Collection "Etudes d'Economie Politique" dirigée par D. Desjeux et M. Flandreau
Gilles
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Collection "Etudes d'Economie Politique" dirigée par D. Desjeux et M. Flandreau
Gilles
Jacoud
Le billet de banque en France (1796-1803) De la diversité au monopole
Editions L'Harmattan 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique 75005 PARIS
.-
Du même auteur:
La monnaie dans l'économie, Paris, Nathan, 1994
© L'Harmattan 1996 ISBN: 2-7384-4175-0
Collection Etudes d'Economie Politique dirigée par Dominique Desjeux et Marc Flandreau Depuis quelques années, les profondes mutations économiques et sociales qui bouleversent le monde ont mis en évidence le rôle central des institutions car elles sont tout à la fois les véhicules et les produits du changement: tout naturellement, l'étude des institutions occupe une place croissante dans l'analyse économique, tant dans les courants dominants que chez les "hétérodoxes" . Si les méthodes d'approche ou l'angle d'analyse varient d'une "école" à l'autre, ces courants ont aujourd'hui en commun le souci de faire une place plus grande aux sciences sociales, à l'histoire ou aux sciences politiques. L'objet de la collection Etudes d'Economie Politique est de servir de forum à un ensemble de monographies scientifiques qui participent de cette démarche, et qui s'attachent, au travers d'une réflexion tout à la fois théorique et empirique, à explorer les liens entre économie et institutions. Parus dans la même collection: Marc Flandreau, L'or du monde: la France et la stabilité du système monétaire international 1848-1873, 1995 Cécile Daubrée, Marchés parallèles et équilibres économique: les cas des pays d'Afrique sub-saharienne, 1995
INTRODUCTION La nécessité, pour l'économiste, de s'intéresser à l'histoire a été maintes fois soulignée. Les économistes les plus renommés ne se sont d'ailleurs pas contentés de reconnaître l'importance de l'histoire. Une partie de leur oeuvre est constituée de recherches à caractère historique!. L'intérêt des économistes contemporains pour l'histoire est aussi très vif. L'attribution en 1993 du prix de sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel à Douglass C. North et Robert W. Fogel, architectes d'une nouvelle histoire économique, ne fait que le confirmer. En France, les liens entre historiens et économistes sont particulièrement étroits et la réflexion sur la liaison entre économie et histoire ne manque pas de se développer2. Il n'est dès lors guère surprenant qu'un économiste puisse entreprendre un travail sur des événements qui se sont déroulés au cours d'une période particulière.
"Pas plus que l'interprétation des mécanismes économiques n'appartient aux seuls économistes, le temps passé n'est le monopole des seuls historiens."3 La présente recherche, qui correspond à la version allégée d'une thèse de sciences économiques 4, est centrée sur une période bien délimitée: le Directoire et le Consulat. La Révolution française a déjà donné lieu à de nombreux écrits, mais tous les événements qui ont marqué cette époque n'ont pas attiré avec le même éclat l'attention des chercheurs. Certains aspects de la vie politique, économique ou sociale ont encore été laissés dans l'ombre. C'est le cas de l'histoire financière qui, comme le relève Michel Bruguière, "ne semble guère intéresser les
1. Michel Beaud, qùi évoque ces "maîtres selon lesquels l'économie politique ne pouvait qu'avoir une dimension historique", souligne l'intérêt de la démarche adoptée par "ces grands fondateurs - Turgot, Smith, Mill, Marx, Schumpeter, Keynes, Perroux, ... - dont la réflexion théorique était nourrie d'un long travail sur l'histoire" (M. Beaud, "Economie, théorie, histoire: essai de clarification", Revue économique, nO 2, mars 1991, p. 157). 2. Voir notamment le numéro spécial de la Revue économique précité. La question des rapports entre économie et histoire est abordée, outre Michel Beaud, par Immanuel Wallerstein ("A Theory of Economic History in Place of Economic Theory ?", p. 173-180) ainsi que par Pierre Dockès et Bernard Rosier ("Histoire 'raisonnée' et économie historique", p. 181-208). L'histoire du débat économie-histoire est d'autre part étudiée dans ce même numéro par Philippe Gilles et Jean-Pierre Berlan ("Economie, Histoire et genèse de l'économie politique", p. 367-393), Richard Arena ("De l'usage de l'histoire dans la formulation des hypothèses de la théorie économique", p. 395-409), ainsi que par Alain Arnaud, Michel Barillon et Mohammed Benredouane ("Esquisse d'un tableau historique de la neutralisation de l'histoire dans l'économie politique libérale", p. 411-436). Voir aussi les actes du colloque d'économie historique, organisé à Paris Oussieu) par les Universités de Paris II, Paris VIII et Paris XI les 1-2 décembre 1994, à paraître dans Economies et sociétés. 3. J.-M. Servet, Idées économiques sous la Révolution. 1789-1794, Lyon: Presses Universitaires de Lyon, 1989, p. 30-31. 4. G. Jacoud, La monnaie fiduciaire: d'une émission libérée ail privilège de la Banque de France (26 octobre 1795 - 14 avril 1803), Thèse pour le doctorat en Sciences économiques soutenue le 5 novembre 1990, Université Lyon 2, 646 p.
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Introduction spécialistes de la Révolution et de l'Empire"s. Alain Plessis dresse un constat identique po~r l'histoire bancairé en notant que "la plupart des historiens n'ont évoqué les banquiers qu'en reproduisant les diatribes des sa~s-culottes les accusant d'être à la solde de Pitt[71"s. Une recherche sur ce thème est donc non seulement possible, mais souhaitable. Aborder les questions financières et monétaires au cours de la Révolution française, c'est évoquer inévitablement les assignats, cette nouvelle monnaie que l'on associe aux événements les plus prestigieux des années qui suivent la fin de l'Ancien Régime, mais à qui l'on attribue aussi les pires maux. L'écho que rencontre encore aujourd'hui l'évocation des assignats a cependant éclipsé une autre réalité. On oublie que c'est dans ce contexte que le billet de banque fait son apparition en France. Le pays avait certes déjà tenté des essais pour faire jouer un rôle monétaire au papier, avec le système de Law au début du XVIlle siècle puis avec les billets de la Caisse d'escompte un demi-siècle plus tard. Mais ces expériences se soldent par la disparition tragique des institutions émettrices. A la fin du XVIlle siècle, le billet de banque fait une nouvelle apparition qui est cette fois définitive. Il participe depuis deux siècles à la circulation monétaire. La nature du billet de banque diffère fondamentalement de celle de l'assignat. Celui-ci constitue un véritable papier-monnaie, c'est-à-dire un papier auquel l'Etat donne une valeur nominale afin d'en imposer l'usage dans les paiements9. 5. M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, Paris: Olivier Orban, 1986, p.195. 6. Herbert Lüthy établit une distinction entre financiers, qui s'occupent des impôts et de la monnaie, et banquiers, dont l'activité porte sur le crédit gagé sur des lettres de change et autres papiers. (H. Lüthy, La banque protestante en France, de la révocation de l'édit de Nantes à la Révolution, Paris: SEVPEN, 1959, t. l, p. 111.) Il reprend la spécificité de la finance et de la banque dans le second tome de l'ouvrage (1961). La finance "est liée corps et ame au régime établi, l'autre lui est étrangère". La banque "est une profession libre et ouverte à tous". (Ibid., t. 2, p. 774.) Jean Bouvier reprend cette distinction en notant que la banque "était profession
libre relevant des activités du négoce national et international. Ce statut la distinguait de la Hfinance H(et rks "financiers H), qui avait trait à la trésorerie de l'Etat et à l'administration fiscale." a. Bouvier, Un siècle de banque française, Paris: Hachette littérature, 1973, p. 78.) Il avance que la Révolution amène la perte d'influence des financiers au profit des banquiers, ce que notre travail contribue aussi à montrer en analysant le développement des activités bancaires à partir du Directoire. Charles P. Kindleberger consacre une partie de son Histoire financière de l'Europe occidentale (Paris: Economica, 1986,610 p.) à la banque (p. 83-177) et une autre à la finance (p. 179-335). 7. Premier ministre britannique, William Pitt est supposé animer toutes les coalitions nouées contre la France révolutionnaire. 8. A. Plessis, "La Révolution et les banques en France: de la Caisse d'escompte à la Banque de France", Revue économique, nO 6, vol. 40, novembre 1989, p. 1001. Cet article reprend une contribution au colloque organisé organisé à Bercy les 12-13-14 octobre 1989 par le Comité pour l'Histoire Economique et Financière de la France: "Finances et Economie
pendant la Révolution: un Etat qui s'organise". 9. "Le papier-monnaie, véritable monnaie du fait du Prince, monnaie par décret (Fiat money), inconvertible, doit etre nettement distingué du billet de banque classique, fondé sur le crédit et la confiance en la banque d'émission, institution privée." (B. Courbis, "Comment l'Etat confère
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Diffusé autoritilirement, il n'est pas remboursable en métal. L'utilisation du billet de banque repose sur ùoe autre logique. Dans un système où les règlements sont assurés par la monnaie métallique, il s'agit d'un papier représentatif d'une somme et dont le porteur peut à tout instant exiger le paiement en or ou en argent auprès de l'institut d'émission. C'est donc une monnaie fiduciaire 1o, c'est-à-dire fondée sur la confiance de son détenteur dans la capacité de la banque à assurer la conversion en métal. Alors que le papier-monnaie tire sa légitimité de la monétisation de la dette publique, le billet de banque est une véritable promesse de métal. La distinction entre les deux types de monnaie n'est pas toujours clairement perçue. Bernard Courbis rejette l'analogie que semblent faire Boris P. Pesek et Thomas R. Savingl l entre billet de banque et ''fiat money"12. Plus récemment, Serge Chassagne note que l'action des banques créées sous le Directoire a "réhabitué le milieu des affaires de la fin du XVIIIe siècle à l'usage du papiermonnaie"13. La confusion est ici manifeste. Si les billets de banque sont bien acceptés par les hommes d'affaires, c'est justement parce qu'ils ne sont pas du papier-monnaie, mais la représentation d'une quantité de métal qu'il est possible d'obtenir immédiatement sur demande aux guichets de la banque émettrice. Cette faculté à être converti en or ou en argent sur simple présentation justifie pleinement l'appellation de monnaie fiduciaire pour le billet de banque. Bernard Schmitt parle même d"'or fiduciaire"14 à propos des billets convertibles. Le sens dans lequel nous utilisons l'expression mérite toutefois d'être précisé. Peut-on qualifier une monnaie de fiduciaire dès l'instant où elle bénéficie de la confiance de l'utilisateur? Répondre par l'affirmative, c'est lui donner une définition large pouvant même s'appliquer à toute monnaie, comme le souligne Michel Aglietta. "Quelle est donc la source de l'acceptation générale de la monnaie? Rien d'autre que la confiance. [... ] Ainsi, toute monnaie est-elle, en dernière instance,
la qualité monétaire à un avoir? De la notion de cours à la notion de pouvoir libératoire légal", in : Droit et monnaie, Etats et espace monétaire transnational, Dijon: CREDIMI, 1988, p.37.) 10. Du latinfidllcia : confiance. 11. B. P. Pesek, T. R. Saving, Money, wealth and economic theory, London: Macmillan Company, 1967, p. 78. 12. B. Courbis, La production dans le domaine monétaire et financier : effet de richesse ou effet de répartition ?, Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 1, avril 1975, p.24-26. "Rappelons que le mon latin "fiat" signifie "qu'il soit fait" ; le terme est utilisé par la
langue anglaise pour qualifier l'ordre donné par le pouvoir (décret) ; "fiat money" signifierait alors "monnaie par décret"." (Ibid., p. 57.) 13. S. Chassagne, "Le négoce et la banque", in: M. Vovelle, L'état de la France pendant la Révolution (1789-1799), Paris: La Découverte, 1988, p. 313. 14. B. Schmitt, "Nature de la monnaie: une approche économique", in : Droit et monnaie, op. cit., p. 66.
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Introduction fiduciaire. "15 Nous devons toutefois retenir une définition plus restrictive de la monnaie fiduciaire pour dégager la spécificité d'une monnaie acceptée librement, par opposition à une monnaie imposée par le pouvoir politique. Toute monnaie acceptée sans contrainte ne se ramène cependant pas nécessairement aux billets. "Il n'est pas exclu, contrairement à une idée largement répandue qui veut que la
monnaie fiduciaire soit une invention du XIXe siècle, que cette forme de monnaie ait existé depuis l'aube des civilisations."16 Quant à la monnaie contemporaine, elle est constituée en partie par cette monnaie dont la définition est parfois étendue aux pièces. Cette expression appliquée à nos moyens de paiement contemporains, qu'elle soit limitée aux billets ou étendue aux pièces, peut apparaître comme paradoxale depuis l'inconvertibilité des billets. "La monnaie fiduciaire était une dette (ou
une créance) au sens courant du terme : engagement de livrer un bien précisé par contrat (ou droit d'obtenir cette livraison)."17 Plus précisément, le billet est au départ un engagement de la banque à fournir du métal au porteur sul' simple présentation. En ce sens, c'est plutôt la monnaie scriptural~ qui mériterait aujourd'hui d'être qualifiée de monnaie fiduciaire, puisque le titulaire d'un compte est censé pouvoir transformer sans difficulté son solde créditeur en espèces, de même qu'auparavant le détenteur de billets pouvait les convertir à vue en métal 18. Il nous faut toutefois cerner avec précision ce que nous englobons sous cette appellation dans un système où les échanges sont largement assurés par la monnaie métallique. Les billets de banque sont incontestablement de la monnaie fiduciaire au sens étymologique du terme dès lors que leur circulation repose sur une libre acceptation favorisée par la convertibilité. Cela ne signifie pas que l'émetteur soit à même de transformer en métal à tout moment l'intégralité du papier en circulation. L'octroi de crédits amène les banques à créer des billets pour un montant supérieur à leur encaisse métallique19. Elles n'assurent pas une simple "gestion de vestiaire"20 qui consisterait à émettre du papier pour un montant strictement équivalent à l'encaisse métallique, ce qui reviendrait à assimiler 15. M. Aglietta, "L'ambivalence de l'argent", Revlle française d'économie, vol. 3, été 1988, p.99. 16. J.-L. Herrenschmidt, "Histoire de la monnaie", in : Droit et monnaie, op. cit., p. 17. 17. J. Bichot, "La monnaie-dette : un choix entre deux interprétations", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 7, octobre 1978, p. 31. 18. Courbis estime toutefois que malgré son inconvertibilité, la monnaie émise par la banque centrale se rapproche plus d'une monnaie de banque que d'une monnaie d'Etat. (Courbis, "La production dans le domaine monétaire....., op. cit., p. 21.) 19. L'extension du crédit est à la base de la création d'une monnaie qui se détache du métal. On verra sur ce point B. Courbis, "L'antinomie paiement-crédit et la formation de la monnaie moderne", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 15, juin 1985, p.113-142. 20. R. Harrod, La monnaie, Paris: Dunod, 1971, p. 22.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 chaque billet à un ticket représentatif d'une somme stockée en caisse. Tant que cette émission n'est pas exagérée, c'est-à-dire tant que la banque peut continuer à faire face aux demandes de remboursement malgré un montant de papier en circulation supérieur à la valeur de l'encaisse, la confiance est maintenue. Mais si l'émetteur, à la suite d'une diffusion de papier inconsidérée, s'avère incapable de satisfaire les demandes de paiement, cette confiance peut s'estomper. De nouvelles demandes de remboursement se manifestent, et si les actifs détenus par la banque sont insuffisamment liquides pour lui permettre d'assurer les conversions, elle se trouve contrainte de cesser ses paiements. Ce phénomène de panique bancaire, dans lequel les acteurs adoptent un comportement de mimétisme, amène, par un effet boule de neige, l'effondrement de la confiance sur laquelle reposait la circulation des billets21 . L'Etat a la possibilité d'éviter la liquidation de la banque en la dispensant d'assurer les remboursements en métal. La circulation des billets peut être maintenue. Le client de la banque conserve son billet non pas parce qu'il le considère comme un substitut pratique à un métal qu'il peut exiger à tout moment, mais parce qu'il lui est désormais impossible de le transformer en monnaie métallique. La suppression de la convertibilité porte en elle le risque d'une paralysie des paiements. Quel commerçant prendra le risque d'accepter en paiement un billet s'il sait qu'il ne peut plus obtenir en contrepartie l'or ou l'argent qu'il considère comme la véritable monnaie, et s'il craint d'avoir du mal à s'en défaire? Cette menace est supprimée par l'institution du cours légal qui accompagne l'inconvertibilité et qui dote le billet d'un pouvoir libératoire 22 . Un créancier est tenu de l'accepter en paiement. L'inconvertibilité devient ainsi un moindre mal. Les billets ne donnent plus automatiquement droit à un montant équivalent de monnaie métallique, mais ils peuvent servir à règler des dettes. Dans la mesure où leur circulation est imposée par l'autorité politique, on peut considérer que leur caractère de monnaie fiduciaire s'est atténué.
21. Le danger de panique bancaire persiste dans les économies contemporaines. Tout comme au siècle précédent un mouvement de défiance pouvait provoquer un afflux de demandes de conversion des billets en métal, la panique peut amener de nos jours les clients d'une banque à retirer leurs dépôts. Dans le schéma le plus simple, il s'agit alors d'une conversion massive de monnaie scripturale en monnaie fiduciaire, laquelle justifie dans ce cas pleinement son appellation. Le concept de panique bancaire fait désormais l'objet d'une modélisation. On pourra sur ce thème se reporter à un article de François Marini, "Les fondements microéconomiques du concept de panique bancaire: une introduction", article présenté aux Septièmes journées internationales d'économie monétaire et bancaire organisées à Caen les 11-12 juin 1990 par le Laboratoire d'Etudes et de Recherches Economiques et le G. D. R. "Monnaie et Financement", 23 p. 22. Le recours à l'inconvertibilité pour les billets de la Banque d'Angleterre en 1797 ne s'accompagne toutefois pas de l'attribution du cours légal. Mais le risque lié à l'acceptation d'un tel papier est alors limité du fait d'un engagement collectif des marchands londoniens à continuer à les accepter en paiement.
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Introduction Le billet convertible constitue donc la véritable monnaie fiduciaire circulant en complément de la monnaie métallique23• Le billet inconvertible reçoit déjà l'un des attributs du papier-monnaie, bien que les conditions de son émission ne permettent pas de l'assimiler entièrement à celui-ci24 . La circulation monétaire ne se ramène toutefois pas uniquement à la monnaie métallique et au papier. Les paiements courants sont réalisés à l'aide de pièces dont la valeur intrinsèque est inférieure à la valeur légale. C'est essentiellement le cas de pièces .constituées d'alliages de cuivre. Bichot retient l'idée d"'un monnayage "semi-fiduciaire",
c'est-à-dire un monnayage dans lequel la quantité de cuivre utilisée, sans être absolument sans importance, n'a pas une importance exclusive par rapport au chiffre gravé sur le flan"25. Pour cette monnaie qui peut être comparée à notre monnaie divisionnaire moderne26, nous reprendrons plutôt l'expression monnaie de billon couramment utilisée. Nous réserverons l'appellation monnaie fiduciaire aux billets de banque. La réalité de ce qu'est la banque à la fin de la période révolutionnaire mérite aussi d'être précisée. Sous le Directoire comme sous le Consulat, les établissements bancaires sont habituellement divisés en deux catégories : les banques de dépôts et les banques de circulation. Les premières gèrent les comptescourants de leur clientèle et accordent des prêts sur nantissement27• Les secondes, outre ces opérations qu'elles peuvent aussi réaliser, mettent en circulation des billets de banque à l'occasion de l'escompte d'effets de commerce. C'est seulement à cette seconde catégorie que nous ferons référence en parlant des banques d'émission ou plus simplement des émetteurs. Dans le langage courant de l'époque, le mot banque tend à s'appliquer essentiellement aux banques d'émission. Ainsi, au début du Directoire, lorsque les milieux d'affaires ou le pouvoir politique plaident pour la libre constitution de banques, il s'agit en fait des banques de circulation. De même, sous le Consulat, la remise en question de la liberté des banques est une contestation de la pluralité des banques d'émission. Nous conserverons cette approche tendant à assimiler une banque à une banque d'émission dans la mesure où notre étude est centrée sur les émetteurs de billets et non sur tous les établissements qui réalisent des opérations à caractère bancaire. Nous ne devons toutefois pas ignorer leur existence. A la fin de la Convention, 23. Le billet n'est alors pas véritablement considéré comme de la monnaie, mais plutôt comme un droit d'obtenir de la monnaie. A la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, dans l'esprit du public, la "vraie" monnaie est le métal. 24. Les billets de la Banque d'Angleterre, rendus inconvertibles à partir de 1797, ne sont pas véritablement considérés comme du papier-monnaie. Cf infra, p. 206. 25. J. Bichot, "Les monnaies métalliques comme support d'une information numérique", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, n° 13, mars 1983, p. 54. 26. De même que le pouvoir libératoire de notre monnaie divisionnaire est limité, nous verrons que l'utilisation de la monnaie de billon dans les paiements est plafonnée par l'Etat. Cf infra, p. 94-95. 27. L'emprunteur cède au banquier un bien qui lui sert de gage jusqu'au remboursement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
dans un contexte où les banques d'émission sont prohibées, des banquiers exercent néanmoins leur activité et des maisons de banque accordent des prêts 28 . L'interdiètion d'émission de billets de banque imposée par le gouvernement révolutionnaire a pénalisé le développement de la monnaie fiduciaire en France. Sous le Consulat, la circulation de cette monnaie bancaire est encore particulièrement réduite en comparaison avec le niveau qu'elle atteint en Angleterre 29 • On est alors tenté d'établir un parallèle entre le développement économique de ce pays qui s'industrialise et devient la première puissance économique mondiale, et l'extension de l'usage de la monnaie bancaire qui le caractérise. Doit-on pour autant expliquer la réussite économique par le développement des banques? Maurice Lévy-Leboyer a soulevé le problème30 . Il s'appuie sur des comparaisons statistiques31 et relève qu'en Angleterre et en Ecosse, la pénurie de numéraire a entraîné l'apparition et la multiplication des banques. Mais leur impact sur le développement industriel est peut-être limité. "Les banques ont-elles matériellement aidé l'industrie par leurs cash credits et leurs escomptes ? Certains exemples le donnent à penser, mais l'analyse globale laisse place à un doute. En 1801, les country banks étaient d'autant moins denses
que les régions étaient plus industrialisées: on en trouvait 29 dans le LancashireCheshire et dans le pays de Galles, soit 0,19 et 0,22 par 10 000 habitants, contre 383 (0,48 pour 10 000 habitants) dans l'ensemble du pays."32 Cette constatation conduit Lévy-Leboyer à contester l'impact du développement bancaire sur l'industrialisation 33 . Les banques écossaises, qui ont très tôt su étendre la circulation de leurs billets, comme les banques anglaises, paraissent avoir beaucoup plus placé leurs disponibilités dans des fonds publics qu'investi dans l'industrie. L'industrialisation plus tardive des autres pays confirme cette constatation. "Le même fait (absence de liens entre la croissance et la "monnaie de
28. L'absence d'émission de billets constitue toutefois un frein à la distribution du crédit. 29. Les billets représentent alors 5 % de la masse monétaire en France contre 50 % en Angleterre et au Pays de Galles. Cf infra, p. 34-35.
30. "Il est probable que la présence d'institutions financières, celle des banques en particulier facilite la collecte et le placement de l'épargne disponible et qu'elle constitue de ce fait un facteur important de la croissance. Mais s'agit-il d'un moteur de l'industrialisation ou d'une résultante? Le banquier est-il un initiateur indispensable, ou bien apparaft-il quand certaines transformations sont déjà en cours ou m€me lorsqu'une économie a dépassé le stade de la maturité ?" (M. Lévy-Leboyer, "Le rôle historique de la monnaie de banque", Annales: Economies, Sociétés, Civilisations, janvier-février 1968, p. 1.) 31. R. Cameron, O. Crisp. H.-T. Patrick et R. Tilly, Banking in the early stages of industrialisation. A study in comparative economic history, New-York: Oxford University Press, 1967, 349 p. 32. Lévy-Leboyer, op. cit., p. 2.
33. "Peut-on conclure à l'utilité des billets et des dépOts pendant la phase d'industrialisation active? Il ne le semble pas. D'abord, l'emploi de ces instruments monétaires s'est généralisé, certes, mais à une date tardive: une fois terminée la période dite du take-off." (Ibid.)
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Introduction banque") se retrouve dans les pays voisins. [... ] L'expansion économique se serait donc accélérée bien avant que le système bancaire ne prenne une forme moderne."34 Lévy-Leboyer est donc sceptique quant à l'impact de la monnaie de banque sur le processus d'industrialisation. Il pose en fait la question de savoir si les institutions peuvent expliquer la réussite économique. La simultanéïté du développement bancaire et de l'industrialisation, lorsqu'elle peut être repérée, n'implique pas que l'un soit à l'origine de l'autre. L'auteur en veut pour preuve le Japon où l'industrialisation s'est faite sans recours aux crédits bancaires. "Ici et en
Angleterre, le développement de la monnaie de banque a donc coïncidé avec celui des industries, mais pour des raisons étrangères à l'industrialisation et sans que son caractère bénéfique ait été démontré. "35 Sa conclusion est sans appel. "Ceci prouve, s'il en est encore besoin, que les banques, au sens strict, et la monnaie de banque ne sont que des instruments accessoires de la croissance économique. "36 Les banques accompagneraient la croissance économique mais n'en seraient pas nécessairement à l'origine. Adolphe Thiers laissait même entendre que c'était la croissance qui appelait la création des banques, lesquelles contribuaient à leur tour à asseoir la croissance. "Les banques doivent s'établir; elles résultent d'une
prospérité antérieure, servent puissamment à l'accroître, mais ne la précèdent pas; car la création des produits doit précéder leur circulation. "37 Le raisonnement de Thiers laisse toutefois croire que les banques sont sans effet sur le niveau de la production, ce qui est contestable dans la mesure où la distribution des crédits aux entrepreneurs peut contribuer à accroître l'offre des produits. Plus près de nous, dans un ouvrage réalisé sous la direction de Jean Bouvier, Patrick Fridenson et André Straus contestent l'incidence de l'activité bancaire sur l'essor économique. "Les banques ne conduisent pas à la croissance. [... ] Elles ne peuvent
être qu'accompagnatrices. "38 L'idée selon laquelle l'industrialisation ne devrait rien au système bancaire peut être remise en question. Etudiant la formation du capital en GrandeBretagne pendant la Révolution industrielle, François Crouzet en vient à rejeter cette hypothèse d'une neutralité des banques dans le processus de croissance39 . Il y 34. Ibid., p.3. 35. Ibid., p. 6. 36. Ibid., p. 8. 37. A. Thiers, Histoire de Law, Paris: Hetzel, 1858, p. 17. 38. P. Fridenson, A. Straus, Le capitalisme français. X/Xe-XXe siècle. Blocages et dynamismes d'une croissance, Paris: Fayard, 1987, p. 197. 39. F. Crouzet, De la supériorité de l'Angleterre sur la France, Paris : Librairie Académique Perrin, 1985, pp 120-167. "On a admis longtemps que le système bancaire anglais, malgré son précoce développement, n'avait joué aUClln rôle direct dans le financement de la Révolutioll industrielle; les travaux récents Ollt I1Itancé cet/e opillion, ell montrant ql/e les banques ont appuyé assez sOI/vent l'expansion des entreprises existantes, comme on le verra plus loill." (Ibid., p. 144.) "D'ailleurs, le développement du crédit dans son ensemble et celui du système bancaire, qui accompagllèrent la Révolution industrielle, facilitèrent indirectement la
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 a certainement des relations de cause à effet entre l'extension des activités de banque et la croissance économique. Le développement des affaires appelle le crédit que les banques accordent par l'émission de billets, et cette distribution de crédit contribue à la croissance40 . Cette absence d'unanimité des contemporains à propos des effets de l'activité des banques sur l'économie laisse deviner qu'il y a deux siècles la question était déjà débattue. Les circonstances de l'apparition des premières banques conduisant à l'utilisation des billets ont paradoxalement été jusqu'ici laissées dans l'obscurité41 . On tend à attribuer à Bonaparte la création d'une Banque de France qui se serait mise à assurer la diffusion des billets dans un cadre où toute polémique paraît exclue. L'établissement serait, comme bien d'autres institutions, le fruit du génie du Premier Consul. Cette mise en place par un gouvernement autoritaire présente alors la commodité d'éviter de s'interroger sur les conflits qui auraient pu l'amener ou lui faire suite. La réalité des débuts de l'utilisation du billet de banque en France est beaucoup plus complexe et nécessite une étude détaillée des faits et débats qui accompagnent son apparition. C'est elle qui fait l'objet de notre recherche. Etudier les conditions de la mise en circulation des premiers billets de banque, c'est d'abord remettre en question un certain nombre d'idées reçues sur le rôle de la monnaie de papier. On tend ainsi à expliquer cette forme dématérialisée de monnaie par le besoin de trouver un substitut commode au métal. Le billet éviterait le transport d'un métal lourd et encombrant, éliminerait les phénomènes d'usure volontaire ou involontaire des pièces qui en réduisent la valeur intrinsèque, et se révélerait ainsi un outil plus approprié pour réaliser les paiements. Si cette dimension n'est pas absente dans les raisons qui amènent le remplacement du métal par le papier, il ne faut pas oublier que c'est une raison beaucoup plus profonde qui, à un moment donné de l'histoire, pousse à adjoindre à
formation du capital. Que les industriels aient été à même, d'un côté d'acheter à crédit leurs matières premières, de l'autre d'obtenir des avances de la part des facteurs et négociants par lesquels ou auxquels ils vendaient leurs marchandises, leur permettait de se procurer une partie de leur capital circulant et d'investir en capital fixe une plus grande partie de leurs ressources propres." (Ibid., p. 151.) 40. Les arguments qui plaident en faveur de la constitution de banques au début du Directoire visent à les présenter comme sources de richesses pour le pays. D'autre part, la suppression des concurrents de la Banque de France en 1803 semble nuire à l'activité économique. (Cf infra, p. 284-285.) 41. Cette constatation tend à confirmer la remarque de Charles de Croisset. "On connaît plutôt mieux l'histoire de la monnaie que celle de la banque." ("Si les banques venaient à disparaître quelles seraient les raisons de les réinventer", Banque, janvier 1983, p. 7.) 11 serait toutefois plus judicieux de considérer que l'histoire bancaire est une composante de l'histoire monétaire au lieu de les présenter comme deux ensembles séparés.
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la monnaie métallique en vigueur une monnaie additionnellé2 . Et pour mettre en évidence cette raison, il faut observer les circonstances de l'émission des billets. C'est au moment où elle escompte des effets de commerce que la banque d'émission met en circulation des billets. Bien qu'étant une promesse de recevoir du métal sur simple présentation aux guichets de la banque, le billet ne peut néanmoins plus être considéré comme l'équivalent d'une quantité de métal qui aurait circulé à sa place. Car si les détenteurs de ces billets se gardent de les présenter au remboursement, la banque peut alors en émettre pour un montant supérieur à celui de son encaisse métallique. On voit dès lors l'intérêt fondamental que procure l'usage d'une monnaie de papier. Loin de se contenter de remplacer une forme de monnaie par une autre, elle permet d'en accroître la masse. Le facteur essentiel qui pousse à l'utilisation d'une monnaie plus dématérialisée, c'est le besoin de crédit. S'il n'est pas possible d'accroître la masse de monnaie en circulation du fait d'un stock de métal limité, l'introduction progressive du papier dans cette circulation permet de l'étendre. Le billet est donc un instrument que créent les banques d'émission pour distribuer le crédit. Remplacer le métal par le papier n'est pas une fin en soi. Le papier n'est qu'un moyen d'accorder des crédits supplémentaires en augmentant la masse monétaire. Dès l'instant où la création de billets est intimement associée à l'octroi de crédits, son existence devient un enjeu. Divers acteurs ont intérêt, dans un système métallique, à voir se constituer une banque d'émission. Ce sont tout d'abord les banquiers eux-mêmes qui peuvent étendre leur activité par l'intermédiaire d'un établissement qui facilitera l'accès au crédit, et donc multipliera les opérations de prêts et les perspectives de bénéfices qui leur sont associées. Ce sont aussi les bénéficiaires potentiels du crédit, producteurs et commerçants, qui pourront trouver des possibilités de financement avantageuses dans un système où le recours des particuliers au crédit n'est pas organisé autrement que de manière très archaïque. C'est enfin l'Etat qui, dans une situation où les obligations de dépenses se font toujours plus pressantes alors que les recettes sont de plus en plus difficilement assurées, peut rechercher l'aide d'une institution susceptible de lui procurer des avances. Les exigences de ces différentes catégories d'agents expliquent qu'à l'automne 1795 le Directoire en vienne à abroger l'interdiction des banques d'émission
42. Expliquer l'apparition du billet de banque par la commodité du papier dans les paiements par rapport au métal, c'est méconnaître la réalité historique. Les pressions les plus fortes en faveur de la constitution de banques d'émission s'exercent au début du Directoire, c'est-à-dire à un moment où la circulation monétaire est déjà assurée par des papiers, en l'occurrence les 'Jssignats (remplacés en 1796 par les mandats territoriaux). L'histoire nous amène donc à considérer avec réserve ce type d'explication traditionnelle. Si l'utilisation du billet est envisagée, c'est qu'il remplit d'autres fonctions que l'assignat et peut le remplacer avantageusement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 imposée par la Convention43 • Des banques peuvent être librement constituées et le monde des affaires commence à recueillir les fruits de la liberté d'émission avec l'ouverture en juin 1796 de la Caisse des comptes courants. L'établissement est de dimension modeste si on le compare au projet, développé pendant l'hiver 17951796, d'un grand institut d'émission destiné à assurer la circulation de la monnaie de papier à l'échelle nationale. Il répond néanmoins aux attentes des banquiers auxquels il permet de faire escompter des effets de commerce à un taux avantageux. Cet établissement aujourd'hui méconnu se transforme en 1800 en une institution au nom plus prestigieux : la Banque de France. La naissance de cette première banque, son fonctionnement et sa transformation feront l'objet du premier chapitre (De la Caisse des comptes courants à la Banque de France). La liberté d'émission implique que la porte est ouverte à la création non pas d'un mais de plusieurs émetteurs. En cette période de transition entre deux siècles, ce sont en effet plusieurs établissements qui assurent la circulation de la monnaie de papier à Paris. La capitale compte ainsi divers organismes qui émettent des billets aux caractéristiques spécifiques, selon une logique qui leur est propre, destinés à des clientèles différentes. Un deuxième chapitre (Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes) étudiera les trois principaux établissements qui assurent une circulation fiduciaire et dont la conception du billet s'éloigne de celle la Banque de France. La circulation fiduciaire ne se limite pas à Paris, même s'il est vrai qu'elle concerne surtout la capitale, et les billets utilisés ne sont pas uniquement des papiers convertibles en or ou en argent. Des banques émettent des billets convertibles en monnaie de billon, à Paris comme en province. En outre, à Rouen, une banque met en circulation des billets convertibles en monnaie métallique à partir de modalités comparables à celle de la Caisse des comptes courants puis de la Banque de France sur Paris. La circulation de ces différents papiers, comme celle des établissements évoqués précédemment, ne vient pas simplement se juxtaposer avec celle de la Banque de France. Ces banques ont établi des relations avec la Banque de France qu'il conviendra de développer dans un troisième chapitre sur les autres émetteurs (Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France). Les circonstances qui amènent l'octroi d'un monopole à la Banque de France n'ont, jusqu'à ce jour, fait l'objet d'aucune étude approfondie. Elles sont d'autant plus ignorées que les établissements qui font les frais de l'attribution de ce privilège d'émission sont encore largement méconnus. Et lorsque exceptionnellement l'événement est évoqué, c'est de manière brève et la plupart
43. Sur ce point, cf G. Jacoud, "Du papier· monnaie au billet de banque: les difficultés d'une transition", Etl/des et docl/ments, n° 7, Ministère de l'économie - Ministère du budget, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1995, p. 101-170.
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Introduction
du temps erronée44 • Le quatrième chapitre (La remise en question de la liberté d'émission) a pour objet d'éclairer les circonstances qui amènent à incriminer un système caractérisé par la coexistence de plusieurs émetteurs. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, ce n'est pas la puissance publique qui prend l'initiative de mettre en cause l'existence de diverses institutions. C'est la Banque de France qui entreprend les premières démarches. Nous expliquerons cette hostilité des dirigeants de la Banque de France à la pluralité des émetteurs et les réactions contre ses propositions. Cette contestation de la Banque de France trouve un écho favorable auprès du pouvoir, ce qui explique que ces revendications aboutissent à un projet de loi. Mais l'Etat lui-même ne doit pas être considéré comme une entité uniforme. Bonaparte ne prend pas ses décisions sans recueillir l'avis de conseillers dont les positions ne sont pas forcément convergentes. Un cinquième chapitre (Vers un projet de loi sur l'unité d'émission) étudiera donc les analyses du chef de l'Etat et des membres de son entourage qui jouent un rôle dans l'élaboration d'un projet de loi destiné à conférer à la Banque de France le privilège d'émission. Organiser le privilège n'est pas une opération simple dans la mesure où de nombreux intérêts sont en jeu. Les intérêts de la Banque de France ne se confondent pas nécessairement avec ceux de l'Etat, et l'élaboration du projet donne lieu à de multiples pressions. Les modifications apportées au texte de ce projet reflètent l'évolution des rapports de force et la prise en considération de diverses revendications. Les conditions qui entourent l'octroi du privilège sont d'ailleurs loin d'entraîner l'adhésion des dirigeants et actionnaires de la Banque de France. C'est en fait à un établissement en situation difficile que la loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) attribue le privilège d'émission sur Paris, ce que nous verrons dans un sixième chapitre (Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise).
44. En une seule phrase, Florin Aftalion accumule par exemple plusieurs contre-vérités.
"En 1799, lorsqlle fllt créée SOIIS le Conslliat la Banqlle de France, les pills importantes d'entre el/es [les banques), la Caisse d'amortissement, la Caisse d'escompte et le Comptoir commercial, fllsionnèrent avec elle." (F. Aftalion, L'économie de la Révollltion française, Paris: Hachette, 1987, p. 235.) Si le Consulat se met effectivement en place en 1799, nous verrons que la Banque de France n'est pas fondée à cette date. D'autre part, la Caisse d'amortissement, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, n'est en rien une banque d'émission et, à ce titre, une fusion avec la Banque de France n'est pas envisageable. Quant à la Caisse d'escompte, c'est un établissement qui fonctionnait avant la Révolution et qui est supprimé en 1793. S'il est vrai qu'il existe bien une Caisse d'escompte du commerce, celle-ci ne peut pas fusionner avec une Banquéde France qui en 1799 n'existe pas encore sous cette appellation. Enfin, pour ce qui est de l'idée selon laquelle les principales banques ont fini par fusionner avec la Banque de France, nous verrons dans quelle mesure elle doit être corrigée.
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CHAPITRE 1 De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Une banque d'émission, la Caisse des comptes courants, ouvre ses portes au cours de l'été 1796 et diffuse ses billets en escomptant des effets de commerce (1). Moins de quatre ans plus tard, elle se fond dans la Banque de France qui vient officiellement de se constituer. Il nous faut nous demander ce qu'est alors susceptible d'apporter cette Banque de France (II) avant de nous arrêter sur les circonstances de sa création (III).
I. La Caisse des comptes courants Alors que le Directoire avait renoncé à mettre en place une banque d'envergure nationale 1, un établissement aux ambitions plus modestes voit le jour à Paris. L'émission de ses premiers billets marque le début d'un développement de l'usage de la monnaie fiduciaire qui se poursuivra sans interruption jusqu'à nos jours. Cet établissement, la Caisse des comptes courants, est constitué le 11 messidor An IV (29 juin 1796), à l'initiative de deux négociants parisiens : Augustin Monneron et Jean Godard. Le premier est la véritable âme de l'établissement. Il appartient à une famille particulièrement impliquée dans les opérations commerciales de grande envergure2• Elu député d'Annonay aux Etats-Généraux, il avait ensuite suivi de près les opérations financières de la Révolution. Il avait même obtenu en 1791 le droit de frapper avec ses frères une monnaie de cuivre qui portait leur nom: les monnerons3 . Il était de ceux qui avaient tenté de constituer une banque d'émission pour organiser le retrait des assignats.
1. Le 13 pluviôse An IV (8 février 1796), des banquiers et hommes d'affaires, dont plusieurs étaient administrateurs de l'ancienne Caisse d'escompte créée en 1776, avaient arrêté les statuts d'une banque dont l'objectif affirmé était d'assurer le remplacement des assignats par des billets de banque. L'opposition des parlementaires et de la presse avaient entraîné l'abandon du projet de création d'un institut d'émission de dimension nationale. Sur cette tentative, cf. G. Jacoud, "Du papier-monnaie au billet de banque: les difficultés d'une transition", op. cit. 2. "Un volume tIItier serait nécessaire (et fort utile aux historiens 1) pour tracer la saga des Monneron dans le dernier tiers du XVIIIe siècle: sur les vingt enfants du receveur général du grenier à sel d'Annonay, et de son épouse, cousine des Dupleix, quatre au moins ont en effet joué 11/1 rôle déterminant. Trois siégèrent à la Constituante, un à la Législative. De Pondichéry à l'ile de France, des Antilles au Sénégal, ils étaient liés à /'ensemble des transactions coloniales, par là, ils devinrent des spécialistes redoutables du mouvement des papiers commerciaux, et de son corollaire obligato&e, celui des métaux précieux ." (Bruguière, op. cit., p. 86-87.) 3. J. Bouchary, Les compagnies financières à Paris à la fin du XVIIIe siècle, Paris: M. Rivière, 1941, t. 2, p. 152-156.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Le rôle de ce premier institut d'émission, fondamental pour expliquer la diffusion du billet de banque en France, a été largement occulté et très peu d'écrits lui sont consacrés. Dans un ouvrage où il défend la cause de la liberté des banques4, l'économiste Paul Coq signale son existence sans apporter d'informations sur son histoire et sur son fonctionnement. Alphonse Courtois lui consacre seulement quelques lignes dans son Histoire de la Banque de France5. Six ans plus tard, l'Histoire des banques en Francé n'apporte aucune information complémentaire. Clément Juglar, dans la partie du Dictionnaire des finances 7 de Léon Say traitant des banques, cite l'établissement en reprenant simplement les informations fournies par Courtois. André Liesse, qui étudie en 1909 l'histoire des banques en France, se contente de la mentionner comme établissement ayant précédé la Banque de FranceB. Il faut attendre 1915 avec un article de Charles Ballot dans la Revue des études napoléoniennes9 pour qu'un auteur consacre plus d'une demi-page à la Caisse des comptes courants. Encore Ballot reconnaît-il l'insuffisance de ses informations pour n'avoir pas eu accès aux archives de la Banque de FrancelO• Les autres auteurs qui s'interrogent sur les origines de la Banque de France, comme Robert Bigo ll ou Gabriel Ramon12 n'apportent curieusement aucun complément d'information par rapport à la brève présentation de Courtois. Ils semblent même ignorer l'apport de Ballot. C'est Louis Bergeron qui, dans sa thèse soutenue en 1974, a effectué la recherche la plus complète à ce jour sur la Caisse des comptes courants 13. Si la logique de sa thèse le conduit surtout à privilégier la présentation des hommes 4. P. Coq, Le sol et la haute banque, ou les intérêts de la classe moyenne, Paris: Librairie démocratique, 1850, t. 1, p. 140. 5. A. Courtois, Histoire de la Banque de France et des principales institutions françaises de crédit depuis 1716, Paris: Guillaumin, 1875, p. 92 6. A. Courtois, Histoire des banques en France, Paris : Guillaumin, 1881, p. 109. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser supposer, ce second ouvrage n'a pas un contenu différent du premier. Bien que le titre diverge, l'Histoire des banques en France n'est qu'une réédition du premier livre. 7. C. Juglar, "Banques", in : L. Say, Dictionnaire des finances, Nancy, Impr. de BergerLevrault, 1889, t. 1, p. 301. 8. A. Liesse, Evolution of credit and banks in France from the founding of the Bank of France to the present time, Washington: Govemment printing office, 1909, p. 18. 9. C. Ballot, "Les banques d'émission sous le Consulat", Revl/e des étl/des napoléoniennes, t. VIII, 1915, p. 289-323. Dans cet article, l'auteur consacre près de cinq pages à présenter l'histoire de la Caisse des comptes courants. 10. Ibid., p. 296 11. R. Bigo, La Caisse d'Ecompte (1776-1793) et les origines de la Banql/e de. France, Paris: PUF, 1927,314 p. 12. G. Ramon, Histoire de la Banque de France d'après les sOl/rces originales, Paris: Grasset, 1929,503 p. 13. L. Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l'Empire, Thèse présentée devant l'université de Paris IV le 16 mars 1974, Paris: Champion, 1975, p. 220-249.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 liés à la vie de l'établissement, il n'en décrit pas moins la Caisse d'une manière beaucoup plus complète que tous ses prédécesseurs; Quant aux historiens et économistes qui se sont plus récemment penchés sur cette banque, ils se sont surtout appuyés sur les auteurs précédents14. La mise en évidence du rôle joué par la Caisse des comptes courants dans l'histoire de l'émission de la monnaie fiduciaire est surtout rendue possible par l'existence de documents liés à la vie de la Caisse. Les registres des délibérations des administrateurs de la Caisse des comptes courants, ainsi qu'un certain nombre d'autres pièces manuscrites, ont été conservés dans les archives de la Banque de France15. Leur utilisation nous a permis de reconstituer le fonctionnement de cet institut d'émission et de connaître les difficultés qu'il a dû surmonter.
Le fonctionnement de la Caisse des comptes courants L'organisation de la Caisse Le capital de la Caisse, d'un montant de cinq millions de francs, est divisé en mille actions de cinq mille francs. Ces actions ne sont toutefois pas souscrites dès sa constitution. Monneron et Godard, qui en acquièrent respectivement huit et quarante, sont suivis par onze autres souscripteurs qui, jusqu'au début de fructidor (août), achètent huit actions chacun. On compte parmi ces premiers actionnaires Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu, le banquier pressenti quelques mois plus tôt pour assurer la présidence de l'institution qui aurait mis en circulation des billets à la place des assignats si le projet avait été mené à bien16 . Si Augustin Monneron est directeur général, les premiers actionnaires sont presque tous administrateurs. Dans le registre des délibérations de la Caisse des comptes courants, le premier compte-rendu date du 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796). Ce registre révèle que les administrateurs présents sont
14. François Crouzet, qui la présente dans son ouvrage sur la monnaie en France au cours de la période révolutionnaire, reconnaît que son travail "ne repose sur aucune recherche d'archives" (La grande inflation, Paris: Fayard, 1993, p. 12). Eugen N. White ("Free banking during the French Revolution", Explorations in Economic History, vol. 27, nO 3, July 1990, p. 451-463) et Philippe Nataf ("Le système bancaire français au XIXe siècle", Marchés et techniques financières, nO 20-21, juillet-août 1990, p. 51-54 ; "Free banking in France (17961803)", in : K. Dowd (ed.), The experience of free banking, London, Routledge, 1991) se réfèrent eux aussi aux auteurs cités. 15. Un dossier des archives de la Banque de France intitulé "Caisse des Comptes Courants" regroupe divers documents relatifs à cet établissement. 16. Banquier à Rouen, Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu est un noble que la Révolution prive de la particule. Elu député aux Etats-Généraux le 21 avril 1789, il s'occupe principalement des questions financières. Il s'installe à Paris et est élu le 21 octobre 1795 député de la Sèine au Conseil des Anciens. Il est, avec l'ancien directeur de la Caisse d'escompte André-Daniel Laffon-Ladébat, au coeur des opérations visant à constituer une grande banque d'émission après la mise en place du Directoire.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
Devaines, Doyen, Folloppe, Godard, Hainguerlot, Jubié, Magon Gervaisais, Monneron, Récamier et Fulchiron 17. Ce dernier était aussi au nombre des administrateurs prévus pour la grande banque dont le projet avait été abandonné. Sa présence aux côtés de Lecouteulx-Canteleu et Monneron montre bien que la création de la Caisse des comptes courants n'est pas un point de départ pour ces hommes. C'est l'idée de la fondation d'un institut d'émission, mettant en circulation des billets grâce à l'escompte d'effets de commerce, qui trouve une application concrète à travers l'ouverture de la Caisse des comptes courants. Il ne nous a pas été possible de retrouver les statuts primitifs de la Caisse. En revanche, le règlement intérieur et le registre des délibérations nous fournissent d'amples renseignements sur son activité. L'activité de la Caisse L'émission de billets Comme son nom l'indique, la Caisse rend possible l'ouverture de comptescourants alimentés par des dépôts en monnaie métallique. Elle va même, dans les mois qui suivent sa mise en place, jusqu'à créditer les comptes des commerçants qui lui remettent des effets de commerce dont le remboursement est prévu dans un délai n'excédant pas cinq jours, au même titre que s'il s'agissait d'une remise de fonds. Les ordres de paiement sont réglés en métal. Mais la Caisse des comptes courants est avant tout une banque d'émission. Le règlement de la Caisse prévoit que "les billets seront fabriqués en vertu d'une délibération des Administrateurs qui en déterminera la forme, le montant, les séries et les numéros, une autre délibération fixera l'époque de l'émission"18. Chaque billet émis doit être signé par un administrateur. Un registre est établi pour comptabiliser les billets émis. Sur ce registre sont précisés pour chaque billet le nom de l'administrateur qui l'a signé, la date de rentrée et la date de son annulation. C'est aussi une délibération des administrateurs qui fixe la quantité de billets à annuler. Ces billets annulés sont ensuite brûlés. Lors de la séance du 17 brumaire An V (7 novembre 1796), le Conseil d'administration arrête le projet d'une création de billets payables à vue. Le 2 nivôse (22 décembre), le montant retenu pour la coupure est de 500 francs 19 . Des
17. Ces différents actionnaires sont des personnalités du monde des affaires à Paris. Pour une présentation des principaux acteurs du commerce et de la banque, on pourra se référer aux trois premiers chapitres de l'étude de Bergeron (op. cit., p. 1-214). 18. Règlemellt i/ltérieur de la Caisse des Comptes Courallts, p. 14. (Archives de la Banque de France.) 19. Il est malaisé d·apprécier le pouvoir d·achat de cette somme fin 1796 du fait d'importants mouvements qui affectent les prix. On retiendra, à titre de comparaison, que le prix moyen de l'hectolitre de froment est inférieur à 20 francs en 1797. (E. Labrousse,
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 billets sont fabriqués pour une somme de deux millions de francs et le 12 nivôse An V (1er janvier 1797), les administrateurs décident d'en mettre pour 500 000 francs en circulation. Le succès de ces billets nécessite de nouvelles fabrications pour satisfaire les besoins de l'émission. Le 16 ventôse An V (6 mars 1797), le Conseil décide la fabrication de quatre mille billets de 500 francs pour un nouveau montant de deux millions de francs. Le rythme de création des billets s'accélère ensuite. Le 2 floréal (21 avril), la Caisse arrête la décision de fabriquer douze mille billets supplémentaires, soit un montant de six millions de francs, puis un nouveau montant de deux millions de francs le 16 messidor (4 juin). Aux billets de 500 francs émis jusque là, la Caisse décide d'adjoindre des coupures de 1 000 francs. Le 16 pluviôse An VI (4 février 1798), la Caisse lance la fabrication de six mille billets de 1 000 francs. Une autre création pour un nouveau montant de six millions de francs est autorisée le 22 germinal An VI (11 avril 1798). Les billets émis par la Caisse des comptes courants bénéficient d'un succès incontestable. L'établissement jouit d'une confiance qui favorise la diffusion du papier dans la circulation 20 . Des bons destinés à l'usage interne de la Caisse finissent même par être utilisés comme moyens de paiement par le public21 . Si les billets de la Caisse des comptes courants sont admis aussi facilement dans la circulation, c'est qu'ils représentent une véritable monnaie de papier. Le détenteur d'un billet, dès l'instant où il peut utiliser celui-ci pour un paiement, lui reconnaît la même fonction qu'à l'or ou à l'argent. Le papier lui confère le même pouvoir d'achat que le stock de métal qu'il représente. Le remboursement à vue du billet garantit à son détenteur qu'il ne subira aucune décote par rapport au métal. Le porteur a la certitude qu'il peut acquérir à tout moment la contre-valeur en métal du montant imprimé sur le billet. Ce billet, plus aisément transportable que le métal, finit même par être préféré à ce dernier. Cette capacité de la Caisse à assurer le remboursement est importante, mais parfois difficile à préserver. Les demandes de remboursements sont sensibles aux aléas politiques et aux rumeurs qui peuvent parfois circuler sur la situation de l'institut d'émission. C'est ainsi qu'en fructidor An V (septembre 1797), la crise politique suscitée par l'élimination des royalistes est accompagnée de la
R. Romano, F.-G. Dreyfus, Le prix du froment en France au temps de la monnaie stable (1726-
1913), Paris: Impr. nationale, 1970, p. 9.) . 20. La Décade philosophique (20 nivôse An V, t. 12, nivôse-pluviôse-ventôse, p. 127) fait ainsi état de la confiance dans la Caisse des comptes courants et relève les perspectives de développement de rétablissement. 21. Cest notamment ce que révèle une lettre du 22 messidor An VI (10 juillet 1798) que le directeur de renregistrement Gentil envoie aux administrateurs de la Caisse (Archives de la Banque de France).
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France propagation d'un bruit sur la dissolution de la société. Les détenteurs de billets affluent aux guichets et la Caisse doit assurer le paiement de cinq millions de francs en quelques jours. Une protection militaire est même accordée à la Caisse pour réduire le désordre provoqué par les attroupements. Les paiements en métal sont aussi gênés par la surabondance de la monnaie divisionnaire22• Le public se débarrasse de sa monnaie de billon lors de ses dépôts à la Caisse, monnaie que celle-ci évite de refuser pour des raisons commerciales. Mais cet excès de billon encombre la Caisse qui en vient à édicter une règle imposant que les paiements qu'elle effectue soient réalisés pour 1/40 en billon 23 • La mesure a toutefois un impact limité puisque cette monnaie divisionnaire rendue autoritairement au public a tendance à revenir dans les caisses. L'escompte La diffusion des billets a surtout lieu grâce aux opérations d'escompte des effets de commerce. La Caisse escompte des billets à ordre et des lettres de change dont l'échéance peut thé,oriquement aller jusqu'à quatre-vingt-dix jours. Mais il peut être dangereux pour la Caisse d'échanger des billets remboursables immédiatement à vue contre des effets qui sont une promesse de recevoir du métal au bout d'un délai de trois mois. En cas d'importantes demandes de conversion de billets, la Caisse risque de ne pas pouvoir faire face à ses engagements si le papier qu'elle détient ne peut être transformé en or ou en argent qu'après un aussi long délai. Elle a donc intérêt à n'accepter que des titres dont l'échéance est réduite, afin de pouvoir en obtenir rapidement le remboursement. Bergeron affirme: "on ne prit à ['escompte que du papier très court, à 30 jours au maximum et dont le cédant était domicilié à Paris"24. Le registre des délibérations de la compagnie témoigne de ce souci. Dès la première réunion des administrateurs du 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796), ceux-ci arrêtent "que le papier dont l'échéance excédera 30 jours ne sera point admis à l'escompte"25. En revanche, contrairement à ce qu'écrit Bergeron, la Caisse a vraisemblablement été amenée à escompter par la suite des effets à un peu plus longue échéance. Au
22. Sur les raisons de cet excès de monnaie divisionnaire et ses inconvénients, on se rep()rtera au développement consacré aux banques de sols. Cf. infra, p. 93-102. 23. Un arrêté du Directoire exécutif du 14 nivôse An IV (4 janvier 1796), imposait déjà cette proportion comme un maximum pour les paiements en monnaie métallique réalisés auprès des caisses publiques. 24. Bergeron, op. cit., p. 224. 25. Registre "des délibérations de la Compagnie établie à Paris le onze Messidor, an IV, 501/5 le nom de Caisse des Comptes COl/rans. Du 14 vendémiaire an 5 au 9 nivôse an 7. (Archives de la Banque de France.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
cours de la réunion du 2 ventôse An VII (20 février 1798), les administrateurs décident ainsi que "le papier à 45 jours sera admis"26. Les effets escomptés doivent être revêtus de trois signatures. Outre celles du débiteur et du créancier, ils doivent comporter celle d'un banquier. Cette mesure vise à éviter que deux particuliers s'entendent en établissant mutuellement des reconnaissances de dettes sans qu'aucun mouvement réel de marchandises ne soit à la source de ces titres. Cette règle des trois signatures a souffert des exceptions. Le 23 frimaire An VII (13 décembre 1798), un rapport est fait à l'assemblée générale des actionnaires sur l'escompte extraordinaire. Il s'agit de porter secours à des négociants en difficulté qui détiennent des effets ne présentant pas toutes les garanties qu'exige la règle des trois signatures. Ces négociants voient leurs effets acceptés à l'escompte par la Caisse des comptes courants, à un taux toutefois supérieur à celui couramment pratiqué. L'opération, si elle pouvait être considérée comme risquée, n'en a pas moins procuré un bénéfice de 210 573 francs à la Caisse, pour un montant de plus de vingt-cinq millions de francs d'effets escomptés. La Caisse a aussi eu l'occasion d'accorder des crédits au cours d'opérations non liées à l'escompte. Des crédits ont été accordés contre le dépôt de valeurs en garantie. Ces opérations semblent toutefois avoir revêtu un caractère exceptionnel. Les effets sont sélectionnés par un comité d'escompte composé d'administrateurs appelés à se réunir régulièrement en vue de cette tâche. Le taux d'escompte est fixé à 0,5 % par mois. La modicité de ce taux explique sans doute l'attrait qu'a pu exercer la Caisse des comptes courants sur les détenteurs d'effets de commerce, et par là-même, la rapidité de la diffusion des billets de banque. En fait, l'escompte a précédé l'émission de billets. Lorsqu'en janvier 1797 les premiers billets sont émis, l'escompte existe déjà. La contrepartie des effets est . alors versée en métal. Elle donne peut-être aussi lieu à des soldes créditeurs sur des comptes courants. Mais le total des effets escomptés par décade se limite à 600 000 francs. Le paiement des titres en billets marque l'envolée des opérations d'escompte. Un mois après la mise en circulation des premiers billets, les titres escomptés se montent à un million de francs par décade. Début germinal, c'est-àdire un peu plus d'un mois plus tard, ce montant double. Quatre mois après, l'escompte atteint cinq millions de francs par décade. Cette extension du volume des effets escomptés, comme celle de la mise en circulation des billets qui l'accompagne, n'est cependant pas le fruit de la politique d'un établissement prêt à prendre tous les risques. Dès le début du fonctionnement de la Caisse, un lien fixe est institué entre le montant de 26. Registre~des délibérations de l'administration de la société établie le dix nivôse an sept, sous la raison de Caisse des comptes courants. Du 10 nivôse an 7 au 30 pluviôse an 8. (Archives de la Banque de France.)
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France l'escompte et le solde créditeur des comptes courants. Le 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796), au cours de la première réunion des administrateurs mentionnée dans le registre des délibérations, le volume de l'escompte est fixé au quart de ce solde. A partir du moment où les premiers billets sont émis, le montant de ceux qui sont en circulation est aussi pris en compte pour déterminer le volume de l'escompte. La proportion des effets escomptés par rapport aux billets et soldes créditeurs passe alors de 1/4 à 3/8. Cette part s'élève ensuite à la moitié, puis 9/16, avant d'être ramenée à la moitié en thermidor An V. L'accroissement du volume de l'escompte est donc rendu possible parce que, à l'origine, les dépôts s'élèvent. Le nombre de déposants augmente, ce qui accroît le montant des fonds que la Caisse peut détenir en réserve. Le 2 brumaire An V (23 octobre 1796), la réserve de métal se monte à 364 000 francs. Le 17 nivôse An V (6 janvier 1797), ce stock de numéraire est porté à deux millions de francs. Il atteint quatre millions le 6 prairial (25 mai). C'est un enchaînement vertueux qui permet de développer l'activité de la Caisse. Les dépôts supplémentaires lui permettent d'accorder des escomptes pour un montant supérieur. Ces escomptes engendrent de nouveaux dépôts qui donnent une marge de manoeuvre plus importante à la Caisse pour étendre ses opérations de crédit. Si l'accroissement du volume des effets escomptés et de celui des billets émis laisse envisager une longue période de prospérité pour la Caisse, un événement imprévu vient brutalement remettre en question son existence.
La crise Dans les quelques lignes qu'il consacre à la Caisse des comptes courants, Courtois écrit: "Elle eut cependant des moments difficiles. Un voleur lui enleva
une fois 2 millions 1/2. C'était en brumaire an VI (novembre 1797)."27 Ainsi se trouve présenté comme un simple fait divers, d'une manière inexacte et avec une date erronée, un événement qui hypothéquera la survie de l'établissement et qui aboutira à la dissolution de la société, suivie d'un nouveau départ avec des statuts modifiés. La Caisse des comptes courants mise en difficulté C'est en fait le 27 brumaire An VII (17 novembre 1798), et non au cours de l'An VI, que survient l'événement. Le registre des délibérations du conseil d'administration rapporte qu"'aujourd'llIIi vingt sept brumaire an sept, plusieurs
administrateurs de la caisse des comptes tourants informés qu'Augustin Monneron directeur général ne s'était pas rendu à ses fonctions et qu'il n'avait laissé aucune information, ont appelé les autres administrateurs"28. Dès que ceux-ci sont réunis, 27. Courtois, Histoire de la Banque de France ... , op. cil., p. 92. 28. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cil.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 un comité est formé et reçoit la charge de vérifier les portefeuilles et la situation des caisses. Le même jour, les administrateurs reçoivent une déclaration signée de Monneron dans laquelle il reconnaît devoir 2 500 000 francs. Le voleur dont parle Courtois est en réalité le premier responsable de la Caisse des comptes courants. Des mesures sont prises sans attendre. L'assemblée générale des actionnaires est convoquée pour le lendemain. Il est décidé "que le public
serait prévenu par affiche qu'on ne payerait à la Caisse des remboursements que de 300 mille en écus dans la matinée" et "enfin qu'on demanderait au ministre de la police une force armée distribuée' tant dans l'intérieur que dans les postes environnants"29. Cette dernière mesure n'est pas superflue. Dès que la nouvelle est connue, la foule afflue aux guichets pour exiger le remboursement des billets. Pour limiter ces remboursements, la Caisse n'autorise le paiement que d'un seul billet de 500 francs par personne. Des informations données au conseil d'administration du 6 frimaire (26 novembre) apportent quelques précisions sur les procédés utilisés. "Devaines fils a instruit l'administration que de concert
avec les agens[30) de police il avait fait distribuer aux porteurs de billets venant au remboursement, des numéros; que ces numéros étaient refusés par les agens de la police aux personnes bien connues par eux pour faire le métier[31) de venir chaque jour au remboursement. "32 Les administrateurs de la Caisse s'empressent de rendre public le bilan de celle-ci pour rassurer la population33 . L'actif s'élève alors à 22145487 francs 29. Ibid. 30. Dans une citation, le mot "sic" suit traditionnellement les termes mal orthographiés pour indiquer que J'erreur existait dans le texte d'origine. Les documents d'époque, manuscrits ou imprimés, que nous avons été amenés à consulter utilisent fréquemment une écriture approximative (orthographe fantaisiste ou simplement différente de la nôtre, ponctuation parfois inexistante, abus des majuscules, etc.). Dans la mesure où nous reproduisons les extraits cités tels qu'ils apparaissent dans le texte original, nous renonçons à faire suivre chaque incorrection du mot "sic". Son utilisation répétée dans une même citation rendrait la lecture malaisée. 31. Des commerçants et banquiers détenteurs de billets de la Caisse envoyaient sans doute régulièrement des membres de leur personnel demander le remboursement de ces billets. Il est aussi possible que des spéculateurs aient racheté des billets avec une décote à leurs détenteurs momentanément paniqués, pour les présenter ensuite jour après jour au remboursement. Dupont de Nemours résume les raisons d'être de la décote des billets en cas de crise de l'émetteur. "Aussi longtemps que ce remboursement ne peut pas être fait à bureaux ouverts, à tout venant, et qu'on voit la Banque obligée d'y mettre de la lenteur, il devient inét,itable qu'il y ait un cours entre l'argent et les billets. Ce cours, ou la préférence qu'on donne à l'argent, ne s'exprime d'abord que par la foule aux portes de la Ballque ; la peine, la fatigue, la dépellse de cette foule, se traduisellt ensuite ell une prime calculée. 011 ac/tète l'argent, 011 plutôt on vend le billet à perte, car l'argellt a gardé son prix, ce SOllt les billets qui ont cessé d'avoir le leur: et cela était inévitable." (P.-S. Dupont de Nemours, Sur ln Banque de France, Paris: Delance, 1806, p. 25.)
32. Registre odes délibérations de la compagnie... , op. cit. 33. Ce bilan est publié dans le Moniteur ulliversel du 1er frimaire An VII (21 novembre 1798).
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France alors que le passif est limité à 19736492 francs. L'excédent de l'actif cache néanmoins un déséquilibre lié aux échéances des titres de l'actif et du passif. Les engagements du passif représentent en effet pour l'essentiel les billets émis, billets dont la Caisse doit assurer le remboursement sur simple présentation. Or, si le montant de l'actif est rassurant, sa composition l'est beaucoup moins. Ce sont les titres escomptés qui y figurent, et ce n'est qu'à l'échéance qu'ils seront transformables en moyens de paiement permettant le remboursement des billets. L'indélicatesse de Monneron a privé les caisses d'espèces, ce qui interdit à l'établissement d'assurer la conversion de tous les billets présentés. Si l'actif excède bien le passif, il n'est cependant pas immédiatement réalisable pour satisfaire les demandes de conversion. La limitation autoritaire du montant des remboursements quotidiens est donc impérative pour que l'établissement ait le temps de renflouer ses caisses, bien que la mesure engendre des effets pervers. Cette limitation détruit la confiance des porteurs de billets qui veulent alors obtenir la contre-valeur en métal. Dans cette période de crise, la Caisse reçoit des aides appréciables qui réduisent les demandes de conversion. Le registre des délibérations fait état de la première de ces aides à la date du 1er frimaire (21 novembre). "Le Ministre des
finances ayant annoncé que l'ambassadeur d'Espagne lui avait écrit que plein de la confiance dans la solidité de la Caisse des Comptes Courants, il avait défendu à son trésorier de demander le remboursement d'aucun de ses billets montant au total à un million cinq cents mille francs. "34 Le lendemain, c'est la Caisse d'escompte du commerce35 qui arrête qu'elle acceptera de recevoir en paiement les billets de la Caisse des comptes courants. Le 14 frimaire (4 décembre), la Trésorerie nationale accepte d'échanger 550000 francs de billets qu'elle détient contre des titres, au lieu d'en demander le remboursement en espèces. Deux jours plus tard, le ministre des Finances intervient à son tour en autorisant les acquéreurs de biens nationaux à payer avec les billets de la Caisse. Ces différents appuis ne vont pas jusqu'à transformer le papier de la Caisse en un papier ayant le cours légal, c'est-à-dire apte à satisfaire tous les paiements, mais ils permettent d'étendre ses possibilités d'utilisation, ce qui tend à restreindre les présentations au remboursement. Pour enrayer l'afflux de demandes de remboursement, les administrateurs s'engagent aussi solidairement à assurer le remboursement de tous les billets en circulation36. Cette mesure vise à calmer l'inquiétude des détenteurs de billets en leur assurant que leur papier finira bien par être remboursé à sa valeur nominale. 34. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cit. 35. Cf. infra, p. 57-67. 36. Il semble que cette mesure ait produit un effet salutaire. La Décade philosophique (10 frimaire An'VII, t. 19, vendémiaire-brumaire-frimaire, p. 446) indique ainsi qu"'e/le a sllr le champ calmé les inquiétudes" et qu"'ii l'instant, les billets ont repris tout leur crédit, et Ollt été dO/l/lés et reçlls comme arge/lt comptant dans tOlites les caisses".
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Elle vise aussi à contrer la spéculation. Les porteurs de billets ne seront pas incités à chercher à les liquider immédiatement au risque d'accepter une décote s'ils savent que les associés de la Caisse s'engagent à les rembourser à leur valeur d'émission. La Caisse cherche toutefois à améliorer ses capacités de remboursement en augmentant son encaisse métallique. Elle reçoit des dépôts en numéraire, dépôts qu'elle a vraisemblablement sollicités auprès des établissements qui ont eu recours à ses services. Elle charge l'un des administrateurs, Perregaux37, d'acheter des piastres qu'elle fait convertir en écus qui viennent alimenter ses caisses. Un établissement bordelais, la maison "Les fils de Rodrigue", s'occupe ainsi d'acquérir un grand nombre de piastres, les fait convertir en monnaie française, et les expédie à Paris par diligence. Il se rembourse en présentant à la Caisse des reconnaissances de dettes qui incorporent une commission de 1/4 % pour l'opération. Celle-ci, bien que coûteuse pour la Caisse, lui permet de reconstituer rapidement son stock de métal. Cette tentative d'accroître l'actif immédiatement réalisable se double d'une volonté de diminuer le nombre de billets en circulation. Si la banque ne met pas fin à ses opérations courantes d'escompte, elle décide de supprimer l'escompte extraordinaire le 21 frimaire (11 décembre). Sans qu'il nous soit possible de connaître avec précision la nature de ce type d'escompte, les documents relatifs aux opérations de la Caisse nous permettent de savoir qu'il s'agissait de prêts accordés à des négociants provisoirement en difficulté, prêts dont ils n'auraient pas pu obtenir le bénéfice si la Caisse s'était strictement conformée aux conditions de prêts prévues par ses statuts. Il s'agissait vraisemblablement d'escompter des effets qui ne présentaient pas toutes les garanties souhaitées, et notamment les trois signatures. L'opération était intéressante pour les débiteurs qui trouvaient là une possibilité de financement, et pour la Caisse qui se prémunissait du risque plus important en escomptant à un taux supérieur au 0,5 % mensuel couramment pratiqué38 . L'escompte extraordinaire s'est d'ailleurs traduit par un bénéfice pour la Caisse39 .La suppression de ces prêts a sans doute été accompagnée d'une plus grande rigueur dans la sélection des effets couramment escomptés. Réduire l'escompte, c'est réduire la mise en circulation des billets dans une période où ceux-ci ont tendance à revenir rapidement aux guichets pour remboursement. Les comptes-rendus de la Caisse n'indiquent pas qu'elle ait été amenée à suivre une
37. Pour une présentation plus complète, cf infra, p. 41-43. 38. Si les documents consultés nous permettent de savoir que le taux pratiqué lors de l'escompte extl'llordinaire était supérieur à 0,5 % par mois, nous n'avons pas retrouvé de données chiffrées permettant de connaître avec certitude ce taux. 39, Cf supra, p. 23.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France politique d'escompte plus restrictive, mais la presse de l'époque fait état des difficultés provoquées par la crise de la Caisséo. Ce qui est particulièrement surprenant dans cette crise, c'est l'incapacité des administrateurs à apprécier la véritable situation de la Caisse après la disparition de son directeur général. On pourrait croire que l'établissement obéit à des règles de gestion rigoureuses permettant de connaître à tout moment l'état des comptes. Or les comptes-rendus du conseil d'administration donnent à penser que seul Monneron avait une vue globale des activités de la Caisse. Lorsque celuici n'est plus là, les administrateurs ont du mal à reprendre en mains un établissement dont le contrôle paraît leur échapper. Les faits sont édifiants. Dès le 27 brumaire (17 novembre), un comité permanent constitué de trois administrateurs reçoit pour mission la vérification des portefeuilles et des caisses. Deux jours plus tard, un comité de direction de trois membres est nommé pour suppléer la fonction de directeur général qu'assurait Monneron. Le 4 frimaire (24 novembre), les administrateurs décident d'établir d'une manière plus exacte la situation de l'établissement, ce qui revient à reconnaître qu'ils l'ignorent. Ils avouent d'ailleurs sans ambiguïté leur manque d'information dans le compte-rendu du 7 frimaire (27 novembre)41. C'est seulement le 9 nivôse (29 décembre), soit un mois et demi après le début de la crise, que l'administration est en mesure de faire un rapport complet sur l'état exact de la situation de l'actif. On pourrait presque affirmer, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que si Monneron ne s'était pas lui-même reconnu débiteur d'une somme de 2,5 millions de francs, les autres dirigeants n'auraient pas eu connaissance de ce détournement avant longtemps42. 40. On peut ainsi lire dans La Décade philosophique (30 frimaire An VII, t. 19, vendémiaire-brumaire-frimaire, p. 576) : "Le contre-coup de l'événement arrivé à la Caisse des Comptes Courans, s'est fait cruellement sentir dans la banque et dans le commerce. Il y a eu plusieurs banqueroutes de maisons très fortes." On notera à ce sujet l'ambiguïté avec laquelle cette revue a relaté l'événement. Alors que dans le numéro du 10 frimaire An VII (30 novembre 1798), un article qui se voulait rassurant relatait les faits comme un simple incident sans conséquence, l'article du 30 frimaire (20 décembre) fait état de graves répercussions de cette crise sur le monde du commerce. Cette prudence dans la présentation des faits immédiatement après la disparition de Monneron n'est toutefois pas propre à La Décade philosophique. La presse cherche manifestement à minimiser l'incident afin d'éviter d'aggraver la situation en inquiétant l'opinion. Un rapport de police du 28 brumaire An VII (18 novembre 1798) fait état de cette attitude de la presse tentant de rassurer le public (F.-A. Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, Paris: Quantin, 1892-1902, t. S, p. 212). 41. "Un commissaire ayant demandé si l'on avait commencé le registre qui établissait l'état sommaire du portefeuille des effets pris à l'escompte de manière à pouvoir connaître à chaque instant la quantité de papier que la caisse avait sur chaque maison, 011 lui a observé que ce travail ne pourrait être entamé que dans les premiers jours de la décade prochaine." (Registre des délibérations de la compagnie ... , op. cit.) 42. On peut-dèS lors s'interroger sur les raisons qui ont poussé Monneron à fuir avant que le trou de 2,5 millions de francs ne soit découvert. J. Bouchary qui établit une présentation de la famille Monneron (Les manieurs d'argent à Paris à la fin du XVlIle siècle, Paris: M. Rivière, 1943, t. 3, p. 181-247) consacre plusieurs pages à cet épisode (p. 231-247).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 L'attitude de ces dirigeants envers le principal responsable de la Caisse est d'ailleurs significative. Après la disparition de Monneron et l'information par celui-ci de l'existence d'un trou de 2,5 millions, les administrateurs se refusent à porter plainte. Le motif invoqué est qu'une plainte risquerait d'écarter toute possibilité de voir jamais réapparaître Monneron43 . On peut aussi supposer que s'ils hésitent à porter plainte, c'est que la procédure risque de se retourner contre eux. En tant qu'administrateurs, ils portent une part de responsabilité puisqu'ils n'ont pas été à même de suivre l'activité réelle de la Caisse. Deux raisons supplémentaires peuvent encore expliquer cet attentisme. Malgré sa disparition, Monneron établit une correspondance avec l'administration de la Caisse, dans laquelle il tente de se justifier. Ces informations sont précieuses pour les administrateurs qui ont du mal à apprécier la situation exacte de l'établissement. D'autre part, les possibilités de remboursement ne semblent pas exclues. Louis Monneron, le frère du directeur en fuite, se propose d'essayer de trouver un arrangement avec la Caisse pour rembourser les dettes de son frère. Des contacts sont aussi pris avec un citoyen qui se reconnaît débiteur d'Augustin Monneron pour 500 000 francs, ce qui laisse à la Caisse la possibilité de retrouver une partie de ses fonds si ce remboursement peut être effectif. C'est seulement le 23 frimaire An VII (13 décembre 1798), presque un mois après le début des événements, que
"l'administration de la Caisse des Comptes-Courants arrête qu'il sera rendu plainte au criminel contre Augustin Monneron"44. Cette crise n'est pas un épisode sans conséquence de la vie de la Caisse des Comptes Courants. Elle aboutit à la disparition de la société dans sa forme juridique initiale et à la constitution d'une nouvelle société. Vers un nouveau départ
Le 10 nivôse An VII (30 décembre 1798), la dissolution de la société constituée le 11 messidor An IV (29 juin 1796) est prononcée. Il ne s'agit pas d'une disparition définitive de la Caisse, mais d'une volonté de faire repartir celle-ci avec de nouveaux statuts permettant de pallier les faiblesses que la crise venait de révéler : contrôle insuffisant des avoirs en caisse, insuffisance des fonds disponibles, pouvoir excessif du directeur général... En même temps que la
Il avance qu'une enquête sur un réseau de fabrication de faux-billets de la Caisse risquait d'amener un contrôle de ses comptes. Or Monneron ayant accordé de son propre chef des prêts de manière inconsidérée, il se serait trouvé face à des débiteurs incapables de le rembourser. Il aurait alors fui en avouant sa dette envers la Caisse avant que cette conséquence de la légèreté de sa gestion ne soit établie au cours d'une enquête. 43. Monneron était parti à la Guadeloupe. Dans un premier temps, il sera condamné, mais les poursuites contre lui finiront par être abandonnées. Après un retour dans la métropole en 1802 (il sera arrêté puis libéré), il quittera définitivement la France pour l'Amérique.
44. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cit.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France première société est dissoute, une nouvelle Caisse des comptes courants est constituée. Le capital, qui était de cinq millions de francs dans la première société, est porté à huit millions, non pas par augmentation du nombre d'actions, mais par une revalorisation de chaque action qui passe ainsi de 5 000 francs à 8 000 francs. Chaque actionnaire de l'ancienne société peut donc devenir actionnaire de la nouvelle en échangeant ses anciens titres de propriété contre des nouveaux et en ajoutant 3 000 francs en espèces, payables en douze mensualités égales. Le directeur général est flanqué d'un contrôleur général élu par une majorité absolue lors de l'assemblée générale des actionnaires, sur présentation d'au moins trois candidats par les administrateurs. Au sein de l'administration, un comité est chargé de l'examen et de la surveillance du portefeuille. Un autre comité a pour tâche la vérification des caisses. Ces comités sont renouvelés partiellement chaque décade et un administrateur ne peut pas être membre de deux comités en même temps. En dehors de ce contrôle des administrateurs, les statuts prévoient la constitution par l'assemblée générale des actionnaires d'un comité de vérification, composé de trois actionnaires. Ce comité est renouvelé deux fois par an. Ses membres ont pour mission "la vérification des livres, des porte-feuilles et des caisses"45. Ils peuvent convoquer immédiatement l'assemblée générale en cas d'anomalie constatée. Cette recherche de la sécurité se retrouve jusque dans l'utilisation du bénéfice. Seule la moitié des bénéfices peut donner lieu à distribution d'un dividende. L'autre moitié est mise en réserve, "ainsi que les fractions au-dessous de 5 francs par action"46. Les anciens actionnaires confient à la nouvelle société la liquidation des affaires de la première. L'actif de la Caisse se monte alors à 22 572 208,52 francs dont 11 103 260,62 francs en caisse, la moitié de la caisse étant constituée de billets, l'autre moitié d'espèces. Lors du dernier conseil d'administration de l'ancienne société, le 9 nivôse An VII (29 décembre 1798), la masse des billets en circulation était estimée à un peu plus de huit millions de francs. La Caisse, grâce à la réduction du volume des billets et à l'accroissement de son encaisse métallique, avait ainsi éliminé les risques d'insolvabilité. La dernière proposition de l'ancienne société avait donc été la reprise des paiements à bureau ouvert. C'est un total de 26,5 millions de francs en billets qui avait été émis sous l'ancienne société, dont 14,5 millions en billets de 500 francs et 12 millions en billets de 1 000 francs47.
45. Règlement général de la liaI/velle société de comptes courants, p. 11. (Archives de la Banque de France.) 46. Ibid., p. 1-2. 47. Ces chiffres sont ceux qui ont été présentés lors du conseil d'administration du 12 frimaire An VII (2 décembre 1798). Il n'est pas fait état de nouvelles émissions entre cette date et la dissolution de la première société.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
L'émission de nouveaux billets de 500 francs et 1 000 francs est décidée. Le 10 nivôse An VII (30 décembre 1798), le jour même de la constitution de la nouvelle société, les administrateurs s'engagent à créer des billets de 500 francs pour un montant de six millions de francs. Le 26 nivôse An VII (15 janvier 1799), ce sont de nouveaux billets de 1000 francs qui sont émis. Ces billets continuent à être émis lors d'opérations d'escompte. Le coût de celui-ci est précisé dans un arrêté du 12 pluviôse (31 janvier). "L'escompte est fixé pour les actionnaires à 1/2 % pour le papier jusqu'à 30 jours et à 3/4 % celui de 31 à 45 jours."48 Pour les nonactionnaires, le papier est escompté pour des échéances allant de 10 à 45 jours, mais le taux est invariablement fixé à 3/4 %, quelle que soit la date d'échéance. La Caisse privilégie donc ses actionnaires en leur accordant des crédits à un coût plus avantageux49 . Privilégiés par le coût du crédit qui leur est consenti, les actionnaires le sont aussi par le volume des effets réservé à l'escompte à leur profit. Dans l'ancienne société, les administrateurs avaient arrêté, le 12 germinal An V (1er avril 1796), que dans le montant des sommes destinées à l'escompte, la part des actionnaires serait deux fois plus importante que celle des nonactionnaires. Les deux tiers des opérations d'escompte étaient donc réservés à l'usage exclusif des actionnaires. La deuxième société ne fait que poursuivre les opérations de la première et la moitié de l'escompte est encore réalisée au profit des actionnaires. La discrimination par le coût de l'escompte entre actionnaires et non-actionnaires n'est toutefois pas maintenue. Un arrêté du 2 ventôse An VII (20 février 1799) rapporte celui du 12 pluviôse. "Le prix de l'escompte est fixé à
1/2 p. cent par mois pour tout le monde. "50 La nouvelle Caisse des comptes courants joue son rôle d'institut d'émission en mettant en circulation des quantités de plus en plus importantes de billets qui témoignent du développement de ses activités et des aides qu'elle apporte au monde des affaires. Au 2 floréal An VII (21 avril 1799), soit moins de cinq mois après sa constitution, elle a émis pour 20,5 millions de francs, dont 7,5 millions en billets de 500 francs et 13 millions en billets de 1 000 francs. La diffusion de la monnaie de papier vient de commencer avec les billets de la Caisse des comptes courants. Elle prend son essor avec le passage de la Caisse des comptes courants à la Banque de France.
48. Registre des délibérations de l'administration ... , op. cit. 49. La question de savoir qui sont réellement les bénéficiaires des opérations de la Caisse n'est pas secondaire. C'est un argument qui sera utilisé pour expliquer la création et pour justifier le maintien en activité d'autres banques d'émission censées s'adresser à un autre public. Cf infra.
50. Registre des délibérations de l'administration ... , op. cit.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
II. Pourquoi la Banque de France? La Banque de France est officiellement créée début 1800, mais on ne peut pas pour autant considérer que cette création correspond à la formation soudaine d'une institution née subitement avec le Consulat. La nécessité d'une grande banque d'émission, déjà établie dans les premiers temps du Directoire, se fait plus pressante en 1799. S'il est vrai que le Consulat assure les conditions favorables à sa constitution, la Banque de France est néanmoins l'aboutissement d'un long processus et non une oeuvre spontanée du nouveau pouvoir.
La nécessité d'un grand institut d'émission Un nouveau contexte en 1799
La réussite de la Caisse des comptes courants est incontestable si l'on considère qu'elle accorde une aide précieuse en procurant des crédits à ses actionnaires et, d'une manière plus large, au monde des affaires. C'est aussi le succès d'une banque qui réussit à faire accepter ses billets dans une période où l'utilisation du papier dans les paiements suscite la plus grande méfiance du fait des souvenirs récents de la douloureuse expérience des assignats. Mais son activité reste limitée eu égard aux besoins de financement de l'industrie, du commerce, et surtout de l'Etaf)1. L'émission des billets se trouve donc freinée par le fait que les crédits accordés par la Caisse sont réduits à un champ restreint. Il manque en fait le grand institut d'émission qu'un groupe de banquiers avait tenté de constituer en 1795~1796. Dans la contradiction entre la nécessité d'un tel établissement et les forces qui s'opposent à sa constitution, c'est le premier élément qui l'a jusque là emporté. A l'automne 1796, le ministre des Finances voulait ainsi faciliter la circulation monétaire grâce à la collaboration d'une banque qu'il souhaitait voir se constituer. Il avait convoqué pour en conférer les hommes d'affaires les plus importants du pays52. Mais ceux-ci n'avaient pas cru que l'opération puisse être possible. Un article de La Décade philosophique du 10 pluviôse An V (29 janvier 1797) expose parfaitement le problème. "Ils [les représentants du commerce] ne pensent pas que l'on puisse établir dans ce moment,
en France, une grande banque nationale, parce que la confiance, l'élément le plus 51. Contrairement à l'émission de papier-monnaie qui procure des fonds à l'Etat, l'émission de billets par un établissement privé ne lui fournit aucune ressource. 52. Journal d'économie publique, de morale et de politique, n° 11, 20 frimaire An V (10 décembre 1796), p. 95. La revue publie par la suite un "Mémoire présenté par les envoyés extraordinaires du commerce au ministre des Finances, concernant les monnoies", daté du 5 ventôse An V (24 février 1797) (nO 35, 20 thermidor An V (7 août 1797), p. 356-378). Il donne lieu à une réponse de Camille Saint-Aubin dans le même journal: "Observations sur le mémoire des envoyés extraordinaires du commerce, concernant les monnoies" (n° 36, 30 thermidor An V (17 août 1797), p. 398-413).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 nécessaire à son existence, lui manquerait. La confiance publique a reçu des chocs trop violens et trop précipités par la cllûte de la caisse d'escompte, de la compagnie des Indes, de celle des assurances, des assignats, des rescriptions, des mandats, pour qu'elle consente à s'attacher de nouveau à aucun grand établissement que le gouvernement tiendrait sous son influence. La Caisse des comptes courans dont nous avons déjà parlé, est d'un genre différent; l'activité de cette caisse, la circulation de son papier, ne s'étend pas au-delà du cercle de ceux qui en connaissent les administrateurs et les actionnaires; son crédit n'est encore que celui des signataires de ses billets, et c'est plutôt une association privée qu'une caisse publique. "53 Or, deux ans plus tard, les arguments en faveur d'une grande banque d'émission semblent l'emporter. Mais si c'est en 1799 que les pressions en faveur d'une grande banque sont les plus fortes, l'idée n'en revient pas moins à plusieurs reprises depuis 1796, comme en témoignent les rapports de police établis sous le Directoire. On lit notamment dans un rapport du 28 messidor An IV (16 juillet 1796) que "tous les individus désirent l'instant où il n 'y aura plus de papier, ou bien celui où il
n'en existera qU'lm seul invariable, comme l'était celui de la Caisse d'escompte; car on est convaincu que les grandes opérations de commerce ne peuvent se faire sans papier, vu l'insuffisance du numéraire, même dans les temps d'abondance"54. Ce papier souhaité par le peuple au point que les rapports de police en rendent compte est bien le billet de banque. Un rapport du 4 fructidor An IV (21 août 1796) précise que le public attend "des effets de banque qui sont comme chez les peuples
qui nous avoisinent, et l'on désire l'établissement d'une banque particulière et indépendante du gouvernement, et qui, modelée sur la Caisse d'escompte, payerait les effets à bureau ouvert"55. En 1799, le contexte monétaire est différent de celui de 1796. Bien que le métal soit encore loin d'être abondant, l'ère du papier-monnaie est révolue. C'est donc un obstacle à l'établissement d'une grande banque d'émission qui a été écarté. En effet, ceux qui au début du Directoire s'opposaient à la constitution d'une banque pour préserver l'usage du papier-monnaie n'ont plus de raison de contester ce type de projet. L'attachement aux assignats n'est plus un motif de condamnation des banques puisque les assignats ont cessé d'exister. Les oppositions purement politiques à l'idée d'assurer la circulation monétaire par des billets ont donc disparu. Ceux-là même qui proclamaient la nécessité de défendre l'assignat sont parfois les premiers à réclamer la constitution d'une banque. Jacques-Charles
53. La Décade philosophique, 10 pluviôse An V, t. 12, nivôse-pluviôse-ventôse, p. 253-254. La confiance est présentée ici comme la condition impérative à la création d'une grande banque d'émission. Adolphe Thiers considère d'ailleurs la Banque de France comme "une sorte de merveille cODlmerciale, due à l/Il gouvernement qui avait surtout le don d'inspirer la confiance" (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, Paris: Paulin, 1847, t. 2, p. 157). 54. Aulard, op. cit., t. 3, p. 320. 55. Ibid., p. 403.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Bailleul, qui plaidait en faveur de l'assignat en février 179656, réclame trois ans plus tard la constitution d'une banque devant le Conseil des Cinq-Cents57 . Contrairement à ce qu'écrit Adam Smith dont les idées sont alors largement diffusées en France58 , il prétend que la quantité de monnaie nécessaire à l'économie n'est pas donnée, mais qu'il y a une interaction entre ce qu'on pourrait appeler la sphère du réel et la sphère monétaire. "La somme des signes
nécessaires au besoin des nations ne saurait se déterminer. La demande en augmente à mesure que les manufactures et le commerce font des progrès, et réciproquement les progrès des manufactures et du commerce d'une nation industrieuse s'étendent à mesure que la circulation des signes devient plus considérable. "59 Le développement de l'activité économique entraîne un besoin supplémentaire de monnaie, et une offre additionnelle de monnaie favorise la croissance. Le billet de banque apparaît donc à la fois comme une conséquence du développement des affaires et comme une condition à la poursuite de ce développement60. La première partie du raisonnement de Bailleul laisse donc supposer que la croissance économique appelle un supplément de monnaie. Dans un contexte où le stock métallique est restreint et le papier-monnaie éliminé, l'accroissement de la masse monétaire nécessite une émission de monnaie fiduciaire. Il y a donc un véritable besoin de billets de banque. Cette nécessité économique du billet pour la France apparaît clairement si l'on compare sa circulation monétaire avec celle de l'Angleterre. Alors qu'au début du XIXe siècle les billets représentent la moitié des disponibilités monétaires en Angleterre et au Pays de Galles, ils n'en représentent que 5 % en Francé1.
56. Moniteur universel, n° 159, 9 ventôse An IV (28 février 1796), p. 547. 57. "Au premier rang des mesures qui peuvent produire d 'heureux résultats, et dlanger /lotre situation vraiment déplorable, est l'établissement d'une banque." O.-c. Bailleul, Corps législatif - Conseil des Cinq-Cents. Motion d'ordre pourla proposition d'une banque, par J.-Ch. Bailleul, représentant du peuple, séance du 29 pluviôse an 7, Paris : Impr. nationale, An VII, p.3.) 58. Cf. G. Jacoud, "L'influence de l'analyse de la monnaie de papier par Adam Smith sur la théorie et les pratiques monétaires françaises", Economies et Sociétés, A. F. n° 18, 3/1993, p.41-67. 59. Bailleul, op. cit., p. 4.
60. "Il résultera de la discussion que le système des banques réunit tous les avantages propres à rendre cette circulation active, qu'il donne en un instant le mouvement et la vie à toutes les opérations commerciales, en créant des capitaux, qui, par leur nature, passent dans toutes les mains avec la rapidité de l'éclair." (Ibid.) 61. Cameron, Crisp, Patrick, Tilly, op. cit., p. 42, p. 116. Ces données sont reprises par B. Courbis ("L'Origine de la 'monnaie banque centrale' : étude comparée des expériences française et anglaise à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, n° 15, juin 1985, p. 9) qui montre l'avance de l'Angleterre sur la France en matière de dématérialisation de la monnaie.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Bailleul ne peut donc que plaider en faveur des banques. Il est conscient des avantages que procurent les établissements bancaires de grande envergure à l'étranger. En Hollande, la banque a fait diminuer le taux d'intérêt, ce qui a favorisé le commerce. Et l'histoire montre que la prospérité de certains Etats leur est liéé 2 . C'est pourquoi il "espère que la discussion relative à l'établissement d'une banque, prouvera à l'Europe entière que la France cannait ses véritables
in térêts"63. Les anciens inconditionnels des assignats ne se sont certes pas tous convertis à la monnaie de banque. Charles-César Robin, qui avait ardemment défendu le papier-monnaié4, se plaint de la rareté des espèces métalliques, ou plutôt il constate que c'est un problème permanent en France. Il propose alors de réduire l'usage du métal, en distribuant aux salariés de l'Etat non pas des espèces, mais des bons convertibles en grains 65 ; "Ces bons deviendraient dans les mains des
salariés ruraux comme un papier de banque qui prendrait un cours volontaire et d'autant plus avantageux qu'il se réaliserait en grain qui ne sera pas si on le veut susceptible de diminuer de prix. "66 Il souhaite en étendre l'usage aux pensionnés de la République en partant du fait que dans l'Antiquité des Etats réglaient, comme à Athènes, les pensions en nature. L'Etat qui payait en huile, figues ou denrées alimentaires diverses n'accumulait pas de dettes. Robin estime que le gouvernement français, en versant les pensions en argent, est obligé de demander beaucoup aux contribuables qui peuvent difficilement se procur~r du métal. Les bons seraient préférables. Ils pourraient être étendus aux transactions entre particuliers. Le système présenté pose un problème en cas d'éloignement des stocks de grains et de variation de leur prix. Mais l'auteur du projet propose la création de greniers publics pour en réguler le cours67 . Ceux qui y déposeront le grain 62. "En Ecosse, à Venise, à Gênes, enfin dans presque tOIlS les états commercans nous voyons s'établir des banqlles depuis le seizième siècle, et l'histoire nOlis atteste que cellx qlli les premiers ont senti la beauté de ce mécanisme, dont l'effet est de multiplier les signes sans altérer les espèces, ont également les premiers allgmtmté lellrs richesses." (Bailleul, Corps législatif... Motion d'ordre ... , op. cit., p.6.) 63. Ibid., p. 8. Bailleul trouve dans l'exemple des Etats-Unis des arguments pour montrer l'intérêt d'une banque. "La banqlle fut arrêtée [sa création fut décidée] ; à l'instant même les capitaux circulèrent librement, l'intérêt baissa, le commerce reprit son activité, tOIlS les biens furent en/ployés, les terrres incllites devinrent fertiles, les villes se pellplèrent, les ateliers se mliitiplièrent ; le paiement des impôts fut toujollrs assuré, ceilli des relltes et de tOliS les services le fut à SOli tOllr, et cette nation moderne est arrivée dans le COllrt espace de vingt ans à 1/11 point de richesse el de splendellr qll'elle n'allroit pli atteindre dans l'espace de dellx siècles sans ce puissant auxiliaire."(Ibid.) 64. Salivons les assigllats, la République et Paris seront saullés, Paris: impr. de la citoyenne Gorsas, s. d., 7 p. ; Les billets de banqlle vont ruiner les assignats et feront pis, s. 1. n. d., 8 p. 65. c.-c. Robin, De la rareté de l'argent en France et des moyens d'y suppléer 011 principes de l'économie ~e nos finances et de notre commerce, Paris: Bertrand-Quinquet, An VIII, p. 4. 66. Ibid., p. 5. 67. "C'est dans ces greniers publics que les propriétaires pourront faire entreposer, vendre ou retirer à volonté leurs grains. Les reconnaissances de ces grains qu'ils auront 35
De la Caisse des comptes courants à la Banque de France recevront les bons qui circuleront ensuite et feront oublier la pénurie de métal. La France ne sera plus à la merci des événements extérieurs qui peuvent la conduire à être privée d'argent. Le plan de Robin vise donc à mettre en circulation un papier convertible. Cette convertibilité n'est cependant pas assurée en un métal qui s'est raréfié dans le pays, mais en une production qu'on peut assurer régulièrement. En dépit de cette différence, l'auteur du plan ne s'écarte pas complètement de la logique des billets de banque. Puisque les nations commerçantes savent faire escompter des effets de commerce et émettre des billets en contrepartie, la France peut mobiliser les richesses de son agriculture. Le projet, calqué sur des usages en vigueur dans les sociétés antiques, pêche par son archaïsme dans une nation moderne. L'idée de billets gagés sur des produits agricoles n'est toutefois pas sans évoquer les divers projets de banques destinés à mobiliser la richesse foncière qui voient le jour à la même périodé8. La proposition de Robin n'est qu'une réponse au besoin de papier qui se fait alors ressentir. Le papier-monnaie qui circulait sur l'ensemble du territoire n'a pas été remplacé. Une banque comme la Caisse des comptes courants n'a encore qu'une activité limitée sur Paris et assure une circulation qui se réduit comme le préconisait Smith aux relations entre commerçants. Une diffusion généralisée des billets de banque ne serait donc pas malvenue. Un banquier marseillais, Jules Gautier, avance des idées dans ce sens. Il propose la fondation à Paris, et dans la ville la plus peuplée de chaque département, d'une banque nationalé 9 . Chacune escompterait des effets de commerce au même taux qu'à Paris, ce qui éliminerait les inégalités possibles entre régions et fournirait au commerce la possibilité de se développer. L'auteur ne manque d'ailleurs pas de s'appuyer sur Smith pour montrer l'impact positif des banques sur l'activité économique70 . Elles escompteraient des lettres de change et des billets à ordre revêtus de trois signatures, dont l'échéance n'excéderait pas trois mois. Ces banques présenteraient en outre l'avantage de constituer une "pépinière de compagnies financières"71 susceptibles de fournir des ressources à l'Etat. Elles pourraient par exemple faire des avances au gouvernement qui se désendetterait en leur affectant les revenus des forêts nationales ou des contributions publiques. La création de ces établissements devrait se faire sous
déposés, deviendront une espèce de papier de banque qui s'échangera avec avantage, puisque les grains sont susceptibles d'augmenter de prix." (Ibid., p. 8-9.) 68. Cf infra, p. 38, p. 81-83. 69. J. Gautier, Essai sur la restauration des Finances de la France, Marseille: impr. de Bertrand, An VII - 1799, p. 32. 70. Ibid., p. 36. 71. Ibid., p. 34.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 l'impulsion et le contrôle du gouvernement, mais ils seraient administrés par des actionnaires privés. Les billets, convertibles en monnaie métallique à vue et au porteur, seraient tous calqués sur le même modèle. Chaque établissement se contenterait d'apposer son nom et la signature de ses administrateurs sur des titres uniformes. Le vingtième des bénéfices de chaque banque serait destiné à "une loterie. Tous les ans, chaque banque effectuerait un tirage au sort parmi les billets qu'elle aurait mis en circulation. Les détenteurs des billets dont le numéro serait gagnant recevraient alors des lots en espèces. Un timbre en couleur serait appliqué sur les billets gagnants, à titre publicitaire, pour montrer que le porteur du billet a été primé au moment du tirage. Cette opération pourrait inciter le public à recevoir des billets en paiement72 . Le besoin de monnaie entraîne donc en cette dernière année du Directoire un regain d'intérêt pour les banques. Gautier résume la situation en une phrase. "L'utilité des Banques est reconnue, la raison les indique, la prospérité publique les réclame. "73 Les plans de banque, renfermant les propositions les plus diverses, se multiplient74 . 72. Le projet de recourir à une loterie n'est pas propre à Gautier. Un système de banque liée à une loterie avait été développé par Vincent-Jean OIlivault-Duplessis (Plan de Banque nationale, ou nouveau système de finance, Paris: impr. du magasin encyclopédique, (prairial An V), 71 p.). 73. Gautier, op. dt., p. l. 74. Un certain nombre de ces plans sont regroupés aux Archives nationales sous la référence AD/XI/58. Parmi ceux-ci, on peut retenir: - Projet de Caisse des propriétaires par le citoyen Gabiou, Notaire à Paris, Paris: impr. de Porthmann, 3 pluviôse An VII, 33 p. Ce plan est accompagné d'une lettre au Conseil des CinqCents, datée du 24 pluviôse An VII (12 février 1799), destinée à présenter le projet aux parlementaires. - Prospect ilS d'une Caisse hypothécaire [An IV], [par Mengin], 20 p. L'auteur, agent principal de la Conservation des hypothèques, élabore plusieurs plans de finances avant 1799. - Banque territoriale, de l'imprimerie de l'administration d'assurance contre les incendies [par les notaires Bevière, Laroche, Gaillard, Demautort, Silly, Edon, Raguideau, Mathieu], 16 p. L'un des auteurs, Demautort, participera à la création de la Banque de France dont il deviendra régent. - Contrat de la Banque générale de bienfaisance et de circulation commerciale, impr. de Quiber-Palissaux [vendémiaire An VIII], 31 p. Le document est accompagné de l'imprimé suivant: - Banqlle générale de bienfaisance et de circulation commerciale, de l'imprimerie de QuiberPalissaux, [brumaire AnVIII], 6 p. - Plan d'une banque générale du commerce de France ... par François Chamoulaud, Paris: impr. de Millet, [vendémiaire An VIII], 16 p. Ce plan prévoit la mise en place d'un réseau d'établissemenJs bancaires sur tout le territoire. - Projet d'établissement d'Ilne banqlle française, présenté ail Corps législatif, et au Directoire exécutif de la Répllblique, par Marc Richard, de Vellay, négociant à Lyon, et ,. F. PETITE, impr. de Radaut, ventôse An VII, 16 p.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Le rapport de Lecointe-Puyraveau Bon nombre de ces plans sont adressés aux assemblées législatives accompagnés de pétitions pour exiger la constitution d'une grande banque d'escompte. Le Conseil des Cinq-Cents en vient à nommer une commission pour les examiner. Le 12 germinal An VII (1er avril 1799), le rapporteur de cette commission, MichelMatthieu Lecointe-Puyraveau75, présente ses conclusions sur les différents plans de banques qui ont été proposés. Ces plans comportent plusieurs points communs. Dans plusieurs cas, ces banques devraient émettre des billets gagés sur la terre. Si les modalités diffèrent d'un projet à l'autre, tous envisagent la constitution d'un capital par l'apport de propriétaires d'immeubles. L'inspiration physiocrate, l'idée selon laquelle les richesses trouvent leur origine dans la terre, et le souvenir d'un lien étroit entre les assignats et les biens nationaux ne sont sans doute pas étrangers à ces projets. Ceux-ci ont un autre point commun. Toutes les présentations qui sont faites visent à obtenir des privilèges ou des aides de l'Etat: demandes de prêts, d'obtention du cours légal pour les billets émis, régimes de faveur, etc. Ce point commun s'explique assez facilement. Dans un contexte où la création d'un institut d'émission est désormais autorisée, il n'est pas nécessaire d'obtenir l'accord des pouvoirs publics pour mettre en place ce type d'établissement. La constitution de la Caisse des comptes courants ne résultait pas de l'obtention d'un droit particulier. Des personnes privées n'ont pas à faire appel au Corps législatif pour créer une banque. Si elles prennent la peine de s'adresser aux députés, ce n'est donc pas pour obtenir une autorisation, mais pour montrer que leur projet mérite de recevoir l'appui de l'Etat et tenter de bénéficier d'une aide.
- Banque d'union du Commerce, par Bout y, [vendémiaire An VIII), 8 p. - Société financière ... , par Payot, impr. J. Gratiot, 15 p. - Banque de crédit public et universel, propre a devenir la premiere Banque de l'Ellrope, et à ce titre digne de la grande Nation; 011 pétition présentée ail Conseil des 500 et renvoyé à la Commission des Banques, le 3 ventôse an VII, par le citoyen Monier aîné, homme de Loi à Paris, impr. de T. Carel, 14 p. D'autres plans manuscrits ou imprimés sont conservés aux Archives nationales avec les documents du ministère de \'Intérieur sous la cote F/12/971. Parmi ceux-là, on peut citer; - Projet de Commerce et de Banque avec Emission de billets à illtérêt, par Thomas Marshall [An VII), manuscrit envoyé au citoyen François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur. - Précis pOlir IIne Banqlle nationale à Paris, par Alexandre Dllrand, Paris: Glidau, nivôse An VIII, 24 p. - Projet de banqlle nationale envoyé le 12 pillviôse an 8, par le Cen Pointeall, ail citoyen Lucien Bonaparte, ministre de l'intérieur. Comme le précédent, ce projet est contemporain à la formation de la Banque de France. D'autres projets continuent d'ailleurs à être élaborés après la mise en pl,!ce de la Banque de France. 75. Représentant des Deux-Sèvres, Lecointe-Puyraveau avait été élu à deux reprises à la présidence du Conseil des Cinq-Cents.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Cette demande d'un soutien financier est rejetée par Lecointe-Puyraveau quelle que soit sa forme. Des privilèges, bien que réclamés sous le prétexte d'utilité publique, n'ont pas à être accordés. Ainsi, quoiqu'il puisse être intéressant pour l'Etat de recevoir des billets en paiement, il ne doit pas s'obliger à les accepter dans ses caisses. "Ordonnerez-vous de recevoir leurs billets en
paiement des contributions? L'on sent que s'il existait une banque solidement établie, dont les billets, par la confiance générale, fussent au pair de l'argent, l'Etat pourrait sans inconvénient, & même avec avantage, les recevoir; mais il ne faudrait pas qu'une loi l'ordonnât, parce que, d'un jour à l'autre, la confiance pourrait s'altérer, même sans raison, & que, la valeur d'opinion baissant, les caisses seraient encombrées de cette monnaie avant qu'on pût rapporter la loi, & l'on perdrait immensément."76 Lecointe-Puyraveau en déduit "que toute loi qui permettrait formellement des paiemens en billets aurait les plus funestes conséquences"77. Et de même que l'Etat n'a pas à s'imposer de recevoir de paiements en billets, les particuliers doivent aussi être libres de les accepter ou de les refuser. Quant à une éventuelle participation de l'Etat pour aider la Banque à constituer son capital, Lecointe-Puyraveau la rejette. Une banque peut fonctionner avec des fonds privés, quitte à ce que ce soit avec un capital de départ réduit. Lecointe-Puyraveau estime "que la banque, pour réussir, ne doit point tout-
à-coup émettre des billets pour une grande somme, ce serait le moyen de tout submerger ; qu'elle doit commencer avec des fonds modiques, avancer peu à peu, parce que la confiance ne peut croître que par degré"78. L'Etat n'a pas à apporter de fonds alors qu'il n'arrive même pas à équilibrer son budget. La Banque d'Angleterre n'a pas vu le jour grâce à un apport de fonds publics. Loin de recevoir des versements de l'Etat, c'est au contraire elle qui a été amenée à lui prêter dès ses premières années. C'est aussi vrai pour la grande banque qui pourrait se constituer en France. "Nous ne sommes donc pas en état de prêter, & nous serions
heureux de trouver à faire des emprunts. "79 S'il est hostile à l'aide de l'Etat pour favoriser la constitution d'un grand institut d'émission, Lecointe-Puyraveau n'en est pas moins favorable à ce type d'établissement. Il voit parfaitement les avantages que peut procurer cette banque "augmentative des signes"80. Si des capitalistes créent une banque en réunissant une somme de 10 millions, il leur est possible d'émettre pour 30 millions de billets. Lecointe-Puyraveau est non seulement conscient de la réalité de la création monétaire, mais il en analyse les effets. Il reconnaît l'impact bénéfique que la diffusion des billets peut avoir sur l'activité économique, mais il n'en 76. Lecointe-Puyraveau, Rapport fait par Lecointe-PlIyraveall sllr les projets de Banqlles, Paris: Impr. nationale, An VII, p. 22. 77. Ibid., p. 23. 78. Ibid., p. ~O. 79. Ibid. 80. Ibid., p. 31.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France déduit pas pour autant que la simple augmentation de la quantité de monnaie est assimilable à un supplément de richesses. C'est une véritable illustration de l'approche quantitative de la monnaie. Il affirme que "si tout-à-coup le
numéraire de la France étoit augmenté de moitié, nous n'en serions pas plus riches, parce qu'on n'est riche que d'une manière relative, & que l'augmentation étant la même pour tous, tout resterait dans les mêmes proportions: l'effet unique & réel qui en résulteroit serait qu'en peu de temps les productions de la terre & les objets de commerce augmenteraient de moitié"81. Lecointe-Puyraveau ne se laisse toutefois pas enfermer dans un raisonnement aussi simplificateur. Il voit parfaitement que l'augmentation de la quantité de monnaie, si elle amène une élévation du niveau général des prix, entraînera aussi une modification des prix relatifs. Tous les citoyens ne recevront pas en quantité égale ce supplément de monnaie et son utilisation, non répartie équitablement sur tous les produits, entraînera des distorsions de prix. Ce rejet de la neutralité de la monnaie dans la sphère économique incite Lecointe-Puyraveau à accepter la création de banques d'émission pour que le pays puisse bénéficier de leurs bienfaits, mais il faut prendre garde aux risques qu'elles peuvent faire courir aux citoyens. C'est alors la question de l'indépendance de la banque vis-à-vis de l'Etat qui se pose. Les banques seront indépendantes dans la mesure où elles devront se constituer en dehors de toute contribution financière de l'Etat, mais elles sont soumises aux lois qui organisent l'activité économique du pays. Lecointe-Puyraveau, qui se réfère à la Hollande, à Venise, à Londres et à l'Ecosse, pense qu'une ou plusieurs banques d'émission peuvent être utiles à la France, si leur activité est réglementée pour éviter les effets néfastes que pourraient provoquer des émissions abusives. A la suite de ce rapport, le Conseil des Cinq-Cents invite le Directoire exécutif à employer "tous les moyens en son pouvoir pour assurer & favoriser l'établissement & l'indépendance des banques particulières, propres à répandre dans tous les départemens les figures monétaires, à éviter à la République des transports d'argent, à fournir au commerce & à l'agriculture les signes d'échanges dont ils pourraient avoir besoin"82. Cette invitation, bien qu'elle présente les banques comme un moyen de favoriser l'activité économique tout en se passant de la monnaie métallique, ne fait nullement mention de la nécessité de constituer un établissement de grande envergure, alors que c'était cette éventualité qui avait provoqué la nomination d'une commission. Ramon, dans son ouvrage consacré à la Banque de France, affirme que "les conditions de stabilité gouvernementale et la confiance indispensable à la 81. Ibid., p. 41. 82. Ibid., p. 50. L'invitation rappelle, en la complétant, celle que le Conseil avait formulée le 3 nivôse An IV (24 décembre 1795) lorsqu'il annonçait: "le Directoire exécutif provoquera et recet'ra les offres des associations et compagnies de commerce" (Moniteur universel, nO 98, 8 nivôse An IV (29 décembre 1795), p. 60).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 réalisation d'une aussi grande entreprise firent défaut pendant tout le cours de l'été et de l'automne 1799 et ne se trouvèrent réunies qu'après le 18 Brumaire"83. C'est seulement après le coup d'Etat de Bonaparte que la Banque de France verra le jour. "Le Premier Consul [... ] prit-il l'initiative des pourparlers dont sortit la Banque de France ? Les historiens l'ont constamment admis."84 C'est pourtant cette vision traditionnelle que nous n'hésiterons pas à réfuter.
