TOURISME ET GÉOGRAPHIE, ENTRE PÉRÉGRINITÉ ET CHAOS?
Collection
Tourismes et Sociétés dirigée par Georges
Cazes
Déjà parus R.AMIROU, P. BACHIMON, J.-M. DEW AILLY, J. MALEZIEUX (Sous la dir.), Tourisme et souci de l'autre. En hommage à Georges CAZES, 2005. A. VOLLE, Quand les Mapuche optent pour le tourisme, 2005. O. GUILLARD, Le risque voyage, 2005. J.SPINDLER (éd.) avec la collaboration de H. DURAND, Le tourisme au XX" siècle, 2003. J. CHAUVIN, Le tourisme social et associatif en France, 2002. F. MICHEL, En route pour l'Asie. Le rêve oriental chez les colonisateurs, les aventuriers et les touristes occidentaux, 2001. J.L. CACCOMO, B. SOLONANDRASANA, L'innovation dans l'industrie touristique, 2001. N. RAYMOND, Le tourisme au Pérou, 2001. GIREST (Groupement Interdisciplinaire de Recherche En Sport et Tourisme), Le tourisme industriel: le tourisme du savoirfaire ?, 2001. R. AMIROU, P. BACHIMON (ed.), Le tourisme local, 2000. G. CAZES et F. POTIER, Le tourisme et la ville: expériences européennes, 1998. P. CUVELIER, Anciennes et nouvelles formes de tourisme. Une approche socio-économique, 1998. G. CLASTRES, Tourismes ethnique en ombres chinoises. La province du Guizhou, 1998. G. CAZES, Les nouvelles colonies de vacances? Le tourisme international à la conquête du Tiers-Monde. G. CAZES, Tourisme et Tiers-Monde, un bilan controversé. M. PICARD, Bali: tourisme culturel et culture touristique. D. ROZENBERG, Tourisme et utopie aux Baléares. Ibiza une île pour une autre vie. www.librairieharmattan.com
[email protected] harmattan
[email protected] @L'Harmattan,2006 ISBN: 2-296-00166-1 EAN: 9782296001664
Jean-Michel DEW AILLY
TOURISME ET GÉOGRAPHIE, ENTRE PÉRÉGRINITÉ ET CHAOS?
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Du même auteur
Tourisme et loisirs dans le Nord - Pas-de-Calais. Approche géographique de la récréation dans une région urbaine et industrielle de l'Europe du Nord-Ouest, Lille, Société de Géographie de Lille, 2 t., 1985.
Tourisme et aménagement en Europe du Nord, Paris, Masson, coll. Géographie, 1990. Géographie du tourisme et des loisirs, Paris, SEDES, coll. Dossiers des images économiques du monde, n° 15, 1993 (avec E. Flament) (traduit en italien). Récréation, re-création: tourisme et sport dans le Nord -Pasde-Calais, L'Harmattan, coll. Tourismes et sociétés, 1997 (dir., avec C. Sabry). Les littoraux, espaces de vie, Paris, SEDES, coll. Dossiers des images économiques du monde, n° 23, 1998 (avec E. Flament. Coord. A. Gamblin». Le tourisme, Paris, SEDES, coll. Géographie, 2000 (avec E. Flament).
Photo de couverture: sur la plage de Toamasina (pays betsimisaraka, côte Est de Madagascar), le vendredi 15 août 2003. Jour férié dans un « pont» « à l'occidentale », pratique de la plage par des touristes habillés, qui ne se baignent pas, mais viennent voir les pêcheurs de retour, comme en Europe aux XVIIlè - XIXè siècles. Marchand ambulant au premier plan. Pérégrinité malgache? (cliché LM. Dewailly)
« Je ne connais pas de discipline intellectuelle plus salubre et plus fructueuse que celle qui consiste à se soumettre à l'interrogation d'interlocuteurs dont les références, les modes de raisonnement et les curiosités vous emmènent loin, parfois, de l'univers qui vous est familier ».
Marcel Gauchet, Un monde désenchanté,
2004
« Es ist nichts fahiger, den gesunden Menschenverstand auftuhellen,
ais gerade die Geographie ».
Emmanuel Kant, Physische Geographie,
1802
«Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet ».
Georges Courteline, La philosophie
de Georges Courteline,
1917
Introduction Dans la tourmente géographico-touristique...
Le tourisme et la géographie semblent entretenir, ces temps-ci, des rapports difficiles. En témoignent trois exemples puisés dans des ouvrages essentiels tout récents. Pas plus dans « Les fondamentaux de la géographie» (Ciattoni et Veyret, 2003) que dans « Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux» (Claval, 2003), le mot « tourisme» ne figure à l'index des thèmes abordés, ce qui est assez surprenant quand on connaît l'importance du tourisme dans le monde et sa contribution, précisément, au façonnement culturel des sociétés et des milieux. Quant à Y. Lacoste, sa vision du tourisme est également peu encourageante: « il s'agit pour les touristes d'aller voir des pays qu'ils ne connaissent pas encore et d'admirer des paysages et des monuments dont ils ont vu des images dans les médias» (2003, p. 385). N'y aurait-il donc pas d'habitants qui vaillent qu'on les « voie» ? Et il s'interroge: « Où passe-t-on ses vacances? En France, dans près des deux tiers des cas, on les passe chez les grands-parents, c'est-à-dire dans leur région d'origine, où ils ont fait dans bien des cas construire une résidence secondaire» (2003, p. 327), affirmations qui traduisent une méconnaissance certaine du phénomène. Constat un peu désolant. .. Quant aux géographes qui s'intéressent réellement au tourisme, une partie d'entre eux considère qu' « il ne s'agit plus de faire une « géographie du tourisme»
- une
de
plus? - mais de développer une « approche géographique du tourisme» (Knafou et Violier, 2000, p. 370; Knafou et al., 1997), alors que ces deux approches ne nous semblent ni incompatibles, ni inutiles pour une « géographie» qui ne mérite peut-être pas autant de condescendance (Dewailly et Flament, 2002). Et un autre veut la fondre dans une « nouvelle science touristique» (Hoerner, 2002, 2003).
Qui plus est, quand l'on trouve des développements fournis et argumentés sur le phénomène touristique, l'on ne peut pas dire qu'ils soient de la plus extrême clarté pour le lecteur, a fortiori pour l'étudiant. Il n'est certes pas illégitime de ne pas imposer des idées toutes faites aux lecteurs, étudiants ou non, et nous ne prétendrons pas que nos propres travaux n'ont pas ajouté, peut-être, à l'occasion, un peu de confusion. Nous aurons l'occasion de nous en expliquer plus loin. Mais ce n'est pas tout de vouloir « donner davantage de clés de lecture aux étudiants» (Stock et al., 2003, p. 6), si sophistiquées soient-elles, encore faut-il qu'elles soient adaptées aux serrures que l'on veut ouvrir et que l'utilisateur en apprenne le maniement. Mais, sous peine de laisser croire que « qui ne dit mot consent », plusieurs ouvrages récents sur le tourisme, principalement, nous semblent devoir susciter quelques réactions, parce qu'ils ont été conçus et réalisés quasi-exclusivement par des géographes, parce qu'une notable partie de leur contenu nous semble éminemment discutable, tant sur la forme que sur le fond, que l'on peut valablement défendre des points de vue différents, et que c'est sur ce plan géographique que nous nous sentons le mieux à même d'en discuter un certain nombre d'éléments!. Évidemment, on ne limitera pas ses références à ces ouvrages, sans pourtant prétendre à dépouiller une bibliographie immense. Bien entendu, nous souhaitons privilégier quelques thèmes, dans un champ de recherches immense, en dilatation perpétuelle, si l'on peut dire, où l'interdisciplinarité est de plus en plus indispensable, où la modestie reste plus que jamais de mise pour tout chercheur ou toute discipline spécifique. Nos propos ne visent donc nullement, selon la formule consacrée, à l'exhaustivité, et encore moins à la vérité, mais souhaitent seulement faire avancer le débat sur des questions en suspens mais pas anodines dans le panorama actuel de la 1
Ces ouvrages sont principalement: Équipe MIT, (2002), Tourismes I. Lieux communs, Paris, Belin, coll. Mappemonde, 320 p. ; Stock, M. (coord.), o. Dehoorne, P. Duhamel, J.C. Gay, R. Knafou, O. Lazzarotti, I. Sacareau, P. Violier, (2003), Le tourisme. Acteurs, lieux et enjeux, Paris, Belin, colI. Géographie, 299 p. ; Hoerner J.M., (2002), Traité de tourismologie. Pour une nouvelle science touristique, Presses Universitaires de Perpignan, ColI. Etudes, 191 p. ; Hoerner, J.M. et Sicart, C. (2003), La science du tourisme. Précis franco-anglais de tourismologie. The science of tourism. An Anglo-French precis on tourismology, Baixas, Balzac éditeur, 106 + 102 p. Pour éclairer le lecteur, on ajoutera que l'Équipe MIT est formée des 8 auteurs de l'ouvrage coordonné par M. Stock, ce qui explique que nous en parlions parfois comme d'une publication du MIT.
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recherche et aussi de la société, et le faire de façon la plus sereine possible, sans oukases ni exclusives, donc sans prétentions insoutenables. Ce n'est certes pas le cas de certaines publications en question, dont le dogmatisme, le manichéisme, la suffisance laissent mal augurer du débat scientifique. On ne saurait trop rappeler les propos toujours d'actualité de B. Debarbieux : «chacun sait que prétendre à la vérité dans les sciences sociales est une chimère. Tout au plus peut-on avancer une interprétation des faits, une interprétation parmi des dizaines d'autres possibles» (1990, p. 5). Il se trouve en effet que, pour aborder un champ aussi multiforme par la géographie, nous avons à mesurer, si possible, les faiblesses nombreuses dont nous pâtissons. Nous ne sommes ni sociologue, ni économiste, ni géopoliticien, ni anthropologue, ni ethnologue, ni épistémologue, ni philosophe, ni historien des sciences, ni historien tout court, ni linguiste polyglotte, ni quantitativiste, ni théoricien chevronné, ni spécialiste en marketing ou en communication..., en somme juste un géographe très commun, appartenant de surcroît à une génération « sans doute marquée par des processus contradictoires qui la rendent difficile à cerner - des personnes nées entre 1940 et 1950 » (Lévy, 2004, p. 222). On ne se refait pas, et nous en espérons une indulgence incommensurable et exorbitante des us et coutumes universitaires en matière de références spécialisées de la part des lecteurs bienveillants. Mais quatre larges décennies d'intérêt géographique porté au tourisme dans l'enseignement et la recherche, une quinzaine d'années de responsabilité de DESS « touristiques» avec tout ce que cela suppose de contacts professionnels et interdisciplinaires, d'études de terrains variés et de collecte corrélative de matériaux auprès d'acteurs divers, le frottement continu et diversifié à de multiples apports étrangers, tout cela ne donne ni moins de bon sens, ni moins de légitimité pour développer une série de propos sur le tourisme. D'ailleurs, « qu'importe l'approche, s'il y a progrès de la connaissance »2 . Nous espérons y contribuer. À cette fin, à côté du mot « pérégrinité » que nous proposerons pour nous ramener à des origines possibles du tourisme, nous avons retenu pour notre titre le terme de « chaos ». Nous pensons pouvoir montrer, en effet, que les ouvrages récents cités n'offrent pas, en dépit de leurs mérites, de cadre théorique satisfaisant. Ce n'est pas 2
R. Brunet, 1977, « Éditorial», L'Espace géographique, n° l, p. 4.
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notre objectif d'y parvenir, mais au moins d'y contribuer, en relevant quelques faiblesses, à notre sens, chez les auteurs en question. Une dialectique souvent fort «brumeuse »3, des raisonnements contestables ou orientés, des faiblesses disciplinaires (hors géographie) trop souvent considérées comme surmontées, des postulats peu ou pas justifiés, des contradictions, des définitions approximatives ou absentes, des idées qu'on semble s'arroger en négligeant allègrement les références correspondantes, des jeux de mots parfois douteux et mal venus..., laissent le lecteur attentif sur une impression finale d'inachevé, d'inabouti, en dépit des prétentions ostensiblement affichées. Malgré l'ambition proclamée de certains de « refuser la confusion ambiante» (Stock et al., 2002, p.IO), nous craignons que le lecteur attentif, au contraire, une fois passée une adhésion rapide à des discours parfois séduisants, sinon brillants, ne sorte de ces lectures dans un brouillard accru, et nous pensons aux étudiants qui, ayant lu tout cela, et d'autres choses, espérons-le, peuvent se sentir assez démunis pour s'extraire de cette documentation « chaotique », assez approximative et pas toujours très éclairante, et même se forger leur propre conception des choses. D'autant plus que le ton est souvent condescendant, voire méprisant, pour qui ne partage pas les avis du groupe cité. Et l'on sait que passion ou colère sont mauvaises conseillères. Bousculer les tabous, les idées reçues et les clichés est un objectif louable en soi. Encore conviendrait-il de ne pas trop en répandre soi-même (à moins que ce ne soit des « perles de culture» ? Équipe MIT, 2002, p. 15), comme affirmer qu'« en France, on n'aime décidément pas la réussite» (ibid, p. 253) ou que, par exemple, « l'agriculture est aussi structurellement une activité saisonnière» (ibid., p. 263) (effectivement, on ne trait sans doute les vaches que saisonnièrement... Note JMO), que « l'activité agricole repose sur des savoir-faire routiniers et basiques» (ibid., p. 264) (c'est tout le contraire de la recherche... Note JMO) ou encore que le dynamisme de Bruges (dont le trafic portuaire s'est élevé en 2002 à 32,9 millions de tonnes contre 31,6 pour Nantes) « ne repose que sur le tourisme» (Stock et al., 2003, p. 45). Encore faut-il le faire avec des arguments dont la rigueur mette le locuteur dans une certaine position de force, et pas seulement par simple souci d'une modernité mal placée. Tout cela manque souvent d'une sérénité qu'on 3 Pour reprendre l'expression appliquée par le Comité scientifique au « tourisme religieux» dans l'appel à communications pour le séminaire du 24 mai 2005 à Angers sur les relations entre le tourisme et la religion.
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attendrait davantage de la part de personnalités tout à fait respectables. Et l'on peut à bon droit se demander comment tant de personnes peuvent cosigner, c'est-à-dire assumer collectivement, tant de propos contestables (MIT, 2002), ou, ayant individualisé leur collaboration, comment la publication qui en résulte peut afficher tant d'incohérences dans un cadre conceptuel qui se veut pourtant commun (Stock et al., 2003). Cela ne nous concerne pas directement, mais il n'empêche qu'au titre des postures de recherche, il est préoccupant, et parfois fort inquiétant, de se trouver face à des prises de position aux relents de stalinisme ou de chasse aux sorcières présentées comme des dogmes par un groupe constitué qui peut paraître faire autorité. Mais puisque le tourisme est aussi occasion de subversion (Équipe MIT, 2002), profitons-en... En effet, nous sommes face à une situation où certains chercheurs, proclament non seulement vouloir, en somme, refonder l'approche scientifique du tourisme, mais encore fournir les matériaux intellectuels pour le faire (<
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approximative, bien que se voulant globalisante, totalisante, assénant plutôt que proposant, distribuant, au nom de la science, blâmes et satisfecits pas toujours très scientifiques, excluant plutôt que rassemblant sur des bases claires en faisant ressortir les points d'achoppement, légitimes, qui prêtent à une discussion ouverte. Mais il faut savoir ce que parler veut dire, et, comme on le montrera abondamment, bien des propos comminatoires ne s'appuient pas sur une rigueur que les auteurs réclament des autres mais qu'ils devraient commencer par s'appliquer à eux-mêmes. Transposons encore: « tout se passe dans une vision tout à fait idéaliste, où l'on considère que serait enfoui à l'intérieur de chacun de nous une sorte de 'noyau sain " miraculeusement préservé et tout palpitant d'un désir confus d'émancipation, étouffé, méconnu, y compris parfois de soi-même. Le corps social ou politique (ou scientifique. Note JMD) va dès lors lutter pour débarrasser ce 'noyau sain' de toutes ces oppressions qui l'empêchent d'éclore... C'est sur ce mécanisme que reposent toutes les croisades... où des 'libérateurs' se vivent comme seuls capables de faire le bonheur d'un peuple ou d'un homme pour son bien et donc parfois malgré lui. Cent cinquante ans de changements se sont pensés sur cette idée d'une avant-garde qui conduit une fantastique entreprise de désaliénation au nom d'une connaissance qu'elle détient mais que le reste du monde ignore. Lorsque la révélation de ces vérités atteindra le noyau sain des hommes, ils secoueront leurs chaînes» (ibid., p. 78). Il serait donc temps, nous dit-on, de faire table rase de cette géographie du tourisme passéiste, voire de cette approche géographique du tourisme, pour se consacrer, enfin, à une étude moderne du tourisme et peut-être même libérer le touriste de ses persécuteurs... Sous couvert de science pure et dure, un « chaos» intellectuel et pré-révolutionnaire préside-t-il donc aux réflexions des géographes sur le tourisme, quand on tente d'en faire la synthèse? Les étudiants sont-ils livrés à un « chaos» bibliographique? Nous nous interrogerons sur ce point dans nos quatre premiers chapitres, pour lesquels nous nous sommes bornés à quatre thèmes qui concernent particulièrement les géographes, à savoir l'approche scientifique du tourisme, le tourisme, le touriste, et les lieux touristiques. Mais nous souhaitons aller au-delà, et développer quelques réflexions sur des rapports possibles entre le tourisme, phénomène complexe, la géographie, et les théories de la complexité et du chaos. Il nous semble qu'il y a de ce côté des pistes à explorer. Prudemment, nous
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resterons à l'entrée du chemin, car nous ne tenterons de faire croire à personne en notre vocation subite et tardive de mathématicien suffisamment armé pour pénétrer les joies des fractales. Il n'empêche... Les pages qui suivent ne constituent donc qu'un mixage entre une sorte de compte-rendu critique, approfondi et élargi, de réflexions personnelles, de questions en suspens, de propositions éventuelles, particulièrement à partir de lectures qui nous ont fait réagir, mais sur un nombre de questions limité. Manière d'essai donc, non sans quelques visées épistémologiques, mais au ton libre, ni manuel, ni somme, ni traité, ni thèse, ni vulgate, ni théorie générale, donc sans prétention à dicter des points de vue ou des conclusions d'airain, obligatoirement un peu polémique, compte tenu du ton donné au « débat» initié, bousculant peut-être un peu les bousculeurs, mais sans intention de blesser quiconque, et où l'on s'efforcera de mettre en pratique la recommandation d'Isocrate: « le mot juste est le signe d'une pensée juste ». C'est d'idées et de pratiques touristiques dont nous voulons débattre, mais la nature interdisciplinaire de notre objet nous limite forcément et laisse ouvertes (ou fermées) bien des portes dont nous ne prétendons pas détenir des clés, même rouillées ou tordues. Cela ne porte pas pour autant préjudice à notre propos. Car, après tout, comme d'autres, nous avons aussi l'objectif, sinon la prétention, de réaliser un travail « doublement scientifique: en tant qu'autre discours sur le Monde, et en tant que critique des autres discours. C'est à ce prix que l'universitaire peut, aussi, être un intellectuel» (Équipe MIT, 2002, p. 296). Utinam p1l1chre procedamlls !
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Chapitre 1
De l'approche scientifique du tourisme
Qu'il faille approcher le tourisme, en matière de recherche universitaire, d'une manière scientifique, semble une évidence sur laquelle tous les chercheurs seront, a priori, d'accord. Il en découle la nécessité d'une approche rationnelle, rigoureuse, cherchant à s'approcher au mieux de l'établissement de connaissances les plus indiscutables possible. C'est à partir de là que les difficultés commencent. Quelle science? Ces exigences commandent, en effet, au préalable, de ne pas succomber aux croyances qui sont l'antithèse de la science. Première difficulté, dans un champ, le tourisme, où le chercheur peut difficilement ne pas être marqué par sa propre expérience, au moins à certains stades de sa recherche et sur certains thèmes. Or, il faut reconnaître - et nous ne dirons pas que nous-même n'y avons pas succombé à l'occasion - que les croyances en matière de géographie du tourisme sont beaucoup plus répandues qu'on ne le pense. Nous avons pu constater, pour l'avoir aussi éprouvé nous-même, que l'on a tendance à extrapoler comme vérité « scientifique» une conclusion tirée de ses propres expériences, mais dont rien ne prouve le caractère universel. Par exemple, quand on écrit: « Qu'est-ce qu'un beau paysage? Un paysage qui mérite d'être regardé, contemplé, admiré et, rapidement, reproduit et diffusé de manière à ce que sa représentation touche ceux qui ne l'ont pas encore vu » (Équipe MIT, 2002, p. 182). Phrase typique où se trouvent transposées des croyances, des opinions qui sont courantes peut-être en Occident, mais pas forcément ailleurs. Une foule de questions se posent, en effet, que cette phrase juge apparemment résolues: qu'est-ce que le « beau» ? Un paysage peut-il
« mériter d'être regardé », notion qui paraît ICI fort anthropocentrique? Et que doit-il « faire» pour « mériter », au nom de quoi méritera-t-il? Pourquoi sa reproduction serait-elle être liée à ce « mérite» ? Et pourquoi « rapidement» ? Un paysage dont la reproduction n'est pas diffusée ne peut-il être « beau» ? Sera-t-il moins beau si ce n'est pas « rapidement» ? Et pourquoi devrait-il toucher « ceux qui ne l'ont pas encore vu » ? Est-il obligatoire de le voir en étant touché? Personne n'a-t-il le droit de reproduire un paysage « laid », ou de trouver « beau» un paysage non reproduit, ou de ne pas être touché par un paysage réputé « beau », ou par un paysage laid? Depuis quand, et où, la mer ou la montagne sont-elles, éventuellement, « belles» ? Une mer en furie, la plaine d'Europe du Nord, le pôle Nord sont-ils toujours « beaux» ? Y-a-t-il des degrés dans le « beau» ? Quand on peut lire: « quand des touristes occidentaux regardent le Yang-Tsé, ils voient un fleuve; les Chinois voient un poème rempli d'idéaux philosophiques» (Sofield et Li, 1998, p. 367), et que l'on connaît l'avenir que certains prédisent à la Chine en matière touristique, on peut sans doute estimer que la dimension interculturelle du tourisme et sa compréhension peuvent difficilement échapper à ce genre d'interrogations. Discuter ces quelques questions offre probablement de quoi occuper plusieurs autres livres... Bref, on a ici un condensé de ces approximations, reposant sur nos croyances, opinions et pratiques habituelles, telles que le MIT les reproche à beaucoup d'auteurs comme non scientifiques, mais qui parsèment densément ses ouvrages. Il sera facile pour un lecteur attentif d'en relever à profusion. Sans doute même ce livre n'en est-il pas exempt, mais il ne prétend pas se poser en donneur universel de leçons. Comment y échapper totalement, d'ailleurs? « Cela fait longtemps que le savoir n'est plus seulement une arme de conquête: il s'est fait croyance... Cette croyance en un savoir qui apportera la liberté, la maîtrise, le bonheur, cette conviction que l'important est d'avancer, avec le progrès pour moteur, apparaît alors commune à tous, chez Comte, le père du positivisme, comme chez Marx» (Aubenas et Benasayag, 2002, p. 31-32). En matière de science, sans doute peut-on souscrire également à l'affirmation de Diderot, que l'Encyclopedia Universa/is rappelle en exergue, et qui « distingue deux moyens de cultiver les sciences: l'un d'augmenter la masse des connaissances par des découvertes; et c'est ainsi qu'on mérite le nom d'inventeur; l'autre de rapprocher les découvertes et de les ordonner entre elles, afin que plus d'hommes soient éclairés, et que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de 16
son siècle...». Même s'il y a encore, peut-être, quelques découvertes à y faire, il nous semble que l'étude du tourisme relève plutôt de la seconde posture, mais que l'ordonnancement évoqué s'avère encore bien rude. C'est tout l'intérêt de la tâche, qui permet à « chacun... selon sa portée» de joindre modestement sa petite lueur aux grands phares qui nous éclairent déjà. Au-delà (ou en deçà...) de ces deux orientations possibles, souvent conjointes et complémentaires, se pose aussi la question de savoir de quelle(s) science(s) l'on parle: science «dure» ou science « molle» ? Il ne semble pas que l'étude du tourisme puisse revendiquer le statut de science « dure », telles que les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie... Les sciences humaines et sociales sont généralement considérées comme sciences «molles », et on a parfois contesté, non sans raison, les appellations de « sciences économiques », « géographiques », «historiques », « politiques », «juridiques », etc., tant apparaissent difficiles à déterminer et connaître avec précision d'une façon « scientifique» les objets de recherche et les moyens maîtrisables et reproductibles d'en percer la connaissance. Comme on le verra plus loin, nous ne souscrivons pas à cette position, et considérons que l'étude du tourisme peut rentrer véritablement dans le champ d'études scientifiques, au moins par la rigueur dont elle doit tenter, avec un bonheur inégal, de faire usage. S'il est vrai que la progression de la connaissance se fait aux marges de ce que nous connaissons déjà, comment pourrions-nous affirmer d'emblée que ces marges sont connues et délimitées de façon sûre et certaine, sauf à tirer la conclusion de la recherche avant de l'avoir menée, et, ce faisant, à nier alors, indirectement, l'existence de marges nouvelles au-delà? Le postulat qu'il existe des marges au-delà des marges, et ainsi de suite, nous semble scientifiquement la seule attitude tenable, mais elle exclut du coup tout dogmatisme et tout positivisme, tout manichéisme réducteur, comme on aura l'occasion d'y revenir. D'autant plus que, même dans les sciences dites « dures », les aspects déterministes sont considérés avec de plus en plus de circonspection, comme le chapitre 5 l'abordera à propos des phénomènes complexes et de la théorie du chaos. L'on constate par conséquent que l'acception du terme « science» lui-même, qui conditionne ensuite l'étude même du tourisme, est loin de faire l'unanimité. Pour notre propos, nous adhèrerons à une conception de la science qui tâche d'allier rigueur et raison, sans prétendre aller contre les faits, même dérangeants, mais
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sans prétendre non plus ni connaître tous les faits, ni avoir toutes les clés de leur interprétation. Quelles sciences? Un fois posé le principe d'une étude scientifique du tourisme, de quelles sciences particulières usera-t-on? Il semble que l'étude du tourisme trouve assez naturellement sa place parmi les sciences humaines et sociales, même si les sciences dites naturelles ou biophysiques jouent un rôle dans l'étude de certains faits touristiques. On ne peut que souscrire au propos de J.-C. Gay, selon lequel « le milieu physique ne peut être négligé dans la mise en tourisme des îles intertropicales» (2000, cité dans Équipe MIT, 2002, p. 183), affirmation d'où l'on peut inférer qu'il n'y a pas de raison pour que cela ne soit pas la même chose dans d'autres espaces. Mais le tourisme penche-t-il plus du côté des sciences humaines, ou des sciences sociales? Pour certains, la « 'géographie du tourisme'... est désormais dans une impasse, à force de se répéter sans renouveler ses concepts et ses démarches et, en particulier, sans faire l'effort indispensable de les repenser dans le cadre d'une science sociale» (Knafou, 2001, p. 190). Mais le renouvellement n'est pas une fin en soi, non plus que la déconstruction systématique pour le plaisir de montrer qu'on est un brillant déconstructeur, et il n'est pas question de cultiver le sensationnel et la provocation gratuitement en prétendant que la géographie du tourisme n'a, en somme, rien compris jusqu'à présent de l'avenir lumineux qui s'annonce, à moins que, drapée dans son inconscience, elle n'ait pas vu venir la mort programmée qui l'attend. Et puis, s'agissant d' « une science sociale », de laquelle s'agira-t-il, à moins que l'on n'en fonde une nouvelle qui sera à la croisée des problématiques touristiques? On peut légitimement se poser quelques questions. Comme le dit J. Bonnamour, « noyer la géographie dans toutes les sciences sociales est-il plus important que de reconnaître sa spécificité en accord avec le développement de toutes les sciences humaines? » (2004, p. 82). Et si elle ajoute: « Pardon, l'adjectif m'a échappé, J. Lévy et Lussault parlent de sciences sociales. Est-ce significatif? » (ibid.), serait-ce aussi une simple question de génération? Cette noyade a de quoi, à juste titre selon nous, être redoutée par certains. Non sans une certaine dose de mauvaise foi, des auteurs donnent une définition caricaturale de la « géographie du tourisme
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(qui) fait comme si la géographie était la seule discipline compétente pour penser le tourisme et laisse de côté les autres dimensions» (Stock et al., 2003, p. 286). Effet de style plus facile à afficher pour se donner le beau rôle qu'à démontrer sérieusement, tous les géographes faisant précisément appel à autre chose qu'à un aspect purement spatial et réducteur pour tenter d'expliquer le tourisme. Même si l'on peut penser avec certains que « nous attendons... une science UNIQUE (une unité qui n'exclut pas la diversité des approches) » (Péguy, in Dauphiné, 2003, p. VI), on peut aussi estimer qu'on n'en est pas encore là, qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, que les disciplines, même s'ouvrant, ne sont pas interchangeables, et les spécialistes non plus, dans l'état actuel de la maturation intellectuelle scientifique et de l'organisation académique française. Certes, la formation continue et l'interdisciplinarité ont fait des progrès, mais on peut adhérer à la définition suivante de la géographie: « science qui traite de la manière dont les hommes habitent les lieux géographiques du Monde» (Stock et al., 2003, p. 4), sans pour autant aller jusqu'à partager l'intégralité des conclusions des auteurs, selon lesquelles « ce sont les touristes, les lieux touristiques ainsi que les rapports aux lieux des touristes qui deviennent centraux» (ibid.), formulant un peu différemment le point de vue émis par R. Knafou, déclarant prendre « le parti de construire, en géographes, une approche du touriste - au centre de notre réflexion -, puis une approche du tourisme, essentiellement à travers ses lieux» (in Équipe MIT, 2002, p. 6). Sans doute manquons-nous d'« ambition », comme on nous l'a déjà reproché (Knafou, 2001, p. 189), mais, à vrai dire, étudier le touriste comme centre de notre réflexion de géographe, cela nous effraie un peu: nous n'avons pas de compétences particulières en philosophie, psychologie, ethnologie, anthropologie, sociologie... qui semblent indispensables à une approche approfondie des individus digne de ce nom. La géographie ne peut-elle intégrer des apports de ces sciences tout en restant géographie? Ou doit-elle se fondre dans un melting-pot où, pratiquement, elle disparaît? On sait combien l'histoire a déjà largement empiété sur la géographie dans différents niveaux de formation, et combien les historiens qui enseignent la géographie ne le font pas toujours, pour parler clair, comme les géographes souhaiteraient que ce soit fait. Les questions d'environnement ont été largement appropriées par les spécialistes des sciences de la vie et de la terre, ce qui occulte plus d'une fois une approche réellement géographique. Or, constate A. Dauphiné, à propos de la géographie physique, les progrès réalisés ont 19
considérablement apporté à la connaissance des phénomènes naturels, mais « cet enseignement n'est plus dispensé par les géographes. La géographie physique progresse à pas de géant grâce à l'essor des géosciences. Or ce progrès est réalisé sans les géographes. L'engluement de la géographie humaine dans le pathos des 'sciences' sociales risque fort d'avoir le même effet» (2003, p. 230). Que la géographie apporte à d'autres sciences et réciproquement, c'est heureux et indispensable, qu'elle disparaisse dans un « pathos» serait sans doute regrettable. Et puis, comme le dit en substance Emmanuel Kant, rien ne vaut la géographie pour éclairer le bon sens. C'est un point qui sera repris un peu plus loin à propos de la « tourismologie ». Certaines de ces sciences sociales n'ont d'ailleurs pas forcément le caractère « scientifique» dont on se plaît à les parer comme d'un brevet de sérieux: « ni les psychologies, ni les sociologies, dont les territoires se chevauchent si souvent, ne peuvent prétendre au titre de sciences, parce que ni elles ni les discours apparentés ne savent dire ni décrire ce qu'est l'identité singulière ni le groupe collectif. Pis, ni les unes ni les autres ne peuvent nous apprendre ce qu'il en est de l'appartenance...» (M. Serres, in Authier et Lévy, 1996, p. 13). Question fondamentale aussi, parce que s'il n'y a pas identité, il ne peut y avoir altérité: « le concept d'identité ne peut pas se séparer du concept d'altérité» (J.F. Gossiaux, 1997, cité par Équipe MIT, 2002, p. 102). On y reviendra également. Quant à nous, nous considérons donc sans aucune espèce de gêne qu'il n'est ni déshonorant ni inapproprié de faire de la géographie du tourisme. Nous ne pensons pas que cela porte préjudice à une « approche géographique du tourisme », mais nous pensons qu'il s'agit de deux catégories d'approches différentes, complémentaires et aussi utiles l'une que l'autre. D'ailleurs, qui prétend que cette géographie fasse abstraction des apports des autres sciences humaines et sociales? Celles-ci sont évidemment indispensables. Le « bon géographe» français n'est-il pas aussi, au minimum, pétri d'histoire à la base? Pourra-t-il s'en passer dans sa géographie du tourisme? Bien sûr que non, mais pas plus que de sociologie, d'économie ou de marketing qu'il intègrera dans sa réflexion selon les besoins de sa cause. Et pour ce qui est d'une « approche géographique », expression que nous utilisions dès 1984 dans le sous-titre de notre thèse (Dewailly, 1985), nous ne voyons pas vraiment en quoi elle serait gênée par une géographie qui se revendique comme telle. Pourquoi ces deux types d'approches se disqualifieraient-ils l'un l'autre, alors qu'ils ont tous les deux leur 20
intérêt et leur utilité? D'ailleurs, que font largement, dans un ouvrage proposé aux étudiants comme manuel de référence dans une collection de « géographie », ces auteurs qui récusent eux-mêmes la géographie (Stock et al., 2003), si ce n'est une géographie qui, pour l'essentiel, n'est pas si éloignée de celle qu'ils traitent de si haut? D'autant plus que, il faut bien le dire, les exemples dont on dispose jusqu'à présent ne sont pas franchement convaincants. À l'aide de quelques exemples, on se permettra d'émettre quelques doutes sur la pertinence de certaines analyses, qui, au-delà de grandes phrases, n'entraînent pas une adhésion enthousiaste. Dire qu'un touriste, c'est « une personne d'une certaine complexité» (Équipe MIT, 2002, p. 139) semble un truisme applicable à n'importe quel individu, même non touriste. Affirmer que «pour l'ensemble des pays du Monde, la pratique touristique tient à deux critères: l'appartenance à un pays où le tourisme existe déjà, à une famille qui pratiquait déjà le tourisme» (ibid., p. 140) pose quelques questions dont on attend vainement les réponses: comment le tourisme apparaît-il, puisqu'il semble subordonné à une présence préalable, ce qui est contradictoire dans les termes? S'il n'y avait pas de tourisme dans le pays ou la famille, comment peut-on le voir apparaître, puisqu'il est censé être «déjà» là ? Comment le tourisme peut-il être un produit de la Révolution industrielle? S'il existe à cette époque, est-ce qu'il existait «déjà» avant? Si «l'apprentissage est à l'aune de la transmission des parents vers leurs enfants» (ibid., p. 139), comment les premiers parents ont-ils pu faire cet apprentissage? Jusqu'où remonter, et quelle valeur accorder à ces affirmations? Y-a-t-il une question du «big bang» touristique? Comment prétendre sérieusement: « la question de l'accès aux pratiques touristiques se pose finalement sous deux angles différents, celui de l'apprentissage et celui des médiations. Les deux montrent clairement que les pratiques touristiques sont des pratiques des lieux car l'accessibilité des lieux et l'accès aux lieux sont nécessairement liés à l'effectuation de la pratique» (ibid., p. 153) ? Celui qui souhaite avoir accès à un certain tourisme ne va-t-il donc pas se préoccuper des contraintes de finances, de temps, de famille, de santé... , à moins que nous n'ayons pas l'intelligence de saisir que ces aspects sont, cela va peut-être de soi, intégrés dans « l'apprentissage» ou dans les « médiations» ? Mais ce n'est écrit nulle part, et ce qui va sans dire va souvent mieux en le disant. Et quant à dire, en somme, que pour « effectuer» une pratique sur un lieu, il faut accéder à ce lieu, et donc qu'il soit accessible, cela semble une lapalissade qu'on n'aurait pas cru utile d'exprimer tant 21
que les individus n'étaient pas doués du don d'ubiquité. Sans compter que l'apprentissage peut induire de surprenants sauts qualitatifs et quantitatifs. Qu'on en juge : «de l'apprentissage de la randonnée dans la montagne française au trekking dans l'Atlas, dans l'Himalaya ou dans les Andes, le pas est vite franchi pour le pratiquant de la marche en haute montagne» (Équipe MIT, 2002, p. 136). On n'imaginait pas soit qu'il y eût si peu de ces randonneurs, soit qu'il fût si facile à un aussi grand nombre de se payer le voyage, le séjour en des lieux si lointains où se posent aussi des questions de santé. Tout cela, et bien d'autres remarques discutables du même style dont on pourrait aligner des pages, n'empêche cependant pas de déboucher sur une conclusion pleine de perspectives: « les touristes et les pratiques touristiques sont donc bien plus complexes (mot intéressant que nous retenons pour une perspective différente plus loin. Note JMD) que ne le suggèrent les analyses jusque-là proposées qui confinaient à une désespérante simplicité» (ibid., p. 155). Désolé d'avoir sans doute contribué à désespérer nos collègues, mais si les sciences sociales appelées en renfort de la compréhension du fait touristique, y compris dans son approche géographique, doivent en passer par ces analyses de bazar, non, merci, ça ne nous tente pas. Un dernier exemple: une photo (ibid., p. 159), présente la« pratique de la plage: l'enfant-alibi, lassé, s'est éloigné, abandonnant pelle et seau, mais le papa continue la construction du château ». Pour des auteurs qui s'en prennent vivement, on y reviendra, aux propos anti-touristiques de bon nombre de nos contemporains intellectuels, on peut s'étonner qu'ils ne mesurent pas combien les mots « alibi» et «lassé» comportent de connotations péjoratives: « alibi» pour des parents à qui une police touristique demanderait sans doute dans quel état d'esprit déplorable ils osent fréquenter la plage? Eux-mêmes n'ont sans doute pas le droit d'aimer y aller? Il leur faut un « alibi» : leur enfant. Quant à ce dernier, n'a-t-il pas le droit de se reposer, d'aller se baigner ou manger une glace, avant peut-être de se remettre à son jeu? Commentaire d'autant plus surprenant que sa tonalité contredit l'affirmation: «la construction des châteaux de sable continue de passionner les enfants et... la plage peut se suffire à elle-même» (Stock et al., 2003, p. 106). Cesser de pratiquer une activité, ce n'est pas forcément en être lassé. Alors, nous ne savons pas si nos analyses antérieures, et celles de bien d'autres, étaient d'une « désespérante simplicité» , mais les quelques exemples pris parmi beaucoup d'autres dans plusieurs ouvrages cités ne nous encouragent pas forcément à nous lancer, au nom d'une science supérieure mixant des bribes mal digérées de 22
sociologie, d'anthropologie, d'ethnologie et de savantes références philosophiques, dans d'autres d'une affligeante médiocrité, aussi respectables et riches fussent les intentions initiales, dont nous reconnaissons volontiers, d'ailleurs, qu'elles ne sont pas dénuées de fondements. L'interdisciplinarité et les « interfaces» ne doivent pas donner à penser que tout le monde sait tout faire. On a déjà tant de mal dans sa propre spécialité... Mais de grâce, « chacun son métier et les vaches seront bien gardées », même s'il est légitime et souhaitable d'élargir les marges du pré, ou d'en exploiter une partie en copropriété ou en coopérative. Cela dit, il Y a des gardiens plus géniaux que d'autres, nous en vivons tous les jours la triste réalité. Mais il y a peut-être plusieurs chapelles dans la cathédrale touristique, qui n'en prend, du coup, que plus de valeur pour ses visiteurs... Prétention à l'universalité Qui dit science dit, en principe, prétention à l'universalité, découverte de « lois» (encore que ce mot puisse bien prêter à discussion dans les conclusions, souvent assez relatives, qu'il recouvre en sciences humaines et sociales) concernant des réalités universelles et reproductibles. Tous les scientifiques tendent vers cette qualité, que ce soit n'importe quelle équipe de chercheurs, l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) dont la vocation est précisément d'arriver à unifier des concepts touchant au tourisme à travers le monde pour mieux mesurer les réalités qui y correspondent, nousmême ou bien d'autres. Pour souhaitable et légitime que soit cette aspiration, elle n'en pose pas moins de redoutables questions. Dans les sciences qui touchent à I'homme et à la société, chacun constate les différences de conceptions majeures qui affectent des groupes culturels et sociaux. Chacun ne met pas le même contenu sous les mêmes mots. Par exemple, la position de J.M. Hoerner semble ambiguë. S'il définit la tourismologie comme « une science pluridisciplinaire de synthèse plus appliquée que fondamentale» (2003, p. 13. Voir aussi 2003, p. 95), son « traité de tourismologie ... ne prétend pas être exhaustif sur les activités touristiques» (2002, p. 177) et, à la suite de l'Association mondiale pour la formation en hôtellerie et tourisme (AMFORHT) dont il est l'un des principaux responsables, il affirme sans ambiguïté: « nous primons le consommateur sur la nature de la clientèle », (sic. 2003, p. 95), ce qui est un choix parfaitement légitime mais qu'on a le
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droit de juger, non moins légitimement, un peu restrictif. Le MIT, de son côté, insiste beaucoup sur le fait que le tourisme repose essentiellement sur la recherche de l'altérité, qui conduit un individu à sortir de chez lui pour aller à la quête du hors-quotidien. Dans une large mesure, on peut souscrire à l'affirmation de cette double nécessité du déplacement et du hors-quotidien, dont certains aspects exigeront quand même plus loin une discussion plus approfondie. Mais le MIT, comme M. Boyer, soutient aussi que le tourisme est une création moderne, fruit de la Révolution industrielle, et correspondant donc à un contexte socio-économique circonstanciel qui l'a produit. Le terme est incontestablement moderne. Mais la pratique, elle, puisqu'il s'agit de « replacer l'individu et ses pratiques au centre de la réflexion» (Stock et al., 2003, p. 21), ne serait-elle pas anthropologiquement de tous les temps? La mise en cohérence des deux critères, mobilité hors quotidien et modernité, ne va pas sans poser des questions de fond. D'une part, la Révolution industrielle a été un phénomène essentiellement européen, qui n'est évidemment pas apparu partout en même temps en Europe, et qui a ensuite essaimé dans quelques pays hors d'Europe, notamment aux États-Unis. Il n'empêche que, même sans parler ici des questions de pure terminologie qu'on devra quand même réexaminer, il y a bien des différences entre les pratiques touristiques et ce qui les fonde entre les citoyens de nombreux pays. La recherche de l'altérité est-elle leur point commun? Mais même dans ce cas, on constate que le découplage du hors-quotidien n'est pas toujours aussi manifeste, comme le montre par exemple C. Aron (1999) à propos des vacances des habitants des États-Unis, et cela a d'évidentes répercussions sur la mise en tourisme, l'aménagement, la vente et la configuration des lieux touristiques. Ensuite, c'est en Angleterre que l'on peut peut-être observer la concomitance la plus nette entre « tourisme» moderne et Révolution industrielle. Serait-ce à dire que les circuits du Grand Tour antérieurs à la Révolution industrielle n'auraient pas été vraiment du tourisme, alors que ceux qui en furent contemporains (et Dieu sait s'ils furent nombreux, selon des spécialistes reconnus comme J. Towner (1996) pour qui le Grand Tour va des années 1540 à 1840) l'auraient été? Même si les pratiques internes au Grand Tour ont évolué en 3 siècles, on ne voit pas de raison fondamentale, qui, dans la nature même des faits étudiés, autorise à les ranger dans deux catégories en fonction d'un seuil chronologique. S'il faut, comme le MIT le souhaite, « définir le tourisme par les pratiques touristiques» (Stock et al., 2003, p. 21), au nom de quoi la limite entre ce qui est touristique 24
ou non serait-elle d'ordre chronologique? Nous pensons donc que la relation tourisme-altérité-lieux doit déjà être relativisée dans l'espace et dans le temps. Mais après tout, peut-être cela est-il l'objet de nos préoccupations communes, même si elles ne sont pas formulées de façon identique. Le chapitre 2 reviendra sur cette question fondamentale. D'autre part, de quoi parle-t-on quand on fixe le début du tourisme moderne à la Révolution industrielle? La notion de « précision» est déjà très relative quand on affirme: « le tourisme est né à un moment précis, le XVIIIè siècle» (Stock et al., 2003, p. 83). De quelle temporalité s'agit-il, et avec quel pas de temps, pour qu'un siècle entier soit qualifié de « moment précis» dans une histoire du tourisme que la plupart s'accorde généralement à reconnaître comme un phénomène moderne en comportant trois (environ) ? Les pays touchés par la Révolution industrielle ont d'abord fonctionné, en Occident, comme espaces à la fois émetteurs et récepteurs de tourisme. Mais les autres? Des pays comme la Grèce ou l'Égypte, destinations courues au XIXè siècle, n'étaient alors nullement touchés par la Révolution industrielle. Beaucoup de pays récepteurs n'ont jamais été ni industriels, ni touchés par la Révolution industrielle, ni même par un véritable développement économique, si l'on se réfère à beaucoup de pays de notre monde actuel où le tourisme joue un rôle important. Il y aurait donc à distinguer sans doute une typologie de pays (est-ce d'ailleurs l'échelle pertinente ?) où cette émergence des lieux touristiques corrèlerait son insertion, ou non, dans la Révolution industrielle, l'époque concernée, le caractère émetteur, récepteur ou mixte, et à que! degré. Beaucoup de diversité, sans doute, à en attendre, pour éviter des propos trop schématisés, et une piste de recherche pour un amateur. Le tourisme en Chine ou au Japon re!èvet-il de la Révolution industrielle, dans sa nature ou à un titre quelconque? Est-ce un tourisme d'une autre nature? Faudrait-il trouver un autre terme pour le désigner? Lequel? Dans quelle mesure les anciennes pratiques touristiques qui ont perduré, en s'adaptant évidemment plus ou moins, dans l'Ancien Monde sont - elles des catégories d'analyse pertinentes pour les nouveaux mondes? Un proverbe arabe dit, en substance, qu'en voyageant non seulement on se divertit, mais aussi qu'on fait progresser ses affaires et ses connaissances. Multifonctionnalité du voyage (touristique ?) qui relativise certaines visions, et à laquelle le MIT fait, curieusement, écho, quand il cite le proverbe africain « si tu n'as pas étudié, voyage» (Équipe MIT, 2002, p. 128), et alors que ses conceptions 25
restent très européocentrées pour une équipe qui aspire à leur diffusionl . Le « voyage» est-il en complète congruence avec l' « apprentissage» réclamé plus haut? En fait-il partie? Le remplace-til? Il y a plus. Si la recherche de l'altérité pour sortir du quotidien est aussi essentielle, si, « par cette combinaison liant déplacement et altérité, l'expérience touristique apparaît comme un moment d'une grande importance dans notre vie» (Équipe MIT, 2002, p. 102), au nom de quoi pourrions-nous prétendre que ceux qui se déplaçaient pour aller voir autre chose dans leur hors-quotidien, les Romains dans leurs villas, par exemple (Dacharry, 1991. Cf. ch. 2), mais d'autres au Moyen Age ou à la Renaissance, n'étaient pas des touristes? S'« il existe un véritable projet existentiel du touriste» (Équipe MIT, 2002, p. 102), comment pourrions-nous dénier aux Romains d'avoir eu un « projet existentiel» dans lequel ils auraient intégré ce déplacement à la campagne chère à Virgile? Autrement dit, le tourisme est-il le produit d'une époque, ou est-il, à la limite, un état d'esprit? A moins que les états d'esprit changent selon les époques, mais une telle analyse met en jeu des connaissances de sciences sociales d'ordre psychologique, sociologique, ethnologique que nous ne prétendons pas maîtriser. Si l'on touche à l'existentiel, on touche à l'Homme et à I'Humanité. Périlleuse entreprise. Car pourquoi donc, dès lors, limiter la recherche d'une altérité d'ordre touristique à l'apparition de la Révolution industrielle? Qu'il y ait eu alors un cadre socioéconomique qui a fixé des traits forts du tourisme moderne et de ses lieux, qui ont perduré, d'accord, mais si l'on récuse qu'il y ait eu tourisme avant cette Révolution, d'une part il faudra aussi le récuser en beaucoup de lieux après, d'autre part il faudra soigneusement peser ses mots (précaution superflue. Cela va de soi...) en fonction des lieux concernés. Cela marque l'ambiguïté et les insuffisances d'un terme comme «tourisme» , et on peut le regretter, mais c'est comme cela, à moins d'inventer de nouveaux vocables qui puissent faire rapidement l'unanimité, dans les mondes de la recherche, de l'enseignement, des professions et institutions « touristiques ». Bref, le propos du MIT oscillant entre universel et circonstanciel semble mal affermi sur ses
1 Observons que le même problème d'adéquation des mots et des réalités se pose dans bien d'autres domaines; quoi de commun entre l' «agriculture» néolithique et celle d'aujourd'hui, ou entre la « métallurgie» de l'âge du fer et celle que nous connaissons?
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bases, et, à trop vouloir prouver, ne prouve pas grand-chose. Cela ne veut pas dire qu'on ne progressera pas encore... Le piège des mots La légitime prétention scientifique à l'universalité se heurte aussi, dans son expression, à l'obstacle du langage. Les pages précédentes ont effleuré cet aspect des difficultés de la recherche. Il faut revenir sur certains aspects terminologiques. L'un a été évoqué plus haut, et concerne la substance même du tourisme: on sait que lorsqu'on change la lame d'un couteau, cela reste le même couteau, puis le manche, et c'est encore le même couteau, si bien que l'objet est toujours censé être le même alors que ses composants ont changé. Son « essence» est restée. Le tourisme est-il dans ce cas? Si oui, la situation est-elle suffisamment « grave» pour qu'on cherche à l'améliorer, et, le cas échéant, que faire pour y remédier? Une autre difficulté réside dans le fait de vouloir donner une valeur universelle à des mots ou des concepts intraduisibles ou inexistants. L'italien et le danois ignorent le mot « loisirs », l'allemand use de deux mots, avec une légère nuance, pour désigner aussi bien le tourisme que les loisirs/récréation, ce que le français ne fait pas, et sans préjuger ici de « récréation-recréation-recreation » qui appellera aussi un examen critique plus serré. Les concepts varient d'une culture ou d'une langue à l'autre, ils peuvent d'ailleurs manquer, et l'on est à la merci d'un faux ami. Un exemple typique en est l'utilisation du terme d' « industrie» touristique, sur laquelle il faudra revenir de façon plus explicite à propos de la définition du tourisme. Et pour un Libanais, un « chalet» n'est généralement pas autre chose qu'un appartement dans un grand immeuble de béton en bordure de mer. Un souci d'universalité véritable devrait donc conduire à explorer l'ensemble des concepts dont on veut parler, dans tous les lieux et à toutes les époques, à en déterminer le contenu, à leur trouver un équivalent acceptable dans diverses langues, voire même à les intégrer, fût-ce au prix d'une légère modification orthographique, dans la langue (ce qui n'est toutefois pas une garantie que le sens reste le même en passant d'une langue à l'autre). Les Allemands ont ainsi adopté « Tourismus » (à côté de Premdenverkehr), les Néerlandais « toerisme », les Espagnols, les Portugais et les Italiens «turismo », les Polonais « turyzm », les Suédois « turism »... et l'OMT s'efforce
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d'accorder tous les contenus induits par ces mots qui, chacun dans sa propre culture, ont existé avant qu'elle-même existe pour tenter d'en harmoniser les contenus. Cela pose la question du « flou» dans la définition du tourisme, question que le chapitre 2 abordera de plus près. A cela s'ajoute, en matière de terminologie, le danger des métaphores. Par exemple, « si on se mettait à penser rigoureusement le concept d'espace, on se demande où l'on pourrait aller chercher des remplaçants pour ces approximations si commodes que sont les métaphores spatiales et qui nous servent à penser, à parler du reste» (A. Lipietz, cité par Arnould et Mangin, 2000, p. 270). Nous pensons que l'on pourrait remplacer dans cette phrase le mot « espace» par celui de « tourisme» , et qu'elle n'en perdrait pas sa pertinence. Car, continuent les auteurs, qui sont géographes, « le discours de l'enseignant (et du chercheur, sommes-nous tenté d'ajouter. JMD) repose lui-même sur un champ de représentations plus ou moins clair, alimenté par ses connaissances, ses expériences, ses préjugés» (ibid., p. 270). Cela rejoint exactement nos réflexions ci-dessus à propos des croyances et opinions du chercheur, qui doit bien faire avec, aussi rigoureuse que soit sa démarche scientifique. Nous n'y échappons pas nous-même, avec et après tant d'autres, et on peut peut-être le regretter, mais il ne semble pas qu'il y ait moyen de s'en abstraire. Si le tourisme, comme on le pense généralement, est largement investi par les représentations, il est évident que celles-ci produisent des éléments de connaissance qui ne sont pas scientifiques en soi, parce que trop subjectifs, empreints d'émotions, de sensibilité, mais qui font aussi partie de la « connaissance ». Quand le MIT, entre autres, parle de «lieux touristiques (qui) ont caressé le projet» (Équipe MIT, p. 245), ou de « lieux touristiques à plaindre» (ibid., p. 249), il cède, par l'effet de métonymies stylistiquement acceptables, à un anthropomorphisme scientifiquement coupable, mais dont on l'absoudra volontiers en l'occurrence. La connaissance ne passe-t-elle que par un langage aseptisé, et dans quelle mesure cette exigence estelle scientifiquement acceptable et socialement praticable? Vaste question qui déborde du cadre de nos compétences sur laquelle d'autres, plus experts que nous en sciences sociales élargies, n'ont pas manqué de se pencher. Certains ont même proposé que l'on considère « the tourist as a metaphor of the social world» (Dann, 2002), et affirment que « more and more novel and associated metaphors are required which link the changing nature of the tourist to an ever mutable environment» (ibid., p. 13). 28
Comment prétendre en effet à une totale objectivité? Le chercheur en tourisme semble, plus que d'autres, devoir être victime de son implication dans son objet d'étude, à moins d'une vigilance extrême et, souhaitons-le, pas paralysante. R. Knafou remarque avec justesse que « chacun a été touriste, a accueilli des touristes ou les a côtoyés dans son environnement» (Équipe MIT, p. 5). Ce n'est pas le cas de tous les géographes dans leur spécialité, qui n'ont été ni agriculteur, ni industriel, mineur, pêcheur, transporteur, commerçant, banquier... et n'ont donc jamais été, pour ainsi dire, juge et partie dans leur recherche, encore moins s'il s'agit de géographie physique. Y-a-til un seul chercheur en tourisme qui n'ait jamais pratiqué le tourisme, et qui puisse faire totale abstraction de son expérience en ce domaine? L'interdisciplinarité On a déjà dit que quiconque s'intéresse au tourisme ne peut pas s'enfermer dans sa stricte discipline. Comment donc être « suffisamment» spécialiste dans un grand nombre de disciplines pour arriver à avoir du tourisme une vue assez compréhensive, prendre du recul, apprécier les transversalités nécessaires et faire écho, de façon convenable, aux sollicitations fréquentes dont le chercheur est l'objet de la part de la demande sociale? C'est une nécessité que chacun intègre comme il le souhaite dans sa démarche, et le consensus semble établi sur la nécessité d'études interdisciplinaires. Depuis longtemps, en effet, on admet que « tourism studies recognise no disciplinary boundaries », mais que « the close relationship between tourism and leisurefields» n'empêche pas que « the tourism and leisure fields are not co-extensive» (Faulkner et Ryan, 1999, p. 3). Ce fait a été reconnu depuis longtemps aussi parmi les chercheurs français, où les études de sociologues comme J. Dumazedier (1962), d'économistes comme J. Fourastié 1970), d'historiens comme M. Boyer (1972, 2000, 2005), de géographes comme F. Cribier (1969), ont tôt fait la différence, dans les années 1960-70, entre, par exemple, les vacances en déplacement et les vacances à la maison, les premières étant du tourisme, les secondes, nourries de jardinage, bricolage, lecture et autres activités domestiques, relevant des loisirs. Mais l'on peut s'interroger aussi pour savoir si le tourisme comme champ de recherche n'est que la somme de tous les apports disciplinaires additionnés, ou s'il est plus que cela. Dans ce cas, il serait « a discipline in is own right»
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(Faulkner et Ryan, p. 4), ce dont nous discuterons de nouveau plus loin. Pour le moment, on observera simplement, parlant de l'interdisciplinarité, que si l'on veut intégrer en une discipline les apports de celles qui sont actuellement reconnues et utiles pour l'étude du tourisme, il serait sans doute nécessaire d'intégrer l'ensemble des paradigmes sur lesquels reposent ces différentes sciences, ce qui est loin d'être fait. Mais peut-être la « géographie du tourisme », voire la géographie tout court, sont-elles en train de changer de paradigme, ce qui mériterait alors d'être creusé et explicité? Comme le dit R. Brunet, « prendre conscience des changements de paradigme éviterait de faux débats sur les méthodes et les concepts» (1993, p. 265). Du coup, peut-être sommes-nous en train d'alimenter un « faux débat », mais si nous contribuons à une prise de conscience, pourquoi s'en plaindre? Mais où s'arrêter, compte tenu du caractère très ouvert du tourisme, qui conduit à faire appel à des disciplines de plus en plus nombreuses? Déjà, un lecteur français ne peut manquer de s'étonner en constatant la présence, dans un atlas consacré au tourisme et aux loisirs en Allemagne, d'un chapitre consacré au thème « polluants atmosphériques et récréation» (Becker et Job, 2000, p. 136-139). Il devrait pourtant nous être évident que le touriste a le droit de savoir quel air il va respirer dans ses déplacements, comme le pavillon bleu le rassure sur la qualité de l'eau où il va se baigner. Cela ne nous semble pas étranger à une approche géographique du tourisme. La psychologie et la médecine humaines ont aussi quelque chose à voir avec le tourisme, mais on peut se demander si bientôt, au nom d'une part de la vision la plus large possible des différents « visiteurs» des lieux touristiques et de leur prise en compte pour un meilleur aménagement, et d'autre part des « droits» des animaux, on n'en viendra pas à devoir considérer de plus près la psychologie animale et la médecine vétérinaire dans des situations inattendues. Ce n'est pas que ces disciplines soient absentes de la gestion des parcs naturels ou des zoos, hauts lieux touristiques, mais elles induisent encore une nette séparation entre l'homme et l'animal dans le traitement des individus et la gestion des espaces qui leur sont alloués. Or, certains commencent à s'en émouvoir. Un géographe néo-zélandais, par exemple, a étudié la « discrimination» sur les lieux touristiques entre
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les chiens et leurs propriétaires2. Ses enquêtes l'ont amené à demander aux propriétaires de chiens comment ils perçoivent les « sentiments» ou « émotions» (<
d'une
nouvelle
science,
la
Les questions ci-dessus convergent naturellement vers celle de la naissance d'une nouvelle science, qui pourrait s'appeler la « tourismologie » . Les géographes ont été parmi ceux qui ont investi les plus nombreux et le plus anciennement, depuis plus de cinq décennies, et avec une intensité croissante, le champ du tourisme, aussi bien en France qu'à l'étranger, ce qui donne à leur discipline un certain poids dans ces études, d'autant plus qu'il s'agit d'une discipline a priori très importante pour la prise en considération des phénomènes touristiques à toutes les échelles, qu'il s'agisse des flux, des espaces touristiques 2
Neil Carr, communication au colloque de la Commission Tourisme, loisirs et changement global de l'Union Géographique Internationale, XXè Congrès, Loch Lomond - Glasgow, 14 août 2004.
