Norbert Gaillard
Les agences
de notation
~La
Découverte
9 bIs. rue Abel-Hovelacque 75013 PalIS
Introduction
Depuis la fin des années 1990, les agences de notation sont au cœur de plusieurs controverses . La crise asiatique de 1997-1998, le scandale Enron en 2001 et, plus récemment, la débâcle des subprimes de 2007-2008 ont révélé l'influence de la notation financière sur les marchés de capitaux tout en démontrant ses limites. Une première critique adressée aux agences porte sur l'opacité de leurs méthodes de notation. Quelles sont les principales variables prises en compte pour juger de la solvabilité d'un État, d'une collectivité locale, d'une entreprise ou d'une banque ? Les agences fondent-elles leurs décisions sur un modèle mathématique? Une deuxième critique a trait à la forte concentration du secteur de la notation. Trois entreprises accaparent la quasitotalité du marché. Dans quelle mesure cette structure oligopolistique ne risque-t-elle pas d' affecter la qualité des notes attribuées? Une troisième critique concerne les conflits d 'intérêts apparus au sein des agences et qui posent le problème de leur mode de rémunération. Le fait que leurs revenus proviennent essentiellement des émetteurs de dette qu'elles notent met effectivement en cause leur objectivité. Une quatrième critique renvoie à l'incapacité chronique des agences à anticiper les dégradations bmtales de solvabilité des emprunteurs. À la veille des crises de 2001 et de 2007-2008, plusieurs entreprises qui allaient tomber en cessation de paiement étaient considérées comme tout à fait solvables . Une cinquième critique souligne enfin la tendance des agences à « surréagir » une fois les crises confirmées. Leurs abaissements de nota tion, décidés au milieu de chaque récession économique, contribuent en effet à aggraver les crises. Ils ont été critiqués aussi bien par les investisseurs que par les régulateurs et le milieu académique. Afin de mieux éclairer ces différents débats, cet ouvrage commencera par présenter l'histoire de la notation financière, née il y a plus d'un siècle aux États-Unis, et définira ce qu'est exactement une notation (également appelée « note » ou ra üng) , au-delà de la simple évaluation du risque de crédit d'un empmnteur ou d'une émission spécifique. Seront ensuite abordées l' organisation et les politiques de notation des trois principales agences qui dominent le marché : Moody's Investors Service (Moody's), Standard & Poor's (S&P) et Fitch Ratings (Fitch). Ce livre s'attachera également à dégager les principaux critères de notation pris en compte: ceux-ci varient considérablement selon que les agences notent des entreprises (notation C01pora te), des États (notation souveraine) , des collectivités locales (notation « subsouveraine ») ou d'autres types d'émetteurs et de produits financiers . Il faut cependant bien garder à l'esprit que ces différentes méthodologies sont toutes destinées à mesurer le risque de défaut d'un émetteur (le terme « défaut » étant le plus usité pour désigner à la fois les faillites d'entreprises ou de banques et le non-respect par un emprunteur public
de ses engagements financiers). Dans un dernier temps , les forces et faiblesses de la notation financière seront largement étudiées. Ce sera l'occasion de passer en revue les différentes mesures de la fiabilité des ratings , d'apprécier le pouvoir des agences et de comprendre pourquoi les conflits d'intérêts ont entamé leur réputation.
1 / l'industrie de la notation
La
détermination de la solvabilité d'un emprunteur est une composante essentielle de l'activité de tout prêteur. La classification des débiteurs en fonction de leur capacité à honorer leur dette a ainsi toujours fait l'objet d'une analyse interne et propre à chaque établissement de crédit. En revanche, la publication d'opinions externes, n 'émanant ni des banquiers ni des investisseurs mais destinées à les guider et à les renseigner sur le risque de crédit d'un individu, d'une entreprise ou d'un État, est plus récente et remonte au début du XIX· siècle. Le renseignement financier, ancêtre de la notation À la fin des années 1820, la banque britannique Barings, qui cherche
à avoir des correspondants fiables aux États-Unis, charge Thomas Wren Ward, ancien commerçant bostonien à la retraite, de classer plusieurs milliers de maisons de commerce et d'établissements de crédit américains en fonction de leur solidité financière [Hidy, 1939]* . Les catégories créées par Ward s'apparentent moins à une échelle de risque stricto sensu qu 'à un classement thématique. Ainsi, une première catégorie comprend les sociétés à risque mais dont la pérennité ne semble pas menacée à moyen terme; une deuxième catégorie regroupe les firmes solvables mais dont l'activité principale a un intérêt réduit pour Barings ; une troisième catégorie rassemble les entreprises présentant un risque d'insolvabilité élevé ; une quatrième catégorie comprend les sociétés solvables ayant des liens commerciaux avec des concurrents de Barings ; une cinquième catégorie réunit les firmes inconnues ; une autre, celles qui ont été mises en redressement judiciaire ; une dernière réunit les entreprises qui ont dispam. Bien que ce travail d'investigation mené par Ward entre 1829 et 1853 ait été une forme de « sous-traitance » à l'initiative de Barings, il s'agit d'un premier pas vers le renseignement économique et financier. C'est finalement à une personnalité atypique que l'on doit la création de la première agence de renseignements financiers indépendante de tout établissement de crédit. Eugène-François Vidocq, bagnard devenu agent secret sous les ordres du préfet de police puis chef de la brigade particulière de sûreté à la fin du Premier Empire et sous la Restauration, fonde en 1833 le « Bureau des renseignements universels pour le commerce et l'industrie ». Rebaptisée « L'Intermédiaire, bureau de renseignements dans l'intérêt du commerce », cette agence a pour mission de détecter les entrepreneurs malhonnêtes et les entreprises à la solvabilité douteuse. C'est dans ce même esprit que, quelques années plus tard, Lewis Tappan, marchand de soie new-yorkais, décide de se spécialiser dans l' information commerciale en fondant la Mercantile Agency. Celle-ci vend à ses abonnés des informations sur la qualité de crédit de
nombreuses entreprises amencaines, développant ainsi l' activité de credit reporting. La Mercantile Agency, qui devient la R.G. Dun and Company en 1859, se montre particulièrement active durant la seconde moitié du XIX· siècle puisqu'elle finit par couvrir plus d'un million d'entreprises en 1900 [Sylla, 2002] . L'initiative de Tappan fait rapidement des émules : John Bradstreet, de Cincinnati, crée une société de renseignements économiques et financiers en 1849. Son entreprise fusionne en 1933 avec la R.G. Dun and Company pour donner naissance au leader mondial Dun & Bradstreet (D&B). Jusqu'à la fin du XIX· siècle, les avis et recommandations de la R.G. Dun and Company et de la Mercantile Agency demeurent relativement lUdimentaires et conservateurs. Très souvent, la solvabilité d'un commerçant est jugée à l'aune de sa richesse personnelle, de son patrimoine, voire de sa moralité; la santé financière d'une entreprise est déterminée à partir de son seul chiffre d' affaires. Les analyses portant sur la soutenabilité de la dette, l'avenir du secteur d'activité ou la stratégie de développement de l'entrepreneur sont encore rares [R .G. Dun Historical Collection, 1850 à 1880; Norris, 1978] . Deux principaux facteurs vont assurer la pérennité puis la prospérité de ces agences de credit rep01tùzg. L'essor du capitalisme outre-Atlantique et la multiplication des créations d'entreprises leur assurent un marché de l'information financière en pleine expansion. Ensuite, les poursuites judiciaires intentées à leur encontre pour désinformation et diffamation échouent (affaire Ormsby c. Douglass en 1868), la justice américaine considérant que les informations divulguées par ces agences ne sont nullement contraires à la loi, dès lors qu'elles sont transmises de bonne foi et qu ' elles représentent une communication personnelle constituant un privilège pour l' investisseur [Madison, 1974]. Parallèlement au credit reporting, des firmes se spécialisent dans la compilation de données économiques, financières et statistiques. En 1868, Henry Varnum POOl' profite de l'essor des chemins de fer aux États-Unis pour lancer la publication annuelle de ses Poor's Manuals of the Railroads of the United States, qui feront rapidement figure de référence grâce aux nombreuses statistiques financières fournies. John Moody reprend ce concept et publie à son tour ses propres manuels à partir de 1900. Les acteurs de la notation
Les débuts de la notation C'est en 1909, dans le manuel intitulé Moody 's Analyses of Railroad blvestments, qu 'apparaissent les premiers ratings : ils couvrent les titres de chemins de fer. La naissance de la notation financière constitue une innovation majeure. Elle est le résultat du dynamisme du marché financier américain, qui se caractérise par une forte croissance à la fois des émetteurs de dette et des investisseurs. Elle intervient en outre à un moment particulièrement stratégique et opportun, quelques mois
seulement après la crise de 1907 qui a provoqué de nombreuses faillites d'entreprises. John Moody a eu l'intelligence de comprendre qu'il serait de plus en plus délicat pour les investisseurs de discriminer efficacement les nombreux titres de dette ; il en a tiré les leçons et créé la notation financière. Dès 1910, il commence la notation des titres industriels puis public utilities (c'est-à-dire les obligations des entreprises assurant des services aux collectivités : gaz, eau, électricité, téléphone). Il demeure sans rival jusqu'en 1916, année où Poor's émet à son tour ses premières notes. En 1922 et 1924, les deux agences sont rejointes par deux autres concurrents, eux aussi américains: Standard Statistics et Fitch. Durant l'entre-deux-guerres, aucune autre firme ne réussit à s'imposer dans le secteur de la notation [Harold, 1938]. En revanche, plusieurs entreprises, sans forcément attribuer de notes, viennent concurrencer ces quatre agences de notation grâce à leur travail de compilation de données. Citons par exemple A.M. Best qui lance ses Best's 11lsura1lce Reports en 1900 mais ne note aucun émetteur avant 1928 ou encore les Wi1lkler's Ma1luals of Foreig1l COlporatiol1s, publiés à partir de 1929, et l'agence Duff &: Phelps, créée en 1932 et spécialisée dans la notation des titres public utilities.
Une industrie oligopolistique dominée par trois agences depuis les années 7940 Les principaux événements qui rythment l'industrie de la notation depuis ses origines concernent donc les quatre principales firmes : Moody's, Poor's, Standard Statistics et Fitch. Après avoir baptisé son entreprise Moody's Investors Service (Moody's) en 1914, John Moody l'introduit en Bourse en 1928. Moody's devient ensuite la propriété de D&:B de 1962 à 2000, année où elle redevient indépendante et retourne en Bourse. En 2008, Moody's comptait près de 3 400 salariés (dont un tiers d'analystes) dans 27 pays. Les notations de Moody's couvrent plus de 100 émetteurs souverains (les États), 5 500 entreprises, 29 000 emprunteurs publics (collectivités locales, entreprises publiques) et 96 000 produits stlucturés (www.moodys.com). Poor's et Standard Statistics fusionnent en 1941 pour former Standard &: Poor's (S&:P), détenu par l'éditeur amencain McGraw-Hill depuis 1966. En plus de son activité de notation, S&:P est également fournisseur de bases de données et créateur de l'indice boursier S&:P 500, concurrent du Dow Jones Industrial Average. En 2008, les 8 500 salariés (dont plus de 1 400 analystes) de S&:P étaient répartis dans plus de 20 pays. L'agence notait près de 280 000 entités dans une centaine de pays (AMF [2009] et www.standardandpoors.com). L'histoire de Fitch a été plus mouvementée. Dans les années 1940, l'agence amorce un lent déclin qui perdure jusqu'au début des années 1990. La chute continuelle du nombre d'États et d'entreprises notés, d'une part, et la spécialisation dans la notation des établissements de crédit, d'autre part, finissent par faire de Fitch un acteur mineur de l'industrie du rating. En 1989, l'agence ne compte plus que 47
employés, soit moins de 10 % des effectifs des deux leaders Moody's et S&P (<< Ratings shootout » , Forbes, 17 février 1992). Deux facteurs vont contribuer à la renaissance de Fitch : sa recapitalisation en 1989 par l'investisseur Russell Fraser qui rationalise l'activité et accroît la profitabilité de l'entreprise en développant l'activité des financements structurés [Hou se, 1995] puis, huit ans plus tard, son rachat par Fimalac, holding française présidée par Marc Ladreit de Lacharrière, qui, par une politique de croissance externe, fera rapidement de cette firme la troisième agence mondiale. Fitch fusionne en effet avec l'agence IBCA en 1998 pour devenir Fitch IBCA, rebaptisé Fitch Ratings (Fitch) en 2001. En 2008, Fitch employait 2 361 employés dans le monde (dont 1 322 analystes) et notait, hors États, 154 000 émetteurs ou entités (www.fitchratings.com et AMF [2009]). Au cours des années 1970 et 1980, de nouveaux acteurs ont pu un temps espérer menacer Moody's et S&P (voir Cantor et Packer [1994] et BRI [2000] pour un aperçu des agences de notation créées depuis trente ans). Duff & Phelps se lance ainsi dans la notation souveraine et corporate en 1980 et acquiert une certaine notoriété. Plusieurs autres agences percent en se spécialisant sur certains segments de marché : Thomson Financial BankWatch note les établissements de crédit, A.M. Best les compagnies d ' assurance tandis que la firme Mac Carthy, Crisanti & Maffei se consacre à la notation des titres de dette les plus risqués (<< Rating the debt raters », Institutional Investor, décembre 1988). La plupart de ces petites agences sont cependant rachetées dans les années 1990 et 2000. Il s'agit là d'une stratégie commune à Fitch, Moody's et S&P, qui leur a permis d'asseoir leur domination et de renforcer la stlUcture oligopolistique du secteur de la notation (voir tableau 1) .
Tableau 1. Principales acquisitions des trois grandes agences depuis 2000 (liste non exhaustive) Année de l' acq uisition
Agence acquise (nationalité)
Agence prédatrice
2000 2000 2000 2000 2000 2001 2001 2001 2002 2002 2003 2004 2004 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2006 2006 2006 2007 2007 2007 2007 2007 2007 2008 2008 2008
Duff & Phelps (États-Unis) Thomson Financial BankWatch (Canada) AMR (France) Crowe, Chizek & Company LLP (États-Unis) Canadian Bond Rating Service (Canada) Central European Rating Agency (Pologne) Magister (Argentine) Charter Research (États-Unis) Credit Ratings System (États-Unis) KMV (États-Unis) Atlantic Rating (Brésil) Interfax Rating Agency (Russie) Capital IQ (États-Unis) Aigorithmics (Canada) ValuSpread (Grande-Bretagne) Economy.com (États-Unis) Assirt Research (Australie) CRISIL (Inde) Taiwan Ratlngs (Taiwan) Reoch Credit Ltd (Grande-Bretagne) CRA Ratlng (République tchèque) Wall Street Analytics (États-Unis) GSCS (Du bai) PT Kasnic Credit Rating Indonesia (Indonésie) CA-Ratings (Afrique du Sud) Imake Consulting (États-Unis) ABSXchange (États-Unis) ClariFi (États-Unis) BQuotes (États-Unis) Fermat International (Belgique) Enb Consulting (Grande-Bretagne)
Fitch IBCA Fitch IBCA Fitch IBCA Moody's S&P Fitch Moody's S&P Fitch Moody's Fitch Moody's S&P Fitch Fitch Moody's S&P S&P S&P Fitch Moody's Moody's Fitch Moody's Moody's S&P S&P S&P Moody's Moody's Moody's
Source : d' après Gaillard [2007].
Notons que, en plus de ces fusions et acquisitions, les trois grandes agences ont également multiplié les accords de partenariat et les joint ventures avec plusieurs firmes locales, telles que Korea Investors Service (Corée du Sud) , ICRA Ltd. (Inde) , Dagong Global Credit Rating Co. Ltd . (Chine) , Clasificadora de Riesgo Humphreys Limitada (Chili), China Cheng Xin International Credit Rating Co . Ltd. (Chine), Rating & Investment Information Oapon), Finance and Banking Consultants International (Égypte), Midroog (Israel) . En 2008, S&P, Moody's et Fitch concentraient près de 94 % du chiffre d'affaires mondial de l'industrie de la notation. Les petites agences qui se partagent les 6 % restants (Dominion Bond Rating Service [DBRS] ,
Japan Credit Agency, A.M. Best, entre autres) sont généralement spécialisées sur des niches géographiques et/ou sectorielles.
Le mode de rémunération des agences L'analyse des sources de revenus des agences de notation mérite une attention toute particulière du fait des changements radicaux intervenus depuis un siècle.
Jusqu'aux années 7970, des revenus tirés des investisseurs Durant plus de soixante ans, les profits des agences vont provenir de la vente de leurs publications. En 1918, Moody's proposait un package incluant ses trois manuels (Steam Railroads; Public Utilities and Indus trials; Govemments and MWlicipals) et ses Investment Letters pour un montant de 140 dollars (Moody's Analyses of Investments : Govemment & Municipal Securities, 1918). En 1922, un package similaire coûtait 280 dollars mais il était possible d'acheter séparément chaque manuel pour 20 dollars. Ces prix augmentèrent régulièrement par la suite et, en 1926, les packages de Moody's étaient également facturés en livres sterling pour les investisseurs européens. Dans l'ensemble, les prix des manuels de Moody's étaient comparables à ceux de Fitch qui, en 1930, facturait ses Bond Books et Bond Records à 25 dollars et ses Bond and Stock Manuals à 35 dollars [Fitch, Fitch Bond Book, 1930]. Vers le milieu des années 1930, les quatre agences, Moody's, Poor's, Standard Statistics et Fitch, offraient également divers services aux investisseurs (informations hebdomadaires, voire quotidiennes, sur les résultats financiers des entreprises notées, actualisation des ratÏngs, recommandations et conseils d'achat et de vente). Ces publications et services étaient relativement bon marché, non seulement pour les banques commerciales et les fonds d'investissement qui constituaient l'essentiel de la clientèle des agences [Harold, 1938], mais aussi pour des investisseurs individuels. Par exemple, en 1925, le prix d'un manuel de Moody's ou de Fitch représentait moins de 1 % du montant moyen des obligations souveraines étrangères vendues aux petits porteurs américains, qui était évalué à 3000-4000 dollars par investisseur [Morrow, 1927]. Cela explique en partie la bonne profitabilité de Moody's à la fin des années 1920 : l'exercice 1928-1929 révèle ainsi un résultat opérationnel de 470 000 dollars [Moody's, Amlual Report, 1929]. La crise des années 1930 n'épargne pas les agences de notation. Dans son Rapport annuel de 1931, Moody's indique que l'effondrement des marchés a découragé de nombreux investisseurs d'acheter ses manuels et de recourir à ses services. La firme parviendra néanmoins à rester bénéficiaire durant toutes les années de dépression. Il n'en est pas de même de Poor's qui traverse de graves difficultés financières. Des années 1940 aux années 1970, le chiffre d'affaires des agences
repose essentiellement sur les ventes de manuels consacrés aux entreprises et collectivités locales américaines. En effet, les émissions des États, collectivités locales et entreprises étrangères (c'est-à-dire non américaines) sont fortement réduites, du fait de l'existence de diverses barrières à la mobilité des capitaux (voir chapitres III et IV).
Depuis les années 7970, des revenus tirés des émetteurs de dette Le début des années 1970 constitue un tournant majeur pour les agences de notation qui vont désormais facturer leurs services aux émetteurs de dette obligataire : c'est le principe de l'émetteur-payeur. Deux raisons sont à l'origine de ce changement fondamental. D'une part, les agences ont été victimes d'un phénomène de « passager clandestin » : de plus en plus d'investisseurs ont en effet réussi à se procurer les informations et les ratings contenus dans les manuels sans les avoir préalablement achetés (voir par exemple le rôle joué par la photocopieuse, qui est évoqué par Cantor et Packer [1994] et Partnoy [1999]). D'autre part, suite au défaut de paiement de la compagnie de chemins de fer Penn Central en 1970, un nombre croissant d'émetteurs ont sollicité directement les agences afin d'obtenir un rating ; cette notation visant en fait à rassurer les investisseurs en période de ralentissement de l'activité économique [Cantor et Packer, 1994]. Ce changement du mode de rémunération semble avoir permis aux deux principales agences d'accroître de façon spectaculaire leurs bénéfices. Moody' s aligne ainsi des profits records pour les exercices 1973, 1974 et 1975. Dans le même temps, les bénéfices avant impôts de McGraw-Hill passent de 2,9 millions de dollars en 1974 à 4 millions en 1975 (<< The ra ting game : credit-grading firms wield grea ter power in public debt market », Wall Street Journal, 26 octobre 1976). Cette dynamique se renforce au cours des années suivantes puisque, par exemple, Moody's accroît ses revenus opérationnels de 17 % par an en moyenne, entre 1981 et 2000 [Moody's, All11Ual Report, 2000]. La croissance des profits des trois grandes agences Fitch, Moody's et S&P va encore s'accélérer au début des années 2000 (voir graphique 1).
Graphique 1. Résultats opérationnels des trois agences 1 400
~---------------------------------------------
1 200
+--------------------------------6~~~~--
1 000 +---------------------------~~------~----
800
+-----------------------~~------------~--
400
t-~~~~~~~-------------------------
200
~~-------------------------------------------
MeGr w-Hill (dép rtemen
M
service financiers lô)
- - - Mocxly's
- - ---- Fltch Sources: fimalac.com, moodys.com et investor.mcgraw-hill.com.
Les commissions perçues par les agences: une source de revenus lucrative En 1995, les commissions perçues par les agences pour les émissions de produits structurés avoisinaient les 4 à 5 points de base (un point de base représentant 0,01 % du montant de l'émission), contre 2 à 3 points pour les émissions du secteur corporate [House, 1995]. En 2007, l'écart est encore bien supérieur: 12 points de base contre 4,25 points, si l'on considère les commissions de S&P (Tomlinson et Evans, « CDO boom masks subprime losses, abetted by S&P's, Moody's, Fitch » , dépêche Bloomberg, 31 mai 2007). Cela signifie que pour l'émission d'un produit structuré d'un montant de 100 millions de dollars l'agence reçoit en moyenne 120 000 dollars. Les commissions de S&P pour noter les émetteurs publics sont plus modestes: elles s'échelonnent de 2 500 à 350 000 dollars pour les collectivités locales et de 60 000 à 100 000 dollars pour les États [S&P, 2009a] . Les tarifications de Fitch se situent à des niveaux légèrement inférieurs, tandis que celles de Moody's ne sont pas divulguées. Néanmoins, cette dernière agence indique que ses commissions atteignent des montants très variables selon les émissions, allant de 1 500 dollars à 2,4 millions de dollars (informations figurant à la fin des rapports de Moody' s). Actuellement, près de 90 % des revenus des agences proviennent de ces commissions facturées aux émetteurs. Les revenus restants sont générés par les souscriptions d'abonnement et les formations dispensées à des cadres et analystes.
Cette profitabilité a trois fondements. Tout d'abord, la forte croissance dans les États émergents, puis l'essor des valeurs technologiques de la « nouvelle économie » aux États-Unis dans les années 1990 provoquent un boom du marché obligataire co rp ora te, qui profite in (me aux agences de notation. Ensuite, le plan Brady de 1990, qui sera étudié plus en détail dans le chapitre IV, contribue à l'augmentation du nombre d'États et de collectivités locales notés à partir de 1990-1991. Enfin, la troisième raison est l'accroissement impressionnant du marché des produits StlUC-
turés, beaucoup plus rémunérateur pour les agences et qui représentait près de 50 % de leur chiffre d'affaires à la veille de la crise de 2007-2008. Ce rapide aperçu de l'industrie de la notation permet de tirer une première leçon. Hormis au début des années 1970 où le regain de profitabilité des agences de notation s'explique paradoxalement par une récession économique qui conduit à un changement radical de leur mode de rémunération, la prospérité des agences est depuis toujours dépendante du développement et du dynamisme des marchés actions et obligataires. Les deux grands booms des marchés financiers (la décennie 1920 et les années 1990 à 2007) correspondent en effet à un essor de la notation, alors que les périodes de krach boursier et de récession (années 1930 et années 2007-2008) pénalisent cette activité .
Il / Définition, interprétation, typologie et modalités d'attribution des notations
Qu'est-ce qu'une notation?
La notation, opinion indépendante les notations financières des agences sont des opinions indépendantes. À ce titre, elles sont protégées par le premier amendement de la Constitution américaine, garant de la liberté d'expression. Le juriste américain Eugene Volokh a récemment réaffirmé la validité de cette protection, dès lors que les agences ne sont pas rémunérées en vue d 'émettre des opinions favorables et que leurs communications sont destinées au public et non à une entité particulière [Volokh, 2009]. Par conséquent, les agences ne garantissent pas la fiabilité absolue des notes qu'elles attribuent et ne sont pas responsables des éventuelles pertes essuyées par les investisseurs. Toutefois, le 20 novembre 2009, l'attorney generai de l' État de l' Ohio a décidé de poursuivre les trois grandes agences, considérant que les commissions élevées qu'elles avaient touchées les avaient empêchées d'avoir des jugements neutres, occasionnant d'importantes pertes financières à plusieurs fonds d'investissement (<< Ohio sues rating firms for losses in funds », New York Times [version en ligne], 20 novembre 2009).
La notation mesure d'un risque de défaut La définition d ' un ratÏng a quelque peu fluctué selon les agences et les secteurs avant de se figer durant la décennie 1930. Dans son premier manuel de 1909 consacré aux titres de chemins de fer, John Moody explique que ses notes reflètent à la fois la sécurité (secUl1ty en anglais) et la liquidité (salability en anglais) des titres obligataires [Moody, 1909]. Par conséquent, un titre est d'autant mieux noté qu 'il est facilement ache-table et vendable sur le marché et que le risque de défaillance de paiement de l'entreprise qui l'a émis est faible. Dix ans plus tard, le manuel et les Investment Letters de Moody's analysant les obligations d'État étrangères et américaines livrent une définition différente de la notation. John Moody y présente ses ratings souverains comme une mesure du crédit d'un gouvernement. Allant même plus loin, il insiste sur le caractère relatif de cette mesure en établissant une échelle de crédit des grands États : les États-Unis arrivent en tête avec 100 %, devant le Canada (95 %), la Grande-Bretagne (90 %), la Belgique (85 %), la France (75 %), l'Italie (70 %) , l'Allemagne (65 %) et l'Autriche (60 %). L'agence précise que ces pourcentages indiquent la probabilité de voir l'État en question respecter ses obligations financières à moyen terme (<< The credit of
foreign governments », Moody's Investment Letter, 3 avril 1919). Moody ne mentionne pas en revanche la liquidité des titres de dette comme l'un des éléments clés de la notation des obligations souveraines. Au fil des années de l'entre-deux-guerres, la référence à la liquidité des titres notés va progressivement s'estomper et c'est la notion de solvabilité des émetteurs qui va s'imposer, aussi bien pour les entreprises que pour les souverains et collectivités locales. Assez rapidement, les notes de Moody's, Poor's, Fitch et Standard Statistics vont, explicitement ou implicitement, refléter une probabilité de défaut (Moody 's Malluals , Poor's Volumes , Fitch Bond Books et Standard Bond Books). Bien qu'aucune des quatre agences n'en ait donné une définition précise à l'époque, le défaut se caractérise soit par l'absence ou le retard de paiement des intérêts ou du principal d'une dette, soit par la modification des termes du contrat conduisant le débiteur à réduire la valeur des obligations émises, à en allonger la maturité ou à en réduire le taux d'intérêt. Cette définition, induite de la pratique de notation et de l'échelle des ratings des quatre agences, n 'a pas fondamentalement changé depuis les années 1920.
Risque de liquidité et risque de solvabilité
Le risque de liquidité constitue la difficulté pour un débiteur de lever des fonds à court terme afin d'honorer ses obligations financières. Le risque de solvabilité renvoie directement à l'incapacité de remboursement d'une dette. Le risque de liquidité, qui est susceptible d'apparaTtre lorsque le débiteur peine à se refinancer et à céder rapidement des actifs peu liquides (biens immobiliers, titres de créance ou de propriété trouvant difficilement preneur à court terme), peut rapidement dégénérer en crise de solvabilité si les liquidités disponibles se révèlent insuffisantes pour couvrir le paiement de la dette. La crise financière asiatique de 1997- 1998 a montré dans quelle mesure une crise de liquidité pouvait se transformer en crise de solvabilité. De nombreuses entreprises asiatiques étaient endettées à court terme. Le déclenchement d'une crise monétaire et boursière en juillet 1997 a engendré un resserrement du crédit bancaire qui a limité les opportunités de refinancement. Au cours des mois suivants, l'effondrement du prix de nombreux actifs a empêché les entreprises de se procurer des fonds, ce qui s'est traduit de facto par une crise de liquidité. Les firmes qui disposaient de liquidités insuffisantes pour
couvrir leur dette à court terme sont devenues alors insolvables. Les mesures permettant d'éviter qu'une crise de liquidité ne s'amplifie et ne devienne une crise de solvabilité sont de plusieurs ordres. Le plus souvent, les banques centrales réduisent les taux d'intérêt et injectent des liquidités sur le marché interbancaire afin de ne pas interrompre le financement de l'économie. Ensuite, les États eux-mêmes peuvent apporter leur garantie auprès de certaines banques ou sociétés et prendre des mesures de relance ciblées. Enfin, les autorités de supervision bancaire sont susceptibles de relâcher les exigences de fonds propres imposées aux établissements de crédit, de sorte que ces derniers aient plus de latitude pour prêter.