La Banque de France, aboutissement d'un long processus et non création spontanée L'idée que la création de la Banque de France est l'oeuvre de Bonaparte est encore répandue aujourd'hui. Ce sont en réalité les hommes d'affaires qui fondent la Banque de France. Deux d'entre eux jouent les premiers rôles: Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu et Jean-Frédéric Perregaux. Le rôle primordial des hommes d'affaires Lecouteulx-Canteleu et Perregaux Nous avons vu que Lecouteulx-Canteleu, qui était particulièrement intéressé par la création d'une grande banque d'émission et s'était largement engagé quatre ans auparavant dans la création de la banque qui devait aboutir à remplacer les assignats par les billets de banque dans la circulation monétaire, avait rejoint Augustin Monneron lors de la création de la Caisse des comptes courants. Il s'était même évertué à faire bénéficier la province des expériences parisiennes 85 . Lecouteulx-Canteleu ne tenait pas à s'arrêter en si bon chemin et souhaitait étendre l'influence des banques, convaincu qu'elles pouvaient largement contribuer au développement de l'activité économique. Il avait signé une pétition adressée aux pouvoirs publics dans laquelle il proposait l'établissement d'une banque susceptible de favoriser la prospérité publique. Mais il prétendait qu'un capital de 10 millions de francs réuni par des particuliers ne pouvait pas être suffisant et limiterait l'activité de la banque. Il invitait le Directoire à encourager la constitution d'une grande banque en proposant que le Trésor public prête une somme de 10 millions de francs pour 15 ans et sans intérêt, somme qui réunie à l'apport des associés permettrait la constitution d'un capital important favorisant un large développement des activités de la banque. Perregaux est un banquier d'origine suisse installé à Paris. Dès juillet 1789, il accompagne la vague révolutionnaire en exerçant plusieurs fonctions civiles et militaires. Après l'émission des assignats, il est chargé par le gouvernement de 83. Ramon, qp. cit., p. 15. 84. Ibid., p. 17. 85. Cf infra, p. 103-106.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France rechercher des faussaires en France et à l'étranger. Il fournit également des dons patriotiques importants qui visent sans doute à montrer son attachement à la Révolution. Mais Perregaux est certainement plus opportuniste que fervent révolutionnaire. Il est dénoncé à plusieurs reprises pour des activités douteuses et arrêté, mais il est systématiquement relâché faute de preuves. Et lorsqu'il est enfin prouvé que Perregaux joue un double jeu en servant d'intermédiaire au gouvernement anglais qui verse des sommes destinées à semer l'agitation en France 86 , il a su se rendre indispensable à la Révolution au point que son arrestation devient impensable. En collaboration avec Robert Lindet, alors membre du Comité de salut public, il vient de monter une opération destinée à mettre à la disposition de la Trésorerie les créances des banquiers sur l'étranger. Arrêter Perregaux, c'est priver la Révolution des fonds que le gouvernement souhaite faire rentrer. Perregaux est bien entendu partie prenante dans les tentatives visant à mettre en place des banques d'émission. Pendant l'hiver 1795-1796, il est nommé administrateur, aux côtés de Laffon-LadébatB7, Lecouteulx-Canteleu et Monneron, de l'institut d'émission que tentent de constituer les banquiers au moment où le Directoire voit dans les billets une solution au remplacement des assignats. Il devient ensuite actionnaire de la Caisse des comptes courants et prend part à son administration. Il fait partie des commissaires chargés de vérifier l'état de la caisse après la disparition d'Augustin Monneron. Une fois encore, son rôle demeure mystérieux, comme le montre Albert Mathiez qui relève que "sa signature manque à l'engagement solidaire qu'avaient souscrit les principaux actionnaires"88. Le ministre de la police, qui le suspecte de vouloir nuire à la Caisse, fait même mettre sa banque sous surveillance. Perregaux cherchait-il à se retirer d'une entreprise en situation délicate? Un élément à charge contre lui est signalé dans les archives de la Caisse. L'un des porteurs de billets qui s'étaient présentés au remboursement pendant la période de crise avait été reconnu comme un employé de Perregaux. Cette demande de remboursement était certes malvenue de la part d'une personne travaillant pour un administrateur de la Caisse, mais Perregaux
86. A. Mathiez, "Le banquier Perregaux ", Allnales révolutiollllaires, t. 11, 1919, p. 252. 87, Fils de Jacques-Alexandre Laffon, annobli par Louis XV pour services rendus au commerce (d'où le nom de Laffon de Ladébat avant que la Révolution ne supprime la particule), André-Daniel Laffon-Ladébat est élu député de la Gironde à l'Assemblée législative en 1791. Il préside le comité des finances et est élu le 23 juillet 1792 président de l'Assemblée. En décembre 1792, il est nommé directeur de la Caisse d'escompte dont il surveille la liquidation. En octobre 1795, le département de la Gironde l'envoie siéger au Conseil des Anciens dont il assure la présidence le 18 août 1797. Partisan de la constitution d'une grande banque d'émission, il est nommé directeur de celle qu'un groupe de banquiers tente de constituer dans les premiers mois du Directoire et dont l'ouverture finit par être repoussée. 88. A. Mathiez, "Encore le banquier Perregaux ", Annales révolutionnaires, t. 12, 1920, p.241.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
lui-même n'avait pas véritablement été mis en cause, et il était ensuite intervenu pour qu'aucune demande de conversion ne provienne de sa propre maison. 89 Les liens avec Bonaparte Ces deux hommes d'affaires prêts à s'engager dans la constitution d'établissements bancaires n'ont pas attendu le 18 brumaire pour faire la connaissance de Bonaparte. Lecouteulx-Canteleu reconnaît dans ses mémoires que sa première rencontre avec Bonaparte remonte à janvier 1796. Celui-ci lui avait fait part à cette occasion de son souhait de voir disparaître les assignats à une époque où il était encore risqué de remettre en question ce symbole de la Révolution 90 . Lecouteulx-Canteleu devait rapidement devenir un intime de Bonaparte91 . Il est difficile de dire à quelle date remontent les relations entre Perregaux et Bonaparte. Contrairement à Lecouteulx-Canteleu qui nous a laissé des écrits, Perregaux a fait brûler devant lui tous ses papiers personnels avant sa mort. Les historiens admettent néanmoins qu'il ait pu avoir des contacts avec Bonaparte avant le coup d'Etat. Certains auteurs, comme Bigo, affirment que "Perregaux l'avait peut-être même commandité"92. Il nous est impossible de prouver que Perregaux ait apporté des fonds à Bonaparte avant le 18 brumaire. Les sommes que le banquier avait allouées aux révolutionnaires dans les périodes précédentes montrent seulement qu'il pouvait saisir ce type d'opportunité. Mathiez, qui
89. Le même incident semble s'être reproduit le 5 vendémiaire An XIV (27 septembre 1805) alors que la Banque de France traversait une période difficile, ainsi qu'en témoigne un rapport du préfet de police. "La foule a été ce matin beaucoup plus considérable qu 'hier, à la porte de la Banque de france. Je m 'y suis transporté et j'ai donné des ordres pour que des Officiers de Police, placés dans l'Intérieur et à l'extérieur demandassent les cartes de Citoyen, ou les Passeports aux Individus qui se présentaient pour échanger des billets contre du numéraire. Cette mesure a produit le meilleur effet et a éloigné mille à 1 200 individus sans aveu, employés par la Cupidité et la Malveillance et qui craignant d'être découverts ont pris la fuite. Quelques uns des plus marquants ont été arrêtés; parmi ceux-ci se sont trouvés deux individus porteurs chacun d'un billet de 1000 fr., qui ont déclaré avoir été envoyés par le Caissier de M. Perrégaux pour le compte duquel ils ont dit vouloir échanger ces Billets. Je suis retourné une seconde fois à la Banque, et j'y ai fait connaftre mon étonnement, que sous le nom d'un des Régents de la Banque on se permit un pareil manège qui, s'il était connu dans Paris, jeterait l'Allarme et amenerait à la Banque tous les Propriétaires de Billets. Le sieur Laffite, Associé de M. Perrégaux est venu se disculper devant moi, et me dire que c'était une erreur du Caissier et que M. Perrégaux en était aussi affligé que moi-même. Cette mesure a encore contribué à diminuer l'afJIuence, en rendant circonspects les autres affidés de la Banque. " (Préfecture de Police. Rapport du 5 vendémiaire an 14. Archives nationales, F /7 /3834.) 90. J.-B. Lecouteulx-Canteleu, "Souvenirs du sénateur comte Le Couteulx de Canteleu", in: A.-M. Lescure, 'Mémoires sur les journées révolutionnaires et les coups d'Etat, avec introduction, m}tices et notes par M. de Lescure, Paris: Firmin-Didot, 1875, t. 2, p. 206-207. 91. Ibid., p. 209. 92. Bigo, op. cit., p. 222.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France consacre des écrits à Perregaux, est néanmoins catégorique. "Il fut un des commanditaires du coup d'Etat du 19 brumaire."93 Lecouteulx-Canteleu, quant à lui, reconnaît sans ambiguïté dans ses mémoires qu'il était informé "de cette révolution du 18 brumaire qui se préparait plusieurs mois avant l'arrivée en France du général Bonaparte, mais à laquelle il manquait un chef militaire"94. Il fait d'ailleurs référence à ses discussions avec Bonaparte sur la préparation du coup d'Etat. Le 18 brumaire, il est aux côtés du général qui lui propose même le ministère des Finances95 . Financer le coup d'Etat, c'est peut-être apporter des fonds avant la prise de pouvoir, mais c'est surtout fournir des ressources au nouveau gouvernement. Quinze jours après le coup d'Etat, le 3 frimaire An VIII (24 novembre 1799), un groupe de banquiers et négociants se réunit chez Bonaparte. Celui-ci leur demande les fonds indispensables au fonctionnement de son gouvernement96 . L'un d'eux, Germain, fait valoir que les négociants et banquiers sont insuffisamment structurés pour garantir le succès d'un emprunt important, mais il fait appel à la coopération de l'ensemble du monde des affaire. Dès le départ de Bonaparte, les banquiers et négociants se concertent sous la présidence de Lecouteulx-Canteleu en vue de l'ouverture immédiate d'une souscription pour un montant de douze millions de francs. Deux négociants, Sabatier et Perrier, et un banquier, Delessert, organisent aussitôt l'élection de sept commissaires chargés d'assurer la rentrée de l'emprunt.
93. Mathiez, "Le banquier Perregaux", op. cit., p. 242. 94. Lecouteulx-Canteleu, op. cit. , p. 213. Affirmer que le coup d'Etat se préparait avant l'arrivée de Bonaparte, c'est reconnaître que celui-ci n'en a pas été l'instigateur, mais le simple exécutant. Les historiens semblent convenir que le coup d'Etat a été préparé par Sieyès, avec l'aide de Talleyrand et de Fouché. Sieyès avait toutefois besoin d'un militaire pour ce coup de force. Son choix s'était tout d'abord porté sur Joubert mais celui-ci fut tué à Novi en combattant l'armée austro-russe. Sieyès proposa alors l'opération à Moreau qui se désista mais conseilla de choisir Bonaparte. Pierre Miquel note que Talleyrand favorisa le contact avec le général (P. Miquel, La grande Révolution, Paris: Plon, 1988, p.586). Dans ses mémoires, Lecouteulx-Canteleu relate d'ailleurs ses conversations avec Sieyès, Talleyrand et Fouché lors de la préparation du coup d'Etat. 95. Lecouteulx-Canteleu, op. cit., p. 225. Achille Dauphin-Meunier affirme sans ambiguïté que les banquiers, inquiétés par.la volonté du Directoire d'établir un impôt sur le capital, sont les véritables instigateurs du coup d·Etat. Ils "envisagèrent de renverser le gouvernement, avec l'aide des militaires. Le Couteulx et Perrégaltx songèrent aussitôt à BO,Japarte qui guerroyait en Egypte. Ils lui dépêchèrent un émissaire, le grec Bourbaki. Bourbaki informa Bonaparte que deux millions de francs, recueillis ell prévisioll. d'un coup d'Etat, étaient à sa dispositioll. Désertant son armée, sans oser même prévellir de son départ son chef d'état-major, Kléber, Bonaparte revint à Paris." (A. Dauphin-Meunier, La Ballque de France, Paris: Gallimard, 1936, p. 19.) Ce qui est certain, c'est que l'arrivée de Bonaparte écartait la menace que l'impôt prévu faisait peser sur certains financiers. "Quand Bonaparte reviendra d'Egypte, les capitaux l'acClleilleront en libérateur." (A. Vanda l, L'avènement de BOllaparte, t. 1, La Genèse dit Consulat. Brumaire, La constitutioll de l'an VIII, Paris: Plon, Nourrit et Cie, 1902, p. 203.) 96. Procès-verbal de la séance des banquiers et négocians convoqués chez le Consul Bonaparte le 3 Frimaire ail VIII, s.l.n.d., p. 1-2.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Fulchiron, Mallet, Perregaux, Germain, Sévenne, Doyen et Récamier, banquiers à Paris, sont désignés. En dehors de Mallet, tous sont actionnaires de la Caisse des comptes courants. Fulchiron, Perregaux, Germain et Récamier participent même directement à son administration. Tous s'impliqueront dans la création de la Banque de France et entreront dans le Conseil de régence97 . Perregaux et Delessert se retrouveront aussi régents de la Banque de France et Sabatier occupera le poste de censeur98. C'est un condensé du Conseil de régence de la Banque de France qui se charge de recouvrer l'emprunt99 . Est-ce à dire que la question de la Banque de France a été abordée au cours de la réunion? Le compte-rendu de celle-ci n'en fait pas mention. La reprise d'un projet ancien C'est par une lettre du 16 nivôse An VII (6 janvier 1800) que LecouteulxCanteleu, Perregaux et quelques autres personnalités des affaires rappellent au ministre des Finances Gaudin qu'il a "déjà été instruit par l'envoi d'un projet de
statuts généraux d'une Banque, que des Citoyens s'occupaient de former cet établissement important "100 et annoncent "aujourd'hui la réalisation de ce projet"lOl. La lettre fait donc référence à une information préalable fournie à Gaudin, lequel en a vraisemblablement informé Bonaparte. Mais le projet est présenté comme venant des banquiers eux-mêmes, et non pas du Premier Consul. D'ailleurs, si l'on tient compte du fait que le Consulat est définitivement installé le 25 décembre 1799, il est difficile de croire que Bonaparte ait eu le temps d'entreprendre la rédaction des statuts de la Banque de France entre le 25 décembre et le 6 janvierl02 . Cette opinion va dans le sens d'une remarque de Pierre Bougerol, auteur d'une thèse sur une crise que traversera la Banque en 1805.
"Même si l'on tient compte de l'énorme puissance de travail de Bonaparte, il est bien difficile de soutenir que parmi la foule de problèmes majeurs qui étaient à 97. A l'exception de Fulchiron. Celui-ci avait été nommé administrateur de la banque qui avait commencé à se constituer en pluviôse An IV, puis administrateur de la Caisse des comptes courants. Il devait devenir actionnaire de la Banque de France sans toutefois entrer au Conseil de régence. 98. Sur le contenu de ces fonctions, cf infra, p. 49. 99. En fait, sur les douze millions prévus, les banquiers réussissent à en rassembler seulement trois. (R. Stourm, Les financcs du Consulat, Paris: Guillaumin, 1902, p. 53-61.) 100. Archives nationales, AF 11V 16. 101. Ibid. 102. Ces statuts ont en fait été rédigés avec l'aide de l'avocat d'affaires Pierre-Nicolas Berryer qui le reconnaît dans ses mémoires. "Ainsi, en l'an 8, avec MM. Lecouteulx et compagnie, Perregaux, Laffon-Ladébat, j'ai élaboré les statuts de la Banque de France" (P.-N. Berryer, SOlwellirs de M. Berryer, doyen des avocats de Paris de 1774 à 1838, Paris: Dupont, 1839, t. 2, p. 399). Albert Vandal note que "Bonaparte n'eut rien à inventer, se trouvunt en présence d'idées étudiées et mlÎries". (Op. cit., p. 269.)
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
résoudre Bonaparte ait pu de lui-même, et durant cette période, s'occuper de la fondation de l'Institut d'Emission, s'il n'avait trouvé un dossier déjà prêt."103 Il est donc tout à fait vraisemblable que Lecouteulx-Canteleu et Perregaux aient pu préparer un projet de création d'un grand institut d'émission. Ou plus exactement, ils n'ont fait qu'aménager le projet élaboré pendant l'hiver 17951796. Les objectifs sont les mêmes: favoriser les activités commerciales tout en diffusant les billets de banque dans la circulation monétaire. La volonté d'indépendance de la Banque est maintenue bien que la nécessité d'une aide de l'Etat soit toujours reconnue. Seuls les moyens à mettre en oeuvre divergent. Il est vrai que le contexte de l'An VIII n'est plus celui de l'An IV : le délicat problème du retrait des assignats n'est plus à l'ordre du jour et les conditions d'intervention de la Banque s'en trouvent modifiées. L'appellation même "Banque de France" provient vraisemblablement des hommes d'affaires et non pas du pouvoir politique104 . Il était sans doute question de donner le titre de Banque de France à l'établissement qui avait failli voir le jour quatre ans auparavant. 105 Si la volonté de constitution d'une grande banque d'émission nous paraît incontestablement antérieure à l'arrivée au pouvoir de Bonaparte, il reste à expliquer pourquoi celle-ci a effectivement pu ouvrir ses portes avec le Consulat. La réunion des banquiers et négociants chez Bonaparte pourrait laisser supposer que la création de la Banque a pu être négociée contre l'octroi du prêt demandé. L'aide de l'Etat était en effet impérative, comme l'avait expliqué LecouteulxCanteleu 106, pour que l'établissement puisse atteindre une dimension respectable. Mais à aucun moment la question de la Banque de France n'est abordée dans le compte-rendu de la réunion. Si l'engagement à favoriser la création de la Banque de France a servi de préalable au financement du coup d'Etat, il est possible que celui-ci ait été négocié avec Sieyès, qui était le véritable organisateur du coup d'Etat et l'ami personnel de Lecouteulx-Canteleu. Après la réussite du coup d'Etat, ou peut-être avant, Sieyès a pu obtenir l'assentiment de Bonaparte.
103. P. Bougerol, La Banque de France et la crise de 1805, Thèse pour le doctorat de Sciences économiques, Paris, Faculté de droit et de sciences économiques, 1969, p. 17-18. 104. L'idée de créer une Banque de France est ancienne. En 1608, un avocat, Pierre de Fontenu, avait soumis au roi le plan d'une Banque de France. Le roi ravait approuvé mais le projet n'avait toutefois pas été appliqué. (G. Fagniez, Une Banque de France en 1608, Nogentle-Rotrou : impr. de Daupeley-Gouvemeur, s. d., 8 p.) 105. Par un courrier du 20 août 1832, un libraire, Dabin, avertit la régence de la Banque de France qu'il a fait l'acquisition des procès-verbaux manuscrits des séances au cours desquelles les banquiers avaient rédigé les statuts d'un grand institut d'émission début 1796. Dabin demande à la régence rautorisation de vendre ces documents à un acheteur étranger. Son courrier et la réponse de la Banque de France (qui ne juge pas digne d'intérêt racquisition des ces documents) laissent entendre que le nom de "Banque de France" avait alors été choisi pour l'établissement. (Archives de la Banque de France.) 106. Cf supra, p. 41-42.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Celui-ci n'est certes pas le fondateur de la Banque de France, mais nous n'irons pas jusqu'à dire que cette création lui a été imposée107 . Elle résulte plutôt d'une communauté d'intérêts: intérêts économiques des hommes d'affaires qui tentent ·de mettre sur pied un grand établissement de crédit, et intérêts politiques d'un chef d'Etat qui ne peut qu'approuver une mesure susceptible d'améliorer la distribution du crédit et donc de relancer l'activité du pays en le dotant d'un instrument qu'il pourra mettre à son service108. Cette convergence d'intérêts a de plus l'avantage d'aller dans le sens de ce que souhaite la population. Un rapport de police du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) reconnaîtra "qu'on ne voit de
ressources que dans l'existence d'une banque formée par une association de particuliers et hors de la dépendance du Gouvernement, [... ] les opérations de cette banque, en doublant le numéraire en circulation, faciliteraient toutes les rentrées et donneraient du mouvement au commerce"109.
III. La constitution de la Banque de France En dépit d'un nom qui pourrait évoquer une institution créée par l'Etat en vue d'une mission nationale, la Banque de France est en 1800 un établissement indépendant qui poursuit les opérations de la Caisse des comptes courants.
La Banque de France, un établissement indépendant La fondation de la Banque de France repose sur un pari paradoxal: créer un institut d'émission qui puisse exister grâce à la bonne volonté de l'Etat mais dont le fonctionnement soit indépendant des exigences de l'Etat. L'aide initiale de l'Etat
Dans la lettre qu'ils adressent le 16 nivôse An VIII (6 janvier 1800) au ministre des Finances, Lecouteulx-Canteleu, Mallet, Perregaux, Mautort, Perrier et 107. François Hincker suggère que "Bonaparte ne pouvait que donner le feu vert à l'initiative des banquiers qui avaient financé le coup d'Etat" (F. Hincker, La Révolution française et l'économie, Paris: Nathan, 1989, p. 203). 108. Alain Prate, auteur d'un ouvrage sur les liens entre la Banque de France et le gouvernement, avance une interprétation voisine. Il ne prête toutefois pas à Bonaparte la volonté de contrôler l'établissement. "La création de la Banque de France résulta de la rencontre de financiers expérimentés, qui projetaient l'établissement d'une banque d'émission privée, et d'un pouvoir politique fort, qui avait compris la nécessité de doter la France d'un système financier solide." (A. Prate, La France et sa monnaie. Essai sur les relations entre la Banque de France et les gouvenzements, Paris: Julliard, 1987, p. 46.) Louis Pommier souligne qu"'il fallait une nouvelle banque, qui put présenter un capital suffisant pour, outre ses affaires avec les particuliers, faire des opérations avec le Trésor. Il y avait là pour elle autant de bénéfices à recueillir que df services à rendre." (L. Pommier, La Banque de France et l'Etat depuis sa création jusqu'à nos jours, Paris: Rousseau, 1904, p. 45.) 109. F.-A. Aulard, Paris sous le Consulat, Paris: Cerf, 1903, t. 1, p. 95.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Perrée llO annoncent qu'ils ont été élus régents. Sans tarder, ils "exposent les points généraux de protection et d'accession qu'ils demandent au gouvernement"lll. Reprenant l'idée déjà exposée par Lecouteulx-Canteleu, ils avancent que le capital de 30 millions de francs prévu pour la Banque ne pourra pas être rapidement réuni si l'on s'en tient aux seuls apports des particuliers, ce qui risque de compromettre le succès de l'établissement. L'aide du gouvernement s'impose donc pour permettre à la Banque de recevoir rapidement des fonds en quantité suffisante. Les régents proposent que la Banque reçoive les cautionnements versés par les receveurs généraux. Ces receveurs généraux sont des officiers chargés de récolter l'impôt dans chaque département. Le ministre des Finances venait d'exiger qu'ils versent un cautionnement, c'est-à-dire une somme de monnaie métallique que l'Etat pourrait conserver en cas de pertes de fonds qui leur seraient imputables. C'est une Caisse d'amortissement, créée le 6 frimaire An VIII (27 novembre 1799) et confiée à la direction de Mollien 112 qui recevait ces cautionnements dont la première moitié se montait à plus de 10 millions de francs. Les régents souhaitent donc que la Caisse d'amortissement reverse à la Banque de France les fonds qu'elle a ainsi perçus. La moitié serait placée sur un comptecourant que la Caisse pourrait utiliser au gré de ses besoins. L'autre moitié resterait à la Banque et serait convertie en actions dont la Caisse d'amortissement deviendrait propriétaire. En contrepartie, la Banque s'engage à rembourser les obligations1l3 des receveurs généraux impayées à l'échéance et ce jusqu'à concurrence des fonds qu'elle aura ainsi reçus. Ce rôle de remboursement était à l'origine dévolu à la Caisse d'amortissement. Un arrêté des consuls du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) exauce le voeu des régents en leur fournissant
110. Mautort est notaire à Paris, Perrée est négociant. On trouvera une présentation détaillée des différents régents dans l'ouvrage de Romuald Szramkiewick, Les régents et censeurs de la Banque de France, nOnlmés sous le Consulat et l'Empire, Genève: Droz, 1974, 422 p. 111. Archives nationales, AF/IV /6. 112. François-Nicolas Mollien est un fils de commerçant rouennais. Après des études à Paris, il entre au ministère des Finances. Lecteur assidu d'Adam Smith, il est partisan de la liberté commerciale. Dès 1786, il estime que les progrès de l'industrie française doivent lui permettre d'entrer en concurrence avec les pays voisins. Avec la Révolution, Mollien cherche à s'éloigner de Paris et devient directeur de l'administration générale des domaines nationaux et de l'enregistrement dans le département de l'Eure. Il perd son poste en 1792 et entre dans une manufacture de coton nouvellement créée. En février 1794, il est inquiété par le comité révolutionnaire d'Evreux. Libéré, puis arrêté de nouveau comme complice des fermiers généraux parmi lesquels figure Lavoisier, il est incarcéré avec eux. Relâché, il part en Angleterre où il étudie l'organisation financière du pays et a· notamment J:occasion de s'intéresser à la crise de la Banque d'Angleterre contrainte de suspendre le remboursement de ses billets. 113. Il s'agit vraisemblablement des billets émis par les particuliers pour leur faciliter le paiement de l'emprunt forcé, billets qui étaient reçus par le percepteur de la commune puis envoyés au receveur du département. A l'échéance, ces billets devaient être remboursés en métal par l'émette'ur.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 les sources de financement réclamées. Les régents sollicitent aussi l'autorisation d'installer la Banque dans des locaux appartenant à l'Etat à la maison dite de l'Oratoire, rues Honoré et de l'Oratoire. Ils obtiennent là encore satisfaction. Un second décret du 28 nivôse met cette maison à la disposition de la Banque. La volonté d'indépendance Les statuts initiaux prévoient qu'il "sera établi une Banque publique, sous la dénomination de BANQUE DE FRANCE"114. L'appellation ne signifie alors pas que la Banque est propriété d'Etat, mais qu'elle fait appel à l'apport de fonds du public. Son capital est divisé en 30 000 actions de 1 000 francs. L'assemblée générale sera constituée par la réunion des deux cents plus forts actionnaires. On voit le danger que peut représenter le fait que l'Etat soit le principal actionnaire. La Caisse d'amortissement, lorsqu'elle verse à la Banque les cautionnements des receveurs généraux, reçoit des actions de la Banque pour moitié de ses versements. Elle sera donc de loin le plus fort actionnaire, d'où le risque que ce soit l'Etat, par l'intermédiaire de la Caisse d'amortissement, qui contrôle la Banque si une voix est attribuée à chaque action. L'article IX des statuts écarte la mainmise de l'Etat sur la Banque en prévoyant que "chaque votant aura autant de voix qu'il réunit de
masses de cinq Actions, toutefois jusqu'à la concurrence de quatre voix au plus"1l5. La direction de la Banque n'échappe pas aux actionnaires. Elle est
"administrée par quinze Régents, et surveillée par trois Censeurs choisis par l'Assemblée Générale"116. Les régents sont répartis dans différents comités, chaque comité étant chargé de l'administration d'une activité particulière. Quant aux censeurs, ils surveillent la conformité des opérations de la Banque. Ils ont donc accès aux caisses, aux portefeuilles et aux différents dossiers relatifs à la marche de l'établissement. Si la Banque, dans ses diverses opérations, est appelée à traiter avec l'Etat, les statuts font néanmoins clairement ressortir que celui-ci est mis sur le même pied que les particuliers. Ces statuts répartissent les opérations de la Banque en cinq séries d'activités: -l'escompte d'effets de commerce revêtus de trois signatures; - le recouvrement d'effets qui lui auront été remis, contre des avances, par des particuliers ou des établissements publics. Les statuts n'apportent pas de précisions sur ces activités. Il s'agit manifestement d'opérations assimilables à l'escompte mais ne concernant pas la sphère traditionnelle du commerce; - la gestion des comptes-courants des particuliers ou des établissements publics;
114. Statuts fondamentaux de la Ballque de France, 24 et 27 pluviôse An VIII (13 et 16 février 1800), p. 1. (Archives de la Banque de France.) 115. Ibid., p. 5 116. Ibid. \
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France - l'émission de billets. "Ces billets seront émis dans des proportions telles, qu'au
moyen du numéraire réservé dans les Caisses de la Banque et des échéances du papier de son portefeuille, elle ne puisse dans aucun temps être exposée à différer le payement de ses engagements au moment où ils lui seront présentés. "117 - l'ouverture d'une caisse d'épargne permettant des placements avec intérêt, remboursables à des périodes déterminées. La volonté d'indépendance de la Banque n'exclut pas l'engagement personnel du Premier Consul pour assurer son succès. Non seulement il satisfait les demandes de la Banque concernant l'apport de fonds publics et la location de l'établissement souhaité, mais il donne l'exemple en s'inscrivant personnellement en tête des souscripteurs d'actions en achetant trente titres. Il est aussitôt suivi par son entourage. Cette implication de Bonaparte est toutefois mal perçue par le public qui, malgré les garanties offertes par les statuts de la Banque, craint la mainmise de l'Etat sur l'émetteur118. Le souvenir du papier-monnaie est encore trop récent pour que le risque d'une compromission entre la Banque et l'Etat ne provoque pas la méfiance 119 . Un rapport de police du 3 pluviôse An VIII (20 janvier 1800) relève que les négociants "insinuent qu'elle [la Banque] ne peut inspirer de confiance, puisqu'elle tiendra au gouvernement"120. Trois jours plus tard, un autre rapport fait à nouveau état de ces "doutes sérieux sur le succès de la Banque "121. Une note est publiée dans le Moniteur du 7 pluviôse An VIII (27 janvier 1800) pour rassurer la population. Elle établit une comparaison entre l'Angleterre, où la Banque paraît liée au gouvernement à qui elle procure des ressources, et la France où la nouvelle Banque se veut indépendante. Il s'agit surtout de montrer que la Banque de France n'est pas sous la coupe de l'Etat et qu'elle ne risque pas d'émettre des billets qui seraient représentatifs de la dette publique. Dans un contexte où la puissante Banque d'Angleterre a dû recourir à l'inconvertibilité, l'assimilation à cet établissement n'est pas propre à susciter la confiance. Il convient donc d'insister sur le fait que les débiteurs de la Banque sont non pas le gouvernement
117. Ibid., p. 3. 118. Les auteurs d'un ouvrage sur I"activité de la Banque de France notent qu'il était "indispensable, pour que les nouveaux billets pussent bénéficier de la confiance du public, que l'organisme chargé de les émettre, fat tout à fait indépendant de l'autorité gouvernementale" (F. Aubert, F. De Juvigny, A. Messin, Charriau et al., La Banque de France, Paris: BergerLevrault, 1975, p. 13). 119. On note ainsi des réserves dans la Gazette de France. "L'établissement d'une banque sllppose tOlljollrs rareté dll nllméraire et crédit pllblic. La rareté du nllméraire existe bien réelleme/lt ; on ne pellt pas en dire alltant dll crédit pllblic, mais il dépend beaucollp du gOllverneme/lt de le faire /laître." (Gazette de Fra/lce, n° 774, 6 pluviôse An VIJI (26 janvier 1800), p. 503.) 120. Aulard, Paris SOIlS le Consulat, op. cit., p. 118. 121. Ibid., p. 1'21.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
mais des particuliers solvables auprès de qui la Banque sera assurée de se faire rembourser grâce aux effets qu'elle détient.
L'intégration de la Caisse des comptes courants à la Banque de France La volonté de réunion des deux établissements En janvier 1800, on est donc en présence d'une banque d'émission parisienne, la Caisse des comptes courants, qui fonctionne depuis plusieurs années en ayant su obtenir la confiance du public 122 , et d'une Banque de France qui n'a pas encore ouvert ses portes et dont on se méfie. La volonté des dirigeants de l'un et l'autre établissement, dirigeants parfois communs aux deux, est de favoriser le développement des affaires en facilitant l'octroi des crédits et en diffusant les billets de banque dans la circulation monétaire 123 . Cette similitude des objectifs des deux établissements conduit les dirigeants de la Banque de France, dès que les arrêtés des consuls du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) lui donnent satisfaction, à rechercher l'appui de la Caisse des comptes courants. Celle-ci bénéficie d'un crédit solide auprès des commerçants et d'une organisation bien rôdée qui lui permettent d'assurer une diffusion des billets sans soubresaut depuis l'affaire Monneron. Le 29 nivôse An VIII (19 janvier 1800), les régents informent les administrateurs de la Caisse du fait que "la Banque va incessamment s'organiser et commercer ses opérations"124 et les invitent à une concertation en vue d'examiner la possibilité d'une réunion des deux établissements. L'administration de la Caisse arrête aussitôt la convocation d'une assemblée générale des actionnaires pour le 3 pluviôse (23 janvier) afin d'étudier la proposition. Le 9 pluviôse An VIII (29 janvier 1800), un actionnaire de la Caisse, Léon Basterrèche 125, expose les arguments qui doivent pousser les actionnaires à opter pour la réunion à la Banque de France. Avant de montrer que cette réunion peut être profitable aux intérêts des actionnaires, il s'emploie à montrer que la Banque de France est indispensable à l'intérêt du pays. Il explique que les banques de Venise, Amsterdam, Hambourg et Londres ont été profitables au développement du commerce et à la stabilité des gouvernements et rappelle les succès de la Banque de Law avant que celle-ci ne sombre dans les excès. S'arrêtant sur 122. La Décade philosophique écrit dès le printemps 1797 que "cette caisse jouit du plus grand crédit, ses billets, qu'elle émet avec beaucoup de prudence, sont recherchés" (La Décade philosophique, 10 floréal An V, t. 13, germinal-floréal-prairial, p. 253). Ces appréciations ét<;tient d·autant plus marquantes que la Banque d·Angleterre cessait alors ses paiements. 123. C'est en effet à l'occasion de l'escompte que sont émis les billets. 124. Registre des délibérations de l'administratioll ... , op. cit. 125. Il sera élù régent de la Banque de France deux semaines plus tard.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France l'exemple de la Banque d'Angleterre, il insiste sur l'impact de sa création sur l'activité économique. "L'extrême rareté des espèces la fit créer. Sa création
ramena tous les signes de l'abondance. On vit la circulation, la confiance renaître, le crédit se rétablir; l'or enfin reparut."126 Le commerce est directement bénéficiaire de la création d'un établissement qui a abouti à faire baisser les taux d'intérêt. L'Etat profite indirectement de tels bienfaits, ou même directement lorsqu'il est secouru dans ses efforts de guerre. Les billets émis par la Banque jouent un rôle salutaire. "On échange sans crainte son argent contre des billets
reçus par-tout avec confiance, et ces billets deviennent dans l/11 moment, par lin accord unanime et simultané, le moyen terme le plus propre à faciliter les échanges. "127 De tels précédents ne peuvent qu'encourager à accueillir avec enthousiasme la création de la Banque de France. Basterrèche écarte les réticences liées au risque de voir le succès de la Banque hypothéqué par une dépendance vis-à-vis du pouvoir politique en affirmant que "le Gouvernement ne voudrait pas briser l'instrument qui lui serait utile"128. Le fait que la Banque serve les intérêts du commerce n'est pas contradictoire avec le fait qu'elle puisse être utile à l'Etat. La nécessité d'une Banque de France est donc vigoureusement défendue. Basterrèche tient à montrer que la réunion de la Caisse des comptes courants à ce nouvel établissement est souhaitable. Le fonctionnement de la Caisse a été un succès, mais il faut passer à l'étape supérieure en rejoignant un établissement dont les perspectives de développement sont beaucoup plus grandes. La fusion avec la Banque de France est en outre une garantie contre la concurrence de celle-ci. Basterrèche constate que "notre sphère, devenue trop étroite, nous expose à tOIlS
les dangers de l'infériorité et de la comparaison des moyens de sa rivale. Ainsi les deux établissemens étant indépendans l'un de l'autre, il est inévitable que l'un des deux ne soit froissé dans ses opérations. "129 Si les deux établissements existent concurremment, la Caisse des comptes courants risque d'être mise en difficulté par la Banque qui prétend escompter à 5 % alors que la Caisse exige un taux de 6 %. Basterrèche n'explique toutefois pas ce qui lui permet d'affirmer que la Banque pourra escompter à 5 %130. En cas de liquidation de la Caisse, Basterrèche estime que les actions ne vaudraient pas plus de 3 000 francs, alors qu'une fusion avec la Banque pourrait
126. Discours prononcé pendant la Séance des Actionnaires de la Caisse des Comptes Courans, le 9 pluviôse an 8, par Léon Basterrèche, p. 6. (Archives de la Banque de France.) 127. Ibid., p. 7. 128. Ibid., p. 9. 129. Ibid., p. 11. 130. La Banque de France escomptera d'ailleurs au même taux que la Caisse des comptes courants. Cf illfrà, p. 118.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 les porter à 5 000 francs 131 . La réunion à la Banque de France ménagera donc les intérêts des actionnaires de la Caisse, qui pourront tirer un meilleur parti de leurs titres, et ceux de la Banque de France qui réalisera une économie de près d'un demi-million de francs, estimation du prix du mobilier dont la propriété sera transférée à la Banque. La volonté de fusion est en fait forte de part et d'autre, mais les conditions dans lesquelles les acteurs souhaitent réaliser cette fusion ne permettent pas aux négociations entre les deux établissements d'aboutir immédiatement. Deux solutions s'offrent aux détenteurs d'actions de la Caisse des comptes courants: le remboursement ou l'échange contre des actions de la Banque de France. Or celle-ci se refuse à rembourser plus du quart des actions de la Caisse. De plus, en cas de demande de remboursement, elle refuse d'effectuer le paiement au même prix que celui qui sera retenu pour l'échange d'actions. La première assemblée générale des actionnaires de la Banque de France se tient dans la maison de l'Oratoire le 24 pluviôse An VIII (13 février 1800). Le procès-verbal de cette assemblée fait part des démarches visant à réunir les deux instituts d'émission. "L'assemblée invite le Citoyen Perregaux l'un des Régens de
la Banque, et le Citoyen Carrier l'un des Actionnaires de la Banque, tous deux également actionnaires de la Caisse des Comptes courans, à se trouver demain à l'Assemblée Extraordinaire de la Caisse pour y entendre Le Rapport qui sera fait par les Commissaires, faire part à cette assemblée du désir que les Actionnaires de la Banque n'ont cessé de manifester pour la réunion des deux Etablissemens et applanir les difficultés qui pourraient s 'y opposer, pour du tout en faire lellr Rapport aux Régens de la Banque, auxquels /' Assemblée délègue tous les pouvoirs nécessaires pour conclure cette réunion aux conditions qui lui paraitront les pills convenables. "132 Perregaux se trouve donc au centre des négociations destinées à favoriser la fusion des deux établissements. La réunion du 25 pluviôse (14 février) n'aboutit cependant pas du fait notamment qu'un prix n'arrive pas à être fixé pour les actions dont les propriétaires voudront se défaire. Le 26 pluviôse (15 février), les régents demandent à Perregaux de poursuivre la négociation et lui donnent carte blanche pour faire les concessions nécessaires à l'obtention d'un accord. Perregaux accepte de fixer le prix des actions remboursables à 4 500 francs, payables en effets de portefeuille de la Caisse. Cette décision obtient l'approbation unanime des actionnaires de la Caisse qui se prononcent pour la réunion à la Banque de France. Les actionnaires de la Banque approuvent la . 131. Ces chiffres nous paraissent cependant particulièrement faibles si l'on se souvient que l'action de la première société de la Caisse des comptes courants était de 5 000 francs, et que le prix de celle de la seconde société avait été porté à 8 000 francs. Basterrèche explique que cette faible valeur des titres de propriété est liée "aux pertes sur le mobilier, et celles résultantes de quelques opérations malheureuses" (Discours ... , op. cit., p. 12). 132. Ex/rait du Procès verbal de la première Assemblée des Actionnaires de la Banque de France, tenue à P~ris, dans le local de l'Oratoire, le ving/-ql/atre p1rwios an huit. (Archives de la Banque de France.)
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France décision de Perregaux lors de leur seconde assemblée, le 27 pluviôse An VIII (16 février 1800). La mise en place de la Banque de France: un non événement Moins d'un mois s'est écoulé entre le moment où les régents de la Banque de France font part aux administrateurs de la Caisse des comptes courants de leur souhait de voir fusionner les deux établissements, et celui où raccord est effectif. Ce délai, relativement bref, ne semble pas être dû aux réticences de la Caisse des comptes courants à accepter l'opération, mais aux négociations portant sur les conditions dans lesquelles l'opération devait s'effectuer. La création de la Banque de France est en fait une véritable aubaine pour la Caisse. Celle-ci peut, en acceptant de se fondre dans la Banque de France, accéder à un niveau de développement que ses statuts et la faiblesse de ses fonds propres lui interdisaient. La Caisse des comptes courants, en tant que banque d'émission, a tout à gagner en acceptant l'intégration à la Banque de France133 . Les dirigeants de la Banque ont aussi besoin d'obtenir le ralliement de la Caisse des comptes courants. Ramon reconnaît qu"'il était naturel que ses Régents recherchassent le
double avantage d'une organisation existante et d'un crédit bien établi, par la réunion de la Banque de France à la Caisse des Comptes Courants"134. L'existence de la Caisse est une chance pour la Banque qui peut ainsi démarrer ses activités en utilisant les structures en place. La Banque de France et la Caisse des comptes courants trouvent donc particulièrement avantageux que l'une prenne la succession de l'autre. Une telle harmonie d'intérêts appelle quelques réflexions. Si l'on tient compte du fait que les régents de la Banque de France étaient pour la plupart intéressés à l'administration de la Caisse des comptes courants, et si l'on considère le peu de réticences suscitées par la réunion des deux instituts d'émission, il est permis de 133. Dauphin-Meunier présente une version beaucoup plus sombre des raisons qui amènent la Caisse à fusionner avec la Banque. "La Banque n'avait ni ressources, ni locaux, ni personne, ni clients. Elle n'était encore qu'une raison sociale sur des prospectus. On commençait à se gausser d'elle, et en particulier tous les hommes d'affaires en relations avec le banquier Ouvrard." (Dauphin-Meunier, La Banque de France, op. cit., p. 21.) Ouvrard s'était tenu à l'écart du coup d'Etat du 18 brumaire. Bonaparte lui avait ensuite demandé un prêt de 12 millions qui lui avait été refusé. Le banquier avait alors cru pouvoir mettre Bonaparte à sa merci en lui réclamant le remboursement d'un prêt de 10 millions qu'il avait consenti au Directoire. Bonaparte répondit en le faisant arrêter le 27 janvier 1800. "Aussitôt, /'on cessa de rail/er la Banque de France et ses actionnaires." (Ibid., p. 22.) La fusion avec la Caisse serait à mettre sur le compte des ambitions personnelles de Perregaux. "Pour remédier à la pauvreté de la Banque de France et sur les indications de Perrégaux, administrateur de la Caisse des Comptes Courants, Bonaparte fit pression sur les administrateurs de cette Caisse pour que, 50 liS le couvert d 'llne fusion, leur organisation, leurs ressources et leur clientèle passent à la Banque de France. Par là, Perrégaux voulait évincer Récamier de la direction de la plus grande banque parisienne d'escompte et asseoir solidement sa propre création. L'arrestation d'Ouvrard leva toutes les hésitations de Récamier et de ses amis." (Ibid.) 134. Ramon,~. cit., p. 20.
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Le billet. de banque en France de 1796 à 1803 penser que la réunion de la Caisse des comptes courants à la Banque de France a pu être envisagée avant même la constitution officielle de la Banque de France. Le registre des délibérations de la Caisse des comptes courants ne laisse apparaître aucune surprise des administrateurs face à la demande de réunion des régents. Aucun commentaire n'est fait, alors qu'un événement comme la disparition de Monneron avait donné lieu à des écrits relatant les réactions des dirigeants de la Caisse. Ses actionnaires, lorsque les modalités pratiques du remboursement et de l'échange ·des actions sont arrêtées, formulent un "voeu unanime"135 en faveur de l'absorption. Tout se passe comme si celle-ci était déjà acceptée avant que la demande en soit formulée. La création de la Banque de France peut donc être analysée comme un moyen que se donnent les dirigeants de la Caisse des comptes courants pour étendre leur activité, grâce à des moyens plus étendus et notamment avec un capital beaucoup plus consistant, et sous la protection bienveillante du gouvernement. Peu d'écrits sont consacrés à la Banque de France au moment même de sa constitution. C'est sans doute que cet événement n'en est pas un pour le public qui voit dans la Banque de France la continuation sous un autre nom de la Caisse des comptes courants. La Banque de France ne s'établit d'ailleurs pas dans la maison de l'Oratoire dont elle avait demandé la mise à sa disposition, mais dans les locaux mêmes de la Caisse des comptes courants, à l'Hôtel Massiac 136 . Ce bâtiment, qui devait son nom à un ancien propriétaire émigré, était le siège de la Caisse. Il avait été loué à la Caisse par le négociant Godard à la constitution de celle-ci, puis vendu à la Caisse le 2 fructidor An V (19 août 1797). Grâce à son installation à l'Hôtel Massiac, la Banque de France peut commencer à fonctionner dès le 1er ventôse An VIII (20 février 1800). C'est en fait la Caisse des comptes courants qui ouvre à nouveau ses portes sous un autre nom et dotée de statuts nouveaux. Elle emploie le même personnel, y compris le directeur général. Les billets de la Caisse continuent même à circuler, après estampille, comme billets de la Banque de France. Il s'agit certes de rassurer l'opinion qui craint la mainmise de l'Etat sur la Banque, en montrant que celle-ci ne fait que reprendre les opérations de la Caisse. Mais c'est aussi la continuation du fonctionnement d'un institut d'émission qui a su faire accepter ses billets depuis trois ans.
135. Procès verbal de l'Assemblée Générale des actionnaires de la Banque de France tenue à l'oratoire le 27 pluviôse An huitième de la République. (Archives de la Banque de France.) 136. La maison de l'Oratoire n'a fait que servir de cadre aux deux assemblées générales des actionnaires de la Banque qui précèdent la fusion avec la Caisse. F. Crouzet explique la renonciation à ces locaux par le fait que "l'octroi à la nouvelle banque d'Ilne maison nationale fit mauvais effet sur l'opinion -pollrtant favorable à la création d'unc banque, tant le patronage d'un Etat encore discrédité était compromettant" (F. Crouzet, La grande inflation, op. cit., p.531). '
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CHAPITRE 2 Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes La volonté d'éclairer les circonstances de la formation de la Banque de France nous a conduit à nous arrêter sur la première banque d'émission créée sous le Directoire : la Caisse des comptes courants. Les banquiers impliqués dans son fonctionnement réussissent à assurer le développement de ses opérations et la Caisse prend une nouvelle dimension en se fondant dans la Banque de France au début du Consulat. La nécessité de montrer la filiation entre la Caisse et la Banque nous a amené à laisser momentanément de côté d'importants événements dans l'histoire de la monnaie de papier. En effet, si la Caisse est la première banque d'émission à naître sous le Directoire, elle n'est pas la seule. D'autres établissements voient le jour avant la création officielle de la Banque de France ou même après. Il convient maintenant de les présenter pour montrer que la Banque de France mène ses opérations dans un environnement concurrentiel qu'elle finit par contester. Ce choix de privilégier la démarche analytique par rapport à la simple présentation chronologique nous conduit à un retour à la période du Directoire. Nous renoncerons en fait à présenter systématiquement les divers établissements dans leur ordre d'apparition. Chacun émet en effet des billets selon des modalités qui lui sont propres et il nous paraît plus rationnel d'étudier, voire de classer, ces établissements à partir de leur logique de fonctionnement plutôt que de leur ancienneté. Le principal concurrent de la Banque de France, la Caisse d'escompte du commerce, pratique, comme son nom le laisse entendre, l'escompte d'effets de commerce (1). Un deuxième établissement, le Comptoir commercial, s'adresse à une clientèle différente tout en suivant une démarche comparable (II). Un troisième émetteur, la Banque territoriale, fonctionne tout à fait différemment et met en circulation des billets gagés sur la richesse foncière (III).
I. La Caisse d'escompte du commerce En comparaison avec la Caisse des comptes courants, la Caisse d'escompte dll commerce présente des particularités qui en font un établissement original. Après des débuts laborieux, elle réussit à mettre en place un système efficace pour rassembler les capitaux qui lui permettent d'étendre ses opérations.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes
Les particularités de la Caisse d'escompte du commerce La Caisse d'escompte du commerce est créée le 4 frimaire An VI (24 novembre 1797), soit un an et demi après la constitution de la Caisse des comptes courants. L'initiative ne peut que satisfaire le Directoire qui avait préconisé la création d'établissements de ce type. Dans un contexte de liberté de constitution de banques d'émission, la création d'un second établissement est tout à fait concevable, au même titre qu'une entreprise exerçant son activité dans un secteur porteur risque d'être confrontée à l'apparition de concurrents. La réussite de la Caisse des comptes courants peut donc logiquement appeler d'autres vocations. Toutefois, si un nouvel établissement peut ouvrir ses portes, c'est sans doute que le premier ne remplit qu'imparfaitement son rôle, ou en tout cas laisse disponible des créneaux que le nouvel arrivant peut exploiter. Une raison d'être à rechercher dans les insuffisances de la Caisse des comptes courants La Caisse des comptes courants n'admet à l'escompte que des effets de commerce revêtus de trois signatures. Aussi, lorsqu'un commerçant reçoit un effet en contrepartie de la livraison de marchandises, il ne peut pas espérer le transformer immédiatement en monnaie en le présentant à la Caisse, car cet effet ne comporte alors que deux signatures. Il lui reste deux possibilités s'il doit assurer des paiements dans un bref délai. Il peut tout d'abord demander un prêt à un banquier, en lui cédant l'effet de commerce. Le banquier apporte alors la troisième signature en endossant cet effet qu'il pourra ensuite présenter à la Caisse des comptes courants pour escompte. Dans ce cas, le taux du crédit consenti par le banquier au commerçant sera supérieur au taux que celui-ci aurait pu obtenir s'il avait directement présenté son titre à la Caisse. Il n'est en effet pas concevable que le banquier accorde un crédit à un prix inférieur à son coût de refinancement. La différence de taux constitue sa rémunération. L'escompte de la Caisse des comptes courants profite donc directement au banquier. Ce n'est qu'indirectement qu'il bénéficie au commerçant puisque le banquier, qui se refinance à coût réduit, peut éviter d'imposer des taux excessifs à sa clientèle. Mais le commerçant qui passe par l'intermédiaire du banquier obtient le crédit à un prix plus élevé que s'il s'adressait directement à la Caisse. Alors que la Caisse escompte à 0,5 % par mois, le commerçant doit se procurer des fonds à 2 ou 3 % par moisI. 1. La fourchette de 2 à 3 % par mois pour les taux pratiqués par les banquiers est donnée par les actionnaires de la Caisse d'escompte du commerce. (Observations des actionnaires de la Caisse d'Escompte du Commerce. Sur la question de savoir: Quels sont les avantages et les inconvéniens qui pourraient résulter de la réunion de la Caisse d'Escompte du commerce à la Banque de FraI;1ce ? Paris : Moudardier, 24 floréal An X, p. 5, Archives nationales, AF IIV /1070.)
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La seconde solution peut consister pour le commerçant à rechercher une troisième signature pour présenter lui-même l'effet à l'escompte auprès de la Caisse des comptes courants. Un établissement financier pourrait apporter sa garantie. Mais, outre le fait que cette procédure risque d'être coûteuse, elle ne procure pas au commerçant la certitude que son titre sera accepté à l'escompte. D'une part, seuls les papiers les plus sûrs sont admis à l'escompte. Or le comité d'escompte risque d'avoir une plus grande confiance dans le papier régulièrement présenté par un banquier connu que dans les effets occasionnels du commerçant. La Caisse des comptes courants escompte d'ailleurs surtout au profit de ses actionnaires qui sont majoritairement composés de banquiers. Même si un commerçant devient actionnaire, les associés de la Caisse d'escompte du commerce estiment qu'il reste défavorisé par rapport aux banquiers 2 . Ces banquiers sont certes bénéficiaires de l'escompte du fait qu'ils sont les principaux actionnaires de la Caisse des comptes courants, dans la mesure où elle escompte surtout au profit de ses actionnaires. Mais si l'on considère un banquier et un commerçant ayant le même nombre d'actions, le banquier sera vraisemblablement mieux servi. Tous deux disposent bien d'un même droit à l'escompte mais, de par son activité, le banquier est amené à présenter un volume de titres plus important. Aussi, lorsque le commerçant présente pour deux millions de titres à l'escompte, le banquier peut en apporter pour huit millions par exemple. Si la Caisse ne peut escompter que pour un million de francs, elle risque d'accorder huit cent mille francs au banquier et deux cent mille francs au commerçant. Le partage paraît certes équitable, mais les commerçants ne l'entendent pas ainsi. Alors que le banquier et le commerçant sont actionnaires pour un montant égal, le banquier récupère les quatre cinquièmes des sommes allouées à l'escompte, grâce au volume de titres qu'il peut présenter. Ce raisonnement, que tiennent les actionnaires de la Caisse d'escompte du commerce, nous paraît en partie contestable. En effet, la Caisse des comptes courants n'accorde pas l'escompte proportionnellement au volume des effets présentés. Le critère de sélection retenu par le comité d'escompte est la solidité de l'effet. Par conséquent, il n'est pas juste d'affirmer que le commerçant est défavorisé parce qu'il peut présenter moins de titres à l'escompte. Une répartition du crédit proportionnellement au nombre d'effets présentés laisse supposer que tous présentent la même garantie, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Si le banquier peut faire escompter un nombre de titres plus important que le commerçant, c'est seulement parce que ceux-ci sont jugés plus sûrs par le comité d'escompte. Dans l'exemple précédent, le commerçant pourrait très bien voir la moitié de son papier admis à l'escompte et le banquier être privé de tout prêt, si les titres présentés par le commerçant présentent une garantie supérieure. Il n'en demeure pas moins que les banquiers sont une clientèle privilégiée pour la Caisse des comptes courants puisqu'ils peuvent apporter cette troisième
2. Ibid., p. 4. '
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes signature qui manque aux commerçants. Et comme ils ont déjà un pouvoir de sélection parmi les crédits demandés par le public, cette troisième signature n'est accordée que si le banquier a suffisamment de confiance dans l'effet pour accepter de l'endosser. Il paraît par conséquent tout à fait logique que la Caisse des comptes courants finisse par fonctionner surtout au profit des banquiers. Mais ce fonctionnement explique que le besoin d'un autre établissement d'escompte se fasse sentir auprès des commerçants et des fabricants. Ceux-ci profitent mal du crédit que la Caisse des comptes courants accorde à une clientèle privilégiée pouvant fournir de solides garanties. Et le fait de devenir actionnaire de la Caisse ne donne pas automatiquement accès au crédit. Ces deux raisons expliquent la mise en place de la Caisse d'escompte du commerce et les particularités de son fonctionnement. Le fonctionnement de la Caisse d'escompte du commerce
L'objectif de la Caisse d'escompte du commerce est bien éloigné d'une quelconque volonté de remplacer le métal par le papier dans la circulation monétaire. Le billet est tout au plus un moyen d'accès des commerçants au crédit. Le but de la Caisse est de "procurer à ses actionnaires de perpétuelles facilités pour leur commerce, bien plus qu'à chercher des bénéfices à la chose même, ce qui ne sera jamais considéré que comme accessoire"3. Elle est donc "composée d'une
réunion d'individus tous occupés du commerce"4. La Caisse a le statut de société en commandite par actionss . Cette forme juridique présente l'avantage de favoriser la constitution du capital puisque, en cas de faillite, les associés ne sont pas obligés de rembourser les dettes sur leur fortune personnelle. Chacun n'est responsable que dans la limite de son apport, c'est-à-dire que son seul risque est de perdre sa mise de fonds initiale. Mais le principal attrait de l'établissement réside dans la constitution même de son capital. Celui-ci est divisé en actions de 10 000 francs chacune. Chaque actionnaire n'est cependant pas tenu de verser à la Caisse l'intégralité de cette 3. Rapport des commissaires nommés par J'administration de la Caisse d'Escompte dll Commerce, A rassemblée générale des actionnaires, en lui présentant racte de prorogation de son association, Paris, le Il messidor an 8, p. 2. Arch. nat., AF IIV 11070. 4. Ibid. La Caisse réunit à sa fondation douze associés détenant 47 actions. On peut en trouver la liste dans l'ouvrage de Bergeron (op. cit., p. 262). 5. Les banques qui se constituent alors prennent la forme de sociétés par actions. On parlerait plutôt aujourd'hui de sociétés de capitaux. Celles-ci se divisent en sociétés anonymes ou en sociétés en commandite par actions, bien que l'appartenance à rune ou rautre de ces sous-catégories ne soit pas toujours clairement affirmée. Les statuts initiaux de la Banque de France laissent ainsi planer une incertitude sur sa forme juridique précise. La création de tels établissements est libre jusqu'à la loi du 10 septembre 1807, entrée en vigueur le 1er janvier 1808, qui subordonne la constitution des sociétés anonymes à une autorisation gouvernementale. Cette autorisation demeurera nécessaire jusqu'à la loi de 1867 sur les sociétés anonymes. (Anne Lefebvre-Teillard, La société anonyme au XIXe siècle, Paris: Presses Universilaires de France, 1985, p. 17-19.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 somme en monnaie métallique. La moitié de l'action est acquittée en espèces, et l'autre moitié est payée à l'aide de 10 billets de 500 francs, "payables à vue, au
porteur, au domicile de la Caisse"6. La technique est donc radicalement différente de celle employée par la Caisse des comptes courants. Alors qu'un apport des associés permettait la constitution d'un fonds qui autorisait l'émission de billets par l'établissement, ce sont ici les associés qui émettent les billets pour payer la Caisse, et celle-ci les met ensuite en circulation. Comme c'est la Caisse qui définit les caractéristiques de ces billets, ils sont uniformes malgré la diversité des actionnaires 7. Si la Caisse accepte le billet en paiement des actions au même titre que des espèces, on voit que le système ne peut fonctionner qu'à la condition expresse que ceux qui les reçoivent de la Caisse adoptent la même conduite. La Caisse s'engage à accepter d'échanger ces billets contre du numéraire sur la simple demande de leurs détenteurs. Elle ne peut donc jouer son rôle de distributeur de crédit que si les bénéficiaires de ce crédit ont suffisamment confiance dans ce papier pour éviter d'en demander la conversion en métal. En effet, les fonds procurés par les actionnaires sont constitués pour moitié de billets et pour moitié de métal. Si, lors de l'escompte, ceux qui obtiennent le crédit exigent le remboursement des billets en espèces métalliques, la Caisse ne peut pas prêter pour un montant supérieur à la valeur des espèces qu'elle détient. Cela signifie que le montant de l'escompte est limité à 50 % du capital de la société. L'absence de confiance exclut alors toute possibilité de création monétaire, puisqu'un crédit ne peut être consenti que si la banque détient la valeur en métal au préalable. Le crédit n'est plus qu'un simple prêt de métal. L'établissement perd d'ailleurs sa raison d'être puisqu'il ne permet pas aux commerçants de recourir plus facilement à l'emprunt. Celui qui a apporté 5 000 francs en numéraire pour acquérir une action ne peut pas espérer obtenir un crédit supérieur à 5 000 francs. Une telle organisation ne devient cohérente que si les détenteurs de billets s'abstiennent d'en demander le remboursement. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle la Caisse d'escompte du commerce réserve le crédit qu'elle accorde à ses seuls actionnaires. Rien, dans les statuts, n'oblige l'actionnaire à refuser de convertir en numéraire les billets qu'il reçoit. Mais dès lors que les bénéficiaires du crédit sont aussi les propriétaires de l'établissement, il va de soi qu'ils ont intérêt à s'abstenir de prendre une décision qui remettrait en question le fonctionnement de la Caisse, et par là même supprimerait leur possibilité de continuer à recourir au crédit à bon marché.
6. Article 4 des statuts présentés lors de la prorogation de la société, le 18 messidor an 8.
(Rapport des commissaires ... , op. cit., p. 10.) 7. Les billets étaient fabriqués par la Caisse, mais remplis par les sociétaires, au même titre qu'aujourd'hui un particulier qui paie par chèque remplit en fait un formulaire établi par la banque. Les bihets étaient en outre enluminés pour éviter les contrefaçons.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes Cette auto-limitation dans les demandes de remboursement permet donc à la Caisse d'escompter pour un montant supérieur à son encaisse métallique. Mais le crédit qu'elle peut accorder reste néanmoins borné puisqu'il ne peut pas excéder la valeur de son capital. En effet, la Caisse ne crée pas elle-même de billets, mais met en circulation ceux que ses actionnaires lui ont remis pour paiement de leurs titres de propriété. Elle ne peut donc distribuer que les billets et pièces reçus en paiement des actions. Il s'en suit que le montant du crédit ne peut pas dépasser ce total de billets et pièces. Et comme le capital est constitué dans les mêmes proportions par du métal et par du papier, lorsqu'un billet est mis en circulation, une valeur équivalente de métal peut l'être en même temps. On peut ainsi analyser ce système de distribution de crédit comme un prêt que chaque actionnaire se consent à lui-même, puisque le supplément de monnaie dans la circulation n'est constitué que par les billets fournis à la Caisse par chaque actionnaire. Cette approche paraît d'autant plus pertinente que le montant du crédit accordé est proportionnel au nombre d'actions détenues. "Pour assurer aux actionnaires une juste égalité de fait comme de droit, l'argent destiné à l'escompte, est réparti par action."8
La Caisse atteint ainsi ce qui nous apparaissait comme étant son double objectif : permettre aux commerçants de recourir à l'escompte et répartir équitablement le crédit accordé entre les divers actionnaires. L'accès des commerçants à l'escompte est facilité par l'abandon de la contrainte de la troisième signature sur les effets de commerce. Dès l'instant où un vendeur détient une lettre de change à la suite d'une livraison de marchandises, la signature de son client et la sienne lui permettent de faire escompter l'effet. La Caisse limite à deux mois l'échéance du papier qui sera accepté. Si l'escompte est désormais à la portée des commerçants, toute extension de cette forme de crédit suppose une augmentation du capital de la Caisse, puisque ce sont les apports de fonds des actionnaires qui permettent d'accorder les prêts. La Caisse s'emploie à accroître ses ressources pour étendre ses opérations d'escompte et assurer le succès de l'établissement.
Le développement de l'activité de la Caisse La recherche de capitaux Les responsables de la Caisse ne tardent pas à reconnaître les limites du système initial. "Les fonds ne s 'y multipliaient qu'en raison de l'augmentation des actionnaires. Chacun d'eux apportant dix mille francs par action, ne tardait pas à le repomper par la présentation à l'escompte, même encore avec demande
8. Conventions fondamentales de la Caisse d·Escompte du Commerce. Obsen'ations des actiol/I/aires de la 'caisse d'escompte dll Commerce, op. cit., p. 6.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 d'un excédent plus ou moins fort."9 Il faut donc susciter de nouveaux apports de fonds. Plusieurs techniques sont successivement utilisées. La première solution est l'émission d'actions destinées aux détenteurs de capitaux. L'action était en effet attrayante parce qu'elle était la voie d'accès à l'escompte. Il faut en faire un moyen de placement pour des détenteurs de capitaux que le recours à l'escompte n'intéresse pas. Deux cents actions de 10000 francs sont créées pour servir de placement à d'éventuels prêteurs. Mais cette tentative ne rencontre pas de succès. La première année,le rendement de l'action s'élève à près de 13 %, mais c'est insuffisant pour inciter des capitalistes à se tourner vers ce type de placement. Ceux qui ont une capacité de financement ont à l'époque des possibilités de placements plus intéressantes. Des prêts sur immeubles ou sur dépôts offrent alors une rémunération de 2 à 2,5 % par mois. L'attrait de l'action de la Caisse d'escompte du commerce est donc insuffisant pour que l'augmentation de capital attendue puisse se concrétiser. La conversion du dividende en intérêt constitue une deuxième solution. Les dirigeants de la Caisse, jugeant que c'est l'incertitude quant à la perception d'un dividende qui provoque la défiance, proposent aux prêteurs de convertir les actions dont ils font l'acquisition en "récépissés à prêt pour 60 jours, et portant
intérêt au même taux que l'escompte, sans aucune participation au dividende"10. Le but de cette mesure semble donc être la transformation d'un revenu incertain en un revenu fixe pour rassurer d'éventuels prêteurs. On peut s'interroger sur la pertinence d'une mesure qui vise à récolter des fonds pour les prêter au même taux. L'objectif de la Caisse n'est pas de réaliser un bénéfice, mais d'offrir à ses associés une possibilité d'escompte à un taux avantageux. Si elle rétribue des fonds au même taux que celui qui est en vigueur pour l'escompte, elle écarte toute possibilité de bénéfice sur cette opération, d'autant plus que celle-ci engendre des frais de fonctionnement. Elle atteint en revanche son objectif qui est d'assurer l'escompte au moindre coût pour ses actionnaires. La démarche nous semble néanmoins peu convaincante. En effet, la Caisse ne joue ici qu'un rôle d'intermédiaire. Elle collecte des fonds pour les redistribuer. La création monétaire, qui était consécutive à la constitution du capital sous forme de billets fournis par les actionnaires, est ici totalement exclue. Cet apport de fonds ne peut donc jouer qu'un rôle complémentaire. Fonder le développement de la Caisse sur une procédure visant à rechercher des fonds pour les prêter au même prix paraît totalement irrationnel. La démarche serait concevable si la Caisse émettait ses propres billets. Dans ce cas, les sommes collectées serviraient de couverture métallique aux billets en circulation, leur valeur pouvant rapidement excéder celle du stock de métal si la confiance est acquise. Mais il y aurait alors 9. Rapport des commissaires ... , op. cit., p. 3. 10. Ibid., p. 4.'
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes création monétaire, celle-ci rendant l'opération rentable malgré l'égalité entre le taux de rémunération du capital prêté et le taux d'escompte. Un raisonnement macro-économique permet aussi de remettre en question le bien-fondé d'une telle mesure. L'escompte auprès de la Caisse n'est intéressant pour les commerçants que s'ils ne trouvent pas de prêts plus avantageux ailleurs. Cela implique que le taux d'escompte soit inférieur au taux proposé par les banquiers. Cependant, si ce taux est jugé intéressant par des commerçants ayant un besoin de financement, il n'a que peu de chances d'être considéré comme attractif par des prêteurs qui peuvent trouver d'autres placements plus rémunérateurs. Les administrateurs de la Caisse reconnaissent que par rapport à la perception d'un dividende, cette disposition est "moins favorable aux prêteurs"ll. Or le dividende était lui-même peu rémunérateur en comparaison avec d'autres revenus procurés par le placement d'un capital. La garantie d'un revenu fixe est une bien faible incitation pour attirer les capitaux vers la Caisse. La démarche des administrateurs se solde par un échec. Il est certes facile, avec deux siècles de recul, d'affirmer que les raisons présentées précédemment devaient amener un tel résultat. Mais les mesures qui étaient proposées nous paraissent comporter des vices qui pouvaient difficilement conduire au but recherché. Il faut sans doute voir dans ces erreurs les hésitations de commerçants décidés à s'organiser mais encore peu habitués aux techniques financières. Ces deux échecs dans la recherche d'un moyen d'accroître le capital de la Caisse conduisent ses dirigeants à réfléchir sur un autre projet. Les insuffisances des mesures précédentes ont manifestement été analysées puisque cette dernière tentative est couronnée de. succès. Elle vise à permettre à l'associé d'accroître le nombre de ses actions en acquérant des actions hypothécaires. Contrairement à la méthode utilisée pour les actions primitives, dites mobilières, l'associé n'effectue pas de paiement en métal. Il fournit à la Caisse une hypothèque sur un immeuble d'une valeur correspondant au double du montant qui devait être payé en espèces métalliques 12 . Le paiement de l'action est réalisé par la création de 20 billets de 500 francs remis par les associés à la Caisse. Ces actions hypothécaires sont particulièrement intéressantes pour les associés. Ils peuvent acquérir des titres de propriété et participer à l'augmentation du capital de la Caisse sans être dans l'obligation de livrer des espèces. Ces titres leur donnent droit à la perception d'un dividende dans les mêmes conditions que les autres catégories d'actions. Et surtout, ils améliorent leurs possibilités de recourir à l'escompte, puisque celui-ci est proportionnel au capital détenu, et que les billets fournis en paiement des
11. Ibid.
12. Le fait que l'hypothèque doive porter sur un immeuble d'une valeur deux fois plus importante que la somme due en métal est manifestement une garantie contre le risque d'une éventuelle dépréciation de cet immeuble. C'est un moyen de donner une contrepartie plus solide aux billets 'émis.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 actions hypothécaires sont autant de billets qui pourront être distribués par la Caisse pour l'escompte. Le nombre d'actions hypothécaires qu'un associé peut acquérir est au départ fixé à 50 % du montant de ses actions mobilières. Ce chiffre est ensuite porté à 75 %, et la Caisse finit par accorder aux associés la possibilité d'acheter autant d'actions hypothécaires que d'actions mobilières. Cette faculté permet à un actionnaire qui remet 5 000 francs en espèces métalliques à la Caisse de lui fournir pour 15 000 francs en billets, soit 5000 francs pour complément du paiement de l'action mobilière et 10 000 francs pour règlement de l'action hypothécaire. Le montant des billets reçus puis mis en circulation par la Caisse peut donc être trois fois plus important que ses ressources en monnaie métallique13 . La réussite de la Caisse La formule mise au point par la Caisse lui permet d'assurer une extension considérable de son capital. Après un an de fonctionnement, elle compte 103 associés, propriétaires de 551 actions. L'année suivante, leur nombre s'élève à 253. Au bout de la troisième année, ce sont 355 associés qui se partagent 1446 actions. Le 26 vendémiaire An X (18 octobre 1801), la Caisse réunit 596 actionnaires à la tête de 2 400 actions. A cette date, le gouvernement, qui souhaite favoriser le développement de la Banque de France, lui interdit toute augmentation de capital et un projet de création de 1 200 actions nouvelles ne peut donc pas aboutir. Ce succès du développement du capital de la Caisse s'explique par le fait que les actionnaires n'apportent qu'une somme réduite en métal. L'affectation des immeubles à la garantie des billets émis n'est pas sans rappeler des procédés utilisés quelques années auparavant avec la création des assignats ou des cédules hypothécaires. Il serait toutefois incorrect d'assimiler les billets qui en résultent à du papier-monnaie, dans la mesure où la Caisse en assure la conversion en métal sur simple demande, bien que les porteurs évitent d'utiliser cette faculté. C'est une technique de mobilisation des richesses particulièrement appropriée puisque la rareté du numéraire rend difficile d'importants apports en métal. La Révolution, par la vente des biens nationaux, a toutefois facilité la constitution d'un important capital immobilier. Louis Bergeron montre dans sa thèse que les hommes d'affaires sont à l'époque à la tête d'importantes richesses foncières 14 . Dans la mesure où leurs capitaux sous forme de numéraire sont limités, ils peuvent difficilement effectuer des placements en espèces métalliques. En revanche, on 13. En fait, pour permettre le financement de l'immeuble où était installée la Caisse, chaque associé avait émis deux billets de 500 francs supplémentaires par action. Ces billets étaient ensuite mis en circulation lors de l'escompte. Chaque billet rapportait alors un intérêt calculé à partir du taux d'escompte pratiqué. La moitié de cet intérêt était prélevée pour l'amortissement de l'immeuble, l'autre moitié était versée à l'actionnaire. 14. Bergeron,op. cil., p. 266-274.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes peut considérer que les actions hypothécaires sont un moyen pour eux de faire fructifier leur capital immobilier, lequel demeure une forme de placement. En mai 1802, alors que la Caisse s'est vu imposer un plafond à son capital et que son sort de banque d'émission indépendante commence à être menacé, elle a un capital de 24 millions 15 . 6 millions de francs d'espèces métalliques assurent la couverture d'une circulation de 18 millions de francs en billets 16. C'est donc un crédit de 18 millions de francs que la Caisse accorde à l'économie17. Il s'agit bien d'une monnaie fiduciaire, qui assure en pratique la fonction de paiement des pièces d'or ou d'argent, et que la confiance des détenteurs permet de faire circuler sans recourir à la conversion en métal. L'utilisation de ces billets ne reste pas longtemps réservée aux seuls actionnaires. La confiance est telle que des particuliers les acceptent en paiement au même titre que le métal. L'Etat luimême les reçoit dans ses caisses comme le reconnaît le ministre du Trésor public François Barbé-Marbois. "Aucune autorisation positive n'a déterminé l'admission
des Billets de cet établissement dans les Caisses publiques. Il a néanmoins joui constamimt de cet avantage."18La Caisse d'escompte du commerce avait d'autre part aidé la Caisse des comptes courants lors de l'affaire Monneron en déclarant qu'elle en accepterait les billets en paiement au même titre que les espèces métalliques. Cette mesure avait entraîné une réciprocité de la part de la Caisse des comptes courants, puis de la Banque de France. Si l'escompte est réservé aux seuls actionnaires de la Caisse, la sphère de circulation de ses billets dépasse en revanche largement celle des paiements de la Caisse aux actionnaires, ou des actionnaires entre eux. L'objectif de diminuer le coût de l'escompte est lui aussi atteint. Le taux est initialement fixé à 1 % par mois. S'il est alors supérieur à celui proposé par la Caisse des comptes courants, il reste nettement en deçà des taux de 2 ou 3 % alors en vigueur sur le marché. Il faut ajouter à ce prix une commission de 1/8 % destinée à couvrir les frais occasionnés par l'opération d'escompte. Le coût du crédit consenti va en s'abaissant. Il est réduit à 3/4 % par mois, puis 5/8 % pour atteindre enfin 1/2 %. Le prix de la commission est lui aussi réduit de moitié. La volonté de rendre le crédit encore plus accessible reste une priorité de la Caisse.
15. Observatiolls des actiollllaires ..., op. cit., p. 19. 16. Dans le même rapport (p. 12), la valeur du capital est paradoxalement chiffrée à 26 millions de francs, dont 20 millions sous forme de billets. Une différence de 2 millions de francs est certes explicable si on élargit la définition du capital à l'ensemble des apports de fonds auprès de la Caisse. La comptabilisation dans cette somme d'emprunts réalisés par la Caisse pourrait expliquer la différence. 17. Le rapport entre la réserve métallique et les billets en circulation a vraisemblablement été moindre que celui qui est annoncé par les dirigeants de la Caisse. Le ministre du Trésor public François Barbé-Marbois affirme qu'''oll a l'U en circulation des Billets de cette Caisse pour 26 à 27 Millions, tandis qu'elle avait à peine 3000000 de francs d'espèces en réserve." (Rapport aux Consuls de la République sur les Banques. Arch. nat., AF /IV /1070.) 18. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Une lettre du directeur Jean Poulard, adressée au ministre du Trésor public le 17 messidor An X(6 juillet 1802), fait état de la volonté de l'administration de la Caisse d'abaisser le taux d'escompte à 5 % par an 19. Mais cette mesure, que les administrateurs de la Caisse veulent lier à l'accroissement de son capital, n'aboutit pas du fait de l'opposition du gouvernement à l'émission de nouvelles actions. La Caisse d'escompte du commerce a donc indéniablement atteint son objectif de démocratisation du crédit. Elle y est parvenue grâce à la mise en circulation des billets reçus de ses actionnaires. Ces billets ont un caractère monétaire du fait qu'ils sont acceptés en paiement au même titre que le métal. Et leur" émission correspond à une véritable création monétaire puisqu'ils accroissent la masse des moyens de paiement disponibles. Cette émission est directement liée à une opération de crédit. L'associé qui n'apporte que la moitié du paiement de l'action en monnaie métallique se voit en fait accorder un crédit pour l'autre moitié. Les billets qu'il émet ne sont que ses reconnaissances de dettes envers la Caisse, dettes dont elle s'abstient d'exiger le règlement. L'administration de la Caisse reconnaît que "ces billets sont des engagemens qui restent dus autant de tems que la Caisse
n'a point intérêt d'en exiger le paiement, puisqu'elle s'en sert comme espèces; mais le cas de faillite survenant, elle ne peut plus s'en servir, elle a donc le droit de se présenter pour les exiger"20. Il en va de même lorsque les associés acquièrent des actions hypothécaires en ne fournissant que des billets en paiement. La Caisse fait crédit à un actionnaire dont les biens immobiliers servent de gage. La circulation des billets ne fait que perpétuer ce crédit. Il s'agit d'un crédit à plusieurs niveaux. Le commerçant qui a recours à l'escompte vient demander un crédit à la Caisse. Il reçoit, en contrepartie d'un effet de commerce, des billets qui ne sont que la représentation d'un autre crédit déjà accordé par la Caisse. Et s'il s'abstient d'exiger le remboursement du billet en métal, on peut même considérer qu'il fait à son tour crédit à la Caisse, puisqu'il accepte de conserver ce qui n'est qu'une reconnaissance de dette au lieu de la monnaie légale. C'est donc une confiance à plusieurs niveaux qui est aussi nécessaire : confiance de la Caisse dans l'aptitude de l'actionnaire à fournir un éventuel paiement ultérieur de ses billets en espèces métalliques, confiance du détenteur de billets envers la capacité de la Caisse à en assurer la conversion en métal sur simple présentation aux guichets, voire même confiance du détenteur de billets dans la solvabilité de l'associé qui l'a émis. L'appellation monnaie fiduciaire ne saurait être plus justifiée. Le succès de la Caisse d'escompte du commerce n'empêche pas la constitution d'un établissement qui a vocation à compléter ses activités.
19. Arch. nat.. AF/IV /1070.
20. Rapport dès commissaires .... op. cit., p. 6.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes
II. Le Comptoir commercial Le besoin d'un nouvel établissement La fondation du Comptoir commercial, le 21 frimaire An IX (12 décembre 1800), est postérieure à celle de la Banque de France. Son fondateur, Pierre Jacquemart 21 , est propriétaire de l'hôtel Jabach, à l'angle des rues Saint-Martin et Neuve-Saint-Merry, d'où le nom de Caisse Jabaclt couramrrientutilisé pour désigner le Comptoir commercial. Jacquemart est un industriel important. C'est un actionnaire de la Caisse d'escompte du commerce et l'on affirme "que c'est au
citoyen Jacquemart que les négocians de Paris doivent, en grande partie, l'établissement de la Caisse d'escompte du commerce, et l'invention des actions ltypothécaires"22. Pour constituer ce nouvel établissement, il s'associe avec sept autres actionnaires, dont Louis Doulcet d'Egligny, adjoint au maire du 7e arrondissement. Quelles raisons peuvent pousser un membre de la Caisse d'escompte du commerce à créer un nouvel institut d'émission ? De même que la Caisse d'escompte dt.i commerce avait répondu aux insuffisances de la Caisse des comptes courants pour les commerçants, le Comptoir commercial comble un vide pour les commerçants parisiens. La Caisse d'escompte du commerce n'accorde en effet l'escompte qu'à ses actionnaires. Or le prix élevé de ses actions en réserve l'accès aux commerçants et fabricants les plus fortunés. Cette sélection est d'ailleurs volontaire. Seuls ceux qui ont une affaire importante ont recours à ses services. Les billets sont donc émis par des commerçants ou industriels connus, ce qui favorise leur acceptation. Par conséquent, de même que la Caisse des comptes courants fonctionnait surtout au profit des banquiers, la Caisse d'escompte du commerce bénéficie à une élite d'hommes d'affaires parisiens. "Ce haut prix de l'action a
dû nécessairement écarter toute la classe des fabricans et des détaillans ; l'escompte à 1/2 pour %, ce secours nécessaire au commerce, se trouve par-là réservé aux hommes à grands capitaux et à grandes entreprises, en état de faire une mise de 5000 fr."23 Les actions de la Caisse d'escompte du commerce valent en réalité 10000 francs, mais seulement la moitié est versée en monnaie métallique, l'autre moitié donnant lieu à l'émission de billets. La masse des petits
21. Ballot, qui évoque le Comptoir commercial entre autres établissements, présente sa fondation comme étant l'oeuvre de Ferdinand Jacquemart. (Ballot, op. cit., p. 307.) En fait, Pierre Jacquemart a deux fils avec lesquels il s'associera: Auguste et Ferdinand, d'où sans doute la confusion. 22. Comptoir Commercial. Extrait du registre des Délibératiolls du 1er ventôse an IX, Paris: D'Hacquart, [An IX], p. 2. Archives de la Banque de France. 23. Projet adressé au Premier Consul, par le Comptoir Commercial. Pour concilier les vues du Gouvernement, sur l'existence d'un seul billet de circulation, avec la conservation des trois Caisses de c)-édit existantes à Paris, s. 1. n. d., p. 7. Arch. nat., F/12/971.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 commerçants et artisans ne peut pas non plus recourir aux crédits de la Banque de France. Le prix de l'action, fixé à 1000 francs, est certes plus abordable et celle-ci n'est pas une condition indispensable à l'obtention d'un crédit24, mais la règle des trois signatures leur interdit pratiquement tout accès à l'escompte. "Par l'effet de
ces deux conditions, d'un côté la modicité de l'action appelle toutes les classes, tandis que de l'autre, l'obligation de ne présenter que du papier à trois signatures connues, les exclut presque toutes."25 Puisque la Banque de France et la Caisse d'escompte du commerce réservent leur escompte à une élite, il s'avère indispensable de secourir la catégorie
"inférieure, celle des marchands, manufacturiers, artisans et débitans livrés aux plus petits détails de l'industrie commerciale"26. Le Comptoir commercial est donc fondé sur les mêmes bases que la Caisse d'escompte du commerce, mais son objectif est de toucher un public beaucoup plus nombreux, "celui qui a le plus besoin
de crédit, celui, en un mot, des manufacturiers et marchands, par lesquels vit tOlite l'industrie et s'opèrent toutes les consommations d'une grande ville"27.
Une extension grâce à la clientèle des petits commerçants et artisans Le prix de l'action est fixé à 2 000 francs. Comme il convient de la rendre accessible au plus grand nombre d'associés potentiels, seulement 500 francs sont acquittés en numéraire et ce versement rapporte un intérêt annuel de 6 %. Le reste du paiement est effectué à l'aide de trois billets de 500 francs émis par les actionnaires et visés par l'administration du Comptoir qui les utilise ensuite pour accorder des crédits. C'est donc une logique calquée sur celle de la Caisse d'escompte du commerce, qui rend possible l'acquisition d'actions avec une mise de fonds inférieure à leur prix, et la diffusion de billets fournis par les associés. Le directeur apporte toutefois un complément de 250 francs par action souscrite, ce qui permet d'accroître la couverture métallique des billets en circulation. Le premier ventôse An IX (20 février 1801), un peu plus de deux mois après la fondation de l'établissement, le nombre d'actionnaires est de 250, et 500 actions ont été souscrites. 900 effets de commerce ont déjà été escomptés, ce qui représente une masse de crédits supérieure à un million de francs. De tels résultats ne peuvent 24. A partir de 1802, la Banque de France décide d'attribuer les fonds disponibles pour l'escompte en fonction du nombre d'actions détenues. Les non-actionnaires ont néanmoins droit à l'escompte. Ils sont traités comme s'ils possédaient trois actions. 25. Projet adressé au Premier CO/lsuL, op. cit., p. 6. 26. Observatio/ls adressées au Premier CO/lsul pour l'établissement particulier d'Escompte, COIllIII à Paris sous le nom de Comptoir Commercial, Paris: Renaudière, An XI, p. 8. Arch. nat., AF IIV /1070. Le manuscrit signé par Jacquemart et Doulcet d'Egligny est daté du 1er ventôse An XI (20 février 1803). Une version imprimée (Paris: Renaudière, 32 p.) est curieusement datée du 12 pluviôse An XI (1er février 1803). 27. Projet adrèssé au Premier Consul... , op. cit.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes qu'encourager les dirigeants du Comptoir à rechercher les moyens de poursuivre son extension. La Caisse d'escompte du commerce sert encore une fois de modèle puisque la création d'actions hypothécaires est décidée. "Suivre la même
marche, ce n'est donc que recueillir le fruit de l'expérience i redoubler d'activité et imiter l'exemple de cette société i c'est appeler comme elle, et s'assurer, avec les mêmes titres, la confiance publique. "28 Les actionnaires peuvent donc acquérir de nouveaux titres sans apporter de fonds supplémentaires s'ils possèdent des biens immobiliers pouvant servir de garantie, et les billets fournis en paiement permettent au Comptoir d'accroître sa capacité d'escompte. La détention de quatre actions mobilières donne droit à la souscription d'une action hypothécaire d'une valeur de quatre mille francs. Comme l'acte de société prévoit un capital constitué par quatre mille actions mobilières, ce sont mille actions supplémentaires qui peuvent être souscrites. La possibilité d'émission s'en trouve améliorée. Puisque chaque action mobilière engendre la création de trois billets, les quatre mille actions hypothécaires aboutissent à la possibilité de mettre en circulation douze mille billets, soit six millions de francs. Les mille actions hypothécaires, qui sont réglées uniquement en billets, engendrent une création de huit mille billets, soit quatre millions de francs. Ce sont donc dix millions de francs en billets que le Comptoir peut mettre en circulation. La couverture métallique de ces billets est constituée par le quart du paiement des actions mobilières, soit deux millions de francs si toutes les actions sont souscrites, auxquels il faut ajouter les 250 francs complémentaires versés par la direction, soit un million de francs. L'apport de fonds en numéraire s'élève donc à trois millions de francs. Le placement de toutes les actions du Comptoir permet ainsi une émission de billets pour dix millions de francs alors que ses ressources en métal se limitent à trois millions. Le Comptoir commercial possède bien le caractère d'une banque d'émission. Dès l'instant où les billets qu'il met en circulation sont utilisées pour des paiements au lieu d'être présentés au remboursement, ils constituent une monnaie fiduciaire. Ces billets accroissent le stock de monnaie en circulation puisque leur contrepartie métallique au Comptoir représente à peine le tiers de leur montant, pour peu qu'il en conserve l'intégralité dans ses caisses. En accordant des crédits au petit commerce, le Comptoir met donc en oeuvre une création monétaire.
La démocratisation du crédit Les dirigeants du Comptoir sont conscients de favoriser l'activité économique en démocratisant le crédit et en augmentant le volume des moyens de paiement.
28. Comptoir tommercial. Extrait dit registre des Délibérations .... op. cit .• p.2-3.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 L'extrait suivant, dans lequel ils présentent à Bonaparte l'impact bénéfique de leur établissement, est significatif.
"Nous n'avons pas besoin de dire que l'ordre des marchands et artisans pour lequel cet établissement a été institué, forme sans contredit, dans une ville telle que Paris, un nombre considérable et qui excède plusieurs milliers : les opérations et les transactions journalières de cette multitude d'agens d'industrie toujours en activité, et ne cessant d'acheter, de vendre, de travailler ou faire travailler, de payer, de recevoir, de salarier, ne seraient pas suffisamment secondées par l'assistance du numéraire effectif; la rapidité et l'aisance de leurs mouvemens exigent encore l'intervention et l'usage des moyens habituels d'échange ou de crédit, sans lesquels tout commerce, même le plus actif dans ses procédés et le plus circonscrit dans ses limites, tomberait en langueur. Il faut aux marchands et fabricans de cette classe, comme à tous les autres, des crédits et des termes pour les aider à franchir l'intervalle qui sépare leurs achats de leurs ventes, leurs paiemens de leurs rentrées; ces crédits et ces termes donnent naissance à des billets et à des lettres de change susceptibles de négociation et d'escompte; Pour ces marchands, comme pour les autres, la proportion manque entre le volume de leurs payemens journaliers et la quantité de numéraire applicable à ces payemens, entre leurs besoins d'escompte et le nombre ou les facultés des prêteurs à les secourir ; Pour eux enfin comme pour les autres, il était indispensable d'augmenter leurs moyens de libération, de leur procurer des avances peu cOlÎteuses, de leur ouvrir en un mot une CAISSE D'ESCOMPTE PARTICULIERE, puisque l'accès des grandes caisses leur était interdit. "29 Les moyens mis en oeuvre par le Comptoir commercial paraissent appropriés pour atteindre ces objectifs d'extension du crédit à un grand nombre de bénéficiaires, et d'augmentation des moyens de paiement utilisables. La remarque qui apparaît dans un rapport pour le Premier Consul, vraisemblablement rédigé par Barbé-Marbois, qui affirme que le Comptoir est "géré par des hommes probes mais peu intelligents"30, paraît donc injustifiée. Les actionnaires peuvent en effet présenter à l'escompte des effets de commerce pour un montant équivalent à celui des billets qu'il ont émis. Ces effets sont acceptés avec seulement deux signatures, et une échéance pouvant aller jusqu'à soixantedix jours. Le crédit est accordé à un taux annuel de 6 %, auquel il faut ajouter des commissions équivalentes à celles de la Caisse d'escompte du commerce. C'est donc l'accès à un crédit bon marché qui est ouvert à un large public parisien. Si l'obligation d'être actionnaire pour y recourir peut apparaître comme une 29. Observations adressées au Premier Consul ... , op. cit., p. 11-13. 30. Renseignements Sl/r les dÎl'erses Caisses publiques Etablies A paris, autres que celles du gouvernemellt, Arch. nat., AF/IV /1070.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes contrainte, elle procure en contrepartie une rétribution non négligeable. Les apports en espèces métalliques sont rémunérés au même taux que l'escompte31 . L'action hypothécaire elle-même donne droit à un intérêt annuel de quarante . francs, alors qu'elle n'a pas donné lieu à un versement en espèces. Le 24 pluviôse An X (13 février 1802), l'administration décide même de verser un dividende sur les bénéfices résultant de l'escompte. Les directeurs cessent aussi de verser systématiquement 250 francs par action souscrite et constituent une réserve de 500 000 francs, pouvant accepter d'autres fonds à titre de prêts, et procurant un intérêt de 6 %. Ce fonds de garantie est destiné à couvrir les pertes éventuelles occasionnées par le non-remboursement de certains effets à l'échéance. Le 12 pluviôse An XI (1er février 1803), l'administration du Comptoir commercial reconnaît compter plus de 700 actionnaires. C'est beaucoup pour un établissement auquel Barbé-Marbois ne semble pas porter beaucoup de considération, affirmant qu'"'iI jouit de quelque confiance parmi les négociants qui l'entourent, mais il n'a pas grand érédit hors de son arrondissement oo32 • Ses billets circulent auprès d'un public moins prestigieux que celui de la Banque de France ou de la Caisse d'escompte du commerce, ils ne sont pas admis dans les caisses publiques, ce qui explique sans doute une certaine forme de commisération à l'encontre d'un établissement qui s'est pourtant développé dans un délai particulièrement bref.
III. La Banque territoriale La Banque territoriale qui est constituée le 1er fructidor An VII (18 août 1799) est intéressante à un double titre. C'est une tentative d'utilisation de la richesse foncière pour garantir des titres mis en circulation, solution déjà esquissée par la Caisse d'escompte du commerce à travers la création des actions hypothécaires. C'est aussi une expérience qui mobilise les énergies de deux spécialistes des questions financières de l'époque: Laffon-Ladébat et Dupont de Nemours33 .
31. Le 1er ventôse An IX (20 février 1801), les administrateurs proposent de faire passer l'intérêt sur les apports en monnaie métallique de 6 à 8 % lorsque le montant des billets en circulation sera de cinq millions de francs. 32. Renseignements sur les diverses Caisses publiques ..., op. cit. 33. Pierre-Samuel Dupont de Nemours est un esprit brillant qui soutient une thèse publique dès douze ans et publie à quatorze un ouvrage qui lui vaut d'être admis aussitôt dans la Société des économistes. Il a, en étudiant l'économie politique, adopté les théories de François Quesnay et lancé le mot "physiocratie". Après s'être distingué à l'étranger, il revient collaborer avec son ami Turgot lorsque celui-ci est nommé Contrôleur général des Finances. Elu député du Tiers aux Etats-Généraux par le baillage de Nemours, il appuie à l'Assemblée le plan de Necker sur la Caisse d'escompte. 11 s'oppose en avril 1790 à l'émission des assignats et est élu président de l'Assemblée le 11 août. Elu en 1795 au Conseil des Anciens dont il assurera par la suite la présidence, il prend une large part aux travaux sur les questions financ~res. Il s'embarque en septembre 1799 pour les Etats-Unis avec ses deux fils. Revenu en France en 1802, il refuse les fonctions publiques que lui offre Bonaparte mais
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
L'idée de la création d'une Banque territoriale n'apparaît pas brusquement en 1799. Ses principes en avaient été exposés depuis longtemps. Il convient de les présenter avant d'expliquer comment ils trouvent une application concrète dans l'établissement créé le 1er fructidor.
Les principes du crédit territorial La Caisse des comptes courants et la Caisse d'escompte du commerce mettent des billets en circulation, selon des modalités différentes, à l'occasion de l'escompte d'effets de commerce. Ces opérations bénéficient aux banquiers et aux commerçants qui, en cédant leurs effets de commerce, obtiennent de la monnaie fiduciaire en contrepartie. L'idée d'un crédit territorial, et non plus seulement commercial, consiste à affirmer que si des effets de commerce peuvent être ainsi mobilisés, d'autres catégories de biens, et plus particulièrement la richesse foncière, peuvent l'être tout autant. Cette richesse foncière est particulièrement importante à la fin de la Révolution. La vente des biens nationaux a permis des transferts de richesses vers la fortune immobilière. C'est une fortune dormante qui devrait pouvoir être activée, au même titre qu'une lettre de change, qui est pourtant un actif mort puisque ce n'est qu'à son échéance qu'elle permettra l'encaissement d'une somme d'argent. Or si cette lettre de change peut assurer une rentrée de monnaie avant son échéance grâce à l'escompte, les biens fonciers doivent pouvoir aussi être activés. Il faut trouver une technique permettant de les mobiliser, de même que l'escompte permet de mobiliser les effets de commerce. Ce projet de mobiliser la richesse foncière n'est pas neuf. Jean-Claude Perrot montre qu'il apparaît au milieu du XVIIe siècle en Angleterre et donne lieu à de nombreux plans de banques dans la France du XVIIIe siècle34 • Le crédit territorial trouve notamme~t un ardent promoteur en la personne de Jacques-Annibal Ferrières, un négociant lyonnais qui en défend l'idée dès 1770. Il tente de la diffuser à plusieurs reprises avant la Révolution, la fait ensuite communiquer à l'Assemblée nationale et l'expose dans de nouvelles publications35.
devient secrétaire du gouvernement provisoire en 1814. Il quitte définitivement la France en 1815 pour Eleutherian-Mills, près de Wilmington, où son fils a fondé une poudrerie en 1802, point de départ de la firme chimique actuelle Du Pont de Nemours. Ses oeuvres complètes ont été publiées par Kraus/Thomson Organization Ltd en 1979. 34. J.-c. Perrot, "'Aléas d'une innovation: les banques foncières au XVIIIe siècle"', p. 195215, in : Une histoire intellectuelle de l'économie politique (XVIle-XVllIe siècle), Paris: Editions de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, 1992, 496 p. 35. J.-A. Ferrières, Précis et succint aperçu d'ul! nouveau plan de finance, par ]acquesAnnibal Ferrières, s. 1., 1789, 23 p.; Plan d'un nouveau genre de banque nationale et territoriale présenté à l'assemblée nationale, par M. Jacques-Annibal Ferrières, Paris: impr. de Monsieur, 1789, 13 p. ; Plan de la Banqlle territoriale inventée par le citoyen Ferrières, Paris: Bailleul, An VII, 37 p. ; Plan de la Banqlle territoriale, par Ferrières, Paris: impr. de la rue Lepelletier, s.d.,10p. '
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes Le plan de Ferrières
Ferrières cherche le moyen de faire baisser les taux d'intérêt pour favoriser l'activité économique, et d'assurer convenablement la circulation des moyens de paiement. L'échec des assignats le conduit à renouveler sa proposition d'une Banque territoriale 36 . Une convertibilité à deux niveaux Cette banque pourrait assurer la vente de la totalité des biens nationaux encore disponibles. Leurs acquéreurs auraient la possibilité de payer à l'aide de billets à ordre de 1 000 livres, procurant un intérêt de 2 % par an à la Banque, ou à des particuliers à qui elle pourrait les céder. La Banque utiliserait notamment ces effets pour assurer le remboursement des dettes de l'Etat37. Ces effets ne doivent pas être assimilés à du papier-monnaie. Tout porteur doit pouvoir les échanger auprès de la Banque contre du métal. Mais Ferrières craint manifestement que la Banque, dont les recettes en monnaie métallique nous paraissent par ailleurs peu assurées, soit incapable de satisfaire immédiatement les demandes de remboursement. Les billets ne sont donc pas directement convertis en métal, mais échangés contre vingt coupons de 50 livres. Ce sont ces coupons qui sont ensuite échangeables en monnaie métallique, à raison du remboursement d'un seul coupon par jour et par personne. Ce procédé n'est pas sans rappeler la technique utilisée par la Caisse des comptes courants lors de l'affaire Monneron, lorsqu'elle se voit contrainte de limiter les paiements à un billet par jour pour chaque détenteur. Le procédé présente l'avantage de mobiliser rapidement les biens nationaux en favorisant leur acquisition par des particuliers dépourvus de numéraire. Il peut d'autre part accroître le montant de la monnaie en circulation si les effets ou les bons sont utilisés pour acquitter des paiements. Les biens nationaux peuvent être vendus à un prix intéressant puisque le moyen de paiement proposé risque de susciter une forte demande. Et les titres qui serviront à les acquérir seront autant de billets qui pourront être mis en circulation. Si on les assimile à une monnaie fiduciaire, la vente des biens nationaux permet une création monétaire pour un montant équivalent à leur valeur. Il y aura vraisemblablement circulation des coupons puisque leur remboursement total en métal n'est pas possible avant un délai de vingt jours. Les particuliers risquent donc de s'en servir comme moyen de paiement en attendant l'échéance. Ils peuvent prendre des habitudes de 36. j.-A. Ferrières, Plan pour rétablir solidement les finances, et payer sur le champ en numéraire, les rentiers, les fonctionnaires publics, et insensiblement toutes les dettes de l'Etat, par le C. Ferrières, Paris, Marchant, s. d., 8 p. 37. La prise en charge des dettes de l'Etat par la Banque paraît nécessiter des liens étroits entre la Banque et l'Etat. Ferrières n'en affirme pas moins que la Banque doit être "indépendante du gOllvemement, quoi qu'à SOI1 avantage et sous sa protection immédiate" (ibid., p.2).
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transactions avec des instruments plus commodes que le métal et finir par éviter d'aller demander jour après jour la conversion d'un coupon. Ferrières n'affirme pas clairement que le remboursement au compte-gouttes peut être un moyen d'obliger leurs détenteurs à les conserver, non pas parce que la Banque n'a pas la capacité de rembourser, ce qui nous paraît cependant probable, mais pour les obliger à s'en servir de moyen de paiement. Il retient pourtant cette idée de circulation des bons.
"Ces coupons semblables aux banquenottes de la banque de Londres, faisant office de numéraire, augmenteront nécessairement le mouvement et la circulation commerciale. La pénurie du numéraire nécessite d'abord cet ordre et cette lenteur dans l'échange en numéraire des coupons de 50 livres, afin d'animer insensiblement le crédit et la confiance. "38 Un tel établissement permet de combler l'insuffisance de numéraire en doublant celui-ci d'une monnaie supplémentaire. Cette offre additionnelle de monnaie a en outre l'avantage de faire baisser le taux d'intérêt. Mais si la rareté du numéraire est une des raisons d'être de la Banque, c'est aussi une situation qui peut lui poser un problème. Malgré les limites imposées à la conversion des bons en numéraire, la Banque doit impérativement se procurer du métal, surtout dans la phase initiale puisque la confiance en ces bons n'est pas encore assurée. Ferrières, conscient que c'est là un point essentiel du fonctionnement de son système, recherche les moyens d'alimenter les caisses. La nécessité de ressources en monnaie métallique Ferrières affirme que des capitalistes de sa connaissance sont prêts à donner une première impulsion au système en lui apportant les fonds nécessaires à son fonctionnement pendant les six premiers mois,' Il s'agit là d'une affirmation d'autant moins convaincante qu'il n'apporte aucune précision sur l'identité de ces prêteurs éventuels. Il propose d'autre part que le gouvernement verse un intérêt aux autres capitalistes qui voudraient bien avancer des fonds à la Banque. La proposition est certes logique puisque des ressources privées ne devront être espérées que si elles sont rémunérées. Elle pose par contre à nouveau le problème des liens entre la Banque et l'Etat. L'indépendance de la Banque vis-à-vis de l'Etat paraît fortement remise en question si le renflouement des caisses de l'émetteur doit passer par une augmentation des dépenses publiques. L'auteur du plan évoque aussi la possibilité d'exiger des acquéreurs de biens nationaux le paiement d'avance des intérêts liés aux effets territoriaux pour la première année. Ce paiement s'effectuerait en numéraire ou en effets de commerce qui pourraient aussitôt être escomptés auprès de banquiers. On peut là encore s'interroger sur l'efficacité d'une telle mesure. Le paiement anticipé de l'intérêt ne peut être qu'une solution transitoire. Il permet d'assurer des ressources immédiates à la Banque, mais ne règle pas le problème de l'approvisionnement 38. Ibid., p. 4....
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes régulier en métal pour faire face aux demandes de remboursement des bons, sauf si l'on considère que ces bons acquièrent rapidement une réputation de solidité qui dispense leurs détenteurs d'en demander la conversion. L'idée d'accepter en paiement des effets de commerce est ensuite surprenante. Elle revient à faire supporter la charge de l'escompte par la Banque et n'assure pas pour autant une plus grande facilité de paiement de l'intérêt. En effet, si le débiteur détient suffisamment de numéraire, il est préférable pour la Banque que la totalité du paiement soit effectuée en métal. Si son avoir en métal est insuffisant, il peut le compléter en faisant escompter lui-même les effets de commerce qu'il peut détenir, plutôt que de les livrer directement à la Banque. Ferrières envisage "un emprunt volontaire de douze millions fait par le gouvernement, contre ces dits effets territoriaux à un taux assez avantageux pour en déterminer le prêt"39. Les modalités d'un tel emprunt ne sont pas clairement définies. S'agit-il d'une livraison d'effets territoriaux à l'Etat contre des ressources procurées par un emprunt public? Dans ce cas, on voit mal quel pourrait être l'intérêt d'une telle banque pour l'Etat. Ce serait la Banque qui fournirait du papier à l'Etat en gage du numéraire que celui-ci verserait. Une telle mesure paraît d'ailleurs peu apte à améliorer la circulation monétaire. S'agit-il de diffuser directement les effets territoriaux auprès des prêteurs? Cela reviendrait à verser un intérêt aux détenteurs de ces effets. Or un intérêt de 2 % leur était déjà attaché. Si un intérêt supplémentaire n'est pas versé, il peu probable que les titres soient suffisamment attractifs. Une autre solution avancée pour assurer les premières rentrées dans les caisses est la vente rapide de quelques terres et coupes de bois. La proposition paraît appeler deux remarques. En premier lieu, la Banque prétendait favoriser la vente des biens nationaux en évitant que l'Etat ait à les céder pour un faible prix. Or pour que cette vente puisse fonctionner, il faudrait apparemment au prélable une première vente rapide destinée à procurer des fonds permettant de réaliser le reste des ventes dans de bonnes conditions. Il faudrait brader des terres dans un premier temps pour que d'autres terres puissent être correctement vendues ensuite. La mesure peut inspirer des réserves. En second lieu, Ferrières prétendait favoriser le placement des biens nationaux malgré les insuffisantes ressources en métal des acquéreurs potentiels. Or, dès les premières ventes, la nécessité d'un paiement en espèces métalliques semblerait s'imposer. Il y a là encore une contradiction. La Banque peut enfin demander aux receveurs de la République de lui verser des fonds en contrepartie d'effets territoriaux. Cette démarche est semblable à celle qui sera adoptée par la Banque de France, lorsqu'elle demandera et obtiendra que la Caisse d'amortissement lui verse les cautionnements des receveurs généraux contre ses actions. C'est une mesure qui, comme les précédentes, 39. Ibid., p. 5.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 pose le problème des liens qui doivent exister entre la Banque et la puissance publique. Le caractère monétaire des papiers émis
Les différentes méthodes préconisées pour apporter les ressources métalliques indispensables au démarrage de la Banque paraissent donc moins satisfaisantes que ne le laisse supposer Ferrières. Il y a apparemment une contradiction entre la solidité du gage des effets territoriaux, la terre, et les difficultés qui peuvent être rencontrées pour permettre la transformation de ces effets en monnaie métallique, transformation en coupons puis échange progressif contre des pièces que la Banque devra être en mesure de se procurer. Il y a d'autre part ambiguïté sur le papier qu'il convient de considérer effectivement comme monnaie. Si, après échange des effets territoriaux contre des bons, les particuliers conservent une partie de ces bons au lieu de les transformer en métal, ils constituent bien une monnaie fiduciaire. Ce sont des papiers qui seront utilisés pour les paiements et acceptés dans la mesure où ils permettent d'obtenir ensuite des espèces métalliques. Il y a certes des délais, mais la conversion en métal est possible. Ces coupures représentent une quantité d'or ou d'argent que le public évitera d'acquérir. La certitude d'obtenir le métal sur demande sera suffisante, et le papier sera conservé s'il est jugé plus commode pour les paiements. Mais la monnaie fiduciaire peut tout aussi bien être constituée par les effets territoriaux eux-mêmes. Car si les détenteurs de ces titres ne vont pas jusqu'au bout de leur démarche qui consiste à les transformer en bons, puis en métal, ils sont financièrement perdants. Il est en effet plus avantageux de posséder des effets territoriaux que les bons auxquels ils donnent droit, puisque ces effets rapportent un intérêt. Par conséquent, si le public ne transforme pas les effets territoriaux en bons, s'il s'en sert pour les paiements, l'effet territorial acquiert le caractère de monnaie fiduciaire. Plusieurs réserves s'imposent toutefois. L'effet territorial doit être utilisé pour des paiements beaucoup plus importants que les vingt bons auxquels il donne droit. Il n'est pas immédiatement transformable en métal. En ce sens, il n'est pas entièrement assimilable au billet de banque tel qu'on le conçoit alors, c'est-à-dire un papier remboursable à vue. Enfin, l'intérêt auquel il donne droit peut laisser supposer que c'est plus un moyen de placement qu'un moyen de paiement. Le fait qu'il puisse circuler et être accepté en paiement nous permet néanmoins d'affirmer qu'un tel effet a indéniablement un caractère monétairéo. Ce sont donc deux papiers qui nous paraissent pouvoir être appelés à jouer un rôle monétaire. Nous avons vu que Ferrières comparait les bons obtenus contre les 40. Si J'on considère qu'une des fonctions de la monnaie est d'être un moyen de paiement, alors un billet n'est jamais entièrement monnaie. Même aujourd'hui, un billet de banque ne permet pas d'assurer tous les paiements (obligation d'utiliser la monnaie scripturale pour le paiement des salaires par exemple). Il est plus juste d'affirmer qu'un papier peut avoir un caractère monétaire plus ou moins prononcé.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes effets territoriaux aux billets de la Banque d'Angleterre4 1 . L'extrait suivant laisse apparaître plusieurs ambiguïtés. "Ce n'est pas ici le gouvernement qui
donne la confiance à cette banque : tout gouvernement peut éprouver des viscissitudes funestes. Ce n'est point un assemblage de commercans ou de banquiers qui peuvent aussi à tout instant subir des évènements fâcheux : ces espèces de crédit sont toujours précaires; c'est le sol toujours permanent qui est assuré à tout porteur d'effets à ordre, sa créance sur la banque, et ce sol acqui par des moyens si faciles, l'assure d'autant plus qu'il deviendra plus précieux dans les mains des cultivateurs. Finalement, comme la quantité des coupons deviendra successivement immense et répandue dans les mains de tout le monde : elle produira en conséquence une nécessité réglée par l'intérêt de chaque citoyen, pour que les effets d'une telle banque ne souffrent jamais aucllne altération; et de-là /'on préfèrera de les garder à raison de l'intérêt de deux pOlir cent."42 On retrouve dans ces lignes toutes les contradictions qui nous paraissent liées au système proposé : volonté de se démarquer du gouvernement alors que l'existence et le fonctionnement de la Banque en dépendent directement; volonté de rejeter le crédit commercial, alors qu'il sert de point de référence pour montrer que le système proposé peut fonctionner; et surtout volonté de voir les coupons circuler en même temps que les effets territoriaux devraient être conservés. Cette dernière contradiction nous paraît significative de l'ambiguïté quant au type de papier qui doit être considéré comme monnaie. Le raisonnement de Ferrières consiste à affirmer que lorsqu'un nombre suffisant de coupons sera en circulation, les particuliers s'abstiendront de convertir en bons de nouveaux effets territoriaux. Cela revient à considérer que la quantité de monnaie nécessaire au fonctionnement de l'économie est une donnée. Cette perception est analogue à celle d'Adam Smith43 • Elle exclut le fait qu'une quantité supplémentaire de monnaie injectée dans l'économie puisse amener une demande, entraîner la création de biens ou services demandés, et justifier par là-même sa propre existence. De plus, affirmer que les particuliers cesseront de convertir leurs effets territoriaux en bons lorsque la quantité de ces bons en circulation sera suffisante, c'est croire qu'ils calquent leur comportement individuel sur l'intérêt collectif. Ou alors, il faut considérer que les individus cessent d'acquérir des bons parce qu'ils ne souhaitent pas accroître leur consommation, à supposer que tous les besoins soient satisfaits. C'est donc un comportement d'épargne qui expliquerait la conservation des effets. On peut dans ce cas s'interroger sur la rationalité d'épargnants qui refuseraient de transformer leurs effets en bons qui permettraient d'effectuer des placements plus rémunérateurs. C'est supposer que les effets confèrent une sécurité telle qu'elle peut être compensée par une faible rémunération. Mais si les effets devaient 41. Cf supra, p. 75. 42. Ferrières, Plan pour rétablir solidement les finances ..., op. cit., p. 5-6. 43. A. Smith, An inquiry into tlze nature and causes of tlze wealtlz of nations, Oxford: The Glasgow edition 'Of the works and correspondence, 1976 [le éd., 1776], t. 1, p. 293-301.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 posséder de telles qualités, on voit alors mal pourquoi les bons seraient aussi nombreux dans la circulation, comme autant de preuves que les particuliers se sont débarrassés de leurs effets territoriaux. Si cette banque souhaitée par Ferrières ne voit pas le jour dans les conditions prévues, avec notamment pour ambition d'assurer la liquidation des biens nationaux et la circulation monétaire sur tout le territoire44, ses principes de fonctionnement sont riches d'enseignements pour comprendre les difficultés auxquelles se heurtera la Banque territoriale qui naît en août 1799. On peut aisément y déceler les principaux handicaps que connaîtra l'établissement, avec notamment l'existence de plusieurs type de papiers et les problèmes pour en assurer le remboursement en métal.
