Les inégalités sociales de santé

SOUS LA DIRECTION DE

Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang

Les inégalités sociales de sante

Editions La Découverte/INSERM

Remerciements Le gloupe editorial reniei•cic très vivement Jacqueline Delhecq, dont Ia presence amicale et eflicace au service Animation Ucla recherche de l'INSERM a grandement facilitC Ia rCalisation de cet ouvrage. Naturalia et Biologia a appoi'ttS un soutien financier a Ia publication de l'ouvrage.

Catalogage Electre-Bibliogi-aphie Les inégalitës sociaks de santé/ ëd. SOLIS Ia dir. de Annette Leckii. I)idier Fassin. Hélène Grandjean, Monique Kaminski et Thieny Lang. — Pads: La Découverte. 2000. — (Recherches)

ISBN 2-7071-3247-0

RAMEAU :

sante : aspect social : France

DEWEY:

politique saniiairc : France sante publique France 362.1 : Services sociaux spCcifiqucs. Hôpitaux. Centres mCdicaux. Politiques dc sante publique Public motive

Public concernC

Le logo qui figure sur Ia couverture de cc livre iutérite une explication. Son objet est d'alcrter Ic lecieur sur Ia menace que représence pour l'avenir du livre. lout particulièreinent dans le domaine des sciences huinaines ci sociales, Ic dCveloppement inassildu photocopillage. Le Code de Ia propdéé iniellectuelle du I 1992 interdit en diet expressCunent. sous peine des sanctions penales rCpritnant Ia contrefacon. Ia photocopie a usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or celte pratique s'est gCnCralisCe dans les Ctahlissenscnts d'enseigneinent, provoquant une haisse brutale des achats de Iivres. au point que Ia possibilitC metric pour les auteurs de créer des (euvres nouvelles ci de es faire Cditer correetement est aujourd'hui menacCe. Nous rappelons done qu'en application des articles L 122-10 a L 122-12 du Code de Ia propriéié intellecluelle. lowe photocopie a usage collectif. intCgrale ou parlielle, du present ouvmge est inlenlite sans autorisation du Centre Iiançais d'exploitation du droit de copie (CFC. 20. rue des Grands-Augusiiiis. Paris). Toute autre forme de reproduction. integrale ou parlielle. esi Cgaletnent inierdite sans autorisation de l'éditeur. Si vous dCsirez Cire tenu réguliCreinent informé de nos partitions, ii 'otis suffit dcnvoyer

nomet adresse

aux Editions La Décotiverte. 9 bit, rue Abd-Hovelucque. 75013 Paris. Vous recevrez graluitement noire bulletin trimestriel A In I)écouverte. ii) Editions La Découveite ci Syros, Paris, 2000.

S ommaire

Prefaces Professeur Lucien AbenhaIm, directeur general de Ia sante Professeur Claude Griscelli, directeur general de I'JNSERM

11

Introduction : ConnaItre et comprendre les inégalités sociales de sante par Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang, Annette Leclerc

13

7

I. GENERALITEs 1.

2.

3.

4.

L'indgalité sociale face a la mort: I'invention récente d'une rCalitd ancienne par Patrice Bourdelais

27

Fin de siècle et inegalites sociales de sante en France : I'amorce d'un débat? par Marcel Drulhe

41

Inégalites sociales de mortalité prematuree: Ia France comparée aux autres pays européens, par Anton E. Kunst, Feikje Groenhof Johan P. Mackenbach et le groupe de travail de l'Union europeenne sur les inegalités socio-économiques de sante

53

Programmes de recherche et débat public sur les inégalites de sante: la France est-elle en retrait ? par Marianne Berthod-Wurmser

69

II. METHODES, MESURES De Ia mesure des inégalitCs : enjeux sociopolitiques et théoriques par Pierre Alach

83

6.

Le repCrage de la situation sociale, par Alain Chenu

93

7.

Quantifier les inegalités, par Annette Leclerc, Jean-François Chastang

109

8.

Qualifier les inegalités, par Didier Fassin

123

5.

III. INEGALITES PAR DOMAII'4E D'EXPRESSION 9.

La mortalité, par Eric Jougla, Stephane Rican, Fran coise Pequignot, A lain Le Toullec

147

10. Les indicateurs globaux de sante, par Florence Girard, Christine Cohidon, Serge Brian con

163

11. La sante périnatale, par Monique Kaminski, Beatrice Blondel, Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles

173

12. La sante de l'enfant, par Anne Tursz

193

6

13.

LES INEGALITE.S SOCIALES

SANTE

La sante des adolescents, par Marie Choquet, Cliristophe Lagadic

207

14. Les maladies cardio-vasculaires, par Thierry Lang, Céline Ribet

223

15. Les cancers, par Catherine Herbert, Guy Launoy

239

16. Les troubles rnentaux,parAnne Loi'ell

251

17. La santC hucco-dentaire, par catherine Dargent-Paré, Denis

ourgeois

267

18. Le sida, par Marcel Calvez

283

19. Handicaps et incapacliCs, par Jean-François Ravaud, Pierre Mormiche

295

20. Personnes ãgCes, parAlain Grand, Serge Clement. Hé/ène /3ocquet

315

IV. CLEs D'INTERPRETATION 21. Evolution gCnCrale des inCgaliiCs sociales les revenus, Ic logeinent, l'Ccolc par A lain Bib'; Roland Pfefferkorn

133

22. Sante au travail l'inCgaiitC des parcours, par Serge Volkoff :

Annie ThCbaud-Monv

149

23. Genre ci inCgalités sociales en sante, par Kate Hunt, Sal/v Macintyre

163

24. Modèles anilnaux d'Ctude, par O!it'ier Berton, Pierre Mormède

377

25. Comportenients, par Qatar Brixi, Thier,y Lang

391

26. Accès aux soins, par Pierre Lombrail

403

27. CohCsion sociale et saniC,parlchiro Kawachi, Lisa F. Berknian

419

Conclusion : Perspectives pour Ia recherche ci pour l'action. par Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kantiuski, Thierrv Lang, Anneue Leclerc

429

Ont contrihué a cci ouvrage

437

index

441

Preface Professeur Lucien Abenhaim Directeur général de la sante

Pour des raisons historiques, sociologiques et politiques, la France est longtemps restde a l'écart du grand mouvement de sante publique amorcé en 1848 par le Britannique Edwin Chadwick. Pourtant, dans notre pays, La science n'était pas en reste et nulle vision de sante publique sur les inegalités sociales ne peut

éviter de citer le nom de Louis-René Villermé, dont l'analyse sociale a si bien anticipe l'ceuvre pasteurienne, qui accordait toute sa place au << terrain

>>.

Ii a fallu les grandes crises sanitaires de Ia décennie quatre-vingt-dix pour que les méthodes et les pratiques de sante publique retrouvent chez nous une certaine legitimité. Comme si, dans notre pays, la pensée de sante publique, qui eut tant de ma! a émerger, s'était laissé marginaliser avec Ia poussde des succès thdrapeutiques et des progrèS biologiques ainsi que l'amélioration des conditions de vie associée a Ia croissance économique. Mais [a Sante publique ne se réduit pas a la seule sdcurité sanitaire. II faut en revenir a l'origine, lorsque la sante publique était d'abord un mouvement social. Si La prevention des risques évitables reste une des missions de base des professionnels de sante publique, l'autre grande mission est l'organisation de Ia réponse aux besoins individuels de soins et de prise en charge en utilisant au mieux et de manière equitable les progres de Ia connaissance et de Ia technique médicale. De longue date, ii est apparu que cet objectif relevait d'une démarche solidaire echappant aux mécanismes du marché, démarche qui s'est développée en Europe sous diverses formes. Appuyé pendant plusieurs décennies sur une forte croissance économique et l'essor du rapport salarial, it a été bouscuté par Ia mise en cause du plein-emploi, les nouvelles formes d'organisation du marché, les transformations de Ia repartition des revenus et doit renouveler ses principes et ses modes

d'intervention. L'adoption récente de Ia couverture médicale universelle, suivant d'un peu plus de dix ans celle du RMI, en est l'illustration Ia plus actuelle en France. La socialisation du financement des depenses de soins a représenté un outil puissant pour s'attaquer aux problèmes d'accessibilité et améliorer Ia qualité des services, Ia part de Ia richesse intérieure consacrée a La médecine croissant sans interruption depuis La Liberation. Le principe du remboursement des soins étant un acquis, Ia seule discussion a longtemps concerné le niveau de celui-ci. Se

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LES 1NEGALITES SOCIALES DE SANTE

quand même Ia question des inégalites qu'on iie peut pas réduire aux seules questions d'accès aux services de soins et de prevention sans s'interroger dans pose

le niênie temps sur l'impact de ces services sur Ia satisfaction des besoins de sante. Sur cette question de l'efficacité des prises en charge, ii faut dépasser les opinions et seules les démarches scientifiques permettent de le faire. L'analyse historique est ici a Ia lois passionnante et décourageante lorsqu'elle rCvèle que, en dépit des ressources importantes allouées aux soins médicaux et des progrès considCrables qu'on leur dolt, des inégalités persistent et résistent a cet effort social.

Ce Iivre commence par rappeler que l'inégalité sociale et sanitaire est tout sauf une réalité récente. C'est tin immense travail illustrant les progrès des sciences sociales et de l'epidémiologie dans notre pays, qui vient lever une partie du voile sur cette réalité mCconnue des inégalités sociales de sante. Bien qu'elles soient insuffisantes en quantité, ii faut se réjouir de Ia qualite de nos recherches sur les inégalitCs sociales. Elles viennent interpeller les décideurs de sante publique.

Dans cette interpellation, les questions de mCthodes ne doivent pas être écartCes car leur clarification contribue a Ia qualité du débat public. Outre Ia definition même de ce qu'est une inegalité sociale ou sanitaire, Ia question de I'unité d'observation permenant de mettre en evidence les disparitCs existantes représente un enjeu important pour Ia connaissance conime pour l'action. Selon

qu'on fait le choix d'une unite spatiale (region, départenient, canton, bassin urbain, etc.), sociale (revenus, diplôme, position, etc.) ou professionnelle, Ia photographie des disparités vane et pas seulement dans Ic detail. II faut ici redire a quel point il estjustilié de renforcer nos d'information sanitaire pour

qu'ils soient capables d'éclairer ces enjeux cruciaux pour l'avenir de Ia démocratie. En l'état, comment ne pas souligner Ia complexité du diagnostic ? Au plan conceptuel d'abord, lorsqu'iI s'agit d'apprécier dans queue mesure Ia sante est

un marqueur du social ou l'inverse. Au plan opérationnel aussi, Iorsque l'on constate que centains indicateurs globaux sont suffisamment rassurants pour en masquer d'autres, plus preoccupants, comme le fait que Ia mortalité des jeunes Français est Ic double de celle des jeunes Suédois. Mais nous apprenons ici que quel que soit l'indicateur de mortalité retenti, les inégalités sociales sont plus

fortes en France que dans de nombreux pays de niveau de developpement comparable. On saura gre aux auteurs de ne pas s'en tenir au diagnostic, mais de se risquer aussi bien a être prescriptifs dans un secteur il n'est pas facile de her science et action. Car ii ne suffit pas de constater des inégalitCs (Ce qui n'est pas rien), encore faut-il les expliquer pour fournir des pistes d'actions correctnices. Qu'y a-t-il derriere Ia question de I'accessibilité? Quelle ha part des obstacles économiques, géographiques, culturels ? Que dire de I'inégalité sociale dans Ia

qualité des actes diagnostiques, des traitements ou de Ia prevention? Du

PREFACE

9

meilleur de notre recherche en sante publique, les réponses a ces questions ne sont encore que partielles. A l'heure oü nous tentons de reformer l'administration sanitaire du pays en y intégrant les concepts de démocratie sanitaire et de qualité pour mieux l'ouvnr aux preoccupations des différents segments de Ia population, les reponses a ces questions n'ont pas seulement tin intdrêt academique. La plupart des facteurs impliques dans la genèse des inégalites ne peuvent

pas trouver de solutions purement médicales sans s'intéresser aussi a Ia prevention, qui dépasse largement le champ de Ia médecine. Les seules logiques fondées sur l'offre de soins et services sont insuffisantes, mais elles ont le mérite

d'être concretes et lisibles. L'action intersectorielle (education, logement, travail, alimentation, culture, etc.) est souvent indispensable dans une approche

cohérente de sante publique, mais elle se heurte a des logiques divergentes: enjeux economiques, enjeux professionnels, effets sociaux. Tout un courant moderne de Ia sante publique, bien incarné par le regretté Jonathan Mann, s'attache a faire un lien entre la sante et Ia question des droits de I'homme de sorte qu'émerge une veritable <.éthique de sante publique >>. C'est ce lien qu'etablit cet ouvrage ambitieux, rigoureux, dans lequel l'opinion recule toujours devant les faits. Nos socidtés changent sur un rythme jamais connu dans l'histoire de l'humanité : le risque est reel de déstabiliser des franges de plus en plus larges de Ia population et même de laisser a l'écart de ces boule-

versements un nombre croissant de personnes. En ce sens, Ia question de l'exclusion et de Ia cohesion sociale (re)devient un enjeu majeur de sante publique. On ne peut qu'être reconnaissant aux auteurs de leur volonté de rendre plus intelligibles ces questions complexes. Ii depend de Ia poursuite de leurs efforts que les argumentaires de sante publique soient de mieux en mieux dtablis et par consequent efficaces. Sans doute est-ce Ia fin de Ia clandestinité relative de ce travail scientifique Iorsque l'on constate, grace a un travail de Ia Société francaise de sante publique, que I'augmentation des inegalites sociales et sani-

taires figure, avec les impacts sanitaires de l'environnement, parmi les deux priorités les plus souvent citées par les professionnels de sante publique francais. Bien sôr, le regard porte sur ces faits sociaux ne doit pas être purement hexagonal tant les inegalites internationales dépassent les inégalites intranationales. Mais les progrès de Ia pensée et de l'action sanitaires et humanitaires ne peuvent

pas seulement concerner les pays oii Ies situations sont les plus extremes. D'ailleurs, tout est lie. Les inégalités tolérées chez nous ne font qu'anticiper celles qui sont acceptées dans les pays du Sud. L'idée que le développement durable doive s'accompagner d'une politique sanitaire durable commence a émerger. Les notions de solidanté et d'équite y joueront un role central. Je souhaite féliciter sincèrement les auteurs de ce livre et les remercier de contribuer a cette avec toute Ia force de leur savoir.

Preface Professeur Claude Griscelli Directeur general de 1 'INSERM

Un des moyens pour l'INSERM de susciter des recherches dans des domaines insuffisamment développds est de mettre en place une intercommission dont un des objectifs est de proposer des actions d'animation de La recherche. L'intercommission intitulée << Analyse et evaluation des systèmes de soins et de prise en charge, de prevention et de protection sociale >> (1995-1999)

et presidde par M. Berthod-Wurmser a propose que soit réalisé un ouvrage faisant un bilan sur les inegalites sociales de sante. Ii s'agit d'un sujet particulièrement important en sante publique. On peut en

effet considérer que l'ampleur des inégalites sociales est une estimation des progres restant a accomplir. Même s'il existe des difficultés méthodologiques dans Ia mesure des inegalites, I'importance de celles qui sont décrites dans les différents chapitres de ce livre révèle l'ampleur du problème si l'on considère que Ia diminution des inegalitds sociales de sauté doit être un des objectifs prioritaires des actions de sante publique. Constater les indgalites n'est pas suffisant si l'on veut vraiment les réduire,

et c'est un des mérites de cet ouvrage que d'aller au-delà du constat et de proposer des pistes pour l'interprétation. Cet ouvrage souligne dgalement les besoins en matière de recherche, en particulier Ia nécessité de her les différentes approches d'un même problème (sociologique, psychologique, biologique, épidémiologique...). On peut en effet penser que c'est par l'interaction entre les différentes approches que l'on pourra avoir une meilleure connaissance des mécanismes de certaines alterations de l'état de sante. La diversité des disciplines des différents auteurs des chapitres va dans ce sens. Même si plusieurs équipes de I'INSERM travaillent sur le sujet, comme en témoigne leur participation a l'ouvrage, he développement que mérite ce theme ne pourra venir que de l'association avec des chercheurs d'autres organismes. Certains appels d'offres de I'INSERM en cours et a venir s'efforcent de faciliter ces rapprochements même s'ils ne sont pas toujours naturels. Les éditeurs (Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang) et les rédacteurs des chapitres ont accompli un travail important et qul constituera, sans nul doute, une réfdrence pour des travaux a venir.

Introduction

Connaltre et comprendre les inégalités sociales de sante Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang, Annette Leclerc

Au debut du Discours surl'origine etlesfondements de l'inégalitéparmi les hommes, Rousseau énonce une distinction pour lui irréductible: <<Je concois dans l'espèce humaine deux sortes d'inegalité ; l'une que j'appelle naturelle ou physique, parce qu'elIe est établie par la nature, et qui consiste dans Ia difference des ages, de Ia sante, des forces du corps, et des qualitds de l'esprit, ou de l'âme, l'autre qu'on peut appeler inegalité morale, ou politique, parce qu'elle depend d'une sorte de convention, et qul consiste dans les différents privileges, dont quelques-uns jouissent, au prejudice des autres, comme d'être plus riches, plus honorés, plus puissants qu'eux, ou même de s'en faire obéir. >> Et ii ajoute : <
ne peut pas demander queue est la source de l'inegalité naturelle, parce que la réponse se trouverait énoncée dans Ia simple definition du mot. On peut encore moms chercher s'il n'y aurait point quelque liaison essentielle entre les deux inegalités, car ce serait demander, en d'autres termes, si ceux qui commandent valent mieux que ceux qui obéissent et si Ia force du corps on de l'esprit, Ia sagesse ou Ia vertu, se trouvent toujours dans les mêmes individus, en proportion de La puissance, ou de Ia richesse. >> C'est contre cette idée, exprimée ii y a deux siècles et demi par le philosophe et aujourd'hui encore fort répandue dans le sens commun, selon laquelle les inégalites inscrites dans le corps seraient naturelles, que ce livre est écrit. Non seulement les disparités physiques entre les individus ne sont pas fondées, de manière absolue, en nature, dans une sorte d'essence biologique de I'être humain, mais elles sont aussi déterminées par les inegalités que Ia société institue. Contrairement donc a ce qu'écrit Rousseau, on doit demander quelle est La source de l'inégalité physique, parce qu'elle n'est pas naturelle, et on doit encore plus chercher sa liaison avec l'inegalite qu'il appelle morale, et que nous qualifions de sociale. Ce retour sur un texte seminal de Ia philosophie politique se justifie aujourd'hui encore. Si le vocabulaire scientifique et même le lexique ordinaire contemporains n' incluent apparemment plus l'expression << inégalité naturelle >>, Ia croyance en une

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LEs INEGAUTES SOCIALES DE SANTE

irréductible disparité entre les êtres, biologiquement inscrite, demeure forte, resurgissant même régulierement thins l'espace public, a l'occasion de découvertes de génétique associant des structures moléculaires et des comportements humains, ou de controverses autour de Ia sociobiologie et de ses avatars. Sans nier, bien entendu, qu'il existe des differences de type gdnCtique ou biologique, pouvant induim une vulnérabilité diffdrenciée face a certaines pathologies, on dolt se demander dans queue mesure la sociCtd contribue, même dans ces cas, a transformer des prédispositions a Ia maladie en indgalitCs de sante. Face aux croyances communes ou savantes qui conduisent souvent a s'accommoder d'une rdalité trop vite pensée comme un fait de nature, ii faut donc rappeler que si certains ont plus de risques de développer certaines affections ou une probabilitC plus élevée de mourirjeunes, ce n'est pas seulement le fruit du hasard ou de l'hCréditC, mais bien également le résultat d'une production par Ia sociétC. La determination sociale des disparités

physiques ne va assurément pas de soi: elle dolt être sans cesse défendue publiquement, mais aussi argumentee scientifiquement. Le posiulat qui est au principe de cc Iivre est donc que les inCgalités de sante, concrètement mesurées par les taux de morbiditC et de mortalitC, Ia frCquence des handicaps moteurs ou des troubles mentaux, I'espérance et Ia qualite de vie sont aussi des inégalités sociales. Aussi tie signifie pas exciusivenient, et Ic réductionnisme sociologique n'aurait guère plus de sens que son equivalent

biologique. La question posée ici porte sur Ia manière dont les inégalités produites par les sociétés s'expriment dans les corps, dont le social se transcrit dans Ic biologique. Plus concrètement, on peut Ia forniuler ainsi : pourquoi les écarts de taux de mortalité entre les classes sociales considérablernent d'un pays a I'autre, a niveau de richesse nationale pourtant comparable, et notamnient, pourquoi Ia France est-elle l'un des pays d'Europe occidentale les inégalités des hommes devant la mon sont les plus fortes ? Ou encore, en se situant cette fois a l'Cchelle d'une société comment I'appartenance a certaines categories professionnelles détermine-t-elle une plus grande incidence de pathologies conime les maladies cardio-vasculaires, les cancers ou les suicides? La question n'est pas vaine si l'on songe que Ia durée moyenne de l'existence dans les pays les plus pauvres est Ia nioitié de celle observde dans les nations riches

et que, pour s'en lenir au contexte francais, le risque pour un de mourir entre trente-cinq et soixante-cinq ans est plus de trois fois supérieur a celui d'un ingCnieur. II y va donc d'une inegalité fondamentale, car elle touche

les êtres humains dans leur vie, c'est-à-dire, pour reprendre Ia distinction qu'Hannah Arendt tient pour essentielle dans Ia condition huniaine >>, a Ia fois dans leur vie physique, leur existence biologique, dont les inégalitCs devant Ia mort donnent précisément Ia niesure, et dans leur vie sociale, leur reconnaissance comme sujet politique, cc que Ies débats autour des inCgalités d'accès aux soins montrent bien.

INTRODUCTION

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Mais queue est Ia pertinence, aujourd'hui, d'un état des savoirs dans ce domaine? On peut certes rappeler qu'en France, même s'il existe un corpus d'articles et d'ouvrages traitant des aspects de cette question, on ne dispose d'aucune synthèse des connaissances, au demeurant fort éparses, et ce vide editorial suffirait a justifier Ia réalisation du projet actuel, surtout Si l'on compare cette situation a celle de la plupart des pays occidentaux. Mais au-delà de cet argument, nous voudrions revendiquer Ia nécessité de l'entreprise d'un triple point de vue. Tout d'abord, Ia période récente, que I'on pourrait approximativement faire débuter un quart de siècle en arrière, a été marquee par une aggravation et une recomposition des inegalités sociales, mais également par l'apparition de nouveaux discours pour les apprehender et de nouvelles politiques pour les affronter : ces changements structurels de Ia société et de l'action publique ont assurément des effets sur Ia sante qu'iI s'agit d'analyser, mais qui,

jusqu'à present, ont été relativement peu étudiés dans le contexte francais. Ensuite, les connaissances scientifiques dans ce domaine ont connu, au cours des dernières années, a Ia fois des avancées dans Ia comprehension des phénomènes, y compris au niveau le plus fin de Ia matière, et des débats, voire des controverses, dont ii est important de rendre compte : sans verser dans un positivisme qui serait d'autant moms de mise que, quels que soient les progrès du savoir, l'ignorance demeure grande sur de nombreux points, ii s'agit de mettre a Ia disposition du public les acquis de Ia recherche en même temps que les questions qu'ils ne manquent pas de soulever. Enfin, Ia description et l'analyse des inégalités sociales de sante n'ont pas seulement vocation a alimenter l'activité scientifique, elles doivent aussi servir a nourrir le débat public et a éclairer Ia conduite des politiques : les deux aspects sont lies et nous pensons que, sur cette question tout particulièrement, parce que Ia sante a longtemps été considérée comme une affaire de spécialistes, Ia decision et I'action ne se conçoivent qu'en référence a un espace ouvert de discussion. Avant d'en venir aces différents points, ii nous faut justifier le terme inégalités, qui donne sa raison d'être a ce travail collectif. Dans un temps oü ce mot semble passé d'actualité, volontiers remplacé par les vocables <<exclusion >>, <<précarité >>, << vulnérabilité >>, le choix de le maintenir et, bien entendu, ce qu'il

presuppose ne sont pas sans importance. Nous considérons a cet egard que parler d'inegalites se justifie doublement. D'une part, dans tine perspective sociologique, dont les données demographiques et épidémiologiques confirment le bien-fondé, ii s'agit de rappeler que, loin de ne concemer que des groupes aux marges de la société, les phenomènes dont nous traitons sont struc-

turels et Ia traversent de part en part: l'espérance de vie, par exemple, suit un continuum et ne permet pas de distinguer des pauvres et des riches ou des excius

et des inclus. D'autre part, d'un point de vue cette fois politique, qui a évidemment sa place dans un ouvrage scientifique sur ce theme, il s'agit de considérer que c'est Ia société qui produit les disparités que nous observons, que l'on n'assiste pas a Ia derive d'une catégorie précaire ou vulnerable, mais a des

16

LEs INEGALITES SOCIALES i)E SANTE

evolutions dont bus les groupes sociaux sont, qu'ils le reconnaissent ou non, solidaires : là Ia misère concerne la seule extrémité inférleure de Ia hiérarchie sociale, les inegalites lient au contraire de manière indissociable toutes les composantes de Ia société, et leur reduction suppose des interventions redistributives qui portent sur l'ensemhle de Ia structure sociale. Si l'analyse des grandes ét'olutions qui ont marqué Ic dernier quart de siècle en matière d'inégalités dépasse Ic cadre de cette introduction, on peut en rappeler les éléments les plus signiticatifs pour notre propos. Le fait central concerne le travail et l'emploi et l'on peut faire des transformations qui touchent ces deux domaines Ic de Ia << nouvelle question sociale >>. Alors que, dans les années de plein-ernploi, le salariat avait impose une forme historique a Ia relation entre Ic travailleur et son travail, fornie qui al lait bien au-delà de Ia seule question de l'activité professionnelle, puisqu'elle inckiait aussi bien les diverses

protections sociales qul Iui étaient associées (contre Ia maladie, l'accident, le chôrnage, Ia vieillesse, etc.) que les multiples dimensions symboliques qui lui

conféraient une forte légitimite (cette relation était, pour Ia plupart des personnes, leur raison sociale), les bouleversements intervenus dans l'organisation du travail et sur le marché de l'emploi depuis un quart de siècle ont remis en cause cette modalité économique d'établissement de cc que les sociologues appellent Ic lien social. A cet égard, il importe de prendre en compte simultanCment les questions du travail et de I'emploi, alors mérne que Ic discours public

tend a se focaliser sur Ic seul problème du chômage, Les modifications de l'organisation sociale du travail, en particulier le developpement de Ia flexibilisation et de la sous-traitance, l'évolution des rythmes et des horaires de travail,

Ia diversification et Ia précarisation des formes salariales, Ia selection des travailleurs eila misc en de critères d'ernployabilité sont intiniement liées aux phCnomènes de suppression d'emploi et de chomage de longue durée. II s'agit bien de penser des transformations globales. Et cc d'autant que, toutes les enquetes sociologiques Ic prouvent, Ia frontière entre les conditions est non seulenient permeable, Ic salarié sur contrat a durée déterminée ou Ic stagiaire en insertion ayant une probabilité élevée de basculer

dans le chomage, mais également percue comme telle par les personnes concernées, qui sont de plus en plus nombreuses a se sentir menacées par Ia

précarisation, mêrne lorsqu'elles bénClicient d'un emploi. II s'agit là d'une evolution majeure ii Ia fois objective et subjective. Entre ernploi stable et chôniage de longue durée, il existe donc une continuité sur laquelle sont mises en des logiques de fragilisation et d'exclusion que tentent d'inverser les politiques d'insertion. Dans ces processus n'entrent toutefois pas seulement les réalités du travail. Ils se caractérisent également par des transformations des

relations entre les individus. La prCcarisation de l'emploi se double en effet d'une distension du lien social. La désaffiliation, pour reprendre un mot de Robert Castel, ou Ia disqualification, selon le terme eniployé par Serge Paugam,

INTRODUCTION

17

décrivent ces situations complexes oil les modifications du système productif ont leur contrepartie dans les transformations de la sociabilité. Les formes contemporaines de la paupérisation ont donné lieu a une prise de conscience sociale des la décennie quatre-vingt, au cours de laquelle on a pane de <<nouvelle pauvreté >>, mais surtout au debut des années quatre-vingt-dix, lorsque le discours public a consacré le terme << exclusion >>, repris aussi bien par les experts de Ia haute administration, a commencer par le Commissariat general au plan dans Ia période préparatoire au xie Plan, que par les médias, qui en ont fait une categorie a succès du sens commun. Alors que le theme de Ia << fracture sociale >> prenait une place centrale dans le débat politique de Ia campagne présidentielle de 1995, Ic mouvement social de décembre de la même année puis Ia

protestation des <> de Ia fin de 1997 plaçaient Ia <> au cceur de I'espace public. Ainsi une nouvelle représen-

tation de Ia société se constituait-eIle: image duale, avec des inclus et des exclus; vision naturalisante portant sur des populations plutôt que sur des mécanismes; lecture contradictoire enfin, mêlant l'insistance sur les situations extremes et I'idée que chacun pouvait être affecté. Dans cc contexte, Ia question des inégalités sociales qui renvoie a me organisation hierarchique de Ia société et a son apprehension scion un axe << vertical>> se trouvait ainsi remplacée par I'idée que Ic problème se posait maintenant en termes de dedans et dehors du monde social, scion une lecture indifférenciée sur un axe désormais <>, pour reprendre une métaphore utilisée par certains sociologues. Les chercheurs en sciences sociales ont en effet, dans cette péniode, largement contribué a accréditer Ia nouvelle representation de La société, même si, a partir du milieu des années quatre-vingt-dix, des critiques ont commence a Ia remettre en cause. Cette vision du monde social n'est pas restée une pure expression discursive. Elle s'est traduite, très concrètement, dans Ia misc en ceuvre de l'action publique

autant que des initiatives privées. Pour s'en tenir au seul niveau national, le premier gouvemement du nouveau président de Ia Republique, en 1995, ne comptait pas moms de quatre ministres et secrétaires d'Etat charges de lutter contre l'exclusion et, parmi les grandes réformes législatives dii gouvernement issu de Ia nouvelie majorité parlementaire d'après 1997, deux lois portent sur Ia <<prevention des exclusions>> et Ia <>, autrement dit sur les dimensions sociales et sanitaires de la prise en charge des populations directement éprouvées par les phénomènes de précanisation. C'est dire a la fois I'importance prise par le theme de La paupérisation et l'absorption de l'inégalite par Ic problème de l'exclusion, tant dans les politiques nationales en général que dans Ic domaine sanitaire en particulier, pour lequel Les préoccupations portent essentiellement sur I'accès aux droits et aux soins. Dans cette France des années quatre-vingt-dix, d' inégalites sociales il n'est guère question en tant que telles. D'inégalités sociales de sante encore moms, serait-on tenté d' ajouter.

18

LEs

SOCIALES DE

C'est qu'à Ia difference de nombre de pays occidentaux, et plus particulièrement européens, Ia France se distingue par la faible mobilisation des milieux

de Ia recherche et, plus largernent, par Ia rernarquable discretion des discussions scientifiques et des débats publics dans ce domaine. Le fait n'est du reste pas

nouveau et marque toute l'histoire de Ia statistique et de l'épidémiologie contemporaines. II contraste de nianière remarquable non seulement avec les réalités présentes de nations voisines, comme Ia Grande-Bretagne, le fameux rapport Black a lance, au debut des années quatre-vingt, une réflexion au sein du monde scientifique autour des inCgalites sociales de sante dans un contexte politique de durcissement iiéo-libéral, mais egalement avec un passé qui n'est pas Si lointain, lorsque, dans la premiere moitié du XIXe siècle, les hygiénistes francais, a commencer par Louis-René Villermé dans ses etudes sur Ia mortalité a Paris et sur l'état physique et moral des ouvriers des manufactures, inauguraient une tradition de recherche sur les effets des conditions socio-écononhiques sur l'état de sante des populations, a une époque oü, ii est vrai, les inégatités sociales atteignaient des niveaux probablement inédits. Expliquer ceue situation nécessiterait une enquCte d'histoire des sciences et

de sociologie de Ia connaissance qui excède évidemment les limites de cet ouvrage. Nous nous contenterons d'indiquer trois series de faits, convergentes quoique de nature différente, que l'on doit considérer comme des hypotheses a visée explicative plutôt que conime des faits établis. Premièrement, achevant un cycle de déclin commence des Ia fin du siècle précédent, notamment a partir des découvertes pasteuriennes, Ia statistique sociale tout comme I'hygiène publique se sont trouvées, vers le milieu du xxe siècle, reléguCes au second plan par

l'épidémiologie nioderne naissante, d'un côté, et par Ia mCdecine clinique devenue hospitalo-universitaire, de l'autre: l'espace academique de Ia recherche sur les inégalités sociales de sante ne se trouvait donc pas en phase avec les evolutions du monde scientifique. Deuxièmement, au cours de Ia même

période, le découpage institutionnel et disciplinaire entre le monde de Ia recherche sur Ia sauté, notamment reprCsente par l'INSERM, Institut national de la sante et de Ia recherche niédicale, et le monde de Ia production de données, évidernrnent développd autour de l'INSEE, Institut national de Ia statistique et des etudes dconomiques, accentue cette tendance, puisque le premier iie s'intéresse que marginalement aux inégalitCs alors que Ic second fournit des chiffres,

a conimencer par les grandes enquêtes sur Ia niortalité diffCrentielle, qui trouvent mat a s'inscrire dans un espace proprement scientifique. Troisièmement, enfin, Ia dernande sociale et politique ne s'est guère manifestée sur ces questions au cours clu dernier demi-siècle, probablement en grande partie parce que Ia creation de Ia Sécuritd sociale après Ia Seconde Guerre mondiale a laissé penser, dans un contexte de croissance écononhique Ia pauvreté était considérée comme << résiduelle >>, que l'intégration de Ia population dans un système universe! de protection sociale rCsoudrait le problènie des inegalités de sante, là encore appréhendées essentiellement en ternies d'accès aux soins.

INTRODUCTION

19

Ce constat, it faudrait assurément le relativiser en indiquant comment certains travaux initialement conçus en dehors du theme des inegalites sociales de sante se sont trouvés y jouer un role essentiel, notamment les enquêtes longitudinales sur Ia mortalité de l'INSEE a partir des années cinquante, et ii faudrait aussi le corriger en évoquant certaines initiatives qui ont notamment impliqué

dans les années quatre-vingt des chercheurs de l'INED, Institut national d'études demographiques. Surtout, ii serait nécessaire de rendre justice a des travaux epidémiologiques et sociologiques, certes relativement marginaux au sein d'institutions comme l'INSERM, mais ayant maintenu Ia presence de

preoccupations dans ce domaine et permis l'inscription des chercheurs concernés dans des réseaux scientifiques internationaux. Or, c'est probablement en partie sous Ia pression de ces equipes isolées dans le paysage francais de La

recherche et sous l'influence de milieux scientifiques européens bien plus avancés sur ce theme que des changements s'engagent, dont ce livre porte le temoignage tout en s'efforcant de les amplifier. Paradoxe en effet que celui d'un pays oü les inegalites sociales de sante, et notamment les disparités devant Ia mort, apparaissent comme parmi les plus

fortes en Europe de l'Ouest et dans lequel les recherches dans ce domaine semblent se développer au ralenti, dans une dispersion de forces rares et sans donner lieu a un debat public. C'est ce paradoxe qui a conduit l'intercommission de l'INSERM, intitulée << Analyse et evaluation des systèmes de prise en charge, de prevention et de protection sociale >>, a orienter les trois premiers de ses six objectifs de travail vers Ia différenciation sociale de Ia sante : <>, << Inegalites et disparités de sante >>, << Sante, risque et précarité >>. Pour Ia réalisation du deuxième objectif, ii est apparu nécessaire de produire un état des savoirs sur les inegalités sociales de sante dont le but était

non seulement de rassembler des connaissances éparses, mais egalement d'inciter a des recherches nouvelles et de susciter un large débat dans Ia société.

Fruit de trois ans de travail d'une équipe éditoriale, le present ouvrage, qui réunit les textes d'une cinquantaine de spécialistes, represente donc l'aboutissement de cette démarche initiée en 1995.

Sa construction a toutefois suppose de résoudre certains problèmes. Les inegalites sociales de sante constituent en effet un domaine complexe et mal connu. Si pour certaines dimensions, comme Ia mortalité, des données francaises existent, en revanche, pour beaucoup d'autres, les informations sont très parcellaires. Dans tous les cas, un regard critique est nécessaire, concemant notamment la population retenue dans les enquêtes et l'indicateur de sante choisi, une definition apparemment precise et univoque pouvant ne pas avoir le méme contenu dans différentes categories sociales. Par ailleurs, lorsque les sources francaises sont incomplètes, on dispose souvent des résultats de travaux menés a l'étranger sur le même sujet, mais on ne peut pas systématiquement les entre extrapoler a Ia France: ainsi, Ia distribution sociale du tabagisme

20

pays

LES INEGALITES SOCIALES DE SANTE

et les differences sociales concernant le cancer du poumon n'ont pas

partout Ia mênie amplitude. Loin d'avoir gonimé ces difficultés, l'ouvrage les a soulignées tout au long des chapitres, dans la mesure oci leur comprehension constitue un préalable a Ia recherche et au débat. Dans une premiere partie, le contexte general des inégalitCs sociales de sante en France est présenté. II s'agit, d'une part, d'en replacer les réalitCs, mais aussi les representations, dans une perspective historique (celle, longue, que l'on a fait commencer a Ia fin du XVIIIe siècle, lorsque apparaissent les premieres etudes différenciant les données de mortaiité selon des caractéristiques sociales, et

celle, courte, qui concerne le monde contemporain a partir de la fin de Ia Seconde Guerre mondiale), et, d'autre part, de situer Ic cas français dans le cadre européen (tant en ce qui concerrie les données disponibles, aim de mesurer Ia profondeur des disparités sanitaires dans notre pays par rapport a ses voisins, que pource qui touche au débat public, de manière a montrer comment, ailleurs, Ia question est posée a Ia société). Dans une deuxième partie, les méthodes d'Ctude des inégalités sociales de sante sont développées, de mêrne que les limites auxquelles elles se heurtent. Les deux premiers chapitres traitent des questions de mesure de Ia sante et de reperage des situations sociales : its montrent comment Ia misc en variables de réalités complexes (l'état de sante, Ia position dans Ia société) conduit toujours a des reductions, donc a des choix, qu'il importe de connaItre afin de pouvoir interpreter les données. Les deux chapitres suivants décrivent et analysent les différentes rnanières permettant de mettre en relation les deux series de faits ou de variables (Ia sante et le social), d'une part, a travers une approche statistique établissant une causalité probabiliste, d'autre part, scIon une clCmarche quali-

tative s'efforcant de dégager un lien sociologique et Ia signification que les agents lui donnent. L'ensenible de ces rétlexions méthodologiques vaut plaidoyer pour une approche pluridisciplinaire reposant sur une exigence critique mutuelle. Dans la troisièrne partie sont présentees les principales données existantes en matière d'inégalités sociates de sante en France. Le vaste corpus, principalement

épidémiologique, a ete ordonné, de manière volontairement classique, par problème de sante et par age de Ia vie: niortalité; morbidité générale, c'est-àdire état de sante fondC sur des indicateurs synthétiques ; sante périnatale ; sauté

de l'enfant et de l'adolescent ; maladies cardio-vasculaires; cancers; sante mentale; sante bucco-dentaire ; sida; handicaps et incapacités; sante des personnes ãgées. Pour Ia mortalité, ce qui est décrit et discuté porte sur le lien entre situation sociale et survenue du décès, selon Ia cause médicale du décès. Pour les dimensions de sante étudiCes, it s'agit d'appréhender les consequences de la situation sociale a Ia fois dans Ia survenue du problCrne de sante et dans son evolution une fois que Ia maladie existe. La part relative de ces deux aspects des

disparités depend des problèmes de sante étudiCs: dans le cas du cancer, les données permettent de mesurer a Ia fois les relations entre facteurs sociaux et

INTRODUCTION

21

survenue du cancer et les liens entre ces facteurs et Ia survie; dans le cas des handicaps et des incapacités, Ia situation sociale joue un role essentiel dans le passage de Ia déficience ou de l'incapacité, en tant que réalités physique ou fonctionnelle, au handicap, considéré du point de vue du retentissement social. Pour certaines affections, en particulier dans Ia sphere de Ia sante mentale, mais aussi pour Ia morbiditd generate, Ia question de Ia definition de la maladie évoquee ci-dessus occupe une place essentielle. Enfin, les chapitres consacrés aux plus jeunes et aux plus âgés consacrent une place importante a Ia question, particulièrement difficile a ces ages, de la mesure de la situation sociale.

Concernant le contenu de ces chapitres sur les inegalites par domaine d'expression, un premier objectif était de faire le bilan des connaissances en France. On verra que Ia situation est très contrastée : dans certains domaines, les connaissances sont étonnamment limitées ; dans d'autres, de nombreux travaux ont été menés. L'equilibre entre données francaises et résultats issus de la littérature internationale depend ainsi de Ia quantité et de Ia qualite des premieres;

les instructions aux auteurs de tous les chapitres portant sur Ia mortalité et Ia morbidité étaient de rappeler ce qui était connu sur le sujet au niveau international et de situer les résultats français dans ce contexte, en se limitant toutefois, pour Ia dimension internationale, a des résultats synthétiques et aux références bibliographiques les plus pertinentes. Enfin, dans les différents chapitres, on a cherché a prendre en compte une dimension diachronique afin de discuter non seulement de l'évolution des écarts dans le domaine considéré, mais aussi de leur signification quant aux modifications de Ia structure sociale ou des caractéristiques de Ia maladie.

Dans Ia dernière partie, des éléments d'interprétation sont apportés avec l'ambition de presenter une lecture a Ia fois globale et différencide des résultats précédemment donnés. Globale, c'est-à-dire au-delà de Ia singularite de chaque probleme de sante, afin de repérer de grandes logiques de production des inégalités sociales de sante : les effets de Ia distribution des revenus et des dispantés de capital scolaire ; les transformations du monde de Ia production et des relations entre les sexes. Différenciée, car c'est I'un des points assez méconnus sur

lesquels il nous est apparu important d'insister: Ia traduction des situations sociales en termes de maladie et de sante n'est pas uniforme, certaines pathologies ou certains indicateurs sanitaires étant plus sensibles a tel ou tel facteur social, pouvant même parfois être paradoxalement plus frequents dans les catégories supérieures de Ia population. Après un rappel des grandes tendances des inegalites sociales en France au cours des dernières décennies, est présentée une série d'eclairages sur les phénomènes qui sous-tendent les inegalités sociales dans le domaine de Ia sante. PlutOt que de proposer une articulation des diffé-

rents niveaux d'interprétation présentés, au risque de simplifications hasardeuses comme Iorsqu'il s'agit de her le social et le biologique, nous avons pns le parti de les juxtaposer, estimant qu'il n'existait actuellement aucun modèle

permettant de les intégrer de manière satisfaisante et considérant plus

22

LES INEGALITES SOCIALES DF SANTE

fondarnentalernent qu'ils relevaient de perspectives trop différentes pour qu'une telle lecture intégratrice soit pertinente. Les des de lecture proposées sont: l'organisation du travail, les relations de genre, les formes de sociabilité.

Quoique relevant d'une approche radicalement autre, les travaux sur les modèles animaux nous ont paw apporter des éléments de rCflexion intéressants. A l'interface entre les situations sociales et les réalités sanitaires, deux aspects particuliers nous ont enfin semblé iniportants a singulariser: les pratiques dans le doniaine des soins et les comportements en matière de sante. Comrne tout état des savoirs, cet ouvrage présente des inanques. 11 ne pouvait d'ailleurs prétendre a l'exhaustivité. Quelles qu'en soient les lirnites, en particulier dans le contexte francais, les connaissances sur les inégalités sociales de

sont a Ia fois trop vastes et trop dispersées pour qu'il soit possible d'en faire le tour. Un simple repérage de Ia liuérature produite au cours d'une annCe dans ce domaine suffirait a niontrer Ia vanité d'un tel projet. II est donc facile d'identifier des lacunes dans cc Iivre. Le lecteur pourra notamment s'étonner de ne trouver aucun texte consacrC a des problèmes aussi importants que les suicides, les démences, les maladies ostéo-articulaires, les cirrhoses ou l'insuffisance rénale chronique. Les accidents, qu'ils soient de circulation ou dits dornestiques, ne sont abordés qu'indirectement dans le chapitre stir les handicaps. Ii s'agit pourtant de problènies de sante publique iniportants par leur retentissement humain, leurs consequences écononhiques et, pour certains, leur frCquence croissante. La plupart d'entre eux correspondent a des problèmes sanitaires mal couverts par Ia surveillance epidémiologique, pour lesquels manquent donc, en France, des informations cii dehors de celles qui sont disponibles pour Ia mortalité. Or, celle-ci apparaIt insuffisante a rendre compte des differences d'etat de sante pour certains doniaines. C'est bien Ic cas des maladies ostéo-articulaires, de l'insuffisance rénale chronique ou encore des déniences, qui n'ont en tant que telles qu'une faible létalité. Mais c'est aussi Ic cas pour les suicides, qui, outre Ic problènie des tentatives, posent celui de Ia certification des causes de décès, se caractérisant par une sous-déclasante

ration, de surcroIt inégale scIon les licux et aussi les categories sociales. Le deficit

de connaissances ne porte donc pas spécifiquement sur les inégalités de sante, mais plus généralemeni sur Ia connaissance épidémiologique precise de ces pathologies en France. S'il existe une activitC de recherche sur certaines d'entre dies, cUe est orieinCe vers Ia recherche Ctiologique, mais non sociale a proprernent parler, plus que sur les aspects descriptifs. D'ailleurs, pour d'autres dornaines dont l'épidémiologie descriptive est mieux connue, il a éîé possible de solliciter des chercheurs pour qu'ils fassent Ic point, y compris a partir de données inédites, sur les inégalitCs sociales de sante dans leur champ de competence.

Au-delà de ces insuffisances génériques de l'information sanitaire, les lacunes des données sur les iiiegalitCs sociales de sante peuvent aussi traduire

des réalités plus complexes touchant a Ia fois a l'irnage des pathologies

INTRODUCTION

23

concemées et a Ia nature des groupes affectés. Les connotations symboliques, qui conferent a un organe ou a une spécialité une plus grande distinction dans Ia hiérarchie du corps et de Ia médecine, tout comme les considerations sociales et politiques, en partie liées a Ia capacité des categories concemées a se mobiliser pour défendre leurs intérêts en matière de sante, jouent a l'évidence un role, rarement discuté. Ainsi, les affections de l'appareil respiratoire, parfois encore regroupées sous Ia terminologie de pneumo-phtisiologie, évoquent Ia tuberculose, maladie de Ia pauvreté, mais aussi maladie du passé ; de plus, a travers

les bronchites chroniques, elles renvoient a une vision misérabiliste de la spécialité, peu propice a sa promotion. Elles font par consequent partie de ces

domaines de sante qui ne figurent pas dans ce livre et qui illustrent bien le manque de données sur les disparités sociales de sante. Cette situation ne semble

pas specifique a Ia France. Alors que les differences sociales concemant cet ensemble de pathologies sont plus marquees que pour les cardiopathies ischémiques, indépendamment de Ia consommation de tabac, très peu d'études sont consacrées aux relations entre categories sociales et maladies respiratoires. En France, Ia prevalence Ia plus forte de symptOmes respiratoires, le risque le plus élevé de bronchite chronique et d'altération de Ia fonction pulmonaire ont été observes chez les personnes de faible niveau d'études. Dans les etudes étrangères, le risque de développer un asthme semble plus frequent chez les enfants les plus pauvres, de même qu'en France, parmi les personnes âgées, on note que

les agriculteurs et travailleurs <<en col bleu>> ont une prevalence d'asthme deux fois plus élevée que dans les autres categories, après prise en compte du tabac. L'existence et l'ampleur des inegalités de sante restent donc a préciser pour de nombreux domaines. Ainsi en est-il de Ia maItrise de Ia reproduction, de I'utilisation de la contraception et du recours a l'interruption volontaire de grossesse, qui ne sont que brièvement évoques a propos de Ia sante pennatale. Si les enquêtes montrent, avec Ia diffusion très large des méthodes contraceptives, une forte diminution des inégalités sociales dans ce domaine, en revanche on connaIt mal les facteurs de différenciation fine dans le choix et l'efficacité des différentes méthodes de contraception, dont l'accès plus ou moms facile, les contraintes d'utilisation plus ou moms grandes et le cotit plus ou moms élevé laissent pourtant supposer des determinations sociales. De même, sites etudes établissent que le recours répété a l'interruption volontaire de grossesse est plus frequent chez les femmes dont Ia situation sociale est instable, on ignore toutefois le contexte social précis de survenue des grossesses non désirées. A ces questions, une enquete nationate qui a débuté en 2000 devrait apporter des éléments de réponse. En dehors des domaines d'expression des inegalites sociales de sante qui n'ont pas été étudiés, on peut aussi constater que certains aspects des inégalités sociales en tant que telles n'ont pas été abordés. Pour des raisons qui tiennent a la fois a I'histoire de l'approche des inégalites sociales en France et a Ia disponibitité des données quantitatives, nous avons été amenés a privilegier une

24

INEGALITES SOCIALES DE SANTE

lecture des disparités a partir des categories sociales, c'est-à-dire surtout des regroupements professionnels opérCs dans l'appareil statistique francais. Cette

lecture, volontairenient restrictive, laisse entière Ia question des inégalités sociales de sante liCes a un éventuel chômage et a sa durée, au type de contrat dans I'emploi, aux caractéristiques des personnes inactives : on sait les difficultés de mesure et surtout d'interprétation des disparités en rapport avec ces facteurs. De plus, cc choix conduit a ne pas évoquer des inégalités sociales de sante iiées a la nationalité et a l'origine des personnes, alors rnême que l'on connaIt de rnieux en mieux, a travers des rapports officiels et grace a Ia creation d'un observatoire national, les consequences des discriminations operant sur ces critères dans l'emploi, Ic logement, l'école, niais pour I'heure, très peu dans le domaine de Ia sante : or, mên-ie si elles sont délicates a mesurer et a interpreter, ces disparités n'eri sont pas moms sociales. Sur Lous ces points, les propositions pour Ia recherche et l'action données en conclusion indiqueront des orientations susceptibles de corriger les manques. Mais d'ores et déjà, nonobstant ses imperfections, nous espCrons que cc Iivre favorisera l'érnergence d'un débat public, en France, sur les inegalités sociales de sante. REFERENCES 131 I3LIOGRAPHIQUES

(1983), Condition de Ihonune inoderne, Calmann—LCvy, Paris, 404 p. (premiere Cdition : The Human Condition, 1958). CASTEL R. (1995), Les inétamorphoses de Ia question sociale. Une chronique dii salariat, Fayard, Paris, 490 p. PAUGAM S. (1991), La disqualification sociale. Essai sur Ia noin'elIe pauvrelé, PUF, Paris, 272 p. ROUSSEAU J.-J. (1971), I)iscours sur / 'origine et lesfondements de / 'inégalité parmi les honunes, Gamier Flarrirnarion, Paris (premiere edition : 1754). TOWNSEND P., DAvIDSON N. (1 988), Inequalities in Health. The Black Report, Penguin Books, Londres, 240 p. (premiCre edition: 1982). VILLERME L.—R. (1989). Tableau de / 'eta! physique et moral des ouvriers employés thins les manufactures de coton, de lame ci de soie, Etudes et documentations internationales, Paris, 670 p. (premiere edition : 1840). ARENDT H.

I

Généralités

1

L'inégalité sociale face a la mort: l'invention récente d'une réalité ancienne Patrice Bourdelais

En quoi une approche historienne des inegalitds sociales face a Ia maladie et a Ia mort est-elle aujourd'hui utile a notre rdflexion ? A un premier niveau du questionnement, les mesures effectuées sur les siècles passes permeuent d'apprécier queues

ont été les tendances de l'évolution: plus ou moms grands écarts suivant les conjonctures historiques, les types de sociétés et de milieux observes. Les etudes sur longue periode mettent en evidence les processus qui génèrent une inegalité sociale devant Ia maladie et devant la mort du fait de Ia malnutrition, des épidémies, des conditions de vie et de travail ; elles soulignent aussi que des périodes d'aggravation

des inégalites ont été observdes dans le contexte d'une progression d'ensemble. Mais Ia mise en regard des mesures effectuées par les historiens et des textes produits aux différentes periodes étudiées révèle qu'un décalage chronologique important a existé entre Ia manifestation factuelle des phénomènes d'inegalité et leur formulation par les contemporains. L'étude de l'dmergence de cette construction de I'inegalité face a Ia mort, de sa chronologie, de ses acteurs et de ses consequences politiques ne permet-elle pas egalement de mieux cemer les arguments mobilisés et les valeurs ainsi exprimées? LEs ECARTS

L'inégalité a Ia yule reconnue Aussi loin que l'on puisse remonter dans le passé de nos sociétés de l'Europe de l'Ouest, les mesures effectuées par les historiens-demographes ont montré des écarts sociaux très importants face a Ia mort, tout d'abord dans le milieu urbain. Deux sites ont tout particulièrement été étudiés: celui de Genève et celui de Rouen. Pour Ia population genevoise, des tables de mortalité pour les générations flees en 1625-

1684 et pour celles nées en 1715-1790 ont été calculées, tout en établissant une distinction entre trois groupes sociaux (supérieur: I, moyen: II, inféneur: ifi) IlPerrenoud, 1982]*.

* Les

références entre crochets renvoient a Ia bibliographie en fin d'article.

28

GENERALITES

Tableau

I

Les inégalités sociales face a Ia niort a Genève (',ériérations 1625-1684

Survivants a 60 aiis (pour mule naissances

Rapport

Rapport

Groupes soclaux

Survivants a 10 ans (pour mule naissances vivantes)

Générations 1725-1790

625

490

397

1,57

722

597

562

1.28

307

174

109

2.82

417

320

255

1.63

vivantes)

Pour les generations les plus anciennes, les enfants de Ia classe aisée ont 1 ,57 fois

plus de chance de fêter leur dixièrne anniversaire que ceux de Ia classe pauvre (tableau I). Si l'on poursuit l'observation jusqu'au soixantièrne anniversaire, les effets cumulés des inégalités sociales sont encore plus impressionnants: le rapport est de I a 2,82 entre les Genevois pauvres et les plus riches. Les générations nées entre 1725 et 1790 bénéficient des progrès généraux de i'espérance de vie de Ia fin du xvlIIe siècle. La probabilité de fêter le dixième anniversaire progresse dans les trois groupes, mais proportionnellement moms dans le groupe aisé, Si bien que Ic rapport entre les deux groupes extremes est réduit a 1,28. Le constat est identique Iorsqu'on observe Ia probabilité d'atteindre soixante ans, tous les Genevois bénéficient d'un progrès, surtout les plus pauvres, pour lesquels Ia probabilité double, si bien que le rapport entre les situations sociales extremes se réduit a 1,63 au lieu de 2,82. Au cours d'une période de progrès general, a Ia raréfaction des crises frunientaires et a Ia disparition des épidémies de peste puis de variole, l'inégalité sociale face a Ia mort a alors eu tendance a se rédu ire. Genève n'est pas un site exceptionnel. Les recherches sur Ia population de Rouen indiquent également un très fort gradient social de Ia mortalité [Bardet, 1983]. Des

series de quotients de mortalité ont été proposées pour quarre groupes sociaux différents: les notables, les boutiquiers, les artisans, les ouvriers. Pour les families du xvlIle siècle, les résultats sont

dans le tableau 2.

Si Ia mortalitC est plus élevCe a Rouen qu'à Genève, on retrouve des écarts sociaux importants dans les deux sites. Pour les survivants dix ans, I'écart entre les extremes est du mérne ordre dans les deux villes et pour une période voisine. 11 n'esl pas possible de determiner pour Rouen Ia proportion des survivants a soixante aiis, en revanche Ic quotient de mortalité entre 60 et 65 ans est lui aussi très different suivant Ic groupe socioprofessionnel, les notables ayant un risque de décès proche de Ia moitié de celui des ouvriers.

SOCIALE

A LA MORT L'INVENrION RECENIE D'UNE REAUIEANcIENNE 29

Tableau 2

Les inégalités sociales face a Ia mort a Rouen

Survivants a 10 ans (pour mile naissances vivantes)

Quotients de mortalité 60-64 ans

Rapport

Notables I

Boutiquiers

Artisans III

Ouvriers

II

555

492

462

429

1,29

294

0,58

172

211

IV

Si l'on considère Ia premiere moitié du X1Xe siècle, une diminution de Ia mortalité entre 1817 et 1851 de 29,6 pour mule a 25,9 pour mule a été constatée [Vedrenne-Villeneuve, 19611. En revanche, Ia fourchette entre les niveaux de la mortalité des arrondissements parisiens, dont on connalt le gradient de fortune, s'élargit au cours de la même période, passant de 36,5-24,9 en 1817 a 36,7-17,9 en 1851. Contrairement ace que l'on avait Pu observer dans les villes du XVIHe siècle, l'inegalite sociale face a Ia mort s'aggrave au cours d'une période d'amélioration globale de Ia mortalité mais aussi de forte croissance du proletariat urbain. Un changement d'échelle permet de considérer ensuite une petite ville indus-

trielle lors de sa période de croissance paroxystique: Le Creusot entre 1836 et 1876. Pour l'ensemble de Ia population francaise, l'espérance de vie a Ia naissance passe alors de 37,9 a 39,5 ans pour les hommes, et de 39,4 a 42,2 ans pour les femmes. Au cours de ces mêmes décennies, l'espérance de vie connaIt au Creusot une evolution inverse: située aux alentours de 36,6 ans pour les hommes et de 42 ans pour les femmes en 1833-1839, elle décroIt ensuite très rapidement pour atteindre son étiage en 185 1-1856 [Bourdelais et Demonet, 1996]. Avec une espérance de vie qui chute a 31,6 ans, les femmes perdent alors dix années et

l'espérance masculine est réduite de plus de cinq ans, elle est désormais de 31,1 ans. Elle ne retrouve son niveau des années 1830 qu'en 1876. Nous considérons ici un veritable cas de laboratoire oü l'on connaIt parfaitement l'évolution démographique et sociale (arrivée massive de lors du développement des usines Schneider) ainsi que les politiques publiques mises en

La mortalité rurale indemne des effets du gradient social? Dans les années cinquante et soixante, Ia nouvelle demographie historique française a commence a ëtudier les villages dont l'effectif limité de population

facilitait J'application de Ia très exigeante méthode de reconstitution des families. A ceux qui accordaient une grande importance aux crises de subsistances comme facteur des mortalités exceptionnelles repérées dans les travaux conduits alors [Goubert, 1960], ii a été rétorqué qu'en fait la plupart des pies de mortalité étaient a imputer aux epidémies, nombreuses et virulentes aux XV11e et XVIIIe siècles, qui touchaient sans distinction les différentes classes sociales.

30

GENERALITES

D'ailleurs, observait-on une inégalité sociale face a Ia mort dans les campagnes

francaises sous I'Ancien Régime'? Dc nombreuses monographies concluaient par Ia negative [Charbonneau, 1970 ; Ganiage, 19631, cc qui permettait a Pierre Chaunu d'aflirrnerque les inégalitCs de mortalitC étaient principalement gCogra-

phiques [Chaunu, 1974]. Ainsi se trouvait exclue toute influence de i'organisation économique et sociale sur la mortalité rurale. Plusieurs travaux ont néanmoins mis en evidence les liens de cause a effet entre

Ia sous-nutrition, Ia malnutrition et Ia vuinérabilité aux différentes épidémies [Lunn, 1989]. Des lors, comment les consequences des inCgalités alimentaires stir

la mort auraient-elles Pu ne pas se manifester dans les campagnes? La confirmation empirique est venue tard, et encore Ia seule étude ayant souligne une rnortalitC rurale différentielle socialement n'a pas rCussi a obtenir des résultats statistiquement significatifs du faitd'efTectifs trop faibies [Derouet, 1980]. Afin de reprendre ce dossier, fondamental car ii conceme toutes les sociétés paysannes d'Ancien Régime de i'Ouest européen, ii convient de rappeler Ia structure de Ia société rurale de cette époque. Le facteur dCcisif pour notre propos concerne Ia sécurité alimentaire: Iorsqu'une famille se situe au-dessus du scull d'indépendance économique, die est assuréc de trouver suffisamment de subsis-

tances grace aux récoltes effectuCes sur ses terres. Un tel seuil n'est vraiment franchi que par quelques families dans chaque village : celles qui possèdent ou exploitern plus de vingt hectares, emploient des salaries, disposent d'uii important capital d'exploitation, celles des de village >>. Malheureusement, dans les sources donE dispose l'historien, Ia catégorie mentionnée est celie de < laboureur >, qui conceme aussi bien Ic petit propriCtaire que Ic << coq de village >>.Le seuil d' indé-

pendance économique et de subsistance traverse cc grand groupe propose par les archives, sans doute plus ou moms près du sommet de Ia categoric suivant les regions et Ia conjoncture. Des lors, Ic travail longtemps individuel des historiens qui ont opéré par monographies villageoises n'a pas permis d' isoler un groupe de << coqs de village >> suffisamnientnonibreux pourtesterdefaçon sérieuse l'hypothèse d'une

mortalité socialement différentielle.

Une récente recherche d'histoire sociale permet d'obtenir les premieres réponses fondées a ces questions. Afin d'étudier un groupe social rural très important aux xvue et xvlue siècles, celui des fermiers, qui, dans les riches plaines d'IIe-de-France, constituent i'avaiit-garde niodernisatrice de l'agriculture, Jean-Marc Moriceau a repCrC toutes ies dynasties de grands fermiers de Ia region grace au couplage des données dCmographiques et des données notariales [Moriceau, 1994]. ii a obtenu ainsi un ensemble socialement et éconorniquernent assez homogène, situé au-dessus du seuil d'indCpendance économique et alirnentaire. Bien qu'il ne s'agisse pas de son propos, les données de mortalité qu'iI fournit indiquent des caracteristiques assez éloignees de celles de l'ensemble de Ia population. l)eux mille enfants issus de manages de fermiers entre 1650 et 1709 out été suivis. Pius de Ia moitié d'entre eux (55 % a 56 %)

célèbrent ieur vingtième anniversaire alors que l'on n'atteint jamais, dans

L'!NEQALrLE SOCIAIE FACE ALA MORT: L'LNVENTION REcB(IE D'UNE REALITEANOENNE 31

l'ensemble de Ia population rurale, des proportions superieures a 47 %. Non

seulement l'dcart de mortalité jusqu'à vingt ans existe entre les quelques families dominantes et toutes les autres, comme a Ia yule, mais les differences de mortalité s'y cumulent aussi tout au long de la vie, si bien que Ia proportion des unions qui atteignent vingt ans (52-64 %) est supérieure a celle qui a été observée pour l'ensembie de Ia population (moms de 50 %).

Quelques hypotheses explicatives A condition de se donner les moyens methodologiques de classer les families par rapport au seuil d' indépendance économique, I' inégalitd sociale face a la mort est par consequent aussi observable a Ia campagne. L'un des facteurs essentiels de

différenciation est probablement le régime alimentaire. Ceux qui se trouvent proteges, par leur situation économique, des aléas de Ia conjoncture frumentaire connaissent une mortalité dans I'enfance comme au cours de I'age adulte nettement inférieure aux niveaux d'ensemble. Même si les conditions de logement, de travail, de confort interviennent egalement, Ia variable majeure eSt bien l'independance économique et de subsistance. C'est probablement Ia raison pour iaquelle les écarts sociáux de mortalité se réduisent au XViIIe siècle, car ce siècle est marqué par une diminution de Ia frequence et de la gravité des crises de subsistance.

Au XIXe siècle, dans l'exemple de Paris comme dans celui du Creusot, dans une période d'amélioration generale, Ia mortalité empire pour les arrondissements parisiens les plus pauvres et pour Ia population creusotine, ouvrière, les facteurs en cause sont plus complexes. L'un des facteurs communs aux deux exemples est l'ampleur de Ia croissance demographique et Ia réponse insuffiSante et trop tardive des propriétaires fonciers a construire de nouveaux logements. Dans les deux cas, les témoignages sur l'entassement et Ia promiscuité

des ménages sont nombreux et s'ajoutent a ceux qui disent l'insuffisance des salaires pour assurer Ia vie quotidienne; Ia conjonction des deux facteurs favorise l'extension de maladies Les analyses de mortalité par sexe et par age incitent néanmoins a nuancer les hypotheses explicatives. Par exempie, au Creusot, les calculs ont permis de montrer que Ia détérioration de la situation conceme aussi et surtout les femmes, dont l'espérance de vie diminue de 10,4 années en vingt ans alors que ceile des hommes, pius faible il est vrai des 1836, s'abaisse de 5,8 années ; pourtant, dans leur immense majorité, eiles ne travaillent pas. Il semble par consequent que la modification des conditions de vie et de logement ait touché plus gravement les

femmes. Dans Ia mesure oü une Iegère surmortalité feminine s'observe des avant le dixième anniversaire, on a pu émettre l'hypothèse d'une moindre vigilance des parents du fait de I'absence de perspective d'emploi féminin dans cette

yule métailurgique. Les petites filles représenteraient un capital de moindre importance que les jeunes garçons. Mais cette rationalisation économique résiste mal àune comparaison avec d'autres villes industrieiles : a Elbeuf, oC les

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GENERALITES

emplois féminins sont pailiculièrement nombreux,

Ia

surmortalité des jeunes

flues se retrouve alors qu'à Seraing, en Belgique (site de Cockerill), le marché du travail est très proche de celui du Creusot, on ne repère aucune surrnortalité feminine. Toute conclusion dans ce domaine paraIt donc prématurée tant les exemples paraissent offrir des configurations opposées. La mortalité par age fournit aussi quelques pistes intéressantes. A cette époque, ainsi qu'aujourd'hui dans tes pays pauvres, les niveaux de mortalité a 1-4 aiis constituent d'excellents indicateurs des conditions d'hygiène et de salubrité dans lesquelles vivent les jeunes enfants, beaucoup plus que Ia mortalitC infantile car les nourrissons bénéficient pendant un temps de l'immunité mater-

nelle puis des anticorps de Ia mere grace a l'allaitement. Cette mortalité infantile, forte, n'est d'ailleurs pas plus élevée au Creusot que dans de nonibreux autres lieux (Ia misc en nourrice ne concerne alors que quelques grandes villes). En revanche, l'analyse de la mortalité par age montre que Ia baisse de l'espe-

rance de vie a Ia naissance est principalement due a l'accroissernent de Ia mortalité jusqu'à dix ans, et surtout entre un et cinq ans.

En outre, les conditions de logement et d'hygiene rendent certainement conipte de Ia surmortalitC feminine a I'ãge des premieres maternitCs. Lesjeunes imrnigrées dans Ia yule paraissent plus sensibles a cc risque, sans doute parce qu'elles n'ont pas réussi a s'insdrerdans Ia vie citadine, a nouer les relations qui permettent de trouver un lieu d'accouchenient échappant a Ia promiscuité et une assistance fondCe sur le savoir-faire traditionnel, car les sages-femmes sont très peu nombreuses au regard du nombre annuel de naissances. En revanche, Si l'on examine Ia situation masculine, les jeulies récemment immigrés dans Ia yule connaissent, en dépit de leurs probables conditions de logements prCcaires, une niortatité moindre au mCnie age que les autochtones [Bourdelais et Demonet, 1996]. On peut arguer du fait que n'émigrent vers Ia ville, tout particulièrement

industrielle, que les plus robustes des ruraux, qu'il y a par consequent une selection des membres de cc sous-ensemble — mais il conviendrait aussi de tenir compte des possibles effets des maladies infantiles, plus souvent mortelles ou <
SOCLALE FACE ALA MORT : L'INVENFION RECENIE D'UNE REAL EANCIENNE 33

rente. De nombreux facteurs ont dC être mobilisds pour simplement retrouver le

niveau de mortalité de (a pénode qui précède le demarrage de Ia croissance ddmographique paroxystique : Ie captage d'un ruisseau dans les collines proches du voisinage en 1862-1964, l'organisation en 1867 d'un service general d'enlè-

vement des ordures, Ia progression des avances faites au personnel pour que l'achat de petites maisons devienne possible, dans le cadre d'opérations de lotissement organisées a partir de 1856. II conviendrait d'y ajouter Ia gratuité des soins et des médicaments et celle de l'école pour les garcons et les flues, qui acquièrent ainsi des notions d'hygiene familiale. Même si les accidents du travail ont dté souvent mis en evidence, du fait de leur caractère spectaculaire et évitable, Ia très forte mortalité de Ia classe ouvrière du XIXe siècle conceme surtout les enfants au-dessous de dix ans, elle provient prin-

cipalement de Ia faiblesse de ses revenus et des conditions de logement qui en découlent (le fait que les femmes ne travaillent pas, a Seraing comme au Creusot, ne les exempte pas d'une forte mortalité), ainsi que du cadre de vie general. La détérioration de l'environnement immédiat des habitants, liée a Ia concentration de Ia population, n'est pas immédiatement compensée par une politique de grands travaux sanitaires, d'amélioration des conditions de vie et de logement. Les comportements deviants, souvent incriminés afin de rendre compte de Ia

forte mortalité des classes populaires, qu'il s'agisse de Ia consommation d'alcool, de tabac ou du non-respect des règles de vie qui sont censées contribuer a prévenir les maladies, sont a analyser dans leur logique interne. Les historiens ont souvent souligne que le bistrot par exemple représentait le seul lieu de sociabilité possible pour l'ouvrier et que [a vie était trop rude pour que les individus investissent sur leur propre avenir, ce qui explique leur résistance aux premiers systèmes de retraite. Les récents travaux de Marmot sur les causes

de l'accroissement de Ia mortalité adulte en Hongne, par exemple, montrent clairement qu'en dessous d'un certain seuil de conflance dans les conditions de vie quotidiennes, en particulier l'alimentation et le logement, les personnes ne se préoccupent plus de leur sante [Marmot et alii, 1997]. Cette situation, souvent percue comme nouvelle, ne fait que renvoyer aux conditions qu'ont connues les ouvriers francais et européens au XlXe siècle. LA CONSTRUCTION SOCIALE DES INEGALITES DE SANTE

La très probable inégalité sociale face a la mort dans les campagnes de l'Ancien Régime, même si elle est limitée a un petit groupe de dominants, incite a penser que le phénomène est aussi ancien que l'accaparement des richesses foncières par quelques-uns. Pour autant, pendant des siècles, 1' inegalite face a Ia

mort n'a pas été énoncée. Le changement se produit au cours de la seconde moitié du xvIIIe siècle dans le mouvement general de développement de l'arithmetique politique et de Ia philosophie des Lumières.