Toutefois, si l'on s'attache à la notation de ces trente dernières années, force est de constater qu'il existe un certain nombre de nuances lorsqu'il s'agit de déterminer précisément ce que reflète un raUng. Moody's affirme officiellement que ses notes mesurent à la fois: - une probabilité de défaut (c'est-à-dire le risque stricto sensu de voir un émetteur de dette ne pas respecter ses obligations financières) ; - une anticipation de la perte financière subie dans un scénario de défaut (ce qui renvoie à la notion de taux de recouvrement - recovely rate en anglais -, c'est-à-dire le flux financier effectivement reçu par les investisseurs rapporté au montant total que ceux-ci auraient dû toucher si le défaut n'avait pas eu lieu) [Moody's, 2007b, p. 10]. Néanmoins, dans la pratique, les ratÎngs de Moody's reflètent essentiellement une probabilité de défaut, compte tenu de la difficulté de quantifier les pertes ex ante. La définition de S&:P demeure proche de celle de Moody's puisque ses notes représentent une probabilité de défaut avec une possibilité de prendre en compte la « séniorité » relative des titres obligataires et de mesurer la sévérité des pertes en cas de défaut [S&:P, 1979, p. 327-328 ; S&:P, 2007c]. Cette définition est néanmoins en relative contradiction avec l'échelle de notes de S&:P qui a toujours consisté à classer les émetteurs en fonction de leur seule probabilité de défaut. Jusqu'en 2005, les ratings de Fitch reflètent une probabilité de défaut et n'intègrent la question de la perte financière que pour les entités effectivement en défaut de paiement. Seules les notes de celles-ci prennent donc en compte le recover)' rate [Fitch IBCA, 1998a] . À partir de 2005, Fitch supprime les trois notes (DDD, DD et D) servant à mesurer ce potentiel de recouvrement et les remplace par un système à deux notes, similaire à celui de S&:P, qui détermine si le défaut porte sur une partie ou la totalité de la dette. Mais, dans le même temps, l'agence instaure un second type de rating, destiné aux titres jugés moins sûrs, qui mesure le taux de recouvrement ; celui-ci, en retour, est susceptible de modifier à la hausse ou à la baisse la note du titre. Cette spécificité des notes de Fitch sera étudiée plus loin [Fitch, 2005a]. Depuis le milieu des années essentiellement trois types de notes: - la « note d'émetteur d'un émetteur de dette;
»,
2000,
les
agences
attribuent
qui mesure la qualité globale de signature
- la « note d'émission », qui est spécifique à chaque titre de dette émis sur le marché obligataire. Un même émetteur peut ainsi avoir émis plusieurs obligations qui ont des ratings différents. Ces différentiels de notes sont généralement dus aux garanties ou clauses spécifiques que présentent certains titres; - la « note de recouvrement », évoquée précédemment, qui mesure donc le risque de non-recouvrement associé à un titre.
La signification des échelles de notation La bonne compréhension des échelles de notation est indispensable pour appréhender correctement la perception du risque de crédit par les agences. Depuis un siècle, ces échelles associent une ou plusieurs lettres à un certain niveau de risque de défaut des émetteurs ou des titres.
Des années 7970 aux années 7940 : une uniformisation progressive des échelles
Durant les premières années de son activité, Moody's modifie à plusieurs reprises son échelle de notation et adopte même deux échelles distinctes: l'une pour noter les entreprises, l'autre pour les États et collectivités locales. Ainsi, entre 1918 et 1929, l'échelle corporate comprend quatorze puis douze catégories (Aaa, Aa, A, Baa, Ba, B, Caa, Ca, C, Daa, Da, D, E et F ; les catégories E et F étant retirées en 1923), contre neuf seulement pour les entités publiques (de Aaa à C). La différence entre deux notes se mesure en crans (notches en anglais). Par exemple, un cran sépare la note Aaa de la note Aa. À partir des années 1930, Moody's n 'a plus qu'une unique échelle de notation, composée de neuf catégories: Aaa, Aa, A, Baa, Ba, B, Caa, Ca, C. La signification de ces notations est explicitée au début de chaque manuel dans la section intitulée « Key to the ratings ». Les explications fournies pour illustrer le degré de risque inhérent à chaque catégorie de rating sont restées identiques tout au long de l'entre-deux-guerres :
- Aaa : « force intrinsèque du titre », principal et des intérêts » ;
«
assurance de paiement du
- Aa : « investissement fondamentalement sûr », réserves en matière de sécurité et de stabilité» ;
«
sujet à certaines
- A : « titres bien établis mais qui n'ont pas toutes les qualités pour obtenir un ratil1g supérieur » ; Baa : « les obligations de cette catégorie requièrent une discrimination plus minutieuse ». « Elles ne constituent pas un groupe uniforme mais représentent souvent des opportunités pour des personnes qui souhaitent acheter des titres de moindre qualité mais offrant des rendements attractifs. » Ces titres présentent le « risque de devenir largement spéculatifs » ; caractéristiques spécula tives plutôt que d'investissement
-
Ba :
-
B : « risque élevé de défaut» ;
«
» ;
- Caa : les obligations de cette catégorie sont point de l'être» ;
«
en défaut ou sur le
- Ca : il s'agit de titres en défaut, avec « peu ou pas d'espoir de récupérer le capital investi », ainsi que des titres émis dans une monnaie qui s'est fortement dépréciée ;
-
C : obligations
«
pratiquement sans valeur
».
De son côté, Fitch classe les obligations en douze catégories : AAA, AA, A, BBB, BB, B, CCC, CC, C, DDD, DD et D. Il est intéressant de noter que, contrairement à Moody's, la définition que donne Fitch de chaque catégorie de rating renvoie aux caractéristiques propres des titres du secteur c01pomte. L'absence de définition spécifique à l'activité souveraine par exemple tient au fait que Fitch regroupait tous les titres obligataires dans un seul et même volume, composé majoritairement de titres du secteur privé. Ainsi, le manuel de 1924 regroupait les obligations en sept grands secteurs : obligations du secteur des chemins de fer; obligations public utilities ; titres du secteur industriel; titres des fonds d'investissement; obligations du secteur immobilier; titres publics américains ; titres des collectivités locales et États étrangers [Fitch, Fitch Bond Book, 1924]. Les définitions données sont relativement succinctes, indiquant de façon redondante qu'un titre noté AAA est de meilleure qualité qu'un titre AA, lui-même ayant un risque de défaut inférieur à une obligation A, et ainsi de suite. La classification de Fitch explique que les titres notés entre AAA et A sont considérés comme des investissements sûrs ; les titres BBB, BB et B, qui sont dits semi-investment et demeurent soumis à la conjoncture, méritent une attention particulière en ce sens que les titres BBB présentent un niveau de risque plutôt modéré, alors que les titres BB et B ont des caractéristiques spéculatives. Les obligations des catégories CCC, CC et C sont hautement spéculatives, voire en défaut; enfin, les titres DDD, DD à D sont en défaut avec une espérance de retour sur investissement respectivement faible, très faible et quasiment nulle . L'échelle de notation de Standard Statistics comporte quant à elle quatorze notes: A1+, Al , A, B1+, BI, B, C1+, Cl, C, D1+, Dl, D, E et F [Standard Statistics, Standard Bond Book, 1924]. Le groupe A (ratings A1+, Al et A) est composé des titres les plus sûrs. Le groupe B regroupe les obligations baptisées business man's bonds qui requièrent une attention particulière puisque les titres notés B1+ sont jugés « bons » mais de moindre qualité que les obligations notées A ; les titres BI sont considérés comme les titres les plus bas de la catégorie investissement; les titres B représentent le premier segment de la catégorie spéculative. Le groupe C englobe les titres spéculatifs tandis que le groupe D est constitué de titres en défaut qui sont discriminés entre eux en fonction du degré de recouvrement espéré. Enfin, la valeur des titres notés E et F est jugée quasi nulle et nulle. L'échelle de notation de Poor's mérite une attention particulière en raison du changement de l'éventail de notes intervenu à la fin des années 1930. Du début des années 1920 à 1937, l'échelle des notes est la suivante. Au sommet de la hiérarchie figure la note A*****, exclusivement réservée aux obligations d'État américaines au motif que, « du point de vue des investisseurs américains, si le gouvernement des États-Unis d'Amérique n'est pas sûr, alors rien n'est sûr » . Suivent les notes A****, A***, A**, A*, A, B**, B*, B, C**, C* et C. Comme pour Moody's, l'échelle de Poor's est plus large pour le secteur privé: les notes D**, D* et D constituent le bas de l'échelle corporate mais sont
inusitées pour déterminer la solvabilité des émetteurs publics [Poor's, Poor's Analytical Services , 1922 et 1924 ; Poor's Bank, Govemment and Municipal Volume, 1933; Poor's Fiscal Volume, 1937]. La note A**** est réservée aux titres ne présentant aucun risque. Les ratings allant de A*** à A sont attribués aux obligations sûres. La catégorie B** représente le dernier segment de la catégorie investment grade mais présente déjà certains risques. Les titres notés B* sont au sommet de la hiérarchie de la catégorie speculative grade. La note B est donnée aux titres clairement spéculatifs alors que les ratings C** et C* concernent les obligations très spéculatives et en situation de défaut jugé temporaire. Les titres notés C sont considérés comme présentant un risque de défaut durable. En 1938, les notes A***** et A**** sont supprimées; puis, en 1939, c'est au tour de la note A*** d'être éliminée, de sorte qu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale Poor's a une échelle de notation réduite à neuf catégories, comme Moody's (lors de ces deux phases de réduction de l'éventail de notes, les titres ayant les ratings les plus élevés ont été « artificiellement » dégradés en se voyant attribuer la nouvelle note maximale en vigueur - cas des bons d'État américains, britanniques et canadiens en 1938 et 1939). Ce rapide aperçu des échelles et des définitions des ratings des quatre grands acteurs de la notation de l'entre-deux-guerres conduit à trois remarques qui auront leur importance par la suite. D'abord, les éventails de notes tendent à s'harmoniser progressivement, de sorte que les ratings de deux ou plusieurs agences deviennent plus facilement comparables. Ainsi, un Baa de Moody's correspond à un BBB de Fitch, à un B1+ de Standard Statistics, et à un B** de Poor's. Ensuite, ce phénomène se traduit par une relative équivalence des augmentations de note (upgrades) et des abaissements de note (downgrades) d'une agence à l'autre. Suite à la fusion de Standard Statistics et Poor's en 1941, la nouvelle échelle de S&:P se calque sur celle de Fitch, à la différence près que les trois notes DDD, DD et D seront remplacées par les ratings D (<< défaut ») et SD (<< défaut sélectif ») pour signifier que l'émetteur est en défaut sur tout ou partie de sa dette obligataire. En revanche, pour les quatre agences, aucun indice ne permet de comprendre les facteurs, les seuils et les planchers qui font qu'un émetteur ou un titre n 'est pas noté un cran plus haut ou plus bas.
L'après-guerre et l'élargissement des échelles À partir de 1973, S&:P et Fitch vont progressivement affiner leur échelle de rating en subdivisant chaque catégorie de notes de AA à CCC en trois nouveaux ratings. Un « + » (<< - ») est attribué aux titres jugés les plus (moins) solvables au sein de la catégorie, tandis que les titres à la solvabilité « médiane » ne sont pas modifiés [Kliger et Sarig, 2000]. Moody's n 'élargit son échelle de notation qu'en avril 1982 pour le secteur cOlporate et en août 1986 pour les souverains. À l'instar des deux autres agences, Moody's subdivise chaque catégorie de notes de Aa à Caa en trois nouvelles catégories, ajoutant les coefficients l , 2 et 3 afin de distinguer les différents niveaux de solvabilité au sein de chaque catégorie : le coefficient 1 indique que l'obligation se situe dans la
fourchette haute de la catégorie alphabétique ; le coefficient 2 correspond à une notation intermédiaire alors que le coefficient 3 correspond à la fourchette basse. Si l'uniformisation des échelles de notation engagée dans les années 1930 a contribué à rendre les ratings comparables d'une agence à l'autre, l'élargissement plus récent des échelles a permis de distinguer de façon plus stricte les émetteurs et les titres en fonction de leur qualité de crédit. Ce besoin de discrimination avait déjà été partiellement satisfait avec l' émergence des concepts d'investment grade (<< catégorie investissement ») et de speculative grade (<< catégorie spéculative ») . La comparabilité des ratings
La comparabilité des notations d' une même agence revêt un intérêt crucial pour les investisseurs car elle conditionne leurs arbitrages sur les marchés financiers. Depuis la fin des années 1930, les agences échelles de notes d' un secteur à l'autre, de sorte présenter un risque de défaut identique à celui équivalence des notations a été remise en cause à
se sont attachées à uniformiser leurs qu'une entreprise notée BBB est censée d'un État ayant le même rating. Cette l'occasion de la crise des subprimes.
En effet, la propo rtion élevée de défauts de paiement dans le secteur des produits structurés (voir chapitre IV) a révélé la complexité de la notation de ces produits financiers et conduit l'Organisation internationale des commissions de valeurs, organisme créé en 1983 qui regroupe les régulateurs des principales Bourses dans le monde, à se prononcer en faveur d'une différenciation des notations des produits structurés [OICV, 2008]. Depuis lors, les agences travaillent à la mise en place d'échelles spécifiques aux produits structurés. Néanmoins, S&P [2008e] a récemment réaffirmé son attachement à la comparabilité des ratings d'un secteur à l'autre, s'appuyant sur les attentes des investisseurs. Fitch s'est également montrée très sceptique sur la pertinence de cette nouvelle échelle.
La discrimination investment grade/speculative grade
L'apparition de ces deux notions constitue un événement majeur de l'histoire de la notation puisqu'elle établit une frontière rigide entre les titres et émetteurs jugés globalement sûrs et solvables, d'une part, et ceux considérés comme risqués, d'autre part (voir Harold [1938] et Flandreau, Gaillard et Packer [2009] pour des analyses approfondies). Les interprétations des ratings des quatre agences de l'entredeux-guerres ont montré que seules Poor's et Standard Statistics tendaient à établir une frontière explicite entre titres jugés fiables et titres spéculatifs. Ce cloisonnement se faisait entre les titres Blet B pour Standard Statistics et entre les obligations B** et B* pour Poor's. En revanche, cette ligne de séparation demeurait floue pour Moody's et Fitch. Ce sont les deux premIeres réglementations financières intégrant les notations, en septembre 1931 et février 1936, qui vont finalement contribuer à faire émerger une discrimination claire entre notes
investment grade et speculative grade. Ces deux textes, dont les contenus seront étudiés plus en détail dans le chapitre v, établissent une distinction entre titres dits de « haute qualité » et de « bonne qualité » (quatre premières catégories de notes) et les titres « spéculatifs » (notes en deçà de la quatrième catégorie de ratÏngs). Cependant, ces deux réglementations ne se référaient explicitement à aucune agence en particulier. Étant donné que les quatre agences avaient alors des échelles différentes, une incertitude demeurait quant à la frontière précise séparant les titres de qualité des titres spéculatifs. Moody's réagit très rapidement en précisant, dix jours après la première réglementation, que la frontière s' applique au niveau Baa/Ba de son échelle [Moody' s, Moody 's Weekly Bond Letter, 21 septembre 1931]. Les trois autres agences établissent une frontière identique entre titres de rang investissement et titres de rang spéculatif après la deuxième réglementation (BBB/BB pour Fitch, B**/B* pour Poor's et B1+/B1 pour Standard Statistics). En raison des changements d'échelles survenus à la même époque, il faut attendre 1939 pour que les quatre premiers ratings de l'échelle de chaque agence correspondent à des titres Ï11vestment grade et les ratÏngs inférieurs à des obligations speculative grade. Cette ligne de séparation, qui se situe aujourd'hui entre les notes BBBet BB+ pour Fitch et S&P et entre Baa3 et Bal pour Moody's, est plus importante que jamais. Il est en effet essentiel pour de nombreux émetteurs de se maintenir dans cette catégorie investissement. D'abord pour bénéficier de taux bancaires et de marché plus bas, les primes de risque étant en effet d' autant plus élevées que les ratings sont bas [Cantor et Packer, 1996b] et la catégorie Î11vestment grade constituant un seuil psychologique important pour les banquiers et investisseurs. Ensuite pour soutenir les cours des titres obligataires, compte tenu de l' existence de nombreuses réglementations financières, aussi bien aux États-Unis qu'en Europe, interdisant à certains types d'investisseurs d'acquérir des titres spéculatifs (voir chapitre v pour plus de détails). Enfin pour des raisons de prestige : le passage à la catégorie investissement est souvent présenté comme un succès de gestion, comme l' attestent les commentaires élogieux sur la politique économique du président Lula da Silva, consécutifs au rehaussement de la note du Brésil à BBB- par S&P le 30 avril 2008. À l'inverse, la dégradation de note en catégorie speculative grade peut être perçue comme une déchéance . Les abaissements par S&P des ratings de Renault de BBB- à BB le 19 juin 2009 puis de Peugeot de BBB- à BB+ le 6 août 2009 ont été médiatisés et ont encore un peu plus focalisé l'attention des investisseurs sur les difficultés financières des deux constlUcteurs, et même plus largement sur celles du secteur automobile français . Quel avenir pour les
«
anges déchus» ?
La communauté financière a pour habitude de surnommer « anges déchus » les émetteurs qui ont perdu leur notation investment grade. Moody's [2003a] a analysé l'évolution de la
solvabilité des entreprises qui avaient été dégradées en speculative grade entre 1982 et 2003. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes: - Moody's a recensé 1 035 « anges déchus» sur la période étudiée. Leur passage en speculative grade est souvent brutal (dégradation de deux crans en moyenne). Un abaissement de note supplémentaire survient généralement au cours de l'année qui suit. Au-delà, les destins des « anges déchus » divergent: 13 % d'entre eux font défaut contre 27,5 % qui reviennent en investment grade (les émetteurs qui accèdent à cette catégorie sont appelés « étoiles montantes ») ; - les « anges déchus » sont plus susceptibles de tomber en défaut au cours des deux années qui suivent leur dégradation en catégorie spéculative que les autres émetteurs notés identiquement mais n'ayant jamais obtenu de rating dans la catégorie investissement. En revanche, passé ce cap de deux années, ils deviennent moins risqués; - la probabilité des « anges déchus» d'être ultérieurement notés en investment grade est supérieure à celle des entreprises ayant toujours été dans la catégorie speculative grade.
Finalement, l'uniformisation des échelles de notation (communément appelées « échelles globales » et « échelles de long terme )}, par opposition aux autres échelles qui seront évoquées ultérieurement) est manifeste lorsqu'on compare la signification des ratings des trois agences (voir tableaux 2 et 3).
Tableau 2. Interprétation actuelle de l'échelle globale de notation de Fitch et S&P Catégorie
Note de Fitch
Note de S&:P
Signification
Catégorie investissement
MA
MA
La note MA indique que le risque de crédit est le plus faible. Cette note n'est attribuée que dans les cas où l'aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est exceptionnellement forte.
AA+ AA AA-
AA+ AA AA-
La note AA indique que le risque de crédit est très faible. L'aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est très forte.
A+ A A-
A+ A A-
La note A indique que le risque de crédit est faible. L'aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est forte. Toutefois, une évolution défavorable des conditions économiques ou financières est susceptible d'altérer cette aptitude.
BBB+ BBB BBB-
BBB+ BBB BBB-
La note BBB indique que le risque de crédit est actuellement faible. L'aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est suffisante, bien qu'une évolution défavorable des conditions économiques et financières puisse altérer cette aptitude.
BB+ BB BB-
La note BB indique une possibilité d'apparition du risque de crédit, en particulier du fait d'une évolution défavorable des conditions économiques. Cependant, des ressources d'exploitation ou financières sont susceptibles d'être mobilisées pour honorer les engagements contractés.
B+ B B-
B+ B B-
La note B indique qu'il existe un risque de crédit significatif. Le respect des engagements financiers est encore assuré. Toutefois, le maintien de l'aptitude à honorer ces engagements dépend de la persistance de facteurs d'exploitation et de conditions économiques favorables.
CCC+ CCC CCCCC C
CCC+ CCC CCCCC C
Engagements sur lesquels la possibilité d'un défaut de paiement est réelle. L'aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance repose exclusivement sur la persistance de facteurs d'exploitation ou de conditions économiques favorables. L'éventail de notes indique que la défaillance est probable, très probable ou imminente.
RD
SD
Situation de défaut de paiement sur une partie des titres émis.
0
0
Situation de défaut de paiement sur l'ensemble des titres émis.
Catégorie BB+ spéculative BB BB-
Défaut de paiement
Sources: d' après fitchratings.com et standardandpoors.com.
Tableau 3. Interprétation actuelle de l'échelle globale de notation de Moody's Catégorie
Note de Moody's
Signification
Catégorie investissement
Aaa
Les obligations notées Aaa sont considérées comme étant de la meilleure qualité et présentent un risque de crédit minime.
Aal Aa2 Aa3
Les obligations notées Aa sont considérées comme de grande qualité et présentent un très faible risque de crédit.
Al
Les obligations notées A sont considérées comme se situant dans la moyenne supérieure et présentant un faible risque de crédit.
A2
A3
Catégorie spéculative
Baal Baa2 Baa3
Les obligations notées Baa sont soumises à un risque de crédit modéré. Elles sont considérées comme étant de qualité moyenne et sont dès lors susceptibles de présenter des caractéristiques spéculatives.
Bal Ba2 Ba3
Les obligations notées Ba sont jugées comme comportant des caractéristiques dignes de la catégorie spéculative et sont soumises à un risque de crédit important.
Bl B2 B3
Les obligations notées B sont jugées comme présentant un caractère spéculatif et présentent un risque de crédit
Caal Caa2 Caa3
élevé.
Les obligations notées Caa affichent une mauvaise qualité de signature et présentant un risque de crédit très élevé.
Ca
Les obligations notées Ca sont des titres à caractère hautement spéculatif et sont probablement en situation de (ou très proches du) défaut, tout en offrant un certain potentiel de récupération du principal et des intérêts.
C
Les obligations notées C constituent la catégorie la plus basse des obligations notées et sont généralement en situation de défaut. Le potentiel de récupération du principal et des intérêts est limité. Source :
d' après Moody's [2007b).
La question de la notation du défaut souverain
La seule différence remarquable entre les échelles des agences concerne la notation des émetteurs et des titres en défaut. Parmi les entités en défaut, l'analyse des titres et émetteurs souverains mérite une attention particulière pour deux raisons. D'une part, elle permet de constater que, aussi bien durant les années 1920-1930 que depuis les années 1980, les notes ont reflété non seulement une probabilité de défaut mais aussi une espérance de recouvrement. D'autre part, elle fait ressortir certaines contradictions entre la signification officielle des échelles de raung et la pratique de la notation.
Les agences ont souvent été amenées à attribuer deux notes différentes à deux États en défaut. Il peut s'agir de notes appartenant toutes deux à la catégorie « défaut » (<< SD » - selective default - et D - de fault - pour S&P par exemple) ; mais également, ce qui est bien plus singulier, d 'une note normalement attribuée aux entités en défaut dans un cas et d'une note de rang spéculatif dans l'autre cas. L'exemple le plus significatif concerne les titres mexicains et russes au début des années 1920 : alors que ces deux États étaient en défaut, Moody's notait les titres mexicains quatre crans au-dessus des titres lusses (Ba contre C). L'agence justifia un tel différentiel en soulignant que le défaut de la Russie soviétique allait imposer des pertes pour les investisseurs bien supérieures à celles attendues sur les titres mexicains (<< Defaulted foreign government bonds », Moody 's Investment Letter, 28 décembre 1922). À l'époque, d'autres titres souverains en défaut ont été également notés en speculative grade par les trois autres agences. Dans le courant des années 1930, Fitch, Poor's et Standard Statistics notaient par exemple dans la catégorie B les titres dominicains, bien que ceux-ci fussent en défaut. Les décennies 1990 et 2000 offrent d'autres exemples d'États en défaut notés seulement en catégorie spéculative. Il yale cas de l'Indonésie notée B- par Fitch entre mars 1998 et juillet 2002, malgré ses défauts à répétition durant cette période. Cette notation « anormalement » élevée était justifiée par la perspective d ' un taux de recouvrement très important (Fitch, Indonesia Upgraded to B, Outlook Stable, 1er août 2002). De même, entre août 1998 et mai 2000, Fitch a attribué la note CCC à l'État lusse pourtant en défaut de paiement. On peut toutefois souligner que si certaines obligations d'État russes avaient également le rating CCC, les autres titres de dette étaient notés DD (notation signifiant à l'époque un défaut avec un risque de perte moyen) . Le cas de Moody' s est particulier car son échelle de notes ne comprend pas la catégorie « défaut » à proprement parler (voir tableau 3) . Malgré tout, sur les treize situations d'États en banqueroute recensées par l'agence pour la période 1997-2008, Moody' s a rarement dégradé les notes des États en défaut jusqu'à la note Ca [Moody's, 2009c]. Le plus souvent, la note attribuée à la suite du défaut va de B3 à Caa3. En revanche, tous les États notés par S&P qui sont tombés en défaut depuis le milieu des années 1990 ont été automatiquement dégradés à la note SD [S&P, 2007a]. Ces différents exemples tirés de l'entre-deux-guerres et des années 1990-2000 accréditent l'idée que les ratings souverains ont, depuis l'origine, mesuré à la fois une probabilité de défaut et une sévérité des pertes en cas de banqueroute. Seules les notations de S&P demeurent attachées à la stricte mesure de la probabilité de défaut. Citons enfin pour mémoire les rares cas où la note attribuée à une entité en défaut a été supérieure à celle d'une entité respectant ses engagements financiers. Une telle configuration est observable pour les titres mexicains qui, en défaut en 1924-1925, étaient notés par Moody' s un cran au-dessus des titres émis par l'État polonais. La Pologne continuait certes à rembourser sa dette mais était alors confrontée à une grave crise monétaire. Plus récemment, en avril 2005,
la République dominicaine tombe en défaut mais Moody ' s laisse son rating inchangé à B3. Dans le même temps, l'Équateur, qui n 'est pas en défaut, est noté un cran en dessous à Caal. Cette politique de notation révèle que la crédibilité d'un État en défaut mais soucieux de léser le moins possible ses créditeurs est supérieure à celle d'un État encore solvable mais dont la capacité et surtout la volonté d'assurer ses obligations financières sont incertaines. Ce cas de figure permet de comprendre pourquoi les agences ont récemment lancé une échelle de notation spécifique en vue de mesurer les taux de recouvrement.