La diffusion des idées en faveur du crédit territorial Les idées de Ferrières sont connues dès le début de la Révolution et sont présentées à l'Assemblée nationale. Elles rencontrent alors un scepticisme qui condamne momentanément leur mise en application. Le principe est néanmoins repris sous le Directoire dans divers plans soumis au Corps législatif qui constituent un véritable plaidoyer pour le crédit territorial. Le scepticisme initial Dans ses tentatives de diffusion de ses idées, Ferrières trouve un porte-parole de taille en la personne de Jérôme Pétion de Villeneuve. C'est dès le début de la Révolution l'un des députés les plus populaires avec Robespierre45 • Son succès politique le portera à la présidence de l'Assemblée avant qu'il devienne maire de Paris. Pétion sert de relais à Ferrières en présentant son plan initial à l'Assemblée le 27 mars 179046 • Dans son discours, véritable plaidoyer en faveur d'une banque territoriale, Pétion multiplie les soutiens à Ferrières. Il y ajoute un projet de décret visant à mettre le plan en pratique dans les plus brefs délais. C'est paradoxalement Dupont de Nemours qui condamne le plus vigoureusement le projet au cours de la même séance, alors que quelques années plus tard il deviendra administrateur de la Banque territoriale et se révélera son plus ardent défenseur lorsqu'elle sera mise en difficulté. "Je considère ce plan
44. Un parallèle frappant peut être établi avec le projet ambitieux de début 1796 et les débuts modestes de la Caisse des comptes courants puis de la Banque de France. Le plan de Ferrières, de dimension nationale, n'aboutira pas à la constitution d'une banque assurant à elle seule toute la circulation fiduciaire.
45. "Tous les deux jouissaient d'une popularité sans précédent; leurs portraits recevaient partout l'épithète 'd'incorruptible', et des pères demandaient la faveur 'd'ajouter au nom de leur fils le beau nom, le nom chéri de Pétion"'. Dictionnaire des parlemelltaires français ... , Paris: Bourloton, 1891, t. 4, p. 604. 46. Discours de M. Pétion de Villeneuve sur l'établissement de caisses territoriales en France suivi d'un projet de décret, Paris: lmpr. nationale, 1790,20 p.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes comme dangereux dans son organisation et dans ses effets; j'ajoute qu'il a un très grand inconvénient, celui d'être inexécutable. J'ai dit que ce plan était dangereux, parce que si tous les propriétaires ont la possibilité d'emprunter, ils emprunteront presque tous; et c'est une règle générale, que les prêteurs s'enrichissent quand les emprunteurs se ruinent 1... ] j'ajoute aussi que cette caisse n'aura jamais la possibilité de remplir tous ses engagements. "47 Cette présentation à l'Assemblée nationale est d'autant plus intéressante que le deuxième opposant au plan n'est autre que Lecouteulx-Canteleu. Il émet lui aussi des réserves sur son application.
"Je connais ce plan depuis longtemps; je l'ai médité avec réflexion, et j'avoue aussi qu'il m'a paru toujours défectueux, relativement aux hypothèques. "48 L'opposition de ces deux spécialistes des questions monétaires à un projet d'émission de papiers remboursables à vue peut surprendre quant on connaît leur engagement futur en faveur de tels procédés. La formule d'un membre de l'Assemblée, Jean-Denis Lanjuinais, fournit peut être un élément d'explication. "Il
est bien connu que ce plan a deux sortes d'ennemis, les économistes et les marchands d'argent."49 L'affirmation qui consiste à classer les "économistes" parmi les opposants à un système visant à faire jouer un rôle monétaire au papier nous paraît certes contestable. En dehors du fait qu'il est difficile de déterminer qui doit être classé ou non comme économiste5°, il nous paraît improbable que le projet ait pu rencontrer au cours de cette période l'hostilité de l'ensemble des économistes. Les objections de l'économiste (physiocrate) renommé qu'est alors Dupont de Nemours51 ne manquent néanmoins pas de surprendre. On pourrait en effet s'attendre à ce que le fervent défenseur des idées physiocrates qu'il est depuis longtemps soutienne un projet visant à mobiliser la richesse foncière. Les responsabilités qu'il exercera au sein de la Banque territoriale montrent toutefois que ses critiques ne pas une condamnation définitive du crédit territorial. Les réticences des marchands d'argent, c'est-à-dire des banquiers52, sont beaucoup plus compréhensibles. Ferrières se donne en effet pour objectif l'émission d'un papier qui, accroissant le volume de la monnaie en circulation, peut concourir à la baisse du taux d'intérêt. L'activité des prêteurs de fonds traditionnels risque donc d'être rendue plus difficile. Il serait toutefois hasardeux d'affirmer que Lecouteulx-Canteleu est hostile à la baisse des taux. C'est en effet un des objectifs
47. Archives parlementaires, 1ère série, t. 12, du 2 mars au 14 avril 1790, p. 373. 48. Ibid. 49. Ibid. 50. Le terme désigne alors les physiocrates et comporte une connotation péjorative . . . (G. Faccarello, "L'économie politique", in : M. Vovelle, op. cit., p. 424.)
51. "La personnalité la plus marquante de la physiocratie est Dupont de Nemours." (P. Steiner, "La physiocratie", ill : M. Vovelle, op. cit., p. 422.) 52. Il faut ici considérer les banques comme des établissements accordant des prêts, mais n'émettant pas de billets. Les maisons de banque ne sont alors pas des banques d'émission. Cf. supra, p. 1O-1t.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
affirmés qu'il avancera pour défendre le projet de formation d'une banque d'émission en 1795-1796, puis lors de la fondation de la Banque de France. Son opposition au projet vient vraisemblablement du fait qu'il est beaucoup plus ouvert au crédit commercial qu'au crédit territorial. L'émission de billets lors de l'escompte d'effets de commerce, telle qu'elle sera pratiquée par les premières banques qui naissent sous le Directoire, puis par la Banque de France sous le Consulat, a manifestement sa préférence, même s'il ne rejette pas entièrement l'idée de billets gagés sur la terre. Cette double opposition explique que les propositions de Ferrières aient dû attendre plusieurs années avant que l'idée du crédit territorial soit reprise et que la Banque territoriale puisse ouvrir ses portes53 . Différents plans de banques d'émission Ce principe d'une banque émettant des billets gagés sur des valeurs immobilières, défendu depuis longtemps par Ferrières, finit par trouver des échos. Les principales personnalités du monde bancaire semblent même se rallier à cette idée. C'est ainsi qu'en pluviôse An IV (février 1796), des hommes comme Laffon-Ladébat, Lecouteulx-Canteleu, Perregaux ou Monneron, lorsqu'ils tentent de mettre en place un premier institut d'émission, s'inspirent de l'idée de billets garantis par une richesse immobilière. La banque, qui ambitionnait le remplacement des assignats par des billets, devait prendre en charge la vente des biens nationaux qui lui seraient cédés par le gouvernement. En contrepartie, elle devait fournir au gouvernement des billets dont le montant n'excéderait pas la moitié de la valeur des propriétés transmises à la banque. Ces billets auraient donc dû être gagés sur une richesse foncière d'une valeur deux fois plus importante que celle du papier émis. Cette idée d'un gage foncier pour le billet est toujours présente en 1799. Plusieurs plans de banques qui font l'objet du rapport de Lecointe-Puyraveau54 ont comme point commun la proposition d'émettre des billets ayant pour support la propriété terrienne. Un dénommé Christophle propose que les propriétaires puissent émettre des effets hypothécaires pour la moitié de leur richesse
53. On trouve toutefois une réaction positive au projet présenté à l'Assemblée nationale dans l'écrit d'un nommé Colmar (Motion très intéressante sur les finances, proposée pour provoquer, s'il est possible, celle dont M. Pétition de Villeneuve s'était chargé de porter à l'Assemblée nationale, dès le 1er décembre 1789, par 11/1 citoyen, ami zélé de la constitution, publié le 18 mars 1790, s. 1. n. d., 16 p.). On notera que cet écrit a été rédigé avant même la présentation par Pétion devant l'Assemblée. C'est en effet quatre mois après en avoir déposé la demande que Pétion avait pu transmettre le projet à l'Assemblée le 27 mars 1790. Il faut signaler aussi un écrit ultérieur de Jean-François Charpentier de Cossigny (Finances. Réflexions sur le plan d'une banque territoriale, par le cit. Ferrières, Paris: impr. de Sobry, 29 nivôse An V, 16 p.). 54. Cf. supra, p. 38-40.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes
immobilière. Ces effets, remboursables à une échéance de deux ou trois ans, ne pourraient pas être refusés en paiement. Un autre auteur, Marion, propose une utilisation des propriétés pour l'émission de billets qui n'est pas sans rappeler la technique utilisée par la Caisse d'escompte du COJIUI)erce. Pour participer au capital de la banque qu'il préconise, il faut posséder des biens pour une valeur double de celle des actions acquises. Seul le tiers du paiement de l'action serait réalisé en numéraire. La banque mettrait ensuite en circulation des billets pour un montant équivalent à la valeur des actions souscrites. Il y aurait donc création monétaire, puisque avec 1 000 francs d'apport en numéraire, la banque pourrait émettre pour 3 000 francs de billets. Pour l'auteur du plan, ces billets seraient solidement garantis puisque chacun serait représentatif d'une valeur double constituée par des biens immobiliers. On pourrait toutefois objecter que ce gage n'est en rien une garantie de remboursement à vue. Marion ne prévoit pas de cours forcé pour ce type de papier. Or les terres ne sont pas des biens liquides, et même si le billet représente bien un capital concret, la banque ne peut assurer que le remboursement immédiat du tiers des billets émis. Il n'est pas évident que les actionnaires soient à même d'apporter rapidement des espèces métalliques correspondant aux deux autres tiers de la valeur des actions souscrites. En cas de crise de confiance, il y a bien un risque d'insolvabilité si les remboursements des billets se font à vue. Larcher, notaire, et Jouan, présenté comme homme de loi, réclament la création de banques territoriales hypothécaires dans tous les départements. Les actionnaires ne règleraient que 10 % de leur apport en métal, la moitié comptant, l'autre moitié dans l'année. Les 90 % restant seraient constitués par des hypothèques sur des immeubles, et ne donneraient par conséquent lieu à aucun versement effectif. La banque émettrait des billets, à l'occasion de divers types de prêts, pour un montant ne pouvant pas excéder la moitié des richesses hypothéquées. On retrouve une fois de plus cette marge de sécurité qui limite les billets émis à la moitié de la richesse foncière qu'ils représentent. Les auteurs du plan, sans doute conscients du risque que court une telle banque en cas de réclamations massives de remboursement, demandent à ce que ces billets soient officiellement acceptés dans les caisses publiques pour un certain nombre de contributions. Un auteur anonyme présente aussi un projet de mobilisation des immeubles au Conseil des Cinq-Cents. Il propose la formation d'une banque dont le capital serait constitué pour un cinquième par un versement effectif de fonds. Les quatre cinquièmes des actions seraient livrés à des propriétaires d'immeubles d'une valeur quatre fois plus importante que les actions reçues. Là encore, la banque ne peut rembourser à vue qu'une fraction des billets, alors que ceux-ci sont largement garantis par une richesse mobilière non immédiatement disponible. L'auteur demande lui aussi à ce que les billets soient acceptés dans les caisses publiques.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Un projet de banque présenté par des notaires55 va plus loin en demandant à ce que les immeubles soient réellement affectés à la banque dans le cadre d'une vente à réméré, c'est-à-dire que le vendeur se réserve le droit de reprendre son bien s'il en acquitte le paiement à une date ultérieure. De plus, le projet prévoit que le vendeur conserve l'usufruit de ses immeubles. La banque paierait les immeubles à l'aide de traites dont une partie pourrait être remboursée immédiatement grâce à l'apport en monnaie métallique de certains actionnaires. Ce principe de l'aliénation réelle d'immeubles auprès de l'institut d'émission sera celui qu'utilisera la Banque territoriale. Un dénommé Gabiou propose la constitution d'une banque56 dont le capital sera constitué par 400 actions numéraires, 3 600 actions hypothécaires et 3 600 actions de recours. Les premiers seraient obtenus contre un versement de 5 000 francs en numéraire. L'action hypothécaire serait fournie au propriétaire d'un bien immobilier valant au moins 7500 francs, qui s'engagerait à payer les 5 000 francs de la valeur de l'action dans les trois mois qui en suivraient la demande par la banque. Cette fois-ci, la valeur du bien hypothéqué n'est que de 50 % supérieure à celle de l'apport de fonds correspondant, et le délai de trois mois est vraisemblablement destiné à favoriser l'éventuelle liquidation du bien. Quant aux actions de recours, elles sont obtenues contre un versement comptant de 500 francs et un engagement à verser le reste en cas d'appel de la banque. Des billets seraient émis pour un montant équivalent à celui des actions numéraires et hypothécaires, ce qui implique que seulement 19 % des billets auraient leur équivalent métallique à la banque, grâce au paiement en métal de l'intégralité des actions numéraires et du dixième des actions de recours. Les billets émis se monteraient en effet à 20 millions de francs, alors que les ressources en métal seraient de 2 millions pour les actions numéraires et de 1,8 million pour les actions de recours. Plaidoyer pour le crédit territorial Parmi les projets de banques d'émission proposés au Conseil des Cinq-Cents, beaucoup ont pour base l'utilisation des richesses immobilières. Cette tendance semble traduire une volonté de garantir le papier qui peut tenir lieu de monnaie par des biens qui' paraissent solides. Le souvenir des assignats, dont l'émission n'était plus réglée que par les besoins de financement du Trésor, a apparemment nettement marqué les consciences. Les différents plans de banques, en mobilisant des valeurs foncières, paraissent éviter deux écueils qui ont créé la défiance envers le papier-monnaie. En premier lieu, l'émission est nécessairement limitée. Si la banque émet des billets en fonction de la valeur des biens qu'elle détient ou dont ses actionnaires sont propriétaires, un plafond est forcément fixé à
55. Cf. sI/pra, p. 37. 56. Cf. sI/pra, p. 37.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes l'émission. Quel que soit le projet considéré, lorsque la banque a mis en circulation les billets que ses règles de fonctionnement ont prévus, toute nouvelle émission est interdite, ou alors elle passe par une augmentation du capital de la banque. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une émission abusive puisque les nouveaux billets sont gagés par des ressources supplémentaires en métal et par une contrepartie en biens fonciers. D'autre part, contrairement au papier-monnaie, le billet de banque représente une richesse existante. Il est convertible en métal. La banque est certes loin de posséder dans ses coffres l'intégralité de l'équivalent métallique des billets émis, mais elle est censée faire face à toutes les demandes de conversion. Pour cela, elle peut être amenée à liquider les biens immobiliers qu'elle détient, ou exiger de ses actionnaires qu'ils acquittent en métal la totalité du prix de leurs actions. Elle a la certitude qu'un tel paiement est possible, puisque dans tous les projets présentés, la richesse immobilière des actionnaires est supérieure à là valeur des actions qui leur sont livrées. Il n'en demeure pas moins un problème de taille. Ces banques proposées, qui cherchent à utiliser une fortune foncière, ont une structure de bilan déséquilibrée. Elles ont à leur passif des engagements à court terme. Elles ont en effet le devoir de convertir en métal à vue et au porteur les billets qui leur sont remis, même si deux des projets présentés font référence à une amorce de cours légal, en en demandant l'acceptation par les caisses publiques. Ces établissements ont en revanche à leur actif des biens particulièrement peu liquides. L'actif est constitué pour une fraction réduite par du métal et pour l'essentiel par des biens fonciers ou par des créances qui pourront être acquittées par la vente de tels biens. Or une telle liquidation nécessite des délais. En cas de crise de confiance dans l'établissement, il est possible que la banque épuise ses réserves métalliques et soit incapable de faire face immédiatement à ses engagements, puisque la vente des biens immobiliers ne permettra d'obtenir qu'avec retard les fonds qui auront été réclamés. Nous verrons que la Banque territoriale illustrera parfaitement ce problème de liquidité des établissements émettant des billets gagés sur la terre. C'est la principale critique qui lui sera adressée lors des débats sur l'unicité de l'institut d'émission. Lecointe-Puyraveau, bien que réservé sur les chances de réussite de tels établissements, perçoit parfaitement les avantages qu'ils présentent aux yeux de leurs défenseurs. Les lignes suivantes nous paraissent rendre compte du sentiment des auteurs des différents projets. "Supposons des immeubles libres de toute
charge, & francs d'hypothèques : nul doute que les propriétaires pourront les engager par des billets, & si au lieu d'en faire pour la valeur totale, ils n'en font que pour la moitié, il est naturel de penser qu'ils inspireront de la confiance, parce que le gage sera toujours là. Si je puis ensuite supposer que les créanciers des propriétaires veuillent en recevoir en paiement ; si ces derniers peuvent en acquitter les dettes; si chacun y voit la représentation d'lIne valeur qui ne peut échapper, & les reçoit; dès-lors ces billets mettent, si je puis m'exprimer ainsi, les terres en circulation, & deviennent une espèce de monnaie de confiance, puisque
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 l'essence de la monnoie est de représenter toutes les choses à la disposition des hommes."57 Les voeux pour la formation d'une banque favorisant la mobilisation de la richesse foncière du pays ne se limitent pas aux projets adressés au Conseil des Cinq-Cents. Le 1er vendémiaire An VIII (23 septembre 1799), alors que la Banque territoriale est officiellement constituée depuis près d'un mois, Mengin publie un Plan de finances où il cherche à démontrer la supériorité de ce type d'établissement sur les banques qui émettent des billets à l'occasion de l'escompte d'effets de commerce. L'extrait suivant nous paraît particulièrement représentatif de la sécurité qu'inspire un tel émetteur par rapport aux autres établissements bancaires.
"Toutes les banques ont pour but l'accroissement de la circulation. Leur service se trouve nécessairement très-limité; lorsqu'il se fait, comme dans celle d'Amsterdam, seulement sur le numéraire qui y a été versé [581. Celles qui escomptent le papier des négocians, comme la caisse du commerce ou celle des comptes courans, et qui remboursent leurs billets à vue, ne peuvent étendre leurs opérations que dans la proportion de la sûreté qu'offrent les négocians et du crédit dont ils jouissent. De pareilles bases appliquées dans les circonstances actuelles ne seraient point susceptibles de produire les secours nécessaires. Ce serait, en escomptant des créances garanties par des propriétés immobiliaires, qu'un établissement de cette nature, qui d'ailleurs ne mettrait que des billets payables à vue en numéraire, présenterait le plus d'avantage pour la société. Avec cette règle de prêter aux choses plutôt qu'aux personnes, la confiance dans les emprunteurs n'est plus arbitraire et vacillante au gré des événemens : tout propriétaire, et même celui dont l'immeuble serait situé à l'extrémité la plus reculée, serait certain d'un crédit à cette banque; celle-ci n'aurait de limite qu'autant qu'elle manquerait elle-même de moyens pour satisfaire aux demandes qui seraient faites.
57. Lecointe-Puyraveau, op. cit., p. 34. 58. Cette présentation de la Banque d'Amsterdam comme un établissement assurant une couverture métallique intégrale correspond à la description qu'en donne Smith (op. cit., p. 486). Mais à l'époque où écrit Mengin, la Banque d'Amsterdam a manifestement eu recours à la création monétaire. Jean-Elie Gautier reconnaît qU"'1I1/ moment de l'invasion de la
Hollande par les armées françaises, on décol/vrit ql/e les directel/rs avaient preté al/x états de Hollande et de Frise I/ne somme d'environ 24 000 000 de francs, et cette circonstance contribl/e sans dOl/te ail discrédit dont l'argent de banql/e fllt frappé en 1793 et pendant les années de désordre qlli sllivirent, discrédit qlli, d'Ilne pllls-vallle de 3 à 5 % ql/'il avait constamment eue sur la monnaie cOl/rante, le fit descendre all-dessolls dll pair". O.-E. Gautier, Des banqlles et des institlltions de cr/ilit en Amériqlle et en Europe, Paris: Coulon, 1839, p. 17.)
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes Ces banques méritent encore la préférence sur toutes les autres, en ce qu'il doit devenir infiniment rare qu'un propriétaire use de son crédit au-delà de ce que peuvent solliciter les besoins de la circulation, tandis que le négociant n'abuse que trop souvent de la faveur d'opinion qu'on lui accorde. Le premier répond par le gage qu'il donne à l'éxecution de son engagement ; l'autre peut au contraire se soustraire à sa promesse, et c'est sur-tout lorsqu'il s'agit de rappeler la confiance évanouie, qu'il importe d'écarter toute inquiétude sur la stricte observation des conventions.
Si l'état doit politiquement faire un sacrifice pour l'encouragement des banques, c'est vers celle des propriétaires que doit se retourner toute son attention. "59 Mais le plus ardent défenseur d'un système basé sur la mobilisation des propriétés foncières est sans doute Laffon-Ladébat. L'ancien directeur de la Caisse d'escompte, instigateur d'un projet de banque dès les premiers mois du Directoire, prendra en effet en main la destinée de la Banque territoriale. li est manifestement convaincu de la supériorité des effets gagés sur la terre par rapport à ceux qui sont émis à l'occasion de l'escompte d'effets de commerce.
"Ce que l'Angleterre a fait pour le crédit commercial, la France peut le faire pour le crédit Territorial, et ce crédit aura une bâse plus sure, plus vaste, plus indépendante des mouvements politiques, que le crédit commercial. Le crédit commercial anime en Angleterre la culture et les arts, parce qu'il accélère la circulation des capitaux et multiplie leur puissance. Le crédit Territorial peut seul, en France, ranimer le commerce et les arts, parce qu'il peut mettre en mouvement d'immenses capitaux et multiplier d'autant plus leur puissance qu'il les garantit toujours. Le crédit Territorial existera lorsque tout propriétaire pourra se procurer des capitaux mobiles sur la valeur de sa propriété. Le crédit commercial existe lorsque les commerçants d'un état peuvent facilement se procurer des capitaux pour les opérations de leur commerce. Le crédit d'une maison de commerce porte sur la persuasion qu'elle a des valeurs qui excèdent les capitaux qu'on lui confie. Cette opinion ne peut pas être facilement vérifiée, et le crédit est déterminé par la confiance qu'inspire le caractère du commerçant. [... ] Le crédit Territorial, au contraire, ne peut jamais prendre une extension fondée sur l'opinion seule: il est limité pour les particuliers, comme pour l'Etat, par la valeur des propriétés, il est plus invariable, plus certain, il pourra servir à tous les propriétaires dès que des institutions sages lui auront donné toute l'action qu'il
59. M.-P. Mengin, Plan de finances ... , Paris [1er vendémiaireTAn VIII, p. 15.
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les marchands de nouveautés,
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doit avoir, et alors les capitaux qu'il mettra en mouvement accroîtront rapidement le crédit commercial et le crédit industriel. "60 Il Y a apparemment un véritable fossé entre l'engouement pour des billets gagés sur la richesse foncière et les difficultés que rencontre la Banque territoriale lorsqu'elle tente de mettre ces idées en pratique.
Les difficultés de la Banque territoriale Claude Fohlen a tracé les grandes lignes de cette "expérience peu connue et rarement citée"61. Il a utilisé, pour cela, deux dossiers retrouvés dans les Archives Dupont de Nemours à Wilmington62 . Si plusieurs écrits remontant à l'époque du fonctionnement de la Banque nous permettent d'en retracer l'histoiré3, il est vrai que les études sur un établissement pourtant original sont particulièrement réduites. La seule recherche contemporaine depuis l'article de Fohlen est constituée par les quelques pages que Louis Bergeron consacre à la description de la Banqué4. C'est un nommé Jean-Claude Simonne qui entreprend de réaliser le projet de Ferrières. L'établissement initial compte une quinzaine d'associés réunis pour une durée de 25 ans dans le cadre d'une société en commanditéS. D'autres actionnaires rejoignent ensuite le groupé 6. La Banque territoriale a pour objectif de prêter des 60. A.-D. Laffon-Ladébat, Observations sur le crédit territorial, Paris: impr. de la Banque Territoriale, Floréal An X (mai 1802), p. 10-13. 61. C. Fohlen, "Une expérience de crédit foncier. La Banque Territoriale (An VII-an XI)", ill : Mélallges offerts à G. Jacquemyns, Bruxelles: Editions de J'Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles, 1968, p. 275. 62. Dupont de Nemours s'était réfugié aux Etats-Unis et était décédé à Eleutherian Mills, près de Wilmington. Cf supra, p. 72-73. 63. Plusieurs brochures ont notamment été imprimées par la Banque: Banque Territoriale établie à Paris, rue du Sentier nO 31, boulevard MOlltmartre, impr. de la Banque Territoriale, An VIII, 15 p. ; Règlement de la Banque Territoriale arrêté les 29 pluviôse et 25 ventôse An IX (1801), s. 1., An IX, 20 p. ; Notice explicative des opérations de la Banque Territoriale établie à Paris, rue du Sentier. N°. 31, Paris imprimerie de la Banque territoriale, An X, 8 p. ; Règlements pour les opérations de la Banque Territoriale, Paris : impr. de la Banque Territoriale, An XI, 27 p. ; Banque Territoriale sous la raison Chavagnac et Cie, s. 1., 5 brumaire An XII, 14 p. ; Avis aux créanciers et débiteurs de la Banque Territoriale, Paris, 5 brumaire An XII, 10 p. ; Règlemens arrités par l'administration de la BANQUE TERRITORIALE, formée sous la raison de CHAVAGNAC et Compagnie, Paris: impr. de Goujon, 3 frimaire An XII, 13 p. ; Rapport fait à l'assemblée des créallciers de la Banque Territoriale dans leur séance du Il frimaire an XII par M. Dupont de Nemours, président de la commission intermédiaire, Paris: Goujon fils, [An XII], 8 p. ; Parallèle elltre le plan de M. Lecointe-Puyraveau et celui de la nouvelle Ballque Territoriale relativement aux droits et aux intérêts des créanciers de l'ancienne Banque, Paris: Goujon fils, s. d., 8 p. 64. Bergeron, op. cit., p. 294-300. 65. Sur ce type de société, cf supra, p. 60. 66. Pour une erésentation de ces actionnaires, on pourra se reporter à la liste publiée par Bergeron (op. cit., p. 295) à partir des Archives de Paris.
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes fonds aux propriétaires fonciers qui ont besoin de ressources pour améliorer leur propriété ou pour se lancer dans d'autres activités. Elle verse à tout propriétaire une somme correspondant à la moitié de sa richesse immobilière si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une procédure d'hypothèque. "Pour garantir le prêt que la Banque
accorde, l'emprunteur lui vend, la terre ou la maison sur laquelle le prêt est accordé, avec faculté de réméré(67) ou de libérer la propriété en remboursant."68 Le vendeur conserve toutefois la jouissance de sa propriété. Il peut donc obtenir des fonds importants à l'aide d'une technique avantageuse. Juridiquement, il n'est plus propriétaire de ses terres, mais dans les faits, sa situation reste inchangée. Il continue d'utiliser des biens dont il deviendra propriétaire après le remboursement. Si, à l'échéance, l'emprunteur est dans l'incapacité de régler ses dettes, la Banque rembourse en vendant la propriété qui lui a été cédée. Comme la vente s'effectuera probablement à un prix supérieur aux sommes dues à la Banque, puisque les fonds prêtés n'excédaient pas la moitié de la valeur de la propriété servant de garantie, une partie de la recette de la vente pourra être reversée à l'emprunteur. Cette opération de crédit peut être effectuée à l'aide de deux types de papiers: les traites territoriales et les bons territoriaux. Traites et bons territoriaux Les traites territoriales Les traites territoriales sont des effets dont le terme peut aller de trois mois à deux ans. Ce sont des traites que l'emprunteur tire sur la Banque. Une comparaison peut être établie avec les lettres de change dans le cadre d'une opération commerciale, puisque par celles-ci un créancier donne l'ordre à son débiteur de régler une somme à une échéance déterminée. Ici, c'est l'emprunteur qui demande le paiement d'une somme à la Banque territoriale à l'échéance prévue. La Banque accepte ces traites et l'emprunteur a alors plusieurs possibilités pour obtenir ses fonds. Il peut attendre l'échéance de la traite, puisque à cette échéance la Banque lui livrera effectivement la somme qu'elle lui prête. Il a aussi la possibilité de convertir cette traite en monnaie métallique, soit en la négociant librement, soit en l'escomptant auprès de la Banque territoriale. On notera que si ce dernier choix est plus commode, il revient, pour la Banque, à accepter un papier qui est sa propre reconnaissance de dette. Ces traites peuvent circuler par endossements successifs. A l'échéance, elles sont présentées à la Banque qui en assure le remboursement. La Banque peut être en mesure d'en réaliser le paiement puisque, lorsque l'échéance arrive, l'emprunteur
67. Dans une vente à réméré, le vendeur se réserve le droit de reprendre le bien vendu en restituant à l'acheteur le montant du paiement dans un délai convenu. 68. Laffon Laaébat, Observations ... , op. cit. , p. 13.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 doit rembourser sa dette. S'il est dans l'impossibilité de le faire, la Banque peut se procurer des ressources par la vente des terrains qu'elle a reçus avant d'accorder le prêt. Si un investisseur a eu l'occasion d'acquérir des traites territoriales, il sait donc que la Banque sera nécessairement solvable à l'échéance, soit parce que celui qui a tiré ces traites en vient à rembourser la Banque en espèces, soit parce que la Banque liquide les actifs qui leur servaient de garantie. Cette logique semble toutefois présenter une faille. En effet, à l'échéance des traites territoriales, le propriétaire qui veut continuer à recourir au crédit peut renouveler ses traites pendant toute la durée du réméré. Or les règles de fonctionnemenf de l'établissement sont peu explicites. Elles ne précisent pas si l'emprunteur doit rembourser l'intégralité du premier crédit consenti avant de tirer de nouvelles traites, ce qui paraît pourtant être une condition nécessaire pour que la Banque puisse être rapidement solvable. Supposons en effet qu'à l'échéance un capitaliste présente une traite territoriale au remboursement. Si la Banque accepte de renouveler le crédit consenti au propriétaire sans que le tirage de nouvelles traites soit précédé du remboursement du premier crédit, elle ne reçoit pas les fonds qui lui permettent d'assurer le paiement des premiers effets. Elle n'a pas non plus la possibilité de vendre les biens fonciers qui leur servent de gage, puisque le propriétaire n'a pas failli à ses engagements. Nous n'avons pas retrouvé d'informations sur la pratique des renouvellements de crédits dont l'organisation semble ambiguë. Si un propriétaire doit intégralement rembourser un prêt avant d'en obtenir un second, au lieu de bénéficier d'un simple renouvellement, c'est une technique particulièrement incommode. Si le renouvellement est automatiquement assuré par la création de nouvelles traites, c'est un procédé qui paraît dangereux pour la Banque. Les bons territoriaux Contrairement aux traites, les bons territoriaux sont des papiers émis par la Banque. Ils sont fournis directement au propriétaire qui réclame un crédit. Il les signe, ce qui permet d'attester que chaque billet émis est réellement la contrepartie d'un bien foncier existant. Ces billets sont à vué 9 . Le fait qu'un porteur puisse à tout instant en demander la conversion en métal auprès de l'émetteur nous permet de les assimiler à des billets de banque. Il y a en effet une différence de nature entre les bons et les traites de la Banque territoriale, bien que les deux types de papier soient émis dans le but identique de procurer un crédit à un propriétaire foncier. La traite territoriale peut difficilement être assimilée à de la monnaie fiduciaire. Elle permet certes de réaliser des paiements, mais par endossements successifs, au même titre qu'une 69. Les coupures sont de 1 000, 500, 250, 100 et 50 francs. Les traites territoriales qui circulent sont des papiers de même valeur auxquels il faut ajouter des coupures de 5 000 et 2000 francs. (Lt Directeur général et les Administrateurs de la Banque territoriale. Au Ministre du Trésor public. Lettre du 25 ventôse An X. Arch. nat., AF /IV /1070.)
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes lettre de change. Elle risque d'ailleurs d'être difficilement acceptée en paiement, puisque celui qui la reçoit n'a pas la certitude de pouvoir l'utiliser à son tour pour acquitter ses dettes, ni de pouvoir en obtenir rapidement la contrepartie en métal. A l'inverse, les bons territoriaux ont un caractère monétaire beaucoup plus affirmé. Si nul n'est tenu de les accepter en paiement, ils bénéficient néanmoins d'un double avantage par rapport aux traites. Ils sont convertibles à vue et ont par conséquent peu de risques de connaître une dépréciation par rapport au métal puisque leur convertibilité est la garantie que les billets valent bien la somme d'or ou d'argent qu'ils représentent. Cette faculté leur donne l'avantage d'être facilement acceptés en paiement puisque la promesse de livraison immédiate de monnaie métallique sur simple demande réduit la défiance à leur encontre et favorise leur acceptation. Ce sont des billets de banque et la solidité du bien qui leur sert de gage devrait favoriser une confiance propice à leur diffusion. "Ils sont
pour la Banque Territoriale, ce que sont les billets à vue pour toutes les Banques qui ont du papier en circulation; mais la Banque Territoriale n'en peut émettre que pour la valeur ou partie de la valeur des propriétés qu'elle acquiert."70 Fohlen ne distingue pas les traites des bons qu'il assimile manifestement à un seul et même papier71 , C'est pourtant seulement la seconde catégorie de papiers qui nous permet de classer la Banque territoriale parmi les banques d'émission, au même titre que la Caisse d'escompte du commerce ou la Caisse des comptes courants, puis la Banque de France. Traites et bons sont censés assurer une circulation du papier permettant à l'établissement de fonctionner selon les principes énoncés par Ferrières. L'application de ces principes par la Banque territoriale est toutefois loin de s'avérer concluante. Une activité mouvementée
"Il paraît démontré que les premières opérations ont été, pour la plupart, désastreuses."72 Cette opinion de Soufflot de Mérey, un associé tardivement entré à la Banque territoriale, résume toutes ses critiques à l'encontre de l'établissement. Les débuts de la Banque s'avèrent difficiles. Malgré l'enthousiasme que pouvaient manifester les promoteurs de ce type de banque d'émission, l'accueil du public est plus que réservé. "Le douloureux souvenir des assignats et des mandats territoriaux rendait la confiance publique réfractaire à
tout papier territorial : ses bons étaient refusés par les autres banques et les 70. Laffon-Ladébat, Observations ... , op. cit., p. 14-15. 71. Il Y a confusion dans la présentation de Fohlen entre deux papiers qui nous paraissent pourtant de nature différente. Il évoque à tort les "bons, appelés traites territoriales" (op. cit., p. 276), alors que ces deux expressions ne recouvrent pas la même réalité. 72. Soufflot de Mérey, Précis sur la banque territoriale et moyen d'assurer sa liquidation avec utilité pour les créanciers, et sans perte pour les débiteurs, Paris: imp. de A. Bailleul, 15 ventôse An XII, p. 4.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 caisses publiques. "73 L'activité de la Banque reste donc limitée par insuffisance d'apports de fonds. "La faiblesse des moyens restreignit les opérations, et il est évident que dès ce moment certaines d'entre elles furent douteuses. En effet, pour produire quelque argent, plusieurs actionnaires aliénèrent leurs propres biens à la banque. Ces aliénations se montèrent à 3 300 000 F, mais elles étaient surestimées et rapidement les aliénateurs retirèrent leurs traites, laissant donc la banque sans ressources. "74 La Banque en vient donc à élargir le cercle de ses associés pour susciter de nouveaux apports de capitaux. La Banque territoriale atteint néanmoins difficilement son objectif de favoriser le recours au crédit pour les propriétaires fonciers. Les opérations sont en effet trop coûteuses pour entraîner l'adhésion d'éventuels emprunteurs. Lorsque sera posé le problème de l'unicité de l'institut d'émission, le Ministre du Trésor public, Barbé-Marbois, le reconnaîtra clairement. "L'établissement encore faible et dénué de l'appui du gouvernement exige un intérêt si haut pour les Capitaux qu'il prête que peu d'Emprunteurs se sont jusqu'à ce jour présentés."75 Le coût de l'emprunt se monte en effet à 18 %, ce qui le rend peu attrayant. Les emprunteurs se trouvent donc en position de force vis-à-vis de la Banque qui se compromet en surestimant certains immeubles. Des propriétaires obtiennent ainsi des fonds pour un montant supérieur à ce qu'ils auraient dû être autorisés à recevoir. Soufflot de Mérey reconnaît que ces complaisances dans les estimations des biens reçus en garantie ont pu porter atteinte à la confiance: "je suis forcé d'avouer que partie de
ces aliénations [... ] est aujourd'hui attaquée par les porteurs de traites, comme présentant des gages insuffisants."76 La Banque territoriale se retrouve donc démunie de ressources, incapable d'assurer des prêts à un taux avantageux et de faire circuler un papier qui n'inspire pas confiance. Il lui faut trouver un directeur spécialiste des opérations bancaires pour tenter de relancer l'activité de l'établissement. La réputation de Laffon-Ladébat semble en faire l'homme de la situation. Il est appelé à la direction de la Banque territoriale. Laffon-Ladébat se heurte néanmoins à plusieurs difficultés. Il renonce tout d'abord à faire un inventaire qui aurait permis d'apprécier réellement la situation de la Banque, et "cette première faute
permet de lui imputer toutes celles qui sont résultées de cette fatale négligence"77. Laffon-Ladébat cherche le moyen de faire entrer des fonds à la Banque et organise une augmentation de capital 78 . Une création de 20 000 actions de 73. Ballot, op. cit., p. 312. 74. Fohlen, op. cit., p. 278. 75. Rapport aux COllsuls de la République ... , op. cit., De la Ballque Territoriale. 76. Soufflot de Mérey, op. cit. 77. Ibid., p. 5. 78. Le 5 thermidor An VIII (24 juillet 1800), quelques mois avant l'arrivée de LaffonLadébat, l'assemblée générale des sociétaires avait opté pour la création de 2 000 actions de 1 000 francs chacune. Elles donnaient droit à un intérêt de 5 % et à la perception d'une partie
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Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes 1000 francs est décidée le 15 brumaire An X (6 novembre 1801). Mais l'effet n'est manifestement pas celui qui est attendu. "Cette création monstrueuse d'un capital de 20 millions eut pour premier danger d'épouvanter l'opinion, de discréditer, en naissant, les actions mêmes qui pouvaient être prises."79 L'opération tend donc à discréditer la Banque au lieu de lui donner les moyens d'étend~e ses opérations. Soufflot de Mérey, qui reproche à Laffon-Ladébat de l'avoir attiré dans une entreprise hasardeuse en laissant croire que la situation de l'établissement était saine, reconnaît que la Banque était en déficit avant l'arrivée de celui-ci. Un rapport du 5 prairial An X (25 mai 1802) fait cependant état d'une situation favorable à l'établissement. Les traites et bons à vue en circulation s'élèvent alors à 8 017 205 francs alors que les propriétés qui leur servent de garantie sont estimées à 18760697 francs. L'actif excède d'autre part le passif pour 1105 874,59 francs. C'est donc une situation saine que fait apparaître le bilan de Laffon-Ladébat, même si les opérations de la Banque restent modestes. Quinze jours après la publication de ce bilan, dans la nuit du 21 au 22 prairial An X (1011 juin 1802), un vol est commis à la Banque et 400 000 francs de valeurs disparaissent. Cet événement entraîne de fortes dissensions entre les associés, aggravées par "d'odieux soupçons de complicité"80. Cette situation conflictuelle aboutit à une nouvelle organisation de la Banque. Le directeur doit compter avec un contrôleur général, trois censeurs, trois administrateurs temporaires au rang desquels figure Dupont de Nemours, et un secrétaire général. Cette réorganisation n'est pas sans rappeler les contre-pouvoirs qui avaient été mis en place à la Caisse des comptes courants lors de la disparition de Monneron. Si, au moment où la volonté gouvernementale d'unifier la circulation fiduciaire commence à s'affirmer, la Caisse d'escompte du commerce est un établissement en pleine expansion, il en va tout autrement pour la Banque territoriale. Lorsqu'il s'agit de discuter de l'unicité du billet de banque, la Caisse d'escompte du commerce peut s'appuyer sur la réussite de son papier pour montrer que celui-ci est indispensable au commerce et que sa disparition serait nuisible. La Banque territoriale est au contraire mal placée pour démontrer que son papier est supérieur à celui des autres émetteurs. Elle ne peut que réclamer des faveurs pour tenter d'abaisser le coût du crédit qu'elle consent, principal obstacle à la diffusion de son papier, montrant les limites de ses prétentions à assurer la circulation monétaire.
des bénéfices. Deux semaines plus tard, l'assemblée obligeait chaque sociétaire à verser 10 000 francs. 79. Soufflot de Mérey, op. cit., p. 6. 80. Ibid., p. 8. '
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CHAPITRE 3 Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France Les établissements parisiens présentés émettent, selon des modalités différentes, des billets convertibles en or ou en argent. La monnaie de papier ne prend toutefois pas uniquement la forme de titres remboursables en l'un ou l'autre de ces deux métaux. A Rouen, plusieurs maisons émettant des billets remboursables en cuivre finissent pas être imitées à Paris et dans les villes de province (1). Rouen semble d'ailleurs jouer un rôle de premier plan dans la diffusion de la monnaie fiduciaire puisque après la Caisse des comptes courants et la Caisse d'escompte du commerce, c'est dans cette ville que s'ouvre la troisième banque d'émission constituée sous le Directoire (II). Ces établissements, comme ceux que nous avons vus précédemment, ne fonctionnent pas en cercle fermé mais nouent des relations avec la Banque de France (III).
J. Les banques de sols Outre les établissements présentés, Paris compte au début du XIXe siècle deux autres banques d'émission: la Factorerie du commerce et la Caisse d'échange des
monnaies l . Les renseignements sur cette dernière société sont limités et son activité semble réduite. Barbé-Marbois note qu'elle "émet des billets de 10, 15 et 25 F payables en
monnoie de cuivre sans billon ni centimes, et elle fait l'échange des mon noies étrangeres ainsi que des matieres d'or et d'argent. Ses billets sont recus difficilement dans la circulation, elle fait lin grand agiotage au perron du Palais du Tribunat ; et les bases de son administration ne jouissent pas encore de la confiance publique. "2 La Factorerie du commerce est un établissement parisien dont l'activité est fondée sur l'utilisation de techniques qui avaient été mises en place en province
1. D'autres établissements de dimension modeste ont sans doute aussi exercé une activité. "Il Y eut encore au moins à cette époque à Paris deux autres établissements de crédit et d'émission de moindre importance que nous ne connaissons que de nom et qui durent avoir des circulations très restreintes, peut-être même limitées à leur clientèle directe: la 'BANQUE D'UNION DU COMMERCE' et la 'CAISSE D'ASSOCIATION':' U. Lafaurie, R. Habrekom, "Les banques du Directoire et du Consulat", Bulletin de la société d'étude pour l'histoire du papier-monnaie, nO 9,1954, p. 18.) . 2. Renseignem.rnts sur les diverses caisses publiques établies A paris, autres que celles du gouvernement, op. cit., p. 7.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France par des établissements communément appelés banques de sols. Leur existence découle directement de la situation monétaire léguée par la Révolution. Une partie de la monnaie d'or ou d'argent avait quitté le pays avec l'instauration du papier-monnaie. D'autre part, des pièces de billon, en cuivre et en métaux provenant de la fonte des cloches, avaient été émises en grande quantité3 . La circulation monétaire se trouvait finalement encombrée par cette monnaie de cuivré. Un rapport établi le 26 messidor An X (15 juin 1802) par des représentants du commerce de Rouen montre qu'entre 1792 et 1801, la valeur du stock d'or et d'argent en circulation avait diminué du tiers, alors que la petite monnaie de billon, cuivre et métal de cloche, s'était accrue de près de 140 %5. Ces chiffres sont certes à prendre avec précaution, puisqu'ils comparent les valeurs du stock monétaire entre deux périodes où les prix ont connu d'importantes fluctuations, mais ils révèlent le phénomène de raréfaction de la monnaie métallique et le développement de la monnaie de billon.
Une solution à l'excès de petite monnaie Sous le Directoire, cette monnaie est manifestement en excès dans la circulation. A Rouen, elle connaît ainsi une décote de 6 à 10 % par rapport aux écus, parfois plus importante pour les faibles sommes6 . Ce phénomène est général et le 14 nivôse An IV (4 janvier 1796), le Directoire en vint à prendre l'arrêté suivant. "Il ne pourra être admis en payement de tous les droits et contributions,
de quelque nature qu'ils soient, payables en numéraire, que le quarantième en monnaie de cuivre de la somme à payer, indépendamment de l'appoint; le surplus
3. Sur les différentes catégories de billon, on peut se reporter à l'article de Bernard Traimond ("L'empire du billon", Cahier Monnaie et Financement, Université Lumière Lyon 2, nO 18, décembre 1988, p. 61-80). 4. Nous avons vu que cet excès de billon posait des problèmes à la Caisse des comptes courants. Cette monnaie qu'eUe acceptait dans ses caisses finissait par l'encombrer. Elle tentait de s'en débarrasser en s'obligeant à assurer 2,5 % de ses paiements en billon. 5. Le stock de monnaie se décompose ainsi: 1792 1801 - monnaie métallique 2673996133 1800000000 12398786 12000000 - billon -cuivre 10359761 20 000 000 - métal de cloches 20000000
Rapport fait à la société libre, établie pOlir /'encollragement dll Commerce Et de l'Indllstrie, à ROllen, en sa séance extraordinaire tenlle le 29 Messidor an 9, sur le danger. auquel la circulation des Bons, remboursables en sous de cuivre et en métal de cloches, expose les Habitants de cette Commune, Rouen : impr. de Periaux, [An IX], p. 4-5. Arch. nat., AF /IV /1070. 6. Observation~ sllr les banqlles de sols Etablies à ROllëll. Le Prefet ail Ministre dll Trésor pllblic. Arch. nat., AF /IV /1070.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 devra être acquitté en espèces d'or ou d'argent."7 Une telle mesure, si elle est une garantie, pour les particuliers, de ne pas recevoir plus du quarantième d'une somme en monnaie dévalorisée, paraît toutefois être un facteur aggravant cette dévalorisation. C'est en effet une reconnaissance officielle de la dévalorisation du billon. D'autre part, en limitant la possibilité d'utiliser du billon dans les paiements, le Directoire ne peut qu'inciter le public à s'en défaire. Cet excédent de billon est à l'origine de la création des banques de sols. En thermidor An VI (juillet 1798), la première banque de sols est constituée à l'initiative de la maison Le Camus et Cie, avec l'appui des négociants, de la municipalité de Rouen et du département. L'établissement cherche à remplacer la monnaie de billon par des billets. De même que la Caisse des comptes courants vise à remplacer le métal dans la circulation en émettant des billets qui restent convertibles en or ou en argent, une banque de sols émet des billets, convertibles en billon sur simple demande, tendant à remplacer le billon dans les transactions. Elle escompte des effets de commerce en cédant des billets au bénéficiaire du crédit, lequel les utilise pour des règlements 8 . A Rouen, ces billets servaient notamment au paiement des salaires. L'émission d'un tel papier est couronnée de succès. Alors que la monnaie de cuivre subissait une décote par rapport aux écus, la différence entre ces billets et la monnaie métallique s'estompe, et les détaillants finissent par les accepter au pair9. Il y a là un phénomène paradoxal que personne, à notre connaissance, n'a tenté d'expliquer. Que la monnaie de billon subisse une décote par rapport à la monnaie métallique est tout à fait concevable. La loi de Gresham, selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne, a pour conséquence le fait que les particuliers cherchent à se débarrasser de la monnaie qu'ils jugent mauvaise. C'est donc celle qu'ils utiliseront en priorité pour les paiements, et ils ne la recevront eux-mêmes qu'avec réticence. Un paiement dans la monnaie dont on se défie est donc moins facilement accepté, et cette monnaie se dévalorise aux yeux de ses détenteurs. Elle subit une décote par rapport à la bonne monnaie qui justifie la défiance initiale. Le rejet de la monnaie dite mauvaise entraîne une dévalorisation qui ne fait qu'accentuer ce rejet. C'est ainsi que sous la Révolution les émissions massives d'assignats engendreront une méfiance à leur encontre qui amènera la détérioration de leur valeur par rapport au métal et l'utilisation d'un 7. C. Bloch, La monnaie et le papier-monnaie, Paris: Leroux, 1912, p. 397. 8. Cest manifestement à tort que Crouzet considère qu"'oll ne peut considérer comme établissements d'émission les 'banques de sols'" du fait qu'elle effectueraient une mise en circulation de billets "ne correspondant à aucune opération de crédit" (Crouzet, La grande
inflation, op. cit., p. 489). 9. Ce résultat est mis en avant par le préfet de la Seine-inférieure, Breugnot, pour faire valoir la nécessité des banques de sols. "Sous ce double rapport, les banques de sols ont bien
mérité du Commerce par les services qu'elles lui rendent et du Gouvernement en accréditant et faisant circuler all,pair la monnaie de cuivre," (Observations sur les banques de sols Etablies à Rouën ..., op. cit.)
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France double système de prix pour les paiements en assignats et en métal. Il en va de même pour le billon : sa quantité en circulation est jugée excessive et le public cherche à s'en défaire, quitte à accepter une décote par rapport à l'or ou à l'argent. La décote d'un billet par rapport au métal qu'il représente serait aussi concevable, même si elle n'a que peu de raison d'être lorsque la conversion à vue est assurée. Lorsqu'une banque ne bénéficie pas de la confiance des personnes qui en reçoivent les billets, il est possible que les billets finissent par être acceptés pour une moindre valeur que celle de la quantité de métal qu'ils représentent. Les difficultés de la Banque royale de Law ou de la Caisse d'escompte, la crise passagère de la Caisse des comptes courants, les expériences de cours forcé que connaîtront la Banque d'Angleterre ou la Banque de France ont inévitablement entraîné un affaiblissement du billet au regard du métal. On pourrait donc concevoir que le papier émis par une banque de sols soit accepté pour une valeur moindre que le montant de la monnaie de billon à laquelle il correspond. Or c'est l'inverse qui se produit. Alors que le billon se dévalorisait par rapport à l'or et à l'argent, le billet de la banque de sols, qui ne fait que représenter le billon et qui n'est convertible qu'en monnaie de cuivre, est accepté au pair de la monnaie d'or et d'argent. Pourquoi un billet, qui représente des pièces dont la valeur intrinsèque est inférieure à la valeur nominale, est-il plus facilement accepté que ces pièces? Sans prétendre apporter l'explication unique à ce phénomène, nous pouvons avancer quelques propositions de réponses. La première tient sans doute au fait que les pièces de cuivre sont une monnaie divisionnaire, c'est-à-dire destinée aux paiements d'une valeur infime. Dès l'instant où un seul billet peut représenter une vingtaine ou une centaine de ces pièces, il présente l'avantage d'être beaucoup plus commode pour les transactions et de faciliter les paiements pour un montant plus important. A titre de comparaison, nos contemporains préfèrent généralement recevoir un billet de 20 francs plutôt que 100 pièces de 20 centimes. On peut pousser plus loin la comparaison en observant que s'il y a deux siècles, le billon ne pouvait être utilisé que pour le quarantième de la valeur d'un paiement, notre monnaie divisionnaire a elle aussi un pouvoir libératoire limité par la loi. On conçoit dès lors qu'à Rouen un billet de 100 francs, qui arithmétiquement équivaut à 2 000 pièces d'un sou, ait pu être accepté pour une valeur supérieure aux pièces qu'il représentait. Les remarques de Barbé-Marbois, pourtant hostile à l'émission de tels billets 10, semblent conforter cette première explication. "Les
sols ou la petite monnaye sont destinés à payer les petits appoints et consommer les petits marchés; mais puisqu'il y a trop de cette monnaye, les billets pour
10. Sur l'oppo.,..sition de Barbé-Marbois aux banques de sols, cf infra, p. 182-183, p.274276.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
cuivre ont eu du moins un bon effet; c'est de remettre en pièces de 20-25 et 100 F ce que le gouvernement avait imprudemment divisé en pièces de un et deux sols."l1 Une deuxième raison à l'appréciation du billet tient vraisemblablement à la raréfaction du billon dans la circulation. L'extension de l'émission de billets a pour corollaire un accroissement du stock de monnaie de cuivre dans les caisses de la banque de sols. Le billon est donc progressivement retiré de la circulation et la cause de sa dévalorisation, sa surabondance, tend ainsi à disparaître au fur et à mesure du développement de l'activité de la banque. Si le billet se retrouve au pair de la monnaie métallique, ce n'est donc pas uniquement parce qu'il est accepté plus facilement que le billon, c'est aussi parce que le billon en circulation se fait plus rare et se revalorise. Cette hypothèse est confirmée par une constatation de Barbé-Marbois qui remarque que "les sols sont hors de la
circulation qu'ils surchargeaient et embarrassaient ; ils sont banis sans aucun inconvénient et même à la satisfaction de ceux qui auparavant étaient embarassés"12. En fin de compte, si les billets de la banque de sols sont acceptés au même titre que l'or et l'argent, c'est d'une part parce qu'ils se valorisent par rapport au billon pour la première raison que nous avons développée, et d'autre part parce que leur émission contribue à évacuer la monnaie de cuivre de la circulation et à élever sa valeur en la raréfiant. Les billets se retrouvent au pair à la fois parce qu'ils sont préférables au billon et parce qu'ils représentent un billon qu'ils contribuent à valoriser. Les avantages procurés par ces billets expliquent l'apparition d'autres banques de sols.
Le développement des banques de sols De nouveaux établissements se constituent en province et à Paris sur le modèle de la première banque de sols rouennaise ou, comme à Troyes, avec un statut plus ambigu. Extension en province et implantation à Paris Le succès de la première banque de sols entraîne l'apparition de deux autres banques à Rouen13. La banque Thézard et Cie est fondée en l'An VII, et la banque Le François aîné père et fils en l'An IX. Alors que l'émission de la première
11. Banqllesde SOIIS et factoreries de Commerce. établies tant à Paris qlle dans les Départemens. Arch. nat .• AF/IV /1070. 12. Ibid. 13. Dans un rapport envoyé à Barbé-Marbois. le préfet de la Seine-inférieure, Breugnot. développe les é~pes de l'installation des banques de sols à Rouen. (Observations sllr les banqlles de sols Etablies à ROllën ...• op. cit.)
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France atteint 300 à 350 000 francs, celle de la deuxième s'élève à 450 000 francs et à 900000 francs pour la troisième 14. La création des banques de sols ne se limite pas à Rouen. L'expérience est reprise dans plusieurs autres villes. Des banques se constituent notamment à Amiens, Saint-Quentin, Troyes, Nantes et Tours 15 . Guy Thuillier leur consacre quelques pages dans un ouvrage sur la monnaie au début du XIXe siècle 16 . Il apporte des informations sur un dossier "dont l'intérêt théorique justifierait sans doute des recherches plus approfondies"17. Si notre recherche complète sur ce point celle de Thuillier, nous n'avons pas pour autant la prétention d'avoir épuisé le sujet. Nous ne reprendrons d'ailleurs pas les caractéristiques individuelles de chacun des établissements, notre objectif étant simplement de montrer la logique de fonctionnement des banques de sols pour comprendre leur spécificité par rapport aux autres types de banques d'émission. Cette présentation, nécessaire pour montrer à quel genre de concurrence est confrontée à ses débuts la Banque de France, est indispensable pour expliquer à quelles résistances se heurtera le pouvoir lorsqu'il voudra confier le privilège d'émission à la Banque de France. Les banques de sols sont en effet dans une position particulière. Si l'on définit la banque d'émission comme un établissement mettant en circulation des billets convertibles à vue en or ou en argent, les banques de sols ne méritent pas ce titre. Elles émettent un papier seulement convertible en billon. Mais si les pièces de cuivre ne sont pas de la monnaie métallique, elles n'en sont pas moins monnaie. Leur caractère monétaire est toutefois moins affirmé que celui de l'or et l'argent. Pour ce qui est de leur rôle en tant qu'unité de compte, il est inexistant. Ce sont l'or et l'argent qui servent de référence. Les pièces de cuivre n'ont qu'une valeur intrinsèque réduite et leur valeur nominale est décrétée par l'Etat, au même titre que l'Etat donne une valeur au papier-monnaie. En ce sens, le billet qui les représente mérite difficilement l'appellation de billet de banque. Quant à leur rôle comme moyen de paiement, il est limité de fait par leur utilisation pour le
14. Ces dernières banques semblent avoir parfois recouru à des émissions excessives rendant à plusieurs reprises les remboursements difficiles. (Trésor public. Rapport concernant les Caisses d'Echange de la Monnoye de Cuivre, 17 floréal An X [7 mai 1802]. Arch. nat., AF /IV /1070.) 15. A Tours, un Bureau d'échange de la monnaie de cuivre met en circulation des billets de 10, 15, 25, 50 et 100 francs. Son directeur, Lhéritier-Vauquer, organise des possibilités de remboursement dans les principales villes du département. (LHERITIER- VAUQUER, Négociant, aux Citoyens du Département d'Indre et Loire, Arch. nat., AF /IV /1070.). Ces billets semblent avoir bénéficié d'une certaine notoriété qui a incité le receveur général du département à inviter les percepteurs à les recevoir dans les caisses publiques. (Le Receveur général du département d'Indre et Loire Aux Percepteurs de l'ail X, du même Département, 1er vendémiaire An X (23 septembre 1801), Arch. nat., AF /IV /1070.) 16. G. Thuillier, La monnaie en France au début du XIXe siècle, Genève: librairie Droz, 1983, p. 215-223. 17. Ibid., p. 215.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 règlement de faibles sommes, et de droit par la restriction qui en est faite à 2,5 % du paiement. La monnaie de billon n'est donc pas une monnaie à part entière. Doit-on en conclure que le billet qui la représente ne constitue pas de la monnaie ? On pourrait objecter que même si les pièces de cuivre ont un caractère monétaire discutable, elles sont néanmoins utilisées comme monnaie, et un billet qui remplace ces pièces peut être qualifié de monnaie de papier. Mais d'autres arguments permettent de conférer à ce papier la qualité de monnaie. Il est tout d'abord accepté dans les paiements beaucoup plus facilement que le billon luimême puisqu'il est reçu au même titre que l'or ou l'argent. Sa fonction de moyen de paiement est plus prononcée que pour les pièces de cuivre. D'autre part, l'émission de ce papier peut donner lieu à une création monétaire. Lorsque la banque de sols accorde un crédit en fournissant de tels billets au bénéficiaire, celui-ci dispose d'un papier qu'il n'a pas intérêt à convertir en monnaie de billon puisque le papier s'avère plus avantageux. S'il s'abstient d'en demander la conversion, la banque de sols peut alors mettre en circulation des billets pour une valeur supérieure à son stock de monnaie de cuivre, de la même façon que la Caisse des comptes courants émettait des billets pour un montant plus élevé que son encaisse métallique. La banque de sols met donc en circulation un papier, reçu au pair de la monnaie métallique, que les particuliers utilisent pour leurs règlements, tout en sachant qu'ils peuvent en exiger à chaque instant la conversion contre de la monnaie de cuivre. La banque de sols peut alors être assimilée à un émetteur de monnaie fiduciaire. La Factorerie du commerce, dont les activités débutent à Paris le 1er frimaire An VIII (22 novembre 1799) peut être considérée comme une banque de sols. Un négociant rouennais note d'ailleurs qu'elle a été créée sur le modèle des banques de cette ville. "Paris a bientôt suivi notre exemple. La factorerie est une imitation de nos caisses."18 Barbé-Marbois, qui recense les différents établissements dont la Banque de France doit subir la concurrence, en retrace les caractéristiques. "Ses
opérations consistent en émission de billets payables en monnaie de cuivre et billon, en avances sur dépôt et consignation de marchandises, et en escompte de lettres de change ou billets à ordre. Les billets qu'il Emet, sont de 25, 50 et 100 F, et leur emission s'éleve à un Million ; le fond capital de la société est de 600 000 F. Les moyens de ses administrateurs et de ses interessés l'ont investi de la confiance publique, et ses effets sont admis dans toutes les caisses publiques et particulières. elle recoit de la banque et de la trésorerie toutes les monnaies de cuivre et billon superflues et elle les Echange contre ses billets solidaires à 5 ou 6 mois au pair, ce qui facilite en apparence les payements de ces deux caisses. "19
18. 511r les banqlles de SOIlS, Arch. nat., AF /IV /1070. 19. Renseignemellts sllr les diverses Caisses publiqlles ..., op. dt. , p. 6-7.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France La Factorerie n'est vraisemblablement pas le seul institut parisien à émettre des billets contre de la monnaie de cuivre 20 . Barbé-Marbois évoque par ailleurs d'autres établissements à l'activité plus marginale. "Cet établissement semble
avoir donné naissance à quelques mêmes effets. Il y en a plusieurs particuliers ; et leur papier circule à croire que le gouvernement en
autres moins considérables, mais qui ont les dans Paris ; ils ont leurs billets, leurs agens avec une telle liberté que le public serait fondé a autorisé /'émission."21 L'existence de tels
établissements est confirmée dans les écrits consacrés aux banques de sols.
"L'établissement le plus considérable dans ce genre à Paris est la factorerie de commerce. Il n'a cependant émis de billets que pour 14 à 1,500,000 f Mais il y a ensuite 10 à 11 petites caisses dont les opérations sont moins connues"22. La nature de la Caisse d'escompte du commerce de Troyes Le 4 frimaire An X (25 novembre 1801), un groupe de négociants installés à Troyes arrête les statuts d'une Caisse d'escompte du commerce de Troyes 23 . Ses règles de fonctionnement sont largement calquées sur celles de son homonyme parisien. Elle présente cependant une singularité portant sur la nature des billets qu'elle émet. Ces billets, comme ceux de la Caisse d'escompte du commerce, doivent être fournis par les actionnaires lorsqu'ils règlent le montant de leurs titres de propriété. Les actions, d'une valeur de 2 000 francs, sont payées pour moitié en espèces métalliques et pour moitié en billets. Barbé-Marbois note qu '" Elle émet des Billets de 100 f payables en or ou en argent et de 40 f payables en billon "24. Il est apparemment dans l'erreur quand il fait allusion à des billets de 40 francs. Les statuts de la Caisse mentionnent en effet des coupures pour un montant plus faible. "Chaque actionnaire acquitte son action, savoir: 1 000 francs qu'il verse en espèces d'or ou d'argent, six billets de 100 francs chaque, valeur mêmes espèces, et quarante billets de 10 francs en billon, tous payables à vue, au
porteur, au domicile de la caisse"25 La particularité de l'établissement tient au fait que ses objectifs et ses règles de fonctionnement en font une version provinciale de la Caisse parisienne, alors que la volonté d'émettre des petites coupures convertibles le rapproche des banques de sols. 20. J. Lafaurie et R. Habrekorn signalent parmi les établissements bancaires émettant des "billets de sous" une Caisse d'échange, une Caisse d'utilité, et une Société numéraire. (""Les banques du Directoire et du Consulat", op. cit., p. 18-19.) 21. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit. 22. Ibid. 23. Ces statuts ont été imprimés. Un exemplaire est déposé aux Archives nationales (AF /IV /1070). 24. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit., Caisse d'Escompte du Commerce. 25. Statuts et !.èglemens de la Caisse d'Escompte du Commerce de Troyes, Troyes: Gobelet, 4 frimaire An X, p. 4. Arch. nat., AF /IV /1070.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Dans quelle mesure peut-on affirmer que cet établissement a effectivement fonctionné ? Barbé-Marbois, qui le signale en quelques lignes, parle seulement d'une Caisse "qui va s'établir à Troyes"26. Ballot, qui s'interroge sur la possible existence de banques dans les départements, ne pense pas que ses opérations soient allées au-delà de la rédaction des statuts. "Nous ne croyons pas que ce projet ait reçu même un commencement d'exécution."27 L'existence de cette banque ne paraît cependant pas se ramener au dépôt de ses statuts. Trois mois après sa constitution, le ministre de l'Intérieur la mentionne dans un courrier qu'il adresse au ministre des Finances. "il s'est établi dans la ville de Troyes, une caisse d'escompte qui peut devenir fort avantageuse aux fabriques de cette commune Des négocians s'y sont réunis pour venir aux secours des manufacturiers et diminuer l'interet du numeraire. ils ont crée des billets de cent francs et de dix francs. Vous sentez quels avantages on peut tirer de ces petits billets pour le payement des ouvriers. "28
La Caisse demande à être exemptée du droit de timbre pour ces billets. Mais le ministre des Finances lui refuse cette faveur 29 . Il est possible que ce rejet ait amené la Caisse à abandonner ses opérations. Les billets en circulation devaient en effet être assujettis à un droit de timbre de cinquante-cinq centimes. Cette obligation, peu onéreuse pour des coupures d'un montant élevé, renchérit considérablement le coût de la mise en circulation des billets de 10 francs 3o . Il n'est donc pas exclu que la Caisse ait fini par renoncer à émettre. Thuillier la cite toutefois parmi les banques de sols, sans préciser si elle effectivement ouvert ses portes au public31 . Comme il relève par ailleurs qu'une banque de sols a fonctionné à Troyes pendant plusieurs années 32 , il est tout à fait vraisemblable que cet établissement, qu'il assimile un peu trop rapidement à une banque de sols, ait aussi émis des billets remboursables en monnaie métallique.
26. Rapport aux Consuls de la République... , op. cit. 27. Ballot, op. cit., p. 319. 28. Le M. de l'int. au M. des finances. Lettre du 7 ventôse An X (6 février 1802), Arch. nat., F 12/798/B. 29. Le ministre des Finances au Ministre de l'intérieur. Lettre du 8 germinal An X (29 mars 1802), Arch. nat., F 12/798/B. 30. Alors qu'une loi du 25 mai 1791 exemptait du droit de timbre les papiers d'un montant ne dépassant pas 25 francs, ceux-ci sont assujettis au timbre depuis brumaire An VII. Le préfet'Breugnot note qu'à Rouen les banques de sols, hormis la première qui fut constituée, ont passé outre cette obligation. (Observations sur les banques de sols Etablies à Rouën ..., loc. cit.) Le droit à payer était tellement disproportionné en regard du montant des billets que les agents du fisc ont constaté les infractions sans les sanctionner. 31. Thuillier, op. cit., p. 215. 32. Ibid., p. 221.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France Des établissements de ce type ont certainement fonctionné dans des villes de province. Barbé-Marbois s'en fait l'écho. "Plusieurs départements ont aussi leurs
banques et leurs Caisses d'Escompte du Commerce, et leurs Caisses de change de mon noies de cuivre, pour lesquelles elles ont des billets en émission, jusqu'à des sommes assez considérables."33 Si l'existence de banques de sols fonctionnant en province est indéniable, nous n'avons cependant pas retrouvé de trace d'établissements émettant des billets convertibles en or ou en argentM. Une ville, Rouen, fait toutefois figure d'exception.
II. La Société générale du commerce de Rouen Au printemps 1802, Paris contient six banques d'émission 35 dont une Banque de France qui ne mérite même pas le titre de Banque de Paris. Nous avons vu que la province possédait elle aussi des émetteurs d'un type particulier à travers les banques de sols dont la Factorerie du commerce représentait la version parisienne. Les billets émis en province ne sont toutefois pas convertibles en monnaie métallique. Une ville se singularise pourtant en abritant très tôt une banque qui émet des billets échangeables contre de la monnaie métallique: Rouen36 . C'est à 33. Rapport aux Consuls de la République... , op. cit. 34. Clément Juglar, dans le Dictionnaire des Finances de Léon Say (op. cit., p. 301) affirme qu'il n'existait pas de banque d'émission en province en dehors de la place de Rouen. 35. Sans compter les banques de sols, créées sur le modèle de la Factorerie du commerce, auxquelles fait allusions Barbé-Marbois. Dans les Renseignements sur les diverses Caisses publiques, Barbé-Marbois note "qu'il existe à Paris six caisses qui escomptent et émettent des effets". Comme il reconnaît que le Comptoir commercial fonctionne depuis dix-huit mois, on peut penser que cet écrit a été réalisé vers juin 1802, soit deux mois avant le Rapport complet qu'il date du 20 thermidor An X (8 août 1802). Dans celui-ci, il affirme par contre "qu'il y a
dans Paris, cinq étab/issemens connus qui émettent des billets circulant comme numéraire, et qui les échangent contre des espèces à présentation." La Caisse d'échange des monnaies n'est plus dans la liste. Barbé-Marbois précisait dans le premier écrit que cette Caisse avait été constituée par trois associés dont deux avaient annoncé leur retrait pour le 1er vendémiaire An X (23 septembre 1801). Il Y a certainement une erreur dans le relevé de la date par BarbéMarbois qui écrit "an X" au lieu de "an XI". Si les remarques de Barbé-Marbois sont de juin 1802, l'événement présenté comme à venir ne peut s'être déroulé l'année précédente. On peut supposer que Barbé-Marbois omet de signaler l'existence de la Caisse d'échange des monnaies dans le Rapport parce que le retrait des associés risque d'amener la remise en question de l'établissement, ou plus vraisemblablement parce qu'il ne la considère plus comme une banque d'émission à part entière, du fait de la faiblesse de son activité limitée à l'émission de petites coupures remboursables en cuivre. 36. La ville de Rouen à elle seule pourrait faire l'objet d'une étude complète tant l'histoire de l'utilisation de la monnaie fiduciaire sur cette place est riche. Dans cette ville où nous avons vu que se constituent les premières banques de sols, est fondé la troisième banque d'émission qui voit le jour après la mise en place du Directoire: la Société générale du commerce de Rouen. Lorsque le 24 juin 1802 un décret autorise la Banque de France à ouvrir ses deux premiers comptoirs, Rouen est choisi avec Lyon. Le comptoir, qui ouvre ses portes le 1er janvier 1809, succède à la Société générale du commerce de Rouen. Ce comptoir est supprimé le 5 févoer 1817 mais l'émission de monnaie fiduciaire ne s'arrête pas pour autant à Rouen. Une banque départementale ouvre aussitôt ses portes. Rouen sert une fois de plus
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Rouen que s'ouvre-en 1798 le troisième institut d'émission après la Caisse des Comptes Courants et la Caisse d'Escompte du Commerce: la Société générale du commerce de Rouen 37 . Il convient de s'interroger sur ce qui a pu amener la constitution d'une banque d'émission à Rouen avant de s'arrêter sur son fonctionnement.
L'influence de Lecouteulx-Canteleu Lecouteulx-Canteleu paraît avoir joué un rôle essentiel dans la décision de créer une banque d'émission à Rouen. D'origine rouennaise, il a manifestement cherché à diffuser dans sa ville les idées qu'il tentait de mettre en pratique à Paris. Après avoir participé à la tentative d'élaboration de la première banque d'émission du Directoire le 17 et 19 pluviôse An IV (6 et 8 février 1796)38, sans attendre que le succès en soit assuré, il tente de convaincre le monde des affaires de Rouen du bien-fondé de l'opération et de la nécessité d'ouvrir une telle banque à Rouen39. Il écrit à l'intention de ses concitoyens pour leur exposer ses opinions40. L'intérêt des billets de banques Le contexte dans lequel Lecouteulx-Canteleu écrit ne lui permet pas de présenter les billets de banque comme un moyen de supplanter les assignats. Il se prétend le défenseur des assignats et présente la constitution d'une banque comme un moyen de relever leur crédit. Il part de ce que doivent être les billets de banque par rapport aux assignats : des papiers toujours convertibles en espèces métalliques. "S'ils n'étoient pas remboursés de cette manière à bureau ouvert, ce
d'exemple puisque sa réussite incitera d'autres départements à demander l'ouverture d'un établissement émetteur indépendant de la Banque de France. Ce n'est qu'en 1848 que cette banque sera transformée définitivement en comptoir de la Banque de France. 37. Jean-Pierre Chaline, qui consacre un article à l'histoire de la vie bancaire à Rouen, estime que "le succès de cette première Banque de Rouen ne paraît faire aUClln doute" ("La Banque à Rouen au XIXe siècle", Revue d'histoire économique et sociale, n° 52, 1974, p. 387). Nous verrons que ses débuts ont néanmoins été laborieux (cf. infra). 38. Lecouteulx-Canteleu et les premiers souscripteurs s'étaient réunis dès le 9 nivôse An IV (30 décembre 1795) pour mettre en place les règlements et l'organisation de la banque. 39. Il faut avoir présent à l'esprit le fait que Rouen est alors une cité particulièrement prospère. La ville, qui avait même été la deuxième de France par sa population, a longtemps été l'avant-port de Paris, ce qui a favorisé l'essor de l'industrie. A la fin du XVIIIe siècle, Rouen est au tout premier plan pour la production textile. Lévy-Leboyer note ainsi qu'en 1793, sur 100 indienneries (fabriques de toiles) françaises, 38 sont implantées à Rouen alors que Paris n'en compte que 13. (M. Lévy-Leboyer, Les banques européennes et l'industrialisation internationale dans la 1ère moitié du XIXe siècle, Paris: Presses universitaires de France, 1964, p. 51-52.) 40. J.-B. Lecouteulx-Canteleu, Le Couteulx-Canteleu, représentant du peuple, membre du Conseil des Anciens : à ses compatriotes les négocians, manufacturiers, fabricans, du département de la Seine-Inférieure, Paris: Guyot, An IV, 35 p.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France ne seraient plus des billets de banque, mais de véritables chiffons qui vaudraient bien moins que les assignats dans le dernier degré de dépréciation auquel ils puissent arriver. Car ces derniers ayant toujours un cours forcé comme monnoie[41], conserveraient la valeur que leur donnerait la perspective de pouvoir acquitter ses dettes et payer les impôts, tandis que le discrédit de ces prétendus billets de banque ne serait compensé par rien."42 L'assignat qui se déprécie conservera toujours une valeur même minime puisqu'il peut être utilisé pour éteindre certaines dettes. A l'inverse, le billet de banque conserve l'intégralité de sa valeur tant qu'il demeure convertible à vue, mais peut perdre toute sa valeur dès lors que cette convertibilité n'est plus assurée. La façon dont Lecouteulx-Canteleu prétend revaloriser l'assignat grâce au billet mérite qu'on s'y arrête. "Supposons, par exemple, que la quantité
d'assignats qui circulent sur la place soit de dix milliards, que celle des louis contre lesquels ces assignats luttent soit de cent mille, et que dans ces circonstances le louis vaille trois mille livres assignats. Si maintenant à ces cent mille louis on en ajoute cent mille autres, n'est-il pas évident que toutes autres choses égales, le louis ne vaudra plus que quinze cents Uv. ou end' autres mots que la valeur réelle de l'assignat sera doublée ?"43 La démonstration est pour le moins surprenante. Pour Lecouteulx-Canteleu, le problème tient au fait qu'il y a une trop grande quantité d'assignats en face d'un stock de métal restreint. L'assignat a par conséquent une valeur insignifiante en métal. Il suffit donc d'accroître le stock de métal ou plus particulièrement des signes qui représentent le métal, en l'occurrence les billets de banque. Les assignats se revalorisent alors par rapport au métal. Cette revalorisation est d'ailleurs toute relative puisque le fossé entre la valeur d'un assignat et la valeur du métal n'est réduit que par la dévalorisation du métal. "Les louis et les écus ne sont des ennemis dangereux pour
l'assignat qu'autant qu'ils sont en petit nombre; plus on multiplie les espèces ou leur équivalent, moins ces ennemis sont à craindre. "44 Si l'on peut concevoir que l'émission de billets de banque n'accentue pas le discrédit des assignats, on peut toutefois difficilement suivre Lecouteulx-Canteleu lorsqu'il affirme que les billets raffermissent au contraire la valeur des assignats. Outre le fait que la dévalorisation du métal ne peut pas être acceptée comme une solution à l'excès de papier-monnaie en circulation, il faudrait une émission massive de billets pour que la revalorisation relative des assignats soit significative. Or une telle émission serait en contradiction flagrante avec la présentation que fait Lecouteulx-Canteleu du billet de banque. Il est évident que des émissions trop 41. L'expression cours légal aurait été ici plus judicieuse. C'est en effet parce que les assignats ne peuvent pas être refusés en paiement qu'ils permettent d'acquitter les dettes, ce qui, d'après Lecouteulx-Canteleu, leur confère une valeur minimale. 42. Lecouteulx-Canteleu, Le Couteulx-Callteleu, représelltallt du pel/pie ... , op. cit., p. 7. 43. Ibid., p. 8. 44. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 abondantes détruiraient irrémédiablement la confiance et que les détenteurs de billets en exigeraient rapidement la conversion en or ou en argent. Dans ces conditions, on voit mal comment le problème des assignats pourrait être réglé par une forte émission de billets. Lecouteulx-Canteleu lui-même ne croit sans doute pas au bien-fondé de sa démonstration. A notre sens, elle vise surtout à rassurer les partisans irréductibles des assignats pour leur montrer que la mise en circulation de billets ne nuirait pas aux assignats, et qu'au contraire elle pourrait avoir un effet bénéfique. Mais cet effet bénéfique ne peut être que marginal. Lecouteulx-Canteleu se montre dans d'autres circonstances beaucoup trop préoccupé par la nécessité qu'une banque soit toujours à même de faire face aux demandes de remboursement pour qu'on puisse penser qu'il est sincère lorsqu'il envisage cette profusion de billets de banque. Une partie du raisonnement de Lecouteulx-Canteleu paraît toutefois particulièrement pertinente. Il affirme en effet que les billets de banque peuvent contribuer à relever la valeur des biens nationaux qui sont censés servir de gage aux assignats. La revalorisation des biens nationaux est alors susceptible de limiter la défiance envers les assignats. "Tout le monde sait le peu de valeur
qu'ont actuellement les terres faute de numéraire qui les paye. Or la banque, en augmentant, en doublant et triplant ce numéraire fera nécessairement hausser le prix des terres qui ne sont vendues à bon marché que parce que les acheteurs manquent de signes pour les payer."45 Le fait de présenter une situation inflationniste comme une solution à l'excès d'assignats peut paraître paradoxal46 • Mais si l'on tient compte des besoins de fonds de l'Etat d'une part, et des difficultés de liquider à un prix convenable les biens nationaux susceptibles de fournir des ressources d'autre part, on ne peut que souscrire à l'objectif de Lecouteulx-Canteleu. Le triplement du numéraire qu'il préconise reste toutefois déraisonnable. Plaidoyer pour la formation d'une banque à Rouen
Après avoir tenté de démontrer que les billets de banque ne pouvaient que contribuer à raffermir les assignats, Lecouteulx-Canteleu en vient à ce qui est certainement son objectif essentiel: convaincre ses concitoyens que la banque qu'il constitue à Paris doit être soutenue, et les inciter à créer eux-mêmes une banque à Rouen. Les opérations d'une banque à Rouen, complétées par les avantages procurés par l'existence d'un établissement à vocation nationale à Paris, serait particulièrement bénéfiques pour les activités de la ville. "Réfléchissez à la
nécessité d'alimenter vos fabriques, vos halles avec des valeurs d'une circulation 45. Ibid., p. 12-13.
46. L'excès d'assignats a en effet engendré une forte inflation si l'on établit une comptabilisation en assignats, lesquels ont représenté la monnaie légale que chacun ne pouvait refuser sans risquer sa vie. Mais l'expression des prix en or ou en argent fait disparaître cette situation inflationniste.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France facile ; considérez l'avantage dont vous pouvez jouir en ravivant vos relations avec la France et l'Europe entière, et ne différez pas de former aussi au milieu de vous une association de banque qui, sans embrasser un champ aussi vaste que celui que peuvent occuper ceux qui se trouvent au centre de toutes les relations politiques et commerciales de la République française, vous mette à portée d'augmenter vos capitaux réels, et les productions de votre industrie, dans le cercle vraiment national de vos fabriques, de vos établissemens de manufacture et de commerce. Ne croyez pas que la banque de Paris rivalise avec de pareilles associations dans les départemens : bien loin de-là, elles doivent se prêter une mutuelle assistance. "47 L'appel de Lecouteulx-Canteleu sera sans doute entendu puisque deux ans plus tard une banque d'émission est constituée à Rouen. Il. est difficile de dire si la banque aurait vu le jour sans son intervention. Son influence n'a certainement pas été négligeable dans la décision de la créer. Deux faits permettent de conforter cette opinion. A ses débuts, la Société générale du commerce de Rouen coopère avec les établissements parisiens. Elle reçoit de la Caisse des comptes courants dont Lecouteulx-Canteleu est administrateur une aide technique et financière. Et parmi les dirigeants de la banque de Rouen figure Barthélémy Pierre Le Couteulx, parent du financier parisien.
Les débuts de la banque Le 29 pluviôse An VI (17 février 1798)48 est constituée la Société générale du commerce de Rouen, communément appelée Banque de Rouen 49 par ses fondateurs dès le premier jour. Les procès-verbaux des assemblées générales des actionnaires et des réunions du conseil d'administration ont été conservés dans les archives de la Banque de France. Ils nous permettent de retrouver les étapes de la mise en route de l'établissement.
47. Lecouteulx-Canteleu, Le Couteulx-Canteleu, représelltant du peuple, ... op. cit., p. 14. 48. Courtois (Histoire des banques en France, op. cit., p. 110) avance la date du 5 floréal An VI (20 avril 1798). Cette date est reprise par Jean Perroud, auteur d'une thèse sur le billet de banque (Essai sl/r le billet de banque, Thèse pour le doctorat ès sciences politiques et économiques, Paris: Rousseau, 1901, 132 p.) comme étant celle de la fondation de l'établissement. La banque n'a certes pas véritablement débuté ses opérations de crédit avant le 5 floréal, mais les procès-verbaux de son conseil d'administration nous permettent d'affirmer que la création de la banque remonte bien au 29 pluviôse. 49. La dénomination Ballque de ROI/en sera l'appellation officielle de la banque départementale qui sera constituée en 1817. Mais c'est une appellation qui apparaît déjà dans le compte-rendu du premier conseil d'administration de la Société générale du commerce de Rouen, le 29 pluviôse An VI (17 février 1798). C'est ce titre de Banque de Rouen que les administrateurs décideront de faire apparaître sur les billets le 10 germinal An VI (30 mars 1798).
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La mise en place de la banque Cent quarante et une actions de 1 000 livres sont souscrites à la fondation de la Société. Or les statuts prévoyaient que ses administrateurs ne pourraient être désignés que lorsque trois cents actions auraient trouvé preneur. L'insuffisance du capital de départ oblige les actionnaires à réviser les statuts dès leur première réunion pour supprimer cette contrainte qui risquerait de retarder les premières opérations. La coopération avec les instituts parisiens La Banque de Rouen est alors le troisième émetteur de billets de banque convertibles à vue en or ou en argent à se constituer sous le Directoire. Elle peut profiter de l'expérience de ses deux prédécesseurs. Le 5 ventôse An VI (24 février 1798), deux administrateurs de la Société sont chargés de prendre contact avec la Caisse des comptes courants et la Caisse d'escompte du commerce. Il s'agit de recueillir des renseignements sur "la fabrication des billets de banque. Une correspondance s'établit avec les deux banques parisiennes. La Caisse d'escompte du commerce fait parvenir à Rouen une série de documents et pièces diverses destinés à faciliter les démarches de la Société pour l'élaboration de ses modèles de billets. La coopération ne se limite toutefois pas au domaine technique. Les administrateurs de la Caisse des comptes courants proposent une aide financière à la Banque de Rouen dès sa constitution. Cette proposition est présentée au conseil d'administration le 11 ventôse An VI (1er mars 1798). Il s'agit d'une offre de 300 000 livres à laquelle les dirigeants de la Société ne décident de répondre que lorsque leurs opérations sont plus avancées. C'est le 24 germinal (13 avril) que la proposition est acceptée, à un taux de 3/4 % par mois. Trois jours plus tard, la Société, qui ne verse pas d'intérêts sur les sommes déposées en compte courant, se déclare prête à payer 3/4 % d'intérêts mensuels sur les prêts qui lui auront été accordés pour une durée supérieure à un mois. Elle décide en même temps de fixer son taux d'escompte à 1 % par mois, taux majoré de 1/4 % pour les effets sur Paris. La fabrication des billets Durant les trois mois qui suivent la constitution de la banque, la question qui mobilise les discussions est celle de la fabrication des billets. La confection du papier, le choix des gravures, l'adoption des filigranes sont autant de points qui sont abordés dans le détail car "il importe pour la confiance publique que les
billets de la banque présentenf des difficultés insurmontables à la contrefaçon"5o.
50. Banque de Rouen. Procès-verbaux des assemblées générales des actionnaires de la banque de Rouen et du Conseil d'administration. Archives de la Banque de France.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France Ce souci de créer un billet original contredit la remarque de Bigo qui reprend l'observation de John Grand-Carteret, un bibliographe, selon laquelle "au XVIIIe
siècle, où tout est orné, le billet de banque se présente très dépouillé, sans fioritures ni encadrements. Sa médiocre diffusion en est cause : on le glisse dans un carnet ou dans les petits tiroirs d'un bureau élégant, grâce à son format commode. Quand il se multipliera, on songera à l'orner: crainte de contrefaçon."51 Les banques qui naissent sous le Directoire créent des billets qui ne se ramènent pas à un simple morceau de papier sur lequel est inscrite la reconnaissance de la dette de l'émetteur. Dès la création de la Caisse des comptes courants, les billets sont enrichis d'une importante décoration pour éviter les falsifications 52 . La Caisse d'escompte du commerce a cette même préoccupation et les billets émis par les actionnaires sont en fait des papiers fournis par la Caisse53. Le 24 ventôse An VI (14 mars 1798), afin de ne pas retarder les opérations du graveur, le conseil d'administration de la Banque de Rouen arrête que les coupures émises seront de 100, 250, 500 et 1 000 livres. Elle n'échappe pas à la règle suivie par les deux autres Caisses qui tentent de complexifier la décoration des billets pour en éviter la reproduction illégale. Une constatation de ses dirigeants, relevée dans le procès-verbal du conseil d'administration du 1er ventôse An VII (20 février 1800), laisse supposer que ses efforts pour éviter l'imitation de ses billets ne sont pas entièrement couronnés de succès. "Deux billets qui avaient été proposés et même acceptés à la Banque pour
les escompter ont été reconnus faux."54 L'activité de la banque: priorité à la circulation des billets Comme ses deux prédécesseurs, le nouvel établissement envisage la mise en circulation de billets à l'occasion des opérations d'escompte. Le 1er floréal An VI (20 avril 1798), l'échéance maximum pour les effets admis à l'escompte est fixée à quarante jours. L'escompte est d'autre part calculé de demi-décade en demidécade, c'est-à-dire que les effets arrivant à échéance le premier du mois sont 51. R. Bigo, Les banques françaises au cours du XIXe siècle, Paris: Sirey, 1947, p. 74. 52. Le problème des contrefaçons s'était toutefois posé après l'émission des billets. II avait été abordé lors des réunions du conseil d'administration du 18 frimaire An VII (8 décembre 1798) et du 3 nivôse An VII (23 décembre 1798). Registre des délibérations de la Compagnie ... , op. cit. Archives de la Banque de France. 53. Cf supra, p. 61. 54. Ballque de Rouell. Procès-verbaux ... , op. cit. La remarque est ambiguë. On peut concevoir qu'i1 s'agit de faux billets qui ont été présentés avec succès au remboursement. Mais l'expression "pour les escompter" peut aussi donner à penser qu'il s'agit non pas de faux billets de banque mais de faux effets de commerce qui auraient été présentés à l'escompte pour obtenir des billets, et par là-même de la monnaie métallique après demande de conversion. Mais ce type de fraude paraît difficilement concevable de la part de commerçants qui doivent apposer leur signature sur l'effet, d'autant plus que la banque n'escompte les titres que si elle les juge suffisamment sûrs. Si le verbe "escompter" est utilisé ici au sens de "rembourser", il s'agit bien de faux billets qui ont été présentés au remboursement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 escomptés comme s'ils étaient payables le cinq, ceux du six comme s'ils étaient remboursables le dix et ainsi de suite. Si la mesure est destinée à faciliter le calcul des intérêts au moment où l'escompte est accordé, on notera que le mode de calcul est loin d'être défavorable à la banque puisqu'il lui permet de percevoir systématiquement un ou plusieurs jours d'intérêts supplémentaires. Cette technique n'est pas sans rappeler le système des dates de valeur utilisé de nos jours par les banques pour le paiement ou l'encaissement des chèques. Le 18 messidor An VI (6 juillet 1798), le conseil d'administration décide l'impression de trois millions de livres en billets55 . Les premiers billets de 100 livres arrivent devant les administrateurs pour signature le 23 thermidor (10 août). Les administrateurs s'engagent le 3 fructidor (20 août) à assurer le remboursement des billets à bureau ouvert de 10 heures à 14 heures. Mais quelques semaines plus tard, cette restriction est levée et les billets sont acquittés pendant tout le courant de la journée. Une proposition avait été faite le 26 floréal (15 mai) de créer des billets de 25 livres remboursables en "gros sols"56. La mesure, si elle avait été adoptée, nous aurait permis de considérer la Banque de Rouen à la fois comme une banque de sols et une banque d'émission convertissant ses billets en or ou en argent. Le même établissement aurait ainsi émis des billets représentant une monnaie métallique et une monnaie de billon. Mais, après avoir été évoqué à plusieurs reprises, le projet est définitivement abandonné le 1er thermidor (19 juillet). Le compte-rendu de la première assemblée générale des actionnaires, qui se tient à la fin de l'An VI (septembre 1798), nous permet de dresser le bilan des premières opérations de la banque et de connaître l'état d'esprit de ses dirigeants. Le président du conseil d'administration, Defontenay, met l'accent sur la nécessité pour l'établissement d'émettre des billets et sur la confiance que ceux-ci doivent impérativement recevoir.
"L'Emission des Billets est le moyen principal par lequel les banques contribuent à l'aisance publique ; ces billets destinés à remplacer les espèces dans la circulation ont besoin d'une grande confiance. Cette confiance doit reposer sur deux Bases: l'adoption des procédés propres à garantir des risques de la contrefaçon ; la sagesse dans le choix des effets reçus à l'Escompte et dans le maintien d'une proportion convenable entre le montant des billets et celui des fonds en réserve. Le soin de mes successeurs sera de leur ménager ce second titre à la confiance ; nous n'avons rien négligé pour leur assurer le premier."57
55. Il s'agit plus précisément de 5 000 billets de 100 livres, 4 000 de 250 livres, 1 000 de 5 000 livres et 1 000 de 1 000 livres.
56. Ba"ql/e de ROl/e". Procès-verbal/x ... , op. cit. 57. Ibid.
109
Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France Defontenay annonce ainsi sans ambiguïté que les billets doivent se substituer à la monnaie métallique. Les premières opérations de la banque obligent toutefois à modérer cette ambition. Lorsqu'elle accorde ses premiers crédits le 5 floréal An VI (24 avril 1798), seulement 204 actions ont été souscrites, soit un capital de 204 000 livres. Ces moyens sont insuffisants pour que la banque puisse envisager des opérations de grande envergure, d'où la nécessité d'accepter le prêt de 300 000 livres dans un premier temps, puis les autres prêts qui pourront être accordés au même taux. A la fin de l'An VI, soit cinq mois après que la banque a débuté ses opérations avec le public, ce sont 4 383 effets qui ont pu être escomptés, soit un montant de 4 091 448 livres. Ces crédits ont toutefois été accordés à un prix que Defontenay lui-même juge élevé.
"Ce n'est pas sans chagrin que l'administration n'est que forcée de fixer et de maintenir l'intérêt à 1 p. ct par mois, mais elle a pensé que si elle devait se proposer d'en faire baisser le taux, ce but ne devait être que secondaire ou plutôt la consequence, que le principal objet de ses opérations. L'utilité des banques consiste surtout à augmenter la masse productive du capital, soit par la substitution du crédit aux espèces, soit en tirant de la stagnation par la confiance qu'elles inspirent les capitaux oisifs."58 Les dirigeants de la Banque de Rouen font une analyse de l'intérêt des billets de banque qui diffère manifestement de celle des administrateurs de la Caisse des comptes courants ou de la Caisse d'escompte du commerce. Alors que les établissements précédents, comme ce sera aussi le cas pour le Comptoir commercial, justifiaient leur existence par la nécessité de faire baisser le coût du crédit, cet objectif est présenté comme secondaire à Rouen. Un émetteur comme la Caisse d'escompte du commerce voulait avant tout fournir un crédit à bon marché aux commerçants et producteurs de marchandises. Or Defontenay, s'il regrette le coût jugé encore élevé du crédit, pense que le rôle des banques est avant tout de mettre des capitaux supplémentaires en circulation. On pourrait toutefois remarquer que la monnaie supplémentaire en circulation, par la simple application de la loi de l'offre et de la demande, peut contribuer à faire diminuer le taux d'intérêt. C'est sans doute ce que pense Defontenay quand il affirme que la baisse du taux doit être une conséquence de l'action de la banque plutôt qu'un but. Les premières opérations de la Banque de Rouen ne permettent toutefois pas . d'atteindre rapidement l'objectif d'augmentation du stock de monnaie en circulation, pas plus que la baisse du coût du crédit, ce dont témoigne la suite de la présentation de Defontenay. "Le premier moyen [la substitution du crédit aux espèces] nous était interdit puisque les Billets n'étaient pas terminés, puisque
quand ils l'ont été nous avons du en conserver la représentation en espèces, jusqu'à ce que la confiance publique se fut consolidée ; mais pOlir faire usage du second [l'utilisation des capitaux oisifs] il fallait nécessairement que la banque fixat son 58. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 escompte à 1 p. ct par mois ; si elle n'avait exigé du public que le même intérêt, qu'à ceux qui lui confiaient des fonds, c'eut été courir, sans indemnité, les risques de la négociation ; opération inconsidérée qui aurait nécessairement altéré la confiance. Si elle avait offert un moindre intérêt pour le versement des capitaux, il est probable qu'elle en aurait été privée; ses opérations se seraient donc bornées au prêt d'un capital d'environ deux cents quarante mille livres. Le public n'aurait pas joui de l'excédent qui contribue à alimenter l'industrie."59 Le raisonnement de Defontenay appelle deux remarques. Il reconnait que la confiance dans les billets était à l'origine insuffisante pour que la banque puisse se dispenser d'en conserver l'équivalent intégral en monnaie métallique dans ses caisses. Or, tant que la banque adopte cette attitude, il ne peut pas y avoir de création monétaire. Le billet en circulation n'est qu'un substitut commode à un stock de métal qui reste détenu à la banque. L'émission de billets ne peut donc pas accroître la masse monétaire et il est illusoire d'espérer une réduction du taux d'intérêt. En second lieu, Defontenay justifie le maintien du taux mensuel d'escompte à 1 % par le fait que la banque obtient des ressources à un taux légèrement inférieur. Il exclut que la banque puisse prêter au même taux qu'elle verse à ceux qui lui apportent des fonds. Mais ce raisonnement qui tente de justifier l'existence d'un différentiel de taux entre intérêts débiteurs et intérêts créditeurs ne tient plus s'il y a creation monétaire. Il est tout à fait possible que la banque accepte des ressources à 3/4 % par mois et prête au même taux si la monnaie métallique reçue permet de prêter en émettant des billets pour une quantité supérieure. Dès l'instant où la confiance dans le billet dispense son détenteur d'en demander le remboursement en métal, la banque peut émettre du papier pour un montant supérieur à son encaisse métallique. Par conséquent, une ressource en métal peut engendrer une émission de billets pour une somme multiple de la valeur du métal reçu. Il est alors tout à fait concevable que la banque puisse vivre en rémunérant ses créanciers au taux qu'elle exige pour l'escompte. C'est ce que n'avait pas hésité à faire la Caisse d'escompte du commerce lorsqu'elle recherchait les capitaux susceptibles de lui permettre d'étendre son activité60 . Dire qu'un différentiel de taux est nécessaire, c'est conserver la vision archaïque selon laquelle la banque émet des billets représentant des fonds qu'elle a en réserve. Le raisonnement est identique à celui de nos banquiers contemporains lorsqu'ils justifient l'intérêt demandé aux clients à qui ils accordent un crédit par le prix auquel ils rémunèrent les dépôts à terme, en faisant totalement l'impasse sur la création monétaire par émission de monnaie scripturale. L'insuffisante confiance dans les billets de la nouvelle banque et le coût des crédits consentis sont certes des handicaps, mais la situation comptable de l'établissement est néanmoins saine. La faiblesse du bénéfice, moins de
59. Ibid. 60. Cf SI/pra, p. 63-64.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France 2500 livres, interdit la distribution d'un dividende. Mais un certain nombre de dépenses, essentiellement liées à la confection des billets, ne se renouvellent pas alors qu'elles ont représenté un total dépassant les 25 000 livres. Si l'on ne tenait compte que des frais ordinaires, le bénéfice s'éléverait à 27 741 livres. Comme l'acte de société prévoit qu'l/~ du bénéfice est mis en réserve, ce sont 24 273 livres qui auraient pu être distribuées si l'on ne tenait pas compte des dépenses liées à la mise en place de l'établissement. Cette somme, répartie entre les 311 actions alors souscrites, laisserait un dividende de 78 livres pour des opérations concentrées sur cinq mois, soit un rendement annuel de 18,72 %.
L'extension de l'activité de la banque Une diffusion difficile des billets Le 3 vendémiaire An VII (24 septembre 1798), la banque adopte une politique moins timide pour l'acceptation des effets à l'escompte. Elle décide d'admettre les papiers à 60 jours d'échéance, voire même 75 jours pour ceux dont la valeur n'excède pas 500 livres. Dans les mois qui suivent, elle prend une mesure visant à améliorer son encaisse. Après avoir réuni les commerçants rouennais, elle fait signer une pétition faisant valoir que la pénurie de monnaie entrave les activités commerciales de la ville. Elle demande au gouvernement que les fonds détenus dans la caisse du receveur général du département soient mis à sa disposition, contre du papier sur Paris à échéance de 30 jours. Cette mesure semble annoncer la technique qu'adoptera la Banque de France à sa naissance lorsqu'elle réclamera le versement dans ses caisses des cautionnements des receveurs généraux61 • Trois délégués, Le Lièvre, Oulgis Dujardin et Le Couteulx sont chargés de transmettre la requête au ministre des Finances ainsi qu'au Directoire et ils obtiennent rapidement satisfaction. La banque connaît néanmoins des difficultés pour asseoir la circulation de ses billets. Lors de l'assemblée générale des actionnaires qui clot l'An VI (septembre 1799), le bilan du président ressemble à un constat d'échec. "Les billets de la Banque ont eu peu de cours jusqu'ici, il n'y en a habituellement en circulation que
pour une somme trop faible pour pouvoir être comptée. Il résulte qu'on doit conserver en caisse une somme d'espèces égale, pour pourvoir aux demandes de remboursement, qui peuvent avoir lieu. "62 Le montant de l'escompte, qui atteint près de cinq millions de livres pour l'année, n'a donc pas été obtenu grâce à l'utilisation des billets. Ce sont les prêts accordés à l'établissement, rémunérés à 3/4 % par mois, qui lui ont permis d'accorder des crédits. La maigre diffusion des billets limite le rôle de la banque. Elle n'est encore qu'un simple intermédiaire qui emprunte à un taux déterminé pour prêter à un taux supérieur les sommes ainsi 61. Cf SI/pra, p. 48-49. 62. Banque de Rouen. Procès-verbaux...• op. cit.
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obtenues. L'activité de la banque est donc limitée à un double titre. Elle ne peut prêter que si elle se procure elle-même des ressources, ce qui borne la masse des prêts qu'elle peut accorder au commerce. Elle ne peut aussi escompter qu'à un coût supérieur à celui des fonds qu'elle rémunère, ce qui lui interdit de faire bénéficier sa clientèle d'un crédit à bon marché. Ces deux limites permettent de relativiser le rôle joué par la banque. Dans la mesure où la création monétaire est rendue difficile par l'insuffisante assise du billet de banque, son activité consiste surtout à collecter des fonds pour les prêter ensuite. On peut dès lors affirmer que son rôle économique se limite à concentrer des offres de capitaux, peut-être même à susciter une partie de ces offres. Mais on pourrait très bien concevoir que les commerçants qui ont recours à l'escompte se tournent directement vers les créanciers de la banque. ils pourraient alors se financer à un coût inférieur à celui qui résulte de l'escompte auprès de la banque. Cela signifie que l'établissement n'est en fait qu'un moyen de canaliser les offres et les demandes de capitaux: ceux qui ont une capacité de financement placeront plus volontiers auprès de la banque, à un taux fixe et déterminé et avec une assez bonne sécurité de remboursement, alors que ceux qui auront besoin de fonds peuvent s'adresser directement à la banque sans avoir à rechercher d'hypothétiques prêteurs. Mais si elle sert simplement d'intermédiaire entre les offreurs et les demandeurs de capitaux, elle ne joue pas son rôle de banque d'émission et elle n'atteint pas l'objectif initial de ses fondateurs : augmenter la masse des capitaux en circulation par l'émission des billets de banque. Les incertitudes dans la fixation des taux d'intérêt Les remarques précédentes nous permettent d'affirmer qu'à la fin de l'An VII, la Banque de Rouen n'est pas encore une véritable banque d'émission au même titre que la Caisse des comptes courants ou la Caisse d'escompte du commerce. Elle a peut-être néanmoins contribué à pousser les taux d'intérêt à la baisse si l'on considère qu'elle a permis de satisfaire des demandes de monnaie alors que sans son intervention les offres potentielles ne se seraient pas nécessairement traduites par des offres effectives. En contradiction avec ce qui avait été annoncé par Defontenay, elle cherche d'ailleurs à diminuer le coût des crédits qu'elle consent, sans attendre que cette diminution soit le résultat d'une tendance à la baisse des taux engendrés par les billets mis en circulation. Le 1er frimaire An VIII (22 novembre 1799), une proposition est faite de baisser l'intérêt d'1/4 % par mois. Cette demande, qui s'applique manifestement aux intérêts que la banque accorde à ses créanciers, est toutefois ajournée. On peut tenter d'expliquer les réticences à adopter une mesure qui, en réduisant les intérêts créditeurs, permettrait à la banque d'abaisser à son tour le taux qu'elle exige de sa clientèle pour l'escompte. La diminution du taux d'intérêt peut réduire les ressources de la banque si les détenteurs de fonds s'estiment insuffisamment rémunérés à la suite de cette mesure. En revanche, si la banque profite d'un moindre coût de financement pour abaisser son taux d'escompte, elle risque de susciter des
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France demandes de crédits supplémentaires, soit parce que des commerçants qui se finançaient directement auprès d'autres prêteurs se tourneront désormais vers elle, soit parce qu'ils chercheront à transformer en espèces des effets qu'ils auraient conservé si le taux réclamé avait été supérieur. La banque risque donc de se priver de ressources au moment même où une demande supplémentaire s'adressera à elle. La politique des taux d'intérêt menée par la banque semble pour le moins hésitante. Faut-il attribuer ces hésitations à des oppositions au sein du conseil d'administration, entre des partisans d'un abaissement immédiat du coût des crédits consentis et les défenseurs d'une gestion plus rigoureuse? Les documents que nous possédons ne nous permettent malheureusement pas de le déterminer. On peut tout aussi bien concevoir que ces hésitations reflètent les incertitudes de dirigeants placés à la tête d'un établissement totalement nouveau à Rouen, établissement qui doit faire ses preuves et dont les administrateurs ne veulent pas gâcher les chances par un excès de démagogie en s'engageant rapidement dans une politique d'abaissement des taux d'intérêt. Les mesures prises reflètent en effet des contradictions. Le 21 frimaire An VIn (12 décembre 1799), le conseil d'administration "arrête à la majorité que l'Escompte sera fixé à partir du premier mois prochain à sept huitièmes pour cent par mois et l'intérêt des capitaux déposés à cinq huitièmes à partir de la même époque"63. Le fait que la décision ait été prise à la majorité et non pas à l'unanimité peut laisser supposer l'existence de contradictions, de divergences de vues au sein du conseil. Dix jours plus tard, une nouvelle décision est prise pour accentuer cette baisse de taux. "Plusieurs membres observent que la diminution
d'un huitième sur l'escompte était trop faible pour obtenir la préférence du papier a négocier et proposent de la fixer dans une proportion plus forte."64 La délibération du 21 frimaire relative au taux d'escompte est donc rapportée et le nouveau taux est fixé à 3/4 % par mois au lieu de 7/8. La banque se trouve alors dans une situation particulière, celle dont se défiait Defontenay l'année précédente, puisque le taux d'escompte devient égal au taux des intérêts créditeurs. La situation ne peut être durable que si l'émission de billets aboutit à une création effective de monnaie. Or, tant que les billets ont du mal à s'imposer dans la circulation, la banque doit en conserver l'équivalent métallique en réserve puisqu'ils sont rapidement présentés au remboursement. L'égalité entre le taux d'intérêt servi sur les dépôts à terme et le taux d'escompte ne peut donc pas être durablement maintenue en dehors d'une véritable création de monnaie fiduciaire. Le retour à un düférentiel de taux est prononcé dès le 21 nivôse An VIII (11 janvier 1800). Les administrateurs reconnaissent qu"'il est prouvé par les opérations
faites depuis l'Etablissement de la Banque, qu'il est nécessaire qu'il y ait au
63. Ibid. 64. Ibid.
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moins un quart pour cent par mois de différence entre l'intérêt accordé aux dépôts et celui fixé pour l'Escompte"65. La recherche d'un écart de taux ne passe cependant pas par un relèvement du taux d'escompte. C'est le taux d'intérêt consenti sur les dépôts à terme qui est abaissé à 1/2 % par mois à partir du 1er pluviôse (21 janvier). Les doutes quant à l'opportunité d'un abaissement des taux créditeurs et débiteurs semblent donc levés. Tentatives pour développer l'usage des billets La comparaison entre la réussite des banques de sols et la difficulté de la Banque de Rouen à imposer ses billets dans la circulation ne manque pas de soulever des polémiques. Le préfet Breugnot, qui défend ouvertement les banques de sols, s'en fait l'écho. "Longtemps la Banque de Rouën a attribué sa défaveur au Credit dont n'ont cessé de jouir les Banques de sols. "66 Il faut toutefois relever que la Banque de Rouen est constituée six mois avant la première banque de sols. Elle émet ses billets avant même que les premiers bons remboursables en cuivre ne soient injectés dans la circulation. Ce ne sont donc pas les billets des banques de sols qui expliquent les difficultés de la Banque de Rouen à ses débuts. La Banque de Rouen n'en a pas moins "sollicité la suppression des Caisses de sols"67. Une opposition aux banques de sols se dessine. La Société libre, établie pour l'encouragement du commerce et de l'industrie, à Rouen s'en prend aux diverses Caisses68 . Cette organisation, qui défend manifestement les intérêts du grand commerce, conteste l'activité des banques de sols qui mettent leurs billets en circulation en escomptant des effets. Ces billets, qui ne peuvent être qu'une mauvaise monnaie, éclipsent l'or et l'argent conformément à la loi de Gresham. Les commerçants sont tenus de les accepter s'ils veulent conserver leur clientèle. Ce qui est donc reproché aux banques de sols, c'est non pas le fait qu'elles puissent fournir des billets contre du cuivre qu'elles reçoivent en dépôt, mais qu'elles procèdent à une véritable création monétaire en concurrençant la Banque de Rouen pour l'escompte d'effets de commerce. Les petits commerçants paraissent au contraire attachés aux banques de sols comme en témoigne une pétition qu'ils adressent aux consuls69 . Leurs billets sont plus utilisés que ceux de la Banque. "La
65. Ibid. 66. Observations sur les banques de sols Etablies à Rouën ... , op. cit. 67. Ibid. 68. Plus tard, c'est la Chambre de commerce de Rouen qui réclame la suppression de ces banques au ministre du Trésor public. Cf infra, p. 275. 69. Pétition aux citoyens Consuls de la République française, par les marchands, fabricants et autres Chefs d'Ateliers de Rouen et environs; contre 1111 rapport fait à la Société libre, établie pour l'encouragement du Commerce et de l'Industrie, à Rouen ..., Rouen: impr. de P. Leconte, [1er brumaire An X (23 octobre 1801)], 12 p., Arch. nat., AF /IV /1070.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France Banque de Rouen ne fait pas non plus jouir le fabriquant d'un Escompte aussi avantageux que l'offrent les Directeurs des Banques de sols.'o7O Ce n'est que très progressivement que la Banque de Rouen arrive à imposer ses billets dans la circulation. La lecture des comptes-rendus des réunions du conseil d'administration et des assemblées générales des actionnaires illustre à la fois la déception devant la médiocrité des premiers résultats, la volonté de continuer à développer l'usage du billet de banque et la recherche des moyens d'y parvenir. Les explications données aux actionnaires à la fin de l'An IX (septembre 1801) témoignent ainsi du manque de réussite des billets émis et des espoirs fondés sur l'émission de coupures plus petites. "Nous désirerions en vous présentant ce bilan pouvoir vous annoncer qu'une partie des bénéfices est due à la circulation des
billets de banque, mais nous sommes encore loing d'atteindre le but que nous nous étions proposé en les créant. La rentrée s'en fait presqu'aussitôt que l'émission. Nous avions eu envie de nous faire autoriser à en émettre de 25 et de 50 F dans l'espoir qu'ils circuleroient davantage. [... ] Cependant comme plusieurs actionnaires ont manifesté leur voeu pour la création de ces fractions de 25 et de 30 f nous avons cru devoir vous en faire part afin que vous puissiez juger s'il est de l'intérêt de la Banque de courir le risque de perdre les dépenses qu'entrainerait cette nouvelle émission."71 La proposition de créer des billets de 25 et 30 francs est acceptée. Dans un système décimal, la création de billets de 25 et 50 francs peut sembler logique. Mais l'idée de créer des billets de 30 francs paraît d'autant plus saugrenue que la possibilité d'émettre des billets de 25 francs, qui représentent une somme proche, est retenue. Nous n'avons pas trouvé de justification au choix du montant de 36 francs pour ces nouveaux billets. Leur fabrication est définitivement décidée par le conseil d'administration le 11 vendémiaire An X (3 octobre 1801). "L'assemblée en conséquence du voeu émis dans l'assemblée
générale pour mettre en circulation des billets de Banque de vingt (72) et de trente francs arrête qu'il en sera fabriqué pour la somme de cent mille francs dont quarante mille francs de vingt et soixante mille francs de trente francs."73 La décision semble marquer le point de départ du développement de l'utilisation des billets de banque à Rouen74 . La confiance dans les billets va de
70. Observations sur les banques de sols Etablies à Rouen ... , loc. cit. 71. Banque de Rouen. Procès-verbaux... , op. cit. 72. Curieusement, le montant retenu pour la plus petite coupure est de 20 francs alors que le procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires affirmait que celui de 25 francs avait été choisi. 73. Ibid. 74. Les estimations du nombre de billets en circulation données au cours des différentes réunions du conseil d'administration font apparaître une nette accélération des émissions. Cette progression est soulignée au cours des réunions annuelles de l'assemblée générale des actionnaires. A la fin de l'An XI (septembre 1803), les dirigeants de la banque peuvent commencer à faire état de ces améliorations. "Les billets en petite coupure ont fat'orisé une émission un peu plus considérable. La circulation des billets de banque qui ne passait pas
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pair avec un certain intérêt pour l'établissement. Alors qu'au moment où cette mesure est prise, la banque n'a réussi à placer que 40 % de ses actions, un an plus tard, toutes les actions sont souscrites. La banque poursuivra sa politique de baisse du coût du crédit en ramenant le taux d'escompte à 5/8 % par mois le 30 pluviôse An XI (19 janvier 1803). Lorsqu'en 1802 la polémique s'engage autour de la liberté d'émission de la monnaie fiduciaire, la Banque de Rouen est sur le point de réussir la lancée de ses billets de banque grâce à l'adoption de petites coupures. Elle a certes suivi une gestion saine, obtenu des résultats bénéficiaires pendant ses premières années de fonctionnement, mais son objectif affirmé de développer l'utilisation des billets n'est pas encore atteint. Si la création de la Banque de Rouen est antérieure à la fondation officielle de la Banque de France, celle-ci, en prolongeant les activités de la Caisse des comptes courants, semble avoir réussi plus efficacement à étendre l'usage de sa monnaie de papier. Dès 1800, l'établissement rouennais bénéficie cependant de la considération de la Banque de France qui lui propose, en mars, de devenir son correspondant dans le département. 75 Cette proposition ne doit toutefois pas occulter le fait que c'est surtout avec les émetteurs parisiens que la Banque de France est en relation.