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de toute sorte ou du rôle du tourisme dans l'organisation des territoires. Observons d'ailleurs que c'est grâce à tous ces travaux, même inégaux, que les chercheurs actuels, seuls ou en équipe, peuvent maintenant proposer les synthèses auxquelles nous réagissons. Ce développement des études touristiques a vite fait prendre conscience aux géographes, et aux autres aussi, qu'elles ne pouvaient revêtir leur vrai sens que si elles s'ouvraient à d'autres disciplines que la leur, comme on l'a expliqué ci-dessus. L'évidence de la complexité du phénomène touristique a donc émergé peu à peu, et les disciplines universitaires ont donc franchi des limites disciplinaires pour pouvoir bénéficier des apports des autres disciplines, sans s'ériger pour autant comme spécialistes dans ces dernières. Dans le même temps, le monde professionnel, constatant l'essor prodigieux du tourisme depuis quelques décennies, mais aussi sa complexification croissante liée à la diversité d'une demande de plus en plus multiforme, a accueilli avec satisfaction l'arrivée de diplômés qui avaient du tourisme une vision moins simpliste que beaucoup de leurs aînés, et cherchaient à pratiquer et à vendre un tourisme « de plantation» plutôt que « de cueillette ». La demande ne cessant de croître, on a vu se multiplier une offre de formations supérieures spécialisées et souvent très pointues, tandis que les travaux de recherche, répondant à une demande sociale ou non, se multipliaient à un point tel que bien malin est celui qui peut prétendre en maîtriser la connaissance. Mais les formations spécialisées sont souvent ambiguës. C'est en « tourisme» qu'elles affichent une spécialisation, pas dans les différentes disciplines existantes. Et selon les lieux, les responsables, les circonstances, elles penchent plutôt vers la géographie, l'économie, la gestion, le droit, l'aménagement, l'hôtellerie..., chacune ajoutant, en plus de sa spécificité propre, quelques doses ou pincées d'autres disciplines qui cimentent le tout autour de la notion de tourisme. Tout cela est loin d'être inutile. Mais, paradoxalement, ce qui passe alors pour spécialisé par rapport aux disciplines académiques traditionnelles (lettres, langues, histoire, géographie, droit, sociologie, économie...), ne l'est pas réellement pour le tourisme, puisqu'on se trouve précisément obligé, faute de moyens divers, de choisir certains aspects touristiques sur lesquels on met l'accent, alors qu'une perspective de formation authentiquement touristique devrait au contraire s'ouvrir largement sur l'ensemble des disciplines qui concourent à l'étude du fait touristique. Or, il semble actuellement impossible d'embrasser tout le champ touristique, compte tenu de son ampleur, de ses spécialisations internes 32
(nonobstant les querelles intra- et interdisciplinaires que cela suppose...), des courants liés à des aires culturelles, des pays ou des personnes, et qui ont tous quelque chose à apporter. Certains en viennent même à redouter que le tourisme n'éclate en 3 courants, le tourisme proprement dit (transport et «réceptif », c'est-à-dire hôtellerie-restauration), la géographie du tourisme et le secteur gestion-business3. Pour éviter cet éclatement, et tenter de surmonter les tensions liées à une multidisciplinarité mal maîtrisée, certains préconisent la création d'une nouvelle science. Dans deux ouvrages récents (cf. note 1 de l'introduction), et à la suite de plusieurs articles (par exemple, Origet du Cluzeau, 2000), le géographe J.M. Hoerner s'est affirmé comme le tenant le plus engagé de cette position, a proposé, et utilise largement, avec d'autres, le terme de « tourismologie ». Ce n'est pas le terme que nous discuterons, puisqu'il semble logique par rapport à l'objet d'étude qu'il s'assigne, et qu'il fait écho à «tourismology » que l'on a pu croiser à l'occasion dans des publications anglosaxonnes, sans que l'on sache d'ailleurs forcément très bien ce que recouvre le mot, mais son contenu. Car du coup, la «géographie du tourisme» passe aussi à la trappe, ce qui n'est pas sans susciter quelques réactions en retour (GDR CNRS, 2001). D'un côté donc, la géographie du tourisme disparaît dans un grand ensemble de sciences sociales, auxquelles elle est quand même autorisée à apporter son « approche géographique ». Il est heureux que tous les champs d'étude des géographes ne procèdent pas de la sorte, car y aurait-il encore, en fin de compte, assez de « géographie» discernable dans chacun pour qu'il y ait une géographie, ce qui pourrait à son tour menacer l'existence même d'une « approche géographique» ? Mais après tout, on peut vivre sans géographie académique... De l'autre côté, la géographie du tourisme se fond dans une « tourismologie » qui est peut-être une voie de sortie par le haut des embarras que nous ont révélés les analyses du MIT. Ayant déjà largement parlé de la première issue, voyons de plus près ce que nous propose la seconde. Dans son Traité de tourismologie (Hoerner, 2002), l'auteur, qui se dit en « colère» mais vouloir aussi « se faire plaisir» (p. 42) (s'agit-il de sentiments bien de mise pour faire naître une science et en discuter, quelle qu'elle soit ?), et ayant constaté que le tourisme est « à 3 Intervention de Michaël Hall, président de la Commission changement global de l'UGI, lors du colloque cité en note 2.
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Tourisme,
loisirs et
la croisée des sciences» (ibid., p. 17), exprime l'urgente nécessité qu'il y aurait, selon lui, à créer une « science touristique (qui) étudierait donc tout ce qui est lié au voyage» (ibid., p. 42). Il faut convenir qu'il présente quelques arguments de poids, sur lesquels nous le rejoignons en grande partie, mais qui ne nous conduisent pas forcément aux mêmes conclusions. Bien que rangé sans équivoque dans la catégorie des « béotiens savants... chercheurs camouflés sous l'édredon ouaté de la suffisance, ... de leur bêtise» (ibid., p. 6), des « prétendus experts...(ayant une) propension à s'installer dans leur tour d'ivoire» (ibid., p. 46-47), risquons une timide sortie pour discuter de la tourismologie de façon, souhaitons-le, rationnelle et raisonnable. Le tourisme est devenu tellement important dans le monde et concerne tant de « spécialités» que d'une part on ne peut plus le considérer comme un sujet d'étude futile, comme trop ont encore tendance à le croire, et d'autre part, un seul spécialiste ne peut guère prétendre à une approche satisfaisante et suffisamment compréhensive des faits touristiques s'il ne fait pas appel à des apports ou conclusions de spécialistes d'autres disciplines académiques que nous appellerons par commodité « traditionnelles» , d'un point de vue chronologique mais sans connotation péjorative. Tout le monde semble donc d'accord sur le caractère interdisciplinaire du tourisme, sans d'ailleurs aller jusqu'à considérer que toutes les branches de la science y auraient la même utilité (voire une utilité tout court: faut-il y intégrer des éléments de géographie physique, par exemple, ou de médecine, pour des problèmes touchant au bien-être et à la santé du touriste, personnage qui, pour certains, se trouve « au centre de l'approche géographique du tourisme », par exemple ?). Ensuite, les formations professionnalisantes universitaires en tourisme se sont, et heureusement, beaucoup développées depuis deux décennies, mettant en contact des professionnels et des enseignants-chercheurs, dont, des deux côtés, elles contribuent à élargir les horizons de réflexion en faisant éclater des approches trop essentiellement théoriques ou empiriques. On peut considérer qu'il y a eu fécondation réciproque, ce qui montre bien qu'il y avait un double besoin, même s'il n'était pas toujours explicite. Beaucoup reste d'ailleurs à faire sur cette voie, et la tourismologie serait-elle une réponse à cette exigence? Car il est vrai également que le recrutement d'enseignants-chercheurs répondant aux besoins de ces filières professionnelles pose aussi un problème, compte tenu des modes actuels de recrutement dans les universités. Comme J.M. Hoerner et d'autres le font pertinemment remarquer, il 34
n'y a pas de section «Tourisme» au Conseil National des Universités (CNU) qui contrôle les recrutements. Mais la présence ou l'absence d'une section CNU est-elle la pierre de touche indiscutable de l'existence d'une « science» 7 D'un pays à l'autre, les cloisonnements scientifiques des institutions doivent être bien différents, ce qui n'empêche pas les spécialistes de thèmes émargeant à des « spécificités» nationales de se retrouver et de se comprendre. Le fait qu'il y ait deux sections du CNU en histoire sanctionne-t-ill'existence de deux « sciences historiques» selon les périodes 7 Il n'y a pas si longtemps que les « géographes» peuvent se répartir entre une section « géographie» et une autre « aménagement et urbanisme» (qui ne sont d'ailleurs pas forcément des « sciences »). Même chose en médecine, en sciences physiques, chimiques, de la terre ou de la vie. Tous ces découpages, pour nous, ne procèdent que de l'histoire nationale du développement des sciences, du poids des personnalités impliquées selon les périodes ou les champs à explorer, des circonstances générales et particulières, de la nécessité de gérer au mieux des personnes et des cursus, mais ne fondent en rien l'existence de « sciences» que leur intitulé consacrerait. S'il faut donc, - entre parenthèses, car nous n'avons pas vocation à proposer une réforme du CNU, ni ici, ni ailleurs, - créer des commissions de recrutement adaptées, rappelons simplement que des commissions interdisciplinaires mixtes existent déjà dans de nombreux cas, et qu'on pourrait donc en faire fonctionner pour le tourisme, en réunissant, de façon équilibrée, des scientifiques de différents champs reconnus concerner fortement le tourisme. Nous sommes persuadé qu'il y a là une voie possible, qui peut être souple tout en étant juste, équitable et scientifiquement acceptable, et dont nous ne pensons pas qu'elle ait été explorée jusqu'à présent. Elle pourrait d'ailleurs être une étape vers la constitution d'une « science» digne de ce nom. Cette proposition montre en tout cas que, comme J.M. Hoerner, nous sommes persuadé qu'il faut, en tourisme, des experts évalués et recrutés par d'autres experts dans un cadre pluridisciplinaire. Pourtant, il y a quand même un paradoxe à déplorer que le tourisme, pluridisciplinaire par essence, ne parvienne pas à imposer ce caractère aux sciences ayant pignon sur rue, et, dans le même mouvement, à lui proposer de s'en séparer, de s'en autonomiser pour pouvoir mieux en juger, entre experts déjà autoproclamés «tourismologues ». Les sections du CNU ont parfois tendance à fragmenter d'une façon très (trop 7) poussée certains champs, parce 35
que, sans doute, l'évolution de la science conduit à des objets de recherche de plus en plus pointus. La tourismologie propose le contraire. Mais nous sommes alors très sceptiques, car quand on voit la masse de « spécialités» qui concourent aux études touristiques, on peut sans doute légitimement douter qu'un « tourismologue » parvienne à les maîtriser toutes suffisamment, ce qui renvoie dès lors à la situation actuelle obligeant à des spécialisations, mais ouvertes, de telle sorte que des avis pertinents ou des recherches appropriées puissent être produits. On n'est d'ailleurs pas convaincu que la tourismologie dans sa « bulle» du CND serait mieux considérée que le tourisme en tant que science, car à vouloir être spécialiste de tout, on n'est spécialiste de rien, et il ne faut pas confondre synthèse et accumulation de connaissances. Et puis un autre point de fond nous pose problème, précisément, en rapport avec ces craintes. Quand il est affirmé que «l'industrie touristique et les voyages forment un tout, fractionné en sous-ensembles qui ne sortent jamais de l'ensemble qu'ils constituent » (ibid., p. 14), nous sommes en désaccord complet avec un tel propos. D'abord, constatons qu'il est totalement contradictoire avec la dernière phrase de la conclusion de l'ouvrage, où l'auteur déclare ne pas s'étonner « que (la tourismologie) ait été imaginée par un géopolitiste, qui ne peut concevoir cette nouvelle science à l'écart de la problématique des hommes au sein de tous leurs territoires, y compris dans celui très vaste de la 'mondialisation' » (ibid., p. 179). Comment peut-on revendiquer à la fois l'étude du tourisme dans un tel courant mondialiste et humaniste, et en même temps dire que le tourisme est un secteur qui, en substance, ne regarde pas les nonspécialistes? Cela signifierait-il que le tourisme « ne sort(a)nt jamais de l'ensemble qu(e l'industrie touristique et les voyages) constituent» ne s'intéressera pas aux autres problèmes socio-économiques, politiques, environnementaux du pays, la faim, le sida, l'eau, la démocratie? Cela trahit exactement notre appréhension du précédent paragraphe: les études sur le tourisme vont-elles s'ouvrir ou se fermer, rester ouvertes ou se mettre en bulle? Essayer de faire comprendre, à travers le tourisme et au service du tourisme, l'ensemble d'un système où il n'est qu'un élément, ou avoir les yeux fixés sur la rentabilité d'un business, et quelles que soient les légitimes prétentions des professionnels? Ces prémisses exposées, il faut reconnaître que le « précis» présentant« la science du tourisme» (Hoerner et Sicart, 2003) n'a pas apaisé nos craintes. On pouvait penser que, enrichi en outre d'une 36
discussion avec l'OMT sur des questions de concepts et définitions, il viserait à affiner et compléter l'ouvrage précédent, ou au moins à exposer une pensée plus ferme, plus décantée, posant des bases solides pour une construction en cours, qui pourrait, après tout, être convaincante... Lecture faite, on doit constater qu'il n'en est rien. Les 5 chapitres qui composent l'ouvrage se présentent sous des titres qui sont presque toujours des binômes, sauf un qui concerne « l'industrie touristique », expression qui sera discutée au chapitre 3. En attendant, les auteurs avouant devoir être « très déçus que d'autres chercheurs... ne réagissent pas à (leurs) propositions» (ibid. p. 15), réagissons d'abord en confessant qu'il nous a paru étrange qu'ils exposent dès l'introduction: « nous essayerons de mieux comprendre la complexité de l'industrie touristique» (ibid., p. Il), mais qu'ils attendent le chapitre 4 (qui est aussi l'avant-dernier) pour définir l'objet de leur recherche: « l'industrie touristique ». Les quatre binômes constituant les titres des autres chapitres, « la distance et les frontières », « la durée et les séjours », « la gestion et les voyages », « les voyageurs et les touristes », font ressortir des mots-clés majeurs tant pour le tourisme que pour son approche géographique, voire sa géographie, ce qui met d'ailleurs bien en évidence son caractère pluridisciplinaire. Le moins que l'on puisse dire est, quand même, qu'en dépit de son titre, ce « précis» est assez imprécis pour qu'on n'ait guère les idées claires sur ce qui constitue vraiment l'objet d'étude de la tourismologie, comment ses composantes s'articulent dans l'espace, dans le temps et dans les sociétés, sur la façon dont on doit (ou devrait) scientifiquement s'y prendre pour mener une étude avec les concepts, définitions, méthodes, sources, outils... appropriés. Le lecteur est assez démuni, au bout du compte, pour savoir par où et comment commencer, et se demande ce qu'est le tourisme, comment il fonctionne, et comment on fait pour l'appréhender. Certes, une nouvelle science a sans doute droit à des hésitations et des balbutiements, mais n'est-ce pas justement une raison supplémentaire pour redoubler d'exigences conceptuelles et méthodologiques, a fortiori quand on proclame qu'elle est née et qu'on en est l'accoucheur? Mais quand on veut ainsi embrasser tout ce qui touche au tourisme, le propos part dans toutes les directions, avec un certain déficit de construction cohérente et d'argumentation convaincante, quoi qu'en disent certaines pétitions de principe: « 100 000 visiteurs annuels sont une bonne norme» pour définir un « grand site» ou un « grand monument» , mais on ne sait ni pourquoi, ni si ce nombre s'applique à toutes les catégories de grands sites et de 37
grands monuments (ibid., p. 26) ; « la sensibilisation au tourisme durable, qui voudrait substituer une vision morale à l'arsenal juridique ne pourra aboutir que dans le cadre mieux défini de l'industrie touristique» (ibid., p. 27 ), et tant pis pour ceux qui pensent que ce n'est pas forcément l' « industrie» ou pas qui fera atteindre ce genre d'objectif; « la notion de pôle touristique reste très classique, puisqu'il s'agit de confirmer une vocation» (ibid., p. 28) ; « pour conclure cette partie prospective, que nous avons choisi (sic) à bon escient, le tourisme intrarégional devrait se tasser d'ici à 2020 » (ibid. p.52). Alors, ainsi que d'autres l'ont fait remarquer, « comme toutes les autres sciences, la géographie n'a pas d'objet propre» (Dauphiné, 2003, p. 26), c'est-à-dire qui lui soit propre en exclusivité. Et le même auteur de citer le géographe Emmanuel de Martonne qui, en 1909, écrivait: «croire que les sciences peuvent être considérées comme ayant un objet distinct est une conception qui n'est plus en harmonie avec les progrès des sciences modernes» (ibid.). Il ne semble pas que le tourisme puisse être revendiqué par une branche unique de la science plus que ne peuvent l'être la ville, la politique, le paysage, le transport ou la santé. Rien n'empêche le géographe de se saisir de ces objets de recherche, et d'enrichir son approche par des apports empruntés aux autres sciences. C'est d'un regard diversifié et interdisciplinaire que naîtra une richesse qui nous semble risquer d'être moindre dans le cadre d'une « discipline» se drapant dans sa majesté. L'agriculture peut être étudiée par des pédologues, des botanistes, des économistes ou des géographes, comme le tourisme peut être étudié par toutes sortes de chercheurs plutôt que de devenir un objet réservé à une catégorie de spécialistes. Cela ne nous semble pas contradictoire avec le souhait des tenants de la tourismologie de voir le tourisme reconnu comme un objet de recherche sérieux et spécifique. On est donc, de la part des « géographes du tourisme» à propos desquels on a développé quelques réflexions, en présence de deux conceptions assez différentes. L'une est complètement intégratrice du tourisme dans une science nouvelle attachée à l'étude de l' « industrie touristique» . Nous en soulignons des limites, à notre sens dommageables. Cela dit, si cette science doit émerger, et notamment grâce aux progrès qui pourraient être faits aussi par des auteurs anglo-saxons chez qui le débat existe aussi (Ryan et Faulkner, 1999), elle émergera. Nous n'en serons pas désolé a priori. Mais d'une part la situation en France n'est sûrement pas encore mûre, et il nous 38
semble prématuré et prétentieux d'affirmer qu'une science du tourisme a déjà émergé. D'autre part, même si cette science devait s'affirmer, elle n'échappera pas, dans ses analyses, à l'exigence de maîtriser les concepts, méthodes et outils qui sont actuellement au cœur des recherches disciplinaires « traditionnelles» quand elle entendra traiter de sujets actuellement pris en charge par ces disciplines. Pour être plus clair, par exemple, c'est le géographe, ou celui qui maîtrisera assez la géographie, qui pourra concevoir et réaliser le mieux une carte, voire même la commenter. Et inversement, ce n'est pas le géographe qui sera le mieux placé pour effectuer la meilleure analyse du tourisme dans les comptes de la nation. L'autre conception pousse à noyer la géographie du tourisme dans un «pathos» où le géographe ne sent pas forcément à l'aise. Appeler à la rescousse l'ensemble des sciences sociales (pas toujours faciles à distinguer des sciences humaines) pour dire que l'on va enfin comprendre le tourisme en mettant le touriste au centre de son approche expose aussi, selon nous, à des dérapages réels. Comment le géographe pourrait-il maîtriser les outils de base de l'ensemble de ces sciences? Est-ce sa tâche de décortiquer la psychologie, la sociologie, l'anthropologie du touriste? Est-il formé à «sonder les reins et les cœurs» des individus, ou l'organisation des espaces, lieux et territoires? Bien entendu, il ne peut pas comprendre ceux-ci sans recours à ceux-là, mais il s'agit de ne pas intervertir les objets de recherche, ni les priorités assignées aux différentes sciences. Il a donc à faire appel à ces sciences, et à contribuer aussi d'ailleurs, en retour, à leur enrichissement. Mais s'il ne fait pas aussi de la « géographie », qui le fera, et comment les autres sciences, précisément, seront-elles à même de profiter d'apports qui risquent de s'étioler, la« géographie» perdant alors en approfondissement spécifique ce qu'elle gagnera, ou semblera gagner, en extension? Peut-on concilier ces deux exigences au sein d'une « géographie approchant le tourisme» de façon ouverte et pluridisciplinaire? Nous en doutons, mais l'on sait que nous manquons d' « ambition» ... Bref, et malgré tous les guillemets qu'une équipe de chercheurs peut délivrer ironiquement à la « géographie du tourisme », il nous semble n'y avoir aucune raison réellement convaincante ni de plaider pour son effacement, voire sa disparition, ni de croire que l'étude du tourisme se portera mieux quand cette géographie ringarde aura rendu, enfin !, les armes. Avec plus de prudence et moins de précipitation, on pourrait d'ailleurs éviter les multiples contradictions qu'étalent les ouvrages étudiés, et dont le MIT offre l'exemple le plus éclatant. Cette équipe 39
déclare « refuser la confusion ambiante », trouver les « définitions officielles insatisfaisantes », « la durée de séjour: un critère de définition insuffisant », « le motif de séjour: un critère qui aboutit à des classifications contestables », et se plaint que « l'idéologie l'emporte sur le scientifique» (Stock et al., p. 10-19), ce qui la conduit, logiquement, à récuser les définitions de l'OMT et des organismes officiels, ainsi que les travaux de ceux qui utilisent une « définition du tourisme... éludée au profit d'une multiplication de qualificatifs, accolés au mot tourisme, qui ne permettent pas plus d'en approcher la nature» (ibid., p. 17). Et de dénoncer ceux qui, « après avoir constaté que la question était épineuse, renoncent à toute définition, se contentant, finalement, de renvoyer aux définitions officielles, bien que les ayant, auparavant, invalidées» (Équipe MIT, 2002, p. 7). Or, que fait justement ce second ouvrage de l'équipe en question? Après avoir passé son premier chapitre à invalider toutes les définitions existantes, il en développe 6 autres où il utilise à profusion une quantité de chiffres et de statistiques précisément établis sur la base de ces définitions! Et il ne semble même pas s'être rendu compte de cette contradiction flagrante. Une attitude vraiment scientifique aurait dû conduire à dire: « nous contestons tout ce qui existe, et nous allons nous en expliquer. En attendant, ce premier chapitre est donc aussi le dernier, car nous ne disposons pas d'outils satisfaisants qui répondent à nos exigences pour être intellectuellement cohérents ». Et la lecture du livre met constamment le lecteur en porte-à-faux face à ce double langage: comment parler des lieux touristiques, puisqu'on ne saurait dire, pour le moment, si les touristes en sont vraiment, si ce sont des visiteurs en excursion, des «touristes d'affaires », des pèlerins, des sportifs en déplacement... toutes catégories recensées par les monuments, les structures d'accueil, les institutions... de façon insuffisamment différenciée. Que deviennent la côte normande, la côte sud de l'Angleterre, la côte belge si on on exclut toutes les pratiques de loisirs et leurs conséquences dans l'organisation de l'espace? Que seraient Paris, Londres ou la Côte d'Azur sans le tourisme d'affaires? On a beau vouloir chercher «le touriste» pur et dur, comment le trouver, l'identifier, saisir sa ou ses véritables motivations, terme, d'ailleurs, que le MIT récuse aussi, et auquel il préfère « activités, notion plus riche que celle des simples
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'motivations' » 4 (Équipe MIT, 2002, p. 119. Cf. ch. 3) ? Et tant qu'on ne l'a pas trouvé, mesuré, ausculté avec certitude, comment peut-on gloser à perte de vue et avec tant d'assurance sur les lieux qu'il fréquente, au motif, qu'étant géographe, c'est sur eux que l'on peut développer un discours différent? Ce n'est pas tout de dire que « les définitions officielles et les comptages statistiques... ne sauraient satisfaire les chercheurs» (Stock et al., 2003, p. 17), il faut ensuite en tirer les conséquences pour la recherche, sinon les auteurs délégitiment eux-mêmes leur discours, ce qui apparemment ne les gêne pas. Et ces lieux, seront-ils encore « touristiques» quand on les aura débarrassés de tout ce qui les squatte indûment, clandestinement peut-être, sous prétexte que des statistiques trop complaisantes y auraient laissé entrer des parasites? Posture d'autant plus invraisemblable qu'elle semble inconsciente: on démolit tout, puis, pour les besoins d'un ouvrage, d'un discours anticonformiste au nom de la modernité face aux idées dites reçues, d'une place à occuper peut-être, on fait comme si tout était encore bâti. Mais dans ce cas, quand on joue la pièce devant des décors derrière lesquels il n'y a rien qui tienne, c'est de cinéma qu'on parie, ou d'idéologie, et pas de science. D'un point de vue strictement scientifique, donc, et conformément à ses propres exigences, le second ouvrage du MIT (Stock et al., 2003) s'arrête à la page 32 : tout ce qui est après n'existe scientifiquement pas; tout ce qui est avant, on en discute au nom du débat scientifique... Et ainsi, on peut réellement construire sur du solide. Car on ne peut s'empêcher de penser que sur ces prémisses mal assurées, ont été échafaudés des discours grandiloquents dont l'emphase ne saurait masquer totalement la vacuité, mais que l'on présente comme le fondement d'une approche scientifique du tourisme qui serait le parangon des études géographiques à venir. Affirmer: « le tourisme participe à la construction du Monde: les lieux du tourisme sont bien des lieux du Monde» (Stock et al., 2003, p. 276) relève d'un truisme qu'on n'aurait pas imaginé trouver dans un ouvrage de cette ambition. Qui a jamais prétendu que le tourisme relevait de l'extra-terrestre? Ou qu'apporte le passage suivant: « le Monde les traverse (les lieux) autant qu'il y est présent...On ne peut 4 Remarquons au passage comment le qualificatif de « simples» disqualifie le terme qui suit... Un touriste digne de ce nom, et sur lequel est centrée toute l'étude du tourisme, ne saurait avoir de « simples motivations »... Mais le lui a-t-on demandé, au moins? Ou en a-t-il de complexes?
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penser le tourisme comme l'agent d'un Monde contre les lieux, voire l'inverse (sic), mais bien comme l'un des processus participant à la construction réciproque, à la co-constitution donc, des lieux et du Monde. De lieux qui portent, en partie du moins, les qualités du Monde dont ils procèdent. D'un Monde qui, réciproquement, existe par les lieux qui le constituent... Pour la part qui est la sienne, le tourisme participe donc clairement à l'émergence de ce Monde qui est le nôtre. Ni local, ni mondial, le tourisme est donc l'une des pratiques qui permet d'articuler l'un et l'autre, de traverser les lieux comme habitant du Monde, d'être dans le Monde comme habitant du lieu, bref d'être en même temps de l'un et de l'autre, et d'épaissir et d'enrichir, ainsi, le spectre des multiples façons de vivre» (Stock et al., 2003, p. 276). Constats pas récents, bien que moins doctement exprimés... : La Fontaine pensait déjà que « quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu », et un proverbe ne dit-il pas que «le monde est un vaste livre, dont celui qui ne voyage pas n'a lu qu'une seule page» ? Mais peut-être qu'enfoncer des portes ouvertes pour entrer dans un nouveau charabia scientifique conduit à la révélation... Et puis de telles incantations sur le Monde pourraient bien s'accompagner d'un peu plus de retenue vis-à-vis des trois-quarts de sa population (qui, loin des querelles d'experts, ne savent même pas, sans doute, que le mot « tourisme» existe), en ne considérant pas avec autant d'ironie d'« intellectuel» (catégorie par ailleurs tant décriée par le MIT), les perspectives de développement et de tourisme « durables », qui mettent en jeu leur vie, voire leur survie, même si on peut admettre que le terme prête à discussion. Nous préférons nousmême « soutenable» à « durable », car des formes de tourisme qui méritent d'être encouragées, plus respectueuses et plus responsables, qui sont donc « à soutenir» et donc « soutenables» sont, en principe, préférables à des formes « durables» mais plus discutables (un blockhaus que l'érosion littorale a fait descendre sur une plage, voilà quelque chose de « durable », à moins que la dynamite ne s'en mêle...). Au moins la discussion sur ces termes aurait-elle pu prendre place dans la critique menée par le MIT, qui s'en tient à « durable» en faisant mine d'ignorer qu'il existe des termes divers aux connotations différentes. Car parler de « culte du 'tourisme durable' » Équipe MIT, 2002, p. 295), ou de « développementsoi-disant durable» S, avec les connotations
négatives
et condescendantes
qui s'attachent
à ces
5 in Appel à communications du «Comité scientifique» pour les Journées de la Commission de Géographie du Tourisme et des Loisirs de mai 2004 à Saumur.
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formulations, est-ce bien dans l'esprit de « l'invitation au partage» (ibid., p. 297) dont on se fait le chantre? Et si la dimension morale n'est sans doute pas absente de notre propos (honni soit qui mal y pense), elle ne fait qu'écho à ceux qui nous font la leçon en disant que « aujourd'hui ce sont bien ceux qui ont le plus accès au Monde, ceux qui s'en réservent jusqu'à un certain point, l'usage, qui produisent en même temps les discours des idéologies des fixations territoriales. Nous avons souhaité dénoncer cette imposture quasi-constante... la 'ruse' des élites» , (Équipe MIT, 2002, p. 296), jugées cyniques ou inconscientes, mais qui sont aussi de ceux qui ont le plus accès à ce Monde, en considérant de si haut ce qui fait pourtant l'espoir de cette majorité du Monde, quel que soit le nom qu'on donne à ces formes de développement tant espérées. Nous ne savons pas si cette attitude est dûment frappée au coin de la Science, mais nous nous souvenons que Rabelais, vieux maître humaniste, disait aussi que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme» . Déterminisme
et possibilisme
S'agissant de géographie, chacun considère que c'est une maladie honteuse. Certes, nous rejoignons globalement R. Knafou quand il rappelle le propos de M. Chadefaud invitant à écarter « une démarche qui... emprunte au vieux déterminisme physique, ou tout du moins à son succédané: le possibilisme. Elle considère qu'en euxmêmes, certains paysages naturels (en l'occurrence, une montagne, un littoral, un lac, une forêt...) ou humanisés (château, ruine, monument...) peuvent être porteurs de cette activité productrice qu'est le tourisme» (M. Chadefaud, 1987, cité par R. Knafou, 2001, p. 189). D'abord, ayons l'honnêteté de ne pas jouer sur les mots: bien sûr qu' « en eux-mêmes» , aucun paysage ou monument n'est « porteur» de quelqu' « activité» que ce soit. Qui a jamais prétendu cela? Ils ne sont donc pas « attractifs» , c'est vrai, au sens où ils seraient les moteurs de l'action. Là encore, le piège des mots - et des habitudes de langage insuffisamment remises en cause - fonctionne. C'est l'individu qui joue ce rôle moteur. Beaucoup d'auteurs ont parlé de l' « invention» des lieux touristiques par les touristes pour souligner le rôle primordial, sinon « déterminant », du projet individuel ou social qui fait émerger une « ressource », relative par rapport à une intention humaine, individuelle ou collective, de l'utiliser à des fins dites touristiques. Après et avant d'autres, c'est
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bien notre position exprimée sans ambiguïté (Dewailly et Flament, 1993, p. 116 ; 2000, p. 25). Et puis ce mot de « ressources» a quand même un destin bien curieux et assez difficile. Tantôt il est récusé comme trop déterministe: « les notions de 'ressource' ou de 'matière', mises en avant par certains auteurs... n'aident en rien non plus à comprendre comment et pourquoi un lieu devient touristique» (Équipe MIT, 2002, p. 171); Un « en rien» aussi comminatoire rappelle les rêveurs aux réalités..., quoique l'on concède par ailleurs que « une partie de la ressource reste non délocalisable. Elle est attachée au territoire, tel le soleil, la plage, l'hôtel avec vue sur la mer» (Stock et al., 2003, p. 157). Tantôt la « ressource» est soupçonnée de mauvaises intentions: « ce mot est l'un des plus ambigus de la géographie, car une ressource est toujours relative: elle n'existe comme ressource que si elle est connue, révélée, et si l'on est en mesure de l'exploiter; sinon, ce n'est pas encore une ressource» (Brunet et al., 1993, p. 433). Pareillement, pour P. Violier, « il n'est ... pas sûr que le recours au concept de matière, substitué à celui de ressource, clarifie complètement la réflexion» (2001, p. 136), et pour J.C. Gay, cette notion de matière « ne ... semble pas convaincante» (2001, p. 326). Il est vrai qu'en la proposant (Dewailly et Flament, 2000), nous avions voulu, prudemment, après la mise en garde de R. Brunet, tenir compte de la claire dénonciation de F. Deprest dans sa thèse préparée au sein du MIT : « ceux qui utilisent les expressions de déformation, de cycle, de ressources, s'inscrivent dans ce réseau idéologique qui évacue les conditions matérielles de la production des lieux... En effet, c'est sur cette base, en apparence sans conséquence, que se déploie l'écologie fondamentaliste, c'est-à-dire fasciste» (1997, p. 151). Qu'on pût faire le lit du fascisme en parlant de « ressources touristiques» ne nous avait pas, confessons-le, effleuré, mais, de crainte des pires anathèmes, nous avions obtempéré et innocemment proposé « matière ». Las! Comme les membres de l'équipe cités, le directeur de la thèse en question revendique de nouveau la « ressource» : « pour ma part, je trouve la notion de ressource plus riche et plus adaptée au tourisme que la 'matière', 'substance dont on fait les corps', le tourisme étant un phénomène que la matérialité est impuissante à résumer» (Knafou, 2001, p. 189 (ibid.). Là encore, d'une part on est plus ou moins piégé par les métaphores, d'autre part on suggèrera quand même de regarder un peu plus loin dans le même article du dictionnaire, pour voir que « matière» peut signifier aussi, 44
par exemple, toute la «matière» grise qui donne « matière» à cet ouvrage, au-delà de sa matérialité particulière. Toujours est-il que, « ressource» ou« matière» , on est dans le brouillard le plus complet... Le problème, c'est qu'on ne propose pas de terme commode pour remplacer ces mots soi-disant si dangereux, si explosifs et si déroutants. A la place, « on peut (pourquoi ce « peut », d'ailleurs? Note JMD) privilégier ce dont le touriste est lui-même porteur, autrement dit ce que le touriste va aller chercher dans les lieux touristiques, de lui-même et pour lui-même» (Équipe MIT, 2002, p. 174). Telle région ou telle ville n'auront donc plus de « ressources touristiques» , ce qui leur permet pourtant de communiquer plus aisément, et à divers chercheurs de travailler dessus; elles n'auront même pas de « matière touristique», ce qui ne les enchanterait sans doute guère, mais permettrait au moins à des chercheurs de s'y retrouver à peu près; elles attendront peut-être que le touriste vienne leur demander lui-même qu'elles exposent, si l'on comprend bien, ce
dont il « est lui-même porteur» ce qu'il» va (donc) aller chercher '"
de lui-même et pour lui-même ». Sur le fond, cela rejoint les campagnes de marketing sur le « ressourcement » ; sur la forme, le message sera bien compliqué s'il doit renoncer à des mots simples, et l'analyse des espaces ou des lieux ne sera pas forcément facilitée par ce détour périphrastique. Dit plus clairement, c'est déjà ce à quoi s'intéressent les chercheurs quand ils enquêtent sur les touristes, leurs caractéristiques et leurs pratiques. Car ce que le touriste « va aller chercher» , on le décline ensuite en « rencontrer..., se soigner..., contempler..., aller vers le vide..., toujours plus loin» (ibid., p. 175 186). Il est cependant difficile de ne pas trouver, peut-être plus à macro-échelle qu'à micro-échelle, des coïncidences troublantes entre des lieux de pratiques touristiques et certaines constantes du milieu. Par exemple, « l'existence des lieux touristiques est souvent associée à des qualités d'un patrimoine naturel ou historique» (Knafou, 1997, p. 50). Compte tenu des dizaines de milliers de lieux dans ce cas à travers le monde, on peut douter que ce soit purement par hasard. A propos du Val de Loire en Maine-et-Loire, P. Violier observe que « la carte des capacités en hébergements commerciaux en 1996 soulignent (sic) surtout la concentration de l'offre le long de l'axe ligérien, avec une dissymétrie au profit de la rive gauche, en relation avec le coteau multipliant les points de vue » (1999, p. 43). Est-ce trahir la pensée de l'auteur si l'on dit qu'il y a un double contraste, celle de l'axe fluvial 45
par rapport aux régions extérieures, et celle de la rive gauche par rapport à la rive droite? Et est-ce pousser l'interprétation trop loin de dire que ces dissymétries existent « parce que» le fleuve et les points de vue sont là ? S'il n'y a pas d' « attraction» des lieux en question, peut-être est-ce alors que le touriste va aller chercher « ce dont il est lui-même porteur» . Mais pourquoi va-t-illà plutôt qu'ailleurs? Il y des constats troublants, quand même, que des contorsions de langage ne peuvent masquer complètement. N'y aurait-il pas des lieux où il serait « possible» d'avoir certaines pratiques plus facilement qu'ailleurs, où il serait tentant d'user de « possibilités» que le touriste, dans son « projet existentiel », préfère intégrer à ses choix plutôt que d'autres? Il semble difficile de nier un rapport de causalité, le tout est de voir comment il s'établit et fonctionne. Mais un certain « possibilisme » , qui ne nie nullement la liberté et les représentations de l'individu, mais leur donne au contraire la faculté de concrétiser des choix personnels, serait-il à proscrire autant que le donne à penser le propos de M. Chadefaud ? Faut-il considérer que tout est à admettre ou à refuser en bloc au nom d'une science manichéenne? Si l'on admet, et nous aussi, le poids déterminant des représentations, comment se fait-il que certains objets en soient plus souvent les cibles que d'autres? N'est-ce question que de marketing, de culture, d'identité, de communication, de media? Pourquoi le « désir du rivage» se répand-il entre 1750 et 1850 (Corbin, 1988) ? Ce ne sont pas seulement les représentations de la mer qui sont en jeu, ce sont aussi ses pratiques ludiques, concrètes, éprouvées, qui donnent une « expérience» vécue aux visiteurs, qui en parlent à leur tour. Si la mer n'avait pas existé ou n'avait pas été connue, y aurait-il eu ce « désir du rivage» ? Les représentations se fondent souvent sur de l'imaginaire, du rêvé, mais aussi sur une confrontation à un concret que l'on reconstruit mentalement pour soi. Il y a généralement au départ un objet réel, dont la connaissance parvient plus ou moins complètement à des touristes potentiels, qui iront ou non à sa découverte, en n'en appréhendant sans doute qu'une partie qui correspondra à leur sensibilité, à leurs désirs, à leurs fantasmes. Bien sûr qu'on peut rêver à l'Atlantide, mais si on va au cap Nord, on sait que ce n'est pas pour s'y allonger sous les palmiers, et, en principe, on ne s'attend pas à voir des pingouins au Sri Lanka. Cela dit, il est très probable que les réalités de ces destinations ne correspondront qu'en partie aux représentations de leurs visiteurs, mais ces représentations n'auront pu se développer que sur la base de certaines catégories d'objets et pas d'autres. 46
Ces catégories, bien entendu, n'ont pas une valeur immuable dans le monde du tourisme. On peut maintenant faire du ski même dans des régions sans neige, grâce à la neige artificielle ou à des pistes synthétiques, et ce n'est même pas aux spécialistes de déterminer si c'est le « même» ski, c'est au touriste, selon ses représentations et sensations. Pratiquement, ce n'est quand même pas tout à fait la même chose pour l'aménageur, le promoteur de la station, l'agent commercial... Au XIXè siècle, le soleil était plutôt redouté que recherché, le mouvement s'est inversé au XXè siècle, et voilà que les mises en garde des spécialistes, liées à la crainte, justifiée ou non, d'un réchauffement climatique, initient parfois de nouveau un mouvement de défiance de certains touristes. Comment se fait-il que les flux touristiques des pays du « Nord» se dirigent beaucoup plus vers le sud que vers le nord? Le soleil et les mers chaudes y seraientils pour rien? Que penser de l'affirmation selon laquelle, à propos de Nice, « finalement, la seule chose à peu près constante sur la longue durée est le climat et la capacité à créer de la vie en société en bordure de la mer, même si la vie de société a profondément changé. Nice est donc bien un exemple de lieu dont le fonctionnement touristique doit être pensé à partir de certaines constantes» (Équipe MIT, 2002, p. 278). Les termes « doit» et « constantes» sont-ils vraiment si loin d'un appel camouflé à un certain déterminisme, face à une vie sociale au contraire fluctuante? «Ainsi, pourquoi se rend-on en Espagne ?, interroge l'équipe MIT. Est-ce simplement pour le soleil et la plage comme beaucoup l'affirment? Ou parce que les Espagnols se caractérisent par un rythme de vie original par rapport à d'autres pays européens ou pour leur sens aigu de la fête, d'une certaine qualité de vie, point sur lequel les Italiens n'ont rien à leur envier? » (2002, p. 90 - 91). Notons au passage le « simplement» qui évacue la complexité du problème en obligeant le lecteur à répondre blanc ou noir, alors que ce terme pourrait aussi s'appliquer aux éléments de réponse apportés par les auteurs et qui récusent la plage et le soleil comme facteurs d' « attraction ». Mais soyons logiques: a contrario, on pourrait donc, selon la même logique et avec le même aplomb mal placé, tout à fait soutenir que, si l'on va peu en Suède, c'est sans doute parce que les Suédois n'ont pas un rythme de vie assez original, qu'ils n'ont pas un sens aigu de la fête, ou que leur qualité de vie est trop incertaine... et pas parce que leurs températures de l'air et de l'eau sont trop basses (ou le semblent, dans les représentations qui en sont faites). Manichéisme, caricature, raisonnements tronqués ne paraissent pas des modes de raisonnement scientifique pleinement convaincants. 47
Qui veut noyer son chien... Des positions plus nuancées seraient plus raisonnables et plus acceptables, comme celles de travaux récents sur « le bon air des Alpes », dont des auteurs ont montré qu'au-delà de son apport médicalement apprécié pour la guérison de malades, et grâce auquel un médecin voulut même appliquer, dans un déterminisme étonnant, la « méthode sanatoriale » au désert égyptien (Lüthi, 2005 ; Guignard, 2005 ; Matos-Wasem, 2005), une certaine relativisation et une certaine prudence restent de mise dans l'appréciation avec laquelle les acteurs jugent les accessoires de la pièce, si l'on peut se permettre cette métaphore. On pourrait faire sans doute les mêmes constats sur l'air marin et ses effets bénéfiques réels ou supposés, et son rôle dans l'éclosion et la croissance de bien des stations balnéaires. Il nous semble, s'agissant de tourisme et de son étude, que les éléments « biophysiques» ou patrimoniaux ne méritent ni les excès d'honneur, ni l'indignité dont on veut les gratifier ou les accabler. Aussi, parler des lieux et de « leurs aptitudes à être mis en tourisme» (Équipe MIT, 2000, p. 3), d'un paysage et de « son aptitude à être parcouru» (ibid., p. 4-5), n'est-ce pas sombrer dans ce « possibilisme » tant décrié par ailleurs (Knafou, 200 I) ? Aucun lieu ou paysage n'est « apte» à quoi que ce soit, à moins que ce soit à tout et à rien, c'est l'individu qui est« apte» , ou qui «rend apte» tel lieu à permettre le fonctionnement de telle activité qu'il a décidé de lui assigner. Dire qu' « on peut donc non seulement identifier les lieux touristiques, mais aussi les qualités d'un lieu à être touristique », n'est-ce pas, en évitant d'employer des termes jugés tabous, dire à mots couverts que le lieu a des « ressources» pour « attirer» des touristes, pour peu qu'un individu ou un groupe réalise, c'est bien le cas de le dire, l'adéquation entre « l'offre », (la « ressource ») et la «demande» (le touriste) ? Car l'expression « à être» est sans ambiguïté: « l'infinitif précédé de 'à' s'emploie comme complément de verbes marquant un effort, une tendance, une aspiration, une direction, etc. »6, ce qui indique indiscutablement que c'est un état vers lequel tend le lieu en question et où il n'est pas encore. Et quand on a pris la mesure du contenu réel des termes « attirer », « attraction », «attractivité », il ne semble pas rédhibitoire qu'un souci de communication claire et de compréhension sociale mutuelle, en vertu du principe de nécessité des métaphores exposé plus haut, 6 Grévisse, 1980, Le bon usage. Grammaire française avec des remarques sur la langue française d'aujourd'hui, Paris-Gembloux, éd. Duculot, article 1850, p. 875
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conduise à les utiliser avec prudence, certes, mais sans scrupules excessifs. D'ailleurs, le MIT a besoin aussi de ces métaphores, pour, entre maints exemples, dire que « le Monde bascule» ou parler des « clés du Monde» (Équipe MIT, 2002, p. 296-297), de « l'itinéraire des lieux» (Stock et al., p. 71), du « déplacement des lieux» (ibid., p. 265) ou de « la mobilité des lieux» (ibid., p. 277). Cela relève, semble-t-il, de la prosopopée, procédé littéraire aussi répandu dans le langage courant que scientifique?, et en vertu duquel, soucieux de ne pas être paralysé par l'absence de terme adéquat ou le recours à des périphrases interminables, on s'autorisera à utiliser certains mots en essayant de ne pas être prisonnier des pièges qu'ils peuvent receler. Si, au nom d'une exactitude rigoriste, mais peut-être justifiée, après tout, on estime répréhensibles « des clichés qu'un chercheur devrait éviter d'employer, telle 'mur de béton' »(Équipe MIT, 2002, p. 21), on aura intérêt à justifier (ce qui n'est pas fait) la nuance apportée par l'expression « front de mer de béton» , tout aussi englobante, et utilisée deux fois dans la même page (ibid., p. 230). Mais nombreux sont les mots à acceptions multiples, et on pourrait d'ailleurs « s'amuser» à imaginer une série de néologismes de racines grecques, latines, ou autres qui, dans l'étude du tourisme, nous dispenseraient, peut-être de recourir à la prosopopée. Nous le faisons d'ailleurs tous, peu ou prou. Un autre élément mérite aussi de ne pas être négligé, s'agissant des relations entre représentations et tourisme. Tout le monde s'accorde à vanter le rôle des peintres dans le lancement de maintes stations ou petites régions touristiques. Mais ne sont-ils pas venus parce qu'ils trouvaient sur place une lumière, une qualité, voire une» épaisseur» de l'air, une ambiance, des paysages qu'ils ont vantés, avec leurs propres codes de représentation, certes, mais dont ils ont été les médiateurs auprès d'un « marché» touristique potentiel? Et peut-on penser que, depuis le XIXè siècle, tous les conseils, avis, mises en garde ou recommandations dont tous les guides touristiques depuis les origines regorgent, à propos du climat, de la bonne ou mauvaise saison pour séjourner, sur les lieux où choisir son hôtel ou sa villa, plus ensoleillés, plus éventés, plus ombragés, plus secs, plus humides..., toutes ces pages ont été de nul effet sur la 7 La prosopopée est un procédé littéraire qui consiste à « mettre en scène les absents, les morts, les êtres surnaturels, ou même les êtres inanimés: les faire agir, parler, répondre» (Fontanier, cité par B. Dupriez, 2004, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Editions 10118,p. 364).
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propension des touristes à venir dans tel ou tel lieu, et sur les représentations qu'ils ont créées de ces derniers 7 Bien sûr, ce ne sont pas ces éléments qui «attirent», ce sont des préférences ou codes sociaux qui les rendent désirables, sinon « attractifs» à un moment donné, mais il faut bien qu'ils soient là, et se différencient de ceux qui sont ailleurs, donc permettent un choix. Un mot de méthodologie
générale et particulière
Chacun est libre, bien sûr, de débattre comme il l'entend. Il ne faut pas s'étonner, cependant, que l'écho soit à la mesure du son produit. Quand on proclame qu' « il ne convient plus de laisser aux tenants de l'ancien Monde le monopole du discours et des solutions» (Équipe MIT, 2002, p. 296), l'outrance le dispute à l'arrogance. Qui sont ces « tenants» 7 Quel soi-disant « monopole» exercent-ils 7 Y ont-ils jamais prétendu 7 Et ne se présente-t-on pas soi-même, dans des discours totalitaires et exclusifs plutôt qu'ouverts et nuancés, comme les prétendants, sinon déjà les tenants, d'un nouveau « monopole» , d'un « nouveau monde» 7 Le débat universitaire et scientifique doit-il se cantonner à ce qui conviendrait à une « école» ou un « courant» , et de la façon qu'il leur plairait, pour une nouvelle pensée unique académiquement correcte 7 Le MIT a trop de positions qu'on se permettra de juger trop manichéennes. Il assène des « vérités », sinon LA vérité, dont il faudrait révérer l'excellence au motif, peut-être implicite, qu'un groupe nombreux et « éclairé» (7) détiendrait plus sûrement la vérité que quelques individus dispersés englués dans leurs « vieilles lunes» (Équipe MIT, 2002, p. 46). Ceux qui sont géographiquement minoritaires auraient-ils scientifiquement tort, pour paraphraser la formule célèbre d'un homme politique8 7 Étrange conception du débat scientifique. Quand on dit par exemple, dans l'appel à communications à un colloque9, « c'est à cette tendance que ce colloque se doit de s'opposer, ce n'est que dans ce but qu'il s'impose », se rend-on compte de l'énormité d'une telle affirmation dans une enceinte de recherche 7 Une telle phrase, quel que soit le thème du colloque, discrédite son ou ses auteurs et le comité « scientifique» qui la cautionne. Peut-on, avant un colloque, dicter aux participants le sens de leurs conclusions, et ne sélectionner, bien 8 « Vous avez juridiquement formule lancée à l'opposition
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tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire par un député de la majorité dans les années 1980.
Cf. note 5.
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»,
sûr, les intervenants que dans la mesure où ils ne troubleront pas le «message» que les organisateurs veulent faire passer? Comment qualifier ces méthodes? Que l'appel ait dit: « c'est de cette tendance que ce colloque se doit de débattre, et on verra bien ce qu'il faut en conclure» , et c'est toute une autre conception de la recherche qui apparaissait. De même, la même équipe, qui récuse pourtant la géographie du tourisme, s'en considère sans doute la seule représentante dans la bibliographie d'un « Dictionnaire de la géographie de l'espace et des sociétés» (Lévy et Lussault, 2003, p. 931-934), ce qui ne l'empêche pas, dans ses travaux d'emprunter, quand cela l'arrange, à des auteurs antérieurs des apports qu'elle cite très chichement, mais qu'elle ne se prive pas d'attaquer avec virulence sur les points qu'elle conteste. Plusieurs comptes-rendus ne brillaient pas non plus par leur objectivité, si tant est que les auteurs avaient lu de près ce dont ils étaient censés rendre compte (Knafou, 2001 ; Gay, 2001 ; Violier, 2001). On a souvent l'impression qu'au nom d'une loi du nombre qui confèrerait une indiscutable supériorité, un certain terrorisme intellectuel est érigé en argument scientifique. On nous avait pourtant invité à «cheminer de façon subtile, c'est-à-dire scientifique» (Stock et al., 2003, p. 4). Manqué! Un sommet en ce domaine est également atteint dans des pages intitulées « pourquoi tant de haine? » (Équipe MIT, 2002, p. 11-77) et qui s'en prennent très vivement à tous ceux qui ont le malheur de tenir des propos jugés « anti-tourisme ». L'épuration est en marche..., alors que les censeurs eux-mêmes se laissent parfois aller à de curieux écarts de langage anti-touristique. On reproche aux auteurs critiqués de faire « volontiers assaut de bons mots» (Équipe MIT, 2002, p. 57), mais on résiste mal à la tentation de prendre part à l'assaut, en faisant des jeux de mots d'un goût assez douteux sur une « panzer division» (sic. Ibid., p. 76) ou en évoquant la « 'grande migration d'été'... de l'année 1940» (ibid., p. 292) ; quelle injure aux Écossais que de laisser entendre qu'il vaut mieux « éviter de se retrouver par ignorance devant un plat de panse de brebis farcie» (ibid., p. 87), alors que c'est si bon avec une purée de pommes de terre et des petits navets! Que « les côtes atlantiques de l'Espagne... soient sous la coupe d'une nationalité, et il s'agit des Espagnols» (ibid., 2001, p. 177), que le Tyrol puisse être pensé comme juste bon à fournir un décor au rang duquel les Alpes risquent d'être « ravalées» (ibid., p. 251) n'est aimable ni pour les Espagnols, ni pour les Tyroliens. Demander: « dans la 'masse' des touristes qui font la queue pour entrer à Saint-Pierre de Rome, combien savent réellement 51
où ils vont 7 » (ibid., p. 185), n'est-ce pas prendre les touristes pour des demeurés grégaires au mépris de leur « projet existentiel» 7 « Imaginer aisément la corruption... dans nombre d'États» (ibid., p. 262), a priori, semble un procès d'intention pas très scientifique, et peut-être même la réalité sera-t-elle en deçà de ce qu'on aura pu imaginer... Quant à se plaindre « des vieux qui monopolisent les bancs» (ibid., p. 277), disons que c'est une façon un peu méprisante d'évoquer « scientifiquement» (7) une question de microaménagement liée à la composition du corps social local... Plus sérieusement, on peut s'étonner que le MIT ait étalé dans cette partie autant de « haine» envers les objets de son ire qu'il leur reproche d'en déployer envers le tourisme. D'abord, on n'est pas convaincu par son discours « anti-anti-touristique », même si certains propos relevés sont effectivement très contestables et excessifs. Car il devrait balancer (aux deux sens du terme...) son propos en parlant de ceux qui ont une vision plus équilibrée, moins manichéenne du tourisme, et aussi de ceux qui ont sur lui une vision plutôt positive, y compris tous les discours des mondes professionnel et institutionnel, qui le vantent souvent à l'envi, et de façon même parfois exagérée. Et puis il y a sans doute des degrés et des lieux différents pour alimenter cet « anti-tourisme », ce qui relativise certains propos. Car c'est se donner le beau rôle que de se dresser en chevalier blanc redresseur de torts, face à tous ces mauvais intellectuels» (<<nos intellectuels» ! En voilà, un possessif!) de tout poil, après n'avoir présenté que le dossier à charge. Il faut bien noter, par ailleurs, que le genre de discours sur lequel le même groupe s'acharne semble inhérent à n'importe quelle activité qui naît ou se développe, voire qui existe, tout simplement. Le cultivateur est la cible de l'éleveur, de qui il obstrue les routes traditionnelles du bétail; le défricheur de clairière médiéval contrarie le forestier ou le chasseur; l'industrie du XIXè siècle a suscité les récits de Zola, dont on ne jurera pas que certains passages, mutatis mutandis, ne puissent pas s'appliquer à certaines situation dans le tourisme, sexuel ou non. Cela semble dans la nature des choses. Et si le MIT est « conduit à s'interroger sur les raisons pour lesquelles nos sociétés secrètent et tolèrent un discours anti-touristique, qui est fondamentalement un discours de rejet de l'autre» (Équipe MIT, 2002, 4è de couverture), pourra-t-on lui répondre, d'une part que c'est parce que nos sociétés occidentales visées en l'occurrence « tolèrent» la liberté d'expression (libre à chacun ensuite d'en faire le meilleur usage), d'autre part qu'il est curieux de se focaliser à tel point sur un 52
tel discours, qui n'a apparemment pas empêché que le tourisme n'explose littéralement en volume et en destinations, depuis un demisiècle, ce qui ne témoigne pas précisément du succès des tenants du «rejet de l'autre ». Quoi qu'il en soit, la société humaine est rien moins qu'angélique, et heureusement, puisque, selon le bon sens populaire, « qui veut faire l'ange fait la bête ». Il faudrait donc raison garder, et considérer les choses à des proportions mesurées A juste titre, on fait remarquer que ce genre de propos anti-touristiques est provoqué par le tourisme « depuis les débuts de celui-ci» (ibid.), et on y reviendra dans le chapitre suivant. Mais on pourrait dire aussi que depuis que l'élevage porcin ou les cheminées d'usine existent, leurs voisins n'ont jamais apprécié l'odeur du lisier ou les fumées, ce qui n'était pas automatiquement assimilé au rejet des agriculteurs ou des industriels, ni de l'agriculture ou de l'industrie. Une nouvelle activité est-elle marque d'une « subversion» d'un ordre ancien, que les privilégiés s'empresseraient de combattre? Le tourisme serait-il particulièrement « subversif» ? Affirmer que « l'irruption du tourisme dans les lieux a toujours été une subversion de l'ordre des choses» (ibid., p. 51) ou que « le tourisme a un pouvoir subversif» (ibid., p. 72) revient à attribuer à cette activité un pouvoir que l'on dramatise à l'envi alors qu'il est dans la nature des choses: depuis les débuts de 1'humanité, tout ce qui facilite le contact entre les hommes et fait circuler les idées est subversif, car provoquant des rencontres, donnant de nouvelles idées, ouvrant de nouveaux horizons, qui « menacent », dynamisent, (voire « dynamitent» ...) l'ordre établi et les intérêts en place, en les remettant sans cesse en cause. La Révolution industrielle a subverti la société rurale, le chemin de fer a subverti la diligence, l'électricité l'éclairage au gaz, le métier Jacquard le monde des canuts lyonnais, et le traitement de texte la machine à écrire. Autant dire que nous ne croyons pas à une sorte de complot que « l'intelligentsia, soucieuse de préserver l'un de ses privilèges mis à mal par le développement du tourisme de masse: l'accès à des lieux, jadis réservés à une certaine société» (ibid.), ourdirait insidieusement et que le MIT aurait enfin démasqué. Tout cela nous semble faire partie de l'évolution naturelle des choses, au-delà de quelques « excès» que l'on peut, il est vrai, déplorer. Mais « excès» est un mot dangereux, difficile à manier en sciences humaines. Il renvoie à «norme»: il n'y a d'excès que par rapport à une norme. Quelle est celle-ci, qui l'instaure, au nom de quoi, qui contrôle son application et en sanctionne le non-respect? Mettre le doigt dans cet engrenage semble scientifiquement bien risqué, même si à titre personnel, moral, 53
éthique, humaniste ou autre, certains propos choquent. On peut parler d' « excès» de vitesse ou de consommation d'eau, mais peut-on reprocher à quelqu'un de trouver qu'il y a un « excès» de tourisme, puisqu'il s'agit justement d'un monde de représentations personnelles ? Il faut faire avec. C'est structurel d'une vie en société où l'on trouve de tout. Certains grands inquisiteurs regretteraient-ils Torquemada et «une société judéo-chrétienne» (Équipe MIT, 2002, p. 262) qu'ils semblent par ailleurs réprouver? Et puis il est trop facile de récuser ces critiques du tourisme dont ceux qui les profèrent ne seraient que de sinistres comploteurs et d'horribles égoïstes, il faudrait quand même se demander s'il n'y a pas une part de bien-fondé, dût-on la regretter, dans ce « rejet de l'autre» si elle ne repose, partout et en tout, que sur des raisons qui peuvent paraître scientifiquement inacceptables, et quelle est-elle. Mais alors sans doute conviendrait-il de faire la distinction, parmi ces critiques, entre celles qui proviennent de personnes qui souhaiteraient, comme le MIT l'affirme à tort ou à raison, protéger leur propre tranquillité en s'abritant derrière de fausses bonnes raisons, et celles qui émanent de constats et d'enquêtes réalisés impartialement par des scientifiques. Encore n'est-on pas à l'abri, comme on peut le constater parfois, de biais dans des études où les auteurs sont juge et partie. Mais pourquoi le tourisme n'aurait-il que de bons côtés, et serait-il malséant, au nom d'une idéologie aussi condamnable que son contraire, de le dire? Il suffit de parcourir les sommaires des innombrables revues françaises et étrangères plus ou moins spécialisées pour y repérer de nombreux articles touchant au tourisme, écrits par des collègues de divers pays, y compris touristiques et loin d'être toujours « nantis », qui reconnaissent les aspects positifs du tourisme, mais en dénoncent aussi les ombres, comme le tourisme sexuel (même si ce genre de pratique n'est pas l'apanage du tourisme), le « parachutage» d'équipements décidés en haut lieu par accord entre autorités et firmes spécialisées, multinationales ou non, sans demander (ou trop peu) son avis à la société locale, sans attention à l'environnement et ses composantes biophysiques qui constituent quand même leur cadre de vie, sans respect pour l'organisation socio-économique locale à qui l'on promet des merveilles qu'elle verra miroiter plus qu'elle ne les palpera. Tout cela existe, et nous ne pouvons donc adhérer à une méthode globale qui ne sélectionne, pour son argument, que des propos qui l'arrangent, afin d'en prendre le contre-pied comme si les idées dès lors avancées devenaient une nouvelle vulgate à laquelle nul n'aurait songé jusqu'à présent, et parée, du coup, de toutes les légitimités. L'analyse faite par 54
le MIT du discours « anti-tourisme » est donc trop partielle et partiale, parmi l'ensemble des discours «pro» et « anti-tourisme » pour qu'on puisse la recevoir tout uniment. Et on fera part enfin de quelques réactions particulières sur les méthodes usitées par le MIT dans ses ouvrages. Outre, on l'a dit, qu'on y trouve beaucoup d'affirmations dont on souhaiterait qu'elles soient appuyées sur des faits ou sur des sources dûment identifiées, quelques questions, et non des moindres, restent en suspens. Les auteurs ont plus une propension à disséquer des romans en soutien de leur argumentation qu'à produire des enquêtes appropriées qui auraient été menées, par eux ou d'autres, à l'appui de leurs dires, et qui exprimeraient les réalités issues des touristes eux-mêmes plus que des conjectures aussi intéressantes qu'incertaines. Qu'est-ce qui autorise à affirmer aussi péremptoirement, justement après avoir analysé un roman: « dès lors, il existe un véritable projet existentiel du touriste... » (Équipe MIT, 2002, p. 102) ? Le touriste sait-il ce qu'est un « projet existentiel» ? Dans quelle enquête lui a-t-on posé la question? Quelles sont les réponses obtenues, avec les pourcentages qui s'attachent aux différentes modalités de la réponse? Quel est le poids des distances, des tarifs, des coûts dans la détermination et la mise en oeuvre de ce « projet existentiel» qui va pousser un individu à faire du tourisme? Des contraintes et habitudes familiales? Du libre choix? Est-ce vrai pour tous les touristes, de tous les lieux et de toutes les époques? Ce type de conclusion est-il scientifique? A moins que ce ne soit qu'une hypothèse de travail, mais la suite de l'ouvrage ne semble pas montrer que le propos ait été considéré comme tel. Dans de telles conditions, beaucoup des raisonnements qui suivent ne peuvent être qu'invalidés, comme l'a déjà fait largement pour le second ouvrage du MIT, d'ailleurs, l'absence de statistiques reposant sur des définitions pertinentes admises par lui. On regrette, aussi dans ce qui se présente comme une avancée décisive pour la recherche, l'absence de propos sur une méthodologie claire, même succincte, sur des outils opérationnels qui permettraient aux étudiants de savoir par quel bout prendre cet écheveau foisonnant et plein de pièges qu'est le tourisme, où ils pourront se perdre sans difficulté. Et l'on peut considérer comme fort révélateur que, à la fin d'un ouvrage à objectif pédagogique s'appuyant clairement sur un premier ouvrage théorique, ouvrages tous deux denses, riches et non sans mérites, mais contestables en bien des points, constituant les bases d'une somme théorique exprimant une volonté explicite de refonder une approche scientifique du tourisme, un opus se posant comme une référence 55
incontournable à l'avenir pour toute étude sérieuse en ce domaine, il n'y ait pas de conclusion générale à ce deuxième ouvrage pour couronner le tout, et contrairement d'ailleurs aux principes de base qu'on essaie d'inculquer aux étudiants. On aurait enfin eu un condensé des axes et démarches, l'aperçu d'un « protocole» de recherche à suivre pour réaliser une « approche géographique du tourisme» digne de ce nom. Ce n'est pas le cas, et nous avançons une explication en forme de question, qui ne demande qu'à être démentie: comment conclure des propos chaotiques?
