et amendements potentiels, les choix de cultures et de variétés végétales ou anitnales adéquats, les formes de travail du sol et les successions appropriées, les agronomes contribuèrent à proposer des itinéraires techniques pour optimiser les rendements des productions. Les économistes ruraux, souvent issus des mêmes formations q\le les précédents, explorèrent les espaces de validité de ces modèles en fonction de l'organisation qu'ils impliquaient des facteurs de production et des substitutions possibles entre eux. Croisés avec les données 61
des rendements et de l'état des marchés -existant ou souhaitables- et un niveau de revenu standard jugé équitable pour un ménage agricole2, ces travaux permirent, pour chaque type de système de culture (ou d'élevage) et chaque zone pédo-clitnatique adéquate, de définir la structure optimale (superficie, parcellaire, équipement. . .) des exploitations agricoles, terme qui remplace la ferme d'antan. Sans être imposés par voie d'obligation, par droit répressif, ces énoncés scientifiques, ces modèles normatifs de l'agronomie et de l'économie rurale furent traduits et diffusés au travers de l'appareil parapublic de formation, de vulgarisation et de conseil qui se met également en place à l'époque. Et toute une série de dispositions légales et administratives les reprennent pour sélectionner parmi les aspirants agriculteurs ceux qui peuvent bénéficier des soutiens publics en matière d'investissement et d'accès au foncier. Ainsi schématiquement -et seulement partiellement- résumé, le dispositif de modernisation de l'agriculture a contribué à modeler le système des droits et obligations des différents groupes participant à sa finalité stratégique, à commencer par celui des agriculteurs. Ceux pamli les producteurs de produits agricoles qui acceptèrent de participer activement à l'entreprise d'optimisation de l'usage des sols se virent reconnaître les droits d'accès au soutien public, que ce soutien se traduise par des flux financiers, des ressources humaines ou des prééminences foncières. Ces droits fonciers peuvent être caractérisés par la mise à distance des détenteurs passés ou potentiels d'autres droits, à comnlencer par les propriétaires: le statut du fermage, le contrôle des Sociétés d'Aménagement Foncier et d'Equipement Rural, les modalités d'accès aux prêts fonciers bonifiés, les catégories des Plans d'Occupation des Sols, tout l'arsenal d'administration des terres agricoles a tendu à écarter des décisions les concernant ceux qui ne participaient pas à l'entreprise d'optitnisation. Même si elles s'avérèrent parfois plus conflictuelles, les opérations de remembrement consacrèrent également la priorité de l'obligation productive sur les droits des propriétaires minoritaires et des riverains. Seuls les usages liés aux besoins du développement industriel et urbain (infrastructures, lotissements. . .) prenaient le pas sur cette prééminence agricole. Il faut cependant souligner que cette mise à distance des autres groupes sociaux de l'usage des terres désignées comme étant à finalité agricole n'est accordée aux agriculteurs qu'au prix de leur insertion affirmée dans le mouvement de la division du travail social. Les engrais, les semences (végétales ou animales), les machines, le capital, proviennent de l'extérieur de l'exploitation; la spécialisation réduit comme peau de chagrin la part de 2 Ce choix de l'agriculture falniliale, qui donnera naissance à la faIneuse « exploitation agricole à 2 UTH », tire sa source pour sa part des « propositions philosophiques, Inorales, philanthropiques» du dispositif de Inoden1Îsation que nous n'abordons pas ici. 62
l'autoconsommation; les savoirs et les savoir-faire sont partagés avec l'appareil d'accompagnement; jusqu'à la comptabilité des ménages qui est parfois confiée aux centres de gestion. La part des produits commercialisés destinée à l'industrie et aux grands distributeurs allant croissant, les contrats d'intégration limitent l'activité commerciale propre des agriculteurs. On est bien là dans le double mouvement de spécialisation territoriale -au sens physique comme social- et d'approfondissement de la division sociale du travail. 2 - L'émergence dans l'espace rural
des dispositifs des politiques
environnemelltales
Il semble que l'on assiste dorénavant à un renversement de ce double mouvement. Au niveau territorial, la prééminence de l'usage productif des terres agricoles est de plus en plus fortement contesté au titre des externalités -comme le disent les économistes pour lesquels le paradigme de la maximisation reste central- auxquelles les pratiques d'optimisation des rendements ont conduit. Que ce soit dans le dOlnaine de la qualité des eaux ou de la protection de la biodiversité, pour prendre ces exemples, de nouveaux territoires sont configurés , qui réduisent ou gomment la distance établie précédemment entre terres agricoles et non agricoles. Le bassin versant ou le biotope d'une population d'oiseaux réunissent terres arables, prairies, forêts, réserves naturelles, mais aussi espace bâti, routes et autres réseaux. .. Et dans ce mouvement de réduction de la distance, les agriculteurs sont de manière croissante appelés à réintégrer dans leurs systèmes techniques des éléments externalisés, dont l'administration avait été attribuée à d'autres agents dans le cadre de la division du travail social. Les distributeurs d'eau potable, dont les équipements d'épuration n'arrivent plus à satisfaire les normes publiques, exigent la réduction des flux d'intrants, le recyclage des déchets agricoles ou d'élevage au sein des exploitations. Les collectivités locales, lasses d'endiguer les rivières, demandent la reconversion de terres drainées en prairies humides. Des conservatoires naturels, impuissants sur leurs seules réserves à maintenir les espèces dont ils ont pris la charge, poussent à la réimplantation des haies et à la reconstitution des bocages balayés par les remembrements. Et je ne ferai ici que mention des autres pressions qui, au titre cette fois de la sécurité sanitaire des aliments, réclament la réduction des traitements pesticides, le développement de techniques de lutte intégrée. Toutes ces pressions sur les activités agricoles, qui remettent en cause les cloisonnements territoriaux, poussent donc aussi à la réintégration au sein de 63
l'exploitation d'éléments du travail social auparavant dévolus à d'autres. Peut-on dans ces conditions considérer que «l'intemalisation» des conséquences environnementales de l'activité agricole remet en cause, au moins partiellement, le processus de division du travail social (5) ? Et dans ce cas, comment qualifier l'évolution concomitante des liens sociaux entre les différents agents et groupes intervenant sur les territoires ruraux? Lorsque l'on observe ce qui se passe sur le terrain, on se trouve face à des mouvements paradoxaux. D'un côté en effet, la maîtrise par les agriculteurs d'impacts environnement aux de leurs pratiques peut les conduire à s'autonomiser -au moins relativement- d'un certain nombre d'autres agents, notamment des firmes d' approvisionnetnents en intrants ou en aliments de bétail, des agences d'équipement hydraulique... Mais dans le même temps, l'adoption des nouvelles pratiques est accompagnée, surveillée, évaluée par de nouveaux agents au travers des nombreux « comités de pilotage» qui les entourent. Je ne prendrai comme exemple que l'entrée d'associations environnementalistes ou de consommateurs dans les Commissions Départementales d'Orientation Agricole chargées de l'approbation et du suivi des Contrats Territoriaux d'Exploitation ou maintenant des Contrats d'Agriculture Durable. Mais pour prendre toute la mesure de cette évolution paradoxale, il me paraît une nouvelle fois utile de faire appel à la notion de dispositif et d'inventorier l'ensemble des éléments hétérogènes qui forment les réseaux des politiques environnementales dans l'espace rural et de qualifier la ou les fonction(s) stratégique(s) dominante(s) qu'elles sont amenées à remplir. Cette identification des fonctions stratégiques dominantes, si elle ne pose pas de problème particulier quand on isole tel ou tel objectif environnemental, en pose beaucoup plus si l'on se pose globalement le problème et que l'on émet l'hypothèse d'une convergence de l'ensemble des objectifs des politiques sectorielles autour de notions du type du développen1ent durable. J'avais déjà abordé ces questions il y a quelques années (4) au travers de la métaphore de l'archipel. La multiplication des îles environnementales (la qualité des eaux, la protection de la biodiversité, la prévention de tel ou tel risque naturel. . .) peut-elle être considérée comme un continent en formation ou n'est-elle que la manifestation de hot spots, de points chauds localisés et restant séparés, aussi nombreux qu'ils puissent être? Il ne m'appartient pas d'apporter moi-même une réponse à cette question, mais de la chercher dans l'examen de la mise en œuvre des politiques environnementales. Or, force est de constater que, au-delà des discours unificateurs organisés autour du développetnent durable ou de la multifonctionnalité, la sectorialisation reste largement la règle et que la convergence n'apparaît pas comme l'hypothèse la plus envisageable à 64
moyen terme. J'en prendrai pour exemple le récent Sché111ade services collectifs des espaces naturels et ruraux (2000) qui additionne plusieurs dizaines de fonctions associées à autant d'objectifs et faisant chacune l'objet d'une cartographie propre. Aucune réponse n'y est vraiment apportée au fait que ces fonctions et objectifs puissent se recouper partiellement sur un même espace. Le responsable d'un Parc Naturel Régional évoquait récemment devant moi le sentiment que l'ensemble dont il avait la charge se trouvait littéralement haché par les divers dispositifs des politiques territoriales. Certes, chacune des fonctions stratégiques des divers dispositifs des politiques environnementales peut être pensée dans la perspective d'une extension de la bio-politique à de nouveaux domaines et à de nouveaux sujets, mais le projet d'ensemble n'est pas visible, la portée de chacun d'eux est différente. Certains ressortent de 1'hygiènisme classique, tandis que d'autres, notamment lorsqu'ils prennent en considération des justifications bio- ou -éco-centriques (14) constituent une extension de la bio-politique de l'optimisation des populations humaines vers celle du vivant en général, voire au-delà lorsque l'on revendique de penser COl1uneun fleuve ou penser comme une montagne (16, pp. 168-172). Chacun des réseaux d'éléments hétérogènes qui constituent les différents dispositifs est en partie imperméable aux autres et il n'est pas possible de superposer l'organisation des valeurs, connaissances, institutions décisions et propositions morales, disons, de l'administration d'une zone vulnérable ou d'un site Natura 2000. Avant de revenir sur les conséquences de cette pluralité de dispositifs émergents sur les liens sociaux autour des territoires ruraux, je voudrais évoquer ma perception de la place de l'agronomie dans cette configuration contemporaine. De nombreux agronolues ont perçu les enjeux pour leur discipline que constitue la prise en cOlupte des conséquences environnementales des actes techniques de conduite des cultures et, sans cacher les difficultés, considèrent avec optimisme ses capacités à y apporter des réponses, notamment sur la base de son ouverture pluridisciplinaire et de ses acquis en matière de modélisation systémique (2, 15, 18). J'aurai pour ma part quelques réserves à apporter à cet optimislue. Le problème n'est en effet pas seulement d'apporter des réponses pertinentes à des enjeux identifiés, mais d'insérer les énoncés scientifiques produits dans les dispositifs prenant en charge ces enjeux. Or, plusieurs éléments me paraissent assez radicalement différents dans le contexte actuel par rapport à celui de la modernisation agricole. Je ne reprendrai ici que ceux que j'ai introduits dans l'ébauche d'analyse de ce dispositif de modernisation. L'étroite association de l'agronomie et de l'économie rurale ne paraît plus aller de soi. Outre le fait qu'ils sont maintenant issus de forrnations différentes de celles des agronomes, la manière dont les économistes traitent 65
les questions d'environnement, même s'ils le font parfois à reculons comme en témoigne la notion d'externalité, peut les amener à être plus rétifs à s'approprier les modèles agronomiques. Si l'optimum de Pareto accordait assez aisément maximisation des rendements et maximisation du bien être général, ce dernier peut dorénavant contrarier le premier -conduisant par exemple à l'introduction du principe pollueur-payeur- , voire à l'éliminer, comme dans le cas où la valeur accordée à un milieu peu ou pas anthropisé serait supérieure à celle de la production agricole. A contrario, le coût de la réduction de certains impacts environnementaux envisagés par le génie agronomique pourrait s'avérer trop élevé par rapport aux pertes productives. Par ailleurs, l'articulation entre les éléments architecturaux des dispositifs des politiques environnementales et les énoncés scientifiques agronomiques ne va pas de soi non plus. La traduction du biotope d'une espèce ou du bassin versant d'une rivière en objets faisant sens pour la science qui étudie la conduite des champs cultivés(15) s'annonce plus incommode que celle d'un périmètre irrigué ou d'une commune reInembrée construits précisément pour améliorer les conditions de la production agricole. Outre le fait que les échelles territoriales ne sont plus les mêmes, qu'elles ne coïncident plus avec des entités faisant sens pour l'agronome comme pour l'agriculteur et qu'elles intègrent bien d'autres éléments que les champs cultivés, les objets même que ces dispositifs identifient comme pivots sont au moins périphériques, sinon complètement étrangers à ceux de l'agronomie, comlne les bords de champs, les fossés, les arbres isolés, les souches ou les broussailles. Enfin, pour participer d'un réseau, encore faut-il y être invité, et il n'est pas certain que les agronomes et leurs connaissances soient mobilisées dans tous les dispositifs impliquant les activités agricoles. Comme mentionné plus haut, rien n'indique que la sectorialisation des politiques environnementales serait dépassée et que l'intégration systémique des objectifs productifs et environnementaux soit la priorité de chacune d'elles. Certes, les premières politiques agri-environnementales ont largement recyclé des éléments du dispositif de la modernisation, mais certains signes indiquent que toutes celles qui suivent et suivront ne feront pas de même. D'autres centres d'expertise, articulés à d'autres communautés et disciplines scientifiques, s'affirment qui peuvent concurrencer la place centrale de l'agronomie, y compris dans ses champs d'excellence. Une enquête en cours sur les ressources mobilisées par les opérateurs chargés d'élaborer les documents d'objectifs sur les sites de la directive Habitats en France fait ainsi apparaître des organismes comme l'Atelier Technique des Espaces Naturels ou Espaces Naturels de France comme des centres d'expertise non seulement des milieux naturels, mais aussi des mesures de gestion des territoires. Autre exemple, même s'il peut apparaître un peu anecdotique: le progralnme du colloque sur « agriculture et biodiversité» organisé par la Ligue de 66
Protection des Oiseaux en octobre 2002, parrainé par les Ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture et le Centre National pour l'Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles, ne mentionne aucun agronome parmi les intervenants, et l'exposé sur le travail du sol et la biodiversité en grandes cultures est assuré conjointement par un agriculteur de l'Aisne et un représentant de l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. Pour revenir maintenant à la question de la nature de l'évolution des liens sociaux et des formes de solidarité autour des territoires ruraux, le constat de la pluralité des dispositifs environnementaux nuance fortement 1'hypothèse émise au début de cette partie d'une remise en cause du mouvement de division du travail social. Si les agriculteurs en effet sont poussés à réintégrer dans leurs pratiques des éléments qu'ils avaient externalisés, ils le font sous l'injonction et le contrôle d'agents qui établissent avec eux sur chacun des objectifs sectoriels des relations contractuelles et contribuent à redéfinir leur(s) système(s) de droits et d'obligation au sein de la société. La prolifération des cahiers des charges -publics ou privés-, le plus souvent contractuels, que souscrivent les agriculteurs au titre de te ou tel objectif environnemental-ou de cocktail d'objectifs, comme dans le cas des Contrats Territoriaux d'Exploitation- participe de l'expansion des règles de droit restitutif et coopératif, indice de densité de leurs liens avec d'autres agents et groupes SOCIaux. En s'enchevêtrant avec les anciennes, ces nouvelles règles sont à la source d'une certaine confusion dont la notion de multifonctionnalité tend à rendre compte. Cependant, c'est peut-être le maintien dans les analyses de la catégorie de pensée agriculteur, forgée par le dispositif de Inodernisation (22), qui pose problème. La redistribution différentiée selon les territoires et les dispositifs environnementaux des droits et obligations est sans doute porteuse d'un éclatement de cette catégorie, éclatement qui reste encore à concevoir et qualifier. Le récent inventaire de la variété des termes aujourd'hui qualificatifs des agricultures (19) fournit peut-être la lexicologie dans laquelle se forgeront les catégories de la prochaine division du travail social dans le dOlnaine. Certains sociologues (13, 17) ont proposé de qualifier de publicisation le phénomène de multiplication des agents et groupes revendiquant de nouveaux droits de regard et d'usage sur les territoires ruraux. Ce terme rend assez exactement compte à la fois de ce phénomène et du discours que tiennent.ces agents et groupes pour légitimer leurs demandes. Il est d'ailleurs symptomatique qu'en retour, ce soit au nom des droits de la propriété privée que se forgent les coalitions qui s'opposent à l'essor des dispositifs émergents d'administration environnementale des territoires, comme on a pu le voir avec le Groupe des 9 face à Natura 2000 (1). Cependant, il importe de 67
rappeler que c'est aussi au titre de justifications d'intérêt public qu'ont été mis en place les droits d'usage prééminents de la catégorie des agriculteurs sur l'espace rural à l'époque de la modernisation. Il n'est pas certain que la redistribution des droits et obligations fonciers portés par les dispositifs émergents ne conduira pas à engendrer de nouvelles prééminences. J'en prendrai pour exemple la revendication par les Conservatoires d'Espaces Naturels en France d'une remise en cause de règles du statut du fermage sur les territoires dont ils ont en charge la gestion. Conclusion
Un autre des dangers de l'emploi du terme « nouveau» est la tentation de considérer des phénomènes émergents comme porteurs inéluctables de réorganisations radicales des systèmes précédents. Peut-être n'ai-je pas évité ce danger dans les propos qui précèdent. Il convient donc en conclusion d'apporter les réserves nécessaires pour ne pas tomber sous le coup de la critique d'amplifier les effets de tel ou tel dispositif dont la construction est loin d'être stabilisée. On peut objecter en effet la force de résistance du dispositif de modernisation, aux structures bien établies et dont les ressorts d'innovation sont bien loin d'être épuisés. Les débats sur les Organismes Génétiquement Modifiés en sont une illustration, où les environnementalistes se trouvent parfois à front renversé par rapport à certaines de leurs aspirations (comIne la réduction des intrants ou les économies d'énergie). Sans doute cette situation tient-elle d'ailleurs au fait que les argumentaires des controverses dans ce domaine s'appuient les uns et les autres sur des justifications relevant des objectifs de la bio-politique. Quoi qu'il en soit, la pérennité des dispositifs des politiques environnementales n'est actuellement pas assurée et certains de leurs objectifs sont recyclables dans l'ancien. Il reste qu'il ne faut pas confondre les objectifs et ceux qui les portent, et il n'est pas certain que ces derniers seraient aussi facilement recyclables ou intégrables. On peut également identifier d'autres mouvements qui remettent en cause les structures du dispositif de modernisation agricole dans les pays postindustriels sans pour autant intégrer explicitement les objectifs des politiques environnementales. Il s'agit ici bien évidemment des revendications liées à la libéralisation des échanges et au démantèlement des droits à subventions et à protection dont jouissent les agriculteurs. Les incertitudes des conséquences d'une telle dérégulation sont très fortes et le déséquilibre des financements actuels entre la garantie et l'orientation de la Politique Agricole Commune peut faire douter de la capacité de la seconde à compenser les effets de la disparition de la première. Néanmoins, on peut aussi faire l'hypothèse que l'affaiblissement d'une grande partie des 68
agriculteurs lié au démantèlement de la protection peut accentuer le processus de redéfinition des droits et obligations des utilisateurs des territoires ruraux et assurer davantage de place à tel ou tel des dispositifs émergents dans le domaine environnemental. Ce qui peut changer dans cette perspective, c'est leur prise en charge par de nouveaux agents, davantage privés que publics ou associatifs, en particulier des firmes ayant choisi de faire des biens environnementaux des biens marchands. On ne serait là que dans la poursuite de la Grande Transformation capitaliste, dans l'extension du domaine de la production marchande (21). Des acquisitions foncières de la firme Vittel dans son périmètre de captage aux investissements des grandes firmes pharmaceutiques et de génie génétique dans des réserves de biodiversité en Amérique Centrale, les prémisses d'une telle évolution ne manquent pas d'exister. Dans ce cadre, les agriculteurs ne deviendront pas les jardiniers de la nature, mais les salariés des bio-industries.
Références bibliographiques (l)ALPHANDERY P. & FORTIER A., 2001. «Can a territorial policy be based on science alone? The system for creating the Natura 2000 network in France », Sociologia Ruralis, 41, 3 : 311-328. (2) BENOIT M. & PAPY F., 1998. «La place de l'agronomie dans la problématique environnementale », Les dossiers de l'environnenlent de l'INRA, na 17 : 53-62. (3) CHOMBART DE LAUWE J., 1979. L'aventure agricole de la France de 1945 à nos jours, Paris, PUF. (4) DEVERRE C., 1995. «Social implications of agro-environmental policy in France and Europe », Sociologia Ruralis, XXXV, 2 : 227-247. (5) DEVERRE C., MORMONT M. & SOULARD C., 2002. « La question de la nature et ses implications territoriales », in PERRIER-CORNET P. (dir.), Repenser les campagnes, L'Aube-DATAR; 217-237. (6) DION R., 1991. Essai sur la formation du paysage rural fi"ançais, Paris, Flammarion. ère (7) DURKHEIM E., 1930. De la division du travail social Paris, PUF (1 édition 1893). (8) FOUCAULT M., 1975. Surveiller et punir, Paris, Gallimard. (9) FOUCAULT M., 1976. Histoire de la sexualité. I. La volonté de savoir, Paris, Gallimard. (10) FOUCAULT M., 1994. Dits et écrits. III. 1976-1979, Paris, Gallimard. (11) GERVAIS M., JOLLIVET M. & TAVERNIER Y., 1976. Histoire de la France Rurale. Tonle 4. Lafin de la France paysanne. De 1914 à nos jours, Paris, Seuil.
69
(12) GRAFMEYER Y. & JOSEPH I., 1990. L'école de Chicago. Naissance de l'écologie urbaine, Paris, Aubier-Montaigne. (13)HERVIEU B. & VIARD J., 1996. Au bonheur des can1pagnes, L'Aube. (14) LARRERE C. & LARRERE R., 1997. Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l'environnement, Paris, Aubier. (15) LEMAIRE G. & MEYNARD J.M., 1998. « Commentaires sur l'analyse de conjoncture concernant la place de l'agronomie dans la problématique environnementale », Les dossiers de l' environnelnent de l'INRA, n° 17 : 6366. (16) LEOPOLD A., 1995. Aln1anach d'un con1té des sables, Paris, Aubier. (17) MICOUD A.(dir.), 1991. Des hauts-lieux. La construction sociale de l'exemplarité, Paris, CNRS. (18) PAPY F., 2001. «Pour une théorie du ménage des champs: l'agronomie des territoires », C.R. Acad. Agric. Fr., 87, n04 : 139-149. (19) PERVANCHONF. & BLOVET A., 2002. «Lexique des qualificatifs de l'agriculture », Le Courrier de l'Environnelnent de l'INRA, 45 : 117-137. (20) PITTE J-R., 1989. Histoire du paysage français, 2 tomes, Paris, Tallandier. (21) POLANYI K., 1983. La Grande Transforn1ation, Paris, Gallimard (1 èreédition américaine 1944). (22) REMY J., 1987. « La crise de professionnalisation en agriculture: les enjeux de la lutte pour le contrôle du titre d'agriculteur », Sociologie du Travail, 4-87 : 415-441. ère (23) SIMMEL G., 1981. Sociologie et épisténl0logie, Paris, PUF (1 édition allemande 1900).
70
Territoire: Agronomie, géographie, écologie, où en est-on? Trois chercheurs de trois disciplines s'interrogent sur les conditions dans lesquelles la din1ension territoriale est prise en cOlnpte dans leurs domaine disciplinaire respectif.
Territoire:
agronomie, écologie, géographie, où en est-on? Point de vue d'un agronome de la recherche publique par Jean BOIFFIN 1
Résumé Les agronomes se réfèrent de plus en plus souvent à la notion de territoire, mais celle-ci n'est pas pour autant un objet d'interactions majeures avec les écologues et les géographes. La note ci-jointe en analyse les raisons, et identifie différents facteurs qui rendent prévisible et souhaitable un rapprochement de ces trois communautés scientifiques pour appréhender les dynamiques territoriales. Quelques exemples de thèmes redevables d'une telle collaboration sont avancés, pour alimenter le dialogue à venir.
Abstract: Territory: agronomy, ecology, geography, whera are we ? Some views from a public-sector research agronomist More and more research works in agronomy refer to the concept of territory. However, when it comes to territory and territorial dynamics, interactions between agronomy, geography and ecology remain scarce. This short paper identifies some reasons for this situation: agronomists rejection of local agronomy, other disciplines' ignorance of agronomy, and constraints and biases induced by agronomy's productivist approach in the past decades. By contrast, the potential for cooperation is high, due to a number of factors: need for addressing environmental issues in agriculture; increasing constraints on agricultural practices, especially the use of industrial inputs; and debate on the multifunctionality of agriculture and/or rural space. Finally, we propose some examples of issues that could be a subject of common interest and collaborative work between agronomy, ecology and geography. Le territoire a-t-il été, et est-il aujourd'hui un sujet de rencontre et de collaboration entre agronomes, écologues et géographes? Précisons tout d'abord le domaine scientifique et technique auquel se réfèrent les quelques
1
INRA, Direction
Cedex 07.
Scientifique
« Agriculture,
activités,
tenitoires
», 147, rue de l'Université,
75338 Paris
éléments de réponse qui suivent. Sous le vocable agronolnie, nous entendons ici la discipline qui étudie les relations entre le peuplement végétal, le milieu et les interventions qui leur sont appliquées, en vue de définir des modalités de gestion durable des espaces cultivés. De façon expéditive et si l'on s'en tient d'une part à cette définition restreinte de l'agronomie, d'autre part à une acception du terme territoire elle aussi plus exigeante et restrictive qu'espace géré, la réponse est plutôt négative. Au-delà des travaux pionniers de J.P. DEFFONT AINES, au delà de références au territoire de plus en plus souvent exprimées dans les travaux des agronomes, on ne peut faire état d'un flux significatif et régulier de publications scientifiques, de proj ets de recherche et a fortiori de structures collaboratives, qui répondent à des critères objectifs d'implication conjointe de ces communautés autour de la notion de territoire. L'analyse de cette situation conduit à prévoir qu'elle devrait se modifier dans le sens d'une interaction accrue, puis à proposer quelques pistes de travail qui pourraient être un support de rapprochement entre les trois communautés scientifiques. 1 - Les raisons d'une faible interaction
Sans chercher à les classer ou à les ordonner, ni surtout à être exhaustif, on peut avancer quelques éléments explicatifs, les uns plutôt de conjoncture scientifique, les autres relevant du contexte socio-économique et politique qui a conditionné l'évolution de l'agronomie dans les deux ou trois dernières décennies. Dans la première catégorie, on relèvera tout d'abord le souci, pour l'agronomie, d'échapper à la qualification de science de localité. Il a incité la recherche à se concentrer sur l'étude de processus invariants quel que soit le lieu, et à dé-régionaliser son dispositif. A contrario, les approches à caractère régional suscitaient, de la part des chercheurs, la crainte de s'enliser dans une infinité d'études de cas à caractère monographique. Ces réticences en partie justifiées ont probablement contribué à masquer l'intérêt, si ce n'est l'existence même, de sujets de recherche sur les territoires et les dynamiques territoriales, qui justement avaient une portée générique. En sens inverse, on notera aussi la faible sollicitation externe de l'agronomie sur ces sujets de recherches: ceux qui, parmi les géographes et/ou les écologues du paysage, ont développé ou utilisé la notion de territoire, n'ont guère fait appel aux agronomes. On peut aisément s'en convaincre en consultant la bibliographie des ouvrages de référence en la matière. On peut d'ailleurs se demander si le souci légitime d'échapper au ruralisme n'a pas conduit leurs auteurs à l'excès inverse: une certaine sous-estimation de la place des systèmes de production agricole et de leurs évolutions dans les dynamiques territoriales et, leur sein, dans les dynamiques écologiques. 74
Mais un facteur de cloisonnement majeur a sans doute été le poids du
productivisme agricole sur l'agronomie et les recherches en agronomie tout au moins en métropole. On veut dire par là, non pas que les chercheurs en agronomie ont été des militants du productivisme, mais que leurs orientations de recherche ont été marquées par la primauté de la finalité de production, avec un certain nombre de corollaires «anti-territoriaux ». Citons-en trois: - le fait que les interactions entre agriculture et autres activités aient été plutôt appréhendées dans le cadre de filières que dans le cadre de territoires. Cela se traduit notamment, dans la structure des partenariats de recherchedéveloppement et d'application, par la prédominance des collaborations avec les instituts techniques de filières; - la prépondérance, dans les approches de terrain, des niveaux d'organisation station et parcelle, c'est à dire des entités spatiales les plus homogènes vis à vis des différents facteurs de production; - l'occultation par l'usage intensif des intrants, en particulier phytosanitaires, de processus à caractère fortement spatial, dont la prise en compte aurait immanquablement amené les agronomes à travailler avec des écologues et des géographes, notamment à l'échelle du paysage: ainsi l'épidélniologie des bio-agresseurs des cultures, était en quelque sorte rendue sans objet, dans un contexte de traitement chimique préventif et spatialement uniforme. 2 - Les évolutions envisageables
Cette situation de relativement faible interaction autour de la notion de territoire va-t-elle se modifier? Là encore sans prétendre à l'exhaustivité, on peut indiquer trois moteurs d'évolution des problématiques de l'agronomie, dont le point commun est de rendre nécessaires des approches pluri ou transdisciplinaires des activités agricoles, et de leur insertion dans des territoires ou des dynamiques territoriales. Un premier est la nécessité de traiter les problèmes d'environnement liés à l'agriculture, qu'elle en soit cause, victime ou gestionnaire potentiel.
Dans de nombreux cas - de façon exemplaire celui de la qualité de l'eau - il s'avère que leur résolution ne relève pas seulement des bonnes pratiques agricoles. On entend par là un ensemble de mesures subordonnées aux finalités de production (incluant des mesures, de protection directe de la santé des agriculteurs et des consommateurs), et mises en œuvre au niveau des parcelles, des troupeaux ou des bâtiments. Au delà de ces mesures, qui se cantonnent à une logique de respect ou de préservation de l'environnement, il faut recourir à une gestion agri-environnementale qui soit à la fois dédiée à l'environnement, intégrée et spatialisée. Cette gestion implique en effet des aménagements ou mesures spécifiques sur des sites 75
appropriés. De surcroît, elle s'applique à des entités spatiales qui ne coïncident pas avec les parcelles ou exploitations agricoles, et sont souvent beaucoup plus larges, l'exemple évident étant celui du bassin hydrologique. Elle doit donc être collective, et être conçue et mise en œuvre de concert avec d'autres occupants ou acteurs que l'agriculture elle même: on a bien là
certains des ingrédients d'une gestion non seulement spatiale, mais territoriale au sens le plus exigeant du terme. Même s'ils se cantonnaient au cadre de l'agriculture raisonnée et des bonnes pratiques agricoles, les agronomes seraient de toutes façons confrontés à un deuxième moteur de territorialisation et d' écologisation de l'agronomie.: les restrictions croissantes, pour des raisons à la fois économiques et réglementaires, à l'usage des intrants d'origine industrielle, et tout particulièrement des pesticides. Ces restrictions appellent l'élaboration de méthodes dites de protection intégrée basées sur la connaissance et la maîtrise des processus spatiotemporels de développetuent des populations de parasites, de ravageurs et d'adventices. Elles appellent aussi à constituer les bases d'une gestion spatiale raisonnée, à l'échelle régionale si ce n'est continentale ou planétaire, des innovations variétales ou phytosanitaires, de façon à éviter ou retarder soit le contournement des résistances variétales, soit l'apparition précoce de résistances aux produits phytosanitaires. On retrouve cette nécessité d'approches conjointes d'agronomie, d'écologie du paysage et de biogéographie pour analyser l'impact de la dissémination des organismes génétiquement tuodifiés : ce point est illustré par les collaborations exemplaires qui se sont nouées récemment entre agronomes et écologues sur la modélisation des flux de gènes dans les agroécosystètues. Plus globalement un troisième moteur de rapprochement entre agronomes, écologues et géographes, autour ou dans le cadre de la notion de territoire, est la remise en question des fondements de la Politique Agricole Commune et des critères d'attribution des soutiens publics à l'agriculture. Cette remise en question n'est d'ailleurs que la partie la plus apparente d'une redéfinition du statut de l'agriculture dans les sociétés développées, dont les corollaires sont le découplage des aides directes par rapport aux quantités produites, l'instauration d'une certaine dose d'éco-conditiotmalité, la baisse des prix unitaires des produits de masse, et la réorientation d'une partie des soutiens vers le développement rural. La question qui se pose alors est celle d'un éventuel recouplage des soutiens publics à des fonctions autres que la production, notamment environnementales et territoriales, qui pourraient être remplies par l'agriculture conjointement avec celle de production. Il faut alors s'assurer de la possibilité réelle d'exercice par l'agriculteur de ces fonctions autres (c'est le débat entre multifonctionnalité de l'agriculture et multifonctionnalité de l'espace rural), et donc de leur possibilité 76
d'intégration aux systèmes de culture et de production: quelles pratiques, quels systèmes, quelle agronomie pour les fonctions non productives de l'agriculture, par exemple des fonctions de recyclage des produits résiduaires d'origine urbaine ou industrielle, de séquestration du carbone, de gestion de la biodiversité, de prévention des catastrophes naturelles, etc... ? 3 - Quelques pistes pour un travail conjoint
Aucune de ces évolutions vitales pour l'agronomie ne peut être assumée par elle toute seule, et ceci presque par définition. Il faut dès lors souhaiter qu'agronomes, écologues et géographes prennent conscience de leurs intérêts mutuels à un travail en comInun, et pour cela qu'ils identifient des questions de recherche communes. On peut suggérer que chaque communauté scientifique y contribue en proposant des «questions candidates », à la fois importantes pour elle-même et susceptibles d'intéresser les autres. A titre d'ébauche pour le compte des agronomes, on avance ci-dessous trois exemples: - Comment évolue et va évoluer la localisation des systèmes de production agricole, en fonction des déterminants majeurs que sont les politiques agricoles et les marchés, mais aussi les politiques environnementales, les autres changements d'occupations des sols, les changeInents climatiques et écologiques? Quels sont les Îlnpacts écologiques, économiques et sociaux des déplacements en cours et à venir?
- Dans quels systèmes d'interaction
avec les autres activités et occupations
de l'espace les exploitations agricoles se trouvent elles, en fonction de leur localisation et de leurs caractéristiques technico-économiques? Ces interactions jouent-elles ou peuvent-elles jouer un rôle actif vis à vis de certaines dynamiques territoriales positives ou négatives? On pense, dans notre contexte européen, aux interactions agriculture-tourisme, à l'agriculture péri-urbaine, au!' interactions forêt-agriculture. On pense aussi aux interactions agriculture-agriculture, par exemple celles entre systèmes de production végétale et systèmes d'élevage sur lesquelles G. Lemaire, dans ce même ouvrage, nous invite à porter un nouveau regard, dans le cadre élargi d'une approche territoriale. On devra aussi, en prolongement des questions précédentes, se demander comment ces diverses interactions sont amenées à se modifier, compte tenu de l'évolution de l'occupation du territoire, et dans un contexte de changement global, en particulier climatique. - Quelles sont les conséquences de ces interactions pour l'agriculture et ses pratiques, en termes de contraintes ou d'opportunités? Dans quelle mesure les couverts végétaux, leur conduite et leur répartition spatiale peuvent-ils être utilisés, non seulement en tant que variables d'ajustement comIne le sont actuellement les jachères, mais aussi comme outils d'aménagements et de 77
gestion de l'espace? Peut-on concevoir une innovation agronomique à visée écologique et territoriale, spécifiquement adaptée par exeluple à des contextes péri -urbains ou de transition prairie-forêt, à des finalités de dépollution, de gestion spatialisée des cycles biogéochimiques, de construction et d'entretien de paysages? En cas de réponse positive, quelles peuvent être les modalités d'expression et de valorisation de ces systèmes et pratiques agri-environnementaux au plein sens du mot, en termes de cahiers des charges, de contrats individuels ou collectifs, de clauses dans les baux ruraux ou transactions foncières, etc... Les difficultés et surtout les malentendus qui compromettent la mise en œuvre des CTE conduisent à insister sur le fait que l' objectif n'est pas ici un dispositif de relégitimation des aides, mais bien la définition et la mise en oeuvre concrète, de fonctions et services territoriaux - y compris dans certains cas de gestion écologique justifiant objectivement une rémunération appropriée. Cette esquisse de questionnement est beaucoup trop incomplète, insuffisamment hiérarchisée et peu affinée pour attendre des comnlunautés interlocutrices de l'agronomie un écho explicite et immédiat. Plus encore que des sujets identifiés, on a souhaité par là leur suggérer une démarche de rapprochement qui partirait de questions partagées, plutôt que de lieux ou régions qui seraient arbitrairement fixées comme terrains d'études communs, même si in fine il faut bien se placer quelque part pour collaborer sur de telles questions.
78
A propos de l'écologie. Henri DECAMPS! Quand un écologue parle de territoire, il pense plutôt à la zone qu'un animal se réserve et dont il interdit l'accès à ses congénères. Il pense rarement d'emblée à l'étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ou à l'étendue de pays sur laquelle s'exerce une autorité, une juridiction. Ce réflexe est révélateur des origines naturalistes de l'écologie et de ses difficultés à intégrer l'homme et la société dans ses raisonnements. Pourtant, les raisons ne manquent pas pour justifier l'intervention d'un écologue dans des entretiens intitulés agrono111eset territoires. Citons par exemple cette définition par Stéphane Hénin de l'agronomie: une écologie appliquée à la production des peuplelnents des plantes cultivées et à l'aménagement des terrains agricoles; citons encore, cette remarque de Jean-Pierre Deffontaines à propos des sources de Vittel: une eau 111inérale est indissociable de son territoire et sa production ne peut pas ignorer les diverses activités que supporte ce territoire. Le sÙnple arrêt de la pollution de l'eau par les nitrates conduit à une re111iseen question du lnodèle agricole local ce qui, à l'échelle du périmètre aboutit à une 111odificationdu paysage; citons enfin, la façon dont la convention européelme voit le paysage: une partie du territoire telle qu'elle est perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations (1). En fait, si l'écologie parle peu de territoire, elle est de plus en plus confrontée aux problèmes qui se posent à l'échelle même du territoire. Et de plus en plus impliquée, sommée même d'appliquer ses connaissances à la lutte contre les inondations, les incendies, les pollutions, les pullulations, etc. Bien sûr, les écologues ne sont pas les seuls à être ainsi sollicités et projetés dans les débats publics. Mais ce sont peut être ceux qui, tout en se croyant les mieux préparés, se retrouvent en fait les plus désemparés. Préparés puisque, en quelques décennies, de réels progrès ont été accomplis dans la connaissance des processus écologiques et biologiques, dans l'évaluation économique des biens et des services de la nature, dans l'usage de nouvelles techniques et de nouvelles méthodes. Mais aussi désemparés: par l'ampleur des problèmes liés à notre environnement, par les amalgames et les ambiguïtés à propos du terme même d'écologie: une science? une philosophie? un parti politique? Les deux dernières lectures Mc Arthur de la Société Anléricaine d'Ecologie 1
Conespondant
de l'Acadélnie
d'Agriculture.
témoignent par leurs titres de ces interrogations, tant celle de Robert O'Neill (2) : Est-il temps d'enterrer le concept d'écosystèn'le ? (avec les honneurs militaires, bien sÛr)? que celle de Stephen Carpenter (3) Les avenirs écologiques: construire une écologie du présent qui se prolonge. Les écologues ont parfaitement réalisé que si leurs connaissances sont nécessaires, elles ne sont en aucun cas suffisantes. Ils savent que leur efficacité dépend d'une prise en compte approfondie des aspects sociaux et éthiques des questions environnementales. Or, de nos jours, l'écologie aspire à l'efficacité. Du moins quand elle s'efforce de prévoir les conséquences des actions passées et actuelles sur nos environnements à venir. Alors, comment s'y prend elle? Ou, plutôt, comment essaie-t-elle de s'y prendre? d'abord, en diversifiant ses points de vue, cotume en témoigne l'émergence de la biologie de la conservation, de l'écologie du paysage, de l'écologie de la restauration; ensuite, en renouvelant son approche de l'incertitude, si caractéristique des prévisions en matière d'envirotmement ; enfin, en s'essayant au dialogue interdisciplinaire avec, notamment le classique passage de la frontière entre les Sciences de la Nature et les Sciences de l'Homme et de la Société. Donc, diversification des points de vue, traitement de l'incertitude, dialogue interdisciplinaire, je m'appuierai sur ces trois questions pour évoquer les collaborations possibles entre agronomie, géographie et écologie. Diversification des points de vue.- On assiste depuis deux décennies environ à des redéploiements au sein même de l'écologie,- certains parlent de sous-disciplines. Leur but? - approfondir certains aspects de la connaissance écologique, et les adapter à la résolution des problèn1es d'environnement. Il s'agit par exemple de la biologie de la conservation, de l'écologie du paysage, de l'écologie de la restauration, de l'alnénagelnent des écosystèmes... Chacune de ces sous-disciplines a ses concepts, ses méthodes, son jargon, ses revues scientifiques. Leurs membres se regroupent en associations et tiennent congrès régulièrement. Ils se retrouvent sur certains thèmes de prédilection, parmi lesquels: les approches multiéchelles, la biodiversité, 1'hétérogénéité, les dynamiques chaotiques, l'intégrité des écosystèmes, l'homme partie intégrante des systèmes écologiques. Mais en même temps qu'à cette diversification des points de vue au sein de l'écologie, on assiste à une diffusion de la connaissance écologique chez les professionnels de l'environnement... une connaissance qui se trouve ainsi appropriée et, souvent, enrichie. On voit par exemple les paysagistes, 80
les ingénieurs, les gestionnaires, les architectes, revendiquer une responsabilité écologique et intégrer dans leurs travaux: le fonctionnement des écosystèmes, la protection des habitats et des espèces, la durabilité environnementale, etc. Je me demande si ce double processus de diversification et de diffusion, dans la mesure où il affecte aussi l'agronomie et la géographie, et à condition d'être orienté, ne nous livre pas une clé pour une meilleure synergie entre nos disciplines. Le traitement de l'incertitude.- Une grande part d'incertitude caractérise les prévisions en matière d'environnement: 1) parce que ces prévisions s'appuient sur des facteurs - par. exemple climatiques et technologiques qui changent eux mêmes de manière imprévisible; 2) parce que ces prévisions induisent des changements dans les cOlnportements qui, en retour, influencent les dynamiques à venir; 3) parce que les systèmes socioenvironnementaux traversent des périodes de crise, où les changements s'accélèrent soudainement, sans qu'il soit possible d'adapter les prévisions, ou trop tard. Face à ces incertitudes, l'écologie s'est appuyée sur des approches à la fois théoriques et phénoménologiques. Non sans succès d'ailleurs, n1ais non sans limites. Ainsi à propos de l'eutrophisation des lacs, les mécanisn1es ont été expliqués, les causes identifiées, le déroulement des processus compris, de même qu'ont été comprises les interactions entre ces processus aux différentes échelles du bassin versant, des sédiments, de la pleine eau. Mais cette compréhension acquise, et quelques guérisons de lacs obtenues, on se heurte toujours à la difficulté de contrôler les apports diffus depuis les territoires des bassins versants. Dans ces conditions, les écologues sont alnenés à construire des scénarios; c'est à dire des avenirs plausibles compatibles avec l'état des connaissances, et qu'il s'agit de comparer. De telles constructions peuvent se révéler utiles, par exemple à propos de l'évolution de la biodiversité, ou des conséquences écologiques des changements d'occupation des terres. Utiles, parce que les scénarios portent à l'action, contrairement au simple constat de l'existence d'incertitudes: les scientifiques y sont invités à faire preuve d'imagination, mais aussi de cohérence avec les connaissances du moment. Mais utiles à condition que s'établissent des coopérations avec les spécialistes d'autres disciplines, de ces spécialistes entre eux, et avec les personnes impliquées dans l'avenir des systèmes environnementaux en question.
81
Cette construction de scénarios apparaît comme une approche prometteuse digne d'être explorée sur des exemples concrets, en impliquant des agronomes, des géographes et des écologues. Le dialogue entre les disciplines.- L'écologie en prend conscience lentement nIais sûrement: elle ne peut se construire utilement qu'en dialoguant avec d'autres disciplines. Elle a donc beaucoup à recevoir. Mais alors, que peut-elle apporter, précisément pour prévoir des avenirs incertains ou ambigus? Autrement dit, quel usage faire de l'écologie lorsqu'il s'agit d'identifier les conséquences des actions passées et actuelles sur l'environnement. Deux questions méritent ici d'être évoquées: 1) Comment des processus à pas de temps différents, les uns à évolution lente et les autres à évolution rapide, interfèrent pour déterminer la dynamique des systèmes environnement aux ? Pour reprendre l'exemple de l'eutrophisation, comment la lente accumulation des phosphates et des nitrates dans le sol et dans les sédiments interfère-t-elle avec la soudaineté des relargages, des dépassements de seuils, des basculements, des changements de pratiques? 2) Quelles sont toutes les conséquences biologiques possibles de telle ou telle décision d'intervention (ou de non-intervention) sur un système environnemental? Et dans quelle mesure peut-on s'attendre à des surprises, notamment sur le long tenne ? Ces questions renvoient à l'élaboration des scénarios. Justement, n'est ce pas dans l'invention de tels scénarios que nous avons le plus à attendre les uns des autres? Nous, par exemple les agronomes, les géographes et les écologues, mais pas seulement. Pas seulement, parce que d'autres disciplines doivent aussi être convoquées et parce que nous travaillons sur des systèmes dont les dynamiques obéissent à des règles changeantes dans l'espace et dans le temps, des systèmes qui répondent à des contraintes à la fois biophysiques, humaines et sociales (4). Dans ce contexte, il peut être utile d'énumérer quelques uns des concepts clés de l'écologie tels qu'ils ont été récemment définis par James Karr (5). Ces concepts clés pennettent de mesurer ce que l'écologie peut apporter dans un échange interdisciplinaire: système et échelle, intégrité, processus, variabilité et valeurs extrêmes, configuration spatiale, paysages, connections, complexité et diversité, 82
perturbation, cycles et trajectoires, résilience et résistance, incertitude et surprise. Ces concepts clés de l'écologie, ne sont-ils pas aussi ceux de l'agronomie et de la géographie ? Avec sans doute des acceptions différentes de la part des uns et des autres. Des différences et des nuances que nous devrions analyser davantage comme base d'un dialogue utile. Références
bibliographiques.
(1) DEFFONTAINES J.P. 1998. Les sentiers d'un géoagronome. Arguments. Paris. (2) O'NEILL R.V. 2001. Is it time to bury the ecosystem concept? (with full military honors, of course !). Ecology 82 : 3275-3284. (3) CARPENTER S. 2002. Ecological futures: building an ecology of the long now. Ecology 83 : 2069-2083. (4) LUDWIG D., M. MANGEL et B. HADDAD. 2001. Ecology, conservation, and public policy. Annual Review of Ecology and Systelnatics 32 : 481-517. (5) KARR J.R. 2002. What from ecology is relevant to design and planning? pp. 133-172 in JOHNSON B.A. et K. HILL (eds) : Ecology and design: frameworks for learning. Island Press. Washington.
83
Le regard d'un géographe Jean RENARD! Le sujet pr.op.osé est ambitieux, d'autant qu'il est delnandé n.on seulement de faire le p.oint sur la discipline géographie mais aussi de c.onsidérer les c.ollab.orati.ons actuelles .ou s.ouhaitables entre les tr.ois appr.oches. Or, en 1985, J.P. Deff.ontaines, à m.on sens l'un des agr.on.omes le plus pr.oche des gé.ographes, rappelait, p.our le regretter, l'inexistence des relations avec les géographes(l ). La première questi.on à se p.oser est de préciser ce qu'est le territ.oire p.our les gé.ographes et ensuite d'examiner si le territ.oire des gé.ographes a quelque ch.ose à v.oir avec la même expressi.on utilisée par les agr.on.omes et les éc.ol.ogues
1
- Le
territoire des géographes:
un problème de définition et
d'échelle A-la recherche d'une définition Apparemment rien de plus simple puisque la gé.ographie décrit et analyse la répartiti.on et l'extensi.on dans l'espace des f.ormes d'.occupati.on humaine, et que le territ.oire est l'expressi.on d'un espace .organisé et structuré. Dans ce sens un territ.oire est d.onc un m.orceau de l'espace gé.ographique qui a une certaine étendue, des limites et d.ont les éléments c.onstitutifs s.ont .organisés et f.orment structure du fait des acti.ons d'un gr.oupe s.ocial qui l'.occupe et l'utilise. L'anthr.op.ol.ogue M. G.odelier en a d.onné une définiti.on qui recueille l'assentiment des gé.ographes l.orsqu'il rappelle que l'.on désigne par territoire une portion de la nature et donc de l'espace sur laquelle une société déterminée revendique et garantit à tout ou partie de ses n1elnbres des droits stables d'accès, de contrôle et d'usage portant sur tout ou partie des ressources qui sy trouvent et qu'elle est désireuse d'exploiter. Un territ.oire est délimité, il a un pérhnètre, ce qui justifie l'idée que les territ.oires s.ont juxtap.osés dans l'espace. Les déc.oupages p.olitiques et administratifs rép.ondent à cette l.ogique de la juxtap.ositi.on. A chaque échelle du p.ouv.oir .ou de l'administrati.on l'espace s'.organise s.ous la f.orme d'un puzzle aux fr.ontières claires et nettes. P.our les individus et les s.ociétés
1 professeur éluérite de géographie, l'Acadéluie d'Agriculture
université
de Nantes, UMR du CNRS 6590, Conespondant
de
locales, familles, clans, tribus, peuples, il y a aussi des délimitations et des frontières. Dès que l'on en sort, on est ailleurs. Est-ce à dire que les territoires forment une mosaïque régulière? Ou bien peuvent ils se recouvrir et avoir des zones d'intersection? B
- Quelques
interrogations
en préalable
Qu'est-ce qui fonde les traits visibles, les paysages - autre expression ambigüe et passe-partout - qui font qu'un morceau d'espace, qu'une portion de l'étendue terrestre, acquièrent dans la vision que s'en font les acteurs, les habitants ou les observateurs, un aspect de territoire? Est-ce seulement un agencement original, particulier dans la disposition des éléments physiques et humains, c'est-à-dire un paysage, qui fondent un territoire? Et la destruction d'un paysage a-t-il alors une signification sur l'appartenance à un territoire. ? On ne reconnaît plus son espace de vie. Est-ce la reconnaissance par les habitants de la conscience d'une identité particulière qui fait qu'ici on n'est pas comme les autres qui sont d'ailleurs? Est-ce un sentiment d'appartenance plus ou moins reconnu, ressenti qui fait que l'on se retrouve avoir les mêmes réactions, des comportements voisins, des pratiques originales? Est-ce une histoire commune et partagée qui a soudé les habitants autour de souvenirs, de mythes, de valeurs partagées? Est-ce à dire que l'appartenance à un même territoire prime sur l'appartenance à un groupe ou à une classe sociale? Le fait d'être vendéen, basque, corse ou breton est-il plus important que celui d'être ouvrier ou aristocrate, prolétaire ou bourgeois ?
Ou bien est-ce simplement le résultat d'un découpage pour l'action et d'exercice du pouvoir? C'est-à-dire un espace du politique, que ce soit la commune, la paroisse, le comté, le département, la circonscription électorale, une voïvodie, une province ou une satrapie. Et quelles relations peut-on définir entre, d'une part, les territoires du politique, s'appuyant sur des délimitations adlninistratives, venues d'en haut, ressortissant d'une même autorité, et d'autre part, les territoires du quotidien des individus, des familles, des groupes sociaux. Y-a-t-il recouvrement ou non? Et sinon quelles significations, quels problèmes, quels conflits peuvent apparaître entre ces types de découpages de l'espace? Le territoire est-il rattaché à une échelle géographique particulière, ou bien y-a-t-il empilement d'échelles, et à chaque échelle y-a-t-il un fonctionnement des éléments sous la forme d'un système? En d'autres termes la maison, le champ, le quartier, le pays, la région, sont-ils ces différents niveaux de reconnaissance de telTitoires ?
86
Quelles relations peut-on établir entre ces territoires et ce que G. Di Meo baptise les formations socio-spatiales ? C - La polysémie de l'expression
Ceci étant, il est vrai que le terme de territoire, au cœur de la discipline, est ambigu parce qu'il est employé dans des acceptions diverses et variées. C'est un "mot-valise", une expression devenue à la mode. Un ouvrage récent porte comme titre L'invention du territoire (P. Alliès) Le territoire envahit tous les discours, et toutes les sciences sociales s'elllparent de l'espace. L'économie devient spatiale, et les notions géographiques de distance, échelle, configuration, interfèrent avec les instances historiques ou économiques habituellement explicatives. On parle volontiers d'aménagement du ou des territoires, c'est-à-dire d'une recherche d'une meilleure disposition ou répartition des choses et des hommes, afin d'en améliorer le fonctionnement, mais aussi de reterritorialisation, de déterritorialisation, comllle dans l'Afrique du sud de l'apartheid, voire d'abolition du territoire à propos des évènements en Palestine (C. Salmon, in le Monde diplomatique, mai 2002). La notion de territoire est à la fois juridique, sociale, économique et culturelle, elle est aussi du domaine des représentations. On retrouve dans son emploi, et avec la même confusion des échelles, les dérives que l'on a connues autrefois avec le terme de région. Comme la région, le territoire est donc un mot vague, aux sens divers selon les auteurs, et utilisé un peu à tort et à travers. Ce flou entretenu par les géographes est une première difficulté pour savoir où l'on en est. Les dictionnaires de géographie et les tentatives multiples pour définir plus précisément les termes utilisés témoignent de ces incertitudes. Absent du dictionnaire de géographie de P. George en 1984, dans l'ouvrage les n10ts de la géographie une page entière lui est consacré, et il est d'abord considéré comme une maille de gestion de l'espace.(2) Polysémique, le terme de territoire est utilisé par les géographes à plusieurs échelles, et il est nécessaire de les distinguer. Du même lllot latin territorium, un doublet est né. D'une part, le territoire qui désigne la terre considérée d'un point de vue politique, en ce sens un territoire est un espace constituant une maille administrative. D'autre part, le terroir, qui évoque un espace de terre aux caractéristiques physiques homogènes. Il correspond à une échelle plus grande. Le terroir est alors une portion de territoire. Preuve de la nécessité d'y voir clair dans la discipline, en 1993 la rencontre annuelle des géographes ruralistes s'est tenue à Dijon et elle s'est faite autour de terroirs et territoires, et de l'interrogation de la fin ou du renouveau des terroirs, avec une étude de terrain des paysages et terroirs 87
viticoles. Un compte-rendu des travaux et réflexions a été publié dans les Cahiers nantais(3). 2 - Les différentes géographes
acceptions
du concept de territoire
chez les
A - Territoire ou territoires? Un rapide survol des publications récentes des géographes sur la thématique des territoires montre le très grand nombre de réflexions et la diversité des approches. Un gros effort de conceptualisation a été fait dans l'ouvrage de G Di Méo, Géographie sociale et territoires, paru en 1998. Il distingue quatre instances ou modalités sociales à l'origine de la diversité des constructions territoriales: Le territoire peut être l'expression d'un pouvoir politique et conçu comme une maille administrative ou à fondement juridique; il peut être conçu et délimité par des traits socio-économiques et lié à la présence d'un système productif. La traduction concrète en est les systèmes productifs localisés ou le district industriel, ou encore les espaces d'innovation (cf le FIG de Saint-Dié 2001 sur la géo de l'innovation) ; le territoire peut être assimilé aux espaces identitaires définis et circonscrits par les comportenlents, les pratiques et les représentations de populations enracinées et qui ont la conscience d'un sentiment d'appartenance. Le territoire est alors à base patritnoniale et culturelle. Les approches des géographes se confondent ici aisélnent avec celles des ethnologues. c'est la démarche illustrée dans les travaux de J.Bonnemaison (4) et rappelée ci-dessus par l'extrait de M. Godelier; il peut enfin reposer sur un fondement dit géographique, c'est à dire naturaliste. C'est le pays des géographes vidaliens, dans lequel les agronomes et écologues peuvent se retrouver. Le géographe yexalnine les facteurs et les explications de type déterministe dans la mesure où des relations claires et simples se manifestent entre la nature et les sociétés localisées. Deux faits complémentaires à relever: 1 - Ces différentes acceptions du concept de territoire se combinent et constituent des structures territoriales elnboîtées, ce sont les définitions du quartier rural de R. Brunet ou les formations socio-spatiales de G. Di Meo 2 - Un même espace géographique peut accueillir des territoires de groupes sociaux superposés ou juxtaposés dans le mêlne espace. Ce cas a été illustré par les travaux de J.Gallais à propos du delta du Niger. Plusieurs populations 88
interprètent et utilisent le même espace de façon différente. Dans ce cas précis, quatre ethnies construisent quatre territoires emboîtés: les touaregs nomades, pour eux le territoire ce sont les terrains de parcours; les peuls, éleveurs qui se déplacent peu; les haoussas, paysans sédentaires pratiquant une agriculture vivrière, et intégrant l'élevage bovin des peuls; les touaregs Kel Geres, associant agriculture et économie pastorale mais chez qui seuls les bergers pratiquent la transhumance. Chaque ethnie a son propre rapport au territoire, mais tous se retrouvent à utiliser le même espace de la boucle du delta intérieur. Les rapports entre géographie, agronomie et écologie peuvent être illustrés par deux entrées particulières qui font problème et qui sont d'actualité chez les géographes, d'une part l'actuelle recomposition des territoires ou des mailles du politique, d'autre part la question des terroirs. B - Le territoire en tant que maille ou espace de compétences Le territoire entendu comme maille administrative ou juridique est le thème actuellement le plus analysé (5). Dans ce sens, un territoire est une certaine étendue qui dépend d'un pouvoir, d'une juridiction, d'un Etat, et donc la notion de dépendance est inhérente à celle de ressort, de domaine de compétence de nature administrative. Le processus contemporain de l'intercommunalité, de la recomposition des territoires de l'action publique autour de la notion de pays, la fièvre législative depuis 1992 pour repenser les mailles administratives: commune, communautés de communes, pays, agglomérations, région, etc... Tout ceci contribue à expliquer l'intérêt des géographes pour repenser et réactualiser la notion de territoire, et l'aménagement des territoires. Ces tentatives multiples de recomposition des territoires ne prennent sens que par les dynamiques socio-spatiales, en particulier les évolutions du contenu social des populations rurales, l'effet de mobilité, les nouvelles relations ville-campagne (6). Preuve de l'actualité de cette thématique est la parution de la nouvelle revue de la DATAR, baptisée Territoires 2020, dont le numéro 1 en janvier 2000 s'ouvre par une présentation de ce qu'est le territoire pour les différentes disciplines des sciences sociales. Pour JP. Laborie qui présente le point de vue des géographes, il s'interroge sur ce nouvel engouement pour les territoires et pourquoi des territoires partout? Quelles significations accorder à ce retour des territoires? Il l'associe volontiers au retour des travaux sur le développement local et en ce sens le pays, nouvel espace pertinent de l'aménagement et de projets de développement, serait le lieu d'articulation entre le local et le global.
89
Le dernier numéro de Territoires 2020, le nOS, s'ouvre par un débat contradictoire entre un géographe, F. Giraut, et un aménageur de la DATAR, N. Portier, sur les pays, en tant qu'espace ou mieux territoire, ce dernier étant un espace organisé faisant système. Ces débats sur les territoires en tant que recherche des mailles d'aménagement, de développement, d'appartenance et d'administration les plus pertinentes ou les plus opératoires, et qui rappellent les débats autour de la notion de région des années soixante, se font à échelle moyenne et me semble-t-il n'impliquent pas directement les relations entre géographie et agronomie. Même si, dans le débat, il y a eu pour certains comme un retour nostalgique au pays des géographes du début du vingtième siècle avec la querelle entre Gallois et Vidal de la Blache autour des petits pays à base naturaliste, les fameux 400 pays évoqués un temps par C. Pasqua lors de la mise en place de la loi sur les pays en 1995. Pour l'agronolnie des façons de produire, pour reprendre l'expression utilisée par IP Deffontaines (7), ces pays possèdent une réelle unité qui les distinguent des pays voisins, et Beauce, Perche, Bocage vendéen, pays de Retz, Livradois ou Thiérache, ont chacun des résonances agronomiques et paysagères. En effet, si la géographie est une science sociale, elle inscrit ses analyses sur un espace physique, et elle a donc un versant naturaliste. C'est par ce versant qu'elle se retrouve, dans les unités territoriales à grande échelle, en relation avec l'agronomie et l'écologie, en particulier autour de la notion de terroir mais aussi de quartier rural, cette dernière notion illustrée notamment par les travaux de R. Brunet sur les phénomènes de discon~inuité. (8) C - Du territoire au terroir A l'origine du territoire comme du terroir, il y a la même notion de terre, nous le rappelions ci-dessus. Mais l'un a pris un sens administratif tandis que l'autre est resté attaché à la terre. Comme le rappelait le linguiste B De Cornulier (9) l'un a pris un goÛt de bureau et l'autre un goÛt de terre,. l'un est plutôt dédié à la bureaucratie et l'autre à la production agricole. C'est plus autour de la notion de terroir, dérivée de la même origine que le territoire, que se constitue le point de rencontre privilégié, me semble-t-il, entre géographie et agronomie. Même si là aussi l'acception est floue et le terme utilisé avec des sens différents entre géographes. Rappelons que pour les membres de la commission de géographie rurale (cf le lexique de géographie rurale établi par la commission à la fin des années soixante) le terroir est un espace caractérisé par une certaine qualité des sols et de la pente assurant une relative unité des potentialités biologiques. Il y a eu longtemps confusion avec le finage, espace aménagé, utilisé et délitnité par et pour une communauté agricole. Mais pour les géographes ruraux 90
tropicalistes, le terme de terroir est utilisé dans le sens du finage (cf l'atlas des terroirs établi par G. Sautter et P. Pélissier en Afrique occidentale). C'est aussi le sens que lui donne les historiens qui parlent volontiers du terroir d'un village, au sens du territoire qui dépend de la communauté. Au sens le plus usité, un terroir pour le géographe est une certaine étendue qui possède du fait de sa configuration géographique et des particularités du milieu physique un certain nombre de caractéristiques et d'homogénéité. C'est une unité agronomique à grande échelle qui offre des aptitudes agricoles particulières, ceci en raison de la nature des sols, de l'exposition, de l'existence d'un climat local lié aux configurations morphologiques. Les géographes ont longtemps accordé aux terroirs des vertus explicatives des organisations agraires rencontrées. On a pu parler d'aptitude, voire de vocation agricole. Le sol fait l'homme. C'était aller un peu loin. Les agriculteurs, selon les lieux, les densités, les civilisations, les technologies, ont pu apprécier très différemment des terroirs proches ou identiques. Tout un large pan de la géographie classique a contribué à multiplier les nuances et démontré les capacités d'adaptation des hommes. Les formes de diffusion moderne du modèle productiviste, et la constitution de vastes exploitations d'un seul tenant, tendent à nier le rôle des terroirs et à faire fi de l'hétérogénéité agronomique au profit d'une rationalisation des parcellaires pour le moteur et la machine. Il y a eu comme un affranchissement des terroirs(lO) et on a pu parler de lafin des terroirs. Alors que l'agriculture traditionnelle était en symbiose avec son territoire, c'est à dire que ses caractères étaient associés aux particularités des Inilieux physiques et humains, et qu'il existait si ce n'est un réel déterminisme, à tout le moins de fortes relations, l'agriculture productiviste d'aujourd'hui tend à rompre ces liens. l'artificialisation du processus de production vis-à-vis du milieu naturel, la spécialisation des exploitations, la multiplication des hors sols, la mise en place des filières, tout conduit à une déterritorialisation. on peut produire n'importe quoi, n'importe où, ou presque. C'est la fin des repères, des territoires et de la géographie. Or cette banalisation et cette hOlTIogénéisation fait naître semble-t-il comme un mouvement de balancier. On assiste comme à un renouveau des terroirs, et à un retour au territoire, ce par le biais de la recherche de la qualité. On parle désormais volontiers de produits de terroir, ce pour qualifier un produit qui par ses spécificité reconnues permet de délimiter un territoire à l'intérieur duquel un produit est homogène. Le produit sera d'autre part désigné par le nom du territoire lequel perdra sa fonction géographique pour gagner une fonction de signe de qualité. La récente loi d'orientation agricole a mis en avant les fameux contrats territoriaux d'exploitation qui sont un ultime avatar des nombreuses 91
procédures des mesures agro-environnementales aux plans de développement durable, en passant par la reconnaissance de labels, des appellations d'origine, ou d'indications géographiques protégées - mises en place pour favoriser sur des espaces géographiques délitnités le maintien des paysages et des outils de production dans un objectif de durabilité. Il y a donc comme un retour à l'enracinement territorial des productions par rapport aux filières de production. En ce sens on peut parler d'un retour des terroirs. Le rapprochement entre géographie, agronomie et écologie se fait donc par le biais de la reconnaissance dans les politiques publiques de nouveaux territoires pertinents d'action, différents des délimitations administratives traditionnelles. C'est par exemple la reconnaissance des bassins versants pour les politiques de la gestion de l'eau, ou des péritnètres de restructuration foncière en fonction des réalités physionomiques et paysagères et non plus à l'échelle communale, ou encore des mesures agrienvironnementales propres aux zones humides et de nouveaux espaces de protection définis par leurs caractéristiques naturelles. Conclusion. Le territoire est toujours un construit social. Il ne saurait y avoir des territoires en soi. Or, l'emploi de ce mot en géographie est ambigu parce qu'il recouvre des sens variés, et qu'il est utilisé à des échelles différentes selon les auteurs. A tout le moins il est des territoires prescrits et des territoires vécus. La fièvre contemporaine de recomposition des espaces dans la France d'aujourd'hui impulsée par l'Etat, et la reterritorialisation de l'agriculture autour de la qualité et des terroirs, ne facilite pas les choses. Pour mieux se comprendre entre disciplines, un effort de précision du vocabulaire est nécessaire. Références bibliographiques (1) Deffontaines (JP) - Etude de l'activité agricole et analyse du paysage. L'espace géographique, 1985, n° l, p.38 (2) Brunet (R) - Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Reclus, la Documentation française, 1992, p. 436 (3) Terroirs et territoires, Cahiers nantais, Université de Nantes, n043, janv. 1995, 189 p.
92
(4) Bonnemaison (J) - Les fondements géographiques d'une identité. L'archipel des Vanuatu, 2 vol, 1996, Paris, Ed de l'ORSTOM Bonnemaison (J), Cambrézy (L), Quint y-Bourgeois (L) dir. - Les territoires de l'identité: le territoire, lien ou frontière? 1999, Paris, Ed de l'Harmattan. (5) L'information géographique, vol. 66,juin 2002, Recompositions territoriales. (6) Renard (J) Recompositions des espaces ruraux et nouvelles territorialités, Colloque de Toulouse, déco 1996, AIP-INRA, Nouvelles fonctions de l'agriculture et de l'espace rural. (7) Deffontaines (JP) - Introduction à une agronomie en questionnement. CR de l'Académie d'Agriculture de France, vo187, n04, 2001, pp. 115-119. (8) Brunet (R) - La notion de quartier rural, BAGF, n02, 1968,pp.11S-123 et Le quartier rural, structure régionale. Revue de géographie des Pyrénées et du sud-ouest, 1969, fasc.1, pp. 81-100 Pour R Brunet, que nous suivons volontiers, un quartier rural "est un ensenlble hOlnogène d'assez petite din1ension, à l'intérieur duquel les aspects physiques, les systèmes de culture, le paysage agraire et les problèn1es socio-démographiques sont de n1êlnenature, ou en tous cas, entretiennent le même type de rapports" (9) De Comulier (B) - Remarques sur la notion de territoire, Territoires, Séminaire le lien social, MSH A. Guépin, Nantes, 1999, pp. 7-14 (10) Brunet (P) Le terroir, fin ou renouveau d'une notion, Cahiers nantais, n043, 7-12
93
Territoire: Des démarches pluridisciplinaires de recherche Comment les recherches sur la dynan1ique des territoires en pays du nord et du sud mobilisent-elles la pluridisciplinarité? Conunent conduisent-elles à territorialiser la recherche?
Environnement et territoire La déforestation en forêt des Mikea (sud-ouest de Madagascar) : thématique et questions de recherche par Chantal Blanc-Pamard (géographe CNRS), Pierre Milleville (agronome IRD)Michel Grouzis (écologue IRD), Florent Lasry (géomaticien), Christine Aubry (agronome INRA), Samuel Razanaka (phytogéographe CNRE) Résumé Le programme GEREM (Gestion des espaces ruraux et environnement à Madagascar), via la collaboration entre trois disciplines (agronomie, écologie et géographie), a fait émerger la déforestation COlnlneun problème d'environnement, au sens où les connaissances scientifiques acquises donnent l'alerte sur l'ampleur du phénomène, son caractère irréversible et sur la perte de biodiversité qui en résulte. Dans la forêt des Mikea, Inassif forestier de 1500 km2 situé dans le sud-ouest de Madagascar, les surfaces déboisées ont quadruplé depuis la fin des années 1980. La déforestation est à imputer, en grande partie, au développement de la culture du InaÏs sur abattis-brûlis, appelée localement hatsalry. Consacrée au couplage d'une question d'environnement (déforestation) et d'une question agronomique (performances et durabilité des systèmes de culture sur abattis-brûlis), la recherche s'est élargie aux stratégies d'acteurs. La notion de territoire s'est imposée progressivement à l'ensemble de l'équipe de recherche. S'il constitue un objet d'évidence de la géographie (et ce dès l'engagement de la recherche), il n'en va pas de même en écologie et en agronomie, lorsque priorité est donnée à la compréhension de processus et de comportements que l'on peut appréhender à l'échelle locale. Le souci de spatialisation des phénomènes résulte d'une étape ultérieure de la recherche, visant à prendre la mesure de leur importance, ainsi qu'à valider à d'autres échelles les résultats établis localement. La notion de territoire traduit enfin, au-delà de la spatialisation, la recoilllaissance du rôle et de la place des acteurs dans l'exploitation et la dynamique des milieux.
Le double processus d'émergence d'un problèlne d'environnement et de sa traduction en questions de recherche caractérise la posture adoptée dans le
programme GEREM. C'est bien le couplage agraire environnement, ainsi -
que la combinaison des notions de temps et de territoire, qui ont permis, au sein de l'équipe de recherche, la mise en commun de questions scientifiques et la conception de produits d'interface disciplinaire. Abstract :ENVIRONMENT AND TERRITORY Forest transformation among the Mikea (southwest Madagascar): Researcll theme and questions The Madagascar Rural Spaces and Environmental Management Program (GEREM), in conjunction with three disciplines (Agronolny, Ecology and Geography), has brought deforestation to the fore as an environmental problem in that acquired scientific knowledge has sounded the alarm on the extent of the phenomenon, its irreversible character, and the consequent loss of biodiversity. In the Mikea forest, an area encolnpassing some 1500km2 located in southwest Madagascar, the deforested area has quadrupled since the end of the 1980s. Deforestation is attributed in large part to maize development in a slash-and-burn cultivation system locally known as hatsalcy. Initially focused on a pair of environmental (deforestation) and agronomic (performance and sustainability of shifting cultivation) research questions, our project expanded to include the strategies of actors. The notion of territory increasingly asserted itself to the research group. Although a subject of clear interest to geographers, this is not so for ecologists and agronomists whose pritnary interest is in understanding processes and behaviors that one can detect at the local scale. A concern for spatializing phenomenon takes place at a later stage when attempting to measure its importance and validating local findings at other scales. Here the notion of territory enlarges the concept of spatiality to enCOlnpass the role and place of actors in natural resource use and dynamics. The two-fold process of defining an environment problem and delineating a series of research questions characterized the approach adopted in the GEREM program. It is the coupling of agrarian-environmental concerns and combining the ideas of time and territory, that has permitted the research group to pose common scientific research questions and to conceptualize its interdisciplinary findings.
98
Introduction
Avec 13 millions d'hectares, la forêt ne recouvre plus que 20 % environ du territoire de Madagascar. La déforestation, engagée depuis longtemps, atteint des proportions alarmantes. Chaque année, quelque 200 000 hectares de forêt disparaîtraient. Ce processus s'est récemment accéléré, tout particulièrement dans le sud et le sud-ouest de l'île. Dans la forêt des Mikea, massif forestier de 1500 km2, les surfaces déboisées ont quadruplé depuis la fin des années 1980. La déforestation est à imputer, en grande partie, au développement de la culture du maïs sur abattis-brûlis, appelée localement hatsaky. Cette agriculture pionnière se développe rapidenlent aux dépens de la forêt, sous l'effet de plusieurs facteurs: une pression démographique accrue par l'arrivée de migrants, une saturation foncière des terres les plus fertiles, le relâchement du contrôle par l'Etat des défrichements forestiers. Enfin et surtout, culture vivrière à l'origine, le maïs est devenu une culture principalement commerciale, pour répondre aux besoins du marché national et de celui de l'île de la Réunion. La culture du InaÏs, ainsi stimulée, ne cesse de gagner sur la forêt. Le projet GEREM (Gestion des espaces ruraux et environnelnent à Madagascar)!, engagé en 1996 dans le sud-ouest du pays, s'est donné pour objectif de rendre compte des interrelations entre systèlnes de production et systèmes écologiques, dans des milieux affectés de mutations agraires rapides, et d'un processus accéléré de déforestation, en raison de l'expansion de la culture pionnière du maïs sur abattis-brûlis. Consacrée au couplage d'une question d'environnement (déforestation) et d'une question agronomique (performances et durabilité des systèmes de culture sur abattisbrûlis), la recherche s'est élargie rapidement aux stratégies d'acteurs. Il s'agissait donc, en mobilisant des chercheurs relevant des sciences de la nature (écologie), des sciences biotechniques (agronomie) et des sciences sociales (géographie), d'explorer les réseaux de déterlnination entre activités humaines, processus de production et dynamiques du milieu. Il convenait en particulier de ne pas s'en tenir à une évaluation d'in1pacts, mais d'examiner aussi en retour les réponses des acteurs aux transforlnations des milieux. Le terme gestion adopté dans l'intitulé du programme traduit, d'une part la reconnaissance du caractère organisé de l'espace rural et de son exploitation par des acteurs, d'autre part l'objectif, pour l'équipe de recherche, de contribuer à la conception d'alternatives en la matière. Le site de la forêt des Mikea, situé à une centaine de kilomètres de Tuléar, a été retenu pour son l Conduit en partenariat entre l'IRD et le CNRE (Centre National de Recherches sur l'Environnelnent), avec la collaboration de chercheurs du CNRS et de l'INRA, ce progrmnlne a établi des liens avec les Universités d'Antananarivo et de Tuléar. Il a bénéficié d'un appui financier du cOlnité SEAH du Progralrune Environnelnent, Vie et Sociétés (PIREVS) du CNRS.
99
exemplarité, compte tenu de l'ampleur et de la rapidité des dynaluiques à l'œuvre (figures la et 1b). 1 - Un terrain, des disciplines En accord avec la thématique d'ensemble du programme, chaque discipline est conduite à préciser ses propres questions, et à recueillir sur le terrain l'information nécessaire, en adoptant des niveaux d'analyse et des méthodes appropriés. Comme dans la plupart des pays du Sud, les données disponibles se révèlent fragluentaires et très insuffisantes, en quantité comme en qualité, pour alimenter la recherche, qui doit de ce fait produire et construire son information. Dans une première phase, l'accent a donc été luis sur la compréhension des processus et l'acquisition des indispensables références. Le choix d'un petit espace rural s'est alors imposé, comIne cadre d'analyses particulières. et d'exercice de la pluridisciplinarité. Il s'est agi du fokontany2 lié au village d'Analabo, riverain lors de sa fondation en 1940 du lnassif forestier de l'ouest. Cet espace restreint rassemblait des situations variées (hatsalcy et abandons culturaux anciens et récents), permettant d'appréhender dans leur dynamique spatio-temporelle et de relier entre eux des faits relevant de différentes catégories (socio-démographiques, agraires, agronomiques, écologiques). Un tel objectif rendait nécessaire une certaine unité de lieu et le choix de sites pour partie communs. Par la suite, les investigations ont été étendues à de plus amples espaces, en particulier au territoire de la commune rurale3 d'Analamisampy (figure 2). Des questions spécifiques relevant des différentes disciplines ou d'interfaces entre ces disciplines ont pu ainsi être traitées:
- Les
travaux d'écologie
végétale ont permis de caractériser
les écosystèmes
forestiers, en relation avec le type de sol. Ils ont tout particulièrement porté sur la compréhension des dynamiques temporelles de la végétation et des paramètres édaphiques, en relation avec la pratique de la culture sur abattisbrûlis. Durant la phase culturale, l'accent a été mis sur la question de l'enherbement, en spécifiant l'évolution au cours du temps des peuplements d'adventices en termes de successions floristiques, de spectre biologique, de recouvrement et de phytomasse (6). Le suivi conjoint, par l'écologue et l'agronome, de stations culturales d'ancienneté croissante de mise en culture, montre clairement que l' enherbement constitue une contrainte de plus en plus forte pour la conduite de la culture et qu'il exerce un effet dépressif 2 Fokontany : cellule adlninistrative de base regroupant généralelnent plusieurs villages et halneaux. 3 A Madagascar, la COllllnune regroupe un enselnble defokontany et est d'une taille cOlnparable à celle du canton français. La COlnlnune d'Analalnismnpy rasselnble ainsi 17 fokontany et 82 villages.
100
majeur sur le rendement du maïs (12) (figure 3). L'étude de la dynamique post-culturale de la végétation et du milieu édaphique, conduite sur une série d'abandons culturaux de 2 à 30 ans, montre que d'Ünportants changements apparaissent dans la succession, marquée par une régression progressive de la richesse floristique (7). L'examen des trajectoires, établies à l'aide d'une analyse multivariée des paramètres biologiques et édaphiques, indique que l'évolution de la végétation après 30 ans conduit à une formation mixte ligneux-herbacées, ouverte, à caractère savanicole, contrairelnent à ce qui prévaut dans les systèmes d'abattis-brûlis des zones tropicales humides, caractérisés par une dynamique de reconstitution forestière au cours de la phase post-culturale. - Les agronomes se sont attachés, d'une part à l'étude de la conduite des systèmes de culture (13), à l'évolution et à la variabilité des rendelnents du maïs (14), d'autre part au fonctionnement des unités de production familiales sur les fronts pionniers. Les premiers de ces travaux ont été conduits selon différentes procédures d'enquête et d'expérimentation. Au cours de la phase culturale, longue de 5 à 8 ans ou plus, le rendement en grain du maïs subit une chute sensible dès la troisième ou quatrième année, en raison de la pression croissante des adventices et de la dégradation des paramètres physico-chimiques de la fertilité des sols. De l'ordre de 1500 kg/ha durant les premières années de culture, les rendements se situent ainsi à des niveaux généralement inférieurs à 500 kg/ha à partir de la cinquièlne année, tandis que les besoins en travail augmentent et qu'il devient difficile de contrôler efficacement l'enherbement dans ce contexte de culture manuelle extensive. Les paysans préfèrent donc abandonner plus ou moins précocement les sites de culture et poursuivre plus avant les défrichements, afin de maintenir à un niveau élevé la productivité de leur travail (la dépense en travail à l'unité de surface étant très limitée durant les premières années de culture) et de s'assurer pour l'avenir d'un contrôle foncier sur de grands espaces. Néanmoins, l'éloignement progressif vers l'ouest des fronts de défrichement pousse de plus en plus d'agriculteurs à remettre en culture d'anciens abandons, mais à l'aide d'autres teclmiques que celles de l'abattis-brûlis. En effet, le maintien d'une strate herbacée dans les friches explique que le hatsaky ne constitue pas un système de culture durable en tant que tel (12). Il caractérise seulement la première étape, celle de la conquête pionnière de l'espace forestier. Plusieurs essais Inontrent qu'un travail du sol et une fertilisation légère pennettent d'obtenir, lors de la remise en culture des friches, des rendements très satisfaisants en arachide et en maïs. - La caractérisation et la catégorisation des unités de production sur les fronts pionniers ont été réalisées par des enquêtes portant sur 1'histoire de l'unité de production et de la famille, la constitution actuelle du système de 101
production et les perspectives envisagées par l'agriculteur et sa famille (1). 9 types de fonctionnement ont pu être distingués, à partir de plusieurs critères dont: la taille de l'exploitation et son inscription dans le territoire: de moins de 5 à plus de 100 ha, les exploitations sont généralement bipolaires, un pôle étant situé en front pionnier, avec comme seule culture le maïs sur abattis-brûlis, l'autre sur des terres anciennement défrichées (et partiellement remises en culture avec luanioc et maïs) à proximité des habitations. Certaines exploitations possèdent aussi des cultures (coton en particulier) sur les terres d'origine alluviale (dits de baiboho), mises en valeur depuis longtemps dans la partie est. L'importance du troupeau bovin: les troupeaux bovins sont peu nombreux, d'effectifs importants seulement dans deux types d'exploitations de grande taille, les autres n'ayant au mieux qu'un troupeau réduit à moins de 5 têtes. Les terres en friches sont considérées comme espace pastoral par les possesseurs de troupeaux. Par ailleurs, l'attelage et les boeufs de trait, fort utiles pour le transport de l'eau et des récoltes, sont systématiques dans les exploitations de plusieurs types, et minoritaires voire exceptionnels dans d'autres. La main d'œuvre mobilisable: elle est la clé de la capacité de défriche d'une exploitation4: les plus gros défricheurs sont ceux qui peuvent avoir accès, du fait de leurs capacités financières, à une Inain d'œuvre salariée temporaire importante pendant la saison sèche. Le suivi d'un échantillon d'unités de production montre de grandes disparités quant à la part du maïs dans l' alin1entation familiale, aux revenus monétaires et au temps de travail. Par ailleurs, le hatsalry ne constitue jamais la seule activité des exploitants: salariat agricole chez les plus gros, coupe de bois en forêt, petit commerce et transport, voire vente de produits forestiers de chasse et de cueillette, constituent des sources de rémunération souvent plus importantes. L'apport majeur de cette connaissance des unités de production est d'organiser la diversité des acteurs de la déforestation et d'identifier les catégories de défricheurs les plus actifs: 45 à 55% de la surface défrichée annuellement sur l'ensemble de la commune d' Analamisalnpy serait ainsi le fait de 17 à 20 gros producteurs. - Les études géographiques ont traité de I'histoire du peuplelnent, des stratégies d'acteurs, de leurs perceptions et représentations, de l'organisation du paysage. Dans la mesure où la déforestation est bien visible dans le paysage, celui-ci tient une place importante, d'une part comme expression du réel (d'où l'utilité de la télédétection aérienne et satellitaire), de l'autre 4
En lnoyenne
un hOlrune seul défriche entre 2,5 et 3 ha par lnois en travaillant
102
à telnps plein.
comme construction sociale, résultat des interactions entre dynamiques écologiques, techniques et sociales. L'étude a concerné plus particulièrement Analabo, un terroir d'agriculture extensive en situation pionnière, et les villages et campements que ses habitants ont créés. La pratique du hatsalry a produit, sur de grandes étendues, un paysage très particulier qui ne cesse d'étonner par son ampleur et sa répétitivité. L'espace défriché se structure à travers les représentations que se font les protagonistes de la dynamique et de l'orientation des essarts qui les concernent directement. On assiste, en forêt, à l'émergence d'un territoire dès lors que la société attribue à cet espace des toponymes associés à la pratique des défrichements. La recherche a porté sur les aspects dynamiques de l'occupation du sol, plus particulièrement la progression du front de culture et les arrangements spatiaux qui en découlent, en associant l'analyse des dynamiques agraires à celle des mécanismes sociaux. Les membres des clans fondateurs jouent un rôle de premier plan pour l'accès à la forêt, car ce sont eux les tonlpon-tany (maîtres de la terre), et c'est à eux que s'adressent les nouveaux venus pour se faire attribuer une portion de forêt. L'histoire du village d'Ampasikibo, créé en 1922, est riche d'enseignelnents sur la dynamique pionnière. Un travail sur la généalogie du clan fondateur Lazafara pennet de suivre la dynamique de l'organisation de l'espace, de repérer les modalités d'accueil et d'installation des étrangers et de mesurer le jeu des alliances lnatrimoniales (3). Les villages et campements créés au cours du temps se sont structurés par les liens de parenté, puis se sont développés par des relations matrimoniales dans un objectif de consolidation d'un territoire en forêt. Les pratiques sociales des clans fondateurs témoignent de l'efficacité du système dans le contrôle et la construction d'un territoire. Cet ordre social, que cherchent à instaurer les premiers occupants, rencontre les appétits d'autres exploitants expansionnistes, agroéleveurs le plus souvent, qui leur disputent l'espace disponible à l'intérieur de leur territoire. La figure 4 résume une séquence historique: celle de la construction du territoire, de 1922 à 2001, à partir d'Ampasikibo puis d'Analabo. Soit six périodes, de la mise en valeur commencée en savane dans les almées 1920 avec l'élevage, puis le pois du Cap et le coton, à l'exploitation de la forêt pour le bois puis, dès les années 1970, pour la culture du maïs sur abattisbrûlis. Les premiers villages se sont installés le long de la RN9 dans les années 1920. Ils ont commandé eux-mêmes d'autres établissements, orientés vers l'élément essentiel que représente la forêt à l'ouest, qui, à leur tour, ont fondé des campements. Le front de défrichement est situé en 2001 à 18 km de la RN9 contre 7 km en 1973. Les habitants des fronts pionniers représentent 13 % de la population totale de la COlnmune rurale d'Analamisampy. Une stratégie obsédante de course à la forêt, une poursuite de la culture du maïs sur les hatsalry pendant quatre, cinq années, voire plus, et l'amorce 103
d'une agriculture permanente sur les terres conquises en forêt sont, en 2001, les caractères principaux de la dynamique du système agraire en forêt. Dans la mesure où le défrichement vaut appropriation du sol, sur le front pionnier où les terres sont en accès libre, les stratégies vont bon train. Les défrichements se poursuivent toujours plus loin à l'ouest, mais la pénétration en forêt se traduit par de lourdes contraintes comIne l'éloignen1ent croissant de la RN9 et des points d'eau permanents. L'accès inégal à la forêt est devenu un facteur de différenciation entre exploitants. La perturbation environnementale forte que constitue la destruction de la forêt s'accompagne d'une recomposition des rapports sociaux, économiques et fonciers. Cette étude géographique, localisée à l'échelle d'un terroir, a été élargie, par des enquêtes extensives, à d'autres fronts pionniers, dans les limites de la commune rurale et hors de celle-ci, afin d'appréhender l'ampleur du phénomène d'agriculture sur abattis-brûlis, son avenir, ses acteurs (autochtones et migrants) et leurs stratégies, les réponses apportées à la fin proche de la forêt" utile" (4, 5). Si chacun construit son propre objet de recherche, le souci d'aborder des objets conjoints, à l'interface de plusieurs disciplines, impose néanmoins, pour partie, le choix de sites communs et une certaine uniforlnisation des échelles de travail et des rythmes de collecte de l'infonnation. Par-delà la spécificité des questions et des approches, la référence à l'espace pennet aux différentes disciplines de prendre la mesure de leurs objets d'étude en termes de localisation, d'extension et de dynamique spatio-temporelle des phénomènes. A ce titre, l'imagerie satellitale constitue un matériau précieux de dialogue et de confrontation des résultats.
2 - Territoires,
A
- Des
nouveaux objets, nouvelles méthodes
références partagées
Les diagnostics scientifiques, établis à travers les grilles de caractérisation des chercheurs, rejoignent assez précisément les nomenclatures et perceptions paysannes. C'est vrai pour la reconnaissance des différents types de sols et de formations végétales" naturelles" (éléments relativement stables du milieu), ça l'est aussi pour des objets qui évoluent plus ou Inoins vite au cours du temps (cultures récentes/anciennes en rapport avec l'abondance des adventices, classes d'abandons culturaux). Les dénominations des praticiens peuvent ainsi constituer des outils de catégorisation communs à plusieurs disciplines. Dans le système de culture sur abattis-brûlis, la variable clef est l'âge de la parcelle. La plupart des agriculteurs désignent par hatsabao les deux 104
premières années qui ne nécessitent aucun sarclage, et par 1110ndrales années suivantes, où le contrôle des adventices est reconnu comme nécessaire. A travers leurs grilles d'observation, l'agronome et l'écologue peuvent montrer que l'envahissement par les adventices devient effectivement sensible dès la troisième année de culture, et qu'il augmente ensuite progressivement. Un travail à l'échelle de la forêt des Mikea signale des variations dans la dénomination des stades du cycle cultural et dans la durée de la phase culturale suivant la forme et l'intensité que prennent localement les défrichements. Cette terminologie agraire non encore fixée téllloigne d'une histoire agraire récente.
B - Les territoires du temps Dans de telles situations pionnières, le temps construit le territoire. Celui -ci est en perpétuelle mouvance, se transfoffilant dans ses limites, son contenu, son organisation et sa fonctionnalité. Ses utilisateurs, agents de ces transformations, doivent aussi s'y adapter, en modifiant leurs pratiques et/ou en introduisant de nouveaux changements territoriaux, dans un contexte de forte incertitude et de déficit de références. Une perspective temporelle s'impose donc à toutes les disciplines, les conduisant à retenir des lllodalités de découpage du temps et de l'espace fondées sur les pratiques des acteurs et les dynamiques du milieu. Le front pionnier est affaire de vitesses et aussi de durées, de pas de temps différents: itinéraire de défriche, phase culturale et évolution du milieu cultivé, phase post-culturale et processus de savanisation, progression des fronts pionniers et du peuplelllent,... La recherche, poursuivie sur plusieurs années, perlllet de saisir les différentes dynamiques dans leurs manifestations et leurs processus, et d'en reconstituer les étapes et la transcription spatiale sur de plus longues durées (plusieurs décennies). L'exploitation des photographies aériennes de 1949 et d' itnages satellites à différentes périodes (1986, 1997, 1999 et 2001), combinée aux travaux de terrain et à une reconnaissance aérienne à basse altitude, a permis de préciser la dynamique et les modalités de la déforestation dans la partie centrale de la forêt des Mikea (10). Les défrichelllents, engagés véritablement en 1971, ont affecté près de 55 % de la forêt primaire au cours des trente années suivantes (figure 5). Mais ce rythme s'est considérablement accéléré au cours du temps, puisque passant, sur l'espace témoin considéré, d'une moyenne annuelle de 5,9 km2 entre 1971 et 1986, à 19,3 km2 entre 1986 et 2001, et atteignant même 34,9 km2 par an entre 1999 et 2001. La vitesse de déforestation a sextuplé par rapport à la première période, et l'existence même de la forêt des Mikea se trouve donc comprolllise à brève échéance. 105
L'analyse des trois dernières images satellites Inontre que le front de défrichement ne progresse pas de façon linéaire. Des agriculteurs anticipent sur cette avancée, en ouvrant des essarts à l'intérieur de l'espace forestier, afin d'être les premiers à s'attribuer des lots de terre de grande taille qui ne pourront ultérieurement leur être contestés; ces îlots se trouveront plus tard inclus dans la zone uniformément cultivée. Par ailleurs, les défrichements apparaissent épouser finement les limites de deux types de forêt identifiées, en évitant soigneusement la forêt basse, dont les sols sont jugés d'une aptitude culturale médiocre. Ces espaces forestiers de " deuxième choix" sont néanmoins progressivement défrichés par la suite, à mesure que progresse le front de défrichement et que la forêt haute a disparu. On constate enfin que la plus grande partie des espaces cultivés en 1997 ne l'était plus en 2001, laissant place à des abandons culturaux, et que les agriculteurs ont commencé à créer des parcelles de manioc sur les friches les plus anciennes. En quatre ans, l'emprise des cultures a considérablement augmenté, conséquence' de la densification de l'occupation humaine, liée à la création de nouveaux villages à proximité des limites forestières. Au cours du temps, l'emprise spatiale des abandons culturaux s'est considérablement accrue. Ils deviennent un nouvel objet de recherche, dans la mesure ou des enjeux décisifs leur sont liés. En effet, chacun perçoit que les possibilités de poursuite des défrichements en forêt se raréfient, avec l'éloignement des fronts de défrichement et la péjoration des conditions de culture du maïs (sols de plus en plus pauvres, pluviométrie limitée). L'avenir réside donc, pour la plupart des paysans, dans la reprise des friches, afin d'y installer des systèmes de culture durables. Mais les agriculteurs manquent de références techniques sur cette question, et sont conduits à expérimenter différentes modalités techniques permettant de cultiver ces friches en assurant un contrôle satisfaisant de l' enherbement sans dépense en travail excessive. La recherche se trouve de ce fait impliquée dans la mise au point de ces alternatives techniques, mais aussi dans les options de gestion future de ces espaces. C - Recompositions territoriales Compte tenu de ces dynamiques, la configuration territoriale se transforme en effet profondément (figure 6). La zone de baiboho située à l'est, affectée depuis longtemps par une forte saturation foncière, n'évolue qu'à travers l'importance relative qu'y tierulent les différentes cultures5 et le contrôle foncier exercé respectivelnent par les petites exploitations et les gros 5
La crise que traverse
des surfaces consacrées
la filière cotolmière
se traduit depuis plusieurs
au coton.
106
alu1ées par une réduction
sensible
producteurs. A l'ouest de la RN9 par contre, les changements apparaissent radicaux, avec la disparition des espaces forestiers, le déplacement des hatsaky, l'expansion des abandons culturaux, la création de blocs de cultures en savanes. A l'échelle de la commune, la superficie de forêt défrichée depuis une trentaine d'années peut être estimée en 2001 à 237 km2 (soit 32 % de la surface du territoire communal), se répartissant en 48 km2 d'abandons culturaux anciens, 115 km2 d'abandons culturaux récents, 27 km2 de hatsalry anciens et 47 km2 de hatsalry récents. Il en résulte une expansion de l'ordre de 58 % de l'espace pastoral (les terres de culture pouvant être fréquentées par les troupeaux durant la saison sèche, les friches comme les savanes l'étant toute l'année). Cette transformation territoriale ne concerne que les fokontany de l'ouest, qui profitent donc de parcours beaucoup plus étendus que par le passé, et donc d'une possibilité, au moins théorique, d'accroissement important de leur cheptel. Ceux de l'est, par contre, conservent quasiment le même espace de parcours que par le passé. On pouvait ainsi évaluer, en 2001, les surfaces de parcours disponibles (incluant les zones de culture) à 2,5 hectares par tête de bovin à l'est, et à 4,6 hectares par tête à l'ouest. La référence au territoire communal s'est, on le voit, peu à peu imposée à l'équipe de recherche. Il convenait d'abord d'élargir l'espace de référence initial (le fokontany d' Analabo), afin de valider les résultats acquis et de prendre en considération d'autres situations, différant de la première par les conditions de milieu ou/et les aspects socio-démographiques et l'histoire de la dynamique pionnière. Il était en outre indispensable d'appréhender les phénomènes étudiés sur des espaces d'activité de communautés clairement identifiables. Le territoire communal représente à cet égard une entité d'importance particulière, intermédiaire entre le terroir et la région. Constituée d'un ensemble de fokontany, la commune s'est en effet vue attribuer depuis quelques années par les pouvoirs publics des responsabilités accrues en matière de gestion décentralisée des ressources naturelles et du foncier. Il nous est donc apparu nécessaire, à cette échelle spécifique, de collecter des compléments d'information, de réaliser des bilans, et de constituer un système d'information géographique prenant notamluent en compte les faits de peuplement et d'occupation des terres. Ce travail, par nature interdisciplinaire, a été réalisé en phase finale du programnle, et a largement profité des cOlmaissances acquises antérieureluent. Un ensemble de cartes thématiques constitue pour l'équipe de recherche un cadre privilégié de partage des connaissances, un niveau d'analyse spécifique, et un outil relais à partir duquel de nouvelles opérations de recherche deviennent possibles. Ces documents représentent par ailleurs, pour les acteurs locaux, une source d'information précieuse, utile à la prise de décision. Il reste que dans un contexte affecté de dynamiques aussi rapides et 107
massives, les données deviennent vite obsolètes, et que se pose donc la question cruciale de leur actualisation.
Conclusion
Par le passé, les disciplines des sciences de la nature (écologie), des sciences biotechniques (agronomie) et des sciences sociales (géographie), se sont rarement rencontrées aux mêmes échelles d'observation. Avec les questions d'environnement, on peut dire que oui. Elles entraînent en effet un repositionnement des disciplines d'une autre nature que les questions relevant spécifiquement des domaines agraire et rural (9, Il,2). Le programme GEREM, via la collaboration entre ces disciplines, a fait émerger la déforestation comme un problème d'environnement, au sens où les connaissances scientifiques acquises donnent l'alerte sur l'ampleur du phénomène, son caractère irréversible et sur la perte de biodiversité qui en résulte. Les acteurs de cette déforestation, quant à eux, qui considèrent la forêt comme une ressource quasi illitnitée, ne traduisent dans leurs discours et leurs pratiques que des préoccupations liées aux difficultés de la mise en valeur de cette ressource. Un tel décalage entre les représentations d'un problème est source de réflexion commune sur le temps et la notion de développement durable. Un problème d'environnelnent n'est pas en soi une question de recherche. S'y intéresser implique d'identifier des questions de recherche disciplinaires, puis de les mettre en commun pour révéler de nouveaux objets pertinents pour l'action (8). Ceux-ci apparaissent orientés vers la recherche concertée de solutions à des problèmes complexes d'environnement. Pour l'agronomie et l'écologie, il convient ainsi de ne pas s'en tenir aux échelles de la station et de la parcelle, mais d'aborder aussi le devenir des phases culturale et postculturale dans leurs dimensions spatiales, et d'apprécier à l'échelle territoriale les alternatives de type intensif/extensif et la question de la durabilité. La notion de territoire s'est donc imposée progressivelnent à l'ensemble de l'équipe de recherche. S'il constitue un objet d'évidence de la géographie (et ce dès l'engagement de la recherche), il n'en va pas de même en écologie et en agronomie, lorsque priorité est donnée à la compréhension de processus et de comportements que l'on peut appréhender à l'échelle locale. Le souci de spatialisation des phénomènes résulte alors souvent d'une étape ultérieure de la recherche, visant à prendre la mesure de leur importance, ainsi qu'à 108
valider à d'autres échelles les résultats établis localement. La notion de territoire traduit enfin, au-delà de la spatialisation, la reconnaissance du rôle et de la place des acteurs dans l'exploitation et la dynamique des milieux.
Le double processus d'émergence d'un problème d'environnement et de sa traduction en questions de recherche caractérise la posture adoptée dans le
programme GEREM. C'est bien le couplage agraire - environnement, ainsi que la combinaison des notions de temps et de territoire, qui ont permis, au sein de l'équipe de recherche, la mise en commun de questions scientifiques et la conception de produits d'interface disciplinaire.
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
(1) AUBRY C., RAMAROMISY A.,2002 - Dynamiques de peuplement et occupation agricole de l'espace dans un front pionnier de la forêt des Mikea (Sud-Ouest de Madagascar), Cahiers Agricultures, 12: 153-165 (2) BENOIT M., PAPY F., 1998.- La place de l'agronolnie dans la problématique environnementale. Dossier de l'environnement n017, INRA, 53-62.
(3) BLANC-PAMARD C., REBARA F., 2001.- L'école de la forêt: dynamique pionnière et construction du territoire in Sociétés paysannes, transitions agraires et dynalniques écologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAKA S., GROUZIS M., MILLEVILLE P., MOIZO B. & AUBRY C. (éds.), IRD/CNRE Éditeurs, Antananarivo. (4) BLANC-PAMARD C., REBARA F., 2002.- Paysans de la commune d'Analamisampy. Dynamiques sociales et transitions agraires en pays masikoro (sud-ouest de Madagascar). GEREM/IRD/CNRE, CNRS/EHESS, multigr., 81 p. (5) BLANC-PAMARD C., 2002.- Territoire et patrimoine dans le SudOuest de Madagascar: une construction sociale in PatrÙnonialiser la nature tropicale, M.-C. Cormier-Salem et al. (éds.), Editions de l'IRD, Collection Colloques et séminaires, 467 p. (6) GROUZIS M., RAZANAKA S., 2001.- Aspects qualitatifs et quantitatifs de l'évolution des adventices en fonction de la durée de la mise en culture dans les systèmes de culture sur abattis-brûlis 109
d'Analabo. in Sociétés paysannes, transitions agraires et dyna111iques écologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAKA S., GROUZIS M., MILLEVILLE P., MOIZO B. & AUBRY C. (éds.), IRD/CNRE Éditeurs, Antananarivo, 269-279.
(7) GROUZIS M., RAZANAKA S., LE FLOC'H E., LEPRUN J.-C., 2001.Évolution de la végétation et de quelques paramètres édaphiques au cours de la phase post-culturale dans la région d'Analabo in Sociétés paysannes, transitions agraires et dyna111iquesécologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAKA S., GROUZIS M., MILLEVILLE P., MOIZO B. & AUBRY C. (éds.), IRD/CNRE Éditeurs, Antananarivo, 327-337. (8) HUBERT B., 2001.- Evolution du questionnement de la recherche par les problèmes environnementaux, in Sociétés paysannes, transitions agraires et dyna111iques écologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAKA S., GROUZIS M., MILLEVILLE P., MOIZO B. & AUBRY C. (éds.), IRD/CNRE Éditeurs, Antananarivo, 361-369.
(9) JOLLIVET M., (sous la direction de), 1992.- Sciences de la nature, Sciences de la société. Les passeurs de frontières, Paris, CNRS, 590 p. (10) LASRY F., GROUZIS M., MILLEVILLE P., RAZANAKA S., 2001.Dynamique de la déforestation et agriculture pionnière dans une région semi-aride du sud-ouest de Madagascar: exploitation diachronique de l'imagerie satellitale haute résolution. Communication au Symposium international Les régions arides surveillées depuis l'espace. De l'observation à la 111odélisationpour la gestion durable. Marrakech, 1215/11/2001, multigr., 12 p. + 2 cartes. (11) LESCURE J.-P., 1997.- Ruralité ou environnelnent? inLa ruralité dans les pays du Sud à la fin du XXè,ne siècle, Paris, ORSTOM, Collection Colloques et Séminaires, 768 p. (12) MILLEVILLE P., GROUZIS M., RAZANAKA S., RAZAFINDRANDIMBY J., 2000.- Systèmes de culture sur abattis-brûlis et déterminisme de l'abandon cultural dans une zone semi-aride du sud-ouest de Madagascar, in La jachère en Afrique tropicale: rôles, aménagenlent, alternatives, Ch. Floret et R. Pontanier (éds.) Actes du Sétninaire international, Dakar, 13-16 avril 1999, John Libbey Eurotext, Paris, 59-72.
110
(13) MILLEVILLE P., BLANC-PAMARD C., 2001.- La culture pionnière de maïs sur abattis-brûlis (hatsaky) dans le sud-ouest de Madagascar. 1 : Conduite des systèmes de culture. in Sociétés paysannes, transitions agraires et dynanliques écologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAKA S., GROUZIS M., MILLEVILLE P., MOIZO B. & AUBRY C. (éds.), IRD/CNRE, Antananarivo, 243-254. (14) MILLEVILLE P., GROUZIS M., RAZANAKA S., BERTRAND M., 2001.- La culture pionnière du maïs sur abattis-brûlis (hatasky) dans le sud-ouest de Madagascar. 2 : Evolution et variabilité des rendelnents. in Sociétés paysannes, transitions agraires et dynal1tiques écologiques dans le sud-ouest de Madagascar, RAZANAI
111
~
"- '-,
, '~.'
~. --'''''1
Befandrlana
Sud
.~
GJ
Ll~ Z;~
~?
Vorehy
-
~
l-.~.""
"l '.0"..
soah;~~,.~~
~
9
//
"-
Ahalamisampy
itsaka..
Ji Ah.pasikibO ~amaboha
-
-,
//
{
\
a _ \
,,, -/" /"'~"_//
8 A~Pihamy
a
-J
//./
~-=
r--'/
I
J ~y-::../"";"~~~'OO r~.I/'"''''''''''''''''-'' }
../
/
/,Jf-O':J
~
7//
f/ ,&~9. /./ :\A..e'(e~.--F'/ ~\\~/~ 1/ .~,~
_ Figure 250 km
,-.,
/
"...
o I For
t des Mlkea
1. Carte
I
Carte de situation
112
de situation
Blanc-Pamard
10
et Rebara,
I
km 1999
À
Layon pétrolier
/RN9 .. Chef-lieu de fokontany ..
ViUage
Evolution du front de défricheOlent entre 1971 et 2001
113
Commune Antanimieva
~
Antl8\/8 Commune
Figure
3 bis - La commune
-
-
Ankililoaky
atives d'Analamisampy
limites desfolon/any lin Mesdes communes rurales
: rokontany
et limites
roule
~
folontany
layon
~
Icllef~leu
administr
de convnune
I
=
Carte de la commune d'Analamisalnpy et des fokontany d'Analabo et d'Ampasikibo
114
en M en ~ I N N en ~
N toen ~ I
.CD o
~
en toCD ~ I M toCD ~
.CD CD ~
I
o CO en ~
co CD en ~ I It) CD en ~
~
o () N I CD CD en ~
 campement
mn furt
.
I!I
vilage
fokontany
e:ti:
~;:~
~a:;: el
deoz: el
culturespluviales
culturespluviales A
Figure
10 . Ampasikibo et Analabo : la construction du territoire de 1921 2001
115
A
Variations des rendements du maïs, de la phytomasse et du recouvrement des adventices en fonction de l'ancienneté de la mise en culture (A) et expression du rendement en fonction de la phytomasse (8) et du recouvrement (C) des adventices au cours du cycle 1997-1998
116
Légende
-o Unités de végétation 2001
_
.tkm
f
et ZOl1es de culture sur le territoire COffilTIUnalel1
117
Quels dispositifs pour une gestion concertée des ressources dans les écosystèmes pastoraux? Une équipe d'agronomes, écologues et zootechniciens construit des propositions de recherches Pierre-Louis
OSTY & Danielle MAGDA 1, Michel MEURET2
Résumé Les observations de terrain et la littérature montrent le manque de références biotechniques pour la mise en place et les gestion des dispositifs où l'activité d'élevage doit gérer des terrains avec des enjeux environnelnentaux (sites Natura 2000, volet environnemental des CTE etc.). L'équipe réunissant agronomes, écologues et zootechniciens dont les auteurs sont membres, propose de considérer les milieux en termes de ressources partagées par les éleveurs et par les gestionnaires de milieux naturels. Les éleveurs sont principalement préoccupés d'obtenir des ressources alimentaires et de les valoriser au fil des saisons de pâturage, tandis que les gestionnaires de milieux naturels s'attachent à la conservation de fonctionnalités écologiques affectées par l'usage pastoral. Pour ces derniers, ce sont aussi des ressources qui sont en cause: biodiversité, habitats d'espèces ou d'écosystèmes remarquables, traits majeurs d'un paysage etc. Les ajustements entre les acteurs, qui ont des systèmes de nonnes différents, passent par l'explicitation du pourquoi et du comment des actions. La question des entités de gestion et du calendrier d'interventions à identifier et articuler est donc très importante. Participant à des opérations en cours ou en projet (Auvergne, Marais de l'Ouest, Pyrénées centrales, Sud Massif Central), nous travaillons sur les bases scientifiques et techniques des pratiques affectant la production animale et la biodiversité des milieux concernés (parcours, prairies humides etc.). La notion de ressource partagée
1 2
INRA - ORPHEE Toulouse INRA - Ecodéveloppetuent Avignon.
Avec Cyril AGREIL, Stéphane BELLON, Laurent HAZARD, Eric KERNElS, François LEGER, Patrick STEYAERT & Muriel TICHIT, agronotues, écologues ou zootechniciens INRA - Systètues Agraires et Développetuent (SAD)
interroge chacune de nos disciplines sur la façon dont elle considère les objets d'actions agri-environnementales. Nous présentons une approche des références à construire pour la gestion de la biodiversité de surfaces enfrichées, en l'occurrence des landes à genêts soumises au pâturage par des OVIns. Mots-clés: ressources - écosystème - élevage - biodiversité - lande genêt - pâturage
L'articulation de différentes fonctions de l'activité agricole est clairement en question dans les zones d'agriculture souvent marginalisée où l'élevage utilise, parfois exclusivement, du saltus3: des parcours, des prairies humides, des terroirs de montagne en forte déprise. Les milieux en cause sont généralement hétérogènes, en fonction notamment des formes héritées de la mise en valeur, et les habitats qu'ils comportent sont souvent menacés par des dynamiques écologiques marquées. Quelles pratiques pastorales sont à favoriser ou à mettre en œuvre pour satisfaire durablement à la fois des objectifs de production animale rémunératrice et des objectifs de protection de la biodiversité ? Cette question motive le projet des auteurs, chercheurs en zootechnie, en agronomie ou en écologie de diverses unités du département Systèmes Agraires et Développement (SAD) de l'INRA. Nous mettons en commun nos expériences de recherche, en relation notamment avec des biologistes de la conservation et des écologues du CNRS et de l'Université, ainsi que nos participations à la mise en place ou à l'évaluation d'actions agrienvironnementales. Notre proposition centrale est de considérer les milieux concernés en termes de ressources envirolmementales et pastorales, pour deux catégories d'acteurs qui ont à les partager: les éleveurs et les gestionnaires de milieux naturels. Dans cette communication, nous indiquons d'abord ce que signifie cette proposition pour des chercheurs biotechniciens, en nous référant aux terrains où nous travaillons. Ensuite, sur l'exemple de landes à genêts où la biodiversité appelle une attention particulière, nous présentons une démarche de production de références sur le pâturage; cette démarche illustre, au
3 Dans la «trilogie agraire» classique, à côté de l'espace cultivé et l'espace forestier, le saltlls selon G. Bertrand, «représente l'enselnble des tenains qui ne sont pas régulièrelnent cultivés et qui n'ont pas de couvert forestier continu et fenné. Il conespond à toutes les fonnations herbacées ou buissonnantes ni tout à fait naturelles, ni tout à fait anthropiques: landes des régions océaniques et des lnoyennes Inontagnes, pelouses de Inontagne, Inaquis et ganigues des Inilieux Inéditenanéens (...). Le saltus ne se distingue pas toujours de la forêt, en particulier dans les régions où les beaux boiselnents sont rares COlmne sur les bords de la Méditenanée» (5, p. 90).