Les notes de recouvrement lancées par Fitch Depuis 2005 , les ratings en échelle globale de Fitch mesurent strictement une probabilité de défaut. Comme cela a été souligné précédemment, deux ratings sont susceptibles d' être assignés aux émetteurs en défaut : « RD » (relative default) ou « D » (default) , selon que la défaillance de paiement concerne une partie ou la totalité de la dette. Mais, en plus de cette note attribuée aux émetteurs, l'agence a créé un type de note supplémentaire, exclusivement destinée aux titres des institutions financières, entreprises et États notés B+ et en dessous. Ce nouveau rating estime le taux de recouvrement de chaque titre dans l'hypothèse où surviendrait un défaut de l'émetteur [Fitch, 2005a]. Pour ce qui est de la notation souveraine, les notes de recouvrement (recovery ratings) sont fonction des critères suivants : part de la dette en monnaie étrangère dans la dette publique totale, part de la dette obligataire détenue par des institutions financières internationales, soutenabilité de la dette, importance du secteur financier, « volonté de payer » , ouverture internationale, revenu par habitant, pratiques passées en matière de rééchelonnement de la dette [Fitch, 2005b] . Il existe six notes de recouvrement : - RR1 pour les titres dont le taux de recouvrement est jugé supérieur à 90 %; -
RR2 pour ceux dont le taux de recouvrement est estimé à 71 %-90
%;
- RR3 pour les titres dont le taux de recouvrement est estimé à 51 %-70 %; - RR4 regroupe les titres avec un taux de recouvrement compris entre 31 % et 50 % ; -
RR5 pour ceux dont le taux de recouvrement est estimé à Il %-30
%;
- RR6 pour les titres dont le taux de recouvrement est jugé inférieur à 10 %. Ces notes de recouvrement conditionnent la note en échelle globale de chaque obligation. Les titres dont la note de recouvrement est RR1 sont susceptibles d'être notés B, B- et CCC+ ; les obligations dans la
catégorie RR2 ont un rating potentiel de CCC+ ou CCC; aux titres RR3 correspondent les notes CCC et CCC- ; enfin, les obligations des catégories RR4, RR5 et RR6 voient leurs ratillgs s'échelonner entre CCCet C [Fitch, 2005b] . Ce changement dans la méthodologie de Fitch crée, pour les États notés dans la catégorie B et en dessous, une dichotomie entre la note de l'État émetteur, fondée sur la stricte mesure d'une probabilité de défaut, et la note des titres de l'État en question, reflétant partiellement une mesure du taux de recouvrement. Cette évolution méthodologique est d 'autant plus remarquable qu'elle entérine la possibilité de voir le titre d'un État en défaut mieux noté que le titre d'un État qui demeurerait solvable. Pour ce qui est de la notation des entreprises et des institutions financières, les notes de recouvrement sont fortement tributaires du secteur d'activité et de la résilience de chaque entreprise ou banque face à un retournement du cycle des affaires. Le tableau 4 montre par exemple que les secteurs de l'aérospatial et de l'agroalimentaire offrent les meilleures perspectives de recouvrement, avec 75 % des entreprises notées RR1 ou RR2. En revanche, le taux de recouvrement des institutions financières est considéré comme très faible (100 % des entités notées RR6). Tableau 4. Estimation des taux de recouvrement par secteur d'activité
Secteur d'a ctivité Aérospatial et défense Agroalimentaire Assurance Chimie Construction automobile Énergie Immobilier Institutions financières Loisirs Médias Papeterie Santé Services à l'environ· nement Technologies Télécomm un ications Transport aérien
RR1
RR2
50 % 50 %
25 % 25 %
45 %
9%
14%
11%
8% 11% 67 %
46 % 37 %
33 26 11 29
% % % %
17 27 45 50
% % % %
7% 11 % 14 %
RR3
11 %
33 % 13% 10 %
3%
RR4
RR5
RR6
17 % 25 %
8%
100 % 14 %
5%
14 %
31 % 11%
8% 17 %
8% 11% 33 %
33 % 7% 44 % 29 %
4% 11% 14 %
17 % 27 % 16 %
27 % 12 %
Source :
100 33 56 11 14
% % % % %
33 % 7% 13% 50 %
d'après F=itch [2006dj.
Moody's et S&P ont à leur tour adopté ces notes de recouvrement. L'échelle de Moody's est calquée sur celle de Fitch: elle est composée de six catégories avec les mêmes fourchettes de recouvrement [Moody's,
2007c]. S&P s'est également inspiré de la méthodologie de Fitch, à la différence près que son échelle comprend une septième catégorie pour les titres offrant une espérance de recouvrement de 100 % [S&P, 2008b].
Les différents concepts intervenant dans les méthodologies de notation Depuis l'apparition des premiers ratillgs , les systèmes de notation des agences ont considérablement évolué et se sont multipliés. Par exemple, Moody's, qui n'avait qu'un seul système de notation en 1909, en compte désormais plus de quarante [Moody's, 2007b]. Les nombreuses échelles de notes appalUes au cours des deux dernières décennies (applicables très majoritairement aux secteurs corporate et « financement structuré ») et l'usage de divers « signaux » renseignant sur le risque de crédit ont accompagné le développement et la complexification des marchés financiers internationaux. Ils sont destinés à satisfaire les exigences des investisseurs en matière de transparence et de qualité de la mesure du risque de défaut. Cette section va donc s'attacher à passer en revue les principaux concepts utilisés dans la notation.
La perspective de notation La perspective de notation (outlook) indique l' évolution probable du rating à un horizon d'un à deux ans: elle peut être « positive », « négative » ou « stable ». Les premiers outlooks sont apparus en 1936 dans les manuels de Fitch sous la forme de petites flèches ascendantes et descendantes placées devant la note; l'absence de flèche indiquait un outlook stable. Ce concept ne semble pas avoir été repris par les trois autres agences concur-rentes de l'époque. Il faut attendre les années 1980 pour voir S&P renouer avec cet usage des perspectives de notation. Les autres agences feront de même quelques années plus tard . Généralement, chaque ratÎllg est doté d'une perspective de notation. La pratique actuelle des outlooks montre qu'une perspective positive (négative) n'implique pas forcément une augmentation (un abaissement) de note. Bien que cela demeure très rare, un outlook positif (négatif) peut déboucher sur un downgrade (upgrade). Citons le cas du Malawi, dont l'outlook était positif au moment de son dowllgrade par Fitch en décembre 200S (passage de CCC+ à CCC) . Enfin, une note dont la perspective est stable peut être relevée ou abaissée avant que cette perspective ne soit modifiée. Une quatrième catégorie d' outlook est née à la fin des années 1990 : il s'agit de la perspective dite « évolutive », qui est conditionnée à un événement donné. Rarement utilisée, elle signifie que la nota tion peut aussi bien rester inchangée qu'être upgradée ou downgradée à court terme.
La mise sous surveillance
La mise sous surveillance (rating watch selon la terminologie de Fitch, watchlist pour Moody's et creditwatch pour S&P) est un concept datant des années 1990 qui vise à signaler aux investisseurs qu'il existe une forte probabilité de changement de notation à très court terme. Cette mise sous surveillance peut être « positive », « négative » ou « évolutive ». Contrairement aux outlooks, les mises sous surveillance sont des indicateurs temporaires. Une étude de Moody' s portant sur l'ensemble des ratillgs mis sous surveillance au cours de la période octobre 1991-juin 1998 montrait que la durée moyenne d'une watchlist était de 108 jours. Il est également souligné que 76 % des émetteurs mis sous surveillance positive ont effectivement bénéficié d'un rehaussement de note, alors que 66 % des émetteurs placés sous surveillance négative ont fini par être dégradés. Enfin, S9 % des mises sous surveillance évolutives se sont traduites par des confirmations de notes [Moody's, 1998].
Les notes à court terme Inexistantes durant l'entre-deux-guerres, les notations à court terme sont des opinions sur la capacité à honorer un engagement financier à court terme. Elles sont généralement attribuées aux émetteurs et aux instruments de dette à court terme. Fitch dégage sept catégories de ratings : F1+, FI, F2 et F3 pour les notes illvestrnent grade, B et C pour celles en speculative grade, D pour celles en défaut. L' échelle de S&P est plus large que celle de Fitch : la catégorie investissement englobe les notes A-1+, A-l, A-2 et A-3, tandis que les catégories spéculative et « défaut » regroupent les notes B-1 , B-2, B-3, C, SD et D. L'échelle court terme de Moody' s ne comprend que quatre notes: P-1 (Prime-1), P-2 (Prime-2), P-3 (Prime-3) pour la catégorie investmellt grade et NP (Not Prime) pour l'ensemble des titres et émetteurs speculative grade.
Notes en monnaie étrangère et notes en monnaie locale Les agences subdivisent également leurs notations à long terme et court terme en fonction de la monnaie dans laquelle la dette est libellée . D'une part figurent les notes long et court terme en monnaie locale et d'autre part les notes long et court terme en monnaie étrangère. La note en monnaie locale mesure le risque de défaut dans la devise du pays où est domicilié l'émetteur, tandis que la note en monnaie étrangère reflète la probabilité de défaut dans toute autre devise . Ce deuxième type de note prend en compte le risque de transfert et de convertibilité qui se manifeste lorsqu'un État à court de devises étrangères impose des restrictions à leur transfert et limite ou interdit la conversion de la monnaie locale en devises étrangères. Tous les États notés par les agences se voient attribuer une notation en monnaie locale et une autre en monnaie étrangère, ce qui n 'est pas forcément le cas des autres types d'émetteurs.
Les notes sur échelle nationale Créées en 1999 par Moody's puis adoptées par S&P et Fitch durant les années 2000, ces notations sont des appréciations de la qualité de crédit relative des émetteurs et des titres de dette dans un pays donné. Elles constituent une réponse à la demande croissante des investisseurs qui considéraient que l'échelle de notation globale ne permettait plus de différencier de façon pertinente la solvabilité des émetteurs d'un même pays. Pour ces comparables globale de référence au
ratings sur échelle nationale, qui ne sont donc pas d'un pays à l'autre, les trois agences ont repris leur échelle notation en y ajoutant un préfixe ou un suffixe en pays concerné.
Tableau 5. Notes sur échelles globale et nationale attribuées par Moody's à un échantillon d'émetteurs mexicains Émetteur
Notation échelle globale
Notation échelle nationale
Pemex
Baal Baal Baa3 Ba2 Bl B2
Aaa.mx Aal .mx Aa3 .mx A2.mx Baa2.mx Bal.mx
État de Querétaro Municipalité de Leon État de Sinaloa Aguas dei Municipio de Durango Desarrolladora Metropolitana
Source:
d'après moodys.com.
La comparaison des notations sur échelle globale et sur échelle nationale attribuées par Moody's à quelques émetteurs mexicains (voir tableau 5) permet de comprendre les avantages de ce deuxième type de ratings, en particulier : une plus grande facilité pour repérer les émetteurs les plus solvables dans un pays donné (Pemex et toutes les autres entités notées Aaa.mx dans le cas du Mexique) ; - une plus grande granularité de l'échelle de notation (dix crans de différence en échelle nationale entre Pemex et Desarrolladora Metropolitana contre seulement sept crans de différence en échelle globale) qui permet de discriminer entre eux les émetteurs ayant la même note sul' échelle globale. Par exemple, Pemex est mieux noté que l'État de Querétaro sur l'échelle nationale alors que les deux entités ont un rating identique sur l'échelle globale. D'autres types de notations spécifiques aux secteurs COlporate, bancaire et financement stlUcturé sont appalUs depuis les années 1990. Certains d 'entre eux seront abordés dans le chapitre IV.
Le
«
plafond pays
»
Le plafond pays (counoy ceiling en anglais) est un concept relativement complexe pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le « plafond pays » n'est pas so"icto sensu intégré dans les méthodologies de toutes les agences. Ensuite, il a souvent fait l'objet d'une confusion avec la notion de « plafond souverain ». Enfin, il est à l'origine de changements méthodologiques majeurs. Jusqu'au début des années 2000, les trois grandes agences posaient comme principe que la note en monnaie étrangère d'un titre ou d'une entité ne pouvait pas excéder la notation en monnaie étrangère attribuée à l'État dans lequel l'émetteur était domicilié. Ce principe était appelé « plafond souverain ». Il convient de souligner que S&P a adhéré à cette pratique mais a récusé l'expression de « plafond souverain », préférant évoquer « l'impact du risque souverain sur la solvabilité de chaque émetteur [domestique] » [S&P, 2001]. La raison avancée par Fitch, Moody' s et S&P pour justifier cette supériorité du rating souverain tenait au risque de voir un gouvernement instaurer un contrôle des changes qui aurait empêché les émetteurs domestiques d'assurer le service de leur dette en monnaie étrangère [Fitch IBCA, 1998a et 1998b ; Moody's, 2001; Chambers, 1996; S&P, 2001] . Quelques rares émetteurs et émissions pouvaient toutefois déroger à cette règle et percer le « plafond souverain ». S&P a insisté sur la nécessité d'avoir une approche pragmatique fondée sur le « cas par cas » pour déterminer les émetteurs domestiques susceptibles d'être mieux notés que leur souverain. L'agence a estimé que de tels titres ou entités pouvaient être des instlUments de dette de type financement sttucturé, des prêts octroyés par des institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque interaméricaine pour le développement , International Finance Corporation), des firmes multinationales (par exemple Nestlé), des filiales de firmes multinationales dans des États émergents ou en développement, des entreprises domiciliées dans des centres financiers offshore (par exemple les îles Caïmans) [Chambers, 1996]. Pour Fitch, la capacité d ' une entité à percer le « plafond souverain » résidait avant tout dans sa capacité à préserver son accès aux principales devises étrangères. Les mesures allant dans ce sens étaient de plusieurs ordres: dépôt de réserves en devises dans un centre offshore; montage d ' opérations de currellcy swaps; garantie ou assurance contre le risque de convertibilité; opérations de titrisation; obligations garanties par une institution financière internationale [Fitch IBCA, 1998b et 1998c]. Dans un rapport s'attachant spécifiquement aux établissements de crédit, Fitch a dressé le portrait type de la banque qui pouvait être notée au-dessus de son souverain: il s'agissait d'une banque détenue par un établissement étranger noté en illvestment grade, disposant d 'un montant élevé de réserves de liquidité [Fitch, 2001].
Moody's [1999] en revanche a eu une approche plus normative, établissant par exemple que les émetteurs de cinq États seulement (Belgique, Espagne, Italie, Panama et Portugal) étaient susceptibles de constituer des exceptions à la règle du « plafond souverain». C'est à partir de 2001 que la politique de « plafond souverain » s'assouplit, mais selon des modalités différentes pour les trois agences. Dans un rapport de juin 2001, Moody's souligne que trois facteurs conditionnent la capacité d'un emplunteur à percer le « plafond pays » : sa solvabilité, son aptitude à se procurer des devises étrangères et la probabilité qu'il n'y ait pas de moratoire généralisé sur la dette en cas de défaut souverain [Moody's, 2001]. Cette troisième condition repose elle-même sur trois considérations: le degré d'intégration de l'économie nationale à l'économie mondiale; le risque que le gouvernement en question perçoive le moratoire comme moins coûteux économiquement qu'une autre mesure de politique macroéconomique; le risque de voir ce gouvernement « socialiser » la crise. En outre, Moody's introduit une notation « plafond pays » distincte pour tous les États notés et abandonne de facto le concept de « plafond souverain ». Ce changement est majeur car il rompt avec le COlpUS méthodologique jusqu'alors en vigueur qui considérait le percement du « plafond souverain » comme une exception. Le « plafond pays » constitue la note en monnaie étrangère maximale qu' un emprunteur est théoriquement susceptible d'obtenir dans un pays donné. Il reflète le risque de voir un gouvernement compromettre le service de la dette d'un émetteur domestique en décidant un moratoire sur la dette. Ce « plafond pays » sera d'autant plus élevé que le risque de moratoire est faible. Au Il mai 2009, à l'exclusion des États dont la note en monnaie étrangère est Aaa , 91 % des notations « plafond pays » de Moody's étaient supérieures à leur rating souverain respectif (calcul d'après Moody's [2009d]). Les conditions mises en exergue par Moody's pour que la note d'un titre ou d'un émetteur domestique dépasse le « plafond pays » ont peu évolué depuis 2001 [Moody' s, 2006] . Fitch émet ses premières notes « plafond pays » en juin 2004 et abandonne donc à son tour le dogme du « plafond souverain ». Comme Moody's, l'agence estime que le risque de transfert et de convertibilité qui pesait traditionnellement sur les émetteurs est moindre. Fitch [2006c] dégage deux séries de facteurs permettant à un emprunteur domestique d'être noté au-dessus de son « plafond pays » : d'une part, des critères propres à l'émetteur domestique et qui sont identiques à ceux énumérés précédemment ; d'autre part, des critères relevant de l'analyse du risque souverain (gouvernance, appartenance aux grandes institutions économiques internationales, degré d'intégration de l'économie nationale à l'économie mondiale ; degré d'intégration financière ; maîtrise de l'inflation ; crédibilité et stabilité des taux de change). S&P se différencie sensiblement de ses deux concurrents en n'attribuant pas de note « plafond pays ». À la place, l'agence émet des ratings déterminant le risque de transfert et de convertibilité (transfer and
convertibility assessment) pour les États émergents et en développement. S&P reste fidèle à sa méthodologie consistant à analyser pays par pays l'impact du risque souverain sur les émetteurs domestiques, sans pour autant créer une nouvelle catégorie de ratings [S&P, 2005]. Modalités d'attribution et de retrait d'une notation
Les modalités d'attribution des notations ont considérablement évolué depuis un siècle. Jusqu'au début des années 1970, les notes étaient « non sollicitées », c'est-à-dire qu'elles étaient attribuées sans le consentement des émetteurs. Les diagnostics des agences étaient alors fondés sur les informations obtenues de divers organismes (institutions internationales, département au Commerce américain, ambassades américaines ... ). Cette pratique des notes « non sollicitées » (également appelée « notation sauvage ») a été abandonnée il y a quasiment quarante ans pour deux raisons. D'une part, les progrès des techniques de photocopie menaçaient de plus en plus les ventes de manuels, source principale de revenus des agences. D'autre part, la récession américaine de 1970, qui faisait suite à près de neuf années d'expansion économique, a acclU blUtalement le nombre de faillites d'entreprises. Certaines sociétés qui n 'étaient pas notées ont alors rencontré des difficultés pour émettre sur les marchés de capitaux. En conséquence, elles ont directement sollicité les agences afin d'obtenir un rating. Ces dernières leur ont logiquement facturé l'attribution d'une notation. À l'heure actuelle, les agences émettent encore quelques rares notes non sollicitées, essentiellement dans le secteur cO/para te. Depuis les années 1970, les émetteurs de dette rémunèrent donc les agences afin d' obtenir un rating. Cette note leur permet de : accéder plus facilement aux marchés de investisseurs étant renseignés sur leur risque de crédit) ;
capitaux
(les
- réduire leurs coûts de financement (un rating, même bas, reflète une certaine volonté de transparence de l' émetteur et garantit le respect de toute une série de réglementations financières et comptables) - accroître leur notoriété (l'obtention d'une note d'une des trois grandes agences est un élément clé de la politique de communication financière d'un émetteur, qu'il soit public ou privé) ; - se distinguer de leurs concurrents sur le marché [Fight, 2001]. Dès lors que les émetteurs de dette sollicitent les agences, ils sont logiquement amenés à participer activement au processus de notation.
Le processus de notation Dans un premier temps, une entité publique ou privée contacte une agence. Un haut responsable du secteur concerné au sein de l'agence désigne alors un analyste leader. Celui-ci est chargé de réunir
des informations sur l'émetteur en vue de mesurer son risque de crédit. En matière de notation COiporate, il rencontre généralement le management de l'entreprise qu'il note. Pour ce qui est du rating souverain, il se déplace dans le pays en question pour s'entretenir, selon les cas, avec le chef du gouvernement, le ministre de l'Économie, des hauts fonctionnaires, le directeur de la banque centrale et/ou des chefs d'entreprise. L'analyste leader finit par rédiger un mémorandum qui est ensuite présenté et discuté dans le cadre d'un comité de notation, composé de l ' analyste leader et d ' autres analystes du secteur. Au terme de ce débat, il est procédé à un vote qui aboutit à l'attribution d 'une note. En cas d'informations jugées insuffisantes, l'agence peut décider de ne pas noter l'émetteur. L'émetteur, qui est aussitôt informé de la décision du comité de notation, a la possibilité de faire appel en fournissant de nouvelles informations , auquel cas le comité se réunit à nouveau pour délibérer. L'étape finale du processus de notation est l'annonce de la note attribuée par communiqué officiel et voie de presse. Une fois le rating officialisé, l'analyste leader suit l'évolution économique, financière et politique des entités qu 'il supervise. Si des événements susceptibles de modifier substantiellement le risque de crédit d'un émetteur surviennent, l' analyste peut convoquer un comité de nota ti on extraordinaire afin de modifier la note en conséquence. En règle générale, les notations sont révisées une fois par an. Le processus de notation standard dure de qua tre à six semaines en moyenne. Les opinions exprimées au sein du comité de notation doivent demeurer confidentielles (se reporter à Fitch [2006b] , Moody's [200S] et S&P [2008a] pour connaître les spécificités du processus de notation au sein de chaque agence). Théoriquement, les discussions relatives au montant des commissions que l'émetteur s'engage à verser à l'agence sont complètement dissociées et indépendantes du processus de notation. Le retrait d 'une note
Le retrait d'une note peut avoir divers motifs: l' arrivée à échéance d ' un titre obligataire remboursement anticipé) qui rend la note inutile;
(voire
son
- l' insuffisance d 'informations concernant l' émetteur qui dissuade l'agence de poursuivre son analyse. Il peut s'agir d'un manque de coopération de l'émetteur ou d'une situation politique ou économique exceptionnelle qui empêchent l'agence d'appréhender correctement le risque de crédit. Par exemple, de nombreuses notations souveraines ont été retirées dans les mois qui ont précédé et suivi le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (voir chapitre Ill) ; la décision de l'emprunteur d'interrompre ses relations commerciales avec l'agence, sa notation étant jugée trop basse ou inutile - la disparition pure et simple de l'émetteur (le plus souvent suite à une liquidation judiciaire ou à une absorption par une autre entreprise) .
Chez Fitch, ces retraits ont d'abord été symbolisés par un « X » (des années 1920 aux années 1950) puis plus récemment par les lettres « NR ». Chez Poor's et Standard Statistics, les retraits de note étaient également symbolisés par les lettres « NR ». La politique de S&P au cours de ces dernières décennies a été plus simple, consistant au retrait automatique des titres ou émetteurs concernés, sans qu'il y ait eu préalablement de note spécifique. Moody's s'est distingué de ses concurrents au cours de l'ère moderne en instaurant le symbole « WR » (withdrawn rating) .
Il est utile de préciser que certains raangs ont été retirés dans des conditions singulières. En 1983, le retrait par Moody's de la note Aa du Vénézuela qui venait de faire défaut révélait plus un désarroi des analystes qu'un quelconque manque d'information (point de vue de David Levey, managing director de la branche souveraine de Moody's jusqu'en juillet 2004, et « Rating suspended : Republic of Venezuela », Moody 's Bond Survey, 28 mars 1983). Plus récemment, en juin 2002, Moody's décidait de retirer la note en monnaie étrangère de l'Iran, suite à la décision du président des États-Unis de menacer de sanctions écono- miques les entreprises ayant des relations commerciales avec cet État (Moody's, « Moody's withdraws Iran ratings » , 3 juin 2002). Tout dernièrement, le retrait brutal de la note de la Gambie par Fitch a fait l'objet d' un communiqué de presse lapidaire ne permettant pas de connaître les raisons profondes de cet événement (Fitch, « Fitch withdraws the Gambia's ratings », 6 juillet 2007) .
III/la notation des entités publiques
la particularité du risque de crédit des entités publiques tient au fait qu'il incorpore non seulement la capacité mais aussi la volonté de l'émetteur de respecter ses engagements financiers. Cette spécificité, soulignée très tôt par John Moody (<< The credit of foreign governments », Moody's Investment Letter, 3 avril 1919), prend tout son sens au regard de l'histoire des défauts souverains survenus au cours des derniers siècles.
Les États
Très souvent au cours de leur histoire, les États se sont retrouvés insolvables. Ainsi, l'Espagne a fait défaut à trois reprises au cours du siècle d'Or; sept autres défauts allaient suivre durant les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. La France, quant à elle, compte huit défauts au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Enfin, pour le seul XIxe siècle, l'Autriche-Hongrie et la Plusse comptent chacune cinq banqueroutes (lire Winkler [1933] et Wynne [1951] pour un aperçu plus complet). Ces défauts, qui ont concerné de grandes puissances continentales et coloniales, démontrent la complexité du risque souverain.
L'appréciation du risque souverain avant l'apparition de la notation Jusqu'au début du xxe siècle, aucune entreprise ne semble s'être spécialisée dans la compilation de renseignements économiques et financiers sur les pays. Les banques ont en effet longtemps été les détentrices privilégiées des informations et même des critères servant à déterminer la solvabilité d'un État. Ainsi, dans les années 1810, le roi de Prusse, sollicitant Nathan Rothschild en vue d'obtenir un prêt, se vit rétorquer qu'il allait se voir appliquer un taux d'intérêt élevé car son royaume n 'était pas un État de droit [Ferguson, 1998] . Plus de trois quarts de siècle plus tard, en 1898, le Service des études financières du Crédit lyonnais alla jusqu'à classer les États en trois catégories, en fonction d'un indice de risque souverain qui prenait essentiellement en compte le ratio du service de la dette publique sur les revenus [Flandreau, 2003] . Cependant, ce système de raring ludimentaire était à usage interne et ne semble pas avoir été révisé par la suite. La première ébauche d'analyse du risque souverain « extra-bancaire » apparaît en 1900 avec le premier manuel de John Moody qui dresse une liste de titres souverains, fournit certaines statistiques de finances publiques, mais ne comprend encore aucune note. Risque souverain et risque pays
Le « risque souverain» est parfois assimilé au « risque pays ». Il s'agit là d'une confusion car ces deux notions renvoient à deux types de risque distincts (se reporter à Meunier et Sollogoub [2005] et Wang [2005, chapitre 17] pour une analyse plus exhaustive du risque pays). Le risque souverain mesure la probabilité qu'un État cesse de respecter ses engagements financiers vis-à-vis de ses créditeurs (banquiers, institutions internationales, investisseurs publics ou privés) et tombe donc en défaut de paiement sur sa dette bancaire et/ou obligataire. Le risque souverain couvre par conséquent un risque limité et précis. Le risque pays peut se définir comme l'ensemble des risques d'ordre institutionnel, politique, économique, financier, social et environnemental d'un pays susceptibles d'affecter la compétitivité, d'affaiblir les performances financières ou de nuire aux intérêts de l'entreprise qui y est implantée ou qui y investit. Le risque pays se présente donc comme une notion plus large et complexe, indispensable aux entrepreneurs et investisseurs souhaitant internationaliser leurs activités. La Coface est un acteur majeur de la notation risque pays. Ses notes pays @rating mesurent « le niveau moyen de risque d'impayé à court terme présenté par les entreprises d'un pays ». Elles reposent sur: - les perspectives politiques, économiques et financières du pays concerné (analyse macroéconomique) ; - les expériences de paiement des entreprises localisées dans le pays en question (expertise microéconomique) ; l'environnement des affaires (cadre institutionnel, législatif et réglementaire; qualité des informations financières et sincérité des comptes; protection des créanciers et efficacité du recouvrement). L'échelle de notation de la Coface comprend sept notes: Al pour les entreprises présentant le risque moyen d'impayé à court terme le plus faible; puis A2, A3, A4, B, C et D. Les notes pays @rating de la Coface sont corrélées aux ratings souverains attribués par Fitch, Moody's et S&P. Néanmoins, certaines exceptions demeurent. Par exemple, la Bulgarie, notée en investment grade par les trois agences de notation, a une note pays @rating inférieure à celle du Costa Rica, pourtant noté en speculative grade par les trois agences. Ce cas de figure révèle que, malgré un risque de défaut souverain supérieur, le Costa Rica offre un meilleur environnement des affaires aux entrepreneurs et investisseurs.