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Chapitre 2
Du tourisme
Le chapitre précédent s'est déjà intéressé au tourisme, mais essentiellement dans le contexte général où se situe son étude et on a plus tourné autour qu'on ne s'y est réellement plongé. Il convient maintenant de tenter de discuter, et peut-être de définir clairement, cette notion protéiforme et qui semble même insaisissable sous la même forme par tous. S'efforcer de définir le tourisme Cette entreprise paraît si délicate à de nombreux spécialistes. qui y ont consacré, seuls ou ensemble, de longs moments, que nous n'aurons pas l'outrecuidance de prétendre y parvenir d'une façon ferme et définitive. A certains, la tâche semble hors de portée, au point qu'ils proposent même que l'on renonce à s'escrimer à vouloir cerner une définition dans ses moindres contours, alors qu'il apparaît que tous s'accordent sur un noyau commun. Par exemple, Benthien considère que le géographe doit avoir, pour l'étude du tourisme, « le courage d'un vide de définition» (<<der Mut zur definitorischen L/Ïcke », 1997, p. 28), courage qui lui semble « nécessaire/indispensable» (<<es ist in der Tat der 'Mut zur terminologischen L/Ïcke' notwendig ! », ibid., p. 141). La plupart des auteurs ne se résignent pas à ce point, tout en constatant qu'il est bien difficile d'y voir clair. Ainsi, personne ne conteste, sans doute, que le tourisme s'inscrive dans le temps libre. Mais comment définira-t-on celui-là, si on ne sait pas ce que recouvre celui-ci? Or, Becker constate que « de nombreux auteurs se sont efforcés de définir le concept de temps libre (Freizeit), pourtant aucune définition n'est satisfaisante» (in Becker et Job, 2000, p. 13).
On ne doit donc pas s'étonner de marges incertaines. «Que nous partagions ou non tous la même compréhension du tourisme, ou qu'il existe (ou non) un secteur touristique clairement définissable, le phénomène touristique a été de plus en plus prégnant sur les paysages et nos modes de vie aux XXè et XXIè siècles », constatent Lew, Hall et Williams (2004, p. XVII), qui ne se privent pas d'ailleurs de l'étudier abondamment malgré les incertitudes que, comme tous, ils déplorent, affirmant que « le tourisme est intrinsèquement du ressort de la géographie et des géographes» (ibid.). Et de conclure le même ouvrage, élaboré par 57 contributeurs du monde entier et de disciplines variées, en soulignant les points essentiels qui en émergent, dont « the fiJtility of trying to pin down precise definitions of tourism studies» (ibid., p. 611). Que «filtility » soit traduit par futilité, impuissance ou inutilité (ou les trois à la fois...) exprime des nuances sur lesquelles le passage d'une langue à l'autre nous permet difficilement de nous exprimer, sauf pour dire encore une fois que les concepts ont une dimension culturelle pas toujours aisément traduisible, ce qui n'empêche pas pourtant les chercheurs de ne pas se laisser bloquer par cette difficulté. Cela ne semble pas très éloigné de notre position exprimant que « le flou est consubstantiel au tourisme» (Dewailly et Flament, 2002, p. 370). Avant de revenir sur le « flou» , on peut essayer, cependant, d'aller un peu plus loin. D'abord, on évitera de jouer sur les mots en répétant que « le tourisme n'existe pas: il y a des tourismes, le pluriel exprimant la diversité des manières de prendre ses vacances» (Knafou, 1997, p. 26), ou qu' « il n'y a pas un tourisme, mais des tourismes» (Équipe MIT, 2002, p. 62), ce sur quoi tout le monde est d'accord selon l'échelle concernée, comme pour l'agriculture ou l'industrie. On peut parler à aussi bon escient du tourisme mondial et de son cortège de déclinaisons, jusqu'à l'individu, que de l'industrie mondiale, ou de celle des pays en voie de développement ou de haute technologie, des travailleurs syndiqués ou exploités, des grandes sociétés multinationales ou des très petites entreprises, y compris unipersonnelles, etc. Dans de tels cas, le terme générique au singulier se justifie autant que ses déclinaisons diverses. On considèrera plutôt que ce qui fait d'abord problème pour la plupart des chercheurs, c'est la définition de l'OMT, que nous rappelons: « le tourisme comprend les activités déployées par les personnes aux cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux
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situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs» (OMT, 1994, p. 5). L'OMT applique, à la base, cette définition au tourisme international, mais rien n'empêche de l'appliquer à toutes les échelles de tourisme, national, régional, local. Les autres implications essentielles de cette définition sont que: - «les visiteurs de la journée », ou excursionnistes, sont inclus dans les touristes; - même si la définition semble insister sur l'aspect ludique du déplacement, elle admet en pratique tous les autres motifs de déplacement, cherchant à «couvrir l'ensemble des marchés des voyages à l'échelle mondiale dans le cadre plus général de la mobilité des populations» (ibid., p. 5). Pratiquement, l'on cherche généralement à distinguer, sans y parvenir toujours de façon indiscutable: - les visiteurs que l'on peut désigner comme les véritables « touristes» s'ils passent au moins une nuit. L'utilisation d'un mode d'hébergement a en effet de fortes conséquences sur l'aménagement et l'organisation de l'espace, mais on remarque que l'OMT n'oblige pas à passer au moins une nuit hors de chez soi pour faire du «tourisme»; - les motifs fondés en général sur la récréation, le divertissement, le ludique, et où les vacances tiennent une place privilégiée. Mais nous verrons aussi que les distinctions sont parfois bien difficiles à établir. Dans cette perspective, il est admis que l'on ne fait pas du « tourisme» quand on va à l'étranger pour gagner sa vie (travailleurs expatriés, par exemple), bien que certaines activités à l'étranger entrant dans un cadre professionnel puissent peut-être être considérées comme relevant du « tourisme ». C'est la question du «tourisme d'affaires» qui sera examinée plus loin. De même, on ne considère pas, en principe, qu'un réfugié, un expulsé ou un grand malade entrent dans la catégorie « autres motifs ». Mais dans ce cas, il faut pouvoir identifier ce type de «visiteur» pour l'exclure des données proprement touristiques, et c'est là que le bât blesse. On a, en pratique, peu de moyens de le faire, et on se contente donc des statistiques globales qui donnent un ordre de grandeur
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généralement jugé satisfaisant, à condition que les voyageurs de ces dernières catégories ne soient pas trop nombreux; - ce qui est «environnement habituel» ou non. L' «habitude» est une notion très relative, et personne n'a fixé de normes en matière de pratiques récréatives et touristiques. Les auteurs dont nous parlons contestent tous les définitions de l'OMT, et nous aussi d'ailleurs, même si, sous réserve des remarques que nous venons de formuler, nous nous en accommodons faute de mieux sans être dupe de leurs insuffisances pour un objet proprement touristique. Mais il ne faut pas oublier les objectifs de l'OMT. Devenue en 2003 une institution spécialisée des Nations Unies, elle a en charge « la promotion et le développement du tourisme» (OMT, 1998, p. 1). Elle a donc vocation à rassembler tous les États du monde (mais tous n'en sont pas membres), ainsi que des membres associés (administrations, associations, entreprises), qui s'intéressent tous aussi à « l'ensemble des marchés des « voyages» et à « la mobilité des populations» dans le cadre de cultures, d'histoires, de régimes politiques très variés. Ses objectifs sont donc d'abord au service de l'économie, avant de tenir compte, le cas échéant, de considérations sociologiques, ethnologiques ou philosophiques. Elle se doit de dégager un consensus sur des définitions qui soient universellement acceptables à une certaine échelle et dans un certain cadre (le tourisme international) et qui lui permettent de mener ses missions au mieux, fût-ce au prix d'insuffisances notoires. On peut certes regretter ces insuffisances, on voit mal comment les surmonter, avant longtemps, pour embrasser le tourisme mondial, à toutes les échelles, d'une manière satisfaisante pour tous. D'où les querelles interminables qui peuvent agiter les experts, pris entre les exigences contradictoires de donner des définitions conceptuellement acceptables (au moins pour leur discipline dans un premier temps) et fonctionnellement opérationnelles, au service de ce qui préoccupe d'abord tous les États (et la plupart des acteurs du tourisme), à savoir l'économie. Les définitions de l'OMT sont donc davantage un plus petit dénominateur commun qu'une définition scientifique et universelle du tourisme, qui risque encore de se faire attendre longtemps, compliquant la tâche des chercheurs qui avancent à tâtons sur un objet plus ou moins défini (et définissable...).
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Entre temps, ces chercheurs s'efforcent donc de progresser, selon leurs préoccupations majeures, et généralement soucieux de relier recherche théorique et recherche appliquée. Certains considèrent que la tourismologie a pour objet, logiquement, l'étude du tourisme, et donc « étudie les voyages ou les déplacements de personnes, appelées touristes dans le sens le plus large, qui effectuent une dépense dans un établissement de l'industrie touristique» (Hoerner, 2003, p. 13). En attendant de revenir sur les expressions « touristes dans le sens le plus large» et « industrie touristique », on observera que ceci cantonne le tourisme à un acte de consommation dans un établissement reconnu comme touristique: pas de dépenses dans un tel établissement dûment estampillé, pas de tourisme! Aller à la plage pour la journée avec sa voiture et son pique-nique ne relèverait donc pas du tourisme: il n'est pas sûr que les communes concernées voient les choses du même oeil. D'autres ont une conception plus ouverte du fait touristique, mais, conscients de la difficulté de donner une définition unique et satisfaisante, et usant de la faculté qu'ont de nombreux substantifs d'avoir plusieurs sens, utilisent le vocable « tourisme» selon plusieurs acceptions, que le contexte aide à comprendre, mais sans distinguer formellement les différentes catégories de faits concernés. Ainsi, pour les membres du MIT, - « nous parlons de tourisme lorsque la personne opère un déplacement hors de son lieu de résidence habituel qui excède 24 heures» (Équipe MIT, 2000, p. 57) ; - « le tourisme n'est ni une activité ou une pratique, un acteur, un espace ou une institution: c'est l'ensemble mis en système» (Knafou et Stock, in Lévy et Lussault, 2003, p. 931) ; - « le tourisme est un système d'acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour finalité de permettre aux individus de se déplacer pour leur recréation hors de leurs lieux de vie habituels afin d'aller habiter temporairement d'autres lieux» (Équipe MIT, 2002, p. 8) ; - mais aussi « par définition, le tourisme est un déplacement... » (Équipe MIT, 2002, p. 254) ; « le tourisme est un déplacement» (Stock et al., 2003, p. 24) ; - « le tourisme n'est pas une activité... C'est un ensemble d'éléments au sein de la société qui réunit les touristes et les
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lieux touristiques, mais aussi les systèmes de valeurs d'une société à un moment donné... » (Stock et al., 2003, p. 31) ; - « l'activité touristique ne peut véritablement se déployer... » (Équipe MIT, 2002, p. 191) ou «comme toutes les activités humaines..., le tourisme a produit (des lieux)... » (Stock et al., 2003, p 33). Ce serait donc quand même une activité? - « faire du tourisme correspond à un projet particulier» mais aussi « le tourisme n'est pas une pratique individuelle» (Équipe MIT, 2002, p. 127 et 166). On ne peut pas dire qu'une clarté aveuglante préside à l'emploi du terme «tourisme» qui « est» plusieurs choses à la fois, parfois sans l'être... Par ailleurs, si l'on comprend bien, il semble désormais exclu de dire de quelqu'un qu'il « fait du tourisme », expression trop simpliste par rapport à la définition préférentielle (Tourisme = « système », semble-t-il ?) qui en est donnée. Que dire, alors? La difficulté, réelle, de définir le tourisme transparaît encore, par exemple, dans le mémento du tourisme que la Direction du Tourisme française publie chaque année. Les « définitions du tourisme» y sont conformes aux définitions de l'OMT, et c'est en les utilisant que la France se positionne par rapport aux autres pays touristiques du monde. Mais quand il s'agit d'étudier les « déplacements touristiques des Français» qui sont quand même bien censés correspondre largement à des pratiques touristiques, « la terminologie adoptée... diffère quelque peu des définitions internationales décrites... les notions de 'voyage' et de 'séjour' sont précisées» (Direction du Tourisme, 2004, p. 73), en fonction des objectifs de l'administration en question, qui cherche à « suivre l'évolution des comportements touristiques de la clientèle française» (ibid.). Au total, il y a d'évidentes raisons à ne pas parvenir à une définition du tourisme qui soit absolument incontestable pour tous, mais il y a de non moins évidents enjeux à parvenir à une définition qui réunisse un consensus acceptable pour les chercheurs, les professionnels, les institutionnels, afin que les préoccupations des uns et des autres ne se trouvent pas étrangères les unes aux autres, tout en utilisant les mêmes termes. Comme le fait, en substance, remarquer Smith, le tourisme est un élément important des négociations mondiales actuelles pour un commerce libéralisé, et, « clairement, une saine définition du 'secteur touristique' est essentielle avant que
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d'aussi larges négociations puissent se poursuivre» (in Lew et al., 2004. Cf. aussi encadré n° 1). Et le même auteur d'insister alors sur l'importance de l'examen des comptes satellites du tourisme - quand ils existent - dont, ajouterons-nous, la forme et le fond exclusivement économistes ne faciliteront sans doute pas la tâche du géographe autant qu'il pourrait le souhaiter. Mais quoi qu'on puisse d'ailleurs penser d'une libéralisation jugée excessive ou trop timide, il serait désastreux, de toute façon, que s'établissent entre chercheurs et praticiens des distorsions telles que les deux mondes fonctionneraient séparément, les uns dans leurs bulles théoriques inutiles, les autres «produisant du tourisme» dont on ne parviendrait pas à analyser le contenu et le sens de façon intellectuellement «saine ». Comme on l'a fait remarquer, «en analysant les problématiques que formulent les hommes de savoir et les hommes d'entreprise, on découvre... des convergences intéressantes: tous cherchent à remédier à l'incertitude des repères traditionnels, qu'il s'agisse des modèles classiques d'explication du monde pour le chercheur ou de légitimation de l'action pour le décideur; tous remettent en cause le primat de la rationalité linéaire; tous choisissent enfin le 'désordre organisateur', dans lequel ils voient le renouvellement de l'ordre social et entrepreneurial» (PessisPasternak, 1996, p. 26). C'est sans doute une question essentielle pour les sciences humaines et sociales que de parvenir à trouver et faire fonctionner une articulation convenable entre recherche théorique et recherche applicable et appliquée en tourisme, sans abdiquer ni exigences scientifiques ni exigences pratiques garantes les unes et les autres de la cohérence du « système touristique ». Et c'est sûrement, à notre avis, parce que ce champ pluridisciplinaire touche autant en profondeur l'être humain dans la société que le défi est si rude et l'obligation de résultat si ardente. Questions cruciales qui mettent en jeu la compréhension de l'esprit humain, mais aussi les décisions politiques, l'aménagement, les choix qui engagent parfois une société et ses espaces pour plusieurs décennies. Le tourisme et ses « cousins» Nous appelons ainsi un certain nombre de termes qui ont, à l'évidence, à voir avec le tourisme et gravitent autour de lui, sans que, là encore, l'accord se fasse facilement à la fois sur le contenu des mots
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eux-mêmes et sur le tribut qu'ils paient réellement à un « vrai» tourisme: visite, séjour, loisir, loisirs, voyage, villégiature, récréation, recréation... Renvoyant aux innombrables ouvrages qui, peu ou prou, en discutent, et nous nous bornons ici à quelques remarques, laissant le débat ouvert. Plaidant pour une acception large du mot «tourisme », nous rejoignons Boyer qui ne semble pas partisan de « distinguer artificiellement tourisme, villégiature, voyage» (2005, p. 6), ainsi que le MIT qui estime que la distinction entre tourisme, voyage, villégiature, excursionnisme ne s'impose pas pour distinguer le statut de l'individu dans l'espace de sa pratique (Équipe MIT, 2002, p. 4445). Les sociologues, anthropologues, ethnologues (tels J. Viard, J.O. Urbain, F. Michel...) penchent davantage, voire clairement, vers la distinction entre les deux, introduisant entre les deux vocables une différence qui tiendrait surtout, pour simplifier, à la qualité du déplacement: le voyageur serait celui qui, de façon plus individuelle et plus itinérante, se déplace avec une attention plus soutenue au milieu qu'il traverse, hommes, activités ou paysages, moins soucieux d'un programme et d'un horaire « à tenir », à l'inverse du touriste, qui serait plus grégaire, plus suiveur, plus pressé, mais aussi plus sédentaire, avec une connotation plus négative (mais pas obligatoire), Smith faisant remarquer que depuis près de deux siècles, le mot « tourisme» a eu une connotation négative en anglais (Smith, 2004, p. 25). Nous reconnaissons qu'il peut y avoir, pour des spécialistes, une différence sensible de comportement et d'inspiration entre les deux attitudes, mais cela justifie-t-il une telle différence d'appellation et de traitement, ou cela n'est-il qu'une question de degré dans ce qui ne serait, finalement, qu'une seule démarche en termes de distanciation par rapport à son milieu quotidien? Une même personne ne peut-elle alterner les deux types de comportement, à des échelles spatiotemporelles très fines, au cours du même déplacement hors de son domicile? Comment la qualifier, alors? Si tourisme implique voyage, même bref, le touriste est toujours un «voyageur ». Notre propos ne sera donc pas de discuter les centaines de définitions qui ont pu être données de ces différents termes. De toute façon, si on voulait vraiment les évaluer, on se heurterait très vite à des problèmes culturels de fond, soit, on l'a dit, que certains concepts n'existent pas dans certaines langues, soit que le terme utilisé recouvre des réalités spécifiques, au surplus variables dans le temps. Une
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voyageuse anglaise note déjà, il y a près d'un siècle et demi: « What the Parisians call work, we would style recreation in England» (Morrell, 1863, p. 97). C. Aron, dans son ouvrage sur les vacances des Américains des États-Unis (1999), montre bien que, pour ces derniers, la distinction entre travail et non-travail n'a jamais été aussi formelle que chez nous, ce qui ne les empêche pas de se considérer comme « touristes» quand ils passent des vacances avec des activités au service du « business». Les Arabes ne se formalisent pas de mêler affaires, formation et divertissement: cela leur semble naturel. Si la distinction entre travail et détente n'est ainsi pas toujours simple, combien ne le seront pas, a fortiori, les subdivisions internes du concept de « tourisme» ! Est-ce le rôle du géographe de s'épuiser à courir après des définitions touchant à des domaines d'étude qui ne sont pas de son ressort, ou bien aura-t-il à connaître seulement les conclusions qui émanent de ces derniers pour en tenir compte, autant que de besoin, dans l'analyse qu'il pourra faire des lieux touristiques et de leur organisation à toutes les échelles? Un « tourismologue » serat-il mieux à même de le faire? L'on constate par ailleurs que d'innombrables structures, organisations, institutions associent dans leur intitulé les mots tourisme, loisirs, sport, signe que, probablement, il y a des interrelations, voire des interactions, entre ces différentes branches de l'activité humaine. Les lois de décentralisation ont créé, en France, les Comités régionaux de tourisme et de loisirs, même si on oublie souvent le « L » dans leur désignation par « CRT », l'Association of American Geographers comporte un groupe de recherche qui associe les trois domaines (Recreation, Tourism and Sport Specialty Group), diverses instances internationales ou nationales associent tourisme et loisirs (ce qui n'exclut d'ailleurs aucunement le sport comme composante de ces deux domaines), comme la Commission Tourisme, loisir et changement global de l'Union géographique internationale, ou la Commission de géographie du tourisme et des loisirs du Comité national français de géographie. Beaucoup de formations supérieures aussi, et c'est heureux, centrent leur intérêt sur ces différents domaines conjoints, sans compter les commissions municipales, les associations, les entreprises, et sans oublier les nombreuses publications scientifiques (mais est-ce, de leur part, une résignation à un état de fait, en attendant mieux ?). On multiplierait les exemples sans difficulté. Nous ne pensons pas qu'il faille se désoler de ce qui pourrait
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passer pour un manque de rigueur ou une solution de facilité. Nous pensons plutôt que c'est le signe qu'il s'agit d'un écheveau plus simple à dénouer sur le papier que dans les pratiques sociales, et qu'il a sa propre cohérence. La plupart préfèrent (pour le moment 7) le traiter dans sa globalité, au risque de quelques approximations sémantiques qui n'empêchent ni la réflexion, ni l'action, plutôt que de trancher en créant des fractionnements de l'objet (d'étude et d'action) dommageables à la compréhension globale du système qu'il constitue et aux réponses sociales qu'il demande en termes de politiques, de création de produits, de développement d'images, de programmes d'équipements et d'aménagement... sur des lieux où se trouvent en même temps des personnes qui sont touristes, voyageurs, habitants du lieu ou des environs. Comment distinguer ce qui relève du tourisme ou des loisirs dans la création et la fréquentation des résidences secondaires, des parcs d'attractions, des musées, des restaurants 7 C'est par rapport à ces individus qui se trouvent ensemble au même endroit qu'il faut répondre à des demandes multiples, quel que soit le statut que leur attribuera la « science ». Cela rejoint nos réflexions antérieures sur la nécessité qu'il y aurait, dans les statistiques, à pouvoir distinguer ces catégories de personnes dans la pratique, si l'on veut strictement distinguer le tourisme des loisirs. Le passage de l'un à l'autre, même quand on veut opposer les deux, est d'ailleurs bien difficile à cerner. Plusieurs ont parlé d'un « continuum» (Jafari, 1988 ; De Groote, 1989 ; Dewailly et Flament, 1993). « Entre les loisirs... et le tourisme... s'insinue une sorte de continuum de pratiques qui brouille à nouveau les pistes au moment même où l'on pouvait avoir l'impression de les avoir éclaircies. Cependant, cette distinction reste opérationnelle lorsque l'on s'intéresse à la dimension spatiale de ces activités »1 ( Knafou et al., 1997). Où faut-il y placer la barre qui indique indiscutablement qu'on est dans une situation de tourisme ou de loisirs 7 C'est loin d'être indifférent dans les politiques urbaines, où « une attention particulière doit être accordée à ce que l'on met sous le terme tourisme» (Thomas et Thomas, 2005, p. 133). Et l'exigence de différenciation est sans doute plus facile à proclamer qu'à concrétiser. Qu'est-ce à dire, par exemple, que l' « on se situe... aux limites du tourisme» (Équipe MIT, 1 Cette dernière affirmation chapitre 4.
nous semble hasardeuse,
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comme tentera de le montrer le
2002, p. 274. De quel côté? Dehors? Dedans? Un peu de chaque côté? Dans quelles proportions? Une limite a-t-elle une épaisseur ? Que signifie qu' « on est à la charnière du tourisme et des loisirs» ou que « le tourisme se mue en loisirs» (Stock et al., 2003, p. 29 et 277), que certaines régions sont des « préfigurations» (Équipe MIT, 2002, p. 138) d'autres, que « les voyages d'affaires préfigurent les déplacements touristiques» (ibid., p. 154), que la Tunisie comme la Costa Brava ont connu « une forme de prétourisme » (ibid., p. 201) ? Ces formes et processus de transition, admis, ne sont pas nettement définis, non plus que les critères pour y entrer ou en sortir. Varient-ils selon les lieux, les époques, les formes de tourisme plus ou moins dominant, des processus planifiés ou spontanés? A quel rythme? Les identifie-t-on de la même façon à toutes les échelles? Quels sont les seuils qui permettent de dire que l'on est « en tourisme» ou « hors tourisme» ? Cela reste à étudier. En attendant, on en parle quand même, et c'est tant mieux. Pour ce qui est de la « récréation », le terme ne trouve aucune grâce aux yeux du MIT, bien que, comme le pratiquent les AngloSaxons (sous la forme « recreation ») et comme nous l'avons fait à leur suite, l'usage de ce terme désigne commodément l'ensemble tourisme-loisirs marqué par sa dominante ludique (bien que la coïncidence ne paraisse pas complètement assurée. Cf. infra). Mais, nous dit-on péremptoirement, « sa valeur ajoutée est inexistante» (Équipe MIT, 2002, p. 103). Ce n'est pourtant pas faute, dans une contradiction assez gênante, de l'employer, ainsi que son dérivé « récréatif(s)/tive(s) » (Stock et al., 2003, p. 140, 287 ; Lazzarotti, 2003, p. 106; 2004, p. 16...) Il est vrai que le mot, en français, évoque surtout la cour de récréation et ses jeux, et prend du coup une connotation puérile et peu sérieuse. Il n'empêche: c'est la seule traduction officielle de l'anglais recreation, qui a un sens plus large, et bien des chercheurs francophones l'ont employé en lui donnant le sens du terme anglais, à tel point qu'on peut estimer que ce second sens doit être pris en considération sans le discrédit dont certains veulent le gratifier. L'origine du terme, le mot latin recreare, créer de nouveau, ne nous avait, en effet, pas échappé, et dès 1997, nous avons développé, avec d'autres, quelques réflexions sur la question (Dewailly et Sobry, 1997), montrant notamment comment la récréation peut contribuer à la recréation (ou re-création) des individus, des lieux, des paysages,
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des structures économiques, des images, des identités, localement ou régionalement. Nous sommes donc d'accord avec le MIT dans la distinction à opérer sur le sens du vocable. Mais pourquoi ne pas admettre que « récréation» dans un contexte sans ambiguïté, peut aussi s'utiliser dans l'étude du tourisme, sans faire appel à « recréation» dont le jeu d'accents, à mi-chemin du français et de l'anglais, risque de poser des problèmes de transcription, et donc de compréhension? Peut-être le terme s'imposera-t-il, mais nous espérons que ce ne sera pas sans introduire de nouvelles confusions dans ce qu'il prétend clarifier. Car, s'agissant de « récréation », il n'est pas dit que l'usage d'un mot n'en modifie ou n'en enrichisse pas le sens au fil du temps, et rien n'oblige à garder un sens univoque à un terme qui évolue avec la société et les besoins qu'elle en a. Rien n'empêche non plus de proposer une variante, il est vrai. Pour contester l'emploi de « récréation », il est fait état d'un article de Jafari (1988) qui, dit-on, « est le premier à utiliser le terme de recréation » (Équipe MIT, 2002, p. 105). Cette affirmation est inexacte, et la rigueur à laquelle nous invite le débat scientifique nous oblige à la contester sur plusieurs points. D'abord, Jafari parle de « re-création» (avec adjectifs dérivés: re-créatif, re-créé...), avec un trait d'union. Pour un fiancophone, il y a plus qu'une nuance, le préfixe indiquant un renouvellement de l'action, comme on pourrait le dire de bien d'autres verbes. On peut douter d'autre part que l'auteur veuille y mettre toute l'intentionnalité, et le sens corrélatif, que le MIT lui attribue. En effet, Jafari est anglophone, et son article publié en fiançais est une traduction. Faute de pouvoir vérifier ce point d'une façon absolument sûre, on peut s'interroger sur le fait de savoir s'il a écrit, dans sa langue maternelle, « re-creation» ou « re-création ». Nous penchons pour la première hypothèse, car il ne semble y avoir aucune raison particulière qu'il ait voulu introduire dans son texte anglais une partie fiancisée d'un vocable anglais, mais en revanche il est probable que le traducteur a alors traduit en la francisant cette partie du vocable, et donc en lui ajoutant un accent qui permet au mot de sonner plus français, alors que le préfixe fiançais « re- » n'en requiert pas forcément. D'où cette version de son texte, avec « re-création », le trait d'union coupant le mot en deux, avec la nuance que cela implique, nous semblant beaucoup plus probable que le jeu volontaire sur des accents, étrangers à l'expression linguistique de base de l'auteur. Deux conclusions à cette exégèse indispensable: d'une part, il faut respecter les citations et ne pas trop
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solliciter les textes, d'autre part cet exemple illustre parfaitement les risques de transposition transculturelle de certains concepts qu'on voudrait bien solliciter à son goût. Troisième conclusion: dans ces conditions, « recréation » pour remplacer « récréation» ne semble donc guère convaincant. Nous avions déjà employé « re-création» (1997), et nous acceptons son emploi pour signifier « créer de nouveau », pas pour remplacer «récréation ». Si « recréation » devait s'imposer, pourquoi pas, mais il faudrait muscler l'argumentation. Car « recréation » évoque en français, pour le moment, tout autre chose que la dimension ludique et distractive de « récréation », qui est partie intégrante du tourisme, même si elle n'est pas la seule et même si, nous dit-on, « le touriste n'est pas qu'un joyeux drille parti en goguette », mais « une personne porteuse d'un projet existentiel» (Équipe MIT, 2002, p. 104 et 103). A Ibiza ou Saint-Tropez, au quotidien nocturne, personne n'en doute... Parmi bien d'autres possibles, les figures 1 et 2, tirées de publications récentes, conçues en commun par des auteurs spécialistes, et ayant donc intégré davantage les réflexions nombreuses des chercheurs, tentent d'apporter quelques éléments de réponse. Quelles que soient la pertinence de leur propos et la qualité de leur apport, avec lesquels on ne peut pas se sentir fondamentalement en désaccord, on constate pourtant qu'elles sont loin de coïncider. Hall et al. (2004) opposent le travail à un ensemble loisirs-tourisme-récréation, dont les trois sphères se recoupent à deux ou à trois mais recoupent aussi, pour les deux dernières, celle du travail (fig. 1).
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Figure 1 - Les relations entre loisirs, récréation (Source:
d'après Hall, Williams et Law, 2004)
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Les auteurs parlent de « porosité» entre les différentes catégories distinguées. Les « loisirs sérieux» y sont même considérés comme relevant du travail, tout en étant récréatifs. Cela rejoint les conclusions de C. Aron (1999) déjà mentionnées. Le voyage d'affaires, on y reviendra, fait une sorte de « percée» dans le monde du travail, mais clairement au titre du tourisme. De leur côté, Poria et al. (2003) nous offrent une représentation plus complexe, proposant de situer le tourisme dans un modèle en trois dimensions, diagramme à imaginer comme constitué de blocs où se projettent dans le temps et dans l'espace les différentes composantes des activités humaines (fig. 2).
Plusd'un an
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Figure 2 - Les relations entre les cadres temporel et spatial et le tourisme (Source;
d'après Paria, Butler et Airey, 2003)
On constate que, si, pour ces auteurs, le tourisme appartient indiscutablement aux activités pratiquées hors du lieu de résidence habituel, il peut prendre place en temps libre ou non libre, et relever de la « recreation» ou des loisirs, mais aussi concerner des périodes 70
de moins de 24 heures à plus d'un an. Cela excède toutes les définitions communément utilisées, mais correspond sans doute à des réalités existentielles qui compliquent la tâche du géographe tout en respectant certains acquis d'autres sciences humaines. Ces deux exemples nous semblent particulièrement intéressants par la complexité qu'ils mettent en évidence, mais les auteurs ne cachent pas que ces propositions résultent du point de vue particulier qui est le leur, sans prétendre encore à s'imposer indiscutablement. Sur la forme comme sur le fond, on ne peut que les approuver. Et pour ce qui est du tourisme, qui est l'objet de la présente réflexion, l'on constate quand même que les deux modèles proposés conduisent au recoupement des concepts de tourisme, loisirs et récréation, mais aussi à la possibilité de l'insertion de tourisme dans du temps considéré comme non-libre, voire de travail. Positions qui ne lèvent pas toutes les difficultés et qui n'ont sans doute pas les vertus de sortir d'une certaine indécision (floue ?), mais que nous rejoignons. La discussion reste ouverte.
Anthropologie et « pérégrinité » Peut-être faut-il sortir des cadres que nous tenons pour acquis pour approcher un peu plus l'essence du tourisme, même sans pouvoir forcément l'atteindre encore. Dans une publication passée fort inaperçue, M. Dacharry (1991) présentait ces « touristes d'un autre âge» qu'étaient, selon elle, les Romains. L'appellation fera sans doute bondir les tenants du tourisme comme expression d'une modernité apparue avec la Révolution industrielle, et pour qui il ne saurait être question de parler de « tourisme» au début de notre ère. Et pourtant... Dans ce petit ouvrage, qui s'appuie sur une riche bibliographie et ne dédaigne pas, loin de là, la référence aux auteurs latins eux-mêmes (auteurs qu'il conviendrait peut-être de scruter davantage encore), l'on trouve tous les ingrédients du tourisme et des loisirs modernes dans leurs diverses manifestations, de la première moitié du 1er siècle avant J.C. à la fin du IVè siècle après J.C.. Citons-les, en vrac: accès d'abord aux fortunés et aux instruits, temps libre disponible, visiteurs proches et lointains, et parfois en masse, accessibilité et sécurité sur terre et sur mer, rôle des paysages et du climat, patrimoine monumental attractif, bains thermaux et marins, villégiature, résidences secondaires (parfois multiples), « stations» balnéaires, thermales, rurales, fuite de la ville, de ses embarras, de ses bruits, de
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sa pollution, libération du contrôle social, ressourcement familial, travail et loisirs mêlés hors de sa résidence principale, renouvellement des destinations, modes d'hébergement variés, voyages lointains pour culture et divertissement, guides de voyages, grands évènements et spectacles, culturels, sportifs, militaires, certains d'ailleurs organisés non sans démagogie, promotion immobilière et spéculation, élection d'un autre lieu de résidence en cas de « saturation », effondrement de tribunes, protection contre le soleil et le froid, croisières et naufrages, rôle des empereurs et de l'aristocratie dans le lancement des « lieux touristiques », retraités s'établissant sur des lieux qu'ils ont fréquentés comme « touristes », intérêt du bilinguisme... Cet inventaire à la Prévert, d'ailleurs exprimé ici avec beaucoup de mots et de concepts que les Romains ne maniaient pas, ne saurait masquer ce qui est beaucoup plus important pour notre propos: toutes ces pratiques et les aménagements qui y sont liés procèdent d'une véritable quête d'altérité» et de « distinction », qui sont plus d'une fois aussi explicitement ou implicitement mentionnées, dans des formes variées, par les Romains concernés, et dans lesquelles le MIT d'une part, M. Boyer d'autre part, voient les véritables moteurs du tourisme et de son émergence moderne. Mais surgit alors une question, redoutable: et si cette recherche d'altérité et de distinction, manifestée à travers tant de traits d'allure « moderne », relevait non pas d'un concours de circonstances historiques, mais d'une exigence anthropologique profondément inscrite au cœur de l'homme 7 Après tout, certains évoquent bien « l'importance, pour ne pas dire la nécessité, que représente le tourisme pour chacun d'entre nous» (Équipe MIT, 2002, p. 96). Mais, en même temps, et si ce tourisme moderne n'était, somme toute, et dans une résurgence de mouvements de longue période (parlera-t-on de « cycles» 7), que l'expression, au sein d'une culture occidentale héritière du monde romain, d'aspirations, plus ou moins concrétisées, liées au système humaniste établi sur ces fondements depuis plus de vingt siècles, et ayant connu une éclipse au Moyen Âge, avant de ressurgir à la Renaissance avec la première modernité du Grand Tour 7 Même si certains souhaitent « entrevoir les mécanismes psychiques profonds qui sont mis enjeu» (Équipe MIT, 2002, p. 12), l'approche scientifique du tourisme par la plupart des chercheurs est, en effet, très marquée par ce qu'on appellera un « occidentalocentrisme » prononcé, ne serait-ce qu'en en fixant
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autoritairement le début à une Révolution industrielle pourtant pas si clairement définie dans le temps et dans l'espace qu'on l'affirme pour les besoins de la cause. Déjà les citoyens de l'Empire romain réclamaient du pain et des jeux, dont les homologues actuels pourraient être trouvés dans le tourisme et les loisirs, voyages, visites diverses, tiercé, loto, championnats de sport, coupes du monde qui drainent des foules... Pascal l'avait constaté dans ses Pensées: « les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser... La seule chose qui nous console est le divertissement» ... Dès lors, si le tourisme répond à un besoin de « se distinguer }},de mettre en oeuvre un « projet existentiel }},ce ne sont pas des conditions techniques qui lui donneraient sa véritable existence, elles lui permettraient seulement de révéler celle-ci d'une façon plus ostensible, plus apparente, plus efficiente par rapport aux buts poursuivis par les individus. Cette vision des choses s'éclaire à la lumière des vues de l'anthropologue Philippe Descola (2005), pour qui nature et culture sont plus en continuité qu'en opposition. Et d'affirmer: « l'anthropologie scientifique prolonge l'anthropologie philosophique: réfléchir sur ce qui fait, non pas la spécificité de l'humain, mais la spécificité des liens que les humains tissent avec le monde qui les entoure. C'est quelque chose de très singulier et de très divers, qui ne peut pas être réduit à l'humanisme tel qu'il s'est développé en Europe à partir de la Renaissance }}2.Dès lors, puisqu'il est admis que les fondements de notre civilisation occidentale sont à trouver chez les Grecs et les Romains, pourquoi le tourisme moderne ne serait-il pas fondé sur un système de valeurs qui y trouve aussi ses origines, et s'est adapté, au fil du temps, aux contingences matérielles que lui ont offertes les vicissitudes du développement de notre culture occidentale? Ce « tourisme }}des Romains anciens (L. Lomine parle aussi du « Tourism in Augustan society (44 BC - AD 69 », in Walton (éd.), 2005) a quand même duré cinq siècles et demi, deux fois plus longtemps que ce qu'a duré jusqu'à présent notre tourisme « moderne }}.Et l'on constate que la villégiature qui reprend en Italie à partir du XVè siècle correspond en de très larges points à celle qui s'était éteinte dix siècles plus tôt. Cela ne veut pas dire qu'il ne s'était rien passé durant dix siècles. Les sources sont simplement beaucoup 2
P. Descola, interview à La Croix, 15 septembre 2005
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plus déficientes, et l'on sait d'ailleurs, par de multiples notations éparses, que beaucoup de stations thermales (ré)apparaissent à partir des XVè-XVIè siècles, mais en invoquant une activité continue, quoique ralentie, durant le Moyen Âge. Dans ces conditions, il n'y a guère de surprise, et peu d'objections, à constater cette filiation du tourisme sur 20 siècles, au sein d'un système, ou « mode d'identification », que Descola qualifie d' « humanisme », tourisme qui ferait partie de cette « spécificité des liens que (les Occidentaux ont tissés) avec le monde qui les entoure ». La Renaissance aurait alors d'abord procuré un nouveau cadre intellectuel, mental, à ces pratiques « re-naissantes» pour un « homme nouveau », avant que la Révolution industrielle ne vienne fournir à « l'homme des Lumières» une technologie et des moyens techniques décuplés pour satisfaire cette demande réapparaissante. Mais il conviendrait alors, aussi, d'examiner comment les pratiques de ce que nous appelons « tourisme» s'insèrent, si elles existent, dans les autres systèmes cosmologiques, ou « modes d'identification », que discerne Descola, afin de sortir de notre occidentalocentrisme peu propice à une approche compréhensive du tourisme. Autrement dit, le tourisme moderne, de filiation occidentale incontestable, n'est-il pas un vin vieux mis dans des outres nouvelles, un mot nouveau pour des pratiques universelles (dans des formes évidemment adaptées aux conditions techniques de chaque époque) et peut-il avoir valeur universelle? Certes, le mot, apparu au début du XIXè siècle, semble incontestablement dérivé du « Tour» que faisaient en Europe les voyageurs fortunés à partir du XVIè siècle. Mais ce type de déplacements à composante largement divertissante, dans sa nature, pourquoi aurait-il attendu la Révolution industrielle pour se manifester? Réduire ainsi son apparition à cette période, n'estce pas une façon d'en faire une affaire d'Européens entre eux, avec une dénomination qu'ils imposent ensuite, mais qui peut correspondre, mutatis mutandis, à des pratiques du même genre ailleurs? Le premier « touriste» européen, et conscient de l'être, arrivé, par exemple, en Colombie ou au Kenya, n'est nullement un « touriste» pour ceux qui l'accueillent, mais un visiteur, peut-être un voyageur, sûrement un étranger, dont les pratiques correspondent peut-être, sur un plan culturel, à des homologues locales de contenu évidemment différent, mais de sens identique, et sur lesquelles le manque de sources nous rend aveugles.
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En d'autres termes, la chose n'aurait-elle déjà pu exister sous un autre nom, si elle correspond à une réalité anthropologique façonnée par une culture particulière? M. Dacharry relève que les auteurs latins parlent de « peregrinatio » (d'où viennent notre « pérégrination », mais aussi notre « pèlerinage »), signifiant « voyage à l'étranger, séjour à l'étranger» N'est-ce pas exactement ce qui correspond à notre « tourisme» cherchant l'altérité dans un horsquotidien perçu comme « étranger» même proche de chez soi? Et qui pratique la « peregrinatio» acquiert la «peregrinitas », « la pérégrinité, la condition d'étranger» telle que le touriste actuel la ressent aussi. A l'origine, à Rome, le pérégrin était un étranger mais non ennemi, un homme libre mais non citoyen romain: beaucoup de similitudes avec le touriste moderne dans son pays d'accueil. Et M. Dacharry (ibid., p. 33) de noter aussi que Rabelais, dans le Quart Livre du Pantagruel (1548), évoque les « amateurs de pérégrinité », ce qui tendrait à montrer qu'il existait à cette époque des individus qui aimaient voyager pour leur plaisir. Pourquoi aurait-ce été une nouveauté de l'époque? Le mouvement s'est-il complètement interrompu dans les dix siècles précédents? Amenuisé, atténué, sûrement, au fil des guerres, invasions, destructions (y compris celles de nombreuses sources utiles au chercheur), difficultés multiples qui assaillirent l'Occident. Le Grand Tour, d'ailleurs, a commencé dès le XVIè siècle, et tout le monde s'accorde à considérer que c'était du tourisme, bien qu'il débute avant la Révolution industrielle, si bien que d'autres chercheurs y voient bien la continuité d'un tourisme ancien: « en quelque sorte, c'était une forme ré-émergente de tourisme culturel de l'ancien monde où de riches Romains, par exemple, visitaient les splendeurs de la Grèce et de l'Égypte. En outre, les itinéraires et facilités du Grand Tour s'appuyaient sur les infrastructures fournies aux pèlerins et autres voyageurs depuis le Moyen Âge» (Towner, in Jafari, 2000, p. 260. Voir aussi Towner, 1996). Il y a donc eu filiation des pratiques au cours d'une dizaine de siècles, même si le Moyen Âge constitue une période obscure où les troubles, l'absence de sources, le manque de recherches ne conduisent pas à une certitude aussi forte que pour les périodes antérieure et surtout postérieure. Mais nous faisons l'hypothèse de cette filiation anthropologique et fonctionnelle entre les « Anciens» et les « Modernes », ce qui ferait de la pérégrinité (pour autant qu'elle ait été à caractère plus ou moins ludique ou distractif). l'ancêtre du tourisme
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dans les pratiques, mais sans rompre la continuité de son essence. La «révolution touristique» (Boyer, 2005) n'est pas l' « invention du tourisme », ce n'est que celle du tourisme moderne. Le « tourisme» ne serait que l'appellation moderne, avec les pratiques évolutives qui l'accompagnent, d'une pérégrinité existentielle. Resterait à creuser cette hypothèse et à explorer comment le tourisme peut revêtir une dimension anthropologique plus ou moins universelle dans son essence même, en fonction des conditions qui peuvent ou non présider à son émergence et à sa concrétisation, au sein des autres «modes d'identification ». Exigence scientifique qui requiert une authentique pluridisciplinarité. Le tourisme n'est décidément pas une «industrie» Il y a déjà quelque temps que nous avons eu l'occasion d'exposer pourquoi, à notre avis, le tourisme n'était pas une industrie, même s'il pouvait parfois structurer l'espace « comme» une industrie (Dewailly, 1991), et nous renvoyons à cette discussion en en soulevant seulement ici quelques aspects. Que le terme fasse florès, que des professionnels ou des chercheurs l'emploient par commodité ou par conviction ne change pas le problème de fond: le tourisme n'est pas une industrie. D'ailleurs, les auteurs géographes d'un récent ouvrage de référence traitant de « l'industrie dans la nouvelle économie mondiale» ont beau affirmer, et avec raison, « la définition de l'industrie n'est simple qu'en apparence» et « la distinction entre agriculture, industrie et services perd de sa pertinence» (Holz et Houssel, 2002, p. 9 et 13), à aucun moment ils ne jugent nécessaire de parler du tourisme. Curieusement, certains auteurs, très sourcilleux sur des nuances plus subtiles, comme la distinction entre « récréation» et « recréation » , ne semblent guère s'émouvoir de cette appellation « industrielle» et l'emploient même à l'occasion (Équipe MIT, 2002, p. 261 ; Stock et al., 2003, p. 19). Mais c'est surtout J.M. Hoerner qui se fait l'apôtre d'un tourisme « industrie» , plaidant constamment pour « l'industrie du tourisme» ou« l'industrie touristique» 3. Les raisons qu'il en donne (Hoerner et Sicart, 2003) ne sauraient emporter 3 Le même ouvrage voit d'ailleurs l'industrie partout; « industrie du (ou des) voyage(s) » (p. 53, 55, 57, 72), « industrie hôtelière» (p. 49, 65), « industrie des guides de voyage» (p. 53). Dans ce dernier cas, il s'agit bien d'une industrie, produisant un bien manufacturé et stockable, pas dans les deux précédents.
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l'adhésion à titre scientifique, même si elles expriment des réalités: consécration du terme par le milieu professionnel, ancienneté de cette utilisation, intensité capitalistique (mais à ce titre, la recherche ou le transport aérien seraient-ils des industries ?) ou de main d'œuvre (le domaine de l'éducation-formation en est-il une ?), évolution des concepts scientifiques (mais on ne saurait quand même tout justifier si l'on veut se comprendre)... Le terme anglais « industry» est commode, mais contesté même par des chercheurs anglophones (cf. encadré na I). Il conduit d'ailleurs à un contresens dans l'ouvrage indiqué, car s'il y est justement écrit que nous nous opposons au terme « industrie» pour le tourisme, la partie anglaise de l'ouvrage reprend cette assertion en parlant donc de notre opposition à « industry ». C'est parfaitement faux, car précisément au nom de cette difficulté interculturelle de compréhension des concepts dans des langues différentes, nous n'avons jamais contesté le terme « industry» pour parler du « tourism », mais seulement sa traduction hâtive en «industrie» à propos du « tourisme ». Et l'on ne pense pas que l'emploi de ce terme clarifie les idées des étudiants quand il s'agit de traiter de « l'industrie », comme nous avons déjà eu l'occasion, hélas, de le constater. Les encadrés 1 et 2 veulent justement attirer l'attention d'une part sur l'absence de fatalité qu'il y a à parler d' « industrie» même chez les scientifiques et chez les Anglophones et, d'autre part sur les dérives qui peuvent - et logiquement, devraient, sans qu'on ait dès lors à s'en émouvoir ou le contester - survenir à l'avenir dans l'étude du tourisme. McKercher souligne que « le tourisme n'est pas une 'industrie' en soi» (1999, p. 428). Selon Smith, que nous rejoignons, une « industrie touristique est une industrie qui diminuerait fortement ou même disparaîtrait en l'absence de tourisme» (2004, p. 31. Cf. aussi encadré 1). Une nuitée d'hôtel, une place d'avion, une visite guidée ne sont pas stockables, elles n'existent, touristiquement parlant, que parce qu'elles sont consommées, et seulement au moment où elles le sont, ce qui conduit le même auteur à insister sur le fait que le tourisme se définit d'abord par la consommation et non par la production.
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Encadré na 1 - Quelques avis sur 1'« industrie» touristique « L'on a désigné sous le terme d'activité économique liée au tourisme 'un ensemble d'activités' appartenant à différentes branches. C'est pourquoi l'emploi du terme 'industrie' pour désigner les activités économiques du tourisme est incorrect ». (GMT, 1994, Recommandations sur les statistiques du tourisme, New-York, Nations Unies, p. 27). « C'est ce rêve, mêlé à d'autres bien sûr, qui est à l'origine de l'explosion du tourisme, devenu en quarante ans l'une des toutes premières activités économiques de la planète. A l'instar du cinéma, le malheur veut qu'on le considère comme une industrie (d'exportation) alors qu'il devrait être
rangé du côté des services (indigènes), - et non des servitudes! - distrayants et à forte connotation affective ». (Bertrand Lévy et al., 2002, Le tourisme à Genève. Une géographie humaine, Genève, Ed. Metropolis, p. 8). « In my teaching, I constantly Warn students of the dangers of oversimplijjJing tourism by calling it an industry. It does not and cannot (because of its diverse nature) exhibit the characteristics of an industry (such as homogeneity, and clear sector boundaries). I prefer the term economic sector. This is an important point, but not one that should caUse sleepless nights ». (Peter M. Bums, 1999, An introduction to tourism anthropology, London and New-York, Routledge, p. 169). « The phrase 'tourism industry' typically is used in any discussion of the contribution oftourism to a nation's economy... But, again, is tourism an industry and if not, how Can it be defined and measured in a way to permit credible measurement? An industry is a set of businesses defined by their primary product. For example, the auto industry is the set of businesses that manufacture cars; the gaming industry is the set of businesses that offer gambling opportunities. A set of businesses must meet three criteria to be considered an industry : I. They produce essentially the Same product. 2. They use essentially the Same technology. 3. The output is large enough to Warrant data collection and reporting. Is there a collection of tourism businesses that meet these criteria? However tourism is defined, most people would include the elements of movement (transportation), of remaining temporarily in one place (such as staying in accommodation), being entertained, and consumingfood and drink
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as aspects of tourism. There is no obvious logic that one can use to meaningfully aggregate these diverse products into a single generic product that would characterize something called the tourism industry; So, iftourism is not an industry, what is it ? While tourism is not an industry in the conventional sense, one can still speak of 'tourism industries '. So, tourism industries is also a core concept: a tourism industry is anv industry that vroduces a tourism commodity. In other words, a tourism industry is one that would greatly diminish in size or even disappear in the absence oftourism » . Stephen L. J. Smith, 2004, « The measurement of global tourism: old debates, new consensus, and continuing challenges », in A. Lew, M. Hall et A. Wiliams, A companion to tourism, Malden, Oxford et Victoria, Blackwell Publishing, p. 26-27 et 31).
On peut donc très bien parler de « secteur », d' « activité» ou d' « économie» touristique selon le contexte, sans que cela prête à la moindre confusion. On peut d'ailleurs relever que des Anglo-Saxons aussi rechignent à parler d' « industry» à tort et à travers, même dans des travaux de fond à forte consistance conceptuelle et épistémologique (cf. encadré 1, ou Faulkner et Ryan, 1999, qui ne parlent pas une seule fois de « tourism industry» et n'emploient le mot « industry », seul et une seule fois, que pour désigner l'ensemble du secteur professionnel touristique, mais pas les pratiques des touristes ). Certains auteurs ou institutions qui utilisaient couramment le terme « industrie» semblent plus circonspects: ainsi, en s'y référant constamment, l'Université de Perpignan organisait en 2003 les «Journées Académiques des Industries Touristiques », devenues en 2005 « Journées Académiques du Tourisme» qui parlent fréquemment du « secteur» ou de l' « activité» touristique, abandonnant pratiquement l'expression « industrie touristique ». Il n'y a donc pas de fatalité « industrielle ». Plus récemment, certains auteurs ont fait observer que l'emploi du terme « industrie» pour le tourisme français remontait à la fin du XIXè et au début du XXè siècle, quand le développement du tourisme se montrait « industrieux» et que cela ne nécessitait pas le recours à l'explication de la traduction d'un «faux ami» (Lefort, 2005). Mais le terme «industrie» étant notoirement tombé en léthargie après la seconde guerre mondiale, et n'ayant repris vigueur que quand l'essor du tourisme
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Encadré n° 2 « industriel»
- Imaginons...