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Prise de conscience et mise en evidence de l'inégalité face a Ia mort

Le premier effort pour approfondir Ia question de l'inégalité face a Ia mort se trouve dans le Livre I des Recherches et considerations stir Ia population de Ia France, de Moheau, publié en 1778. Le chapitre xi, <, Ic plus long de l'ouvrage, se compose de neuf << Questions dont Ia sixièrne, intitulée de rnortalité dans différents états >>, traite de Ia mortalité différentielle suivant les couches sociales. Après avoir constaté que Ia durée de Ia vie est très

inégalement répartie, Moheau reprend l'opinion des milieux éclairés et des guides de conservation de Ia sante: > Dans le paragraphe suivant, ii ajoute: Ic premier age exige beaucoup de soins et

de ménagements, Ia misère, qui ne peut les procurer, subit une plus grande mortalité ; et parmi ceux qul passent cet age, ii est beaucoup plus de personnes mal-saines ou contrefaites que dans les autres classes de citoyens.>> Moheau

soutient qu'une meilleure connaissance de Ia mortalité devrait permettre de prendre des mesures adaptées a uric prolongation de Ia vie. ii s'intéresse par consequent a Ia mise en evidence des écarts de mortalité entre Ies enfants abandonnés et les autres, entre les << rentiers (considérCs comnie plutôt aisés), Ies religieux et l'ensemble de Ia population. Ces développements supposaient une >>

lalcisation des attitudes devant Ia vie, fréquente parmi les philosophes et Ies arithméticiens politiques du xviIIe siècle. Mais a aucun moment Moheau ne s'élève contre une telle inégalite. Après avoir mis en evidence la disproportion effrayante >> entre Ia mortalité des enfants abandonnés et celle des << enfants dont les parents prennent soin >>, il conclut : <
surtout dans les premiers moments de Ia vie, ne provient pus seulement du défaut de soins, mais aussi souvent de Ia mauvaise constitution des enfants, qui, fruits de Ia débauche, en portent les enipreintes. >> Le lien entre Ia sante des individus et leur comportement, et mêrne ici les de leurs parents, constitue l'une des affirmations les plus frequentes des travaux du X1XC siècle. La mise en des recensenients ainsi que de Ia collecte du mouvement

de la population par les responsables politiques du Consulat et de l'Enipire aboutit a produire des données nouvelles, d'abord dans les limites du département de Ia Seine, l'effort est poursuivi sous la Restauration. En outre, le courant hygiéniste, qui s'est renforcé au cours des dernières décennies du XVlIIe siècle,

conduit de nombreux mCdecins a rédiger des topographies mCdicales eta considCrer Ia mortal itC comme Ic rCsultar de l'ensemble des conditions

de vie et d'environnement, incluant I'insalubrité des quartiers, suivant une pensëe nCo-hippocratique alors Erès influente. Des 1 822, Ic Dr Lachaise tente

d'analyser Ia mortalité en fonction de Ia densité de population considCrée comme l'un des facteurs les plus discriminants, mais dans Ic cas du I 2e arrondissement d'alors, ii coniclut que I'excessive mortalité y tient

SOCLALE FACE ALA MORT : L'LNVENfION RECEN1E D'UNE REALrFEANcIENNE 35

davantage a i' indigence des habitants qu'à 1' insalubrité des logements et des fabnques {Lachaise, 1822]. Quelques années plus tard, Louis-René Villermé

dtudie les statistiques de mortalité parisienne de 1817 a 1821 puis a 1826 [Villermé, 1830]. Il met en ceuvre une méthodologie soignée et systématique, multipliant les recoupements et Ia construction d'indicateurs sociaux afin de faire le partage entre Ia mortalité qui renvoie a l'insalubnté de l'environnement et celle qui est due a Ia pauvreté [Villermé, 1828]. Queue que soit l'échelle considérée, Ia rue, le quartier, l'arrondissement de Paris on les départements, il réussit a mettre en evidence une relation entre Ia plus forte mortalité et Ia plus grande misère, qui relegue a un role secondaire i'effet de l'élévation du so!, de sa nature, celui de Ia concentration des constructions et même celui de la densité de population, contrairement a ce que beaucoup pensaient alors. La question sociale, celle du nouveau paupdrisme, est alors au de nombreuses réflexions. L'Académie des sciences morales et politiques confie en 1834 a Villermé et a Benoiston de Chateauneuf le soin d'entreprendre un voyage afin de << constater, aussi exactement qu'il est possible, l'état physique et moral de toutes les classes ouvrières >>. Pour l'essentiel, l'enquete de Villermé se ddroule de 1835 a 1837, sur le terrain des principaux sites industriels, par l'observation directe et le contact avec les travailleurs, ce qui lui permet d'analyser les conditions de travail et leurs repercussions sur Ia sante, mais aussi d'dtablir des budgets familiaux et d'approcher les facons de vivre, les mceurs et les perceptions des ouvriers [Villermé, 1840]. Ce faisant, ii s'inspire des grandes enquetes anglaises, en particulier de celles de James P. Kay et de Charles T. Thackrah parues en 1832 [Kay, 1832 ; Thackrah, 1832]. Dans Ia crise que traverse alors Ia pensée sociale, ii se situe plutôt du côté des libéraux et croit aux vertus du savoir positif qui serait capable de contrer les attaques de l'anti-industrialisme et du socialisme. Le constat que les entrepreneurs épuisent de facon absurde le capital humain dont ils tirent leurs profits lui paralt constituer le nceud de la crise du capitalisme. Ii ne s'agit pas de remettre en cause les principes mémes du système économique et social liberal mais <<de s'attaquer aux excès, aux abus, qui affaiblissent son fonctionnement et en compromettent l'avenir>> [Démier, 1989]. Dans le cas de Mulhouse par exemple, ii reprend les résultats sur la mortalité

des années 1812 a 1827 établis par Achille Penot et calcule a son tour Ia mortalité des années 1823 a 1835. Ii en déduit qu'au cours de cette période, marquee par un développement soutenu des manufactures de coton, Ia situation a empire: <> au cours de Ia premiere période, mais cet age median est abaissé de deux ans au cours de Ia seconde période. A Ia suite de calculs de Ia mortalité par professions, il conclut: <> En effet, tandis que Ia moitié des enfants nés dans Ia

classe des fabricants, négociants et directeurs d'usine atteindrait sa vingtneuvième année, Ia moitié des enfants de tisserands et de simples travailleurs

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des filatures aurait cessé d'exister, on ose a peine le croire, avant l'âge de deux ans accomplis... Comment admettre que notre état de société offre reellenient des conditions dans lesquelles la mort dévore Ia rnoitiC des enfants avant leur deuxième année accomplie ? Queues privations, queues souffrances cela ne fait-il pas supposer ! La reprobation est par consequent également morale, elle condarnne le capitalisme <<sans entrailles>> [Villermd, 18401.

L'inégalité sociale devant Ia mort comme arme politique Bien reçu a l'Académie et parmi les notabilitCs intellectuelles, Ic Tableau de Villernié a pourtant manqué sacible, au nioins en partie. La presse des notables a en effet sélectionné ce qui pouvait illustrer l'approche classique du paupérisme, en particulier toutes les observations qui renforcent Ia these suivant laquelle Ia degradation morale est a l'origine de Ia misère ouvrière et non le dCveloppernent de I' industrialisation. L' invitation a une réflexion nouvelle sur Ia classe ouvrière est ainsi superbement ignorée. Même L'!ndustriel alsacien, pourtant associé au patronat du Haut-Rhin — il convient de rappeler ici que Ia Société industrielle de Mulhouse était a l'origine de l'initiative de l'AcadCniie et de Ia rCflexion sur Ia limitation du travail des enfants —, rend compte de l'ouvrage de VillermC en soulignant qu'on y trouve des exemples édifiants sur l'intempéraiice et les dissolues des ouvriers des manufactures. Peut-être rnanquait-il une presse socialisanie très engagée reprenant a son compte et multipliant les enquêtes sur Ia condition ouvrière, conime ce fut le cas en Angleterre, ainsi que des medical activists, acteurs du mouvement chartiste, qui considéraient tout siniplement que l'amélioration de Ia sante requerrait de profondes réfomies sociales et politiques, qu'il y avait opposition fondanientale entrela médecine et les positions de l'dconomie politique [Hamlin, 1998]. Maisle décalage chronologique entre le développement soutenu de l'industrie en Angleterre et en France conduit aussi a un Ccart dans Ia legislation comme dans Ia vigueur de Ia prise de conscience. Des 1802, a l'initiative de sir Robert Peel, une Ioi protégeait les apprentis de Ia nouvelle industrie cotonnière, elle était étendue a tous les enfants travaillant dans Ic textile en 1819, niais demeurait si inefficace qu'en 1830 Richard Oastler pane dii scandale public que constitue Ic Yorkshire slavery et plaide en faveur de Iajournée de dix heures de travail [Harnlin, 19881. De facon générale, les enquêtes sur Ia condition ouvriCre, sur les détériorations physiques irrCversibles imposées aux corps enfantins par les contraintes du travail, sur Ia mont prérnaturee des ouvriers se multiplient au cours des années 1830 en Angleterre. Non seulernent dIes sont beaucoup plus nombreuses qu'en France, mais le ton est celui de Ia dCnonciation véhérnente et non celui du constat attristé. Pour de nombreux observateurs anglais, Ia situation faite aux classes pauvres en général et aux ouvriers en particulier est tout simplement inacceptable, elle relève du scandale. Elle est moralement rCprChensible car 11 n'est pas chrétien de dCtru ire et de dCformer le corps des enfants par le travail.

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L'INEGALrIE SOCLALE FACE ALA MORT: L'INVEI'rnON REcENIE D'UNE

En France, c'est au cours des années 1840 que la nouvelle presse socialisante (L 'Atelier de Corbon, Le Populaire de Cabet, Démocratie pacifique de Victor Considérant, le Journal du Peuple, La Reforme...) reprend a son compte I'idée de l'enquête auprès des classes ouvrières, qu'eHe integre désormais explicitement a son combat politique. Si Ia situation est inacceptable de ce côté de Ia Manche et dans les anndes 1840, c'est principalement parce que des inégalités sociales Si puissantes qu'elles influent sur le potentiel physique de l'homme et sur sa durée de vie attèrent fondamentalement l'humanité des classes labo-

rieuses, ce qui ne saurait être compatible avec les valeurs développées au XVIIIe siècle et réaffirmdes par Ia Revolution française et les droits de l'homme. En Angleterre comme en France, les revendications ont tout a la fois porte

sur Ia reglementation du travail des enfants, sur le raccourcissement de la journée de travail, sur I'amélioration des conditions de travail et de rémundration. Le mouvement d'intervention de l'Etat dans ce domaine est européen et ddbouche sur des creations de corps d'inspecteurs du travail au cours du dernier quart du XIXe siècle, qui <<sont marquees du sentiment que l'avenir de Ia société

industrielle était hypothequé par le dépénssement physique et moral de l'enfance ouvrière des manufactures>> [Viet, 1994]. Ces initiatives traduisaient aussi La reconnaissance de l'insuffisance de Ia pensée libérale et des limites de

Ia responsabilite individuelle et du droit contractuel. L'inspecteur du travail devait avant tout faire respecter les limites imposees ala << liberté de travail des enfants. Puis son role s'élargit avec le vote des lois <<sociales>> de la fin du >>

XLXe siècle en France. Cette prise en charge d'une fonction d'arbitrage par l'Etat est complétée par Ia publication officielle de statistiques qui rendent publiques les mesures de mortalité socialement différentielle pour les années 1907 et 1908 (Bulletin SGF, 1911-1912). On peut certes cntiquer les categories retenues et les méthodes de calcul utilisées, mais le seul fait que les données soient disponibles et publiques constitue une sorte d'aboutissement victorieux des efforts de tous ceux qui avaient, tout au long du XLXe siècle, multiplié les etudes afin de mieux cenier les inegalites sociales face a Ia mort. CONCLUSION

On ne peut donc mettre en evidence une relation systématique entre le sens gdndral de l'évolution de Ia mortalité et celui des inegalites sociales face a Ia mort: l'amélioration generale peut aller de pair avec une reduction des inégalités (cas du XVIIIC siècle) ou au contraire avec son accentuation (milieu du X!Xe siècle) en fonction de l'évolution dconomique et sociale qui oriente les conditions de vie des milieux observes. Seule Ia prise de conscience de ces inégalités et leur transformation en arguments politiques ont permis, dans le cadre de cette << revolution de I'égalité>> qui s'est développee du XvIlIe siècle a

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GENERALITES

jours [Rosanvallon, 1992], d'agir sur les principaux facteurs responsables des écarts : niveau du salaire, conditions de travail, de vie, de logenient. Pourtant, si l'on faiL aujourd'hui le bilan de deux siècles de mesures contribuant a réduire les inegalites sociales face a Ia mort, la conclusion est contrastée. Pour le plus grand nombre, les progrès ont ëte considérables, a tel point que l'espérance de vie des Français au cours du XXC siècle a bondi de 43,4 ans a 74 ans pour les homiiies, de 47 a 82 ans pour les femmes, soit un doublement de celles de Ia fin du xvllle siècle. A y regarder de plus près, certaines constatations sont néanrnoins troublantes. Pour l'espérance de vie a 35 ans, l'écart entre les plus aisés et les plus pauvres, a Genève au XVIIle siècle, est de 3,44 années pour les hommes et de 5,8 pour les femmes. Pour Ia France des années quatre-vingt, l'écart est de neuf années pour les hommes nos

Certes, les niveaux sont si différents que les écarts relatifs, rapportes a Ia valeur de l'espérance de vie a 35 ans, sont aujourd'hui nioins amples que les écarts absolus. Mais ii n'est pas possible de conclure que l'inégalité sociale face a Ia mort s'est réduite au cours des deux siècles, du moms elle ne s'est pas réduite entre les populations situées aux extrémités de I'éventail social. C'est

probablernent là Ic succès et l'échec de nos sociétés: avoir réussi a faire progresser de facon considerable les classes moyennes au sens large, mais au prix d'un abandon des classes les plus pauvres, certes peu nombreuses jusqu'à l'approfondissernent de Ia crise au cours des années quatre-vingt, Dans de telles conditions, on comprend que l'élargissement recent du groupe des < et Ia misc en de Ia notion de solidarité constituent les principaux leviers de Ia poursuite des politiques de reduction de cette inegalité. REFERENCES 131 BLIOGRAI'HIQUES

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Fin de siècle et inégalités sociales de sante

en France: l'amorce d'un débat? Marcel Druihe

La revolution de 1789, en France, a mis au fondement de I'organisation de Ia société l'égalite de conditions pour les individus et Ia démocratie. Mais la perspective de citoyens égaux en droit se heurte a des disparités de situations dont il convient d'apprécier si elles sont les consequences inéluctables de processus naturels ou des effets de processus sociaux susceptibles d'être corrigés par des dispositifs de démocratisation. La sante relève-t-eIle d'equilibres naturels que seuls les spécialistes de l'art medical peuvent favoriser au cas par cas ou bien ces <<équilibres naturels>> sont-ils generalisables a des groupes de populations qui partagent de semblables conditions d'existence ? II apparaIt que l'alternative est fausse et que Ia <> de la sante est a la fois organique et sociale. Les <> en Ia matière peuvent être connus sous ces deux aspects et faire I'objet d'une double regulation : regulation therapeutique d'organismes individuels affectés par des troubles, regulation sociale d'ensembles d'individus

places dans des contextes semblables et soumis aux mêmes aléas sanitaires [Fassin, 1996]. Ainsi, les disparitds sociales de sante apparaissent comme relevant d'un enjeu politique: elles constituent des inégalites sociales qui contreviennent a I'idéal democratique. Or, reconnaltre que les differences sociales de sante constituent une composante de I'inégalité sociale, dont I'existence affecte Ia démocratie et interpelle le politique, ne prdjuge pas de l'intervention de l'Etat: la regulation sociale de Ia

sante a été longtemps Iaissée a Ia >prévoyance des individus>> et a Ia <> des plus chanceux d'entre eux. Cette intervention philanthro-

pique <<privée en matière sanitaire, est appame comme nécessaire parce qu'on a pris Ia mesure des inegalites sociales de sante a travers l'approche empirique des enquetes sociales [Leclerc, 1979]. Par ailleurs, de telles observations ont alimenté les courants de l'hygiénisme et de Ia médecine sociale, qui se sont

efforcés de promouvoir des politiques publiques, sur le plan tant national que local {PolIet, 1995]. La Ioi de sante publique du 15 février 1902 constitue Fun

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premiers aboutissements d'efforts législatifs entrepris le siècle précédent en particulier a travers Ia Vaccination antivariolique obligatoire se trouve mise a Ia disposition de tous tine forme de prevention. Ce modèle d'action politique de prevention générale va trouver de multiples formes d'application : par exeniple, après Ia guerre de 1914-1918, l'accueil de Ia mission Rockefeller>> contrihue a Ia mise en place de campagnes efficaces contre Ia tuberculose grace a Ia coordination d'actions d'inforrnation, de dépistage et de prise en charge. Les aspects les plus originaux de Ia prise en compte des inegalités de sante apparaissent, en France, au cours du XXe siècle: d'une part, Ia nécessaire interdes

vention de l'Etat pour protéger et promouvoir Ia sante des citoyens est moms contestCe, même si c'est surtout a l'occasion de crises ou de changernents de régime que s'operent les réformes les plus significatives ; d'autre part s'opère un glissement dans l'orientation des actions publiques: la priorité est a Ia niise en place de dispositifs permetlant a chaque individu d'accéder aux soins mCdicaux, au detriment de mesures structurelles a portee prophylactique collective [Ramsey, 1994 ; Murard ci Zylberman, 1996]. Ainsi, avec Ic tournant de Ia Sécurité sociale (1945), Ic problème se pose en d'autres termes : un accès individuel aux soins plus égalitaire va-t-il enfin permettre de rCduire les inégalités sociales de sauté? En rCalité, cette sorte de questionnement est une reconstruction a posteriori dans I'esprit du moment, offrir a chacun les progrès de la niCdecine fail considCrer implicitement que cette démocratisation des soinS rend caduque Ia question des

inCgalités sociales de sante. Mais pareille conviction n'est-elle pas simple croyance ? A Ia suite du recensement de 1954, I'Institut national de Ia statistique et des etudes Cconorniques (INSEE), grace au Dr Aubenque et a Febvay, met en

place une enquête longitudinale sur Ia mortalité différentielle. Les premiers résultats arrivent en 1965 : en dépit des progrès médicaux et d'une plus large consonirnation de soins, les écarts sociaux de mortalité soft indubitables [Calot et Febvay, 1965]. A 35 ans, par exemple, les ont une mortalité trois fois

et deniie plus importante que les in.stituteurs et, entre ces deux extremes, on retrouve Ia hierarchic des strates sociales (agriculteurs ci patrons de l'industrie et du commerce se situant entre cadres moyens et ernployés). Ainsi, parce que les décès condensent l'histoire sanitaire d'une population et de ses groupes, les différences sociales de survie temoignent pour Ic moms de Ia persistance d'inégalités sociales de sauté. Que fait-on de ces constats?

On va montrer que des travaux de poriCe nationale et des monographies témoignent d'une elaboration scientifique progressive des inegalités sociales de sante, en France, au cours de Ia seconde moitiC du XXe siècle. Ensuite, on exarninera Ia position des experts ci des décideurs face ace problème : comment s'en saisissent-ils et comment envisagent-ils Ia reduction de cc type

d'inégalités? La faible prise en consideration de cc problème, en France, appelle comprehension : quels sont les éléments de notre histoire qui permettent de rendre intelligible cette tendance a Ic rendre invisible sur Ic plan des politiques de sante publique?

FIN DE SIECLE EF INEGALFIES SOCEALES DE SANTE

FRANCE L'AMORCE D'UN DEBAT? 43

LES MODES D'APPREHENSION DES LNEGALITES SOCIALES DE SANTE

ET DE LEURS CONSEQUENCES APRES LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Si Ia hiérarchisation de Ia mortalité selon les categories sociales, établie par l'INSEE, attire rapidement l'attention des chercheurs, la diffusion de Ia connais-

sance d'un tel phénomène en direction des décideurs et, plus largement, des citoyens est beaucoup plus lente : a la fin du XXe siècle, cependant, l'importance a accorder aux inegalites sociales de sante est un peu mieux reconnue avec un déplacement de l'enjeu de leur pnse en compte.

L'élaboration scientifique progressive des inégalités sociales de sante

Les travaux de l'INSEE sont repris et mis en perspective au regard d'un ensemble de pratiques corporelles : la construction de l'apparence corporelle, Ia sexualité, l'alimentation, Ia pratique des sports [Boltanski, 1971]. Les inegalitds

sociales de mortalité apparaissent alors comme l'aboutissement d'usages sociaux du corps très lies a une différenciation sociale de <<cultures somatiques >>. Même si ces cultures ne sont pas fermées a Ia modemité, dont Ia

médicalisation est un aspect, elles restent très marquees par Ia socialisation familiale d'un milieu social déterminé [Loux, 1974]. D'un autre point de vue, les premiers résultats de l'INSEE sont prolongés et approfondis par l'Institut national des etudes demographiques (INED), par des

chercheurs des établissements publics de Ia recherche (P. AIach, A. Chenu, P. Surault parmi d'autres : ils approfondissent en particulier certains aspects de Ia mortalité sociale différentielle). On retiendra ici les recherches qui s'attachent

a des indicateurs globaux de sante, plutôt que les etudes épidemiologiques centrées sur des pathologies particulières. Quel est I'enjeu de ces travaux << généralistes

>>

?

Certaines etudes, sans avoir

pour objectif premier d'expliquer Ia mortalité différentielle, ni les disparités sociales de morbidité, ont foumi des résultats dans ce domaine. Ainsi, des le debut des années soixante-dix, des chercheurs de I'INSERM s'efforcent de décrire les différentes facettes de Ia sante d'une population dans une agglomeration urbaine de Ia banlieue parisienne, Boulogne-Billancourt [Minvielle et alii, 1975]. Les chercheurs construisent un indice de sante synthétique tenant compte du caractère aigu on chronique des et de ses consequences sur l'activité.: cadres superieurs et professions libérales ont un indice plus de deux fois inférieur a celui des manceuvres, ouvriers spécialisés et employés. Mais Ia population de Boulogne-Billancourt a des traits spécifiques lies au caractère industriel de Ia yule et a son evolution : pent-on gendraliser les résultats qui s'y rapportent a l'ensemble de Ia société ? Au milieu de Ia même décennie, une autre équipe de l'INSERM donne des éléments pour une approche nationale des

disparités sociales de morbidité a travers une enquête auprès des médecins libéraux, généralistes et spécialistes [Guidevaux et alii, 1975]: les écarts sociaux

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GENERALITES

de la morbidité sont attestés, mais 011 ne retrouve pas avec Ia même netteté Ia hiérarchisation sociale qui transparalt dans Ia mortalité différentielle.

La morbidité déclarée et Ia consonimation médicale font l'objet d'une enquete décennale initiée par l'INSEE et qui trouve des prolongements dans une

collaboration avec le Centre de recherche, d'étude et de documentation en economic de Ia Sante (CREDES). Mais le brouillage et parfois l'effacement des inégalités sociales pour divers aspects de Ia morbidité interrogent les chercheurs : est-ce que I'ordre de hi maladie serait en partie dCcouplé du registre de Ia mort ? On prend conscience qu'on ne peut pas donner a chaque maladie la même importance et Ic niême poids dans les trajectoires sanitaires des individus le CREDES construit un indice de Ia morbiditC en prenant en compte le risque vital et l'invaliditC. Avec cet instrument, Ia hiérarchisation sociale de Ia mortalité et celle de Ia morbidité coincident, même Si les écarts sociaux de la mortalité sont davantage prononcés [Desplanques et a/u, 1996]. Au cours de Ia mênie pCriode, les sciences sociales du travail retrouvent et transforment une tradition de recherche du XIXe siècle visant a évaluer l'usure

différentielle de l'activité productive; elles élargissent aussi la perspective initiale en prenant en compte les effets organisationnels de l'entreprise stir Ia sante des salaries, en particulier en affectant leur identité sociale [Périlleux, 1992]. Ainsi par-delà l'aspect descriptif des inégalites sociales de sante se manifeste un souci de quete d'intelligibilité. C'est aussi au de cette période que paraIt l'ouvrage d'lvan Illich (1975). Sa critique de Ia médicalisation repose en partie sur l'existence des inegalités elles sont hors de portée d'une mCdecine qui sociales de sante, dans Ia mesure offre pourtant les moyens a l'honirne use de <>. Le thins le rejet de Ia médecine occiradicalisme de la these trouve son

dentale, qui, scIon l'interpretation iilichienne, annihile les capacités citoyennes des individus. Queues que soient les objections que l'on fasse a l'auteur, ii a le mérite d'indiquer un enjeu important de sante publique : quelle peut être Ia place du système de soins dans les dispositifs de reduction des inégalités de sante? II reste que ce dCbat est limité aux chercheurs qui exercent leur activité dans le secteur se construisent les enjeux de Ia sante publique, et leur cercie est restreint. On peut prendre une mesure indirecte de I'enkystement du débat scientifique lie aux inCgalités sociales de sante a travers deux indices d'une part, le fait que les facteurs socio-économiques soient relativenient peu pris en compte pour expliquer les problèmes de sante; entre 1965 et 1976, Ia part des publica-

tions d'épidémiologie indexées avec au moms un mot dC de type socioCconornique est restC faible, de 14,5% a 17,9% [cite par Goldberg, 1982]. Rien iie permet de penser que dans Ia production actuelle, en particulier francaise, I'intCrêt pour les facteurs socio-economiques soit notablernent plus important.

D'autre part, l'ouvrage CditC en octobre 1992 a l'occasion de I'exposition >, prCsentCe a la Cite des sciences et de I'industrie de La

Villette [Bernardis, 1992], ne comporte aucun chapitre traitant des inCgalités

FIN DE SIECLE Ef INEGALI'lES SOCIALES DE SAME EN FRANCE: L'AMORCE L'UN DBAT? 45

sociales de Ia sante ainsi que des débats scientifiques et politiques qu'un tel phdnomène est en droit de susciter: n'est-ce pas un signe de l'étroitesse du cercie des chercheurs qui ont de telles preoccupations et de sa faiblesse sociale,

en particulier en matière de diffusion médiatique vers le grand public ou du moms le public cultivé? Le cercie des experts et des décideurs face aux inégalités sociales de sante: Ia difilcufté a ouvnr un débat sur leur reduction Sur le versant du politique, on peut approcher le mode d'appréhension des inégalites sociales de sante a travers des rapports officiels de diverses natures. Commençons par le rapport de Ia commission sante du vie Plan [Rapport des commissions du vie Plan, 1971], publié cinq ans apres les premiers résultats de l'enquête longitudinale de l'INSEE sur Ia mortalité sociale différentielle. Dans le corps du texte, deux paragraphes se rapportent a ce qui est encore prudemment désigne comme <> (quelques graphiques de I'enquéte INSEE sont joints en annexe). Les recommandations traduisent d'abord les preoccupations du moment: si le rapport demande Ia production de meilleures informations et davantage de prevention, l'heure est a l'insistance sur La nécessité de moderniser le parc hospitalier (dquipements et recrutement de nouveaux personnels spdciauses) ainsi que de mieux organiser le système de soins. On a pns acte de Ia différenciation sociale des populations au regard de Ia sante, mais cela n'est pas encore

percu comme une composante des inégalités sociales, et ii est implicitement entendu que l'amélioration du système de soins va homogeneiser ces differences.

Avec les anndes quatre-vingt, la gauche reprend la direction des affaires publiques : deux rapports [Rapport au ministre des Affaires sociales et de Ia Solidante nationale et au secrétaire d'Etat chargé de Ia sante, 1985, et ministère de la Solidarité, de la Sante et de Ia Protection sociale, 1989] témoignent d'une volonté politique de reconnaItre que les écarts sociaux de sante ne relèvent pas du hasard mais constituent véntablement des <>. On souligne d'abord que ce type d'inégalite sociale <>, puis on en vient a indiquer, dans le rapport de 1989, qu'une tendance a leur accroissement se manifeste.

Cependant, Ia rétlexion sur les causes de ces phénomènes reste limitée (moms d'une dizaine de pages en dehors des annexes). On décrit les <> en consacrant quelques pages a l'environnement et aux

conditions de vie tandis que I'on s'étend sur les comportements lies aux <> (tabagisme, etc.) et plus encore sur le role .xbienfaisant>>

du système de sante. Si les facteurs de risque désignés relèvent largement d'actions individuelles dont Ia dangerosite pour Ia sante a été empinquement établie et, plus faiblement, de diverses détériorations de l'environnement, le système des mediations entre cet << ordre de causalité >> et les inegalites sociales

de sante n'est pas envisage très clairement: on ne se soucie pas véritablement

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GENERALITES

procéder a l'examen du hiatus entre l'effet global et structuret établi (persistance et accroissement des inégalités sociales de sante) et I'échelle individuelle a laquelle est située l'explication des problèmes de sante. Des lors, on retrouve Ia pente ordinaire des projets d'interveiitions: renforcer et amCliorer les soins aux individus malades. Une <<politique de gauche>> ne pouvait pourtant pas en rester au seul niveau curatif : en 1990, l'adoption de la loi Evin sur l'alcool et le tabac manifeste une volonté de prevention. Si cette Ioi a suscité débat, I'angle d'atlaque individualisé des consommations d'alcool et de tabac tout comme Ia < matérialité >> des coniportements qu'elle cherche a atteindre (en se prCoccupant peu de leurs propriétés collective et symbolique) ont polarisé de

Ia discussion sur Ia pertinence d'une telle niesure de sante publique plutôt que sur

les effets éventuels qu'elle pourrait avoir en termes de reduction des inégalites sociales de sante. Les analyses d'experts et les interventions publiques restent encore prisonnières du modèle individualisé de Ia fonction réparatrice du système de soins, faute de s'investir dans tine explication plus large de Ia différenciation sociale inégalitaire de Ia sante des Français [Drulhe, 1996]. La preparation du X1C Plan permet d' inaugurer Ia dernière décennie du siècle

avec un rapport qui aborde d'une autre façon ces problèmes et amorce l'ouverture d'un debut en d'autres ternies [Soubie, 1993]. Les inégalites sociales de sante font l'objet d'une partie spécifique (Atelier 110 2) et cette réflexion se prolonge par une tentative d'explicitation des< determinants des états de sante>> (Atelier no 3) qui se conclut ainsi: <>

Mais les rapporteurs sont conscients que Ia mise en place et Ia rCussite de politiques de prevention supposent de relever Ic défi de I'insuffisance de nos savoirs quant a cc qui favorise ou dCfavorise Ia sante: il importe de mieux

connaItre ce qui produit les inégalités de sante (en particulier les conditions d'accomplissernent du travail) pour imaginer des interventions publiques adCquates en amont du système de soins.

Le rapport du Haut Comité de Ia sante publique [1994] reprend, dans ses analyses, Ic rnême hI directeur que le rapport Soubie: Ia <> de la sante et de ses determinants s'élargit. Les indgalités sociales de sante y sont clairernent décrites et plusieurs tentatives d'analyse sont prCsentCes pour en rendre compte (une attention particulière est portee aux effets du travail et du chôniage). Après un tel constat et de telles analyses, le Iecteur est Ctonné par Ia partie du rapport qui propose des objectifs de sante publique : de Ia production des inégalitCs sociales de sante, on revient manifes-

FIN DE SIÈCLE FT INEGALrFES SOCIALFS DE SANTE EN FRANCE : L'AMORCE D'UN DFBAT? 47

tement a des enjeux de consommafion de soins puisque maladies, déficiences et incapacités y occupent une place préponderante. Ainsi se manifestent les ambiguItés d' un rapport qui emboIte le pas aux termes du débat poses par le rapport dii Commissariat général au plan, tout en maintenant

en fihigrane le modèle de Ia décennie précédente: les soins continuent d'être considérés comme le determinant essentiel de Ia sante et le remède universel a la reduction des inégalités en la matière. Toutefois, sous l'instigation du même Haut Comité de la sante publique, Ia mise a l'ordre du jour des conferences régionales de sante, en 1998, des <> a rencontré un echo favorable chez les participants : le souci d'aborder les problèmes de sante en amont du curatif existe, mais donner Ia pnorité aux interventions sur I' << environnement naturel et social >> reste exceptionnel [Poindron, 1998]. LA FAIBLE PRISE EN CONSIDERATION DES INEGALITES SOCIALES DE SANTE EN FRANCE : MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE

Finalement, Ia question des inegahités sociales de sante en France se caractérise

par une lente et faible reconnaissance, sans que Ia gravité de ses consequences suscite un important débat public pour determiner des interventions politiques adequates. Comment rendre intelligible la position francaise actuelle? Après l'éclatement de Ia profession soignante au moment de Ia Revolution francaise, il a fallu un siècle a Ia profession médicale pour conquerir le monopole théra-

peutique, en particulier a travers l'unification et le contrôle de Ia qualification (1892): le corps medical francais en est venu a s'imposer comme seul competent dans le domaine de Ia sante, de sorte que toute amorce de débat en dehors du champ medical est très difficile. Parallèlement, le syndicalisme professionnel a constitué un lieu de réflexion qui a permis aux médecins de moraliser leur profession en constituant leur deontologie: pour Ia médecine francaise, cela aboutit an triomphe de la tradition libérale qui se manifeste dans Ia Charte médicale de 1927, dont les aspects majeurs sont repris dans le Code de déontologie de 1947. 11 s'agit du respect dii secret professionnel, du libre choix du médecin par le malade, de l'entente directe entre les parties en matière d'honoraires et de Ia liberté de prescription du médecm. Ainsi, l'exercice en cabinet liberal entre dans les mceurs au point que toute autre fornie de pratique a un caractère exceptionnel.

La consequence de ce processus historique est de favoriser ha tendance a considérer Ia sante d'un point de vue << individualiste>> : Ia relation d'individu a individu au sein du cabinet mEdical finit par masquer les conditions sociales de possibilitE du développement de Ia sante et de Ia maladie ; Ia découverte pasteu-

nenne renforce l'action médicale hospitalière, par Ia diffusion des examens biochimiques, alors qu'elle a peu d'impact pratique sur le plan de l'hygiene et de Ia sante publique. L'indêpendance professionnehle de nombre de médecins finit par rejoindre le conservatisme des plus ardents défenseurs de Ia propriété

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GENERALITES

privée: on refuse Ia de ainsi que toutes formes de contrainte collective par des lois susceptibles de favoriser Ia sante publique,

comme en témoigne Ia longue lutte contre l'obligation vaccinale antivariolique; les mesures de prophylaxie collective sont perçues comme portant atteinte aux libertés individuelles : on s'efforce plutôt de trouver les moyens d'arnéliorer les comportements individuels.

Paradoxalement, Ia poliuque d'organisation collective de Ia prévoyance sociale, qui se traduit par Ia misc en forme de Ia Sécurité sociale en 1945, va dans le mêrne sens : d'un côté, Ia constitution d'une prévoyance-solvabilité a l'échelle collective perniet de favoriser l'accès individuel aux soins médicaux ; d'un autre côté, accepter que les classes moyennes indCpendantes n'intègrent pas le régime

général, tout comme refuser l'exclusivité des assurances complémentaires aux mutuelles ont été les signaux très nets d'une interpretation particulière de cette politique: bien loin d'être synonyme de <>, elle est au contraire au service d'un meilleurexercice des libertés individuelles ; par Ia liberté de leurs choix, les individus auraient désormais Ia possibilité de mieux se soigner. Une telle perspective fait apparaItre la protection sociale comme un piège dans Ia prise en conipte des inégalites sociales de sante. Faute d'accordertoute sa spedficité et toute son ampleur a Ia dimension collective de Ia sante et de sa différenciation sociale, on a réduit Ia prCvoyance collective a une affaire d'accessibilité a

Ia prevention et aux soins niédicaux. A Ia Liberation, Ia vision du ministre Alexandre Parodi, porteur du projet, est bien plus large: Ia protection sociale qui se met en place est Ia << rCalisation d'un plan qui couvre l'ensemble de Ia population du pays contre l'ensemble des facteurs d'insécurité >>. Or, se focaliser sur Ia

démocratisation des soins met sur Ia touche tout cc qui, dans Ia collectivité, prepare et induit l'apparition des maladies: Ia médecine triomphante de l'aprèsguerre stimule Ia croyance que l'éradication de toutes les maladies est a notre portée et qu'ainsi va disparaItre l'enjeu de Ia reduction des inegalites sociales de sante. Cette situation n'est pas spécifique a Ia France: façon plus subtile,

l'existence du NHS (National Health Service) depuis Ia Seconde Guerre mondiale, Ccrit Roy Carr-Hill pour la Grande-Bretagne, a empêché que ne s'établisse un débat sur de nombreux aspects importants des determinants Cconomiques et sociaux des inCgalités de sante >> [Alach et a/il, 1987], Les bouleversements socio-économiques inaugurCs par le choc pétrolier de

1973 produisent toutes sortes de consequences au cours des deux dernières dCcennies du XXe siècle : parmi dies, les plus remarquables sont Ic développement

du chomage et Ia renaissance d'une grande pauvreté. La question sociale ruine et efface tout débat public sur Ia reduction des inégalités sociales: elle lui substitue l'inqui&ude de l'exclusion. Le regard des experts et des médias ne parcourt plus Ia verticalité de Ia pyramide sociale pour sonder sa reduction ou Ic frémissement de Ia mobilité sociale qui Ia parcourt : ii se fige sur Ia frontière qui sépare les exclus du travail, du logement et de toute vie familial et ceux qui

Ia chance>> d'avoir encore ces biens et ces formes de lien social en voie de

FiN DE SIÈCLE Er INÈCALrIRs SOCIALES DE SANTE EN FRANCE L'AMORCE D'UN DEBAT? 49

raréfaction (emploi, residence, famille), au point de condenser symboliquement tous les privileges. Dè,s lors, l'emploi et l'accomplissement du travail, pivots du positionnement dans l'espace social [Caste!, 1998] et composantes essentielles de Ia production de sante [Appay et alii, 1997], sont Iivrés et soumis aux exigences de la flexibilitd, avec les pressions d'horaire et de cadence, le stress, Ia precarisation et Ia démesure que cela entraIne, au detriment de la sante. Cette transformation des points de vue se rdpercute sur les enjeux de sante: les timides perspectives ébauchdes quant aux sources des inegalites sociales de sante et quant a Ia ndcessité de se mobiliser bien en amont du système de soins s'obscurcissent an profit de l'urgence du moment, l'accès des exclus aux soins médicaux. C'est ainsi que s'opère tout au long du XXe siècle une polarisation sur le curatif, sous diverses formes et, chaque fois, dans Ia fdbrilité de 1' invocation de quelque urgence, tend a s'estomper Ia reconnaissance de ce qui, en amont, est au fondement des indgalites sociales de sante. Au cours des vingt-cinq dernières années, les enjeux lids a la maItrise des dépenses de sante, a l'apparition de !'dpidémie du sida et aux sequelles sanitaires du ddveloppement d'une extreme pauvretd remettent pourtant en cause une pareille dtroitesse de vue : Ia démocratisation de Ia consommation médicale est impuissante a réduire les ecarts sociaux de sante; de meilleurs traitements thérapeutiques pour les séropositifs et les sidéens n'enrayent pas Ia diffusion de I'dpidémie chez les plus mal instruits et les plus pauvres ; soigner les chômeurs chroniques n'empéche pas le stress et I'anxidté lies a une quête sans fin d'emploi de faire leur euvre ddldtère. Le

traitement politique de l'accroissement des dépenses de sante ne parait pas tenir compte jusqu'a present de l'approche suggdrée par le rapport Soubie: Ia regulation de Ia consommation des soins reste largement prioritaire. Le ddbat amorcé autour de Ia reduction des inegalites de sante (spécialement

encourage par l'OMS) se trouve soumis ala pression de l'urgence a contenir les

deficits de l'assurance maladie tout en donnant aux <exclus>> les moyens d'accdder aux dispositifs de soins, en particulier grace a la couverture maladie

universelle (1999), de sorte que Ia décentration nécessaire pour saisir Ia complexite des relations entre sante et société (dont les inegalitds de sante sont un des points nodaux) se trouve encore repoussée, an moms partiellement. En

dépit des résultats multiples et convergents de Ia recherche scientifique qui dtablissent les inégalités sociales de sante, leur persistance et leur accroissement,

et qui en explicitent au moms partiellement les mécanismes sous-jacents, ce phdnomène n'est pas encore véritablement reconnu sur la scene publique comme problème majeur de sante publique. De ce point de vue, Ia permanence de son invisibilité dans l'espace politique en constitue un trait essentiel. Et cette constance dans l'<< invisibilisation >> des inegalites sociales de sante sur Ia scene publique prolonge des processus de même nature concernant plus géndralement les inegalites sociales dans des domaines divers comme l'dcole ou le logement: Ia << nouvelle question sociale, très largement abordée en termes d'exclusion >>

et de pauvrete, en témoigne.

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GENERALITES

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Inégalités sociales de mortalité prématurée: la France comparée aux autres pays européens Jo/ian P. Mackenbach Anton E. Kunst, Feikje et le groupe de travail de l'Union européenne sur les inegalités socio-économiques de sante1

A travers 1'Europe, les recherches sur les inegalités socio-économiques de sante sont inegalement réparties. Au Royaume-Uni, ii existe dans ce domaine une tradition ancienne et reconnue. Plus récemment, grace a Ia mise en place de programmes nationaux de recherche et aux débats sur les politiques de reduction des inegalites de sante, les recherches en Ia matière ont été aussi stimulées dans des pays comme Ia Suede, Ia Finlande et les Pays-Bas. Les rapports de recherche en provenance de ces pays ainsi que des Etats-Unis dominent désormais Ia littérature intemationale sur les inégalités de sante. Pour les chercheurs d'autres pays, dont Ia France, cette situation pose la question de savoir si les résultats et les conclusions que l'on trouve dans Ia littérature internationale s'appliquent également a leur pays. En Europe, quel que soit le pays, ii existe a coup sür des inegalites en sante. Mais au-delà de cette affirmation, beaucoup d'incertitudes demeurent. Les inegalites de sante sontelles aussi fortes que celles qui sont décrites dans d'autres pays, ou bien comparativement plus petites ou plus grandes? Observe-t-on partout une augmentation des inegalites avec le temps ? Enfin, peut-on appliquer a son propre pays les explications données aux inegalites de sante dans d'autres pays, par exemple

I. Remerciements: les données présentées dans ce chapitre proviennent d'une étude financée par Ic programme Biomed-l (CT92-1068) de l'Union européenne. Le groupe de travail de 1' Union européenne sur les inégalites socio-economiques de sante était con stitué de 0. Andersen (Danemark), J. K. Borgan (Norvege), C. Costa (Italic), 0. Desplanques (France), F. Faggiano (Italie). M. do R. Giraldes (Portugal), S. Harding (Gmnde-Bretagne), C. Junker (Suisse), P. Martikainen (Finlande), C. Minder (Suisse). B. Nolan (Irlande), F. Pagnanelli (Italie), E. Regidor (Espagne), D. VAgero (Suede), T. Valkonen (Finlande).

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le role de facteurs comme le tabagisme, les conditions de travail ou le stress psychosocial ? Une premiere rdponse peut être obtenue en comparant les pays selon quelques aspects essentiels tels que l'ampleur des inégalitds et leur repartition

selon l'âge, le sexe, Ia cause de décès ou d'autres variables. Si d'importantes differences entre pays apparaissent, elks devront rendre prudent a l'égard de l'utilisation de résultats issus de Ia littérature internationale pour combler les lacunes de l'information nationale. ElIes pourraient égalenient indiquer que

l'ampleur des inégalités ou leur evolution au fil du temps sont fortement influencées par le contexte national. Des etudes plus approfondies pourraient alors permettre de définir les circonslances qui sont dCterminantes et éventuellement d'identifier des facteurs susceptibles de faire l'objet d'interventions. En matière d'inegalites de sante, les premieres coniparaisons entre pays ont porte sur les années soixante-dix et ont Cté nienées a bien dans les années quatre-

vingt et au debut des années quatre-vingt-dix, La France a eté incluse dans plusieurs etudes comparatives sur les inegalités de mortalitC prématurCe [Leclerc et a/li, 1984; Leclerc et a/il, 1990; et Lundberg, 1989; Valkonen, 1989; Kunst et Mackenbach, 1994]. Ces comparaisons ont montré, en général, que les inégalités étaient assez importantes pour les hommes en France, les plus faibles inegalités étant en revanche observées en Suede, en Norvege et au Danemark. Dans les années quatre-vingt-dix, un projet international finance par l'Union européenne a complété ces premieres etudes comparatives [Kunst et a/li, 1996; Kunst, 1997 ; Kunst et a/il, 998a ; Mackenbach et a/il, 1997]. II était dtabli sur des donndes plus récentes datant des années quatre-vingt ou du debut des annCes I

quatre-vingt-dix, et certains pays comme Ia Suisse, l'ltalie, l'Espagne et le Portugal ont été inclus pour Ia premiere fois. Les comparaisons Ont porte non seulement sur les indgalites de mortalitC prématurée mais aussi sur les inégalités de problèmes de sante déclarés dans les enquCtes de sauté. Enfin, de grands efforts ont eté faits pour évaluer et rCsoudre les problèmes de comparabilité des données entre pays car certains de ces problèmes avaient été suspectés d'avoir introduit des biais dans les résultats des prCcédentes etudes comparatives.

Une conclusion majeure de cet ensemble de travaux, et qui a retenu forternent I'attention, est que dans Ia plupart des pays d'Europe occidentale les inegalites sont a peu près aussi importantes en ce qui concerne Ia mortalité [Mackenbach et a/li, 1997 ; et Erikson, 1997]. En particulier, rien ne permet de penser que les inegalitCs de morbidité ou de mortalité soient moindres dans les pays nordiques. Par contre, le constat que les inegalités de mortalité restent en France plus considérables qu'ailleurs a beaucoup moms attire l'attention. Or, ces dernières sont plus importantes non seulement que celles des pays plus au Nord rnais aussi que celles des pays voisins du Sud. L'objectif de ce chapitre de presenter les principaux résultats sur les inégalités de mortalité prematurée. Nous proposerons en outre Un certain

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE PREMATUREE...

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nombre d'explications a leur importance exceptionnelle en France. Le chapitre sera complété par quelques conclusions sur Ia morbidité. D0NNEE5 ET METHODES UTILISEES

Sources de données Pour onze pays, les données proviennent d'études de mortalité representatives a l'échelle nationale. Les données sont issues d'études longitudinales pour la France (pour l'analyse de Ia mortalité toutes causes confondues), l'Italie, l'Angleterre et le pays de Galles, ainsi que pour quatre pays nordiques [Kunst, 1997; Kunst et a/u, I 998a, I 998b]. Pour chaque pays, Ia population recensée autour de 1981 a été suivie en ce qui concerne La mortalité en couplant, au niveau

individuel, les donnëes du recensement au registre des décès. Pour d'autres pays, les données proviennent d'études elles aussi nationalement representatives mais de nature transversale. Des etudes de ce type ont été utilisées pour Ia France (concernant l'analyse de La mortalité par cause médicale de décès), 1'Irlande, Ia Suisse, I'Espagne et le Portugal. La plupart des etudes longitudinales couvrent une période qui va environ de

1980 a 1989, et toutes celles de nature transversale portent sur une période d'environ quatre ans autour du recensement de Ia population qui a eu Lieu autour de 1981. La majonté des etudes couvre Ia totalité de Ia population nationale mais

en France et en Suisse, les étrangers, qui représentent une population relativement importante (plus de 5 % de l'ensemble des hommes entre 30 et 59 ans), n'ont pas étd inclus.

Indicateurs socio-économiques Toutes les etudes incluent des données sur les professions des hommes de 30 a 59 ans. Sur Ia base de ces données, les hommes ont été classes en categories professionnelles. En France et dans la plupart des autres pays, us ont été rdpartis selon Ia grille d'Erikson et Goldthorpe [Erikson et Goldthorpe, 1992 ; Bartley et a/u, 1996]. Une version simplifiée de cette grille distingue sept groupes: les patrons d'entreprises, les cadres supdrieurs et professions liberates, les professions intermédiaires (groupe 1,2), les employds (3), les artisans (4a, b), les exploitants agricoles (4c), les agents de maItrise et les ouvners qualifies (5, 6), les ouvriers peu ou pas qualifies (7a) et les ouvriers agricoles (7b) (voir une description de cette classification dans Ic chapitre 11.6). Pour le Danemark, l'Irlande, I'Italie, l'Espagne et le Portugal, les classifications nationales dispo-

ne permettaient un classement comparable a Ia grille d'Erikson et Goldthorpe qu'à un niveau plus regroupé : les non-manuels (1 a 4b), les manuels (5 a 7a) et les actifs du secteur agricole (4c, 7b).

56

Comme souvent dans les etudes sur les inCgalies socio-&onomiques de sante, les hommes écononiiquement inactifs ont été classes dans les categories professionnelles correspondant a ieuremploi antérieur. Cependant, leurs taux de mortalitC ne sont pas dCterminCs uniquement par cet emploi precedent mais aussi par leur exclusion ultérieure du marché du travail et par les consequences de celle-ci sur leur revenu, leurs relations sociales et leur bien-être psycholo-

gique. Plusieurs etudes montrent que l'exclusion du rnarché du travail a des effets sur Ia mortalité prématurée [Martikainen, 1990]. L'analyse des données du projet international, pour Ia France et quelques autres pays, suggère aussi que

l'exclusion du marché du travail aurait un effet propre sur Ia mortalité prCmaturée [Kunst et a/u, 1996 ; Kunst et Groenhof, 1998]. ii n'est pas possible de dire si cet effet est en France plus important ou plus faible qu'ailleurs. Les données sur la moilalité en fonction du niveau d'études étaient disponibles en France et dans quatre autres pays: l'Italie, Ia Finlande, Ia Norvège et le Daneniark. Les classifications par niveau d'études utilisées dans les pays nordiques donnent une repartition très inégale de Ia population, avec environ deux tiers des hommes dans Ia categoric Ia plus basse. Cela ne permet pas de bien quantifier les differences de mortalitC en fonction du niveau d'instruction dans ces pays (voir chapitre 11.6). Aussi présentons-nous dans ce chapitre les résultats concernant le niveau d'études essentiellement comme complement de ceux concernant Ia catégorie 1)rofessionllelie. Concernant les differences de mortalité scion les indicateurs de confort materiel de vie, comme le revenu du niénage, la richesse et les conditions de logement, ii n'existait des données que pour un petit nombre de pays. De plus, ces données Ctaient difficilement comparables d'un pays a I'autre. Pour cette raison, nous ne présentons pas de résultats—sur ces indicateurs.

Méthodes

Les differences de mortalité scion les categories professionnelles ont ete standardisCes pour I'âge en calculant des rapports comparatifs de mortalitC (Standardized Mortality Ratio, ou SMR). Les taux de décès nationaux par age ont ete utiiisés cornme référence. L'ampleur des differences de mortalité a ete résuniée sous forme de rapports de taux comparant Ic taux de dCcès des manuels a celui des non-manuels. Ces rapports de taux et leurs intervalles de confiance a

95 % ont été estimCs par des modèles de regression de Poisson, prenant en compte les differences de structure d'ãge entre pays. Afin de considérer les differences enire pays dans Ia repartition de Ia population en categories professionnelies, des indices d'inégalité tenant compte de cette repartition de Ia population oni également été calculCs [Kunst ci a/u, 1996 ; Kunst et a/li, 1998a]. Les rCsuliats fondes sur ces mesures que l'on pourrait qualifier de globales sont proches de ceux qui sont présentés dans Ia partie suivante.

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE PREMATUREE...

57

Les differences de mortalité en fonction du niveau d'études ont été mesurées

par l'indice relatif d'inégalité ou Ril (voir le chapitre H.7, <>). Cette mesure a l'avantage de permettre des comparaisons entre des

pays dont les classifications des niveaux d'instruction sont extrêmement diverses [Mackenbach et Kunst, 19971. RESULTATS

La figure 1 montre, pour La France et deux autres pays europeens, les différences de mortalité entre categories professionnelles chez les hommes âgés de 45

au décès. Six categories, définies selon Ia classification d'Erikson et Goldthorpe, sont distinguees. En France, les taux de mortalité les plus bas sont a 59 ans

observes dans Ia categone des patrons, cadres, professions liberates et professions intermédiaires (groupe 1,2). Cette catégorie a un SMR de 0,63, soit un niveau de mortalité de 37 % en dessous de Ia moyenne nationale. On observe egalement des taux relativement faibles dans La categorie des agriculteurs et artisans. Les taux les plus élevés sont relevés dans Ia categorie des ouvriers peu ou pas qualifies: leur taux de mortalitd (SMR I ,55) atteint 2,5 fois celui de Ia catégorie professionnelle Ia plus favorisde (SMR = 0,63). En Suede et en Angleterre et pays de Galles, Ia situation relative des différentes categories professionnelles est Ia même qu'en France ; cependant, les écarts sont bien moindres qu'en France.

'JI

I

Suede

Angleterre, pays

France

de Galles

• Patrons, prof.Iibérales

!1 Exploit. agricoles

• Employés

F!3 Ouvriers qualifies

U Artisans

LI Ouvriers non qualifies

Figure 1

Rapports comparatifs de mortalité (SMR) pour six groupes professionnels en Angleterre et pays de Galles, Suede et France. Hommes de 45-59 ans

58

GENERALITES

Le tableau I prCsente, pour tous les pays européens, les niveaux de mortalité dans les categories professionnelles avec un moindre niveau de detail. En France, l'ensernble des categories non manuelles présente un taux de mortalité de 24 % inférieur a Ia nioyenne nationale alors que le taux de niortalité de toutes les

categories manuelles confondues est supérieur de 30 % a Ia rnoyenne

nationale. Dans tous les autres pays, les taux de mortalité de ces deux categories sont plus proches de Ia rnoyenne nationale. En France, Ic groupe des exploitants et ouvriers agricoles a un taux de mortalité inférieur de 10 % a celui de l'ensemble de Ia population. Dans certains pays comme l'Angleterre et le pays de Galles, Ia situation de ce groupe est encore plus favorable. Dans d'autres pays comme l'Espagne et le Portugal, leur situation est au contraire moms favorable. Tableau I

Mortahté des hommes de 45-59 ans dans trois groupes professionnels:

comparaison entre onze pays européens Rapport comparatif de niortalité ou SMR (Moyenne nationale = 1) Pays

Non-manuels

Manuels

Exploitants et agricoles

France

0,76

1,30

0,90

Angleterre et pays de Calles

0,81

(.18

0.78

Irlande

0,91

1.26

0.82

Finlande

0.79

1.20

0,92

Suede

0,86

1.20

0,79

Norvège

0,87

1,16

0.88

Daneniark

0.91

1,21

0,64

Suisse

0,87

1.17

0,97

italie

0,89

1,18

0,93

Espagne

0.84

1.16

0.97

Portugal

0.78

1.07

1,15

Darts Ic tableau 2, les comparaisons portent sur les categories manuelles et non manuelles. La partie gauche du tableau concerne les hommes âgés de 45 a 59 ans au décès. Le rapport de I ,7 I pour Ia France indique une mortalité de 71 %

plus élevée chez les manuels que chez les non-nianuels. Dans d'autres pays d'Europe de l'Ouest, cet Ccari est environ deux fois moindre. L'absence de recouvrement des intervalles de confiance indique que les rapports de taux de mortalité en France sont significativement plus élevés que partout ailleurs. Le seul autre pays oü lies écarts sont relativernent importants est Ia Finlande. La partie droite du tableau 2 montre les résultats pour les hommes âgés de 60 a

59

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE PREMATUREE...

64 ans au décès, limités aux six pays oii les données étaient disponibles. Dans chaque pays, les rapports de taux de mortalité pour ce groupe d'âge sont plus faibles que pour les hommes de 45 a 59 ans. Mais encore une fois, c'est en France que les plus grands ecarts sont observes. Tableau 2

Rapports des taux de mortalité, comparaisons manuel/non manuel. Hommes de 45-59 ans et 60-64 ans au décès dans onze pays européens Mortalité manuel alMortalité < non manuel>> (intervalle de confiance a 95 %)

Pays

60.64 am

45-59 ans

France

1,71

(1,66—1,77)

1,50

(1,44—1,56)

Angleterre et pays de Galles

1,44

(1,33 — 1,56)

1,33

(1,22 — 1,45)

Irlande

1,38

(1,30— 1,46)

Finlande

1,53

(1,49—1,56)

Suede

1,41

(1,38 — 1,44)

Norvège

1,34

(1,30— 1,39)

1,28

(1,24— 1,33)

Danemark

1,33

(1,30— 1,36)

1,21

(1,18—1,24)

Suisse

1,34

(1,29—1,39)

1,27

Italie

1,35

(1,28—1,42)

[a]

Espagne

1,37

(1,34— 1,39)

[a]

Portugal

1,36

(1,31 — 1,40)

[a]

[a]

(1,27—1,37)

1,32

[a]

(1,21 — 1,33)

[al Données non disponibles pour les hommes de Ia uanche d'âge 60-64 ans.

Tableau 3

Indice relatif d'inégalité selon le niveau d'études. Hommes et femmes de 45-59 ans au décès dans cinq pays européens Pays

Indice relatifd'inégalité ou RH1 (intervalle de confiance a 95 %) Femmes

Hommes

France

2,45

(2,35-2,55)

2,16

(2,03-2,29)

Finlande

2,41

(2,30-2,53)

1,71

(1,59-1,85)

Norvège

2,09

(1,98-2,21)

1,66

(1,53-1,81)

Danemark

1,81

(1,72-1,90)

1,70

(1,60-1,80)

Italie

1,73

(1,57-1,92)

1,26

(1,07-1,47)

I. Lu Ru peut dire interprété comme un rapport de mortalité comparant dens situations (hypothdiiques) extremes niveau dCtudes Ic plus bas, niveau d'études Ic plus haul; pour plus de d&ails. voir Mackenbach et Kunst [19971.

Dans le tableau 3, les pays sont compares en fonction de l'ampleur des diffé-

rences de mortalité selon le niveau d'études. La comparaison est limitée aux cinq pays pour lesquels les données étaient disponibles. Comme précedemment,

60

c'est en France et en Finlande, chez les homiiies, que les inegalités soft les plus fortes. Ces données scion le niveau d'études offrent une des rares possibilités de comparer les pays en ce qui concerne les differences socio-écononhiques de

mortalité des femmes. La panic droite du tableau 3 montre que les differences de mortalité en fonction du niveau d'études sont signiuicalivement plus grandes

en France qu'ailleurs. On ne peut qu'étre frappé par les faibles inégalités de mortalité chez les femmes italiennes. Les résuitats présentésjusqu'ici sont exprimés en termes relatifs. Toutefois, ce qui importe aussi, cc sont les risques absolus de décès. Dans Ia figure 2, nous présentons des estimations des taux de mortalité absolus des manuels et des dans chaque pays. Ces estimations sont obtenues en multipliant les SMR donnés dans le tableau 2 par les niveaux de niortalité nationaux publiCs dans les statistiques de mortalité mondiale de Ia sauté, >>

19881. Les pays sont classes scion Ic niveau de mortalité des categories manuelles. Sous cet angle Cgalement, c'est en France que Ia situation se rCvèle Ia plus défavorable comparée a celie de tous les autres pays europCens. Les

travailleurs manuels out les plus forts taux de mortalitC et les differences absolues entre manuels et non-nianuels >> sont a l'évidence plus grandes que dans les autres pays. Par ailleurs, les Francais non manuels ont un niveau de mortalitC comparable a celui de leurs homologues étrangers. Remarquons que c'est a Ia lois dans des pays du Nord (Suede et Norvege) et dans des pays du Sud (Suisse ci Espagne) que i'on trouve les plus petites differences absolues. >>

E

14

I?

" non-manuel

U manuel

Figure 2

Taux de décès par groupe professionnel dans onze pays d'Europe. Honimes de 45-59 ans

61

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE

Les résultats concernant quatre causes specifiques de décès sont donnés dans le tableau 4. Nous avons présenté ailleurs une analyse plus détaillée sur ce sujet [Kunst et alii, 1998b]. Suivant les pays, l'ampleur des differences socio-économiques de mortalité par causes specifiques de décès vane fortement. Les différences sociales de mortalité par cancer du poumon sont relativement importantes en Finlande et en Irlande, relativement faibles en Suede, en Italie et en Espagne (colonne 1), et inexistantes au Portugal. La France est ici proche de la moyenne internationale. Les differences socio-économiques de mortalité par cancer, toutes autres localisations confondues, sont minimes dans les pays du Nord et un peu plus importantes dans ceux du Sud (colonne 2). Mais c'est de loin en France qu'on relève les plus fortes disparités, ce qui s'explique principalement par les differences exceptionnellement accentuées de mortalité due aux cancers des voles aéro-digestives supérieures [Desplanques, 1984]. Tableau 4

Rapports des taux de mortalité, comparaisons manuel/non-manuel pour quatre causes de décès. Hommes de 45-59 ans au décès dans onze pays européens Rapport des taux de mortalité

rays

.

Maladies gastro-

Cardio-

Cancer du poumon

Autres sites

France

1,65'

1,75'

1,14

2,20'

Angleterre et pays de Galles

1,54'

1,07

1,50'

[a]

Irlande

1,95'

1,17'

1,23'

1,08

Finlande

2,20'

1,14'

1,47'

1,371

Suede

1,46'

1,11'

1,36'

1,58'

Norvège

1,62'

1,15'

1,351

1,42'

Danemark

1,51'

1,09'

1,28'

1,65'

Suisse

1,73'

1,29'

0,96

1,62'

Italie2

1,26'

1,17'

1,08

1,85'

Espagne

1,38'

1,3 1'

0,98

1,43'

Portugal

1,07

1,15'

0,76'

1,59'

de cancers

.

pathie . . ischemique

.

rntestinales

I. Signilicativement different de I (p < 0,05). Estimation fondCe sur létude longitudinale de Turin.

2.

[a] Donndes non disponibles.

Les differences socio-économiques de mortalité par cardiopathie ischemique montrent un contraste marqué entre le Nord et le Sud (colonne 3). Les taux de mortalité sont élevés chez les manuels par rapport aux non-manuels dans les

pays du Nord, mais non en France ou dans d'autres pays plus au Sud. Au

62

Portugal, les manuels out méme une mortalité plus faible que les non-manuels

pour cette cause de décès. Pour Ia mortalité par maladies gastro-intestinales, Ia situation est encore difiérente (colonne 4). Dans ce domaine, les differences socio-économiques sont importantes en France et en Italic, et rninimes en Irlande. Les grandes différences observées en France sont surtout dues a celles, tout a fait considérables, de mortalité par cirrhose du foie [Desplanques, 1984].

Discuss ION Les inégalités de mortalité prCmaturée chez les hommes apparaissent d'une importance a pen près Cgale dans les différentes parties de I'Europe de l'Ouest. La France constitue l'exception principale a Ia règle, seule Ia Finlande s'en rapprochant en cc qui concerne Ia mortalité masculine. Ce constat vaut a Ia fois pour les hommes de 45 a 59 ans et pour ceux de 60 a 64 atis, tant en fonction du niveau d'études que de Ia categoric professionnelle. Les résultats limités disponibles pour les femnies tendent a montrer que, pour cues égalernent, Ia France est en tête. De ces résultats, on peul tirer piusieurs messages importants. En France, les inCgalités de niortalité pourraient être moindres qu'elles tie Ic sont actuellement. Cela irnplique que Ia reduction des inégalitCs de mortalitC prématurée devrait y

être un objectif majeur des politiques de sante et que cet objectif doit pouvoir être atteint. Des coniparaisons approfondies entre Ia France et les autres pays pourraient montrer pourquoi les inCgalités de Ia mortalitC prématurée en France sont si iniporlantes et peut-être identifier les facteurs qui pourraient être modifies par des interventions adaptées. Comme prémisse a d'autres comparaisons, les résultats présentCs dans cc chapitre sont discutCs ci-dessous.

Problèrnes de données La premiere question a laquelle ii faut répondre est de savoir si les conipa-

raisons entre pays ont &é ou non forternent biaisées par des problèmes de données, Nous avons fait des efforts importants pour résoudre les problèmes lies

a Ia validité et a Ia comparabilité des données disponibles en provenance de diffCrents pays [Kunstet a/u, 1996, 1998a]. Cependant, ces problèmes n'ont pas pu être tous résolus. Nous avons prCsenté ailleurs une evaluation quantitative des effets de certains problèmes sur les estimations des inégalités dans chacun des pays [Kunst et a/u, 1996, 1998a]. Ces evaluations montrent que les estimations ont des bons niveaux de precision pour Ia France et Ia plupart des autres pays. En conclusion, on peul raisonnablement affirmer que les inégalités de mortalité prématurée sont plus importantes chez les homnies francais que chez les hommes de Ia plupart des autres pays européens. II faut toutefois faire une exception pour quelques pays. En Irlande, en Espagne ci au Portugal, les estimations prCsentent de larges marges d'incertitude ci il reslé donc possible que, dans

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE PREMATUREE...

63

ces pays, les inégalités de mortalité soient aussi importantes que celles observées en France. On doit se souvenir que.l'etude se limite aux décès survenant entre 45 et 64 ans et exciut donc les ages plus élevés oü survient Ia majorité des décès. L'étude est restreinte aux groupes d'âge plus jeunes a cause de Ia nature inacceptable de Ia mort prématurée et parce que les differences de mortalité a ces ages sont généralement plus fortes que pour les plus de 65 ans [Martelin, 1994]. Du fait des limites

des données disponibles, ii n'est pas possible de savoir si les inégalites de mortalité parmi les plus âgés sont egalement plus importantes en France.

Dans la mesure oü les données présentées dans ce chapitre concernent les années quatre-vingt, on peut se demander si la situation défavorable de Ia France s'est améliorée depuis. Cela est peu probable. En effet, les comparaisons dans le terups montrent que les inegalités de mortalité y ont progressé pendant les années quatre-vingt [Lang et Ducimetière, 1995]. Ce phénomène n'est pas propre a Ia France [Harding et alii, 1997 ; Valkonen, 1993], mais son ampleur en France est au moms aussi grande que celle que l'on peat voir dans d'autres pays [Kunst et Groenhof, 1998].

Les inégalités dans Ia morbidité déclarée Puisque les problèmes lies aux données n'expliquent pas la situation exceptionnelle de Ia France, on doit ensuite se demander s'il existe des schémas similaires pour des questions de sante autres que Ia mortalité prématurée. Dans le

projet international, les comparaisons entre pays ont egalement porte sur Ia prevalence des problèmes de sante mentionnés par les personnes interrogées lors d'enquêtes de sante [Kunst et alii, 1996 ; Mackenbach et alii, 1997 ; Cavelaars, 1998; Cave laars et alii, 1 998a, 1 998b]. Les données concernant différentes sortes de problèmes de sante (sante generale mediocre, affections chroniques et incapacité) proviennent d'enquêtes nationales representatives conduites au debut des années quatre-vingt-dix. Les données francaises proviennent de 1' << Enquête sur la sante et les soins médicaux >> de 1991-1992. A partir de ces données, nous

avons étudié les hommes et les femmes de 25 a 69 ans. Les analyses ont été le niveau d'études, menées selon trois indicateurs socio-économiques le niveau de revenu et Ia categorie professionnelle.

Les analyses montrent que l'ampleur des inegalités socio-économiques de morbidité vane entre les pays d'Europe occidentale, avec une petite tendance a être plus accentuée dans le nord de I'Europe [Kunst et alii, 1996 ; Mackenbach et alii, 1997 ; Cavelaars, 1998 ; Cavelaars et alii, 1998a, 1998bJ. Pour ce qui est de Ia France, les résultats sont bien différents de ceux obtenus pour Ia mortalité. En effet, pour les hommes comme pour les femmes, les inegalités de morbidité sont proches du niveau moyen en Europe occidentale, et ce quel que soit l'indicateur retenu: niveau d'études, revenu et catégorie professionnelle (sur cette question, voir aussi le chapitre ffl.lO).

64

GENERALITES

Explications: les décès lies a I'aicool Pourquoi ies inégalités en France sont-elles relativement importantes en ce qui concerne Ia mortalité prérnaturée mais non en nlatière de rnorbidité? De toute evidence, ii faut rechercher l'explicaiion dans des facteurs qui exercent un effet sur Ia mortalité prématurCe plutôt que sur Ia morbidité. Les analyses par causes spécifiques de décès apportent quelques réponses.

Les inégalités importantes de mortalité prématurée des hornmes francais peuvent être dans une large niesure auribuées aux grandes differences de mortalitC par cirrhose du foie et par cancers des voies aéro-digestives supCrieures. Le fait qu'une consorumation excessive d'alcool soit un facteur de risque commun a ces deux groupes de maladies arnène a penser que Ia consommation de boisson joue un role clé dans les differences sociales exceptionnelles de nìortalité prematurée en France. A l'appui de cette hyporhèse, les enquetes

françaises montrent une plus forte consommation d'alcool dans les groupes socio-éconorniques les plus bas (voir chapitre IV.25). Dans une autre étude, nous avons observe des gradients socio-écononiiques de consommation hebdomadaire d'alcool un peu plus fort en France que dans les autres pays européens [Cavelaars et a/u, 1997]. II n'y a malheureusement pas de données comparables a une échelle internationale sur les inégalités dans des conduites alcooliques particulières telles que les consommalions ClevCes ponctuelles ou chroniques. Ces conclusions soulèvent une question importante : pourquoi, en France, les conduites alcooliques néfastes pour Ia sante sont-elles si étroitement en rapport avec la position socio-économique? La réponse est a coup sür complexe. Un grand nombre de niécanisrnes ont etC avancCs comme explications partielles aux

inégalites socio-écononiiques en niatière de consommation d'alcool [Mäkela, 1999]. En raison d'un état majorC de tension et d'angoisse, les personnes défavorisées peuvent avoir besoin de boire pour faire une pause >> et < prendre du bon temps >>. De plus, un bon niveau d'Ctudes et de ressources matérielles permet probablement de faire face autrement aux difficultés rencontrées. Les differences socio-économiques de conduites alcooliques peuvent enfin refléter des habitudes et des attitudes de socialisation acquises dans Ia jeunesse, a l'école

ou au travail (voir le chapitre IV.25). A

cOtC de ces mCcanismes causaux, des

effets de selection interviennent très probablement. Ainsi, les conduites alcooliques chez lesjeunes adultes, surtout les conduites d'ivresse, peuvent majorer

les risques de se retrouver plus tard au chomage et dans des eniplois peu qualifies avec de faibles revenus [Muliahy et Sindelar, 1989]. Une étude francaise montre aussi que les plus gros consommateurs d'alcool ont une progression de carrière ralentie [Leclerc et a/il, 1994]. Etant donné Ia diversité des mécanismes envisageables, ii est probable qu'une combinaison de plusieurs

facteurs est responsable des effets importants que le dCsavantage socioéconornique exerce sur l'abus d'alcool et Ies décès lies ii I'alcool.

INEGALITES SOCIALES DE MORTALITE PREMATUREE..

65

Explications : Ia mortalité par cardiopathies ischémiques Même si Ia situation en France se distingue de ceHe des autres pays, surtout a cause des fortes inegalites dans les décès lies a l'alcool, ii existe d'autres différences intéressantes. Les inegalités de mortalité par cardiopathies ischémiques en France sont bien plus faibles que celles des pays plus au Nord. Cette différence s' inscnt dans un schema géographique plus vaste en Europe selon lequel ces inégalites sont importantes dans les pays du Nord mais inexistantes ou même inversées dans les pays du Sud [Kunst et alii, 1998b]. L'absence d'inegalités

dans les pays du Sud est probablement liée a un taux national plutôt bas de mortalité par cardiopathies ischémiques [Uemura et Pisa, 1988]. Les facteurs qui protègent traditionnellement les populations de l'Europe du Sud de ces pathologies pourraient jouer autant dans toutes les categories sociales, par exemple, une consonmiation modérée d'alcool pour Ia plupart des hommes ainsi que des regimes traditionnellement riches en legumes et fruits frais, poisson et huile végetale [Kushi et alii, 1995]. On est en droit de penser que les habitudes

alimentaires different moms dans le sud que dans le nord de l'Europe. Dans les années quatre-vingt, il y avait des differences socio-économiques dans Ia consommation de legumes et de fruits frais chez les hommes des pays du Nord mais non chez ceux des pays du Sud [Cavelaars et alii, 1997]. Le tabagisme peut

avoir joué un role additionnel. Dans les années quatre-vingt, on trouvait davantage de tabagisme chez les hommes appartenant aux groupes socio-économiques défavorisés dans les pays du Nord alors que les differences étaient bien plus faibles en France et dans les pays plus au Sud [Kunst et alii, 1996 ; CaveIaars, 1998]. La situation dans les pays du Sud presente quelque ressemblance avec celle

de l'Europe du Nord dans les années soixante lorsque le tabagisme était egalement répandu dans tous les groupes socio-économiques. A partir des années soixante, cependant, les premiers a abandonner massivement le tabagisme ont été les groupes socio-économiques favorisés, probablement en partie du fait de Ia diffusion d'informations nouvelles sur Ia dangerosité du tabac pour

Ia sante. Ce processus a eu pour résultat l'apparition de gradients sociaux de tabagisme que l'on retrouvejusqu'à aujourd'hui [Van Reeket Adriaanse, 1988]. La France et les pays plus au sud paraissent avoir suivi cette evolution avec un certain retard. Les etudes menées en France, en Suisse, en Italie et en Espagne montrent que durant les années quatre-vingt un revirement s'est produit dans les gradients socio-économiques en ce qui concerne aussi bien le tabagisme que la mortalité par cardiopathies ischemiques [Sasco et alii, 1994 ; La Vecchia et alii, 1986 ; Comisión cientifica de estudios de las desigualdades sociales en salud en España, 1996; Lang et Ducimetière, 1995 ; Regidor et alii, 1995]. Le Portugal semble être le demier pays oC ce changement s'est manifesté (sur ces questions, voir aussi le chapitre IV.25).

66

Consequences pour Ia recherche

Les variations relevées dans ce chapitre mettent en garde contre une transposition trop rapide de résultats de recherche d'un pays a un autre. On ne peut absolument pas prévoir l'arnpleur des differences socio-économiques dans Ia mortalité d'un pays donné a partir de ce qui est observe ailleurs. II en est de pour Ia mortal ité par cause de décès, car on observe des variations impor-

tantes et inattendues entre pays. Aussi chaque pays dolt-il se fonder sur ses propres données nationales afin d'obteiiir une description fiable et détaillée des differences socio-économiques de rnortalité.

II faut être tout aussi prudent avec les résultats des etudes explicatives, surtout celles qui quantifient Ia pail quejouentdes facteurs de risque spécifiques (comme Ic tabac, I'alimentation et l'ohCsité) sur les diff&ences socioéconorniques de morbidité ou de niortalité. Les chercheurs devraient en regle générale considérer les résultats en provenance des pays etrangers comnie des hypotheses qui demandent a être validées par les données de leur propre pays. La variabilité entre pays iie doit pas être vue exclusivement comme tin obstacle a l'accurnulation des connaissances scientifiques ; elle ouvre aussi de nouvelles perspectives a la recherche explicative. Cela concerne surtout les pays qui sont encore faiblement représentés dans Ia liuérature internationale et les gradients sociaux des facteurs de risque de ceux de l'Europe du Nord et des Etats-Unis. Par exemple, l'absence de gradients sociaux forts en ce qui concerne certains facteurs de risque de cardiopathies en France et dans les pays

plus au sud peut permeltre a ces pays d'étudier plus facilenient l'irnpact que d'autres facteurs, comme les conditions de travail, peuvent avoir sur les diffCrences socio-économiques de niortalité par maladies cardiaques. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BARTLEY M., CARPENThR L., DUNNELL K., Fli'zPATRICK R. (1996),

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4

Programmes de recherche et débat public sur les inégalités de sante: la France est-elle en retrait? Marianne Berthod- Wurmser

Le theme << lutte contre les inégalités de sante >> est present sur l'agenda des

politiques publiques de façon permanente depuis le milieu des années quatrevingt, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, et dans nombre d'autres pays aux niveaux national et local ; parallèlement, des programmes de recherche substantiels sur ce sujet ont été soutenus par les pouvoir publics. Dans certains pays comme la Suede, le sujet est apparu sur l'agenda parlementaire plus récemment, immédiatement accompagné de mesures pour la mise en place d'un programme de recherche. En France, ce sujet est quasi absent dans l'action et dans le débat

publics; simultanément, l'attention portée par Ia recherche aux inégalites sociales en sante est faible, et indirecte. Ces quelques observations permettent au moms de poser une question: quelle est Ia nature du lien qui semble unir activité scientifique et débat public dans ce domaine? L'importance donnée simultanément aux questions concernant les inégalités en sante dans Ia recherche, d'une part, dans les politiques et le débat public, d'autre part, est-elle le fruit de l'air du lieu et du temps, du hasard, d'une decision purement contingente des gouvemants? On a quelques raisons de penser que les politiques publiques comme le développement de Ia recherche sur les inégalites de sante sont plutôt étroitement liëes aux structures et au fonctionnement des systèmes de soins

et de sante des différents pays. Ce problème n'est pas purement academique, il débouche sur une question pratique : si cette dernière proposition est pertinente, en effet, les bouleversements non negligeables que subit dans Ia période actuelle le fonctionnement du système de soins et de sante, en France, conduisent a anticiper une demande de recherche accrue sur les inegalités en sante.