Naissance et essor de la notation souveraine dans l'entre-deux-guerres Le premier manuel contenant des notations souveraines est publié par Moody's en mars 1918 : il s'agit du Moody's Analyses of Investments : Govemmel1t & Municipal Securities. La préface indique que le travail de compilation a requis près de deux années d'effort. Ce manuel contient des données sur environ 30 000 obligations, dont 8S % émises par l'État américain et ses subdivisions administratives. Les lS % restants sont des titres émis par des souverains et collectivités locales étrangers. En plus des obligations émises par l'État fédéral amencain lui-même, on dénombre 189 titres souverains étrangers notés ; vingt-quatre d'entre
eux sont des titres en dollars ou en livres sterling listés sur le NYSE (New York Stock Exchange). Ils couvrent dix États : l'Argentine, le Canada, Cuba, la République dominicaine, la France, le Japon, la Norvège, le Panama, le Royaume-Uni et la Suisse. Ces premiers ratil1gs souverains sont attribués à un moment particulièrement opportun, marqué par l'explosion du nombre d'obligations d'État émises sur le NYSE. Jusqu'en 1914, les émissions souveraines sur la place de New York sont peu nombreuses et proviennent majoritairement d'États d'Amérique centrale. La Première Guerre mondiale bouleverse la donne et fait des États-Unis le premier créancier mondial: le NYSE finance l'effort de guerre de la France et du Royaume-Uni à partir de 1915 avant de contribuer au boom des titres obligataires souverains étrangers dans les années 1920 [Rippy, 1950]. Dans ce contexte, les notations deviennent des outils précieux pour les investisseurs, d'autant plus que Moody's bénéficie de l'absence de supervision du marché obligataire souverain. Dans une circulaire du 3 mars 1922, le département d'État américain défend en effet une politique de laisser-faire en matière de financement des États étrangers. En outre, aucune association américaine de porteurs d'obligations ne se charge de surveiller la qualité des titres étrangers émis, comme c'est le cas en Grande-Bretagne avec la Corporation of Foreign Bondholders. Par conséquent, les ratings de Moody's, puis ceux de Standard Statistics, Poor's et Fitch à compter de 1922 et 1924, sont les seuls indicateurs extérieurs au marché et aux banques permettant aux investisseurs de discriminer les titres souverains émis sur le NYSE au cours des années 1920. Le nombre de titres souverains notés va régulièrement augmenter pour atteindre un pic en 1929-1930, avec en moyenne, selon les agences, 110 à 120 obligations souveraines en dollars ou livres sterling listées à New York. La vague de défauts souverains à partir de 1931 puis le Johnson Debt Default Act (loi votée par le Congrès américain en avril 1934 qui interdit la vente de titres obligataires émis par des gouvernements en défaut de paiement vis-à-vis d'investisseurs américains) sonnent le glas du marché obligataire souverain aux États-Unis. Par la suite, les rares nouvelles émissions seront concentrées sur trois pays: l'Argentine, le Canada et la Norvège, qui représentent à eux trois 73 % des émissions entre 1935 et 1938. L'accroissement des tensions internationales à partir de 1936 et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale portent le coup de grâce. Fitch retire les ratillgs de l'Allemagne en 1936, de l'Autriche, de la Chine, de l'Italie et de la Tchécoslovaquie en 1938 et enfin du Japon en 1939. Au début de l'année 1940, Moody's cesse de noter les titres émis dans des devises autres que le dollar d'une part, et l'ensemble des titres européens, asiatiques et australiens d'autre part. Standard Statistics et Poor's suivront l'exemple de Moody's avant de fusionner en 1941. Une notation souveraine en léthargie pendant un demi-siècle
La déprime de la notation souveraine qui va durer près de cinq
décennies est étroitement liée à la faiblesse des volumes d'émissions obligataires souveraines sur le NYSE au cours des années 1930 à 1970. Plusieurs raisons expliquent cet assèchement du marché.
La crise souveraine des années 1930 Le krach boursier d'octobre 1929, qui dégénère en crise bancaire et en crise de solvabilité des entreprises américaines et européennes, a également des conséquences considérables sur la situation des finances publiques des États.
À partir de 1931, de nombreux États vont se révéler incapables d'honorer leurs dettes. Les raisons de cette vague de défauts sont de plusieurs ordres [Winkler, 1933 ; Eichengreen et Portes, 1986]. Les racines profondes de cette crise souveraine demeurent l'endettement massif des pays d'Europe centrale et d'Amérique latine au cours des années 1920. Les causes immédiates sont: - la difficulté des États à se refinancer sur les marchés obligataires à partir de 1928, du fait de la plus forte attractivité des marchés actions (les plus-values obtenues des actions d'entreprises américaines étant supérieures aux rendements offerts par les obligations souveraines étrangères); - la chute brutale des cours des matières premières à partir de 1929 qui se traduit par un effondrement des recettes budgétaires, particulièrement en Amérique latine, provoquant un effet de ciseaux (chute des recettes et accroissement des dépenses) ; la fuite des capitaux qui débute en 1930 et ralentit considérablement l'activité économique en Amérique latine et en Europe centrale. Cette fragilité financière ne tarde pas à déboucher sur une vague de défauts de paiement à partir de janvier 1931. La Bolivie est le premier État touché, suivi par le Pérou, le Chili, la République dominicaine, le Brésil, puis, en 1932, par la Grèce, le Salvador, la Yougoslavie, la Bulgarie. En 1933, ce sont le Panama, la Colombie, l'Uruguay, la Roumanie, le Guatémala et Cuba qui sont dans l'incapacité de rembourser leur dette. En 1934, ce sont la Hongrie et l'Allemagne qui sont en cessation de paiement [Gaillard, 2007] . Au total, plus de 40 % des titres souverains émis sur le NYSE entre 1919 et 1929 sont tombés en défaut. Les quatre grandes agences de notation de l'époque (Fitch, Moody's, Poors et Standard Statistics) n'ont pas su prévoir cette crise majeure, comme l'atteste le faible nombre d'abaissements de notes intervenus en 1929 et 1930. Cependant, à leur décharge, il faut noter que les taux de défaut des titres souverains notés dans les catégories AM et AA étaient nuls ou quasi nuls, ce qui reflète malgré tout une certaine capacité à discerner les États ayant la solvabilité la plus solide. En revanche, les autres titres notés investment grade (A et BBB) en 1930 ont majoritairement fait défaut [Flandreau, Gaillard et Packer, 2009].
Le premier facteur tient à la situation économique et financière mondiale en 1945 . La grande majorité des États européens et asiatiques sortent exsangues de la guerre. Plusieurs dizaines de pays n'ont toujours pas repris le paiement de leur dette, de sorte que, au 31 décembre 1946, le montant des arriérés d'intérêts en défaut atteignait 498 millions de dollars pour l'Amérique latine, 527 millions pour
l'Europe et 162 millions pour l'Asie [Foreign Bondholders Protective Council, 1950, p. 362]. Le retour progressif à la croissance et à la solvabilité va se faire selon deux modalités. D'une part, la nouvelle archi- tecture financière internationale née à Bretton Woods aboutit à la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ces deux institutions vont multiplier l'octroi de prêts bancaires aux pays en développement et les dispenser de facto de recourir au marché. D'autre part, l'aide financière spécifique accordée par les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale contribue également à limiter les émissions obligataires : prêts bilatéraux, prêts de l'Export-lmport Bank et surtout aide financière provenant du Foreign Economie Assistance Act du 3 avril 1948 (plan Marshall). Vient ensuite l'instauration, en 1963, aux États-Unis, de l' lET (Illterest Equalization Tax). Destinée à réduire les fuites de capitaux et à enrayer le creuse-ment du déficit de la balance des paiements américaine, cette taxe ponctionne à hauteur de 15 % les intérêts perçus par les investisseurs américains auprès des emprunteurs étrangers ; elle va donc freiner considérablement la renaissance d 'un marché obligataire souverain sur le NYSE. Enfin, le faible nombre d'États en défaut durant les décennies 1960 et 1970 laisse un temps supposer que le risque souverain a quasiment disparu (lire Strange [1967] pour un point de vue lucide prenant le contrepied de cette croyance de l'époque). Cet état d'esprit explique en partie la vague de prêts accordés aux pays en développement entre 1973 et 1982, qui a encore plus limité le financement direct des États sur les marchés de capitaux. Cette succession de facteurs explique la chute continuelle du nombre d'États notés (VOir graphique 2) : sept pour S&P, treize pour Moody's et quatorze pour Fitch en 1955. Entre 1968 et 1974, S&P suspend même son activité souveraine, ne notant plus que le Canada et les États-Unis. Début 1975, Moody's ne note plus que cinq États (Australie , Canada , États-Unis, Nouvelle-Zélande et Panama), contre sept pour S&P (Australie, Autriche, Canada, États-Unis, France, Japon et Norvège). À la même époque, Fitch a renoncé à attribuer des ratings souverains.
Graphique 2. Nombre et proportion d'États ayant une notation en monnaie étrangère attribuée par Moody's 210,-- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - r 70 180
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[email protected] d gauch@) - - Pour entllge de pays noté (échelle de droite) Source : Gaillard [2007].
La renaissance de la notation souveraine à partir des années 7970 La reprise de l'activité souveraine est lente et progressive. Elle se déroule en plusieurs étapes. L'abrogation de l'IET en 1974 constitue un premier élément de relance. Cette mesure se traduit par une résurgence des émissions souveraines sur la place de New York au cours de l' année 1975 : les titres de trois États émetteurs (Australie, Autriche et Norvège) se voient alors assigner une note par Moody's. L'année 1977 voit trois autres États solliciter le marché new-yorkais et obtenir du même coup un rating des deux principales agences: la Finlande, le Vénézuela et la Suède émettent en effet deux séries de titres obligataires chacun pour des montants respectifs de 100, 150 et 200 millions de dollars. Au cours des années suivantes et jusqu' au milieu des années 1980, le nombre d 'États notés va cependant plafonner pour deux raisons. D'une part, les émissions souveraines vont se poursuivre mais elles seront lancées majoritairement par des États déjà notés. D'autre part, la vague de défauts souverains qui déferle à partir de 1982 accroît l'aversion au risque et limite l'accès au marché. La deuxième étape du développement de l'activité souveraine est liée à la décision de Moody's, en 1986, de noter des États qui n'avaient pas émis de titres obligataires en dollars (cas de l'Allemagne, de Hong Kong, des Pays-Bas et de la Suisse). Cette évolution de la pra tique de la notation va contribuer à augmenter le nombre de souverains notés, d'autant plus que de nouveaux États émettent des titres en dollars (Italie en 1986 et Hongrie en 1989). La notation de ces États non émetteurs semble avoir deux fondements : soit elle concerne des États dont la qualité de signature indiscutable se traduit par la note maximale, soit le rating souverain est un préalable à la notation d'un titre garanti par
l'État (cas de Malte noté pour la première fois par S&P à l' occasion de l'émission d 'un emplunt obligataire en dollars par une entreprise garantie par l'État maltais). Le plan Brady constitue le troisième facteur de relance de l'activité souveraine à partir du début des années 1990. Mis en place en 1989 sous l'égide du secrétaire au Trésor américain Nicholas Brady, le premier plan vise à restructurer la dette mexicaine, tombée en défaut en 1982, en émettant deux types d'obligations souveraines: les par bonds, qui maintiennent la valeur faciale mais réduisent le taux d'intérêt, et les discount bonds qui, à l'inverse, diminuent la valeur faciale mais suivent les taux d'intérêt du marché. Les autres plans Brady qui vont suivre au cours des années 1990 contribuent à accroître rapidement la taille du marché obligataire souverain; la plupart de ces Brady bonds obtiennent un rating dans les mois qui suivent leur émission. La quatrième accélération de l'activité souveraine a lieu au début des années 2000 et concerne S&P et Fitch. En 2002, Fitch passe un accord avec le département d'État américain en vue de noter une quinzaine États d'Afrique subsaharienne (le premier souverain noté est le Lésotho en septembre 2002 ; viennent ensuite la Gambie fin 2002, le Malawi, le Mozambique, le Cap-Vert, le Cameroun et le Ghana en 2003, le Mali et le Bénin en 2004, l' Ouganda et la Namibie en 2005 , le Nigéria et le Rwanda en 2006, le Gabon et le Kénya en 2007) . Toujours en 2002, S&P répond positivement à l'initiative lancée par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) qui a également pour objectif de noter plusieurs Éta ts africains : le Ghana, le Cameroun, le Bénin obtiennent leur premier raung en 2003, suivent le Burkina Faso, le Mali, le Mozambique en 2004, le Nigéria, le Kénya et les Seychelles en 2006, puis le Gabon en 2007. Les deux accords passés par Fitch et S&P reposent sur le postulat que l'obtention d 'une note témoigne d 'un effort de transparence des gouvernements et favorisera l'afflux de capitaux. Ces deux initiatives ont permis à près d'une quinzaine d'États du continent africain d'obtenir leur premier raung.
Graphique 3. Répartition des notations souveraines par catégorie en mars 2009 (moyenne des trois agences)
((Cet en
Sources :
calculs de l'auteur d'après fitchratings.com, moodys.com et standardandpoors.com.
Graphique 4. Répartition géographique des notations souveraines en mars 2009 (moyenne des trois agences)
Sources:
calculs de l'auteur d'après fitchratings .com, moodys.com et standardandpoors.com.
Au mois de mars 2009, S&P, Moody's et Fitch notaient respectivement 119, 108 et lOS États. La répartition moyenne des notations par catégorie montre une majorité de pays notés en investment grade (voir graphique 3). Les raongs des trois agences couvrent tous les continents et sous-continents (voir graphique 4).
Force est de constater que le renouveau de la notation souveraine depuis les années 1970 aura avant tout profité aux trois grandes agences Fitch, Moody's et S&P. IECA et Duff & Phelps sont parvenus à noter jusqu'à quarante États dans le courant des années 1990 avant d'être absorbés par Fitch en 1997 et 2000 [Huhne, 1996] . ]apan Credit Rating Agency notait trente-cinq États en août 2009, mais la notoriété et l'influence de cette agence demeurent réduites . Les alternatives aux ratings souverains des trois grandes agences sont donc: -
les indices créés par Institutional Investor (en 1979), Euro-money (la même année) et Economist Intelligence Unit (en 1989) qui mesurent la solvabilité des États en les classant sur une échelle allant de o à 100 ; -
les primes de risque sur les marchés obligataires (voir encadré) .
Les déterminants des notations souveraines Depuis les premières notations, aucune agence n 'a développé de méthodologie quantitative, c'est-à-dire de méthode d ' évaluation du risque souverain qui s' appuierait sur des modèles mathématiques ou économétriques et attribuerait automatiquement une note à un État en fonction de ses performances économiques et/ou de son niveau de dette. Les agences affirment que leurs notations sont le fruit d'analyses qualitatives, prenant en compte divers indicateurs et ratios économiques et financiers , ainsi que les caractéristiques politiques et institutionnelles des États [Fitch, 2008c ; Moody's, 2008c ; S&P, 2006b]. Les méthodologies officielles des trois agences soulignent par exemple l'importance du PIE par habitant. Elles sont aussi très sensibles aux ratios de dette publique sur recettes budgétaires, tout en prenant soin de mesurer la soutenabilité de cette dette. Les pays industrialisés peuvent en effet se permettre des niveaux d'endettement bien supérieurs à ceux des pays émergents et en développement, compte tenu de la plus grande stabilité de leurs recettes fiscales et de leur relative facilité de financement sur les marchés [Reinhart, Rogoff et Savastano, 2003]. Les agences prennent également en considération la stabilité des prix, l'évolution et la soutenabilité des taux de change, ainsi que la capacité des États, en particulier les pays non industrialisés, à emprunter dans leur propre monnaie (voir le concept d'original sin développé par Eichengreen, Hausmann et Panizza [2003]) . Cette crédibilité monétaire passe par exemple par le contrôle de l'inflation [Sgard, 2008]. La qualité des institutions d'un État et son appartenance à des zones de libreéchange ou de coopération économique sont également des critères de notation, comme l'atteste la décision de Moody's en 2002 d ' augmenter de deux à trois crans les notes des pays d'Europe centrale et orientale qui étaient définitivement admis dans l'Union européenne [Gaillard, 2003] . Finalement, une agence comme Moody's liste plus de cinquante ratios ou indicateurs susceptibles d'être pris en compte dans ses analyses du risque souverain [Moody's, 2007b].
Les primes de risque du marché comme une mesure alternative du risque souverain Les primes de risque (ou spreads) représentent les différentiels de taux entre un émetteur quelconque et un émetteur considéré comme sans risque. Les spreads sont généralement exprimés en points de base (100 points de base équivalant à 1 %). Au début des années 1990, la banque américaine J.P. Morgan a lancé un indice obligataire international composé des titres de dette des principaux pays émergents : l'EMBI (Emerging Markets Bond Index). Rebaptisé EMBI+ puis EMBI Global (EMBIG) afin d'intégrer de nouveaux types d'instruments de dette ou de nouveaux émetteurs, cet indice détermine les spreads des États émergents face aux taux des bons du Trésor américain.
Il existe un indice par pays ainsi qu'un indice composite qui est le résultat d'une pondération . En février 2007, le Brésil, le Mexique et la Russie comptaient à eux trois pour près d'un tiers de l'indice composite alors que celui-ci comprenait pourtant plus de trente pays.
Graphique 5. Variations des spreads de l'indice EMBIG composite
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Source :
Datastream.
Les fluctuations de l'EMBIG reflètent l'évolution de l'aversion au risque des investisseurs et acteurs de marché. Le pic de septembre 1998 cOlncide par exemple avec le défaut de la Russie. La remontée des primes de risque en octobre 2008 est consécutive à la faillite de Lehman Brothers et traduit la crainte de voir certains États tomber en défaut. Les spreads se distinguent des notations à plusieurs égards - ils sont le résultat direct des arbitrages des investisseurs, contrairement aux ratings qui sont des analyses externes ;
-
ils incorporent les excès et les pénuries de liquidité sur le marché;
-
ils sont beaucoup plus volatils que les notations (voir plus bas).
Dans un article précurseur, Cantor et Packer [1996b] ont cependant démontré qu'un petit nombre de variables permettent d'expliquer près de 90 % des notations attribuées aux États par Moody's et S&P : -
le PIE par habitant;
-
l'inflation;
-
le ratio dette en monnaie étrangère sur exportations;
- la survenance ou non d 'un défaut souverain au cours des vingt-cinq années précédentes; - l'indicateur de développement économique, discriminant pays industrialisés et pays non industrialisés. Plusieurs études menées au cours des années 2000 ont confirmé les résultats de Cantor et Packer [en particulier Afonso, 2003]. De façon plus surprenante, une analyse similaire pour les années 1920 révèle que les déterminants des notations souveraines de Moody's étaient très proches à l'époque de ce qu'elles sont aujourd'hui [Gaillard, 2007]. Néanmoins, les méthodes de notation souveraine des agences sont loin d'être monolithiques, surtout depuis l'accroissement du nombre de pays en développement notés. La notation spécifique des pays en développement
Jusqu'au début des années 2000, très peu de pays en développement étaient notés. Il a fallu attendre les programmes de notation des pays africains, à l'initiative du département d'État américain et du PNUD, pour voir leur nombre s'accroître. En plus des critères déjà énumérés, les agences prennent en compte certaines variables spécifiques pour déterminer la solvabilité de ces États: par exemple, la stabilité politique et le degré de dépendance à l'égard de certains flux de capitaux. Fitch [2008a] souligne ainsi que la stabilité politique demeure un élément clé de la notation des pays africains. Cette stabilité soutient par exemple les ratings du Cap-Vert et du Ghana. En revanche, les troubles politiques, les menaces de guerre civile ou de rébellion sont autant de facteurs qui pèsent sur les notes du Nigéria et du Kénya. Les fonds que les travailleurs immigrés envoient dans leur pays d'origine (remittances en anglais) constituent une autre variable prise en compte par les analystes, en particulier pour noter les petits États à faibles revenus ou à revenus intermédiaires. Les agences justifient ainsi les abaissements de notes de la Jamaïque puis du Salvador, et la dégradation des perspectives du Guatémala et de la République dominicaine depuis septembre 2008 par la chute de ces transferts de fonds des expatriés habitant aux États-Unis (se reporter à Ratha, De et Mohapatra [2007] et Avendano, Gaillard et Nieto [2009] pour
approfondir les liens entre remittances et notation souveraine).
La stabilité et la fiabilité des notes souveraines malgré plusieurs crises Depuis le début des années 1990, les États ont été confrontés à plusieurs crises de liquidité et de solvabilité: crise « Tequila » au Mexique en 1994-1995, crise asiatique en 1997-1998, défauts de la Russie et de l'Argentine respectivement en 1998 et 2001, craintes infondées de voir le Brésil tomber en cessation de paiement en 2002-2003 , crise islandaise de 2008. De toutes ces tourmentes financières, c'est la crise asiatique qui a été marquée par les abaissements de notes les plus nombreux et les plus massifs. À partir de la fin des années 1980, l'afflux de capitaux vers l'Asie du Sud-Est alimente la croissance du PIE, contribue à l'appréciation des monnaies locales mais fait également apparaître des bulles financières (spéculation immobilière, augmentation des créances douteuses et envolée des cours de Bourse). Au début de l'été 1997, l'éclatement de la bulle financière en Thaïlande déclenche une tempête boursière et monétaire dans toute la région. La fuite des investisseurs provoque une chute du baht thaïlandais , du peso philippin, du ringgit malais, de la roupie indonésienne et du won coréen. Le resserrement du crédit casse la croissance et les réserves de change amassées par les pays asiatiques ne suffisent pas à soutenir l'activité économique. La solvabilité des États de la région est menacée et, à partir d'octobre 1997, les ratings en monnaie étrangère de la Thaïlande, la Malaisie, la Corée du Sud et l'Indonésie sont massivement dégradés. S&P, par exemple, abaissera les notes de ces quatre pays de quatre, cinq, dix et treize crans, respectivement, en l'espace de dix-huit mois. Il faudra l'intervention du Fonds monétaire international en 1998 pour sauver in extremis ces pays de la banqueroute. Seule l'Indonésie tombera en défaut en mars 1999. Depuis lors, tous ces États ont été régulièrement upgradés par les trois agences. Ils ont aujourd'hui, en moyenne, des notations supérieures aux pays émergents qui n ' ont pas été affectés par la crise de 1997-1998. Force est donc de constater que les États qui ont les systèmes financiers les plus déréglementés (Corée du Sud, Malaisie, Thaïlande) sont confrontés aux crises les plus sévères. Malgré tout, ils affichent des taux de croissance moyens et des ratÎngs supérieurs aux États qui ont plus réglementé et ont connu des crises financières de faible ampleur (Inde, Maroc, Tunisie). Ces résultats paradoxaux [Rancière, Tornell et Westermann, 2008] montrent à quel point l' ouverture financière d'un pays est susceptible d'influer favorablement sur sa solvabilité à moyen et long terme. Ce contraste était déjà notable au sortir de la crise asiatique, début 1999, lorsqu' on comparait les ratings de la Corée du Sud et de l'Inde (voir graphique 6). Les abaissements de notes blUtaux survenus pendant la crise asiatique ont nourri une importante littérature sur la procyclicité des notations [Ferri, Liu et Stiglitz, 1999 ; Reisen et von Maltzan, 1999]. Néanmoins, dans l' ensemble, les notations souveraines des trois agences sont plus
stables que celles des secteurs corpomte et financements stlUcturés. Graphique 6. Évolution des notes en monnaie étrangère attribuées par S&P à la Corée du Sud et à l'Inde durant la crise asiatique MAiA
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Corée dUI 5 d Source: S&P.
La stabilité des notes est traditionnellement mesurée par les matrices de transition qui, pour une période donnée et un secteur d'activité spécifique, montrent les changements de notes intervenus en l'espace d'un an, deux ans, etc. Par exemple, le tableau 6 présente, pour la période 1983-2008, l'évolution des notes souveraines de Moody's. Les pourcentages en gras sur la diagonale représentent les notes qui sont restées inchangées au cours d'une année civile durant la période 1983-2008. Les pourcentages à gauche de la diagonale traduisent les augmentations de notes, tandis que les pourcentages à droite de la diagonale traduisent les dégradations de notes survenues au cours d'une année civile durant la période 1983-2008. Par exemple, 92,48 0 /0 en moyenne des États notés dans la catégorie Aa par Moody's au 1er janvier de l'année n ont vu leur ratillg rester inchangé au cours de cette année n. En revanche, 5,61 % en moyenne des notations Aa ont été upgradées en catégorie Aaa au cours de l'année n, et 0,93 % en moyenne des notations Aa ont été dégradées en catégorie A au cours de l'année n. Fait remarquable : les ratillgs speculative grade sont généralement plus instables que les ratil1gs il1vestmel1t grade.
Tableau 6. Matrice de transition à un an des notes souveraines de Moody's (pourcentages moyens pour 1983-2008) Note initiale
Note finale Aaa
Aaa Aa A Baa Ba B Caa-C
Aa
A
Baa
Ba
B
D,OS 2,65 0,03 D,DO D,DO 92,48 0,93 D,DO D,DO D,DO D,DO 4,60 92,57 2,07 0,33 D,DO D,DO D,DO 9,36 85,71 2,57 0,87 D,DO D,DO D,DO 7,35 85,68 5,34 D,DO D,DO D,DO D,DO 5,46 86,60 D,DO D,DO D,DO D,DO D,DO 29,11
97,19 5,61
Caa-C
0
D,DO D,DO D,DO D,DO
D,DO D,DO D,DO D,DO
0,27 3,69 48,36
0,89 2,78 22,54
Source :
Note Retirée 0,08 0,97 0,44 1,49 0,46 1,47
D,DO
Moody's [2009c].
Les notations souveraines se caractérisent également par leur fiabilité: les États ayant fait défaut peu de temps après avoir été notés en investment grade sont très rares. Mentionnons le cas de l'UlUguay qui était encore noté dans la catégorie Baa/BBB par les trois agences moins de deux ans avant de tomber en défaut en mai 2003. Les collectivités locales
Depuis son apparition en 1918, la notation des collectivités locales (également appelée notation « subsouveraine ») est scindée en deux: figurent d'une part les États, comtés et municipalités situés aux États-Unis; d' autre part, toutes les autres entités régionales et locales dans le restant du monde. les écarts de notes d'une agence à l'autre: quelles conclusions en tirer? Un même émetteur de dette peut parfois avoir des notes sensiblement différentes d'une agence à l'autre. Quoique rares, les écarts de notes de trois crans ou plus peuvent révéler des divergences de vues majeures. Par exemple, au 1 er janvier 2008, l' Islande était notée Aaa par Moody's, mais A+ par S&P et Fitch, soit un différentiel de quatre crans (note en monnaie étrangère). À cette époque-là, contrairement à ses deux autres concurrents, Moody's considérait que la faiblesse du système bancaire islandais n'était pas susceptible de menacer la qualité de signature de l'État islandais. Au cours de l'année 2008, Moody's allait revoir son jugement et dégrader la note souveraine de l'Islande de sept crans. Dans le même temps, Fitch et S&P abaissaient la note islandaise de cinq crans. Les notes actuelles des États baltes constituent une deuxième illustration. À partir de la
fin de l'année 2007, le ralentissement économique a précipité l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie dans une crise profonde : taux de croissance du PIB pour 2009 compris entre - 10
% et -
18 %, forte montée du chômage, nombreuses défaillances d'entreprises,
explosion du ratio dette publique/PIB. Les trois agences ont considéré que le risque de défaut était accru, abaissant le rating de la Lettonie de 4-5 crans, et celui de la Lituanie de 2-3 crans. Le cas de l' Estonie est particulier. Au 1er janvier 2007, avant le début de la crise financière, cet État était noté Al par Moody's et A par S&P et Fitch. Entre janvier 2007 et octobre 2009, l' Estonie a été dégradée d'un cran et deux crans respectivement par ces deux dernières agences . En revanche, Moody's a maintenu la note à Al au cours de la même période, de sorte que, au 1er novembre 2009, il Y avait un écart de tro is crans entre la note souveraine estonienne de Moody's (Al) et celle de Fitch (BBB+). Moody's a justifié ce statu quo en invoquant, d' une part, la capacité du gouvernement estonien à réduire les dépenses publiques et à accroître la pression fiscale et, d'autre part, le soutien financier de l'Union européenne qui avoisinera les 5 % du PIB estonien .
Ces exemples mont rent que les notations souveraines de Moody's sont généralement plus stables que celles de Fitch et S&P [Gaillard, 2009a] . Comment expliquer cette spécificité? Tout d'abord, les analystes de Moody's semblent pondérer plus fortement les variables politiques et institutionnelles dans leurs notations. Ensuite , les upgrades et
downgrades de deux, voire trois crans sont plus fréquents chez Moody's, l'ampleur des changements de notes compensant leur moindre fréquence. Enfin, les ratings de Moody's sont plus décorrélés du cycle économique que ceux des autres agences ; en revanche, lorsque les crises s'aggravent, les ajustements de Moody's sont plus brutaux (double
downgrade de 3 crans de l'Islande en octobre et décembre 2008; double downgrade de 2 crans de la Lettonie en janvier et avril 2009) .