Quelques nouvelles du monde
« Le récent grand concours quinquennal des Classes Préparatoires Majeures sur le thème « Espaces et identités» proposait cette année comme sujet: « Les régions industrielles de la France: destins et contours ». Le jury a attribué le premier prix à une copie qui, de façon originale et astucieuse, a su mener une fine étude comparée entre les deux grandes régions industrielles linéaires à grande échelle que sont le Couloir de la Chimie au sud de Lyon et la Côte d'Azur entre Cannes et Menton ». (Source: La Gazette Pédago-Chic,juin 2013, p.42). « Les ports de Dunkerque, le Havre, les Sables d'Olonne et SaintTropez ont été désignés comme représentants français de leur façade maritime respective au sein de l'lndustrial Harbour Conference Ltd, qui doit défendre à Bruxelles les intérêts des ports industriels européens ». (Source: Le Salut des Ports, n° spécial, mai 2012, p. 12). « A l'issue du récent congrès sur l'avenir industriel de la France, qui s'est tenu dans la petite cité industrielle de Chaudesaigues, les industriels présents ont décidé, afin de faire mieux entendre à l'avenir la voix de ces secteurs essentiels, d'ouvrir désormais les rangs de 1'« Association pour la Promotion des Industriels Français» à leurs confrères des industries bancaires, hospitalières et universitaires. La candidature des industriels agricoles devrait être réexaminée l'an prochain, l'assemblée n'ayant pas réussi à s'entendre sur la définition de l'industriel agricole: à partir de 3 poules et/ou 500 m2 de terre, ou 10000 poules et/ou 500 ha (ou équivalent à définir)? ». (Source: L'Eveil Industriel, 31 septembre 2012, p. 4) « Par arrêté du Ministre de l'Équipement Touristico-Industriel, et à compter du 15 janvier prochain, les hôtels, restaurants, campings, bases de loisirs, parcs d'attractions et autres équipements de tourisme et loisirs ne bénéficieront plus de dérogation pour s'installer hors des zones industrielles prévues par les Plans locaux d'urbanisme. Jusqu'au 29 février 2017, une tolérance sera cependant accordée aux sentiers de randonnée, qui pourront encore être établis dans les espaces ruraux, à condition qu'ils voient passer au moins 12500 randonneurs par an ». (Source: Le Moniteur de l'Industrie Touristique, n° 444, mars 2013, p. 18 bis).
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dans les années 1960-70 a entraîné, après celui des Trente Glorieuses, la généralisation de l'anglais, nous avons tendance à penser que c'est autant pour des raisons de prestige (une industrie, ce n'est pas du bricolage, ni même de l'artisanat...) que de facilité de communication vers le monde anglophone que ce terme est revenu en faveur à propos du tourisme. Les différentes raisons ne s'excluent d'ailleurs pas l'une l'autre. Qualifier le tourisme Certains dénoncent aussi très vivement le cortège d'épithètes et «l'abus de qualificatifs» (Stock et al., 2003, p. 19) qui accompagnent souvent le mot « tourisme» : rural, urbain, montagnard, balnéaire, littoral, sportif, religieux, vert, d'affaires, culturel, de santé, d'aventure, social... comme étant peu éclairants sur le tourisme lui-même, et quoiqu'HIes emploie plus d'une fois (Violier, 2000, p. 291 ; Équipe MIT, 2002, p. 236, 291 ; Stock et al., 2003, p. 15,219...). On ne peut guère s'étonner de cette profusion, les espaces ou thèmes de référence étant eux-mêmes généralement mal délimités: quand on affirme que «le déplacement touristique se nourrit du différentiel des lieux» (Stock et al., 2003, p. 25), doit-on se scandaliser que les touristes veuillent précisément qualifier d'un terme générique (même imparfait) ce qui, à leur yeux, caractérise d'abord ce « différentiel» ? Dire que «l'appellation de 'tourisme littoral' peut poser problème» (Duhamel et Knafou, 2003, p. 65), pourquoi pas, à condition de ne pas avancer, dans le cadre de sa démonstration, des arguments erronés4. En outre, même les spécialistes s'interrogent sur ce qu'est la ville, les limites de la montagne ou de la campagne varient selon les lieux, les auteurs et les objectifs, le littoral est perçu comme un espace de profondeur très variable5, l'espace rural est souvent défini par défaut, avec des catégories intermédiaires de péri-urbain, 4 En l'occurrence, affirmer « lorqu'une invasion d'algues vertes, en 1990, rendit la baignade impossible dans l'Adriatique, la station de Rimini ne vit pas sa fréquentation baisser pour autant» (Duhamel et Knafou, 2003, p. 66), alors que des observateurs bien placés rapportent précisément une baisse de fréquentation, même si elle fut assez rapidement surmontée (voir Becheri E, 1991, « Rimini and Co ; the end of a legend? Dealing with the algae effect» Tourism Management, n° 3, p. 229-235). 5 Cf par exemple, la carte très éclairante des « espaces touristiques» tels que perçus parle Ministère du Tourisme, in Knafou R., (coord.), 1997, p. 101.
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suburbain, rurbain... Qu'est-ce qu'être « social », « sportif », « religieux» pour le tourisme 7 Résider dans une maison familiale de vacances même si on possède un yacht de luxe, trottiner sur le front de mer en promenant son chien, visiter une cathédrale tout mécréant qu'on soit 7 Autant de personnes, autant de ressentis, autant d'auteurs, autant de perceptions, ou peu s'en faut. Mais du coup, ne peut-on contester tout aussi vivement le tourisme considéré dans des espaces apparemment très déterminés, par leur nature tant géographique, (insulaire, par ex : mais il y a des grandes et des petites îles, ce qui change beaucoup de choses, des archipels et des îles isolées, des états plus ou moins insulaires, des îles plus ou moins proches de la partie continentale de l'état dont elles font partie, des îles plus ou moins marquées par l'opposition au vent - sous le vent... Tout cela modifie le système touristique. Parlera-t-on de « tourisme insulaire» pour l'Australie et Madagascar, « péninsulaire» pour l'Europe, ou ses «sous-péninsules» ), que spatiale (pourquoi étudier le tourisme en France ou en Afrique, en Bavière ou à Acapulco, comme si c'étaient des isolats compréhensibles en eux-mêmes 7). Qu'il s'agisse donc de qualificatifs d'ordre spatial ou thématique, il n'apparaît pas illégitime d'utiliser des mots qui servent à préciser, même imparfaitement, ce dont on veut parler, avec un souci de communication qui permette aux théoriciens de rencontrer les praticiens sur un objet commun. Au risque toutefois d'un paradoxe basique: on ne sait pas ce qu'est le tourisme, et on veut quand même le qualifier! Mais de quoi parlerait-on si on ne pouvait même pas le qualifier (cf. la citation de Lipietz, supra) 7 Il faut donc bien s'y résoudre, sous peine, une fois encore, d'arriver après la bataille pour une improbable « victoire» d'un purisme éclatant, mais dénuée de sens. N'y aurait-il moyen que de débattre que de ce qui est parfaitement et incontestablement, une fois pour toutes, cerné 7 Dans ce cas, ne parlons plus de culture, de religion, de sport, de politique, de santé... Il n'y a plus de débat scientifique possible, puisque soit les mots sont impuissants à l'exprimer dans son essence pure, soit les «résultats» acquis ne peuvent être remis en cause par quiconque n'atteindrait pas à son tour à cette pure essence des mots. Chercher l'essence d'un tourisme qui sera ensuite « inexprimable» ou «ineffable », c'est sans doute parfait par rapport à un paradis touristique à venir, c'est plus problématique au regard des débats et des avancées de la recherche et à ses indispensables usages sociaux.
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De même, ne nous semble-t-il pas scandaleux, et même si l'on peut en discuter, de décliner avec un certain flou toutes les variétés de « tourisme» qui cherchent à se situer maintenant davantage dans le champ de l'éthique: durable, alternatif, doux, équitable, solidaire, éthique, soutenable, responsable, de valeurs... A notre avis, tous ces termes expriment très largement, voire totalement, le même contenu de respect des sociétés et de leur milieu par le tourisme qui s'y développe. Ensuite, qu'il y ait des nuances, pourquoi pas, mais sans doute liées aussi à des cultures et des histoires différentes, sans compter la part de marketing qui cherche à promouvoir toujours de nouveaux slogans pour se démarquer sur de nouveaux « segments ». Le« tourisme
d'affaires»
est du tourisme
Il s'agit là d'une forme particulière de « visite» qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, au motif qu'un déplacement initié dans le cadre de votre travail, à l'instigation d'un patron qui vous paie pour cela, pendant votre temps de travail, ne saurait en aucun cas être revêtu des attributs du choix personnel qui fonde un « projet existentiel» et donc se réclamer du tourisme. Comment cette appellation pourrait-elle être justifiée, en accolant deux substantifs qui semblent a priori si antinomiques, ou ne convient-il que de parler que de « voyage d'affaires », catégorie exclue du champ touristique par certains (Équipe MIT, 2002, Stock et al., 2003), mais pas par d'autres (Hall et al., 2004)? Pour quelques-uns même, d'ailleurs, le voyage d'affaires n'existe même pas: « l'homme d'affaires se rend dans tel ou tel pays, aucun... ne voyage» (Lévy et al., 2002, p. 66). Le débat, là aussi, n'est pas clos. L'OMT comme J.M. Hoerner acceptent cette forme de « tourisme» que le MIT récuse absolument, consentant juste, on l'a vu, que ce puisse en être une « préfiguration ». Parce que, une fois de plus, les choses ne sont ni blanches ni noires, nous penchons du côté des premiers, pour des raisons qu'ils n'explicitent pas forcément. Un argument essentiel est que ces «touristes d'affaires» utilisent les moyens de transport et les hébergements constitutifs des infrastructures touristiques, dans une mobilité avérée. Nous en convenons. A notre avis, quoique certains pensent que « parler d'un 'tourisme d'affaires' est absurde» (Équipe MIT, 2002, p. 156), cela ne nous paraît pas si absurde, mais au contraire relever précisément de
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« la complexité des pratiques touristiques des individus» (Stock et al., 2003, p. 18). Car ce n'est pas tout d'affirmer que « c'est donc par les pratiques que nous définissons l'objet de nos investigations, le touriste» (Équipe MIT, 202, p. 80), encore ne faut-il pas les écarter quand elles paraissent gênantes pour la théorie. Mais, alors que pour ces auteurs, cette constatation permet de disqualifier le terme de «motivations» (ibid.), pour nous c'est au contraire l'occasion d'examiner comment s'applique cette complexité à une catégorie d'activité où, dans un ensemble de « motivations », la part touristique nous semble très souvent présente et que, pour cette raison, nous préférons classer dans le tourisme, faute, il est vrai, de statistiques détaillées qui permettent de faire la part des choses. J.M. Hoerner a bien perçu aussi cette dissociation des séquences spatio-temporelles: « un hommes d'affaires en déplacement est touriste dans son hôtel, au restaurant ou à l'occasion de toute distraction prise après le dîner. Il ne l'est pas dans l'exercice de sa fonction. Le curiste, dans une station thermale, ou le pèlerin, dans son lieu de pèlerinage, savent également dissocier ce qui ressortit à ses activités touristiques et ce qui se rapporte à ses traitements sanitaires ou à sa ferveur religieuse» (sic. 2003, p. 40). Agissant de la sorte, le chercheur prend le risque d'élargir le champ d'investigation pour ne pas laisser échapper un élément qui manquerait à la compréhension du système touristique et de ses lieux d'exercice, plutôt que de ne considérer qu'une acception puriste du «tourisme ». Celle-ci serait sans doute en mesure d'analyser en profondeur les individus « vrais» touristes, mais laisserait de côté les conséquences de la présence de ces derniers dans l'organisation des institutions, des produits, des lieux concernés. En d'autres termes, quel serait le tourisme à Paris, à Londres, sur la Côte d'Azur, en maints autres lieux, s'il n'intégrait non seulement le tourisme d'affaires lui-même, mais aussi les infrastructures de tous ordres créées pour ce dernier? Paris est, continûment, la capitale des congrès internationaux, où l'on parle surtout anglais: curieux, pour la capitale de la francophonie, qui n'est pas celle des affaires! Le tourisme serait-il pour rien dans cette suprématie? La grande braderie de Lille, qui voit déambuler plus de deux millions de personnes en deux jours, Lillois, excursionnistes des environs ou de la région du Nord - Pas-de-Calais,visiteurs de France ou de l'étranger, dont chacun peut être tout à tour acheteur, vendeur ou simple promeneur, relève-t-elle du commerce (et donc des
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« affaires »), de la fête locale, de l'évènement touristique (Collin, in Bondue, 2004, p. 293) ? Le Festival de Cannes ou le MIDEM sont-ils des évènements touristiques ou de purs évènements professionnels? Selon P. Violier, « la moitié des villes françaises équipées d'un Centre de Congrès sont des lieux créés par et pour le tourisme« (Équipe MIT, 2002, p. 227). Imagine-t-on de comprendre l'un sans l'autre, et même, et surtout, qu'affaires et tourisme n'aient pas une part de leur substance issue de l'autre? On sait que, quand des organisateurs cherchent une localisation pour un grand congrès, les arguments touristiques sont loin d'être innocents. Quels hôtels, spectacles, visites guidées, restaurants, commerces... subsisteraient sans le tourisme d'affaires 7 Combien de « palais des congrès» n'organisent-ils pas des spectacles, concerts et autres manifestations qui attirent de vrais touristes, mais aussi des habitants en situation de loisir, et qui devraient fermer leurs portes sans ce mélange des genres 7 Les « vrais» touristes du week-end ou des vacances suffiraient-ils à faire fonctionner toutes ces installations 7 Quels hôtels y aurait-il pour offrir des tarifs réduits le week-end, ou quelles compagnies aériennes pour proposer aux voyageurs de profiter, quand même, des tarifs réduits (tarifs APEX) incluant au moins une nuitée de week-end? Et pendant ce week-end, est-on forcément « en affaires» ? Que les affaires soient le déclencheur du voyage n'implique pas que ledit voyage n'ait aucune dimension touristique, bien au contraire. Ce n'est pas parce qu'on part en voyage sur l'injonction de son patron que l'on est son « esclave» 24 h sur 24. L'on part aussi parfois en voyage, même d'affaires ou de travail, de sa propre initiative. A propos de Genève, siège de nombreuses organisations internationales, l'on fait observer que nombreux sont les « visiteurs politiques des ONG, c'està-dire non financés par les gouvernements et relativement désargentés... (qui) viennent à Genève pour travailler le temps d'une conférence..., ils restent une semaine en moyenne, pour se voir accorder à ladite conférence un temps de parole de cinq minutes », ce qui n'empêche ni les auteurs, ni les institutions de les considérer comme un « public touristique» (Lévy et al., 2002, p. 202). Ajoutons les excursions ou sorties, officielles ou non, des congressistes, la présence d'accompagnants, pour qui sont organisés des programmes spéciaux (et dont le voyage est pourtant suspendu à la décision de faire, ou non, un voyage d'affaires. Doivent-ils être comptabilisés comme « non-touristes» 7), les week-ends, détours en chemin, étapes
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supplémentaires qui ponctuent le voyage, les manifestations « mixtes» du type foire-exposition ou exposition universelle, où beaucoup d'exposants font aussi du « tourisme », et l'on constatera qu'il est bien difficile de nier une dimension touristique et d'agrément à une très grande partie des « voyages d'affaires », que le souci de compréhension cohérente du système touristique recommande dès lors de prendre en considération. Même chose pour les « incentives» (ou voyages de motivation) que les entreprises organisent pour leurs cadres, les laboratoires pour les médecins, les grandes sociétés pour leurs clients: oui, certes, le déclencheur est bien un motif d'affaires, mais le tourisme en est-il absent? Un universitaire qui part en congrès professionnel n'y adjoint-il y pas souvent une partie touristique? Certes, il faudrait peut-être aussi considérer que ce qui est «professionnel» n'est pas forcément «d'affaires» car le même universitaire, dans plus d'un pays qui réclame un visa, devra cocher la case « tourisme» comme motif de visite plutôt que « affaires », s'il ne veut pas se voir classé dans la catégorie des « businessmen» qui viennent conclure des marchés industriels ou commerciaux et appliquer un tarif supérieur. Le fait que l'initiative du déplacement soit extérieure à l'individu ne nous semble pas un motif suffisant pour exclure du tourisme un tel déplacement, car un individu peut se réapproprier tout ou partie de ce déplacement où il se trouve, en quelque sorte, en «service commandé» ou en «mission », pour l'incorporer dans un véritable projet personnel: occasion de rencontrer d'autres lieux, personnes, paysages, cultures, même si c'est pendant le temps de travail, et a fortiori en dehors de ce temps. C'est, dans l'espace comme dans le temps, une question d'échelle, et on ne sache pas que la définition du « tourisme» , une fois qu'on est hors de chez soi, impose des limites dans ces domaines: la recherche de « l'altérité» ne prévaudrait-elle pas, même de façon non exclusive? Dans une contrainte extérieure peut se nicher un « micro-projet existentiel », s'affranchissant de l'autorité extérieure supérieure qui est à l'origine du nouveau cadre spatio-temporel créé. N'est-ce pas d'ailleurs le cas de notre vie, personnelle, familiale, professionnelle, sociale, où toutes les contraintes d'une part ne sont pas forcément perçues comme mauvaises et, d'autre part, le seraient-elles, n'empêchent pas d'y trouver certains aspects positifs, voire d'y prendre appui pour créer des situations positives, pour tendre vers le bonheur, peut-être y accéder?
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Là encore, la psychologie, la sociologie, la philosophie sont sans doute d'un précieux secours pour nous aider à comprendre comment « positiver », même en faisant du tourisme non souhaité... La publicité (touristique 7) joue largement de cette pluralité de motivations6. La figure 3 tente de montrer comment les motivations diverses peuvent se mélanger au cours d'un même déplacement suscité par un motif d'affaires, que ce déplacement s'étende d'ailleurs sur un ou plusieurs jours. N'importe qui pourrait faire de même avec sa propre expérience. Les séquences spatio-temporelles, découpées ici en 3 périodes par jour, mériteraient sans doute d'être encore affinées dans bien des cas. Elles précisent certaines propositions d'autres auteurs qui semblent considérer comme exclusives l'une de l'autre les « pratiques» que sont le « loisir », les « affaires» et le « tourisme» (Stock et al., 2003, p. 23), et nous semblent beaucoup plus réalistes, à la fois pour le vécu des individus, le fonctionnement des installations et des institutions, l'aménagement des territoires. Si aucune des pratiques précisément décrites par un tel exemple ne saurait relever du tourisme, au motif que leur déclencheur serait extérieur au sujet et motivé par le « business », il est à craindre que des pans entiers de l'approche, géographique ou non, du tourisme ne s'effondrent, sans contrepartie réelle en termes de compréhension du système et des espaces concernés, et/ou d'efficacité socio-économique. L'exigence de compréhension des lieux touristiques et de leur genèse, qui est celle des géographes, ne peut s'affranchir de celle de considérer sur ces lieux tous ceux qui y sont présents à un titre plus ou moins touristique, même très partiel (sans préjudice, d'ailleurs, d'y considérer aussi sous un autre angle tous les autres, indispensables, qui font aussi partie du « système ». Mais personne ne porte sur son visage le motif de sa présence). Par contre, il y a peut-être, effectivement, des formes de « tourisme d'affaires» actuellement prises en compte et qu'il conviendrait d'exclure, comportant très peu ou pas de liberté individuelle même en dehors du temps de travail (visites très brèves, plus ou moins à caractère politique, stratégique, militaire, économique, voire autre...). Là encore les statistiques demanderaient à 6
En 2002, par exemple, le Dubaï Commerce and Tourism Promotion Board de Paris mène une campagne publicitaire sur le thème: « Le monde bouge. Sortez donc des sentiers battus. Associez affaires, sport et détente» , le tout sur fond de salle de conférences, de golf ou d'excursions en 4X4 et de repas sous la tente dans le désert. Tourisme ou pas tourisme? Tourisme, bien sûr.
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être plus précises. Et l'on pourrait sans doute avantageusement pour le tourisme, comme cela se fait dans d'autres branches des sciences humaines et sociales, étudier précisément les «budgets-temps» des « touristes» ou supposés tels. Entre temps de travail, rendez-vous et conférences, programme officiel et réel des individus, libertés prises avec l'emploi du temps prévu, on s'apercevrait sans doute que nombre de déplacements dits « d'affaires» comportent des pourcentages de temps alloués aux activités « touristiques» parfois surprenants. De même que l'on travaille « au noir », nous soupçonnons que l'on fasse aussi du tourisme « au noir» , c'est-à-dire sans le dire, à la faveur de détours dans des voyages organisés pour d'autres motifs, notamment d'affaires, de séjours prolongés, d'emplois du temps savamment réaménagés pour des fins plus ou moins avouables. Cette piste resterait aussi à explorer. Le « flou»
en tourisme existe-t-il ?
Cette discussion sur ce qu'est ou non, ou plus ou moins, le tourisme d'affaires illustre bien la difficulté de cerner de façon indiscutable un grand nombre d'objets de recherche humains et sociaux. Sans doute les centaines d'acceptions qui prolifèrent sur une foule de termes entretiennent-elles les débats scientifiques et font-elles progresser les idées au-delà d'une vérité révélée. Cette difficulté n'est donc pas propre au tourisme et aux concepts qui gravitent autour. Bien qu'ils soient d'un usage très courant, on a de plus en plus de mal à définir d'une façon incontestable d'un point de vue scientifique mais aussi juridique un grand nombre de mots. Qu'est-ce que le sport: une activité physique qui s'exerce dans un club, selon des critères dûment codifiés par le Comité International Olympique, ou tranquillement au rythme de chacun? Les fléchettes sont-elles un sport, les échecs un « sport cérébral» ? Un sportif doit-il être dûment licencié ou peut-il se contenter de trottiner le dimanche? Qu'est-ce qu'une secte, une religion? L'Église de Scientologie est une «église» ayant pignon sur rue aux États-Unis, c'est une secte en France, avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne. Qu'est-ce que le travail? Qu'est-ce même que la vie humaine, au vu des débats éthiques qui parcourent la société sur une question assez primordiale? Il est donc normal de rechercher la plus grande précision possible dans l'expression, mais peut-on faire autrement, et sans doute
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de façon insatisfaisante, que d'utiliser des mots sous lesquels les personnes et les sociétés ne mettent pas les mêmes choses selon les lieux et selon les moments? La géographie elle-même ne semble pas échapper à cette règle. Un certain nombre de concepts ou notions géographiques font depuis des décennies, au moins, l'objet de débats plus ou moins âpres: frontière, centre, périphérie, limite, espace, ville... Pour prendre un autre terme qui est au coeur de la substance géographique, la « région... présente la particularité d'avoir un contenu qui varie selon les époques, les lieux, les stratégies et les dynamiques spatiales» (Brunet et al., 1993, p. 421). Cela n'a jamais empêché les géographes, à tort ou à raison, d'en parler abondamment. Nous aurions tendance à penser qu'il en est de même pour le tourisme, dont l'étude géographique n'est pourtant pas aussi ancienne. C'est pourquoi, quand il nous est sévèrement reproché d'avoir parlé du tourisme comme d'un concept « flou» (<< constat d'impuissance », « entreprise de non-définition », selon R. Knafou, 2001, p. 189), on semble penser par là que nous considérons notre objet de recherche comme « scientifiquement inconnaissable» (ibid.). J.C. Gay ajoute de son côté que « dans certaines sciences, on se déchirerait sur la question et on y consacrerait des chapitres entiers» (2001, p. 326), non sans dire par ailleurs que « le géographe doit savoir que le flou n'est pas synonyme d'échec et qu'il doit se décider, dans bien des cas, pour ce qui est indécis» (Gay, 2004, p. 18). Observons quand même que le MIT reconnaît implicitement cette existence, sans aller toutefois jusqu'à la légitimer par l'usage d'un vocable qui affaiblirait sa posture de ne pas céder à une honteuse « non-définition ». Un exemple parmi bien d'autres la reconnaissance de l'existence, pour le touriste, d'« une large palette de possibilités... (qui) empêche de considérer telle ou telle pratique (la temporalité n'est pas précisée. Note JMD) comme relevant du tourisme ou non tant les modalités de la recréation varient dans le temps et selon les individus et les groupes» (Stock et al., 2003, p. 173). Très bien, mais alors qu'en est-il de ces discussions byzantines sur les définitions « précises », sur lesquelles nous devons nous pencher dans nos controverses? Il n'est certes pas illégitime de chercher à affiner constamment les connaissances et les idées qui les fondent, mais, compte tenu des obligations sociales de la science, on peut aussi souhaiter disposer d'outils opérationnels, « de façon non
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purement spéculative» (Baudelle et Regnauld, 2004, p. 7), fût-ce au prix d'une marge d'imprécision acceptable, pour l'enseignement, l'aménagement, la prise de décisions, bref, l'action allant au-delà du brassage à plaisir de grands mots dans de grandes phrases par des intellectuels. Sinon, si on attend d'avoir atteint une indiscutable et très problématique Vérité, que se passe-t-il entre temps? On pourra reconnaître à la rigueur que, dans certains de nos propos, le terme de « complexe» aurait parfois peut-être mieux valu, en l'occurrence, que « flou ». Mais nous n'en sommes même pas sûr. Le flou et le complexe relèvent de deux ordres différents: tout ce qui est complexe n'est pas flou, et tout ce qui est flou n'est pas complexe, en tout ou partie. Beaucoup font appel au « flou» qui peut se révéler une notion heuristiquement féconde. Canastrelli et Costa (1991), par exemple, s'intéressent à la capacité de charge (une notion que le MIT, il est vrai, condamne catégoriquement) en proposant, à propos de Venise, une «filZZY approach» qui a quand même un certain intérêt. Poria et al. rappellent la «filzziness » dont fait état Mieczkowski dans les limites entre loisir, récréation, travail (2003, p. 27 et 28). Urry (1990) comme Burns (1999) rappellent combien les limites entre tourisme, sport, culture, shopping sont de plus en plus « blurred ». C. Rolland-May expose le «paradoxe du flou, à savoir que la démarche fondée sur la théorie des ensembles flous et la théorie des possibilités, traditionnellement dédiée à l'approche du continu, représente un cadre conceptuel, théorique et méthodologique particulièrement approprié pour l'étude du discontinu» (2003, p. 1). Or, notre dernier chapitre évoquera précisément le caractère discontinu des phénomènes touristiques, et, sous bénéfice d'inventaire, le flou ne paraît pas, a priori, impertinent vis-à-vis du tourisme. Notons encore que F. Deprest, par exemple, parle de la Méditerranée comme d'un «sujet... si évident et si flou» (2002, p. 74), sans que personne ne s'émeuve de l'emploi de ce terme, à propos d'un objet de recherche qui semble pourtant plus matériel que le tourisme, au sein d'une revue prestigieuse et qui, à juste titre, veille à la qualité irréprochable de son contenu rédactionnel. Et puis, sans prétendre faire le tour de cette question, on fera aussi écho au géographe britannique R. Hudson qui, après d'autres, admet parfaitement le « flou» parce que, dit-il en substance, ce peut être une étape nécessaire dans la maturation d'un concept. En effet, les concepts sont des constructions sociales, qui réclament une production sociale et ne sont pas tout prêts à être
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découverts. Parfois, cependant, le « flou» ne reflète qu'une imprécision théorique et un manque de fermeté de la pensée (2002, p. 5). Mais en conclusion, il fait observer que «proponents of relational conceptions in the social sciences would challenge any suggestion that there is a single 'essential' definition of a concept, since the meaning is defined by its relational context (consider, for example, the different and multiple meanings of the concept of 'region', which deny that there is a single 'essential' definition of region) » (ibid., p. 9). Cette position rejoint de fait celle qu'exprime le propos de R. Brunet ci-dessus. Et il nous semble que les études en matière de tourisme se trouvent en ce moment (et pour combien de temps ?) sur cette position, ce qui n'exclut pas cependant que la pensée ne soit pas toujours assez ferme, même chez nous, hélas... Mais en tout cas, le terme de « flou» (qui ne porte que sur la façon d'exprimer un contenu, et marginalement sur le contenu lui-même, qu'on examinera plus loin), révèle les incertitudes du langage, mais aussi qu'il n'est, a priori, ni stupide de penser ni contraire à la nature même de l'objet de recherche qu'un flou existe. Ne nous emballons donc pas. Pour beaucoup de termes, donc, les chercheurs adoptent des définitions plus ou moins différentes, selon leur point de vue et l'objectif de leur recherche, à quoi s'ajoutent les questions d'insertion dans l'histoire, d'échelles, de cultures, autrement dit de contexte. Car définir, c'est aussi délimiter, donc enfermer. Est-ce à dire qu'il ne faut pas chercher à cerner, à circonscrire clairement le sens des mots que l'on utilise? Bien sûr que non, mais peut-être faut-il davantage parler de situations dynamiques que statiques, de zones-tampons que de lignes, de contacts flexibles et mouvants plutôt que rigides et fixes, de frontières poreuses plutôt qu'étanches. Comme le souligne Alan Williams, «disciplinary limits are ennemies of knowledge »7. En sciences humaines et sociales, la définition pointue est souvent une illusion, car elle est aussitôt périmée qu'exprimée, et sans doute vautil mieux un noyau dur et des marges laissant des incertitudes momentanées, mais dont on est conscient, que des pseudo-certitudes qui obligent à des contorsions intellectuelles contestables. Et cela ne va nullement à l'encontre d'une géographie ouverte, mais bien identifiée en son cœur et floue sur ses marges, parce que se mêlant à 7
Intervention au colloque de la Commission Tourisme, loisirs et changement global de l'Union Géographique Internationale, XXè Congrès, Loch Lomond - Glasgow, 14 août 2004.
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d'autres disciplines elles aussi ouvertes, plutôt que noyée dans un discours de sciences sociales indifférenciées. « La recherche scientifique va perdre de son aspect technique pour reprendre contact avec la réflexion individuelle... Elle y perdra sans doute en certitude, en rigueur. Mais elle y gagnera en importance 'humaine'... Le vrai principe de complémentarité, qui domine toute notre activité intellectuelle, s'énonce: tout ce qui est rigoureux est insignifiant... En refusant le formalisme pur, en exigeant l'intelligible, le futur esprit scientifique va courir de gaîté de cœur le risque de l'erreur. Après tout, mieux vaut un univers transparent à l'esprit, translucide, où le contour des choses est un peu flou, qu'un univers aux certitudes précises, écrasantes et incompréhensibles... D'un fond d'évènements indistinguables, peut sortir la variété infinie et joyeuse des formes »8. Au bout du compte, nous ne « postuleons) pas, au départ, que (notre) objet de recherche est destiné à demeurer scientifiquement inconnaissable parce que 'flou' »(Knafou, 2001, p. 189), nous avons plutôt, comme on y reviendra à propos de la définition du tourisme, l'intuition que le flou, ou plutôt le complexe accompagné d'une marge de flou, est, au moins en ces temps que nous vivons, un élément scientifiquement constitutif de notre objet de recherche, à savoir le tourisme, fait discontinu et non linéaire. D'ailleurs, nous constatons que le MIT, non sans contradiction, rejoint implicitement notre position quand il affirme, à une page d'intervalle que « la démarche scientifique impose de donner une définition précise et claire... », pour poursuivre en précisant que « les phénomènes humains ne sont jamais totalement réductibles à des indications chiffrées et que, en la matière, tout abus de précision peut relever, finalement, de l'abus de langage» (Stock et al., p. 262-263). Belle pirouette! Peut-il exister des « abus de précision» ? Mais comme il est ajouté que la situation « impose en effet aux scientifiques... de faire des choix» (ibid., p. 262), chacun les siens et tant pis s'ils ne sont pas ceux du MIT. Nous préférons, avec d'autres, considérer « the blurred and shifting nature of disciplinary boundaries and field of study..., (source de) tensions and contradictions..., the blurred and shifting boundaries of tourism studies..., (et que les) postmodernist studies have made the blurring of divides between social practices one of the central motifs of their research» (Williams et al., 2004, p. 611, 612 et 615). Les recherches 8 Thom (R.), 1975, La science malgré tout, Encyclopedia Universalis, p. 10.
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des géographes sur le tourisme nous paraissent exactement s'inscrire dans ce type de position. Certains sociologues parlent de « porosités entre les temps de différents usages» (Viard 2002, cité par Greffier, 2003, p. 31), ce qui nous semble relever de processus analogues. Un séjour linguistique à l'étranger imposé à un adolescent par ses parents, avec trois heures de cours le matin pendant 5 jours et le reste en temps libre et excursions, est-ce du tourisme ou non? Pour nous, même si nous reconnaissons qu'un cours de langues, a fortiori non choisi, n'est pas, en principe, du « tourisme» , nous pensons légitime de considérer comme « touriste» la personne concernée. Peut-être le flou se dissipera-t-il un jour, mais il nous semble qu'il est très prématuré de considérer que c'est déjà fait. Au cas où l'on admette que l'essence du phénomène touristique n'a pas changé, la forme et le contexte de ses pratiques n'a cessé et ne cesse de se modifier: c'est aussi vrai pour les thermes romains que pour une hôtellerie médiévale, un voyage à la Renaissance, un bateau du XVIIlè siècle, un train du XIXè siècle, dont les avatars actuels induisent d'autres manières d'occuper l'espace et le temps des individus et des sociétés, mais toujours fondées sur la permanence d'aspirations anthropologiques de pérégrinité. Cette incertitude dans la délimitation précise des contours de ces pratiques et, sans doute, des espaces où elles s'exercent, est reconnue aussi par des géographes. L. Moisy, par exemple, a analysé cette actuelle « imbrication plus forte des temps sociaux », génératrice d' « évolutions (qui) favorisent surtout des temps courts et sont propices aux loisirs plus qu'au tourisme» (2001, p. 48). Il n'empêche que le tourisme n'en est pas absent, et si l'on considère que l'on peut aussi être touriste dans sa ville, cela implique que temps court et tourisme ne s'opposent pas a priori. Et une preuve, ou au moins une présomption, de la difficulté d'y voir clair dans ce que nous considérons comme « flou» ne réside-t-elle pas dans les contradictions qui émaillent des propos qui se voudraient limpides? Citons-en quelques unes: « si toutes les sociétés ne sont pas touristiques, toutes peuvent le devenir» (Équipe MIT, 2002, p. 292), mais aussi « dans l'hypothèse où tout pourrait être touristique...» , juste précédé de « tout ne sera jamais touristique» (Stock et al., 2003, p. 266). Gradation intéressante, dans quelque sens qu'on la prenne, mais assez équivoque. « Si... on inclut systématiquement les visites aux parents et amis dans le tourisme, on nie la liberté de choix puisqu'on se rend nécessairement là où on a de la famille» (comme si
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on ne se rendait que là où l'on a de la famille... Note JMD), mais aussi « avec le tourisme, le regard suffit à créer un nouvel usage, des pratiques nouvelles, en un mot une valeur nouvelle» (Équipe MIT, 2002, p. 213 et 250) : les relations familiales seraient-elles donc aussi potentiellement conflictuelles, et les regards si hostiles, même et surtout liés au tourisme, quand on estime que l'hébergement chez les parents et amis est le premier mode d'hébergement avec environ 40 % des nuitées, et qu'on ne sache pas que les visiteurs s'y rendent habituellement sous la menace? Affirmer, à propos des « pratiques touristiques partagées par tous» , que « si tout le monde sait nager et peut aller à la mer, tout le monde ne sait pas skier et n'a pas les moyens ou ne souhaite pas se rendre à la montagne l'hiver. Car, peutêtre, contrairement à la natation, il n'existe pas de possibilité d'apprendre à skier en ville» (ibid., p. 132) constitue une collection d'une remarquable densité d'approximations ou d'erreurs montrant combien les choses ne sont pas claires dans l'esprit des auteurs: d'abord, l'on croyait naïvement que nager ou skier étaient d'abord, en soi, des pratiques de loisir. Et pourquoi irait-on plus naturellement à la mer qu'à la montagne? Pourquoi se rendrait-on à la mer l'été et pas à la montagne l'hiver, ou le contraire? Tout le monde ne sait sûrement pas nager, ni ne peut aller à la mer. En Europe du Nord, il existe des centaines de pistes de ski artificielles en agglomérations urbaines, soit sur sol synthétique, soit avec neige artificielle, et elles ont un grand succès, notamment auprès des scolaires qui y apprennent à skier. Aussi, quand certains constatent que « la complexification des pratiques », « l'évolution de notre quotidien », « notre manière de travailler », la « réduction du temps de travail... contribu(ent) dans le contexte français (pourquoi seulement français? Note JMD), à brouiller encore plus les pistes qui s'offrent aux chercheurs travaillant dans le domaine du tourisme et des loisirs» (ibid., p. 126), on ne saurait leur donner tort. Raison de plus pour ne pas en rajouter par des palinodies incessantes, dont on n'a pas vraiment besoin pour être convaincu que les choses sont effectivement plus floues qu'on ne veut consentir à le reconnaître par des tournures alambiquées qui veulent éviter d'appeler un chat un chat. Puisque ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement... Ce qui n'empêche pas, dans un souci scientifique, de considérer que, « pour qu'un système soit valide, il ne peut être qu'incomplet et on doit accepter que cohabitent en son sein des apories structurelles, des problèmes insolubles avec d'autres qui le
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sont tout à fait... Il ne s'agit donc pas d'une incertitude ravageante, mais bien d'un élément d'incertitude à l'intérieur de systèmes qui restent néanmoins déterministes» (Aubenas et Benasayag, 2002, p. 34 et 36). Cela nous semble rejoindre la démarche de recherche de compréhension de la complexité, sur laquelle reviendra le chapitre 5. Loin de mépriser le flou, nous pensons donc qu'il a une fonction heuristique majeure, puisqu'il nous met sur le chemin de cette complexité.
La notion d' « habiter» et le tourisme Certains ont mis en évidence d'une façon nouvelle et intéressante comment les nouvelles pratiques touristiques induisent de nouveaux rapports à l' « habiter» . Il semble cependant que, là encore, ces notions mériteraient de faire l'objet de tentatives de clarification qui les sortent, si possible, des confusions et ambiguïtés présentes. L'on ne contestera certes pas que la « mobilité géographique accrue, dont participe le tourisme, tout en l'alimentant, constitue les fondements d'un nouveau mode d'habiter des sociétés humaines» (Équipe MIT, 2002, p. 10. Souligné par les auteurs). Ce n'est déjà pas tout à fait pareil de dire: « le tourisme est fondamentalement et simultanément un déplacement et un mode d'habiter les lieux» (ibid., p. 44), qui joue sur le paradoxe d'un déplacement, qui suppose mobilité, et d'un habitat, qui induit fixité. C'est encore autre chose que de dire: « faire du tourisme correspond à un projet particulier, à une manière particulière d'être dans des lieux et de les habiter temporairement. Mais pour être là, il faut y être venu, pas seulement physiquement par le mouvement de nos corps, mais aussi par la volonté de s'y rendre, le sentiment que d'être là serait mieux, au moins momentanément, que d'être dans le lieu où nous vivons habituellement» (ibid., p. 127). On ne s'attardera pas ici sur le flou de «temporairement» et « au moins momentanément» . Mais cette dernière citation soulève quelques interrogations, auxquelles le corps de l'ouvrage dont elle est tirée ne répond guère, ou de façon insatisfaisante, car ne semblent pas prises en compte les diverses échelles de temps qu'il conviendrait de distinguer. S'il s'agit d'habiter le monde, ce à quoi personne n'échappe, il est certain que les voyages que chacun y pratique font partie de son « mode d'habiter» . S'il s'agit d'habiter un lieu qui n'est pas sa résidence habituelle, mais dans lequel
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on se rend quand même régulièrement, sinon toujours longtemps, on y prend ses « habitudes» , et l'on peut considérer qu'il s'agit encore d'un « mode d'habiter» incluant des pratiques touristiques. Par exemple, pour « les résidences secondaires, dont nombre de responsables voudraient nous faire croire qu'elles n'appartiennent pas à la sphère du tourisme» (Knafou (coord.), 2003, p. 100), nous adhérons tout à fait à cette affirmation, qui exprime clairement que l'auteur considère les pratiques liées à ce mode d'hébergement comme touristiques. Il s'agit en effet d'un lieu où l'on se rend régulièrement, en principe pour des motifs ludiques, récréatifs, touristiques, et cela fait partie de l'organisation de vie « habituelle », même irrégulière, des personnes concernées, et pour cette raison, nous sommes même partisan de considérer les week-ends passés en résidences secondaires comme des loisirs plutôt que du tourisme, même s'ils comportent une nuitée ou plus sur place. De même, existe-t-il souvent un glissement temporel progressif des la résidence purement ludique à la résidence de retraite, accompagnée de séjours plus longs, et marquant bien une transformation du mode d'habiter. Et il est vrai aussi que les phénomènes de « multi-résidence» entre lieux de travail, de hors travail et de tourisme réel complexifient singulièrement des pratiques qu'on peut se trouver embarrassé de qualifier de façon générique (voir, par exemple, Duhamel, 1997). En revanche, nous sommes beaucoup plus sceptiques sur l' «habiter» à grande échelle que représentent soit des séjours de quelques jours ou semaines (voire quelques mois) dans des lieux où l'on n'est jamais venu et où l'on ne reviendra pas (vacances, par exemple), soit, a fortiori, pour des lieux où l'on ne fait que passer une nuit ou deux (dans un circuit touristique, par exemple). Il nous semble qu' « habiter» implique une certaine stabilité et permanence dans des lieux de vie, un certain « enracinement» peut-être, des « habitudes» spatio-temporelles. C'est toute la différence qui existe, juridiquement, entre quelqu'un qui est « domicilié à» (qui y a son domicile légal), ou qui «réside à» (qui y demeure de façon habituelle). C'est plus qu'une nuance, puisque s'y attachent des droits différents. Mais là encore, le vocabulaire courant brouille la vision des choses, puisqu'entre une résidence « principale» ou« secondaire », c'est l'adjectif qui fait la différence, alors qu'on devrait plutôt insister sur le substantif «domicile» ou« résidence». D'ailleurs, ce qui est habitude pour l'un ne le sera pas pour l'autre, en-deçà d'une certaine fréquence. Et
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peut-on dire qu'on « habite» une chambre d'hôtel où l'on passe une nuit, voire même un lieu où, exceptionnellement, l'on séjourne une semaine? Alors, il semble bien que la notion de l' « habiter» touristique demande encore de sérieux éclaircissements, une fois que l'on a admis que le tourisme fait partie des pratiques des habitants du monde. Le tourisme semble être une nouvelle tunique de Nessus de notre monde: il en fait tellement partie à toutes les échelles de l'espace et du temps, il se glisse tant dans les interstices de notre société mondialisée qu'on ne peut peut-être pas l'en dissocier sans déchirer ni le tissu, ni la société qui le porte. Espérons quand même que cette tunique touristique ne conduira pas à l'issue fatale notre monde-Héraclès.
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Chapitre 3
Du touriste
Ce personnage autour duquel tout gravite est déjà apparu dans nos propos précédents, tant il est lié à ce qui nous préoccupe, l'objet de notre recherche étant bien la façon dont procède de sa venue, seul ou en groupe, en interaction et rétroaction, l'organisation d'un espace géographique qui n'est pas vierge et ne possède pas des ressources illimitées en tout genre. Il faut cependant poursuivre notre réflexion à son sujet, en contrepoint d'analyses existantes. Une identité officielle controversée Rappelons d'abord que, en somme, pour nous, et par défaut, le touriste est un voyageur-visiteur, qui sort temporairement de chez lui pour se récréer (sinon se recréer) sans rémunération pour ce faire (la récréation, pas forcément la sortie de chez lui). La congruence laisse à désirer avec la définition de l'OMT, qui explicite les six catégories suivantes (quoiqu'il ne soit pas dit que le touriste ne peut pas émarger à plus d'une catégorie au cours d'un même déplacement) : - loisirs, détente, vacances - visite à des parents et amis
- affaires
et motifs professionnels
- motifs médicaux et de santé - motifs religieux et pèlerinages - autres motifs. Dans tous ces motifs, la part récréative est inégale, parfois apparemment absente, mais elle peut être partout présente. Simplement, les statistiques ne tiennent pas compte des nuances, qui nous seraient pourtant bien utiles, à tel point que certains, non sans raison, parlent « des soi-disant touristes au sens statistique du terme
(qui) n'en sont pas à vrai dire »1 (Lévy et al., 2002, p. 263). L'OMT, et bien des États, n'enregistrent que le « motif principal du voyage» .
Mais pourquoi et comment n'y aurait-il qu'un motif (cf. plus loin)? D'autres estiment que « la définition du touriste n'a... pas de sens en soi, mais ne devient significative que rapportée à des lieux, des temps et des activités qui participent à la recréation des hommes eux-mêmes» (Stock et al., 2003, p. 265). Nous sommes partiellement d'accord avec ces vues. D'un côté, elles soulignent la relativité d'une appellation datée dans le temps et l'espace. De l'autre, cependant, elles évacuent ce qui pourrait être l' « essence» du tourisme, une certaine pérégrinité , et elles font obstacle à l'emploi d'un vocabulaire commun minimum qui permette aux humains en général, et aux chercheurs en particulier, de savoir de quoi ils parlent. Et les mêmes auteurs d'ajouter: « Le touriste est donc un homme dans un certain rapport au Monde, y prenant, à un moment donné, une certaine place» (ibid., p. 265). Quelle originalité n'est-ce pas là pour le touriste, à travers un propos qui peut s'appliquer à tout moment à n'importe quelle catégorie d'homme (et de femme, d'ailleurs) habitant du « Monde» ! D'autres définitions paraissent également insatisfaisantes : sont « appelées touristes dans le sens le plus large, (les personnes) qui effectuent une dépense dans un établissement touristique» (Hoerner et Sicart, 2003, p. 13). Mais qu'est-ce qu'un « établissement touristique », compte tenu de la polyvalence de tant d' « établissements », des cafés aux stades en passant par les cinémas et les palais des congrès, sans omettre les boulangeries et les hypermarchés? Un touriste accueilli gracieusement dans sa famille ou chez des amis perd-il sa qualité de touriste? Cette définition nous paraît trop exclusivement économique, puisqu'on ne pourrait être touriste qu'à la condition de dépenser, ce qui exclurait a priori un grand nombre de lieux où s'arrêtent des foules de touristes, mais où il n'y a rien à vendre. A contrario, le cas du pont du Gard est, à cet égard, exemplaire: le Conseil général a voulu aménager le site pour y faire payer tous les visiteurs, ce qui a entraîné une chute considérable de la fréquentation. Dans ce « manque à I A propos de statistiques, on pourra regretter qu'une étude sur « le monde du tourisme» (Stock et al., 2003, chapitre 4) ne s'attache qu'au nombre de visiteurs et à leurs dépenses totales, et jamais au nombre de leurs nuitées, qui révèle pourtant la durée de leur séjour moyen et la dépense moyenne par jour. Ne sont-ce point de ces « pratiques (par lesquelles) nous définissons l'objet de nos investigations, le touriste» (Équipe MIT, 2002, p. 80). Touriste économe ou dépensier, pour une nuit ou une semaine, cela est-il indifférent à l'individu, et n'a-t-il aucun intérêt géographique?
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gagner» de visiteurs, ceux qui seraient venus sans payer dans les circonstances initiales n'auraient-ils pas été, pourtant, des « touristes» (Stock et al., 2003) ? Cette vision du touriste qui n'est considéré qu'à raison de ce qu'il dépense est sans doute trop restrictive. Et exactement à l'opposé de cette vision très consumériste du touriste, certains pensent que « c'est bien le touriste qui, en première instance, fait le tourisme. Et c'est pourquoi l'acteur, dans cette logique, est considéré comme le premier producteur du tourisme» (Stock et al., 2003, p. 266). Entre ces deux pôles, nous dirions volontiers qu'il ne peut y avoir production de tourisme que parce qu'il y a, concomitamment, consommation touristique. Les deux vont de pair: chacun ne consomme que le tourisme qu'il produit, et au moment où il le produit. Et cette vision des choses a l'avantage d'éclairer une autre question, soulevée depuis quelque temps: « à partir du moment où l'on admet qu'une grande partie de ce qu'il est convenu d'appeler le temps libre (dans lequel s'inscrit le tourisme. Note JMD) est consacrée, en fait, à produire des biens et des services à notre propre usage (ce qu'est le tourisme. Note JMD) - c'est la prosommation -, la vieille barrière entre le travail et le loisir s'écroule» (Toffler, 1980, p. 344). Cette catégorie simplifie l'appréhension du tourisme, tout en permettant aussi d'y inclure le tourisme d'affaires. On a déjà évoqué la distinction volontiers faite par les sociologues, anthropologues... entre touristes et voyageurs, selon laquelle ces derniers seraient plus conscients de ce qu'ils font que les premiers, et plus soucieux des lieux visités. Certains introduisent encore d'autres distinctions: Richards et Wilson2 différencient ainsi le backpacker, Ie traveller, Ie tourist (le routard, Ie voyageur, Ie touriste). S'appuyant sur de nombreuses enquêtes qu'ils ont effectuées eux-mêmes en Inde, ils en tirent des conclusions pleines d'enseignements: à observer comment les individus enquêtés se classent dans l'une des trois catégories, en ayant tendance à se « surclasser» dans une catégorie considérée comme plus valorisante (du tourist au backpacker), l'on perçoit combien l'autoperception est différente de la perception que les autres ont du visiteur lui-même. Et les auteurs d'évoquer l'émergence d'un « post-touriste », comme l'éclosion« post-moderne» de la création moderne que fut le tourist. Selon le MIT, deux éléments principaux caractérisent le touriste: un déplacement hors du quotidien, la recherche de l'altérité. 2 Communication
au colloque cité en note 5, chapitre 2.
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Ces critères, qui paraissent très ouverts et consensuels, auraient peutêtre besoin d'être précisés et quantifiés, puisqu'on ne saurait se contenter d'une « approche subjective (du touriste)... sans tenter d'introduire des mesures» (Équipe MIT, 2002, p. 9). Or, on peut admettre que « être loin du lieu quotidien, dans un lieu familier et instaurant des pratiques routinières, voilà un modèle de pratiques touristiques» (ibid., p. 120). Il faudrait parvenir, si possible, à établir un indicateur qui puisse rendre compte de la combinaison de ces deux critères. De même, en étudiant des touristes danois en vacances familiales au Danemark dans leur résidence secondaire, M. Haldrup (2004) met en évidence combien beaucoup de personnes, en fin de compte, ne recherchent aucune visite, aucun voyage, aucune expérience nouvelle, mais se contentent d'un tourisme « mundane and 'immobile' » (p. 435), banal et 'immobile'. Il leur suffit d'habiter (de résider? JMD) momentanément ailleurs (et d'ailleurs, pas très loin de chez eux, vu la taille du pays), où ils vont retomber dans leur routine, leurs habitudes de vie, leur quotidien (courses, cuisine, travaux domestiques, et même jeux ou sports habituels), mais avec d'autres contacts sociaux. L'auteur estime qu'il s'agit bien d' « habiter» ailleurs, tout en reproduisant plus ou moins son domicile, mais que l'on pratique autrement à travers des mouvements corporels différents. Une telle analyse, très instructive dans son constat, mérite discussion dans ses conclusions, car le minimalisme qu'elle décrit dans le déplacement comme dans les pratiques, au sein d'un quotidien culturel largement inchangé, induit un type de touriste assez différent de celui qui sort de chez lui pour faire, justement, « autre chose ». De telles pratiques pourraient peut-être même être qualifiées de pratiques de loisirs délocalisées, comme on serait fondé à le faire pour des résidents secondaires réguliers, mais comment faire si les sujets considèrent qu'ils sont des touristes en vacances, et s'ils sont localement considérés comme tels? Et alors que le terme «loisir» n'existe pas en danois? Des pratiques du même genre existent ailleurs, comme pour ces familles du Nord ou de Paris qui se retrouvent entre voisins dans des campings méditerranéens où, à la différence du cas danois présenté, ce n'est pas tellement les contacts sociaux différents qui motivent le « touriste », mais plutôt le soleil, la chaleur, la proximité de la plage, le jeu de boules et le pastis (les clichés ont la vie dure, même face à un « projet existentiel »...). Il y a donc des proportions fort différentes dans l'assemblage d'ingrédients très divers qui relèvent du « hors quotidien» et de l' « altérité» pour produire le
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gâteau « tourisme », et autant de réponses que d'individus, probablement. À chacun sa « recette ». D'autre part, l'altérité peut être éventuellement perçue comme nécessaire par le touriste, voire mise en scène par le « producteur » touristique, sans correspondre à une réalité bien consistante. Comme l'exprime S. Dalla Bemardina, « dans une perspective plus fonctionnelle..., mettant l'accent davantage sur la solidarité et sur la complémentarité que sur les discontinuités culturelles, on pourrait objecter que l"altérité' que je viens de prêter aux Alpins n'est au fond qu'une métaphore, plus proche des rêveries de l'ethnologue, ou des fantasmes du leader régionaliste, que de la réalité historique: les Alpins, en fait, sont des citoyens comme tous les autres, tout à fait bien intégrés dans leur cadre national. Il serait donc arbitraire de considérer leur évolution comme un changement imposé de l'extérieur... Si on renonce à la métaphore coloniale, l'occupation des espaces alpins par les 'étrangers' peut être interprétée moins comme une invasion douce que comme la mise en valeur, par les Alpins euxmêmes, d'une richesse locale qui attendait d'être exploitée...Sur les Alpes, aujourd'hui, il n'y aurait donc pas de territoires à défendre au sens anthropologique du terme, puisque l"autre', l"envahisseur' est en fait un 'client' ou un 'partenaire', ni d'identités menacées» (2003, p. 22). Ce qui semblerait montrer que l'altérité est beaucoup plus affaire de représentations que de réalités, ce que le tourisme exploite largement. La quête de l'altérité peut parfois prendre des voies inattendues. Au XIXè siècle, le prestige touristique de la France était si élevé aux États-Unis, et le désir d'y faire un voyage comme touriste si puissant que certains historiens américains vont même jusqu'à estimer que, arrivant à partir de juillet 1917 dans un pays auréolé d'un tel prestige, et passant d'abord de longs mois d'entraînement avant de partir au front, les soldats américains étaient « autant des touristes que des soldats» (Kennedy, cité par Levenstein, 1998, p. 218 et 338). Ce dernier auteur fait d'ailleurs observer que, dans les années qui suivirent la Première guerre mondiale, les voyagistes qui proposaient aux Américains la visite des champs de bataille usèrent d'abord des termes de « tourisme» et de « pèlerinage» de façon interchangeable (ce qui nous renvoie à la « pérégrinité »), avant de distinguer entre vrais « pèlerins », attentifs au caractère sacré des lieux, et « touristes» venus par simple curiosité. Mais de conclure que, à mesure que la
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guerre devenait lointaine, la distinction entre les deux devint floue (<
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Encadré n° 3 - Touriste ou pas touriste?
Madame G. Delartroz fait tous les ans sa cure à Bains-IesBains. Elle loge dans un petit hôtel simple situé juste devant l'établissement de bains. Celui-ci ouvrant ses portes à 5 heures du matin, Mme Delartroz a trouvé avantageux de s'y présenter pour les soins à cette heure-là: en peignoir, elle n'a qu'à traverser la rue de la bourgade, encore endormie au lever du soleil. Les soins durent une heure et quart. À 6 h 30, Mme Delartroz est de retour dans sa chambre, elle se recouche et se rendort deux heures, avant de descendre à 8 h 45 prendre son petit déjeuner, servi jusque 9 heures. Elle y retrouve une vieille amie, qui ne fait pas de cure, et bavarde avec elle. Elle dispose ensuite d'une longue journée libre, comme son amie, d'ailleurs. Seule, ou avec elle, elle se promène dans la station, ses parcs, ses forêts environnantes, pousse parfois jusqu'aux berges tranquilles du canal de l'Est, va jouer au bridge ou au casino, fait quelques emplettes ou un peu de courrier, visite une exposition de peinture, assiste à un concert, participe aux excursions organisées par l'Office de tourisme local ou se choisit elle-même des buts de sortie; elle a ainsi visité, entre autres, Baccarat et sa cristallerie (dont elle a préféré le style à celui de la Rochère), le village du livre de Fontenoyla-Joûte, le Musée de la Lutherie à Mirecourt, celui de la Cerise à Fougerolles, et même l'Ecomusée d'Alsace. Vittel, Luxeuil, Contrexéville et Plombières ont eu aussi l'honneur de sa visite, mais elle ne quittera pas Bains-Ies-Bains où elle ses habitudes, et dont les eaux la soulagent. Et puis les soins ne sont qu'une contrainte minime dans sa journée, et seulement cinq jours sur sept. Elle se couche seulement un peu plus tôt que son amie - toutes deux font la sieste -, mais qu'est-ce qui différencie, au fond, ces deux fidèles touristes? A moins que l'une n'usurpe ce titre...? (Source: récit fictif à partir d'observations réelles compilées par l'auteur) « stations thermales », qui pourraient peut-être être des lieux touristiques même sans curistes, mais à condition alors de ne pas user de leurs eaux comme d'une ressource locale à des fins thérapeutiques. Si l'on admet que les curistes sont, à des degrés divers, des malades qui cherchent à se soigner et même à guérir, l'on ne peut les considérer comme touristes que s'ils sont en état de faire autre chose que de subir les soins que leur état réclame. Sinon, s'ils ne participent pas à la vie
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touristique du lieu qui les accueille, ils ne se différencient pas de malades séjournant en hôpital, qui ne sont évidemment pas des touristes (quoiqu'on puisse discuter si leur délocalisation en un lieu consacré comme « touristique» fait d'eux des touristes ou non). Certes, cette participation peut grandement varier, entre un curiste en fauteuil roulant et un autre parfaitement alerte (cf. encadré n° 3). Mais l'on sait que, dans la Rome antique comme dans l'Angleterre du XVIIIè siècle, les curistes ont, pour la plupart, vite dépassé l'étape des seuls soins pour faire des lieux de cure des lieux de plaisir devenus des stations touristiques fréquentées largement par les bien-portants: la «cure (est un) moment déterminant dans la mise en tourisme... Ce moment est fondamental pour comprendre l'apparition des lieux touristiques et leur localisation géographique» (Équipe MIT, 2002, p. 180). Et puis, last but not least, le touriste a-t-il un genre? Cherchant à définir « le » touriste dans son essence, il ne faudrait pas oublier non plus « la » touriste. A. Pritchard insiste sur la nécessité de «conceptualiser les identités masculine et féminine en tourisme », identités qui ont des incidences culturelles majeures en termes de significations et de pratiques qui entourent les espaces« incarnés », «personnifiés» (<<embodied spaces »), les mouvements des corps dans l'espace, la représentation des corps, et qui nécessitent une égale attention accordée par la recherche touristique au corps masculin et féminin (2004, p. 322-323). Le fait que le touriste soit une personne ne nous mène sans doute pas assez sur la voie de chercher les conséquences pratiques de cette personnification, et sans doute avonsnous plus de propension à nous intéresser à un touriste archétypal.