Pour illustrer l'hypothese d'une influence sensible de l'organisation du système de soins sur l'attention portée aux inegalites de sante, on s'appuiera sur

l'exemple de trois pays: Ia Grande-Bretagne, les Pays-Bas et Ia France. Le

70

GENERALITES

système de sante britannique et le système néerlandais sont en effet represen-

tatifs des deux principales approches qui conduisent les pays développés a

s'intéresseràla question des inégalités, soil depuis ledébutdes années soixantedix (Grande-Bretagne), soit depuis le debut des années quatre-vingt-dix (PaysBas). Les particularités du système de sante francais ne sont sans doute pas

étrangères au fait que Ia France, au contraire, n'a guère manifesté d'intérét central pour le sujet dans Ic demi-siècle précCdent. La situatioll dans d'autres pays, comme l'Italie, mériterait une attention particulière, car on y observe le développement it Ia fois de travaux de recherche et de preoccupations des instances politiques [Costa et a/u, 1999}. L'intérêt porte par les pays les plus actifs dans le domaine des inégalités s'y

est en particulier manifesté par Ia commande de pour éclairer les pouvoirs publics. Les experts se sont naturellement appuyés sur les données et les recherches exislanies, mais us en ont également généré, directement ou par I'influence intellectuelle qu'ils oft exercée de facon plus diffuse, it Ia fois sur le milieu scientifique, sur l'opinioii publique et sur les responsables

commanditaires d'études. Certains des rapports cornmandés dans des cadres nationaux circonscrits ont ainsi une portée beaucoup pIUS large. De sorte qu'une

esquisse historique ne prend de sens qu'en regroupant les chronologies sur le plan international. Au demeurant, l'organisrne international spécialisé, l'OMS, ajoué un role discret mais non négligeable. On indique ici quelques etapes particulièrement significatives de cc parcours. A sa lecture, les divers signes qui apparaissent en France coninie les prCmices d'un changement peuvent être vus a Ia fois comme Ic produit direct de changements institutionnels et comme le produit indirect d'un courant de recherches qui a progressivement pris une anipleur significative sur Ia scene internationale. Le système britannique c/c sUms ci de sauté donne implicitement it Ia question

des inégalités sociales dans le dispositif adniinistratif et politique une place réelle. Tout d'abord, Ia question de l'inégaliee d'accès aux soins ne s'y pose guère, puisque Ic principe de leur gratuité générale y prevaut toujours (l'introduction ou I'augmentation, dans les dernières années, de certains paiements par le consommateur a pose des problènies mais derneure marginale). Par ailleurs,

le financement ci Ia gestion des services de soins ci de prevention reposent depuis I'après-Seconde Guerre mondiale sur Ia repartition <<en cascade>> de ressources issues du budget de l'Etat. Ces ressources, credits d'investissement ou de fonctionnement, sont rCparties du niveau national aux autorités de sante régionales, lesquelles les disiribuent aux autorités de districts, puis, in fine, ces credits sont attribués aux établissements et aux professionnels locaux. Pour fixer des règles d'affectation de ces credits aux divers echelons, Ies autorités de sante ont dQ s'intéresser depuis de longues années aux critères d'allocation de ressources entre unites territoriales ou entre populations.

Depuis la fin des années soixante, Ic Service national de sante (National Health Service, NHS) s'est confronté ainsi a des questions qui I'ont conduit it

PROGRAMMES DE RECHERCIffi El DEBAT PUBLIC SUR LES INEGALITES DE sANTE...

71

développer des compétences et une grande sensibilité a l'étude des inégalites

chez les universitaires et les chercheurs que cet organisme a abondamment soulcites au niveau national mais aussi local. Les questions posées sont certes tout a fait pratiques, comme par exemple : << Dans queue proportion faut-il diffdrencier

les moyens de soins alloués .a un district pauvre et vieilli, ou a un territoire montagneux et isolé, par rapport a un district riche etjeune, ou a une population urbaine, et de quels moyens s'agit-il : soins ? prevention ? >> Pour avancer dans

Ia resolution pratique de telles questions, on aborde très vite des rdflexions impliquant des approches plus théoriques: <
en

particulier celles du système de soins ou hors système de soins?>> De

nombreuses etudes gendrales ou localisdes mélant approches epidémiologiques, sociologiques ou économiques, élaborant des modèles successifs, se sont attachées a apporter une réponse a ces questions. Au total, de facon certes un peu schématique, on peut affirmer que ses dispositions structurelles ont conduit Ia Grande-Bretagne a développer a Ia fois, et non sans liens, un savoir-faire en sante publique et des etudes sur l'allocation des

ressources du système de sante, qui exercent un fort appel d'air pour des recherches plus fondamentales sur les inegalitds en sante. C'est a coup sar l'une des raisons pour lesquelles Ia Grande-Bretagne tient, depuis de longues années,

une place éminente dans ce domaine [Can-Hill, 1987]. On peut dgalement souligner Ia place importante faite au domaine de la sante (en tout cas a Ia mortalité) dans les statistiques nationales dont est responsable I' OPCS (Office of Population Censuses and Surveys), l'equivalent de 1'INSEE (Institut national de Ia statistique et des etudes économiques) [Desrosières, 19931. D'autres pays disposent également de systemes de sante présentant des caractéristiques similaires. La majorité des pays de l'Union europdenne, aujourd'hui, a

mis en place des pnncipes de financement (par la collectivité publique), de paiement (gratuite pour le patient, capitation pour les praticiens) ou d'organisation des soins (role pivot du généraliste) similaires a ceux du NHS bntannique. Mais dans divers cas (Espagne, Italie...) l'effet <> risque néanmoins de rester limité si Ia question de l'allocation des ressources est résolue par des procedures mécaniques faisant appel a des pnncipes généraux de repartition, totalement extérieurs a Ia fonction particulière sante et a ses spécificités. Ce sont les systèmes nationaux dont le fonctionnement conduit a

se poser Ia question <> qui ont développO une approche fondOe sur une analyse des Otats de sante et sur les disparités constatées. On peut citer le Danemark ou le Québec

72

GENERALITES

parmi les pays qui, daiis les dernières années, ont explicitement tenté de recoiis-

tru ire leurs systèmes autour de cette premiere idée. La dé'narche néerkindaise est exemplaire d'un deuxième courant, qui vise a donner une place a des mécanismes de concurrence dans Ia gestion du système de couverture sociale et de soins. Cette démarche a égalenient gagné du terrain dans Ia dernière décennie dans les pays industrialisés ci en particulier en Europe de l'Ouest. Or les réformes de ce type component des risques de fonctionnernent inégalitaire : en effel, les dynarniques des assurances, des professionnels ou des établissements de soins en competition les engagent a rechercher les patients qui peuvent payer des primes ou des cotisations élevCes (personnellement ou par I'intermédiaire d'une entreprise ou d'un paiemenl public, selon les systèmes) et sont les moms << >> en soins. Les inquiéludes se sont réguiièrement mani-

festées quant au sort réservé daiis de tels dispositifs a des patients ayant besoin de soins continus, a des patients peu solvables ou encore a des caté-

gories de population consommatrices a Ia fois d'attention — de temps — et de soins parce qu'alliant conditions de vie précaires ci mauvais état de sante. Les réformateurs, comme ceux de Ia commission Dekker aux Pays-Bas et les responsables politiques qui ont mis en les orientations prCcomsées en 1986 par cette commission, ont Cté conscients de ces risques et I'ont en général souligné dans leurs rapports, en proposant des mesures destinées a pallier ou a minirniser ces risques [Cornniissie Structuur en Financiering Gezondheidszorg, 1987].

II s'agit principalement de risques d'inégalités d'accès aux soins, pour lequel des mécanisnies de rCéquilibrage onE été recherchés, ii ne s'agit pas id de porter unjugement sur Ia pertinence ou l'efficacité de ces dispositifs, mais de souligner que Ia conception de ces mécanismes, si cite fait appel a des recherches approfondles du point de vue du bien collectif (et non du seul point de vue des organisrnes et des professionnels souniis a Ia concurrence), conduit également a se poser des questions sur les disparités d'etat de sante et de recours aux soins, pour des raisons techniques et pot itiques.

Nous envisagerons tout d'abord les raisons techniques. Aux Pays-Bas, au terme des réformes mises en a partir de Ia fin des années quatre-vingt, l'assuré peut choisir son organisme d'assurance, public ou privC, en fonction de ses intéréts et, en particulier, des taux de primes pour Ia couventure complémen-

taire ou des services offerts; mais I'organisrne choisi par l'assuré recoil en complement un financement public individuel qui couvre l'essentiel des frais de soins. Le montant de cc versernent est calculC en fonction de Ia < classe de risque

de chaque assure: autrement dit, pour Cviter que la concurrence ne conduise les organismes d'assurance a écarter les individus pauvres et mat portants, le financement personnel demeure marginal ci les pouvoirs publics founnissent aux assureurs des financements plus élevés pour les categories d'assurés >. D'oü un premier débat qui, comme dans I'approche britannique, entraIne une cascade de questions opérationnelles ci théoriques dont les enjeux sont a Ia fois financiers et sociaux: <Seloii quels critères constituer des categories de population sur Ia

PROGRAMMES DR RECHERCHE Ef DEBAT PUBLIC SUR LES

DE sANTE...

73

base desquelles seront établis des financements forfaitaires publics actuariellement neutres, c'est-à-dire déjouant les tentations de selection de clientele socialement mjustes ? << Outre les variables habituelles, age et sexe, quelles variables et quels indicateurs sont pertinents: des indicateurs de revenu, d'éducation, de composition familiale, de localisation du logement... ? >> D'une question pratique soulevée par Ia consommation individuelle de soins, on peut passer ainsi a des interrogations formulées en termes de populations et en termes d'états de sante. Des réponses opdrationnelles sont nécessaires a Ia puissance publique qui fixe les fmancements verses aux assurances pour chaque catégorie d'assurés. Outre les éléments techniques, les équilibres politiques ont egalement joué

en faveur d'une attention portée aux disparités de sante. Un retour du marché dans le secteur de Ia sante, qui lui échappait, comporte de fortes implications ideologiques et politiques. Une coalition de centre gauche s'est trouvé mettre en ceuvre a partir de Ia fin des années quatre-vingt le rapport Dekker précédemment

commandé par un gouvernement sensible au libéralisme économique. Cette coalition a voulu manifester une recherche d'<< equilibre efficacité-équité> en engageant, en contrepartie d'une ouverture ala concurrence, un renforcement de Ia politique de sante publique. En particulier, l'attention s'est portee sur les populations les plus défavorisées, en termes de revenu on de sante, et sur Ia surveillance des inégalites de sante. C'est notamment dans ce cadre qu'ont été développés des programmes de recherche a visée empirique autant que théorique [Mackenbach, 1998]. Avec plus ou moms de coherence, de prudence et de persévérance, différents pays se sont egalement engages dans une démarche d'ouverture a Ia concurrence de différents segments du système de sante (assurances, professionnels ou établissements de soins) au cours des dernières années. On peut par exemple citer Ia Suede, I'Allemagne, certaines des communautés autonomes >> d'Espagne, c'esta-dire des grandes regions qui, dans ce pays, disposent d'une responsabilité décentralisée a l'egard de Ia sante. Sans abandonner son système national de sante et les grands principes qui le fondent, Ia Grande-Bretagne elle-même a introduit dans son fonctionnement des mécanismes de concurrence. Dans un même temps, et non sans liens, an niveau local comme au niveau national les etudes économiques, sociologiques et épidémiologiques se sont développdes a Ia fois pour faire fonctionner les nouveaux mécanismes et pour en évaluer les impacts sociaux. ET LA FRANCE?

Jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix, on chercherait a peu près en vain, en France, l'expression d'une preoccupation publique explicite concernant les inegalités de sante, tant sur le plan geographique que sur le plan social : pas de commande publique de rapport, par exemple, a ce sujet, peu de travaux de recherche, peu de données d'études statistiques a l'exception de l'exploitation

74

des causes de décès, des travaux du CREDOC puis du CREDES' — plutôt centres dans un premier temps sur Ia consommation médicale que sur Ia sante —, et de travaux de I'INSEE — enquête décennale sur Ia sauté ou etudes sur Ia mortalité par catégorie socioprofessionnelle, conduites a partir d'une rCflexion sans lien direct avec Ia recherche de données sur les états de sauté. Cette situation pourrait avoir quelque chose de paradoxal, car Ia société française de Ia seconde nloitié du XXe siècle, en particulier dans les deux décennies soixante et soixante-dix, était loin de se désintéresser des inégalités sociales en général. Des travaux du Commissariat au plan y out eté consacrés, des efforts se sont développés pour repérer des indicateurs sociaux, dans divers domaines, des recherches se sont spécialement attaquées ace theme (par exemple dans celui de l'éducation, qui connaissait dans les années soixante ci soixante-dix les effets de

de I'enseignement >>). En réalité, en matière de sante, l'attention publique s'est fixée sur l'égalite d'accès aux soins. Sur l'agenda des politiques sociales, I'extension de Ia couverture de Ia population par l'assurance nialadie a etC quasi prCsente de façon permanentejusqu'à aujourd'hui (avec son extension progressive de Ia catégorie des salaries, qui ne représentaient que 50 % de Ia population au milieu des années cinquante, aux agriculteurs, aux 'xnon-salariés, non-agricoles >>, aux assures volontaires... et en 2000 a l'ensemble de Ia population). II en est de même des taux de remboursement des soins, qui n'ont cessé de varier pour des raisons taut techniques que politiques, et de poser des problèmes d'inCgalites d'accès aux soins. Cela n'explique pas totalenient pourquoi Ia rCllexion stir les inCgalités de sauté a été, de fait, écartée ou ignoree. II faut revenir aussi sur les particularités du système francais de sauté, et souligner d'une facon génerale que son fonctionIa

nernent a sécrété très peu de besoins

pertinene en Sante publique.

Schematiquement, on peut dire qu'en France Ic

de Ia gestion du

système de sante s'est longternps situé essentiellenient dans Ia réalisation convenable des reniboursements d'actes par l'assurance maladie et du versement de

prix de journée, puis de dotations aux Ctablissements hospitaliers, en progression a peu près uniforme d'une année a I'autre scion les établissements. La planification hospitalière introduite dans Ies années soixante-dix est demeurée un outil de gestion de portCe limitCe en période de suréquipement. L'organisnie financeur s'interdisait de porter un jugemeni sur Ic bien-fondé des soins réalisés. Or pour executer ces tâches, on n'avait besoin — ni de données détaillées sur les patients (notamment Ieur situation sociale ou leurs pathologies);

I. CREI)OC Centre de recherche. de documentation sur lu consonimation. lie en paniculier uiiCdicale a pris son aulonomie en 1982 pour constituer au Commissariat au plan. doni Ia division le Ceture de recherche. dëiudes ci de documentation en Cconomie de Ia saniC.

PROGRAMMES DE RECHERCHE Er DEBAT PUBUC SUR LES INEGALFrES DE sAwrE...

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— ni de données sur les situations territoriales de sante, et même de consommations de soins (ii dtait impossible jusqu'au milieu des années quatre-vingt d'établir une comparaison des dépenses effectuées par les différentes caisses <<primaires>> sur leurs aires territoriales ; aujourd'hui encore, les données sur les lieux précis de residence des malades traités dans un hôpital ne sont guère exploitées); —

ni encore de données sur La nature médicale des activités de soins (le

codage des actes est aujourd'hui encore en projet). Fonder, comme c'était le cas en France, le fonctionnement d'un système sur le << droit a remboursement des services >> effectivement délivrés a un assure ne conduisait pas a poser des questions en termes de populations, de territoires, de

comportements ou de situations sociales — tous concepts qui fondent les démarches de sante publique. L'ambiguIte des repartitions de compétences et des relations entre l'assurance maladie, l'Etat et les collectivités locales a, sans doute, ajouté a la difficulté. Les démarches savantes, par ailleurs, n'ont guere été encouragées par les orga-

nismes de recherche, qui se sont plus intéressés a Ia recherche médicale proprement dite. De fait, les décideurs des politiques de recherche et les décideurs des politiques de sante ne sont pas bien eloignds. Si ce qu'iI est convenu d'appeler La <<demande sociale>> directe (commande et programmes de recherche publics)

est défaillante a long terme, faute qu'un milieu de recherche spécialise solide puisse se constituer, les orientations concordantes ne sont pas soutenues a l'intérieur même des organismes de recherche. La culture commune qui se forme ainsi faconne a son tour la vision des décideurs publics en matière de gestion de Ia sante comme en matière de recherche. La sante publique en général et, tout particulièrement, les disparités de sante sont restées des voies de recherche secondaires, peu soutenues. Au demeurant, l'absence de données disponibles en routine et Ia difficulté a rdunir specifiquement des données a échelle convenable ont egalement constitué un obstacle au développement d'études ou de recherches. On peut situer a Ia fin des années quatre-vingt ou debut des années quatrevingt-dix un premier toumant dans les attitudes, non sans lien avec des evolutions profondes du fonctionnement du système de sante francais. Sous Ia pression de

problemes financiers importants, ce demier s'est également orienté vers une gestion plus raisonnée, et plus << économe

>>

ou << maItrisée

>>.

Diffdrents dispositifs

de regulation négociée ont étd mis en place dans Ia dernière décennie: schémas régionaux d'organisation sanitaire, allocation d'enveloppes financières <> par des dispositifs institutionnels nouveaux et des négociations avec les professionnels, creation d'instances régionales, d'agences d'évaluation puis d'accréditation, intervention du Parlement... les dispositifs nouveaux sont nombreux, et ce n'est pas le lieu de les analyser ici. Des instances de concertation et d'observation ont été créées, comme le Haul Comité de Ia sante publique ou les conferences de sante. Ce qui nous importe particulièrement ici, c'est l'appel que font ces nouveaux modes de regulation a une renovation complete du système d'information et, en décentrant vers l'observation des états de sante une attention

76

GENERALI1IiS

jusqu'alors i-ivée a l'accès aux soins, les efforts nouveaux pour rendre plus cohé-

rentes l'observaiion et I'analyse des états de sante en France. De fait, du côté des etudes, des bases de données, de Ia recherche, plusieurs signes tCnloignent d'un debut de renouvellement d'intCrét pour les questions portant sur les états de sante par exemple, nouvelles orientations des institutions existantes comnie le CREDES ou 1'JNSEE (par Ia mise en d'une enquête nationale sur les handicaps, les incapacites et Ia dépendance), restructuration du service statistique du ministère chargé de la sante... Pour la premiere fois, en janvier 2000, Ia formation Sante du Conseil national de l'information statistique (CN1S) a provoqué une réflexion surl'observationstatistique en inatière de sante, qui pourrait Se prolonger par une coordination des instances de recueil d'information, très dispersées. II faudrait enfin tirer un bilan des développements nombreux d'études réalisdes dans un cadre regional a Ia demande d'instances nouvelles dotées de responsabilités particulières dans l'allocation des ressources a

ce niveau. Pour Ia situation de Ia France, le lecteur pourra se référer a deux chapitres précédents dans cet ouvrage, ainsi qu'à un ouvrage issu d'une collaboration franco-britannique, qui fournit un bilan documenté pour les années antérieures a 1988 [Alach et a/u, 1987]. UN I)EBAT INTERNATIONAL

On est frappé par Ia double dimension d'enjeu technique et de dCbat scientifique international que Ia question des inégalités en sante est parvenue a prendre en moms d'une trentaine d'années. On terniinera par un bref rappel des étapes

de ce parcours, au moms dans les trois pays cites en référence. Ce parcours montre non seulement des effets de contagion dans Ia conduite des travaux, mais aussi de réelles tentatives de progression cumulative et térnoigne d'une circulation des dérnarches scientifiques vivante par-delà les frontières. Ce parcours, dans les trois pays, est jalonné par Ia publication de d'experts >>, demandés par les autorités politiques a des autorités scientifiques. Ces rapports, qui constituent des rCférences, n'ont pas toujours en un impact direct important sur les politiques nationales. En revanche, sur le plan cognitif et sur celui de Ia recherche, on pent lire une telle chronologie comme significative d'une internationalisation progressive du débat. Au demeurant, pour des raisons de faisabilité ou des raisons politiques qu'on a en partie évoquées dans le cas de Ia Grande-Bretagne ou des Pays-Bas, ces rapports inaboutis sur le plan des politiques de sante ont dCbouché sur des programmes de recherche. Le Black Report a Cté dernandé en 1977 par un gouvernement travailliste et rernis en 1980 a un gouvernement conservateur britannique [Black et a/il, 1980]. Ce rapport a forte ment souligné que le gradient socio-Cconornique en rnatière de sante apparaIt plus comme le reflet des inCgalitCs sociales, concernant les conditions de vie ci les perspectives de dCveloppement, que comme des differences

PROGRAMMES DE RECHERCHE

El

DEBAT PUBLIC SUR LES

DE

77

individuelles. Conclusions qui paraissaient peu compatibles avec le point de vue du gouvernement destinataire — lequel s'est donc bien garde d'en firer des consé-

quences pratiques. N'importe: Ia publication de ce rapport a fait date, et ii a stimulé les recherches au Royaume-Uni en même temps que dans d'autres pays les travaux ultérieurs n'ont cessé de s'y référer [Macintyre, 1997]. C'est ainsi que, paradoxalement, au Royaume-Uni, Ia période de libéralisme des années quatre-vingt n'a pas conduit a faire disparaItre la question des inégalités sociales de sante de l'agenda politique et des orientations de recherche. Le gouvernement conservateur, dans Ia même période, a renoncé a transformer en système pnvé un système public trop populaire, mais pour établir des pnontés plus serrées d'affectation des ressources, une attention accrue a été apportée a la mise au point d'instruments sophistiqués de connaissances. Un fort pilotage par l'aval >>, c'est-à-dire des decisions d'orientation en fonction des besoins de connaissances << utiles et des demandes gouvernementales, s'est exercé sur la recherche. C'est dans ce cadre qu'un programme concernant les inegalités de sante a ete identifTié. Un programme multidisciplinaire centre sur l'épidemio>>

logie sociale, intitulé Health Variations Program, a été mis en place pour Ia période 1996-2001 [Department of Health, 1995]. L'inclusion, en 1985, de l'objectifde reduction des inégalités en sante dans Ia charte de l'OMS Sante pour tous en I'an 2000 a joué un role important dans nombre de pays developpés [WHO, 1985 ; Yach, 1996]. Dans Ia seconde

moitié des années quatre-vingt, les gouvernements néerlandais ou suédois, comme d'autres, se sont trouvés ainsi encourages a demander des rapports nationaux et a developper des recueils de données et des travaux d'analyse pour prendre Ia mesure d'inegalites que les difficultés économiques de La période contribuaient dans de nombreux pays a accentuer. A partir de Ia fin des années quatre-vingt, on entre dans une phase de réformes accélérées des systèmes de soins occidentaux, avec en particulier, comme aux Pays-Bas après le rapport Dekker (1986), l'adoption de mécanismes de marché. Pour rechercher un équilibre entre objectifs sociaux et objectifs économiques, des questions que les scientifiques tentaient sans succès de porter sur laplace publique

(en se referant notamment aux travaux de l'OMS) ont desormais fait l'objet d'attention. Ainsi, aux Pays-Bas, un soutien a ete apporté aux recherches entreprises sur les inegalites, notamment sous Ia forme d'un programme national de

recherches lance en 1989 par le ministre de La Sante. Les resultats de ce programme ont ete publies en 1994. II a été suivi d'un second programme de recherches pour Ia période 1995-1999 [Mackenbach, 1998]. En Suede, les autorités se sont egalement referees en partie aux strategies de I'OMS; mais le mouvement a démarré plus lentement — non sans lien avec Ia mise en route plus tardive de reformes du système de sante. Ainsi, en matière de recherche on peut mentionnerqu'en 1992 aété créé un Institut nationalde sante publique. En 1996, Iorsque le Parlement a adopté une loi concernant Ia politique

de recherche, un programtne multidisciplinaire a long terme de recherche y a

78

GENERALITES

trouvé sa place, programme ciblé sur l'étiologie sociale de Ia sante. Bien que de ce diverses difiicultés semblent aujourd'hui s'opposer a Ia mise en programme, l'attention manifestée a ce sujer par les pouvoirs publics temoigne d'un renouveau de cc theme au niveau national, porte par un mouvernent qui

dépasse explicitement les frontières de Ia Suede [Arve-Pares, 1998]. En 1998, au Royaume-Uni, le retour aux affaires d'un gouvernement travailliste a été immédiatement suivi d'une enquête indépendante sur les inégalités de sante (Independent Inquiry into Inequalities in Health) conduite a Ia deniande du Premier ministre par sir Donald Acheson. Ce dernier a rernis son rapport a Ia fin de l'année 1998 [Acheson, 1998]. II a fair un bilan des connaissances accumulées dans Ia derruière décennie et dégagé des recommandations pour Ia misc en de politiques de lutte contre les inégalités. Les orientations préconisées comportaienr des mesures a dorninante largement sociale, plutôt que médicale, et des orientations prioritaires de recherche. 11 est raisoniiable de penserque cc rapport sera une référence importante au niveau national et international, comme l'a etC Ic Block Report [Blanc, 1999]. En 1999, un programme scientifique de Ia European Science Foundation intitulé Social Variations in Health Expectancy in Europe a, en quelque sorte, Ic caractère de theme de recherche et de preoccupation interna>

tioriale désormais pris par les inegalites en sante tout en renouant avec une démarche plus ancienne, puisque cette fondation avait rassemblé, de 1984 a 1986, des chercheurs de treize pays d'Europe, pour un travail synthétique cornportant une panic et une panic [Fox, 1989]. Le programme europCen fonde sa problématique sur les donnCes comparatives internationales rasseniblées dans les trente dernières années, en particulier par les épidémiologistes européens. L'analyse souligne notamnient que si Ic gradient opposant les Ctats de sante des hauts et bas niveaux d'éducation et de statut professionnel se retrouve partout en Europe, les problèmes de sante a l'origine des inegalites varient du Nord au Sud et de l'Est a I'Ouest. En s'internationalisant, Ia problematique des inégalités s'enrichit et de nouvelles questions de recherche se posent. Les exemples rnarquants qu'on a choisi de rappeler ou de presenter id illus-

trent bien Ic jeu d'association régulière

publiques de sante!

recherche/débat public>> ; on pourrait observer un jeu semblable dans d'autres pays. tine reniarque mérite d'être faire ace sujet ce constat inciterait a combler la separation souvent trop marquee en France entre les chercheurs dont Ic terrain est l'étude de Ia sante et ceux qui s'intéressent au système de soins. Dans les exemples des Pays-Bas et de Ia Suede, Ia sensibilisation des chercheurs nationaux, grace a Ia circulation iniernationale permanente des connais-

sances et des idées parmi les chercheurs, a précCdC ci servi d'appui aux politiques. Le débat sur les inégalités de sante est devenu une question de recherche au niveau international. Dans cer ouvrage centre sur Ia France, des références aux theories ou aux résultats concrets des travaux qui ont été encou-

PROGRAMMES DR RECHERCHE Er DEBAT PUBLIC SUR LES INEGALITES DR

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rages grace aux programmes anglais, néerlandais, qu'on a repertories ci-dessus sont partout présentes. Reste a poursuivre activement dans une voie peu suivie jusqu' id dans notre pays. La situation, du côté des politiques, serait plutôt encourageante. Les réformes du système de sante sont de nature a amplifier la demande. Des rapports officiels, comme ceux du Haut Comité de Ia sante publique en 1994-1996, ont commence a mettre l'accent sur les inégalitds observées, les autorités statistiques s'y montrent plus sensibles qu'il y aquelques années [Haut Comité de Ia sante publique, 1998]. Mais en même temps, Ia capacité a modifier Ia situation comparative de la France dans ce domaine demeure modeste. On ne petit constituer en quelques mois un milieu de recherche et d'études sur un sujet longtemps negligé comme celui-ci, en particulier lorsqu'iI exige des apprentissages de travail en commun interdisciplinaire. Deux observations récentes, aux <<deux bouts de la chaIne >>, donnent une indication des distances a parcourir a Ia fois dans le monde de la recherche et dans l'opinion publique: —

d'une

part, le lancement en 1998 d'un appel a projet de recherche

concernant les inégalites par un organisme spécialisé, I'INSERM, a rencontré un

nombre particulièrement restreint d'équipes prêtes a se lancer dans une recherche sur ce terrain; — d'autre part, parmi les themes d'intérêt ou de preoccupation du citoyen dans le domaine de Ia sante dont les Etats généraux de Ia sante ont permis de

prendre en 1999 la mesure, Ia question des inégalités ne semble pas mentionnée: l'opinion publique ne paraIt pas particulièrement sensible a son inscription sur I'agenda politique. S'il ne I'est plus au niveau international, le theme des inégalités de sante est encore largement tine idée neuve en France. Des evolutions sont possibles, elles seront sans doute soutenues par les modifications récemment apportées au fonctionnement dii système de soins, mais les capacités de développer des connaissances nouvelles dans ce domaine demanderont, pour être efficaces, une grande continuité, et une grande coherence entre les efforts réalisés par une vaste vanété d'organismes qui rassemblent, traitent et analysent les données de sante. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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II

Méthodes, mesures

5

De la mesure des inégalités:

enjeux sociopolitiques et théoriques Pierre Alach

En

dehors des problèmes strictement techniques qu'eIle pose, lies aux instru-

ments utilisés et aux procedures mises en ceuvre, Ia mesure des inegalités sociales de

sante peut être analysée en termes d'enjeux sociopolitiques. Ainsi peut-on considérer que Ia manière dont les inégalités sont aujourd'hui représentées en termes d'un parti pris ideologique et determine les d'exclusion et de précarité méthodes de comptage et d'analyse des populations concernées [AIach, 1996, 1998]. Dans ces conditions, ce qul fait l'objet de mesure ne concerne pas l'indgalite sociale, mais Ia precarité ou l'exclusion des plus démunis, laissant hors champ les <>, c'est-à-dire tous ceux qui ont au moms un emploi et un logement et qui constituent Ia grande majontd de Ia population francaise. En matière de sante, on retrouve cc même phénomène, avec l'accent mis en general sur les << plus démunis>>

[par exemple, Haut Comité de Ia sante publique, 1998]. Par ailleurs, Ia tendance a considérer Ia

sante comme dépendante pnncipalement des soins médicaux

determine les principes et les outils de Ia mesure des phénomènes. Ainsi ne prendon souvent en compte, dans l'analyse et les mesures politiques envisagées, que les inégalites dans l'utilisation des services de sante [par exemple, Meyer, 1993].

Ces considerations d'ordre politique et ideologique interviennent dans la question de l'objet de Ia mesure des inégalités sociales de sante qui seront abordées dans Ia premiere partie de cc chapitre. Elles se retrouvent egalement dans Ia mise en wuvre de Ia mesure et dans le choix des instruments de mesure, comme nous Ic verrons dans une seconde partie, oü seront egalement traités des points d'ordre théorique et méthodologique, a propos de Ia morbidité et de l'état de sante différentiels entre categories socioprofessionnelles. La complexité et les difficultés de Ia mesure de l'état de sante a partir d'informations sur Ia pathologic, notamment lorsqu'elles émanent d'enquêtes dans Ia population, sont a l'origine d'un certain nombre d'interprétations erronées ; cc peut être Ic cas lors de l'utilisation de données pour lesquelles on n'a pas contrôlé les bials des instruments de mesure sur l'étendue et Ia nature des informations recueillies.

84

METHODES, MESURES

L'OBJET 1)E LA MESURE

Celle question conditionne les résultats trouvds en matière d'inégalité et donc portée sociale de I'inégalité mise en evidence. Ce n'est pas Ia même chose de montrer des inégalitCs de sante, en particulier de mortalité, entre regions phiques et entre groupes sociaux : dans un cas, l'inégalitd est atiribude souvent a des facteurs de type climatique, d'ordre culturel ou a des dotations inégales en services sanitaires ; dans I'autre cas, Ia difference observée est mise en correspondance avec Ia position hiérarchique occupée parces groupes dans Ia société. Ainsi, dans Ia phupart des pays ex-communistes, ha mesure des inégalités entre groupes sociaux ne pouvait même pas être envisagée, car cela aurait suppose qu'il pouvait Ia

exister des indgalités sociales dans un pays dont Ia doctrine reposait sur Ia complete Cgalité entre les citoyens. On se bornait donc a une comparaison des données entre regions avec des commentaires et analyses mettant l'accent sur les comportements diffdrentiels et parfois sur les differences en équipements sanitaires et en moyens de transport [Mézenséva et Rimachevskaya, 1992]. 11 s'agit toutefois, sur cette question de Ia definition de l'objet, de s'entendre sur le sens a attribuer aux deux notions en jeu inégalitC sociale et sante.

L'inégalité sociale La definition de I'inegalité sociale de sante est loin de faire Les deux termes renvoient a l'idCe d'une difference de sante entre des individus liée a des facteurs ou critères sociaux de différenciation (classes sociales, categories

socioprofessionnelles, categories de revenu ou niveaux d'études). Historiquement, Ia notion d'inegahitC de sante est apparue dans des enquêtes mises en essentiehlement pour comparer Ia mortalité entre individus appartenant a des corps de métiers hiérarchisds tant du point de vue de leur richesse que de ccliii de leur prestige social. Ces enquêtes datent du XIXe siècle et se sont poursuivies au debut dii XXe siècle i[Surault, 1979; Vedrenne-Villeneuve, 1961], pour ne reprendre qu'en 1954 avec Ia mise sur pied de l'enquête longitudinale de l'!NSEE, dont les premiers résultats ont mis en evidence ha mortalité différentiehle entre adultes, selon Ia catégorie socioprofessionnelle d'appartenance [Febvay et Aubenque, 1957 ; Desplanques, 1976]. Comme le laissent supposer CCS etudes sur les inégalités sociales devant Ia rnoit, le terme d'inégalité concerne un objet socialement valorisé: ha vie (Ia mort n'étant que le critère de mesure de sa durée). L'inégalité sociale ne prend sens et consistance que dans ha mesure hajustice sociale esten cause dans son principe d'apphication: il y a manquement a ha justice emre les hommes et femmes d'un pays dans Ia mesure oC ii n'y a has d'égahité devant Ia sante, puisque ha mort prématurée des plus pauvres et celle reiardée des plus riches sont ha preuve tangible et de h'inegalité, non seulement devam Ia mort, mais surtout devant l'ensernble des éléments entrant

DE LA MESURE DES INEGALITES : ENJEUX SOCIOPOLITIQUES ET THEORIQUES

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Ia genese des determinants du caractère plus ou moms précoce de Ia mort des différents groupes sociaux hiérarchisés. dans

L'inégalite sociale existe donc a partir du moment oü la difference entre groupes sociaux renvoie a une hiérarchie sociale, quel que soit le critère clioisi, et que le principe de justice est en cause. C'est ainsi qu'on peut se demander si l'utilisation différentielle des médecins en France, selon qu'il s'agit de généralistes ou de spécialistes, de médecins appartenant au secteur conventionné I ou au secteur conventionné II avec possibilité de dépassement d'honoraires, est

source d'inegalite de sante. Toute difference observée n'est pas forcément injuste, donc inégale. Mais de plus toute difference, même si on peut la qualifier

d'injuste, ne relève pas directement de Ia dimension sante. Par exemple, les effets sociaux différentiels lies aux maladies graves relèvent, pour certains, de Ia sante (qualite des soins, souffrance due a Ia maladie, pronostic différentiel, aggravation diffdrente de l'état de sante, etc.) et, pour d'autres, d'une autre dimension (perte du travail, dequalification, diminution des revenus, endettement, etc.). On pourra parler d'effets sociaux inegalitaires lies a Ia survenue d'une maladie grave, par exemple, sans pour autant les qualifier d'inegalitds de sante. De plus, n'est-il pas legitime de se demander si on peut parler d'inégalites a partir du moment oii l'on observe des differences allant dans un sens inverse

de celui logiquement attendu entre des groupes socialement hiérarchisés? Ainsi, l'inegalite entre les hommes et les femmes en matière de sante est un cas a Ia fois troublant et intéressant de deux groupes sociaux entre lesquels existe rapport de domination des hommes sur les femmes alors qu'on observe face a Ia mort une difference considerable a l'avantage des femmes, avec une longevite supérieure de plus de huit ans en France. Cela bouleverse a Ia fois l'ordre hiérarchique habituellement observe et surtout I'analyse que l'on peut faire sur les

determinants de I'inegalite de sante. Comment se fait-il que les inégalites sociales en général, qui produisent pour l'essentiel celles observées en matière de sante, ne se traduisent pas par une mortalité plus forte des femmes?

La sante L'autre dimension importante qui intervient dans Ia question de Ia mesure des inégalités sociales de sante est celle de Ia definition de Ia sante [Alach et Licht, 1996]. Plus elle est large et englobe des elements d'ordre social ou psychologique, plus l'objet de la mesure sera vaste, et plus difficiles et épineux seront les problèmes poses en relation avec cette mesure. A I'extrême, Ia definition de l'OMS (Organisation mondiale de Ia sante), pour qui Ia sante n'est pas seulement 1'<< absence de maladie et de handicap >>, mais surtout >, suppose d'avoir des indicateurs relatifs a la sante physique et

mentale mais egalement des indicateurs de bien-étre dans toutes ses dimensions possibles. En dehors de Ia question de Ia legitimite d'une telle definition et de ses

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METHODES, MESURES

consequences pratiques et conceptuelles, niesurer les inCgalitCs sociales de sante

revient tout simplenient dans ce cas a mesurer les écarts sociaux dans le bonheur. En fait, depuis le XIXe siècle, les inégalitCs sociales de sante mises en evidence ont trait ala mortal ité et, plus tardivement, ala morbiditC, puis a l'utilisation des services de sante. Mais Ia niortalité sociale est restée, dans Ia plupart des pays I'on s'est donné les rnoyens de Ia mettre en evidence, Ia base fonda-

mentale de cette approche, coninie c'est le cas, par exemple, en France, en Finlande, en Suede ou en Grande-Bretagne [Kunst, 1997]. Ce choix de Ia niortalité a certes des raisons d'ordre démographique qui tiennent au caractère a Ia fois définitif et irrefutable de Ia mort, avec une declaration obligatoire a l'état civil, par opposition a Ia maladie ou a l'état de sante; mais II tient aussi au fait que Ia mort est considérée comme le terme d'un processus dans lequel interviennent tous les Cléments de Ia vie sociale et psychique qui se sont inscrits dans le corps, notamment ceux qui ont un effet part iculièrement nocif sur le < capital sante>> hérité par chaque être hurnain a sa naissance. l'idCe que Ia différence dans la durée de vie est l'expression synthétique de l'ensemble des inégalités sociales entre des groupes sociaux hiérarchisCs et que son usage n'est pas un pis-aller, mais correspond bien a une exigence theorique forte. La prise en compte de Ia morbiditC, avec toutes ses difficultés (qui seront examinées ailleurs), peut alors se concevoir dans Ia mesure dIe ferait apparaItre des éléments d'inCgalitC de sante iie se traduisant pas par Ia mort et n'ayantquetres peu ou pas d'effet sur le risque vital. II en va ainsi des maladies aigues, ou encore de tous les troubles dits fonctionnels et des syrnptômes psychologiques qul peuvent renvoyer a des difuicultés relationnelles et psycho-aflèctives. Dans cet ordre d' idée, Ia souffrance psychique pourrait être intégrée dans une mesure de I'inégalité. Cette

question se pose d'autant plus que Ia souffrance psych ique est devenue l'objet d'une attention toute particulière depuis quelques années, a propos de I'exclusion et de Ia précarité. Elle serait a Ia fois le produit des situations d'exclusion, contribuerait a renforcer Ia precaritC et serait a l'origine de troubles psychologiques et somatiques. Sans nier totalernent le role qu'on lui prete, on ne peut qu'être très réservé sur une idle interpretation. C'est ainsi qu'ii n'est pas tenu compte de I'arnplification, dans Ic temps, des declarations de troubles et maladies, en patticulier d'ordre psycho-pathologique, resultant d'une modification dans Ic seuil de perception et dans l'interprétation des syniptônies [AIach et Delanoe, 1998]. MISE EN (EUVRE ET INSTRUMENTS I)E MESURE

La mortalité L'enquête longitudinale de l'INSEE permet de faire apparaItre, de facon precise, Ies inegalités face la niort, entre adultes de 35 ans et plus, hommes et femnies, appartenant aux categories socioprofessionnelles de I'INSEE. Malgré certaines faiblesses (notaniment Ia prise en compte de la profession et du statut

DE LA MESURE DES INEGALITES : ENJEUX SOCEOPOLITIQUES EU THE0RrQUES

87

éventuel de chômeur au seul moment de l'entrée dans Ia cohorte), cette enquete est exemplaire et pourrait, Si elle suscitait plus d'intérêt, fournir des informations plus norubreuses et précises, ainsi que des pistes de recherche.

A côté de cette enquête, les données de mortalité traitées par I'INSERM (Institut national de Ia sante et de Ia recherche médicale) a partir des bulletins de

décès fournissent, depuis quelques années, dans Ia mesure oü elles font l'objet les mentions professionnelles sur les d'une attention toute particulière et bulletins sont de plus en plus présentes et fiables, des informations extrêmement intéressantes et, par certains côtés, originales. Là encore, on observe que Ia qualite de 1' instrument et les possibilités d'utilisation passent par tine evolution dans les espnts et les pratiques ayant pour origine, entre autres, la volonté d'en faire un instrument de recherche en relation avec certaines preoccupations fortes du moment (sida par exemple) ou avec l'intérêt actif d'un chercheur travaillant a Ia source des données traitdes [Jougla, 1994].

La morbidité II s'agit là d'un domaine particulièrement intéressant sur le plan theorique. En effet, outre Ia question préalablement évoquée du bien-fondé de son utilisation pour traiter des inegalités sociales de sante, Ia mise en evidence d'écarts sociaux, dans Ia morbidité générale ou spécifique, se heurte a de nombreuses difficultés. Ces difficultés sont Iides a Ia nature de Ia maladie ou du trouble de sante déclarés lors d'une enquête, dans Ia mesure oü les declarations sont soumises a différents effets qui peuvent entralner des variations dans Ia declaration des symptômes, troubles de sante et maladies. Ainsi, nous avons pu montrer les variations dans les réponses selon les modalités d'enquête et les procedures utilisées [AIach et Cèbe, 1991, 1996]. La presence d'une liste (effet de liste) augmente considérablement les declarations de troubles et maladies et cela d'autant plus que Ia liste est longue et variée (effet de contenu); Ia presence d' un enquêteur suscite également une augmentation importante des declarations (effet enquêteur) ; quant ala période sur laquelle porte l'interrogation, elle intervient egalement avec une frequence de declarations élevée pour Ia période Ia plus récente et un seuil de saturation (effet de mémoire) ; un demier effet est en rapport avec le support d'enquête, en l'occurrence un <<journal d'observations>> sur lequel les sujets interroges doivent noter, chaque jour, les symptomes, troubles de sante et maladies qui se sont manifestés au cours des dernières 24 heures et qui a pour effet d'augmenter de facon importante les declarations (effet journal). Le contenu des declarations des pathologies ainsi déclarées dans les enquêtes dans Ia population vane, non seulement du point de vue du nombre des troubles et maladies, mais aussi du point de vue de leur gravité sur le plan vital ou handicapant. Cela n'est pas sans importance dans Ia mesure des inégalites d'états de sante, d'autant qu'on observe egalement des differences dans les declarations selon Ia catégorie sociale des sujets interrogés: les differences sociales tendent

88

MESSURES

s'effacer et même a s'inverser quand on passe des pathologies lourdes, relativement peu fréquentes, dans lesquelles les categories sociales basses sont surrea

présentées, aux troubles de sante moms graves et plus divers qui touchent plus également Ia population. Ainsi, les declarations de maladies telles qu'elles sont recueillies a partir d'une liste, par exeniple dans les enquetes décennales de l'lNSEE sur Ia sante et les soins des Français (1960 a 1990), ne laissent apparaItre aucune difference

notable entre les categories professionnelles. Par comparaison, en GrandeBretagne, on observait pour une mênie période (1970-1980) des differences nettes de frCquence de maladies déclarées entre classes sociales, dans l'enquête annuelle General Household Survey, a partir du moment oü Ia question posée était ouverte et portait sur les long standing illness (maladies existant depuis longtemps), ce qui avait pour effet de ne laisser émerger que les maladies les plus graves et les plus avérCes [AIach et Curtis, 1990]. 11 faudra que

Arié et AndrCe Mizrahi, du CREDES (Centre de recherche et d'études en éconornie de Ia sante), responsables du volet << morbidité

de l'enquête INSEE,

aient pris conscience de ce phCnomène et aient construit des indicateurs de <> et estimCs par des médecins au vu du dossier complet d'enquête pour que l'on retrouve un ordre hiCrarchique entre les CSP très proche de celui qui est observe dans Ia mortalité [Mizrahi et Mizrahi, 1994]. D'une façon genérale, moms i'instrument de mesure permet Iecontrôle de Ia réalité du trouble ou de Ia maladie déclarée, en tout cas de sa veritable nature et

de son caractère de gravité — sur Ic plan vital mais aussi sur d'autres plans (perturbations dans Ia vie psychique et relationnelle, sur les conditions de vie, etc.) —, plus il devient hasardeux de vouloir en tirer des informations pertinentes surl'inégalité face a Ia maladie on a l'étatde sante. C'est particulièrement le cas pour les declarations de troubles psychiques, fonctionnels et de faible létalité. II n'en reste pas moms que I'inégalitC ne peut pas se bomer a l'état de sante difféientiel. D'autres types d'inCgalités existent dans ce domaine, par exeniple celles qui sont le produit d'effets sociaux a partir d'une maladie grave et (liii, 1996]. Cette prise en compte des differences et inégalités sociales, qui se manifestent en aval de Ia maladie, n'existe pratiquement pas, et l'insistance legitin1e sur Ia compréhension des mnegalites dans la production des maladies a conduit a nCgliger l'étude des consequences dans Ia vie quotidienne, les relations familiales, Ic travail, pourtant très inégalenient réparties. Mais l'interprétation de differences de morbidité n'est pas sans poser des problèrnes. Ainsi, les travaux de Georges Ménahem ont mis en evidence un lien statistique fort et positif entre declarations d'événements malheureux survenus dans l'enfance et declarations de maladies lors d'enquêtes

faites sur la sante ou sur les conditions de vie des Français [MCnahem, 1994]. Georges Ménahem a travaillé sur plusieurs enquêtes importantes, trouvani, a chaque fois, les mêmes rCsultats. Par ailleurs, Ic fait d'avoir observe les mêmes liaisons statistiques indicateurs dc risque vital et d'invalidité mis au point an CREDES et les événernents malheureux de l'enfance répond, au moms en panic, a

DE LA MESURE DES INEGALITES : ENJEUX SOCIOPOLITIQIJES Er THEORIQUES

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biais possible a Ia propension d'ordre psychoIa critique qu'on peut iui faire logique a declarer des maladies dont pourraient faire preuve des sujets ayant eu (ou ayant le souvenir) d'une enfance maiheureuse. Le fait que Ia frequence de certains

événements de l'enfance et l'intensité de leurs effets, en termes de maladies declarees, sont d'autant plus fortes que l'on descend dans l'échelle sociale pose Ia question de leur prise en compte dans Ia mesure des inégalites sociales de morbidité en tant que determinants d'une partie de la difference observée. L'explication de ce phénomène, dont l'intérêt est considerable, passe par des analyses qui relèvent de disciplines telles que Ia sociologie et I'epidemiologie, mais aussi la psychanalyse, Ia m&lecine psychosomatique et l'immunologie.

Les services de sante ii est clairement affirme que n'existent des inegalites A partir du moment en cette matière que si le principe de justice est en cause, les seules inegalites mesurables sont celles qui peuvent avoir un effet différentiel sur Ia sante des groupes sociaux hiérarchisés ou qui se traduisent par un effet de redistribution financière non progressif.

En ce qui conceme l'aspect financier, les économistes savent comment procéder a Ia mesure de l'inegalité ou du caractère non progressif (c'est-à-dire n'ayant pas d'effet redistributif au benefice des moms favorises) des dépenses de sante, compte tenu de Ia nature des recettes et de celle des dépenses. Les résultats

d'une telle approche ont montré dans le passe le caractère non progressif de 1' ensemble [Darbon, 1980]. Mais ii faudrait regulierement se pencher sur cette question importante du point de vue des réformes possibles pour améliorer le système du point de vue de Ia justice sociale sous l'angle de La redistribution. Quant au premier aspect, centre sur les inégalités sociales Iiées a l'utilisation

différentielle des services de sante, ii faudrait, pour les mesurer, analyser le rapport entre, d'une part, les besoins médicalement objectivables et subjectifs (vécus comme necessaires par les sujets) et, d'autre part, les recours médicaux et les autres types de consommation en reponse a ces besoins. Dans cette mise en perspective, ii faudrait tenir compte des problèmes et difficultés rencontrés, pour acceder a cette utilisation et lors de cette utilisation. 11 faudrait également

mesurer I'ensemble des effets produits tant sur le plan de Ia sante que sur d'autres plans (psycho-affectif, relationnel, materiel et financier), tous elements dont on concoit qu'ils soient presque impossibles a prendre en compte. A cet egard, a l'instar de ce qui a été fait par certains chercheurs bntanniques [Leon et Wilkinson, 19891, on pourrait étudier ce qui est imputable aux soins et ce qui serait dil a d'autres facteurs en observant, par exemple, Ia survie différen-

tielle entre personnes comparables (age et sexe) appartenant a des milieux sociaux différents et opérées pour un motif identique et de même gravite (Un cancer par exemple) dans des conditions semblables.

90

METHODES, MESURES

La mesure des inegalités sociales de sante et les techniques utilisées sont largement fonction des hypotheses conceptuelles. On n'ira pas mesurer un

facteur très important s'iI n'est pas pris en compte dans ('analyse pré.a(able ou ses présupposés et, inversernent, on fera des efforts considérables pour mesurer un phénomène qu'on considère comme fondamental, alors qu'ii peut que secondaire ou mêrne inopérant. La mesure n'est qu'une étape dans un processus de recherches et les faiblesses que I'on peut observer lors de cette étape sont, le plus souvent, le reflet d'un manque d'avancée théorique. REFERENCES

BI

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6

Le repérage de la situation sociale Alain Chenu

L'étude des indgalités sociales en matière de sante pent prendre deux formes majeures. Ou bien l'objectif principal est une caracténsation globale des inéga-

lités sociales, et l'dtat de sante est un des aspects de ces inégalites. Ou bien l'objet central est la sante, dont on cherche a identifier les determinants sociaux.

Les deux perspectives ne sont pas totalement indépendantes I'une de l'autre, mais elks n'engagent pas les mêmes instruments et procedures d'analyse, même si elles impliquent toutes deux une definition et un repérage de la situation sociale des personnes et des groupes étudiés. La premiere a dominante sociologique, noun-it les débats poli-

tiques et théoriques généraux sur tes sociétés contemporaines: les inégalitds sociales vont-elles en croissant ou en diminuant, sont-elles ou non acceptables? Les inégalites en matière de sante et de longdvite forment alors une des dimensions constitutives des inegalitds sociales telles qu'elles sont vécues, percues, tolérées ou combattues au sein d'une socidtd. La seconde, plus spécialisée, implique l'identification, dans une perspective epidémiologique, de divers facteurs, socio-économiques notamment, agissant sur Ia sante prise comme résultat d'un processus et non comme symptome; ses conclusions intéressent directement les responsables des politiques de sante. Etudier les inégalités sociales suppose que l'on s'accorde sur une definition explicite on implicite de Ia structure sociale. Explicite, elle renverra a une théorie sociologique, géneralement formulée en termes de stratification sociale ou de classes sociales. Les strates sont des agrégats statistiques regroupant des

individus qui occupent des positions semblables et ont des perspectives d'évolution similaires; plus elles sont définies finement, plus Ia structure sociale pent s'apparenter a un espace contina. Une classe, pour autant qu'elle diffère d'une strate, est souvent définie par ses capacités d'action collective et sa place dans des rapports de pouvoir, marques eux par des discontinuités. Une definition implicite privilégiera empinquement telle ou telle nomenclature statistique — souvent une nomenclature de positions <<socioprofessionnelles>>

94

MESURES

socio-econo,nic status parfois aussi des indicateurs tels que ie type de >>, le niveau de vie... Si c'est I'explication des inégalirés sociales de sauté qui est privilegiee, on fait généralement figurer un indicateur d'etat de sante en variable dépendante, et on étudie l'effet qu'ont sur lui différents rCgresseurs, parmi lesquels des variables sociodémographiques telies que et Ic sexe, des variables sociales telies que le diplônie, Ia profession ou Ia catégorie socioprofessionneile, et des indicateurs de pratiques susceptibles d'avoir une action plus directe sur l'état de sante — consonirnation d'alcool et de tabac par exempie. L'intérêt pour les inegalites sociales définies giobalement va souvent de pair avec Ia niise en dans Ia caractérisation des Ctats de sante, d'indicateurs eux-ménies giobalisants, au premier rang desquels l'espérance de vie: i'ãge au décès est une durée unique qui integre les effets, cumulés tout au long d'une vie ou de

logement, la << race

et souvent enchevêtrés, de conditions d'existence aux multiples aspects; de niême Ic statut social ou Ia position de classe sont des constructions synthCtisantes et typifiées qui raniènent Ia description d'une situation compiexe a une unique mesure ou appellation. Le constat d'une correlation entre espérance de vie et statut social n'a pas en lui-même valeur explicative. A i'inverse, une approche de type Cpidérniologique implique Ia décomposition des effets propres de diffCrents facteurs de risque ci, dans le champ des etudes de mortalité différentielle, Ia prise en compte des causes médicales de décès. Elle peut mettre en lumière des sequences causales qui souvent expliquent les correlations globales entre inCgalites sociales et inégalités de sante, et qui d'autres fois vont a rebours des tendances gdnérales — comme exempie

d'écoie de processus a rebours, on pourrait évoquer un manque d'argent de poche qui serait susceptible de prérnunir les jeunes des milieux populaires contre tin tabagisme précoce. On presentera ici les caractéristiques des nomenclatures et des conventions statistiques les plus usuelles dans ces deux families d'approches, a dominante socioiogique et épidémiologique. On privilCgiera les recherches menées sur ie cas francais, tout en donnant des aperçus comparatifs sur Ia Grande-Bretagne et les Etats-Unis. LEs STATISTICIENS ET LES INEGALITES SOCIALES

Dans quels ternies, scIon quels principes de division les inégalités sociaies sont-eiles catégorisées puis quantiflécs par les statisticiens? La réponse a une idle question vane dans l'espace et dans Ic temps. Dans Ia piupart des grands pays dCveloppés, au cours de Ia premiere rnoitié du XXe siècle, des nomenclatures ont été élaborées en vue de distinguer de grands groupes statistiques présentant tine centaine hornogénëité sociale. La profession a génCralement été privilégiée en tant que crirère d'appartenance a ces groupes.

LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCIALE

95

En Grande-Bretagne, depuis 1911, une même nomenclature de social classes fondée sur la profession a perduré en subissant de nombreuses réformes ; elie est concurrencée depuis 1951 par Ia grille plus détaillée des socio-economic groups

(SEG) et, tout récemment, par celle des socio-economic classes (SEC) (voir encadré). Aux Etats-Unis, l'information la plus communément disponible concerne le niveau de revenu, le niveau d'éducation, la <(race>> ou <<ethnie>> ; le socio-economic status (SES), inspire des social classes britanniques et regroupant des professions de niveau social similaire, est plus rarement utilisé. En France, la

nomenclature des categories socioprofessionnelles, créée au debut des années

cinquante, refondue en 1982, est également fondée sur Ia profession. Plus rarement, la caractérisation des inégalités sociales s'appuie sur des indicateurs de position socio-économique extérleurs ala sphere de l'emploi et du travail, tels que le degre de confort ou le statut d'occupation du logement (en Afnque noire par exemple, habitat en dur/autre), Ia detention d'une ou plusieurs automobiles... La diversité des traditions statistiques exprime celle des histoires nationales et des sensibilités sociales et culturelles des personnes interrogées dans les recensements ou les enquetes. La question raciale a été constamment centrale dans le débat social et politique aux Etats-Unis, oü par ailleurs l'information sur le revenu ne présente pas un caractère aussi confidentiel qu'en Europe. La Grande-Bretagne et la France sont de vieux pays le débat social et politique s'est de longue date focalisé sur la question de la nature des classes sociales et de leur devenir. Les statisticiens, tout en évitant de prendre directement parti dans des querelles engageant des enjeux ideologiques et thdoriques fortement imbriques, ont élaboré des instruments permettant d'apporter des réponses aux questions qui dtaient dans l'air du temps. Ainsi en Grande-Bretagne, la nomenclature des social classes est créée dans un contexte d'affrontement entre eugénisme et environnementalisme: les eugénistes, qui assimilent basses classes et patrimoine génétique défectueux, s'inquietent de Ia faible fécondité de Ia middle-class; les environnementalistes

imputent aux variations du contexte socio-économique les différentiels de fécondité et de mortalitd — pour eux, ce sont les taudis et les conditions de travail qui sont a l'origine des caractéristiques demographiques de Ia population ouvrière,

non des carences génétiques. La social class telle qu'elle est appliquee aux recensements de 1911 et 1921 est donc concue de manière a faire apparaItre d'amples gradients sociaux de fécondité et de mortalité [Szreter, 1996]. SEC, SOC, CSP, PCS les nomenclatures britannique et française Les cinq categories de La nomenclature britannique des social classes — crdde par le GRO (General Register Office), c'est-à-dire le bureau de l'état civil, sous tutelle du ministère de Ia Sante, et chargé de I'élaboration des statistiques de fécondité et de mortalité — sont les suivantes (entre parentheses, les appellations les plus rdcentes) 1. Upper- and middle-class (Professional, etc., occupations) 11. Intermediate (Managerial and technical occupations) III. Skilled occupations (Il/N. non manual, III M. manual) IV. Partly skilled occupations V. Unskilled occupations.

96

METH0DIis, MESURES

Certaines occupations ont vu leur position évoluer au Ill des

de Ia nonienclature. En 1911, les employés de bureau étaient tous dans Ia classe I, en 1921 us passaient en II, ensuite Ia plupart d'entre eux ont été classes en III. el en 1971 cc groupe a etC scindC en III N et Ill M. nomenclature, issue de.dChats entre spCcialistes de Ia sante publique. a etC critiquCe par

des sociologues et des econonlisies plus soucicux d'une pnse en compte du travail et de l'cmploi. Les travaux du sociologue John Goldthorpe, notamment, ant ahouti a I'Clahoration d'une autre grille. dite Goldt/zorpe Scheme, dont les rubriques correspondent des formes de regulation de l'emploi : une distinction de base est Ctahlie entre employcurs, indCpendants ci salaries

ces trois grandes categories sont scindCes en tbnction de critéres de taille. de secteur (industrie/agriculture) ci de qualitication. Les rCcentes revisions de Ia nomenclature des socioeconomic classes (SEC) se sont appuyCes sur les travaux de Goldihorpe et sur les comparaisons internationales rCalisées par Erikson ci Goldihorpe iErikson etGoldthorpe, 1992 Rose. 1996). Elks ont ahouti a me grille qui coniporie, a l'Cchelon Ic plus regroupé, sept positions:

I.

Higher Professional/senior managers

2.

Associate professionals/junior managers

3.

Other administrative anti clerical work

4. Own-account non—professional 5. Supervisors, technicians and related woikers 6. lnter,nediate workers 7. Other icorkers. Le code français des categories (CSP) de 1954 comporte unc trentaine de rubriques a deux chiffres. Le regroupement en neul rubriques un chiffre propose par I'INSEE n'Ctait, insistait I'auteur du code Jean I'orte, qu'un regrnupement possible parmi d'autres. La nomenclature des prolessions et categories socioprolessionnelles (PCS et CS) de 1982 comprend, dans Ic champ de Ia population active, trois niveaux emboItCs, ccliii des

455 professions a quatre chiffres. celui des 32 categories socioprofessionnelles a deux chiffrcs, et enfin celui des six regroupements un chiffre I. Agriculteurs exploitants 2. Artisans. commerçants, chefs d'cntrcprise Cadres ci intellectuelles supérieurcs Professions intcrmCdiaires 5. Employes 6. Ouvriers. Avec sa rubrique 4. Ic SEC se rapproche de Ia nomenclature trançaise, qui compte de longue date un poste Artisans. commerçants. chefs d'entrcprisc >>. La grille britannique d'occupations (SOC. standard occupational classification) ou Ia clas3.

4.

siflcation internationale type des professions (CITP. créée par Ic Bureau international du travail en 1958, rCvisCe en 1968 ci en 1988 Wolf. 1997) dClaillent finement ks tãches tuCes dans les emplois. L'approche française consiste h dClinir me unique nomenclature sociale et professionnelle, alors que dans Ia tradition anglo-saxonne les grilles de sions ci Ics nomenclatures de positions sociales donnent lieu a deux approches largement disjointes. Uric correspondance approximative exisie entre les l'CS et Ic niveau a trois chiffres (ii en existe in quatrième plus dCtaillC) de Ia CITP ou de sa variante communautaire, la CITP (COM). II n'existe de nomenclature sociale internationale ou europCenne. Les social classes ci le soda-economic status (SES. en usage aux Etats-Unis, assez proche des social classes) forment des Cchelles totalcment ordonnCes, hiCrarchisant les positions sociales au long d'une unique dimension : ils peuvent, au prix de quelques conventions, étre convertis en un score numCi-ique (par exemple Kunsi et Mackenbach. 19941. II n'en va pas de mCme pour Ics categories socioprofessionnelles françaises. qui ne sont que partiellement ordonnCes. ni pour Ic nouveau SEC britannique.

LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCIALE

97

La race aux Etats-Unis, Ia social class en Grande-Bretagne, Ia catégorie socioprofessionnelle en France sont des nomenclatures qui permettent de dresser un portrait statistique dans un langage issu de l'histoire de ces pays respectifs. Les categories de ce langage, blancs versus noirs, upper- et middle-

class versus working class, cadres versus non-cadres, etc., sont des objets complexes, presentant de multiples facettes, assez directement issus du sens commun. Quand au debut des années cinquante I'INSEE diabore sa nomenclature des categories socioprofessionnelles, les oppositions qui structurent cette grille — entre cadres et non cadres, ouvriers et employés, salaries de l'Etat et du prive... — permettent de décrire un contexte histonque national en exprimant le poids dans Ia vie sociale du pays d'institutions telles que les conventions collectives ou le statut de Ia fonction publique. Les rubriques des nomenclatures socioprofessionnelles rassemblent des professions qui présentent un air de famille pour des raisons historiques singulières, leurs contours ne résultent pas de Ia systématique de critères analytiques. Elles sont centrées sur mise en des cas typiques [Schutz, 1987 ; Desrosières et Thévenot, 1988]. C'est pourquoi le Guide des categories socioprofessionnelles définit ces categories en répartissant les occupations éldmentaires en quatre colonnes, <<noyau >>, assimilés >>, << cas limites inclus >> et <> [INSEE, 1983]. Chaque catégorie constituant un type aux facettes multiples, les informations nécessaires au chiffrage sont elles-mêmes multiples. Pour determiner correctement Ia catdgorie socioprofessionnelle francaise, il faut disposer non seulement de Ia réponse a Ia question << Quelle est votre profession ? >> mais aussi d'éldments sur le statut (employeur versus salarid), l'activité économique de l'établissement, le nombre de salaries de l'entreprise, Ia nature de l'établissement employeur (Etat/ entreprise), Ia classification professionnelle (pour les salaries), le grade (pour les salaries de l'Etat), Ia fonction (administration, commerce, production...), le sexe, Ia taille et I'orientation de l'exploitation pour les agriculteurs. Ces informations ne sont pas croisées de manière systématique: telle ou telle d'entre elles est requise dans telle zone de la nomenclature et non dans telle autre. Elles se pretent bien a Ia collecte statistique parce qu'elles renvoient a des découpages familiers aux acteurs sociaux et ne présentent pas un caractère de confidentialité très affirmé.

Cependant, ces facilités de collecte disparaissent en partie lorsque, dans une procedure sommaire visant a faire l'économie du chiffrage de la CS a partir de Ia profession détaillée, une grille de categories socioprofessionnelles est proposée aux enquêtés, qui doivent se situer dans des ensembles aux intitulés parfois ésotériques. Les categories intennédiaires, les moms cristallisées dans les représenta-

tions collectives (les <> de 1954 a 1982, les <<professions intermédiaires

depuis 1982), sont d'autant moms représentées que Ia procedure

de collecte est sommaire et qu' il est demandé aux personnes interrogées de se situer elles-mêmes sur des grilles définies dans un jargon statistique. Le principal responsable de l'élaboration de Ia nomenclature francaise des

categories socioprofessionnelles, Jean Porte, écrivait: <
98

METHODES, MESURES

socioprofessionnelle est celle des classifications qui, parmi toutes les classifications professionnelles possibles, donne les correlations les plus fortes avec les caractCristiques les plus diverses des personnes classées>> (Traité de sociologic

du travail, A. Cohn, 1961). Une liste non limitative de ces <> est proposée dans le Guide des categories socioprofessionnelles publié par I'INSEE en 1983 < En fait, les contours des nubriques ont été déterminés stir la base d'observations peu systérnatiques et de consultations d'organisations professionneihes, us ne résultent pas d'une étude préalable des correlations que différentes versions de Ia nomenclature présenteralent avec une liste de << caractéristiques diverses >>. De fait, aucune autre nomenclature

n'a fourni d'aussi bonnes correlations avec des caractCristiques aussi diverses. En France et cii Grande-Bretagne, les

nomenclatures regroupant des occupations en sous-ensembles socialement homogènes ont été très largement uilisCes, non seulement par tes ovganisrnes statistiques officiels mais par Ia plupart des instituts de sondages et organ ismes de recherche. au fit des dCcennies, in ample cumul d'observations cons-

truites selon un rnême langage de description, fonctionnant comnie un de forme>> au même titre, a certains égards, que le système mCtrique, facilitant Ia coordination entre divers domaines d'investigation et presentant un caractère incontournable, que les conventions sur lesquelles il repose aient été ou non judicieusement choisies. Pour les statisticiens, ces nomenclatures deviennent presque une nature >>, selon l'expression de Margo Conk Anderson [1978, citée par Szreter, 1993]. L'étabtissernent de tels automatismes peut tendre a oblitérer Ia réflexion stir le sens des operations de classernent réalisées par les statisticiens. Quand on croise une nomenclature de categories socioprofessionnelles et un registre donné de pratiques sociales — vote politique, consomniations ahimentaires, espérance de vie, etc. —, le conimentaire du tableau peut presque toujours prendre Ia forme : <>

sification par social class du Registrar General a survécu si longtemps est que, empiriquenient, dIe marche >> [Carr-Hill, 1990]. Elle marche méme de mieux en mieux, puisque dans Ic cas de l'Angleterre et du pays de Galles, Ia différenciation de l'espérance de vie des homnies scIon Ia <> s'accroIt des années 1970-1972 a 1991-1993 [Drever, Whitehead et Roden, 1996]. La morialité s'est accrue pour Ic groupe V alors qu'elle déclinail pour les autres groupes et tout particulièrement pour les groupes I et II (<< Professional >>, Managerial and Technical! intermediate >>). Pappas et a/u [1993, cites par Williams et Collins, 1995] établissent un constat siniulaire pour les Etats-Unis de 1960 a 1986.

LE

99

DE LA SITUATION SOCIALE

Notons incidemment que l'évolution des inégalités sociales en matière de sante ne se réduit pas a une alternative accroissement on reduction. L'écart se creuse, par exemple, entre l'espérance de vie des ouvriers non qualifies et celle des autres hommes actifs, tandis que les ouvriers non qualifies forment un groupe statistique toujours plus étroit d'individus de plus en plus sélectionnés; convertir ce diagnostic en une affirmation selon laquelle les inegalités s'accroissent implique que l'on adopte une série d'hypothèses (ou d'observations complémentaires) sur Ia distribution des espérances de vie dans les différentes categories socioprofessionnelles et apparaIt finalement comme assez hasardeux. Une difficulté similaire se présente avec les femmes au foyer, autre catégorie en déclin et dont Ia surmortalité s'accroIt. Autre chose est de répondre a des questions telles que : << Pourquoi est-ce que ça marche ?>> et << Est-ce que ça ne marcherait pas encore mieux avec une autre nomenclature ? >>. Si une nomenclature n'est que Ia traduction statistique de découpages pratiques de nature mystérieuse, on ne sait pas ce qu'on mesure Bien sür, on devine que Ia nature de ces decoupages lorsqu'on Ia met en n'est pas totalement obscure, qu'ils captent des structures sociales fortes qui sont a I'origine de leur robustesse statistique, et que ces structures, hiérarchisées,

doivent beaucoup aux caractéristiques du travail rémunéré et aux formes de l'emploi. Mais le passage a l'explication implique une dissociation des différentes facettes de la situation sociale et Ia mise en evidence de leurs relations avec de multiples variables intermédiaires elles-mêmes en rapport avec l'état de sante — accès aux soins médicaux, hygiene alimentaire, exposition a des produits toxiques, etc.

Les descriptions analytiques de Ia situation sociale T.H.C. Stevenson signalait que Ia longévite des membres du clerge, reputes pauvres et Iettrés, exprimait le role propre du niveau de diplOme, dissocié de I'effet du niveau de vie, dans Ia determination de l'esperance de vie [Stevenson, 1928, cite par Berkman et Macintyre, 1997]. De la même manière, Ia premiere grande enquête francaise réalisée par l'INSEE sur Ia mortalité (établie sur le recensement de la population de 1954) mettait en vedette les instituteurs, dont Ia durée de vie record n'était pas etroitement liée a leur niveau de revenu, plutOt

modeste. La nécessité de définir et de distinguer différentes facettes de Ia position sociale, si possible en fondant ces distinctions sur une analyse théorique, s'impose dans les etudes de mortalité et de morbidité différentielles.