III. Les liens entre la Banque de France et les autres établissements parisiens En 1802, six instituts d'émission exercent leur activité à Paris, sans compter les maisons de dimension réduite qui proposent un papier échangeable contre de la monnaie de billon. Ces établissements qui fonctionnent selon dès règles très distinctes émettent, en utilisant des logiques différentes, des billets qui ont pour point commun d'être convertibles à vue en métal. Il serait toutefois incorrect de ramener la réalité de l'émission de monnaie fiduciaire à une simple juxtaposition d'établissements concurrents qui s'ignorent. La Banque de France tend à devenir un interlocuteur privilégié -la bienveillance dont elle bénéficie de la part du
auparavant 60 à 80 mlf a été cette année de 300 à 400 mlf." (Banque de Rouen. Procès-verbaux ... , op. cit.) Les remarques vont dans le même sens un an plus tard. "Les billets en petites coupures ont favorisé une émission plus considérable cette année. La circulation qui ne passait pas l'année dernière 400 mille francs, s' elleve à I/n million, mais pOl/r al/gmenter celle émission en retranchant en même tems les billets usés, il a été nécessaire d'ell fabriql/er I/n pll/s grand nombre en petites cOl/pl/res de 20 et 30 F". (Ibid.) Les mêmes motifs de satisfaction reviennent l'année suivante. "L'émission des billets de banql/e a al/gmenté pendant le COllrs de cette année de 360 000 F et nous vous annonçons avec satisfactioll qu'il s'en soutient dans la circulatioll pour 12 à 1 400 nif; la majeure partie en petites coupures qu'il a fallu fabriquer." (Ibid.) 75. Procès-verbal du 1er germinal An VIII (22 mars 1800). Banque de Rouen, Procèsverbaux ... , op. cit.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France gouvernement n'y est pas étrangère- et les autres établissements recherchent une collaboration qui devient parfois effective.
La Banque de France: un établissement qui cherche à s'affirmer Nous ne retracerons pas ici l'histoire de l'activité de la Banque de France pendant les premières années. Elles ont été résumées par Ramon dans le troisième chapitre de son ouvrage76 sur la vie de cette institution. Nous montrerons en revanche comment cet établissement contribue à développer la circulation de monnaie e papier en étendant les activités de la Caisse qui fonctionnait depuis 1796. L'émission des billets Lorsque la Banque de France prend le relais de la Caisse des comptes courants, ce n'est pas un établissement spécifique qui ouvre ses portes, et les billets émis par la société qui porte désormais le nom de Banque de France ne sont rien d'autre que ceux de la Caisse des comptes courants. La mesure est d'ailleurs prévue dans le règlement intérieur de la Banque77• Le Conseil de régence du 2 ventôse An VIII (21 février 1800) arrête "qu'il leur sera fait une Estampille portant ces mots: Payables à la Banque de France dont on frappera les billets qui sont en Caisse, et
avec lesquels on retirera tous ceux qui sont dans la circulation. Ces billets, à mesure de leur rentrée, seront remis dans la Caisse en remplacement de ceux Estampillés."78 Deux jours plus tard, l'endossement des effets de commerce au moment de l'escompte est organisé selon les modalités qui étaient précédemment en vigueur. "Le Directeur de l'Escompte qui mettait au dos des effets Payés à l'ordre de la Caisse de Comptes Courants substituera à l'Avenir à l'endossement des effets ordinaires pris à l'Escompte celui-ci après Payés à l'ordre de la Banque 76. Ramon, op. cit., p. 27-37. S'il est vrai que Ramon résume près de trois années d'activité en une dizaine de pages, d'autres auteurs qui ont retracé l'histoire de la Banque de France sont encore plus brefs. Les écrits de V. de Swarte (Les vingt premières années de la Banqlle de France (1800-1819), Paris: Dupont, 1900,55 p.), A. Dauphin-Meunier (La Banqlle de France, op. cit.) ou G. Potut (La Banqlle de France dll franc de Germinal ail crédit contr61é, Paris: Plon, 1961,233 p.) n'apportent pas d'informations complémentaires sur cette période par rapport à la synthèse de Ramon. L'ouvrage de Potut, pourtant postérieur à plus de trente ans à celui de Ramon, ne lui apporte d'ailleurs pas de compléments importants sur l'histoire de la Banque et n'est parfois qu'une pâle reprise des écrits du premier auteur. 77. L'article 83 du règlement intérieur est ainsi conçu. "En attendant l'émission de
1I0llveallX Billets, le service se fait avec cellx créés et signés par l'association de la CAISSE DES COMPTES COURANTS, dont les droits sont réllnis à la BANQUE. Les Billets qlli étaient en réserve, et cellx qlli rentrent jOllrnellement, Ile pellvent ltre livrés à la circlliation 011 y retollrner, qlle lorsqll'ils seront estampillés des mots, payable à la Banque." (Règlement intériellr de la Banqlle de France. Arch. nat., AF /IV /1070.) 78. Registre des Délibérations dll Conseil Général de Régence de la Banqlle de France: Tome 1. DII 29 pillvi6se aIl VIII ail 1er vendémiaire an XI. Archives de la Banque de France.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 de France, Paris le .. .'079 Le taux d'escompte appliqué par la Banque à ses débuts est d'ailleurs le même que celui que proposait la Caisse, soit 6 % par an80 . Parmi les billets mis en circulation par la Caisse et désormais remboursables auprès de la Banque de France, figurent même des papiers portant la signature d'Augustin Monneron. La Caisse n'avait pas réussi à organiser complètement leur retrait et le 3 floréal An VIII (23 avril 1800), les régents reconnaissent qu'il en reste encore pour 83 000 francs en circulation. La Banque envisage bien entendu d'émettre ses propres billets, mais ceux-ci sont conçus sur le modèle de ceux de la Caisse des comptes courants. Non seulement le montant des coupures -500 et 1 000 francs 81 - est inchangé, mais leur forme est conservée 82 . Le Conseil du 12 ventôse An VIII (3 mars 1800) arrête les modifications indispensables. "Les Mots: Caisse de Comptes Courants qui se trouvent soit dans le Corps soit dans les Talons des billets de 1 000 f et de 500 f seront changés en ceux de Banque de France et ceux vu par nous administrateurs en ceux de vu par nous Régents. "83 La Banque de France, qui poursuit l'activité de la Caisse des comptes courants dans les locaux mêmes de la maison Massiac, finit par renoncer à la maison de l'Oratoire qui lui avait été attribuée par l'arrêté du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800). Elle se réserve toutefois la possibilité de faire à nouveau appel à la bonne 79. Ibid. 80. C'est une remise en question de l'argumentation de Basterrèche qui affirmait que la Banque escompterait à un taux inférieur à celui de la Caisse, situation qui aurait dû handicaper la Caisse en cas de concurrence des deux établissements. Cf supra, p. 53. 81. En 1800, ces coupures continuent à représenter des sommes importantes. Le salaire journalier d'un manoeuvre de province est à cette date de 1,40 F. O. Fourastié, Documents pour l'histoire et la théorie des prix, Paris: Colin, s. d., t. 1, p. XXII.) 82. On trouvera dans l'ouvrage de Maurice Muszynski (Les billets de la Banque de France, Paris: impr. J. Riss et Cie, 1975, 120 p.) des photographies de ces billets (p. 60-62) pour les billets de 500 francs de la Caisse et de la Banque, p. 73-74 pour les billets de 1 000 francs). Jean Mazard (Histoire monétaire et numismatique contemporaine. 1790-1963, t. 1, 1790-1848, Paris: Emile Bourgey, 1965) présente de même des reproductions de billets de la Caisse (p. 279 pour le billet de 500 francs et p. 280 pour le billet de 1 000 francs) et de la Banque (p. 281). Un livre de Henri Guitard (Vos billets de banque, Paris: ed. France-Empire, 1963, 143 p.) montre aussi des reproductions de ces premiers billets (entre les pages 80 et 81) et donne (p. 29) des renseignements sur la technique de fabrication. A chaque époque, la création monétaire s'est appuyée sur les techniques les plus modernes. Ces premiers billets utilisaient une technique d'impression "à l'identique". U. Lafaurie, R. Habrekorn, "Billets de la Banque de France et du Trésor (1800-1952)", Bulletin de la société d'étude pOlir l'histoire du papier-monnaie, n° 8,1953, p. 20.) Le verso était la reproduction inversée du recto, comme si l'encre ayant servi à l'impression de la première face avait traversé le papier. 83. Registre des Délibérations ... , op. cit. Cette simple modification des intitulés ne se limite pas aux billets. Les divers instruments couramment utilisés par la Caisse des comptes courants servent à la Banque de France qui se contente d'apposer son nom. Le compte-rendu du Conseil du 17 pluviôse An VIII (8 mars 1800) fait ainsi état de jetons de présence, vraisemblablement aux réunions, qui sont conservés dans leur forme habituelle "changeant que le revers où se trollve la légende, Caisse des Comptes Courants et en y substituant les mots Banque de France an 8: 1800". (Ibid.)
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France volonté du gouvernement dans le cas où les locaux occupés s'avéreraient insuffisants à l'accroissement de ses opérations84• Dès les premières semaines d'activité sous le nom de Banque de France, les régents se préoccupent des futures émissions. Il leur faut en effet être en mesure d'accroître la circulation fiduciaire. Le papier destiné à la création de 12 500 nouveaux billets de 1 000 francs est fabriqué. La Banque détient d'autre part un stock de papier permettant l'impression de 23 000 billets de 500 francs. Le 2 messidor An VIII (21 juin 1800), une première création de billets est arrêtée pour un montant de 24 millions de francs, dont 12, 7 millions en billets de 1 000 francs et 11,3 millions en billets de 500 francs. Le 28 messidor (17 juillet), le Conseil décide de faire signer et de mettre en circulation les premiers billets pour un montant de 3,5 millions de francs. Pendant le premier semestre, la Banque a donc exclusivement fonctionné avec les billets de la Caisse des comptes courants. L'extension des activités de la Banque
Sous la dénomination de Banque de France, l'établissement installé à l'Hôtel Massiac dispose rapidement de moyens que ne détenait pas la Caisse des comptes courants. Le soutien de Bonaparte n'est pas le moindre de ces atouts. Le 6 ventôse An VIII (25 février 1800), les régents et censeurs sont reçus par le Premier Consul85 et Lecouteulx-Canteleu renouvelle sa demande d'assistance: "donnez votre appui à ceux dont vous avez
secondé les premiers efforts par des dispositions utiles et honorables, et recevez la promesse que vous font les Régents et les Censeurs de la Banque de France, de n'avoir Jamais d'autre but dans leurs travaux et leur vigilance, que la plus grande utilité publique, et d'autres ambitions que celle de conserver par un monument durable la Révolution du 18 Brumaire."86 La formulation de Lecouteulx-Canteleu, qui cherche à montrer que la Banque de France est issue du 18 brumaire, est particulièrement habile. Elle lui permet de laisser entendre à Bonaparte qu'il s'agit là du résultat de son action, ce qui ne peut que l'inciter à la protéger. Assurer la survie et le .développement de l'établissement, c'est perpétuer son oeuvre. La réponse de Bonaparte est elle aussi riche de sous-entendus, en prétendant "qu'il recevait avec intérêt les statuts de la Banque de France, qu'on devait se persuader que le Gouvernement favorisait de tout son pouvoir cet établissement non pour faire un Usage particulier du crédit qu'il pouvait obtenir, mais pour atteindre de grands résultats d'utilité générale dans la Circulation et l'intérêt de l'Argent ; qu'on ne devait pas douter des vues du Gouvernement à cet égard 84. La Banque de France finira en effet par s'établir définitivement dans les locaux voisins de l'Hôtel de Toulouse. 85. L'administration de la Banque voulait en présenter les statuts au Premier Consul "en l'invitant à lui accorder la protection dll Gouvernement et sa bienveillance personnelle". (Registre des Délibérations ..., op. cit.) 86. Registre des Délibérations ... , op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
lorsqu'au milieu de ses besoins il faisait le Sacrifice d'une partie si importante de la Recette qu'il obtenait par les Cautionnements, pour la convertir en Actions de la Banque. "87 En faisant allusion à la possibilité pour le gouvernement d'obtenir des crédits, en laissant entendre que la Banque peut être un moyen d'atteindre des objectifs de politique monétaire, en insistant sur le fait que la création de l'établissement a été pour le gouvernement une opération coûteuse à laquelle il n'était pas tenu, Bonaparte semble déjà annoncer que l'indépendance de la Banque vis-à-vis de l'Etat sera prochainement compromise. Le même jour, un versement de deux millions de francs est effectué à la Banque par la Caisse d'amortissement conformément à la procédure qu'avaient souhaité les régents. 88 C'est le point de départ d'une série de mesures qui permettront à la Banque de consolider sa réserve métallique89 . Si la Banque de France cherche à s'imposer, il ne serait pas exact d'affirmer qu'elle y réussit pleinement. Les avantages qu'elle trouve auprès du pouvoir politique et son développement économique rencontrent des limites. La Banque de France souhaitait ainsi être exemptée du droit de seigneuriage sur la conversion des métaux précieux en monnaie et avait formulé une demande en ce sens90. Mais le 26 nivôse An X (16 janvier 1802), les régents abandonnent tout espoir d'adopter une pratique qui aurait pu leur permettre de s'assurer une encaisse métallique à bon compte. Une lettre du ministre des Finances leur annonce le refus des consuls d'accorder à la Banque une telle exemption. La réussite économique est incontestable si l'on s'en tient au montant des effets escomptés. De 110,5 millions de francs en l'An vm 91 , ceux-ci passent à 87. Ibid. 88. Cf. supra, p. 48-49. 89. La Banque reçoit quelques jours plus tard des fonds de la Caisse de réserve de la Loterie nationale qui étaient destinés à assurer le paiement des lots dans le cas où les recettes habituelles se seraient momentanément avérées insuffisantes. D'autres fonds sont ensuite versés par le receveur général du département de la Seine. Inversement, lorsque le ministre des Finances propose d'assurer le paiement en numéraire des rentes et des pensions, la Banque propose de se charger de ce service contre rémunération, ce qu'elle obtient par un arrêté des consuls du 23 thermidor An VIII (11 août 1800). 90. Une loi du 8 frimaire An IV (29 novembre 1795) autorisait la transformation d'objets en or, argent ou cuivre en monnaie. Dans une logique de retour à un système de monnaie métallique, le Conseil des Cinq-Cents souhaitait en effet accélérer la conversion de ces matériaux détenus par des particuliers en pièces de monnaie. Les détenteurs de métaux précieux pouvaient ainsi les porter aux hôtels des monnaies, et en recevoir l'équivalent en pièces, sans retenue pour frais de fabrication ou divers droits. Dès le 22 vendémiaire An V (13 octobre 1796), une résolution du Conseil des Cinq-Cents fixait toutefois des retenues pour frais de fabrication. Sur ces retenues liées à la fabrication des pièces, on pourra se reporter à l'article suivant: "Extrait des observations faites par le citoyen D. R., sur une résolution, prise par le Conseil des Cinq-Cents, le 22 vendémiaire, an V, portant fixation des retenues à faire pour les frais de fabrication des monnaies", Tournai d'économie publique, de morale et de politique, n° XIII, 10 nivôse, An Se, p. 145-158. 91. De la fondation de la Banque à août 1800.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France 320,7 millions en l'An IX pour atteindre 627,9 millions en l'An X. La progression du montant des billets en circulation est toutefois beaucoup plus réduite. Ils passent de 15,5 millions de francs en moyenne pour l'An VIII à 20,6 millions en l'An IX et 29,1 millions en l'An X. Cette progression limitée eu égard aux ambitions de la Banque et aux attentes du pouvoir, pousse Ramon à reconnaître que "le rôle de la Banque de France comme Banque d'émission fut à peu près nul
pendant les trois premiers exercices"92. En reprenant les activités de la Caisse des comptes courants, la Banque assure la distribution du crédit auprès d'une clientèle qui était déjà celle de la Caisse. Cela ne signifie toutefois pas qu'elle n'a pas de relations avec les établissements visant à satisfaire les besoins d'un autre public. Ceux-ci tentent même de rechercher sa collaboration.
La sollicitude des autres établissements La Banque de France est certes un concurrent pour les autres émetteurs parisiens, mais paradoxalement elle leur procure l'occasion de développer leur activité. Chaque établissement s'empresse donc, avec plus ou moins de succès, de nouer des relations avec la Banque. La coopération avec la Caisse d'escompte du commerce L'acceptation réciproque des billets La Caisse d'escompte du commerce possédait déjà des liens avec la Caisse des comptes courants qui avaient été noués lors de la disparition de Monneron. La Caisse d'escompte du commerce avait déclaré qu'elle recevrait dans ses caisses les billets de la Caisse des comptes courants à un moment où celle-ci risquait d'être mise en difficulté, ce qui avait entraîné une mesure réciproque de la part de la Caisse des comptes courants93 . La coopération entre banques d'émission semble se poursuivre après la constitution de la Banque de France. C'est ainsi que le 26 prairial An VIII (15 juin 1800), les dirigeants de la Caisse, préoccupés par l'extension du phénomène du rognage94 des écus, s'interrogent sur le moyen de remédier à ce problème. Ils font part de leur inquiétude aux régents de la Banque de France qui décident 92. Ramon, op. cit., p. 29. 93. Cf. supra, p. 26. 94. Le rognage est un procédé frauduleux qui consiste à limer le pourtour des pièces d'or ou d'argent afin de récupérer quelques parcelles de métal précieux, Après l'opération, les pièces sont écoulées à leur valeur légale alors que les fragments de métal récupérés sur plusieurs pièces permettent de constituer une richesse qui pourra éventuellement être utilisée pour fabriquer de nouvelles pièces après fusion et demande de monétisation du métal ainsi obtenu,
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 d'organiser une conférence entre responsables des deux établissements pour étudier la question et proposer éventuellement des mesures au gouvernement. Les habitudes d'acceptation réciproque des billets finissent même par être codifiées. Le 2 messidor An IX (21 juin 1801), alors que la Caisse d'escompte du commerce paraît connaître des difficultés passagères sans doute liées à une réduction de son encaisse métallique, les régents demandent une réunion avec les dirigeants de la Caisse pour aborder le problème. Quatre jours plus tard, ils peuvent annoncer au Conseil de régence que la situation de la Caisse est tout à fait saine. Non seulement le principe d'acceptation réciproque des billets est maintenu, mais un véritable système de crédit inter-bancaire semble se mettre en place. En effet, chaque jour les deux établissements échangent les billets qu'ils détiennent l'un sur l'autre. L'acceptation par la Banque de France des billets de la Caisse d'escompte du commerce, et inversement, n'est donc pas un système contraignant puisque l'établissement qui accepte les billets de l'autre émetteur a la possibilité de les échanger quotidiennement contre les siens grâce à ce système de compensation. Elle contribue d'autre part à consolider la confiance dans les billets en élargissant leurs possibilités d'utilisation. C'est donc une mesure qui ne peut que bénéficier aux deux institutions. Mais la coopé'ration ne s'arrête pas là. Si après échange des billets la Banque de France détient pour plus d'un million de francs en billets de la Caisse, celle-ci rembourse sur le champ toute la fraction de la somme qui excède le million. En revanche, pour toute somme ne dépassant pas le million de francs, la Caisse n'a pas à assurer la conversion immédiate. Elle s'engage seulement à acquitter cent mille francs par jour95 . Le procédé est particulièrement intéressant pour un établissement qui peut se trouver momentanément confronté à une augmentation des demandes de remboursement, puisqu'il a la certitude qu'une partie des billets qu'il a émis n'est pas exigible immédiatement, ce qui peut lui laisser le temps de trouver des ressources métalliques grâce aux effets qui arriveront à échéance pendant ce délai et qui procurent les espèces métalliques nécessaires à la conversion des billets. Cette technique de crédit entre deux banques d'émission paraît toutefois comporter un risque. En acceptant de ne pas présenter au remboursement tous les billets de la Caisse qu'elle détient, la Banque de France lie en partie son sort à celui de cet établissement. Si elle est elle-même en difficulté et si le public afflue aux guichets pour réclamer la conversion de ses billets, la Banque risque d'être confrontée à un sérieux problème. Elle détiendra des papiers à la place des pièces d'or et d'argent réclamées par sa clientèle, sans pouvoir convertir ces papiers en métal sur simple présentation. La solution pourrait certes consister à utiliser les billets de la Caisse pour ses propres paiements, à charge pour le public d'aller en demander la conversion. Nous n'avons toutefois trouvé aucun texte attestant qu'un
95. Nous n'avons pas trouvé d'information permettant d'affirmer que la même mesure ait pu être retenue en cas d'un solde positif en faveur de la Caisse d'escompte du commerce.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France établissement ait pu en autoriser un autre à utiliser ses billets pour ses propres paiements, et cela ne s'est sans doute pas produit. Les régents sont certainement conscients que ces faveurs accordées à la Caisse risquent de leur nuire en cas de crise. Le 12 ventôse An X (3 mars 1802), le Conseil ramène l'excédent de billets qui ne seront pas présentés immédiatement à la Caisse pour remboursement de un million à trois cent mille francs. Au moment où la pluralité des banques d'émission est sur le point d'être remise en question, la Caisse d'escompte du commerce a néanmoins des relations quotidiennes avec la Banque de France. Le refus d'étendre la mesure au Comptoir commercial Si l'on peut parler de coopération entre la Banque de France et la Caisse d'escompte du commerce, il n'en va pas de même avec le Comptoir commercial qui possède pourtant une logique de fonctionnement comparable à celle de la Caisse d'escompte du commerce. Plusieurs mois avant sa formation, Jacquemart fait parvenir à la régence un mémoire présentant son établissement. Mais les dirigeants du Comptoir ne veulent pas seulement être connus de la Banque, ils souhaitent obtenir sa collaboration. Le 17 brumaire An IX (8 novembre 1800), alors que l'établissement est encore en voie de constitution, une demande est adressée à la régence pour qu'elle réalise avec le Comptoir les mêmes opérations qu'avec la Caisse d'escompte du commerce. Les responsables du Comptoir aimeraient que la Banque accepte ses billets en paiement et qu'un échange soit réalisé quotidiennement comme avec la Caisse. Mais ils se heurtent au refus de la régence. Il faut sans doute voir là une volonté des régents de ne pas prendre d'engagement avec un établissement de dimension modeste, tourné vers une clientèle peu connue. C'est peut-être à la fois le désir de ne pas prendre de risques et celui de ne pas porter atteinte au prestige de la Banque en s'abaissant à échanger les billets de la Banque de France contre ceux qui ont été émis par de petits négociants et commerçants. Le contexte historique joue aussi probablement. La Caisse d'escompte du commerce est antérieure à la Banque de France, et celle-ci n'a fait que poursuivre des habitudes prises par la Caisse des comptes courants. En revanche, la création du Comptoir commercial est postérieure à celle de la Banque de France. Les liens qui avaient pu être tissés entre la Caisse d'escompte du commerce et la Caisse des comptes courants pouvaient expliquer la poursuite des relations après que la Banque de France a pris le relais de cette Caisse, mais la Banque n'est pas tenue d'adopter la même attitude vis-à-vis du Comptoir. La complémentarité avec la Factorerie du commerce Le fait que la Factorerie réalise des opérations basées sur la monnaie divisionnaire lui permet d'être un fournisseur de la Banque de France tout en représentant un débouché pour elle.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 En frimaire An IX (décembre 1800), les actionnaires de la Factorerie proposent aux régents de leur livrer pour 600 000 francs de "gros 50115"96 pour faciliter le service des rentes que la Banque s'était chargée d'assurer. Ils affirment être prêts à verser une commission de 2 % du montant de l'opération. Le Conseil général se déclare intéressé par la proposition sur le fond, mais ne veut traiter que pour le montant dont il peut avoir besoin. Il est prêt à échanger des billets de la Banque contre la monnaie divisionnaire, sous réserve que la Factorerie accepte un prélèvement de 3 %. Les dirigeants de la Factorerie font alors de nouvelles propositions et s'engagent à fournir 120 000 francs de monnaie de cuivre par mois en tolérant une déduction de 2,5 % au profit de la Banque, à charge pour elle d'en remettre le montant en billets au début du mois à la Factorerie, laquelle tiendrait la monnaie de cuivre à sa disposition. Le Conseil reste sur sa position, se refusant à prendre un engagement pour une somme ponctuelle qui pourrait excéder ses besoins, rejetant l'idée de payer d'avance les pièces, et maintenant un taux de 3 % pour sa rémunération. La négociation est intéressante en ce sens qu'elle montre que les deux établissements, loin de se porter préjudice par la concurrence, ont des activités complémentaires, les activités de l'un pouvant bénéficier à l'autre. La Factorerie, qui émet ses billets en contrepartie de la monnaie de cuivre qu'elle reçoit, peut trouver à utiliser cette monnaie auprès de la Banque de France, laquelle en a besoin pour le service des rentes et pensions, et pour assurer l'appoint des remboursements à vue qu'elle peut être amenée à effectuer. Ces besoins sont tels que le 8 nivôse An IX (29 décembre 1800), la régence, faisant suite aux demandes de son caissier général, invite deux de ses membres à traiter de l'acquisition de monnaie de cuivre auprès de la Factorerie. Mais les flux en sens inverse existent aussi. La banque peut être amenée à détenir une monnaie de billon excédant ses besoins. Elle les cède alors à la Factorerie contre des billets payables en argent à six mois d'échéance. C'est donc une forme de crédit qui est consentie à la Factorerie par la Banque. En cédant son billon contre des billets à terme, la Banque peut se débarrasser d'une monnaie qui devient encombrante tout en ayant la certitude d'en obtenir le montant équivalent en argent dans six mois. Quant à la Factorerie, elle bénéficie d'un billon qui peut servir de gage à ses propres billets, ce qui lui permet d'accroître son émission, alors qu'elle n'aura à régler cet apport que six mois plus tard. Les modifications de l'échéance traduisent bien l'évolution des rapports de force entre la Banque de France et la Factorerie. La Banque, qui a pris en charge les recettes de la Loterie, finit par se trouver de plus en plus encombrée de pièces d'une faible valeur. Comme elle ne peut en écouler qu'une partie dans ses propres paiements, la Factorerie devient un partenaire dont elle ne peut se passer. Le 3 ventôse An IX (22 février 1801), alors que la Factorerie exige que l'échéance des billets qu'elle
96. Registre des Délibérations ... , op. cit.
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Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France fournit en contrepartie du billon reçu soit portée de six à huit mois, la Banque ne peut qu'accepter. Le 22 frimaire An X (13 décembre 1801), la Factorerie renforce ses prétentions et offre à la Banque de la débarrasser de 200 000 francs de billon contre des engagements à 10 et Il mois. C'est sans conviction que le Conseil déclare ne pas vouloir dépasser les 9 mois d'échéance. Quatre jours plus tard, sur un rapport de son caissier général, la Banque accepte les exigences de la Factorerie. Le rejet des demandes de la Banque territoriale Si la Banque de France est en relations quotidiennes avec la Caisse d'escompte du commerce qui fonctionne selon des règles assez proches des siennes, si elle ne peut se passer de l'aide de la Factorerie du commerce, il en va tout autrement avec la Banque territoriale. Les dirigeants de la Banque territoriale font savoir à la régence qu'ils souhaiteraient que leurs traites soient classées parmi les effets admis à l'escompte par la Banque de France. Le Conseil, qui examine la demande le 7 germinal An VIII (28 mars 1800), ne se prononce pas immédiatement et demande à l'un de ses membres un rapport sur le sujet. Le 23 messidor (12 juillet), la décision n'est toujours pas prise et le Conseil renvoie l'examen de la demande au Comité central97. Ce n'est que le 18 fructidor (5 septembre) que le Comité central transmet son rapport au Conseil qui ajourne la décision à prendre. La Banque de France prend donc son temps près de six mois avant de donner une réponse. On peut voir dans cette excessive lenteur des régents une volonté de laisser traîner un dossier portant sur des revendications qu'ils ne souhaitent pas satisfaire. La Banque territoriale est sans doute perçue comme un concurrent qu'il faut éviter d'aider. C'est l'initiative des dirigeants de la Banque territoriale qui conduit au rejet de la demande. L'un deux, Servonat, avait acquis trente actions de la Banque de France au nom des administrateurs de la Banque territoriale. Constatant que la détention de ces actions ne leur permet pas de faire escompter leur papier dans les proportions souhaitées, ils annoncent leur intention de se défaire de ces actions. Le 23 fructidor An IX (10 septembre 1800), les régents font alors savoir à la Banque territoriale qu'après des débats sur leurs statuts et règlements, ils ne sont pas autorisés à prendre ce papier à l'escompte. La nature du papier fourni par la Banque territoriale pouvait sans doute nourrir des discussions sur la possibilité de l'admettre à l'escompte. Mais le retrait de ses administrateurs du capital de la Banque de France semble fournir l'occasion aux régents de régler définitivement le problème. Les bons territoriaux ne sont pas plus acceptés dans les caisses de la Banque de France que les traites ne sont admises à l'escompte. Le Conseil général est catégorique dans sa décision du 2 germinal An X (23 mars 1802). "La lettre des 97. Le Comité central, prévu par l'article 15 des statuts, est composé de trois membres élus par le Conseil. C'est lui qui assure la direction de l'ensemble des opérations de la Banque.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Administrateurs de la Banque Territoriale en date du 25 ventôse dernier, annoncant une émission de bons territoriaux payables à viie, est renvoyée au Comité Central pour les représentations à faire sur cette émission. Le conseil arrête qu'il sera expressement recommandé aux garçons de recettes de n'en point recevoir. "98 Cette fois-ci, la Banque de France ne peut pas faire valoir des restrictions prévues par ses statuts. C'est bien une volonté délibérée de refuser tout papier proposé par la Banque territoriale. L'explication ne peut être que la même que celle du refus opposé aux demandes du Comptoir commercial. Il s'agit peutêtre de se protéger en évitant d'accepter un papier que l'émetteur peut avoir du mal à rembourser en cas de crise, encore que la certitude d'une compensation quotidienne limite le risque. Mais c'est surtout la volonté de ne rien faire qui pourrait aider un concurrent à se développer. Au printemps 1802, les liens de la Banque de France avec ses partenaires peuvent être résumés ainsi. Elle est en relation avec les établissements qui sont nécessaires à son développement, soit pour asseoir la confiance dans ses billets ou pour tenir des engagements antérieurs, comme c'est le cas avec la Caisse d'escompte du commerce, soit parce que l'aide d'un autre établissement est indispensable à ses activités, ce qui explique ses opérations avec la Factorerie du commerce. En revanche, elle se refuse à prendre des mesures qui, même si elles ne lui coûtaient rien dans l'immédiat, pourràient favoriser ses concurrents, d'où les déclarations de non-recevoir à l'encontre des demandes du Comptoir commercial et de la Banque territoriale99 . La Banque de France ne s'accommode toutefois pas longtemps de cette situation et elle prend l'initiative de remettre en cause l'ordre existant.
98. Registre des Délibérations ... , op. cit. 99. La Société générale du commerce de Rouen avait été pressentie pour devenir le correspondant de la Banque de France dans le département de la Seine-Inférieure, (cf supra, p. 117) mais c'est la maison de Le Couteulx et Cie qui en fit office. Du fait de son éloignement géographique, elle ne peut toutefois pas être considérée comme un concurrent direct de la Banque de France au moment où la question de l'unité d'émission des billets se pose à Paris.
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CHAPITRE 4 La remise en question de la liberté d'émission Alors que jusqu'au printemps de 1802 la pluralité des banques d'émission ne semble pas poser de problèmes, un an plus tard, le privilège d'émission sur Paris est attribué à la Banque de France. Nous n'avons pas retrouvé d'ouvrages, d'articles ou de comptes-rendus de débats dans lesquels des auteurs ont clairement affirmé la nécessité de confier l'émission de billets de banque à un établissement unique. De telles positions ont sans doute été fort rares sinon inexistantes. Depuis l'instauration du Directoire, il existe une volonté de favoriser la mise en place d'un ou plusieurs instituts d'émission. C'est tout d'abord une volonté politique de retour à un système de monnaie métallique dans lequel il sera possible d'émettre des billets représentant une quantité déterminée de métal précieux. Les billets de banque pourront pallier l'insuffisance de numéraire et combleront les besoins de la circulation. C'est aussi une nécessité économique, entrevue par le pouvoir comme par les commerçants, de faire baisser le coût du crédit, en favorisant l'escompte et en augmentant la quantité de monnaie utilisable. C'est enfin une possibilité pour les hommes d'affaires de mener des opérations avantageuses, de réaliser des bénéfices tout en se présentant comme des êtres providentiels prêts à porter secours à l'économie. Cette convergence entre les intérêts politiques et les intérêts des affaires explique que la création de banques ait été rendue possible, puis favorisée. Mais nul n'a prétendu confier l'émission des billets de banque à un seul établissement. Aussi, dans une situation où plusieurs banques émettent leurs billets sans véritable secousse, où l'unité d'émission ne fait pas l'objet de revendications, où elle n'est pas encore un enjeu théorique, on peut se demander quelle est l'origine des remous qui agiteront le monde bancaire pendant une année. Nous montrerons que les événements qui permettent à Bonaparte de confier l'émission de monnaie fiduciaire à un établissement unique trouvent leur source dans la volonté de la Banque de France d'éliminer la concurrence de la Caisse d'escompte du commerce. Nous expliquerons pourquoi la Banque ne peut pas s'accommoder de cette situation et en vient à revendiquer l'unité d'émission (I). Nous présenterons ensuite les réactions des autres établissements, et plus particulièrement les arguments de la Caisse d'escompte du commerce (II) et du Comptoir commercial (III) qui s'efforcent de justifier le maintien du pluralisme.
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La remise en question de la liberté d'émission
1. L'hostilité de la Banque de France à la pluralité des émetteurs Le 12 germinal An X (2 avril 1802), le Premier Consul reçoit les régents venus, en principe, le féliciter sur la paix d'Amiens l . C'est l'occasion pour les dirigeants de la Banque de France de dénoncer la multiplicité des banques d'émission auprès de Bonaparte. Les arguments avancés méritent que l'on s'yarrête2 • Les régents posent sans détour la question qui soulèvera des polémiques pendant l'année qui suit. "N'y a-t-il pas quelques inconvéniens à tolérer dans l'enceinte de Paris
plusieurs banques particulières, qui en concurr.ence avec la Banque de france, émettent des Billets au porteur et à vüe, convient-il qu'il n'y ait à Paris qu'une seule Banque de Circulation ?"3 L'argumentation développée, bien que non formellement structurée, revêt plusieurs aspects. Les régents cherchent à montrer que la France est dans une situation anachronique par rapport aux autres pays du fait de la multiplicité des banques d'émission. Ils développent les risques liés à cette multiplicité et décrivent les règles que doit respecter une banque unique dont les caractéristiques ressemblent fort à celles de la Banque de Francé.
Les arguments à l'encontre de la multiplicité des banques d'émission Les régents s'opposent à la concurrence de plusieurs établissements en se fondant sur l'idée que cette rivalité est dangereuse. Elle aboutit notamment à une mise en circulation de petites coupures jugée malsaine. Les dangers de la rivalité entre banques d'émission L'intervention de la régence n'est pas la première condamnation de la multiplicité des banques d'émission. En 1789, Talleyrand prononçait déjà un réquisitoire contre la pluralité des émetteurs qui conserve toute son actualité en
1. Le traité de paix fut signé le 25 mars 1802 entre la France et l'Angleterre qui se restituaient la plus grande partie de leurs conquêtes. Cette paix, accueillie dans l'enthousiasme, dura seulement un an. . 2. La position des régents de la Banque de France est clairement exposée dans un texte manuscrit retraçant les doléances présentées à Bonaparte. Ce texte, un Exposé de la discussion qui a eu lieu entre les Régens et Censeurs de la Banque de france dans leur séance du 12 Germinal ail 10, est porté en pièce justificative nO 8 du Rapport déjà cité de Barbé-Marbois. Arch. nat., AF /IV /1070. 3. Exposé de la discussion ..., op. cit. 4. Ces différents points sont en fait étroitement mêlés dans l'exposé des régents et les mêmes remarques reviennent parfois à plusieurs reprises. La démarche que nous adoptons pour les présenter ne correspond donc pas à une logique que suivraient les régents dans leur développement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 18025 . Les arguments qu'il avançait sont repris et développés par les dirigeants de la Banque de France qui tiennent à montrer les dangers de la coexistence de plusieurs banques. Depuis la création de la Caisse des comptes courants en 1796, la liberté d'émission n'avait toutefois plus fait l'objet de contestations ouvertes. La démarche des responsables de la Banque auprès de Bonaparte n'en est que plus spectaculaire. La régence cherche à persuader le Premier Consul des risques de la coexistence de plusieurs émetteurs dans une même ville. Elle soutient que si "il en existe
plusieurs sous des formes diverses et avec des principes différens, l'un est presque toujours victime du discrédit de l'autre, ou il est accablé par la splendeur de celuici et par la préférence qu'il obtient"6. L'affirmation est habile car elle montre que dans tous les cas, quelle que soit la situation d'un établissement considéré comme concurrent, celle-ci conduit à un scénario de crise. Si une banque a réussi à créer un climat de confiance envers ses billets, sa réussite peut nuire aux autres émetteurs dont le papier jouira d'une moindre confiance. La survie des établissements qui n'ont pas réussi à renforcer le crédit de leurs billets risque d'être menacée. Mais ce qui est présenté par les dirigeants de la Banque de France comme dommageable peut au contraire être jugé sain dans une situation de concurrence. C'est ce que l'on appellerait aujourd'hui l'élimination des canards boîteux. Si les régents étaient convaincus de la supériorité de leur établissement, ils devraient au contraire se réjouir du fait qu'une telle élimination soit possible. La Banque de France pourrait ainsi assurer sa suprématie par la simple disparition de ses partenaires incapables de supporter la concurrence d'une banque dont les billets bénéficieraient d'une garantie supérieure. Et les billets qui resteraient en circulation seraient ceux qui présenteraient toutes les garanties de solidité que la Banque de France prétend donner à son papier. Dans le cas inverse, si un établissement souffre de discrédit, celui-ci doit rejaillir sur les autres émetteurs. On peut relever la contradiction que comporte la phrase citée plus haut. La réussite d'un établissement A peut mettre en difficulté un établissement B. Dans ce cas, les déboires de l'établissement B devraient rejaillir sur l'établissement A, conformément à la première partie de l'affirmation. La formulation de la remarque peut être discutée mais la crainte des régents paraît en partie fondée. Il est en effet probable que la crise d'une banque puisse se répercuter sur les autres banques. Si les clients d'une banque affluent à ses guichets et sont dans l'impossibilité d'obtenir la conversion en métal du papier qu'ils détiennent, les clients d'autres établissements risquent d'adopter le même comportement. Leurs demandes de conversion en masse mettront alors les banques dans l'impossibilité d'assurer immédiatement les 5. C.-M. Talleyrand, Opinion de M. l'évêque d'Autun sl/r les Banques et sur le rétablissement de l'ordre dans les finances, prononcée à l'Assemblée Nationale le vendredi 4 décembre, et imprimé par son ordre, Paris: Baudouin, 1789, p. 5-6. 6. Exposé de la discussion ... , op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission remboursements. Ces craintes ont d'autant plus lieu d'être que nous avons vu qu'il existait des liens entre les émetteurs parisiens. Si la Factorerie du commerce fait faillite, les effets à dix mois d'échéance qu'elle a remis à la Banque de France en contrepartie du billon reçu ne seront jamais remboursés, privant ainsi la Banque de recettes qui lui sont dues. De même, l'engagement pris par la Banque de France de ne pas exiger la conversion immédiate de tous les billets de la Caisse d'escompte du commerce qu'elle détient comporte une part de risque 7. Si une crise de confiance envers la Caisse rejaillit sur la Banque, celle-ci s'expose à pouvoir difficilement assurer les remboursements, alors qu'elle détiendra une masse de billets de la Caisse non exigibles dans l'immédiat. La connaissance par le public des liens entre établissements ne peut que renforcer cet effet de contagion dans la défiance. On peut établir un parallèle avec la situation contemporaine où la faillite d'un établissement risquerait d'ébranler fortement l'ensemble du système bancaire. Il ne s'agit plus d'émetteurs de monnaie fiduciaire, mais d'organismes créant de la monnaie scripturaleS. Si les particuliers craignaient que les soubresauts que connaît une banque mette en danger l'établissement dont ils sont clients, ils auraient sans doute tendance à solder leur compte, mettant ainsi la banque en état de cessation de paiements puisqu'elle est incapable de rembourser rapidement en billets le montant des soldes créditeurs de sa clientèle. La concurrence, qui est saine et souhaitable dans le commerce, peut donc porter préjudice à la pratique de l'utilisation d'une monnaie de papier. "Si la rivalité
de négociant à négociant n'est pas un inconvénient, si même elle produit une émulation qui souvent tourne au profit du consommateur et du public, il n'en est pas de même pour les Banques dont l'influence réciproque les unes sur les autres, et sur le Commerce entier ne peut jamais être que très importante, ensorte que toute Banque qui souffrirait quelqu'atteinte de la part de sa rivale porterait par là même un coup funeste à la confiance et au crédit public. "9 Selon les régents, la concurrence est donc dramatique si elle aboutit à la disparition de banquiers mais elle n'est pas un inconvénient dès lors qu'il s'agit de négociants. Pour être hautaine, la remarque n'en est pas moins en partie fondée dans la mesure où la faillite d'un émetteur peut amener la cessation de paiements de l'ensemble du monde bancaire et par là même l'impossibilité de diffuser le crédit à l'ensemble de l'économie. Une crise de confiance dans le système bancaire ne provoque toutefois pas nécessairement l'écroulement de celui-ci. Une restriction momentanée des remboursements, comme celle qu'avait mise en place la Caisse
7. Cf. supra, p. 122-123. 8. On peut toutefois noter que cette monnaie scripturale nécessite toujours la confiance de l'utilisateur dans la capacité de la banque à en assurer la conversion, non plus en monnaie métallique mais en billets. 9. Exposé de la discussion ..., op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 des comptes courants10, ou l'instauration du cours forcé ll peuvent être des solutions transitoires. Outre le fait que le commerce risque d'être gravement atteint par une crise qui pourrait frapper le monde bancaire, il serait pénalisé par l'existence simultanée de plusieurs émetteurs de billets. "Il est établi entre la Banque de France et la
Caisse du Commerce une espèce de démarcation qui est nuisible au Commerce il en résulte des jalousies et des méfiances privées qui paralysent l'émulation. Il semble qu'on ne puisse être l'apologiste d'un établissement sans faire la critique de celui lui paroit opposé, la confiance reste incertaine entre le bien et le mal qu'on cherche réciproquement à faire ou à éviter."12 Cette distinction dans la sphère d'activité des deux établissements plaiderait plutôt en faveur de la diversité des émetteurs, quoi que puissent en dire les régents. Nous avons montré que si la Caisse d'escompte du commerce dans un premier temps, puis le Comptoir commercial dans un second temps, avaient pu voir le jour, c'est que la Caisse des comptes courants ou la Banque de France ne remplissaient qu'imparfaitement leur rôle, en ne réservant l'usage de leurs crédits qu'à une clientèle privilégiée. La démarcation entre les deux instituts n'est donc pas le fait de la Caisse puisque des effets qui sont acceptés à la Caisse seraient rejetés par la Banque. La Caisse apporte ainsi aux commerçants des aides que refuse la Banque de France. Nous verrons que la Caisse ne se privera pas de développer cette argumentation pour tenter de préserver son existence. Un dernier danger de la concurrence réside dans le fait que la prudence devrait obliger chaque émetteur à conserver une certaine proportion entre le montant de ses billets en circulation et sa réserve métallique. Or la nécessité d'être compétitif risque de pousser des établissements à émettre au-delà de ce que recommandent les règles de prudence. L'accusation paraît certes fondée en théorie, mais elle s'applique mal aux exemples de la Caisse des comptes courants et du Comptoir commercial. De par leurs règles de fonctionnement, ceux-ci émettent en effet des billets pour un montant qui est en rapport fixe avec la quantité de métal qu'ils ont reçue. Toute augmentation de l'émission nécessite donc un accroissement du capital. Par conséquent, lorsque le Comptoir commercial ou la Caisse d'escompte du commerce élèvent leur émission de billets, c'est qu'ils ont procédé à une augmentation de capital qui a fourni de nouvelles rentrées de métal. La circulation s'accroît donc dans les mêmes proportions que la réserve.
10. C'est aussi une solution qui sera adoptée par la Banque de France en 1805 à un moment où, incapable de faire face à toutes les demandes de conversion en métal, elle n'assurera le remboursement que d'un seul billet par personne. 11. Un décret du 15 mars 1848 prononcera ainsi le cours forcé pour les billets de la Banque de France à la suite des demandes de conversion provoquées par la panique liée à l'abdication du roi. Dix jours plus tard, un autre décret étendra cette disposition aux banques départementales. 12. Exposé de la discl/ssion ... , op. cil.
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La remise en question de la liberté d'émission Il est vrai que chaque banque doit veiller à ce que ses caisses soient suffisamment approvisionnées en espèces métalliques. La régence semble craindre qu'une pluralité d'émetteurs soit un obstacle à la rentrée de numéraire dans ses caisses. "C'est en vain qu'on voudrait tenter de maintenir la proportion qui doit
exister entre le numéraire et les billets de Banque en circulation et de ramener le' numéraire à Paris sans nuire aux affaires générales du commerce s'il existe dans l'ensemble de la capitale plusieurs banques rivales. "13 Le fait que l'existence de plusieurs banques d'émission puisse empêcher la Banque de France de se constituer une réserve métallique suffisante est difficile à démontrer. On peut seulement supposer que si ces concurrents proposent des conditions de placements plus avantageuses, ils auront tendance à drainer le métal dans leurs caisses. Les capitaux iront en effet là où la rémunération est la plus forte. Quant aux difficultés qu'ils pourraient occasionner à l'envoi de numéraire à Paris, elles ne paraissent pas évidentes. Des banques installées en province pourraient y maintenir les espèces métalliques en leur proposant une rémunération aussi attrayante qu'à Paris, compte tenu du transport de fonds qui serait ainsi évité. Mais on voit mal comment le fait que plusieurs banques soient installées dans la capitale puisse être un frein à la venue du métal. Cet accaparement des pièces métalliques par les hommes d'affaires parisiens n'est d'ailleurs peut-être pas forcément souhaitable. Les crédits que permettra le numéraire transporté à Paris se feront peut-être au détriment de l'activité de la province. Le procès-verbal du Conseil général du 16 vendémiaire An X (8 octobre 1801) fait ainsi état de plaintes de quelques négociants de Carcassonne à l'encontre de la Banque du fait de l'extraction du numéraire qui est faite dans la région par ses ordres l4 . Des plaintes du même ordre avaient été proférées par les commerçants d'Amiens. La liberté d'émission est donc l'objet de plusieurs accusations. La mise en circulation de petites coupures qu'elle peut occasionner est ressentie comme un danger particulier. Les dangers de l'émission de petites coupures Alors que la Banque de France n'émet que des billets de 1 000 et 500 francs, ses concurrents n'hésitent pas à mettre en circulation des coupures plus petites. Les bons de la Banque territoriale sont des billets de 1 000, 500, 250, 100 et même 50 francs. Les billets de la Factorerie du commerce, d'une nature certes différente puisque seulement échangeables contre une monnaie de cuivre, descendent jusqu'à 25 francs. Nous avons vu qu'il en allait presque de même à Rouen où la Banque avait fini par abaisser la valeur minimum de ses coupures à 20 francs 1S .
13. Ibid. 14. Registre des Délibérations ... , op. cit. IS. Cf supra, p. 116.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Cette circulation de billets d'un montant réduit est considérée comme dangereuse. "Déjà on voit circuler dans Paris des Billets de 50 f et les imprudens
qui ont créé le Papier n'ont pas réfléchi qu'ils distribuent ainsi des demandes sur leurs caisses entre les mains d'un grand nombre d'individus qui bientot formeront des foules à leurs portes et répandront l'alarme sur tous les Billets au porteur et à vüe de quelque banque qu'ils soyent. "16 Le risque lié à l'émission de petites coupures est que celles-ci quittent la sphère du commerce pour se trouver dans les mains de l'ensemble des particuliers. Cette possibilité peut avoir des conséquences fâcheuses. Le public, peu habitué à utiliser ce papier, risque de chercher à s'en débarrasser en le présentant au remboursement. Et en cas de crise de confiance, c'est une marée humaine qui peut se présenter aux guichets, et non plus un cercle restreint d'utilisateurs. Cette conception du billet de banque comme devant être réservé à un groupe d'initiés est exactement celle de Smith. Celui-ci consacre plusieurs pages du chapitre sur la monnaie dans la Richesse des nations à montrer que la circulation monétaire comprend la sphère propre aux liens entre commerçants et la sphère des relations entre commerçants et consommateurs l7. Il est résolument hostile à la circulation des billets dans la seconde sphère pour les raisons que reprennent un quart de siècle plus tard les régents de la Banque de Francel8 . Les régents ne semblent pas vouloir reconnaître que si la Banque a su inspirer la confiance dans ses billets, elle n'a pas à craindre des demandes de conversion qu'elle s'est d'ailleurs largement engagée à respecter. Ce refus des petites coupures pose cependant un problème de taille. Un des arguments avancés par les banquiers depuis la mise en place du Directoire est que les billets de banque faciliteraient la circulation monétaire. Ils presentaient en outre l'avantage d'être convertibles à vue en métal, ce qui leur conférait une supériorité sur les assignats. Or, vouloir réserver l'usage des billets au cercle restreint des commerçants, c'est nier en partie ce rôle du billet comme moyen de paiement. Alors que les assignats étaient utilisés par l'ensemble de la population, les régents voudraient réserver l'usage des billets de banque à une classe de privilégiés. Cette conception aristocratique du billet est contraire à la volonté de favoriser la circulation monétaire. Les expériences des autres établissements montrent pourtant que le public est prêt à accepter un tel papier en paiement. Cette approche du billet, directement issue des théories de Smith, marquera longtemps la politique de la Banque de France. Il faudra près d'un demi-siècle
16. Exposé de la discussion ... , op. cit. 17. Smith, op. cit., p. 322-326.
18. Smith prônait même, comme le font les régents, le retrait des petites coupures (ibid., p. 323-324).
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La remise en question de la liberté d'émission pour qu'elle émette des coupures d'un montant inférieur à 500 francs 19• Elle n'est toutefois pas l'apanage des régents. Les écrits de Smith ont fortement marqué les esprits et, au moment où la question de la pluralité des banques est posée, ceux qui deviendront les principaux acteurs ont des positions similaires. Nous verrons que le ministre du Trésor public, Barbé-Marbois, se rallie à cette opinion20 . Mollien note lui aussi que la Banque territoriale s'est rendue "coupable d'une grande
imprévoyance lorsqu'elle a annoncé que ses billets admettraient des coupures de 50 francs"21. Les régents de la Banque de France voient dans l'exemple de l'Angleterre une confirmation de cette nécessité d'éviter d'émettre des petites coupures convertibles à vue. C'est seulement lorsque le gouvernement a demandé à la Banque d'Angleterre de suspendre ses paiements en 1797 que le Parlement l'a autorisée à émettre de tels billets 22 . Il est pour le moins plaisant de constater qu'alors qu'en France on s'en tient aux idées de Smith, en Angleterre Thornton n'hésite pas à les réfuter, y compris ses propositions sur les petites coupures 23. Les billets de faible valeur sont aussi accusés de provoquer l'augmentation des prix. "L'apparition de ce Papier dans les transactions du Peuple produit une augmentation sur les denrées. "24 Sans doute est-ce là une des séquelles du souvenir des assignats. L'émission massive de papier-monnaie, constitué entre autres de petites coupures, avait été accompagnée d'une hyper-inflation. Si l'on s'en tient à un raisonnement de type quantitativiste, on peut certes admettre qu'une émission de billets engendre une hausse des prix, sans être pour autant autorisé à affirmer que les petites coupures sont plus inflationnistes que les grosses. On peut à la limite admettre que ces petites coupures sont plus facilement utilisables que les grosses. Les billets de valeur réduite circulent ainsi plus rapidement que ceux qui représentent une forte somme. C'est alors l'augmentation de leur vitesse de circulation qui peut expliquer le fait qu'ils soient inflationnistes. La hausse des prix résulte non plus de l'augmentation de la quantité de monnaie mais de sa vitesse de circulation. Sur ce point, qu'ils ne prennent pas la peine de développer, les régents vont pour une fois à l'encontre de la pensée de Smith. Celui-ci rejetait le fait que l'émission d'une monnaie de papier puisse être un facteur de hausse du prix des marchandises 25 . 19. C'est la loi du 10 juin 1847 qui prévoit des coupures de 200 francs. Les comptoirs de la Banque de France avaient toutefois la possibilité d'émettre des billets d'une valeur de 250 francs. 20. Cf infra, p. 189. 21. Notes sur les Banques, Arch. nat., AF /IV /1070. 22. Il s'agissait alors de billets d'une et deux livres. 23. H. Thornton, Recherche sur la nature et les effets du papier de crédit de la Grande Bretagne [le éd. 1802], Paris: Magimel, An XI (1803), p. 147-148. 24. Exposé de la discussion ... , op. dt. 25. Smith, op. dt., p. 324-325.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Le caractère inflationniste que les régents reconnaissent aux petites coupures est peut-être lié lui aussi au fait que ces coupures sont apparues dans des périodes de hausse des prix. La simple corrélation a pu être perçue comme causalité. C'est l'opinion que Thornton émet la même époque. "Il s'est répandu depuis quelque temps l'opinion que le papier-mon noie a particulièrement pour effet de faire hausser le prix des denrées, plus que celui des marchandises. Cette opinion est erronée: il est facile de le démontrer. Depuis deux ou trois ans, que les hauts prix des denrées subsistent, on a été convaincu que la masse des signes d'échange dans la Grande-Bretagne avoit éprouvé une augmentation prodigieuse. Mais j'ai démontré que la masse des billets de la banque nationale avoit été sensiblement la même [ ... ]. C'est l'usage des billets de banque pour de petites sommes, lesquels remplacent l'or pour les appoints, qui a fait naître l'idée dont il s'agit".26 Les régents nourrissent d'autres griefs contre les billets d'un faible montant. "Les Regens de la Banque de france ont tous l'expérience que c'est en divisant les Billets de Confiance par petites fractions qu'on fait descendre l'escompte dans un commerce de detail, où il est dangereux d'introduire ces facilités toujours nuisibles, en ce qu'elles produisent une accumulation de Marchandises sans reelle proportion avec la consommation locale. "27 On aboutit alors à une situation de surproduction qui finit par entraîner une dévalorisation de ces marchandises. Les dirigeants de la Banque s'enferment ainsi dans plusieurs contradictions. Ils reconnaissent en premier lieu que de tels billets permettent d'apporter une aide au commerce qu'ils ne sont pas en mesure d'accorder. C'est une réfutation de la thèse qu'ils développeront par la suite selon laquelle ils sont aussi compétents que les autres établissements pour soutenir le commerce. D'autre part, en prétendant que ces coupures conduisent à une situation de surproduction, ils détruisent leur propre argument selon lequel ce mêmes coupures provoqueraient la hausse du prix des denrées. On pourrait d'ailleurs contester l'affirmation qui laisse entendre que les petites coupures favoriseraient la surproduction de marchandises qui n'auraient pas été fabriquées ou acquises par les commerçants sans elles. Say montrera l'année sliivante, dans sa fameuse loi, que les revenus distribués au cours de la production permettent l'acquisition de cette production28 . Le procès de ces petites coupures achevé, il reste à rendre le verdict. "La Régence de la Banque a observé que cette Emission dangéreuse de Billets par petites sommes étoit particulièrement l'Effet de la rivalité qui s'Elève nécessairement entre plusieurs Banques ; qu'il étoit nécessaire même urgent d'arrêter la circulation de pareils Billets."29 Ce n'est pas encore une demande de 26. Thomton, op. cit., p. 260.
27. Exposé de la discussion ..., op. cit.
28. ].-8. Say, Traité d'économie politique, Paris: Deterville, 1803, t. 1, p. 152-155. 29. Exposé de la discussioll ... , op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission suppression des autres établissements. C'est toutefois une réclamation pour que leur liberté d'émission soit restreinte. On est bien loin des défenseurs de la liberté des banques des débuts du Directoire. Sur ce point, Smith lui-même n'hésitait d'ailleurs pas à remettre en question ses principes de non-intervention de l'Etat.
"Such regulations may, no doubt, be considered as in some respect a violation of natural liberty. But those exertions of the natural liberty of a few individuals, which might endanger the security of the whole society, are, and ought to be, restrained by the law of aIl governments"30. Les représentants de la Banque, après avoir montré que l'émission de faibles coupures était le fruit de la rivalité des banques, ont alors beau jeu de montrer que dans le cas d'une banque unique dans la capitale, de telles émissions, avec leur cortège d'effets jugés funestes, ne se produiraient pas. Le montant de la plus faible coupure ne tomberait pas en dessous de 500 francs, chiffre qui correspond justement à la valeur du plus petit billet de la Banque de France. Celle-ci présente ainsi une première qualité qui permettrait d'en faire la banque unique. Nous verrons que cette qualité n'est pas la seule. Les arguments contre la multiplicité des émetteurs ne manquent donc pas. La rivalité entre les établissements comporte des risques qui peuvent amener l'effondrement de tous. Cette rivalité conduit en outre à une diffusion de billets de faible valeur auxquels on prête des effets néfastes sur l'économie. Les régents ne se contentent pas de critiquer la liberté d'émission. Ils tentent de montrer qu'un émetteur unique présente de sérieux avantages. Ils croient en trouver la preuve dans l'observation des expériences étrangères et en déduisent les règles de fonctionnement qui devraient s'appliquer à un institut d'émission unique.
Les avantages d'une banque unique Le regard sur les expériences étrangères La Banque de France est la principale banque d'émission sur le territoire national. Les régents reconnaissent avoir émis les trois cinquièmes des 55 millions . de francs de billets en circulation dans la capitale. On notera que cette somme diffère sensiblement des estimations du ministre du Trésor public Barbé-Marbois qui chiffre le total des billets en circulation à 70 millions de francs, dont 45 millions pour la Banque de France, 20,4 millions pour la Caisse d'escompte du commerce et 2 millions pour le Comptoir commercial, le reste étant partagé entre les autres établissements31 . Le fait que Barbé-Marbois établisse son estimation quelques mois après les régents ne peut expliquer à lui seul une telle différence. Il avance probablement le montant maximum qui s'est trouvé en circulation alors que
30. Smith, op. cit., p. 324.
31. Rapport aux Consuls de la République sur les Banques, op. cil.
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Le
billet de banque en France de 1796 à 1803
la Banque de France s'en tient à des données moyennes. C'est la raison qu'avance Ramon pour expliquer les différences entre les chiffres publiés par le ministère du Trésor public et ceux fournis par la Banque32 . Cette explication nous paraît confirmée par des chiffres de Bougerol qui donne un maximum de 45 millions en circulation pour l'An X33, ce qui conforte la thèse selon laquelle Barbé-Marbois prendrait le montant des billets en circulation au moment où il est le plus élevé. Que l'on s'en tienne à la moyenne ou au maximum, la part des billets de la Banque de France dans la circulation globale reste toutefois la même. Les régents acceptent mal que la Banque n'assure pas la totalité de cette circulation. Ils tentent de s'appuyer sur les expériences étrangères pour montrer qu'un émetteur unique est souhaitable, car "l'expérience paroit avoir prouvé que
le danger de la multiplicité des Banques a été successivement senti par tous les gouvernemens ; ils n'en ont jamais reconnu qu'une seule dans l'étendue de leur territoire"34. L'argument est toutefois contestable. Ils citent les exemples d'Amsterdam, St-Pétersbourg, Vienne, Berlin, Gênes et Venise à l'appui de leur affirmation, mais la liste est sélective. Les régents doivent bien admettre que si à Londres seule la Banque d'Angleterre a le droit d'émettre des billets au porteur et à vue, d'autres banques sont établies dans les principales villes35 . Mais ils se refusent à voir là une remise en question de leur position. Ce n'est pas un exemple qui leur paraît utilisable en faveur de la multiplicité des banques puisque cellesci n'ont jamais été reconnues comme banques nationales et que "les particuliers seuls et sans aucune intervention du gouvernement ont pris confiance dans les billets de ces banques particulières"36. L'argumentation ne manque pas de sel quand on sait que les partisans de la Banque avaient jusque-Ià fait de la nonintervention du gouvernement et de la confiance du public dans les billets les conditions essentielles à la survie d'un établissement bancaire. Les régents reprochent aux banques particulières britanniques d'avoir excessivement élevé le volume des billets en circulation. L'excès a été source de faillites. C'est ainsi que sur les 280 banques recensées en 1793, 50 avaient fermé leurs portes en 1797. Mais la faillite d'une banque occasionnée par une mauvaise gestion n'est qu'un moindre mal. Le danger essentiel réside dans le fait qu'une banque en difficulté risque d'entraîner d'autres établissements dans sa chute. C'est la profusion de billets émis par des banques de province qui a conduit en 1797 la Banque d'Angleterre à suspendre la convertibilité de ses billets en espèces.
32. Ramon, op. cit., p. 38. 33. Bougerol, op. cit., p. 40.
34. Exposé de la discllssion ... , op. cit. 35. Thomton écrit à la même époque: "En 1797, il Y avoit 353 banqlles particulières en Angleterre. En 1799, il Y en avoit 366 ; et en 1800, il paroît que leur nombre montoit à 386." (Thomton, op. cit., p. 129.)
36. Exposé de la discussion ..., op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission
Cette attaque en règle contre les banques britanniques installées en province ne nous paraît pas entièrement fondée. A la même époque, Thomton se fait l'ardent défenseur de ces banques disséminées sur le territoire anglais. "Puisque les banques
particulières se sont extrêmement multipliées dans une époque de prospérité, c'est une présomption que ces établissemens sont des signes et des garans de prospérité ; plutôt que les indicateurs d'un état de décadence. Pendant que la France a été déchirée de troubles, les tentatives répétées qu'on a faites pour y créer des banques n'ont eu aucun succès."37 Les régents eux-mêmes ne sont peut-être d'ailleurs pas convaincus que les banques de province puissent jouer un rôle néfaste. Ils reconnaissent par ailleurs que "des banques particulieres établies dans les
principales villes de la République pourroient distribuer et répandre dans le Commerce des facilités qui donneroient lieu à une activité d'affaires, à une multitude de petites entreprises qu'une banque unique ne met en mouvement que par une action indirecte"38. Il est en outre peu probable que la Banque de France ait eu à l'origine l'intention de s'implanter sur tout le territoire. Le 2 vendémiaire An X (24 septembre 1801), un administrateur avait en effet proposé à la régence d'envisager l'extension de la circulation de ces billets à la province39 . La question avait été renvoyée au Comité central et n'avait plus été abordée. La régence se montrera ensuite toujours réticente à ouvrir des comptoirs dans les départements40 . La banque unique n'est est pas moins jugée préférable. Si, dans l'exemple britannique, la pluralité des banques est dénoncée, le rôle de la Banque d'Angleterre en tant que banque nationale est au contraire souligné. C'est à elle que les régents attribuent le mérite de faciliter les opérations commerciales et d'aider les particuliers et l'Etat. Ils concèdent que la multiplicité des banques a pu être utile à l'économie des Etats-Unis. Mais une telle situation ne leur paraît pas devoir être durable. Si plusieurs banques pouvaient être tolérées, voire reconnues utiles dans les années qui ont suivi la mise en place de la nation américaine, il n'en va pas de même au début du XIXe siècle. Ainsi "la fortune des
37. Thornton, op. cit., p. 130. 38. Exposé de la discllssion ... , op. cit. 39. Registre des Délibérations ... , op. cit. 40. C'est le 24 juin 1808 qu'un décret impérial autorise l'ouverture de comptoirs à Lyon et à Rouen. Mais le désir de Napoléon de voir se multiplier les comptoirs se heurte au refus de la régence d'étendre la circulation des billets en province. Seul le comptoir de Lille, décidé par un décret de Napoléon du 29 mai 1810, verra ensuite le jour sous l'Empire. A la Restauration, la Banque de France s'empressera de demander la suppression des comptoirs. Ce n'est qu'en 1836, devant le développement des banques départementales, que la Banque ouvrira à nouveau un comptoir à Lille, puis à Saint-Etienne. Il faudra la loi du 27 janvier 1873, prévoyant qu'avant le 1er janvier 1877 une succursale de la Banque de France doit fonctionner dans chaque département, pour que l'implantation de la Banque sur tout le territoire puisse être considérée comme achevée.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 principales maisons de Commerce des états unis paraît chancelante, la cause en est due à la multiplicité des banques"41. En affirmant que les nations prospères sont celles où ne fonctionne qu'une grande banque, et en laissant entendre que celles qui tolèrent plusieurs établissements pourraient améliorer leur prospérité en remettant en question cette diversité, les régents cherchent à persuader le Premier Consul que si cette diversité est ,condamnable dans un pays, elle l'est encore plus au sein d'une même ville. La banque unique est souhaitable. Il reste à déterminer les règles que doit respecter cette banque unique pour montrer que la Banque de France est la mieux armée pour jouer ce rôle. Les règles que doit respecter la banque unique Les dirigeants de la Banque ne passent pas en revue les différents émetteurs parisiens pour tenter d'apprécier la confiance dont peuvent jouir leurs billets. Ils cherchent en revanche les principes que devrait respecter une banque saine. La contrepartie des billets Les billets de banque doivent avoir pour contrepartie les lettres de change acceptées à l'escompte et le "capital entier"42 issu de l'apport des actionnaires. L'émission de billets contre l'escompte de lettres de change exclut la possibilité de voir la Banque territoriale devenir la banque unique puisque ses billets sont gagés sur la terre et non sur des créances commerciales. Les autres établissements escomptent cependant des effets de commerce. Quant àla seconde contrepartie, le capital entier, on peut s'interroger sur sa consistance. S'il s'agit de l'apport de fonds en espèces métalliques des actionnaires, cette contrepartie est limitée pour la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial puisque les actionnaires n'apportent pas en métal l'intégralité du capital du fait du système des actions hypothécaires. Le montant des billets en circulation correspond néanmoins à la valeur du métal fourni par les actionnaires et des engagements des actionnaires à livrer ce métal en cas de besoin. Et l'ensemble des billets en circulation a bien pour contrepartie un montant équivalent en effets de commerce ou en métal puisque ces billets sont émis à l'occasion de l'escompte. Il y a donc égalité entre le montant des billets qui circulent et celui des effets détenus par l'émetteur. Lorsque ces effets arrivent à échéance, ils sont remboursés en métal, ce qui transforme la contrepartie constituée par l'effet de commerce en espèces métalliques. Bien que la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial n'émettent pas leurs billets selon les mêmes règles que la Banque de France, pour ces établissements, la contrepartie des billets est bien la même qu'à la Banque. 41. Exposé de la discussion ... , op. cil. 42. Ibid.
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La remise en question de la liberté d'émission C'est donc sur la nature des effets détenus que la Banque de France doit faire valoir sa différence. Il faut que ces effets soient suffisamment solides, ce qui ne peut être obtenu que par l'acceptation d'effets revêtus de trois signatures de personnes connues et réputées solvables. Il est en effet nécessaire que les utilisateurs des billets aient foi dans les titres qui leur servent de contrepartie, et que l'escompteur ait la certitude d'être remboursé à l'échéance. Cette condition exclut sans ambiguïté la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial qui acceptent les effets revêtus de deux signatures. Le Comptoir commercial s'éloigne d'autant plus de cette banque type qu'étant un organisme destiné à apporter des facilités au petit commerce, les tireurs de lettres de change ne sont pas des personnalités connues. Le rapport entre billets en circulation et réserve La banque doit aussi avoir en caisse une somme suffisante en espèces métalliques pour être à même de faire face aux demandes de remboursement. Il faut donc conserver une proportion entre les billets émis et l'or et l'argent en réserve. Toutes les banques d'émission se conforment en fait à ce schéma, même si cette proportion à respecter est loin d'être clairement définie. Pour les régents, seules la notoriété et l'expérience des administrateurs permettent de garantir que cette proportion sera respectée. On peut en déduire que puisque les administrateurs de la Banque de France regroupent les personnalités les plus éminentes du monde des affaires, ce sont les plus aptes à garantir la solvabilité de la banque43• Il faut relever que si la nécessité pour une banque d'assurer la conversion à vue de ses billets semble faire l'unanimité en France, l'expérience du cours forcé en Angleterre commence à donner une tout autre vision des devoirs d'une banque. Nous pouvons nous appuyer une fois de plus sur Thomton qui, au moment où les banquiers français s'interrogent sur la nature des banques d'émission, tire les leçons de l'expérience anglaise. Son approche est radicalement différente de l'attitude courante en France qui revient à considérer le cours forcé comme la sanction de l'échec de la Banque44 . nA une époque de prospérité et de paix, le fond de la banque en numéraire étoit au-dessous de ce qu'il a été à l'époque de la
suspension des paiements en or et en argent. Les négocians ne considèrent plus aujourd 'hui la quantité absolue de numéraire dans les coffres de la banque comme une affaire d'une importance aussi grande qu'on le croyait lorsqu'il y avoit plus de mystère dans la gestion de cet établissement. Tous les gens d'affaires savent 43. Les faits le contrediront toutefois dès 1805 puisque la Banque manquera à ses engagements d'assurer la convertibilité immédiate des billets. 44. Lorsqu'il avait fallu calmer les appréhensions du public lors de la fondation de la Banque de France, le texte rassurant paru dans le Moniteur du 7 pluviôse An VIII (27 janvier 1800) avait justement pour objet de montrer que la Banque de France différait de la Banque d'Angleterre dont le cours forcé servait de repoussoir. Cf. supra, p. 51.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 parfaitement que les paiemens promis en numeralTe doivent être faits en billets de banque; qu'il n'a jamais existé dans les caisses de la banque un capital suffisant pour répondre à tous les paiemens, s'ils devoient être faits en or ou en argent. "45 Cette remise en question de la nécessité pour la banque de s'astreindre à assurer les remboursements en métal est un désaveu de la politique des banquiers consistant à maintenir un rapport fixe entre les billets et la réserve. Thornton s'en prend à ceux qui craignent que la banque ne soit pas en état de faire face à ses engagements. "Le banquier, disent-ils, fait un nombre de promesses qu'il est hors
d'état d'accomplir, si tous les porteurs des engagemens venoient à la fois lui demander de les remplir, chose qui n'est point tout-à-fait impossible. [... ] La Banque d'Angleterre, les banques particulières, les banquiers, les marchands, les individus qui font un commerce quelconque, se conduisent dans les affaires, non d'après les règles d'une attitude morale absolue, mais d'après celle d'une probabilité suffisante. "46 On est loin de la position traditionnelle qui est celle des régents de la Banque de France mais aussi des dirigeants des autres émetteurs parisiens.
L'aide non sélective au commerce Une banque unique doit aussi avoir pour principe de faire bénéficier l'ensemble du commerce des crédits qu'elle accorde par ses opérations d'escompte. Ses aides ne doivent pas être octroyées à une catégorie spécifique de commerçants. C'est évidemment le Comptoir commercial qui est ici visé puisque ses directeurs avaient clairement annoncé leur intention de centrer leurs activités sur une branche particulière du commerce. Ils s'étaient donnés pour but d'aider les petits commerçants et négociants qui ne pouvaient pas avoir accès à l'escompte de la Banque de France ou de la Caisse d'escompte du commercé7 . Leur manque de notoriété, l'impossibilité d'acquérir facilement la troisième signature exigée, leurs fonds limités qui leur interdisaient de devenir actionnaires de la Banque avaient contribué à la constitution d'un établissement destiné à satisfaire leurs propres besoins. L'argumentation des représentants de la Banque de France peut toutefois être retournée contre eux. Il est en effet difficile d'affirmer que leur société sert l'intérêt de tout le commerce. Dès l'instant où elle fixe des règles de fonctionnement qui excluent de fait une partie des prétendants potentiels à l'escompte, elle n'a plus de vocation à une distribution universelle du crédit. Le Comptoir commercial est au contraire beaucoup plus ouvert à une diffusion élargie de l'escompte. Car s'il admet que ses aides visent la catégorie des commerçants les 45. Thornton, op. cit., p. 56. 46. Ibid., p. 134.
47.
Cf. supra, p. 68-69. 143
La remise en question de la liberté d'émission plus défavorisés, ceux qui ont une notoriété plus établie peuvent néanmoins obtenir de lui des crédits, alors que l'inverse n'est pas vrai: un petit commerçant.a peu de chances de voir ses effets admis à l'escompte auprès de la Banque de France. La régence est apparemment consciente de l'objection qui pourrait lui être faite. Elle l'aborde dans un autre point de l'exposé. "Plusieurs personnes se persuadent qu'une seule banque à Paris, que la Banque de france si elle étoit la
seule Banque permise dans l'enceinte de la capitale ne seroit point aussi directement utile au Commerce et à la circulation des denrées Commerciales que le peuvent être des banques particulières telles que la caisse du Commerce et le Comptoir Commercial. "48 Les dirigeants de la Banque se refusent à admettre cette possibilité. Ils esquivent la question en établissant un parallèle avec la Banque d'Angleterre. Celle-ci escompte pour un montant représentant 2,5 fois celui qu'atteint la Banque de France. Mais la jeunesse de l'établissement français par rapport à la Banque d'Angleterre, le montant du crédit distribué alors qu'il n'a encore réuni effectivement que les deux tiers de son capital, laissent espérer un potentiel de développement considérable. Il sera donc tout à fait apte à satisfaire l'ensemble des besoins du commerce. Quant aux reproches qui lui ont été faits d'être plus au service des banquiers qu'au service du commerce, la régence ne les trouve pas fondés. Les banquiers sont les agents du commerce. Leurs affaires sont basées sur les aides qu'ils accordent aux commerçants. Par conséquent, si l'émetteur escompte au profit des banquiers, c'est une aide indirecte qui est accordée au commerce. Le raisonnement élude le fait que les banquiers, en jouant un rôle d'intermédiaire, opèrent un prélèvement qui renchérit le coût du crédit par rapport à une situation où les commerçants feraient directement escompter leurs effets auprès de la Banque. L'objectif de la régence paraît donc simple. Elle tient à justifier le titre de Banque de France de l'établissement qu'elle dirige. Mais nous avons vu qu'en même temps elle rejette l'implantation en province. C'est beaucoup plus le titre de Banque de Paris qu'elle cherche à conquérir. Elle souhaite devenir la banque unique même si la revendication d'un privilège paraît la contrarier. "Les Régens
et censeurs de la Banque sont bien éloignés de se déclarer partisans des privilèges; mais ils sont tous persuadés qu'en fait d'Etablissements qui créent une espèce de monnaye, il est nécessaire qu'on ne permette pas de concurrence."49. La position est comparable à celle de Smith que les règlements portant atteinte à la libeJ;'té dérangent, mais qui pense que cette liberté doit être mise entre parenthèses dans l'intérêt généraL Si le but de la Banque est bien l'obtention du privilège d'émission à Paris, ou au moins la disparition de son concurrent le plus important qu'est la Caisse 48. Exposé de la disclIssion ... , op. cit. 49. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 d'escompte du commerce, un régent observe "que la Banque de france déclarée
Banque unique dans l'enceinte de la Capitale écarteroit l'Espoir d'Elever en france une Banque territoriale"50. Ce serait empêcher la mise en place d'une formule souhaitée par les propriétaires de biens fonciers. Les régents supportent mal l'idée qu'un tel établissement puisse se développer, l'attribuant à l'inadvertance de ses dirigeants ou à une mauvaise appréciation par la population de la réalité de cette institution. La réglementation en vigueur sur la transmission des propriétés leur semble en outre inadaptée pour favoriser le développement du crédit territorial. Il est vrai que dans le cas où la Banque territoriale devrait liquider ses avoirs, la vente d'un immeuble est plus difficile que le remboursement d'un effet de commerce. Les régents refusent toutefois de s'arrêter sur le cas d'un établissement dont les techniques de crédit cadrent mal avec leurs propres méthodes. Le long plaidoyer des dirigeants de la Banque de France en faveur de l'unicité d'émission à Paris bouleverse donc les idées en matière de distribution du crédit de circulation de monnaie fiduciaire. Alors que le Directoire et les premières années du Consulat avaient permis à la France de s'installer dans des habitudes de liberté d'émission, les régents de la Banque de France apportent la première remise en question du laisser-faire en matière de monnaie fiduciaire. Elle provoque bien entendu la réaction de ceux qui risquent de faire les frais de l'opération.
Il. La réaction de la Caisse d'escompte du commerce aux attaques contre la pluralité des émetteurs Quelques jours après l'intervention de la régence, c'est au conseiller d'Etat Emmanuel Cretet51 que s'adresse Bonaparte pour se faire une opinion sur la question, en lui transmettant les revendications de la Banque. Pour être brève, sa lettre du 23 germinal An X (13 avril 1803) n'en est pas moins révélatrice des projets que nourrit alors le Premier Consul envers la Banque. "Je désirerais que vous me fissiez connaître ce qu'il y aurait à faire pour achever l'établissement de
notre banque qui n'est qu'ébauché, en profitant de la session du Corps législatif actuel pour la faire constituer banque nationale et la mettre à même de nous rendre les mêmes services que rend la banque de Londres. A cette effet, vous
50. Ibid. 51. Elu député au Conseil des Anciens par le département de la Côte-d'Or, Cretet était fréquemment intervenu sur les questions de finances et d'économie politique, mais aussi sur l'organisation du système décimal. Il avait même fini par présider cette assemblée. Partisan du coup d'Etat du 18 brumaire, il avait été nommé le 4 nivôse An VIII (25 décembre 1799) à la fois membre du Sénat et conseiller d·Etat. Après avoir assuré la direction des Ponts-etChaussées, il était nommé gouverneur de la Banque de France le 25 avril 1806 puis ministre de l'Intérieur l'année suivante.
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La remise en question de la liberté d'émission trouverez ci-joint un exposé qui m'a été remis par un agent de la banque. Tout ceci doit être pour vous seul. "52 Le ton possessif utilisé par Bonaparte laisse entendre qu'il considère comme sien un établissement pourtant constitué par des personnes privées et en principe indépendant de l'Etat. Il laisse déjà présager les mesures qui trouveront leur aboutissement en 180653. Il affirme clairement sa volonté d'en faire une banque nationale5 4 . La Banque telle qu'elle existe ne doit pas être considérée comme une oeuvre achevée55 . Elle n'est qu'une étape vers l'institut d'émission à vocation nationale qui doit passer sous le contrôle du chef de l'Etat. Bonaparte est toutefois conscient des remous que ses décisions provoqueront, ce qui explique la recommandation de discrétion qu'il adresse à Cretet. Cette volonté de discrétion a toute sa raison d'être si l'on en juge par les réactions des dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial lorsqu'ils apprennent le risque auquel leurs établissements se trouvent exposés. La question du passage à une banque unique se ramène essentiellement, dans l'année qui précède la mise en place effective de l'unité d'émission, à des débats sur l'opportunité et la possibilité d'intégrer à la Banque de France la Caisse d'escompte du commerce, qui est de loin son principal concurrent, et dans une moindre mesure le Comptoir commercial. Les autres émetteurs ne paraissent pas participer pleinement aux remous qui agitent le monde des affaires au cours de ces événements. Ils semblent ignorés par le pouvoif56 comme par la Banque de France, vraisemblablement du fait de la faiblesse de leur émission. La nature des billets qu'ils émettent les incite aussi sans doute à penser qu'ils sont suffisamment 52. Correspondance de Napoléon 1er, Paris; Impr. Impériale, 1861, t. 7, p. 435. 53. La loi du 22 avril 1806 consacre la mainmise de l'Etat sur la Banque puisque celle-ci sera désormais dirigée par un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés par le chef de l'Etat. 54. Charles Rist attribue la paternité de l'expression "banque nationale" à Thornton. (c. Rist, Histoire des doctrines relatives à la monnaie depuis John Law jusqu'à nos jours, Paris, Sirey, 1951, p. 424.) S'il est vrai que Thornton l'utilise à plusieurs reprises dans sa présentation de la Banque d'Angleterre analysée comme une banque centrale d'émission, elle n'en est pas moins utilisée avant la parution de l'ouvrage de 1802. On la trouve notamment sous la plume des régents de la Banque de France et elle est reprise par Bonaparte. Elle apparaît même dans le titre d'écrits rédigés avant la fondation de la Banque de France, bien que s'appliquant à un système différent. (Ollivault, Plan de Banque Ilationale ... , op. cit. ; Durand, Précis pour une Banque nationale à Paris, op. cit.; Pointeau, Projet de banque nationale... , op. cit.). Ferrières l'utilisait déjà lors des débuts de la Révolution pour la Banque territoriale (Plan d'un nouveau genre de banque nationale et territoriale ... , op. cit.). Mengin l'avait aussi reprise. Et surtout, en novembre 1789, les débats à l'Assemblée portaient sur le projet de Necker de transformer la Caisse d'escompte en Banque nationale, débats dans lesquels intervinrent notamment Dupont de Nemours et Mirabeau. 55. Bonaparte avait déjà fait savoir à Perregaux, par une lettre du.21 vendémiaire An X (13 octobre 1801), qu'il trouvait la Banque trop circonspecte et il appelait une plus grande émission de billets. (Correspondance de Napoléon 1er, op. cit., p. 288.) 56. C'est ainsi que dans· ses réflexions sur la pluralité des émetteurs, Bonaparte fait seulement référence à la Caisse d'escompte du commerce et au Comptoir commercial. Cf infra, p. 198-199.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 marginaux pour ne pas être concernés par une opération visant à constituer une banque unique5 7. Nous verrons que les dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce ne sont pas loin d'adopter ce type de stratégie. Le 8 floréal An X (28 avril 1802), les dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce, apparemment informés de l'ambition de la Banque de France, sont reçus par le Conseil général de la régence qui accorde ensuite une audience aux administrateurs du Comptoir commercial. Nous n'avons pas d'information sur le contenu des discussions qui ont alors pu être tenues. Il est en revanche possible de mettre à jour la position de ces deux établissements et les arguments avancés pour la défendre. Les raisons qui avaient justifié leur création peuvent bien sûr être avancées pour tenter de défendre leur survie. Mais, surtout, les divers courriers et rapport envoyés au ministre du Trésor public et au Premier Consul permettent d'en faire la synthèse. Le 20 floréal An X (10 mai 1802), le ministre du Trésor public, Barbé-Marbois, qui collecte des renseignements sur les diverses banques d'émission en vue d'établir un rapport pour Bonaparte, demande aux directeurs de la Caisse d'escompte du commerce de lui faire parvenir les règles de fonctionnement de leur établissement. En se soumettant à cette requête, les administrateurs de la Caisse tentent de réfuter le fait que les papiers qu'elle émet puissent être assimilés à des billets de banque. "Vous observerez que c'est une commandite qui ne prend aucun
engagement collectif, qui n'émet point de billets de circulation, mais qui seulement employe les fonds et les billets individuels que lui fournit chacun des actionnaires. "58 L'association est présentée comme un simple intermédiaire pour des associés qui se font réciproquement crédit. Son siège est le lieu où le remboursement de ces crédits peut être concrétisé par la conversion des billets en métal. Le schéma est toutefois abusivement simplificateur puisque, si le billet représente bien un engagement de l'associé qui l'a émis à effectuer un apport de fonds sur demande, c'est néanmoins la Caisse qui le met en circulation à l'occasion d'une opération d'escompte qu'elle réalise. Les membres de la Caisse d'escompte du commerce sont certainement conscients qu'il leur sera difficile de faire admettre que leur papier n'est pas un billet de banque, alors que c'est surtout l'existence de ce papier qui a conduit les régents à réclamer l'unité d'émission. Il leur faut montrer que la réunion de leur établissement à la Banque de France n'est pas nécessairement utile à la Banque et surtout qu'elle risque de nuire au commerce.
57. C'était même l'opinion de Mollien qui s'inquiétait en mars 1803 de voir la Factorerie du commerce incluse dans le projet. La Factorerie continuera d'ailleurs d'émettre même après que l'unité a été légalement instituée. Cf. infra, p. 274-275.
58. Les Directeurs de la Caisse d'Escompte du Commerce au Citoyen Ministre du Trésor public. Lettre du 20 floréal An X (10 mai 1802). Arch. nat., AF/IV /1070. La copie de cette lettre figure en pièce justificative n° 2 du rapport de Barbé-Marbois.
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La remise en question de la liberté d'émission
Critique de la banque unique La question de la troisième signature Les dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce ont un premier argument à faire valoir contre la banque unique. La réunion de la Caisse à la Banque leur paraît nécessiter un rapprochement des règles de fonctionnement de la Banque avec celles de la Caisse pour ce qui est de l'admission des effets à l'escompte. La Banque axe en effet ses opérations sur un nombre limité de clients appartenant au monde de la banque qui présentent à l'escompte des effets revêtus de trois signatures. La Caisse a au contraire habitué les commerçants à fournir des effets ne portant que les deux signatures des personnes engagées dans la transaction qui a donné lieu à leur constitution. Elle n'exige pas de troisième signature. Elle pense détenir "un moyen beaucoup plus certain que la troisième signature"59. Une clause de l'acte d'association prévoit en effet que chaque action "est une garantie des
opérations de la Caisse envers les tiers, et sert de nantissement à la Caisse même, pour tous les effets escomptés à l'actionnaire''60. Dans la mesure où seuls les actionnaires bénéficient du droit à l'escompte, si un effet accepté par la Caisse revient impayé, celle-ci se réserve la possibilité d'exiger de l'actionnaire la conversion en espèces des billets qu'il a fournis. En acquérant ses actions, l'associé a en effet pris l'engagement d'en livrer à la Caisse le montant en monnaie. L'acquittement de la moitié de ce paiement en billets de l'actionnaire tient seulement au fait que la Caisse daigne lui faire crédit. Mais si un effet présenté à l'escompte par l'émetteur du billet est impayé à l'échéance, la Caisse peut réclamer le paiement du billet en espèces. La technique, contrairement aux déclarations des administrateurs, ne paraît pas aussi sûre que la garantie apportée par une signature supplémentaire. Le recours contre l'actionnaire est en effet présenté comme une garantie. Or cet actionnaire, en endossant l'effet qu'il présente à l'escompte, y a apposé sa signature. La Caisse a donc de toute façon la possibilité de se retourner contre lui en cas de défaut de paiement à l'échéance de l'effet escompté. Et si cet actionnaire est dans l'incapacité de rembourser l'effet en tant qu'endosseur, on voit mal comment il pourrait en fournir la valeur en espèces métalliques en tant qu'actionnaire. La technique même qui serait utilisée dans ce cas paraît ambiguë. En toute logique, il faudrait que la Caisse, qui exige des fonds de l'actionnaire, lui présente le billet que celui-ci a émis, puisque c'est sa reconnaissance de dette. Mais en escomptant les effets de commerce, la Caisse a mis ce billet en circulation. Elle ne le détient donc plus pour le présenter au remboursement de l'actionnaire. Si l'on simplifie le raisonnement en supposant que la Caisse n'ait qu'un seul 59. Lettre au ministre du Trésor public. Arch. nat., AF IIV /1070.
60. Rapport des commissaires ... , op. cit., p. 12.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 actionnaire, elle reçoit des billets de celui-ci lorsqu'il fait l'acquisition de ses actions et elle les met en circulation en les lui livrant lorsqu'il présente des effets à l'escompte. Si à l'échéance elle ne peut pas obtenir le paiement des effets escomptés, elle n'est plus en état de présenter les billets à l'actionnaire pour remboursement puisqu'elle les lui a déjà cédés. La Caisse peut donc seulement annuler la valeur des actions qu'elle a fournies à l'actionnaire. La démarche paraît peu satisfaisante au regard de la possibilité de s'adresser à un troisième signataire pour lui demander de régler l'effet. Les problèmes posés à la Banque de France et au commerce Le fait que la Caisse d'escompte du commerce n'exige que deux signatures justifie en lui-même son existence, puisque cette facilité dispense les commerçants de recourir aux services d'un banquier. D'ailleurs, même si les statuts de la banque unique lui imposaient d'accepter le papier ne comportant que deux signatures, les commerçants se trouveraient en concurrence avec les banquiers qui chercheraient ainsi à faire escompter des effets. La renommée des banquiers, le volume considérable des effets qu'ils présenteraient à l'escompte, ne pourraient que conduire à les privilégier au détriment des commerçants au moment du choix des effets à escompter. "Si une Banque reçoit indistinctement tous les Papiers présentés elle n'admettra à l'Escompte que le mieux famé. Elle connaîtra tous les
papiers de Banque, elle ne peut connaitre dans la Classe du Commerce que les premiers de chaque classe. "61 Le papier émis par un commerçant et contresigné par un autre commerçant risque donc d'être systématiquement écarté. Cette réaction e~t d'ailleurs logique puisque le papier retenu pour l'escompte sera celui qui présente le plus de garanties. Le papier à deux signatures proposé par des commerçants ne pourra donc pas rivaliser avec un papier à trois signatures présenté par des banquiers. Nous avons vu que des arguments de ce genre avaient été avancés pour justifier la création de la Caisse d'escompte du commerce lorsque la Caisse des comptes courants était le seul émetteur62. Ce rejet ne résulte bien sûr pas d'une volonté de nuire au commerce, mais de l'ignorance de la banque quant à la solidité des différents effets émis par les commerçants. Le maintien de la Caisse s'en trouve légitimé. "On voit que si, considérées en masses, deux signatures sont insuffisantes, elles deviennent excellentes quant elles ont été choisies par douze administrateurs pris dans le commerce et garanties par un dépôt de 5 000 f sur 12. ou 15. mille francs. "63 La continuation de l'activité de la Caisse, qui avoue avoir escompté pour 150 millions de francs au commerce de Paris, paraît justifiée. Le commerce ne peut donc échapper au recours au crédit
61. Observatio/1s rapides slIr le Projet de loi discllté ail CO/1seil d'Etat, pOlir la formation d'Ilne Banqlle IIniqlle. Arch. nat., AF/IV /1070. 62. Cf. sllpra, p. 58-60. 63. Observations rapides slIr le Projet ... , op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission coûteux des banquiers "qu'en ayant une Caisse qui admette son papier, une administration particuliere qui l'apprécie"64. La banque unique serait donc une erreur économique puisqu'elle priverait le commerce des ressources qu'il trouve auprès de la Caisse. Elle pourrait alors conduite à des tensions sociales. "Dès lors les plaintes du commerce se
multiplieront et se soutiendront avec d'autant plus d'aigreur, qu'il éprouvera tout à la fois gêne, et mortification, il criera à l'injustice, il dira qu'on l'a sacrifié aux
vües ambitieuses des banquiers qui de tout tems ont voulu écraser le commerce, et fonder leur fortune, sur ses débris. "65 Les dirigeants de la Caisse estiment que l'exemple de l'ancienne Caisse d'escompte renforce leurs positions. Fondée pour subvenir aux besoins du commerce, elle aurait fini par passer sous le contrôle des banquiers et les commerçants n'auraient pas eu l'occasion de bénéficier de tous les secours qu'ils pouvaient en attendre. En devenant banque unique, la Banque de France encourrait les critiques et plaintes des commerçants qu'elle léserait immanquablement. Il s'ensuivrait une opposition avec "une immensité de commercans de tous genres de toutes professions, avec lesquels la banque a peu ou point de rélations"66. Par conséquent, si elle devenait le seul émetteur, la Banque se mettrait à dos la masse des commerçants avec lesquels elle n'est pas pour l'instant en relation, puisque ses escomptes sont réservés à l'élite des banquiers et gros commerçants. Dans la situation actuelle, le monde du commerce n'est pas en rapport avec la Banque. En cas de privilège d'émission, il en serait de même puisque les commerçants auraient difficilement accès à l'escompte. Le privilège ne permettrait pas à la Banque de gagner une clientèle supplémentaire. "Il y a donc inutilité pour la
banque de france de demander la réunion de la Caisse d'escompte du Commerce qui ne Lui présente pas d'avantages et au contraire beaucoup de contrariétés."67 Les remarques paraissent en partie fondées. Ce qui avait permis le succès de la Caisse d'escompte du commerce, c'est le fait que les commerçants y trouvaient facilement un crédit bon marché alors que l'accès à la Caisse des comptes courants puis à la Banque de France leur était largement fermé. L'instauration d'une banque unique signifierait la disparition de la Caisse et donc la suppression d'un crédit accessible. Les dirigeants de la Caisse n'ont donc pas tort d'affirmer qu'il faut maintenir la possibilité, pour le commerce, d'un recours au crédit que l'établissement est à même de garantir. Il est en revanche moins évident que la situation de banque unique ne soit pas profitable à la Banque de France. Le seul fait que celle-ci réclame la disparition de la Caisse est une preuve qu'elle y trouve son avaÎltage. Elle ne verra peut-être 64. Ibid. 65. Lettre au ministre du Trésor public, op. cit. 66. Ibid. 67. Ibid.
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,
Le billet de banque en France de 1796 à 1803 pas s'élargir sa clientèle, mais elle éliminera un concurrent dont l'activité concourt à la baisse du taux d'intérêt. La position de la Banque au regard du taux d'intérêt est néanmoins discutable. Officiellement, elle prétend rechercher l'abaissement du coût du crédit et se fait fort d'y parvenir. Mais en tant qu'institution privée, elle doit veiller à la réalisation d'un bénéfice permettant la distribution d'un dividende aux actionnaires, bénéf~ce qui sera d'autant plus important que le taux pratiqué à l'escompte sera élevé sans entraîner de réduction du volume des effets escomptés. Or si l'on tient compte du fait que les actionnaires ont recours à l'escompte, ils n'ont pas forcément avantage à ce que ce taux s'élève, puisqu'il renchérit le coût du crédit qu'ils obtiennent. C'est un arbitrage que doit effectuer la Banque, en veillant à ce que le taux exigé à l'escompte soit suffisamment rémunérateur pour que la Banque reste une entreprise rentable, sans être trop élevé pour que le crédit qu'elle consent soit attractif. En ce sens, la présence de la Caisse peut être gênante pour les dirigeants de la Banque. Le fait qu'elle ait pu réduire son taux d'escompte à 6 % par an, taux pratiqué par la Banque, et qu'elle envisage de l'abaisser à 5 % en fait une rivale de poids puisque son crédit devient particulièrement attrayant. On peut aussi penser qu'elle gêne les banquiers qui font escompter leurs effets à la Banque, puisqu'en procurant un crédit avantageux aux commerçants, elles les dispense de recourir à leurs services: La suppression de la hberté d'émission porterait donc préjudice au commerce et les responsables de la Caisse tentent de montrer qu'elle nuirait aussi à la Banque de France. Face à l'offensive des régents et aux désirs du pouvoir politique, il leur faut proposer des compromis acceptables. Dans un premier temps, la Caisse, qui insiste sur sa différence de nature avec la Banque de France, cherche à préserver son existence en effectuant des propositions visant à améliorer le système existant. Elle adopte ensuite une stratégie beaucoup plus offensive en prônant la généralisation de son système d'escompte comme condition au développement de la Banque de France.
Propositions pour l'amélioration du système en vigueur Les dirigeants de la Caisse ramènent la question de la suppression de la liberté d'émission à un choix à opérer entre Banque de France et Caisse d'escompte du commerce. Ils ont tendance à ignorer superbement le fait que d'autres établissements risquent eux aussi de disparaîtré8. Leur argumentation consiste à établir un parallèle entre la Banque et la Caisse afin de montrer que les deux 68. Un mémoire rédigé le 24 floréal An X (14 mai 1802) par les actionnaires de la Caisse débute ainsi. "Il existe ii Paris, dellx établissemens, l'lin SOIiS la dénomination de Banque de France, et l'alltre SOIiS celle de Caisse d'Escompte du commerce:' (Observations des actionnaires ..., op. cit., p. 1.) Le fait d'être le numéro deux dans l"ordre d'importance des banques d'émission leur confère peut-être le droit de ne pas tenir compte des autres qui ont une activité beaucoup plus réduite. C'est certainement aussi une stratégie qui, en plaçant la Caisse sur un pied d'égalité avec la Banque, rend sa suppression plus difficile à envisager.
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La remise en question de la liberté d'émission établissements sont de nature beaucoup trop différente pour pouvoir fusionner, et comme la simple suppression de la Caisse n'est pas envisageable puisqu'elle est indispensable au commerce, il faut nécessairement conserver les deux établissements en améliorant le système en place. Deux instituts d'émission fondamentalement différents
.. Réunir des fonds par action, prendre à l'escompte, donner en paiement du papier de caisse, le rembourser en écus au porteur et à présentation ; toutes ces opérations sont communes aux deux caisses. "69 La Banque de France ne semble rien apporter de nouveau à des opérations qui étaient auparavant réalisées par la Caisse. Ce sont là les règles qui doivent organiser le fonctionnement d'une banque d'émission. Mais derrière cette analyse, les administrateurs de la Caisse décèlent des divergences fondamentales. Les hommes d'affaires peuvent être divisés en deux classes distinctes. Une première classe est constituée par les commerçants alors que les banquiers forment la seconde. De par leurs opérations respectives, la première classe se trouve structurellement emprunteuse et la seconde toujours prêteuse. Le mot commerce, utilisé par les administrateurs de la Caisse, est à prendre dans un sens large puisqu'il englobe l'activité des manufacturiers, des marchands et des négociants, sans que la distinction puisse toujours être clairement établie. n s'agit en fait des différentes entreprises, pour employer le terme que l'on utiliserait de nos jours pour les désigner, souvent individuelles. Ces entreprises, qu'elles soient industrielles ou commerciales, ont structurellement besoin de fonds. Producteurs et vendeurs doivent se procurer des ressources qui peuvent être obtenues en contrepartie des effets de commerce reçus en paiement. Les banquiers sont au contraire prêteurs. Ils vivent grâce aux rémunérations versées par ceux qui ont recours à leurs services: les commerçants, qui constituent la première classe. Il y a donc une divergence d'intérêts fondamentale entre les deux classes. La première est directement bénéficiaire de toute réduction du taux d'intérêt puisqu'elle trouve un moyen de financement à un coût plus réduit. A l'inverse, la seconde vise la hausse du taux d'intérêt qui lui permet d'accroître ses gains 70 . Il y a donc un antagonisme entre ces deux classes dont les intérêts
69. Observations des actionnaires ... , op. cit., p. 2. 70. Dans un mémoire conservé aux Archives nationales dans lequel la Caisse développe cet argument (Observations des actionnaires ... , op. cit.), des notes manuscrites ont été rajoutées, sans doute par Barbé-Marbois. Elles réfutent. J'idée selon laquelle le banquier recherche la hausse du taux. L'auteur établit une distinction entre le banquier et le capitaliste. Le capitaliste peut rechercher la hausse du taux d'intérêt mais le banquier n'y trouve pas nécessairement un avantage. Il peut avoir besoin de liquider son portefeuille et doit donc chercher à faire escompter ses titres au taux le plus bas possible. Ce que font semblant ignorer les administrateurs de la Caisse, tout comme J'auteur de cette remarque, c'est que ce n'est pas le niveau absolu du taux d'intérêt qui détermine la marge bénéficiaire du banquier, mais la
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 divergent. La baisse des taux, souhaitée par la première classe, doit contribuer au développement de l'activité économique en permettant au commerce d'emprunter facilement. Mais de par l'existence des banquiers, cet objectif ne peut être atteint. Un établissement comme la Caisse des comptes courants tend à favoriser les banquiers pour les raisons que nous avons évoquées. Dès lors, le commerçant qui ne peut obtenir d'aide de la part de l'émetteur est dans l'obligation de se tourner vers le banquier pour obtenir les fonds que requiert le développement de son entreprise. Non seulement la banque d'émission ne contribue pas à l'extension du commerce, mais elle renforce la position des banquiers qui ont la possibilité de faire escompter à un taux réduit des effets qu'ils ont acceptés contre une rémunération beaucoup plus forte. La transformation de la Caisse des comptes courants en Banque de France n'a pas mis fin à ce que les dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce assimilent à une exploitation du Commerce par la Banque71 • "Cet établissement, en adoptant
les mêmes bases que la Caisse des Comptes Courans, a reproduit la ligne de démarcation entre le commerce et la Banque."72 La Banque de France n'est donc pas plus utile pour le commerce que ne l'était la Caisse des comptes courants, ce qui justifie l'existence et le maintien de la Caisse d'escompte du commerce face à la Banque. Les administrateurs de la Caisse n'hésitent pas à noter que "si le commerce a pu se dégager de la dépendance où le tenait la Banque, et atteindre la baisse des intérêts, c'est à l'érection de la Caisse d'Escompte qu'il doit cet
avan tage"73. La différence entre les deux établissements ne réside pas uniquement dans la technique utilisée pour mettre les billets en circulation ni dans la clientèle. Les dirigeants de la Caisse estiment aussi qu'il existe une différence d'échelle. En prenant des effets publics, en assurant des services pour le compte de l'Etat, en travaillant au bénéfice de banquiers dont les activités s'étendent sur tout le territoire, la Banque de France acquiert une dimension nationale que lui reconnaît la Caisse. Mais c'est pour mieux faire ressortir la nécessité de sa propre existence à Paris. La Caisse a en effet une ambition beaucoup plus limitée. Elle se borne à
différence entre les taux créditeurs auxquels ils rémunère les fonds qu'il reçoit, et les taux qu'il exige pour les crédits qu'il accorde, lorsqu'il n'y a pas de création monétaire. 71. A l'encontre de la position des responsables de la Caisse d'escompte du commerce, on pourrait objecter que si l'existence de la banque d'émission favorise les banquiers, elle ne nuit pas pour autant au commerce. La suppression d'une telle banque, qu'ils ne réclament d'ailleurs pas, n'entraînerait pas d'amélioration dans le coût du crédit consenti aux commerçants. Les banquiers devraient au contraire se refinancer à un coût plus élevé, d'où une élévation possible du taux. Le fait que les banquiers aient recours aux services de la banque d'émission peut en revanche leur permettre de répercuter l'allégement de leurs propres coûts sur les taux demandés à leur clientèle. 72. Observations des actionnaires ... , op. cit., p. 8. 73. Ibid., p. 10.
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La remise en question de la liberté d'émission accorder des secours certes quantitativement réduits et dispersés sur un nombre important de bénéficiaires, mais ces secours reposent sur des techniques sûres. De par le procédé adopté pour la distribution du crédit, le nombre de billets émis reste dans un rapport fixe avec le stock de numéraire, et tout accroissement des crédits accordés nécessite une augmentation du capital. La Caisse a donc vocation à distribuer des crédits au cercle restreint des commerçants parisiens alors que la Banque a un destin beaucoup plus étendu. La spécificité de chaque établissement est affirmée. De même qu'il existe des opérations commerciales et des opérations bancaires, il existe un établissement dont la vocation est de secourir le commerce et un autre dont le but est de servir les intérêts du monde bancaire. Il reste à montrer que la fusion serait difficile et dommageable au commerce, avant de proposer une solution visant à rendre compatible le maintien de deux émetteurs avec une plus forte confiance dans les billets. Une fusion difficile et dommageable au commerce Aux yeux des dirigeants de la Caisse, la différence entre les deux émetteurs est trop forte pour qu'une simple fusion soit envisageable. Il serait difficile de concevoir de nouvelles règles de fonctionnement qui puissent permettre à l'établissement issu de la fusion de synthétiser les activités des deux émetteurs. Il faudrait donc qu'un établissement adopte les règles de l'autre. Or cette possibilité est remise en question. La Banque ne peut raisonnablement pas ramener ses activités à de simples prêts au commerce74 de Paris. Et si on élimine les activités de la Caisse, on met en danger ce même commerce. Il n'est donc pas souhaitable de prévoir "un plan de réunion, si cette réunion, loin d'être utile, est aussi désavantageuse au public qu'aux deux établissements eux-mêmes"75. La Caisse va même jusqu'à tenter de démontrer qu'en cas d'établissement unique, la somme des billets fournis au commerce serait plus faible qu'avant la réunion. Les crédits accordés par la Banque s'élèvent en moyenne à 30 millions de francs. Avec 6 millions d'écus, la Caisse a pu mettre en circulation pour 20 millions de billets. Par conséquent, la réunion des deux établissements permettrait une émission correspondant à la somme des émissions de chacun, soit 50 millions. Or, sur les 36 millions en monnaie métallique qui permettent cette émission, seulement 6 sont apportés par la Caisse. Elle ne pourra donc participer à l'émission que pour un sixième du total, soit approximativement 8 millions. Les aides au commerce parisien seraient donc considérablement réduites puisqu'elles passeraient de 20 à 8 millions de francs. Même si elle était techniquement possible, la réunion des deux organismes fournirait au commerce des billets pour un montant insuffisant.