Les collectivités locales américaines Ce traitement spécifique par les agences de notation est dû en grande partie à la longue tradition des collectivités locales américaines d'emprunter sur le marché des capitaux. Dès le début des années 1840, une crise de la dette publique locale contraignait plusieurs États fédérés à renoncer à leurs obligations financières. D'autres vagues de défauts surviendront au cours des décennies suivantes, celle des années 1930 étant la plus sérieuse. Au pire moment de la dépression, 3 252 entités locales étaient en défaut, 78 % d'entre elles ayant pourtant été notées Aa ou Aaa en 1929 [Hempet 1964]. Ces mésaventures ne dissuadèrent nullement les collectivités locales américaines de continuer d'empmnter sur les marchés. Actuellement, les États-Unis comptent plus de 22 000 entités locales notées par Moody's . Depuis toujours, les collectivités locales américaines présentent la particularité d'être généralement très bien notées. À la fin 2007, plus de 98 % d'entre elles étaient notées dans la catégorie investissement par S&P [2008dl soit une proportion bien plus importante que pour les souverains (seulement 57 %). La solidité financière des collectivités locales amencaines est d'ailleurs averee puisque, sur la période 1986-2007, aucun émetteur noté AAA ou AA par S&P n 'a fait défaut. En outre, seuls 0,16 % et 0,29 % des émetteurs notés respectivement A et BBB n 'avaient pas honoré leur dette vingt ans après l'obtention de leur mting [S&P, 2008d] . Ces taux de défaut très bas ont d'ailleurs incité
Moody's à rehausser ses notations de collectivités locales amencaines [Moody's, 2008b]. Fitch s'est engagée sur la même voie avant de se raviser suite à la crise bancaire de l'automne 2008 [Fitch, 2008b et 2008d]. En effet, les entités locales outre-Atlantique n'ont pas été épargnées par l'aggravation de la récession. Bien que ce soit la dégradation des finances publiques de la Californie qui ait le plus attiré l'attention des médias, c'est dans les États d'Alabama et de New York que la situation financière des comtés et municipalités s'est le plus dégradée au cours de l'année 2008 : 27 % des abaissements de notes décidés par Moody's sont intervenus dans ces deux États [Moody's, 2009a]. Au premier trimestre 2009, le nombre de downgrades de Moody's a même dépassé le nombre d'upgrades pour la première fois depuis 2003.
Les collectivités locales non américaines Le panorama de la notation « subsouveraine » hors des États-Unis présente des caractéristiques sensiblement différentes. Plusieurs raisons expliquent ce contraste. Tout d'abord, peu de pays sont dotés, comme les États-Unis, d'institutions fédérales qui permettent aux collectivités d'emprunter sur les marchés. Ensuite, parmi celles qui sont constitutionnellement ou légalement autorisées à emplUnter, nombreuses sont celles qui optent pour des prêts bancaires. Ces facteurs expliquent que les émissions obligataires des collectivités locales aient été si peu répandues dans le monde au cours des décennies passées. Les municipalités et colonies britanniques et françaises se sont toutefois régulièrement financées sur les marchés de capitaux de Londres et de Paris au XIX· siècle et durant l'entre-deux-guerres. Le marché de New York a également vu affluer au cours des années 1920 un nombre impressionnant de titres obligataires émis par des collectivités locales européennes et latino-américaines. Au totat durant cette décennie, ce sont plus de cent municipalités, provinces, départements et groupements de communes provenant de vingt-deux pays (Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Chili, Colombie, Danemark, Finlande, France, Hongrie, Italie, Japon, Norvège, Panama, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Suisse, Tchécoslovaquie, UlUguay) qui sollicitent les investisseurs américains. À l'instar de ce qui a été indiqué précédemment pour les obligations souveraines, les titres notés dans les deux premières catégories de ratings connaissent des taux de défaut nuls ou quasi nuls. Ces ratings AAA/ Aaa et AA/ Aa regroupaient alors les titres des collectivités locales des pays d'Europe occidentale essentiellement. En revanche, les taux de défaut des catégories inférieures sont très élevés, du fait de la cessation de paiement de la quasitotalité des municipalités et provinces allemandes (qui comptaient pour 24 % du montant total des émissions de la décennie 1920) et latino-américaines. La grande dépression des années 1930, la Seconde Guerre mondiale et enfin la moindre mobilité des capitaux à partir des années 1950, qui favorise l'intermédiation bancaire, vont assécher les marchés obligataires des collectivités locales et réduire comme peau de chaglin le nombre d'entités locales notées par les agences. À la fin des années 1980, Moody's
et S&P notaient chacune moins de cinquante collectivités locales en dehors des États-Unis. Plusieurs éléments vont contribuer au renouveau de la notation des collectivités locales en dehors des États-Unis à partir des années 1990. Un premier facteur explicatif tient à l'accroissement du nombre d'États notés. En effet, l'existence d'une notation souveraine est généralement une condition préalable à l'attribution de toute note à une entité « subsouveraine » . Le lancement de processus de décentralisation dans de nombreux pays, tant industrialisés qu'émergents, qui se traduit par une plus grande autonomie fiscale des collectivités locales et une capacité accme en matière d'empmnt, est également cmcial (voir Ter-Minassian [1997] pour une analyse des effets de la décentralisation sur les politiques macroéconomiques). Une troisième raison est l'extension des politiques d'emplunt fondées sur les mécanismes de marché qui a incité les collectivités locales, dans le sillage des États, à solliciter les agences afin d'obtenir un rating. L' obtention d'une notation a également été rendue obligatoire par certaines réglementations financières . Tel est par exemple le cas au Mexique, où Moody's a été amené à attribuer un rating en monnaie locale à soixante-sept collectivités locales [Moody's, 2008e]. À la fin 2008, Fitch, Moody's et S&P notaient respectivement 193, 305 et 319 collectivités locales, la grande majorité étant classée dans la catégorie investment grade. En moyenne, 43 % de ces entités étaient en Europe occidentale, 25 % en Amérique (hors États-Unis), 21 % en Europe centrale, 7 % en Asie-Pacifique et 4 % en Afrique et Moyen-Orient.
Les méthodes de notation des collectivités locales non américaines sont paltiellement calquées sur celles de la notation souveraine. Plusieurs ratios mesurant leur développement économique et leur niveau d'endettement sont d'ailleurs les mêmes que ceux utilisés pour mesurer le risque souverain. Les principaux déterminants des notes des collectivités locales sont le PIE par habitant, le ratio de dette sur les recettes opérationnelles, le ratio des intérêts de la dette sur les recettes opérationnelles, ainsi que l'historique des défauts de l'État central [Gaillard, 2009b]. Les analystes des agences sont également sensibles à l'autonomie financière des entités locales vis-à-vis de l'État central ou fédéral et à la qualité du management de la dette (qui implique lissage dans le temps des remboursements, usage à bon escient de swaps de dette, etc.). De manière générale, la solvabilité d'une collectivité locale repose largement sur la santé financière de l'État. Plusieurs municipalités ou provinces ont ainsi vu leur note abaissée ou rehaussée en même temps que la note souveraine . S&P a par exemple dégradé trois fois simultanément les notes de la Russie et de huit régions et municipalités russes en août et septembre 1998 ou encore abaissé les ratings de l'Italie et de quinze collectivités locales italiennes au cours de la même journée du 19 octobre 2006.
Cette dépendance des notes des collectivités locales à l'égard de la notation souveraine explique en bonne partie leur forte stabilité, caractéristique fondamentale des ratings souverains, comme cela a déjà été souligné. En moyenne, 2,05 % des émetteurs « subsouverains » notés AAA par Fitch ont vu leur rating diminuer sur une période d'un an entre 1995 et 2008. En deçà de la catégorie A, l'instabilité des notations est plus marquée et s'accroît au fur et à mesure que la qualité de crédit diminue (voir tableau 7). Tableau 7. Matrice de transition à un an des notes des collectivités locales non américaines de Fitch (pourcentages moyens pour 1995-2008) Note initiale
MA M A
BBB BB B
ccc-c
Note finale
AM
AA
A
BBB
BB
B
ccc-c
D
97,95 1,63 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
2,05 97,01 1,63 0,00 0,00 0,00 0,00
0,00 1,36 97,56 10,91 0,00 0,00 0,00
0,00 0,00 0,81 83,64 4,55 0,00 0,00
0,00 0,00 0,00 5,45 83,33 21,28 0,00
0,00 0,00 0,00 0,00 3,03 65,96 11,11
0,00 0,00 0,00 0,00 9,09 8,51 69,44
0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 4,26 19,44
Lecture les pourcentages en gras sur la diagonale représentent les notes qui sont restées inchangées au cours d'une année civile durant la période 1995-2008. Les pourcentages à gauche de la diagonale traduisent les augmentations de notes, tandis que les pourcentages à droite de la diagonale traduisent les dégradations de notes survenues au cours d'une année civile durant la période 1995-2008. Par exemple, entre 1995 et 2008, 97,01 % en moyenne des collectivités locales notées dans la catégorie M par Fitch au 1'" Janvier de l'année n ont vu leur rating rester inchangé au cours de cette année n. En revanche, 1,63 % en moyenne des notations M ont été upgradées en catégorie AM au cours de l'année n, et 1,36 % en moyenne des notations M ont été dégradées en catégorie A au cours de l'année n. Source : Fitch [200ge].
Les rares collectivités locales qui sont tombées en défaut sur leur dette obligataire depuis les années 1990 étaient notées en speculative grade. Elles ont cessé de respecter leurs engagements financiers dans la foulée de l'État central ou fédéral (cas de plusieurs régions russes en septembre et octobre 1998 et de provinces et municipalités argentines entre décembre 2001 et avril 2002) [Moody's, 2008a].
IV / la notation des entités privées
les trois principaux types d 'émetteurs et d'émissions privés notés par les agences de notation sont les entreprises, les établissements de crédit et les produits stlUcturés. Les entreprises L'histoire de la notation c01porate peut être divisée en trois grandes périodes, caractérisées par trois niveaux distincts de risque de crédit.
1909-1940 : trente années de notation corporate américaine ponctuées par une crise majeure La notation des entreprises constitue depuis les origines le cœur de l'activité des agences. Les premiers ratings ont été attribués aux titres du secteur des transports (voir encadré) . Par la suite, Moody's puis ses trois concurrents, Fitch, Poor's et Standard Statistics, vont étendre leurs notations aux obligations des secteurs industriel et public utilities. Le nombre total de titres obligataires corporate américains notés a fluctué entre 6 000 et 7 000 au cours des années 1910 et 1920. Ils représentaient 7,9 milliards de dollars en 1910 avant de grimper à 26,5 milliards de dollars en 1929 [Hickman, 1960]. La dépression des années 1930 va accroître de façon inédite le nombre de défaillances d'entreprises. La proportion de titres public utilities en défaut fait plus que doubler entre 1930 et 1933, passant de 3 % à plus de 7 %. L'explosion des défauts dans le secteur industriel est encore plus brutale : le pourcentage de défaillances, stable autour de 2 % en 1929-1930, grimpe à près de 24 % en 1935, avant de retomber à 6-7 % à la fin des années 1930. Mais c' est le secteur des transports (en particulier les chemins de fer) qui souffre le plus de la dépression avec un taux de défaut supérieur à 20 % de 1936 jusqu'au début des années 1940 (lire Wigmore [1985, p. 394-395] pour mesurer l'ampleur de la crise).
1909 : les premières notations de l'histoire
Les premiers ratings de l'histoire sont publiés en 1909 dans le manuel de John Moody, Moody's Analyses of Railroad Investments. À cette époque-là, près de 60 % de la dette obligataire corporate échangée sur les marchés américains provient des entreprises de chemins de fer [Hickman, 1953, p. 46], il est donc assez peu surprenant que John Moody consacre ses premières notations aux firmes de ce secteur. Le manuel de 1909 est scindé en deux.
Dans une première section sont données les définitions et significations des ratings attribués, ainsi que trois séries de variables clés permettant de juger la qualité des titres obligataires offerts sur le marché : les données commerciales (nombre de passagers et volume du fret en valeur absolue et par mile exploité) ; les variables financières (chiffres d'affaires, résultats d'exploitation, dépenses d'entretien des voies); la structure du bilan et le niveau d'endettement (qualité des actifs, capitalisation boursière, montant de la dette, caractéristiques de la dette obligataire). Dans une seconde section, Moody fournit les données statistiques sur cent cinq sociétés de chemin de fer américaines, avec une note attribuée à chaque titre obligataire émis [Moody, 1909].
Les quatre grandes agences ont eu des difficultés à anticiper cette dépression. À la veille du krach de 1929, la grande majorité des titres c01porate étaient en moyenne notés dans l'une des quatre premières catégories de rating (c' est-à-dire celles qui allaient appartenir à la catégorie investissement à partir de 1931). Plus de deux mois après le krach d'octobre 1929, Standard Statistics considérait la sortie de récession toute proche (<< The business prospect: the outlook for leading Hnes in the first half of 1930 », 3 janvier 1930). La prise de conscience tardive de la gravité de la crise explique que 23 % et 36 % des titres tombés en défaut entre 1930 et 1939 aient été notés dans la catégorie investissement respectivement un an et deux ans avant la cessation de paiement. Les agences ont donc dû procéder à des abaissements de notes massifs à partir de 1932. Au milieu des années 1930, la majorité des titres du secteur corporate étaient notés en catégorie spéculative [Hickman, 1960]. Pourcentage de titres corporate notés en investment grade et speculative grade par secteur, en 1928 et en 1940
Tableau 8.
1928 Secteur
Transports
Public utilities Industrie
1940
ln vestment grade
Speculative grade
Investment grade
Speculative grade
85,9 76 55,7
14,1 24 44,3
36,2 45,8 29,7
63,8 54,2 70,3
Source :
calculs de l'auteur d'après Hickman [1960].
Suite au krach de 1929 et à la récession économique, les émissions obligataires corporate s'effondrent au cours des années 1930. Cette contraction s'accompagne d'une réduction de la proportion d'émissions notées en investment grade, qui deviennent même minoritaires en 1933-1935 (voir graphique 7). Seules les émissions du secteur public utilities, profitant du New Deal de Roosevelt, connaissent un rebond spectaculaire à partir de 1935. Au cours de la seconde moitié de la décennie 1930, elles représentent plus de 50 % du montant total des obligations colporate émises sur le NYSE.
1941-1969 : trois décennies marquées par des taux de défaut
corporate particulièrement bas L'assèchement du marché obligataire corporate va encore se poursuivre après l'entrée en guerre des États-Unis: entre 1941 et 1943, le montant total des émissions chute de 60 %. Dans le même temps, l'encours de dette obligataire non noté par les agences s'accroît de 72 %. En 1944, le montant total des titres notés tombe à son niveau de 1924 [Hickman, 1960]. Mais le phénomène majeur des années 1940 est la chute du taux de défaut, qui passe à 0,4 % en moyenne, contre 3,2 % pour la décennie 1930. Cette tendance s'accentue encore les années suivantes puisque seuls 0,04 % et 0,03 % des titres cOIporate américains font défaut au cours des périodes 1950-1959 et 1960-1965 [Atkinson, 1967). Les rares banqueroutes concernent le secteur de l'électricité et les entreprises de chemins de fer qui poursuivent leur lent déclin. Graphique 7. Nombre d'émissions corporate annuelles sur le NYSE pour la période 1920-1940 000 900
..., 1:
0
';:.i ...:1
'Ë ' QI
BOO
700 r---600 1--
~
500
CIl
400 300 200 100
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J 1
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Il. r--
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Catégorie investissement
~ • •I
~
•
ni
. III1. __
Catégorie spécu lat ive Source : Hickman [1960].
Dans un tel contexte, les performances des agences sont peu significatives. Signalons toutefois que, entre 1940 et 1969, aucune entreprise notée en investment grade par Moody's ne fait défaut.
Depuis 1970 : le retour du risque de crédit et l'explosion du nombre d'émetteurs notés À partir de 1970, plusieurs facteurs vont contribuer à l'accroissement à la fois du nombre d'émetteurs corporate notés par les agences et des taux de défaut.
Tout d'abord, la succession de récessions severes (1969-1970 puis 1973-1975) et des taux de croissance du PIE bien inférieurs à ce qu'ils étaient dans les années 1960 augmentent les taux de défaut au cours des années 1970. En 1970, 1973 et 1977, plusieurs entreprises tombent même en cessation de paiement alors qu'elles étaient notées en investment grade par Moody's le 1er janvier de l'année de leur défaut [Moody's, 1995]. Ce retour du risque de crédit sur les marchés oblige de plus en plus d'entreprises américaines à solliciter les agences en vue d' obtenir un raong. Ensuite, les effets conjugués de la hausse des taux d'inflation et des performances décevantes du marché des actions incitent de plus en plus d'investisseurs à chercher des produits financiers plus attractifs. La banque Drexel Burnham Lambert saisit cette opportunité en 1977 pour se spécialiser dans l' origination d'obligations offrant des rendements élevés et présentant l'avantage d'être plus liquides . Ces titres de dette ont la particularité d'être notés en speculative grade dès leur émission, ce qui était très rare dans les années d'après guerre. Afin de convaincre les investisseurs d'acquérir ces « obligations à haut rendement » (appelées aussi « obligations pourries »), Michael Milken, figure emblématique de la banque, s'appuie sur les travaux de Braddock Hickman (Cités précédemment) pour démontrer que, historiquement, les rendements élevés des titres spéculatifs couvrent en moyenne largement le risque supérieur encouru (résultats ultérieurement confirmés par Altman [1989]) . Le succès de ces « obligations à haut rendement » est immédiat : le montant de leurs émissions passe de 1,1 milliard de dollars en 1977 à 24,2 milliards de dollars en 1989 [Blume, Keim et PateC 1991]. Cette nouvelle ère profite bien sûr aux agences de notation: Moody's voit par exemple le nombre de ses émetteurs c01porate notés dans la catégorie spéculative augmenter de plus de 230 % durant la décennie 1980, alors que leur nombre avait stagné depuis les années 1950. Enfin, la libéralisation progressive des mouvements de capitaux au fil des années 1980 contribue également à augmenter le nombre de notes attribuées à des entreprises non américaines. Par exemple, seules 32 sociétés européennes étaient notées par Moody's en 1985; elles sont 183 en 1990, 890 en 2000 et 1 155 en 2005 . La proportion des émetteurs européens speculative grade s'élève dans le même temps (2 % en 1990 et 17 % en 2005). Plusieurs facteurs expliquent le boom de la notation c01porate durant la décennie 1990. La récession américaine de 1990-1991, qui se traduit par les plus forts taux de défaut de la catégorie spéculative depuis les années 1930, épargne les émetteurs notés en investment grade (à l'exception de Columbia Gas System, noté Baal par Moody's au moment de son défaut en juin 1991). Cette relative fiabilité des notations renforce la crédibilité des agences auprès des investisseurs. Les acteurs de marché se fient d'autant plus aux rati11gs que ceux-ci sont désormais intégrés dans de nombreuses réglementations financières aux États-Unis et en Europe : elles contraignent en effet les entreprises à obtenir une notation, ce qui assure une rente aux agences (cet aspect sera abordé dans le dernier chapitre). La forte croissance en Asie du
Sud-Est jusqu'en 1997 conduit également les entreprises locales, encore peu connues, à solliciter un ratillg. Il en va de même des jeunes entreprises du secteur high-tech aux États-Unis, qui bénéficient de l'essor d'Internet et de l'ouverture à la concurrence du marché des services de télécommunications. C'est d'ailleurs l'éclatement de la bulle technologique en mars 2000 qui va précipiter les États-Unis dans la récession en 2001 et accroître de façon spectaculaire les taux de défaut. Fin 2001, c'est d'abord Enron qui tombe en cessation de paiement sur 10,8 milliards de dette. L'année suivante, ce sont Global Crossing et WorldCom qui font faillite. Ce deuxième défaut porte sur 30 milliards de dollars [S&P, 2009c]. Les agences sont très rapidement mises sur la sellette. En effet, Enron était noté BBB- par S&P et Baa3 par Moody's quatre jours avant de se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites . Global Crossing et WorldCom étaient aussi notés dans la catégorie investissement quatre mois avant leur défaillance [David L. Babson & Company Inc., 2003]. En décembre 2003, c'est Parmalat qui tombe en défaut alors que l'entreprise était notée BBB- par S&P quelques jours auparavant. Cette incapacité des agences à appréhender le risque de crédit de certains grands émetteurs incitera la SEC (Securities and Exchange Commission) et le Congrès amencain à modifier les réglementations et législations encadrant l'industrie de la notation (voir cha pitre v). La crise des sllbprimes augmentera d'abord le taux de mortalité dans les secteurs bancaire et produits structurés. Le taux de défaut de l'ensemble du secteur C01porate pour 2007 et 2008 est en effet inférieur aux niveaux atteints en 1999-2002. Citons toutefois la banqueroute de la société américaine Tribune Company pour un montant de 12,7 milliards de dollars . C'est en fait au cours du premier semestre 2009 que le nombre de faillites d'entreprises explose. Le secteur de l'automobile est particulièrement touché : entre avril et juin, les trois grands constructeurs américains, Ford, Chrysler puis General Motors, se placent sous la protection du chapitre Il de la loi américaine sur les faillites et renoncent donc à leurs obligations financières . Leurs défauts portent respectivement sur 71, 22,5 et 53 milliards de dollars. De nombreux équipementiers automobiles et de grandes entreprises des secteurs de l'hôtellerie, des médias et des loisirs font également faillite.
La descente aux enfers de General Motors La firme General Motors (GM) est née en 1908. Grâce à une stratégie consistant à élargir l'éventail de marques proposées aux consommateurs (Chevrolet, Vauxhall, Opel ... ), GM devient premier producteur mondial d'automobiles en 1931. L'entreprise n'abandonnera son leadership qu' en 2007 au profit de Toyota. Après quelques déboires financiers liés à la dépression des années 1930 puis à l'effort de guerre, GM conforte sa position de numéro un mondial à partir des années 1950 tout
en affichant une solidité financière indiscutable (notation AAA par S&P jusqu'en 1981). Durant les années 1980, les changements de comportement des consommateurs suite aux deux chocs pétroliers, la concurrence japonaise, la hausse du dollar et une relative difficulté à maîtriser les coûts de production font perdre à CM des parts de marché substantielles aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe et en Asie. Dans le même temps, sa notation est régulièrement abaissée et tombe dans la catégorie BBB/Baa au début des années 1990. La faiblesse du dollar et le dynamisme des marchés américain et asiatique permettent un temps de restaurer la rentabilité ainsi que la solvabilité du groupe (plusieurs upgrades entre 1995 et 2000 par les trois agences).
À partir de 2001, le fardeau des pensions de retraite et l'incapacité de CM à moderniser sa gamme et à restaurer sa compétitivité entraînent toute une série de downgrades. En 2005, Fitch, Moody's et S&P dégradent la note de la firme en speculative grade. Au début 2006, le rating moyen de CM se situe à B/B2. Suite à la crise du crédit de
septembre 2008, Fitch et S&P abaissent la note de CM à la catégorie CCC, considérant le défaut de paiement comme imminent. En novembre 2008, le géant de l'automobile affirme être à court de trésorerie et met au chômage technique un tiers de ses effectifs. L'administration américaine et le gouvernement canadien annoncent alors un plan de soutien financier de près de 17 milliards de dollars à destination de CM et Chrysler. Peine perdue. CM présente de nouveaux plans de restructuration en février 2009, dévoile une perte nette de 31 milliards de dollars pour 2008 et demande 16,6 milliards d'aide supplémentaire. En mars, le P-DC Rick Wagoner démissionne tandis que le président
Obama
donne
deux
mois
à
la
firme
pour
présenter
un
projet
de
redressement viable à moyen-long terme . CM obtempère et annonce l'abandon de sa marque Pontiac, la vente d'Opel et la réduction de 40 % de ses points de vente d'ici 2010. Le 1er juin 2009, CM se place sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les
faillites
et
se
trouve
de
facto
dégradé
en
catégorie D par les
trois agences.
L'administration américaine octroie alors une aide exceptionnelle de 30 milliards mais monte dans le capital de CM à hauteur de 60 %. La nationalisation et la restructuration totale de la dette de CM conduisent les trois agences à retirer leurs notations en juin-juillet 2009.
Les nombreuses vagues de défaillances d'entreprises survenues depuis vingt ans (1990-1991 et 2001-2002 en particulier) expliquent logiquement que les notations C01porate aient été beaucoup plus instables que les notations souveraines, comme l'illustre le tableau 9.
Tableau 9. Matrice de transition à un an des notes du secteur corporate de S&:P (pourcentages moyens pour 1981-2008) Note initiale
Note finale AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC -C SD-D Note
retirée MA
M A
BBB BB B
ccc-c
7,63 88,39 0,53 0,06 0,08 0,58 87,02 0,54 0,06 7,79 0,04 2,04 87,19 5,35 0,40 0,01 0,15 3,87 84,28 4,00 0,05 0,19 0,02 5,30 75,74 0,15 0,26 5,68 0,05 0,00 0,97 0,00 0,00 0,23 0,34
0,06 0,00 3,23 0,03 0,09 0,03 0,03 3,86 0,16 0,03 0,08 4,72 0,69 0,16 0,24 6,60 7,22 0,80 0,99 9,68 4,34 4,51 12,00 73,02 11,84 46,96 25,67 14,00
Note les pourcentages en gras sur la diagonale représentent les notes qui sont restées inchangées au cours d'une année civile durant la période 1981 -2008. Les pourcentages à gauche de la diagonale traduisent les augmentations de notes, tandis que les pourcentages à droite de la diagonale traduisent les dégradations de notes survenues au cours d'une année civile durant la période 1981-2008. Par exemple, entre 1981 et 2008, 87,02 % en moyenne des entreprises notées dans la catégorie M par S&P au 1,r janvier de l'année n ont vu leur rating rester inchangé au cours de cette année n. En revanche, 0,58 % en moyenne des notations AA ont été upgradées en catégorie MA au cours de l'année n, 7,79 % en moyenne des notations AA ont été dégradées en catégorie A au cours de l'année n; 0,54 % en moyenne des notations M ont été dégradées en catégorie BBB au cours de l'année n, etc. Source : S&P [2009c].
Finalement, la notation C01porate aura connu deux évolutions majeures au cours des trois dernières décennies. D'une part, l'internationalisation de l'activité des agences, avec l'accroissement du nombre d'émetteurs européens et asiatiques, constitue un tournant majeur de l'histoire de la notation. L'image caricaturale d'une industrie dominée par des agences amencaines qui notent des sociétés américaines pour des investisseurs américains correspond de moins en moins à la réalité. D'autre part, le développement d'un marché de la dette obligataire spéculative a renouvelé et légitimé le métier de la notation (voir graphique 8).
Graphique 8. Nombre d'émetteurs notés par Moody's par catégorie de note \f,I
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Aa
Source: d'après Moody's [2009b].
Les déterminants des notations du secteur corporate Les méthodes de notation C01porate ont certes évolué depuis un siècle mais elles ont toujours reposé sur une analyse quantitative et qualitative du risque de crédit des entreprises [Moody's, 2002; Fitch, 2006a; S&P, 2008a et 2008c]. L'analyse qualitative peut se décomposer de la façon suivante. Les agences prennent d'abord en compte l'impact que le risque souverain est susceptible d'avoir sur la solvabilité d'une entreprise [Borensztein, Cowan et Valenzuela, 2007]. Cet impact est en partie reflété dans le différentiel entre la note souveraine et le plafond pays. Deux notes égales pour une même agence traduisent une plus grande dépendance des ratil1gs du secteur cOlporate vis-à-vis du risque souverain (cas de la Chine, du Koweit, du Qatar et des Émirats arabes unis pour Moody's et de la Chine, de l'Inde et du Vénézuela pour Fitch, à l'exclusion évidemment des souverains notés AAA). L'analyse du risque sectoriel est également cruciale dans l'appréciation du risque COlpO ra te. Elle consiste à étudier les caractéristiques du secteur d'activité de l'entreprise: croissance, cyclicité, degré de concentration, intensité capitalistique, risque d'instabilité législative
et réglementaire. Par exemple, les difficultés croissantes du transport aérien en 2008-2009 ont conduit Fitch à dégrader en série les notes de quatre compagnies américaines (American Airlines, United Airlines, Delta Airlines et Southwest Airlines) et de deux compagnies brésiliennes (GOL et TAM) entre mars et juillet 2009 (se reporter à Fitch [2009c] pour une vue d'ensemble du secteur aérien américain). Les analystes prennent bien sûr en compte le positionnement de l'entreprise sur son marché: sa part de marché, sa spécialisation ou sa diversification géographique et par type de produits. Un groupe comme Pernod Ricard, noté au sommet de la catégorie spéculative par Moody's et S&P, est pénalisé par son fort endettement. Cependant, sa diversification géographique et la notoriété de plusieurs de ses marques lui permettent d'avoir un rating supérieur à plusieurs de ses concurrents, pourtant bien moins endettés. La stratégie du management est un autre facteur pris en considération . Les agences cherchent à déterminer dans quelle mesure le long terme est privilégié, quel est le mode de croissance de la société et quelles sont ses pratiques en matière de gouvernance d 'entreprise: type de communication, degré de transparence, présence de membres indépendants dans le conseil d'administration [Moody's, 2003b; Fitch, 2007]. L'étude de la politique comptable (principes de consolidation, méthodes de dépréciation d'actifs et de calcul des provisions, traitement des opérations hors bilan) est un autre facteur de la grille méthodologique des agences. Lexique des principaux concepts financiers utilisés par les agences Besoin en fonds de roulement (BFR) d'exploitation : il représente le solde des emplois et des ressources d'exploitation (c'est-à-dire les stocks + les créances clients - les dettes fournisseurs).