120
passage, des renouvellements nécessaires dans nos disciplines de référence. C'est un enjeu sensible des perspectives de recherche que nous envisageons.
1 - Ressources environnementales et pastorales: ce qui est en cause dans leur genèse et leur valorisation Quelles pratiques pastorales sont à favoriser ou à mettre en œuvre pour satisfaire durablement à la fois des objectifs de production animale rémunératrice et des objectifs de protection de la biodiversité? Posée directement, la question risque fort de renvoyer à des usages concurrents, à des valeurs différentes, à des symboles aussi forts qu'implicites. Nous proposons de partir des écosystèmes en cause pour envisager les ressources obtenues ou attendues. Parler de ressources, c'est faire référence aux usages d'un objet et aux motifs et moyens d'action de l'utilisateur de cet objet. Nous proposons donc de considérer COlnment se génèrent des ressources environnementales et pastorales. L'hypothèse est que les ajustements entre les acteurs, qui ont notamment des systèmes de normes différents, passent par l'explicitation du pourquoi et du comment des actions sur les écosystèmes. Les éleveurs sont principalen1ent préoccupés d'obtenir des ressources alimentaires et de les valoriser au fil des saisons de pâturage, tandis que les gestionnaires de milieux naturels s'attachent à la conservation de fonctionnalités écologiques affectées par l'usage pastoral. Pour ces derniers, ce sont aussi des ressources qui sont en cause: biodiversité, habitats d'espèces ou d'écosystèmes remarquables, traits lnajeurs d'un paysage etc. Chaque partie prenante réagit selon sa capacité d'agir pour générer des ressources, avec leur diversité et/ou la possibilité de les substituer par d'autres, générées ailleurs et autrelnent. Son évaluation des réponses possibles du milieu concerné dépend d'un systèlne de normes qui s'est construit hors du présent contexte d'actions concertées sur l'environnement. Nous considérons que traduire l'attribution de valeurs d'usage à des milieux en questions relatives aux pratiques en rapport avec les objectifs de production et de conservation doit faciliter le dialogue. Dans le meilleur des cas, l'interaction peut conduire à la requalification des ressources, voire à l'identification de ressources nouvelles aux yeux des parties prenantes (20). A partir de l'expérience de la mise en œuvre des opérations locales agrienvironnementales au cours des dernières années, F. Léger et al. (1996) ont fait le pronostic de l'acquisition d'une «culture de la négociation» entre les parties prenantes. Dans cette perspective, nous nous impliquons dans des opérations de mise en place et/ou d'évaluation d'actions agrienvironnementales. Ces dispositifs élaborent des arguments à l'appui des évaluations et des choix d'actions à opérer. 121
Cependant, les changements du cadre de l'action technique des éleveurs affectent nos approches. En effet, au lieu de la parcelle et du temps d'une campagne, avec des mots-clés tels que potentialité, homogénéité ou stabilité, ce sont des combinaisons variables de pratiques sur des espaces à reconfigurer qu'il faut souvent envisager, ainsi que le souligne J.-P. Deffontaines notamment (9,16). En termes plus généraux, l'hétérogénéité et les dynamiques sont des éléments d'un ensemble de potentiels, à envisager sous différents angles (7, 15). Concrètement, nous abordons ces questions à partir des énoncés techniques portant sur les interventions des éleveurs ou des gestionnaires de milieux, figurant dans les documents produits dans les scènes locales de concertation, et à partir d'enquêtes directes auprès d'éleveurs et de gestionnaires, impliqués ou non dans une action agri-environnementale. Des dispositifs d'observation approfondie concernent les modalités de gestion des milieux quand il est possible de modéliser des interactions importantes entre dynamiques des ressources et pratiques Sur le littoral atlantique, on sait que la sauvegarde des zones hun1ides est aujourd'hui une priorité à l'échelle mondiale, en raison du patrin10ine naturel qu'elles représentent et des fonctions écologiques qu'elles assurent, en raison aussi de l'ampleur de leur dégradation au cours des dernières décennies. Cependant, nombre d'actions publiques et privées (LPO et chasseurs) se sont mises en place pour préserver, voire restaurer des prairies de marais considérées comme biotopes rares et sensibles. Dans ce contexte, P. Steyaert et al. soulignent la place centrale des activités d'élevage extensif, du fait notamment que le pâturage interfère directement avec les habitats d'une avifaune de forte valeur patrimoniale (27), à l'instar d'autres situations (6, 19). Les chercheurs du Domaine INRA-SAD de Saint-Laurent-de-la-Prée sont très fortement impliqués dans ces actions, en collaboration notamment avec le Centre d'Etudes Biologiques de Chizé (CNRS). De la touffe d'herbe qui abrite le vanneau au syndicat qui contrôle le niveau d'eau dans tout le marais, M. Tichit et al. envisagent un ensen1ble d'échelles de temps et d'espace pour un modèle «agro-zoo-écologique» où l'herbe est en position centrale entre vaches et oiseaux (29). Ce projet offre notamtnent l'opportunité d'étendre à des enjeux environnementaux, les démarches d'analyse des pratiques et d'élaboration de références mises au point pour l'élevage en conditions continentales sèches (4, 12). Dans le Massif central, le développement de l'élevage se focalise depuis des décennies sur les surfaces aisément intensifiables des vallées et des plateaux et sur les estives, laissant à l'abandon les autres surfaces - anciel1nes terrasses, prés de fauche en pente, parcelles trop petites, à sols trop superficiels ou trop pierreux - d'abord reconverties en parcours. Ces 122
évolutions, auxquelles il faut ajouter les plantations forestières, ont concouru à détruire des biotopes rares et à banaliser les paysages. Très tôt, cependant, contre ces effets de la déprise, des actions locales de «redéploiement pastoral» ont été engagées, puis renforcées à la suite de la réfonne de la PAC, alors que les associations de protection de la nature s'impliquaient plutôt dans la gestion de réserves naturelles. Depuis lors, les collectivités territoriales engagent des stratégies de valorisation du territoire, à travers notamment les PNR (Volcans d'Auvergne, Grands Causses). Ce sont autant d'interlocuteurs motivés par notre approche. Comment qualifier les «aliments» sur milieux hétérogènes de parcours, appropriables à la fois par des éleveurs lorsqu'ils estiment l'abondance et la qualité des ressources de leurs parcs, et par des gestionnaires en charge de la conception et du contrôle des contrats agri-environnementaux ? Sur ce sujet, C. Agreil prépare une thèse de doctorat en nutrition animale; son terrain est en Ardèche, sur des landes d'altitude soumises à une dynamique de fenneture par le genêt purgatif et sur lesquelles le pâturage ovin est contractualisé au titre d'une Opération locale agri-environnementale. Dans la montagne héraultaise, les éleveurs, longtemps engagés dans des modèles herbagers inspirés du département voisin de I ' Aveyron, sont rares. Aujourd'hui, ils sont fortement sollicités par l'ONF et l'ONC, gestionnaires des procédures Natura 2000 pour cette zone, pour réinvestir les anciens espaces de parcours aujourd'hui abandonnés, considérés désorlnais comme des «espaces naturels» de très grande valeur patrimoniale, menacés par l'embroussaillement. Cette sollicitation est activement relayée par les collectivités locales, soucieuses à la fois du patrimoine touristique que représentent ces espaces et de la pérennité de l'activité agricole dans un secteur en très forte déprise. Ce projet est en cours de lancement, avec diverses collaborations. Dans les vallées des Pyrénées centrales, où la question de la gestion par l'élevage des «zones intennédiaires», de plus en plus envahies de ligneux, entre fonds de vallées cultivés et estives, est aujourd'hui un enjeu majeur pour l'ensemble des collectivités et constitue un des axes majeurs des CTE. La demande qui nous est faite, en appui sur les acquis du chantier ardéchois présenté ci-dessus, concerne la conception de plans de gestion de la ressource pastorale par le pâturage, de façon à contrôler les espèces ligneuses dominantes. A l'encontre du schéma prévalent où seules les vallées et les estives restent des espaces ouverts, il s'agit de conserver voire de restaurer la diversité spécifique sur les versants tout en confortant les activités d'élevage ovins ou bovin. Sur ce thème, avec le soutien de l'Agence Régionale pour l'Environnement, un projet de thèse de doctorat en Écologie est en cours d'instruction.
123
A chacun de ces sites-ateliers correspondent des contextes et des histoires très différents. En nous réunissant autour de questions qui nous sont communes, l'objectif n'est pas d'établir un protocole de travail standard, mais de conforter nos approches dont, évidemment, certaines composantes seront constantes. Le travail comparatif porte ainsi sur la nécessaire description du contexte (analyse des dOCUll1entsproduits en amont ou dans le cadre de systèmes d'action agri-environnementaux), sur la réalisation d'enquêtes auprès des acteurs de terrain, sur les protocoles de suivi des situations de terrain, autant d'éléments pour tester ensemble la pertinence de notre approche des ressources environnementales et pastorales. 2 - Une démarche de production de références pour la gestion par le pâturage de la biodiversité des surfaces enfricllées : le cas du pâturage ovin des landes à genêts.
Face notamment aux landes à genêts, les éleveurs ont été encouragés à lutter frontalement contre l' embroussaillement. Or la forte capacité de colonisation du genêt menace des «mosaïques végétales» propices aux habitats que désormais la procédure Natura 2000 veut protéger. Interpellés pour favoriser, par le pâturage de leurs parcelles, le maintien de cette biodiversité, les éleveurs sont pris très au dépourvu. Leur habitude consiste en effet à lutter contre ce qu'ils qualifient de «saloperies» et, plus généralement, contre tout ce qui n'est pas de l'herbe. Ils ont des raisons d'être très réticents devant cette perspective. C'est une chose de gérer une prairie avec ce qu'il faut, et qu'on connaît, pour renouveler les ressources en herbe, c'en est une autre de jouer sur les ressources incertaines d'une végétation complexe et évolutive au fil des ans. D'ailleurs, on peut percevoir un souci de précaution dans les consignes de «pâturage extensif» qui sont formulées quand la biodiversité est Inenacée par l'embroussaillement. Faute de références bien établies, les «Cahiers d'habitat» peuvent porter fortement la marque de l'expérience préalable des rédacteurs: le contraste des recommandations concernant les landes à Genêt purgatif est frappant (encadré). A - La ressource « genêt»
: le point de vue de la brebis
La brebis mange-t-elle volontiers du genêt? De quelle façon cOlnpose-telle son repas? Quelles en sont les conséquences sur l'état du genêt et le devenir de la parcelle où elle séjourne? Prendre le point de vue de l'animal conduit à articuler des objets de recherche disciplinaires généralement traités isolément. En effet, se soucier de ménager la biodiversité et les ressources pastorales nécessite de produire des connaissances à l'interface, relativelnent ,
'
124
peu explorée, entre les troupeaux et les populations végétales. Leurs interactions sont multiples et s'organisent à des échelles d'espace et de temps distincts: depuis la prise alimentaire sur des organes de plantes présents quelques jours dans l'année, jusqu'au territoire pâturé durant plusieurs années avec sa grande diversité de communautés végétales. L'identification de niveaux d'organisation pertinents, pennettant de répondre au souci de maîtrise des dynalniques végétales par le pâturage, constitue un résultat de recherche. Sa genèse est forcément interdisciplinaire, elle ne ressort pas des approches classiques. Les recherches zootechniques ont en effet produit des normes de valorisation des pâturages sur la base de modèles conçus pour l'alinlentation très maîtrisée du bétail à l'auge ou sur prairies semées et plutôt homogènes. Selon les méthodes classiques, l'offre fourragère est évaluée par la biomasse récoltable (hauteur d'herbe, densité etc.) convertie en disponibilité fourragère en fonction de la valeur nutritive des plantes offertes au pâturage. Le raisonnement est celui qu'on applique à une ration maîtrisée: attribution d'une valeur intrinsèque à chaque aliment et addition pour calculer la valeur d'ensemble de la ration alimentaire. Appliquer ce raisonnelnent à un espace pastoral hétérogène, telle une lande à genêts, implique de le résumer en quelques unités homogènes - espèces végétales ou faciès de végétation lorsque les végétaux sont très imbriqués -. Cette façon de faire n'est pas opérationnelle, dès lors que les mosaïques sont cOlnplexes et, surtout, parce que la variété des espèces de plantes consommées au cours d'une journée est impossible à intégrer dans un Inodèle de nutrition classique. De plus, cette façon de faire manque fondamentalement de pertinence en ignorant une caractéristique Inajeure du processus de pâturage sur ce type de milieu: la sélection par l'animal de ses aliments (11). Cette sélection s'opère non seulement entre les espèces ou les faciès, mais égalelnent au sein même des espèces, selon les organes présents (rameaux, feuilles, fruits.. .). Elle s'opère aussi de manière différente selon la saison, mais aussi et surtout selon le moment du repas et relativement à la gamme des disponibilités du jour. Cela remet en cause l'attribution d'une valeur intrinsèque à chaque plante (18,3). Pour comprendre comment l'animal utilise un pâturage composite, nous observons le comportelnent alimentaire de brebis conduites en troupeaux et habituées à pâturer de tels milieux (2). Les brebis y consomment chaque jour en abondance une grande diversité de plantes et leur ingestion quotidienne reste stable malgré la diminution des ressources du fait du pâturage. Leurs choix ne sont pas dictés par une hiérarchie absolue de valeurs nutritionnelles, allant, comme on pouvait le croire (16), de la meilleure à la plus mauvaise plante.' En réalité, elles associent au cours de leurs repas des plantes de nature très différentes. Elles alternent régulièretnent des prises alimentaires de grande masse puis de petite masse, afin de nlaintenir stable leur quantité 125
ingérée par unité de temps. Cette règle comportementale nous permet de regrouper le très grand nombre d'organes consomlués en deux catégories d'aliments, même s'ils sont portés par des espèces botaniques différentes, selon la masse prélevée à chaque bouchée, et d'observer que chaque catégorie joue un rôle dans la motivation de la brebis à se constituer son repas. B - Le genêt pâturé : morphologie
et démograpllie
Les pelouses et les landes uniquement utilisées en pâturage sont soun1ises à des phénomènes de dominance par un petit nOlubre d'espèces, voire une seule, comme c'est le cas des landes à genêts. Ce phénomène est le principal responsable des changements rapides et importants dans la composition botanique et la structure spatiale des communautés végétales (10, 23). Par conséquent, le maintien de la diversité spécifique passe par le maintien d'une situation de compétition plus favorable à l'installation et la reproduction des autres espèces. Le comportement de la brebis et, avant tout, sa luotivation alimentaire sont donc des facteurs décisifs de l'impact du pâturage. Ils doivent donc être pris en compte dans les modèles démographiques permettant d'explorer la maîtrise par le pâturage de la dominance des espèces. Pour analyser quelles sont les conséquences du pâturage sur une population de genêts, nous observons sa morphologie et sa démographie sur des parcelles pâturées par des brebis depuis plusieurs années. La sélection par l'animal entraîne en effet des différences d'intensités de prélèveluent entre les plantes d'une mêlue espèce. C'est au niveau des prises alimentaires sur les organes végétaux que s'opèrent les articulations entre le repas de la brebis et le devenir à long terme du genêt, du fait notamluent de la dissociation entre la consommation des tiges et celle des fleurs et gousses de genêt. Le pâturage génère des réponses phénotypiques et morphologiques plus ou moins marquées entre les individus, pouvant induire une variabilité de comportement démographique et une évolution génétique de la population. Ainsi, le pâturage d'une population de genêts répété chaque année suscite l'apparition d'individus avec un port «en boule» qui marque un broutage intense et correspond à une phénologie décalée et à une réduction de l'effort reproducteur du genêt. Au-delà, se pose la question: comment la variabilité génétique est-elle affectée par l'impact du pâturage? Compte tenu des capacités de défense du genêt - évitelnent phénologique, production de composés toxiques -, la prévision de l'évolution à long terme d'une population de genêt nécessite de coupler les approches démographiques et génétiques. 126
De tels modèles ne sont pas ceux de l'agronomie classique, focalisée sur la prairie généralement simplifiée à, tout au plus, deux ou trois espèces herbacées, avec des travaux sur la dynamique de croissance des espèces en réponse à la défoliation et à l'apport d'éléments nutritifs. Les connaissances en écologie portant sur les dynalniques d'espèces transfoID1ent les approches des communautés végétales complexes (prairies permanentes plurispécifiques, pelouses, landes et sous-bois). Pour autant, il n'est pas encore possible d'évaluer les dynamiques des ressources d'intérêt pastoral aux échelles de temps longues qui permettraient de raisonner des plans de gestion. La représentation du fonctionnement d'une population végétale est généralement basée sur une structuration en classes d'âge et en stades de développement. C'est bien insuffisant dans le cas d'une population pâturée, où il est nécessaire d'intégrer une structuration en groupes d'individus déterminée par leurs comportements démographiques en réponse au pâturage. En conclusion, les points de vue apparemment contradictoires des gestionnaires de sites Natura 2000 et des éleveurs peuvent se rejoindre, lorsque l'on prend en cOlllpte celui des brebis. Pour les premiers, soucieux de conserver la biodiversité, l'enjeu est d'éviter une banalisation du paysage par envahissement excessif d'une espèce dominante. Pour les seconds, soucieux d'offrir à leurs troupeaux de quoi bien s'alimenter, l'enjeu peut en réalité être le même. En effet, préserver la qualité pastorale d'un milieu consiste à permettre aux animaux de retrouver leurs aliments cOlnplémentaires, le grossier et le fin, et cela jusqu'au dernier jour de présence sur le lieu de pâturage. Les broussailles, chéries par les uns et décriées par les autres, sont donc à cultiver à double fin : en tant que composantes d'habitats écologiques pour des espèces menacées, mais également en tant que composante fourragère jouant un rôle indispensable vis-à-vis de la motivation alimentaire des troupeaux. 3 - Perspectives
La démarche que nous avons entreprise autour de la notion de ressources partagées, à la frontière de nos disciplines, s'inscrit dans le renouvellement nécessaire des modèles scientifiques par lesquels nous considérons les milieux, les usages et les pratiques, objets d'actions agri-environnelnentales (14, 8). La question des niveaux d'organisation est cruciale, notamment pour mobiliser ou établir les connaissances nécessaires en écologie. La notion de système technique, avec ses déclinaisons - système d'élevage, stratégie d'alimentation cause (21).
-, désigne l'exigence de cohérence des pratiques, toujours en La définition des entités de gestion et du calendrier
127
d'intervention doit aussi inclure les jalons nécessaires pour ajuster les attentes et les engagements. Qualifier une prairie tant du point de vue zootechnique qu'écologique peut intéresser la biogéographie et la biologie de la conservation, domaines où on relève la difficulté de traduire en termes d'action les concepts clés (24, par ex.). Notre démarche recoupe les travaux récents sur la biodiversité qui soulignent que la conservation des espèces sauvages doit inclure la perspective des changelnents dus aux décisions de gestion des ressources pastorales (22). Elle conduit à considérer autrement les objets de nature et la production de savoirs pertinents pour la gestion des ressources en situation d'élevage. Elle peut ainsi contribuer à la construction des instrulnents conceptuels qu'appelle la multifonctionnalité des actes techniques inscrits dans le territoire, c'est-à-dire concrètement, élaborer un contenu enseignable et soutenir l'intervention des chercheurs en tant qu'experts dans les actions agri -environnementales. Ainsi, en faisant l'hypothèse que les espaces de saltus peuvent être réévalués en termes de ressources partagées entre éleveurs et gestionnaires de milieux naturels, c'est la base même de ce que sont des ressources qui est en cause. Ces ressources n'existent qu'en référence aux motifs et aux moyens des acteurs concernés. C'est donc un processus d'ajustement entre acteurs qui peut conduire à la requalification des Inilieux vis à vis de ressources à la fois environnementales et pastorales. Cette dynamique est étroitement dépendante des structures locales de concertation, des autres usagers (dont les chasseurs par exenlple) engagés ou non dans ces dispositifs. Elle ne se cantonne pas à la seule phase de négociation des objectifs et des principes contenus dans un cahier des charges (zonages, modalités techniques, modalités de rémunération, critères d'éligibilité...), elle se poursuit tout au long de la mise en œuvre de celui-ci. Désormais, l'action collective sur l'environnement génère des situations nouvelles d'interaction entre différentes catégories d'acteurs. C'est pourquoi notre projet se met en rapport avec des sociologues et anthropologues engagés dans la mise en place de sites Natura 2000. Comme dans différents domaines de l'industrie et des services (1), l'incertitude, la complexité des problèmes et des relations entre acteurs interdisent la construction unilatérale d'une réglementation; par contre, comme le montrent aussi les mesures agrienvironnementales, les politiques publiques sont à même d'inciter à des coopérations porteuses d'innovation.
128
Cette construction de savoirs dans l'action est désormais bien identifiée
(28, par ex.). Dans notre domaine de recherche, comIne le soulignent B. Hubert et J Bonnemaire (13) et M. Sebillotte (25), cette construction appelle des évaluations renouvelées. Notre engagement des chercheurs sur le terrain vise à contribuer à l'identification de nouveaux projets de développement durable; son enjeu est aussi de conforter les passerelles entre nos disciplines et d'en renouveler les démarches.
Encadré 1 : Comparaison des modes de gestion préconisés pour des landes à Cytisus purgans selon deux régions françaises. extraits du Manuel d'intelprétation
des habitats de l'Union
européenne-
Version EUR15-1999
Massif Central Potentialités du milieu
Pyrénées
(...) il n'y a pas de valorisation pastorale directe de ces luilieux. (...) ils résultent de l'abandon pastoral du fait de la fàible valeur founagère des strates herbacées qui étaient traditionnelleluent pâturées.
(...) [le broutées purgatif raison, jounlées
Modes de gestion recommandés
Modes de gestion recommandés
Afin de lutter contre une trop fOlie colonisation du genêt et contre la reforestation, exercer régulièreluent un pâturage à forte charge (0,1 à 0,2 UGB/ha) sur une coulie durée sur les zones herbacées. Sinon, effectuer un pâturage extensif, bovin ou bovin/ovin, de lui-saison à la fin de la période de végétation, de juillet à septelubre. (. . .) après débroussaillage luécanisé, une gestion rationnelle du pâturage est nécessaire: pâturage ovin tounlant sur un grand secteur (I 00 ha) où les luoutons sont parqués la nuit sur des surfaces réduites sur lesquelles ils broutent les espèces qui COluposent la lande, le piétineluent accentuant les effets du pâturage (. . .).
Maintenir différents stades de 111aturité pour garder une diversité des peupleluents et une luosaïque de fàciès (...) en évitant à tenue un appauvrisseluent de la biodiversité générale par colonisation du genêt. (...) L' ouveliure par le feu ne suffit pas si elle n'est pas suivie d'une pression pastorale adaptée. Celle-ci sera 1110dérée la preluière année (...), les repousses de genêt seront consoluluées en juin et juillet. Les années suivantes, on cherche progressiveluent à atteindre un niveau de prélèveluent Îlupoliant, où l'enseluble de la strate herbacée est bien raclée, les espèces les luoins appétentes étant consoluluées ÎlTégulièreluent. (...) à lui-estive, ce 111ilieu perd de son attraction. Il faut alors recourir au gardiennage sené ou en parc en fin de jou111ée ou de nuit.
Contact
-
Conservatoire
Parc National botanique
Potentialités
des Cévennes -
du Massif Central
Contact
du Dlilieu
genêt] peut être associé à des herbacées par les anÎluaux. (...) La lande à genêt est utilisée en été et en autolune, à respectivelllent, de 20-40 et 10-20 brebis/hectare.
-
Réserve naturelle de Nohèdes
-
SIME
À gauche, c'est une culture technique d'élevage bovin en parcs, qui reste calée sur la saisonnalité de l'herbe, et préconise le recours aux ovins dés qu'il s'agit de forcer à consommer « les espèces qui composent la lande ». À droite, c'est une culture toute autre, celle des bergers d'estive, ayant observé les variations de comportement de leurs animaux et dont le raisonnement est fondé sur un ajustement pluriannuel et progressif de l'impact sur le milieu.
129
Références
bibliographiques
1- Aggeri F., 2000. Les politiques d'environnement comme politiques de l'innovation. Annales des Mines - Gérer et comprendre. Juin 2000 : 31-43. 2- Agreil C., Hazard L., Magda D., Meuret M., 2002. Prospects for ecological habitat conservation: a new modelling approach to evaluate grazing ofbroom shrubland. In: J.-L. Durand, J.-C. Émile, C. Huyghe & G. Lemaire (eds) Multi-function grasslands. Quality forages, anÙnal products and landscapes (EGF 19thgen. meeting, La Rochelle, Fr., 27-30 May 2002). Versailles, AFPF, pp. 752-753. 3- Baumont R., Prache S., Meuret M., Morand-Fehr P., 2000. How forage characteristics influence behaviour and intake in small ruminants: a review. Livestock Production Science 64 : 15-28. 4- Bellon S., Girard N., Guérin G., 1999. Caractériser les saisons pratiques pour comprendre l'organisation d'une campagne de pâturage. Fourrages 158 : 115 - 132. 5- Bertrand G., 1975. Pour une histoire écologique de la France rurale. ln : G. Duby & A. Wallon (dir.) Histoire de la France rurale. T.I La,forn1ation des can1pagnesfrançaises, des origines au XIVe siècle. Paris, Seuil, pp. 34113. 6- Bethke R.W., Nudds T.D., 1995. Effects of climate change and land use on duck abundance in Canadian prairie-parklands. Ecological Applications 5 : 588-600. 7- Bonnemaire J., 2001. Enjeux sur les savoirs et les objets de la zootechnie: l'élevage entre science, technologie, nature et société. C.R. Acad. Agric. Fr. (Colloque Olivier de Serres, Le Pradel 28-30 septembre 2000) 87(4) : 237-260. 8- Couch S.R., Kroll-Smith S., 1997. Environmental disruption and social change. Current Sociology, 45/3 : 193 p. 9- Deffontaines J.-P., 2001. Une agronomie en questionnement. C.R. Acad. Agric. Fr. (Colloque Olivier de Serres, Le Pradel 28-30 septelnbre 2000) 87(4) : 115-119. 10- Diquélou S., Rozé F., 1999. Iluplantation du genêt à balais, précédent cultural et dynamique du sol dans les friches. C.R. Acad. Sci. Paris, Sciences de la vie 322 : 705-715. 11- Dumont B., Meuret M., Boissy A., Petit M. (2001). Le pâturage vu par l'animal: mécanislnes comportementaux en élevage. Fourrages 166 : 213-238. 12- Guérin G., Léger F., Pfimlin A., 1994. Stratégie d'alimentation, méthode d'analyse et de diagnostic de l'utilisation des surfaces fourragères et pastorales. Paris, Institut de l'Élevage (coll. Lignes), 36 p.
130
13- Hubert B., Bonnemaire J., 2000. La construction des objets dans la recherche interdisciplinaire finalisée: de nouvelles exigences pour l'évaluation. Natures Sciences Sociétés 8(3) : 5-19. 14- Hubert B., Deverre C. et Meuret M., 1996. The know-how of livestock farmers challenged by new objectives for european farming: II. Reassigning rangelands to new, environment-related usages. In: Proc. Fifth International Rangeland Congress (Salt Lake City, July 23-28 199) pp. 251252. 15- Landais E., 1999. Agriculture durable et plurifonctionnalité de l'agriculture. Fourrages 160 : 317-331. 16- Lardon S., Deffontaines J.-P., Osty P.-L., 2001. Pour une agronomie du territoire: prendre en compte l'espace pour accompagner le changement technique. C.R. Acad. Agric. Fr. (Colloque Olivier de Serres, Le Pradel 2830 septembre 2000) 87(4) : 187- 200. 17- Léger F. Meuret M., Bellon S., Chabert J-P., Guérin G., 1996. Elevage et territoire: quelques enseignements des opérations locales agrienvironnementales dans le sud-est de la France. Renc. Rech. RUlnin., 3 : 1320 18- Meuret M., 1993. Piloter l'ingestion au pâturage. ln : E. Landais (éd.) Pratiques d'élevage extensif. Identifier, modéliser, évaluer. Etud. Rech. Syst. agraires Dév. 27: 161-198. 19- Milsom T.P, Langton S.D., Parkin W.K., Peel S., Bishop J.D., Hart J.D., Moore N.P., 2000. Habitat model ofbird species' distribution: an aid to the management of coastal grazing marshes. J. Applied Ecology 37 : 348355. 20- Mormont M., 2002. What does grassland represent? In: J.-L. Durand, J.-C. Émile, C. Huyghe & G. Lemaire (eds) Multi-jilnction grasslands. Quality forages, animal products and landscapes. Grassland Science in Europe. Vol. 7 (EGF 19thgen. meeting, La Rochelle, Fr., 27-30 May 2002). Versailles, AFPF, pp. 867-873. 21- Osty P.-L., Lardon S., Sainte Marie C. de, 1998. Comment analyser les transformations de l'activité productive des agriculteurs: propositions à partir des systèmes techniques de production. Etud. Rech. Syst. agraires Dév. 31 : 397-413. 22- Perrings C., Walker B., 1999. Optional biodiversity conservation in rangelands. In : People and rangelands: building the .future (Proc. Vlth Internat. Rangeland Congress, Townsville, Qld, Australia, July 19-23) Vol. 2, pp. 993-1002. 23- Peterson D.J., Prasad R., 1998. The biology of canadian weeds. 109. Cytisus scoparius (L.) Link. Canad. J. Plant Sci. 78 : 497-504. 24- Primack R.B., 1993. Essentials of Conservation Biology. Sunderland (Mass., USA), Sinauer. 131
25- Sebillotte M., 2001. Les fondements épistétnologiques de l'évaluation des recherches tournées vers l'action. Natures Sciences Sociétés 9(3) : 8-15. 26- Stephens D.W., Krebs J.R., 1986. Foraging Theory. Princeton University Press, 237 p. -27- Steyaert P., Reynaud S., Périchon C., 1997. Gestion locale d'un problème d'environnement. La mise en oeuvre d'une opération agrienvironnement ale en Marais poitevin et charentais. C.R. Acad. Agric. Fr. 83(1) : 47-58. 28- Terssac G. de, 1996. Le travail de conception: de quoi parle-t-on? In: G. de Terssac & E. Friedberg (dir.) Coopération et conception. Toulouse, Octarès, pp. 1-22. 29- Tichit M., Meuret M., Agreil C., Bellon S., Hazard L., Kernéis E., Léger F., Magda D., Osty P.-L., Steyaert P., 2002. Sharing resources between waders and cattle in a marshland environment: a habitat conservation perspective. In: J.-L. Durand, J.-C. Étnile, C. Huyghe & G. Lemaire (eds) Multi-Junction grasslands. Quality Jorages, anÙnal products and landscapes (EGF 19thgen. meeting, La Rochelle, Fr., 27-30 May 2002). Versailles, AFPF, pp. 950-951.
132
Vers une approche agro-ethnologique au service de la gestion des territoires ruraux An agro-ethnological approach Jor rural land management par Sylvain Dépigny (*), Patrice Cayre (**) et Yves Michelin
(***)
Resume Les agriculteurs, véritables intermédiaires entre société et nature, se trouvent confrontés à la remise en cause de leur accès prioritaire à l'espace, et soumis à l'évaluation de leurs pratiques par des agents extérieurs à la sphère agricole. De ces confrontations doivent naître de nouvelles pratiques, qui assureraient les besoins de chacun des acteurs, redéfinissant la fonction sociale de l'agriculteur. De telles évolutions ne seront pas sans conséquences sur les dynalniques paysagères. Or, parce que la notion de paysage est partagée par tous, elle peut devenir l'outil de médiation entre les acteurs et ainsi le support d'un vrai projet de société. Les agriculteurs sont les principaux artisans de l'évolution du paysage rural, aussi l'analyse des mécanismes d'évolution des pratiques agricoles appliquées aux objets élémentaires du paysage semble une voie pertinente. A cet effet, nous proposons de croiser deux points de vue : l'un, agronomique, analysant la cohérence du système de production face à son milieu naturel, et l'autre, ethnologique, analysant la cohérence stratégique de l'exploitant par rapport à son environnement socioculturel. Par le biais de différents supports graphiques, nous essayons de cerner, dans le discours et face aux réactions de l'agriculteur, les déterminants des choix réalisés. Ce travail, en cours sur un territoire restreint du plateau sud des Dômes, est préparatoire à la construction d'un modèle du processus de décision lié à la mise en œuvre de pratiques paysagères, outil qui devrait nous permettre de mesurer l'impact de politiques publiques sur les pratiques et le paysage, à l'échelle d'un territoire local et éventuellement d'adapter les procédures.
Mots clés: territoires ruraux, agronomie, ethnologie, paysage, pratiques agricoles, moyennes montagnes.
c) Ingénieur d'Etude, Doctorant UPSP « Systèllles herbagers en llloyennes 1110ntagnes », ENIT A de Clenllont-Fenand. C*) Responsable de Fonllation, Chef de projet Développelllent Durable, Centre National de Prolllotion Rurale (ClenTIont-Fenand). (**) Maître de Conférence, Habilité à Diriger des Recherches, Responsable de l'UPSP « Systèlnes herbagers en llloyennes lllontagnes », ENIT A de Clenllont-Fenand.
Summary In France, during a long tin1e,farmers were free to organize rural territories as they wanted for their own needs. Nowadays, other categories o.f people (inhabitants, visitors, ...) are asking for a new kind of land use lnanagement, in order to protect the quality of this environlnent and to produce special kinds of landscapes for their convenience. If farnIers remain food's producers submitted to econ0111ic laws, they have to adapt their far111ing systems inside a nevy social context, where they nIust negotiate what they are allowed to do. These changes have a hard influence upon landscape evolutions. But as landscape concerns everybody, it could be a good way to gather all the C0111ponents of the society and a lnediuln to build a project of development. In this way, we think that it could be very helpful to study in what landscape evolution is due to change upon farming practices applied to the ele111entary components of rurallandscape (hedges, trees, pasture, hey plots, low walls, ...). We cross two points ofview: one agronomical, to analyse the coherence between farming systems and ecological and technico-econon1ic conditions; the other ethnological, to understand the .farlner's strategy in relation to his sociocultural environn1ent. We use photographs and drawings as a base o.f discussion to analyse the causes of the choices put forward. This work runs on two small areas of the South ''plateau des DOl1Ies" and is destinated to prepare a model of decision process about landscape practices applied to small areas of middle mountains. At the end, we hope to produce a sinlulator which could be used to test the influence of landscape policies on fàrming systems and maybe to propose adaptations.
[(ey words: rural land, agronon1Y, ethnology, lanscape, agricultural pratice, lniddle mountains.
134
INTRODUCTION
Les territoires ruraux, dont la gestion concernait jusqu'à présent principalement agriculteurs et forestiers, attirent aujourd'hui de nouveaux acteurs. Ceux-ci attribuent à ces espaces de nouveaux usages qui se superposent à l'activité agricole, remettant en cause l'accès prioritaire de l'agriculteur. Ces nouveaux rapports sociaux, parfois conflictuels, suggèrent un besoin de gestion collective, voie appuyée par les nouvelles politiques agricoles nationales et européennes. Effectivement, l'agriculture, souhaitée multifonctionnelle, doit répondre à plusieurs demandes: rentabilité des productions face à la concurrence mondiale, sécurité alimentaire renforcée en terme de qualité et prise en compte de l'environnement par une meilleure gestion de la biodiversité et des paysages. Cependant, cette conciliation d'objectifs, parfois contradictoires, se concrétise difficilement sur le terrain, en particulier lorsque l'on cherche à prendre en compte les enjeux paysagers. 1 - Paysage, Agronomie et Territoires Ruraux A - Le paysage: sujet de discorde entre ses producteurs
et ses usagers?
Le paysage (14) est à la fois une réalité objective, au sens où il est un espace construit qui préexiste au regard susceptible de l'embrasser, et une réalité subjective, puisque pour exister, il doit être perçu. C'est d'abord en tant que réalité subjective, et parce que ce paysage existe sous des regards qui mobilisent des représentations et des référents culturels différents, que ses évolutions sont ressenties. Mais, en tant que réalité objective, il est avant tout ,le résultat des actions des différents usagers de l'espace, tout au long de l'histoire, sans pour autant qu'il y ait une volonté paysagère exprimée. Les évolutions qu'il subit sont donc la marque d'une modification des pratiques de ses producteurs (agriculteurs, forestiers, habitants... ), elles-mêmes très liées à l'organisation sociale de ces derniers. (2) Aujourd'hui, on assiste à l'émergence d'une ambiguïté entre d'une part, une demande de conservation des paysages, issue d'une tendance à la patrimonialisation des objets ruraux (8), et de l'autre, une réalité économique, juridique et sociale, où les usagers adaptent leurs pratiques au contexte, rendant impossible cette muséification des paysages. (10) La recomposition sociologique des territoires ruraux a renforcé le droit de regard des autres acteurs non agricoles sur ces espaces et ceux-ci, dont la volonté est d'intervenir sur les activités agricoles, sont désormais invités au débat (7). Mais, la connaissance et la compréhension des systètnes de production et des règles qui permettent aux agriculteurs de réagir échappent à ces nouveaux usagers, ce qui conduit souvent à un rapport de force, qui ne
produit que rarement des résultats favorables à l'intérêt général. De plus, ces négociations tendent à assigner à un type d'agriculture, essentiellement celui des zones les plus défavorisées, une fonction de service et d'entretien du paysage, pendant que d'autres types s'occuperaient uniquement de la production, sans remords pour la destruction des dernières haies! Pourtant, le paysage pourrait constituer un élément susceptible de fédérer les actions: la construction de proj ets de territoire, discutés et partagés, devrait permettre d'exprimer les référents de chacun et de proposer des actions pour des objectifs communs (17). L'agriculteur pourrait redéfinir son statut social et affirmer que son activité peut également intégrer dans ses pratiques des intentions paysagères, à condition que ne soit pas menacée sa fonction économique. B - Le paysage comme outil de médiation Utiliser le paysage comme support de médiation, nécessite, aux vues des différents référents existants, de définir un support commun à tous les acteurs qui faciliterait le dialogue. Différents outils et méthodes de représentation du paysage ont déjà été expérimentés pour le découpage de l'espace, la détermination d'unités de référence ou la localisation d'activités: analyse paysagère, approche sensible par les appareils photo jetables (15), blocs-diagrammes (12), chorèmes... Mais, ils ont peu été utilisés pour analyser en détail les pratiques des agriculteurs sur le paysage ou envisager les conséquences d'évolutions des pratiques sur celui -ci. Cette compréhension des mécanismes paysagers est cependant primordiale dans une démarche de construction et de mise en œuvre d'un projet concerté: le dialogue commun permettrait l'évaluation des possibilités de modification des pratiques de chacun des acteurs. Ces latitudes exprimées, elles pourront être testées sur des paysages virtuels par le biais de simulations, permettant une discussion autour d'un état du paysage probable et apportant une évaluation des moyens à mettre en œuvre pour passer du paysage le plus probable au paysage le plus souhaitable. Ce dernier outil, la simulation, ne peut être opérationnel qu'après la réalisation de n10dèles performants du fonctionnement des activités de chacun des acteurs. C'est sur cette dernière voie que portent nos activités, plus spécifiquement orientées sur la compréhension, en vue d'une modélisation, des pratiques paysagères .des agriculteurs.
Du conflit au dialogue: la nécessité d'ul1e approclle pluridisciplinaire Dans cette optique d'étude et d'intervention paysagère répondant à une demande sociale, nous étudions les motivations de l'agriculteur, conscientes 136
et inconscientes, qui conditionnent sa stratégie. Afin d'éviter les discours trop généralistes, n'apportant aucun élément précis pour orienter les interventions concrètes, et de mettre en évidence des déterminants non exprimés au travers des normes locales, nous pensons qu'il faut repartir des objets élémentaires du paysage (haies, parcelles, chemins, murets...) pour décrire précisément les pratiques agricoles. Cette entrée facilite l'accès à d'autres motivations (9), qui révèlent les contraintes de l'exploitation et les valeurs propres de l'exploitant. De nombreuses études ont déjà traité des pratiques agricoles, de leurs déterminants ou de leur évaluation (3) avec pour objectif majeur la mise en évidence et la compréhension de leur diversité au sein des systèmes d'exploitation et des territoires. Cette compréhension visait, outre la démarche heuristique, à améliorer les méthodes de conseil en exploitation. Notre démarche, visant plus à l'obtention d'éléments de compréhension indispensables à une modélisation du processus de décision, s'inspire de ces différentes expériences, en particulier de celle menée par une équipe pluridisciplinaire concernant les systèmes herbagers économes en Bretagne (1), et propose les postulats de travail suivants: ./ Les actions des agriculteurs ne répondent pas uniquement à une logique de maximisation des profits et à une rationalité purement technique et économique. (6) ./ L'exploitation agricole, comme activité économique, dépend de règles liées au contexte politique, juridique, social et représente, aussi pour l'individu, une performance, un signe d'appartenance sociale. (11,16) ./ La rationalité des pratiques agricoles est construite autour de deux axes (3) : un volet psycho-social qui privilégie le point de vue de l'agriculteur, influencé par les normes produites par la société locale et un volet technique qui privilégie les processus de production dans un contexte agro-écologique avec les contraintes que les agriculteurs peuvent, ou savent plus ou moins, transcender. Dès lors, l'étude des pratiques déborde largement sur des disciplines autres que techniques et nous invite à la pluridisciplinarité (19), tant sur les méthodes d'investigation et de collecte de données, que sur les méthodes d'analyse. C'est à partir de ces principes que nous proposons de croiser deux registres, l'un agronomique, basé sur une cohérence technico-économique du système d'exploitation, et l'autre sociologique, visant une cohérence avec des systèmes connexes à l'exploitation (18), comme la cellule familiale, les groupes d'acteurs du voisinage, les réglementations politiques...
137
2 - Démarche proposée A -Principe de base: se fondre dans le milieu
L'approfondissement de la compréhension des déterminants des pratiques d'un agriculteur passe par l'établissement d'une relation de confiance qui nécessite du temps. Ceci nous a conduit à effectuer un premier choix: ne rencontrer que peu d'agriculteurs mais plusieurs fois chacun. Le second choix était celui de la zone d'étude. Notre démarche se voulant à la fois productrice de connaissances et d'éléments d'action, le territoire devait correspondre à un espace de mise en oeuvre de politiques de développement local. La communauté de communes des Cheires répondait à ces critères: située à une vingtaine de kilomètres au sud de ClermontFerrand, elle réfléchit actuellement à un Contrat Local de Développement dans lequel elle souhaite intégrer des actions de gestion de l'espace et des paysages. Mais, cette unité administrative recoupant des ensembles paysagers très diversifiés, résultats de l'assemblage d'exploitations agricoles aux systèmes de production variés, nous avons préféré diminuer la taille de notre terrain d'étude et choisir seulement une petite zone: le plateau d'Olloix-Coumols, géré par une vingtaine d'agriculteurs aux systèmes d'élevage à base d'herbe.
138
Notre travail s'est ensuite organisé en"trois étapes, illustrées dans la figure ci-contre: ~ une analyse des dimensions matérielles du paysage permettant d'établir une typologie des objets élémentaires du paysage sur lesquels l'agriculteur est susceptible d'agir. ~ un premier entretien avec l'exploitant où nous lui demandons une description rapide de son système d'exploitation, puis, à partir de photographies des objets paysagers, une justification de ses pratiques paysagères. Ce dernier point nous permet d'identifier les déterminants « conscients» de l'agriculteur. ~ un second entretien avec l'exploitant où nous cherchons à apprécier les déterminants réellement mobilisés, cette fois, dans l'action, c'est-à-dire lors de la réflexion en vue de la contractualisation des nlesures pouvant avoir une vocation paysagère. B -Des relations objets-pratiques...aux
types de déterminants
Cette première approche du système d'exploitation s'inspire des méthodes ethnologiques. Elle est basée sur le fait que les enquêteurs découvrent l'individu et son système d'exploitation au cours du discours. Mais elle est également couplée à une approche globale agronolnique (4,13) permettant d'orienter le discours sur les grandes structures de l'exploitation agricole. La première partie de la discussion se construit autour d'un entretien ouvert, non directif: nous demandons à l'agriculteur de présenter son système d'exploitation. Nous influençons son discours, seulement lorsqu'il est nécessaire de changer de thème afin de bien comprendre le systèlne dans sa globalité et non pas seulement ce qui lui tient à cœur. Nous traitons ainsi les grands points de l'approche globale d'exploitation: historique et évolution du système, parcellaire et caractéristiques majeures, différents ateliers de production, succession, relations avec les autres agriculteurs... La seconde partie de l'entretien se réalise autour d'un échange sur les pratiques paysagères. De façon assez directive, à partir des carnets photographiques, représentant chacun une gamme d'états des différents objets structurant du paysage, par exemple une haie (haie haute ou basse, taillée ou non, de bordure de parcelle ou de chen1Ùl,de C0111positionvégétale unique ou composée ...), ainsi que les pratiques réalisables sur ces objets (taille, arrachage, plantation, traitenlent...), nous interrogeons l'agriculteur: qu'est-ce qui ressemble le plus à son systènle ? Que préfèrerait-il avoir sur son parcellaire? Quelle pratique réalise-t-il ? Que pense-t-il des autres pratiques présentées? Ces questions ont pour but de l'amener à préciser ses choix de pratiques paysagères, les déterminants de ces choix et les moyens 139
nécessaires à leur mise en œuvre. Il s'agit pour nous des déterminants dont il est conscient ou qu'il veut bien mettre en avant. Au cours des entretiens réalisés, il apparaît que les photographies suscitent presque toujours les mêmes réactions chez l'agriculteur. D'abord, il cherche à se repérer par rapport à son territoire (( OÙ est cette parcelle? M'appartient-elle? »), puis, il réagit rapidement à des pratiques qui ne lui semblent pas adaptées ou mal réalisées (( Lui, il fait n 'in1porte comlnent ! Il donne une mauvaise image du lnétier ! »). Cette approche sensible de son métier nous permet de mieux comprendre ce que lui fait, et pourquoi il le fait comme cela: il apporte des justifications techniques (temps de travail, matériel) ou non-techniques (qualité de vie, habitude). De plus, le fait que sur un si petit territoire, où toutes les exploitations présentent les mêmes contraintes de milieu, les agriculteurs ne comprennent pas toujours la façon de faire de leurs voisins, alimente I'hypothèse de départ: les déterminants des pratiques agricoles dépendent de divers registres. Nous avons donc, à partir de l'analyse des discours des enquêtes, essayé de repérer et de classer
ces registres, sous la forme de dix «motivations », se rapportant à une échelle de décision ou à une dimension exprimée par l'agriculteur: Pour un individu donné ou pour une pratique particulière, nous comptons ensuite le nombre de phrases exprimant chacune des motivations, ce qui nous permet de représenter graphiquement le système de représentation. Il devient ainsi possible de comparer les agriculteurs ou les pratiques par la proportion de chacune des dimensions exprimées: arguments financiers ou techniques (fonctionnelle), historiques ou d'habitude (socioculturelle) ou encore esthétiques (symbolique).
140
C
- De
l'action...
aux types de déterminants
Préalable à ce second entretien et afin de mettre l'agriculteur en situation de décision, nous avons construit, à partir des mesures agri-environnementales du CTE, un répertoire des mesures éligibles sur notre zone d'étude et ayant un impact paysager. A l'aide de ce support, nous avons à nouveau enquêté les agriculteurs choisis, mais de façon plus directive, jouant le jeu du conseiller technique qui cherche à « vendre» son projet (<
La méthode utilisée pour les entretiens, que nous avons qualifiée d'agroethnologique, présente l'originalité de nous permettre de recueillir de la part de l'agriculteur, des arguments de différentes natures pour expliquer ses pratiques paysagères. L'identification, parmi ces arguments, de dix motivations majeures nous permet ensuite une comparaison des discours entre des agriculteurs sur un même objet ou une même pratique: ,font-ils toujours référence à des argulnents liés au telnps de travail pour la n'lise en œuvre de la taille des haies? Quelle est la place de l'esthétique dans cette n'lên1epratique? Au-delà d'une classification, encore à tester, des agriculteurs en fonction de leurs systèmes de représentation, il semble que cette méthode perlnette d'apporter des pistes de réflexion quant aux leviers utilisables pour l'action: 141
effectivement, lorsque nous observons que, pour une pratique donnée, la majorité des agriculteurs interrogés expriment une forte dimension culturelle ou symbolique, il convient de penser que quels que soient les arguments financiers ou techniques avancés pour l'incitation à contractualiser certaines mesures, la négociation sera difficile; mais, elle passera par une évolution des systèmes de représentation locaux. Un autre point à mentionner est l'acquisition de données précises quant aux systèmes. de décision mobilisés par les agriculteurs pour la mise en œuvre des pratiques paysagères. Celles-ci sont intéressantes pour le commencement d'une démarche de modélisation de ces systèmes de décisions en vue de simuler des évolutions possibles initiées par d'éventuelles politiques publiques futures.
CONCLUSION
Il apparaît dès maintenant que l'utilisation d'objets élémentaires du paysage comme support de discussion permet d'accéder au fonctionnement technicoéconomique de l'exploitation et d'aborder des dimensions non techniques rarement évoquées dans les approches classiques. En dissociant la description de faits tangibles (modification de l'aspect d'objets paysagers élémentaires sous l'effet d'actes techniques décrits précisélnent) de leur évaluation technico-économique (efficacité par rapport au système) et sensible (impact paysager, appréciation sociale sur la qualité du travail fait), on instaure un dialogue plus serein. Il est alors possible de reconstruire la chaîne des déterminants qui conditionne le fonctionnement de l'exploitation agricole, et permettrait de créer une ébauche de modèle fonctionnel. A terme, un tel modèle pourrait contribuer à la production d'éléments de dialogue autour de la mise en œuvre d'actions contractuelles adaptées aux contraintes et motivations des agriculteurs et ayant un impact paysager significatif. Références Bibliographiques (l)ALARD V., BERANGER C., JOURNET M., 2002. - A la recherche d'une agriculture durable, étude des systèlnes herbagers écononles en Bretagne, INRA, Paris, 340 p. (2)AMBROISE R., BONNAUD F., BRUNET-VINCK V., 2000. Agriculteurs et paysages, Dix exemples de projets de paysage en agriculture. Editions Educagri, Dijon, 207 p. (3)BONNEMAIREJ., 1988.- Diversité et fonctionnement des exploitations. ln : Pour une agriculture diversifiée. L'Harmattan, Paris, pp. 92-103.
142
(4)BONNEVIALE J.R., BROSSIER J., FERRIE H., FREMONT J.M., LE
GUEN R., MARSHALL E., SCHOST C., VINCQ J.L., 1998.
-
L'exploitation agricole, repères pratiques. Nathan, Paris, 156 p. (5)BREUIL J., JOLIVEAU T. , MICHELIN Y., VIGOUROUX L., 2002. Guide méthodologique pour une gestion concertée des paysages dans un projet de développement, Chambre d'Agriculture de Haute Vienne, CRENAM, ENITAC, 65 p. (6)BROSSIER J.,CHIA E., MARSHALL E., PETIT M., 1990. -Recherches en gestion: vers une théorie de la gestion de l'exploitation. ln : BROSSIER J., VISSAC B., LE MOIGNE J.L. Ed., Modélisation systémique et système agraire. Décision et organisation, Paris, INRA, p. 65-89. (7)CANDAU J., 1999. - Usage du concept d'espace public pour une lecture critique des processus de concertation, Le cas des OLAE en Aquitaine. Economie rurale, n0252, pp. 9 à 15. (8)CHIV A L, 1994. - Une politique pour le patrimoine culturel rural. Rapport du Ministère de la Culture, 141 p. (9)DEFFONTAINES J.P., 1998. - Du paysage comme moyen de connaissance de l'activité agricole à l'activité agricole comme moyen de production du paysage. In: Les sentiers d'un géoagronome. Editions Arguments, Paris, pp. 209-222. (10)GAUCHER S., 1995. - Savoirs, savoir-faire et technique d'entretien du paysage. Fédération des Parcs Naturels Régionaux, 217 p.
(11)GAUCHER S., 2001.
-
Des pratiques agricoles aux pratiques
paysagères. Aménagement et nature, n0141, pp. 55-65. (12)JOLIVEAU T., MICHELIN Y., 2001. - Modèle d'analyse et représentation pour la prospective paysagère concertée: deux exemples en zone rurale. ln : Représentations spatiales et développement territorial (Edit: S. Lardon, P. Maurel, V. Piveteau), Hermes, Paris, pp. 239-266. (13)LEBRUN V., 1979. - Une méthode d'étude du système de production au niveau du système de l'exploitation agricole. Fourrages, n079, pp. 3-35.
(14)LENCLUD G., 1995. - Etlmologie et paysage. ln : Paysage au pluriel pour une approche ethnologique du paysage. Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, Cahier 9, pp. 3-17. (15)MICHELIN Y., 1998. - Des appareils photo jetables au service d'un projet de développement: représentations paysagères et stratégies des acteurs locaux de la Montagne Thiernoise. Cybergéo.
(16)MICHELIN Y., GAUCHER S., 2000. - Gérer le paysage, joindre le geste à la parole. Vives campagnes, Autrement, n° 194, pp. 135-162. (17)MICHELIN Y., 2001. - Le paysage, un levier du développement local. ln : Territoires et acteurs du développement local, de nouveaux lieux pour la démocratie. (Edit. : J.P. Deffontaines et J.P. Prodhomme), Editions de l'Aube, Latour d'Aigues, pp. 119-132. 143
(18)OSTY P.L., LARDON S., de SAINTE-MARIE C., 1998. - Comment
analyser les transformations de l'activité productrice des agriculteurs? Propositions à partir des systèmes techniques de production. Etudes et Recherches sur le Système Agraire et le Développement, n031, pp. 397-413.
(19)TIREL J.C., 1988. - De l'infinie diversité des exploitations agricoles et de quelques facteurs qui la produisent. ln Pour une agriculture diversifiée. L'Harmattan, Paris, pp. 117-123.
144
Comprendre l'organisation spatiale des exploitations et des territoires: une recherche/formation Sylvie LARDON!, Mathieu CAPITAINE2,Mikaël NAÏTLH03, Pierre-Louis OSTy4, Vincent PIVETEAU5
Résumé La conception des projets de gestion dans une perspective de développement durable de territoires renouvelle les questions d'organisation spatiale. Comment transformer des propositions de chercheur en outils d'accompagnement du changement qui soient plus facilement appropriés par les acteurs de terrain? Pour tenter d'y répondre, nous combinons recherche et formation. Avec des enseignants de lycée agricole, nous testons une méthode d'approche spatiale de l'exploitation agricole. Elle identifie les pratiques d'organisation spatiale pour envisager leur adaptation aux changements du contexte socio-économique et environnemental. Avec des élèves-ingénieurs, nous testons une méthode d'approche spatiale du diagnostic de territoire. Elle articule une gamme d'outils pour aider les acteurs concernés à élaborer des projets de territoire. Le passage par la formation contribue à rendre plus opérationnelles nos méthodes d'approche de l'organisation spatiale et à identifier des niveaux trop peu investis par la recherche. La question de l'intégration territoriale des activités agricoles doit inciter à établir des passerelles entre recherche et formation et à rechercher des complémentarités entre compétences disciplinaires.
Mots-clés: activités agricoles - pratiques d'organisation diagnostic de territoire - fonnation - tTIodélisation spatiale méthodologie
-
Abstract: Combining research and training for a better understanding of spatial organisation at both levels of farms and territories Helping the stakeholders to design land management projects in the perspective of sustainable development is an objective that renews issues of 1 ENGREF & INRA-SAD Clennont-Fenand 2 INRA-SAD Mirecou11 3 CEP Florac & IFCA Guyancourt 4 INRA-SAD Toulouse 5 ENGREF Clennont-Fenand
spatial organisation. At both levels of farms and small territories, we call upon agronomy to account for farming practices, and geography to bring out land organisation principles. More precisely, how can proposals from research work be converted into tools easily appropriated by grass-roots actors and suited to following change? Our answer is to implement and test a combination of research and training. The first test involves teachers of technical colleges into a method of spatial approach at the farm level. This method focuses on land organisation practices in livestock farming, in the prospect of their adaptation to changing environmental and socio-economic contexts. The second test involves students in rural engineering into a method of spatial diagnosis at the level of small rural territories. This method articulates a range of tools supporting stakeholders in the design of land management projects: maps, photo-interpretation, visual appraisal, enquiryetc. These tests give evidence that our methods of studying spatial organisation gain suitability through formation situations. They also highlight gaps in the levels investigated by researchers. Spatial integration of farming activities is an issue that calls for better linkages between research and training activities, and more complementary academic skills. ](ey-words : farm activities - organisation practices - land diagnosis training - spatial modelling - methodology Ces dernières années ont été marquées par des évolutions rapides et nombreuses des territoires ruraux et des activités qui s'y déroulent. Corrélativement, le cadre réglementaire français et européen évolue continuellement. Ces dynamiques interpellent la recherche agronomique. Comment aborder l'insertion des activités agricoles dans les territoires et leurs relations avec les autres activités rurales? Quels sont les niveaux à considérer pour étudier les fonctions environnementales, paysagères et sociales de l'agriculture? Les chercheurs créent des outils pour comprendre les changements qui s'opèrent. Ils souhaitent aider les acteurs des territoires ruraux - agriculteurs, agents de développement, élus, résidents... - à appréhender les évolutions de leur contexte et à construire des projets de développement. Mais comment transformer des propositions de recherche en outils pertinents pour le développement? Notre pari est de nous appuyer sur la formation. Nous avons, depuis plusieurs années, établi des partenariats entre chercheurs et
146
fonnateurs pour initier des situations d'expérimentation sur l'organisation spatiale des activités agricoles. Ces situations sont variées du point de vue du public visé, des organismes fonnateurs impliqués et du contexte géographique. Nous présentons ici deux méthodes, l'une sur l'organisation spatiale des exploitations agricoles, l'autre sur la différenciation des territoires. L'évaluation de ces expériences de recherche-fonnation suggère des façons d'améliorer la contribution des méthodes proposées aux problématiques de développement territorial. 1. Des propositions dispositifs de formation
méthodologiques
à expérimenter
dans des
Une proposition méthodologique peut expliciter des enjeux de développement des territoires, sans être pour autant appropriée par les acteurs de terrain. L'entrée par les territoires implique un regard nouveau sur les activités agricoles. Il faut donc accepter de reconstruire nos approches pour que les acteurs se les approprient plus facilement. Pour progresser en ce sens, nous avons choisi d'expérimenter nos propositions en situation de fonnation pour des publics engagés dans l'action: fonnateurs et acteurs ou futurs acteurs du développement. Nos propositions méthodologiques sont centrées sur l'activité agricole inscrite dans des territoires et en interaction avec d'autres activités. Dans la ligne de J.-P. Deffontaines et de F. Papy notamment, elles mobilisent l'agronomie des façons de produire (8) et considèrent l'exploitation agricole à la croisée de territoires de gestion (33). En effet, les organisations qui concourent aux opérations culturales, à l'approvisiolmement, à la collecte des produits, etc. insèrent l'exploitation agricole dans des espaces d'action diversifiés et évolutifs (33, 24, 32). Les logiques en cause, nécessairement articulées à plusieurs niveaux, nécessitent de conlbiner approches spatiale et fonctionnelle (10). Les fonctions paysagères et environnementales des activités agricoles sont aussi à prendre en compte (37). Pour structurer, au plus près des acteurs, les activités agricoles dans leurs dimensions spatiales, nous posons qu'elles constituent des réponses concrètes à des problèmes de gestion qu'il s'agit de formaliser (29). Le fonctionnement d'une exploitation satisfait à des exigences de cohérence fonctionnelle, constitutives du système technique de production. Son adaptation aux changements de contexte implique une cohérence stratégique qui est en cause dans un remodelage foncier, un contrat agrienvironnemental, une diversification des activités, la qualification d'un produit... (31). Les changements en rapport avec l'espace impliquent une gamme de composantes techniques à prendre en compte (16). Ainsi, logique 147
de fonctionnement, approche spatiale et articulation à plusieurs nIveaux constituent le cœur de nos approches. Pour aborder la complexité des organisations selon différents points de vue et à différents niveaux (11), les outils que nous construisons sont basés sur la méthode des modèles selon J.-M. Legay (21). Appliqués à des systèmes spatiaux, ils servent à identifier les principes organisateurs de l'espace, selon une grille de modèles élémentaires proposés par le géographe R. Brunet (3). En sont issus des modèles graphiques qui rendent compte d'observations ou d'interprétations et qui servent à générer des hypothèses et à les valider. Nous avons adapté ces outils de modélisation aux problématiques agronomiques (9). Ils s'avèrent peliinents pour rendre compte des organisations spatiales agricoles (2, 5). C'est sur ces bases que nous proposons deux méthodes d'approche des organisations spatiales, l'une au niveau des exploitations et l'autre au niveau de territoires de l'intercommunalité, dans des dispositifs articulant recherche et formation. Les sessions de formation doivent satisfaire à trois exigences (i) celle de répondre à une vraie question portée par des acteurs du développement territorial (ii) celle d'être concentrée dans le temps, avec une obligation de résultat (iii) celle de transmettre un savoir-faire reproductible et transposable en des situations variées.
2.
Méthode d'approche
spatiale de l'exploitation
agricole
En ce qui concerne l'organisation spatiale des exploitations agricoles, l'opérationnalisation de la méthode est bien engagée, grâce à des relations soutenues entre les équipes de chercheurs et de formateurs. Le passage de la recherche à la formation s'est effectué par étapes successives, sur une période de dix années. Nous' nous sommes d'abord intéressés à la qualité de l'organisation spatiale des systèmes techniques à trois niveaux, celui des pratiques d'un éleveur au cours d'une campagne, celui des stratégies d'affectation et d'aménagement des exploitations et celui des interactions entre les acteurs présents en un site de résidence (30). Le contexte était celui d'une région d'élevage extensif de montagne - le Causse Méjan, en Lozère -, dont nous étudiions la transformation (15). Puis nous avons concrétisé une méthode ciblée sur l'organisation spatiale des exploitations d'élevage (26). Cette organisation est abordée par sa structure spatiale, les pratiques d'utilisation en cours de la campagne et les pratiques de configuration au cours des années précédentes. Elle est modélisée à l'aide de modèles graphiques qui permettent d'extraire et de représenter les principes organisateurs de l'espace (27). 148
En même temps, nous avons travaillé à rendre la méthode plus opérationnelle au moyen de partenariats avec des acteurs du développement (Chambre d'Agriculture, Centre d'Économie Rurale de Lozère, Parc national des Cévennes) et notamment des formateurs du Centre d'Expérimentation Pédagogique6 de Florac avec lesquels nous avons des relations suivies. C'est avec eux que s'est concrétisé un objectif commun: transposer notre méthode de chercheurs en situation pédagogique. En 2001 ,nous avons produit une plaquette de présentation de la méthode à destination des enseignants de niveaux Bac Pro et BTS-ACSE en lycées agricoles, et réalisé une première série de tests avec des enseignants de cinq établissements d'enseignement agricole (28). Destinée à compléter l'approche globale de l'exploitation agricole, suivant notamment E. Marshall et al. (22), la méthode s'insère dans un cadre pluridisciplinaire. Elle comporte quatre modules de collecte d'informations (historique des activités, parcellaire d'usage, systèmes de culture et calendrier d'allotement) et quatre modules de constitution de représentations spatiales (structure, utilisation et configuration du territoire, enjeux). Selon le niveau des élèves, le temps imparti pour l'exercice et les champs disciplinaires des enseignants impliqués, les différents modules sont simplifiés ou étoffés. Par exemple, l'utilisation des supports cartographiques et le report des parcelles d'usage du cadastre sur la photographie aérienne ou sur la carte IGN peuvent être réalisés en amont avec l'enseignant de géographie. L'analyse du système de culture et la constitution du calendrier d'allotement peuvent être intégrés dans les modules d'étude du système fourrager. Les enseignants partenaires ont testé la méthode sur les exploitations des lycées agricoles. Ils ont su également diversifier les tests en intéressant des agriculteurs à une réflexion sur l'organisation de leur territoire, qu'il s'agisse d'exploitations d'élevage ovin ou bovin laitier ou allaitant, et même des exploitations combinant plusieurs ateliers. Le partenariat entre chercheurs et enseignants a fait évoluer la méthode et l'a rendue plus modulaire, afin de s'adapter à la variété des niveaux des élèves. Les allers-retours ont permis d'expliciter et de formaliser les modalités pratiques de mise en œuvre, ce qui facilite l'appropriation de la méthode.
6
Etablisselnent du Ministère la gestion de l'environnelnent,
de l'Agriculture, chargé principalelnent des paysages et des tenitoires.
149
de lnettre au point des fonnations
à
3.
Méthode d'approche
spatiale du diagnostic de territoire
Notre proposition vient en appui à des opérations de diagnostic au niveau de territoires tels que ceux de l'intercommunalité. Ces opérations sont de plus en plus courantes, en rapport avec la lllodification progressive du statut des Etablissements Publics de Coopération Intercolllmunale et l'augmentation du transfert de compétences et de moyens en leur faveur. Par diagnostic de territoire, nous entendons toute la phase de réflexion et de mobilisation des acteurs qui précède la mise en œuvre d'un plan d'action pour le territoire (36). Dans cette acception large, le diagnostic comporte quatre phases: l'état des lieux proprement dit, le repérage des enjeux qui affectent le territoire, leur hiérarchisation et la formulation de propositions d'actions. Le diagnostic de territoire s'inscrit dans un contexte institutionnel qui cadre les actions possibles. Il s'appuie sur la mobilisation d'informations disponibles pour produire des documents supports d'actions, mais il repose également sur des méthodes d'activation des acteurs concernés. Son objectif est double: instruire un jugement sur la cohérence du territoire et du système d'acteurs et .initier un changement, en mobilisant les acteurs autour d'un projet. Nous avons proposé un itinéraire méthodologique applicable à des territoires variés, de la commune à la région, et qui mobilise différents outils créés par la recherche. Ces outils peuvent être regroupés en quatre séries. - Les outils d'analyse spatiale, tels que l'analyse de cartes (1) et la photointerprétation (23), mettent en évidence les principales structures du territoire, les partitions, les dessertes. .. Ils permettent une hiérarchisation des lieux et une première différenciation des zones. La comparaison à plusieurs dates identifie des transformations telles que la création de nouvelles infrastructures, la modification des pôles ou des axes, l'extension des aires. - Les outils de valorisation de données statistiques, produisant notamment des cartes (18) et des typologies (34), complètent la caractérisation du territoire. Ils en fournissent également une vision dynalllique si les informations diachroniques sont disponibles. - Les outils basés sur des approches visuelles, tels que la lecture de paysage et l'analyse de photographies (7, 14, 25), permettent une approche plus réaliste mais plus locale. Les processus en cours dans le territoire sont mis en évidence à partir de leurs traces visibles: n1itage urbain, restructurations foncières, extension de friches ou réouverture des milieux. . . Les transects paysagers donnent une vision d'ensemble probante, à condition de l'ancrer sur des éléments structurants du territoire.
150
- La dernière série d'outils mobilise les intervenants du territoire; elle s'appuie sur la cartographie à dire d'acteurs (6). Soit les acteurs sont enquêtés en tant que participants à la vie du territoire (habitants, commerçants, etc.) et c'est le rapprochement de leurs points de vue qui fait la richesse de l'analyse. Soit les acteurs enquêtés (techniciens, personnes extérieures au territoire...) le sont pour leur expertise sur le territoire ou sur un thème particulier (agriculture, tourisme, industrie, etc.). Ces apports actualisent et modulent l'information plus «froide» apportée par les données statistiques. Le caractère innovant de cet itinéraire est d'utiliser l'approche spatiale comme fil directeur, pour relier l'ensemble des outils mobilisés (19). Chaque étape de l'itinéraire est suivie d'une phase de modélisation qui recherche les faits organisateurs de l'espace, synthétise au fur et à mesure les informations collectées et fait ressortir les enjeux et les modalités d'actions possibles. L'élaboration des représentations graphiques conduit aussi à faire le point sur les hypothèses élaborées, à les évaluer et au besoin à les modifier; de nouvelles questions peuvent aussi émerger, elles seront alors prises en charge dans les étapes suivantes. La restitution aux acteurs permet à la fois de valider l'identification des forces qui animent le territoire et de valoriser les idées qui ont émergé et que les acteurs peuvent s'approprier. Cette étape est très importante, car elle finalise le diagnostic et l'inscrit dans un processus plus large de conception de projet de territoire. Nous avons testé cet itinéraire méthodologique auprès de deux types de public, d'une part des élèves-ingénieurs de l'ENGREF7 et de l'ENSAIA8, d'autre part des professionnels agricoles avec l'IFOCAP9. Ces deux publics diffèrent par leur capacité d'investissement et de prise de recul. Confrontés aux problèmes de terrain mais peu habitués aux approches proposées, les professionnels sont demandeurs d'appui méthodologique. Les étudiants sont plus critiques sur les méthodes et contribuent à les enrichir progressivement, au fur et à mesure des expériences menées. La formation pour l'IFOCAP répondait à la demande d'une structure intercommunale de Seine-et-Marne, le pays de Bassée-Montois. Il s'agissait de déterminer ce que le pays pouvait apporter comme opportunités à la création de nouvelles activités pour les agriculteurs. Le diagnostic a donné aux participants une vision globale du pays et de la complémentarité entre patrimoine touristique et agriculture diversifiée; il a étoffé le sentiment d'appartenance à un territoire dont l'identité peut s'affirmer face à la forte attraction parisienne qui tend à en faire un territoire sous dépendance. 7 Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts 8 Ecole Nationale Supérieure d'Agronolnie et des Industries 9 Institut de Fonnation des Cadres Paysans (Draveil).
151
Alitnentaires
(Nancy).
L'expérience a montré que la démarche pouvait effectivement mettre en mouvement les acteurs concernés. A l'ENSAIA, le test a pris place dans les enseignements de la spécialisation «Agricultures et milieu rural », une formation axée sur une approche globale des activités agricoles et sur la maîtrise des processus locaux de développement. Le diagnostic de territoire est appliqué à la question du rôle potentiel de l'agriculture dans le développement de territoires ruraux du Nord-Est de la France. La prelnière année, les étudiants ont examiné en termes de dynamiques de développement, la pertinence d'un territoire constitué par les communes de résidence des adhérents d'une fruitière de Haute Saône qui développait un projet de Contrat Territorial d'Exploitation collectif et dont les adhérents souhaitaient préciser les arguments et les modalités de leur engagement (4). La seconde année, un syndicat intercommunal de développement souhaitait évaluer la contribution des projets agricoles au développement de son territoire, en cohérence avec son identité propre. A l'ENGREF, le dispositif est testé dans le cadre de la voie d'approfondissement et du mastère spécialisé «Développement local et aménagement des territoires ». Les premières années, nous avons mis au point la démarche sur les enjeux agricoles, forestiers et touristiques de la chaîne des Puys. Le diagnostic a mis en évidence le manque d'articulation entre la gestion des espaces naturels et les dynamiques urbaines, résidentielles ou de loisirs, ainsi que l'absence d'acteur légitime pour la mise en cohérence du territoire. En 2002, la DRAF Auvergne nous a interrogés sur ce que les espaces ruraux, dans leurs dynamiques agricoles, forestières et touristiques, ont à gagner ou à perdre à la constitution des pays. A partir d'analyses de cartes et de statistiques et d'interrogation d'acteurs régionaux, les étudiants ont construit des scénarios de découpage des pays et évalué leur implication pour les dynamiques agricoles, forestières et touristiques. Nous avons mis en évidence des modèles d'organisation des pays différenciés: multipolarité urbaine, complélnentarité de zones rurales, sites à enjeux patrimoniaux... Les idées de pluralité de modèles possibles, de jeu sur les hétérogénéités et d'existence de zones charnières, qui ont émergé de l'analyse, ont été reprises par les acteurs lors de la restitution. La succession des sessions de formation permet d'améliorer l'itinéraire proposé. Chaque session est l'occasion d'identifier et de confirmer les étapes clés du processus. Ainsi, l'implication des acteurs locaux dans l'itinéraire est essentielle. Le recours à la cartographie à dires d'acteurs enrichit considérablement le diagnostic et, par l'effet Iniroir, favorise l'appropriation des résultats par les acteurs et l'évolution de leurs points de vue sur le territoire. L '.enregistrement et le suivi des acquisitions et des conclusions intermédiaires aident à évaluer le rôle de chaque étape dans l'élaboration du diagnostic. C'est un moyen efficace pour améliorer la mise en œuvre d'un 152
raisonnement spatial à l'échelle de territoires intercommunaux et identifier les apprentissages nécessaires (35). 4. La formation,
intermédiaire
entre la recherche et l'action
Nous pouvons tirer quelques enseignements de ces expériences. Elles sont prometteuses, mais complexes à mettre en œuvre et à évaluer. Mettre la formation comme intermédiaire entre la recherche et le développement, c'est nécessairement mettre à l'épreuve toutes les parties prenantes. Les enjeux sont réels, les bonnes volontés et les compétences existent. Mais il faut créer les conditions d'interface. A cet égard, soulignons le temps qu'il faut à la recherche pour élaborer ses concepts et ses outils et pour les ajuster à leurs destinataires. La mise à l'épreuve dans une formation conduit à des méthodes plus opérationnelles, tout en facilitant l'exercice, car le public est plus réceptif à de nouveaux apprentissages. Il reste d'une part à les adapter à des situations réelles de terrain, retour que nous n'avons pas encore de la part de responsables professionnels agricoles ou des collectivités territoriales, et d'autre part à savoir si les publics ayant pratiqué les méthodes en situation de formation pourront les réinvestir en situation de gestionnaires de l'espace, que ce soit au niveau d'une exploitation agricole, d'une localité ou d'un territoire. Pour les chercheurs, les expériences d'articulation forte avec la forlnation ont été bénéfiques. Il est enrichissant d'entrer au cœur des enjeux de développement territorial. Il est important de repérer des lacunes: y cOlnpris au niveau de l'exploitation agricole, les questions spatiales sont peu référencées. Il est gratifiant que la médiation par la formation favorise l'acceptation d'idées nouvelles et aide à comprendre les apprentissages. Les démarches s'affinent, tant pour traiter des informations que pour mobiliser des acteurs. Elles se rapprochent ainsi des principes de la rechercheintervention au sens de A. Hatchuel (13), où le chercheur implique l'élaboration de connaissances dans des dispositifs de décision et d'action. La mise à l'épreuve des concepts et des outils de la modélisation spatiale pour le développement territorial engage un dispositif spécifique (17). Elle s'appuie sur une triple articulation: articulation entre les disciplines agronomie et géographie, articulation entre niveaux d'organisation, articulation entre chercheurs et formateurs interagissant avec les acteurs du développement territorial. Les représentations spatiales créées apparaissent comme des objets intermédiaires, au sens de D. Vinck, dans un processus de conception collective (38). Elles contribuent à la fécondation croisée de l'agronomie et de la géographie pour appréhender l'organisation spatiale des
153
activités agricoles aux différents niveaux d'organisation pertinents. Ces enjeux doivent inciter à établir des passerelles entre recherche et formation et à rechercher des complémentarités entre compétences disciplinaires.
Références
bibliographiques
1. BENOIT M., BROSSIER J., DEFFONTAINES J.-P., MAIGROT J.L., MARSHALL E., MOISAN H., MORARDET S., 1989. Etudier une agriculture locale. Des méthodes pour le développement. Une application au cas d'un village lorrain. INRA-SAD Versailles-Dijon-Mirecourt, document de travail, 107 p. 2. BONIN M., 2001. Nouvelles fonctions de l'agriculture et dynamiques des exploitations. Une analyse chorématique dans les Monts d'Ardèche. Mappemonde 62 : 11-16. 3. BRUNET R., 1986. La carte-modèle et les chorèmes. Mappelnonde 86/4 : 3-6. 4. CAPITAINE M., MIGNOLET C., BENOIT M., 2001. Enseignen1ent ENSAIA : module Approche du milieu rural et de ses agricultures. INRASAD Station de Mirecourt, document de travail6, 89 p. 5. CARON P., 2001a. Modélisation graphique et chorèmes : la gestion des parcours collectifs à Massaroca (Brésil du Nordeste). Mappe1110nde62 : 17-21. 6. CARON P., 2001b. Zonages à dires d'acteurs: des représentations spatiales pour comprendre, formaliser et décider. Le cas de Juazeiro au Brésil. In: S. Lardon, P. Maurel & V. Piveteau (éd.). Représentations spatiales et développe111entterritorial. Paris, Editions Hermès, Chap. 18, pp. 343-357. 7. DEFFONTAINES J.-P., 1986. Un point de vue d'agronome sur le paysage. Une méthode d'analyse du paysage pour l'étude de l'activité agricole. ln : Lectures du paysage. Paris, Foucher, pp. 33-52. 8. DEFFONTAINES J. P., 2001. Introduction. Une agronomie en
questionnement (Les entretiens du Pradel, 1e éd. Autour d'Olivier de Serres:
Pratiques agricoles et pensées agronomiques). C. R. Acad. Agric. Fr. 20014 : 115-119. "9. DEFFONTAINES J.-P., CHEYLAN J.-P., LARDON S. (éd.), 1990. Gestion de l'espace rural, des pratiques aux modèles. Mappelnonde, 4, 48 p.
154
10. DUVERNOY I., LARDON S., ALBALADEJO C., BENOIT M., LANGLET A., MUHAR M.-C., TRIBOULET P., 1994. Approche spatiale et fonctionnelle des relations entre activités agricoles et territoires. Construction d'une méthode de diagnostic. ln : Recherches-système en agriculture et développen1ent rural (Sympos. Internat., Montpellier, 1994/11/21-25), Montpellier, ClRAD-SAR, pp. 230-235. Il. GODARD O. & LEGAY J.-M., 1992. Entre disciplines et réalités, l'artifice des systèmes. ln : M. Jollivet (dir.) Sciences de la nature, sciences de la société. Les passeurs defrontières. Paris, CNRS Editions, pp. 243-257. 12. GRAS R., BENOIT M., DEFFONTAINES J.-P., DURU M., LAFARGE M., LANG LET A., OSTY P.-L., 1989. Le fait technique en agronolnie : activité agricole, concepts et méthodes d'étude. Paris, L'Harmattan & INRA, 184 p. 13. HATCHUEL A., 2000. Recherche, intervention et production des connaissances. In: Recherches pour et sur le développenlent territorial (Symposium INRA-DADP, Montpellier, 11-12 Janvier 2000). Paris, INRA, T. II - Conférences et débats, pp. 27-40. 14. JOLIVEAU T., MICHELIN Y., 2001. Modèles d'analyse et de représentation pour la prospective paysagère concertée: deux exemples en zone rurale. ln : S. Lardon, P. Maurel & V. Piveteau (éd.). Représentations spatiales et développement territorial. Paris, Editions Hermès, Chap. 13, pp. 239- 266. 15. LARDON S., LHUILLIER C., OSTY P.-L., TRIBOULET P., 1996. Elevage et éleveurs du Causse Méjan (Lozère). Production ovine et dynamiques de mise en valeur de l'espace. Les Cahiers d'Economie Méridionale 21 (Rural 96. Les recompositions de l'espace rural II) : 25-64 16.. LARDON S., DEFFONTAINES J.-P., OSTY P.-L., 2001. Pour une agronomie du territoire: prendre en compte l'espace pour accompagner le changement technique (Les entretiens du Pradel, le éd. Autour d'Olivier de Serres: Pratiques agricoles et pensées agronomiques). C. R. Acad. Agric. Fr. 2001-4 : 187-198. 17. LARDON S., MAUREL P., PIVETEAU V. (éd.), 2001. Représentations spatiales et développenlent territorial. Paris, Éditions Hermès, 437 p. 18. LARDON S., MILLIER C. (dir.), 2001. Cartographie statistique et graphes de relations. Géomatique 11(2), 149-293. 19. LARDON S., BRAU F., MAUREL P., PIVETEAU V., 2002. Elaborer un itinéraire méthodologique pour interagir autour des représentations spatiales. Le cas d'une formation au diagnostic de territoire. ln : Journées de la recherche CASSINI (Brest, 19-20 Septen1bre 2002). 20. LE BAIL M., 2000. Evaluer la qualité des céréales de la parcelle au bassin d'approvisionnement. Itinéraires techniques et maîtrise du taux de protéines. FaçSADe, 8. 155
21. LEGAY J.-M., 1986. Méthodes et modèles dans l'étude des systèmes complexes. Cahiers de la recherche développe111ent,Il : 1-6. 22. MARSHALL E., BONNEVIALE J.-R. & FRANCFORT I., 1994. Fonctionnement et diagnostic global de l'exploitation agricole. Une ,néthode interdisciplinaire pour la formation et le développe111ent.Dijon, ENESADSED, 174 p. 23. MAUREL P., MOITY-MAÏZI P., 2001. Télédétection et carte sociofoncière dans des projets participatifs en Afrique. ln : S. Lardon, P. Maurel, & V. Piveteau (éd.). Représentations spatiales et développe111entterritorial. Paris, Editions Hermès, Chap.16, pp. 301. 317. 24. MAXIME F., MOLLET J.-M., PAPY F., 1995. Aide au raisonnement de l'assolement en grande culture. Cahiers Agricultures, 4 : 351-362. 25. MEJEAN P., VIGNON B. & BENOIT M., 1996. Etude des critères d'appréciation des acteurs du paysage dans trois espaces agricoles lorrains. L'Espace géographique, 3 : 245-256. 26. NAÏTLHO, M., 1997. Etre éleveur, c'est aussi organiser son territoire. En quoi et C0111111ent ? Mémoire DAA agro-environnetuent, option : Gestion de l'espace rural et environnement. ENSA Montpellier. 47 p. + annexes. 27. NAÏTLHO M., LARDON S. 2000. Representing spatial organisation in extensive livestock farming. In : Integrating Ani111alScience Advances into the Search of Sustainability (5th Inter. Livestock Farming Systems Symposium, Posieux (Fribourg), Switzerland, 19-20 August 1999). Wageningen Pers (EAAP Publication n° 97), pp. 187-190. 28. NAÏTLHO M, YOTTE M, LARDON S., 2001. Méthode d'approche spatialisée de l'exploitation agricole. Florac, Centre d'Expérimentation Pédagogique & INRA. Doc. pédagogique 21 p. + annexes. 29. OSTY P.-L., LANDAIS E., 1994. Functioning of pastoral farming systems. ln : J. Brossier, L. de Bonneval & É. Landais (eds) Systelns studies in agriculture and rural development. Paris, INRA (Science Update), pp. 201-213. 30. OSTY P.-L., LARDON S.., LHUILLIER C., 1994. Systèmes techniques et gestion de l'espace: Quelle qualité de l'organisation spatiale? Les élevages ovins du Causse-Méjan (Lozère). Etud. Rech. Syst. Agraires Dév. 28 : 211-218. 31. OSTY P.-L., LARDON S., DE SAINTE-MARIE C., 1998. Comment analyser les transformations de l'activité productive des agriculteurs: propositions à partir des systèmes techniques de production. Etud. Rech. Syst. Agraires Dév. 31 : 397-413. 32. PAPY F., 1999. Agriculture et organisation du territoire par les exploitations agricoles: enjeux, concepts, questions de recherche. C.R. Acad. Fr., 85, 7 : 233-244. 156
33. PAPY F., 2001. Pour une théorie du ménage des champs:
l'agronomie des territoires. (Les entretiens du Pradel, 1e éd. Autour d'Olivier de Serres: Pratiques agricoles et pensées agronomiques) C. R. Acad. Agric. Fr. 2001-4 : 139-149. 34. PERROT C., PIERRET P., LANDAIS E., 1995. L'analyse des trajectoires des exploitations agricoles. Une méthode pour actualiser les modèles typologiques et étudier l'évolution de l'agriculture locale. EconOlnie rurale, 228 : 35-47. 35. PIVETEAU V., LARDON S., 2001. Les représentations spatiales à l'épreuve de l'évaluation. ln : 1110Journées françaises de l'évaluation (Issy les Moulineaux, 14-15 Juin 2001. Atelier 15. Les échelles territoriales de l'évaluation: questions de méthodologies), 13 p. 36. PIVETEAU V., LARDON S., 2002. Utiliser les chorèmes pour raisonner spatialement dans les diagnostics de territoire. Une expérience de formation. Mappemonde 2002/4 : 1-5. 37. THINON P. & DEFFONTAINES J.-P., 1990. Partage de l'espace rural pour la gestion de problèmes environnementaux et paysagers dans le Vexin français. Cahiers Agricultures, 8 : 373-87. 38. VINCK D. (dir), 1999. Ingénieurs au quotidien. Ethnographie de l'activité de conception et d'innovation. Grenoble, PUG, 232 p.
157
Territoire:
des concepts et des méthodes
Il n y a pas un territoire des géographes, un territoire des écologues et un territoire des agrononles, nlais un territoire à propos duquel chaque discipline développe un corpus (le concepts et de nléthodes qui lui est propre. Et une information réciproque doit se développer.
Entre forme et sens: le territoire comme objet géographique Hervé GUMUSCHIAN
1
Résumé Au cours des 20 dernières années, le territoire a acquis progressivement le statut d'objet géographique dans la discipline. Sous l'influence des autres sciences sociales, il est passé de la situation de descripteur du maillage territorial (au sens juridico-administratif), au statut de concept opératoire rendant compte de la complexité" de la réalité". Ce concept de territoire renvoie tout autant aux aspects formels (distribution dans l'espace de matérialités naturelles et construites, découpages politiques, juridiques et administratifs) qu'aux aspects liés au sens de ces formes: idéologies spatiales, représentations, systèmes de valeurs. Ainsi défini, le concept de territoire exige de prendre en compte, de manière privilégiée l'acteur. Il semble même utile de recourir à la notion "d'acteur territorialisé" pour décrypter les diverses modalités d'émergence ou de disparition des territoires, les divers processus de dé-composition et de recomposition des territoires. Demeure posée la question de la pertinence de l'échelle retenue lorsque l'on parle de territoire. Serait-il opérant uniquement à une échelle méso ou est-il à même de rendre compte de tous les processus observables à chacune des échelles, du micro au macro? Abstract During 20 last years, the territory gradually acquired the geographical statute of object in the discipline. Under the influence of other social sciences, it passed from the situation of descriptor of the territorial grid territorial (with the juridical-administrative direction), with the statute of concept operational accounting for the complexity" of reality". This concept of territory returns as much to the formal aspects (distribution in the space of natural and built materialities, political, legal and administrative cuttings) that with the dependent aspects within the meaning of these forms: space ideologies, representations, systems of values. Thus defined, the concept of territory requires to take into account, in privilegied manner, the actor. It seems even useful to resort to the concept "of actor territorialized" to decipher the various methods of emergence or
1
Professeur
de Géographie,
CERMOSEM,
Université
Joseph Fourier Grenoble
1
disappearance of the territories, the various processes of decomposition and of recombining of the territories. Remain posed the question of the relevance of the scale selected when one speaks about territory. Would it be operating only on one scale "méso" or is it capable to return account of all the observable processes to each scale, of the microphone to macro?
Il en est des mots comme des idées: des effets de mode ou d'actualité les portent au point que des consensus nous les entourent. On pourrait retenir comme exemples particulièrement illustres des termes comme développement durable, bio-diversité, gouvernance.. .ou encore territoire. Il s'agit là de "mots-valises", comme l'a souligné Georges Bertrand. .
Ces consensus apparents dans la mobilisation et l'utilisation de ces termes
cachent, de fait, des divergences majeures quant aux définitions retenues par chacun. C'est une exigence minimale pour un scientifique que de décrypter ces consensus apparents et de s'efforcer de fournir des définitions explicites, les plus transparentes possible... et ainsi susceptibles d'être soumises à une critique. Concernant le terme de territoire, il s'agit d'un exercice tout particulièrement délicat et donc exigeant. 1 - la lente émergence du territoire en géographie2 Il peut apparaître d'évidence que les géographes aient abondamment recours à la notion de territoire en 2002, tant le mot désigne un objet de pensée et un référent concret occupant une position centrale dans l'idée que l'on se fait de la discipline. Pourtant, durant de longues décennies, le territoire a eu un statut très marginal dans le vocabulaire des géographes: tout au long du XIXe siècle puis du XXe jusqu'aux années 1970, il était uniquement associé à une conception politique ou juridique de la maîtrise de l'espace terrestre. On notera, qui plus est, pour la géographie francophone de cette longue période, que la dimension politique du terme ne fut que peu travaillée contrairement à ce qui se déroula en Allemagne autour de Ratzel et de l'école de géographie politique. Un signe parmi d'autres afin de montrer ce peu d'enthousiasme: le principal auteur qui, au milieu du XXèmesiècle, eut une production significative sur la question de la territorialité étatique, à savoir Jean Gottmann, réalisa l'essentiel de sa carrière aux Etats-Unis et ne sera redécouvert par les auteurs francophones que bien plus tard. C'est ailleurs que, peu à peu, se forgent les mots clés de la discipline. Trois d'entre eux peuvent être aisément reconnus, qui permettent de rendre compte de l'évolution, sur le long terme, de la géographie:
2 Ce prelnier paragraphe
doit beaucoup
à Bel11ard DEBARBIEUX, 162
(texte diffusé en interne en 2002).
le milieu qui rendra possible une problématisation notamment dans le champ de la géographie naturaliste depuis Alexandre de Humbolt, privilégiant le rôle des interactions localisées dans la distribution spatiale des phénomènes; la région, terme fétiche de la géographie des deux premiers tiers du XXèmesiècle, qui permet de rendre compte d'une entité spatiale singulière née d'une intime combinaison entre faits de nature et faits de société; l'espace, à partir des années 1960 aux Etats-Unis et 1970 en France, va servir d'étendard à une géographie qui se veut théorique et qui revendique un statut scientifique calqué sur le modèle des mathématiques et des sciences exactes. Ce paradigme qui implique de reconnaître des lois sinon des régularités sera durablement désigné sous l'appellation d'analyse spatiale. Il constitue l'un des acquis centraux de la géographie des trente dernières années. Parallèlement, mais avec un décalage dans le telnps de l'ordre d'une petite dizaine d'années (au cours de la décennie 1970-1980), s'effectue la montée en puissance progressive du territoire dans le vocabulaire géographique. Ce terme va être investi au-delà de ses acceptions initiales issues des sciences politiques et juridiques ainsi que de l'éthologie. Cela correspond, d'une part à un réveil de la géographie politique (Yves Lacoste), d'autre part à l'affirmation d'une géographie sociale multiforme certes mais attentive aux phénomènes (et parfois aux processus) de différenciation, de domination, d'appropriation sociale, soucieuse de retenir la double dimension idéelle et matérielle; c'est à partir de 1985 que le concept de représentation spatiale s'inscrit définitivement dans l'arsenal théorique de la géographie. Dans le contexte plus général des Sciences Sociales de ces années, les interrogations des géographes vont se nourrir d'apports d'autres disciplines; et la curiosité, voire la passion, sont grandes: à l'égard des travaux d'anthropologie s'interrogeant sur les relations entre le monde matériel et le monde symbolique; à l'égard de nombre de travaux en sociologie portant notamment sur la production de l'espace urbain à l'égard de courants, certes fort minoritaires en économie, qui commençaient à s'intéresser à des effets de milieux et de lieux se situant audelà de simples échanges matériels; enfin, à l'égard d'un champ de préoccupations des sciences politiques concernant le local et les politiques publiques territorialisées. Le succès grandissant du territoire à cette époque est à mettre au crédit de ces interrogations extra-disciplinaires mais aussi à des effets propres au contexte géographique lui-même. Il n'est qu'à rappeler les lieux mêmes où ces recherches vont se développer: la France de l'Ouest (l'espace vécu de Frémont), un axe Pau-Montpellier-Grenoble-Genève-Lausanne-Fribourg 163
(perception puis représentations en géographie), Paris (Claval, Bonnemaison pour la dimension culturelle), le Québec et l'Italie du Nord (Turco, Dematteis), la Catalogne (Capel). Ces localisations ne sont pas neutres et coïncident heureusement avec l'aire privilégiée de l'école française de Vidal de la Blache et de ses divers continuateurs; à moins qu'il ne s'agisse tout simplement de rechercher une explication du côté du contexte territorial luimême des pays considérés, en particulier des pays latins. A contrario, c'est le concept de "place" traduit par "lieu" qui a joué le même rôle aux Etats-Unis. Ces effets de contexte rappelés mais qui me paraissent essentiels pour tenter de cerner le concept de territoire aujourd'hui, permettent d'éclairer les quelques remarques suivantes en matière de tentative d'une définition du territoire en 2002, au sein des travaux des géographes. 2 - Pour une proposition de définition du concept de territoire En privilégiant quatre entrées principales, il apparaît possible de Inieux cerner le contenu théorique du concept de territoire et les enjeux de définition qui lui sont liés aujourd'hui, suite à deux décennies de travaux et de publications multiples. A - La double nature symbolique et matérielle du territoire Ce concept renvoie tout autant aux aspects forlnels (identification, localisation, répartition, distribution des formes spatiales, articulation entre elles) qu'aux aspects liés au sens de ces formes; ces aspects idéels ont trait aux idéologies spatiales, aux systèmes de valeurs qui les supportent et les justifient, aux représentations. Ainsi, le territoire correspond, pour reprendre des positionnements énoncés par Claude Raffestin ou Yves Barel, à une réalité "bi-faciale" ; il est le produit d'une écogénèse par laquelle sont mobilisées dans un système symbolique et informationnel des ressources matérielles. Il peut donc être identifié à un ensemble de ressources et notamment de ressources environnementales, étroitement associées aux représentations que s'en font dans un contexte donné, les utilisateurs susceptibles de les mobiliser. Il faut entendre par représentations spatiales, des créations sociales et/ou individuelles de schémas pertinents du réel spatial.; cette définition exprime tout à la fois, leur caractère opératoire, le fait qu'elles entretiennent des liens étroits avec la pratique (terme pris au sens de comportements), enfin l'idée qu'elles ne sont pas figées dans le teInps. Quant à la dimension des ressources matérielles du territoire évoquée précédemment, il faut l'entendre comme ressource stricto sensu (ressources standards ou génériques, "ressources données") mais aussi comlne ressources produites par l'articulation Matérialité/Idéel et qui renvoie alors à 164
l'objet territoire lui-même. On se trouve ainsi proche de positions défendues par Bernard Pecqueur lorsqu'il parle de "panier de biens". B - Le territoire comme objet approprié ou forme d'appropriation
Cette dimension fait référence aussi bien aux travaux des sciences politiques qu'à ceux de l'éthologie, souvent récupérés par les géographes selon les acceptions que l'on peut qualifier de plus "molles" ou plus "douces" . Ce processus d'appropriation va connaître sa traduction spatiale sous la forme de bornage, de l'instauration de limites dont la justification variera au gré des contextes considérés: limites historiques, culturelles, etlmiques, religieuses, politiques, naturelles. Dans chacun des cas, le discours dans toutes ses modalités (linguistique, iconographique, cartographique) constitue le vecteur principal d'argumentation et de justification de la pertinence de la limite retenue. Ces modalités d'appropriation sont multiples, allant de la propriété foncière, dont chacun sait qu'elle exprime parfaitement la double dimension précédemment évoquée, jusqu'à des formes inscrites uniquement dans l'ordre des représentations mais qui n'en sont pas moins opératoires pour autant; on se gardera d'oublier par ailleurs le processus de nomination des lieux et du territoire lui-même. C - Le territoire comme configuration
spatiale
Parler de territoire, ce n'est pas renoncer à envisager la spatialité comme étant l'une des dimensions centrales de l'activité des hommes; sans doute est-il impérieusement nécessaire de construire une catégorie "espace-telnps" qui enrichit alors la stricte dimension spatiale (cf. les travaux de la "time geography"). A cet égard, les méthodes de l'analyse spatiale se doivent d'être mobilisées pour appréhender les formes spatiales, leur répartition, les contiguïtés et les discontinuités. Cette dimension du territoire pour reprendre une terminologie de J. Lévy peut s'exprimer en aire (le territoire correspond à un ensemble de points et d'aires contiguës) ; il peut être archipélagique (le territoire regroupe un ensemble d'aires disjointes reliées par des éléments de réseaux territorialisés) ou encore réticulaire (le territoire s'agence en un ensemble d'aires et de lieux disjoints reliés par des élélnents de réseaux territorialisés) . On remarquera incidemment que les géographes et peut-être les agronomes - ont longtemps privilégié le mode de la continuité spatiale, sans doute plus aisé à appréhender, ou encore moins dérangeant. De même les géographes ont toujours "adoré" les découpages, les délimitations, les ordonnancements transparents. Or, la reconnaissance et la formalisation de 165
tel ou tel type de configuration spatiale va renvoyer, en termes d'explication, à la nature des ressources mobilisées, à leurs modalités de contrôle, à la nature bi-faciale du territoire, ainsi qu'aux comportements et pratiques spatiales de groupes usagers.
D - Le territoire comme auto-référence.
L'intérêt majeur du recours au concept de territoire est de nécessiter la triple prise en compte simultanée de caractères "objectifs", "subjectifs" et conventionnel de l'objet. Sa nature "objective" correspond à celle de sa matérialité (données environnementales notamment), incluant la matérialité des pratiques dont il est tout à la fois un produit, le support et l'objet. Sa nature "subjective" (la dimension idéelle) est celle de l'expérience individuelle et collective qu'il rend possible (cf. espace perçu puis vécu, A. Frémont). Sa nature dite conventionnelle se justifie par le rôle que joue l'identitaire dans sa construction; c'est alors qu'il acquiert une valeur emblématique pour le groupe concerné: "le groupe s'affiche par le territoire qu'il revendique" (J. Lévy). Parmi les moyens ou les outils auxquels ces groupes vont recourir afin de promouvoir cette valeur emblématique du territoire, le processus de nomination occupe une place centrale. Chacun observera que cette nomination joue également un rôle certain pour les trois points précédemment abordés. E - Remarques
conclusives
A supposer que l'on retienne une telle définition du territoire, on s'aperçoit que sa complexité apparente (voire son flou) tient au fait que le terme lui-même désigne deux objets; d'une part le territoire au sens juridique, administratif et politique; d'autre part la territorialité des groupes et des individus qui peut ou non se traduire dans du territoire. D'où l'impérieuse nécessité d'avoir recours simultanément à une double terminologie se rapportant à chacun de ces deux objets: le territoire et la territorialité. 3 Les implications d' opérationnalité
d'une
telle
définition
en
matière
Entre forme et sens, le territoire comme objet géographique peut être mobilisé dans le champ opérationnel. Les éléments de définition précédemment retenus induisent quatre types de renlarques. 166
A - Le nécessaire recours à la notion d'acteur territorialisé3
La notion d'acteur territorialisé est consubstantielle au concept de territoire. Elle peut ainsi se décliner sommairement: tout individu peut être défini comme acteur à un moment donné, dans un contexte territorial particulier; tout acteur est simultanément contraint par ses types de rapports au territoire, mais conserve toujours une marge de manœuvre, même restreinte; tout acteur joue avec l'objet territoire, le manipule avec plus ou moins d'efficacité; tout acteur peut-être qualifié d'acteur multicasquettes tant dans ses rôles que ses actions. Ces quelques caractéristiques initiales impliquent que soient retenues des grilles de lecture variées et multiples en matière d'appréhension des acteurs opérant sur un territoire, grilles devant se situer bien au-delà de catégorisations simplificatrices (acteur individuel versus acteur collectif, ou encore les catégories socio-professionnelles. . .). B - La question de la pertinence
des écllelles retenues
La définition proposée du territoire permet d'envisager de façon plus sereine les interrogations concernant la pertinence des échelles d'application. S'il est vrai que les échelles micro et méso conviennent particulièrement bien lorsque l'on a recours au concept de territoire, rien n'enlpêche de le mobiliser également à l'échelle macro. Les questionnements porteront alors plus sur la nature des informations à retenir que sur l'échelle elle-même; et en ce domaine, nombre d'interrogations demeurent. C - Les illterrogations différentielles
portant
sur les dYllamiques
temporelles
Entre matérialité et immatérialité, le territoire voit chacun de ses éléments constitutifs se référer à des dynamiques temporelles particulières. Il peut sembler banal de rappeler que dynamiques naturelles et dynamiques anthropiques ne renvoient pas au même pas de temps; allant au-delà, on pourrait catégoriser des temporalités différentes au sein de chacune de ces deux sphères. Il en est de même pour les représentations qui s'inscrivent dans des dynamiques propres avec des temps d'inertie plus ou moins longs. 3
Pour une approche théorique plus cOlnplète on se reportera à l'ouvrage suivant: H. GUlnuchian, E. Grasset, R. Lajarge, E. Roux, 2003, "Les acteurs, ces oubliés du tenitoire", Paris, Econolnica Anthropos, 2003
167
De même pour les configurations spatiales dont chacun sait que les permanences les projettent dans d'autres contextes de fonctionnement; nombre de ces configurations spatiales actuellement observables présentent un caractère hérité, tout en s'adaptant aux nouveaux contextes en émergence. D - Le concept de territoire et les processus actuellement à l'œuvre: fragmentation territoriale, recomposition, nlise en réseau. Il s'agit là de trois processus forts, observables à chacune des échelles et dans des contextes de localisation extrêmeluent variés. La fragmentation territoriale peut s'expliquer comme la traduction au sol des fragmentations idéologiques (au sens élémentaire de "systèmes d'idées") ; le processus de recomposition territoriale a toujours existé mais, sans doute, s'accélère t-il dans la période présente; quant à la mise en réseau des territoires, elle va de pair avec le double processus ci-dessus évoqué.
4 - Quelques A
élémellts
de conclusion
provisoire
- Une fin du territoire sans cesse annoncée mais toujours différée
D'aucuns ont évoqué la fin des territoires, l'émergence des non lieux; ce que l'on observe en fait c'est un double processus de fragmentation territoriale et de recomposition à des échelles diverses selon des modalités différentes autour de représentations et de pratiques d'un nouveau genre (des territoires du naturel, des territoires de pratiques sportives, des territoires de l'urbanité...). On serait dans "un nouvel âge des territoires" qui poserait deux questions nouvelles ou du moins renouvelées: la question de la complexité territoriale et celle de ses représentations qu'elles soient politiques, symboliques ou techniques. Ainsi le "territoire et la territorialité, loin d'être des conceptions anachroniques du rapport à l'espace des sociétés conten1poraines, loin d'être des modalités périmées de ce rapport restent des outils opératoires d'analyse de ce rapport à condition de renoncer au caractère uniscalaire et totalisant que la signification de chacun de ces termes avait pu prendre" (B. Debarbieux, M. Vanier, 2002). B - Un concept hybride Le caractère hybride de ce concept doit-être compris de manière positive: il permet d'appréhender une complexité territoriale croissante; il rend possible des positionnements scientifiques prenant doublement en compte les aspects formels et informels des espaces observés 168
et analysés, ces deux termes étant d'un usage préféré à celui de quantitatif et de qualitatif; compris comme étant la mise en réseau de lieux, il impose de réfléchir à la notion des marqueurs territoriaux.
C - Le triptyque représentation, pratique, action et la question centrale de l'information Les remarques précédemment formulées s'inscrivent dans un référentiel théorique au sein duquel Représentation, Pratique et Action sont étroitement liées. Un tel référentiel peut être approprié aussi bien par la géographie que par l'agronomie ou même l'écologie. Il n'implique pas de se fondre dans une transdisciplinarité opaque, mais permet la mise en place de ponts entre ces disciplines; les interrogations scientifiques ne peuvent se développer qu'à l'amont des territoires d'expérimentation eux-mêmes. Parmi celles-ci, la question de l'information et la nécessaire double prise en compte d'une information spatialisée et d'une information territorialisée constitue, sans nul doute, le défi majeur: sont ainsi posées des interrogations portant sur le statut et la nature de cette information, sur sa validité, les conditions de sa comparabilité, les modalités de traitement et d'interprétation. Le continuum qui va de l'information spatiale à l'information territoriale demande encore à être déchiffré et travaillé.