74. Le mot est à prendre dans sa définition large. Cf supra, p. 152.
75. Observations des actionnaires ... , op. cit., p. 12.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Le raisonnement est simpliste et pourrait être facilement réfuté. Même si l'on accepte l'idée que les aides de la Banque ne vont aucunement au commerce, ce qui est en partie contestable puisque manufacturiers et négociants ont recours à ses services, le commerce parisien ne serait pas nécessairement lésé. La banque issue de la fusion peut très bien émettre des billets dans une proportion plus importante par rapport au métal qu'elle détient. Les 36 millions en espèces métalliques permettraient une distribution de crédit dépassant largement les 50 millions. Elle serait d'autant plus fondée à le faire que l'augmentation de l'encaisse pourrait l'inciter à adopter une politique plus audacieuse. La démonstration, largement discutable, tend certainement à montrer que la Caisse a adopté une politique de distribution du crédit plus généreuse que la Banque. Son incorporation à la Banque l'obligerait à s'aligner sur les méthodes de celles-ci et à être plus avare de crédit. L'extrait suivant résume assez bien les conclusions qu'en tirent les dirigeants de la Caisse.
"Il ne peut donc être douteux que la réunion des deux établissemens, diminuant la somme destinée à l'escompte du papier des fabriquans, marchands et négocians, n'opérât leur ruine et celle du commerce. Ces deux établissemens, loin de s'unir, doivent demeurer isolés en restant dans la proportion d'étendue qui leur convient. La Caisse d'Escompte bornant sagement ses secours, en raison des besoins de Paris, comme ville de manufacture et d'immenses consommation; La Banque ouvrant les siens aux grands besoins et aux grandes entreprises des banquiers. "76 Plutôt que de porter atteinte à la spécificité de chacun des deux émetteurs, il vaut mieux renforcer leur solidité et élargir le cadre d'utilisation de leurs billets. Une extension souhaitable de l'usage des billets L'administration de la Caisse écarte l'idée de se fondre dans la Banque de France mais considère comme un moindre mal une plus forte coopération avec celle-ci, surtout si elle peut en tirer avantage. Cette coopération est déjà amorcée par le fait que chaque organisme accepte les billets de l'autre. Il suffit de poursuivre dans ce sens. De par leur activité, les clients de la Caisse reçoivent quotidiennement des espèces, et comme ils prennent l'habitude de payer avec des billets, ils finissent par déposer ces espèces à la Caisse. Celle-ci finit donc par recevoir plus de monnaie métallique qu'elle n'est amenée à en distribuer. La Banque a au contraire accepté plusieurs services qui nécessitent l'utilisation du métal 77 . Alors que la 76. Ibid., p. 14.
77. En acceptant d'assurer le service des rentes et pensions en numéraire, pour le compte de l'Etat qui voulait ainsi faire preuve de sa solvabilité, la Banque doit même faire face à d'inquiétantes sorties de métal qui réduisent considérablement son encaisse. Cette obligation
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La remise en question de la liberté d'émission
Caisse tend à attirer les espèces, la Banque est obligée de constater que le numéraire est plutôt appelé à quitter ses caisses. D'un autre côté, les deux émetteurs établissent une compensation quotidienne entre les billets qu'ils ont mutuellement acceptés, et règlent le solde en métal. Cette formule les oblige à conserver du métal en réserve pour cette opération. La Caisse propose donc que l'on supprime le règlement du solde en espèces, puisqu'il oblige à mettre de côté de la monnaie métalliqùe qui pourrait être utilisée dans les relations avec le public. Une telle mesure suppose qu'un établissement se retrouve, après compensation, avec des billets émis par l'autre. Il faut donc qu'il puisse utiliser ces billets en les donnant en paiement à sa propre clientèle. La proposition semble tout-à-fait acceptable. Ce que ne précisent toutefois pas les administrateurs de la Caisse dans leurs écrits, mais que révèlent les procèsverbaux du Conseil général de la régence de la Banque de France, c'est que la Caisse a tendance à être assez systématiquement débitrice envers la Banque. Le phénomène est assez logique si l'on se réfère à leur affirmation selon laquelle la Caisse tend à attirer les espèces. Les rentrées d'espèces sont compensées par des sorties de billets, lesquels finissent en partie à la Banque de France qui les accepte en paiement. Ce que ne précisent pas non plus les administrateurs, c'est que la mesure est profitable à la Caisse mais n'est d'aucun intérêt pour la Banque. En effet, si la Banque de France ne présente plus au remboursement les billets émis par la Caisse, celle-ci peut effectivement se contenter d'une moindre réserve métallique. Le raisonnement suppose toutefois que ces billets dont la Banque se défait en les donnant en paiement ne soient pas immédiatement présentés par leurs nouveaux propriétaires aux guichets de la Caisse pour remboursement. La Caisse a donc tout intérêt à ce que la Banque utilise ses billets pour payer ses clients. Non seulement elle se trouver dispensée de l'obligation d'un règlement quotidien en or et en argent, mais en plus la circulation de ses billets s'étend à une nouvelle clientèle. L'opération ne peut qu'affermir le crédit dont ils jouissent. En revanche, pour la Banque de France, ce n'est pas une opération avantageuse. Cela revient à se priver volontairement d'un métal dont elle a le plus grand besoin, pour distribuer des billets qui ne seront pas forcément reçus avec empressement, le tout pour favoriser un concurrent dont elle souhaite la disparition .. Accepter l'offre, ce serait en partie transformer la Banque en succursale de la Caisse. Nous n'avons pas retrouvé de trace écrite de la réaction des régents à cette première proposition, mais on peut supposer qu'elle ne pouvait pas obtenir l'assentiment de la Banque.
de payer des sommes importantes en métal est une source de difficultés pour la Banque. Cf infra, p. 233-237.
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La généralisation du modèle de la Caisse comme condition au développement de la Banque de France Entre la fin de floréal An X (mai 1802) et le début de thermidor (fin juillet), la Caisse semble adopter une position plus offensive. Le 16 thermidor An X (5 juillet 1802), elle annonce son intention d'abaisser son taux d'escompte à 5 % par an et envisage une augmentation de son capital de 50 %78. Non seulement elle défend toujours la nécessité de son existence, mais elle en vient à présenter sa propre extension comme indispensable. Alors que les représentants de la Caisse s'étaient auparavant surtout attachés à démontrer que la disparition de leur établissement nuirait au commerce, ils adoptent une autre stratégie en recherchant quelles pourraient en être les conséquences sur la circulation fiduciaire. Pour être liés, les deux points n'en correspondent pas moins à deux approches de l'émission des billets de banque. La raison d'être de la fondation de la Caisse d'escompte du commerce était le désir d'apporter des crédits grâce à l'escompte des effets de commerce. Cette même raison explique d'ailleurs largement la constitution d'autres établissements. L'usage du billet dans la circulation monétaire n'était pas un objectif en lui-même. C'était une conséquence de la distribution du crédit, voire un moyen de favoriser celle-ci. Le succès de la Caisse et de ses concurrents aboutit certes aux conséquences positives recherchées, à savoir la possibilité pour certaines fractions de la population active d'avoir recours au crédit, et une baisse du taux d'intérêt exigé en contrepartie de ce crédit. Mais elle entraîne aussi ce que l'on pourrait presque appeler un effet secondaire: l'utilisation de plus en plus large du billet dans les paiements. C'est sur cette conséquence de la distribution du crédit par divers établissements que se focalisera l'attention. L'enjeu de la défense de la pluralité des banques d'émission n'est donc plus uniquement la défense du commerce. Il s'agit de montrer que malgré l'existence de plusieurs émetteurs, et même grâce à celle-ci, la circulation des billets peut être assurée avec une large confiance et une bonne sécurité. Les représentants du commerce estiment que les expériences du passé ont produit des catastrophes que l'établissement d'une banque unique risque de renouveler. Il est préférable de développer les pratiques de la Caisse qui ne pourront que profiter à la Banque.
78. Projet remis le 16 Messidor an 10 au Ministre du Trésor public et demeuré sans Exécution. Arch. nat., AF/IV /1070.
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La remise en question de la liberté d'émission
Les risques à éviter La leçon du passé La Caisse admet que la proposition d'une banque unique soit motivée par le désir de "n'avoir qu'une seule banque et qu'un seul et même billet de circulation facile à surveiller, devenant d'un usage universel en france, qui pourroit éviter l'inconvénient du transport continuel des espèces d'un lieu à l'autre"79. Elle rejette l'idée qu'on puisse obtenir un résultat positif en supprimant le système en place. Le fait que l'activité des finances en vienne à s'appuyer sur un seul établissement est considéré comme malsain. Les échecs du système de Law et de la Caisse d'escompte sont immanquablement rappelés pour servir de repoussoir. Dans les deux cas, une création excessive de papier et des liens trop étroits avec l'Etat ont fini par détruire la confiance. Il aurait fallu que les règles de fonctionnement de l'un et l'autre établissement prévoient un mécanisme leur interdisant, à partir d'un seuil déterminé, de continuer à émettre. "Oter à une Caisse ce moyen, c'étoit la mettre dans l'heureuse impuissance d'abuser ni par elle, ni par l'autorité"so. Il semble aller de soi que la Caisse d'escompte du commerce aurait été à l'abri de tels écarts puisque seuls les billets émis par les actionnaires lors du paiement de leurs actions sont mis en circulation. Comme il existe un lien fixe entre le montant des billets en circulation et celui des espèces en caisse, toute nouvelle émission nécessite un apport supplémentaire de métal. Une banque nationale renouvellerait les erreurs du passé Le regard que portent les administrateurs de la Caisse sur les effets de l'obligation d'utiliser dans la circulation des billets émis par une banque unique ne peut être que négatif. On ne doit pas se faire d'illusions sur la réaction de la population à qui on imposerait "des billets de circulation uniformes, émanés d'un établissement de Paris, décoré du titre pompeux de national"Sl. Ce serait remettre en question la confiance dans le gouvernement. Le raisonnement n'est pas contestable. Les assignats ont laissé un tel souvenir que des papiers émis par une institution qu'on peut croire liée à l'Etat ne peuvent qu'être suspects. Mais il suppose deux conditions que les administrateurs ne développent pas clairement. En effet, la défiance envers les billets qu'ils prédisent ne peut exister que si ces billets circulent largement dans le public, c'est-à-dire s'ils dépassent ce que Smith appelait la première branche de circulation, réservée aux transactions entre commerçantsS2 . Si les billets restent utilisés dans la sphère restreinte de la
79. Viies sllr la formation des Caisses. Arch. nat., AF /IV /1070. 80. Ibid. 81. Ibid. 82. Smith, op. cit., p. 322. 158
Le billet de banque en France de 1796 à 1803 clientèle de la Banque de France, l'apparition d'une méfiance envers ses billets lorsqu'elle deviendra le seul émetteur est peu probable. La crainte de tels billets suppose un élargissement de leur diffusion. D'autre part, le fait que l'émetteur soit installé dans la capitale ne peut pas effrayer la clientèle parisienne. Ceux qui risquent d'hésiter à se servir d'un papier émis par un organisme parisien sont surtout les commerçants des villes de province, et bien entendu la plus grande partie de la population si les billets sont utilisés jusque dans les transactions entre simples particuliers. La Caisse envisage donc que la banque unique serait appelée à étendre l'utilisation de ses billets sur tout le territoire et à les mettre dans les mains de la plus grande partie de la population. L'hypothèse est réaliste si l'on considère le privilège d'émission comme un moyen d'assurer une circulation monétaire fondée sur l'utilisation des billets de banque. Mais en réalité elle ne correspond absolument pas à l'objectif de la Banque de France. Celle-ci ne souhaite ni étendre son activité hors de Paris, ni procéder à la mise en circulation de petites coupures. Si les responsables de la Caisse présentent les risques de la diffusion à l'échelle nationale des billets de la Banque de France, ce n'est donc pas parce que cette perspective risque de se concrétiser, mais pour montrer que des billets émis selon la logique de leur propre établissement seraient à même de remplir ce rôle sans danger. Les effets de l'extension du système de la Caisse Une utilisation généralisée des billets Les représentants de la Caisse voient dans l'installation en province de maisons calquées sur leur modèle la possibilité de diffuser du papier en toute sérénité. "Chaque ville renfermera dans son enceinte les signataires et les
débiteurs des billets de circulation; ils y deviendront réellement ce qu'ils doivent être, des billets de confiance. "83 Un groupe de commerçants pourrait donc dans les différentes villes constituer un premier noyau d'utilisateurs de billets. Le système de crédit limité à un nombre réduit de commerçants pourrait alors commencer à faire ses preuves sous les yeux de la population. Ces commerçants effectueraient donc une démonstration qui enclencherait des effets d'entraînement. Des actionnaires supplémentaires viendraient se joindre au groupe initial, comme cela s'est produit à Paris, et deviendraient de nouveaux ambassadeurs de leur Caisse permettant à d'autres de découvrir les avantages d'un crédit accessible et de l'utilisation des billets dans les paiements. Il ne s'agit donc plus d'envisager une quelconque réunion des banques d'émission. La Caisse souhaite au contraire prouver que c'est la diversité qui est garante de réussite. En revanche, les billets émis par les diverses Caisses peuvent être uniformisés. La présence de propositions visant à créer des coupures
83. Viies sllr formation des Caisses, op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission
identiques bien que créées par des organismes différents semble remonter à floréal An X (mai 1802)84. Les administrateurs de la Caisse estimaient alors que leur papier et celui de la Banque de France jouissaient de la confiance du public, argument qu'ils ne se privaient pas d'utiliser pour leur défense. Le billet unique ne s'imposait donc pas, mais ils proposaient que si de nouvelles Caisses s'établissaient, le gouvernement rende les papiers uniformes. La mesure aurait eu l'avantage d'éviter au public de recevoir des coupures trop diverses, et de réduire les tentatives de contrefaçon. Tous les papiers auraient pu avoir une présentation identique, en dehors des caractéristiques indiquant la référence de l'émetteur85 . C'est cette mesure que les dirigeants de la Caisse souhaitent étendre aux diverses Caisses qui pourraient fleurir en province. Peut-on réellement affirmer que les dirigeants de la Caisse ont eu la volonté d'essaimer en province? On pourrait être porté à le croire si l'on se réfère à l'existence d'une Caisse d'escompte du commerce de Troyes aux statuts copiés sur ceux de l'institut parisien et aux écrits faisant allusion à d'autres organismes de ce type86. Mais nous ne sommes pas en mesure de prouver que cette création ait pu relever d'une initiative parisienne. Il est plus probable que la réussite de l'organisme parisien a fini par susciter des tentatives d'imitation dans les milieux commerciaux de province, notamment à Troyes. D'autre part, la possibilité de liens professionnels entre les commerçants de Paris et ceux de Troyes peut expliquer que des commerçants de cette ville se soient organisés sur la recommandation de leurs homologues parisiens, ou même sous leur impulsion. Lecouteulx-Canteleu, en dépit de ses responsabilités à Paris, se préoccupait des affaires de ses compatriotes rouennais87. La maison Le Couteulx et Cie, installée à Rouen, permettait ainsi d'établir un contact entre la Caisse des Comptes Courants et la place de Rouen. Il est donc raisonnable de supposer que de tels liens ont pu aboutir à la tentative de créer une Caisse d'escompte du commerce à Troyes. Nous ne sommes toutefois pas convaincus que la Caisse a sincèrement envisagé une diffusion généralisée de ses billets en province. Deux arguments plaident en ce sens. A ses débuts, la Caisse justifie sa formation par les besoins du commerce parisien. Elle n'a nullement la prétention d'assurer une circulation fiduciaire généralisée. Ensuite, lorsque la Banque de France menace son existence, elle se défend en s'appuyant sur le fait que ses opérations sont bornées à la distribution de crédits au commerce parisien, alors que la Banque de France a une tout autre dimension. On peut donc supposer que la Caisse ne souhaite pas forcément s'étendre en province, contrairement à ses affirmations. Mais en montrant qu'il y 84. Observations des actionnaires ..., op. cit., p. 16. 85. Cette idée d'établissements différents mettant en circulation des billets similaires en dehors des indications relatives à I"identité de I"émetteur rejoint celle que proposait J. Gautier en 1799. Cf. sI/pra, p. 36-37. 86. Cf. sI/pra, p. 100-101. 87. Lecouteulx-Canteleu, Le COl/tel/lx-Cantelel/, à ses compatriotes ..., op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
aurait une possibilité de faire circuler sur tout le territoire des billets du même type, et que ces billets seraient acceptés en toute confiance, elle démontre la supériorité de son papier sur celui d'une banque unique88. Alors qu'une telle banque devrait l'imposer par la contrainte, les Caisses le distribueraient au contraire en réponse à un besoin du public. Là où une banque nationale se verrait obligée de faire circuler ses billets d'une manière presque autoritaire, la Caisse se contenterait de satisfaire un besoin. Le maintien de la Caisse, garant de l'accès du commerce à un crédit bon marché, est donc non seulement compatible avec une circulation de billets fondée sur la confiance, mais il est présenté comme en étant la condition. On ne peut pas pour autant parler d'une volonté hégémonique d'étendre la circulation des billets de la Caisse. Non seulement ses dirigeants n'y songent pas sérieusement eux-mêmes, mais ils continuent à reconnaître une légitimité aux billets de la Banque de France. L'effet de la circulation des billets de la Caisse sur la Banque La multiplication des Caisses n'est pas présentée comme une remise en question de la Banque. C'est même un moyen d'assurer son développement. Les responsables de la Caisse notent que "par l'admission de ces Caisses d'escompte nous n'entendions point que la Banque de france fut supprimée; au contraire, c'est à
l'élever qu'il faudra s'attacher, et on n'y réussira que par la confiance qui Suivra les Caisses"89. L'extension des Caisses est présentée comme une condition au développement de la Banque. Elle habituera en effet les particuliers à recevoir des billets en paiement et à utiliser eux-mêmes ces billets pour leurs propres transactions. L'argumentation paraît contestable car si les billets des Caisses ont déjà investi la circulation monétaire, on voit mal comment la Banque de France pourrait ensuite arriver à développer l'usage des siens. Cela supposerait que le besoin s'en fasse sentir et qu'elle puisse les faire accepter. Curieusement, les défenseurs de la Caisse estiment que la Banque de France est impérativement nécessaire à Paris pour faciliter les opérations de banque. Ils ne lui reconnaissent pas de rôle important à jouer dans les départements alors qu'une Caisse pourrait y subvenir aux besoins du commerce. Cette position semble opposée à celle qu'ils adoptaient au départ, à savoir que les opérations de la Caisse devaient être bornées au commerce de la capitale alors que la Banque devait mener des opérations de dimension nationale. Un tel retournement ne semble pas avoir d'autre but que de montrer l'inutilité de la .Banque pour le commerce du pays après avoir affirmé cette inutilité pour le commerce parisien. 88. Les dirigeants de la Caisse finissent même par en parler avec une certaine suffisance. "Si lin établissement semblable à la Caisse d'escompte n'existait pas, qll'on en présentât la
décollverte, elle serait reçlle comme lin véritable bienfait." (Viies sllr la formation des Caisses, op. cit.) 89. Viies sllr la formatioll des Caisses, op. cil.
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La remise en question de la liberté d'émission Les billets de la Banque de France ne paraissent devoir jouer qu'un rôle secondaire, complétant les billets que la Caisse aura su habilement implanter. "Pour y parvenir, on limitera d'abord aux Caisses le nombre d'actions au dessous des besoins présumés, ce qui les fera d'autant plus rechercher, on les élèvera
ensuite, mais dans une telle mesure que les besoins n'en soient jamais entièrement satisfaits. Alors les billets de la banque de france viendroient utilement remplir les vides et successivement ils se mettront sur la même ligne et pourront jouir de la même confiance. "90 La technique qui serait choisie pour mettre en pratique cette diffusion de billets est apparemment en contradiction avec les précédents discours tenus par les administrateurs de la Caisse. Ils annoncent en premier lieu leur volonté d'opérer une limitation autoritaire de la diffusion de ces billets, alors que cette diffusion avait été auparavant présentée comme le résultat de l'adhésion volontaire et progressive des commerçants. Il y a une opposition entre la décision de restreindre ies émissions et l'affirmation selon laquelle le développement de l'usage des billets résulte de l'intégration au système d'un nombre de plus en plus élevé de commerçants. Il y a d'autre part une seconde opposition entre la prétention de la Caisse à secourir le commerce et l'engagement à laisser les besoins des commerçants en partie insatisfaits. Si c'est là un gage de sécurité évitant une émission trop rapide et trop forte, c'est aussi la preuve que la Caisse est limitée dans les aides qu'elle peut accorder aux producteurs et marchands. On peut aussi s'interroger sur l'utilité qui serait dans ce cas prêtée à la Banque de France. Elle ne semble devoir intervenir qu'à partir du moment où la Caisse trouve ses limites. C'est lorsque une émission supplémentaire de billets de la Caisse risque de porter atteinte à la confiance en celle-ci que la Banque de France joue un rôle reconnu utile. Ce rôle est, de plus, dangereux puisqu'en mettant en circulation de nouveaux papiers, la Banque peut altérer la confiance et elle portera seule la responsabilité d'un échec de la circulation de monnaie fiduciaire puisque c'est son intervention qui aura déréglé le système. L'argumentation qui consistait à démontrer que la Caisse était particulièrement utile au commerce parisien présentait des développements convaincants. Celle qui consiste à affirmer qu'elle peut servir de base au développement des billets sur l'ensemble du territoire paraît moins pertinente. Sans doute est-ce dû au fait que les défenseurs de cette thèse ne sont' pas intimement convaincus de sa solidité. Parmi les mesures proposées pour permettre à la Caisse de développer l'usage de la monnaie fiduciaire, certaines méritent toutefois d'être soulignées. Si la Caisse est hostile à une unité d'émission qui signifierait sa disparition, elle n'est pas opposée à l'unité du billet. Sa proposition d'uniformiser les coupures utilisées par les diverses Caisses départementales s'étend au papier de la Banque de France. Elle demande qu'il n'y ait "pour la banque et pour toutes les caisses de
90. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 france, qu'un seul et même type pour les billets en deux coupures de 1 000 et 500 f et pas audessous pour Paris et quant aux Départements elles seront proportionnées à la nature du commerce"91. C'est enlever un argument aux partisans de la banque unique puisque la multiplicité des coupures peut être évitée sans que l'on impose la disparition des différents émetteurs. La Caisse évoque aussi pour la première fois la nécessité pour la province d'utiliser des coupures d'un montant moins élevé qu'à Paris, et le justifie par le fait que les transactions commerciales portent sur des sommes plus faibles. Cette demande sera prise en considération dans la loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) qui accorde le privilège d'émission sur Paris à la Banque de France. L'article 32 de cette loi prévoit que dans les villes où le gouvernement accordera le privilège à une banque, celle-ci pourra émettre des coupures de 250 francs92 . C'est donc une entente entre la Caisse et la Banque qui est proposée pour élaborer un billet commun dont la complexité devrait décourager les faussaires. Cette entente garantit la survie des deux établissements, avec un maximum d'avantages93 . Mais alors que la Caisse défendait vivement son indépendance à l'égard de la Banque, elle est prête à accepter que le Comptoir commercial se joigne à elle. Ainsi, "Paris qui a aussi son commerce indépendament de sa banque
doit conserver la caisse d'escompte, à laquelle pourront se joindre les actionnaires de l'établissement aussi existant à Paris sous le nom de comptoir commercial, autant que ses actionnaires auront les qualités requises pour y être reçus, ou par suite de tel arrangement que pourroient prendre les directeurs de ces caisses, ainsi que le proposent ceux du comptoir"94. Ce sont les positions du Comptoir commercial qu'il convient donc maintenant d'examiner.
III. La réaction du Comptoir commercial La réaction de Jacquemart et Dou1cet d'Egligny, les dirigeants du Comptoir, présente un triple intérêt. Elle donne un éclairage supplémentaire sur l'enjeu de la 91.
Ibid.
92. Les premiers comptoirs d'escompte mettront aussi des billets de 250 francs en circulation alors que la moindre coupure de la Banque de France sera de 500 francs. 93. Les directeurs de la Caisse résument ainsi l'ensemble des avantages qu'en retirerait chaque établissement, le gouvernement et la population. "Ce plan pOllrroit amener tOIlS les avantages et éloigner ta liS les inconvénients. La variété des billes disparaitroit. Le gouvernement pOllrroit toujours connaître à volonté le montant total des émissions de billets. Le public serait toujours rassuré sur la solidité des caisses puisqu'elles seraient dirigées et maintenlles dans leurs vraies institutions; elles répandraient l'abondance partout où le besoin existe; elles diminueroient insensiblement feroient même cesser tout-à1ait les envois qui se font d'une place à l'autre en espèces qlli, par là seroient rendus à la circlliation au liell d'être comme alljourd'hui en permanence sur les grandes routes. Enfin tOIlS les avantages seraient réllnis, tOIlS les besoins satisfaits et toutes les classes de commerçans contentes et secourues." (Viies sur la formation des Caisses, op. cit.) 94. Viies sur la formation des Caisses, op. cit.
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La remise en question de la liberté d'émission remise en question de la liberté d'émission et présente la position du Comptoir face à cet enjeu. Elle montre ensuite que le Comptoir, tout en défendant la nécessité de son existence à l'aide d'arguments proches de ceux de la Caisse d'escompte du commerce, souhaite s'en démarquer. Les dirigeants présentent enfin un plan de billet unique qui pourrait donner satisfaction aux différentes parties.
La place du Comptoir dans le conflit Le Comptoir commercial voit dans un conflit entre émetteurs la raison de la remise en question de la libre circulation des billets. Il se trouve mêlé à ce conflit sans l'avoir voulu et proclame sa neutralité pour éviter d'en subir les conséquences. La Banque de France souhaite en effet se débarrasser de la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial veut montrer qu'il n'a pas à subir les conséquences d'une opération qui ne doit pas le concerner. L'agressivité de la Banque de France De même que la Caisse ignorait presque complètement les autres concurrents de la Banque de France, le Comptoir laisse de côté les établissements dont les opérations sont plus restreintes que les siennes. "Trois Etablissemens à Paris, fournissent à la banque, au commerce, et aux fabriques, le crédit nécessaire à leurs
opérations. Ces établissemens sont la Banque de France, la Caisse d'Escompte du Commerce, et le Comptoir Commercial."95 Tendant au même but, ces organismes en situation de concurrence ont pu susciter des jalousies. C'est en fait la réussite de la Caisse et l'importance de son activité qui ont indisposé les régents de la Banque de France. Ceux-ci auraient alors réclamé un "règlement prohibitif qui, semblant
n'avoir pour objet que la Caisse d'escompte du commerce, envelopperait, dans la suppression de cette caisse d'autres établissements particuliers d'Escompte"96. C'est donc la volonté des régents d'éliminer un rival dangereux pour les intérêts de la Banque qui a dicté leur exigence d'une unité d'émission. L'explication comporte sans doute une large part de vérité. Réclamer la mise au pas de concurrents sous prétexte d'améliorer la sécurité de la circulation alors que ceux-ci ont su créer un début de circulation fiduciaire satisfaisant n'est peutêtre pas une revendication entièrement légitime. Ballot note que la gestion de ces établissements était par ailleurs très sage et que le public leur accordait une large confiance 97 . Celle-ci était d'autant plus forte que les excès de la Révolution avaient montré les dangers d'une émission confiée à l'Etat. L'indépendance et la diversité des établissements étaient au contraire une garantie de sécurité. Nous avons vu d'autre part que la Banque ne souhaitait pas particulièrement
95. Projet adressé au Premier Consul ..., op. cit., p. 3. 96. Observations adressées au Premier Consul ... , op. cit.
97. Ballot, op. cit., p. 321.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 s'implanter hors de Paris98 . La Banque ne tenait donc pas nécessairement à assurer seule toute la circulation de papier, mais au moins à éliminer la concurrence de la Caisse sur Paris. Léon de Lanzac de Laborie, dans un ouvrage sur l'époque napoléonienne99, reconnaît qu'à "la Banque même, l'adhésion était loin d'être enthousiaste et unanime"IOO. Mais si c'est bien la volonté d'écarter la Caisse d'escompte du commerce qui guide la démarche de la Banque, elle risque de porter atteinte à la liberté du Comptoir, même si ce n'était pas son intention à l'origine. Le Comptoir adopte un profil bas et cherche manifestement à rassurer les régents en démontrant que ses opérations restent quantativement limitées. Les ambitions limitées du Comptoir
Les autres établissements n'ont pas à redouter une éventuelle concurrence du Comptoir. "Incapable de nuire aux grands établissements d'escompte dont il est à
peine connu, il pratique leurs bons procédés sans empiéter sur leurs droits."IOI n peut d'autant moins nuire aux autres émetteurs que ses opérations se font exclusivement avec une clientèle que ni la Banque de France, ni la Caisse d'escompte du commerce ne souhaitent conquérir. Il tient d'ailleurs à relativiser l'importance de la çirculation qu'il met en oeuvre. "Un ou plusieurs particuliers
qui auraient des fonds et un crédit suffisants, pourraient comme maison de commerce et de Banque ordinaire, faire ce que fait le comptoir commercial, c'està-dire, prendre du papier à l'escompte et signer des billets à vue et au porteur que personne ne serait forcé d·admettre."I02 Non seulement les directeurs du Comptoir reconnaissent volontiers que leur billet n'est que toléré dans la circulation, mais ils repoussent l'idée que ce papier puisse faire l'objet d'une quelconque faveur I03. Il y a toutefois là une certaine contradiction dans les discours tenus par Jacquemart et Doulcet d'Egligny. Ils prétendent en effet ne pas bénéficier d'un privilège que de toute façon personne ne songe à leur accorder, et plaident même pour un traitement de faveur à l'égard des billets de la Banque de France. Le texte imprimé des Observations adressées au Premier Consul comporte l'extrait suivant (p. 28-29). "Au surplus, la seule manière dont il semble que l'autorité puisse intervenir, pour assurer aux billets de la banque de France la préférence sur tous les autres, c'est de ne permettre qu'à eux seuls l'accès du trésor public et de toutes 98. Cf. sI/pra, p. 140. 99. L. Lanzac de Laborie, Paris SOIIS Napoléon, t. 6, Le monde des affaires et dll travail, Paris: Plon, 1910,355 p. L'auteur consacre le chapitre IV (p. 133-196) à la Banque de France. Comme Ballot, il regrette toutefois de n'avoir pas eu accès aux archives de la Banque, matière première qu'il reconnaît comme indispensable à la rédaction de toute étude complète sur l'histoire de l'établissement. (Ibid., p. 133.) 100. Ibid., p. 147. Nous verrons que ces réticences de la Banque à l'encontre du privilège d'émission étaient en grande partie dues aux conditions dans lesquelles il était octroyé. 101. Observations adressées ail Premier Consl/l.... op. dt. 102. Ibid. 103. Ils proclament n'avoir "ni les moyens, ni l'ambition d'en généraliser le COl/rs". (Ibid.)
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La remise en question de la liberté d'émission les caisses nationales; personne n'aurait à se plaindre de cet acte de faveur ou de prudence, parce qu'il serait en même tems l'exercice d'un droit certain, absolument étranger à tout système de prohibition et de privilège. Conscient du bien qu'il peut faire sans une telle prérogative, le COMPTOIR COMMERCIAL ne demande pas à la partager." Là où on peut douter de la sincérité des directeurs du Comptoir quant à leur renoncement à toute faveur, c'est que ce texte imprimé, donc destiné à une certaine diffusion, diffère du manuscrit envoyé à Bonaparte. Sur celui-ci, il est simplement fait mention, pour donner la préférence aux billets de la Banque de France, de la possibilité "de lui assurer exclusivement toutes ses négociations et de lui faire faire toute opération de finance" 104. Les lignes où les directeurs du Comptoir demandent à Bonaparte à ce que le Trésor public et les autres caisses n'admettent que les billets de la Banque de France n'existent pas dans la version manuscrite. Une telle requête n'a donc pas été formulée personnellement à Bonaparte, contrairement à ce que pourrait laisser supposer la version imprimée. Le manuscrit, que Bonaparte transmet au troisième consul Lebrun pour lui demander son opinion, ne fait donc pas état d'un renoncement du Comptoir commercial à voir ses billets acceptés par le Trésor public. On peut alors raisonnablement douter de la bonne foi de Jacquemart et Doulcet d'Egligny quant ils présentent leur établissement comme dénué de toute ambition. C'est plutôt une stratégie visant à influencer le Premier Consul et à rassurer les régents qui ne verront pas là un rival digne d'intérêt. La position des directeurs du Comptoir apparaît clairement dans un écrit postérieur puisqu'ils demandent "l'admission
de leurs billets actuels dans toutes les Caisses qui sont sous l'Inspection du Ministre du Trésor public"105, et Barbé-Marbois reconnaît effectivement que c'est une faveur qu'ils ont sollicitée106. Il apparaît donc que, bien qu'ils puissent s'en défendre, les directeurs du Comptoir souhaitent voir leurs billets admis dans les caisses publiques, au même titre que ceux de la Banque de France qui y sont reçus officiellement ou que ceux de la Caisse d'escompte du commerce qui y sont tolérés. Un tel désir est compréhensible puisque la mesure permet d'élargir la zone de circulation des billets et de renforcer la confiance de leurs détenteurs qui auront la possibilité de s'en servir pour les paiements à l'Etat. Il serait cependant abusif de prétendre que le Comptoir commercial a une volonté expansionniste. Vouloir renforcer l'assise de ses billets ne signifie pas souhaiter que ceux-ci supplantent ceux des autres émetteurs 107. Les administrateurs ont eux-mêmes mis des freins aux possibilités 104. Ibid. 105. Ali Citoyen Ministre du Trésor Public. Arch. nat., AF /IV /1070. 106. Rapport aux Consllls de la République... , op. cit. 107. Dès les débuts du Comptoir, les directeurs reconnaissent qu'ils étaient "bien éloignés de censurer tOllt autre plan de société". (Comptoir Commercial. Extrait du registre des Délibérations ... , op. cit., p. 5.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 d'une expansion démesurée du Comptoir. Ils ne tiennent pas à ce qu'un même actionnaire puisse détenir un nombre trop élevé de titres. Cette situation ferait dépendre la solidité d'une quantité importante de billets de la solvabilité d'une même personne. C'est pourquoi le Comptoir "a décidé que tout propriétaire de
quatre actions ne pourrait en augmenter le nombre sans le consentement de l'administration, et que personne ne pourrait posséder plus de trente actions"108. Ainsi, même si un commerçant le désirait, il ne pourrait pas augmenter le nombre de ses billets au-delà du seuil fixé. Cette clause limite bien entendu la capacité d'expansion du Comptoir puisque le montant des billets en circulation est proportionnel à l'apport de fonds des actionnaires. Et comme ces billets sont émis par les actionnaires eux-mêmes, tout plafond au nombre d'actions que les commerçants sont autorisés à acquérir est une limitation de la capacité de l'établissement à accroître la circulation. Celle-ci passe non pas par de nouveaux apports des propriétaires, mais par une augmentation du nombre de ces propriétaires. En pratique, un seul client atteint le plafond des trente actions détenues 109. Il est vrai que la clientèle du comptoir est constituée de petits commerçants et ceux-ci ne sont pas en état de se porter acquéreurs d'un nombre élevé de titres. La mesure, présentée comme une auto-limitation de la capacité de développement du Comptoir, doit donc être relativisée. Cette étroitesse du champ d'activité du Comptoir, plus subie que réellement désirée, permet d'en relativiser l'impact dans la circulation, ce que souhaite sa direction qui cherche à en minimiser le rôle d'émetteur de billets. Mollien reconnaît que "son service d'escompte ne dément pas la modestie de son titre; le mouvement de ses billets reste borné aux petits marchands. Ce comptoir n'est encore qu'un rouage inaperçu dans la machine de la circulation. "11 0
La nécessité de conserver le Comptoir Jacquemart et Doulcet d'Egligny avaient informé de la création du Comptoir et de ses règles de fonctionnement diverses personnalités dont le consul Lebrun, le ministre de l'Intérieur Chaptal, le ministre des Finances Gaudin, le conseiller d'Etat Cretet et les régents de la Banque de France. Tous avaient approuvé et encouragé l'initiative ll1 . Ils font donc valoir ces soutiens qui peuvent être considérés comme autant de reconnaissances de l'utilité de leur établissement pour le petit commerce. La spécificité du Comptoir leur permet ensuite d'écarter toute idée d'intégration à la Caisse d'escompte du commerce.
108. Observations adressées au Premier Consul ..., op. dt. 109. Ali Citoyen Ministre dll Trésor Pllblic, op. dt. 110. Notes sllr les Banques, op. dt. 111. Ali Citoyen Ministre dll Trésor Pllblic, op. dt. Les directeurs mentionnent une série de lettres datées de l'An IX (1801).
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La remise en question de la liberté d' émission La satisfaction des besoins du petit commerce Une partie de l'argumentation des dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce est réutilisée. Dès l'instant où il est possible de démontrer que la Banque de France n'apporte pas à leur clientèle les aides que l'établissement lui procure, le Comptoir et la Caisse sont en mesure de faire valoir leur utilité pour écarter toute velléité de suppression par un acte autoritaire du gouvemement112. C'est une démarche qui légitime l'existence de la Caisse et les directeurs du Comptoir reconnaissent que "la Banque ne donne pas au commerce autant de facilités que la Caisse qui reçoit du papier à deux signatures"113. Ce soutien à la Caisse n'est pas gratuit. Il permet de montrer les insuffisances de la Banque, et comme la Caisse ne couvre pas toutes les catégories de commerçants, le Comptoir a toute sa place. "Si l'on compare maintenant le Comptoir Commercial avec les deux autres Caisses, on reconnoîtra dans celui-ci une utilité plus grande, plus étendue, pour le commerce proprement dit"114. Il a su se mettre à la portée des petits commerçants et producteurs qui n'ont pas accès aux services de la Caisse. Et il favorise leur activité en leur accordant des crédits à 6 % par an, alors qu'ils seraient obligés de verser des intérêts annuels de 18 à 20 %115 ailleurs, voire 2 à 3 % par mois en cas de recours à des maisons de prêts sur gages116 . Outre le fait qu'il réponde aux besoins d'une catégorie de commerçants, le Comptoir prétend avoir un impact déflationniste. Les prêts avantageux qu'il accorde à ceux qui produisent et acquièrent des marchandises destinées à être livrées rapidement à la population ont une influence positive sur leur prix. Le fait qu'un financement à un taux réduit puisse avoir une répercussion positive sur le prix de vente n'est pas contestable. Mais cette pression à la baisse sur les prix ne le distingue par pour autant des deux autres établissements, ce que les directeurs ne relèvent pas. Ils prétendent enfin apporter leur contribution à la réduction du taux d'intérêt de l'argent 117. On peut en effet supposer que les pratiques du Comptoir, comme celles des autres Caisses, obligent les banquiers à abaisser leurs taux. Ce n'est pourtant pas l'avis de Mollien. Il reconnaît qu"'effectivement elles ont escompté à un demi pour cent par mois, lors même que le taux commun de l'intérêt
quadruplait cette proportion. Mais cette modération n'a eu aucune influence sur le
112. "Un projet qui altérerait ou supprimerait ces deux établissements donnerait lieu à des nlalheurs incalculables." (Les Directeurs et Administrateurs du Comptoir Commercial. Au citoyen Premier Consul. [Lettre remise au ministre de l'Intérieur le 5 fructidor An X (23 août
1802)]. Arch. nat.. F /12/971.)
113. 114. 115. 116. 117.
Projet adressé au Premier Consul.... op. cit .• p. 6. Ibid. Observations adressées au Premier Consul.... op. cit. Projet adressé au Premier Consul.... op. cit., p. 14. Observations adressées au Premier Consul .... op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 taux réel de l'intérêt. Quelques actionnaires ont exclusivement profité du privilège de cet escompte modéré, au grand préjudice des banques ellesmêmes. "118 Il est probable que l'écart entre le taux pratiqué à l'escompte par les émetteurs et le taux exigé par les banquiers était tel qu'une réduction de celui-ci n'aurait en rien atténué la concurrence des émetteurs. Si l'impact de l'activité de ces établissements sur le coût de l'argent peut être discuté, et c'est particulièrement vrai pour le Comptoir commercial ,du fait de sa faible dimension, ils ont cependant indéniablement permis à leur clientèle d'accéder à un crédit peu cher, ce qui était l'objectif du Comptoir commercial. L'impossible intégration à la Caisse d'escompte du commerce Les directeurs du Comptoir se font forts de l'appui du Premier ConsuP19. Bonaparte ne peut bien sûr que reconnaître le bien-fondé d'un établissement qui concourt au développement des affaires. Mais, partant du fait qu'il reconnaît l'utilité du Comptoir tout en ayant le' désir de ne voir circuler qu'une seule catégorie de billets, les administrateurs se livrent à ce qui ressemble fort à une déformation de ses intentions. C'est une pratique qui semble assez utilisée à l'époque. Plutôt que d'affronter l'autorité du Premier Consul et de contester ses dires, on affirme que ses pensées sont louables mais qu'elles ont été mal interprétées. En l'occurrence, Jacquemart et Dou1cet d'Egligny n'hésitent pas à avancer que Bonaparte reconnaît l'utilité de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial et désire les conserver120. Ses intentions se limiteraient à ne laisser subsister qu'un seul billet. Ils se réclament donc de Bonaparte, favorable au développement du commerce, pour défendre leur établissement. "Le premier
Consul, dans sa sagesse, en desirant un seul papier de circulation, a été sans doute bien éloigné de vouloir la destruction d'un établissement utile au crédit."121 Outre le soutien de Bonaparte qu'ils revendiquent et son prétendu attachement à la conservation des deux Caisses, les directeurs voient dans la différence de la valeur des actions de chacune d'elles une barrière à leur réunion. Les actionnaires du Comptoir n'apportent que 500 francs en espèces par titre alors qu'à la Caisse d'escompte du commerce une mise de 5 000 francs est nécessaire. Si le Comptoir commercial devait être incorporé à la Caisse d'escompte du commerce, les petits fabricants et marchands seraient dans l'impossibilité d'apporter une somme aussi forte. Ne pouvant participer au capital, ils seraient exclus du recours à l'escompte. On pourrait ajouter que les administrateurs de la Caisse d'escompte 118. Notes sur les banques, op. cit. 119. Une audience avait été accordée le 15 floréal An X (5 mai 1802). 120. Nous verrons que sa position est loin d'être aussi nette. Cf. infra, p. 198-200. 121. Projet adressé au Premier ConsuL, op. cit., p. 14. Dans leur correspondance avec Barbé-Marbois, ils sont beaucoup moins nuancés et affirment voir dans le discours du Premier Consul le désir de conserver leur établissement. (Ali Citoyen Ministre dll Trésor
Public, op. cit.)
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La remise en question de la liberté d'émission du commerce risquent d'être hostiles à cette réunion. La fixation d'un prix élevé pour leurs actions avait justement pour objet d'écarter de leur établissement les commerçants sans notoriété l22 . La nécessité du maintien du Comptoir paraît établie. Il reste à satisfaire l'exigence de n'utiliser qu'un seul billet dans la circulation.
Propositions pour un billet unique Un retournement par rapport aux convictions initiales C'est vraisemblablement sous la contrainte que Jacquemart et Doulcet d'Egligny en viennent à présenter un plan proposant de ne laisser qu'un seul billet en circulation. Face à la menace de voir disparaître l'organisme qu'ils ont créé, c'est là un moindre mal. Leur position face aux défenseurs de l'unité d'émission était en effet bien arrêtée. L'extrait suivant fait clairement ressortir leur inclinaison en faveur de la pluralité d'émission et leur rejet d'une intervention autoritaire.
"C'est sans y avoir bien réfléchi, qu'on a regardé comme important à la confiance publique de ne tolérer dans la circulation qu'un seul papier de banque faisant office de monnoie; on allègue, en faveur de cette opinion, que la concurrence de plusieurs signes répandus sur la place et admis dans les payements, sous différentes formes, affaiblit nécéssairement leur ·credit réciproque ; qu'elle peut tout à la fois nuire à la propagation des billets de la banque de france, et favoriser, au peril des porteurs, l'émission de papiers moins solides; mais c'estlà, il faut le dire, une sollicitude superflue, et l'on peut s'en remettre à la vigilance toujours active de l'intérêt particulier et du soin de démêler toutes les nuances, tous les symptômes de solidité, ou de nonvaleur, de tel ou tel papier libre dans son cours. l'empreinte de l'autorité ne doit se trouver que sur la monnaie matérielle et proprement dite, dont il faut bien que le titre soit garanti, puisque le cours en est forcé; mais il n 'y a pas cette raison à donner pour les signes fictifs et supplementaires qui doivent leur existence et leur cours au credit et à la confiance; et, dans un tems ou la chereté du numéraire impose des lois si dures, il y a bien moins à s'inquiéter de la for"!e, qu'à se féliciter de la présence, de tous les moyens volontaires d'échange qui le remplacent."123 Cette confiance dans les vertus de la pluralité d'émission était d'autant plus forte que les directeurs du Comptoir avaient pris des mesures paraissant garantir la solidité de leur papier. La limitation du nombre de signataires de billets, la 122. Il Y a d'ailleurs une certaine contradiction de leur part à envisager, comme ils l'ont fait (Viies sur la formation des Caisses, op. cit.), une acceptation des actionnaires du Comptoir dans le capital de la Caisse. Il est vrai que la précision selon laquelle ceux-ci devaient présenter les qualités requises les excluait pratiquement tous.
123. Observations adressées au Premier Consul ... , op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 mise en circulation de ces billets proportionnellement aux espèces reçues, l'engagement des actionnaires à apporter de nouvelles espèces, l'aptitude des responsables de l'escompte à reconnaître la solidité d'effets dont les signataires n'appartenaient qu'au petit commerce, la mise personnelle des directeurs pour constituer un fonds de garantie étaient autant d'éléments destinés à renforcer la sécurité. Accepter que le Comptoir renonce à une émission basée sur de tels principes, c'est seulement choisir la moins mauvaise des solutions permettant sa survie. Le contenu du plan
C'est à la Banque de France de fournir les billets destinés à la circulation. Une partie de ces billets sera livrée à la Caisse d'escompte du commerce et au Comptoir commercial, lesquels fourniront en échange du numéraire pour le tiers des billets reçus, et des billets souscrits individuellement par les actionnaires pour les deux autres tiers 124 . Des effets détenus en portefeuille, pour un montant égal au tiers des billets reçus, seront aussi cédés à la Banque et fourniront ainsi une garantie supplémentaire. La technique présente évidemment un intérêt pour la Caisse et pour le Comptoir, puisqu'en contrepartie de billets immédiatement remboursables en métal à la Banque, ils fournissent des effets qui ne sont payables qu'à terme et des billets qui sont une reconnaissance de dette des actionnaires. A l'inverse, elle paraît plus contraignante pour la Banque de France. Celle-ci cède en effet des billets à vue contre des richesses dont une partie est constituée de valeurs à terme. Tout dépend en fait du rapport que la Banque est amenée à conserver entre ses billets émis et son numéraire en caisse. Dans un premier temps, elle reçoit en réserve le tiers de la valeur des billets qu'elle a fournis. Puis, lorsqu'elle arrive à liquider les effets qu'elle a reçus, elle a donc un supplément d'encaisse métallique équivalent aux deux tiers des billets cédés aux deux autres établissements. Si la Banque émet en moyenne des billets pour un montant supérieur au triple de sa réserve métallique, la livraison des billets aux Caisses ne modifie donc pas sa situation. On peut même concevoir que cette livraison lui permette d'accorder des crédits supplémentaires dans le cas où le supplément d'espèces métalliques qui en aurait résulté excéderait ses besoins. Elle pourrait alors escompter en partie grâce à l'apport de numéraire des Caisses. Le numéraire, les effets et les billets fournis à la Banque peuvent être assimilés à une augmentation de son capital, à cela près que ce capital n'est constitué que pour une fraction d'apports en numéraire, comme c'était le cas pour la formation des deux Caisses. Dès lors, puisque les Caisses transfèrent des 124. Dans un projet remis au ministre de l'Intérieur le 5 fructidor An X (23 août 1802), les dirigeants du Comptoir Commercial parlent de recevoir les billets d'une "Banque Nationale" sans nommer explicitement la Banque de France. (Projet présenté par l'administration du Comptoir Commercial. Arch. nat., F/12/971.)
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La remise en question de la liberté d'émission espèces et les billets de leurs actionnaires, qui sont des engagements à vue, à la Banque de France, on peut considérer qu'il s'agit d'une intégration de leur capital à celui de la Banque. Les deux émetteurs se transforment en succursales de la Banque de France, ce que ne nient pas Jacquemart et Dou1cet d'Egligny qui emploient le terme l25. Ils notent que pour la distribution du crédit, la Caisse et le Comptoir ne doivent pas bénéficier de meilleures conditions que la Banque, ce qui laisse supposer qu'ils n'en veulent pas non plus de moins bonnes. Chaque établissement doit alors pouvoir escompter proportionnellement à son capital. Ainsi, si l'on ajoute au capital de la Banque les transferts effectués par la Caisse et le Comptoir, les fonds distribués par chacun seront proportionnels à son apport. Si par exemple le capital de la Caisse d'escompte du commerce représente 20 % du capital global, elle pourra distribuer 20 % des sommes proposées pour les opérations d'escompte. C'est la Banque qui semble conserver la maîtrise des décisions quant au montant global des effets à escompter. Ce plan traduit la résignation des directeurs à un transfert de souveraineté au profit de la Banque lorsque l'instauration du privilège paraît devenir inéluctable. La direction du Comptoir prend l'initiative de remettre en question son indépendance pour conserver la possibilité de continuer une distribution de crédit auprès de sa clientèle. Le plan annonce la situation qui prévaudra après l'obtention du privilège d'émission pour la Banque de France, quand le Comptoir se transformera en un bureau faisant escompter les effets de ses clients auprès de la Banque.
1
En mettant en cause la pluralité des émetteurs, la Banque de France provoque un réflexe de défense de la part des établissements dont l'existence est remise en question. La Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial s'emploient à justifier leur maintien tout en se proposant d'apporter des améliorations au régime en vigueur. Les dirigeants de ces deux organismes sont en effet conscients de la menace qui pèse sur eux. Le processus qui conduit de la liberté d'émission à une situation de monopole est engagé. Les régents ont dénoncé les risques de la diversité des émetteurs et le pouvoir politique ne manque pas de saisir cette occasion pour tenter de réorganiser la diffusion de la monnaie fiduciaire. L'analyse de la situation par Bonaparte et ses conseillers conduit à l'élaboration d'un projet de loi sur l'unité d'émission.
125. Projet adressé ail Premier Conslll... , op. cit.
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CHAPITRES Vers un projet de loi sur l'unité d'émission De l'été 1802 au printemps 1803, les chances de survie d'un système où coexistent plusieurs banques d'émission sont de plus en plus hypothéquées. Le conseiller d'Etat Cretet et le ministre du Trésor public Barbé-Marbois remettent tous deux un rapport au Premier Consul dans lequel ils justifient la suppression de la libre émission (1). La situation des différents émetteurs est d'autant plus compromise que la Banque de France confirme son intention d'assurer seule la circulation de monnaie fiduciaire sur Paris. Bonaparte prend lui-même position en faveur de l'unité et confie à Mollien le soin de rédiger un plan visant à réorganiser l'émission (II). Un projet de loi, tentant de concilier les intérêts de la Banque et de l'Etat, est alors élaboré (III).
1. Les rapports remis à Bonaparte
La position de Cretet Le conseiller d'Etat Cretet, à qui Bonaparte avait demandé l'opinion à la suite de la requête formulée par la Banque de France, établit un rapport le 11 thermidor An X (30 juillet 1802)1. Il est difficile de dire dans quelle mesure il a pu influencer la position du Premier Consul qui a par ailleurs recueilli les opinions de Barbé-Marbois et Mollien, et qui avait très certainement sa propre vision sur la suite à donner aux demandes des régents. Les conclusions auxquelles il aboutit seront néanmoins largement suivies par Bonaparte. Lanzac de Laborie, qui se contente de signaler le compte-rendu de ce conseiller écouté de Bonaparte, estime qu'il y est "trop largement peut-être, fait appel aux principes théoriques"2. Ramon, qui en a pris connaissance, le juge "dans l'ensemble, terne et prétentieux"3. Ses développements sur l'unité d'émission méritent toutefois qu'on s'y arrête.
1. Mémoire sur la Banque de france et sur les moyens d'étendre son utilité. Arch. nat., AF/IV /1070. Le titre du mémoire semble déjà annoncer que !"intérêt du renforcement de la Banque de France par l'attribution d'un privilège d'émission n'est pas tant d'améliorer la sécurité de la circulation fiduciaire que la volonté de consolider un établissement susceptible de rendre service à l'Etat. 2. Lanzac de Laborie, op. cit., p. 146. 3. Ramon, op. cit., p. 42.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Cretet analyse les problèmes que pose en théorie la pluralité des émetteurs, ce qui permet d'en déduire des propositions pratiques sur les améliorations à apporter au système en vigueur. Considérations théoriques Pour Cretet, l'existence de banques émettant en un même lieu des billets à vue et au porteur présente un risque. Même si une banque est puissante et adopte des règles de fonctionnement prudentes, elle est à la merci des erreurs de ses concurrents. L'ensemble des émetteurs semble donc travailler sous la menace des fautes de l'établissement le moins solide. Si une banque se trouvait dans l'obligation de suspendre ses remboursements, les autres institutions verraient leur clientèle affluer aux guichets pour réclamer la conversion de leur papier. Les difficultés à assurer immédiatement les paiements risqueraient d'entraîner la chute de tout le système et la suspension de l'escompte qui en découlerait porterait fortement préjudice au commerce. Les régents de la Banque de France s'appuyaient sur le même type de raisonnement pour remettre en cause la pluralité des émetteurs. Une crise passagère et sans conséquence qui affectera la Caisse d'escompte du commerce quelques mois plus tard donne raison à Cretet en montrant que les craintes à l'encontre d'un établissement peuvent affecter la confiance dans les autres4 . Cretet ne se contente pas d'expliquer la crise que pourraient connaître les banques par les demandes massives de remboursement de la part de leur clientèle. Il considère qu'une banque générale, qui en pratique semble devoir correspondre à la Banque de France, pourrait être affectée par le comportement d'une ou plusieurs banques secondaires en situation de crise. Chaque banque tente de conserver un certain rapport entre le montant de ses billets émis et sa réserve métallique. La rareté des espèces et les coûts à supporter pour s'en procurer peuvent conduire les banques à rechercher les billets de la banque générale en les échangeant contre les leurs, et en allant ensuite en réclamer la conversion auprès d'elle. Cette démarche affaiblirait sa réserve métallique et pourrait la mettre en difficulté. La démonstration de Cretet paraît toutefois comporter deux lacunes. En premier lieu, il ne développe pas la façon dont une banque pourrait s'y prendre pour échanger ses billets contre ceux de la banque générale. On conçoit mal qu'elle puisse proposer l'échange aux particuliers détenteurs de billets de la banque générale. Ceux-ci n'auraient aucun intérêt à se séparer des billets de la banque saine pour acquérir ceux de la banque qui se trouve en situation délicate, sauf si elle leur propose de les reprendre à un prix supérieur à leur valeur nominale. Elle achèterait alors des billets à un prix supérieur à leur valeur effective. Elle réaliserait donc une perte dès la conversion contre espèces. Cette perte serait sans doute moindre que le montant des dépenses engagées pour se procurer du métal, en 4. Cf infra, p. 211-216.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 le faisant par exemple venir de province. Ce serait surtout un moyen de se procurer immédiatement du métal et pour un délai restreint, puisque l'opération ne peut se réaliser qu'à perte. En second lieu, à supposer que le problème de l'échange des billets soit réglé, la méthode n'est pas une véritable solution. En effet, en acquérant des billets de la banque générale, les autres établissements mettent leurs propres billets en circulation pour un montant supplémentaire. Par conséquent, ces billets risquent de revenir au remboursement, surtout si un phénomène de défiance à leur encontre se met en place. Le numéraire acquis auprès de la banque générale ne servira donc qu'à rembourser les billets émis pour l'obtenir. Cette tentative d'établir les liens qui pourraient se constituer entre une banque principale et d'autres établissements souhaitant en acquérir les billets n'est pas sans rappeler la démonstration de Thomton sur les rapports entre la Banque d'Angleterre et les diverses banques locales. La crise qui aboutit à la suspension des paiements par la Banque d'Angleterre n'est en effet pas due, comme l'explique Thomton, à un afflux des particuliers aux guichets des banques secondaires pour réclamer de l'or, mais à une très forte demande de billets de l'établissement londonien de la part de ces banques5 . Applications pratiques Les risques que court la banque générale conduisent Cretet à conclure qu'il ne faut à Paris qu'un seul papier remboursable au porteur et à vue. Ce privilège doit être accordé à la banque générale par une loi. li reste toutefois à déterminer ce que doivent devenir les "établissements qui se sont formés sous la loi d'une liberté indéfinie"6. Cretet n'envisage pas leur suppression. Il ne souhaite pas que leur activité soit perturbée, conscient qu'il est de leur utilité. Ils doivent en revanche transférer leurs capitaux à la banque générale. L'octroi d'un privilège d'émission paraît aussi être justifié par le fait que Cretet assimile le billet de banque à la monnaie. "Une banque qui émet du papier
aU porteur et à vûe, est un véritable attelier de monnoye, cette espèce de monnoye a son titre comme la monnoye métallique [... ] on convient à la vérité que cette monnoye est libre et que nul ne peut être contraint à la recevoir, mais cependant elle s'introduit dans la circulation où elle acquiert par l'usage une autorité qui la fait pénétrer dans les transactions et beaucoup de citoyens la reçoivent avec confiance sur la foi d'une valeur intrinsèque qu'aucune autorité ne garantit."7
5. Il est toutefois difficile d'affirmer que Cretet ait pu lire l'ouvrage de Thomton (Recherche sur la nature ..., op. cit.) qui paraît en anglais en 1802, année où il rédige son rapport. La version française est publiée l'année suivante. Il a en revanche pu s'intéresser de près aux événements qui ont abouti à l'instauration du cours forcé en Angleterre. 6. Mémoire sur la Banque de france ..., op. cit., p. 16. 7. Ibid., p. 18.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Si le billet est monnaie, il est tout-à-fait concevable que l'on refuse la faculté de l'émettre à une pluralité d'organismes8. Dans le cas de la monnaie métallique, l'Etat s'est bien adjugé le droit exclusif de battre monnaie. Pour ce qui est du billet, si l'émission doit être décidée en un seul centre, elle ne doit pas pour autant tomber sous la coupe de l'Etat. L'administration doit bénéficier d'une liberté totale. Il s'en suit que "le gouvernement doit renoncer à toute action qui porterait la plus légère atteinte à sa liberté"9. La recommandation n'est sans doute·pas pour satisfaire Bonaparte qui attend de la Banque des secours que celle-ci ne lui accordera certainement que s'il la contrôle directement. Cette indépendance est pourtant le gage de son succès. Cretet est apparemment conscient du risque que Bonaparte pourrait faire courir à la Banque s'il recherchait par la force un financement auprès d'elle. Ses propos apparaissent plus comme une mise en garde à l'attention du Premier Consul que comme une simple constatation. Il défend que
"son crédit ne s'établirait jamais et sa ruine serait certaine du moment où le gouvernement pressé par des besoins extraordinaires ou aveuglé par ses plus vrais intérêts userait de force ou d'influence pour se procurer des secours exagérés"lO. Malgré son hostilité à toute intervention de l'Etat destinée à contrôler l'activité de la Banque et à rechercher auprès d'elle un moyen de financer les dépenses publiques, Cretet n'est pas opposé à ce que la législation fixe des règles de fonctionnement destinées à en renforcer la sécurité. A partir du moment où la Banque est débitrice des billets qu'elle a émis, elle doit être en mesure d'en assurer le remboursement sur simple demande. Le moyen le plus sûr serait que la Banque conserve dans ses coffres en numéraire l'intégralité des billets émis. Cretet ne retient pas cette solution mais admet que le montant des billets en circulation doit rester dans une proportion déterminée avec les espèces métalliques détenues par la banque. Aucune considération théorique ne peut déterminer ce que doit être cette proportion, mais l'expérience semble prouver à Cretet que le rapport d'lj3 entre la réserve métallique et les billets doit être conservé. Une loi doit imposer à la banque de ne pas s'écarter de cette proportion. Curieusement, la position de Cretet pourrait fournir des arguments aux dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial. En effet, après l'adoption du système des actions hypothécaires, l'actionnaire qui fournit 5 000 francs en espèces paie l'autre moitié de son action mobilière par la fourniture à la Caisse de 10 billets de 500 francs. Et comme la détention d'une action mobilière lui donne le droit d'acquérir une action hypothécaire, il paie celle-ci par un apport de 20 billets de 500 francs. Comme ces billets sont ensuite mis en circulation par la Caisse, celle-ci reçoit donc une encaisse métallique 8. Cela ne signifie toutefois pas que Cretet soit favorable à la suppression totale des autres établissements puisqu'ils doivent pouvoir poursuivre leurs opérations en transférant leur capital à la Banque. 9. Mémoire slIr la Banqlle de france ..., op. cit., p. 19. 10. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 strictement égale au tiers des billets qu'elle met en circulation. Il en va de même au Comptoir commercial où l'action de 2 000 francs est acquittée pour 500 francs en métal et par la livraison de trois billets de 500 francs. Par conséquent, le Comptoir se trouve bien dans ce rapport fixe d'un tiers que préconise Cretet, sous réserve que les espèces reçues ne soient pas en partie utilisées pour distribuer des crédits supplémentaires. Pour Cretet, cette nécessité de conserver un rapport fixe entre l'encaisse et les billets en circulation peut conduire la banque à diminuer son activité. "Il suffit à
la banque de réduire ses opérations d'escompte Dans les moments difficiles, pour être assurée de réparer promptement la situation de sa réserve en numéraire."11 C'est le point de vue qui prévaut alors en France. La diminution de l'encaisse consécutive aux demandes de remboursement doit conduire la banque à restreindre l'émission de ses billets. Elle supprime ainsi le risque de voir ces papiers revenir au remboursement dès leur mise en circulation. Et comme les effets détenus en portefeuille sont peu à peu remboursés à la banque, la situation de son encaisse s'améliore en même temps que la masse des billets décroît. Cretet est cette fois en nette rupture avec Thornton. "Quelques personnes ont supposé qu'il étoit du devoir
des directeurs de la banque de diminuer la masse des billets en circulation dans la même proportion que l'or diminueroit dans les coffres de l'établissement. C'est une idée qui peut venir assez naturellement à l'esprit; mais elle porte sur une fausse théorie. "12 C'est donc une proposition en faveur d'une banque d'émission unique que Cretet transmet à Bonaparte. Indépendante du gouvernement bien que certaines règles aient été établies par la loi, elle peut fonctionner avec le maintien d'autres établissements qui auraient renoncé à leur propre émission. Le mémoire de Cretet n'est toutefois pas la seule source sur laquelle peut s'appuyer le Premier Consul. Le Rapport aux Consuls de la République sur les Banques 13 est établi par Barbé-Marbois sur la demande de Bonaparte qui souhaite se documenter sur les divers émetteurs, ainsi que sur les possibilités de réunion et les avantages qui pourraient en être retirés. Il permet de connaître le jugement que porte le ministre du Trésor public sur chacun de ces établissements et les arguments qui seront présentés aux consuls pour justifier l'unité d'émission. Barbé-Marbois passe en revue les cinq principaux émetteurs parisiens. Il ne serait certes pas inintéressant de reprendre sa démarche pour connaître l'appréciation qu'il porte sur tel ou tel établissement. Il nous paraît toutefois beaucoup plus important de reconstituer, à partir de ces considérations particulières, une analyse globale sur le système alors en vigueur. Les propositions de Barbé11. Mémoire sur la Banque de france ...., op. cit., p. 21-22. 12. Thornton, op. cit., p. 64. 13. Ce rapport manuscrit, conservé aux Archives Nationales (AF /IV /1070), est divisé en plusieurs parties et chaque émetteur fait l'objet d'un titre de partie. Nous préciserons éventuellement, dans les références à ce manuscrit, les parties auxquelles elles renvoient.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission
Marbois en vue de la transformation de ce système pourront ensuite être présentées.
Le regard de Barbé-Marbois sur le système en place Ce qui ressort en premier lieu de l'observation de la mise en circulation des billets par chaque Caisse, c'est l'impression d'une certaine anarchie. Divers établissements émettent des billets variés dans un cadre légal mal défini. Ces émissions sont dangereuses à plusieurs titres. Le cadre légal Ce qui paraît difficilement tolérable à Barbé-Marbois, c'est que, en dehors de la Banque de France, les banques émettent dans un cadre légal douteux. L'article 22 du décret du 8 novembre 1792 interdisait en effet l'émission de billets aux porteurs. Pour Barbé-Marbois, l'établissement d'une banque d'émission est tout simplement illégal. Aucun texte n'abroge sans ambiguïté ce décret, ce qui laisse à penser que BarbéMarbois est fondé à s'appuyer sur l'interdiction que celui-ci contient. Mais le contexte juridique n'est pas aussi simple que le laisse entendre le ministre' du Trésor public. Le décret du 26 germinal An II (15 avril 1794) qui interdisait la formation des banques avait été annulé le 29 brumaire An IV (20 novembre 1795). Leur constitution se trouvait alors légalisée. Elle est même encouragée par le texte du 3 nivôse an IV (24 décembre 1795) qui marque la volonté du Directoire d'en favoriser la constitution. Enfin, le texte voté le 12 germinal an VII (1er avril 1799) affirme clairement la volonté du Directoire de favoriser la création de banques indépendantes destinées à émettre des billets facilitant la circulation monétaire et favorisant la distribution du crédit. C'est donc une succession de textes juridiques qui, sous le Directoire, deviennent de plus en plus favorables aux banques. Il reste toutefois que le texte du 1er avril 1799, même s'il prévoit l'émission de papier par des établissements dont la constitution est souhaitée, n'abroge pas explicitement le décret de novembre 1792. On est donc apparemment dans une situation ambiguë où la constitution de banques destinées à mettre des billets en circulation est légale alors que cette émission de billets ne l'est pas14. Barbé-Marbois paraît bien reconnaître que cette interdiction d'émettre, si elle existe toujours, est tombée en désuétude. Il note qu'un établissement comme la Caisse d'escompte du commerce ne peut pas faire l'objet de poursuites puisque ses
14. Bigo note que les faits priment sur un droit inexistant. "Le régime juridique des sociétés étant inorganisé, la coutume prévaut. " (Bigo, Les banqlles françaises au cours dll XIXe siècle, op. cit., p. 91.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 billets sont admis dans les caisses publiques, ce qui équivaut à une reconnaissance tacite. La référence de Barbé-Marbois à une règle juridique dont il n'est peut-être pas lui-même convaincu qu'elle puisse être effectivement opposée aux banques n'est pas innocente. C'est un moyen qui lui permet d'éviter de mettre tous les établissements sur le même plan que la Banque de France. A ses yeux, la Banque de Francejouit d'une légitimité qui fait défaut à ses concurrents. Ainsi, les billets de la Caisse d'escompte du commerce sont "reçus au trésor public, quoiqu'il n 'y ait point eû à cet égard, d'autorisation formelle, et que l'établissement semble toléré
plutôt que régulièrement formé et sous les auspices et avec le consentement du Gouvernement"15. Barbé-Marbois n'a pas hésité à faire remarquer aux· administrateurs de la Caisse que leur situation au regard de la loi était inconfortable. Ceux-ci ont prétendu que la loi de 1792 était abrogée, mais BarbéMarbois souligne qu'ils n'ont pas été en mesure de lui en fournir la preuve. Les dirigeants des différents établissements ont certainement conscience de ce flou juridique. Les directeurs du Comptoir commercial revendiquent l'appui de Bonaparte et font valoir l'utilité de leur organisation pour le commerce. BarbéMarbois n'en refuse pas moins l'acceptation de leurs billets dans les caisses publiques et insiste sur le fait que sa création a été réalisée sans autorisation.
"Cet établissement, ainsi que plusieurs autres, s'est formé sans la participation du Gouvernement, et après sa formation, il ne lui a pas demandé sa sanction. "16 La Banque territoriale est aussi dans une situation ambiguë et le ministre prête aux dirigeants de l'établissement un sentiment de malaise. "Intéressé à étendre beaucoup ses opérations, il semble en même temps pressentir qu'il lui importe de ne pas les laisser trop appercevoir du Gouvernement. "17 C'est peut-être aussi la crainte d'être accusés d'enfreindre la réglementation qui avait conduit les dirigeants de la Caisse d'escompte du commerce à faire valoir que leurs billets n'étaient que de simples papiers individuels créés par les actionnaires pour un usage personnel, et dont la circulation se limitait à un cercle restreint d'associés. Barbé-Marbois, qui ne cache pas son hostilité à la concurrence entre banques dès les premières pages de son rapport, fait donc valoir le fait que la Banque de France s'est formée sous la protection du gouvernement, contrairement aux autres institutions. L'argumentation comporte toutefois une lacune de taille. En effet, si l'on admet la validité de la législation de 1792, ce que les textes postérieurs permettent de contester, ce sont tous les émetteurs qui sont en situation illégale. La Banque de France n'est qu'une association privée, malgré l'appui public qu'elle a reçu dès sa constitution. Mais cet appui ne peut suffire à invalider une loi au seul profit de l'établissement soutenu. Ce que ne voit pas Barbé-Marbois, c'est que la 15. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit. 16. Ibid. 17. Ibid.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Banque de France, bien que reconnue par un gouvernement qui lui apporte sa protection, n'a pas un droit particulier à l'émission de billets de banque. Si la loi de 1792 est caduque, tous les émetteurs sont en règle pour mettre des billets en circulation. Si elle est toujours en vigueur, la Banque de France émet dans l'illégalité, au même titre que les autres banques. Ce droit controversé a conduit à un état de fait: la coexistence des différents émetteurs 18. S'il paraît difficile de faire valoir une règle juridique ancienne pour supprimer des organisations qui fonctionnent depuis plusieurs années et dont l'illégalité n'a jamais été signifiée, l'Etat possède des atouts qu'il peut facilement utiliser dans le cas où il voudrait obtenir gain de cause. Barbé-Marbois pense que si l'Etat refusait de recevoir d'autres billets que ceux de la Banque de France dans ses caisses, la Caisse d'escompte du commerce devrait fermer ses portes. Ses billets auraient un champ d'utilisation amoindri. La mesure porterait en outre atteinte au crédit de la Caisse qui pourrait connaître de sérieuses difficultés du fait des demandes de remboursement qui ne manqueraient pas de suivre. C'est l'existence même de la Caisse qui serait remise en question. Le simple fait d'envisager une mesure aussi radicale doit être accompagné de sérieuses justifications. Barbé-Marbois, en évoquant chaque établissement, trouve de multiples raisons à une remise en question de leur liberté d'émission. Les dangers de l'émission de billets .;le banque Les arguments de Barbé-Marbois peuvent être classés en deux catégories. La création de monnaie fiduciaire par divers organismes pose un problème quantitatif et un problème qualitatif. Un problème quantitatif La vision qu'a le ministre du Trésor public de la nature des billets de banque est assez fluctuante. Il hésite à assimiler les billets à de la monnaie. "La banque de
france émet des billets qui ne sont point monnoye, puisqu'ils ne sont point forcés."19 Le point de vue semble donc éloigné de celui de Cretet qui les assimile à de la monnaie. Il rejoint toutefois Cretet en admettant que si les banques secondaires se servent de ces billets comme s'il s'agissait d'espèces métalliques, en cas de crise, elles peuvent rechercher ces billets pour les convertir massivement en métal, 18. Cette incertitude juridique sera relevée par Cretet devant le Corps législatif au moment de l'exposé des motifs du projet de loi sur l'attribution du privilège à la Banque de France. "Faudrait-il, d'ailleurs, lorsql/e toutes les espèces de propriétés sont sous l'emprise de lois directes, abandonner les banques aux règles incertaines du droit comml/n ? Je dis aux règles
incertaines, puisque les banques sont une institution moderne qui n'a été prévue par aucl/ne de nos anciennes ordonnances, et à laql/elle al/cu ne jl/risprl/dence, aucun I/sage confirmé ne sont encore applicables." (Archives parlementaires, 2e série, t. IV, 2 ventôse an XI ail 6 floréal an XI, p.559.) En ce sens, la loi qui attribue le privilège d'émission à la Banque de France comble un vide juridique. 19. Rapport aux Consuls de la Répl/blique... , op. cit., DI/ Comptoir Commercial.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 mettant ainsi la Banque de France en difficulté. Mais Barbé-Marbois assimile par ailleurs l'émission de billets par les banques à une création monétaire. "Elles frappent, pour ainsi dire, monnoye. "20 Le statut qu'il convient de donner au billet n'est donc pas clairement arrêté. En revanche, la mise en circulation de ces billets en trop grande quantité pose des problèmes qui pourraient aussi résulter d'un -accroissement du stock de métal.
L'influence sur les prix Barbé-Marbois refuse d'admettre qu'en augmentant la masse des moyens de paiement dans une période de rareté du numéraire, les banques puissent faire oeuvre utile, en permettant notamment au Trésor de recouvrer plus facilement ses créances. Au contraire, "si cette faculté d'émission n'est pas sagement limitée,
l'abondance des billets conduira infailliblement à l'accroissement du prix de toutes les choses vénales, et même à l'augmentation des salaires."21 Le ministre du Trésor public ne peut toutefois pas ignorer le rôle positif joué par les divers instituts dans la distribution du crédit. Mais il estime, sans proposer de raisonnement convaincant, qu'au-delà d'un certain seuil, les émissions dépassent les besoins du commerce et finissent par aboutir à des augmentations de prix qui pénalisent les consommateurs. Partant de cette idée, Barbé-Marbois avance que l'apparition d'établissements supplémentaires ne ferait qu'aggraver le problème. Comme cette question ne se pose alors pas à Paris, on peut supposer qu'il veut montrer par là que le développement des établissements existants engendrerait les mêmes problèmes. L'abondance des billets est accusée de nuire à la Banque de France 22. Celle-ci doit faire acheminer des espèces sur Paris pour pourvoir aux demandes de conversion. Or les concurrents de la Banque de France ont élevé le stock des moyens de paiement disponibles. Par conséquent, une partie des pièces amenées dans la capitale se trouve sans emploi et "cet excédent inutile en sortira sans cesse pour aller chercher ailleurs un emploi avantageux" 23 . L'activité de la Banque de France est donc perturbée par celle des diverses Caisses qui obligent le principal émetteur à acquérir sans cesse à l'extérieur des espèces qui sont poussées à fuir la ville. Cette idée selon laquelle une zone géographique n'admet qu'un certain montant de monnaie pour satisfaire les besoins de la circulation est directement
20. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit., Sur les Banques et Caisses de Circulation et de confiance. 21. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit., De la banque de France. 22. Cette abondance peut aussi favoriser la création de faux billets qui ne font qu'accroître la mesure du papier en circulation. Barbé-Marbois y est particulièrement sensible. Il avait envoyé à une caisse du Trésor public un faux billet de la Caisse d'escompte du commerce qui lui avait été transmis. Celui-ci avait été accepté sans hésitation.
23. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission empruntée à Smith24 • Ce système de vases communicants dans lequel toute entrée de billets se traduit, au-delà des besoins de l'économie. par une sortie de métal est appliqué par Smith à l'échelle de l'Angleterre. Barbé-Marbois le reprend au niveau de la ville de Paris. Le raisonnement de Barbé-Marbois présente toutefois un point de divergence avec celui de Smith. Alors que ce dernier excluait la possibilité d'un impact inflationniste de l'émission, Barbé-Marbois retient le risque de hausse des prix. Sur ce point, Smith est d'ailleurs plus logique que Barbé-Marbois. En effet, si le billet chasse l'or et l'argent en proportion du supplément d'émission, hypothèse que retient le ministre, on voit mal pourquoi les prix augmenteraient puisque la quantité de monnaie demeure inchangée. Le métal a seulement été remplacé par le papier.
L'impact des billets des banques de sols Alors que les billets font fuir l'or et l'argent de la capitale, la monnaie de cuivre semble suivre le chemin inverse. La Factorerie du commerce est reconnue utile et commode, mais le recours à ses services est onéreux pour le Trésor public. Il livre en effet cette monnaie à la Factorerie qui se rémunère en donnant en contrepartie des engagements à terme d'un montant moindre. Mais la monnaie de cuivre finit par revenir dans les caisses publiques. Ce retour oblige le Trésor à faire à nouveau appel à la Factorerie qui trouve ainsi avantage aux déboires du Trésor. Barbé-Marbois estime "que les retours seroient moins fréquens et moins abondans. s'il n 'étoit de la nature de l'établissement de les renouveller sans cesse, et si un papier maniable et d' un usage facile, n'étoit substitué à une monnoie d' un comptage et d'un transport difficile"25. Il n'explique toutefois pas pourquoi cette monnaie de cuivre revient immanquablement dans les coffres du Trésor. Sans doute faudrait-il voir là une application de la loi de Gresham. La population se débarrasse de sa mauvaise monnaie en l'utilisant pour les paiements à l'Etat. Les banques de sols contribuent à l'accroissement du stock monétaire, et sont donc en partie responsables des effets négatifs qui en découlent. Elles réalisent une création monétaire en escomptant des traites contre leurs billets, et participent ainsi à cette augmentation du montant des billets en circulation que BarbéMarbois déplore. Indépendamment de cette création, elles mettent en circulation des billets représentant une multitude de pièces qui auraient difficilement circulé du fait de leur faible valeur. En augmentant la quantité de monnaie par une 24. Smith, op. cit .• p. 293-300. Cette vision d'une saturation de la circulation par les billets semble marquer les esprits en France. Dupont de Nemours défendait déjà ce raisonnement en 1789 en se réclamant directement de Smith ("Discours prononcé à l'Assemblée nationale. par M. Du Pont. sur les banques en général. sur la caisse d'escompte en particulier, et sur le projet du-premier ministre des finances, relativement à cette dernière. (20 novembre 1789), Paris, 1989", in : Oeuvres politiques et économiques, Nendeln/Liechtenstein : Kraus/Thomson Organization Ltd, 1979, t. S, p. 292). Ille reprend encore plus de quinze ans après. (Sur la Banqlle de France. op. cit .• p. 22. p. 47.)
25. Rapport allx Consllls de la Répllbliqlle.... op. cit.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 émission de billets supérieure à la réserve de cuivre, et ce que Barbé-Marbois n'hésiterait pas à appeler sa vitesse de circulation par cette concentration de multiples valeurs dans un même papier, les banques de sols ont pu contribuer à la hausse des prix. Dans les villes manufacturières, les ouvriers sont payés avec de tels billets. Le ministre regrette que la population ne soit pas consciente qu'il y a là un facteur d'élévation du prix du pain. Pour lui, ce n'est d'ailleurs pas le prix du pain qui a augmenté, mais la valeur de ce qu'on donne en paiement qui a diminué. En prétendant voir dans le renchérissement du prix du pain les conséquences néfastes de ces coupures, Barbé-Marbois applique ainsi à l'exemple de la France le raisonnement que Thomton s'efforce de combattre en GrandeBretagne. Barbé-Marbois demeure convaincu que cette volonté des banques de sols de rendre le cuivre plus maniable par l'usage d'un papier qui le représente se fait au détriment des consommateurs qui subissent une élévation des prix et des producteurs qui doivent augmenter les salaires. On pourrait sur ce point lui objecter que le phénomène, s'il existe, peut ne pas affecter le pouvoir d'achat des consommateurs qui acquièrent des denrées plus chères grâce à des salaires nominaux plus importants et des producteurs qui répercutent l'augmentation du coût de la main d'oeuvre sur leurs prix. Pour Barbé-Marbois, si les prix s'élèvent, c'est que les sols sont une monnaie forcée pour l'acquisition des articles de valeur réduite, puisque l'or et l'argent ne peuvent pas servir aux petits paiements. Les commerçants se défendent alors de cette obligation de fait d'accepter la mauvaise monnaie en élevant le prix de leurs marchandises. C'est peut-être un moyen d'expliquer l'impact de la monnaie de cuivre sur les prix. Barbé-Marbois ne voit cependant pas que ce raisonnement ne peut pas mettre en cause les billets. On pourrait certes penser que puisque ces billets circulent en plus grande quantité que le cuivre qu'ils représentent, les occasions pour les commerçants d'augmenter les prix s'en trouvent multipliées. Mais les commerçants sont plus enclins à recevoir un billet qu'un lot de pièces de cuivre qu'ils pourront difficilement écouler. Ils ne sont donc pas incités à augmenter leurs prix pour compenser le fait qu'ils sont payés avec une monnaie encombrante. L'utilisation du billet supprime au contraire ce facteur de hausse des prix. Les commerçants peuvent les accepter sans problème puisque Barbé-Marbois reconnaît lui-même que le public les reçoit "avec une entière confiance"26. Le problème qualitatif L'augmentation globale du nombre de billets en circulation n'est pas le seul problème posé par la concurrence des émetteurs. L'insuffisante solidité des billets émis par l'un ou l'autre met non seulement en danger celui qui est à l'origine de l'émission, mais porte atteinte au crédit de tous. 26. Rapport aux Consuls de la République..., op. cit., Banques de Commerce.
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sOIlS
et factoreries de
Vers un projet de loi sur l'unité d'émission
Le premier risque est celui d'une émission excessive. Sur ce plan, le ministre du Trésor public considère que la Banque de France a bien agi. Il n'en va pas de même à l'égard de la Caisse d'escompte du commerce ou du Comptoir commercial. La Caisse est accusée d'avoir mis en circulation pour 26 à 27 millions de francs tandis qu'elle aurait détenu à peine 3 millions en réserve. Cette forte diminution de l'encaisse par rapport aux billets risque de mettre l'établissement dans l'impossibilité de faire face à un afflux de demandes de conversion. Nous avons vu que les dirigeants de la Caisse se défendaient de se trouver dans une telle situation puisqu'ils prétendaient conserver un rapport fixe entre billets et métal, dans la mesure où l'associé qui fournissait les billets livrait en même temps des espèces métalliques. Il est donc possible que la Caisse, au lieu de conserver ces fonds en garantie, en ait utilisé une partie pour accorder de nouveaux crédits 27 . Barbé-Marbois affirme que son intervention a évité à la Caisse de subir les revers d'une grave crise. Il aurait retenu au Trésor une plus forte proportion de billets pour en empêcher la présentation au remboursement, et ce sans en avertir la Caisse. Il justifie son geste par la volonté de ne pas ébranler un établissement lié au crédit renaissant. Barbé-Marbois nourrit les mêmes griefs à l'encontre du Comptoir commercial. Celui-ci dépasserait les limites de la prudence et n'aurait parfois pas le vingtième du montant des billets émis en réserve. Le Comptoir commercial lui paraît donc être dans une situation critique. Ce sont là les résultats d'une gestion défectueuse de ces établissements. Les billets sont dans un premier temps émis avec prudence et lorsque l'émetteur pense mériter suffisamment la confiance, il se démunit d'une trop large fraction de sa réserve. L'affaiblissement de la réserve par rapport au métal est donc une première atteinte à la solidité des billets. Les opérations qui ont donné lieu à leur mise en circulation peuvent en constituer une autre. La banque peut en effet être amenée à escompter des effets de complaisance. Deux personnes qui s'entendent pour créer des effets de commerce ne correspondant à aucun mouvement de marchandises peuvent obtenir des billets si elles réussissent à faire accepter leurs effets à l'escompte. Or ces billets mis en circulation n'ont pas pour contrepartie un montant équivalent de marchandises. Dès lors, si les commerçants sont insolvables, la banque n'a aucune possibilité de rentrer dans ses fonds.
27. L'hypothèse selon laquelle la Caisse aurait pu procéder à des émissions exagérées risquant de remettre en question la solvabilité paraît confirmée par une lettre de Talleyrand du 30 messidor An IX (19 juillet 1801). Celui-ci écrit à Bonaparte qu"'il est survenu un incident reellement important, c'est celui qui provient de la situation de la caisse du commerce qui s'est permis d'émettre des billets dans lin nombre par trop disproportionné avec ceilli des eClls qu'elle avait en caisse. on a dit 20 millions contre 2. pendant que l'on connaissait pell cette situation, 011 que ceux qui la connaissaient n 'y attachaient pas grande importance, quelques personnes tout a fait au courant ont pris peur et on fait échanger les billets de cette caisse contre ceux de la banque et même contre des ecus." Il précise que "la banque craint la chute de la caisse de commerce qui n'a pas d'écus". (Lettre de Talleyrand à Bonaparte du 30 messidor An IX (19 juillet 1801), Arch. nat., AF/IV /1070.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Pour la Caisse d'escompte du commerce. et le Comptoir commercial, la parade résidait dans le fait que les billets eux-mêmes étaient des engagements à livrer du métal sur demande, engagements qui pouvaient être aisément tenus puisque le créateur des billets détenait des immeubles d'une valeur au moins équivalente. Mais c'est aborder là un autre problème que ne manque pas de soulever BarbéMarbois. Le système des actions hypothécaires adopté par la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial est avantageux puisqu'il permet aux associés d'acquérir des actions en mobilisant leur patrimoine immobilier. Mais il présente un inconvénient de taille. En cas d'afflux aux guichets, la Caisse doit rembourser en métal les billets qu'on lui présente. Elle peut à son tour se tourner vers le signataire du billet pour lui demander les fonds qu'elle pourra être amenée à utiliser pour rembourser de nouveaux billets. Or les remboursements aux guichets sont des conversions immédiates, tandis que si l'associé n'a pas la possibilité de livrer la somme demandée, il faut liquider ses biens immobiliers pour fournir à la Caisse les fonds qu'elle est en droit de réclamer. C'est là une procédure longue dont il est difficile de se satisfaire. La Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial doivent payer à vue alors que la réalisation de leur capital ne peut être effective qu'après une vente d'immeubles qui peut exiger de longs délais. Barbé-Marbois a donc parfaitement raison de souligner cette faiblesse dans l'organisation des deux établissements. L'un et l'autre peuvent bien fournir aux porteurs de billets une richesse équivalente au montant des billets, mais les lenteurs de la transformation de cette richesse en espèces n'est pas conforme aux engagements de conversion des billets à vue. Ces critiques peuvent être étendues à la Banque territoriale. Elle a un passif immédiatement exigible alors que les valeurs détenues à l'actif, bien que solides, ne peuvent être transformées en métal qu'après une transaction peut-être difficile à opérer. Ce problème de liquidité, auquel la Banque territoriale ne manque d'ailleurs pas d'être confrontée, avait déjà été perçu par Lecointe-Puyraveau 28 . L'insuffisante liquidité de son actif apparaîtra clairement lorsque la Banque se trouvera confrontée à des demandes de conversion imprévues. Say ne manquera d'ailleurs pas d'évoquer dans son Traité les limites de toute mise en circulation de billets gagés sur une richesse foncière 29. Ces différentes lacunes du système en vigueur ne peuvent qu'inciter BarbéMarbois à réclamer sa transformation.
Les recommandations de Barbé-Marbois Le ministre du Trésor public reproche donc aux banques existantes de concourir à une excessive émission de billets qui nuit à l'économie et qui peut remettre en
28. Lecointe-Puyraveau, op. cil., p. 34.
29. Say, op. cil., t. 2, p. 33-34.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission question la vie même des établissements émetteurs puisque le crédit du billet est appelé à en souffrir. Il ne limite toutefois pas son analyse aux conséquences d'une augmentation de la quantité de billets en circulation. Des considérations globales sur les pratiques alors en vigueur en France le conduisent à rejeter la possibilité d'une concurrence pour la Banque de France. Adoptant une démarche que bien d'autres ont déjà suivie avant lui, Barbé-Marbois se fonde sur l'observation des expériences étrangères pour mieux faire ressortir l'archaïsme du cas français. Les pratiques bancaires à l'étranger Alors qu'en l'An IV comme en l'An VII les partisans de la liberté des banques puis les adeptes d'une grande banque d'émission se tournaient vers l'étranger pour montrer la voie que devait suivre la France, Barbé-Marbois se réfère aux expériences étrangères pour justifier la remise en question de la liberté d'émission.
"En traitant ces questions, la pensée se dirige d'abord vers l'Angleterre où le crédit et la confiance ont été portés à un point dont il n'y eût jamais d'exemple. Ce pays offre en effet de grandes et utiles leçons, et nous pourrions nous appliquer beaucoup d'institutions excellentes des anglais."30 Dans une période où les tensions entre la France et l'Angleterre connaissent une accalmie passagère, la fascination pour la Banque d'Angleterre est aussi vive que pendant les phases d'affrontement entre les deux pays. Après un développement sur la supériorité économique de l'Angleterre, presque étonnant dans le contexte politique de l'époque, Barbé-Marbois cherche à montrer que l'extension des affaires sur la place de Londres est tel que l'accroissement du montant des billets en circulation reste en deçà des besoins31 . Il relève d'autre part qu'à Londres aucun papier émis par une maison particulière n'est utilisé dans une circulation que la Banque d'Angleterre est seule à assurer. Les créanciers de la Banque ont pour garantie son capital. Son éventuelle liquidation ne devrait donc pas entraîner de perte pour eux. Mais l'établissement du cours forcé modifie quelque peu ce raisonnement traditionnel. Pour le ministre français, force est de constater que ce cours forcé n'a pas altéré la confiance des Londoniens dans leur institut d'émission. Cette situation, que Thornton n'hésite pas à justifier32, semble déranger Barbé-Marbois qui l'explique par des raisons propres à l'Angleterre. La richesse des Anglais et leur habitude de faire confiance au papier sont ainsi opportunément mises en avant. Il s'agit
30. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cil., Sur les Banques et Caisses de circulation et de Confiance. 31. Un parallèle peut être établi avec Dupont de Nemours. Celui-ci constate que l'Angleterre est le pays où les transactions sont les plus importantes, mais où, en proportion, l'utilisation des espèces est la plus réduite. (Dupont de Nemours, Sur la Banque de France, op. cit., p. 19-20.) 32. Thornton, op. cit., p. 146.
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apparemment d'écarter tout argument qui pourrait suggérer une mise en place du cours forcé avec profit sur le territoire français. Le responsable du Trésor ne manque pas de souligner que la Banque d'Angleterre prête des sommes importantes au gouvernement, sans nuisances apparentes. Dans les périodes de paix, elle y trouve une occasion d'accroître ses bénéfices et elle n'éprouve pas de perte à poursuivre dans cette voie en temps de guerre. Interrompre ses prêts contribuerait au contraire à la mettre en danger. Barbé-Marbois décèle donc des liens étroits entre la Banque et l'Etat, bien qu"'on voudrait en vain dissimuler sa dépendance du Gouvernement"33. Comment ne pas évoquer une fois de plus la position inverse de Thornton dont les écrits pourraient s'adresser tout particulièrement à Barbé-Marbois ? "Les étrangers ne réfléchissent pas à cette indépendance de la banque d'Angleterre sur laquelle je
viens d'insister."34 Barbé-Marbois remarque aussi que la Banque d'Amsterdam, traditionnellement considérée comme une simple banque de dépôts, a en fait prêté des fonds à la ville et au gouvernement hollandais. Il insiste beaucoup trop lourdement sur les prêts consentis par des banques à des Etats pour que ses constatations soient dénuées d'arrière-pensées. La timidité de la Banque de France dans ses relations avec le Trésor que Barbé-Marbois déplore explique très certainement son insistance sur les expériences étrangères de prêts à l'Etat. Les mesures à adopter en France L'observation des expériences étrangères, en priorité de l'Angleterre, incite Barbé-Marbois à prôner la promotion de la Banque de France, laquelle passe par la disparition des autres émetteurs. Priorité à la Banque de France Nous avons vu que Barbé-Marbois ne manquait pas de critiques à adresser aux différentes banques d'émission. La Banque de France, bien que largement épargnée, n'est pas exempte de reproches. Elle a bien entendu été gérée avec 33. Rapport aux Consuls de la République..., op. cit., Sur les Banques et Caisses ... 34. Thornton, op. cit., p. 53. Nous ne savons pas si en août 1802, date à laquelle il rédige son Rapport, 8arbé-Marbois a matériellement pu prendre connaissance du livre de Thornton qui paraît en anglais la même année. Comment ne pas supposer qu'il en a bien eu la possibilité lorsque l'on compare les deux extraits suivants? "La Banque d'Angleterre diffère essentiellement sur ce point, des banques de Pétersbourg, de Stockholm, Vienne, Madrid et
Lisbonne, lesquelles font aussi des émissions de papier, qui circule comme mon noie, ces banques sont dans l'acceptation rigoureuse du mot, des banques du Gouvernement." (Thornton, op. cit., p. 50.) "Mais les anglais prétendent que son indépendance du Gouvernement est ce qui la distingue essentiellement des autres banques nationales de l'Europe qui émettent du papier. Celles de Petersbourg, de Copenhague, de Stockholm, de Vien Ile, de Madrid, de Lisbonne émettent aussi des notes qui circulent comme espèces; mais celles-ci sont incontestablement, des banques soumises à leurs Gouvernements, et instituées pour aider son service." (Rapport aux Consuls de la République... , op. cit., Sur les Banques et Caisses ... )
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission prudence en comparaison de ses principaux concurrents. "Mais il faut convenir qu'elle n'a point jusqu'à présent, rempli les espérances trop vastes de ses fondateurs; elle n'est que la banque de Paris."35 Barbé-Marbois semble regretter l'insuffisant développement de la Banque de France. Si l'on considère que son extension se serait traduite par un accroissement du volume des billets en circulation, il y a là une contradiction. Barbé-Marbois s'est en effet suffisamment arrêté sur les dangers d'une trop forte circulation de billets. Le projet qui lui avait été adressé en vue d'augmenter le capital de la Caisse d'escompte du commerce, pour faire passer la circulation de ses billets de 20,4 à 30,6 millions de francs, n'avait pas abouti36 . Lorsque le ministre déplore l'insuffisant développement de la Banque de France, ce n'est pas tant à la diffusion de ses billets qu'il pense, mais aux aides qu'elle pourrait apporter au Trésor. Il regrette qu"'elle donne jusqu'à ce jour au trésor public moins de secours qu'il ne lui en prête"37. Le coût de certains services que lui rend la Banque lui paraît même excessivement élevé38 . Il ajoute que "le
Gouvernement pourra donner avec le tems plus de consistance à la banque, ou du moins favoriser les dispositions que plusieurs commerçans et les banquiers manifestent déja, pour tirer cet établissement de l'état de médiocrité où il est demeuré jusqu'à ce jour"39. Barbé-Marbois n'est pas tendre avec la Banque lorsqu'il recherche les bienfaits que le Trésor a pu tirer de son existence. Il avoue que celleci n'a rendu aucun service direct au Trésor qui ne peut trouver auprès d'elle des possibilités de financement à un taux avantageux. Il reconnaît cependant qu'il n'a jamais tenté de la contraindre à lui apporter de telles aides. Des méthodes autoritaires pourraient d'ailleurs porter atteinte au crédit de la banque. Il y a donc une certaine opposition entre les regrets qu'éprouve Barbé-Marbois devant l'insuffisance des aides que la Banque apporte au Trésor et la satisfaction qu'il retire de la voir assurer une diffusion prudente de ses billets. Barbé-Marbois estime d'ailleurs que les différentes banques bénéficient de la confiance dont jouissent les billets de la Banque de France. Le public, habitué à recevoir ses billets avec confiance, ne juge pas bon de refuser ceux des autres Caisses. L'affirmation mérite une double objection. D'une part, les particuliers recevant les billets de divers établissements sont certainement plus nombreux que ceux qui acceptent le papier de la Banque. Un établissement comme la Factorerie offre des billets utilisables pour des paiements courants, et le Comptoir commercial a vocation à étendre l'usage des billets auprès d'un large éventail de petits commerçants et producteurs, tandis que la Banque les réserve à une élite. Ces 35. Rapport al/x Consl/ls de la Répl/bliql/e... , op. cit., De la banql/e de France. 36. Projet remis le 16 messidor an X al/ ministre dl/ Trésor pl/blic ... , op. cit. 37. Rapport al/x Consl/ls de la Répl/bliql/e..., op. cit., De la banql/e de France. 38. Le service des rentes et pensions retournera au Trésor public en I"An XII et celui de la Loterie en I"An XIII.
39. Rapport al/x Consl/ls de la Répl/bliql/e... , op. cit., De la banql/e de France.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 particuliers n'ont donc pas attendu de détenir des billets de la Banque de France pour faire usage d'une monnaie fiduciaire. D'autre part, la Banque de France, à ses débuts, profite plutôt de la confiance dont a bénéficié la Caisse des comptes courants et dont continue à jouir la Caisse d'escompte du commerce. Alors que la solidité des billets des différents établissements est renforcée par l'existence de ceux de la Banque de France, les billets de la Banque risquent au contraire d'avoir à souffrir de la circulation de papiers concurrents. BarbéMarbois craint par exemple que la Caisse d'escompte du commerce ne puisse pas subir de secousses sans que la Banque de France n'en ressente le contrecoup. Il ne fait que reprendre l'hypothèse des régents selon laquelle leur organisation, jugée saine, risque d'être contaminée par les tares des autres. Ce danger provient en partie du fait que plusieurs instituts d'émission mettent en circulation des petites coupures. C'est le cas de la Banque territoriale qui provoque ainsi un "accroissement de danger pour l'établissement principal auquel le gouvernement s'applique à donner de la consistance"4o. Sur cette question des faibles valeurs qui risquent de diffuser l'usage des billets auprès de larges fractions de la population, Barbé-Marbois est en parfait accord avec les régents et avec Smith. L'exemple britannique est toutefois gênant puisque la Banque d'Angleterre a mis en circulation des petites coupures de 1 et 2 livres pour 60 millions de francs. Les billets de banque d'un montant peu élevé peuvent donc servir à réaliser des paiements sans nécessiter un appoint de pièces. Ces dernières ont tendance à disparaître. Barbé-Marbois refuse d'admettre que de telles pratiques pourraient être généralisées à la France. "Il n 'y a que la nation la plus
commerçante que le globe ait jamais vue, qui puisse supporter un tel état de choses."41 Il estime que si la guerre avait duré, l'Angleterre, obligée de payer en métal à l'extérieur, n'aurait pas pu continuer à recourir à de telles pratiques. Barbé-Marbois est sur ce point d'autant moins convaincant que ce ne sont pas les pièces de faible valeur utilisées dans les paiements qui servent à régler les acquisitions de fournitures à l'étranger. Cette volonté de ne pas étendre à la France des pratiques dont il reconnaît qu'elles donnent satisfaction en Angleterre revient régulièrement sous la plume de Barbé-Marbois. Il en va ainsi du cours forcé que le ministre rejette. L'engagement de remboursement est violé, les utilisateurs de billets qui continuent à les recevoir avec confiance sont trompés, et la population est pénalisée par une hausse des prix, argument dont Thornton rejettera le bien-fondé. La situation de la Banque d'Angleterre évoque pour le ministre français les difficultés de la Caisse d'escompte dont le crédit avait souffert de l'instauration du cours forcé42 . Barbé40. Rapport aux Consuls de la République... , op. cit., De la Banque territoriale. 41. Rapport aux Consuls de la République ... , op. cit., Sur les Banques et Caisses ... 42. Le poids de l'histoire est sans doute prépondérant pour le cas de la France. BarbéMarbois semble en tenir compte et relève que "lorsqu'une longue habitude a familiarisé les
commercans, marchands et autres avec le papier mon noie, on peut en étendre les émissions
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Marbois repousse toute décision qui pourrait conduire le gouvernement à de telles extrémités. Elles risquent de transformer les billets de banque en papier-monnaie. Il s'agit donc de favoriser le développement de la Banque de France, en évitant qu'elle n'adopte les défauts de fonctionnement de la Banque d'Angleterre. C'est la remise en question de l'existence des autres banques. La disparition des autres banques d'émission Pour Barbé-Marbois, la possibilité de supprimer les établissements autres que la Banque de France doit être examinée rapidement car "c'est pendant que ces
banques sont encore au berceau, c'est lorsque l'intérêt privé en crée de toutes parts, qu'il importe au Gouvernement d'examiner s'il convient d'en favoriser ou d'en ralentir les progrès. [... ] Je ne serais donc pas surpris de voir l'inaction du Gouvernement suivie de l'établissement de beaucoup d'autres banques d'escompte et de circulation; et si elles sont plus nuisibles qu'avantageuses, il importe de les arrêter, avant qu'elles ayent pris une consistance qui, d'une part, en augmenterait les inconvéniens, et de l'autre rendrait la réforme plus difficile. "43 La volonté d'agir rapidement est entièrement expliquée dans ces quelques lignes. Le temps joue contre la suppression des banques. Il ne fait pas de doute que Barbé-Marbois, dans le désir de la Caisse d'escompte du commerce d'élever de moitié le montant de son capital, craignait de voir se constituer un établissement dont la suppression serait rendue plus difficile. Il reconnaît que le développement des différentes compagnies accroît leurs moyens de résistance. Barbé-Marbois ne conteste pas le fait que ces organismes qui émettent un
'funeste papier"44 puissent être utiles à ceux qui en reçoivent des crédits. Il y voit toutefois la possibilité pour certains de se procurer des fonds à un taux modique pour les prêter ensuite à un coût élevé. Le ministre n'est peut-être pas très inspiré de signaler une pratique qui peut surtout être adaptée à la Banque de France où les banquiers, prêteurs traditionnels, trouvent une source de financement peu onéreuse. Il note en revanche que si tous les établissements plaident pour leur conservation, aucun ne souhaite qu'il puisse s'en établir d'autres, comme si leur présence suffisait à assurer strictement les besoins de la circulation. Chaque établissement est appelé à disparaître. La Caisse d'escompte du commerce, principal émetteur après la Banque de France, pourrait certes continuer à fonctionner en utilisant les billets de la Banque, mais Barbé-Marbois, qui
jusqu'à l'abus; mais lorsque, ainsi qu'en france, il y a eû trois grandes faillites nationales en un siècle, le peuple ne s 'habitue pas facilement à 11/1 signe aussi périlleux; il lui faut des espèces, et pour peu qu'il voye le papier de la banque se multiplier indiscrètement, il courra sans relâche à cette caisse pour le changer contre des écus." (Rapport aux Consuls de la République... , op. cit., De la banque de France.) 43. Rapport aux Consuls de la République... , op. cit., Sur les Banques et Caisses ... 44. Ibid.
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reconnaît qu'une telle mesure serait envisageable, se déclare partisan d'une "suppression absoluë"45. Cette suppression de la Caisse d'escompte du commerce semble être la condition de l'extension de la Banque de France. "Ce n'est qu'alors qu'on pourra donner à la Banque le développement dont ses fondateurs l'avoient jugée susceptible, et que la sagesse de son régime lui permet d' aspirer. Ce n'est qu •alors qu'elle pourra devenir la Banque de france. "46 Il importe que cette Banque soit "désormais sans rivale"47. Barbé-Marbois est conscient qu'il faudra éviter un double écueil. Il convient de ne pas léser les intérêts du commerce, principal argument des directeurs de la Caisse en faveur de son maintien. Il faudra aussi surmonter les résistances de ses nombreux actionnaires. Le ministre du Trésor public reconnaît que ces deux pierres d'achoppement ne manqueront pas de provoquer une crise passagère. Mais l'enjeu semble en rendre le risque acceptable. Cette volonté d'élimination ne se limite pas à la Caisse. Barbé-Marbois se déclare bien éloigné de reconnaître l'utilité de la Banque territoriale. Il manifeste plus de considération pour Laffon-Ladébat que pour l'établissement que celui-ci dirigéS. L'intérêt demandé aux emprunteurs est beaucoup trop élevé pour qu'on puisse lui reconnaître la même efficacité qu'à la Caisse d'escompte du commerce ou au Comptoir commercial. Il critique ces intérêts excessifs comme allant à l'encontre du mouvement de recherche d'une baisse des taux. En même temps, il se réjouit que de tels intérêts puissent constituer un frein au développement de l'établissement. Il ne répond d'ailleurs pas aux demandes de Laffon-Ladébat qui réclame des allégements fiscaux susceptibles de favoriser cette baisse. Barbé-Marbois a beau jeu d'accuser la Banque territoriale de favoriser la spéculation. Les propriétaires qui sont contraints de s'endetter auprès d'elle à un coût élevé sont tentés de s'aventurer dans des opérations hasardeuses pour rentabiliser leurs emprunts. Le jugement est sévère pour l'établissement. "La banque territoriale existe depuis plus de deux ans. et on ne cite aucun projet avantageux exécuté par ses secours."49 Non seulement la -Banque territoriale est considérée comme d'une utilité douteuse, mais elle présente de sérieux inconvénients, en dehors des risques que l'insuffisante liquidité de ses avoirs lui font courir. Elle met en circulation des billets à hauts risques et la suspicion quLpeut les frapper est susceptible de se propager et de porter atteinte au crédit dont bénéficient ceux de la Banque de 45. Rapport aux Consuls de la République ...• op. cit .• Caisse d'Escompte du Commerce. 46. Ibid. 47. Ibid. 48. Barbé-Marbois et Laffon-Ladébat siégeaient tous deux au Conseil des Anciens. A la suite du coup d'Etat du 18 fructidor An V (4 septembre 1797). ils furent déportés en Guyane. Deux ans plus tard. le Directoire autorisait les proscrits à revenir à l'ile d'Oléron. Les deux parlementaires. qui avaient survécu à un exil dont beaucoup ne revenaient pas. furent rapatriés. Lorsqu'ils arrivèrent au château d'Oléron. ils retrouvèrent leur liberté grâce au coup d'Etat de Bonaparte. 49. Rapport aux Consuls de la République...• op. cit .• De la Banque territoriale.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission France. De plus, Barbé-Marbois voit dans le fait que les billets soient gagés sur la terre un danger pour l'indépendance nationale. En effet, la Banque peut être amenée à liquider des propriétés foncières. Des étrangers seraient en mesure de se porter acquéreurs de ces propriétés que la Banque territoriale pourrait mettre en vente. Ils deviendraient ainsi propriétaires d'une partie du territoire national. Le fait qu'ils puissent accepter et détenir des billets de la Banque en fait des acheteurs potentiels. Cette idée est insupportable à Barbé-Marbois. Il reconnaît l'avantage d'une affluence de capitaux étrangers, mais s'inquiète que les nationaux puissent être dépossédés de leurs terres qui passeraient dans des mains étrangères. Ces craintes paraissent peu fondées. On voit mal pourquoi les étrangers se porteraient plus facilement acquéreurs de terres vendues par la Banque qu'ils ne se sont portés acquéreurs des biens nationaux vendus par l'Etat. Les dangers consécutifs à une telle acquisition sont en outre à relativiser. Ils conduisent néanmoins Barbé-Marbois à affirmer sa volonté de mettre un terme au développement de l'établissement. Les griefs de Barbé-Marbois à l'encontre des émissions du Comptoir commercial sont suffisamment forts pour qu'il se prononce contre leur poursuite. On pourrait en revanche s'attendre à ce que sa position vis-à-vis de la Factorerie soit plus nuancée. Ses billets sont acceptés dans les caisses publiques et elle reçoit du bÙlon de la Banque de France et de la Trésorerie dont elle facilite les opérations. Mais la Factorerie, comme les autres banques de sols, est accusée de multiplier les papiers représentant une mauvaise monnaie. Et Barbé-Marbois demande que de tels billets soient exclus des caisses publiques. Le receveur général d'Indre-etLoire avait écrit aux percepteurs pour leur demander d'accepter ces papiers. Barbé-Marbois réclame sa destitution. Il propose par ailleurs la suppression immédiate des banques de sols à Rouen. Le ministre du Trésor public tient à ce que ses propositions soient adoptées sans délai. Il demande à ce que dès le premier jour de l'an XI (23 septembre 1802) seuls les billets de la Banque de France soient reçus dans les caisses du Trésor. Il propose pour le même jour la rédaction d'un règlement, conçu à partir des propositions des régents, permettant aux clients de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial de trouver une aide auprès de la Banque de France. Ce projet doit être discuté en présence des consuls et d'un conseiller d'Etat. Sans doute Barbé-Marbois pense-t-il à Cretet qui s'est déjà penché sur la question.
II. La décision d'organiser l'unité d'émission Les rapports de Cretet et Barbé-Marbois préconisent sans ambiguïté l'unité d'émission et s'emploient à la justifier. Barbé-Marbois va même jusqu'à annoncer que cette unité doit être réalisée et organisée conformément aux vues de la régence. En dépit des arguments avancés par les membres des établissements destinés à être supprimés, la possibilité de mettre en place l'unité d'émission sur Paris
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commence donc à se préciser. Cette possibilité doit être envisagée d'autant plus sérieusement que la Banque de France maintient ses prétentions à assurer seule la circulation fiduciaire et que Bonaparte se prononce en faveur de cette solution en chargeant Mollien de la mettre en pratique.