Bilan : situation patrimoniale d'une entreprise à un instant donné. L'actif du bilan comprend ce que possède l'entreprise. Le passif du bilan détaille les éléments qui permettent de financer l'actif.
Cash flow ou capacité d 'autofinancement : c' est la mesure comptable des liquidités générées par l'activité d' une entreprise qui indique sa capacité à s'autofinancer (financer sa croissance, rembourser ses dettes et rémunérer ses actionnaires par ses propres capitaux).
Charges d'intérêt nettes : il s'agit des charges d'intérêt minorées des produits d'intérêt.
Compte de résultat: il s'agit de l'ensemble des opérations réalisées sur un exercice. Les opérations ayant une incidence positive se traduisent par des produits et les opérations négatives se traduisent par des charges. La différence entre les produits et les charges constitue le résultat de l'exercice.
EB/TDA (Earnings before interests, taxes, depreciations and amortizations)
c'est le résultat
avant charges financières, impôts, provisions et amortissements. L'EBITDA est le bénéfice résultant des seules activités d'exploitation.
Endettement brut: ensemble des dettes à court, moyen et long terme au passif du bilan.
Endettement net : différence entre l'endettement brut, d'une part, et les liquidités disponibles et placements financiers d'autre part.
EBE (excédent brut d'exploitation) : il s'agit de la différence entre les produits d'exploitation et les charges d'exploitation. Il correspond donc au résultat du processus d'exploitation. Il diffère de l'EBITDA car il ne comprend pas les charges et produits d'exploitation.
Fonds propres : ils représentent l'ensemble des ressources propres de l'entreprise, c'est-à-dire la différence entre le total des actifs et les dettes. Ils comprennent notamment le capital social, les réserves et les reports.
Opérations hors bilan : ce sont les opérations que l'entreprise n'est pas obligée d'inscrire à son bilan. Les principaux engagements hors bilan sont les opérations de crédit-bail, les instruments de gestion des risques de taux et de change et les garanties d'actif et de passif lors d'une cession d'entreprise.
Rentabilité des fonds propres: il s'agit du ratio résultat net sur fonds propres.
Résultat d'exploitation (ou résultat opérationnel, ou EBIT, Earnings before interests and taxes) : c'est le résultat après les provisions et amortissements et avant les charges financières et impôts. Résultat net: c'est le résultat après charges financières, impôts, provisions et amortissements.
L'analyse quantitative repose essentiellement sur trois piliers : - la mesure de la croissance et de la rentabilité de l'entreprise. Celle-ci passe essentiellement par l'analyse des comptes de résultat : il s'agit de faire apparaître les soldes intermédiaires de gestion et de calculer un certain nombre d'indicateurs et ratios financiers : la croissance du chiffre d'affaires, l'EBITDA, le résultat d'exploitation sur le chiffre d'affaires, le résultat net sur chiffre d'affaires, la rentabilité des fonds propres. Il est pertinent de noter que la rentabilité des fonds propres est un ratio très fortement corrélé aux ratÏllgs, comme l'atteste le graphique 9 ; - la capacité de l'entreprise à dégager des flux d'exploitation et d'investissement. Les mesures du cash flow d'exploitation les plus courantes sont l'EBE ; l'EBE sur le chiffre d'affaires ; la capacité d'autofinancement le cash flow genere par les opérations d'exploitation . L'analyse des flux d'investissement repose par exemple sur le ratio cash flow généré par les opérations d'exploitation sur investissements industriels; -
la flexibilité financière qui englobe flexibilité à moyen-long terme et à court terme. La flexibilité à moyen et long terme reflète la solvabilité de l'entreprise. Celle-ci se mesure par l'endettement blut, la trésorerie et les charges d'intérêt. Les principaux ratios d'endettement et de couverture des intérêts demeurent
l'endettement net sur fonds propres ; l' endettement net sur EBE ; l'endettement net sur la capacité d'autofinancement ; l'endettement brut sur fonds propres + endettement brut ; et l'EBITDA sur les charges d 'intérêt nettes. Ces deux derniers ratios sont de très bons indicateurs du ratil1g (voir graphique 9). La flexibilité à court terme se mesure dans un premier temps à l'aune du BFR d'exploitation. C'est en fonction de ce besoin à court terme qu'il faut déterminer si l'entreprise doit se procurer des ressources supplémentaires. Dans ce cas, il s'agit de mesurer sa capacité à obtenir des lignes de crédit non utilisées, à émettre des billets de trésorerie ou à vendre des actifs liquides dans des délais rapides . Le risque de crédit corporate requiert donc une analyse quantitative plus poussée qu'en matière de risque souverain. Graphique 9. Moyennes de trois ratios financiers majeurs par catégorie de rating (notations des entreprises américaines par S&P pour la période 1998-2000) 100 90 80 70 QI
m
.....10 c
QI V
60 50
.....
:l
0
40
~
30 20 10 0
AM
AA
A
BBB
BB
B
D
Rentabilité des fonds propres
•
EBITDA/charges d'intérêt nettes
D
Endettement brut/endettement brut + fonds propres
CCC
Source: Pol ignac [2002].
Les produits structurés Les produits structurés sont le fruit d 'une des principales sophistications financières de la seconde moitié du xx· siècle : la titrisation. La titrisation est une technique financière qui consiste à transformer des prêts bancaires en titres négociables sur les marchés. La banque qui a octroyé ces prêts les vend (on parle alors de « cédant ») à une entité ad hoc (special pU1pose vehicle - SPV - en anglais), qui se
finance en émettant des obligations adossées (backed securities en anglais) au portefeuille d ' actifs acquis. Ces titres négociables sont de plusieurs types : - les ABS (asset-backed securities) sont adossés à des actifs tels que les prêts étudiants, prêts à la consommation, encours de cartes de crédit , crédits-bails d 'équipement, crédits-bails d'automobiles, etc. ; - les RMBS (reside11tial mortgage-backed securities) sont adossés aux crédits hypothécaires résidentiels; - les CMBS (commercial mortgage-backed securities) sont adossés aux crédits hypothécaires commerciaux; les COO (collateralised debt obligatio11s) regroupent les CLO (collateralised 10all obligations), adossés à des prêts d'entreprises, et les CBO (collateralised bond obligations), adossés à des obligations d'entreprises; -
-
les square COO (COO au carré) sont des CDO adossés à des COO .
Ces titres négociables sont ensuite découpés en tranches qui sont hiérarchisées en fonction de leur risque et de leur rendement: c'est le processus de structuration [Aglietta, 2008]. À la base figurent les classes subordonnées qui seront les premières à essuyer les éventuelles pertes; en contrepartie, elles offrent les rendements les plus élevés aux investisseurs. Au-dessus se trouvent les classes de type senior, moins rémunératrices mais plus sûres car elles bénéficient de la « protection » des classes subordonnées. Ces tranches se11ior sont cependant susceptibles de voir leurs rendements réduits si le niveau des pertes n'est pas complètement absorbé par les classes subordonnées. Enfin, les classes super se11ior offrent les rendements les plus faibles mais sont les plus solvables. La création de classes subordonnées permet donc d'améliorer la qualité de crédit des tranches se11ior et super se11ior : c'est le principe du rehaussement de crédit. Une fois la stmcturation achevée, les titres (ou produits structurés) sont émis sur les marchés. Les investisseurs qui les achètent assument donc le risque de crédit du portefeuille d'actifs.
Comment est noté un produit structuré? La notation revêt une impOltance fondamentale en matière de titrisation . Dans de nombreux pays, elle fait partie des conditions préalables à l'émission de produits structurés. En outre, elle est un indicateur indispensable aux investisseurs qui connaissent mal les actifs sous-jacents de ces titres. Enfin, contrairement au processus de notation en vigueur pour les émetteurs traditionnels, les agences sont sollicitées dès le stade de la structuration du produit [BRI, 200Sa]. Cette intervention très en amont est due au fait que la dette est stlucturée en vue d'atteindre, pour chaque tranche, un certain niveau de risque et un certain rating. Cette spécificité pose un problème de conflits d'intérêts qui est examiné dans le chapitre v. Les trois principaux types de risque pris en considération par les
agences pour noter les produits stlucturés sont le risque de crédit, le risque de stlUcture et le risque propre au tranchage du titre [Paget-Blanc et Painvin, 2007]. Diagnostiquer le risque de crédit consiste à établir la qualité des actifs du portefeuille. Dans le cas d'un portefeuille de crédits hypothécaires résidentiels (RMBS), les agences examinent la solvabilité des emplUnteurs. À cette fin, elles utilisent des classements préétablis par les banques. Aux États-Unis, celles-ci classent généralement les ménages emprunteurs en quatre catégories: prime, jumbo, Alt-A et subprime, ce dernier groupe englobant les débiteurs les plus fragiles. Le risque de défaut d'un portefeuille de subprime RMBS est donc, toutes choses égales par ailleurs, nettement supérieur à celui d'un portefeuille prime RMBS ou jumbo RMBS. Pour ce qui est des CMBS, les analystes se fondent sur les taux de défaillance des locataires, les taux de non-renouvellement, la durée de vacance des immeubles et les charges de réparations. Concernant la notation des ABS, les agences établissent des scénarios optimistes et pessimistes susceptibles de faciliter ou de réduire les flux monétaires dont doit bénéficier le SPV (se reporter à S&P [2006a] pour une analyse détaillée appliquée aux titres adossés à des prêts étudiants). La mesure de la qualité de crédit des CDO se rapproche plus de celle des émetteurs corporate, en ce sens que les titres sont adossés à des créances sur des entreprises. Pour tous les types de produits structurés, les agences s'attachent également à déterminer les performances passées du portefeuille titrisé (fréquence et ampleur des incidents de paiement, cyclicité, etc.). Le risque de structure renvoie essentiellement à des risques d'ordre juridique [S&P, 2008f]. Les agences doivent d'abord s'assurer que les actifs servant de sous-jacents sont réels, pérennes, à l'abri d'éventuelles fraudes et d' un risque de dilution. Ils doivent être préservés de la faillite du cédant qui renonce préalablement à ses droits de créancier sur ceux-ci. Enfin, les actifs titrisés doivent être isolés afin d'éviter toute confusion avec les autres actifs qui sont toujours la propriété du cédant. Le risque propre au tranchage est lié à la stratégie de rehaussement de crédit et aux règles de priorité de paiement entre les différentes classes. Par exemple, la probabilité qu'un produit comprenant de nombreuses tranches, avec une classe super senior fine (10 %), voie cette tranche supérieure obtenir un AAA est élevée car les classes inférieures épaisses auront vraisemblablement essuyé les éventuelles pertes. Les tranches les plus subordonnées sont le plus souvent notées en speculative grade, tandis que les tranches super senior obtiennent un rating dans la catégorie AA ou AAA. Ces principes de tranchage et de rehaussement de crédit n'empêcheront cependant pas certains titres notés AAA de tomber en défaut au moment de la crise financière de 2007-2008.
Les racines de la crise des subprimes
La crise des subprimes a été longuement décrite et expliquée au cours des deux dernières années (lire le ra pport du Conseil d'analyse économique rédigé par Artus, Betbèze, de Boissieu et Capelle-Blancard [2008] pour une analyse exhaustive). Il est cependant utile de revenir sur ses causes profondes. L'une des conséquences du retour de la croissance économique aux États-Unis à partir du milieu des années 1990 est le boom du marché immobilier. Celui-ci concerne l'immobilier de bureaux mais plus encore l'immobilier résidentiel. En effet, l'administration Clinton s'appuie sur Fannie Mae et Freddie Mac (deux entités parapubliques chargées de garantir et de promouvoir l'octroi de prêts immobiliers aux ménages américains) pour faciliter l'accès à la propriété de millions de foyers disposant de faibles revenus et d'emplois souvent précaires: il s'agit des ménages classés dans la catégorie subprime par les établissements de crédit. Cette politique, poursuivie par l'administration de George W. Bush, contribue à une augmentation sans précédent des prix immobiliers. Entre le premier trimestre 1996 et le deuxième trimestre 2006, l'indice S&:P/Case-Schiller mesurant la valeur nominale du marché de l'immobilier résidentiel dans vingt métropoles américaines s'accroît ainsi de 138 %. Cet essor est facilité par la titrisation des prêts hypothécaires (les fameux RMBS). Dans le même temps, la plupart des acteurs économiques accroissent leur endettement de façon considérable. Les ménages empmntent donc en vue d'acquérir un bien immobilier mais ils contractent également de nombreux prêts à la consommation, qui seront quant à eux transformés en ABS. Les fonds d'investissement se financent par effet de levier (fort endettement compensant des montants de fonds propres limités) afin d'acquérir, entre autres, des produits structurés particulièrement rémunérateurs. Les banques pratiquent également cet effet de levier qui permet d'améliorer leurs résultats . Enfin, de nombreuses firmes multinationales choisissent de s'endetter pour financer des opérations de croissance externe, comme en témoigne la pléthore de fusions et acquisitions entre 1997 et 2000 puis en 200S-2007 Il.P. Morgan et Thomson Reuters, 2009] . Cet endettement est d'autant mieux accepté par les actionnaires que les entreprises procèdent dans le même temps à des rachats d'actions qui augmentent leurs dividendes par action . Cet endettement généralisé est enfin facilité par la politique monétaire accommodante de la Réserve fédérale américaine, contribuant à maintenir les taux d'intérêt réels à des niveaux relativement bas. Une bulle spéculative se constitue progressivement, alimentée par les montants impressionnants des émissions de produits structurés (voir graphique 10).
Graphique 10. Émissions annuelles de RMBS, CMBS et ABS aux États-Unis depuis 1996 3200
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Source : Secunties Industry and Fmancial Ma rkets Association.
Les premiers signes annonciateurs de la crise apparaissent à la fin de l'année 2006 avec un effritement des prix de l'immobilier et une augmentation des taux de défaut des prêts subprimes. En février 2007, New Century Financial (deuxième originateur de subprime RMBS aux États-Unis) et HSBC Finance (filiale d 'HSBC) annoncent d 'importantes provisions suite à la forte hausse de leurs encours de créances douteuses (<< Subprime time bomb », Business Week, 9 février 2007) . D'autres banques et institutions financières subissent des pertes au cours des mois suivants. En juin 2007 , deux fonds spéculatifs gérés par Bear Stearns qui avaient investi dans des subprimes RMBS sont sur le point d'être fermés. Les annonces de pertes se multiplient en juillet et accélèrent encore le rythme des dégradations de notes par les agences. La défiance se propage: l'augmentation des taux interbancaires et des taux à trois mois provoquent un assèchement de la liquidité au mois d ' août. Les grandes banques centrales décident alors d 'injecter des liquidités sur les marchés interbancaires tandis que la Réserve fédérale réduit le taux d'escompte. Malgré ces mesures, les pertes des banques s'accroissent (voir la section suivante pour une analyse de la crise bancaire stricto sensu), ce qui engendre une contraction des crédits aux entreprises et aux ménages : la crise passe de la sphère financière à la sphère réelle. Ce krach des subprimes qui a dégénéré en crise financière mondiale a pris de court aussi bien les banquiers et investisseurs que les régulateurs. Pourtant, plusieurs voix se sont élevées avant 2007 pour mettre en garde contre certaines dérives de la sophistication financière. En mars 2003 , l'homme d 'affaires Warren Buffett déclare que les produits dérivés et stlucturés sont des « armes financières de destlUction massive » . Au cours des mois précédant la crise, l 'économiste Nouriel Roubini de l'université de New York répète que la titrisation débridée va provoquer une récession économique majeure (se reporter à ses articles sur
rgemonitoLcom). Il s'inquiète en particulier de la difficulté à diagnostiquer le risque de crédit propre aux actifs sous-jacents. David Reiss [2006], professeur de droit à la Brooklyn Law School, attire enfin l'attention sur le rôle néfaste de la titrisation dans l'accroissement du soutien abusif de crédit.
L'action procyclique des agences L'ampleur et la magnitude des abaissements de notes survenus à partir du début 2007 sont inédites dans l'histoire de la notation. Sur l'ensemble de l'année 2007, les trois grandes agences ont procédé à près de 22 000 downgrades, toutes catégories de titres confondues (ABS, CDO, CMBS et RMBS) . Dans 72 % des cas, il s'agit de downgrades de trois crans ou plus, ce qui est considérable [AMF, 2009]. Cette tendance s'accentue encore par la suite. Si l'on considère les changements de ratings décidés par Fitch au cours de l'année 2008, force est de constater que les downgrades ont été d'autant plus nombreux et massifs que les tranches étaient mal notées (voir tableau 10) . Tableau 10. Matrice de transition à un an pour l'ensemble des produits structurés (ABS, CDO, CMBS et RMBS) notés par Fitch (pourcentages pour l'année 2008) Note initiale
MA AA
A
BBB BB B CCC-C
Note finale
AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC
CC et en dessous
87,21 1,85 0,25 0,04 0,00 0,00 0,00
1,15 63,67 1,42 0,10 0,02 0,00 0,00
1,77 6,64 58,02 0,87 0,05 0,03 0,00
2,24 4,25 9,32 52,86 0,47 0,10 0,00
2,64 4,35 5,42 10,40 46,70 0,14 0,00
2,03 4,28 4,07 5,62 11,22 42,86 0,21
1,82 6,09 6,52 5,92 5,61 4,85 34,09
1,13 8,87 14,98 24,18 35,93 52,01 65,71
Note : les pourcentages en gras sur la diagonale représentent les notes qui sont restées inchangées au cours de l'année 2008. Les pourcentages à gauche de la diagonale traduisent les augmentations de notes, tandis que les pourcentages à droite de la diagonale traduisent les dégradations de notes survenues au cours de l'année 2008 . Par exemple, 63,67 % des produits structurés notés dans la catégorie AA par Fitch au 1cr janvier 2008 ont vu leur rating rester inchangé au cours de l'année 2008. En revanche, 1,85 % des notations M ont été upgradées en catégorie AM; 6,64 % des notations AA ont été dégradées en catégorie A; 4,25 % des notations AA ont été dégradées en catégorie BBB, etc. Source : Fitch [2009b].
Au cours de l'année 2008, Fitch a procédé à seulement 717
upgrades, contre 27 669 abaissements de notes (rapport de 1 à 39). Fait remarquable, c'est surtout le marché des titres adossés aux crédits hypothécaires résidentiels qui a le plus souffert : 89 % des
dégradations de notes pour l'année 2008 sont en effet concentrées sur les RMBS. Ces downgrades ont affecté lS % des titres notés AAA, 43 % de ceux notés AA, SS % des A, 62 % des BBB, 72 % des BB, 78 % des B et des CCc. Cette dégradation de la qualité de crédit des RMBS contraste avec la relative stabilité des notations des CMBS et des ABS . Au cours du premier semestre 2009, le rythme des dégradations est resté très élevé pour les différents types de produits et s'est même accéléré pour ce qui est des CDO. Ces observations concernant Fitch sont également valables pour S&P et Moody's. Sur la période janvier 2007 -septembre 2008, Moody's était d'ailleurs l'agence qui avait procédé au plus grand nombre de downgrades [AMF, 2009]. Ces dégradations massives ont été le prélude à des taux de défaut anormalement élevés pour les titres notés en catégorie investissement, y compris pour les AAA, comme l'atteste le graphique 11 qui présente les taux de défaut et de quasi-défaut annuels de S&P pour la période 1998-2008 (le « quasi-défaut » renvoie aux titres qui ont été dégradés aux catégories CC et C). Les banques
Les méthodologies de notation bancaire Le risque de crédit bancaire est fonction de deux grands types de facteurs: la solidité financière intrinsèque de la banque, d 'une part, et le soutien institutionnel qu 'elle est susceptible d'obtenir en cas de besoin, d'autre part. Le soutien institutionnel mesure l'aide dont peut bénéfider une banque de la part d'un actionnaire de référence, d'une autorité publique ou plus vraisemblablement de l'État en cas de difficulté finandère. S&P classe les États en trois catégories [S&P, 2007b] : les « interventionnistes » qui renfloueront les banques menacées de banqueroute (cas de la majorité des États asiatiques et du Moyen-Orient) ; -
Graphique 11 . Taux de défaut et quasi-défaut annuels des produits structurés notés par S&P
,
7
1
1
1
• 1
1
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1 1
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1999
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~---- ~----~-1 11'" T 2001
____ TItres notés AAA
2002
--~ T
1003 20041
--11-- TItre
- __ -~.-f
...
T
T
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1
2005.
2006
2007
2008
noté en at'ég rie Investis ment Source : S&P [2009b].
- les États qui ont mis en place des réglementations bancaires visant à soutenir les établissements en difficulté financière (pays d 'Europe occidentale et États-Unis) ; - les États dont le soutien est incertain, en raison de réglementations floues ou de lois sur les faillites imparfaites (exemples de la Russie et de l'Argentine). Les banques évoluant dans un environnement interventionniste sont susceptibles d'être mieux notées, toutes choses égales par ailleurs, que leurs consœurs situées dans des pays où les réglementations sont insatisfaisantes. Les établissements bénéficiant d'une garantie explicite ou implicite de l'État ont généralement un ratillg identique à la note souveraine. Une agence comme S&P considère qu'il est impossible de mesurer la probabilité qu'un gouvernement intervienne en faveur d'une banque pour lui permettre d'assurer ses obligations financières. Fitch, en revanche, a établi une échelle spécifique destinée à mesurer ce soutien extérieur [Fitch, 2009a]. Celle-ci comprend cinq catégories: la note « 1 » est attribuée aux établissements de crédit qui bénéficient du soutien extérieur le plus élevé; suivent les notes « 2 », « 3 », « 4 » et « 5 » . Les entités notées « 5 » ne peuvent compter sur aucun soutien extérieur fiable . Les facteurs pris en compte pour déterminer le risque de a-édit intrinsèque d 'une banque sont de plusieurs ordres (se reporter en
particulier à Moody's [2007a]). Les agences établissent la qualité de la franchise. Cela implique l'analyse des parts de marché de la banque, de sa diversification géographique, de la stabilité et de la diversification de ses revenus. Le positionnement de la banque en matière de risque est également examiné. Il englobe la gouvernance d'entreprise, la transparence de la communication financière, la gestion et le contrôle du risque par le management, la concentration des risques de crédit (par secteur et par débiteur), la gestion de la liquidité (le risque fondamental étant de voir une banque tomber à court de trésorerie) et l'appétit pour le risque de marché. Le cadre réglementaire est une autre composante de la grille analytique des agences . Ce sont l'indépendance des autorités de contrôle et la pertinence des normes réglementaires qui sont prises en considéra tion. L'environnement opérationnel est aussi une variable importante. Il s'agit de mesurer l'impact des cycles économiques, du niveau de corruption et de la qualité des systèmes juridiques sur la solvabilité d'une banque. Les agences s'appuient enfin sur un certain nombre de ratios financiers afin de mieux apprécier les niveaux de rentabilité, de liquidité, d'adéquation des fonds propres, d'efficacité opérationnelle et de qualité des actifs des banques. Ces différents ratios contribuent, avec les facteurs qualitatifs cités précédemment, à la détermination de la solidité financière intrinsèque des banques. Ce risque intrinsèque est mesuré sur des échelles de notes qui varient d'une agence à l'autre. Les notations de Moody's s'échelonnent de A à E : « A » et « E » désignant respectivement la solidité financière intrinsèque la plus forte et la plus faible. Un suffixe « + » peut être ajouté aux notations inférieures à la catégorie « A » et un signe « - » aux notations supérieures à la catégorie « E » afin d'identifier les banques placées plus haut ou plus bas dans une catégorie de notation. Au totaC l'échelle de Moody' s comprend treize notes, contre dix pour Fitch (« A», « A/B », « B », « BIC », « C », « CID », « D », « DIE », « E » et « F ») et neuf pour S&P (« A », « B+ », « B », « C+ », « C », « D+ », « D », « E+ », « E »).
Tableau 11 . Principaux ratios utilisés pour déterminer la solvabilité intrinsèque des banques Fondamentaux financiers
Principaux ratios
Rentabilité
Résultat Résultat Résultat Résultat
Liquidité
Actifs liquides/dette à court terme (en %) (Ressources de marché - actifs liquides)/total de bilan (en %)
Adéquation des fonds propres
Fonds propres Tier 1/actifs pondérés (en %) Fonds propres de base retraités/actifs pondérés (en %)
Efficacité opérationnelle
Charges totales hors Intérêts/revenus totaux (en %)
Qualité des actifs
Encours douteux/encours bruts (en %) Encours douteux/(capital social + provisions sur encours douteux) (en %)
net/actif total (en %) net/fonds propres (en %) net/actifs pondérés (en %) avant impôt et provision/actifs pondérés (en %)
Note : les fonds propres Tier 1 comprennent le capital social, le report à nouveau, les réserves et les résultats non encore distribués. Source : d'après Moody's [2007a].
Bien qu'une étude sur la notation bancaire démontre que les ratios mesurant la rentabilité et la qualité des actifs des banques sont les meilleurs déterminants des notes de solidité intrinsèque émises par Moody's [Poon, Firth et Fung, 1999] , il est utile de signaler que, depuis la crise asiatique de 1997-1998, les agences prennent de plus en plus en compte les engagements hors bilan des banques et déterminent la rentabilité de chaque activité bancaire en fonction du niveau de risque qui la caractérise (rendement du capital corrigé du risque). L'agrégation des notes de soutien institutionnel et de solvabilité intrinsèque aboutit à l'attribution du rating sur échelle globale. Cet aperçu des méthodologies utilisées va permettre de mieux comprendre la crise bancaire qui s'est déclenchée dans la foulée de la crise des subplimes. La crise bancaire de 2007-2008
La première victime de la crise financière est la banque britannique Northern Rock. Confronté à la crise immobilière qui entame sa rentabilité, l'établissement connaît des difficultés croissantes pour se refinancer et se trouve menacé par un bank fun de ses déposants en septembre 2007. La Banque d'Angleterre lui consent alors une ligne de crédit exceptionnelle avant de la nationaliser en février 2008. Cette nationalisation intervient un mois avant que J.P. Morgan Chase ne rachète son concurrent Bear Stearns, affaibli en raison de son exposition aux subprimes. La crise s'aggrave encore avec les difficultés de Fanny
Mae et Freddy Mac qui sont finalement nationalisés par l'administration Bush début septembre 2008. La crise prend une tournure inattendue lorsque, le lS septembre 2008, Henry Pauls on, secrétaire américain au Trésor, laisse Lehman Brothers tomber en défaut. L'administration américaine refuse d'adhérer au principe du tao big ta fail qui avait jusque-là prévalu. Lehman Brothers était noté dans la catégorie A par les agences au moment de sa banqueroute. Au même moment, Bank of America absorbe Merrill Lynch tandis que l'assureur AIG est sauvé in extremis de la faillite par la Réserve fédérale qui tient à éviter un risque systémique (<< US firefight switches to AIG », FinanCÏal Times, 16 septembre 2008). Les conséquences à très court terme du défaut de Lehman Brothers sont multiples: - le marché interbancaire, qui sert au refinancement à court terme des établissements de crédit, se referme; - la banque Washington Mutual fait faillite à son tour, dix jours après Lehman Brothers; - par effet de contagion, de nombreux établissements européens menacent également de tomber en défaut; ils ne sont sauvés que grâce à l'intervention de l'État qui les nationalise (en Belgique et en Grande-Bretagne). Les banques islandaises ne peuvent obtenir un tel soutien des pouvoirs publics car l'État lui-même risque la cessation de paiement. L'Allemagne et la France (voir encadré) lancent des plans de soutien et de garantie . Dans ce contexte, les agences sont condamnées à dégrader massivement les notations des acteurs du secteur financier. Par exemple, 23 % des entités notées dans la catégorie AA par Fitch sont dégradées au cours de l'année 2008 ; le pourcentage d'augmentations de notes dans cette même catégorie est nul. Il est pertinent de rappeler qu'une partie des abaissements de notes survenus dans les jours et semaines qui ont suivi le défaut de Lehman Brothers sont directement liés au rôle de contrepartie qu'avait la banque dans de nombreuses transactions stlucturées. Moody's en a identifié près de sept cents, certaines d'entre elles étant downgt.·adées de neuf crans [Moody's, 2008d]. L'année 2008 aura finalement été marquée par les plus importantes défaillances bancaires de l'histoire (voir tableau 12). Tableau 12. Principaux établissements financiers tombés en faillite en 2008 Établissements
Pays
Volume du défaut en millions de dollars
lehman Brothers Holdings, Ine. Kaupthing Bank hf Glitnir Banki hf Washington Mutual Bank landsbanki Islands hf
États-Unis Islande Islande États-Unis Islande Source :
120164 20063 18773 13600 12161 d'après Moody's [2009b].