Le touriste est-il un chercheur de « vide» ? Sur un autre point, n'est-il pas étrange de soutenir qu'il n'y a concentration de touristes que parce qu'il y a vide à côté? Dans l'affirmation « la plupart des grandes concentrations touristiques n'existent que parce qu'elles bordent des vides, quelle que soit la nature de ceux-ci, au point que cette nature (montagnarde, littoral, désertique, etc.) devient secondaire... Le littoral... fait face, par définition, à la mer, c'est-à-dire à un vide (souligné par les auteurs)... Passer ses vacances en bordure d'un vide, voilà qui devrait faire réfléchir sur la nature du phénomène» (Équipe MIT, 2002, p. 232), on n'est pas obligé d'accepter un paradoxe apparemment novateur et
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facile, mais passablement rhétorique et entaché de plusieurs faiblesses. D'abord, « la plupart» exprime qu'il peut y avoir de notables exceptions, Eurodisney, par exemple, ce qui en réduit la portée générale et rend excessif le « ne...que ». Dire ensuite que la nature devient « secondaire» est peut-être vrai pour certains touristes, mais pour la majorité, que serait le littoral sans le bain, la montagne sans le ski, la campagne sans la pêche à la ligne? Curieux de dire qu'on vient pour un « vide» auquel on serait indifférent... Et sur quelles enquêtes ou quelles sources s'appuient donc de telles affirmations pour être aussi catégoriques? Enfin, dire que la mer, ou le désert, ou la montagne, est un « vide» ferait sans doute réagir les Vezo de Madagascar, les Touareg du Sahara ou les Indiens des Andes, et traduit bien une vision du tourisme urbaine et occidentale que l'on « croit» universelle d'une façon bien peu scientifique. Le « vide» des uns n'est sans doute pas celui des autres. C'est peut-être justement parce qu'on ne sent pas de « vide» (mais peut-être un paysage, une lumière, un souffle, une ambiance, voire un « esprit des lieux ») que l'on vient là où habitent d'ailleurs bien d'autres personnes tout au long de l'année et à qui cela ne pose guère de problème existentiel. Dire, à propos du tourisme qu' « il n'y aurait plein que parce qu'il y a vide... vide et frontière se combinent pour rendre compte du plein» (ibid.) relève plus du jeu de mot incantatoire que de la démonstration et affiche un déterminisme à rebours (1' « absence» de quelque chose crée la présence d'autre chose). Que d'exemples ne pourrait-on trouver où « vide et frontière» ont maintenu de grands vides (au moins relatifs), en dépit d'abondantes clientèles potentielles proches (Jura, Ardenne, Appalaches et région des Grands lacs... ! Et l'on sait par ailleurs que la recherche de la concentration de l'offre conduit beaucoup d'opérateurs et de touristes, une fois passée la phase d'utilisation d'un «vide », notamment foncier, à s'accumuler en des lieux déjà bien occupés pour en tirer, chacun en ce qui le concerne, le meilleur parti: Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon, Floride, côtes espagnoles, italiennes, turques, tunisiennes, et bien d'autres où l'appel du « vide» ne joue sans doute pas autant que le confort de l'hôtel, le prestige du golf, l'attrait de la piscine ou le prix du forfait. Peut-on dire, d'un côté, qu'en matière d' « effet sur le lieu» qui tend à devenir touristique « la différence, en cela, ne s'évalue pas entre un et des touristes, mais plutôt entre pas de touriste et un touriste» (Équipe MIT, 2002, p. 71), ce qui revient à dire qu'un seul touriste suffit à rendre un lieu touristique, mais d'autre part affirmer que les lieux où
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se rendent les touristes sont généralement vides au point de ne même pas compter, sans doute doit-on le comprendre ainsi, un seul habitant? Sinon, cela établirait alors une curieuse dissymétrie entre le pouvoir « peuplant» du touriste, dont un seul suffirait à changer le caractère du lieu, et celui des autochtones, dont même quelques centaines ou milliers, s'ils habitent le bord de mer ou en montagne, ne suffiraient pas à en faire des lieux habités, qui ne soient donc pas « vides ». Bizarre... Ces variations sur le « vide» se prolongent sur l'espace rural sans être plus convaincantes: « si on admet que la concentration touristique est largement liée à l'existence d'un vrai 'vide', l'espace rural, qui est un faux 'vide' et un espace aux limites floues (tiens, tiens! JMD) ne favoriserait pas l'apparition de véritables stations, sauf situations insulaires de type Vichy... Même au sein de l'espace rural représentant un certain vide, un vide plus vide que la moyenne peut susciter des pleins, comme en témoignent les petites agglomérations touristiques qui se développent, ça et là, en bordure de lacs de barrage nés précisément de la vacuité de l'étendue» (ibid., p. 234). En dépit de la prudence du conditionnel, on nous permettra de ne pas « admettre ». Pourquoi le ferait-on, quand on se retrouve noyé dans de vrais et faux vides, vides plus vides que la moyenne des vides, et peut-être aussi des vides à moitié pleins et des pleins à moitié vides? Non, franchement, tout ce discours ne tient pas, et l'on ne nous fera pas croire que le touriste est un chercheur de « vide» ... Un « projet existentiel» peut-il rechercher le « vide» ? C'est sans doute que ce « vide» n'est pas si « vide» que cela, et est donc quelque chose... Il est plus perçu par le visiteur potentiel comme un espace à investir (Corbin, 1988), à la vacuité assez relative, et à condition, presque toujours, de ne pas être trop loin (en distance ou en temps) d'un certain nombre de services et de commodités rassurantes. Quand on va vers le vide avec l'intention de le remplir, accorde-t-on plus d'importance au vide ou au plein, au moins à ce que l'on considèrera comme un certain plein pour soi? Il est vrai que « rien» et « vide» ne sont pas synonymes. Mais les récents dictionnaires de la géographie (Brunet et al., 1993, Lacoste, 2003, Lévy et LussauIt, 2003), ne soufflent mot du « rien» et, à propos de « vide », seul le premier parle de « vides de peuplement... qui ne sont jamais des vides absolus» (p. 506). On le rejoint, en ajoutant que ce débat philosophico-géographique mériterait encore s'être singulièrement approfondi, et de façon muIti-cuIturelle, pour ce qui concerne le tourisme...
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Devenir touriste « On ne naît pas touriste, on le devient », proclame le MIT, qui expose que cela se fait « par un apprentissage qui prend le temps d'une vie parfois, voire même celui de plusieurs générations à l'échelle du Monde, voire au sein d'une même famille» (Équipe MIT, 2002, p. 128). On dit par ailleurs que « la pratique touristique tient à deux critères: l'appartenance à un pays où le tourisme existe déjà, à une famille qui pratiquait déjà le tourisme» (ibid., p. 140). À moins d'avoir mal compris, avouons que cela pose problème: comment peuton donc commencer à pratiquer le tourisme si cela est subordonné à une présence préalable du tourisme, soit dans un pays, soit dans la famille? Comment le mouvement a-t-il donc commencé, puisqu'il est de fait qu'à un moment il n'y avait pas de tourisme, et que plus tard il y avait tourisme? Y a-t-il un big bang touristique? Quelqu'un a donc bien dû commencer sans avoir d'initiateur particulier, sans que personne ne lui « apprenne ». Les classes moyennes ou modestes qui constituent les foules de vacanciers, comment en sont-elles donc venues là, si les grands-parents ou les parents n'y partaient pas? Il n'y a pas eu apprentissage familial, mais saut qualitatif, choix d'individus qui ont décidé, à un moment donné, de se livrer à des pratiques qui permettent, rétrospectivement, de les qualifier de « touristes ». Les premiers « touristes» ne savaient pas qu'ils l'étaient, ne prenaient pas spécialement modèle sur quelqu'un (ce qui n'était pas exclu, cependant), ne partaient pas par recherche d'un effet d'imitation, n'en avaient probablement jamais entendu parler, mais ils avaient envie de partir, ils avaient un « désir d'ailleurs» (Michel, 2000), une envie de pérégrinité, et ils rompaient avec des habitudes locales ou familiales, peut-être même en s'opposant à leur milieu qui, loin de leur fournir un « apprentissage », s'évertuait à empêcher ce dépat1. Peut-être alors ces « touristes» qui se mettaient en chemin étaient-ils des « amateurs de pérégrinité » cités plus haut. Qu'ils soient devenus alors touristes, certes, mais pas par l'effet d'un quelconque apprentissage venu de l'extérieur: quelles que soient les influences extérieures, c'est à chacun de franchir le pas, à un moment donné. Dans un monde très marqué par les médias, la communication, la publicité, le culte du paraître, la soif de consommer, on a souvent l'impression, plutôt, que se mélangent dans le choix de beaucoup de départs le souci de se dépayser, celui de se distinguer et celui de consommer, sans que beaucoup de préoccupations d'ordre existentiel paraissent sous-
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jacentes. Tout cela en proportions variables selon les individus, leurs moyens, leur milieu, la période de la vie ou le moment de l'année. S'agissant d' « apprendre à pratiquer» (Équipe MIT, 2002, p. 130), une ambiguïté de taille se manifeste entre le tourisme et les loisirs. L'individu doit-il pratiquer des activités spécifiques préalablement à sa consécration comme touriste? L'exemple qui est pris par le MIT met l'accent sur « le lien fort entre eau et tourisme» (ibid.) (tout ce qui pourrait suggérer un quelconque rapport de causalité pouvant faire penser à un quelconque « déterminisme» ou « possibilisme » serait purement fortuit...), pour expliquer comment la diffusion de l'apprentissage de la natation a favorisé l'essor du tourisme littoral. Nous ne partageons pas ces vues. En premier lieu, il nous semble que la natation est devenue d'abord une pratique de loisirs (la multiplication des piscines couvertes en permet la pratique toute l'année), voire même de travail si elle s'apprend à l'école dans un enseignement obligatoire, soumis à notation et examen, et que rien, a priori, ne la destine à être considérée comme une pratique touristique plus que le fait de manger ne le serait aussi, au motif que les individus vont davantage au restaurant pendant leurs vacances ou leurs déplacements touristiques. Pratiquer la natation est peut-être une activité de touriste, mais ne saurait conférer à aucun titre à un individu le titre de touriste. Ensuite, s'il s'agit de reproduire en temps de tourisme ce qu'on a appris dans son quotidien, cela réduit la quête de l'altérité invoquée par ailleurs. Ne serait-on pas même alors fondé à dire, à la limite, qu'il faut avoir tout « appris» avant de partir, pour mieux en profiter? Le tourisme ne serait-il qu'un assemblage de pratiques expérimentées, « apprises» par chacun dans son quotidien, et dont la seule «délocalisation », en quelque sorte, ferait du «tourisme» ? La recherche de l'altérité se cantonnerait-t-elle à la recherche d'un décor autre, effectivement? Peut-être, mais cela réduit singulièrement la portée d'une démarche touristique et d'un « projet existentiel », qui n'a pas forcément besoin d' « apprentissage ». Il est vrai que, on l'a dit, les touristes « usually want to visit a place, not its people» (Levenstein, 1998, p. 281). Nous pensons qu'une information d'une part, une démarche personnelle d'autre part, avec ou sans «apprentissage» peuvent faire d'un individu un « touriste ». Le touriste apprend « sur le tas », il se « perfectionne» au fil de ses voyages, rencontres, visites, et devient, en principe, plus ouvert, plus sensible, plus compétent « ès tourisme ». Une chose est de dire que la variété des expériences et apprentissages vécus dans le quotidien
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diversifiera l'utilisation du temps passé comme touriste et rendra le séjour plus riche, plus attrayant, autre chose de prétendre que ces apprentissages sont nécessaires pour être touriste. Sinon, est-on plus ou moins touriste en fonction du niveau de « compétences touristiques» acquis, et évalué par qui, au nom de quoi, sur quels critères? Y-a-t-il des touristes « débutants », « initiés », « confirmés », « spécialistes »... selon le niveau d' «apprentissage» ? Les usagers des trains de plaisir du XIXè siècle comme, encore maintenant, des billets « Un jour à la mer» dans certaines régions françaises, se jettent dans le tourisme sans que personne leur ait dit comment il fallait faire. Une différence non négligeable entre maintenant et il y a 150 ans réside quand même dans le fait que les médias modernes auront probablement rendu le touriste d'aujourd'hui mieux informé sur certains lieux ou pratiques: c'est là, sans doute, que réside l' « apprentissage ». Mais on peut être touriste dès la première fois dans un milieu dont ignore tout. Aller à Hurghada (Égypte) faire de la plongée sous-marine en résidant dans un hôtel quatre étoiles au bord de la mer Rouge, quand on habite dans un pavillon de banlieue du centre de la France, défie sans doute beaucoup d'apprentissages: mer chaude, région désertique, culture musulmane, habitat collectif, niveau de confort, équipements disponibles, activités pratiquées, langue de contact avec les autochtones. La recherche de l'altérité ne sera-t-elle pas maximum si les apprentissages préalables sont réduits au minimum? Enfin, ne peut-on devenir touriste qu'à condition de quitter sa région: « la population régionale n'est pas, par définition, celle qui fréquente le lieu à des fins touristiques », (Équipe MIT, 2002, p. 238), ce qui s'accorde mal avec l'affirmation que « l'altérité peut se trouver... au coin de la rue » (ibid., p. 84) ? Y-a-t-il une distance minimum en deçà de laquelle on ne peut être touriste? Mais quand on connaît les fluctuations des « régions », et l'indifférence des limites administratives à la matière touristique qui retient le touriste... Un Marseillais ne peut-il être touriste sur la Côte d'Azur? Un Avranchin ne peut-il être touriste au Mont-Saint-Michel, alors qu'un Malouin le serait? Décidément, ce critère « régional» semble bien peu pertinent. Le touriste est-il libre ? On peut s'interroger sur le degré de liberté dont jouit le tourisme face à un « certain» conditionnement, à la publicité, aux
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pratiques des professionnels avant ou pendant le déplacement touristique, à la pression sociale, etc., à tel point que « l'idée que le touriste n'a pas son libre arbitre est donc courante» , constatent certains (Équipe MIT, 2002, p. 51), qui insistent en revanche sur le choix, l' « élection» des lieux et pratiques effectués librement par le touriste (ibid., p. 83-84,92,96, 102, 115..., Stock et al., 2003, p. 251, 268...). Dans leur « approche, ce qui tend à se substituer à un déterminisme ou à un autre est une conception de l'homme qui en valorise la part de liberté, aux dépens d'une autre lecture implicite qui en fait un homme manipulé par la nature, la technique, quand ce n'est pas par le marché et ses publicités )) (Stock et al., p. 2003, p. 268). Il est certain que personne n'a intérêt à faire croire au touriste qu'il est manipulé alors qu'il croît vivre, et vit peut-être, une expérience qu'il estime unique et résultant entièrement de son libre arbitre. Nous ne pensons pas, cependant, que cette vision un peu idéaliste du « prosommateur )) - touriste correspondeà la réalité de la majorité d'entre eux. D'abord parce qu'en ce domaine comme en d'autres que chacun peut vivre au quotidien, tout l'art du marketing, de la communication, d'une certaine publicité, consiste plus d'une fois à faire prendre, au consommateur, et non sans succès, son rêve pour la réalité, ce qui peut, à l'occasion, le décevoir. Ensuite, parce que la liberté, en ce domaine, existe, certes, mais avec beaucoup de limites parfois fort contraignantes: choix de la période de tourisme, de sa durée, moyens disponibles, problèmes de santé, contraintes techniques de transport, logement, nourriture, sans compter les contraintes issues du travail et du choix de la résidence principale, généralement considérés comme prioritaires... D'un mot facile, on dirait presque qu'on a la liberté de choisir quelles contraintes on préfère subir, sauf à partir seul en routard, et encore! Il n'y a pas lieu, selon nous, de s'en offusquer: n'est-ce pas ainsi dans toute notre vie sociale, à des degrés divers selon les individus, les domaines, les périodes, les lieux? La liberté du touriste semble donc assez relative. D'ailleurs, tempérant leur affirmation maintes fois répétée, les mêmes auteurs le reconnaissent explicitement: « la liberté du touriste n'est évidemment pas totale )), et même « la liberté de l'individu est une utopie )) (Équipe MIT, 2002, p. 95). Si liberté il y a, il y a aussi intentionnalité. Celle-ci est largement reconnue: « par 'projet touristique', entendons ici l'intentionnalité qui préside aux pratiques, ce qu'on prévoit de faire, ce qu'on projette de faire )) (Équipe MIT, 2002, p. 119). Nous partageons
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globalement ce point de vue, même s'il convient de ne pas oublier que, consécutivement, « il y a autant d'images territoriales qu'il y a de visées intentionnelles différentes» (Raffestin, 1980, p. 133). Cela, évidemment, peut provoquer des difficultés pour traduire cette multitude de « visées intentionnelles» en termes de politiques de promotion ou d'aménagement touristiques cohérentes. Surtout, comme pour la liberté, nous pensons que cette intentionnalité peut n'être pas totale, pas complètement épanouie selon les désirs du « touriste ». Faut-il moins, pour autant, reconnaître à celui-ci cette qualité? Nous ne le pensons pas. Mais nous pensons que plus de « touristes» , ou en tout cas considérés comme tels, qu'on ne croit ne peuvent totalement satisfaire à la définition de l'intentionnalité de Lévy, reprise par Lussault :« le fait que les actions humaines préexistent dans les représentations des agents sous forme de finalités de la volonté ou du désir et les transforment ainsi en acteurs» (cité par Lussault, 2001, p. 19). Dans certains cas, la « volonté» ou le « désir» doivent se résigner à en rabattre de leurs intentions, pour divers motifs. Car il ne faudrait pas se méprendre en pensant que chaque «acteur» est parfaitement maître de son destin: une compagnie aérienne et ses passagers sont des acteurs, mais qui ne peuvent rien l'un sans l'autre. Ils font système, mais c'est plus souvent les «touristes» qui sont obligés de passer sous les fourches caudines d'autres acteurs (au moins à échelle de temps courte, au moment de partir en voyage, par exemple) que le contraire (où le « marché» peut imposer, à terme, des changements de stratégie aux acteurs économiques ou institutionnels). En s'en accommodant, ils exercent quand même leur liberté. Ainsi en est-il, par exemple, de pays où la liberté de circuler est restreinte par un régime autoritaire ou l'organisation touristique prise en main par des institutions gouvernementales idéologiques. Dans l'ex-Europe communiste, on sait que l'État pourvoyait largement aux vacances de ses citoyens, en leur fournissant des aides considérables, soit directement, soit par l'intermédiaire des entreprises ou des syndicats, pour leur permettre de partir. Mais d'une part, de telles vacances ne pouvaient avoir lieu tous les ans, et il fallait attendre son tour deux ou trois ans. D'autre part, on n'était guère libre non plus de sa destination et de son mode d'hébergement. Alors, quand on habitait Cracovie et qu'on passait, faute de mieux, ses congés en maison de vacances à Rügen (ex-RDA) ou à Sopot (Pologne) alors qu'on rêvait d'un hôtel plus ensoleillé et d'une mer plus
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chaude à Mamaia (Roumanie), voire d'un camping sur la Côte d'Azur, où était l'intentionnalité réelle? Faut-il compter pour rien tous les « touristes» qui ont été recensés dans ces conditions? Quand Intourist, agence de voyages officielle de l'ex-URSS, imposait à ses visiteurs étrangers des itinéraires obligatoires pour se rendre dans quelques destinations soigneusement sélectionnées comme vitrines pour la propagande soviétique, quelles liberté et intentionnalité faisaient de ces visiteurs de « vrais» touristes? Quand le passage par Kraft dllrch Frellde était une condition, pour beaucoup de citoyens du Troisième Reich, pour accéder à un certain nombre d'activités touristiques dans les années 1930 (Semmers, 2005), de quelles liberté et intentionnalité parle-t-on? Ces individus n'étaient-ils pas des touristes, et les lieux qui les recevaient des lieux touristiques? On pourrait sûrement multiplier les exemples avec bien d'autres pays, y compris des pays dits « libres », mais qui imposent des conditions restrictives de visite (visa obligatoire, coûteux, durée limitée, points de passage obligés...). Et même en France, qui instaure temporairement en 1983 un « carnet de change» obligatoire pour disposer d'une « allocation touristique» en devises, c'est à la sortie du pays et non à son entrée que cette mesure limite les voyages. Dans un grand nombre de cas, l'on ne va pas vraiment où l'on voudrait aller, on accepte d'aller là où on vous permet d'aller, et peut-être même se résigne-t-on, faute de mieux, à aller où l'on n'aurait spontanément aucune envie d'aller, mais l'on y va quand même, parce que c'est mieux que d'aller nulle part. Le désir de rupture avec le quotidien l'emporte sur la qualité contestée d'un choix imposé, et la liberté comme l'intention du sujet ne peuvent s'exercer que dans des limites étroitement contrôlées par certains acteurs extérieurs. On ne sera donc pas aussi catégorique que certains pour qui « il est... évident que les touristes d'aujourd'hui ont une conscience aiguë de la relation particulière qu'ils viennent nouer avec le lieu» (Deprest, 1997, p. 179), tant pour la « particularité» que pour la conscience qu'ils en ont. Il serait donc vain de croire que tous les acteurs sont sur le même plan en termes de pouvoir décisionnel et de liberté de choix, sans même parler des critères socio-économiques (niveau d'instruction, de revenus...). Même les parents imposent des lieux de vacances à leurs enfants, qui voudraient bien, parfois, aller ailleurs. Si la liberté et l'intentionnalité absolues sont des conditions obligatoires à la qualité de « touriste », il est à craindre qu'il y ait bien peu de ceuxci, et pas seulement à propos des pays dirigistes. Il nous semble donc
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que, là encore, un principe de réalité doit prévaloir. Car si toutes ces personnes ne sont pas des touristes, comment qualifiera-t-on, et comprendra-t-on, les lieux qu'elles fréquentent, qui auront toutes les apparences de lieux touristiques, mais ne seront en réalité que de gigantesques décors « comme si » c'était des lieux touristiques? Si nous enlevons ces personnes, les excursionnistes, les « touristes d'affaires », les curistes (cf. encadré n° 3), les pèlerins..., que va-t-il rester pour comprendre le système socio-spatial touristique des « vrais» touristes, puisqu'il est largement organisé en raison de la présence des « faux» touristes et de leurs pratiques? D'autant plus que cette liberté qu'il pourrait, ou devrait, utiliser dans une recherche de l'altérité qui nourrisse son « projet existentiel », on est parfois bien surpris, ou déçu, de voir de la façon dont le touriste l'utilise. Mais il n'y a certes pas lieu d'être déçu de choix qu'on ne ferait pas personnellement mais qu'il ne nous appartient pas de juger à titre scientifique. Il n'empêche... et disant cela, on espère ne pas être catalogué dans la catégorie des « intellectuels anti-tourisme » que vilipende le MIT. Ainsi, « une enquête a révélé qu'à Lloret de Mar (Costa Brava), où quelque 90 % des visiteurs sont en voyage organisé, 2 % disent s'intéresser réellement à la culture locale» (Flament, in Dewailly et Flament, 2000, p. 133). À Sousse (Tunisie), une autre a montré que 65 % des touristes ne quittaient pas l'hôtel ou ses dépendances et ne visitaient même pas la ville (De Kadt, 1979). On trouverait bien d'autres exemples de ce type, mais on a plutôt tendance à les cacher, car ils ne semblent pas correspondre aux grands discours tenus sur le rôle culturel du tourisme, facteur de découverte, de paix, d'entente entre les peuples... à condition qu'ils se rencontrent vraiment. Or, il n'y a aucune raison ni de s'en scandaliser, ni de se scandaliser que d'autres s'en scandalisent: « la neutralité est un préalable à l'analyse scientifique et les jugements de valeur sont à éviter» (équipe MIT, 2002, p. 21). La liberté de faire ce que l'on veut, c'est aussi celle de ne rien faire (farniente), et bien des touristes ne vont quelque part que pour s'y reposer, rigoureusement, ce qui les sort grandement du hors-quotidien harassant. Ne rien faire est, alors, faire quelque chose. Quoi qu'il en soit, dans des situations extrêmement diversifiées, le scientifique n'a aucun jugement de valeur à porter ou de brevet de moralité à décerner: il constate qu'entre un idéal (pour qui, d'ailleurs, et au nom de quoi ?) et une réalité, il y a parfois un énorme décalage, dont il prend acte, et qui lui ouvre un passionnant domaine de
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recherches, sur lequel il n'essaiera pas de plaquer ses propres conceptions du tourisme. Devant de tels constats, faut-il s'émouvoir que le touriste, et le tourisme, soient instrumentalisés ? Peut-il vraiment exister un tourisme « innocent» , dont les intentions ne seraient au service que d'un pur « projet existentiel », et que ni les individus, ni les sociétés, libérales ou dirigistes, n'utiliseraient à des fins diverses? Peut-être, mais nous aurions tendance à penser que ce n'est pas la majorité des cas. Le tourisme est souvent une vitrine, dans laquelle le touriste est récupéré et exhibé à des fins politiques, idéologiques, économiques ou autres, qu'il s'agisse du touriste national ou du touriste étranger. Croiton que ce soit seulement pour la beauté de son classement international, et même de ses retombées économiques, que la France lutte pour garder son rang de premier pays du monde en termes d'arrivées de touristes internationaux, alors qu'elle n'est que le troisième ou quatrième pour les recettes touristiques? Bien entendu, l'apport économique est très appréciable (Dubrule, 2005), mais cela permet aussi à des groupes professionnels ou institutionnels d'exercer un lobbying portant sur les conditions d'emploi, la politique fiscale ou autres au nom de la «compétitivité» à maintenir, ainsi que de continuer à discourir sur les charmes de « la France éternelle », de son attractivité inégalée, de sa qualité de vie et, consécutivement, d'alimenter un propos à teneur géopolitique et géostratégique sur sa « grandeur» . Les pays communistes ont toujours tenu à «ouvrir» des lieux touristiques où l'on menait les hôtes extérieurs, touristes, s'extasier sur les réalisations du régime. L'Italie fasciste comme l'Allemagne nazie ont largement utilisé ce moyen, qui permettait d'une part de contrôler la population, d'autre part de lui faire mieux supporter certaines dispositions attentatoires à sa liberté. Ainsi, « en mai 1932 , l"Opera Nazionale Dopolavoro' (Organisation des Loisirs) (compte) un million huit cent mille membres... Activités fascistes, Instituts fascistes de culture, camps de vacances pour les jeunes permettent de grouper autour du fascisme et du Duce toutes les activités» (Gallo, 1966, p. 219). Sous le Troisième Reich, « le régime croyait que le tourisme permettait d'améliorer les relations internationales en faveur de l'Allemagne» (Semmens, 2005, p. 129). Cette question de l'instrumentalisation est aussi soulevée à propos de la colonisation, pour laquelle le développement du tourisme constituait un facteur d'intégration supplémentaire (Équipe MIT, 2002, p. 206). Et l'on a pu constater que les héritages issus de cette
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colonisation induisent encore maintenant des rapports touristiques privilégiés entre les métropoles et leurs anciennes colonies (questions de langue, d'habitudes culturelles, de liens économiques...) (Cazes, 1989, 1992 b ; Dewailly et Flament, 1993). Mais on a quand même l'impression que, sauf cas isolés et d'autant plus rares que les touristes sont de plus en plus nombreux, et donc suscitent de la part des états et des institutions diverses des formes d'organisation de plus en plus prégnantes, le « touriste» peut difficilement échapper à une instrumentalisation, voire qu'il la suscite: était-ce pour leur seul plaisir ou aussi pour se faire valoir auprès de la famille royale que les nobles anglais construisirent leurs somptueuses villas sur le front de mer de Brighton à partir du moment où ladite famille lança la station? Les « trains de plaisir» permettant aux familles populaires de passer « un jour à la mer» furent-ils lancés par pure philanthropie des compagnies ferroviaires au XIXè siècle, ou parce qu'il s'agissait de rentabiliser au maximum les installations pour distribuer des dividendes plus consistants aux actionnaires? Dans les années 1920 1930, quand on voit se développer le réseau des cars Citroën sur le territoire français, s'agit-il seulement de permettre à des classes modestes, qui ne peuvent se payer une automobile, d'accéder à des stations balnéaires non desservies par le chemin de fer ou à des « petits trous perdus », ou de conforter la production d'autocars d'une firme privée qui y trouve un débouché important? Bref, qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, il ne nous semble pas que le tourisme, quoi qu'on en ait par rapport à la pureté des intentions, réelles ou supposées, du touriste et de son « projet existentiel », puisse échapper à cette récupération, cette manipulation, cette instrumentalisation. Il en est, bien sûr, plus ou moins conscient, voire plus ou moins complice, mais pourquoi serait-ce différent en matière de tourisme de ce qui se produit dans les autres domaines de la vie sociale? Dès que l'on participe à la vie publique, par des voies économiques, politiques, syndicales, religieuses ou autres, l'on se met en situation d'être « utilisé» à d'autres fins que les siennes propres. Constat qui n'est pas si désabusé qu'il y paraît, car comme on ne peut y échapper, mieux vaut en être conscient pour en minimiser les effets indésirables. Touriste actif ou touriste motivé? La question de l'intentionnalité rejoint celle de ce qui fonde le tourisme et donc l'existence des touristes. Certains rejettent les
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« motivations» au profit des « activités », comme on l'a évoqué dans le chapitre 1. Certains anthropologues pensent, dit-on, que les «activités (sont une) notion plus riche que celle des simples 'motivations' » (Équipe MIT, 2002, p. 119). Il faut quand même se demander si ce n'est pas confondre l'effet et la cause. Car l'activité pratiquée ne découle-t-elle pas de la motivation qui y conduit? Cette motivation provoque la mise sur pied d'un projet « touristique », s'accompagnant d'une intentionnalité: si j'ai envie d'aller à la plage, et que je concrétise ce projet, je pourrai me baigner, me bronzer, faire de la planche à voile ou pêcher la crevette. Sauf à être un forçat (ou un enfant en centre de vacances, parfois, peut-être...), dois-je, comme touriste, faire ce que je n'ai pas envie de faire? Même les touristes polonais envoyés par leur syndicat dans une maison de vacances au bord de la Baltique n'étaient pas contraints d'y aller, même si ce n'était pas leur souhait le plus cher et, une fois sur place, ils pouvaient quand même organiser leur temps et leurs activités avec un certain libre choix. Les touristes, comme n'importe qui, savent bien qu'il faut bien s'accommoder de la situation où l'on se trouve et en tirer le meilleur parti possible, et donc « se motiver» en ce sens. La motivation n'est pas en elle-même un projet: elle est « ce qui pousse à faire», elle n'est pas « ce que l'on va faire» . On a besoin d'une motivation pour déterminer le projet dans lequel on pratiquera certaines activités. Entre les deux, il faut franchir les pas de la décision et de la mise à exécution, ce que des psychologues exposeraient certainement mieux que nous. Il est d'ailleurs curieux que le MIT se rallie à la distinction qu'il expose, car non seulement, on l'a vu (ch. 2), il parle parfois d' « activités» à propos du tourisme tout en disant que ce n'en est pas une, mais il affirme aussi que « pour être touriste, il n'est pas nécessaire d'avoir une activité» (Équipe MIT, 2002, p. 135). Alors, s'il n'y a ni motivation, ni activité (mais, on l'a dit, même l'inactivité choisie et la contemplation sont des activités), comment ya-t-il touriste? Car même pour être inactif, il faut une motivation, sauf à être prisonnier. Nous pensons donc que l'une n'exclut pas l'autre, au contraire, que le touriste a besoin des deux et qu'il les met en oeuvre successivement. Encore faudrait-il s'entendre. Quand l'on affirme, par exemple, « le ski reste encore une étrangeté pour beaucoup. Par conséquent, cela signifierait que toute activité pouvant se développer dans le quotidien a toutes les chances de devenir une activité touristique de première importance dans les lieux du hors-quotidien où elles
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pourront se déployer» (Équipe MIT, 2002, p. 133), cela appelle quelques questions. Pourquoi le ski serait-il une « étrangeté» plus remarquable que la plongée sous-marine, le golf, l'équitation, la planche à voile, le surf, le sumo, le vol à voile, le deltaplane, l'escalade, le bateau, la moto, la spéléologie, la pêche au gros, l'aviron, le saut à l'élastique, le karaté, le yoga, la peinture sur soie, le trombone à coulisse et cent autres activités qui ne sont toutes pratiquées que par une minorité d'individus et paraissent donc fort « étranges» aux autres. Cette notion d' « activité étrange» mériterait sans doute d'être explorée, car elle ne nous paraît nullement convaincante a priori. D'autre part, il semble évident qu'une activité qu'on pratique déjà aura plus de « chances» d'être de nouveau pratiquée sur un lieu touristique, mais cela fait bon compte de la recherche de l' « altérité» au nom de laquelle, précisément, l'on va chercher à faire en vacances ce que l'on ne pratique pas durant le quotidien. D'où les innombrables stages d'initiation ou de découverte dans les quelques activités citées, et bien d'autres, où l'on se confronte justement à autre chose. Et l'on sait combien cela fait la fortune de lieux ou d'entreprises qui se spécialisent sur ces « créneaux », jouant de cette singularité. Apprentissage préalable ou non, cela nous semble plus relever de la résultante de choix personnels, peut-être aiguillonnés par une publicité appropriée, où entrent en ligne de compte de très nombreux critères (valorisation personnelle, recherche de sécurité, dépassement de soi, finances disponibles, rencontres recherchées ou pas...). Avec autant de pertinence, nous pourrions donc soutenir, à l'inverse, qu'une activité qui ne se déploie pas dans le quotidien a toutes les chances de devenir une activité touristique de première importance, au nom justement de la recherche de l' « altérité» et de la « distinction ». On peut aussi se poser la question de savoir si les motivations scientifiques sont à ranger ou non dans le tourisme. D'un côté, l'on oppose « territoires de touristes contre territoires de scientifiques» (Équipe MIT, 2002, p. 188), ce qui indique clairement que les individus concernés ne sont pas rangés dans la même catégorie. Mais de l'autre, parmi « ces premiers touristes (qui) ouvrirent des portes qui ne sont pas près de se refermer» (Équipe MIT, 2002, p. ]66), De Saussure est nettement rangé, car, mû par « le souci de la connaissance du Monde et de ses lois..., il gravit le mont Blanc en ] 787, un baromètre à la main» (ibid.). Les « scientifiques» himalayens sont aussi qualifiés de « touristes» (Stock et al., 2003, p. 47). Un scientifique en mission est-il donc un touriste? Un «pré-
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touriste» pratiquant un« tourisme d'affaires» (puisque justifié par son travail), qui serait, on l'a vu, une « préfiguration» du tourisme? Mais cela, on ne le sait qu'a posteriori, après que les vrais touristes aient assuré le succès d'un lieu dont le savant en question ne pouvait nullement prévoir l'évolution. Les membres des missions scientifiques françaises aux îles Kerguelen ou en Terre Adélie sont-ils des touristes qui s'ignorent, ouvrant la voie à de prochains voyages à forfait? Après tout, assurant une base logistique persistante, ils démontrent la possibilité de vivre dans des conditions extrêmes qui peuvent peut-être tenter certains voyagistes en quête de produits originaux à proposer. On sait que, déjà, des navires de croisière font débarquer sur la banquise, par petits groupes, leurs passagers qui vont rendre visite aux manchots. Les scientifiques sont-ils des éclaireurs chargés de cautionner, plus ou moins consciemment, les conditions de vie, de voyage, de sécurité, de santé, dans lesquelles les touristes pourraient donc être amenés à se déplacer? N'est-ce pas aussi le cas pour les grands fonds marins ou la Lune, où le tourisme a commencé? En attendant, on reste dans le flou. Ne semble pas très heureuse non plus l'utilisation du terme « déplacé» pour qualifier le touriste: « le touriste, un être déplacé» (Équipe MIT, 2002, p. 79 sq.). Ce qualificatif est un participe passé, qui cadre mal avec le personnage actif (dont on souhaite qu'il ait des «activités» plutôt que des « motivations », mais qui peut même n'avoir aucune activité. Cf. supra) qu'on se représente, puisqu'il est quand même censé sortir de son quotidien, rechercher l'altérité, chercher à se distraire. L'appellation dont on le gratifie en fait donc plutôt un personnage passif, que l'on déplace plutôt qu'il ne se déplace. Cela concorde mal avec l'intentionnalité et la liberté qu'on lui prête. Et puis le terme peut être pris dans deux sens, qui sont d'ailleurs complémentaires: le touriste a été déplacé, il est donc déplacé, c'est le résultat de l'action; mais aussi il est en train de se déplacer, il n'est plus à sa « place» de résidence habituelle, mais il n'a pas encore atteint le but de son déplacement, car l'action est en cours. D'autre part, le terme est chargé de connotations négatives: un individu «déplacé », cela évoque les exodes subis par des réfugiés pudiquement appelés « personnes déplacées », des migrations forcées, des expulsions plus ou moins massives. L'on ne sache pas que les touristes, même quand ils ne vont pas exactement où ils le souhaitent, relèvent de ces catégories, et même s'ils sont « transportés» (mais ils peuvent aussi se transporter eux-mêmes). On a pu évoquer déjà les
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pratiques délocalisées que le tourisme induit, conséquence du changement de lieux des individus qui se déplacent (Cazes, 1992). Parler du touriste comme d'un être « délocalisé » serait sans doute plus conforme à la nature des choses, mais pas plus élégant. Et puis les délocalisations, par les temps qui courent, n'ont pas non plus bonne presse. Comme nous avions pu, en son temps, proposer les termes « endotrope » et « exotrope» pour les stations en fonction de leur propension à se tourner vers l'intérieur ou l'extérieur de leur tissu urbain (Dewailly, 1990), pourrait-on appliquer ces termes aux individus, selon qu'ils se tournent vers le quotidien (chez soi, mais pas seulement) ou vers le hors-quotidien (hors de son domicile, avec une dimension spatiale inséparable d'activités inhabituelles) ? Le touriste pourrait être un être exotrope, après tout... Une dernière remarque à propos du touriste, indirectement évoquée à propos du tourisme d'affaires, des activités ou des motivations, nous semble capitale. En tout état de cause, le touriste est très souvent un être multi-motivé. De la même façon qu'il y a des ouvriers-paysans ou des doubles actifs (y compris d'ailleurs dans certaines structures d'accueil touristiques comme les gîtes ruraux), ou que les enquêtes d'opinion ou de comportement laissent la place à « plusieurs réponses possibles », il faut bien admettre que, dans le déplacement touristique, il existe souvent plusieurs motivations. Nous disons « motivations », c'est-à-dire un ensemble de démarches psychologiques volontaires et conscientes en vue d'atteindre des objectifs préalablement déterminés, et non pas seulement « occasions» ou « opportunités» qui seront saisies, plus ou moins par hasard, au cours du voyage, pour faire telle ou telle activité que l'on n'avait pas prévue. L'ensemble de ces motivations va se nouer pour constituer un véritable « projet existentiel », dans lequel le tourisme au sens étroit du terme pourra n'avoir qu'une portion congrue, mais qui constituera par lui-même un projet touristique: assembler dans un même voyage des préoccupations d'affaires, une rencontre familiale, un moment de sport ou de pèlerinage, une visite à un spécialiste médical, des visites culturelles, et même un vrai temps de farniente, comment appeler cela, si ce n'est du tourisme - ou de la pérégrinité -, et quel qu'en soit le motif déclencheur ou la séquence dominante (cf. fig. 3) ? A chaque séquence spatio-temporelle différente et identifiée, correspond une motivation: chaque motif pris séparément n'est peut-être pas touristique, non plus que chaque lieu où il s'applique, mais, en passant à l'échelle plus large, le changement
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d'échelle induit un changement de nature du phénomène. Processus de généralisation que connaissent bien les géographes, et qui va même jusqu'à faire de la France un hexagone. On ne peut pas d'un côté prôner l'intentionnalité, la liberté de l'individu et son « projet existentiel », et de l'autre l'enfermer dans des catégories si étroites qu'on en nie la personnalité, ne consentir à le considérer comme « touriste» qu'à condition qu'il se plie à toutes sortes de règles qu'on aura définies pour lui pour la beauté d'une théorie. Il semble donc bien qu'il soit, pour le moment, aussi difficile de définir le touriste que le tourisme avec une précision scientifiquement et universellement incontestable. Certains éléments peuvent se dégager pour, quand même, ne pas permettre de dire que tout le monde est tout le temps touriste, et c'est ce que permettent, faute de mieux, les actuelles définitions de l'OMT. Mais le recours aux sciences et humaines et sociales, pour nécessaire qu'il soit, est loin, dans les conditions actuelles de la recherche, de parvenir à éclairer toutes les facettes du touriste. Des approfondissements devront encore intervenir (il est d'ailleurs évident qu'en existe un certain nombre que nous ignorons), dans un souci de transculturalité que l'anthropologie suggère, et où la géographie a toute sa part pour comprendre comment émergent et s'organisent les lieux touristiques.
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Chapitre 4
Des lieux touristiques
Il y a peut-être quelqu'inconscience à vouloir comprendre, en géographe, des espaces sous l'angle de leurs rapports avec une activité mal définie pratiquée par des individus qui ne le sont pas davantage... C'est donc avec une marge d'appréciation peut-être encore plus indécise que dans les chapitres précédents qu'il nous faut néanmoins affronter cette question. Et affronter cette difficulté n'en revêt pas moins un caractère aussi nécessaire que les précédentes, quel que soit le flou qui puisse l'entourer et dont on n'est pas sûr de pouvoir sortir. En effet, c'est bien sur le terrain que se concrétise ce qui a pu faire l'objet des discussions théoriques précédentes, avec des aires, des configurations, des limites qu'il faut bien, à un moment donné, tracer dans l'espace, pour toutes sortes de raisons politiques, juridiques, commerciales, sociales, de promotion ou d'aménagement. Là encore, nous ne prétendons à rien d'autre que d'apporter quelques petites pierres à l'édifice en construction.
De quelques appréciations et définitions Dans l'ensemble, soulignons d'abord que ce qui est étudié par les différents auteurs, nous compris, ce sont plus les lieux récepteurs que les lieux d'émission ou de transit touristique. Rien d'étonnant: c'est là que s'observent les plus fortes concentrations de tourisme et de touristes, avec leurs effets les plus intenses, réels ou supposés. On n'oubliera pas cependant qu'un système ne saurait se réduire à une dominante. Tous les espaces touristiques sont, à des degrés divers, des lieux émetteurs, récepteurs et de transit. C'est le dosage et l'articulation de ces fonctions qui, entre autres, compliquent l'analyse, entraînant turbulences et dynamiques perpétuellement changeantes à plusieurs échelles de temps et d'espace.
On a pu dire que « les espaces touristiques sont souvent des lieux stricto sensu, c'est-à-dire des espaces dans lesquels la distance n'est pas pertinente (la seule distance qui importe est celle qui conditionne leur accessibilité à partir des espaces de résidence des touristes), des entités 'discrètes' et distinguables, la mise en tourisme exigeant cette discrétisation et cette délimitation claire» (Knafou et Stock, 2003, p. 932). Il semble que, dans cette définition, les « lieux stricto sensu» correspondent à une hiérarchie de lieux sur lesquels on reviendra. Cette qualification des espaces touristiques rejoint des propos antérieurs, définissant « l'espace touristique comme concentrant un certain nombre de lieux touristiques et possédant une image globale profondément liée au tourisme» (Knafou et al., 1997, p. 201), ou « (devant) présenter une grande variété et une grande densité de lieux, révélant une fréquentation importante et diversifiée» (Gay, 2000, p. 307). On notera seulement au passage combien un certain nombre de ces termes restent fort relatifs et peuvent donc conduire à des appréciations très différentes sur l'existence d'un espace touristique: qu'est-ce qu'une « concentration », un « certain nombre », être « profondément lié » au tourisme? Une « image globale» pour qui? « Grande..., importante..., diversifiée... » par rapport à quoi? Ne nous a-t-on pas dit par ailleurs que la mise en tourisme résultait de la présence d'un petit nombre de touristes, voire d'un seul regard ( « même pratiqué par d'infimes contingents, le tourisme ne peut être que de masse» (Deprest, 1997, p. 181), «un site touristique est approprié par le regard» (Knafou et al., 1997, p. 201) ? Peut-on être mis ainsi en tourisme sans être « touristique» ? Entre l'unique, l'infime et le concentré, qu'est-ce qui, finalement, rend un espace « touristique» ? Et puis, si l'on poursuit dans la voie du rigorisme terminologique et scientifique revendiqué, un espace ne « possède» rien du tout, il ne « présente» rien, puisqu'il n'est constitué en objet touristique que par le regard de l'Autre. Il ne saurait être « acteur », tout au plus « actant» 1. Cela nous renvoie encore à la question des métaphores, qui semblent indispensables quoique ne remplissant sans doute pas tout l'office qu'on en attend. Comment dire, par exemple, que « rares sont les lieux touristiques à plaindre» (Équipe MIT, 202, 1 « Actant: réalité sociale humaine ou non-humaine, dotée d'une capacité d'action» ; « Acteur: actant pourvu d'une intentionnalité subjective, d'une intentionnalité, d'une capacité stratégique autonome et d'une compétence énonciative» (Lévy et Lussault, 2003, p. 38-39)
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p. 249), mais que « tout n'est pas toujours rose pour les habitants» (ibid., p. 261) ? Peut-on « plaindre» un lieu? Peut-on dissocier les « lieux» de leurs « habitants », quand il y en a, ce qui est quand même le cas le plus fréquent (mais il n'yen a pas toujours, effectivement) ? Et peut-être y-a-t-il des habitants pour qui tout est toujours rose ou toujours noir: entre les deux, il y a une infinité de situations. Il conviendrait aussi de ne pas préjuger des choix spatiaux qui peuvent être faits en appliquant ses propres critères de choix, la «neutralité» étant de règle: « si un Européen envisage un voyage longue distance vers l'Asie, des destinations balnéaires telles celles de l'île d'Haïnan lui paraîtront sans intérêt, il se dirigera plutôt vers Bali... » (Stock et al., 2003, p. 143). Il manque au moins un « peutêtre» dans une telle phrase, qui, de plus, préjuge abusivement de la recherche d' « altérité» spécifique à cet « Européen ». En outre, «Haïnan... reste un territoire touristique d'intérêt régional» (ibid.), alors que, « à l'évidence, il ne suffit pas qu'il y ait quelques lieux touristiques en Auvergne pour que celle-ci soit perçue comme un espace touristique» (Knafou et al., 1997, p. 201). Or, si l'on a bien compris, du moment qu'un seul regard considère comme touristique un espace, celui-ci ne devient-il pas territoire pour le spectateur concerné, ou alors quelles gradations introduire, selon quels critères? Haïnan serait-elle perçue comme touristique, et pas l'Auvergne? Si l'on doit « réserver à la seule appropriation par les touristes le terme de territoire touristique », l'Auvergne serait-elle alors moins «territoire touristique» que Haïnan ? Sur quelles études s'appuie-t-on ? Convenons que l'application de certains principes n'irradie pas une clarté aveuglante. L'examen des définitions des types de lieux proposées par divers auteurs laisse aussi quelque peu sceptique sur la pertinence de leur administration à plus d'une situation. Dans ses ouvrages, J.M. Hoerner s'arrête essentiellement, sinon exclusivement, aux sites et aux stations. La distinction n'y est pas très claire: d'une part, pour les sites, il insiste sur les « grands sites », affirme qu' « il n'y a pas de développement du tourisme sans sites touristiques », que« la station touristique est une ville », pour laquelle « il y a la nécessité d'un site» (2003, p. 25-28). Nous doutons de ces affirmations générales: les champs de betteraves que nous sommes allés photographier en 1988 avant qu'Eurodisney ne les investisse ou l'expansion récente de Las Vegas hors de sa minuscule oasis originelle qui ne la prédisposait en rien à devenir le pôle touristique que l'on connaît au milieu du désert
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du Nevada2, «pays haï des Dieux »3, semblent contredire ce déterminisme. D'autant plus qu'aucune attention n'est apparemment prêtée aux effets de taille et d'échelle, éléments pourtant essentiels pour le contenu et la structure des stations, mais aussi leur vécu par les touristes. Dès 1997, le MIT avait distingué « quatre formes élémentaires de lieux touristiques» (Knafou et al., 1997, p. 200), dont la présentation a été affinée dans ses ouvrages ultérieurs: le site touristique, la ville touristique, la station touristique et le comptoir touristique. Trois critères de différenciation combinés interviennent: la capacité d'accueil, la population locale, les fonctions urbaines et touristiques diversifiées. (Équipe MIT, 2002, p. 220 ; Stock et al., 2003, p. 57). Il faut reconnaître l'intérêt de cette typologie, à laquelle nous avons nous-même apporté certains matériaux et à laquelle, en principe, nous nous rallions (Dewailly, 1990 ; Dewailly et Flament, 2000). Mais une chose est de l'affirmer, une autre de l'appliquer, et nous reconnaissons volontiers nos insuffisances sur ce point. En effet, une fois reconnu le bien-fondé de cette classification, il s'agit de la rendre opérationnelle, et les choses se compliquent singulièrement. Même les trois séries de critères mis en jeu ne permettent pas, à notre sens, de fixer des limites claires et indiscutables qui permettent de savoir à quel type de lieu on a affaire: un flou subsiste. Quels sont les seuils retenus? Varient-ils selon les lieux, selon les époques? « Présence ou absence de capacité d'accueil..., de population locale» (Équipe MIT, 2002, p. 220 ; Stock et al., 2003, p. 57), cela signifie-t-il une présence à partir d'une seule unité, lit ou habitant? Un ratio minimum entre ces deux derniers critères est-il nécessaire, traduisant une certaine intensité du phénomène, ou une valeur minimale suffit-elle? Comment passe-t-on d'un type à l'autre? Certains tableaux laissent ouvertes bien des questions: qu'est-ce qu'un « établissement humain... petit (ou) grand» (ibid.) ? La « monofonctionnalité » absolue d'une station est-elle le cas le plus général? Si les stations touristiques ont un taux de fonction touristique supérieur à 5 et les villes touristiques inférieur à l, 2 En 1905, le guide Baedeker des États-Unis décrit ainsi Las Vegas, qui compte alors 2 hôtels: « petite ville florissante de 3552 hab. avec un important commerce de laines, sur un bras du Pecos River ». A 6 miles, par tramway électrique, on peut joindre Las Vegas Hot Springs, qui compte un hôtel, et « où il y a env. 40 sources thermales (24 à 60°C)... » (p. 489). 31. Soppelsa, 1971, les États-Unis, Paris, PUF, colI. Magellan, p. 225.
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pourquoi ces seuils, d'abord, seraient-ils valables partout ensuite, et quid entre I et 5 enfin? Pour indispensable que soit le besoin de quantification et de mesure, encore faut-il y répondre d'une façon indiscutable. Or, nous avons tous tendance à qualifier les lieux selon une perception plus intuitive que rigoureusement encadrée, parce qu'il y a précisément des marges indécises, des seuils contestables, bref, des questions qui donnent sens à la recherche mais qui sont loin d'avoir été explorées, et qui ne parviendront peut-être pas à l'être de façon univoque et universelle. Une « station» est-elle la même chose, socio-spatialement parlant (taille, structure, fonctionnement...), en France et en Chine? Qu'il y ait des points communs, ne serait-ce que la prédominance d'une fonction et ce qu'elle entraîne, bien sûr, mais au-delà, ne serait-ce que les questions d'échelle? Ce qui n'est pas innocent, tant pour le touriste et son vécu des lieux (il peut n'avoir aucune conscience d'être dans un comptoir, une station ou une ville touristique), que pour le politique et l'aménageur. Ces difficultés transparaissent dans l'emploi d'un vocabulaire qui, une fois de plus, ne semble pas conforme aux prétentions affichées. Lire qu' « à Chamonix, un comptoir a ... été implanté, à partir d'un petit village, puis s'est rapidement transformé en station qui ressemble de plus en plus à une ville» (Équipe MIT, 2002, p. 226) laisse perplexe. En effet, la définition du comptoir touristique indique péremptoirement: « lieu fermé... aucune population permanente n'y réside» (ibid., p. 299). On ne comprend donc pas bien si c'est « à partir» ou « à côté» du village que s'est développé le comptoir. La population du village est-elle totalement étrangère au succès de celuici ? Compte-t-elle pour rien dans le fonctionnement du lieu touristique, et celui-ci est-il donc réellement sans « population permanente» ? Qu'est-ce que « ressembler à une ville », expression qui traduit un certain flou dans l'appréhension des choses? Comment qualifier La Plagne et Port-Grimaud de « comptoir touristique» (ibid., p. 161) ? Ce dernier lieu compte environ 300 habitants permanents (enquête personnelle), soit plus que des milliers de communes françaises4 ? Ajouter que c' « est un comptoir, car il s'agit d'un lieu fermé dont la structuration ne ressemble en rien aux stations les plus proches (Saint-Tropez et Sainte-Maxime) » (Stock et al., 2003, p. 62) n'est pas plus satisfaisant, car pourquoi faudrait-il qu'une station 4
« En 1975, sur les 36 394 communes du territoire métropolitain, 16 732 (plus de
45 %) avaient moins de 300 habitants» (Pinchemel, Les choses n'ont pas dû bouger beaucoup depuis.
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1980, La France, t. l, p. 214).
« ressemble» dans sa « structuration» à un type déjà existant, comme si un archétype de station devait correspondre à une région? Ce critère ne figure d'ailleurs pas parmi les critères de base. Avec les Marines de Cogolin contiguës, hébergeant aussi quelques habitants permanents, s'agit-il de deux « comptoirs» juxtaposés, d'une station, de deux stations? Comment s'articulent ces deux lieux? Si l'on prend en considération la contiguïté de Saint-Tropez qui, au sud de la baie, s'étend jusqu'aux Marines de Cogolin, et celle de Sainte-Maxime au nord, y-a-t-illieu de parler d' « agglomération touristique» ? Ces questions ne sont pas de pure forme, car les réponses qu'on leur donne conditionnent beaucoup d'aspects de la vie touristique. Et elles posent la question des échelles d'appréhension des « lieux» touristiques dans tout le spectre de l'espace touristique. Les quatre types de lieux évoqués de façon assez approfondie passent ultérieurement à « six types de lieux..., site..., comptoir..., station..., ville ou village touristifiés..., ville à fonctions touristiques ou ville touristique..., ville-étape» (Stock et al., 2003, p. 58), mais ne font en effet, curieusement, que quelques allusions à des espaces, qui sont aussi des « lieux », de taille supérieure. Le « district» fait l'objet de plusieurs mentions, mais l'agglomération, la conurbation, le « pays» (du type «canton »), la région, le pays-état... sont très peu pris en considération par le MIT. Ne peut-on pourtant les considérer réellement comme des « lieux» ? Ou ne s'agit-il que de sous-types des « districts », selon l'échelle? Ou faut-il absolument les faire rentrer dans l'un des quatre types explicités, dont les assemblages variés seraient, en fin de compte, seuls producteurs d'espaces marqués par le tourisme à plus grande échelle (c'est-à-dire au-delà de la « ville ») ? La taille physique de l'espace concerné, affecté d'un statut politico-juridique particulier, change beaucoup de choses dans l'approche touristique, que ce soit celle du touriste, de l'homme politique, de l'investisseur, de l'aménageur. Des micro-états, insulaires ou continentaux, des « pays », sont parfois plus petits que des stations traditionnelles: Monaco ou Saint-Marin sont dans ce cas. Hong-Kong ou Singapour condensent les attributs de plusieurs « échelles» géopolitiques. Bruxelles, ville touristique, est aussi une région à soi toute seule, qui plus est affectée d'une multitude d'institutions monoou bilingues qui pèsent fortement sur le contenu de l'offre touristique. La question de la délimitation est donc fort importante pour ne pas en rester à des aires fuyantes quand on veut les saisir. Elle n'est guère abordée dans les travaux auxquels nous faisons référence.
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Cependant, pour nous, autant il est acceptable de garder une marge de flou à la notion de tourisme, autant cela semble impossible quand il s'agit de tracer un trait de crayon sur une carte qui fera peser telle ou telle contrainte en fonction de telle ou telle affectation. C'est toute la question des limites politiques et administratives et des effets, parfois surprenants, sinon choquants, qu'elles induisent, des plans d'occupation des sols qui ruinent les uns ou enrichissent les autres, des politiques qui attribuent des mesures ou des aides « jusque là et pas plus loin» et faussent localement la concurrence (cf., par exemple, les réactions des frontaliers, commerçants et habitants, par rapport au prix du tabac ou de l'essence. Le Luxembourg ou Andorre en vivent largement). Or, il y a distorsion évidente entre ces limites et celles que le touriste pourrait percevoir dans son espace de découverte horsquotidien, selon ses projets de déplacements, dépendant eux-mêmes de son mode de locomotion (à pied, en voiture, à vélo, en train...). La façon dont ces différents types de limites pèsent sur l'organisation des lieux et espaces touristiques mérite d'être approfondie. Les concepts développés par le MIT semblent parfois ne devoir être employés que d'une façon assez malaisée. Par exemple, « le tourisme ne s'impose pas totalement ex nihilo. En effet, celui-ci ne s'installe qu'à la condition de trouver, localement, des relais» (Équipe MIT, 2002, p. 292). Affirmation logique: si ce n'est pas ex nihilo, il peut trouver des relais. Mais les typologies présentées (Équipe MIT, 2002, p. 221-222 ; Stock et al., 2003, p. 58-59) laissent planer des doutes sur les contenus réels et les claires limites souhaitées. Ainsi, on indique que le « rien peut correspondre aussi à un lieu-dit, un hameau, voire à un village dont il ne reste plus grand-chose aujourd'hui» (ibid., respectivement p. 22 I et p. 58). Conception curieuse et assez ambiguë du « rien », qui a vraiment l'air de compter pour rien les habitants du lieu prétouristique. Dans ce cas, et dans tous les cas, alors, s'il n'y a pas de tourisme avant le tourisme (par définition...), celui-ci ne peut apparaître que ex nihilo. Mais comment tenir pour « rien» ce qui constitue précisément cette « altérité» dont le touriste est censé nourrir son «projet existentiel », et qui a, probablement, motivé plus ou moins son voyage? Comment tenir pour « rien» ce qui existe avant un projet, mais qui le fonde essentiellement? Le « rien» va sans doute changer de nature dès qu'on sera arrivé, mais, en attendant, il n'en est pas moins « quelque chose ». Pour nous, une création ex nihilo signifie réellement, par exemple, un lieu bâti construit au milieu d'un espace vierge, à distance (laquelle,
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d'ailleurs?) d'un endroit déjà habité ou exploité par l'homme d'une façon relativement (?) intensive. Un lotissement construit dans les dunes ou sur une falaise à 2 ou 3 km d'un village est construit ex nihilo, pas un lotissement établi en bordure d'un village, ne serait-ce que parce que, dans ce cas, l'installation de la voirie, des réseaux divers d'eau, assainissement, téléphone, électricité se fera par greffe simple sur les réseaux villageois, ce qui sera beaucoup plus difficile et plus coûteux dans le premier cas. Si la notion de distance a quelque sens, la distinction que nous introduisons ici nous paraît capitale, tout en nous permettant ne pas tenir pour quantité négligeable la société locale. Il y a par ailleurs une certaine contradiction à vouloir considérer comme « touristique» tout espace dès qu'un « regard» s'y porte avec « intention» de tourisme, mais, dans le même temps, à réclamer des signes quantitatifs de cette présence, à travers des taux, capacités, populations, grande ou petite taille dont il resterait à préciser des valeurs. On en revient à la question: la Sibérie est-elle une région touristique? Non, en termes d'intensité et de poids de l'offre touristique sur le marché mondial, et probablement même national. Oui, en termes de perception par celui qui y va en touriste et de contraintes pour celui qui est chargé de son aménagement touristique. Une qualification de « lieu touristique» consensuelle pour le touriste, pour le chercheur et pour le professionnel ne sera donc pas toujours facile à obtenir.