Références bibliograplliques Badie B., 1995, "La fin des territoires", Paris, Fayard Debarbieux B., Vanier M., 2002, "Ces territorialités qui se dessinent", Editions de l'Aube, DATAR, 268p. Desplanques G., Vanier M. (dir.), 1998, "Les découpages du territoire: zonages et maillage du savoir, du pouvoir et de l'action", INSEE Méthodes, n076 -77 -78,415 p. Di Meo G., 1998, "Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan université Augé M., 1992, "Non lieux, introduction à une anthropologie de la sur modernité", Paris, Le Seuil Gerbaux F., 1999, "Utopie pour le territoire; cohérence ou complexité ?", Edition de l'Aube Gumuchian H., Grasset E., Lajarge R., Roux E., 2003, "Les acteurs, ces oubliés du territoire", Paris, Economica, Anthropos
169
Le système de culture: Différents niveaux d'organisation territoriale à distinguer et articuler François PAPyl , Jacques BAUDRy2 Résumé Comme beaucoup de concepts, celui de système de culture évolue. Conçu à la fin du XVIII ième siècle par l'abbé Rozier, il caractérise d'abord la manière dont un groupe humain tire parti de la nature pour ses propres besoins. L'''individualisme agraire" qui prévaut au cours de la révolution agricole des XVIII et XIX ième siècle induit une acception du terme plus centrée sur l'exploitation agricole. Le concept comporte alors à la fois deux dimensions temporelle (la rotation culturale) et spatiale (l'assolement). Dans les années 70, il est repris par Sebillotte pour établir les fondements théoriques de l'agronomie. Défini comme la suite logique et cohérente des actions culturales appliquées à des parcelles traitées de manière identique, il sert aux agronomes pour comprendre les pratiques agricoles, les évaluer et en proposer de nouvelles. Mais, dans cette définition, la dimension spatiale du concept a disparu. Ce qui était un moindre mal dans la phase productiviste de l'agriculture, devient inconvénient dès lors que la préservation des ressources naturelles (la qualité de l'eau, en particulier) et la valorisation des régulations écologiques (la lutte biologique, par exemple) implique de prendre en compte les effets de voisinage et donc la configuration spatiale des parcelles, des couverts végétaux, des modes de culture. Nous défendons l'idée que le système de culture mérite d'être étudié comme un tout à différentes échelles d'organisation territoriale. Mais il faut alors comprendre comment s'articulent entre eux les territoires d'action qui génèrent les systèmes de culture et les territoires d'évaluation des effets de ces derniers sur les écosystèmes. Deux exemples illustrent notre propos. Mots-clés: système de culture, territoire, hiérarchie, questions d'environnement
1
2
UMR INRA SAD, INA P-G « activités, UR INRA SAD, « Annorique »
produits,
telTitoires »
Abstract As for many concepts the meaning of cropping system changes over time. First used by the abbey Rozier at the end of the eighteen century, it referred to the way a group of humans use the natural setting for its own needs. The "agrarian individualism" that dominates the XVIIIth and XIXth centuries led to a meaning of the term centered on the farm. It, then, had both a spatial (cropping pattern) and a temporal (crop succession) dimension. During the 1970's, Sebillotte used the term to set the theoretical basis for agronomy. He defined it as a coherent suite of cropping actions applied to parcels with identical usages. Agronomists used it to understand cropping practices and to propose novel ones. In this acceptance of "cropping system" the spatial dimension was forgotten. What was acceptable during the "intensification" phase of agriculture turns out to being a major problem when environmental issues necessitate to consider interactions among fields, thence their spatial configuration, and land cover/use spatial patterns as in the case of management of natural resources (especially water quality) or the regulation of ecological processes (i.e. pest control by ecological means). We state that it is worth studying cropping systems at various spatial scales of territorial actions. It is then necessary to understand what are the interactions/ intersections between and among the territorial actions that produce cropping systems and the spatial units at which their effects on ecological systems are assessed. We give two examples. ](ey-Words : cropping system, territory, hierachy, environmental issues Le système de culture est un concept essentiel de l'agronomie. Il porte sur les actions culturales, aussi bien celles qui sont réellement mises en œuvre (les pratiques) que celles qui sont conçues (les techniques). Il se distingue des systèmes de décisions ou de conception qui le génèrent et des systèmes écologiques qu'il modifie. Si l'on peut considérer que des actions culturales constituent un système, c'est parce qu'il est possible de mettre en évidence une certaine cohérence entre elles. Cette cohérence se fonde sur deux postulats, d'égale nécessité: 1. les acteurs qui participent à la mise en œuvre de ces actions ou qui les conçoivent poursuivent des objectifs de production végétale en mobilisant d'une façon spécifique les ressources naturelles; 2. les acteurs connaissent, de façon experte ou scientifique selon les cas, certaines des interactions de ces actions de culture sur le fonctionnement des systèmes écologiques. Sans objectif, sans connaissance, il n'y aurait pas de cohérence des systèmes de culture; mais cette cohérence des systèmes de culture qui ressort d'une analyse des pratiques n'est pas absolue parce que certains objectifs peuvent être contradictoires et que les connaissances mobilisées sont partielles. Le concept de système de culture sert donc aux agronomes à 172
mettre en évidence les relations de cohérence entre pratiques culturales, à évaluer les différents effets des systèmes de culture pratiqués, à discuter de la pertinence des objectifs poursuivis et à concevoir de nouveaux systèmes. Après avoir montré comment la signification donnée à ce concept a pu évoluer au cours du temps, nous exposerons pourquoi il nous semble pertinent de le concevoir à différentes échelles d'organisation territoriale des actions culturales, que ce soit pour en comprendre la genèse, en évaluer les effets sur les écosystèmes ou concevoir d'autres systèmes. Une conception hiérarchisée du concept incite à discuter de l'articulation entre les différents niveaux; c'est ce que nous exposons ensuite, illustrant le propos par deux exemples. 1 - L'évolution du concept de système de culture Dans l'article «Système de culture» de l'Encyclopédia Universalis, Sébillotte (22) fait remonter l'emploi du terme au cours d'agriculture de l'abbé Rozier en 1785. Ce terme traduit « un effort de justification théorique tant des pratiques culturales observées que de nombreuses propositions d'amélioration qui virent le jour au XVIII ième siècle ». A cette époque, le système de culture signifiait, selon Sébillotte, « la manière dont un groupe humain tirait parti de la nature pour en satisfaire ses besoins ». Au milieu du XIX ième siècle, de Gasparin (8) conserve l'idée de l'utilisation des ressources naturelles dans la définition qu'il donne: «Le choix que fait l'homme des procédés par lesquels il exploite la nature pour en obtenir une production, soit en la laissant agir, soit en la dirigeant avec plus ou moins d'intensité en différents sens et ce que nous appelons système de culture ». Mais, ainsi que le fait remarquer Sebillotte, il applique le terme principalement au territoire agricole mis en valeur par une unité de production, l'exploitation agricole, excluant «du champ d'application du concept les espaces plus vastes mis en valeur par les groupes hutnains et pour lesquels, pourtant, les mêmes questions se posent ». Le concept s'adapte ainsi à la conquête de la liberté d'exploitation qui a marqué la révolution agricole des XVIII ième et XIX ième siècles; « l'individualislne agraire» selon l'expression de Marc Bloch, citée par Faucher (6) a favorisé l'adoption de nouvelles techniques. Au cours du dernier quart du XX ième siècle, Sebillotte enclenche une autre évolution dans l'article qu'il publie en 1974 (19) pour faire le point de la « théorie agronomique ». Il y est précisé que l'agronome doit étudier le système de culture, à la fois dans la dimension temporelle des successions de cultures, «car le sol sert de lien entre deux ou plusieurs cultures successives» et dans la dimension spatiale, « parce que la multiplication des surfaces d'une même culture dans une région peut modifier de façon sensible le milieu naturel (microclimat, érosion, parasitisme.. .), tnais ce dernier point 173
n'est pas développé dans l'article. La dimension temporelle du système de culture est, au contraire, affinée par le concept d'itinéraire technique qui porte sur la conduite du champ cultivé au cours d'un cycle cultural; il traduit l'idée que l'agronome est capable de concevoir « des combinaisons logiques et ordonnées de techniques qui permettent de contrôler le milieu et d'en tirer une production donnée ». La mise en œuvre de cet itinéraire itnplique que des choix stratégiques soient faits quant au mode de conduite de la culture considérée, car « plusieurs stratégies sont possibles pour atteindre un objectif [en raison] des compensations entre techniques et des risques variés dus aux aléas climatiques» ; elle implique aussi des choix tactiques au moment de réaliser les opérations culturales. Défini pour concevoir des modalités de conduite des cultures et en faciliter le passage à la pratique, le concept d'itinéraire technique est très vite utilisé pour « con1prendre la logique des pratiques agricoles et leur cohérence avec les caractéristiques socioéconomiques et naturelles des exploitations agricoles» (17). Dans les années qui suivent la parution de l'article de 1974, avec les concepts d'effet précédent (variation des états biologiques, chimiques et physiques du sol entre le début et la fin d'un cycle cultural), de sensibilité du suivant (réponse d'une culture aux états du sol laissés par le précédent), Sébillotte développe la dimension temporelle du concept de système de culture sur le pas de temps de plusieurs cycles de culture. Il inclut dans le concept les phases de jachères, quelle qu'en soit la durée (20). Il propose, en définitive, une définition qui exclut la dimension spatiale (21) : le système de culture est alors défini par la séquence des procédés tecm1iques mis en œuvre sur des parcelles traitées de manière identique, c'est à dire par la succession des cultures et par les itinéraires techniques appliqués à chacune d'elles. Nous pensons qu'il faut maintenant redonner au concept la ditnension spatiale qu'il avait à l'origine et dont Sébillotte se faisait encore l'écho, en 1974, sans la développer. L'article de 1974 se situe à un tournant de 1'histoire de l'agriculture. Depuis le début de la politique agricole commune (PAC), qui assure des prix agricoles garantis relativement élevés, sans litnite de quantité, dans un contexte de rareté de la terre et de la main-d'œuvre agricole, les systèmes de culture pratiqués et conseillés traduisent le souci d'accroître la productivité de la terre et celle du travail. C'est pourquoi le développement agricole se fait autour de choix techniques tout à fait cohérents avec ces objectifs de produire toujours plus (14) : choix de variétés à haut potentiel, avancement des dates de semis, augmentation des densités et des apports d'engrais, autant de décisions qui présenteraient de forts risques phytosanitaires si elles n'étaient associées à des stratégies d'assurance consistant en traitements systématiques de pesticides. L'utilisation intense de pesticides permet de cultiver une parcelle de façon plus indépendante des voisines et, sur cette parcelle, une espèce de façon plus indépendante des cultures précédentes; en 174
particulier elle permet de diminuer les délais de retour d'une culture sur ellemême et, partant, de choisir plus librement les cultures en fonction des marges qu'elles dégagent (15). Les questions posées à l'agronomie peuvent se ramener à des questions de production végétale à la parcelle et la définition proposée plus haut du concept de système de culture convient tout à fait pour les traiter. Mais la politique agricole n'affecte pas que la production des parcelles. Le paysage agricole se transforme. Le développement des échanges commerciaux spécialise les petites régions agricoles (PRA); certaines deviennent de plus en plus intensives, d'autres sont abandonnées. Au sein des PRA, les exploitations se spécialisent aussi et, progressivement, disparaissent les exploitations de polyculture; le nombre des espèces cultivées qui se succèdent sur les parcelles se réduit et, par suite, la diversité spatiale des cultures. Au souci d'augmenter la productivité de la terre est associé celui d'augmenter la productivité du travail, ce que permet la mécanisation; pour diminuer les temps de travaux, la taille des parcelles ne cesse de croître, ainsi que celle des exploitations, ce qui réduit le temps que l'agriculteur peut consacrer au suivi des cultures. Toutes ces évolutions ont des conséquences écologiques. Malgré le courant dominant qui pousse vers une intensification continue de la production agricole (3), des cris d'alamle sont poussés (4). Le rapport Hénin (10) fait prendre conscience aux agronomes de la nécessité de concevoir des manières de produire ayant des objectifs environnementaux. Le concept de système de culture, défini plus haut dans sa dimension temporelle (successions de cultures et itinéraires techniques) est utilisé dans cette perspective: dans un premier temps, les recherches portent sur le pilotage d'itinéraires techniques visant à calculer au plus juste les intrants (azote et produits phytosanitaires); sur plusieurs espèces cultivées (céréales à paille, maïs, pois, pomme de terre...): des indicateurs sont mis au point à cet effet. Puis, en rupture radicale avec ces itinéraires techniques, les agronomes en conçoivent de nouveaux qui visent délibérément des rendements inférieurs au potentiel (14). Dans le cas du blé, par le choix de variétés moins productives mais résistantes aux maladies, de dates de semis plus tardives, de densité de semis plus faibles, il est possible de réduire les doses d'azote, de produits fongicides et de régulateurs de croissance; dans le système actuel des prix et des primes, les marges brutes sont identiques à celles des cultures classiques (12). Enfin, de nouvelles successions de cultures sont conçues par l'allongement des retours de certaines cultures sur elles-mêmes, afin de réduire les risques parasitaires et par la pratique de cultures intermédiaires pour piéger les nitrates ou réduire les risques de ruissellement érosif. Mais, s'il reste cantonné à sa seule dimension temporelle, indépendamment de la taille, de la forme, de la nature des contours des parcelles dans lesquelles il est pratiqué, s'il n'inclut pas l'organisation 175
spatiale des cultures, le concept de système de culture ne permet pas d'évaluer correctement les effets des pratiques culturales sur les flux latéraux d'eau, de terre, de minéraux, de graines, de pollen..., ou encore sur la structuration spatiale des habitats d'espèces animales et végétales. Pour mettre en correspondance pratiques agricoles et fonctionnement des écosystèmes il faut caractériser l'organisation spatiale de la mosaïque des couverts végétaux et des réseaux de linéaires par des indices de connectivité et de fragmentation, ainsi que le propose l'écologie du paysage (2). On peut alors analyser des effets de voisinage en flux issu d'une parcelle et de sensibilité des parcelles voisines à ce flux, en fonction de leurs états et de l'effet barrière, marqué ou non, des inter-champs; on peut aussi analyser les effets de la diversité spatiale des couverts végétaux cultivés et de l'organisation des corridors d'habitats que constituent les inter-champs sur l'importance et la distribution des espèces auxiliaires des cultures (7), etc. . . Or, le nombre des espèces cultivées qui se succèdent sur une parcelle est lié à la diversité des espèces cultivées rencontrée en un lieu; les itinéraires techniques et successions de cultures appliqués à une parcelle sont liés à sa taille, sa forme, son accessibilité; la manière dont sont traités les interchamps (fossés, haies, talus ou simple dérayure) sont liés à la nature des cultures que l'on trouve de part et d'autre, aux itinéraires techniques appliqués, au sens de travail, à la forme de la parcelle. ..Ainsi l'ensetnble des pratiques, appliquées en un lieu, dans leur dimension de déroulement temporel et d'organisation spatiale du lieu sont étroitement liées. Configuration du territoire agricole, aménagements, choix des espèces cultivées, de leur succession et de leur distribution spatiale, itinéraires techniques sont interdépendants les uns des autres; ils constituent donc un ensemble cohérent de procédés qui fait systètne. Le système de culture, ainsi défini, mérite d'être étudié comme un tout, à différentes échelles d'organisation territoriale, en sorte d'en évaluer les effets sur les écosystètnes (1). L'idée qu'une concertation entre acteurs est nécessaire pour « tirer parti de la nature» justifie le retour à une conception territoriale du système de culture. A cette raison là s'en ajoute une autre: les agronomes qui étudient les agricultures où le poids de l'organisation collective de voisinage est encore fort, ont conservé au tenne son sens premier (11). Mais si l'on définit le système de culture à différents niveaux d'organisation territoriale, une question se pose: conl1nent articuler ces niveaux? 2 - L'articulation
entre niveaux
L'analyse paysagère, développée depuis déjà longtemps par Deffontaines (5, 9), met en évidence des unités qui sont repérables par un ensemble de caractéristiques dont certaines sont les traces visibles des systèmes de culture 176
(mode d'occupation du sol et nature des cultures, taille et formes de parcelles, organisation et nature du réseau des inter-champs...) et d'autres des éléments paysagers qui leur semblent liés (réseau de communication, bâti. . .). Mais alors que les géographes essayent d'établir des relations entre ces caractéristiques et des « champs géographiques» (voir article de Thinon), les agronomes essayent de comprendre les cohérences techniques aux différents niveaux spatio-temporels, d'en évaluer les effets et d'en concevoir d'autres. Comprendre d'abord. Il faut pour çà remonter aux différents niveaux de décision qui génèrent et coordonnent les actions culturales. Au sein même de l'exploitation agricole, il est possible de distinguer plusieurs niveaux hiérarchisés de décisions dont l'articulation permet de reconstituer la configuration donnée au territoire de l'exploitation, les différentes successions de cultures, les itinéraires techniques et de comprendre leur interdépendance (16). Mais l'exploitation est inscrite dans des réseaux sociaux qui influent également sur les manières de produire. Il s'agit de réseaux très localisés, unifiés et bien hiérarchisés dans les sociétés traditionnelles dans lesquelles l'autoconsommation et les échanges intravillageois sont forts (11) ; mais aussi de réseaux multiples dans les sociétés marchandes où l'exploitation agricole se trouve au nœud de plusieurs filières de production. Dans les démarches d'assurance qualité que développent de plus en plus les sociétés modernes, les systèmes de culture pratiqués dans les exploitations, déjà très interdépendants, doivent, en plus, s'inscrire dans des cahiers des charges, parfois nombreux, visant à garantir des manières de produire (Vaucelle, travaux en cours). Évaluer ensuite. Le niveau pertinent dépend de l'objectif visé. Si l'on s'intéresse aux effets de court terme des pratiques sur l'élaboration du rendement des espèces cultivées et sur les transformations du milieu local, le pas de temps pertinent est celui du cycle cultural et la résolution spatiale adéquate correspond à la portion de territoire où ont été réalisées les mêmes pratiques dans les mêmes conditions. Les dates et conditions d'intervention ont alors beaucoup d'importance. Aussi la résolution spatiale doit correspondre à la superficie que l'on peut traiter en un ou deux jours, c'est-àdire grosso modo à la parcelle culturale ou aux parcelles qui sont travaillées dans les mêmes conditions. Si l'on cherche à évaluer les effets à long terme sur l'évolution de la matière organique, des éléments chimiques, le pas de temps à retenir est celui de la succession de plusieurs cycles de culture sur les parcelles concernées. Mais si l'on veut évaluer l'évolution des lualadies, des adventices, de la flore des prairies l'on ne peut se contenter des pratiques à la parcelle; pour tenir compte des transferts, il faut considérer les parcelles voisines et leur organisation spatiale ainsi que le réseau des inter-champs, c'est à dire le système de culture à l'échelle du paysage. On peut alors évaluer les effets du système de culture à l'échelle de territoire qu'il est 177
nécessaire de préciser en fonction des processus écologiques à réguler: s'il s'agit de phénomènes érosifs, on devra préciser le versant ou le bassin versant en amont du lieu où l'on veut éviter le creusement d'une ravine ou l'accumulation de sédiment; s'il s'agit de préserver la biodiversité, on devra préciser à quelle échelles on veut l'évaluer. On observe en effet des effets d'échelle, à la fois dans le temps et l'espace, théorisée par les écologues sous le nom de théorie de la hiérarchie (18). Un phénomène particulièreluent étudié est le flux de minéraux à diverses échelles de la parcelle au bassin versant: du fait de la présence de zones tampon, les flux à l'exutoire d'un bassin versant sont moindres que la somme des flux issus de l'ensenlble des parcelles (13). Concevoir enfin. Pour remédier aux écarts entre les résultats des évaluations et des objectifs, les agronomes sont conduits à concevoir de nouveaux systèmes, s'aidant pour cela de modèles de fonctionnement de l'écosystème cultivé. L'articulation des niveaux des systèmes de décision et des systèmes écologiques est nécessaire. Deux exemples vont l'illustrer. A - La culture du sorgho repiqué (région du Lac Tchad, Cameroun)
Dans le bassin du Lac Tchad, les terres argileuses inondables sont traditionnellement valorisées par une culture de sorgho dont le cycle cultural, qui débute en septembre octobre, à la fin de la saison des pluies, s'accomplit à partir des réserves en eau accumulées dans ces sols. De manière à perdre le moins de temps possible avant l'épuisement de ces réserves, les paysans repiquent le sorgho dès que l'état hydrique du solIe permet. Ce système de culture qui tend actuellement à se développer s'appelle muskuwaari, en langue peul. Le système de culture est en partie régi par des règles sociales à l'échelle d'un village. Chaque parcelle d'agriculteur fait partie d'une sole collective appelée karal, qui constitue une unité paysagère bien délimitée. Cette pratique se justifie pour des raisons de gestion collective du territoire villageois. On regroupe le muskuwaari en plusieurs soles collectives, réparties dans les différents terrains du territoire villageois, pour permettre, une fois la récolte faite, la pratique de la vaine pâture, luais aussi pour minimiser les dégâts d'oiseaux. Ceci implique, comme règle commune, qu'au sein de chaque karal, les récoltes aient lieu en même temps. Cet objectif collectif étant donné, chaque agriculteur a la liberté du choix des pratiques à la parcelle et notamment de la date du repiquage. C'est qu'en effet cette opération délicate doit être ajustée très finement aux moyens de chacun. Le créneau de jours pendant lequel elle peut réussir est étroit, de l'ordre de la semaine: trop hUluide, le sol favorise le pourrissement des plants; trop sec, il ne permet pas son enracinement. Au cours de ce laps de temps, il faut que les plants, préparés en pépinière, arrivent à un stade 178
favorable au repiquage. Or une planification précise est difficile à faire, car on ne sait pas, a priori, quand s'achève la saison des pluies. Le repiquage doit être précédé d'opérations plus ou moins longues selon l'état d'enherbement des parcelles; elles consistent en un fauchage de l'herbe suivi d'un brûlage. Il faut donc, en un temps bref, enchaîner dès que possible deux chantiers: fauchâge-brûlage et repiquage. Compte tenu de la lenteur de ce dernier qui se pratique manuellement, à l'aide d'un bâton ferré à fouir (vitesse maximum d'un homme fort: ~ d'ha à la journée), il ne serait pas possible pour un agriculteur de repiquer une grande surface de sorgho s'il ne pouvait jouer sur la micro hétérogénéité du sol à l'échelle du ~ ou ~ d'ha, due à de petites différences de topographie. Pour comprendre le système de culture pratiqué, il faut donc cOlubiner les deux niveaux d'organisation. Mais c'est pertinent aussi pour concevoir de nouveaux systèmes. La maîtrise de l'enherbement fait problème, mais de façon différente selon le type de karal. Dans les karé (pluriel de karal) implantés en bas-fonds se développent des adventices vivaces (riz sauvage à rhizome, cyperus.. .), qui se propagent de proche en proche, jusqu'à interdire toute culture dans les cas extrêmes. L'emploi d'un désherbant total a fait ses preuves dans des essais en parcelle; mais, vu le mode de propagation de ces adventices, une lutte efficace devrait être concertée au sein du karal. Dans d'autres karé, le développement des adventices ne concurrence pas trop le sorgho, mais rallonge le temps de préparation de la parcelle; l'emploi du désherbant raccourcit alors les temps de travaux; il est donc plus ou moins utile selon l'organisation du travail de chaque exploitation; son intérêt reste une affaire individuelle (Mathieu, travaux en cours). B - La maîtrise collective du ruissellement et de l'érosion: cas du système érosif à ruissellement concentré (Pays de Caux, Seine-Maritime, France) Le second exemple est tout différent. Il est caractéristique d'une agriculture d'économie marchande et individualisée qui s'est intensifiée au cours des dernières décennies. Les limons loessiques de la bordure nord-ouest du continent européen, surtout en bordure de Manche, ont une très faible stabilité structurale: les mottes se désagrègent vite sous l'effet des pluies en un stade ultime, lisse et imperméable en surface, qui ruisselle, même sous des pluies de faible intensité. Les systèmes de culture à base d'espèces annuelles produisent, au cours de l'année, du ruissellement pendant des périodes plus ou moins longues, au contraire des couverts prairiaux, toujours capables d'absorber l'intensité pluviométrique de ces climats. Nature des sols et culture d'espèces annuelles, associés à une morphologie de plateau faiblement vallonnée, sont favorables au développement du système érosif à 179
ruissellement concentré: le ruissellement émis dans les impluvium des micro-bassins versants se concentre dans les talwegs secs, provoque des rigoles et ravines et, à la suite de longues pluies d'hiver ou d'orages printaniers, des inondations boueuses. Ce phénomène, reconnu depuis longtemps dans une région comme le Pays de Caux, a pris une importance accrue depuis une vingtaine d'années; à cela plusieurs raisons: la disparition des prairies qui, en fond de talweg, permettaient au sol de résister à l'incision, et, en bord de plateau, réduisaient le ruissellement; le comblement, dans les talwegs, des mares qui abreuvaient les animaux tout en retenant l'eau venant de l'amont; l'agrandissement des parcelles qui génère de grandes étendues continues susceptibles de ruisseler. Bref, c'est l'évolution du système de culture, défini à l'échelle du paysage, qui a entraîné cette aggravation du phénomène. L'augmentation des inondations, parfois avec nlorts d'homme, mobilise les populations et les autorités territoriales: maires, conseil général, préfet. De gros ouvrages de retenue d'eau protègent les zones urbanisées les plus menacées, mais, sans mesures prises plus en amont, ils se comblent vite. Aussi des syndicats de bassin ont-ils été constitués pour promouvoir des mesures allant jusqu'à l'amont sur les plateaux très cultivés. Plusieurs niveaux d'organisation doivent se combiner: le plus collectif pour prendre en charge la re-configuration du parcellaire dans des «remelubrements hydrauliques », ainsi que l'aménagement de corridors enherbés dans les talwegs et de bassins de rétention avec débit de fuite; un niveau de concertation entre agriculteurs voisins pour établir collectiveluent leurs assolements, en sorte d'éviter la continuité de grandes superficies ruisselantes; un niveau individuel qui porte sur les itinéraires techniques à l'échelle de la parcelle, notamment sur l'introduction de cultures dérobées. Ces différents niveaux de concertation impliquent que soient connues les marges de manœuvre que les. agriculteurs ont, en fonction du type d'exploitation (système de production, main-d'œuvre, dispersion du parcellaire. . .), pour modifier leurs successions de culture et leurs itinéraires techniques (Joannon, travaux en cours). La régulation de ce système érosif nécessite une gestion collective du territoire à plusieurs niveaux d'organisation territoriale, dans laquelle chacun a sa fonction. Les ouvrages les plus importants et la re-configuration (actions de long terme) sont là pour parer aux années catastrophiques, lorsque tout l'impluvium d'un bassin versant ruisselle, quelles qu'aient été les mesures prises à l'échelle des parcelles. Les pratiques anti-érosives à l'échelle des parcelles, ainsi que la concertation sur l'assolement (actions de court ou moyen terme) ont pour fonction d'éviter le comblement des ouvrages de retenue et de conserver leur efficacité pendant les épisodes de pluies catastrophiques. 180
Concluons. Générés par des systèmes de décision existant au sein de la société, les systèmes de culture modifient le fonctionnement des systèmes écologiques. Une double structure hiérarchique existe: *- une hiérarchie des systèmes de décision, au sein desquels l'exploitation agricole constitue un territoire d'action élémentaire; les systèmes de culture qui y sont pratiqués dépendent aussi des réseaux socioéconomiques dans lesquels se trouve inscrite l'exploitation, ainsi que des politiques agricoles; *- une hiérarchie écologique qui traduit le fait que les effets des différents niveaux que nous avons reconnus au système de culture se manifestent sur des pas de temps plus ou moins longs et des espaces plus ou moins grands. Pour comprendre les systèmes de culture pratiqués, les évaluer et en concevoir d'autres, il est nécessaire, de faire le lien entre les hiérarchies décisionnelles et écologiques et de les articuler.
Références
bibliograplliques
(1) BAUDRY J., PAPY F., 2001. The role oflandscape heterogeneity in the sustainability of cropping systems. J. N6sberger, H.H. Geiger, P.C. Struik Eds.Crop Science, Pogress and Prospect, Oxon, Cabi Publishnig, 243259. (2) BUREL F., BAUDRY J., 1999. Ecologie du paysage: concepts, méthodes et applications. Paris, Lavoisier. 359 p. (3) CARILLON R., 1979. L'agriculture avant toute chose! Pour cela l'intensification. Etude CNEEMA, n0448, 60 p. (4) CLOSETS (de) F., 1978. Scénarios du futurs, Denoël, Paris. (5) DEFFONTAINES J. P., THINON P., 2001. Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environnenlentaux et paysagers. Courrier de l'Environnement de l'INRA, 44, 13-28. (6) FAUCHER D., 1956. La révolution agricole du XVIII-XIX siècle. Bull. de la soc. d'Histoire moderne, Il iènle série, n020, 2-11. (7) FERRON P., 1999. Protection intégrée des cultures: évolution du concept et de son application. Cahiers Agricultures, 8, 386-396. (8) GASPARIN (de) A., 1844. Cours d'agriculture, Tome V: Les assolements; La maison rustique, Paris. (9) GROUPE de RECHERCHE INRA, ENSSAA, 1978. Pays, paysans, paysages dans les Vosges du sud, INRA, 192 p. (10) HENIN S., 1980. Rapport du groupe de travail; activités agricoles et qualité des eaux, Ministère de l'Agriculture, Ministère de l'environnement et de la qualité de vie. 181
(11) JOUVE P., 1988. Quelques réflexions sur la spécificité et l'identification des systèmes agraires. Les cahiers de la RechercheDéveloppementRecherche-développement, n020, 5-16. (11) JOUVE P., TALLEC M., 1994. Une méthode d'étude des systèmes agraires par l'analyse de la diversité et de la dynamique des agrosystèmesagro systèmes villageois. Les Cahiers de la RechercheDéveloppementRecherche-développement, 39 : 43-59. (12) LIMAUX F., MEYNARD J. M., 1992. La désintensification d'ores et déjà rentable. Aménagement et nature, 105, 16-19. (13) LOWRANCE D. L., LEONARD R. A., ASMUSEN L. E., TODD R. L., 1985. Nutrient budgets for agricultrural watersheds in the southeastern coastal plain. Ecology 66 (1), 287-296. (14) MEYNARD J. M., 1991. Pesticides et itinéraires techniques. ln «Phytosanitaires, protection des plantes, biopesticidesbio pesticides », P. Bye, C. Descoins, A. Deshayes Eds, INRA, Paris, 85-100. (15) MEYNARD J. M., DUPRAZ P., DRON D., 2002. Grande culture. ln «Agriculture" territoire, et environnement dans les politiques européennes, INRA, 65-88. (16) PAPY F., 2001. Interdépendance des systèmes de culture dans l'exploitation agricole, In: « Modélisation des agro-écosystè111esagro écosystèmes et aide à la décision» E. Malézieux, G. Trébuil, M. Jaeger (Eds.), Editions CIRAD-INRA, collection Repères, 51-74. (17) PAPY F., LELIEVRE F., 1979. Les pratiques de céréaliculture dans une région aride de type méditerranéen: la plaine de Ben Guérir. Essai méthodologique. Rev. de Géographie du Maroc. 3,23-44. (18) PETERSON D. L., PARKER V. T., 1998. Ecological scale: theory and applications. Complexity in ecological systems. New-York, Columbia University Presss, 615 p. (19) SEBILLOTTE M., 1974. Agronomie et Agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome. Cah. ORSTOM, sér. BioI., 24: 3-25. (20) SEBILLOTTE M., 1977. Jachère, système de culture, système de production: méthodologie d'étude, Journ. d'Agric. trade Et de Bot. appliquée, vol. XXIV, n° 2-3, 241-264. (21) SEBILLOTTE M., 1993. A11alysing farming and Cropping Systems and their Effects; some Operatives Concepts, in: J. Brossier, L. de Bonneval, E. Landais (Eds.), Systems studies in Agriculture and rural development, INRA éditions, pp 273-290. (22) SEBILLOTTE M., 1996. Culture (Système de); agronomie, Encyclopédia Universalis, 958-961.
182
Les unités agro-physionomiques : des entités spatiales pour l'analyse des usages agricoles du territoire Pascal THINON1
Résumé Pour analyser la répartition spatiale des activités agricoles à l'échelle régionale, nous proposons la notion d'Unités Agro-Physionomiques (UAP). Celle-ci repose sur I'hypothèse de l'existence de portions de territoire relativelnent homogènes en termes de type d'usages agricoles et de structures agraires et de taille nettement supérieure à celle des parcelles. Cette hypothèse est issue de nombreuses observations de terrain; elle trouve également une justification théorique dans la notion de champ géographique. Tout point de l'espace est placé dans un ensemble de champs géographiques qui influent sur une gamme possible d'usages de ce lieu, compte tenu de l'environnement social, technique ou économique de l'époque. On distingue plusieurs types de champs géographiques utiles à la compréhension des répartitions dans l'espace des usages agricoles: les champs de distance induits par un point (un siège d'exploitation, une industrie agro-alimentaire...) ou par un axe; les champs du milieu physique (climat, topographie, sol) ; les champs d'aménagements techniques; les champs fonciers; les champs réglementaires et juridiques; les champs économiques et politiques; les champs « culturels ». La combinaison de ces champs définit des portions d'espace « d'iso-champs» qui induisent une relative égale organisation spatiale des usages agricoles: les Unités Agronomiques (UA). L'activité agricole produit des formes observables dans le territoire. A un moment donné de l'histoire d'une agriculture dans un territoire, ces formes s'associent en un nombre de motifs récurrents qui définissent des unités spatiales de relative égale apparence: les Unités Physionomiques (UP). L'identification de ces UP passe par une approche physionomique qui combine lecture agronomique du paysage sur le terrain et photointerprétation d'images disponibles sur l'ensenlble de la zone d'étude. Notre
1
INRA Départelnent
UMR
Innovation,
Systèlnes
2 place
PietTe
Agraires et Développelnent Viala,
34060
Montpellier
Cedex
l, France
seconde hypothèse est qu'il existe une relation de correspondance étroite, bien que non totale, entre les VA et les UP. La démarche de construction des V.A.P. associe de manière itérative l'analyse des champs géographiques et l'approche physionomique, selon une démarche à la fois déductive et inductive. Les VAP se définissent alors comme la caractérisation des VA par une approche physionomique des VP combinée à une analyse des champs. Vne carte des VAP dans le Pays de Bray illustre la démarche. Mot-clés: cartographie, paysage agricole, Pays de Bray Abstract Toanalyse the spatial distribution of agricultural activities at a regional scale, we propose the concept of « Agro-Physiognoluic Vnit » (U.A.P.). V.A.Ps. are land areas relatively homogeneous in ternlS of agricultural use and structure of agricultutal space. Their size is much greater than that of the farm field. The V.A.P. concept results from numerous landscape observations and has its theoretical justification within the geographical field concept. Every spatial point is placed within a group of geographical fields that playa role in the possible range of landuses of the place, taking into account the social, economic and technical climate of the period. Several types of geographical fields can be identified that help to interpret the spatial distribution of agricultural uses: "distance areas" centred around a point (farm headquarters, a food industry installation... ) or along an axis; physical environment areas (climate, topography, soil type); technical infrastructure areas; land-ownership areas; legal obligation, regulated areas; economic and politiëal areas; "cultural" areas. The cOlubination of these areas delimit spatial zones within which we observe a relatively homogeneous spatial organisation of agricultural practices: Agronomic Vnits (V.A.). Agricultural activity produces discernibly visible forms within a territory. At a given moment within a given territory, these fOflUSintercombine in a number of recurrent patterns that define spatial units of relative equal appearance: Physiognomic Vnits (U.P.). The identification of these V.Ps. results from a physiognomic approach which combines an agronomic reading of the landscape at ground level and a photographic interpretation using pictures that are available covering the study area as a whole. There exists a close relationship between U.As. and V.Ps. The approach of constructing V.A.Ps. associates in a iterative way the analysis of geographical fields and the physiognomic approach. V.A.Ps. are constructed through a characterisation of V.As. following a physiognomic approach to V.Ps. and field analysis. A map of U.A.Ps. in the "Pays de Bray" illustrates the approach. 184
Key-words: mapping, agriculturallandscape,
Pays de Bray
La géographie analyse des distributions spatiales qui s'entendent comme la localisation et l'ordonnancement, dans l'étendue terrestre, d'objets ou de phénomènes caractérisés par des valeurs de variables spatiales. L'analyse géographique consiste à décrire ces distributions et à les interpréter en proposant des systèmes d'explication aux répartitions spatiales observées (3). Nous nous intéressons ici aux distributions des usages agricoles dans l'espace, à l'échelle régionale. Le terme d'usages agricoles regroupe les structures parcellaires mises en place par l'agriculture (maillage de l'espace en parcelles agricoles, nature des inter-champs) et les types de cultures et d'usages pastoraux (nature et succession des cultures, prairies fauchées et/ou pâturées, parcours.. .). Dans la démarche des Unités Agro-Physionolniques (UAP), la description de la distribution prend la forme d'une cartographie d'unités spatiales agronomiques. Son interprétation repose sur l'identification de champs géographiques et sur l'analyse des modalités de leur influence sur les usages agricoles (15) et (8). La première partie de l'article précise la nature des distributions spatiales à analyser et formule l'hypothèse centrale des UAP. La seconde partie est consacrée à la définition des «champs géographiques» et propose un ensemble de champs parmi les plus influants en matière de répartition dans l'espace des usages agricoles. La troisième partie présente la démarche de construction d'une carte d'UAP qui mobilise conjointement deux approches : (i) l'analyse physionomique à partir d'observations de terrain et de photographies aériennes; (ii) l'identification des champs géographiques et de leur modalités « d'action» sur les usages agricoles. La quatrième partie illustre la démarche dans le Pays de Bray. 1
- Quelle distribution spatiale cllerche-t-on à analyser?
A - Les objets à représellter: cultures et d'usages fourragers
structures parcellaires et types de
A travers la démarche des UAP, on cherche à caractériser la distribution spatiale des structures parcellaires et des types de cultures et d'usages fourragers. Les structures parcellaires correspondent aux types de ll1aillage de l'espace en parcelles agricoles et à la nature des inter-champs. Ces derniers se définissent comme l'espace non cultivé qui s'étend entre deux parcelles d'usage adjacentes (5). L'objectif n'est pas une formalisation poussée des types de maillage parcellaire. Il s'agit de distinguer des zones en fonction de la taille des parcelles, de leurs formes géométriques (allongées 185
ou compactes, aux contours rectiligne ou curviligne, régulières ou non...) et de la nature des inter-champs (haies, fossés, clôtures. . .).
Les types de cultures et d'usages fourragers caractérisent la nature des espèces végétales cultivées et, pour les surfaces en fourrages, le type de ressource qu'elles constituent au sein du système fourrager. Pour les cultures, il s'agit de représenter des grands types de successions de culture cotnme les successions avec betteraves, les succession colza-bléorge, la monoculture de maïs. .. Pour les prairies, il s'agit de décrire les types d'usage fourragers:. pâturage, en distinguant éventuellement les lots d'animaux concernés, fauche exclusive, fauche et pâturage Le fait de caractériser les cultures sur une période pluriannuelle fixe la résolution temporelle des UAP: le temps des UAP correspond au temps des successions de culture. B - Etendue géographique
et résolution spatiale
En agriculture, activité fondée sur l'utilisation des ressources naturelles, une tendance forte est la multiplication des fonctions qu'elle doit remplir en plus de la fonction de production de biens agricoles. Cette multifonctionnalité de l'activité agricole nécessite une mise en correspondance des espaces fonctionnels de l'agriculture avec les espaces à enjeux environnementaux: bassin versant pour l'érosion, bassin d'alimentation d'une source d'eau potable, habitat au sens écologique du terme, paysages... Pour faciliter cette mise en correspondance (8), nous proposons une méthode de construction d'entités spatiales significatives de l'activité agricole dans des territoires pouvant aller du local (quelques milliers d'hectares) au régional (quelques centaines de milliers d'hectares). Des portions de territoires relativement hOlnogènes en ternIes d'usages agricoles Comme il est « coûteux », pour de telles étendues et sur un pas de temps pluriannuel, de cartographier les usages agricoles selon un grain parcellaire, la démarche des UAP cherche à « s'affranchir» du niveau de la parcelle, en travaillant à un niveau plus englobant. Le niveau recherché correspond à des unités spatiales de taille nettement supérieure à la parcelle agricole et qui présentent une relative homogénéité des usages agricoles. Les UAP reposent sur l'hypothèse selon laquelle il est possible de distinguer des portions de territoire, de taille nettement supérieure à la parcelle culturale et à l'intérieur desquelles les usages agricoles, tel que définis précédemment (structures parcellaires et nature des cultures), présentent une relative homogénéité. Elle va à l'encontre de I'hypothèse selon laquelle les cultures au sein d'une région donnée se distribueraient de 186
façon quasi aléatoire dans le territoire, en affirmant en quelque sorte que les techniques agricoles permettent de s'affranchir de n'importe quelles contraintes liées au lieu (milieu physique, distance...). Notre hypothèse est également celle ~doptée par M.C. Girard dans la notion d'agropaysage (10) : « il existe une organisation spatiale, non aléatoire des facteurs du lnilieu. L'organisation spatiale d'un milieu rural est en lien avec l'utilisation par l'homme de ce milieu... ». Cette hypothèse repose sur de nombreuses observations de terrains et a été maintes fois validées par la cartographie d'unités paysagères (2, Il, 15). Elle trouve également une justification théorique dans la notion de champ géographique. 2 - Champs géographiques A
- Les
et UAP
champs géograplliques
De la même manière qu'un champ magnétique ou qu'un champ de gravitation se définissent comlne l'espace dans le quel un aimant ou un corps pesant exerce une force magnétique ou de gravitation, un champ géographique se définit comme l'espace dans lequel s'exerce une influence particulière (présence d'une ville, type de milieu physique, environnement économique.. .). Un champ géographique se définit comme l'aire d'extension ou d'action d'un phénomène dans l'espace (3). Par exemple, une ville exerce dans son espace périphérique une influence liée aux emplois ou aux services qu'elle offre. Cette périphérie est ainsi «plongée» dans le champ géographique de cette attraction urbaine. Un champ géographique se caractérise par une étendue spatiale et par la nature de la force qui le crée. Sa structure spatiale peut prendre la forme d'un gradient d'intensité par rapport à un ou plusieurs centres ou axes, peut présenter des dissymétries, des lignes de ruptures, des vides... Une champ peut être discret ou continu, stable dans le temps ou évolutif. Tout point de l'espace est placé dans un ensemble de chalnps géographiques dont la combinaison en ce lieu influe sur une gamme possible d'usages agricoles. En ce qui concerne les UAP, nous considérons que cette influence relève non pas de modèles déterministes mais de modèles possibilistes ou probabilistes dans lesquels le hasard a sa place (1). Les champs peuvent s'additionner et, en «jouant» dans le lnême sens, créer des structures ou des dynamiques fortes; à l'inverse, ils peuvent s'opposer et provoquer des tensions ou des états instables.
187
B - Champs géographiques et UAP Il est possible de distinguer un ensemble de champs géographiques qui «jouent» le plus dans la plupart des distributions d'usages agricoles observées. Ces champs relèvent de catégories de la géographie souvent opposées par le passé, la géographie humaine versus la géographie physique. Comme le note J. Levy (12), «plusieurs lignes de clivage internes à la géographie paraissent aujourd'hui affaiblies ou dépassées», au rang
desquelles le clivage « physique / humain ».
.
a. Les champs de distance. Il peut s'agir de la distance entre les éléments du territoire de l'exploitation, c'est à dire entre le lieu d'habitation de l'agriculteur, les bâtiments d'élevage, les hangars et les parcelles: une trop grande distance aux bâtiments de l'exploitation peut être rédhibitoire pour certains usages des parcelles (13) ; de la distance à un pôle urbain (concurrence foncière, choix des production liés à la présence d'un marché urbain ou de contraintes exercées par la ville en termes de nuisances. ..); de la distance à des industries agro-alin1entaires (bassin d'approvisionnement d'une usine, bassin de collecte) ; ... b. Les champs du milieu physique. Il peut s'agir des caractéristiques topographiques d'un lieu comtne la pente, l'altitude, l'exposition (une pente trop forte peut interdire un certain type de mécanisation, 1' altitude), pédologiques (nature des terrains) ou clitnatiques. Ces trois facteurs sont fréquemtnent liés entre eux (climat et gradient altitudinal ou exposition, type de sol et position dans une toposéquence...). c. Les champs d'atnénagements techniques: périmètres d'irrigation ou de drainage d. Les champs fonciers: modalités d'appropriation du sol, opérations de remembrement. .. e. Les champs réglementaires (AOC, périmètres de protection. ..) f. Les champs économiques et politiques (Politiques Agricole Commune. . .) g. Les champs «culturels» qui définissent des zones spécifiques en termes de pratiques agricoles, de pratiques sociales, de systèmes locaux de pensée. .. En un lieu, ces champs se combinent et définissent des portions d'espace «d'iso-champ» à l'intérieur desquelles peuvent s'observer des usages agricoles relativement homogènes: les unités spatiales agronotniques (UA). L'étendue géographique de ces champs est très variable et peut aller de champs micro-locaux (comme le champ de distance entre les bâtiments et les parcelles de l'exploitation) à des champs d'étendue régionale, nationale ou supranationale (effets de la Politique Agricole commune dans ses spécificités 188
régionales ou nationales ou pour l'ensemble des Pays de l'Union Européenne.. .). Cette approche par les champs permet donc de raisonner les usages agricoles d'un lieu en considérant un ensemble de champs qui se manifestent spatialement à une gamme d'échelle extrêmement large. La démarche des UAP nécessite la formulation d'hypothèses sur la façon dont un ensemble de champs influent sur l'usage de l'espace par les exploitations agricoles. Cette influence ne se fait pas dans l'absolu mais dans un contexte technique, économique, social et culturel spécifique. Si l'on considère par exemple les effets de l'attraction exercée par une ville sur les usages agricoles périurbains, ces effets ne sont nullement de nature déterministe mais sont à raisonner en fonction de l'époque et du lieu. Autrefois en France, la présence d'une ville générait à sa périphérie une production maraîchère importante, permettant d'alimenter au quotidien la ville en produits frais mais aussi de recycler certains déchets de la ville. Au cours de la seconde moitié du XXè siècle en France, ces couronnes maraîchères ont eu tendance à disparaître au profit de régions horticoles spécialisées. Actuellement, l'influence périurbaine de certaines villes en matière d'agriculture se traduit à la fois par une consomlnation d'espace agricole lié à l'étalement urbain et par une demande urbaine nouvelle envers l'agriculture. Cette dernière porte sur des fonctions d'aménagement, de paysages, de découverte (fermes pédagogiques, cueillette à la ferme) mais également de produits de « qualité» (vente à la ferme, marchés paysans...) (9). Les champs géographiques liés au milieu physique (type de sol, pentes. ..) et leur influence doivent également se garder de tout déterlninisme excessif. A partir de l'exemple de la dépression du Bassigny - Châtenois, en Lorraine, P. Morlon (14) montre que les sols argileux lourds et profonds et des pluies réparties sur toute l'année conféraient à la région, au XIXè siècle, une "vocation" "définitivement" céréalière, alors qu'au milieu du XXè, elle avait une "vocation" tout aussi "définitive" pour la prairie permanente! Entre temps, les chevaux ont été remplacés par les tracteurs qui exigent une bonne portance, que les terrains argileux n'ont pas. Par ailleurs, les engrais chimiques ont permis la production des céréales ailleurs, sur les plateaux calcaires autrefois pauvres. .. L'analyse des champs géographiques est une des composantes de la démarche UAP. Elle est associée, dans un processus itératif, à une approche physionomique. 3 - La démarche UAP
A - Approche physionomique L'activité agricole produit des formes observables dans l'espace (7). Ces formes s'associent selon des n10tifs graphiques récurrents qui définissent 189
des unités spatiales de relative égale apparence, les unités physionomiques (UP). Ces formes étant produites par l'activité agricole, nous émettons l'hypothèse d'une relation de correspondance forte entre unités physionomiques et unités agronomiques. L'analyse physionomique combine deux types d'approches. Une première approche est fondée sur l'analyse visuelle de documents de télédétection, principalement des photographies aériennes en couleur. Cette analyse visuelle perme, pour l'ensemble du territoire, de repérer le type de maillage parcellaire (taille et forme des parcelles, haies. . .) et d'identifier les grands types d'occupation du sol. La seconde approche est fondée sur une lecture agronomique du paysage in situ (6). Elle permet de caractériser plus finement qu'à partir des photographies aériennes les usages et les pratiques agricoles (8). Un va-et-vient entre les chan1ps géographiques et la physionon1ie La construction d'une carte d'UAP mobilise conjointement l'analyse des champs géographiques et l'approche physionomique, dans une démarche à la fois déductive et inductive. Sur cet aspect là, elle s'apparente à l'approche des modèles graphiques en géographie. Dans le sens ascendant (inductif) la démarche chorématique examine une distribution spatiale pour identifier des chorèmes susceptibles de fonctionner; dans le sens descendant (déductif), on mobilise des « lois» de l'espace géographique, connues et récurrentes, sur un espace particulier pour formuler des hypothèses sur les modalités d'organisation de cet espace. Le modèle graphique résulte de l'ajustement progressif dans une démarche itérative de ces deux approches (4). Il en va de même dans la démarche des UAP: dans un sens, la structure spatiale observée des usages agricoles permet de mobiliser des champs géographiques explicatifs; dans l'autre sens, les «lois» de l'espace géographique correspondent aux champs géographiques dont l'examen systématisé permet de déduire et de formuler des hypothèses en retour sur les distributions à observer. L'identification et le tracé des UAP procède d'un va-et-vient entre ces deux approches: à partir des champs géographiques (démarche déductive) : o passage en revue systématique des champs géographiques qui jouent le plus fréquemment (cf. supra) ; o formulation d'hypothèses sur l'influence de ces champs en termes d'usages et de structures agraires et construction d'un système d'interprétation de la distribution spatiale des usages agricoles; selon une approche physionomique (démarche inductive) : o l'observation de la physionomie des lieux conduit à l'identification de différenciations spatiales; 190
o celles-ci sont interprétées à l'aune des champs géographiques, connus et récurrents. o La lecture physionomique est par ailleurs guidée par la géographie des champs retenus. En effet, la présence d'une limite de champ peut conduire à un examen plus approfondi localement des différences physionomiques. En retour, elle peut permettre de prendre en compte de nouveaux champs non encore identifiés ou de préciser l'influence de champs déjà pris en considération et de modifier ainsi le système d'interprétation de la distribution spatiale observée. Au total,Jes UAP correspondent à l'identification et au tracé d'unités spatiale agronomiques (UA) par la combinaison d'une approche par les champs géographiques et d'une approche physionomique (identification et délimitation d'UP).
B - Un exemple de cartographie
des UAP dans le Pays de Bray
Une den'lande de carte agricole des paysages Suite à l'évaluation d'une opération locale agri-environnementale dans le Pays de Bray (département de l'Oise), les élus du Syndicat Mixte du Pays de Bray et des agriculteurs de la zone se sont retrouvés dans le projet d'une valorisation possible des paysages brayons. L'idée d'une carte touristique des paysages agricoles a été retenue. Elle est actuellement en cours de réalisation selon la démarche des UAP. Les champs géographiques Une première analyse des champs géographiques nous permet de distinguer: 1/ un champ de distance, entre des sièges d'exploitation et les prairies. Dans cette région où l'élevage, notamment bovins-lait, reste important et où l'habitat est plutôt groupé (contrairement à la partie ouest du Pays de Bray dans le département voisin de Seine Maritime), des auréoles herbagères entourent les zones d'habitat. La figure 1 illustre cette localisation préférentielle des prairies et notamment des parcs à vaches près des villages.
191
500 mètres
I
Figure 1. Distance au village et auréole herbagère Distance to the village and the grass belt
2/ un champ de milieu physique organise l'espace selon des bandes orientées nord-ouest / sud-est. Au centre, la formation géologique de boutonnière (figure 2) fait affleurer des terrains argileux et sableux très différents des terrains souvent limoneux sur substrat crayeux des plateaux du nord-ouest (rebord du plateau picard) et du sud-est (plateau de TheIle). Sans pour autant tomber dans les excès du déterminisme physique, l'opposition entre ces différents terrains influe sur l'organisation des usages agricoles dans le territoire. Compte-tenu des techniques actuelles en grande culture, les terrains argileux et très humides litnitent l'entrée des engins agricoles dans les parcelles à certaines périodes de l'année (récoltes et labours d'automne notamment) et donc la présence de parcelles en cultures.
192
Figure 2. La boutonnière du Pays de Bray Geology n1ap of the "Pays de Bray"
Tenains du crétacé supérieur: plateau crayeux + litnons à silex et litnons des plateaux et vallée du Thérain Tenains du jurassique supérieur: sables, argiles et calcaires.
Tenains du crétacé inférieur: argiles et sables.
Tenains du crétacé supérieur: plateau crayeux + litnons à silex et litnons des plateaux
o
5
10 kms
(Source:
BRGM)
La figure 3 illustre localement la correspondance cartographique entre une limite de la carte géologique (entre les calcaires du portlandien supérieur et les argiles du kimméridgien) et les usages agricoles: à l'est, petites parcelles d'herbe, de [onnes irrégulières avec présence de nombreuses haies; à l'ouest, parcelles de cultures, de [onne plus rectangulaire, linéaire de haies réduit. Au niveau du village, au sud de la photo, l'auréole herbagère « dépasse» la limite géologique. On peut voir là comment deux champs géographiques se combinent. Le champ de distance au village génère une auréole herbagère autour du village et «prend le pas» localement sur le champ du milieu. Lequel sur l'ensemble du territoire de la photographie aérienne structure les zones de prairies et les zones de culture.
193
Figure 3. Limite de la carte géologique et physionon1ie agricole Geology map limits and agricultural physionon1Y
~m 3/ D'autres champs organisent également le paysage: la distance à la ville de Beauvais qui induit une consolnmation d'espace agricole au profit de l'extension urbaine; l'axe de la RN31, qui combiné à une position topographique dans le fond du Bray (secteur très hU111ide),a induit le développement d'autres activités qu'agricoles (une industrie initialement liée à l'exploitation des argiles pour la fabrication d'objets en terre cuite, des surfaces commerciales, zones de loisirs. ..) et de quelques friches agricoles; l'influence des agricultures du Vexin et du plateau picard au nord-ouest et au sud-est en opposition à la zone centrale du Bray, restée plus herbagère; les périmètres des forêts domaniales qui ont figé les limites de certains espaces boisés; les aires de drainage; les champs fonciers liés aux différentes dates de remembrement et à l'existence de quelques grands domaines fonciers historiques. 194
Deux exen1ples d'unités agro-physionon1iques Les figures 4 et 5 indiquent la localisation de l'unité (carte) et donnent à voir (photo) le type de paysage de chacune des deux unités présentées. Les vallons de TheIle, généralement éloignés des villages et proches de zones boisées, correspondent à de petits vallons secs, en situation de pente modérée à forte, sur des sols peu épais. Ces espaces sont exploités par des exploitations de grande culture avec parfois des ateliers bovins-viande ou bovins-lait, généralement plus « tournées» vers l'agriculture du plateau du Vexin que vers celle du Bray. Les parcelles de taille moyenne (5/6 hectares) sont de forme irrégulière, séparées par quelques haies. On retrouve des successions de type colza-blé-orge ainsi que des parcs à génisses ou à chevaux. Les agriculteurs y ont également implanté bon nombre de leurs jachères. Le bocage dense du Haut-Bray est situé dans le zone centrale du Bray. Essentiellement sur des terrains argileux et en pente, cette unité correspond à de petites pâtures (parcelles de 1 à 2 hectares) avec un réseau de haies très dense. Les lots d'animaux qui pâturent ces parcelles dépendent de la distance entre la parcelle et les bâtiments d'élevage et du type d'exploitation (en fonction notamment de la taille du troupeau). Références
bibliographiques
(1) Bailly A., Beguin H,., 1992. Chapitre 3. Information et causalité en géographie. ln. Introduction à la géographie hUlnaine. Masson, 3èmeEdition. Paris (2) Blanc-Pamard C., Sautter G., 1990, Facettes in Melanges Gabriel Rougerie, pp.121-125. (3) Brunet R., Ferras B., Thery H., 1993, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. 3ème Edition. Reclus-La Documentation Française, Paris, 470p., p 98 et p 165. (4) Brunet R., 1986. La carte-modèle et les chorèmes. Mappe111onde,n04, pp.259-267. (5) Burel F., Baudry J., 1999. Chapitre 5. Organisation des paysages. In « Ecologie du paysage. Concepts, méthodes et applications ». Editions Tec & Doc. Paris. pp. 186-187. (6) Deffontaines J.P., 1986. Un point de vue d'agronome sur le paysage. Une méthode d'analyse du paysage pour l'étude de l'activité agricole. ln Lectures du paysage. Foucher, Paris, pp. 33-52. (7) Deffontaines J.P., 1994. L'agriculteur artisan producteur de formes. Natures Sciences Sociétés, 2(4),337-342.
195
(8) Deffontaines J.P., Thinon P., 2001. Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environnementaux et paysagers: contribution à une agronomie du territoire. ln. Cahiers de l' environnen1ent, n° 44. INRA, Paris. (9) Fleury A., Donadieu P., 1997. De l'agriculture péri-urbaine à l'agriculture urbaine. Courrier de l'environnement de l'INRA, n031, 45-61. (10) Girard M.C., Girard C.M., 1999. Chapitre 18. Les agropaysages. ln. Traitement des données de télédétection. Dunod, Paris. (11) Groupe INRA, 1998. Politiques innovantes de pérennisation de l'agropastoralisme au Pays-Basque. Partie 1 : Synthèse et conclusion et propositions des groupes. 43 p. Partie 2 : Travaux menés par les groupes 253 p. Programme Leader II, Pays Basque intérieur - INRA Saint-Pée-surNivelle. (12). Levy J., 1999. Le tournant géographique. Penser l'espace pour lire le monde. Belin. Paris. p 129-139. (13) Morlon P., Benoit M., 1990 - Etude méthodologique d'un parcellaire d'exploitation agricole en tant que système. Agronolnie, 1990 (6) : 499-508. (14). Morlon P. L'organisation spatiale de l'exploitation agricole: une approche agronomique. ln Agricultures et territoires. Collection Traité d'information géographique et d'aménagement du Territoire. Ed. Hermès. Paris. A paraître. (15). Thinon P., Deffontaines J.P., 1999. Partage de l'espace rural pour la gestion de problèmes environnementaux et paysagers dans le Vexin français. Cahiers Agricultures, 8, 373-387.
196
Figure 4. Les vallons du Pays de Theile The little valleys of the "Pays de Theile"
Parcelles
de taille moyenne
(5-6
hectares)
Vallons
Présence
de bosquets,
Succession: génisses
secs (pente,
Eloignement
et de forme irrégulière. de haies et proximité
colza-blé-orge,
jachères,
de bois.
parcs à
et chevaux
197
sols peu épais)
par rapport
aux villages
Figure 5. Bocage dense du Haut-Bray Dense hedgerow landscape of the "Pays de Bray"
Petites
Petites
pâture (1-2
pâtures
hectares).
Essentiellement
( 1-2 hectares).
sur terrains
argileux
et en pente
ré « cœur du Bray»
Réseau de haies dense. Pâturage vaches laitières ou allaitantes, parcs génisses/bœufs; certaines parcelles sont fauchées.
198
1ts selon la distance )loitation.
aux bâtiments
Activités agricoles, territoires et questions d'environnement: Quelles entités d'action? Stéphane BELLON, Michel ETIENNE, Elisabeth LECRIV AIN, Mireille NA V ARETTE
1
Résumé Les relations entre activités agricoles et questions d'environnement s'expriment sur. des territoires particuliers et de façon dynamique. Dans ces territoires et temporalités aux limites souvent floues, la façon dont s'entremêlent des processus biologiques et des procédures techniques conduit à prendre en compte des entités originales. L'objectif de l'article est de montrer, à partir d'expériences d'agronomes et d'écologues, comment les entités classiquement en jeu dans les activités agricoles sont remises en cause lorsque les pratiques d'agriculteurs sont impliquées dans la maîtrise de problèmes d'environnement. Nous illustrons notre propos par deux exemples dans lesquels les activités agricoles sont impliquées de façon contrastée: pratiques agricoles et pollution par les nitrates dans une zone vulnérable; utilisation du pâturage et de l'agriculture pour limiter l'enrésinement de prairies à forte valeur patrimoniale. Nous analysons dans quelle mesure les questions d'environnement redéfinissent les entités d'action des agriculteurs ou des « porteurs de projets» et comment les modèles prennent en compte l'espace et le temps quand ils sont utilisés sur des questions d'environnement. Cette exploration du concept d'entité à partir de regards croisés d'écologues et d'agronomes sur un territoire semble féconde pour la production de connaissances et dans le rapport à l'action. Mots-clés: environnement, activités agricoles, systèmes de culture et d'élevage, territoire. Abstract The relationships between farming activities and environmental issues are revealed through dynan1ic patterns with fuzzy boundaries. In such territories, the combination of biological processes and technical operations entails considering new entities. Based on our agronoluic and ecological background, the objective of the paper is to address how the standard entities
1
INRA-SAD,
Unité Ecodéveloppelnent,
DOlnaine Saint Paul, Site Agroparc,
84914 Avignon
Cedex 9
involved in farm management are questioned when agricultural practices are involved in the mastering of environmental problems. Two contrasting study cases are compared: farming activities and nitrate pollution in a lowland Vulnerable Zone, pine encroachment reduction by grazing and cropping in a steppic area. We analyse to what extent environmental questions redefine entities for farmers or stakeholders and how models integrate space and time, in order to facilitate knowledge organisation in the scope of land development. The comparative exploration by both ecologists and agronomists of the entity concept, applied on agricultural territories concerned by environmental problems, appears to be particularly fruitful in two fields: the production of knowledge and the relation to action. ](ey-words: environment, agricultural activities, crop and livestock management systems, territory.
1 - Introduction et problématique Il existe des relations fortes entre activités agricoles et questions d'environnement, soit parce que ces activités sont à l'origine de problèmes environnementaux (pollutions), soit parce qu'elles sont sollicitées pour contribuer à leur maîtrise (maintien de milieux ouverts). Ces relations s'expriment dans des lieux particuliers et de façon dynamique. Elles sont évaluées ponctuellement (à date donnée, au niveau parcellaire), ou plus globalement à l'échelle d'une exploitation ou d'un bassin hydrologique. Nous considérons cependant que la combinatoire des pratiques de plusieurs agents et de processus biologiques (impliqués dans l'évolution de composantes de l'environnement) est productrice d'entités originales. Une entité peut être définie comme un objet (ou une collection d'objets, concrets ou abstraits) considéré comme doué d'une existence matérielle, alors que son existence objective n'est fondée que sur des rapports (Petit' Robert 1). Sa caractérisation passe donc par la mise en évidence de relations. Pour rendre compte d'activités utilisatrices d'espace, les chercheurs représentent les objets que les acteurs manipulent sous la fonue d'entités d'action. Parallèlement, pour comprendre un problème d'environnement, ils mobilisent des entités qui sont repérables par des lois biophysiques. Comme ces deux types d'entités sont conçues dans des logiques différentes, elles ne se chevauchent pas a priori. Pour aborder les activités agricoles en relation avec une question d'environnement, il nous a paru nécessaire de définir de nouvelles entités. L'objectif de cet article est d'expliciter notre proposition à partir de deux exemples (décrits dans les encadrés du texte) où les questions environnementales et les acteurs impliqués amènent à construire de nouvelles entités de façon très différente. 200
Sur le Causse Méjan (Cévennes), un espace pseudo-steppique unique en Europe est menacé de fermeture par un fort enrésinenlent spontané. La construction d'un Système Multi-Agents (SMA) perlnet à l'écologue de modéliser des pratiques agricoles et forestières dans un contexte de préservation de milieux et d'espèces. L'accent est nlis sur la prise en conlpte d'entités de gestion floues et nl0uvantes, dont les nlailles et les tenlporalités sont différentes selon les acteurs concernés. Un jeu de rôle couplé au SMA perlnet d'évaluer différents scénarios (8, 9). Dans le COlntat Venaissin (Provence), le diagnostic initial de pollution des nappes phréatiques par le maraîchage est relativisé par la prise en compte de l'ensemble des activités agricoles à l'échelle d'une zone vulnérable grâce à un Système d'Information Géographique (SIG). Des unités scalaires internlédiaires sont identifiées pour caractériser et hiérarchiser les systènles de culture en vue de constituer une « grille de risques» (4).
Dans l'analyse bibliographique qui suit, nous décrivons comment des chercheurs ont formalisé des entités d'action (d'agriculteur, d'éleveur ou de forestier) et des entités de compréhension de questions d'environnement. Nous montrons ensuite comment les chercheurs impliqués dans les deux situations prises pour exemple ont construit de nouvelles entités, spatiales et temporelles, et les méthodes qu'ils ont utilisées. Enfin, nous discutons la pertinence de cette construction par rapport à la production de connaissances et à l'action. 2 - Représenter des entités d'action et de compréhension problèmes d'environnement A
- Quelles
de
entités d'action?
Si de nombreux travaux ont porté sur les pratiques d'agriculteurs, la question du champ d'application des pratiques n'est pas toujours posée explicitement. Ces travaux ont souvent privilégié l'organisation temporelle des décisions: enchaînement de phases planifiées dans le modèle d'action (20), concepts de «brebis-séquence» (6) et de « saison-pratique» (3) en élevage. L'organisation spatiale des territoires d'exploitation agricole est le plus souvent occultée (10). Au delà de l'exploitation, les travaux de géographes sont nombreux, alors que ceux d' agronolnes restent isolés (11, 16). En agronomie, le concept de système de culture (20) forlnalise les relations entre actes techniques et cultures Inis en œuvre successivement sur 201
une unité traitée de manière homogène, qui a souvent été assÜnilée à la parcelle. En fait, dans les exploitations, les conduites culturales peuvent s'appliquer à des morceaux de parcelles (14, 18) ou à des ensembles tels que la sole (1) ou des blocs de parcelles (17). Dans les élevages de petits ruminants, différentes entités spatiales sont proposées pour analyser l'utilisation d'un territoire pastoral: quartier de pâturage, station alimentaire d'un circuit de pâturage (19). En sylviculture, le parquet forestier, intermédiaire entre la parcelle et le massif, permet de raisonner un aménagement forestier sur la longueur de la rotation. B Quelles d'environnement?
entités
de
compréhension
d'un
problème
Le concept de système de culture a été mobilisé pour cOlnprendre la relation entre pratiques agricoles et qualité des eaux et identifier des solutions techniques (13). Cependant, la problématique environnementale implique généralement de prendre en compte des entités spatiales plus englobantes que la parcelle pour analyser les conduites culturales et leurs effets sur l'environnement: bassin versant, bassin d'alÜnentation (5). Si l'entité pertinente ne peut être le territoire d'une autorité administrative, celui-ci détermine en partie les agents susceptibles d'être concernés par une question d'environnement (16). La notion d'écosystème, introduite en écologie pour qualifier l'ensemble d'une communauté floristique et faunistique, y compris les lieux et les modalités de vie, se présente comme une entité pertinente par rapport à notre problématique. O'Neill (15) souligne cependant qu'elle n'a pas d'assise spatiale stable au cours du temps. 3 - Les entités retenues par les cllercheurs Comtat Venaissin.
dans le Causse Méjan et le
Dans cette section, nous explicitons les choix qu'ont fait les chercheurs pour prendre en compte la multiplicité des agents et des processus concernés par les questions d'environnement. Nous montrons comment leurs représentations privilégient certains acteurs, processus et entités d'actions.
A - Les agents pris en compte
Une première étape de recherche a consisté à identifier un espace social de concemement, c'est à dire tous les agents qui sont à l'origine du problème d'environnement ou le subissent. Mais dans les recherches présentées, ces acteurs sont multiples. Tous ne sont pas forcément pris en compte; seuls 202
sont retenus ceux dont on pense qu'ils interfèrent réellement avec le problème d'environnement. De plus, certains agents peuvent être exclus de la modélisation, soit parce qu'ils ont été jugés peu importants ou n'ont pas été identifiés dans la phase d'identification du problème, soit parce qu'on ne sait pas comment intégrer leur comportement. Comme la démarche de modélisation est évolutive, le chercheur peut être amené à les introduire ultérieurement, par exemple dans une phase de validation. Méian : les touristes et les chasseurs n'ont pas été modélisés, considérant qu'ils n'interviennent pas dans la dynan1ique d'enrésinen1ent. L'Etat est représenté à travers les agents de l' adn1inistration qui veillent au respect de la réglementation (DDAF, Parc National des Cévennes). Suite à un jeu de rôle, l'acteur ''forestier'' a été scindé en deux: le ''forestier privé" et le" forestier Etat". Comtat: seuls les agriculteurs sont présents dans le n10dèle, à travers leurs pratiques, les règles de localisation et de succession des cultures et les effets possibles de ces pratiques dans différents contextes pédo-clinlatiques. Les acteurs qui subissent le problèn1e (autres utilisateurs de la nappe phréatique polluée) ne sont pas pris en cOlnpte. Nous retenons deux cas de figure possibles:
.
considérer différents agents ou groupes d'agents et envisager les entités comme résultant de la confrontation entre ces agents dans un territoire (Méjan), . expliciter des logiques d'action pour un groupe particulier et envisager les entités comme résultant de la combinaison d'actes techniques dans un espace à définir (Comtat). B - Les entités d'action Dans les deux cas étudiés, les chercheurs privilégient les entités spatiales car les processus écologiques présentés sont tous des processus spatialisés (flux d'eau, de nitrates, de graines). Mais les entités sur lesquelles peuvent être gérés les problèmes d'environnement sont plus englobantes que les entités d'action. De ce fait, il n'y a souvent pas de gestionnaire spécifique des entités correspondantes, mais un ensemble d'agents qui ont des stratégies individuelles.
203
Mé;an : de multiples entités spatiales ont été n10délisées (parquets du forestier, espace cultivé, parcs ou quartiers de pâturage de l'éleveur, domaine vital de l' oedicnème, .. .). Elles sont plus ou lnoins Ùnbriquées. L'utilisation du SMA a n10ntré l'intérêt collectif d'identifier une entité de gestion spécifique qui est l'ensemble des parcelles de crête où le contrôle des pins fertiles va pern1ettre d'éviter, de façon durable, l' envahisselnent de tout un bassin-versant. Cependant, aucun des gestionnaires locaux ne raisonne ses choix sur de telles entités. COlntat: le bassin hydrologique ne coïncide pas avec les lÙnites de communes correspondant à la définition d'une zone vulnérable. lnversemen't, à l'échelle cOlnmunale, certains secteurs sont sensibles alors que d'autres le sont n10ins. Enfin, les n1esures incitatives visant à réduire l'usage d'intrants doivent-elles privilégier les secteurs les plus sensibles, au risque de ne s'appliquer qu'à une partie des territoires d'exploitation? C
- Les
entités
spatiales
modélisées
Les entités modélisées sont celles qui ont un sens pour la question d'environnement étudiée; elles tiennent compte des entités d'action et des entités biophysiques, mais ne sont pas équivalentes. Mé;an: L'ensemble des parcelles cultivées est lnodélisé par une unique entité appelée "espace cultivé" parce que l'écologue considère que les pins sont éliminés des parcelles cultivées quels que soient le travail du sol ou le système de culture.
Pour représenter les entités spatiales d'un point de vue informatique, le pixel est la plus petite entité possible. L'analyse de sensibilité du modèle peut être utilisée pour tester si le niveau de résolution spatiale est pertinent, à condition d'être capable de rendre compte des phénolnènes en jeu à cette nouvelle échelle spatiale. Mé;an : le choix d'une n1aille élélnentaire de 4 ha est un comprolnis entre des contraintes de telnps de calcul inforn1atique et des échelles de modélisation des principaux processus en jeu. Jugée pertinente pour représenter la dynalnique des pins et le don1aine vital des oiseaux, sa trop grande taille pour la conservation de la flore a été tolérée en vertu du principe de précaution. Mais pour agir sur une entité stratégique conune les crêtes, il faut s'assurer que l'entité de base du n10dèle est sliffisalnment précise pour rendre compte correcten1ent de toute entité stratégique infraparcellaire.
204
C01ntat : cOl1Ipte tenu du maillage du parcellaire cadastral et cultivé (0,2 ha environ) au regard de l'extension de la zone d'étude (25 000 ha), la collaboration avec des géographes a perl1Iis de définir des entités intermédiaires entre parcelle et bassin hydrologique, et honl0gènes en termes de combinaisons de productions (4). les entités identifiées ont été regroupées selon des critères jugés pertinents vis-à-vis des trans.ferts de
nitrates. Elles ont été 1nises en regard de teneurs en nitrates interpolées afin de tester des corrélations et de hiérarchiser les zones sur lesquelles la caractérisation
des systè111es de culture
D - L'intégration
de dimensions
devait
être approfondie.
temporelles
Dans les deux situations présentées, les chercheurs privilégient des entités spatiales, mais ils prennent également en compte le temps:
.
parce qu'ils modélisent
. . .
à travers le choix de pas de temps pertinents,
des dynamiques,
en tenant compte de temporalités
emboîtées ou en interaction,
en séparant des processus dont les temps sont indépendants.
Méian : au sein de l'écosystèl1le, les entités spatiales sont 1nodifiées en permanence au rythme de la dynanIique d'enrésine1nent. Le processus biologique en jeu et la gestion sylvicole imposent un pas de tenlps annuel et des simulations à relativenlent long ternIe. Les tenIps d'action ont des seuils bien marqués: il faut supprÏ1ner les pins avant leur période de fertilité, il faut contrôler l'enrésinement avant qu'il n'occasionne un donunage irréparable sur les espèces à protéger. Comtat: le 1nodèle (à conlpartinlents) et l'outil (SIG) utilisés ont été en partie renIis en cause pour l1Iieux intégrer la dinlension tenlporelle des processus biologiques (flux de nitrates) et des pratiques agricoles.
En définitive, pour prendre en compte le temps, les chercheurs se sont limités à donner une "dimension temporelle" aux entités spatiales plutôt qu'à identifier des entités temporelles. 4 - Discussion A - Les choix de Inodélisation
.
: questiollS et perspectives
Coml1lent agréger des entités spatiales élé1nentaires ?
Puisqu'une question d'environnement se pose généralement à l'échelle d'un territoire, il est nécessaire de relier des entités spatiales élémentaires. 205
Les entités d'action sont multiples et organisées de façon variable: elles peuvent être juxtaposées (plusieurs parcelles), affiliées dans le temps et l'espace (par la relation entre successions de cultures et assolement), emboîtées (une parcelle dans une exploitation ou un bassin versant), ou encore se chevaucher en partie (la commune et le bassin versant). Nous appelons "agrégation" le regroupement de plusieurs entités dont le tout a des propriétés différentes de la somme des propriétés individuelles (par exemple, les possibilité de compensation ou d'exacerbation de processus entre parcelles). L'agrégation peut conduire à concevoir des solutions techniques pertinentes à une échelle autre que la parcelle. Mais comment agréger des parcelles à l'échelle d'un territoire? Actuellement la modélisation bute sur deux difficultés. D'une part, il faut modéliser finement des phénomènes complexes (transferts d'eau d'une parcelle à l'autre, dissémination de graines d'une zone à l'autre...), pour lesquels on ne dispose parfois que de connaissances expertes. D'autre part, il faut rendre compte de logiques d'organisation des activités humaines, qui existent indépendamment du problème d'environnement (par exemple la .
localisation des systèmes de culture).
.
Quels outils de n10délisation? Le SIG est un outil puissant de croisement de données: mise en forme et regroupement d'informations, construction de variables spatiales utilisables dans des modèles, mise en relation de différentes couches d'information. Ces différentes possibilités d'utilisation et leur couplage avec d'autres outils n'ont pas toutes été explorées. Le SIG apparaît cependant comme un outil de représentation plutôt statique, et il s'avère délicat de traiter de la dynamique d'entités spatio-temporelles avec les SIG existants (12). Con1tat : l'utilisation d'un SIG a perlnis de valider une localisation des systèmes de culture conforlne à la distribution spatiale des grands types de sol. Elle a également pern1is de n1ettre en relation les teneurs en nitrate d'aquifères avec ces élélnents d'organisation, au lnoyen de traitelnents statistiques. En revanche, des approfondissen1ents thén1atiques (caractérisation des propriétés hydrodynan1iques des sols) et des traitelnents géostatistiques sont nécessaires pour tester l'hypothèse de corrélations entre ces différentes couches d'inforn1ation.
Le SMA permet d'intégrer facilement de nouveaux objets (entités, acteurs) ; les acteurs constituent des entités à part entière (des agents) capables de réagir et de changer de comportement en fonction des états de leur environnement. En revanche, dans les 1110dèlesbioteclmiques, on ne prend en compte que le résultat de leurs comportements, c'est à dire leurs pratiques. 206
. Positionnen1ents Les modèles pris comme ou des agronomes. La façon de l'importance accordée modéliser.
et interactions disciplinaires exemples ont été construits par des écologues de mobiliser les différentes disciplines dépend aux processus que chaque discipline peut
Mé;an : le modèle à été co-construit avec les chercheurs du départen1ent Forêt. Les zoo techniciens et agronomes ne sont intervenus qu'en fournissant une expertise.. Comtat: le projet a associé des agronolnes, des spécialistes des transferts dans le sol et les nappes et des géographes. Après la formulation conjointe d'une problématique, les différentes tâches ont été partagées selon les compétences disciplinaires. L'utilisation d'un SIG a pern1is d'intégrer et de discuter les résultats des différentes tâches.
Une condition pour que les chercheurs d'une discipline se mobilisent autour d'un modèle proposé par d'autres disciplines est que ce modèle leur permette de ré-interroger leurs propres objets de recherche. Il faut pour cela un degré de précision minimum dans la modélisation des processus. Mé;an: Distinguer les différentes parcelles dans l'espace cultivé n'a pas paru nécessaire à l'écologue. Les agronolnes peuvent cependant avoir un avis différent sur cette sin1plification ,. le n10dèle n'est pas utilisable pour leur propre recherche puisqu'il ne tient pas con1pte des différentes façons de cul tiver. B - Utilisation
des modèles et rapport à l'action
Au delà des difficultés méthodologiques de la modélisation, des interrogations subsistent sur l'utilisation des modèles pour l'action: outil de dialogue ou de négociation entre acteurs, outil pour aider les acteurs à innover? En effet, une des sorties de la modélisation peut être de proposer des solutions techniques différentes selon la position de leurs parcelles par rapport au problème environnement al (en haut d'un bassin versant par exemple, sur les crêtes pour la dispersion des graines). Cela débouche sur des questions de négociation entre individus, de coût économique, de faisabilité qui dépassent les compétences des sciences techniques. Le couplage du modèle multi-agent avec des jeux de rôles paraît particulièrement intéressant lorsqu'il s'agit d'aider à la négociation entre acteurs, ou pour recréer de la réflexivité (7). Le jeu de rôles consiste à faire raisonner d~s acteurs sur un espace biophysique réel ou virtuel et à les 207
projeter dans le futur pour anticiper sur leurs réactions. Les conséquences de leurs décisions sont alors simulées par le SMA. Méian : la dén1,arche a servi à la fois pour sensibiliser les acteurs locaux aux processus écologiques en jeu, pour in1,aginer des stratégies d'actions individuelles puis pour initier une dén1,arche collective qui a débouché sur un Plan Local d'An1,énagen1,ent Concerté.
Finalement, en identifiant des entités d'action, les représentations du chercheur peuvent contribuer à accompagner des agents par:
.
la hiérarchisation des lieux ou des processus sur lesquels il est possible d'agir (mise en évidence d' entités stratégiques), les mises en relation entre pratiques (itinéraires techniques,
.
utilisation de territoires pâturés), entre lieux (affiliation d'espaces cultivés souvent disjoints à un même système de culture) et entre processus (effets combinés de la dilution et de la dénitrification...). . l'identification de moyens d'action susceptibles d'influencer ces relations, en envisageant des entités qui font le lien entre processus biophysiques et procédures techniques. D'autres auteurs ont examiné les cOlnpatibilités ou irréductibilités entre entités d'action et d'environnement. Ainsi, Baudry (2) a souligné l'importance du repérage d'une « double hiérarchie» dans les relations entre activités agricoles et processus écologiques. Il s'agit d'une part de niveaux d'organisation des activités agricoles (systèmes d'actions) et d'autre part de niveaux d'organisation écologiques (avec les échelles espace-temps correspondantes). Ces deux éléments sont intégrés dans la modélisation. Une piste nous semble intéressante à explorer: dans quelle mesure la détermination d'entités permet de mieux relier les différents niveaux d'organisation relatifs à cette double hiérarchie? 5
- Conclusion
Explorer la notion d'entité à partir de regards croisés d'écologues et d'agronomes nous semble fécond à la fois pour la production de connaissances et pour l'action. Le souci d'articuler fonctionnellement des activités agricoles à des processus écologiques a conduit les chercheurs à revisiter leurs objets, voire à identifier de nouvelles entités. Malgré ce constat, des approfondissements sont nécessaires:
208
. dans chaque discipline, par exemple pour articuler unités paysagères et systèmes de culture localisés, ou encore unités stratégiques pour l'enrésinement et modélisation de dynamiques de végétation. . aux interfaces entre disciplines, en particulier pour relier des procédures techniques à des processus écologiques inscrits dans des scènes sociales. Cette notion d'entité permet également de renouveler le rapport à l'action et aux acteurs par l'identification de pistes d'action originales. Certaines questions restent cependant en suspens: quelle évaluation économique et quelle faisabilité en termes de travail? comment repérer et caractériser les formes d'organisation qui se constituent autour des nouvelles entités sur lesquelles portent des qualifications environnementales ? Enfin, nous avons vu que même si l'espace a été privilégié dans les présentations, ceci n'exclut pas le temps. Une perspective de recherche serait de traiter plus explicitement des temps (des activités, de l'environnement..) et de les mettre en relation. Remerciements: Cet article s'appuie sur un séminaire de recherche auquel J. Baudry, P. Martin et R. Mathevet ont apporté leurs témoignages et expériences. Nous remercions également M. Le Bail pour les nombreuses discussions autour du manuscrit.
Références
bibliographiques
1) AUBRYC., 1994. De la parcelle cultivée à la sole d'une culture: des échelles complémentaires de conception des références techniques. Actes du Symposium Farming Systen1s and Extension, Montpellier, novo 1994, 519525.
'
2) BAUDRY J., 1993. Landscape dynamics and farming systems: problems of relating patterns and predicting ecological changes. In R.G.H. Bunce, L. Ryszkowski, M.G. Paoletti Eds; Lanscape Ecology and Agroecosystems, Lewis Publishers, 21-40. 3) BELLON S., GIRARD N., GUERIN G., 1999. Caractériser les saisonspratiques pour comprendre l'organisation d'une campagne de pâturage. Fourrages 158, 115-132. 4) BELLON S., MIRAMBEAU C., VANNIER S., DERIOZ P., BERTUZZI P., LAQUES A.E., 2003. En Zone Vulnérable (Bassin de Carpentras), quelles unités intermédiaires d'analyse pour l'agronome et pour le géographe? Colloque « Agronomes et territoires », Le Pradel, sept 2002.
209
5) BENOIT M., PAPY F., 1998. La place de l'agronomie dans la problématique environnementale. Dossiers de l'environne111ent n017. INRA M&S ; Paris, 53-71. 6) DARRE J.P., HUBERT B., LANDAIS E., LASSEUR J., 1993. Raisons et pratiques. Dialogue avec un éleveur ovin. Etudes Rurales, 131-132. 7) D'AQUINO P ., BARRETEAU O., ETIENNE M., BOISSEAU S., AUBERT S., BOUSQUETF., LE PAGE C., DARE W. 2002. The role playing ganles in an ABM participatory modeling process. In: Integrated asseSS111ent and decision support, Rizzoli A. & Jakeman A. (eds), Lugano, Switzerland, 2 : 275-280. 8) ETIENNE M. 2001. Pine trees, invaders or forerunners in Mediterranean-type ecosystems: a controversial point of view. Journal of Mediterranean Ecology 2 (3-4) :221-232. 9) ETIENNE M., LE PAGE C., 2002. Modelling constrated Inanagement behaviours of stakeholders facing a pine encroachment process: an agentbased simulation approach. In : Integrated asseSS111entand decision support, Rizzoli A. & Jakeman A. (eds), Lugano, Switzerland, 2 :208-213. 10) GIRARD N., BELLON S., HUBERT B., LARDON S., MOULIN C-H, OSTY P .L., 2001. Categorising combinations of farmers' land use practices: an approach based on examples of sheep farms in the south of France. Agronomie 21 (2001) 435-459. Il) HUBERT B., 1993. Pastoralisme et territoire. Comment modéliser des pratiques d'utilisation. Cahiers Agricultures, 3, 9-22. 12) LARDON S., CHEYLAN J.P., LIBOUREL T., 1997. Le temps dans les SIG: dynamique des entités spatio-temporelles. ln « Les te111pS de l'environnement» Communications aux journées PIREVS, Toulouse, novo 1977, 147-158. 13) MARTIN P. ET MEYNARD J.M., 1997. Systèmes de culture, érosion et pollution des eaux par l'ion nitrate. L'eau dans l'espace rural, production végétale et qualité de l'eau. INRAlAUPELF, 303-322. 14) MILLEVILLE P., 1972. Approche agronomique de la notion de parcelle en milieu traditionnel africain: la parcelle d'arachide en moyenne Casamance. Cah. Orsto111Sér. Bioi, 17,23-37. 15) 0 'NEILL, 2001. Is it time to bury the ecosystem concept ? (with full military honors, of course !). Ecology, 82 (12), 2001, 3275-3284. 16) P APY F., 2001. Pour une théorie du ménage des champs: l'agronomie des territoires. C.R. Acad. Agric Fr., 2001,87, n04, Colloque O. de Serres, Le Pradel, Sept. 2000, 139-149. 17) RELLIERJ.P., MARCAILLOU J.C., 1990. Modèles de raisonnement en conduite des cultures et conséquences pour les systèmes d'aide à la décision. Agronon1ie, 10(6),487-498.
210
18) RIGAL J.-M., DARRE J.-P., SALMONAM., 1977. La culture des légumes et la façon d'en parler. ln «points de vue sur la formation en agriculture », revue Education Permanente n037. 19) SAVINI I., LANDAIS E., THINON P., DEFFONTAINESJ.P., 1993. L'organisation de l'espace pastoral: des concepts et des représentations construits à dire d'experts dans une perspective de modélisation. ln Pratiques de l'élevage extensif: identifier, modéliser, évaluer. Etudes et Recherches sur les systèmes Agraires et le Développement, 27, 137-160. 20) SEBILLOTTEM. ET SOLERL.G., 1989. Les processus de décision des agriculteurs. ln J. Brossier, B. Vissac, J.L Lemoigne Eds. «Modélisation systémique et système agraire ». Actes du sénlinaire INRA-SAD, St Maximin, mars 1989,93-117. 21) SEBILLOTTEM., 1990. Système de culture: un concept opératoire pour les agronomes. ln L. Combe, D. Picard Eds. Un point sur les systènles de culture. INRA, Paris, 165-196.
211
Le bassin d'approvisionnement: territoire de la gestion agronomique de la qualité des productions végétales Marianne LE BAIL
1
Résumé .
Cette communication propose de formaliser le concept de «bassin
d'approvisionnement» pour rendre compte du fonctionnement de l'ensemble productif composé des agriculteurs et de la structure à laquelle ils livrent une production particulière. La définition proposée présente le bassin d'approvisionnement comme la combinaison entre un espace technique, un espace décisionnel et un espace de négociation, trois composantes articulées dans le temps pour gérer la qualité des produits livrés aux filières. On montre que cette représentation des processus de production et d'échange de produit et d'information située dans un espace agropédoclimatique donné, permet bien d'établir des diagnostics des effets du fonctionnement du bassin d'approvisionnement sur la distance entre qualité demandée et qualité offerte, de mettre au point et d'évaluer les outils techniques de la coordination au sein du bassin (systèmes de culture, indicateurs de classement parcellaires. . .), voire de proposer de nouvelles organisations de bassins d'approvisionnement. Dans la conclusion, quelques limites de ce concept sont discutées.
Abstract: A Design for the Crop Collecting Area as a Quality Management Territory This paper deals with the concept of "crop collecting area", used to represent relationships between farmers and various crops collectors. We present a definition for the crop collecting area as a combination between technical, decision-making and negotiation dimensions, articulated in the time to manage quality. We show that this representation of production processes and product and information flows, located in an agropedoclimatic environment, allows to identify agronomic questions from diagnosis of crop collecting area management effects on the differences between desired and
1 Institut National Agronolnique Paris-Grignon, Départelnent AGER, UMR SAD-APT, 16 rue Claude Bell1ard, F-75231 Paris Cedex 05, France Tel (33) 01 4408 1687; Fax (33) 014408
57; e-lnail: lebail@~inapg.inra.fr
16
offered products qualities, to create and to test technical tools for coordination within the crop collecting area (cropping systems, agronomic indicators for quality segregation...) even to conceive innovations in crop collecting area organization. In the conclusion some limits of the concept are discussed.
Les enjeux attachés à l'amélioration de la qualité des produits agricoles sont marqués par deux tendances majeures: la multiplication des segments de produits, qui conduit à une floraison de cahiers des charges, et le renforcement des exigences de garantie en matière de conformité des produits aux cahiers des charges, qui s'appuie parfois sur la référence à l'origine (9, 23). Il ne suffit alors plus aux agronomes de travailler sur une définition de la qualité réduite à des caractéristiques intrinsèques des produits, mais il leur faut concevoir des outils aptes à garantir la qualité. En outre, les acteurs dont la coordination paraît stratégique pour la qualification des produits dans la plupart des filières sont, d'une part les agriculteurs et d'autre part, les structures de concentration de l'offre agricole (10,25). Ni l'échelle de la parcelle, ni celle de l'exploitation ne sont donc seules suffisantes pour délimiter les systèmes de production qualifiés. La définition d'un système de gestion de la qualité .de l'offre, englobant agriculteurs et entreprises, est nécessaire pour expliciter les mécanismes de coordination entre ces deux groupes d'acteurs, pour comprendre et intervenir sur les logiques qui rendent en partie interdépendants les systèmes de culture d'un territoire au-delà des objectifs propres des exploitations qui l'occupent (22). Cette communication tente de formaliser le concept de bassin d'approvisionnement utilisé pour rendre compte du fonctionnement de cet ensemble productif composé des agriculteurs et de la structure à laquelle ils livrent une production. Les travaux agronomiques qui ont conduit à cette notion (en particulier (12)), en complément et dans la suite des travaux de J. Caneill (2, 3 et 4) et d'A.Capillon (6), ont concerné essentiellement les grandes cultures et le maraîchage (20). Après une définition du concept de bassin d'approvisionnement, je montrerai comment il donne un cadre d'analyse aux questions agronomiques sur la gestion de la qualité. Les limites et perspectives de recherche viendront en conclusion. 1 - Le bassin d'approvisionnement: un concept à la croisée des territoires agricoles et des filières agroalimentaires Le concept de bassin d'approvisionnement fournit une représentation du territoire de la coordination entre (i) des agriculteurs, généralement nombreux, qui proposent, à une date souvent décalée par rapport aux besoins 214
des utilisateurs, une offre de produit dispersée sur le territoire, sous forme de récoltes aux caractéristiques variables entre parcelles et, (ii) une entreprise de collecte des récoltes, première étape de commercialisation de celles-ci, dont l'objet est d'alimenter des marchés, incarnés par des entreprises de transformation ou de distribution, en produits répondant à des spécifications plus ou moins précises dans des délais et avec des garanties certifiés par différentes formes de contrats.
A - Le bassin d'approvisionnenlent: une dimension technique, décisionnelle
et de négociation.
Pour décrire le fonctionnement du bassin d'approvisionnement, trois dimensions interdépendantes peuvent être distinguées. L'espace technique est matérialisé par un ensemble discontinu de parcelles portant la même culture à un temps t, dont les récoltes sont livrées ou susceptibles d'être livrées à l'entreprise de collecte des récoltes. Dans ce territoire, les parcelles sont identifiées par leurs caractéristiques physiques (taille, forme...), leur système de culture (y compris la variété), leur appartenance à des ensembles pédoclimatiques et leurs positions respectives dans l'espace. Ces facteurs déterminent les quantités globales récoltées dans le bassin ainsi que les valeurs moyennes et la variabilité interparcellaire et interannuelle des caractéristiques de qualité attachées au produit. Dans l'espace décisionnel circulent les informations dont ont besoin les acteurs pour définir leurs stratégies propres et planifier leurs actions. Cet espace est matérialisé, d'une part, par l'ensemble des soles de la culture donnée, chaque sole étant gérée par une exploitation en fonction de ses ressources productives et en vue d'une certaine affectation des produits aux circuits de commercialisation et, d'autre part, par la localisation des infrastructures et des lieux de collecte de l'entreprise prenant place dans un schéma logistique qui détermine en partie les fournisseurs agricoles possibles. Ces facteurs affectent la priorité dévolue au produit concerné pour les deux catégories d'acteurs et, pour partie, les décisions techniques soutenant l'organisation des parcelles dans l'espace et le choix des systèmes de culture. Dans l'espace de négociation sont définis les objectifs de production du bassin d'approvisionnement et les modalités de coordination horizontales et verticales entre acteurs pour les atteindre. Ces relations sont matérialisées, par (12) : - des engagements, généralement et de plus en plus, différenciés selon les agriculteurs, formalisant la transaction entre agriculteurs et entreprises de
215
collecte des récoltes2. Ils sont rarement distribués de manière aléatoire sur le territoire du bassin d'approvisionnement, - un programme prévisionnel de l'approvisionnement et des règles de pilotage en fonction des évolutions possibles des états des cultures et des marchés, finalisés par des objectifs de production de lots et, - différentes procédures pour atteindre ces objectifs et concernant; (i) les contenus techniques des conseils aux agriculteurs (systèmes de culture, démonstration variétales...); (ii) les méthodes de mesure sur le flux de produit et l'organisation des plans de contrôle et de traçabilité (à la parcelle, en réception, au stockage) ; (iii) les dispositifs de prévision des dates, des niveaux quantitatif. et qualitatif et du classement des récoltes. Ces facteurs déterminent différentes modalités de traitement de la variabilité des récoltes du bassin. B - Le fonctionnement du bassill d'approvisionnement: articulation des trois espaces dans le temps
une
Le temps du bassin d'approvisionnement est à deux tennes. Le cycle d'approvisionnement inclut la période de planification des cultures, la campagne culturale elle-même et la période de collecte des récoltes jusqu'à la commercialisation des lots stockés (6, 12). En fonction des cultures, ces différentes phases sont plus ou moins longues et se chevauchent plus ou moins. On considère que les composantes de marché sont peu incertaines sur cette période et que la négociation des objectifs globaux pour le bassin et des contrats-cadre par les responsables stratégiques de l'entreprise (directeur général, directeur qualité) a eu lieu, généralement, avec les agriculteurs constitués en groupe plus ou moins organisés et représentatifs (groupement de producteurs, assemblée générale de coopérative.. .). Avant Ünplantation, les procédures de coordination visent l'assurance de disposer, globalement sur le bassin, des espèces voire des variétés nécessaires au programme d'approvisionnement ébauché. Elles combinent une information générale aux agriculteurs sur les performances des variétés dans la région et la signature des engagements annuels de production, souvent diffusés par le technicien du secteur qui rapporte vers l'entreprise de manière plus ou moins formalisée des informations sur les caractéristiques des parcelles et des exploitations qu'ils visitent (chiffrage et localisation des surfaces variétales, fiches techniques pour la traçabilité des informations. ...). Au cours du cycle cultural, les modalités de coordination concernent essentiellelnent le suivi des cultures, appuyé sur des références et des outils analytiques pennettant d'orienter les décisions sur les parcelles. En retour, certaines infonnations peuvent enrichir les bases de données à l'échelle du bassin (répartition des 2
contrat d'adhésion
à une coopérative,
engagelnent
en cours de calnpagne,
216
contrat avant itnplantation,
..,
reliquats d'azote sortie hiver, relevé des itinéraires techniques par fiche...). En cours de campagne, la programmation de l'approvisionnement se précise au fur et à mesure que s'accumulent des informations sur les récoltes espérées, données traitées dans des « modèles de simulation» de nature très variée, portant sur l'échelle parcellaire ou régionale et dont la précision s'accroît à mesure que l'on s'approche de la récolte. En définitive, quand on avance dans ce cycle d'approvisionnetnent, les moyens d'agir sur la valeur des récoltes parcellaires se réduisent à mesure que les informations sur ces valeurs moyennes et sur leur dispersion dans le bassin d'approvisionnement s'accroissent. Les modalités de coordination jouent de ces deux leviers de manière à optimiser les conditions de constitution des lots de produits adéquats à la demande. Sur le long terme, le cycle de vie du bassin d'approvisionnement est lui, marqué par l'émergence de « crises» plus ou moins aléatoires qui peuvent remettre en cause son organisation générale et ses limites (extensionrécession, déplacement) et justifier une renégociation du projet global et des contrats-cadre entre agriculteurs et entreprise (crise des marchés, recomposition régionale des entreprises, ...). Par exemple, la disparition de la prime blé dur dans la réforme de la PAC de 1992 pour les zones « non traditionnelles» a pratiquement fait disparaître les bassins d'approvisionnement des semouliers en Centre et Poitou-Charentes. Ce long terme est aussi celui de l'apprentissage, marqué par des actions correctives qui font évoluer à chaque campagne les résultats du bassin et les instruments de la coordination (9). En blé dur, c'est en partie pour sauvegarder de tels acquis que semouliers, coopératives et agriculteurs ont signés des contrats de production en Centre et Poitou-Charentes qui se sont substitués au marché, les primes étant alors payées par les semouliers en échange du suivi de cahiers des charges (14). L'analyse du bassin d'approvisionnement dépasse donc le temps d'un cycle annuel pour apprécier les effets sur le long terme de l'organisation adoptée à un temps t et la flexibilité de ce système à des évolutions de variables internes (fonctionnement des exploitations agricoles. ..) ou exogènes (évolution des réglementations, des politiques agricoles. ..). 2 - Le bassin d'approvisiollnement de gestion agronomique de la qualité
: un cadre d'analyse des questions
A partir du cadre conceptuel présenté, la gestion agrononlique de la qualité des récoltes peut se décliner sous la forme des trois niveaux de questionnement suivants: -établir un diagnostic des effets du fonctionnement du bassin d'approvisionnement sur la distance entre qualité demandée et qualité offerte 217
pour en dégager les questions agronomiques posées par la gestion de cette qualité. -mettre au point et évaluer les outils techniques de la coordination au sein du bassin: conception de systèmes de culture, d'outils analytiques de tri des récoltes, d'outils de prévision des caractéristiques des parcelles et de simulation des allotements. . . -Concevoir de nouvelles organisations de bassins d'approvisionnement intégrant plusieurs de ces outils. Des travaux récents, associant des agronomes, chercheurs et enseignants chercheurs, des Départements Systèmes Agraires et Développement et Environnement-Agronomie de l'INRA, permettent d'illustrer rapidement ces trois niveaux. A - Diagnostic
du fonctionnement
du bassin d'approvisiollnement
Dans des travaux sur blé tendre, orge, blé dur et pomme de terre, on a pu, en mobilisant une analyse en terme de bassin d'approvisionnement, traduire les problèmes posés par différents acteurs en questions agrononliques. Ainsi, dans le cas d'une entreprise de collecte stockage de céréales qui cherche à améliorer l'adéquation des lots de blé d'hiver et d'orge de printemps aux demandes des meuniers et des malteurs, on a montré (12) que les objectifs de production de lots, résultant de la confrontation de l'état de l'offre sur le bassin, des caractéristiques des structures de collecte et de la demande des marchés, conduit à une diversité d'axes de traitement de la variabilité au sein du bassin pour le critère taux de protéines (Figure 1) : dans le cas de l'orge brassicole, débouché à forte valeur ajoutée intéressant peu de volume dans la région, on vise à constituer un seul lot final par variété, de taux de protéines moyen inférieur à Il.5%. Dans la situation du blé à plusieurs usages (pain ou biscuit), séparés par une valeur seuil de taux de protéines (11.5%) on cherche à classer les parcelles pour trier les récoltes en deux lots différents. Pour les mélanges de variétés recommandées par la meunerie, on souhaite formaliser la distinction que les clients font dans l'origine des lots. Ces différents axes supposent la résolution de questions agronomiques différentes: recherche de systèmes de culture combinant un taux de protéines inférieur à Il.5% et un rendelnent supérieur à 60 qx pour l'orge de printemps brassicole, recherche de modalités de classeluent précoce des parcelles en blé tendre pour distinguer des lots destinés à différents marchés et formalisation d'un effet terroir pour les blés tendre pour les marchés de mélanges de variétés meunières de base. (Voir figure 1 enfin d'article)
218
De même, dans le cas des agriculteurs de Flandre et de Santerre s'interrogeant sur les perspectives de leurs productions de pomme de terre on a analysé (13) ces zones comme la superposition des bassins d'approvisionnement de nombreux acheteurs de pomme de terre (transformateurs (frites, purée, ...)) et collecteurs en frais (négociants privés et coopératives servant des marchés d'export, de grande distribution française ..). La combinaison au sein des exploitations de différents « types» de pommes de terre, caractérisés par la variété, le débouché et la forme de transaction engagée entre l'agriculteur et le débouché, pose des questions de concurrence pour certaines ressources des exploitations et des bassins euxmêmes. Ainsi, l'obligation d'une peau claire exempte de gale renforce les préconisations en matière d'allongement des retours de la pomme de terre sur les parcelles. En Santerre, les agriculteurs ont encore la possibilité de louer des terres dans leur voisinage pour « allèger» leurs successions. En Flandre intérieure, par contre cette solution est beaucoup moins accessible tant la culture est répandue dans la région, sauf à choisir des parcelles qui comportent d'autres inconvénients (sols argileux à ressuyage lent, non irriguées,. ..). Les questions posées par ces combinaisons de production au sein des exploitations ne sont pas toujours prises en cOll1pte dans les références techniques régionales visant la qualité des pommes de terre ni dans les cahiers des charges des différentes filières concurrentes établis indépendamment les uns des autres (9). B - Mettre au point des outils de coordination
Une fois les objectifs de production du bassin définis, l'organisation des relations entre agriculteurs et structures de regroupement de l'offre suppose la mise au point d'outils de coordination que sont les cahiers des charges, les instruments de caractérisations des différents types d'agriculteurs, les instruments d'analyse de la qualité en cours de processus de construction des lots et les outils de prévision nécessaires au pilotage de la collecte. Par exemple, les travaux sur céréales déjà évoqués (12, 15) ont permis de faire évoluer les cahiers des charges en proposant des systèmes de culture adaptés aux objectifs du bassin en matière d'orge de brasserie et des instruments de classement des récoltes de blé (Figure 2) permettant de simuler l'élaboration de lots de qualité de blé tendre en les associant à des modèles de prévision de la qualité des récoltes. (Voir figure 2 en fin d'article)
219
De même, Capillon et Valceschini (6) ont montré que l'efficacité du dispositif de coordination à l'œuvre au sein de bassins d'approvisionnement de conserverie de légumes s'appuie, d'une part, sur des procédures de planification et d'autre part, sur un contrat relationnel. La planification est sous-tendue par les variables agronomiques jouant sur la détermination des dates de maturité et de récolte des légulnes. Les méthodes d'approche globale du fonctionnement des exploitations (5) permettent d'orienter le choix des agriculteurs du bassin les mieux à mêmes de contracter durablement avec l'usine et de proposer des modalités d'ajustement en temps réel des programmes des agriculteurs du bassin et de l'usine. C Concevoir d'approvisionnement
de
nouvelles
organisations
de
bassins
Pour être cohérent avec la volonté de tracer, avec le concept de bassin d'approvisionnement, les contours d'un systèlne de gestion d'une production végétale de qualité, il faut concevoir de nouveaux bassins d'approvisionnement comme les agronomes du département Environnement et Agronomie, conçoivent de nouveaux systèmes de culture (19). COlnme pour cet objectif-ci, cet objectif-là ne peut s'appuyer sur l'expérimentation factorielle tant sont complexes les relations entre les différentes dÜnensions du bassin d'approvisionnement et le recours à la modélisation est nécessaire. Celle-ci a pour objectif non seulement de proposer de nouvelles procédures (choix d'agriculteurs, systèmes de culture, organisation des flux...) lnais aussi de montrer comment elles interagissent, en proposant des outils d'aide à la négociation qui permettent aux acteurs de simuler les effets de leurs décisions. Ainsi, étudiant la faisabilité de filières sans OGM dans des dispositifs pluridisciplinaires alliant généticiens, mathématiciens, éconolllistes et agronomes (18) nous avons imaginé des situations réalistes de bassins d'approvisionnement dans lesquelles. intégrer des modèles biophysiques pour évaluer la pureté des lots commercialisés attendue. Trois types de scénarios qui pourraient être mobilisés par les acteurs dans les régions étudiées ont été simulés pour séparer filières OGM et "non OGM" et les taux de contamination des récoltes non transgéniques dans ces différentes organisations ont été évaluées par un modèle simulant la dispersion des gènes dans l'espace (1, 18). De même, dans des bassins d'approvisionnement de salade Tordjman, Navarrete et Papy montrent comment les procédures de coordination à l'œuvre entre agriculteurs et organismes intermédiaires de cOlnmercialisation jouent sur la gestion de la sole de salade dans les exploitations (20) jusqu'à modifier le fonctionnement global de certaines d'entre elles. Cette approche 220
devrait pennettre de simuler différentes modalités d'évolution des coordinations au sein des bassins d'approvisionnement (sélection des exploitations en fonction des débouchés, adaptation des cahiers des charges aux types d'exploitations, ...). 3 - Limites et perspectives de consolidation du concept de bassin d'approvisionnement pour les recherches sur la gestion de la qualité Les limites actuelles de cette approche sont essentiellement de deux ordres: (i) celles qui tiennent à la prétention de développer une aide à la négociation pour un système aussi complexe que le « bassin d'approvisionnement» ; (ii) celles qui tiennent aux objectifs, objets ou acteurs non pris en compte dans ce système pourtant déjà complexe. Les difficultés liées à la constitution même du concept tiennent, d'une part, à une nécessaire pluridisciplinarité d'analyse de différentes dimensions (technique, décisionnelle et de négociation) et, d'autre part, à l'étude des effets conjugués des décisions de nombreux acteurs. La pluridisciplinarité construite au sein du département INRA-SAD par les rapprochements entre des travaux d'agronomie, d'économie et de sciences de gestion, s'est appuyée sur de nombreuses interventions auprès des acteurs soutenue par l'organisation pédagogique des fonnations du département AGER de l'INA P-G (et de la chaire d'agronomie avant 1995). Aujourd'hui, plusieurs projets, transversaux à plusieurs UMR, élargissent les collaborations et offrent des possibilités d'enrichir cette approche et d'en affiner les outils. La confrontation des plans de plusieurs acteurs suppose une multiplicité d'objectifs et de pôles de décision qui réclame des méthodes de recherche et des moyens de représentation plus sophistiqués que ceux que l'on emploie aujourd'hui. On ramène en effet les objectifs du bassin d'approvisionnement à un compromis collectif autour de la «réduction de l'incertitude sur la qualité» en supposant un certain consensus sur les moyens techniques pour y parvenir et en caractérisant la diversité des agriculteurs par des types de fonctionnement d'exploitation. Pour affiner ces objectifs, les méthodes multicritères d'aide à la décision, déjà explorés pour la conception d'itinéraires techniques (16, 19), pourraient être mobilisées. De même, les travaux sur la conception participative (7) pourraient aussi apporter des éclairages précieux dans l'élaboration de scénarios organisationnels. Une seconde catégorie de limites concerne ce que j'ai exclu implicitement ou explicitement du champ du concept de bassin d'approvisionnement. En liant la définition à un seul collecteur des récoltes agricoles, voire à l'une ou l'autre des filières qu'il alimente, on rend mal compte de la superposition sur un même territoire de plusieurs bassins 221
d'approvisionnement d'entreprises concurrentes pour la même culture ou pour des cultures différentes. On évalue mal en retour l'effet de ces superpositions sur l'organisation même de chaque bassin (9). En insistant sur l'importance de la relation entre entreprises de collecte des récoltes et agriculteurs dans la gestion de la qualité, la tendance lourde de nos travaux consiste à intégrer au bassin essentiellement les parcelles et les organisations productives des exploitations qui produisent déjà le produit, voire l'ensemble plus réduit encore de celles qui le livrent déjà à l'entreprise, alors que les parcelles et les exploitations aujourd'hui exclues des transactions pourraient avoir leur place dans certains scénarios. Enfin, par construction, le bassin d'approvisionnement est attaché aux fonctions de production des exploitations et des entreprises qui collectent alors même que d'autres activités qui revêtent des dimensions territoriales fortes interfèrent avec les espaces du bassin d'approvisionnement (8, 22). Pour réduire en partie ces trois dernières limites il semble nécessaire de remettre sur l'ouvrage des recherches ciblées sur les exploitations agricoles, lieu où s'ordonnent diverses fonctions de l'agriculture (11), lieu où se superposent les effets du fonctionnement de divers systèmes englobants (bassins d'approvisionnement, territoire pastoral, bassin versant, zone sensible.. .)(21). En particulier, il s'agirait d'éclairer dans quelles conditions il y a compatibilité au sein des exploitations agricoles entre les différents cahiers des charges résultant des multiples fonnes de coordination entretenues par les agriculteurs avec leur environnement écologique, économique et technique et quels problèmes de maîtrise technique et organisationnelle cela pose. Des travaux sont en cours sur ces questions et recoupent les travaux sur les conditions de mise en œuvre de procédures de certification des pratiques agricoles (17). Conclusion
Le concept de bassin d'approvisionnement, dont j'ai tenté ici de définir les principaux attributs, leurs relations et l'utilisation possible dans les questions que posent la gestion de la qualité, a sans conteste des vertus heuristiques pour les agronomes, qu'ils se préoccupent de concevoir de nouveaux systèmes de culture ou des outils d'aide à la décision pour les agriculteurs ou qu'ils soient les promoteurs de références techniques. Cette dimension du territoire représente un "théâtre" qui dépasse celui de l'exploitation agricole, dans laquelle se tient essentiellelnent le "mesnage des champs" que propose Olivier de Serres (24), encore qu'envisageant l'usage des aliments, il nous incite déjà à observer les particularités du pain en fonction des provinces: "Il est vrai que selon que les contrées sont accommodées de blés, de mesme y est le pain, plus ou moins beau et bon, délicat ou grossier". Mais la mise en scène du bassin d'approvisionnement 222
qui combine des destins d'acteurs, des temps et des espaces emboîtés est encore grossière dans sa forme actuelle. Pour aller plus loin, pour affiner le concept, en éprouver les divers champs de validité et les règles d'usage, il est nécessaire de le confronter à une plus grande diversité de situations de filières et de mettre en œuvre simultanément, dans des projets pluridisciplinaires, les outils et les méthodes de recherche récents en matière de conception de systètue de culture et d'outils d'aide à la décision, d'analyse de l'exploitation agricole et d'étude des coordinations entre acteurs.
Références
bibliographiques
(1) ANGEVIN F., COLBACH N., MEYNARD J.M.-et ROTURIER C., 2002. - Analysis of necessary adjustements of farming practices. In: Scenarios for co-existence of genetically n10dified, conventional and organic crops in European agriculture, IPTS ( éd. ), European Commision, Brussels, 128 pages.
(2) CANEILL J., 1983. - Mise en évidence d'une répartition régionale des paramètres de la qualité technologique des betteraves sucrières dans le Laonnois. C.R. Acad. Agric Fr., Il,823-829. (3) CANEILL J., 1993. Du champ cultivé au bassin d'approvisionnement: contributions méthodologiques à une ingénierie agronomique. Thèse de Docteur del'INA P-G, Paris, 34 pages + annexes. (4) CANEILL J. et LE BAIL M., 1995. - Contribution de l'agronome à la gestion d'un bassin d'approvisionnement. ln: Agroalilnentaire : une économie de la qualité, F. NICOLAS et E. VALCESCHINI ( éds. ), INRAEconomica, Paris, pp. 391-399. (5) CAPILLON A., 1993. - Typologie des exploitations agricoles. Contribution à l'étude régionale des problèmes techniques. Thèse de Docteur de l'INA P-G, Paris, 48 pages + annexes. (6) CAPILLON A. et VALCESCHINI E., 1998. - La coordination entre exploitations agricoles et entreprises agro-alimentaires: un exemple dans le secteur des légumes transformés. Etud. Rech. Syst. Agraires, 31, 259-275. (7) CERF M., 2001. - Transformer les représentations par les concepteurs des situations d'usage: une étape pour faciliter la participation des utilisateurs. ln: Epique 2001. Journées d'étude en psychologie ergonomique. Nantes. 41-48.
(8) CHEVERRY C., 2001. - Agriculture, environnement et qualité des produits. C.R. Acad. Agric., 87(4), 121-128.
223
(9) DORÉ T., LE BAIL M., MARTIN P. et PAPYF., 2002. Exploitation agricole et gestion des territoires. In: Environnelnent et gestion des territoires: l'expérience agri-environnententale française, J.P. BILLAUD (éd.), MATE, CNRS, Paris, pp. 135-159. (10) HEINTZ W., 1994. - L'évolution des modes de gestion de la qualité du blé par les entreprises de collecte stockage. Etud. Rech. Syst. Agraires Dév., 28,83-100.
(11) LAURENT C., MAXIME F., MAZÉ A. et TICHIT M., 2002.
-
Multifonctionnalité de l'agriculture. et modèles de l'exploitation agricole. Enjeux théoriques et leçons de la pratique. ln: Colloque SFER "La multifonctionnalité de l'activité agricole et sa reconnaissance par les politiques publiques". Paris. 24 pages.
(12) LE BAIL M., 1997. - Maîtrise de la qualité des céréales à l'échelle du bassin d'approvisionnement d'une entreprise de collecte-stockage. Approche agronomique. Thèse de Docteur de l'INA P-G, Paris, 249 pages + annexes. (13) LE BAIL M., 1997. - Pommes de terre: des références éclatées. La POlnme de terre Française, 499,64-67. (14) LE BAIL M., 2001. - Spécificité locale pour une produit banal: Exemple du blé dur destiné à la fabrication de pâtes alitnentaires. ln: Systèntes agroalintentaires localisés. Terroirs, savoir-faire, innovations, P. MOITY-MAÏZI et al. (éds.), INRA, Paris, pp. 37-50.