Crise des subprimes, crise bancaire: quelles leçons tirer? La crise financière réflexions.
de
2007-2008
appelle
finalement
plusieurs
Tout d'abord, la faillite inattendue de Lehman Brothers et la restlUcturation éclair du paysage bancaire américain et européen ont montré que les mutations du capitalisme peuvent être blUtales, imprévisibles et n'épargnent pas des institutions prestigieuses et longtemps considérées comme invulnérables (voir le point de vue plein de sincérité et de candeur d'Acemoglu [2009]). Ensuite, les prises de risque inconsidérées de plusieurs établissements de crédit conduisent à s'interroger sur le métier de banquier. L'arrivée massive et tardive (en 2006-2007, c'est-à-dire à la fin du cycle de croissance) de banques de dépôts sur le marché des subprimes a été l'une des causes du désastre récent. L'ancien directeur général de Calyon, banque d'investissement et de financement du Crédit agricole, reconnaissait lui-même en mai 2008 que sa banque avait investi « trop vite et trop fort » sur les produits stlucturés. Cet aveu a une résonance particulière lorsque l'on sait que les titres obligataires qui connaîtront les taux de défaut les plus élevés sont toujours émis à la fin d'un cycle haussier [Mintz, 1951; Hickman, 1958]. Les banques françaises face à la crise de 2007-2008
Comme leurs consœurs américaines, les banques françaises ont été sévèrement touchées par la crise financière. Leur forte exposition aux subprimes RMBS les a conduites, à partir de la fin 2007, à déprécier certains de leurs actifs, à en vendre d'autres et à provisionner massivement. La faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 a encore aggravé la situation en paralysant le marché interbancaire. Afin d'éviter la dégradation de la solvabilité des banques et un éventuel bank run des épargnants, le président Sarkozy annonce un plan de soutien aux banques françaises le 13 octobre 2008. L'État apporte une garantie « payante » des prêts interbancaires jusqu'à 320 milliards d'euros et indique qu'il est prêt à consacrer jusqu'à 40 milliards d'euros pour recapitaliser les banques qui seraient en difficulté. Ces mesures rétablissent progressivement la confiance sur les marchés, repoussent le spectre d'un défaut bancaire, soutenant de facto les notations des établissements de crédit. L'examen des ratings bancaires de Fitch est de ce point de vue instructif (voir tableau 13). Cette agence attribue la note de support maximale de « 1 » à toutes les grandes banques françaises, ce qui se traduit par une note plancher sur échelle globale de «A+ ». L'écart de notation existant d'une banque à l'autre est donc fonction de la note intrinsèque de solvabilité de chaque établissement. Cette spécificité méthodologique démontre à quel point l'intervention de l'État est primordiale pour maintenir la qualité de crédit de certaines banques.
Tableau 1 3. Notations des principales banques françaises attribuées par Fitch, avril 2009
Banque
BNP Paribas Crédit agricole Société générale Groupe Caisse d'épargne Groupe Banque populaire Natixis
Note de support
Note intrinsèque de solvabilité B B
BIC CID CID E
Source :
Note sur échelle globale M MM-
A+ A+ A+
d'après Fitch [2009d] .
Enfin, cette crise a débouché sur un double échec des agences de notation. D'une part, elles ont surestimé la capacité et la volonté des États d'intervenir en dernier ressort pour sauver un établissement de crédit de la banqueroute (illustrations islandaise et américaine). D' autre part, elles sont partiellement responsables de l'euphorie des subprimes , faute d'avoir su résoudre les problèmes de conflits d'intérêts inhérents à leur activité . Ce dernier constat met en lumière les limites de la notation.
v/
Forces et faiblesses des agences
les forces aussi bien que les faiblesses des agences reposent sur quatre piliers fondamentaux : la fiabilité de leurs notations ; leur objectivité ; l'intégration de leurs notes dans les réglementations financières ; leur influence sur les arbitrages des investisseurs. La fiabilité des notes
Plusieurs outils statistiques sont utilisés pour mesurer la qualité des notations attribuées par les agences. Les taux de défaut moyens par catégorie de notes, qui ont déjà été évoqués dans les chapitres précédents, constituent la mesure la plus simple puisqu'il s'agit, pour chaque notation, de déterminer le pourcentage de titres ou d'émetteurs tombés en défaut de paiement sur une période donnée, typiquement une année. Ces taux de défaut moyens peuvent être calculés sur plusieurs années consécutives, auquel cas on parle de taux de défaut moyens cumulés (voir tableau 14). Les notations sont d'autant plus fiables que, pour un horizon temporel donné (un an, deux ans, cinq ans) : -
les taux de défaut associés aux notations les plus élevées sont nuls ou très bas; - les taux de défaut augmentent au fur et à mesure que la qualité des notes se détériore (passage de AAA à AA+, de AA+ à AA, etc ., et de la catégorie investissement à la catégorie spéculative). Ces taux de défaut moyens sont utilisés par Fitch, Moody's et S&P depuis plusieurs années. Ils offrent l'avantage de présenter aux investisseurs une comparaison simple du risque de crédit pour les différentes catégories de notes, mais ne permettent pas de contrôler l'éventuel conservatisme d'une agence qui « sousnoterait » volontairement des émetteurs afin de maintenir à un pourcentage très faible les taux de défaut des notes les plus élevées.
Tableau 14. Taux de défaut moyens cumulés de S&:P pour les entreprises, 1981-2007
MA
M+ M MA+ A A-
BBB+ BBB BBBBB+ BB BBB+ B BCCC-C Catégorie investissement Catégorie spéculative
Année 1
Année 2
Année 3
Année 4
Année 5
D,DO D,DO D,DO 0,02 D,OS 0,07 0,06 0,15 0,23 0,31 D,52 0,81 1,44 2,53 6,27 9,06 25,59
D,DO 0,06 D,DO 0,09 0,10 0,18 0,20 0,46 D,54 1,02 1,41 2,50 4,16 6,97 12,74 16,94 34,06
0,09 0,06 D,DO 0,20 0,25 D,3D 0,32 0,91 0,85 1,78 2,85 4,62 7,04 11,22 17,75 22,75 39,04
0,18 0,13 0,09 0,32 0,45 0,42 0,49 l,3D 1,39 2,78 4,20 6,53 9,90 14,92 21,27 26,66 41,86
0,28 0,20 0,18 0,45 0,61 0,60 0,73 1,74 1,95 3,74 5,41 8,38 12,32 17,65 23,84 29,44 44,50
0,10 2,81
D,3D 6,54
D,52 1 D,DO
0,81 12,92
1,11 15,23
Source : S&P [2008c].
La courbe d'efficacité cumulée (cumulative accuracy profile en anglais), développée par Moody's, permet de surmonter ce problème en déterminant la capacité des agences à attribuer des ratings élevés aux titres et émetteurs qui ne feront pas défaut et des ratings bas aux titres et émetteurs qui, eux, feront défaut. Elle associe le pourcentage d'émetteurs ayant une note inférieure ou égale à v au pourcentage d'émetteurs en défaut notés v ou en dessous. Le graphique 12 présente la courbe d'efficacité cumulée pour les notations attribuées entre 1983 et 2002 par Moody's aux émetteurs du secteur corporate. Il se lit de la façon suivante : environ 15 % des entreprises sont notées entre C et BI au 1er janvier de l'année n. Ces émetteurs représentent près de 84 % des défauts survenus au cours de cette année n . La courbe idéale atteindrait le plafond des 100 % très rapidement, signifiant que les notes les plus basses captent la totalité des défauts. Un système de notation aléatoire aboutirait à une droite de 45° (la proportion de défauts étant égale dans toutes les catégories de note), tandis qu'un système attribuant des notes basses à des émetteurs solvables et des ratings élevés à des émetteurs qui tomberaient ultérieurement en défaut se traduirait par une courbe convexe.
Gra phiq ue 12 . Courbe d'effi cacit é cumul,é e moyell1ne ,à un an de Moody's p our le secteuli' mrpolDte, 198 3-2002 100
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100
Prop ortio n cliilmulée d e5 émett eLIIlI's (en Ok) - - Notation des entreprises, 1983-2002
----- - Notation aléalt oire
Source : d'après Moody's [2004].
Les résultats de la courbe d'efficacité cumulée ont été synthétisés dans le ratio d'efficacité (accuracy ratio en anglais), qui est obtenu en divisant l'aire comprise entre la courbe d'efficacité cumulée et la droite de 45° par l'aire totale située au-dessus de cette même droite (toute courbe située en dessous de la droite de 45° produisant une aire négative) . Ce ratio s'échelonne de 1 à - l. Plus il se rapproche de l , plus il indique que l'agence discrimine efficacement les émetteurs en attribuant des notes basses aux émetteurs qui vont tomber en défaut et des notes élevées à ceux qui resteront solvables. Un ratio de 0 équivaudrait à un système de notation aléatoire. Enfin, un ratio négatif révélerait des notations particulièrement inefficaces. La comparaison des ratios d'efficacité d'un secteur à l'autre montre que, pour la période 1983-2008, les notes souveraines de Moody's ont été en moyenne légèrement plus fiables que ses notes d ' entreprises: 0,94 contre 0,90 [Moody's, 2009c] . L'examen des ratios du secteur c01porate est tout aussi instructif puisqu'il révèle que le ratio de 2008 a été le plus bas depuis les premiers calculs effectués en 1983, démontrant ainsi la sévérité de la crise économique et financière et la plus grande difficulté de l'agence à appréhender le risque de crédit. Une autre mesure de la qualité des raungs consiste à présenter les notes moyennes et médianes des émetteurs au cours des mois qui ont précédé leur défaut . Moody's a par exemple effectué ces calculs pour les émetteurs du secteur c01porate tombés en défaut entre 1983 et 2008.
Ainsi, vingt-quatre mois avant son défaut, un émetteur a une note médiane B2. Celle-ci passe ensuite à B3 dix mois avant le défaut. Plus le défaut se rapproche, plus la chute de la note s'accélère : au mois du défaut, note est Caa2. La note moyenne reste très proche de la note médiane . Pour la seule année 2008, la note médiane est inférieure d'un cran à la note médiane de la période 1983-2008 si l' on considère les trente-six mois qui précèdent le défaut. En revanche, la note moyenne pour 2008 est légèrement supérieure . Ces résultats en apparence contradictoires signifient que la proportion de notes illvestmentgrade attribuées plusieurs années avant un défaut a été supérieure pour les entreprises tombées en cessation de paiement en 2008 à ce qu'elle a été pour les sociétés tombées en faillite sur toute la période 1983-2008. Ces diverses mesures statistiques sont précieuses pour les acteurs de marché qui peuvent plus facilement optimiser leur gestion de portefeuille en fonction du risque de crédit associé à chaque catégorie de notes. Elles comportent pourtant une limite. La faible proportion de défaillances dans les populations étudiées compresse les taux de défaut et, plus généralement, ne permet pas de déterminer précisément la fiabilité des notes, en particulier en période de croissance économique. Seule une vague massive de défauts constitue un vrai test pour les ratings des agences, comme ce fut le cas pour la notation souveraine au début des années 1930 et pour les notes des produits structurés en 2007-2008 . Globalement, depuis les années 1980, la qualité des notations de Fitch, Moody's et S&P s'est révélée relativement satisfaisante, à l'exception précisément des ratillgs des produits stlucturés. Si cet échec retentissant a terni la réputation des agences, c' est surtout en raison de la présence de conflits d 'intérêts majeurs au sein de l'industrie de la notation.
Réputation des agences et conflits d'intérêts Avant d'aborder la question des conflits d 'intérêts, il est indispensable de présenter l'évolution des réglementations qui ont encadré le secteur de la notation.
Une réglementation tardive, d'abord soucieuse de créer un club de happy few L'une des caractéristiques les plus remarquables de la notation est qu'elle n 'a fait l'objet d'aucune réglementation avant 1975, année où la SEC (Securities and Exchange Commission) a instauré le statut NRSRO (llationally recognized statistical rating organizations) en vue de limiter le nombre d 'agences dont les ranllgs étaient susceptibles d 'être utilisés par les banquiers et les investisseurs.
Seules les trois grandes agences se sont vu accorder cet agrément dès la promulgation de la nouvelle réglementation. Par la suite, les quelques petites agences qui obtiennent ce statut (Duff & Phelps en 1982 ; Mac Carthy, Crisanti & Maffei en 1983 ; IBCA en 1990; Thomson BankWatch en 1991) sont toutes rachetées par S&P ou Fitch, de sorte que, après avoir atteint un pic en 1991, le nombre d'agences agréées décroît régulièrement dans les années 1990. En 2000, Fitch, Moody's et S&P sont à nouveau les seules firmes à faire partie de ce « club de privilégiés ». Au cours des années suivantes, d'autres agences rejoignent ce club (telles DBRS en 2003 et A.M. Best en 200S). Cette « ouverture » a constitué un prélude à la proposition de loi de l'ancien représentant républicain de Pennsylvanie, Michael Fitzpatrick, présentée le 20 juin 200S et visant à accroître la concurrence et la transparence au sein de l'industrie du rating (www.govtrack.us). Cette proposition de loi a été votée par la Chambre des représentants le 12 juillet 2006 puis par le Sénat le 27 septembre 2006, avant d'être finalement signée par l'ancien président George W. Bush et d'entrer en vigueur sous le nom de Credit Rating Agency Reform Act of 2006. Au 2 février 2009, dix agences avaient ce statut NRSRO . Cette nouvelle législation a clos provisoirement le débat sur la déréglementation du secteur de la notation, qui a opposé les tenants de l'élimination pure et simple des barrières à l'entrée [Partnoy, 2002] aux défenseurs du statu quo qui prétendaient que toute réforme serait stérile, compte tenu de l'inévitable hégémonie de Moody's, S&P et Fitch [Hilt 2004]. En revanche, le Credit Rating Agency Reform Act of 2006 ne résout nullement le problème lancinant des conflits d'intérêts inhérent à l'industrie de la notation.
Une prise de conscience tout aussi tardive des conflits d'intérêts Depuis que le modèle émetteur-payeur s'est progressivement imposé au cours des années 1970, les agences sont suspectées de manquer d'objectivité car les émetteurs de dette qu'elles notent les rémunèrent en contrepartie. La faillite Enron a enfin persuadé certains régulateurs d'intervenir. C'est l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), instance chargée de la réglementation des marchés financiers au niveau mondiaC qui va mener les premières réflexions sur les moyens d'écarter de tels conflits d'intérêts. En 2003, elle établit une liste de principes qui doivent aider les agences à préserver l'objectivité et la qualité de leur processus de notation [OIeV, 2003] : - les agences sont invitées à adopter des procédures internes écrites afin d'identifier, d'une part, et d'éliminer, contrôler ou rendre public, d'autre part, tout conflit d'intérêts potentiel risquant d'influencer leur opinion et leur analyse ; - la note attribuée à un émetteur ne doit pas être affectée par l'existence de relations d'affaires entre ce dernier et l'agence ;
- l'agence et ses salariés ne sauraient être engagés dans des relations commerciales dans le domaine de la finance de marché qui engendreraient des conflits d'intérêts avec les activités de notation; - l'évaluation et la gratification d'un analyste ne peuvent être fondées sur les commissions que rapportent les émetteurs qu 'il note; - la détermination d'une notation ne devrait être influencée que par des facteurs directement liés à la qualité de crédit ; - les agences devraient révéler la nature des accords financiers qui les lient aux émetteurs qu'elles notent. Ce rapport a été complété quelques mois plus tard par la publication d'un code de conduite [OICV, 2004] qui prévoyait en outre que: - aucun salarié d 'une agence ne saurait influencer la notation d'une entité s'il détient des titres de celle-ci; s'il en a été un salarié; s'il a eu récemment des relations d'affaires avec elle; si un parent proche exerce des responsabilités en son sein; s'il a toute autre relation avec l'entité en question; - aucun salarié d ' une agence ne devrait participer aux discussions portant sur les commissions versées par un émetteur qu'il note. Dès 2004, les agences se sont engagées à mettre en œuvre les principes du code de conduite de l'OICV. Dans son rapport de décembre 2006 adressé à la Commission européenne, le Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVM) , organisme composé des régulateurs nationaux, soulignait que les codes de conduite que les agences avaient mis en place étaient relativement conformes aux préconisations de l'OICV, à l' exception notable du point spécifiant que les analystes ne devaient pas participer aux négociations tarifaires avec les entités qu'ils notaient [CERVM, 2006, p . 43]. Fitch justifia son entorse à ce principe en affirmant que, dans certaines petites succursales situées dans des pays non anglophones , les départements chargés de la notation étaient contraints de discuter des commissions. Moody's mit en avant la complexité de certaines opéra tions, en particulier dans le domaine des financements structurés, qui pouvait conduire des analystes à évaluer en amont la quantité de travail nécessaire à la notation, et donc à influencer la tarification. Ce constat du CERVM laissait déjà présager la grave crise de confiance qui allait naître de la crise financière de 2007-2008. La crédibilité des agences à l'épreuve de la crise des subprimes
La tourmente de 2007-2008 s'est concrétisée par de nombreux défauts de produits structurés qui bénéficiaient pourtant de notations très élevées, et par des abaissements massifs de notes. Elle a relancé le débat à la fois sur l'efficacité des méthodologies des agences, sur la concurrence au sein de l'industrie de la notation et sur les conflits d'intérêts.
Une première série d'explications à l'échec des agences a consisté à défendre la thèse de l'extrême complexité des opérations structurées qui aurait empêché les analystes d'établir des diagnostics corrects [Adelson, 2007 ; Zandi, 2008] . Les risques de contagion en particulier auraient été sous-estimés. La sophistication financière est certes l'une des sources de la crise récente mais elle ne saurait en être l'unique cause. C'est pourquoi une deuxième série d'arguments a mis en avant les effets néfastes de la compétition entre agences. Skreta et Veldkamp [2009] considèrent ainsi que la complexité des actifs servant de collatéraux aux produits structurés a incité un nombre élevé d'émetteurs à pratiquer du rating shopping, c'est-à-dire à choisir de faire noter leurs ABS, CDO et autres RMBS et CMBS par l'agence qui s'engageait à attribuer la note la plus élevée. Bolton, Freixas et Shapiro [2009] ont une analyse assez proche et ajoutent que cette tendance a été d'autant plus marquée que la « surnotation » des agences intervient en période de faible aversion au risque, à un moment où leur réputation est le moins menacée. Ils en concluent qu'une agence de notation en situation monopolistique serait plus utile aux investisseurs qu'un duopole ou oligopole. Cette critique de la concurrence au sein de l'industrie de la notation est à relier à l'analyse de Becker et Milbourn [2009] qui sont allés jusqu'à démontrer que l'influence grandissante de Fitch comme troisième agence de référence depuis une décennie a provoqué une inflation des notations corporate, et a donc biaisé la mesure de la qualité des émetteurs. Ces deux auteurs ont actualisé les résultats de Cantor et Packer [1996a] et de ]ewell et Livingston [1999 et 2000] qui prouvaient que non seulement les émetteurs de dette COlporate, déjà notés par Moody's et S&P, obtenaient une note encore supérieure en recourant aux services d'une troisième agence, mais encore que ces deux leaders avaient tendance à upgrader plus facilement un émetteur s'il était noté par une ou deux autres agences. Ces analyses ne demeurent cependant pertinentes que si les agences se prêtent au jeu du rating shopping et renoncent à leur objectivité. Or le modèle de l'émetteur-payeur semble en effet avoir exacerbé ces conflits d'intérêts en matière de notation des produits structurés. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette dérive [SEC, 2008]. D'abord, les institutions financières chargées d' originer, de structurer et de distribuer les produits titrisés disposaient d'une grande latitude pour choisir les différents types d'actifs et flux financiers qui allaient constituer les produits structurés ; elles ont donc pu modeler ces derniers en fonction de la notation qu'elles visaient. Ensuite, ces mêmes institutions ont eu une influence sur le choix des agences chargées de noter les produits structurés en question et sur le processus de notation, qu'elles souhaitaient rapide et prévisible. Enfin, les originateurs et émetteurs auraient d'autant mieux réussi à influencer les agences afin d' obtenir des notes plus élevées pour leurs produits structurés que ces derniers représentaient un segment particulièrement rémunérateur pour les agences (voir chapitre r) et que l'attribution de notes non sollicitées aurait été peu crédible, compte tenu de la complexité des processus de structuration et de la difficulté pour des tierces parties d'obtenir des informations fiables. Afin de remédier à ces conflits d'intérêts, Bolton,
Freixas et Shapiro [2009] préconisent que le paiement des agences par les émetteurs précède le processus de notation.
Les conflits d'intérêts enfin au cœur des préoccupations des régulateurs depuis
2008
Les réactions des autorités de réglementation et de contrôle des marchés financiers à ces dérives ont été de plusieurs ordres. Outre-Atlantique, la SEC reprend à son compte plusieurs recommandations de l'OICV mais leur confère un caractère réglementaire contraignant [SEC, 2009]. Ainsi, les agences qui ont le statut NRSRO doivent: - améliorer la transparence tant de leurs procédures de notation que des méthodologies et des outils statistiques mis en place pour mesurer la performance des ratings attribués ; - préciser les modalités de changement de leurs méthodologies, tant sur le plan qualitatif que quantitatif; - indiquer la façon dont elles vérifient les informations utilisées pour noter les produits structurés et préciser si elles considèrent les caractéristiques de l' originateur des actifs sous-jacents dans leur processus de notation ; - publier sur leur site Internet 10 % des historiques de notation relatifs aux émetteurs-payeurs; - préparer un rapport annuel incluant toutes les décisions de notation intervenues dans chaque secteur au cours de l'année écoulée; - renoncer à attribuer simultanément une recommandation et une note à un émetteur de dette. Cette mesure vise ainsi à prévenir les conflits d'intérêts et à empêcher en particulier les agences d'avoir un rôle de consultant officieux dans les processus de shucturation de dette; -
interdire à leurs salariés en charge de la notation des émetteurs ou du développement des méthodologies de participer aux discussions portan t sur les commissions versées par les émetteurs; - veiller à ce que leurs salariés chargés de noter ou d'approuver des notes ne reçoivent pas de gratifications, dons ou récompenses des émetteurs notés. En Europe, l'OICV étoffe encore son code de conduite en vue de promouvoir la protection des investisseurs et de sauvegarder l'intégrité du processus de notation [OICV, 2008]. Ce code est en partie à l'origine de la législation adoptée le 23 avril 2009 par le Parlement européen et qui met en place, pour la première fois au niveau communautaire, un enregistrement et une surveillance obligatoires des agences de notation (www.europarl.europa.eu). Les grandes lignes de cette loi prévoient que les agences ont
l'obligation de : - prendre « toute mesure nécessaire pour garantir qu'aucun conflit d'intérêts existant ou potentiel ou relation commerciale les impliquant en tant qu'émetteur d'une notation de crédit ou impliquant leurs dirigeants, leurs analystes de notation, leurs salariés [... ] n'affecte l'émission de ladite notation de crédit » ; rendre publics « les méthodes, modèles et principales hypothèses qu'elles utilisent dans leurs activités de notation, [... ] toute notation de crédit, ainsi que toute décision d'interrompre une notation de crédit » ; - veiller à ce que « les catégories de notation qui sont attribuées aux instruments financiers structurés soient clairement différenciées en utilisant un symbole supplémentaire qui les distingue de celles utilisées pour d'autres entités, instruments financiers ou obligations financières » publier les conflits d'intérêts réels et potentiels, la nature générale de leur régime de rémunération, leur code de conduite, un rapport de transparence annuel fournissant des informations détaillées sur leur structure juridique, leur politique de ressources humaines, leur chiffre d'affaires et leurs revenus. -
Selon la nouvelle législation européenne, c'est le CERVM qui sera temporairement chargé d ' enregistrer les agences de notation . Finalement, en dévoilant des conflits d'intérêts majeurs, la crise des subprimes a terni la réputation des agences. Il s'agit là d'une ironie de 1'« Histoire » car c'est précisément l'absence de conflits d 'intérêts qui avait permis à ces mêmes agences d'accéder au rang d'acteurs majeurs du capitalisme au début des années 1930. Les régulateurs américains avaient alors jugé leurs notations suffisamment indépendantes pour les intégrer dans les réglementations financières (voir Flandreau et Gaillard [2009] pour une analyse plus détaillée) .
Les ratings dans les réglementations financières
Un premier recours aux notations en pleine dépression des années 1930
La premlere réglementation intégrant les notations des agences apparaît le Il septembre 1931, à l'initiative de l'OCC (Office of the Comptroller of the Currency, principale instance de réglementation américaine à l'époque) . Ce texte préfigure déjà l'usage qui sera fait des notations au cours des décennies suivantes. Édictée à un moment où le marché obligataire américain est en pleine dépression, cette réglementation stipule que toute banque américaine doit désormais valoriser les titres qu'elle détient en portefeuille en fonction de leur mting. D'une part, toutes les obligations d'État américaines et les titres émis par les collectivités locales situées
aux États-Unis (quel que soit leur rating) , ainsi que toutes les autres obligations notées dans l'une des quatre premières catégories de ratings (Aaa, Aa, A et Baa pour Moody's ; A1+, Al, A et B1+ pour Standard Statistics ; AAA, AA, A et BBB pour Fitch) sont comptabilisés dans les bilans à leur valeur nominale. D'autre part, pour les titres ayant un rating inférieur ou égal à Ba/Bl/BB, la valorisation se fait en fonction du prix du marché, ce qui implique une décote. John W. Pole, alors comptroller of tlze cu rrency, affirme que cette réglementation a pour objectif d'éviter que des titres de « bonne qualité » ne se déprécient pour des raisons simplement conjoncturelles (<< 75 % of bank bond valuations safe », Wall Street Journal, 12 septembre 1931, p. 1 et p. 5). Ce nouveau texte constitue l'aboutissement d'une pratique déjà répandue depuis l'année précédente au sein des banques américaines (<< Bond fluctuations ignored by banks », Wall Street Journal, Il septembre 1931, p. 10). Cet usage des ratings par les établissements de crédit avant la réglementation du Il septembre 1931 est confirmé par Osterhus [1931 , p. 67-68]. Les banques américaines avaient en fait mis en place un indice global de qualité de leur portefeuille. L'établissement déterminait d'abord le pourcentage de titres détenus dans chaque catégorie de rating. Ces pourcentages étaient ensuite pondérés : 100 % pour les titres notés AAA/ Aaa et AA/ Aa ; 90 % pour les A/A; 80 % pour les BBB/Baa; 50 % pour les BB/Ba ; 10 % pour les B/B et enfin 0 % pour tous les autres titres (ceux dont la note est inférieure ou égale à CCC/Caa, les obligations en défaut, ou dépourvues de note ou encore non listées). Le produit final indiquait l'indice global de qualité du portefeuille de la banque. Il convient de signaler que cette nouvelle réglementation suscite assez peu de réactions: la presse financière n'y voit pas un changement majeur (<< 75 % of bank bond valuations safe », Wall Street Joumal, 12 septembre 1931, p. 1 et p. 5) tandis que les milieux bancaires marquent leur approbation (<< New York banks agree on values », Wall Street Joumal, 31 décembre 1931, p. 10). Une deuxième réglementation intégrant les notations des agences est promulguée le 15 février 1936. Également initiée par l'OCC, elle s'inscrit dans le cadre du Banking Act de 1935 qui prévoyait que le comptroller of tlze currency pouvait limiter ou restreindre les achats d' obligations effectués par les banques américaines. Ce nouveau texte, qui ne s'applique pas aux obligations émises par l'État américain et ses subdivisions administratives, stipule que l'achat de titres « principalement » spéculatifs et de titres en défaut est désormais interdit aux banques. Il ne précise toutefois pas la note plancher en deçà de laquelle cette interdiction s'applique, se bornant à renvoyer aux manuels des agences afin que les banquiers eux-mêmes distinguent ce qui est « principalement » spéculatif de ce qui ne l'est pas. Il va jusqu'à préciser qu'en cas d'incertitude les notations de deux agences sont nécessaires. Ce flou peut être expliqué de plusieurs façons . D' abord, il tient en partie au fait que les quatre grandes agences de l'époque n'ont pas toutes établi une division claire entre titres Îlzvestment grade et speculative grade. Certaines catégories demeurent hétérogènes,
englobant à la fois des titres clairement spéculatifs et des titres qui sont conjoncturellement en difficulté mais dont le risque de défaut demeure faible (voir chapitre II). Ensuite, la revue Tlle Americall Ballker a accentué la confusion en certifiant que seuls les titres notés au moins A étaient désormais éligibles (The Americall Bal1ker, vol. CI, n° 47, 27 février 1936, p. 1), ce qui vient contredire la séparation établie par la réglementation du Il septembre 1931. Enfin et surtout, l'OCC s'est refusé à donner une définition précise de ce qu'est un titre spéculatif (<< Comptroller unlikely to officially define "speculative" securities » , Wall Street Journal, 29 avril 1936, p. 7). Il va même édulcorer sa propre réglementation en admettant que les banques ont la possibilité d'acheter des titres spéculatifs si elles peuvent démontrer que l'investissement en question est sûr (<< Banks given more discretion in investments », Wall Street Joumal, 23 mai 1936, p. 1). Cette reculade de l'OCC est le résultat d'un intense lobbying de la part des banquiers qui n'ont pas été convaincus par les arguments justifiant le recours aux ratings par le manque de moyens dont les banques disposeraient pour mesurer le risque d'insolvabilité des titres sur le marché. Cet argument a été rejeté par les banquiers qui estiment que non seulement les performances passées des agences ne plaident pas en leur faveur (<< Security regulations opposed by bankers », Wall Street Joumal, 25 juin 1936, p. 7), mais aussi que leur propre perception du risque diffère considérablement de celle des agences (<< Bankers oppose eligibility ru le for investments » , Wall Street Journal, 13 mars 1936, p. 1). On peut aussi supposer que ce texte a été d'autant plus mal perçu qu'il est beaucoup plus radical que la réglementation du Il septembre 1931 : il édicte une interdiction d'une part, et impose une pratique qui n'était absolument pas répandue jusque-là d'autre part. Il intervient enfin dans un contexte de marché haussier, les prix des obligations du secteur corporate notées A et Baa atteignant leur plus haut depuis la fin de la Première Guerre mondiale.