Mise en tourisme et touristification Ces mots sont employés depuis longtemps par nombre d'auteurs, mais souvent sans que soit faite clairement la distinction entre eux. Nous avons récemment tenté d'introduire une différenciation argumentée entre ces deux termes (Dewailly, 2005). Contrairement à ce que certains affirment, le second d'entre eux ne consiste pas du tout en « l'émergence du tourisme, d'abord qualifiée de 'touristification' à partir du mot anglais» (Stock et al., 2003, p. 266). A moins qu'il n'y ait été introduit très récemment, il ne figure dans aucune édition de l'Oxford English Dictionary, qui fait autorité en matière de terminologie anglaise. Il a été créé, circonstances aidant, sur le modèle classique de beaucoup de termes qui comportent le suffixe -ification (désertification, densification, intensification...)
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pour répondre à un besoin des chercheurs. Les Anglo-Saxons parlent d'ailleurs parfois de « tourismification ». Nous pensons que ces termes peuvent avoir tous deux leur utilité sans mériter de polémiquer sur un sujet qui nous paraît, ici, assez simple. Tous deux expriment le passage d'un espace, d'une société, d'un lieu, d'un état non touristique à un état touristique, mais aussi la situation qui en résulte, donc à la fois un processus et le résultat de ce processus. Nous proposons la distinction suivante: « 'touristification' pourrait concerner le processus, et l'état qui en résulte, de développement relativement spontané, non planifié du tourisme, s'appliquant à un espace, une société, une économie... Les acteurs en sont plus isolés, moins institutionnels; 'mise en tourisme' pourrait désigner le processus, et l'état qui en résulte, d'un développement plus planifié, plus volontariste, contrôlé, sinon maîtrisé, s'appliquant aux mêmes objets» (Dewailly, 2005, p. 30-31). Nous pensons d'ailleurs que les deux termes sont complémentaires, tant dans l'espace que dans le temps: un littoral considéré comme mis en tourisme peut très bien comporter quelques opérations immobilières moins contrôlées, qui relèvent alors d'une touristification, ou inversement, si l'on décide de coordonner davantage des opérations de restructuration, réhabilitation, développement sur un vaste territoire, l'on tente alors de contrôler davantage sa mise en tourisme. On a évoqué (chapitre 2) les interrogations qui se posent à propos des espaces en situation de « pré-tourisme» ou dans lesquels le tourisme est en « préfiguration ». Ces espaces ne figurent pas dans les typologies proposées, malgré l'importance qu'ils ont dans les processus et les configurations touristiques, en raison non seulement du « potentiel» qu'ils représentent en eux-mêmes, mais aussi pour le statut à leur accorder par rapport à la question des limites existant entre les types simples proposés. Sans eux, pas de compréhension possible du système. Les réalités ne sont, en effet, pas si simples. Ces espaces en « préfiguration» sont-ils des espaces « en transition» vers le tourisme? Cela signifierait alors que le processus engagé est inéluctable, ce que rien, a priori, ne permet jamais d'affirmer. S'agit-il d' « espaces-tampons », espaces intermédiaires entre d'autres espaces aux fonctions différenciées et nettement affirmées? On sait qu'il y a souvent de tels espaces dans l'aménagement, que ce soit les « zones périphériques» des parcs nationaux français, ou les « blifJerzones » où les aménageurs néerlandais introduisent un certain nombre
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d'équipements récréatifs et touristiques entre la ville et l'espace rural. Leur évolution, touristique entre autres, est plus ou moins contrôlée selon le statut, avec contraintes corrélatives, qu'on leur confère dans l'aménagement du territoire, et il nous semble qu'ils peuvent, selon les cas, soit être mis en tourisme s'ils s'insèrent dans des schémas d'aménagement très volontaristes, soit touristifiés s'il s'agit davantage d'un développement plus spontané. Sans doute, là aussi, le besoin de clarification, avec des critères croisant le quantitatif et le qualitatif, se fait-il sentir, avant de graver dans l'airain des tables de la loi. Cela éviterait le recours à des formules qui semblent clore toute discussion: si un « site» est un « lieu uniquement fréquenté pour le passage» (Stock et al., 2003, p. 58), le « uniquement» doit-il être pris au pied de la lettre, ou un hôtel situé en bordure du site fait-il d'une cascade, d'un panorama, d'une pente montagnarde déjà un « comptoir» ? Si un « comptoir» ne peut offrir de fonction de séjour qu' « avec présence exclusive d'hébergements banalisés» (ibid.), quelques logements privatifs le transforment-ils en station? Une résidence secondaire suffit-elle à changer le type de lieu? Dans ce processus de mise en tourisme ou de touristification, la place de la société locale demande aussi à être éclaircie. Les bons sentiments, qui animent sans conteste tous les intellectuels qui ne sont pas catalogués comme hostiles au tourisme, conduisent à souhaiter, sinon préconiser, que la société locale soit au moins associée, au mieux porteuse, en tout cas « relais» du tourisme. Mais comment peut-on écrire que « l'activité touristique ne peut véritablement se déployer que si les populations locales se l'approprient» et qu'il n'y a « pas de lieux touristiques... sans accord des sociétés locales» (Équipe MIT, 2002, p. 190-191), mais en même temps parler, aux Comores, d'un complexe hôtelier qualifié d' « enclave touristique» (mais l'auteur parle aussi, parmi les lieux touristiques, de « comptoirs ou enclaves », assimilant apparemment les deux), « séparé du reste de l'île par une triple barrière... d'abord physique (avec) un haut grillage et des barbelés..., sanitaire..., fiscale..., situation (qui) fait beaucoup de jaloux» (Gay, 2000, P. 307-309) ? Curieuse « appropriation» par la population locale! Et l'auteur de citer aussi l'exemple « des Maldives qui ont opté, dans les années quatre-vingt, après plus d'une décennie de cohabitation, pour une stricte séparation entre le tourisme et la société locale en empêchant l'hébergement dans les îles habitées» (ibid., p. 310). Sont-ce des « lieux» sans, voire contre, la société locale? Et qu'est-ce que la « société locale» ? Une société
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démocratique qui parle, à 51 %, par la voix d'élus non corrompus? Des potentats locaux? Des multinationales qui ont les moyens, financiers ou autres, de « convaincre» des opposants? Des groupes mafieux blanchissant habilement de l'argent sale en créant des emplois? Des analyses très précises seraient sans doute indispensables pour pénétrer les réalités des situations locales au-delà des apparences du politiquement correct. Mais à quelles sources le chercheur peut-il accéder? Si, dans les cas cités, l'on considère que cette appropriation est inexistante, en sont-ce moins des « lieux touristiques» qui satisfont leurs hôtes et leurs propriétaires, et sans doute aussi l'État qui en tire quelques taxes et revenus? En réalité, il y a beaucoup de lieux où le tourisme s'est fortement déployé sans que la population locale en profite réellement, ou alors quelle frange de la population, en nombre, en proportion, et en qualité? Spéculateurs, actionnaires, mafieux, politiciens véreux..., pas seulement, si possible. Mais au-delà de nos propres souhaits - qui ne siéent pas à la neutralité du chercheur - , ne sombrons pas dans l'angélisme: les États totalitaires se soucient-ils vraiment d'associer les habitants au développement du tourisme, ou à quelle place (Cuba, par exemple) ? Combien d' «enclaves» ou de « ghettos» hôteliers à travers le monde? Même si, officiellement, des responsables consentent parfois à dire que ce n'est pas la meilleure solution, et même si ce type d'aménagement a peut-être tendance à reculer (au nom, d'ailleurs, du « tourisme soutenable »), ne s'agit-il pas de lieux touristiques de plein exercice? Combien de grands projets d'aménagement ont commencé par détruire les bungalows, les «chalets» ou « cabanons », les lieux de pêche, de camping « sauvage» ou de promenade d'une population non seulement locale mais aussi touristique? Entre l'idéal et le réel, comme entre la théorie et la pratique, il n'y a pas encore parfaite coïncidence. Par ailleurs, si l'on comprend bien, Berck-Plage (pour laquelle, curieusement, la cure d'air climatique semble assimilée à une cure thermale), soi-disant « au début du XXè siècle... sommé(e) de choisir entre la cure médicale et le tourisme... (et qui) s'est alors consacrée à l'accueil des enfants malades» (Stock et al., 2003, p. 15), ne serait sans doute pas un « lieu» touristique. En effet, « aujourd'hui, les stations... qui se sont spécialisées dans un type de soins particulier, ne reçoivent pas des touristes, mais des personnes malades... même si ces malades et les personnes qui les accompagnent logent à l'hôtel, pratiquent des excursions et en profitent éventuellement pour faire du
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tourisme» (ibid.). Comme on l'a exposé au chapitre précédent, nous sommes persuadé du contraire: si les malades alités pour de longs traitements ne sont, on en convient, effectivement pas des touristes, les visiteurs et accompagnants, pour nous, le sont, s'ils profitent des hébergements, infrastructures, équipements, évènements touristiques. Ils contribuent d'ailleurs largement à soutenir l'activité hôtelière et commerçante hors saison estivale, ce qui a en retour des rétroactions positives, précisément, sur la capacité d'accueil et l'animation de ce qu'il faut bien appeler une station, voire une ville touristique, compte tenu des touristes « indiscutables» qui s'ajoutent à ceux dont nous parlons. D'ailleurs, curieusement, on lit plus loin: « à la fin du XIXè siècle..., Berck-Plage devient dès lors un lieu touristique populaire» (ibid., p. 228). De ce qui précède, ainsi que des développements exposés ailleurs (Équipe MIT, 2002, p. 178 sq.), sur « se soigner» (qui d'ailleurs, à notre sens, n'introduisent pas la distinction souhaitable entre « se soigner », «être soigné» et« prendre soin de soi »), il résulte qu'on ne voit pas clairement dans quelle mesure le « soin» et le « soigné» participent du tourisme. Il y a un certain temps que nous avions relevé que «l'expansion du tourisme se concrétise à travers des organismes spatiaux largement urbains» (Dewailly, 1990, p. 192), ce qui n'est pas très différent de dire que « la ville ... est fille du tourisme...(avec) des lieux urbains à l'image de la ville» (Stock et al., 2003, p. 49). Qu'il y ait donc une « urbanité des lieux touristiques» (ibid.), nous l'admettons volontiers, surtout dans la mesure où le tourisme, particulièrement à ses origines, fut largement un domaine où se déployaient des mondanités de classes sociales supérieures qui organisaient dans cet esprit un certain nombre de leurs relations sociales (aristocratie puis bourgeoisie, se rencontrant à Bath, Brighton, Baden-Baden, puis Ostende, Boulogne, Deauville, Biarritz, Cannes, Nice, Zandvoort, Saint-Sébastien ou Atlantic-City...). L'urbanité s'oppose bien, fondamentalement et étymologiquement, à la rusticité, la ville à la campagne, même si, depuis lors, les deux termes valent essentiellement par leur sens figuré qui a évacué leur rapport à un espace. En revanche, dire que « le tourisme investit des villes dont il amplifie la centralité en démultipliant leur fréquentation» (ibid., p. 49), cela mérite discussion sur plusieurs points. D'abord, le tourisme n'investit pas que des villes, ce qui semblerait signifier que la ville doit préexister au tourisme pour être « investie ». Le tourisme peut faire
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naître des villes, et enclencher un processus de mise en tourisme ou de touristification et, potentiellement, débuter un processus d'urbanisation. Une foule d'exemples de lieux touristiques qui sont devenus des villes ou des stations aux caractères largement urbains le prouve abondamment. Le développement des lieux du site à la station et à la ville en témoigne aussi. Mais un gîte équestre ou une table d'hôte dans une ferme isolée ont-ils un caractère urbain, ou annoncentils l'émergence d'une ville? Bien des bourgs et villages de régions rurales n'ont-ils pas perdu beaucoup de leur caractère urbain depuis quelques décennies, en dépit du fait que le tourisme s'y manifeste maintenant à un degré impensable autrefois? Le tourisme a-t-il suffi, par exemple, à revitaliser toutes les « stations vertes de vacances» de France et à « amplifier leur centralité », même en « démultipliant leur fréquentation» ? En est-ce moins du tourisme pour autant? Il faut donc sans doute se garder de généralisations abusives. Il ne nous semble pas qu'il y ait de relation obligatoire et univoque entre tourisme, ville et centralité, même si c'est la cas le plus général, et touchant les populations les plus nombreuses. Par conséquent, affirmer que « les grands hôtels (sont la) forme urbaine par excellence» (ibid., p. 50) nous semble un propos excessif relevant de ces idées reçues que l'on prétend combattre par ailleurs. On rappellera que les auberges ou hôtelleries anciennes étaient intrinsèquement liées, à l'origine, aux déplacements des voyageurs à pied ou en diligence, réparties le long des itinéraires, et n'étaient pas forcément meilleures à la ville qu'à la campagne. Qu'elles se soient mieux développées en ville est logique, en raison des concentrations progressives de population, de la convergence des voies de circulation modernes, et donc des besoins accrus sur place. Mais dans beaucoup de stations, les grands hôtels « modernes» sont apparus bien plus vite que dans les villes voisines, parce qu'il fallait satisfaire une clientèle huppée et venant pour d'autres motifs que d'affaires (même si ceux-ci pouvaient ne pas être absents). Les « hospices» ou « hostelleries », comme au col du Grand-SaintBernard, annoncent déjà les grands hôtels, mais n'ont rien d'urbain. Et l'exemple de la Suisse, l'un des berceaux du tourisme moderne, est très éclairant en matière de grands hôtels: « la première génération de pionniers (de l'hôtellerie suisse) naît entre 1800 et 1815. La plupart d'entre eux sont des paysans, originaires de l'Oberland bernois, où l'on assiste à un fourmillement d'initiatives individuelles. Beaucoup d'auberges traditionnelles, de relais de passage, sont naturellement
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agrandies, c'est l'industrie familiale qui suit son cours» (Gaulis et Creux, 1975, p. 37). Ce pays montre que les grands hôtels ne furent pas, à l'origine, une création plus urbaine qu'extra-urbaine. C'est l'époque où l'ancien hospice du col du Grimsel est transformé en grand hôtel (ibid., pAO). « Les premiers palaces ont fait leur apparition, bien groupés dans l'Oberland bernois. Nous sommes en 1850, des régions entières restent encore sous l'empire des diligences et des bonnes vieilles auberges. Zermatt est un village à peine indiqué sur la carte» (ibid., p. 44). On ne sache pas que toute cette région ait été particulièrement urbaine il y a près de deux siècles, mais il ne convient pas d'en conclure que les ruraux y étaient des rustres, des rustauds ou des rustiques... Il ne faudrait donc pas que, par un effet de myopie regrettable et pour justifier a posteriori mais anachroniquement des observations maintenant justes, l'urbanité particulière, et souvent de très haute qualité, attachée aux palaces touristiques soit abusivement attribuée à un héritage urbain. Et si c'était le contraire, connaissant le poids et l'influence des Suisses dans la diffusion de l'hôtellerie moderne?
« Tout peut-il être touristique? » Nous avons tendance à penser que, outre ce qui est dû à des évolutions progressives de la société, mais dont on ne perçoit la dynamique qu'après coup, si l'on a beaucoup d'argent, beaucoup de temps, les technologies adéquates et une « volonté politique », il n'y a pas de raison pour que tout ne devienne pas touristique. Qui aurait pronostiqué en 1750 que la mer reçoive autant de baigneurs un siècle plus tard (Corbin, 1988) ? On a déjà évoqué les champs de betteraves « précurseurs» d'Eurodisney, devenu le premier site touristique européen pour la fréquentation. Pour 20 millions de dollars, les Russes envoient maintenant des particuliers faire du tourisme dans l'espace: c'est bien la recherche de l'altérité récréative dans le hors-quotidien. Notre position rejoint celle d'autres auteurs, pour qui tout « est potentiellement touristique: à la limite, il suffit d'y créer un service qui corresponde à la demande» (Chadefaud, cité par Hoerner, 1993, p. 128). Pourtant, les auteurs du MIT ne semblent guère s'accorder sur la réponse à donner à leur question « Tout peut-il être touristique? » (Stock et al., 2003, p. 266). Tantôt c'est « finalement, tout ne sera jamais touristique» (ibid.), tantôt « en conclusion, tout peut devenir
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touristique» (Violier, 2004, p. 20), tantôt « dans l'hypothèse où tout pourrait être touristique, il n'y aurait plus d'avantage, y compris au sens économique du terme, à l'être» (Stock et al., 2003, p. 266). Outre que ces positions sèment la confusion, la dernière affirmation paraît absurde, puisque ce n'est qu'a posteriori, encore une fois, que l'on peut savoir si, oui ou non, il avait « avantage à l'être ». Et cela contredit les positions du MIT, maintes fois affirmées et que nous partageons, sur le fait qu'il n'y a en aucun cas de « vocation» touristique, comme beaucoup de professionnels ou d'institutionnels le proclament encore (chez les chercheurs en tourisme, il ne semble plus trop...). Car dénier à un lieu la possibilité de devenir un lieu touristique, c'est faire du déterminisme à rebours: ce n'est pas quelque chose qui « détermine» la mise en tourisme, mais plutôt la « non-mise en tourisme ». Ce n'est pas plus acceptable, et ce serait faire la part trop belle à l'air du lieu au détriment de l'air du temps... En matière de tourisme, nos ancêtres, il y a deux ou trois siècles, ne pouvaient imaginer l'air de notre temps, nous ne pouvons pas plus imaginer celui de nos descendants, qui feront du « tourisme» comme et où bon leur semblera. Provenance du touriste et centralité Dans un système touristique, le lieu de provenance des touristes ne semble pas indifférent à la façon dont ils pratiquent les lieux: « le lieu où l'on vit, la profession, l'âge, la situation familiale, l'histoire personnelle, l'histoire vacancière, etc., tout doit être pris en compte... On choisit les lieux et le mode de déplacement touristique en fonction de tout cela. A chacun son altérité, les pratiques et lieux pour s'y confronter... À notre avis, l'altérité peut se trouver dans une proximité immédiate, au coin de la rue". (Équipe MIT, 2002, p. 8384). Nous sommes d'accord sur cette proximité immédiate de la provenance, comme d'autres: « voyager dans sa ville est un privilège... Ici, nous sommes à la fois des étrangers et des autochtones, des hommes-voyageurs et des hommes-habitants... Cette attitude, curieuse pour les uns, habituelle pour moi, de me rendre à la fois étranger et autochtone au lieu, permet de reconsidérer notre ville, donc notre vie, avec un regard renouvelé» (Lévy et al., 2002, p. 7). Cette position est à l'opposé de celle d'autres auteurs, qui se placent résolument dans l'optique du tourisme à longue distance et des visiteurs des stations: « il faut bien admettre que les touristes recherchent la beauté des sites touristiques, tandis que près de 80 %
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d'entre eux achèvent leurs migrations dans une station touristique. Autrement dit, la distance parcourue par le touriste irait nécessairement de sa résidence principale à une station touristique» (Hoerner et Sicart, 2003, p. 17). Le « nécessairement» ici exclut absolument « le coin de la rue » ailleurs, et les géographes ont donc encore de belles perspectives de discussions sur l'espace qui peut être concerné par le tourisme, avant de voir comment il l'est. Pour notre part, nous pensons plutôt qu'on peut effectivement voyager dans sa ville, au coin de sa rue, ce qui relève alors sans doute davantage d'un état d'esprit que de l'échelle du déplacement. Mais, du coup, la question des statistiques et des dénombrements ne va sûrement pas s'en trouver facilitée, et surtout, si faire du tourisme ne relevait pas plus de pratiques que de l'état d'esprit dans lequel on les exerce? Entre les deux positions extrêmes relevées ci-dessus, du coin de sa rue à la station «nécessaire », on n'en trouve pas moins des prises de position parfois déconcertantes, qui soulèvent maintes questions: « la plupart des cas étudiés nous ont montré que, lorsque la fréquentation était inférieure à 10 000 personnes par an, les sites n'accueillaient principalement que des visites de population locale. Entre 10 000 et 50 000 visiteurs, la part de la fréquentation touristique devient significative. Au-delà de 50 000 visiteurs par an, le site peut être considéré comme touristique» (Équipe MIT, 2000, p. 3). Si l'on s'interroge sur ce que recouvrent les « cas étudiés », et« la plupart » d'entre eux, l'on constate que les conclusions avancées résultent d'une étude réalisée sur la France, mais que « la finalité de l'étude était l'identification d'invariants, c'est-à-dire d'indicateurs universels, transférables et reproductibles en d'autres lieux» (ibid., p. 2). Prétention scientifique louable, mais dont l'expression est des plus contestables. Entre « universels» et« la plupart », il y a peut-être plus qu'une simple nuance: combien d'exceptions souffre une règle «universelle» ? On s'étonne aussi de voir la nature d'une site « touristique» définie par sa fréquentation quantitative. On nous avait dit que « le regard» suffisait... A ce compte, bien des sites français recevant moins de 50 000 visiteurs ne sont sûrement pas « touristiques» (musées, châteaux, abbayes, panoramas, grottes...), quoi qu'en pensent tous les acteurs qui s'en préoccupent. Et puis comment une échelle numérique adaptée à l'espace français peut-elle avoir valeur « universelle }}? On ne s'étonne pas, dès lors, que la population régionale semble vigoureusement exclue de faire du tourisme près de chez elle (Équipe MIT, 202, p. 238) (ne parlons
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même pas, sans doute, du coin de sa rue). Cette exclusion paraît curieuse. Elle complique encore à la fois l'approche statistique du tourisme et la compréhension de lieux qui ne pourraient fonctionner sans elle, ou fonctionneraient sans doute très différemment: on nous enjoint pourtant d'en faire abstraction. Cela a-t-il vraiment du sens pour comprendre les lieux? Les populations régionales ne sont-elles pas, dans un grand nombre de cas, celles qui ont contribué à lancer les stations, celles qui, en partie, les font vivre, qui les animent à une époque où les touristes éloignés sont absents (le fameux « horssaison ») ? Et affirmer que « les lieux touristiques ne sont pas pour autant des lieux centraux, mais ce sont des lieux qui bénéficient de la centralité » (ibid.) est, en conséquence, jouer sur les mots. Tous les lieux touristiques jouissent, en effet, d'une certaine centralité, mais à une certaine échelle, tous sont donc bien des lieux centraux. L'érection de stations touristiques en communes de plein exercice (Équipe MIT, 202, p. 242 ; Stock et al., 2003, p. 49) est bien, de facto, la preuve que des lieux touristiques, même de petite taille, peuvent atteindre une certaine centralité. Et si une « ville touristique» est bien une catégorie de « lieux touristiques », ce sur quoi nous rejoignons le MIT, Paris, Nice ou Londres ne sont-ils pas des « lieux centraux» ? Ce n'est pas parce que le modèle de Christaller ne peut pas être appliqué, dans les régions touristiques, de façon mécanique qu'a priori les lieux «touristiques» ne pourraient être des « lieux centraux », puisque bénéficiant, à leur échelle, d'une certaine centralité. L'hébergement
touristique
Compte tenu de l'importance des hébergements dans la mise en tourisme des lieux appelés touristiques, nous avons à revenir sur ce point à peine effleuré par moments (ch. 2). Pour les résidences secondaires, s'agit-il de tourisme ou de loisirs? Il semble que, là aussi, les choses soient à examiner presque au cas par cas, dans un cadre global pas toujours adapté à des situations individuelles particulières, avec ce que cela entraîne comme conséquences sur les pratiques spatiales des individus. Nous sommes d'accord avec ceux qui considèrent que les résidences secondaires relèvent du tourisme (Knafou (coord.), 1997, p. 100), au moins dans une large mesure, et même si leur utilisation peut traduire plus un usage de loisirs que de tourisme. Une telle résidence qui sert chaque week-end, nuitées comprises, pour une famille qui y vient en
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apportant une grande part de sa nourriture et pratique surtout des activités ludiques domestiques, cela ne relève-t-il pas des loisirs, réguliers et faisant partie sinon du « quotidien », au moins de l' «hebdomadaire» 7 En revanche, un Suédois qui vient l'été à la Grande-Motte en avion, pour séjourner deux mois dans un appartement et pratiquer du bateau, c'est incontestablement du tourisme. Mais que devient la résidence si elle est louée le reste de l'année, soit à d'autres touristes ou vacanciers, soit, ce qui se produit dans bien des stations, à des travailleurs locaux, pour fournir un complément de ressources à son propriétaire? Bien sûr, on peut identifier clairement chaque catégorie d'utilisateurs (encore faut-il le faire), puisqu'ils se succèdent, mais l'hébergement, au bout du compte, est-il touristique ou non touristique 7 Sans compter les locations qui se pratiquent « au noir », chambre, appartement, étage. Le temps n'est pas si loin (est-t-il vraiment révolu 7) où, dans nombre de stations littorales, bien des familles s'installaient au sous-sol de leur domicile pendant la « saison », libérant leur espace de vie habituel pour les «Parisiens », dont la location versée améliorait singulièrement l'ordinaire des loueurs. De la résidence principale à la résidence secondaire en passant par les logements dits vacants et l'hébergement chez les parents et amis (dont on sait, mais mal, qu'il constitue le premier mode d'hébergement touristique en France), la palette est très ouverte et les catégories, comme les pratiques véritables, bien incertaines et assez méconnues. Une résidence secondaire peut servir de « base» pour un voyage d'affaires, être prêtée à des amis ou des membres de la famille, n'être qu'un placement immobilier aux volets clos et qu'une famille attend de se partager dans une succession, être une « friche d'attente» attendant l'expropriation pour un projet urbain, ou l'offre attrayante d'un promoteur qui la remplacera par une tour d'appartements. Une fois de plus, ce sont les catégories statistiques tranchées qui commandent, là où une approche plus fine serait nécessaire. Quel cas fait-on aussi des hébergements itinérants 7 On compte parmi eux les caravanes, dont le « caractère de mobilité» les dispense, en France, de permis de construire. Mais elles sont obligées de ne pas stationner au même endroit au-delà d'une certaine durée définie par la réglementation. Question cruciale dans certaines régions, où l'on ne sait que faire de ces hébergements une fois la saison terminée. Il faut donc les rapatrier chez leur propriétaire ou trouver, à proximité du lieu de vacances, des aires de garage
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appropriées, ce qui est depuis longtemps un casse-tête pour beaucoup de petites communes touristiques. C'est l'occasion, réelle mais limitée, de les rendre mobiles, ce qu'elles sont, somme toute, assez peu. L'itinérance implique une mobilité plus soutenue, avec multiplication des étapes le long d'un « itinéraire» qui n'est plus un simple parcours entre l'origine et la destination du touriste, mais une composante à part entière, voulue, choisie, du déplacement touristique. Ce peut être un circuit, un trajet par petites étapes, avec fréquents arrêts, plus ou moins réguliers. Mais on se heurte encore une fois à des prises de position contradictoires: « par définition, le tourisme est un déplacement» (Équipe MIT, 2002, p. 254), mais aussi « il ne s'agit pas d'une migration, il s'agit d'une circulation; et d'une circulation qui implique déplacement» (ibid., p. 156), avant de trancher contre la «circulation» :« la notion de déplacement diffère également de la simple circulation, dans la mesure où elle insiste sur le changement de lieu... Une pratique de recréation n'acquiert ce sens touristique que parce que le déplacement, le fait d'être dans un lieu autre, change complètement l'expérience du lieu et la signification des pratiques» (Stock et al., 2003, p. 24). Qu'en conclure: le tourisme, circulation ou déplacement? Quoi qu'il en soit, nous considérons comme itinérants les camping-cars, bateaux de plaisance fluviale ou maritime, navires de croisière. L'on sait l'engouement croissant pour ces types de moyens de transport touristique, l'on connaît parfaitement leur capacité, mais beaucoup moins bien leur utilisation et le nombre de nuitées qu'ils suscitent, et, pour un géographe, où ils les suscitent (exception faite des croisières maritimes). Or, ces capacités d'accueil ne sont jamais comptées dans les stations ou les lieux touristiques, bien que les individus qui les utilisent fréquentent ces espaces et en affectent l'organisation de façon souvent sensible. Alors que les ports maritimes cherchent à attirer la clientèle, réputée fortunée, des croisières maritimes, même quand elles exigent des aménagements portuaires lourds, la plupart des communes cherchent encore à écarter de leur territoire le stationnement des camping-cars, réputés encombrants, peu dépensiers, polluants, esthétiquement gênants. Quant aux bateaux de tourisme fluvial (dont les paquebots de croisière sont, eux aussi, de plus en plus prisés), ils peuvent stationner pratiquement partout, en principe, même si des lieux bien précis (base, halte, relais, port), leur offrent des facilités propres à en concentrer les séjours. Mais comment affecter une capacité d'accueil à ces équipements? Pourtant, bien des
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petites communes rurales tirent un réel profit de ces passages estivaux qui font vivre le commerce et l'animation locale. En France, le canal du Midi, le canal de l'Est, le canal de Nantes à Brest, les canaux du Nivernais ou de Bourgogne en témoignent. Or, nulle part cette capacité d'accueil itinérante n'est prise en compte au niveau de la capacité d'accueil locale ou régionale, ce qui fausse évidemment non seulement les ratios du type « taux de fonction touristique» (rapport du nombre de lits touristiques à la population permanente d'une entité territoriale), mais aussi et surtout les observations sur le fonctionnement touristique du territoire. Il s'agit d'hébergements « volatils », pourrait-on dire, et la remarque vaut aussi pour les escales de croisière: le jour où un bateau de croisière de 1500 touristes américains ou européens fait escale n'est pourtant pas un jour comme les autres pour les commerçants et l'animation de la ville. Et quand c'est dans un pays du Tiers-Monde, les prix de services et biens divers en sont très affectés à la hausse. Et puis l'itinérance d'un bateau de croisière permet de soulever la question du rapport entre l'identité d'un lieu, sa localisation réelle et sa fréquentation touristique. Question qui peut sembler incongrue, et peut-être mal posée. Mais comment ne pas s'interroger sur les questions d'identité touristique quand on voit, par exemple, que des îles des Caraïbes changent de nom selon l'armateur qui y fait escale: ainsi, se racontant leurs vacances, M. Smith dira avoir fait escale à Salt Cay avec la Premier Cruises Lines, M. Taylor à Blue Lagoon avec la Dolphin Cruise Lines et M. Jones à Royale Isle avec la Majesty Cruise Lines (d'après Wilkinson, 1999). En réalité, ils sont tous trois allés au même endroit, mais les vertus d'un marketing performant ont permis à des bateaux n'y faisant pas escale le même jour d'user du même lieu sous des noms différents. En sens inverse, quand on lit qu'« une réplique du fameux site préhistorique (de la grotte de Lascaux) est en cours d'élaboration. Une reproduction, qui devrait être achevée en 2007, sera exposée à Paris en 2008, avant de faire une tournée dans les cinq continents »5, se pose bien la question de la « délocalisation des lieux », dont on revendique par ailleurs l'unicité et l'identité, pour une expérience, un vécu non moins « unique» et « authentique» du touriste (nous renonçons ici à aborder la question de l' « authenticité» en tourisme, pourtant essentielle. Cf. note 7 de ce chapitre), que ce soit l'objet de la visite ou l'hébergement 5
La Croix, 10 août 2005.
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qui permet d'y accéder de façon plus confortable qui soit « mobile». Sans compter les surprises que pourrait peut-être nous apporter le tourisme dit « virtuel» (Dewailly, 1997). De l'aménagement
touristique
Pour le tourisme, comme pour les autres domaines de la géographie, nous sommes attaché, comme bien d'autres, à une recherche qui soit en prise sur des problèmes socio-économiques qu'elle pourra aider à résoudre, d'une façon à la fois pragmatique et intellectuellement satisfaisante. Redoutable quadrature du cercle, dans lequel, pour nous, s'inscrit l'aménagement, car en matière de sciences humaines et sociales, il semble difficile de maîtriser avec un égal bonheur l'ensemble des tenants et aboutissants de ce défi. Comment produire une théorie toujours applicable? Une théorie en partie applicable est-elle possible et satisfaisante? L'indispensable rigueur scientifique peut rarement déboucher, en ces domaines, sur des applications aussi rigoureuses. Des compromis élaborés par la société résultent des situations plus ou moins claires mais qui, à leur tour, entrent dans le champ des réalités, et que la science doit appréhender comme telles. En somme, comme bien d'autres l'ont dit, «les faits scientifiques ne suffisent pas à comprendre la totalité du monde» (Baudelle et Regnauld, 2004, p. 17), la science n'a pas le monopole de l'approche de la réalité, encore moins de la vérité, mais elle doit s'efforcer d'encadrer de la façon la plus rationnelle possible même ce qui semblerait pouvoir échapper à son analyse. C'est dans cet esprit que nous contestons que la distinction que nous opérons entre le naturel et l'artificiel (distinction, mais pas opposition, comme le prétend le MIT) « n'aide en rien à comprendre comment et pourquoi un lieu devient touristique », nous faisant observer gentiment qu'une ressource n'est que « relative» (Équipe MIT, 2002, p. 171), comme nous l'avions déjà écrit bien avant (Dewailly et Flament, 1993, p. 116 ; 2000 p. 25). On ne s'attardera pas sur un « en rien» magistral, témoignant une fois de plus d'un «tout ou rien» peu scientifique, car s'il est évident que si cela n'explique sûrement pas tout, cela peut peut-être y aider. Surtout quand, un peu plus loin, on nous expose que la station brésilienne de Paraty est un « lieu touristique, prisé autant pour l"authenticité' de son architecture que par (sic) la beauté de sa baie et des îles qui la parsèment» (Équipe MIT, 2002, p. 173) : autrement dit, les deux
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catégories dont l'on se sert, en les « opposant» (?), pour qualifier le lieu, sont justement celles auxquelles l'on vient de nier toute pertinence ! Avant de réaffirmer d'un ton une nouvelle fois sans réplique que « la distinction entre le naturel et l'artefact, développé (sic) aussi dans l'étude du tourisme... ne repose sur aucun fondement sérieux» (Équipe MIT, 2002, p. 271), alors qu'on avait pourtant affirmé que « l'existence des lieux historiques est souvent associée à des qualités particulières d'un patrimoine naturel ou historique» (Knafou (coord.), 1997, p. 50). Étrange cohérence! On souscrit pourtant à l'affirmation suivante: « la question... de savoir si un espace 'rare'... doit faire l'objet de limitations aux aménagements est légitime... Cette question, qui n'est pas scientifique mais politique (souligné par les auteurs), appelle des décisions tranchant entre intérêts opposés» (Stock et al., 2003, p. 220-221). Mais cette dimension politique ne devra-t-elle pas être prise en compte au moment d'étudier les sociétés et leurs territoires de vie? Les faits résultant de décisions politiques s'imposent au chercheur dans son analyse scientifique, non pas en aval pour faire des préconisations, qui relèvent d'un autre genre, mais au moins en amont, pour ne pas considérer l'espace étudié comme une table rase isotrope. Le fait politique fait partie de l'approche scientifique, et « la géographie est contrainte... de poser au départ l'anisotropie de l'espace» (Brunet et al., 1992, p. 33), politique inclus. O. Lazzarotti (2003), indirectement, ne dit pas autre chose, qui montre combien les prises de position des politiques, finalement, sont essentielles pour opposer ou associer tourisme et patrimoine6. Et s'il en était autrement, quel intérêt à consacrer, autrement que par souci d'occuper un terrain non scientifique, un chapitre aux « acteurs du tourisme» (Stock et al., 2003) ? À moins que l'on comprenne mal, on ne saisit donc pas bien le procès fait à l'inclusion de la dimension politique dans l'analyse touristique. « A la pointe du Raz, on a cassé des boutiques disgracieuses trop proches du site; au Pont du Gard, on a introduit les marchands... dans le temple. Il est permis de penser que cette politique n'est pas exempte de contradictions» (Stock et al., 2003, p. 241). On nous permettra d'ajouter qu'il est peut-être aussi permis de trouver étrange que l'on s'étonne de tels faits. Les politiques en général, et d'aménagement en particulier, regorgent de contradictions, en fonction 6
Ce faisant d'ailleurs, et comme chacun d'entre nous, ne se met-il pas en position d'être instrumentalisé par quiconque ne voudra retenir de son propos que ce qui le sert ?
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de la pondération entre global et local pour aboutir à des compromis, et les individus aussi. Cela n'empêche personne de continuer à évoluer (nous n'osons pas dire« avancer »), en assumant au mieux ces contradictions avec lesquelles on est bien obligé de faire, et sans faire d'angélisme. C'est pourquoi les territoires touristiques qui sont aménagés par la collaboration, toujours mais à des degrés divers, du public et du privé, ont tendance à s'autonomiser, peut-être parce que « sans leur dimension urbaine profondément marquée, jamais les lieux touristiques n'auraient pu prétendre à l'autonomisation » (Équipe MIT, 2002, p. 242-243), plus sûrement, selon nous, parce que ce sont des rapports de force politique qui, dans ces configurations partenariales, finissent par leur donner leur conférer une partie importante de leur physionomie, y compris au tourisme. On peut peut-être mettre le touriste au centre de l'analyse géographique du tourisme, on ne peut sûrement pas mettre le politique en marge. Et qu'est-ce qu'une «dimension urbaine profondément marquée» quand on a quelques centaines, et même milliers, d'habitants et qu'on ne saurait donc prétendre à ces « fonctions touristiques et urbaines diversifiées» pourtant requises? Certes, la taille n'est pas tout, mais il en est de telles communes comme des grands hôtels évoqués plus haut: en quoi leur caractère touristique devrait-il être subordonné à leur caractère urbain? Beaucoup de stations se sont créées par séparation de la commune-mère quand elles n'étaient pas spécialement « urbaines ». Mais elles se sentaient porteuses d'une communauté d'intérêts et d'une identité (urbaine ?) suffisantes pour se poser face au centre communal, voire contre lui. À moins que ce ne fût de puissants intérêts particuliers qui, bénéficiant d'appuis politiques bien placés (et nonobstant les prises de position d'une population locale parfois instrumentalisée au nom de cette « identité bafouée ») n'aient voulu obtenir le champ libre pour du « business» plus fructueux dans la cadre de l'économie capitaliste qui a vu éclore le tourisme... Tant de communes touristiques chantent les louanges, dans leur histoire, de leur généreux fondateur-bienfaiteur! Mais ce dernier n'était généralement pas parmi les laissés pour compte. Les intérêts communs nous semblent une raison plus profonde que celle de l'urbanité dans la constitution d'un lieu touristique. Car on constate par ailleurs que cette autonomisation a concerné aussi, au fil des siècles, bien des communes rurales non touristiques, qui ont aussi connu ce processus
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de scission, alors que leurs activités n'étaient quasiment fondées que sur l'agriculture et n'avaient rien d'urbain. La question de l'aménagement est d'autant plus prégnante dans l'étude des lieux touristiques que, contrairement à l'affirmation selon laquelle « beaucoup de scientifiques y voient un problème qui n'est à résoudre que d'une seule façon: stopper le tourisme» (Stock et al., 2003, p. 5), il semble qu'il n'y ait qu'une infime minorité de personnes qui prônent réellement cette solution, d'ailleurs probablement plus pour les autres que pour elles-mêmes. Chacun, dans l'ensemble, est bien conscient que ce que l'on considère souvent maintenant comme un « droit» est appelé à une expansion encore plus large, pour des raisons, sociales, économiques, culturelles, voire géopolitiques. Si cela se fera vraiment, où, dans quelle mesure et comment, sont des questions ouvertes, mais il est aisé de constater que, sauf exception limitées voire corporatistes (se généraliseront-elles ?), aucun cercle de réflexion, instance, décideur..., pour le moment, ne prône le déclin du tourisme, ni même ne l'envisage à échelle globale. A échelle locale, le problème se pose différemment, car il est bien probable que si le tourisme en vient à être considéré plus comme source de nuisances que de profit, les sociétés concernées s'en protègeront en tâchant de le « placer» chez Ie voisin, ou ailleurs: « not in my backyard! ». C'est bien au nom de ce syndrome NIMBY que des villes suisses tendent à refuser chez elles, comme plusieurs l'ont déjà fait en dépit des promesses de retombées positives, les Jeux Olympiques d'hiver où elles sont bien contentes que les athlètes de leur pays aillent, ailleurs, glaner des médailles dont elles s'enorgueillissent aussi. Quant à affirmer qu'en matière de tourisme, « la collusion, volontaire ou non, du scientifique et du politique produit, ici, son plein effet: imposer illégitimement des règles sociales» (Équipe MIT, 2002, p. 66), c'est non seulement injurieux pour la plus grande partie des scientifiques, c'est aussi inacceptable. « Collusion» signifie, selon le Petit Larousse, une « entente secrète en vue de tromper ou de causer un préjudice. Connivence, complicité ». La thèse du complot des (mauvais) intellectuels réapparaîtrait-elle ici? C'est se donner à bon compte le rôle du chevalier blanc, alors qu'on met par ailleurs au point, pour un grand organisme d'aménagement, la DATAR, des « outils de diagnostic» (Équipe MIT, 2000) dont il faudrait vraiment être innocent pour faire semblant d'ignorer que, avec d'autres, ils vont précisément servir à « imposer illégitimement» (?), par « la définition de politiques publiques efficaces» (ibid., p. 2) des dispositions
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contraignantes aux populations du pays concerné. Encore un flagrant délit de contradiction, et non des moindres... Le scientifique fournit une aide à la décision, mais ne décide rien. Il ne peut pas non plus empêcher une exploitation « non souhaitable» (au nom de quoi ?) de ses travaux, ni une certaine instrumentalisation. Capacité acceptable
de
charge
et limites
du changement
A la suite de divers auteurs anglo-saxons depuis les années 1970, la notion de capacité de charge a été jugée « non scientifique », « non géographique », « malthusienne» par certains (Deprest, 1997 ; Stock et al., 2003), qui reconnaissent pourtant, paradoxalement, que, « certes, il s'agit de préserver les lieux de certains excès» (Deprest, 1997, p. 176). Mais au nom de quoi y aurait-il « excès », s'il n'y a pas de « norme» de référence ou de « limite» préétablie? Pourtant, s'agissant d'excès dans la fréquentation de lieux touristiques, « la principale difficulté consiste à déterminer comment un fort impact, tel qu'un encombrement, devient excessif (tao much) » (Manning et al., 2002, p. 389). Or, s'il faut aménager (mais tous seront-ils d'accord sur ce préalable ?), il faut bien le faire en fonction de choix raisonnés, argumentés, que la puissance décidante devra effectuer sur la base de connaissances disponibles, afin de configurer les lieux au mieux par rapport aux souhaits des catégories d'utilisateurs, mais aussi, au nom du principe de précaution, pour éviter toute « erreur» irréversible qui puisse avoir des conséquences catastrophiques sur une évolution future. Or, « le principe de précaution ... a une nature méthodologique, proprement scientifique» (Baudelle et Regnauld, 2004, p. 60), et se préoccuper d'une « capacité de charge» s'y rattache. Bien entendu, il n'y a pas que la connaissance rationnelle qui intervient dans le processus de décision. Mais faut-il présumer que tous les décideurs seraient, a priori, des gens malhonnêtes? Si l'on reconnaît d'une part la légitimité d'une société à se doter de projets propres décidés par voie démocratique (et même, parfois, non démocratique), d'autre part la nécessité de disposer d'outils de conception et d'exécution pour réaliser ces projets, qu'est-ce que la gestion (au sens large) touristique d'un territoire, sinon la mise en oeuvre par une société, à travers des processus variés, d'un certain nombre de réalisations où se concrétise, de facto, une « capacité de charge» qu'on juge atteinte ou non,
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suffisante ou non, en fonction des objectifs que se fixe ladite soeiété ? La capacité de charge, c'est un élément majeur du « projet existentiel» d'un territoire. Pour en rester au cadre français, d'ailleurs, à quoi sert la DATAR, dont un directeur (en son temps), constate que devant la multitude de questions face à l'avenir et aux questions de développement, « on n'en finit pas de rêver un âge d'or de l'aménagement, tant il nous est difficile de renouveler nos analyses et nos références. Ça ne peut plus durer... » (Guigou, 1995). C'est qu'il faut bien tenter de répartir de façon supportable, en nature et en quantité, les « charges» sur un territoire national dont on souhaite un développement « équilibré» ou « durable ». Certes, ce type de réflexion est sujet, dans notre pays, aux crises de centralisme qui succèdent aux accès de décentralisation. Il n'empêche, chacun reconnaît la nécessité d' « aménager », ce qui, d'une façon ou d'une autre, est bien une façon de reconnaître qu'il y a des limites, qu'on ne peut indéfiniment laisser les villes et leurs banlieues se développer, les voies de circulation se congestionner, l'air et l'eau se polluer Pourquoi donc, sinon parce qu'il y a dans ces domaines des « capacités de charge» à définir, si l'on ne veut pas non seulement que ceux qui vivent dans de tels espaces enregistrent une dégradation de leur qualité de vie (notion subjective, certes, mais quand même...), mais aussi que les générations futures, comme le disent les discours sur le développement durable, ne voient pas peser en ce domaine des contraintes qui mettent en question leur existence même? N'a-t-on pas parlé de la France comme d' « un territoire à ménager» (Brunet, 1994), ce qui suppose bien qu'on mette quelques limites de ei de là. ? Le tourisme échapperait-il à une telle exigence? Alors, on peut évidemment dire que la « 'ressource touristique'... n'est pas constituée, dans le cas des lieux touristiques aménagés,... par un milieu naturel dont la transformation progressive signifierait affaiblissement de l'attraction. L'étude des lieux anciennement et désormais massivement touristiques montre même le contraire. Plus un lieu est aménagé et plus il a de succès» (Stock et al., 2003, p. 245-246). Mais d'une part, cela est complètement contradictoire avec ce qui a été antérieurement affirmé par le MIT, à savoir que c'est le vide qui attire le touriste. lei, on nous dit que c'est le plein. D'autre part, on sait bien que l'aménagement sert aussi à rendre supportable la vie en commun dans des lieux très fréquentés, mais que cela se fait au détriment d'une certaine « qualité» du support physique: les cartes postales de Benidorm, il y a cinquante ans,
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montraient des panoramas jugés « beaux» ou « pittoresques ». Ce n'est plus le cas, vus des mêmes endroits, quoique ces notions de « beau» et de « pittoresque» aient pu localement varier depuis 10rs7. Et bien des mesures ont été prises et des aménagements réalisés pour adapter la « capacité de charge» souhaitée. Car, quel que soit le nom qu'on lui donne, cette notion répond bien à un besoin, et à une réalité indépendamment de toute prescription ou disposition réglementaire ou juridique. Comme d'autres l'ont abondamment souligné (Cazes, 1992 ; Deprest, 1997 ; Stock et al., 2003), la grande difficulté provient du fait qu'elle doit intégrer des considérations d'ordre très différent, qu'on ne peut se contenter d'additionner matérielles et physiques, spatiales, écologiques, économiques, anthropologiques, psychologiques, sociales, juridiques, commerciales... On ne peut évidemment satisfaire à toutes ces exigences à la fois, et l'on en privilégie une, ou certaines, selon les circonstances: dans une salle de spectacle, ce sont les sacrosaintes « normes de sécurité» qui définiront la capacité de charge ( d'accueil en l'occurrence) du lieu, même si les organisateurs d'un spectacle auraient bien accueilli davantage de monde, en se serrant un peu; dans un musée, les conditions de préservation des oeuvres d'art ou de leur observation par des visiteurs dont on régule les flux; dans une réserve naturelle, les conditions biologiques nécessaires à la reproduction de l'une ou l'autre espèce végétale ou animale; dans la tour d'une cathédrale, le débit de l'ascenseur ou de l'escalier; au bord d'une crique reculée, la taille des parkings (la question est différente si une fréquentation pédestre importante est possible); dans une visite guidée, la taille des groupes en fonction de la voix du guide et de la configuration des lieux... Bref, il y a une foule de dispositions possibles pour tenir compte d'une capacité de charge qui s'impose d'elle-même ou qu'on impose en fonction d'objectifs précis. Combien de personnes font demi-tour et renoncent à une visite en certains lieux qu'elles estiment surchargés, alors que d'autres attendront leur tour même en devant faire la queue plus longtemps? Cela prouve que la capacité de charge est, en partie, subjective. Reprenant un auteur 7 La notion de « pittoresque» peut être soumise aussi à de rudes remises en question, qu'on semble parfois déplorer: « un village canaque, entre autres, rappellera aux visiteurs l'histoire de la Nouvelle-Calédonie et les habitudes anthropophagiques dont nous avons tant bien que mal guéri les indigènes:
- le pittoresque
s'en va ! » (Guide
Bleu du Figaro et du Petit Journal, 1889, Paris, Exposition de 1889, p. 263). Jusqu'où le touriste doit-il rechercher l' « authentique» ?
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américain qui demandait: « un aménagement est, en principe, l'expression d'une philosophie. Quelle est notre philosophie? », nous pourrions dire que la capacité de charge dépend de choix « philosophiques» individuels et collectifs, qui fondent les « projets existentiels ». En réalité, il y a donc plusieurs capacités de charge possibles, en fonction de limites physiques, réglementaires, commerciales, naturalistes..., qu'un groupe social hiérarchise en fonction de choix politiques, et qu'il met en oeuvre en jouant sur les périodes d'entrée, la durée de visite, les tarifs, les points d'accès, les distances à franchir, les contingents, etc. Pourquoi la capacité de charge, outil de régulation que se donne un groupe dans son projet de société, serait-elle moins scientifique que le « projet existentiel» que se donne l'individu pour faire du tourisme? «Il est notoire que ce qui est 'acceptable' pour les uns ne l'est pas pour les autres» (Stock et al., 2003, p. 244), mais cela est aussi vrai pour les groupes sociaux que pour les individus. La différence majeure - et elle est de taille - , c'est qu'on change alors d'échelle, et que dans un groupe, à moins d'une unanimité rarement atteinte (d'autant moins que le groupe est plus nombreux), il faudra bien fixer une règle qui ne plaira pas à tous, ni même peut-être, sur certains points, à chacun de ceux qui l'auront pourtant décidée. Compromis indispensable à toute vie en société. Pourquoi donner tant d'importance à la perception dans la création, dans l'invention des lieux touristiques, et la récuser dans la gestion de ces mêmes lieux? Il faut cesser de diaboliser la capacité de charge en lui affectant toutes les tares d'un malthusianisme d'intellectuel rétrograde, il faut seulement la relativiser, dans le temps et dans l'espace. Ses applications ne sont ni universelles, ni éternelles, mais son principe existe depuis qu'un homme du néolithique s'est rendu compte que s'il accroissait le nombre de ses têtes de bétail dans sa pâture, l'herbe n'y repousserait plus. Peut-être la notion de « limites du changement acceptable », « limits of acceptable change », qui en atténue la rigidité apparente et que certains auteurs anglo-saxons préconisent (Broadhurst, 2001), correspond-elle mieux aux réalités vécues. Cette approche a été développée d'abord aux États-Unis à partir des années 1980 dans les aires de nature sauvage, pour essayer d'évaluer l'impact du tourisme sur la faune et la flore, mais aussi quels changements pouvaient être acceptés, et ce que l'on ferait si les limites posées étaient dépassées: « en somme, le processus exige de décider quelles conditions sont acceptables dans les zones sauvages, puis de prescrire
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les actions pour garantir ou atteindre ces conditions» (Stankey et al., 1985, p. 2). On en revient, certes, aux mêmes questions: « acceptable» pour quoi, pour qui? Mais si l'on part du principe que ce sont des personnes qui « acceptent », et pas des objets, on cesse déjà d'ériger en absolu certaines catégories matérielles. Ensuite, il faut quand même que certaines catégories de personnes se mettent d'accord sur des objectifs et sur les moyens d'y parvenir. Cette méthode peut donner des résultats jugés satisfaisants, même s'ils ne peuvent donner satisfaction à chacun en tout point. Par exemple, une étude menée avec cette méthodologie sur les littoraux néerlandais pour examiner les possibilités de gestion et développement des espaces naturels en rapport avec la récréation et le tourisme, notamment la plaisance, a permis de dégager divers scénarios, entre lesquels les décideurs politiques ont pu choisir. Mais, comme y insistent les auteurs, il est essentiel que tous les niveaux d'acteurs, d'usagers, de décideurs puissent se faire entendre dans le processus, qui aboutit à un consensus après, parfois, des années de discussion, mais pour un résultat où chacun a le sentiment d'avoir été écouté (Sidaway et van der Voet, 1993). La « capacité de charge» écologique, mais aussi sociale et psychologique, s'en trouve améliorée. De toute façon, quels que soient son nom ou ceux de ses dérivés, la capacité de charge n'est, évidemment, pas un absolu, et elle peut évoluer, être remise en cause dans un sens ou dans l'autre, au gré de divers choix sociaux, économiques, politiques, technologiques et dans son contenu même, sous un nom ou sous un autre, et sous réserve, pour le scientifique, de la décliner en différents thèmes selon les circonstances, avec les choix que cela implique ensuite pour le politique. Si son principe peut être général, elle ne peut avoir, dans son élaboration, valeur universelle, puisqu'elle doit répondre à des exigences locales. Mais elle ne peut pas ne pas intégrer aussi des références universelles, tels que des critères indispensables à la survie humaine, par exemple. Cette démarche peut conduire à l'élaboration plus ou moins poussée de scénarios, démarche courante dans la recherche scientifique appliquée, et dont on espère qu'elle n'est pas forcément victime de « collusion ».
La notion de cycle La complexité des faits ne gagne pas en compréhension si on veut trop la tordre sous prétexte de vouloir la simplifier. Ne
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confondons pas caricature et simplification. Cette complexité est renforcée par l'évolution spatio-temporelle des lieux, que certains appellent les « itinéraires de lieux touristiques» (Stock et al., 2003, p. 71. Encore une métaphore... Note JMD), du site au comptoir, à la station, à la « ville-station vers la ville à fonction touristique )) (ibid., p. 77), voire l'agglomération, la conurbation, et au-delà (Cf. cidessus). 11est évident « qu'il existe bien des logiques précises dans la production des lieux comme dans leur évolution )) (ibid., p. 81). 11 serait bien étonnant que le développement des lieux touristiques ne réponde pas à la logique précise, au minimum, de chacun des maîtres d'ouvrage, sinon des acteurs (quoique les logiques de chacun soient adaptables dans une démocratie). Ce n'est pas la génération spontanée. Mais la question est bien de savoir ce qui ressortit au structurel ou au conjoncturel, au global ou au local, au général ou au particulier. Et sur ces questions, on ne peut pas dire que les exemples fournis par le MIT, souvent excellemment analysés et apportant bien des matériaux nouveaux, soient à la hauteur de ses ambitions (Stock et al., 2003). Comme on l'a évoqué, les questions des critères, de leur hiérarchie, des seuils, des limites, des échelles, des aires culturelles ne sont pas traitées de façon satisfaisante. Ce n'est pas que nous soyons, loin de là, en mesure d'y prétendre, mais cela ne nous dispense pas de dire que ce qui est avancé comme « universel )), tant sur le plan des concepts et de la méthode que du cheminement de l'argumentation, ne saurait apparaître comme un modèle. On peut savoir ce qu'il ne faut pas faire, tout en ignorant, hélas, ce qu'il faut faire. L'examen de l'évolution des lieux touristiques, donc du rôle du temps, s'ajoute donc à ces interrogations, et soulève la question de « cycles )) qui affecteraient les lieux touristiques. Dès les années 1970, certains auteurs proposaient des modèles d'évolution des lieux touristiques (Miossec, 1976, 1977). Parmi ceux qui eurent le plus de succès, se trouve celui de Butler (1980), qui a proposé de considérer, comme hypothèse de travail et sur la base de nombreux constats, qu'un lieu touristique, après une phase de démarrage, d' « invention )), se développait, puis stagnait avant de décliner ou de redémarrer, selon les mesures prises localement face à la concurrence ou à la simple situation locale jugée sur place dégradée. De nombreux auteurs se sont inspirés de cette hypothèse qui s'est avérée assez féconde, mais l'ont aussi amendée, modifiée, compliquée, en fonction de leurs propres observations, ou en ont proposé d'autres. Il n'est donc pas très conforme à la réalité de dire, pour mieux se poser en champion de
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l'exactitude, que « ce que l'on retient généralement du modèle de Butler, c'est le déclin de l'attractivité touristique» (Stock et al., 2003, p. 21). Qui est ce « on », très loin d'être « général» ? Et d'autre part, le modèle de Butler prévoit autant des formes de reprise que des formes de déclin. Ce dernier peut exister, incontestablement, soit passager, soit durable, soit définitif (dans ce dernier cas, y compris par choix de la société locale). De multiples exemples rendent compte, en tout cas, de la complexité des évolutions possibles (Chadefaud, 1987 ; Pollard et Rodriguez, 1993 ; O'Hare et Barrett, 1993 ; Agarwal, 1994, 1997 ; Cooper, 1997 ; Dewailly, 1990, 1997 ; Baum, 1998 ; Knowles et Curtis, 1999 ; Smith, 2004 ; Papatheodorou, 2004, Gale, 2005), qu'on ne peut réduire abusivement à deux tendances opposées dans un système régulier et linéaire pour mieux pouvoir prétendre que les choses sont moins simples qu'on ne l'a abusivement avancé. Quant à affirmer qu' « il n'existe jusqu'à présent aucun cas de lieux dans le monde dont le déclin puisse être mis sur le compte d'un afflux trop important de touristes» (Stock et al., 2003, p. 21), nous n'en sommes pas si sûr. Certes, en fonction de la « spirale de la force des choses» (Dewailly et Flament, 1993, p. 224), et au nom de la valorisation du capital investi (voir, par exemple, les coûts énormes consacrés à la protection de certaines stations littorales. A. Miossec, 1998), la tendance générale est effectivement s'efforcer de sauvegarder l'activité touristique quand elle donne des signes de faiblesse liés à son engorgement local, car ne n'est bon ni pour l'image, ni pour la satisfaction du client (dont la« capacité de charge» psychologique, à un moment donné, est atteinte), ni pour le commerce. On peut pourtant sans doute citer quelques lieux dont le déclin touristique est réel, en raison d'une «clochardisation» résultant d'une surfréquentation mal prise en compte par les pouvoirs publics, avec insuffisance persistante d'équipements publics décourageant la clientèle. Sont dans ce cas bien des secteurs de vallées humides (Somme, Sensée, marais audomarois...) ayant attiré chalets, bungalows, caravanes, pour la pêche, la promenade, le canotage..., mais sans réseaux et voirie correspondants, ce qui, à la longue, a entraîné une désaffection pour un milieu d'accueil agréable mais n'ayant pas résisté à l'accumulation non maîtrisée des touristes de la part de collectivités locales négligentes, sans ressources pour y faire face ou refusant délibérément d'entrer dans la « spirale de la force des choses », par exemple pour privilégier les chasseurs.