Les tentatives de definition theorique des différentes dimensions de la position sociale ont été très nombreuses. Celle de Max Weber, qui distingue différents systèmes de stratification sociale fondes sur la << classe (propriéte et ressources economiques, définissant les <>), le statut (honneur, >>

prestige) et le pouvoir politique, est souvent citée parce qu'elle engage une analyse de Ia construction du social par le social au travers du jeu des

100

ressources

MESURES

économiques, des croyances et du pouvoir, et qu'elle a inspire de

nombreux travaux empiriques. La distinction par Pierre Bourdieu de différentes espèces de capital (economique, culturel, symbolique, social) présente elle aussi Ia propriété d'être articulée a des domaines d'observation tels que le niveau de

vie, le diplôme, le prestige social, Ic réseau relationnel. En vue initialement d'une étude comparative de la mobilitC sociale dans les sociétés industrielles, Erikson et Goldthorpe [1992] ont élaboré une nomenclature fondée sur une analyse theorique de Ia différenciation des contrats de travail et des formes de regulation de I'emploi qui a été utilisée dans diverses etudes, notamment sur Ia mortalitC différentielle [Bartley et a/u, 1996]. Examinons les caractéristiques de ces variables usuelles. Le diplô#ne, le niveau d'études ou l'age de fin d'études peuvent étre renseignés a l'échelon individuel pour Ia totalité de Ia population. L'âge de fin d'Ctudes initiales ou le niveau de formation initiale sont des inforniations qui en

principe ne sont pas sujettes a variations au fil de Ia vie adulte. Mais ils présentent une forte interaction avec Ia generation — Ia detention du baccalauréat n'a pas Ia niême signification selon qu'elle concerne une personne née en 1900 ou en 1970. Une même personne réinterrogee a plusieurs reprises a propos de son niveau de formation initiale fournit assez souvent des réponses discordantes, surtout si elle est ãgCe et pen diplôrnée. Un autre inconvenient du diplôme ou du

niveau de formation est, pour les générations ãgées, Ic regroupement de Ia grande masse de la population sur une seule modalité correspondant a Ia scolarité obligatoire. Ainsi, dans une étude comparative sur Ia mortalité différentielle selon le niveau de formation, la modalité correspondant au niveau Ic plus bas regroupe 82 % pour l'Angleterre et le pays de Galles, 77 % pour Ia Finlande, 82 % pour Ia Suede [Kunst et Mackenbach, 1994]. Une telle difficulté tend a s'auénuer a mesure que ces générations disparaissent, Pour de multiples raisons, Ia determination du reveiiii est a Ia fois coniplexe et incertaine. Même Iorsque le tabou de l'argent est inexistant, les revenus sont

souvent irréguliers, les effets des transferts entre ménages sont difficiles a évaluer. L'articulation entre Ic niveau individuel et celui du ménage est a Ia fois nécessaire et delicate. Les sources de revenus étant souvent diverses au sein d' un même ménage, ii est parfois diffucile de les identifier en questionnant une seule

personne. La definition du nombre d'unités de consommation, pondérant les personnes en fonction de ieur age et de Ia composition du mCnage, est nécessaire au passage du revenu au niveau de vie ; les Cchelles correspondantes doivent être

révisées périodiquement, et a un moment donné une mêrne échelle est inégalenient pertinente dans différents milieux sociaux. Le passage du revenu au

niveau de vie suppose en effet que l'on sache dCfinir, pour un ménage de plusieurs personnes, un système d'unités de consomrnation, de facon a prendre

en compte les economies d'échelle et Ia misc en commun de biens publics. Plusieurs Cchelles coexistent dans Ia iiuérature sur les niveaux de vie. La plus connue, dite échelle d'Oxford, qui attribue un poids de I au premier adulte du

LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCIALE

101

ménage, puis un poids de 0,7 aux autres adultes et de 0,5 aux enfants, a été l'alimentation constituait encore une part prépondérante du budget des ménages. Elle semble n'être plus très adaptée aux structures de consommation actuelles, et est en passe d'être supplantée par une autre échelle, dite échelle OCDE, oü les poids de 0,7 et 0,5 ont été rdduits a 0,5 et 0,3 [INSEE, 1997]. A revenu moyen identique, l'irrégularite du revenu d'une année a l'autre est associée a une surmortalité [McDonough et alii, 1997]. Les écheHes de prestige social ne font pas l'objet d'un consensus au sein d'une même société et se transforment au flu du temps. En France, en 1997, par exemple, les personnes âgées valorisent davantage les professions artisanales, les plus jeunes celles du journalisme et de Ia communication [Chambaz et alii, 1998]. Affecter un score de prestige a chaque occupation permet de transformer une variable nominale en variable quantitative. Cette operation a été rarement pratiquée par des chercheurs francais, ceux-ci tenant genéralement a mettre en relief le caractère pluridimensionnel du monde social. La position par rapport a i 'emploi (emploi stab le/emploi precaire/chômage/ inactivité) est davantage sollicitée par les chercheurs dans les périodes de crise économique — au debut des années trente, Paul Lazarsfeld avait remarquablement analyse les effets du chomage de longue durée sur la sante des ouvriers autrichiens de Marienthal [Lazarsfeld et alii, 1981]. Depuis les années soixantedix, La montée des taux de chomage et Ia multiplication des contrats de travail a durée déterminée ainsi que des stages et autres dispositifs d'insertion>> ont établie a une époque

accru l'intérêt de Ia prise en compte de la position par rapport a l'emploi. Comme celle-ci est étroitement liée a Ia position professionnelle (les salaries peu qualifies sont les plus exposés au chomage et a Ia précarite), II est nécessaire de croiser les deux types de nomenclatures. Une nomenclature qui privilegie Ia profession comme indicateur de position sociale n'est pas l'instrument le plus adapté lorsqu'iI s'agit de cerner Ia situation de personnes qui soit disposent de revenus très élevés, largement indépendants de leur travail personnel, soitvivent dans une grande précarité et se trouvent durablement en marge de l'emploi. Bartley et alii [1996] étudient les inégalites sociales en matière de mortalité

au Royaume-Uni en utilisant concurremment deux nomenclatures, celle des social classes du GRO et celle d'Enkson et Goldthorpe [1992], concue en vue d'études comparatives de la mobilité sociale et exciusivement fondée sur les caractéristiques de Ia situation de travail et de Ia position sur le marché de l'emploi (renvoyant a des differences en termes de sécurité d'emploi et de perspectives de promotion, c'est-à-dire a des chances de vie, au sens wébérien du terme, différenciées). Une analyse fondée sur la Longitudinal Study (LS) de l'OPCS montre que les differences en matière d'espérance de vie sont aussi fortes avec Ia nomenclature Erikson-Goldthorpe, construite indépendamment de toute prise en consideration des inégalités en matière de sante, qu'avec les social classes. La correlation entre mortalité et social class est le résultat trivial d'un

biais d'endogeneité, puisque Ia différenciation des espérances de vie et des

102

METHODES, MF.SURES

conditions sanitaires est un des critères de construction de Ia social class. En revanche, les observations fondées sur Ia nomenclature E.-G. témoignent du role de Ia situation professionnelle dans Ia genèse des inégalités en rnatière de mortal ité (a nioins qu'un ordre de phénoniènes ne determine a Ia fois Ia situation profession nelle et les inégalites de sante). LA PROFESSION COMME INI)ICATEUR l)E SUBSTITUTION

Bartley et alii ne peuvent mettre cii concurrence Ia nomenclature des social classes et celle d'Erikson et Goldthorpe que parce que les informations figurant dans 1e fichier de Ia LS se pretent a Ia construction a posleriori d'une variable repondant aux spécificat ions thCoriques d'Erikson et Goldthorpe. Le langage de Ia description qui est a dans les recensements semble se prêter ici a une réinterprétation dans un langage théorique élaboré après coup, la nomenclature des professions fournissant une matière premiere assez fine pour entrer dans des regroupernents divers.

Les nomenclatures détaillées de professions donnent fréquemment lieu a divers regroupenhents constituant des indicateurs de substitution (proxy pour diverses dimensions spCcifiques de Ia situation sociale. Elles fournissent, avec une plasticitC certaine, des indications approximatives sur Ic statut économique ci socioculturel là les renseignernents relatifs au revenu et au niveau de format ion font défaut — en 1928 déjà, Stevenson voyait dans les difficultés a classer les gens sur une échetle de revenu un argument fort en faveur de l'usage d'une nomenclature de social class [Stevenson, 1928, cite par Marmot et Feeney, 1997]. Elles fournissent des indications sur les risques de

chOrnage et de prCcarité. Ces indications indirectement fournies par

Ia

profession a propos du revenu, de Ia sécurité économique, du diplOme, etc., sont

toutefois approximatives, notamnient dans Ic cas de categories figurant en position extreme sur l'échelle des statuts sociaux : pour les gens très riches, Ia profession peut être tine sorte de passe-temps qui n'engage pas l'identité sociale de Ia personne ; pour les très pauvres, Ia spécialité de tel ou tel <> est souvent sans grande importance.

Autre chose est Ia prise en compte simultanée de l'information sur la profession ci sur d'autres variables telies que Ic revenu ci Ic diplOme. Des professions de statuts socio-économique et socioculturel voisins peuvent être exposées a des risques sanitaires très différents. La mortal ftC des soudeurs avant 65 ans, par exemple, est beaucoup plus élevCe que celle des ajusteurs ou des menuisiers [Desplanques, 1985]. L'effet propre de l'environnement professionnel, choses egales par ailleurs >>, peut éventuellernent être mesurC grace a des calculs

de regression multiple appliqués a des fichiers oü figurent profession, revenu, diplOme, sexe et age. Mais les dispositifs dans lesquels mutes ces informations sont disponibles sont souvent de trop petite taille pour que des écarts significatifs puissent étre observes a l'Cchelle de professions dCtaillCes.

LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCIALE

103

DE L'INDIVIDU AU MENAGE, DE L'OBSERVATION INSTANTANEE A L'ANALYSE LONGITIJDLNALE

Les descripteurs de position sociale peuvent être appliqués a des unites de tallies diverses, individu, couple, ménage, quartier, agglomeration, region, pays. Lorsqu'une variable n'est pas définie — ou présente trop de variations erratiques — a l'échelle individuelle, ii demeure possible d'affecter a i'individu une mesure portant sur d'autres individus — son conjoint, ses parents... — ou sur une unite collective dont ii fait partie. II est parfois possible de mesurer Ia contribution explicative de différents descripteurs — ainsi lorsqu'on observe que La social class individuelle d'une femme mariée active est un moms bon prédicteur de sa durée de vie que celle de son man [Marmot et Feeney, 1997]. Tout le monde n'a pas un emploi ou une profession. Pour les anciens actifs, un classement peut être effectué scion Ia profession exercée en dernier lieu, mais

cette solution ne s'applique pas aux jeunes, aux femmes au foyer... Et même

parmi ceux qui ont une profession, celle-ci peut constituer un indicateur d'appartenance sociale assez peu pertinent. L'emploi qu'un jeune occupe, souvent trés provisoirement, peut être un moms bon prédicteur de ses comportements sociaux que l'emploi qu'occupe ou qu'occupait son père. Le repérage de / 'origine sociale et celui de Ia position de la personne de reference du ménage sont les deux alternatives usuelles au classement selon Ia position socioprofessionnelle individuelie. On peut aussi, pour autant que les professions peuvent être ordonnées sur une écheile unidimensionnelle de statut social, caractériser le ménage par Ia position Ia plus élevée occupée sur cette échelle par les différents membres du ménage ; dans les ménages comportant un couple oü I'homme et Ia femme sont actifs, Ic cas, minoritaire, oü la position de Ia femme est plus élevée que celle de l'homme est de plus en plus frequent. Renseigner I 'origine sociale des personnes implique que des réponses soient données a une série de questions. Faut-il décrire Ia situation d'un seul parent

(généralement Ic père) ou de plusieurs? Si Ia situation du parent visé est inconnue, est-il souhaitable de renseigner celle d'un autre parent? A quel moment de Ia carnère du parent doit-on se référer (iorsque le répondant avait 14 ans, lorsqu'il terminait ses etudes...)? Les réponses que les statisticiens choisissent de donner a ces questions varient d'un pays a un autre. La definition du << ménage >> et le choix d' une << personne de référence >> en son

impliquent aussi l'adoption d'une série de conventions. On appelle ménage l'ensemble des occupants d'un même logement. Un étudiant qui passe Ic weekend chez ses parents et le reste de Ia semaine dans une chambre de bonne forme en pnncipe un ménage a lui seul, sa residence principale étant ccl Ic oé il passe Ic plus de temps. En pratique, Ia probabilité pour qu'il soit rattaché au ménage de ses parents est assez forte. La notion de <>, qui renvoie a une assez longue série de regles (voir encadré), a succédé en France en 1982 a celle de <>. Auparavant, ii revenait aux personnes interrogées de deterscm

104

MESURES

miner leur chef>> — le mot chef>> se met difficilement au féminin et a été abandonné en 1982. Dans d'autres pays, Ia personne de référence peut êire le titulaire du bail de location ou le propriétaire du logement. <

La notion tie personne de référence du ménage le ménage comprend au moms Un couple. Ia personne de référence est l'homme du couple s'il y a plusieurs couples. on choisit le plus ãgé des actifs ou, a défaut d'actil, Ic plus âgé des hommes des couples. Sinon, si Ic ménage comprend au moms une fumille rnonoparentale (pareni ëlevant seul un ou plusieurs de ses enlants). alors Ia personne de référenee est, parmi les parents de ces familIes monoparenlales. Ic plus ãgé des aclils ou a défaut Ic l)lUS <<Si

Si

Ic ménage ne comprend aucune famille, Ia personne de référence est. parmi les

personnes du ménage a l'exception des pensionnaires ou salaries logCs. Ic plus des actils ou. a dCfaut, Ia personne Ia plus (Notes mCthodologiques des << INSEE résultats >> consacrés aux recensements de Ia popu-

lation. 1992.)

Ces conventions renvoient a l'idée que lorsque i'information individuelle fait défaut ou présente un intérét limité, ii peut étre fructueux de lui substituer une information relative a un membre de Ia farnille ou dii ménage de Ia personne. Elles permettent d'affecter a Ia quasi-totalité de Ia population une position au scm d' une nomenclature socioprofessionnel le d' acti fs ou d' anciens actifs (au recensement francais de Ia population de 1990, 95 % de Ia population des ménages relève d'un ménage dont Ia personne de référence est un actifou un ancien actil).

L'éliologie de certaines maladies ne peut se comprendre que Si l'on dispose d'observations se situant elles-mêmes dans le teml)s long. Réciproquement, l'état de sante est susceptible de produire sur les trajectoires sociales des effets qui eux aussi ne sont lisibles qu'à long terme. La manière dont les emplois sont pourvus

ou délaissés par les individus fait une grande place a des phénomènes de selection: les emplois requerant une bonne condition physique donnent lieu a un tn a l'ernbauche Ct a des mises a l'écart en cas de détérioration de Ia sante de leurs titulaires ; depuis William Farr [McDowail, 1983], il est usuel de designer un tel processus comme un healthy worker effect. Par exemple, un mineur dont Ia sante

decline peut devenir veilleur de nuit. S'il meurt a Ia suite d'une silicose, Ia profession renseignée sur le bulletin de décès sera vraiseniblablementcelle qu'il a exercée en dernier lieu. Or Ia comprehension du processus ayant abouti ace dCcès irnplique que l'on puisse faire un lien avec Ia situation dc mineur. Le mort ne peut plus être interrogé stir sa carrière professionnelle, et ses proches, questionnés au moment oü le bulletin de décès est rempli, ne connaissent pas nécessairement son

passé. La fragilité des renseignements d'ordre professionnel fournis sur les bulletins de dCcès est accrue si Ia personne était a Ia retraite. Dans le cas même les renseignements sont donnés par une personne bien informée, Ic contexte dans

lequel sont remplis les bulletins favorise une certaine euphéniisation de Ia

LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCLALE

105

situation professionnelle du défunt. L'information recueillie après un décè.s présente donc deux limites faible fiabilité, caractère par trop instantané — même Si le libellé de Ia question fait référence a Ia profession. Toute étude de Ia mortalité différentielle sur Ia base de taux dont les numérateurs sont des effectifs renvoyant a Ia catégorie sociale au moment du décès et les dénominateurs des effectifs de

catégones sociales dénombrées a un recensement de Ia population souffre doublement de ces limitations. L'étude des interactions entre position socioprofessionnelle et état de sante doit donc, autant que possible, se fonder sur des observations longitudinales permettant de caractériser l'enchainement sequentiel de ces deux ordres d'événements. L'INSEE francais a établi le premier dispositif longitudinal d'observation de Ia mortalité différentielle, les décès enregistrés a l'état civil étant rapportés aux bulletins du recensement de population de 1954. Des panels ont été constitués en Grande-Bretagne avec Ia Longitudinal Study, au Danemark, en Suede, en France avec l'échantillon démographique permanent (EDP), aux Etats-Unis avec le Panel Study of Income Dynamics (PSID), etc. L'EDP et le LS sont des échantillons qui apparient pour une même personne les informations figurant sur les bulletins des recensements de Ia population (depuis 1968 pour Ia France et 1971 pour l'Angleterre et le pays de Galles), des informations issues de l'état civil, et, pour le panel britannique, des informations relatives a des événements de sante. Une limite sérieuse des dispositifs francais tient aux destins separés des deux parties des bulletins de décès. L'une, anonyme, est la seule a comporter Ia mention des causes de décès ; elle est, depuis 1968, adressée a l'INSERM, qui en assure Ia codification. L'autre, nominative, comprend les informations nécessaires a une

identification au repertoire des personnes physiques, qui est géré par l'INSEE; elle donne lieu a un rapprochement individuel avec des informations collectées du vivant des personnes dans le cadre des recensements de population. La catégorie socioprofessionnelle est renseignée dans les deux directions, mais pas de Ia même

manière. Côté INSERM, <> [Desplanques, 1985]. Ainsi, les etudes réalisées côté

INSEE, solidement documentées au plan des caracteristiques sociodemographiques enregistrées du vivant des personnes, se cantonnent, pour l'essentiel, a l'analyse de Ia mortalité toutes causes confondues, tandis que celles qui ont été réalisées par I'INSERM ou le CREDES sont rarement en mesure de tenir compte du healthy worker effect.

106

METHODES, MESURES

CONCLUSION

Les indicateurs de position sociale sont multiples ci font I'objet d'usages diversiflés. Les nomenclatures de type socioprofessionnel fournissent une representation

d'ensernble de Ia structure sociale et se pretent A une approche synthétique du monde social pris dans sa globalité, ieur mise en dans le champ des etudes de sante et de niortalité a souvent pris Ia fornie avant tout descriptive d'un croisement avec des indicateurs eux-mêmes syntheriques tels que l'espérance de vie. La recherche de chaInes explicatives implique Ia dissociation analytique de Ia position sociale en différentes dimensions clairernent spCcifiées, ainsi que Ia catégorisation des événernents de sante en fonction de leurs causes mCdicales. L'amélioration des techniques statistiques économétriques ou epidéniiologiques et Ia constitution de dispositifs d'observation longitudinale ont permis aces efforts analytiques de commencer de porter leurs fruits. Cependant, ii n'existe pas de moyen simple de caractériser Ia position sociale des individus. Les revenus sont volatils et souvent dissimulés, les titres scolaires et les durées de formation initiale n'ontpas Ia même signification d'une generation a une autre et se dérobent parfois

a Ia mémoire des enquêtCs, une même appartenance socioprofessionnelle change de sens au fil du cycle de vie du fait de processus de selection. C'est en étudiant Ia conibinaison de ces diffCrentes caractéristiques repérées

au sein d'un inême dispositif d'observation que l'on peut progresser dans Ia connaissance des interactions entre situation sociale et sante. REFERENCES BII3LIOGRAPHIQUES BARTLEY M., CARPENTER L., DUNNELL K., FITZPATRICK R. (1996), <<Measuring

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LE REPERAGE DE LA SITUATION SOCIALE

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7

Quantifier les inégalités Annette Leclerc, Jean-Fran cois Chastang

La lecture de résultats numériques portant sur les inegalités sociales de sante est parfois difficile, en particulier si les auteurs ont adopté une methodologie apparemment complexe ou peu classique. Ainsi de nombreux indicateurs permettant de mesurer les inégalites coexistent, sans que les liens et les différences existant entre ces différents indicateurs soient toujours suffisamment explicités [Mackenbach et Kunst, 1997 ; Manor et alii, 1997 ; Wagstaff et alii, 1991]. Surtout, au-delà de questions apparemment techniques, se profilent des questions de fond portant sur les modèles de causalité sous-jacents. La réflexion sera limitée a l'analyse de données individuelles portant sur une caractéristique de sante en fonction d'une variable de situation sociale et d'une ou plusieurs autres variables (en priorité le sexe et l'age). Les données disponibles se ramènent donc a des nombres d'événements, des taux, des taux relatifs (rapport entre un nombre d'événements observes et un nombre attendu) ou des indicateurs plus complexes, comme des courbes de survie ou des espérances de

vie. Le chapitre porte prioritairement sur Ia mortalité, mais les méthodes d'analyse de Ia mortalité peuvent s'étendre aux différentes mesures de morbidité. L'analyse d'indicateurs complexes (comme I'esperance de vie) ou de données agrégées selon un critère géographique présente des spécificités et ne sera pas abordée ici. QUANTIFIER LE LIEN AVEC LA SANTE: RAPPORT, DIFFERENCE, DIFFERENCE RELATiVE: PLUSIEURS LECTURES DES MEMES DONNEES

Le tableau 1, issu du rapport La Sante en France [Haut Corn ité de Ia sante publique, 19961, donne les taux de décès par categories sociales (regroupées) pour deux causes, choisies ici comme exemple: les maladies vasculaires cérébrales et les accidents de Ia circulation. Les données sont limitées aux hommes et standardisées sur l'age. La standardisation se justifie par le fait que l'âge est un facteur d' inégalité << naturel >>, dont ii faut éliminer l'effet pour centrer Ia comparaison sur

le role de Ia catégorie sociale. Si les taux n'étaient pas standardisés, un écart

110

observe de mortalité selon Ia catégorie sociale pourrait être

a des differences de

structure d'âge entre categories sociales, les plus âgés étant en général plus touches par les maladies vasculaires cérCbrales et les plus jeunes par les accidents de Ia circulation. Tableau I Taux de tlécès par maladies vasculaires cérébrales et accidents de Ia circulation,

selon Ia catégorie sociale', hommes âgés de 25 a 54 ans, 1988-1992 Cl)

•'Cl)

—

'-

—

I

Maladies vasculaires cérébrales Accidents de Ia circulation L

9,5

29,9

5,4 19,1

2,9

3,3

6.6

0,69

11,4

2.6

18,5

0,62

annuels pour 00

standardisés par Source : SC8-INSIiRM. 2. Difference relative lou risque aitribuablet, categoric ouvriers. ertiplayeS

A partir des données présentees, on peut se demander si l'écart entre les deux groupes extremes est plus important pour I'une ou l'autre des causes de décès. La réponse a Ia question depend de Ia mesure retenue pour quantifier I'écart en calculant un rapport, I'écart est un peu plus important pour les maladies vasculaires cérébrales ; en revanche, en termes de difference, les accidents de Ia circulation occupent Ia premiere place. Ces deux approches reflètent.des points de vue différents : si l'intérêt premier porte sur les causes des écarts, ii est habituel

de se fonder sur des rapports; ainsi, Ia lecture de la quatrieme colonne du tableau niontre que, pour l'une ou I'autre des maladies, le risque est proche du triple pour les ouvriers et employés, compares aux cadres supérieurs et professions libérales, I'écart étanr un peu plus important pour les maladies vasculaires cérébrales. Par contre, les differences de taux sont plus informatives du point de vue de I'importance du problême dans Ia population : id les valeurs numériques données dans Ia colonne 5 du tableau 1 signifient que, pour 100 000 hommes classes employés >, appartenant a la classe d'ãge 25-54 ans, 18 ou 19 décès par accidents de Ia circulation, chaque annCe, seraient évités si Ia mortalité dans ce groupe rejoignait celle des cadres supérieurs et professions

libérales. Sous les mémes hypotheses, 6 ou 7 décès par maladies cérébrovasculaires seraient évitës; le gain est plus réduit, non parce que I'affection est

moms inégalitaire (en termes de rapport), mais parce qu'elle est moms frCquente. Avec ce type de données, une autre approche, égalernent classique, consiste a calculer une difference relative, en rapportant alors Ia difference entre deux taux a celui de l'un des deux groupes ou au taux moyen. C'est un calcul de

QUANTIFIER LES INEGALITES

ill

ce type qui est indiqué dans Ia colonne 6. Ainsi, par exemple, parmi les décès par accident de Ia circulation chez les ouvriers et employés, 62 % (18,5/29,9) seraient évités si le taux de décès dans ce groupe rejoignait celui des cadres supérieurs et professions libérales. Deux des trois mesures presentees ici, le rapport et Ia difference relative, sont invariantes a l'egard du niveau de mortalitd, c'est-à-dire que le résultat n'est pas modiflé si tous les taux de décès sont multiplies par le même facteur. Cela pourrait laisser penser que ces deux mesures sont très proches ; cependant, des que les données sont plus complexes et que Ia mesure des inégalités est fondée sur un modèle statistique, cette proximité disparaIt. En effet, le calcul d'un rapport se genéralise sous la forme d'un modèle multiplicatif, alors que calculer une difference relative correspond, comme le calcul d'une difference, a une approche additive. Cela sera repns dans Ia suite du chapitre. DEUX EXEMPLES DE CONTROVERSES

Remplacons les comparaisons entre causes médicales de décès qui viennent

d'être ddveloppées par des comparaisons entre pays. II y a alors matière a controverse, cornme le montre Ia discussion concernant Ia position de la Suede

comparée a d'autres pays d'Europe (voir chapitre 1.3) en ce qui concerne l'importance des inégalites sociales de sante pour Ia mortalité des hommes de Ia tranche d'age 45-59 ans : une comparaison manuels/non-manuels, dtablie sur un

rapport, donne un risque multiplié par 1,4; ceci qui amène a conclure qu'en Suede les inegalités relatives sont moindres qu'en France, en Finlande et en Grande-Bretagne, mais plus grandes qu'en Espagne, Italie, Norvege, Suisse et Danemark [Mackenbach et a/u, 1997]. Au contraire, si les comparaisons sont basées sur des differences, ce rapport de 1,4 ne se traduit, en termes de décès en excès, que par 200 pour 100 000, soit une position plutôt favorable par rapport a d'autres pays (meilleure en particulier que celle de I'Espagne, de l'Italie ou du Danemark), carla mortalité dans cette tranche d'age est plus faible en Suede que

dans les autres pays inclus dans l'étude [Vagero et alii, 1997]. Les données permettent donc d'affirmer, chiffres a l'appui, soit que Ia Suede est un pays relativement egalitaire, soit que les inégalités y sont importantes. On peut

comprendre que, selon l'appartenance institutionnelle ou le pays d'origine, certains chiffres soient preferes a d'autres. Le second exemple, plus ancien, porte sur des comparaisons non pas entre pays mais entre périodes. Le Decennial Supplement analysant la mortalité de Ia période 1970-1972 en Angleterre et pays de Galles, par classe sociale, montrait que les inegalités s'étaient accrues par rapport aux pdnodes précddentes. De très vifs débats en Grande-Bretagne se sont developpés a la suite de Ia sortie du Black Report en 1980, qui reprenait et commentait ces résultats [Townsend et Davidson, 1982], et cela jusque dans les années quatre-vingt-dix [Townsend,

112

METHODES, MESURES

1990]. Un point central dans Ia polCmique était Ia pertinence de Ia mesure d'inegalite retenue en dix ans, les écarts relatifs entre Ia classe V (ouvriers non qualifies) et le reste de Ia population avaient augmente, mais ii y avait beaucoup moms de sujets dans Ia classe V (voir le chapitre 11.6 pour Ia definition des classes sociales anglaises). Certains avançaient done l'hypothèse qu'en réalité les inégalités n'avaient pas augmenté, et que les résultats observes tenaient simple ment ace que le groupe le plus défavorisé, devenu plus petit, se retrouvait dans une situation plus extreme [IlIsley, 1985]. La qLlestion soulevée ici porte sur Ia prise ou non en compte de Ia distribution, dans Ia population étudiée, de Ia variable caractCrisant Ia situation sociale. Cette question mCrite qu'on s'y arréte, d'autant plus que les solutions techniques permettant de répondre a cette question ne font pas partie des outils d'analyse les plus courants.

Mesurer Ia situation sociale : une niesure absolue ou relative La situation sociale peut être apprChendée comme une mesure absolue on comme une niesure relative de positionnement sur l'échelle sociale. La quanti-

fication des inégalités peut être basée sur Ia variable d'origine repérant Ia situation sociale, qu'il s'agisse d'une variable a modalités, ordonnées ou non (par exemple, Ia PCS), ou d'une variable quantitative (par exeniple, Ic revenu). II s'agit là d'une mesure absolue >> de position sociale.

Dans un certain nonibre de situations, on peut substituer a Ia variable d'origine une variable indiquant Ia situation sociale relative qui en découle. Par exemple, on retiendrait l'information <>, sans prCciser de quel niveau il s'agit. Cela suppose

que Ia distribution de Ia variable soit disponible et pertinente au niveau d'une population, par exemple un pays. 11 faut egalement, si la variable d'origine est en classes, que les classes puissent être hiérarchisées, par exemple selon un niveau de salaire ou de prestige. Cette approche d'un facteur de risque, dite <<en percentiles>> n'est pas très habituelle dans d'autres domaines de l'épidCniiologie: personne ne songerait, par exemple, A associer un certain risque dc cancer du poumon a < être parmi les 10 % plus gros fumeurs de Ia population >>, sans préciseràcombien decigarettes cela correspond. Si l'approche diffère, c'est que les hypotheses sous-jacentes ne sont pas les mêmes : fumer vingt cigarettes par jour signifie pour Ia sante. En revanche, on peut penser qu'un certain niveau scIon un indicateur social (niveau d'études, par exemple) n'a pas le même sens selon Ia

position relative que cela implique. Ainsi, par exemple, avoir fait des etudes supérieures correspondait a un niveau relatif plus ClevC ii y a cinquante ans qu'à notre époque. Une approche <<eli percentiles>> permet d'en tenir compte. De facon générale, s'iI s'agit de comparer I'arnplitude des inégalites sociales entre deux situations éloignees dans Ic tenips ou dans I'espace, privilégier Ia situation

113

QUANTIFIER LES INEGALITES

sociale relative presente des avantages, par rapport a des mesures absolues de • position sociale qui seraient trop différentes (par exemple, entre deux pays). Les données du tableau 2 et de Ia figure 1 permettent de comprendre plus precisément ce dont il s'agit. Les données portent sur les 228 décès survenus

entre 1991 et 1997 parmi les 13 127 volontaires masculins de Ia cohorte GAZEL, âgés en 1991 de 42 a 52

ans

[Goldberg et Leclerc, 1994].

Tableau 2

Nombre de décès entre 1991 et 1997 et effectif par catégorie, cohorte GAZEL, hommes âgés de 42 a 52 ans en 1991 Effectif

Nombre de décès Taux pour 1 000

Proportion des effectifs (%)

Cadre

4 134

45

10,9

31,5

MaItrjse

7080

118

16,7

53,9

Execution

I 913

65

34,0

14,6

13 127

228

17,4

100,0

Total

Taux de mortalité (en 1/1 000) 40

35

30

25

20

15

10

5

0

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

Figure 1

Taux de mortalité, cohorte Gazel

0,8

0,9

1

114

METHODES, MESURIiS

Standardiser, ajuster' : pourquoi etjusqu'oü? I)ans La presentation de taux de rnortalitC ou de morbiditC par catCgorie sociale, les donnCes sont Ic plus souvent siandardisées sur l'age. car I'ãgc est un naturel dont ii laut tenir conipte pour en si Ics rCparl'elIet. II n'y a pas besoin de standardisation sur titions par sont coniparables enire Ics categories sociales. par exemple si les comparaisons sont Iitnitées a une tranche d'üge asset. r&Iuite. comme dans Ic tableau 2 dccc chapitre. La gCnCralisation de l'utilisation de niodèles tels que les modèlcs logistiqucs a comme consé-

qucnce qu'iI est facile dans de nombreuses situations de standardiser ou d'ajuster sur de nombmuses autres variables, par exempte Ia consommation de tahac et d'autres facteurs de risque du problème de sante CtudiC. Pour autant, faut-il ajuster sur ces variables ? II n'y a pas de rCponse systCmatique a cette question le dCveloppement qui suit a. plus modestement, I'objectif de faire coniprendre les enjeux de La question. en commençant par un exemple simple : dans Ic tableau 2, Ic risque de décCder est multipliC par 3,1 pour uric personuic classée dans Ia categoric <<execution > par rapport a un cadre. En ajustant sur Ia consoniniation de tabac. le rapport dcvient 2,7. cest-à-dire que Ic risque de décCder d'un salariC de l'exCcution esi 2,7 fais celui d'un cadre qui aurait Ia même consomniation de tahac. En ajustant ainsi sur Ia consommation de tabac,on s'Cloigne d'un objcctifde description des inCgalitCs de mortalité, mais on repomid a Ia question

suivante: les differences ohservCes entre groupes sociaux ont-elles partiellement ou coniplCtement pour origine des differences de consommation de tabac. celle-ci Ctant par ailleurs un determinant reconnu de Ia mortalitC 1 La rCponse cst ici que I'Ccart entre groupes extremes Se reduit si La consommation de tabac est prise en compte, mais qu'iI subsiste cependant un Ccart important. Autrement dit, uric partie. et title panic seulement. de Ia surmortalitC des ouvriers (plus prCcisCment, de Ia categoric << execution >>) tient a cc quc les ouvricrs ont une plus forte consomrnation de tahac. En disant cela. on passe dune <> ILink ci Phelan. 19951 a uric cause proximale. Ia consommaiion de tahac on Cvite aussi de s'interroger sur le pourquoi des differences sociales a l'Cgard do tahagisme. Rico n'empêcherait d'Ctendre Ia liste des variables d'ajusternent si Ic modèle tient compte des consommutions

d'alcool et de tahac, de l'alimcntation, des antCcédents mCdicaux et d'autres facteurs dc risque, ii est possible quc Ia variable d'appartenance a un groupe social tie soit plus liCe au prohlCme de sante CtudiC. On passe ainsi d'< expliquer>> a << faire disparaItre a force d'explication >. Ce dCplacernent de l'explication. du domaine social a domaine biomCdical ci relevant du comportement. est souveni liC a des preoccupations en termes d'inter-

vention, car Ics variables intermCdiaires identifiCes sc prétent plus facilement aux interventions. Cependant, les modCles dc pensCc sous-jacents ne sont pas neutres, comme Ic souligneni Ics auteurs du chapitre sur les comporlemenfs (IV.25). Outre < dCplacer l'explication >>. standardiser ou ajuster suppose implicitement que les diffCrences (ici, sociales) soot de mCme amplitude pour toutes les modalités de Ia variable d'ajustemetit, cc qui n'esi pas toujoursjusiihé. Pour cette raison. plulOt quc de standardiser sur Ic sexe, il est, sauf exception, preferable dc prCsentersCparerneni les rCsultais pour les hommes et pour Ies femmes (voir Ic chapitre lV.23). En conclusion : dans Ic domaine des inCgalitCs de sante, ajuster sur l'âge est raisonnable, ajuster sur Ic sexe est rarenlent justillC: en cc qui concerne d'autres variables, Ic pourquoi de l'ajusternent doit Ctre explicitC.

Standardiser est plus utilisé quwid eM plus couramment utilisé quand de nombreuses variables soul prises en compte dans tin I. Standardiser cc ajuster out scnsiblememu Ic metric semis.

Iobjcctif est de dCcrire ou de comparer plusieurs populations. • Ajusier

QUANTIFIER LES INEGALITES

115

Les volontaires sont classes en trois groupes, cadre, maItrise et execution,

selon le niveau de revenu. Le fait que les groupes soient de tailIe diffdrente permet d'illustrer l'intérêt d'une approche <<en percentiles>>: la part des effectifs dans les groupes cadre, maltrise et execution, donnée dans le tableau 2, se retrouve dans Ia figure 1, sont representés les taux de mortalité. Chaque groupe social est represente par un rectangle dont Ia largeur est proportionnelle a son importance relative dans Ia population, et par une étoile dont l'ordonnée est le taux de mortalité, et dont l'abscisse indique Ia situation sociale relative. Ainsi l'abscisse du point << cadre est 0,315/2 = 0,175. Les cadres representant les 31,5 % les plus favorisés, un cadre se situerait, en moyenne, a 0,175 sur une échelle sociale allant de 0 (le plus favorisé) a 1 (le plus défavorisé). L'abscisse du point <<maItrise>> est 0,3 15 + (0,539/2) = 0,58. En effet, pour un salané appartenant a Ia catégorie <<maItrise >>, en moyenne Ia part des salaries situés >>

plus haut que lui sur I'écheHe sociale est 0,315 (soit tous les cadres) plus Ia moitié des autres salaries de Ia même catégorie (soit 0,539/2). En quoi cette approche << en percentiles >> est-efle intéressante ? Supposons par exemple que I'objectif soit de comparer l'ampleur des inegalités sociales entre la France, oCi les données sont disponibles par PCS, et Ia Grande-Bretagne, 1' mdicateur de situation sociale est Ia social class en cinq categories. Une premiere solution est de se limiter a des sous-groupes comparables du point de vue tant du contenu que de l'importance relative dans la population. II est ainsi possible de comparer Ia surmortalité des travailleurs non qualifies par rapport a l'ensemble de Ia population, en se fondant sur les ouvriers non qualifies en France et la social class V en Grande-Bretagne [Leclerc et Lert, 1989]. Une autre solution est de se ramener a Ia même classification ; Ia grille Erikson-Goldthorpe, présentée dans le chapitre << Le repérage de Ia situation sociale >>, a été élaborée specifiquement pour permettre des comparaisons entre pays [Kunst, 1997]. Une dernière façon de proceder est d'effectuer une transformation en percen-

tiles, en classant les categories sociales selon un ordre défini a priori ou en fonction de Ia dimension de sante étudiée [Wagstaff, .1991 ; Leclerc et alii, 1990]. QUANTIFIER LES INEGALITES

Le tableau 3 synthétise les principales approches de Ia quantification des inégalités, en tenant compte simultanément des deux dimensions évoquées précédemment: choix d'une mesure de Ia situation sociale (en ligne), choix d'une mesure du lien entre situation sociale et sante (en colonne).

En ligne, les trois options sont: variable en classes (par exemple, PCS); variable quantitative sans transformation (par exemple, revenu ou nombre d'années d'études); transformation en percentiles (mesure relative de la situation sociale). Les colonnes 1, 2 et 3 font référence aux trois options mdiquées en debut de chapitre: mesurer un lien a partir de differences (ou de

1l6

ME.SURES

modèles additifs), de rapports (ou de modèles multiplicatifs), et de difference relatives, ces trois approches se prêtant une niodélisation. La quantification par modélisation est id privilégiée ; en effet, modéliser, c'est-à-dire representer de façon simplifiée une situation réelle complexe, est utile des que I'on s'éloigne des situations les plus simples. Modéliser permet aussi de tenir compte de determinants de Ia mortal ité, autres que Ia situation sociale. Dans les différentes cases du tableau 3 sont classes les noms de méthodes ou d'approches classiques, et des rCférences a des articles donnant des résultats bases sur l'approche en question. Tableau 3

Différentes approches de Ia quantification des inégalités Quantification du lien

"N

1 Naveclasanté Dilférence, rnodèle "N

additif

Mesure Ia position

2

3

Rapport, niodèles niultiplicatifs

l)i ITérence relative,

Ratios

•

Variable en classes

(exemple: PCS)

.

Risque en excès

Variable quantitative (exemple : nombre

Modèles additifs

d'années d'études)

.

Modeles multiplicalils . (rnodcle logistiquc...) Modèlcs multiplicatils Modèle de Cox

.

l)illerence relative

Modèles additifs

logistique

Pente .

Situation relative, en . percentiles

rnodèle additif

IPainuk, 19S51 •

Indice relatit Yinégalité RIl' (Mackenbach ci Kunst, 1997 Kunsi

,.., .

Indice ielatil d inegalite Rh'

IPamuk, 1985] et Mackenhach, 1994) . Modele additit portant Modele additil portant . Modeles multiplicatits . sur les taux . . sur les taux rapportes .

..

(modeles de Poisson...) .

Modèle logistique

au taux rnoyen

1. I.e mêine terme (RH) a éié uti)isë dalis deux sens difféxnis par difl&tuts auteurs.

Les trois approches présentees daris Ia dernière ligne, qui sont a Ia fois les moms courantes d'utiiisation et les meilleures dans de nombreuses situations, sont illustrCes a partir des données du tableau 2 et de Ia figure 1. L'objectif est de modéliser au mieux, par une droite ou une courbe, l'évolution des taux de mortalité représentés stir Ia figure par les trois étoiles ayantcomnie abscisse Ia position sociale moyenne du groupe et comnie ordonnée le taux de mortalité. Les modèles utilisés sont un modèie linéaire avec ajustement des moindres carrés et pondération des trois groupes par les effectifs, pour l'approche additive ; un modèle de Poisson pour l'approche multiplicative (procedure GENMOD de S AS). 1

QUANT1FtER LES INEGALITES

117

Sur Ia figure 1 sont indiqués les résultats des deux modèles: une droite, correspondant au modèle linéaire (<< modèle additif >>), et une courbe conespendant au modèle multiplicatif (<< modèle de Poisson >>).

Le niodèle additif s'dcnt:

(I)

taux — taux moyen

I

=

a

[percentile — 0,5]

Le percentile vane de 0, très favonisé, a 1, très défavorisé. Pour une situation moyenne (percentile = 0,5) le taux de mortalité donné par le modèle est le taux moyen, ici 17,4 pour 1 000 (tableau 2). Le paramètre a, ici egal a 1,45, quantifie l'importance des inegalites.

Selon ce modèle, a toute variation d'un ddcile, c'est-à-dire de 0,10 dans l'échelle sociale, correspond une variation du rapport taux/taux moyen de : a/10, ici 0,145, et une variation du taux de: [taux moyen} x [a/10], ici 17,4 pour 1 000 x 0,145, soit 2,5 pour 1 000. Les taux de mortalité donnés par ce modèle vont de 4,8 pour 1 000, pour les plus favorisés, a 30 pour 1 000 pour les plus défavorisés. Le modèle (I) peut étre vu de deux facons: comme un modèle additif portant sur les taux rapportés au

taux moyen (ce qui correspond a la colonne 3 du tableau 3), ou comme un modèle additif portant sur les taux (colonne 1 du tableau 3). Le modèle multiplicatif, correspondant a Ia colonne 2 du tableau 3, s'écrit: (2)

Taux = b

Le paramètre b est l'estimation, donnée par le modèle, du taux pour les plus favonisés (percentile = 0). Selon ce modèle, pour toute augmentation d'un décile

dans l'échelle sociale, le taux est multiplié par c0"0. Ici le modèle donne b = 7,6 pour 1 000, et c = 4,49. Pour toute augmentation d'un décile sur l'échelle sociale, le taux est multiplié par 1,16. Selon ce modèle, les taux de mortalité vont de 7,6 pour 1 000, pour les plus favonisés, a 34 pour 1 000 pour les plus défavorisds, soit un rapport de 4,49 (on retrouve ici une interpretation simple dii parametre c). Modéliser les données du tableau 2, comme indique ci-dessus, peut paraItre

excessivement compliqué dans une situation oü, comme ici, le nombre de groupes a comparer est limité et oü les données sont simples. De plus, il serait préférable, dans cet exemple, d'établir le calcul sur l'importance relative de chaque groupe social dans Ia population de l'entreprise, et non sur son importance dans l'échantillon. Ces niodèles sent utilisés en général pour des données plus complexes. Le point important a retenir est que diffdrents modèles peuvent être mis en ceuvre, et qu'ils correspondent a des hypotheses diffdrentes : avec un modèle additif, pour toute variation d'un décile sur l'échelle sociale, le taux de mortalité est augmente ou diminué d'une quantité constante, quelle que soit Ia zone de l'échelle sociale oii l'on se situe. Avec un modèle multiplicatif, pour

118

MESURES

toute variation d'un déciie sur l'échelle sociale, Ic taux est multiplié par tine constante.

QUANTIFIER LES INEGALITES: QUELLE APPROCI-IE PRIVILEGIER?

L'exarnen du tableau 3 ainsi que Ia lecture d'articles surle sujet peuvent faire penser qu'un vaste choix d'approches est possible. Cela est partiellenient vrai. Le sujet est trop complexe pour qu'il soit possible de dégager des <meilleurs choix Sans chercher a être exhaustive, Ia discussion qui suit privilégie deux questions : celle de Ia préférence pour une mesure relative de Ia situaiion sociale et celle du choix entre approche descriptive (telle que celle présentée dans le tableau 1, et largement illustrée dans les différents chapitres de cet ouvrage) et modélisation. Tenir compte de Ia situation sociale comme une mesure relative avec une approche en percentiles, associée a une modélisation, a grandernent facilité, ces dernières années, les comparaisons entre pays [Kunst et Mackenbach, 1994]. Cependant, une approche en percentiles n'est pas toujours faisable, ni toujours

pertinente. Dans de nombreuses situations, en particulier en épidémiologie, l'échantillon de l'étude n'est aucunernent représentatif de Ia population d'une region ou d'une entreprise (a laquelle une mesure globale de l'inégalitC s'appliquerait), et les positions sociales nioyennes, pour Ia population, ne sont pas disponibles. Par ailleurs, la qUestion du choix d'une mesure absolue ou relative de positionnement sur l'échelle sociale doit toujours être posCe : Ia réponse peut être différente, par exemple, pour Ic revenu une approche en percentiles est courante)et pour le niveau d'études : garderl'information surle niveau d'études (prirnaire, supérieur) peut être prCféré tani qu'il n'y a pas de comparaison avec

un autre pays ou une autre période de tenips, et tant que l'objectif n'est pas d'obtenir tine mesure globale de l'inégalité. Même dans ce derniercas, une variable quantitative telle que le nombre d'années d'études peut être tine bonne alternative a tine mesure relative. Selon Ia variable retenue, cependant, l'inter-

prétation de Ia niesure d'inégalité diffère (par exemple, tine alternative aux modèles présentés dans ce chapitre serait de chercher a répondre au rnieux a Ia question : a quelle diminution du taux de mortalité correspond une année d'étude supplémentaire ?). Privilégier tine approche en percentiles pour mesurer Ia situation sociale n'implique pas pour autant une modélisation : par exemple, le chapitre IV.2 I montre une comparaison des salaires enire les deux extrérnités de l'échelle sociale, quantifle par Ic rapport interdécile, sans qu'il y ait de modelisation. Utiliser un modèle permet de surmonter les difficultés inhérentes a des situations relativernent complexes: soit que les categories sociales soient nombreuses (un rnodèle permet alors de tenir compte au mieux de toutes les données disponibles), soit qu'il faille comparer des pays ou des pCriodes, soit

QUANTIFIER LES INEGALITES

119

Ia comparaison implique Ia pnse en compte d'autres determinants de Ia mortalité. Cependant, modéliser veut dire aussi perdre de ['information. En complement d'une modélisation, une representation graphique, comme ce qui est représente en figure 1, permet de voir si Ia modélisation resume de facon que

satisfaisante I'ensemble des données. A partir du moment oü Ia mesure de Ia situation sociale (absolue ou relative)

a été fixée, et øü le choix d'une modélisation a été retenu ou non, les choix restants doivent être egalement explicités: le plus important est le choix entre des approches le résultat depend du niveau de mortalité (colonne I du I'effet de cc niveau (colonnes 2 et 3 du tableau 3). Le choix entre un modèle additif et un modèle multiplicatif (comme tableau 3) et des approches << gommant

>>

un modèle de Poisson) est illustré par Ia figure 1. Les modèles multiplicatifs, dont le modèle logistique, ont été plus utilisés ces demières années [Kunst et

Mackenbach, 1994; Kunst, 1997], mais les modèles additifs comme les modèles linéaires ont aussi des qualités; en particulier, un modèle linéaire associe a une situation moyenne (percentile = 0,5) le taux de mortalité moyen; ce n'est pas le cas avec un modèle multiplicatif.

Au terme de ce chapitre, il peut être intéressant de revenir sur les deux exemples de controverses présentés antérieurement. Ces controverses auraientdies été dvitées par des meilleurs choix de méthodes? En cc qui concerne Ia discussion sur l'importance des inégalités sociales de mortalité en Suede, les intervenants dans la discussion savent qu'il n'est pas equivalent de parler de difference ou de rapport (ou de difference relative). Pnvilegier l'une ou l'autre mesure est un choix partiellement politique, car l'impact social du message en depend. Pour la France, Ia situation est maiheureusement plus simple: quelle que soit La façon de quantifier les inegalités sociales de mortalité, c'est dans notre pays qu'elles sont les plus grandes, du moms pour Ia mortalité (voir les chapitres 1.3 et 111.9).

Si la polémique sur l'évolution des inégalités sociales en Grande-Bretagne a occupé une place aussi importante dans les années quatre-vingt, c'est que les outils méthodologiques permettant de prendre en compte Ia distribution de la population scion les categories sociales n'étaient pas encore disponibles. C'est Ia question posée alors qui a suscité des réponses methodologiques, issues de domaines tels que Ia demographic, l'économie ou Ia sociologic quantitative [Barbut, 1984; Koskinen, 1988; Pamuk, 1985; Sen, 1973J. Dix ans après, Ia modélisation en epidemiologic s'est beaucoup developpee, et des outils relativement sophistiqués et facilement accessibles au non-spécialiste ont supplanté les approches de Ia décennie quatre-vingt. En consequence, les résultats portant sur les inegalites de sante font Ic plus souvent appel a des modèles quand l'objectif inclut une comparaison entre periodes ou entre populations, ou que différents facteurs de risque sont pris en compte. La contrepartie est que les choix de méthodes sont orientés par les logiciels disponibles.

120

MESURES

un futur proche, d'autres avancées, issues de Ia renconire entre une dernande d'épidéniiologistes ou de spécialistes de sante publique et une réponse Dans

des mCthodologistes, sont prévisibles : par exemple, ii sera de plus en plus facile de prendre en compte des determinants a Ia fois individuels et collectifs [Pearce, 1996 ; Shouls, 1996]. Le point essentiel reste cependant Ia qualité des données: aucune méthode, aussi sophistiquée soit-elle, ne perniet de partir de données de qualité mediocre et d'arriver a des résultats pertinents. REFERENCES I3IBLIOGRAPHIQUES

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8

Qualifier les inégalités Didier Fassin

Les inégalités sont essentiellement pensées dans le langage des chiffres. La plupart des travaux portant sur les disparités sociales, en particulier dans le domaine de Ia sante, sont de nature statistique, qu'ils soient produits par des demographes, des épidémiologistes ou des sociologues. Si Ia contribution des approches quantitatives, tant descriptives qu'explicatives, a l'étude des inéga-

lités ne fait guère de doute, comme en témoigne l'important corpus de recherches sur lequel s'appuie ce livre, l'apport des lectures qualitatives semble plus incertain, ou moms reconnu. Les raisons de cette prééminence du chiffre sont pour partie historiques. C'est parce qu'on a été en mesure d'identifier, a partir de Ia fin du XVme siècle, des écarts dans Ia mortalité entre les territoires ou selon les métiers que I'on a pu remettre en cause l'idée commune d'une egalité devant Ia mort, ou sa variante philosophique attribuant a l'inégalité physique une origine naturelle, pour reprendre les termes de Rousseau. On peut en particulier penser a l'enquête de Louis-René Villermé sur Ia mortalité a Paris, dans laquelle ii récuse successivement les explications des différences observées entre les quartiers par Ia densité et par l'insalubrité avant d'établir une association quantifiable avec Ia pauvreté, mesurée par le taux de non-imposition [Vedrenne-Villeneuve, 19611. En révélant le lien entre le social et le biologique, Ia

statistique a ainsi eu une fonction politique. Fonction que l'on retrouve dans les travaux d'auteurs contemporains de Black [1980], mettant en evidence l'aggravation des inégalités sociales devant Ia mort en Grande-Bretagne, a McCord et Freeman [1990], révélant que le taux de décès des adultes entre vingt-cinq et quarante-quatre ans a Harlem dépassait de six fois celui de Ia population blanche des Etats-Unis, en passant par Desplanques [1984], établissant qu'en France l'espérance de vie des était de neuf ans plus faible que celle des ingénieurs. Que Ia quantification ait ainsi acquis ses lettres de noblesse dans l'appréhension des disparites de sante est un fait au demeurant facilement comprehensible si I'on considère que l'inégalite suppose une hiérarchie et que sa traduction dans les corps nécessite une mesure. La question demeure pourtant: Ia rareté des références aux approches

qualitatives dans ce domaine est-elle simplement un produit historique, lie

124

METH0uEs, MESURES

notamment a l'importance numérique et symbolique des travaux sur Ia mort, ou traduit-elle une difficulté épistémologique particulière, qui ferait de cc type de méthode un outil inapproprié pour apprehender les disparités sociales? Le propos de ce chapitre est de tenter de répondre cette interrogation. Pour cc faire, on s'efforcera de montrer en quoi Ia qualification peut instaurer avec Ia quantification un rapport souvent complCmentaire, parfois contradictoire, niais toujours heuristique. II ne s'agit donc pas d'opposer l'une a l'autre ces deux representations de Ia réalité, non plus que d'établir un quelconque bilan comptable des avantages compares des deux operations. L'ambition est plutôt, dans un champ de recherche largement dominé par des etudes statistiques dont l'intCrêt n'est pas contesté, de repérer des acquis et de suggérer des pistes, a partir de l'analyse de travaux de sciences sociales, singulièrement de sociologic et d'anthropologie. Objectifd'autant plus justiflC que nombre de << quantitativistes spécialistes du domaine cii appellent aujourd'hui a leurs collegues qualitativistes pour approfondircertains aspects ou >>

interpreter certains résultats, Ce qui est toutefois plus problCmatique que leurs écrits

ne Ic laissent entendre. PrCciser les possibilités et les limites de méthodes couramnient utilisées par les sciences sociales apparaIt donc nécessaire. En fait, comme on le verra, il n'est pas de domaine rCservC de l'une ou I'autre approche, mais plutôt une adCquation OU, si l'on veut une propension particulière du qualitatif ou du quantitatif pour apprehender certains niveaux de réalité. Dc surcroIt, ii faut Ic souligner d'emblée, Ia réflexion proposCe ici ne pourra dissocier complètement cc qui procède de I'approche qualitative et cc qui relève de Ia démarche des sciences sociales, tant ii serait artificiel de séparer tes procedures techniques des prCsupposés théoriques qui les sous-tendent. UNE MATIERE DISPERSEE Si Ic theme de Ia différenciation et sa version plus politique, les inégalités, traversent toute l'histoire des sciences sociales, depuis Ia division du travail et

les rapports de production, traités par les fondateurs de ces disciplines, jusqu'aux avatars contemporains de Ia précarité et de l'exclusion, les travaux abordant Ia sante ou, plus largement, le corps, le risque, Ia prevention, Ia maladie, les soins dans cette perspective et avec une grille de lecture qualitative demeurent peu nombreux, portant au derneurant plus sur Ia pauvreté que sur les inégalités [Kosa etalii, 1969], plus sur Ia souffrance que surla sante [Kleinman et a/u, 1997]. La tradition toujours presente de l'economie politique [Singer, 1998] et Ic courant plus recent de i'anthropologie critique [Farmer, 1999] constituent certes des exceptions, auxquel les ii conviendrait d'ajouter des travaux sur

des aspects particuliers, cornme Ic travail [Duclos, 1984] ou la reproduction [Bretin, 199!]. Nombre de données empiriques et d' analyses théoriques que l'on

peut considérer comme parfaitement pertinentes pour Ia comprehension des determinants sociaux des inégalités de sante sont cependant extérieures a Ia

QUALIFIER LES INEGALITES

125

littérature spécialisée sur Ia sante et trouvent place dans d'autres corpus, tels que

Ia sociologie urbaine ou l'anthropologie sociale. Constat qui nous rappeile opportunément que, lorsqu' ii s' agit d' interpreter des inégalités et les mécanismes qui les sous-tendent, c'est un savoir global sur la société qu'il est nécessaire de mobiliser. Telle sera Ia perspective adoptée id et l'on considérera que des observations sociologiques ou anthropologiques portant sur d'autres dimensions du monde social peuvent se révéler éclairantes pour Ia comprehension de Ia production des inégalités de sante. Ainsi l'ouvrage classique de i'école d'ethnologie urbaine francaise [Pétonnet, 1985] livre-t-il des notations fines sur les conditions d'existence, les modes de vie et les événements quotidiens dans des families prolétaires de Ia region parisienne, notations qui ne portent pas explicitement sur Ia sante, mais qui en donnent des

des de comprehension en décrivant le rapport au corps, a i'alimentation, a l'hygiene, a Ia douleur, a Ia maladie, a i'hôpital, a Ia sexualite, a Ia mort dans ces miiieux. L'observation de 1'<< acte de manger >>, par exemple, fait apparaItre Ia

réalité d'un accès irregulier et sélectif aux aliments, susceptible d'expliquer des carences nutritionnelles : <> ; et, a i' inverse, elie révèle le surinvestissement de I'alimentation, pouvant partieliement rendre compte de Ia

fréquence de I'obdsité: <<"II faut manger beaucoup", en compensation des jours anciens et en prevision des jours mauvais, chaque fois que l'occasion se présente ; 'le manque reel et la peur du manque engendrent des rythmes alimentaires en dents de scie que récuse Ia société dominante régulièrement nourrie. >> A travers cette monographie patiemment reconstituée d'une banlieue ordinaire, on comprend mieux que, face aux attraits du marché des biens de consommation, les recommandations de I'éducation pour Ia sante soient de bien peu d'effet: <<us ne résistent pas aux sollicitations de Ia publicité qui leur offre des compensations d'ordre social ; us mettent au contraire leur point d'honneur a se montrer de bons consommateurs adaptes a Ia modemité.>>

De Ia même manière, les confidences des femmes, les commentaires des jeunes, les récits des travailleurs soclaux apportent des données ethnographiques qui restituent les ambiguItes de Ia relation a Ia sexualité et a Ia procreation, a

commencer par l'impossibilite de dissocier ces deux dimensions que les discours de liberation sexuelle et les conseils de planification familiale supposent clairement séparées, en raison notamment du jeu réciproque de demonstration de virjljté des hommes a travers Ia possession et de féminité de leurs compagnes a travers Ia conception: <> En principe mieux informes et plus libres que ne I'étaient leurs parents, les jeunes ne se révèlent pas mieux armés ou moms ignorants <<pour d'obscures raisons qui tiennent de Ia transgression sanctionnée de I'interdit et de

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METHODES, MESURES

I'affirmation de soi, en l'absence d'autres moyens, par Ia puissance sexuelle réservée aux adultes >>. Là encore, on conçoit que Ia résistance a Ia prevention des maladies sexuel-

lement transmissibles traduise des phénomènes plus profonds qu'un simple défautde communicatioftde messages: c< Accuse par sa mere d'avoir "mis une fille enceinte", un jeune rétorque: "Elle l'a voulu, qu'eIle Ic garde"; et de sa attristée par un amour décu, II dit : "C'est ma qui est conne, elle sait bien qu'on les laisse tomber, dIe me voit, elle a pus besoin de s'irnaginerque ça va étre autrenient pour Ces constats, on le devine, iie soin accessibles qu'à partir d'une enquête mêlant entreliens et observation, presence au quotidien et recueil d'anecdotes, relation de confiance avec les enquetes et sensibilité du regard de l'enquêteur. us soul étroiternent lies a l'emploi de techniques qualitatives (voir encadré) et échapperaient en large part aux procedures

de passation de questionnaires, ne serait-ce qu'en raison de Ia gene ou de Ia pudeur que susciteraient les interrogations renvoyant trop directement a Ia pauvreté et a ses consequences les plus personnelles.

Les principales techniques qualitatives Sans sous-estirner l'analyse docunientaire. qui peul constituer une entrée en matière clans Ia recherche ou en représenter Ia panic essentielle. l'approche qualitative met principalement en deux techniques i'entieiicn ci i'observution. L'enireiien : serni-directif. i'aide d'un guide d'eniietien. ou Iihre, en laissant i'enquCté :

s'exprinlcr scion un fit trés iãche. it necucille un discours sur des taiLs ou des clans certains cas. ii est conduit pour pcrmettre Ia réalisation d'uiic hiswire de vie ou d'un récil de inaladie.

L'observation: dans Ia lorme canonique de i'ohservation due participante. une presence tongue est requise et. plutôt qu'une technique strictement dCtinie. c'est une qualité d'attention aux faiLs qui importe cite donne volontiers lieu a des inonograpliies de iieux. teis un village. un quartier, un hôpital. Quelques références rCcentes en français sur ces approches ARB0RIO A.-M., FOURNIER P. (1999), L'Enquêse ci ses ,,,éi/zodes: l'observcition directe, Nathan, Paris. I3EAUt) S.. WEllER F. (1997), Guide de lenquêie de terrain, coil. <'. La Découverte, Paris. CHAMPAGNE P., LIiNOIR R., I)., PINTO L. (1989), Initiation a pralique sociologique. Dunod. Paris. COMI3EssIEJ.-C. (1996), La Méi/zode en sociologic, coil. Repéres >, La DCcouverte. Paris. COPANS J. (1996). L 'Enquêie etltnologtque de terrain. Nathan. Paris. KAUFMANN J.-C. (1996). L'Eniretien Nathan. Paris. PENEFF J. (1997), La Méthode biograp/tique. Armand Cohn, Paris.

Dans Ia perspective d'une étude des inégalitCs sociales, et plus particulièrement de sante, on objectera a cette approche des milieux populaires que, puisqu'il s'agit d'une enquCte dans des populations dCfavorisées, les disparités

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QUALtFIER LES INEGALITES

ne peuvent donc être apprehendees en tant que telles, puisque l'on méconnaIt id les representations et les pratiques des classes moyennes ou aisées. Et ii est vrai qu'à Ia difference des etudes statistiques sur ce theme, qui prennent en general des echantillons larges et représentatifs de Ia population dans son ensemble, les enquêtes qualitatives se limitent le plus souvent a des effectifs peu nombreux et a des unites sociospatiales ne pouvant prétendre a une quelconque représentativité. C'est ace prix que peuvent s'instaurer, souvent dans Ia durée, des conditions d'enquéte permettant un approfondissement de themes complexes, parfois sensibles ou intimes, et autorisant, au bout du compte, une certaine apprehension de Ia manière dont les effets de structure sociale se traduisent dans le quotidien et, plus précisément, dans les corps. Pour autant, l'objection ne peut être aussi aisément ecai-tee. La focalisation du regard sur les << pauvres >>, les précaires >>, les exclus >>, voire les << milieux populaires >> pose en effet un double problème <<

<<

théorique dont les incidences pratiques sont évidentes. D'une part, en concentrant l'observation sur les dominés, on laisse echapper une part importante des processus de domination, au risque même de redecouvrir une culture de Ia pauvreté>> [Lewis, 1969], c'est-à-dire des traits culturels inhérents aux catégories défavorisées dont l'analyse conduit implicitement, et parfois explici-

tement, a rendre celles-ci responsables de leur situation. D'autre part, en prétendant simplement rapporter des representations et des pratiques des classes

populaires, on tend a occulter les presupposes des chercheurs eux-mêmes a partir desquels sont construites ces representations et ces pratiques caracterisant

Ia <<culture du pauvre>> [Hoggart, 1970], tels qu'ils s'expriment dans la complaisance a Ia description des aspects les plus misérabilistes ou, au contraire, dans le regard populiste porte sur les pratiques des groupes defavorises. Sous reserve donc d'une particulière vigilance methodologique, l'approche qualitative telle que l'illustre l'enquete citée offre, par rapport a Ia lecture quan-

titative, ce que I'on pourrait appeler une forme distincte d'intelligence des inegalites sociales de sante. Dans le débat actuel, que beaucoup d'auteurs s'accordent a considérer comme central pour l'analyse des inegalites sociales de sante, entre << circumstances et behaviour>> [Kooiker et Christiansen, 1995], entre <<structure>> et <> [Bartley et alii, 1998], autrement dit entre conditions d'existence et modes de vie — pour le traduire simplement et approximativement —, ne peut-on pas penser qu'une lecture ethnologique comme celle >>

<<

de Colette Pétonnet apporte un eclairage spécifique et complementaire de I'approche statistique ? En particulier, les indications précédemment citées sur le rapport au corps, a l'alimentation, a la sexualité, ne permettraient-elles pas d'affiner le constat fait par Mildred Blaxter [1990], qui, au terme de l'importante enquête britannique Health and Lifestyles, conclut: <<Si les conditions d'existence sont bonnes, les modes de vie semblent avoir une influence forte sur la sante, niais Si elles sont mauvaises, ces derniers ne font guere de difference>>? Au vu des travaux ethnologiques sur les milieux populaires, c'eSt en effet Ia dissociation habituellement operee entre conditions d'existence et modes de vie

128

MESURES

qui apparalt problérnatique là ii s'agirait pluIô de comprendre comment Ia position sociale determine a Iii fois les unes et les autres, tant statistiquement que

sociologiquement. De cette contribution particulière de Ia méthode qualitative, on abordera trois aspects : Ia definition de l'objet des inCgalités de sante, Ia prise en consideration des dynarniques qui les sous-tendentel ladémarche d'interprétation qui en rend compte, en s'appuyant, d'une part, sur Ia littCrature sociologique et anthropologique, d'autm part, sur des etudes de cas extraites de recherches personnelles. Pour chacun de ces trois aspects de Ia recherche sur les inégalités, ii ne s'agira cependant pas de revendiquer I'exclusivité de l'approche qualitative Ia mesure y est toujours possible, sous reserve de respecter certaines prCcaut ions mCthodologiques. L'IMPONDERABLE ET L'INVISIBLE

La reconstitution d'une biographic ou l'observation d'un quartier ont tot fait de révéler des éléments assurément utiles a l'étude des inCgalités, mais qui ne se laissent pourtant guère saisir dans Ia grille d'un questionnaire, aussi sophistiqué

soit-il. Cette part insaisissable, ou tout au moms insaisie, dans les enquetes statistiques, on peut l'anaiyser scion deux categories : cc qui se prête mal a la mesure et que l'on peut designer comme imponderable (ou difficilement chiffrable) ; cc qui passe a priori inapercu et que l'on peut considCrer comme invisible (ou partiellenient occulté). Les techniques qualitatives peuvent donc avoir cette double fonction d' identifier I' inipondérable et de dévoiler I' invisible. II s'agit par consequent d'explorer ce que I 'on decide ou non de faire entrer dans

I'étude des inégalitCs sociales de sante, en particulier cc qui fait partie de Ia sante, d'une part, et cc qui relève du social, de I'autre. Dans son enquête sur une cite ouvrière du nord de Ia France, Olivier Schwartz

[1990] évoque Ia dispute qui survient entre deux couples, lors d'une soiree amicale, a propos de Ia relation adultère quii s'y trouve révClée entre deux des protagonistes. Plus pourtant que cette scene, ce qui retient l'attention, cc sont les violences physiques ci morales qui I'eiitourent et leurs consequences: les deux femmes, note sobrernent le sociologue, chacune raconté qu'iI y avait longtemps qu'elles n'avaient pas éte battues ace point>> ; celle qui a etC trompée recoiL de son man pour seule explication > et, se sentant blessée dans cc ; coups &hangés, uccès dépressifs, tentatives de suicide deviennent pendant plusieurs niois le lot des quatre personnages. Ces corps tourmentés, violentés, humiliCs, quelle place ont-ils dans Ia description habituelle des Ctats de sante ? S'agit-iI d'ailleurs de sante, et dans cc cas, est-elle

physique ou nientale? Au moms peut-on relever que ces manifestations s'expriment dans le langage des symptomes, voire des facteurs de risque, et

129

QUALIFIER LES INEGALITES

donnent lieu a des recours a Ia médecine, et même a des hospitalisations répétées:

ii est donc bien question de sante. De surcroIt, elles apparaissent grandement déterminées par les conditions d'existence et les modes de vie de ces ouvriers locataires de HLM, ce que révèlent Ia reconstitution des quatre biographies tout autant que l'observation de Ia précarite presente : Ia scene a quelque chose a voir avec les inégalitds. Mais n'a-t-on pas pourtant affaire ici a des formes d' indgalités sociales de sante difficilement repérables et a fortiori mesurables? La question doit d'autant plus être posée que, dans les enquêtes epidérniologiques, elle l'est dgalement : d'une part, les frontières de ce qui relève de la sante se trouvent volontiers ddplacées, incluant notamment Ia violence et ses consequences [Wilkinson, 1999], et d'autre part, la prise en compte des dimensions psychosociales devient

l'une des des de lecture des inegalites [Brunner et Marmot, 1999]. Dans le dialogue entre approches qualitative et quantitative, il importe donc de se demander ce qu'il s'agit d'appréhender sous les categories de sante et d'inegalitds, trop vite considérées comme allant de soi.

C'est egalement a une question de delimitation qu'est confronté Serge Paugam [1993] dans son étude sur les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. Ayant constaté que les personnes déclarant avoir des problèmes de sante qui interfèrent avec Ia possibilité d'une reprise du travail sont douze fois plus nombreux que ceux que les institutions médico-sociales reconnaissent comme tels, c'est-à-dire malades ou handicapés, ii montre, a partir d'extraits d'entretiens, comment le chomage produit une <> des personnes qui majore I'appreciation negative de leur sante et les conduit a se declarer << inaptes au travail>> paradoxe, du reste, que cette << inaptitude

>>

(telle

qu'elle est inténorisée par certains bénéficiaires des minima sociaux) dont les employeurs font un usage dans leur selection de Ia main-d'ceuvre (ceux qui sont percus comme << inaptes>> sont écartés du marché de l'emploi), mais a laquelle les institutions n'accordent souvent pas de statut (la plupart de ceux qui se considèrent et sont considérés par leur employeur comme <> ne sont pas reconnus comme tels par les regimes de Ia protection sociale). Plus largement,

c'est Ia condition de chômeur elle-même qui tend a être vécue comme pathogene, voire pathologique. La perte de valeur sociale, signifiée par I' impossible retour a I'emploi salarié, provoque un sentiment de vie inutile : <<Je suis en train de chercher plutôt une situation de fin d'existence >>, declare un ancien artiste peintre âgé de 61 ans ; On fait partie des gens dont on n'a plus besoin >>, constate un ouvrier siderurgiste de 48 ans licencié pour raison économique. Oü faut-il alors tracer Ia frontière entre Ia dévalorisation de soi et Ia <<depression>> si frequemment nommée par les enquêtds? Devant ces manifestations psychiques de Ia precarite, doit-on encore parler de sante? Ne serait-on pas plutôt dans le domaine de l'action sociale, ce qui aurait des incidences theonques aussi bien que pratiques ? La réponse a ces questions est d'autant moms simple que, dans les etudes epidémiologiques récentes, d'une part, Ia dimension subjective est considérée comme une composante essentielle de l'appréhension de Ia sante [AIach <<

130

MESURES

et Curtis, 1990], et d'autre part, Ia niortalité apparaIt déteimiiiée de manière decisive pardes facteurs tels que l'estime de soi ou le sens de la coherence [Elstad, 19981. Là encore, Ia confrontation des approches qualitative et quantitative passe par I'exarnen de données empiriques, mais suppose également des choix theoriques sur les faits qu'il s'agit d'appréhender et sur Ia facon de les interpreter. D'une manière plus gCnérale, si par Ia reconstitution des histoires de vie ou des récits de maladie, nials aussi par I'observation de fails qul ne trouvent pus droit de cite dans les discours, les procedures anthropologiques ott sociologiques permettent souvent rnieux que les techniques statistiques de repérer des manifestations aux conlins du pathologique les conditions sociales trouvent leur expression, ii n'en demeure pus moms qu'elles ne peuvent pas plus se dispenser de decisions préalables sur ce qui relève de ía sante et sur cc que signifient des inCgalités. Decisions qul sont

politiques autant que scientifiques. Ainsi Ia tendance contemporairie au traitement sanitaire de Ia question sociale et a l'absorption des disparitCs dans Ic theme de I'exclusion, dont Ia forme Ia plus aboutie consiste a designer sous I'expression de toutes les expressions conteniporaines de Ia <misère du monde >>, mérite-t-elIe tin rCexarnen critique [Fassin, 1998]. Si I'attention portée a l'expérience des < sujets >> enrichit les lectures par trop objectivantes de nombre de travaux statistiques, I'extension indéfinie du domaine de Ia sante peut conduire en retour a une reduction du social qui pose des questions non seulement théoriques, mais aussi pour l'action. Le problCrne de Ia definition de l'objet concerne d'ailleurs tout autant cc que l'on ne salt pas — ou que l'on ne veut pus — voir. Sur cc plan, les traditions oti les habitudes intellectuelles pèsent stir les sciences sociales conime sur les disciplines

biologiques et déterrninent I'approche qualitative comrne Ia démarche quantitative. Toutefois, deux facteurs contribuent a rendre les sciences sociales et l'approche qualitative plus sensibles ala question de I' invisibilité de certains faits. D'une part, l'irnportance accordée en sciences sociales a l'élaboration des objets de Ia recherche implique un regard critique surla rCalité sociale et sa construction:

les métiers de sociologue et d'anthropologue trouvent là un exercice acadérniquement déuini et valorisé. D'autre part, les techniques qualitatives apparaissent mieux disposées a saisir des Clëments qui n'étaient pas dans leurs plans initiaux observer une scene ou niener tin entretien libre tie supposent pas tine delimitation stricte des categories et des procedures a priori comme dans tine enquête épidC-

miologique. Pour autant, bien entendu, aucune discipline ou méthode n'a l'apanage de Ia selection de cc qu'elle est capable de voir et de (re)connaItre.

Une illustration particulièrenient signiticative de cette cécité selective de Ia recherche concerne, en France, I'imniigration et, plus gCneralement, les inCgaIités de sante Iiées aux origines, qu'elles soient nationales ou ethniques. Cécité

qui n'est que Ia traduction dans Ic monde scientifique d'une occultation plus globale qu'opère Ia société, conime I'a montré Abdelmalek Sayad [1999]. Ses enquêtes parmi les immigrCs algériens menent pourtant en evidence les effets complexes, sur Ia sante physique et mentale, de I'exil et de Ia solitude, des

QUALIFIER LES INEGALITES

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conditions et des relations de travail, des lieux et des modes de logement, des doubles appartenances et des référents mêlés, des mépns et des rejets de Ia société dite d'accueil. Ces effets, hâtivement répertoriés dans La rubrique des <<sinistroses>> par les médecins du travail a une époque oil les immigrés étaient

essentiellement des travailleurs, et récemment réappropriés par les ethnopsychiatres dans des categories souvent plus exotiques, ne sont toutefois abordés qu'a travers de rares biographies ou monographies. Les statistiques n'en font guère état et les variables concemant la nationalité ou l'origine ne sont pas plus incluses dans les etudes sur les inégalités de sante [Bouvier-Colle et alii, 1990] que dans les syntheses sur l'état sanitaire du pays [Haut Comité de Ia sante publique, 19941. Seules quelques etudes incluent Ia nationalité ou Ic pays de naissance, aucune l'origine immigree, qui constitue pourtant l'une des composantes du statut social. Ainsi, non mesuree, cette réalité n'existe-t-elle pas scientifiquement.