(15) LE BAIL M. et MEYNARD J.-M., 2002.
-
Yield and protein
concentration of spring malting barley: the effects of cropping systems in the Paris Basing (France). Agronomie, 22(5), sous presse.
(16) LOYCE C., RELLIER J.P. et MEYNARD J.-M., 2002.
-
Management planning for winter wheat with multiple objectives (1) : the BETHA system. Agricultural Systems, 72, 9-31. (17)MAZÉ A., GALAN M.B. et PAPY F., 2001. - The governance of quality and environmental management systems in agriculture: research issues and new challenges. In: Co-operative arrangelnents to cope with agrienvironmental problents, E. ELGAR ( éd. ), Cheltenhaln, UK, pp. 162-183.
(18) MEYNARD J.-M. et LE BAIL M., 2001. - Isolement des collectes et maîtrise des disséminations au champ, Progran1n1e cie recherche "Pertinence économique et faisabilité d'une filière sans utilisation d'OGM", INRA, INP, FNSEA, ACTA, Paris, 57 pages.
(19) MEYNARD J.-M., DORÉ T. et HABIB R., 2001. - L'évaluation et la conception de systèmes de culture pour une agriculture durable. C.R. Acad. Agric., 87(4), 223-236. (20) NAVARRETE M., MAXIME F., BRESSOUD F., TORDJMAN S.
et PAPY F., 1999. - Planifications des conduitesculturales et différenciation des produits dans des exploitations maraîchères. Cahiers Agricultures, 171-179. 224
8,
(21) PAPY F., 1999. - Agriculture et organisation du territoire par les exploitations agricoles: enjeux, concepts, questions de recherche. C.R. Acad. Agric. Fr., 85(7), 233-244.
(22) PAPY F., 2001.
-
Pour une théorie du ménage des champs:
l'agronomie des territoires. ln: Colloque Olivier de Serres. Le Pradel. 87, 139-149.
(23) RUFFIEUX B. et VALCESCHINI E., 1996. - Biens d'origine et compétences des consommateurs: les enjeux de la normalisation dans l'agroalimentaire. Revue d'Economie Industrielle, 75, 133-146.
(24) SERRES de O., 2001.
-
Le théatre d'agriculture et mesnage des
champs. Actes Sud, Paris, 1ère édition 1600, 1545 pages.
(25) VALCESCHINI E., 1996. - Eléments théoriques et empiriques pour une analyse économique de la qualité dans l'agroalimentaire. Fruits, 51(5), 289-297.
225
Figure 1: Pilotage de la qualité des lots de céréales: les axes de traitement
de la variabilité
des récoltes parcellaires
Management of cereal segregation: different treatments of harvests quality variability d'après Le Bai11997, 2001 (12) Situation initiale de la distribution des récoltes parcellaires en fonction qualitatif d'un critère
axe de qualité
Seuil
de
qualification
/
Pilotage type orge de brasserie
On réduit la variabilité l'ensemble
t
des
parcelles
vers
~
On isole des lots typés par le lieu de culture
et on déplace le seuil
de
Pilotage type blé meunier de "tE
qualité
Pilotage type blé à plusieurs usages
~: I
I
Il 18
.:
II Il I I
10:2 I I
.
18 Il lot 1
("ln
ri';,..",
226
'no
I (I It
It Il Il lot 3 81 81
I", "",.i...,hili.6
Figure 2 Comparaison des indicateurs précoces de classement des parcelles - Scipion 1994 Comparing indicators for segregation of soft wheat batches d'a rès Le Bail 1997 (12) Différence de taux de protéines entre les deux lots triés (%) 2,2 récolteimmature.
2 1,8 1,6 1,4
spad2.
spad1.
1,2
Dr-
1 0,8 0,4
0,5 Fiabilité
0,6
0,7
du classement
0,8
0,9
des parcelles
On COlnpare divers indicateurs de classelnent précoce de l'état azoté de la culture liés à l'élaboration du taux de protéines: le diagnostic foliaire (Df: taux d'azote dans les deux avant-dernières feuilles à floraison) ; le chlorophyll-lneter (lnesure de la chlorophylle par transmittance à floraison (spadl)et fin du palier hydrique (spad2)) ; le taux de protéines des grains immatures lnesurable une selnaine avant récolte. Ces indicateurs sont jugés au titre de: (i) leur aptitude à seglnenter deux lots de taux de protéines lnoyens significativelnent différents (ordonnée); (ii) le taux de concordance avec le classelnent obtenu en connaissant le taux de protéines final (fiabilité en abscisse). Un bon critère de classelnent est alors celui qui pennet de séparer deux lots de taux de protéines significativelnent différents et ce sans COlnlnettre trop d'erreur sur l'orientation de la récolte d'un agriculteur dans l'un ou l'autre lot (critère de fiabilité). La précocité de la mesure et sa faisabilité sont deux critères cOlnplélnentaires qui, ici, pennettent avec les deux prelniers de désigner la Inesure au "chlorophylllneter" au stade "épiaison + 4000J" COlnlnela plus intéressante pour classer les parcelles.
Different indicators, measured in fields, are compared for protein rate vvheat batches segregation: foliar diagnosis (DF: N rate in the tvvo last leaves) ,. chlorophyll meter at flowering (spadJ) and "heading + 400 degree days" (spad2) ,. immatured grain protein content. Those lneasurements are tested for: (i) their ability to segregate two different grain protein content batches (1] ,. (ii) the concordance between fields classification by the early indicator compared to the optimal classification at harvest by grain protein rates. A good segregation indicator must also be as earlier as possible and not to expensive to manage. In this work, chlorophyll n1eter at "heading + 400 degree days ", seems to be quite interesting.
De l'assolement observé à l'assolage à expliquer: agronomes et géographes à la croisée des préoccupations environnementales et paysagères. Rendu d'expériences « transfrontalières ». Marc BENOIT, Christine LEFRANC, Pien4e-Yves BERNARDI, Pierre HUSSON2
Jean-
Résumé Prendre en charge des faits d'environnement induit de construire de nouveaux objets de recherche. Ainsi dans nos réflexions sur les voies de compatibilité entre l'évolution de l'activité agricole et la préservation de ressources environnementales, se dégage la nécessité de prendre en compte de nouveaux territoires et d'en mieux saisir les fonctiolmements actuels, les dynamiques récentes et les perspectives d'évolution. Dans les territoires d'openfields où nous travaillons, les deux questions traitées sont: (i) comment des agricultures créent des ressources en eau au sein de bassin d'alimentation ?(ii) comment des agricultures créent des paysages au sein de facettes paysagères? L'assolement est le résultat d'un ensemble d'actions organisant la répartition des cultures dans l'espace et il permet d'expliquer l'utilisation du territoire agricole. C'est un bon indicateur du fonctionnement des exploitations agricoles. En privilégiant la dimension spatiale, il est essentiel à la compréhension de la maîtrise des processus naturels. Il présente un point de vue riche sur l'utilisation du territoire, car il ne s'enferme pas dans la seule vision agricole, mais a du sens pour les autres acteurs de l'espace rural; l'assolement est alors conçu comme un résultat de l'activité agricole et comme objet de négociation entre les acteurs mobilisés par ce jeu complexe issu de l'activité agricole. Nous proposons le terme d'assolage pour désigner les actions qui construisent un assolement. Ces questions nouvelles, traitées par les auteurs depuis une dizaine d'années, permettent de nouvelles voies de collaboration entre agronomes et géographes en s'appuyant sur un concept commun, celui d'assolement. Ce dernier prend un sens nouveau où son opérationnalité à l'épreuve dans des
1
2
INRA-SAD Université
Mirecourt de Nancy
bassins d'alimentation et des facettes paysagères scellera l'avenir des nouvelles fonctions de protection de ressources naturelles dévolues aux agriculteurs. Maintenant que la construction mêlue des assolements est en jeu, un nouveau concept doit en rendre compte, nous proposons celui d'assolage. L'assolement est le résultat d'une construction, d'un ensemble de décisions, que nous proposons de nommer l'assolage. Abstract Agricultural activity contributes to the development of the use of openfiel systems. We propose an approach for the analysis of the relationship between agriculture and natural resources management. The analysis is based on the idea of crop pattern and location, as indicated by the organisation of agricultural space and as revealed by territorial dynamics. The methodology is illustrated by two examples: the one concerning the protection of water in open-fields on the karstic basins of Lorraine, the other concerning the landscape evaluation in Germany (Sarrland) and France (Vosges). If we want to take into account the relationships between agriculture and natural resources management, we have to developp a new point of view on these situations and we propose to focuse our future researches on crop patterning. From research on land use and crop pattern analysis, we propose to developp reserch on land using and crop patterning. We defined crop patterning as the practices used by farmers to design their crop patterns. This new focus on practices building land use and crop pattern are necessary if we want to change these two important factors of agricultural impacts on natural resources. 1 - Agronomes
et géographes
confrontés aux territoires
agricoles
Notre proposition s'inscrit dans l'axe des recherches-systèmes en agriculture (Sébillotte, 1996) et repose sur trois principes méthodologiques. Elle part de situations observées par enquête en exploitations agricoles, puis élabore des modèles à partir d'études de cas, en utilisant les typologies d'exploitations comme moyen de prise en compte de la diversité. Enfin, elle construit, en partenariat avec les acteurs concernés, des outils de compréhension et d'aide à la gestion des phénoluènes spatiaux (Christophe et al., 1996). Cette proposition est proche d'une approche agronomique anglo-saxonne et de travaux de géographes français (I.Renard ; Croix, 1998 ; Veyret, 1998; E. Marochini,). Les travaux anglo-saxons ont été développés dans deux directions très différentes, l'une a étudié les acteurs en situation et les groupes locaux d'action, l'autre a proposé des modélisations de l'évolution de l'utilisation du territoire par des statistiques englobantes. La première luéthode offre 230
l'avantage d'adhérer à l'échelon local, là où se posent avec le plus de pertinence les questions de réorganisation des territoires ruraux. La maîtrise de l'utilisation du territoire se fait à un niveau intermédiaire entre les actes techniques des agriculteurs sur les parcelles et les régulations macroéconomiques. Une école de recherche basée sur des modélisations multiéchelles de l'utilisation du territoire aborde cette question (Veldkamp,A., Fresco L.a., 1997 ; G.H.J. de Koning et al., 1999). Certains modèles tentent de rendre compte de l'organisation territoriale de cette utilisation du territoire (Verburg P.H.et al., 1999). Des travaux de ce type se sont multipliés depuis la montée en puissance des enjeux enVir01l11ementauxpar des agricultures à la recherche de modèles à ambition durable (Zander P., Kachele H., 1999). D'autre part, le développement de recherches sur l'agriculture de précision prend en compte l'organisation des assolements dans la mise en œuvre de ces nouvelles techniques et sur leurs effets sur le paysage (Gerber J., et al., 1998). Les travaux des agronomes français insistent sur l'inscription spatiale des activités agricoles et la mise en œuvre des cultures et prairies sur le territoire. La répartition et l'évolution de .l'organisation spatiale des systèmes de culture est l'une des tâches de l'agronome (Sebillotte, 1974). Elargie à l'ensemble des productions végétales, y compris les cultures pérennes, la notion d'assolement traduite par la distribution spatiale des cultures a du sens par rapport au fonctionnement des exploitations agricoles, mais aussi à l'interaction entre les activités agricoles et les autres activités du territoire. L'assolement n'est donc plus seulement un objet technique spécifique à l'agriculture. Dans le cadre d'une approche globale des réussites et dysfonctionnements des systèmes agraires, c'est aussi un lieu d'interrogations à analyser en terme d'approche des cohérences des territoires ruraux revendiqués, réclamés, appropriés par un ensemble d'acteurs élargi. La répartition des cultures concerne différents partenaires: l'agriculteur met en valeur l'espace, le propriétaire participe à la définition des conditions d'utilisation de son patrimoine, les prescripteurs imposent des contraintes d'application des techniques, la société locale fait pression pour satisfaire un intérêt collectif. Cette attention aux enjeux territoriaux de l'activité agricole sensibilise plus encore que par le passé les agronomes aux concepts et démarches de géographes (Benoît, Papy, 1997). Mais nous proposons d'approfondir la réflexion en tentant de comprendre les constructions d'assolements, les règles alors mobilisées, ce que nous nommons l'assolage. Cette piste de recherche vise à élaborer des règles de construction des assolements permettant de mieux envisager leurs réorganisations. L'approche géographique de l'environnement croise nature, anthropisation et éventuellement prise en compte des passés successifs. Elle est à la fois naturaliste et sociale, c'est à dire qu'elle s'intéresse aux rapports 231
entre nature et société. Le titre du 22ièmeDIEM dirigé par Y. VEYRET en 1998 : L'érosion entre nature et société, est significatif de ces nouvelles tendances rapprochant géographie physique et la géographie humaine dans une approche globale des territoires. Ces problématiques environnementales offrent l'intérêt de rompre avec le dualisme passé de la géographie. L'ensemble des questions et des méthodes qu'elles induisent, articulent les approches naturelles et sociales, et sont susceptibles de créer de nouveaux objets de recherche complexes, mosaïques, évolutifs. L'homme est replacé au cœur d'une noosphère3 où les éléments physiques et biologiques interagissent selon des modalités qui varient avec les contextes humains, techniques et sociaux. Dans le cas précis d'une approche «hydrosystémique », les facteurs (aussi bien physiques qu'humains) qui règlent la dynamique hydrologique et conditionnent la gestion de la ressource «eau» à différentes échelles spatiales et temporelles, emboîtées et reliées entre elles. Ces nouvelles perspectives de recherches impliquées et citoyennes sont par essence interdisciplinaires. Elles expliquent les multiples contacts que les géographes entretiennent désormais avec des chercheurs d'autres disciplines, puisqu'il s'agit pour les problématiques environnementales d'intégrer les diverses dynalniques dans des relations systémiques. Dans leurs interrelations avec les pratiques agricoles organisées par l'homme, les thèmes de l'eau et du paysage apparaissent particulièrement porteurs pour réfléchir à la mise en place de modèles agricoles «postproductivistes» éclairés par des approches systémiques où interfèrent homme- terri toire- ressources anthropisées. Après avoir explicité le contenu des termes assolements et assolages, nous montrerons comment, à l'échelle de petits bassins d'alimentation et d'unités de paysage, l'assolement constitue un facteur majeur de l'état des ressources en eau et des articulations paysagères qui évoluent en permanence dans les territoires ruraux. Nous choisirons des exelnples issus de territoires d'openfields de polyculture-élevage. 2
- De l'assolement
observé à l'assolage
à expliquer
L'assolement, vu comme une activité humaine, répartit des cultures dans l'espace et organise l'utilisation du territoire. Ce concept est mobilisé tant par les géographes et agronomes, que par les praticiens eux-mêmes, les agriculteurs. Notre proposition, de type constructiviste, vise à insister sur les conditions, règles et modalités d'élaboration de l'assolement. Ainsi, nous devons dépasser les recherches portant sur les descriptions d'assolelnent pour créer de nouvelles voies de recherche sur ces règles, voies et l1'loyensdu 3 Noosphère
: de naos, intelligence.
Espace orchestré
par l'intelligence
destructrice!
232
de l'holTIlTIe.. .et parfois sa folie
choix et des constructions d'assole111ent, ce que nous proposons ici de nommer assolage. Sémantiquement, l'assolage est un mot contenant plus explicitement une idée d'action humaine, centrale pour notre point de vue. De la même façon qu'une pâture n'est pas le pâturage, ou qu'un labour n'est pas un labourage, dans filiation à ces « deux mamelles de la France », nous proposons volontiers à présent le terme assolage défini comme l'activité agricole visant à choisir et répartir dans un territoire défini, souvent celui d'une exploitation mais non exclusivement, les couverts végétaux utilisés sur ce territoire. Une comparaison avec la langue anglaise nous permet d'expliciter ce déplacement conceptuel: crop pattern n'est pas crop patterning; c'est sur cette action en cours, rendue par le « ing » que nous proposons maintenant d'accentuer les recherches d'agronomes et de géographes. A partir d'un regard sur l'action technique spatialement organisée, l'assolement qui est décrit et l' assolage qui est à expliciter servent à positionner une problématique de recherche sur les systèmes vivants et les ressources anthropisées qu'ils modifient. Ces deux points de vue sur la répartition des couverts végétaux par les agriculteurs permettent d'élaborer des objets de négociation entre les acteurs mobilisés par ce jeu complexe issu de l'activité agricole. L'assolement, vu comme la répartition des cultures dans l'espace, organise l'utilisation du territoire. L' assolage, quant à lui, est un bon indicateur du fonctionnement des exploitations agricoles. En privilégiant la dimension spatiale, il est essentiel à la compréhension de la maîtrise, par l'agriculteur, des processus naturels, de la répartition spatiale des couverts végétaux. De plus, c'est un révélateur des dynamiques à l' œuvre; il fournit des éléments concrets de comparaison pour cerner les évolutions du territoire. L' assolage sert ainsi à orchestrer les utilisations du territoire, au niveau des exploitations agricoles, des tinages et des échelles plus vastes qui se mettent en place et son évolution est particulièrement à enjeu dans les Très Grandes Exploitations, et dans celles qui combinent de nombreuses activités sur un même territoire, par exemple dans les exploitations complexes de polyculture-élevage. Un autre enjeu de la proposition du concept d'assolage est lié au statut de cette catégorie de recherche, celle de recherche sur l'action humaine pour aider à modifier celle-ci. Si, en tant qu'agronomes et géographes nous désirons fournir les moyens d'actions pour résoudre des questions environnementales, nous devons foun1ir des outils opérationnels de représentation du monde. Donc, si nous posons que le changement d'assolement est l'enjeu de nombre de questions environnen1entales impliquant l'agriculture, alors nous devons nous positionner dans une posture d'aide au changement de ces assolements. Pour aider à changer ces assolements, nous posons comme nécessité épistémologique la connaissance 233
de leurs élaborations. Comment modifier ce que nous ne pouvons pas expliquer? Ainsi, comme tout nouveau point de vue sur le monde, l'assolage se veut une façon de penser les futurs assolements. Non, ceux-ci ne sont pas donnés mais sont bien des objets construits et reconstruits en permanence par des milliards de paysans à travers le monde! Pour rendre compte de la richesse des règles qui prévalent à l'élaboration de ces assolements à chaque campagne agricole, nous proposons de développer des recherches sur l'assolage entendu comme l'ensemble logique des règles et activités mobilisées pour parvenir à un assolement mis en œuvre. Les règles d'assolage peuvent, une fois identifiées par enquête, être formalisées sous forme informatique. Deux tentatives récentes illustrent cette voie de recherche (Le Ber, Benoît, 1998 ; Benoît et al, 1998). Nous allons maintenant montrer sur deux exemples, comment l'assolement créé est à l'origine des qualités de ressources en eau et des paysages justifiant ainsi des recherches ultérieures sur les règles de construction de ces assolements, donc les assolages, pour pouvoir raisonner leurs réorganisations. 3 - La protection des ressources en eau et l'évolution en openfields de polyculture-élevage A - La question de la protection
des assolements
des ressources en eau
L'équipe de l'INRA-SAD4. Versailles-Dijon-Mirecourt a été in1pliquée dans la gestion des ressources en eau et la prévention de la pollution par les nitrates, en particulier dans le bassin des eaux minérales de Vittel (Deffontaines et al., 1993). La recherche a montré que la qualité de l'eau issue d'un bassin d'alimentation est étroitement liée à l'occupation du sol. Cette démarche permet d'identifier les bassins «à risque» et les exploitations agricoles concernées. Gérer l'eau consiste alors à infléchir les systèmes de culture pour qu'ils soient plus respectueux de la qualité des eaux, en particulier via les teneurs en nitrate, que dans un passé proche. Les ressources en eau sont cadrées par leurs bassins d'alitnentation. Elles sont régies par les gestionnaires de l'eau (maires pour les régies communales, présidents des syndicats intercommunaux) et les gestionnaires du territoire des bassins d' alimentation (agriculteurs, forestiers, résidents) (Salou, 1992). Chaque parcelle participe à deux entités spatiales: un bassin d'alimentation et une exploitation agricole. Cela crée deux lectures des territoires de l'eau. La reconnaissance de l'assolement d'un bassin d'alimentation participe à l'identification du risque que la couverture 4 Départelnent
« Systèlnes
Agraires
et Développelnent
234
» de l'INRA.
agricole fait peser sur la qualité de l'eau selon la conduite agronomique retenue. Cette lecture est utile pour établir un diagnostic préalable à toute action préventive (Benoît, 1992; Benoît et al., 1995). L'assolement est l'indicateur de risque, mais l'assolement est également l'enjeu concret de la négociation entre acteurs, ainsi que le souligne Claude (2001) au sujet de l'ensemble du bassin de la Vesle. B - Un modèle empirique d'explication eaux
des évolutions de qualités des
La variable à expliquer est ici la qualité des eaux. Celle-ci résulte du fonctionnement hydrique d'un bassin d'alimentation et des activités qu'il supporte. L'hypothèse formulée est la suivante: la qualité ([N03]) de l'eau issue d'un bassin d'alimentation correspond à la moyenne, pondérée par leur surface, des qualités de l'eau provenant des diverses occupations du sol couvrant le bassin. Deux paramètres principaux expliquent ainsi la qualité des eaux en région d'openfield. Il s'agit de l'assolement du bassin et de la qualité des eaux percolées à travers chaque sole. La teneur en nitrates ainsi calculée our cha ue source s'ex rime selon la formule suivante: [N03-] simulée
= SomOle
(Si x [N03-])/Somlne
Si
Si : Surface de l'occupation du sol i [N03-]i: teneur moyenne de l'eau drainée par type d'occupation du sol i Les différents types d'occupation des sols agricoles ainsi que les teneurs moyennes en nitrates en fonction de la nature du couvert végétal, apparaissent comme les variables majeures dans l'explication de la qualité des eaux qui percolent. Il apparaît donc Ï1nportant de développer des méthodes pour suivre au mieux ces surfaces et de modéliser les causes de ces changements. L'objectif initial de restaurer la qualité des eaux perdure, éclairé par les modifications vécues dans les assolements sur les bassins d'alimentation concernés. * La mesure de la surface des cultures, prairies permanentes et forêts, est réalisée de trois façons: par observation directe, par enquêtes auprès des agriculteurs exploitant le bassin concerné, en utilisant les bases statistiques de TerrUti. La mesure par observation s'effectue par des suivis de terrain au cours desquels, par observation visuelle directe, sont notés en début juin, les couverts végétaux de la campagne agricole. Cette méthode nécessite de l'ordre de deux journées de terrain par millier d'hectares à cartographier.
235
L'enquête agricole consiste à interroger les agriculteurs sur l'utilisation de leurs parcelles à partir d'une photographie aérienne où ils dessinent leurs parcellaires et en décrivent ensuite l'utilisation successive des parcelles (Heydel et al., 1997). La digitalisation de ces données sous un Système d'Information Géographique, permet d'obtenir des états et des évolutions de l'utilisation du territoire. * Instruction de la qualité de l'eau par systènle de culture. Elle est faite grâce à un suivi continu des pertes nitriques à l'échelle d'un échantillon de parcelles d'agriculteurs (Benoît et al, 1995). Depuis 1989, 52 parcelles sont suivies en continu dans diverses situations lorraines. A l'observation continue des systèmes de culture (assolements et itinéraires techniques), s'ajoutent les mesures des pertes nitriques par l'implantation de sites à bougies poreuses. Ces suivis sont réalisés grâce à la collaboration d'agriculteurs lorrains, offrant ainsi la possibilité d'une observation in situ des pratiques agricoles et de leurs effets sur la qualité de l'eau. Les variations entre couverts végétaux sont très marquées. Ainsi, si nous envisageons l'alimentation de bovins laitiers, les pertes sous prés de fauche sont comprises entre 5 et 17 mg/l de nitrate, selon la conduite de la culture en particulier le niveau de fertilisation azoté, mais varient de 30 à 125 mg/l sous maïs destiné à l'ensilage, les plus fortes valeurs étant liées aux fertilisations organiques. Ainsi, la nature des couverts varient beaucoup plus amplement entre nature de couverts qu'entre modalités de conduite de ces couverts (Benoît, 1994). 4
- Le paysage décliné en vert et jaune, une ressource des territoires agricoles d'openfields de polyculture-élevage
Notre objectif est de mettre au point et de tester une méthode pour caractériser différents types de représentations du paysage et d'identifier les enjeux sur lesquels un conflit d'intérêt est susceptible de reposer. A - Une méthode d'analyse de l'agriculture et vosgien
dans les paysages sarrois
La méthode que nous présentons ici a été testée sur deux secteurs, l'un situé dans le Land de Sarre (Allemagne), l'autre dans l'ouest du département des Vosges (France). Ils se situent tous les deux dans le contexte d'une ruralité assez marquée où l'activité agricole, bien qu'en difficulté, occupe une place encore essentielle dans l'occupation de l'espace. Cette méthode se déroule en deux phases: une description des unités de paysages, les Unités Agro-Physionomiques (UAP), et une qualification de ces unités par les habitants. 236
Les UAP sont « des portions d'espace contiguës d'apparence relativement égale, caractérisées par des occupations et des usages agricoles des sols particuliers résultant de la combinaison d'un nombre limité de pratiques de culture et d'élevage» (Thinon, Deffontaines, 1999). Nous avons ici voulu constituer un référent en procédant à une caractérisation des types d'espaces agricoles sur nos secteurs d'enquêtes. Les enquêtes ont été menées sur la base d'un questionnaire semi-directif. Ce questionnaire est structuré de manière 'graduelle', c'est-à-dire qu'il débute par des questions très générales sur le paysage, pour ensuite s'orienter plus spécifiquement vers des préoccupations agricoles. On peut ainsi cerner le stade d'occurrence de l'activité agricole et l'importance qui lui est accordée. Durant l'entretien, il est demandé à la personne enquêtée de commenter deux photos du finage de son village. Les clichés ont pour but d'apporter à l'individu un support visuel qui contient probablement des informations non encore formulées lors de l'entretien. L'objectif est de compléter les éléments formulés 'spontanétnent', par d'autres éléments stimulés par le commentaire de photographies. B - Représentatiolls du paysage et agriculture, certains ensenlbles paysagers présentent une forte identité collective La réalisation de cartes d'unités agro-physionomiques a débouché sur l'identification d'un certain nombre de types de 'paysages' agricoles (Lefranc, 2002). A titre d'exemple, les territoires analysés au sud du département des Vosges 5 présentent des unités très découpées, souvent peu étendues et offrent donc une grande variabilité. Les espaces boisés y occupent une place assez importante. Les reliefs accusés expliquent les nombreuses unités de vallées identifiées. Les surfaces en culture et en herbe se partagent par ailleurs le territoire de manière assez équivalente. Nous avons pu ensuite croiser ces UAP avec les discours recueillis, c'est à dire que nous avons comparé les types d'espaces identifiés (nos UAP) avec les types de descriptions de paysages agricoles que nous ont donnés les personnes enquêtées. La population étudiée se constitue de l'ensemble des usagers du territoire, sans tenir compte des usagers de courte durée (tourisme de passage). Nous nous sommes aperçus que la surface réellement occupée par certaines UAP n'est pas du tout proportionnelle à leur place dans le discours. C'est ici particulièrement flagrant dans le cas des unités de 'grande culture' et de vergers. Cette constatation ne fait que renforcer le poids de ces unités et l'idée qu'elles occupent un rôle itnportant dans les représentations 5
Il s'agit du Syndicat Intercolnlnunal de Développelnent du Canton de Lalnarche Intercotntnunal de Développetnent de la Saône Vosgienne (SIDSY)
237
(SIDCL) et du Syndicat
collectives du paysage et de l'agriculture. Cela nous confirme dans l'idée qu'il existe des espaces à forte identité collective, identité portée par la valeur qu'y placent les populations locales. L'ensemble de nos résultats nous permet donc de séparer en deux les éléments recueillis: d'une part des représentations collectives qui grosso modo font l'unanimité et ne posent donc pas de problèmes de reconnaissance collective, tant positive que négative; d'autre part des points de vues sensiblement divergents. Nous avons réuni sous un même tableau ces trois groupes: Tableau 1: Principales représentations du paysage identifiées par enquêtes [ en gras: items liés à l'assolement] (Lej,t>anc,2002) REPRESENTATIONS «UNANIMES» « Bien» et « Beau» Beau paysage agricole, idyllique: Diversité des couleurs des champs Colza en fleur Champs de blé Champs de blé sous le vent Céréales et adventices Vaches au pré Parcs, herbe toujours verte Travaux des chatnps dans la catnpagne
Vergers, Jolis et « patritnoniaux »
POINTS DE DIVERGENCES
« Pas bien» et « Pas beau» Bâti agricole Bâtitnents en tôle Fennes sales au tnilieu des villages Fumier Dans les villages, près des ruisseaux, par tetnps de pluie, etc. ..
Maïs (aspects esthétique et écologique) Vergers: Conserver ou abandonner? Entretien des parcelles, régularité, clôtures,... Ripisylve (garder ou arracher) Haies Arbres d'alignelnent ou arbres 'Produits chitniques' agricoles isolés pesticides, engrais Agriculture industrielle: Déchets agricoles Bâches, pneus, bidons
Friches PAC à l'origine d'évolutions négatives(labour systématique, mise en culture, course à la pritne...)
238
Grandes parcelles Machinislne Rentabilité, taille des exploitations, des troupeaux Monocul ture/spécial isation Remembrement
Petite agriculture Extensive parcellée et 'buissonnière'
5 - CONCLUSION: recherches?
Quel est le statut
Le bassin d'alimentation pilote?
du territoire
dans ces
et la facette paysagère, des territoires
sans
Le bassin d'alimentation est de plus en plus reconnu comme le territoire à envisager pour maîtriser à long terme l'avenir de toute ressource en eau. Mais il n'a aucun statut juridique permettant de lui attribuer les caractères d'un territoire, soit celui d'un espace approprié, géré, en permanence objet de négociation entre acteurs construisant des options sur son devenir. De même, une facette paysagère que nous pouvons décrire sous forme d'une UAP, n'a aucun statut reconnu de «territoire à ménager »6. Cependant, beaucoup des citoyens sarrois et vosgiens interrogés évoquent leurs soucis en ces termes: «que deviendront les coteaux en vergers? » «Pourquoi retournent-ils la prairie le long du ruisseau?». Les «labels paysagers », procédure d'aide par le Ministère de l'Environnement à des actions de développement local reliant un produit à son paysage, étaient pourtant, il y a 10 ans une tentative en ce sens. Comment agricoles?
...partager
instaurer
un dialogue
sur l'évolutioll
des territoires
les savoirs et apprelldre ellsemble pour piloter un bassin:
Les solutions agronomiques à la pollution diffuses des eaux par les intrants sont complexes à mettre en œuvre. Elles nécessitent la coordination de tous les acteurs concernés et une attitude volontariste de la part des agriculteurs. Ces solutions sont avant tout préventives mais peuvent cependant avoir l'ambition d'être curatives (Küng-Benoît, 1992). Dans tous les cas cela nécessite un apprentissage technique et organisationnel indispensable (Benoît et al, 1997). Les références liant qualité de l'eau aux systèmes de culture sont donc à transmettre de manière à ce qu'elles puissent initier des changements dans un domaine où les routines sont fortes (Lacroix, 1995). A l'inverse, face aux gestionnaires de l'eau, les compétences des agriculteurs sur leur territoire sont à valoriser et à insérer dans une réflexion sur la préservation des ressources en eau. Ainsi, nous avons proposé une 6 Clin d' œil à Olivier de Senes: le Inesnage des chalnps, quatre siècles plus tard bute sur les coordinations à concevoir pour« Inénager » des tenitoires autres que celui de l'exploitation agricole. L'enjeu est de taille pour les agronolnes.
239
méthode interactive d'échange entre acteurs concernés par ces territoires de l'eau, « le tour de bassin» (Benoît et al, 2001). Les échanges portent ainsi sur les références partagées par ces acteurs mais aussi sur les incertitudes, tant concernant les pratiques agricoles que les limites du bassin ou la latence des ressources. parler du paysage agricole, pour apprendre
à l'appréhender
Le paysage n'est pas une notion spontanément facile d'accès. Les comportements rencontrés face à la prelnière question de notre enquête (celle d'une définition du mot paysage) en ténl0ignent, puisque les individus ont très souvent recours au paysage local, concret, en guise de définition. Même lorsque la question leur est reposée, un certain nombre d'individus n'aboutissent pas à une définition notionnelle du paysage, soit parce qu'une telle abstraction est difficile à formuler, soit parce qu'ils ne se sont jamais appropriés cette abstraction et que leur paysage est, et est uniquement, une réalité très concrète et très locale. Les comportements des individus dans la suite de l'entretien sont assez variés et ne semblent pas dépendre des caractéristiques 'sociales' des individus. Mais, il y a pour certains une vraie difficulté à exprimer leur ressenti.
Pourquoi développer des recherches sur l'assolage des territoires agricoles? L'enjeu est de redéfinir la place des agronolnes, au sens « agronomes de la compréhension des systèmes techniques agricoles », et des géographes dans les évolutions qui reconstruiront ces territoires. Leur place est alors celle d'un médiateur, qui par son activité de modélisation des relations
Techniques
-
Territoires, rend des images de situations existantes et
possibles à des collectifs en charge de traiter des questions vives interrogeant les choix des modalités et localisations des systènles de culture dans les territoires ruraux. Nous proposons de centrer l'avenir de ces recherches en utilisant un point de vue constructiviste sur les assolements: s'ils sont bien construits par des agriculteurs, agronomes et géographes doivent donc rendre compte des voies et moyens construisant ces assolements, ce que nous nOlnmons l'assolage. Ce point de vue nous apparaît crucial car nombre de questions environnementales interrogent les changements d'assolement, et il nous semble inconcevable de vouloir changer, avec un quelconque espoir de réussite, ce que l'on ne comprend pas. 240
Références bibliographiques Benoît M., 1992. Un indicateur des risques de pollution azotée nommé « BASCULE» (Balance Azotée Spatialisée des systèmes de CULture de l'Exploitation. Fourrages, 129 : 95-110. Benoît M., 1994. Risques de pollution des eaux sous prairie et sous culture. Influence des pratiques d'apport d'engrais de ferme. Fourrages, 140 : 407-420. Benoît M., Saintôt D., Gaury F., 1995. Mesures en parcelles d'agriculteurs des pertes en nitrates. Variabilité sous divers systèmes de culture et modélisation de la qualité de l'eau d'un bassin d'alimentation. C.R. Acad. Agric., 81(4) : 175-188. Benoît M., Deffontaines J. P., Gras F., Bienaimé E., Riela-Cosserat R., 1997. Agriculture et qualité de l'eau. Une approche interdisciplinaire de la pollution par les nitrates d'un bassin d'alimentation. Cahiers Agriculture 1997 ; 6 : 97-105. Benoît M. & Papy F., 1997. Pratiques agricoles et qualité de l'eau sur un territoire alimentant un captage. ln : L'eau dans l'agro-écosystèn1e, Riou C., Bonhomme R., Chassin P., Neveu A., Papy F. (eds), INRA Editions, 323338. Benoît M., Chicoisne G., Deffontaines J.-P., Hervé D., Lardon S., Le Ber F., Mullon C., Papy F., Souchère V., Thinon P., Tichitt M., Treuil J.-P., 1998. Coordonner des choix de cultures sous contraintes environnenlentales : des jeux de rôle aux modèles multi-agents. In: Actes du colloque SMAGET-CEMAGREF, Clermont-Ferrand, Octobre 1998 : 133-141. Christophe C., Lardon S., Monestiez P. (éd.), 1996. Etude des phénomènes spatiaux en agriculture. INRA Editions, Paris, série colloque, 365p. Claude C., 2001. Dynamique des systèmes de culture dans le bassi11 de la Vesle: diagnostic et prospective. DEA de géographie Na11cy II, INRA SAD Mirecourt. 40 p. + annexes. Croix N. (Ed) , 1998. Environnenlent et nature dans les calnpagnes, Nouvelles politiques, nouvelles pratiques Deffontaines J-P., Benoît M., Brossier J., Chia E., Gras F., Roux M. (Ed.), 1993. Agriculture et qualité des eaux,. diagnostic et propositions pour un périn1ètre de protection. INRA-SAD, 334 pages. De Koning G.H.J., Verburg Ph., Veldkamp A., Fresco L.a., 1999. Multiscale modelling of land use change dynamics in Ecuador. Agricultural Systen1s, Vol. 61 : 77-93.
241
Gerber J., Holloway L., Seymour S.,Steven M., Watkins C., 1998. New technologies and old knowledges : the impact of « precision farming »on the management of the English countryside. In :N. Croix (Ed), Environnement et nature dans les campagnes, Nouvelles politiques, nouvelles pratiques. pp 187-204. Heydel L., Benoît M., Schiavon M., 1997. Estimation des apports de produits phytosanitaires à l'échelle de bassins d'alimentation. Agronomie (1997) 17,25-33. Küng-Benoît, 1992. Changement de pratiques de fertilisation organique et opération Ferti-Mieux. Fourrages. Lefranc CH., (sous la dir. de Benoît M., Thinon P.), 2001. Représentations collectives de paysages agricoles. Mise au point d'une méthode d'analyse dans l'Ouest vosgien (France) et dans le Land de Sarre (Allemagne). Mémoire DEA «Paysages, Patrimoine et Aménagelnent », DESE «Aménagement de l'Environnenlent ». Nancy (FRA): Université Nancy 2 - Département de Géographie, Universitat Kaiserslautern, Fondation Universitaire Luxembourgeoise Arlon, INRA SAD Mirecourt. 101 p. + annexes. Le Ber F., Benoît M., 1998. Modelling the spatial organisation of land use in a farming territory. Example of a village in the "Plateau Lorrain". Agronolnie, 18 (2) : 103-115. Salou M-C., 1992. Elaboration de la qualité des eaux dans des bassins versants agricoles. Essai de modélisation en nlilieux calcaires (exenlple des plateaux de Vicherey et d'Aboncourt), DEA Géographie, Metz; INRA-SAD Mirecourt, Il 7 pages + annexes. Sebillotte M., 1974. Agrononlie et Agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome. Cahiers ORSTOM. Série Biologie. N°24, 3-25. Sebillotte M., 1996. Systems Research and Action. Interdisciplinary Excursions. In: Sebillotte M. (dir.) Systelns-Oriented Research in Agriculture and Rural Development. Lectures and debates (International Symposium - Montpellier, Fr., 21-25 Nov. 1994). Montpellier, CIRAD, pp.35-72. Veldkamp A., Fresco L.a., 1997. Exploring land use scenarios, an alternative approach based on actualland use. Agricultural Systenls 55, 1-17. Verburg P.H., de Koning G.H.J., Kok K., Veldkamp A., Bouma J., 1999. A spatial explicit allocation procedure for modelling the pattern of land use change based upon actualland use. Ecological Modelling 116(1), 45-61. Veyret Y. (dir), 1998. L'érosion entre nature et société, Paris, SEDES DIEM n022, 344p. Zander P., Kachele H., 1999. Modelling multiple objectives of land use for sustainable development. Agricultural Systenls 59 (1999) 311-325.
242
L'agriculture
banale a-t-elle une place dans le projet agriurbain ?
André FLEURyl et José SERRAN02 Résumé Ce texte aborde la place de l'agriculture dans le projet de développement des villes. Il part du constat que les liens qui unissaient la ville à son agriculture périurbaine changent. C'est désonnais l'identité, la prévention des risques mais aussi la sécurité alimentaire qui amènent la ville à considérer son agriculture périurbaine. Cependant, ce renouveau d'intérêt est sélectif. Certaines fonnes d'agriculture, notamment à la céréaliculture, restent occultés. Cela pose problème car la céréaliculture occupe de larges espaces aux abords des villes. De plus, les raisons pour lesquelles elle est hors-jeu tiennent au processus même qui amène la ville à s'intéresser à nouveau aux espaces agricoles. Le texte tennine par la présentation des voies pour une réintégration pleine de l'agriculture dans le projet agriurbain. Il montre que c'est plus le regard de la ville sur l'agriculture que l'agriculture elle-même qui doit changer. Il convient de faire une distinction entre la production agricole de territoire et la production de denrées, de remédier aux contraintes de l'agriculture périurbaine. Partant de là, la société locale peut s'impliquer dans un projet de production d'un état de l'espace qui tient compte de la réalité de l'agriculture. Abstract Is the commonplace agriculture admit in agriurban project? This paper analyses the importance of agriculture in urban development strategies and policies. It takes as a starting point the fact that the relationships between cities and suburban agriculture have changed. Nowadays, concerns for identity, risks prevention and food security lead
1
École Nationale Supérieure du Paysage 10 rue Maréchal Joffre 78009 Versailles Cedex 2 École polytechnique de l'Université de Tours Départelnent alnénagelnent Parc Grandlnont 37200 Tours
cities to take peri-urban agriculture into account. However, the revival of interest is quite selective. Some types of agriculture, among which the production of cereals, remain absent of the agenda. This is quite problernatic, as these productions occupy large portions of space around cities. Moreover, the reasons why the culture of cereals is not taken into acount are linked to the re-discovery of other agricultural spaces. The paper ends by suggesting solutions for a full integration of agriculture in agri-urban projects. The way peri-urban agriculture is considered by cities should change, rather than changing agriculture itself. A distinction should bemade between food-stuff production and the production of space and the constraints met by peri-urban agriculture should be tackled. As a result, local actors may get involved in programmes that aim at managing the countryside and landscapes, while taking into account the realities of agriculture.
Jadis la société urbaine côtoyait la société agricole péri urbaine. et elle en comprenait les enjeux. Mais suite à l'exode rural et à la fin des paysans, selon l'expression de H. Mendras, la fatniliarité entre les citadins et les agriculteurs s'est estompée. Les relations entre la ville et la campagne ont évolué et sont désormais bâties sur de nouvelles nonnes... Au nom du développement durable, le paysage est davantage pris en compte en urbanisme et sert de médiation entre la population et l'espace. De même, le péri urbain change de statut. Espace jadis réservé aux activités et aux populations rejetées par la ville, il devient un espace recherché pour ses aménités naturelles. Un des grands enjeux de ces espaces ouverts périurbains concerne l'agriculture péri urbaine. Traditionnellement, l'agriculture reculait face à l'extension urbaine mais suite à l'évolution des normes en matière de développement urbain, son maintien est maintenant souhaité. Cependant, toutes les formes de l'agriculture ne bénéficient pas de ce renouveau d'intérêt. Les systèmes intensifs (agricoles et hors sol) conservent une image négative et sont déconsidérés par les élus citadins. Cela pose problème car l'agriculture intensive occupe une partie importante des aires périurbaines de nombreuses grandes villes. Il s'agit donc de réfléchir sur la multifonctionnalité de cette agriculture en se demandant de quelle manière elle peut être partie prenante de la production locale de territoire. Cette contribution s'appuie, entre autres, sur l'expérience acquise par les auteurs dans deux territoires d'expérimentation du projet agriurbain
244
du Ministère de l'Agriculture: la Communauté de Communes de l'Est Tourangeau (CCET) autour de la ville - campagne de Montlouis et l'aire du schéma directeur d'Amiens. 1 - Les processus antagonistes A
- Les
d'implication
de l'agriculture
nouvelles bases d'une reconsidération
de l'agriculture
La patrimonialisation Les politiques agricoles urbaines sont structurées par la recherche de l'identité. Elles font ainsi référence aux éléments marquants de cette identité comme la vallée de la Loire, les châteaux royaux de la Renaissance et leurs abords, et les vignobles classés en AOC pour la Touraine. Certains paysages, en raison de la notoriété acquise après que des artistes les aient décrits (Provence de Cézanne) ou de leur singularité (Hortillonnage d'Amiens) deviennent des référents identitaires. Les politiques urbaines qui concernent ces espaces se traduisent par une restauration même si les systèmes agricoles qui étaient à leur origine (maraîchage à .A1niens) ont largement disparu. Cette volonté de retrouver un état antérieur jugé préférable, caractérise aussi les politiques de protection de la nature où il s'agit, comn1e dans le programme national des zones humides, de favoriser le retour de la nature sur des friches. La prévention
de risques naturel ou industriel
De plus en plus, les villes sont amenées à considérer les risques naturels ou industriels. Parce qu'elles sont inondables (vallée inondable de la Loire, du Cher, de la Somme), sensibles aux incendies ou parce qu'elles se trouvent à proximité d'installations industrielles classées (usine de fabrication d'alcool de Clarins) ou nuisantes, de larges zones sont devenues impropres à la construction. Désormais, les villes voient dans l'agriculture une activité peu sensible à ces risques qui est capable d'occuper et d'entretenir ces espaces. Une nouvelle question:
r
la sécurité alimentaire
La fonction d'approvisionnement en produits frais qui unissait les ceintures périurbaines aux villes-centres s'est considérablement affaiblie. Elle a été remplacée par le recours à des produits venant d'ailleurs et distribué en grandes surfaces. La suspicion sur la qualité des produits ayant voyagé ou les difficultés d'approvisionnement potentielles (conflits sociaux) 245
ou réelles (population sans tnoyen de transport individuel) remettent ce mode d'approvisionnement en question. La proximité est alors une qualité de plus en plus recherchée.
B - Des attentes vers l'agriculture
très sélectives
Il y a un réel paradoxe. Les processus de patrimonialisation ont réellement enrichi les rapports entre la société et l'agriculture. Ils ont notamment favorisé les activités de mise en valeur des espaces ainsi reconnus. Mais, ils ont aussi contribué à dévaloriser l'agriculture moderne contemporaine. Des activités appuyées sur le paysage rural Les gîtes ruraux, les chambres d'hôtes, les centres équestres, les golfs, etc. ont besoin du cadre rural pour leur activité économique, parce qu'il est souhaité par leur public. Ainsi, les Gîtes de France privilégient clairement le paysage comme critère d'éligibilité et sont attentifs au voisinage de leurs gîtes, qui doivent se placer dans des lieux éminemment dignes d'être vus (les châteaux de la Loire, les vignes) ou parcourus en randonnée (rivières, forêts ou vignobles). Mais les champs de l'agriculture ordinaire ne sont pas attractifs en eux-mêmes, surtout quand des bâtiments agricoles modernes sont dits les défigurer. Le maraîchage des Hortillonnages, la viticulture de la CCET semblent ainsi exemplaires aux yeux des élus, parce qu'ils portent à la fois l'évocation patrimoniale et le paysage rêvé. Les élus s'appuient d'ailleurs sur ces paysages pour promouvoir la croissance de leur ville (slogan « Montlouis : une ville à la campagne »). Dans les deux régions étudiées, les efforts pour améliorer le paysage concernent surtout les éléments bâtis et les bourgs: fleurissement, enfouissement des réseaux, embellissement du bourg (places, mairies, églises, etc.) ; les mairies utilisent le classement en ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbanistique et paysager). Compte tenu des éléments remarquables que sont les châteaux tourangeaux ou les cathédrales picardes, et des richesses naturelles (la Loire, tnais aussi la Somme), les paysages de champs sont déclarés très banaux. Ils sont d'autant plus occultés que les agriculteurs sont perçus de manière négative. Les stratégies d'exploitation
privilégiées
En leur qualité d'entrepreneurs, les agriculteurs ont développé des stratégies très variées qui vont s'appuyer peu ou prou sur les représentations sociales. Ils peuvent choisir entre: 246
La diversification vers le marché local: pour les élus ou certains acteurs, elle constitue une évolution adaptée au contexte périurbain. Les produits identifiés à travers le terroir ou les modes de production rencontrent un succès dans les marchés locaux. Un peu paradoxalement, on a observé dans les deux régions étudiées un intérêt limité des agriculteurs, qui cherchent plutôt le développement de leurs exploitations sur les grands marchés dont ils ont l'expertise. C'est particulièrement le cas de la grande culture, mais aussi celui des viticulteurs de qualité, tels ceux de l'AOC des vins de Montlouis, dans la CCET, dont le marché dépasse de beaucoup l'aire locale. L'ancrage sur le produit identitaire : la vigne, de façon très générale en France, et d'autres espèces cultivées (l'olivier dans l'aire méditerranéenne, la tulipe hollandaise, etc.) sont tellement insérées dans la culture sociale qu'elles restent désirées des villes comme voisinage. La CCET voit dans son vignoble à la fois son origine économique, son lien spécifique à la culture française et le paysage désiré. De ce fait, cette agriculture trouve clairement sa place dans les plans locaux d'urbanisme. Les gîtes ruraux: ils sont fortelnent souhaités à Tours et à Amiens par les responsables du tourisme pour répondre à une demande latente des visiteurs. C'est la seule réaction positive des grandes exploitations d'Amiens aux propositions de diversification. L'insistance est d'ailleurs nette vers une séparation claire de la vie familiale, de l'activité professionnelle, et du gîte: c'est moins l'ouverture du monde agricole qui est recherchée, que la valorisation d'atouts spécifiques de ce marketing (qualité du bâti, qualité du paysage, etc.). Dans un autre ordre d'idées, la pluriactivité: c'est toujours la proximité urbaine qui constitue le moteur de l'évolution, sans cette fois que les registres patrimoniaux soient évoqués. La pluriactivité constitue la stratégie classique des petites exploitations, qui, maintenant souvent des productions traditionnelles, deviennent en fait l'appui de l'adaptation familiale à la ville. La ferme familiale reste le lieu d'habitat alors que les activités en ville, surtout des jeunes, fournissent une part croissante du revenu familial. Cette dynamique peut tourner, avec un changement de génération, à l'agriculture de loisirs, ainsi qu'à la gestion patrimoniale des biens fonciers. C - Conclusion
Il Y a donc une réelle spécificité de l'agriculture périurbaine dans ces voies. Cependant, elles ne séduisent qu'un nombre restreint d'agriculteurs, notamment dans la moitié nord de la France; l'attrait des grands marchés est élevé. Cela pose une question très importante: celle de l'absence de 247
considération pour les autres espaces cultivés (les prairies non pâturées, et surtout les grandes cultures), ce qui leur vaut l'indifférence des aménageurs et leur affectation fréquente comme réserve foncière d'extension de la ville. Cette agriculture mal acceptée ne prend alors en compte que ses propres intérêts, et cherche souvent à se délocaliser préventivement. Il en résulte, preuve évidente du dysfonctionnement territorial, un enfrichement. Celui-ci paraissant plus porteur de risques sociaux que des aménités liées à la nature, est rarement apprécié des citadins. 2 - Un conflit latent de modèles de territoire: B
- Une
agriculture
agriculture
et paysage
en conflit avec la ville
Vus de la ville, des espaces agricoles en risque d'abandoll
L'opinion publique commence à s'émouvoir de la présence de terres abandonnées même si elles sont encore rares dans le paysage (7 % de la SAD et plutôt moins à Amiens sauf localement dans les Hortillonnages). Il existe un lien entre l'importance des friches et l'importance des jachères. Certaines parcelles gelées ne sont entretenues que parce qu'il y a des primes PAC. Elles pourraient tomber à l'état de friches en cas d'arrêt des primes. Les agriculteurs localisent les gels fixes sur des parcelles au travail contraignant ou proches d'habitat dense afin de réduire les conflits. La localisation des friches a été étudiée pour la CCET. Trois classes ont été identifiées: urbaine: c'est la proximité urbaine qui empêcherait les agriculteurs d'intervenir, soit parce que le propriétaire spécule, soit parce que la parcelle est enclavée dans le tissu urbain. orpheline: le propriétaire se désintéresse de son bien et ne confie plus ses parcelles à un exploitant. agricole: parcelles trop petites ou au sol médiocre pour être travaillées Les friches urbaines sont plutôt de petite taille (moins de trois hectares) alors que les friches agricoles sont parmi les plus grandes. Les trois types ont sensiblement la même fréquence. Les deux prelniers types renvoient davantage à une réflexion sur les contraintes d'urbanisation. La présence des friches gêne les élus car elles deviennent des lieux d'usages indésirables (dépôt d'ordures, stationnement de nomades).
248
Les agriculteurs limités dans leur vision d'avenir Les agriculteurs dans les zones périurbaines choisissent parmi trois stratégies: l'agrandissement pour pallier la baisse attendue du revenu par hectare du fait de la baisse des primes PAC ou du marché des denrées agricoles. C'est la stratégie privilégiée. la délocalisation programmée permet de conserver le système d'exploitation en le déplaçant. le développement de la qualité, possible pour les productions pour lesquelles il existe un marché de la qualité. Faute de moyens, ces différentes stratégies ne sont pas toujours applicables. Les agriculteurs sont alors désorientés faute de projet alternatif. Ils perçoivent les attentes de la société en matière d'entretien de l'espace mais n'osent s'y engager faute de politique agricole crédible dans le domaine. Ils souhaitent plutôt une politique globale de réorganisation du foncier (particulièrement vrai pour Amiens). Facteur de blocage: le refus d'être jardillier Pour les agriculteurs, le paysage est un sous-produit de leur activité de production. Il révèle plutôt la maîtrise technique de l'exploitant et ceux-ci sont excédés par les références à la campagne qu'adoptent certaines communes autour de Tours. Seuls les agriculteurs qui font de la vente directe (cas des vins) peuvent prendre conscience des représentations urbaines et en tirer parti pour vendre. Toutefois, les agriculteurs en tant que personnes du « cru » ne veulent pas se laisser imposer l'entretien d'un paysage qui ne correspond pas aux systèmes d'exploitations locaux. B - Le rejet citadin des systèmes agricoles modernes La présence de terres improductives heurte les agriculteurs et les élus mais pour des raisons différentes. Les agriculteurs regrettent l'absence de production alors que les élus sont gênés par l'itnpact sur le paysage. Cette différence d'interprétation se creuse avec une atténuation du lien qu'entretenaient les agriculteurs avec le reste de la population.
La force des images citadines à propos de l'agriculture Jusqu'aux années 60, les citadins c01l11aissaient l'agriculture car ils avaient des parents agriculteurs ou avaient émigré en ville récemment. Ils
249
comprenaient et approuvaient la modernisation technique entreprise par les agriculteurs. À partir des années 80, la perception de cette évolution par les citadins se renverse. Elle est qualifiée péjorativement de productivisme car elle est perçue comme une menace pour l'environnement et la santé des consommateurs. Le décalage est d'autant plus important que les citadins ayant perdu le contact avec les agriculteurs ne perçoivent plus les efforts que ceux-ci ont entrepris pour résoudre à leur façon les atteintes portées à l'environnement et à la sécurité alimentaire. Agriculteurs
et maraîchage
de grands marcllés : des voisins gênants
Dans leur majorité, les agriculteurs cherchent à réduire les atteintes à l'environnement tout en poursuivant leur modernisation technique. Mais selon le type de production, le regard des citadins diffère: les grandes cultures, qui sont les principales occupantes des plateaux, et maintenant des vallées, pâtissent d'un manque de confiance. les vignes bénéficient d'une image positive tant le vin est porteur d'une grande signification sociale. Amiens n'a guère d'alternative au voisinage de la grande culture. Par contre, la CCET dispose des deux familles précédentes de fonne agricole que l'on pourrait imaginer en compétition vis-à-vis de l'opinion locale. C - Conclusion
La prise en compte du paysage comme finalité première paraît donc exclue pour les agriculteurs produisant pour les grands marchés. Mêlne s'ils ressentent qu'il y a là une attente forte de la société, ils refusent de s'y engager tant qu'ils ne perçoivent pas de message fort de la société. Aussi, l'avenir est considéré avec un certain fatalisme. Nombre d'agriculteurs ne sont pas intéressés par le débat concernant les politiques territoriales, ce qui traduit une relation dégradée entre les agriculteurs et les responsables politiques. 3 - Des voies de reconstruction
Ces constats rendent difficile a priori la conception mêlne de tout projet agriurbain dans le contexte de l'agriculture des grands marchés et le limiteraient aux systèmes autorégulés par la demande locale. Cependant la fréquentation citadine des espaces cultivés est une tendance sociale si forte que la protection du pré carré agricole paraît exclue en péri-urbain. Une 250
nouvelle mixité sociale est à inventer. Il s'agit que les agriculteurs renouvellent l'attachement traditionnel de la société française à son agriculture. A - Affirmer le statut de l'agriculture Elle est nécessairement
périurbaine
soumise à la commande urbaine
Bien que connaissant peu l'agriculture, les élus restent les responsables légitimes du projet agricole périurbain. Mais leurs attentes ne concordent pas avec celles des agriculteurs. Ils parlent de campagne alors que les agriculteurs parlent de marché. Il en résulte la nécessité de dissocier dans l'acte agricole la production agricole de denrées de celle de territoire. Il faut donc modifier les termes de la négociation avec les agriculteurs. Il revient aux élus de partir de l'agriculture existante pour mettre en œuvre les usages qu'ils souhaitent avoir de l'espace agricole. La réalisation d'itinéraires de randonnée préservant les espaces cultivés des dégradations dues à la fréquentation et pensant aux co-usages agricoles est un bon exelnple. Expliciter le mot agriculture
Une difficulté réelle réside dans la différence de définition du mot agriculture selon les registres. Pour les agriculteurs, c'est une production de denrées, pour les citadins c'est un paysage. Ainsi pour les agriculteurs le passage d'une culture de plein champ à une culture sous serre ne change rien alors que pour les citadins cela change tout. Le vert agricole, une forme de vert parmi d'autres
La trame verte d'une ville est composée d'espaces très disparates. La gamme s'étend des jardins privés jusqu'aux parcs publics en passant par les jardins familiaux. L'agriculture, surtout celle non professionnelle, peut être considérée comme une pièce supplémentaire de la trame verte urbaine. B - Exorciser le productivisme Le productivisme est essentiellement une représentation, c'est celle d'agriculteurs qui n'auraient comme seule finalité que de produire à tout prix. La perception des primes par les agriculteurs est alors très mal perçue. Or une prime est aussi une manière de rémunérer un marché non solvable. C'est le cas de la prime pour gel de terres qui a eu indiscutablement un effet de 251
limitation des friches. On postule que la lutte contre cette vision tronquée est l'information. En matière d'environnement Il est certain que les systèmes de culture préjudiciables pour l'environnement. Actuellelnent, une minorité, ont pris conscience des excès de leur ont élaboré des démarches (agriculture raisonnée, les risques environnementaux.
des années 70 étaient les agriculteurs, excepté système de production et Qualiterre) pour réduire
En matière de qualité des produits À condition qu'elle soit correctement rémunérée, les agriculteurs peuvent s'engager dans la production de qualité en perfectionnant leur système. Les contrats territoriaux, la charte Qualigrain peuvent apporter une rémunération pour cela. Mais les agriculteurs ont mis en place des dispositifs pour faire savoir leur mode de gestion de la qualité (FARRE). En matière de paysage En matière de paysage, la référence majeure du public reste celle de l'agriculture traditionnelle proche de la nature, ce qui ne correspond plus aux besoins des agriculteurs d'aujourd'hui. Selon cette vision, il est difficile pour les agriculteurs de concilier production et aménagements paysagers. La réflexion sur le paysage de l'agriculture moderne est à ses prémices. On peut signaler les efforts d'acteurs tels qu'EDF qui cherchent à dépasser le simple enfouissement des lignes pour élaborer de nouvelles formes de pylônes acceptés dans le paysage. En matière de coûts collectifs Le coût de la PAC est de moins en moins justifié aux yeux de l'opinion publique. Mais il pourrait le redevenir s'il servait à la rélnunération de l'acte de production d'un état de l'espace. Des précédents existent comme l'indemnité spéciale de montagne. C - Le territoire d'espace
local comme niveau de compréhension
des systèmes
Il est impératif d'affirmer la logique fonctionnelle du territoire périurbain. 252
Distinguer la valeur économique de la production territoriale La société locale reconnaît à l'espace cultivé une valeur positive. Le plateau de Saclay en est un exemple. Les activités tertiaires de recherche attribuent une valeur positive aux espaces agricoles les environnant. Il devient nécessaire d'identifier distinctement la production de territoire. Les modes d'actions Le premier niveau est de reconnaître et de compenser les contraintes spécifiques que subit l'agriculture aux abords des villes. Il peut s'agir d'une compensation monétaire des surcoûts ou d'une remédiation par des aménagements. Le second niveau est d'impliquer la société locale en définissant des opérations qui bénéficient aux agriculteurs et aux acteurs locaux. Ainsi la CCET se propose de subventionner le fleurissement de jachères. En contrepartie, elle demande aux agriculteurs de les localiser près des' habitations. Les jachères fleuries constituent des zones tampons qui améliorent les abords des habitations et préservent les agriculteurs de conflits. Pour réussir ces actions, il conviellt de mettre en oeuvre un niveau de négociations. Celui-ci commence à émerger à Amiens où la communauté d'agglomération et la chambre d'agriculture vont se rapprocher de l'association Terres en Ville. 4
- Conclusion
A cette question initiale, l'agriculture banale a-t-elle une place dans le projet agriurbain?, la réponse est donc positive luais conditionnelle. La démarche de projet agriurbain devient familière aux élus, sinon générale, d'autant plus que la réorganisation territoriale va dans ce sens. La création de vastes entités urbaines, construite grâce aux cadres rénovés de l'intercommunalité, aboutit à des territoires où l'espace rural occupe souvent la moitié du territoire; les réformes du code de l'urbanisme, et notamluent le schéma de cohérence territoriale oblige en quelque sorte à réussir. Mais l'on a vu aussi que le chemin est long, parce que les aménageurs, l'agriculture, et plus généralement la société, ne sont pas encore prêts. L'aménagement encore dominé par la ville tient mal compte des impératifs de fonctionnement des entreprises agricoles, l'agriculture parce qu'elle admet encore mal la dissociation entre production de denrées et production territoriale, et la société qui s'est laissée écarter de l'agriculture. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les systèmes à définition patrimoniale 253
soient privilégiés. Aussi, la proposition de cadre de négociation initiée par le Ministère de l'Agriculture et maintenant relayée par la DATAR est faite au moment précis quand la demande collective s'affirme. Cet outil, qui n'est pas d'ailleurs le seul, devrait faciliter les conditions favorables au redéploiement de l'agriculture. Les élus pourront alors: Comprendre qu'une politique foncière négligente (plans d'occupation des sols) est .aussi génératrice de friches; Admettre qu'une politique de paysage passe plus par le changement du regard de la société sur ces espaces, que par un changement des formes spatiales de l'agriculture moderne. Et plus généralement, débattre avec les agriculteurs de leur contribution à leur proj et de ville. Ils pourront alors faire l'apprentissage de nouveaux outils (Contrats Territoriaux d'Exploitation, Zone Agricole Protégée, etc.) pour négocier avec les agriculteurs leur participation à un projet commun, condition de leur maintien in situ.
Les auteurs remercient particulièretuent d'une part Madame Mireille CELDRAN, animatrice du programme projet agriurbain au Ministère de l'Agriculture (DERF), et d'autre part les leaders locaux de l'expérimentation: Monsieur Roland BEUV AIN, chargé de l'agriculture périurbaine à la chambre d'agriculture de la Somme; Monsieur Hubert FERRY WILCZEK, directeur départemental de l'agriculture de l'Indre et Loire.
254
Des entités spatiales à l'usage des agronomes: les terroirs viticoles Emmanuelle
V AUDOUR et Michel-Claude
GIRARDI
Résumé Le terme terroir s'est principalement révélé aux XVIIe et XVIIIe siècles en relation avec l'agriculture. Les études agronomiques de terroirs viticoles, en plein essor depuis les années 1990, privilégient soit la différenciation géographique du produit et de sa matière première, le raisin, soit la différenciation des potentialités naturelles du milieu cultivé de la vigne. Les approches locales focalisées sur la compréhension du fonctionnement écophysiologique de la plante, diffèrent des approches régionales orientées vers la connaissance des organisations géographiques du Inilieu cultivé. L'une de ces dernières, récemment développée, est l'approche des terroirs par l'analyse spatiale géomorphologique et pédologique. En continuité avec son acception agronomique de l'époque moderne, en tant qu'entité spatiale et temporelle cohérente avec la qualité de la production vitivinicole, cette approche a été appliquée à la partie méridionale du vignoble AOC des Côtes-du-Rhône. Structurée autour d'un Système d'Informations Géographiques, elle valorise des observations de terrain et utilise les traitements d'images satellitales. Le concept de terroir viticole est fondé sur la caractérisation d'un modèle d'organisation spatiale se rapportant à des unités de pédopaysage, décrites à l'aide d'une vingtaine de variables qualitatives ordonnées. A l'aide d'analyses statistiques multivariées, les unités de pédopaysage sont assemblées en unités de terroir. Celles-ci sont validées grâce à l'analyse fréquentielle de données décrivant la qualité de la vendange sur une série de 17 millésimes. Mots-clés: Terroirs viticoles, zonage, analyse spatiale, qualité de la vendange. Abstract Spatial entities devoted to agrollomists : viticultural 'terroirs' The elevated number of contemporary uses of the term 'terroir' enables several possible choices for a definition of 'terroir': 'terroir' is a French
1
UMR INRA-INA-PG « Environnelnent et grandes cultures », Equipe Sol -Laboratoire PG Centre de Grignon BP 01- 78850 Thiverval - Grignon
DMOS - INA-
Latin-deriving word, found in occitan languages, the use of which has been mainly developing since the XVII th and XVIIIth centuries, with linkage to agriculture and agricultural sciences. Agronomical studies of viticultural 'terroirs', which have been emerging since the 1990's, are separated into 2 main groups: on the one hand, those insisting on the geographical differentiation of wines or their raw materials, grapes; on the other hand, those focused on the geographical differentiation of land capabilities or vineyard suitabilities. The latter, which in the same time are the most frequent, give place to either local approaches directed towards the understanding of plant ecophysiological funtioning, or global or regional approaches oriented towards the characterization of land geographical patterns. Whereas geological criteria are essential for characterizing local functional units so-called "Terroir Basic Unit" ('Unité Terroir de Base', or UTB), soil criteria are the main criteria for characterizing the 'terroirs' considered as spatial environmental units. Ecophysiological and regional geographic approaches lead to varied segmenting forms, or "viticultural zonings", over the viticultural geographic space, the regional geographic approaches being basically associated to cartographic representations. One of the most recent regional geographic approaches towards modelling spatial terroir units is notably the 'terroir' approach by spatial geomorphological and pedological analysis. Such approach was applied to the southern part of the Côtes-du-Rhône Wine Appellation, in partnership with wine professionals (Syndicat des Vignerons des Côtes-du-Rhône, Interhône). Its realization uses several field observations and geomatics, particularly satellite image processings, and geodata structuration into a Geographical Information System (GIS). In continuity with its agronomical acceptance dating from the XVIIth and XVIIIth centuries, the concept of 'terroir' is meant as both a spatial and temporal entity, consistant with wine/grape quality, and likely to beoperational for wine producers. It relies on the characterizing of a soil spatial model through soil landscape units, each of them being described with about twenty ordinal variables. Soil landscape units are aggregated into broader-scale terroirs using cluster analysis. The resulting terroirs are validated across serial grape harvest quality clusters, over the course of a long series of 17 vintages. Key-words: Viticultural 'terroirs', zoning, spatial analysis, harvest quality.
Argument phare pour la valorisation des vins auprès de consommateurs en mal de repères, le terroir viticole est au cœur d'enjeux commerciaux et juridiques d'envergure internationale, dont la réalité se fait sentir de façon accrue dans le contexte des tractations inhérentes à l'Organisation Mondiale 256
du Commerce. De nombreux pays désireux de faire valoir leur production vinicole mettent aujourd'hui en oeuvre des études, dénommées zonages vitivinicoles, dont l'objet est fréquemment orienté vers la caractérisation de terroirs. Ces études de zonages ne sont pas uniquement destinées à conforter l'image des vins auprès des consommateurs. Elles scellent le lien des terroirs à leurs aptitudes culturales: dans une perspective d'amélioration qualitative de la production viti-vinicole, les terroirs sont avant tout des entités spatiales, qu'il s'agit pour les agronomes de Inieux administrer et gérer. Il existe diverses approches de caractérisation des terroirs viticoles nées de ce constat, et celui-ci n'est pas nouveau: les agronolnes d'aujourd'hui héritent, de ceux qui les ont précédés, la considération du terroir en tant qu'entité spatiale aux aptitudes culturales définies. 1
- Le terroir, une entité spatiale aux aptitudes culturales définies
C'est à Olivier de Serres, l'illustre père de l'agriculture française selon l'expression élogieuse d'Arthur Young (2), que l'on doit sans doute l'un des premiers emplois les plus explicites du terme terroir en lien avec l'agronomie, et plus particulièrement en relation avec la qualité des vins qui en sont issus: le clin1at et le terroir, donnent le goust et laforce au vin, selon leurs propriétés, de telle façon qu'il n'est nullelnent possible, réduire en certaines espèces, les diversités des vins (14). Le terme terroir est un gallicisme d'origine latine, présent dans les langues occitanes, dont l'usage s'est principalement développé aux XVIIe et XVIIIe siècles en relation avec l'agriculture et l'essor des sciences agronomiques (19, 21). Sources de richesse pour une Nation, les terroirs ne valent que par la production agricole qu'ils portent, car c'est une vérité qui ne peut être contestée, que le nzeilleur terroir ne diffère en rien du lnauvais s'il n'est cultivé écrit le Maréchal de Vauban en 1707 (17). Vauban constate « la diversité de terroirs dont toutes les provinces du royaume sont composées, n'yen ayant pas une seule qui se ressemble». Il existe donc des bons et des mauvais terroirs, et leurs degrés d'aptitudes sont, dès la fin de la Renaissance, mis en relation avec leur répartition géographique. Olivier de Serres souligne l'Ùnportance de l'assiette des terroirs, chose très considérable pour en auglnenter ou en diminuer la valeur. Les terroirs se répartissent selon lui dans 3 situations topographiques d'altitude et de pente croissantes: la plaine, le côteau, la montagne. Si la situation de côteau est la plus favorable pour la vigne, l'hétérogénéité du milieu cultivé procure un avantage pour que chaque culture trouve sa place (2). La montagne est favorable à la sylviculture et à l'élevage, le côteau abrité de la montagne est fonds propre à vignoble, jardin, verger, tandis que la plaine est favorable au maraîchage, à la pisciculture et à l'exploitation des pierrières et carrières. Les études actuelles visant à caractériser l'organisation du milieu en lien avec des qualités 257
potentielles du produit, reprennent et développent des approches, généralement qualifiées de zonages, de segmentation du milieu en différentes zones de potentialités agronomiques et notamment viti-vinicoles. Le terroir est ainsi envisagé comme une réalité géographique (11 , 20). 2
- Les approches de zonage
Les toutes premières approches de zonage ont été conduites en Europe et plus particulièrement en France, dans le cadre de procédures de délimitations d'Appellations d'origine. L'évolution historique des procédures de délimitation révèle les attentes et les difficultés à trouver une doctrine (7) permettant la réalisation de tels zonages; la complexité juridique liée à l'absence de consensus européen et international sur les appellations d'origine est propre à accentuer ces difficultés (16, 21). Ainsi, alors que les approches de connaissance spatiale des terroirs connaissent un développement récent en lien avec l'essor des SIG, les méthodes, les objectifs et les critères utilisés varient considérablement selon les zonages (20). Outre les zonages d'aires d'indications géographiques ou d'Appellations d'origine, les travaux scientifiques comportant un volet de connaissanc~ spatiale revêtent le plus souvent une portée technologique et visent à une meilleure maîtrise qualitative de la production. Les approches de connaissance de l'espace géographique du vignoble ne sont pas nécessairement associées à des représentations cartographiques, par conséquent zonage n'est pas toujours synonyme de cartographie, au sens de processus de production de documents cartographiques. Lors d'une démarche cartographique, il convient de distinguer le contenu sémantique et le contenant graphique, que relient des règles de cartogénèse (5). Ainsi, les zonages climatiques fondés sur le calcul d'indices héliothermiques et/ou pluviométriques
définissent
un contenu cartographique
-
les valeurs seuil
d'indices - mais sont généralement dépourvus de contenant: les frontières des plages cartographiques. De même, les études écophysiologiques conduites sur des réseaux de parcelles d'observation donnent éventuellement lieu à des zonages séntantiques: elles sont le plus souvent dénuées de représentation cartographique des unités typologiques définies, dans lesquelles s'applique en principe une modélisation écophysiologique du fonctionnement d'une plante ou d'un groupe déterminé de plantes. La difficulté consiste en l'identification d'unités locales de connaissance du milieu traduisant de façon appropriée des critères fonctionnels. Ainsi, la délimitation de l'unité de terroir dite fonctionnelle, telle que l'Unité Terroir de Base ou UTB (12, 10) résulte d'une cartographie systématique longue et coûteuse, à forte résolution, fondée sur l'expertise du géologue-pédologue. Peu formalisée du point de vue des méthodes cartographiques, elle est peu 258
aisément extrapolable géographiquement. Cependant, elle est généralement validée du point de vue de sa réponse vinicole, à travers la constitution des raisins et/ou l'analyse sensorielle de vins expérimentaux. Au contraire, diverses méthodes de cartographie informatisée (8, 3, 15) permettent de segmenter de plus vastes champs spatiaux en un nombre non limité d'unités spatiales, à tnoindre coût et délais et à des résolutions spatiales variables: cependant, de telles unités ne sont généralement pas mises en lien avec la réponse viti-vinicole, en terme de qualité du raisin ou du vin. 3
- Démarche de zonage par l'analyse spatiale
-
A Démarche générale La démarche générale que nous proposons est fondée sur l'analyse spatiale du milieu physique conduisant à la description d'un modèle d'organisation spatiale des pédopaysages viticoles. Elle s'appuie sur des traitements numériques d'images satellitales (5) et sur l'interprétation de données de terrain et de photographies aériennes, à travers le concept de pédopaysage (4). Au sein du SIG, le modèle d'organisation spatiale se traduit sémantiquement, par la description, à l'aide d'une vingtaine de variables environnetnentales, d'unités de pédopaysage. Graphiquement, une unité de pédopaysage est constituée d'un ensemble de plages cartographiques, surfaces ayant un contour fenné et un contenu sémantique localisé et supposé homogène (5). Le tracé des plages cartographiques de pédopaysage est réalisé dans les zones préférentielles de l'étude, par interprétation multiple des différents documents géographiques numériques. La référence topographique est celle du fonds IGN à 1/25 000. La description des plages cartographiques est renseignée au fur et à mesure du tracé. Les terroirs viticoles sont des entités spatiales et temporelles présentant des caractéristiques homogènes ou dominantes de raisin et/ou de vin, de pédopaysage et de climat, associées à un niveau d'organisation spatiale et à une durée donnés, au sein d'un territoire marqué par un vécu social et des choix culturaux. Les terroirs sont modélisés par regroupetnents d'unités ou de plages de pédopaysage en s'appuyant sur des traitetnents statistiques opérés sur leurs variables environnementales descriptives, puis validés en terroirs viticoles à l'aide d'une série de données de maturité de la vendange. Les aspects temporels sont traités lors de la validation, par cette série de données viticoles; ainsi que par comparaison de celle-ci à une série climatique (que l'on n'abordera pas ici). Le territoire est celui délimité par l'Appellation d'Origine Contrôlée, dont le décret impose un certain nombre de choix culturaux (tels que rendement, cépages, taille). Une généralisation
259
spatiale du zonage des terroirs est esquissée par l'intermédiaire des inlages satellitales, qui sont traitées sur l'ensemble du territoire considéré. B - Analyse spatiale du milieu physique Apport des traitements
numériques d'images satellitales
Les traitements numériques d'ilnages satellitales, focalisés sur les sols nus ou à faible couverture végétale, constituent un outil puissant pour prédire l'extension d'états de surface de sols repérés sur le terrain. Dans la région des Côtes-du-Rhône méridionales (CRM), figurent notamment les FERSIALSOLS caractérisant des secteurs de forte emprise viticole (19): deux images satellitales Inultispectrales Spot-XS couvrant cette région et prises aux printelnps 1995 et 1997, ont fait l'objet de classifications ascendantes hiérarchiques suivies de masquages de la végétation, puis de classifications par maximum de vraisemblance: 27 et 29 noyaux ont été identifiés en 1995 et 1997 respecti vement.
260
~
/};~%*:~'~~'7
!"
'" :'~~'\\'(. ;' t" :' ' '
~
I ift
e;' (l:t; ~:,'~~
.
J!
.
.~'.,/rf'
.
.
~
.
';i~i&f~'
".!;}'
.
.
(q" ~~~l~. -,~
.~
~)¥~~t ,.{1,;1,. ~~~,f'{ .
'
\
,! .
'(~iij,
Piérrmt
)\'
'I1T'
'
~rt~i)<1 "," .
/?
//;' ..,' .'
..
"~~'1'A~~
; f ..~~:~;~~)r:;~~..~;fd.
alluvial
subalcin
de Valn~as
l
~r~ i~?~J:/~~~-'¥~, .
'
.
"~'~:~~,
o ~œge œ ~éroont de la {J:1rrigue dUl~-RetTnJlins, en aval œs Gorg3 du Gardm
Hautes E. VAUDOUR
2((12
nappes
alluviales
ck Chateâljlett~dJ-P
rh<Xtaniennes âf.'e
Légende: C, Collines sablo-molassiques néogènes; D, Dépressions hydro-éoliennes et basses plaines alluviales; G, Glacis et talus colluviaux en contrebas des terrasses rhodaniennes; H, Hauts niveaux et terrasses alluviales du Rhône; K, Plateaux d'érosion en terrains Karstiques crétacés et versants cryoclastiques associés; P, Piémonts détritiques calcaires, à nappe congloméra tique, de bordure des Alpes; S, Chaînons calcaires et lTIarnOcalcaires Subalpins ; T, Glacis-terrasses et Terrasses des affluents du Rhône; W, Vallées alluviales, TalWegs et cours d'eau; Y, Glacis-cônes à cailloutis crYoclastique et glacis d'épandage aux débouchés des canYons et vallons karstiques Figure 1 - Modèle d'organisation spatiale en pédopaysages (19, 21)
Legend: C, neogene lTIolassic sandy hills; D, hydro-eolian depressions and lower alluvial plains; G, fan slopes and banks at the foot of rhodanian terraces; H, high levels and rhodanian alluvial terraces; K, Erosional plateaus in cretaceous karstic terrains and their associated cryoclastic steep sides; P, Calcareous and marly-calcareous subalpine clastic piedmonts; S, 261
Calcareous and marly-calcareous subalpine ranges; T, Fan terraces and terraces of the Rhone tributaries; W, floodplains, thalwegs and watercourses; Y, fan slopes with cryoclastic material and alluvial fans at the outlet of canyons and karstic valleys Figure 1- Soillandscape model (19, 21) Modèle d'organisation
spatiale en pédopaysages
Le modèle d'organisation spatiale des pédopaysages est décrit, du NE au SW des CRM, à travers les 6 blocs-diagrammes ci-dessus (figure 1), qui représentent successivement: le piémont alluvial subalpin de Valréas ; les terrasses alluviales étagées des affluents de rive gauche du Rhône; les hautes nappes alluviales rhodaniennes de Châteauneuf-du-Pape; les hautes nappes alluviales rhodaniennes du Plateau de Signargues; l'épandage de piémont de la garrigue d'Uzès-Remoulins, en aval des Gorges du Gardon; la Combe du Malav.en à Tavel. Les unités de pédopaysage (UPP) correspondent à un type de formation superficielle épaisse ou reposant sur un substrat en place peu profond (2-3 m), et constituent un système pédologique. Elles décrivent une unité typologique de sol dominante, éventuellement une unité typologique de sol secondaire, voire une association ou un complexe de sols. Les sols sont dénommés au moyen du Référentiel Pédologique (1). Par exemple, dans le pédopaysage des hauts niveaux et terrasses alluviales du Rhône (H), formant le Plateau de Signargues, 3 unités de pédopaysage caractérisées par des FERSIALSOLS, éluviés, à galets de quartzite, issus des alluvions plio-pléistocènes du Rhône, correspondent à un usage viticole dominant. Chaque unité de pédopaysage est décrite par un solum et un profil racinaire schématiques. Ainsi, dans l'unité H1i(1) correspondant à des FERSIALSOLS épais, très évolués; l'enracinement est profond. Dans l'unité des lambeaux de plateau à soubassement peu profond de marnes argileuses pliocènes (H1ia), l'épaisseur des horizons fersiallitiques FS est plus faible et l'enracinement atteint une couche argileuse Mm ; dans l'unité H1i(3) des extrémités du plateau à soubasselnent de sables pliocènes, l'enracinement atteint une couche DX, parfois calcarique, filtrante. A travers cet exemple, le rôle de la formation superficielle sous-jacente est souligné pour décrire le sol viticole.
262
PEDOPAYSAGE DES HAUTS NIVEAUX ET TERRASSES ALLUVIALES DU RHONE Sj
:...
D
f
'
mGI
Légende: pour les lettres majuscules, cf. légende de la figure 1 ; les unités de pédopaysage Hli(l), Hlia, Hli(3) sont représentées par des solums constitués de leurs horizons caractéristiques: à gauche du schéma est figuré le système racinaire, à droite, la structure du sol, la profondeur en cm, et la dénomination de 1'horizon dans le Référentiel Pédologique. Figure 2 - Unités de pédopaysages constitutives de hauts niveaux et terrasses alluviales du Rhône et leurs solums schématiques(V AUDOUR, 2001b,2003) Legend: for capital letters, please see the legend of figure 1 ; the soil landscape units entitled Hli(l), Hlia, Hli(3) are represented by the pedons with their caracteristic horizons: on the left of the sketch the radicular system is shown; on the right, soil structure, depth in crn, and the name of the horizon in the "Référentiel pédologique" are indicated. Figure 2 - Soil landscape units of tile high levels and rhodanian alluvial terraces and their corresponding soil schematic profiles (VAUDOUR, 2001b, 2003) 263
C - Modélisation des terroirs: considérés en parallèle
2 niveaux
d'organisation
spatiale
Les terroirs sont détenninés à 2 niveaux d'organisation spatiale: global c'est-à-dire au niveau de l'ensemble de l'Appellation régionale méridionale des Côtes-du-Rhône -, à partir des 55 UPP qui comportent actuellement des vignobles; local, à partir de 91 plages cartographiques de pédopaysage contenant les parcelles viticoles de Grenache noir (67) et de Syrah (24). Pour chacun des niveaux d'organisation spatiale, les terroirs résultent de regroupements d'UPP (niveau global) ou de plages cartographiques de pédopaysage (niveau local) détenninés séparément à l'aide d'analyses statistiques multivariées, opérées sur les variables environnementales qui les décrivent: édaphiques ; issues des traitements d'images satellitales ; issues de photo-interprétation; géomorphologiques et topographiques. Trois variables climatiques (pluviométrie, latitude, exposition) sont propres à la description sémantique des plages cartographiques de pédopaysage. Les analyses multivariées (9, 6) sont ici des classifications ascendantes hiérarchiques (CAR),et, pour une moindre part, des analyses factorielles des correspondances (AFC). Les variables décrivant la situation géomorphologique et celles issues des traitements d'images satellitales sont les plus influentes dans les regroupements effectués. Indépendamment des analyses statistiques opérées sur les variables environnementales, les données viticoles décrivant la maturité du raisin dans différentes parcelles observatoires font l'objet de classifications statistiques qui conduisent à la détennination de groupes de qualité du Grenache noir et de la Syrah. Des tableaux de contingence assortis de tests du Chi-deux sont réalisés entre les terroirs et les groupes de qualité du raisin, afin de vérifier s'il existe une association significative entre terroir et groupe(s) de qualité. Une telle association pennet de considérer que la validation des terroirs modélisés en terroirs viticoles est effective. D - Principaux résultats dans le vignoble des CRM La carte des unités de pédopaysage La carte des UPP, qui couvre les zones préférentielles de l'étude sur une superficie de 36 000 ha, révèle un espace viticole contrasté et morcelé. Elle comporte 5 000 plages cartographiques, dont environ 20% ont été renseignées au niveau des variables enVir01l11elnentales.En moyenne, il y a 61 plages cartographiques par UPP potentiellement viticole et leur superficie couvre 9,1 ha en moyenne et 2,4 ha en médiane. La plupart des plages cartographiques sont donc petites mais néanmoins lisibles dans une 264
représentation cartographique à l'échelle du 1/25 000. Quatre pédopaysages prédominent spatialement : les dépressions et basses plaines alluviales (D), les glacis-terrasses et terrasses des affluents du Rhône (T), les piémonts détritiques calcaires, à nappe conglomératique, de bordure subalpine (P), les hauts niveaux et terrasses alluviales du Rhône (H) ; ces 3 derniers (T, P, H) étant caractérisés par l'importance de leur usage viticole.. Les 55 UPP à usage viticole s'inscrivent dans des formations superficielles, marquées, de même que les sols viticoles qui s'y développent, par la proximité des formations néogènes sous-jacentes, à dominante sableuse ou marneuse. La plupart des horizons décrits sont calcaires et présentent mên1e des accumulations de carbonates de calcium, constituant fréquemment des horizons calcariques, voire pétrocalcariques. L'expansion des horizons non ou peu calcaires est essentiellement dévolue aux hautes nappes alluviales, marquées par la fersiallitisation, particulièrement les nappes alluviales rhodaniennes. Terroirs modélisés Au niveau local, les plages cartographiques contenant les parcelles sont assemblées en 16 terroirs décrivant des situations environnementales localisées. Au niveau global, les 55 UPP qui comportent actuellement des vignobles sont assemblées en 19 terroirs, représentés graphiquement par la carte des terroirs. Celle-ci comporte près de 2 500 plages cartographiques, 2 fois plus grandes que dans la carte des UPP : elle est une carte synthétique des UPP, orientée vers la thématique viticole. Validation des terroirs modélisés en terroirs viticoles On dispose au total de 1129 et 403 individus parcelle x année décrivant la constitution des baies de Grenache noir et de Syrah respectivement, de 1982 à 1998. De façon générale, l'analyse fréquentielle de ces données de maturité croisées aux terroirs permet de valider 60% au moins de ces unités du point de vue de leur réponse viticole pour chacun des 2 cépages. Les groupes de qualité caractérisés par un degré probable, rapport degré/acidité, et/ou pH, élevés ou très élevés, sont issus de terroirs de plateaux et des terrasses alluviales anciennes (Hs, TH2, T2), de talus soliflués et glacis en matériaux sableux (G3CSYP) ou encore de versants marneux ou lTIolassiques de bordure subalpine (P2C). Les groupes de qualité caractérisés par un degré probable, rapport degré/acidité, et/ou pH, moyens à faibles ou très faibles, sont issus de terroirs de bas glacis et vallées, dépressions hydro-éoliennes, faiblement drainées, carbonatées (WDPH2), de basses plaines alluviales et dépressions hydromorphes, carbonatées (D3) ou de versants marneux conglomératiques aménagés d'altitude élevée (P3G). En finesse, on peut aller 265
jusqu'à la distinction de terroirs, tels que ceux de plateaux et des terrasses alluviales anciennes (Hs, TH2,T2), par l'assortiment des groupes de qualité qui leur sont le plus fréquemment associés. Discussion et perspectives Les terroirs validés au niveau global s'avèrent les mieux caractérisés du point de vue pédologique et physiographique. Les résultats de validation viticole permettent la réalisation d'une carte thématique de la qualité du Grenache noir (22). Les éléments de la légende indiquent les assortiments de groupes. de qualité que l'on est susceptible d'obtenir le plus souvent pour ce cépage, dans un secteur donné. L'existence d'assortiments de groupes de qualité amène à s'interroger sur le rôle d'autres facteurs éventuels de variation de la réponse viticole. Situées à l'intérieur d'une aire d'appellation, les parcelles étudiées sont caractérisées par une certaine hOInogénéité des conditions de production (porte-greffe, taille, âge des vignes) et, en première approche, les facteurs humains peuvent être considérés comIne secondaires sur cette variation. Par contre, la comparaison des groupes de prédilection des terroirs avec ceux des millésimes montre l'existence d'interactions « terroir x millésime» liées aux fluctuations des conditions météorologiques en lien avec les événements de la série climatique 19821998. L'action régulatrice du sol, montrée dans les sols du Haut-Médoc par G. SEGUIN (13), est susceptible d'expliquer de telles interactions, par l'intermédiaire du régime hydrique du sol. Il s'agira de le vérifier, particulièrement pour l'unité G3CSYP, que caractérisent des sols filtrants développés sur des matériaux sableux, ou pour l'unité T2, reposant sur des marnes. Par ailleurs, les niveaux global et local correspondent à des associations à des groupes de qualité du raisin semblables mais non identiques, qui se prêtent à des gestions différentes par les agronomes. Conclusion L'essor de la géomatique en lien avec la science du sol et la géomorphologie renouvelle les perspectives de caractérisation et de gestion des terroirs viticoles en tant qu'entités spatiales à l'usage des agronomes. Pour la viticulture, le zonage viticole par l'analyse spatiale pédologique et géomorphologique est dirigé vers une maîtrise de l'expression qualitative des cépages, à travers une meilleure connaissance de la variabilité spatiale des terroirs aux différents échelons local, régional voire macro-régional. Il est appelé à être mis en œuvre dans tout vignoble, où les professionnels expriment le besoin de gérer leur espace viticole, qu'il s'agisse de segmentation détaillée d'une aire d'Appellation existante, ou encore de la 266
mise en place de zones viticoles réglementées, dans des pays de viticulture plus récente qui n'en disposent pas à ce jour. Références bibliographiques (1) BAIZE D. et GIRARD pédologique. INRA, Paris, 332 p.
M.C.
(coord.),
1995.
- Réferentiel
(2) BOULAINE J., LEGROS J.P., 1998. - D'Olivier de Serres à René Dumont. Portraits d'agronol11es. Lavoisier Tec&Doc, Paris, 317 p. (3) DOLEDEC A.F, 1995. - Recherche des COl11posantesprincipales des terroirs viticoles afin d'élaborer un outil d'aide à la gestion au n10yen d'observatoires et de traitements statistiques de données spatialisées. Application au vignoble chanlpenois. Thèse de doctorat INA-PG, 218 p. (4) GIRARD M.C., 1983. - Recherche d'une nl0délisation en vue d'une représentation spatiale de la couverture pédologique. Thèse d'Etat, Sols. n012. INA-PG, 430 p. (5) GIRARD M.C. et GIRARD C., 1999. - Traitement des données de télédétection. Dunod, Paris. (6) JAMBU M., 1999. - Méthodes de base de l'analyse des données. Ed. Eyrolles, Paris, 410 p. (7) KÜHNHOLTZ-LORDAT G., 1960. - La genèse des appellations d'origine des vins, Collection Avenir Oenologie, Chaintré, 1960, réédition 1991. (8) LAVILLE P., 1993. - Unités de terroir naturel et terroir, une distinction nécessaire pour redonner plus de cohérence au système d'appellation d'origine, Bull. O/V, 745-746, 227-251. (9) LEBART L., MORINEAU A., PIRON M., 1995. - Statistique exploratoire 111ultidimensionnelle. Dunod, Paris, 439 p. (10) LEBON E., 1993. - De l'influence des facteurs pédo- et mésoclimatiques sur le con1portement de la vigne et les caractéristiques du raisin. Application à l'établissen1ent de critères de zonage des potentialités qualitatives en vignoble à clin1at sen1i-continental (Alsace). Thèse de Doctorat, Univ. Dijon, 165 p. (11) MONNET J.C., GAIFFE M., 1998. - Le telToir, une réalité géographique mise en évidence par des critères édaphiques, E. O.S., 5, 1 : 4360. (12) MORLAT R., 1989. - Le terroir viticole: contribution à l'étucle de sa caractérisation et de son influence sur les vins,. application aux vignobles rouges de la Moyenne Vallée de la Loire. Thèse d'Etat, Bordeaux II ; tome I : textes, 289 p. ; tome II : annexes, 129 p.
267
(13) SEGUIN G., 1970. - Les sols de vignobles du Haut-Médoc. Influence sur l'alimentation en eau de la vigne et sur la n1aturation du raisin. Thèse Doctorat ès Sciences Naturelles, Bordeaux, 137 p. (14) SERRES O. (DE), 1600. -Le Théâtre d'Agriculture et mesnage des champs. Thesaurus, Actes Sud, Arles, réédition de 2001, 1545 p. (15) SOTES V., GOMEZ-MIGUEL V., et GOMEZ-SANCHEZ P., 1997. - Caractérisation du terroir en Espagne: méthodologie de l'évaluation et de la validation. In: 1er Coll. Int. "Les Terroirs Viticoles", Angers (France). INRA Angers-Montpellier, 43-51. (16) VALCESCHINI E., MAZE A., 2000. - La politique de la qualité agro-alimentaire dans le contexte international. EconOlnie rurale, 258, 3041. (17) VAUBAN S. (Marquis de), 1707. - Projet d'une dixn1e royale qui, supprimant la taille, les aydes, les doüanes d'une province à l'autre, les décimes du Clergé, les affaires extraordinaires... produiroit au Roy un revenu certain et suffisant. Num. BNF de l'éd. de Paris: INALF, 1961.Reprod. de l'éd. de [S.l.] : [s.n.], 1707. (18) VAUDOUR E., 2001 a. - Diversité des notions de terroir. Pour un concept de terroir opérationnel. Revue des Œnologues, lOIS, 39-41. (19) VAUDOUR E., 2001b. - Les terroirs viticoles. Analyse spatiale et relation avec la qualité du raisin. Application au vignoble AOC des Côtesdu-Rhône méridionales. Thèse de Doctorat INA PG, 343 p. (20) VAUDOUR E., 2002. - The quality of grapes and wine in relation to geography: notions of terroir at various scales. Journal of Wine Research, 13, 2 : 117-141. (21) VAUDOUR E. 2003. - Les terroirs viticoles. Dunod, Paris, sous presse. (22) VAUDOUR E., PERNES P., et RODRIGUEZ-LOVELLE B., 2002. - Applications de zonage viticole au niveau communal d'une cave: les terroirs de St-Hilaire d'Ozilhan (AOC Côtes-du-Rhône). In: 4e Coll. Int. "Zonage viti-vinicole", 17-20 juin 2002, Avignon (France). Syndicat des Vignerons des Côtes-du-Rhône, InterRhône., sous presse.
268
Différentes manières de cOllcevoir les usages agricoles de l'espace Anne MATHIEU!, Pascal THINON2
Résumé Un moyen d'étudier les relations entre agriculture et paysage consiste à réaliser une carte d'« Unités Agro-physionomiques» (UAP) qui distingue des zones à la fois de même utilisation agricole et de même physionomie. Nous testons ici l'hypothèse selon laquelle un élément de la culture des agriculteurs, leur conception locale de l'utilisation du sol, influe sur les types d'UAP présentes localement. Nous avons conduit des entretiens dans deux communes, à la Lalandelle où il y a encore beaucoup de prairies et à Jouy-sous-Thelle où il n'en reste guère. Les champs géographiques, habituellement mobilisés pour expliquer la répartition des UAP comme le milieu naturel, la topographie, la géologie ou les effets de la distance ne permettent pas d'expliquer cette différence. L'analyse des entretiens met en évidence une valeur accordée aux prairies beaucoup plus importante à Lalandelle qu'à Jouy-sous- TheIle. Pourtant, la conception de l'exploitation agricole et de l'évolution de l'agriculture depuis 30 ans ainsi que la taille des exploitations présentes sont assez semblables dans ces deux communes et ne permettent pas d'expliquer cette différence. En revanche, ce qui différencie les deux communes, c'est la région à laquelle les agriculteurs se réfèrent pour leurs références technico-économiques. A Jouy-sous- TheIle, les références sont prises dans le Vexin, une riche région agricole de tradition céréalière. Les agriculteurs interviewés disent avoir retourné les prairies il y a 30 ans, puisqu'ils voyaient leur voisins bien vivre avec les céréales. Par contre, les agriculteurs de Lalandelle prennent leurs références dans le Pays de Bray, une région qui avait jusqu'au milieu du XXèmesiècle une activité d'élevage réputée. Nous avons mis en évidence des formes de connaissances des agriculteurs qui peut expliquer le maintien des prairies à Lalandelle et leur disparition à Jouy-sous- TheIle.
1
2
INRA-SAD INRA
UMR
APT, BP 01, 78850 Thiverval-Grignon. Itmovation,
2 place
Viala,
34060
[email protected]
Montpellier
Cedex
1.
Mots clés: Unités Agro-Physionomiques, Conception des agriculteurs, utilisation du sol, retournement des prairies, références techniques des agriculteurs. Abstract A way to study agriculture and landscape relations consists of building a map of "Agro-Physiognomic Units" (UAP). In this map, areas are distinguished both by their agriculturalland-uses and by their physiognomy. We test here the hypothesis that an element of farmers' culture, their local conception ofland-use, can be linked with the presence ofUAP. To answer this issue, we realised interviews in two villages, Lalandelle, in which there are still a lot of grassland, and Jouy-sous- TheIle, where they are no more. Usual geographic fields, as natural environment, topography, geology or distances to geographic poles don't allow to explain the differences. Results from interview's analysis show a higher value accorded to grassland at Lalandelle than at Jouy-sous- TheIle. However conceptions on farms as on agriculture development since 30 years are the same ones on the two villages. In the same way, farms size does not explain this difference. What make the difference between the two villages are the places where farmers quote their economic and technical references. At Jouy-sous- TheIle, references come from Vexin, a rich agricultural cereal region. Interviewed farmers say that they have plough up grassland 30 years ago, because they saw their neighbours from Vexin who lived correctly with only cereal. Interviewed farmers from Lalandelle take their references in Pays de Bray, which was a rich breeding place up to the second part of the XXth century. We bring to the fore an element of farmers conceptions which contribute to explain the presence of grassland at Lalandelle ](eywords : Agro-Physiognomic Units, farmers'conceptions, land use, ploughing-up grassland, technical references of farmers. Introduction
L'agriculture a un rôle reconnu dans la production de paysages. Ainsi, la relation entre agriculture et paysages devient objet d'étude et de recherche. Dans ce cadre, Deffontaines et Thinon (4) ont identifié, dans des petites régions agricoles, des portions de territoire qui présentent une relative. égale organisation spatiale des usages agricoles, et, de là, un paysage particulier. Ces entités spatiales peuvent être décrites à partir de caractéristiques telles que taille des parcelles, utilisation du sol, bordures, chemins et bâti. Elles sont nommées « Unités Agro-Physionolniques » (UAP).
270
Pour proposer une explication à la présence d'une UAP à un endroit donné, les géographes mobilisent la notion de champ géographique (1). Comme les champs en physique, les champs géographiques sont des espaces où se manifeste un phénomène déterminé. Chaque point d'un espace est soumis à plusieurs de ces champs et leur combinaison influe sur les types d'usage agricole mis en œuvre localement. Les champs géographiques actuellement pris en compte pour comprendre la présence des UAP sont les champs du milieu physique (climat, sol, topographie), les champs de distance (proximité/éloignement entre les parcelles agricoles et les bâtiments d'exploitation, distance à la ville, bassin d'approvisionnement d'une industrie agro-alimentaire), les champs réglementaires (périmètre d'Appellation d'Origine Contrôlée, zonage des politiques publiques agricoles) et les chalnps d'aménagements techniques (périmètres d'irrigation, de drainage.. .) (4,9). Ce que les ethnologues appellent la culture d'une société influe aussi sur l'utilisation qu'elle fait de l'espace. Sigaut (8) dit par exelnple : «Chaque société a son milieu propre (...) et ce milieu n'est pas donné d'avance. Il dépend de ce que les gens savent et de ce qu'ils font, c'est à dire de leur culture. ». L'article que nous proposons s'inscrit dans une question plus générale: comment mettre en évidence des différenciations spatiales de culture, de manière à les mobiliser comme champ géographique dans la construction des UAP ? Nous proposons de donner des éléments de réponse en mettant en évidence la conception, au sens de la sociologie de Weber (10), de l'utilisation de l'espace par des groupes d'agriculteurs. Cette conception, ou ce système de pensée, .est la façon dont le groupe construit, au cours de dialogues, les « choses» de son environnement et la place des actes dans cet environnement, en même temps que les relations entre ses membres. Dans cette perspective, c'est la façon dont les acteurs conçoivent les choses et leur donnent des valeurs qui explique leurs comportements (3,5). Ces systèmes de pensée, puisqu'ils sont élaborés dans des dialogues d'agriculteurs, diffèrent d'un endroit à l'autre, et en particulier entre les villages (7,2). On peut dire qu'ils ont une « géographie ». Nous montrons ici, dans une étude limitée à deux communes, les liaisons entre les conceptions des agriculteurs sur les dynamiques de l'utilisation de l'espace et les UAP présentes actuellement sur le territoire. Cette étude est faite dans le cadre de la réalisation d'une carte des paysages agricoles pour le Syndicat Mixte du Pays de Bray, à partir de la méthode des UAP (9). La principale évolution des usages agricoles dans ces régions depuis 20 ans est une diminution globale des prairies, liée à une intensification des surfaces fourragères (recours accru au maïs ensilage) et à une diminution de l'activité d'élevage. 271
1 - Méthode A
- Le
choix des communes
Nous avons choisi deux communes du Pays de TheIle, très proches en termes de milieu physique, mais qui se différencient nettement par rapport à l'évolution des surfaces en prairies permanentes. A Lalandelle, l'unité agrophysionomique «auréole herbagère» est beaucoup plus développée qu'à Jouy-sous-Thelle (figure 1). Entre 1979 et 2000, les prairies sont passées de 150 hectares à moins de 10 hectares à Jouy, alors que la baisse a été plus limitée à Lalandelle, où ces surfaces sont passées de 250 à 150 hectares (source RGA 1979 et 2000). Ces différences ne s'expliquent pas par les champs géographiques habituellement pris en compte, notamlnent ceux du milieu physique ou de distance. Les territoires des deux communes se situent sur un plateau crayeux et sont proches tant sur le plan des types de sols et du substrat géologique (figure 2) que de la topographie; dans les deux communes, l'habitat est groupé. B - La conduite des entretiens
C'est au travers d'entretiens individuels, au cours desquels l'interviewé est amené à parler comme il parlerait avec ses pairs, que le chercheur a accès au système de pensée d'un groupe d'agriculteurs. A partir d'une consigne initiale qui circonscrit le domaine qui intéresse le chercheur, l'interviewé est laissé libre sur les orientations du contenu. Ce qui est favorisé dans l'entretien, c'est l'expression de ses façons de voir les choses qui reflètent celles du groupe. Dans cette première série d'entretiens, nous avons réalisé deux entretiens par commune pour mettre en évidence les «thèmes» discutés, et affiner la consigne pour les entretiens ultérieurs. Ces entretiens sont enregistrés et retranscrits intégralement. La consigne de départ est: «Nous réalisons une carte des paysages agricoles à la demande du Syndicat Mixte du Pays de Bray. Nous travaillons plus particulièrement sur les communes de Jouy sous TheIle et de Lalandelle. Pouvez-vous nous parler des changements en termes d'agriculture dans votre commune dans les 20 ou 30 dernières années? ». En fin d'entretien, une nouvelle consigne est proposée: « et par rapport à l'autre commune '? ». C - L'échantillonnage
L'objectif, à terme, est de conduire les entretiens auprès de l'ensemble des agriculteurs des deux communes (une dizaine au total). Pour l'instant, seuls quatre entretiens ont été réalisés. Pour choisir ces quatre agriculteurs, 272
nous avons recherché la plus grande diversité possible de situations. C'est ainsi que nous avons enquêté une exploitation laitière et un aviculteur à Lalandelle ; une exploitation en grande culture de 140 ha et la plus petite exploitation, dOe42 hectares avec un atelier porcin, à Jouy sous TheIle. Le tableau 1 résume les principales caractéristiques de l'ensemble des exploitations de ces deux communes.
D - L'analyse des entretiens La possibilité de mise en évidence d'un système de pensée par une analyse de la parole réside dans l'équivalence entre la façon de concevoir les choses, c'est à dire le sens qu'on donne aux choses, et le sens qu'on donne aux mots. Le moyen essentiel pour mettre en lumière le sens des mots est une analyse contextuelle, issue de méthodes linguistiques (6). Il s'agit d'analyser les contextes dans lesquels l'interviewé utilise un mot, c'est à dire à quels autres mots de la phrase ce mot est opposé, associé, ou considéré comme, semblable. Cette analyse contextuelle est réalisée entretien par entretien, puis une synthèse est faite sur les entretiens de chaque comlllune. Les ressemblances et différences entre communes sont ensuite étudiées. Au préalable, il faut repérer les thèmes abordés dans le discours. L'analyse se fait ensuite sur les oppositions centrales que l'agriculteur opèrent.
2
- Résultats
sur les conceptions des agriculteurs
que nous avons
enquêtés. Nous avons organisé les résultats autour de trois thèmes. A - Le niveau d'importance
accordé aux pâtures
Dans les deux communes, les surfaces en herbe sont nommées pâtures3. Les pâtures sont opposées aux terres; retournées est le terme qui fait le passage entre les deux. Un ensemble de mots sont souvent associés: vaches - pâtures - haies - paysage. L'herbe est totalement associée à la présence de l'élevage, et donc le débat sur la présence de prairies se ramène à un débat sur la présence de l'élevage. Les pâtures sont qualifiées soit de labourables, et alors, les agriculteurs y associent le fait de n'lettre des céréales dessus, soit de pas labourables, associé à des bêtes dessus.
3
Les parties en italique sont des extraits des entretiens.
273
C'est à la fin des années soixante que le débat sur les retournements de pâtures a commencé dans les deux communes. A Jouy sous TheIle, le retournement est décrit comme total et très rapide (en l'espace de trois ans, tout a été retourné (Daniel)), à Lalandelle, le processus est en cours depuis ce moment là. Les caractéristiques des prairies difficiles à retourner sont les mêmes dans les deux communes: elles se rapportent à la pente: vallonnées, en pente,. la présence de cailloux: beaucoup de silex, des cailloux,. la petite taille: des petites pâtures, des petits racoins. A partir de ces mêmes conceptions, les agriculteurs dans chacune des deux communes décrivent des façons de faire différentes. A Jouy sous TheIle, Daniel dit: possible ou pas possible, on a tout retourné. Mên1e si c'était en pente, même si c'était du caillou. Il n 'y avait plus de bêtes, qu' estce que vous vouliez faire? Alors qu'à Lalandelle, le débat sur ce qui est ou n'est pas labourable est encore d'actualité. Enfin, à Lalandelle, les prairies ont un statut à part et très valorisé. Dans la période 65-70, quand les prairies de Jouy sous TheIle sont retournées, Denise nous dit à Lalandelle : c'était lafolie des pâtures. Le remembrement n'a concerné que les terres, le fermage des pâtures se paye au litre de lait, et de ce fait est beaucoup plus élevé que pour les terres labourées; les anciennes pâtures retournées conservent encore ce niveau de fermage. Enfin, maintenant encore, il y a des propriétaires qui ne veulent pas que ce soit retourné. Peut-être que c'est un principe (Serge). B - Les conceptions de l'évolution de la société et des exploitations agricoles. Les types d'exploitations
distingués par les agriculteurs
Les types d'exploitations décrits par les agriculteurs sont les mêmes dans les deux communes. Ils sont très simples: . les petites exploitations, de moins de 50 ha qui vivotaient, en étant tenues par l'élevage, ne sont pas viables et ont pratiquement avalées par les grosses
disparu en étant
,.
.
Les grosses fern1es qui peuvent se permettre de ne faire que de la céréale si elles ont plus de 100 ha. Avec moins de 100 ha, elles ne peuvent pas vivre sans élevage. Dans certaines, on trouve de belles étables. Deux types d'élevages sont distingués:
.
.
10-15 vaches
con1n1e tout le n10nde avait avant;
les belles étables.
274
LA CONCEPTION DE L'EVOLUTION DES ELEVAGES EST EN PARTIE LIEE A CELLE DE L'EVOLUTION DE LA SOCIETE.
Au prestige des céréales, est opposée la contrainte des vaches. A Jouy sous TheIle, les « 3C », Céréales, Courchevel et Côte d'Azur, sont comparés àjinir sa vie au cul des vaches, ce qui ne valorise guère l'activité d'élevage. Les contraintes sont perçues de la même façon à Lalandelle : les vaches, ça tient tous les jours, sept jours sur 7 (Serge), et les exploitants racontent les réunions de famille du dimanche qu'il faut quitter à 5 heures pour aller traire, au n10ment où on con1n1ence à bien s'alnuser (Denise). Cette contrainte est moins forte pour les volailles dans la mesure où il est possible de ne passer qu'une fois par jour dans le poulailler. Mais c'est aussi parce que la relation à l'animal n'est pas la même: une poule, c'est pas la mêlne chose, c'est pas le même investissement. Les vaches, c'est très fragile, ilfaut avoir I 'œil, il faut du ten1ps pour surveiller (Mn1e Serge).
C'est traditionnellement la femme qui trait dans cette région. L'augmentation du taux de travail des femmes à l'extérieur de l'exploitation rend donc difficile le maintien d'élevage laitier. Denise nous explique: la jille est injirlnière libérale. Le gendre a repris, n1ais il n y arrivera jamais tout seul. Il va falloir qu'il change toute la structure de l'exploitation. Toutefois certains remarquent que s'il y a eu de bonnes années avec les céréales, la baisse de leur prix et l'incertitude sur les cours pendant l'année les font maintenant considérées comme moins rentables et moins fiables que l'élevage laitier. Les conceptions de l'évolution des exploitations, et la réalité de ces évolutions, n'expliquent donc pas le maintien des prairies à Lalandelle L'évolution décrite est la même dans les deux communes, les exploitations les plus grosses avalant celles de moins de 50 ha dans lesquelles les enfants sont partis travailler ailleurs. Les exploitations qui restent dans les deux communes ont des tailles suffisantes pour se passer d'élevage, si l'on excepte celle de 42 ha de Jouy sous TheIle, mais qui devrait disparaître dans 3 ans. Les conceptions de l'évolution des élevages et de la société sont les Inêmes dans les deux communes, la rentabilité actuelle de l'élevage laitier faisant dire à Daniel, à Jouy sous TheIle: à I 'heure actuelle, je pense que si il y avait encore eu la vacherie, je l'aurais gardée. Ces conceptions similaires ne permettent donc pas d'expliquer, à Lalandelle, l'importance des prairies, la présence d'élevage, et la passion pour les vaches (je tenais tellement à mes vaches! Ca n1'ennuyait de vendre le troupeau (Denise)).