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Il est vrai, pourtant, que ce qui conduit au déclin d'un lieu touristique, c'est beaucoup plus souvent le changement des modes et des pratiques (héliotropisme), l'inadéquation de l'offre à la demande, les effets d'une catastrophe naturelle, l'éviction par une autre fonction, spontanée (résidences secondaires devenant principales) ou planifiée (autre fonction attribuée par l'aménagement: zone naturelle protégée, zone d'activités, protection des ressources en eau...)... Mais nier « l'idée reçue que trop de touristes tuent le tourisme» ne nous semble cependant que partiellement fondée: beaucoup de touristes vont dans certains lieux parce qu'ils veulent les voir, ne serait-ce qu'une fois, mais, les ayant trouvés trop fréquentés à leur goût, ne souhaitent plus y retourner. Qui n'a jamais entendu dire: « on ne va pas à tel endroit parce qu'il y a trop de monde, de bouchons, de cohue...» ou au moins « on n'y va pas dans ces conditions, on ira plus tard» ? Mais il se trouve que ceux qui n'y vont pas sont remplacés, pour ainsi dire, par ceux qui sont prêts à y aller dans n'importe quelles conditions. Si bien que, si trop de tourisme ne tue pas forcément le tourisme, au moins en change-t-il probablement une partie de la clientèle, et en limite-t-il peut-être, sans le « tuer », le poids. Cela dit, longue vie à Benidorm ! D'ailleurs, certains professionnels se rendent bien compte que le risque d'une saturation guette certaines régions. On peut, certes, s'interroger encore sur ce que signifie « trop» en matière de tourisme, il n'empêche qu'il suffit que des opérateurs majeurs se posent la question pour se demander si cette notion n'est pas réelle bien que scientifiquement méconnue. Vantant les qualités d'accueil du tourisme grec, l'un d'entre eux ajoute: « on ne peut plus en dire autant le long de la Côte d'Azur où la dégradation du service oblige à tirer la sonnette d'alarme. Service public débordé au moindre incident, personnels crispés et pressés ne peuvent plus faire oublier que les prix ont fortement augmenté sans que la qualité des prestations ait suivi dans les mêmes proportions »8. Et un autre de renchérir, à propos des résidences de tourisme: « les sites balnéaires et montagnards sont désormais saturés »9. Ne peut-on lire dans de tels propos la crainte d'un excès de tourisme? Et si cet excès ne « tue» pas le tourisme en lui-même, trop de tourisme « tue» sans doute certains touristes, en les dissuadant de se déplacer. Indirectement, en outre, l'on connaît aussi des régions où, périodiquement, apparaissent des inscriptions 8
G. Panayotis,
HTR- Hotel, Tourism & Restaurant
p.3. 9 G. Brémond, ibid., p. 64.
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Industry, n° 116, septembre
2004,
« touristes, dehors» (Corse, Pays Basque, Antilles...), car une partie de la population locale estime qu'ils sont devenus trop envahissants. Cette limitation est d'un autre ordre, elle n'en est pas moins directement liée à des formes de croissance touristique jugées excessives. On nous permettra aussi de juger hâtive et ambiguë l'affirmation selon laquelle « il est illusoire de croire que la transformation des lieux est nécessairement liée au nombre» (Stock et al., 2003, p. 21). En nature, non, certes, mais en degré, si, ce qui n'est pas rien pour les lieux touristiques. La «nature» ici importe au théoricien, le degré au praticien. Bien sûr, peu de touristes suffisent à changer la valeur du lieu, un « regard », parfois... Mais la transformation du sens doit se concrétiser dans des transformations physiques à partir d'un certain seuil, et en fonction de seuils successifs, selon « une approche taxonomique» (Stock et al., 2003, p. 174). Ce n'est pas la même chose, pour un maire, d'avoir à résoudre les problèmes d'une station touristique de 1 000, 10 000 ou 100 000 habitants. Le nombre va « nécessairement» induire des changements d'échelle, avec des seuils, dans l'aménagement des lieux touristiques. Par ailleurs, il est certain qu'on peut préférer ne recevoir qu'un un touriste qui dépense 600 € par jour plutôt que trois qui en dépensent 200. Il n'empêche que l'hôtelier cherchera probablement à agrandir son établissement s'il a un taux de fréquentation de 90 %, mais pas de 50%. Légitimement controversée, la notion de cycle est pourtant réintroduite par ceux-là mêmes qui l'évacuent. Soit directement: ainsi, « avec l'arrivée des premiers citadins oisifs, les Alpes entrèrent dans un cycle de modes successives liées à des représentations et utilisations successives de la nature... Les Alpes sont bien devenues un gigantesque terrain de jeux; ce faisant, elles sont entrées dans une succession de cycles qui les rend désormais très vulnérables aux modes, aux crises...» (Knafou, 1994, p. 48-49). Soit indirectement: parler de « phénomène itératif »10 (Équipe MIT, 2002, p. 230) ou d' « itinéraires de lieux touristiques» (Stock et al., 2003, p. 71), dire qu'un « 'itinéraire de lieu' n'est jamais achevé: il est susceptible de 10 A propos de Boulogne-sur-Mer, qualifiée de « station touristique », ce qui est contradictoire avec les typologies présentées tant dans Équipe MIT, 2002, p. 221-222, que dans Stock et al., 2003, p. 58. Dans les deux cas en effet, une station est indiquée comme une « création ex nihilo », ce qui n'est évidemment pas le cas de Boulogne, qu'on ne voit pas bien où classer parmi les autres types proposés.
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mener vers une sortie du tourisme, sortie qui peut n'être que provisoire» (ibid., p. 82), qu'est ce d'autre sinon reprendre les variations des auteurs cités plus haut sur le thème du cycle? Si « itératif» signifie « fait ou répété plusieurs fois », et « cycle» « partie d'un phénomène périodique qui s'effectue durant une période donnée }}(Larousse), le premier est contenu dans le second, et rien ne dit qu'ils doivent être tous deux réguliers, d'amplitude égale, de rythmes identiques, comme on le constate quand il s'agit de « cycles }} économiques. Nous ne pensons pas que parler d' « itération» soit ici scientifiquement préférable à « cycle », mais qui sait... Peut-être que parler de « cycle }} nous entraînerait dans « la dénégation du mouvement historique », comme nous en avertit F. Deprest (t 997, p. 143). Cela n'est nullement dans nos intentions. Mais comme le mot « ressource }}est aussi assorti des mêmes mises en garde, et que l'on a vu pourtant le peu de cas qu'en font ses propres contempteurs (cf. chapitre 1), on ne s'interdira pas de continuer à parler, avec les précautions qui s'imposent, de « cycle }}et de « ressource }}. On ne peut donc pas dire que tout cela soit absolument clair et indiscutable, et nous n'y prétendons pas nous-même. C'est pourquoi nous pensons que le recours aux théories de la complexité, guère sollicitée jusqu'à présent parmi la géographie française pour ce qui concerne le tourisme, pourrait peut-être nous permettre de poser quelques jalons complémentaires dans la voie de la compréhension du phénomène touristique.
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Chapitre 5
De la complexité en tourisme
Les chapitres précédents ont montré que les idées nombreuses et variées qui s'emploient à renouveler la géographie du tourisme, voire l'étude du tourisme dans son ensemble, ne suffisent pas à y voir clair et ne s'imposent pas toutes, loin de là, comme indiscutables. Nous n'aurons pas non plus cette prétention. En outre, au-delà du souci de vouloir émettre des idées généralisables, comme la recherche scientifique y invite, on s'aperçoit toujours très vite que de nombreuses exceptions viennent tempérer une « règle» souvent catégoriquement assénée sans assise suffisante. Ce fait est particulièrement significatif en géographie, car d'une part, joue l'échelle de prise en considération des faits, d'autre part, selon une formule courante, « l'espace n'est pas neutre », ses caractères matériels influent, de façon systémique et dans le temps, sur le développement du fait lui-même par lequel on aborde, de façon privilégiée, l'étude de cet espace. Même pour ce dernier, « les formes disposent ... d'un véritable pouvoir, et elles ne sont pas seulement passives» (Dauphiné, 2003, p. 149). Tout cela relèverait-il de la complexité? Nous souhaitons donc ajouter sur ce thème quelques réflexions, qui se veulent plus exploratoires que définitives. Elles n'apprendront rien aux spécialistes de la complexité, qui y trouveront même probablement à redire, mais elles peuvent peut-être apporter quelque chose à la géographie du tourisme. Nous faisons aussi partie de ceux qui cherchent comment le tourisme fonctionne, comment il se développe et investit les lieux en les transformant, et posent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Toutefois, nous mesurons ici le décalage entre nos intentions et nos moyens dans ce chapitre élémentaire et littéraire, qui repose surtout sur des intuitions et émet des hypothèses que d'autres, mieux armés, exploreront et formaliseront mieux avec des outils mathématiques appropriés, même si, « contrairement à certaines idées
préconçues, il n'est pas obligatoire d'imposer une formalisation mathématique» (Dauphiné, 2003, p. 4). En d'autres termes, nous tenterons d'exposer pourquoi nous pensons que les choses se passent ainsi plus que nous ne saurons comment le démontrer.
Une évidence qui s'impose: la complexité Devant la difficulté de la géographie du tourisme à ne pas s'enfermer dans la recherche des typologies et classifications à tout prix, à sortir de la simple description et même de l'explication purement factuelle (qui fournit cependant des matériaux intéressants), à ne pas « (s'engluer) dans le pathos des 'sciences' sociales» (Dauphiné, 2003, p. 230), persuadé que « la division fondamentale de la géographie ne passe plus... par un quelconque clivage physique-humain» (Péguy, 2001, p.l37), que la géographie en tant que science a encore des choses à dire sur le tourisme en tant que telle sans se contenter de se fondre (on verra plus tard...) dans un amalgame scientifique même pluridisciplinaire, y compris une tourismologie nouvelle, soucieux aussi de tenter de sortir de voies utilement explorées mais qui se révèlent quelque peu aporétiques, nous avons pensé qu'il convenait de tenter un autre type d'approche, sans invalider le passé, mais en l'utilisant pour aller plus loin. Rude défi de recherche, ici au stade de rudiments. Or, l'une des difficultés majeures pour les géographes du tourisme est précisément de tenir compte de cette variété de formes spatiales sur lesquelles pèse, peut-être plus fortement que dans d'autres domaines de la géographie, le poids du temps. Peu à peu, s'est donc imposée à nous cette complexité qui caractérise le système touristique, de l'individu au Monde, et dans lequel on trouve aussi bien des faits que l'on a prévus, ou pressentis, que d'autres totalement imprévisibles, et qui affectent plus ou moins en profondeur et plus ou moins durablement le système et l'espace touristiques. La théorie du chaos nous est apparue alors comme pouvant peut-être rendre compte de cette complexité. En effet, un ouvrage de vulgarisation sur la question, mais d'une valeur heuristique que ne dédaignent pas les scientifiques sérieux (Gleick, 1989), expose clairement à quel point le développement de cette théorie s'était appuyé sur des réflexions ou observations qui peuvent aussi concerner le monde du tourisme. À titre d'exemple, l'encadré n° 4 reprend quelques-unes de ces remarques dont on ne peut pas ne pas reconnaître la pertinence pour le tourisme.
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Encadré n° 4 - Quelques propos sur la complexité et le chaos tirés de J. Gleick, (1989, La théorie du chaos), et pouvant s'appliquer au tourisme. « Là où commence le chaos s'alTête la science classique... Le chaos supprime les frontières entre disciplines scientifiques» (p. 19-20) (mais pas forcément les disciplines elles-mêmes. Note JMD). « Remettre en cause cette vision de la science, processus ordonné consistant à poser des questions et à en trouver les réponses» (p. 56). « Tout système à une dimension dans lequel apparaît un cycle régulier de période trois présente à la fois des cycles réguliers de durées quelconques et d'autres totalement chaotiques» (p. 104). « Vers la fm des années soixante-dix, on ne trouvait pas deux physiciens, deux mathématiciens, ayant la même interprétation du chaos» (p. 231). Dans « les paysages dans les dessins à l'encre des Hollandais, aux environs de 1600,... il y a une intemction précise entre les éléments flous, et les motifs aux contours bien définis. Et c'est cette combinaison des deux qui parvient à donner le rendu souhaité» (p. 237). « Quel que soit le grossissement, il n'existe pas deux régions de l'ensemble présentant une similitude parfaite» (p. 286). « À un niveau philosophique, (le chaos) m'apparut comme un moyen opémtionnel de défmir le libre arbitre, et de le définir d'une manière pelTllettant de réconcilier le libre arbitre et le dételTllinisme. Le système est dételTlliniste, mais vous ne pouvez pas dire ce qu'il va faire l'instant d'après» (FalTller,cité p. 315-316). « Le chaos est un désordre ordonné engendré par des processus élémentaires. Les données véritablement aléatoires restent éparpillées dans un désordre indételTlliné, alors que le chaos - dételTlliniste et structuré - concentre les données en des fOlTllesmanifestes. La nature n'emprunte que certaines voies parmi toutes celles qui mènent au chaos» (p. 334). « Seul un scientifique naïf peut penser que le modèle parfait est celui qui représente parfaitement la réalité» (p. 349). « Il y a une vingtaine d'années, (on pensait que)... les systèmes simples ont un comportement simple..., un comportement complexe implique des causes complexes..., des systèmes différents ont des comportements différents... Aujourd'hui, tout cela a changé... Des systèmes simples engendrent un comportement complexe, des systèmes complexes engendrent un comportement simple. Et, plus important, les lois de la complexité sont universelles, elles ne se soucient pas du tout des détails des composantes élémentaires d'un système» (p. 379-380).
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L'exploration de quelques-unes des pistes de recherche que suggèrent ces observations ouvre un champ immense dans le tourisme, avec le stimulant paradoxe aussi de vouloir chercher comment un domaine où doivent prévaloir l'ordre, la sécurité, l'obligation de mener à bonne fin tout ce que le client désire serait en réalité régi par le chaos. Les pages qui suivent sont donc le résultat d'un cheminement personnel, dans la mesure où l'on perçoit que dans un certain nombre de propos tenus par les spécialistes du chaos, ou chaoticiens, il y a plus que des coïncidences dont nous pressentons qu'un bon nombre (toutes, peut-être, mais nous ne prétendons en aucun cas les explorer toutes) peut s'appliquer au tourisme. De nombreux auteurs, dont nous sommes, ont utilisé parfois les mots « complexité» ou « complexe », mais plutôt dans le sens de « compliqué », pour excuser leur impuissance à rendre compte d'une façon rigoureuse et satisfaisante de phénomènes touristiques dont une part de l'explication leur échappait, soit en raison de l'incidence de facteurs plus ou moins saisissables (la volatilité et l'imprévisibilité de la clientèle, par exemple), soit par l'effet de cas particuliers, exceptions confirmant la règle, chacun le sait, et validant donc celle-ci selon le bon sens populaire curieusement érigé en critère de scientificité. Ils ne pouvaient donc en tirer toutes les conséquences heuristiques. Et à la règle qu'ils énonçaient, « il fallait cependant toujours faire une petite concession, si petite que les chercheurs oubliaient qu'elle était là, enfouie dans un coin de leur philosophie comme une facture impayée» (Gleick, 1989, p. 31), ce qui permettait de ne pas considérer que « tout système... ayant un comportement non périodique était imprévisible» (Lorenz, cité par Gleick, 1989, p. 35). Cette remarque concerne les systèmes physiques, et le tourisme n'est certes pas un simple système physique, car dans la mesure où il est tributaire de très nombreuses décisions humaines à tous niveaux, il nous paraît encore plus compliqué ou, plutôt, complexe. Raison de plus pour tenter de l'approcher par cette voie. Le tourisme, un phénomène complexe Quelle que soit la science ou le motif par lesquels ils abordent le tourisme, et qui font vite percevoir, d'ailleurs, l'importance de la pluridisciplinarité, le chercheur comme le praticien ne peuvent se dispenser de prendre en considération, à des degrés différents selon leurs objectifs, un grand nombre de variables. Il suffit de voir quels
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sont les thèmes abordés dans les colloques, dans les revues scientifiques ou professionnelles, sur les lieux touristiques, dans les bureaux de vente de produits touristiques, dans les entreprises, dans les institutions publiques ou privées en charge du tourisme. De toute façon, même si, pour diverses raisons, ils ne s'en préoccupent pas, ces variables concernent toutes, directement ou indirectement, leur activité, puisque cette dernière fait partie du système touristique. Nous n'en citons ici que quelques-unes sans ordre particulier, se subdivisant elles-mêmes encore de façon très fine la localisation \ l'environnement proche et même parfois plus éloigné, le poids touristique de l'équipement ou du lieu, sa fréquentation, en volume, en type de clientèle, en rythme, les effets produits localement, la situation de la société locale et les problèmes interculturels qu'elle peut poser, le jeu des acteurs, les politiques mises en oeuvre tant dans le marketing que l'aménagement, le régime bancaire et fiscal, les conditions micro et macroéconomiques, la situation géopolitique, l'accessibilité et la desserte, les services publics et privés, les conditions de santé et d'hygiène (pollution comprise), les relations avec le milieu naturel, les dispositions juridiques et réglementaires..., sans oublier, bien sûr, ce qui donne sens à tout cela en le constituant en système: le touriste, seul ou en groupe, qui constitue comme le ciment de tous ces domaines, mais qui ressortit, pour sa part, à la psychologie, à la sociologie, à l'économie domestique, à son histoire et à sa géographie personnelles, à sa condition physique, à ses goûts et couleurs, qu'on ne discute pas, puisque que « le client est roi ». .. C'est non seulement le touriste qui est au cœur du système touristique, mais l'être humain en général, puisque le tourisme consiste bien en une rencontre entre personnes, justifiant des aménagements, équipements et politiques variés, dont « l'homme est le véritable pivot» (Dewailly, 1990, p. 156), qu'il soit accueillant ou accueilli. Tous les paramètres qui font marcher la mécanique du système touristique de l'individu-touriste au système-Monde touristique sont si nombreux et si délicats qu'il n'est guère au pouvoir d'un individu de les maîtriser tous: selon les lieux et les échelles, les moments et les périodes, l'articulation individu(s) - espace(s) - temps I
Rappelons au passage les trois conditions que Conrad Hilton, le fondateur de la
célèbre chaîne hôtelière éponyme, considérait, dit-on, comme primordiales pour le succès d'un hôtel: « l'emplacement, l'emplacement et l'emplacement ». Cela lui a plutôt réussi. Cette exigence n'est sans doute pas propre aux hôtels dans le monde du tourisme. Elle est tout cas de caractère très géographique.
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donne un nombre de combinaisons infinies, mais que tous s'accordent pourtant à reconnaître comme relevant du tourisme, (si l'on est d'accord, au moins globalement, sur les notions de contenu discutées plus haut), et qui produisent l'espace et les lieux touristiques. Malgré la polysémie du terme de « complexité », il est légitime d'entreprendre l'étude de la complexité de faits géographiques (Dauphiné, 2003, p. 5). Imaginons, si possible, la chaîne des faits qui va conduire une contrée, nommée Touristopie, a devenir touristique, en insistant sur la période actuelle qui permet de la considérer comme touristique. Certes, à l'origine, il y a eu un aventurier qui, vers 1817, Yest arrivé à dos de mulet, a bénéficié d'une hospitalité chaleureuse des habitants, et, de fil en aiguille, le tourisme s'est développé pour la plus grande satisfaction des visiteurs et des habitants, « guests» et « hosts» : Touristopie est devenu une destination prisée. Comment cela fonctionne-t-il ? Il faut que, au départ, des individus, comme des molécules, aient vent de l'existence de ce pays béni et décident d'y aller, mus par l'image qu'ils s'en font, le souci de passer d'agréables vacances, les tarifs alléchants d'un agent de voyages irréprochable. Ils prendront le train, puis l'avion, pour débarquer à Touristopie où, à 10 000 km de chez eux, dans un paysage grandiose et sous un climat parfaitement supporté, un hôtel superbe les attend et leur offre des distractions enchanteresses et des excursions qui le sont pas moins, où des artisans leur proposent à prix raisonnable des objets « typiques », après quoi ils reprendront le chemin inverse, « le cœur plein de souvenirs », comme le dit la chanson. Un résumé en 5 lignes de telles vacances ne laisse pas soupçonner ce qui les sous-tend. Pour que Touristopie ait pu devenir touristique et se présenter sous son meilleur visage, qui (en partie) assurera son avenir, il faut que notre touriste-molécule se soit agrégé à d'autres, que des compagnies de train et d'avion se soient constituées, qu'elles disposent d'infrastructures construites (en général) par les pouvoirs publics, qu'une société hôtelière ou un entrepreneur local ait créé, au moins, un établissement adapté qui emploie, comme les autres entreprises, des dizaines de corps de métiers, que des intermédiaires assurent la promotion et la vente de nombreux services, que des administrations de police, douanes, sécurité, santé... contrôlent le mouvement sans trop le gêner. Or, que se passe-t-il si notre molécule décide d'aller ailleurs, manque son avion, tombe malade, si surviennent un attentat, un tremblement de terre, une épidémie, une crise économique ou politique, une guerre, un coup d'état, une marée
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noire ou verte, un ouragan... qui affectent Touristopie et son environnement proche, ou d'autres évènements celui de notre touriste (décès familial, feu de forêt aux abords de son domicile, inondation...)? Tout l'enchaînement des faits qui conduit au fonctionnement du lieu touristique se grippe, un grain de sable gêne, sinon enraye la mécanique. Mais si des foules de personnes subissent les mêmes dysfonctionnements, aussi indépendants de leur volonté que de celle du lieu d'accueil, celui-ci se trouve affecté, voire remis en question, dans son fonctionnement, de façon temporaire puis plus longue, puis dans sa structure, puis dans sa nature même et son existence. Qu'on songe aux effets de la première guerre du Golfe en 1991, de la crise économique du Sud-Est asiatique en 1997-98, de l'ouverture du mur de Berlin en 1989, des attentats du Il septembre 2001 à New-York, des hivers « sans neige» dans les Alpes, du tsunami dans l'Océan Indien en décembre 2004, du cyclone Wilma à Cancun en octobre 2005..., tous faits que le fonctionnement du système touristique ne peut prévoir, qu'il n'intègre pas dans ses prévisions, qui le perturbent très fortement à un instant T, mais que sa résilience2 lui permet de surmonter, en fonction des échelles, avec le temps d'une part, avec des destinations de remplacement temporaire d'autre part (dans la mesure où, du moins, un nombre suffisant d'acteurs du système s'y emploient). Voilà pourquoi certains pays, régions, lieux « oscillent» sur la carte des destinations, alternant des périodes de développement et des périodes de recul du phénomène touristique (mais pas forcément du développement local considéré globalement) : Cuba, Algérie, littoral atlantique français, Thaïlande, Jérusalem, Moyen-Orient... Voilà pourquoi de la décision d'un seul individu dépend l'enchaînement des faits, mais quand il s'agit de milliers ou de millions d'individus, on conçoit que les « bifurcations» dans cet enchaînement, issues soit de la volonté ou du choix de l'individu mais aussi de ceux d'autres acteurs, soit de causes sur lesquelles personne ne peut rien, se cumulent ou se multiplient pour conduire à des conséquences très marquées sur le territoire de Touristopie. Il y a des causes internes et 2 « Capacité à absorber des chocs, des transformations, des révolutions» (Brunet et al., 1993, p. 432),« phénomènes d'inertie, de pérennité ou de résistance de structures spatiales, ce que certains auteurs nomment la résilience (initialement, la résilience définit la capacité d'absorber un choc et par transposition la capacité d'un espace à résister à une évolution)) (Moriconi-Ebrard et Stock, in Lévy et Lussault, 2003, p. 281-282).
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externes à tous les éléments du système touristique, et le nombre de leurs combinaisons est infini: la complexité peut mener au « chaos », qui règne parfois dans certains lieux touristiques si le changement d'une variable modifie le comportement d'autres sans qu'on n'y puisse rien (bouchons autoroutiers lors des chassés-croisés des juilletistes et des aoûtiens, car-ferries bloqués par des tempêtes, aéroports désorganisés par des grèves et/ou des retards d'avions...). Or, ce qui est surprenant dans ce système, c'est qu'il est à la fois déterministe et imprédictible : chaque phase du voyage du touriste, de son domicile au lieu de production-consommation du produit touristique, ne peut se faire qu'à la suite du succès de la précédente, mais on ne peut prédire si celle-ci aboutira à coup sûr. Il existe un enchaînement des faits qui ne peut se faire que selon une logique déterminée pour aboutir à l'achèvement du processus, donc de façon tout à fait organisée. Notons cependant que nous nous sommes placé ici à une échelle particulière, qui est celle du lieu touristique. Autre chose sera ensuite de déterminer, à une échelle plus fine « intralieu» ce qui va relever davantage de la gestion mais n'en sera pas moins important pour la bonne marche du lieu: à l'aéroport, on sait qu'il est important de prévoir des boutiques hors-taxes, toilettes, comptoirs d'information, hôtels, bars, restaurants pour faire face aux besoins des touristes, variables selon le type de voyage; dans l'hôtel de destination, ce n'est pas la même chose si le touriste a accès ou non directement à une plage agréable: même dans ce cas, d'ailleurs, il faut souvent, sous les tropiques, prévoir une piscine, mais sa taille et sa fréquentation ne seront sans doute pas les mêmes; dans un grand musée, plusieurs emplacements de toilettes sont nécessaires, un seul suffit dans un petit. Le touriste utilise ou pas tout cela de façon aléatoire. Bref, il existe une infinité de façons de combiner les pratiques dans les éléments constitutifs des lieux, mais certaines sont obligatoires, nécessaires, d'autres sont facultatives, aléatoires. Hasard et nécessité. On est obligé de passer par la salle d'embarquement, pas par la boutique hors-taxes. Quelques jalons de base Pour une approche méthodique, il faut cependant veiller à ne pas se laisser dépasser par les apparences. Tout ce que le touriste qualifie de « chaotique )) ne l'est pas forcément. Désordre est autre chose que chaos: « la complexité aléatoire est synonyme de désordre,
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d'absence de régularité. Elle est très différente de la complexité organisée, qui insiste sur la structure et l'organisation d'un phénomène géographique» (Dauphiné, 2005, p. 5). À titre d'exemple, dans le paragraphe précédent, le comportement du touriste à l'hôtel relève de la complexité aléatoire, mais son comportement global de chez lui à l'hôtel relève de la complexité organisée. « Le chaos est un désordre ordonné engendré par des processus élémentaires. Les données véritablement aléatoires restent éparpillées dans un désordre indéterminé, alors que le chaos - déterministe et structuré - concentre les données et les formes manifestes» (Gleick, 1989, p. 335). Il convient d'abord de ne pas oublier que cette complexité ne s'installe que dans le cadre d'un système, ce qui implique bien qu'il s'agit d'un processus dynamique, qui engendre interactions et rétroactions, et modifie donc progressivement, en conséquence, la structure du système lui-même et son fonctionnement. En outre, les systèmes complexes sont nécessairement non-linéaires: les faits ne se déroulent pas de façon régulière et lisse, car « la non-linéarité signifie que le fait de jouer modifie les règles du jeu» (ibid., p. 42). En d'autres termes, par exemple, le fait que des touristes arrivent en un lieu modifie ce lieu, non seulement par la marque que les touristes en question lui impriment (animation, engorgement des rues, périodes creuses ou surchargées...), mais aussi par des changements que vont effectuer les habitants du lieu en faveur de ces touristes: par exemple, création de nouveaux parkings, qui vont à leur tour répandre l'idée que « à tel endroit, on n'a pas de difficultés pour stationner », ce qui va à son tour attirer de nouveaux touristes, qui motiveront l'installation de nouveaux commerces et services, et ainsi de suite. Inversement, de grands chantiers peuvent momentanément dissuader les touristes de venir, avant que leur fréquentation ne reparte de plus belle (aménagement d'un front de mer, extension d'un musée...). Comme on l'a dit, le système touristique possède de fortes capacités d'autorégulation: en cas d'impossibilité de gagner une destination, les touristes vont se reporter sur d'autres. D'abord, les individus eux-mêmes ont une adaptabilité et une capacité d'autoorganisation certaines. C'est aussi dû au fait que .les agences de voyages, entre autres, n'ont pas intérêt à voir s'évaporer leur clientèle, au fait, également, que des capacités d'accueil touristique restent presque toujours disponibles (le parc d'hébergement est rarement saturé), le fait, enfin, que le touriste préfère généralement changer de destination plutôt que d'annuler son départ: tout le système s'adapte
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grâce à sa résilience. Exprimé de façon plus théorique: « comme la grande majorité des systèmes dynamiques est en fait un ensemble d'autorégulations et comme les autorégulations sont en règle générale porteuses de non-linéarité, les systèmes dynamiques complexes doivent être en pratique formalisés par un ensemble d'équations linéaires. Or, une seule équation non-linéaire suffit à engendrer un comportement imprévisible du système» (Dauphiné, 1995, p. 19). Le tourisme ressortit complètement à un tel constat, d'autant plus qu'il est le lieu de beaucoup d'irrationnel, dans les perceptions notamment: pour beaucoup d'Occidentaux, un attentat dans un pays musulman va probablement, pendant un certain temps, dissuader de nombreux touristes de se rendre dans bon nombre d'autres pays musulmans. Et l'apparition de la grippe aviaire en Asie du Sud-Est va fournir des raisons plus objectives de craindre une épidémie dont les effets, quelques mois plus tard, auront sans doute produit sur l'espace touristique des effets imprévisibles. Ainsi, l' « effet-papillon »3 peut jouer un rôle capital dans les dynamiques spatiales du tourisme. Le système touristique se caractérise en effet par ce que l'on appelle une forte sensibilité aux conditions initiales. Si l'on admet que tout le processus de production et de construction du système et de l'espace touristique dépend du touriste, dont la présence ou l'absence détermine toute la suite du processus, et qui lui donne sens, il faut bien convenir que les choix individuels de ce personnage, qui est bien à l'origine du processus, qui a l'initiative de la décision, ont des conséquences capitales. A fortiori si ce sont des foules d'individus qui décident dans le même sens. Un grain de sable peut tout modifier en enrayant la mécanique des perceptions et des décisions: les imperceptibles perturbations provoquées par un poulet malade chez un villageois thaïlandais vont provoquer des réactions en chaîne, amplifiant des turbulences qui vont aller jusqu'à affecter profondément, voire ébranler, le système. Mais, contrairement aux apparences, cela se passe probablement avec « de l'ordre déguisé en désordre» (Gleick, 1989, p. 40). Car le système touristique, bien que déterministe, est aussi imprévisible, puisque le nombre d'actions qui peuvent s'y produire est, on l'a dit, immense. Or, « en général, quand le nombre d'actions est 3 Formule plaisante pour exprimer que de petites causes peuvent avoir de grands effets: « le battement d'ailes d'un papillon, aujourd'hui à Pékin, engendre dans l'air des remous qui peuvent se transformer en tempête le mois prochain à New-York» (Gleick, 1989, p. 24).
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petit, le comportement du système et prévisible et linéaire. Quand le nombre d'actions est grand, il se passe une' bifurcation', une 'catastrophe', une 'avalanche' et le système devient chaotique, c'est-àdire non prédictible sans être pour autant désordonné ou aléatoire» (Baudelle et Regnauld, 2004, p. 106). En réalité, il faut généralement plusieurs bifurcations pour que l'on atteigne le chaos dans la complexité: « dans de nombreux cas, la succession de trois bifurcations est suffisante» (Dauphiné, 1995, p. 28). Le géographe est aussi particulièrement sensible à la notion d' « émergence... apparition d'une forme qui se distingue du fond» (Dauphiné, 2003, p. 150), très liée à la question des échelles. Si un touriste qui arrive, le premier, quelque part ne crée pas nécessairement cette « forme» (un restaurant, un hôtel, une résidence...), celle-ci s'installe rapidement si d'autres touristes arrivent, mais en étant plus ou moins tributaire d'autres formes qui peuvent déjà exister: ainsi, «le tourisme urbain fait émerger très peu de nouvelles formes urbaines. Il met en valeur et remodèle des formes déjà existantes d'un patrimoine séculaire. En revanche, le tourisme balnéaire a profondément transformé les espaces littoraux, autrefois délaissés par les hommes» (Dauphiné, 2005, p. 151). Notons au passage que, exprimé sous cette forme (et nonobstant le fait que le tourisme balnéaire a aussi créé des villes), ce constat traduit une approche topo-fonctionnaliste des lieux touristiques que le MIT récuse: « refusant les évidences géographiques (la mer, la montagne, etc.), qui sont dans tous les esprits, nous préférons privilégier d'autres explications, qui sont autant de manière de construire le Monde et de se construire soi-même» (Équipe MIT, 2002, p. 165). Puisqu'il s'agit ici de « construction », la nôtre associerait volontiers une part de vérité de chacun des deux partis en présence, puisque nous pensons, on l'a dit, que le forme conditionne quelque peu le fond, mais aussi que la nature du tourisme ne saurait se résoudre à le caractériser d'abord par le lieu où il se pratique. Cette appellation de type topographique est une facilité d'expression pour le géographe, à laquelle il ne se limite, que l'on sache, jamais, et qu'il couple avec les aspects thématiques, scalaires, historiques... qui participent de la compréhension du phénomène, mais elle ne saurait aucunement, selon nous, préjuger de l'organisation fondamentale ni du tourisme, ni de l'espace touristique (cf. ch. 2). C'est d'ailleurs pourquoi il y a peut-être à rechercher si l' « altérité », le « hors-quotidien », la récréation, la complexité et le chaos n'ont pas à
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faire ensemble beaucoup plus qu'on ne croit pour une géographie du tourisme. Pour le moment, constatons enfin que la complexité du système touristique et de l'espace que ce dernier investit se caractérise aussi par la discontinuité, elle aussi plus ou moins apparente selon l'échelle d'observation. La théorie de la gravitation, selon laquelle la fréquentation d'un lieu serait proportionnelle à sa proximité de l'origine du flux, a été depuis longtemps contestée en ce domaine, mais nous pensons pourtant qu'elle garde une part de pertinence. À l'échelle mondiale, les régions touristiques les plus fréquentées sont aussi celles qui se trouvent à faible distance des grands foyers émetteurs, que ce soit l'Europe, l'Amérique du Nord ou le binôme Japon - Corée du Sud. Mais cette fréquentation ne se diffuse pas comme se propagent des ronds dans l'eau, sa répartition dans l'espace relève aussi de la complexité. Le rôle des mers et océans, d'états aux situations socio-économiques et politiques contrastées, du relief (coupures des détroits, des vallées sans pont, des chaînes de montagnes...), d'infrastructures de circulation et d'autres éléments intervient. Les résidences secondaires sont aussi, globalement, plus nombreuses à proximité des grandes agglomérations, et les pêcheurs à la ligne vont plus facilement à 15 minutes de chez eux qu'à trois heures. Mais ils vont aussi, parfois, au Canada ou en Irlande, il y a plus de résidences secondaires de Parisiens à la Grande-Motte qu'à Aurillac, et de touristes européens aux Seychelles, pays insulaire, qu'en Érythrée, pays continental pourtant deux fois plus proches. Ces discontinuités peuvent aussi bien affecter l'espace que le temps: la Chine, le Cambodge, Cuba se sont réouverts au tourisme après des périodes de fermeture, pour diverses raisons. Trois exemples voudraient illustrer, à trois échelles différentes, cette complexité plus ou moins apparente qui ressort souvent d'autant moins qu'il est, politiquement, plus risqué de la mettre en avant.
À petite échelle: la complexité masquée Notre premier exemple se situe à l'échelle mondiale (figure 4). La fréquentation touristique (arrivées de touristes internationaux) depuis 1950 fait apparaître une courbe en croissance continue, exprimant même une évolution linéaire de type exponentiel, s'accélérant progressivement, même si l'on prolonge la courbe jusqu'en 2020 selon les prévisions de l'OMT. Cette courbe linéaire traduit de façon synthétique la convergence de divers facteurs qui concrétisent
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l'expansion touristique: élévation globale du niveau de vie, accès de nouveaux pays aux pratiques touristiques, course des États pour profiter de la manne économique du tourisme, « droit» au tourisme reconnu à chacun en corollaire de la liberté de circulation et de l'abaissement de multiples barrières, croissance du temps libre, essor de technologies nouvelles pour atteindre des lieux autrefois inaccessibles en temps limité, développement des médias et de la publicité pour susciter, sinon le « besoin» de partir (que la pérégrinité pourrait, anthropologiquement, inscrire en chacun), au moins le désir de répondre à son caractère plus ou moins impérieux..., bref, tout un ensemble dont la figure 4 est, en quelque sorte, la résultante: sur 70 ans, voilà comment se comporte le système touristique mondial. Ou pourrait se comporter, car les dernières 25 années laissent la porte ouverte à d'autres scénarios. Comment évoluera le « marché », si le terrorisme menace constamment, si le coût de l'énergie rend prohibitifs les déplacements lointains pour les moins fortunés, si des catastrophes naturelles ou des épidémies perturbent les régions de départ ou les régions d'accueil, au-delà de ce que la résilience du système leur permet de supporter? Car, à y regarder de plus près on se rend compte que cette courbe triomphante du tourisme mondial a subi trois petites encoches (ce que la source originelle de la figure n'estime d'ailleurs même pas digne d'être indiqué) : en 1982, 1983 et 2001, elle a accusé des reculs de respectivement - 0,72 %, - 0,91 % et - 0,5 %. Broutilles, quantités négligeables, par rapport à la tendance globale, et, comme on l'a dit plus haut, exceptions qui confirment la règle, « petite concession» (Gleick), qui n'entame en rien l'optimisme des responsables à tous niveaux sauf, encore une fois, exceptions très limitées. En effet, le léger recul des années 1982-1983 est dû à diverses raisons politiques et socio-économiques, qui furent assez rapidement surmontées4, celui de 2001 traduit l'effet des attentats de New-York le Il septembre 2001, qui ont affectèrent les déplacements de tous ordres, notamment touristiques, fin 2001. Le système n'est pas à l'abri de secousses, mais elles paraissent minimes et pas de taille à empêcher la marche en avant du tourisme, avec des prévisions qu'on a tendance à surestimer dans une ambiance plutôt euphorique, pour un facteur économique qui prend de plus en plus de poids dans beaucoup d'économies. Certaines de ces secousses n'ont d'ailleurs pas au 4
Mais n'en affectèrent pas moins la confiance des touristes potentiels: tensions Est-
Ouest, en Europe de l'Est et au Moyen Orient, guerre des Malouines, États-Unis à Grenade, attentats, dévaluations du franc...
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intervention
des
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Figure 4 - Lesarrivées de touristes internationaux dans le monde selon l'OMT(1950-2020) : un phénomène linéaire?
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1960
1970
OMT, 1999. Section
19S0-199S
1980 reproduite
1990
de cette
source.)
2000
2010 années
2020
niveau mondial, d'impact déstabilisant, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre (<
Amérique (encore -4,4 %, dans un continent où le choc psychologique des attentats de 2001 a été plus profondément ressenti et où le poids des États-Unis en matière de tourisme est prépondérant). D'ailleurs, dans les espaces morcelés comme l'Europe, si on ne pouvait plus prendre l'avion pour aller en Thaïlande ou aux Antilles, on prendrait sa voiture pour aller en Italie ou en Croatie, ce qui ferait tout autant de frontières traversées (peut-être même plus), donc de touristes internationaux. Les statistiques mondiales et les courbes correspondantes pourraient rester inchangées, mais les lieux touristiques n'en seraient cependant plus tout à fait les mêmes.
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À échelle moyenne: pas insurmontable
la complexité dérangeante,
mais
C'est pourquoi il faut considérer la résilience du système à une seconde échelle, l'échelle régionale (groupe de pays, pays ou région touristique). Par exemple, à l'instar de l'Amérique en 2001 et 2002, on constate que la zone Asie du Sud-Est - Pacifique a connu en 1997-98 un léger recul dû à la crise économique dans cette région du monde, recul effacé, et bien au-delà, dès 1999, comme s'il y avait en plus un besoin de « rattrapage» des frustrations subies par la clientèle. Si l'on regardait les résultats de chaque pays année par année, on s'apercevrait qu'ils sont beaucoup plus irréguliers que les bilans mondiaux, dans lesquels les transferts de clientèle d'un espace à un autre n'apparaissent pas: c'est toujours l'espace mondial. L'effet de gommage produit par la globalisation des résultats masque des évolutions plus contrastées, qui apparaissent quand on change d'échelle. D'ailleurs, d'une façon générale, plus les échelles sont fines, plus les secousses qui affectent le développement du tourisme (espaces et sociétés) sont fortes, puisque, sur un système socio-spatial plus réduit, il existe moins de domaines ou d' « espaces-tampons» dont la résilience puisse atténuer les chocs subis. Et intervient alors aussi la temporalité considérée, dont la longueur contribue à lisser les courbes d'évolution. Ces observations valent aussi pour des régions touristiques intra-nationales. Considérons, par exemple, l'évolution de l'hôtellerie de plein air sur la façade atlantique de la Frances de 1994 à 2003 (tableau 1), pour les arrivées et pour les nuitées. Indépendamment du temps qu'il a fait (important dans ce mode d'hébergement) et dont une étude plus fine demanderait l'analyse, notre propos est ici d'essayer de percevoir les effets de la marée noire consécutive au naufrage de l'Erika dans le golfe de Gascogne le 12 décembre 1999. « Sur 400 km de côtes, du sud du Finistère au nord de la Charente-Maritime» (IFEN, 2000, p. 135), la pollution a affecté les 3 régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, mais l'Aquitaine n'a pas été pas été concernée. De plus, fin décembre 1999, la France était touchée par un ouragan très destructeur qui a beaucoup plus affecté les régions 5 Un découpage plus fin que celui de la « région» serait évidemment encore plus pertinent pour étudier l'exemple qui suit, mais l'échelle régionale reste cependant révélatrice des turbulences, et il ne faut pas oublier que le Comité Régional de Tourisme (CRT), dans chaque Région, met en oeuvre les politiques décidées par le Conseil régional.
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atlantiques que les autres. Des villes ou stations balnéaires ont subi des destructions peu propices à montrer une image avenante dans les mois suivants, particulièrement dans les infrastructures légères de l'hôtellerie de plein air. Or, l'hiver 1999-2000 était la période où les touristes potentiels préparaient leurs vacances pour l'été 2000 (l'hébergement de plein air est très affecté par la saisonnalité), et ils ont probablement modifié leur choix de destination. Comme le camping-caravaning privilégie très fortement les espaces littoraux et arrière-littoraux immédiats pour profiter de la plage, ils ont craint, en effet, d'avoir à affronter des plages souillées par le mazout.
2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1995 1994
Arrivées Aquitaine Bretagne Bretagne Pays Poitoude la Charentes Loire 1,658 1,438 0,944 1,648 9,839 1,372 1,281 0,935 8,439 1,758 1,378 1,309 0,946 1,773 8,548 1,296 1,122 0,911 1,697 8,117 1,060 1,605 1,386 1,819 9,984 1,669 1,482 1,029 1,758 9,920 1,722 1,472 1,094 1,749 10,046 1,573 1,462 1,012 1,815 9,207 1,777 1,486 1,125 1,901 9,959 2,064 8,234 1,440 1,536 0,962
Nuitées Pays Aquitaine Poitoude la Charentes Loire 9,932 6,491 11,382 6,369 13,026 9,039 9,289 6,553 12,881 7,887 6,352 12,386 9,691 7,252 12,855 10,102 6,959 12,221 Il,970 10,186 6,944 9,811 Il,942 6,851 10,459 7,040 12,296 10,925 6,380 13,896
Tableau n° 1 - Arrivées et nuitées en hôtellerie de plein air dans les régions de la façade atlantique française (I994 - 2003, en millions) (Source: Direction du Tourisme, Mémentos du tourisme). Car on constate que pour les 3 régions touchées par la pollution, la fréquentation la plus basse de la décennie pour ce type d'hébergement, tant pour les arrivées que pour les nuitées, se situe précisément en 2000. Le lien avec la marée noire et les dégâts de l'ouragan semble incontestable, et les professionnels touristiques, à plus grande échelle, s'en firent alors l'écho. Mais pour l'Aquitaine, c'est en 2003 que se situe l'étiage des arrivées et nuitées pour ce mode d'hébergement, où l'année 2000 se place au 2è rang parmi les mauvaises années. Dans toutes ces régions, on constate partout une remontée sensible en 2001, que les évènements de septembre à NewYork n'affectent guère, car la « saison» est alors pratiquement
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terminée pour les hébergements de plein air, les touristes qui les fréquentent ne viennent généralement pas en avion (si tant est qu'ils soient Américains), et ils ont donc pu, le cas échéant, effectuer le déplacement prévu. Mais en 2002, alors que les visiteurs français sont partout en baisse, l'on constate que dans 3 régions sur 4 (les Pays de la Loire font exception), les arrivées et nuitées de touristes étrangers sont en hausse aussi, ce qui ne donne guère à penser que les effets des attentats du Il septembre de l'année précédente aient eu des effets significatifs. Enfin, l'on observera la tendance générale, pour la décennie considérée: en Bretagne les arrivées et les nuitées augmentent; en Pays de la Loire, c'est le contraire; en PoitouCharentes, les arrivées diminuent (peu) mais les nuitées augmentent; en Aquitaine les arrivées baissent relativement plus fortement que les nuitées. Cet exemple montre que selon l'espace considéré, le mode d'hébergement, la période plus ou moins longue, les dynamiques des espaces concernés offrent une grande variété de processus. Encore n'a t-on pas ici considéré les fluctuations internes à la décennie concernée pour chaque région, qui participent toutes de l'identification particulière de cette région touristique que, dans un cadre administratif donné, on appelle « la façade atlantique de la France ». Déterminisme et hasard, ordre et chaos s'y conjuguent.
À grande échelle: la complexité chaotique Une région de cette dimension associe en effet une foule de lieux touristiques d'échelle plus grande, notamment villes et stations touristiques. À cette échelle, les variations du phénomène touristique peuvent être encore plus vives, et se manifester d'une façon plus brutale pour donner une courbe d'évolution où l'on a peine à retrouver une complexité relevant à la fois de l'ordre et du chaos, c'est-à-dire d'un « ordre déguisé en désordre» (Gleick). Le cas de Boulogne-surMer peut pourtant en témoigner, traduit de façon empirique sur la figure 5. Nous avons choisi Boulogne-sur-Mer, car c'est une ville touristique où l'évolution du tourisme depuis deux siècles et demi peut sans doute révéler un grand nombre de traits propres à une évolution de type chaotique. C'est probablement l'une des villes françaises où le tourisme se développe de façon significative et marque les lieux de la façon la plus continue depuis le plus longtemps. Dès le milieu du XVIIIè siècle, les Anglais qui y débarquent régulièrement vont y
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implanter des pratiques de tourisme balnéaire qui sont déjà plus répandues dans leur pays. Et le phénomène va se concrétiser assez rapidement en un premier établissement de bains, commencé en 1785 et ouvert, de façon fort éphémère vu les circonstances, en 1790. La Révolution et l'Empire, époque troublée qui tarit la clientèle anglaise, conduisent à la disparition du tourisme. Mais le camp de Boulogne établi par Napoléon de 1803 à 1805 en vue d'envahir l'Angleterre, la vie mondaine qui se déploie à Boulogne pendant deux ans à cette occasion comme dans une station touristique, le débarquement de Louis-Napoléon à Boulogne le 6 août 1840 pour tenter de renverser Louis-Philippe, l'érection de la colonne de la Grande Armée aux portes de Boulogne en 1841, tout cela crée et entretient sur place un climat propice à l'épanouissement de la vie touristique. D'une part, les Anglais reviennent à partir de 1815 (avec les courses hippiques, l'aviron, les régates, le golf...), la famille royale française relance la station, la bourgeoisie locale et régionale commence à apprécier cette vie « touristico-mondaine », d'autre part cela crée aussi une sorte de mythe napoléonien à Boulogne, entretient autour de Napoléon et des lieux qu'il a fréquentés une sorte de culte auquel s'adonnent tous les partisans de l'Empire. Boulogne devient un lieu de mémoire, sinon de pèlerinage, pour les nostalgiques de ce dernier. Mais quand LouisNapoléon devient président de la IIè République en 1848, puis Napoléon III en fondant le Second Empire en 1852, l'on passe du rêve à la réalité, et Boulogne devient un haut-lieu de l'épopée familiale qui revit, que fréquente la famille impériale, avec sa cour, ses fêtes, ses visites officielles ou non officielles, mêlant aristocratie et grande bourgeoisie dans le cadre d'une ville balnéaire qui se modernise sous l'effet de la prospérité régionale naissante grâce au charbon, et de la présence continue et recherchée des Anglais. Le Second Empire est l'âge d'or de Boulogne, qui se poursuivra jusqu'en 1914, quoique de façon sans doute moins brillante sous la IIIè République. La première guerre mondiale sonne le glas de Boulogne, pas touchée par les hostilités, mais devenue, grâce à ses grands hôtels, une base arrière de soins et de repos pour les blessés et les combattants du front proche. Malgré des marques de reprise du tourisme, l'entre-deux-guerres consacre l'avènement des stations proches, notamment le Touquet, puis la seconde guerre mondiale porte un nouveau coup terrible au tourisme boulonnais. Sur le Mur de l'Atlantique, toutes les stations semblent perdues pour le tourisme; destructions généralisées (hébergements, ports, voies d'accès...), plages minées, blockhaus par
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centaines..., à une époque où la reconstruction nationale et régionale va miser sur la« bataille du charbon» et l'industrie lourde, où il est inimaginable que le tourisme nordiste puisse faire l'objet de la moindre priorité (a fortiori dans une région où les mentalités, pendant longtemps, considèrent encore que le tourisme relève de la futilité pour « gens du Midi », alors que les « gens du Nord» travaillent...), où l'héliotropisme va triompher et bénéficier de l'accessibilité accrue des régions plus méridionales, et où, corrélativement, les dommages de guerre versés pour les villas de la Côte d'Opale vont aller se réinvestir sur les rives de la Méditerranée ou ailleurs. La bourgeoisie régionale, qui avait fortement contribué à l'essor touristique balnéaire régional, même si elle ne déserte pas la côte, n'y a plus le même effet d'entraînement. Avec la prospérité renaissante des Trente Glorieuses, c'est la population régionale qui va cependant contribuer à la reprise du tourisme côtier régional (résidences secondaires et campings, surtout), mais lentement, jusqu'à ce que la décentralisation et les politiques contractuelles nationales, européennes et régionales ne redynamisent le tourisme boulonnais dans les années 1980 (Dewailly, 1985). Le Centre National de la Mer (Nausicaà, ouvert en 1991) en est l'expression la plus forte, le tunnel sous la Manche (1994) a un effet passager qui ne se maintient pas à la hauteur des espérances suscitées, les avatars de la liaison transmanche (suppression des ventes horstaxes en 1999, liaisons Boulogne-Angleterre très irrégulières dans les années 1990-2000). Malgré son importance socio-économique, le tourisme n'a jamais retrouvé à Boulogne le lustre ni le poids qu'il a eus dans la seconde moitié du XIXè siècle, où Boulogne était l'une principales stations touristiques européennes, visitée par des dizaines de têtes couronnées. Sur 250 ans environ, peu de lieux touristiques de cette taille en Europe, voire dans le monde, ont connu une vie touristique moderne aussi mouvementée, du zénith européen (autant dire mondial à l'époque, en matière de tourisme) au quasi-anéantissement, avec des phases de reprise plus ou moins fructueuses. Mais la continuité de la fonction touristique s'affirme à travers une courbe non linéaire, largement imprévisible, de type chaotique, où le tourisme connaît même, physiquement, de quasi-discontinuités à l'échelle où nous le considérons, avant de repartir dans une tendance à la hausse marquée de péripéties sensibles.
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Un essai d'interprétation La figure 5 qui rend compte de cette évolution très irrégulière relève d'une « complexité due à un comportement chaotique» (Dauphiné, 2003, p. 46). Cette figure ressemble tout à fait à la figure 6.4 de cet auteur, qui porte cet intitulé et qui exprime, comme la nôtre, une complexité fondée sur des variations d'intensité dans le temps. Mais si cela suffit à montrer l'évolution chaotique du tourisme boulonnais, cela n'en épuise pas la substance, car le même auteur (ibid.) montre trois autres formes de complexité, dues - au nombre de composantes: en l'occurrence, pour Boulogne, ce sera la plage, Nausicaà, les monuments historiques, le musée-château, l'Office de Tourisme, les hôtels, les gares..., qui sont des centres d'intérêt et de services (des « sites» ?) constitutifs du système proprement touristique en ville et ont tous leur logique de fonctionnement touristique; - à l'imbrication de niveaux spatiaux distincts, c'est-à-dire d'espaces d'échelles variées où le tourisme s'organise de façon différenciée, et qui constituent les quartiers dans lesquels s'insère la vie touristique: à Boulogne, l'opposition entre ville haute et ville basse, mais aussi entre quartiers d'échelle plus grande: le front de mer nord (plage, Nausicaà, port de pêche artisanal, hébergements), le centre commerçant (hôtels, restaurants, bars, commerces, souvenirs...), le quartier de Capécure (tourisme industriel lié à la pêche), la gare maritime et ses abords, la vieille ville fortifiée et son patrimoine... ; - à l'imbrication de niveaux d'organisation, touchant à l'organisation politique, à l'administration, à la gestion au sein d'entités territoriales d'échelles différentes. Tous ces lieux dépendent plus ou moins d'institutions dont les compétences interviennent directement (gestion et administration) ou indirectement (subventions) sur leur fonctionnement: municipalité, Comité Régional de Tourisme, Comité Départemental de Tourisme, Office de Tourisme, structures et institutions communales, intercommunales, nationales, européennes, Chambre de commerce et d'industrie, entreprises privées, associations..., qui selon les lieux, les projets, les moments, coopèrent ou pas. Les quatre complexités entrent donc en combinaison pour produire une réalité encore plus difficile à déchiffrer que la figure 5 ne
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peut le suggérer. Dans chacune d'entre elles, peuvent s'inscrire des éléments plus ou moins nombreux (sites et monuments à visiter, par exemple), des échelles multiples (de la chambre d'hôte jusqu'à l'Eurorégion qui subventionne des projets, et même au-delà pour ce qui concerne, par exemple, la stratégie mondiale de transporteurs transmanche ou de sociétés hôtelières), des ruptures ou discontinuités très fortes et plus ou moins prévisibles (mutations technologiques ou dans les transports, changement d'équipe municipale, tempête hivernale dévastatrice, grand équipement comme le tunnel sous la Manche décidé à l'échelon bi-national, et même révolution, guerre avec ou sans destructions, comme on l'a vu, etc.). On peut quand même essayer de distinguer ce qui relève des catastrophes d'une part, et du chaos touristique propre d'autre part. Des catastrophes vont relever des évènements extérieurs au système touristique et qui vont l'influencer de façon majeure: guerres, tremblements de terre, épidémies, crises internationales... sont, au vrai sens du terme, des catastrophes pour un tourisme qu'elles désorganisent gravement et plongent dans le désordre. Au niveau mondial comme aux autres échelles, leurs effets se font sentir partout, directement ou indirectement. La chaos touristique au sens strict relève plutôt d'éléments nouveaux et imprévus propres au tourisme, et qui introduisent des ruptures au sein même du système à toutes les échelles. Par exemple, on peut dire que l'essor de l'héliotropisme dans les pratiques vacancières a radicalement changé les conditions sociales d'exercice du tourisme pour l'ensemble du marché. Même si une part du marché en est restée indépendante, elle n'en était pas moins soumise à de nouvelles conditions de concurrence globale pour les destinations et lieux touristiques. Il en est de même quand apparaissent sur le marché de nouvelles tendances qui « révolutionnent» la demande: il était impensable, il y a encore 30 ou 40 ans, que tant de vieilles villes industrielles « ressuscitent» grâce à un tourisme fondé sur un patrimoine d' « archéologie industrielle », des traditions, des images, des paysages qu'on souhaitait plutôt voir disparaître et qui se retrouvent subitement promus au rang de facteurs d' « attraction ». Les écomusées ont connu ainsi une bonne fortune qui s'essouffle, le tourisme urbain s'affirme avec évènements, shopping, sport, spectacles de rue..., l'écotourisme fournit une planche de salut à des régions reculées qui se voyaient mourir, etc. Un lieu comme le récent viaduc de Millau tient, selon nous, à la fois de la «catastrophe» (liée à un grand équipement national échappant aux
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décisions locales, mais positive si l'on considère qu'il supprime des bouchons routiers, négative si l'on préfère voir qu'il écarte du centreville des flux de clients potentiels) et du « chaos» touristique local, qui a su imposer sa présence en obtenant l'aménagement de panoramas, des publications, des produits centrés sur le viaduc, etc., dans une logique propre de fonctionnement qui était loin d'aller de soi au début des travaux et était totalement imprévue, sinon imprévisible pour les plus optimistes. Mais ces ruptures ne se produisent et ne se coagulent sur des espaces que par l'effet des choix des touristes. Il y a donc d'abord, dans un emboîtement d'échelles, la prévisibilité relative des choix des touristes, qui se concrétise dans les villes et stations où, pour l'essentiel, comme J.M. Hoerner le souligne, se concentre la vie touristique, mais aussi dans les autres lieux touristiques. Chacun de ces lieux, pour peu qu'il ait quelques décennies d'existence, connaît ainsi une évolution « en dents de scie» comme Boulogne, qu'on pourrait encore analyser à un pas de temps plus fin que ne le fait la figure 5, mais avec des phases, des rythmes, des périodicités différentes. Dans un contexte mondial de développement socioéconomique continu (mais qui relève, en somme, de la même logique), les interactions entre tout cela conduisent à des évolutions régionales ou nationales plus lissées, qui finissent par se traduire à l'échelon supérieur, comme les données de l'GMT le montrent, dans une courbe mondiale linéaire et quasi-régulière, résultant de l' «accrétion »6 de toutes ces petites courbes chaotiques qui font le tourisme de base dans l'espace. Et, paradoxalement, la somme de toutes ces situations de chaos déterministe à très grande échelle conduit à faire paraître le tourisme mondial comme un phénomène de progression sûre et régulière à très petite échelle. En somme, l'ordre mondial apparent cache une multitude de situations chaotiques, et le chaos de la base se fond dans un « ordre» supérieur, mais c'est bien le même système aléatoire et déterministe, chaotique et ordonné. De quoi dérouter nombre d'observateurs, mais on sait qu' « un système complexe (peut) engendrer simultanément de la turbulence et de la cohérence» (Gleick, 1989, p. 81), qu'il faut savoir (et pouvoir) 6
« Augmentationde volume par la réunion d'objets autour d'un noyau... Le mot est
parfois employé pour l'engraissement des plages» (Brunet et al., 1993, p. 15). Nous proposons de l'employer métaphoriquement pour désigner le processus de croissance physique du tourisme en un lieu par des équipements permanents ou temporaires, indiquant une permanence et un renforcement de la fonction touristique.