La contribution de l'anthropologie a l'étude de cette problematique, qui lui est évidemment familière, peut se situer a trois niveaux [Fassin, 1999]. Elle peut

tout d'abord analyser les raisons historiques des difficultés particulières qu'éprouvent Ia société et Ia recherche francaises a traiter de Ia question cette forme d' inegalité, réfutée dans les principes au nom de I' ideologie républicaine, se trouve du même coup puissamment refoulée dans I'interpretation des faits; énoncer Ia realite et, afortiori, en donner une lecture quantifiée reviendraient a faire exister ce dont on ne veut legitimement pas ; tout se passe cornme si les enquêtes produisaient Ia réalité lorsqu'elles ne font que la reproduire ; analyser cette illusion peut donc aider a Ia dépasser. II s'agit ensuite de differencier les deux processus de production de ces inégalités : d'une part, La concentration sur ces categories étrangères ou immigrées de mécanismes communs a l'ensemble

de Ia societe (précarisation économique, segregation spatiale), mais qui les affectent statistiquement plus que le reste de Ia population ; d'autre part, l'implication de mécanismes qui leur sont particuliers (discrimination raciale, vulnérabilité juridique) et qui les affectent precisement en tant qu'elles sont constituées d'immigres ou d'etrangers ; les deux phénomenes ne sont évidemment pas inde-

pendants, se renforcent le plus souvent (sur le marché de I'emploi ou du logement, Ia discrimination devient ainsi un facteur de precarisation et de segregation) et combinent géneralement leurs consequences negatives sur la sante (par le chomage et l'isolement, notamment), encore qu'on ne doive pas sousestimer les dimensions positives de l'appartenance culturelle. LI faut

enfin analyser les systèmes d'interprétation par lesquels on rend compte des inégalités: Ia recherche dans cc domaine se trouve en effet sous Ia pression, notamment dans les pays anglo-saxons, d'un double modèle explicatif, I'un qui > Ia race (Ia quete de caracteristiques biologiques singularisant les populations noires demeure a i'ordre dujour), l'autre qui << culturalise Ia diffe>>

rence (I'identification de traits culturels sert alors de causalité en demière instance) ; les enqu&es qualitatives permettent de montrer comment ces deux niodèles non seulement masquent Ia réalité, mais également servent a legitimer

132

les

METHODES, MESURES

inégalités en les rapportant a des traits biologiques ou culturels, qui

échappent a l'action de Ia société; a ces interpretations, elles opposent l'étude des mécanismes sociaux qui, selon les situations, font de Ia nationalité, de Ia naissance ou de l'origine des sources de disparités face a Ia sante. Cette triple analyse critique — des obstacles, des processus et des interprétations — pourrait en retour autoriser des travaux epidéniiologiques prenant en compte ces variables sans les isoler ni les réiiier [Nazroo, 19981. Saris les isoler, c'est-à-dire sans les sCparer des autres variables pertinentes (revenus, education,

sexe, etc.). Sans les réifier, c'est-à-dire sans leur donner un contenu en substance, mais en les apprdhendant de manière relationnelle (l'origine ethnique n'existe pas en soi, niais comme construction dans des logiques de discrimination ou d'identification). Ces travaux sont particulièrement nécessaires si l'on

considère qu'une telle démarche a par exeniple permis, aux Etats-Unis, de nlettre en evidence Ia baisse d'espérance de vie des Noirs dans les années quatre-vingt, alors que cet indicateur progressail pour les Blancs [Kochanek el cdii, 1994]. La méconnaissance du role des facteurs lies a l'immigration — y compris pour les gCnérations suivantes — dans Ia production des inegalités sociales de sante deviendrait difficile a justifier dans un contexte les disparites et les discriminations a l'école, dans Ic travail et face au logement sont de mieux en mieux connues et de plus en plus ddbauues. PROCESS US ET MECANISMES

Options méthodologiques et choix theoriques sont tout autant associés lorsque l'on considère Ia façon de trailer Ic lien entre Ic social et Ia sante. Etudierles inégalités sociales de sante suppose en effet des hypotheses, certaines prCsentées expli-

citement, d'autres derneurant implicites, sur le type de relation entre les faits soclaux et les phénornènes de sante. On peut schdmatiquement opposer a cet dgard les reprdsentat ions et les procedures mises en par Ies disciplines statistiques et par les sciences sociales, et dans une certaine mesure, en l'occurrence, par les approches quantitatives des premieres et qualitatives des secondes. Dans Ia dCmarche epidérniologique, les faits sociaux sont traités comme des variables explicatives dont on examine l'association ou Ia correlation a des faits de sante. Le raisonnement porte sur des probabilités mathématiques, c'est-à-dire sur une éventualité mesurable que les relations constatées iie soient pas dues au

seul hasard. Scion cette démarche, Ic monde social est représenté comme une collection d'individus lies entre eux lar des chaInes statistiques et interchangeabies pour une qualite considCrCe (tous les ouvriers sont identiques dans Ic calcul et les seules differences entre eux sont Ic fait d'autres variables que l'on mesure, mais qui permettent au bout du compte de les regrouper dans des sousensembles homogènes, par exemple des ouvriers qui ont une voiture ou sont propriétaires de leur maison). Quant aux variables qui leur sont affectées et que

QUALIFIER LES INEGALITES

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l'on désigne généralement sous l'expression de facteurs sociaux, parfois représentés comme facteurs culturels ou facteurs structurels, ce sont des attributs qui leur sont simplement attaches de manière statique et univoque (le fait d'avoir des revenus au-dessous d'un certain seuil ou celui d'avoir des contacts avec un nombre donné de personnes sont des representations de Ia pauvreté absolue ou

du capital social qui définissent des groupes de qualite identique indépendamment des significations différentes d'une même qualité pour des personnes distinctes ou des contextes varies). Pour les sciences sociales, en revanche, ii s'agit d'appréhender des processus par lesquels le social s' inscrit dans les corps. Le raisonnement porte sur une proba-

bilité sociologique, c'est-à-dire sur une éventualité raisonnable que les faits observes soient lies entre eux par des enchaInements et des mécanismes. Selon cette démarche, le monde social est représente comme un espace de relations dans lequel s'inscrivent les experiences individuelles. Si les théones des sociologues et des anthropologues sont loin d'être consensuelles sur ce point, allant de modèles

individualistes, au centre desquels chaque agent est pose comme un acteur rationnel, a des interpretations holistes, selon lesquelles Ia societe prime sur les individus, nombre de travaux s'efforcent de penser une <<societe d'individus pour reprendre l'expression de Norbert Elias, autrement dit d'appréhender de manière relationnelle le monde social. Ce qui suppose que les qualites affectées aux individus soient a Ia fois construites, dynamiques et contextualisees: construites, car un attribut donne ne prend sens qu'en fonction de Ia signification sociale qui lui est accordee ; dynamiques, car Ia position occupee se situe dans une trajectoire ; contextualisees, car une categorie professionnelle ne correspond pas a Ia même realite aujourd'hui qu'il y a trente ans. Autrement dit, on a, d'un cote, des facteurs, des associations et des correlations, autrement dit des interpretations du lien entre social et sante en termes de causalité probabiliste, et de l'autre, des enchaInements, des processus et des mécanismes, autrement dit des interpretations du lien entre social et sante en termes de determinations sociologiques. Techniques quantitatives et qualitatives constituent ici de fortes contraintes qui pèsent sur les possibilités de construction et d'interpretation de ce lien. Prenons un exemple. Dans Ia biographie rapportée ici (encadre), ce sont des circonstances a Ia fois individuelles (I'emigration qui entraIne une déqualification professionnelle et résidentielle) et collectives (Ia restructuration de son secteur d'activite a laquelle il refuse de se soumettre) qui conduisent un homme de famille aisée a se retrouver sans ressources et sans protection sociale, seul avec sa femme et son fils dans une cite de relegation, au moment Ia maladie apparalt. Ces événements s'inscrivent toutefois dans des logiques structurelles tant des rapports intema-

tionaux (avec, en corollaire, Ia perception d'une absence d'avenir dans son pays d'origine et l'attraction exercée par Ia société francaise) que sur Ia scene locale (ségrégation des populations immigrees, flexibilisation des conditions de travail). Autrement dit, les logiques macrosociales (transformations des rapports économiques) se retrouvent a l'ceuvre dans les faits microsociaux (Ia trajectoire

134

MESURES

d'un individu). Dans ce contexte, le retard au diagnostic est présenté comme Ia consequence de Ia perte de l'emploi, dans Ia mesure sans couverture descendante

sociale, ii declare avoir reculé de plusieurs niois I'échéance de Ia consultation, et ce mêrne si l'on peut penserque d'autres éléments, plus subjectifs, comme Ia crainte de ce que les médecins pouvaient être amenés a découvrir, ont Pu jouer égalernent. La rnisère économique et morale de Ia fin de vie, qui, au-delà des restrictions médicanienteuses et alimentaires qu'elle eniraIne, ajoute un isolement pathétique, apparaIt comme le résultat d'un processus presque ineluctable de descente dans Ia précarité. Logiques tie Ia précarisation et consequences sur Ia sante Age de 45 anS, I'Iiomme esi aUcint d'un cancer du cavum (losses nasales postCrieures). l)'origine algCrienne, ii vient d'une faniille aisCe. AprCs des etudes supCrieures, ii decide

d'Cmigrer vets Ia France

ii Cpouse unc jeune femme comme iui algCrienne, mais installCe de longue date dans Ia legion parisienne. Son diplôme n'Ciant pas reconnu par les autoritCs lrançaises. ii doit accepter un dCclassemeut prolessionnel ci dcvient reprCsentant en Clectroménager. Le couple vii dans I'une des grandes cites de banlicue considCrCcs parmi les quartiers en difficultC. Lorsquc des restruclurations dans l'entreprise intervienneni, l'honime est invite a travailler dans un centre commercial siiué 'a deux heures de trajel de chez lui, cc qu'il refuse. II est alors licenciC, ne retrouve pas d'emploi ci survit quelqucs mois grace 'a ses indemnitCs de chomage. A l'interruption de celles-ci, ii se irouve sans ressources ci, son dossier d'aide mCdicale tardani a Cire constituC, sans protection sociale. S'étant dCcouvert un ganglion dans Ic cou. ii tie consulte pas. Alors que des douleurs apparaissent et qu'un amaigrissemcnt Se produit. il continue de surseoir. II attend que sa femnie, qui vient d'obtenir un emploi d'aide-soignante, lui fasse hCnCficier de son assurance maladie. Quand il se decide 'a aller 'a l'hôpiial, six mois se soni CcoulCs depuis les premiers syrnptômes. La biopsie rCvCle un cancer 'a un stade déjà avancC, dont l'Cvoluiion Cchappe rapidement 'a Ia chimiothCrapie ci 'a Ia radiothCrapie qui lui soni adminisirCes. I)e retour chez

lui aprCs les iraitenienis, ii est bientôt imp faible et irop aniaigri pour se lever seul. Les douleurs provoquCes par Ia maladie ci aggravCes par les rayons rendent nCcessaires Ia prescription de neuroleptiques puis de morphine. Pour s'occuper de Iui, sa femme, 'a qui une aide 'a domicile a etC doit arrêter de travailler. Le revenu minimum d'insertion et l'aide personnalisCc au logement leur laissent, une lois décompté Ic moniani du Ioyer, I 500 francs pour vivre avec leur enfani de quatre ans. l3ien que Ics soins soient gratuits dans Ic cadre de Ia prise en charge 'a 100 % de Ia maladie. de nombreux produits ne soni pas inclus dans ceue mesure : les dCsinfeciants ci pommades pour les escarres soni, de mCme que les couches rendues nCcessaires par une incontinence partielle. considCrCs comme mCdicamenis de confort > : compte tenu du budget familial. ils ne sont donc pas achetCs : mCme Ia manque frCquemment. Si Iui esi loin de sa famille, dIe a. en revanche. ses ci quelques amies. mais Ia maladie les a isolCs de leur entourage. dont ils ne rcçoivcnt pas d'aide.

L)ans Ic huis cbs du petit trois pièces d'une tour de quinze Ctages. l'homme. qui pCse une trentaine de kilos. ne peut plus regarder Ia tClCvision (car Ia tumeur a envahi l'orbite) ci se contente d'Ccouter Ia radio: Ia femme ne son quasiment plus de chez dIe depuis six mois que son man esi devenu grahataire : leur fils. en proic 'ad' incessanis cauchemars. a des difficultCs d'apprentissage 'a l'Ccole. I)'aprCs : FASsIN I).. AIACH I'.. PHILIPPE C. (1996). Les Lj3'eis sociaux des maladies grates. Processus de dqjfrrenciaiio:i ci d inegalise. rapport de recherche MIRE-INSEE, Bobigny. ISO p. + annexes.

QUALIFIER LES tNEGALITES

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termes d'inégaiités de sante, ii s'agit assurément plus d'un problème de qualite de vie que de quantité de survie, encore que l'on ignore les effets du diagnostic retardé, des médicaments pas achetés, de la nourriture insuffisante, de l'état de profond découragement Ces enchalnements, bnèvement reconstitués dans ce résumé d'un récit bien En

plus riche, ne sont perceptibles que dans le cours d'une histoire qui entremêle les événements personnels (immigration, manage, licenciement, maladie) et les faits sociaux (l'évolution de l'organisation du travail le rend vulnerable a un moment oü l'évolution de la protection sociale ne s'est pas adaptec ala situation nouvelle, et ii se trouve en fin de droits alors que le revenu minimum d'insertion n'est pas encore instauré). On comprend que ces mécanismes complexes ne soient accessibles qu'à une approche qualitative mettant en perspective les biographies et leur contexte, de façon a répondre a l'enjeu scientifique central que constitue, pour les auteurs d'une récente synthèse sur les inégalités sociales de sante [Bartley et alii, 1998], l'articulation entre les observations microsociales et les constats macroso-

ciaux. La mise en evidence des mécanismes a ici une valeur demonstrative générale, mais Ia singularité du récit (quels sont les effets différentiels de l'ongine immigrée, de Ia position sociale, de Ia trajectoire descendante, de I'environnement urbain dans le cours de son histoire et singulièrement dans le develop-

pement de sa maladie, nul ne saurait s'aventurer a le dire) n'autorise pas a en inférer Ia fréquence des phénomènes ou Ia regularité des enchaInements décrits, qui relèvent plutôt de l'exercice statistique: plutôt que de probabilite, on peut

parler de plausibilité. La preuve administrée qualitativement s'arrête là commence celle produite quantitativement — et réciproquement si l'on considère que de telles observations permettent de mieux comprendre les processus et les mécanismes.

Les processus qu'étudient les sciences sociales se situent ainsi a deux niveaux d'apprehension: I'un, macrosocial, qui met en relation les structures sociales et les faits collectifs de sante ; l'autre, microsocial, qui fait correspondre

les positions sociales et les faits individuels de sante. Les épidémiologistes, comme les économistes au demeurant, s'intéressent de plus en plus a ce double niveau adjoignant a leurs variables individuelles (Ia categorie professionnelle, le niveau de ressources, etc.) des variables collectives (par exemple, Ia distribution de Ia richesse au sein de Ia société, permettant de comparer des pays entre eux, comme l'a fait Amartya Sen avant Richard Wilkinson). Mais I'anthropologie et Ia sociologie, la psychanalyse egalement, sont peut-être mieux armées pour saisir le lien entre les deux niveaux, c'est-à-dire l'inscription de l'ordre social dans les corps ou ce que l'on peut encore appeler l'incorporation de l'inegalite [Fassin, 19961. Deux concepts peuvent servir d'illustration a l'effort consacré par ces disciplines pour explorer ce lien : celui d'ideologie defensive et celui d'habitus. Le concept d'idéologie defensive de métier [Dejours, 1993] a été développe pour rendre compte de l'intériorisation par les travailleurs des contraintes et des

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MESURES

risques de leur métier ou, plus précisément, pour analyser l'économie psychique qu'ils développent face a Ia souffrance engendrée par l'organisation de leur travail, en termes de répétition, de fatigue, de peur. II s'agissait au depart, pour Christophe Dejours, de comprendre le silence et Ia gene provoqués, dans les milieux populaires, par les événements lies au corps, maladie ou grossesse, conduisant a les négliger ou mênie a les dissimuler. On montrait comment les mécanisnies psychiques de negation des symptôrnes visaient a refouler l'anxiété liée a Ia perspective de I'arrét de travail et de Ia perte d'eniploi. S'il a surtout été dCveloppé autour des activités sur les chaInes de montage, qui correspondent a

une conception taylorienne classique, le modèle a ensuite été étendu a l'ensenible de Ia psychodynamique du travail pour rendre compte des attitudes face au danger, a l'autorité, au corps ci pour apprehender, au-delà de Ia question de I'anxiété, Ia mise en de savoir-faire coilectifs permettant de faire front face a ces menaces. La situation économique actue lie, caractérisCe a Ia fois par une flexibilisation dii travail et une precarisation de l'emploi, rend particulièrement pertinentes ces analyses qui permettent de coniprendre l'acceptation, au prix de consequences parfois graves sur Ia sauté physique et mentale, d'exigences et de risques élevés, mais aussi, et de maniCre plus directe, l'inipossibilitC, pour des travailleurs fragilisCs ci isolés, de maintenir les modalitCs collectives qui leur permettaient de faire face aux menaces et aux contraintes [Thébaud-Mony, 1997]. L'idéologie defensive sen ainsi, dans une perspective psychanalytique, d'instrument permettant d'apprChender Ia relation entre les transformations de I'économie mondiale et l'état de sauté de Ia population, a condition de Ia comprendre a Ia fois comme une apprehension subjective du danger encouru et comme une rCponse objective aux risques du métier, tous éléments que les bouleversements structurels et organisationnels (sous-

traitance, flexibilité) du monde du travail actuel ont en partie défaits. Pour autant, comme toute interpretation psychanalytique, elle court le risque d'une description tautologique (le detour par I'inconscient n'est pas nécessaire pour expliquer I'acceptation de contraintes supérieures sur un marché de I'emploi en contraction) et d'une surdétermination mécanique (ramenant Ia complexité des conduites, face au risque notamment, a une explication unique et simple). Le concept d'habitus [Bourdieu, 1979] a été repris dans une tradition philo-

sophique cherchant a rendre compte des <> des individus et propose pour rendre compte de Ia relation entre les <> et les <<styles de vie >>, pour parler comme les épidCmioiogistes, ou entre structures pratiques >, pour s'exprimer comme les sociologues. et Beaucoup plus qu'un simple lien de nature socio-Cconomique, c'est un rapport <

complexe de type socioculturel qui explique Ia manière dont Ia catégorie a laquelle on appartient determine des conduites sociales. Par exemple, explique Ia nourriture consomniCe soit lourde, grasse, faisant grossir et bon marché ne résulte pas

Pierre Bourdieu, le fait que, dans les milieux populaires,

seulement de contraintes financières mais, de facon plus subtile, d'une

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137

préférence socialement déterminée: dans ce cas, en effet, le gout étant <, ce n'est pas uniquement par manque d'argent que Ia

consommation s'oriente vers ces produits, mais plus fondamentalement parce que < les agents ont le gout ace a quoi us sont de toute facon condamnés >. Ainsi peut-on interpreter les choix en matière d'alimentation, que l'on pourraitétendre a Ia consommation de tabac ou d'alcool : <> ; ii y va d'un certain sens de Ia convivialité et de l'existence. D'oü Ia prégnance de l'habitus, sa permanence même dans la mobilité sociale, qui explique que des individus d'origine modeste dont les conditions d'existence se sont améliorées conservent, dans ces domaines très profondément incorporés, les mêmes representations et les mêmes pratiques. Les dispositions sociales que décrit l'habitus sont donc déterminées par les conditions d'existence (l'environnement materiel) et déterminent a leur tour des styles de vie (les conduites favorabIes ou défavorables a Ia sante, en l'occurrence). Ce concept a également été utilisé pour interpreter les differences dans Ia réponse aux symptômes et dans le recours aux soins entre les categories professionnelles [Boltanski, 1971] et, plus généralement, est propose dans l'interprétation des inégalités sociales de sante [Williams, 1995]. Ainsi considéré, I'habitus risque cependant d'apparaItre un peu trop rapidement comme le chaInon manquant entre La société et l'individu,

la clé de lecture du déterminisme social. Or, sans revenir sur les critiques factuelles, mais évidemment décisives, qui lui ont été apportees — en particulier,

a propos des comportements alimentaires qui sont loin de correspondre au stéréotype présenté [Grignon et Grignon, 1980] —, on peut rappeler deux objections qui fui ont été adressées et les propositions alternatives qui en résultent. La question du conditionnement des pratiques par le milieu auquel on appar-

tient est en effet centrale dans la réflexion des sciences sociales. D'une part, l'idée de dispositions héréditairement transmises et inéluctablement attachées a Ia personne donne une representation de Ia société qui serait soumise a une éter-

nelle logique de reproduction d'elle-même, ne laissant guère de place a Ia mobilité sociale et a Ia liberté des agents. Sans caricaturer un concept que son auteur n'ajamais voulu réduire a une vision figee du monde social, ii faut reconnaItre qu'elle permet mal Ia comprehension des transformations de Ia société et, par exemple, de l'évolution des conduites en matière de consommation ou de sante. Ce qui amène Claude Dubar [1991] a substituer a cette lecture une interprétation en termes de <<socialisation >>, dans laquelle les dispositions initiales

ne sont pas surdéterminantes, mais constituent plutôt une <> qui peut être plus ou moms mobilisée dans une situation donnée: on ne peut donc pas prédire un comportement, mais seulement en proposer une lecture <<probabiliste >>, dont

on voit qu'elIe peut permettre d'engager le

dialogue avec les disciplines statistiques.

138

METHODES, MIiSURES

D'autre part, le concept d'habitus, qui se donne volontiers pour une lecture objectivante de Ia réalité, n'est évidemrnent pas autre chose qu'une construction opérée par les sciences sociales pour rendre compte de faits observes. II est a cet tentant d'interpréter une pratique comme Ia consequence d'une position sociale par Ia magie des dispositions incorporées, en oubliant que le chercheur projette partiellement ses propres representations de cc que sont les comportements des ouvriers ou des paysans ou des cadres. C'est pourquoi Bernard Lahire [1998] insiste sur l'idée de >>, c'est-à-dire de situation d'interaction dans laquelle Cléi-nent de Ia rencontre n'est iii plus iii moms determinant que I'autre Les dispositions ne sont donc pas permanentes, mais <<sous conditions >>, leur perrnettant de se rCaliser ou non en t'onction du egard

contexte, et I'on sait combien les individus se comportent différernment sur des scenes différentes. On conçoit que ces lectures peu déterministes ne répondent pas totalement aux attentes de l'épidémiologie a l'égard des sciences sociales. Au moms s'efforcent-elles, sans nier les << dispositions >> a adopter tel comportement a risque ou a développer telle maladie, de dire Ia complex itC du social et la difficulté d'en rendre compte simplement. Elles ouvrent ainsi a une lecture comprehensive du monde social dans laquelle la subjectivation trouve sa place. COMPREHENSION ET SUI3J ECTIVATION

Tel est en effet l'uii des erijeux de Ia confrontation entre sciences sociales et disciplines statistiques, d'une part, entre qualitatif et quantitatif, d'autre part Ia capacité ii restituer non seulement I'interprétation des faits par les chercheurs, mais aussi le sens que leur accordent les agents eux-mênies, non seulernent des données objectives, mais aussi le traitement subjectif qui en est fait. Lorsque l'on s'intéresse aux inégalités sociales de sante, c'esten effet gCneralerneiit dans

une perspective explicative, qu'en sociologie on inscrit dans Ia tradition de Durkheim, souvent cite par les épidémiologistes anglo-saxons, notamment pour sa fameuse étude sur le suicide, dans laquelle ii cherche a mettre en evidence les facteurs — age, sexe, statut matrimonial, taille de I'agglomération — et, finalenient, la cause sociologique—l'iniCgration sociale—qui déterminent les

tions de son taux. Mais on peut aussi, en se situant cette fois dans une perspective que I'on dCsigne, depuis Weber, comme comprehensive, tenter de saisir le sens que les agents donnent a ces disparitCs, aux situations et aux conduites qui les génerent. La signification des faits et des actions pour ceux qui y sont confrontés ou impliquCs permet en effet d'enrichir Ia coriipréhension des raisons et des modal ités de leurs pratiques, d'analyser autrement Ie pourquoi et le comment de leurs comportements. II s'agii en somnie non pas de reniplacer I'objeciivatiori par Ia subjectivation, mais d'élargir Ic point de vue objectivant

en y incluant un point de vue subjectivant. Ce qui signifie concrètement de prendre en consideration a Ia fois Ia position occupée dans l'espace social et Ia

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signification que soi-même et les autres accordent a cette position. Etre chômeur de longue durée dans les années quatre-vingt-dix n'est pas dissociable des repre-

sentations sociales de l'exclusion et de l'experience vécue comme exclu: Ia condition objective fait sens, y compns bien sür en termes de pratiques de sante, par rapport a son apprehension subjective. Les récits de vie, mais aussi l'observation de scenes, offrent ici des procedures particulièrement pertinentes. L'analyse des pratiques déviantes, et notamment de Ia toxicomanie, a particulièrement bénéficié de ce type d'approche. En substituant au problème des causes, dont l'étude commencait a tourner court (car l'identification de facteurs explicatifs, tels que l'appartenance a des milieux défavorisés ou l'existence de ruptures familiales, ne suffit pas a expliquer pourquoi, soumis apparemment aux mêmes conditions, certains deviennent délinquants et d'autres pas), Ia question des parcours, ou plus exactement des <> de deviants, les interaction-

nistes ont permis de renouveler la comprehension de ces pratiques: a partir d'observations dans des milieux très divers, Howard Becker [19851 montre ainsi

le role joué, a différents moments de l'histoire du toxicomane, par I'effet d'opportunité d'accès aux produits (évidemment lie au quartier dans lequel on reside), l'anticipation des consequences de l'entrée dans la deviance (différencié en fonction de Ia position sociale occupée), le développement de mécanismes de rationalisation et de justification (fonctionnant d'autant mieux que l'on appartient a une catégorie dominée ou se percevant comme telle), surtout la reconnaissance publique donnant lieu a une condamnation morale et souvent judiciaire qui signe la veritable entrée dans Ia délinquance et ouvre Ia vole a I'intégration dans un groupe deviant (cet << étiquetage étant lui aussi d'autant plus facile que Ia personne correspond deja a I'étiquette qui lui est donnée, quand il s'agit par exemple de << jeunes des cites >>). Cette approche, qui a fait apprehender l'usage de drogues en quelque sorte <<de l'intérieur >>, en a transformé non seulement l'analyse, mais également Ia prevention, instituant en France, par exemple, l'injonction therapeutique, dont l'objectif est de laisser une chance au toxicomane qui s'est fait prendre en lui épargnant l'etape cruciale de Ia <<designation >> et, du méme coup, de Ia sanction. C'est dans une perspective proche que trois spécialistes de l'approche quanti>>

tative des inégalités sociales de sante ont fait appel a des analyses compréhensives

pour rendre compte de variations de Ia mortalité par homicide observées en fonction de l'<< environnement social >>, et plus particulièrement des disparites dans Ia repartition des richesses [Wilkinson et alii, 19981: reprenant des réc its biographiques, ils montrent le role des sentiments de frustration, d'humiliation et d'exclusion dans Ia genèse de Ia violence, concluant que <<si Ia cohesion sociale compte pour Ia sante, c'est peut-etre principalement par les positions et les roles occupés dans Ia société et conférant dignité et respect >>. Cette mise en ceuvre d'un dialogue entre qualitatif et quantitatif, aussi stimulante soit-elle, demeure toutefois problématique a deux titres. D'une part, elle repose sur des analyses statistiques qui font l'objet de désaccord parmi les épidemiologistes eux-mêmes, et Ia these

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MESURES

néo-durkheimienne de Ia cohesion sociale est discutée par d'autres travaux qui

insistent plus classiquernent sur le niveau de revenus et proposent ainsi une lecture objectivante, voire matérialiste, du déterminisme social [Judge et a/u, 1998]. D'autre part, elle prCsente sans veritable demonstration le passage du quaiitatifau quantitatif, des histoires de vie aux données statistiques, laissant largement dans l'ornbre l'articulation du subjectif(la frustration) et de I'objectif (les taux d'homicides), au risque d'un raccourci que n'autorise pas le raisonnenient sociologique [Passeron, 1991]. Deux objections qui rappellent opportunément que, aussi souhaitables qu'ils soient, les ponts entre les disciplines et entre les techniques impliquent des difficultés qu'il ne s'agit pas de sous-estimer. L'approche comprehensive et Ia misc en jeu des processus de subjectivation ne se rCduisent toutefois pas a completer l'interprétation des determinations sociales. On peut aussi considérer qu'eIle enrichit Ia connaissance que l'on peut

avoir de Ia manière dont les personnes vivent leur propre histoire et son inscription dans une histoire collective. Le récit de malades Iivre ainsi quelque chose de leur experience de Ia maladie, 1)es anthropologues s'y sont intéressés, en particulier dans le cas d'affections graves, pour lesquelles les individus concernés élaborent des representations et des pratiques riches et complexes qui souvent avec le cours même de Ia maladie et de sa prise en charge, mais qui montrent aussi Ic travail subjectifd'incorporation du social, lorsque ces personnes mettent en relation leur histoire singuliere et l'histoire collective jusqu'a faire de celles-ci l'explication de leur affection [Good, 1994]. On peut suivre ici Ia voie dans laquelle s'engagent certains pour tenter de dépasser des analyses qu'ils considèrent par trop objectivantes [Popay et a/il, 1998] <> Mais c'est a condition de ne pas demander a tine approche par les rCcits cc qu'eIIe ne peut pas donner, a savoir une explication des inégalités de sante, en oubliant qu'une biographie racontée n'estjarnais une simple reproduction de Ia réalité. Peut-être serait-il mêrne possible d'aller plus loin dans l'appréhension qualitative en travaillant non pas seulement sur le contenu des récits (l'histoire qu'ils rapportent), mais sur leur forme (Ia façon dont les énoncés sont produits). Dans le bref extrait présenté id (encadré), c'est au niveau infranarratif du récit que s'expriment Ia souffrance de cette jeune femnie, ainsi que Ia matérialité de sa

condition. Le dépouillement de l'échange renvoie au dénuement du lieu. La pauvrete du dialogue fait echo a la dureté de l'épreuve. L'incommunicabilité de Ia souffrance se renforce de Ia solitude de Ia patiente [Hilbert, 1984]. L'analyse du discours permet ici, tout en évitant de s'absorber dans le pathétique de Ia situation, d'apporter des ëclairages inhabituels, mais importants, sur I'experience et Ie sens des inégalités de sante.

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141

Le discours du malade et l'exphience de Ia maladie L'extrait d'entretien suivant presente de manière brutale les conditions de Ia fin de vie d'une jeune femme atteinte de sclérose en plaques. Née dans l'Oranais, elle n'ajamais connu son père. Venue en France a l'âge de quatre ans avec sa mere, elle a été placee un peu plus tard dans une famille d'accueil, a Ia suite de mauvais traitements infliges par celle-ci. Au terme d'une scolarité mediocre, elle travaille comme agent hospitalier contractuel jusqu'a ce que Ia maladie lui fasse perdre son emploi. Ayant dpousé un Algdrien de son village qui se trouve sur le territoire français en situation irrégulière, elle vit avec son allocation adulte handicapé et les ressources irrégulières des intérims de son man. Alors qu'elle est devenue grabataire, us partagent, dans un vieil immeuble, une pièce trop étroite pour qu'un fauteuil roulant y soit utilisé. Elle ne reçoit guère de visites et passe son temps sur son lit, désceuvrée. <> —

cet échange nous en dit plus que des chiffres, ce n'est pas simplement parce qu'il livre une sorte de vénité expressive, c'est surtout parce qu'iI révèle quelque chose que ceux-ci ne peuvent saisir et qui est. dans La matière même du langage, un condense de l'histoire de cette jeune femme et des inégalités qui ont marqué sa vie, de son enfance dCracinée a son agonie solitaire. Si

D'après FASSIN D., MACH P., PHILIPPE C. (1996), Les Effets sociawc des maladies graves. Processus de différenciation et d'inégalité, rapport de recherche MLRE-INSEE, Bobigny, 180 p. + annexes.

Une telle relecture des entretiens, que I'on pourrait étendre a d'autres maténaux d'enquete, et en particulier d'observation, indique une fois de plus que Ia réalité qu'il s'agit de décrire et d'interpréter n'est pas donnée, mais résutte de multiples decisions sur ce qu'il s'agit d'étudier et sur la rnanière de le faire. CONCLUSION

Le propos de ce chapitre est bien de nourrir Ia confrontation, jusqu'à present

relativement pauvre et souvent ambigue, entre l'approche qualitative et I'approche quantitative, mais aussi entre sciences sociales et disciplines statistiques, autour des inegalités de sante. Pour que cette confrontation soit a Ia fois plus riche et plus claire, au moms deux conditions doivent être réunies. Premièrement, il ne faut pas se tromper sur ce que disent les sciences sociales et ce que sont les techniques qualitatives. Deuxièmement, ii ne faut pas se tromper sur ce que l'on peut attendre des premieres comme des secondes. C'est ce que ce texte entend démontrer. D'une part, en effet, ii ne s'agit pas de montrer Ia sociologie et l'anthropologie comme des mondes unifies: Ia complexité du social et les

enjeux tant épistémologiques que politiques de son étude impliquent des theories et des positions parfois divergentes ou contradictoires. Ii ne servirait a

142

METHODES,

rien de masquer cene réalité en présentant des des de lecture que les épidémio-

logistes pourraient reprendre a leur compte comnie si elles étaient universellement admises au scm des sciences sociales. D'oui, au contraire, le parti pris de

montrer, pour chaque concept ou modèle, qu'il ne faisait pas l'objet d'un consensus et qu'il tie résolvait pas détinitivement le problème auquel ii prétendait apporter un outil d'analyse. D'autre part, ii ne s'agit pas de laisser accroire que Ia sociologie et l'anthropologie dCtiennent des recettes et des formules permettant de rCsoudre les problèmes qui se posent a Ia sante publique : le passage du macro au micro, des structures aux pratiques, du social au biologique sont des phénomènes assurérnent complexes et non univoques,

supposant des schemes d'interprétation préalables dont ii ne faut pas sousestirner l'importance. Là encore, on ne faciliterait pas le dialogue fructueux entre les savoirs si l'on simplifiait ou fétichisait, comme certains tendeiit a le faire, les sciences sociales et leurs procedures qualitatives. A chaque fois que possible, l'accent a été mis sur les difficultés, les incertitudes et, au bout du compte, les obscurités qui demeuraient dans les disciplines et dans les mCthodes.

Ces prCalables, qu'il s'est agi d'illustrer dans cc chapitre, ne doivent toutefois pas générer de deception. Bien au contraire, c'est en ne se meprenant pas sur les possibilités réeiles et les limites effectives de Ia pluridisciplinarité que l'on évitera que les attentes réciproques ne soient déçues et que des rendezvous promeueurs ne soient rnanqués. Les sciences sociales, en France, sont demeurées assez largement a I'écart de l'étude des inCgalités de sante, de même

que les approches qualitatives ont Cté peu mobilisées. Les diverses pistes explorées ici, depuis Ia discussion des présupposés de Ia construction des objets de Ia recherche jusqu'à l'analyse des processus conjoints d'objectivation et de subjectivation, en passant par l'étude du lien encore mal compris entre les conditions d'existence et les modes de vie, suggèrent, on peut l'espérer, l'intérêt qu'il y aurait ace qu'il en soit autrement, REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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III

Inégalités par domaine d'expression

9

La mortalité Eric Jougla, Stéphane Rican, Fran çoise Péquignot, A lain Le Toullec

L'objectifde ce chapitre est de décrire les disparites de mortalité en fonction des caractéristiques socio-économiques de Ia population. Dans Ia plupart des résultats présentés, Ia situation socio-économique est caractérisée par La caté-

gone socioprofessionnelle des sujets. D'autres indicateurs permettent de mesurer ces caracténistiques, tels que le niveau d'études et le niveau de revenu mais, bien que ces indicateurs recouvrent des notions différentes, les etudes les prenant en compte conduisent a des conclusions proches. Les résultats proviennent de deux etudes, fondées sur deux types de données complémentaires : suivis longitudinaux de cohortes par I'INSEE pour l'analyse

des differences globales de mortalité et données transversales issues de La statistique annuelle de mortalité de I'INSERM pour l'analyse des causes de décès. En ce qui conceme cette dernière source de données, une analyse spécifique a été réaLisée pour cet ouvrage ; elle utilise un indicateur simple d'écart de mortalité entre deux groupes de categories socioprofessionnelles différenciées (groupes <> et <>). Cet indicateur a été analyse pour différentes causes de décès, et compare dans le

temps et dans l'espace. La spécificité des causes de décès responsables des inégalités fournit une information importante, en termes de sante publique, sur les facteurs de risque sous-jacents, et Ia mesure de l'évolutiori dans le temps de

ces inégalites contribue a I'évaluation de I'impact des politiques de sante. Certaines données sur les variations geographiques du niveau des inegalites sont egalement présentées afin de determiner le poids des contextes régionaux. Le niveau des dispanités constatées en France est compare a celui qui est observe dans d'autres pays, ce qui permet de mettre en evidence Ia situation particulière de notre pays a cet égard. La plupart des résultats présentés concernent Ia mortalité des hommes d'age actif, dite mortalité << prematurée>> ; que ce soit en France on dans d'autres pays, le choix de cet indicateur est souvent impose par les données disponibles. La restriction du domaine d'analyse a Ia mortalité << prematurée n'est pas une limitation trop contraignante car, même si ces décès représentent une part réduite de >>

148

1NEGAL(TES PAR I)OMA INE I)'EX PR ESSION

l'effectif global de Ia niortalité, us constituent un indicateur très opérationnel des disparités d'etat de sante entre populations régulièrement utilisé dans les rapports

d'etat de sante de Ia population francaise [Haut CornitC de Ia sante publique, 1994]. La génCralisation de résultats bases sur Ia mortalité <prCmaturée> doit cependant être effectuée avec prudence en raison d'une repartition des causes de décès spCcifique a cette période de Ia vie. Une autre limitation de notre étude est liée Ia difficulté de I'analyse des caractéristiques de l'Ctat de sante des inactifs et

des chômeurs du fait d'une connaissance imprecise de ces états a travers les données disponibles (imprecision dans les declarations, manque d'information sur

l'ancienne profession, evolution des situations a I'égard de l'inactivité dans le temps...). L'exclusion des inactifs de l'analyse ne niodifie pas sensibiement Ia hierarchic des inCgalités des risques de décès pour Ia population masculine, même si cUe peut influer sur le niveau des disparités mis en evidence. Cependant, eVe rend bien plus sujets a caution les résultats concernant Ia mesure des inégalités sociales au sein de Ia population feminine, du fait de Ia part importante d'inactives [Kunst, 1998]. Enfin, on dispose de très peu de résultats sur les risques de dCcès concemant les populations les plus touchées par Ia crise économique (personnes en situation de precarite...). La situation de cette partie de Ia population Ia plus défavorisée, et pour laquelle des problèmes sociosanitaires particu tiers se posent,

devrait faire l'objet d'Ctudes spécifiques établies sur des recueils de données complemental res. Mis a part ces limitations des domaines d'analyse, les conclusions issues des

données disponibles peuvent être affectées par un certain nombre de biais lies aux méthodes utilisCes. Ces biais potentiels seront discutCs. Mais les phénomènes et tendances mis en evidence pour Ia mortalité des hommes sont tellenient marques et convergents qu'il est peu vraisemblable que de tels biais puissent remettre en question les conclusions principales. Pour les fenimes, si Ia tendance est semblable a celle observCe chez ces hommes, on dispose de moms de doniiées, ci des analyses utilisant d'autres méthodes restent a être initiées. METH0DEs

Les résultats presentes dans ce chapitre proviennent de deux etudes. Les résultats concernant l'espérance de vie et les probabilités de décès scion le niveau social sont issus du suivi longitudinal de larges cohortes constituées par I'INSEE a partir des recensements de 1975 [Desplanques, 1984; 1991] et de

1982 [Mesrine, 1999]. Ces données concernent les disparités de mortalité observées au cours des décennies quatre-vingt et quaire-vingt-dix, pour les deux sexes, en fonction de Ia catégorie sociale et du niveau d'etudes. Les probabilités de décès enire deux ages sont obtenues a partir des quotients de mortalité par

ages successifs. Les indicateurs de mortalite standardisés par age ont été calculés, pour chaque categoric sociale et chaque sexe, en rapportant le nombre

LA MORTALITE

149

de décès observe ann nombre de décès attendu sons l'hypothèse d'un niveau de mortalité identique a celul de l'ensemble de Ia population. La catégorie socioprofessionnelle ainsi que ie niveau d'études de chaque sujet sont enregistrés au debut du suivi, au moment du recensement, et ne prennent donc pas en compte les evolutions dans le temps de ces caractéristiques. L'analyse des disparités selon les causes de décès, leurs variations géographiques et leurs evolutions dans le temps, est fondée sur les données annuelles issues de la statistique nationale des causes de décès élaborée par le Service d'information sur les causes de décès de l'INSERM. Cette statistique repose sur Ia declaration des pathologies et causes de morts violentes rapportdes sur les certificats de décès par les médecins pour tout décès survenu sur le territoire français. Pour chaque décès, une cause principale est sélectionnée selon les regles de Ia classification internationale des maladies. On dispose également de Ia catégorie professionnelle du sujet au moment du décès; elle figure sur le bulletin de décès et est codée par l'INSEE, on peut donc Ia mettre en relation avec la cause du décès. Pour une pdriode donnée, on obtient ainsi les effectifs de

décès par cause, pour les différentes categories sociales. Les taux de décès correspondants peuvent être alors calculds en rapportant ces effectifs a ceux de chaque catégorie de population. Les effectifs de population par catégone sociale n'étant connus qu'au moment des recensements, I'analyse a été réalisée surdeux

périodes de sept ans centrées sur les recensements de 1982 et de 1990. Ces regroupements d'années permettent egalement de disposer d'effectifs suffisants de décès pour les comparaisons. A partir de ces données de base, l'étude a été effectuée en constituant deux categories extremes: <> et <>, et une categorie intermédiaire: <>. Ces

regroupements sont justifies par le fait que les catégones

regroupées sont relativement homogenes en ce qui concerne les espérances de vie, et perrnettent d'éviter certains biais lies au manque de precision de Ia declaration

de Ia profession au moment du décès. En particulier, le regroupement des employés et des ouvriers est justifié par le fait qu'il peut exister une confusion entre ces deux categories lors de Ia declaration de Ia profession a l'état civil (sur cette question, voir aussi le chapitre 11.6). L'ancienne profession des retraités, comme celle d'autres personnes qui ont cessé leur activité, étant insuffisamment connue, l'étude a porte uniquement sur Ia mortalité de Ia population masculine en activité professionnelle de Ia classe d'age 25-54 ans. Du fait du nombre élevé de femmes sans activité professionnelle, les femmes n'ont pas eté prises en compte dans cette analyse. Les consequences de ces différents choix sur le niveau des disparités mises en evidence seront discutées. Les taux de décès moyens annuels ont été calculés pour les deux périodes centrées autour des recensements (19871993 et 1979-1985). Des taux de décès standard isés par age (taux comparatifs) ont été calculés en prenant comme référence Ia structure d'age de Ia population active masculine de 25 a 54 ans observée lors du recensement de Des ratios de

150

INEGALITES PAR DOMAINE I)' EXPRESSION

mortalité out été calculés entre les différents groupes de categories sociales. L'indicateur essentiellernent utilisé au cours de l'analyse est le ratio de mortalitC du groupe par rapport au groupe <. A l'intCrieur de chaque groupe, un indice de variation relative permet de mesurer l'évolution des risques de dCcès entre les deux périodes considérées. Pour determiner Ia contribution respective des différentes causes de décès aux écarts de mortalité entre les deux groupes, Ia difference des taux de décès correspondant a chaque type de causes a été rapportCe a Ia difference totale

toutes causes. Cet indicateur prend ainsi en compte, pour une cause de décès donnée, a Ia fois le niveau des differences de niortalité entre categories sociales et l'importance de l'effectif des décès correspondant a la cause concernée. Pour les

comparaisons géographiques, les taux de décès par region oft été calculés de facon identique a ceux de Ia France entière en rapportant les effectifs de décès par categories sociales aux effectifs de population correspondants obtenus par region lots des recensements. Les donnCes conceiTlant le niveau de Ia mortalitC diffCrentielle en France par rapport a d'autres pays européens sont issues de l'étude comparative européenne présentee par Kunst dans le chapitre 1.3. REs U LTATS

Disparités concernatit l'espérance de vie et les probabilités de décès Un premier indicateur synthCtique tel que l'espérance de vie permet de mettre en evidence, d'une manière globale, les inCgalitCs importantes de risque de décès

existant entre categories sociales en France. Ainsi, pour une période couvrant les années 1982 a 1996, les etudes de I'INSEE indiquent, pour les hommes, une difference d'espérance de vie a 35 ans de 6,5 ans entre les ouvriers et les cadresprofessions libérales (tableau I). Le risque de décéderentre 35 et 65 ans est double

chez les ouvriers par rapport au groupe cadres-professions libérales. Entre ces

deux groupes, Ic niveau de l'espérance de vie a 35 ans suit globalement Ia hierarchic des categories socioprofessionnelles, soit par ordre croissant ouvriers (38 ans), ernployés (40 ans), commerçants (41 ,5 aris), professions intermédiaires (42 ans), cadres-professions libérales (44,5 ans). Les deux sous-catCgories

extremes sont les professions intellecluelles-cadres de Ia fonction publique (46 ans) et les ouvriers non qualifies (37 ans), correspondant a un écart de 9 ans. En vingt ans (1975-1995), chez les hommes, les differences de motialité entre categories sociales n'ont pas régressC et out même eu tendance a s'accentuer pour certaines categories, comme les employés [Mesrine, 1999]. Pour les fenimes, on note Cgalement des inégalites sociales d'esperance de vie, mais les disparites sont plus réduites que pour les hommes (difference de

3,5 ans d'espérance de vie entre ouvrières ci cadres-professions Iibérales et risque de décès entre 35 et 65 ans 1,6 fois plus Clevé pour les ouvrières).

LA MORTALITE

151

Tableau 1

Espérance de vie et probabilité de décès, cohortes 1NSEE 1982-1996' vie a 35 ans (en années)

Espérance de

Catégorie socioprofessionnelle en 1982

Probabilité de décéder entre 35 et 65 ans (%)

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

44,5

49,5

13,0

6,5

43,0

475

15,5

8,0

Professions intermédiaires

42,0

49,0

17,0

7,0

Artisans-commerçants

41,5

48,5

18,5

7,5

Employés

40,0

47,5

23,0

8,5

Ouvriers

38,0

46,0

26,0

10,5

Cadres-professions liberates Agriculteurs

exploitants

I. Source: Mesnne [1999]. Lecture : durant Ia période 1982-1996, un ouvner de 35 ans avait en moyenne 38 tins 8 vivre Ct et 65 ans était de 26 %.

SCU risque

de décès entre 35

La prise en compte du niveau de diplôme confirme les tendances observées

selon les categories socioprofessionnelles (tableau 2). Les rdsultats mettent clairement en evidence la progression des risques de décès en passant des personnes possédant un diplôme d'études superieures aux personnes sans diplôme. Pour les femmes, si Ofl retrouve une hiérarchie globale identique avec des nsques de décès nettement plus marques pour les non-diplômées, on relève cependant une

exception concernant les femmes âgées de 60 a 75 ans, parmi lesquelles le niveau <> apparaIt plus favorable qu'<< etudes supérieures>>; du fait du faible écart existant, cette tendance nécessite confirmation. Tableau 2

Indices standardisés de mortalité en fonction du diplôme et du sexe, cohortes INSEE 1980-1989' Diplome en 1975

3SàSOans

SOà6Oans

6Oà7Sans

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Aucundiplôme.

1,3

1,3

1,2

1,2

1,2

1,2

CEP

0,9

0,9

0,9

0,9

0,9

0,9

BEPC

0,8

0,9

0,9

0,8

0,9

0,8

BAC

0,7

0,8

0,6

0,8

0,8

0,5

Etudes supérieures

0,5

0,5

0,5

0,8

0,6

0,7

Ensemble

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

I. Source: Desplanques [1991). Lecture : durant Ia période 1980-1989, un homnie non diplômé avail un risque de décés entre 35 ci 50 tins 1,3 fois celui d'un homme de Ia population genérale, après standardisation sur iSge.

Les résultats récents bases sur Ia cohorte 1982 de l'INSEE fournissent egalement certains éléments sur Ia mortalité des chômeurs et des inactifs. Au

152

1NEGAUTES PAR DOMAINE D'EXPIWSSION

cours des aniiées quatre-vingt, Ia mortalité des chônieurs a éte deux a trois fois plus élevée que celle des hommes ayant un eniploi. Cette surmortalité s'observe pour tous les groupes sociaux et quel que soil le niveau d'études. La surmortalité des inactifs apparaIt également importante avec des risques cle décès 3 a 5 fois

plus élevés que chez les actifs occupés du mêine age. Que ce soil pour les chômeurs ou pour les inactifs, cette surmotialité diminue au cours des années [Mesrine, 1999]. Ces résultats doivent cependant être interprétés avec prudence du fait des changements frequents de Ia situation des sujets a I'Cgard du statut professionnel et de I'influence du niveau de l'état de sante sur l'état d'inactivité.

Disparités scion les causes de décès

La hierarchic et Ia frequence des différentes causes de décès varient selon les groupes de categories sociales (tableau 3, pCriode 1987-1993). Pour Ic groupe viennent en premier lieu les accidents, les causes Iiées a I'alcoolisme (cirrhoses, psychoses alcooliques, cancers des voies aérodigestives supCrieures), Ic suicide, les cancers du poumon et l'infarctus du myocarde, Pour le groupe (>, les taux de dCcès sont nettenient plus faibles pour l'ensemble des causes et Ia hierarchic des causes est sensiblernent différente. Dans cc groupe, Ic sida constitue Ia cause de décès Ia plus fréquente, et les causes liées a l'alcool ont un role nettement moms important que pour le groupe << ouvriers-employCs )>. On observe une surmortalité du groupe << ouvriers-employés >> pour toutes les causes a l'exception du sida. Les plus fortes disparités entre les deux groupes sont observées pour les causes liées a l'alcool avec des écarts très importants: taux de décès multiplies par 10 pour Ia cirrhose et les cancers des voles aérodigestives supérieures (VADS). Viennent ensuite Ic diabète, les pathologies respiratoires (taux de décès multiplies par 5), Ic cancer du poumon, les accidents

vasculaires cérCbraux, le cancer de l'estomac (taux multiplies par 3 a 4), le suicide, les accidents, l'infarctus du le cancer de l'intestin, le cancer du pancreas (taux multiplies par 2 a 3). Queue que soit Ia cause de décès, Ia diminution des taux entre les périodes 1979-1985 et 1987-1993 a ete nettenient moms marquee pour Ic groupe (a l'exception de l'alcoolisnie et des maladies respiratoires). Pour cc groupe, on observe même une tendance a l'augmeniation des risques de décès par cancer du poumon et par suicide. Pour les <>, la regression des taux de dCcès dans Ic temps a été générale, quel que .soit Ic groupe de pathologies, avec un maximum pour les

maladies cardio-vasculaires et un minimum pour le cancer du poumon. La consequence de ces tendances est une augmentation du niveau de Ia surmortalitC

du groupe

pour I'ensemble des causes de décès, a l'exception de I'alcoolisme et des maladies de I'appareil respiratoire.

153

LA MORTALITE

Tableau 3

Taux de décès par cause (hommes actifs, 25-54 ans) Statistiques INSERM des causes de décès' 1987-1993 et 1979.19852 Ouvriers-employes

Cadres supérieurs professions libérales

Surmortalité ouvriersemployés

Variation

Variation

1987. 19791987- 1979- entre Jes 1987- 1979- entre Jes 1993 1985 deux deux 1993 1985 1993 1985 (a)I (b)/ (a) (b) (d) périodes3 périodes3 (c) (c) (d) % %

Thmeurs dont

119,2 120,4

—1

35,1

44,6

—21

3,4

2,7

poumon

30,8

26,1

18

8,9

9,4

—6

3,5

2,8

VADS4

32,3

39,0

—17

3,0

4,3

—30

10,8

9,1

intestin

5,4

5,6

—4

2,4

3,5

—

33

2,3

1,6

estomac

3,8

4,7

—20

1,2

1,6

—24

3,1

3,0

pancreas

3,7

3,4

9

1,7

2,2

—25

2,2

1,5

eizcéphale

3,3

2,8

18

2,3

2,3

0

1,4

1,2

39,9

38,7

3

15,7

21,2

—26

2,5

1,8

Cardio-vasculairedont

52.4

64,7

—19

18,4

31,0

—41

2,8

2,1

du myocarde

23,8

28,9

—

18

9,7

16,9

—43

2,5

1,7

accidents vasculocérébraux

10,5

14,!

—26

3,0

5,4

—44

3,5

2,6

autres

18,1

21,6

—

16

5,7

8,7

—34

3,2

2,5

—8

37,6

49,2

—24

2,8

2,3

5

13,8

16,1

—14

2,8

2,3

autres

infarctus

Morts violentes dont

104,7 114,1

suicides

39,2

37,5

accidents de Ia circulation

31,2

34,9

—

11

11,3

15,6

—27

2,8

2,2

autres accidents

25,7

33,1

—22

9,7

14,2

—32

2,7

2,3

8,6

8,7

— 1

2,7

3,4

—20

3,1

2,5

25,0

36,4

—31

2,5

3,6

—31

10,0

10,0

7,2

8,8

— 19

1,6

1,9

— 17

4,5

4,5

14,9

0,3

5 812

16,6

0,6

2 500

0,9

0,4

1,7

1,8

—4

0,3

0,6

—48

5,8

3,2

Causes inconnues

15,4

17,6

— 12

7,9

9,7

— 18

1,9

1,8

Autres causes

25,3

30,5

— 17

7,2

10,5

—31

3,5

2,9

365,9 394,5

-7

-16

2,9

2,6

autres Alcoolisme5

Maladies respiratoires Sida

Diabète

Ensemble

127,3 151,7

1. Source: SC8-INSERM. 2. Taux standardists par age pour 100000 (taux comparatifs, population de réftrence 1990). 3.(a—b)x 100Th. 4. Voles aéro-digestives supérieures et resophage. 5. Cirrhoses et psychoses alcooliques. Lecture : durant Ia ptriode 1987-1993, un homme enlre 25 et 54 ans de Ia catégorie

"ouvriers-employés avait un risque de décés par turneur 3,4 fois superieur 8 celui d'un homme de Ia cattgorie "cadres suptrieurs-professions libérales ".

l54

LNECALITES PAR I)OMA1NE I)'EXPRESSION

Tableau 4

Contribution des différentes causes de décès a Ia surmortalité des employés>> par rapport aux cadres supérieurs-professions liberate>> (honinies actifs, 25-54 ans, statistiques INSERM des causes de décès' 1987.1993 et 1979-1985) Classes 25-34 ans

25-54 ans

Causes de décès

35-44 ans

45-54 ans

1987- 1979- 1987- 1979- 1987- 1979- 1987- 19791993 1985 1993 1985 1993 1985 1993 1985

% TumeursVADS2

12

Suicides

%

%

%

14

0

0

%

% 20

9

9

14

12

6

5

10

13

II

15

7

4

13

10

17

II

9

22

Alcoolisme3

9

14

3

6

Tumeurs pounion

9

7

I

1

Accidents de Ia circulation Autres accidents lnfarctus du myocarde Maladies vasculaires.cérCbrales Maladies appareil respiratoire 'I'umeur intestin Tumeur estomac Tunieur pancreas 1)iabète Tumeur encéphale Sida Autres tumeurs Autres maladies cardio-vasculaires Autres morts violentes Causes non déclarées Autres causes Total

8

8

31

29

8

9

3

3

7

8

10

13

8

10

5

5

6

5

2

2

6

5

7

5

3

4

2

2

3

4

2

4

2

3

2

2

2

2

3

3

0

0

1

I

2

I

0

0

1

I

1

2

1

1

I

I

I

21

I

I

I

I

I

I

0

0

I

I

0

0

0

0

0

I

—l

0

—I

10

7

5

5

5

3

4

2

2

6

3

3

5

1

0 I

0

0

0

0

—I

0

—1

0

8

7

13

9

6

6

5

6

7

3

3

1

1

5

4

4

2

2

I

I

8

8

8

8

9

9

7

8

100

100

100

100

100

100

100

100

I. Source: ci ixsopliuge. 3. Cunhoses ci psychoses alcooliqucs. Lcctuo : durani Li diftérence de morlalité générdk entre un hottituc de In — cadres supéricurs-professions libéraks • éuiit due nun 2.

1987.1993 pour Ics —

entre 25 ci 54 ans, 12 % de In et nit liotunie de Ia categoric

VADS.

Le tableau 4 indique Ia contribution des différentes causes de décès a Ia différence de mortalité entre les deux groupes. Globalement, les cancers VADS et les causes directement liées a l'alcoolisme expliquent 20 % de Ia surmortalité du groupe >, les accidents 15 %, les suicides 11 % et les cancers du poumon 9 %. Les résultats varient cependant selon les classes d'âge

considérées. Pour les sujets entre 25 et 34 ans, les morts violenies expliquent 70% de Ia surmortalité (les accidents de Ia circulation 31 % et les suicides

LAMORTALtTE

155

22 %) alors que, pour les 45-54 ans, les cancers VADS et les cirrhoses sont responsables de 30 % de la sumiortalité et le cancer du poumon de 13 %. Disparités régionales

La figure 1 indique le niveau de Ia surmortalité des <> selon les regions. Cette surmortalité vane fortement selon les regions et apparalt liée aux dispantés régionales de mortalité génerale pour l'ensemble de Ia population. Les surmortalités les plus importantes sont observées en Bretagne et dans le NordPas-de-Calais (surmortalité de 4) puis en Alsace, dans les Pays de Ia Loire, en Picardie et en Haute-Normandie. A l'opposé, les surmortalités les plus faibles se retrouvent dans les regions du sud de Ia France Corse, Languedoc-Roussillon, Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Limousin. Pour les causes de décès liées a l'alcool, on observe des écarts de mortalité entre catégones sociales particulièrement marques en Pays de Loire, Bourgogne et Alsace.

Rapport taux de décès <>/ <
sup.-prof. liberates>>

>4,0

—

3,5—4,0 3,0—3,5

2,5—3,0 2,0—2,5

Source : SC8-INSERM

Figure 1 Ratios de mortalité < ouvriers-employés cadres supérieursprofessions Iibérales >> selon les regions Hommes actifs — 25-54 ans

156

PAR I)OMAINE I)' EXPRESSION

Situation de Ia France par rapport a d'autres pays européens

L'étude comparative européenne, dont les résultats sont présentés dans Ic chapitre 1.3 de cet ouvrage, conclut a des disparités sociales de niveau de mortalité masculine du mêrne ordre de grandeur dans Ia plupart des pays a l'exception de Ia France et de la Fin lande. Dans ces deux pays, et plus part iculièrenient en France, les disparités sociales de mortalité prématurée apparaissent

nettement plus marquees. Pour Ia France, ces inégalités plus importantes s'observent pour de nombreuses causes de décès, l'exceprion des cardiopathies ischémiques et des morts violentes. Les differences entre categories sociales apparaissent particulièrenient élevées en France pour les pathologies digestives (dont les cirrhoses) et pour certains cancers (dont les cancers VADS). Que ce soit pour Ia France (par le biais des causes directement liées a l'alcool) oii pour Ia Finlande (par le biais des morts violentes), une grande partie des inégalités sociales de mortalité est liée a une consommalion excessive d'alcool. Ces résultats confirment ainsi le poids de l'alcool en tant que facteur explicatif des disparités sociales de sante. DISCUSSION

Méthodes d'analyse

Quel est le degré de fiabilité des résultats présentCs dans ce chapitre ? En ce qul concerne I'identification de Ia catCgorie sociale des sujets, dans les résultats longitudinaux issus des cohortes de I'INSEE, l'information est enregisrrée en debut de période de suivi (au moment des recensements). Cette mCthode perrnet d'appréhender les repercussions a long ternie du statut professionnel sur l'état

de sante. En revanche, Ia mobilité professionnelle n'est pas prise en conipte alors que le statut professionnel, enregistré au moment des recensenients, peut avoir dvolué dans le temps. Pour les résultats bases sur Ia statistique des causes de décès de I'INSERM, Ia profession est relevée au moment du ddcès, et les taux de décès sontcalculés en rapportant leurnombre a I'effectif des populations par

categoric sociale connu au moment du recensenient. Cette méthode peut conduire a des biais lies a une divergence d'information provenant des deux sources.

Que ce soit pour les rCsultats longitudinaux ou transversaux, on peut dgalement évoquer les biais potentiels lies a l'autosdleciion des professions en fonction de I'état de sante (health%' worker effect), les emplois requCrant une bonne condition physique donnani lieu a une selection a l'enibauche. Ce biais pelt survenir dans les deux types d'études (longitudinales et transversales), mais intervient davantage dans les résultats des etudes transversales. Cette question est égalenient discutCe dans Ic chapitre 11.6. On peut enfin discuter Ic degré de precision de Ia declaration de Ia profession des sujets a partir des sources de données utilisées. On sait en particulier que la

LAMORTALITE

157

declaration de Ia profession a i'dtat civil au moment du décès, sur laquelle se base l'étude des causes de décès, peut manquer de fiabilité [Bouvier-Coile, 1986]. L'influence de ce biais potentiel a été étudiée sur les données francaises en comparant, pour Ia période 1980-1984, chez les hommes de 45 a 59 ans, les résultats issus des suivis de cohorte a ceux provenant de t'analyse des statistiques de décès [Kunst, 1998]. La comparaison indique que des divergences apparaissent lorsque l'on effectue les analyses au niveau de catégones précises (par exemple, distinction entre ouvners qualifies et ouvriers non qualifies), mais que les gradients et ratios' de mortalité restent semblables lorsque l'on procède par regroupement de categories. Un autre problème methodologique concerne l'exclusion des sujets inactifs de l'analyse. Dans Ia plupart des etudes publiées sur les inégalités sociales de mortalité, l'ancienne profession des personnes inactives (retraitées, malades...) ou le niveau social des personnes sans profession ne sont pas pris en compte du fait d'un manque d'information. L'exclusion des inactifs peut avoir des conséquences sur la mesure des disparités entre categories sociales, car une cessation ou une absence d'activité peut être elle-méme due a un mauvais état de sante du sujet. Or, une telle relation concerne sans doute davantage les categories tes moms favorjsées. L'exclusion des inactifs peut ainsi conduire a one sousestimation des écarts de mortalité entre categories socioprofessionnelles [Kunst, 1997 ; Valkonen et Martikainen, 1997].

Les résultats mettent en evidence une hiérarchie différente des causes de décès selon les categories sociales. On note en particu tier l'importance du poids des causes liées a l'alcool pour le groupe des
cependant que peu d'effet sur les résultats observes; en effet, Ia surmortalité pour des causes Iiées a I'alcool apparaIt egalement très marquee pour les cancers des voies aéro-digestives supéneures (alors que ces demiers sont socialement moms <<sensibles >>). D'autre part, les etudes menees sur le sida, qui constitue egalement une cause a priori sensible, en confrontant les don nées du registre des

declarations obligatoires a celui des causes de décès, indiquent des résultats convergents en fonction des categories socioprofessionnelles. Outre que le certificat de décès est un document confidentiel, il serait de toute facon surprenant

que ce type de biais puisse expliquer les écarts extrêmement importants de mortalité mis en evidence (risques de décès multiplies par 10 pour l'alcoolisme). Ces disparités de certification n'influencent de toute facon pas le niveau de la surmortalite generale, toutes causes de décès confondues. Les résultats disponibles concernent essentietlement Ia mortalité en période d'activité, un indicateur spécifique qui renforce le poids des morts violentes et

INRGALITES PAR I)OMA)NE I)'EXPRESSION

sida par rapport a des pathologies chroniques ou a des causes de décès telles que les maladies cardio-vasculaires. II faut donc garder a I'esprit que le poids du

des différentes causes explicatives des disparitCs que nous avons mis en evidence concerne, comme c' est le cas pour Ia plupart des etudes sur Ia mortalité par categories sociales, les risques de décès en période d'activité. INTERPRETATION I)ES RESULTATS

Les

résultats mettent clairement en evidence une forte inégalilé sociale

persistante concernant les risques de décès en période d'activité. Les disparités,

particulièrement marquees pour les causes Iiées a I'alcoolisme, s'observent également pour I'ensemble des causes. Outre i'alcool, qui influence le risque de dCcès de nombreuses pathologies (cilThoses, cancers VADS, suicides, accidents...), les facteurs de risque correspondant aux causes pour lesquelles les differences de mortalité entre categories sociales sont les plus marquees appa-

raissent essentiellement lies au mode de vie et aux pratiques de prevention: tabagisme (cancer du poumon, cancers VADS, pathologie respiratoire, infarcius

du myocarde), nutrition (diabète, cancer du colon), sédentarité (infarctus du myocarde), conduites dangereuses (accidents). D'autres facteurs interviennent certainement (environnement professionnel pour les cancers, mode d'accès au système de soins pour des causes telles que l'infarctus du myocarde ou le diabète...), mais leur contribution respective est difficile a mettre en evidence sans étude particulière.

Si tous les groupes sociaux ont bénCficiC d'une baisse générale de Ia mortalité, cette baisse a nettement pius bénéficié aux categories socioprofessionne lies favorisées. Le cancer du poumon et les accidents autres que ceux de la circulation constituent un exemple intéressant: en effet, pour Ia catCgorie >, on constate une augmentation dans le temps des risques de décès, alors que pour celle des cadres superieurs-professions libérales >, its continuent a diminuer. Une exception concerne les causes de décès directement

liées a l'alcoolisrne, pour lesquelles Ia baisse est identique selon les deux groupes, niais l'écart entre categories sociales était tellement impressionnant que l'on aurait pu s'attendre a sa reduction. Cette tendance a l'augmentation des disparites sociales de mortalité dans Ic temps doit être interprCtée avec prudence, mais elle est confirmée en tant que tendance générale dans l'analyse comparative des pays europCens et dans de nombreuses autres etudes [Pappas et a/u, 1993 ; Marmotet McDowalI, 1986; Langet Ducimetière, 1995 ; Surault, 1984]. Une étude récente a cherché a comparer I'évolution de l'espérance de vie a celle de l'espérance de vie sans incapacité selon les categories socioprofessionneltes [Cambois, 1997]. Comme son nom I'indique, l'espCrance de vie sans incapacité prend en compte simultanément le niveau de I'espCrance de vie et Ia prevalence des incapacitCs au sein d'une population. Les résultats indiquent qu'entre 1980

LA MORTALITE

-

159

et 19911 'espérance de vie sans incapacité a progressé pour toutes les catégones sociales et que ces accroissements ont été que ceux observes pour l'espérance de vie. Mais ces calculs mettent également en evidence que les categories favorisées ont a Ia fois Ia plus longue esperance de vie et Ia plus faible frequence d'incapacités. Ces résultats, a interpreter avec prudence, compte tenu

de problèmes méthodologiques complexes, indiquent que les inegalites de mortalité et d'incapacités se cumulent au detriment des categories les moms favorisées. Les résultats ont mis en evidence une nette hiérarchie des écarts de mortalité <> entre le nord et le

sud de Ia France. Les analyses ecologiques effectuées sur la base de données agregées indiquent que les caracteristiques socioprofessionnelles des populations constituent un determinant majeur des disparités spatiales de mortalité,

nettement plus important que les caracteristiques de l'offre de soins. La hiérarchie des zones gdographiques (regions ou départements) en fonction des niveaux de mortalité subsiste cependant, même après avoir contrôlé les caracté-

ristiques socioprofessionnelles [Jougla, 1990; Mackenbach et aiii, 1990]. L'étude plus precise de I'interaction entre catégorie socioprofessionnelle et contextes sociaux, environnementaux et sanitaires nécessiterait une analyse sur des entités géographiques plus operationnelles prenant en compte les degres

d'urbanisation ou les bassins d'emploi [Salem et Rican, 1998; Salem et alii, 1999 ; Bouvier-Colle et alii, 1983]. L'analyse comparative entre pays europdens a mis en evidence la position défavorable de Ia France en ce qui concerne les écarts de mortalité entre catégories sociales. Comment expliquer ce résultat ? La France ne se distingue pas par des inégalites socio-dconomiques plus particulièrement prononcées ou par une politique sociale plus inegalitaire ; elle est dans Ia moyenne des pays de Ia Communauté europdenne [Paugam, 1999]. L'analyse met en avant le role spedfique de Ia consommation excessive d'alcool. Ce determinant avait déjà été mis

en evidence sur des données plus anciennes [Leclerc et alii, 1990]. Il faut cependant noter que la restriction de l'étude au domaine de Ia mortalité prématurée, et aux hommes, renforce certainement Ia mauvaise situation de notre pays.

On sait que les causes de décès liées au mode de vie et aux pratiques de prevention ont un poids prépondérant au sein de Ia mortalité prématurée et qu'elles varient beaucoup selon les categories sociales (voir le chapitre IV.25). Or, en terme de risque de décès, Ia France se caractérise par une situation très

specifique par rapport a d'autres pays de développement comparable. Les risques de décès prematures y sont nettement plus élevés. Par exemple, entre 25

et 44 ans, les taux de décés sont deux fois plus élevés en France qu'en Angleterre-pays de Galles [Jougla et Le Toullec, 1999]. Après 65 ans, la situation s'inverse et Ia France apparaIt au contraire dans une position très favo-

rable, en particulier du fait de Ia moindre frequence des cardiopathies ischemiques et des affections de l'appareil respiratoire. Une analyse complete de Ia

160

1NEGALITES PAR I)OMAINE D'EXPRESSION

situation a l'egard des inégalités sociales de mortalité nécessiterait ainsi l'étude des risques de décès a toutes les périodes de Ia vie. CONCLUSION

Cette étude a mis en evidence des écarts importants du niveau de Ia mortal ité

selon Jes categories socioprofessionnelles, Ccarts qui perdu rent dans le temps et méme s'accroissent entre certains groupes. Cette situation n'est pas spécifique a Ia France, puisque des résultats semblables sont observes dans Ia plupart des pays de développement comparable. La regression dans le temps de Ia mortalité infectieuse a été accompagnée par une progression de Ia mortalité par cancers et

par maladies cardio-vasculaires, causes de décès associées a des facteurs de risque différents. Cependani, malgré ces evolutions, des gradients de disparités sociales de sante persistent. Les actions de sante publique mises en place dans Ia plupart des pays ne se traduisent pas en termes de reduction des inégalités sociales de mortalité. A cet egard, les concepts de << statut socio-économique en tant que cause fondarnentale des maladies>> ou d'<< accumulation des désavantages pour les populations les plus fragiles >> constituent des pistes d'explication essentielles [Kunst, 1997 ; AIach, 1986]. Par rapport aux autres pays, Ia France apparaIt cependant dans une position spécifique du fait de l'importance des Ccarts de mortalité prématurée entre caté-

gories socioprofessionnelles et du role important de l'alcoolisme et d'autres cornportements a risque pour expliquer cette situation. L'analyse des causes de dCcès qui contribuent Ic plus aux differences sociales de mortalité prématuree met en evidence Ic rOle des facteurs de risque lies aux modes de vie et aux pratiques de sante. On sait que les determinants de ces pratiques sont complexes et que de multiples facteurs interagissent (niveau de revenu, conditions de vie, environnement professionnel, conlexte socio-environnemental, niveau et mode

d'accès au système de soins, facteurs culturels a l'égard de Ia sante et des soins...). Même si les politiques de prevention des risques ne peuvent avoir qu'une action lirnitée sur ces determinants multiples, il est important de s'interroger sur leur impact différencié scion les categories sociales. Les résultats présentés dans ceite étude devraient inciter a les envisager d'une manière moms globale en les adaptant davantage aux contextes sociaux spéciliques. REFERENCES BII3LIOGRAPHIQUES AIACH P. (1986), propos des sociales dans Ic domaine de Ia sante >>, de sociologie er déinographie médka/es, 23, p. 151-167. BOUV1ER-COLLE M.-H., I3ARBERFNA A., HATTON F. (1983), "MortalitC par categories socioprofessionnel les en mi licux urbai n et rural >, Revue d 'épidémiologie et de sante publique. 31, p. 115-128.

LA MORTALITE

161

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162

INEGALITES PAR I)OMAINF I)'EXPRESSION

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10

Les indicateurs globaux de sante Florence Girard, Christine Cohidon, Serge Brian con

Comme on l'a vu dans les chapitres précédents, ii existe en France de fortes inégalités sociales de mortalité, notamment par rapport ala situation dans d'autres

pays; cependant, pour Ia morbidité, l'ampleur des inégalites ne semble pas différer de ce qui est observe dans les autres pays. Ce chapitre décrit plus précisément les inégalités sociales de morbidité générale, en l'abordant au travers de différents indicateurs globaux de sante. De façon simplifiée, cette approche se réfère principalement a trois dimensions [Blaxter, 1989] une premiere que l'on peut appeler medicate, fondée sur l'existence de maladies bien définies du point de vue medical ; une dimension fonctionnelle (capacité a effectuer des tâches de Ia vie quotidienne) ; et enfin l'auto-évaluation de Ia sante, Ia declaration de symptomes et de malaise psychosocial. Les questionnaires dits de qualité de vie ou de sante percue relèvent principalement, mais pas exciusivement, de cette dernière dimension. L'esperance de vie sans incapacité abordée dans les chapitres précédents apprehende a Ia fois Ia dimension fonctionnelle et Ia mortalité. Les résultats présentés sont centres sur les données nationales francaises ; les enquêtes et outils qui ont permis de les obtenir sont décrits ci-dessous. ENQUETES ET ouTJLS

L'enquête sur Ia sante et les soins médicaux, l'enquête sur Ia sante

et Ia protection sociale L'enquete sur Ia sante et les soins médicaux est réalisée par l'INSEE et le CREDES (Centre de recherche, d'études et de documentation en économie de Ia sante), environ tous les dix ans; Ia dernière a été organisée en 1991-1992. Ses objectifs sont de connaItre et de mesurer les différentes consommations médicales et d'évaluer l'état de sante de Ia population. L'étude est réalisée sur un échantillon national représentatif de 12 000 ménages ordinaires. L'unité de sondage est le

logement. L'enquêteur realise cinq visites espacées de trois semaines, avec remplissage de questionnaires concernant les informations socio-économiques

164

INEGALIThS PAR 1)OMAINE D'EXPRESSION

relatives au ménage enquété, les maladies et les consornrnations de soins. Entre les visites, les ménages doivent remplir tin carnet de soins, Un questionnaire final,

complété lors de Ia dernière visite, permet le recueil d'informations sur les revenus et, pour une personne tirée au sort au sein du ménage, des informations sur des thématiques particulières (vue, dentition, anxiété, événements de vie, perception de la sante, incapacitCs...). La coherence entre les maladies et les consommations de soins déclarées par les ménages est vCrifiCe par un médecin [Serniet, 1993]. L'enquete sur Ia sante et Ia protection sociale mise au point par le CREDES concerne les assures sociaux du régime general [Bocognano, 1992]. L'enquête, réalisée chaque annCe, porte stir un échantillon représentatif de l'ensemble des

ménages dont un niembre au moms est protégé par le régime génCral des travailleurs salaries. Les informations sont recueillies par questionnaire administré par téléphone ou au domicile et par autoquestionnaire. Elles portent sur les caractéristiques sociodémographiques, Ia morbidité declaree, I'invalidité, Ia consommation médicale. De par les bases de sondage utilisCes, les échantillons de ces deux enquetes ne sont pas représentatifs de Ia population genérale francaise. L'enquête décennale s'appuie sur une base des logements et ne prend donc pas en compte les personnes

sans domicile fixe, ni les personnes en institution; l'enquête sur Ia sante et Ia protection sociale utilise Ia base du régime general de l'assurance nialadie.