275
C - Une différenciation économiques La représentation
géographique
des références
technico-
des régions
Deux régions à images fortes entourent le Pays de Theile: le Vexin français au sud, et le Pays de Bray au nord. La première est depuis longtemps une région de grande culture du Bassin Parisien, sur des sols limoneux profonds et sains, avec des exploitations de grande taille (plusieurs centaines d'hectares est une taille fréquente). Le Pays de Bray correspond sur le plan géologique à une «boutonnière» dans laquelle affleurent de nombreux terrains argileux. Au début du XXème siècle, c'était une région d'élevage très riche, produisant d'abondance des produits laitiers et de la viande pour Paris. C'est maintenant une zone d'élevage moins prospère avec des exploitations de taille moyenne (bovins lait et bovins viande). Les agriculteurs de Jouy sous TheIle parlent à la fois du Vexin et du Bray. Ceux de Lalandelle ne font référence qu'au Pays de Bray. Le Pays de TheIle lui-même n'est pas cité: les agriculteurs disent ici. Pour le Vexin, les caractéristiques citées sont les mêmes dans les deux communes (tableau 2). Les endroits de référence cités
Les agriculteurs ont des endroits de référence différents d'une commune à l'autre. Deux cartes (figures 3 et 4) présentent les endroits cités par les agriculteurs interviewés, d'abord spontanément comme références dans leur commune, puis à la suite de questions sur l'autre commune. Les endroits cités spontanément sont des endroits-voisins, régions ou communes. Le verbe «voir» est alors souvent employé: les agriculteurs prennent comme référence ce qu'ils voient. Les questions sur l'autre commune recueillent difficilement une réponse au début: je sais pas, je sais pas, je peux pas vous dire, je sais pas. Je connais pas beaucoup, je sais pas! (Denise) avant qu'éventuellement ne commence à s'élaborer un discours sur ce que l'on en sait quand même. A Jouy sous TheIle, la référence est constituée par le Vexin: on touche le Vexin, on est quand mên1e une région (le grandes cultures (Patrick). A côté, on voyait quand même, en ne parlant que du Vexin, le voisin qui ne vit que de céréales, et puis qui vit bien (Daniel). Les communes semblables citées sont voisines, et ce sont celles qui sont dans la direction du Vexin (figure 3). A la question sur Lalandelle, on apprend que Jouy sous Theile et Lalandelle, c'est le jour et la nuit! En production fourragère, on est beaucoup plus courts que dans ces régions-là. (Daniel). Et Patrick 276
demande: Ca con1mence déjà à être un peu le Pays de Bray par là, hein? Les communes semblables à Lalandelle alors citées sont situées dans le Pays de Bray. A Lalandelle, pour l'élevage, la référence est le Bray: Par ici, on payait comme le Pays de Bray, au litre de lait (Serge). Mes fils, ils n1edisent: faut voir le renden1ent en herbe qu'ils peuvent avoir en bas (Denise). Pour les céréales, les références sont plus floues: je pense que les rendelnents sont moins élevés que dans une région vraiment céréalière (Denise). Cette région n'est pas localisée concrètement. Les communes semblables sont les proches voisines, qualifiées comme Lalandelle de plus froides (figure 4). A propos de Jouy sous TheIle, les agriculteurs de Lalandelle disent qu'il n y a pas d'élevage par là. Ils rapprochent cette commune de communes sans élevage qui les environnent. Ils n'en connaissent pas les rendements, en herbe ou en céréales. Les ambiguïtés
d'appartenance
de Lalandelle
Vu d~ Jouy sous TheIle, Lalandelle apparaît être un peu le Pays de Bray. Mais les habitants de Lalandelle se trouvent aussi dans cette ambiguïté: déjà, on ne sait pas trop, ils voulaient nous rattacher au Pays de Bray, vous voyez, on est en lin1ite (Denise). Lalandelle est assimilée au Pays de Bray, sans que l'on sache très bien si c'est la cause ou la conséquence de la présence de l'élevage: à la question suivant l'intervention de Denise, lnais Lalandelle, c'est quand mêlne sur le plateau? celle-ci répond: oui, lnais il y a encore de l'élevage. Conclusion
L'assimilation par les agriculteurs de Lalandelle au Pays de Bray, pays d'élevage, alors que cette commune se situe nettement sur le plateau du TheIle (figure 2), est en cohérence avec le fait que nous cherchions à expliquer, le plus grand maintien des prairies dans cette commune que dans la plupart des autres communes du Pays de TheIle. Toujours en cohérence, les discours analysés montrent une forte importance accordée aux prairies et une référence technique au Pays de Bray dans cette commune, contrairelnent à Jouy sous TheIle, où la référence est constituée par le Vexin. Un élément important qui différencie les systèmes de pensée des deux communes sont les endroits cités en référence. La question des raisons n'est pas réellement notre propos ici. Elle renvoie à des études plus approfondies au niveau de chaque commune, sur l'origine des familles, un historique de la place des prairies, ou la forme des réseaux de dialogues entre les agriculteurs. . ..
277
Cette analyse comparative des systèmes de pensée des agriculteurs participent à l'interprétation des différences d'occupation des sols entre les deux communes. La question de la prise en compte plus systématique des systèmes locaux de pensée comme champ géographique dans la démarche des UAP suppose de développer ce type d'analyse. A cette étape de la recherche, diverses questions se posent: quels sont les autres éléments des systèmes locaux de pensée qui contribuent à expliquer des différences dans la localisation de l'utilisation du sol? Est-il possible de définir des espaces autres que ceux des communes (présentant éventuellement des limites floues, des zones de recouvrement. ..), dans lesquelles la façon de penser les usages agricoles du territoire sont semblables?
Références
bibliographiques
(1) Brunet R., Ferras B., Thery H., 1993, Les mots de la 3è1ne Edition. géographie. Dictionnaire critique. Reclus-La Documentation Française, Paris, 470p., pp. 98-99. (2) Coquereau F. et Coquereau J.A., 1994, Réseaux de dialogues et utilisation de prairies. Etude comparative dans deux communes du Pays d'Auge. ln Pairs et experts dans l'agriculture. Dialogue et production de connaissances pour l'action. Sous la dire de J.P. Darré, tip, Ed érès, Ramonville saint-Agne, 228 pp. (3) Darré J.P., 1996 L'invention des pratiques dans l'agriculture. Vulgarisation et production locale de connaissance. Ed Karthala, Paris, 194 pp. (4) Deffontaines J.P., Thinon P., 2001. Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environnementaux et paysagers: contribution à une agronomie du territoire. ln. Courrier de l'environnement, 44, INRA, Paris (5) Mathieu A., 2001 L'invention des pratiques en agronomie. Réflexions sur l'intérêt de la connaissance des formes de connaissances des agriculteurs. C. R. Acad Agric. Fr., Colloque Olivier de Serres, Le Pradel, 28-30 sept 2000, 4, 199-208. (6) Prieto L.J. 1975 Pertinence et pratique. Ed Minuit, Paris, 172 pp. (7) Ruault C., 1991, Dynamique des pratiques agricoles et relations professionnelles locales. Etude de cas sur l'évolution technique dans deux villages des Vosges. Etudes et recherches sur les Systèmes Agraires et le Développement,
INRA SAD, Paris, 20, 47 pp
(8) Sigaut F., 1981 Pourquoi les géographes s'intéressent-ils à tout sauf aux techniques? L'espace géographique, 4, 291-293. 278
(9) Thinon P., 2002. Le concept d'unité agro-physionomique. Colloque Olivier de Serre, Agriculture et Territoire, Le Pradel, France, 12-13 sept. 2002, à paraître dans C.R. Acad Agric. Fr. (10) Weber M., 1971, Les concepts fondamentaux de la sociologie. ln Economie et société, vol l, Plon, Paris, Cap. 1,27-100.
279
Tableau 1 Caractéristiques des exploitations dans chaque commune. Nombre d'exploitations
Taille des exploitations
Lalandelle
Elevages 2 élevages laitiers
de 140 à 200 ha
4
Jouy-sousTheile
4 exploitations de 140 à 180 ha
Entretiens auprès de Denise
2 poulaillers industriels +vaehes allaitantes sans élevage
Serge et Mme
1 élevage de porcs
Patrick et Mme
Daniel
5 1 exploitation de 42 ha
Tableau 2 Caractéristiques interviewés.
des régions citées par les agriculteurs
Vexin Vit bien Région riche
Pays de Bray Quand même plus pauvre
« Ici» Quand même une région de grande culture
Vit qu'avec des céréales (quelques belles étables tout de même)
Des rendements en herbe, faut voir! On pouvait graisser des bœufs à I'herbe
Les rendements se défendent bien, mais c'est quand même moins élevé que dans une région vraiment céréalière.
Plus chaud
Plus chaud
Plus froid
280
Figure 1. Carte des UAP des deux communes étudiées typ3dlJôP .œti [22]
ros, ha
~
patEaJ gcrde wm
~ valen wti\Jé + pei rie l7'I3 a..ftUe ~ ŒtiiliJ I~lVt~ e
o
2 krTB I
La~le
, , Figure p
"
JoJy-ro.s- -rrele
2. Carte géologique de la zone étudiée
P1tœnreœtarniŒaglwxet&iiwx
1 a t e a u c r a y e u x + 1 m o n s LacnMle
o
~1tS1e
281
2
4\<j1affiJe; I
Figure 3. Région de référence et communes citées à Jouy sous TheIle
Pays de Bray
Pays de Theile
.I. Jouy-sousTheIle
.
.
aJln~ ~rb1ablesàJouy-rour 'I1elle citéesà Jouy~ 1œlle
@
aJlnnIre) ~rb1ables à Lalarœlle citéesà Jouy~ 1œlle
*
Région cb réfum:e citée à Jouy ns 'Irelle
o I
10 kilonitres
I
Figure 4. Région de référence et communes citées à Lalandelle
*
Pays de Bray
.
COlnllJœS~rblables à lalarœlle citées à lalarœlle
Pays de 111elle
@
@
COllllue; ~lblables
à Jooy-~u;-1h:~lle
citées à lalarœlle
@
*
Régirn
cr léfètaœ
à~l1e
Vexin Français
o I
282
10 kiloni1n};
I
citée
Caractériser les pratiques d'élevage et les conceptions des éleveurs pour comprendre l'usage d'un territoire local J.LASSEUR
(1)
Résumé Les réorientations de la politique agricole conduisent à accroître la participation des agriculteurs au développement local et à la résolution de problèmes d'environnement. Cette étude porte sur une proposition de méthode d'analyse des pratiques d'élevage dans ce contexte. Les pratiques des agriculteurs sont, pour les agronomes, essentiellement référées au niveau de l'exploitation agricole. La proposition de caractérisation des Systèmes d'Elevage Locaux, s'appuyant sur des concepts et méthodes de la socio-anthropologie, porte sur la caractérisation de la diversité et de la dynamique des pratiques d'élevage à l'échelle microrégionale. Ces dernières sont considérées comme la production de collectifs d'agriculteurs en interactions. Leurs transformations sont analysées au niveau de collectivités locales où se concrétisent les problèmes dont on attend des agriculteurs qu'ils contribuent à leur résolution. L'analyse est appliquée à l'élevage ovin en zone de montagne de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Elle permet une meilleure compréhension des divergences observées en terme de dynamiques de l'élevage ovin dans deux localités voisines et d'établir un lien entre les débats qui existent au sein des collectifs d'agriculteurs et l'usage qui est fait de chacun des territoires. Abstract Changes in agricultural policy lead to increase participation of farmers in local development processes and in solving environmental problems. That change ways to follow for changes in farming systems and also the way to evaluate and accompany these changes. Our study deals with a methodological proposal to analyse farming practices according to this context.
1
INRA-SAD,
unité d'écodeveloppetnent,
Dotnaine
St paul, 84914, Avignon
cedex 9
Practices are for agronomic scientist essentially under the dependence of farm level. The proposaI of characterising «les Systèmes d'Elevage Locaux» according to socio-anthropology concepts and methodology describe diversity and dynamics of husbandry practices on the microregional level. These are considered as a product of interacting farmers. their changes are analysed at locallevel considered as a level where arise problems farmers will have to deal with. This study is applied on sheep farming in mountain area of ProvenceAlpes-Côte d'Azur region. It allows us a better understanding of differences between two neighbouring villages. In particular, we show that land use is linked with debates in farmers community. These debates themselves result on pluriactivity of farmers and interrelation network between farmers.
Les relations entre les agriculteurs et la société sont en cours de modifications. Les activités des agriculteurs, leur rôle dans la participation au développement local durable et dans la gestion de problèmes environnementaux sont mis en avant. Le récent concept de multifonctionnalité de l'agriculture tend à institutionnaliser ce rôle. Les activités des agriculteurs ne sont plus évaluées uniquement en fonction de leur efficacité en terme de production de biens alimentaires. Les évolutions des pratiques des agriculteurs doivent être pensées dans ce nouveau contexte Comme le souligne J. Rémy (1), à propos de la luise en œuvre de la Loi d'orientation agricole de 1999, «la philosophie du Contrat Territorial d'Exploitation parie sur l'intelligence et les sources d'innovation et d'invention des agriculteurs de base et des groupes locaux». Pour les agronomes qui travaillent sur la transformation des pratiques des agriculteurs, il s'agit de comprendre la diversité et la transformation des pratiques agricoles à des niveaux compatibles avec les territoires auxquels sont posées ces nouvelles questions. L'accompagnement de ces transformations vise à renforcer la capacité d'innovations qui émerge d'interactions locales. Cette analyse compréhensive de la transformation des pratiques suppose un élargissement du champ usuel d'analyse des agronomes en s'intéressant au delà des pratiques matérielles aux savoirs des agriculteurs et aux modalités d'élaboration de ces savoirs. Mêler la dimension matérielle des pratiques à celle des savoirs nécessite de transférer l'analyse de l'entreprise individuelle à celle des collectifs dans lesquels s'élabore ces savoirs. Ce nouveau contexte ne se limite pas à ces élargissements. Les autres acteurs qui contribuent à la définition même des territoires et à la formulation des problèmes dont on attend des agriculteurs qu'ils participent à la résolution sont aussi à prendre en considération. La complémentarité entre notre proposition et de telles approches ne sera toutefois pas développée ici. 284
1
- Problématique
Pour les agronomes et zootechniciens, la recherche « des bonnes raisons qu'ont les agriculteurs de faire ce qu'ils font» se cantonne souvent à la formulation d'un projet qui sous tend une stratégie au niveau d'un système de production. Par exemple, selon la théorie du fonctionnement de l'exploitation vue comme « un système complexe piloté» (2), les pratiques, ou leurs transformations, sont analysées comme résultant des décisions de l'agriculteur conformément à un projet de production déterminé au niveau de l'exploitation. De nombreux travaux sur l'analyse de la dynamique et de la diversité des pratiques reposent sur ce postulat. Le lien établis entre ces modèles de décisions et des modèles biologiques reposent alors sur des concepts telle système de culture ou le système fourrager. Dans le domaine de la socio-anthropologie, une pratique matérielle est lié à la façon du praticien de concevoir les choses. Les pratiques sont considérées comme des construits sociaux et leurs évolutions liées aux transformations des conceptions élaborées dans un cadre collectif. Ainsi, selon Darré (3) un groupe professionnel local (G.P.L.), un collectif de personnes exerçant la même activité, dans un environnement proche, élaborerait un ensemble de références orientant la manière dont chaque membre de ce collectif conçoit la réalité et envisage ses actions. Ces références pouvant évoluer en fonction des expériences des membres du collectif et d'apports extérieurs médiatisés par certains d'entre eux. Cet ensemble de références est appelé norme (4) ou Culture Technique Locale (C.T.L.). C'est par cette analyse des pratiques et des conceptions qui y sont liées que nous proposons de rendre compte des transformations possibles d'usage du territoire par les éleveurs. Je déclinerai cette C.T.L. pour l'élevage à travers la caractérisation de Systèmes d'Elevage Local (S.E.L.) (5). Cette caractérisation repose sur la description de styles d'élevage, au sens de « farming styles» proposé par Ploeg (6). Ces styles visent une synthèse des différentes positions identifiées dans les débats, ils se distinguent les uns des autres par l'argumentaire développé à propos de l'opportunité de telle ou telle pratique, ils sont associés à des conceptions et un point de vue particulier. Dans la perspective de recherches pluri-disciplinaires entre agronomie et écologie ou géographie, le choix de l'échelle à laquelle sont décrites les activités agricoles sur le telTitoire doit pennettre de traiter des problèlnes de gestion de territoire. Deffontaines et Thinon (7), afin de développer une «agronomie du paysage », identifient des Unités Agro-Physionomiques (U.A.P.), portions de territoire d'égale apparence paysagère. Ils mettent en relation ces unités avec les systèmes de culture étudiés au niveau des 285
exploitations. Nous faisons l'hypothèse qu'une mise en relation de ces entités paysagères avec des pratiques d'utilisation du territoire définies au niveau de cultures techniques locales est plus pertinente que les approches identifiant les pratiques au niveau des exploitations. Notre proposition combine les approches des sciences techniques et de la socio-anthropologie pour comprendre COlnment les conceptions des agriculteurs étudiées au sein de collectifs professionnels locaux orientent la transformation des pratiques d'utilisation du territoire. Nous verrons en particulier à travers la comparaison de deux études de cas que les possibilités d'utilisation d'espaces en déprise qui sont envisagées par les éleveurs sont très dépendantes de l'importance qu'occupe dans les conceptions des éleveurs la valorisation des ressources locales. 2 - Méthode
Notre étude sur l'élevage ovin, a été réalisée dans le département des Hautes-Alpes. Au niveau régional, cet élevage s'est caractérisé au cours des quinze dernières années par de fortes transformations: du point de vue structurel, on note un accroissement important de la taille des troupeaux et du point de vue fonctionnel, une intensification fourragère et le développement de mise-bas à contre saison. Ces restructurations de la filière ovine régionale montrent qu'il est possible de développer des exploitations modernisées. Mais, on peut s'interroger sur la contribution de ces élevages à résoudre les problèmes d'embroussaillement, qui existent sur les espaces les moins favorables aux activités agricoles, et sur leur capacité à se développer sur de telles ressources. Nous avons choisi de traiter ces questions en étudiant deux localités du département des Hautes-Alpes pour lesquelles l'élevage ovin constitue la principale activité agricole. Cet élevage y présente des dynamiques contrastées au cours de la dernière décennie. La première, Groches, située dans une vallée ouverte dont l'ubac et les parties basses permettent la céréaliculture, peut être considérée comme un exemple de modernisation réussie de l'élevage ovin. Elle est caractérisé par un développement des effectifs ovins lié à une auglnentation importante de la taille des troupeaux (250 brebis-mères en llloyenne en 1996), un accroissement modéré de la taille des exploitations ainsi qu'à une intensification fourragère. Elle se distingue de Socrière, située dans une vallée encaissée dont l'ubac est très boisé, les espaces agricoles de l'adret et de l'étroit fond de vallée sont, quant à eux, dévolus à la prairie. Cette commune présente une stabilité relative des structures des exploitations de dimension plus modeste (180 brebis-mêres par troupeau en 1996). Le territoire de ces communes présente des signes forts de déprise; les parcours du haut de l'adret de Groches et les prés de fauche en pente de Socrière en témoignent. 286
C'est l'usage de ces deux portions de territoire les plus exposés à la déprise que nous allons analyser de manière comparative. L'analyse s'appuie sur des entretiens compréhensifs conduits auprès de 13 des 50 éleveurs ovin recensés sur les deux zones. Ceux-ci ont été choisis pour se confronter à un maximun de diversité en matière de taille de troupeau, localisation et classe d'âge des éleveurs. Des entretiens complémentaires ont été réalisés auprès d'éleveurs particulièrement cités en références dans la première série d'entretiens. Ces entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits pour réaliser une analyse de discours. Cette analyse a été centrée sur trois thèmes: la perception de l'évolution de l'élevage en regard de la conception qu'ont les éleveurs de leur métier, la manière dont sont justifiés les pratiques d'élevage en regard de cette conception, la façon dont sont organisées les relations au territoire (5). 3 - Résultats
Les résultats présentés portent sur l'analyse des lllodalités d'utilisation du territoire et des zones en déprise en particulier. Les divers styles d'élevage identifiés, communs aux deux études de cas, sont décris dans l'encadré 1. Ces exploitations considérées individuellement sont similaires dans les deux zones, toutefois le fonctionnement d'ensemble au niveau de chaque zone montre de grandes divergences, en particulier concernant les liens entre dynamique de l'élevage et pratiques d'utilisation du territoire. A - L'usage des parcours du haut de l'adret de Groches
L'usage des espaces de haut de vallée est le propre des «éleveurs patrimoniaux» qui ne remettent pas en cause cette utilisation. Ils considèrent qu'il est nécessaire de s'organiser pour pouvoir continuer à valoriser les ressources fourragères présentes. Le gardiennage des troupeaux a conditionné les modalités d'accès au territoire cOlnmunal. Or, les «éleveurs patrimoniaux» se considèrent et sont considérés comme condamnés. La faible taille du troupeau serait à la fois cause et résultante d'une décision d'abandon de l'élevage. Les abandons, lorsqu'ils sont effectifs, renforcent cette idée. La conception des «soigneurs», centrée sur l'usage d'espace cultivé, lui fait écho mais exclue l'utilisation de parcours. Ces conceptions ne s'opposent pas à celle des «grands éleveurs» résultant d'une évolution ancienne. Cette forme d'élevage est acceptable pour les éleveurs des deux types précédents mais propre à l'ubac et non transposable à l'adret. Or, pour les «agrandis récents» la question de transposabilité est centrale. Les sièges d'exploitations de ces derniers se répartissent sur l'enselnble de notre zone d'étude. On pourrait alors considérer « les jeux ouverts» en ce qui concerne 287
l'usage par ces éleveurs des espaces qui nous intéressent et imaginer que ceux qui sont à proximité vont élaborer des modalités d'usage des parcours correspondant aux nouvelles conditions de production. Mais, les « agrandis récents» envisagent difficilement l'usage des parcours du haut de l'adret. Contrairement aux « éleveurs patrimoniaux », ces éleveurs ne considèrent pas la proximité d'un espace comme une caractéristique suffisante pour en faire une ressource pour l'exploitation. En effet, ces éleveurs, où qu'ils soient situés, considèrent que c'est la capacité du territoire à s'intégrer à un système de production de référence qui prime et non l'inverse. Une orientation «cultivateurs», dominante, vise à adopter les conceptions des «grands éleveurs» en essayant de se recomposer un territoire qui permette cet adoption. Cette orientation émane d'éleveurs en relation de travail avec des «grands éleveurs». Une option «pastorale», fait d'éleveurs au voisinage direct d' «éleveurs patrimoniaux», viserait à se confronter au territoire local et à ses spécificités pour redéfinir un système nouveau. Cette option est marginale et marginalisante. Ainsi, par exemple, le maintien de l'usage du gardiennage sur parcours, héritage des éleveurs patrimoniaux, mettrait en marge du « progrès» les agrandis récents qui le pratiqueraient. B
- L'usage
des prés de fauche de Socrière
La nécessité d'accroître les troupeaux n'est pas, à Socrière, une idée qui s'impose à tous. La pratique généralisée de la pluri-activité y contribue largement. Considérer qu'un modèle du type «grand éleveur» soit la perspective d'avenir est largement contesté à Socrière. Par contre, les conditions du maintien d'élevages de petite taille pour valoriser le territoire environnant est une question à laquelle les éleveurs accordent considération. Contrairement à Groches, il est admis que puisse exister un modèle d'élevage qui considère que les pratiques doivent évoluer en respectant la cadre d'action qui suppose de valoriser les ressources locales. C'est dans ce cadre qu'est posée la question du devenir des prés de fauche. Ainsi, tout le monde s'accorde à dire que si un éleveur dispose de prés plats lui pennettant de faire du foin en balles rondes, alors, il a raison de le faire. Mais par contre cela n'implique pas que ceux qui ne sont pas dans cette situation, pour faire de même, devraient délaisser des surfaces ne se prêtant pas à cette pratique pour aller chercher d'autres surfaces hors vallée ou privilégier l'achat de fourrages.
288
4
-
Diversité territoire
et changements
des pratiques
d'utilisation
A - culture technique locale et diversité des pratiques d'utilisation territoire
du
du
La culture technique locale permet de caractériser les pratiques d'utilisation du territoire au niveau micro-régional. Les conditions d'accès aux ressources et, en particulier, la localisation de ces ressources par rapport aux sièges d'exploitations contribue à l'élaboration des conceptions diversifiées des styles d'élevage. L'analyse de la répartition spatiale des styles d'élevages à Groches, en regard des configurations spatiales (relief, parcellaire, combinaison entre différents couverts végétaux), illustre les interactions entre type d'espace et conception de l'élevage. Ainsi, on y observe une certaine polarisation des styles d'élevage « établis» liée aux caractéristiques du milieu environnant. Les «éleveurs patrimoniaux» sont situés sur les hauts de l'adret où petites parcelles cultivables et parcours privé ou communaux sont étroitelnent imbriqués. Les « soigneurs» sont sur un plateau cultivé et irrigable, les « grands éleveurs» sont sur un ubac qui se caractérise par une abondance relative de grandes parcelles cultivables. Ces arrangements traduisent la mise en correspondance des potentialités locales et des conceptions d'élevage. Les styles d'élevage structurent l'usage du territoire. Ceci valide 1'hypothèse constitutive du concept d'unité agronomique (7). Ces unités y sont définies comme des portions de territoire de taille nettement supérieure à celles des parcelles agricoles, qui présentent une organisation particulière des usages agricoles. Il est alors possible, au niveau de la culture technique locale, d'associer à des catégories d'espace des gammes de pratiques permises. Ces pratiques étant connotées de valeurs particulières dans le cadre de cette C.T.L., valeur qui favorise ou non sa mise en œuvre. Ainsi la pratique de gardiennage sur les parcours du haut de l'adret de Groches est porteur d'une valeur négative alors que la pratique de fauche sur les prés en pente de Socrière est connotée positivement. B -La redéfinition territoire.
des liells entre pratique
agricole et utilisation
du
Les possibilités futures d'usage des espaces en déprise (prés de fauche de Socrière ou parcours de Gorches) sont très liées à l'importance de la valorisation des ressources locales dans les conceptions des éleveurs. Ainsi, la recherche d'une mise en correspondance la plus étroite possible est au centre de certaines conceptions. Pour les éleveurs patrin10niaux, les 289
conceptions fixent un « cadre d'action» qui vise précisément à établir cette correspondance. Ainsi, il ne s'agit pas pour ces éleveurs d'aller chercher les ressources qui conviennent à un modèle d'élevage prédéterminé. En particulier, le territoire environnant, et celui de l'exploitation, doit continuer à être une ressource pour ce système. Mais, c'est ce qui est en question dans la phase de restructuration - modernisation que connaît actuellement l'élevage ovin méridional. Dans un cas (Socrière), en se fixant comme cadre d'évaluation de leurs pratiques que celles ci doivent permettre de valoriser les ressources locales, les éleveurs élaborent de nouvelles pratiques d'utilisation des prés en pentes. Dans l'autre, (les agrandis récents de Groches), le territoire environnant n'est une ressource que s'il est compatible avec le modèle d'élevage qu'il convient de développer. C - A quoi attribuer les différences dans la construction des cultures techniques locales? Le contraste dans la dynamique de redéfinition des cultures techniques locales observé dans les deux situations étudiées peut être relié à la forme des réseaux d'interrelations et à la pratique de la pluri-activité. A Groches, la forme des réseaux d'interrelation n'a pas pennis au collectif de produire une culture technique locale permettant d'intégrer les conceptions de ces derniers. Cette culture technique accélère la marginalisation des conceptions des «éleveurs patrÙ11oniaux» et réduit les possibilités de reprise de leurs exploitations qui, dans leurs structures actuelles, se.trouvent inadaptées aux conditions que la culture technique en vigueur «impose». Les perspectives d'utilisation et les modalités d'usage des terres qui se libèrent sont à analyser à travers leur réintégration au sein des exploitations des «agrandis récents». Reste à concevoir des conduites d'élevage qui permettent cette intégration. Là aussi, les réseaux d'interrelations interviennent. Les difficultés à imaginer une alternative pastorale à un modèle reposant sur l'espace cultivé en atteste. F. et l.A. Coquereau (8) dans une étude comparative des phénotnènes de déprise agricole dans deux communes du Pays d'Auge (Normandie) décrivent une situation similaire. Dans leur analyse, ces auteurs décrivent ainsi les relations entre réseaux de dialogue et formes d'activité des agriculteurs. Les contrastes observés dans nos études de cas nous semblent pouvoir être rapprochés de cette situation. Le contraste est fort entre la situation de Groches, où la pluri -activité des agriculteurs est marginale et marginalisée par les autres agriculteurs et, la situation de Socrière où celle-ci est quasitnent générale. Grâce à cet exercice d'une autre activité, en considérant que les revenus de l'élevage sont des revenus complémentaires, la conception des «éleveurs patrÙnoniaux» a 290
gardé cette vigueur et contribue ainsi à définir la culture technique locale actuelle pennettant de valoriser des espaces difficiles. C. Laurent et al. (9) montrent que dans un fort contexte de déprise agricole, les terres marginalisées par des fonnes d'agriculture spécialisées peuvent ne pas être abandonnées et être le support d'activités agricoles pour des pluri-actifs. L'association de l'agriculture à une autre activité conduit alors à ne pas être confrontée à la question de l'abandon des terres qui ne satisfont pas à des critères de rentabilité de l'agriculture « professionnelle». Considérer que la pluri-activité et les échanges entre agriculteurs conditionnent l'évolution des pratiques à travers la définition d'une culture technique locale montre que dans une problématique traitant des relations entre activité agricole et territoire, il est utile de faire porter l'analyse de la diversité et la dynamique des pratiques agricoles à un niveau autre que le cadre de l'exploitation agricole. Références
bibliographiques
(1) Rémy Jacques, 2000. Multifonctionalité agricole et pluralité sociale: Les contrats territoriaux d'exploitation. Aménagenlent et nature. N° 136. P25-36. (2) Osty P.L., 1978. « L'exploitation agricole vue comme un système; Diffusion de l'innovation et contribution au développeluent », Bulletin Technique lnterntinistériel N°326, p.43-49. (3) Darré J.P. 1985. La parole et la technique, l'univers de pensée des éleveurs du Temois. Editions I'Hannattan, Paris 196 p. (4) Darré J.P., 1999. La production de connaissances pour l'action. Arguments contre le racisme de l'intelligence, Editions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, I.N.R.A., 242p. (5) Lasseur J. 2001 : Pratiques d'élevage et gestion de l'espace: la caractérisation des systèmes d'élevage locaux. Mémoire d'ingénieur diplomé par l'état. E.N.S.A.M. 75p + annexes (6) Ploeg (van der) J.D., 1994. « Style of farluing : an introductory note on concepts and methodology». in J.D van der Ploeg and A. Long eds. Born from within. Practices and perspectives of endogenous rural develop111ent (assen: Van gorcum) (7) Deffontaines J. P., Thinon P. 2001.des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environnementaux et paysagers. Contribution à une agronomie du territoire. Le courrier de l'environnement n°44. Inra. Versailles. 14 p. (8) Coquereau F et Coquereau J.A., 1994. « Réseaux de dialogues et utilisation des prairies. Etude comparative dans deux comluunes du pays d'Auge», Pairs et experts dans l'agriculture. Darré J.P.(ed). Erès, p.31-48. 291
(9) Laurent C., Cartier S., Fabre, C., Mundler, P., Ponchelet, D., Rémy J., 1996. «Les différentes formes d'exercice de l'activité agricole des ménages ruraux» in Allaire G., Hubert B., Langlet A. (eds.). INRA. Paris. Nouvelles fonctions de l'agriculture et de l'espace rural. Enjeux et défis identifiés par la recherche. p. 261-275
Les styles d'élevage
Pour les éleveurs patrimoniaux, l'élevage doit permettre de tirer parti des ressources locales en considérant qu'il faut éviter de « sortir de l'argent pour gagner plus ». Pour conduire les troupeaux selon ces principes, il faut respecter un ratio entre surfaces de l'exploitation et taille du troupeau. A Groches, ils se définissent comme la catégorie d'éleveurs âgés, sans perspective d'avenir. Eleveurs spécialisés, ils pratiquent la garde sur parcours. Les modes d'utilisation du territoire de ces éleveurs déterminent les modalités d'accès aux communaux.. A Socrière, cette forme d'élevage permet de valoriser un patrimoine familial, en exerçant une activité complémentaire. Un postulat de base pour ces éleveurs est qu'il n'est pas possible de vivre de l'élevage dans leur vallée. L'exercice de l'activité d'élevage doit donc se raisonner dans le cadre de la pluri-activité Pour les soigneurs, :il faut respecter un ratio entre surfaces de l'exploitation et taille du troupeau pour avoir un troupeau bien soigné. Ceci s'évalue à la performance obtenue, en particulier sur des critère de prolificité et de déssaisonnement. A Groches, un développement de l'exploitation s'envisage chez soi, dans un environnement proche de la Inaison et de la bergerie en respectant ce ratio. Du point de vue de la disponibilité en ressources fourragères, ils excluent par principe l'usage des communaux qui est l'apanage de ceux qui ont transgressé le principe d'un accroissement concommitant du troupeau et de la surface de l'exploitation. Pour les «soigneurs» de Socrière, la mobilisation de ressources fourragères produites ou achetées hors de la vallée permet de maintenir les performances du troupeau. La gestion des parcelles est assujettie à l'impératif de performances techniques. Cette orientation est vue comme une alternative à l'exercice de la pluri-activité pratiquée par défaut pour compenser la faible rémunération de l'élevage.
292
Les «grands éleveurs» ont jugé indispensable, dans les années 80, d'accroître les troupeaux pour maintenir une activité d'agriculteur à part entière. A la tête de troupeaux importants et mobiles, c'est sur l'organisation du travail que se porte leur technicité. A Groches, ce mode d'élevage est perçu positivement par les éleveurs des autres catégories. C'est sur l'ubac et en fond de vallée, là où on trouve de grandes parcelles mécanisables et où se côtoient éleveurs bovins et ovins que se trouvent ces éleveurs. A Socrière, les estives sont le seul atout de la vallée. Il faut s'organiser pour en tirer parti. Ceci justifie la présence d'un nombre élevé de brebis et d'agneaux lors de la saison de pâturage et la pratique de la transhumance hivernale pour minimiser les effectifs présents en hiver et les besoins en fourrages récoltés. Les fourrages conservés sont réalisés sur les prairies très Inécanisables en réduisant autant que possible la charge de travail. Pour les «agrandis récents», présents à Groches, les perspectives d'évolution de l'exploitation passent par un agrandissenlent du troupeau jusqu'aux limites administratives permettant de maximiser le niveau des primes sans nécessairement opérer un accroissement proportionnel des surfaces de l'exploitation. Ceci remet en cause les principes de conduite énoncés en particulier par les éleveurs patrimoniaux. La conduite de l'élevage consiste à enchaîner des saisons et des lieux de pâturage au mieux de ce qu'il est possible de faire avec ce qui est disponible. Les progrès techniques doivent être valorisés afin «d'optimiser» le temps de travail. L'évaluation des aptitudes du territoire environnant découlera de cet impératif
293
Le système irrigué comme territoire Thierry RUF1
Dans leur lexique des qualificatifs de l'Agriculture, Franck Pervanchon et André Blouet (2002) abordent 88 termes associés d'Alternative à vivrière en passant par biologique, conventionnelle, durable ou traditionnelle. Entre les qualificatifs d'interstitielle et de marchande, nous avons vainement cherché l'agriculture irriguée. Est-ce à dire que l'irrigation apparaît toujours en France au début du XXIe siècle comme un parent pauvre des expressions qui précisent les agricultures? En revanche, le terme d'agriculture territoriale est défini COlnme une volonté de remettre l'agriculteur au cœur de son projet et de son territoire, de lui redonner des responsabilités dans la collectivité et de la société en matière de développement du territoire. Cette définition renvoie selon les auteurs à une lutte contre la désertification rurale par le développelnent d'exploitations à taille humaine, en mobilisant les ressources du territoire dans lequel elle est inscrite. Il semble bien que l'agriculture irriguée est encore perçue sous la dimension technique et sous l'angle du choix d'un entrepreneur agricole, et non pas sous ses dimensions sociales, politiques et territoriales (voir en annexe 1 différentes définitions de l'irrigation). Or, de nombreuses dynamiques collectives interfèrent dans l'irrigation, le long de la chaîne complexe d'opérations successives pour disposer d'eau dans les champs: mobilisation de l'eau là où est abonde, transfert vers des zones où elle fait défaut, répartition entre groupes rivaux pour son usage, distribution entre membres d'un groupe d'utilisateurs réglés par des conventions particulières et donnant lieu à des pratiques spécifiques, application au champ selon divers procédés. En outre, les questions relatives aux excès d'eau font également l'objet d'une organisation collective: collecte des eaux surabondantes, création et entretien d'exutoires dans un réseau complémentaire à celui des arrosages, décalé vers l'aval. L'un des meilleurs exemples du maillage du territoire irrigué est celui de l'Egypte où réseaux de drainage et réseaux de canaux d'irrigation sont itnbriqués (l'eau étant aussi réemployée dans la chaîne d'utilisation). (figure 1)
1 Ur044 Dynatniques
sociales de l'inigation,
IRD, Montpellier
Ainsi, nous pourrions nous inspirer de la définition de l'agriculture territoriale de Pervanchon et Blouet pour préciser ce qu'est l'agriculture irriguée: une volonté de ren1ettre les agriculteurs au cœur de leur projet et de leur territoire,. de leur redonner des responsabilités dans la collectivité et la société en n1atière du .développen1ent du territoire et de la gestion des ressources communes.
Figure 1 - Egypte. Le Fayoum et son double maillage: arborescence des canaux d'irrigation en noir et arborescence des réseaux de drainage en vert foncé. Chaque maille du territoire est une sorte d'interfluve entre les branches des réseaux. L'hydrosystème global du bassin dépressionnaire peut être vu comme l'étalement de l'apport unique de l'eau du Nil sur un territoire d'usage ou comme l'ensemble de sous-bassins de collecte des eaux excédentaires amenées soit au lac Karoun au nord, soit dans des dépressions à l'ouest (on cherche à éviter la salinisation excessive du lac Karoun).
~
Routes et pistes
-
Réseau de canaux d'irrigation Réseaux de canaux de drainage
-
Limites des lacs au fond de la dépression
296
1 - Le territoire du système irrigué ou le système irrigué du territoire? Dans une rétrospective sur les travaux de l'INRA-SAD sur l'agriculture et l'environnement dans le périmètre de protection des eaux minérales de Vittel, Benoit, Deffontaines & Al (1997) exposent le volet des nitrates liés aux activités agricoles et distinguent deux échelles spatiales privilégiées: -la parcelle de culture et le bassin d'alimentation. La prelnière est une portion de territoire cultivé par un agriculteur selon un certain itinéraire technique donnant lieu à une production de nitrate entraîné par l'eau dans l'environnement, mais la circulation de l'eau ne connaît pas les limites parcellaires; -le bassin d'alimentation est l'unité géographique ou s'élabore la qualité de l'eau. Trois types de systèmes ont été considérés: les systèmes socioéconomiques qui relient les acteurs et leurs activités, les systèmes biotechniques qui structurent les activités et interviennent dans le transfert des nitrates et les hydro-systèmes dans lesquels s'organisent la circulation de l'eau. Vision locale et vision globale se renvoient l'une à l'autre. Un système irrigué s'aborde selon la même conception d'ensemble: une pratique locale d'utilisation de l'eau à la parcelle, lieu d'appréhension et de mesure des phénomènes propres à la demande en eau des irrigants, et un bassin d'alimentation caractéristique d'une certaine offre en eau à l'ensemble des irrigants..., si tant est que l'on peut le circonscrire. En effet, la notion de bassin d'alimentation est très relative aux échelles d'appréciation des bassins versants, selon les points géographiques privilégiés et selon les modelés des réseaux. La diversion des eaux peut s'organiser le long d'axes linéaires comme les torrents, rivières, fleuves, sur des points géographiques précis comme les sources, ou sur des aires correspondantes aux nappes souterraines. Il y a en quelque sorte superposition, emboîtement et interdépendance des bassins d'alimentation. En outre, les multiples réseaux de distribution de l'eau de surface sont souvent interconnectés par les exutoires des uns dans les autres et par les infiltrations vers la nappe (trop souvent considérées COlnmedes pertes). Dans les Andes, nous avons montré qu'il fallait voir le territoire dans une double zonation, celle de l'offre en eau avec ses multiples hauts bassins versants unitaires et celle de la demande en eau correspondant aux espaces peuplés par l'homme: les interfluves des torrents et rivières. Dans les Deltas, on passe imperceptiblement des terres exondées d'amont aux terres basses d'aval finissant en archipel dessiné par les bras naturels du fleuve, les canaux d'irrigation et de navigation, les grands drains. Pour imager notre propos, nous pensons que les relations entre territoire et système irrigué doivent être envisagées dans la dialectique: le territoire du système irrigué et le système irrigué du territoire.Du fait de l'existence des 297
aménagements et du double maillage artificiel de la circulation de l'eau, les relations entre les unités de la demande et de l'offre sont très difficiles à établir. Il faut confronter les deux approches et préciser toutes les difficultés d'intégration dans des modèles d'explication ou d'intervention. Atomisation de la demande dans le territoire aménagé Certes, la parcelle cultivée irriguée est le plus souvent traitée de manière homogène par les irrigants : des modèles agricoles irrigués lorsqu'il s'agit de bases alimentaires comme le blé en Méditerranée, le riz dans les deltas et vallées alluviales du Sud ou le Maïs dans les Amériques. Parfois, les choses se compliquent, dès lors que des combinaisons de cultures annuelles et pérennes apparaissent, comme dans les plantations oasiennes. Comme un système irrigué offre des possibilités de diversification et d'intensification de l'agriculture, avec le développement de cultures plus spéculatives en compléments ou à la place des cultures vivrières, l'ensemble des parcelles constitue en réalité une mosaïque de besoins en eau, de calendriers décalés et de concurrences simples de voisinage mais aussi entre des groupes d'utilisateurs éloignés, agricoles ou non. Complexité des réponses données à la diversité des demandes recherche de compromis dans chaque territoire irrigué.
et
Chaque usager d'un système irrigué recherche un mode d'accès à l'eau qui réponde aux besoins évalués pour son exploitation et ses parcelles. Dépendant le plus souvent de système collectif, il cherche aussi à coopérer avec les autres usagers s'ils sont organisés en communautés d'irrigants ou doit composer avec l'autorité hydraulique dans les systèmes d'Etat. Pour organiser chaque arrosage, les irrigants doivent se référer à trois paramètres: la date, le débit manipulé (la main d'eau), la durée d'utilisation du module par hectare. Ces éléments peuvent être entièrement décidés par l'autorité du périmètre (contrôle centralisé du réseau, décisions modulées par la hiérarchie administrative). Les décisions sur les trois paramètres peuvent parfois dépendre du seul agriculteur si le réseau et l'abondance de l'eau le permettent ou bien être fixées de manière intangible entre les co-usagers de la ressource (tour d'eau à jours, horaires et main d'eau prédéterminés). Le relevé des règles de gestion des périmètres irrigués que nous avons pu étudier et les éléments de la littérature sur ce sujet nous ont conduits à proposer un outil de classement des conventions techniques de la répartition de l'eau (figure 2, Gilot, Ruf, 1998).
298
Paramètres des calendriers des irrigations
Mode de choix des paramètres
D D
Mode de distribution existant Mode de distribution trop trop extrême pour être réalisé
Moins bonnes perfonnances technicoéconomiques
Moins de souplesse pour les usagers
Moins de transparence
Figure 2
- Du
compromis
2
technique local au compromis
social...
La répartition spatiale de l'eau se construit dans un espace de fourniture d'eau et un espace de consommation. L'organisation et le contrôle des dispositifs techniques, et la conception des règles d'usage et leur application font intervenir des acteurs ancrés dans le local, des services publics exerçant des pouvoirs de contrôle et de police, des acteurs privés jouant sur les incitations économiques des marchés (figure 3a). Il s'agit à la fois de traiter de l'hydrosystème, du fonctionnement des mailles dans les réseaux et du partage local de l'eau dans la maille.
299
Figure 3a diversité des types de collectivités de gestion des ressources (territoriales, sociales, économiques)
COMPROMIS
SOCIAL entre secteurs "Publie" "Privé" "Cotnlnunautaire"
?.
~ locales, des visions de gestion des ressources relevant du domaine public (territoires, ressources naturelles, ressources politiques)
300
écoIlom iques et de leur em prise sur la gestion des ressources (capita ux, sa voirs, h-avail)
La vision du territoire sous l'angle de l'offre en eau privilégie le point de vue des acteurs publics et éventuellement des acteurs privés (compagnie de distribution d'eau). L'eau est perçu comme un bien public domanial qu'il faut gérer de manière intégrale (figure 3b).
Figure 3b diversité des types de collectivités de gestion des ressources (territoriales, sociales, économ iques)
COMPROMIS
SOCIAL entresecteurs "Public" "Privé" Il COffilnuna
utaire
Il
Gestio]1 (ie 1.'()ffre en. eau
~ locales, des visions de gestion des ressources relevant du domaine public (territoires, ressources naturelles, ressources politiques)
économ iques et de leur em prise sur la gestion des ressources (ca pita ux, savoirs, travail)
~ ..........,if-' ".
301
La vision du territoire sous l'angle des demandes sociales répercutées dans chaque périmètre donne une part plus importante aux communautés locales d'irriguants, même si elles sont en concurrence sur l'espace aménagé et les ressources disponibles. L'eau est en général gérée comme un bien commun défini par des droits collectifs plus ou moins anciens, qui donnent lieu à une équilibre historique des prélèvements successifs d'amont vers l'aval dans les mailles du système (sur chaque bassin, rivière, canal, branches et répartiteurs ).(figure 3c) Figure 3c diversité des types de collectivités de gestion des ressources (territoriales, soc iales, économ
COMPROMIS SOCIAL entre secteurs
iques)
"Public" "Privé" "Communautaire"
GestioIl de la clell1an.cleen. eall
~ locales, des visions de gestion des ressources relevant du dom aine public (territoires, ressources naturelles, ressources politiques)
économ iques et de leur em prise sur la gestion des ressources (capitaux, savoirs, tra vail)
Un compromis social se construit sur l'équilibre des pouvoirs sur le territoire, dans la société à propos des enjeux de partage de l'eau. Les forces en jeu sont toujours contrebalancés: planification et privatisation, populisme et démocratie, paternalisme et revendication. Les valeurs d'équité, d'efficacité et de régulation influencent la construction des rapports multiples entre ces forces. Mais le jeu est ouvert, car à chaque pôle d'intervention, les acteurs sont aussi multiples et leurs intérêts sont contradictoires (figure 3d). diversité des types de collectivités de gestion des ressources (territoriales, sociales, économiques)
COMPROMIS SOCIAL entre secteurs "Public" "Privé" "Communautaire"
locales, des visions de gestion des ressources relevant du dom aine public (territoires, ressources naturelles, ressources
politiques)
..~..:/.-<~.~ """
Figure 3d 303
3
-L'exemple
du Haouz de Marrakech au Maroc
Le Haouz de Marrakech est un vaste ensemble irrigué dont les aménagements remontent au Xe siècle avec la fondation de la ville. Ce territoire cOlnprend aujourd'hui six ensemble de réseaux juxtaposés et superposés (Figure 4). Les Khettaras sont les premiers ouvrages hydrauliques: il s'agit de galeries drainantes de plusieurs kilomètres ou dizaines de kilomètres qui prélèvent l'eau de nappes souterraines sises au pied du Haut Atlas. Les eaux convergent vers Marrakech ou les environs (Tamesloht). Nous sommes dans la partie plutôt privée ou communautaire du triangle de classement des institutions de l'irrigation. Les seguias alimentés par des résurgences permanentes dans le lit des oueds forment un deuxièlne ensemble hautement stratégique pour le pouvoir de Marrakech. Nous sommes ici dans le domaine très contrôlé par le public qui jouent des concessions pour mettre en valeur les terres et les eaux (alliances tribales et territoriales). Les seguias de crue sont également soumises au contrôle central, mais leur gestion est plus aléatoire. On met en culture un espace situé la plupart du temps en aval d'un périmètre plus permanent. Tous ces éléments forment l'ossature historique avant la colonisation. Viennent ensuite les dispositifs liés au premier barrage sur l'Oued Ntis (réseaux de seguias ré-alimentées et réseau de bornes sous pression). Un transfert de bassin est mis en place dans les années 1990 amenant l'eau de l'Oued Lakhdar dans le Ntis par le canal de Rocade. Des bornes sous pression impliquent une forte sujétion des agriculteurs à l'administration centrale mais l'extension donné à ces nouveaux réseaux et les sécheresses répétées mettent en péril l'Office qui ne satisfait pas les besoins des agriculteurs et qui est soumis à des pressions économiques internationales pour rentabiliser les investissements. Enfin, toute une série de forages existent, certains remontent à la période coloniale, d'autres sont mis en chantier ces dernières années de crise. On retrouve donc six réseaux et autant de territoires de mobilisation de l'eau.
304
305
Références bibliographiques Benoît Marc, Deffontaines Jean-Pierre, Gras Francis, Bienaimé Élizabeth, Riela-Cosserat Régine, 1997. Agriculture et qualité de l'eau, une approche interdisciplinaire de la pollution par les nitrates d'un bassin d'alimentation, Cahiers "Agricultures", Volulne 6, Nun1éro 2, pages 97 à 105, Mars-Avril 1997 Courrier de la Planète, 1994. L'eau, or bleu du XXle siècle. n024 Gilot L., Ruf T., 1998. Principes et pratiques de la distribution de l'eau dans les systèmes gravitaires. ln : Thiercelin JR (coord). Traité d'irrigation. Paris, Lavoisier, Ch XII, Gestion de l'eau pour l'irrigation, 863-882. Jaubert de Passa M.,1846. Recherches sur les arrosages chez les peuples anciens. 6e partie, ch.4. Des lois et du régime des eaux sous le rapport agricole. p.267-368. Réédition intégrale AFEID, 1981, Editions d'Aujourd'hui, collection « les introuvables ». Nadault De Buffon M., 1843. Traité théorique et pratique des irrigations envisagées sous les divers points de vue de la producrion agricole, de la science hydraulique et de la législation. Paris, Carilian-Goeury et Vor Dalmont, Tome I, 432p Neuvy G., 1991. L'homme et l'eau dans le domaine tropical. Paris, Masson, géographie, 227p. Pascon P., 1983. Le Haouz de Marrakech. Cnrs, lAV Hassan II, Rabat, 693p. Pervanchon Franck, Blouet André, 2002. Lexique des qualificatifs de l'agriculture. Le courrier de l'environnement de l'INRA, N°45 février 2002, 117-137. Picon B., 1988. L'espace et le temps en Camargue. Actes Sud, Arles, 232p. Rey J., 1996. Apports de la gestion industrielle au management des périmètres irrigués: comment mieux piloter la production? Thèse Dr ingénierie et Gestion, ENSMP, Paris, 177p. Ruf T., 1992. Aménagements hydro-agricoles anCIens. ln: Cirad-Sar, 1992. Systèmes irrigués. 306
Annexe 1 - Définitions
de l'irrigation
selon les dinlensions privilégiées
Des techniques et des moyens L'irrigation est une technique d'apport d'eau aux plantes cultivées dans le but d'accroître le rendenlent. Neuvy (1991) Irrigation is the totality of 111eans emplyed by people to aug111ent and control the supply of water to the soil, for the purpose of enhancing the production of crops (IIMI, 1989, cité par Rey, 1996) Des climats, des plantes et des Ilommes L'Apport de compléments d'eaux nécessaires et suffisants, en prenant en considération le cli111at (qui déter111ine l'Ùnportance des besoins et leur situation dans le temps), les plantes (qui ont leurs nécessités particulières et occupent le terrain pendant des périodes plus ou nl0ins longues), les sols (qui servent d'organe de transport et de stockage de l'eau et dont les propriétés, à cet égard, dépendent de leur nature) et les hOl1unes (qui doivent procéder à la réalisation d'ouvrages de captage, de distribution, aux aménagements de terrain, 111ettreen œuvre de nouveaux procédés culturaux, s'astreindre à une éventuelle discipline pour l'usage des eaux) - luémento de l'agronome (Ministère de la Coopération, 1993) Des interventions humaines sur la nature L'irrigation est une intervention humaine consistant à 1110difier la distribution de l'eau dans des canaux naturels, des dépressions du relief, des chenaux de drainage ou dans des couches aquifères et à utiliser cette eau pour améliorer la production végétale en agriculture ou favoriser la croissance d'autres végétaux prisés (Courrier de la Planète, 1994, n024,) De l'utilité industrielle en amont de l'agriculture l'irrigation est une pratique caractérisée par un usage 111aîtriséde l'eau, facteur de production, pour produire des biens agricoles. (Rey, 1996) Le développe111ent des techniques d'irrigation 1110dernes doit avoir pour objectif d'utiliser au 111ieux l'eau, en 111êl11ete111ps que les terres, les ressources humaines et les autres intrants essentiels (énergie, 111achines, engrais et lutte phytosanitaire) de façon à renforcer durable111ent la production agricole (Hillel, Daniel, 1997)
307
De l'art et de la science L'irrigation: c'est une industrie capable d'agir puissal1unent sur les progrès de l'économie rurale,. c'est l'art d'obtenir de la terre, par un bon elnploi des eaux, des produits plus abondants, plus variés, et surtout plus réguliers que ceux auxquels on peut prétendre par la culture ordinaire. C'est un art car sa pratique consiste en une suite d'opérations dont le succès dépend beaucoup du plus ou nl0ins d'intelligence, de plus ou lnoins d' habileté qu'on y apporte. C'est une science, car, soit qu'on veuille envisager à fond le rôle qu'elle joue dans l' écononlie végétale, soit qu'on veuille s'assurer des moyens de la pratiquer avec ordre et écono111ie,par une exacte distribution des eaux, on en est ainsi conduit, d'une part, jusqu'aux considérations théoriques les plus délicates, les plus inexplorées, de la chimie agricole,. de l'autre, jusqu'aux problèn1es les plus ardus de l 'hydrodynan1ique. Naudault de Buffon (1843) Des Territoires et des sociétés Technique, pratique, art ou science, l'irrigation repose avant tout sur un artifice: le détournement des chemins naturels des eaux par des aménagements. L'irrigation s'inscrit dans une transfornlation du territoire. L'aménagement hydro-agricole est une construction conlplexe et .fragile pour rendre artificielle 111ilieucultivé, intégrant les conditions, facteurs ou contraintes clin1atiques, pédologiques et hydrauliques. Sa pérennité dépend de la "maîtrise de l'eau" par la société: cette notion couvre un cha111p d'activités humaines immense: elle concerne la création d'infrastructures ,. elle pose le problèn1e de l'accès à la ressource hydrique dans la société concernée par l'aménagement et par la société périphérique de l'aménagement,. elle aborde la gestion quotidienne elu partage de la ressource hydrique et suppose la réussite de l'entretien de l'ensenlble des systèlnes artificiels (Ruf, 1992).
308
D'une agriculture modernisée à une agriculture territorialisée Quelle place pour l'expertise agronomique dans les politiques décentralisées? Pierre-Antoine LANDEL (1)
Résumé Les lois de décentralisation ont 20 ans. Cet événement nécessite une analyse du enjeux liés à l'évolution des modèles d'exploitation agricole. La question des relations entre agriculture et territoires réapparaît comme centrale: l'espace européen de la Politique Agricole Commune, défini comme un lieu de reproduction d'un modèle d'exploitation agricole dominant, se fragmente. Il laisse apparaître diverses configurations d'exploitations agricoles «résistantes», dont la caractéristique est de s'inscrire dans des projets de territoires au travers de différents mouvements: diversification, accroissement de la valeur ajoutée lié à la qualité, réduction du capital investi et multifonctionnalité. Il est intéressant d'examiner les conditions dans lesquelles les politiques agricoles décentralisées accompagnent ce mouvelnent. Pour ce faire, deux points ont été approfondis: 1. le contenu des lois de décentralisation en agriculture et les moyens de sa mise en œuvre; 2. Les approches prospectives, à partir de l'exemple de la luise en place des Contrats Territoriaux d'Exploitation. Abstract In France, decentralization laws are twenty years old. This event needs analysis regarding to the evolution of farming models. The question of relationship between agriculture and territories appears as principal: European space of Common Agriculture Policy, definite as a place of reproduction of an outstanding model is splitting up. Different resistant types of farm appear which characteristic is to put territories schemas trough different movements: diversification, better quality of products and less charges. It is interesting to observe how decentralized agricultural policies are developed in parallel of this movement. Two points have been studied:
1
TEO-CERMOSEM,
Université
Joseph FOURIER,
Grenoble
the content of decentralization laws and means of application; prospective approaches, regarding the example of the "Lands Management Contracts".
L'agriculture traverse depuis vingt ans une profonde mutation, en réponse à une évolution des attentes de la société. Une exigence de qualité s'est affirmée, et le milieu rural est redevenu un espace de projets, au sein duquel « les agriculteurs peuvent contribuer au maintien de l'occupation humaine grâce aux services collectifs qu'ils produiront» 2. Cette période. coïncide avec la mise en œuvre d'un itnportant processus de décentralisation qui célèbre son vingtième anniversaire. L'événement est marqué par de nombreuses études et publications qui restent relativement discrètes dans le domaine de l'agriculture. Pourtant, nombre de collectivités sont maintenant dotées de commissions, de budgets, de services qui interviennent dans la mise en place et le développement de politiques agricoles. Manifestement, un mouvement de décentralisation s'opère, mais il reste difficile à appréhender. Beaucoup s'interrogent en particulier sur sa capacité à réduire le décalage entre l'évolution des attentes de la société vis à vis de l'agriculture, que traduit les propositions de réfonne de la Politique agricole Commune, et la résistance de la profession vis à vis de ces changements. Trois questions peuvent être posées: Quelle lecture proposer de l'évolution récente de la relation entre agriculture et territoires? Quel a été le contenu et l'impact des lois de décentralisation en agriculture? Quel regard sur l'actualité et quelle prospective proposer, à partir de l'exemple de la mise en œuvre des contrats Territoriaux d'Exploitation?
1 - La relation agricultures-territoires: schématique A - La domination du modèle de l'Exploitatioll sein de l'espace économique européen
une proposition de lecture
Falniliale Modernisée
au
La loi d'orientation agricole de 1962 a profondément marqué l'évolution des relations entre les exploitations agricoles et les espaces sur lesquels 2
Asselnblée Nationale, Exposé des Motifs du Projet de Loi d'Orientation PENSEC , N° 977, 10 juin 1998, pA
310
Agricole,
Par M.Louis
Le
elles se développent. Elle consacre l'exploitation Familiale Modernisée comme modèle de développement économique et culturel. Les exploitations qui correspondent à ce modèle sont caractérisées par la concentration des moyens de productions sur des unités spécialisées, tout en s'inscrivant dans le cadre de la cellule familiale. Ce mouvement s'accompagne d'une forte spécialisation des exploitations, qui explique des homogénéisations de productions sur des bassins, autour d'un tissu d'Industries AgroAlimentaires. Les exploitations sont insérées dans des dispositifs d'intégration verticale au sein de filières assurant l'approvisiolmement des exploitations et leurs débouchés. Le développement de l'élevage hors sol exprime l'extrémité du système, dont les liens avec les territoires ne sont justifiés que par les proximités d'industries de production d'aliments ou d'abattage. La cohérence économique de l'exploitation se trouve dans ce système et non dans son environnement immédiat. L'espace ainsi structuré s'affranchit des contraintes environnementales et des sociétés locales. « L'exploitation unité de production apparaît conlme un point dans un espace abstrait et isotrope, qui présente les mêmes propriétés dans toutes les directions »3. Yves BAREL parle dans ce cas d'une cohérence économique de type a-territorial: « elle a la forme d'un réseau unissant des « points »économiques par des « lignes» points et lignes étant indifférents au territoire qui les environne, à leur position sur le territoire, etc... »4. Du point de vue économique, les exploitations vont développer deux stratégies: celle qui consiste à conserver le bénéfice des gains de productivité, qui va se traduire par l'émergence de structures coopératives de grande envergure dans certaine régions5 ; celle qui consiste à réduire les distances entre les points et les pôles, qui se traduira par la spécialisation des bassins de production. B - Les limites du modèle Les marchés et les territoires Inettent en évidence les limites du modèle. Côté marché, l'apparition d'excédents de production renchérit considérablement le coût de la politique Agricole Commune. Les négociations internationales nlettent en évidence la contradiction entre les
3
V ALCESCHINI (E), Stratégies coopératives et diversification des tnodèles de développetnent agricole, Le cas de la coopérative de Rotnans, Thèse de doctorat de 3°cycle, INRA-IREP - Grenoble 1983 4 BAREL (Y.) et alii, Tenitoires et codes sociaux, IREP-CEPS , 1981 5 BERGER S., 1975, Les Paysans contre la politique, L'organisation rurale en Bretagne, Le Seuil, Paris, 345p.
311
régimes d'aide à l'exportation et les règles de l'organisation commune des marchés. Côté territoires, l'émergence de problèmes de désertification rend difficile les possibilités de maintien de services publics nécessaires à la survie du territoire. Dans d'autres cas, l'impact de pollutions devient mesurable : pollution azotée, excès de pesticides, maladies animales sont autant de signaux indicateurs d'une nécessité de tenir compte des milieux sur lesquels se développe l'agriculture. C - Sur les territoires,
la résistance s'organise
Un certain nombre d'exploitations « résistantes» vont se maintenir alors que leur vocation était de disparaître. Elles se caractérisent par une inscription de leur développement dans des stratégies territoriales intégrant des champs économiques, socioculturels et environnementaux. Au niveau économique, les productions sont orientées vers des activités peu mobilisatrices en capitaux et la possibilité d'intégration de « nouveaux» agriculteurs. Leurs stratégies sont forteluent dépendantes des territoires au travers de quatre mouvements6 : la diversification vers des productions adaptées aux conditions locales, complémentaires à d'autres productions; la recherche d'un accroissement de valeur ajoutée au travers de la spécification des produits (AOC), la transformation sur l'exploitation et de la vente directe; au travers de productions de qualité; la réduction du capital investi au travers de stratégies d'investissement progressif et d' autofabrication ; la recherche d'activités complémentaires, permettant de bien valoriser la main d'œuvre familiale tout en maintenant un tissu d'exploitations et en limitant l'agrandissement des exploitations. Au niveau culturel, en parallèle à l'arrivée dans les campagnes de nouvelles populations, s'affirment des choix de vie au sein desquels les relations, les loisirs, le temps libre, la recherche de sens, l'implication dans les organisations locales prennent place. Enfin, l'environnement occupe une place déterminante. Le patrimoine naturel, les savoir faire locaux, les paysages, le patrimoine bâti, I'histoire locale sont intégrés dans des logiques de transmission propres aux constructions territoriales. Un travail collectif d'identification, de sélection, de transformation et de valorisation des ressources s'opère pour être parfois à l'origine de la création de nouvelles activités. Le territoire n'est plus un espace passif qui supporte le développement économique global, il devient actif. Des rapports sociaux se développent
6
PERNET
F., 1982, Résistances
Paysatmes,
collection
312
influences,
Presses Universitaires
de Grenoble,
entre des groupes d'acteurs. Ils participent à des (re)compositions territoriales dont les formes varient selon les projets des différents groupes et la nature de leurs relations. Celles-ci restent toutefois à expliciter selon leur nature et les échelles retenues. A partir de cette analyse se pose la question de l'adaptation des politiques agricoles. La mutation de l'agriculture précédetnment décrite est concomitante avec la mise en œuvre des lois de décentralisation de 1982 et 19837. 2 - Le contenu et l'impact des lois de décentralisation de l'agriculture A - Au départ, les compétences transférées contrôle total des services de l'Etat.
dalls le domaine
sont marginales,
ou sous un
« Les lois de décentralisation ont transféré aux collectivités territoriales de nombreuses compétences exercées jusqu'alors par l'Etat. Vingt ans plus tard, le bilan révèle une formidable montée en puissance des interventions des communes (et des intercommunalités), des départements et des régions, et cela dans tous les secteurs de la vie locale» 8 Alors que la politique agricole était conçue cotnme européenne et nationale, il était délicat de concevoir un ample mouvement de décentralisation en agriculture. Le législateur a confirmé cette situation: les départements sont les seules collectivités à avoir bénéficié de transferts de compétences spécifiques à l'agriculture. 3 domaines d'attributions spécifiques à l'agriculture leur ont été transférés9 : Habitat Rural: construction ou aménagement de logements pour les exploitants agricoles, les salariés ou associés d'exploitants agricoles et les retraités d'exploitations agricoles, prime à la décohabitation des jeunes agriculteurs; Aménagement hydraulique des terres agricoles réalisés individuellement ou par des groupements associant moins de cinq agriculteurs; Remembrement, échanges amiables, réorganisation foncière, travaux connexes au remembrement et travaux divers d'aménagement foncier.
7 Lois du 2 tllars et du 22 juillet 1982 : droits et libertés des cotlltllunes, des dépat1etllents et des régions, lois du 7 janvier et 22 juillet 1983 : transfet1s de cotllpétences 8 La Gazette des COtll1llUneS, 4 tllars 2002, Nutlléro spécial, la décentralisation 20 ,ans après, p.26 9 DOZIERE R., FORTIER J.C., MASTIAS J., Le nouveau Conseil Général, Les éditions ouvrières, 1985, 243 p.
313
Les communes et les régions se sont vues attribuer des compétences générales': la gestion de l'espace pour les premières, le développeluent économique et l'aménagement du territoire pour les secondes. L'agriculture n'y est pas explicitement inscrite, et sa prise en considération sera fonction des politiques définies par les collectivités et les moyens supplémentaires qu'elles y affecteront. Les transferts sont organisés sous contrôle de l'Etat. Deux points peuvent être soulignés. . L'habitat rural et l'habitat autonome constituent un reliquat des politiques de rénovation rurale décidées après la guerre. Il s'agit de secteurs marginaux dans le budget de l'agriculture, et sans grand enjeu par rappoli au modèle de développement de l'agriculture. . L'aménagement foncier constitue un dOluaine d'intervention important au regard de la relation entre l'agriculture et les territoires. Si les textes prévoyaient bien un transfert de compétences, celui-ci était limité aux seuls aspects financiers. Les procédures de remembrement restent engagées par arrêté préfectoral, après avis des commissions communales: le département n'a « qu'à programmer» les crédits correspondants. En aucun cas, il ne s'agit de permettre aux collectivités de définir de nouvelles politiques susceptibles d'adapter la structure foncière aux stratégies de développement local. B - Un transfert d'emplois très limité, qui traduit corps institués par rapport à la décentralisation
une méfiance des
La décentralisation s'est accompagnée de conventions de partitions des services de l'Etat opérées dans chaque région ou département. Pour l'agriculture, celles ci sont intervenues à partir de 1992, soit 10ans après le vote de la loi. Les données recueillies auprès de la Direction du Personnel du Ministère de l'Agriculture font apparaître les données suivantes au niveau des effectifs du Ministère.
314
Tableau n01 Evolution des effectifs du Ministère de l'Agriculture Manpower of French minister of Agriculture 1992-2002
Catégorie A : ingénieurs, attachés, Catégorie B : techniciens,
Catégorie C : secrétaires adtninistratifs, adjoints techniques et adtninistratifs, agents adtninistratifs, ouvriers et conducteurs Vétérinaires et préposés des services vétérinaires (hors techniciens) Inspection du travail Personnels des établissetnents de recherche-enseignetnent Agents contractuels Haras Intégration d'agents contractuels Total
10 Source: Il Source;
Effectifs du Ministère Effectifs du Ministère de l'a~riculture en 199210 de l'a~riculture en 200211 4097 (dont 1047 4.596 (y. ingénieurs affectés à l' enseignetnent affectés à l' enseignetnent agricole) agricole 3.479 (dont 2217 4.109 etnplois de techniciens vétérinaires) 5.524 7.589
648
863
407 13.170 dont 1.029 agents contractuels 1.148 672
384 13.314 dont 125 agents contractuels 347 Transfert vers établissetnent public
496 loi 85-1095 du 11/10/1985 29.641
Budget de l'agriculture en 1992, détail du chapitre 31-90 , réll1unération DOCUll1ent CTPM , année 2002, tableau « trans»
315
31.202
des personnels
Tableau n02 : Les résultats de la partition des services du Ministère de l'Agriculture12 Consequences of partition between services of French minister of agriculture
Catégorie A Catégorie B Catégorie C T ota!
Nombre d'emplois transférés des collectivités vers le Ministère de l'Agriculture (régularisation de postes créés par les collectivités avant la loi de 1982) 47
Nombre d'emplois transférés du Ministère de l'Agriculture vers les collectivités
solde
0/0de transfert vers les collectivités
61
- 14
1,5%
333
162
+ 171
4,9%
1662
565
+ 1.097
10,2%
2042
788
+ 1.254
2,6%
Trois constats peuvent être proposés: la décentralisation s'est accompagnée d'un renforcement des effectifs du Ministère de l'agriculture; Quand les agents ont eu la possibilité de choisir, ils ont préféré le Ministère aux collectivités. Ces transferts ont affecté essentiellement les agents de catégorie C. Ce n'est qu'un nombre très restreint d'ingénieurs qui ont rejoint les collectivités territoriales (1,5 % environ) . Cette situation est intéressante à analyser du point de vue de l'expertise. Celle ci n'accompagne pas le mouvement de décentralisation, et au contraire semble y résister. Dans ces conditions, les collectivités territoriales se sont dotées de corps techniques spécifiques, les éloignant ainsi de l'expertise agronomique « classique». Au delà des débats relatifs aux conditions d'emploi et de rémunération des agents concernés, ce constat traduit un attachement à un système de valeurs spécifiques à la fonction publique de l'Etat qui a fonctionné avec vigueur, alors que celui des collectivités territoriales était en cours de construction.
12
Source:
Ministère
de l'agriculture,
DOCUluent spécifique
316
à la pat1ition des services
C - Une réalité qui mériterait d'être mieux observée Il n'en reste pas moins qu'en agriculture comme ailleurs, ce n'est que progressivement que le mouvement de décentralisation a surpris par sa vigueur. Les budgets se sont accrus régulièrement, avec une multiplication des interventions, y compris dans des domaines qui n'avaient pas été prévus par le législateur. Les régions ont développé des politiques spécifiques de soutien aux filières agricoles et ont accompagné le développetnent des politiques de gestion de l'espace. Nombre de départements se sont aussi engagés dans de telles politiques, allant bien au delà des compétences qui leur avaient été transférées. En parallèle, a été constatée une croissance concomitante des effectifs des services départementaux et régionaux chargés de l'agriculture. 20 années après la mise en œuvre effective de la décentralisation, les organigrammes des collectivités régionales et départementales comportent quasiment tous un service de l'agriculture, englobés dans des systèmes hiérarchiques quasiment aussi élaborés que ceux des services de l'Etat. De la même façon, et plus récemment, un certain nombre de structures intercommunales se sont dotées de compétences liées à la gestion de l'espace et à l'environnement. Une enquête réalisée en 1999 fait apparaître que « les élus des structures intercommunales établissent, dans leur très grande majorité, un lien entre, d'une part, l'aménagement et la qualité de leur territoire, et d'autre part, le maintien d'une agriculture durable» 13. Plusieurs points forts méritent d'être mis en évidence. La décentralisation et la montée en puissance des politiques européennes régionales s'accompagne d'un net accroissement des moyens consacrés au développement de politiques de filières, tnais aussi à l'émergence de politiques territorialisées. Ainsi, en Région Rhône-Alpes peuvent être citées à titre d'exemple les Programmes Intégrés de Développement Agricole (P.I .D.A.) qui visaient à organiser des filières sur des territoires. Les acteurs territoriaux organisés autour d'un projet structuré peuvent participer au montage de projets intégrés et cohérents, et mobiliser les financements correspondants. Dans certains cas, au travers de projets de territoire, ils sont susceptibles d'assurer le rôle de coordination entre les différents partenaires et d'adapter les instruments financiers à leurs objectifs.
.
.
Les politiques ont tendance à s'inscrire
dans la durée, au travers des
contrats de plan et des programmes européens à un rythme particulièrement
13 Mairie Conseils, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, UNCPIE, L'Ünplication des Agriculteurs dans la lnise en œuvre des cOlnpétences intercolrununales alnénagelnent de l'espace et environnelnent, Novelnbre 1999, 27p.
317
adapté au développement des zones rurales considérées comme « .c. lragl.1es» 14. Les techniques d'évaluation des politiques publiques sont de plus en plus utilisées, afin d'examiner la concordance au niveau des territoires entre les objectifs fixés au départ et les résultats obtenus, mais aussi de faire évoluer les programmes tout au long de leur mise en oeuvre. Un certain nombre d'entre elles concernent les politiques de gestion de l'espace qui ont fait l'objet de nombreuses évaluations15. En parallèle, trois points faibles peuvent être soulignés. La complexité croissante des circuits décisionnels et la superposition des nonnes conduit chacun des partenaires (Europe, Etat, Région, Département) à établir des règles d'intervention qui lui sont propres, afin de bien identifier sa participation. L'impression générale est celle d'une lente évolution passant de la coopération à la concurrence entre les différents niveaux d'intervention. La problématique devient pour le différents partenaires plus de contrôler que d'optimiser l'utilisation des fonds publics sur un territoire. Les Organisations Professionnelles Agricoles restent la plupart du temps muettes sur ces questions de décentralisation. Accrochées à la défense ou la critique du système d'Exploitation dominant, elles ne peuvent participer à la construction des politiques territorialisées. Cette appréciation doit être modulée selon le niveau de collectivité concernée. Les Organisations Professionnelles «majoritaires» connaissent et utilisent l'échelon départemental, de par le mode de désignation des chambres d'agriculture et la composition des conseils généraux, elles maîtrisent beaucoup moins le fonctionnement des deux niveaux énlergents : les régions et les intercommunalités. Face à des projets de territoire par essence fort différents dans leurs objectifs et modalités de luise en oeuvre, la tendance lourde va être celle de 1'homogénéisation des interventions, qui risque à terme de rendre inopérante les mécanismes de développement local.
.
.
.
.
14Les politiques régionales européennes développées depuis 1986, date de lnise en place des Progrmulnes Intégrés MéditelTanéens (PIM), suivies de nOlubreux autres progralulnes (P.D.Z.R., objectifs 5b, leader etc.) se sont déroulés sur au lnoins 5 mUlées consécutives. Elles ont eu un itnpact itnportant sur le développeluent rural, en lllobilisant les partenaires autour d'objectifs pal1agés. 15 Centre Régional de la Productivité et des études éconoluiques, Mesures Agri-environnelnentales et telTitoires, Revue de l'Econolllie Méridionale, Université Montpellier III Vo1.47_1-2/1999_noI85-186186 p.-
318
Dans tous les cas, les moyens d'observation des politiques agricoles décentralisées devraient pouvoir être renforcés. A l'expertise agronomique, plusieurs questions précises m~riteraient d'être posées: la conciliation entre l'approche territoriale et l'approche par filières; l'articulation des interventions des différents niveaux de compétence sur un territoire; le pilotage du partenariat: public-privé, agriculture et autres secteurs; le management et l'évaluation des politiques agricoles décentralisées. 3 - Pour une approche prospective
La réforme de la Politique Agricole Commune est accompagnée de la montée en puissance des politiques de développement rural16. Chaque Etat membre a dû établir un Plan de Développement Rural pour la période 20002006. Ce plan peut comprendre 2 volets: 1 volet national et un volet régional, permettant ainsi une modulation des interventions communautaires selon les territoires. Alors que certains Etats (Espagne, Italie, Allemagne) ont choisi le niveau régional pour la définition des priorités, la France a fait le choix d'un dispositif centralisé dans sa conception et déconcentré dans sa luise en œuvre. La mise en place des Contrats Territoriaux d'Exploitation (C.T.E.), qui constitue le dispositif central de la loi d'Orientation Agricole17 de 1999, illustre ce choix. Au vu des informations recueillies depuis leur mise en oeuvre, la procédure se heurte à un certain nombre de difficultés qui peuvent être résumées comme suit: un tendance à la domination des approches par filière et à une banalisation de la procédure, au détriment des approches territoriales intégrant les logiques locales18;
16règlelnent 1257/1999 du 171nai 1999 17Loi n° 99-574 du 9 juillet 1999. Le CTE est un contrat entre l'agriculteur et l'Etat pour une durée de 5 ans qui cOlnprend deux types d'engagelnents : une partie éconolnique et relative à l' elnploi et une patiie envirolulelnentale et telTitoriale 18I.OTTRIA, Le Contrat TelTitorial d'Exploitation, Quel itnpact sur les dynatniques d'évolution locales, étude sur une petite région ardéchoise, Chalnbre d'Agriculture de l'Ardèche, ENESAD
319
une difficulté à intégrer les contrats dans des démarches collectives concertées au niveau territorial, malgré la réussite de quelques , . 19 experIences;
une faible implication des collectivités territoriales (Régions et Départements) dans le dispositif; L'annonce par le Ministère de l'Agriculture d'une suspension de l'instruction des CTE depuis le 5 août 2002, à la suite d'un rapport d'audit20 , reflète l'ampleur des débats liés à la mise en œuvre de cette politique. La mission d'audit indique en particulier que « le CTE est un outil de politique agricole qui doit être territorialisé », en proposant un partage des rôles entre les niveaux départemental, régional et national, mais sans définir précisément le niveau territorial pertinent pour la définition des contrats. Pour l'avenir, il semble possible de proposer trois types de scénarios. 1. La banalisation de la procédure et sa réintégration au sein de politiques de filière classiques. 2. La redéfinition du Plan de développement Rural, afin de perlnettre une adaptation des .mesures au contexte régional, tout en prévoyant une implication plus forte des collectivités territoriales (Régions et éventuellement Départements) dans le dispositif. 3. L'intégration du dispositif dans le volet territorialisé du Contrat de plan Etat Région. Ce volet vise à financer les contrats de pays prévus au travers de la loi LOADDT21 qui a décidé de la création des pays et agglomérations. Cette option replacerait les territoires au cœur du dispositif tout en favorisant un dispositif contractuel avec l'Etat, la Région et les autres collectivités territoriales. Elle confirmerait le rôle pivot du territoire entre des logiques individuelles et les règles de marché définies au niveau transnational.
Cette réflexion certes incomplète confirme la nécessité d'approfondir, de coordonner et faire connaître les recherches sur le développelnent des politiques décentralisées dans le domaine agricole. Au delà des outils d'aide à la décision, d'évaluation et de prospective, il y a là un espace de réflexion sur des modèles nouveaux, susceptibles d'être utiles à d'autres échelles. Par exemple, la définition d'un modèle intégrant des créations d'activités nouvelles à partir des ressources spécifiques des territoires, placerait
19Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, CNASEA, CTE, Les élus au cœur du Tenitoire, exelnples de projets collectifs CTE , février 2002 20 ELIEZ A., BOURGET B., LEBLANC E., MABIT R., MORDANT 1., Rappol1 de la lnission d'audit , 5 juillet 2002 des contrats tenitoriaux d'exploitation. 21 Loi Alnénagelnent et Développetnent Durable du Tenitoire du 25 juin 1999, prévoyant en particulier la lnise en place des pays et des contrats de pays
320
l'agriculture sur des logiques équilibrées susceptibles de répondre aux objectifs du développement durable.
Références
bibliographiques
. .
BAREL Y. et alii, Territoires et codes sociaux, IREP-CEPS , 1981 BERGER S., 1975, Les Paysans contre la politique, L'organisation rurale en Bretagne, Le Seuil, Paris, 345p. . DOZIERE R., FORTIER J.C., MASTIAS J., Le nouveau Conseil Général, Les éditions ouvrières, 1985, 243 p. La Gazette des Communes, 4 mars 2002, Numéro spécial, la décentralisation 20 ,ans après, p.26 . Mairie Conseils, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, UNCPIE, L'implication des Agriculteurs dans la mise en œuvre des compétences intercommunales aménagement de l'espace et environnement, Novembre 1999, 27p.
. .
Ministère
de
l'Agriculture
et
de
la
pêche,
Ministère
de
l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, DATAR, CTE et Territoires, Guide repère, juillet 2001 . Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, CNASEA, CTE, Les élus au cœur du Territoire, exemples de projets collectifs CTE , février 2002 . OTTRIA I., Le Contrat Territorial d'Exploitation, Quel impact sur les dynamiques d'évolution locales, étude sur une petite région ardéchoise, Chambre d'Agriculture de l'Ardèche, ENESAD . PERNET F., 1982, Résistances Paysannes, collection influences, Presses Universitaires de Grenoble, 191 p.
.
M.SEBILLOTTE,
Des recherches
pour le développement
local,
partenariat et transdiciplinarité, Revue d'Economie Régionale et Urbaine, N° 3-2000 . VALCESCHINI (E), Stratégies coopératives et diversification des modèles de développement agricole, Le cas de la coopérative de Romans, Thèse de doctorat de 3°cycle, INRA-IREP - Grenoble 1983
321
Expériences de Recherche, de Développement et de Formation sur et pour le territoire Le territoire s'avère un objet qui suscite des liens entre la recherche, développement et la formation.
le
En zone vulnérable, quelles unités intermédiaires d'analyse pour l'agronome et pour le géographe? S.BELLON, P.DERIOZ,
P.BERTUZZI, A.E. LAQUES, S.V ANNIER, C.MIRAMBEAU1
Résumé La préservation des ressources en eau est un enjeu environnemental majeur, qui a souvent une dimension régionale. Afin d'étudier les relations entre pratiques agricoles et qualité des eaux dans une région classée Zone Vulnérable (Bassin de Carpentras), nous avons combiné une analyse paysagère et une caractérisation régionale des systèmes de culture. Les caractéristiques de la région d'étude justifient la combinaison de ces deux approches. L'analyse paysagère a visé à identifier des unités scalaires intermédiaires et des éléments de dynamique spatiale. Les 23 unités définies ont été regroupées selon deux critères (maillage de haies, humidité) afin de tester des relations générales entre unités paysagères et teneurs en nitrates des eaux souterraines. L'ensemble des données a été regroupé sous SIG. Les cohérences de pratiques et les modifications d'occupation du sol relèvent d'une analyse des systèmes de culture. Nous en avons caractérisés 47. Ils ont été classés selon les risques de fuites en nitrates, localisés et regroupés en unités homogènes de production. Cette analyse complète l'identification d'unités paysagères et permet de préciser leurs composantes. Des pistes sont ouvertes pour définir des voies d'amélioration des pratiques et imaginer des perspectives d'aménagement du paysage. Il s'agit en particulier d'intégrer les combinaisons de systèmes de culture (i) dans les exploitations, puisque des phénomènes de compensation ou d'accentuation de l'effet des pratiques ont été mis en évidence localement, et (ii) au niveau régional, en élaborant des termes de comparaison communs entre différents systèmes en vue de recomposer un fonctionnement régional. Abstract Water resources preservation is a key environmental issue, with a prevalent regional dimension. In order to determine the relationships between agricultural pratices and nitrate contents in groundwater, we focussed on a Vulnerable Zone (Carpentras Basin). We combined a
1 agronolnes,
INRA
91andscape analysis with a regional characterisation of cropping systems. The complexity of the studied area justifies such an approach: increasing urbanisation, overlap in activities, crop diversity, patchyness of field patterns, combinations of water flows. Landscape analysis aimed at identifying intermediate landscape units and their dynamics. As a result 23 units were defined and then agregated according to two features (edges network and humidity). General relationships between units and groudwater nitrate content where thus derived. All data were organised with a GIS. Farmers' practices and land use were characterised with cropping systems analysis. 47 cropping systems were defined and ranked according their potential nitrate leaching. They were then localised and grouped into homogeneous production units. This analysis supplemented landscape units identification and enabled us to specify their components. Consequences can be derived in terms of practices improvement and landscape development. This implies better integration of cropping systems combinations at fann and regional levels, taking into account local processes within a regional framework. Introduction Les problèmes de contamination des eaux souterraines par les nitrates sont à l'origine de travaux relatifs à la caractérisation et à la maîtrise des flux correspondants. Dans le bassin de Carpentras (Vaucluse), notre objectif était d'identifier les liens entre pratiques agricoles et qualité des eaux. La région d'étude est classée zone vulnérable depuis 1993, au titre de la Directive Nitrates (91-676 CEE), et la dégradation de la qualité des eaux souterraines est avérée. Même si, par définition d'une zone vulnérable, l'origine agricole des nitrates est mise en cause, d'autres usages sont également présents dans cette région et peuvent participer à la pollution des eaux souterraines. Il s'agit d'une région périurbaine, densément peuplée (70000 habitants environ sur 250 km2; soit 280 habitants!kln2), dans laquelle se développe un habitat dispersé en même temps qu'une déprise agricole. La population agricole compte environ 800 agriculteurs disposant d'une SAU moyenne de 15 ha. Les caractéristiques régionales (emprise croissante de l'urbanisation, imbrication des activités, diversité des cultures présentes, finesse du maillage parcellaire, complexité des flux d'eaux) nous ont conduits à élaborer une démarche spécifique (Bellon et al., 2000 ; Musset et al., 2000 ; Bertuzzi et al., 2001 ). Plusieurs disciplines et partenaires se sont associés dans ce programme de recherche: agronomes, géographes, hydrogéologues et pédologues issus de diverses institutions (Chambre d'Agriculture, Université d' Avignon, Inra). 326
Nous avons privilégié l'interaction existante entre quatre objets d'analyse: (1) les caractéristiques hydrogéologiques et géochimiques des aquifères, (2) les caractéristiques physiques du sol et du sous-sol, (3) l'occupation du sol, (4) les pratiques agricoles. Trois éléments ont pesé sur le contenu du travail et la nature des collaborations engagées. . Un programme d'actions (lié au classement en zone vulnérable), comprend un certain nombre de prescriptions obligatoires et applicables sur l'ensemble du territoire des communes concernées. Il constitue un socle administratif incontournable pour faire évoluer les pratiques agricoles. Ce programme est relayé par la Chambre d'Agriculture qui met en oeuvre des actions d'information et de communication dans le cadre d'une opératioll «Ferti-Mieux », et s'appuie également sur un réseau de techniciens agricoles opérant localement (Perrot, 1997). Dans l'objectif de conforter et de rendre plus opérationnel ce programme d'actions, nous avons opté pour la construction d'une «grille de risques », outil d'analyse des situations d'action qui perluet d'élaborer un diagnostic sur les risques de pollution par les nitrates (Sebillotte et Meynard, 1990 ; Lanquetuit et Sebillotte, 1997). Il s'agit d'une grille à double entrée qui croise systèmes de culture et milieux. Ce croisement permet d'identifier des situations prioritaires qui cOlubinent les deux types de risques (systèmes de cultures à risque situés sur des milieux sensibles). Son intérêt est lié au fait que des facteurs du lllilieu peuvent aggraver ou minorer les effets des pratiques. . Nous avons identifié les processus en œuvre à l'échelle régionale. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur la géochimie pour caractériser la qualité des eaux souterraines et sur la géographie pour les dynamiques d'organisation spatiale. La caractérisation du milieu physique a été réalisée par des spécialistes des transferts dans le sol et les nappes. L'analyse régionale de la localisation et de la combinaison des systèlues de culture est le fait d'agronomes. Dans cet article, nous rendons compte brièvement de ce diagnostic combinant différents niveaux d'analyse. Ensuite, nous montrons quels nouveaux objets et niveaux intermédiaires nous avons identifié pour articuler nos approches respectives et pour répondre à notre objectif. Nous l'illustrons simultanément par quelques résultats puis en discutons les intérêts et limites.
.
1 - D'une démarche biotechnique à une problématique spatiotemporelle Dans notre approche régionale, où les transferts verticaux sont privilégiés, le sol est l'interface principale entre les activités hUluaines et les nappes. Un 327
Système d'Information Géographique (SIG) a été utilisé comme outil de mise en forme et en relation des données. L'unité administrative correspondante à la zone vulnérable s'étend sur Il communes mitoyennes, soit 270 km2, au nord-est d'Avignon (Vaucluse, France). Elle correspond partiellement au bassin de Carpentras, dont l'hydrogéologie se caractérise par la présence de deux aquifères superposés: une nappe alluviale, principalement alimentée par les eaux d'infiltration, dont le toit se situe entre 1 et 15 mètres de profondeur; la nappe « Miocène », très importante en volume, plus profonde et plus étendue, qui constitue une ressource en eau protégée. Plusieurs études (OME, 1993 ; OME, 1996) ont mis en évidence dès le début des années 90 la contamination de ces deux nappes par les nitrates. Sur la base d'un échantillonnage dense réalisé au cours du printemps-été 1996 (680 points) et d'analyses physico-chimiques associées, une carte géochitnique de l'eau des nappes a pu être établie (Musset, 1999). Elle révèle une organisation spatiale structurée des teneurs en nitrates dans les deux nappes, les plus fortes teneurs étant localisées à l'est, et explique cette organisation non aléatoire par la conjonction de deux processus: la dénitrification et la dilution. Nous avons alors tenté de comprendre les raisons de cette structuration et ses relations éventuelles avec le relief, le sol, l'occupation du sol et les pratiques agricoles. Il apparaît que cette distribution des nitrates est clairement reliée au relief de la zone, qui peut être scindé en deux grandes unités. Une zone de terrasses et de glacis, située à l'est principalement, a une altitude comprise entre 50 et 100 m environ. Une zone basse centrale est constituée par deux plaines nord et sud, entre 30 et 50 m d'altitude. Un schéma de fonctionnement global a pu être ainsi établi, et validé localement (Bertuzzi et al., 2001). La zone de plaine est le lieu de passage obligé des eaux. Lors de leur parcours des zones hautes (conditions oxydantes) vers les zones basses (conditions anoxiques), les teneurs en nitrates des eaux de la nappe alluviale décroissent rapidement au niveau de la zone de contact avec la plaine. On constate une réduction des nitrates ainsi que le passage d'une zone oxydante à une autre réductrice. Des cartes thématiques (géomorphologie, pentes, hydrographie de surface..) mises en forme sous SIG (Mirambeau, 1997a), ont été utilisées comme éléments de représentation et parfois comme clef d'interprétation des processus (transferts latéraux, écoulement des eaux, distribution des sols). En parallèle, la carte pédologique de la zone (SCP, 1974) a été retravaillée de façon à évaluer la sensibilité des sols à l'infiltration verticale (selon Cam et al, 1996). Trois grandes classes de sensibilité ont ainsi été définies (carte Len fin d'article). La sensibilité à l'infiltration des différents types de sol explique le contraste observé au niveau de l'aération de la nappe alluviale (Musset et al., 2000). 328
Les surfaces cultivées couvrent une grande moitié de la zone étudiée, avec une forte diversité de productions (une cinquantaine). Les principales sont: la viticulture, les bois et plants de vigne, l'arboriculture, les grandes cultures, le maraîchage de plein champ et sous abris. L'identification et la localisation des systèmes de culture à l'échelle parcellaire sont nécessaires pour construire une grille de risques. Cette opération est délicate du fait des particularités de la région: nombre important de cultures, multiples combinaisons possibles dans les exploitations, variabilité des itinéraires techniques et imbrication des cultures sur le territoire. Nous avons alors utilisé deux approches complémentaires: l'une vise à caractériser des systèmes de culture et à les hiérarchiser a priori selon des risques de pollution, en intégrant leur localisation et leur combinaison dans les exploitations (Isoard, 2000 ; Bellon et al., 2001) ;
. .
l'autre privilégie une analyse plus globale des systèmes de culture, à des
niveaux intermédiaires entre parcelle et région entière (Caussanel, 1996 ; Philibert, 2001). Dans la suite du texte, nous rendons compte de la seconde approche et montrons comment elle contribue à l'élaboration d'une grille de risque (~ 4.).
2 - Unités paysagères et requêtes orientées A - Construction d'une carte des paysages La construction des types de paysage (Wieber et Brossard, 1980; Dérioz et Laques, 1996) repose sur l'inventaire des composants (nature des éléments visuels du paysage) et la mise en évidence des structures paysagères (lignes organisatrices, modes d'agencement des composants). L'identification d'indicateurs paysagers témoignant de dynamiques spatiales complète cette démarche et permet de caractériser l'ambiance paysagère de chaque type, synthétisée sous la forme de modèles graphiques inspirés de la chorématique (Brunet, 1980). La délimitation des unités paysagères s'opère alors par le degré de conformité à l'un ou l'autre de ces modèles des secteurs observés. Entre les différentes unités, le changement de type est parfois franc, mais il peut aussi être plus flou, ou plus graduel. Les indicateurs de dynamiques (friches, arrachages, chantiers...) et leur interprétation (consultation des P~S, rencontre des acteurs...) ont permis de préciser pour certaines unités la stabilité de leurs limites et leurs mutations internes (devenir de certaines friches, par exemple...). 23 types paysagers ont ainsi été identifiés, que l'on peut regrouper en 3 grandes familles de paysages agraires. Il s'agit des bocages, des grandes plaines et des marges, dont l'extension est variable (carte 2). Des paysages transitoires ont également été mis en évidence. Ils 329
témoignent du changement d'activité (agricole 7urbain par exemple) ou de nature d'une activité (maraîchage7 grandes cultures). Un signe de ces transitions paysagères est la présence d'éléments reliques (e.g. réseau bocager dans un secteur viticole), en particulier dans des secteurs où les limites des grands paysages sont floues. B - Requêtes et interprétations
en rapport avec les ressources en eau
A partir des 23 types de paysages nous avons cherché à faire des regroupements en unités paysagères sur la base de facteurs pouvant jouer un rôle sur le cycle de l'azote. Les facteurs retenus sont le maillage du paysage (Merot et Reyne, 1996) et I'humidité des terrains. Le maillage est défini à partir de 2 éléments visuels du paysage: la proportion et la nature des structures linéaires boisées (les haies pour leur rôle de zone talnpon, la taille des parcelles permettant de mesurer la densité du maillage). L'humidité a été identifiée sur le terrain par la présence de végétations indicatrices (peupliers, saules, haies composites..) et d'aménagements hydrauliques (digues, densité des fossés et canaux, systèmes d'irrigation: gravitaire, aspersion...) ; certains toponymes (<<paluds ») servent par ailleurs de révélateurs. Ces deux facteurs ont été notés de 1 à 10 pour chacun des types de paysage. La figure 1 (en fin d'article) montre comment à partir des deux facteurs nous avons discriminé 4 grandes unités paysagères. Ceci permet une lecture ciblée du paysage, qui peut être confrontée à d'autres couches d'information (distribution des teneurs en nitrates, sensibilité des sols à l'infiltration verticale..). Ainsi, nous présentons (Figure 2) un .exemple de croisement entre type paysager et teneurs en nitrate dans les aquifères. La distribution des teneurs en nitrate (figurées en abscisse, et résultant de la campagne 1996 de prélèvement d'eau) est très contrastée. Les faibles teneurs dominent dans les «paluds» (intégrés dans les paysages humides) alors que les fortes teneurs sont plus fréquentes dans les « bocages maraîchers» (intégrés dans les paysages bocagers irrigués).
330
Figure 2 : Distribution des teneurs en nitrates dans deux unités paysagères L'approche précédente a été complétée par un test d'indépendance statistique (X2) (Mirambeau, 1997a). Afin de mettre à jour la part de responsabilité de certains types d'occupation du sol (urbain compris) dans la qualité des eaux souterraines, il fallait s'affranchir du bruit statistique lié au déséquilibre des effectifs par classe (déséquilibre des distributions marginales). En effet, la répartition des prélèvements d'eau n'étant pas homogène dans l'espace, certaines unités paysagères sont sous-représentées. Un nouveau regroupement des paysages a alors été réalisé en tenant cotnpte des distributions marginales du tableau de contingence et de certaines caractéristiques des paysages (maillage, type de culture dominant et niveau d'intensification). Le résultat global de dépendance du test est surestitné du fait de la répartition des objets géographiques et de la surface de chaque paysage. Ainsi, le maraîchage est souvent considéré cotnme premier vecteur de pollution des eaux souterraines, ce qui a en partie justifié le classement de cette région en zone vulnérable. Les distributions des nitrates dans le bocage maraîcher (Figure 2) et leur forte dépendance (en particulier pour les teneurs
> 50 mg/l) dans le test du X2(valeur moyenne ==4,38) semblent confirmer cette tendance. Ces bocages concernent 14% des prélèvements d'eau et occupent 12% de la région d'étude. Cependant, ils sont spatialement très structurés, c'est à dire quasiment répartis en un seul bloc (Carte 2). Pour les unités paysagères peu morcelées, d'autres causalités peuvent être invoquées 331
et il est difficile de savoir si une autre répartition spatiale de ces unités donnerait la même distribution des teneurs en nitrate.. Des traitements géostatistiques plus poussés semblent nécessaires pour compléter cette analyse, qui n'a pas permis de conclure sur des corrélations mais plutôt sur des tendances. 3 - Définition d'unités grille de risques
homogènes
de production
et construction
d'une
L'analyse précédente introduit une dimension en terme d'organisation et de dynamiques spatiales. Elle montre qu'il existe une structuration de l'agriculture du bassin de Carpentras, fonction de la nature des cultures et de leur association sur des portions de territoire. Cependant les découpages en unités paysagères et leurs regroupements orientés ne permet ni de rendre compte de façon suffisamment précise de l'activité agricole du bassin de Carpentras, ni de construire une grille de risque. Pour répondre à cet objectif, notre méthodologie a également consisté à se placer à une échelle intermédiaire d'analyse, en identifiant des entités homogènes de production. Dans l'agenda du projet, ces étapes sont intervenues en aval de l'analyse paysagère afin de cerner plus précisément les questions liées aux pratiques agricoles et d'aboutir à des propositions opérationnelles en terlne de développement agricole. Nous avons procédé en deux temps. Au cours d'une première phase, le regroupement et le croisement de données précédemment acquises a permis d'établir une délimitation provisoire d'unités homogènes de production. Ces données concernent la localisation et les surfaces des cultures (données PAC 2000, OME 1996 ; données Onivins 2000, Sanchez 2000), les pratiques des agriculteurs obtenues par voies d'enquêtes (Faidix, 1995; Isoard, 1998; Calmet, 1999), la carte des paysages (Mirambeau, 1997b), la carte pédologique (SCP, 1974). Dans une seconde phase, des enquêtes complémentaires ont été menées auprès d'experts locaux et d'agriculteurs, afin d'une part de valider les unités proposées et d'en clarifier les litnites, d'autre part de les renseigner plus finement en terme de cultures, de successions et d'itinéraires techniques. Le maraîchage de plein champ, qui restait le plus méconnu, a été étudié en particulier (Guilleman, 2001). Ce découpage permet de structurer le bassin de Carpentras en 20 unités homogènes de production, définies par la localisation sur le territoire des principales combinaisons de cultures présentes (carte 3). En cOlnplétant cette information par les successions dominantes et les itinéraires techniques associés, nous avons caractérisé 47 systèmes de culture. La nécessité de comparer et de hiérarchiser des systèmes très divers nous a conduit à l'élaboration d'une «grille de classes de risques». Elle est basée sur Il 332
indicateurs, relatifs à : la fertilisation des cultures, l'irrigation, l' interculture, les résidus de récolte et 1'histoire culturale (Philibert, 2001). Connaissant la part relative des systèmes de culture dans chaque unité homogène de production, le croisement des unités homogènes et des classes de sensibilité du sol à l'infiltration verticale permet de localiser les systèmes de cultures par type de milieu et d'évaluer l'extension (en surface) de chaque « couple» dans le bassin de Carpentras. Nous présentons un extrait de cette grille de risque (Tableau 1), pour quelques successions de cultures contrastées. La part de chaque succession a été estimée afin d'analyser la répartition des risques de pollution azotées et de cibler les actions de développement ou de communication (<
333
MILIEUX (Mi) HIERARCHISES SELON LEUR SENSIBILITE A
L'INFIL TRA TION SUCCESSIONS DE CUL TURE
M2
Ml (Note moyenne de sensibilité à l'infiltration équivalente = 0) surface esti1née en
(Note moyenne de sensibilité à l'infiltration équivalente = 5) surface esti1née en ha
M3 (Note moyenne de sensibilité à l'infiltration équivalente = 10) surface esti1née en ha
ha
HIERARCHISEES SELON LEUR NIVEAU DE RISQUE GLOBAL Pommier Faibles Apports N Printemps)
Blé-BléTournesol Fraise-Blé-BléTournesol-Blé-
TournesolMelon-Courgette (sous abris) Fraise-MelonMelon (sous abris) Melon- Melon"N avet" -Carotte (plein champ)
.
TOTAL >H
2157 ha
8320 ha
3545 ha
Risque faible
::::::::::::::::::I:::::I::::::;:::::::::::::: Risq
u
e
ID
oyen
Risque fort
Tableau 1: Extrait d'une grille (Chambre d'Agriculture, 2001)
de risque
334
el1 COlntat Venaissin
4 - Discussion A
- Sur
et perspectives
l'analyse paysagère
La carte des paysages fournit une description de l'espace à une échelle intermédiaire, à la fois multi-critère et multi-temporelle. Elle a permis de poser les premières bases d'une réflexion partageable par plusieurs disciplines, de vérifier que certains secteurs sont plus sensibles en raison de la présence de cultures comme le maraîchage, que leur répartition et leur organisation jouent également un rôle, et qu'il existe des facteurs aggravants ou minorants. Ensuite, les croisements opérés à l'aide d'un SIG et les tests statistiques sont venus infirmer l'hypothèse d'une mise en cause exclusive de l'activité agricole, et du maraîchage en particulier, sur la pollution des eaux souterraines. Ainsi, une attention particulière a été portée sur: (i) certaines unités telles que le bocage maraîcher (où une cartographie des haies et des serres a été réalisée) ou les bocages hétérogènes (zones transitoires où les dynamiques sont importantes), (ii) certaines cultures peu référencées, telles que les pépinières viticoles. Un travail complémentaire a été réalisé en collaboration avec l'Onivins2 pour inventorier, au moyen d'un SIG dédié, l'évolution temporelle de la localisation des pépinières et leur emprise spatiale. Les changements d'échelle correspondant aux regroupements successifs d'unités paysagères ont permis d'adapter les représentations géographiques à la problématique de recherche et à l'acquisition de données par d'autres disciplines. Cette confrontation a favorisé certains traitements informatiques ou statistiques qui permettent une généralisation (ou un questionnement) des connaissances produites. Un enjeu est alors de mettre davantage de contenu dans « l'objet géographique» présent dans le SIG, afin d'éviter l'éclatement spatial des objets géographiques, de favoriser une meilleure compréhension des phénomènes, de renseigner sur la dynamique spatiale et les liens entre activités, mais aussi entre composantes d'un territoire. Cependant, le paysage ne permet pas un retour suffisamment précis en terme de systèmes de cultures. Il s'agit d'une échelle d'analyse et de compréhension (petite région) et non une échelle d'action (parcelle ou exploitation). Une réflexion est à engager sur l'articulation de ces deux échelles de travail, principalement pour des raisons d'actualisation (de l'information) et de suivi (évaluation des actions menées sur le terrain). En effet, l'unité paysagère permet, à l'aide d'indicateurs visuels simples, d'appréhender les dynamiques d'utilisation de l'espace, voire les expliquer ou les anticiper. Pour faciliter l'actualisation et l'impact d'interventions sur 2 Office National
Interprofessionnel
des Vins
335
le territoire étudié, la cartographie des dynamiques paysagères est une piste à explorer. L'observatoire des dynamiques intra et inter unités doit reposer sur la définition d'indicateurs pertinents, leur positionnement (sur des limites paysagères floues, sur les frontières franches, dans les unités transitoires, au cœur des unités « stables») et leur actualisation. B - Sur la grille de risques et les unités homogènes
de production
Les produits attendus de la construction d'une grille de risques étaient triples: . finaliser un diagnostic qui permette de mieux cibler des actions de développement, sur des secteurs et des systèmes de culture prioritaires en terme de risques de fuites de nitrates vers les eaux souterraines. Dans la zone vulnérable du bassin de Carpentras, les coteaux situés à l'Est semblent prioritaires en terme d'actions de développement puisqu'ils combinent à la fois les systèmes maraîchers les plus à risques sur les sols les plus sensibles (sols bruns calcaires et fersiallitiques très peu épais et très riches en éléments grossiers). La construction d'une grille de risques permet cependant de faire apparaître d'autres situations prioritaires, de hiérarchiser les moyens d'action et d'identifier des lacunes en Inatière de connaIssances. faire partager ce diagnostic par l'ensemble des partenaires (agriculteurs, prescripteurs, financeurs, contrôleurs) de façon à justifier études complémentaires et actions de cOlnmunication (dans le cadre de l'opération « Ferti-Mieux » relayant le programme d'actions et adoptant les principes de construction d'une grille de risques). disposer d'un outil de suivi et d'évaluation des modifications de pratiques des agriculteurs.
. .
La méthodologie mise en œuvre, si elle permet de répondre de façon satisfaisante aux deux premiers objectifs, ne répond que partiellenlent au troisième. L'approche en terme d'unités homogènes de production (Carte 3) permet de réduire l'incertitude de localisation des systèmes de culture. Cependant, la surface attribuée à chaque couple «système de culture milieu» relève d'une approximation qui ne permettra pas, sauf changement très important, d'apprécier les modifications de pratiques culturales et d'utilisation du territoire, alors qu'elle est suffisante pour identifier les zones prioritaires d'action pour réduire les risques. Par ailleurs, même si l'identification de telles unités homogènes permet de cibler certaines interventions, il n'en demeure pas moins que les producteurs combinent souvent plusieurs systèlnes de culture (certaines cultures étant communes à plusieurs successions) et que les territoires d'exploitation 336
peuvent traverser plusieurs unités homogènes. En corollaire, il serait nécessaire de croiser les unités homogènes avec la localisation des exploitations agricoles. Enfin, les références sont rares pour ce qui concerne les coûts afférents à une relocalisation ou une redéfinition des systèmes de culture. C - Sur les termes de passage entre ces deux types d'unités Le passage par des échelles intermédiaires est commun aux géographes et aux agronomes. Elles ne sont pas des entités d'action mais des Inoyens de diagnostic et de compréhension. Ces moyens repositionnent des interfaces entre disciplines et partenaires. La démarche que nous avons mise en œuvre s'apparente à celle proposée par Deffontaines et Thinon (2001), qui distinguent unités agronomiques et agro-physionomiques. Les domaines d'application sont différents, mais dans un cas comn1e dans l'autre, nous arrivons à la même conclusion: le lien de correspondance entre l'objet géographique et l'objet agronomique reste à faire. Si le système de culture se présente comme une clef d'interface entre ces objets, il doit également être resitué dans un territoire plus vaste. Ce lien entre analyse agronomique et analyse paysagère devrait enfin permettre de préciser des indicateurs et de mettre en place un dispositif de suivi des changelnents techniques.
Références bibliographiques Bellon S., Bertuzzi P., Musset J., Varu1ier S., Laques A.E., Mirambeau C., Derioz.P. 2000. Approach of groundwater nitrate pollution in a small mediterranean region. In W. Doppler & A. Koutsouris A. (Eds.) Third European Symposiun1, « Rural Farmong Systeln Analyses: Environn1ental Perspectives ». Hohenheim, RFA, March 25-27, 1998,38-47. Bellon S, Lescourret F., Calmet. J.P., 2001. Characterisation of apple orchard management systems in a French mediterranean vulnerable zone. Agronomie 21,203-213. Bertuzzi P., Bellon S., Vannier S., 2001. Projet sur le COlntat Venaissin Pour l'Environnement (Procope). Rapport d'activités 1999-2000. INRA Avignon Brunet R., 1986. La carte-modèle et les chorèmes. Mappe-Monde n04, 26. Calmet, 1999. Caractérisation et localisation des systèlnes de culture des exploitations productrices de pommes du bassin de Carpentras. Mén10ire de fin d'études INA Paris-Grignon, Paris.
337
Cam C., Droger D., Moulin J., Rassineux J., Servant J. 1996. Représentation cartographique de la sensibilité des sols à l'infiltration hydrique verticale. Etude et gestion des sols, 3: 97-112. Caussanel V., 1996. Identification et localisation des systèmes de culture des exploitations du Comtat Venaissin. Evaluation de leur contribution potentielle à la pollution des nappes. Mén10ire DAA INA-PG. Deffontaines J.P., Thinon P., 2001. Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environenmentaux et paysagers. Contribution à une agronomie du territoire. Courr. Env. INRA na 44, 13-28. Derioz P., Laques A.E., 1996. Inventorier, analyser et évaluer le paysage: à la recherche d'une méthode. Réalisation d'un inventaire paysager préalable à la mise en œuvre d'une Opération Locale Agri-Environnementale en Haut-Languedoc. Actes Avignon, n09, 67-75. Diren, 2002. Synthèse bibliographique des connaissances sur l'aquifère Miocène du Comtat Venaissin (dépts 84 et 26) et inventaire bibliographique des ouvrages existants. Etude réalisée par G. Mallessard et Hydrosol Ingénierie. Faidix K., 1995. Analyse des pratiques culturales à risques en maraîchage pour la qualité des eaux souterraines du Bassin de Carpentras. Ménl0ire de fin d~études ENSAM, Montpellier. Garcia B., 1996. Etude des mécanismes de distribution spatiale des formes minérales de l'azote dans un aquifère. Application à la plaine alluviale méditerranéenne de la Vistrenque (Gard ,France). Thèse doctorat de l'ENGREF, spécialité: Science de l'eau. Guilleman E., 2001. Caractérisation et évolution des systèmes de culture en maraîchage de plein champ (Zone Vulnérable du Comtat Venaissin). Mémoire 2è année INAPG. Isoard S., 2000. Caractérisation des conduites en viticulture et de leurs impacts sur les eaux souterraines dans la zone vulnérable du bassin de Carpentras. Mémoire de fin d'études INA Paris-Grignon.