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décrypter. Des situations chaotiques locales à dominante et résultante négatives mèneraient, évidemment, à une courbe de déclin, ce qui doit conduire à ne pas oublier que c'est bien le tissu local qui fait la force du tourisme global, et non pas quelque décision supérieure. Tous ces « désordres» à très grande échelle cachent donc en réalité une somme d' « ordres ». C'est bien l'association de déterminismes propres aux éléments du système touristique et le caractère aléatoire des modalités de leur mise en oeuvre qui débouche sur des réalités extrêmement complexes, devant lesquelles on est souvent déconcerté quand il s'agit de les analyser et de les comprendre. Mais comme ces fonctionnements ne peuvent tous être «en phase» dans les quatre formes de complexité évoquées, il en résulte un chaos certain dans le temps. Rappelons un propos déjà énoncé: « une seule équation non linéaire suffit à engendrer un comportement imprévisible du système» (Dauphiné, 1995, p. 19). Comme chaque lieu touristique, ou en tout cas la quasi-totalité (un seul suffirait, d'ailleurs...), est dans une évolution de type non-linéaire, il en résulte que c'est bien l'ensemble du système touristique qui évolue de façon imprévisible, complexe, voire chaotique sous l'effet de ses propres mutations et des évènements externes. Cela ne doit évidemment pas effrayer le touriste qui pourrait craindre d'être livré au « chaos» en se rendant dans tel ou tel lieu : la durée est indispensable à l'expression du chaos, ce que ne peut percevoir un visiteur épisodique, mais dont, en revanche, se rendent bien compte les habitués fidèles de certains lieux de tourisme ou de vacances. Mais c'est évidemment un thème sur lequel il serait difficile de communiquer sans provoquer des rétroactions assez négatives. Il n'y a pas besoin, sans doute, d'insister ici sur les interactions qui se produisent entre éléments du système. Chacun en connaît, et la « spirale de la force des choses », évoquée plus haut, montre ces relations. Mais cette spirale exprime plus un développement linéaire que les rétroactions qui se produisent également et qu'on met souvent moins en évidence. Il y a une dialectique incessante qui modifie les rapports entre les touristes et les lieux touristiques et leurs éléments constitutifs, et peut remettre en cause des situations qui semblent acquises. Si une station littorale, pour satisfaire une clientèle particulière, construit un port de plaisance qui lui confère un standing supérieur, mais si le port s'envase, si les travaux effectués détruisent l'équilibre sédimentaire des plages locales et conduisent à leur disparition, la clientèle de la plaisance va quitter les lieux, les recettes
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de la commune vont diminuer, les plages être peu attractives, le standing de la station décliner et susciter, peut-être, le développement d'un camping-caravaning modeste, jusqu'à ce que la construction d'enrochements ou d'épis n'entraîne de nouveau un engraissement des plages, une meilleure image de la station, un retour d'un clientèle plus aisée, jusqu'à ce que... et ainsi de suite. Rien n'est acquis dans ces turbulences de macro-échelle, dépendant d'éléments plus ou moins maîtrisés, et c'est bien cela qui entraîne donc, en fait, le caractère chaotique du système, mais sur des durées parfois peu perçues. Complexité,
système, géographie
du tourisme
Peu d'auteurs ont fait référence à la complexité et au chaos pour étudier le tourisme. En France, certains géographes ont pu en parler allusivement, soit, quand c'étaient des spécialistes du tourisme, en donnant plutôt à ces notions le sens de « compliqué, difficile à saisir et à expliquer» (Équipe MIT, 2002 ; Stock et al., 2003 ; Dewailly et Flament, 1993, 2000 ; Hoerner, 2002, 2003), soit, en tant que spécialistes de la complexité, mais pas orientés particulièrement vers le tourisme (Dauphiné, 1995, 2003 ; Péguy, 2001 ; Baudelle et Regnauld, 2004). Quelques chercheurs étrangers en études touristiques, d'origine disciplinaire variée, ont cherché à les utiliser de façon focalisée (McKercher, 1999 ; Faulkner et Ryan, 1999 ; Russell et Faulkner, 2004). La volumineuse et pluridisciplinaire Encyclopedia of Tourism ne souffle mot ni de chaos, ni de complexité (Jafari, 2000). L'index du récent Companion to tourism (Lew et al., 2004), fort de 48 contributions, ne mentionne la complexité que pour une seule d'entre elles, et le chaos pour aucune. C'est donc encore, apparemment, un thème de recherche assez neuf. Cette référence plus ou moins explicite à la complexité n'empêche pas de curieuses prises de position. Ainsi, pour un auteur, «les géographes, après avoir été surtout descriptifs, deviennent souvent 'systémistes' (d'après l'école qui se veut dominante)... En tout cas, je ne me suis jamais situé dans la mouvance des 'systémistes', qui théorisent à l'extrême» (Hoerner, 2002, p. 28 - 29), ce qui ne l'empêche pas d'affirmer que « les stations présentent toutes un 'système' complexe» (Hoerner, 2003, p. 30). Position assez contradictoire, la complexité impliquant qu'il y ait système. Et non seulement il y a un système touristique, mais celui-ci n'est en réalité qu'un sous-système de ce que l'on appelle parfois le « système-
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monde ». Si, comme le dit Péguy, « la complexité est, pour un système, le fait que chacun de ses éléments soit soumis aux actions de tous les autres et réagisse à son tour sur chacun d'eux» (2001, p. 56), peut-on nier qu'il en soit autrement en matière de tourisme? Une « tourismologie» scientifique, fût-elle fondée, pourrait-elle ne considérer qu'isolément ou dans une simple relation linéaire et univoque l'ensemble des éléments qui se combinent pour faire marcher le « système» touristique, qui ne serait plus alors que juxtaposition de ces éléments? D'autres reconnaissent que la propension des géographes à la synthèse peut leur donner une place privilégiée pour mettre en évidence la complexité du système touristique et sa compréhension. Si l'on considère en effet que « généralement, le tourisme implique des systèmes particulièrement ouverts» (Leiper, in Jafari, 2000, p. 571), le géographe est bien placé pour « voir (Ie tourisme) d'un point de vue spatial et fournir une base substantielle pour la construction d'une géographie du tourisme. Les géographes sont devenus habiles à faire la synthèse de nombreux facteurs de causalité comme aide à la compréhension de la complexité du fait touristique, particulièrement de ses conséquences sur des environnements spécifiques dans l'espace en général et les lieux d'accueil touristique en particulier... Leur inclination à synthétiser de grandes quantités d'informations variées provenant de perspectives disciplinaires diverses leur a aussi permis d'être parmi les producteurs les plus prolifiques de textes sur le tourisme» (Wall, in Jafari, 2000, p. 250). Cette allusion timide à la complexité ne devrait pas empêcher les dispositions, réelles ou supposées, des géographes pour la synthèse de permettre à ces derniers d'associer ces deux termes pour des analyses plus pénétrantes.
Tourisme et mouvements aléatoires On a dit combien la complexité dépend plus ou moins de l'aléatoire, qui vient à la fois compliquer la tâche du gestionnaire et complexifier l'organisation du système. Bien des évènements aléatoires et imprévisibles ont eu une influence considérable sur le développement à long terme du tourisme. Les « effets-papillons» ont des conséquences imprévisibles sur l'évolution des lieux touristiques. Qui aurait prédit que les bains de mer pris par quelques excentriques (sous couvert de science médicale, il est vrai, dans la plupart des cas à l'origine, avec le prestige qui s'y
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attache) en Angleterre ou à Boulogne vers 1750 auraient de tels effets mondiaux 250 ans plus tard? Entre temps, les bains de mer à Boulogne sont devenus une pratique marginale, mais ils ont indirectement, en montrant le double ancrage de la ville dans le tourisme et dans la mer (si l'on peut dire), justifié la création de Nausicaà, pôle touristique qui est un élément économique moteur de toute l'agglomération boulonnaise. Le camp de Boulogne a produit aussi un effet-papillon: qui aurait raisonnablement parié qu'un rassemblement guerrier de premier ordre (mais totalement inefficace de ce point de vue) contribuerait à créer un ensemble d'images et de perceptions sur lequel se fonderait une station brillante 50 ans plus tard? Boyer évoque les « hasards de la guerre», le « hasard militaire» qui, au XVIIIè siècle, firent découvrir la côte de Nice tant aux Anglais qu'aux Russes (2002, p. 24-25). Quand, en décembre 1834, lord Brougham, bien que chancelier d'Angleterre, n'est pas autorisé à franchir la frontière vers le royaume de Sardaigne, mis en quarantaine pour cause d'épidémie de choléra en Provence d'où il vient, qui peut imaginer que sa décision d'attendre dans l'auberge du village où il patientait, puis, conquis par le site, d'y faire construire une villa (Escribe, 1988), soit l'acte fondateur de Cannes en tant que grande station touristique qui allait contribuer à l'affirmation de la Riviera Côte d'Azur? Pourquoi faut-il que ces incidents militaires et douaniers débouchent sur l'essor de la plus fameuse région touristique du monde? Parce que c'était l'époque de la Révolution industrielle, où le capitalisme investissait l'Europe, où l'on créait les chemins de fer, où les Anglais voyageaient beaucoup dans un Grand Tour qui avait pourtant évolué, où l'on cherchait à passer une saison d'hiver dans un cadre agréable, où le romantisme faisait encore se pâmer devant la nature, tous éléments que le hasard du passage de lord Brougham ordonne pour leur donner un nouveau sens en un lieu précis qui devient touristique. Où il est, une fois de plus, démontré, à Boulogne comme à Cannes, qu'il n'y a nulle « vocation» touristique, mais que les hommes, à travers des perceptions et des représentations, exploitent au mieux les caractères plus ou moins favorables offerts par une « matière touristique» brute (Dewailly et Flament, 2000) pour en tirer le parti le plus conforme à leurs desseins, en fonction des moyens disponibles. Les effets-papillons sont légion en tourisme, mais ce n'est qu'a posteriori qu'on les identifie, alors que, paradoxalement, tant d'actions volontaristes, légitimes, utiles, nécessaires, résultant de
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politiques mûrement réfléchies (en principe) et dûment financées, ne débouchent pas sur ce qu'on en attend! Viennent aussi à l'esprit des évènements majeurs tels que guerres, catastrophes naturelles en tout genre (tremblements de terre, tsunamis, éruptions, inondations, cyclones...), crises économiques, épidémies..., mais de tout cela, le tourisme s'est relevé quand il était déjà présent sur place et qu'une « base }}suffisante subsistait, assortie d'une « volonté politique }},avec cependant un succès inégal selon le contexte national et international. L'actuel Boulogne-sur-Mer a perdu son rang dans le concert des lieux à la mode (dans une Côte d'opale qui s'affirme doucement, cependant), mais est-ce définitif si, dans un grand mouvement de balancier historique et avec le réchauffement climatique, les touristes accordent ultérieurement leurs faveurs à des régions moins surchauffées, moins desséchées et plus fraîches où l'été sera néanmoins plus chaud que maintenane, si la crainte des cancers de la peau conduit à plus de circonspection vis-à-vis du bronzage, phénomène inconnu il y a un siècle8, si une crise énergétique conduit à se déplacer à moindres frais? Perspectives qui prêtent maintenant à sourire, mais dont on ne verra la part de vérité que dans quelques décennies. Outre les éléments objectifs nouveaux qui pousseraient à un tel changement, s'ajouterait, ne l'oublions pas, la résilience du système en place, dans lequel les régions actuellement les plus fréquentées ne resteraient pas sans réagir face à la nouvelle donne. C'est bien pour cela que, comme on l'a relevé (Équipe MIT, 2002), les régions les plus fréquentées gardent une forte attractivité en dépit des inconvénients, nombreux, qu'elles cumulent, ce qui n'empêche pas l'apparition de « friches touristiques }},phénomène inconnu il y a 20 ans. Tout cela demanderait, évidemment, examen à des échelles 7 Hypothèse peut-être pas complètement farfelue. Le rapport de Greenpeace, 2005, «Changements climatiques: quels impacts en France? » non seulement envisage « une probable remise en cause de l'existence même des stations de sports d'hiver de moyenne montagne », mais des étés plus chauds et plus secs pouvant avoir des effets plutôt positifs dans le Nord, mais négatifs dans le Sud. (www.impaetselimatiquesenfrance.fr ). 8 Les conventions sociales, l'évolution de la pudeur, le souci de la« distinction» et de l'innovation ont beaucoup joué dans les transformations du maillot de bain, expression emblématique des rapports du corps aux éléments naturels (plage, mer, soleil, liberté...). C'est après la première guerre mondiale que la mode du bronzage commence à se répandre et que, corrélativement, la taille des maillots de bain se réduit. Voir, par exemple, Saillard (O.), 1998, Les maillots de bain, Ed. du Chêne, ou Lansdell (A.), 1990, Seaside fashions 1860- 1939. A study of clothes worn in or beside the Sea, Princes Risborough, Shire Publications Ltd.
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différentes et dans des contextes culturels d'attendre pour constater ce qui arrivera.
variés,
et la patience
Une aide à la sortie de querelles terminologiques
?
Peut-être le recours à la complexité pourrait-il aussi permettre de voir plus clair dans les interminables disputes sur les définitions et le passage de la ré/recréation au(x) loisir(s) et au tourisme. Tous les auteurs, sauf erreur, s'accordent à trouver implicitement ou explicitement un «continuum» dans ces pratiques (Équipe MIT, Hoerner, Dewailly et Plament, De Groote...). On pourrait peut-être alors appliquer au monde du tourisme les réflexions que les météorologues appliquent à l'atmosphère: « le désordre qui agite l'atmosphère forme un continuum. Les catégories ne fonctionnent plus. Les extrémités de ce continuum forment un tout avec son milieu» (Gleick, 1989, p. 143). Il y a, certes, une différence majeure: le choix du touriste autorise, dans le monde touristique, encore plus de bifurcations entre épisodes touristiques que les masses d'air ne peuvent elles-mêmes en subir. Il n'empêche que, dans les deux cas, les situations spatiales qui en résultent, et qui intéressent particulièrement le géographe, se résolvent dans une série de types spatiaux dominants exprimant des situations cependant toutes singulières, eu égard à leurs conditions précises de localisation, de contenu et de déroulement. Il est certain que si l'on part des loisirs pour arriver au tourisme en fonction de «barrières» liées à des temporalités, force est bien de constater qu'il y a des loisirs dans le quotidien, mais aussi dans le hors-quotidien. On peut transférer, tout à fait intentionnellement, des routines du quotidien dans des vacances loin du domicile censées être l'archétype du hors-quotidien (Haldrup, 2004. Cf. ch. 3). Inversement, des pratiques de tourisme peuvent se faire « au coin de la rue », sans qu'il y ait besoin de loger ailleurs qu'à son domicile (Lévy et al., 2002). Et si, pour clarifier la compréhension mutuelle et permettre une meilleure adéquation avec la société « civile », on admettait que toutes ces pratiques relèvent d'un « tourisme» complexe (la pérégrinité ?), qui se subdivisera en sous-catégories selon le champ d'application où l'on devra oeuvrer? Cela ne remet pas en cause la plupart des savantes analyses effectuées depuis des décennies, cela leur donne seulement un fil conducteur qui permet de les apprécier par rapport à un sens global qui ne fait pas entrave à la mise en oeuvre de dispositions particulières, et au sujet duquel tout se déroule sur un espace commun
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qui n'est pas qu'une simple construction sociale. Cela éviterait de stériles disputes sur des termes qu'on n'en finit plus de définir, ou pour lesquels on veut à tour de rôle apparaître comme « celui qui a tout compris »9 et ferait au moins apparaître un accord de fond qui est sans doute plus manifeste qu'il n'y paraît, au-delà des nécessaires mises au point terminologiques et méthodologiques. N'en est-il pas de même pour l'agriculture, l'industrie, les transports..., et bien d'autres domaines de l'activité et de la créativité humaines? Complexité touristique et acteurs Le rôle des acteurs a été maintes fois souligné. Il est essentiel, mais pas toujours aussi déterminant qu'on le croit. Les acteurs aussi se situent dans des temporalités à plusieurs échelles, et doivent bien prendre en considération, sinon subir, les héritages de formes spatiales sur lesquelles doit se dérouler leur action. L'espace géographique est habituellement un « actant» 10qui impose de lourdes contraintes. Par exemple, que va devenir Cane un dont les plages ont disparu lors du cyclone Wilma d'octobre 2005 ? Bien sûr, ce peut redevenir une station internationale réputée, même sans plages, mais au moins à condition que ses hôtels puissent être réhabilités. Pour le gouvernement, les autorités locales, les sociétés de transport et d'hôtellerie, c'est techniquement possible, au prix de milliards de dollars pour une activité qui en rapporte aussi beaucoup à la balance des paiements mexicaine. Mais comment reconstituer les plages, la mangrove qui piégeait les sédiments et transformée en terrains de golf ou zones immobilières? Plusieurs héritages se combinent, dans des temporalités et avec des inerties différentes, qui ont créé une situation très complexe, dont seuls des choix drastiques permettront de réduire, peu à peu, les effets indésirables: développement national à long terme, ruines d'une station moderne à reconstruire à court terme, milieu naturel auquel on n'est pas sûr de pouvoir restituer un rôle de «zone-tampon» à moyen terme, entreprises locales démunies et milliers de chômeurs dans l'immédiat, tout cela sur un territoire exigu que les touristes évitent, et que les agences, « agent» essentiel de résilience du système, envoient ailleurs alors que la haute saison allait commencer. On peut reconstruire la station telle quelle (ou essayer...), 9
Le présent chapitre montre à l'évidence que nous ne saurions être ce personnage
enviable... tO
Cf. chapitre
4, note
1.
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la déplacer, l'abriter derrière d'énormes défenses contre la mer, autant de scénarios fort complexes qui dépendent d'un projet de société et des moyens qu'on entend y consacrer à différentes échelles d'espace et de temps. Dans un tel exemple, les acteurs sont loin d'avoir toute latitude pour pouvoir choisir leur scénario préféré. Après tout, Pompéi a disparu, l'agriculture médiévale a connu des « lost villages », et l'extraction minière du Far-West des villes-fantômes: une station touristique « imprudemment» développée peut aussi disparaître. D'autre part, s'imbriquent dans les systèmes d'acteurs ce qui relève d'individus (le touriste, l'entrepreneur, l'élu), de groupes sociaux (un groupe de touristes, une association, un groupement syndical, une assemblée élue), ou de la société tout entière (un type de régime, l'opinion publique, pour autant qu'elle puisse se manifester). À toutes ces échelles se manifestent des éléments de complexité. Pour ce qui concerne le tourisme, c'est le touriste qui prévaut (ou devrait prévaloir), puisqu'il ne peut y avoir de tourisme sans touriste. Si l'on compare (mutatis mutandis) un touriste à une goutte d'eau, on a de quoi imaginer à perte de vue (au moins théoriquement) le nombre de façons de manifester sa présence qu'il peut avoir: « un physicien qui tenterait de modéliser complètement le mouvement de cette goutte... se retrouverait rapidement perdu dans une jungle de calculs inextricables» (Gleick, 1989, p. 330-331). Il est vrai que A. Dauphiné nous met en garde sur les « dangers de l'analogie en sciences sociales» (2003, p. 228). Il n'empêche que quels que soient la compétence et les moyens des acteurs de tous niveaux, ils ne pourront jamais prévoir le mouvement de chaque touriste, donc adapter complètement l'offre à la demande. Certes, un certain nombre d'études sont mal faites, et un certain nombre de touristes ne répondent pas sincèrement à certaines enquêtes. Quoi qu'il en soit, à peine terminée, l'étude est déjà obsolète, par l'effet d'une modification infime de choix, de motivations, de préférences, de moyens... qui affecte notre touriste« molécule» ou « goutte d'eau ». On a pu dire que « la planification touristique à un niveau opérationnel est un mythe» (McKercher, 1999, p. 427), ce qui est sans doute un peu excessif. Mais on saisit mieux, dès lors, pourquoi tant d'équipements ou aménagements n'atteignent pas le but poursuivi, pourquoi tant de structures sont si vite en faillite ou en difficulté, pourquoi les clients potentiels sont encore plus versatiles et volatils que leur nature ne le suggère. Les touristes, acteurs du système touristique, n'y agissent pas seulement par leur simple consommation/création du produit
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touristique. Leur arrivée dans un lieu déclenche un processus de percolation, autre dynamique conduisant à l'émergence de formes spatiales spécifiques. Si l'on transpose les théories qui font place à ce processus, la percolation touristique met en présence les touristes et les habitants: « le premier fluide (les touristes. JMD) progresse sous l'effet d'une force, et il repousse le second (les habitants. id), tout en l'enfermant dans des zones incompressibles d'où il ne peut pas être délogé» (Dauphiné, 2003, p. 190). S'il est vrai qu'il ne peut y avoir de tourisme sans société locale, cette analogie, même un peu excessive, est instructive,. La percolation touristique peut ne pas avoir ce type de rapport dominant/dominé (même si elle l'a souvent), ni forcément « enfermer» l'habitant, lui aussi acteur du tourisme, dans des zones de repli inexpugnables. Il faut surtout y voir, à notre sens, que la percolation conduit à l'émergence de formes et de lieux touristiques, dans des processus qui deviennent de plus en plus complexes. À l'échelle des entreprises se retrouvent aussi des phénomènes aléatoires: une entreprise touristique peut s'installer dans un espace et contribuer à son profond bouleversement, pour des raisons diverses. Un enfant du pays peut vouloir le promouvoir, un « étranger », au contraire, peut avoir « un« coup de cœur ». On a montré comment les décisions qui affectent l'évolution urbanistique d'une ville ont des répercussions importantes sur les petites entreprises sur lesquelles le tourisme se fonde, et qui ont pourtant peu de moyens de se faire entendre (Thomas et Thomas, 2005). Un parking fermé, un sens unique installé, un marché déplacé, une rue piétonne ouverte ou fermée peuvent conduire à une reconfiguration d'un espace touristique, bien que n'étant en rien touristiques par eux-mêmes. A l'inverse, des firmes multinationales mettent en compétition des territoires pour se faire octroyer le maximum d'avantages: c'est ainsi que les aides multiples du gouvernement français à Eurodisney ont conduit ce dernier à venir à Paris plutôt qu'à Barcelone. Autrement dit, les «conditions initiales », celles qui déclenchent le processus de complexité, ont été plus décisives en France qu'en Espagne. Une décision d'une telle importance, par les enjeux économiques et sociaux qu'elle comporte, est, en soi, d'une très grande complexité. Elle conduit à complexifier encore l'espace touristique français et parisien, et a eu d'importantes rétroactions sur, par exemple, le parc Astérix ou l'offre hôtelière dans l'est parisien. À chaque fois, en tout cas, quelle que soit l'échelle, les acteurs subissent mais créent aussi cette complexité dont leur territoire sort à la fois victime et bénéficiaire. Le
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système se manifeste comme tel, parfois jusqu'au chaos (cf. Boulognesur-Mer).
Les caractères de la complexité touristique Si, à la suite de A. Dauphiné, on essaie de préciser quels sont les attributs de la complexité touristique dans le cadre de la recherche d' « éléments pour une théorie unitaire de la complexité» (2003, p. 221) appliquée au tourisme, force nous est de reconnaître qu'il nous manque, pour le moment, quelques éléments et non des moindres. Cet auteur reconnaît quatre propriétés originales aux systèmes complexes. Nous pensons avoir montré que le système touristique mêle le déterministe et l'aléatoire mais aussi le prévisible à court terme et l'imprévisible à long et même moyen terme. L'émergence de formes spatiales et temporelles caractérise aussi indubitablement le système touristique, à différentes échelles, et non sans interférer avec les formes produites par les autres systèmes qui façonnent l'espace. Les «ruptures de symétries» retenues par l'auteur comme signes de la complexité paraissent également tout à fait apparentes dans l'organisation des espaces touristiques. L'évolution non-linéaire de ces derniers exprime que les temporalités et les spatialités ne se développent pas de façon symétrique, loin de là. Si, globalement, plus le temps passe, plus l'espace touristique, fondamentalement anisotrope, s'étend, ce n'est jamais de façon régulière, et une foule de cas complexes montre que le rapport à un « cycle» régulier reste exceptionnel. Autrement dit, un espace touristique n'est pas d'autant plus étendu qu'il est plus ancien. En revanche, nous ne sommes pas en mesure de déterminer ici dans quelle mesure la complexité touristique révèle « l'ubiquité des lois puissance, de leurs dimensions fractales» (ibid., p. 222), autrement dit dans quelle mesure l'organisation fonctionnelle, spatiale et temporelle se manifeste dans des objets touristiques qui révèlent des formes issues d'itérations effectuées avec une invariance d'échelle, avec des éléments se reproduisant de la même façon quand l'échelle change. Quelques éléments du système touristique pourraient cependant, à notre avis, donner lieu à des recherches en ce sens qui pourraient être formalisées de façon plus mathématique, éventuellement: ainsi, sur des espaces d'ampleur variée, la hiérarchie et la répartition des stations et villes touristiques, des sites touristiques selon leur fréquentation et leur type, des parcs d'attractions de toutes
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tailles, des gîtes ruraux, des ports de plaisance, mais aussi l'organisation interne de grandes stations, villes, conurbations ou agglomérations touristiques ou celle de réseaux d'offices de tourisme ou d'entreprises spécialisées. Il y a sûrement bien d'autres domaines touristiques qui pourraient être prospectés, dont nous serions curieux de voir dans quelle mesure ils sont affectés par la complexité. Un aspect important de cette complexité paraît toutefois paradoxal par rapport à l'évolution du système touristique et la notion controversée de cycle que nous avons évoquée. Certes, le terme « cycle» ne doit pas être pris ici dans un sens étroit impliquant une régularité complète en rythme et en amplitude dans le processus. Mais, pour que la complexité émerge, il faut une « amplification des fluctuations internes» (ibid., p. 223). Il s'agit donc que s'amplifient les variations qui peuvent apparaître dans une évolution du type courbe de Butler (courbe sinusoïdale aboutissant à un palier, qui se prolonge par une reprise ou un déclin - en réalité, les variations peuvent être beaucoup plus nombreuses avant d'arriver au palier supposé). Mais, dit le même auteur, « les régulations négatives tendent à maintenir le système en l'état..., les rétroactions positives... amplifient les petites fluctuations. Quand cette amplification n'est pas enrayée, surviennent de réelles catastrophes. Mais en règle générale, cette amplification est contenue par des rétroactions négatives, qui maintiennent le système loin de l'équilibre à la limite du chaos» (p. 223), c'est-à-dire en fait la résilience. Autrement dit, contrairement à la perception intuitive des choses et au sens commun, et du point de vue systémique qu'impose la complexité, il faut partir de cette dernière, qui pose, en s'installant, des problèmes de plus en plus redoutables aux gestionnaires et acteurs, et non du phénomène touristique lui-même. En d'autres termes, et pour revenir à Boulogne-sur-Mer, la création de Nausicaà doit être perçue comme une régulation négative du système boulonnais, une forme de résilience, puisqu'elle a eu des retombées positives qui ont conforté ce dernier. En revanche, la suppression, durant plusieurs années, du trafic transmanche passagers qui a tari le flux de touristes britanniques, est un élément négatif pour la vie touristique locale, mais a eu des rétroactions positives, en amplifiant les difficultés locales jusque là plus maîtrisables. Mais si cette vision des choses semble contraire à la perception directe des faits, ne se traduit-elle pas, après tout, dans le langage de tout responsable qui, devant une difficulté nouvelle, trouve que « la situation se complique et devient un vrai casse-tête» ? Tout élément qui contribue à introduire de la vraie complexité dans le
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système paraît donc plutôt, sur le moment, défavorable au système local mais il est favorable au développement de la complexité. Et les rétroactions négatives, qui luttent contre une complexification plus grande du système, maintiennent donc celui-ci dans un état stable. À la lumière de ce type d'approche, peut-être l'examen des relations entre tourisme et « ressources» ou de la localisation de formes de tourisme dans des espaces qui ne sont effectivement pas si simples à déterminer que les qualificatifs de « littoral» , « rural », montagnard» ou « urbain» pourraient le laisser supposer peut-il s'éclairer différemment. Tout dépend de l'échelle retenue et de la temporalité considérée. Peut-être pourra-t-on admettre, par exemple, que les lieux les plus fréquentés, les plus attractifs (pour reprendre une terminologie usuelle, quoique controversée), ou dans lesquels se manifestent le plus d'initiatives de visites (pour utiliser une périphrase prudente...) possèdent des « attracteurs étranges» : la mer, la neige, le soleil, le patrimoine, la campagne, la « nature », l' « ailleurs»... Pourquoi ces éléments sont-ils, chacun peut le constater, des constituants fondamentaux sur lesquels reposent le tourisme et la pérégrinité depuis plus de vingt siècles? Pourquoi ont-ils du succès à certaines périodes et non à d'autres, en tels lieux et non ailleurs, à telle échelle et non à telle autre? Voilà bien des questions d'ordre géographique sur des constats « étranges », au premier sens du terme. Dans la théorie du chaos, un « attracteur étrange» est une forme dynamique en trois dimensions, constituée de points au mouvement aléatoire, qui restent donc suffisamment proches pour constituer cette forme, mais sont totalement imprévisibles. Or, cette forme qui « attire» des points d'une façon « étrange» parce que difficilement perceptible et compréhensible, et que les chaoticiens ont mise en lumière, « n'est pas seulement l'une des trajectoires d'un système dynamique; elle est la trajectoire vers laquelle toutes les autres convergent» (Gleick, 1989, p. 195). Nous sommes très conscient de procéder ici par analogie, avec toutes les approximations ou erreurs que cela entraîne, mais ce n'est qu'avec une intention heuristique qu'il ne nous est pas possible d'explorer plus avant. Cela nous conduit à faire l'hypothèse qu'il y aurait peut-être plusieurs sous-systèmes touristiques liés à des « attracteurs étranges» spécifiques selon les temps, les lieux, les échelles spatio-temporelles, mais qui, en tout état de cause, se fondraient quand même et inévitablement dans un système touristique unique, complexe et chaotique à travers le temps et l'espace, et dont l'attracteur étrange commun pourrait être, au bout
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du compte, cette pérégrinité qui traverserait les lieux et les temps. Cela dit, dans l'état actuel des choses, nous n'avons aucune idée claire sur la façon, alliant probablement « sciences dures» et «sciences molles », dont on pourrait expliquer comment pourraient s'articuler et se mettre en place les processus qui s'enchaînent de la perception individuelle du touriste-molécule au système-monde touristique, via un enchaînement de décisions de tous ordres, pour produire l'espace touristique en particulier, mais aussi le tourisme en général, avec son auto-organisation où interviennent son déterminisme et son aléatoire, ses bifurcations et ses catastrophes, son ordre et son désordre, son linéaire et son non-linéaire, son continu et son discontinu, sa simplicité et sa complexité, sa régularité et son chaos... Beaucoup de conditionnels, façon d'avouer sans honte son impuissance face à des perspectives qui permettent juste de penser qu'on n'en sait pas grandchose pour le moment. Mais cette amorce de cadre conceptuel global, dans une vision holistique, ne nous semble pas si déraisonnable, et elle est peut-être stimulante, tant sur le plan théorique qu'en matière de recherche appliquée.
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Conclusion générale
Vers un nouveau paradigme pour la recherche en tourisme?
Cet ouvrage a voulu, d'une part, s'élever contre la façon dont, au nom d'approches qui seraient prétendument scientifiquement meilleures que d'autres, certains décident autoritairement et de façon peu rigoureuse, de nouvelles vulgates, pourtant culturellement et épistémologiquement discutables, et qui ne diffusent pas forcément une clarté plus convaincante, malgré leur intérêt. Quand des développements multiples, aux nombreuses contradictions, se fondent, et on l'a abondamment montré, sur beaucoup d'incertitudes promues au rang de vérités, il est à craindre que le béton des fondations soit trop sableux pour supporter beaucoup d'étages avec la rigueur et la cohérence méthodologiques requises, et que l'édifice ne soit pas assez fiable pour qu'on l'habite sans méfiancel. On ne manquera pas de trouver bien des défauts à ce petit ouvrage, dont nous n'attribuons les maladresses, lacunes, erreurs, qu'à nos propres insuffisances. Un chercheur isolé sans tribune éditoriale particulière n'est qu'une molécule ballottée dans la complexité de la recherche, mais c'est bien cela qui alimente les bifurcations menant au chaos éventuel, empli d'ordre et de désordre. Soucieux « de passer des 1
Nous n'avons pu disposer du dernier ouvrage de l'Équipe MIT, Tourismes 2,
Moments de lieux, Paris, Belin, 2005, qu'alors que ce livre était déjà très avancé. Nous n'avons donc pas pu en tenir compte comme il aurait convenu, mais nous en reconnaissons volontiers un grand nombre de mérites. Toutefois, comme il « s'insère dans une série de quatre ouvrages» (p. 3), et donc dans la continuité de Tourismes l, dont nous avons montré de graves insuffisances ou contradictions, nous ne pensons pas que notre propos global en soit ici invalidé, sauf à considérer qu'il y aurait incohérence entre le « 2» et le « I », l'un reposant sur l'autre. Cela dit, nous nous réjouissons s'il apporte des réponses à des questions posées ici.
faits à la théorie et non d'imposer une théorie aux faits» (Baudelle et Regnauld, 2004, p. Il), nous avons émis quelques critiques, dont nous voulons synthétiser l'essentiel. Aux auteurs que nous avons critiqués, nous opposons notre conviction que la géographie du tourisme peut toujours prétendre à une place reconnue comme telle, qui ne soit noyée ni dans la «tourismologie » telle qu'elle est actuellement proposée, ni dans un ensemble de sciences sociales mal différenciées, bien que nous n'ayons strictement ni intérêt ni hostilité particuliers à la promotion de l'une et des autres. Que la géographie y prenne la place que les géographes lui donneront ou s'efface dans des ensembles plus indifférenciés, ce sont les acteurs de la recherche et la communauté scientifique qui en décideront. Mais quand on veut être spécialiste de tout, on n'est spécialiste de rien, ce qui n'est pas la même chose que de réaliser des synthèses utilisant des apports pluridisciplinaires. Comme bien d'autres, nous pensons que les formes, y compris spatiales, jouent un rôle sur la scène de l'humanité, et n'y sont pas qu'un décor. Si fonder « une science du voyage - baptisée tourismologie - ... (demande) une recherche également autonome, dont l'objet, les méthodes et les finalités n'empruntent plus aux disciplines scientifiques dont elle a pu relever jusqu'ici: géographie, économie, sociologie... » (AFEST, cité dans Hoerner, 2002, p. 44), cela demanderait aussi, au minimum, de se préoccuper des concepts et des sources mis en oeuvre, de préciser les méthodes, ce qui n'a guère été fait jusqu'ici, et d'examiner quels rapports s'établiraient avec les disciplines récusées (puisqu'il ne faut plus leur « emprunter »...) de la part des « tourismologues ». Pratiquement, comment devrait procéder, actuellement, un étudiant qui voudrait réaliser une étude de « tourismologie » sans de tels « emprunts» ? A quoi se réfère-t-il ? Les études disciplinaires jusqu'à présent réalisées par les nontourismologues sont-elles disqualifiées, pour insuffisance de pertinence par rapport à leur objet? Quelle démarche adopter pour faire autrement? Ce n'est pas, pensons-nous, en décrétant abruptement qu'une nouvelle science est née qu'on le prouve, mais en avançant à petits pas sur des voies que d'autres empruntent aussi, où l'on se bouscule parfois un peu, mais où l'on s'encourage, où l'on s'entraide, et même parfois on se passe de l'eau. Bien du chemin reste à faire, mais l'on sait que, selon un adage bouddhiste, « le chemin, c'est le but ».
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Quant aux propositions du MIT, reconnaissons (modestement) qu'elles impressionnent par leur richesse, l'étendue du champ qu'elles couvrent, l'ampleur des réflexions et propositions, la variété des études de cas, la tentative d'intégrer, effectivement, de nombreux et nécessaires apports de sciences humaines et sociales dans l'étude du tourisme. Mais, avec tout le respect qu'on leur doit, et au-delà de critiques ponctuelles et de bases qui sont méthodologiquement loin d'être aussi assurées que quelques formules martiales voudraient le donner à penser, on ne souscrit pas non plus à l'ensemble de la démarche (ce qui n'empêche évidemment pas des points - et même des traits - communs). Celle-ci paraît trop fondée sur une stratégie de rupture et de tabula rasa, quand bien même d'ailleurs elle n'aurait jamais pu voir le jour sans ce qui existait antérieurement sur ladite table, et où elle procède à des emprunts pas toujours explicités comme il conviendrait. Elle récuse trop, et de façon souvent apparemment trop gratuite, parfois « pour le plaisir» dirait-on, beaucoup de notions antérieures qu'elle utilise néanmoins ou rhabille d'une façon pas forcément convaincante, ce qui ne va pas sans introduire, plus d'une fois, des confusions majeures pour qui se soucie d'une appréhension globale de la démarche. Qu'on se souvienne des termes peu ou prou disqualifiés: géographie du tourisme, tourisme durable, tourisme d'affaires, matière touristique, ressource touristique, activités touristiques, motivations, récréation, capacité de charge, spontané, attractivité..., sans oublier les statistiques elles-mêmes, issues de définitions condamnées sans appel, mais qu'on utilise faute de mieux. Récuser les métaphores, récuser un grand nombre de termes impropres, pourquoi pas, mais il convient alors de proposer des termes de remplacement. C'est loin d'être toujours fait, au-delà des désaccords qui peuvent, légitimement, naître sur certains sujets, d'où beaucoup d'obscurités terminologiques. Ce n'est pas une majorité qui donne la vérité, et il ne faut pas confondre approche scientifique et approche (parfois) dogmatique. Globalement, mettre le touriste au cœur de l'étude du tourisme est une idée largement partagée. Mais il conviendrait sans doute de ne pas considérer le touriste « idéal» ou « angélique» dont la seule préoccupation serait d'atteindre à l'accomplissement de son « projet existentiel ». Paraphrasant la Bruyère, disons qu'il vaut mieux sans doute être racinien que cornélien, et peindre le touriste comme il est plutôt que comme il devrait être. Et même si cela ne fait donc plaisir à
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personne, le touriste est souvent un fauteur de troubles et de dégâts, qu'il se donne plus d'une fois la bonne conscience de compenser en payant. Bien des études réalisées par des personnes issues d'aires touristiques le disent de leur propre chef: pourquoi seraient-elles moins qualifiées, ce disant, que celles qui soutiennent une position contraire? Les Maasaï du Kenya souffrent, indirectement, d'une forte protection de la grande faune, elle-même largement (et au-delà des considérations d'ordre écologique) au service d'un tourisme qu'ils maîtrisent fort peu, bien qu'il leur apporte une manne financière appréciable (Kibicho, 2005). Seront-ils considérés comme d'affreux personnages « anti-touristes » si, malgré tout, ils n'apprécient pas forcément le tourisme? Heureusement, le touriste est aussi très souvent un personnage très positif à bien des égards, et alterne généralement le bon et le moins bon. En réalité, nos approches nous paraissent trop « occidentalocentrées ». Le tourisme moderne et son appellation sont nés de la Révolution industrielle européenne. Les définitions de l'OMT sont indispensables: où en serait-on si elles n'existaient pas? Mais elles révèlent la prégnance de cette civilisation occidentale qui a imposé son modèle, et que les représentants d'états « non occidentaux », au sein de structures technocratiques quoique utiles, et pris dans des engrenages qui les dépassent souvent, se voient plus ou moins contraints d'adopter, surtout dans un domaine qui se révèle habituellement plus riche de promesses de bénéfices économiques rapides que d'enjeux politiques majeurs immédiats. Il y a donc une sorte d'autojustification, entre « Occidentaux» et « occidentalisés », qui s'impose d'autant plus aux uns et aux autres qu'ils sont en situation de récepteurs et ne veulent pas perdre la manne qui leur arrive, au moins à échelle nationale. C'est en référence à cette idée, appuyée sur de nombreuses observations, que nous avons proposé le terme de « pérégrinité » pour traduire la notion de « tourisme» à travers les âges, les lieux, les cultures. L'être humain a toujours, peu ou prou, cherché à se déplacer entre un « chez soi» et un « ailleurs ». D'où il ressort que cette recherche de différence, cette itinérance, et cette «qualité d'étranger » (ou de touriste), donc cette « altérité» qui en résulte, correspondent peut-être à une donnée universelle. La pérégrinité associe structurellement, organiquement, l'altérité et le déplacement. Si le tourisme est le produit d'une civilisation industrielle particulière, n'est-il plus tourisme quand in concerne une
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civilisation non-industrielle, ou post-industrielle et post-moderne ? Son essence en disparaîtrait-elle pour autant? Y-a-t-il un « posttourisme» et comment le qualifier? Et si non, pourquoi alors cette essence n'aurait-elle pas existé avant la création de la dénomination moderne? Là réside une interrogation profonde d'ordre anthropologique, ethnologique, sociologique, philosophique, qui touche aussi au façonnement de l'espace environnemental et géographique (celui-ci recelant un « ordre» et des hiérarchies que celui-là n'offre pas). La complexité et le chaos nous semblent au cœur de ces questionnements qui doivent sous-tendre la recherche scientifique. Le recours à des explications (certes plus élaborées que les linéaments élémentaires que nous en avons proposés ici) relevant de ces deux processus (l'un n'excluant pas l'autre) aurait l'avantage de mettre un terme à, ou plutôt de transcender, les vaines, et parfois oiseuses, courses à des typologies de plus en plus sophistiquées (pas sans intérêt, mais limitées) ou discussions sur des «cycles» dont chacun s'ingénie à trouver des échantillons de plus en plus compliqués, sinon complexes, précisément, mais qu'on ne sait trop, au bout du compte, à quoi rattacher. Si tout dépend d'un chaos plus ou moins complexe et élaboré, en fonction des temporalités et des échelles spatiales au sein desquels il a pris naissance, tout se rattache donc à un tronc commun dont il convient ensuite de déchiffrer les mystères avec les outils scientifiques appropriés. C'est plus facile à dire qu'à faire, mais c'est au moins une base de commune de départ dans une théorie de référence. Or, pour certains se référant à Kuhn, « une science n'évolue pas de façon cumulative, par transition douce et linéaire d'une tradition à une autre, mais plutôt par discontinuités brusques marquant un passage d'un paradigme à un autre» (Faulkner et Ryan, 1999, p. 4). « Brusques» ne signifie pas « énormes» : il peut suffire d'un petit pas pour tomber dans un trou, d'un bouton effleuré pour déclencher un cataclysme, ou d'une seule pièce pour toucher le jackpot. Dans ces conditions, le paradigme qui fonde l'étude du tourisme s'élargit aux deux extrémités. Vers l' « amont », il est fondé à s'intéresser à toutes les époques, à tous les lieux, à toutes les cultures. Absence de connaissances et/ou de sources ne vaut pas preuve d'une absence du phénomène. Vers l' « aval », il lui revient d'élargir le champ de ses investigations pour y inclure tout ce qui relève de la complexité touristique, ou « pérégrinitique », jusqu'au chaos inclus, en
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faisant intervenir l'ensemble de toutes les disciplines qui y ont un quelconque titre (et même, serait-on tenté de dire, qui semblent ne pas encore en avoir...). Dans un souci de compréhension, de communication, de ne pas considérer comme obsolète tout ce qui précède, de reconnaître et d'assumer à la fois un héritage moderne, on pourrait même, pourquoi pas, appeler cette science « tourismologie » (irions-nous jusqu'à proposer «pérégrinologie »... ?), ce qui ne rendrait pas caduques pour autant les géographie, sociologie, économie... du tourisme, domaines disciplinaires d'où pourraient provenir les tourismologues. Mais ce devrait être sur de tout autres bases que ce qui nous est proposé pour le moment. Après tout, combien d'entre nous ne se sentent-ils pas d'abord « géographes ou «économistes» avant d'être « géographes du tourisme» ou «économistes du tourisme» ? Le paradigme fédérateur de ces chercheurs pourrait être l'étude des relations entre l'être humain en situation de pérégrinité et les espaces et sociétés. Une formulation aussi large inclut tous temps, tous lieux, toutes échelles, toutes cultures, toutes disciplines, et a donc vocation à être explorée de façon scientifique universelle. Qu'ensuite on y trouve pertinent, selon les objets de recherche, d'y utiliser les théories de la complexité, du chaos ou d'autres relève déjà d'un autre niveau, d'ordre méthodologique. Ce n'est pas qu'un tel niveau soit secondaire, au contraire. Car quel que soit l'objet de la recherche, se posent alors encore, au moins, deux redoutables questions, qui peuvent donner bien du grain à moudre aux générations à venir: - anthropologiquement, comment définir un « vrai» touriste? - techniquement, comment le recenser d'une façon qui puisse être opérationnelle pour les scientifiques comme pour les « décideurs» ? Questions fondamentales dans la perspective d'une science qui progresse, et que d'aucuns nous promettent « UNIQUE, ce qui n'exclut pas la diversité des analyses» (Péguy, in Dauphiné, 2003, p. VI). Au total, ces quelques réflexions se veulent un apport à une recherche la plus rigoureuse possible qui, « souvent marginalement, toujours modestement» (Péguy, 2001, p. 113) ne peut que se nourrir de la diversité des apports et des points de vue et probablement mal s'accommoder de grandes constructions exclusives mais datées autant temporellement que culturellement. « L'humanité qui habite (la Terre) ne serait-elle, comme on l'a dit souvent, qu'une masse aveugle et
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chaotique... ? Les migrations en sens divers, les peuplements et les exodes, la croissance et la décroissance des nations, les civilisations et les décadences, la formation et le déplacement des centres vitaux ne sont-ils, comme il semble au premier abord, que des faits et encore des faits juxtaposés dans le temps, sans qu'un rythme en règle les oscillations infinies et leur donne un sens général exprimable par une loi: c'est là ce qu'il importe de savoir... C'est là ce que je voudrais étudier dans la mesure de mes forces» (Élisée Reclusi. Vaste programme, même pour le seul tourisme, mais « l'important, c'est de participer »...
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Cité par Paul Reclus, 1964, in Les fTères Élie et Élisée Reclus, Paris, les Amis
d'Élisée Reclus, p. 130-131.
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211
Annexe
Questions récurrentes approcher « l'éternelle nature », « être proche des habitants» ou «rattacher les choses nouvelles au tout »... et vilipender les « touristes» ?
« Pour bien comprendre la grandiose poésie des Alpes, il faut les parcourir presque seul et surtout s'affranchir à tout prix du cortège mondain et banal des touristes vulgaires et de l'obsession tenace des montagnards, familles errantes de désœuvrés en vacance (sic), caravanes d'oisifs de toutes les conditions et de tous les pays, alpinistes de fantaisie et visant à l'effet, ministres pédagogues remorquant leurs enfants ou leurs élèves, catéchistes compassés et pédants, étrangères excentriques, osseuses et couperosées, hôteliers cosmopolites d'une uniformité désespérante, gardiens exploiteurs de grottes et de cascades, poseurs de planches sur les torrents, promeneurs d'ours et de chamois dociles, sonneurs de cors et de trompes qui semblent avoir pris à l'entreprise tous les échos de la montagne, enfants enrubannés offrant partout les mêmes fleurs avec le même sourire hébété, mendiants et parasites, industriels et entremetteurs de toutes catégories embusqués derrière toutes les haies, tous les rochers et jusque sous les voûtes étincelantes des glaciers. Si l'on peut s'isoler de cette tourbe bruyante et importune, l'éternelle nature vous pénètre alors et vous enveloppe dans sa glorieuse et sereine majesté ». (Charles Lenthéric, 1896, L'homme devant les Alpes, Paris, Plon, Nourrit et Cie, p. 10)
« Un jour, quelqu'un me suggéra d'écrire un texte sur la poésie des voyages. Immédiatement, je trouvai séduisant d'avoir l'opportunité de fulminer sans retenue contre les horreurs de l'activité touristique effrénée qui se déploie aujourd'hui, contre le principe même de cette frénésie absurde, contre les villes pour touristes étrangers telle 213
Interlaken, contre les Anglais et les Berlinois, contre le massacre du paysage et l'augmentation exorbitante des prix dans la Forêt noire badoise, contre la vermine citadine désireuse de retrouver dans les Alpes le même mode de vie que chez elle, contre les courts de tennis de Lucerne, contre les hôteliers, les serveurs de restaurant, les mœurs et le prix des chambres, les vins locaux trafiqués et les costumes régionaux. Cependant, lorsque, voyageant en train entre Vérone et Padoue, je décidai de ne pas priver une famille allemande de ces mêmes réflexions, on m'enjoignit de me taire avec une politesse glaciale... « Beaucoup de livres et de brochures sont consacrés à la manière dont l'homme moderne doit voyager, mais à ma connaissance, aucun de ces ouvrages n'est bon. Lorsqu'une personne entreprend un voyage d'agrément, elle devrait en vérité savoir ce qu'elle fait, et pourquoi elle le fait. Or, le citadin qui voyage aujourd'hui l'ignore. Il s'en va parce que l'été il fait trop chaud en ville; il s'en va parce que le changement d'air, la découverte d'autres lieux et d'autres gens le reposeront de son travail harassant. Il choisit la montagne parce qu'une obscure nostalgie de la nature, de la terre et de la végétation le tourmente en éveillant en lui des désirs incompréhensibles. Il choisit Rome parce que c'est culturel. Mais il part surtout parce que ses cousins et ses voisins le font, parce qu'on peut ensuite parler de ses voyages et s'en vanter, parce que c'est à la mode et qu'on se sent si bien une fois rentré à la maison. « Ce sont là des motifs parfaitement compréhensibles et honnêtes. Mais comment expliquer que M. Krakauer aille à Berchtesgaden, M. Müller dans les Grisons, Mme Schilling à SaintBlaise? M. Krakauer va à Berchtesgaden parce que beaucoup de ses connaissances s'y rendent comme lui régulièrement. De son côté, M. Müller sait que le canton des Grisons est très éloigné de Berlin et que c'est une destination à la mode. Enfin, Mme Schilling a entendu dire que l'air des Grisons était très bon à Saint-Blaise. Ils pourraient tous les trois intervertir leurs projets et leurs itinéraires, cela reviendrait exactement au même. On rencontre partout des connaissances, on trouve partout l'occasion de dépenser son argent, et l'Europe recèle un nombre immense de lieux où l'air est pur. Alors pourquoi choisir précisément Berchtesgaden? Ou Saint-Blaise? C'est là que réside la faille. Voyager devrait toujours représenter une expérience unique;
214
or, vivre quelque chose d'intéressant n'est possible que dans les lieux avec lesquels nous entretenons une relation particulière... « Celui qui fait preuve de bonne volonté découvre facilement de lui-même les modestes secrets de l'art du voyage. Il ne demande pas à boire de la bière de Munich à Syracuse, et si jamais il lui arrive d'en obtenir une, il ne dit pas qu'elle est fade et chère... Partout, il s'efforce d'être proche des habitants, de les comprendre. Il ne fréquente donc pas les compagnies de voyage internationales et ne loge pas dans les hôtels internationaux... « La poésie du voyage ne réside nullement dans la rupture apaisante avec la monotonie familière, le travail et les soucis, dans la rencontre fortuite avec d'autres gens et dans la contemplation d'images différentes. Elle ne réside pas non plus dans le contentement de la curiosité. Elle naît de l'expérience, c'est-à-dire de l'enrichissement intérieur, de la capacité à rattacher les choses nouvelles au tout, de la perception toujours plus aiguë de l'unité dans la diversité, de ce grand réseau qui unit la terre et les hommes. Elle naît de la possibilité de retrouver dans un contexte tout à fait différent des vérités et des lois anCIennes...
« Je n'ignore pas que la majorité des adeptes actuels du voyage d'agrément est composée de citadins fatigués, aspirant à sentir juste un moment la proximité rafraîchissante et consolatrice de la nature vivante. Ils aiment à parler de cette 'nature' et éprouvent une forme d'amour mi-craintif mi-protecteur. Mais où vont-ils la chercher, et combien la trouvent 7... « Mais cela suffit. Je voudrais juste ajouter que je ne crois pas à l'existence de ce 'talent pour le voyage' dont on entend si souvent parler. Les voyageurs pour lesquels un lieu inconnu devient très vite agréablement familier, qui savent en distinguer le caractère authentique et précieux, sont aussi ceux qui ont trouvé un sens à l'existence en général et s'entendent à suivre leur étoile...)). (Hermann Hesse, 1904, extraits de « Propos sur les voyages », in L'art de l'oisiveté, 2002, Paris, Calmann-Lévy, p. 29-42)
215
Liste des figures Fig. 1 - Les relations entre loisirs, récréation et tourisme Fig. 2 - Les relations entre les cadres spatial et temporel et le tourisme Fig. 3 - Les motivations multiples d'un voyage suscité par un déplacement d'affaires Fig. 4 - Les arrivées de touristes internationaux dans le monde selon l'O.M.T. (1950 - 2020) : un phénomène linéaire? Fig. 5 - Le tourisme à Boulogne-sur-Mer (mi-XVIIIè siècle début XXIè siècle) : un phénomène chaotique?
69 70 88 170 174
Liste des tableaux Tableau 1 - Arrivées et nuitées en hôtellerie de plein air dans les régions de la façade atlantique française (1994 - 2003)
172
Liste des encadrés Encadré n° 1 - Quelques avis sur l' « industrie» touristique Encadré n° 2 - Imaginons... Quelques nouvelles du monde « industriel» Encadré n° 3 - Touriste ou pas touriste? Encadré n° 4 - Quelques propos sur la complexité et le chaos tirés de J. Gleick (1989) et pouvant s'appliquer au tourisme
217
78 80 105 159
Table des matières
Introduction Dans la tourmente géographico-touristique...
-
7
Chapitre 1 De l'approche scientifique du tourisme
15
Quelle science? Quelles sciences? Prétention à l'universalité Le piège des mots L'interdisciplinarité Vers la création d'une nouvelle science, la « tourismologie » ? Déterminisme et possibilisme Un mot de méthodologie générale et particulière
15 18 23 27 29 31 43 50
Chapitre 2 - Du tourisme
57
S'efforcer de définir le tourisme Le tourisme et ses « cousins» Anthropologie et « pérégrinité » Le tourisme n'est décidément pas une « industrie» Qualifier le tourisme Le « tourisme d'affaires )) est du tourisme Le « flou )) en tourisme existe-t-il ? La notion d'habiter et le tourisme
57 63 71 76 81 83 89 96
-
Chapitre 3 Du touriste
99
Une identité officielle controversée Le touriste est-il un chercheur de « vide» ? Devenir touriste Le touriste est-il libre ? Touriste actif ou touriste motivé?
-
99 106 109 111 117
Chapitre 4 Des lieux touristiques
123
De quelques appréciations et définitions Mise en tourisme et touristification « Tout peut-il être touristique? » Provenance du touriste et centralité L'hébergement touristique De l'aménagement touristique Capacité de charge et limites du changement acceptable La notion de cycle
123 130 136 137 139 143 147 151
Chapitre 5 - De la complexité en tourisme
157
Une évidence qui s'impose: la complexité Le tourisme, un phénomène complexe Quelques jalons de base À petite échelle: la complexité masquée À échelle moyenne: la complexité dérangeante, mais pas insurmontable À grande échelle: la complexité chaotique Un essai d'interprétation Complexité, système, géographie du tourisme Tourisme et mouvements aléatoires Une aide à la sortie de querelles terminologiques ? Complexité touristique et acteurs Les caractères de la complexité touristique
220
158 160 164 168 171 173 177 181 182 185 186 189
-
Conclusion générale Vers un nouveau paradigme pour la recherche en tourisme?
193
Références bibliographiques
201
Annexe
213
Liste des figures
217
Liste des tableaux
217
Liste des encadrés
217
Table des matières
219
221
Tourisme et société à l'Harmattan
CAZES Georges Les nouvelles colonies de vacances? Le tourisme international à la conquête du Tiers Monde (Coll. Tourisme et Societé) 336p,27.45 € CAZES Georges Tourisme et Tiers-Monde. Un bilan controversé (Coll. Tourisme et Société) 1992, 207p, 19.85 €
PICARD Michel Bali. Tourisme culturel et culture touristique. (Coll. Tourisme et Sociétés), 1992,21 7p 19.85 € CAZES G., POTIER F. Le tourisme et la ville: expériences européennes (Coll. Tourismes et Sociétés), 1998, 2-7384-6725-3, 200p 16.80 € CUVELIER Pascal Anciennes et nouvellesformes de tourisme. Une approche socio-économique (Coll. Tourismes et Sociétés), 1998,2-7384-6993-0, 238p 19.85 € CUVELIER et autres Patrimoine, modèles de tourisme et développement local (Coll. Dossiers Sciences Humaines et Sociales), 1994, 224p 18.30 € DAWAILLY J.M, SOBRY C. Récréation, re-création: tourisme et sport dans le Nord-Pas-de-Calais. Pré! de Pierre Pierrard (Coll. Tourismes et Sociétés), 1997,2-7384-5565-4, 302p 24.40 €
FROIDURE Jean Du tourisme social au tourisme associatif (Coll. Tourismes et Sociétés), 1997, 2-7384-5618-9, 190p 16.80 €
MICHEL Franck (édit.) Tourismes, touristes et sociétés (Pré! de Georges Cazes) (Coll. Tourismes et Sociétés), 1998,2-7384-6444-0, 384p 27.45 € RICHEZ Gérard Parcs nationaux et tourisme en Europe 1992, 420p 33.55 € DU TOURISME SOCIAL AU TOURISME ASSOCIA TIF Jean FROIDURE Le tourisme social fTançais a vécu depuis quelques années des mutations telles que l'on n'emploie pratiquement plus ce terme, mais celui de «tourisme associatif». Que faut-il entendre par là ? Quel est l'avenir des associations de tourisme familial à vocation sociale? Comment s'organisent-elles pour y faire face? De leur côté, les associations de tourisme des jeunes se trouvent, elles aussi, confTontées à des problèmes analogues. L'ouvrage tente de faire le point sur la nouvelle politique sociale des loisirs et des vacances. (Collee. Tourisme et Sociétés, 16.80 €, 190 p)ISBN: 2-7384-5618-9 TOURISMES, TOURISTES ET SOCIETES Franck MICHEL (Ed) Préface de Georges CAZES Franck Michel nous propose une vingtaine d'articles s'intéressant aux questions de culture et de développement touristiques, aux implications culturelles, économiques, politiques et sociales engendrées par un secteur touristique en pleine activité. A l'aide d'études de terrain précises et d'analyses ou de synthèses originales, l'ouvrage offTeau lecteur, spécialisé ou non, un premier panorama complet d'une anthropologie du tourisme à la fTançaise en pleine effervescence. (Coil. Tourisme et Sociétés, 180! 384p.) ISBN: 2-7384-6444-0