Parmi les différents indicateurs globaux de sante utilisés dans ces deux enquêtes, quatre seront privilegies ici : les scores de risque vital et d'invalidité, le vieillissement relatif, Ia sante percue. Les scores de risque vital et d'invalidité soiit établis par un médecin a partir des maladies dCclarCes par les enquêtCs, en tenant compte de l'ensemble des donnCes du questionnaire. Le score de risque vital est une estimation en 6 points du risque de décès pour chaque individu, un score de 0 représentant l'absence de risque vital, un score de 5le pronostic le plus défavorable. Le score d'invalidité est construit a partir des pathologies permanentes ou chroniques. II comprend 8 classes de gravite croissante, de 0, pas de gene, a 7, alitement permanent [Sermet, 1993]. Le vieillissernent relatif, mesuré en nombre d'années, correspond a Ia différence entre l'âge reel et un <âge estimé dans un modèle Iinéaire a partir des scores d'invalidité et de risque vital. Un vieillissement relatif négatif signifie que Ia personne est en meilleur état de sante (du point de vue du risque vital et de l'invalidité) que Ia nioyenne des personnes de même age qu'eIle, un vieillissement relatif positif, qu'elle est en moms bonne sante que Ia moyenne des personnes du mCme age [Mizrahi et Mizrahi, 1994]. La sante percue est mesurée de deux facons : soit a partir de Ia réponse a Ia

question >, pour laquelle cinq modalitCs de réponse sont proposées

(très bon, bon, moyen, mediocre, franchemeni mauvais), soit a pailird'une note sur 10 (10 representant Ia sante optimale) qu'attribue I'enquête a son état de sante [Dumesnil et dii, 1997].

LES INDICATEURS GLOBAUX DE SANTE

165

Différentes limites méthodologiques peuvent être souiignées pour ces mdicateurs:Les trois premiers sont des scores établis oticorriges par tine tierce personne (tin médecin) a partir de nombreuses questions. us sont spécifiques a ces enquêtes, ce qui limite les comparaisons. us dependent du moment de l'enquete, des connaissances médicales et des therapeutiques disponibles [Sermet, 1993 ; Mizrahi et Mizrahi, 1994]. us n'ont pas fait l'objet de comparaison avec des outils construits avec des objectifs similaires, et validés. De plus, dans l'enquete décennale, certaines inforrnations sont fournies par Ia personne enquêtée pour l'ensemble du ménage, ce qui peut être source de declaration imprecise oti erronée. De plus, pour le sujet qui nous intéresse ici, on ne sait pas si les erreurs dans les declarations et l'élaboration des mesures de morbidité a partir des declarations different ou non selon Ia classe sociale, et entraInent ou non des bials dans l'estimation des associations entre classe sociale et morbidité.

Les indicateurs utilisés dans différents pays Les indicateurs globaux de sante utilisés dans des enquêtes nationales ne sont que très partiellement communs aux différents pays, ce qui limite les possibilites

de comparaison. Le projet européen décrit dans tin chapitre précédent a été l'occasion de faire le point sur cette question. Pour étudier les differences de morbidité selon le niveau d'études, quatre indicateurs globaux ont été utilisés [Cavelaars et alii, 1998]. La sante percue, plus précisément le fart de ne pas considérer son état de sante comme bon ou très bon, était une variable disponible dans onze pays, dont Ia France. Les trois autres indicateurs n'étaient disponibles que pour quatre a six pays d'Europe ; ils ne l'étaient pas en France. II s'agissait de Ia declaration d'une incapacité chronique, définie àpartirdes six activités suivantes: monter des escaliers, marcher, porter une charge de 5 kilos lire le journal, faire conversation avec plus de deux personnes, s'habiller et se déshabiller; de l'existence d' une maladie chronique (dans une liste de neuf affections) ; de la réponse positive a Ia question: <<Souffrez-vous d'un problème de sante ou d'un handicap

qui vous limite dans vos activités quotidiennes ou dans votre travail ? >>. De nombreux travaux ont été publiés sur les inégalites sociales concernant les trois indicateurs précédents. Le dernier en particulier, appelé en anglais limiting long standing illness [AIach et Curtis, 1990] ou limiting long term illness est très utilisé [Elstad, 1996 ; Bentham et alii, 1995 ; Arber, 1993]. Un autre indicateur global de sante mérite d'être mentionné ; 11 s'agit du SF-

36, un questionnaire de qualité de vie, dont ii existe une version validée en français [Leplege et alii, 1995]. Cet indicateur a été utilisé dans plusieurs enquetes [Hemingway, 1997; Jenkinson et alii, 1996; Martikainen et alii, 1999; Regidor et alii, 1999]. A notre connaissance, ii n'a pas ete utilisé en France pour étudier les differences sociales de sante. Un autre questionnaire de qualité de vie, le profil de sante de Duke [Guillemin et alii, 1997], a été utilisé

dans le

sante>> du Comité francais d'éducation pour la sante

166

INEGALITES PAR I)OMAINE

[Baudier et Arènes, 997] et analyse en fonction du niveau d'études ; cependant les résultats n'ont pas eté ajustés sur l'âge, ce qui rend leur interpretation difficile (voir ci-dessous), et us ne seront donc pas montrés dans ce chapitre. 1

La situation francaise Quels que soient les etudes et les outils de mesure choisis, on observe des liens entre indicateurs sociaux el Ctat de sante global des individus. En France, les enquêtes nationales du CREDES illustrent bien Ia situation. Globalernent, risque vital, degré d'invalidité, vieillissernent relatif et sante percue présentent

des scores d'autant moms boiis que le niveau socio-écononiique est plus modeste. Les résultats disponibles sur le risque vital et le degré d'invalidité presentes dans les tableaux I et 2 sont standardisés sur l'ãge, car les structures

d'âge peuvent différer selon les categories socioprofessionnelles, le niveau d'études ou les revenus. Ils sont également standardisés sur Ic sexe, cc qui est plus discutable ; cette standardisation repose en effet sur l'hypothèse implicite que Ia situation est < Ia mêrne >> pour les hommes et pour les femmes, ce qui est loin d'être vérifié (voir chapitre IV.23). Par coniparaison a un risque vital de réfCrencefixé a 1 pour l'ensernble de Ia population, après prise en compte de Ic risque vital vane de 0,88 pour les cadres supérieurs a 1,18 pour les ouvriers non qualifies (tableau I). Ces écarts se retrouvent de facon un peu moms prononcCe pour les scores d'invalidité. l)ans les deux cas, les professions intermédiaires, les artisans et cornmercants et les agriculteurs se retrouveiit en position naédiane. Les differences de risque vital sont encore plus nettes scion le niveau de revenus : plus le revenu mensuel global déclarC est Clevé, plus le risque est faible (tableau 2). La tendance est identique en rapportant le revenu global au nonibre de personnes constituant Ic mCnage. Tableau I Risque vital et invalidité selon Ia PCS après standardisation sur

et le sexe

Risque vital

invalidité

Agriculteur Artisan comrnerçant Cadre supérieur Profession interniédiaire

0.94 0,93 0.88 0.96

0.96 0.94 0,89 0.98

Ernployé

1.09 1.03 1.18

1,11

Ouvrier quaiitié non qualillé Ensemble

1,00

1,00

PCS

Source : Iinquétc sur Ia sante ci Ia protection sociale. 1996 lI)uiuesnil ci a/il. 1997].

1.00 1.13

167

LES INDICATEURS GLOBAUX DE SANTE

Tableau 2 sélOn le revenu mensuélglobai du ménage Risque vital et après standardisation sur l'ãge et le sexe Revenu du ménage (en francs)

Risque vital

Invalidité

1,14 1,12

1,12 1,12 1,02 0,93 1,02

<5500 5500—8000 8000—9500 9500—12000 12000—15000

1,01

20 009

0,99 0,99 0,96 0,89

Ensemble

1,00

15 000—20 000

0,95 0,89

1,00

Source : Enquéte sur Ia sante ella protection sociale, 1996 [Dumesnil et a/u, 1997].

Les

résultats concernant I'indicateur de vieillissement relatif sont dispo-

nibles séparément pour les deux sexes. Globalement, le vieillissement relatifest d'autant plus élevé que le niveau d'études est faible, mais les écarts sont moms prononcés pour les femmes que pour les hommes (tableau 3). Des résultats similaires sont retrouvés en fonction du revenu et de Ia PCS. Tableau 3

Vieilhissement relatif en nombre d'années selon le niveau d'études Niveau d'etudes Primaire Secondaire, ier cycle Secondaire, cycle Etudes supérieures

Vieillissement relatif' Hommes

Femmes

+ 0,97 + 0,47

+ 0,72 + 0.13

—

0,21

—

0,61

—

2,57

—

1,38

I. Interpretation: par rapport a lensemble de Ia population de méme age et mCme sexe, une personne de niveau d'études primaire a. en moyenne, un score vital et d'invaliditC correspondant a cetui d'une personne ayant 0,97 annde de plus.

Source : Enquéte sur Ia santd et Ia protection sociale, 1988-1991 [Mizrahi et Mizrahi, 1994].

Tableau 4

Indicateur de sante perçue selon Ia PCS standardisé sur l'âge et le sexe PCS

Sante perçue

Agriculteur Artisan commerçant Cadre supérieur Profession intermédiaire Employé Ouvrier qualiflé Ouvrier non qualiflé

0,99

Ensemble

1,00

1,02 1,03 1,01

0,98 0,99 0,97

Source : Enquéte sur Ia sante ella protection sociale, 1996 [Dumesnil et a/u, 1997].

168

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

ce qui concerne Ia sante percue (tableau 4), les cadres supérieurs et les ouvriers qualifies sont aux deux extremes, mais les écarts entre les indices (standardisés sur l'âge et le sexe et rapportes a une valeur de rCfCrence fixée a pour l'ensernble de I'échantillon) sont faibles. Les écarts en fonction du revenu En

I

mensuel global du ménage sont un peu plus iniportants (tableau 5): de 0,94 en cas de revenus inférieurs a 5 500 francs par mois a I ,03 en cas de revenus de 20 000 francs et plus. Tableau 5

Indicateur de sante perçue selon le revenu du ménage standardisé sur I'ãge et le sexe Revenu du ménage (en francs)

Sauté perçue

<5500

0,94

5 500-8 000

0,97

8 000-9 500

0.98

9500-12000

1,01

12000-15000

1,00

15 000-20 000

1,01

20000

1,03

Ensemble

1,00

Source

Enquêie sur Ia sauté ci Ia protccuion sociale, 1996 Duniesnil ci a/u. 1997J.

La situation en Europe Les etudes menées en Europe de l'Ouest, en particulier en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves, montrent des résultats concordants avec ceux observes en France : on retrouve une association entre les indicateurs sociaux et les indicateurs de morbidité. Ainsi, en Grande-Bretagne comme en Finlande, les etudes réalisées niontrent que l'existence de maladies de longue durée incapacitantes (LLI, Li,nithzg Long-standing Illness) est Iiée a Ia categoric sociale [Arber, 1993]. En Finlande, les homrnes déclarant une LU représentent 10% chez les <> des fonctionnaires britanniques, les scores de sante perçue mesurCs par le SF36 sont d'autant plus Clevés que le niveau de PCS est élevé (Ia sante percue est d'autant meilleure que le score est Clevé) [Hemingway, 1997]. Cette association est très significative chez les hommes ; elle existe aussi chez les femmes, mais elle est moms forte. Les comparaisons entre pays européens montrent que, chez les hommes, les inégalités de morbidité (plus prCcisérnent de sante considérée comme nioins que bonne >>) selon le niveau d'éducation sont les plus importantes au

LES INDICATEURS GLOBAUX DE SANTE

169

Danemark, en Suede, en Norvege et aux Pays-Bas, alors qu'elles sont plus faibies en Allemagne, en Süisseeten Espagne.La France se situe a un niveau intermédiaire. Pour les femmes, c'est surtout au Danemark et en Suede que les écarts sont les plus importants, alors qu'ils sont faibles en Italie, en Allemagne et en Suisse {Mackenbach et alii, 1997]. DISCUSSION

Certaines lirnites des enquêtes francaises ont été évoquées précédemment.

Plus géneralement, l'étude des inégalites sociales de morbidité pose des problèmes qui tiennent au sujet d'étude : comme cela était souligne a propos de

l'enquête sur Ia sante et les soins médicaux [Sermet, 1994], Ia mesure de la morbidité renvoie au concept même de maladie, aux liniites entre le normal et le pathologique. Ce qui est normal pour une population dans une culture donnée ne l'est pas forcément dans une autre. La morbidité déclarée n'est pas seulement

soumise aux oublis volontaires ou involontaires, elle depend aussi de la perception de Ia maladie, variable en fonction de facteurs socioculturels, comme cela a été évoqué dans un chapitre précédent par Pierre Alach. La relecture et le

codage des réponses par un professionnel de sante ne > pas ces effets, et peuvent par ailleurs rendre plus complexe 1' interpretation des résultats. Une étude réalisée au centre de médecine preventive de Nancy montre que Ia definition de Ia sante et donc sa perception selon Ia PCS [D'Houtaud, 1994]. Une étude norvégienne [Elstad, 1996] s'est penchée surcette question en comparant, pour les mêmes personnes, Ia réponse a Ia question de I'existence

d'une maladie de longue durée incapacitante avec Ia declaration de maladies précises, leur durée et leur repercussion sur l'activité professionnelle. Ii en résulte qu'entre deux milieux socio-économiques extremes, dans lesquels le pourcentage de personnes déclarant au moms une maladie de longue durée incapacitante est identique, les personnes les plus défavorisées déclarent un nombre plus élevé de maladies; ces demières sont plus handicapantes et durent plus longtemps. De plus, les personnes défavorisées présenteraient plus de troubles graves que les personnes aisées. Cette étude incite a penser que les inégalités sociales en matière de morbidité seraient plus fortes que ne le montrent les enquetes. Cette hypothèse peut expliquer une des constatations issues des enquetes francaises: les inégalités sociales sont moms marquees pour les mdicateurs de sante percue que pour les indicateurs de morbidité que sont le risque vital et le degré d'invalidité (sur cette question, voir aussi le chapitre 11.5). Une autre étude [Mackenbach et alii, 1996] a porte sur La relation entre niveau d'études et sous-déclaration de maladies chroniques. La conclusion était egalement que les enquêtes par interrogatoire tendent a sous-estimer les différences sociales de morbidité. L'existence d'effets de ce type et le role éventuel de differences de prise en charge médicale (voir aussi les chapitres ffl.15 et

170

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

IV.26) pourraient expliquer que les inégalites sociales soient moms marquees pour Ia rnorbidité que pour Ia mortalité. Que cet écart soit particulièrement

important en France (voir chapitre 1.3) peut tenir aussi a d'autres causes, notamment Ia facon dont les questions sont posCes dans les enquêtes francaises [Alach et tzlii, 1987]. Une particularité des enquetes frariçaises de morbidité est en effet que l'abord de Ia morbid ité fait une place importante aux maladies bien identifiées, présentées sous forme de liste, et aux maladies ayant occasionné un recours aux soins [Alach et Curtis, 1990]. Des problèmes de sante limitant les activités quotidiennes, mais mal définis du point de vue du diagnostic, et peu pris en charge par le système de soins, pourraient être moms bien pris en conipte dans les enquêtes francaises. Ii est difficile de savoir si ceci a des consequences

également pour les réponses aux questions ayant une formulation proche de celle des autres pays, comme pour Ia sante percue. Ce phénomène n'est cependant pas observe de facon uniforme pour tous les problèmes de sante ; pour six types d'affections (bronchite chronique et maladies pulmonaires obstructives, maladies hypertensives, autres affections de l'appareil circulatoire, diabète, grippe, maladies infectieuses ci parasitaires), les inégalités sociales de morbiditC observCes dans I'enquête sur la sante et les soins médicaux ont été comparées aux inCgalités sociales de mortal ité [I)esplanques et a/u, 1996]. Pour les maladies chroniques, conime Ia bronchite chronique ou les maladies hypertensives, les gradients observes entre CSP sonttrès proches, qu'il s'agisse de mortalité ou de morbidité. Par contre, pour Ia grippe, les groupes socioprofessionnels oii Ia mortalité est Ia plus élevée (agriculteurs, artisans, ouvriers) sont ceux oci Ia morbidité est Ia plus basse. De telles distorsioiis entre mortalité et morbidité peuvent refléter des differences de declaration, ci de prise en charge médicale. La grippe et d'autres affections aiguës seraient ainsi mieux déclarées par les cadres et les employés, ci Cgalement soignées plus efficacement, pour des raisons qui peuvent lenir a un recours plus précoce au système de soins, a Ia qualité des soins ou a l'absence d'autres maladies. La reduction des inegalites sociales de passe par une analyse et un suivi du phénornène en France ci aussi en Europe. En mat ière de morbid ité, l'homo-

genéisation des outils de mesure est nCcessaire. L'emploi d'indicateurs communs et validCs dans diffCrents pays europCens devrait faciliter dans Ic futur une comparaison ci une analyse fine des inCgalitCs sociales de morbidité et de qualite de vie. En parallèle, II serait indispensable de disposer pour Ia France de données plus pertinentes, et de les analyser de facon approfondie. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES A1ACH P., CARR-I-IILL R., CURTIS S., ILLSLFY R. (1987), Les Inégalités sociales de sanlé en France et en Grande-Brezagne, La Documentation françaisc, Paris, 205 p.

LEs INDICATEURS GLOBAUX DE SANTE

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ii. La sante pénnatale Monique Kanzinski, Beatrice Blondel, Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles

Autour de Ia naissance comme aux autres ages de Ia vie, le premier indicateur

de sante qui a été considéré dans l'histoire est Ia mortalité, et plus particulièrement Ia mortalité infantile. On sait depuis longtemps que Ia mortalité infantile vane selon le niveau de développement économique des pays ainsi que selon la situation sociale des families. A l'échelle des pays, Ia mortalité infantile est si fortement corrélée au niveau de développement économique que certains La considèrent directement comme un indicateur de développement. Dans Ia population, les differences sociales de mortalité infantile ont été si fortes qu'elles ont servi de base pour Ia construction de l'indicateur de classe sociale utilisé au Royaume-Uni [Liberatos et alii, 1988]. Mais Ia mortalité infantile n'est qu'un indicateur de sante parmi d'autres. S'il résulte bien en partie d'événements survenant pendant Ia periode périnatale, ii depend aussi d'événements plus tardifs. Ii n'est donc peut-être pas le plus pertinent pour évaluer Ia sante en lien avec Ia grossesse et La naissance. Ce chapitre est centre sur l'issue de la grossesse et l'état de l'enfant a Ia nais-

sance et dans les premiers jours de vie. Ii a pour objectif de décrire les diffé-

rences sociales pour les principaux indicateurs d'issue défavorable de Ia grossesse et de pathologie de l'enfant a Ia naissance: mortalité pennatale et infantile, avortements spontanés et grossesses extra-utérines, prématurité, hypotrophie, malformations congénitales; les principales definitions sont données

dans l'encadré ci-après. Pour pouvoir apprécier l'amplitude des inégalités sociales en population, dans Ia mesure du possible, les données a base nationale ou régionale ont été privilegiées. Des données provenant d'autres pays ont été

egalement citées, soit en l'absence de données francaises, soit parce qu'elles apportaient un eclairage complémentaire.

174

INEGALITES PAR I)OMA I NE [)'EX

Definition des indicateurs de sante La in infantile est Ia mortalitCdanslaprernière année. Letaux de mortalité infantile est Ic nombre de dCcès dans Ia premiere annCc pour I 000 naissances — La rnortalité infantile se decompose en : niortalitC néo-natale précoce (entre 0 ci ôjours), mortalitC néo-riatale tardive (ernie 7 ci 27jours) ci mortalitC postnCo-natale (entre 28jours et I an). —

— On appelle mort-nCs les morts

partir de 22 semaines de gestation. Avant

22 semaines, on pane de fausses couches ou d'avortements spontanCs. 1)ans les stalistiques de i'Ctai civil français, les mort-nCs ne sont enregistrCs de 28 semaines de gestation, ernie 22 el 27 sernaines, Us ne sont pas comptahilisés. — La montalitC pCrinatale regroupe Ia montinatalitC ella morialitC nCo-natale precoce. Le taux de mortalitC pCrinatale est Ic nombre de mort-nCs et de dCcCs nCo-natals précoces pour 1 (XX) naissances tolales (nCs vivants ci mort-nés). y a done recouvremenl entre Ia mortalitC pCrinatale ci Ia mortalitC infantile, Ia mortalitC nCo-natale précoce entre dans Ia dCtinition de ces deux indicateurs. — La mortalitC regroupe Ia montinatalitC ella mortalité infantile. — Une naissance est prCmaturee si dIe se produit avant 37 semaines de gestation. — La durée de Ia gestation se calcule en nonibre de senlaines rCvolucs depuis Ic premier jour des derniCres rCgles. — A Ia naissance. un enfani est considCrC comme hypotrophique si son poids de naissance est inféricur a un scuil flxC en fonction de Ia durCc de Ia gestation en gCnCral. cc scuil est Ic dixiCme percentile de Ia distribution du poids de naissance pour Ia durCe de Ia gestation dans unc population de rCfCrence. Ce scuil est different pour les garçons et pour les filles.

En France, Ia politique médicale el sociale en faveur des femmes enceintes

et des jeunes enfants est développée depuis de nombreuses décennies. Le debut des annCes soixante-dix a eté marqué par un ensemble de mesures, le premier programme > [Rumeau-Rouquerte, 1996]. Ces niesures visalent a réduire la mortalité périnatale, Ia prCmacurité et les handicaps d'origine pennatale. Ce programme a été suivi par d'autres niesures médicales et sociales pour

les fenirnes enceintes et les nouveau-ties, et un nouveau programme dCfini en 1993 est en cours d'application. Dans I'ensemble, les niesures proposées ont éé largement appliquCes, et I'on a pu observer une evolution particul ièrement favorable de Ia sante périnatale. Au cours des trente dernières années, Ia mortalité

périnatale et Ia mortalité infantile ont baissé de mamere considerable: Ia mortalité périnatale est passCe de 21,3 pour 1 000 en 1972 a 12,3 pour 1 000 en

1981, et 7,4 pour 1 000 en 1995; Ia morlalitC infantile de 16,0 pour 1000 en 1972, a 9,7 pour I 000 en 1981, et 4,9 pour I 000 en 1995. Selon Ies pCriodes, Ia baisse a concernC surtout Ia mortalité nCo-natale, notamment grace aux progrès réalisés en obstétrique ci en néo-natologie, ou Ia mortalité postneonatale. Ces dernières années, la mortalité postnéo-natale a beaucoup baissé grace a des modifications des pratiques de puériculture ayani entralné une diminution du risque dc mort subite inexpliquee du nourrisson. La premalurité a, die aussi, fortement baissé : 8,2 % en 1972, 5,6 % en 1981, mais, contrairement ala

LA SANTE PERINATALE

175

mortalitd, elle n'a pas continue a baisser au cours des années les plus récentes: en1995,letaUx dë prématuritd était de 5,9 %. Dans les années soixante et soixante-dix, ii existait des differences sociales importantes aussi bien pour Ia mortalité périnatale et infantile [Dinh, 1998] que pour Ia prématurité ou le petit poids de naissance [Rumeau-Rouquette et alii,

1978]. Les mesures medicates et sociales évoquées plus haut avaient pour objectif une amelioration globale de Ia sante pénnatale : objectif en bonne part atteint comme le montrent les tendances observées. La question est de savoir si ces progrès ont bénéficié a toutes les categories de Ia population et s'ils ont ou non contribué a diminuer les inégalités sociales. LE CONSTAT DES DIFFERENCES

Les indicateurs sociaux

Trois éléments pnncipaux sont habituellement utilisés pour caractériser Ia situation sociale: le niveau d'études, Ia profession et le revenu, mais cette dernière information n'est que très rarement disponible dans les enquêtes. Les caractéristiques sociales susceptibles d'influer sur 1' issue de Ia grossesse sont

non seulement celles de Ia femme mais aussi celles du couple. Cela vient compliquer Ia definition déjà difficile de Ia situation sociale des femmes [Liberatos et alii, 1988]. En effet, retenir Ia profession de Ia femme ne permet pas de

classer Ia proportion importante de femmes sans activité professionnelle, et retenir celle du conjoint ou compagnon ne permet pas de classer les femmes vivant seules. Une definition de Ia catégorie socioprofessionnelle du couple, établie sur Ia profession de niveau le plus élevé dans le couple (ou Ia profession de Ia femme, pour les femmes vivant seules), répond en partie a cette difficulté.

Mortalité fteto-infantile En France, lacatégorie socioprofessionnelle des parents figure sur Ic bulletin de naissance, pour les enfants nés vivants comme pour les mort-nés, mais pas sur le bulletin de décès. Pour connaItre la repartition de Ia mortalité infantile en fonction de Ia categorie socioprofessionnelle, ii faut donc que soient appariés ces deux bulletins. La cohorte Ia plus récente pour laquelle cet appariement a été réalisé est celle des enfants nds en 1984-1989 [Dinh, 1998]. Le tableau 1 montre que les taux de mortalité pénnatale et infantile varient en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père. Pour les enfants légitimes de père actif, ii existe

un fort gradient social de mortalité périnatale: de 7,1 pour 1 000 pour les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures a 10,2 pour 1 000 pour les enfants d'ouvriers ; une analyse plus détaiHée fait même apparaItre un taux de 11 pour 1 000 pour les enfants des personnels de service, et 11,7 pour 1 000 pour les enfants d'ouvriers non qualifies [Dinh, 1998]. La

176

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXI'RESSION

mortalité est également élevée pour les enfants d'agriculteurs ou d'artisans ou comrnercants. Pour Ia mortalité infantile, Ia tendance est globalernent Ia rnêrne,

avec des écarts moms importants; contrairement a Ia mortalité périnatale, Ic taux le plus faible est observe pour les professions intermédiaires, et non pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Pour les deux indicateurs, les taux les plus élevés concernent les enfants de père non actif. Tableau I

Taux de mortalité périnatale et infantile selon Ia catégorie socioprofessionnelle du père (F'rance métropolitaine, génération 1984.19891 -

.

.

Categoric socioprofessionnelle du pere 2 •

Ensemble des naissances Naissauces hors manage Naissances légitimes

Naissances légitimes Non actifs Actils Agriculteurs Artisans, commerçants cadres etprofessions intellectuelles supermeures

Professions jut erinédjaires Employés Oupriers

Nombre de .

naissances

'faux de inortalité périnatale3

infantile4

4 463

9,9

1

069

11,6

7.6 8,8

3

574

9,4

7,2

104

18,4 9,!

10,6

8,7

(en milliers)

3470 1/0

7,1

/ 78

9,4

7,0 7,2

346

7,1

6,5

566 699 I 616

7,9

6,2

8,8

6,7

10,2

7.7

I. 1)'aprês Dinh 998. 2. Nomenclature PCS 1982

Ia categoric socioprofessionnelle du pare nest enregistrée a lttat civil que pour les naissances

lCgitiunes.

3. Pour I 1)04) naissances totales. 4. Pour I 000 naissances vivantes.

Le risque de décès périnatal ou infantile des enfants nés hors manage est plus élevé que celui des enfants légitimes. Or, ties hors manage ne peuvent pas être classes scion Ia categorie socioprofessionnelle de leur père, car celle-ci n'est enregistrée a l'état civil qu'en cas de naissance légitime. Cela peut d'autant plus affecter les rCsultats que ces enfants sont de plus en plus nombreux 8 % en

1972, 13% en 1981, 38% en 1995. II est vraisemblable que les differences sociales de mortalitC des enfants nés hors manage ne soient pas identiques àcelles

des enfants légitinies, et que les chiffres presentes sous-estiment les inégalités sociales [Barbieri et Toulemon, 1996]. En Angleterre-pays de Galles, les naissances hors manage oni également augmente, la profession du père est enregistrée non seulement pour les naissances dans le manage, mais aussi pour les naissances dCclarées conjointement par les deux parents, soiL 92 % du total des naissances en 1993-1995 [Boning, 1997]. Le tableau 2 monire que Ic gradient social est plus

177

LA SANTE PER1NATALE

important pour l'ensemble des naissances que pour les naissances legitimes latha palement par une proportion plus élevée de naissances hors manage dans les groupes sociaux les moms favorisés. Tableau 2

Taux de mortalité périnatale et infantile selon Ia profession du père et le statut légitime ou non de Ia naissance (Angleterre-pays de Galles 1993-1995 ; naissances légitimes ou déclarées conjointement par Ia mere et le père') Taux de mortalité infantile3

périnatale2 a a

a

C

E E

Profession du père

v

a a,

n

a

a

a,

z

z

z

Total

27

8j

I. Professions supérieures

10

7,0

8,0

6,9

II. Professions interniédiaires

17

7,3

8,0

7,1

III. N Professions qualifiées non manueHes

20

8,4

9,5

ifi. M Professions qualifiées manuelles

33

8,5

9,7

IV. Professions semi-qualifiées

36

9,9

10,1

V. Professions non qualifiées

47

11,5

11,5

7A

53

4,5

5,4

4,4

4,8

5,9

4,6

8,2

5,5

6,9

5,1

7,9

5,9

7,0

5,4

9,7

6,6

7,2

6,2

,4

7,7

8,5

6,9

8,2

1

I. Daprès Rotting [19971 Ia profession du pete est enregistrée a Fétat civil pour es naissances tégitimes, et les naissances hors avec declaration de naissance conjointe des deux parents (environ 92 % du total des naissances). 2. Pour I 000 naissances totales. 3. Pour I 000 naissances vivantes.

L'analyse de Ia mortalité infantile selon l'activité professionnelle de Ia mere

(tableau 3) fait tout d'abord apparaItre une mortalité plus faible lorsque les mères sont actives; cette difference est plus grande pour les naissances hors manage que pour les naissances legitimes. Parmi les femmes actives, les taux

les plus bas sont observes pour les professions intermédiaires, puis les employees, les cadres et professions intellectuelles supérieures, les ouvrières, les artisanes et commercantes et les agricultrices; les differences sociales de mortalité infantile selon la profession sont sensiblement les mêmes pour les naissances hors manage que pour les naissances ldgitimes.

INEGALITES PAR 1)OMAINE 1)'EXPRESSION

Tableau 3

Taux de mortalité infantile selon Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia mere (France métropolitaine, génération 1984.19891) Catégorie socioprofessionnelte de Ia mere2

'Faux de mortalité infantile3

Tt4l

Naissances

hors manage

Naissances legitimes

Non aclives

8,8

10,6

8,2

Actives Agricultrices Artisanes, co,ninerçantes Cadres et professions superteures Professions inier,nddiaires

6,6 8.5 7,5

7.2

6,5

—

8,5

7,7

7,4

7.0

7,3

6,9

6, / 6,6

6,1

7,!

7,6

6,0 6,4 7,0

Ouvrières

7.5

I. I)'aprês l)i,th

998]. 2. Nomenclature PCS 1982. 3. Pour I 000 naissances vivantes.

Les differences sociales existent pour toutes les principales causes de décès infantile prématurité, malformations congénitales, infections et mort subite inexpliquée du nourrisson, et ceci malgré Ia diminution importante de cette dernière cause de dCcès [Boning, 1997]. I)e plus, Ic petit poids de naissance est un determinant important de Ia mortalitC foeto-infantile, et 11 est lui-même plus frequent dans les groupes sociaux plus défavorisCs; toutefois, les données anglaises montrentque Ic gradient social de mortal ité existe danstoutes :

les classes de poids de naissance. Malgré Ia baisse considerable de Ia mortalité qui a concerné toutes les classes sociales, il existe toujours des differences importantes, ménie si les écarts paraissent s'être atténués au cours des annCes [Dinh, 1998]. Le fait qu'un taux global de mortal ité faible ne s'accompagne pas d'une disparition des inégalités sociales apparaIt egalementdans Ia comparaison entre pays a situation

contrastée. Au milieu des années quatre-vingt, les differences sociales de mortalité infantile, en risque relatif, étaient les mêmes en Grande-Bretagne et en

Suede, malgré une mortalité beaucoup plus faible, et un système social et medical beaucoup plus favorable en Suede [Leon et (liii, 1992]. Les résultats prCcCdemment cites concement la categoric socioprofessionnelle du père ou de la mere. Une étude récente réalisée cii Seine-Saint-Denis sur Ia mortalité et néonatale fait apparaItre le role important du niveau d'Ctudes de Ia mere : le risque de mortalité est d'autant plus élevé que Ic niveau d'études est faible [Zeitiin et alii, 1998]. Des rCsultats similaires existent pour Ia mortalité infantile dans tine enquête nationale ; cette enquête montre de plus que les écarts scion Ic niveau d'études maternel sont encore plus grands pour les naissances hors manage que pour les naissances légitimes, renforcant ainsi

LA SANTE PERINATALE

179

1' hypothèse d'une sous-estirnation des inegalites sociales par les données issues de l'état civil [Barbieri etToulemon, 1996]. Avortements spontanés et grossesses extra-utérines

La littérature sur les differences sociales du risque d'avortements spontanes est beaucoup moms étendue que celle concemant Ia mortalité freto-infantile; elle est aussi moms claire dans ses résultats, sans doute en raison de difficultés méthodologiques. Des données anciennes provenant du registre des hospitalisations en Finlande font apparaltre un gradient en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia femme, aussi bien pour le taux d'avortements spontanés par femme que pour le ratio avortements spontanés/naissances [Hemminki et alii, 19801. Des etudes plus récentes montrent des résultats apparemment

contradictoires: diminution du risque d'avortements spontanes lorsque le niveau d'études augmente dans une étude italienne [Parazzini et alii, 1997], ou, au contraire, absence de lien entre le niveau d'études et les avortements spon-

tanés chez les femmes blanches, et augmentation du risque avec le niveau d'études chez les femmes noires aux Etats-Unis [Savitz et alii, 1994]. La repartition sociale d'un certain nombre de facteurs de risques d'avortements spontanés — antécédents d'infections génitales, usage du tabac, de l'alcool, exposition professionnelle a des toxiques chimiques — ferait plutôt attendre un excès d'avortements spontanés dans les groupes sociaux plus défavorisés. En revanche, le risque d'avortement spontané augmente avec l'âge et l'âge a Ia maternité est plus élevé dans les milieux favorisés. Le problème majeur des etudes sur les avortements spontanes est qu'elles portent sur des cas ayant donné lieu a un recours aux soins, le plus souvent avec une hospitalisation ; or les avortements spontanés précoces peuvent ne pas être identifies par les femmes, et même s'ils le sont, us peuvent ne pas donner lieu a un recours aux soins, ou a une hospitalisation. II est vraisemblable que ces avortements spontanes non comptabilises dans les enquêtes sont plus nombreux dans les milieux sociaux défavorisés, comme le suggèrent des données américaines

pour les femmes noires [Savitz et alii, 1994]; ce sous-enregistrement plus important pour les groupes sociaux défavorisés peut expliquer en partie les résultats contradictoires de Ia littérature. Les grossesses extra-utérines (GEU) représentent actuellement environ 2 %

des naissances. Contrairement aux avortements spontanés, elles donnent presque toujours lieu a un recours aux soins. Toutefois, le risque de GEU en fonction des caractéristiques sociales est peu connu; une étude réalisée en France ne fait pas apparaItre de differences de niveau d'études entre les femmes

ayant eu une GEU et un groupe témoin de femmes venant d'accoucher [Tharaux-Deneux et alii, 1998] ; il en est de même dans une étude menée aux Etats-Unis [Holt et alii, 1989]. Cette dernière montre toutefois une petite

augmentation de risque chez les femmes aux revenus les plus faibles. Comme

180

INEGALITES PAR I)OMAINII I)EXPRE.SSION

pour les avortements spontanés, cette quasi-absence de difference sociale dans

l'incidence de Ia GEU est pIutót surprenante, compte lenu des principaux facteurs connus de GEU, comme les infections génitales ou I'usage du tabac.

Malformations congénitales Bien qu'ii y ait en France, comme dans de nombreux pays, des registres de malformations congCnitales, Ia littérature n'offre pratiquement pas de données

sur Ia fréquence de ces malformations selon les categories sociales. Une enquête menée a Paris sur plus de 10000 femmes dans les années soixante ne montrait pas de difference de prevalence des malformations congénitales majeures a Ia naissance scion l'activité 1)rofessioflnelIe de Ia mere ou Ia categorie socioprofessionnelle du père [Rumeau-Rouquette et cdii, 1978]. Une enquete menée pius récemment au Danemark montre, au contraire, une prevalence plus éievée des malformations lorsque Ia mere ou ie couple appartiennent a une categoric socioprofessionnelle défavorisée [Olsen et Frische, 1993]. Deux difficultés viennent compliquer l'étude des malformations congénitales: Ia compiexité du mécanisme causal, qui vane selon Ia nature de Ia malformation, et Ia part grandissante du diagnostic prenatal et des interruptions médicales de grossesse pour malformation Une pratique generaiisée du diagnostic prenatal entraIne une meilleure identification des

malformations, et donc des fréquences plus élevées, que ces malformations donnent lieu ou non a interruption mCdicale de grossesse. De plus, certaines etudes portent seulement sur les malformations a la naissance, les autres incluent

également les interruptions mCdicales de grossesse. Pour les malformations repérables pendant Ia grossesse, ces etudes peuvent conduire a des résuitats différents sur Ia distribution des malformations en fonction des categories sociales. En effet, on peut penser que la frequence du recours au diagnostic prenatal, étape nécessaire avant I'interruption médicale de grossesse, vane selon Ia categoric sociale, comme ccl Ic du recours aux soins de manière plus générale,

niême si, en France, le dépistage, fondé sur l'echographie et les tests sérologiques, est maintenant largement intégré dans Ia surveillance prenutale. A notre connaissance, ii n'existe pas de donnCes sur Ic recours a l'interruption médicale de grossesse en fonction de Ia catCgorie sociale. Les anomalies du tube neural (anencéphalie, spina bifida) sont particulièrement intéressantes It étudier en fonct ion de Ia catCgonie sociale, car elles sont

en partie évitables par tine supplementation péniconceptionnelle en acide folique. ii est établi depuis longtemps que Ia frCquence de ces anomalies vane beaucoup selon les pays CL les zones gCographiques. Les données des annécs soixante-dix et du debut des années quatre-vingt montraient un gradient social dans Ia plupart des pays, y compris dans les pays oü ces anomalies sont relativement rares. Une etude a montrC qu'intervenaient It Ia lois les caractéristiques socio-économiques individuelles et celles de Ia zone de residence [Wasserman

LA SANTE PERINATALE

181

et alii, 1998]. La littérature plus récente a rarement considéré Ia situation sociale

commefacteur d'intéiêt, ators que les rdsultats p6urraientdifférer de ceux des périodes antérieures en raison du développement de Ia prevention vitaminique. Ainsi, une étude récente aux Pays-Bas montre que Ia pnse preventive d'acide folique est d'autant plus frequente que le niveau d'études des femmes est élevé [De Walle et alii, 1999]. Cette étude montre de plus qu'une campagne d'information sur l'acide folique a entraIné une augmentation globale de l'utilisation, sans reduction significative des inégalités sociales. La France est un pays oii

les anomalies du tube neural ont une fréquence relativement faible, et Ia prevention vitaminique y est peu developpee, ce qui peut expliquer que les etudes n'aient pas abordé prioritairement cette question. Pour la tnsomie 21, une fréquence plus élevée dans les milieux sociaux plus favorisés est parfois rapportée ; cette tendance peut s'expliquer par l'augmentation du risque de trisomie 21 avec I'âge maternel, les mères plus âgées appartenant plus souvent a des categories sociales favorisées [Martin Lopez et alii, 1995].

Prématurité et hypotrophie a Ia naissance Une large part de Ia littérature intemationale fait état d'un gradient social de prématurité [Berkowitz et Papiernik, 1993] et d'hypotrophie [Kramer, 1998], que La situation sociale soit appréciée par le niveau d'études de Ia mere, par Ia categorie socioprofessionnelle de Ia mere, du père ou du couple, ou, plus rarement, par le revenu. Les résultats a base nationale ou régionale les plus récemment publiés datent toutefois des années quatre-vingt [Sanjose et Roman, 1990; Olsen et alii, 1995]. En France, les données de l'enquête nationale pénnatale de 1981 faisaient apparaItre un gradient social de prématurité en fonction du niveau d'études de Ia mere et de la catégorie socioprofessionnelle du ménage [Foix-L'Hélias, 1998]. L'enquete nationale périnatale 1995 (voir encadré) permet de faire le point

sur Ia situation actuelle, grace a une analyse réalisée pour ce chapitre. Le tableau 4 montre Ia distribution des taux de prématurité et d'hypotrophie en fonction des caractéristiques sociales. Pour ces deux issues de grossesse, le taux

est d'autant plus élevé que le niveau d'études des mères est faible: le taux de prématurité passe de 3,4 % pour les femmes ayant an niveau d'études supérieur au baccalaurdat a 5,4 % pour les femmes ayant un niveau d'études pnmaire, et le taux d'hypotrophie, de 5,8 % a 9,9 % pour les mêmes groupes. Les tendances sont identiques avec Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia mere, celle du père et celle du couple. Les écarts sont un peu plus importants pour l'hypotrophie que pour Ia prématurité. Pour les deux indicateurs de sante, on note la situation défa-

vorable des femmes agncaltrices, artisanes ou commerçantes, et des couples appartenant a cette catégorie, ou a celle des employés de commerce, personnels de service ou ouvners, ainsi que les risques particulièrement élevés pour les enfants des couples sans profession.

182

INEGALITES PAR DOMAINIi I)'EXPRESSION

Tableau 4

Taux de prérnaturité et d'hypotrophie selon les caractéristiques sociales de Ia mere

et du père (enquête nationale périnatale 1995, naissances vivantes uniques) •

Eflectifs Total

Prématurité' Hypotrophie2 %

%

12 777

4,5

7,6

709

5,4 5,4 4,0 3,4

9,9 8,5 8,3 5,8

Niveau d'études de Ia mere Primairc3 Secondaire icr cycle

4930

Secondaire 2C cycle Supérieur

2 474 3 943

Catégorie socioprofessionneHe de Ia mere Agricultrices, commerçantes. artisanes

379 941

5,3 3,4

8,8

Cadres ci professions intellectuelles supCricures Professions intermCdiaires EmployCes (bureau) EmployCes (commerce) Personnel de service OuvriCres qualiliCes Ouvrières non qualitiées Sans profession4

1 969

3.6

3 335

4.1

1 071

4,5 4,8 4,4 5.4 5,6

5.8 7,2 8.9 8,8 7.3 9,8 8,5

I

176

565 796

2 124

5,1

Catégorie socioprotessionnelle du pCre5 Agriculteurs. commerçants. artisans

I

156

intellectuelles supCrleures Professions intermédiaires EmployCs (bureau) Employés (commerce) Personnel de service

I 683

Ouvriers qualifies Ouvriers non qualifies

3478

Cadres et

Sans profession4

I

878

I 453 335 171

I

123

196

4,8 3,6 3,4 4.6 3.4 3.5 4,4

5,0 9.2

8.6 4,6 5,3 7,1 8.1

9,4 8.1

9,6 11.3

Categoric socioprofessionneile du coupleb Cadres ci professions intellectuelles supérieures Professions intermCdiaires EniployCs (bureau) Agriculteurs, commerçants. artisans EinpioyCs (commerce), personnel de service, ouvners Sans profession dans Ic couple4

2 042 2 552 2 942

3,4

4.4

4,4 6.4 7,8

745

5.4

10,0

3 793

5,2

9,0

492

5.7

12,1

3,6

I. Naissances avon 37 sernaines de gestation. 2. Naissances de poids inférieur au disième percentile pour lSge gestationitel June population de référence IManielle ci uuli. 19961. 3. Y compris les feunnies non scolaris&s. 4. Les pel-sonnes au chômage ayant déclaré tine proFession soul ciassécs en lonctioti de celle-ci. 5. Pour lea fentunes sivant en couple. rnariées ou non. 6. Classéc scion Ia profession de niveau Ic plus ékvé selout iordre ile Ia liste. cc soil celk de Ia no du pêre. pout lea lemmes vivant en couple. ci scion Ia profession as Ia mere pour lea femmes ne visant pas en couple. PCS 1952.

LA SANTE PERINATALE

-

183

L'enquête nationale périnatale 1995

Cette enquête porte sur toutes les naissances survenues en France entre le 3Ojanvier et le 5 février 1995. Pour Ia France métropolitaine, l'enquête porte au total sur 13 147 femmes. Les résultats présentés dans les tableaux de ce chapitre concernent les femmes ayant eu Un enfant unique né vivant, soil 12 869 femmes. Les données médicales ont été extraites des dossiers hospitaliers, les données démographiques, sociales et sur le recours aux soins ont eté recueillies en interrogeant les femmes pendant leur séjour en maternité. Le protocole et les premiers résultats sent décrits dans un article [Blondel et alii, 1997].

DIFFERENcEs SOCIALES DANS L'ISSUE DE LA GROSSESSE: LES MEDIATEURS

Pour mieux comprendre les liens entre les facteurs sociaux et Ia prématurité ou l'hypotrophie, nous pouvons prendre en compte simultanément les facteurs sociaux et les autres facteurs connus comme influencant ces issues de La gros-

sesse a l'aide de modèles statistiques appropriés. Cependant, les facteurs sociaux sont trop fortement lies entre eux pour pouvoir être analyses simultanément dans un même modèle. Par exemple, en 1995, parmi les femmes de niveau d'études primaire, 70 % appartiennent a des couples <<employes de commerce, ouvriers et personnels de service >>, et 4 a des couples classes <> ou <<professions intermédiaires>> ; a l'inverse, parmi les femmes de niveau d'études supdrieur, 5 % appartiennent a Ia premiere catégorie, 76 % a Ia seconde. Cela a conduit a analyser sdpardment Le lien de l'issue de Ia grossesse avec le niveau d'dtudes de La mere, d'une part, la catégorie socioprofessionnelle du couple, d'autre part.

Globalement, ii y a consensus dans Ia littérature sur le role de certains facteurs dans l'étiologie de Ia prématurité ou de l'hypotrophie [Berkowitz et Papiernik, 1993; Kramer, 1998]: des facteurs plutOt <> comme une grossesse aux ages extremes de Ia vie reproductive, une premiere grossesse, des antécédents de naissance d'enfant prématuré ou de petit poids, un poids maternel faible avant grossesse, et des facteurs lies aux conditions et aux modes

de vie, comme l'ongine étrangère, Le fait de vivre seule, de ne pas avoir d'emploi, une surveillance prénatale insuffisante (qui interviennent surtout sur le risque de prématurité), ou le fait de fumer (qui intervient surtout sur la croissance du fcetus).

Cette selection de facteurs repose sur l'dtat de Ia littérature et ne correspond pas toujours a Ia situation actuelle en France. Même si I'origine etrangere reste un facteur de risque de mortal ité infantile [Dinh, 1998], Son role comme facteur de risque de prematurité ou d'hypotrophie n'est pas si evident; en France, en

1981, les differences étaient faibLes [Foix-L'Hélias, 19981, en 1995, elles n'apparaissent plus. De Ia même manière, le fait de vivre seule ou en couple, et, pour les femmes en couple, le fait d'être mariée ou non influaient sur le risque de prématurité en 1981 ; ce facteurjoue beaucoup moms en 1995.

184

INEGALITEs PAR 1)OMAINE I)'EXPRESSION

Les facteurs de risque de prCmaturité ou d'hypotrophie indiquCs plus haut sont d'autant plus fréquemment observes que Ia situation des femmes se situe au bas de Ia hiérarchie sociale. Le pourcentage de femmes vivant seules passe de

3 % parrni les femmes ayant un niveau d'études supérieur a 10 % parmi les femmes ayant un niveau d'études correspondant au premier cycle du secondaire, Ic pourcentage de femmes sans emploi, de 22 % a 47 %, le pourcentage de funieuses, de 16 % a 33 %. Deux exceptions concernent l'âge maternel élevé et Ia primiparite, plus frequents dans les groupes sociaux favorisés. Le pourcentage

des femmes de moms de 25 ans passe de 29 % parmi les femmes de niveau d'études de premier cycle du secondaire a 10 % parmi les femmes de niveau d'études supCrieur; a l'inverse, Ic pourcentage de femmes de 35 ans et plus

passede 10%à 14%. Le tableau 5 montre comment varient les risques de prématurité et d'hypotrophie en fonction du niveau d'études de Ia mere et de Ia categoric socioprofessionnelle du couple, après ajusternent sur tous les facteurs indiques plus haut. Tous ces facteurs ont ete pris en compte dans l'analyse, au risque d'un surajusternent, et donc d'une sous-estimation des risques associés a Ia situation sociale (voir chapitre 11.7). Tableau 5

Risque de prématurité et d'hypotrophie scion Ic niveau d'études de Ia mere et Ia categoric socioprofessionnelle du couple, après prise en compte des autres facteurs (enquête nationale périnatale 1995, naissances vivantes uniques) Prérnaturité

Hypotrophie

OR' ORa2 IC 95 %3 OR' ORa2 IC 95 %3

Niveau d'études de Ia mere i'rimaire4

1.6

1.3

2.0

1,6

1.4

0.8-2,1 1.1-1,8

1.8

Secondaire Secondaire SupCrleur

1,5

1,3

1,2

1.2

0,9-1.6

1,5

1,4

cycle

I

I

1

1

I

I

1.4-2.8 1,0-1.5 1,1-1.7

I

Catégorie socioprofessionnelle du couple4 Cadres ci professions intel lectuelles supérieures Professions irncrmédiaires EmployCs (bureau) Agriculteurs. commerçants. artisans EmployCs (commerce), personnel de service. ouvriers Sans profession dans le couple

1.1

1.0

1,3

1,0-1.8

1.2

0.7-1,4 0.9-1.7

1,5

1.3

1,8

1.6

1.3-2.1

1.6

1,3

0.8-2.1

2.4

2,2

1,6-3,1

1.6

1,4

1.0-1.9

2,1

1 .8

I .4-2,4

1.7

1.0

0,5-2.0

3.0

1.4

0.9-2.4

I. Odds ratios bruts. 2. Odds ratios ajustés stir I'ñge Is mere. Is poriié, ks obstétricaus psihologiqucs. Is poids de Is Is situation ruaritale. Ia naijonahie. Is stalut de Is mere ii légard de Ieinploi. lusage du tabac. ci un notabre tIe '.isites prénalales inféneur S Ia réglemenlution. 3. Intervalk de conf,ance 595 pour IOdds ratio ajusté. 4. Voir notes tabkau 4.

LA SANTE PERINATALE

185

Les risques associés aux deux indicateurs sociaux ont un peu diminué par rapport aux observations brutes, ce qui mOñtre cés facteurs expliquent en partie les differences sociales. Toutefois, ces risques restent êlevés, en particulier pour l'hypotrophie, ce qui suggère que d'autres mécanismes doivent intervenir. Parmi les mécanismes évoqués, Ia littérature avance souvent des facteurs individuels comme les comportements a risque (consommation de tabac, d'alcool), les expositions professionnelles et environnementales, l'accès et le recours aux soins et Ia qualite de ceux-ci, des facteurs nutritionnels, et, pour la prématurité, les infec-

tions génito-urinaires, dont Ia frequence serait plus grande dans les groupes sociaux défavorisés [Berkowitz et Papiemik, 1993 ; Kramer, 1998]. L'exposition a de nombreux facteurs de stress, comme des conditions de vie habituelle difficues, ou des événements de vie stressants tels qu'une perte d'emploi, le décès ou Ia maladie grave d'un proche, une moms grande capacité ày faire face, un soutien social insuffisant, sont aussi proposes comme des elements médiateurs conduisant aux inégalites sociales d'issue de grossesse [Rutter et Quine, 1990]. Toutefois, si ces facteurs sont effectivement plus souvent presents dans les groupes sociaux defavorises, leur role etiologique dans les avortements spontanés, Ia prematurite ou I'hypotrophie commence seulement a être explore. Les etudes ayant analyse le role des facteurs sociaux en prenant en compte certains des facteurs explicatifs ci-

dessus montrent le plus souvent que des differences sociales subsistent, mais qu'elles sont moms fortes qu'en donnees brutes. L' idée prevaut souvent que si une etude pouvait prendre en compte tous les

facteurs en méme temps, toute l'amplitude des differences sociales serait expliquee [Kramer, 1998]. Cependant, cela merite d'être discuté pour plusieurs raisons. D'une part, Ia réalisation d'une telle étude serait techniquement difficile a mettre en ceuvre en raison du nombre élevé d'informations qu'il faudrait recueillir, et de Ia taille necessaire de l'echantillon pour assurer une valeur statistique aux conclusions. D'autre part, cette idée repose sur le concept que les differences sociales observees se constituent uniquement par des mecanismes agissant a l'échelle individuelle. Or on peut penser que des facteurs interviennent egalement a un niveau collectif, comme le fonctionnement des collectivités auxquelles appartiennent les femmes, et notamment le développement socio-economique et Ia cohesion sociale des lieux ou groupes dans lesquels les femmes évoluent (voir chapitre P1.27). Ces facteurs contextuels peuvent avoir un effet direct sur Ia sante, ou bien moduler l'effet des facteurs individuels. Le role étiologique d'une caractenstique individuelle peut, en effet, dépendre de sa signification sociale dans Ia population, de sa fréquence plus ou moms grande dans cette population, et des facteurs associes qui peuvent interagir avec elle. Par exemple, le fait de vivre dans une zone oü les femmes sont peu nombreuses a exercer une activité professionnelle pourrait influer sur Ia sante pennatale, indépendamment des caractéristiques individuelles des mères. On peut aussi se demander si le fait de ne pas exercer soimême d'activité professionnelle influe de manière différente sur la sante pennatale selon que l'on vit dans une zone a fort ou faible taux d'activité, et donc que

186

1NEGALITES I'AR DOMAINE D'EXPRESSION

l'on se trouve sur le plan social dans une situation << marginale par rapport au milieu dans lequel on vit.

>

ou

<

normale>>

Les premiers travaux sur les determinants collectifs de sauté périnataie portent sur le petit poids de naissance [Roberts, 1997 ; O'Carnpo et a/il, 1997]. us montrent comment des caractéristiques de la zone d'habitat, comme le taux de chômage, le pourcentage de families au-dessous du seuil de pauvreté, ie revenu moyen, Ia distribution du niveau d'études, de Ia catégorie socioprofessionnelie, ou Ia surpopulatiori des logements, sont associées au risque de petit poids de naissance, même après prise en compte des caractéristiques sociales individuelles. us suggerent egalenient que l'effet de ces caractéristiques individuelles vane selon Ic niveau de dCveloppement socio-économique de Ia zone d'habitat, et que le risque lie aux situations individuelles défavorisCes serait plus grand dans un environnement social favorisé. Parmi les autres processus évoquCs pour expliquer les differences sociales de

sante périnatale figure Ia mobilité sociale. Les travaux d'lllsley a Aberdeen [IlIsley, 1983] out analyse I'issue de Ia grossesse (mortalitC périnatale et petit poids de naissance) en fonction de Ia categoric socioprofessionnelle du père de Ia femme et de celle de son conjoint : us montrent des differences d'issue de la grossesse plus grandes en fonction de Ia catégorie sociale actuelle (ceile du conjoint) que de celle d'origine (celle du père), même si cette dernière intervient égaiement. Des donnCes danoises plus récentes [Basso et a/li, 1997] montrent comment Ic changement de catégonie sociale du couple entre deux naissances successives affecte Ic risque d'avoir un enfant de petit poids de naissance : quel que soit Ic niveau social lors de Ia prenlière naissance, une diminution du niveau social entre les deux naissances est associée a une augmentation importante du risque de petit poids, une augmentation du niveau social a une diminution de ce risque. Si ces rCsultats montrent que la carégorie sociale du couple au moment de Ia grossesse est plus predictive de Ia naissance d'un enfant de petit poids que Ia catégorie sociale antérieure, ils ne permettent pas de savoir Si s'ajoute un effet supplémentaire a Ia mobilité sociale ascendante ou descendante. PARTICULARITES I)U I)OMAINE DE LA SANTE PERINATALE

Les problèmes de sante traités dans ce chapitre se produisent AI'occasion d'un événernent, Ia naissance, qui est maintenant planifiC par Ia majorité des fenimes. On pourrait donc s'attendre a un impact de Ia situation sociale moms important que pour les autres domaines de 1a sante, considérant que les femmes peuvern choisir des moments de leur vie et des situations qu'ellesjugent plutôt favorables

a une naissance. Une enquete menée par I'Institut national d'études démographiques (INED) en 1988 [Toulemon et Léridon, 19921 a permis d'estimer qu'environ trois quarts des naissances étaient dCsirCes, et que Ia très grande majorité des femmes exposées au risque de grossesse non dCsirée utilisaient une

187

LA SANTE PERINATALE

de contraception, le plus souvent Ia pilule ou le stérilet. Toutefois, en 1988, ii sübsistait des sociales dansi'utilisation des méthodes de contraception, en particulier pour Ia pilule et le stérilet, avec une utilisation d'autant plus fréquente que les femmes appartenaient a une catégorie sociale plus

favorisée, et une repartition inverse pour Ia survenue d'une naissance non planifiée ou non désirée, et le recours a l'interruption volontaire de grossesse (IVG). La seule exception concerne les femmes ouvrières, qui se caractérisent a Ia fois par une plus faible utilisation de Ia pilule et du stérilet, un faible taux de naissances non désirées et un faible taux d'IVG. En revanche, les femmes sans profession, qui sont les plus faibles utilisatrices de contraception, ont des taux dlevés de naissances non désirées et d'IVG [Toulemon et Léridon, 1992]. Les politiques sociales et de sante ont une place particulièrement importante

autour de Ia naissance, avec des mesures spécifiques en faveur des femmes enceintes et des jeunes enfants. Ces politiques ont pour objectif d'assurer un minimum de soins pour tous et une prise en charge des femmes les plus défavorisées. Depuis de nombreuses années, les mesures visent a assurer un bon suivi medical de La grossesse, notamment grace au remboursement des soins a 100 % a partir du cinquième mois de grossesse, et au lien entre Ia surveillance médicale

(une visite par mois a partir de la fin du premier trimestre) et I'attribution de

l'allocation pour jeune enfant. Depuis 1996, un plafond de ressources du ménage conditionne le versement de cette allocation; le plafond retenu exciut environ un quart des femmes, celles dont les ressources sont les plus élevées, ce qui ne devrait pas affecter sensiblement Ia surveillance prénatale. Le nombre moyen de visites prénatales dépasse actuellement celui indiqué dans Ia législation, et le nombre de femmes ayant très peu de visites prénatales est très faible; en 1995, 1 % des femmes ont eu moms de quatre visites prénatales [Blondel et alii, 1997]. II subsiste pourtant des differences sociales dans le

nombre de visites prénatales, le nombre d'examens échographiques,

Ia

spdcialité du praticien consulté. Les femmes très peu suivies ont un risque élevé d'issue défavorable de la grossesse ; cette surveillance prénatale insuffisante est due en partie a des difficultés économiques ou reglementaires d'accès aux soins, notamment pour les femmes étrangères, mais, pour une proportion importante de femmes, intervient egalement le ddni ou le refus de Ia grossesse ; ces raisons économiques et psychologiques contribuent a expliquer le risque élevé d'issue défavorable de grossesse de ces femmes [Blondel et Marshall, 1996]. Par ailleurs, Ia quasi-genéralisation du congé prenatal supplémentaire prdvu initialement en cas de pathologie de Ia grossesse, ainsi que le nombre élevé des arréts maladie, font qu'un grand nombre de femmes se retrouvent << retirees des >>

expositions professionnelles au cours du troisième tnmestre de Ia grossesse, réduisant ainsi les consequences de ces expositions. En revanche, les changements du poste de travail prdvus par la loi quand Ia grossesse l'exige ou les modifications de conditions de travail sont moms frequents et n'ont pas nécessairement bdnéficié aux femmes les plus exposées [Saurel-Cubizolles et Romito, 1992].

188

INEGALITES PAR I)OMAINF

Alors qu'on connaIt bien les disparités sociales de surveillance prénatale, on

sait moms bien comment Ia prise en charge de l'accouchenient et du nouveauné diffère selon Ia catégorie sociale. II est possible que les femmes des caté-

gories sociales les plus favorisées accouchent dans les maternités les plus adaptées a leur niveau de risque et que, en cas de complication, eiles-mêmes et leurs enfants puissent bénéficier de soins plus adaptés que les femmes de niveau social moms favorisé. Enfin, niéme iorsque Ia mere et l'enfant sont en bonrie sante, une naissance a des consequences sociales pour les femnies et les families. Ainsi, un certain nombre de femmes quittent ou perdent leur emploi après Ia naissance. Cette situation est beaucoup pius frCquente pour les femmes de faible niveau d'études et exerçant des professions dCfavorisées. Ce phénomène conduit a accroItre globalement l'aniplitude des differences sociales dans Ia population feminine [Saurel-Cubizolles et a/u, 1999]. MIEUX CONNAITRE ET MIEUX COMPRENDRE LES I)IFFERENCES SOCIALES DE SANTE PERINATALE POUR MIEUX AGIR

Les données disponibles en France et Ia littérature internationale témoignent

d'un gradient social de mortalité pCrinatale et infantile, de prématurité et d'hypotrophie. Ce gradient suivant Ia hiCrarchie sociale montre que les risques ne sont pas limités aux situations extremes de pauvreté. Pour les autres indicateurs, comme les avortements spontanes ou les malformations congénitales, les résultats sont plus limitCs et moms clairs, notaniment en raison de difficultés

méthodologiques liées aux differences sociales de recours aux soins. Des travaux demeurent nécessaires pour a Ia fois mieux connaltre et mieux comprendre ces inégalites sociales.

Les résuitats presentés reposent largement sur les données des enquetes nationales périnatales ; malgré leur taille relativement importante, ces enquêtes ne permettent pas des analyses très fines dans des sous-groupes particuliers. Pour répondre a ce problèrne, dans de pays, l'age gestationnel et Ic poids de naissance sont enregistrCs sur Ic bulletin de naissance. Un tel projet existe en France ; avec sa rCalisation, I'état civil pourrait devenirl'unedes prin-

cipales sources d'information sur les inégalitCs sociales en sante périnatale, aussi bien pour Ia mortalité que pour Ia prématuritC et Ic petit poids de naissance. CeIa nécessiterait de plus un enregistrenient systCmatique des categories socio-

professionnelles de Ia mere et du père, y compris pour les naissances hors manage, en précisant si Ia profession est exercée ou non, et une fusion rCguliere des fichiers constituCs a partir des bulletins de naissance, des bulletins de dCcès et des certificats de cause de décès néo-natal.

II faudrait egalement que Ies caractéristiques sociales soient relevées de manière precise et homogene dans les etudes epidCniiologiques sur les issues de

LA SANTE PERINATALE

189

grossesse, de manière a pouvoir analyser leur role et leur association avec les autres &iOIOgiques. Cela concerne toutparticulièrement les ments spontanés, les grossesses extra-uténnes et les malformations congénitales, pour lesquels le role des facteurs sociaux a été peu étudié. Les malformations congénitales ainsi que les interruptions rnédicales de grossesse pour malformation fcetale font l'objet d'un enregistrement systématique dans certains départements français; si les caractéristiques sociales étaient enregistrees, cette source d' information pourrait permettre une analyse de Ia repartition sociale de l'incidence des malformations, indépendamment des differences sociales de recours au diagnostic prenatal.

L'amplitude du gradient social vane selon les issues de la grossesse; comprendre ces differences pourrait apporter des hypotheses sur les mécanismes étiologiques de ces anomalies d'issue de grossesse. Les quelques travaux réalisés sur les liens entre Ia mobilité sociale, ascendante ou descendante, et 1' issue des grossesses soulèvent des hypotheses sur les roles respectifs de Ia mobilité en tant que telle, de Ia situation sociale initiale et de Ia situation

atteinte. Enfin, Ia recherche des interactions entre les facteurs sociaux et les autres facteurs, notamment les pathologies maternelles et les antécédents obstétricaux pathologiques, pourrait permettre de mieux cerner les populations a très haut risque et de faire progresser Ia prevention.

Quantitativement, peu de femmes ont des difficultés réelles d'accès aux soins pour des raisons économiques ou administratives pendant la grossesse; cependant, ces femmes ont un risque élevd d'issue défavorable de grossesse. La garantie d'un accès universel aux soins, quelle que soit Ia situation administrative, pourrait réduire en partie ce risque. Qualitativement, des recherches sont nécessaires pour savoir si des differences sociales dans Ia nature des examens pratiqués et des soins reçus contribuent aux inégalités sociales de sante. Jusqu'a present, les recherches ont porte presque exciusivement sur le role des facteurs individuels. Comme on l'a vu plus haut, des hypotheses doivent être testées sur le rOle des determinants collectifs (développement socio-économique, accès aux services publics et aux services médicaux, qualite de l'habitat), sur les roles respectifs des caracténstiques sociales individuelles et des détermi-

nants collectifs, et sur Ia manière dont les determinants collectifs peuvent modifier le role des facteurs individuels. Les programmes mis en place jusqu'a present avaient pour objectif d'améliorer la sante périnatale ; celle-ci a effectivement progressé, mais avec le maintien d'inegalites sociales de mortalité, de

prématurité et d'hypotrophie. Une approche par les determinants collectifs pourrait ouvrir de nouvelles pistes pour Ia reduction des inegalités sociales. Enfin, les inegalités sociales pendant Ia pénode périnatale doivent être considérées dans an cadre plus général. En effet, 11 existe une relation entre l'issue des grossesses d'une génération a l'autre : une femme née avec un faible poids de naissance a un risque plus élevé que 'les autres femmes de mettre elle-même au monde des enfants de petit poids. De plus, le retard de croissance intra-utérin

190

INEGAL(TES I'AR DUMAINE D'EXPRFSSION

apparaIt comme facteur de risque dans l'étiologie de certaines des pathologies les plus importantes a l'âge adulte, comme les maladies cardio-vasculaires [Barker, 1994]. Les inégalités sociales de sante dans Ia vie intra-utCrine ont donc des consequences a très long terme. Cette situation rend prioritaire Ia reduction des inégalites sociales de sante périnatale. REFERENcEs BI BLIOGRAPHIQUES

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12

La sante de l'enfant Anne Tursz

En France, actuellement, les périodes périnatale et néo-natale font l'objet d'enregistrements réguliers. Par ailleurs, depuis quelques années, la sante et les comportements des adolescents et des jeunes sont très largement étudiés. En revanche, il existe un manque cruel d'informations sur Ia sante somatique et Ia

sante mentale du jeune enfant. Ainsi, des ouvrages récents sur Ia sante des Francais, tels que le rapport du Haut Comité de sante publique (HCSP) La Sante

en France 1994-1998, ou les <> du Comité francais d'éducation pour Ia sante, ne comportent aucune donnée sur les enfants (entre Ia période périnatale, abordée par le rapport du HCSP, et l'adolescence, objet du <>). En l'absence de données nationales concernant

spécifiquement I'enfance, on est amené a construire un veritable puzzle a partir de sources multiples et parcellaires. De même, I'enfant est encore oublié dans Ia réflexion des chercheurs sur les relations entre état de sante et environnement social, et 11 n'existe pas, en France, d'équivalent du document de synthèse britannique qui analyse plus de cent références sur Ia sante des enfants et les inégalités sociales [Reading, 1997]. Une large recherche bibliographique, menée a partir de Medline et de Ia Bird (Base d'information Robert Debré du Centre international de l'enfance et de la famille [CIDEF], aujourd'hui disparu), a confirmé Ia pauvreté des publications fran-

caises dans ce domaine. Enfin, on trouve rarement des croisements entre données de sante et données sociales dans les documents émanant des services de sante, des ministères ou d'autres organismes publics. On a donc été conduit ici a rapporter des etudes internationales (essentiellement européennes), en en reconnaissant toutefois les limites puisque l'état de sante des enfants dans un pays est en grande partie lie aux caractéristiques des systèmes de sante et de

protection sociale. En France, le système de protection de l'enfance est très développé, se voulant equitable pour tous et fortement marqué par des aspects réglementaires (gratuité de l'accès a Ia PMI [Protection maternelle et infantile] et aux vaccinations, bilans de sante a l'école pour tous, obligation vaccinale pour I' inscription scolaire, notamment).

194

1NEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

Problèmes de definition

Leafuice détinie ici va du debut de Ia deuxième annéc Ia tin de Ia dixièrne annCe. La plupart des enfants de cet age sont bien portants sur le plan somatique. Les parents consultent souvent pour des prohlCmes d'ordre psycho-aifectil (troubles du sommeil, de l'appétit, du comportement). voire pour des problèmes de dCsinvestissernent scolaire. C'est bien a eeL age que le concept de sante globule est le plus aisément applicable, comme cela ressort du discours des rnères qui. interrogCcs sur leur dClinition de Ia sante de leur enfant, parlent de < pleine forme >>, de bonne humeur >. d'< activitC en classe>> et de < hons rCsuliats scolaires>> (Cresson. 1995]. L'Ctai dc sante des jeunes enfanis esi dCfini travers lejugernent. puis Ic recours aux soins, de leurs parents. et Ia majoritC de leurs problèmes sont pris en charge a Ia maison par Ia famille [Cresson. 1995]. Pour dCfinir Ia c/ussr SOCW/C d'un enfant. piusieurs indicateurs peuvent Ctre utilisCs. sCparCment ou en association : les revenus de Ia famille, l'existence d'une activitC professionnelle de Ia mere. Ia categoric socioprolessionnelle (CSP) du père ci de Ia mere, Ic niveau éducatifdes parents et principalernent de Ia mere, Ia composition de Ia famille (parents gCnétiques niariCs ou vivant maritalement, parent isolC, parents sCparCs ou divorces, families recomposCes...). I 'origine migrante.

Les sources de données et teur fiabilité

Donnécs de Elles proviennent du Service d'iniormation sur les causes mCdicales de dCcCs (SC8) de I'INSERM (donnCesde 1995). Donnérs relatives a Ia ,norb,.dne et ii / 'uti/isalion des services de sante Les sources suivantes ont etC utilisCes

— l'enquCie nationale de morbiditC hospitaliCre de 1993 du Service des siatistiques, des etudes ci des systCnies d'information (SESI) du ministCre des Affaires sociales — i'enquête sur Ia sante ci les soins mCdicaux. rCalisCe en population gCnCrale en 1991-1992

par I'Institui national des statistiques et des etudes Cconomiques (INSEE), Ic Centre de recherche, d'Ctudes et de documentation en economic de Ia sante (CRE1)ES) ci Ic SESI — l'enquete IMS (Information medicate stalistique) France, étude permanente sur Ia prescription medicate (donnCes cumulCes de 1994) —les données des ministère du Travail et des Affaires sociales (1997), de I'Emploi etdela SolidaritC (1998), de l'Education nationale, pour Ia couverture vaccinate —certaines donnCes de hilans dc sante rCnlisCs i'Ccole par Ia PMI ou par Ic service medical de promotion de Ia sante en faveur des Clèves; — pour Ia maltraitance. les letires trimestriclies de I'OI)AS (Observatoire national de I'action sociale dCcentralisCe).

Problè,nes etfial,i/ite tie ces donnCes Ceriains probtCmes mCthodologiques soni spCcifiqucs aux donnCes sur l'enfance — Ic raisonnement sur de petits effectifs annucis en terme de mortalitC (Ia tranche d'ãge 19 ans est ccl Ic oti Ia mortalitC est Ia plus faible) — les variations dans les tranches d'tige suivant les sources d'informaiion. La majoritC des donnCes nationales de morhiditC conccrne les moms de quinze ans>> — la raretC de l'accès direct a I'enfant pour parler de sa propre sante. La relation entre Ic

soignant et Ic soignC (i'enfant) est en fait triangulaire et Ia famille sen d'intermCdiaire, notamment pour l'inierprCtation ella description des symplômes. Cela est vrai pour Ic trCs jeune enfant, mais Ic reste souvent lorsque I'enfant a un age oti ii pourrait s'exprimer;

LA SANTE DE L'ENFANT

195

I'absence de donnécs natjonales issues de la PMI ou de Ia sante scolaire, et la grande hétérogénéité des données piodultes au niveau des départeménts et académiés; — le peu de fiabilité de documents aussi importants que le certificat de sante a deux ans, souvent mal rempli ou non reloumé (taux de reception moyen départemental de 68 % en 1995); — I'impossibilité d'accéder a certaines informations utiles dans une étude des relations sante! environnement social, comme Ia nationalité d'origine des parents, du fait notamment des exigences de confidentialité de la CNIL (Commission nationale informatique et liberté). —

SANTE DE L'ENFANT ET INEGALITES SOCIALES QUELLES CONNAISSANCES?

La mortailté En 1995, ii est mort en France 1 416 enfants âgés de 1 a 9 ans (tableau I). Entre 1 et 4 ans comme entre 5 et 9 ans, ii existe une surmortalité masculine modérée, croissante avec l'age. Des l'age de 1 an, les accidents constituent Ia premiere cause de décès, surtout chez les garcons. Tableau 1

Causes médicales de décès par age et sexe chez les enfants de un a neuf ans en France en 1995 (en effectifs et taux pour 100 000 enfants) 1-4 ans M

5-9 ans M

F

Causes de décès

•:

F

a

a

Maladiesinfectieusesetparasitaires

26

1,8

31

2,2

16

0,9

8

0,5

Tumeurs et leucémies

68

4,6

49

3,5

75

4,2

50

3,0

38

2,6

35

2,5

16

0,9

18

1,1

Anomalies congénitales

45

3,0

61

4,3

24

1,4

24

1,4

Symptôrnes, signes et états morbides mat defims

42

2,8

34

2,4

17

1,0

8

0,5

200 164

13,5 11,1

8,4

138

7,8

77

4,5

7,1

8

0,2

105 6

6,0 0,3

64 6

3,7 0,4

28

0,5 1,9

120 102 3 15

1,1

27

1,5

7

0,4

60

4,0

63

4,4

35

2,0

38

2,2

479

32,3

393

27,7

321

18,2

223

13,2

Maladiesdusystèmenerveux et des organes des sens

Mortsviolentes,dont accidents* homicides intention indéterminée

Autres causes* Toutes causes * Accidents a l'exclusion des

accidents et complications au cours et suite a des actes médicaux et cnirurgicaux o qui sont inch's dans Ia classe autres causes dam figurent également lea maladies endocnniennes, de Ia nutrition et du métabolisme et les troubles immunitaires, lea maladies du sang et des organes hématopoIetiques, les troubles mentaux, lea maladies des appareils circulatoue. respiratoire et digestif, lea maladies des organes genito-urinaires. celles de Ia peau et du EISSU cellulaire sous-cutané el celles du systIrne ostéo-articulaim, des muscles et du tissu conjonctif, lea affections d'oiigine pélinatale. :

Source: Causes médicales de décès, Lisle simplifiée S9, Service commun no 8 de I'INSERM.