Lanquetuit D., Sebillotte M., 1997 - Protection de l'eau. Le guide FertiMieux pour évaluer les modifications de pratiques des agriculteurs, ANDA, Paris. Merot P., Reyne S., 1996. Rôle hydrologique et géochimique des structures linéaires boisées. Et. et Rech Syst. Agr. et Dév. N° 29, INRA Paris, 83-100. Mirambeau C., 1997a. Apports d'un Système d'Information Géographique (SIG) pour l'étude des relations entre l'occupation du sol et la teneur en nitrates des nappes phréatiques. Zone Vulnérable du Comtat Venaissin, INRA Avignon Ecodéveloppel11ent. Mirambeau C., 1997b. Dynamiques d'évolution dans l'occupation des sols et mutations paysagères en Comtat Venaissin. Mémoire DEA « structures et dynan1iques spatiales », Avignon. 338
Musset J., 1999 Déterminisme de la distribution spatiale du nitrate dans un système d'aquifères. Application à une petite région agricole méditerranéenne (Comtat-Venaissin, Vaucluse, France). Thèse de doctorat option Sciences de la Terre. Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse (Avignon, France). Musset J, Bettuzzi P., Puig J.M., Bellon S., Vannier. S. , 2000. Influence des facteurs physiques et humains sur les teneurs en nitrates des eaux souterraines dans une petite région agricole méditerranéenne. diagnostic et approche multidisciplinaire des mécanislnes. Colloque « Eaux souterraines en région Agricole (ESRA) », 13-15/9/ 2000, Poitiers. OME (Observatoire Maraîchage Environnelnent), 1993. Connaissance générale du Bassin de Carpentras- (Vaucluse) Ed. Chambre d'Agriculture de Vaucluse. 122 p. OME (Observatoire Maraîchage Environnement), 1996 Synthèse des résultats 1992-96 (Bassin de Carpentras- Vaucluse) Ed. Chanlbre d'Agriculture de Vaucluse. 120 p. Perrot N., 1997. Les prescripteurs agricoles du bassin de Carpentras face à la protection des eaux souterraines. Chan1bre d'Agriculture du VaucluseEHESS Marseille. Philibert B., 2001. Mise en place d'une méthodologie pour l'élaboration d'une grille de risques de lessivage des nitrates en région méditerranéenne. Mémoire de fin d'études INA Paris-Grignon, Paris. Sanchez J., 2000. Relaciones entre las practicas agricolas y la contaminacion de las aguas subterraneas en Comtat Venaissin, con el objetivo de realizar una « grille de risques ». Mén10ire de fin d'études ESA Angers, prog. EraSlnus avec l'Université de Panlpelune. SCP, 1974. Aptitude pédologique des sols à la mise en valeur. Carte pédologique à 1/50000. Atlas 3 secteur Sud-Ouest. Société du Canal de Carpentras. (carte réalisée par Duclos et Souleillet). Sebillotte M. et Meynard J.M., 1990. Systèmes de culture, systèmes d'élevage et pollutions azotées. Colloque Nitrates-Agriculture-Eau, INAPG, Ed. INRA. Wieber J.C., Brossart T., 1980. Essai de formulation systémique d'un mode d'approche du paysage. BAGF n° 468/469.
339
CARTE 1. SENSIBILITÉ DES SOLS À L'INFILTRATION
Classes de sensihilité des sols à l'infiltration Sols non classés ~'::'::! Sols peu scnsiblcs m Sols moycnncmcnt !II Sols très sensiblcs
à scnsibles à
à
2,5 kilomètres
!J'après
340
Bertll~~i et l'hifihert
(200/)
CARTE 2. LES GRANDES UNITÉS PAYSAGÈRES du BASSIN de Carpentras
Paysagc
arboricolc
: Bocagc viticolc ::/:: Bocages M Pctits palus légumicrs Il Micro paysagcs 11IIPaysages naturcls
. Palus
181 Zoncs urbaincs Il Pctits palus dc vcrgcrs ill! Vigncs ct vcrgcrs . Paysages viticolcs
o
2,5
5
kilomè~ D'après
341
Cécile Miralllheal/
CARTE 3.LES ENTITÉS HOMOGÈNES
Typologie
des elltités
El ŒJ El [gJ
Cultures légumières Grandes cultures Maraîchage Mixte
~ ~
Mixte: Mixte:
DE
Les productiolls
vergers et grandes viticulture et grandes
o Prairies fill Vergers . Viticulture
prillcipale,~
GC : grandes cultures MSA : maraîchage sous MPC : maraîchage plein VI : viticulture VM : vigne mère : pépinières de vigne l'El' VE : vergers
2,5 kilomètres D'après
Figure 1. Regroupen1ent des paysages agricoles selon les critères maillage & humidité
342
B. Plriliberl
(200 I)
Codage des Ullités paysagères: ANCB = Anciens bocages BMAR
BVITI = Bocages viticoles
= BOCAGES MARAICHERS
VV = VIGNES ET VERGERS
CEREA = Plaines céréalières HERB = HERBAGES BB = Bois et garrigues LAND = Landes PVITI = Paysages viticoles
BML = Bocages à maille plus large BETE = BOCAGES HETEROGENES PPL = Petits palus légumiers PPV = Petits palus de vergers MICRO = Succession de micro-paysages ARBO
= PAYSAGES ARBORICOLES
Maillage
~
RIPISY
--
'BM
-......
ARC
,
BML
8
I
,.
7
~",..,',.
= RIPISYL VES
,,'''''''''''''''''' <'\"'<
".."".."",>,,,'
5
... ..
\
4 3 2 1
o
VV
,
MIC RO
<'/~PL
AR BO ,","
""
PPV
BVIT ,<>",..,,"""""
"'''''''Ï"''''''''
i~ ~:~
<~::"'"''''
. :. ............. ..... ,
1
2
'. '''''''''N:-:-::"
""
: BG LA ND
.",~"",,:=-"
PVITI
3
4
5
343
6
7
8
Hunlidité
Maillage: 1 = ouverture maximale (ni haies, ni arbres, grandes parcelles) 2 = sans maillage, fermé (végétation dense, parcellaire non visible) 3 = quelques haies/arbres, grandes parcelles 4 = haies espacées, parcelles moyennes à grandes 5 = haies espacées, parcelles moyennes 6 = haies serrées, parcelles moyennes à petites 7 = haies serrées, petites parcelles
Humidité: 1 = très sec, sans irrigation 2 = sec, sans irrigation 3 = sec, irrigué par gravité 4 = tendance sèche, très irrigué (gravité/aspersion) 5 = moyennement humide, irrigué 6 = humide, drainé/irrigué 7 = très humide, drainé 8 = très humide, inondable
Caractérisation des paysages selon ces deux critères (maillage x humidité)
.........
Paysages de collines (secs)
__ __ ~
Paysages bocagers (irrigués)
~
Paysages humides
Paysages de transition
344
L.agriculture périurbaine à la croisée des territoires. Situation et enjeux autour de Montpellier Françoise JARRIGE1
Résumé La nécessaire cohérence territoriale des nouvelles agglomérations impose d'intégrer les espaces agricoles au projet urbain et la durabilité de l'agriculture périurbaine tend à devenir un enjeu de société dépassant les frontières du monde agricole. Pour l'étudier, nous combinons les facteurs d'analyse sectoriels et territoriaux, les niveaux individuels et collectifs de décision. Cette démarche est appliquée au cas montpelliérain où les investigations, menées à l'échelle d'entités intercommunales, révèlent une grande diversité de situations. La viticulture, spécialisation historique, demeure la principale production tout en connaissant d'importantes différenciations. L'antagonisme entre la stratégie patrimoniale des anciens agriculteurs en situation de rente foncière et le projet de production des candidats à l'installation peut expliquer les difficultés des organisations professionnelles agricoles à émettre des orientations politiques fortes pour le maintien de l'agriculture périurbaine. En matière de gouvernance territoriale, la position des élus locaux diverge notamment sur la part de "ruralité" revendiquée. L'agriculture est néanmoins globalement appréciée dans les territoires périurbains pour ses impacts directs -vente de produits, prestations de services- ou indirects -extemalités paysagères. Dans le but de prolllouvoir des formes d'agriculture durable autour de Montpellier, plusieurs préconisations ont été faites: action foncière, aide à la vente directe des produits, prise en compte des activités innovantes, amélioration des pratiques pour une meilleure protection de l'environnement... Dans une perspective de durabilité de l'agriculture périurbaine, la concertation territoriale ne doit pas porter que sur le zonage des documents d'urbanisme et le partage de la rente foncière, mais sur de réels projets de territoire dans lesquels les agriculteurs ont un rôle à jouer. Mots-clés: agriculture périurbaine, rente foncière, stratégie, patrimoine, système productif, gouvemance territoriale, intercommunalité, viticulture.
1
UMR Im10vation.
ENSAM.
2 Place Viala. 34 060 Montpellier
cédex 01. [email protected]
Abstract The sustainability of agriculture in urban fringes. Situation and stakes around Montpellier (South France). The necessity of territorial coherence in new urban districts implies the integration of agricultural areas in urban plannification. The sustainability of agriculture in urban fringes becomes a stake beyond the agricultural world. It is studied through sectorial and territorial approaches, combining individual and collective levels of decision-making. Applied to the Montpellier area, it shows a wide range of situations. Viticulture, the historical agriculture specialization, remains the main production, while incorporating great differentiations. The antagonism between the patrimonial strategy of old farmholders, in a position of ground rent, and the professionnal project of would-be (young) farmers may explain the difficulties faced by professionnal agricultural organizations to make strong political propositions to protect agriculture in urban fringes. Concerning territorial governance, local representatives differ on many issues. Though agriculture is generally considered as a positive territorial component in urban fringes, both for its direct contributions -sale of products, services- as for its indirect contributions -landscape. In order to promote forms of sustainable agriculture, several recommandations were made: land management, support of direct sale and innovative activities, improvement of agriculture practices for a better environment protection... Aimed at the sustainability of agriculture in urban fringes, territorial concertation should not be reduced to zoning and land ground sharing, but should focuse on real collective projects in which farmers have a role to play. ](ey words: agriculture, urban fringe, ground rent, strategy, patrimony, production system, territorial governance, viticulture.
Introduction Les zones périurbaines peuvent être considérées comme des laboratoires d'expérimentation du devenir des espaces ruraux, par leur caractère "de frontière", en première ligne de la rencontre entre ville et campagne (1,2,3). Que deviennent les activités agricoles en situation périurbaine ? Quels y sont les enjeux sur le foncier? Comment sont élaborées les politiques d'aménagement des espaces périurbains ? Nous nous proposons d'exposer ici les bases d'un nouveau cadre d'analyse pour aborder ces questions et de l'illustrer à partir de premiers résultats autour de Montpellier (voir aussi 7 et 6). Le recul des terres agricoles face à l'urbanisation en lIe de France est un processus ancien et intégré dans la stratégie des agriculteurs. La prise en compte de l'agriculture y est aussi plus fréquente dans les politiques locales 346
(4,5). Plus récentes dans le Midi, les orientations d'aménagement concerté à l'échelle intercommunale se développent face aux incitations légales et sous la pression de la croissance démographique, entraînant une urbanisation rapide. La création de la communauté d'agglonlération de Montpellier (fin 2001) a été l'occasion d'engager une réflexion de "projet de territoire" dans plusieurs collectivités autour de l'ancien district. Dans ce contexte, nous avons pu établir en 2001 un protocole d'étude dans le cadre d'un partenariat inter-institutionnel. Les objectifs consistaient à établir un diagnostic "agri-urbain", faisant le point de la situation, des enjeux et des projets agricoles, et à dégager des propositions pour favoriser la durabilité de l'agriculture périurbaine grâce à son intégration dans la dynamique territoriale. Une synthèse des principaux résultats de ces premières investigations, complétées de diverses analyses est proposée ici, après la présentation de notre cadre d'analyse. 1 - Comment appréhender la durabilité de l'agriculture périurbaine? Un cadre d'analyse combinant dimensions territoriales et sectorielles En cohérence avec le principe de "développement durable" mis en avant dans la dernière loi d'aménagement du territoire, nous avons choisi de poser la question en terme de durabilité de l'agriculture périurbaine et de l'aborder par une approche pluri-disciplinaire. Nous avons travaillé en interaction avec les décideurs locaux et les représentants professionnels. Les zones d'étude correspondent à des unités de gouvernance territoriale. Ces trois collectivités en périphérie du district de Montpellier étaient concernées par la perspective d'intégration à la future communauté d'agglomération, un des principaux enjeux des élections municipales de 2001. Une condition nécessaire à la durabilité de l'agriculture réside dans la viabilité économique des activités agricoles. Celle-ci s'analyse à différents niveaux, par l'articulation des données sectorielles et des stratégies individuelles d'exploitants. La dynamique des filières agricoles à prendre en compte intègre les tendances de marché et le rôle des organisations professionnelles ainsi que les politiques publiques de régulation sectorielle portant sur les structures de production ou sur le fonctionnement des marchés agricoles. Au niveau du devenir des exploitations agricoles individuelles, le principal facteur déterminant réside dans l'analyse de la rente foncière (8), avec l'alternative entre différentes valorisations agricoles ou para-agricoles (en faire-valoir direct ou en location) et la vente en terrain à bâtir pour le propriétaire. Ce calcul économique est à situer en fonction du cycle de vie et des composantes productives et patrÜnoniales de la stratégie de l'exploitant agricole. 347
La stratégie professionnelle des exploitants agricoles face aux Inutations du contexte périurbain est appréhendée dans une optique prospective: routine, adaptation, pro-action. La question de l'innovation est centrale et peut concerner tant les secteurs d'activités agricoles "traditionnelles" que des dimensions multifonctionnelles spécifiques à l'agriculture périurbaine. La démarche pour étudier la durabilité de l'agriculture autour de Montpellier a combiné plusieurs outils et thèmes d'investigation, de manière adaptée à chacune des zones: zonage des territoires; analyse des structures et des marchés fonciers; étude de la pression d'urbanisation; identification des enjeux de développement urbain, des demandes sociales à l'agriculture; précision de la situation et des dynamiques agricoles par des entretiens auprès d'experts, des enquêtes sur échantillons d'exploitants (typologies d'exploitations, caractérisation des principaux projets agricoles individuels ou collectifs). Les études menées sur les trois territoires intercommunaux ont été conduites en parallèle et les résultats restitués et discutés avec les partenaires. 2
- Aperçu des dynamiques territoriales autour de Montpellier
La région Languedoc Roussillon, dans sa partie littorale, est marquée par une dynamique démographique soutenue -due à un solde migratoire élevéqui, associée au tourisme balnéaire, engendre une forte pression d'urbanisation. Le développement d'infrastructures de communication et d'équipements d'envergure européenne vient renforcer cette elnprise croissante sur l'espace (6) . Notons aussi la présence d'espaces naturels remarquables (garrigues, littoral). En fonction du degré d'urbanisation (décroissant) et de la présence d'infrastructures d'équipement, on peut procéder à la présentation rapide de la problématique territoriale des trois zones étudiées. Le Pays de l'Or rassemble cinq COlnmunes au Sud-Est de Montpellier, autour de Mauguio. Ce territoire est marqué par la présence de nombreuses infrastructures et autres contraintes spatiales. L'histoire agraire montre une succession de cycles qui ont conduit à une agriculture très diversifiée, fortement différenciée des tendances départementales ces 20 dernières années. La viticulture a régressé, elle est devenue minoritaire par rapport aux autres productions: maraîchage, céréale, élevage (13). Le proj et territorial paraît peu avancé en Pays de l'Or où l'opposition à l'adhésion à l'Agglo de Montpellier semble avoir monopolisé la réflexion. La Inultiplicité des enjeux de développement local (gestion de la croissance délnographique, développement des infrastructures de transport et des zones d'activités, protection des milieux naturels...) ne favorise pas la prise en considération de l'agriculture, dont les représentants sont dispersés, voire en concurrence. 348
La cohérence territoriale du Pays de l'Or se voit finalement décomposée fin 2001 avec sa partition lors de la constitution de l'Agglo de Montpellier (dont font partie deux communes sur cinq). Le SIVOM "entre Vène et Mosson" regroupe huit communes à l'Ouest de Montpellier. Son territoire s'étend sur une plaine viticole entre deux collines. La forte croissance démographique est répartie sur les différents villages mais l'activité reste très polarisée par Montpellier. On observe une urbanisation de la plaine où la SAD régresse alors que s'opère une légère reconquête viticole sur les collines (zone d'Appellation d'Origine Contrôlée). L'agriculture à dominante viticole se caractérise par des structures traditionnelles (petites, familiales, en faire- valoir direct) en cave coopérative; il existe aussi des domaines viticoles (caves particulières). La réflexion collective est bien engagée depuis quelques années sur un projet de développement territorial, selon des axes qui entérinent la croissance démographique et l'intégration au pôle Inontpelliérain. S'il existe une hétérogénéité des politiques communales d'urbanisation, la préservation de la qualité de vie ainsi que des espaces naturels et agricoles apparaît comme une priorité partagée des élus du SIVOM. Cette vocation de "poumon vert périurbain" s'associe à la volonté de conserver" l'identité rurale", définie ici par une composante sociale avec la "présence d'une population résidente ayant une activité professionnelle sur son lieu de résidence" et par une dimension paysagère "Inaintien de l'habitat groupé, la présence de cha111ps cultivés et d'espaces naturels entre les villages" (12). Ce territoire de l'ouest montpelliérain présente une zone d'enjeux emblématiques liés à la proximité du pôle urbain. La menace d'implantation de la décharge de l'Agglo de Montpellier a suscité une réaction locale unanime de rejet, et l'idée d'un contre-projet d'aménagement agricole, visant à valoriser cet espace de garrigue... et à lui conférer une vocation écartant définitivement le retour de la menace de décharge. Ce consensus local s'est vu mis à mal par deux nouveaux types d'opposition: un premier conflit ouvert opposant deux projets de parc de loisir, le "grand" parc tropical porté par un élu, le "petit" jardin méditerranéen porté par une association; un deuxième conflit plus latent, concerne les priorités territoriales du SIVOM, entre la mise en valeur des coteaux "incultes" ou la consolidation de l'agriculture de plaine, fortement menacée par l'urbanisation... Malgré les conflits soulevés, le projet territorial du SIVOM traduit une politique volontariste et innovante. Il apparaît cependant encore largement porté par les élus, avec un écho limité dans la population et une faible implication des représentants socio-professionnels, notamment agricoles. La communauté de communes "Vignes et Pierres" recouvre une aire territoriale discontinue de six communes, en troisième couronne au Nord-Est de Montpellier. On y assiste à un début de boom démographique. Sur le plan agricole, ce territoire encore très rural est dOlniné par une viticulture 349
"modernisée", autour de deux caves coopératives dynamiques. D'autres zones sont au contraire gagnées par la friche. Des espaces remarquables anciennes carrières et garrigues - sont encore peu mis en valeur. Au sein de la communauté de communes Vignes et Pierres, on observe une bonne collaboration entre les élus et les représentants agricoles, selon un mode de gouvernance locale encore très rural (10). Le projet territorial émergent porté est marqué par le poids des acteurs viticoles, avec la volonté de conserver" la ruralité du territoire". Celle-ci est définie par le président de la communauté de communes par" le dynanlisnle des activités écononliques traditionnelles (viticulture et exploitation de la pierre de taille), un environnement paysager traditionnel (des villages de taille IÙnitée et un paysage viticole non ntité par l'urbanisation et les friches), un esprit et une vie de village basés sur la convivialité et les traditions (fêtes votives...)" (11). L'habitat groupé est privilégié. Sur la commune de St Geniès, les zones agricoles sont strictement inconstructibles mais un "lotissement agricole" a été réservé à proximité de la cave coopérative pour la construction des bâtiments d'exploitation. La mairie est en outre associée au projet de caveau de vente directe. En résumé, l'enjeu pour ce territoire encore marqué par sa ruralité réside dans la maîtrise de la croissance démographique à venir - et des infrastructures associées - du fait de son attractivité résidentielle. La préservation d'une activité viticole dynamique apparaît importante à divers titres: économique, socio-culturel (identitaire) et paysager.. L'harmonisation des enjeux territoriaux, entre fonctions résidentielle et agriculture, est donc au cœur de l'intégration de la communautés de communes Vignes et Pierres dans l'Agglo de Montpellier. En conclusion, il apparaît des dynamiques contrastées autour de Montpellier. En matière de gouvernance territoriale, il existe des différences entre les trois collectivités locales (et en leur sein) sur la conception de l'intercommunalité (en particulier l'intégration à l'Agglo de Montpellier), les priorités de développement, la place respective de l'urbanisation et de l'agriculture -la part de "ruralité" revendiquée- ainsi que sur les processus de concertation en matière d'aménagement de l'espace. La diversité est grande aussi en matière agricole. Le maraîchage intensif, les surfaces fourragères et céréalières ont gagné le Pays de l'Or au détriment de la vigne, avec notamment quelques grandes entreprises. La viticulture demeure la principale production ailleurs, avec des exploitations restructurées et des zones de recul viticole en "Vignes et Pierres" ; une situation hétérogène aussi dans le territoire du SIVOM "Entre Vène et Mosson", où les structures restent globalement plus traditionnelles et où coexistent une viticulture de qualité relativement dynamique autour de l'AOC St Georges d'Orques et une viticulture de plaine en difficulté. 350
3 - Synthèse des dynamiques de l'agriculture périurbaine Ces constats amènent à rejeter l'idée d'une tendance uniforme d'évolution de l'agriculture sous l'influence du pôle montpelliérain. Précisons à partir des investigations de terrain et des statistiques les caractéristiques de ces agricultures périurbaines, en distinguant les résultats spécifiques et les constantes que l'on peut malgré tout relever. A - Une hétérogénéité
selon les zones et les filières
Evolution diversifiée des structures agricoles Si la surface agricole utile régresse dans L'Hérault, on n'observe pas forcément un recul des terres agricoles dans les zones périurbaines; seul l'ouest montpelliérain Inontre une régression globale de SAU entre 1988 et 2000. Le nombre et la taille des exploitations agricoles traduisent un phénomène de concentration en péri urbain comme ailleurs, avec une proportion d'exploitations "professionnelles" dominante en Pays de l'Or, encore beaucoup de petites exploitations "entre Vène et Mosson"; de grandes structures viticoles sont présentes dans la communautés de communes Vignes et Pierres. Les modes de tenure montrent une progression légère de la part du fermage, le FVD restant majoritaire (comme dans l'Hérault en moyenne), sauf en Pays de l'Or, où le fermage et les tenures précaires représentent une superficie supérieure. Le travail agricole présente une grande hétérogénéité de répartition entre main' d'œuvre salariée, largenlent dominante en Pays de l'Or, et main d'œuvre familiale, dominante entre Vène et Mosson (le plus proche de la structure traditionnelle majoritaire dans le département de l'Hérault) ; la répartition est équilibrée entre main d'œuvre falniliale et salariée dans les exploitations agricoles de "Vignes et Pierre" . Face aux mutations structurelles de l'agriculture, on observe sur l'ensemble de la zone étudiée, un relatif maintien du travail agricole, en nombre d'unités de travail annuelles (moyenne constante entre 1988 et 2000 de 7 hectares cultivés / UTA en Pays de l'Or avec beaucoup de maraîchage). Pour les zones viticoles, on observe un ratio équivalent d'environ 13 ha cultivés / UTA en moyenne en 2000. Concernant le statut professionnel des exploitants agricoles: c'est en Pays de l'or qu'il yale plus de chefs d'exploitation à temps complet, entre Vène et Mosson qu'il yale plus de doubles actifs, avec une situation intermédiaire en Vignes et Pierres. Le nombre d'exploitants diminue mais la proportion des plus jeunes classes d'âge diminue en général moins que celle des plus vieux. .. En terme de succession et de reprise des terres agricoles: les exploitants de plus de 50 ans, pour la majorité d'entre eux, n'ont pas de successeurs ou ne savent pas s'ils en auront un. La propoliion est moins 351
défavorable quand on considère les surfaces concernées: il y en a à peu près 50% qui ont un repreneur connu (résultat hOlllogène sur les trois zones).
Cultures pérennes La viticulture, spécialisation régionale historique, demeure la principale production agricole y compris sous l'influence directe de Montpellier, à l'exception de la zone sud, où elle est devenue minoritaire face aux diversifications maraîchères et aux surfaces fourragères. Il existe aussi des zones de recul et de déprise viticoles, que ce soit en plaine ou en zone à potentiel d'AOC. La crise du secteur des vins de table joue alors en corrélation avec la pression d'urbanisation au détriment de l'activité viticole et au profit de l'urbanisation (cas de la plaine de l'ouest montpelliérain). Des caves coopératives performantes peuvent entraîner une bonne rentabilité des exploitations viticoles, et donc une bonne résistance du foncier viticole face à l'urbanisation, voire "une faim de terre". On note un certain dynamisme des caves particulières qui subsistent autour de Montpellier mais le fonctionnement isolé de ces entreprises peut n'avoir qu'un effet d'entraînement limité dans le territoire. On n'observe pas une nette supériorité de résistance de la viticulture d'appellation autour de Montpellier (alors que la viticulture d'AOC progresse dans l'Hérault tandis que la viticulture générique régresse). Ces résultats sont toutefois à confirmer par des études approfondies et des comparaisons élargies. Ces premiers résultats ne révèlent pas non plus de "spécificités viticoles périurbaines" et l'on retrouve ici en matière d'innovation des expériences qui existent ailleurs dans la région (caveaux de vente directe, accueil de festivités, démarches pédagogiques). L'arboriculture, autre type de culture pérenne, présente un intérêt paysager et identitaire fort apprécié par les résidents en zone périurbaine. C'est cependant une filière en crise. De nOlllbreux vergers ont été arrachés suite aux problèmes sectoriels et seuls subsistent à l'échelle commerciale quelques vergers de pommiers (Pays de l'Or). L'oléiculture apparaît comme une culture traditionnelle en regain, mais rarement à titre d'activité principale. Elle se localise essentiellement dans l'ouest montpelliérain (coopérative oléicole à Pignan). La culture de l'olivier peut apporter un complément de revenu à certains viticulteurs coopérateurs ou retraités C'est aussi une activité de loisir pour des urbains. La production oléicole présente un intérêt paysager et identitaire, avec le charme de la
consommationpersonnelle et l'intérêt de la vente directe d'huile d'olive... Ce . qui justifie des programmes publics de soutien à la relance oléicole, "culture méditerranéenne d'image". La concurrence des "oléiculteurs du din1anche" peut occasionner le renchérissement du prix des parcelles d'oliviers pour les agriculteurs qui en attendent un revenu complémentaire 352
Cultures annuelles La céréaliculture en zone périurbaine méditerranéenne constitue une activité de valorisation des espaces en attente, en particulier sur les grandes surfaces mécanisables, grâce aux primes incitatives. Les céréales permettent aussi d'occuper des terres en rotation avec le maraîchage. On trouve des parcelles de blé dur dans quasiment toutes les communes autour de Montpellier. Dans le paysage, les céréales signent donc une occupation agricole précaire du foncier, avec un fonctionnement fréquent d'entreprise de travaux agricoles. Le maraîchage, souvent caractéristique de l'agriculture péri urbaine, est essentiellement présent au sud de Montpellier, et dans une moindre lnesure à l'ouest (systèmes maraîchers irrigués de haute technicité cOlnbinant les productions de melon, salade, asperge.. .). Sur le plan économique, c'est une activité qui peut être porteuse commercialement lnais difficile pour les petites et moyennes entreprises, au niveau foncier (concurrence entre agriculteurs et avec les promoteurs pour l'accès aux terres). On assiste à un mouvement de concentration des exploitations maraîchères, pas en propriété mais en fermage, voire en occupation précaire du foncier. Le maraîchage est localisé en zone littorale, propice du point de vue agronomique mais très menacée par l'urbanisation: des délocalisations sont peut-être à prévoir sur d'autres secteurs périphériques de Montpellier. Sur le plan cOlTIlnercial,la valorisation des circuits de vente de proximité n'est pas optimale et le fonctionnement du Marché d'Intérêt National apparaît défavorable aux petits opérateurs: une réflexion est à engager pour développer de nouvelles structures de commercialisation collectives. L'appui des pouvoirs publics semble indispensable. Les cultures de semences à forte valeur ajoutée sont présentes (essentiellement dans l'ouest montpelliérain) avec une localisation interstitielle. Les quelques producteurs bénéficient de la spécialisation viticole de la plaine qui permet l'isolenlent nécessaire aux parcelles de semences. Elevage et cultures fourragères L'élevage ovin joue un rôle intéressant de débroussaillement contre le risque d'incendie dans les zones traditionnelles de collines couvertes de garrigue. L'élevage bovin de loisir et de touriSlne se développe dans les villages de l'est montpelliérain et en zone littorale (n1anades). Les équins de loisirs, typiques des zones périurbaines, sont de plus en plus présents tout autour de Montpellier, s'accompagnant d'un regain des surfaces fourragères. Outre la présence même d'animaux en plein air, ces élevages périurbains, rarement intensifs, entraînent un impact paysager positif par le maintien ou le développement des espaces de pâture et de fourrage. La viabilité économique de ces nouvelles activités d'élevage est plus liée à la demande 353
urbaine et touristique de services qu'à la valorisation économique traditionnelle par la vente de produits animaux de consommation. B - Des constantes structurelles
de l'agriculture
périurbaine
Au-delà des problématiques de filières qui concernent plus ou moins les exploitations agricoles autour de Montpellier, selon leur localisation et leur spécialisation productive, on peut retenir quelques données structurelles constantes qui affectent à des degrés divers tous les producteurs agricoles des territoires périurbains. Un marché foncier en transition entre le rural (agricole) et l'urbain. De premiers résultats d'analyse sur l'ouest montpelliérain -où la SAU régresse globalement- révèlent la segmentation suivante du marché foncier (12, données SAFER sur 4 années pour 8 communes) : - toutes les parcelles nues de moins de 1 ha ont un prix décoilllecté de leur valeur agricole, les prix supérieurs aux "prix agricoles" traduisent l'attente d'urbanisation sur ces petites parcelles; - toutes les parcelles de plus de 1 ha en vigne ont une valeur connectée au marché foncier viticole, ce qui montre la bonne résistance de la vocation viticole sur des parcelles assez grandes, rentables à exploiter en viticulture. Au-delà des résultats identiques pour ces deux catégories de parcelles, les communes de l'ouest montpelliérain ont un caractère encore plus ou moins rural selon que les parcelles intermédiaires (de moins de 1 ha en vigne ou de plus de 1 ha nues) s'échangent à un prix "agricole" ou à un prix supérieur ("urbain"). Les communes les plus accessibles de Montpellier présentent ainsi un marché foncier marqué par la perspective d'urbanisation pour toutes les catégories de terres agricoles, à l'exception des grandes parcelles de vIgnes. Ces résultats donnent une première clé d'interprétation du marché foncier en zone périurbaine où la vigne est encore fortement présente, avec un parcellaire assez morcelé et beaucoup de petites exploitations en FVD. Des études restent à conduire dans ce domaine, en spécifiant les hypothèses selon le contexte. Impact de la rente foncière sur le patrillloine agricole périurbain La forte pression d'urbanisation peut, selon les documents d'urbanisme communaux, entraîner la conversion de terres agricoles en terrains à bâtir, ce qui a pour effet de multiplier la valeur vénale du terrain2. Une réalisation
2
L'influence des propriétaires sur les décisions lllunicipales pour le zonage d'urbanislne du PLU, en fait une donnée non pas exogène Inais endogène au processus lui-lnêlne.
354
via l'élaboration
partielle de la rente foncière peut servir à consolider les exploitations périurbaines (cas observé à Combaillaux, nord-ouest de Montpellier). L'attente d'urbanisation, fondée ou non à court terme, constitue pourtant le plus souvent un frein pour la mise en .exploitation agricole. Une incidence 'paysagère forte est la présence possible de friches en limite des zones urbanisées, a priori les plus propices à l'extension future du bâti. Cette dynamique foncière entraîne un ensemble de conséquences que l'on peut détailler comme suit pour l'agriculture des territoires périurbains. Corrélativement à la pression foncière accrue, à la stratégie de rétention des propriétaires et au renchérissement des terres agricoles, il devient de plus en plus difficile aux candidats à l'installation en agriculture d'accéder à la "surface minimum d'installation" requise selon la norme des procédures officielles, ouvrant droit aux aides publiques. L'accès à la propriété hors cadre familial devient rédhibitoire compte tenu des niveaux d'investissement élevés nécessaires et de la faiblesse des disponibilités financières ainsi que des revenus agricoles escomptés des candidats. La difficulté est accrue car l'accès aux terres par le ferlnage devient lui aussi quasiment impossible quand les propriétaires, dans un contexte d'incertitude, attendent des opportunités de valorisation alternative et refusent d'engager leur terre en location pour une exploitation agricole à moyen ou long terme. La tenure précaire, la seule qu'ils soient alors prêts à accorder, favorise elle aussi les agriculteurs en place, car ils inspirent plus confiance que les candidats à l'installation. Le renchérissement du coût du foncier, les obstacles au fermage et de manière générale l'élévation du montant des investissements d'installation ou de reprise d'entreprises agricoles accentuent en zone périurbaine le phénomène général de concentration des exploitations qui affecte la production agricole dans l'Hérault comme en tendance nationale. La réussite de certaines exploitations, en viticulture mais surtout en maraîchage, s'accompagne d'économies d'échelle et de disponibilités en trésorerie - ainsi que, souvent, d'un accès privilégié à l'information - qui confèrent aux installés une position dominante cumulative pour l'accès au foncier, mais aussi aux débouchés commerciaux, etc... Si l'installation agricole devient partout de plus en plus difficile, elle est désorlnais quasiment impossible en zone périurbaine sans disposer d'un patrimoine familial ou d'une ressource financière extra-agricole. ~Les types d'innovations de l'agriculture périurbaine En matière d'innovation agricole, on peut proposer une première segmentation croisant des stratégies-types de producteurs et les données du contexte périurbain. Des "innovations contraintes" valorisent un foncier souvent restreint et toujours précaire en zone périurbaine : élevages de chevaux, d'escargots, de 355
chiens... Ces nouvelles fonnes d'élevage peuvent être développées par des acteurs non issus du milieu agricole qui créent leur propre activité en zone périurbaine. On peut aussi classer dans la catégorie des innovations contraintes les cultures de "céréales d'attente", sur grandes parcelles mécanisables et elligibles aux primes européennes. Des "innovations opportunistes" valorisent les Inarchés de proximité et les nouvelles demandes sociales: maraîchage biologique, arboriculture, oléiculture... en vente directe; petits fruits en "auto-cueillette"; fermes pédagogiques; pépinières, etc... Les centres équestres peuvent être classés dans cette catégorie. On observe aussi des "innovations sectorielles" pas forcément spécifiques au contexte périurbain. On retrouve ainsi dans les communes étudiées un éventail de stratégies innovantes de caves coopératives qui ne se distinguent pas fondamentalement d'autres expériences dans le département: prolnotion de la vente directe via un caveau, développement de l'oenotourisme. Si les enquêtes auprès des agriculteurs autour de Montpellier ont révélé une sensibilité croissante de certains d'entre eux au sujet du paysage ou de l'environnement, nous n'avons pas encore repéré la traduction de ces préoccupations comme orientations prioritaires de systèmes agricoles. La multifonctionnalité de l'agriculture périurbaine reste à construire par l'interaction entre les agriculteurs et les autres acteurs de ces territoires, élus et résidents. En résumé, la durabilité des activités agricoles autour de Montpellier apparaît bien conditionnée par la dynamique générale des filières et les stratégies individuelles, combinant les dimensions productives et patrimoniales. Les pistes d'innovation agricoles s'avèrent plus ou moins liées à la proximité urbaine. Ces premières observations révèlent en outre le poids de l'historie agraire locale et une "dépendance au sentier" territorialisée des situations agricoles, loin d'un modèle de différenciation concentrique simple à la Von Thünen. Les trois territoires d'étude présentent des caractéristiques agricoles contrastées, de même qu'une forte hétérogénéité interne, entre communes. Ceci peut être dû au biais statistique (niveau d'agrégation des données utilisées). Les premières cartographies (usage du soL..) montrent des échelles de cohérence territoriale variées (communales,' intra- ou intercommunales, comme par exemple avec les périmètres de collecte des caves coopératives). 4
- Enjeux de gouvernance territoriale
Ainsi, au-delà des éléments propres aux dynalniques agricoles, quelles sont les procédures et les jeux sociaux locaux qui concourent à la construction des territoires périurbains et à la place qu'y prend l'agriculture? 356
Comment s'exerce la représentation des "intérêts agricoles" face aux "intérêts urbains" dans les instances de décision? A - Les incitations au regroupement intercommunal et à la multifonctionnalité de l'agriculture: un nouveau cadre pour des processus en construction Les récentes lois sur le renforcement de la coopération intercommunale
(1999) et la ville (Solidarité et Renouvellement Urbains, 2000) visent notamment à promouvoir une harmonisation à l'échelle intercomtnunale des politiques de gestion et d'aménagement. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (1999) inscrit le développement durable comme principe des politiques d'aménagement. La représentation du monde agricole est dévolue à la chambre d'agriculture sauf exceptions. Son rôle est consultatif dans l'élaboration des documents d'urbanisme. Les textes de' la dernière loi d'orientation agricole (1999) permettent d'assurer une plus grande diversité de représentation du Inonde agricole (syndicats minoritaires représentatifs) dans l'optique d'une promotion de la multifonctionnalité de l'agriculture. Cette orientation peut concerner l'agriculture périurbaine, notamment pour la création de "zones agricoles protégées" (ZAP). A ce jour, l'articulation entre ces différents textes de lois constitue un cadre légal de l'action politique locale qui n'a pas encore été éprouvé concrètement par les acteurs, encore fortement ancrés dans la logique communale (avec le pouvoir d'urbanisme depuis la décentralisation). En matière d'élaboration des politiques territoriales intercomtnunales, on est en quelque sorte dans une phase expérimentale, où les recompositions sont en cours entre les différents acteurs. Les systèmes de décision pour l'élaboration des projets de territoire sont en train de se mettre en place. B - Un projet de territoire émergent
Ces réflexions s'appliquent tout à fait au cas montpelliérain, suite au processus de constitution de la communauté d'agglomération en 2001. Quelles perspectives ouvre la création de cette structure rassemblant 38 communes du pôle montpelliérain ? Les différents schémas directeurs de L'Agglo auront à intégrer les données nécessaires pour gérer la croissance démographique prévue dans les années à venir: logements, transports, autres infrastructures... En matière d'aménagement du territoire, la préservation des espaces et des activités agricoles représente de nouveaux enjeux, absents jusqu'alors des préoccupations très urbaines des politiques gestionnaires de 357
la "technopole surdouée" en croissance (district de 15 con1munes urbaines). Les questions viticoles, le besoin d'espaces récréatifs des Montpelliérains... étaient précédemment largement externalisés auprès des instances politiques "rurales" : conseil général, communes périphériques de l'ancien district ou plus rurales du département, conseil régional. L'extension de l'aire intercommunale et la "cohérence territoriale" préconisée par la loi SRU impliquent désorlnais d'intégrer les questions agricoles au développement du pôle urbain, sur le plan spatial et donc nécessairement aussi sur le plan socio-économique. La demande portée par les responsables techniques de la communauté d'agglomération, plus rodés aux questions urbaines que rurales ou agricoles, cOlnporte un grand besoin d'information. L'accent est aussi mis sur le traitement intégré des enjeux agricoles et urbains, avec le souci praglnatique de repérer où il est souhaitable de maintenir ou protéger les activités agricoles. .. Sans qu'il y ait de critères déterminants définis a priori pour ce choix des "zones agricoles durables" dans l'Agglo, si ce n'est l'existence de projets porteurs. Les professionnels agricoles sont donc appelés à se manifester dans ce sens. Une première rencontre a déjà eu lieu par exemple entre le maire de Montpellier et les viticulteurs d'une cave coopérative avant les municipales de 2001. Il ne nous est pas toujours apparu aisé de trouver les critères discriminants pour répondre à cette orientation: faut-il Inaintenir l'agriculture dynamique "telle quelle" dans les zones où elle existe? promouvoir des projets innovants? de nouvelles implantations agricoles périurbaines (exemple de l'aménagement des collines du Mas Dieu face au déclin de la viticulture de plaine à l'ouest de Montpellier) ? Faut-il favoriser le mouvement de concentration au profit des exploitations exclusivement "professionnelles" ou maintenir une population agricole la plus importante possible et présentant une certaine diversité socio-professionnelle? Comment concilier au mieux les attentes des résidents urbains avec les projets et contraintes professionnels des agriculteurs en zone périurbaine ?.. Quoi qu'il en soit, il apparaît bien que si les politiques territoriales, et en particulier la politique d'aménagement, pèsent sur le devenir de l'agriculture périurbaine via les documents d'urbanisme et leurs conséquences sur la question foncière, les dynamiques intrinsèques du monde agricole peuvent aussi agir en retour sur l'élaboration des politiques locales. Ce qui nécessite un important travail d'animation au sein du monde agricole et en interface avec les gestionnaires des politiques de la ville. Conclusion
L'agriculture présente de multiples facettes autour de Montpellier: l'analyse confirme les profondes mutations en Pays de l'Or, la moden1isation 358
de la viticulture en Vignes et Pierres et le maintien d'une agriculture méridionale traditionnelle entre Vène et Mosson, avec une hétérogénéité de situations par territoire. La spécialisation viticole historique se différencie mais demeure la principale production en superficie. Les diverses productions agricoles assurent une occupation à plus ou moins long terme de l'espace. Les cultures pérennes, ici essentiellement la vigne, ou celles présentant d'importants investissements fonciers (maraîchage sous serre) constituent a priori un usage agricole de l'espace plus durable que la céréaliculture ou l'élevage extensif. La durabilité de l'activité agricole en elle même n'en découle pas immédiatement: un verger ou une vigne peuvent être arrachés du jour au lendemain; à l'opposé, une exploitation céréalière peut se maintenir plusieurs années avec un volant foncier précaire mais tournant sur plusieurs communes périurbaines. La présence des activités agricoles est considérée comme positive pour les territoires périurbains, d'après les élus rencontrés lors de cette étude en 2001 autour de Montpellier (confirmant 9). Les différentes activités agricoles sont appréciées par les résidents pour leurs impacts directs -vente de produits, prestations de services- ou indirects -externalités paysagères... Peu de productions génèrent des nuisances immédiatement perceptibles (pas d'élevage intensif) même si certaines, comme la viticulture ou le maraîchage, sont aussi susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'environnement. Dans le but de promouvoir des formes d'agriculture durable autour de Montpellier, plusieurs préconisations ont été faites auprès des élus locaux: - l'action foncière pour le maintien des exploitations et des surfaces agricoles; le foncier constituant le facteur clé de la durabilité de l'agriculture périurbaine, il importe de gérer le devenir des zones agricoles en respectant les intérêts individuels, certes, mais en intégrant aussi les grandes lignes de l'intérêt collectif territorial à terme. - l'aide à la commercialisation des produits en vente directe, pour valoriser le pôle de consommation de proximité. - la prise en compte des activités agricoles innovantes, pour soutenir les projets qui apportent des solutions originales aux difficultés d'exercice de l'agriculture sous pression d'urbanisation. - la reconnaissance de la vocation paysagère de l'agriculture, en proposant une gestion des paysages agricoles privilégiée dans les zones de contact avec les espaces urbanisés et le long des axes de circulation pour répondre aux attentes des résidents; ces actions en faveur des paysages agricoles peuvent s'intégrer dans la valorisation du patrimoine historique et naturel de ces territoires en mutation, afin de conforter leur identité et le sentitnent d'appartenance de la population périurbaine, issue de nombreux brassages. - l'amélioration des pratiques agricoles pour une meilleure protection de l'environnement, avec par exemple la gestion des déchets agricoles; notons 359
que les agriculteurs mettent déjà en œuvre spontanément des adaptations de leurs pratiques par égard pour les autres résidents. La durabilité de l'agriculture, en zone périurbaine encore plus qu'ailleurs, constitue un enjeu de société qui dépasse les frontières du monde socioprofessionnel agricole. Nos observations révèlent en outre dans ces territoires une certaine "désorganisation" des modes d'action collective des professionnels agricoles. Il existe au sein du monde agricole un antagonisme radical entre les anciens agriculteurs (transmission d'exploitation ou liquidation du foncier) et les Ueunes) candidats à l'installation. Cela peut expliquer certaines difficultés des organisations professionnelles agricoles à émettre des orientations politiques fortes pour le devenir de l'agriculture autour de Montpellier. De manière générale, il apparaît nécessaire de favoriser la concertation locale et d'améliorer l'implication des agriculteurs dans le projet territorial, étant donné qu'ils occupent et gèrent une grande partie de l'espace, avec un impact paysager conséquent. Réciproquement, l'information de la population résidente sur les activités agricoles peut être un ressort de l'identité territoriale des villages périurbains, voire du pôle urbain dans son ensemble. Dans une perspective de durabilité, la concertation ne devrait pas porter que sur le zonage des documents d'urbanisme et le partage de la rente foncière, mais sur de réels projets de territoire dans lesquels l'agriculture a un rôle à Jouer.
Références bibliographiques 1.
ADEF. 2001. L'état de la question foncière. Etudes foncières, 90, 32-
41. 2. BRYANT C.R. 1997. L'agriculture périurbaine: l'économie politique d'un espace innovateur. Cahiers Agriculture, 1997, 6, 125-130. 3. CADENE P. 1997. Les couronnes périurbaines : des périphéries au cœur des dynamiques urbaines. Bergerie nationale de Rambouillet. Nov 97. pp. 16-24. 4. DONADIEU P. 1996. L'espace agricole et les limites de la ville. in « Paysages et agriculture. Orientations de la recherche et préoccupations de la société ». C.R. Acad. Agric. Fr., 1996, 82, na 4, 133.146. 5. FLEURY A. 1996. La ville et l'agriculture. in «Paysages et agriculture. Orientations de la recherche et préoccupations de la société». C.R. Acad. Agric. Fr., 1996, 82, na 4, 27.44. 6. GAUTIER D. TOUZARD JM. TRIBOULET P. 1999. Relations entre les dynamiques démographiques et agraires sur les départements du Gard et de l'Hérault. Rapport Achéomédes II. UE. DG XII.19 p. 360
7. JARRIGE F. 1999. La place de la viticulture dans la construction des territoires périurbains de Montpellier: enjeux et émergence de processus de concertation. Communication à l'Ecole-Chercheur "Economie spatiale et régionale". INRA-ESR, Le Croisic. Il p. 8. JOUVE AM. NAPOLEONE C. 2002. Stratégies d'acteurs et réorganisations foncières sous contrainte de la périurbanité. Etude du pays d'Aix en Provence. Communication au séminaire "dynamiques des espaces ruraux et réorganisation foncière". Montpellier, lAM. avril 2002. 12 p. 9. LARCHER G., 1998. Les terroirs urbains et paysagers: pour un nouvel équilibre des espaces périurbains. Les rapports du Sénat 415. 19971998. 60 p. 10. MARCELPOIL E. FAURE A (coord.). 2001. Espaces périurbains, environnement et intercommunalité en débats. Cahiers de l'OIPRA, 2. Grenoble. 50 p. Il. MOREAU S. 2001. Diagnostic d'une agriculture en mutation. Contribution au projet de territoire de la communauté de communes Vignes et Pierres. Mémoire de DAA Agro-Environnement, GERE. ENSA Montpellier. direction F.Jarrige. 40 p. 12. NOGUE G. 2001. Participation au projet de territoire. Diagnostic agricole et pistes d'action. Territoire du SIVOM "Entre Vène et Mosson". Mémoire de DAA Agro-Environnement, GERE. ENSA Montpellier. direction F.Jarrige. 50 p. 13. NOVEL M. 2001. Quelle agriculture au sud-est de Montpellier? Diagnostic territorial pour la communauté de communes du Pays de l'Or. Mémoire de DAA Agro-Environnement. GERE, ENSA Montpellier. direction F.Jarrige. 45 p.
361
Variabilité spatiale et temporelle des exploitatiolls et usages agricoles sur un territoire: première étude de cas en Auvergne et perspectives de recherche sur la multifonctionnalité de l'agriculture H.RAPEY *, C.FIORELLI *, E.JOSIEN *, S.LARDON**, G.SERVIERE*** * CEMAGREF, Unité de Recherche Dynamiques et Fonctions des Espaces Ruraux, 24 avenue des landais, B.P.50085, 63172 Aubière Cedex 1 (France), Tel: 04.73.44.06.00, Fax: 04.73.44.06.98, E-mail: [email protected] ou etienne. [email protected]
** INRA-SAD, ENGREF Politiques Publiques et développement des Territoires Ruraux, 24 avenue des landais, B.P. 90054, 63171 Aubière Cedex 9 (France), Tel: 04.73.44.07.21, Fax: 04.73.44.07.00, E-mail: [email protected] *** Institut de l'Elevage, 12 avenue Marx Dormoy, B.P. 455, 63012 Clermont-Ferrand Cedex 1 (France), E-mail: [email protected] Résumé: La multifonctionnalité de l'agriculture est un concept utilisé par les décideurs publics depuis une dizaine d'années; elle tend à devenir un concept scientifique et un objet de recherche. Les caractéristiques, les déterminants et la variabilité de l'ensemble des fonctions remplies par l'agriculture sur un territoire appellent des analyses nouvelles. Notre travail aborde. plus particulièrement le mode de caractérisation de cette multifonctionnalité, et sa variabilité dans l'espace et le temps. Nous séparons deux composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire: la première est liée à l'espace agricole et résulte le plus souvent des fonctions environnementales remplies par l'agriculture, la deuxième est non liée à l'espace agricole et résulte le plus souvent de fonctions socio-économiques remplies par l'agriculture. Nous faisons .l'hypothèse que chacune de ces composantes présente des spécificités d'évolution et de liens avec les dynamiques des exploitations agricoles présentes sur un territoire.
Avant de tester intégralement ces hypothèses, nous avons réalisé un travail exploratoire d'observation et d'enquête pour mettre au point la méthode sur un nombre limité de fonctions. C'est ainsi que production et entretien de l'espace ont été étudiées sur une petite vallée dans les monts du Forez. Il en ressort que, sur la vallée étudiée, l'entretien de l'espace permis par l'activité agricole a légèrement diminué au cours des 5 dernières années. Le poids des différentes catégories d'usagers des terres agricoles a changé, favorisant le maintien et l'agrandissement des plus grandes structures, et le retrait des plus petites. Cette évolution s'accompagne d'une diminution du tissu social agricole sur la zone. Ces changements mettent en évidence des dynamiques différentes de fonctions remplies par l'agriculture en lien avec l'évolution des exploitations du territoire; ceci constitue une première validation partielle de nos hypothèses de départ. Dans une prochaine étape de travail, nous étendrons et préciserons ce type d'analyse en considérant une plus grande diversité de fonctions de l'activité agricole, et en analysant mieux les éléments des dynamiques d'exploitation qui affectent chacune des composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture. Mots-clefs: multifonctionnalité de l'agriculture, territoire, exploitations d'élevage, entretien de l'espace, dynamique spatio-temporelle, Forez
Contexte Depuis une dizaine d'années, la société manifeste une diversité d'attentes, plus ou moins précises ou localisées, vis à vis de l'environnement et de l'espace rural; selon les groupes sociaux et les lieux concernés, les points de vue diffèrent (11, 13). La loi d'orientation agricole de 1999 intègre cette situation et, globalement, vise à ce que l'agriculture soit plus multifonctionnelle en répondant à de nouveaux objectifs socio-économiques et environnementaux, tels que 1- maintenir ou créer des elnplois, 2améliorer ou conserver la qualité des produits alimentaires, 3- préserver ou restaurer le patrimoine naturel. Dans le même temps, les politiques sont de plus en plus définies pour une durée et dans un espace précis (6, 10). Il devient donc nécessaire de mieux caractériser et connaître la localisation et les dynamiques des fonctions remplies par l'agriculture pour concevoir des interventions efficaces dans ce domaine. Lamultifonctionnalité de l'agriculture est un concept utilisé par les décideurs publics depuis une dizaine d'années (CNDED 1992, Uruguay Round 1994, Sommet mondial de l'alimentation 1996, LOA 1999...) ; elle tend à devenir un concept scientifique et un objet de recherche (7). Les 364
caractéristiques, les déterminants et la variabilité de l'ensemble des fonctions remplies par l'agriculture sur le territoire appellent de nouvelles analyses, les travaux ayant été essentiellement centrés sur la fonction de production au cours des dernières décennies. LAURENT et al. (8) énoncent les exigences que cela impose pour l'analyse des exploitations agricoles: « la volonté de reconnaître et rémunérer les diverses fonctions de l'agriculture (...) nécessite une évaluation différente des perforn1ances des systèn1es de production (critères, échelles de temps et d'espace (H.), elle implique de raisonner autrement les relations qu'entretiennent les exploitations entre elles car les objectifs relatifs à l'environnement et au maintien d'un tissu éconon1ique et social rural in1posent d'analyser dans un lnêlne lnouvenlent l'ensemble des exploitations présentes sur un territoire, quel que soit leur degré d'insertion dans le marché. »
1 - Objectif et hypothèses
Dans l'ensemble des questions de recherche posées par la multifonctionnalité de l'agriculture (cf Appel d'offre de recherche INRACemagref-Cirad, novembre 2001), les questions que nous retenons sont: 1comment caractériser la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire, 2- comment varie-t-elle dans l'espace et le temps? La première question nous a conduits à distinguer deux composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire: a)- celle liée à l'espace agricole, qui résulte le plus souvent des fonctions environnementales remplies par l'agriculture (maintien de la qualité de l'eau, entretien du territoire...) ; elle dépend de caractéristiques des parcelles agricoles qui recouvrent ce territoire (milieu physique, localisation) et des pratiques agricoles et d'entretien qui y sont réalisées; son analyse mobilise des outils de l'agronomie et de la géographie; b)- celle noIl liée à l'espace agricole, résulte, elle, d'autres fonctions, le plus souvent socio-économiques; elle repose sur les caractéristiques globales des exploitations et des familles exploitant ce territoire (orientation de production, type de diversification, emploi, vie sociale et associative, entretien du patrimoine rural) ; son analyse Inobilise des outils de l'économie, et de la sociologie. La deuxième question nous a conduits à formuler trois hypothèses, partant du constat que la répartition des terrains et les dynamiques des exploitations présentes sur un territoire sont variées du point de vue des formes, étendues, localisations d'usages et de pratiques agricoles, et des activités des personnes (1, 3). Ces variations dans l'espace et le telnps peuvent affecter les deux composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire (a et b), 365
et conduire à une différenciation des caractéristiques de cette multifonctionnalité. Nos trois hypothèses (Figure 1), quant aux facteurs de variations de la multifonctionnalité de l'agriculture sur un petit territoire, sont les suivantes. Hl : La dynamique des exploitations utilisant ce territoire affecte l'évolution des usages et pratiques agricoles sur l'espace agricole et l'évolution de la multifonctionnalité non liée à l'espace agricole. H2 : Les changements d'usages et de pratiques agricoles, leurs répartitions, et leurs combinaisons sur ce territoire agissent sur la tllultifonctionnalité liée à l'espace agricole d'un territoire. H3 : Les évolutions de la multifonctionnalité liée à l'espace agricole et de la multifonctionnalité non liée à l'espace agricole de ce territoire sont interdépendantes et modifient la multifonctionnalité de l'agriculture.
Dynamiques des exploitations du territoire
Evolution des usages et des pratiq ues sur l'espace agricole
Evolution de la multifonctionnalité liée à l'espace agricole du territoire
Evolution de la multifonctionnalité non liée à l'espace agricole du territoire
Evolution de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire
Figure 1 : éléments contribuant à l'évolution de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire
Ce cadre d'analyse oriente notre méthode de travail et nécessite de caractériser et localiser l'ensemble des systèmes de production agricole d'un 366
territoire, leurs usages et impacts sur l'espace agricole, ainsi que leurs dynamiques au cours des dernières années. Avant de développer totalement cette analyse en s'intéressant à l'ensemble des fonctions remplies par l'agriculture sur un territoire, nous avons réalisé un premier travail exploratoire d'observations et d'enquêtes pour tester et mettre au point la méthode sur un nombre limité de fonctions. Deux fonctions de l'agriculture, production et entretien de l'espace, ont été étudiées sur une petite vallée dans les monts du Forez (63). Dans cette région, l'agriculture n'occupe plus qu'une faible part du territoire et la diversité des paysages se réduit. L'entretien des surfaces et le contrôle de l'embroussaillement par l'intermédiaire de l'activité agricole sont particulièrement importants pour le maintien de paysages ouverts, attractifs et accueillants (12) ; une forme de multifonctionnalité, associant production agricole et ouverture de l'espace, est donc recherchée sur ce secteur. Le Parc Naturel Régional Livradois-Forez a élaboré, entre 1992 et 1996, un diagnostic sur la gestion de l'espace et l'organisation du foncier dans un contexte de déprise agricole (4). A partir de ce travail, nous avons sélectionné un des secteurs jugés particulièrement sensibles à la fermeture de l'espace avec les animateurs du Parc. Les données récoltées sur cette zone permettent de dégager des faits marquants de la dynamique des exploitations, de l'entretien de l'espace et de leurs liens. Un premier test partiel des hypothèses formulées précédemment peut être fait. 2 - Méthode L'objectif de cette phase exploratoire est d'analyser la contribution de l'activité agricole à l'entretien de l'espace en quatre points: CD-pourquelles étendues de territoire ? ~ -avec quels usagers agricoles de l'espace? Q)-avec quelle diversité d'effets de l'activité agricole sur l'entretien? @)-quelles dynamiques au cours des dernières années? Pour cela, il faut caractériser: l'ensemble des surfaces agricoles de cette petite région (cf CD) en considérant tous les types d'utilisateurs de terres agricoles, quelle que soit l'importance de leur activité et de leur surface (cf ~), les différents niveaux d'entretien de l'espace agricole (cf Q)) les principaux changements d'usages et d'usagers agricoles survenus sur la petite région en quelques années d'intervalle (cf @»). Pour satisfaire ces «conditions », la méthode d'observation et d'enquête comprend plusieurs points. A - La prise en compte de l'ensemble d'une zone agricole La surface observée et analysée correspond à une portion continue et délimitée de territoire. Le secteur comprend 1250 ha sur une même 367
commune, entre 900 et 1250 m d'altitude. La zone est ceméede forêts sur les crêtes limitrophes, et présente une succession de clairières agricoles et résidentielles de quelques dizaines d'hectares le long de l'axe routier de la vallée de la Ligonne (cf Carte 1). Dans cet ensemble, il faut distinguer les deux clairières du haut centrées sur des zones de replats, et les deux clairières du bas sur le flanc Est de la vallée. Les usages agricoles ne sont présents que sur 20% de cette zone (cf Carte 2) avec une prédominance de prairies, le reste est en forêt, friche, habitation ou non renseigné.
368
Cartel: la zone d'étude (sur fond de carte IGN - série bleue), une portion de la commune d'Eglisolles (63) (pointillés rouges), avec six hameaux dans quatre clairières différentes (ellipses noires)
~ .,-- ------.J
MOlhac (1155m)
.
Moissonnnières (1135m)
/~~*:# '~"~~~~~. 7: --------
Rouffix(1090m)
Sicauct,
(1054m)
./~/$r"
'''"'-",@~~' Malvarti~ (910m)
~Nord
369
.~\ 'Paillanges (94lm)
Carte 2 : 1'« atomisation » du parcellaire des 21 usagers de surface agricole, sur fond de plans cadastraux (NB : une même couleur pour toutes les parcelles cadastrales d'un même usager)
..
.;Légende
.
~
:
surfaces à usage agricole friches
forêts
IIW
bâtis
D
parcelles à usage agricole dont la végétation n'a pas
été qualifiée
Les observations de terrain et données d'enquête que nous localiserons sur des plans cadastraux concernent le parcellaire des personnes utilisant des 370
surfaces sur la zone d'étude, soit 220 hectares et 231 parcelles d'usagesl formées de 540 parcelles cadastrales renseignées quant à leur usage agricole, leur pratique et état d'entretien. B - La caractérisation
de tous les usagers de terres agricoles
A partir de l'inventaire des usagers de la zone en 1996, fourni par le Parc, et de discussions avec quelques exploitants en 2001, nous avons repéré les 21 personnes utilisant en 2001 de 1 à 63 ha sur la zone, dont 8 résident sur place. 9 sont agriculteurs à temps plein, 5 sont double-actifs, 7 ont une activité agricole d' agrément2. Il élèvent des bovins laitiers, 5 des bovins pour la viande, les 5 autres ont des ovins ou équins. Tous ces usagers de terres agricoles ont été enquêtés afin d'avoir une vision assez complète de la diversité des facteurs de production mis en œuvre, des pratiques, du parcellaire et de son utilisation. Lors d'entretiens semi-ouverts, nous avons renseigné les caractéristiques générales de leur système de production susceptibles de déterminer l'utilisation du foncier: dimensions de la surface et du cheptel, orientation d'élevage, système fourrager, travail, date et conditions de reprise des terres, principales évolutions. Ensuite, toutes les surfaces gérées sur la zone d'étude par l'usager agricole ont été localisées sur le plan cadastral en s'aidant de la carte élaborée par le Parc Livradois Forez en 1996. La propriété, l'usage, les principales interventions (fertilisation, fumure, récolte, passages d'animaux, girobroyage) ont été notées parcelle par parcelle. L'activité agricole représentant une part très marginale, voire nulle, dans les ressources de certains usagers, nous décidons de ne pas employer systématiquement le terme d'exploitant agricole pour les 21 personnes enquêtées, nous adoptons le terme d'usagers agricoles tout au long de cet article. Toutes ces informations sont saisies dans une base de données spatialisées ce qui permet de superposer et de repérer dans l'espace des relations entre usages, pratiques agricoles, entretien de l'espace et caractéristiques de l'usager. C - Une caractérisation
de l'entretien
des surfaces agricoles
L'embroussaillement a été observé et noté sur chaque unité de surface agricole de la zone étudiée, l'unité de surface étant ici la parcelle d'usage 1
une parcelle d'usage agricole = une ou plusieurs parcelles cadastrales
jointives conduites et
utilisées de manière identique par un même agriculteur. 2
terminologie issue de la définition des exploitations d'agrément
donnée par C.Laurent (9) : il
s'agit d' «exploitations de petite dimension, combinée à d'autres activités lucratives, permettant à un ménage de rester dans le monde rural. » 371
agricole (par opposition à la parcelle cadastrale). La végétation est apparue très variée, associant de diverses manières trois types de végétaux dans les parcelles observées: I-des herbacées telles que les plantes prairiales, ou les céréales, 2-des semi-ligneux tels que la ronce, le jonc, le genet, la fougère, couvrant le sol de manière irrégulière (plages de végétation) et en strate basse (moins de lm au-dessus du sol), 3-des ligneux tels que le pin sylvestre, le frêne, le sorbier, couvrant le sol de manière irrégulière (bosquets ou alignements) et en strate haute. Etant donnée la diversité d'espèces et de répartition spatiale de ces végétaux, nous avons dû simplifier la caractérisation; ce qui a abouti finalement à deux grandes catégories: -les surfaces avec uniquement des herbacées à l'intérieur des parcelles, et éventuellement des semi-ligneux ou ligneux en bordure ou localisés, qui constituent des éléments régulièrement entretenus dans le temps et l'espace; -les surfaces avec des semi-ligneux ou ligneux disséminés dans l'ensemble de la parcelle, qui constituent des éléments irrégulièrement entretenus dans le temps et l'espace. Chacune des observations est précisément repérée sur le plan cadastral; ce qui permet ensuite une cartographie et une analyse de la répartition spatiale des deux catégories de végétation en lien avec des caractéristiques de parcelle et d'exploitation. D - Des éléments sur les évolutions récentes du foncier
Parce que certaines informations sur les usages et usagers agricoles de l'espace ont été renseignées de la même Inanière en 1996 et 2001, des comparaisons entre ces deux années ont pu être faites. Plusieurs changements de répartition de la surface ont pu être mesurés et localisés: transferts d'usage agricole à forestier et réciproquement, abandon d'usage agricole du sol (= friche); répartition et flux de foncier entre usagers, entre catégories d'usagers (agriculteurs à temps plein, double-actifs, d'agrément...). Ceci permet de révéler des dynamiques d'évolution plus ou moins fortes et identiques dans le temps et l'espace. Les informations plus précises, sur le couvert des parcelles, sur les usages (pâture, ensilage, foin), sur les pratiques (fertilisation azotée, épandage de fumier et d'amendements calciques, girobroyage...), et sur les exploitations, ne sont collectées que pour l'année 2001. Ceci permet néallffioins de mettre en évidence l'hétérogénéité ou l'homogénéité de certaines caractéristiques sur la zone et de mettre en lien ces phénomènes avec des changements ayant affecté le secteur.
372
L'ensemble de ces informations (comparaison globale 1996-2001, état précis 2001) permet d'évaluer: 1-1'impact des pratiques agricoles sur l'entretien de l'espace, et 2-les dynamiques agricoles récentes ayant un impact sur cet entretien. 2 - Principaux résultats
A
-
Diversité des usagers agricoles présents sur l'espace, et forte
évolution au cours des 5 dernières années
Quelques chiffres traduisent des changements importants au cours de ces cinq dernières années sur cette zone: 10 usagers de terres agricoles 1996 ne sont plus présents en 2001 et 9 usagers 2001 sont nouvellement présents sur la zone, forte réduction des «plus de 55 ans» entre 1996 et 2001 (13 en 1996~ 5 en 2001),réduction de 33% des usagers agricoles résidents sur la zone entre 1996 et 2001 (12~8)... On constate que 50% de surfaces agricoles ont changé de main durant cette période: 124 ha concernés sur un total de 250 ha agricoles. Malgré ces changements importants d'usagers, la surface agricole de cette zone s'est globalement maintenue, en subissant deux types de changements d'usage: 9,5 ha de bois et de friche en 1996 passés en prairie ou culture en 2001, à l'inverse, 20,5 ha de prairie ou culture en 1996 passés en bois ou friche en 2001. Ces parcelles ayant changé d'usage (33 parcelles reprises par l'agriculture et 79 parcelles déprises) se distinguent quant à leurs usagers passés et présents: - 83% des parcelles retirées de l'agriculture étaient détenues par des retraités en 1996 - 60% des parcelles reconquises par l'agriculture sont détenues par des agriculteurs à temps plein en 2001 - 80% des parcelles reconquises sont attenantes à des parcelles déjà exploitées par le repreneur. Pour les usagers que nous avons pu identifier sur la zone, la surface agricole utilisée par usager sur cette même zone a augmenté: 6,3 ha en moyenne par usager présent en 1996 et 9,6 ha en 2001. Sur la portion de vallée étudiée, la diversité des usagers agricoles est importante; on distingue trois groupes différents par leur type de présence sur la vallée, leurs structures d'exploitation et leur utilisation de surfaces sur la zone, l'importance et l'orientation de leurs activités et de leurs productions agricoles (cf Tab!. 1).
373
Tableau 1 : quelques caractéristiques des 3 catégories d'usagers agricoles présents sur la zone d'étude Caractéristiques
Résidents Surface sur la totale zone moyenne de l'exploitation
Surface moyenne sur la zone
N.B.: La catégorie «non professionnels» résident secondaire, un salarié non agricole.
Nombre
Production d'élevage
total d'UGB
comprend des retraités, un
Ces trois catégories présentent un point commun important pour l'entretien de l'espace: leur niveau de chargement animal sur l'exploitation est faible (entre 0,6 et 0,8 UGB/ha). Elles présentent par contre une différence forte de lieu de résidence: seuls les usagers d'agrément résident en majorité sur la zone; ils contribuent le plus fortement au maintien du tissu social et à l'accueil de visiteurs extérieurs sur cette zone. Ces différents chiffres montrent que, malgré une apparente stabilité de l'espace agricole utilisé dans la vallée, les changements des usagers et leur diversité sont importants, ce qui peut modifier l'usage agricole, l'entretien et l'organisation du foncier au cours du ten1ps. B - Entretien de l'espace fortement lié aux catégories et situations des usagers agricoles présents Sur cette zone, les prairies prédominent: 87% de la surface agricole sont en prairie permanente, 6% en prairie temporaire. 64% sont fauchées au moins 374
une fois dans l'année, et 44 % sont girobroyées. Malgré cette relative homogénéité d'usage des surfaces agricoles, ceci «produit» des états de végétation et d'entretien hétérogènes et irréguliers des parcelles et de la zone (cf Carte 3) : globalement, 51% de la surface agricole est totalement dégagée de ligneux ou semi-ligneux, c'est à dire ne présente pas de ligneux ou semiligneux disséminés dans les parcelles (pour la partie observée du point de vue de l'état de la végétation, soit 220 ha) ; 64% des surfaces fauchées au moins une fois dans l'arulée sont totaletuent dégagées de ligneux ou semiligneux, et 27% des surfaces déclarées girobroyées par les usagers sont totalement dégagées de ligneux ou semi-ligneux. Nous avons en effet constaté, après observation de terrain, que malgré la fauche et/ou le girobroyage annoncé par les exploitants, les parcelles présentent souvent des plages de végétation non «nettoyées ». Dans cette étude apparaît une distorsion entre la notion de parcelle d'usage pour l'agronome, qui suppose une homogénéité de traitement sur l'ensetuble de la surface, et pour l'usager agricole, qui y voit une étendue à laquelle il affecte un usage et des pratiques de manière dominante même si certaines parties au sein de cette étendue ne reçoivent pas le même traitement. Cette divergence peut remettre en cause, dans ce contexte, les résultats obtenus par enquête ou emegistrements réalisés à l'échelle de la parcelle d'usage au sens de l' agronotue. Ceci impose des ajustements à venir de définition et de présentation pour une meilleure représentativité des informations dans ce domaine.
375
Carte 3 : la localisation des deux grandes catégories de végétation sur la zone
,
D"""'"
Légende: [11 pas de ligneux ou semi-ligneux disséminés dans les parcelles à usage agricole avec des ligneux ou semi-ligneux disséminés dans les parcelles à usage agricole friches forêts III bâtis D parcelles à usage agricole dont la végétation n'a pas été qualifiée
~
Un des facteurs forts de différenciation de l'état d'entretien des surfaces est la localisation de la parcelle au sein de la zone étudiée (haut / bas de vallée) 376
et les caractéristiques de l'usager, notamment du point de vue de la contribution de l'activité agricole à ses ressources (temps pleins / doubleactifs / non professionnels) (cf Tab!. !). Sur les deux clairières du haut de la vallée, il y a globalement 44% de la surface agricole totalement dégagée de ligneux ou semi-ligneux, ce pourcentage est de 64% sur les deux clairières du bas. D'autre part, les agriculteurs double-actifs ont 83% de leurs surfaces totalement dégagées, les usagers d'agrément (non-professionnels) en ont 74% et les agriculteurs à temps plein 27%. Ceci signifie' que les usagers agricoles présentent une forte diversité d'état d'entretien de leurs surfaces au.sein de leur exploitation et au sein d'espaces voisins, malgré des niveaux de chargement animal sur les exploitations identiques. Les agriculteurs à temps pleins maintiennent, en part relative, peu de surfaces totalement « propres» au sein de leur exploitation, les doubleactifs en maintiennent plus et particulièrement dans des secteurs morcelés et en pente, les usagers d'agrélnent dans des secteurs peu morcelés et plats. C - Evolution de la localisation des différents agriculteurs Les graphiques suivants résument une des évolutions importantes constatées sur la vallée (cf Graph.!) : en 5 ans, la forte régression des surfaces tenues par les usagers d'agrément a surtout profité aux temps pleins sur le haut de la vallée et aux double-actifs sur le bas. Ceci aboutit à renforcer la présence des temps pleins sur le haut et la présence des double-actifs sur le bas.
377
Graphique 1: changements de distribution du foncier entre catégories d'exploitations sur la zone d'étude Bas vallée (/80 ha renseignés)
Haut vallée (/157 ha renseignés)
[19971
. . . .
. . .
.
T 120011
~: III
.
Temps Pleins Double-actifs Agrément
Ces redistributions de terre entre usagers résultent de divers types d'évolutions selon les lieux et les situations de départ. Une part importante des surfaces sert soit à l'agrandissement d'exploitations déjà présentes, soit à l'introduction d'usagers nouveaux sur la zone. Les bénéficiaires des mouvements de foncier diffèrent entre haut et bas de vallée (cf Tabl. 2).
378
Tableau 2: quelques caractéristiques fonciers entre haut et bas de vallée
de la diversité des mouvements
Surface agricole utilisée en 2001 (sur la base Haut de 220 ha informés) : - Pourcentage de surface ayant permis agrandissement d'exploitations 40% déjà présentes sur la zone en 1996 - Pourcentage de surface ayant permis agrandissement d'exploitations 10% non présentes sur la zone en 1996 -
Bas
36%
34%
Parallèlement, les usagers non présents en 1996 représentent 33% des usagers des clairières du haut; ce sont en majorité des exploitants à temps plein. Les usagers non présents en 1996 représentent 44% des usagers des clairières du bas; ce sont en majorité des double-actifs et des usagers d'agrément. Ces chiffres signifient que: -sur le haut, il y a surtout agrandissement d'exploitations déjà présentes, de grande dimension, et dont le siège d'exploitation est hors de la zone, voire hors de la commune, -sur le bas, agrandissement d'exploitations déjà présentes et de tailles variées, ainsi qu'arrivée d'usagers agricoles extérieurs à la zone beaucoup plus divers (en terme de ressources et de dimension d'exploitation) que sur le haut. Progressivement, les clairières du haut confortent des exploitations à temps plein avec de grandes parcelles plates relativement faciles à travailler alors que les clairières du bas servent à agrandir des exploitations de taille variée et de localisation beaucoup plus diverses avec des petites parcelles en pente parfois difficiles à travailler. La diversité des exploitations présentes sur le bas (surface, orientation d'élevage), malgré le morcellement du foncier et la pente, permet globalement un meilleur contrôle de l'embroussaillement sur les surfaces agricoles par rapport aux clairières du haut. Actuellement, la proportion d'usagers agricoles ayant plus de 55 ans est identique en haut et bas de vallée. Du fait des différences d'entretien des surfaces entre catégories d'usagers (cf paragraphe précédent), nous voyons des risques d'évolution différenciée de l'entretien sur ces zones: -une assez bonne maîtrise de l'embroussaillement sur les zones morcelées et en pente, en bas de vallée, à condition qu'il reste des exploitations en double-acti vité, 379
-une maîtrise de l'embroussaillement moins efficace mais plus pérenne à long terme sur des zones de grandes parcelles, en haut de vallée, par des exploitations à plein temps.
3 - Discussion et perspectives Ce premier travail montre que, sur la vallée étudiée, l'entretien de l'espace permis par l'activité agricole a légèrement diminué au cours des 5 dernières années (réduction de Il hal 255 ha des surfaces à usage agricole durant cette période). Le poids des différentes catégories d'usagers agricoles a changé: plus de surfaces utilisées par les agriculteurs à temps plein et les doubleactifs sur l'ensemble de la zone, moins de surfaces utilisées par les usagers agricoles d'agrément. Ceci favorise le maintien et l'agrandissement des plus grandes structures, et le retrait des plus petites. Cette évolution s'accompagne d'une diminution du tissu social agricole sur la zone (plus que 8 usagers agricoles résidents sur la zone, après cessation complète d'activité de quatre retraités agricoles résidents en 1996). L'ensemble de ces changements met en évidence des dynamiques différentes de fonctions remplies par l'agriculture en lien avec l'évolution des exploitations du territoire (cf Figure 1, Hl) : légère diminution de la fonction d'entretien de l'espace, accroissement de la spécialisation de la production agricole, plus faible contribution à la population permanente sur la zone. Des différences sont constatées entre le haut et le bas de la vallée concernant l'état d' embroussaillement et les caractéristiques des usagers agricoles de l'espace. Les usagers se distinguent entre secteurs par l'importance de leur activité agricole, leurs structures d'exploitation (dimension, localisation) et leur orientation de production. Nous n'avons pas pu mettre en évidence de façon précise les spécificités de chacun du point de vue des pratiques et usages du sol. Toutefois, les différences de caractéristiques des exploitations observées entre le haut et le bas de la vallée nous amène à penser qu'il y a un lien entre les caractéristiques des usagers agricoles, leurs pratiques et la qualité d'entretien de l'espace qu'ils occupent. Actuellement, nous n'obtenons qu'une validation partielle de l'hypothèse (H2) sur les liens entre l'évolution des pratiques sur l'espace agricole et l'évolution de la multifonctionnalité liée à cet espace. Plusieurs faits révèlent des relations entre: a-) les fonctions liées à l'espace agricole et b-) les fonctions non liées à l'espace agricole (cf H3). La qualité d'entretien de l'espace (a-) et la contribution des usagers agricoles à la population permanente sur la zone (b-) dépendent des catégories d'usagers mettant en valeur l'espace. Il est donc important d'aborder séparément les deux composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture d'un territoire car elles présentent des liens mais aussi des spécificités d'évolutions. 380
Dans une prochaine étape de travail, il paraît itnportant d'étendre et de préciser ce type d'analyse en considérant une plus grande diversité de fonctions et de contextes de l'activité agricole, et en analysant mieux les éléments des dynamiques d'exploitation qui affectent chacune des composantes de la multifonctionnalité de l'agriculture. Certaines fonctions sont plus difficiles à caractériser que celles abordées jusqu'à présent (ex: préservation de la qualité de l'eau, biodiversité, qualité des paysages ) (2); ceci nécessite un travail d'identification ou de lnise au point d'indicateurs d'existence de ces fonctions, voire d'intensité de réalisation. Pour cela nous avons comlnencé un travail sur deux autres petits territoires moins isolés et soumis à une plus forte diversité d'attentes vis à vis de l'agriculture; l' objectif est d'affiner notre approche sur: la caractérisation des différentes formes de multifonctionnalité les éléments déterminants des dynamiques d'exploitation qui affectent les évolutions de la multifonctionnalité de l'agriculture. Ceci nécessite d'aborder les exploitations non plus individuellelnent mais de manière jointive et dynamique en s'intéressant aux caractéristiques des tissus d'exploitations (5) et à leurs évolutions dans l'espace et le temps, du point de vue de la production, de la famille et de l'impact des pratiques agricoles sur l'environnement. Pour les décideurs publics, cette étude montre que pour agir sur la multifonctionnalité de l'agriculture, il est important de distinguer la composante liée à l'espace et celle non liée à l'espace du fait de leurs dynamiques propres et parfois antagonistes. Il est aussi important de prendre en compte la diversité, la localisation et l'évolution des différents types d'usagers de l'espace agricole parce qu'elles déterminent l'évolution des deux composantes de la multifonctionnalité de ce territoire. Remerciements Ce travail a été réalisé avec la collaboration de : L. PIERSON, étudiante à l'ENSA Montpellier, S. DOMPTAIL, étudiante à l'Université de Wageningen, L.COMPTE et N SANTA CA TTERINA, anin1ateurs au Parc Régional Livradois-Forez. Nous les en relnercions. Références
bibliographiques
(l)Baud, G., 1999. - Dynamique de la redistribution du foncier entre agriculteurs à l'échelle de petites régions, Ingénieries - E A T, na 17,47-60.
381
(2)Beuret, J.E., Mouchet, C., 2000. - Pratiques agricoles, systèmes de production et espace rural: quelles causes pour quels effets? , Cahiers agriculture, n° 9, 29-37. (3)Bonnemaire, J., Brossier, J., Brun, A., Deffontaines, J.P., Houdard, Y., Osty, P.L., Petit, M., Roux, M., 1977. - Pays, Paysans, Paysages dans les Vosges du sud, les pratiques agricoles et la transformation de l'espace, INRA, Paris, 192 p. (4)Compte, L., Santacatterina, N., Chassagne, V., Gorgeu, Y., 1995. Pratiques de gestion de l'espace: l'expérience du Livradois Forez éléments méthodologiques, Paris, Mairie Conseils, Caisse des Dépôts et Consignation, Fédérations des Parcs Naturels Régionaux de France, Parc naturel Régional du Livradois Forez, 54 p. (5)Cristofini, B., 1985. - La petite région vue à travers le tissu de ses exploitations: un outil pour l'aménagement et le développement rural, lN-RA Etudes et Recherches n° 6, février 1985,43 p. (6)Domas, A., 2002. - Territorialisation des politiques publiques: utilités et conséquences du recours au contrat, Les cahiers de la multifonctionnalité, nOl, CemagrefEditions, 19-33. (7)Hervieu, B., 2002. - Multi-functionality: a conceptual framework for a new organization of research ~nd development on grasslands and livestock systems, Proceedings of the 19 th General Meeting of the European Grassland Federation "Multi-Function Grasslands: Quality Forages, Animal Products and Landscapes", La Rochelle, 27-30 mai 2002, 1-2. (8)Laurent, C., Maxime, F., Maze, A., Tichit, M., 2002. - Multifonctionnalité de l'agriculture et modèles de l'exploitation agricole, enjeux théoriques et leçons de la pratique, Actes du colloque «La multifonctionnalité de l'activité agricole et sa reconnaissance par les politiques publiques, SFER, 21-22 mars 2002, Paris. (9)Laurent, C., 1999. - Activité agricole, multifonctionnalité et pluriactivité, Pour, n0164, 41-46. (10)Le Goffe, P., Mahe, L.P., 2001. - Les CTE en Bretagne: des principes économiques aux réalités, Ingénieries n° spécial 2001, Cemagref Editions, 85-96. (ll)Maresca B., HebeI, P., 1999. - L'enviro1l11elnent, ce qu'en disent les français, Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, La Documentation Française, Paris, 218 p. (12) Parc Naturel Régional Livradois-Forez, 1995. - Un territoire, un projet,
un outil, Lettre du Parc Livradois - Forez, Supplément à la lettre n037, Saint Gervais sous Meymont, 4 p. (13)Pujol, J.L., Dron, D., 1999. - Agriculture, monde rural et environnement, qualité oblige, Ministère de l'aménagement du territoire, La Documentation française, 173 p. 382
Comment évaluer les contraintes spatiales à l'utilisation des prairies et les ularges de manœuvre des exploitations face à des demandes environnementales ? Un exemple d'OLAE ell Vendée. Alain HA VET, Yves PONS (*), Eric KERNElS
(*)
INRA UMR SAD-APT, BP 01, 78850 Thiverval-Grignon (*) INRA SAD 17450 Saint-Laurent-de-la-Prée Résumé Pour répondre à des questions environnementales dans de petites régions, il est nécessaire de mieux comprendre la localisation des pratiques dans les exploitations. Nous avons développé un outil d'analyse des chances de réussite dans la mise en oeuvre de fonctions parcellaires selon les contraintes spatiales. Cet outil mis en œuvre à Ouest du Lay (Vendée) peut intégrer des contraintes complémentaires imposées par la déclinaison de cahiers des charges. Il permet de repérer les risques liés à un changement d'utilisation des prairies et ensuite les marges de manœuvre dont disposent les éleveurs quant à une évolution de leur système de production. Les compensations financières extérieures peuvent alors plus facilement être négociées en fonction des risques à prendre pour maintenir les objectifs de perfonnances animales. Mots-clés: fonctions des prairies, contraintes spatiales, localisation des pratiques, cahiers des charges pour l'environnement, marges de manœuvre. Summary The answer to environmental questions in agricultural districts supposes to better understand farms practices localization. We developed a tool to analyse spatial constraints acting on grasslands functions. This tool, realized in Ouest du Lay (Vendée, France), can integrate constraints imposed by specifications declension. It enables the location of risks related to grasslands use change and then farmers rooms to manoeuvre regarding their production system evolution. Negotiating external financial compensations becomes possible related to risks to be taken to maintain animal performances aims.
Key-words: grasslands functions, spatial constraints, environmental specifications, rooms to manoeuvre.
practices localization,
Introduction
La gestion de la biodiversité sur les territoires agricoles est aujourd'hui l' objet de contractualisation entre les agriculteurs, les protecteurs de la nature et la puissance publique. Ainsi, le travail d'agronome s'inscrit-il de plus en plus à l'échelle d'un territoire. Les questions d'environnement (compatibilité entre des objectifs de production et le maintien de la richesse de milieux) modifient en effet nos critères de jugement en intégrant la dimension de voisinage géographique et de coordinations qu'elles supposent (11). Différents exemples illustrent la prise en compte de paralnètres de voisinage. Dans un contexte collectif, celui de l'estive alpine, Savini et al. (12) ont défini un modèle d'organisation spatiale à dires d'experts et d'acteurs; des modèles alternatifs, introduisant des enjeux environnementaux, ont été élaborés en tenant compte des entités spatiales liées à la conduite des troupeaux. Le Houerou (7), pour protéger des captages d'eau, se pose la question des zones d'épandage du fumier; en dehors de l'accroissement de l'épandage sur certaines cultures existantes, elle étudie les voies offertes par le compostage pour élargir les surfaces où le fumier serait utilisable. Dans le Pays de Caux, des modifications des systèmes de culture sont envisagées et testées pour réduire les phénomènes d'érosion, en prenant en compte l'organisation du travail (8). En Vendée, un dispositif de protection de la richesse biologique des milieux humides a été mis en place dans le cadre des Opérations Locales AgriEnvironnementales (OLAE), dans la petite région d'Ouest du Lay. L'objectif était à la fois la protection de la biodiversité végétale et l'accroisselnent de la fréquentation des parcelles par l'avifaune limicole grâce à un ensemble de mesures portant sur un changement d'utilisation des prairies de fauche en pâture et sur une réduction de la fertilisation azotée. Les demandes environnementales faites à l'agriculture ont porté sur la modification de la conduite des prairies localisées dans les secteurs qui présentaient un intérêt écologique majeur: une aide financière passant par une contractualisation à la parcelle et sur l'ensemble du système fourrager en marais d'une exploitation agricole était prévue. Cette contractualisation s'exprime à travers un cahier des charges qui traduit des états de milieu dans le temps, supposés permettre l'accueil d'oiseaux; notre problématique ne vise pas à juger de la pertinence de ces états pour les oiseaux, mais à étudier la compatibilité entre conduite de milieux pour la production animale et l'entretien de ces milieux sous des états susceptibles de favoriser l'avifaune. 384
La question est donc de savoir dans quelle mesure il faut réorganiser le système fourrager sans remettre en cause les objectifs zootechniques de l'exploitation et notamment le niveau de production. L'objectif de cet article est d'exposer une démarche et quelques outils pour répondre à cette question. La mise au point de nouvelles organisations de la production fourragère passe par l'attribution de nouvelles fonctions aux parcelles. Après avoir présenté le milieu et notre méthode d'enquête, nous revenons dans une deuxième partie sur les définitions des notions de fonctions et de contraintes parcellaires, puis nous proposons, dans une troisième partie, un mode de raisonnement des fonctions que l'on peut attribuer aux parcelles d'après les contraintes spatiales qui s'exercent sur elles. Enfin, nous appliquons ce raisonnement sur un exemple pour étudier comment satisfaire des demandes de protection de la nature.
1 - Matériel et méthodes A - Le milieu et sa richesse écologique Le milieu naturel est un marais desséché, à très forte dominante de prairies naturelles. La pluviométrie moyenne est proche de 800 mm/an, très variable entre les années et entre les saisons. C'est pourquoi ce milieu a un caractère humide prononcé à l'échelle de la parcelle et du territoire. Que ce soit en raison des bourrelets de curage des fossés autour des parcelles ou des baisses (anciens chenaux) à l'intérieur, il existe au sein des parcelles un micromodelé qui, du fait des inondations hivernales, favorise l'apparition d'une végétation spécifique et variée et la nidification d'oiseaux inféodés aux zones humides. B - Les mesures agri-environnementales
sur le milieu
Les OLAE ont été mises en place à la fin des années 80. Une première évaluation en 1994 de ces actions (10) a souligné la dispersion des parcelles sous contrat. Depuis, le zonage de la région a été précisé pour tenir compte de l'intérêt écologique particulier de certains secteurs. Pour tenir compte de ces deux remarques, représentants des agriculteurs, Administration et associations écologiques ont proposé à Ouest du Lay un contrat (dit «d'exploitation») intégrant l'ensemble de la sole fourragère d'une exploitation en marais (à condition que sa surface soit de 30 ha ou plus) et permettant une localisation de parcelles devant respecter des contraintes plus sévères. Il s'ajoute aux contrats classiques à la parcelle. Son respect suppose: (i) pour l'ensemble des parcelles, de ne pas dépasser un 385
chargement de 1,4 UGB/ha au pâturage et de ne pas pâturer I'hiver, (ii) pour 60% de la surface, de limiter la fertilisation à 70 unités d'azote, (iii) pour 40% de la surface choisie en lien avec les écologistes, de ne pas fertiliser les parcelles pâturées et d'en limiter le chargement à 1 UGB/ha, de limiter à 30 unités d'azote la fertilisation des prés de fauche qui ne pourront être récoltés
qu'à partir du 1er juin. Pour ce dernier ensemble de prairies, des conditions
particulières pourront être demandées aux agriculteurs par les protecteurs de l'environnement pour tenir compte du zonage effectué: elles porteront notamment sur le choix du pâturage au lieu de la fauche pour l'utilisation d'une parcelle. Au niveau des exploitations agricoles, ces demandes environnementales ont pour conséquences des réorganisations du système fourrager (5). C - Les méthodes d'étude choisies
Le périmètre retenu pour la mesure (4700 ha) concerne des exploitations d'une centaine d'hectares en moyenne, dont une partie hors marais peut-être utilisée pour la culture de céréales. Une cinquantaine d'entre elles (soit 2500 à 3000 ha) possèdent la surface minimale en marais requise pour souscrire le contrat d'exploitation (5) et 35 ont fait l'objet d'une enquête approfondie sur leur fonctionnement fourrager. Le principe de base de cette enquête est que l'utilisation des surfaces et la conduite des animaux suivent un programme basé sur un découpage spatiotemporel (1) : les animaux sont répartis en lots, les parcelles en blocs de conduite; les blocs sont affectées au cours du temps aux lots d'animaux et aux besoins en stockage. L'agriculteur peut expliciter dès le début de la campagne sa manière de répondre par des ajustements (anticipations, ...) à des situations qu'il repère comme prévisibles. L'enquêteur peut donc reconstituer ce programme et ces ajustements en identifiant les raisons que l'agriculteur évoque pour justifier ses choix. Un planning, reposant sur une cartographie des parcelles de l'exploitation, est le support de représentation de l'utilisation des différents blocs de parcelles au cours de la saison de végétation. L'enquêteur repère les déterminants du progralnme de l'éleveur et en déduit les marges de manœuvre du système (4). 2 - Les fonctions et les contraintes
spatiales des parcelles
La localisation des pratiques, qui peut faire l'objet de demandes de modification pour satisfaire les objectifs des protecteurs de l'environnelnent, peut se raisonner à partir des fonctions que peuvent jouer les parcelles et de leurs caractéristiques spatiales.
386
A
- Les
fonctions des parcelles
La description de l'utilisation des prairies, de ce à quoi elles servent dans le système d'alimentation des animaux, intègre, au-delà des modalités de leur mobilisation (itinéraires techniques), les attentes que l'éleveur se donne à leur égard. Pour cette description, Guérin et Bellon (3) introduisent la notion de fonctions, définie comme l'objectif de mobilisation de chacune des surfaces de l'exploitation. L'articulation entre ces fonctions exprime un ajustement entre l'offre du territoire disponible pour l'élevage et les besoins du troupeau. Les principales fonctions sont directement liées à l'alimentation du troupeau et concernent la fabrication de stocks ou bien les modalités d'alimentation au pâturage. On peut les différencier selon la destination de l'alimentation (état physiologique des animaux concernés) et la contribution à la couverture des besoins. Une même parcelle peut assurer plusieurs fonctions successives au court du temps: par exemple à constituer des stocks puis à être pâturée. D'autres fonctions sont signalées par Guérin et Bellon (3). Elles prennent l'appellation de fonctions sécuritaires et portent sur les régulations pour résoudre les problèmes de pénurie ou de pléthore, ou de soudures pour assurer la sécurité du pâturage. Elles peuvent enfin concerner la mise à I'herbe à travers les besoins de transitioll alimentaire ou la contention par l'installation de parcs ou encore la surveillance à certains moments de la vie des animaux; ce dernier ensemble de fonctions conduit à une mise en cause des résultats sur les parcelles qui sont concernées. Pour notre étude (tabl. 1), nous conservons les fonctions de confection de stocks et de pâturage. Pour le pâturage, nous introduisons une différenciation des fonctions selon la destination de celui-ci en explicitant le type d'animaux (vaches laitières ou allaitantes, jeunes, vaches de réfonne, bœufs) et leur état physiologique (période de lactation, âge des jeunes); nous mentionnons aussi la « promenade» des vaches laitières qui contribue peu à la satisfaction des besoins alimentaires. Ainsi, une parcelle pourra avoir une fonction «pâturage tournant», précisée par la Inention «alimentation des vaches laitières en production ». Ensuite, nous maintenons une fonction de régulation - soudure sous forme de parcelle tampon, dont l'utilisation peut varier d'une année sur l'autre entre pâturage et confection de foin pour tenir compte de la vitesse de repousse de I'herbe et de la satisfaction des besoins instantanés en pâturage. Enfin, la surveillance des animaux peut être signalée. B - Les fonctions des parcelles et le système d'alinlentation
Les fonctions ainsi définies sont identifiées par enquêtes et peuvent être reportées sur le planning évoqué ci-dessus. La figure 1 propose une 387
représentation du pâturage entre avril et juillet dans une exploitation du marais de Rochefort (1). C - Les contraintes
spatiales
Après analyse, les contraintes spatiales que nous avons retenues comme caractéristiques des parcelles se classent en deux catégories (tabl. 1) : les caractéristiques propres qui concernent les aspects physiques (hydromorphie, portance), géométriques, agronomiques (précocité, composition botanique), juridiques (communaux). les caractéristiques de leur positionnement relatif dans le territoire de l'exploitation qui concernent leur voisinage (appartenance à un îlot, accessibilité du matériel) ou leur éloignement par rapport au siège d'exploitation (bâtiments d' élevage).
3 - L'expression
des fonctions parcellaires
selon les contraintes
spatiales
Les contraintes spatiales autorisent plus ou moins facilement l'expression des fonctions parcellaires. Pour chacune des fonctions identifiées, nous pouvons construire une grille d'analyse de sa faisabilité. Dans les situations de protection de l'environnement qui nous intéressent plus particulièrement, les cahiers des charges proposés aux agriculteurs induisent de nouvelles contraintes sur les parcelles: celles-ci modifient les possibilités de réalisation de certaines fonctions. A - La grille d'analyse de la relation fonctions - contraintes
Pour réaliser le projet de l'exploitation, l'éleveur combine les fonctions des parcelles en tenant compte notamment des contraintes spatiales. Il ne peut choisir avec une égale chance de succès toutes les parcelles pour mettre ell œuvre les fonctions désirées. A partir de ce constat et en partant des diverses enquêtes réalisées depuis de nombreuses années dans les zones de marais, nous avons classé les chances de réussir les différentes fonctions selon les contraintes spatiales en quatre catégories: contraintes qui rendent la pratique impossible, risquée ou non optimale, ou bien contrainte sans effet sur la fonction (tabl. 1). Ainsi, l'éloignement du siège interdit le pâturage des vaches laitières ou allaitantes en début de production, rend plus risqué le pâturage des jeunes génisses en croissance et rend non optimal le pâturage de veaux en croissance; les règles découlant du statut de communal d'une parcelle en interdisent la fauche. . .
388
Il s'agit ici d'avis d'agronome, et non d'agriculteur sur leur situation propre. En effet, l'expression d'un avis externe permet la comparaison entre les situations, les agriculteurs faisant légitimement des choix plus ou moins risqués selon les caractéristiques de leur système. B - Les conséquences du cahier des charges de l'OLAE sur la facilité d'expression d'une fonction Le cahier des charges de l'Opération Locale de Ouest du Lay se traduit par deux contraintes complémentaires: - la réduction de la fertilisation azotée. Elle réduit la productivité des prairies, retarde la pousse de l'herbe et joue sur la qualité de la flore. L'ensemble des fonctions de pâturage et de confection de stocks est affecté, plus particulièrement celles portant sur le stockage de foin en quantité et le pâturage en prim'herbage, à la mise à l'herbe. L'alimentation des animaux exigeants est ainsi remise en cause. - le recul de la date de fauche. Il diminue la qualité du fourrage récolté et freine la repousse qui ne peut plus s'effectuer dans de bonnes conditions, en raison de la sécheresse estivale. Les fonctions de stockage de regain et de pâturage d'été après fauche et de pâturage d'automne sont particulièreluent altérées. Par ailleurs, le choix qui peut être imposé du pâturage implique de nouvelles contraintes pour lès parcelles concernées et réduit globalement la quantité de fourrages conservés; ainsi, d'autres modifications d'utilisation en sens inverse sont-elles projetées, qui supposent aussi le respect de nouvelles contraintes pour les parcelles. La grille d'analyse proposée au tableau 1, complétée par les nouvelles contraintes spatiales liées à l'application du cahier des charges environnemental, permet de raisonner au coup par coup les problèmes qui se posent aux agriculteurs. 4 - Exemple de prise en compte des contraintes niveau du système fourrager
environnementales
au
Nous illustrons ici, à partir d'un exemple sur une exploitation enquêtée à Ouest du Lay, les modalités du raisonnement possible pour évaluer les effets fonctionnels de l'introduction de contraintes liées à la protection de l'environnement. L'exploitationpossède un élevage constitué de 20 vaches laitières à 3500 kg et de 25 VA suitées. La prairie en Inarais constitue la quasi totalité de la surface fourragère (38 ha). Une description rapide des fonctions des prairies et des contraintes spatiales montre que 13 ha de prairies, toutes faciles d'accès, sont fauchés, tandis que 389
22 ha sont pâturés ,. les 4 ha restant, situés hors lnarais et à proxin1ité du bâtiment, ont une fonction de ((pron1enade » des vaches laitières. La surface pâturée est composée notan1n1ent de 13 ha de petites parcelles et de 5 ha présentant des difficultés d'accès. L'adaptation de la conduite de l'élevage aux contraintes spatiales 'est très liée à la fois à la petite taille des parcelles et à leur faible dispersion. Trois lots de pâturage sont constitués: deux lots de vaches et génisses allaitantes de deux ans; un lot de génisses laitières et allaitantes de 1 an. Les 3 lots d'anin1aux sont en pâturage tournant,. les éventuelles difficultés d'accès à certaines parcelles sont cOlnpensées par une faible vitesse de rotation qui rend alors le travail n10ins contraignant. L'éleveur est donc amené à accepter des chargen1ents élevés et à pratiquer la fauche (( par défaut » c'est
à dire lorsque la taille des parcelles et leur dispersion ne pern1ettent plus le pâturage. Notons deux fonctions clés pour le troupeau: une fonction de ((pâturage tournant» pour (( l'alimentation des vaches allaitantes en lactation ou suitées de jeunes veaux», qui traduit une forte exigence alimentaire, est associée à une des rares parcelles (A) de grande taille (près de 5 ha), difficilelnent accessible toutefois par les animaux en raison de multiples barrières àfranchir,. unefonction de (( confection de stock de foin en quantité» sur une parcelle facile d'accès (B), suivie d'une fonction ((pâturage d'été après fauche ». Les propositions des protecteurs de la nature pour le contrat agri environnemental consistent à 1- supprimer la fertilisation au pâturage (actuellement 30 unités d'azote) notamment sur la parcelle de grande taille (A) ; 2- demander une fauche tardive sur la parcelle B ou bien modifier son mode de récolte (pâturage sans fertilisation). Vues par l'éleveur, les conséquences des pratiques proposées sont, en suivant les items précédents: 1- une baisse de production. Pour compenser celle-ci, de nouvelles surfaces seront acquises en marais (7,6 ha) ; elles seront affectées en quasi-totalité au pâturage. Les parcelles utilisées pour la promenade des vaches laitières seront affectées à la mise à l'herbe des animaux allaitants, en raison de leur proximité des bâtiments. Les vaches laitières resteront en bâtiment, avec des conséquences sur le travail et, de façon moindre, sur l'affouragement à l'auge (l'ensilage de maïs du bocage et les concentrés seront plus mis à contribution). En ce qui concerne la parcelle A, conduite avec un chargement élevé de 2 UGB/ha au printemps, la suppression de la fertilisation pose question: l'agriculteur, qui va devoir envisager une rotation plus rapide en raison de la baisse de production, ne souhaite pas changer trop rapidelnent de parcelle en raison des contraintes d'accès. Il parvient à négocier avec les protecteurs de la nature que la suppression de la fertilisation ne concerne que 2 hectareS au lieu de 5. 390
2- une diminution de la surface en pâturage de qualité en août et septembre à cause de la fauche tardive. Sur cette parcelle B, qui sert en fin d'été aux vaches et aux veaux avant sevrage, l'agriculteur choisira le pâturage sans fertilisation plutôt que la fauche tardive. Cela évite de retarder la première exploitation et permet une repousse satisfaisante. Les ajustements complémentaires pour réaliser le foin seront effectués hors marais.
5 - Discussion et conclusion Dans le cas où les contraintes spatiales sont fortes et réduisent les possibilités de changement par simple pennutation de prairies, l'analyse conjointe des fonctions et des contraintes spatiales des parcelles souligne le risque plus ou moins grand pris pour localiser les pratiques. La grille d'analyse qui croise fonctions et contraintes spatiales des parcelles permet d'intégrer les contraintes nouvelles imposées par un cahier des charges extérieur, lié par exemple aux besoins des protecteurs de la nature. Il est alors possible de mettre en évidence des inflexions aux utilisations possibles des parcelles et de s'interroger sur la difficulté de maintenir le projet de l'exploitation. Si les changements techniques nécessaires sont coûteux ou si les objectifs de l'exploitation doivent être modifiés entraînant une baisse du revenu espéré, il faut envisager des compensations financières. Celles-ci font alors souvent intervenir directement d'autres acteurs qui sont amenés à peser de façon contractuelle à travers des cahiers des charges sur les choix des agriculteurs. Le périmètre d'application de ce cahier des charges est alors à prendre en compte, car selon la proportion de surface d'une exploitation concernée par la mesure, les efforts à consentir seront très variables.
Bibliographie (1) Bellon S., Chatelin M.H., Guérin G., Havet A., Moreau J.C., 1995. Analyse de la conduite du pâturage au printemps. Fourrages, 141, 33-55. (2) Caneill J., Capillon A., 1990. La destination des déjections animales en montagne: un enjeu pour les relations entre activité agricole et préservation de l'environnement. Fourrages, 123,313-328. (3) Guérin G., Bellon S., 1990. Analyse des fonctions des surfaces pastorales dans les systèmes fourragers en zone méditerranéenne. Etudes et Recherches sur les Systèmes Agraires et le Développetnent, 17,147-157. (4) Havet A., Kernéïs E., Périchon C., Steyaert P., 1996. Utilisation de parcelles en prairies naturelles: pratiques des éleveurs et fréquentation par l'avifaune limicole dans un marais du Sud-Vendée. Renc. Rech. Ruminants, 3, 33-35. 391
(5) Havet A., Périchon C., Kernéïs E., Steyaert P., 1997. Méthodologie de mise en œuvre d'un contrat d'exploitation pour protéger l'environnement Le cas des prairies naturelles humides (Vendée, France). In: Livestock farming systems, more than food production, Sorensen J.T. Ed., Wageningen Pers, Wageningen, The Netherlands, 75-79. (6) Lefeuvre C., 1995. Gestion agri-environnementale d'un territoire et élaboration d'une méthode d'approche. Mémoire de fin d'étude, ENITA Bordeaux, INRA SAD St Laurent, 66 p + annexes. (7) Le Houerou B., 1994. Transfert du fumier des cultures vers les prairies en Lorraine. Outils et méthodes pour changer les pratiques. Fourrages, 140, 471-488. (8) Martin P., Papy F., Souchère V., Capillon A., 2000. Ruissellement agricoles: cerner les marges de manœuvre par une modélisation des pratiques de production. Ingénieries EAT, 23, 25-37. (9) Morlon P., Benoit M., 1990. Etude méthodologique d'un parcellaire d'exploitation agricole en tant que système. Agronomie, 6,499-508. (10) Périchon C., Havet A., 1994. Mise en place d'une mesure agrienvironnementale dans les Marais de l'Ouest: critiques et reformulation. Renc. Rech. Ruminants, 1, 161-164. (11) Papy F., 2001. Pour une théorie du ménage des champs: l'agronomie des territoires. Colloque Olivier de Serres, Le Pradel, 27-29/09/00. C.R. Acad Agric. Fr., 87, 139-149. (12) Savini I., Landais E., Thinon P., Deffontaines J.P., 1993. L'organisation de l'espace pastoral. Des concepts et des représentations construites à dire d'expert dans une perspective de modélisation. Etud. Rech. Syst. Agraires Dév., 27, 137-160. (13) Thenail C., Baudry J., 2000. Relations entre les activités agricoles et l'utilisation des zones humides de fond de vallée. Rapport. TYPHON:
typologie fonctionnelle des zones humides - PNRZH.
392
Tableau 1 : Niveau de risque pris pour la réalisation d'une fonction dans une parcelle selon ses contraintes spatiales (exemples) Fonctions
Hydroln orp.
Portance
Taille
Précocité
St. foin de qualité (après pritn'herbage) St. foin de qualité (après fauche précoce) St. foin en quantité St. ensilage St. foin de regain P. en pritn'herbage P. à la lnise à l'herbe
***
***
*
***
***
*
***
***
***
*** *** ** *
P. toul11ant
P. d'été après fauche P. après d'été pâturage
* * *
** *** *
COlnp COln- Pas lnunal îlot bota. *** * *
***
*** * *
*** *** *** ***
*
***
P. d' autol1l11e
Access. lnatér.
Eloignelnent
*** ***
*
***
*
*** *** *** / / / / /
***
*
/ /
***
/
*
Alitn. VA en ** lactation Alitn. VA + Veaux
/
/
/
**
/
/
/
**
Alitn. vaches entretien Alitn. génisses 2 ans
/
/
/
/
/
/
*
/
Alitn. génisses 1 an
/
/
/
**
/
**
Alitn. VL en *** production Alitn. réfonnes, bœufs P. prolnenade VL
/
/
/
***
/
***
/
/
/
**
Parcelle tmnpon
***
/
***
***
/ /
***
***
*
*
Surveillance
***
***
**
Légende
I
I
La contrainte est sans effet sur la pratique pour réaliser la fonction La contrainte rend la pratique non optitnale pour réaliser la fonction * La contrainte rend la pratique risquée pour réaliser la fonction ** La contrainte interdit la pratique pour réaliser la fonction *** / Sans objet Alitn. : alitnentation St. : confection de stock P. : pâturage VA : vaches allaitantes VL : vaches laitières
393
***
*
***
Figure 1 : Fonctions identifiées au cours du pâturage (printemps et début d'été) en élevage bovin allaitant (Marais de Rochefort). D'après (1).
Numéro
Végétatioll
parcelle
Surlàce
Chargement
(ha)
imtantané
AVRlL
MAI
]{JIN JUILLET
1er passage
(VUB/ha) A4
PN
1,3
AI
PN
2,1
1,5 1,5
A2
PN
3,9
1,5
A3
PN
1,7
1,5
B4
PN
3,6
1,2
BI
PN
1,7
1,2
B2
PN
1,8
1,2
B3
PN
2,9
1,2
BS
PN
1,9
1,2
CI
PT
2,2
3,3
C2
PT
2,6
3,3
Dl
PN
2,4
D2
PN
2,9
D3
PN
3,0
D4
PN
3,0
PN : prairie naturelle PT: prairie temporaire _ génisses de 2 et I ans 8!!8 vaches allaitantes mettant bas il l'automne F : récolte de Ibin .. vaches allaitantes mettant bas au printemps
Dénomination des fonctions identifiées: 1 : Pâturage pour l'alimentation des génisses en prim'herbage tournant pour l'alimentation des génisses ou fauche pour l'alimentation des génisses pour l'alimentation
des vaches allaitantes
3: Pâturage d'été après pâturage 4: Pâturage à la mise à l'herbe 5: Pâturage tournant pour
l'alimentation
des vaches allaitantes et des veaux
l'alimentation
des vaches
l'alimentation
à l'entretien
7:
des vaches allaitantes en lactation
Pâturage d'été après pâturage pour l'alimentation des veaux
10: Récolte de foin en quantité.