La multiplication des réglementations intégrant les ratings Durant les années d'après guerre, l'usage des notations dans les réglementations financières va encore s'étendre. En 195 l , la NAIC (National Association of Insurance Commissioners), instance américaine du secteur des assurances, édicte une nouvelle réglementation qui impose aux assureurs des charges en capital supérieures pour tous les titres notés dans la catégorie spéculative. À partir des années 1970, la SEC et d'autres organismes de supervision américains vont promulguer de plus en plus de réglementations reposant sur les notations . Celles-ci prennent le plus souvent deux formes . Il s'agit soit de règles dans lesquelles les fonds propres exigés des entités supervisées sont fonction des notations des titres qu'elles ont dans leur portefeuille ; soit de normes qui limitent, voire interdisent l'achat ou la détention de titres notés en dessous d'un certain seuil (se reporter à Cantor et Packer [1994] pour une vision plus complète du sujet).
Les réglementations financières incorporant les notations voient également le jour en Europe, Asie et Amérique latine, aussi bien sous la forme de règles pludentielles comparables à celles promulguées aux États-Unis que de réglementations requérant la notation préalable des émetteurs de dette [BRI, 2000] . Ce sont cependant les normes dites de « Bâle II » qui consacrent définitivement le rôle de la notation dans les réglementations financières.
Les accords de
«
Bâle 1/
» :
la consécration des agences
Suite aux nombreuses faillites bancaires survenues dans les années 1980, en particulier aux États-Unis, les principaux gouvernements et organismes de régulation des pays industrialisés décident de réviser les réglementations bancaires internationales . Sous l'égide de la Banque des règlements internationaux (BRI), ils mettent en place, en 1988, les accords de « Bâle 1 » qui imposent aux banques certaines exigences en fonds propres. Le ratio (dit « ratio Cooke ») qui détermine le pourcentage de fonds propres est le résultat d'une pondération des différents actifs des banques. Les créances sur les entreprises sont par exemple pondérées à 100 %, tandis que celles sur les États dépendent de leur statut : 0 % de pondération si l'État est membre de l'OCDE (Organisme de coopération et de développement économiques) ou 100 % s'il n'en est pas membre. In fine, les fonds propres doivent représenter au moins 8 % du montant total des actifs pondérés. Ce « ratio Cooke » présente toutefois certaines limites ; ainsi, il néglige trop le risque de crédit associé à l'actif détenu par la banque. Par conséquent, plusieurs séries de réflexions sur la réforme du ratio de solvabilité « Bâle 1 » se sont succédé au cours des années 1990 et 2000. Elles ont abouti, en juin 2004, à la publication d'un nouvel accord sur la convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres, dit « Bâle II ». Cet accord a été mis à jour en novembre 2005 pour intégrer quelques compléments techniques avant d'entrer en vigueur en janvier 2007 [BRI, 2005b]. Bâle II » introduit de nouvelles méthodologies pour calculer le capital réglementaire nécessaire pour couvrir le risque de crédit : l' ancien critère pays membre de l'OCDE/pays non membre est ainsi abandonné. À la place, deux approches sont proposées aux banques. La première, dite « standardisée », consiste à utiliser les ratings des agences pour déterminer le capital minimum exigé pour le risque de crédit (voir tableau 15). Plus les notations sont basses, plus la pondération appliquée est élevée et plus l'exigence en capital, c'est-à-dire le coût implicite imposé aux banques, est élevée. La seconde approche, dite IRB (intemal rating based), qui repose sur les ratings internes des grandes banques, implique le calcul de la probabilité de défaut de l'emplUnteur, de la perte en cas de défaut, de l'exposition au moment du défaut et de la corrélation entre actifs pour déterminer les exigences en fonds propres. «
Tableau 15 . Système de pondération des actifs bancaires instauré par les accords de Bâle Il AAA à AASouverains Autres entités publiques Banques Entreprises Titrisation
0%
20 % 20% 20% 20%
A+ à A-
BBB+ à BBB-
20 %
50 50 50 50
% % % %
50%
100 100 100 100
% % % %
BB+ à BB-
B+ à B-
Non et en noté dessous ccc+
100 %
100 %
150 %
100 %
100 100 100 350
100 % 100 % 150 %
150 % 150 % 150 %
100 % 100 % 100 %
% % % %
Déduction des fonds propres de la banque
Source : auteur d'après
BRI [2005b).
Il convient de noter que « Bâle II » intègre non seulement le risque de crédit (qui compte pour 8S % de la pondération globale), mais aussi le risque de marché (S %), qui englobe le risque de perte ou de dévaluation sur les positions prises suite à des variations des prix (cours, taux) sur le marché, et le risque opérationnel (10 %), qui renvoie au risque de perte liée à des processus opérationnels, des personnes ou des systèmes inadéquats ou défaillants ou à des événements externes. III fille, les fonds propres exigés des banques constituent toujours au minimum 8 % du montant de l'actif pondéré. Ces nouvelles normes de « Bâle II » , qui font donc reposer la pondération des actifs sur les notations, ont été critiquées avant même leur entrée en vigueur. Les inquiétudes ont surtout porté sur les effets procycliques de cette nouvelle réglementation : la pondération du risque de crédit étant d'autant plus forte que les ratillgs des émetteurs sont bas, la dégradation d'un émetteur augmente l'exigence en fonds propres des banques prêteuses ou détentrices de titres et complique encore plus son financement. Reisen [2003] estime par exemple que « Bâle II » déstabilisera les flux de capitaux à destination des pays en développement et renchérira le coût des emplunts pour les États notés en catégorie spéculative. Dans la même optique, Kràussl [2003] considère que l'usage exclusif des notations est susceptible d'accroître l'instabilité des marchés financiers , voire de provoquer des risques systémiques. Enfin, en appliquant ex post les règles prudentielles de « Bâle II » à la Corée du Sud juste avant le déclenchement de la crise asiatique de 1997, KnedIik et SU'obel [2006] montrent que la note trop élevée attribuée à ce pays et les downgrades qui ont suivi auraient amplifié la crise. Depuis la crise des subprimes, les critiques qui pourraient entamer le plus sérieusement le pouvoir des agences sont celles qui remettent en cause l'usage excessif des notations dans les réglementations financières en raison de leurs effets procycliques dévastateurs en période de retournement conjoncturel (se reporter en particulier à Sy [2009] et V.S. Treasury [2009] sur ce sujet). Ces thèses reposent sur diverses études qui
ont prouvé l'impact des ratings sur les arbitrages des investisseurs.
L'impact des changements de notes sur le cours des actions et des obligations Le pouvoir des agences de notation se mesure également à l'aune de l'impact qu' ont leurs abaissements et rehaussements de notes sur les rendements obligataires et les prix des actions.
La notation souveraine Cantor et Packer [1996b] ont été les premiers à analyser l'impact des changements de notes souveraines de Moody's et S&P sur les spreads pour la période 1987-1994. Ils démontrent que les upgrades et downgrades ont un impact supérieur s'ils proviennent de Moody's et s'ils concernent des États notés en speculative grade. À partir d'une analyse des changements de ratÎngs et d'outlooks de Fitch, Moody' s et S&P intervenus entre 1989 et 1997, Reisen et von Maltzan [1999] montrent que les dégradations de notes ont une influence sur les rendements du marché, contrairement aux upgrades qui demeurent anticipés par le marché.
Une étude récente mesure l'impact immédiat des changements de ratings souverains de trente-deux États émergents sur leurs spreads EMBIG pour la période décembre 1993-février 2007 [Gaillard, 2009a]. Elle analyse l'évolution des spreads au cours de la journée de cotation qui suit le changement de notation (j + 1) afin de mesurer l'effet immédiat des 180 upgrades et des 144 downgrades décidés par Fitch, Moody's et S&P. Les principaux résultats de cette étude sont les suivants : - l'impact moyen des changements de ratÎngs sur les rendements en j + 1 est supérieur à l'impact de l'évolution moyenne des spreads au cours des soixante ou trente jours qui précèdent. Pourtant, cette évolution anticipe les changements de notes à venir: les downgrades (upgrades) étant logiquement précédés d'une hausse (baisse) des rendements; les downgrades (upgrades) conduisent en moyenne à des augmentations (baisses) de primes de risque pour les trois agences; - les effets d'un downgrade de la catégorie investissement à la catégorie spéculative sont bien plus significatifs que ceux d'un upgrade de la catégorie spéculative à la catégorie investissement; - les upgrades de Moody's et les downgrades de S&P ont les impacts les plus nets sur les spreads. Les changements de notes de Fitch semblent être plus synchronisés avec le marché; - l'impact des downgrades et des upgrades n 'est pas fonction de leur nombre: les augmentations de notes de Moody's ont l'impact le plus fort alors qu 'elles sont moins fréquentes que celles de Fitch et de S&P. Ce résultat met donc en évidence l'importance du timing des
changements de notes.
La notation corporate Iankova, Pochon et Teïletche [2006] ont analysé les effets des changements de notes et des mises sous surveillance des trois grandes agences sur les cours de Bourse des entreprises françaises, européennes et américaines pour la période 1990-2004. Leur étude englobe, d'une part, 252 changements de notations pour la France, 549 pour l'Europe et 5 918 pour les États-Unis; d'autre part, 149 mises sous surveillance pour la France, 265 pour l'Europe et 2 689 pour les États-Unis: - pour ce qui est de la France, les downgrades et les mises sous surveillance négatives conduisent en moyenne, pour les trois agences, à une baisse du cours de Bourse au cours de la séance qui suit. En revanche, le cours de Bourse a généralement augmenté trente jours après l'abaissement de note ou la mise sous surveillance négative. Les effets des upgrades sont eux beaucoup moins homogènes d'une agence à l'autre. L'impact immédiat se traduit logiquement par une hausse du cours de Bourse pour Fitch et Moody's seulement, alors que les effets à trente jours montrent une baisse inattendue du cours pour S&P et Moody's. Les mises sous surveillance positives se traduisent enfin par une hausse des cours de Bourse pour les trois agences; les effets des changements de notes et des mises sous surveillance des entreprises européennes sont comparables à ceux trouvés pour les sociétés françaises ; - les impacts des modifications de notes et mises sous surveillance des firmes américaines présentent une forte homogénéité d'une agence à l'autre. Les dowl1grades et mises sous surveillance négatives se traduisent par une baisse du cours de Bourse pendant la séance qui suit, puis par une stabilisation durant les semaines ultérieures. Les upgrades ont un léger effet positif sur le cours en j + 1 puis ils aboutissent en moyenne à une baisse des cours au cours des trois mois suivants. Les mises sous surveillance positive des trois agences ont quant à elles un impact positif très marqué sur le cours en j + 1 ; par la suite, le cours tend à diminuer lentement. Les différences de résultats notables d'un continent à l'autre peuvent être imputables à la taille des échantillons considérés. Elles sont également susceptibles de révéler une plus grande sensibilité des acteurs de marché américains aux actions des agences de nota tion, et en particulier aux mises sous surveillance. Les résultats de Iankova, Pochon et Teïletche [2006] confirment les travaux précédents de Hand, Holthausen et Leftwich [1992L Dichev et Piotroski [2001] et Norden et Weber [2004] qui ont observé que les décisions négatives des agences avaient un impact défavorable sur les cours de Bourse, alors que leurs décisions positives étaient peu prises en compte par les investisseurs. Plusieurs hypothèses sont envisageables pour expliquer cette asymétrie de comportement des actionnaires. Les upgrades, outlooks
positifs et mises sous surveillance positives sont peutêtre plus facilement anticipés ou alors perçus certes comme un signe de l'amélioration de la solvabilité de l'entreprise mais aussi comme un indice révélant la faible prise de risque du management. Les décisions positives des agences refléteraient par exemple un recours insuffisant à l'effet de levier susceptible de créer de la valeur pour l'actionnaire. Cette explication serait cohérente avec les analyses de Goh et Ederington [1993] qui montraient que les downgrades dus à une dégradation de la situation financière étaient suivis d 'une chute des cours, contrairement aux abaissements de notes causés par des effets de levier.
La notation des obligations structurées Ammer et Clinton [2004] ont réalisé l'une des rares études mesurant l'impact des modifications de notations sur les rendements des obligations stlUcturées pour la période 1997-2003. Ils ont analysé les effets de près de 1 300 downgrades et upgrades décidés par Moody' s et S&P sur les obligations américaines adossées à des actifs. Leurs résultats montrent que les abaissements de notes entraînent une augmentation des spreads en moyenne supérieure à celle enregistrée pour les obligations souveraines et c01porate. L'impact des downgrades est particulièrement fort pour les obligations stlUcturées qui glissent en caté- gorie spéculative. À l 'inverse, les rehaussements de notes demeurent le plus souvent sans effet sur les rendements. Mancini et Teï1etche [2006] ont mené une étude semblable pour les obligations structurées européennes sur la période 1999-2005 . Leur conclusion établit une fois de plus que l'impact des downgrades est bien supérieur à celui des upgrades.
In fine, quel que soit le secteur de la notation considéré (titres souverains, titres c01porate, produits structurés), les changements de ratings influent sur l'évolution des prix des actifs financiers (cours boursier ou obligataire). De nombreuses études empiriques ont plus précisément démontré que si les décisions positives (upgrades, mises sous surveillance positives, outlooks positifs) ont souvent des effets indéterminés sur les prix des actifs, les décisions négatives des agences (downgrades, mises sous surveillance négatives, outlooks négatifs) se traduisent par une baisse des prix; le passage en catégorie spéculative étant généralement très pénalisant pour les émetteurs concernés. Ce dernier résultat découle partiellement de l'existence des réglementations financières instituant la séparation investment grade/ speculative grade ainsi que des règles plUdentielles mises en place par les banques et autres fonds d 'investissement eux-mêmes en vue de limiter ou d 'interdire la détention de titres notés dans la catégorie spéculative. Néanmoins, les diverses règles incorporant les notations ne sauraient expliquer l'impact constaté des mises sous surveillance, qui laisse supposer que les acteurs de marché cherchent avant tout à anticiper les changements de notes.
Quelles sont les véritables limites des agences ?
Ce dernier chapitre nous conduit à conclure que les trois faiblesses fondamentales des agences sont les conflits d'intérêts qui ont miné leur crédibilité, leur incapacité à appréhender le risque de crédit des produits structurés, et la confiance excessive que leur ont accordée les régulateurs et les investisseurs depuis deux décennies. Les conflits d'intérêts sont largement imputables aux agences qui n 'ont pas su ou voulu cloisonner leur processus de notation des discussions portant sur les commissions versées par les émetteurs. La « surnotation » des produits structurés est en partie la conséquence des conflits d'intérêts mais elle s'explique également par la sophistication et la complexité accrues de l'ingénierie financière. Enfin, la multiplication des réglementations financières intégrant les notations a certes influencé les investisseurs et accentué l'ampleur des cycles haussiers et baissiers, mais elle a également contribué à déresponsabiliser les acteurs de marché, qui ont eu de plus en plus tendance à se fier exclusivement aux ratings et à délaisser leurs propres analyses du risque de crédit.
Conclusion
Depuis l'essor du capitalisme et le développement des marchés de capitaux, les investisseurs disposent d'assez peu de moyens pour trier le bon grain de l'ivraie et acquérir des titres obligataires qui ne feront pas défaut. Au XIX' siècle, acheter des titres originés par une grande banque d ' affaires à la réputation solidement établie, telle la maison Rothschild, était un gage de sécurité. À partir de l'entre-deux-guerres, la montée en puissance des banques commerciales adossées à de vastes réseaux de distribution a contribué à brouiller les cartes. Certains grands établissements ont en effet été de plus en plus tentés d ' originel' des titres de moindre qualité, renonçant de facto à leur réputation en échange de commissions juteuses. L'émergence des agences de notation à la même époque permit de résoudre ce conflit d'intérêts, mais seulement provisoirement [Flandreau, Flores, Gaillard et Nieto-Parra, 2009]. L'intégration des ratings dans les réglementations financières et la sacralisation de la catégorie illvestmellt grade ont progressivement modifié les comportements à la fois des investisseurs et des émetteurs de dette. Les investisseurs ont cherché systématiquement à anticiper les changements de notes et même de perspective. De leur côté, les émetteurs ont bien compris qu 'ils devaient influencer les agences en vue d'obtenir des notations plus élevées. La technique de la titrisation leur a permis d'atteindre cet objectif en diluant de façon plus ou moins imperceptible le risque de crédit. La faillite des analyses quantitatives des agences et les conflits d'intérêts qui ont miné leur processus de notation ont couronné le tout. À défaut de pouvoir revenir à l'époque antérieure aux années 1970 où
les agences étaient rémunérées via la vente de leurs publications aux investisseurs, il convient de prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires pour éradiquer les conflits d'intérêts et faire en sorte que les notations redeviennent des mesures objectives et indépendantes, avant tout au service des investisseurs. La crise actuelle remet également en cause la logique de delegated monitoring qui a prévalu au cours des trois dernières décennies. Les autorités chargées de superviser les marchés financiers aussi bien que les investisseurs eux-mêmes ont inconsidérément laissé la mesure du risque de crédit dépendre des seules agences de notation, semblant ignorer qu 'un rating n 'est qu'une opinion parmi d'autres. Les instances nationales et internationales de supervision financière devraient donc à l'avenir réduire le nombre de réglementations incorporant les notations. Les banques et les fonds d 'investissement ont quant à eux intérêt à « réinternaliser » la fonction de risque de crédit, gagnant de facto en indépendance et contribuant à diversifier les opinions des acteurs financiers sur les marchés. Enfin, les agences de notation doivent se montrer à la hauteur d' un
des principaux défis de la décennie 2010 : l'irrémédiable détérioration de la solvabilité de plusieurs pays industrialisés. Les plans de relance mis en place en 2008-2009 ont en effet sérieusement alourdi le fardeau de la dette de la plupart des pays développés . Cette dette sera difficilement soutenable pour certains États, tels les pays du Sud de l'Europe, qui, faute de parvenir à se réformer et de disposer d'une assise fiscale solide, sont condamnés à voir leur notation fléchir au cours des prochaines années .
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Table des matières 1ntrod uction 1 l 'industrie de la notation
Le renseignement financier. ancêtre de la notation Les acteurs de la notation Les débuts de la notation, Une industrie oligopolistique dominée par trois agences depuis les années 1940,
Le mode de rémunération des agences lusqu ' aux années 1970, des revenus tirés des investisseurs, Depuis les années 1970, des revenus tirés des émetteurs de dette,
o Encadré : Les
Il
commissions perçues par les agences une source de revenus lucrative,
Définition, interprétation, d'attribution des notations
typologie
et
modalités
Qu'est-ce qu'une notation? La notation, opinion indépendante, La notation, mesure d'un risque de défaut.
o Encadré : Risque de liquidité et
risque de solvabilité,
La signification des échelles de notation Des années 1910 aux années 1940 une uniformisation progressive des échelles, L'après-guerre et l' élargissement des échelles,
o
Encadré : La comparabilité des ratmgs,
La discrimination investment grade/speculative grade,
o
Encadré QI/el avenir pour les" all'Jes déchus» ?
La question de la notation du défaut souverain, Les notes de recouvrement lancées par Fitch,
Les différents concepts intervenant dans les méthodologies de notation La perspective de notation, La mise sous surveillance, Les notes à court terme, Notes en monnaie étrangère et notes en monnaie locale, Les notes sur échelle nationale, Le
«
plafond pays )' ,
Modalités d'attribution et de retrait d'une notation Le processus de notation,
Le retrait d 'une note,
III La notation des entités publiques
Les États L' appréciation du risque souverain avant l'apparition de la notation,
o Encadré
Risque souverain et risque pa ys,
Naissance et esso r de la notation souveraine dans l'entre-deux-guerres, Une notation souveraine en léthargie pendant un demi-siècle,
o
Encadré La crise souveraine des années 1930,
La renaissance de la notation souveraine à partir des années 1970, Les déterminants des notations souvera ines,
o
Encadré : L es primes de risque du marché comme Ulle m esure altemative du risque souverain,
La not ation spécifique des pays en déve loppement. La stabilité et la fiabilité des notes souveraines malgré plusieurs crises,
Les collectivités locales
o
Encadré : L es écarts de IlOtes d'ulle agence à ['autre quelles conclusions en tirer ?
Les collectivités locales américaines, Les collectivités locales non américaines,
IV La notation des entités privées
Les entreprises 1909-1940 : trente années de notation maleure,
o
corporate américaine ponctuées par une crise
Encadré 1909 : les premières nota tio1lS de l'hisloire,
1941 -1969: trois décennies particulièrement bas,
marquées
par
des
taux
de
défaut
corporate
Depuis 1970 : le retour du risque de crédit et l'explosion du nombre d'émetteurs notés,
o
Encadré La descente aux enfers de General Motors,
Les déterminants des notations du secteur
o Encadré Lexique des principaux Les produits structurés
corporate,
concepts fi1lanciers utilisés par les age1lces,
Comment est noté un produit structuré ?, Les racines de la crise des
subpnmes,
L'action procycl ique des agences,
Les banques Les méthodologies de notation bancaire, La crise bancaire de 2007-2008, Crise des
subprimes, crise bancaire quelles leçons t irer?
o Encadré:
Les banqlles françaises (ace à la crise de 2007-2008.
V Forces et faiblesses des agences
La fiabilité des notes Réputation des agences et conflits d'intérêts Une réglementation tardive. d'abord soucieuse de créer un club de happy few. Une prise de conscience tout aussi tardive des conflits d'intérêts. La crédibilité des agences à l'épreuve de la crise des subprimes, Les conflits d'intérêts enfin au coeur des préoccupations des régulateurs depuis 2008,
Les ratings dans les réglementations financières Un premier recours aux notations en pleine dépression des années 1930, La multiplication des réglementations intégrant les ratings, Les accords de
«
Bâle Il
» :
la consécration des agences,
L'impact des changements de notes sur le cours des actions et des obligations La notation souveraine, La notation corporate. La notation des obligations structurées, Quelles sont les véritables limites des agences?
Conclusion Repères bibliographiques
Collection
E
R
,
p
E
R
E
créée par MICHEL FREYSSENET et OLIVIER PASTRË (en
1983),
diligée par JEAN-PAUL Pl RIOU (de
1987 à 2004), pllis par PASCAL COMBEMALE,
avec STÉPHANE BEAUD, ANDRË CARTAJ>ANIS, BERNA RD CULASSE, FRANÇOISE DREYFUS, CLAIRE LEMERCIr.R, YANNICK L ' HORTY, PHIurPE LORINO, DOMINIQUE MERLLlË, MICHEL RAINELLI et CLAIRE ZALC. Le catalogue complet de la collection {( Rep eres » est disponible sur notre site
bttp://www.coUectioureperes.com
GRANDS REPÈRES Classiques
R E P ÈRE
5
La formation du couple. Te~tes esselltiels pour la sociologie de la (amille, Michel Bozon et François Héran.
Invitation .. la sociologie, Peter L. Berger. Un sociologue il l'usine. Textes esseutiels pOlir la sociologie du travail, Donald Roy. Dictionn aires
R E
P ÈRE
5
Dictionnaire de gestion, ËlleCohen. Dictionnaire d' analyse économique, lIlicroéconolllie, lIlacroécollomie, tlléorie des jellx,
etc., Bernard Guerrien . Guide s
R E
P ÈRE
L'art de la thèse.
5
COllllllentpr~parer
et rédiger 11/1 méllloire de lIlaster, IIne t1lèse de doctorat ou tOlit a litre travaillilliversitaire à 1ère du Net,
Michel Beaud.
s
Comment parler de la société. Artistes, éC/lvai/ls, cl1erchel/rs et représelltatiolls sociales,
Howard S. Becker. Comm ent se fait l'histoire. Pratiques et el/jel/x,
François Cadiou, Oarisse Coulomb, Anne Lemonde et Yves Santamaria. La comparaison dans les sciences sociales. PratilJlles et métllOdes, Cécile Vigour. Faire de la sociologie. Les gra/ldes eHql/Ues (ra/lçaises dep l/is 1945,
Philippe Masson. Les fice lles du métier. Comment cO/ldl/irt sa reellerclle eH scie/lcl!' sociales, Howard S. Becker.
Le gout de l' observation . Comprendre et pratiql/er l'obsen'atiol"l participa/lte ni sciences sociales, Jean Peneff.
Guide de l'enquete de terrain, Beaud et Florence Weber. Guide des méthodes de l'archéologie, Jean-Paul Demoule, François Giligny, Anne Lehoerff et Alain Sdmapp. Guide du stage en entreprise, Michel Villette. Manuel de journalisme. Écrire pOl/r leJOI/Inal, Yves Agn~s . Voir, comprendre, analyser les images, Laurent GerveJ·eau. St~phane
Manuels R
E
P
ÈRE
S
Analyse macroéconomique 1. Analyse macroéconomique 2. , 7 auteurs sous la direction de Jean-Olivier Ilairault. Consommation et modes de vie en France. Une approche économiqlle et sociologiqlle sllr 1/11 demi-siècle, Nicolas Ilerpin
et Daniel Verger. Déchiffrer l' économie, Denis Clerc. L' explosion de la communication.l/ltroductio/l allx théories et al/X pratiqlles de la comrllllll ication, Philippe Breton
et Serge Proul". Les grandes questions économiques et sociales, Pascal Combemale (dir.). Une histoire de la comptabilité nationale, Andre Vanoli. Histoire de la psychologie en France. XIX'-XX' siècles, J. Carroy, A Ohayon et R. Plas. Introduction aux sciences de l'information, Jean-Michel Salaun et Clément Arsenault (dir.). Macroéconomie flnanciue, Michel Aglietta. La mondialisation de l'é conomi e. Ge/lèse et problèmes, Jacques Adda. Nouveau manuel de science politiqu e, Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutolt (di r ). La th éorie économique néoclasslque. Microéconomie, macroéco /lomie et théorie des JellX,
Emmanuelle Bénicourt et Bernard Guerrien.
Composition Facompo, Lisieux (Calvados). Dépôt légal: février 201 0
* Les références entre crochets renvoient a la bibliographie en fm d 'ouvrage.