196

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

Plusieurs publications europ&nnes récentes font état d'une surniortalité des

enfants des classes défavorisées : aux Pays-Bas, les taux de mortalité des enfants turcs et rnarocains de moms de 15 ans sont deux a trois fois supérieurs a ceux des enfants des families hollandaises d'origine [Schulpen, 1996]. En Angieterre et au pays de Galles, en I991-1993, chez les enfants de I a 4 ans, Ia mortalité dans Ia classe sociale V (personneis non qualifies) Ctait 2,6 fois celie des enfants appartenant a Ia classe I (professions liberates), cette surmortalité étant un peu moms marquee entre 5 et 9 ans (2,1 fois) [Botting, 1997] ; en 1996, Ia mortalité des enfants âgés de I et 2 ans était signiflcativernent plus Clevés Iorsque Ia mere était seule [Schuman, 1998]. Dans ces pays, les differences les plus importantes concernent ies accidents, seuls les cancers entraInant une mortalité équivalente

queue que soit la ciasse sociale [Reading, 1997]. Cependant, dans Ia cohorte finlandaise d'enfants nés en 1987, i! n'y avaiL aucun lien entre taux de mortalité et classe sociale [Gissleret alii, 19981. II n'existe pas en France de données de mortal ité des enfants prCsentees selon

Ia CSP des parents. Des données anciennes [enquête de 1975 décrite par Bouvier-Coile et cdii, 1990] montrent que Ia probabilité de dCcéder entre 5 et 10 ans ne vane pas considérablement scion Ia CSP du père, contrairement a cc

qu'on observe pour Ia rnortaiité infantile. Cela concorde avec les données britanniques: les enfants les pius jeunes souL les plus vulnérables face aux inégalités sociales. Une approche indirecte de Ia mortalité en fonction de l'environnement social peutétre réalisCe en Ctudiant les inegalites géographiques, eIles-mêines en partie

reflet d'inegalités sociales. On compare donc, dans le tableau 2, les taux de mortal ité des enfants de I a 9 ans de Ia France entière a ceux de regions qui, dans le rapport du HCSP sur Ia sante en France en 1996, étaient caractCrisées par une forte mortalité prCmaturée (Nord-Pas-de-Calais) ou une faible mortalité prCmaturée (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes). Tableau 2

Taux de mortalité pour 100 000 habitants en fonction de i'âge et du sexe chez les enfants de 1 a 9 ans en France et dans trois regions (Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes) en 1995 (toutes causes). 1-4ans

5-9ans

Taux

N

Midi-Pyrénées

M

F

M N

Taux

N

F

Taux

Taux

N

8

14.5

16

23.2

Il

15.2

6

8.4

Nord-Pas-de-Calais

47

41.4

36

24,1

32

20,4

22

14,2

Rhône-Alpes

35

23.4

39

21,0

28

14,4

22

11.8

479

32,3

393

27.7

321

18.2

223

13.2

France entière

Source: Causes ,nédieales de deces. Service contmun n° 8 de I'INSERM.

197

LA SANTE DE L'ENFANT

On observe chez les enfants les mêmes phénoniènes que chez les adultes: uñésurmortalité dàns (sauf pour les flues âgées de là 4 ans) et une sous-mortalité dans les deux autres regions pour les deux sexes et dans les deux tranches d'age. Les petits effectifs ne permettent pas d'entrer yentablement dans le detail, toutefois, dans le Nord-Pas-de-Calais, le taux de mortalité par traumatismes et empoisonnements des garcons de 1 a 4 ans est presque le double de celui de Ia France entière (23,8 vs 13,7 pour 100 000).

La morbidité II existe des affections dans la genèse desquelles l'environnement socioéconomique est reconnu comme directement <>. C'est le cas du saturnisme, pathologie pour laquelle une revue extensive et récente de la littérature internationale a montré que les enfants les plus concemés sont ceux qui sont le plus exposés a une contamination par I'habitat (et plus specifiquement par d'anciennes peintures a forte teneur en p10mb), caracténistique des appartements degrades des zones urbaines pauvres; ii s'agit le plus souvent d'enfants de migrants [INSERM, 1999]. Néanmoins, pour la plupart des problèmes de

sante de l'enfant, le role des facteurs sociaux est diversement étudié et les résultats sont souvent contradictoires, en ce qui concerne tant Ia morbidité que l'accès aux soins et l'utilisation des services.

L'analyse des résultats de trois grandes enquêtes (enquête nationale de morbidité hospitalière de 1993 ; enquête INSEE/CREDES/SESI de 1991-1992; enquête IMS France/I 994) permet de relever de nombreuses convergences : les

pathologies les plus fréquentes chez les enfants de moms de 15 ans sont les maladies respiratoires (au premier rang des affections recensées dans les trois etudes), les affections ORL, les << maladies de (troubles visuels pnincipalement), les traumatismes et les affections cutanées. Les << maladies de Ia bouche et des dents>> apparaissent un peu moms fréquentes. Les données concernant les troubles visuels sont corroborées par les résultats >>

de dépistages effectués dans le cadre de bilans de sante en école maternelle ou en CP [Barot, 1992; Lehingue et alii, 1992 ; Zorman et Jacquier-Roux, 1994; Romano, 1998]. Les bilans de sante faits dans le cadre scolaire ne comportent aucune donnée, relevée de facon systematique, sur Ia situation sociale des enfants, en dehors

d'études spécifiques mises au point par certains responsables, de PMI notamment [Lehingue et alii, 1992 ; Picot et alii, 1993]. En ce qui conceme les bilans de 6 ans, une approche indirecte peut être faite a travers Ia comparaison des bilans faits dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP), caracténisées en principe par une <<population difficile >>, et ceux réalisés dans les autres zones. En fait, bien souvent, l'appellation ZEP relève de Ia volonté des acteurs locaux d'obtenir les avantages et les credits qui lui sont lies, et Ia non-demande de ceue appellation relève de Ia crainte d'une image socialement stigmatisante. Dans

198

INEGALITES I'AR DOMAINE D'EXPRESSK)N

l'académie de Créteil en 1997-1998, Ia comparaison ZEP/non-ZEP pour les résultats des bilans de six aris n'a rnontré aucune difference significative dans Ia pathologie enregistrCe [Romano, 1998]. Lors des deux enquêtes épidémiologiques menées a cinq ans de distance (1987-1988 et 1992-1993) par Ia PMI en école maternelle dans l'Hérault, on a pu constater qu'il n'existait pas de relations significatives entre le milieu socio-économique de I'enfant et les troubles somatiques dépistés, a I'exclusion du mauvais état bucco-dentaire, plus frequent chez les enfants des families les plus dCfavorisés et ayanl une nière d'origine maghrébine. En revanche, des relations fortes ont etC retrouvCes entre les caractCristiques socio-économiques, Cducatives et culturelles des families et, d'une

part, les troubles prCcoces des apprentissages, d'autre part, ies troubles du comportement. Les résultats des deux enquêtes sont con vergents [Lehingue et alii, 992; Picot et alii, 1993] ; globalement les troubles du langage (dépistés chez 25 % 1

des enfants de 4-5 ans en 1992-1993) sont plus frequents lorsque la mere n'a pas

d'activitC professionnelle, et en cas de bilinguisme (mais cette caractéristique s'efface derriere le bas niveau socio-Cconornique). Les troubles de Ia motricitC (troubles du graphisnie, de Ia motricité globale ci fine, de I'orientation teniporospatiale, du schema corporei ; 1 8 % cii 1992-1993) s'observent chez les enfants des classes sociales les plus dCfavorisCes et, dans Ia deuxième étude, bisque Ia mere est d'origine niaghrCbine, que i'enfant prCsente des troubles de l'acuitC visuelie, et passe pius d'une heure trente par jour devant la télCvision et moms de six heures en coliectivité. En Finlande Cgalement, Gissler note que, Si les pathologies chroniques (diabète et asthnie notamment) ne prCsentent pas de frCquences différentes selon Ia classe sociale, en revanche ies > lui sont fortement associés et c'est dans les classes sociales les plus defavorisees que l'on observe Ic plus d'inscriptions en classes spCciales et de retards scolaires [Gissler et a/li, 1998]. On n'est certes pas id dans le dornaine de Ia stricte sante somatique, mais, on i'a vu, chez i'enfant, le concept de sante giobale doit être privilégiC, et les troubles d'apprentissage du jeune enfant peuvent être source d'échec scolaire et de graves difficuités d'insertion sociale ultCrieurement (elles-mêmes potentiellement gCnératrices de problèmes de sante soniatique et mentale) [Vaivre-Douret et Tursz, 1999]. S'il ne semble pas exister de cas de malnutrition actuellement en France (en dehors de Ia maltraitance) [Le Bihan et alii, 1996], eli revanche on note dans les populations d'enfants dCfavorisCs une prevalence Clevée d'obCsité [Rotily et (liii, 1994], phenornène Cgalenieni observe dans d'auires pays europCens comme les Pays-Bas et Ia Belgique [Jansen et Hazebroek-Kanipschreur, 1997; de Spiegelaere ci a/il, 1998]. La taille des enfants des classes sociales dCfavorisCes est significativement plus petite a Cgal que celbe des enfants de classes plus aisées [Jansen et Hazebroek-Kampschreur, 1997; Reading, 1997], cc phCnomène traduisant un ralentissenient de la croissance par aueinte probongée

LA SANTE DE L'ENFANT

199

de l'état de sante [Reading, 1997]. Les troubles respiratoires sembient plus frequentsdansks quattiers les plus 1997 ;West, 1997]. Une relation entre bas niveau socio-économique et troubles psychologiques chez l'enfant a été rapportde par plusieurs auteurs a l'etranger [Tremblay, 1996; Reading 1997], mais n'est pas toujours observée [Rutteret alii, 1970], peut-être en raison de differences dans les definitions et les degrés de sévdrité. En France, parmi les enfants de Ia cohorte GAZEL (étude dont les résultats sont toutefois difficilement extrapolables, les sujets enquêtés étant des volontaires), Fombonne a montré que le recours au professionnel de sante mentale n'était pas lie a Ia CSP des parents mais a leur statut marital (recours plus frequent pour les enfants de parents séparés ou divorces) [Fombonne et alii, 1997]. De même pour Tremblay, les troubles psychologiques sont plus frequents si la mere est seule et de bas niveau éducatif [Tremblay, 1996]. Dans la deuxième enquête menée par Ia PMI de l'Hérault, les troubles du comportement (identifies chez 23 % des enfants) étaient plus frequents dans les classes sociales défavorisées, en cas de separation des parents [Picot et alii, 1993]. Les accidents, dont on a vu qu' us constituaient le facteur explicatif essentiel de Ia mortalitd différentielle par sexe, mais aussi pour une large part des diffé-

rences de mortalité selon Ia classe sociale [Reading, 1997], constituent en France Ia deuxième cause d'hospitalisation chez le garcon (12 % des séjours annuels dans l'enquête hospitalière de 1993).

Tous les auteurs s'accordent a dire que, chez l'enfant, Ia pathologie pour laquelle Ia relation avec l'environnement social est La plus forte est Ia pathologie accidentelle. Depuis les travaux de Backett en 1959, on sait que le chomage du

père, I'exiguIte et le surpeuplement du logement, qui sont responsables de Ia fuite vers La rue, seul endroit suffisamment spacieux pour jouer, sont des

facteurs de risque d'accidents chez le jeune enfant; ce sont également ces facteurs qui expliqueraient que le taux de mortalité accidentelle des enfants piétons noirs soit le double de celui des enfants blancs aux Etats-Unis [Rivara et

Barber, 1985]. Une étude extensive de La littérature sur ce sujet [Tursz et Manciaux, 1995] montre bien comment les logements pauvres sont sources d'accidents pour les jeunes enfants (ebouillantements par des bassines d'eau chauffée dans les habitations sans eau chaude courante, défenestrations dans les appartements anciens sans garde-corps aux normes, intoxications a l'oxyde de carbone liées a des chauffe-eau mal raccordés ou a des chauffages de fortune,

installations électriques vétustes...). Les families migrantes sont particulièrement concernées par ce type de logement. L'ODAS attribue l'augmentation du nombre des signalements d'enfants en danger et maltraités (35 000 en 1992, 58 000 en 1994, 74 000 en 1996, et 82 000 en 1997) a un meilleur repérage de ces enfants, mais aussi a Ia précarisation de la société, qui fragilise la famille et altère son identité. Dans une étude récente

réalisée par le CIDEF a Ia demande de la Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la sante (DASES) de Ia ville de Paris et portant sur Les signale-

200

1NEGALITES PAR I)OMAINE I)'FXPRFSSION

d'enfants en danger, on a pu constater que dans 38 % des cas Ia mere n'avait pas de conjoint, et que Ic père était absent dii foyer (notaniment car ments

incarcéré) dans 49 % des cas ; 57 % des mères vivant avec I'enfant étaient sans profession, au chômage, en longue maladie ou en invalidité ; 42 % des mères et 36 % des pères avaient des antécédents médicaux de type toxicomanie, troubles

psychiatriques ou éthylisme ; les enfants vivaient dans un contexte de dénuement sur Ic plan financier, de violence conjugate et d'irnmaturité affective [Josse et alii, 1997j. Les signalenîents sont également plus frequents dans les quartiers défavorisCs, cependant dans ce domaine on ne peut écarter un possible et important biais de selection, les travailleurs sociaux et médico-sociaux étant certainement moms vigilants en ce qui concerne les familIes aisées. Pourtant II a été largement reconnu que Ia maltraitance se rencontre a tous les niveaux de

I'échelle économique [Gabel ci a/il, 1996], et que les mauvais traitements correspondent a de graves troubles de la parentalité et a un flou des barrières entre education, discipline et sCvices [Scheper-Hugues, 1987]. Par ailleurs, des etudes ont montré I' intensité de Ia pression psychologique que certaines fani II les aisées font subir a leurs enfants, notamment dans les classes sociales <<moyennes hautes >> et dans le domaine de Ia rCussite scolaire, quand les enfants

sont considérés comme un outil d'ascension sociale pour Ia faniille [ScheperHugues, 1987]. On est amené a Cvoquer ici le difficile problème de Ia definition de Ia maltraitance psychologique, souvent issue de Ia frustration de parents qui humilient des enfants dont its attendaient plus de < qualités I$cheper-Hugues, >

1987].

L'utilisation des services Malgré une politique affichée de services prdventifs gratuits pour lesjeunes enfants, ceux-ci sont peu utilisés. Ainsi, environ 10 % seulement des enfants francais de moms de six ans sont suivis réguIierement dans les consultations de

PM!, qui ne bénéficient pas toujours dans Ia population d'une image très positive [Cresson, 1995]. La majorité des enfants sont en France suivis et vaccines chez Ic médecin de famille. En 1,995, 16,6% des certificats du vingtquatrième mois parvenant au ministère Cnianaient de Ia PM! et 80 % de cabinets médicaux privés. Le rapport du service de promotion de Ia sante en faveur des Clèves du Valde-Marne, pour i'annCe scolaire 1995-1996, indique que, dans les miiieux défavorisés, 60 % des familIes ne donnent aucune suite aux avis délivrés a l'issue des bilans de sante [Romano, 1996]. ii s'agit là, pour les familIes, du passage de Ia médecine preventive gratuite a Ia consultation d'un spécialiste (ORL ou ophtalmologiste notanimeni) et, plus gCnéralement, du passage d'une situation passive a tine dérnarche active (avec tout cc qu'eiIe comporte dCplacements, utilisation

des transports, garde des autres enfants, frais...). Méme les services de prevention gratuits sont sous-utilisCs par les families les plus défavorisées,

LA SANTE DE L'ENFANT

201

comme le souligne une étude espagnole récente [Navarro-Rubio et alii, 1995].

existant entrel'utilisation des services préventifs et aüssilés le niveau éducatif des parents. Pourtant, une bonne disponibilité (24 heures sur 24 pour les urgences hospitaiières par exempie) et une réelle accessibilité financière des services favorisent le recours de certaines categories d'enfants de families défavorisées. Cela est

particulierement vrai pour les enfants de migrants, grands utilisateurs des urgences hospitalières [Lombrail et alii, 1993]. Certains dispositifs gratuits permettent aux enfants défavorisés d'être plutôt mieux suivis que les autres. Citons Ia PMI, dont les consultations sont surtout frequentées par des enfants de classes sociales modestes et par beaucoup d'enfants de migrants, qui bénéficient

là d'examens par des médecins géneralement bien formés au dépistage des <> du developpement psychomoteur et cognitif du très jeune

enfant. Dans les départements de l'académie de Créteil, les enfants de ZEP semblent mieux suivis que les autres (4,5 % de vaccinations non faites contre 12% en non-ZEP [Romano, 1998]). En ce qui conceme Ia vaccination, il n'existe pas en France de données de couverture vaccinale par classe sociale au niveau national, et si, dans certains

départements, Ia PMI mène des etudes specifiques sur ce theme, elles sont raj-ement publiées. Dans l'Hérault, en 1992-1993, on n'a pas note de relation entre Ia classe sociale, l'origine de la mere et le statut vaccinal des enfants [Picot et alii,

1993], alors qu'une telle difference existait lors de l'enquete de 1987-1988 et concernait la vaccination contre Ia rougeole [Lehingue et alii, 1992], mais il convient de rappeler ici que le taux de couverture vaccinale contre La rougeole était, au niveau national, inférieur a 30 % en 1985 et de 85 % en 1995. Dans les autres pays, des résultats divers sont observes, notamment du fait de differences dans les reglementations, Ia gratuité ou non, le lieu de pratique des vaccinations [Bennett et Smith, 1992; Waldoher et alii, 1997 ; de Spiegelaere et alii, 1996], cependant, dans l'ensemble, ii ressort de ces diverses etudes que les vaccinations insuffisamment effectuées concernent les enfants défavorisés (lorsque les vaccins ne sont pas gratuits et que l'accès est difficile), alors que les vaccinations refusées concement les classes sociales les plus aisées [Baudier et Janvrin, 1997]. Un dernier point concerne l'utilisation des services curatifs, et plus spécifiquement Ia durée d'hospitalisation, plus longue en moyenne pour les enfants des milieux défavorisés [Gissler et alii, 1998 ; Tursz et alii, 1983]. Ce phénomène est d'interprétation difficile ; il peut être lie a des hospitalisations pour des affections plus graves, mais aussi a un manque de confiance des soignants lorsqu'il

s'agit de laisser retourner chez lui un enfant de milieu défavorisé, hypothèse vraisemblable Iorsque, queUe que soit Ia pathologie et a gravite égale, les enfants

des classes sociales les plus défavorisés sont toujours hospitalisés plus longtemps, le principal facteur influant sur Ia durée d'hospitalisation étant l'activité

professionnelle de Ia mere (hospitalisations plus courtes lorsque Ia mere travaille) [Tursz et alii, 1983].

202

INEGALITES PAR I)OMAINE

LES FAcTEURS QUI INFLUENT SUR LA SANTE 1)ES ENFANTS

Tous les auteurs s'accordent a reconnaItre i'influence des difficultés socioéconomiques sur Ia mortalité des enfants et principalement Ia mortalité accidentelle. Le débat est plus controversé en ce qui concerne les maladies chroniques

et surtout les troubles psychologiques. De nombreuses etudes soulignent Ia relation enire troubles du développernent psychomoteur et facteurs socio-économiques. Le statut marital des parents et Ia composition de Ia famille sembient

jouer un role prépondérant, tout particulièrement sur les probièmes les plus graves rencontrés par les enfants, comme Ia maltraitance et rnême Ia mortalité (des enfants de un et deux ails en Angleterre), mais aussi sur les troubles du comportement. La situation Ia plus difficile sembie être celle des enfants de <<parent isolC >>. Que recouvre cette notion? Moms de moyens financiers? Moms de facilitC pour affronter toutes les contraintes pratiques Iiées a Ia prise en charge d'un enfant et de sa sante ? Un clirnat affectif plus précaire ? Le rOle des facteurs psycho-affectifs a the largement dérnontré dans Ic cas des accidents [Tursz et Manciaux, 1995]. II pose le problènie de l'investissenlent affectif d'un enfant par sa famille. Depuis iongtemps, des etudes menées a Ia fois dans des pays industrialisCs et dans des pays en dCveloppement, et dans une perspective historique, ont montrC que tous les enfants ne sont pas aimés, allaités, soignés de Ia même manière selon leur sexe, leur rang dans Ia fratrie, leurs talents (scolaires notamment), et que les facteurs affectifs jouent un role dans Ia croissance et le développement [Scrinishaw, 1978; Scheper-Hugues, 19871. Or c'est bien l'amour cju'on porte a un enfant qui determine les comportements protecteurs et c'est dans Ia maltraitance qu'on observe le niveau Ic plus aigu de désinvestissement affectif des families [Josse et a/u, 1997]. L'investissement affectif d'un enfant n'a pas a priori de raisons d'être different scion Ic niveau de revenus de Ia farnille. Toutefois, on peut concevoir que Ia fragilisation financière et sociale d'une famille la conduise vers Ia depression et de là vers une inaptitude a faire face aux demandes d'un enfant, particulièrement lorsque vient s' installer I 'alcoolisme, source de violence. C'est Ia théorie développée par 1'ODAS. La prise en compte de cette dimension affective est essentielle car c'est dans la petite enfance que se construisent Ia personnalitC et Ia sante du futur adulte, comme I'indiquent plusieurs etudes retrospectives [Menahem, 1992] et surtout prospectives, d'une plus grande fiabilité [Lundberg, 1993 ; Tremblay 1996]. Facteurs psycho-affectifs et facteurs socio-economiques jouent donc un rOle dans la sante des enfants, sans toutefois qu'iI existe d'études permettant de bien comprendre I'importance relative de chacun et Ia facon dont us interagissent. Les etudes menées dans l'Hérault niontrent que les enfants uniques, mais aussi

les premiers-nés, sont niieux suivis et niieux vaccines. Les enfants uniques bénéficient-ils du fait que les dépenses de sante sont plus faibles que dans Ie cas

d'une famille de plus grande taille? Les premiers-nés sont-ils plus investis

LA SANTE DE L'ENFANT

203

affectivement ? C'est a toutes ces questions qu'il faudrait pouvoir répondre par des

ñoLivellès.

L'AMELIORATION DE LA SANTE DES ENFANTS EN FRANCE: QtJE PEUT-ON ESPERER?

Tout d'abord, de meilleures connaissances epidemiologiques (notamment au niveau national) sont nécessaires, ce qui suppose un soutien methodologique pour les services de PM! et ceux charges de Ia sante scolaire (informatisation des dossiers de PM!, standardisation des outils de bilans de sante) et une meilieure

collaboration entre ces deux organisations. L'école matemelle, par laquelle passe Ia quasi-totalité des enfants (99 % des enfants âgés de deux ans révolus sont scolarisés), pourrait être le lieu de depistages vraiment précoces.

Les données obtenues gagneraient a être présentées en relation avec les caractéristiques sociales des families. Les statistiques de routine, notamment les

statistiques hospitalières, devraient être présentees avec un plus grand detail dans les tranches d'age, et non plus globalement chez les << 1-15 ans >>. Le tabou sur Ia connaissance des caracteristiques sociales des families peutil tomber? On a évoque Ia reticence des personnels charges de la protection de l'enfance a investiguer dans les classes sociales aisées. En ce qui concerne les

families défavorisées, l'ODAS (dans sa lettre d'avril 1998) souiigne que les travai ileurs sociaux, craignant d' avoir vis-à-vis d'eiIes des comportements jugés

normatifs, ne recueillent même pius Ia CSP des parents dans ies dossiers de signalement d'enfants en danger. On a vu que lorsque les dispositifs existent, qu'iis sont gratuits et ne nécessitent pas de Ia part des families des démarches complexes, us sont utilisés; il paraIt donc essentiel de mieux informer les families de l'existence de ces dispositifs et surtout de conserver les acquis visant a estomper les inegalités sociales (les ZEP notamment). Dans Ia situation actuelle de mouvements antivaccinaux [Baudier et Janvrin, 1997], ii faut preserver l'obligation vaccinale pour I' inscription scolaire. L'importance de la responsabilité publique est attestée par ies etudes sur les accidents d'enfants, qui montrent bien a quel point leur survenue est plus liée a

Ia sécurité de i'environnement qu'aux comportements des parents [Evans et Kohli, 1997].

Une attention particuiière devrait être apportée a Ia formation des généralistes, qui suivent Ia très grande majorité des enfants. En effet, s'ils sont bien informés des modes de prevention les plus usuels (vaccinations, prophylaxie des

caries dentaires), us sont en revanche peu familiers des techniques fines de l'examen psychomoteur et du langage.

Les etudes menées en école matemelie montrent l'importance de Ia prevention très précoce (de la maltraitance notamment), mais ces écoies ainsi

204

INEGALITF.S PAR DOMAINE D'EXI'RESSR)N

que

les ëcoles élénientaires ont

perdu

leurs infirmières et leurs assistantes

sociales au profit des colleges et des lycées, dont les élèves présentent une symptornatologie

plus bruyante et plus dérangeante pour l'ordre social. Cette

prevention trCs précoce doit en fait être misc en place encore en arnont, afin que s'opère l'indispensabie attacliement entre Ia mere et son enfant, par la prevention et Ia prise en charge de Ia depression du post-partum notamment. Cependant, les exigences de rentabilité des services de sante ont, par Ia diminution de la durée de séjour des femmes en niaternité, rendu cette prevention quasi impossible. S'ii fautpréserverles acquis, ii faut donc aussi développer des

strategies nouvelles de protection des petits enfants et de leurs families, qui permeflent l'enfant de devenir un adulte acconipii. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BACKEU 0., JOHNSTON A.M. (1959), << Social Patterns of Road Accidents to Children. Sonic Characteristics of Vulnerable Families >>, British Medical Journal, I, P. 409413. BAROT D. (1992), <>, Sauté publique. 6, P. 59-67. BAUDIER F., JANVRIN M.-P. (1997), Vaccination et commuincalion. Un cadre pour les actions nationales 1997-1999, Dossiers techniques, CFES, Paris. BENNETr P., SMITH C. (1992), <<Parental Attitudinaland Social Influences on Childhood Vaccination Health Education Research, 7, p.341-348. BOTTING B. (1997), <<Mortality and Childhood >>, in DREVER F., WHITEHEAD M. (eds.), Health inequalities, Decennial Supplement, Series DS N° 15, The Stationery Oflice, London, p. BOUVIER-COLLE M.-H., VALLIN J., HATTON F. (1990), Morialité et causes de décès en France, INSERM, Grandes enquêtes, Paris, 460 P. CRESSON G. (1995), Le travail domestique de sante, L'Harmauan, coIl.

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13

La sante des adolescents Marie Choquet, Chrisrophe Lagadic

L'adolescence est une pénode de changements physiques, sexuels, psychologiques et sociaux. Le debut de l'adolescence est habituellement défini par des critères physiques, comme l'apparition des signes pubertaires [Birraux, 1990],

tandis que Ia fin de l'adolescence est plutôt définie par des critères sociaux comme l'intégration dans Ia vie professionnelle et Ia stabilité affective [Michaud et Alvin, 1997]. Les changements qui se produisent a l'adolescence peuvent avoir des répercussions sur Ia sante. Au niveau somatique, l'accélération de La croissance ou son retard peuvent entraIner ou révdler des troubles, parfois irrdversibles ; pour lesjeunes porteurs de maladies chroniques ou de handicaps, l'adolescence cons-

titue une difficulté suppldmentaire. Au niveau social, les modifications de statuts (comme le passage du statut de collégien a celui de Iycéen, de lycéen a

étudiant, de scolaire a non-scolaire...) impliquent des contraintes qui, pour certains, s'avèrent insurmontables. Au niveau psychologique, ces modifications physiques et sociales peuvent rendre difficile pour lesjeunes Ia construction de leur identité.

L' identité sexuelle est au cceur de ce processus de maturation [Birraux, 1990]. En effet, durant I'adolescence, le sujet non seulement acquiert les attributs physiques d'un homme ou d'une femme, mais ii integre aussi, pour s'y

conformer ou s'y opposer, un modèle psychologique et social sexué que lui transmettent les divers membres de Ia communauté [Choquet et Ledoux, 1994]. A cet age de changements et de fragilitds, des inégalités sociales peuvent

intervenir: a) au niveau du processus maturatif et du mode de vie qu'ont en commun tous les adolescents; b) au niveau de Ia morbidité et des comportements qui ne concèment qu'un sous-groupe d'adolescents. Par ailleurs, si les jeunes peuvent se caractériser sur le plan social par La situation de leur famille d'origine, pour les lycéens, la filière d'enseignement suivi permet un debut de caractdrisation propre desjeunes.

208

1NEGALITES PAR DOMAINE I)'IiXPRESSION

SOURCE I)E DONNEES

Les données prCserflées id sont issues de l'étude conduite en 1993 auprès des

adolescents scolarisés dans le second degre (colleges, iycées d'enseignement general et technique, lycées professionnels) de huit academies : Aix-Marseilie, Amiens, Bordeaux, Clermont-FeiTand, Créteil, Nice, Rennes, Strasbourg [ChoquetetLedoux, 1994]. Cet échantillon national aCtC conslitué par untirage au sort a deux niveaux : d'abord, un échantillonnage des Ctablissements scolaires (n = 168), puis des classes (11 = 578). Trois établissements ont refuse de faire l'enquête. Dans les 165 établissements qui ont accepté, 7 % des élèves étaient absents le jour de Ia passation du questionnaire, 5,2 % dans les colleges, 8,6 % dans les lycCes d'enseignement général et technique et 11 ,8 % dans les lycCes professionnels. Au total, 1 2 391 sujets ont répondu, reprCsentant 87 % des ClCves tires au sort. Parmi eux, 90 % avaient entre 12 et 19 ans. L'autoquestionnaire anonyme abordait, outre les caractéristiques sociales, scolaires et de mode de vie, les aspects suivants de la sante: —

durant les douze derniers mois : troubles du somnieil (frCquence des réveils

nocturnes et des cauchemars), accidents (de sport, de circulation, d'atelier ou de

travail, autres) et hospitalisations, problènies de vue, problèmes de dents, depressivite, consonimation d'alcool (viii, bière, alcools forts), de tabac, de rnCdicarnents contre Ia nervositC ou l'insomnie; — durant Ia vie: handicap ou maladie chronique (avec precision sur le type

de handicap ott de rualadie chronique), scoliose (confirmee ou non par le niédecin), crises d'asthme (avec diagnostic confirmé par le mCdecin), consommation de drogues (frCquence par produit), tentatives de suicide. Les résultats prCsentés reposent sur les declarations des adolescents. Si Ia validite des declarations en auto-questionnaire a etC dCmontrCe pour les compor-

tements et les troubles ressentis, ii est possible que des biais de declaration existent pour certains problèmes de sante, en particulier en fonction du milieu social. En effet, Ic recours aux soins est plus faible daiis les milieux défavorisés, d'oü une possible mCconnaissance (et donc sous-déclaration) de Ia pathologie. CARACTERISTIQUES SOCIALES

La situation sociale a etc dCfinie par Ia profession du chef de farnille. La personne de reference consideree comrne chef de famille est l'homme vivant au foyer, père ou beau-père, ou Ia mere, si l'adoiescent vit1seul avec elle. La profession a ete remplie en clair par lejeune et codifiCe scion Ic code INSEE a un chiffre: 16 % n'ont pas rCpondu ou ont donnC des rCponses imprCcises. Cinq groupes ont ainsi etC conslituCs: les enfants de cadres et professions intermédiaires (35 % de l'échantillon), d'employCs (20 %), d'ouvriers (31 %), d'artisans et de commerçants (I I %) et d'agriculieurs (3 %). Ces deux dernières categories

209

LA SANTE DES ADOLESCENTS

n'ont pas été incluses dans Ia présente analyse, car trop hétérogenes ou d'effectifs inteimédiãirësle sont dans fãihles. Les ëñfa.ñts dé 91 % du fait de leur père ou beau-père et dans 9 % dii fait de leur mere, pour les enfants d'employés les proportions sont respectivement de 74 % et 26 %, et pour les enfants d'ouvners, de 98 % et 2 %. Le tableau 1 montre que I'âge moyen des jeunes de chaque classe d'âge diffère peu selon Ia categorie sociale. Tableau 1

Distribution de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe et le type d'enseignement (enquête nationale 1993) Files

Garçons Cadres et professions Employés interméd.

Ouvriers

Cadres et professions

Employés

Ouvriers

interméd.

1245 ails

Effectif %

Age moyen

918 39,8 13,59

559 24,3

710

345

13,51

827 35,9 13.49

965 38,8 13,56

579 23,3

579

613

417

13,48

944 37,9

13,56

16-l9ans Effectif

574

%

43,5

21,1

35,4

38,2

26,0

35,8

Age moyen

17,19

17,25

17.16

17,09

17,21

17,22

255 20,9 17,23

358 29,4 17,05

558 41,6 17.03

Enseignement général1

Effectif %

Age moyen

605 49,7 17,13

330 24,6 17,12

454 33,8 17,15

Enseignement professionneP 54

87

%

25,3

21,5

53,2

20,7

33,3

46,0

Age moyen

17,57

17,33

17,33

17,65

17,54

17,48

Effectif

105

89

221

120

1. Colleges ou Lycées d'enseignement general et technique. 2. Lycées professionnels.

Le niveau d'études des parents, variable souvent utilisée pour completer Ia

mesure de la situation sociale, n'est pas disponible dans cette enquete. En revanche, Ia situation scolaire de l'adolescent a été prise en compte. Comme le montrent les données de suivi de l'Education nationale [ministère de l'Education nationale, de Ia Recherche et de la Technologie, 1998], le niveau scolaire est un bon indicateur du statut social futur du sujet. En effet, parmi ceux qui ont obtenu un diplôme d'enseignement supérieur, 66 % exercent une profession supérieure ou intermédiaire cinq ans après la fin de leurs etudes, cette proportion est de 10 % parmi ceux qui ont obtenu un CAP ou un BEP et de 9 % parmi ceux qui n'ont

obtenu aucun diplôme. On a tenu compte du type d'enseignement suivi:

210

INEGALITES PAR I)OMAINE I)'EXPRESSI()N

enseignernent général (college ou LEGT), permeuant de poursuivre des etudes supérieures, et enseignernent professionnel (LP), menant vers l'obtention d'un

CAPou d'un BEP. Parmi les 16-19 ans, 66 % sont scolarisés dans l'enseignernent general et 34 % dans l'enseignernent professionnel. Le tableau I montre que les éièves de l'enseignernent general sont plus souvent des enfants de cadres que les élèves de l'enseignernent professionnel, plus souvent enfants d'ouvriers, mais que l'âge rnoyen des élèves de l'enseignernent professionnel est a peine supérieur a celui des élèves de I'enseignement general. ANALYSE I)ES I)ONNEES

Comme les flues et les garcons ont des troubles et des coniporternents différents, on peut faire i'hypothèse que les inégalites sociales selon le sexe. On a donc effectué l'analyse separément pour les deux sexes. L'étude a été faite parallèlernent pour les 12-15 ans, en scolarité obligatoire et donc représentatifs de l'ensernble desjeunes de cet age, et pour les 16-19 a,is, représentatifs seuienient des scolarisés du second degré. Comme l'âge de sortie dusystèmeéducatifestpasséde 16,7 ansen 1982-1983à 18,8 aiisen 1994-1995

[ministère de I'Education nationale, de Ia Recherche et de Ia Technologie, 1998], on peut estirner que les 16-18 ans scolarisés dans le second degré sont représentatifs de leur groupe d'Llge. Toutefois, a 19 uris, bon nombre dejeunes sont déjà dans l'enseignement supCrieur ou ont fini leur scolarité. Ont Cté excius de cette analyse les 5,2 % des élèves de l'Cchantillon qui ont II ans et moms (en avance par rapport a leur age) et les 4,6 % des élèves qui ont 20 ans et plus (en net retard). Seules les differences scion Ia CSP du chef de faniille sont presentées dans les tableaux. Celles concernant le type d'enseignement suivi sont citées dans Ic texte. Les differences entre CSP ou types d'enseignement ont ete considCrées comme statistiquernent significatives pour p < 0,05. MATURATION SOMATIQUE ET MODE DE VIE

Maturation sornatique (tableau 2) A age egal, les enfants de cadres et de professions intermédlaires oni une tailie

supérieure aux enfants d'ouvriers, diff&ence qui est, parmi les 12-15 ans, de quatre centimetres pour les garcons et de deux centimetres pour les flues et, parmi les 16-19 ans, de deux centimetres pour les garcons et d'un centimetre pour les filles. La taille des enfants d'employés se rapproche, pour les garcons, de celle des fils de cadres et pour les flues, de celle des filles d'ouvriers. L'écart de taille des élèves scIon leur type de scolarité est faible, les garcons de l'enseignement général

211

LA SANTE DES ADOLESCENTS

mesurent en moyenne un centimetre de plus que ceux de lycées professionnels, mali ii Tableau 2

Maturation somatique en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons

Flues

a (I)

a I,

.

E

E

a

12-15 ans

Taille (a)

Index pondéral (kg/rn2)'

1,64

1,63

1,60

1,61

1,59

1,59

18,97

19,38

19,36

18,80

18,95

19,05

1,77

1,76

1,75

1,65

1,64

1,64

21,28

21,20

21,26

20,27

20,31

20,83

16-19 ans

TaiIle1

Index pondéral (kg/rn2)' I. Moyenne.

L'index pondéral (poids/taille2), mesure de Ia corpulence, vane selon l'âge et le sexe, les garçons ayant une plus forte corpulence que les filles et Ia corpulence augmentant avec l'age. Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers ont une corpulence supérieure aux enfants de cadres, difference qui, avec l'âge, disparaIt chez les garcons, mais s'accentue chez les flues. Pour les lilies, l'analyse par fihières d'enseignement va dans le méme sens, les files de lycées professionnels ayant un index pondéral supénieur a celui des flues de lycées d'enseignement general. L'age des premieres regles, considéré comme un repère (tardif) de Ia puberté

feminine, est en moyenne de 12,4 ans, un peu plus tardif pour les lilies d'ouvriers (12,5 ans) que pour les flues d'employés (12,3 ans) ou de cadres (12,4 ans).

Mode de vie Globalement, Ia durée du sommeil diminue sensiblenient avec l'age, et ce pour les garcons comme pour les filles, alors que les troubles du sommeil augmentent pour les flues mais diminuent pour les garçons [Choquet et Ledoux, 1994]. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres ont une durée de sommeil légerement inférieure aux autres, et ce quel que soit le sexe (tableau 3). Cette difference s'atténue

2l2

PAR DOMAINE D'EXPRESSION

entre I6et 19 ans.Parailleurs,entre l2et 15 ans,lesfllsdecadresdéclarentmoins de troubles du sommeil que les autres. II en est de même pour les flUes de cadres,

surtout pour les plus âgées. Tableau 3 Sommeil des adolescents en fonction de Ia categoric socioprofessionnelle nationale 1993) du chef de famitle, scion Ic sexe Garçons

H

Flues

I

H

0

U

c)

12-15 ans

Sh 52 9 hOO 9h08 8 h47

DurCemoyennedusommeil

9h02 9h04

A eu assez souventltrès sou vent (durant les

douze derniers mois)

RCveils nocturnes

Cauchemars

% %

13.5

16,6

17,5

17,5

17,7

4,1

6,9

7,6

8,3

10.9

20,7 9,7

16-19 ans

Durée rnoyenne du sonirneil souvent (durant les douze derniers mois): Réveils nocturnes Cauchemars

7 h 58 7 h 59 8 h 07 7 h 59 8 h 03 7 h 59

A eu assez souventltrès

%

12.7

15,4

14.1

20,6

26,6

28.0

ne

3,5

4,1

4,7

11,6

12,0

11,7

A propos de Ia vie sexuelle (étudiée chez les 16-19 ans), les tendances sont différentes pour les garçons et les filles. Les fils d'ouvriers sont plus nombreux a avoir une experience sexuelle que les lils de cadres (55 % versus 49 %) et ans versus 15,5 ans), les fils de leur premier rapport est plus d'employes se situein a mi-chemin: 53 % ont eu des relations sexuelles, avec un age moyen au premier rapport de 15,3 ans. Parmi les lilies, celles dont le chef de famille est cadre ont une experience sexuelle plus précoce que celles issues de milieu ouvrier (15,8 ans versus 16,0 ans). Ainsi, Ia difference garçons/filles

est moindre parifli les enfants de cadres que parmi les enfants d'ouvriers. L'analyse par type d'enseignement poursuivi va dans Ic rnême seris pour les garçons, pas pour ies filles. En effet, les élèves de lycCes professionnels, garçons comme fifles, sont plus nombreux a avoir eu des relations sexuelles que ceux de lycees d'enseignement general.

213

LA SANTE DES ADOLESCENTS

MORBIDITE

Sante somatique (tableau 4) Tableau 4

Morbidité déclarée par les adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons

Filles tM

z -a E

-a

0

C.)

E

0

C.)

12-15 ans

Handicap/maladie chroniqu&

%

9,4

9,6

9,2

8,5

8,2

6,1

Scoliose2

%

11,3

11,2

8,5

17,4

17,1

12,9

Problèmes visuels3

%

35,7

34,1

31,0

38,4

43,4

39,5

Problèmes dentaires4

%

58,3

62,9

68,9

68,9

69,6

74,0

Asthme5

%

14,1

15,1

13,0

9,5

13,5

8,8

Handicap/maladie chronique'

%

9,2

10,4

7,1

12,6

11,1

10,3

Scoliose2

16-19 ans

%

20,1

17,4

15,3

27,4

23,3

18,0

Problèmes visuels3

%

35,5

34,2

33,7

49,3

48,2

45,9

Problèmesdentaires4

%

75,7

76,5

77,3

81,4

81,8

87,1

Asthme5

%

11,4

11,3

11,1

13,4

9,1

10,5

I. J'ai une maladie chronique ou un handicap physique: Non/Oui. Une question complCmensaire portant sur le type de maladie concernée a permis de confirmer Is presence de Is maladie chronique ou handicap physique [Choquet etalii, 1997]. 2. J'ai une scoliose: NonlOui. 3. J'ai un problème de vue: NonlOui, mais corrigélOui, mais non corrige. Pour Ia presente analyse, les deux dernières modalités ont etC regroupécs. 4. J'ai (eu) des caries dentaires : Non/Oui, mais soignees/Oui, mais non soignees. Pour Ia presente analyse, let deux dernières modalités out été regroupées. 5. J'ai déjà eu des crises d'asthme: NonlOui/Je ne sais pas. Pour Ia presente analyse, les modalités non et ne sais pan " out etC regroupees.

Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers (flues comme garcons) déclarent

plus souvent que les autres avoir des problèmes dentaires, les enfants d'employés déclarent plus souvent souffrir d'asthme et les enfants de cadres ou d'employés déclarent plus souvent une scoliose. Ces differences persistent audelà de 16 ans en ce qui concerne Ia scoliose et les troubles dentaires, surtout

parmi les filles. Par ailleurs, les garcons de Iycées professionnels sont plus nombreux que ceux de lycées d'enseignement général a declarer d'un

214

handicap

D'EXPRESSION

PAR

ou d'une maladie chronique (II % versus 8 %), de

problèmes

dentaires (82 % versus 75 %), differences que I'on n'observe pas chez les filles.

Accidents (tableau 5) Tableau 5

Survenue d'au moms un accident durant les douze derniers mois en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de faniille, selon le sexe (enquéte nationale 1993) Garçons

Flues

'Q?

.. E

(-)

12-15 alis

Accidents de Ia circulation

%

Accidents de travail

%

4,4

3.5

4,2

1,9

1.4

1,2

Accidents de sport

%

39.5

40,4

34.9

30.3

29,7

25.0

Autres accidents

%

17.7

22,7

18.4

9,7

10,5

12.2

Accidents toutes causes

e/(

49,7

55,0

47,5

37.7

36.9

36.1

Hospilalisationàla suite d'un accident

%

9.7

21,4

27,9

14.3

22,6

16,9

Accidents de Ia circulation

%

16.3

24.0

21,2

10,0

11,4

7,8

Accidentsde travail

%

4.1

5.8

7.4

1,5

1,5

1,0

Accidents de sport

%

39.8

36,7

34.8

25,9

22.2

22,1

Autres accidents

%

9.2

9.7

11,1

7.1

9,5

9,7

Accidents toutes causes

%

49,5

52,1

49,9

35,4

34,5

31,7

Flospitalisation ala suite d'un accident

ele

14.6

20.3

18,4

14,3

19.4

14.2

8.5

13,4

12,0

4.5

4,9

5,9

16-19 aiis

Les garçons soot plus nombreux a declarer un accident que les filles, et ce quel que soit le type d'accident. Globalenient, Ia frCquence des accidents ne vane pas selon Ia CSP, mais les enfants d'ouvriers et d'employés déclarent plus souvent un accident de Ia circulation, et les enfants de cadres ou d'eniployés un accident de sport. Parmi les plus jeunes, l'hospiialisation pour accident est plus frCquente parmi les fils d'ouvriers, alors que parmi les plus ãgCs, la difference entre les CSP est nioins nette. Parnii les filles, les tendances vont dans Ic rnême sens, sauf pour I'hospitalisation, car Ia proportion de lilies hospitaiisées pour accident est plus élevée parmi les filles d'employés que parmi les autres. Au

215

LA SANTE DES ADOLESCENTS

total, les garcons de lycées professionnels sont plus nombreux a avoir eu un accideñt4ue ceux de lycées d'enseignemeñt genéfal (54 versus 49 %), ii n'y a pas de difference pour les flUes.

Consommation d'alcool, de tabac et de cannabis (tableau 6) Tableau 6

Consommations d'alcool, de tabac et de drogues des adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons

FlUes

n

0 i..

U

U

12-15 ans

Consomme régulièrement Alcool' Tabac2 Cannabis3

%

6,5

7,9

7,0

5,7

4,3

3,2

%

6,3

5,7

7,5

7.8

6,8

7,6

%

3,1

3,0

2,4

2,5

2,1

1,5

%

13,0

11,9

9,5

19,9

18,1

16,2

% % %

33,2 24,6 21,8

30,1

23,8 16,6

26,5 23,5 13,6

14,6 28,1 12,2

9,7 27,5 7,7

9,6 23,3 8,8

%

11,9

10,6

10,5

29,8

31,7

26,6

A pris au moms une fois des médicaments

contrelanervositéetl'insomnie (durant les douze derniers mois) 16-19 ans

Consomme réguhièrement Alcool' Tabac2

Cannabis3

A pris au moms une fois des médicaments

contrelanervositéetl'insomnie (durant les douze derniers mois)

I. Au moms cfeux fois par semaine yin. biêre ou alcools forts ou an moms trois ivresses les douze derniers mois. 2. Tous les jours au moms une cigarette. 3. Au moms trois lois durant Ia vie.

Ont été considérés comme consommateurs d'alcool les jeunes ayant déclaré consommer des boissons alcooliques au moms deux fois par semaine ou avoir été ivre au moms trois fois durant les douze derniers mois. La consommation de cannabis se réfere a au moms trois experiences dans Ia vie, et Ia consommation

de tabac a un usage quotidien. Avec ces definitions, les consommations d'alcool, de tabac et de cannabis augmentent très sensiblement entre 12 et 19 ails, et les garcons sont plus nombreux a boire de l'alcool et a consommer du

216

JNECALITES PAR DOMAINF D'EXPRESSION

cannabis que les filles. Parmi les 12-15 ans, les differences entre les CSP sont faibles, en partie a cause des faibies taux de consonirnation a cet age. Mais parmi les 16-19 ans, garcons comme lilies, les differences se dessinent : les enfants de

cadres sont plus nombreux a consomnier de l'alcool et du cannabis que les enfants d'ouvriers ou d'employés. Pour le tabac, ces differences ne se retrouvent que chez les flues. Toutefois, les differences selon Ic type d'enseignement suivi ne vont pas dans le méme sens : parmi les garcons, les élèves de iycées professionnels sont plus nonibreux que les Clèves de lycCes d'enseignenient general a consommerde I'alcool (39% versus 27%), du tabac (38% versus 19%) ou du

cannabis (23 % versus 16%); parmi les flues, cette difference concerne uniquernent Ic tabagisme 38 % des filles de lycCes professionnels versus 24 %

des filies de lycCes d'enseignement general fument quotidiennenient. Cetie apparente contradiction oblige a une analyse plus fine entre CSP, cycle d'études et consommation de produits.

Le lien entre CSP et consommation selon Ic type d'enseignement suivi suggère des differences scion le sexe. Les fiis d'ouvriers poursuivant un enseignenient general sont moms nombreux a consommer régulièrement de l'alcool (20 %), du tabac (16 %) ci du cannabis (10 %) que les his de cadres de iycées

d'enseignement génCral (32 % boivent de i'alcooi, 22 % fument du tabac ci 20 % prennent du cannabis) et moms que ies tils d'ouvriers de lycées professionneis (proportions respectivement de 37%, 36%, 18%). Ainsi, pour les garcons, Ia mobilité sociaie inter-generations est associée a une plus faible consommation de produits psycho-actifs. Pour les flues, oü i'apparente contradiction entre CSP ci type d'études poursuivies ne concerne que le tabac, Ia consommation pius éIevée de tabac dans I'enseignernent professionnel provient de Ia consonimation des fiiles de cadres ou d'ernployes (respectivement

65 % et 37 % fument quotidiennement versus 27 % des lilies d'ouvriers) alors que dans l'enseignement génCrai on n'observe pas de differences scion I'origine sociaie. Pour les lilies, les données suggèrent que Ia mobilité sociaie <descendante>> inter-generations est assoc lee a une frCquence plus elevee de tabagisme.

Sante mentale (tableau 7)

La dépressivitC (depressive mood), indicateur de Ia sante mentale, a mesurCe a I'aide de l'échelle de Kandel, validée en France [Gasquet, 1996], qui inclut six questions sur Ic sommeil, la fatigue, l'inquietude et Ia <deprime>> ressentie. Les lilies ont une note plus élevée sur cette échelle que les garcons ci Ia depressivite augmente avec l'age, surtout parmi les lilies [Choquet et Ledoux, 1994]. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres, lilies comme garcons, ont un score plus eleve sur l'echelle de Kandei que les enfants d'ouvriers. Cette diffe-

rence s'atténue parmi les plus ages. Les garçons de Iycées d'enseignement general ont Ic mêrne score que les

de Iycées professionnels aiors que les

217

LA SANTE DES ADOLESCENTS

flues de l'enseignement général ont un score plus élevé que celles de i'enseignement professionnel, avec 13,4 versus 12,8. Tableau 7

Dépressivité (score de Kandel) et tentatives de suicide des adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père, selon te sexe (enquête nationale 1993) Garçons

Filles

n

0

V.-

0 55....

'V

'V

.55

E

0

'nO-

'u-

U

U

6

0

11,75

11,64

!2-i5ans Score de Kandelt A fait une tentative de suicide durant La vie

%

10,43

10,29

10,30

4,2

4,8

7,5

5,5

5,3

6,8

11,56

11,71

11,36

13,41

13,30

13,27

5,0

4,0

9,4

11,6

10,7

16-19 aiis

ScoredeKandeV

Afaitunetentatjyedesujcjdedurantjavje I. Moyenne. La

d'autant

% le

3.9

dlevé.

Les données concernant Ia pnse de médicaments contre Ia nervosité et l'insomnie vont dans le même sens. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres sont plus nombreux que les autres a consommer ces médicaments, difference qui disparaIt avec l'age. La consommation feminine augmente sensiblement avec l'age, et ce queue que soit l'origine sociale des sujets. La tentative de suicide (durant Ia vie) est un événement relativement frequent

parmi les jeunes, surtout parmi les filles. Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers (garcons comme files) sont les plus nombreux a declarer une tentative de suicide (p <0,001), alors que, parmi les plus âgés, les différencës entre classes sociales s'estompent. Alors qu'au niveau individuel la fréquence d'un antécédent de tentative de suicide au cours de Ia vie ne peut qu'augmenter avec l'âge, dans l'enquête, chez les garcons, Ia frequence de ces antécédents vane peu avec l'âge, et même, parmi les fils d'ouvriers, diminue avec l'âge. Cela peut signifier que le phénomène a change (effet de generation) ou que les fils d'ouvriers surdéclarent (ou sous-déclarent) La tentative de suicide selon leur age ou que les suicidants de milieu social défavorisé sont plus aisément excius du système scolaire.

218

INEGALITES PAR

D'EXPRESSION

DiscussioN

Méthodes Parmi les deux indicateurs d'inégalité sociale pris en compte, l'un concerne les parents (categoric socioprofessionnelle du chef de faniille), l'autre les sujets eux-rnêmes (type d'enseignement suivi), permettant ainsi de prendre en compte le passage entre situation familiale et situation personnelle. Ces deux situations ne se recouvrent pas entièrement (voir tableau I). Par ailleurs, comrne le statut professionnel du père (Ic fait qu'il soit inactif ou non) n'apparaissait a aucun moment associé aux problèrnes de sante des jeunes ni dans Ia présente analyse, ni dans une autre étude française [Aiènes et alii, 19981, ces résultats n'ont pas

été présentés. Par nianque d'information, ii n'a pas été possible de niesurer l'influence sur Ia sante du niveau d'études et des revenus des parents. Pourtant, selon des etudes iaord-arnéricaines, plus Ic niveau scolaire des parents et le

revenu familial sont Clevés, plus I'étai de sante des jeunes est satisfaisant [Cochran et Bo, 1989 ; Frank et a/u, 1984 ; Newacheck, 1989 ; Tuinstra et alii, 1998].

Les problèmes de sante étudiés sont ceux rapportés par les jeunes eux-mêrnes

et concernent donc essentiellement leurs comportements et leurs troubles ressentis. Un examen medical aurait permis de disposer de mesures plus fiables sur Ia pathologie et de confirmer (ou infirmer) les diagnostics rapportés par les jeunes. Sur cc dernier point, on peut faire I'hypothèse qu'il existe un biais de

declaration: les enfants de cadres ou d'eniployés, bCnéficiant d'un meilleur suivi medical et donc d'un meilleur dCpistage des troubles, possèdent une meilleure connaissance de leur état de sante que les enfants d'ouvriers. Par ailleurs, les enfants d'ouvriers ont un taux d'absentCisme scolaire plus élevé [Choquet et Hassler, I 997a] et on peut faire i'hypothèse que cet absentéisnie est

en partie attribuable a leur état de sante. Ces bials pourraient expliquer Ia surmorbiditC déclarée des enfants de cadres et d'employCs (maladie chronique, troubles visuels, scoliose, asthme). Les jeunes répondent aisément a des questions sur leurs propres comportements et troubles, comme en témoigne le faible taux de non-réponses concernant la consonimation (I %), les troubles fonctionnels (I %) et les conduites délictueuses (3 %). II n'en est pas de même a propos de Ia situation des parents, avec Un taux de non-réponses de 16 % concernant la profession du père ou de Ia nière.

L'absence dii parent (divorce, dCcès), Ia niéconnaissance de sa profession (profession complexe, peu connue ou rare) ou Ic fait de vouloir Ia taire (profession peu gratifiante ou de nature a lever l'anonyniat) peuvent expliquer ce faible taux de reponses.

LA SANTE DES ADOLESCENTS

219

Résultats A l'âge du college (12-15 ans), les enfants de cadres et de professions intermédiaires se distinguent des enfants d'ouvriers. Plus tard (a 16-19 ans), le type de scolarité suivie par les jeunes (enseignement general ou professionnel) vient ajouter une information complémentaire par rapport a la situation sociale de Ia famille d'origine. Les données suggèrent que les problèmes de sante somatique, de maturation et de corpulence sont plus souvent le fait des milieux défavorisés. Ainsi, les enfants d'ouvriers sont de plus petite taille, ont plus de problèmes de surpoids et de sante (problémes dentaires, troubles du sommeil, accidents de Ia route) que les autres. On retrouve ces mêmes differences entre les élèves de lycées professionnels et ceux de Iycees d'enseignement general pour Ia plupart des indica-

teurs. Les inégalites sociales existent donc depuis l'enfance et on peut faire l'hypothese que l'hygiène de vie (mauvais equilibre alimentaire, absence d'acti-

vites sportives) [Michaud et Alvin, 1997], les soins du corps (les jeunes de milieu defavorise attachent, comme le font leurs parents, moms d' importance a

leur image corporelle) ainsi que Ia prise en charge medicale (les enfants d'ouvriers sont moms consultants que les autres) [Choquet et alii, 1998] contri-

buent a [a persistance des differences de l'enfance a l'adolescence. D'autres etudes confortent le lien entre faible statut socio-economique, pratiques alimentaires et obesite [Arènes et alii, 1998 ; Johnson et alii, 1994 ; Power et alii, 1997] ou état dentaire (voir chapitre 111.17). A propos de l'accident de sport ou <de travail ou d'atelier >>, l'ecart entre les classes sociales peut être lie a des differences d'exposition. Ainsi : a) les fils de cadres seraient plus a risque d'accident de sport parce qu'ils sont plus nombreux

a avoir une pratique sportive que les enfants d'ouvners [Choquet et Hassler, 1997b] ; b) les hIs d'ouvriers seraient plus en risque d'accident <<de travail ou parce qu'ils sont plus nombreux a poursuivre leurs etudes dans l'enseignement professionnel que les fils de cadres [ministère de l'Education nationale, de Ia Recherche et de Ia Technologie, 1998]. L'hospitalisation par suite d'accident est plus frequente parmi les enfants d'employés et d'ouvriers, elle peut être expliquée par les accidents de La voie publique, plus graves que les

autres accidents et plus frequents parmi les adolescents de milieu social defavorise. Les fils d'ouvriers acquièrent leur autonomie sexuelle plus précocement que les fils de cadres, alors que pour les filles Ia tendance est inverse [Lagrange et Lhomond, 1997]. Ainsi, l'ecart entre garcons et flues est moms important parmi les enfants de cadres que parmi les enfants d'ouvriers, signe que I'image tradi-

tionnelle des hommes et des femmes est en pleine evolution [Baudelot et Mauger, 1994].

En France, comme dans d'autres pays francophones, Ia consommation d'alcool, de tabac et de cannabis conceme plus les enfants de milieu favorise que

220

INEGALITES PAR DOMAINE 0' EXPRESSION

les enfants de milieu populaire [Arenes et a/il, 1998 ; Choquet et Ledoux, 1994;

Michaud et Alvin, 1997]. Plusieurs etudes anglo-saxonnes confortent ces résultats [Boyle et Offord, 1986; Frank et (liii, 1984; Tuinstra et alii, 19981. Nos données suggerent également qu'une discordance entre le niveau social de Ia famille et celui du jeune (type d'études poursuivies) est associée a Ia consom-

mation d'alcool, de tabac ou de drogues, mais de facon différente pour les garçons et les flues. Les fils d'ouvriers en ascension sociale (qui fréquentent le lycée d'enseignernent general) oni. une plus faible consommation d'alcool, de tabac etde drogues que les fils d'ouvriers fréquentant le lycée professionnel. Les filles de cadres en mobilité sociale descendante (qui fréquentent Ic lycée professionnel) sont plus nombreuses a fumer que les filles de cadres qui frequentent le lycée d'enseignement general. Ainsi, non seulemerit ía situation des parents ou celle des jeunes est en cause, mais aussi Ia discordance entre les deux.

Les troubles psychologiques déclarés se révèlent peu lies aux facteurs sociaux [BorstetNoam, 1989; Berganzaet Aguilar, 1992], sauflestroublesles plus graves, comme Ia tentative de suicide [Beautrais et a/il, 1996] ou Ia toxicomanic [Friedman et Ali, 1997], plus frequents dans les milieux dCfavorisés. Nos résultats montrent que les enfants de cadres dCclarent plus fréquemment que les autres des symptômes dépressifs et uric prise de médicaments contre Ia nervosité ou l'insomnie, alors que la tentative de suicide est plus souvent relatée par les enfants d'ouvriers. Pour expliquer cette apparente contradiction, on peut faire l'hypothese que les enfants d'ouvriers sont plus nombreux que les eiifants de

cadres a faire des tentatives de suicide Soit impulsives, soit a Ia suite d'une depression non prise en charge. Globalement, on peut conclure qu'il existe des inegalites sociales face a Ia sante de l'adolescence, mais qu'elles soilt faibles IWest, 1997] et ne vont pas toujours dans le sens d'une plus grande vulnérabilité des classes sociales défavorisées [Van der Lucht et Groothoff, 1995]. Les differences sociales sont relativement faibles au regard des differences observCes entre les sexes et scion

l'âge [Arènes et a/il, 1998; Choquet et Ledoux, 1994]. Il est possible que Ia maturation différentielle des sexes, entre 12 et 19 ans, aux niveaux somatique,

social et psychologique, atténue les differences sociales, créant ainsi une <<culture jeunes> ou, plus prCcisénient, une <<culture masculine)> et une <<culture feminine >> [Galland, 1987]. Comme I'ont niontré Poweret cdii [1997], les inegalites sociales vont réapparaIlre entre vingt et Irente ans, lorsque les modes de vie enire les groupes sociaux vont se diffCrencier sensiblement. Reste que l'inegalite sociale face a Ia sante est insuffisamment analysCe a

I'adolescence. Des etudes plus systérnatiques Ct comparatives s'imposent [Conrad eta/il, 1992], carla perception des troubles et Ic seris qu'on leur donne difrerent d'une culture a une autre [Johnson et a/li, 1994; King et a/il, 19981, d'une classe sociale a une autre, d'un sexe a un autre, d'une époque a une autre. Ainsi, certains troubles et comportements peuvent être acceptables, voire valorisants pour certains (par exemple, l'alcoolisation pour les garcons), alors

LA SANTE DES ADOLESCENTS

221

its sont jugés intolérables et sont socialement rejetés. Une mejiteure connajssance des opinions et attitudes face a la sante, aux troubles et conduites permettra de mieux comprendre tes inégalités observées. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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14

Les maladies cardio-vasculaires Thierry Lang, Céline Ribet

Maladies de l'abondance, de l'excès et de la vie moderne — liées a une alinientation trop riche, a Ia sédentarité, au surmenage et au stress—, les maladies cardio-vasculaires evoquent encore souvent le cadre stressé, écrasé de responsabilités, que menace I' << infarctus >>. Cette image ne correspond pourtant pas a une réalité épidémiologique. Si les maladies cardio-vasculaires représentent une part

élevée de la mortalité prématurée des categories aisées, c'est en raison de leur taux de mortalité faible pour l'ensemble des autres causes de décès. En réalité, c'est dans les categories les plus modestes que les décès cardio-vasculaires sont les plus frequents. Ii n'en a pas toujours été ainsi. En Europe et dans les pays industrialisés, au debut du XXe siècle, les maladies cardio-vasculaires atteignaient plus frequemment les milieux aisés. Puis une inversion s'est produite dans Ia période comprise entre 1940 et 1960, selon les pays. La baisse de mortalité cardiovasculaire, amorcée en France a partir du debut des années soixante, n'a pas profité également a toutes les categories sociales. Elle a été plus forte dans les categories favonsées que dans les autres. Elle a parfois stagné dans certaines d'entre elles. Le résultat de cette evolution est la plus grande frequence des maladies cardio-vasculaires dans les groupes sociaux les moms favorisés. Ces affections ont fait Ia preuve de leur sensibilité aux conditions de vie et de leur capacité a varier fortement dans le temps. Leur caractère épidemique et collectif ne fait donc pas de doute. La somme de connaissances sur les relations entre facteurs psychosociaux et maladies cardio-vasculaires est particulièrement abondante et elles font partie sans ambiguIté de ces pathologies qui contribuent aux inégalites sociales de sante. Le terme de maladies cardio-vasculaires recouvre plusieurs entités. Parmi les maladies cardiaques, c'est l'insuffisance coronarienne (infarctus du myocarde, angine de poitrine) qui a été Ia mieux étudiée, notamment dans ses rapports avec

l'environnement économique et social. Les pathologies cérébro-vasculaires et

d'autres pathologies cardiaques pour lesquelles les données sont moms completes ne seront pas abordées dans ce texte.

224

INEGALITES PAR i)OMAINE I)'EXPRESSION

LA SITUATION EN FRANCE

La mortalité dite prématurée, avant 65 ans, est Ia plus intéressante a analyser.

Les écarts entre categories sociales sont particulièrement marques et elle est évitable par des actions de prevention ou de soins. En revanche, les travaux sur les inegalites sociales après l'ãge de Ia retraite sont encore rares. Dans les années cinquante, la mortalité d'origine cardiaque ne variait pas selon les categories sociales. Mais des Ia fin des années soixante, pour cette catégorie de décès, des taux de mortalité plus élevCs ont ete notes chez les ernployes, les ouvriers spCcialisCs et les artisans comparativenlent aux ouvriers qualifies, aux professions intermédiaires et aux cadres. Dans les trois dernières décennies, des

evolutions divergentes se sont confirmCes a l'intérieur de Ia population active entre categories socioprofessionnelles. Dans Ia population active masculine, Ia niortalité prématurCe par les maladies coronariennes a considCrablernent baissé, de 32 %, erure 1970 et 1990. Mais cette décroissance n'a pas profité de façon equitable a toutes les categories: — 14 % chez les employés et ouvriers, — II % chez les commercants et cadres moyens et — 47 % chez les cadres et professions libérales entre 1982 et 1990. En 1990, les taux de mortalitC par maladies coronariennes les plus élevés étaient observes parmi les employés et les plus faibles chez les cadres supérieurs (tableau 1). Chez les fernmes, Ia décroissance de Ia mortalité a Cté de l'ordre de 50 % dans Ia période 1970-1990, et elle a Cté sensiblement Ia rnême dans les différentes categories sociales. Le faible nombre de décès a cet age

et les difficultés d'évaluer le statut social des femmes doit inciter a interpreter pwdemnient cette absence de differences dans l'évolution de Ia mortalité cardiovasculaire entre categories sociales et Ducirnetière, 1995]. Tableau I

Comparaison des taux de mortalité par maladies coronariennes chez les hommes actifs de 35 a 54 ans (France entière, Odds-ratio ajustés sur l'âge et Ia region) Maladies coronariennes

Catégorie socioprofessionnelle

1970

1990

Cadres et professions intellectuelles supérieureslrCférence)

I

Agriculteurs

0.6'

1.6

0,9

1,5'

Artisans, eornmerçants et

d'entreprise

1

Professions interniédiaires

1,1

1,3'

EmployCs

1.6'

3.5'

Ouvriers

0.9

1,8'

I. p <0.05

Lang. 19951.

Dans le mênie temps, pour les deux sexes, l'Ccart entre actifs et inactifs s'est accru. Le rapport des taux de mortalité prCmaturCe d'origine coronarienne entre

LES MALADIES CARDIO-VASCULAIRES

225

ces deux categories, de l'ordre dean a trois en 1970, était de un a cinq en 1990. Cette population de non-actifs, difficile a - cerner sur le plan sociologique, comporte une proportion importante de personnes a i'écart du monde du travail, en raison de leur état de sante. Une partie de la reduction de la mortaiitd prématurée des categories > et <<employés >, les plus touches par le chômage, pourrait donc être liée a un effet croissant de selection, les actifs a Ia sauté Ia plus fragile perdant leur emploi parmi les premiers, ou ayant plus de

difficultés a en retrouver. L'absence de prise en compte de la sante des personnes exclues du travail pourrait ainsi conduire a une sous-estimation des indgalités sociales de sante [Arber, 1996]. Ces approches dites << transversales de la mortalité ont des limites méthodologiques, discutées dans le chapitre 111.9. Leurs rdsultats sont cependant globalement concordants avec d'autres approches. L'étude longitudinale menée par l'INSEE sur un échanti lion de personnes constitué iors des recensements de 1954 et de 1975 montre l'évolution de Ia mortalitd par maladies de l'appareil circulatoire dans son ensemble. De 1956-1960 a 1975-1980, l'dcart s'est creusé entre cadres supérieurs et professions libérales, d'une part, et ouvriers spécialises, salaries agricoles et employés de l'autre [Desplanques, 1990]. Dans le travail d'un groupe européen, fondé sur des données longitudinales obtenues dans les années quatre-vingt, Ia mortalité par cardiopathies ischémiques en France n'apparaissait pas différente entre manuels et non-manuels (voir chapitre 1.3). Ces résultats apparaissent contradictoires, mais il faut souligner que la definition des categories sociales n'était pas la même dans les deux analyses issues d'études longitudinales. Par ailleurs, les deux approches, longitudinale et transversale, ont leurs limites. L'enquete longitudinale mesure la categone sociale initiale, et >>

l'enquête transversale, Ia catégorie sociaie finale de Ia personne décédée. Les deux

approches ont en commun de méconnaItre la mobilitd professionnelle et plus généralement sociale des individus.

Les differences sociales de mortalité peuvent être liées a des variations de l'incidence (la survenue de Ia maladie) ou de Ia létalité (l'issue fatale ou non de

I'evenement aigu). Les registres de cardiopathies ischemiques MONICA permettent de prdciser ce point. Le groupe des empIoyés se caractérise par une incidence nettement elevee d'evenements coronariens, alors que la létalité de ce groupe ne s'éioigne guère de celle des ouvriers qualifies qui était dans ce travail

Ia catégorie de reference. A l'inverse, dans Ia categorie des ouvriers non qualifies, c'est surtout une létalité élevée qui explique Ia surmortalité. Chez les agriculteurs, une incidence faible d'événements coronariens contraste avec une letalite relativement élevée. Enfin, les cadres supéneurs se caractérisent par une incidence et une létalité toutes deux faibles (tableau 2) [Lang et alii, 1997]. La recuperation fonctionnelle après an infarctus est un enjeu important. Dans un essai américain, les capacités physiques des patients de classe sociale aisée

étaient meilleures un an après l'événement aigu que celles des patients des

226

INEGALIThS PAR DOMAINE 1)'EXPRESSION

classes moyennes ou pauvres. Mais de telles données surl'incapacité ne sont pas

disponibles en France. Tableau 2 incidence et létalité par categories socioprofessionnelles : hommes de 30 a 59 ans

(registres MONiCA de Lille, Strasbourg et Toulouse, données de 1985-1989, Odds-ratios ajustés sur l'âge, catégorie de référenee : ouvriers qualifies) Maladies coronariennes Categories socioprofessionneHes

Incidence Odds-

ratio

Agriculteurs exploitants Artisans, commerçants et

Létalité Oddsratio

0.8

1.4

0,7'

1,2

d'entreprise

Artisans Commerçants et Chefs d'entreprisc de dix salaries ou pIus

1

,

1

1.1

1,71

07

Professions libCiales Cadres de Ia fonction publique. professions intellectuelles et artistiques

0,4' 0.7'

0,7

Cadres d'entreprise

0,6'

0.6'

I0

09

Cadres et professions intellectuelles supérieures 1,0

Professions intermCdiaires Professions intermCdiaires de l'enseignement, de Ia sante, de Ia lonction publique ci assimilCs Professions iniermCdiaires administratives ci commerciales des entreprises Techniciens ContremaItrcs, agents de maitrise

'

2'

071

09

'

2

1

Q9 1

1

'

'

1.8'

0,8

Employés Employés de Ia fonction publique EmployCs adn,inistratifs d'entreprise EmployCs de commerce Personnels des services directs aux particuliers

1,71

1,0

1.6'

0,9

2,1'

1,4

Ouvriers Ouvriers qualitiCs (rCtérence) Ouvriers non qualities Ouvriers agricoles

I

I

1,2'

1,41

1,4

1,5

Retraités

2,1'

1,7'

Autres personnes sans activité professionneUe

2.5'

1,71

I. p
Au total, les donnëes Cpiderniologiques sont concordantes malgré des approches niéthodologiques variées. 11 est frappant de constater que Ia létalité et 1' incidence de ces maladies varient de facon relativement indépendante selon les groupes sociaux. Si les variations d'incidence renvoient a Ia prevention

LE5 MALADIES CARDJO-VASCULAIRES

227

les differences de létalité sont plus délicates a interpreter. Elles mettent

en cause Ia gravité initiale des

l'ütilisatiôn des soins, curatifs et

préventifs, Ia délivrance des soins curatifs et enfin le contexte psychosocial des

malades avant l'événement coronarien aigu, tous éléments susceptibles d'influer sur ses consequences et son pronostic. CONTEXTE INTERNATIONAL

Durant ces vingt dernières années, dans Ia plupart des pays du monde industrialisé, les differences de mortalité cardio-vasculaire ont eu tendance a s'accroItre entre categories sociales, même si globalement Ia mortalité liée aux

pathologies cardio-vasculaires diminuait [Kaplan et Keil, 1993]. Alors même que les effectifs des categories les plus exposées, travailleurs manuels non ou peu qualifies, décroissent dans Ia population active, les consequences des inégalités en termes de mortalité prematuree se sont étendues. En Suede, pays oü les inegalités de sante cardio-vasculaire sont moms marquees qu'en France, le risque relatif d'infarctus du myocarde des travailleurs manuels compares aux de niveau moyen et supérieur est passe de 1,2 a 2 entre le debut des années soixante-dix et le debut des années quatre-vingt-dix. Malgré les transformations sociales (reduction de Ia proportion de travailleurs manuels), Ia proportion des cas d'infarctus du myocarde, fatals ou non, qui auraient ete évités si les categories les moms favorisées avaient eu un taux d'incidence egal a celui des categories favorisées est passée de 8 % a 17 % chez les hommes de 45 a 64 ans [Hallqvist et alii, 19981. Les hierarchies sociales de mortalité cardio-vasculaire semblent en fait liées au developpement économique des pays. Ainsi, par exemple, dans un travail britannique, parmi l'ensemble des immigrants d'un rnême pays, les maladies de l'appareil circulatoire atteignaient surtout les immigrants d'origine modeste, s'ils provenaient d'un pays d'Europe, mais étaient plus frequentes chez les plus fortunes de ces immigrants lorsqu'ils venaient de pays en voie de developpement. ARTEFACTS, CAUSES, CONSEQUENCES?