394
2: Pâturage
6: Pâturage pour
Pâturage tournant pour 8: Parcelle tampon
9:
des vaches allaitantes et
Le schéma d'Organisation territoriale de l'exploitation agricole Un outil dans l'étude des relations agricultureenvironnement Christophe Toussaint SOULARD1, Pierre MORLON,lNicole CHEVIGNARD2
Résumé Peu de méthodes permettent aujourd'hui d'étudier spatialement les relations entre les pratiques mises en œuvre dans l'exploitation agricole et les différentes questions d'environnement qui peuvent se poser sur un territoire donné. Nous proposons la construction de croquis de l'exploitation agricole que représentent la ou les logiques de l'agriculteur sur son territoire et qui permettent la confrontation des pratiques mises en œuvre avec celles qui sont mises en jeu par les questions d'environnement identifiées sur un territoire donné. Son élaboration est le fruit d'une action collective de chercheurs et d'enseignants menée dans le cadre de stages de formation continue sur le diagnostic agri-environnemental de l'exploitation. Nous illustrons la mise en œuvre de cette méthode dans deux exploitations agricoles situées dans une région confrontée à des questions de biodiversité et de gestion de la ressource en eau: la Dombes (Ain). Ces résultats apportent de nouvelles connaissances sur les pratiques territoriales des agriculteurs et sur les changements spatiaux qu'implique la prise en cOlnpte de questions d'environnement se superposant sur un même territoire. Mots-clés: exploitation agricole - pratiques agricoles - environnement territoire - géographie Abstract Modelling farm territorial organisation. A methodological tool for studying the spatial relationships between agriculture and environment. ABSTRACT: There are contemporantly few methods allowing the investigation of the spatial relationships between agricultural practices on farms and local environmental problems. We propose a modelling method of farm crossing the spatial inscription of agricultural practices with the spatial
1 INRA Systèlnes Agraires et Développelnent Dijon 2 Etablisselnent national d'enseignelnent supérieur agronolnique
de Dijon (ENESAD)
inscription of environmental problems in a local rural area. The examples come from a joint work done by researchers, teachers and adult trainees. Here we present the results of the research method as practised on two farms in La Dombes, a rural area with many ponds used for fish production and hunting, near Lyon (France). We argue that this method enables understanding and creates knowledge about farmers specific spatial practices which are an essential element in any attempt to resolve local environmental problems. ](eywords: farm - agricultural practices - environment - territory geography -
Introduction
Peu de méthodes permettent aujourd'hui d'étudier spatialement les relations entre les pratiques agricoles et les différentes questions d'environnement qui peuvent se poser sur un territoire donné. Dans le passé, l'espace - et plus encore, le territoire - n'ont pas été des concepts placés au cœur des méthodes d'étude de l'exploitation agricole les plus couramment utilisées dans l'enseignement agricole et le développement [5] [7] [16]. Par la suite, plusieurs méthodes ont été mises au point pour faire des diagnostics agri-environnementaux, soit à l'échelle de l'exploitation (ex: Dexel, méthode IDEA, nombreuses méthodes de type «éco-bilan », .. .), soit à l'échelle de territoires plus larges [1]. Cependant ces méthodes ne considèrent pas l'interface entre l'exploitation et le territoire comme l'objet même du diagnostic. Or, c'est précisément sur ce point que des enseignants et des conseillers en charge d'actions nouvelles (mesures agrienvironnementales, action démonstration agriculture durable des lycées agricoles) venus dans les stages de formation continue ont exprimé des demandes de méthode. C'est donc au cours de stages successifs qu'est née l'idée, d'abord d'adapter, puis de concevoir en totalité une nouvelle ll1éthode d'étude de l'exploitation agricole qui s'appuie sur une analyse du territoire. Cette méthode vise à comprendre comment l'agriculteur perçoit, utilise et transforme son territoire d'exploitation; tout en prenant en compte les relations avec les territoires englobants à l'échelle desquels se posent des questions agriculture - environnement. L'hypothèse qui la sous-tend est que l'approche par l'espace est pertinente aujourd'hui pour comprendre comment se conçoivent, se mettent en œuvre et se transforment les pratiques agricoles [23]. Partir de cette hypothèse nous paraît fondé pour au moins deux raisons. D'une part, les dynamiques internes d'évolution des exploitations agricoles, comme l'agrandissement des surfaces ou la coordination du travail, voire de l'assolement, entre exploitations plus ou moins distantes, modifient l'échelle et donc la nature des problèmes spatiaux 396
à résoudre. D'autre part, les questions d'environnement posées aujourd'hui placent l'espace et le territoire au cœur de l'analyse des pratiques agricoles: les pratiques ne peuvent plus être analysées et évaluées seulement à l'échelle de l'exploitation mais aussi à l'échelle d'unités de fonctionnement des systèmes biophysiques faisant l'objet d'une gestion [19]. La multiplication des découpages et zonages issus des politiques de l'environnement deviennent des unités territoriales à l'intérieur desquelles de nouvelles pratiques s'élaborent [10]. Comment donc introduire l'espace comme entrée d'analyse des pratiques agricoles? Comment prendre en compte les interactions entre les territoires d'exploitation et les unités territoriales de gestion de l'environnement? Comment envisager in fine des stratégies possibles pour concilier environnement et développement? Le schéma d'organisation territoriale de l'exploitation agricole est un outil proposé pour répondre à ces questions. Il consiste à construire des croquis de l'exploitation agricole qui visent à représenter la ou les logiques de l'agriculteur sur son territoire et qui permettent la confrontation des pratiques qui en résultent avec celles qui sont concernées par les questions d'environnement étudiées. 1 - Matériel et méthode A -Terrain d'étude
La méthode proposée a été élaborée au cours de stages de formation continue de l'ENESAD depuis 1996. Les résultats présentés dans cet article sont issus d'un stage réalisé en 2001 dans la Dombes. La Dombes (Ain) forme un plateau de basse altitude (200 à 350 m), d'origine glaciaire et recouvert de limons. Sa morphologie présente un faible relief festonné qui enferme dans ses plis des étangs retenus par des digues et alimentés par les eaux pluviales grâce à un lacis de fossés très dense. Alternativement quelques années en eau (évolage) et un an en culture (assec), lieux convoités pour la cllasse au gibier d'eau, les étangs de la Dombes. sont au cœur de relations interdépendantes et concurrentes entre l'agriculture, la chasse et la pêche [21]. L'agriculture de la Dombes associe la polyculture et l' élevage3 dans un contexte foncier historiquetnent dominé par la grande propriété citadine [4]. Il en résulte une morphologie agraire particulière, avec des exploitations comprenant une ou plusieurs unités de quelques dizaines d'hectares, correspondant aux fermes des grands domaines. 3 Deux systètues de production prédotuinent en Dotubes exploitations et la céréaliculture avec 38 % [8].
397
: le systètue spécialisé
en lait avec 30 % des
Les enjeux environnement aux sont devenus très forts en Dombes qui est aujourd'hui une zone humide reconnue pour sa richesse écologique, notamment en ce qui concerne l'avifaune nicheuse [6]. Le travail préparatoire du stage a permis d'identifier une liste de huit questions d'environnement posées sur ce territoire et qui concernent l'agriculture locale [24]. Trois questions ont finalement été retenues pour l'étude: QI préservation des zones de nidification des oiseaux d'eau; Q2 maintien de la qualité de l'eau des étangs; Q5 maîtrise des niveaux d'eau des étangs. Leur analyse a permis de définir les pratiques agricoles concernées, ainsi que leur localisation dans l'espace dombiste (tab. 1, fg. 1).
B - Obtention des données dans les exploitatiolls Il s'agit d'une enquête: c'est l'agriculteur qui fournit les informations. Le premier travail consiste à relever le parcellaire d'exploitation sur un fond de carte agrandi, en prenant soin de numéroter chaque parcelle tout en notant comment l'agriculteur les nomme et ce qu'il en dit. Ensuite, le recueil du matériau discursif s'effectue en deux temps: une première enquête vise à recueillir les informations sur la perception et l'utilisation du territoire d'exploitation par l'agriculteur; une seconde enquête réalisée les jours suivants permet de valider une première ébauche du schéma (esquissée entre temps) puis d'aborder avec l'agriculteur l'étude des pratiques agrienvironnementales concernées par les trois questions retenues. L'enquête combine méthodes sociologique et géographique. Elle est construite et menée selon les principes et les teclmiques de l'entretien compréhensif [14] [2] et exige que l'agriculteur inscrive précisément certaines informations sur le fond de carte. Par cette méthode d'enquête, nous cherchons d'abord à repérer et localiser les informations sur l'espace présentes dans le discours, puis nous essayons d'en comprendre la signification au regard de la pratique de l'agriculteur. L'objectif visé est d'obtenir un système d'argulllents suffisamment cohérent pour comprendre le lien entre espace et pratique, et d'être ainsi en mesure de saisir des logiques d'action sur l'espace. Ces logiques rendent compte de la « théorie de l'action» en fonction de laquelle l'agriculteur intervient sur l'espace, en lien à la fois avec le fonctionnement de son exploitation et avec l'organisation du territoire [23].
C - Construction du sclléma La construction du schéma consiste en l'élaboration de quatre croquis thématiques: partitions et dénominations du territoire d'exploitation; conduite des surfaces cultivées; conduite des surfaces en herbe (y.c. 398
conduite du troupeau) ; relations sociales et pratiques agrlenvironnementales. Le choix et le contenu des croquis thématiques ont été détern1inés en fonction des entrées qu'évoquent spontanément les agriculteurs quand ils décrivent leur espace. Par exemple, cela nous a amené à privilégier une approche de la conduite des cultures à partir des choix culturaux et des stratégies d'assolement, en référence à la succession culturale [17]. Pour les surfaces en herbe, nous avons retenu l'approche par la circulation des troupeaux sur les parcelles pendant la campagne de pâturage [13]. Ces approches techniques ne couvrent pas toutes les composantes du rapport à l'espace des agriculteurs. Le premier croquis a donc pour but de représenter comment l'agriculteur nomme et qualifie l'espace, quel est pour lui « le sens des lieux ». Le remplissage et l'interprétation des croquis tiennent compte des résultats des travaux qui traitent des relations entre pratiques agricoles et espaces. Une lecture transversale permet de dégager au moins trois principes majeurs de l'organisation spatiale des pratiques agricoles: a) L'utilisation d'une parcelle quelconque ne peut se comprendre qu'en rapport à la place qu'elle occupe dans le parcellaire et dans la logique générale de l'exploitation [18] [12]. Il faut donc étudier le fonctiolmement global de l'exploitation et considérer le parcellaire COlnme un système de « fonctions parcellaires» en interrelations; b) Entre la parcelle et l'exploitation, des enselnbles spatiaux intermédiaires se révèlent opératoires dans la pratique. Les chercheurs distinguent parfois des unités fonctionnelles et des unités structurelles, avec une grande diversité de termes pour les qualifier: îlots, blocs, secteurs, quartiers, etc. ; c) Pour des raisons d'organisation du travail, les productions les plus importantes pour l'exploitation sont souvent proches des bâtiments, par exemple: pâturage des vaches laitières en Lorraine [3], parcelles de betteraves dans le Bassin Parisien [22], parcs réservés aux anitnaux reproducteurs en élevage allaitant [9]. La synthèse finale du schéma est obtenue par confrontation et agrégation des croquis thématiques. Elle représente la ou les logiques d'action de l'agriculteur sur son territoire et permet la confrontation des pratiques qui en résultent avec celles qui sont concernées par les questions d'environnement. Cette confrontation permet d'ébaucher un diagnostic en terme de questions prospectives à explorer pour concilier environnement et développement. 3
- RESULTATS
Nous présentons la mise en œuvre de notre méthode dans deux exploitations agricoles, lors d'un stage de formation continue de l'ENESAD 399
A - L'exploitation au climat»
X. « tout est géré de la même façon...
on s'adapte
Jean4 conduit avec son épouse une exploitation sur laquelle il s'est installé à la suite de ses parents, il y a 10ans. Les 100 ha de SAD sont tout en fermage; seul le bâtiment VL est en propriété. La production principale est le lait (quota de 275 000 1): 40 vaches laitières alimentées à partir d'herbe (40 ha de prairies temporaires exploitées en ensilage, foin et pâturage) et d'ensilage de maïs (10 ha). Les autres productions sont les cultures de vente (blé principalement, maïs, colza, pois) et quelques vaches limousines dont s'occupe le père, en retraite. Dans le passé, le développement de l'exploitation a été marqué par l'amélioration interne du parcellaire: le drainage de 60 ha a permis la suppression de fossés, l'arrachage de haies et le redécoupage des parcelles. Aujourd'hui, l'objectif est d'améliorer les conditions de vie et de travail, tout en assurant une bonne gestion des parcelles et en étant attentif aux problèmes d'environnement. La suppression de la traite du dÎlnanche soir l'été, le passage au semis sans labour, l'introduction du compostage et la plantation de haies, illustrent cette nouvelle orientation. Construction du schénla (fig. 2) Pour décrire son territoire d'exploitation, Jean commence par l'évocation des « terrains de l'exploitation» qu'il juge assez hOlllogènes (peu d'argile, beaucoup de limons, pH bas « qu'il faut faire ren10nter »), en insistant sur le fait que « tout est géré de la n1êlnefaçon ... on s'adapte au clilnat ». Il distingue ensuite « les deux sites» correspondant aux fermes qu'il loue à deux propriétaires différents: le site principal où il a sa maison et le bâtiment des VL et qu'il nomme «ici », par opposition à «l'autre exploitation» située à 1 km. Alors que les «terrains» sont d' elnblée associés à un discours sur les pratiques de production, l'évocation des « sites» se rapporte aux relations avec les propriétaires et les chasseurs qui contrôlent l'usage des étangs qui bordent l'exploitation. Ces relations sont bonnes sur le site principal de l'exploitation et conflictuelles sur l'autre. Sans être ni propriétaire ni exploitant d'étang, l'agriculteur est concerné par leur gestion via la chasse sur ses terres et les inondations sur ses parcelles situées en bordure d'étang.
4 Précisions
de lecture: 1. pour respecter l'anonYlnat, nous avons Inodifié les naIns de personnes et de lieux, anondi les données chiffrées concen1ant les exploitations et légèrelnent défonné les contours des plans parcellaires; 2. Les expressions littérales de l'agriculteur sont en italiques entre guillelnets.
400
La conduite des surfaces cultivées repose sur trois prInCIpes organisateurs: d) une priorité fourragère dans la prévision annuelle d'assolement (faite en août) « il faut au nl0ins 40 ha de prairies tenlporaires pour assurer les stocks, après j'essaie d'utiliser le reste» ; e) l'objectif d'appliquer sur toutes les parcelles une « rotation-type» (prairie 5 ans / maïs 1 ou 2 ans / blé / orge / colza), avec des réalisations moins parfaites sur les parcelles non drainées « là, il Y a lnoins de logique que l'on puisse respecter », dans les « coins séchants» (sorgho, prairies semées avec fétuques) et dans les parcelles inondables (pas de cultures d'hiver, les prairies reviennent plus souvent) ; f) du nlatériel commun performant avec un agriculteur voisin pour travailler en bonnes conditions (intervenir aux bOlliles dates, éviter d'abîmer les sols). La conduite des surfaces en herbe repose sur une organisation des pratiques nettement polarisée autour des bâtiments d'exploitation. Jean distingue deux groupes de parcelles: les prairies ensilées puis pâturées (situées sur la zone drainée), les prairies non pâturées (ensilage + foin) qui sont aussi les plus éloignées (ou sans clôtures). Les vaches laitières, les vaches taries et les génisses de - d' 1 an, sont en pâturage tournant à proximité des bâtiments. Les génisses de 1 à 2 ans, sont mises sur les parcelles de « l'autre exploitation », où le père peut les surveiller. Les prairies de la zone pâturée sont mieux entretenues que les autres: elles reçoivent tout le compost, le chaulage y est plus régulier. C'est également dans cette zone que Jean cherche à récolter le maximum d'ensilage de maïs, afin de réduire les trajets lors du chantier de récolte. La discussion sur les questions d'environnement retenues dans l'étude (tab. 1) permet d'identifier des pratiques que Jean relie aux questions d'environnement telles qu'il les perçoit à son niveau. Ce relevé (fig. 2) permet d'identifier: a) des pratiques favorables à l'environnement en bordure d'étangs: ces pratiques s'imposent à l'exploitant (inondations) pour qui c'est une réponse à une contrainte de voisinage; b) des « bonnes pratiques» qu'il met en oeuvre pour « faire le mieux possible, tout en respectant l'environnement» (ex: composts, haies brisevent, ...), mais en partie décalées par rapport à celles qui répondraient aux questions locales QI (nidification) et Q2 (qualité de l'eau) ; c) le rôle des discussions avec les chasseurs dans l'appropriation du questionnement agri-environnemental (avec des cas de figure opposés entre sites 1 et 2).
401
Synthèse
et diagnostic
(tab. 2 et fig. 3)
L'étude de l'exploitation fait ressortir le poids des découpages du territoire en fonction de l'aménagement des terrains (drainage) et de la localisation des parcelles (distance et agrégation). L'étude des questions d'environnement met en relief d'autres découpages du territoire: domaines de chasse, bordures d'étang. Il est donc possible de construire un schéma de synthèse qui représente ces découpages et les logiques d'utilisation du territoire qui en découlent (tab. 2 et fig. 3) et de poser un diagnostic sur les questions que soulèverait le traitement des questions d'environnement. Sur la zone de la logique Xl (cœur d'exploitation), l'agriculteur a terminé ses actions d'amélioration foncière et se consacre maintenant à un perfectionnement technique qui intègre un souci environnement al. Cette nouvelle orientation contribue indirectement à une prise en compte de la question Q2 (qualité de l'eau) via le souci d'une bonne gestion agronomique des sols et les discussions avec les chasseurs au sujets des produits nocifs pour le gibier. Le cas de QI (nidification) est différent. Un décalage entre la logique de l'exploitation et la logique envirolUlementale apparaît. Le système herbager repose sur des prairies ternporaires fréquemment renouvelées et fauchées précocement, ce qui est défavorable à la nidification. L'exploitant le constate lui-même car il estime détruire chaque année au moins I nid par parcelle fauchée. En terme de prospective, plusieurs questions pourraient être explorées: comment renforcer la pérennité du système herbager? est-il possible de maintenir les pratiques actuelles (fauche précoce) tout en évitant de faucher les nids? est-il possible de les changer en valorisant des prairies tardives localisées le long des étangs? La zone X2 (périphérie non drainée) pose des problèmes différents car la logique de l'agriculteur est moins tournée vers l'environnement: pour lui, le projet de drainage est un préalable au perfectionnement des pratiques. De plus, les relations avec les chasseurs sur cette zone sont conflictuelles. Deux scénarios pourraient être imaginés pour améliorer la situation: d) évoluer vers Xl: ce qui suppose une politique de drainage « écologique », une gestion fine des parcelles les plus éloignées et une amélioration des relations avec les chasseurs; e) évoluer vers X3 : c'est à dire, vers une gestion qui relève plus de l'entretien que de la production, ceci supposant, du point de vue de l'agriculteur, des subventions conséquentes.
B -L'exploitation
Y. « on passe notre telnps à se balader sur les routes»
Bernard et Michel ont formé un GAEC entre voisins il y 5 ans. Ils louent à des membres de leurs deux familles la totalité des 200 ha qu'ils exploitent. Les productions principales sont l'élevage de volailles hors-sol et les 402
cultures de vente (maïs 65 ha, blé 50 ha, colza 20 ha, soja 20 ha). Cultures et élevage apportent chacun l'équivalent d'un salaire. Michel s'occupe de l'élevage. Bernard, qui a répondu à notre enquête, s'occupe des cultures et se consacre avec plaisir à l'exploitation piscicole des 20 ha d'étangs compris dans l'affermage: « les étangs, c'est ma passion ». Les principales évolutions récentes de l'exploitation sont l'arrêt de l'élevage bovin viande et la mise en culture des prés, ainsi que l'abandon du labour sur toute la surface cultivée. Aujourd'hui, les améliorations souhaitées sont le drainage (une centaine d'ha concernés) et le regroupement du parcellaire par échanges ou achats fonciers. A plus long terme, Bernard voudrait réduire la dépendance du système actuel vis-à-vis de la PAC et souhaite développer l'activité piscicole. Construction du schénla (fig. 4) Pour décrire son territoire d'exploitation, Bernard désigne cinq entités: trois «fermes» au parcellaire groupé, situées à 2 et 4 km les unes des autres ; deux groupes de parcelles éloignés (30 ha sur L. à 12 km et Il ha sur M. à 25 km). Ces entités correspondent aux propriétés familiales dont le GAEC est locataire. Leur description associe les aspects foncier et travail. Michel passe la plus grande partie de son temps sur «les deux fermes qui lui viennent de son père et de son oncle» (fermes 2 et 3) où sont localisés les bâtiments d'élevage. Bernard s'occupe des cultures pour lesquelles le matériel est réparti sur les fermes 2 et 1 : « sur cette ferme-là, il n 'y a qu'un tout petit hangar pour le lnatériel, donc tout le lnatériel est chez lnon père, avec le banc d'établi. En voiture ça se fait vite, mais en tracteur... ». La perception du territoire est marquée par les contraintes de déplacements qu'implique la dispersion des parcelles et des lieux de travail: «on se balade tout le ten1ps sur les routes». L'évocation des terrains intervient en second plan: « c'est tout du limon battant hydron10rphe acide à 12-15% d'argile ». C'est surtout l'absence de drainage qui préoccupe l'agriculteur: « 18ha de drainés alors qu'il en faudrait 120 Il y a des jours où on ne fait rien et d'autres où on fait la course ». Dans le cas des parcelles les plus lointaines, la distance n'est acceptée que parce que le sol est différent: « M c'est à 1h15' de tracteur, presque 2h en n10iss-batt, pour Il ha ... et là on a pas la possibilité d'échanger. Le seul avantage c'est qu'il y a 40 % d'argile, on peut les travailler en plein hiver ». En résumé, les contraintes de travail guident l'appréciation du parcellaire et des terrains: « les trois fermes ont le mên1e inconvénient: distance et pas drainé». L'organisation de la conduite des cultures a complètelnent changé depuis le passage au semis sans labour. L'amélioration de la portance des sols permet d'étaler les interventions et donc de faire face à la pointe de travail des semis de printemps. Par contre, les successions culturales sont plus aléatoires (plus de blé derrière maïs, impossibilité d'implantation du soja, 403 .
difficulté sur colza qui supporte mal l'excès d'eau hivernal): «avant on avait des rotations bien cadrées, maintenant ... colza / blé / blé / lnais / mais ». A cause de la distance, les parcelles les plus éloignées sont peu soignées: « sur M mais sur n'lais depuis la nuit des telnps » ; « sur L., c'est tout la même culture. Quand on y va, on Jait tout ... on se récolte pas toujours aux bonnes humidités ». La simplification du système de culture n'est pas déconnectée d'une préoccupation environnementale due à l'exploitation piscicole des étangs situés sur la ferme 2 (fig. 4). Cette seconde activité a des répercussions directes sur le raisonnement des cultures que l'agriculteur doit articuler avec l'activité piscicole, elle-même étant à coordonner avec la chasse dont le contrôle revient au propriétaire. Plusieurs exemples illustrent cette préoccupation: a) localisation des jachères de la PAC (gel fixe) en bordure de parcelles: filtre à polluants en bordure d'étangs, aires de stationnement et de manœuvre du matériel lourd, permettant aussi de rectifier la géométrie des parcelles « mal fichues» ; b) pratiques phytosanitaires: pas d'achat de produits phytosanitaires jugés nocifs pour le plancton, le poisson ou le gibier (ex: antigerminatif soja), désherbage du maïs en post-levée, heures d'interventions raisonnées en fonction de l'hygrométrie, fermeture des vannes des étangs quand d'autres agriculteurs situés en amont traitent le maïs; c) pratiques dans les étangs: semis d'avoine plutôt que maïs, entretien des roselières, faucardage ; d) demande au propriétaire d'autorisation d'arrachage de haies là où cela gène le travail agricole moyennant projet de plantations dans des secteurs intéressant le domaine de chasse. La mise en œuvre de ces pratiques suppose une entente avec le propriétaire, les chasseurs, les exploitants d'étangs situés en aIllont de l'exploitation, ainsi qu'une surveillance des pratiques agricoles mises en œuvre par d'autres agriculteurs en aIllont des étangs. Synt/tèse et diagnostic (tab 4 et fig. 5) L'étude agricole fait ressortir la hiérarchie des lieux qu'implique le souci de réduction des contraintes de travail liées aux distances à parcourir (entre les 3 fermes et les blocs éloignés), ainsi que les interdépendances entre les activités agricole et piscicole et leurs répercussions territoriales (domaine de chasse, aire de gestion de l'eau). Il est possible de construire un schéIlla de synthèse qui intègre ces fonctionnements spatiaux: trois logiques sont identifiées et localisées (tab. 4 et fig. 4). Cette synthèse permet de poser un diagnostic sur les conditions de traitement par l'agriculteur des questions d'environnement posées localement. C'est à travers la logique Y3 que l'on peut saisir comment l'agriculteur peut aborder ces questions. 404
Bernard expérimente des pratiques qui contribuent au maintien de la qualité de l'eau des étangs (Q2) en fonction d'effets sur le milieu qu'il pressent ou constate via la production piscicole. Appliqué à l'heure actuelle sur la ferme 2, ce raisonnement pourra s'étendre à la ferme 1, où il souhaiterait reprendre ou créer de nouveaux étangs. En terme de diagnostic, cette convergence entre la logique de l'exploitation et la question Q2 devrait faciliter une réflexion approfondie sur l'efficacité des pratiques mises en œuvre, par ex. : localisation, configuration et mode de gestion des bandes de jachère' fixe afin d'augmenter leur pouvoir épurateur; stratégie d'épandage des engrais de ferme; prospective pour une politique de drainage et de réaménagement parcellaire compatible avec la qualité de l'eau et avec la chasse. Concernant QI (nidification), depuis le retournement des prairies qui a suivi l'arrêt de l'élevage, l'aire de nidification des oiseaux d'eau est réduite aux seules bandes de jachères fixes bordant les étangs. En terme de prospective, une première piste d'amélioration pourrait être de raisonner la localisation et la gestion de ce dispositif jachères en fonction de la nidification. Une seconde piste serait la réintroduction d'un élevage valorisant I'herbe, ce qui supposerait, soit une réorientation - peu probable car peu rentable - du système d'exploitation vers l'élevage herbager, soit des échanges parcellaires avec des voisins éleveurs. Une troisième hypothèse possible serait d'associer l'élevage au développement de l'exploitation piscicole des étangs, en s'appuyant par exemple sur ce qui se pratiquait autrefois en Dombes (élevage de chevaux).
3
- Discussion
A - Mise en œuvre de la méthode
L'expérimentation de la méthode en situation éducative a permis d'apporter des éléments d'appréciation issus des travaux réalisés par les stagiaires. Tout d'abord, elle s'est révélée un bon outil de compréhension des relations entre environnement, territoire et pratiques agricoles. L'entrée par l'espace apporte un regard sur l'exploitation qui permet de saisir ses interactions avec les territoires où sont identifiés les questions d'environnement. Par contre, deux difficultés méthodologiques sont apparues: d'une part, la maîtrise de la conduite de l'entretien compréhensif reste difficilement accessible aux non spécialistes des sciences sociales; d'autre part, la construction des croquis cartographiques n'a pas été faite selon des règles permettant d'homogénéiser les présentations, ce qui a surtout poser problème lors du schéma de synthèse quand il s'agissait de représenter des fonctionnements spatiaux. 405
Ces enseignements montrent qu'un besoin de clarification de certains points de méthode est encore nécessaire. Mais surtout, il faut aller plus loin dans la finalisation du travail en développant la partie diagnostic et prospective territoriale. Cette amélioration nécessite de retravailler les représentations. spatiales afin d'en faire un véritable outil d'aide au développement territorial, dans l'esprit des travaux menés par Lardon et al. [15]. B -Enseignements et perspectives théoriques L'étude de deux exploitations agricoles ne prétend pas décrire la diversité des relations entre exploitations et territoires. Nous pouvons cependant tenter d'interpréter les contrastes qui ressortent des deux cas d'étude: les distances aux parcelles, le maillage routier, le statut foncier des fermes, agissent comme critères de premier rang dans l'organisation territoriale de l'exploitation Y; dans l'exploitation X au contraire, les critères prelniers sont l'entretien des terrains et l'amélioration interne du parcellaire. Pour l'une comme pour l'autre, les questions d'environnement étudiées font intervenir d'autres critères de découpages de l'espace (étang, bordures et couronnes d'étangs, bassins d'approvisionnement en eau, .0.) qui viennent donc se superposer à ceux de l'agriculture. L'étude des pratiques agrienvironnementales illustre les tentatives de mises en cohérence qu'opèrent les agriculteurs pour agencer ces différentes logiques territoriales. Les deux cas d'étude sont exemplaires: dans l'exploitation X, le décalage entre logique agricole et logique environnementale est net car le raisonnement territorial des pratiques environnement ales se réfère à l'amélioration du territoire agricole (respect des sols, ornement, relations avec les chasseurs) mais pas aux questions d'environnement qui se posent à l'échelle de la Dombes; dans l'exploitation Y, l'activité piscicole conduit indirectement l'agriculteur à un raisonnement territorial des pratiques environnementales qui s'articule naturellement avec les espaces à l'échelle desquels les questions d'environnement demandent d'agir (eau notamment). En définitive, ces résultats montrent la nécessité d'intégrer à l'étude des pratiques le nombre croissant de « territoires d'action» que les agriculteurs sont amenés à prendre en conlpte pour organiser leur travail et leur territoire d'exploitation, à l'image de ce que Papy [20] préconise pour l'agronomie dans sa «théorie du ménage des champs ». Cela implique d'abord d'interroger la notion même de « territoire d'exploitation» car elle se révèle insuffisante pour comprendre les pratiques territoriales des agriculteurs et surtout les nouvelles conditions de transformations de ces pratiques [11] . Il faut inclure aussi la notion « d'espace de travail », c'est à dire l'ensemble des connexions entre le territoire d'exploitation, les lieux que fréquentent l'agriculteur dans son travail (lieux d'approvisionnement, de livraison, de 406
stockage du matériel...), les circuits empruntés pour intervenir sur les parcelles, et les relations avec les exploitations voisines où l'agriculteur intervient pour les travaux en commun. Nous pouvons faire l'hypothèse que cette extension de l'espace d'étude est un moyen d'accéder à une meilleure compréhension de l'interface entre l'exploitation et d'autres territoires d'action
Remerciements: nous rentercions nos collègues encadrants du stage (B.Berger, JL.Maigrot, F. Ma th ey, P.Pierret), les stagiaires et les agriculteurs qui ont accepté de nous recevoir.
407
Références
bibliographiques
[1]. ADEME-MAP (1997) - Interactions entre agriculture et environnen1ent: quels outils de diagnostic? Actes du colloque ADEMEMinistère de l'Agriculture et de la Pêche, Paris, 2 avril, pp. 29-82. [2]. BEAUD S., WEBER F. (1998) - Guide de l'enquête de terrain. Ed. La Découverte, colI. Repères, 328 p. [3]. BENOIT M. (1985) - La gestion territoriale de l'activité agricole. L'exploitation et le village: deux échelles d'analyse en zone d'élevage. Cas de la Lorraine: région de Neufchâteau. Thèse INAPG, 184p+annexes.
[4]. BERARD L. (1989) - Structures foncières et organisation sociale en
er_2ème Dombes au début du Xxème siècle. Le Inonde Alpin et Rhodanien, 1 trimestres, pp. 39-56. [5]. BONNEVIALE J.R., JUSSIAU R., MARSHALL E. (1989) Approche globale de l'exploitation agricole. Comprendre le fonctiolmement de l'exploitation agricole: une méthode pour la formation et le développement. Ed. INRAP, 329 p. [6]. BROYER J. (2000) - La Dombes: espace d'équilibre ou simple substrat pour l'agriculture céréalière? Courrier de l'Environnenlent de 11NRA,no40,pp.63-65.
[7]. CAPILLON A., MANICHON H. (1991)
-
Guide d'étude de
l'exploitation agricole à l'usage des agronomes. DOCUlnent Chaire d'Agronomie - INA-PG, Paris, deuxième édition, 65 p. [8]. CHAMBRE D'AGRICULTURE DE L'AIN (2000) - Diagnostic agricole pour la préparation du schénla directeur en DOlnbes. Rapport, avril 2000, 24 p.
[9]. DEDIEU et al. (1996)
-
Contraintes de travail et conduite au
pâturage: des exelnples en élevage bovin viande de zone herbagère. Rene. Rech. Ruminants, n03, pp. 1-44. [10]. DEVERRE C., MORMONT M., SOULARD C.T. (2002) - La question de la nature et ses conséquences territoriales. ln P. PERRIERCORNET dire - «Repenser
les calnpagnes ». Ed. de l'Aube, Datar, pp. 217
-
238. [11]. DORE T., LE BAIL M., MARTIN P., PAPY F. (2002) - Les exploitations agricoles et la gestion des territoires: questions de recherche. ln BILLAUD J.P (ed) - «Environnelnent et gestion des territoires L'expérience agri-environnelnentale française ». Ed. La doculnentation française, Paris, pp. 135-159. [12]. FLEURY Ph., JEANNIN B. (1998) - Fonctionnement technique des exploitations agricoles et conséquences sur les paysages perçus par les usagers dans les Alpes du Nord. Etud. Rech. Syst. Agraires Dév., n031, pp. 135-151. 408
[13]. JOSIEN E., DEDIEU B., CHASSAING C. (1994) - Etude de l'utilisation du territoire en zone herbagère. L'exemple du réseau extensif Limousin. Fourrages, n° 138, pp. 115-134. [14]. KAUFMANN (1996) - L'entretien compréhensif. Ed. Nathan, Paris, 127 p. [15]. LARDON S., MAUREL P., PIVETEAU V. (2001) Représentations spatiales et développement territorial. Ed. Hermès Sciences Publications, Paris, 437 p. [16]. MARSHALL E., BONNEVIALE JR., FRANCFORT I. (1994) Fonctionnement et diagnostic global de l'expoitation agricole. Ed. ENESAD-SED, Dijon, 173 p. [17]. MAXIME F., MOLLET J.M., PAPY F. (1995) - Aide au raisonnement de l'assolement en grande culture. Cahiers Agricultures, n04, pp. 351-362. [18]. MORLON P., BENOIT M. (1990) - Etude méthodologique d'un parcellaire d'exploitation agricole en tant que systèlue. Agronomie, pp 499508. [19]. PAPY F. (1992) - Agriculture et environnelnent : des élélnents de réflexion. Bull. Tech. ln!, n02, pp. 2-11. [20]. PAPY F. (2001) - Pour une théorie du ménage des champs: l'agronomie des territoires. C.R. Acad. Agric. Fr., 87, n04, pp. 139-149. [21]. SCEAU R. (1980) - Les étangs de la Dombes: fondements socioéconomiques d'un système hydraulique. Revue Géographique de Lyon, 2, pp. 129-159. [22]. SEBILLOTTE M., SERVETTAZ L. (1989) - Localisation et conduite de la betterave sucrière. ln SEBILLOTTE (Eds) - Fertilité et systèmes de production, Ed. INRA, Paris, pp. 308-344. [23]. SOULARD C.T. (1999) - Les agriculteurs et la pollution des eaux. Proposition d'une géographie des pratiques. Thèse de géographie de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 424 pages.
[24]. SOULARD C.T., CHEVIGNARD N. (2001)
-
Organisation
spatiale des pratiques et diagnostic agri-environnenlental du territoire. Séminaire "géographie des pratiques agricoles", INRA Listo Dijon, 19 p.
409
Tableau 1. Identification d'environnement retenues
des pratiques concernées par les questions
Questions d'environnement QI: nidification des oiseaux d'eau (faune sauvage chassée)
Pratiques agricoles concernées Place des surfaces en herbe dans l' exploitation
Parcelles agricoles en périphérie d'étangs
Pratiques influençant la nidification: choix variétaux, intrants, dates de fauche, techniques de fauche
Zonages adlninistratifs MAE et Natura 2000
Q2 : qualité de l'eau des étangs (notalnlnent pour la pisciculture)
Choix et conduite technique des cultures d'assec : choix culturaux, produits phytosanitaires, fertilisations Inodérées Pratiques sur les parcelles en aInont : rejets phytosanitaires et rejets fertilisants
Q5 : fluctuations du niveau d'eau des étangs
Inscriptions dans le territoire
DOlnaines de chasse Etangs concernés par les cultures d' assec Réseau de fossés et rigoles alitnentant en eau les étangs Parcelles attenantes à ce réseau (en fait, cela concerne la quasitotalité des parcelles des exploitations de la DOlnbes) Etangs (pratiques de régulation individuelle du niveau d'eau)
Pratiques qui lnodifient le régitne des eaux: rythlne et sens de circulation des eaux (drainage, alnénagelnents de Chaînes d'étangs (régulation fossés, araselnents de haies) collective des niveaux d'eau Pratiques d'entretien de la végétation entre étangs situés sur un Inêlne des étangs et pratique d'entretien des cours d'eau) grilles (nettoyage passages d'eau) Bordures d'étangs (inondations) Gestion du risque d'inondation sur les parcelles agricoles
410
Figure 1. Inscription pratiques concernées
spatiale des trois questions d'environnement
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
,Q1.
Aire de nidification
des oiseaux >.
,:.. 02. Qualité ,:..
de l'eau
.
efjluents d'élevage
M
~
.
cqnduite ,.
~
..
"
.,. ~
~
entret!en"
culturesd 'assec evolage
ETANG
travail
~
., " ~"
,~
~:
,
:..'
,~
~
~~
~
95. Maîtris$ des niveaux d'eau des éta~gs
:
:
~
" des étangs ::>,
~
~
d'eau
:
et sll1:/àces
.
i conduite
prés
de fàuche
rives I.(àssés
~.
~
I
~'-
~
~
~
~
.
cultivées
du sol Î;drainage .,
~: i
sll1jàces
4-"-'-'-"--'---~-~ arcelles pénphenques
~
blanc de l'étang
411
~
k.'--
~
~
,"
.,'
-"'-
~ ~.:.,- ,~~=~
~_
.-- "'.::
versant
en
et
Figure 2. Remplissage
1. PARTITION
du schéma de l'exploitation
X
DE L'EXPLOITATION
CUL
TIVEES
"aSS!!:2 homogèneH "géré de 10.m~me façon "adaptation au climatH
:::::::::::: zone drainée: rotation "type" zone non drainée: rotation "adaptée" coin séchant: sorgho
hangar gros matériel
3. CONDUITE
D
DES
SURFACES
EN HERBE
Parcelle" étang
g
bois
. .
bâtiments 1 km
dessin varient
faits par l'agriculteur,
et numération d'une
année
les limiies
internes
él,)igné : pas pâturage ensi!. + fvin
sur l'autre
4. PRATIQUES
AG RI-ENVIRONNEMENT
ALES
Pratiques mises en jeu dans les relations avec d'autres usages Domaine
Pratiques mises en œuvre et questions d'environnement
. ! Il lliill
ne fait pas)
(propriétaire en herbe
gel
+:
+
fixe
prairie
+:
ensilage
Effluents
-
Cachères
de
couvertes)
(achat
le
VA
long
étangs
d'herbe détruit les nids (destinations sur prairie
: lisier sur maïs
(risque
hydraulique
le milieu
D-). - : rejets
phytosanitaires
f~
d'eaux
sales
préférentielles
(substitution
dans
- : rejets
limousines)
des
engrais
ruissellement
d'épandage)
de synthèse)
peu pris en
compte)
par drainage non traitées
(salle
de traite)
Autre il!
~
1 : "mauvais
+: plantations haies et arbres (motifs
chasseurs"
-
ne régulent
pas les nuisibles
dégradation
des clôtures
agriculteur:
brise-vent
Plaintes des chasseurs:
- taille des haies pose
et décor)
412
de clôtures
-
de chasse
fauche
maïs
2 : "bons
Chasseurs l'agriculteur,
sensibles
Agriculteurs
tient
pour
ensilage
chasseurs"
aux "bonnes pratiques" de
ex: trichogramme,
traitement
limace
compte des chasseurs, ex. :
évite bruit des machines
enherbées
prairies
d'élevage
+ : compost
Rejets
bandes
permanente
plus
: met
-:
Q2
~
+: entretien déversoir
m!lm! +: implantation
~
Q1
chasse
Domaine
Surfaces Q3
de
Plaintes de l'agriculteur: - n'entretiennent pas les étangs
en période
de chasse
Tableau 2. Partitions et logiques d'utilisation du territoire de l'ex loitation X « les terrains sont assez homogènes» (peu d'argile, limons acides + quelques coins séchants) Sitel: « ici» Site 2 : « l'autre exploitation» Bordures d'étang Parcelles Parcelles drainées (proches et Parcelles non remembrées) drainées non (plus éloignées) drainées « Rotation - type» - « zone pâturée » Ensilage et Pâture VA ou Ensilage et Pâturage tournant Pâturage (VL + génisses (génisses 1 à fauche fauche jachère 2 ans) < 1an)
Mais, l'éloignelnent n'est pas un facteur discritninan t
Le parcellaire pennet travail en bonnes conditions L'atnélioration agronolnique des sols succède à l'objectif d'atnénagelnent La production herbagère est destinée aux anitnaux à forte roduction ou fra iles
Mais, les pratiques délicates et les chantiers à forte contrainte de transport sont litnités ou évités
413
L'absence de drainage et l'éloignelnent rendent le calendrier de travail et les résultats de production plus aléatoires
Adaptation au risque d'inondation par stratégies de localisation des jachères et productions secondaires et rustiques (VA)
Figure 3. Schéma d'organisation
territoriale
de l'exploitation
Terrains assez hom ogènes : ensem ble exploitation (sols) - zone de pâturage (drainée) -
,., ..
.+
"-" "-
"-
..
"-
"-
"
"\ \
\ \ \ I I
.+
Différences entre sites: - site1: cœ ur d'exploitation -délicates site 2 : pratiques moins ou m oins précises
414
X
Figure 4. Remplissage
1. PARTITIONS
du schéma de l'exploitation
2. MULTIPOLARISATION
DU TERRITOIRE
Y
DES LIEUX DE TRAVAIL
"on passe notre temps à nous balader sur les routes"
J
:a~
~ F"m.3 \ ~~~:reMiCheIW. ~ ~~~:2 \ _ _ _ __ à l'onclede Michel
Ferme1
"-
\ \
,
;~ ~:re de Bernar~
"'
9b
3. CONDUITE
\. '"--\
\ \
,/
/
\
_
//
DES CULTURES
o
~
~
_ I/UI$:_lm!',; _ >MM"M N_~ ~~ ~~ m.~~WN~N~ ~= sac te!.,, plus sain
~o o
31 hasurL.
pr"J~~t
;?Û /
1 km
parcelle étang
we
bois
. bâtiments
415
q''''"
f.
draÎlwge
D
"Umons"
,,,,,,f!!,,' J'f'dci'"
~.
/
/ effluents d'élcl/iJ!}f? hors-sol col".'.I;!
o
b0,' "Hf, !O",,,
/11((' i(:(;:;,,' '~iI!iurf ::!)::;qUf?:';fI1!:?f?
Tableau 4. Partitions l'ex loitation Y
et logiques
Fennel Fenne2 « ôle cultures» LÎlnon colza / blé / blé / InaÏs /lnaÏs
d'utilisatioll
fort % jachères
Di versification piscicole Exploitation d'étangs avec contrats MAE Coordination avec chasse et étangs aIllont Projet local label Carpe
4. PRATIQUES
AGRI-ENVIRONNEMENTALES
ça
fait prendre conscience aux gens "les MAE qu'on peut changer le raisonnement céréale, faire quelques bricoles, améliorer le cadre de vie, et sy retrouver financièrement"
SUR LA FERME
2
Pratiques
agricoles =0
>
~
Q1
et environnement
entretien
roselières
désherbage
D .
et végétation
de bordure
jachères fixes jachère faune sauvage et plantation d'arbustes pas de maïs ni soja en assec
semis d'avoine: 1
maïs post-Ievée
aire épandage fermeture
des effluents
vannes
d'élevage
en période de désherbage
Relations aux autres usages Rester en bonne entente avec le propriétaire en évitant les conflits avec les chasseurs (locataires) : ne chasse pas ici (en aurait légalement le droit) prévient des dates de pêche réduit la fréquence des cultures d'assec (tous les 5 ans) - évite le bruit les jours de chasse (chantiers agricoles)
-
Coordination
avec
exploitants
de
afin de vider l'eau
chaînes prêts
1 km
416
de
30ha sur L. Il ha sur M. « terrains éloi nés» Argile Inonoculture InaÏs une Inêlne culture/an Logique Y3 : « silnplifier » Une Inêlne culture sur toutes les parcelles Itinéraires techniques sitnplifiés Stratégie de rapprochelnent par échan es mniables
Logique YI : « optÎlniser le travail» OptiIniser les telnps de travaux et les trajets: * selnis sans labour sur toutes les parcelles * épandage des effluents d'élevage sur InaÏs proche bâtÎlnents * utilisation des' achères our alnéliorer le arcellaire Vers logique Logique Y2 Y2 ? « diversifier» Projet d'exploitation d'étangs si achat ou location possible
du territoire
d'amont à donner
d'étangs quand
des ils sont
trois
maïs
Figure 5. Schéma d'organisation
territoriale
de l'exploitation
11ha emaememmemmemmmme
memrnmmmmwmmmemmmmm
~~
//
Ferme 3 "\
/
Pôle cultures
matériel
/
I
I
\ I I
I
I Ferme
1
(
~rojet piscÜ(ole
" >o.,n"
".,.
/ ,~~
On ""...
~«'~
n
>"..
nn..."
'o<""n"
>00"" '"
.
I
O...,,,
"...,,,.,,
o..
"
étangs élevage
, matériel
417
00<'"''''
00<'"''
HO""
'H
0"""
0""."
"0'.'"''
Y
Agronomes et territoires: réflexions et perspectives A quelles évolutions l'agronomie fait-elle face pour répondre aux nouvelles fonctions que doivent remplir l'agriculture et le territoire agricole?
La liaison entre agriculture et élevage: de nouvelles fonctions et de nouveaux modes d'organisation à l'échelle des territoires Gilles LEMAIRE
1
Inlpacts oj grassland areas within mixing cropping and aninlal production systenls. New Junctions and new way oj organisation at landscape level.
Résumé La durabilité de la production agricole a longtemps été assurée par le maintien de la capacité « productive» des terres grâce aux effets bénéfiques de l'introduction des cultures fourragères dans les assolements. La révolution fourragère, alliée au développement du maïs ensilage, a permis une intensification très rapide de la productivité de certains systèmes d'élevage. De plus, les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur les exploitations ont accéléré leur spécialisation entraînant très souvent celle de territoires. Chacun des deux systèmes d'utilisation des sols, culture céréalière intensive et élevage intensif, considérés isolément à l'échelle d'un territoire, se heurte à des limites imposés par les problèlnes d'environnement. Il importe donc de recréer, à l'échelle du territoire, une synergie entre les activités d'élevage et d'agriculture. Pour cela, les agronomes doivent aborder les problématiques concernant: (i) la place, le rôle et l'impact environnemental des prairies et cultures fourragères dans les rotations céréalières (ii) la spatialisation des modes d'occupation des sols à l'échelle d'un territoire. (iii) l'émergence de nouveaux modes de coopération entre exploitations spécialisées au sein d'un territoire. Ainsi le maintien de la diversité d'activités humaines liées aux systèmes de polyculture-élevage reste un enjeu agronomique de première importance
1 agronolne,
INRA Lusignan
pour une grande partie du territoire français et européen. L'Agronome doit y trouver de nouveaux thèmes de recherche nécessitant non seulement une réappropriation des concepts fondateurs de la discipline mais aussi une profonde rénovation des outils et méthodes mis en œuvre. Abstract Until the first half of the last century, the "sustainability" of most of the agricultural systems was achieved in Europe through a narrow association between arable cropping systems and grasslands for animal production. This integration ensured the socio-economical sustainability of farms through their diversification and their agronomical sustainability by recycling organic matter and mineral nutrients in soils. Such an implicit objective of sustainability disappeared with (i) the use of large quantities of inputs for intensification of cropping systems in response to market demand, and (ii) the specialisation of farm for maximising return on investment and productivity of labour. Such a trend led to the specialisation of large areas of land in Europe: intnsive cropping areas and intensive animal production areas, both facing strong environmental hazards, while elsewhere large areas of extensive grasslands become near abondoned. This large-scale "patchwork" of land use systems makes the development of sustainable agriculture production impossible in many of European regions if grasslands cannot be maintained or re-introduced within arable cropping areas. Due to the persistent necessity, for socio-economic reasons, for family farms to remain specialised, sustainable land use and management systems have to be designed at the level of a territory where the multi-functionality of agricultural systems can emerge from adequate interactions between specialised farms To achieve such a goal, agronomists have to tackle problems concerning: (i) importance and impacts grasslands and forage crops should have on environmental issues within arable cropping systems: evaluation of their effects on environmental fluxes to atmosphere and hydrosphere; (ii) spatial repartition of land use systems at the level of a territory for minimising environmental itnpacts and maximising biodiversity; (iii) new modes of co-operation and organisation between specialised farm units within a territory for maximising environmental and ecological services; (iv) autonomy of alimentation for anitnal and identification of products at territory level, and their econolnical added value.
422
Maintaining the diversity of land use systems and the diversity of human activity at territory level appears to be the main advantages for linking arable cropping systems and animal production systems. Multifunction of agriculture requires a deep renovation of the old concepts of Agronomy for taking into account not only the sustainability of agriculture for production but also for its services for environment and social demand.
Introduction Depuis le 16èmesiècle la durabilité de la production agricole a été assurée par le maintien de la «capacité productive» des terres grâce aux effets bénéfiques de l'introduction des cultures fourragères et des prairies dans les assolements (11). Le concept de ley-farming a permis de systématiser le principe des rotations entre prairies et cultures céréalières afin de tirer au mieux parti des effets bénéfiques des prairies en tant que précédents culturaux (4). Cependant, dans le même temps, à partir de 1960, l'intensification rapide de la production agricole et les contraintes économiques et sociales pesant sur les exploitations ont accéléré leur spécialisation provoquant ainsi une séparation entre l'élevage ayant recours aux prairies d'un côté, et les grandes cultures d'un autre côté. Cette spécialisation des exploitations entraîne la spécialisation de territoires entiers: plaines céréalières intensives, et zones de concentration d'élevages intensifs, qui sont toutes deux confrontées à de graves problèmes d'environnement. La durabilité des systèmes de production agricole ne se mesure plus actuellement seulement par leur capacité à maintenir un certain niveau de production de denrées agricoles, tuais essentiellement par leurs capacités à maintenir à moyen et long terme un environnement conforme aux différentes attentes de la société dans les territoires ruraux où ils sont insérés. Il nous apparaît alors important d'analyser le rôle des prairies sur les différentes fonctions environnementales en complément des rôles qu'elles peuvent jouer sur les fonctions productives de l'agriculture.
1 - Place et rôles des prairies dans les systèmes de polyculture-élevage. La prairie peut être définie comme l'ensemble indissociable constitué (i) d'une végétation pérenne herbacée soumise à des prélèvements plus ou moins intenses et fréquents de sa biomasse aérienne pour fournir une ressource fourragère aux herbivores, (ii) du sol qui supporte cette végétation et qui est le siège des recyclages de matières organiques et d'éléments 423
minéraux, et (iii) des organismes résidents dans le sol ou dans la végétation qui participent directement ou indirectement aux cycles biogéochimiques. A - La prairie temporaire dans les systèmes de culture Dans un système de polyculture-élevage mettant en jeu des assolements prairies temporaires-cultures annuelles, le rôle et l'impact environnemental des prairies s'analyse à deux niveaux. Au niveau des surfaces en prairies, en fonction de leurs modalités de conduite, il s'agit de caractériser leur fonctionnement et d'en déduire les impacts environnement aux : effets sur les régimes hydriques et incidences sur les risques d'érosion et la gestion des ressources en eau; séquestration du CO2 atmosphérique et contribution au ralentissement de l'effet de serre; régulation du cycle de N et diminution des concentrations en nitrate dans les eaux; régulation des émissions de gaz traces; Ces effets sont sensiblement analogues à ceux qui sont communément attribués aux forêts. Ils découlent du caractère pérenne de la végétation qui couvrant le sol en permanence, intercepte les pluies et maintient, par son activité photo synthétique continue, un influx important de carbone qui, outre son accumulation dans des formes de matières organiques fortement stabilisées, fournit le substrat énergétique indispensable à l'activité des réseaux trophiques qui déterminent la dynamique du système sol-végétation. Cette dynamique s'établit sur des temps caractéristiques plus ou moins longs et les situations de quasi équilibre ne sont atteintes que dans des prairies dites «naturelles» ou «permanentes» en régime stabilisé de conduite. Dans le cas des prairies temporaires qui sont assolées avec des cultures annuelles, il est important de prendre en compte la dynalnique d'évolution de la prairie depuis sa phase d'installation jusqu'à sa destruction. Ceci nous conduit à considérer également ces effets des prairies temporaires au niveau des cultures annuelles qui leur succèdent. L'effet précédent des prairies dans les systèmes de culture a été étudié par l'Agronomie (3, 8, Il), mais essentiellement pour les fonctions de production des cultures suivantes, alors que les impacts environnelnentaux que la prairie est susceptible d'induire lors de phase de retournement et de remise en culture n'ont été que plus rarement analysés (13). De plus les effets à plus long terme, sur les propriétés dynamiques et la qualité des sols n'ont pas été réellement analysés. Il devient alors illusoire de vouloir relier directement des modalités de pratiques à leurs conséquences environnementales à partir d'observations et de dispositifs expérimentaux de trop courte durée (10). Nous avons évoqué le rôle de la prairie par son effet « précédent », mais on peut aussi analyser son rôle par des effets « suivant ». 424
Ainsi, certains xénobiotiques, pesticides notamment, introduits dans les systèmes de culture annuels pourraient se trouver séquestrés et immobilisés à moyen ou long terme dans certains compartiments de la Inatière organique élaborée sous prairies (2). Il conviendrait alors de contrôler les conditions de remise en circulation de ces molécules ou/et de leurs métabolites lors des phases de remise en culture de la prairie. Le rôle environnemental que la prairie peut jouer au sein d'un système de culture dépend en grande partie des modes de conduites ou itinéraires techniques qui sont appliqués sur cette prairie: fréquence et intensité des défoliations par fauche et/ou pâturage, niveau de chargement animal au pâturage, niveau d'apport des fertilisants azotés, modes de recyclage des déjections animales, espèces (légumineuses vs gralninées) et variétés semées. Diverses études (12) ont permis de montrer que le rôle environnement al de la prairie très positif sous certains modes de conduite (faibles chargements, fauche prépondérante, apports azotés limités) pouvait rapidement devenir négatif au delà de certains seuils dont on a par ailleurs du mal à préciser les limites exactes. B - La prairie dans les. systèmes polyculture-élevage
fourragers
en exploitation
de
Le rôle environnement al des prairies doit être compatible ou du moins associé à leur fonction de production de ressources fourragères dans le cadre d'un système d'élevage d'herbivores domestiques. L'agrandissement général des exploitations en surface et en cheptel et les contraintes environnementales qui pèsent dans les régions les plus intensives ont permis un renouveau de l'élevage à l'herbe qui bénéficie en outre d'une image très positive pour la qualité des produits (6). Hormis dans les régions purement herbagères, la prairie ne constitue pas en elle-même la totalité de la ressource fourragère et elle est associée au maïs ensilage ou/et céréales pour les stocks hivernaux et les compléments. Ainsi, même dans les exploitations spécialisées en production animale, il existe divers degrés d'association prairies-cultures: (i) une séparation spatiale entre la sole prairiale et la sole cultivée qui interagissent alors entre elles par l'intermédiaire des flux d'aliments et de matières organiques; (ii) une intégration de la sole prairiale et de la sole cultivée au sein de systèmes de culture, ces deux ensembles interagissant entre eux à la fois par les successions culturales et les flux de matières organiques. Il est important de compléter cet inventaire par l'addition éventuelle d'une sole de culture « de vente» dont les productions sont exportées hors de l'exploitation. La spécialisation des exploitations implique essentiellement la disparition de l'activité d'élevage au sein de ce type 425
d'exploitation qui deviennent alors exclusivement céréalières entraînant alors la disparition des prairies.
2 - Vers une approche intégrée du système de polyculture-élevage
Les choix qui peuvent être faits quant à la place des prairies, leurs modes de conduite et d'utilisation, les équilibres entre prairies et cultures annuelles au sein des exploitations de polyculture-élevage dépendent des choix qui sont faits à l'échelle du système d'élevage et de production: lait ou viande, types et races d'animaux, performances zootechniques visées, qualité et traçabilité des produits, autonomie alimentaire. . .Tous ces choix conduisent à définir des exigences alimentaires spécifiques et donc à établir des systèmes fourragers différents, chacun d'entre eux pouvant faire appel à des ressources fourragères provenant de systèmes de culture différents au sein de la même exploitation. L'analyse de la place, du rôle et des impacts environnelnentaux des différents types de prairies correspondants à différentes modalités de conduite, au sein des systèmes de polyculture-élevage nécessite donc que soit réalisé le couplage entre trois types d'approche: (i) une approche analytique des processus dynalniques de l'écosystème « prairie» et une analyse des conséquences sur ces dynamiques des perturbations appliquées au système suite aux interventions anthropiques: destruction et remise en culture, apport d'intrants, modification de mode de conduite. (ii) une approche de conception et d'évaluation de systèn1es de culture associant des prairies temporaires de différents types et de plus ou moins longue durée sur la base d'hypothèses de travail sur les fonctions environnementales attendues et en fonction de leur cohérence vis à vis d'objectifs de production agronomiques et zootechniques réalistes, et d'en tester les performances environnementales. (iii) une approche de conception et d'évaluation de systèn1es fourragers combinants, dans le cadre préétabli de systèmes d'élevage, différents systèmes de culture pour réaliser des calendriers fourragers correspondants à différents objectifs. L'évaluation des performances environnelnentales pourra alors se faire soit par une intégration spatiale des performances environnementales des différents systèmes de culture mis en œuvre, soit par une intégration à l'échelle de l'atelier de production animale en estimant le « coût» environnelnental du litre de lait ou du kilo de viande produit. Ces deux approches doivent être intimement combinées à partir de dispositifs expérimentaux communs et d'outils de modélisation. Elles doivent permettre d'évaluer: 426
la place que les prairies devraient occuper dans les systèmes de culture (durée et fréquence d'occupation des sols) pour y exercer des fonctions environnementales significatives; le rôle environnement al que les différents types de prairies seraient susceptibles de remplir; les conséquences environnementales de certains choix de systèmes d'élevage et de systèmes de production à l'échelle des exploitations de polyculture-élevage et notamment les conséquences résultant de leur spécialisation. 3 - Place et rôle des prairies à l'échelle des territoires
Les impacts environnementaux et écologiques des systèmes de culture ne peuvent infine s'estimer qu'à des échelles d'espace pertinentes qui sont en règle générale plus larges que les dimensions des exploitations agricoles. L'approche de la place et du rôle que les prairies peuvent et doivent avoir dans un paysage à l'échelle d'un territoire implique alors que le fonctionnement de celui-ci puisse être analysé, dans un premier temps, indépendamment des exploitations agricoles qui le composent. Un territoire rural doit donc être considéré comme un maillage de types de sols et de micro-climats, organisé en fonction d'une topographie et autour d'un réseau hydrographique. Au sein d'un territoire ainsi caractérisé, l'activité humaine a façonné des éléments d'organisation plus ou moins pérennes tels que des réseaux de routes, chemins, talus, fossés et haies, des massifs forestiers anciens ou plus récents, des surfaces de prairies permanentes et des surfaces cultivées au sein desquelles on peut identifier les différents systèmes de culture mis en œuvre par les différentes exploitations agricoles qui exercent leur activité au sein des limites de ce territoire. C'est cet ensemble de structures spatialement organisées sur un territoire donné qui constitue le paysage qui est à la fois le cadre et la résultante de l'activité agricole. L'approche environnelnentale et écologique du fonctionnement d'un territoire rural implique de définir les fonctions que l'on veut analyser ou optimiser sur ce territoire et de déterminer les portions d'espaces qui sont pertinentes pour ces différentes fonctions. Ainsi, pour les fonctions liées aux flux atmosphériques (émissions de gaz traces, flux de CO2 et effet de serre. . .) on peut considérer qu'une simple intégration spatiale des flux locaux est suffisante pour rendre compte de l'impact global d'un mode d'occupation du sol et d'organisation d'un territoire, hormis pour les flux de NH3 pour lesquels des interactions spatiales entre zones émettrices et zones réceptrices doivent être prises en compte. Pour les flux vers l'hydrosphère, il devient indispensable de discrétiser le territoire en fonction de son réseau hydrographique et de caractériser de manière suffisamment précise les zones contributives et les zones réceptrices des flux hydriques horizontaux afin de 427
rendre compte des différents impacts sur les risques d'érosion, les pollutions des eaux superficielles et les pollutions des nappes profondes (7). Le rôle et l'impact d'une prairie sur la qualité des eaux à l'échelle d'un territoire dépend essentiellement de son positionnement spatial au sein du paysage: interception des flux de ruissellement et de circulation « hypodermique» en bas de côteaux cultivés, zones de dénitrification dans les bas-fonds; protection des ripisylves... Ainsi, certaines fonctions environnementales peuvent imposer localement le maintien de prairies permanentes, et l'application de modes de conduite particuliers comme la fauche en bord de rivière par exemple, alors que la remise en culture de prairies temporaires et la pratique. du pâturage peuvent être avantageusement préconisés dans d'autres portions moins sensibles du territoire. Lorsqu'on veut prendre en compte le rôle de la prairie pour des fonctions écologiques à l'échelle d'un territoire, il est nécessaire d'analyser le paysage en fonction des systèmes écologiques visés: dynamique des populations végétales, dynamique des populations animales (insectes, batraciens, reptiles, oiseaux et mammifères) et leurs interrelations. Ces fonctions écologiques elles-mêmes doivent être précisées en fonctions d'objectifs qui peuvent être assez différents: conservation et protection patrimoniale d'espèces, gestion dynamique de la biodiversité, écologie des paysages.. .Des études récentes ont pu montrer que le tnaintien de surfaces de prairies temporaires dans les plaines céréalières, et surtout leur disposition spatiale favorisant la fragmentation des soles cultivées, étaient hautement favorables au maintien des populations d'oiseaux du fait du maintien des réseaux trophiques nécessaires à leur alitnentation (insectes, petits mammifères), et du maintien d'une diversité d'habitats (5). De telles études intégrées à l'échelle d'un territoire sont encore trop peu nombreuses pour pouvoir fournir des critères quantitatifs sur les impacts environnementaux et écologiques réels des prairies dans des situations variées et pour traduire ces informations qualitatives en normes ou recommandations. Par contre, certaines études ont pu montrer et chiffrer l'impact du maintien de la prairie sous certaines conditions de pratiques à l'échelle d'une entité territoriale pour la restauration de la qualité des eaux (1,9). Il nous paraît important de pouvoir systématiser ces approches dans le cadre de projets d'Ingénierie Agro-Ecologique sur des «zones ateliers» pour lesquelles les fonctions environnementales et les fonctions écologiques seraient prises en compte et analysées simultanément.. 4 - Vers de nouveaux modes agricoles au sein d'un territoire.
d'organisation
des exploitations
La spécialisation des exploitations agricoles est une tendance difficilement réversible entraînant de manière passive la spécialisation de 428
territoires ruraux entiers. Si l'on souhaite alors maintenir la place de la prairie dans ces territoires et lui faire jouer les rôles environnemental et écologique qu'on lui accorde, il est nécessaire d'imaginer et de concevoir une organisation territoriale d'exploitations agricoles ayant elles-mêmes des spécialisations différentes (élevage ou céréales) et échangeant entre elles des flux de matières et des services permettant de concilier leurs fonctions de productions propres avec les fonctions environnementales et écologiques définies collectivement à l'échelle du territoire qu'elles partagent. Un grand nombre de régions françaises ou européennes, traditionnellement caractérisées par des systèmes équilibrés de polycultureélevage, telle que le Poitou-Charentes, la Lorraine et la nlajeure partie du grand Sud-Ouest voient actuellement leurs territoires ruraux se structurer en vastes zones au sein desquels l'élevage a disparu ou est en voie de disparition. Ces zones devenues essentiellement sinon exclusivement céréalières ont vu leurs superficies de prairies régresser de manière très considérable (diminution de 25% des surfaces de prairies temporaires en France entre 1980 et 2000) et sont confrontées aujourd'hui à de graves problèmes de qualité de l'eau. Si les objectifs environnementaux et écologiques pour la gestion de ces territoires nécessitent de maintenir ou de réintroduire une certaine proportion de prairies dans l'occupation des sols, selon un maillage et des dispositions spatiales déterminées et avec des modes de conduites bien spécifiés, il convient alors de maintenir ou de concevoir les systèmes de production animale qui valoriseront ces surfaces prairiales en faisant en sorte que leurs impacts environnement aux et écologiques soient acceptables. On peut alors concevoir plusieurs niveaux d'intégration et d'organisation spatiales entre exploitations agricoles au sein d'un même territoire: un maillage d'exploitations céréalières avec quelques ilôts d'exploitations herbagères dans les zones résiduelles maintenues en prairies permanentes pour des raisons de sensibilités locales du milieu (zones humides, zones de captage avec cahier des charges spécifiques, zones Natura 2000), et exploitant ces ressources fourragères avec des systèmes d'élevage appropriés. Dans ces conditions, les échanges et interactions entre ces deux types d'exploitations restent limités à des fournitures de grains ou de paille dans un sens et des épandages de fumiers et lisiers dans l'autre sens et n'offrent que peu d'intérêt novateur en eux-mêmes. une interpénétration plus profonde des exploitations céréalières et des exploitations d'élevage qui pourrait alors prendre la forme de véritables associations de type « coopératif» entre des entités de production spécialisées gérant une portion commune du territoire. Ceci pourrait alors donner lieu à l'établissement d'un véritable Contrat Territorial d'Exploitation qui justifierait ainsi sa véritable vocation d'outil de gestion des territoires ruraux. 429
Ce dernier type d'organisation, dont il convient de déterminer le contenu agronomique et les fonnes juridiques, sociales et administratives, nous apparaît pouvoir ouvrir des degrés de libertés supplémentaires pour réaliser à l'échelle d'un territoire des compromis entre les objectifs de production agricole et les objectifs de préservation ou même d'amélioration de l'environnement. En effet, un certain nombre de solutions techniques qu'il est possible d'imaginer au niveau de la conduite des systèmes de culture, ou au niveau des choix de systèmes fourragers, et qu'il convient de tester et d'évaluer par l'expérimentation et/ou par la modélisation, peuvent s'avérer peu réalistes lorsqu'ils sont confrontés aux contraintes qui pèsent sur l'exploitation agricole. Or, une organisation collective territoriale entre exploitations spécialisées devrait permettre de rendre plus réalistes et plus acceptables certaines des solutions envisagées, pour peu que l'on puisse identifier les mécanismes d'échange et de coopération qu'il est nécessaire de faire émerger. A ce stade de la réflexion, il n'est pas possible de préciser plus avant les modes d'organisation et de contractualisation qu'il serait nécessaire de mettre en place. Ceci doit faire l'objet en soi d'un véritable programme de recherche commun de la part des Sciences Economiques et Sociales et de l'Agronomie. Il est cependant possible d'identifier certaines formes d'interactions à promouvoir. Ainsi, l'inclusion de certaines prairies temporaires utilisées par une exploitation d'élevage dans les rotations d'une exploitation céréalière voisine pourrait permettre un « bénéfice» environnement al plus grand au niveau global qu'une simple coexistence spatiale des deux systèmes séparés. Cela mérite au moins d'être quantifié et analysé afin de savoir à quelles conditions ce bénéfice environnemental serait optimisé. Dans un tel système, les prairies de fauche sont plus facilement exportables hors de l'exploitation d'élevage que les prairies pâturées. Or c'est justement l'exploitation par la fauche qui permet de maximiser la plupart des fonctions envirollilementales de la prairie. Un tel système d'échange permettrait sans doute de maintenir ou de réintroduire la luzerne dans un certain nombre de régions françaises. De la Inême manière, en quittant le problème spécifique de la prairie, on peut imaginer que dans une région à ressource en eau très limitée pour l'irrigation comme la région Poitou-Charentes, la dépendance des exploitations d'élevage vis à vis de l'irrigation du maïs ensilage risque de devenir assez rapidement insoutenable. Dans ces conditions, la possibilité d'utilisation directe, sous fonne d'ensilage « grains immatures », des céréales d'hiver produites par une exploitation voisine peut s'avérer intéressante pour les deux partenaires, pour peu, là encore, que des aides spécifiques puissent être orientées en ce sens. On peut même faire l'hypothèse que les itinéraires techniques pour produire des céréales «à ensiler» pourraient être plus acceptables pour l'environnement... Une évaluation environnementale sur des critères de 430
gestion quantitatives et qualitatives des ressources en eau à l'échelle d'un territoire permettrait de proposer des contreparties à la baisse éventuelle de performances zootechniques qu'il conviendrait d'évaluer par ailleurs dans le cadre de différents systèmes d'élevage. Enfin pour compléter cette analyse, il nous semblerait nécessaire que les filières de production animales puissent être elles-mêmes impliquées afin d'analyser le bénéfice qu'elles peuvent retirer d'une identification plus forte des produits animaux aux territoires que ce type d'organisation peut permettre. En effet, une meilleure association entre exploitations d'élevage et exploitations de grandes cultures permet de réaliser une autonomie alimentaire des élevages à l'échelle d'un territoire et d'assurer ainsi une garantie de traçabilité et de qualité des produits. Conclusions
Nous n'avons fait ici qu'identifier les nouveaux défis que l'Agronomie doit relever afin de répondre aux exigences de plus en plus pressantes de la société concernant une approche globale et cohérente du développement rural durable qui ne soit plus seulement considéré comme l'ultime conséquence des contraintes économiques qui pèsent sur la seule fonction de production agricole et des choix qui sont effectués individuellement par les exploitations agricoles qui doivent s'y adapter. L'approche multi-échelle que nous proposons nous semble pouvoir permettre aux Agronomes de renouer avec le rôle d'innovateurs et de concepteurs de nouveaux systèmes de production qui est fondamentalement le leur. Sortir du cadre de contrainte et de la logique inhérente à l'exploitation agricole en intégrant des dimensions spatiales et temporelles plus larges permet de trouver de nouveaux degrés de libertés pour la conception de systèmes innovants. Bien entendu il importe, qu'en même temps, et de manière coordo1l11ée,soient menées les études et analyses sur les nouveaux modes d'organisation des systèmes de production aux échelles spatiales pertinentes, et que les conditions socio-économiques nécessaires à leur émergence soient identifiées. Ce dernier aspect n'est plus à proprement parlé du domaine de l'agronome, mais il ne peut plus en ignorer la réalité. Ainsi, l'approche résolument multi-échelle du développement rural durable doit s'accompagner d'une approche résolument multi-disciplinaire mettant en jeu les domaines des Sciences Agronomiques, des Sciences de l'Environnement, de l'Ecologie et des Sciences Economiques et Sociales dans le cadre de projets de recherche coordonnés. Les liens et solidarités territoriales qu'il est nécessaire de faire émerger entre exploitations agricoles doivent avoir des fondements agronomiques si on veut leur faire jouer un rôle dans la durabilité des modes de développement ruraux. C'est aux agronomes d'établir ces fondements et d'en évaluer la pertinence par rapport aux autres fonctions environnementales et écologiques. La liaison entre 431
activités de production végétale et de production animale reste un des fondements de la science agronomique. Le cadre et les conditions de mise en œuvre de cette liaison évoluent en fonction des contraintes et des attentes de la société. L'exploitation agricole ne représente plus le cadre exclusif d'exercice de l'agronomie qui doit s'ouvrir à d'autres acteurs à l'échelle des territoires. Références bibliographiques
(1) Benoît M., Saintot D., Gaury F., 1995.
-
Mesures en parcelles
d'Agriculteurs des pertes de nitrate. Variabilité sous divers systèmes de culture et modélisation de la qualité de l'eau d'un bassin d'alimentation. C. R. Acad. Agri. 81, 175-188.
(2) Benoit P., Barriuso E., Vidon P., Réal B. 2000.
-
Isoproturon
movement and dissipation in undisturbed soil cores from a grassed buffer strip. Agronomie, 20, 297-307 (3) Boiffin J., Fleury A., 1974. Quelques conséquences agronomiques du retournement des prairies permanentes. Annales Agronomiques, 25, 555573. (4) Chazal P., Dumont R., 1955. La nécessaire révolution fourragère et l'expérience lyonnaise. Le Journal de la France Agricole, Paris. (5) Clere E, Bretagnolle V., 2001. Disponibilité alimentaire pour les oiseaux en milieu agricole: biomasse et diversité des arthropodes capturés par la méthode des pots-pièges. Rev. Ecol (Terre Vie), 56, (6) Coulon J.B., Priolo A., 2002. Influence of forage feeding on the composition and organoleptic properties of Ineat and dairy products: bases for a « terroir» effect. In : Durand JL, Emile JC, Huyghe C. and Lelnaire G. (eds), Multi-function grasslands, qualityforages, animal products and landscapes. Proceedings of the 19th European Grassland Congress, La Rochelle, France., EGF, Grassland Science in Europe, 7, 513-524. (7) Curmi P, Durand P., Gascuel-Odoux C., Mérot P., Walter C., Taha A., 1998. Hydromorphic soils, hydrology and water quality: spatial distribution and functional modelling at different scales. Nutr. Cyc!. Agroecosyst., 50, 127-142. (8) Jacquard P., Croisier L., 1970. Etude des effets résiduels des cultures fourragères sur les cultures arables: III-bilan de six années d'essais sur l'étude globale des effets résiduels et de leur durée. Annales Agronomiques, 21, 247-268.
(9) Le Ber F., Benoît M., 1998 - Modelling the spatial organisation of land use in a farming territory. Example of a village in the «Plateau Lorrain ». Agronomie, 18, 103-115
432
(10) Mariotti A., 1997. Quelques réflexions sur les cycles biogéochimiques de l'azote dans les agrosystèmes. In: Lemaire G. et Nicolardot B. (eds), Maîtrise de l'azote dans les agrosystèmes. INRA Editions, 83, 9-24. (11) Sébillotte M.,1980. Rôles de la prairie dans la succession culturale; Fourrages, 83, 79-124. (12) Simon J.C., Peyraud J.L., Decau M.L., Delaby L., Vertes F., Delagarde R., 1997. Gestion de l'azote dans les systèmes prairiaux pâturés permanents ou de longue durée. In: Lemaire G. et Nicolardot B. (eds), Maîtrise de l'azote dans les agro-systèmes, INRA Editions, 83, 201-216. (13) Vertes F., Laurent F., Recous S., Leterme P., Mary B., 2001. Nitrogen mineralization under bare soils after the destruction of grazed pasture. In : Rees R.M., Ball B.C., Campbell C.D., and Watson C.A. (eds), Sustainable management of soil organic matter, CABI Publishing: 240-246.
433
Les agronomes entre agriculteurs et usagers du paysage Jean-Pierre DEFFONTAINES1
Résumé Les relations entre l'agriculture et le paysage évoluent. Une demande plus explicite à l'égard du paysage ne concerne pas les seuls paysages remarquables, mais également les paysages ordinaires. Il n'y a pas chez les agriculteurs de culture paysagère mais ils développent une culture des formes visibles qui résultent de leurs propres pratiques. D'où l'idée pour analyser, voire développer, les relations des agriculteurs au paysage d'envisager un détour par les formes observables. Ceci suppose de les désigner et de les rendre intelligibles par la connaissance de leurs liens avec les systèmes d'activité qui les produisent. Par ailleurs ces formes représentent une part déterminante des paysages perçus par les usagers qu'ils soient habitants du lieu, passagers ou pratiquants un loisir de nature. D'où le rôle particulier que peut jouer l'agronome des façons de produire en désignant les formes visibles significatives pour les agriculteurs et en élaborant des modèles de la dynamique de ces formes issues des systèmes techniques. Ils fournissent ainsi une base objective sur laquelle peut s'appuyer le dialogue entre agriculteurs et usagers du paysage. Mots clés: paysage, formes visibles, systèmes techniques, agriculteurs, usagers du paysage. Abstract Agronomists between farmers and landscape users. Relations between agriculture and landscape change. A more den1anding consideration oflandscape - outstanding or common - appears. Farmers don't have a culture of landscaping but they developp a culture of visible shapes involved by their own pratices. That is the reason why to analyse and even developp farmer's relationships and landscape a roundabout way by the observable shapes is suggested. This assumes to appoint them and to make theln understable through the knowledge of their links to the activities that produce theln. Futhermore these shapes consist of a crucial pali of the perception of the landscape by the inhabitants, passers-by or those practicing so called
1 Melnbre de l'Acadélnie
d'Agriculture,
Directeur
de Recherche
Elnérite INRA.
"outdoor activities". "The agronomists of cultivating ways" can therefore play an important role by appointing visible shapes significant to the farmers and developping dynamic lllodels of these shapes issued from the technical systems. They are subsequently providing an objective basis to the dialogue between farmers and landscape users. [(eywords: Landscape, Visible Shapes, Technical Systems, Farmers, Landscape Users. Les relations entre l'agriculture et le paysage évoluent. De tout temps, dans les vieilles civilisations agraires de l'Europe de l'Ouest notamment, les paysages sont en grande partie le résultat de l'activité des agriculteurs. Mais ce qui apparaît aujourd'hui, c'est une demande à l'égard du paysage. Celle-ci se manifeste de façons diverses, souvent contradictoires mais plus explicites. Elle ne concerne pas les seuls paysages remarquables mais également les paysages ordinaires. Les paysages agricoles sont ainsi l'objet d'attentes, d'exigences, de projets. En fait, le paysage est un lieu de tensions entre le territoire produit par les activités humaines, notalllment agricoles, et les espaces sensibles, objets de perceptions et de représentations. Ces tensions présentent une importance croissante pour les politiques publiques en matière de territoire, comme en atteste l'introduction explicite du paysage dans la Loi d'Orientation de 1999. Localement ces tensions peuvent être un enjeu de développement. Sur le plan scientifique, l'analyse des nouvelles relations de l'agriculture au paysage renvoie au nécessaire débat entre l'agronomie et diverses disciplines, notamment la géographie et les sciences sociales, qui éclairent les liens qui se construisent dans le temps entre l'homme et le territoire. 1 - Un détour par les formes observables dans le paysage Quand on parle de paysage avec des agriculteurs ou des éleveurs, il s'établit le plus souvent une distance. Il est en effet très difficile de connaître auprès d'eux: d'une part leurs problèmes, leurs interrogations, leurs attentes en matière de paysage, d'autre part dans quelles mesures ils prennent en cOlnpte le paysage dans le déroulement de leurs activités de production. Il n'y a pas de culture paysagère chez les agriculteurs. B.Picon a raison quand il dit: "l'intérêt pour le paysage est une affaire de couche
436
culturellement et intellectuellement dominante". Par contre les agriculteurs ont une culture des formes visibles. Ils sont en effet attentifs à de nombreuses formes résultant de la mise en œuvre de leurs pratiques et inscrites dans leur espace d'activité. Ils utilisent de nombreux termes pour désigner et dénommer ces formes, pour qualifier l'état d'une surface après une intervention culturale ou pour juger de la conformation d'un animal ou encore pour évaluer le comportement d'un troupeau dans le territoire. Ils sont également très sensibles aux formes relativement durables héritées des systèmes tecluliques et des pratiques passées. Les formes des aménagements (ados, terrasses, murs ou haies en bordures des champs), des partitions du territoire en parcelles (dimension, forme des parcelles, largeur et bordure de chelnins). L'agriculteur, selon que ces formes héritées sont conformes à ses pratiques ou qu'elles sont anachroniques, les conserve en l'état, les remodèle, en crée de nouvelles, les abandonne ou les fait disparaître. D'où l'idée pour analyser, voire développer, les relations des agriculteurs au paysage, d'envisager un détour par les formes observables. En quoi la problématique interpelle-t-elle l'agronome?
des
formes
.
produites
par
l'agriculture
Par l'analyse qu'il développe sur le fonctionnement des systèmes techniques, l'agronome est à même de connaître les processus de production de formes résultant de la mise en œuvre de tel itinéraire technique, de tel système de culture ou d'élevage, de telle pratique. La mise en relation entre forme et fonctionnement est un champ de connaissance spécifique à l'agronomie qui reste encore peu développé. . En coordination avec les disciplines qui étudient l'histoire des formes inscrites dans le territoire (histoire, géographie, archéologie (2)...), l'agronome peut donner du sens à ces formes héritées et montrer comlnent aujourd'hui l'agriculteur les prend en compte dans son activité, pourquoi il les transforme, comment il est tenu d'ajuster ses pratiques. Il est en mesure de produire une connaissance sur la permanence et l'impermanence des formes (3). . C'est également en s'associant avec des disciplines des sciences humaines qui abordent le domaine des perceptions que l'agronome peut avoir connaissance des formes significatives pour l'agriculteur et l'éleveur. Celles consciemment prises en compte dans l'exercice de leur activité, mais aussi les formes qui pour eux ne se réduisent pas à une finalité utilitaire et qu'ils reconnaissent pour leur rôle dans le cadre de vie, dans les liens sociaux ou comme patrimoine culturel. Par ailleurs, toutes les formes observables représentent une part déterminallte des paysages perçus par leurs usagers. En effet, que ce soit 437
comme habitant d'un lieu, comme passager ou à l'occasion de loisirs, dits de nature, ces formes interrogent, attirent, laissent indifférent ou irritent l'usager du paysage. L'hypothèse qui sous-tend ce propos est que l'intelligibilité des formes visibles, dans le paysage, notamment la connaissance de leurs liens avec les systèmes d'activité agricole qui les produisent, et la désignation des formes significatives pour l'agriculteur, sont déterminantes pour le développement des relations qui peuvent s'établir entre les agriculteurs et les usagers du paysage. 2 - Vers une théorie des processus de production de formes La portion agricole d'un paysage peut être considérée comme un ensemble d'objets, agencés dans l'espace, qui résultent des aménagenlents et des pratiques de production successives mises en œuvre. Ces objets et leur agencement présentent, à un moment donné, des formes visibles caractéristiques. A chaque agriculture correspond une combinaison de formes particulières dans l'espace géographique et une image visible en terme de paysage. Une approche par les formes revient à considérer qu'au-delà de la fonction traditionnelle de production de biens alimentaires qu'ils exercent, les agriculteurs et les éleveurs sont des producteurs de fonnes et de couleurs. Dans cette perspective nous proposons de considérer l'agriculture COlnme une activité fondée sur le vivant qui produit dans le territoire des fornles changeantes dans une trame de formes durables.
Formes visibles et fonctionnement Quelles sont les formes qui commandent aux apparences du territoire agricole? Dans l'infinité des formes visibles dans un territoire, l'analyse porte sur celles qui ont un lien avec les diverses opérations constitutives de l'activité agricole de production. Il n'existe pas de systématique des formes en agriculture, comnle c'est le cas pour d'autres disciplines comme l'architecture, la géomorphologie, la botanique. Il s'agit ici moins d'une classification, encore que celle-ci puisse présenter un intérêt, que de connaître les processus qui sous-tendent la production de ces formes. En agriculture les formes s'inscrivent dans le territoire, dans le cadre des systèmes fonctionnels dans lesquels elle s'organise. Chaque système mobilise des pratiques auxquelles on peut faire correspondre deux familles de formes liées à leur caractère plus ou moins durable. Une première famille de formes, relativement stables, résulte de la mise en place dans le territoire de dispositifs. Ceux-ci sont des aménagements 438
finalisés par des fonctions particulières comme celles de l'accès, de la délimitation, de la protection, de la mise en défens, de la maîtrise de l'eau... Une autre famille de fonnes, plus fluctuantes, et dont la durée, très variable, ne dépasse pas le temps d'une campagne, résulte des opérations techniques, c'est-à-dire des actions concrètes que les agriculteurs et les éleveurs exercent quotidiennement dans le cadre de leur activité de production pour la mise en œuvre des tecmliques. Ces fonnes sont celles de l'activité en train de se faire et celles, plus nombreuses, des marques laissées dans le territoire par telle ou telle opération technique. Ces fonnes traduisent également les rythmes naturels qui sont liés à ces opérations, comme les états successifs du développement végétatif d'une prairie ou d'une culture. Ces deux familles de fonnes, celle liée aux dispositifs et celle résultant des opérations techniques, s'observent à divers niveaux où s'organise l'activité agricole. Des fonnes "émergentes" apparaissent à chacun de ces nIveaux. - Les fornles produites à la parcelle. Les fonnes s'inscrivent dans la parcelle et ses contours. Celles correspondant aux dispositifs sont la configuration de la parcelle, les modelés de sa surface, les types de bordures, les diverses constructions associées. La notion d'itinéraire physionomique peut être mise en parallèle à celle d'itinéraire technique pour représenter la succession des états physionomiques de l'ensemble sol-couvert végétal- techniques d'une parcelle et de ses bordures résultant des opérations techniques successives au cours d'une campagne (4). - Les forn1es dans un territoire agricole. Une première approche que l'on peut qualifier d'agrégative consiste à considérer la portion agricole d'un territoire comme un assemblage de parcelles appartenant, le plus souvent, à diverses exploitations. Les formes produites sont celles des dispositifs relatifs à cet assemblage et des itinéraires techniques correspondant à chaque parcelle. Mais la logique de ces itinéraires et de ces dispositifs n'est intelligible qu'au niveau des exploitations agricoles. Une seconde approche, plus heuristique et plus globale, procède par segmentation du territoire. L'approche proposée s'appuie d'une part, sur la notion de champ géographique (1) qui perlnet de définir, dans le territoire, des unités de relative égale organisation spatiale des usages agricoles, d'autre part sur l'hypothèse que ces unités sont en bonne correspondance avec des unités spatiales de relative égale apparence. Ces dernières, les unités agrophysionomiques (UAP), regroupent les formes produites par l'agriculture en un certain nombre de Inotifs spécifiques et récurrents qui peuvent être cartographiés (5). 439
- Les formes et l'exploitation. Au niveau de l'exploitation, on retrouve les deux familles de formes. Celles liées aux dispositifs, celles liées aux opérations techniques. La première comprend des formes liées à l'histoire de l'exploitation, à sa constitution, aux systèmes de production successifs qui ont impliqué l'aménagement de dispositifs particuliers. La seconde famille, constituée de formes plus changeantes, résulte de la mise en œuvre des systèlnes de culture et d'élevage en cours. Sans doute peut-on parler, au niveau de l'exploitation, d'un système de formes. Celui-ci est un ensemble de formes associées qui, à un moment donné, font système car elles relnplissent chacune une ou plusieurs fonctions recherchées par l'agriculteur ou répondent à une logique définie par lui, dans le cadre d'un système technique particulier. 3 - Médiation entre producteurs
et usagers du paysage
Dans cette démarche fondée par un détour par les formes visibles, comment aborder les relations entre agriculteurs et usagers du paysage? L'usager du paysage, quel que soit l'usage, est confronté aux formes visibles résultant de l'activité agricole, et inscrites de façon plus ou tnoins durables dans le territoire. Ainsi au-delà des informations générales qu'il peut avoir sur l'agriculture, l'usager, devant un paysage, est en face d'une véritable "vitrine" de l'activité agricole. Il est rare dans nos sociétés où le travail est le plus souvent caché et occulté par les produits finis qu'une profession ait une façade qui donne à voir son activité en train de se faire ou montre les traces plus ou moins immédiates qu'elle laisse. Le territoire agricole, visible par tous, a le caractère d'un espace public. Il y a là un enjeu fort pour les agriculteurs de montrer, de faire comprendre à un public large leur activité qui par ailleurs est accusée de divers maux. On comprend cette expression d'un agriculteur du Jura: "le territoire est notre langage". Un rôle de l'agrono111edes façons de produire est de contribuer à préciser et à désigner les for111esvisibles significatives pour les agriculteurs. Par ailleurs, le paysage apparaît de plus en plus comme un espace à partir duquel peuvent être formulées les stratégies territoriales des différents acteurs dans le cadre de projets de développement territorial, et peuvent être négociées les conditions d'usages divers. Cela suppose que soient débattus les enjeux des différents acteurs et que se développe une concertation entre producteurs et usagers du paysage. Dans cette perspective, l'agrono111ea un rôle particulier à jouer. En élaborant des modèles de la dyna111iquedes formes visibles issues des systèmes techniques et en fournissant des clés d'intelligibilité des processus de production des for111es constitutives des paysages, il contribue à l'établissement d'une base objective sur laquelle peut s'appuyer le dialogue entre agriculteurs et usagers du paysage.. 440
Au-delà de l'intérêt d'établir des relations entre agriculteurs et usagers du paysage, l'attention portée à ce qui se voit, ici les formes inscrites dans l'espace d'activité des agriculteurs, est sans doute une voie efficace pour sensibiliser ces derniers à des problèmes d'environnement dont les impacts sont plus difficiles à percevoir, tels que ceux liés à la pollution de l'air, à la dynamique de la biodiversité ou encore à ceux dont les effets ne sont sensibles qu'à distance ou sur le long terme.
Références
Bibliographiques
(1) BRUNET R., FERRAS R., THERY H., 1992. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Reclus-La documentation française, Paris, 470p. ("Champ", pp.91-92.) (2) CHOUQUER G., 2000, L'étude des paysages. Essai sur leurs formes et leur histoire, Ed. Errance, Paris, 208p. (3) DEFFONTAINES IP., MATHIEU A., 2002, Formes visibles produites par l'agriculture. Point de vue d'agronomes. Actes 127ème Congrès des Sociétés Historiques et Scientifiques. Nancy. Ed. CTHS. (4) DEFFONTAINES IP., 1995, Dynamique physionomique d'un paysage rural. Essai de modélisation de la composante agricole, Rev. Cahiers Agricultures 4, pp. 434-439. (5) THINON P., DEFFONTAINES jP., 2001, Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux environnementaux et paysagers. Contribution à une agronomie du Territoire. Le Courrier de l'Environnement de l'INRA, Ed. INRA, pp.13-29
441
L'agriculture,
l'artificialisation du nlilieu naturel et la demande sociale Sylvie BONNyl
Résumé L'agriculture des dernières décennies est souvent perçue cotume trop affranchie du milieu naturel et des territoires. Cela concerne notamment les techniques agricoles utilisées (fertilisation, irrigation, drainage, désaisonnalisation des productions, etc.) qui visent un affranchissement vis à vis des limites du milieu, et les produits alimentaires consotumés qui ne sont généralement plus issus du territoire proche. Depuis quelques années, une demande assez forte s'exprime pour que l'agriculture s'intègre mieux à la nature et au milieu. Ce texte cherche à examiner plus en détail certains mécanismes à l'origine de cet affranchissement ainsi que les analyses faites et les diagnostics portés sur les processus en jeu tels l'intensification. Sont présentées ensuite des voies proposées ou envisageables pour une meilleure intégration agriculture/territoire ainsi que certains enjeux et obstacles en la matière. On souligne le poids des déterminants économiques dans de nombreuses évolutions et orientations de l'agriculture. Le progrès scientifique et technique est souvent suspecté aujourd'hui en la matière comme le montrent diverses enquêtes; pourtant il peut contribuer à une insertion plus harmonieuse de l'agriculture dans le milieu naturel à condition d'être vigilant sur ses orientations et la façon de l'utiliser. Mots clés: évolution de l'agriculture, territoire, milieu naturel, intensification, progrès technique, modernisation, environnement, localisation, demande. Abstract Agriculture, artificializing the natural ellvironmellt, and society's demand Agriculture over the last decades has often been perceived as too dissociated from the natural environment and land area. This point of view relates in particular to the agricultural techniques used (fertilization, irrigation, drainage, out-of-season production, etc.), which aim at freeing production from the limits of the natural environment. It concerns as well the foodstuffs consumed which generally no longer come from the 1
INRA Econolnie
et Sociologie
Rurales, Grignon
surrounding region. For some years, a rather strong desire has been expressed for better integration of agriculture into nature and the environment. This text examines certain mechanisms which have contributed to this dissociation in greater detail; it also looks at the analyses and the diagnoses of the involved processes such as intensification and productivism. The paper then presents proposed or possible ways of better integrating agriculture and ground, as well as certain related issues and obstacles. The importance of the economic determinants to many trends and orientations of agriculture is emphasised. Today, scientific and technological progress is often put under suspicion, as several opinion polls show. However such progress can contribute to a more harmonious integration of agriculture into the natural environment, provided one remains vigilant about its orientations and the way it is used. ](ey words: changes in agriculture, area, natural environment, intensification, technological progress, modernisation, environlnent, location, demand L'agriculture occidentale fait aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques, en particulier car elle est perçue comme trop industrialisée, artificialisée, coupée du milieu naturel, déterritorialisée en quelque sorte. Cela concerne les techniques utilisées, les ressources mobilisées, les régulations économiques en œuvre. Depuis quelques années, de nombreuses voix ont mis en avant la nécessité de réinscrire davantage l'agriculture et sa production dans les territoires, de la réenraciner dans le milieu naturel et social, de mieux intégrer les techniques, etc. afin de pallier divers effets négatifs observés. La majorité des analyses faites aboutissent à cette nécessité d'inflexion et de réorientation, mais à des degrés plus ou moins prononcés. Donnons un exemple parmi bien d'autres de ce diagnostic: il y a quarante ans, la politique agricole C0111mUneH a été fondée sur un pacte avec les agriculteurs auxquels la société européenne disait "produisez, produisez plus". (...). Ce pacte est obsolète parce que l'Europe a (lécouvert que la course à la production avait engendré des effets pervers: course à l'agrandissement des exploitations, destruction d'e111plois agricoles et désertification rurale, multiplication de crises alÙnentaires provoquées par une recherche effrénée du productivis111e,détérioration de nos paysages ou du bien-être anin1al, atteinte à notre environnelnent et nota1111nentà la qualité de nos eaux, de nos rivières et de nos nappes phréatiques. C'est pourquoi, il nous faut passer un nouveau pacte avec les agriculteurs européens, un pacte qualitatif: le problèn1e n'est plus de produire toujours plus, mais de produire mieux. "(Document de la Présidence de l'UE pour le Conseil informel de l'UE de Biarritz de septembre 2000) Cet article cherche à analyser divers processus en œuvre et interprétations faites, ainsi que certaines solutions proposées: cela concenle les sciences 444
agronomiques qui font parfois l'objet de suspicion de par les orientations des dernières décennies. On examine en premier lieu les processus d'affranchissement de l'agriculture envers les milieux naturels et les territoires. Puis on revient sur les analyses et les diagnostics des relations jugées disharmonieuses entre agriculture et territoire, notamlnent sur l'intensification. Sont présentées ensuite diverses voies proposées ou envisageables pour une meilleure intégration agriculture/territoire ainsi que certains enjeux et obstacles en la matière. Le progrès scientifique et technique est assez souvent suspecté aujourd'hui comme le montrent diverses enquêtes. Pourtant il faut questionner surtout le poids des déterminants économiques. ln fine on s'interroge sur les avancées scientifiques et techniques, objet de doute parfois actuellement: peuventelles contribuer aussi à une insertion plus harmonieuse de l'agriculture dans le milieu naturel et à quelles conditions? 1 - L'agriculture territoires.
s'est en partie affranchie
du Inilieu naturel et des
Le terme territoire est utilisé dans divers cadres référentiels, aussi l'analyse de la dimension territoriale d'un phénomène peut-elle être faite avec différents angles d'approches: géographique / spatial, historique (en lien avec le processus de constitution des territoires), socio-économique (e.g. réseaux de relations, d'interactions et d'échanges), culturel, politique, administratif, organisationnel, économique (en relation avec les différences de développement régional), voire éthologique et psychologique. Si le lien avec l'agronomie et l'agriculture conduit ici à considérer plutôt le territoire sous les aspects de milieu naturel et de ressources locales, les autres composantes ne doivent pas être oubliées car elles jouent un rôle important. Même si des mouvements et des échanges d'hommes, d'idées, de produits et de techniques existent depuis des Inillénaires et ont de longue
date entraîné de grands changements dans les relations techniques - sociétés
- territoires, l'agriculture est restée pendant très longtemps une activité où l'inscription territoriale était très forte par la force des choses. En effet jusqu'à la fin du XIXème siècle et davantage, les difficultés et les lenteurs des transports et des échanges de marchandises ont conduit à devoir tirer parti au maximum des ressources locales. Dans les décennies suivantes en France et dans d'autres pays, les politiques protectionnistes menées ont contribué à faire perdurer en partie cette situation. Cela a produit une grande diversité de systèmes agraires de par le monde en fonction d'une mise en valeur ingénieuse et souvent remarquable de tous les éléments du Inilieu naturel local afin d'assurer la vie du groupe et du collectif et ses possibilités de survie. 445
Ces formes d'agriculture de naguère très fortement inscrites et insérées dans le territoire par la force des choses font souvent l'objet aujourd'hui d'une vision nostalgique parfois bien éloignée de la réalité. Elles s'accompagnaient en effet en général d'un labeur humain considérable, de contraintes et de règles collectives souvent très lourdes, d'un niveau de vie bas à très bas, excepté pour quelques catégories sociales, et d'une vie souvent très dure pour beaucoup, en particulier pour ceux qui par leur statut disposaient de peu ou pas de ressources foncières. Les conflits pour certains biens, notamment la terre, ont pu être forts et envenimer les relations de voisinage, en particulier en période de croissance démographique. Bref la réalité est loin de la vision bucolique qu'en ont certains comme l'illustrent par exemple les descriptions d'Eugen Weber (19). Et si ces formes d'agriculture sont parfois jugées cotnme le parangon de l'agriculture durable, peut-être est-ce en liaison avec une approche de la durabilité trop restreinte à de seuls éléments du milieu naturel sans tenir compte suffisatnment de ses dimensions sociales, économiques et éthiques... Par ailleurs, la mise en valeur patiente et ingénieuse des ressources du territoire n'empêchait pas parfois des phénomènes de dégradation: déboisement et surpâturage entraînant l'érosion des sols, surexploitation de certains terrains conduisant à un appauvrissetuent du Inilieu malgré un recyclage important des sous-produits. Au niveau culturel, actuellement, le lien identitaire à un territoire, voire un enracinement au terroir, sont souvent recherchés ou revendiqués dans le contexte mondialisé d'aujourd'hui, et les enquêtes du CREDOC (Centre de Recherche pour l'Etude et l'()bservatioll des C~onditionsde vie), par exemple, montrent que l'espace rural est perçu de façon positive par les français, mais essentiellement comme cadre de vie plus tranquille (11) . Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il était naguère,
jusque dans les années 1960 - parfois plus -, souvent perçu et vécu bien différemment: limitations des ressources économiques et culturelles locales (" ici il n'y a rien "), pesanteur de la tradition et des habitudes, manque d'ouverture au monde, d'où souvent de fortes aspirations à le quitter pour trouver ailleurs plus de liberté et de possibilités de développement. Le mouvement de modernisation de l'agriculture s'est traduit par un certain détachement du territoire (avec en particulier un relatif affranchissement par rapport au milieu naturel), son artificialisation et diverses formes de déterritorialisation économique. De nOlubreux apports extérieurs (énergie, engrais, produits phytosanitaires, variétés végétales, races animales, savoir faire, etc.) ont cOlnplété ou remplacé les ressources locales qu'utilisait l'agriculture. L'alimentation de la population a été en grande partie produite ailleurs, parfois à plusieurs milliers de kilomètres. A l'inverse, la production agricole locale a été souvent exportée hors de la région. Une spécialisation territoriale s'est développée en fonction notamment des avantages comparatifs, non pas seulement ceux liés aux 446
ressources naturelles, mais aussi beaucoup ceux dus aux infrastructures disponibles et aux différences de rémunérations du travail et du foncier à travers le monde. Une conséquence de ces diverses modifications a été la dissociation de la culture et de l'élevage, dont l'association jouait naguère un rôle notable (16). D'où finalement la situation souvent dénoncée aujourd'hui: dans certaines régions la concentration d'élevages hors sol induit de fortes pollutions, alors qu'en zone de grande culture, l'absence de fertilisation organique peut entraîner des effets défavorables sur les sols. De
plus, le milieu - qui n'était plus bien sûr le milieu "naturel" mais celui façonné par les activités humaines depuis plusieurs siècles - a été profondément modifié avec son artificialisation. Outre le développement de diverses infrastructures de transport et l'extension des zones urbaines et pavillonnaires, il a été marqué par une évolution de l'utilisation du territoire et par les transformations des terres agricoles si souvent mises à l'index aujourd'hui: remembrement, agrandissement et regroupement des parcelles, arasement de talus et de diverses haies, drainage et irrigation, et enfin spécialisation des productions. L'évolution de l'utilisation du territoire au 20èmesiècle fait apparaître une progression de l'emprise des villes et des infrastructures de transports ainsi que des bois et forêts, qui s'étendent sur des zones autrefois cultivées. Ainsi, au début du 21 ème siècle, l'agriculture n'occupe plus que la nloitié du territoire, et au sein des surfaces qu'elle utilise, la part des prairies et surtout des terres cultivées en cultures annuelles a régressé: au milieu du 19ème siècle, à leur maximum d'extension, ces dernières représentaient plus de 26 millions d'ha (soit la moitié du territoire) et en 2001 seulement 18 millions d'ha (le tiers du pays) (tableau 1). En effet, du fait de l'accroissement des rendements, bien moins de surfaces sont nécessaires pour produire des quantités plus importantes, d'où la libération de millions d'hectares naguère cultivés. Cela pourrait donner davantage de degrés de liberté dans les diverses utilisations possibles de l'espace et éviter des conflits d'usages, mais cela n'est guère le cas. En effet, des zones délaissées par la culture peuvent avoir de multiples propriétaires aux vues différentes et celles cultivées peuvent être convoitées pour de multiples usages... L'agrandissement des exploitations est par ailleurs allé de pair avec une diminution du faire valoir direct. En 1963, les agriculteurs possédaient la moitié des surfaces qu'ils cultivaient, mais seulement le tiers à la fin du 20èmesiècle.
447
Tableau 1. Evolution de l'utilisation du territoire en France au cours du 20èmesiècle. Table 1. Use of the French surface area throughout the 20th century 2001 vers 1910-1913* 1950 ntilliers ha % total ntilliers ha 0/0total milliers ha 0/0total 100 54 919 100 Territoire total 52 953 54 919 100 5,0 8,1 13,1 4431 7179 Territoire non agricole** 2730 Teaitoire agricole non cultivé 7,2 8,7 5,1 4780 3 793 2 830 Bois, forêts et peupleraies 28,0 18,8 20,6 Il 301 15 364 9953 Superficie Agricole utilisée, dont: 69,0 62,7 53,8 29 546 36 543 34 407 2,1 4,7 3,7 1 138 2 511 2050 - vignes, vergers 18,4 19,0 24,1 10 048 13 221 10 090 - prairies pennanentes (surfaces toujours en herbe)
- terres arables, dont: + céréales, oléagineux, protéagineux & autres cultures + cultures fourragères + jachères
23 918
45,2
19 137
34,8
18 318
33,4
16 122
30,4
Il 296
20,6
12 575
22,9
5203 2593
9,8 4,9
6435 1 405
Il,7 2,6
4430 1 314
8,1 2,4
ou de tnéthodes d'estitnations les chiffres sont approchés; * du fait du changetnent de notnenclatures par ailleurs la surface du pays étant différente alors, il convient de considérer surtout les pourcentages. ** i.e. routes, chelnins, canières ; parcs et jardins d'agrélnent ; neuves, lacs, rocs et dunes; sols bâtis, etc.
En outre, du fait de la mondialisation des firnles, des flux financiers et des marchés, les prix se déterminent souvent ailleurs, et des zones aux ressources très inégales sont mises en concurrence. Cela est un facteur notable du choix des productions et de l'évolution des territoires malgré l'existence de divers freins, barrières ou résistances à cette mise en concurrence. Ce phénoluène a notalnlnent conduit à abandonner massivement ou à ne plus utiliser que de façon résiduelle, parfois folklorique, diverses ressources locales naguère majoritaires en certains lieux du moins: variétés végétales et races animales locales, terres plus difficiles à cultiver, infrastructures foncières (terrasses, canaux d'irrigation, remblais, abris, chemins,..), productions insuffisamment compétitives ou rentables. Traditions culturelles, dialectes régionaux sont délaissés et parfois très proches de la disparition, malgré certaines tentatives de réhabilitation ou de sauvegarde. Un patrimoine construit, élaboré et entretenu durant plusieurs siècles ou décennies, voire millénaires, disparaît ainsi peu à peu, essentiellement pour des raisons économiques.