La Banque de France maintient ses prétentions L'unité du billet de banque pourrait correspondre' à une entente entre les émetteurs pour mettre en circulation des coupures identiques. Des négociations entre la Banque de France et la Caisse d'escompte du commerce laissent un instant espérer que les deux principales banques d'émission peuvent être amenées à s'accorder sur l'utilisation d'un billet commun. Mais l'échec des discussions renforce les prétentions de la Banque de France à assurer seule l'émission des billets. Une tentative de conciliation Le 21 messidor An X (10 juillet 1802), le ministre du Trésor public, BarbéMarbois, annonce à la Banque de France que le gouvernement, avant de prendre parti sur la réunion des banques d'émission, souhaite obtenir l'avis des administrateurs de tous les établissements concernés. Il demande aux régents de discuter les problèmes posés par cette réunion et de proposer des plans qui pourront servir de base de travail. Il précise que lorsque chaque établissement aura étudié la question, les résultats de leurs recherches seront transmis au troisième consul qui réunira les représentants de chaque émetteur en vue de régler la question en préservant les intérêts de tous. Les régents consacrent plusieurs séances de travail à examiner divers projets et à tenter d'en établir la synthèse5 0 . Ils rendent le résultat de leurs travaux le 7 thermidor An X (26 juillet 1802)51. Ils manifestent leur espoir d'avoir convaincu le gouvernement de la nécessité d'une seule banque à Paris et ils réclament un arrêté des consuls proclamant que la Banque de France devient banque unique à Paris52 • Les propositions des régents se ramènent à une série d'articles visant à organiser la suppression de la Caisse d'escompte du commerce. Le premier article proclame d'entrée que la Caisse devra cesser ses opérations et sera liquidée par la Banque. Celle-ci prévoit le transfert chez elle des effets jugés solides détenus
50. Ils font part de l'état d'avancement de leurs travaux au ministre du Trésor public par une lettre du 1er thermidor An X (20 juillet 1802). Arch. nat., AF /IV /1070. 51. Propositions des Régents de la Banque de France pour opérer la réunion de la Caisse dll Commerce à la dite Banqlle. Arch. nat, AF /IV /1070. Perregaux transmet ces propositions à Bonaparte le 28 thermidor An X (16 août 1802). (Le Cen Perregallx ail General Bonaparte. Lettre du 28 thermidor An X. Arch. nat. AF/IV /1070.) 52. Cette demande, qui apparaît dans les Propositions des Régents, est clairement formulée dans une lettre du 8 thermidor An X (27 juillet 1802) adressée au ministre du Trésor public.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission dans le portefeuille de la Caisse. Elle propose de fournir les billets nécessaires au retrait de ceux de la Caisse. La Banque devra créer de nouvelles actions pour un montant égal à celui des actions mobilières et hypothécaires, lesquelles seront converties en actions de la Banque. Les associés de la Caisse deviendront, s'ils le souhaitent, actionnaires de la Banque de France pour un montant équivalent à celui de leurs actions anciennes. Les demandes de remboursement seront immédiatement satisfaites pour les actions mobilières, et avec échelonnement sur six mois pour les actions hypothécaires. Les régents prévoient de poursuivre les aides que la Caisse accordait au commerce. Ses actionnaires pourront faire escompter leurs effets à la Banque. Ils devront, pour compenser l'absence d'une troisième signature, fournir leurs actions à la Banque en garantie. Les régents pensent donc arriver à leurs fins par un acte juridique autoritaire. C'est pourtant une solution à l'amiable qui semble se dessiner. Le 4 vendémiaire An XI (26 septembre 1802), Barbé-Marbois transmet aux régents et aux administrateurs de la Caisse le voeu du gouvernement pour la réunion des deux établissements. Il souhaite que les commerçants parisiens continuent à trouver auprès de la Banque les secours que leur procurait la Caisse. L'opération ne doit pas non plus léser les intérêts des actionnaires. Il invite l'un et l'autre établissement à constituer une délégation de trois représentants chargés d'organiser des réunions en comité restreint pour en étudier les modalités. BarbéMarbois impose un calendrier particulièrement resserré. Il souhaite que les conférences aient lieu dès le lendemain pour que les six représentants se réunissent le surlendemain chez le troisième consul et arrêtent les décisions qui seront portées aux trois consuls un jour plus tard. C'est en fait l'absorption pure et simple de la Caisse par la Banque qui doit être discutée, et non pas une réunion de deux établissements qui souhaitent unir leurs forces. Les régents s'empressent de répondre aux demandes du ministre qui vont dans le sens de leurs propositions. Les administrateurs de la Caisse sont toutefois loin de témoigner le même empressement. Ils arrêtent que "les Consuls
seront supplié d'accorder un délai suffisant pour que les Commissaires de la Caiss~ et de la banque réunis, puissent murir leurs délibérations sur un objet d'une si haute importance"53. Il s'agit surtout pour la Caisse de gagner du temps. Le 6 vendémiaire (28 septembre), le directeur Poulard demande une entrevue à Bonaparte. Il n'hésite pas à lui faire savoir que "le Commerce vient de recevoir le coup le plus sensible et le plus destructeur de son crédit"54. Il.va presque jusqu'à sommer le Premier Consul de retirer le projet en déclarant: "nous osons espérer que
vous révoquerez une décision aussi funeste au Commerce qu'à la Banque et au crédit public"55. 53. Extrait dll Registre des Délibérations de l'administration de la Caisse d'Escompte dll Commerce dll 5 vendémiaire an 11. Arch. nat., AF/IV /1070. 54. Lettre de Poulard au Premier Consul, 6 vendémiaire An XI, Arch. nat., AF /IV /1070.
55. Ibid.
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Le calendrier fixé par Barbé-Marbois qui voulait éviter que les discussions s'enlisent ne peut être respecté. L'entrevue entre les deux délégations, qui a lieu le 7 vendémiaire (29 septembre), n'aboutit pas. Les représentants de la Caisse demandent de nouveaux délais. Ils cherchent vraisemblablement à gagner encore du temps pour tenter d'infléchir la position du gouvernement. Les discussions finissent en effet par prendre une tournure nouvelle. Le 13 vendémiaire (5 octobre), les représentants de la Banque doivent se concerter avec ceux de la Caisse "sur la manière de laisser subsister les deux Etablissements avec les seuls billets de la Banque"56. L'enjeu n'est donc plus la réunion des deux établissements mais l'utilisation d'un seul billet par les deux. Le gouvernement a sans doute été sensible aux revendications de la Caisse et il a probablement demandé à la Banque de négocier sur ces nouvelles bases. En l'absence de propositions écrites de la Caisse, dont les représentants demandent un nouveau report de la rencontre, les délégués de la Banque se contentent de débattre sur la position présumée des actionnaires de la Caisse. Le rejet de l'idée d'un billet commun Ce projet de billet unique avec maintien des deux établissements est finalement rejeté par la Banque le 15 vendémiaire An XI (7 octobre 1802) après une rencontre avec les délégués de la Caisse57. Ceux-ci réclamaient 20,4 millions de francs en billets de la Banque de France, contre une livraison de 4,5 millions en écus et le solde en billets des actionnaires et valeurs en portefeuille. Ces propositions ne conviennent pas à la Banque qui avance plusieurs justifications de son refus. Elle incrimine en premier lieu un volte-face du gouvernement. BarbéMarbois avait effectivement demandé à ce que les représentants de la Banque et de la Caisse étudient la possibilité d'une réunion des deux organisations. C'est cette demande qui avait motivé leur proposition de plan organisant l'absorption de la Caisse. La régence reproche donc au gouvernement de ne plus la suivre dans cet objectif. Il semble avoir abandonné l'idée d'une fusion pour retenir le maintien de la Caisse d'escompte du commerce réduite à utiliser les billets de la Banque, et les régents l'accusent presque de ce reniement. La Banque fait aussi valoir qu'en se prêtant à ce schéma, elle deviendrait commanditaire de la Caisse, sans pouvoir jouir des bénéfices de celle-ci tout en supportant les risques qu'elle pourrait courir. Une telle situation n'est pas conforme aux statuts de la Banque. On peut concevoir que la Banque refuse de s'engager dans une opération qui est susceptible de présenter des dangers sans procurer des profits. Elle consacrerait toutefois sa suprématie indiscutable sur la 56. Registre des Délibérations du Conseil Général de Régence de la Banque de France. Tome 2. Du 2 vendémiaire an XI au 17 pluviôse an XIII. Archives de la Banque de France. 57. Les dirigeants de la Banque de France développent les raisons de leur refus d'une telle solution dans le procès-verbal de la séance du Conseil général de régence le 15 vendémiaire An XI (7 octobre 1802).
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Caisse en lui ôtant la possibilité d'émettre ses propres billets. Le refus des régents tient peut-être au fait qu'ils considèrent cette solution comme une demi-mesure et qu'ils ne désespèrent pas d'obtenir la suppression de la Caisse. On comprend d'ailleurs que cette proposition soit loin de les satisfaire si leur objectif était l'élimination de la Caisse. Celle-ci en sortirait peut-être même renforcée puisqu'en utilisant les billets de la Banque au lieu de ceux de ses actionnaires, elle ne serait plus à la merci d'éventuelles défaillances des associés. Les régents font toutefois preuve de mauvaise foi en invoquant l'incompatibilité avec les statuts puisque dans leurs propres propositions. ils envisageaient de modifier les statuts de la Banque pour permettre l'absorption de la Caisse58 . Et lorsqu'il s'agira' d'établir le monopole de la Banque de France. ces statuts ne constitueront plus un obstacle. On n'hésitera pas à les modifier. La Banque ne se prive pas de faire valoir la singularité d'une situation qui l'obligerait à fonctionner au bénéfice d'une société concurrente. Elle reprend paradoxalement les arguments des administrateurs de la Caisse pour faire ressortir que celle-ci a un papier suffisamment solide pour ne pas avoir à utiliser celui de la Banque. Les régents notent ainsi "que la Caisse d'escompte du
Commerce est persuadée qu' elle peut très bien aller par elle meme. qu'elle reconnait que ses capitaux et son crédit suffisent pour la garantie de ses Billets en émission i que ce serait une opération étrange et sans exemple, que celle par laquelle une association se détacherait à son préjudice d'une partie de son Capital circulant en faveur d'une autre association qui la dédaigne"59. Ils semblent voir un plus grand danger dans cette solution que dans la situation de simple concurrence alors en vigueur. L'échange de billets contre des effets remis par la Caisse n'est, pour les régents, rien d'autre qu'un escompte forcé. Cette présentation est défendable puisque la Banque cède ses billets contre des titres dont elle n'a pas à s'assurer de la solidité. Elle doit accepter un papier où la troisième signature fait défaut et elle ne retire même pas le bénéfice de l'escompte. Comme les effets livrés par la Caisse ne procurent pas la garantie des billets échangeables à vue qui sont fournis en contrepartie, seuls les écus faisant l'objet du transfert représentent un échange équitable. Indépendamment de toutes ces considérations, accepter l'offre reviendrait pour la Banque à retarder simplement le règlement de ses difficultés. Si la Banque de France ne devient pas banque unique, elle risque d'être confrontée tôt ou tard à d'autres concurrents. "La Banque ne pourrait se flatter d'échapper aux prétentions
des associations présentes et futures qui émettent ou émettront des Billets de
58. L'article 13 des Propositions des Régents de la Banque de France pour opérer la réunion de la Caisse du Commerce à la dite Banque débute ainsi : "11 sera fait dans les statuts et réglemens de la Banque de France. les changemel!ts nécessaires pour cette réunion." 59. Registre des Délibérations ...• op. cit .• t. 2.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 confiance"60. Les régents ne tiennent pas à créer un précédent peu satisfaisant qui ne réglera que momentanément le problème de la concurrence. Ils mettent donc fin aux tractations portant sur l'utilisation d'un billet unique par la Banque de France et la Caisse d'escompte du commerce. Le compte-rendu des discussions est transmis à Barbé-Marbois qui en informe Bonaparté1. Le ministre du Trésor public se range d'ailleurs à l'avis de la régence en notant que cette solution n'aurait pas complètement satisfait la Caisse et aurait pu porter préjudice à la Banque. Elle n'aurait d'ailleurs pas véritablement réglé le problème de la pluralité des émetteurs62. Il est curieux de constater qu'au moment des tractations entre les deux établissements sur la possibilité de mettre en place un billet unique, un plan adressé à Bonaparte se propose d'atteindre les mêmes objectifs pour l'ensemble des établissements63 . Ce plan prévoit de rassembler les divers établissements existants au sein d'une banque beaucoup plus vaste, au capital constitué par 50 000 actions classiques de 3 000 francs chacune et 50 000 actions hypothécaires du même montant. Elle comporterait différentes sections, dont une pour les opérations avec les banquiers qui sont habituellement réservées à la Banque de France, une pour la mobilisation des richesses foncières dont tente de s'occuper la Banque territoriale, une pour les affaires avec le commerce en gros et les manufactures qui sont du ressort de la Caisse d'escompte du commerce, et une pour le petit commerce qui relève du Comptoir commercial. Les différents établissements pourraient donc continuer à coexister au sein d'une entité qui les engloberait, ce qui permettrait de 'faire cesser les rivalités qui leur nuisent et
conserver cependant toute leur action particulière, tout ce que leur institution a d'utile"64. Un seul papier de circulation servirait aux activités de tous. Bonaparte renvoie le plan au consul Lebrun le 19 vendémiaire An XI (11 octobre 1802). Il n'en sera toutefois plus fait mention. Si on pouvait espérer la
60. Ibid.
61. Banque de France. Extrait du Registre des délibérations du Conseil de Régence: séance dll 19 vendémiaire an 11. Arch. nat., AF/IV /1070. 62. Il note "qlle laissant subsister l'action rivale de ces deux administrations, elle ne remédie pas aux inconvéniens, qu'elle obère la nature, j'ose dire la valeur dll billet de la banql/e de france, ql/e si il obtient ainsi la Circl/lation à Paris d'un seul billet, ce billet employé dans des Vl/ës souvent opposées, par deux administrations différentes, deviendra 11I0ins la chose de la Banque de france et ne remplacera pas l'objet du Gouvernement dans ses vues d'accroftre les ressources publiques et celles du commerce particulier. [... ) Il resterait encore dans la circulation le billet du comptoir commercial et celui de la banque territoriale et tous al/tres qui pOl/rront, en résultat d'l/ne assodation nOl/velle, être mis en émission." (Observatiolls sur les propositions de la Caisse dll Commerce. Document remis au Premier Consul par le ministre du Trésor public le 21 vendémiaire An XI. Arch. nat., AF/IV /1070.) 63. Ce plan, non signé et daté du 8 vendémiaire An XI (30 septembre 1802) est composé de trois documents: Plan de formation d'une Ballql/e générale; observatiolls sur le Plan de Banque Générale; De la rél/llion des Etablissements de crédit. Arch. nat., AF /VI/1070. 64. De la réunion des Etablissements de crédit, op. cit.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission conservation de tous les établissements grâce au billet unique, c'est finalement l'idée de la suppression des divers établissements à cause de cette volonté d'instaurer un billet unique qui finit par prévaloir. Les pressions exercées sur les deux principaux émetteurs pour les inviter à négocier sur leur réunion puis le retourn~ment pour engager les discussions sur la possibilité d'un billet unique peuvent donner une' impression de flottement dans les décisions prises par le pouvoir politique. Ces hésitations marquent peut-être l'influence respective de Barbé-Marbois et de Cretet. Le premier s'est prononcé sur la suppression de la Caisse d'escompte du commerce. Le second, tout en reconnaissant la nécessité de l'unité d'émission, est favorable au maintien des différents établissements. Tous deux ont transmis leurs conclusions à Bonaparte. Il convient de s'arrêter sur les convictions de celui à qui revient la décision finale, ainsi que sur celles de Mollien dont le rôle auprès du Premier Consul va en s'accentuant. Bonaparte et Mollien sont tous deux mécontents du système en place, le premier du fait des dangers qu'il prête à la pluralité des émetteurs, le second à cause des faveurs dont lui paraît jouir la Banque de France. Il est donc nécessaire de présenter les raisons de leur insatisfaction. Les théories de Mollien sur la monnaie fiduciaire devront ensuite être exposées. Elles sous-tendent en effet un projet de loi qu'il présentera à Bonaparte.
L'insatisfaction de Bonaparte et Mollien Bonaparte contre la concurrence Dans sa lettre à Cretet, Bonaparte affirmait clairement son in'tention de favoriser le développement de la Banque de France en vue de bénéficier plus largement de ses services. Il ne faisait toutefois pas état de son opinion sur la multiplicité des émetteurs et rien n'indiquait que dans son esprit la promotion de la Banque de France dût s'accompagner de la disparition des autres banques. Mollien qui établit dans ses Mémoires des comptes-rendus de ses entretiens avec le Premier Consul, nous fournit de précieuses indications sur sa position à cet égard. L'extrait suivant révèle plusieurs facettes de l'opinion de Bonaparte sur la Banque de France.
"Il me rappela le dernier entretien qu'il avait eu avec moi sur les banques de circulation, et particulièrement sur celle qu'il regardait comme sa création et qu'il avait nommée la Banque de France ; il me demanda si, par ses escomptes, cette Banque n'avait pas fourni une grande partie des fonds des dernières expéditions maritimes ; si les traites qu'elle avait reçues en échange seraient payées dans le cas où tous les vaisseaux expédiés feraient naufrage; si leur protêt n'exposerait pas cette Banque à quelques catastrophes; si d'ailleurs les deux établissements parallèles qui tenaient concurremment lm bureall d'escompte ollvert à Paris
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 éprouvant une secousse, la Banque de France ne serait pas ébranlée par le contrecoup; si, selon la saine théorie des banques, cette concurrence de plusieurs ateliers d'escompte dans la même ville ne pouvait pas être dangereuse, et pour chaque banque et pour le gouvernement, même dans les temps les plus calmes. "65 Ces quelques lignes de Mollien sont révélatrices de l'état d'esprit du Premier Consul qui considère la Banque comme son oeuvré6 . Elles montrent aussi que la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial sont les seuls autres établissements pris en considération. Elles indiquent en outre que Bonaparte a fait siennes les assertions des régents, reprises par Barbé-Marbois et développées par Cretet, selon lesquelles les difficultés d'un établissement pourraient rejaillir sur les autres6 7 . Il craint évidemment que d'éventuels déboires de la Caisse ou du Comptoir puissent nuire à la Banque. Ce qu'il ne relève par contre pas, c'est que l'impact de l'échec des opérations maritimes sur la Banque, auquel il fait allusion et qu'il paraît redouter68, peut se répercuter négativement sur les deux autres émetteurs. Le fait qu'une crise à la Banque de France puisse affecter les autres établissements n'est pas évoqué. Mollien signale que Bonaparte est alors marqué par la lecture de la traduction d'un pamphlet anglais critiquant les opérations des banquiers parisiens et la concurrence d'organisations incapables de faire face à une éventuelle inquiétude du public. L'auteur prétendait "que le premier éclat des fautes de l'une d'elles, les compromettait toutes"69. Bonaparte semble avoir été sensible aux critiques de ceux qui ne s'embarrassent pas de précautions pour contester le système français et 65. F.-N. Mollien, Mémoires d'un ministre du Trésor public. 1780-1815, Paris: Guillaumin, 1898, t. 1, p. 336-337. 66. Mollien fait référence à plusieurs reprises à ce ton possessif de Bonaparte. lorsqu'il traite de la Banque. Le premier passage des Mémoires où il est question de la Banque débute ainsi: "Dans ses audiences, il m'avait aussi parlé quelquefois de la banql/e ql/'il venait d'établir sous le titre pompeux de Banque de France." (Ibid., p. 292.) Bonaparte se présente certes comme le créateur de l'établissement. mais la façon dont Mollien le fait apparaître tend à laisser croire que lui-même n'est pas loin de le penser. 67. C'est d'ailleurs l'avis de Mollien qui exprime ainsi son opinion à Barbé-Marbois. "De pareil/es Institutions. sl/rtout dans certaines circonstances. se trouvent malgré lel/r rivalité.
dans une telle dépendance mu tl/elle, ql/e la 1ère crise qu'Eprol/vera l'une, se comml/niquera siml/ltanément à tOI/tes les autres." (Caisse d'Amortissement et de Garantie. Rapport au Ministre. Rapport de Mollien à Barbé-Marbois du 2 brumaire An X (24 octobre 1801). Arch. nat., AF/IV /1070.) . 68. Il s'agit vraisemblablement de l'expédition à Saint-Domingue. Victor-Bénigne Flour de Saint-Genis, auteur d'un ouvrage sur la Banque de France au XIXe siècle. fournit une indication qui explique les craintes de Bonaparte. "La Banque avait en quelque sorte commandité l'expédition de Saint-Domingue; ses plus importants capitaux étaient sur mer à la discrétion des flottes anglaises, lorsque la période pacifiql/e. malhel/reusement si courte et cependant si remplie de grandes oel/vres. ql/i dura de 1801 à 1803 vint à cesser brl/squement par la rupture de la paix d'Amiens." (V.-B. Flour de Saint-Genis, La Banque de France à travers le siècle, Paris: Guillaumin, 1896. p. 23.) La paix d'Amiens a été rompue le 22 mai 1803, soit cinq semaines après la loi qui attribue le privilège d'émission à la Banque de France. 69. Mollien. Mémoires ...• op. cit .• p. 338.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission mettre en question le premier dirigeant du pays, d'autant que ces attaques vont dans le sens des observations qui lui ont été transmises. Il fait état de ses inquiétudes sur la pluralité des émetteurs. Il paraît redouter par-dessus tout les retentissements que pourrait avoir sur le système bancaire l'échec des expéditions maritimes. Une suspension des paiements perturberait considérablement les opérations des commerçants et de l'Etat et nuirait au crédit de la Banque à l'extérieur. La banque unique paraît présenter des dangers moindres. Bonaparte pense qu'il serait surtout plus facile d'en réprimer les abus, tandis que la concurrence de divers établissements les pousse à prendre des risques.
"Je n'aime pas non plus ce conflit de trois banques qui fabriquent concurremment une monnaie de papier. Vous m'aviez dit quelque chose de pareil dans vos notes; si quelque événement politique venait contrarier le commerce dans les expéditions qu'il espère, dans les recouvrements de ses avances, conséquemment dans le paiement des emprunts qu'il a faits, soit par lettres de change, soit de toute autre manière, les banqueroutes ne seraient pas moins nombreuses à Paris qu'elles ne le sont à Londres toutes les fois que quelque nouvelle secousse agite l'Europe: et elles pourraient y laisser des traces plus funestes. Si, par exemple, ces trois banques, dont les billets sont admis chez tous les commerçants et même dans les caisses publiques, suspendaient leurs paiements, il pourrait en résulter un grand embarras dans tous les services, un grand désordre dans l'intérieur, et surtout un grand scandale au dehors. Ne m'avez-vous pas dit que, pour conserver son crédit, il fallait en général qu'une monnaie artificielle comme celle des banques ne sortît que d'une seule fabrique? J'adopte cette pensée; une seule banque est plus facile à surveiller que plusieurs, et pour le gouvernement et pour le public ; quoi qu'en puissent dire les économistes, ce n'est pas en ce cas que la concurrence peut être utile. Occupez-vous dans ce sens d'un nouveau plan d'organisation pour la Banque de France, vous ne le remettrez qu'à moi seul."70 Le Premier Consul reconnaît lui-même que son choix est guidé par les vues de Mollien 71 . L'opinion de celui que Bougerol considère comme "le professeur de Bonaparte en économie politique"72, et à qui il confiera le soin de lui communiquer les projets qui dicteront sa décision, mérite d'être développée. Mollien mécontent de la Banque
"Mollien a sans doute rendu plus de services aux institutions de banque par ses critiques que cent flatteurs par leurs louanges."73 L'affirmation de celui qui fut 70. Ibid., p. 339-340. 71. Ibid. Cette influence de Mollien sur Bonaparte est relevée par Denis Besnard et Michel Redon (La Banque de France, Paris: PUF, 1989, p. 10). Les auteurs reprennent toutefois la présentation traditionnelle liant la fondation de la Banque de France à la volonté du Premier Consul de créer un puissant institut d'émission. 72. Bougerol, op. cit., p. 51. 73. Ramon, op. cit., p. 36.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 sous-gouverneur de la Banque de France laisser penser que le directeur de la Caisse d'amortissement ne portait pas la Banque dans son coeur. Il est vrai que son regard sur l'établissement est beaucoup plus critique que celui d'un conseiller comme Cretet. Mollien est irrité par le fait que la troisième signature exigée sur les effets escomptés puisse être fournie par un des régents. Celui-ci est en effet le bénéficiaire du taux réduit pratiqué par la Banque à l'escompte alors qu'il a exigé un intérêt plus élevé pour accepter l'effet du commerçant. Cette pratique est sans profit pour le commerce et peut se révéler dangereuse pour la Banque en cas d'abus. La Banque se refuse d'autre part à admettre à l'escompte les effets dont l'échéance est inférieure à quinze jours. On peut supposer qu'il s'agit là d'une volonté d'écarter les opérations qui ne présentent qu'un bénéfice réduit du fait du faible nombre de jours restant à courir. Mais Mollien n'évoque pas cette justification possible. Pour lui, plus l'échéance de l'effet est rapprochée, plus celui-ci offre de garanties74 • Or la Banque se doit de rechercher les effets les plus solides. On pourrait objecter à Mollien que l'acceptation d'effets ayant une échéance aussi 'rapprochée, en ne permettant que la réalisation d'un bénéfice limité, enlèverait la raison d'être de ce qui n'est qu'une association privée. Le principal reproche tient au fait que la Banque s'est vu attribuer gratuitement un privilège. Dans le vocabulaire de Mollien, le mot privilège ne doit toutefois pas être confondu avec monopole. "Ce privilège consiste à émettre
de simples billets au porteur, qui ont force de monnaie; avec ces seuls billets, la Banque se rend propriétaire des meilleures créances du commerce, sur le montant desquelles elle retient une prime."75 Pour Mollien, cette faculté est même plus intéressante que le droit de l'Etat à mettre en circulation la monnaie métallique.
"Le privilège d'une banque est de fabriquer presque sans frais une monnaie qui circule concurremment avec la monnaie réelle, 'laquelle ne se fabrique pas sans frais, puisque, si elle est de bon aloi, elle a coûté, en effet, toute la valeur qu'elle représente"76. En laissant la Banque émettre des billets, l'Etat se départit de son droit de battre monnaie. Comme cette monnaie est émise lors d'opérations de crédit, on pourrait considérer que c'est là un moyen pour l'Etat de trouver une contrepartie à cette perte de souveraineté. Mais Mollien écarte toute idée qui tendrait à vouloir procurer au gouvernement un accès privilégié au crédit. Au contraire, il détient dans ses caisses assez peu d'effets aussi sûrs que des lettres de change. Par conséquent, si la Banque accorde bien ses crédits en acceptant à l'escompte les titres présentant le plus de sécurité, l'Etat risque de trouver auprès d'elle des secours limités. Il y a donc là une certaine injustice. L'Etat laisse la 74, Say ne manquera pas non plus de signaler la nécessité pour une banque de détenir des effets à brève échéance puisqu'ils sont la contrepartie de billets convertibles à vue. (Say, op. cit., t. 2, p. 31-32.) 75. Mollien, Mémoires ... , op. cit., p. 298. 76. Ibid., p. 294-295.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Banque émettre sans qu'il ne réclame de compensations, alors que "ce privilège est fort lucratif pour les entrepreneurs qui l'obtiennent, puisque escompter c'est prêter à intérêt, et que les entrepreneurs d'une banque reçoivent, pour les prêts qu'ils font dans une monnaie qui ne leur coûte guère que des signatures, le même intérêt' que des prêteurs ordinaires reçoivent pour des prêts faits en monnaie réelle" 77. Il serait donc équitable que l'Etat exige une rémunération en contrepartie de ce droit d'émettre. Or c'est une logique inverse qui a prévalu lors de la fondation de la Banque de France. Non seulement l'institution n'a pas payé pour obtenir ce droit de battre monnaie, mais c'est l'Etat qui lui a apporté des fonds. Mollien, en tant que directeur de la Caisse d'amortissement, paraît avoir mal accepté l'utilisation qu'il a dû faire des cautionnements des receveurs généraux. Il lui semble apparemment paradoxal que l'Etat, devenu le premier actionnaire par l'acquisition immédiate de cinq mille titres, n'en retire aucun bénéfice particulier. Il faut bien avouer que son raisonnement ne manque pas de pertinence. L'exemple de la Banque d'Angleterre ne peut que conforter les remarques de Mollien. A sa création, la moitié du capital avait été mis à la disposition de l'Etat anglais. C'est l'inverse qui s'est produit en France puisque l'Etat s'est porté acquéreur d'un grand nombre d'actions par l'apport de fonds de la Caisse d'amortissement78 . On pourrait ajouter que le fait d'être le principal actionnaire ne lui donne aucun droit de regard particulier puisque l'article 9 des statuts limite à quatre le nombre de voix utilisables dans l'assemblée générale 79 . Mollien doit être d'autant plus scandalisé par les avantages procurés à la Banque qu'à la même époque la Banque d'Angleterre obtient le renouvellement de son privilège contre un prêt au gouvernement de 72 millions de francs, sans intérêts. L'extrait suivant montre clairement les lacunes de la Banque de France en comparaison avec la Banque d'Angleterre, lacunes qui devraient limiter ses prétentions à vouloir éliminer la Caisse d'escompte du commerce. "Je termine le parallèle entre la banque de Londres et la banque de France, qui
semblerait n'être qu'un acte d'accusation contre cette dernière, et certes mon intention n'est pas de l'accuser. Le tort ou plutôt le malheur de la banque de France est de ne pas connaître son mal; de chercher hors d'elle les causes de sa langueur, qui ne sont qu'en ellemême. Mais ce n'est pas en s'incorporant la Caisse de Commerce (que je ne prétends 77. Ibid., p. 299-300. t: 78. "Je dois l'avouer, cette' esquisse rapide de la constitution du régime de la Banque de Londres devient malgré moi la critique de la banque de France. Le début de la banque de Londres est d' offrïr à son gouvernement (et à qI/elle époque !) une avance de 30 millions de francs. Le début de la banque de France est d'emprunter au gouvernement français l'avance de presque tout SOli capital." (Sur les Banques et le régime d'escompte ql/i leur est propre. Arch. nat., AF/IV /1070.) Cette note est datée du 19 vendémiaire An XI (11 octobre 1802). 79. Cf supra, p. 49.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 pas deffendre), comme elle s'est incorporée dans l'origine la caisse des comptes courans ; ce n'est pas en concentrant en elle tous les moyens d'escompte qu'elle remplira avec plus de succès la fonction de banque, et qu'elle parviendra à s 'honorer vis-à-vis du gouvernement de quelques services dignes d'une véritable banque. Il faut qu'elle commence par lire ses devoirs et sa conduite dans l'exemple de la Banque de Londres qui ne pouvant jamais user du monopole de sa monnaie artificielle que pour l'intérêt de tous, n'a jamais eu l'imprudence de prétendre au monopole de l'escompte, et qui préfère sagement la suprématie de l'escompte à son monopole.
Je ne crois pas que le moment soit encore venu d'investir la banque de France du privilège dont jouit la banque de Londres. Cette destinée est au-dessus de sa pensée, elle serait au-dessus de ses forces et de ses moyens actuels. "so Mollien ne se place donc pas sur le même plan que les régents ou Bonaparte. Alors que pour eux le problème essentiel était celui de la multiplicité des types de billets en circulation, la question fondamentale pour Mollien est celle de l'efficacité dans la distribution du crédit. Avant de revendiquer un monopole, la Banque doit apporter la preuve de sa supériorité en développant l'escompte au profit des commerçants ou du gouvernement. Or la politique des régents ne paraît pas aller dans ce sens. Ils viennent au contraire de décider d'attribuer les fonds destinés à l'escompte proportionnellement au nombre d'actions détenues par les demandeurs de créditsS1 . La Banque paraît donc se renfermer sur la distribution du crédit à ses actionnaires, comme la Caisse d'escompte du commerce ou le Comptoir commercial. C'est une dérive qui risque de contribuer à restreindre le rôle de l'institution dont on pouvait espérer qu'elle deviendrait un grand distributeur de crédit. La Banque peut donc difficilement prétendre à une quelconque domination sur les autres établissements. "J'ajouterai que la fusion des autres petites caisses
d'escomptes établies à Paris, dans la banque de France, me parait devoir être ajournée au moins quelques mois, pour laisser à la banque le temps d'acquérir la supériorité réelle de consistance qu'elle obtiendrait infailliblement par les mesures que je soumets au Premier Consul, et j'ai démontré combien la concurrence même des escompteurs était une aide pour assurer à une banque la suprématie de l'escompte. "S2 80. SI/r les Banques et le régime d'escompte qui leur est propre, op. cit. 81. Le jour même où Mollien rédige sa note SI/r les Banques et le régime d'escompte qui leur est propre, Perregaux rend compte à Bonaparte du changement opéré. "La Banque a adopté I/n liaI/veau mode pour la répartition des sommes qu'Elle prend à l'Escompte. auparavant elle donnait à raison du papier présenté, al/jourd'hl/i c'est suivant la quotité des actiolls ql/'on possède. c'est ce qui a occasionné leur hausse; et en général la mesl/re satisfait les personnes qui SOllt dans l'habitude de présenter à l'escompte. elle a allssi fait cesser cette masse énorme de papier qlli se créait pour pouvoir obtenir une somme pills forte." (Le Cen Perregallx ail Gélléral Bonaparte Premier Conslli. Lettre du 19 vendémiaire An XI (11 octobre 1802). Arch. nat., AF/IV /1071.) 82. SlIr les Banques et le régime d'escompte qui leur est propre, op. cit.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission C'est donc un jugement sévère que Mollien porte sur la Banque de France. Bonaparte, plutôt habitué à recevoir des louanges sur ses actes, ne manque pas d'en être surpris lorsque Mollien lui fait part de ses vues83 . Les réserves de Mollien à l'encontre de la Banque de France ne doivent toutefois pas être considérées comme une opposition à l'existence des banques. Il ne se prive pas de proclamer l'avis contraire. "Je regarde sans doute les Banques comme un grand instrument de prospérité. Et dans ['état actuel de l'Europe, je
regarde la France comme devant être la patrie des Banques, Paris comme pouvant être le centre de la principale Banque du Monde, parce que c'est sur ce point que se réunissent et se croisent les lignes que parcourent les capitaux de tous les Pays."84 Mollien n'a donc aucune hostilité à la diffusion du billet. Il est au contraire un fervent partisan de la monnaie de papier et ses idées sur la question sont d'une étonnante modernité pour l'époque. Rist, qui consacre quelques pages à celui qui deviendra ministre du Trésor public en remplacement de Barbé-Marbois, n'hésite pas à écrire qu'il est le "seul Français qui, au commencement du XIXe siècle, ait des idées personnel/es sur ce sujet"85. Outre les développements contenus dans ses Mémoires, plusieurs notes rédigées à l'adresse du Premier Consul permettent d'en faire la synthèse86 .
L'apport de Mollien L'approche de la monnaie fiduciaire par Mollien doit être présentée. Elle inspire en effet les grandes lignes du projet de loi qu'il élabore sur l'unité d'émission. L'analyse de la monnaie de papier par Mollien La nature du billet de banque Le fervent admirateur de Smith a une conception du billet de banque qui diffère nettement de celle de l'auteur écossais. Au moment où, en Angleterre, Thornton remet en question les théories de Smith sur le billet de banque, Mollien 83. Bonaparte donne d'ailleurs la réponse suivante: "c'est la première fois que j'entends censurer la Banque dans son organisation et le gouvernement dans ce qu'il a fait pour el/e". (Mollien, Mémoires ... , op. cit., p. 303.) L'absence de complaisance dans cette analyse sur la Banque ne semble toutefois pas déplaire au Premier Consul. Il demande à Mollien de préciser son point de vue dans une note. Il lui confie en outre divers compte-rendus sur les banques en . lui demandant de les examiner. 84. Note sur le Projet de Banque du C. Sénovert. Arch. nat., AF IIV /1070. 85. Rist, op. cit., p. 80. 86. Les originaux de ces diverses notes sont conservées aux Archives nationales (AF /IV 11070). Les Mémoires reproduisent deux de ces notes. La version insérée dans les Mémoires comporte toutefois des divergences par rapport aux manuscrits originaux. Nous nous référons donc directement aux textes manuscrits.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 suit la même démarche en France, en présentant une approche qui contraste avec la vision dominante. Mollien refuse de s'en tenir à l'opinion courante qui considère que la solidité du billet tient à son gage métallique. Il reconnaît bien entendu que le billet peut faire office d'espèces métalliques, et n'hésite pas à soutenir qu'il présente la même sûreté. L'émission de billets lors de l'opération d'escompte n'est en effet qu'un échange de promesses. Le billet est une promesse de paiement à vue alors que l'effet de commerce accepté en contrepartie est une promesse de paiement à terme. Bien que le billet circule à la place du métal, et que la banque en assure la convertibilité, sa véritable garantie n'est pas l'or ou l'argent. Cette garantie est en fait la lettre de change, qui représente les marchandises qu'elle a permis d'acquitter, et qui se transformera en monnaie à l'échéance. Tous les billets en circulation ont donc pour contrepartie les effets de commerce placés dans le portefeuille de l'émetteur, représentant des richesses matérielles détenues par des commerçants, et non une quantité équivalente de métal dans ses coffres. S'il en était ainsi, la banque ne rendrait d'ailleurs qu'un service limité. La nouveauté de l'analyse de Mollien ne tient pas au fait qu'il affirme que les billets en circulation doivent excéder la valeur du métal détenu en réserve. Depuis Hume et Smith, les points de vue ont évolué et les banquiers ne voient leur rôle que dans une émission qui excède l'encaisse. Dans les débats sur la pluralité de l'émission, nul ne reproche aux divers établissements d'émettre des papiers dont la valeur excède la ré!!erve. Par contre, en affirmant que le billet doit sa sécurité non pas au métal mais aux effets de commerce escomptés lors de son émission, Mollien prend le contrepied des analyses traditionnelles. En effet, le détenteur d'un billet n'a plus à se soucier du fait que la banque pourrait se trouver dans l'impossibilité de lui rembourser à vue son papier. Le fait qu'en contrepartie de ce billet il existe un effet qui une promesse de paiement devrait le rassurerB7. Ce qu'implique surtout le raisonnement de Mollien, bien qu'il se garde de l'écrire clairement, c'est que la convertibilité du billet à vue, qui était jusque-là présentée comme la condition impérative de la confiance dans les billets, n'est pas indispensable. La nécessité de convertibilité était traditionnellement présentée comme un moyen d'éviter les émissions massives qui pourraient
87. Cette" approche selon laquelle la solidité du billet est à rechercher non pas dans un stock d'or qui permet d'en assurer la conversion, mais dans une richesse constituée par l'effet de commerce accepté à l'escompte au moment de l'émission, a des répercussions pratiques. Le 4 frimaire An XI (25 novembre 1802), Bonaparte adresse à Mollien un écrit proposant une très forte augmentation du capital de la Banque de France. (Cette note de Il pages, non signée, est déposée aux Archives nationales, AF/IV /1070.) Mollien rejette la proposition une semaine plus tard en faisant valoir que ce n'est pas le capital qui règle le volume des billets en circulation, mais les valeurs escomptables. (Observatiolls sur la Note par laquelle 011 propose le Triplemellt des Actiolls de la Ballque de Frallce... , Arch. nat., AF/IV /1070.) Dans le courrier qu'il adresse à Bonaparte, il qualifie la solution de l'auteur de "combillaisoll de pure théorie". (Caisse d'Amortissemellt. Lettre de Mollien au Premier Consul. Arch. nat., AF/IV /1073.)
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission entraîner la dévalorisation du papierB8. Pour Mollien, l'émission peut maintenir toutes les garanties de sécurité en situation de cours forcé 89 . Les lettres de change, à courte échéance et revêtues de trois signatures, qui sont présentées à l'escompte, évitent toute émission excessive. Ce sont en fait les besoins de la circulation qui rythment les émissions. Mollien, bien avant Thomas Tooke, voit que l'émission peut être guidée par les besoins de l'activité économique. Il peut à ce titre être considéré comme un précurseur de la Banking School qui défendra l'idée selon laquelle un excès de billets n'est pas à redouter. Une augmentation de l'émission ne peut correspondre qu'à une extension de l'escompte liée au développement des affaires. Mollien fonde apparemment son opinion sur l'expérience de l'Angleterre. Comme Barbé-Marbois, il ne cache pas son admiration pour la puissance économique britannique. Et il constate, ce que reconnaissait aussi le ministre du Trésor public, qu'en dépit de l'instauration du cours forcé, le billet de banque "n 'y dégénère pas en papier-monnaie"90. Malgré la non-convertibilité du papier émis, Mollien distingue très bien le billet de banque du papier-monnaie. Il est sur ce point beaucoup plus clairvoyant qu'un auteur comme Say qui, à la même époque, considère que les billets de la Banque d'Angleterre "ne sont plus des billets de confiance"91. Pour Mollien, si ce papier conserve une valeur aux yeux du public malgré l'absence de conversion, c'est parce que le développement des affaires en Angleterre en est la garantie. La Banque accroît son émission non parce qu'elle profite de la faculté qu'elle a de ne pas rembourser ses billets, mais parce que l'essor de l'activité économique commande de nouvelles opérations d'escompte92 . Le papier émis continue donc à bénéficier de solides garanties, bien que non remboursable en métal. Mollien complète ainsi le raisonnement de Barbé-Marbois qui voyait déjà dans la puissance économique anglaise l'une des raisons du maintien de la confiance dans des billets inconvertibles.
88. Une première amorce de l'approche de Mollien peut être trouvée dans le discours de Dupont de Nemours, lorsqu'il laisse entendre que les manquements à la convertibilité sont un faux problème si le public sait que la banque pourra rembourser les billets quand elle se sera refinancée grâce aux effets qu'elle détient. (Dupont de Nemours "Discours prononcé à l'Assemblée nationale ... ", op. cit., p. 285-290.) 89. Il Y a toutefois une contradiction avec le fait que Mollien écrive par ailleurs que ·'le premier devoir d'une Banque est de se maintenir constamment en état d'être liquidée, à chaque jour, à chaque minute". (Caisse d'amortissement. Lettre de Mollien à Barbé-Marbois du 2 brumaire An X (24 octobre 1801), op. cit.) 90. Mollien, Mémoires ... , op. cit., p. 302. 91. Say, op. cit., t. 2, p. 36. 92. Mollien voit bien qu'une partie des billets est émise à l'occasion de prêts à l'Etat. Mais cette constatation ne remet pas en question son explication. "C'est parce que le Gouvernement
Anglais remplit lui-même avec Scrupule toutes les conditions auxquelles les Particuliers sont soumis pour le maintien de leur crédit, qu'il pellt, sans danger pour la Banque de Londres, trouver des ressources dans cette Banque." (Notes sur les Banques, op. cit.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Une diffusion géographique limitée "La Banque de Londres n'est pas une Banque Générale, c'est une Banque Locale ; elle est la Banque de Londres et non pas la Banque d'Angleterre"93. Ce n'est en effet qu'à Londres qu'elle effectue des paiements et qu'elle assurait la convertibilité de ses billets avant le cours forcé. Mollien part de cet exemple pour développer l'idée qu'une banque, dans un pays comme la France, ne saurait étendre son activité à l'ensemble du territoire. C'est surtout l'exigence de convertibilité qui semble guider son opinion. S'il n'existe qu'un seul lieu de remboursement, la banque, en conservant une encaisse déterminée, a de fortes chances de pouvoir satisfaire les demandes de conversion. Mais si un billet peut être remboursé en tout lieu du territoire, c'est en différents points qu'il faudra laisser une réserve disponible, et la quantité de métal nécessaire sera plus importante 94 . Pour un stock de métal donné, il est plus facile d'assurer les remboursements sans risque s'ils sont concentrés dans un même lieu. C'est un argument voisin qui est utilisé pour justifier la réunion des établissements parisiens. Alors que chacun conserve une réserve lui permettant d'assurer les conversions, la somme de ces réserves présenterait une garantie supérieure95. Il y a donc possibilité, si la banque n'assure le remboursement qu'en une seule place, d'économiser le métal. Là où le raisonnement de Mollien parait plus contestable, c'est qu'il admet la possibilité de création d'une banque indépendante dans chaque ville, alors qu'il rejette l'implantation de succursales d'un même établissement sur tout le territoire. Il semble fasciné par l'Angleterre Où, dans chaque ville, ce sont les billets d'une banque locale qui circulent et non ceux de l'établissement londonien. Chaque banque reçoit les billets de la Banque d'Angleterre lorsque ses clients lui en présentent, mais elle les échange contre ses propres billets qui assurent seuls la
93. Notes sur les Banques, op. cit. 94. C'est notamment cette opinion qui conduit Mollien à rejeter un projet de banque générale pour la France que Sénovert adresse à Bonaparte le 17 floréal An X (7 mai 1802). (Projet de Banque. Manuscrit de 57 pages déposé aux Archives nationales, AF/IV 11070.) Mollien, qui étudie le mémoire à la demande de Bonaparte, en prononce le rejet le 16 messidor An X (7 juillet 1802). Il estime que l'auteur reproduit les erreurs de Law en pensant "qu'on peut improviser magiquement la prospérité d'un grand Empire par la multiplication du numéraire, et conséquament par l'émission d'une grande quantité de billets de banque."(Note sur le Projet de Banque du C. Sénovert, op. cit.) Plus que l'abondance des billets, c'est le fait que ceux-ci puissent être remboursables en tout point du territoire que rejette Mollien. En effet, de tels billets, au lieu de suppléer le manque de numéraire, en accroissent le besoin pour que chaque bureau soit à même de faire face aux demandes de conversion en écus. 95. Pour prendre un exemple chiffré, on peut considérer deux établissements qui conservent chacun 10 millions de francs en réserve. Si, dans une période déterminée, la demande qui s'adresse au premier est de 7 millions alors qu'elle est de 12 millions pour le second, cet établissement est en cessation de paiement. Dans le cas où une réserve globale aurait été constituée, elle se serait élevée à 20 millions et aurait permis de satisfaire les demandes de 19 millions.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission circulation dans la ville. C'est manifestement à une organisation de ce type que songe Mollien pour la France. Elle paraît contredire son raisonnement sur la nécessité de réduire l'encaisse métallique grâce à l'unité du lieu de remboursement. Si l'on raisonne au niveau national, on voit mal en quoi des banques locales disséminées dans les principales villes permettent d'économiser plus de métal qu'un même nombre de succursales établies sur les mêmes lieux. Ce système peut en revanche favoriser une meilleure confiance dans les billets, puisque ces papiers sont émis localement en contrepartie de titres créés par des entreprises directement connues des utilisateurs de billets. Le contrôle du public sur l'institut d'émission est plus fort que si un organisme parisien émet ses billets contre l'acceptation de titres remis par un commerçant dont un Lyonnais n'aura jamais entendu parler, ce qui explique peut-être son attitude de méfiance vis-àvis du billet. Les propositions de Mollien Les vues de Mollien sur l'organisation d'une émission saine ne peuvent le conduire à accepter le système en place qui enfreint son principe d'une banque d'émission par ville. Il doit donc n'y avoir qu'un seul émetteur à Paris. Mais cette opinion en faveur de l'unité n'est en rien une hostilité à l'encontre des différents établissements. Son animosité se porte plutôt sur la Banque de France. "5 'il survenait quelque crise dans les finances, une pareille Banque en agraverait If! danger au lieu d'y aporter remede."96 En comparaison, la Caisse d'escompte du commerce est un établissement sûr car elle "porte avec elle un puissant antidote; elle n'escompte que les effets de ses intéressés"97. Et comme elle émet des billets proportionnellement à son capital, "si elle n'est pas utile, Coe. Banque, elle n'en est pas du moins très dangereuse, Coe. association émettant des billets au porteur,
puisqu'elle ne peut pas même abuser de la faveur de son crédit pour forcer la mesure de ses émissions"98. Le Comptoir commercial bénéficie lui aussi de la sollicitude de Mollien. La Banque territoriale lui paraît beaucoup plus dangereuse puisque son organisation va à l'encontre de son principe selon lequel une banque doit veiller à ne détenir des effets qu'à très courte échéance, ce qui est loin d'être le cas pour l'établissement dirigé par Laffon-Ladébat. Mais elle "est
heureusemt condamnée à /'impuissance de nuire par celle d'obtenir du crédit et de trouver des emprunteurs"99. Partant de ces considérations, Mollien élabore un projet de loi sur les banques et un règlement intérieur dont les dispositions pourraient s'appliquer à chaque émetteur.
96. Notes sur les Banques, op. cit. 97. Ibid. 98. Ibid. 99. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Le projet de loi sur les banques
Le projet de Mollien comprend différents articles qui visent à faire de la Banque de France l'émetteur unique sur Paris 100 . Le texte prévoit que cinq mois après la publication de la loi, la Banque de France, à laquelle Mollien donne le titre plus modeste de Banque de Paris, sera la seule à émettre des billets au porteur convertibles à vue. Les autres établissements seront dans l'obligation de retirer leurs billets et de cesser leurs opérations dans les mêmes délais. Les différents articles du projet portent clairement la marque personnelle de Mollien. La volonté de réduire l'activité d'une banque à une seule ville, tout comme le souhait de n'y voir subsister qu'un seul émetteur, explique ces premiers points du projet. La nouvelle appellation correspondra donc beaucoup plus à la réalité puisque la Banque sera l'institut d'émission de tout Paris, mais uniquement de Paris. Sans vouloir prê,ter à Mollien des intentions peu glorieuses, on peut aussi voir dans la volonté d'imposer à la Banque un titre moins pompeux, pour reprendre son propre mot, une occasion de rabattre la superbe des régents. Mollien a été suffisamment exaspéré par les prétentions de la Banque face au gouvernement, notamment par toutes les aides gratuites dont elle a bénéficié à sa fondation, pour ne pas prendre une revanche symbolique. Il est d'ailleurs hors de question d'accorder gratuitement à la Banque un privilège qui est en fait un monopole d'émission sur Paris. L'exemple de l'Angleterre, qui apparaît en filigrane du projet que Mollien veut imposer à la France, est là pour le conforter. Il demande à ce que le dixième du dividende distribué aux actionnaires soit versé au Trésor public. Cette mesure associe donc l'Etat aux résultats de la Banque. Le capital minimum de la Banque de Paris est fixé à trente millions de francs, montant qui correspond à celui qui est alors en vigueur. Pour ce qui est des banques qui pourront ouvrir leurs portes en province, à raison d'une par ville, le capital en sera déterminé par les consuls. On retrouve là encore l'application des idées de Mollien, tirées de l'exemple anglais, sur la nécessité pour chaque ville d'avoir sa propre institution plutôt qu'une succursale. La Banque de Paris n'en possède pas moins quelques prérogatives. Mollien prévoit qu'elle pourra accorder des crédits aux principaux établissements de province. En outre, ses billets seront reçus dans les caisses publiques aussi bien à Paris que dans les départements. Mollien annonce là une disposition qui prévaudra en 1848, lorsque les billets de la Banque de France recevront le cours légal sur tout le territoire, alors que ceux des banques 100. Ce projet de loi est incorporé à la Seconde Note slIr les Ballques de Circulation (Arch. nat., AF/IV /1070) datée du l1 frimaire An XI (2 décembre 1802). D'autres versions amendées et anotées existent' tant aux Archives nationales que dans les Archives de la Banque de France. Mollien est directement à l'origine d'une version élaborée pour prendre en compte certaines considérations de la Banque de France. D·autres lui ont été transmises par Bonaparte. L'un des projets est commenté en marge par les régents; on retrouve la trace de ces commentaires dans les procès-verbaux du Conseil général.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission
départementales qui se seront constituées n'obtiendront ce privilège que pour leur zone d'activité 101 . Quant aux billets, le montant de la plus faible coupure est fixé à 500 francs pour Paris et à 250 francs pour la province. Sur ce point, les vues de Mollien sont en symbiose avec celles des régents. Il est lui-même opposé à l'utilisation des petites coupures. Cette proposition d'un seuil de 500 francs pour Paris et 250 francs pour les départements sera retenue lorsque dans les décennies qui suivront la Banque de France implantera des comptoirs dans les villes de province. Les règles à respecter par les banques Mollien demande à ce que le fait d'être actionnaire ne procure aucun accès privilégié à l'escompte. C'est une totale remise en cause du système qui prévaut à la Caisse d'escompte du commerce et au Comptoir commercial. C'est aussi une réorganisation des méthodes de la Banque de France. Celle-ci avait en effet décidé de répartir le montant de la somme destinée à l'escompte en fonction du nombre d'actions détenues 102. Quant aux effets admis à l'escompte, il leur faudra être revêtus de trois signatures et la banque devra admettre en priorité ceux dont l'échéance est proche. Mollien veut d'ailleurs moraliser la pratique de l'escompte en imposant à la banque de calculer l'escompte sur le nombre de jours restant à courir. Il vise ainsi directement la Banque de France qui n'escompte alors pas les titres dont le remboursement doit être effectué sous quinze jours. Ces règles marquent en fait un premier mouvement de contrôle de la Banque de France par l'Etat. Ce contrôle s'étend aussi aux établissements qui pourraient se constituer dans les départements. Comme la Banque de Paris, ils devront présenter leurs statuts à l'approbation des consuls pour bénéficier du privilège d'émission dans leur zone respective. Mollien établit donc une double codification de l'émission de monnaie de papier, en prévoyant l'attribution du monopole sur Paris à un établissement unique, et en fixant les règles que doit respecter cet établissèment. Si le fait de confier l'émission de billets sur Paris à la seule Banque de France ne peut que donner satisfaction à ses dirigeants, les règles qui lui sont imposées sont 101. G. Jacoud, "Révolution de 1848 et bouleversements monétaires", communication au colloque d'économie historique organisé à Paris Gussieu) par les Universités de Paris Il, Paris VIII et Paris XI les 1-2 décembre 1994. A paraître dans Economies et sociétés. 102. La mesure permettait de privilégier les associés et de soutenir le cours des actions, puisqu'elles présentaient un attrait supplémentaire. L'Etat avait toutefois fait l'objet d'une discrimination. La Caisse d'amortissement dont s'occupait Mollien était en effet propriétaire d'un grand nombre d·actions. Bonaparte avait donc pensé que la répartition de l'escompte au prorata des actions détenues permettrait à l'Etat de bénéficier de ressources à bon compte. Mais la régence avait fait valoir que le papier présenté par le Trésor ne pouvait pas être considéré comme des lettres de change revêtues de trois signatures, et elle avait refusé à l'Etat la possibilité de tirer ainsi bénéfice de son droit de propriété.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 susceptibles de soulever des réticences. Le texte de Mollien comporte des dispositions que la régence ne peut pas accepter sans réagir. L'élaboration d'un document définitif capable de recueillir une large approbation s'annonce difficile.
III. Les difficultés relatives à l'élaboration du projet de loi Le projet de loi de Mollien organise l'attribution du privilège d'émission sur Paris à la Banque de France. Sur le fond, il ne peut donc qu'obtenir l'assentiment de la régence, mais les conditions qui accompagnent ce privilège ne correspondent pas nécessairement aux intérêts de la Banque. Nous présenterons les réactions de la régence pour montrer qu'elle réussit à amener le remaniement du projet initial.
L'attitude de la Banque de France La Banque de France vise l'élimination de la Caisse d'escompte du commerce et s'évertue à réclamer un privilège d'émission. Sa conduite peut paraître au premier abord paradoxale puisqu'elle en vient à proposer son aide à sa principale rivale et qu'elle s'emploie à transformer le projet de loi qui lui confère le monopole d'émission sur Paris. L'appui à la Caisse d'escompte du commerce Les régents de la Banque de France, Cretet, Barbé-Marbois et Bonaparte justifient tous leur position en faveur de l'unité d'émission par le fait que les déboires d'un établissement peuvent provoquer l'anéantissement des institutions les mieux établies. Un incident survenu à la Caisse d'escompte du commerce semble devoir leur donner raison.
Le déroulement des événements Le 3 mvose An XI (24 décembre 1802), Jean Poulard, directeur de l'établissement, disparaît, après s'être servi dans la caisse. L'incident n'est pas sans rappeler celui qui avait affecté la Caisse des comptes courants après la fuite de Monneron 103. Il entraîne l'intervention de la Banque de France et du Trésor public. Une délégation de la Caisse prend contact avec la régence et étudie avec elle le meilleur moyen de faire connaître la nouvelle en limitant la panique auprès du public. Les administrateurs de la Caisse paraissent prêts à adopter la méthode qui avait fait ses preuves à la Caisse des comptes courants, à savoir l'affichage de la situation de la Caisse afin "de rassurer les esprits et de prévenir les effets de la défiance"104. Mais la régence estime "qu'il ne faut pas attacher à 103. Cf SI/pra, p. 24-29. 104. Registre des Délibérations ... , op. cit., t. 2 .
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission la fuite de M. Poulard plus d'importance publique qu'il n 'yen a réellement dans un fait qui n'est qu'un vol domestique"105 et elle se prononce pour une information par voie de presse. Elle fait prévaloir son point de vue qui consiste à annoncer que la Caisse poursuivra son activité et que la perte porte seulement sur les bénéfices destinés à être distribués aux actionnaires. On peut s'étonner des conseils de la régence qui prétend chercher à minimiser les conséquences du vol tout en proposant son annonce par les journaux. Une commission, formée de deux régents et un censeur, est nommée afin de vérifier la situation comptable de la Caisse. Quelques jours plus tard, elle reconnaît "qu'elle a examiné le tout avec le plus grand scrupule, et que tout a été trouvé conforme au Bilan que la Députation de cette Caisse avait laissé à la
Régence"106. Bonaparte est tenu au courant des événements par Perregaux et Barbé-Marbois. Une lettre du 4 nivôse An XI (25 décembre 1802) laisse entendre que celui-ci est prêt à soutenir la Caisse avec le feu vert de Bonaparte. "J'aiderai cet établissement comme vous m 'y avez autorisé et avec des suretés. "107 Le ministre du Trésor public fait sans doute allusion au moyen qu'il décrivait dans son Rapport aux Consuls comme susceptible d'aider la Caisse en difficulté, à savoir le maintien dans les coffres du Trésor des billets de la Caisse au lieu de les présenter au remboursement. Dans une autre lettre datée du même jour, Barbé-Marbois fait état de l'activité de la Banque de France. "La Banque persuadée de la nécessité
tant pour le Crédit général que pour le Crédit particulier, de soutenir l'Etablissement dans ce moment, va s'occuper de suite de faire arriver des espèces, pour l'aider à répondre à toutes les demandes de remboursement."10S S'il est vrai que la régence se préoccupe de faire rentrer des espèces, cet empressement est sans doute plus dicté par l'obligation de faire face à ses propres remboursements que par la volonté d'aider la Caisse. Le procès-verbal de la séance du Conseil général du 3 nivôse (24 décembre) fait d'ailleurs état de la nécessité de faire rentrer rapidement du numéraire, mais ne précise pas qu'il est destiné à la Caisse. Le Conseil "autorise le Comité Central à employer les moyens les plus prompts de se
procurer des espèces afin de faire face aux remboursements extraordinaires qu'une défiance éventuelle pourrait occasionner"109. Ces espèces paraissent plutôt destinées à la Banque elle-même qu'à la Caisse.
105. Ibid. 106. Ibid., Procès-verbal du 8 nivôse An XI (29 décembre 1802). 107. Le Ministre du Trésor public au Premier Consul, 4 "ivôse an XI. Arch. nat.,
AF/IV /1087. 108. Ibid. 109. Registre des Délibérations ... , op. cit .. , t. 2.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Les raisons du soutien à la Caisse On peut légitimement s'étonner de la ferveur avec laquelle le Trésor public et la Banque de France s'empressent d'apporteur leur soutien à la Caisse. Dans les mois qui ont précédé l'événement, les régents et le Trésor public n'ont pas manqué de s'en prendre à elle pour dénoncer ses opérations. Ils pourraient donc assister passivement aux démêlés de la Caisse avec une clientèle paniquée, en souhaitant même que la crise finisse par emporter l'établissement. Cette disparition éliminerait l'un des plus sérieux opposants à l'unité d'émission.
La première explication qu'il est possible d'avancer est que ces secours sont seulement feints. Barbé-Marbois prétend aider la Caisse, mais nous n'avons pas de preuve de son action. Et s'il agit effectivement, ce n'est peut-être pas seulement avec l'autorisation de Bonaparte comme il le laisse entendre, mais sur son ordre. Le Premier Consul peut craindre les retombées d'un effondrement de cette organisation, et il n'est pas impossible que ce soit lui qui ait demandé au ministre de prendre les mesures susceptibles de lui venir en aide. Quant à la Banque de France, son action consiste à conseiller son concurrent, vérifier l'état de son portefeuille, et faire acheminer des espèces. Mais aucun document ne nous permet d'affirmer que ce métal a été effectivement livré à la Caisse. Si l'appui du Trésor et de la Banque est bien réel, il peut se comprendre par une volonté d'utiliser la crise pour négocier ensuite en position de force le passage à l'unité d'émission. Les régents et le ministre peuvent en effet faire valoir que si la Caisse n'a pas succombé, c'est grâce à leur intervention. Il convient alors d'apporter rapidement une aide aux administrateurs dans un moment où ceux-ci sont désemparés, peut-être pour éviter qu'ils finissent par se rendre compte qu'ils ont les moyens de se tirer seuls de l'embarras. Dans une lettre du 6 nivôse (27 décembre), Perregaux transmet à Bonaparte le~ conclusions de la délégation chargée de vérifier les caisses, registres et portefeuille. Il reconnaît que "le resultat ne laisse rien à désirer, et ils ont jugé que le papier qui compose le portefeuille ne doit laisser aucune inquiétude"110. On peut dans ce cas se demander s'il n'aurait pas été préférable d'afficher la situation de la Caisse comme le proposaient les administrateurs. Si l'on se souvient que lors de l'affaire Monneron, la Caisse d'escompte du commerce n'avait pas hésité à apporter son appui à la Caisse des comptes courants, laquelle avait aussi bénéficié de l'intervention du ministre des Finances, il faut peut-être voir là une autre explication à ces interventions. Il s'agirait surtout du remboursement d'une dette de la nouvelle Caisse des comptes courants qu'est la Banque de France envers la Caisse d'escompte du commerce. L'aspect moral, s'il n'est pas à négliger, ne doit cependant pas être déterminant.
110. Le Cell Perregallx ail General Bonaparte Premier ConslI/. Lettre du 6 nivôse An XI. Arch. nat., AF/IV /1071.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Une dernière explication peut être donnée à ces mesures destinées à sauver un établissement en péril. Barbé-Marbois et les régents veulent peut-être sincèrement éviter tout remous lié au vol dont la Caisse d'escompte du commerce a fait les frais. Ils craignent les répercussions qu'une crise de confiance pourrait avoir sur la Banque. C'est un scénario qu'ils ont eu l'occasion de décrire, lorsqu'ils prétendaient que les difficultés d'un établissement pourraient avoir des répercussions sur l'institution la plus solide. Bonaparte a aussi évoqué ce danger et le courrier qui lui est adressé prouve qu'il se tient informé de la situation. Les faits montrent que de telles craintes étaient fondées. La Banque de France semble même plus souffrir que la Caisse de l'affolement du public. Perregaux en fait état à Bonaparte. "Il paraît que l'evenement n'a pas porté atteinte au Crédit de la
Caisse d'escompte de Commerce, puisqu'on n'est venu lui demander le remboursement de ses billets que pour la somme de 265,000 fr. et dans le moment où j'ai l'honneur de vous écrire les caisses sont fermées après avoir été ouvertes depuis 8 heures jusques à 3 de l'après-midi. La Banque a dans la proportion eu des demandes plus considerables ayant payé ce matin 728,000 fr. en espèces."l11 Une semaine plus tard, Perregaux confirme le fait que la Banque aurait pu se trouver en difficulté sans que la Caisse ne se trouve affectée par l'incident qui s'est produit chez elle. Il relève que "l'évenement de la Caisse du Commerce n'a influé
quant au remboursement des Billets que sur la Banque qui, heureusement, avait des envois d'espèces en route pour faire face, et qui seule l'a supporte. la Caisse d'escompte du Commerce n'a eu aucune demande extraordinaire."112 Ce n'est donc pas véritablement l'effondrement de l'établissement le plus faible qui met en difficulté l'organisation la mieux établie, comme dans le scénario que l'on redoutait. C'est un incident dans un établissement qui a des répercussions plus importantes auprès de son rival que chez lui. On peut même affirmer que l'établissement qui démontre sa faiblesse, ce n'est pas la Caisse, mais la Banque. Les régents et Barbé-Marbois avaient donc raison de craindre les répercussions d'une crise sur la Banque, mais ils étaient assez mal inspirés en évoquant la cessation de paiement d'un établissement fragile qui entamerait le crédit de l'institution la plus solide. Car l'incident démontre bien que l'organisation qui se révèle comme étant la moins sûre, c'est en l'occurrence la Banque de France. Ballot signale cette plus grande vulnérabilité de la Banque face à une crise de confiance dans les billets. Il relève que "les billets de la Banque
étaient dans les mains de toute la masse du public qui n'avait point un intérêt direct à sa solidité et s'effrayait facilement parce que connaissant mal les nouvelles institutions, tandis que les billets de la Caisse étaient en majeure partie entre les mains de ses actionnaires directement intéressés à son maintien"113. 111. Ibid. 112. Le Cen Perregaux au Général Bonaparte, Premier Consul. Lettre du 13 nivôse an XI. Arch. nat., AF/IV /1071. 113. Ballot, op. cit., p. 303-304.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
C'est donc la différence de comportement entre les détenteurs des billets de la Banque et ceux de la Caisse qui explique que celle-ci n'ait pas à subir un mouvement de reflux de son papier. Les producteurs et commerçants, dont l'activité professionnelle nécessite le recours aux services de la Caisse, ne peuvent se permettre d'hypothéquer la survie d'un établissement qui leur est indispensable pour se procurer des ressources avantageuses. On peut aussi supposer que les associés de la Caisse, qui ont eux-mêmes créé les billets pour acquérir leurs actions, sont suffisamment informés des mécanismes sur lesquels repose l'émission pour ne pas craindre une éventuelle cessation de paiements. Ils savent en effet que la Caisse détient en réserve le tiers de la valeur des billets, puisque c'est la proportion qu'ils ont eux-mêmes respectée lors du financement des actions. Ils n'ignorent pas non plus que si la réserve présente ne couvre pas le montant du papier en circulation, le paiement des effets qui ne manqueront pas d'arriver à échéance assurera des rentrées régulières de métal. Le fait que la Caisse ait une activité centrée sur ses associés lui procure donc une sécurité dont ne bénéficie par la Banque, plus ouverte aux non actionnaires. François Desaunay montre ainsi que la Caisse voit refluer ses billets beaucoup moins facilement que la Banque car ses actionnaires évitent de la rembourser avec ses billets à l'échéance des effets escomptés. "La réserve de sa caisse était quasi
exclusivement pourvue par la recette en ville, c'est-à-dire en numéraire parisien. A défaut de numéraire l'intéressé remettait à l'encaisseur des billets de la Banque pour donner à son établissement l'accès à l'encaisse de cette dernière. Ce n'est que faute de ces moyens qu'il payait la Caisse du Commerce avec ses billets. C'est là un caractère propre à un établissement fermé de crédit parisien. Il en va tout autrement en ce qui concerne l'encaisse de la Banque de France, institution ouverte. Si les présentateurs sont souvent actionnaires, les tirés sont fort loin de l'être tous. Les tirés n'avaient pas à soutenir le crédit d'un milieu auquel ils n'appartenaient pas nécessairement. A l'encaisseur de la Banque, ils ne donnaient de numéraire qu'à défaut d'autre moyen à savoir: billets de la Banque ou de la Caisse du Commerce. Les actionnaires de la Banque, s'ils sont tirés, s'en remettent à l'initiative de la Régence du soin de pourvoir à l'approvisionnement de l'encaisse. C'est pourquoi la recette en ville -numéraire parisien- ne représente qu'un quart des entrées dans l'encaisse et diminue jusqu'au 1/30e au fur et à mesure de son développement."114 C'est donc parce que la Banque est plus vulnérable en cas de crise qu'elle a intérêt à soutenir la Caisse. Des perturbations à la Caisse· peuvent provoquer un afflux de demandes de remboursement à la Banque. Dans ces conditions, la Banque n'a rien à gagner à une secousse qui ébranlerait la Caisse.
114. F. Desaunay, "L'Etat centralisé de l'an VII et la fondation de la Banque de France", La
revue administrative, septembre-octobre 1952, p. 473-474.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Dauphin-Meunier n'hésite pourtant pas à prêter à la régence une volonté de déstabiliser la Caisse. La Banque aurait recherché l'aide du gouvernement pour abattre sa rivale par des procédés peu louables.
"De concert, le gouvernement et la Banque essayèrent de discréditer les billets de la Caisse, en recourant à une manoeuvre d'agiotage: ,On s'est procuré pour 3 millions de billets de la Caisse qu'on a présentés dans la même matinée. Ils ont été payés. Les directeurs qui ont aperçu une intention d'ébranler la Caisse, ont convoqué les actionnaires,. et l'on a délibéré qu'il serait fait un nouveau versement de fonds. Ainsi qu'on l'avait prévu, il fut présenté, quelques jours après, une somme plus considérable de billets de la Caisse. Cette fois c'étaient 4 millions. Ils furent payés. Désespérant du suc~ès des manoeuvres de l'agiotage, on a eu recours à l'exécution militaire; et; le 27 du mois dernier, un détachement de soldats a investi la maison occupée par les bureaux de la Caisse du Commerce, s'est emparé de tous les livres et papiers, a fait sortir les commis et a fermé les bureaux llS .' La Caisse d'Escompte ne céda pas. La Banque, pour la briser, n'hésita pas à renier l'un de ses principes fondamentaux et à solliciter pour elle-même un privilège exclusif. Elle prit prétexte d'un détournement de fonds dont sa concurrente avait été victime, et qui avait suscité quelque émotion passagère chez les porteurs de billets de la Caisse."116 Nous n'avons trouvé aucun document permettant d'étayer les accusations du
Courrier de Londres sur lequel s'appuie Dauphin-Meunier. La chronologie des événements tend plutôt à infirmer les conclusions de celui-ci. Si le détournement de fonds auquel il fait allusion correspond à celui qui a été perpétré par Poulard, il n'est pas possible de soutenir que c'est cet événement qui a servi de prétexte à la demande d'attribution d'un privilège d'émission. En effet, au moment du vol, la Banque de France fait déjà campagne pour l'unité d'émission depuis plus de huit mois, .la question a été largement débattue par les principaux intéressés et un projet de-loi est même élaboré. Ce détournement de fonds ne sert donc pas de prétexte à la régence pour la demande d'un privilège puisqu'elle s'apprête à prendre connaissance du projet de loi destiné à le lui concéder. La réponse de la Banque au projet de Mollien
Le 15 nivôse An XI (5 janvier 1803), le Conseil général de régence prend connaissance du projet de Mollien que Bonaparte lui a manifestement transmis à la suite d'une entrevue l17 . Le projet peut convenir à la Banque par le fait qu'il 115. Courrier de Londres, numéro du 9 octobre 1802. 116. Dauphin-Meunier, La Banque de France, op. cit., p. 26-27. 117. "Le Président annonce que le Premier Consul a invité le Comité Central à se rendre auprès de lui pour conferer sur le moyen de parvenir sans secousse, et sans interruption des
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 organise la suppression des établissements concurrents, mais aussi inquiéter puisqu'il réduit les prérogatives des actionnaires au moment de l'escompte et qu'il décide d'une modification plutôt vexante de l'appellation de l'institution. La régence se propose donc de présenter ses propres vues à Bonaparte et désigne une commission à cet effet118 . Il s'agit pour les dirigeants de la Banque, de transformer le texte de Mollien pour le rendre plus conforme à leurs intérêts119. Ils prévoient aussi les modifications à apporter aux statuts de la Banque, afin de les rendre compatibles avec la situation nouvelle créée par le fait qu'elle se retrouve banque unique. Mollien présentait un projet de loi suivi d'un projet de règlement intérieur pour les banques. La régence adopte la même démarche en faisant suivre ses propositions des statuts transformés. Les propositions de la Banque Le 5 pluviôse An XI (25 janvier 1803), les grandes lignes de ce que la régence souhaite voir incorporé dans la loi sont tracées. La Banque de France demande à devenir la. seule banque émettant à Paris "sous cette même dénomination de Banque de France"120. Les dirigeants de l'établissement paraissent tenir à son
secours dont le commerce ne peut se passer à l'unité exclusive' d'Etablissement emet/ant des Billets de confiance. Il rend compte avec détail de la longue et intéressante conférence qui a I.'U lieu sur cet objet. Le Gouvernement paraît absolument décidé. Il des ire que la Banque destinée à répondre à ses grandes viies, présente des moyens d'exécution qui en faisant disparaître sans secousse les Etablissements existants, assure à tout le commerce indistinctement et sans égard à la qualité d'actionnaire tous les secours qu'il en recevait afin que le crédit de chaque négociant puisse etre réalisé dans l'établissement qui deviendra la Banque de Paris." (Procès-verbal du 15 nivôse An Xl (5 janvier 1803), Registre des Délibérations... , op. cit,) 118.· Mollien signale que Perregaux lui fait part de ses réserves car "le premier consul demandait une prompte réponse, ce qui n'était pas sans embarras pour la régence; qu'elle l'allrait volontiers dispensé des soins qu'il voulait prendre pour l'amélioration de ses statuts; qu'elle trouvait très convenable qu'on lui donnât le privilège exclusif de l'escompte en billets au portellr faisant office de monnaie; et conséquemment qu'on supprimât la caisse d'escompte du commerce, et qu'on soumit à sa surveillance le comptoir commercial: mais qU'11II des amendements tendait à faire perdre aux actionnaires leur principal droit, puisqu'ils rentreraient dans la condition commune, et qu'ils ne pourraient pills présenter à l'escompte des let/res de change revetues seulement de deux signatures". (Mollien, Mémoires ..., op. cit., p. 341.) Perregaux est surtout excédé par J'ingérence de Bonaparte dans les affaires intérieures de la Banque à un moment où la reprise des tensions avec J'Angleterre devrait J'occuper pleinement. (Ibid., p. 342.) Mollien signale que la Banque a reçu J'ordre de délibérer sur ses propositions à la suite d'un courrier de Bonaparte transmis immédiatement après sa note, alors que la régence fait état d'une entrevue. Les Mémoirl!s de Mollien manquent de précision sur cet épisode, Les réactions de Perregaux seraient logiques après la lecture du projet de Mollien, mais les circonstances dans lesquelles elles se manifestent semblent plutôt correspondre au second projet reçu par la Banque, projet que nous évoquons plus loin. 119. Ramon, qui parle du projet ayant, après transformations, amené la loi du 24 germinal an Xl (14 avril 1803), J'attribue curieusement à la Banque de France, sans relever que ce n'est qu'un remaniement du texte de Mollien. (Ramon, op, cit" p. 45.) 120. Registre des Délibérations ... , op. cit.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission titre et écartent la tentative de Mollien de faire apparaître dans le nom de la banque la limitation de sa zone d'activité. L'appellation Banque de France, plus prestigieuse, ne sera d'ailleurs plus remise en question par la suite. Le privilège d'émission obligera les autres organisations à retirer leurs billets de la circulation dans un délai de six mois, comme le prévoyait Mollien. Ce privilège sera conféré à la Banque pour une durée de trente ans. C'est une nouveauté par rapport au texte du directeur de la Caisse d'amortissement. La raison n'est pas difficile à déceler. Mollien n'accordait pas de limite à la durée du privilège dans la mesure où le fonctionnement de la Banque entraînait une rémunération régulière pour l'Etat qui devait prélever le dixième du dividende. C'était là le prix du privilège. Cette ponction sur les bénéfices ne peut bien évidemment pas satisfaire les régents qui écartent de leur projet toute idée de redevance. Ils sont sans doute conscients du fait qu'ils auront à payer ce monopole. Mais en fixant un terme à celui-ci, ils préparent sa négociation. Les propositions de la Banque comportent d'autres éléments qui ne figuraient pas dans le texte de Mollien. Elle demande notamment à ce qu'une disposition dans la loi, ou une loi particulière, sanctionne de la peine de mort les faussaires. La régence, pour avoir été confrontée à plusieurs reprises au problème de la création de faux billets, veut se garantir contre ce risque. Le 16 brumaire An X (7 novembre 1801), elle avait été officiellement mise en garde par le préfet de police contre l'existence de fausses coupures de la Caisse d'escompte du commerce. Acceptant les billets de la Caisse, elle risquait d'être victime de ces faux billets. Le 22 floréal An X (12 mai 1802), la régence avait reconnu que la Banque s'était laissée livrer un faux billet de 500 francs de la Caisse d'escompte du commerce. Il avait en revanche été refusé par la personne chargée de faire l'échange quotidien des billets entre les deux établissements. Le Conseil général avait alors considéré que la Caisse était tenue de garantir à la Banque l'échange des faux billets que celle-ci pourrait recevo~,:.et il en avait exigé le remboursement auprès de la Caisse. La Banque de Fra-nce elle-même était à la merci de contrefaçons. Une quinzaine de jours avant l'acceptation du 'faux billet de la Caisse, on lui avait présenté au remboursement un billet contrefait qui était un assemblage de plusieurs morceaux de billets différents savamment découpés. Le premier fructidor An X (19 août 1802), une personne avait même été spécialement chargée de traiter avec le préfet de police des affaires de falsification qui pourraient se présenter. L'occasion de mettre en place des mesures dissuasives par une loi est donc utilisée. Les modifications à apporter aux statuts Les régents proposent une modification des statuts de la Banque de France prenant en compte la nouvelle situation. Les règles instituées en 1800 sont modifiées de façon à faire clairement ressortir l'originalité de l'institution. Le premier article est transformé pour faire apparaître le privilège.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
"L'Etablissement connu sous la dénomination de Banque de France sera désormais Banque unique à Paris sous la même dénomination. "121 Les premiers articles sont quelque peu remodelés sans que ces transformations soient fondamentales. En recommandant le maintien de l'article 4, la régence s'oppose néanmoins à toute modification du montant du capital qui continue à être fixé à trente millions de francs. Les régents profitent d'autre part de ces modifications pour prendre des garanties sùpplémentaires. Ils prévoient que les opérations d'escompte s'appliqueront aux effets de commerce présentés par des personnes réputées solvables et domiciliées à Paris. C'est sans doute là un moyen de se prémunir contre toute mesure qui pourrait obliger la Banque à recevoir le papier des établissements supprimés sans passer par l'intermédiaire des banquiers apporteurs de la troisième signature. De plus, les régents prévoient que les associés appelés à constituer l'assemblée des 200 plus forts actionnaires devront désormais être domiciliés à Paris, ce qui n'était pas le cas dans les statuts primitifs. Le nouveau règlement exclut aussi de cette assemblée les associés qui ont été frappés par une faillite. La nécessité d'être domicilié à Paris est une condition qui devient indispensable pour pouvoir être élu au Conseil général. L'opposition au projet apparaît encore dans un article qui prévoit que les dirigeants de la Banque exerceront l'intégralité de leur mandat. D'autres modifications se contentent par contre d'éliminer les dispositions qui n'avaient de raison d'être qu'à la constitution de l'établissement. Perregaux transmet les souhaits de la Banque à Bonaparte, lequel demande à Mollien de lui "faire un rapport sur cet objet en ne le communiquant à personne"122.
Les transformations du projet initial Les prétentions de la régence fournissent à Mollien l'occasion de produire un nouvel écrit sur la question des banques123. Il s'en prend vivement aux exigences
121. Registre des Délibérations ... , op. cit. 122. Le Cen Perregaux au General Bonaparte. Lettre du 8 pluviôse An XI. Arch. nat., AF/IV /1070.
123. Troisième Note sur les Banques. Arch. nat., AF /IV /1070. Les notes de Mollien sur les banques sont en fait plus nombreuses que ne le laisse supposer la numérotation qu'il leur donne. Outre cet écrit et les deux qui le précèdent, d'autres notes développent les idées de Mollien sur la monnaie fiduciaire. Dans ses Mémoires, il résume une note sur les banques présentée à Bonaparte lors de leur première entrevue sur la question. Il s'agit sans doute de la note sur les Banques et le régime d'escompte qui leur est propre, dans laquelle il établit une longue comparaison entre la Banque d'Angieterre et la Banque de France, et qu'il synthétise en prenant d'étonnantes libertés. La note analysant le projet de Sénovert lui fournit aussi l'occasion de développer ses théories.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission
des régents et fait part de sa réaction à Bonaparte124 • Mollien prend toutefois en compte certaines revendications de la régence et apporte plusieurs modifications à son projet de loi initial. Ce projet subit ensuite d'autres remaniements. Il existe, aux Archives nationales et dans celles de la Banque de France, plusieurs versions, malheureusement non datées, de ce projet. La comparaison des textes, la lecture des notes qu'ils contiennent en marge, les procès-verbaux des discussions au sein du Conseil général de régence permettent d'en retrouver la chronologie. 'L'enchaînement des différents textes est particulièrement instructif. Il montre sur quels point Mollien et Bonaparte sont prêts à céder devant la pression de la régence et quelles contreparties ils veulent mettre en place. Il donne aussi une idée des sujets sur lesquels ont pu porter les discussions nouées dans les relations informelles entre la régence et les représentants de l'Etat. Les diverses retouches apportées au projet ne sont d'ailleurs pas toutes l'oeuvre de Mollien. Les propositions de la régence le conduisent à modifier son plan initial. Mais Bonaparte fait aussi subir d'autres transformations au plan remanié par Mollien. Les premières concessions à la Banque
La comparaison entre le premier projet de Mollien et ce que l'on peut raisonnablement considérer comme la deuxième version, si l'on exclut celle proposée par la Banque, nous montre sur quels points Mollien a donné satisfaction aux régents et quel est le prix de ces concessionsl25. Mollien ne remet plus en question le titre de Banque de France qui est désormais définitivement acquis à l'établissement. Tous les articles où il était question de la Banque de Paris font donc référence à la Banque de France. Il n'est plus question de prélever une fraction du bénéfice au profit du Trésor public. C'est là un point qui ne peut que satisfaire les actionnaires de la Banque. Mais, alors que la régence proposait l'octroi d'un privilège de trente ans, Mollien ramène cette durée à trois ans. Il se justifie, en marge du projet, par le fait qu'un privilège gratuit ne saurait être accordé pour une durée plus longue. Il estime qu'il aurait été de l'intérêt même des banquiers d'accepter le prélèvement d'un dixième des bénéfices qui leur aurait garanti d'assurer seuls la circulation fiduciaire pour au moins dix années. Une durée de trente ans est toutefois jugée excessive. Mollien ne souhaite apparemment pas engager l'Etat pour une période trop longue. Il paraît craindre que l'évolution de la circulation fiduciaire sur cet intervalle de temps soit telle que l'Etat pourrait être pénalisé par un engagement à trop longue échéance. Sans doute pense-t-il que chaque renouvellement du privilège pourra donner lieu à un versement dans les caisses publiques, d'où l'intérêt d'en limiter la
124. Caisse d'Amortissement. Lettre de Mollien au Premier Consul, 25 pluviôse An XI (14 février 1803), Arch. nat., AF /IV /1073. 125. Cette deuxième version est tirée des Archives nationales, AF /IV /1070.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 durée. Cette restriction quant à la durée du privilège est étendue aux banques qui pourraient émettre en province. Mollien supprime la faveur que faisait l'Etat à la Banque de Paris en admettant ses billets dans les caisses publiques sur tout le territoire. Il n'est même pas fait mention d'une possibilité d'acceptation limitée au périmètre de la seule ville de Paris. C'est là une suppression gênante pour la Banque, quand on sait avec quelle détermination un établissement comme le Comptoir commercial demandait à ce que ses billets soient reçus par le Trésor. En revanche, les voeux de la régence sont exaucés sur deux autres points. Les falsificateurs de billets sont considérés comme des faux-monnayeurs et seront condamnés à ce titre. La mesure marque un pas supplémentaire dans l'assimilation du billet à la monnaie. Enfin, une dernière mesure, visant à favoriser les dépôts en compte courant en éliminant toute obstacle à leur retrait, est prévue conformément aux souhaits de la Banque. La marque de Bonaparte Bien que sur les questions relatives à l'établissement du privilège Mollien soit le principal interlocuteur de Bonaparte, celui-ci semble aussi s'appuyer sur d'autres membres de son entourage. Un document, sans doute l'oeuvre de Cretet, fait état de nouvelles propositions sur les conditions dans lesquelles le privilège d'émission doit être alloué à la Banque de France 126 . Deux versions supplémentaires du projet de Mollien sont alors successivement élaborées127. Elles intègrent ces nouvelles propositions qui révèlent une plus forte emprise de l'Etat sur la Banque128. Le privilège d'émission est accordé à la Banque pour quinze ans. Mais cette faveur n'est pas gratuite. "Pour ajouter à la garantie des billets que la banque de france mettra en Circulation, elle employera le tiers de son capital en achat de rentes à 5 p. % consolidés qui seront inscrites pour son compte, et qui ne pourront être revendues sans autorisation. "129 Les rentes dont il est question sont des emprunts publics dont Bonaparte a intérêt à voir le cours se soutenir. Leur valeur
126. Conditions du privilège à accorder à la Banque de France, Arch. nat.,AF /IV /1070. Ce texte, qui n'est ni daté ni signé, est complété par un autre écrit intitulé Avantages du plan proposé. Ces deux documents sont incontestablement à l'origine des deux nouveaux projets qui font suite à celui de Mollien et que Bonaparte lui soumet. 127. La première de ces deux nouvelles versions est tirée des Archives nationales (AF /IV /1070). La seconde, qui a été transmise à la régence, provient des Archives de la Banque de France. 128. Le fait que Cretet soit à l'origine de ces remaniements du projet de Mollien dans le sens d'une plus forte emprise de l'Etat sur la Banque pourrait expliquer l'animosité des régents à son encontre. Il en fait part à Bonaparte dans une lettre du 3 pluviôse An XII (24 janvier 1804). "Je me sliis assuré depuis longtemps, et surtout depuis la loi de l'an XI, que des défiances et de l'ombrage m'ont exclu de toutes communications utiles. telle est ma position vis a vis de la grande majorité des regents." (Arch. nat., AF/IV /1071.) 129. Projet de loi Commun à toutes les Banques, Arch. nat., AF/IV /1070.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission sert de baromètre pour mesurer la réaction du public face aux événements politiques et une hausse de leur cours, signe d'une plus forte demande, garantit le succès des emprunts futurs 130. Contrairement à ce que laisse entendre le projet, l'acquisition de ces titres n'apporte pas de garantie supplémentaire aux billets. En revanche, c'est un moyen d'élever le cours des effets publics puisque leur achat par la Banque, que le projet prévoit de répartir sur deux ans à raison d'une acquisition mensuelle régulière, en augmentant la demande, poussera leur prix à la hausse. Cette disposition porte indéniablement la marque de Bonaparte, tout au moins la volonté de satisfaire ses exigences. Par une lettre du 2 nivôse An XI (23 décembre 1802), il faisait déjà part de son voeu au ministre des Finances, Gaudin, de voir Mollien intervenir pour pousser ces titres à la hausse à l'occasion des fêtes de Noë}l31. Et lorsque la rupture de la paix d'Amiens apparaîtra comme inévitable, juste avant que ne s'engagent les dernières négociations sur les conditions de l'attribution du privilège d'émission, il sommera Mollien d'utiliser douze millions de francs pour limiter la chute de leur cours. L'attribution du privilège d'émission à la Banque de France est donc l'occasion d'adopter un moyen propre à soutenir le cours des effets publics sans dépense directe de l'Etat. Le projet prévoit aussi que la Banque de France pourra émettre des billets correspondant à de la monnaie de cuivre. L'émission ne doit toutefois pas excéder la valeur de cette monnaie qui sera conservée en réserve, laquelle ne devra ellemême être utilisée que lorsque les billets reviendront à la banque. Il n'y a donc pas de véritable création monétaire envisagée par la mise en circulation de ce type de billets, puisque le montant des émissions équivaut à la valeur du cuivre détenu par la Banque. Le billet n'est conçu que comme un moyen commode de remplacer le métal. Cette monnaie, que Barbé-Marbois jugeait malsaine, ne pourra donc pas proliférer du fait de l'activité de la Banque. Une note portée en marge du projet de loi précise que cette possibilité n'a pas à faire l'objet d'une disposition législative. Elle n'est d'ailleurs plus mentionnée dans la version suivante du texte. L'utilisation du dividende n'est pas entièrement laissée à la libre disposition de la Banque. Lorsqu'il dépassera la somme de 6 % par an, l'excédent sera fractionné en deux parties. L'une sera utilisée pour accroître le capital et l'autre 130. Pour Gilbert Guilleminault et Yvonne Singer-Lecocq, Bonaparte aurait cherché à favoriser la hausse des rentes dès le début du Consulat pour des raisons toutes personnelles. Joseph Bonaparte, frère aîné du Premier Consul, se serait lancé dans des spéculations malheureuses sur la hausse des rentes et la €aiblesse de leur cours laissait augurer des pertes considérables. Le Premier Consul, dans .l'impossibilité d'apporter directement une aide financière à son frère, aurait alors, sur les conseils de Talleyrand, oeuvré pour élever le cours des rentes grâce aux achats de la Caisse d'amortissement. Joseph Bonaparte aurait ainsi pu céder ses titres à bon prix. (G. Guilleminault, Y. Singer-Lecocq, La France des gogos. Trois siècles de scandales financiers, Paris: Fayard, 1975, p. 119.) 131. Correspondance de Napoléon 1er, op. cil., t. 8, p. 149.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 constituera un dividende supplémentaire. La version suivante du projet précise que ces deux parties seront égales. La mesure paraît présenter un double avantage pour l'Etat. En premier. lieu, si la Banque réalise des bénéfices importants, elle devra en utiliser une partie pour accroître son capital, et par là-même acheter des effets publics pour le tiers de cette augmentation. La réussite de la Banque a donc des retombées directes sur l'Etat qui trouve ainsi un acquéreur pour les emprunts émis. D'autre part, en obligeant la Banque à prendre ces mesures lorsqu'elle distribue un dividende supérieur à 6 % tandis que le cours des titres sera poussé à la hausse, l'Etat rend plus attractives les rentes à 5 %. Le capital de la Banque, qui était auparavant fixé à un seuil de 30 millions de francs, est relevé à un montant minimum de 50 millions. Un article prévoit même qu'en plus des deux assemblées annuelles des actionnaires, le gouvernement autorisera des assemblées extraordinaires s'il les juge nécessaires. Cette disposition correspond à un véritable droit de regard de l'Etat sur des décisions qui étaient auparavant du seul ressort des actionnaires. Une note en marge de l'article, qu'il faut peut-être attribuer à Bonaparte, précise que sa suppression est désirée. Elle disparaît effectivement dans la seconde version de ce nouveau projet. D'autres dispositions ont été rajoutées au texte initial de Mollien. Les régents et censeurs de la Banque resteront en exercice jusqu'à la prochaine assemblée générale. A cette occasion, la moitié de la régence sera renouvelée et deux censeurs sur trois seront remplacés. La seconde version va encore plus loin dans l'ingérence de l'Etat. Elle prévoit que les deux censeurs qui seront alors choisis ne pourront prendre leurs fonctions qu'après l'approbation du Premier Consul. Jusque là, ceux qui sont en place continueront à exercer leur activité. Cette seconde version ajoute qu'après la première année, seulement trois régents sur douze seront remplacés annuellement, ainsi qu'un seul censeur dont la nomination devra être approuvée par le Premier Consul. Les censeurs devront rendre compte, lors de chaque assemblée, du respect des règles établies pour l'escompte. Cette recommandation, qui n'apparaît aussi que dans la seconde mouture du texte, ne peut que satisfaire Mollien. Sa désapprobation des facilités dont les régents bénéficiaient lors de l'escompte, son acharnement à réclamer un escompte uniquement distribué en fonction de la solidité des effets présentés, et non d'après la qualité d'actionnaire du demandeur du crédit, peuvent expliquer une volonté de contrôler le respect des règles qu'il a énoncées. La stricte observation de ces règles sera facilitée si les censeurs sont nommés avec l'aval de l'Etat. Un article, commun aux deux versions, prévoit enfin que le règlement intérieur de la Banque ne pourra être exécuté qu'après communication au gouvernement.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Ce ne sont donc pas moins de quatre versions que connaît le projet de loi de Mollien 132. Le texte contenu dans la Seconde note sur les banques commerciales est remanié par Mollien après que la régence a proposé son propre projet. Bonaparte reçoit une troisième version qui fera l'objet d'amendements pour constituer un quatrième texte. Il envoie le texte ainsi transformé à Mollien qui, dans une lettre du 20 ventôse an XI (11 mars 1803), soumet en retour les dernières rectifications à apporter133. Les réactions de la Banque au nouveau projet C'est le 23 ventôse An XI (14 mars 1803) que la commission fait part au Conseil général de ses observations sur le projet qui lui a été communiqué. Ce projet est véritablement passé au crible et tous les articles en sont examinés. Comme il accorde à la Banque un privilège d'émission, sans préciser à quel cadre géographique celui-ci s'étend, le Conseil s'en tient à l'avis de la commission qui estime que c'est une volonté de lui laisser la faculté de faire circuler ses billets sur tout le territoire. Les premiers articles ne posent pas de problème mais l'obligation qui est faite à la Banque d'employer le capital en achat de rentes, de limiter le bénéfice distribué pour accroître le capital, et de porter ce capital à 50 millions de francs n'est pas acceptée. La régence considère qu'un capital de 40 millions est suffisant, même avec le privilège d'émission. Elle s'appuie sur le fait que les billets de la Banque de France en circulation n'ont jamais dépassé 47 millions de francs, contre 22 millions pour la Caisse d'escompte du commerce et 3 millions pour le Comptoir commercial, soit une circulation globale de 72 millions de francs. Un apport en capital de 38 à 40 millions de francs, correspondant aux versements en espèces faits par les actionnaires des trois établissements, a suffi pour assurer cette circulation. Le montant de 72 millions de francs paraît être le maximum qui puisse être absorbé. On retrouve la thèse chère à Smith selon laquelle une émission supplémentaire devenant inutile, de nouveaux billets émis reviennent
132. Les auteurs qui ont évoqué le projet conduisant à la loi du 24 germinal an XI (14 avril 1803) semblent avoir renoncé à en retrouver la trame. Lanzac de Laborie relève seulement les difficultés éprouvées pour aboutir au vote de la loi. "A ma connaissance, aucun
historien jusqu'ici n'a signalé ces tâtonnements caractéristiques dalls la loi de germinal an XI." (Lanzac de Laborie, op. cit., p. 152.) Mais il ne décrit pas les différentes étapes, révélatrices des conflits d'intérêts, qui ont conduit à façonner le projet définitif. Ramon fait lui aussi l'impasse sur l'enchaînement des différents apports qui aboutissent au texte définitif. "Malgré
l'abondance des documents, il n'est pas possible de suivre les négociations. dans le détail sans perdre parfois la trace ... " (Ramon, op. cit., p. 47.) Il est vrai que l'existence de document non datés et non signés ne facilite pas cette reconstitution. Les recoupements entre les différentes sources et les comparaisons entre les multiples versions des textes parfois annotés en marge nous permettent toutefois de retrouver la chronologie des diverses contributions à la loi qui met fin à la pluralité des banques d'émission à Paris. 133. Arch. nat., AF /IV /1070. Le projet de règlement intérieur commun à toutes les banques est lui aussi aménagé. Deux versions en sont proposées.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 immanquablement au remboursement. Les régents s'appuient sur l'exemple de l'ancienne Caisse d'escompte en signalant que la circulation de ses billets est restée limitée. Pour que la Banque fasse preuve d'une grande utilité, il faudrait qu'elle mette en circulation des billets pour un montant trois fois supérieur à son encaisse. C'est là une règle de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial. Il est paradoxal de constater que les régents considèrent ce rapport comme un objectif à atteindre. Avec un capital de 40 millions, la Banque est alors à même d'assurer une circulation de 120 millions de francs en billets. Elle peut ainsi sans problème se plier à l'exigence du projet de loi d'utiliser le tiers du capital pour l'achat d'effets publics. Si l'on déduit le tiers du capital rassemblé par les actionnaires pour acquérir ces titres, il reste en effet une réserve métallique d'environ 27 millions de francs, laquelle peut assurer une circulation de billets de plus de 70 millions de francs. La régence admet le fait que la Banque puisse concourir au maintien du cours des rentes à 5 % d'intérêt, et ainsi permettre au gouvernement de continuer à se financer à ce taux réduit. Et elle est consciente du fait qu'elle pourra difficilement obtenir le privilège sans en payer le prix. Elle présente l'utilisation du capital pour l'achat des rentes comme une réduction du capital disponible pour garantir la convertibilité des billets, ce en quoi on ne peut que lui donner raison, sauf à considérer que l'augmentation du capital prévue compense la perte de disponibilité d'une partie de ce capital. Elle fait en outre valoir le fait que le public risque de s'alarmer de cette utilisation des ressources de la Banque pour acquérir des emprunts d'Etat. L'argument est bien-sûr destiné à défendre les intérêts de la Banque, mais il possède une certaine force. Depuis les débuts du Directoire, les craintes d'une collusion entre les banques et l'Etat sont suffisamment exprimées pour que la Banque soit fondée à se protéger contre tout rapprochement qui nuirait à son crédit. Les régents demandent donc à ce que seule la portion du dividende destinée à accroître le capital soit utilisée pour acheter les rentes. Pour le public, ce serait une simple utilisation des bénéfices de l'établissement, et non une atteinte à l'intégrité de son capital. La commission chargée de l'étude du projet de loi estime qu'environ 800000 francs pourraient servir chaque année à ces acquisitions. Ces achats présenteraient l'avantage de ne pas se ralentir au bout de deux ans, comme dans la solution préconisée dans le projet. Dans le plan de Mollien, le tiers du capital devait en effet servir à acquérir les rentes par des achats échelonnés sur deux ans. Ensuite, c'est seulement le tiers des sommes destinées à accroître le capital qui était dépensé pour acheter ces titres. Dans les propositions de la Banque, c'est l'ensemble des sommes qui aurait dû aller à l'accroissement du capital qui est utilisé pour l'acquisition d'effets publics. La régence propose donc pour les deux premières années des achats beaucoup plus faibles que ceux que pouvait souhaiter Bonaparte, mais elle en garantit une progression ultérieure plus rapide.
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Vers un projet de loi sur l'unité d'émission Après délibération, le Conseil général propose qu'une réserve de deux millions de francs, constituée par les bénéfices précédents non distribués, soit utilisée pour acheter les rentes à 5 % d'intérêt. Il précise que ces achats pourraient être complétés grâce à une réserve annuelle qui serait constituée en prélevant 20 francs sur le dividende attribué à chaque action. La mesure revient en fait à une imposition du dividende dont les actionnaires conservent la libre disposition. Le Conseil est chargé de faire savoir au gouvernement qu'après acceptation de ce prélèvemènt, toute autre mesure qui viserait à priver les actionnaires de leur dû irait à l'encontre des principes de ce type d'association. Elle porterait préjudice au crédit de la Banque, et l'Etat pourrait en être affecté par les retombées. De plus, si les actionnaires se voyaient privés de dividende, ils pourraient décider la liquidation de l'établissement. C'est donc une menace à peine voilée que la Banque adresse au gouvernement si celui-ci s'attaquait aux bénéfices de l'établissement, en dehors de la concession proposée par le Conseil. La commission conteste aussi les mesures proposées pour organiser la nomination des régents et censeurs, lesquelles prévoient le remplacement de la moitié des régents et de deux censeurs sur trois. Elle propose de laisser subsister les dispositions des statuts. Elle est toutefois consciente du fait que le projet de Mollien était motivé par la volonté de contrôler que la distribution de l'escompte s'effectue bien selon les règles établies. Elle propose la création d'un conseil d'escompte composé de douze personnes choisies dans le monde du commerce. Celles-ci assisteront à tour de rôle les régents au moment du choix par le comité d'escompte du papier à admettre, et elles pourront faire entendre leur voix dans ce comité. Le droit de regard que s'octroie le Premier Consul par la nomination des censeurs ne peut pas non plus être accepté. La commission qui a étudié le texte fait valoir que cette immixtion de l'autorité est de nature à nuire au crédit de la Banque. C'est le même type d'argument que celui qui est avancé à l'encontre de l'utilisation du capital pour l'achat des rentes. L'évocation des réactions possibles de l'opinion est un atout dans les mains des dirigeants de la Banque. Il est vrai que trois ans auparavant, les débuts de la Banque avaient failli être hypothéqués par la défiance du public envers un établissement qui était considéré comme étant beaucoup trop lié à l'Etat. Il importe donc d'éviter l'ingérence du pouvoir politique dans les opérations de la Banque. L'approbation du règlement intérieur par le gouvernement est remise en question pour cette même raison. Cette nouvelle version du texte de Mollien, qui semble marquer l'emprise de l'Etat sur la Banque, est apparemment loin de satisfaire la régence. Elle a mis en mouvement un processus destiné à lui assurer un privilège. Elle est sur le point de l'obtenir au prix d'une limitation de sa propre liberté d'action.
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CHAPITRE 6 Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise Alors que Mollien a apporté les dernières retouches au projet de loi et que la régence vien~ de se prononcer sur le texte qui lui a été communiqué, Bonaparte décide de précipiter les événements. Il fait part à Mollien, qui est plutôt partisan de mettre momentanément la réforme entre parenthèsesl , de sa décision de régler rapidement le problème qui traîne depuis maintenant un an. "Je ne veux pas de
trois banques en concurrence ; ces machines sont toujours inquiétantes. Je convoquerai demain soir un conseil d'administration de finances dans lequel j'entendrai les régents ; je vous y ferai appeler. Après-demain je ferai parler le conseil d'Etat sur le projet et je signerai le décret le jour même, pour que ce soit chose finie."2 Bonaparte convoque ce conseil dans la nuit du 25 au 26 ventôse An XI (16 au 17 mars 1803)3. Ille préside en compagnie des deux autres consuls. Trois ministres
1. L'hypothèse d'une rupture prochaine de la paix d'Amiens, les remous provoqués par le projet de suppression de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial entrainent une chute du cours de la rente. Mollien voudrait éviter que l'attribution du privilège soit négociée dans cette situation de détérioration du marché. "Certainement cette crise ne sera qlle passagère; mais dans lin pareil état, et qlloi qlle dans ma conscience le projet de réforme des Banqlles conca par le premier Conslll soit allssi nécessaire qll' il sera sallltaire. je SOli mets ail premier Conslll la qllestion de savoir si d' après ce qlli se passe, lin ajollrnement de qllelques jours pour la pllblicité dll projet ne serait pas utile." (Caisse d·Amortissement. Ali premier Conslll. Lettre de Mollien du 21 ventôse An XI (12 mars 1803). Arch. nat., AF/IV /1073.) 2. Mollien, Mémoires ...• op. cit .• p. 353. 3. Sur ce point, les Mémoires de Mollien nous paraissent comporter une ambiguïté qui n'a semble-t-i1 jamais été relevée. Lorsque Bonaparte lui fait part de son intention de provoquer une réunion pour le lendemain, il lui demande aussi d'utiliser des fonds pour soutenir le cours des rentes à 5 % pendant les trois jours qui suivent. Mollien dépense alors quatre millions de francs par jour et retrouve Bonaparte le troisième jour lors d'une entrevue où ils constatent que l'intervention de la Caisse d'amortissement n'a pas évité la dépréciation des effets publics. Et Bonaparte l'invite à la réunion pour le soir même. "Je ferai discuter encore ce soir le nouveall statut de la Banque. Revenez à dix heures." (Mollien, Mémoires ..., op. cit .• p. 357.) Or la réunion aurait dQ avoir lieu deux jours plus tôt, puisque Bonaparte l'avait annoncée à Mollien la veille du jour où il devait effectuer la première dépense de quatre millions. On pourrait donc supposer qu'il s'agit là d'une seconde réunion organisée par le Premier Consul. alors qu'un premier entretien aurait eu lieu le 23 ventôse (14 mars). C'est peu probable puisqu'il n'en est pas fait mention ni dans les diverses correspondances. ni dans les documents de la Banque de France. Et Mollien aurait sans doute fait état du contenu des discussions qui y auraient été tenues. Il est plus vraisemblable que Mollien prend une certaine liberté dans les paroles qu'il prête à Bonaparte ou dans la chronologie des événements qu'il relate. Il est enfin possible que cette réunion. prévue pour le 23 ventôse. ait été repoussée de deux jours. Mais le 23 est le jour où le Conseil général de régence délibérait sur le projet et on peut douter que la réunion ait été programmée pour le jour même puisque
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise sont présents: Barbé-Marbois, ministre du Trésor public; Gaudin, ministre des Finances; et Talleyrand, ministre des relations extérieures, convoqué non pas à ce titre, mais du fait de ses séjours en Angleterre et en Amérique qui lui auraient conféré des connaissances sur la question des banques. Plusieurs conseillers d'Etat, dont Cretet, sont aussi convoqués. La Banque de France est représentée par Perregaux et Lecouteulx-Canteleu. . Le principe de l'octroi du privilège d'émission est adopté. Talleyrand le défend en remettant toutefois en question le fait que les actionnaires puissent avoir un accès privilégié à l'escompte. Le capital de la Banque est augmenté4 • La limitation du dividende distribué à 6 % de la valeur de l'action est aussi arrêtée. Les régents manifestent apparemment une forte opposition aux décisions qui leur paraissent léser les intérêts de la Banque. Le problème n'est pas définitivement réglé et Bonaparte clot la séance en reconnaissant que "ces objets
doivent etre encore plus murement considérés et exigent une autre délibération"5. Le 27 ventôse (18 mars), les deux régents ont une nouvelle entrevue avec les trois conseillers d'Etat. Mais ils n'obtiennent pas satisfaction sur les points qu'ils souhaitent voir modifier. Le 14 germinal An XI (4 avril 1803), le projet de loi est présenté au Corps législatif6. On pourrait penser que l'obtention du privilège par la Banque de France procure à ses associés une vive satisfaction. C'est elle qui avait pris l'initiative de demander des faveurs après avoir montré les dangers de la multiplicité des émetteurs. Les historiens ne manquent pas de présenter l'obtention du privilège comme une victoire de la Banque sur ses rivales. Nous allons au contraire montrer que l'attribution de ce privilège occasionne à l'établissement la plus grande crise de son histoire. Nous expliquerons par ailleurs pourquoi le véritable bénéficiaire de l'opération nous paraît être beaucoup plus l'Etat que la Banque7.
c'est seulement le lendemain que la régence rend compte de ses vues au ministre du Trésor public. (Lettre de Perregaux au ministre du Trésor public. Arch. nat., AF /IV /1087.) 4. Il semble avoir été momentanément maintenu à 50 millions de francs, comme dans la dernière version du projet présenté par Mollien. C'est ce que laissent supposer les réactions de la régence qui s'inquiète, dans les jours suivants, d'un montant aussi élevé. Mais dans le texte présenté au Corps législatif, cette somme est ramenée à 45 millions, chiffre qui paraît être un compromis entre les 50 millions proposés et le maximum de 40 millions souhaité par la Banque. 5. Ces propos sont rapportés par Barbé-Marbois dans une lettre à Bonaparte du 27 ventôse An XI (18 mars 1803). (Arch. nat., AF /IV /1087.) 6. Le texte présenté le 14 germinal (4 avril) au Corps législatif semble avoir connu quelques modifications par rapport à la version élaborée sous la direction des conseillers d'Etat. La fixation du capital à 50 millions de francs, la nomination des censeurs par le Premier Consul n'apparaissent plus dans le texte du 4 avril, alors qu'ils font encore l'objet de réclamations de la régence après la réunion du 18 mars avec les conseillers d'Etat. 7. Cf. infra, p. 280-285.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 La crise qu'elle traverse alors comporte plusieurs facettes. C'est tout d'abord une difficulté de plus en plus grande à maintenir une encaisse suffisante pour continuer à assurer les remboursements de billets sans risque. C'est aussi, avant même la discussion officielle du projet de loi au Parlement, la contestation des conditions d'attribution du privilège par la Banque. Ce sont là les deux premiers éléments de la crise qu'il faut développer (1). Après la présentation officielle du projet, la contestation de la régence se poursuit. Mais elle s'accompagne d'une situation conflictuelle au sein du Conseil général doublée d'une remise en question par les actionnaires des décisions de la régence. Cette deuxième manifestation de la crise sera aussi analysée (II). Enfin, la loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) finit par attribuer le privilège d'émission à la Banque de France, supprimant par là même les autres émetteurs dans des conditions qui seront examinées (III).