448
" Voilà le plus grand événelnent du XXe siècle: lafin de l'agriculture, en tant qu'elle n10delait conduites et cultures, sciences, vie sociale, corps et religions. Certes, des cultivateurs nourrissent et nourriront sans doute toujours leurs contemporains (...).[Mais] l'Occident vient de changer de monde. La Terre, au sens de la planète photographiée dans sa globalité par les cosmonautes, prend la place de la terre, au sens du lopin quotidiennement travaillé. Cette crevasse sépare la fin du siècle dernier de tout le temps passé depuis le néolithique,' elle a déjà trans.forlnénos rapports à lafaune, à laflore, à la durée saisonnière, au telnps qui passe, au temps qu'il fait, aux intempéries, à l'espace et à ses lieux, à l 'habitat et à nos déplacements. Elle a changé le lien social,' nous ne vivons plus ensemble de la même manière dès lors que s'efface notre cordon nourricier commun au champ, aufonds, à l'herbe et aux bêtes, à l'occupation des lieux, à leur défense et à la guerre,' nous ne n1ourrons n1êlne pas de la n1êlne manière, puisque, préférant les brûler par lnanque de place en ville, nous n'enterrons plus nos n10rts sous le sol que nos travaux arrosèrent de sueur. (..) Voilà donc la plus large et la plus profonde des nouveautés du siècle passé. Du coup, les écologistes des villes, peu fan1iliers de l'ancien Inonde rural, disent n1al avec des mots et depuis peu, sur le paysage, ce que les agriculteurs y font avec leurs bras depuis des nzillénaires. " (14, p. 91). En outre, comme cela a été souligné lors des crises alitnentaires récentes, une provenance de la nourriture souvent lointaine au sens géographique et surtout au sens de la non familiarité et de la méconnaissance des processus de production utilisés, favorise la méfiance envers les alitnents dès qu'apparaissent des informations ou rumeurs de risques potentiels. L'intitulé de cette partie "L'agriculture s'est en partie affranchie du milieu naturel et des territoires." ne doit pas bien sûr faire illusion. L'agriculture dépend toujours fortement du "milieu naturel" et du climat puisque la croissance des plantes se fait à partir du CO2 de l'air, de la lUlnière, de la chaleur, de la durée du jour et de divers éléments minéraux issus le plus souvent du sol, etc. L'agriculture reste de fait très dépendante du lnilieu naturel et est même plutôt vulnérable en la matière comlne bien des activités humaines. Il est donc plus exact de dire qu'elle et les autres secteurs ont modifié le milieu naturel et même le climat, mais en retour ces lnodifications ont aussi désormais un impact sur les activités agricoles et humaines. En fait, on a cherché à améliorer le milieu naturel pour favoriser la production de denrées et matières premières utiles à l'holnlne. Mais cela a induit divers effets secondaires, et il semble que désormais ceux-ci pèsent beaucoup trop sur certains milieux: les systèmes naturels ne parviennent plus dans divers cas à supporter la charge des transformations et des prélèvements induits par les activités humaines. Ces dernières produisent ainsi des effets négatifs en retour (pollutions, émissions de gaz induisant un changement climatique global, surconsommation de ressources épuisables, accumulation de déchets, 449
etc.). Cela a conduit à mettre en avant la nécessité d'un développeluent durable, mais ce dernier relève encore souvent du vœu pieux ou du leitmotiv plutôt illusoire, du fait d'une mise en pratique effective assez faible. D'où le risque que la planète Terre ne puisse plus supporter le poids et la pression des activités humaines, d'autant plus que la population augmente ainsi que le niveau de consommation par tête de la partie la plus utilisatrice de ressources. 2 - Un retour sur les analyses et les diagnostics disharmonieuses entre agriculture et territoire
La reconnaissance
des relatiolls devenues
de divers excès du modèle productiviste
-
que
souligne par exemple la citation ci-après - fait l'objet d'un consensus relatif, bien qu'à des degrés fort variables. Mais les diagnostics sur les causes et les voies et moyens concrets pour un aggiornamento de l'agriculture sont bien luoins consensuels et restent souvent flous ou font l'objet de conflits. Aussi une analyse plus approfondie semble utile. "En plusieurs endroits du pays, les Ùnpacts de certaines pratiques agricoles sur l'environnement ont atteint des niveaux insoutenables: premier consomnlateur net d'eau, prenIier énIetteur d'azote ntinéral et organique, prentier énIetteur d'amntoniac et de lnéthane, prelnier utilisateur d'espaces et de sols, l'agriculture, là oÙ elle est intensive, a fini par lnenacer à plus ou moins court ternIe ses propres fondentents : le potentiel agronomique des sols, la qualité des eaux, la diversité génétique (gage d'adaptabilité et de résistance), nIais aussi I 'inIage positive et affective dont elle bénéficiait depuis longtentps dans l'opinion. Cette évolution touche donc directentent l' attractivité contnterciale des produits agricoles, ainsi que les relations des agriculteurs avec les activités éconolniques voisines, au premier rang desquelles le tourisnle et la transfornlation agro-aIÙnentaire. Or, l'objectif principal assigné à la politique agricole conunune dans les années cinquante et soixante, l'autosufjisance alÙnentaire, a été largentent atteint, puis dépassé. (...) Nous devons construire les conditions de la durabilité non seulentent de notre agriculture, lnais aussi de la préservation et de la valorisation de notre territoire. (Voynet, préface de (13)). La désapprobation porte notamment sur les techniques utilisées liées à la modernisation de l'agriculture mises en œuvre depuis quelques décennies. De façon plus générale l'anathème est souvent porté envers le "productivisme agricole", c'est à dire notamment la recherche d'un accroissement de la production en prenant insuffisamment en compte ses divers impacts environnementaux, sanitaires et sociaux. L'emploi d'engrais chimiques, de produits phytosanitaires, de nouvelles races et variétés, etc. est fréquemment jugé excessif, d'autant plus qu'un type d'agriculture présenté de plus en plus comme modèle à suivre les refuse. Parmi les causes des dérives 450
productivistes, sont assez souvent dénoncées, d'une part les politiques agricoles conduites, en particulier la PAC et ses mécanismes de soutien des marchés, d'autre part l'influence des agro-industries d'amont et d'aval, enfin plus rarement les agronomes au sens large et la Recherche Agronomique qui ont pu contribuer à la mise au point de ces techniques. Nombre d'ouvrages ou articles récents expriment de telles critiques, par exemple:" Vache folle, eau potable polluée par l'azote et les pesticides, inondations aggravées par l'arrachage des haies, campagnes vides, production privilégiant la quantité plutôt que la qualité ..., le bilan de l'agriculture productiviste est lourd. La solution? Changer de lnodèle technique et, pour cela, vulgariser d'autres ntodes de production et réformer la politique agricole. André Pochon dénonce avec vigueur les erreurs techniques COlnnlisesdepuis les années 70 et ceux qui, industriels, professionnels agricoles ou décideurs politiques, ont conduit les agriculteurs et les consomnlateurs dans l 'inlpasse" (présentation du livre (12)). L'emploi d'intrants est souvent jugé excessif, trop intensif, polluant, d'où nombre de critiques à son égard et envers l'intensification. En effet, si certaines zones souffrent de déprise agricole, à l'opposé là où la production s'est concentrée, on déplore souvent l'emploi élevé d'engrais et de pesticides pouvant induire des pollutions et des retombées négatives pour le milieu, voire même la santé. Ce sujet ayant déjà fait l'objet d'une abondante littérature, seuls quelques points sont abordés ici pour tenter de mieux appréhender l'intensification parfois dénoncée comme pur scandale et aberration. Or, même si on l'évoque souvent, le sens précis du terme intensification reste assez mal connu et son usage donne parfois lieu à des confusions, d'où l'utilité d'une mise au point. Quand on parle d'agriculture intensive, il convient en premier lieu de préciser à quels facteurs on se réfère: il existe des formes très différentes d'intensification de la terre pour en améliorer la production. Une première forme consiste à utiliser beaucoup de travail à l'unité de surface, comme en agriculture traditionnelle à forte densité d'actifs agricoles. Une deuxième forme bien différente fait un eluploi assez important d'intrants et/ou de capital (matériel, équipement), mais peut tout à fait être extensive en travail et requérir peu de main d'œuvre. Une troisième forme possible correspond à une agriculture intensive en savoir et en information et utilisant de ce fait moins d'intrants (cf. infra). C'est donc surtout le type d'intensification qui doit être questionné. De fait l'agriculture moderne est loin d'être toujours intensive: on y vise surtout une forte productivité par travailleur qui peut être obtenue grâce à une grande surface par actif avec un emploi d'intrants relativement faible à l'ha. Cependant, en France, la relative petitesse des surfaces disponibles par actif et le bas prix des produits agricoles ont conduit plutôt à rechercher des rendements assez hauts et l'emploi d'intrants en conséquence, d'où le sens courant qu'a pris ce terme en France. Les déterminants des formes d'agriculture ressortissent 451
d'abord au rapport de prix relatif des facteurs et à leur rareté relative: on cherche en général à augmenter la productivité des facteurs rares ou chers. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, quand a commencé à se mettre en place le modèle de production agricole "productiviste", les exploitations agricoles étaient en général petites, voire très petites et morcelées et abritaient une main d'œuvre abondante. La quasi-totalité des témoignages sur cette époque montre l'exiguïté des surfaces par actif agricole, la faible productivité du travail, l'éparpillement dans une multitude de tâches disparates. R Dumont dans ses ouvrages "Voyages en France d'un agronome" (1951) ou "l'économie agricole dans le monde" (1954) fait apparaître à partir de ses observations détaillées un surpeuplement des campagnes (5,6). Il souligne les quantités considérables de travail dépensé en général pour obtenir une unité de production. On préconisa alors assez souvent l'industrialisation et un certain exode rural bien que cette question fût un peu taboue. Mendras écrit ainsi en 1959 : "chaque année plus de 60 000 (certains disent 80 000) travailleurs quittent la terre. Les calnpagnes se dépeuplent, c'est un jàit ,. mais il faut y voir un signe de la prospérité de notre éconolnie, du progrès de notre agriculture et de la fécondité de nos familles paysannes" (9). Améliorer les rendements était à ce moment là une des voies principales recherchées pour augmenter les volumes produits par travailleur et les revenus par actif agricole alors très bas et réduire les coûts de production des denrées. Les calculs montrent que l'accroisseluent des rendements, même s'il requiert une hausse des intrants, s'accompagne en général d'une amélioration du revenu et d'une réduction des coûts - à condition bien sûr qu'il n'y ait pas de gaspillage intempestif ou d'accidents de production conduisant à des récoltes médiocres. Une telle amélioration du revenu s'est vérifiée le plus souvent jusqu'à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, et même plus longtemps, et est liée au fait que l'accroissement de la marge (produit
-
charges) était supérieur à l'accroissement
des achats
d'intrants. Au niveau micro-économique on n'avait pas atteint encore la zone où le coût d'un apport supplémentaire d'intrants est plus élevé que l'amélioration induite de la marge, ou bien on l'atteignait juste dans certaines régions à moindre potentiel avec la baisse des cours des produits agricoles. En outre, les charges fixes (foncier, bâtiments, matériel, etc.) étant relativement importantes, une hausse de productivité entraînait généralement une réduction des coûts de production ralnenés à la tonne de produit obtenu. Si beaucoup d'enfants d'agriculteurs sont allés travailler dans d'autres secteurs, la majorité de ceux qui ont repris l'exploitation de leurs parents ont suivi cette voie de l'intensification, mais à des degrés fort divers en France. Ainsi, pour améliorer les revenus, on a cherché à accroître la production par ha ou par animal, d'où le plus souvent un accroissement des intrants 452
utilisés, un changement des variétés et le recours à des races animales plus productives et plus efficientes en termes de production obtenue par quantité d'aliment consommée. La nécessité d'investir dans du matériel et des bâtiments mieux adaptés et de plus grande capacité - alors que par ailleurs la
main d'œuvre diminuait dans les exploitations - a induit la spécialisation: il s'avérait difficile de faire des investissements simultanément dans plusieurs types de production. De la sorte progressivement l' artificialisation du Inilieu naturel s'est renforcée et se mit en place le processus d'intensification où finalement le labeur hunlain dépensé par ha est remplacé par des intrants et/ou du capital. 3 - Le poids des déterminants mécanismes d'évolution.
économiques
dans les processus
et les
Cette description du processus d'intensification peut paraître aux uns une évidence inutile à rappeler, aux autres au contraire une sorte d'apologétique avec une approche trop partielle, en particulier car divers coûts sociaux, écologiques ou de long terme ne sont pas comptabilisés. Mais elle semble cependant utile à rappeler aujourd'hui car les critiques envers les excès du modèle productiviste peuvent conduire à caricaturer à l'extrême l'agriculture récente et à l'inverse à présenter le travail paysan d'avant la Inodernisation des "30 glorieuses" sous un jour idyllique ou de perfection fort différent de la réalité d'alors. Les critiques faites envers "l'agriculture productiviste" la présentant souvent comme une aberration, il semble nécessaire de mieux appréhender certains déterminants et mécanismes économiques importants ainsi que la logique des évolutions. A - Une localisation des productiollS fortement liée aux avantages comparatifs et aux échanges internationaux et intra Ilationaux Ces deux aspects sont un déterminant notable de l'utilisation des territoires et de leur spécialisation productive. Même si elle souffre de bien des limites (4), la théorie des avantages comparatifs joue un rôle inlportant pour comprendre les phénomènes de spécialisation entre régions, et ainsi les phénomènes de déprise agricole dans beaucoup de régions difficiles, en particulier les régions de montagne ou demi-montagne, les zones pentues ou aux sols trop superficiels. Les coûts de production y seraient trop élevés pour produire là ce qu'on peut obtenir ailleurs à plus bas prix, à condition que les échanges soient possibles et les transports relativement peu coûteux. Les importations permettent un approvisionnement à moindre coût, et sont considérées ainsi comme bénéfiques pour les consomnlateurs. Depuis plusieurs siècles, diverses analyses ont porté sur le commerce entre pays, et notamment sur la théorie des avantages comparatifs (voir encadré). Mais se 453
pose bien sûr la question de toutes les externalités de la spécialisation induite; et d'autres critères que les seuls coûts de production sont à considérer. Les théories des avantages comparatifs (bref rappel) Theories of comparative advantages ( short renlinder) -A. Snlith et les" avantages absolus" Pour A. Smith chaque pays a intérêt à se spécialiser dans les productions pour lesquelles il est le plus efficace. Si, par exentple, en une heure de travail, on peut produire: en Angleterre: 10 nt de drap ou 20 I de vin; au Portugal: 5 ln de drap ou 501 de vin, l'Angleterre a intérêt à se spécialiser dans la production du drap et le Portugal dans celle du vin.
Mais ce raisonnelnent suppose qu'il existe un étalon de lnesure " heure de travail international" et que la productivité du travail est stable à moyen terme. . D. Ricardo et les" avantages conlparatij's " Supposons qu'en une heure de travail, on peut produire: en Angleterre: 51nde drap ou 20 I de vin; au Portugal: 10nt de drap ou 50 I de vin. Chaque pays a intérêt à se spécialiser dans le produit pour lequel il a un avantage comparatif. Ainsi le Portugal a intérêt à se spécialiser dans le vin, et l'Angleterre dans le textile. A la condition que les prix relatifs entre les deux catégories de biens soient différents dans les deux pays, chaque partenaire gagnera à l'échange. Ainsi l'Angleterre en produisant en 1 h de travail 5m de drap pourra l'échanger avec le Portugal contre 25 1 de vin (d'où un gain de 5 1 par rapport à la situation où elle le produirait elle-même). Et le Portugal, en produisant 50 I de vin pourra l'échanger avec l'Angleterre contre 12,5 nt de drap (gain de 2,5 nI par rapport à la production sur son sol).
454
Cette représentation théorique est bien sÛr une vision sÙnplifiée reposant sur l 'hypothèse du plein-en1ploi et de l'imn10bilité des facteurs de production sur le plan international. Mais d'une part elle a joué un rôle historique in1portant (abolition en Angleterre des corn-laws qui protégeaient le marché intérieur), d'autre part elle est un élén1ent essentiel pour comprendre que l'échange peut être plus bénéfique que la recherche d'autonomie à tout prix.
. Le tltéorènle d'Hecl,sher-Olhin-Sanluelson Il s'agit d'une généralisation du raisonnelnent des éconon1istes précédents, en utilisant des approches différentes de la valeur. Dans l'échange international, les pays ont intérêt à se spécialiser dans les productions qui utilisent en plus grande proportion le facteur dont ils sont les n1ieux pourvus.
.
Des développenlents
plus
récents des théories du conlnlerce
international ont con1plexifié l'approche intra branches, des écarts technologiques, pern1ettre la création et la protection particulier quand elles sont naissantes...
B - L'artificialisation
de l'agriculture
en tenant cOlnpte des échanges des interventions des Etats pour des industries nationales, en
et ses impacts environnementaux
Depuis une quinzaine d'années, la nécessité de mieux intégrer les coûts sociaux, environnement aux et de long terme a induit des travaux cherchant les voies pour internaliser les externalités et pour étudier les Inesures réglementaires (normes), les incitations (redevances, subventions), les mesures juridiques et fiscales ou les délnarches volontaires pour des labels de qualité afin que l'agriculture se réoriente vers plus de durabilité. Malgré
les nombreux travaux sur ces questions
-
qui ne sont pas propres à
l'agriculture - beaucoup déplorent que les impacts environnementaux négatifs de ce secteur ne diminuent guère. Bien des facteurs explicatifs peuvent être invoqués, tuais un point notable est lié au bas prix des produits agricoles, dont l'impact est plus important et cotuplexe qu'il n'y paraît au premier abord. Ce facteur doit être davantage pris en compte pour comprendre les orientations productives et les freins à une transformation rapide vers une agriculture plus écologique, plus en harnlonie avec le Inilieu naturel et susceptible de faire vivre un certain nombre d'exploitations dans tout le territoire et non pas seulement 300 000 dans quelques années si les tendances des dernières années se poursuivent. 455
L'analyse de la création et de la répartition de la valeur au sein des filières agro-alimentaires montre que souvent les matières agricoles de base produites sont payées à bas prix et que l'essentiel de la création de valeur est située dans les stades finaux de la distribution. La pression pour de bas prix agricoles impose de chercher à réduire toujours davantage les coûts de production et est un des facteurs pouvant rendre difficiles certaines réorientations souhaitées pour l'agriculture. En effet, d'une part, elle entraîne souvent la recherche d'un accroissement des surfaces ou des dimensions des ateliers animaux afin de tenter de compenser leur faible valorisation unitaire (et en outre bénéficier de davantage d'aides vu leur mode d'attribution). D'autre part, elle induit souvent la recherche d'un niveau de rendelnent assez élevé (et donc un emploi d'intrants assez substantiels) vu la dimension des exploitations françaises, comparativement à celles des grands pays agroexportateurs. Cependant, dans un certain nombre de cas, l'agriculteur peut avoir intérêt à pratiquer des formes d'agricultures plus extensives: sa marge par ha sera parfois un peu améliorée. Ainsi, il peut chercher à remplacer des modes de
conduite intensifs standards - adaptés de fait à un nombre assez limité de milieux - par des modes de conduite désintensifiés davantage basés sur les potentialités du milieu (18, 10). Des conduites plus extensives des productions sont bien facilitées s'il peut ainsi vendre des produits plus cher (labels biologiques, appellations d'origine, etc.) ou si une certaine désintensification (par rapport à des objectifs de rendements élevés peu fréquemment obtenus dans sa zone agro-pédoclimatique) lui procure assez fréquemment une meilleure marge. Cependant, cela suppose de viser un rendement moindre et de raisonner finement le systèn1e de cultures et les apportsd'intrants nécessaires pour cet objectif. Par ailleurs comme la marge par ha reste souvent faible, cela pallie peu la quête de l'agrandissement des surfaces ou du cheptel. Les rapports de prix jouant un rôle essentiel, on ne peut pas incriminer uniquement les politiques agricoles, les techniques utilisées, les pratiques agricoles ou les agriculteurs eux-mêmes. Ceux-ci ont cherché à se moderniser mais, en fait, ils semblent n'être passés que d'une forme de retard à une autre: on jugeait naguère leurs pratiques trop traditionnelles et routinières, on déplore aujourd'hui la disparition des techniques et savoirfaire d'autrefois désormais réhabilités et promus (cf. encadré sur les dénominations) .
456
Les dénontinations "paysan" et "agriculteur" : nuances, sens et origines Denonlinations "peasant" and "farnler": differences, sense and origins Les paysans (à l'exception d'une ,ninorité bénéficiant d'un statut social élevé) étaient souvent considérés autrefois et naguère (e.g. durant les 30 Glorieuses) par les citadins conlnle des ''ploucs'', des "bouseux", des "culs-terreux", des "rustres" plutôt en retard COlnlne en té1110igne la nuance péjorative de tous ces termes. Un fort n10uven1ent de lnodernisation a eu lieu, porté au lnoins en partie par les agriculteurs eux-111êln es, qui s'est traduit entre autres par une évolution des tern1es pour les désigner: on a utilisé davantage la dénolnination d'agriculteur qui renvoyait à une certaine technicité et bien nloins celle de paysan à connotation plus passéiste. Mais aujourd'hui, après plusieurs décennies de forte 1110dernisation, les agriculteurs se retrouvent à nouveau en porte à.fauxjàce à la société. Celleci, désormais devenue très urbanisée et ayant 111aintenant un rapport nostalgique envers le "naturel" et le "terroir" reproche à l'agriculture d'avoir trop changé, de polluer, d'abînIer la nature et les paysages. Et les agriculteurs se retrouvent à nouveau en position inconfortable, accusés d'être des pollueurs et des destructeurs du milieu naturel... Le vocable de paysan est revendiqué tandis que celui d'agriculteur et surtout d'exploitant agricole est rejeté en raison de sa dinlension trop techniciste. On pourrait presque écrire une sorte de fable: "ils voulurent échapper à la condition de paysan - au sens péjoratif encore fréquent du
terme ''personne qui ne connaît pas les usages de la vie citadine.
Synonymes: bouseux, calnbrousard, cul-terreux, péquenot, plouc" - et devenir des "exploitants agricoles" (Plus) lnodernes. Las, une fois ce stade atteint, une partie des citadins leur reprochèrent d'être trop industrialisés et trop séparés de la nature, de ne pas assez bien entretenir le territoire que désorn1ais les urbains voulaient utiliser com111epaysage ou cadre récréatif lnaintenant que les IU11Iières des villes s'étaient affadies. Les agriculteurs restants se trouvèrent ainsi à nouveau dans une position nIai c01111nodede ''paysans'' au sens quasi étynlologique de ce terlne de non fa111ilier ou non acculturé aux idées des villes. En effet, paysan et païen ont la lnênle origine et un sens proche au départ: lorsque le christianislne est devenu une religion officielle et reconnue, sa diffusion se fit dans les grandes villes,. par contre, les paysans restèrent plus longtenlps accrochés à leurs traditions et gardèrent la religion antérieure ''païenne ", au 1110ins sous forlne de nombreuses traces dont certaines perdurèrent durant des siècles, voire bien plus.
457
Avec le christianislne implanté et institutionnalisé dans les villes, il était en quelque sorte ringard ou "plouc" de continuer d'adhérer aux anciennes croyances. Aujourd'hui, il s'agit de lnouvenlent de pensée et non de religion, mais le phénonlène sous-jacent est voisin: les idées "à la lnode" viennent des citadins, des lettrés, des clercs, qui jaugent et évaluent les techniques et pratiques des agriculteurs. Ces derniers, du nl0ins une bonne partie, leur paraissent en retard par rapport aux approches et visions de la nature qui sont aujourd'hui devenues prédolninantes en nlilieu urbain ou du nloins à la mode.
4 - La demande d'une agriculture moins artificialisée et les réponses possibles
-
A Une certaine suspicion scientifiques et techniques
envers les retombées
des avancées
Divers sondages récents révèlent une certaine méfiance envers la modernisation de l'agriculture. Ainsi, fin 2001, l'utilisation des avancées de la science et de la technique en agriculture était jugée "comme une bonne chose pour le consommateur" par seulement un quart des français (tableau 2) (15, 16). Et un autre sondage de fin 2000-début 2001 montrait que 69 % de ces derniers estimaient que la qualité de l'alimentation s'était dégradée par rapport à 50 ans avant (8). Tableau 2. Opinion sur l'utilisation en agriculture des avallcées de la science et de la technique. Sondage réalisé fin 2000 et fin 2001 auprès d'un échantillon représentatif de 1000 personnes (15, 16).
458
Table 2. Opinion on use of scientific and technological advances in agricultural production. Poll carried out in late 2000 and late 2001 on a representative san1ple of 1000 people. Que pensez-vous de l'utilisation par l'agriculture des avancées de la science et de la technique? Diriez-vous que c'est: - une bonne chose pour le consommateur -
une mauvaise chose pour le consommateur ni une bonne, ni une mauvaise chose
- sans opInIon
ell 0/0 des réponses en déc.2000 nov.2001 34 31 32 3
25 35 32 8
Ce résultat est corroboré par les sondages Eurobarolnètre effectués régulièrement à la demande de la Commission Européenne et permettant une comparaison des opinions entre pays de l'UE sur divers thèmes. L'Eurobaromètre 55.2 portant sur un total de 16029 personnes (avec un échantillon représentatif d'environ 1000 personnes par Etat-membre) interrogées du 10 mai au 15 juin 2001 a été consacré aux opinions envers la science et la technologie (7). Un volet du sondage abordait la question de la confiance dans leurs retombées. La France y apparaît comme le pays où il y a le plus de doutes envers la science et la teclmologie en général, notamment en matière agricole et alimentaire. Alors que les autres pays de l'UE estiment majoritairement que celles-ci vont améliorer l'agriculture et la production, les Français sont un peu moins de la moitié à partager cet avis; et près d'un tiers pensent que cela ne l'améliorera pas (tableau 3). B - Quelles voies pour une insertion plus harnlonieuse dans l'environnement?
de l'agriculture
Il y a plus d'un siècle, M. Berthelot envisageait pour l'an 2000 un remplacement de l'agriculture par la chinlie de synthèse et une transformation du territoire agricole en un vaste jardin sans activité productive (cf. encadré). Aujourd'hui, des aspirations quasi opposées dominent (surtout pour le premier point) et de fortes critiques s'expriment envers les retombées des innovations largelnent développées et diffusées durant les 50 dernières années. En agriculture, la tradition paraît aujourd'hui fréquemment plus glorifiée que la modernité.
459
Tableau 3. Opinion des Européens envers les effets des sciences et technologies dans l'agriculture et l'alimentation. Sondage Eurobaromètre 55.2, mai-juin 2001.'j4 votre avis, est-il vrai ou faux que la science et la technologie vont améliorer l'agriculture et la production alin1entaire ?" Table 3. European opinion on effects of science and technology in agfood sector. (Eurobarometer poll 55.2, May-June 2001) "In your opinion, is it true or false that science and technology will improve ag and food production? " (en % du total des réponses par pays)
Pays Finlande Danemark Pays-Bas Suède Grèce ex-Allemagne de l'Est Royaume Uni Irlande Allemagne (ensemble) ED-15 ENSEMBLE Belgique ex-Allemagne de l'Ouest Portugal Espagne Autriche Italie Luxembourg France
vrai 78,3 78,0 75,7 75,7 69,5 66,1 65,5 62,4 60,1 59,0 58,6 58,5 58,0 55,4 53,1 52,0 51,6 49,2
460
faux 9,7 12,5 12,0 12,4 14,9 13,5 16,6 13,8 18,5 20,7 23,1 19,9 14,7 21,4 25,2 23,1 28,9 31,6
NSP Il,9 9,5 12,4 Il,9 15,6 20,4 17,9 23,8 21,4 20,3 18,3 21,6 27,3 23,2 21,7 25,0 19,5 19,2
Une vision de l'an 2000 il Y a un siècle (Marcelin Berthelot dans un discours prononcé The year 2000 as viewed one century ago
le 5/04/1894 (1)).
((
Dans ce ten1ps-là, il n y aura plus dans le Inonde ni agriculture, ni pâtres, ni laboureurs: le problème de l'existence par la culture du sol aura été supprimé par la chimie! (...). C'est là que nous trouverons la solution économique du plus grand problèn1e peut-être qui relève de la chÙnie, celui de la fabrication des produits alin1entaires. En principe, il est déjà résolu: la synthèse des graisses et des huiles est réalisée depuis quarante ans, celle des sucres et des hydrates de carbone s'acconlplit de nos jours, et la synthèse des corps azotés n'estpas loin de nous. (...). Le jour oÙ l'énergie sera obtenue économiquen1ent, on ne tardera guère à fabriquer des alÙnents de toutes pièces, avec le carbone emprunté à l'acide carbonique, avec l'hydrogènepris à l'eau, avec l'azote et l'oxygène tirés de l'atn10sphère. Ce que les végétaux ont fait jusqu'à présent, à l'aide de l'énergie empruntée à l'univers alnbiant, nous l'accon1plissons déjà et nous l'accomplirons bien lnieux, d'une façon plus étendue et plus parfaite que ne le fait la nature (.. .). Un jour viendra oÙ chacun en1portera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite lnotte de n1atière grasse, son petit nl0rceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d'épices arolnatiques, accolnn10dés à son goût personnel,' tout cela fabriqué éconon1iquement et en quantités inépuisables par nos usines tout cela indépendant des saisons irrégulières, " de la pluie, ou de la sécheresse, de la chaleur qui dessèche les plantes, ou de
la gelée qui détruit l'espoir de la fructification tout cela enfin exen1pt de "
ces n1icrobes pathogènes, origine des épidélnies et ennen1is de la vie humaine. (...). Il n 'y aura plus ni champs couverts de lnoissons, ni vignobles, ni prairies remplies de bestiaux. L 'homlne gagnera en douceur et en moralité, parce qu'il cessera de vivre par le carnage et la destruction des créatures vivantes. (...). Ne croyez pas que l'art, la beauté, le charn1e de la vie hun1aine soient destinés à disparaître. Si la surface terrestre cesse d'être utilisée, COlnme aujourd 'hui, et disons le tout bas, défigurée, par les travaux géolnétriques de l'agriculteur, elle se recouvrira alors de verdure, de bois, de.fleurs la terre " deviendra un vaste jardin, arrosé, par l' effilsion des eaux souterraines, et oÙ la race humaine vivra dans l'abondance et dans la joie du légendaire âge
, d or. "
461
Depuis plus d'une dizaine d'années, diverses propositions sont faites pour une meilleure prise en compte des aspects environnementaux, de qualité et territoriaux par l'agriculture. Mais leur mise en pratique effective rencontre des obstacles qui freinent ces orientations. On peut ainsi citer par exemple: -
La diminution du nombre d'agriculteurs. Diverses activités d'entretien
du milieu ont été abandonnées durant les dernières décennies afin d'augmenter la productivité du travail. Actuellement, une demande environnementale est adressée à l'agriculture en la matière. Mais y répondre ne va pas de soi car des exploitants de moins en moins nombreux doivent valoriser chacun une surface de plus en plus grande. Ainsi la SAU (surface agricole utilisée) par UTA2 totale était de près de 30 ha en moyenne en 2000 (et de plus de 50 ha dans 15 départements, sans compter le territoire agricole non cultivé et la forêt paysanne), contre 18 ha en 1979 et environ 6-7 ha en 1954. -
Le temps requis pour ces pratiques alors que leur rémunération est
souvent inexistante ou incertaine. En fait les questions enjeu relèvent surtout des rapports de prix entre divers types de biens et de la rétnunération relative des divers facteurs contribuant à la création de valeur et de richesse. -
La difficulté de valoriser diverses techniques dont l'impact
environnement al est meilleur, mais qui diminuent la production et par là le revenu des agriculteurs s'ils ne bénéficient pas d'un label spécifique en la matière. C'est le cas également des techniques plus bénéfiques pour l'environnement ou la qualité mais requérant davantage de travail, ou des investissements supplémentaires, ou bien dont les résultats sont plus risqués et moins assurés. -
Le caractère incertain et parfois aléatoire d'activités dont le succès est
lié à des facteurs contingents non maîtrisables, e.g. la tnétéorologie, les phénomènes de mode, etc. Les activités de loisirs ou d'hébergement présentes sur des exploitations dans un souci de diversification l'illustrent. Les difficultés d'installation de nouveaux venus non issus de l'agriculture. Face aux nombreuses demandes adressées à ce secteur, leur installation pourrait être une chance. Mais elle se heurte au verrou et blocage fonciers, aux investissements nécessaires, au problème de rémunération du travail et à la forte concurrence des non agriculteurs pour les nouvelles fonctions de l'agriculture. Un exemple peut illustrer la difficulté à mettre en œuvre de nouvelles orientations. Des circuits directs ou plus courts entre producteurs et consommateurs sont parfois prônés. Ils correspondent à la recherche actuelle
2 UTA: unité-travail-année. Une UT A cOlTespond au travail d'une personne à plein telnps pendant une année entière. Le travail cOlnptabilisé sur les exploitations inclut au prorata du telnps passé celui des chefs d'exploitation, de leur fatnille et de la Inain d'œuvre salariée.
462
de ré-enracinement dans le terroir et de réappropriation d'identité, à la demande d'une certaine typicité des produits de qualité, au développement de loisirs liés à la campagne, etc. Ils peuvent contribuer à une meilleure interconnaissance et confiance entre les consommateurs et le secteur agricole. Mais cette orientation se heurte au montant en investissements pour le respect des normes sanitaires et autres, aux exigences en telnps requis et en disponibilité pour les exploitants et leur famille, à la difficulté de l'étendre à de nombreux produits, et enfin à son caractère assez aléatoire. Les recensements agricoles montrent ainsi que la proportion d'exploitations pratiquant la vente directe a diminué depuis une dizaine d'années: elle était de 19 % en 1979, de 27 % en 1988, mais de 15 % en 2000 (la non linéarité de la série peut correspondre aux différences d'estitnation en cas de ventes occasionnelles) .
Une autre voie complémentaire - et non antagoniste comme cela est parfois considéré- est de mieux tirer profit des avancées scientifiques et techniques pour permettre une agriculture plus durable et plus en harmonie avec l'environnement (2,3). Si l'on considère sa nature intrinsèque, le progrès scientifique et technique consiste souvent en un gain d'inforlnation au sens de connaissances et de données sur le fonctiolmement du vivant et des écosystèmes, les processus de production, etc. Il peut ainsi donner de nombreux outils pour raisonner l'emploi des intrants avec un ajustement plus fin de leurs apports aux besoins des cultures et des élevages, de façon complémentaire aux savoir faire locaux ou empiriques. Cet ajustement peut concerner la quantité d'intrants, leur composition et qualité, la période d'apport et sa localisation. Il peut permettre de réduire bien des gaspillages, d'employer moins d'intrants et d'énergie par unité de produit, et de ditninuer les pollutions. Cela est rendu possible par une connaissance plus précise de ce que requièrent les plantes et les animaux à leurs différents stades de développement et parfois grâce à l'emploi d'outils de diagnostic ou de capteurs pour évaluer les besoins des cultures en eau, en azote ou le risque des maladies. En production végétale, on peut ajuster plus finelnent les doses d'engrais et de pesticides aux besoins des plantes et aux risques de maladies, d'où la possibilité de réduire les traitements et les fuites de certains éléments. A cela s'ajoute l'utilisation de diverses méthodes pour faire les apports juste là où il y en a besoin. En alimentation anitnale aussi, on peut mieux adapter les apports protéiques ou phosphorés aux besoins des animaux à leurs différents stades, ce qui réduit les rejets. De façon générale, le progrès technique peut contribuer à un meilleur suivi des productions et à des interventions mieux ajustées. Cela peut être fait à diverses échelles: (i) celle des cultures et des élevages (avec éventuellement des kits de détection, tests, capteurs, etc. permettant de mieux connaître et surveiller l'évolution des différents paramètres des 463
productions), (ii) celle de la région avec emploi possible de systèlnes d'information géographiques, (iii) enfin sur l'ensemble de la planète où la télédétection peut permettre un suivi de l'occupation des sols, des déforestations, des sécheresses, voire de certaines attaques d'insectes, etc. et peut ainsi contribuer à des interventions plus précoces et plus précises. Mais bien évidemment, une forte vigilance est nécessaire afin que l'information ainsi disponible puisse être utilisée de façon bénéfique pour le plus grand nombre. De leur côté, la connaissance et la valorisation des processus du vivant (au sens large) peuvent permettre de limiter le recours aux produits chimiques en valorisant et en utilisant mieux les mécanismes biologiques et les autorégulations des agro-écosystèmes. Les connaissances scientifiques et techniques peuvent être un moyen de travailler davantage avec la nature au lieu de travailler contre elle (même si on doit également se prémunir contre des risques provenant de la nature comme les substances naturelles toxiques ou les catastrophes naturelles). Elles peuvent ainsi permettre d'utiliser bien mieux ou davantage la lutte biologique et intégrée, les associations végétales, les ressources génétiques, diverses interactions... Ainsi le progrès technique est à analyser avant de le rejeter ou de l'adopter d'emblée, en l'associant plutôt qu'en l'opposant aux savoirs-faire empiriques et locaux. Toutefois, ces effets bénéfiques pour l'environnement d'avancées scientifiques et techniques s'établissent souvent par unité produite; ils sont de fait parfois, voire assez fréquemment, annulés par un plus haut niveau de consommation per capita de divers biens, ou par l'évolution des modes de vie (e.g. consommation de produits hors saison, hausse de la proportion de viande produite en hors sol dans l'alimentation, emploi de la voiture pour les achats, etc.), ou encore par l'évolution industrielle (approvisionnements fort lointains et dispersion des sous-traitants induisant des coûts de transports, emballages et publicité polluants, etc.). Ces effets positifs peuvent aussi être annulés par la façon dont sont orientées leurs applications concrètes: recherche prioritaire d'accroissement des ventes ou des parts de marchés, objectif de rentabilité très rapide pour les investisseurs, etc. Autrement dit, la façon dont est orienté et utilisé le progrès technique et ses applications est essentielle. Mais il ne faut pas se tromper de cause: ce n'est pas le progrès scientifique et technique en lui-même qui est néfaste pour la durabilité, ce sont surtout les orientations données et notamment les utilisations qui en sont faites. Ainsi les processus socio-économiques et institutionnels à l'œuvre sont essentiels. . . Conclusion
Le modèle agricole actuel est l'objet de fortes critiques en de nombreux domaines. Ce texte a cherché à mieux explorer certains aspects de ce 464
questionnement, notamment ceux liés à l'articulation entre agriculture et territoire, plus exactement entre agriculture et milieu naturel. De longue date, les hommes ont cherché à modifier ce dernier pour le rendre plus propice à leurs activités, en particulier à la production de leur subsistance, et de plus en plus à de très nombreuses autres activités. Mais depuis plusieurs décennies, l'impact de ces modifications est devenu très lourd et compromet la durabilité de divers éléments de la planète. Dans le domaine agricole, on en fait assez souvent porter la responsabilité à l'évolution technologique ou à certains choix politiques, et parmi les diverses activités humaines, l'agriculture est fréquemment en ligne de mire. Mais des analyses plus approfondies allant davantage à l'origine des questions en jeu sont nécessaires. Ainsi l'évolution technologique peut contribuer à une plus grande durabilité et une réduction des pollutions, tout dépend des orientations qui lui sont données et de l'utilisation qui en est faite. Or, ce sont les déterminants économiques et financiers qui jouent aujourd'hui particulièrement un rôle crucial. Autrement dit sont surtout à questionner les objectifs donnés aux activités humaines et leur mode de régulation, un des noyaux de l'économie en quelque sorte. Bien plus que les
pratiques des agriculteurs - qui ne peuvent guère échapper aux impératifs économiques dominants -, c'est cette gouvernance générale des relations entre l'humanité et la planète Terre qui est en jeu, d'autant plus qu'elle se manifeste dans toutes les activités.
Références
bibliographiques
(1) BERTHELOT M, 1896 - Science et morale. Calmann-Lévy, Paris, 518 p. (2) BONNY S. 2000 - "L'évolution tecmlologique en agriculture: destructrice ou durable? in THEYS J. (ed) L'enviroilllement au XXlème siècle, volume II: Visions du futur. GERMES, Paris, Cahier 16, 409-436. (3) BONNY S. 1998 - Prospects for Western Agriculture During a Period of Crisis, Changing Demand, and Scientific Progress: A Case Study of France. Technology in Society-,-20, 113-130. (4) DAMIAN M. et GRAZ J. C., 2001 - Commerce international et développement soutenable. Econolnica, Paris, 224 p. (5) DUMONT R., 1954 - Economie agricole dans le monde. Dalloz, Paris, 1954, 184 p. (6) DUMONT R., 1951 - Voyages en France d'un agronome. Éd. M. Th. Génin, Libr. de Médicis, Paris, 466 p.
465
(7) EUROBAROMETRE, 2001 - Les Européens, la science et la technologie, Eurobaromètre 55.2. Commission Européenne, Bruxelles, Direction Générale Presse et Communication, déco 2001, 59 p + tab!. annexes (8) MEN (Ministère de l'Education Nationale) et Usine Nouvelle, 2001 - "Les attitudes de l'opinion publique en France, Allemagne, GrandeBretagne et aux Etats-Unis à l'égard de la science". Usine Nouvelle, Paris, 108 p. (résumé disponible sur le site http://www.sofres.com/etudes/pol/14020 1 science2.pdf) (9) MENDRAS H. 1959 - Sociologie de la campagne française. PUP, Paris, collection Que sais-je?, 125 p. (10) MEYNARD J. M., DORE T. et HABIB R., 2001 - L'évaluation et la conception de systèmes de culture pour une agriculture durable. C.R. Acad. Agric. Fr., 87, 223-236. (11) PERRIER-CORNET Ph (ed), 2002 - Repenser les calnpagnes. Editions de l'Aube, La Tour d'Aigues, 280 p. (12) POCHON A. 2001 - Les sillons de la colère, la malbouffe n'est pas une fatalité, Editions La Découverte & Syros, Paris 2001. (13) PUJOL J.-L., DRON D. 1999 - Agriculture, monde rural et environnement: qualité oblige. La Documentation française, Paris, 592 p. (14) SERRES M. 2001 - Hominescence. Ed. Le Pommier, Paris, 224 p. (15) UNCAA, SIGMA 2001 - Baromètre UNCAAlSIGMA sur les français et l'agriculture (sondage SOFRES). UNCAA (Union de coopératives agricoles céréalières européennes), Paris, communiqué du 10/1/2001. (16) UNION INVIVO 2001 - Enquête SOFRES sur les Français et l'agriculture. Union lnVivo, Paris, communiqué de presse, 12/2001. (17) VERMERSCH D., 2000 - L'agriculture entre artificialisation des milieux et artificialisation des échanges. OCL (Oléagineux, Corps Gras, Lipides), 7, Nov-déc 2000, 480 - 484 (18) VIAUX P. 1999 - Une troisième voie en grande culture: environnement, qualité, rentabilité. Agridécisions, Paris, 211 p. (19) WEBER E. 1983 - La fin des terroirs. La n10demisation de la France rurale. 1870-1914. Fayard, Paris, 1983, 844 p. (traduit de l'anglais, 1976).
466
Quels agronomes pour quels territoires? Le territoire, un concept porteur d'intégration et de marginalisation au sein de la discipline. Patrick CARONl Résumé L'auteur vise à identifier différents modes d'implication des agronomes pour traiter et agir sur les territoires, à mettre en débat cette diversité, les synergies à encourager et les problèmes que cela pose. Avant cela, l'auteur précise ce qu'il entend par territoire. Quatre modes cOlnplémentaires d'implication sont proposés: (i) l'agronome de l'écosystème régional; (ii) l'agronome du fait technique à l'échelle territoriale; (iii) l'agronome territorial; (iv) l'agronome intégrateur. Le débat sur la prise en compte du territoire illustre le mouvement à encourager au sein de la discipline pour dépasser le sentiment de crise lié à la recomposition des identités: assumer la diversité et la pluralité des pensées, des corpus de connaissances et de méthodes, des métiers et des pratiques dans le cadre d'un projet unifié permettant aux familles d'agronomes de se situer, de communiquer et de mobiliser les moyens pour œuvrer en synergie autour de problèmes concrets de gestion des ressources sur un territoire, renouer ainsi avec le dessein brouillé d'une science d'intégration et de synthèse. De nouveaux approfondissements et formalisations s'avèrent cependant nécessaires pour inscrire dans la formation des corpus et énoncés enseignables et faire école. Mots-clés: Agronomie, territoire, développetnent territorial, science d'intégration.
Abstract Which agronomists for Wllich territories? The territory, an integrating and desagregating concept among agronomists. After a brief definition of what is meant here by territory, the author identifies different types of agronomists' involvement to analyse and act on territories, to discuss the diversity of situation, the complementarity to be
1 Directeur Adjoint, chargé des Affaires Scientifiques. Dépat1eluent Tenitoires, Environneluent et Acteurs
(TERA),
RechercheAgronoluiquepour le Développetuent(CIRAD). 73 rue J.F. Breton, TA 60/15,34398
Montpellier
Cédex 5.
Centre de Coopération .
Inten1ationale
en
promoted and the problems to be tackled. Four complementary involvements are suggested: (i) the regional ecosystem agronomist; (ii) the agronomist for technical issues at territoriallevel ; (iii) the territorial agronolnist ; (iv) the integrating agronomist. The discussion regarding the way of taking the territory into account illustrates the evolution to be propoted within the disciplin in order to deal with the crisis related to the identity transfonnation. Recognizing the diversity of paradigms, methods and practices and designing a unified project that identify the role and place of each family of agronomist can thus help them mobilize and share resources, solve together concrete problems related to territorial resources management and contribute to the lost vision for an integrating science. The formalisation of results and new achievements are yet necessary before ensuring the recognition of a new school of thought. [(ey Words: Agronomy, territory, territorial development, integrating science. Quels agronomes pour quels territoires? La question peut paraître simple. S'aventurer à proposer des éléments de réponse est en revanche complexe, voire périlleux, et invite à quelques préalables. D'autant plus lorsque l'on n'est pas soi-même agronome, tout juste un cousin éloigné s'intéressant aux systèmes d'élevage, ayant grandi sur les bancs d'une école vétérinaire et demandé l'hospitalité aux géographes. Je m'intéresserai ici au territoire comme catégorie d'analyse et d'action, et non au développement territorial comme finalité. Je ne discuterai pas, par exemple, les pratiques du métier d'agronolne centrées sur la conception et l'expérimentation de techniques, dont on peut assumer qu'elles aient toutes comme finalité de contribuer au développement territorial. Je chercherai à caractériser la pluralité des modes d'implication des agronomes pour traiter et agir sur les territoires, à mettre en débat cette diversité, les synergies à encourager et les problèmes que cela pose. Le concept de territoire jouit aujourd'hui d'un prestige certain, peut être, en partie, en raison de l'importance croissante des activités non agricoles en milieu rural et de celle prise par les problèmes d'environnement. Il est, pourrait-on dire, à la mode, tant et si bien qu'il a fait irruption dans les textes de politique agricole. Cet engouement masque cependant une diversité d'acceptions et de difficultés à communiquer. Le terme est par exemple difficilement traduisible en anglais, posant des problèmes de compréhension au sein de la communauté scientifique internationale. J'en retiendrai ici une définition s'appuyant sur les principaux éléments suivants (4): (i) un espace borné, aux limites plus ou moins précises, et approprié par un groupe social; (ii) un sentiment ou une conscience d'appartenance de la part de ses habitants; (iii) l'existence de formes d'autorité sociale, politique ou 468
administrative et de règles d'organisation et de fonctionnement. Le territoire, construit social dont les attributs résultent de cheminements historiques spécifiques, se présente donc comme un cadre d'action individuelle, collective et publique, et d'adaptation des acteurs aux évolutions de leur environnement. Mais, ressource mobilisable, il est aussi processeur de changement. Défini ainsi, le territoire permet d'imaginer la conception de nouvelles actions, visant à accroître la maîtrise par les acteurs des processus de changement, d'anticipation et de réponses aux aléas, de minimisation des risques et des incertitudes par une meilleure capacité d'apprentissage (5 ;
10 ; 27). C'est bien ce qui en fait - ou peut en faire - un concept opératoire pour les agronomes. La prise en compte, dans l'analyse et pour l'action, d'une multiplicité de territoires aux contours, formes ou principes différents (territoire politique et administratif national ou local, territoire-enjeu, territoire d'activités, territoire-projet, 13) revêt un intérêt particulier en raison du changement de paradigme qui marque l'engagement des scientifiques - de certains d'entre eux - dans la transformation des réalités rurales. En effet, chercheurs et praticiens mesurent les litnites d'une intervention en qualité d'experts, en appui à un décideur et gestionnaire unique, et ce quel que soit leur champ d'action. Ces limites concernent la nature même de l'aide à la décision, lorsque celle-ci revêt des caractéristiques normatives et prescriptives (16). Ces limites invitent également à intervenir en appui à des processus complexes de transformation sociale, tout autant qu'à un acteur particulier, c'est-à-dire dans le cadre de dispositifs de coordination, d'apprentissage et de régulation élaborés par différentes catégories d'acteurs, individuels, collectifs et publics, souvent en situation d'asymétrie d'information et de pouvoir. Au 21
èmesiècle, la prise en compte « des échelles d'espace et de temps»
-
voire du territoire -afin de comprendre et pour agir, peut paraître évidente (28). Il n'en n'a pas toujours été ainsi. S'intéresser à l'espace n'est certes pas nouveau pour les agronomes actuels, ni même pour leurs ancêtres romains (17), mais l'espace reste alors un cadre dans lequel s'élabore une production diverse et variable. Les limites rencontrées dans l'exercice de leur métier amènent par la suite les agronomes à considérer de nouveaux objets d'analyse, à développer de nouvelles pratiques et modalités d'action. Ces évolutions sont liées aux questions posées en matière de diffusion du progrès technique, mues par le souci qu'exprime la discipline et ses représentants d'une science finalisée et d'une utilité sociale et encouragées par l'émergence de nouvelles préoccupations et questions et par l'expression par la société ou certaines catégories d'acteurs de nouvelles exigences. Ce point a constitué le cœur des débats des premiers entretiens du Pradel en 2000 (1), amenant par exemple Papy (32) à affirmer: « De nos jours, l'agronollle doit également s'attacher à aborder le ménage des champs dans des organisations territoriales de niveau supérieur". 469
Différents courants de pensée et de pratiques, différentes familles, marqués entre autres par l'influence de la pensée systémique (2; 15 ; 20 ; 21 ; 22; 25 ; 26 ; 30 ; 40), se sont constitués depuis les années 1970, alors que les bouleversements scientifiques et sociaux entraînaient une réactivation de la « question du sens d'une science de l'agriculture, de ses fondements, de ses liens avec d'autres disciplines, avec le milieu agricole et la société» (14). Ces années sont également marquées par la mobilisation par les agronomes d'autres champs disciplinaires, en particulier, si l'on s'intéresse au territoire, ceux des sciences humaines (3; 29; 33). Les passeurs de frontière vont chercher chez l'autre ce qui fait défaut et permet de répondre à de nouvelles questions ou de dépasser la critique. Mais cet enrichissement s'accompagne de malaises: problèmes d'identité2, de frontières et de reconnaissance au sein de la discipline pour ceux qui la tirent vers de nouveaux horizons et segmentation croissante du champ disciplinaire contrastant avec la nécessaire intégration des connaissances d'une discipline finalisée (1; 14; 23; 38). La période est enfin marquée par le développement spectaculaire d'outils informatiques d'analyse et de représentation spatiale des données, à l'exemple des Systèmes d'Information Géographique, qui contribuent en retour à un renouvellement de la prise en compte de l'espace par les agronomes. Chemin faisant, les agronomes se sont donc intéressés à l'espace, parfois au territoire. Ce fait s'est traduit par la reconnaissance et la prise en compte de nouveaux niveaux d'organisation, catégories d'analyse, manières de traiter ses objets et d'agir (7; Il; 39). Il est alors possible d'identifier différentes familles d'agronomes, ayant chacune emprunté à des courants de pensée et disciplines spécifiques, suivi des trajectoires particulières, alors qu'elles forgeaient dans le même temps leurs spécificités et leur singularité. Il existe bien des manières particulières de prendre en compte et de traiter le territoire et d'agir pour le développement territorial, permettant ainsi de caractériser des familles d'agronomes. Dans un premier temps, je différencierai trois modes d'implication de l'agronome, selon les caractéristiques des objets territoriaux traités, les référents théoriques et disciplinaires mobilisés et les pratiques mises en œuvre, qu'elles soient de l'ordre de l'analyse ou de l'action, avant de conclure en identifiant un quatrième mode d'implication, celui de l' « agronome intégrateur».
2 Une agronolnie au sens large conespondant à « une pat1ie ou la totalité des sciences appliquées à l'agriculture» (18) ou une agronolnie au sens strict définie COlnlne écologie appliquée (28) et développant des « continuUln » avec d'autres disciplines? 470
On pourrait qualifier le premier de ces modes d'implication d'agronomie de l'écosystème régional. Il vise à étudier les termes des relations climat-solpeuplements végétaux soumis à l'action de l'homme au niveau d'une région donnée, que cette dernière soit un espace administratif ou une unité écologique, et qui ne correspond donc pas nécessairement à un territoire au sens où je l'ai proposé ci-dessus. Il s'agit là de renouer avec les analyses régionales qui ont de tout temps intéressé les agronomes, mais cette fois pour d'autres objectifs et en se saisissant d'autres objets que la diversité spatiale des rendements. La région est alors considérée COInmesystènle, au sens où l'on cherche à caractériser les interactions biogéochimiques horizontales et verticales, à mettre en relation, en intégrant des cinétiques diverses et interdépendantes, l'effet des pratiques entre lieux et entre processus, et non uniquement une diversité spatiale. Cette agronomie est entre autres indispensable pour traiter des questions d'environnement. En effet, il n'y a pas, en général, coïncidence entre le niveau auquel est posée la question et les entités d'action, que ces dernières relèvent de catégories gérées par des individus et des institutions ou de formes territoriales construites socialement. Il s'agit d'identifier ce que les économistes appellent externalités, à savoir des effets désirables ou non générés par une dissociation spatiale et/ou temporelle entre niveaux d'action et d'accomplissement d'un processus particulier, et de résoudre les problèmes qu'elles posent. L'implication de l'agronome ne permet pas alors, seule, de résoudre le problème. Son analyse est néanmoins nécessaire pour élaborer des connaissances, des normes et des référentiels au niveau de concernement du problème. Dans le cas d'une action thématique progralnmée sur la modélisation des flux de biomasse et des transferts de fertilité appliquée au cas de la gestion des effluents d'élevage, Saint Macary et al. (36) identifient par exemple les principaux puits et gisements d'azote à l'échelle de l'île de la Réunion. Cette connaissance vise à mieux caractériser les termes d'un problème à résoudre et à concevoir ultérieurement des actions à mettre en place, aux niveaux de l'exploitation agricole, de collectifs (ex: mise en place d'unités collectives de traitement) et public (élaboration de norlnes et réglementations, aménagement du territoire, etc). L'ambition est bien d'agir sur les processus biogéochimiques impliqués dans des problèmes d'environnement et l'analyse mobilise pour cela les référents théoriques et méthodologiques des sciences de la nature concernées. Elle s'appuie aussi sur une caractérisation des pratiques de production, élaborée par le recours à des sources d'information hétérogènes (dires d'experts et données statistiques) . La seconde implication des agronomes dans les processus de développement territorial, que je baptiserai agronomie du fait technique à l'échelle territoriale, concerne le pilotage et la gestion des agrosystèmes. Elle se fonde sur la possibilité de « rendre compréhensible les pratiques agricoles 471
en explicitant les interdépendances entre les systèmes de culture pratiqués et l'aménagement des territoires» (32). Elle s'intéresse à la constitution d'objets techniques, à savoir des dispositifs d'action élaborés socialement, mobilisés et pilotés par des organisations collectives, aux échelles territoriales définies par ces dernières. Elle vise à comprendre et à agir sur des systèmes techniques co-construits au travers de processus de coordination, d'apprentissage, de négociation et de régulation. Elle prend en compte le territoire et permet d'agir à ce niveau, mais ne le reconnaît pas comme objet d'analyse, contrairement au cas suivant. Ce type d'approche a fait l'objet d'importants travaux depuis une vingtaine d'années au niveau du territoire d'exploitation agricole. A l'exemple de l'analyse des relations entre processus décisionnels et biotechniques mis en jeu dans le fonctionnement des systèmes techniques (23), bon nombre de cadres méthodologiques ont été ainsi élaborés. Ces derniers facilitent le renouvellelnent de l'appréhension du fait technique au regard des évolutions récentes du contexte agricole et rural et de la reconnaissance de la multi-fonctionnalité de l'agriculture. Ils perlnettent d'intervenir en appui au changelnent technique dans le cadre de réseaux territoriaux d'apprentissage. L'intérêt pour l'innovation et le changement technique place l'agronome en position de contribuer à l'intégration de connaissances et d'actions concernant des champs disciplinaires et des formes spatiales et temporelles d'organisation distinctes. Cependant, ce type d'activités est encore (trop) rare ou balbutiant au niveau d'entités territoriales gestionnaires de ressources, de biens ou de services communs. Au cœur du Nordeste brésilien, dans une zone où l'existence de parcours collectifs est menacée par des processus complexes et conflictuels d'enclosure, Sabourin et al. (35) Inontrent comment des communautés d'agriculteurs familiaux, dans le cadre d'un dispositif de recherche-action, se sont organisées pour mettre en œuvre de nouvelles stratégies collectives de gestion de la ressource. L'étude s'appuie sur une caractérisation des stratégies et des pratiques individuelles et collectives des acteurs en matière de gestion du patrimoine foncier, du troupeau et de l'espace et de mise en œuvre de techniques différenciées de clôture. Elle montre comment les communautés concenlées ont créé de nouvelles institutions et règles d'appropriation et d'usage du foncier, reposant sur des actions d'aménagement de l'espace et contribuant à une évolution des techniques d'élevage conforme à leurs logiques et valeurs d'entraide. Des exemples similaires pourraient être présentés, concernant la gestion de la production au sein de périmètres irrigués (24), l'organisation de bassins de collecte des produits agricoles, la construction sociale de la qualité des produits dans le cadre de systèlnes agro-alimentaires localisés (34). Je dénommerai agronomie territoriale le troisièlne mode d'implication des agronomes. Il analyse la contribution du fait technique, qu'il considère processeur de changement, à l'ingénierie ou la production de territoires, 472
érigée au rang de catégorie d'analyse. Il s'inscrit dans un courant de réflexion dépassant l'agronomie et se reconnaissant dans le terme d'ingénierie des territoires, à savoir« l'ensemble des méthodes et des techniques permettant d'analyser le territoire et d'intervenir sur leurs contenus» (31). Un cas particulier concerne la production de paysage (6). Caron et Hubert (9) ont montré, dans le cas du Nordeste brésilien, que les systèmes d'élevage ne sont pas seulement « révélateurs» des espaces ruraux, au sens où ils sont marqués par les spécificités de leur environnelnent. Ils peuvent également en être considérés comme «organisateurs ». Avec l'évolution des activités, l'espace acquiert de nouvelles caractéristiques, il est le siège de nouveaux usages. Les fonctions qui lui sont attribuées changent de nature avec les transformations qualitatives des ressources opérées pour satisfaire aux besoins de production. Les activités d'élevage donnent naissance à de nouvelles formes d'organisation locale, comme je l'ai montré au paragraphe précédent à propos des communs. Approprier des ressources pastorales, changer d'espèce animale, de race ou de production créent des institutions, des règles d'action, en un mot, produisent de nouveaux territoires. Ainsi, une telle agronomie contribue à l'identification de formes territoriales et de niveaux fonctionnels pertinents pour la compréhension des dynamiques en cours et pour l'action qui, loin d'être donnés a priori, font sens et donnent un sens nouveau au comportement des acteurs (8). Par ailleurs, les niveaux et formes d'organisation identifiés au cours de telles études coïncident rarement, selon les enjeux et les objets qui les motivent. Un engagement dans les dynamiques de changement peut alors consister à favoriser les processus de coordination entre organisations et acteurs dont les principes d'action résident à différents niveaux. C'est bien de cela qu'il s'agit lorsque l'on en vient à découpler les fonctions assurées par l'activité agricole, selon les niveaux concernés, dans une optique de développement durable. Enfin, le dernier mode d'implication de l'agronome, intégrateur, pouvant recouvrir en partie et mobilisant les formes précédentes, est celui visant à élaborer des cadres d'analyse régionale, identifier des niveaux d'organisation ayant du sens, formuler les questions traitables scientifiquement (37 ; 41 ; 42), accompagner l'émergence de projets de territoire. Cette implication est courante chez les praticiens, elle reste rare chez les chercheurs et enseignants, questionnant ainsi les articulations entre action, connaissances et modes d'acquisition de ces connaissances. Je rejoins Landais et Bonnemaire (23), affirmant que «le zootechnicien doit être capable d'analyser les nouvelles fonctions de l'élevage et de les resituer dans un ensemble complexe de finalités et d'interactions ». La tentation est parfois grande de baptiser généraliste un tel agronome. Je n'y tiens pas et proposerai plutôt l'appellation d'intégrateur territorial. En effet, le qualificatif de généraliste, outre la raillerie de laisser croire qu'il ne sache rien sur rien, 473
pose des problèmes de collaboration avec les pairs de la discipline, pouvant refuser d'être convoqués au titre de.leur expertise. Pourtant, l'existence d'un tel corps de professionnels est bien nécessaire pour limiter l'étanchéité entre familles d'agronomes, voire l'éclatement entre d'un côté des « gestionnaires de l'espace rural », de l'autre des « ingénieurs biotechnologistes » (14), pour éviter que chacun fasse « son métier honnêtement au regard des exigences immédiates, de manière fautive par rapport à l'avenir» (37). Encore faut-il reconnaître et stabiliser un certain nombre de questions à traiter, d'objets et
de manière de les traiter, propres à l'agronomie - et se différenciant ainsi de ce qui peut se faire au sein d'autres disciplines comme la géographie -, comme, par exemple, ceux touchant à l'identification et à la hiérarchisation de moyens d'action faisant le lien entre processus biophysiques, procédures techniques et dynamiques sociales. Encore faut-il transformer en énoncés enseignables un corpus de connaissances, de méthodes et d'outils en général construits ou acquis via l'expertise et l'expérience et trop peu formalisés, et, dans les métiers de la recherche, adapter les fondements et procédures d'évaluation. Conclusion
Les évolutions récentes des sociétés, des métiers et formes d'organisation de l'agriculture et du monde scientifique militent pour un traitelnent adéquat du territoire par les agronomes. Le territoire n'est-il pas, après tout, un objet hybride des sciences de la nature et de 1'homme, satisfaisant à la tentation et à la vocation intégratives de l'agronomie et des agronomes et susceptible de fédérer et d'unifier les travaux de professionnels et de disciplines diverses en appui à l'agriculture? Ne serait-il pas un objet - parmi d'autres - permettant de renouer avec ce dessein brouillé par la segmentation et le cloisonnement entre familles d'agronomes, par les tensions et le malaise liés à l'éclatement de la discipline et son rattachement à d'autres l'ayant alimentée ou s'étant développées récemment? Le débat sur la prise en compte du territoire illustre le Inouvement à encourager au sein de la discipline pour dépasser le sentiment de crise lié à la recomposition des identités: assumer la diversité et la pluralité des pensées, des corpus de connaissances et de méthodes, des métiers et des pratiques dans le cadre d'un projet unifié et ainsi, comme le rappelle Hervieu (19), s'inscrire «dans la longue tradition ouverte par Olivier de Serres, faisant de l'agronomie une science d'intégration et de synthèse et de l'agriculture un enjeu de société». Il serait regrettable que les agronomes concernés par les questions et objets territoriaux occupent les interstices ou les marges de la discipline, voire migrent vers des contrées parfois plus
hospitalières, à même d'apporter des réponses aux questions qu'ils se posent. . En effet, les évolutions notables des 30 dernières années ont bénéficié de la 474
visite d'agronomes dans les champs de disciplines variées (12). C'est elle, entre autres, qui permet une remise en débat des contours et contenus de l'agronomie dans la perspective de se saisir de nouvelles questions et de nouveaux objets liés à l'évolution des contextes et de remplir sa fonction sociale. De telles pratiques doivent être légitimées, réhabilitées et encouragées, de manière à éviter l'émigration sans retour. De la même manière, il convient de revisiter les divisions habituelles du travail entre chercheurs, enseignants et praticiens. Au même titre que les migrations et excursions inter-disciplinaires, les mobilités inter-professionnelles sont sources de richesse et de créativité. Enfin, il faut mettre en œuvre des dispositifs pluri-disciplinaires, au sein desquels les quatre familles d'agronomes identifiées joueront chacune un rôle actif et légitime. Les complémentarités à organiser touchent bien sûr aux objets et méthodes respectifs, mais aussi à la nécessité d'intégrer des formes d'analyse et des principes d'action spécifiques à chacune. Si des travaux ont été entrepris au cours des dernières années pour traiter certaines questions et agir en appui aux dynamiques territoriales, de nouveaux approfondissements et formalisations s'avèrent nécessaires, comme j'ai tenté de le montrer. Ceci ne pourra se faire sans affirmer la légitimité de l'agronome à conduire une telle entreprise, dans le respect de la diversité et de l'évolution des luétiers et des pratiques, sans un projet de la discipline permettant à ses représentants de se situer, de communiquer et de mobiliser les moyens pour œuvrer en synergie autour de problèmes concrets de gestion des ressources sur un territoire, sans, enfin, une inscription dans la formation de corpus et d'énoncés enseignables, de manière à faire école. Il s'agit bien sûr de formation continue, luais également d'une réorganisation de l'enseignement acadéluique et du lien au monde universitaire. Références
bibliographiques
(1) ACADEMIE D'AGRICULTURE DE FRANCE, 2001. Les entretiens du Pradel, 1ère édition. Autour d'Olivier de Serres: pratiques agricoles et pensée agronomique. Vol. 87, n04. 312 p. (2) ALBALADEJO C., CASABlANCA F., 1997. - La recherche-action. Ambitions, pratiques, débats. Albaladejo et Casabianca (Eds), Etudes et Recherches sur les Systèmes Agraires et le Développelnent n030, INRA, Paris. (3) BLANC-PAMARD C., BOUTRAIS J., 1997. - Thème et variations. Nouvelles recherches rurales au sud. Séminaire Dynamiques des Systèmes Agraires. Orstom Ed., Paris, 367 p. (4) BRUNET R., FERRAS R., THERY H., 1992. Les mots de la géographie, dictionnaire critique. Collection Dynamiques du territoire, 2èlne éd., Reclus, La Documentation Française, Paris., 470 p. 475 -
(5) CAMAGNI R., 1991. Local "milieu", uncertainty and innovation networks: towards a new dynamic theory of economic space. In : Innovation networks: Spatial perspectives, Camagni R. (Ed), Belhaven Press, London.
(6) CANDAU J ., LE FLOCH S., 2001. - Le paysage comme catégorie d'action publique. Natures, Sciences, Sociétés, Vol. 10, n02, 59-65. (7) CARON P., TONNEAU J.P., SABOURIN E., 1996. - Planification locale et régionale: enjeux et limites. Le cas du Brésil Nordeste. ln: "Globalisation, Competitivness and Human Security: Challenge for Development Policy and Institutional Change". VIII th Conférence of European Association od Development, Research and Training Institutes, EADI, Vienne, Autriche, 11-14 sept. 1996. (8) CARON P., 1998. - Espace, élevage et dynamique du changement. Analyse, niveaux d'organisation et action. Le cas du Nordeste semi-aride du
Brésil. Thèse de Doctorat en Géographie, Université Paris X
-
Nanterre,
France. 396 p. (9) CARON P., HUBERT B., 1998. - Changement technique et dynamiques locales: le cas de l'élevage dans le Nordeste du Brésil. ln : AFSRE. - Proceedings. Rural livelihoods, empowerment and the environment: going beyond the farm boundary. AFSRE International Symposium. 15; 1998/11/29-1998/12/04; Pretoria, South Africa. East Lansing, USA: AFSRE, 1998. - vol. 3, pp 1355-1363. (10) COURLET C., PECQUEUR B., 1996. - Districts industriels, systèmes productifs localisés et développement. ln : Les nouvelles logiques du développement, Abdelmalki et Courlet, L'Harmattan, Paris, p. 91-102.
(11) D'AQUINO P., 2002. - Le local entre espace et pouvoir: pour une planification territoriale ascendante. L'Espace Géographique, 2002-1, 3-22. (12) DEFFONTAINES J.P., 1998. - Les sentiers d'un géoagronome. Paris, France, Argulnents, 359 p.
(13) DEFFONTAINESJ.P., MARCELPOILE.., MOQUAY P., 2001. Le développement territorial: une diversité d'interprétations. In: Représentations spatiales et développement territorial, Lardon S., Maurel P., Piveteau V. (Coord.), Hermès Sciences Publications, Paris, pp 39-56.
(14) DENIS G., 2001.
-
Du physicien agriculteur du dix-huitième à
l'agronome des dix-neuvième et vingtième siècles: luise en place d'un champ de recherche et d'enseignement. Comptes Rendus de l'Académie d'Agriculture de France, Vol. 87, n04, 81-103. (15) DURU M., PAPY F., SOLER L.G., 1988. - Le concept de modèle général et l'analyse du fonctionnement de l'exploitation agricole. COlnptes Rendus de l'Académie d'Agriculture de France, (74) : 81-93. (16) HATCHUEL A., MOLET H., 1986. - Rational modelling in undesrtanding and aiding hum and decision making. European Journal of Operational Research, 24, 1. 476
(17) HENIN S., 2001. - Olivier de Serres «Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs », une étape clé entre les agronomes latins et la mise en place de la pensée objective moderne. Comptes Rendus de l'Académie d'Agriculture de France, Vol. 87, n04, 23-29.
(18) HENIN S., SEBILLOTTE M., 1996.
-
Agronomie. ln:
Encyclopedia Universalis, 618-622. (19) HERVIEU B., 2001. - Olivier de Serres, actualité d'un hommage. Comptes Rendus de l'Académie d'Agriculture de France, Vol. 87, n04, 1316. .
(20) HUBERT B., BONNEMAIREJ., 2000. - La construction des objets dans la recherche interdisciplinaire finalisée: de nouvelles exigences pour l'évaluation. Natures, Sciences, Sociétés, vol. 8, n03, 5-19. (21) JOUVE P., CLOUET Y., 1984. - La fonction diagnostic appliquée à l'étude des systèmes agraires. Cahiers de la Recherche-Développement, (34) : 5-9. (22) LANDAIS E., DEFFONTAINES J.P., 1990. - Les pratiques des agriculteurs: point de vue sur un courant nouveau de la recherche agronomique. ln: Séminaire du Département de Recherche INRA/SAD, INRA, St Maximin "Modélisation systétnique et systèmes agraires. Décision et organisation", Actes, INRA/SAD, Paris, France, pp 31-64.
(23) LANDAIS E., BONNEMAlRE J., 1996.
-
La zootechnie, art ou
science? entre nature et société, 1'histoire exemplaire d'une discipline finalisée. ln : Courrier de l'Environnement, INRA, n° 27, pp 23-44.
(24) LE GAL P.Y., PAPY F., 1998.
-
Coordination processes in a
collectively managed cropping system: double cropping of irrigated rice in Senegal. Agricultural systems, 57, 135-159. (25) LE MOIGNE J.L., 1990. - La modélisation des systèmes complexes. Paris, France, Dunod, 178 p. (26) LHOSTE P., 1984 - Le diagnostic de système d'élevage. Cahiers de la Recherche-Développement, (3-4) : 84-88. (27) MAILLAT D., 1994. Comportements spatiaux et milieux innovateurs. ln Encyclopédie d'économie spatiale, concepts, comportements, organisations. Auray, Bailly, Derycke et Huriot (Coord), Economica, p. 255-262.
(28) MALEZIEUX E., TREBUIL G., 2000. - L'agronomie et la gestion de l'environnement et des ressources naturelles au ClRAD. Péflexions, propositions, éléments de prospective. Montpellier, ClRAD, 55 p. (29) MARCHAL J.Y.,1991. - Quand les agronomes s'en vont aux champs. L'Espace géographique, n03, 214-221.
(30) MAZOYERM., ROUDARDL., 1997.- Histoire des agriculturesdu monde. Ed. Seuil, Paris, 531 p. (31) MEGIE G., 2001. - L'ingénierie des territoires. Natures, Sciences, Sociétés, V0110 Suppl. 1, p. 92. 477
(32) PAPY F., 2001.
-
Pour une théorie du ménage des champs:
l'agronomie des territoires. Comptes Rendus de l'Académie d'Agriculture de France, Vol. 87, n04, 139-149. (33) RAISON J.P., 1993. - Trente ans, trois phases de la géographie rurale dans les pays tropicaux. ln CHOQUET (C.), DOLLFUS (O.), LE ROY (E.), VERNIÈRES (M.), 1993. Etat des savoirs sur le développement. Trois décennies de sciences sociales en langue française. KARTHALA, 135159. (34) REQUIER-DESJARDINS
D., BOUCHER
F., CERDAN C., 2002.
-
Globalization, competitive advantages and the evolution of production systems: rural food processing and localized agri-food systems in LatinAmerican countries. Entrepreneurship & Regional Development, sous presse. (35) SABOURIN E., CARON P., SILVA P.C.G. da, 1997. - Enjeux fonciers et gestion des communs dans le Nordeste du Brésil: le cas des vaînes pâtures dans la région de Massaroca-Bahia. Cahiers de la RechercheDéveloppement, CIRAD, Montpellier, (42): 5-27. (36) SAINT MACARY H., MEDOC J.M., CHABALIER P.F., 2002. Systèmes de culture de La Réunion. Typologie, spatialisation et élélnents pour un référentiel. ln : Modélisation des flux de biomasse et des transferts de fertilité - cas de la gestion des effluents d'élevage à l'île de la Réunion. Actes du séminaire des 19-20 juin 2002 : F. Guerrin, J.-M. Paillat (Eds), Cirad,Montpellier, sous presse.
(37) SEBILLOTTEM., 2001a. - Des recherches en partenariat « pour» et «sur» le développement régional. Ambitions et questions. Natures, Sciences, Sociétés, vol 9, n03, 5-7. (38) SEBILLOTTE M., 2001b. - Les fondements épistémologiques de l'évaluation des recherches tournées vers l'action. Natures, Sciences, Sociétés, vol9, n03, 8-15.
(39) SEBILLOTTE M., 2000. - Des recherches pour le développement local. Partenariat et transdisciplinarité. Revue d'Economie Régionale et Urbaine, n03, 535-556. (40) SEBILLOTTE M., SOLER L.G., 1990. - Les processus de décision des agriculteurs. ln : Séminaire du Département de Recherche INRA/SAD, INRA, St Maximin "Modélisation systémique et systèmes agraires. Décision et organisation", Actes, INRA/SAD, Paris, p. 93-118. (41) TONNEAU J.P., PICHOT J.P., 1999. - Une recherche pour Ie développement régional: la création du Départelnent Territoires, Environnement et Acteurs au Cirad. Les Cahiers de la RechercheDéveloppement, CIRAD, Montpellier, France, 45,37-50. (42) TONNEAU J.P., CLOUET Y., CARON P., 1997. L'agriculture familiale au Nordeste (Brésil). Une recherche par analyses spatiales. Nature, Sciences et Sociétés, 5 (3) : 39-49. 478
Agronomes et territoires Les trois métiers des agronomes Michel SEBILLOTTE (1) Résumé L'ensemble des exposés et posters de ces deuxièmes entretiens du Pradel souligne clairement la nécessité d'une réflexion épistémologique sur l'agir scientifique des agronomes. L'auteur définit trois métiers d'agronomes ayant chacun leurs objets théoriques, leurs tnéthodes et leurs concepts. Il développe sous le titre «Partenariat et transdisciplinarité» le métier de l'agronome numéro 3, celui qui traite précisément des objets au centre de ces entretiens. Sur quelques exemples de ces entretiens, l'auteur examine alors les exigences pour que les agronomes parlent des territoires tout en faisant de la science. L'une de ces exigences est de faire vivre en une communauté scientifique vivante ces trois métiers d'agronome. Mots-clés: Agronomie - territoire - transdisciplinarité - pratiques scientifiques
Abstract The collection of presentations of this second series of Pradel lectures clearly demonstrates the need for an epistemological reflection about the scientific nature of the agronomist's work. The author defines three working modes of the agronotnist, each with its own theoretical content, methods and concepts. Under the title "partnership and transdisciplinarity", he develops the third working mode of the agronomist which deals precisely with various subjects at the centre of lectures series. Taking as the starting point some examples from the lectures, the author goes on to examine the requirements necessary to talk about territories but to do so scientifically. One of these requirements is to create a living scientific community from these three working modes of the agronomist, each asking questions of the two others.
[(ey-words : Agronomy
-
territory
working modes
1 Professeur
d'Agronolnie,
Directeur
de la DADp1-INRA
-
transdisciplinarity
-
scientific
Cette deuxième édition des entretiens du Pradel2, sur cette terre où Olivier de Serres forgea son expérience, a rassemblé différentes contributions, exposés et posters, sur le thème « Agronomes et Territoires ». Cet ensemble appelle clairement à réfléchir sur les tâches des agronomes et sur leurs manières de travailler, en un mot, à une réflexion épistén10logique sur l'agir scientifique des agronomes. Pour cela, après un bref rappel historique, je développerai l'idée qu'il existe trois n1étiers d'agronolnes avec des exigences spécifiques pour chacun d'entre eux. J'analyserai ces trois métiers avec le même « modèle: objet-méthodes-concepts » de production des connaissances, en partant des trois objets centraux de l'activité des agronomes au cours de l'histoire, mais en développant particulièrement ce qui concerne les territoires, et en insistant sur quelques traits qui leur sont communs et qui se trouvent à la base de toute pratique scientifique. 1 - Retour sur le passé Deux mots d'histoire
De grands auteurs comme Hésiode (8), Xénophon (34), Virgile (33), les auteurs arabes (10), Olivier de Serres (28) sur le domaine duquel nous sommes et qui adresse au roi Henri IV son remarquable «Théatre d'agriculture et mesnage des champs », s'occupent de gérer la fertilité des champs et .Iesforces de travail (holnlnes, anÜnaux). C'est, d'ailleurs ce que dit, au début de son ouvrage, Olivier de Serres dans son adresse au Roi Henri IV qui vient de ramener la paix: il est maintenant possible de cultiver la terre du Royaume « avec Art et Industrie, pour lui faire reprendre de son ancien lustre et splendeur que les guerres civiles lui avaient ravis ». Au 18°-19° siècle, émerge le souci d'expliquer, de théoriser. Mais, du coup, le savoir explose en une multitude de disciplines, physiologie végétale (et animale), génétique, pédologie ... qui fragmentent les approches. Quelques auteurs, pourtant, comme de Gasparin (6), Heuzé (9) ou Lecouteux (12), proches de la pratique agricole et ayant à enseigner, entreprennent de remarquables efforts de synthèse. Mais, ils ne seront guère suivis et, progressivement, les livres destinés aux agriculteurs, aux étudiants, redeviennent des successions de recettes à appliquer qui fixent ce qu'il faut faire pour réussir. Si, en apparence, ce ne sont plus des compilations des pratiques agricoles des meilleures agriculteurs, ces recettes restent fondées sur les pratiques en cours habillées de «justifications» tirées des connaissances nouvelles; il s'agit de pratiques «moyennes ». Mais, faute 2 Les 12-13 septelnbre
2002.
480
d'une théorie agronomique, l'esprit ne pouvait que rester normatif: on améliorait, certes, les règles mais sans en changer la nature profonde, on produisait une phytotechnie ! La pensée était pilotée par un objet perdu de vue: la parcelle. Agronomie et agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome En 1974, dans un contexte où il s'agissait d'affirmer l'agronomie comme discipline scientifique, je publiais «Agronotnie et agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome» (17), avec la table des nlatières suivante: - Agronomie et agriculture. Définition et relation entre ces deux moments de la vie de l'agronome - Les objectifs de travail de l'agronome: . Premier objectif: contribuer au développement de l'agronomie . Deuxième objectif: agir au niveau de la pratique agricole
- Bases
pour le fonctionnement
d'une équipe.
Sans ambiguïté, j'inscrivais l'activité de l'agronome en tension entre une production de connaissances dans la discipline agronontique et des actions dans la pratique agricole elle-lnême. Il s'agissait de montrer qu'il devait exister un lien entre le réel théorique de l'agronome et le réel pratique de l'agriculteur, l'agronome ne pouvant se passer du «test en grandeur nature », comme l'on disait à l'époque. L'agronomie était posée comme une science liée à l'action. L'activité de l'agronome était en tension car il y avait, et il y aurait en permanence, une tentation de fuite soit vers une production de connaissances scientifiques se préoccupant de moins en moins du retour au réel de l'agriculteur, donc sur des objets de plus en plus stylisés et éloignés de ceux que j'assignais à l'agronomie, soit, au contraire, vers un empirisme «de bon aloi », tentant de reproduire ce qui réussit dans les pratiques agricoles, donc dont le principal souci serait l'efficacité et non la construction d'une théorie de l'action pratique qui ne peut que découler de son articulation étroite avec la production de connaissances. Mais pourquoi cette préoccupation? 2 - Les agronomes numéro 1, 2 et 3: leurs objets théoriques, méthodes et leurs concepts
leurs
Le point de départ se situe dans la volonté de contribuer à créer une agronomie, c'est-à-dire une discipline scientifique, bien différente d'une phytotechnie comme le souligne l'étytnologie de ces deux mots.
481
. Retrouver l'objet perdu, la parcelle Bien évidemment, les agronomes continuaient à travailler dans des parcelles, supports de leurs expérimentations, nIais elles n'étaient pas (plus ?) objet de pensée théorique. Or, si autrefois il avait pu suffire de multiplier les essais-erreurs pour bâtir des recettes culturales, dans le contexte très évolutif de l'après deuxième guerre mondiale, le changement comme les innovations s'accéléraient !. On devait, pour définir les actions culturales à mener dans les parcelles, pour pouvoir y agir à bon escient, adopter d'autres méthodes et recourir à la recherche. On pourrait faire la comparaison avec ce qui s'est passé dans l'industrie au cours de la seconde révolution industrielle, le développement de la technologie dépendait de celui des connaissances scientifiques (3). Le schéma 1 (25) montre comment l'agronome, dans un contexte donné, caractérisé par une histoire, ayant une vision de recherche le conduisant à considérer la parcelle conlnle un objet théorique, a dû Inettre au point un ensemble de méthodes (par exemple, celle du «tour de plaine») pour caractériser cet objet de connaissance, donc ici pour caractériser et comparer des parcelles, pour pouvoir décrire leurs états comme produit d'une histoire culturale (et climatique), elle-même fruit des opérations techniques de l'agriculteur... En retour, l'objet théorique étant mieux cerné et défini permettait et exigeait de créer de nouveaux concepts, tels ceux « d'élaboration du rendement », « d'itinéraire technique », de « système de culture », ce dernier retrouvant et dépassant celui de de Gasparin (6). Ainsi, la volonté de «théoriser» a permis et entraîné un nouveau regard et de nouvelles procédures de travail, l'opération technique de l'agriculteur est devenu la technique culturale comnle acte dans l'espace théorique (20), il n'y avait plus de recette, de bonne manière codifiée de cultiver (18). Ces différentes tâches, y compris celles de diagnostic, sont celles du métier de l'agronome numéro 1.
482
Histoire, contexte
La vision
\( L'objet initial
Concepts:
L'agronome
Elaboration du rendement
1
Itinéraire technique Système de culture Méthodes de travail
Schéma 1. La parcelle, premier objet à théoriser par l' agronol11e (25) (The field, the first object that agronomisthas to theorize)
.
Découvrir un deuxièn1e objet théorique pour l'agrono111e: l'agriculteur Les agronomes anciens, la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Heuzé (9), Mathieu de Dombasle (14), s'étaient intéressés à la question des forces de travail, à la gestion du domaine (l'exploitation agricole). L'agronome moderne a-t-il encore à s'occuper de ces questions, lui qui n'agit pas directement sur les parcelles, mais par l'intermédiaire de l'agriculteur? Ma réponse positive de 1974 découlait directement du souci de revenir au terrain, à la parcelle et d'y tester la solidité des productions théoriques de l'agronome numéro 1. En effet, son effort théorique doit permettre à l'agriculteur de conduire, de piloter ses parcelles. Mais l'agronome doit alors c0111prendre comment l'agriculteur prend ses décisions, quels sont ses critères pour juger des états de ses parcelles, quels indicateurs il utilise.. .Or, l'agronome numéro 1 constate chaque jour, dans ses relations avec les agriculteurs, que leur rationalité est différente de la sienne ainsi que leurs modes d'apprentissage, de constitution de leurs savoirfaire, et les travaux en sciences humaines (éconolnie, psychologie 483
ergonomique), comme ceux des épistémologues, confirment ces différences. L'agronome moderne se doit donc de considérer l'agriculteur dans ses fonctions de pilotage de ses parcelles, dans leur diversité, comlne un nouvel objet de travail théorique. Le schéma 2 (25), construit sur le même principe que le précédent, montre aussi comment, pour traiter de l'objet théorique qu'est « l'agriculteur qui pilote ses parcelles », l'agronome a aussi besoin de méthodes qu'il doit construire, inventer (entre autres des méthodes d'enquête diversifiées) et comment, en retour, il pourra et devra créer de nouveaux concepts, comme celui de «modèle pour l'action de l'agriculteur» (26). Ces tâches de l'agronome correspondent à une nouvelle facette de son métier, celui de l'agronome numéro 2.
Histoire, contexte
La vision
\{ Concept: Modèle pour l'action
L'agronome 2
Méthodes de travail
Schéma 2. L'agriculteur qui pilote ses parcelles, deuxième objet à théoriser pour l'agronome (25) (The farmer cultivating his field, the second object that agronomist has to theorize)
484
. Aujourd'hui, l'agronon1e doit contribuer à créer un dernier objet théorique: le territoire Les agronomes na 1 et 2 ne se hasardaient guère hors de la parcelle et de l'exploitation! Ils savaient que c'était une de leur limite pour parler d'érosion, de lutte contre les ennemis des cultures, de dissémination de pollen... Cependant, leur efficacité restait, au moins en apparence, suffisante! Mais de nouveaux problèmes (environnement, gestion de bassin de collecte pour approvisionner des usines.. .), de nouveaux acteurs (les nonagriculteurs qui s'inscrivent dans l'espace géographique, les collectivités territoriales. . .) surgissent: l' agronotne n'est plus seul pour penser l'espace, plus exactement l'espace devient une dÙnension prin10rdiale pour penser les actions sur la parcelle et dans l'exploitation agricole. L'organisation de l'espace et de son utilisation, hier simple retombée de la gestion de l'activité de production agricole3, sont, aujourd'hui, objet de débats et donc de recherche. Le territoire à construire naît COlnme objet scientifique indépendant! Ainsi font irruption les problèmes d'échelles spatiales, d'organisation entre entités et acteurs qui ont des responsabilités, des usages et des attentes différents vis-à-vis de l'espace. La nécessité d'une gestion collective des territoires s'impose de plus en plus pour de multiples raisons qui obligent les acteurs à composer entre eux, à rechercher des compromis. Les agriculteurs sont confrontés aux autres ruraux cotume aux citadins, qu'il s'agisse de gérer la qualité des produits, la qualités des eaux, la qualité des paysages. Mais, ils sont aussi confrontés aux nouveaux acteurs que sont les institutions, entre autres les collectivités territoriales et les administrations, locales, nationales, européennes. La rupture majeure tient à ceci que tous ces acteurs qui interfèrent sur la gestion et l'aménagement des territoires n'ont pas les mêmes intérêts, les mêmes visées et donc, sans régulation, sans instauration de nouvelles solidarités (même si c'est par nécessité), ces divergences font littéralement « exploser» les territoires. Un point commun, par contre, à tous ces occupants des espaces est leur besoin d'analyse, de diagnostics, d'instruments d'élaboration de politiques de développement. .. Il faut donc « théoriser» le territoire à construire.
3
L'analyse de la genèse des espaces cultivés, de leurs découpages Inontrerait probablelnent différentes influences et apparaîtrait, peut-être, Inoins liées qu'on ne le dit à la stricte production agricole.
485
Or, le territoire n'est ni un objet de laboratoire, ni un champ expérimental, c'est un construit social. Le territoire est une somme d'actions, passées, présentes et à venir, il n'existe qu'en se faisant, ce qui, pour l'agronome, le rapproche de la parcelle. Le rôle de l'histoire et donc du temps, est, à nouveau, central. La complexité provient, entre autres, du fait que ces actions qui construisent le territoire sont liées à (voire commandées par) de multiples réseaux de relations où se combinent des influences déterminées par la proximité, la contiguïté spatiale (la dimension horizontale) et des influences déterminées par des niveaux d'organisation socio-économique englobants, des liens aux marchés... (la dimension verticale). Alors, face à cette complexité, des politiques territoriales (harmonieuses) sont-elles possibles? En effet, pour construire, il faut se donner des objectifs communs, mais lesquels et comment les justifier? Par quels voies et moyens atteindre ces objectifs? Ces nombreuses interrogations dépassent le cadre de mon exposé, disons cependant que, pour moi, il est possible de bâtir un développentent raisonnable; comme Amartya Sen (27), je pense la complexité maîtrisable, car «pour ne pas être intentionnelle une conséquence (de nos actions de développement) n'est pas nécessairement Ùnprévisible »4. Mais une question de fond surgit ici: le chercheur peut-il participer à la définition d'un mode de développement? Lorsqu'il s'agissait d'étudier le développement passé, comment des acteurs sociaux avaient construit des territoires, il n'y avait guère de difficultés déontologiques pour le chercheur. Par contre, lorsqu'il s'agit de s'impliquer dans la construction de territoires pour demain, ne sort-il pas de son rôle, ne perd il pas la distance que le travail scientifique lui imposerait de maintenir par rapport à son objet d'étude? La recherche-action a ouvert des portes (7), mais ici on doit aller plus loin puisqu'il faut s'engager sur des choix de mode de développement qui, par essence, ne peuvent être neutres, au sens de non lié à des options sur des sujets pour lesquels il n'y a pas de théorie pour trancher. Pour ma part, je pense que « chercheurs engagés dans la recherche finalisée, (nous) ne pourrons plus esquiver la double question de savoir pour quel développement de nos sociétés nous travaillons et quel développement nous voudrions favoriser. De ce point de vue, la science n'est pas neutre et selon les réponses, on ne fera pas les mêmes recherches ou/et on ne les fera pas dans le même ordre. Mais soyons clairs, même dans ce cadre, la production des connaissances devra toujours répondre, en définitive, aux critères de scientificité5 » (22). L'agronome se trouve ainsi confronté à cette nouvelle dÙnension du territoire: la construction de son évolution filture à partir de son état actuel. Mais, dans cette tâche, l'agronome rencontre les chercheurs des autres 4 Voir (22). 5 Voir (24). 486
disciplines qui, à un titre ou un autre, se préoccupent aussi du territoire (avec chacune ses spécificités, ses regards, ses choix théoriques) : la construction de l'évolution du territoire n'appartient à aucune discipline en particulier! Les agronomes, avec les autres chercheurs, doivent donc forger les bases de ce nouveau métier, celui de l'agronome numéro 3 (Schéma 3) en partant de ce nouvel objet à théoriser: le territoire. Mais comment travailler? Examinons pour cela les leçons que l'on peut tirer du dispositif de recherche «pour» et « sur» le développement régional mis en oeuvre à l'INRA (23).
Histoire, contexte
La vision
\( L'agronome 3 (Le chercheur 3)
Concept: Objet transdisciplinaire
Schéma 3. Le territoire, nouvel objet à théoriser pour Ul1110uveau métier, celui de l'agronolne numéro 3 (25). (The territory, a new object oftheorization. The new working mode of agronomist, tnp, tnin1)
487
3 - Partenariat 36
et transdisciplinarité
: le métier de l'agronome
numéro
Parce que les territoires et le développement local devenaient des préoccupations fortes, j'ai proposé, il y a une dizaine d'années, à l'INRA, de mener en partenariat des recherches «pour» et « sur» le développement régional7 (23). Le « pour» signifie qu'il s'agissait de partir des problèlnes et des questions des partenaires et d y revenir explicitement, une fois les recherches faites. Le «sur », plus classique, visait des recherches sur le développement passé. Le dispositif était donc partenarial, multidisciplinaire et tourné vers l'action. Initialement, l'orientation des travaux devait résulter d'une «négociation» entre la demande supposée et l'offre de recherche. Cette approche échoua pour différentes raisons, mais principalement parce qu'il n'y a pas de passage direct des problèmes ressentis par les partenaires aux questions de recherche. Aussi, la solution Jut de co-construire simultanément les problèmes et le programme de recherche. La première étape de mise en œuvre du dispositif est la construction du partenariat, c'est-à-dire la détermination des problèmes et des questions « de la pratique» sur lesquels partenaires et chercheurs acceptent de travailler ensemble, ce qui commence par un recensement de ces problèmes et questions «de la pratique» pour lesquels les partenaires souhaitent une intervention de la recherche. Une fois cette liste établie, partenaires et chercheurs l'organisent en système en regroupant et articulant les questions qui «vont ensemble ». Cette organisation systémique des questions de la pratique met en œuvre un processus de diagnostic collectif, c'est-à-dire «d'un processus social de formulation et de décision d'un programme d'action (potentiel) qui incorpore des jugements d'opportunité et de faisabilité tout autant que des considérations de nature plus technique» (5). La faisabilité doit être double si l'on peut dire, du côté des partenaires et du côté des chercheurs dont la présence est bien nécessaire pour que cette construction des problèmes des partenaires soit aussi le début de la construction du programme de recherche. Ce diagnostic a une Ùnportance capitale dans la mesure oÙ c'est lui qui f'onde le choix des orientations de recherche, différence essentielle avec une démarche classique dans laquelle le dispositif découle du « morceau» de théorie à tester. Il n'y a pas, au sens scientifique, de théorie pour la construction du développement d'un territoire, mais un accord pour organiser les questions, pour hiérarchiser les
6 Ou de son équivalent pour d'autres disciplines, le chercheur nutuéro 3. 7 Régional parce que les patienaires avec lesquels nous passons des conventions de recherche ont des responsabilités régionales, tuais les recherches concenlent le développetuent de tenitoires aussi bien à l'échelle locale que régionale.
488
problèmes à résoudre en fonction d'une certaine vision comluune de « l'avenIr» . Mais quel regard porte-t-on sur les questions recensées? Prenons un exemple typique: les pollutions par les éléments minéraux d'origine agricole dans une région bretonne. Un premier regard, consiste à vouloir traiter le problème à sa source ce qui renvoie à l'évaluation et à la compréhension des pratiques des agriculteurs, donc aux agronomes numéro 1 et 2. Mais on peut adopter un deuxième regard qui consiste à se demander pourquoi ces pollutions s'amplifient depuis quelques décennies? Nous devrons alors formuler des hypothèses sur plusieurs domaines d'explication possible: multiplication des élevages «hors sol », utilisation pour les animaux d'aliments produits hors de la région8, insuffisance des conseils aux agriculteurs, modalités du calcul microéconomique... Seul un collectif de chercheurs peut adopter ce regard. Un troisièlne regard est possible qui consiste à se demander quelles liaisons existent entre ces phénomènes et les orientations générales du développement agricole? Quels sont les rôles de la course à l'amélioration de la productivité du travail, de l'intensification, de la politique agricole commune européenne, de l'orientation des recherches... ? A nouveau, seul un collectif de chercheurs pourra adopter ce regard, mais il sera, au moins partiellement, différent du précédent. Ces trois regards soulignent l'une des difficultés des recherches sur les territoires: à quelle échelle spatiale traiter le problème et à quel niveau d'organisation? Clairement les agronomes nUlnéro 1 et 2 seuls seront in1puissants, quelles que soient leurs cOlnpétences en n1atière d'environnelnent. La seconde étape de mise en œuvre du dispositif consiste à construire les objets scientifiques en utilisant le principe de quasi-décomposition du système des questions (29). Pour ce faire, on distingue des sous-systèmes qui n'ont entre eux que des interactions «faibles» et sont donc quasiment indépendants dans le court terme, alors « qu'à long terme, le comportement de chacun des sous-système n'est affecté par le comportement des autres que d'une façon agrégée ». Chacun de ces sous-systèmes exigera pour être traité différentes disciplines et donnera lieu à la constitution d'un collectif de chercheurs qui devront travailler étroitement ensemble parce que l'on veut déboucher sur l'action. Ces chercheurs devront alors construire une représentation théorique temporaire de l'objet qui les rasseluble qui est, par nature, transdisciplinaire, créé par cette volonté de déboucher sur l'action et qui devient le « modèle» qu'ils doivent tester. Le collectif, une fois construit ce modèle, bâtit ses protocoles qui permettront, par construction, le retour 8 Une grande partie des éléluents luinéraux contenus dans les effluents d'élevage proviennent des luatières riches en protéines et des céréales produites dans d'autres régions du Inonde et de France et dont l'utilisation est tàvorisée par la politique agricole COlUlnunede l'Union européenne, entre autres depuis 1992 !
489
aux questions initiales; c'est une différence de taille avec les approches interdisciplinaires9 classiques dans lesquelles chaque chercheur part de sa théorie disciplinaire qui lui dicte tant ses objets de recherche que ses protocoles (Schéma 4). Par leur nature, beaucoup des thèmes auxquels les agronolnes modernes se trouvent confrontés relèvent d'approches transdisciplinaires et donc du métier de l'agronome numéro 3, qu'il s'agisse de prendre dans son ensemble le développement de territoireslo ou d'aborder des thèmes plus restreints, comme ceux concernant l'environnement. C'est mênle pour avoir voulu traiter disciplinairement ces thèmes que les situations n'ont guère évolué comme le montre, par exemple, les bilans de l'Institut Français de l'Environnement (IFEN). Mais ces approches transdisciplinaires supposent une beaucoup plus grande ouverture aux autres disciplines: il devient nécessaire de comprendre les présupposés épistémologiques, de les Démarche
Démarche transdisciplinaire Questionsl Action
interdisciplinaire Classique Théorie 1
T2
+
T3
Questionnement organisé
+
Questionnetnents
+ 1 Di;OSitiiS
2
3
2
3
= « Théorie commune»
~
Résultats 123 Effort de synthèse \...
Résultats aux questions de la théorie commune
~
Y
T
Comment? Parqui?
Résultats utilisables pour l'action
Schéma 4. Comparaison des démarches interdisciplinaires de la démarche transdisciplinaire (21)
classiques et
Comparison between interdisciplinary and transdisciplinary working mode 9 Dans l'interdisciplinarité les questions aux autres disciplines viennent de la discipline elle-même tandis que dans la transdisciplinarité les questions viennent de la volonté de pouvoir agir à partir des résultats des recherches. 10 C'est a fortiori vrai des questions de développement durable autour desquelles beaucoup se dit et peu se fait! 490
« mettre sur la table» si j'ose dire. Dans les différents exposés entendus, dans les posters lus, il semble, ou que les agronomes découvrent naïvement les autres disciplines, ou qu'ils les ignorent et j'aurais aimé que dans le forum, où se sont exprimés des enseignants, cette ouverture soit beaucoup plus fortement mise au centre des débats, qu'ils revendiquent leur Inission d'éveilleur d'esprit, qu'ils insistent sur les voies à emprunter pour développer heuristique et imagination collective, pour rendre explicite ce qui est habituellement tacite, pour aborder la question des modèles épistémologiques que chacun d'entre nous véhicule. 4 - Parler des territoires et faire de la science Lorsqu'une discipline, l'agronomie, s'attaque à de nouveaux objets, elle court, au moins momentanément, de nombreux dangers. On pourrait même dire que les efforts de scientificité s'imposent encore plus à nous (24). Je voudrais donc, pour terminer, insister sur certains d'entre eux, puisqu'il s'agit bien de recherche ici et non d'actions de développement.
.
Théorie et concepts C'est une erreur de penser que, dans cette phase d'ouverture, il soit possible d'adopter une attitude empiriste sans se référer à un corpus théorique, si fragile et fruste soit-il. S'il ne fallait citer qu'un non1, choisissons celui de Claude Bernard, un biologiste dont nous pouvons nous sentir proche, pour qui la théorie joue un rôle central « elle est l'instrument qui permet la découverte des faits» (16). Or, dans les différents exposés, la théorie sous-jacente est rarement clairement explicitée, les auteurs affirmant partir de leur expérience. Mais celle-ci devrait être capitalisée, servir de référent aux nouvelles investigations, en un mot être théorisée pour être interrogative et falsifiable (15). Plus systématiquement, et c'est un progrès, la question de départ est précisée, mais elle est trop souvent appelée «hypothèse» alors qu'une hypothèse n'a de sens que dans le cadre d'une théorie qui doit donc être mentionnée. Il faut du temps pour passer de la perception des problèmes à la définition d'objets de recherche puis à celle de concepts. Mais, ce qui frappe c'est que leur production semble plus vécue comme un objectif que comIne un n10yen, un instrument pour enrichir la théorie et aller plus loin. Plusieurs remarques s'imposent ici. D'abord, de nombreux concepts sont empruntés à d'autres disciplines et ont pris sens dans d'autres théories, il faut clairement pouvoir y faire référence (30). Ensuite, l'apparition d'un concept est datée et l'on peut établir une chronologie (parfois filiation) des notions et des concepts. Ainsi, 491
lorsque Klatzmann (11) définit, pour ses besoins de statisticien, la notion de petite région agricole, il se situe dans une période où le territoire est plus perçu à travers sa dimension physique et pourtant l'idée de construit social ne me semble pas absente. Comment, alors, «le concept d'Unité agroPhysionomique» (32, dans ce même colloque) se rattache-t-il, ou non, à celui de petite région agricole? On a parfois le sentiment que le passé, parce qu'il est révolu, peut disparaître du champ des préoccupations, que l'on peut produire des connaissances sans s'y référer. Or, Bachelard (1) insiste beaucoup sur l'évolution des concepts: «La richesse d'un concept se mesure à sa puissance de déformation. (...) Pour englober des preuves expérimentales nouvelles, il faudra alors déformer les concepts primitifs, étudier les conditions d'application de ces concepts et surtout incorporer les conditions d'application d'un concept dans le sens mên1e du concept]] » (page 61). Il conclut «un concept est devenu scientifique dans la proportion où il est devenu technique, où il est accompagné d'une technique de réalisation» (page 61). Nous n'aurons un langage scientifique que lorsque notre pratique incorporera explicitement un tel usage des théories et des concepts.
.
Science polémique
et filiation
Pour Bachelard (1), la science est polén'lique, elle se construit contre l'opinion comn'lune et sur des ruptures épistélnologiques. J'ai été frappé par l'absence de polémique scientifique durant ce colloque, hormis l'intervention d'un géographe demandant que pour penser le territoire, l'on «dépasse l'aire du contigu, car il y a aussi archipel, réticulation dans le territoire comme configuration spatiale» (intervention de Gumuschian dans ce même colloque). N'est-ce pas pour nous tous une sérieuse interrogation que cette absence de débat-combat? Les agronomes doivent retrouver cet esprit et, entre autres, avoir beaucoup plus le sens des filiations et des ruptures. Comment mesurer son apport sans témoin, avec des bibliographies si limitées dans le temps? Mais, cela suppose une bonne compréhension de ce que l'on cite! Quand un agronome évoque le « temps long» de Braudel (2) seulement pour insister sur la durée sans tirer les conséquences de l'emploi de cette notion d'historien, il s'illusionne ou fait le faux savant! Le « temps long» devrait l'obliger, par exemple, à aborder des questions de périodisation, de cycle... L'agronome ne peut plus rester dans son seul domaine car la réalité qu'il observe intègre d'autres influences et son discours risque fort d'être biaisé par des confusions d'effets. Par contre, la prise en compte de cette notion amplifierait l'approche des «Systèmes locaux de pensée comme chalnp géographique dans le concept d'Unité Agro-Physionomique» (13, dans ce
Il Souligné
par l'auteur. 492
même colloque). Elle nous inciterait aussi à douter, a priori, du bien fondé d'une mise en rapport direct du paysage actuel avec les systèmes de pensées, parce que, précisément, eux intègrent le temps long; si relation il y a, on doit s'interroger sur laCes) variable( s) intermédiaires. L'agronome numéro 3, celui qui veut travailler sur les territoires, doit donc acquérir une culture minimale en économie, en géographie, en histoire, en sciences de la conception, en sociologie... En effet, lorsqu'il faudra construire l' objet transdisciplinaire, il lui faudra pouvoir confronter son modèle épistémologique à celui des autres chercheurs, et ne pas rester dans le giron des disciplines cousines. Cette culture minimale est à la base même de l'écoute que suppose ce type de recherche, mais pour être à l'écoute, il faut être soi-même et donc déjà dominer I 'histoire de sa propre discipline!
.
Des démarches de recherche beaucoup plus explicites
Les agronomes, parce qu'ils étudient de nouveaux objets déjà abordés dans d'autres disciplines, doivent réaliser de gros efforts de définition de ce qu'ils entendent, eux, quand ils parlent, par exemple, de territoire. Un des moyens pour y arriver serait de systématiquement dire pourquoi, chercheur, on décide de travailler sur tel ou tel objet. Les intentions de recherche sont trop implicites, pas assez construites, sans souci clair de bâtir un corpus de connaissances. Cela semble le péché n1ignon des agronon1es de produire (les faits et non des résultats, c'est-à-dire des faits reliés à une théorie, donc des connaissances. Est-ce la conséquence de la proximité des agronomes avec leurs objets d'étude, eux qui sont des hommes de telTain ? C'est une difficulté, mais vouloir travailler pour l'action ne doit pas gommer la distance à maintenir avec son objet que suppose toute activité de recherche, au contraire cela devrait conduire à expliciter les maillons qui séparent le réel de la théorie du réel de la pratique dans lequel se prennent les décisions. L'exemple des schémas et graphiques présentés lors de ces entretiens illustre cette nécessité d'explicitation. Ont-ils une vocation heuristique, de communication, ou de résumé des résultats obtenus? Ce statut insuffisamment explicité, ils risquent d'être source d'enfermement, alors que ce sont des outils précieux de l'investigation scientifique. Dans un souci de capitalisation de leurs expériences 12, les agronomes devraient s'interroger sur l'intérêt et la possibilité d'une certaine codification, comme l'ont fait ceux qui ont eu à cartographier l'espace (par exemple l'utilisation des chorèmes de Brunet par Théry (31) pour cartographier le Brésil).
12On aurait pu, dans cet esprit, s'attendre à ce que l'excellent ouvrage de Christophe, Lardon, Monestiez (4) soit cité COlllllle référence pour ce qui concell1e les phénolllènes spatiaux en agriculture.
493
Il faudrait aussi aborder la question des modèles utilisés par les agronomes. Si de très gros progrès ont été faits dans le domaine de l'agronome numéro 1, il n'en est pas de même pour les agronomes 2 et 3. Le rôle des variables utilisés doit être beaucoup plus clairen1ent défini et aussi le systèn1e auquel le modèle s'applique. Pour traiter de territoire, ces aspects sont essentiels et l'on est surpris que des agronomes qui se réfèrent spontanément à l'idée de système ne soient pas plus précis et n'aient pas plus le souci de préciser les échelles d'espace et les pas de temps qu'ils considèrent dans leurs modèles. Plutôt que de parler de « telnporalité », disons comment on traite le temps, cette variable centrale quand on parle de construit social! Conclusion: Agronomes et territoires, métiers d'agronome
nécessité simultanée des trois
Si les agronomes ne traitaient pas de l'objet territoire, ils seraient en défaut par rapport aux attentes de la société, car, sans eux les approches des autres disciplines seront toujours tronquées. Le meilleur exemple en est probablement l'impossibilité de comprendre les pratiques des agriculteurs sans recours explicite aux données des agronomes, une simple description du visible induirait en erreur (19). Mais, pour cela, ils doivent faire vivre simultanément les trois métiers d'agronomes que j'ai recensés (Schéma 5), parce que l'objet territoire en train de se construire est, par essence, transdisciplinaire et qu'il comporte, entre autres, des parcelles et des agriculteurs organisés dans l'espace. L'agronomie ne peut plus se définir sans référence explicite aux actions des agriculteurs, comme de tous ceux qui sont des utilisateurs, directs ou indirects, de l'espace.
D'un objet à l'autre: La parcelle
~
.
L'agriculteur
D'un métier à l'autre ., L agronome L agronome 1 ~ '
~
~......
2~
Le territoire
... L agronome '
Schéma 5. Les trois métiers de l'agrol10me (25) (The three working modes of the agronomist)
494
3
Ce jeu des trois métiers, indispensable pour que les agronomes puissent remplir leur rôle de médiation entre acteurs, et entre action et connaissances, exige cependant un surcroît de rigueur dans les démarches ainsi qu'une prise de conscience de l'identité profonde de ces n1étiers par rapport à ceux des chercheurs des autres disciplines. Les agronomes sont confrontés à la nécessité d'une plus grande lisibilité, et pour cela, nous devons revenir à la définition des tâches liées à ces trois métiers et mieux valoriser ce qui en fait leur spécificité: leur liaison à l'action.
Références
bibliographiques
(1) Bachelard G., 1960. La formation de l'esprit scient(fique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective. Vrin, 4° édition, Paris. (2) Braudel F., 1966. La n1éditerranée et le nlonde lnéditerranéen à l'époque de Philippe II. Armand Colin, deuxième édition, Paris, deux tomes. (3) Caron F., 1997. Les deux révolutions industrielles du siècle. Albin Michel, Paris. (4) Christophe C., Lardon S., Monestiez, P. (Ed.), 1995. Etude des phénomène spatiaux en agriculture. Editions INRA, Paris (5) Friedberg E., 1997~Le pouvoir et la règle. Dynan1iques de l'action organisée, Seuil, Points Essais. (6) Gasparin de A., 1843. Cours d'Agriculture. Maison Rustique, Paris, 5 tomes. (7) Hatchuel A., 2000. Intervention research and the production of knowledge. In M. Cerf, D. Gibbon, B. Hubert, R. Ison, J. Jiggins, M. Paine, J. Proost, N. Roling (Ed.), Cow up a tree. Knowing and learning.for change in agriculture. Case studies from industrialized countries. Editions INRA, Paris, . (8) Hésiode. Les travaux et les jours. Association. G. Budé, Les Belles Lettres, Paris, Edition bilingue, 1928. Voir aussi la belle traduction de L. Dallinges, Edition de l'Aire, Paris, 1979. (9) Heuzé G., 1862. Les assolements et les systènles de culture. Hachette, Paris. (10) Ibn Al Awam. Le livre de l'agriculture. Editions Bouslama, Tunis. Traduction de l'arabe par J.J. Clément Mullet. 3 tomes. (11) Klatzmann J., 1955. La localisation des cultures et des productions animales en France. Imprimerie nationale, Paris. (12) Lecouteux E., 1855. Principes éconon1iques de la culture améliorante. Maison Rustique, Paris.
.xx
495
(13) Mathieu A., Thinon P., 2002. Les systèmes locaux de pensées des agriculteurs comme champ géographique dans le concept d'Unité AgroPhysionomique. Les entretiens du Pradel, France, 13 septembre 2002. (14) Mathieu de Dombasle, 1824-1837. Annales agricoles de Roville. 9 volumes. Madame Huzard, Paris. (15) Popper K., 1972. La logique de la découverte scientifique. Payot, Paris. (16) Prochiantz A., 1990. Claude Bernard. La révolution physiologique. PUP, Paris. (17) Sebillotte M., 1974. Agronomie et agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome. Cahiers ORSTOM, série biologique, n° 2, 3-25, Paris. (18) Sebillotte M., 1978. Itinéraire technique et évolution de la pensée agronomique. Compte rendu Académie d'Agriculture de France, 906-914. (19) Sebillotte M., 1989. Fertilité et système de production. Essai de problématique générale. ln M. Sebillotte (dir.), Fertilité et systèn1es de production. Editions INRA, Paris, 13-57. (20) Sebillotte M., 1993. Analysing farming and cropping systems and their effects. Some operative concepts. In J. Brossier, L. de Bonneval, E. Landais (Ed.), Systelns studies in agriculture and rural developn1ent. Editions INRA, Paris, 273-290. (21) Sebillotte M., 1997. Recherche en partenariat, recherche transdisciplinaire. In Sebillotte (Ed.) Recherches sur le Développement Régional. Séminaire de Lyon, 8-9 avril. Editions INRA, 27-46. (22) Sebillotte M., 2000a. Territoires: de l'espace physique au construit social. Les enjeux pour demain et les apports de la recherche. OCL, Vol.7,no6,474-479. (23) Sebillotte M., 2000b. Des recherches pour le développement local. Partenariat et transdisciplinarité. Revue d'économie régional et urbaine, n03, 535-556. (24) Sebillotte M., 2001. Les fondements épistémologiques de l'évaluation des recherches tournées vers l'action. Natures, Sciences, Sociétés, Vol. 9, n° 3,8-15. (25) Sebillotte M., 2002. Logiques de l'agir et construction des objets de connaissance. L'invention de nouveaux dispositifs de recherche. ln T. Gaudin, A. Hatchuel (Ed.), Les nouvelles raisons du savoir, Colloque de Cerisy, Prospective d'un siècle à l'autre. Editions de l'Aube, Paris, 93-115. (26) Sebillotte M., Soler L.G., 1990. Les processus de décision des agriculteurs: I. Acquis et questions vives. ln J. Brossier, B. Vissac, J.L. Lemoigne (Ed), Modélisation systémique et système agraire. Décision et organisation. Editions INRA, Paris, .), 93-101. (27) Sen A., 2000. Un nouveau modèle éconolnique. Développelnent, justice, liberté. Editions O. Jacob, Paris. Traduction française de Developn1ent as freedom. Alfred Knopf Inc, 1999. 496
(28) Serres O. de, 1635. Le théatre d'agriculture et nlesnage des chanlps. La Maison Rustique, Rouen. (29) Simon H., 1991. Sciences des systènles, Sciences de l'artificiel. Paris, Dunod. Traduction française de The Sciences of the artificial, 19691981, Massachusets Institute of Tecnology, USA. (30) Stengers I. (Dir.), 1987. D'une science à l'autre. Des concepts nonlades. Seuil, Paris. (31) Théry H., 1986. Brésil. Un atlas chorématique. Fayard/Reclus, Paris/Montpellier. (32) Thinon P., 2002. Le concept d'unité agrophysionomique (UAP). Les entretiens du Pradel, France, 13 septembre 2002. (33) Virgile. Les Géorgiques. Association G. Budé, Les Belles Lettres, Edition bilingue, 1956. (34) Xénophon. L'écononlique. Editions Payot et Rivages, Paris.
497