1. Les premiers éléments de la crise
La fuite du numéraire Si tout institut d'émission se doit de conserver une réserve suffisante pour faire face aux demandes habituelles de conversion, cette exigence semble particulièrement difficile à remplir pour la Banque de France. Barbé-Marbois vante la solidité de la Banque pour justifier le fait que le privilège d'émission doive lui être attribué. Mais cette idée selon laquelle la Banque de France serait mieux placée que ses partenaires pour convertir sans difficulté ses billets en métal ne paraît pas correspondre à la réalité. Pour conserver une encaisse métallique permettant d'assurer le remboursement des billets émis, la Banque de France connaît de sérieuses difficultés qu'il faut tout d'abord présenter. Nous expliquerons ensuite pourquoi elles nous paraissent provenir de ses liens privilégiés avec l'Etat, liens qui finissent par limiter les aides que la Banque peut accorder aux emprunteurs. La menace de suspension des paiements La régence s'était préoccupée dès la première année de prendre des mesures propres à éviter l'affaiblissement de l'encaisse. Le 3 frimaire An IX (24 novembre 1800), le Conseil demandait aux caissiers de ne payer les clients qu'en espèces métalliques, sans leur proposer de recevoir des billets à la place. Ils étaient seulement autorisés à en fournir à ceux qui le demandaient expressément. Au premier abord, la mesure paraît accélérer la sortie du numéraire. En fait, les régents estimaient que si les billets n'étaient servis qu'à ceux qui les réclamaient, ils ne les convertiraient pas dans l'immédiat, alors que si un client recevait des billets sans le souhaiter pleinement, il pourrait être tenté de les présenter dès réception à la caisse chargée de l'échange. Un attroupement de personnes
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise attendant le remboursement d'un papier qu'elles viennent de recevoir ne pourrait que nuire au crédit des billets. En payant systématiquement en numéraire, la Banque prouvait au contraire qu'elle disposait de réserves utilisables sans problème, ce qui pouvait contribuer à améliorer la confiance de la clientèle et la conduire à utiliser d'elle-même les billets. La Banque ne manque toutefois pas d'être confrontée à une pénurie de numéraire. Le 16 vendémiaire An X (8 octobre 1801), la régence examine plusieurs propositions destinées à ramener du métal dans les caisses. L'acquisition de pièces étrangères en vue d'une conversion en monnaie nationale est envisagée. Le Comité central se charge d'examiner la possibilité de faire venir du métal de Belgique. Les régents prévoient aussi l'achat de piastres par l'intermédiaire du même établissement bordelais qui avait servi de correspondant à la Caisse des comptes courants lorsque celle-ci avait connu des difficultés avec son encaisse après la disparition de Monneron8. Le 2 brumaire An X (24 octobre 1801), la diminution des réserves incite le Conseil à poursuivre ses recherches dans cette voie. Il examine les propositions faites par le directeur de la monnaie de Bordeaux pour la transformation de piastres en pièces françaises. Dix jours plus tard, le directeur de la monnaie de Paris avance toutefois des propositions plus intéressantes. On envisage aussi de demander au Trésor public des obligations sur les départements réunis à la France. Leur remboursement à l'échéance permettrait ainsi de ramener du métal sur Paris. Cette solution nous paraît toutefois difficilement apte à réapprovisionner l'encaisse de la Banque. C'est certes un moyen de récupérer des pièces étrangères qui pourront être transformées à l'Hôtel des Monnaies. Mais ces pièces seront fournies contre des obligations que la Banque aura dû payer au Trésor public. Or, si la Banque le règle avec des billets, une partie de ceux-ci risque de revenir aux guichets pour conversion avant même que les espèces qu'ils étaient censés ramener puissent être acheminées sur Paris. La fuite du numéraire sera donc aggravée. D'autre part, si la Banque obtient ces obligations contre des effets à terme, elle n'a plus à rembourser une partie des billets émis pour ce paiement, mais elle se prive de recettes qui, à l'échéance, auraient permis de renflouer la caisse. La proposition d'acquisition de piastres semble l'emporter. Le 2 frimaire An X (23 novembre 1801), un rapport sur les achats de piastres faits pour le compte de la Banque par la maison Rodrigue frères de Bordeaux est soumis à la régence. Le même jour, elle étudie la possibilité d'acquérir aussi des piastres à Marseille, où le cours est présumé plus avantageux. Mais ce type d'opération n'est envisageable que si la Banque peut faire transformer les monnaies étrangères au moindre coût. C'est la raison pour laquelle elle réclame une exemption du droit de seigneuriage sur la conversion des métaux précieux en monnaie9. Or les consuls lui refusent cette 8. Cf supra, p. 27. 9. Cf supra, p. 121.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 faveur, ce qui la conduit à ajourner les opérations d'achat de piastres le 26 nivôse An X (16 janvier 1802).
La Banque continue cependant à assister à l'écoulement du métal hors de ses caisses. Le 16 pluviôse An X (5 février 1802), un rapport sur la diminution progressive du numéraire est lu au Conseil généraPO. Il établit la nécessité d'en faire venir des départements. C'est en juin 1802 que la situation devient véritablement alarmante. Le 13 prairial An X (2 juin 1802), les craintes sur la capacité de la Banque à préserver son encaisse sont clairement exprimées. Il s'agit de mettre en oeuvre les moyens de pourvoir la réserve. Le lendemain, le Conseil général se consacre entièrement à ce problème. Les régents reconnaissent avoir déjà fait acheminer sur Paris pour soixante-deux millions de francs de numéraire. Sans ces mesures, la Banque était évidemment en situation de cessation de paiements. Et comme le métal transporté non sans frais à Paris tend à quitter les coffres de la Banque, il devient urgent de trouver un moyen d'assurer des rentrées d'or ou d'argent. Les régents pensent que la sécurité de la Banque passe par un arrangement avec le Trésor public. Ils souhaitent manifestement que l'Etat prenne ses responsabilités en intervenant pour que la Banque ne manque pas de numéraire. Bien qu'ils ne détaillent pas les moyens qui pourraient être mis en oeuvre, on peut supposer que si le Trésor public s'abstenait de demander la conversion de ses billets en métal, voire s'il s'engageait à fournir à la Banque des espèces ou des effets rapidement remboursables en métal, la Banque n'aurait plus à craindre une impossibilité d'assurer la conversion de ses billets. Une délégation est mandée auprès de BarbéMarbois, lequel fait savoir qu'il ne partage pas les craintes des régents. La volonté de maintenir un rapport fixe entre le montant des biens en circulation et le stock de métal en réserve oblige les régents à rechercher les moyens de faire arriver des espèces dans les caisses. Le 11 messidor An X (30 juin 1802), le Conseil décide de solliciter à nouveau le ministre par courrier. On entre alors dans la période où le gouvernement, avant de se prononcer sur la question de l'attribution du privilège d'émission, consulte les différents établissements dont la Banque de France. Paradoxalement, la question primordiale pour la Banque n'est plus alors celle du monopole mais celle de sa survie. Les régents paraissent beaucoup plus préoccupés par l'approvisionnement des caisses que par le problème de la multiplicité des banques d'émission. Le comble est que la Banque de France, qui avait attiré l'attention du gouvernement sur le danger lié à l'existence des autres émetteurs du fait de leur présumée faiblesse, se trouve dans une situation particulièrement délicate au moment où elle devrait démontrer sa supériorité sur ses concurrents11 . 10. Registre des Délibérations ... , t. 1, du 29 pluviôse an VIII au 1er vendémiaire an XI..., op. cit. 11. Il est ainsi significatif qu'en messidor An X (juin-juillet 1802) la question de l'attribution du privilège ne fasse l'objet d'aucune discussion au sein du Conseil général de
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise Le 24 messidor au matin (15 juillet), la réserve tombe à 9 millions de francs, alors qu'elle se montait encore à 15,2 millions le 2 messidor (21 juin). Dans une lettre du 25 messidor An X (14 juillet 1802), Perregaux, qui constate cet affaiblissement, fait part à Bonaparte de ses inquiétudes quant à l'avenir de la Banque. "Il est de mon devoir, Citoyen Premier Consul de vous instruire. une
longue experience me fait craindre, me fait prevoir des maux qui seraient incalculables si la Banque se trouvait dans I:Impossibilité de faire face à un moment de crise, et je crois qu'elle n'en est pas éloignée."12 Les craintes de Perregaux sont fondées puisqu'au rythme suivi, le stock de métal doit être anéanti au bout d'un mois. La Banque ne pourra alors plus que suspendre ses paiements. C'est donc bien la Banque de France qui est alors l'établissement le moins fiable et qui risque, de par ses difficultés, d'entraîner les autres banques dans sa chute. Le 26 messidor (15 juillet), le Conseil général reconnaît qu"'une catastrophe prochaine porterait un coup mortel aux
Etablissements qui émettent des Billets de confiance, au Commerce en général et en particulier et par conséquent au crédit Public"13. La Banque exerce presque un chantage en montrant les répercussions que pourrait avoir la liquidation qui s'annonce. De nombreuses discussions sont consacrées au sein du Conseil général à la pénurie d'espèces qui paraît condamner la Banque. Barbé-Marbois, à nouveau sollicité, refuse de céder à la Banque des bons à vue ou des obligations qui seraient susceptibles de lui procurer de la monnaie métallique. La régence obtient toutefois satisfaction sur un point. Un arrêté des consuls du 27 messidor An X (16 juillet 1802) exempte la Banque du droit de seigneuriage sur la fabrication des monnaies d'argent. La mesure permet ainsi à la Banque de transformer des piastres en écus à un moindre coût. En dehors des piastres, la Banque trouve d'autres sources d'approvisionnement en métal. Le 14 thermidor An X (2 août 1802), BarbéMarbois propose à la Banque de lui remettre en échange de ses billets des lingots d'or. Ces lingots proviennent de la fonte des louis livrés par les contribuables aux receveurs des impositions. On pourrait s'arrêter sur la pertinence d'une mesure qui consiste à fondre des pièces pour obtenir des lingots que la Banque utilisera pour les refondre en vue de fabriquer de nouvelles pièces. On retiendra simplement que
régence, alors que des séances complètes sont consacrées au problème de la fuite du numéraire. 11 est tout aussi intéressant de noter que lorsque les régents s'adressent au ministre du Trésor public pour lui faire part de leurs craintes et réclamer des mesures propres à secourir l'établissement, Barbé-Marbois est obligé de les relancer pour qu'ils développent leur point de vue sur la question de l'unité d'émission. Celle-ci paraît devenir tout à fait secondaire devant la menace d'effondrement de \"institut qui prétendait devenir banque unique. 12. Lettre de Perregaux du 25 messidor An X (14 juillet 1802). Arch. nat., AF /IV /1070. 13. Registre des Délibérations ..., op. cit., t. 1.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 c'est un appui important que l'Etat procure à un établissement qui ne dispose pas encore d'un privilège et qui soutient la concurrence grâce à cette aide. On pourrait supposer que ces faveurs accordées par l'Etat pour aider la Banque à recl:>nstituer sa réserve écartent définitivement toute menace de pénurie. Il n'en est rien. Le 10 frimaire An XI (1er décembre 1802), l'épuisement de l'encaisse mobilise à nouveau l'attention de la régence14 . Les remboursements en écus représentent le double de la normale. Et surtout, la Caisse d'escompte du commerce, qui était habituellement débitrice envers la Banque après l'échange quotidien des billets, se trouve désormais créancière au point que "tous les Jours après l'échange des Billets elle domine la Banque d'un million à douze cent mille francs"lS. La Banque n'est donc pas particulièrement en position de force16. Même après l'élaboration du projet de loi qu'elle établit à partir du premier texte de Mollien, la Banque de France continue à souffrIr d'un épuisement de ses réserves. Le 27 pluviôse An XI (16 février 1803), le Conseil général étudie un rapport sur la pénurie du numéraire dans les caisses et sur la nécèssité de recourir à des approvisionnements extraordinaires. Le 11 ventôse An XI (2 mars 1803), la question est à nouveau abordée par la régence. Ce n'est qu'à partir de mars 1803 que la pénurie du numéraire passera au second plan du fait des remous suscités par les conditions d'attribution du privilège. Une menace consécutive aux liens privilégiés avec l'Etat Dès 1800, la Banque de France assure certains services pour le compte de l'Etat. Un arrêté du 23 thermidor An VIII (11 août 1800) la charge notamment d'assurer le paiement en numéraire des rentes et pensions de l'Etat17. C'est là un facteur de prestige pour la Banque qui participe ainsi au relèvement du crédit des effets
14. Perregaux rend régulièrement compte de la situation de la Banque à Bonaparte. Diverses lettres attirent son attention sur la diminution de la réserve: lettres du 11 brumaire An XI (2 novembre 1802), 8 frimaire An XI (29 novembre 1802), 20 nivôse An XI (10 janvier 1803), 27 nivôse An XI (17 janvier 1803), 11 pluviôse An XI (31 janvier 1803). Arch. nat., AF/IV /1071. 15. Registre des Délibérations ... , t. 2, du 2 vendémiaire an Xl au 17 pluvi6se an XII, Archives de la Banque de France. 16. Le procès-verbal de la séance du 17 frimaire An XI (8 décembre 1802) fait même état de bruits de faillite qui tendent à circuler. 17. Sur le paiement de ces rentes et pensions, on pourra se reporter à Ramon, op. cit., p. 3034. Jean Tulard voit dans cette mesure qui renforce le prestige de Bonaparte le point de départ de la longue période de stabilité de la monnaie française. Il note que "l'effet psychologique le plus spectaculaire du redressement financier fut la reprise du paiement en numéraire des rentes de l'Etat. Cette mesure contribua il accrottre la popularité du régime dans les milieux
bourgeois, la confiance retrouvée permit l'établissement d'une nouvelle monnaie: en mars 1803 une loi créait un franc de cinq grammes d'argent, le fameux franc germinal, qui devait rester stable jusqu'en 1914." O. Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Paris: Fayard, 1977, p.l25.)
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise publicS 18 . Mais c'est aussi une cause principale d'épuisement de la réserve de numéraire. La Banque s'engage en effet à réaliser les paiements en espèces métalliques. Elle reçoit en contrepartie un montant équivalent sous forme d'obligations des receveurs généraux. Ces effets sont certes productifs de numéraire à l'échéance, mais la Banque de France doit en faire l'avance pour effectuer ses paiements. D'autre part, ces titres sont payables sur divers points du territoire. L'acheminement sur Paris des espèces procurées par les remboursements à l'échéance exige donc des délais. Et comme le Trésor public ne se prive pas de céder à la Banque les obligations les plus difficiles à recouvrer, notamment celles qui sont payables dans les villes les plus éloignées, la Banque ne reçoit du métal qu'avec retard. L'établissement parisien dispose d'un réseau de correspondants qui se chargent de présenter les obligations au remboursement pour son compte. Mais ils tentent eux-mêmes de ne pas livrer d'espèces métalliques contre les effets que la Banque leur demande de recouvrer. Ils s'efforcent de lui faire accepter d'autres effets payables à Paris, ce qui tend à repousser encore le moment où elle peut enfin recevoir des fonds. L'opération se traduit donc par un déficit structurel de monnaie métallique pour la Banque puisqu'elle est forcée de fournir immédiatement du métal contre des obligations qui ne sont que des promesses de métal à terme. Le Conseil général reconnaît "que l'épuisement de la réserve vient de ce que le nouveau mode de faire
les fonds pour les Rentes a totalement privé la Banque des valeurs avec les quelles elle se procurait du numéraire"19. En juillet 1802, les fuites de métal sont en effet accélérées par le fait que le Trésor public règle la Banque avec ses billets alors qu'elle est tenue d'assurer le paiement des rentes sur une période plus courte. Le papier que reçoit la Banque n'est donc même plus une promesse de métal à terme. C'est son propre papier qui lui procure tout au plus la satisfaction que ces billets ne seront au moins pas présentés au remboursement, ce qui aurait pu contribuer à accentuer l'effondrement de sa réserve. Mais ils interdisent d'espérer une rentrée de métal dans un avenir proche. C'est donc cette pénurie d'espèces métalliques, liée aux services que la Banque assure pour le compte de l'Etat, qui l'oblige à prendre des mesures coûteuses pour faire transporter du métal sur Paris. Cette situation lui pose un double problème. Elle finit par restreindre les prêts qu'elle peut accorder aux candidats à l'escompte, ce qui diminue son utilité d'établissement prêteur et restreint ses possibilités de bénéfices. Elle doit financer les acquisitions de métal hors de
18. Le cours des rentes à 5 % était particulièrement faible avant le coup d'Etat du 18 brumaire. Ramon note qu·elles se vendaient alors à 12 francs (op. cit., p. 35) et Desaunay affirme que leur cours était descendu jusqu·à 5 francs (op. cit., p. 476). Mais lorsque la Banque de France se charge du paiement en numéraire, ce cours est multiplié. Il atteint 40 puis 50 francs. Nous avons vu qu'en décembre 1802, Bonaparte souhaite que Mollien intervienne pour porter le cours à 56 francs. (Cf supra, p. 222.) 19. Registre des Délibérations ... , op. cil., t. 1.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Paris, voire assurer la transformation de pièces étrangères ou lingots en écus, ce qui accroît ses dépenses. Si l'institut d'émission veut conserver un rapport fixe entre le montant des billets en circulation et l'encaisse métallique, lorsque cette encaisse diminue, il peut tenter de la reconstituer. C'est ce qu'il fait en prenant des mesures propres à lui procurer des écus. Mais si ces efforts s'avèrent infructueux, la réduction de l'encaisse nécessite une diminution de l'escompte pour que le montant des billets en circulation baisse dans les mêmes proportions que le métal20 . La Banque doit limiter les crédits qu'elle accorde, alors qu'ils étaient pourtant sa raison d'être. Le volume des effets qu'elle détient s'amenuise, ce qui restreint les rentrées d'argent qu'elle peut espérer à l'échéance. Et comme ses opérations se réduisent, les possibilités de bénéfices s'en trouvent amoindries. Les perspectives de bénéfices sont d'autant plus remises en question que les efforts pour faire rentrer des espèces se révèlent coûteux. Ces dépenses sont contestées au sein même de la Banque. On peut en effet trouver deux motivations à la qualité d'actionnaire. Des banquiers ou commerçants se procurent des titres de propriété dans le but d'avoir un accès privilégié à l'escompte. C'est encore plus vrai lorsque la Banque décide d'attribuer les sommes destinées à l'escompte proportionnellement au nombre de titres détenus. Perregaux reconnaît que c'est une mesure qui provoque l'élévation du cours des actions 21 . Mais des détenteurs de fonds peuvent aussi considérer l'achat d'actions de la Banque de France comme un placement, et compter sur la perception d'un dividende confortable et la possibilité de revendre les titres avec une plus-value 22 . Ils peuvent éventuellement profiter de leur qualité d'actionnaire pour apporter une troisième signature à certains effets, accordant un crédit à des commerçants alors qu'ils se refinancent à un coût réduit. La deuxième catégorie d'actionnaires tend donc à désapprouver ces opérations de transport d'espèces dont le coût ponctionne le dividende. S'appuyant sur l'idée que la monnaie métallique devrait se répartir 20. La baisse de la réserve oblige la Banque de France à restreindre ses escomptes jusque dans les semaines qui précèdent l'attribution du privilège. Le 2 ventôse An XI (21 février 1803), Perregaux écrit encore à Bonaparte que "la Banque de france se trouve forcée de resserrer son Escompte à callse de la diminlltion assez sensible de sa réserve en espèces". (Arch. nat., AF IIV /1071.) La veille même du vote de la loi, Mollien observe que "la Banqlle de france a réduit ses escomptes de près d'un tiers". (Caisse d'Amortissement. Ali premier Conslil. Lettre de Mollien du 23 germinal An XI (13 avril 1803), Arch. nat., AF IIV 11073.) 21. Cf. slipra, p. 203. 22. Desaunay (op. cit., p. 477) voit dans les détenteurs d'actions de la Banque de France une distinction entre les entrepreneurs et les capitalistes. Les deux termes ne nous paraissent toutefois pas correspondre à la distinction traditionnelle établie par les néo-classiques, où l'entrepreneur emprunte des fonds à un capitaliste qui n'intervient pas dans l'entreprise. Ici, tous les actionnaires sont des capitalistes dans le sens où ils apportent des capitaux à la Banque. Mais ceux que Desaunay semble considérer comme les actionnaires capitalistes sont ceux qui voient dans leur mise de fonds non pas une nécessité pour étendre leur activité par un recours régulier à l'escompte, mais un moyen de percevoir une rémunération grâce au dividende.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise naturellement dans les mains de la population, et donc dispenser la Banque d'agir pour faire acheminer à grands frais des espèces qui finiront bien par parvenir là où le besoin s'en fait sentir, ils semblent contester la politique coûteuse d'approvisionnement de l'encaisse. Mais la régence est préoccupée par la nécessité de faire face aux demandes de conversion et agit en conséquence. Les actionnaires sont donc lésés par les opérations que la Banque effectue pour le compte de l'Etat et qui tendent à la priver des liquidités qu'elle cherche à se procurer par'des moyens onéreux23 • Les emprunteurs sont aussi pénalisés du fait que l'appauvrissement de l'encaisse pousse la Banque à restreindre ses escomptes. Les détenteurs d'effets à escompter sont d'autant plus désavantagés que la Banque consent des aides directes à l'Etat au détriment de l'escompte auprès des particuliers. Dès le 7 prairial An VIII (27 mai 1800), la Banque décide d'utiliser en permanence une somme de 3 millions de francs pour escompter des obligations des receveurs généraux. Il ne s'agit pas là d'une mesure qui affaiblit la réserve de la Banque. Elle peut être assimilée à l'escompte des effets de commerce. Si les billets émis lors de ces escomptes ne sont pas présentés au remboursement, la situation de l'encaisse peut même s'améliorer puisqu'à l'échéance les obligations rapportent du numéraire sans que les billets émis lors de l'escompte aient obligé la Banque à débourser une somme de monnaie métallique équivalente. En revanche, si le Trésor public présente ses billets au remboursement, la Banque doit livrer des espèces alors que les obligations ne procureront pas du métal avant plusieurs semaines. Ces avances à l'Etat se font en fait au détriment des prêts au reste de l'économie. En effet, les fonds versé à l'Etat sont autant de sommes qui ne sont pas attribuées aux escomptes privés. Et si les billets possédés par le Trésor public sont présentés aux guichets de la Banque, ses réserves se restreignent à cause de ces remboursements, et elle doit encore resserrer ses secours aux particuliers. Ce sont en fait les actionnaires les moins importants qui finissent par faire les frais des avances à l'Etat puisque leur papier risque d'être considéré comme le moins solide. Ils sont donc privés d'un recours à l'escompte qu'ils auraient pu obtenir sans les versements à l'Etat. La Banque est consciente des problèmes que posent ses relations avec l'Etat. Les régents voient bien que l'abandon du paiement des rentes en numéraire pourrait mettre fin aux difficultés de l'encaisse, lesquelles rendent de plus en plus hypothétique la continuation de ces paiements. Perregaux, constatant la diminution des avoirs métalliques en caisse, fait savoir à Bonaparte que "dans cet
état de chose il serait impossible à la Banque de Continuer le payement des rente"24. 23. La Banque semble même avoir recherché du numéraire pour les besoins de J'Etat comme en témoigne une lettre de Perregaux qui déplore que "les achâts de Piastres qui ont été faits pour
le Gouvernement /'ont empêché d'en faire pour elle". (Le Cen Perregaux au Général Bonaparte, Premier Consul. Lettre du 20 nivôse An XI (10 janvier 1803), op. cil.) 24. Lettre de Perregaux du 25 messidor An X (14 juillet 1802), op. cit.
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Là où la situation est paradoxale, c'est que l'Etat qui paraît enclin à ne tolérer la présence que d'un seul institut d'émission, porte son choix sur celui qui connaît de réelles difficultés pour préserver son encaisse. Mais il éprouve ces difficultés justement parce qu'il apporte une aide à l'Etat. Et c'est bien parce que la Banque de France est susceptible de secourir financièrement l'Etat que celui-ci lui apporte son soutien. En prêtant au Trésor public, la Banque de France accepte donc de connaître une gêne passagère pour se rendre indispensable et s'assurer ainsi l'appui de l'Etat. La Caisse d'escompte du commerce ou le Comptoir commercial n'ont pas cette possibilité puisqu'en réservant leur crédit à leurs seuls actionnaires, ils ne présentent pas d'utilité directe pour l'Etat. Affirmer que l'aide accordée au Trésor nuit à la Banque, c'est présenter l'impact négatif de l'Etat sur la Banque comme la conséquence involontaire des crédits qu'il réclame. Mais il n'est pas exclu que l'Etat puisse chercher à pénaliser volontairement les actionnaires de la Banque. Lorsque le dividende est réduit parce que la Banque a dû freiner son activité pour éviter de mettre en circulation une trop grande quantité de billets à un moment où sa réserve s'épuise, ou parce qu'elle a dû acquérir du métal au prix fort, il n'y a bien sûr pas une volonté directe de l'Etat de nuire aux détenteurs du capital. Cependant, lorsque, comme dans la dernière version du projet de loi, le dividende est limité à 6 %, c'est certes pour constituer une réserve qui pourra être utilisée en acquisitions de rentes à 5 %. Mais c'est peut-être aussi afin de rendre l'action moins attrayante pour ceux qui ne voient là que la possibilité de percevoir un revenu intéressant. Seuls ceux qui ont la nécessité de recourir à l'escompte pour leurs affaires ont alors intérêt à conserver leurs actions. La limitation du dividende entraîne la baisse du cours des actions et les candidats à l'escompte peuvent alors acquérir à un moindre coût les titres qui leur ouvrent les portes du crédit à bon marché. Si l'Etat cherche effectivement la diminution de l'intérêt susceptible de favoriser le commerce, la baisse ducours des actions n'apparaît plus comme la conséquence malheureuse de l'intervention de l'Etat, mais comme un objectif à atteindre pour que les candidats au crédit évitent d'acquérir leurs titres de propriété à un prix prohibitif. Crete t, qui présente le projet de loi au Corps législatif le 14 germinal An XI (4 avril 1803), évoque d'ailleurs la réduction du.cours des actions comme une nécessité. Il semble lier l'augmentation de leur cours à l'attrait des dividendes, en déclarant que "l'imagination pourrait s'emparer de ces circonstances et de l'espérance
immense d'un dividende pour porter rapidement le prix des actions jusqu'à 2,000 francs, peut-être au delà"25. Une telle hausse doit être évitée car en cas de liquidation, chaque actionnaire essuierait une moins-value de 50 %. Et surtout, elle rendrait difficilement envisageable une baisse du taux d'escompte "qui
tendrait à abaisser un dividende acquis à si Izaut prix"26.
25. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, 2 Ventase an XI au 6 floréal an XI, p. 562. 26. Ibid.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise L'atteinte portée à la libre disposition du dividende, la baisse du cours des actions, qui suit effectivement les dernières négociations sur les conditions d'attribution du privilège, ne laissent pas les actionnaires sans réaction. La régence s'oppose fortement aux conditions qui lui paraissent aller à l'encontre des intérêts de l'établissement.
Les contestations suscitées par les conditions d'attribution . du privilège Les conditions d'attribution du privilège entraînent un climat de morosité dans le monde des affaires qui se traduit par une baisse du cours des actions de la Banque. Elles suscitent la riposte personnelle de l'un des responsables de la Banque, puis une réaction de l'ensemble de la régence qui réclame des amendements. Le climat de morosité La régence conteste les conditions qui accompagnent l'attribution du privilège. Perregaux supporte mal l'implication personnelle de Bonaparte. "Qui donc s'avise" demande-t-il à Mollien, "de l'embarrasser de nos affaires? Aujourd'hui
il a bien assez des siennes; et cependant s'il le veut ainsi, il faudra bien céder."27 Le 28 ventôse An XI (19 mars 1803), il rapporte à Bonaparte les résultats de l'entrevue avec les conseillers d'Etat28 . Il reconnaît que les projet de loi a été rédigé suivant les bases fournies par le Premier Consul. Mais il lui fait part de son opposition aux mesures qui lui paraissent porter atteinte au crédit de la Banque. L'augmentation de 20 millions de francs du capital risque de ne pouvoir être réalisée faute d'acquéreurs de titres. Si la distribution de l'escompte au prorata' du nombre d'actions détenues est remise en question et si les dividendes sont limités, les actions perdent l'essentiel de leur attrait. La Banque est d'autre part supposée s'affaiblir en utilisant une partie de son capital pour acquérir des rentes. Elle risque aussi de souffrir d'une crise de confiance liée à une trop grande intervention du gouvernement. Les craintes de Perregaux sont confirmées le même jour par Mollien qui note que "les offres d'actions de la Banque se multiplient sur
la place"29. Barbé-Marbois reconnaît aussi que certaines mesures sont source d'agitation. Il se fait même l'avocat de la Banque en laissant entendre que si les points qui lui ont déplu étaient abandonnés, le retour au calme s'ensuivrait. Ainsi, "si on apprend que la fixation du dividende, la conversion d'un tiers du capital en 5 p. % 27. Mollien, Mémoires ..., op. cit., p. 342.. 28. Le Cen Perregaux au General Bonaparte Premier Consul. Lettre du 28 ventôse An XI (19 mars 1803), Arch. nat., AF/IV /1070. 29. Caisse d'Amortissement. Au Premier COllsul. Lettre de Mollien du 28 ventôse An XI (19 mars 1803), Arch. nat., AF/IV /1073.
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l'intervention du gouvernement dans le régime intérieur n'ont été que proposés, et qu'enfin il n'y a eu d'arrêté que les articles protecteurs du commerce, je suis persuadé que l'effervescence cessera dans la journée de demain"3o. Il reçoit nombre de lettres qui affirment que "notre système monetaire tombera dans un desordre pire que l'état actuel si on procede sur les bases adoptées"31. Le ministre du Trésor public semble partisan d'une reprise des discussions qui pourrait donner satisfaction à la régence. Les incertitudes et les craintes quant au nouveau statut de la Banque perturbent l'activité. Mollien relève que "les gens d'affaires ne
s'occupent que de la question des Banques"32. Perregaux ne tarde pas à faire l'objet de contestations au sein même de la régence et il ne le cache pas à Bonaparte. "Ma qualité de Président de la Banque
de france!331 fait refluer sur moi toutes les réclamations qu'occasionnent les changemens projettés pour cet Etablissement. elles m'arrivent de tous côtés, même au sein de la Régence"34. Perregaux vient en effet de recevoir deux longues lettres de contestation du banquier Barillon et il n'hésite pas à les transmettre au Premier Consul. La contestation du banquier Barillon Barillon n'est pas opposé à l'objectif gouvernemental de hausse du prix des rentes, et ce d'autant moins qu'il en a lui-même acquis. Mais il considère l'action du gouvernement visant à élever le capital de la Banque à 50 millions comme une "calamité publique"35. Les fonds utilisés pour l'acquisition des actions le seraient au détriment des rentes à 5 %. L'augmentation du capital de la Banque risquerait donc d'aggraver la baisse du cours des effets publics. D'autre part, les bénéfices de la Banque, dont Barillon n'envisage pas qu'ils puissent s'accroître dans les mêmes proportions, devraient être répartis sur un plus grand nombre d'actions. La réduction du dividende ne pourrait alors entraîner qu'une désaffection à l'égard de ces actions. Et la faiblesse des titres de propriété de la Banque amènerait des retombées négatives sur l'ensemble de l'économie.
30. Trésor Pllblic. Le Ministre dll Trésor pllblic ail Premier COllslIl. Lettre du 27 ventôse An XI (18 mars 1803), op. cit.
31. Trésor Pllblic. Le Ministre dll Trésor pllblic ail Premier Conslil. Lettre du 29 ventôse An XI (20 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1087.
32. Caisse d'Amortissement. Ali premier COllslIl. Lettre de Mollien du 30 ventôse An X (21 mars 1803), Arch. nat., AF/IV /1073. 33. La présidence avait d'abord été attribuée à Lecouteulx-Canteleu, puis à Perregaux le 18 octobre 1801. 34. Le Cell Perregallx ail Gelleral BOllaparte Premier COllslIl. Lettre du 1er germinal An XI (22 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1070. 35. Barillon Regent de la Ballqlle de france ail Citoyen Perregallx membre dll Senat Conservatellr et President de la Banqlle de france. Lettre du 27 ventôse An XI (18 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1070.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise Barillon soulève en outre un problème qui, deux siècles plus tard, conserve toute son acuité. L'intention du gouvernement de favoriser la baisse du taux d'intérêt est louable. Mais si la rémunération des placements est trop faible, les capitaux étrangers risquent de quitter le pays. En outre, les nationaux seront tentés d'aller placer leurs propres fonds à l'extérieur. Il est donc· souhaitable que l'augmentation du capital de la Banque compense seulement celui de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial appelés. à disparaître, ce à quoi 10 millions supplémentaires suffiront. La limitation du dividende à 6 % est de nature à "étouffer à sa naissance la prospérité de la Banque"36. Il estime "que les actionnaires de la Banque ne devraient pas hesiter un moment à préférer la liquidation de leur établissement, plutôt que de se soumettre à une loi qui les depouille de leur qualité de propriétaires"37. En écrivant à Perregaux, Barillon a l'habileté de ne pas s'en prendre directement à Bonaparte. Mais envisager la liquidation de l'établissement dont Bonaparte souhaite asseoir la puissance est un véritable défi au Premier Consul. Le droit des actionnaires, la libre décision des associés lui paraissent primer sur la volonté de l'Etat. Celui-ci ne saurait imposer des conditions que les associés sont en droit de ne pas accepter: Et même si ceux-ci se pliaient aux exigences de Bonaparte, le public se défierait d'une banque sous la domination du gouvernement38 . Barillon trouve dans l'exemple de la Banque d'Angleterre une justification de sa position. Malgré le cours forcé, celle-ci conserve la confiance du public. Or son dividende n'est pas limité et elle distribue des bénéfices attrayants à ses actionnaires. Avant les rumeurs sur la reprise de la guerre, les actions étaient d'ailleurs presque au double de leur valeur nominale. Barillon montre en outre que l'augmentation du cours des actions peut aller de pair avec la revalorisation des rentes39 • Si le dividende représente un faible pourcentage de la valeur de l'action, du fait d'une trop forte hausse de celle-ci, il devient intéressant d'acquérir des rentes à 5 % qui procurent une rémunération supérieure au regard de leur coût d'acquisition. Dès l'instant où les rentes
36. Ibid. 37. Ibid. 38. "En consentant a suivre les intentions du Gouvernement, la Banque fera sans doute un Acte de soumission envers le Magistrat suprême qui lui manifeste ses volontés, mais le Public n'ignorera pas que la Banque a été contrainte et forcée, a souscrire a cette mesure et les achats qll'elle fera en rentes seront tOlljollrs regardés comme la dernière Ressource du gouvernement pOlir sOlltenir ses fonds." (Ibid.) 39. Barillon semble viser quelqu'un qui soutiendrait l'opinion inverse. Sans doute songet-il à Cretet qui évoquera, devant le Corps législatif, la. nécessité d'enrayer la progression du cours des actions de la Banque de France. .
"J'ai entendu dire qu'un homme qui, Je crois, m'a dit être très connaisseur en finances, qlle pour faire Augmenter les Rentes, il fallait faire baisser le Prix des actions. Je ne crois pas qu'une erreur aussi grossière puisse être partagée par qui que ce puisse être, ayant les premieres Notions d'Economie publique." (Ibid.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 présentent dans l'esprit du public une garantie aussi solide que les actions de la Banque, leur rémunération réelle doit se calquer sur celle des actions. Une élévation du prix des actions, à supposer que le dividende reste inchangé en valeur absolue, doit donc favoriser un raffermissement du cours des rentes40.
"L'approbation nécessaire du Consul pour la nomination des Censeurs est un mal dont les effets peuvent être incalculables."41 Nommés par le pouvoir politique, les censeurs jouiraient d'une autorité supérieure à celle des régents, ce qui troublerait l'harmonie que Barillon croit déceler dans la composition du Conseil général. Barillon, qui n'est pas loin de taxer Bonaparte d'incompétence4 2, réaffirme longuement le bien-fondé des propositions qui avaient été présentées par la Banque. Il soutient, de manière plutôt convaincante, que le Premier Consul ne peut atteindre son but de revaloriser les rentes en utilisant le tiers du capital pour en acquérir. Cette fraction, étalée sur cinq ans, ne représenterait pas une somme suffisamment significative pour en influencer durablement le cours. Les solutions proposées par la régence auraient un effet beaucoup plus marqué à long terme. Le banquier concède même que ce sont trente francs par an et par action, au lieu de vingt proposés par la régence, qui devraient être utilisés pour l'achat de ces titres. Alors que la ''funeste mesure"43 proposée par Bonaparte risquerait d'effrayer l'opinion publique et de provoquer la défiance des capitalistes étrangers, la formule de la régence est garante de confiance. C'est à un véritable chantage que se livre Barillon. Il menace, si ses arguments n'étaient pas pris en compte, de demander la convocation de l'assemblée générale des actionnaires pour lui présenter ses observations. Dans l'état d'incertitude où se trouvent les associés, ils pourraient donner à la régence des consignes allant à l'encontre des projets du gouvernement. Barillon conclut même sa première lettre en annonçant sa démission pour le cas où la régence accepterait les conditions, selon lui désastreuses, de la concession du privilège sans en référer à l'assemblée générale des actionnaires.
40. 8arillon résume en une phrase la conséquence de ces arbitrages qui aboutissent à égaliser les revenus relatifs de chaque titre. "Tous les crédits sont solidaires, [... ] à solidité égale." (Ibid.) 41. Ibid. 42. "S'il pouvait donner assez de temps a l'Etude, des vrais intérêts de la Place de Paris, de la Banque et du Commerce, dans l'affaire que nous traitons, nos observations seraient inutiles et sa tête fortement organisée son genie Profond, lui aurait fait sentir toutes nos reflexions avant même que nous les lui eussions soumises. Mais nous sommes a /'attelier, nous sommes éclairés par /' experience pratique, et tout ce qui echappe a la theorie la plus perspicace, est souvent saisi par ceux qui sont a l'ouvrage." (Ibid.) 43. Ibid.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise Dans la seconde lettre qu'il adresse à Perregaux, Barillon apparaît encore plus maximaliste. Les conditions du privilège sont un véritable "coup mortel"44 porté à la Banque. Des mesures comme la limitation du dividende, qui détruisent toute motivation, sont en opposition avec la logique commerciale. Et pour bien montrer que l'augmentation du capital est une erreur, il propose une réduction de celui-ci à vingt millions. Si l'on écarte la provocation que constitue une telle proposition, force est de reconnaître que les craintes du banquier ne sont pas dénuées de fondement. On voit mal ce qui pourrait inciter des détenteurs de fonds à acquérir des actions de la Banque qui n'ouvrent plus un accès privilégié à l'escompte, qui n'offrent qu'un dividende limité et des possibilités de plus-values douteuses. L'aspect juridique de l'argumentation de Barillon est tout aussi pertinent. La conversion de la réserve en rentes, bien que proposée par la Banque, peut même être remise en question au regard du droit et de la justice. Cette réserve est une utilisation des bénéfices précédents. Elle est donc acquise aux actionnaires. Il ne peut alors être question d'en faire une utilisation qui pourrait aller à l'encontre du voeu des actionnaires actuels. Barillon ne craint pas de dénoncer l'autorité qui n'hésite pas à disposer de la propriété d'autrui. La Banque de France, alors qu'elle n'a que quelques années d'existence, doit déjà subir les assauts d'un pouvoir politique qui risque de la conduire à sa perte. C'est là la destinée que le régent croit bon de généraliser aux établissements qui réussissent45. Les banques, qui ont pu soutenir l'activité économique dans un premier temps, peuvent gravement la perturber si elles sont conduites à des abus. Barillon note que "toutes les Banques émettant des billets de Confiance, sont utiles à leur naissance, dangereuses
lorsquelles ont atteint l'age viril et funestes lorsquelles approchent de la vieillesse"46. Il ne peut manquer de s'arrêter sur la Banque d'Angleterre qui en est venue au cours forcé après plus d'un siècle de fonctionnement. La réaction de la régence En dehors des réclamations de Barillon, les régents ne restent pas inactifs. Ils rencontrent officieusement les membres de la section des finances du Tribunat qui semblent se rallier à leurs vues quant aux modifications à apporter à certains articles. Ils sont prêts à supprimer l'article portant sur la nomination des censeurs par le Premier Consul47 . Ils amendent aussi les articles sur la fixation du 44. Barillon Regent de la Banque de france au citoyen Perrégaux membre du Senat Conservateur et president du conseil de la Banque de france. Lettre du 29 ventôse An XI (20 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1070.
45. "TOlites les Banqlles de l'univers émettant 11/1 papier de Confiance sllpletif dll nllmeraire sont IIti/es tant qll'elles ne sortent pas des bornes qlle les besoins dll Commerce indiquent, mais allssitot que ces bornes sont franchies, les Banques deviennent un instrument pernicieux dont l'ambition abuse." (Ibid.) 46. Ibid. 47. Bonaparte écartera lui-même cette possibilité après que la section des finances du Tribunat lui en aura fait valoir les inconvénients.
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dividende en proposant que celui-ci corresponde aux trois quarts des bénéfices et que le quart restant constitue une réserve placée en rentes à 5 %. La Banque de France emploiera la totalité de ses fonds de réserve en acquisition de rentes. La position des membres du Tribunat, qui accepteraient aussi quelques autres changements de moindre importance sur le projet, semble satisfaire pleinement les régents qui indiquent que "quand on n 'y ferait que les modifications indiquées, il y a lieu de croire qu'il obtiendrait l'assentiment unanime des actionnaires de la Banque de France; ce qui assurerait le succès du nouvel Etablissement"48. Ces amendements sont en effet de nature à modifier l'attitude des associés à l'égard du projet puisque la libre désignation des censeurs par l'assemblée générale des actionnaires écarte la menace d'une trop forte emprise de l'Etat sur la Banque. Et avec la conservation de l'essentiel du dividende, la certitude que le capital ne sera pas avili par l'acquisition de rentes pour une partie de celui-ci ramènera la confiance des actionnaires. La régence estime "que si le Gouvernement
adopte la nouvelle rédaction proposée, il ne pourra y avoir aucun prétexte de défiance sur les Billets au porteur payables à viie, par cela seul que la Banque ne prenant qu'une quotité de ses bénéfices pour l'achat des 5 p. % consolidés, les Porteurs de ces mêmes Billets auront la certitude qu'on en a point aliéné le gage qui repose essentiellement sur le Capital en écus fournis par les actionnaires"49. La régence souhaite donc faire part à Bonaparte de ce qu'elle présente comme son adhésion aux modifications proposées par la section des finances du Tribunat, bien qu'il semble plutôt que ce soit celle-ci qui ait fini par se ranger aux vues des banquiers. Une lettre, signée de tous les régents, est envoyée à Bonaparte pour lui notifier que puisque le projet ne recueille pas l'''assentiment généra1"50, il serait bon d'admettre les amendements proposés. La démarche des régents semble faire l'objet d'une certaine publicité puisque l'espoir qu'elle pourrait aboutir à infléchir la position de Bonaparte suffit à relever momentanément le cours des actions. Mollien note le 10 germinal (31 mars) que "l'espérance de quelques modifications dans le projet de loi sur les Banques avait relevé hier les actions de la Banque"51. Mais deux jours plus tard il doit constater que "les actions de la Banque reprennent leur tendance à la baisse; et quelques actionnaires renouvellent leurs déclamations"52. Le projet de loi est donc présenté au Corps législatif dans un contexte qui est loin d'être serein. 48. Procès-verbal de la séance du Conseil général de régence du 7 germinal An XI (28 mars 1803), Registre des Délibérations ..., op. cit., t. 2. 49. Ibid. 50. La Banque de France au Citoyen Premier Consul. Lettre du 8 germinal An XI (29 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1070. 51. Caisse d'Amortissement. Au premier Consul. Lettre de Mollien du 10 germinal An XI (31 mars 1803), Arch. nat., AF /IV /1073. 52. Caisse d'Amortissement. Au premier Consul. Lettre de Mollien du 12 germinal An XI (2 avri11803), Arch. nat., AF/IV /1073.
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II. L'augmentation de la tension après la présentation officielle du projet La présentation du projet de loi au Corps législatif amène un double mouvement de contestation. A l'opposition de la régence s'ajoute l'apparition d'une situation conflictuelle au sein même des instances de l'établissement.
L'opposition de la régence au projet déposé La présentation du projet Cretet, qui communique le projet de loi sur les banques au Corps législatif le 14 germinal An XI (4 'avril 1803), en présente les motifs dans un long exposé qui ne manque pas d'enseignements. S'arrêtant sur la nécessité d'établissements bancaires, il relève que "leur utilité, justifiée par les services qu'elles ont rendues
au commerce de plusieurs peuples, est universellement aujourd'hui reconnue: /ûtelle contestée, une grande nation ne saurait, sans sacrifier plusieurs des avantages de son commerce et de son industrie, se priver du secours des banques, lorsque ses voisins rivaux ou concurrents usent de semblables établissements"53. Ces propos ne souffriront aucune contestation. On est bien loin des discours enflammés qui, moins de huit ans plus tôt, attaquaient violemment les banquiers à qui l'on prêtait l'intention de vouloir la chute des assignats. Cretet peut donc s'étendre sur l'utilité des banques. Il met en avant le rôle joué par la Banque de France depuis sa fondation54, tout en rendant hommage à la Caisse d'escompte du commerce et au Comptoir commercial dont il reconnaît l'apport. La reconnaissance de l'utilité de ces différents établissements impose de développer les raisons qui ont pu amener à proposer l'unité d'émission. Pour Cretet, il y va de l'intérêt même du monde bancaire puisque la liberté ouvre "la carrière à une concurrence indéfinie et à une abondance de banques telle que, se détruisant les unes par les autres, il n 'y aurait réellement pas de banque, parce qu'il en existerait un trop grand nombre"55. Cretet reprend les développements sur l'extension des difficultés d'un établissement à l'ensemble des émetteurs. Le privilège répond aussi à l'intérêt du public pour qui l'utilisation des billets d'une banque unique est censée présenter de plus sérieuses garanties.
53. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, p. 558. 54. Il est curieux de noter qu'alors que Mollien tend à attribuer la création de la Banque de France à Bonaparte, Cretet reconnaît sans ambiguïté qu'elle est due à l'initiative privée, le gouvernement n'ayant fait qu'appuyer cette initiative. "11 acclleillit les vues d'Ilne association
qlli proposait l'établissement d'Ilne banque." (Ibid.) 55. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Il Y a donc un choix à faire entre les trois principaux établissements existants. Or aucun ne peut être considéré comme une banque générale56 . Les différentes banques tendent à limiter au cercle de leurs actionnaires le crédit qu'elles distribuent. Leur action, dont l'utilité n'est pas remise en question, est toutefois loin de satisfaire tous les besoins de l'économie. Il faut donc transformer l'un des émetteurs en banque générale. Pour Crete t, la Banque de France mérite la préférence pour trois raisons: elle bénéficie de la plus grande confiance du public, ce qui est pour le moins contestable, elle a le capital le plus élevé, et ses règles de fonctionnement la rendent plus apte à être convertie en banque générale57. Les actionnaires de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial n'ont dès lors plus qu'à devenir actionnaires de la Banque de France dont la vocation est beaucoup plus large. L'immixtion de l'Etat dans l'activité de la Banque est abordée de manière singulière. Alors que la Banque se voit imposer l'achat de rentes pour en soutenir le cours, Cretet présente cette contrainte comme une précaution pour la Banque. Le fait que le fonds de réserve de la Banque soit converti en effets publics est censé présenter une garantie aux porteurs de billets. Cretet se garde bien de montrer que ce qui peut apporter une garantie supplémentaire au public, c'est l'obligation faite à la Banque d'utiliser une partie de ses bénéfices destinés au dividende à la constitution d'une réserve, et non pas la conversion de cette réserve en rentes. Il fait toutefois valoir que cette mesure n'altère pas la propriété des actionnaires. Elle la modifie simplement puisqu'au lieu de percevoir un dividende plus élevé, ils deviennent propriétaires de rentesS8 . Cretet ne cache pas non plus que la hausse du cours des actions doit être enrayée. Si l'Etat peut se désintéresser des variations de cours en cas de multiplicité des banques d'émission, il ne saurait tolérer que des mouvements considérés comme perturbateurs affectent l'établissement qui s'est vu conférer un privilège. Tels sont les arguments pour la défense d'une loi dont le conseiller d'Etat reconnaît qu'elle "pourra froisser quelques intérêts particuliers, quelques habitudes"S9. La loi froisse en effet les intérêts de groupes qui ne manquent pas de se manifester. La contestation de la régence Le 17 germinal An XI (7 avril 1803), le Conseil général de régence décide de tenter une dernière démarche auprès de Bonaparte. Il lui demande une audience
56. "On entend par banque générale celle qui, ne faisant exception d'aucune classe de commerçants, les appelle toutes à la distribution de son crédit et de ses secours." (Ibid., p. 560.) 57. C'est sans doute là l'argument le plus sérieux. Nous développerons les raisons qui nous paraissent justifier la supériorité de la Banque de France sur ses concurrents aux yeux des principaux responsables de l'Etat. Cf infra, p. 280-285. 58. Le fait que ces rentes ne puissent pas être revendues à volonté nous paraît toutefois bien constituer une atteinte au droit de propriété. 59. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, p. 562.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise pour une délégation de six membres chargée de lui présenter les objections de la Banque60• Le jour même, Mollien, dans une lettre à Bonaparte, s'insurge contre les prétentions de la régencé 1. Barbé-Marbois est au contraire favorable à une négociation 62 • Il présente au Premier Consul les membres de la délégation et semble apporter son appui à leur démarché3. Deux jours plus tard, il renouvelle son soutien à la régence dans une autre lettre à Bonaparte. "J'ai vu ce matin
quelques personnes que je crois sans interet dans la question de la Banque de France. On trouve la loi bonne, sauf les points dont le changement est demandé."64 Il relève d'autre part "que le service du tresor peut trouver dans la Banque de grandes facilités si elle est fondée sur l'assentiment des grands capitalistes, des commerçants et des détaillants"65. Les revendications de la régence portent sur les points du projet de loi contestés par Barillon. Elle s'inquiète du fait que le texte annonce que le capital de la Banque sera porté à 45 millions de francs au moins. Cette dernière expression laisse entendre que le capital pourrait être élevé bien au-delà de ce montant. La limitation du dividende continue à constituer la principale pierre d'achoppement. La régence, suivant en cela les indications de Barillon, concède que 30 francs par action et par an pourraient être convertis en rentes à 5 %, le reste étant distribué aux actionnaires. La Banque ne veut pas d'un privilège qui lui aurait été imposé à des conditions trop contraignantes. C'est le 19 germinal An XI (9 avril 1803) que la délégation du Conseil général est reçue par le Premier Consul, au cours d'une audience de deux heures et demie. Les différents représentants de la Banque font valoir leur point de vue. Bonaparte leur donne l'assurance qu'il tient compte de leurs demandes. Le jour·même, au moment où les délégués rédigent leur compte-rendu, ils apprennent qu'un nouveau projet de loi vient d'être déposé au Corps législatif.
60. Motifs de l'Audience demandée au Premier Consul par les Régents à la Banque de France, Arch. nat., AF/IV /1070. 61. Caisse d'Amortissement. Au Premier Consul. Lettre de Mollien du 17 germinal an XI (7 avril 1803), Arch. nat., 1073. La veille, Mollien constatait que malgré "des déclamations et des présages sinistres" provoqués par la réforme des banques, le cours des rentes à 5 % s'était raffermi. (Caisse d'Amortissement. Au premier Consul. Lettre de Mollien du 16 germinal An XI (6 avril 1803), Arch. nat., AF/IV /1073.) 62. Il note quelques jours auparavant qu'une discussion avec les parties concernées "est le seul moyen par lequel on puisse prévenir de grandes fautes". (Trésor public. Le Ministre du Trésor public au premier Consul. Lettre de Barbé-Marbois du 29 ventôse an Xl (20 mars 1803), op. cit.) 63. Trésor public. Le Ministre du Trésor public au Premier Consul. Lettre de BarbéMarbois du 17 germinal An XI (7 avril 1803), Arch. nat., AF/IV /1087. 64. Trésor public. Le Ministre du Trésor public ait premier Consul. Lettre de BarbéMarbois du 19 germinal An XI (9 avril 1803), Arch. nat., AF/IV /1087. 65. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Les revendications de la régence sont prises en compte. Cretet présente le texte amendé au Corps législatif66 . Le capital est porté à 45 millions de francs, et la suppression de l'expression "au moins" permet de ne plus laisser supposer qu'il s'agit là d'un minimum. L'intégralité du dividende du second semestre de l'An XI pourra être distribué. Pour l'An XII, ce dividende est laissé à 8 % du montant de l'action. Par conséquent, la limitation du dividende à 6 % et la conversion du surplus en fonds de réserve destinés à l'acquisition de rentes ne prendra effet qu'à partir du 1er vendémiaire An XIII (24 septembre 1804). Ces modifications satisfont la régence qui estime "qu'il est de l'intérêt des actionnaires de concourir à l'exécution du projet de loi"67. Mais les remous provoqués par les actionnaires et les oppositions quant à la nécessité de prendre leur avis par la convocation d'une assemblée générale montrent que la régence est loin de contrôler leurs réactions.
Le conflit interne à la Banque Les dissensions au sein du Conseil gén~ra1
Le 23 ventôse An XI (14 mars 1803), le Conseil général de régence, après avoir examiné les différents articles du projet de loi qui lui était proposé, avait envisagé de convoquer les actionnaires. Mais la mesure, susceptible de déplaire à Bonaparte, ne s'était pas concrétisée. Dans les semaines qui suivent, un conflit oppose les dirigeants de la Banque sur l'opportunité d'une telle convocation. Le 16 germinal An XI (6 avril 1803), la régence examine la demande d'un actionnaire, Dumetz, qui s'oppose au projet de loi présenté par Cretet au Corps législatif "tendant à enchaîner l'association libre de la Banque de France"68. Il conteste, non sans raison, le fait que la loi puisse avoir un effet rétroactif en disposant d'une réserve déjà acquise aux actionnaires, "et puisque les démarches de la Régence auprès du Gouvernement n'ont pu conjurer l'orage, il requiert une assemblée générale des actionnaires"69 qui peut donner une dimension supplémentaire à la contestation de la Banque. Cette lettre est assortie d'une pétition de quarante-cinq actionnaires qui réclament la même mesure. Ils rappellent que la régence peut convoquer une
66. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, p. 584. 67. Procès-verbal de la séance du 19 germinal An XI (9 avril 1803). Registre des
Délibérations ... , op. cit., t. 2. 68. Procès-verbal de la séance du 16 germinal An XI (6 avril 1803). Registre des
Délibérations ..., op. cit., t. 2. 69. Ibid.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise assemblée extraordinaire pour de simples modifications aux statuts 70 . "Les
Petitionnaires pensent que cette autorisation devient un devoir indispensable lorsque l'acte social dont le maintien est confié à la Régence, est menacé d'anéantissement par le projet d'érection d'une nouvelle Banque consigné dans une Loi qui a frappé tout le Commerce de crainte et d'étonnement."71 Ils demandent donc que l'assemblée générale soit convoquée dans les plus brefs délais. La régence, que les signataires de la pétition soupçonnent d'insouciance et d'inaction, s'interroge sur le bien-fondé d'une assemblée extraordinaire. Il s'agit tout d'abord d'examiner si les actionnaires sont en droit d'exiger une convocation de l'assemblée générale. Il faut ensuite voir si la régence peut la provoquer conformément aux statuts de la Banque. Ces deux questions formelles étant résolues, il faut enfin réfléchir sur l'opportunité d'une telle mesure. Les régents ne sont pas tenus par les réclamations des signataires de la pétition. Ils n'ont de comptes à rendre que lors des assemblées générales annuelles et ils sont seuls à pouvoir organiser cette réunion. Les associés qui contestent son action n'ont donc pas le pouvoir de provoquer ou d'imposer une assemblée générale. Il n'en demeure pas moins que le Conseil général a tout pouvoir pour mettre en place la réunion, et ses membres s'interrogent sur cette possibilité. Une opposition se dessine entre ceux qui estiment qu'une assemblée générale s'impose et ceux qui pensent qu'elle résulterait d'une lecture contestable des statuts. Pour la première fois. dans l'histoire de la Banque, les régents font clairement état de leurs divergences et plusieurs d'entre eux exigent que leur position soit consignée sur le procès-verbal. Delessert demande à ce que l'assemblée générale soit convoquée le 22 germinal (12 avril) pour faire part aux actionnaires de la conduite tenue par la régence sur le projet de loi. Il signe sa réclamation sur le registre. Barillon est contre la convocation mais pense qu'il faut adresser au Tribunat des observations destinées à défendre les intérêts des actionnaires. Il signe aussi sa demande. Sevène note que le projet de loi est désormais connu et opte pour la convocation de l'assemblée générale. Il demande aussi à ce que sa position soit insérée au procèsverbal et la signe à son tour. Thibon s'y oppose par contre en relevant "que
convoquer une assemblée extraordinaire à l'effet de discuter une Loi, serait une démarche illégale en principes et dangereuse dans ses conséquences"72. Il signe lui
70. L'article 14 des statuts, qui porte sur l'assemblée générale, prévoit les cas de convocation extraordinaire. "L'Assemblée générale de la Banque peut être convoquée extraordinairement par la Régence lorsqu'elle aura à proposer des changements, modifications ou améliorations aux statuts fondamentaux de la Banque. Cette convocation allra encore liell lorsqll' elle allra été délibérée par la Régence sllr la proposition formelle et motivée des Censellrs." (Statllts fondamentallx de la Banqlle de France, op. dt., p. 7.) 71. Registre des Délibérations ... , op. dt., t. 2. 72. Ibid.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 aussi sa position. L'interrogation sur la possibilité légale d'organiser la convocation est pour le moins curieuse. Le projet de loi nécessite en effet une modification des statuts que la régence avait d'ailleurs envisagée. Or l'article 14 des statuts prévoit expressément, en cas de modification de ces statuts, la possibilité d'une convocation des actionnaires par la régence. Les réticences qui s'appuient sur une incertitude juridique semblent plutôt vouloir justifier une volonté d'éviter les remous que ne manquerait pas d'occasionner une assemblée générale. C'est toute la question de l'opportunité d'une telle mesure. Le Conseil finit par rejeter la convocation de l'assemblée générale en faisant valoir qu'elle ne pourrait qu'aviver les tensions 73 • Il s'appuie sur le fait que puisque la loi n'est pas votée, les discussions se limiteraient aux messages à transmettre au Tribunat et au Corps législatif. Ce sont là des actions qui ne nécessitent pas la convocation d'une assemblée générale. Les actionnaires ne considèrent pas que les régents en sont quittes pour autant. Dès le lendemain, le censeur Soehnée dresse un réquisitoire en faveur d'une assemblée générale. Il motive sa demande en s'appuyant sur le fait que la régence, qui proposait la conversion de la réserve en rentes à 5 %, n'est pas habilitée à disposer d'un fonds acquis aux actionnaires. Mais les régents attaquent cette requête sur la forme et sur le fond. Sur la forme, l'article 14 des statuts prévoit que la demande ne peut pas être admise du fait qu'elle est signée par un seul censeur. Or un concours de circonstances veut que sur les deux autres censeurs, l'un soit indisponible pour cause de maladie, et l'autre en mission temporaire par ordre du gouvernement. La majorité des régents accorde toutefois que dans une telle situation, la demande d'un seul censeur peut suffire74. Si le vice de forme finit par être écarté, l'objet de la revendication donne toutefois lieu à de nouveaux débats. C'est le motif de la réclamation qui est contesté. Les régents prétendent que ce ne sont pas eux qui disposent de la réserve acquise aux actionnaires. Il est vrai que c'est l'Etat qui, par la loi, peut obtenir la conversion de cette réserve en rentes. Cretet rappelait toutefois devant le Corps législatif que ces fonds, quelle que soit leur forme, demeuraient la propriété des actionnaires. Mais c'est bien la régence qui avait pris l'initiative de proposer, lors du Conseil du 23 ventôse An XI (14 mars 1803), la transformation de la réserve existante en rentes. Sur ce point, les protestations des régents paraissent loin d'être fondées. Ils font en outre valoir que la réclamation n'est pas acceptable puisqu'elle porte sur une mesure affectant 73. Le rapporteur note "que le froissement des intérêts, l'exaspération des esprits, pourraient entraîner des discussions divergentes, dont la publicité loin de remédier au mal n'aboutirait qll 'a l'aggraver et peut être à altérer cette confiance publique, sans laquelle il ne peut y avoir ni crédit ni prospérité, et dont le maintien est le plus puissant motif qll 'on puisse faire valoir pour obtenir de justes et nécessaires amendements". (Ibid.) 74. Ce n'est pas l'avis de Mollien qui, dans une lettre à Bonaparte, juge la demande irrégulière. (Lettre de Mollien du 17 germinal an XI (7 avril 1803), op. cit.)
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise la réserve qui ne s'est pas encore concrétisée, étant donné que la loi n'est pas votée. L'objection revient à dénier aux actionnaires la possibilité de faire valoir leurs droits tant que ceux-ci ne sont pas entamés. Si l'on s'en tient aux arguments du Conseil général, les actionnaires seraient en droit de réclamer seulement à partir du moment où la loi organiserait effectivement la transformation de la réserve en rentes. Un tel raisonnement revient à ôter aux actionnaires tout moyen de pression pouvant influencer la rédaction de la loi. On peut relever une contradiction entre la volonté des régents d'obtenir des amendements qui améliorent la défense des actionnaires, et le voeu d'une majorité de ne pas laisser se réunir ces actionnaires. Il faut sans doute y voir la volonté de ne pas entraver par une opération spectaculaire la démarche discrète de la régence qui compte obtenir des amendements en s'appuyant sur les réserves du Tribunat à l'encontre du projet. Bien entendu, il y a aussi la nécessité d'éviter une confrontation avec les actionnaires qui pourraient désavouer leurs représentants en leur faisant endosser une insuffisante prise en compte de leurs intérêts. Il est enfin vraisemblable que la crainte de la réaction de Bonaparte incite les régents à tout mettre en oeuvre pour éviter une assemblée générale. Le Conseil note, d'une manière plus nuancée, "qu'on ne peut pas supposer au Gouvernement, sans lui faire
injure, l'intention d'abuser d'une Loi portée pour s'opposer à la dissolution de [' Etablissement, si la majorité des actionnaires voulue par les statuts refusait le privilège créé pour une Banque unique"75. Le Conseil général parvient à repousser la convocation des actionnaires en demandant à ce qu'elle soit motivée par une considération plus générale. Cette pression pour la tenue d'une assemblée générale, bien qu'inconfortable pour la régence, lui fournit néanmoins des arguments pour demander des amendements à Bonaparte. Perregaux n'hésite pas à faire valoir les contestations dont il est l'objet pour quémander au Premier Consul un assouplissement de ses décisions. Et lorsqu'il obtient gain de cause à la suite de l'entrevue du 19 germinal (9 avril), il importe d'éviter toute perturbation qui pourrait conduire à remettre cet acquis en question. La décision à prendre sur la proposition de' convoquer les associés est retardée. La Banque de France, en passe d'obtenir le privilège d'émission, ne peut qu'en accepter les conditions, ou prononcer une dissolution qui serait un véritable défi à Bonaparte. Et il n'est pas exclu que cette solution soit retenue en cas de confrontation entre la régence et les deux cents plus forts actionnaires. La dissolution peut être prononcée par la majorité des actionnaires réunissant plus des trois quarts du capital. La régence trouve la parade en estimant que dès l'instant où des associés réunissant un quart du capital s'opposeraient à la dissolution ou voteraient pour l'acceptation du privilège, la convocation d'une assemblée générale deviendrait inutile. Celle-ci ne pourrait en effet pas 75. Registre des Délibérations ..., op. cit., t. 2.
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prononcer la dissolution de l'établissement. La régence propose donc de faire signer aux actionnaires un acte d'adhésion au nouveau projet en évitant toute confrontation directe. Le texte est ainsi conçu. "Nous actionnaires de la Banque de
France soussignés après avoir pris connaissance d'un projet de loi présenté le 19. au Corps Legislatif, tendant à établir dans Paris une Banque unique et Privilégiée et sous les conditions y énoncées, acceptons les conditions énoncées dans le dit projet."76 Lorsque le 21 germinal (11 avril) la régence étudie une nouvelle requête visant à réunir les actionnaires, motivée par la nécessité de les consulter sur l'acceptation du privilège, elle utilise de nouvelles subtilités des statuts pour repousser la convocation77. Celle-ci finit par être évitée. Le 24 germinal An XI, un registre est ouvert pour permettre aux actionnaires qui le souhaitent d'adhérer au nouveau régime. Le lendemain, Mollien note que les détenteurs de 6 736 actions l'ont signé78 • Trois semaines plus tard, Perregaux constate que les signatures obtenues donnent une majorité de 16 300 actions sur 30 00079 . C'est une adhésion qui est loin d'être enthousiaste. Le cours des actions ne paraît toutefois pas en souffrir outre mesure80. Les nouveaux titres finissent aussi par trouver preneurS l . Les actionnaires ne seront donc rassemblés que le 25 vendémiaire An XII (18 octobre 1803)82. Il ne s'agit alors que d'une assemblée annuelle programmée.
Elle donne l'occasion à Perregaux de justifier la conduite de la régence face aux revendications des actionnaires83. Les nouveaux statuts y sont approuvés. Si la régence, malgré ses dissensions, avait de bonnes raisons d'éviter la convocation d'une assemblée générale extraordinaire, les actionnaires de la Banque ne manquaient pas non plus d'arguments pour s'opposer au projet de loi.
76. Procès-verbal du Conseil général de régence du 19 germinal An XI (9 avril 1803).
Registre des Délibérations ... , op. cit., t. 2. 77. L'article l1 du règlement intérieur laisse aux régents un délai de dix jours pour délibérer sur une demande de convocation de l'assemblée générale des actionnaires par les censeurs. 78. Caisse d'Amortissement. Au Premier Consul. Lettre de Mollien du 25 germinal An Xl (15 avril 1803), Arch. nat., AF /IV /1073. 79. Le Cen Perregaux au Général Bonaparte, Premier Consul. Lettre de Perregaux du 12 floréal An XI (2 mai 1803), Arch. nat., AF/IV /1071. Perregaux note toutefois que les actionnaires étrangers n'ont pas été sollicités. 80. Caisse d'amortissement. Au premier COllsul. Lettre de Mollien du 17 floréal An Xl (7 mai 1803), Arch. nat., AF/IV /1073. 81. Mollien signale qu'ils se placent par petites fractions. (Caisse d'amortissement. Au premier Consul. Lettre de Mollien du 21 floréal An Xl (11 mai 1803), Arch. nat., AF /IV /1073.) 82. Barillon, après avoir cédé ses actions, ne sera alors plus partie prenante de la régence. 83. "Discours du Président de la Banque de France à l'assemblée générale des actionnaires du 25 vendémiaire An XII", Banque de Frallce. Compte rendu des opératiolls. Exercices 1800 à 1820, p. 153-164. (Archives de la Banque de France.)
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise L'opposition des actionnaires C'est un groupe de 45 actionnaires qui fait part à la régence de sa désapprobation sur le projet de loi. Les griefs des actionnaires sont clairement exprimés dans une brochure qui remet en question le bien-fondé du projet de loi sur les banques84• Ce document imprimé mais non signé nous montre que la perspective de devenir propriétaire d'un établissement qui détient le monopole de l'émission n'est pas particulièrement réjouissante pour un actionnaire de la Banque de France. L'auteur semble regretter qu'un terrain d'entente n'ait pas été trouvé avec les concurrents de la Banque. "Diverses négociations avaient été tentées auprès des
administrations respectives des trois établissemens; mais l'intérêt privé de quelques individus, des préventions répandues et fomentées avec adresse parmi les actionnaires, avaient suffi pour déjouer tous les moyens de conciliation."85 L'affirmation est pleine de sous-entendus. Elle pourrait notamment laisser supposer que les régents auraient volontairement sabordé toute possibilité d'accord pour conserver à la Banque dont l'attribution du privilège s'avérait inéluctable une plus grande latitude. L'auteur n'hésite d'ailleurs pas à remettre en question le droit d'un gouvernement à dicter ses conditions à une association particulière. Plusieurs développements font ressortir une attitude critique à l'encontre du gouvernement mais aussi de la régence. La remise en question de la nécessité de la loi Il est tout à fait concevable que l'Etat s'oppose à des établissements susceptibles de lui nuire. La volonté de ne pas tolérer les billets de la Caisse d'escompte du commerce ou du Comptoir commercial peut donc être justifiée. De même, l'Etat peut très bien créer une institution, dotée d'un privilège, destinée à lui rendre de multiples services, et demander aux autres établissements de retirer leurs billets de la circulation. Mais il outrepasse ses droits en contraignant une compagnie privée au privilège. Une association qui se veut libre se trouve alors enchaînée à l'Etat sans l'avoir souhaité. Cette conception est révélatrice de l'état d'esprit des actionnaires qui subissent le privilège (et ses conditions d'attribution) plus qu'ils ne le réclament. Le projet de loi est "attentatoire à la
liberté, à l'indépendance de la Banque de France, au droit sacré de propriété"86. Un tel acte n'est pas seulement contestable. Il s'avère inutile. La Banque doit conserver son crédit en se démarquant de l'Etat. Sur ce point, la liberté dont elle est supposée jouir la différencie des institutions étrangères comme la Banque d'Angleterre. Aussi, si l'Etat veut étendre la circulation fiduciaire, il doit 84. Réflexions d'I/n actionnaire touchant le projet de loi sur les Banques, présenté au Corps législatif les 14 et 19 germinal An 11, Paris: impr. d'Ant. Bailleul, s. d., 28 p. 85. Ibid. 86. Ibid., p. 3.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 favoriser la création en province de Caisses dont le capital pourra facilement être constitué s'il existe des perspectives de bénéfices et si la qualité d'actionnaire ouvre l'accès à l'escompte. Le projet de loi s'oppose au contraire à l'élargissement du crédit de la Banque. Il amoindrit l'intérêt des associés actuels et éloigne les actionnaires potentiels. Un objectif manqué La loi ne prévoit pas la création d'une banque d'Etat qui pourrait répondre aux exigences du gouvernement. Elle organise un accroissement contestable du capital d'une banque existante. Il s'agit là d"'une agglomération inutile de capitaux ravis au commerce"S7. Pour l'auteur, il n'est pas nécessaire que le capital s'élève pour améliorer la circulation des billets. L'affirmation paraît cependant sujette à critique puisque une augmentation du capital, par la réserve supplémentaire de numéraire qu'elle procure à la Banque, favorise un octroi plus large de l'escompte, et par là-même la distribution de billets. Mais l'auteur considère que la constitution du capital n'est qu'une charge pour les actionnaires. En effet, les revenus procurés par le placement en actions de la Banque sont inférieurs à ceux qui pourraient résulter d'autres emplois. "C'est un capital réel retiré de la circulation; c'est donc une erreur en économie politique, de chercher à accroître ce capital, et c'est en priver le commerce et l'industrie nationale, sans autre dédommagement qu'un modique intérêt."ss L'argumentation mérite là encore d'être contestée. Il est vrai que l'achat d'actions de la Banque n'est pas la meilleure forme de placement pour un détenteur de capitaux qui ne cherche pas particulièrement un accès à l'escompte. Mais les fonds affectés à l'accroissement du capital ne le sont pas au détriment du commerce puisqu'ils peuvent permettre une distribution supplémentaire de crédit qui bénéficiera à l'activité économique. L'actionnaire de la Banque craint plutôt que cette accumulation de fonds ne favorise la tentation de l'Etat de puiser dans ce stock de capitaux disponibles. Il rappelle que le projet de loi qui prévoit une augmentation du capital ne donne à l'Etat aucun croit supplémentaire quant à l'utilisation de ces fonds. Les nouvelles actions peuvent être offertes en priorité aux propriétaires des établissements supprimés. Mais si l'Etat croit trouver là les ressources permettant d'élever le capital, le but est manqué. Ces propriétaires n'ont en effet aucun motif d'acquérir ces titres. La limitation du dividende en réduit l'attrait, et comme un article du projet prévoit que la qualité d'actionnaire ne confère pas de droit particulier à l'escompte, ils ne seront pas incités à acquérir les actions de la Banque. Alors que les membres de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial obtenaient auparavant des crédits de leurs établissements respectifs proportionnellement à leur mise, ils pourront obtenir des crédits auprès
87. Ibid., p. 8. 88. Ibid., p. 10-11.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise de la Banque sans aucun apport. Non seulement les actions nouvelles trouveront difficilement preneur, mais les titulaires d'actions anciennes risquent d'être moins enclins à les conserver. Cretet avait aussi présenté la hausse des cours comme un risque encouru par les actionnaires. Pour l'auteur du document sur les doléances d'un actionnaire, c'est une position qui ne peut pas être défendue sérieusement. Les actionnaires peuvent disposer de leurs titres au prix du marché. Par conséquent, ils ne sont nullement pénalisés par une hausse qui est une promesse de recettes futures. La baisse des cours que.le gouvernement semble rechercher pénalise donc les associés89• La loi est discutable puisqu'elle réduit la richesse des propriétaires, alors qu'elle devrait au contraire s'employer à favoriser une hausse des cours. Le prix du privilège L'attribution du privilège laisse supposer que la Banque en a formulé la demande. Or, pour les actionnaires, la Banque n'a nullement fait état de cette prétention. Le passage suivant reflète nettement l'ambiguïté que paraît revêtir, pour les actionnaires, le comportement des régents.
"Rien ne constate néanmoins que la Banque ait formé cette demande, ni qu'elle ait été consultée, et encore moins qu'elle ait accepté les conditions qu'on attache à cette faveur. Il est vrai qu'il y a eu entre des personnages respectables, attachés au gouvernement, et certains membres de la Régence de la Banque, des communications confidentielles, dont le but était principalement la réunion des Banques de Paris ; mais peut-on considérer ces communications secrètes comme des actes obligatoires pour la Société, toutes les fois que l'objet qu'on y traitait sortait des limites du pouvoir conféré par les statuts à la Régence ? Or, non-seulement ces membres ou Commissaires, mais, la Régence elle-même n'avaient aucun caractère, aucun pouvoir pour stipuler des changements au contrat d'association qui lie tous les actionnaires ; mais il paraît certain qu'ils ont été assez circonspects pour ne rien accepter ni souscrire de contraire à leur mandat. Ainsi on ne saurait argumenter de ces communications confidentielles pour en inférer que la concession offerte à la Banque, soit la conséquence d'un accord, d'une convention préalable entr'elle et le gouvernement . . La loi qui accorde à la Banque un privilège qu'elle n'a point demandé, à des conditions que son administration n'avait pas le pouvoir de consentir, ne peut être
89. Le raisonnement de Cretet paraît surtout contestable sur un point que l'auteur de la critique ne relève pas. Cretet s'oppose à la hausse du cours des actions en faisant valoir qu'un retournement provoquant une baisse pénaliserait les actionnaires qui ont acheté leurs titres à un cours élevé. Mais en défendant la baisse des cours pour éviter ce risque, il défend le phénomène qu'il vient de condamner.
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qu'une loi préparatoire, et subordonnée à l'acceptation de la Banque légalement consultée. Or on ne peut pas douter que si l'assemblée générale des actionnaires est appelée à émettre son voeu sur l'acceptation ou le rejet des conditions qui lui sont offertes, son voeu ne soit négatif."90 La concession du privilège ne doit donc absolument pas être considérée comme une faveur accordée à la Banque en contrepartie d'une perte de son indépendance. La chute rapide du cours des actions de 1400 à 1100 francs montre d'ailleurs que la mesure est mal ressentie. Il y a donc une opposition entre les décisions de l'Etat et la volonté des actionnaires. Si le gouvernement porte atteinte à l'indépendance de la Banque en mettant la loi en application, les associés en deviennent les victimes. Et ceux-ci peuvent refuser le privilège, rendant ainsi la loi inapplicable. La première solution ne peut satisfaire les actionnaires, la seconde ruine les efforts de l'Etat. Si le privilège accordé à la Banque de France est en lui-même un avantage, les conditions dont il est assorti ne présentent rien qui puisse entraîner l'adhésion des associés. L'agitation qui fait suite à la présentation du projet de loi traduit la consternation des associés à qui l'Etat impose un privilège dont ils se seraient bien passés. Le projet de loi sur les banques réussit donc à mécontenter les associés de l'institution maintenue et à provoquer les réclamations des établissements supprimés. Ceux-ci cherchent jusqu'au bout à faire valoir leurs droits.
III. La suppression des rivaux de la banque S'il ne fait pas l'unanimité au sein de la Banque de France, le projet de loi sur les banques ne peut pas non plus recueillir l'approbation des dirigeants des établissements dont il prononce la disparition. Les deux principaux concurrents de la Banque: la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial, tentent d'organiser leur survie en suivant des stratégies différentes. La loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) n'en accorde pas moins le privilège d'émission sur Paris à la Banque de France à la suite d'une procédure parlementaire marquée par une absence de contestation sérieuse. Au lendemain du 24 germinal, les différents émetteurs indépendants n'ont plus qu'à s'intégrer à la Banque de France ou à disparaître pour rester en conformité avec la loi.
La stratégie des établissements condamnés Depuis la remise en question par la régence de la pluralité des banques d'émission, ce sont surtout la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir 90. Réflexions d'lin actionnaire ..., op. cit., p. 19-21.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise commercial qui ont porté la contestation devant le gouvernement. Les procédures entamées pour l'élaboration du projet de loi relancent cette opposition91 . La présentation du projet au Parlement conduit ces établissements à adopter deux attitudes différentes. Alors que la Caisse d'escompte du commerce multiplie les protestations, le Comptoir commercial semble choisir la résignation. Les protestations de la Caisse d'escompte du commerce Les dirigeants de la Caisse, qui considéraient déjà la proposition de réunion à la Banque comme "un envahissement déguisé"92, ne peuvent rester sans réaction devant le projet de loi qui proclame leur disparition. L'administration de la Caisse semble en fait avoir été tenue à l'écart des dernières discussions qui ont amené la rédaction du projet présenté au Corps législatif. Dès lors que le principe de l'unité d'émission avait été retenu, la Caisse n'avait certainement plus sa place dans des négociations qui ne portaient plus que sur les conditions d'attribution du privilège. Dans une lettre transmise à Perregaux le 12 germinal an XI (2 avril 1803), les dirigeants de la Caisse se plaignent d'ignorer les dispositions du nouveau plan. Ils demandent à la régence de leur faire parvenir la dernière version du projet puisqu'ils ont été tenus à l'écart de sa rédaction. Ils tiennent à en connaître le contenu précis pour faire valoir leurs droits devant le gouvernement. Le 14 germinal (4 avril), jour où le texte est présenté au Corps législatif, la régence charge deux de ses membres de communiquer l'information à la direction de la Caisse. Ils lui font part de leur approbation du projet pour peu que les réserves qu'ils ont émises, et qui ont été relevées par la section des finances du Tribunat, donnent lieu à des amendements. Les administrateurs de la Caisse ne tardent pas à protester auprès de Bonaparte. Ils adoptent la tactique traditionnelle qui consiste à' affirmer que les objectifs du Premier Consul sont louables, mais que ceux qui sont chargés de mettre ses idées en pratique déforment ses intentions. C'est un moyen de critiquer la politique du gouvernement sans s'en prendre personnellement au chef de l'Etat93 . Ils mettent en avant le fait que la Caisse ne doit pas être assimilée à une banque puisque c'est une association privée 91. Barbé-Marbois note qu"'ils sllivent le mime plan qlle l'année derniere : resistant par l'inqlliétllde et l'agitation de la place. J'ai liell de croire qlle tOIlS cellx qlli n'existent qlle par des circlliations sont très embarrassés." (Trésor pllblic. Le Ministre dll Trésor pllblic Ali premier Conslli. Lettre de Barbé-Marbois du 24 ventôse An XI (15 mars 1803), Arch. nat., AF/IV /1087.)
92. Les Administratellrs Directellrs de la caisse d'Escompte dll commerce Ali premier Conslli. Arch. nat., AF /IV /1070. 93. "Forcé qllelqllefois d'en confier les moyens d'execlltion à des agens, ils ont mal saisi vos volontés, et font calomnier vos intentions. VOliS VOiliez opérer le bien général dll commerce, et leur projet sllr les banqlles est IIne calamité pllblique." Au Citoyen Premier Consul. Lettre de la Caisse d'escompte du commerce du 19 germinal An XI (9 avril 1803), Arch. nat., AF/IV /1070.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 qui se contente d'émettre les billets de ses associés. Les dirigeants de la Caisse reprennent l'argumentation qu'ils avaient déjà utilisée pour tenter de démontrer que l'Etat n'a pas à se préoccuper de la circulation de leurs billets, puisque ceux-ci sont simplement destinés à l'usage des actionnaires. Si d'autres particuliers en viennent à les rechercher, c'est parce que la confiance les incite à les accepter. L'Etat réalise donc une véritable ingérence dans les opérations d'un établissement privé. "Ce projet viole les propriétés individuelles et industrielles."94 Les responsables de la Caisse d'escompte du commerce rédigent un mémoire à l'attention de Bonaparte afin de défendre leur établissement95 . Ils tentent de démontrer que le privilège accordé à la Banque de France n'affecte pas l'existence de la Caisse. Non seulement l'établissement doit pouvoir être maintenu, mais ses billets, qui sont présentés comme de simples papiers utilisés pour les opérations des actionnaires, doivent pouvoir continuer à être utilisés. Les signataires du mémoire considèrent en effet que le privilège accordé à la Banque défend aux autres émetteurs de créer en leur nom des billets. La Caisse d'escompte du commerce ne peut donc pas émettre des billets en son nom propre. Elle se défend d'ailleurs de le faire. Le projet qui lui interdit de créer de nouveaux billets et qui l'oblige à retirer de la circulation ceux qui existent déjà repose sur une vision erronée de leur nature. Les billets ne sont en effet que de simples reconnaissances de dettes émises par des individus, et non pas par l'établissement. De longs développements tentent de démontrer que la Caisse n'est pas une banque d'émission et que par conséquent la loi ne peut la concerner. C'est à des effets de commerce que les associés de la Caisse cherchent à assimiler leurs billets. Un effet de commerce est en effet une reconnaissance de dette qui circule et qui peut réaliser des paiements. De tels papiers sont autorisés. Or les billets de la Caisse relèvent du même principe. L'associé qui acquiert une action fournit à la Caisse une reconnaissance de dette que la Caisse cède ensuite à d'autres associés qui veulent bien l'accepter. La présentation est plutôt cohérente, si l'on fait abstraction de l'absence d'une procédure d'endossement puisque les billets sont payables au porteur. La forme du billet, les gravures et décorations ont pour but d'éviter les contrefaçons. EUes ne modifient en rien la nature de ce qui est présenté comme un effet de commerce. Les dirigeants de la Caisse estiment que l'autorité n'a pas le droit d'empêcher des paiements à l'aide de ces billets individuels. Ils considèrent qu"'il faut rejet ter la loi comme oppression
tiranniqlle"96. Non seulement les administrateurs de la Caisse s'efforcent de défendre leur établissement, mais ils s'emploient à démontrer que la banque unique n'apporte 94. Ibid.
95. Observations des associés de la Caisse d'Escompte dll Commerce sur lin projet de loi relatif allx Banques présenté ail Corps Législatif, le 14. Germinal an 11eme, Arch. nat., AF /IV /1070. Ce manuscrit de 20 pages est signé par une vingtaine d'associés. 96. Ibid.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise pas de garantie au commerce parisien pour l'escompte de ses effets. Le papier à deux signatures risque d'être rejeté par la Banque qui lui préférera des titres jugés plus solides. Le mode de répartition des fonds destinés à l'escompte, basé sur la masse globale du papier présenté et non plus sur le nombre d'actions détenues, lésera les associés de la Caisse. La composition même du comité chargé de sélectionner le papier, constitué par des actionnaires de la Banque qui ne pourront pas connaître tous les commerçants signataires, risque de nuire aux candidats à l'escompte. La Caisse, dans cette ultime tentative d'obtenir le retrait d"'une loi si imprévoyante, si peu réfléchie"97, va jusqu'à remettre en question le fait que la pluralité des banques d'émission puisse comporter quelque danger. Si les arguments avancés sont défendables, la démarche elle-même est peut-être une erreur. Car la Caisse a longuement tenté de démontrer qu'elle n'était pas réellement une banque d'émission. Dès lors, si elle pense en convaincre le pouvoir, elle n'a pas besoin de justifier l'existence de plusieurs émetteurs puisqu'elle refuse de considérer qu'elle en possède les caractéristiques. La résignation du Comptoir commercial Les dirigeants du Comptoir commercial adoptent dans un premier temps la même démarche que la Caisse d'escompte du commerce pour défendre leur établissement qu'ils assimilent à une "institution de bienfaisance"98. Ils tentent encore, en janvier 1803, de sauver l'existence de leurs billets, rejetant les inconvénients qu'on leur prête. "Quant aux dangers de la concurrence des billets
émis par le Comptoir avec ceux émis par les grandes Caisses, ils sont absolument nuls : les billets du Comptoir Commercial ne circulent guère hors de la sphère de sa propre activité"99. Le déroulement des événements finit toutefois par infléchir leur position. Dans une lettre à Bonaparte du 25 ventôse An XI (16 mars 1803), ils abandonnent toute prétention à conserver leurs billets en circulation. "La conservation du Comptoir Commercial peut s'allier avec le privilège résolu en faveur de la banque de France, et c'est sans rien changer aux conditions de ce privilège, qu'il demande aujourd'hui la liberté de continuer, non pas l'émission de ses propres billets, mais ses opérations d'Escompte avec les billets de la Banque."lOO Ils proposent de déposer à la Banque de France une somme de quatre millions en espèces et six 97. Ibid. 98. Comptoir Commercial. Les Administrateurs et Directeurs du Comptoir Commercial au Premier Consul, Arch. nat., AF/IV /1070. Cette lettre du 5 pluviôse An XI (25 janvier 1803) est renvoyée par Bonaparte au consul Lebrun. 99. Ibid. 100. Les Directeurs et Administrateurs du Comptoir Commercial Au Premier Consul de la République Fse, Arch. nat., AF/IV /1070. Cette lettre du 25 ventôse An XI (16 mars 1803) est renvoyée à Cretet par Bonaparte le lendemain.
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millions en effets détenus dans le portefeuille du Comptoir, contre dix millions en billets de la Banque. Ils prévoient aussi le dépôt des actions du Comptoir à la Banque de France. Au fur et à mesure de l'arrivée à l'échéance des effets de commerce, d'autres titres, garantis par les directeurs du Comptoir, pourraient être fournis à la Banque. Barbé-Marbois ne peut que se féliciter de telles dispositions et regrette que l'agitation qui accompagne l'attribution du monopole d'émission à la Banque empêche de régler rapidement le cas du ComptoirlOI . Le 18 germinal (8 avril), les dirigeants du Comptoir font part de propositions concrètes à Bonaparte. Ils sont prêts à déposer 3 500 actions à la Banque de France et souhaitent en contrepartie bénéficier de la qualité d'actionnaire et du droit de présenter à l'escompte des effets qui ne pourront être refusés l02 . Cette dernière prétention risque d'être difficilement acceptable pour la régence. C'est déjà la porte ouverte aux négociations qui entourent les conditions de l'intégration du Comptoir à la Banque de France. Alors que la Caisse d'escompte du commerce continue à exposer son hostilité au projet de loi, le Comptoir commercial se prépare à organiser sa survie après le jour qui verra la Banque de France recevoir le monopole d'émission. A quelques jours du vote de la loi, il a renoncé à prétendre demeurer un institut d'émission mais compte bien continuer à exister en tant que distributeur de crédit.
Le vote de la loi A partir du moment où Cretet présente au Corps législatif le projet de loi amélioré dans le sens souhaité par la régence, les événements se précipitent. Trois jours plus tard, le Tribunat appelé à se prononcer prend connaissance d'un rapport établi par Louis Costaz103 au nom de la section des finances 104. Le rapport favorable de la section des finances Costaz développe le cadre dans lequel la banque unique exercera son activité. Il montre ensuite que l'opération réalisée à Paris prépare la formation
101. Lettre de Barbé-Marbois du 17 germinal An XI (7 avril 1803), op. cit.
102. Les Directellrs et Administratellrs dll Comptoir Commercial Ali Citoyen Premier Conslll, Arch. nat., AF /IV /1070. Cet écrit du 18 germinal An XI (8 avril 1803) est complété de Propositions dll Comptoir Comal et d·Observations. 103. Costaz était un ingénieur qui avait participé à l'expédition d'Egypte comme savant. Il était entré au Tribunat en 1801 et s'occupait notamment de questions financières. Il devenait préfet, baron de l'Empire en 1809, conseiller d'Etat puis directeur général des Ponts-etChaussées en 1813. 104. L. Costaz, Tribllnat. Rapport fait par Costaz, au nom de la section des finances, sllr le projet de loi concernant les banqlles. Séance du 15 germinal an XI, Paris: Impr. nationale, An XI, 21 p.
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Le privilège d' émission attribué à un établissement en crise d'établissements du même type dans les départements. Il s'arrête enfin sur le sort des établissements supprimés. La première partie du rapport de Costaz lui fournit l'occasion de s'étendre longuement sur les principes de fonctionnement d'une banque d'émission. Les règles qui président à l'émission de billets, la détermination du taux d'escompte, la constitution du capital d'une banque font l'objet d'amples développements. Partant de ces considérations générales, il en vient au cas de la banque unique que le projet de loi met en place. Costaz présente les règles que doit respecter l'institution pour qu'elle entoure ses opérations de la plus grande sécurité tout en rendant le meilleur service au public. Les effets de complaisance, dont la technique est exposée, doivent être décelés et rejetés. Le papier à courte échéance doit être accepté en priorité. Mollien avait déjà insisté sur cette obligation qui assure une plus grande sécurité à l'institut d'émission en lui permettant d'obtenir d'autant plus rapidement des liquidités que les effets détenus en portefeuille ont une échéance proche. C'est la raison pour laquelle l'escompte doit être calculé sur le nombre de jours restant à courir. La Banque refusait jusqu'alors d'escompter les effets dont l'échéance était inférieure à quinze jours. Costaz cherche à montrer que non seulement ce papier est plus sûr, mais qu'il peut être source de profits plus importants que les titres à deux mois d'échéance, du fait de la répétition des opérations. Quant aux candidats à l'escompte, ils ne doivent pas être privilégiés par leur éventuelle qualité d'actionnaire. Mollien s'était vigoureusement élevé contre la pratique de la Banque qui consistait à répartir les fonds destinés à l'escompte au prorata des actions détenues. Costaz, en défendant le projet de loi, reprend les arguments du directeur de la Caisse d'amortissement. Il passe aussi en revue les différents articles qui organisent l'attribution du privilège. Les conditions de ce privilège, notamment les dispositions sur l'augmentation du capital et la limitation du dividende, sont détaillées et justifiées. Costaz, qui établit des projections sur toute la durée du privilège, relève qu'à l'expiration de celui-ci la valeur de la réserve peut dépasser le capital primitif. Comme, cette réserve demeure la propriété des actionnaires, la limitation du dividende n'est pas incompatible avec leur enrichissement. L'octroi du privilège à la Banque de France peut donc préserver les intérêts des actionnaires et satisfaire les besoins des candidats au crédit. Le rapporteur de la section des finances évoque d'autre part la formation des banques dans les départements. L'article 31 du projet de loi subordonne en effet la création de banques d'émission en province à l'autorisation du gouvernement. Le même article laisse au gouvernement la possibilité d'en limiter l'émission. Costaz voit dans cette restriction un moyen d'éviter toute circulation excessive. '. Cette tentative de justification de l'ingérence étatique paraît toutefois en contradiction avec les propres arguments de Costaz pour qui une banque sainement administrée évite de mettre en circulation un volume de billets excédant le triple de sa réserve. Dès lors que ce principe est respecté, il ne peut pas y avoir d'abus puisque toute augmentation de l'émission nécessite une augmentation du capital.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Mollien avait par ailleurs montré que l'émission tendrait à se calquer sur le montant des effets présentés à l'escompte, et donc sur les besoins du commerce 105. Une limitation autoritaire risque donc de priver l'économie de ressources qui auraient pu être avancées en toute sécurité. Costaz fait preuve de la même ségrégation que ses prédécesseurs en évoquant le sort des établissements condamnés. Il ne signale que la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial en reconnaissant que ce sont "les plus remarquables"106. Ces établissements ont jusqu'au 1er vendémiaire An XII (24 septembre 1803) pour retirer leurs billets de la circulation. Leurs associés ont la possibilité d'acquérir en priorité les nouvelles actions de la Banque de France. En outre, les commerçants et négociants ne devraient pas être pénalisés pour l'accès à l'escompte. Le projet de loi prévoit en effet que sept régents sur les quinze, et les trois censeurs, doivent être choisis "parmi les manufacturiers, fabricants ou commerçants, actionnaires de la Banque"107. De plus, le conseil d'escompte est constitué de "douze membres pris parmi les actionnaires exerçant le commerce à Paris"108. La section des finances s'est appuyée sur ces divers arguments pour se prononcer à l'unanimité en faveur de l'adoption du projet. Costaz en propose l'adoption à l'ensemble du Tribunat. Le projet de loi est discuté au Tribunat le 23 germinal an XI (13 avril 1803) et est présenté au Corps législatif dès le lendemain.
La discussion au Tribunat Le rapport de la section des finances donne lieu à des discussions qui se déroulent dans la sérénité. Emile Gaudin l09, Louis PortiezllO et Joseph Guinard 111 prennent longuement la parole sur le projet qui leur est proposé. Gaudin effectue un premier exposé sur les raisons qui ont amené le projet de la loi 1l2 . S'appuyant sur Mirabeau, il s'étend sur l'utilité d'une banque publique1l3. Il en ressort qu'un tel établissement présente l'immense avantage de favoriser une réduction du taux d'intérêt qui ne peut que se répercuter positivement sur 105. Cf supra, p. 205-206. 106. Costaz, op. cit., p. 20. 107. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, p. 558. 108. Ibid. 109. Gaudin était un ancien membre du Conseil des Cinq-Cents, député de la Loire. 110. Avocat, député de l'Oise à la Convention, Portiez s'était beaucoup occupé de questions financières. Membre du Conseil des Cinq-Cents, il était entré au Tribunat en décembre 1799. Il était nommé directeur de l'école de droit de Paris en mars 1805. 111. Ancien député au Conseil des Cinq-Cents, Guinard est l'auteur de plusieurs rapports faits au nom de la section des finances du Tribunat. 112. E. Gaudin, Tribunat. Opinion de Emile Gaudin sur le projet de loi relatif à la banque. Séance du 23 germinal an XI, Paris: Impr. nationale, An XI, Il p. 113. Sur la signification de cette expression, cf supra, p. 49.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise l'ensemble de l'économie. Les bienfaits d'un intérêt limité étant démontrés en théorie, il reste à vérifier si en pratique le fonctionnement des différentes banques a permis de l'obtenir. C'est l'occasion pour Gaudin de faire le point sur la situation en vigueur après un historique sur le rôle joué par les différents instituts d'émission. La Caisse des comptes courants n'a qu'imparfaitement atteint le but que doit se fixer une banque publique puisque ses aides, bien qu'appréciables, se sont avérées insuffisantes eu égard aux besoins de la société. Ces insuffisances ont d'ailleurs amené la création de la Caisse d'escompte du commerce, puis du Comptoir commercial. Ceux-ci ont certes favorisé la baisse de l'intérêt, mais d'une manière sélective puisque seuls leurs associés ont profité des facilités de l'escompte. Il était donc nécessaire d'aller plus loin dans la réduction de l'intérêt et la création de la Banque de France a suscité l'espoir que le coût de l'argent pourrait se réduire. Gaudin, qui se réfère à Smith et établit des comparaisons avec la Banque d'Angleterre, juge sévèrement l'action de la Banque de France. Si elle a favorisé une réduction du taux d'intérêt, celle-ci est insuffisante. En fait, la Banque de France a accaparé le meilleur papier et a mené des opérations qui ont permis de distribuer des dividendes élevés. Mais ce n'est pas là un signe de réussite. Ces dividendes distribués prouvent au contraire que le taux pratiqué à l'escompte aurait pu être plus réduit. C'est donc une accusation contre la Banque de France puisqu'un nombre restreint d'individus a pu s'enrichir en privant une majorité d'emprunteurs d'un crédit à meilleur marché. Gaudin voit donc dans l'intervention de l'Etat un moyen d'obtenir la réduction du taux d'intérêt. De plus, l'ouverture de l'escompte à tous les particuliers, actionnaires ou non, peut contribuer à favoriser cette baisse. Gaudin n'explique toutefois pas par quels mécanismes l'augmentation du nombre des prétendants à l'escompte peut amener la baisse du taux. La simple loi de l'offre et de la demande inciterait plutôt à émettre l'opinion inverse. Toutefois, si l'on considère que les commerçants qui recourront aux services de la Banque se passeront des intermédiaires plus onéreux, on peut supposer qu'il y a bien là un facteur de réduction du coût du crédit. Gaudin dénie aux actionnaires de la Banque le droit d'affirmer que le privilège leur est imposé. Ils peuvent en effet refuser ce privilège et opter pour la liquidation de l'établissement. Le gouvernement pourrait respecter leur décision. Il a d'ailleurs donné la preuve qu'il prenait en considération les desiderata des associés en leur donnant satisfaction par les amendements apportés le 19 germinal (9 avril). Quant au risque de compromission de la Banque avec l'Etat, Gaudin l'écarte, bien qu'il tente de justifier l'obligation d'acquérir les rentes à 5 %. Il rejette aussi l'idée que les associés des établissements supprimés puissent être privés d'escompte par le fait que leurs effets de commerce, présentant des signatures moins connues, risquent d'être rejetés. La nécessité de favoriser la baisse du taux d'intérêt et le refus de reconnaître des inconvénients à l'attribution du privilège à la Banque de France le conduisent à conclure à l'adoption du projet. Le raisonnement serait convaincant s'il ne èomportait pas une contradiction majeure. L'auteur fait valoir qu'une banque publique doit avoir pour but la baisse
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 du coût du crédit. Or cette baisse doit passer par la suppression d'établissements qui concourent eux-mêmes, certes imparfaitement, à la baisse du taux d'intérêt. Il y a là une singularité sur laquelle Gaudin évite de s'arrêter. Portiez, qui intervient ensuite devant le Tribunat, n'hésite pas à comparer la banque à une institution politique du fait qu'elle peut influencer les rapports commerciaux avec l'étranger. Il relève d'ailleurs l'avantage que d'autres pays retirent de l'existence d'établissements bancaires. La comparaison est peut-être maladroite puisqu'en France, par l'attribution du privilège, il s'agit en fait de supprimer des instituts d'émission. Alors que Gaudin avait présenté l'historique de la constitution des principaux établissements, Portiez rappelle que différents projets ont prévu la constitution d'une banque nationale. En décembre 1789, des débats à l'Assemblée constituante portaient sur l'éventuelle transformation de la Caisse d'escompte en banque nationale. Monneron, que Portiez n'hésite pas à citer, était lui-même partisan d'une banque nationale. La Banque de France peut manifestement devenir cet établissement de grande envergure. "La banque existe.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer. mais bien de lui donner une existence plus forte et plus appropriée à nos besoins, à nos institutions."114 La banque unique paraît ne présenter que des avantages. Grâce à l'unité de papier en circulation et l'aide apportée au maintien du cours des rentes, le public est favorisé sans que les intérêts de la Banque soient lésés. Même la limitation du dividende est concevable puisque la réduction du taux d'intérêt qui s'annonce l'amènerait inéluctablement. Portiez évite cependant d'aborder les dommages que peuvent subir les associés des établissements supprimés. Il reprend les thèmes traditionnels sur les risques de la pluralité, en s'appuyant sur Talleyrand qui prônait déjà l'unité d'émission devant la Constituante115. Portiez reconnaît bien, en pensant sans doute à la fuite du directeur de la Caisse d!escompte du commerce, que c'est la Banque de France qui a le plus souffert des secousses qui ont pu affecter les autres établissements. Mais il voit là un argument de plus pour soutenir l'unité d'émission. Le reste de la présentation de Portiez n'est qu'une reprise des développements sur les caractéristiques que le projet de loi confère à la Banque de France. Le seul apport original consiste à établir un lien entre les billets de la banque unique et le papier-monnaie à partir d'une similitude juridique. Ceux qui imiteront des billets de la Banque de France seront désormais considérés comme faux-monnayeurs. "Ce papier n' est pas papier-monnaie ; cependant il participe, en quelque sorte, à cette
nature, puisque les contrefacteurs seront punis de mort comme les contrefacteurs des monnaies nationales."1l6 Portiez prône à son tour l'adoption du projet.
114. L. Portiez, Tribunat. Opinion de Portiez•... sur le projet de loi relatif à la banque. Séallce du 23 gemlillal an Xl, Paris: Impr. nationale, An XI, p. 3. 115. C.-M. Talleyrand, Opinioll de M. l'évêque d'Autull sur les Banques ...• lac. cit. 116. Portiez, op. cit., p. 6.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise Guinard, qui soutient en dernier son point de vue devant le Tribunat, appuie lui aussi le texte. Il ne peut s'empêcher lui aussi de se référer à la Banque d'Amsterdam et à la Banque d'Angleterre, citant Smith pour l'occasion117 • Il relève avec justesse que le projet ne soulève pas de controverse au sein du Tribunat, ce qui est effectivement une nouveauté quant on sait les polémiques auxquelles la question des banques a donné lieu dans le passé. Il rejette les objections de la Caisse d'escompte du commerce qui reste la seule à attaquer ouvertement cette dernière version du projet118 • Il conteste notamment le fait que des commerçants puisent être pénalisés par la moindre notoriété de leur signature. Le conseil d'escompte et les censeurs seront issus du commerce. Ils ne souffriraient pas que l'escompte soit accordé au seul profit des banquiers. La suppression de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial est elle-même relativisée.
"On pourrait .dire qu'ils ne le sont que de droit; ce sont des membres épars qu'on veut réunir en un seul corps. Le capital actuel de la Banque de France, augmenté d'un tiers, leur garde une place dans le beau système organisé par la loi."119 Les actionnaires de la Banque de France ne sont pas non plus lésés. Guinard ne fait que reprendre les démonstrations précédentes pour atténuer la portée de la limitation du dividende, en réitérant la remarque de Gaudin sur l'opposition entre le dividende élevé et le devoir de contribuer à la réduction de l'intérêt. Le texte est soumis au vote du Tribunat où il est approuvé par les deux tiers des membres. Il ne reste plus qu'à le défendre devant le Corps législatif. La présentation au Corps législatif Le 24 germinal An XI (14 avril 1803), Louis-Charles Gillet-Lajaqueminière120 défend devant le Corps législatif le texte approuvé par le Tribunat. Son raisonnement consiste à démontrer la nécessité des établissements bancaires pour justifier le fait que l'Etat en vienne à organiser leur fonctionnement121 . Gillet-Lajaqueminière se lance dans un long développement historique et théorique sur l'apparition de la monnaie puis sur la nécessité de remplacer le 117. J. Guinard, Tribunat. Opinion de Guinard sur le projet de loi relatif aux banques. Séance du 23 germinal an XI, Paris: Imprimerie nationale, An XI, p. 7. 118. Les critiques de la régence se sont tues depuis que, quatre jours auparavant, le texte a été amendé dans le sens de ses revendications. 119. Guinard, op. cit., p. 4. 120. Le baron Gillet-Lajaqueminière avait été député du Loiret aux Etats-Généraux puis élu au Conseil des Cinq-Centsl'An VII. Entré au Tribunat le 4 nivôse An VIII (25 décembre 1799), il s'y était spécialisé dans les questions financières. 121. "En effet, il suffit de considérer que les banques sont 1//1 des plils grands et des plils lltiles rOllages de l'administration et de l'économie politiqlle, pOlir selltir de qI/el avantage il doit être pOlir lin grand Etat, non-seulement de l'adopter, mais ellcore d'un régulariser les mouvements." (L.-c. Gillet-Lajaqueminière, Corps législatif Discol/rs prononcé par GilletLajaqueminière, oratellr du Tribunat, sur le projet de loi sur les banques. Séance du 24 germinal ail Xl, Paris: Impr. nationale, An XI, p. 1.)
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métal par le papier. Comme tous les auteurs qui défendent la cause des banques depuis l'établissement du Directoire, il cite en exemple les banques d'Amsterdam, Venise, Gênes et Londres pour faire valoir que la France a tout à gagner à voir se développer chez elle de telles institutions. Il classe les banques existantes en banques de dépôts, banques de circulation, et banques hypothécaires ou territoriales. Les banques de dépôts conservent en réserve métallique l'intégralité de la valeur des billets qu'elles mettent en circulation. La Banque d'Amsterdam, qui a la réputation de ne pas mettre en circulation un volume de billets excédant son encaisse, peut ainsi être classée dans cette catégorie. Les banques de circulation correspondent aux cas d'instituts d'émission les plus courants. Elles ne conservent en caisse qu'une fraction de la valeur des billets émis, tout en s'engageant à assurer la conversion de ces billets à vue. Quant aux banques territoriales ou hypothécaires, elles tiennent à la fois de la banque de dépôts et de la banque de circulation. Comme les banques de dépôts, elles prêtent contre des gages réels, constitués non pas par de l'or mais par des propriétés foncières. Comme les banques de circulation, elles émettent des billets pour un montant supérieur aux fonds qu'elles ont effectivement rassemblés. GilletLajacqueminière reconnaît toutefois à la Banque territoriale dirigée par LaffonLadébat des caractéristiques bien spécifiques qui la distinguent des banques hypothécaires dont il décrit les principes généraux. Le représentant du Tribunat met en avant la nécessité pour Paris de posséder un établissement comme celui d'Amsterdam ou Londres. Il reconnaît que le privilège entraînera la disparition des banques secondaires, mais estime que la banque qui recevra ce privilège bénéficiera de la solidité d'une banque de dépôts tout en exerçant l'activité d'une banque de circulation. Il passe en revue les différents articles du projet de loi qui organise l'attribution du privilège, en insistant sur la nécessité pour l'Etat de limiter le dividende de la Banque. Il reconnaît sans ambiguïté que la distribution d'un dividende élevé, en renforçant l'attrait des détenteurs de capitaux pour les actions de la Banque, nuit au maintien du cours des effets publics. La limitation du dividende a donc pour but avoué de rendre les actions de la Banque moins attrayantes. "Si ce bénéfice certain est la cause
principale de la dépréciation des effets publics, c'est donc dans sa fixation, ou du moins dans un salutaire emploi d'une petite portion de ces mêmes bénéfices, qu'il convient d'en chercher le remède."122 Après avoir montré que les banques étaient un instrument de prospérité pour les Etats, Gillet-Lajaqueminière explique que le projet de loi permettra de doter la France de l'organisation la plus souhaitable. L'unité d'émission qu'il préconise n'est même pas dommageable pour les propriétaires des établissements supprimés qui trouveront dans la nouvelle banque les mêmes avantages que ceux que leur
122. Ibid., p. 13.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise procuraient leurs établissements respectifs. Gillet-Lajaqueminière demande donc l'adoption immédiate du projet. Jean Bérenger123, qui représente le gouvernement, développe les avantages qu'une banque apporte au commerce. Il se félicite du fait que le papier puisse être appelé à remplacer le métal comme moyen de paiement, tout en se gardant d'analyser l'impact que peut avoir le volume du stock de métal en circulation sur l'activité économique 124. Mais ce papier ne doit pas être émis dans n'importe quelles conditions et Bérenger reprend les risques attribués à la pluralité d'émission. Il s'arrête en outre sur les limites des établissements existants qui réservent l'escompte à leurs actionnaires et fonctionnent essentiellement au profit des associés, sans favoriser la baisse de l'intérêt pour l'ensemble du commerce, baisse à laquelle une banque devrait s'employer. Ce qui paraît surtout significatif dans le discours de Bérenger comme dans celui de Gillet-Lajaqueminière, c'est que s'ils parlent du nouvel établissement que l'Etat doit contribuer à constituer dans le cadre du projet de loi qu'ils défendent, ils évitent de mentionner le nom de la Banque de France. Tout leur raisonnement est construit comme si cet établissement était appelé à disparaître au même titre que ses rivaux, et comme si c'est un nouvel établissement, conforme aux vues du gouvernement et à l'intérêt de la nation, qui devait naître. Les deux orateurs, qui signalent les insuffisances du système en place, notent la nécessité d'une grande banque de circulation. Mais Bérenger ne précise à aucun moment que c'est à la Banque de France que ce rôle doit être dévolu. Son nom n'est même pas cité. L'argumentation développée pourrait tout aussi bien convenir pour justifier la création d'un nouvel établissement que pour défendre l'attribution du privilège à une banque qui fonctionne déjà depuis plusieurs années. Cette présentation ne manque pas de laisser apparaître que l'adoption de la loi marque un nouveau départ dans l'histoire du développement de la monnaie fiduciaire en France. Cretet, qui représente aussi le gouvernement, se contente d'ajouter quelques considérations aux discours précédents. Le texte, qu'aucun orateur n'attaque au
123. Le comte Bérenger, ancien député au Conseil des Cinq-Cents et membre du Tribunat, est l'auteur de plusieurs rapports sur les questions financières. 124. "La fonction principale des banqlles de circlllation consiste à slIbstitller ail nllméraire lin signe représentatif qlli pllisse également servir de médiatellr allx échanges. Soit qll'on attriblle la mllltiplication des capitallx prodllctifs à l'abondance dll nllméraire, soit qu'on regarde le nllméraire comme lin instrllment de circlllation qlli se proportionne allx besoins dll commerce, et dont la masse allgmente 011 diminlle selon l'abondance dll mOllvement, 011 la stagnation et la rareté des capitallx, on ne pellt méconnaître l'Iltilité d 'II ne banqlle ; car dans la première sllpposition elle allgmente la masse dll nllméraire; dans la seconde, elle la remplace par lin éqllivalent pllls commode, et la qllantité qu'elle épargne se convertit en marchandises, qlli donnent lin nouvel aliment à J'indllstrie et produisent 11/1 accroissement de revenll. Cela posé, IIne banqlle sera d'alitant plus util(' ail commerce, qlle la somme des billets qll'elle fait circlller est plus considérable, et qu'elle a besoin d'une moindre qllantité d'éClls pOlir en assurer l'échange journalier." (Archives parlelllelltaires, 2e série, t. 4, p. 635.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 sein du Corps législatif, est soumis au vote et adopté. La Banque de France devient alors l'unique institut d'émission à Paris. Les autres établissements sont sommés de retirer leurs billets de la circulation avant le 1er vendémiaire An XII (24 septembre 1803).
Les autres établissements au lendemain du 24 germinal Les diverses propositions des rivales de la Banque de France, rédigées avant le vote de la loi, tendent surtout à organiser leur survie, voire à contourner la loi, après l'interdiction qui leur sera faite de mettre en circulation des billets. La régence condamne ces stratégies qui "ont bien moins pour objet la fusion de ces
Etablissements dans la Banque, que les moyens d'assurer la continuité de leur existence et de leur Régime par les ressources qu'ils invitent la Banque à leur procurer i que les mesures proposées ont surtout le très graves inconvénients d'éluder l'exécution de la Loi i non seulement l'intention du Législateur est pour l'unité exclusive de la Banque i elle est encore que la qualité d'actionnaire ne donne aucun droit particulier à L'escompte. Or ces Etablissements n'admettent à l'escompte que leurs actionnaires et ne pouvant escompter qu'avec les fonds puisés à la Banque au moyen du crédit qu'elle devra leur ouvrir proportionnellement au nombre de ses nouvelles actions qu'ils auront soumissionnées, le résultat de leurs opérations sera de créer en fraude des dispositions formelles de la Loi, une classe de commerçants privilégiés et exclusifs qui jouiront dans ces Etablissements d'une prérogative textuellement prohibée aux actionnaires de la Banque i et qui viendront encore puiser dans ses Caisses les secours que la loi lui ordonne de répartir à tous les Commerçants."125 Les régents s'emploient à réduire les réticences des administrateurs des établissements supprimés en leur proposant en priorité les places vacantes à la Banque de France. Mais ils rejettent toute solution qui maintiendrait un état de concurrence. "Le Conseil reconnaft et arrête que la Banque ne peut sans se mettre en
opposition directe avec l'intention du Législateur, sans s'exposer au reproches mérités d'éluder, de violer même l'esprit et la lettre de la Loi, consentir à aucun arrangement dont le résultat serait de conserver l'existence, de continuer le régime et les opérations des Etablissements supprimés, sous quelque dénomination ou forme que ce puisse être. "126 Une commission, composée des régents LecouteulxCanteleu, Thibon, Barillon et Delessert, est chargée d'étudier les possibilités de fusion des émetteurs concernés avec la Banque de France. Ces établissements vont en fait connaître des sorts divers.
125. Procès-verbal du Conseil général de régence du 21 germinal An XI (11 avril 1803),
Registre des Délibérations ... , op. cit., t. 2. 126. Ibid.
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise
La Caisse d'escompte du commerce
Deux jours après le vote de la loi, une vingtaine d'actionnaires de la Caisse d'escompte du commerce proposent à la régence d'échanger leurs actions de la Caisse contre un montant équivalent d'actions de la Banque de France. Cette initiative pourrait laisser croire que la liquidation de la Caisse n'est plus qu'une formalité. Mais les discussions sur les conditions de la fusion vont se multiplier pendant des mois au fil des réunions127. Les 14 et 26 floréal An XI (4 et 16 mai 1803), la Banque de France avance une série de propositions à l'intention de la Caisse d'escompte du commerce 128. Elle prévoit de recevoir les effets reconnus solides détenus dans le portefeuille de la Caisse. En contrepartie, elle lui fournira un montant équivalent de billets, ce qui . permettra à la Caisse de retirer ses propres billets de la circulation. Les associés de la Caisse pourront devenir actionnaires de la Banque de France pour le montant de leurs actions mobilières et hypothécaires. Une partie des actions provenant de l'augmentation du capital de la Banque trouve ainsi à se placer. Ceux qui ne voudront pas acquérir les titres de la Banque de France pourront faire rembourser leurs actions de la Caisse. Les anciens actionnaires de la Caisse ne seront pas privés d'escompte puisqu'ils auront la possibilité d'obtenir des prêts de la Banque de France. Ses statuts prévoient certes que les effets admis à l'escompte doivent être revêtus de trois signatures, mais la régence propose que le papier comportant deux signatures soit admis à condition que "le présentateur transfère à la Banque les actions liquides dont il sera propriétaire, pour lui servir de supplément à la
troisième signature"129. Ces propositions concrètes peuvent laisser espérer un dénouement rapide. Le 1er messidor An XI (20 juin 1803), Perregaux fait d'ailleurs savoir à Bonaparte que les négociations sont sur le point d'aboutir. "Les Commissaires nommés par la Caisse d'escompte du Commerce et la Banque doivent se réunir aujourd'hui pour la
dernière fois et se séparer avec des bases convenues et arrêtées sauf l'approbation des actionnaires de la Caisse d'escompte du Commerce."130 Mais un mois plus tard, il doit convenir que la succession des réunions n'a pas permis d'aboutir.
"Malgré tous les voeux que la Régence s'est donnés pour opérer la fusion de la Caisse du Commerce avec la Banque, Elle n'a pas encore été assez heureuse que d'y 127. Le registre des délibérations du Conseil général de régence permet de suivre le déroulement des négociations. La correspondance de Perregaux, qui rend régulièrement compte de la situation de la Banque à Bonaparte, est aussi une précieuse source d'informations. 128. Ces propositions de la Banque de France ont été imprimées. Extrait des registres des délibérations du Conseil général de la Banque de France. Séances des 14 et 26 floréal an Xl, Paris: Baudouin, Prairial An XI, 6 p. (Archives de la Banque de France.) 129. Ibid., p. 5. 130. Le Cen Perregallx au General Bonaparte Premier Consul. Lettre du 1er messidor An XI (20 juin 1803), Arch. nat., AF/IV /1071.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 parvenir; la Caisse de Commerce insistant sur des conditions qui ne s'accordent pas avec les articles des statuts et les devoirs de la Régence envers les actionnaires de la Banque."131 Bonaparte met fin aux négociations par une mesure autoritaire. Le 6 fructidor An XI (24 août 1803), il écrit à Barbé-Marbois pour qu'il ordonne "à tous les comptables qui versent au trésor public de ne recevoir à l'avenir aucun billet de la
Caisse d'escompte"132. Les pourparlers en sont aussitôt activés. Le 11 fructidor (29 août), Perregaux informe le Premier Consul que les deux établissements sont parvenus à un arrangement133. Les conditions du transfert de l'actif de la Caisse à la Banque sont arrêtées. Le 3 vendémiaire An XII (26 septembre 1803), le président de la Banque de France reconnaît que "la réunion de la Caisse d'escompte du Commerce à la Banque s'est opérée sans secousse"134. La Banque a en outre ouvert de nouveaux bureaux qui ont permis d'employer le personnel de l'établissement supprimé. Le Comptoir commercial Le Comptoir commercial n'attend pas que la loi sur les banques soit votée pour organiser sa survie. Il envisage le transfert de ses billets et d'un stock de numéraire à la Banque de France contre des billets de celle-ci135 . Le 23 germinal an XI (13 avril 1803), une délégation est reçue par le Conseil général de la régence afin de lui faire part de ces propositions. La régence évite toutefois de s'engager dans des discussions avant le vote de la loi136 . Le 29 messidor An XI (18 juillet 1803), le Comptoir présente une série de propositions organisant son fonctionnement dans le cadre de la nouvelle loi. Les actionnaires demandent "à souscrire la quantité d'actions nécessaire à leurs besoins sous la raison Jacquemart et fils et Doulcet d'Egligny"137. Ils proposent de
131. Le Cen Perregaux au General Bonaparte Premier Consul. Lettre du 29 messidor An XI (18 juillet 1803), Arch. nat., AF/IV /1071. 132. Correspondance de Napoléon 1er, op. cit., t. 8, p. 493-494. 133. Le Cen Perregaux au General Bonaparte Premier Consul. Lettre du 11 fructidor an XI (29 août 1803), Arch. nat., AF /IV /1071. Cette réunion, que les dirigeants de la Caisse avaient tenté d'éviter depuis un an et demi, n'a sans doute jamais été véritablement acceptée par certains associés. En 1814, après le premier exil de Napoléon, une demande est même adressée au roi pour le rétablissement de la Caisse (22 mai 1814. Demande pour le rétablissement de la Caisse du Commerce, Arch. nat., F/12/971). 134. Le Cen Perregaux au General Bonaparte Premier Consul. Lettre du 3 vendémiaire An XII (26 septembre 1803), Arch. nat., AF/IV /1071. 135. Projet [du Comptoir commercial]. (Archives de la Banque de France, dossier "Comptoir Commercial ou Caisse Jabach".) 136. Procès-verbal du Conseil général de régence du 23 germinal An XI (13 avril 1803), Registre des Délibérations ... , op. cit., t. 2. 137. Propositiol1s du Comptoir Commercial aux Régents de la Banque de France. (Archives de la Banque de France.)
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise déposer les actions du Comptoir à la Banque de France comme le préconisait la régence dans les séances des 14 et 26 floréal (4 et 16 mai) en étudiant les conditions de la réunion à la Caisse d'escompte du commerce, afin de remplacer la troisième signature sur les effets escomptés. Les dirigeants du Comptoir prétendent toutefois obtenir quotidiennement un montant fixe de crédit138. Une telle exigence est difficilement acceptable pour la Banque de France et une note, peut-être de Lecouteulx-Canteleu, portée sur le manuscrit, en fait état139 . Une autre disposition tend à obliger la Banque à accepter les effets présentés par le Comptoir, ou plus exactement par la maison Jacquemart et fils et Doulcet d'Egligny qui correspond à sa nouvelle appellation 140. Cette autre prétention à imposer l'escompte à la Banque de France est tout aussi inacceptable141 . La régence, qui trouve ces propositions exagérées, accepte néanmoins de les étudier pour en conserver les demandes acceptables142 . Une partie des actions créées par la loi du 24 germinal peut sans problème être destinée au Comptoir. Quant aux actions du Comptoir remises à la Banque pour remplacer la troisième signature, elles ne doivent pas simplement être déposées à la Banque. Il doit s'agir d'un véritable transfert de propriété. Si la Banque est disposée à fournir des billets au Comptoir, elle se refuse toutefois à réaliser l'opération avec les conditions dictées par Jacquemart et Dou1cet d'Egligny.
138. "Jacquemart et fils et Doulcet d'Egligny, forcés, par la nature de leur opération, de compter sur un escompte fixe, auront droit chaque jour d'escompter à 500 francs par action, à moins que le Comité central de la Banque ne les fasse avertir deux jours d'avance que des circonstances imprévues ne permettent pas de donner cette somme. Dans ce cas, le Comité leur fera connaître sur quelle somme ils peuvent compter et ils seront traités comme les 25 actionnaires les plus forts et les plus accrédités de la Banque proportionnellement au nombre de leurs actions." (Ibid.) 139. "Cet article est inadmissible. La Banque n'a point à prendre en considération les opérations spontanées de telle ou telle maison de commerce. Son escompte est acquis à tous, et la proportion ne peut avoir d'autre règle que le crédit établi par le comité central et la conscience du comité d'escompte." (Ibid.) 140. "Il ne pourra €tre rejetté de bordereau de Jacquemart et fils et Doulcet d'Egligny, des effets présentés à l'escompte que pour des causes graves et qui seront réduites, attendu que le papier, quoique par sa nature peu connu des Régents de la Banque, aura déjà subi l'examen le plus rigoureux de la part de 10 administrateurs choisis dans chaque branche de commet et de la part du Directeur garant." (Ibid.) 141. La proposition est ainsi annotée. "Voilà la plus inconvenante de toutes les prétentions. La Banque ni son comité d'escompte ne peuvent jamais €tre liés ni par le voeu ni par les opérations d'une administration étrangère." (Ibid.) 142. Rapport sur les propositions du Comptoir commercial relativement à ses relations avec la Banque depuis la nouvelle loi. (Archives de la Banque de France.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Les associes du Comptoir oeuvrent à le transformer en établissement susceptible de poursuivre ses escomptes avec les billets de la Banque de France143. Ils reconnaissent en effet que son maintien en activité passe désormais par l'aide de la Banque. La volonté de poursuivre l'escompte doit être conciliée avec l'obligation de ne laisser en circulation que les billets de la Banque144 . Le Comptoir n'est donc pas en position de force pour maintenir ses exigences et les discussions peuvent s'établir sur des bases plus acceptables pour la Banque de France. Le Comptoir continuera en fait à fonctionner après avoir perdu sa qualité d'émetteur. Il acquiert de nouvelles actions de la Banque de France pour l'intégralité du montant de son capital. Il présente à l'escompte de la Banque les effets remis par ses associés, ce qui leur permet de continuer à recourir au crédit avantageux. Courroie de transmission entre les petits commerçants et la Banque de France, il ne doit dès lors plus être considéré que comme un bureau d'escompte de la Banque de France. La Banque territoriale Si les régents organisent l'intégration de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial à la Banque de France, ils sont beaucoup plus réticents à se lier avec la Banque territoriale. Les deux premiers établissements, bien que critiqués à diverses reprises, présentaient l'avantage d'escompter des effets de commerce, donc des papiers de même nature que ceux que la Banque acceptait. Or le gage des billets émis par la Banque territoriale n'est pas un effet de commerce, donc convertible à brève échéance en métal, mais une richesse foncière dont la conversion rapide en espèces métalliques paraît beaucoup plus incertaine. Cette particularité incite les régents à examiner avec les plus grandes réserves les propositions de la Banque territoriale. Le 30 germinal An Xl (20 avril 1803), une première étude n'est suivie d'aucune décision. La Banque territoriale est en fait dans une situation particulièrement délicate. Ses quelques années d'existence avaient été parsemées de difficultés. La loi du 24 germinal, en la privant du droit d'émettre, paraît la condamner définitivement145. Dupont de Nemours multiplie les démarches pour tenter de
143. Les Commerçants, Mantlfacturiers et fabricants composant l'association du Comptoir Commercial Aux Régents et Censeurs de la Banque de france. Lettre du Il thermidor An XI (30 juillet 1803). (Archives de la Banque de France.) 144. Les Directeurs du Comptoir Commercial aux Citoyens Régens de la Banque de france. Lettre du 12 fructidor An XI (30 août 1803). (Archives de la Banque de France.) 145. Soufflot de Mérey est catégorique. "C'est celle loi qui a porté le dernier coup à la
Banque territoriale, en la réduisant subitement à ses seuls capitaux, qui ne s'élevaient qu'à 1,566,000 fr. [... ] Et dès lors, il lui devient impossible, avec un aussi faible capital, de soutenir le service et le poids périodique de 9,207,530 fr 42 c., qui forment la masse des traites et bons à vue en circulatioll." (Soufflot de Mérey, op. cit., p. 10.)
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Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise
sauver rétablissement. Fohlen note qu'il envisage alors une intégration à la Banque de France comme solutionl46. La Banque territoriale n'a sans doute pas su faire suffisamment valoir ses intérêts au moment des discussions sur l'attribution du privilège à la Banque. Les commentaires de Bonaparte ou des régents, qui ne font jamais référence qu'aux deux principaux concurrents de la Banque de France, sont à cet égard significatifs. Cette opinion est confortée par la remarque de Fohlen qui souligne le trop grand effacement de L!iffon-Ladébat. "Laffon n'était pas à la hauteur de la situation : Dupont l'exhortait de s'arracher à son cabinet et de courir chez tous les
actionnaires ou personnalités, à commencer par ceux qui lui étaient le plus contraires. "147 Le 4 prairial An XI (24 mai 1803), la Banque territoriale, qui détient moins de 90000 francs d'espèces en caisse, est amenée à suspendre ses paiements. LaffonLadébat se tourne alors vers la Banque de France pour lui demander des secours. Il réclame une aide d'un million de francs, dont la moitié pour le lendemain, contre des traites territoriales. Il demande en outre un escompte régulier de 3,5 millions contre diverses garanties148 . La demande pose un double problème à la Banque de France. Il s'agit de savoir si elle peut escompter les traites territoriales, et si elle peut accorder un escompte "régulier et déterminé"149. Sur le premier point, les régents s'en tiennent aux statuts qui prévoient que la Banque ne peut escompter que des lettres de change et des billets à ordre revêtus de trois signatures de négociants reconnus solvables. Or les traites territoriales ne sont pas des effets de commerce. L'hypothèque sur laquelle elles reposent n'offre pas une garantie de paiement rapide. Quant à la possibilité d'obtenir un escompte régulier,demande qui avait déjà été formulée par le Comptoir commercial, la Banque la rejette également. La nature des opérations de la Banque territoriale s'avère trop différente de celles de la Banque de France pour qu'elle puisse trouver une aide auprès d'elle. Perregaux rend compte à Bonaparte de l'impossibilité pour la Banque de France de secourir la Banque territoriale150•
146. Fohlen, op. cit., p. 281. 147. Ibid., p. 282. 148. "[Laffon-Ladébat] offre la garantie de mille actions de la Banqlle de france qll'il s'oblige à prendre, ail nom des sociétaires, dont 450011 500 pOllrront itre payées de sllite, et le sllrpills allx échéances qlle la Banqlle fixera; il ajollte à cette garantie sept millions de propriétés hypothéqllées ail payement de 3,500,000 f. de traites à prendre à l'Escompte; pills le capital de la Banqlle territoriale qlli est de 1,800,000. f, sllr lesqllels il y a à dédllire 400,000. f de pertes; pills enfin, la solidité personnelle des sociétaires évalllée à lin million." (Banqlle de france. Procès verbal de la séance extraordinaire dll lllndi soir 4 prairial an Xl, Arch. nat., AF/IV /1070.) .
149. Ibid. 150. Le Cen Perregallx
ail
Général Bonaparte Premier Conslli. Lettre du 8 prairial An XI
(28 mai 1803), Arch. nat., AF /IV /1070.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
La suspension des paiements amène les associés à nommer une commission de sept membres, parmi lesquels figurent Laffon-Ladébat et Soufflot de Mérey, pour lui confier les pleins pouvoirs dans l'administration de la Banque. Six commissaires, dont Dupont de Nemours et Lecointe-Puyraveau, sont aussi nommés par les créanciers pour défendre leurs intérêts. Soufflot de Mérey retrace les transformations que connaît alors la Banque. "Sur
la fin de vendémiaire dernier, l'ancienne Banque territoriale a traité de son établissement avec une association nouvelle formée entre plusieurs de ses créanciers, qui se sont cautionnés réciproquement leurs droits, et se sont constitués, sous le nom de nouvelle Banque territoriale, en chambre d'assurance pour les prêts sur hypothèque. "151 Dupont de Nemours parait avoir été le principal artisan de la recherche d'une solution. Il négocie un traité avec une compagnie financière parisienne, la Cie Chavagnac, et le 4 brumaire An XII (27 octobre 1803), la Banque territoriale prend le nom de Chavagnac et Cie152. Cette nouvelle entité juridique semble devoir servir d'intermédiaire entre l'ancienne Banque et les créanciers. Mais elle ne fait pas l'unanimité et les six commissaires désignés par les créanciers se scindent en deux groupes. Lecointe-Puyraveau se sépare notamment de Dupont de Nemours. Les créanciers nomment alors un nouveau groupe de représentants réduit à trois. Les conflits ne se limitent pas aux représentants des créanciers. LaffonLadébat est éliminé de la direction de la nouvelle banque au profit de Choart, un ancien receveur-général. Il est assisté de trois administrateurs dont Dupont de Nemours. Ces changements n'empêchent pas la faillite de l'établissement, dont certains actionnaires et créanciers sortent ruinés. Laffon-Ladébat, mis en cause lors de la liquidation, se défendra pendant des années. Ce n'est que dix ans plus tard qu'il est définitivement disculpé. "En 1813, la Cour des Comptes reconnut l'intégrité de sa gestion et l'année suivante, il recouvra ses droits perdus en qualité de failli."153 Contrairement à la Caisse d'escompte du commerce et au Comptoir commercial, la Banque territoriale ne réussit pas à s'accommoder de la loi du 24 germinal. La Caisse d'escompte du commerce avait certes disparu, et le Comptoir commercial avait changé de nom et perdu sa qualité d'émetteur, mais leurs associés n'avaient pas été pénalisés par une faillite. Le recours à l'escompte de la Banque de France pouvait même leur laisser espérer une poursuite de leurs opérations. Les associés de la Factorerie du commerce, et plus généralement des banques de sols, semblent, quant à eux, avoir cherché à ignorer la loi.
151. Soufflot de Mérey, op. cit., p. 15.
152. Règlemens arrêtés par l'administration de la BANQUE TERRITORIALE, formée la raison de CHA VAGNAC et Compagnie, op. cit. 153. Fohlen, op. cit., p. 284.
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50115
Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise
La Factorerie du commerce et les banques de sols Dans les quelques pages qu'il consacre aux banques de sols, Thuillier note que la loi du 24 germinal An XI ne paraît pas avoir mis fin à l'activité de la Factorerie 154 . Le témoin privilégié qu'est Mollien mentionne dans ses Mémoires l'existence de banques de sols après la loi sur l'unité d'émission. Il note que "deux
autres établissements donnaient déjà, l'un à Paris, l'autre à Rouen, le scandale d'émettre des billets au porteur payables en cuivre [ ... ]. En même temps une des deux banques clandestines, dont je viens de parler, et qui s'appelait à Paris la factorerie des sous, avait continué d'émettre des billets payables en sous, et quatre ou cinq fois plus de billets qu'elle ne conservait de sous. Dans quelques villes manufacturières d'autres caisses du même genre faisaient circuler des billets qui n'étaient également payables qu'en sous ; aussi la monnaie de cuivre parvenait-elle à étendre sa sphère d'activité fort au delà de son volume réel; et cette extension devenait nécessairement progressive, parce que, ayant renversé la barrière de la loi, elle n'en connaissait plus d'autre"155. Des banques de sols continuent donc à fonctionner en marge de la loi du 24 germinal et la "factorerie des sous" que signale Mollien est sans doute la Factorerie du commerce. Hormis Thuillier, personne n'a, à notre connaissance, relevé l'anomalie que constituait la mise en circulation de billets par la Factorerie dans un contexte où la Banque de France bénéficiait du privilège d'émission. On pourrait considérer que la nature du papier émis par la Factorerie, convertible en sols et non en monnaie métallique, suffirait à exclure les activités de la Factorerie du champ d'application de la loi. Mais l'article 30 de la loi du 24 germinal la cite sans ambiguïté au rang des établissements appelés à disparaître. "La caisse d'escompte du commerce, le comptoir commercial, la
factorerie et les autres associations qui ont émis des billets à Paris ne pourront, à dater de la publication de la présente, en créer de nouveaux, et seront tenus de retirer ceux qu'ils ont en circulation d'ici au 1er vendémiaire prochain."156 Il n'est donc pas question d'évoquer un quelconque vide juridique. L'activité de la Factorerie a pu faire l'objet d'une tolérance de la part du gouvernement du fait de la spécificité de· son papier et du faible volume de ses opérations. Cette explication laisserait alors supposer que l'objectif de la loi sur les banques n'était autre que la liquidation de la Caisse d'escompte du commerce, voire du Comptoir commercial. La Factorerie, ne concurrençant pas directement la Banque de France, pourrait alors survivre. Mais cette hypothèse d'une tolérance du gouvernement envers la Factorerie cadre mal avec l'hostilité du ministre du Trésor public à 154. "Il semble que la Factorerie du Commerce visée expressément par la loi, ait continué à émettre plus ou moins clandestinement [... 1, mais nous ne savons pas comment elle réussit à échapper à la loi." (Thuillier, op. cit., p. 217.) 155. Mollien, Mémoires ... , op. cit., t. 2, p. 495-497. 156. Archives parlementaires, 2e série, t. 4, p. 558.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 l'encontre des billets convertibles en sols157. Elle supposerait en outre une étonnante soumission du gouvernement aux vues de la Banque de France. Plus qu'une tolérance du gouvernement, c'est sans doute l'impuissance du pouvoir à faire appliquer intégralement la loi qui explique le maintien en activité de la Factorerie. Dans une situation où la monnaie de cuivre est surabondante, la Factorerie et les banques de sols répondent à un besoin du public et le gouvernement a du mal à les éliminer. Nous n'avons pas retrouvé de documents révélant d'éventuels démêlés de la Factorerie avec le gouvernement après 1803. En revanche, plusieurs sources indiquent que le pouvoir s'est avéré incapable de faire appliquer ses décisions en province, notamment à Rouen. Le 11 pluviôse An XII (1er février 1804), Barbé-Marbois reconnaît que les banques de sols continuent à fonctionner dans l'illégalité et se fait fort d'obtenir leur suppression conformément à la 10i158 . Mais six mois plus tard, la chambre de commerce de Rouen fait état de leur maintien en activité. "La ville de Rouen est
exposée plus qu'une autre à la surabondance de basses monnaies par les Etablissements qui s'y sont élevés au nombre de trois et qui émettent des Billets à vue et au porteur payables en sols."159 Début 1805, elle déplore que les ordres du gouvernement réclamant la fermeture de ces banques soient sans effet160. On peut cependant difficilement mettre en doute la réelle volonté de BarbéMarbois d'obtenir leur suppression. Dans une lettre du 8 brumaire An XI (30 octobre 1802), il faisait déjà état à Bonaparte alors à Rouen, de ses griefs à l'encontre des banques de cette ville. "Il est bien à désirer que vous ne quittiez
point Rouen, sans avoir entendu les négociants, sur ce qui regarde la Banque et les monnayes. Il y a trois ou quatre Caisses dans Rouen qui émettent un papier représentatif de la monnaye de cuivre ; C'est un véritable fléau ; et ces établissements ne peuvent avoir pour défenseur que le petit nombre de ceux qui en
157. Cf supra, p. 181-182. 158. Il note que "les banques de sols ont été supprimées au commencement de l'année, et la lenteur avec laquelle les intéressés ont procédé a paru occasionner de grands désordres. Aujourd'hui, ils recommencent leurs émissions. La Chambre de Commerce de Rouen réclame contre cette contravention à la loi du 24 germinal an XI. Le Ministre tiendra la main à ce qu'elle soit ponctuellement exécutée." (Lettre de Barbé-Marbois du 11 pluviôse An XII (1er février 1804), Arch. nat., AF /IV /1321.)
159. Les membres composant la Chambre de Commerce de Rouen à Son Excellence le Ministre de /'Intérieur, [21 messidor An XII (10 juillet 1804)], Arch. nat., F 12/798/B. La chambre de commerce paraît craindre que ces banques clandestines finissent par être légalisées. Elle note que "son excellence le Ministre du Trésor Public ayant refusé son
autorisation aux Directeurs qui, dit-on, doivent directement s'adresser à Sa majesté l'Empereur pour obtenir un Privilège" (ibid.), il convient d'empêcher une telle démarche d'aboutir. 160. Mémoire adressé à son Excellence le Ministre de /'Intérieur, par la Chambre de Commerce de Rouen. Sur les inconvéniens de la trop grande quantité de monnaie de cuivre et la libre circulation des bons au Porteur, payables à vue, [27 nivôse An XIII (17 janvier 1805)], Arch. nat., F 12/798/B.
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\ Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise retirent des bénéfices,"161 Après le vote de la loi sur les banques, la liquidation des banques de sols semble d'ailleurs entrer en application162• Et les interventions de Barbé-Marbois paraissent parfois efficaces et laissent croire que le problème posé par ces billets est définitivement réglé163• Mais Thuillier montre que de 1806 à 1808, les billets remboursables en sols continuent à circuler à Rouenl64. Dans les autres villes, les banques de sols semblent aussi survivre ou renaître avec "l'anarchie monétaire de l'Empire"165. Il estime qu'elles ont plus ou moins survécu jusqu'en 1848, date à laquelle la Banque de France obtient le privilège d'émission sur l'ensemble du territoire national. L'attribution d'un privilège à la Banque de France amène donc les autres banques d'émission à suivre trois types de trajectoires. La première conduit à une intégration des établissements concernés à la Banque de France. C'est la voie que suivent, selon des modalités différentes, la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial. La nouvelle loi peut aussi provoquer la disparition pure et simple d'un établissement qui fonctionnait jusque là de manière autonome. La Banque territoriale, qui n'a pas vraiment su faire la preuve de l'efficacité d'un système de distribution du crédit et de circulation monétaire fondé sur la propriété foncière, est ainsi condamnée en germinal. La troisième voie, suivie par la Factorerie du commerce et les banques de sols, consiste à ignorer la loi. L'existence d'une monnaie de cuivre continue à leur fournir un marché après 1803 et elles semblent poursuivre leurs activités dans l'illégalité. La loi du 24 germinal sonne néanmoins le glas d'une libre émission de monnaie fiduciaire sur Paris qui avait été amorcée au début du Directoire. Si le contrôle de l'émission n'est pas intégral, puisque la Banque de France est censée demeurer indépendante du pouvoir politique, les conditions pour que ce contrôle puisse être effectif sont cependant remplies. Dès l'instant où la circulation fiduciaire est assurée non plus par une diversité d'émetteurs mais pas une banque unique, l'Etat peut la surveiller, voire tenter de la moduler. Et pour que le droit de battre monnaie ne soit plus laissé à l'initiative privée, il suffit d'imposer un représentant de l'Etat à la tête de cette banque unique. La loi du 24 germinal An XI annonce déjà le texte de 1806 qui confiera la direction de l'établissement à un gouverneur nommé par le chef de l'Etat166. 161. Trésor public. Le Ministre du Trésor public au Premier Consul. Lettre de BarbéMarbois du 8 brumaire An XI (30 octobre 1802), Arch. nat., AF/IV /1087. 162. Mémoire présenté à son Excellence le Ministre du Trésor public, par la Chambre de Commerce de Rouen, concernant les Etablissements qui émettent des Bons de Sols payables aux Porteurs, [7 prairial An XII (27 mai 1804)], Arch. nat., F 12/798/B. 163. Les Membres composant la Chambre de Commerce de Rouen à son Excellence le Ministre de l'Intérieur. [14 ventôse An XIII (5 mars 1805)], Arch. nat., F 12/798/B. 164. ThuiIlier, op. cit., p. 219-220. 165. Ibid., p. 22I. 166. Cf infra, p. 288. 276
CONCLUSION Les banques qui exercent leur activité sous le Directoire et le Consulat fonctionnent selon des logiques différentes. Ce sont en fait trois modèles de mise en circulation d'une monnaie fiduciaire qui coexistent. Un premier modèle est constitué par la monétisation de la dette de personnes privées. L'activité de la Caisse d'escompte du commerce et du Comptoir commercial repose sur une telle logique. Les actionnaires de ces établissements acquièrent leurs titres en livrant de la monnaie métallique pour le quart de leur valeur et des engagements à fournir du métal sur demande pour les trois autres quarts. Ce sont ces engagements écrits à fournir des espèces, rédigés sur des formulaires uniformes, qui constituent les billets que la Caisse ou le Comptoir mettent en circulation. La qualité d'actionnaire donne le droit de faire escompter des effets de commerce. Lorsqu'un associé présente un papier à l'escompte, il reçoit des billets qui sont les reconnaissances de dettes des autres associés ou de luimême. L'engagement de la Caisse et du Comptoir à convertir sur demande ces billets en métal autorise une généralisation de leur utilisation dans les paiements. Le risque d'illiquidité de l'établissement est d'autant plus faible que toute progression de l'émission passe par une augmentation du capital, et donc par un accroissement de la réserve métallique. Les effets arrivant à échéance permettent de renflouer les caisses pour un montant équivalent à celui des billets émis lors de l'opération d'escompte, ou de retirer de la circulation une même somme de billets en cas de règlement de l'effet à l'aide du papier. En outre, les associés n'ont pas intérêt à réclamer le remboursement des billets qu'ils détiennent puisque l'établissement peut exiger en retour le règlement en monnaie métallique des trois quarts de la valeur des actions acquises. C'est toutefois une limite de l'institut d'émission, Sa réussite même est source de risque. Le cercle des utilisateurs de billets finit par dépasser celui des bénéficiaires du crédit. Ces billets se trouvent alors entre les mains de personnes qui n'ont pas le même intérêt que les associés à éviter les opérations de conversion. Il n'est donc pas exclu qu'une altération passagère de la confiance amène des demandes de conversion massives. Si l'établissement a du mal à liquider rapidement les effets de commerce qu'il détient, il peut en théorie demander aux actionnaires de régler en monnaie métallique la dette correspondant aux billets qu'ils ont établis. Mais ce second niveau de conversion peut se révéler malaisé. L'actionnaire risque de se trouver dans l'impossibilité d'apporter rapidement les fonds exigés. Lorsque la Caisse ou le Comptoir créent des actions hypothécaires et acceptent les billets d'un associé pour paiement, leur garantie est l'hypothèque sur ses biens immobiliers. Mais la liquidation d'un immeuble peut nécessiter des délais plus longs que ceux qui seraient nécessaires pour que les effets détenus par la banque d'émission arrivent à échéance et donnent lieu à une rentrée de métal. Le modèle n'en est pas moins aussi sûr que celui proposé par un établissement 277 1
Conclusion
comme la Banque de France qui, en cas de panique bancaire, n'a pas cette faculté de présenter à ses actionnaires les billets qui lui reviennent, et ne peut que compter sur l'arrivée à échéance des effets qu'elle détient. De même que la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial fonctionnent au bénéfice exclusif des producteurs et commerçants, la Banque territoriale centre son activité sur la distribution de crédits aux propriétaires fonciers. Ce deuxième modèle est généralement présenté comme offrant les garanties les plus sérieuses. Dans un contexte encore marqué par la physiocratie, la terre est considérée comme un gage solide. Les défenseurs de la Banque territoriale et les auteurs de projets fondés sur des principes comparables voient dans les billets gagés sur la terre la meilleure des monnaies fiduciaires et souhaitent en généraliser l'usage. Le système de diffusion d'une monnaie basée sur la mobilisation de la richesse foncière paraît au premier abord relativement fiable. Un propriétaire terrien qui souhaite obtenir un crédit reçoit des bons territoriaux. En contrepartie, il effectue une vente à réméré de sa terre, c'est-àdire qu'il en conserve la jouissance et peut en retrouver la propriété au moment du remboursement de sa dette l . Les bons territoriaux sont alors utilisés comme monnaie avec d'autant plus de facilité que chacun représente une partie d'un bien foncier qui peut être vendu en cas de besoin. Ces bons sont en outre convertibles à vue en monnaie métallique. Cette qualité en fait une monnaie fiduciaire. Elle est néanmoins une limite à un modèle de diffusion d'une monnaie fondée sur le sol. La Banque détient en effet une richesse au moins équivalente à celle du papier émis. Mais la transformation de cette richesse foncière en monnaie métallique peut être lente. Une diminution de l'encaisse métallique de la Banque risque de l'amener à envisager la vente de terrains. Or celle-ci exige des délais difficilement compatibles avec l'engagement de rembourser les bons à vue. On retrouve ici un problème comparable à celui que peuvent rencontrer la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial en cas d'appel de fonds aux actionnaires. La diffusion de la monnaie fiduciaire par un établissement disposant d'actifs peu liquides apparaît donc comme difficile. On peut sans doute relever une contradiction entre la volonté de constituer une monnaie moderne fondée sur la propriété du sol et le fait que la terre représente de moins en moins la richesse au fur et à mesure que la société se développe. La Caisse des comptes courants puis la Banque de France forment un troisième modèle de mise en circulation de la monnaie de papier. L'émission est liée à l'escompte d'effets de commerce au profit des banquiers. Elle n'est plus bornée par le nombre d'actionnaires qui créent les billets et bénéficient des crédits comme dans le premier modèle, ou par le nombre de propriétaires susceptibles de céder leurs terres à la Banque territoriale. Elle est plafonnée par le nombre d'effets de commerce présentant les garanties suffisantes pour être acceptés par la Banque, et
1. Cf. SI/pra, p. 88.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 par le souci de conserver une encaisse métallique raisonnable pour assurer les éventuelles demandes de conversion. La Banque de Rouen s'inscrit dans cette même logique. Quant à la Factorerie du commerce et aux banques de sols, elles ne nous paraissent pas devoir constituer un modèle à part. Elles ont certes la particularité d'émettre des billets remboursables en billon, mais la logique sur laquelle repose leur mise en circulation ne diffère pas fondamentalement de celle de la Banque de France. L'émetteur accorde des crédits en fournissant des papiers, convertibles en monnaie métallique pour ceux de la Banque de France, et en monnaie de billon pour ceux des banques de sols. La Banque de Rouen envisage ainsi d'émettre de tels billets dans les mêmes conditions que le papier convertible en or ou en argent. Les banques de sols se rapprochent par ailleurs du Comptoir commercial dans le sens où elles créent un papier dont la circulation ne se limite pas au cercle restreint. des banquiers et gros commerçants. Le faible montant des coupures autorise même une vulgarisation dans la population. La création de monnaie fiduciaire repose donc sur ces trois modèles : la diffusion de papiers matérialisant la dette privée d'un actionnaire de l'établissement à l'origine de leur mise en circulation, l'utilisation de bons représentatifs d'une parcelle de terre dont la vente est supposée garantir la conversion éventuelle des bons en métal, et des billets correspondant à une dette directe de l'émetteur contractée à l'occasion de l'escompte. En dotant la Banque de France d'un privilège d'émission, le pouvoir politique écarte les deux premiers modèles. Il serait difficile de prétendre aujourd'hui que la coexistence de plusieurs banques devait automatiquement amener un processus d'élimination aboutissant au monopole de l'émission, et que ce processus ne pouvait se dérouler qu'au profit de la seule Banque de France. Si un contemporain peut être tenté de croire que le contrôle de l'émission monétaire par une banque centrale tombe sous le sens, c'est loin d'être une évidence au début du XIXe siècle. Pour les commerçants intéressés au maintien de la Caisse d'escompte du commerce ou du Comptoir commercial, c'est au contraire la poursuite de l'activité de ces établissements qui est considérée comme logique. De même, dans une génération, on considérera peut-être que la création d'une banque centrale européenne était inévitable, mais pour les décideurs d'aujourd'hui, plusieurs choix demeurent possibles. L'explication ex post est donc délicate. On ne peut pas avancer que la Banque de France ne pouvait qu'être amenée à jouer le rôle de banque centrale. Puisqu'elle reçoit un privilège d'émission, on peut par contre rechercher en quoi, pour l'Etat, elle présente des avantages qui font défaut à ses concurrents. Les efforts du Directoire pour favoriser la constitution de banques d'émission visaient expressément à mettre en place des structures susceptibles d'aider le commerce. Les défenseurs des banques ne manquaient pas de faire valoir devant les assemblées parlementaires tous les avantages que leur activité pourrait
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Conclusion
apporter à l'économie 2 . La réussite de ces établissements à l'étranger et l'influence positive qui leur était attribuée sur le développement de la production et des échanges ne pouvaient qu'inciter à oeuvrer pour les légitimer en France. Cette utilité reconnue aux banques tenait aux crédits qu'elles pouvaient accorder par l'escompte d'effets de commerce. Grâce aux banques, des commerçants auraient la possibilité de se financer à un coût abordable en recevant des billets utilisables comme monnaie. L'émission de billets n'était donc pas une fin en ellemême, mais une conséquence du crédit distribué puisque la banque ne pouvait développer son escompte qu'en livrant aux emprunteurs du papier à la place des espèces métalliques. C'est la mise en circulation de cette monnaie de papier qui soulève les oppositions à la création de banques dans un contexte révolutionnaire où pour beaucoup il ne saurait être question de remplacer l'assignat par un autre papier émis par une organisation privée. Mais, pour le Directoire, l'aide au commerce n'est qu'un objectif secondaire. C'est surtout pour l'Etat que les secours des banques sont un motif d'espoir. Le pouvoir ne cache pas qu'il en attend des aides considérables dans une période où il fait de plus en plus difficilement face à ses dépenses à l'aide d'une monnaie qui s'est effondrée. L'établissement que les banquiers tentent de mettre en place pendant l'hiver 1795-1796 présenterait ainsi le double avantage de procurer des ressources immédiates à la Trésorerie en même temps qu'il permettrait de remplacer le papier totalement avili qu'est l'assignat par un autre papier convertible en métal. L'échec de la tentative met momentanément fin à ces espoirs. La liberté d'émission doit donc conduire à favoriser le commerce, mais surtout à renflouer les caisses de l'Etat, soit directement par des avances qui pourraient éventuellement lui être accordées contre l'escompte d'effets publics, soit indirectement grâce à la chute du taux d'intérêt consécutive à leur activité, ce qui permettrait à la Trésorerie d'emprunter à des taux moins prohibitifs. C'est dans un contexte de liberté d'émission que les établissements présentés ouvrent leurs portes et exercent leur activité. En offrant à leurs associés l'accès à un crédit avantageux, ces établissements remplissent donc l'un des objectifs qui leur étaient assignés. Mais l'Etat ne bénéficie pas véritablement de leur activité. Sous le Directoire, l'Etat n'obtient pas directement des crédits des différentes banques d'émission et si les associés se financent à bon compte, les taux d'intérêt restent par ailleurs élevés. Au début du Consulat, le pouvoir ne peut toujours pas compter sur des ressources sûres et abordables 3, puisque dès le coup d'Etat Bonaparte réunit les banquiers parisiens
2. G. Jacoud, "Du papier-monnaie au billet de banque: les difficultés d'une transition", op. cit. 3. G. Lefebvre, Napoléon, Paris: PUF, 1969, p. 84.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 pour réclamer une aide qu'ils ne lui apporteront que partiellement4, alors que les possibilités d'emprunt sont excessivement coûteuses. "Le jour de Marengo[51, la Trésorerie devait encore verser 60 % l'an aux escompteurs qui lui consentaient des avances sur ressources à venir. "6 On comprend dès lors l'avantage que peut représenter un établissement comme la Banque de France. Pour ses fondateurs issus des milieux d'affaires, il s'agit de créer une organisation capable de dilfuser le crédit à une plus grande échelle que la Caisse des comptes courants dont elle prend le relais. Les actionnaires y trouveront la possibilité de recourir plus largement à l'escompte à taux modéré tout en ayant droit à la perception d'un dividende qui rémunère leur mise initiale. Mais cette banque représente aussi une promesse de facilités de financement pour l'Etat qui, dès sa création, soutient ouvertement l'établissemene.
Desaunay voit dans l'appui de l'Etat à la Banque un pacte destiné à favoriser la baisse du taux d'intérêts. C'est certainement un but commun aux banquiers qui souhaitent se refinancer avantageusement et au Trésor qui est structurellement emprunteur. Mais le pouvoir politique attend aussi vraisemblablement des aides directes. Et la Banque ne manque pas de répondre à ces attentes dans les mois qui suivent sa mise en place en assurant certains services pour le compte de l'Etat comme le recouvrement des fonds de la Loterie ou le paiement des rentes et pensions. Elle escompte même régulièrement des obligations des receveurs généraux, ce qui revient à accorder des avances au Trésor. Ces opérations sont sans doute jugées insuffisantes au regard du potentiel de financement" que représente la Banque. Nous avons vu que Barbé-Marbois regrettait le fait que les aides de la Banque au Trésor soient moins importantes que celles que celui-ci lui apporte9 . La tentation de réclamer directement des 4. Cf supra, p. 44-45. Flour de Saint-Genis laisse croire que la demande de Bonaparte fut entièrement satisfaite. "Dès le mois de novembre 1799, les banquiers parisiens, à la sollicitation de Bonaparte, avaient fait au Trésor une avance de 12 millions en or." (Flour de Saint-Genis, op. cit., p. 14-15.) Mais Stourm (cf. supra, p. 45) montre que les banquiers ne réunirent que 3 millions, ce que confirme Dauphin-Meunier (La Banque de France, op. cit., p. 22). 5. Bonaparte battit l'armée autrichienne à Marengo le 14 juin 1800. 6. Desaunay, op. cit., p. 474. 7. Bruguière résume ainsi l'intérêt que représente la Banque pour l'Etat. "Il était dOliC
souhaitable, comme le gouvernement anglais le pratiquait avec la Banque d'Angleterre, [... ] de pouvoir s'appuyer sur un établissement financier puissant, apte à assurer au Trésor soit des avances régulières, soit en cas de besoin des prêts extraordinaires. Faute de quoi l'Etat demeurait réduit à emprunter dans le désordre et à placer dans des mains privées le gage de toute recette à venir." (M. Bruguière, "Banque de France", in : J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, Paris: Fayard, 1987, p. 158.)
8. "Le terrain étant déblayé, l'Etat et les Banquiers allaient pouvoir se prêter main-forte dans le cadre du nouvel établissement pour abaisser le taux de l'intérêt, objectif du pacte fondamental. [... ] C'est afin d'abaisser le taux de l'intérêt que la troisième signature et la Trésorerie, l'Etat et la Banque s'appuient simultanément." (Desaunay, op. cit., p. 475.) 9. Cf supra, p. 188.
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Conclusion fonds à la Banque est certainement forte lorsque l'Etat cherche à renflouer ses caisses. Le souci de Talleyrand de négocier la paix avec l'Angleterre en position de force l'amène à proposer à Bonaparte des solutions radicales pour trouver des crédits. "Ces moyens prompts et peu couteux, on ne peut les trouver que dans un
etablissement qui a de l'argent et qui le prête a demi pour cent par mois. c'est aupres de la banque de france directement ou indirectement qu'il faut agir. directement si l'on traite avec elle pour des avances d'argent qu'elle ferait sur de bons nantissements, dont la rentrée serait assurée: et cela je crois qu'elle le fera si l'on traite avec elle comme le gouvernement anglais traite avec les directeurs de la banque."lO Le Premier Consul évite toutefois une compromission qui saperait la confiance dans l'établissement et ternirait l'image du nouveau pouvoirll . Ramon reconnaît que "par principe, Bonaparte était hostile aux emprunts et n'en contracta pas"12. Il n'en demeure pas moins que le gouvernement est régulièrement en quête de fonds. La Banque serait particulièrement appréciable si elle pouvait devenir une puissance financière au service de l'Etat. Bonaparte voit bien qu'une Banque de France renforcée pourrait servir les intérêts de l'Etat pour peu qu'il en détienne le contrôle. Lanzac de Laborie relève à juste titre que "sa préoccupation dominante
était de trouver dans la Banque un appui pour le crédit de /'Etat"13. Dans ces conditions, le pouvoir politique ne peut qu'appuyer toute démarche qui améliorerait la solidité d'une institution susceptible d'être mise à son service. Si en 1795 la formation de banques répondait à un impératif économique et politique, l'octroi d'un privilège d'émission en 1803 ne se justifie pas sur le plan 10. Lettre de Talleyrand à Bonaparte du 30 messidor An IX (19 juillet 1801), op. cit. Talleyrand est conscient des réticences que pourrait soulever la prétention de l'Etat à obtenir des fonds de la Banque et perçoit le risque de discrédit qu'une telle exigence comporterait. Il demande à Bonaparte de convoquer le comité central de la Banque "en évitant d'y mettre de
l'apparat". (Ibid.) 11. "Le Premier Consul est partagé entre le désir d'avoir sa propre banque, auxiliaire docile du Trésor, et la nécessité de tenir compte de l'opinion qui interdit la création d'une banque d'Etat." (R. Sédillot, Le coût de la Révolution française, Paris: Librairie Académique Perrin, 1987, p. 230.) 12. Ramon, op. cit., p. 34. Dans une lettre à Perregaux du 2 frimaire An XII (24 novembre 1803), Bonaparte se défend de réclamer des avances directes à l'établissement: "mon intention n'étant pas, dans aucun cas, d'emprunter de l'argent à la Banque". (Correspondance de Napoléon 1er, t. 9, op. cit., p. 105.) Mais il se reconnaît le droit de demander l'escompte d'obligations. Barbé-Marbois retranscrit la position du Premier Consul dans une lettre aux régents de la Banque de France du 4 pluviôse An XII (25 janvier 1804). Il note que "son intention était que, dans quelques circonstances que pût se trouver le trésor public, il ne /CIt rien demandé à la Banque, ni à titre d'emprunt, ni à titre d'avances, et que cette détermination
s'appliquait également à tous les établissements publics. Mais le Premier Consul a toujours pensé que les effets appartenant au GOl/vernement, tels que les obligations et al/tres effets organisés de la mime manière, doivent de plein droit itre escomptés à la Banql/e, lorsqu'ils n'ont plus qu'un ou deux mois à parcourir pour atteindre à leur échéance." (Correspondance de Napoléon 1er, op. cit., t. 9, p. 218.) 13. Lanzac de Laborie, op. cit., p. 159.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 économique mais répond à des exigences politiques. Nous avons vu en effet que la distribution du crédit est assurée par des établissements qui s'attachent une clientèle particulière. La Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial font ainsi valoir leur utilité en montrant qu'ils satisfont les besoins d'un public spécifique. Dans les arguments en faveur de l'unité d'émission, il n'est d'ailleurs nulle part fait l'hypothèse qu'une banque couvrirait mieux les besoins en crédit des producteurs ou des commerçants. C'est essentiellement la volonté d'assurer une meilleure sécurité de la circulation fiduciaire qui est avancée. Il serait tentant d'affirmer aujourd'hui que le passage à l'unité d'émission allait de soi et d'invoquer un prétendu sens de l'histoire pour soutenir que la transformation de multiples émetteurs en une banque unique était inéluctable. L'alibi d'une plus grande sécurité ou d'une meilleure commodité pour l'utilisateur du fait du nombre restreint de catégories de coupures en circulation -arguments avancés en 1802 et 1803- reste encore séduisant de nos jours. Deux siècles d'utilisation de coupures provenant d'un institut unique ont créé des habitudes et forgé un état d'esprit au point qu'il peut paraître normal d'utiliser des billets qui ne sont émis que par la Banque de France. Mais l'idée selon laquelle une monnaie délivrée par une institution unique procure plus de sécurité et de commodité ne résiste pas à l'analyse. La monnaie a maintenant essentiellement une forme scripturale. Elle est créée par les différentes institutions financières lors de concours à l'économie. Il y a donc bien désormais une pluralité des émetteurs. Estce à dire que cette diversité est source d'insécurité ou de difficultés dans les paiements? Une somme portée au crédit d'un compte dans l'une ou l'autre des principales banques contemporaines est considérée comme offrant les mêmes possibilités. Et les supports utilisés pour les paiements, bien que divers, n'altèrent en rien leur commodité d'utilisation: un commerçant accepte dans la même journée des chèques établis sur un large éventail de formules différentes. Les raisons profondes qui amènent l'unité d'émission sont donc à rechercher plus loin que dans les pseudo-avantages procurés par l'utilisation d'un seul type de coupures. Nous avons montré comment les rivaux de la Banque de France tentaient de défendre leur existence par des impératifs économiques en mettant en avant leur rôle dans la distribution du crédit. Mais cette distribution de crédit confère un pouvoir sur l'économie qu'il peut être intéressant de contrôler. Le simple choix des effets acceptés à l'escompte permet ainsi d'orienter l'activité économique. Desaunay remarque par exemple qu'au moment de la paix d'Amiens les banquiers ont orienté leurs capitaux "dans la rentrée de la France dans l'économie maritime et coloniale"14. Un Etat interventionniste comme celui que représente le Premier Consul a donc intérêt à opter pour l'unité d'émission qui en facilitera le contrôle. Ce contrôle sera d'autant plus intéressant qu'il peut fournir au pouvoir la possibilité de donner une nouvelle impulsion à la distribution du
14. Desaunay, op. cit., p. 473.
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Conclusion crédit aux particuliers. Et surtout, il laisse envisager la perspective d'offrir une solution aux problèmes de financement des dépenses de l'Etat. On comprend dès lors pourquoi Barbé-Marbois ou Bonaparte s'emploient à répondre aux voeux de la régence de mettre fin à la pluralité des émetteurs, et pourquoi, parmi ceux-ci, c'est à la Banque de France que doit aller l'octroi du privilège. Ce n'est pas l'importance de ses activités qui lui confère la bienveillance du pouvoir puisqu'au départ "elle comptait comme une banque de second rang"15. Elle doit au contraire son développement à l'aide de l'Etat qui, en acquérant une partie de son capital et en approvisionnant son encaisse, assure sa réussite initiale. L'essor de la Banque s'explique par le soutien de l'Etat mais n'explique pas ce soutien. La Caisse d'escompte du commerce est un établissement tout aussi performant au point d'envisager l'augmentation de capital que BarbéMarbois réussit à éviter. En ce sens, la Caisse est plus dynamique puisqu'elle réclame une augmentation de capital que la Banque n'acceptera qu'avec réticence. Mais la Caisse, contrairement à la Banque, fonctionne selon des modalités qui lui ôtent tout intérêt direct pour l'Etat. Elle réserve son escompte à ses associés et met en circulation les billets de ces mêmes associés. Rien n'est prévu dans ses règles de fonctionnement pour permettre des prêts directs au Trésor. Les dirigeants de la Caisse se font forts de ne mettre en circulation que des billets représentant une promesse de paiement de la part de commerçants connus et solvables. L'Etat ne peut donc pas en espérer du crédit, sauf à émettre lui-même des billets qui seraient loin de présenter les garanties exigées. En adoptant des règles de fonctionnement particulièrement adaptées au financement du commerce, la Caisse comme le Comptoir s'excluent du rang des prêteurs potentiels à l'Etat. Il ne saurait donc être question de leur accorder un privilège. En ce sens, la Banque territoriale aurait sans doute été un établissement plus adapté si elle avait réussi à apporter la preuve qu'un établissement mettant en circulation des billets gagés sur la richesse foncière était viable. La Banque de France est ainsi l'établissement qui. se prête le mieux à des opérations de' secours au Trésor. L'Etat a donc intérêt à participer à son renforcement. Or ce renforcement passe par l'attribution d'un privilège qui amènera la suppression d'une concurrence dommageable à la Banque. Les considérations politiques l'emportent sur une rationalité économique qui aurait sans doute consisté à laisser subsister les divers diffuseurs de crédit. Le commerce parisien connaît ainsi des difficultés après l'attribution du privilège. Ballot rend la fusion des banques responsable des faillites qui frappent le monde du commerce en 180316 . Il est toutefois difficile de déterminer,· dans les difficultés de la 15. Dauphin-Meunier, La Banque de France, op. cit., p. 27. 16. Ballot, op. cit., p. 321. Perregaux reconnaîtra qu'''a y a ell plusieurs faillites parmi les
Commerçants qui ont passé de la Caisse du Commerce à la Banque". (Le Cen Perregaux au Général Bonaparte Premier Consul. Lettre du 14 ventôse An XII (5 mars 1804), Arch. nat., AF/IV /1071.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 production et du commerce, la part revenant à la suppression des différentes banques d'émission, puisque l'attribution du privilège coïncide avec la rupture de la paix d'Amiens. François Crouzet a montré combien il était difficile de mesurer l'impact d'une guerre sur l'activité économique17. On ne peut pas en effet mesurer cet impact en poursuivant les tendances observées avant la guerre puisque rien ne permet d'affirmer que ces tendances se seraient poursuivies si la guerre n'avait pas eu lieu18.Dans le cas qui nous préoccupe, la situation est encore plus complexe puisque l'octroi du privilège provoque une rupture avec la situation antérieure. Il n'est donc plus question de rechercher quelle aurait été la réalité si les tendances s'étaient poursuivies, mais dans quelle mesure les difficultés du commerce parisien en 1803 peuvent être 'en partie attribuées aux modifications des conditions de son financement. Les causes de la crise de 1803 sont incontestablement à rechercher dans le contexte de guerre avec l'Angleterre. Mais ses effets sur l'activité économique auraient pu être atténués si, dans une période difficile, le commerce avait pu continuer à recourir à un financement approprié. Si la Banque de France est l'institution la plus adaptée pour apporter des secours à l'Etat, elle n'est pas la plus performante pour venir en aide au commerce. C'est ce que faisaient valoir la Caisse d'escompte du commerce et le Comptoir commercial au moment des débats sur la nécessité de l'unité. Les mois qui suivent l'attribution du privilège en fournissent l'illustration. Alors que la guerre exigerait un soutien plus affirmé au commerce, la Banque conserve une attitude timorée. Bonaparte est conscient de cette faiblesse de la Banque et des lacunes de la distribution du crédit par rapport au système qui prévalait avant la loi du 24 germinal. "Dès la crise du printemps
et de l'été de 1803, le Consul taxait de pusillanimité la prudence avec laquelle la Banque escomptait le papier des commerçants : il eût voulu que cette institution semi-officielle vint plus largement, plus patriotiquement en aide au négoce, qui subissait le contre-coup de la politique extérieure. "19
17. F. Crouzet, "Les conséquences des guerres de la Révolution et de l'Empire pour l'économie britannique (1793-1815)", Revue économique, n° 6, vol. 40, novembre 1989, p. 1119-1134. Si la guerre perturbe certaines activités, elle contribue en revanche à stimuler d'autres secteurs. On pourra aussi, sur cette question, se reporter à l'ouvrage du même auteur. (F. Crouzet, L'économie britannique et le blocus continental, Paris: Economica, 1987, 949 p.) 18. L'idée d'une quasi-neutralité de la guerre sur l'activité économique est néanmoins parfois évoquée. "Financées, dans la monarchie française à son déc/in, par le recours massif à l'emprunt, ou bien, comme dans la France napoléonienne et les territoires qu'elle occupait, ou dans /' Angleterre de Pitt et de Fox, par une pression fiscale accrue, les guerres n'auraient pas entravé la croissance si ce n'est par les perturbations à court terme imposées à l'activité économique, et compensées jusqu'à un certain point par la stimulation de certains secteurs industriels." (L. Bergeron, "Les réseaux de la finance internationale," in : P. Léon, Histoire économique et sociale du monde, t. 3, Inerties et révolutions (1730-1840), Paris: A. Colin, 1978, p. 121-122.) 19. Lanzac de Laborie, op. cit., p. 156-157.
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Conclusion Les anciens clients de la Caisse d'escompte du commerce ou du Comptoir commercial peuvent certes en théorie continuer à recourir au crédit en se tournant vers la Banque de France. Mais celle-ci, qui a désormais le contrôle de l'escompte puisque seuls ses billets sont utilisés, ne semble pas se montrer aussi généreuse que ses prédécesseurs. Un établissement comme le Comptoir commercial continue à accorder des crédits au petit commerce, mais l'étendue de ces crédits dépend du volume d'effets que la Banque de France voudra bien accepter et qui correspond aux fonds qu'elle mettra à la disposition du Comptoir. Et ces fonds sont plus réduits que ceux que pourrait fournir le Comptoir s'il avait conservé son statut de banque d'émission. "Les directeurs se plaignent que les sommes qui leur sont
allouées sont insuffisantes pour alimenter les besoins du commerce. "20 Cette timidité dans la distribution du crédit se poursuivra pendant les premières décennies du XIXe siècle et n'amènera qu'une faible diffusion des billets. Jean-Charles Asselain établit une comparaison avec l'ancienne Caisse d'escompte qui se révèle peu valorisante pour la Banque de France. "Les données
chiffrées permettent ici de dégager trois points importants : 1) les billets de la Banque de France ne représentent qu'un appoint presque négligeable par rapport aux espèces (3 à 5 % de la valeur estimée du stock à la fin de l'Ancien Régime), et leur circulation est très restreinte i 2) avec un capital près de quatre fois supérieur, la Banque de France (pour la moyenne des années 1801-1815) n'a qu'un volume d'activité comparable à celui de la Caisse d'escompte vers 1787- la progression en valeur nominale n'étant que de l'ordre de 40 % pour le flux annuel d'effets escomptés, 20 % pour la valeur moyenne du portefeuille et 25 % pour le montant des billets en circulation, ce qui correspond à peu près à une stabilité en valeur réelle i 3) aucun trend de croissance ne se dégage, et il y a même baisse absolue, à travers de fortes irrégularités, du maximum de 1804 à 1820."21 Bonaparte tente pourtant d'inciter la Banque à étendre le crédit. De son point de vue, il s'agit bien sûr d'accepter plus généreusement l'escompte d'obligations des receveurs généraux pour améliorer les recettes du Trésor, mais aussi d'éviter de "le mesurer parcimonieusement aux commerçants"22. Les pressions du chef de l'Etat sont cependant ressenties comme une ingérence malvenue23.
20. Lettre du Comptoir commercial à la Banque de France du 13 frimaire an XIV (4 décembre 1805). (Archives de la Banque de France.) 21. J.-C. Asselain, "Continuités, traumatismes, mutations", Revue économique, nO 6, vol. 40, novembre 1989, p. 1154. 22. Lanzac de Laborie, op. cit., p. 159. 23. Une réclamation de Bonaparte à la Banque lors d'une audience accordée le 22 janvier 1804 amène en réaction renvoi d'un mémoire sur les liens de la Banque avec l'Etat. (Sur la
dernière conférence du 1er Consul avec la Députation de la banque de france par le Cen Lubert negt de Bordx, Arch. nat., AF /IV /1070.) Bonaparte transmet le document à Mollien le 29 pluviôse An XII (19 février 1804) qui rédige une note sur la question le 7 ventôse An XII (27 février 1804), (Note slIr le mémoire dll citoyen Lubert, Arch. nat., AF /IV /1070.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Cette volonté de Bonaparte d'orienter la politique de la Banque comporte une certaine légitimité dans la mesure où, en réclamant la suppression des autres émetteurs et en obtenant le privilège, la Banque doit assumer des devoirs envers le commerce. Le fait qu'elle ait l'obligation de subvenir aux besoins du commerce, ou qu'elle puisse faire l'objet de pressions de la part de l'Etat pour en favoriser le financement, la prive d'une autonomie dont elle pouvait jouir jusqu'alors. "A la
différence de la Banque d'Angleterre qui achète son privilège par une aide à l'Etat, la Banque de France le paie par la perte de son indépendance."24 En droit, la Banque a certes su préserver l'essentiel. Si la loi du 24 germinal An XI organise la diffusion du crédit au commerce sous la responsabilité de la Banque, elle a réussi à éviter une trop forte emprise de l'Etat. Le revirement de Bonaparte sur la nomination des censeurs la laisse en théorie libre de ses décisions puisque la loi ne confère pas à l'Etat une large autorité sur la Banque. Mais, grâce au privilège qu'il octroie, l'Etat se dote d'un pouvoir sur celle-ci. "Ce qui était vrai, c'était que
la loi de l'an XI avait marqué une étape dans la progressive mise en tutelle de la Banque."25 Pour aller plus loin que Lanzac de Laborie, on peut affirmer que cette mise en tutelle a commencé dès l'instant où les banquiers ont dû secourir aux bons offices de la Caisse d'amortissement pour placer le capital de l'établissement et s'assurer une encaisse à la hauteur de leurs ambitions. Elle perd à nouveau de son autonomie en acceptant de réaliser pour le compte du Trésor des opérations qui la privent d'une partie de sa réserve métallique et l'obligent à restreindre des escomptes qu'elle pourrait accorder aux particuliers. Elle lie encore plus son sort à l'Etat en réclamant son intervention pour obtenir la disparition de ses concurrents. La soumission de Perregaux à Bonaparte, qui lui établit un compte-rendu régulier des opérations de l'établissement dont il est le président, en fournit l'illustration 26 • Ramon reconnaît que cette indépendance était déjà remise en question avant le 24 germinal An XI. "Sans doute, la fiction de l'indépendance
absolue demeurait, mais le contrôle, pour être occulte, n'en était pas moins devenu réel."27 Le privilège accordé à la Banque de France, en regroupant dans un seul établissement le pouvoir d'émettre, donne en fait au gouvernement la possibilité 24. B. Courbis, "L'origine de la "monnaie banque centrale" : étude comparée des expériences française et anglaise à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 3, novembre 1976, p. 17. 25. Lanzac de Laborie, op. cit., p. 155. 26. Au moment de l'attribution du privilège, Mollien relève en outre la nécessité pour l'Etat de superviser les opérations de la Banque, sans que ce contrôle soit officiel: "je ne doutte pas, que le Ministre du trésor public ne prenne des mesures, pour connaître confidentiellement chaque jour ce qui se fait à la Banque; cette connaissance doit être toute confidentielle, et exempte de tOl/t appareil d'al/torité ; mais il me paraît de la plus grande importance, dans la circonstance actuelle, que chaque opération, chaque résolution de la banque puissent être connuës dans leur motif et prévl/ës dans leur résultat". (Caisse d'Amortissement. Au premier Consul. Lettre de Mollien du 23 germinal An XI (13 avril 1803), op. cit.) 27. Ramon, op. cit., p. 47.
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Conclusion de mieux contrôler ce pouvoir. li ne faudra pas attendre longtemps pour que ce contrôle devienne effectif. En 1805, une crise amène la Banque à suspendre partiellement ses remboursements28• Napoléon prend prétexte des abus commis et décide de la réformer. En contrepartie d'un privilège prorogé jusqu'au 24 septembre 1843, la loi du 22 avril 1806 consacre la mainmise de l'Etat sur la Banque. La direction de celle-ci est désormais assurée par un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés parle chef de l'Etat. Un décret du 12 mai 1808 élargit ce contrôle à la province. Le privilège d'émission de la Banque de France est étendu à toutes les villes où elle décidera d'ouvrir des comptoirs d'escompte, sous réserve de l'approbation du chef de l'Etat. Le principe d'un privilège d'émission à la Banque de France n'en demeure pas moins longtemps contesté. En 1840, alors que les dirigeants de la Banque en demandent le renouvellement anticipé, partisans de l'unité d'émission et défenseurs de la pluralité s'affrontent à la Chambre des Députés où les intérêts de la Banque, défendus par Adolphe Thiers, finissent par l'emporter. Cette question du privilège est toutefois loin d'être réglée définitivement. A la concurrence des banques départementales29 jusqu'en 1848 succède une contestation du rôle central de la Banque de France. Le Crédit mobilier, créé en 1852, se pose comme un concurrent redoutable de la Banque de France car les frères Péreire affirment leur volonté de faire circuler des papiers capables de rivaliser avec les billets de la Banque30 . L'économiste Michel Chevalier réclame une réorganisation de l'institut d'émission et les débats sur la question se multiplient jusqu'en 1857 où le privilège finit par être prolongé, dans un contexte houleux, jusqu'en 189731. La Banque de France n'est néanmoins pas à l'abri de toute contestation. En 1860, l'annexion de la Savoie à la France relance les débats pour plusieurs années puisque la Banque de Savoie qui bénéficie d'un fonctionnement plus souple que celui de la Banque de France, va jusqu'à émettre la prétention d'étendre la circulation de ses billets à l'ensemble de l'Empire. Celle-ci est toutefois liquidée en 1865 mais des campagnes de presse, des pétitions adressées à l'Empereur et de multiples contestations à l'encontre de la Banque de France amènent l'ouverture 28. Sur cette question, on pourra se référer à la thèse de Bougerol (op. cit.) consacrée aux mésaventures de la Banque pendant l'année 1805. 29. Sur les banques départementales, on pourra se reporter au chapitre 3 de l'ouvrage de Bertrand Gille (La banqlle et le crédit en France de 1815 à 1848, Paris: PUF, 1959, p. 89-104). Il consacre une partie complète d'un ouvrage postérieur à présenter certaines de ces banques (B. Gille, La Banqlle en France ail XIXe siècle, Genève: librairie Droz, 1970, p. 17-101). 30. B. Gille, La Banqlle en France ail XIXe siècle, op. cit., p. 136. Alfred Pose conteste toutefois le caractère monétaire de ces papiers du fait de leur non-convertibilité en métal. (A. Pose, La monnaie et ses institlltions : histoire, théorie et techniqlle, Paris: PUF, 1942, t. 1, p.192.) 31. Sur cette période, on pourra se reporter à l'imposante thèse d'Alain Plessis (La Banqlle de France SOIIS le Second Empire, Thèse Lett. Paris 1, 1980, 1549 p.).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 d'une enquête sur elle qui ne dure pas moins de quatre années. Ce n'est qu'en 1868 que la publication de l'enquête sur la circulation monétaire et fiduciaire, dont les conclusions sont favorables à la Banque, finit par apaiser les esprits. Les difficultés de la Banque n'en sont pas terminées pour autant puisque la guerre de 1870 amène le cours légal et forcé32 et que l'épisode de la Commune lui fera craindre le pire sort. Si le rôle dirigeant de la Banque de France est contesté pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle, oh conçoit qu'il n'ait pas été envisagé sans remous pendant les trois premières années.
32. Cf. Silpra, p. 9.
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Les sources utilisées peuvent être regroupées en deux catégories. il s'agit tout d'abord de documents essentiellement manuscrits (rapports, lettres, registres, procès-verbaux, etc.) conservés dans les archives de la Banque de France ou aux Archives nationales. Ces sources comportent aussi une liste d'ouvrages et d'articles qui constituent une bibliographie au sens courant du terme.
1. Documents conservés en Archives Archives de la Banque de France Caisse des comptes courants
- Règlement intérieur de la Caisse des Comptes Courants. - Règlement général de la nouvelle société des comptes courants. - Registre des délibérations de la Compagnie établie à Paris le onze Messidor, an IV, sous le nom de Caisse des Comptes Courans. Du 14 vendémiaire an 5 au 9 nivôse an 7.
- Registre des délibérations de la société établie le dix nivôse an sept, sous la raison de Caisse des comptes courants. Du 10 nivôse an 7 au 30 pluviôse an 8. - Lettre du directeur de l'enregistrement aux administrateurs de la Caisse des comptes courants du 22 messidor An VI.
- Discours prononcé pendant la Séance des Actionnaires de la Caisse des Comptes Courans, le 9 pluviôse an 8, par Léon Basterrèche. Banque de France
- Statuts fondamentaux de la Banque de France, 24 et 27 pluviôse An VIII (13 et 16 février 1800).
- Extrait du Procès verbal de la première .Assemblée des Actionnaires de la Banque de France, tenue à Paris, dans le local de l'Oratoire, le vingt-quatre pluvios an huit. - Procès verbal de l'Assemblée Générale des actionnaires de la Banque de France tenue à l'oratoire le 27 pluviôse An huitième de la République. - Registre des Délibérations du Conseil Général de Régence de la Banque de France. Tome 1. Du 29 pluviôse an VIIl au 1er vendémiaire an Xl. - Registre des Délibérations du Conseil Général de Régence de la Banque de France. Tome 2. Du 2 vendémiaire an Xl au 17 pluviôse an XII. - Banque de France. Compte rendu des opérations. Exercices 1800 à 1820. - Projet de loi relatif à la Banque de France à Paris, et al/X autres Banques.
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Références bibliographiques
- Extrait des registres des délibérations du Conseil général de la Banque de France. Séance des 14 et 26 floréal an XI. Paris : Baudouin, Prairial An XI. 6 p. - Réflexions d'un actionnaire touchant le projet de loi sur les Banques, présenté au Corps législatif les 14 et 19 germinal an 11. Paris: impr. d'Ant. Bailleul, s. d .. 28p. Comptoir commercial
- Comptoir Commercial. Extrait du registre des Délibérations du 1er ventôse an IX. Paris: D'Hacquart, [An IX]. 9 p. - Projet. - Propositions du Comptoir Commercial aux Régents de la Banque de France. - Rapport sur les propositions du Comptoir commercial relativement à ses relations avec la Banque depuis la nouvelle loi. - Les Commerçants, Manufacturiers et fabricants composant l'association du Comptoir Commercial Aux Régents et Censeurs de la Banque de france. Lettre du 11 thermidor An XI (30 juillet 1803).
- Les Directeurs du Comptoir Commercial aux Citoyens Régens de la Banque de france. Lettre du 12 fructidor An XI (30 août 1803). - Lettre du Comptoir Commercial à la Banque de France du 13 frimaire An XIV (4 décembre 1805). Société générale du commerce de Rouen
- Banque de Rouen. Procès-Verbaux des assemblées générales des actionnaires de la banque de Rouen et du Conseil d'administration.
Archives nationales La plupart des archives utilisées sont celles de la Secrétairerie d'Etat impériale (AF /IV). D'autres sources, notamment les archives Commerce et Industrie et Police générale ont également été consultées. La liste suivante n'est pas un inventaire des documents répertoriés sous les diverses cotes. Nous présentons seulement ceux que nous avons utilisés et cités. AD/XI/58 Cette référence regroupe des documents relatifs à la constitution de banques ainsi que divers plans. Nous mentionnons ici ceux que nous avons cités et qui ne figurent pas en bibliographie. - Prospectus d'une Caisse hypothécaire. Document de 20 p. rédigé en l'An IV par Mengin. - Banque territoriale, de l'imprimerie de l'administration d'assurance contre les incendies. Texte de 16 p. signé par les notaires Bevière, Laroche, Gaillard, Demautort, Silly, Edon, Raguideau, Mathieu.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
- Contrat de la Banque générale de bienfaisance et de circulation commerciale Impr. de Quiber-Palissaux, [vendémiaire An VIII]. 31 p. Le document est accompagné de l'imprimé suivant : Banque générale de bienfaisance et de circulation commerciale. Impr. de Quiber-Palissaux, [brumaire An VIII]. 6 p. - Banque d'union du Commerce, par Bouty. [vendémiaire An VIII). 8 p. AF/IV/6 - Lettre des régents au ministre des Finances Gaudin sur la formation de la Banque de France, le 16 nivôse An VIII (6 janvier 1800). - Arrêtés des consuls du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) accordant à la Banque de France un financement par la Caisse d'amortissement et mettant à sa disposition la maison de l'Oratoire. AFIIVI1321 - Lettre de Barbé-Marbois du 11 pluviôse An XII (1er février 1804). AF/IVI1070 On trouve sous cette cote bon nombre d'écrits relatifs aux différentes banques d'émission. Des dossiers renvoyant à chaque établissement rassemblent des documents qui ont été utilisés par le ministre du Trésor public Barbé-Marbois pour l'élaboration de son Rapport sur les banques. D'autres dossiers contiennent des écrits postérieurs à ce rapport. . Rapport aux Consuls de la République sur les Banques. Rapport de BarbéMarbois comportant plusieurs dossiers de pièces justificatives, dont: - Caisse d'escompte du commerce
- Les Directeurs de la Caisse d'Escompte du Commerce au Citoyen Ministre du Trésor public. Lettre du 20 floréal An X (10 mai 1802). - Rapport des commissaires nommés par l'administration de la Caisse d'Escompte du Commerce, A l'assemblée générale des actionnaires, en lui présentant l'acte de prorogation de son association, Paris, le 11 messidor an 8. - Projet remis le 16 Messidor an 10 au Ministre du Trésor public et
demeuré sans Exécution. - Lettre au ministre du Trésor public.
- Observations des actionnaires de la Caisse d'Escompte du Commerce. Sur la question de savoir : Quels sont les avantages et les inconvéniens qui pourraient résulter de la réunion de la Caisse d'Escompte du commerce à la Banque de France? Paris: Moutardier, 24 floréal An X. 20 p.
- Exposé de la discussion qui a eu lieu entre les Régens et Censeurs de la Banque de france dans leur séance du 12 germinal an 10. - Vües sur la formation des Caisses. - Statuts et réglemens de la Caisse d'Escompte du Commerce de Troyes. Troyes: Gobelet, 4 frimaire An X. 17 p.
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Références bibliographiques
- Propositions des Régents de la Banque de France pour opérer la réunion de la Caisse du Commerce à la dite Banque. - La Banque de france Au Ministre du Trésor public à Paris. Lettre du 1er thermidor An X (20 juillet 1802).
- La Banque de France Au Citoyen Barbé marbois, Ministre du Trésor public à Paris. Lettre du 8 thermidor An X (27 juillet 1802). - Banque territoriale
- Le Directeur général et les Administrateurs de la Banque territoriale. Au Ministre du Trésor public. Lettre du 25 ventôse An X. - Notice explicative des opérations de la Banque Territoriale, établie à Paris, rue du Sentier. N° 31. Paris: imprimerie de la Banque Territoriale, An X. 8p. - Comptoir commercial
- Au Citoyen Ministre du Trésor Public. - Banques de sols
- Observations sur les banques de sols Etablies à Rouën. Le Prefet au Ministre du Trésor public. - Trésor public. Rapport concernant les Caisses d'Echange de la Monnaye de Cuivre. 17 floréal An X (7 mai 1802). - Rapport fait à la société libre, établie pour l'encouragement du Commerce Et de l'Industrie, à Rouen, en sa séance extraordinaire tenue le 29 Messidor an 9, sur le danger auquel la circulation des Bons, remboursables en sous de cuivre et en métal de cloches, expose les Habitants de cette Commune. Rouen: impr. de Periaux, [An lX]. 13 p.
- Pétition aux citoyens Consuls de la République française, par les marchands, fabricants et autres Chefs d'Ateliers de Rouen et environs; contre un rapport fait à la Société libre, établie pour l'encouragement du Commerce et de l'Industrie, à Rouen .... Rouen : impr. de P. Leconte, [1er brumaire An X (23 octobre 1801)]. 12 p.
- Sur les banques de sous. - LHERITIER-VAUQUER, Négociant, aux Citoyens du Département d'Indre et Loire. - Le Receveur général du département d'Indre et Loire Aux Percepteurs de l'an X, du même Département. • Dossiers sur les établissements parisiens comprenant notamment: - Caisse d'escompte du commerce - Au Citoyen Premier Consul. Lettre de la Caisse d'escompte du commerce du 19 germinal An XI (9 avril 1803).
- Observations des associés de la Caisse d'Escompte du Commerce sur un projet de loi relatif aux Banques et présenté au Corps législatif, le 14. Germinal an llerne. Manuscrit envoyé à Bonaparte le 19 germinal An XI. 294
Le billet de banque en France de 1796 à 1803
- Lettre de Poulard au Premier Consul. 6 vendémiaire An XI (28 septembre 1802).
- Extrait du Registre des Délibérations de l'administration de la Caisse d'Escompte du Commerce du 5 vendémiaire an XI. - Observations sur les propositions de la Caisse du Commerce. Document remis à Bonaparte par Barbé-Marbois le 21 vendémiaire An XI.
- Les Administrateurs Directeurs de la caisse d'Escompte du commerce Au premier Consul. - Comptoir commercial
- Observations adressées au Premier Consul pour l'établissement particulier d'Escompte, connu à Paris sous le nom de Comptoir Commercial. Paris: Renaudière, An XL 32 p. - Comptoir Commercial. Les Administrateurs et Directeurs du Comptoir Commercial au Premier Consul. Lettre du 5 pluviôse An XI (25 janvier 1803).
- Les Directeurs et Administrateurs du Comptoir Commercial Au Premier Consul de la République Fse. Lettre du 25 ventôse An XI (16 mars 1803). - Les Directeurs et Administrateurs du Comptoir Commercial Au Citoyen Premier Consul. Document daté du 18 germinal An XI (8 avril 1803) complété de Propositions du Comptoir Comal et d'Observations. - Banque territoriale
- Réglemens arrêtés par l'administration de la BANQUE TERRITORIALE, formée sous la raison de CHAVAGNAC et Compagnie, Paris: imp. de Goujon, 3 frimaire An XIT. 13 p . . Mémoires et notes diverses:
- Renseignements sur les diverses Caisses publiques Etablies A paris, autres que celles du gouvernement. - Mémoire sur la Banque de france et sur les moyens d'étendre son utilité. Mémoire du conseiller d'Etat Cretet envoyé à Bonaparte le 11 thermidor An X (30 juillet 1802). - Lettre de Talleyrand à Bonaparte du 30 messidor An IX (19 juillet 1801). - Caisse d'Amortissement et de Garantie. Rapport au Ministre. Rapport de Mollien à Barbé-Marbois du 2 brumaire An X (24 octobre 1801). - Projet de Banque. Manuscrit de Sénovert adressé à Bonaparte le 17 floréal An X (7 mai 1802). 57 p. - Note sur le Projet de Banque du C. Sénovert. Rapport de Mollien du 16 messidor An X (7 juillet 1802). - Note proposant le triplement des actions de la Banque de France. Manuscrit de 11 p. non daté et non signé, envoyé à Mollien par Bonaparte le 4 frimaire An XI (25 novembre 1802).
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Références bibliographiques
- Observations sur la Note par laquelle on propose le Triplement des Actions de la Banque de France. Texte de Mollien daté du 11 frimaire An XI. - Sur les Banques et le régime d'escompte qui leur est propre. Compte-rendu de Mollien du 19 vendémiaire An XI (11 octobre 1802). - Notes sur les Banques. Note de Mollien de frimaire An XI. - Seconde Note sur les Banques de Circulation. 11 frimaire An XI (2 décembre 1802). - Troisième Note sur les Banques. 24 pluviôse An XI (13 février 1803). - Lettre· de Mollien à Bonaparte du 20 ventôse An XI (11 mars 1803). - Lettres de Perregaux à Bonaparte : 25 messidor An X (14 juillet 1802) ; 28 thermidor An X (16 août 1802) ; 8 pluviôse An XI (28 janvier 1803) ; 28 ventôse An XI (19 mars 1803); 1er germinal An XI (22 mars 1803); 8 prairial An XI (28 mai 1803).
- Règlement intérieur de la Banque de France. - Banque de France. Extrait du Registre des délibérations du Conseil de Régence: séance du 19 vendémiaire an 11. - Banque de france. Procès verbal de la séance extraordinaire du lundi soir 4 prairial an XI. - BariIIon Regent de la Banque de france au Citoyen Perregaux membre du Senat Conservateur et President de la Banque de france. Lettre du 27 ventôse An XI (18 mars 1803).
- BariIIon Regent de la Banque de france au citoyen Perregaux membre du Senat Conservateur et president du Conseil de la Banque de france. Lettre du 29 ventôse An XI (20 mars 1803).
- Motifs de l'Audience demandée au Premier Consul par les Régents à la Banque de France. - Conditions du privilège à accorder à la Banque de France. - Avantages du plan proposé. - Plan de formation d'une Banque générale. - Observations sur le Plan de Banque générale. - De la réunion des Etablissements de crédit. - Projet de loi commun à toutes les Banques. Plusieurs versions différentes.
- Observations rapides sur le Projet de loi discuté au Conseil d'Etat, pour la formation d'une Banque unique. - Projets de Lois. - Projet de règlement intérieur à toutes les Banques. Deux versions différentes. - La Banque de France au Citoyen Premier Consul. Lettre du 8 germinal An XI (29 mars 1803).
- Sur la dernière conférence du 1er Consul avec la Députation de la banque de france par le Cen Lubert negt de Bordx. - Note [de Mollien] sur le mémoire du citoyen Lubert. 296
Le billet de banque en France de 1796 à 1803
AF/IV/1071 Cette cote, entièrement consacrée à la Banque de France, contient notamment les lettres suivantes : - Lettres de Perregaux à Bonaparte: 19 vendémiaire An XI (11 octobre 1802) ; 11 brumaire An XI (2 novembre 1802) ; 8 frimaire An XI (29 novembre 1802) ; 6 nivôse An XI (27 décembre 1802) ; 13 nivôse An XI (3 janvier 1803) ; 20 nivôse An XI (10 janvier 1803) ; 27 nivôse An XI (17 janvier 1803) ; 11 pluviôse An XI (31 janvier 1803) ; 2 ventôse An XI (21 février 1803) ; 12 floréal An XI (2 mai 1803) ; 1er messidor An XI (20 juin 1803) ; 29 messidor An XI (18 juillet 1803) ; 11 fructidor An XI (29 août 1803) ; 3 vendémiaire An XII (26 septembre 1803) ; 14 ventôse An XII (5 mars 1804). - Lettre de Cretet à Bonaparte du 3 pluviôse An XII (24 janvier 1804). AF/IVI1073 - Lettres de Mollien à Bonaparte : 5 frimaire An XI (26 novembre 1802) ; 25 pluviôse An XI (14 février 1803) ; 21 ventôse An XI (12 mars 1803) ; 28 ventôse An XI (19 mars 1803) ; 30 ventôse An XI (21 mars 1803) ; 10 germinal An XI (31 mars 1803) ; 12 germinal An XI (2 avril 1803) ; 16 germinal An XI (6 avril 1803); 17 germinal An XI (7 avril 1803) ; 23 germinal An XI (13 avril 1803) ; 25 germinal An XI (15 avril 1803) ; 17 floréal An XI (7 mai 1803) ; 21 floréal An XI (11 mai 1803). AF/IV/1087 - Lettres du ministre du Trésor public Barbé-Marbois à Bonaparte: 8 brumaire An XI (30 octobre 1802) ; 4 nivôse An XI (25 décembre 1802) ; 24 ventôse An XI (15 mars 1803) ; 27 ventôse An XI (18 mars 1803) ; 29 ventôse An XI (20 mars 1803) ; 17 germinal An XI (7 avril 1803) ; 19 germinal An XI (9 avril 1803). - Lettre de Perregaux au ministre du Trésor public. 24 ventôse An XI (15 mars 1803). F/7/3834 - Rapport de police du 5 vendémiaire An XIV (27 septembre 1805). F 12/798/8 - Le M. de l'int. au M. des finances. Lettre du 7 ventôse An X (6 février 1802). - Le ministre des Finances au Ministre de l'intérieur. Lettre du 8 germinal An X (29 mars 1802).
- Mémoire présenté à son Excellence le Ministre du Trésor public, par la Chambre de Commerce de Rouen, concernant les Etablissements qui émettent des Bons de Sols payables aux Porteurs. 7 prairial An XII (27 mai 1804). - Les membres composant la Chambre de Commerce de Rouen à Son Excellence le Ministre de l'Intérieur. 21 messidor An XII (10 juillet 1804).
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Références bibliographiques
- Mémoire adressé à son Excellence le Ministre de l'Intérieur, par la Chambre de Commerce de Rouen. Sur les inconvéniens de la trop grande quantité de monnoie de cuivre et la libre circulation des bons au Porteur, payables à vue. 27 nivôse An XIII (17 janvier 1805).
- Les Membres composant la Chambre de Commerce de Rouen à son Excellence le Ministre de l'Intérieur. 14 ventôse An XIII (5 mars 1805). F/121971
Ces archives du ministère de l'Intérieur contiennent des projets de banque manuscrits et imprimés. Nous reprenons seulement les sources citées: - Projet de Commerce et de Banque avec Emission de billets à intérêt, par Thomas Marshall. [An VII]. Manuscrit envoyé à François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur.
- Projet de banque nationale envoyé le 12 pluviôse an 8, par le Cen Pointeau, au citoyen Lucien Bonaparte, ministre de l'intérieur. - Les Directeurs et Administrateurs du Comptoir Commercial. Lettre remise au ministre de l'Intérieur le 5 fructidor An X (23 août 1802).
- Projet présenté par l'administration du Comptoir Commercial. - Projet adressé au Premier Consul, par le Comptoir Commercial. Pour concilier les vues du Gouvernement, sur l'existence d'un seul billet de circulation, avec la conservation des trois Caisses de crédit existantes à Paris. S. 1. n. d .. 15 p. - 22 mai 1814. Demande pour le rétablissement de la Caisse du Commerce.
II. Articles et ouvrages Plusieurs revues anciennes abordent la question des banques: Ami des lois (L') ; Archives parlementaires; Bulletin des lois; Décade philosophie (La) ; Gazette de France; Historien (L') ; Journal d'économie publique, de morale et de politique; Journal des hommes libres; Moniteur universel ; Rédacteur (Le). La bibliographie comprend enfin les références suivantes. AFTALION, Florin, L'économie de la Révolution française. Paris: Hachette, 1987.393 p. AGLIETTA, Michel, "L'ambivalence de l'argent", Revue française d'économie, vol. 3, été 1988, p. 87-133. ARENA, Richard, "De l'usage de l'histoire dans la formulation des hypothèses de la théorie économique", Revue économique, nO 2, mars 1991, p. 395409. ARNAUD, Alain, "Esquisse d'un tableau historique de la neutralisation de l'histoire dans l'économie politique libérale", Revue économique, nO 2, mars 1991, p.411-436.
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d'ordre pour la proposition d'une banque, par J.-Ch. Bailleul, représentant du peuple, séance du 29 pluviôse an 7. Paris: Imprimerie nationale, An VII. 8 p. BALLOT, Charles, "Les banques d'émission sous le Consulat", Revue des études napoléoniennes, t. VIII, 1915, p. 289-323. BANQUE TERRITORIALE, Banque Territoriale étflblie à Paris, rue du Sentier n° 31, boulevard Montmartre. Impr. de la Banque Territoriale, An VIII. 15 p. BANQUE TERRITORIALE, Règlement de la Banque Territoriale arrêté les 29 pluviôse et 25 ventôse an IX (1801). S. L, An IX. 20 p. BANQUE TERRITORIALE, Règlements pour les opérations de la Banque Territoriale. Paris: impr. de la Banque Territoriale, An XI. 27 p. BANQUE TERRITORIALE, Banque Territoriale sous la raison Chavagnac et Cie. S. L, 5 brumaire An XII. 14 p. BANQUE TERRITORIALE, Avis aux créanciers et débiteurs de la Banque Territoriale. Paris, 5 brumaire An XII. 10 p. BANQUE TERRITORIALE, Rapport fait à l'assemblée des créanciers de la Banque Territoriale dans leur séance du 11 frimaire an XII, par M. Dupont de Nemours, président de la commission intermédiaire. Paris: Goujon fils, [An XII]. 8 p. BANQUE TERRITORIALE, Parallèle entre la plan de M. Lecointe-Puyraveau et celui de la nouvelle Banque Territoriale relativement aux droits et aux intérêts des créanciers de l'ancienne Banque. Paris: Goujon fils, s. d .. 8 p. BARILLON, Michel, voir ARNAUD. BEAUD, Michel, "Economie, théorie, histoire: un essai de classification", Revue économique, nO 2, mars 1991, p. 155-172. BENOIT, Bruno, Les grandes dates de la Révolution française. Paris: Lesoume, 1989. 189 p. BENREDOUANE, Mohammed, voir ARNAUD. BERGERON, Louis, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l'Empire. Thèse présentée devant l'université de Paris IV le 16 mars 1974. Paris: Champion, 1975. 860 p.
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INDEX DES PERSONNES CITEES Aftalion, 15 Aglietta, 7, 8 Arena,5 Amaud,5 Asselain, 286 Aubert,50 Aulard, 28, 33, 47 Bailleul, 34, 35 Ballot, 18, 68, 91, 101, 164, 214, 284 Barbé-Marbois, 66, 71, 72, 91, 93, 96, 97, 100, 101, 102, 136, 138, 139, 147, 152, 166, M~l~V~I~V~I~WLl~W~
184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 197, 198, 199, 204, 206, 211, 212, 213, 214, 222, 228, 229, 231, 232, 246, 256, 259, 269, 275, 276, 281, 282, 284 Barrillon A., 239, 240, 241, 242, 246, 248, 251,267 Barillon M., 5 Basterrèche, 51,52,53,119 Beaud,5 Benredouane, 5 Bérenger, 266 Bergeron, 18,20,22,60,65,87,285 Berlan,5 Berryer, 45 Besnard, 200 'Bevière,37 Bichot, 8, 10 Bigo, 18,43, 108, 178 Bloch,95 Bonafarte, 13, 38, 41, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 54, 7 , 72, 120, 121, 129, 130, 131, 145, 146, U~l~M~I~V~l~V~l~W~
184, 191, 193, 194, 197, 198, 199, 204, 205, 207, 209, 210, 211, 212, 216, 217, 219, 220, 221, 222, 223, 227, 232, 233, 234, 235, 236, 238, 241,242, 243, 244, 245, 246, 247, 251, 256, 257, 258, 259, 268, 269, 281, 282, 284, 285, 286, 287 Bouchary, 17, 28 Bougerol, 45, 46, 139,200,288 Bourbaki,44 Bouty,38 Bouvier, 6, 12 Breugnot, 95, 97, 101, 115 Bruguière, 5, 6, 17, 281 Cameron, 11,34
200, 213, 224, 239, 249, 272,
203, 214, 225, 240, 250, 275,
Carrier, 53 Chaline, 103 Chamoulaud,37 Chaptal, 167 Charpentier de Cossigny, 81 Charriau, 50 Chassagne, 7 Chevalier, 288 Choart, 273 Christophle, 81 Colmar,81 Coq, 18 Costaz, 259, 260, 261 Courbis, 6, 7, 8, 34, 287 Courtois, 18, 24, 25, 106 Cretet, 145, 146, 167, 173, 174, 175, 176, 177, 180, 192, 198, 199, 201, 211, 221, 228, 237, 240, 244, 245, 247, 249, 254, 258, 259, 266 Crisp, Il, 34 Croisset (de), 13 Crouzet, 12, 19, 55, 95, 285 Dabin,46 Dauphin-Meunier, 44, 54, 118, 216, 281, 284 Defontenay, 109, 110, 111, 113, 114 Delessert, 44, 248, 267 Desaunay,215,234,235,281,283 Devaines, 20, 25 Dockès,5 Doulcet d'Egligny, 68, 69, 163, 165, 166, 167, 169, 170, 172, 269, 270 Doyen, 20, 45 Dreyfus, 21 Dumetz,247 Dupleix, 17 Dupont de Nemours, 25, 72, 79, 80, 87, 92, 146, 182, 186, 206, 271, 272, 273 Durand, 38, 146 Edon, 37 Faccarello, 80 Fagniez,46 Ferrières, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 87,90,146 Flour de Saint-Genis, 199, 281 Fogel,5 Fohlen, 87, 90, 91, 272, 273
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Index des personnes citées
Folloppe, 20 Fontenu (de), 46 Fouché,44 Fourastié, 119 Fox, 285 Fridenson, 12 Fulchiron, 20, 45 Gabiou, 37, 83 Gaillard, 37 Gaudin E., 261, 262, 263, 264 Gaudin M., 45, 167, 222, 228 Gautier J.-E., 85 Gautier J., 36, 37, 160 Gentil,21 Germain, 44, 45 Gille, 288 Gilles, 5 Gillet-Lajaqueminière, 264, 265, 266 Girardot, Godard, 17, 19, 20, 55 Grand-Carteret, 108 Gresham, 95, 115, 182 Guilleminault,222 Guinard, 261, 264 Guitard, 119 Habrekorn, 93, 100, 119 Hainguerlot, 20 Harrod,8 Herrenschmidt,8 Hincker,47 Hume,205 Jabach, 68, 269 Jacoud, 5, 15, 17, 34, 210, 280 Jacquemart, 68, 69, 124, 163, 165, 166, 167, 169, 170, 172,269,270 Jouan, 82 Joubert, 44 Jubié,20 Juglar, 18, 102 Juvigny (de), 50 Keynes, 5 Kindleberger, 6 Kléber, 44 Labrousse, 20 Lafaurie, 93, 100, 119 Laffite, 43
Laffon-Ladébat, 19, 42, 45, 72, 81, 86, 88, 90,91,92, 191,208,265,272,273 Lanjuinais, 80 Lanzac de Laborie, 165, 173, 224, 282, 285, 286,287 Larcher, 82 Laroche, 37 Lavoisier, 48 Law, 6, 51, 96, 158, 207 Lebrun, 166, 167, 197,258 Lecointe-Puyraveau, 38, 39, 40, 81, 84, 85, 87,185,273 Lecouteulx, 19,20,41,42,43,44,45,46,47, 48, 80, 81, 103, 104, 105, 106, 112, 120, 127, 160, 228, 239, 267, 270 Lefebvre, 280 Lefebvre-Teillard, 60 Le Lièvre, 112 Léon, 285 Lescure, 43 Lévy-Leboyer, Il, 12, 103 Lheritier-Vauquer, 98 Liesse, 18 Lindet, 42 Lubert, 286 Lüthy,6 Magon Gervaisais, 20 Mallet, 45, 47 Marini,9 Marion, 82 Marshall, 38 Marx, 5 Massiac, 55, 119, 120 Mathieu, 37 Mathiez, 42, 43, 44 Mautort (de), 37, 47, 48 Mazard, 119 Mengin,3~85,86, 146 Messin, 50 Mill, 5 Miquel,44 Mirabeau, 146, 261 Mollien, 48, 136, 147, 167, 168, 173, 198, 199,200,201,202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209, 210, 211, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 233, 234, 235, 238, 239, 243, 244, 246, 249, 251, 260, 261, 274, 286, 287 Monier, 38 Monneron, 17, 19,20,24,25,26,28,29,41, 42, 51, 55, 66, 74, 81, 92, 119, 122,211,213, 230,263
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Moreau J. V., 44 Muszynski, 119
Romano, 21 Rosier, 5
Napoléon, 99, 140, 146, 222, 233, 269, 281, 282,288 Nataf,19 Necker,72,146 Neufchâteau, 38 Nobel,5 North, 5
Sabatier, 44 Saint-Aubin, 32 Saving, 7 Say ];-8., 137, 185, 201, 206 Say L., 18, 102 Schmitt, 7 Schumpeter,5 Sédillot, 282 Sénovert, 204, 207, 219 Servet, 5 Servonat, 126 Sevène,45,248 Sieyès, 44, 46 Silly, 37 Simonne,87 Singer-Lecocq, 222 Smith, S, 34, 36, 48, 78, 85, 135, 136, 138, 144, 158, 182, 189, 204, 205, 224, 262, 264 Soehnée,249 Soufflot de Mérey, 90, 91, 92, 271, 273 Steiner, 80 Stourm, 45, 281 Straus, 12 Swarte (de), 118 Szramkiewick, 48
Ollivault, 37, 146 Oulgis Dujardin, 112 Ouvrard,54 Patrick, Il, 34 Payot,38 Péreire, 288 Périer, 44, 47 Perrée,48 Perregaux, 27, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 53, 54, 81, 146, 193, 203, 212, 213, 214, 217, 219, 228, 232, 233, 235, 236, 238, 239, 240, 242, 250, 251, 256, 268, 269, 272, 282, 284, 287 Perrot,73 Perroud,106 Perroux,5 Pesek,7 Pétion, 79, 81 Petite, 37 Pitt, 6,285 Plessis, 6, 288 Pointeau, 38, 146 Pommier, 47 Portiez, 261, 263 Pose, 288 Potut,118 Poulard, 67, 194, 211, 212, 216 Prate, 47 Quesnay, 72 Raguideau,37 Ramon, 18, 40, 41, 54, 118, 118, 122, 139, 173,200,217,224,233,234,282,287 Récamier, 20, 45, 54 Redon, 200 Richard,37 Rist, 146, 204 Robespierre, 79 Robin, 35, 36
Talleyrand, 44, 130, 184, 222, 228, 263, 282 Thibon, 248, 267 Thiers, 12, 33, 288 Thomton, 136, 137, 139, 140, 142, 143, 146, 175, 177, 183, 186, 187, 189, 204 Thuillier, 98, lOI, 274, 276 Tilly, Il, 34 Tooke, 206 Traimond, 94 Treilhard, Tulard, 233, 281 Turgot, S, 72 Vandal, 44, 45 Vovelle, 7, 80 Wallerstein,5 White, 19
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TABLE DES MATIERES INTRODUCI10N •••••••••••••.••••••.••..•••..•.••..••.•••••.•••.••••••.••.•••.•••.••••.•.•••.••.••••.•...• 5 CHAPITRE 1 De la caisse des comptes courants à la Banque de France •••••••••.••.•.•.17
1. La C!ÜSse des comptes courants •.••.••••••.••••••••••••.••••••••••.•••••••••..••..••.••..••.•.•..•..17 Le fonctionnement de la Caisse des comptes courants ...................................... 19 L'organisation de la Caisse ....................................................................... 19 L'activité de la Caisse .............................................................................. 20 L'émission de billets ............................................................................... 20 L·escompte .............................................................................................22 La crise ........................................................................................................24 La Caisse des comptes courants mise en difficulté .......................................24 Vers un nouveau départ ............................................................................. 29 II. Pourquoi la Banque de France ?....................................................................32 La nécessité d'un grand institut d'émission .................................................... 32 Un nouveau contexte en 1799 ....................................................................... 32 Le rapport de Lecointe-Puyraveau .............................................................38 La Banque de France, aboutissement d'un long processus et non création spontanée ............................ '" ., ......................................................41 Le rôle primordial des hommes d·affaires ..................................................41 Lecouteulx-Canteleu et Perregaux ...........................................................41 Les liens avec Bonaparte ........................................................ ,.............. .43 La reprise d'un projet ancien ......................................................................45 III. La constitution de la Banque de France •.••...•.••..••.•••....•••.•••.•••...•••••••....••..•..47 La Banque de France, un établissement indépendant ..................................... .47 L'aide initiale de I·Etat. ...........................................................................47 La volonté d·indépendance ....................................................................... .49 L'intégration de la Caisse des comptes courants à la Banque de France ........... .51 La volonté de réunion des deux établissements ............................................51 La mise en place de la Banque de France: un non événement... ..................... .54 CHAPITRE 2 Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes ••••.57
1. La Caisse d'escompte du commerce.••••••..••.•••••••••••••..••.•••.........••..•••..•....••••••••57 Les particularités de la Caisse d'escompte du commerce ................................ .58
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Table des matières Une raison d'être à rechercher dans les insuffisances de la Caisse des comptes courants .......................................................................................58 Le fonctionnement de la Caisse d'escompte du commerce ..............................60 Le développement de l'activité de la Caisse .................................................62 La recherche de capitaux ..........................................................................62 La réussite de la Caisse ............................................................................. 65 II. Le Comptoir commercial ....................•...................•....•.......•..•...•.................68 Le besoin d'un nouvel établissement .............................................................. 68 Une extension grâce à la clientèle des petits commerçants et artisans .............. 69 La démocratisation du crédit ........................................................................ 70 III. La Banque territoriale ...............................•.........•........•.........................•• 72 Les principes du crédit territorial.. ............................................................... 73 Le plan de Ferrières .................................................................................. 74 Une convertibilité à deux niveaux ........................................................... 74 La nécessité de ressources en monnaie métallique ..................................... 75 Le caractère monétaire des papiers émis .................................................. 77 La diffusion des idées en faveur du crédit territorial .................................. 79 Le scepticisme initial ............................................................................. 79 Différents plans de banques d'émission .................................................... 81 Plaidoyer pour le crédit territorial.. ....................................................... 83 Les difficultés de la Banque territoriale ....................................................... 87 Traites et bons territoriaux ........................................................................ 88 Les traites territoriales ..........................................................................88 Les bons territoriaux ............................................................................... 89 Une activité mouvementée ........................................................................ 90 CHAPITRE 3 Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France ...93 1. Les banques de sols .......................................................................................93 Une solution à l'excès de petite monnaie ........................................................94 Le développement des banques de sols ...........................................................97 Extension en province et implantation à Paris ............................................ 97 La nature de la Caisse d'escompte du commerce de Troyes ......................... 100 II. La Société générale du commerce de Rouen ................................................. 102 L'influence de Lecouteulx-Canteleu ............................................................. 103 L'intérêt des billets de banque ................................................................. 103 Plaidoyer pour la formation d'une banque à Rouen .................................... 105
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Les débuts de la banque ............................................... ,............................... 106 La mise en place de la banque .................................................................. 107 La coopération avec les instituts parisiens ............................................. 107 La fabrication des billets ...................................................................... 107 L'activité de la banque: priorité à la circulation des billets ..................... 108 L'extension de l'activité de la banque ......................................................... 112 Une diffusion difficile des billets ............................................................ 112 Les incertitudes dans la fixation des taux d'intérêt ................................... 113 Tentatives pour développer l'usage des billets ......................................... 115 III. Les liens entre la Banque de France et les autres établissements parisiens •• 117 La Banque de France: un établissement qui cherche à s'affirmer................... 118 L'émission des billets .............................................................................. 118 L'extension des activités de la Banque ..................................................... 120 La sollicitude des autres établissements ...................................................... 122 La coopération avec la Caisse d'escompte du commerce ............................. 122 L'acceptation réciproque des billets ...................................................... 122 Le refus d'étendre la mesure au Comptoir commercial... .......................... 124 La complémentarité avec la Factorerie du commerce ................................. 124 Le rejet des demandes de la Banque territoriale ........................................ 126 CHAPITRE 4 La remise en question de la liberté d'émission .................•... 129
1. L'hostilité de la Banque de France à la pluralité des émetteurs .........•......... 130
Les arguments à l'encontre de la multiplicité des banques d'émission ............ 130 Les dangers de la rivalité entre banques d'émission .................................. 130 Les dangers de l'émission de petites coupures ............................................ 134 Les avantages d'une banque unique .............................................................. 138 Le regard sur les expériences étrangères .............................................. '" ... 138 Les règles que doit respecter la banque unique ........................................... 141 La contrepartie des billets .................................................................... 141 Le rapport entre billets en circulation et réserve .................................... 142 L'aide non sélective au commerce .......................................................... 143 II. La réaction de la Caisse d'escompte du commerce aux attaques contre la pluralité des émetteurs ..........•..............•................•........................ 145 Critique de la banque unique ....................................................................... 148 La question de la troisième signature ....................................................... 148 Les problèmes posés à la Banque de France et au commerce ........................ 149
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Table des matières Propositions pour l'amélioration du système en vigueur .; ............................. 151 Deux instituts d'émission fondamentalement différents ............................ 152 Une fusion difficile et dommageable au commerce .................................... 154 Une extension souhaitable de l'usage des billets ....................................... 155 La généralisation du modèle de la Caisse comme condition au développement de la Banque de France ....................................................... 157 Les risques à éviter .................................................................................. 158 La leçon du passé .................................................................................. 158 Une banque nationale renouvellerait les erreurs du passé ....................... 158 Les effets de l'extension du système de la Caisse ....................................... 159 Une utilisation généralisée des billets .................................................. 159 L'effet de la circulation des billets de la Caisse sur la Banque ................ 161 III. La réaction du Comptoir commercial ........................................................ 163 La place du Comptoir dans le conflit.. ......................................................... 164 L'agressivité de la Banque de France ....................................................... 164 Les ambitions limitées du Comptoir ......................................................... 165 La nécessité de conserver le Comptoir .......................................................... 167 La satisfaction des besoins du petit commerce ........................................... 168 L'impossible intégration à la Caisse d'escompte du commerce ................... 169 Propositions pour un billet unique ................................................................ 170 Un retournement par rapport aux convictions initiales .............................. 170 Le contenu du plan ................................................................................... 171 CHAPITRES Vers un projet de loi sur l'unité d'émission ........................ 173 1. Les rapports remis à Bonaparte .................................................................. 173 La position de Cretet .................................................................................. 173 Considérations théoriques ....................................................................... 174 Applications pratiques ........................................................................... 175 Le regard de Barbé-Marbois sur le système en place ..................................... 178 Le cadre légal. ........................................................................................ 178 Les dangers de l'émission de billets de banque .......................................... 180 Un problème quantitatif ....................................................................... 180 L'influence sur les prix ....................................................................... 181 L'impact des billets des banques de sols .............................................. 182 Le problème qualitatif ......................................................................... 183 Les recommandations de Barbé-Marbois ...................................................... 185
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Les pratiques bancaires à l'étranger ......................................................... 186 Les mesures à adopter en France ............................................................... 187 Priorité à la Banque de France .............................................................. 187 La disparition des autres banques d'émission ......................................... 190 II. La décision d'organiser l'unité d'émission.................................................. 192 La Banque de France maintient ses prétentions ............................................ 193 Une tentative de conciliation .................................................................. 193 Le rejet de l'idée d'un billet commun......................................................... 195 L'insatisfaction de Bonaparte et Mollien .................................................... 198 Bonaparte contre la concurrence ............................................................... 198 Mollien mécontent de la Banque ............................................................... 200 L'apport de Mollien ................................................................................... 204 L'analyse de la monnaie de papier par Mollien........................................ 204 La nature du billet de banque ................................................................ 204 Une diffusion géographique limitée ...................................................... 207 Les propositions de Mollien ..................................................................... 208 Le projet de loi sur les banques ............................................................... 209 Les règles à respecter par les banques ..................................................... 210 III. Les difficultés relatives à l'élaboration du projet de loi ............................ 211 L'attitude de la Banque de France ............................................................... 211 L'appui à la Caisse d'escompte du commerce ............................................ 211 Le déroulement des événements ............................................................. 211 Les raisons du soutien à la ,Caisse .......................................................... 213 La réponse de la Banque au projet de Mollien ............................................ 2i6 Les propositions de la Banque ............................................................... 217 Les modifications à apporter aux statuts ............................................... 218 Les transformations du projet initial ........................................................... 219 Les premières concessions à la Banque .......................................... ~ ........... 220 La marque de Bonaparte .......................................................................... 221 Les réactions de la Banque au nouveau projet ............................................ 224 CHAPITRE 6 Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise .....•........ 227 1. Les premiers éléments de la crise ..•..•••.........•..........•.....••..•..•...•.............•.... 229 La fuite du numéraire ................................................................................. 229 La menace de suspension des paiements .................................................... 229
Une menace consécutive aux liens privilégiés avec l'Etat .......................... 233
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Table des matières Les contestations suscitées par les conditions d'attribution du privilège........ 238 Le climat de morosité .............................................................................. 238 La contestation du banquier Barillon........................................................ 239 La réaction de la régence ......................................................................... 242 II. L'augmentation de la tension après la présentation officielle du projet •••.•• 244 L'opposition de la régence au projet déposé.................................................. 244 La présentation du projet ......................................................................... Z44 La contestation de la régence ................................................................... 245 Le conflit interne à la Banque ..................................................................... 247 Les dissensions au sein du Conseil général ................................................. 247 L'opposition des actionnaires .................................................................. 252 La remise en question de la nécessité de la loi ........................................ 252 Un objectif manqué ................................................................................ 253 Le prix du privilège.............................................................................. 254 III. La suppression des rivaux de la Banque .................................................... 2SS La stratégie des établissements condamnés .................................................. 255 Les protestations de la Caisse d'escompte du commerce ................................ 256 La résignation du Comptoir commercial ................................................... 258 Le vote de la loi. ........................................................................................ 259 Le rapport favorable de la section des finances ......................................... 259 La discussion au Tribunat......................................................................... 261 La présentation au Corps législatif.......................................................... 264 Les autres établissements au lendemain du 24 germinal ............................... 267 La Caisse d'escompte du commerce ........................................................... 268 Le Comptoir commercial. ......................................................................... 269 La Banque territoriale ............................................................................ 271 La Factorerie du commerce et les banques de sols ....................................... 274 CONCLUSION ............................................................................................ 277 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES .......................................................... 291 INDEX DES PERSONNES CITEES ............................................................... 311 TABLE DES MATIERES ................................................................................ 31S
Acbevé d'imprimer en mars 1996 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery - 58500 Clamecy Dépôt légal: mars 1996 Numéro d'impression: 602085
Imprimé en France
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