L'état de sante plus défavorable de certains groupes sociaux n'est qu'une observation statistique qu'il s'agit d'interpréter. Si Ia premiere intuition est que des conditions de vie défavorables influent sur l'état de sante, il faut examiner d'autres possibilites. Des habitudes de codage, des problèmes de certification des décès pourraient rendre compte de differences de taux de mortalité entre classes et d'évolutions

différentielles de certaines causes de mortalité [Marmot et alii, 1987]. En Grande-Bretagne, dans les années trente, Ia mortalité par << angine de poitnne>>

228

1NEGALITES PAR I)OMAINE 1)' EXPRIiSSION

des hommes d'affaires et autres professions libérales était très supérieure a Ia moyenne nationale et nettement inférieure pour les travailleurs manuels non qualifies. L'inverse était vrai pour Ia catégorie diagnostique vague << maladie du myocarde suggérant qu'à cette époque le premier diagnostic, plus spécifique, était plus volontiers pose pour un membre des classes aisées que pour un ouvrier. L'utilisation de categories diagnostiques larges, telles que << pathologies cardiaques non valvulaires >, permet d'observer l'accroissement plus rapide de Ia mortalité dans les categories sociales les plus basses [Marmot el a/il, 1987]. Dans les données de mortalité de 1975, Ia fraction bien prCcisée des décès cardiaques croIt aussi avec Ia hiérarchie sociale. La relation entre classe sociale e état de sante pourrail être réelle, rnais c'est l'étatde sauté qui seraità I'origine d'une situation sociale défavorable. La réalité de ce phCnomène ne fait pas de doute. La question est celle de son importance pour expliquer les faits. L'étude de cohortes comnie celle de 1958 en GrandeBretagne, suivie pendant 33 ans, montre le role liniitC quejoue I'étatde sante sur Ia catégorie sociale des individus [Poweret a/li, 1996]. Au total, plusieurs arguments épidémiologiques classiques emportent Ia conviction en faveurd'urie relation de type causal. La position sociale précède les modifications de l'état de sante ou Ia survenue d'Cvénements coronariens; il existe un gradient continu, de type dose effet, entre revenus, niveau d'études et incidence des événements cardio-vasculaires; la relation entre classe sociale et mortalité ou morbiditC cardio-vasculaire est forte et les rCsultats sont cohCrents dans de nombreuses populations,

COMPREN DR F

Une des premieres caractéristiques des maladies cardio-vasculaires est qu'elles sont niultifactorielles. Les facteurs de risque sont nombreux, évalués a plus de deux cent cinquante. Deux Orientations théoriques notables des travaux de recherche méritent d'être soulignées. D'une part, Ia recherche des mécanismes liant facteurs sociaux et sante a cu tendance a privilégier les facteurs de risque les plus proches de l'Cvénement pathologique dans Ia chaIne de causalité. Les facteurs de risque biologiques et ceux permettant de décrire ou suggérer des mCcanismes physiopathologiques ont donc Clé particulièrement étudiés. D'autre

part, la plupart des travaux cherchent a comprendre pourquoi un individu est atteint dans une population donnée. La question de savoir pourquoi des populations sont atteintes n'a etC encore explorCe que de facon marginale. Par exemple,

Ia question pourrait être moms de savoir pourquoi tel ou tel Africain-Américain vivant aux Etats-Unis est hypertendu que de savoir pourquoi dans ce groupe social la prevalence dépasse 50 % (un sur deux !) a partir de 45 ans, alors que I'hypertension est quasi inexistante dans d'auti'es groupes sociaux. Ce double abord, des individus malades, pourquoi des populations malades>>

LES MALADLES CARDIO-VASCULAIRES

229

selon l'expression de G. Rose,n'a pas recu une grande attention, bien que l'idée n'en soit pas nouvelle [Rose, 19851.

Les facteurs de risque classiques>> individuels certes, mais aussi sociaux

Les grandes enquêtes de cohorte ont montré le role prédictif majeur de quelques facteurs de risque d'insuffisance coronarienne: l'hypertension artérielle, le tabagisme, les troubles lipidiques, l'activité physique, le diabète, l'obésité et les troubles de l'hémostase. C'est essentiellement autour de ces facteurs de risque << classiques que se déclinent les travaux de recherche sur Ia prevention des maladies cardio-vasculaires. II est donc intéressant d'étudier l'hypothèse selon laquelle leurs variations de prevalence et de pnse en charge therapeutique entre les categories sociales rendent compte des differences d'incidence et de letalite cardio-vasculaire. Cette approche est d'autant plus necessaire que ces facteurs de risque classiques sont directement accessibles a l'activite du système de sante (traitement des hypertendu(e)s, des malades hypercholesterolemiques, aides a l'arrêt du tabac...). Certains d'entre eux sont decrits comme des <. 11 s'agit des consommations d'alcool, de tabac, des comportements alimentaires, et de l'exercice physique. us sont detailles dans le chapitre inegalites sociales >>. Retenons que ces comportements ne sont pas seulement individuels, mais qu'ils varient beaucoup selon les milieux sociaux. II en est de même de trois autres facteurs de risque, l'hypertension artenelle, le diabète et les facteurs de l'hémostase. De nombreuses etudes ont montré Ia relation entre le statut socio-écono>>

mique et Ia prevalence de l'hypertension arterielle ou le niveau de pression artérielle. Les niveaux les plus élevés sont observes dans les categories sociales les plus modestes, a niveaux de revenus on d'études les plus faibles. Cette relation

a ete largement documentée dans de multiples pays, industrialisés pour la plupart, y compris en France. Dans I'enquête de population menée par les registres MONICA, une difference de pression artérielle de 6 ou 7 mmHg sépare

les categories socialement les plus favorisdes de celles des employés et des La prevalence de l'hypertension artérielle vane de 25 % a 38 % entre le tiers de Ia population qui bénéficie du niveau d'etudes le plus éievé et celui dont le niveau est le plus faible [Lang et alii, 1990; 1997]. Plusieurs etudes ont montré une surmortalité due au diabète ou une incidence élevée chez les individus ayant un niveau d'études faible. En France, dans une population de personnes de plus de 65 ans (cohorte PAQUID), Ia prevalence du diabète était plus élevée parmi les personnes a faibles revenus, mais n'était pas liee au niveau d'études [Bourdel-Marchasson et alii, 1997]. De même, dans plusieurs etudes, britanniques et scandinaves, le taux du fibrinogène, facteur de I'hémostase qui participe au processus de formation du caillot, est plus eleve dans les categories du bas de Ia hiérarchie sociale.

230

INEGALITES PAR I)OMAINE

facteurs de risque >>, qui pour Ia plupart suivent un gradient social comparable aux differences de mortalité et morbidité, sont susceptibles d'expliquer une partie des differences d'incidence et de mortalité [Kaplan et Keil, 1993]. En définissant quinze categories sociorégionales (cinq categories Ces

sociales et trois regions françaises), I'analyse des données des registres MONiCA confirme cette hypothèse. La correlation entre le niveau de pression artérielle dans une categorie sociorégionale et la létalitC coronarienne de ceue categorie, Ia correlation entre Ia prevalence du tabagisme dans une catégorie sociorégionale et I'incidence et Ia létalité par Cvénement coronaire aigu ou infarctus du myocarde sont fortes. En revanche, les taux de cholesterol total ne sont pas lies aux categories sociales [Lang et alii, 1997]. La proportion des inégalités sociales de mortalitC coronarienne expliquée par les facteurs de risque classiques serait de I'ordre de 50 %, avec un large intervalle d'estimations, allant d'un tiers a plus de 90 % scion les etudes. Dans un ensemble d'études européennes, Ia reduction des differences de mortalité coronarienne entre categories sociales après ajustement sur les facteurs de risque <> vane de 17 % a 30 %. Dans un travail finlandais, ces facteurs n'expliquaient pas non plus, les differences croissantes de mortalité par cardiopathies ischémiques observées entre classes sociales dans les vingt dernières années [Vartiainen et czlii, 1998].

La prevention, les soins curatils

La contribution du système de soins, hospitalier et anibulatoire, est a i'évidence un des élCments de discussion, même si SOn role est probablement limité dans l'état de sante au niveau de Ia population (voir chapitre IV.26). Deux

questions peuvent se poser, celle de l'accès aux soins de haute technicité, apparus ces dernières années dans le traitement de l'infarctus du myocarde, et celle de Ia prevention. Aux Etats-Unis, les patients provenant des quartiers aisés ou disposant d'une assurance maladie ont plus de chances de bénéficier d'une coronarographie, d'une angioplastie ou d'un pontage coronaire que ceux des quartiers plus défavorises. En France, Ia survie a 28 jours un ëvénement coronarien est 2,5 fois plus élevée pour un cadre supérieur que pour un patient d'une autre categoric sociale. Mais ii ne semble pas exister de differences majeures de traiternent des episodes aigus coronariens, entre categories sociales, des lots que Ic patient a atteint l'hôpital. Les differences portent sur Ia phase préhospitalière. Après un événement aigu, Ia categoric des cadres supérieurs a plus de chance de parvenir a l'hOpital, du fait d'un nombre rnoindre de décès prChospitaliers et d'arrêts cardiaques. Les explorations diagnostiques (angiographie coronaire) ou certaines thCrapeutiques (angioplastie)

avant un Cvénement aigu sont plus frequentes dans ces categories favorisées, suggérant des pratiques ou des filières variables dans Ic système ambulatoire. On peut soulever l'hypothèse d'une decision médicale plus de recourir a des

LEs MALADIES CARDIO-VASCULAIRES

explorations

231

diagnostiques devant une même symptomatologie, resultant des

réseaux de soins utilisés par ces categories [Lang

alii, 1998}

Soins de prevention et soins ambulatoires mettent en cause les patients, les soignants et le système de soins. Dans une enquête sur un échantillon de la population génerale, menée par les registres francais des cardiopathies ischemiques MONICA, le niveau d'études ou Ia catégorie socioprofessionnelle sont lies a toutes les étapes de Ia démarche de prevention des maladies coronariennes. Un

bon niveau de connaissances, Ia conviction que les mesures de prevention cardio-vasculaire peuvent être efficaces et leur mise en effective sont plus frequents chez les cadres et professions intermédiaires que chez les ouvners et employés et plus frequents si le niveau d'études est élevé. Bien que la consommation de soins ambulatoires en France soit égale <<en volume>> quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, le contenu des séaiices de soins ambulatoires et les relations entre médecin et

malade ménteraient d'être mieux connus. En Grande-Bretagne et aux EtatsUnis, les médecins discutaient moms de Ia prevention des facteurs de risque avec les patients les moms éduqués et des classes les plus défavorisées. Dans une étude française, les médecins sous-estimaient globalement le sentiment qu'avaient les malades de ne pas pouvoir contrôler les causes de leur hypertension artérielle, de se sentir mieux soignés par un médicament coilteux ou par l'association de plusleurs traitements. Or ces attitudes étaient plus fréquentes parmi les patients de catégorie sociale modeste et a faible niveau d'études. Les difficultés de Ia relation entre médecin et malade pourraient être plus marquees dans ces groupes. Outre cet aspect relationnel, l'aspect financier des traitements et des soins n'est pas a negliger. Le coot croissant des consultations, des explorations complémentaires, des traitements cardio-vasculaires s'accompagne d'un accroissement de Ia part des dépenses de sante a Ia charge des ménages. Cette composante financière nouvelle pourrait générer de nouvelles resistances au traitement préventif. Ce risque apparaIt d'autant plus sérieux que I'hypertension artérielle était une des conditions pathologiques qui était Ia plus sensible a Ia gratuité des soins de sante dans un essai califomien de randomisation des modalités de l'assurance maladie. Enfin, les opportunités d'améliorer Ia prevention sont encore peu saisies par

le système de soins francais. Un essai nord-américain de pnse en charge de l'hypertension artérielle, I'Hypertension Detection and Follow-up Program, a pourtant permis de montrer que le gradient de mortalité cardio-vasculaire, très marqué selon le niveau d'études, était susceptible de disparaltre après cinq années dans le groupe qui bénéficiait d'un programme de suivi medical intensif. Plusieurs travaux ont souligne l'existence de ces occasions manquées (voir le chapitre IV.26). Ces facteurs de risque biomédicaux ne résument pas l'ensemble des facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires. Les personnes sont en effet inscrites

dans une vie professionnelle, familiale, amicale, une histoire psychologique.

232

INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXPRESSION

Enfin, elles vivent dans une société dont l'organisation peut intluer sur la fréquence de certaines maladies, notamment cardlo-vasculaires.

Les facteurs de risque lids au travail Dans l'environriement professionnel, de nombreux facteurs de risque ont été suspectés (chimiques, physiques ou organisationnels). Leur repartition selon les postes de travail, leur plus grande frCquence dans les emplois les moms favorises rendent plausible leur contribution aux inégalités sociales de sante. Mais

les épidémiologistes cardio-vasculaires ont peu porte leur attention sur ces facteurs et les spécialistes de sante au travail ont davantage focalisé leur attention sur d'autres composantes cle Ia sante, comme les pathologies tumorales.

Plusieurs substances toxiques ont etC mises en cause, avec des niveaux de preuve divers, comme le bisulfure de carbone, Ia nitroglycerine, le dinitrate d'éthylène glycol. I)es relations entre exposition professionnelle de longue durée au bruit et incidence de l'hypertension artérielle et des cardiopathies ischCrniques ont été rapportCes. Le role d'expositions a des temperatures extremes reste controversC. Enfin, plusieurs etudes concluent a une relation entre incidence des maladies cardio-vasculaires et travail en horaires décalés [Kristensen, 1989]. Du fait des transformations du travail saiarié, du dCveloppement des eniplois du secteur tertiaire, des notions comme Ia surcharge de travail, le soutien social, les relations avec les collegues etlou Ia hiérarchie, l'insatisfaction, Ia monotonie du travail, Ia possibilitC de contrôler son travail prennent de plus en plus d'importance. Des modèles thCoriques de ces contraintes ont éte traduits en instruments de mesure validCs et autori sent des etudes de qualite. Le modèle propose par Karasek

(job strain model) est actuellement le mieux validé dans le doniaine de la morbidité-mortalité cardio-vasculaire. 11 est défini par trois composantes: I) demande ou charge psychologique associCe a l'accomplissernent des tâches (concentration, contrainte de temps); 2) latitude dCcisionnelle (autonomie décisionnelle et utilisation des conipétences); 3) soutien social au travail (aide et reconnaissance des collegues et supCrieurs hiCrarchiques). Une forte demande psychologique associCe a une faible latitude décisionnelle serait a l'origine d'une situation gCnCratrice de stress, qu'un isolement social au travail peut accroItre. Le risque relatif de maladie ou de décès coronarien pour les personnes exposées a cette contrainte de travail vane entre 1,3 et 4 et l'inscnitdonc parmi les facteurs de

risque puissants. Un second modèle théorique, développé par Siegrist, pose t'hypothèse que c'est le deséquilibre entre les efforts consentis et les rCcompenses (monétaires, reconnaissance professionnelle...) auendues qui dCfinit la situation de tension. Ces deux modèles auraient des effets prédictifs indCpendants sur les cardiopathies ischCmiques, suggerant qu'ils identifieraient deux types de tensions psychosociales au travail [Bosnia et alii, i 998].

LEs MALADIES CARDIO-VASCULAIRES

233

Les relations entre mortalité coronarienne et chomage avaient été suggérées par des etudes entre pays ou entre regions d'un mêmé pays, montrant une corrélation écologique entre taux de chômage et mortalité coronarienne. Dans l'étude de cohorte de Ia British Regional Heart Study, le risque de décès cardio-vasculaire dans les cinq aiis qui suivent 1' inclusion est deux fois plus élevé chez les sujets qui ont eu des periodes de chômage que chez ceux qui sont restés continuellement employés [Morris et a/u, 19941. La plupart des travaux sont concordants pour

confirmer l'absence de modifications des comportements de sante avec le chomage (tabac, alcool...), ou du niveau de pression artérielle, contrastant avec I' impact sur Ia mortalité cardio-vasculaire, suggérant donc un effet propre du chomage.

Sante mentale Plusieurs états de sante mentale ont étd décrits comme facteurs de risque de mortalité cardio-vasculaire. II en est ainsi de Ia depression et d'un syndrome proche, nomme <<épuisement vital >>, caractérisé par l'installation durable d'un état de fatigue excessive, d'irritabilité et de troubles du sommeil, ou encore de l'hostilité, définie comme une tendance a réagir aux situations de frustration par des sentiments ou des comportements hostiles. Ces facteurs psychologiques pourraient contribuer aux inégalités sociales de mortalité cardio-vasculaire. En effet, les facteurs psychosociaux au travail se sont avérés être prédictifs de symptômes dépressifs et, dans plusieurs populations de salaries, la prevalence de scores de dépressivité élevés ou du trait de personnalité < hostile était plus frdquente dans les categories du bas de l'echelle hiérarchique (voir chapitre ifi. 16). >>

Facteurs de l'environnement social

Une surmortalité totale et cardio-vasculaire a été notde en l'absence de réseau et de soutien social, de façon plus constante chez les hommes que chez

les femmes [Berkman et Orth-Gomer, 1996]. L'isolement social augmente considérablement le risque de décès après un infarctus du myocarde. Les méca-

nismes evoqués sont multiples, faisant intervenir un soutien instrumental (argent, aides diverses), un soutien émotionnel, une incitation a l'utilisation des soins médicaux et de prevention et enfin un effet direct, neuro-hormonal. Le réseau social, plus faible parmi les categories les plus pauvres, expliquerait en partie que leur pronostic après un infarctus du myocarde soit moms favorable. Le role du conjoint s'écrit différemment selon qu' ii s'agit des hommes et des femmes. Compte tenu de Ia difficulté de caractériser le statut social des femmes, Ia prise en compte du statut de leur conjoint permettait une meilleure prediction de leur mortajité cardio-vasculajre [Marmot et a/u, 1987]. Pour les hommes, dans l'enquête de Framingham, dans les années soixante, le niveau d'études élevé de Ia conjointe était un facteur de risque de mortalité coronanenne. Dans

234

des des

INECALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION

travaux plus récents, en Europe, la catégorie sociale ou le niveau d'études

femmes étaient inversernent lies au risque coronarien et au niveau de

facteurs de risque cardio-vasculuire de leurs conjoints, indépendamment de leur propre statut social. Ces travaux soulignent les limites des etudes fondées sur l'analyse du statut social d'un individu indépendamment de ses liens familiaux. Les caractéristiques des lieux de vie des individus (quartiers, comtés, arrondissements...) ont d'abord etC utilisCes comme approximation des caractéristiques sociales individuelles. Quelques travaux rCcents montrent qu'en rCalitC le statut social de l'individuet les caractéristiques de son lieu de residence (transports, sCcuritC, densité de l'habitat, taux de chômage, sCcuritC. .) jouent un role

independant sur la mortalité par cardiopathies ischCmiques. En Ecosse, Ia surmortalitC prématurée par maladies cardio-vasculaires des hommes vivant dans les quartiers les plus déshérités (tertile infCrieur) était de 33 % par rapport aux quartiers les mieux lotis ; après ajustement stir le statut social individuel, cette surmortalitC était de 26 %; elle Ctait de 19 % après prise en compte des facteurs de risque cardio-vascuiaires [Davey-Smith et a/u, 1998a]. Les informations fondées sur Ia zone de residence ne sont donc pas seulement des indicateurs approchCs de variables individuelles, mais suggèrent que l'environnement physique et social joue un rOle indépendant des caractéristiques sociales de l'individu lui-même. L'approche de politiques de prevention est différente dans les deux cas, axCe sur le cadre de vie dans un cas, sur l'individu dans l'autre. Les relations entre niveau d'CquitC et social capital, observes dans une zone géographique (pays, region), d'une part, et mortalité, de l'autre, concernent aussi les maladies coronariennes. Ces aspects sont développés dans Ic chapitre IV.27.

D'une génération a t'autre Barker et son equipe ont soutenu l'hypothèse que Ia survenue de pathologies

cardio-vasculaires a l'age adulte et Ic niveau de plusieurs facteurs de risque (pression artCrielle, fibrinogene, hypercholesterolCmie, diabète non insulinodépendant) étaient lies aux conditions de la vie intra-utCrine et de Ia petite enfance [Barker, 1995]. La qualité de Ia nutrition dans cette periode de Ia vie pourrait determiner le risque de cardiopathies ischCmiques a l'âge adulte. La persistance des dCsavantages socio-Cconomiques au cours de l'enfance Ct de l'adolescence, dont Ic rOle prCdiclif a etC montrC dans certaines cohortes, contribue au cumul des handicaps [Davey-Smith et a/u, 1998b]. CAUSAuTE: QUELLES STRATEGIES ? QUEL MODELE? Le nombre de travaux consacrCs aux <> des maladies cardio-vasculaires a permis de souligner Ic rOle important que jouent les facteurs sociaux dans leur repartition sociale ou gCographique et dans leur evolution historique. Une question majeure est celle de la causalitC de ces relations. Des mécanismes

LE5 MALADIES CARDIO-VASCLJLAIRES

235

biologiquesont été décrits, qui mettent en jeu les systèmes hormonaux (cortisol, système adrenergique...). us permettent de faire lájonëtion eritre les contextes sociaux et le domaine biomedical, legitimant dans une certaine mesure ce champ de recherche épidémiologique. Mais Ia question de la causal ité pose aussi b question des modèles de la sante

et de Ia maladie, aspect encore insuffisarnment explore dans Ia littérature [Krieger, 1994]. Le modèle épidémiologique sur lequel repose l'analyse est celui de Ia <<mise a plat>> d'un ensemble de facteurs de risque dont le nombre

peut être considérabte. Ces facteurs sont analyses en prenant en compte un grand nombre de variables et en les ajustant les unes sur les autres pour éliminer ainsi des facteurs de confusion. La limite de cette démarche est de masquer les

enchaInements de causalité, notamment entre facteurs sociaux et variables biologiques ou comportementales (voir le chapitre IV.25).

La seconde limite est l'abord le plus souvent transversal des différents facteurs de risque, recueillis a une seule période de Ia vie des individus. La plupart des protocoles d'enquête dans le domaine cardio-vasculaire comportent

un seul recueil important d'informations a l'inclusion, suivi du recueil des événements pathologiques. Seules quelques etudes de cohortes montrent bien I'accumulation des difficultés de vie dans les categories défavorisées: petit

poids de naissance, petite taille, conditions défavorables de logement et d'alimentation dans l'enfance, ruptures familiales, comportements de sante des parents, manque de soutien social, absence d'études, de qualification professionnelle, contraintes au travail. Elles montrent que les conditions de vie dans I'enfance ont un role prédicteur de mortalité par maladies coronanennes, indépendamment des conditions de vie a l'age adulte [Davey-Smith et alii, 1998b]. Des difficultés a comprendre les inegalités sociales de sante cardio-vasculaire dans un pays, on peut rapprocher l'insuffisance de modèles biomédicaux a expliquer l'augmentation massive de Ia mortalité cardio-vasculaire dans les

pays d'Europe de l'Est dans les vingt dernières années [Bobak et Marmot, 1996]. Comme pour les inégalites sociales, ni les soins, ni les facteurs de risque <> ne suffisent a expliquer les evolutions divergentes par rapport aux pays de l'ouest de l'Europe. CONCLUSION

inégalités sociales de sante existent en France, concemant a Ia fois l'incidence et Ia létalité de Ia maladie coronarienne. Les écarts ont été croissants dans les demières années et mettent en jeu de multiples mécanismes. Disparités de reparDes

tition des facteurs de risque cardio-vasculaires classiques ou des soins, facteurs psychosociaux et économiques concemant directement l'individu ou son environnement, ces différents niveaux d'analyse renvoient a plusieurs volets d'une politique de sante, ayant pour objectif Ia reduction des inégalités sociales de sante.

236

PAR L)OMAINE D'EXPRESSION

Face aux facteurs de risque < classiques >>, le modèle conceptuel de causalité adopté n'est pas sails consequences sur le choix des strategies de prevention et leur efficacité variable selon les milieux sociaux. Dans les maladies coronariennes, uiie stratégie s'est imposée, sans qu'une veritable alternative apparaisse dans le discours medical ou politique. Elle a privilégié les strategies de reduction dite du haut risque>> (regime desode des hypertendus, prise en charge des alcooliques >>, des funieurs dCpendants de Ia nicotine, ou traitement de l'obesite, de l'hypertension artérielle ou de l'hypercholestCrolémie). Dans les categories sociales les plus modestes ou a faible niveau d'études, ces strategies ont des résultats souvent limites, Ia participation aux programmes sanitaires, l'adhésion aux traitements et aux conseils de prevention sont souvent nioins bons que ceux de Ia population globale. II est donc de Ia responsabilité des professionnels de Sante d'améliorer l'efficacité de cette strategic du haut risque.

s'agit aussi de prendre en compte Ic fait que les coniportements dits < sont en réalité socialement partages. II reste donc a mieux comprendre les logiques sociales et Cconorniques qui les sous-tendent. II s'agit aussi d'evaluer des strategies de prevention et de prise en charge qui preunent en compte les spdcificites des groupes les plus exposes au risque. Un modèle plus general a l'egard de ces facteurs de risque pourrait dCvelopper une approche populationnelle, réduisant le risque dans l'ensemble de Ia population et pas seulenient dans les groupes a haut risque biologique. Pour Ia consommation de lipides, de sd alimentaire, d'alcool, l'apport calorique ou I'exercice physique, les comportements dependent de l'olfre de produits. Les changements collectifs d'attitude, les prix relatifs des produits pauvres en lipides, Ic contenu en sd des alirnents conditionnds, l'accès aux équipements sportifs, la restauration collective sont autant de points d'impact possibles pour une politique de sante publique. L'arnélioration de l'accès et de l'utilisation des soins curatifs, notamment 11

ambulatoires, est un autre moyen de réduire les inegalites de sante cardio-vasculaires. Mais celles-ci ne se résument pas a un contraste entre Ia partie de la popu-

lation exposee a une grande pauvrete et exclue des soins et ceux qui maintiennent une insertion sociale. Elles posent de facon plus large Ic problème de I'existence d'un gradient continu des états de sante allant des categories les moms favorisées de Ia population a ccl les qili Ic sont Ic plus et non d'un effet de

seuil. La situation des employCs observée en France et des emplois en augmentation, mérite une rCflexion particulière a cet egard. Elle est a rapprocher des données fCdérales par professions, aux EtatsUnis, dans lesquelles Ia categoric des <<services >>, plus que Ia categoric >>, est celle qui a les risques relatifs de mortalité les plus élevés, méme après divers ajustenients. Taux de chôrnage élevC, précarisalion importante, cefle categoric illustre Ia continuité des problèmes qui existe entre Ia population exclue et Ia population au travail. service >>, categoric

237

LES MALADIES CARDIO-VASCIJLALRES

De nombreux travaux

sont aujourd'hui disponibles qui soulignent

de vie et trävãil sur là stirvtinüe des maladies l'infltienèe des cardio-vasculaires. Si certains facteurs de risque leur sont specifiques, elles partagent avec d'autres pathologies un grand nombre de facteurs de risque psychosociaux et de questions relatives a l'utilisation des soins. Cela suggère qu'une rdflexion sur les inégalités sociales portant sur les maladies cardio-

vasculaires ne devrait pas être menée isoldment, mais s'intégrer dans une réllexion sanitaire plus large. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ARBER S. (1996), << Integrating Nonemployment into Research on Health Inequalities >>,

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15

Les cancers Catherine Herbert, Guy Launoy

Le cancer est une pathologie dont Ia fréquence est élevée dans tous les pays industrialisés et dont la survie, pour Ia plupart des localisations, reste mediocre. Les

cancers (toutes localisations confondues) sont Ia premiere cause de mortalité en France. Globalement, dans Ia plupart des pays industrialisés, les personnes ayant un statut socio-dconomique bas ont une plus forte mortalité par cancer que les autres, et

ces inégalites de mortalité sont particulièrement importantes en France (voir chapitre 1.3). Pour expliquer ces differences, deux hypotheses non exciusives peuvent être avancées: d'une part, le risque de survenue de cancer (mesuré par l'incidence) peut être lie au statut socio-économique, d'autre part, le temps de vie lorsque le cancer est déclaré (Ia survie) peut être associé au statut socio-dconomique. INEGALITES SOCIALES ET CANCERS : QUELS CANCERS?

QUELS INDICATEURS SOCIAUX?

Quels cancers? Dans notre pays, le cancer du sein est le cancer le plus frequent chez les femmes avec un taux d'incidence annuel estimé en 1995 a 110,2/ 100 000 femmes (taux de mortalité : 29,8/100 000). Le cancerdu poumon est le cancer le plus frequent chez les hommes avec un taux d'incidence annuel estimé en 1995 a 68,0/100 000 hommes (taux de mortalité: 69,4/100000). Le cancer colorectal est le deuxième cancer en frequence dans les deux sexes avec un taux d'incidence chez les hommes estimé en 1995 a 64,5/100 000 habitants et chez les femmes a 39,5/100 000 habitants (taux de mortalité : 28,6 chez les hommes

et 17,7 chez les femmes) [Menégoz et alii, 1998]. Ainsi, considérant qu'il s'agissait des localisations cancéreuses a Ia fois les plus frequentes et parmi les

plus graves, nous avons retenu pnncipalement, dans ce travail, les etudes réalisées sur ces trois cancers. Cependant, du fait d'inégalités d'incidence ou de survie assez importantes, 11 sera fait état de quelques résultats portant sur les cancers des voies aéro-digestives supérieures et du col de l'utérus.

Pamuk. 19971

(Heck ci

Etats-Unis

1999)

(Marshall.

France

1995)

Finlande (Pukkala.

Danemark (Hem, 1992)

1999

(Marshall.

France

1995)

(Van Loon.

Payn-Bas

1995)

Finlande (Pukkala.

Pays,

144 cas

124 cas

312 cas

25-74 ans

Actifs

229 can

157 can

Cohorte de naissance 1906— 945

35-74 ann

Actifs

55-69 ans

1906-1945

Cohorte de naissance:

.-

Age et nombre de cas

I. La naleur I correspond ii Ia categoric prise comme rélCrence. 2. La categoric de rCfCrence cst lensemhle de Ia population.

Scm

Scm

Pournon

Poumon

Pournon

COlon

Colon

Locahisation

Nombre d'années détudes

Catéeorie hiérarchique

Classe sociale

Classe sociale

Calégorie hiCrarchique

Niveau détudes

Classe sociale

I

<12

1

1.4 1.0

12

2.3

1

1.0

1.6

1.04

0.92

1.11

1.08

I

1.22 1.49

16

1.07 1.38

1.17

0.96 0.86

l3-15

Cadre inlaitrise Execution

Employé OuvrierqualitIC Ouvrier lion qualifle

Cadre

1V

0.45 0.73

2.9 3.7

\' (hasse)

II

III

1

2.4

1.7

1.6 2.3

I (élevée)

Cadre Maitrise Execution

I

1.58 1.18

Secondaire sup.

Collèse Primaire

0.97 0.65

OuvrierqualifiC Ouvrier non qualiflé

110

L42 1.15

F

d'incidence'

H+F

Risque relatif H

Employé

Cadre

Indicateur socio-économique

Tableau I Statut socio-économique et incidence des cancers

Etude de cohorte

Population d'une grande entreprise categorie au moment du diagnostic

Ensemble de Ia population finlandaise

Population dune grande entreprise categoric au moment du diagnostic

•

Ensemble de Ia population finlandaisc-

Remarques

z

Cl)

><

z

C >

>

r

>

z

N.)

LEs CANCERS

241

Quels indicateurs sociaux? Nous avons retenu les etudes apprdciant le statut socio-économique a partir

de Ia categorie socioprofessionnelle, du niveau de revenus, du niveau d'éducation ou du lieu de residence de l'individu, indicateur social indirect souvent utilisd dans le domaine du cancer. Ces indicateurs sont les plus fréquemment utilisés dans les etudes internationales et francaises et permettent d'établir des comparaisons entre etudes. STATUT SOCLO-ECONOMIQUE, INCIDENCE ET SURVIE DES CANCERS:

QU'OBSERVE-T-ON?

En France, en 1995, on estime I'incidence annuelle a 240 000 nouveaux cas de cancer. Ces cancers ont cause près de 143 000 décès, toutes localisations confondues [niinistère de l'Emploi et de La Solidarité-Réseau FRANCIM, 19981. Malgré ces chiffres importants, ii existe très peu d'études sur Ia relation entre statut socio-économique, mortalité, incidence et survie des cancers. Pourtant, l'ensemble des etudes étrangères montre que, quels que soient Ia

structure d'âge de Ia population concernée et le poids du cancer dans la mortalité, Ia mortalité par cancers (toutes localisations confondues) est toujours plus élevée chez les personnes ayant un statut socio-économique bas. L'excès d'incidence dans les groupes sociaux ayant un bas statut socio-économique est inconstant et depend de la localisation (tableau 1). En revanche, le plus souvent, La survie des patients atteints d'un cancer est plus faible lorsque le niveau socioéconomique est bas, même si I'on constate des variations selon les localisations cancéreuses [Kogevinas et alii, 19971 (tableau 2). Comme nous le verrons plus loin, ce résultat est encore plus frappant pour les cancers qui sont considérés comme étant de meilleur pronostic.

La situation francaise Le cancer colorectal: plus de 33 000 nouveaux. cas de cancer colorectal

surviennent en France chaque année, dont plus de 16 000 décèdent dans les 5 ans. Vingt et un pour cent de ces décès surviennent avant 65 ans chez l'homme et 14 %

chez Ia femme. L'incidence et Ia mortalitd (standardisées sur l'âge), stables entre 1975 et 1985, accusent une legere augmentation ces dernières années [ministère de l'Emploi et de Ia Solidanté-Réseau FRANCIM, 1998].

La relation entre le risque de survenue d'un cancer colorectal et le statut socio-économique depend du sexe et de Ia localisation du cancer dans le tube digestif. Une étude conduite en France en 1989 montre une frequence supérieure quand le statut socio-économique est élevé, association limitée au cancer du colon gauche [Faivre et alii, 1989]. Une étude francaise plus récente ne met pas

242

INEGALITES PAR DOMAINE

en evidence d'association, mais le petit nonibre de cancers du colon (35 cas) dans l'étude limite l'interprCtation de ce résultat négatif [Marshall et a/u, 1999]. L'influence du statut socio-économique sur Ie pronostic d'un cancer cobrectal apparaIt dans Ia seule étude française rCalisée. Elle montre que be

pronostic du cancer colorectal est plus mauvais pour les agriculteurs, les ouvriers et employés et les persormes sans profession (tableau 2). Le cancerdu pownon : en France, chez les honimes comme chez les femmes, Ia mortalité et I' incidence du cancer du pournon sont en constante augmentation. En 1 995, on estime a 21 850 Ic nombre de nouveaux cas de cancer du poumon

et a 23 929 Ic nombre de décès chez les honimes (soit plus de décès que de nouveaux cas déclarés, car seuls les cancers primitils du pounion soft recensés dans les registres alors que, dans certains cas, des métastases pulmonaires sont déclarés en cancers du poumon au moment du décès). La probabilité pour qu'un homme ait un cancer du pournon dans sa vie est de I sur 15. Chez les femmes,

on coniptait 3 604 décès par cancer du pournon pour cette mêrne année [ministère de I'Emploi et de Ia Solidarité-Réseau FRANCIM,1998]. Rares sont tes donndes fraiicaises concernant Ia relation entre statut socioéconornique et cancer du poumon. line étude menée dans une grande entreprise

francaise montre que, pour les hommes, le risque est plus élevé parmi Ic personnel d'exécution [Marshall ci alii, 1999], cc qul est coherent avec les rCsultats connus sur la mortalitC [Desplanques, 1985] (tableau 1). Aucune étude n'a été conduite en France sur Ia survie des personnes atteintes d'un cancer du pournon en fonction du statut socio-Cconomique. Le cancer du sein : en France, Ia mortalité par cancer du scm a été estimCe a 10789 décès en 1995 pour un nombre de nouveaux cas s'élevant a 33 867. Une

femnie sur 10 développe un cancer du scm dans sa vie. L'incidence et Ia mortalité sont en constante progression en France, mênie si la mortalité augmente moms fortement que l'incidence [rninistère de l'Emploi et de Ia Solidarité-Réseau FRANCIM, 1998]. Dans l'étude en entreprise précédemment citée les feninies les nioins qualifiées ont un risque Iégèrement plus faible [Marshall et a/li, 1999]. Aucune étude n'a etC conduite portant sur Ia relation entre survie et statut socio-Ccononiique des femmes en cas de cancer du scm.

Autres !oca/isotions : les cancers des voies aéro-digestives supérieures sont particulièrernent frequents et graves chez les hommes en France (10 882 cas en 1995, avec 4460 décès), mëme si une légère amelioration est observée depuis 1980. La mortalité par cancer des voies aéro-digestives supCrieures est plus importante pour les hornrnes ayant un statut socio-économique bas [Desplanques, 1985]. Il en est de même pour I' incidence [Marshall et a/li, 1999]. La survie des patients atleints d'un cancer des voies aéro-digestives supCrieures n'a pas etC CtudiCe en fonction du statut socio-économique.

France (Desoubeaux,

Colon-rectum

Italic (Rosso, 1997)

1995b)

GrandeBretagne (Schrijvers,

1996b)

Etats-Unis (Greenwald.

Italic (Rosso, 1997)

(Sclirijvers, 1995a)

25 ans et plus

plus

30 asset

25 ans et plus

Tous ages

Tous ages

1 36! can

29 676 can

6 896 can

1 505 can

4 591 can

3 558 can

I. La valsur I correspond a Is categoric prise comme rdfdrence.

Sein

Sein

Sein

Poumon

Poumon

Pavs-Bas

1995a)

Pavs-Bas

2 627 cas

Allemagne 45 a 74 ans (Brenner, 1991)

Rectum

COlon-rectum

2 627 can

2001 can

COlon

Tous ages

Age et nombre de cas

Allemagne (Brenner, 1991) 45 a 74 ans

1997)

Pays, référence

Localisation

Tableau 2

Niveau d'études

Niveau économique

Niveau socioprofessionnel

Niveau d'études

Niveau ëconomique

Niveau économique

Classe sociale

Classe sociale

Profession

T

1,31

4 Bas I (université)

1,01 I

2 3

4 (primaire)

0,89 0,94

1,35

T 1,15 1,30

1,19 1,36

2 3

.

Haut

Ban

4 (primaire) Elevé Moyen

2 3

I (université)

4 Bas

3

2

Bas Haut

4

3

2

Haut

Basse

Moyenne

I

1,07

0,96

1,18

1,14

0,97 1,05

1

1,06 1,15 1,17

1.00

1

1,05 1,32

T

T

Elevée

1,28

2,04

H+F

1,04 1,22

1,23 1,53

F

1,12

1,13

i

11

Risque relatif de

Elevée Moyenne Basse

Dirigeant, cadre moyen EmploVe, ouvrier Agriculteur Sans profession

Indicateur socio-économique

Statut socio-économique et survie des cancers

Résultats ajustés sur Ia øériode de suivi Ct Ia pCriode de diagnostic categoric sociale délinie sur une geographique

Résultats ajustés sur l'age et le sexe

Classe sociale dCfinie a partir du liect de residence

RCsultats ajustés sur l'age et sur Ia pCrlode de suivi.

RCsultats ajustés sur l'ã8e et sur Ia pC9ode de suivi, Classe sociale définie a partir du lieu de residence

RCsultats ajustCs sur differences variables, dont le sexe, l'annCe de diagnostic et Ic stade

RiSsultats ajustés sur différentes variables, dont le sexe, l'annCe de diagnostic e; le stade

Remarques

I'.)

z

>

244

INEGALITES PAR I)OMAINE 1)' EXPRESSION

Le cancer du col de l'utdrus, dont l'incidence déclinait jusque récemment (de

000 cas en 1975 3 300 cas en 1995), reste frequent. Cette baisse, rapportée a une amelioration de l'hygiène de vie et a Ia diffusion d'un exarnen de dépistage des lesions prCcancCreuses, n'est plus observée depuis 4 a 5 ans [Ministère de 6

I'Ernploi et de la Solidanté-RCseau FRANCIM, 1998]. Pour autant, aucune étude n'a été réalisée en France sur les differences d'incidence et de survie de ceue localisation cancéreuse selon le statut socio-économique.

La situation internationale Le cancer colorectal : dans les etudes internationales, Ia mortalité par cancer

du colon est souvent associée a un statut socio-dconomique élevé. Cette tendance n'est pas observée pour Ia mortalitd par cancer du rectum [Kogevinas, 1997].

Chez l'homme, une majorité d'Ctudes montre un risque plus Clevé de cancer

du cOlon chez les individus ayant un niveau socio-économique élevé,

et a

l'inverse une augmentation du risque de cancer rectal chez les personnes ayant un

statut socio-économique bas (tableau I). Ces contrastes apparaissent

amoindris chez Ia femme, soit parce que Ia relation entre statut socio-écononhique et cancer colorectal est moms forte chez Ia femme que chez l'homme, soit parce que les indicateurs de statut socio-Cconomique utilisés sont moms pertinents chez Ia femnie que chez l'homnie. Toutes les etudes montrent une survie moms bonne chez les patients atteints d'un cancer colorectal lorsque leur statut socio-économique est bas (tableau 2).

Le cancer 1u pouinon dans tous les pays les donnCes existent, l'incidence comme la mortalitC par cancer du poumon sont plus élevées pour les hommes ayant un statut socio-dconomique bas. Le tableau I présente des résultats pour le Danernark et Ia Finlande ; la situation est trés comparable dans d'autres pays [Kogevinas, 1997]. Chez les femmes, niême s'il y a moms d'études réalisées, on retrouve les mérnes rCsultats, mais Ia relation semble moms forte. Comme pour le cancer colorectal, Ia majorité des etudes montre que Ia survie des personnes atteintes d'un cancer du poumon est plus courte lorsqu'elles ont un statuE socio-économique bas (tableau 2). Toutefois, Ia difference est moms marquee que pour Ic cancer colorectal, Ic pronostic du cancer du poumon étant particulièrernent sombre, quel que soit le statut socio-économique. :

Le cancerdu sein presque toutes les etudes rCalisées au niveau international montrent une augmentation du risque de cancer et de Ia mortalité par cancer du sew associée a un statut socio-économique élevé (tableau I). De Ia méme manière que pour le cancer du colon-rectum, les etudes portant sur (a survie du cancer du sein observent une survie moms bonne lorsque les femmes ont un statul socio-économique bas (tableau 2).

LES CANCERS

245

Les relations entre statut socio-économique et cancer du sein tendent a se modifier avec le temps : uñe étUde ãméricäine montre quU, dans certains sousgroupes de femmes, ii n'y a plus de differences sociales de mortalité par cancer du sein ; une explication possible serait une reduction avec le temps des écarts soclaux classiquement observes pour l'incidence [Heck et alii, 1997].

Autres localisations: dans tous les pays, Ia mortalité par cancer des voies aéro-digestives supéneures est plus importante pour les hommes ayant un statut socio-économique bas. Ces differences sociales sont particulièrement fortes en France [Kogevinas et alii, 1997]. L'influence du statut socio-économique sur l'incidence de ces cancers est moms nette que surla mortalité et, a notre connaissance, la survie des patients atteints d'un cancer des voies aéro-digestives supérieures n'a pas été étudiée en fonction du statut socio-économique. Une baisse de l'incidence du cancer du col de l'utérus est observée depuis 10

a 20 ans dans les pays industrialisés. Cette baisse est, comme en France, rapportée a l'amélioration de I'hygiene de vie et a Ia pratique d'un examen de depistage des lesions précancéreuses. Dans tous les pays, la mortalité et l'incidence sont plus élevées dans les groupes sociaux ayant un statut socio-économique bas. La survie des femmes atteintes d'un cancer du col de l'utérus est plus faible Iorsqu'elles ont un bas statut socio-économique [Kogevinas et alii, 1997]. QUELQUES EXPL1CATIONS

Les

etudes réalisées montrent qu'en France comme a l'étranger le statut

socio-économique de l'individu determine fortement ala fois le risque de cancer et son pronostic. Concernant le risque de cancer (incidence), le sens du gradient

depend de Ia localisation étudiée. Certains cancers, comme les cancers de l'cesophage, des voies aéro-digestives supérieures ou du col de l'utérus, sont plus frequents dans les milieux socio-économiques défavorisés. D'autres, comme le cancerdu sein ou du colon, sont plus frequents dans les groupes soclo-

économiques favorisés. Les differences d'incidence sont souvent moms marquees chez les femmes que chez les hommes [Remmenick, 1998]. Chez les hommes, les cancers associés a un bas statut socio-économique sont les cancers des voies aéro-digestives supérieures, les cancers de et les cancers du poumon, ceux les plus frequents dans les groupes sociaux favorisés sont les cancers du colon. Chez les femmes, les cancers associés a un bas statut socioéconomique sont les cancers de I'estomac et du corps et col utérin. Les cancers les plus frequents dans les groupes sociaux favorisés sont les cancers du colon, du sein et des ovaires. Quelle que soit la localisation, le pronostic d'un cancer est toujours moms bon dans les groupes sociaux défavorisés, Ia difference entre groupes étant d'autant plus marquee que le temps de vie après diagnostic est

long. Les résultats francais sont en accord avec les travaux rassemblés par Kogevinas, qui concluent que le gradient de survie le plus fort entre les diffé-

246

INEGALITES PAR iX)MAINE

rents niveaux socio-économiques est toujours observe pour les cancers dont Ic

pronostic est relativenient bon : cancer du colon-rectum, du sein, de Ia vessie et du corps utérin [Kogevinas et a/u, 1997].

Les differences dans l'exposition aux facteurs de risque (tabac, alcool, alimentation, apport calorique, excès de poids, vie sédentaire, pratiques sexuelles, virus, nonibre d'enfants, etc.) expliquent en partie, mais en partie seulement, les differences d'incidence entre les groupes sociaux [Kogevinas et a/u, 1997 ; Van Loon et a/u, 1997]. Les consommations de tabac et d'alcool sont des facteurs de risque pour les cancers du poumon et des voles aéro-digestives supérieures, mais aussi pour Ic cancer du colon-rectum. Une alimentation désequilibree, un apport calorique important, un excès de poids et une vie sédentaire sont des facteurs de risque pour les cancers du cOlon-rectum et du sein. Un nombre d'enfants élevé, une multiplicité des partenaires sexuels et des patho-

logies virales sont des facteurs de risque du cancer du col de l'utérus. En revanche, l'absence de grossesse est tin facteur de risque du cancer du sein. Or, ces facteurs (consommation de tabac, d'alcool, alimentation, grossesses, etc) different grandement d'un groupe social a l'autre. Ces relations avec les caractCristiques sociales varient cependain au cours dii temps et ne sont pas constames d'un pays un autre (voir chapitre IV.25). II n'est pas possible de quantifier précisérnent Ia part des inégalites d'incidence attribuable a tel ou tel facteur. Cependant, plusieurs rCsultats intéressants sont apportCs dans cc domaine par les auteurs qui oft contribué a l'ouvrage synthétique sur les inCgalites sociales et le cancer [Kogevinas et a/u, 1997]. En complement des explications en termes de consommation de tabac, d'alcool, d'alimentation, de vie reproductive et de comportements sexuels, d'autres explications sont développées. Ainsi Boffetta et a/u estinient qu'environ Ia moitié des differences sociales dans Ia mortalité par cancer du poumon chez les hommes est attribuable a des expositions professionnelles spécifiques [1997]. Ce résultat, quoique concernant Ia mortalité, est inforniatif en ce qui concerne l'incidence, puisque Ic rOle des expositions professionnelles est antCrieur a Ia survenue du

cancer. Les explications aux differences sociales en matière de cancer du poumon ont été aussi discutées a partir de données néerlandaises [Van Loon et a/u, 1997]. Lesauteursconcluentã un rOle très modeste des expositions professionnelles, mais montrent également que les differences sociales importantes persistent quand Ia consornmation de tabac est prise en compte. En conclusion, ii n'y aurait donc pas d'explicaiion simple aux écarts observes entre categories sociales. D'autres auteurs insistent sur Ia difficultC a quantifier Ic rOle explicatif de différents facteurs du fait des dClais très longs entre exposition et survenue de cancer: par exemple, les differences sociales observécs aujourd'hui pour les cancers du scm ou du col de l'utCrus reflètent les differences sociales de vie reproductive et de comportements sexuels d'il y a plusieurs dizaines d'années [Dos Santos Silva et Beral, 1997]. Par ailleurs, des differences sociales existent

dans la participation aux programmes de prevention (voir plus loin dans cc

LES CANCERS

247

chapitre). Pour le cancer du col de l'utérus, on peut penser que depistage a un èt fácteurs lies au mode de vie sé ëumulent pour réduire stadé l'incidence dans les categories sociales favorisées. Pour le cancer du sein, le depistage précoce ne réduit pas l'incidence ; que les femmes de catégone sociale élevée aient une meilleure participation aux campagnes de depistage n'entraIne donc pas une reduction de I'incidence; par ailleurs, ces femmes auraient un risque accru du fait de leur vie reproductive [Kogevinas et alii, 19971. Quant aux differences de survie, les explications sont egalement complexes. bas est Globalement, Ia survie des personnes ayant un statut plus basse quel que soit le pays. Cet écart peut être le résultat d'un accès et d'un usage du système de soins différents pouvant induire un diagnostic plus ou moms précoce ou une pnse en charge différente. II peut être aussi le résultat d'un comportement different face aux symptômes ou face a d'autres facteurs de risque entralnant d'autres maladies qui pourraient diminuer Ia survie [Schrijvers et a/u, 1997]. Il peut être le résultat d'une difference dans l'observance des traitements ou des protocoles de surveillance [Greenberg et alii, 1988 ; Remennick 1998]. L'hypothèse d'un retard au diagnostic chez les personnes ayarlt un statut socio-économique bas est très souvent confirmée dans les etudes : les personnes ayant un statut socio-économique bas ont statistiquement plus de lesions de stade avancé queue que soit Ia localisation cancéreuse [Goodwin et alii, 1996; Mandelblatt et a/il, 1991, 1996]. Parmi les mécanismes qui sous-tendent cette observation, les difficultés d'accès aux soins et le comportement face aux symptomes sont les plus souvent cites [Mandelblatt et alii, 1991, 1996 ; Greenwald et alii, 1996a]. Mais l'hypothese selon laquelle les personnes ayant un statut socioéconomique bas auraient une moms bonne résistance a la maladie ou réagiraient différemment aux traitements est parfois avancée [Kogevinas et alii, 1997]. Plusieurs etudes montrent aussi que les traitements et leur qualite different selon le statut socio-économique du malade [Ayanian et Guadagnoli, 1996; Desoubeaux et alii, 1997 ; Grosclaude et alii, 1995]. Toutefois, a ce jour, aucun de ces travaux ri'a réussi a expliquer totalement les differences de survie a partir des differences de traitements observées. Le système de soins, qui determine en

particulier I'accès aux soins et Ia couverture sociale, pourrait modérer l'influence du statut socio-économique sur la survie des cancers. En effet, malgré quelques résultats contradictoires, les differences de survie selon le statut socio-économique pourraient être moms importantes dans les pays oü le système de soins est plus égalitaire. Actuellement, des examens de dépistage des cancers du cOlon-rectum et du sein sont disponibles et accessibles dans certains pays. L'incidence mais aussi

Ia survie vont être modifiées par ces nouvelles pratiques: augmentation de l'incidence observée, parce que les examens de depistage permettent de découvrir des cancers avant l'apparition des symptOmes, amelioration de Ia survie, parce que les cancers découverts avant symptômes sont, le plus souvent, des cancers de stade précoce et dont Ia survie est meilleure. Or de nombreuses

248

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

etudes montrent que les personnes ayant une catégorie socioprofessionnelle ou un niveau d'études ou de revenus élevés ont plus facilement recours aux examens de dépistage que les autres [Miller et Champion, 1997]. Si Ia diffusion de ces nouvelles techniques se fail en l'absence de programmes organisés au niveau collectif, elle pourrait accroItre les differences d'incidence et de survie entre les groupes socio-économiques. Paradoxalement, alors que Ia France semble être un des pays dans lesquels le gradient de mortalité par cancers entre les différentes classes sociales est le plus important, très peu d'études ont tenté d'analyser les liens entre le statut socio-

économique et l'incidence et Ia survie des cancers. Si l'on veut mieux comprendre les mécanismes a l'origine des inegalites de sante dans notre pays, il sera nécessaire d'amCliorer Ia precision des donnCes cliniques et Ia disponibilité des données comportant une information sur le statut socio-économique

dans les registres du cancer ou d'autres recueils de données portant sur de grandes populations.

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16

Les troubles mentaux Anne Lovell

APERçU HISTORIQUE

L'existence d'une relation entre classe sociale et trouble mental est un des résultats les plus cohérents de Ia recherche en psychiatrie. Déjà, en 1854, le statisticien et psychiatre Edward Jarvis relevait dans l'Etat du Massachusetts 64 fois plus de cas de folie au sein de Ia population assistée par 1'Etat que dans Ia population <<économiquement independante >>, pour reprendre ses propres termes. Si, aujourd'hui, son enquête est fortement cntiquée pour son racisme sous-jacent [Vanderstoep et Link, 1998], elle reste une des premieres explorations des inégalités en maladie mentale utilisant des méthodes proches de ce que deviendra l'epidemiologie psychiatrique. Près d'un siècle plus tard (1939), une étude de l'école de Chicago, qui joue un role majeur dans Ia sociologie américaine, montre que le pourcentage de schizophrènes hospital isés a Chicago diminue graduellement des quartiers les plus pauvres

aux quartiers les plus riches [Fans et Dunham, 1939]. Dans les décennies qui suivent, des résultats similaires viendront confirmer ces travaux et montreront aussi un lien entre métiers en bas de l'échelle sociale et maladie mentale. II semblera vite

acquis, sur Ia base d'une centaine d'enquétes européennes et nord-américaines largement concordantes, que Ia psychopathologie se concentre le plus souvent dans

les milieux sociaux défavorisés [Dohrenwend et alii, 1980; Ortega et Corzine, 1990], notamment pour les psychoses, les << personnalités antisociales >>, les troubles

lies a l'usage de substances psychotropes licites et illicites et, enfin, particulièrement pour les femmes, Ia depression [Dohrenwehd et alii, 1980]. Depuis, Ia structure sociale des pays occidentaux a évolué, de méme que Ia nosologie, les theories biologiques et sociales sur Ia maladie, les traitements, et enfin les méthodes épidemiologiques en psychiatrie. Ce chapitre cherchera a comprendre dans quelle mesure I'association degagée par Jarvis persiste malgré ces changements radicaux. Ii examinera ensuite l'état des connaissances sur les mécanismes complexes par lesquels maladie mentale et conditions sociales sont liées.

252

INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION

LA DEFINITION I)ES TROUBLES MENTAUX

La déf'inition de Ia maladie est imprecise, y compris pour la psychiatrie biologique [Schwartz, 1999J. Depuis 1980, Ic trouble mental est

conçu le plus souvent comme une entitC discrete. Cette caractérisation dichotomique on est schizophrène, ou on iie I'est pas >>) prend ses racines dans un rnodèle biologique, qui suppose des causes génétiques, biochimiques ou neuro-

logiques. Le système diagnostique contemporain Ic plus répandu au niveau international, Ic DSM IV (manuel diagnostique et statistique de l'American Psychiatric Association) définit les troubles psychiatriques (par exemple, Ia schizophrenic et les troubles psychotiques, les troubles de l'humeur) en termes de syndromes, ott de regroupernents de syrnptomes specifiques, d'une sévérité telle qu'ils produisent un dysfonctionnement ou un effet de détresse dans Ia vie du malade. En recherche, les entretiens diagnostiques standardisés reflètent cette conception de Ia maladie mentale. Jusqu'aux années quatre-vingt, Ia maladie nientale fut Ic plus souvent conceptualisEe comme un phénomène continu, allant de Ia rnaladie a Ia sante en

passant par des états interrnEdiaires pour Ia majorite des individus. Scion cc modèle, toujours utilisé par certains chercheurs, peut-etre parce que plus facile a mettre en les conditions adverses de l'environnement psychosocial peuvent déclencher Ia maladie mentale chez une personne auparavant en bonne sante. Les échelles psychologiques (de dCpressivite, de bien-être, etc.) mesurent Ia maladie scIon cette conception. Pour les sciences sociales, Ia maladie mentale est toujours un phénornène

saisi par rapport au groupe. Certains sociologues soulignent l'infraction aux regles et aux normes sociales que représentent les manifestations de cc que le clinicien appelle tine maladie rnentale. Que Ic chercheur concoive Ia maladie comme une construction sociale, sans étiologie intrapsychique ou biologique, ou qu'iI privilégie une Ctiologie multifactorielle (biologique, psychosociale, etc.), ii accepte l'idée que Ia maladie mentale perturbe les relations avec les autres. Elle a de cc fait, nécessairement, une dimension sociale.

La façon de définir et mesurer la maladie mentale a-t-elle un effet sur l'analyse du lien entre facteurs sociaux et maladie mentale? Deux biais possibles sont particulièrement importants a considérer Ic premier concerne les difficultés d'interprCtation propres aux outils scientifiques utilisés ; Ic deuxième porte sur les problèmes d'Cchantillonnage, dans Ia mesure les etudes se liniitent le plus souvent aux personnes prises en charge par Ic système de soins et non a Ia totalité d'une population. Les

difficultés d'interprétation des données selon I'outil utilisé

Le choix de l'outil utilisé pour inesurer I'état de Sante mernale a des conséquences sur l'analyse de Ia dimension sociale des troubles mentaux. La comparaison

LES TROUBLES MENTAUX

253

des deux outils les plus utilisés: entretien diagnostique standardisé, adoptant Ia notion p!ütôt rhédiëale dêmãiãdie et échelle psychologique, Ia concevant comme un phénomène contmu, ilustre clairement cette remarque. L'entretien diagnostique tend a minorer le role des facteurs sociaux. En substituant des categories tranchées (maladie <<présente >>/<< absente >>), le diagnostic

favonse implicitement Ia notion biologique de la maladie. La comparaison des enquêtes menécs avant et après 1980 confirme que cette approche a eu pour effet de freiner I'exploration de Ia dimension sociale de Ia maladie mentale. En outre, l'utilisation d'une variable discontinue ne prend pas en compte Ia variabilitd des symptômes sur lesquels le diagnostic s'est fondé. Cette méthode risque de méconnaItre des associations avec des facteurs sociaux qui auraient été observdes dans des analyses réalisées a partir d'échelles continues. Parce que les états mesurés par

ces échelles sont plus frequents dans les groupes socialement desavantages [Mirowsky et Ross, 19891, l'outil diagnostique tend a ignorer des aspects de la sante et de Ia maladie mentale plus communs dans les milieux défavorisés. En revanche, l'utilisation des échelles psychologiques peut conduire, pour d'autres raisons, a une frdquence probablement surestimée de trouble mental dans certaines situations défavorisées. Ainsi, dans des enquêtes menées chez des personnes sans abri, les taux de prevalence de maladie mentale estimés a partir d'dchelles psychologiques sont le double des taux obtenus en utilisant des entretiens diagnostiques structures [Lovell, 1992b]. Une source de l'ambiguIte produite par l'utilisation des échelles dans Ia mesure du trouble mental reside dans le cadre temporel. L'échelle psychologique mesure habituellement l'état du sujet au moment de Ia passation du questionnaire ou dans un <<present>> vague. Le diagnostic, au contraire, requiert une durée des symptomes dans le temps, ainsi qu'un regroupement de certains symptômes a un même moment. Une seconde source de difficultés est le manque de spécificité de ce qui est mesurd, ambigulté bien illustrée par le Center for Epidemiological Studies Depression scale (CES-D). Concu pour dépister Ia dépressivité ou l'état dépressif,

le CES-D est souvent interpréte en termes de maladie, ou trouble durable (depression, trouble de l'humeur). Plusieurs auteurs suggèrent que de telles échelles mesurent, au contraire, des sensations, des sentiments, voire, de facon non spécifique, Ia démoralisation, Ia ddtresse ou Ia souffrance. Ces états

surviennent souvent dans des situations de marginalité sociale ou de crise communes a un groupe désavantage, comme les victimes d'une catastrophe envi-

ronnementale, d'un licenciement collectif ou encore les mères au foyer sans revenus. L'interprétation des résultats obtenus avec des échelles en termes de trouble mental, et non de détresse, met l'accent sur l'individu et ses symptômes pathologiques. Une analyse alternative pourrait souligner La dimension collective de l'état de détresse, en cherchant les conditions sociaLes qui en sont a l'origine

[Link et Dohrenwend, 1980; Mirowsky et Ross, 1989]. Ces choix ont évidemment des consequences pour la sante publique : considérer Les racines de Ia

254

INEGALITES PAR I)OMAINE I)' EXPRESSION

détresse collective ou envisager uniquement des interventions thérapeutiques au

niveau individuel ne sont pas equivalents.

Les bials de selection de population dans les enquêtes

Pour sélectionner les etudes les plus valides parmi le grand nombre d'enquetes portant sur le trouble mental, II est important de pouvoir préciser Ia population étudiée comment est-elle construite et queue population-cible représente-t-elle? Une des menées en population gCnérale souligne l'importance de Ia distinction entre Ia population générale et les sous-populations constituées a partir d'usagers de services psychiatriques ou médicaux. L'Epidemiological Catchineni Area (ECA) ftit mené dans cinq aires métropolitaines aux Etats-Unis pour estirner la prevalence et l'incidence de plusieurs troubles psychiatriques

spécifiques, identifier des facteurs de risque et examiner l'utilisation des services de soins. Dans cette enquête, un sujet était classé comme atteint de trouble mental s'il rCpondait aux critères d'au moms un diagnostic parmi douze obtenus par un questionnaire diagnostique standardisé. Seuls 29 % des sujets répondantà cette definition déclaraient avoirconsultC un médecin, psychiatre ou non, ou un autre intervenant thérapeutique, professionnel ou non, au cours de l'annCe pendant laquelle leur maladie s'était manilestée. I)ans le même temps et

selon les mêmes crilères diagnostiques, 80 % de ceux qui avaient consulté n'avaient pas de pathologie mentale [Regier et a/u, 1993]. Les tendances, moms marquees, ont etC observées pour Ia depression en France [Le Pape et Lecomte, 1999]. Plus de Ia moitié des personnes répondant aux critères de depression courante définis dans cette enquête n'était pas traitée. Quand le trouble mental n'est mesuré que chez les personnes ayant consulté, le biais de select ion a des consequences qui ne sont pas simples a identifier. Le rapport d'un individu avec Ic système de soins est influence par des phCnomènes culturels,

sociaux et psychologiques (perception du besoin, relations avec l'entourage, contrôle social de Ia deviance, accès aux services, etc.) trop complexes pour être discutés ici. On salt néanmoins que ces relations varient selon le milieu social [Horowitz, 1982]. Par exemple, dans l'enquête de l'ECA, a morbiditC égale, les fenimes célibataires avaient plus de chances piises en charge que les femmes marlCcs ou les hommes. Et c'étaient les hommes manes ayant un niveau d'Ctudes faible qui échappaient le plus au traitement [Robins et Regier, 1991].

II serait logique de penser que le système d'assurance médicale influence l'utilisation des soins et que les groupes soclaux les mieux assures sont plus fréquernment pris en charge que les autres. Mais Ia majorite de Ia population atteinte de trouble mental échappe aux soins psychiatriques aussi bien a Ottawa (Canada), l'assurance maladie est universelle, qu'aux Etats-Unis, 16 % de la population n'a pas du tout d'assurance mCdicale et beaucoup d'assurés ne sont que faiblement couverts pour les soins psychiatriques. Dans les deux pays,

LEs TROUBLES MENTAUX

255

selon des etudes menées en population générale, ce sont les femrnes, les citadins yañtiiii niveau d'études supérleur qui ont le plus de chance et les

d'être soignés [Katz et alii, 1997]. II est donc difficile d'interpreter une association entre caractéristiques sociales et trouble mental dans des enquêtes portant uniquement sur les usagers d'un service.

Compte tenu de ces reserves méthodologiques, le nombre d'études examinées dans ce chapitre sera nécessairement limité. En ce qui concerne l'indicateur, l'idéal aurait été de comparer, a l'intérieur d'une même enquête, les résultats obtenus avec des échelles a ceux obtenus avec des entretiens, ce que Ia littérature existante ne permet pas de faire. Ne sont donc retenus, a une exception près, que des résultats obtenus avec des entretiens diagnostiques standardisés. Ceux-ci ont l'avantage d'utiliser des definitions du trouble mental courantes en psychiatrie et de permettre des comparaisons entre enquêtes. II est vrai que pour une analyse plus axée sur des interventions de sante publique que sur des questions theoriques, ce qui est le cas ici, le recours aux échelles aurait pu être préférable. Seules les enquetes menées en population génerale, qui <> l'effet du recours au système de soins, et celles qui décrivent Ia maladie mentale des hommes et des femmes separement ont finalement été sélectionnées. DISTRIBUTION DES TROUBLES MENTAUX SELON LES CARACTERISTIQUES SOCIALES

Les enquêtes francaises Ii existe trois enquêtes francaises utilisant un entretien diagnostique standardisé en population generate. La premiere, menée dans une yule nouvelle près de Paris, observe une prevalence sur six mois plus élevée chez les femmes que chez les hommes : 3,6 % au lieu de 1,5 % pour Ia depression, 4,9 % au lieu de

1,9 % pour I'anxiété. Sur Ia vie entière, les écarts restent similaires. Par exemple, 22 % des femmes ont eu une depression, presque trois fois plus que chez les hommes. Mais cette étude n'analyse pas 1' influence des variables socioéconomiques [Lépine et alii, 1989]. La deuxième enquete porte sur un échantillon de 2 600 adultes représentatif de Ia population d'ule-de-France. Le taux de depression sur six mois est plus élevé que dans la yule nouvelle, de 8,2 % chez lesfemmes contre 3,3 % chez les hommes. Seules les comorbidités accompagnant une depression ont fait l'objet d'une comparaison entre sexes. Ainsi, l'association anxiété et depression est

quatre fois plus fréquente chez les femmes (2,8 %) que chez les homnies (0,7 %). Le rapport entre maladie et situation sociale n'est analyse que pour les titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI). La depression sévère est plus frequente dans ce groupe que dans le reste de Ia population. Le risque relatif est

de 2,0 pour les hommes et de 1,4 pour les femmes, mais ii n'est significatif que chez les hommes [Kovess et alii, 1993].

256

INECALITES PAR DOMAINE D' EXPRESSION

La troisième source de données, l'enquête Sante et protection sociale >> du CREDES, examine les variables socio-économiques plus en detail, mais die est iirniiée a Ia depression [Le Pape et Leconite, 1999]. EIIe porte sur 10000

personnes âgCes de seize ans ou plus, representatives d'environ 95 % des niénages en France. La depression est mesurée par autodéclaration et par un niini-outil de diagnostic standardisé utilisé dans des conditions inhabituelles, sans précisions sur Ia validité. Seuls 2,5 % des dépressifs autodéclarés ne sont pas repCrés par l'outil diagnostique; en revanche, seulement 8,1 % de ceux

repCrCs comme depres.sifs selon l'outil déclarent l'être. La prevalence de depression, fondCe sur une autodéclaration selon l'outil, est de 20 % chez les femmes et de 9 % chez les hommes. Le fait d'avoir un emploi est le facteur socio-Cconomique le plus lie a Ia depression. Chez les hommes comme chez les femmes, les inactifs ont des taux significativement plus élevés que les aciifs (respectivement 32 % et 8 % chez les hommes, 44 % et 19 % chez les femmes). Mais I'interprétation de cette association est compiiquée par le fait que les inactifs peuvent l'être pour raison

d'invalidité (en particulier pour

depression

isolée ou associée a

une autre

maladie). Toutefois, chez les hommes, Ia prevalence de depression est de 24 % chez les chômeurs, soit deux fois celie des actifs. En revanche, les femmes au foyer ont un taux egal a celui des femmes actives (19 %). Scion les auteurs, ce résultat suggère que cc qui iniporte est le fail de choisir Ia situation de nonempioi, et pas i'exercice d'une profession en soi. La depression suit un gradient selon Ia catégorie socioprofessionneile

nettenient plus rnarquC pour les femnies que pour les hommes. Chez les honimes, les employCs et les ouvriers ont un taux légèrement plus Cievé (II % dans chacun des groupes) que Ies autres groupes socioprofessionnels (9 % et 10 %). Pour les femmes, les écarts sont plus importants, Ia depression touchant 23 % des employees, 23 % des ouvrières, 18 % des professions intermédiaires, 16% des artisans et des cadres, et 15 % des agricultrices. En revanche, le gradient scion le niveau d'études est plus marqué pour les hommes que pour les femmes. Les horniiies <<sans scolarisation ou autre >> ont un taux de depression de 17 %, soit presque 2, 5 fois celui des hommes ayant fait des etudes supérieures. Les femmes qui n'ontjamais scoiarisées ont un taux de 26 %, contre 16 % pour celles ayant suivi des etudes supérieures.

Les enquétes européennes Dans les enquêtes europCennes que leurs methodologies permettent d'analyser ici, c'est Ia presence d'au moms un trouble mental, non spécifié, qui est le plus souvent retenue comme indicateur de trouble psychiarrique. Une association avec un des indicateurs socio-économiques, categorie sociale, avoir ou non un emploi, niveau d'études, est retrouvée de façon quasi constante, cela dans les deux sexes.

257

LES TROUBLES MENTAUX

Chez les hommes, l'absence d'emploi est le plus souvent associée a la d' un trouble mental, a Londres [Bebbingtoifet ã11i,

19811,

Athènes

[Mavreas et alii, 1988], Nimegue (Pays-Bas) [Hodiamont et alii, 1987], et Cantabria (Espagne) [Vasquez-Barquero et alii, 1987]. Les hommes inactifs ont

des taux trois a cinq fois plus élevés que les actifs; Ia seule exception est Ia Finlande, oü aucune association n'a eté trouvée [Lehtinen et alii, 1990]. Aux Pays-Bas, dans l'ensemble des inactifs, les personnes en invalidité ont le taux de trouble mental le plus important (20 %), suivies par les chômeurs (10 %) et enfin les retraitds (5 %). En revanche, dans ces enquêtes, le niveau d'études n'est pas fortement lie a la presence d'un trouble mental, compare a l'activité. Chez les femmes, c'est avec un faible niveau d'études, et pas avec l'activité, que Ia presence d'un trouble mental est le plus fortement associée, au moms a Athènes, aux Pays-Bas et en Espagne. Cependant, les inactives montrent des taux de maladie mentale plus élevés que les actives a Londres et Athènes.

Enfin, I'indicateur de catégorie professionnelle est egalement associé au trouble mental. Chez les hommes, les troubles mentaux sont plus frequents dans les classes les moms favorisées. En Finlande, le taux est huit fois plus important pour le groupe socio-économique le plus bas compare au groupe le plus élevé. A Londres, le rapport est de six. En revanche, chez les femmes, le gradient n'est significatif qu'à Athènes, øü les ouvrières ont un taux presque trois fois supérieur a celui des femmes de classe moyenne.

Les enquêtes nord-américaines

En Amerique du Nord, seules deux enquêtes établies sur des entretiens diagnostiques en population générale ont examine les facteurs d'inégalite séparément par sexe, le ECA (décrit plus haut) et le National Comorbidily Survey (NCS). A Ia difference des enquetes européennes, ces deux etudes examinent des troubles mentaux specifiques (troubles schizophréniques, troubles affectifs, troubles anxieux, troubles lies a des substances psycho-actives, personnalité antisociale, somatisation). Dans l'ECA, le fait d'avoir un emploi et Ia catégorie sociale sont examines

seulement dans le groupe ayant le plus de chances d'avoir une activité professionnelle les hommes entre 30 et 64 ans. Parmi eux, Ia prevalence Ia plus élevée d'au moms un trouble sur la vie entière (48 %) et au moment de l'enquête

(29 %) est observee chez les inactifs. A l'exception de l'abus de drogues, les autres troubles sont nettement plus frequents parmi les inactifs, avec un facteur trois pour les troubles de panique et Ia schizophrénie et un facteur deux pour l'abus d'alcool [Robins et Regier, 1991]. Pour ceux qui ont un emploi, un travail non qualiflé est lie a un risque plus élevé de trouble mental (40 % sur Ia vie, 19 % au moment de l'enquete) que l'exercice d'une profession qualifiée. Au moment de l'enquete, le trouble de Ia <> est presque quatre fois plus élevé chez les personnes qui

258

INEGALITES PAR I)OMAINE E)'EXPRESSION

ont des eniplois non qualifies que chez les autres actifs (2,6 % contre 0,7 %); les troubles de panique et Ia schizophrenic sont trois fois plus frequents (0,8 % contre 0,3 %, et 1,2 % contre 0,4 % respectivernent); et pour les episodes maniaques, le risque est presque deux fois et demi plus élevC (0,5 % contre 0,2 %). A Ia difference des résultats français [Le Pape et Lecomie, 1999] et des enquêtes plus anciennes [Dohrenwend et a!ii, 1980; Ortega et Corzine, 1990], le diagnostic de depression n'est pas associé ala catCgorie sociale [Robins et Regier, 1991].

La seconde enquête, le NCS, sur un échantillon représenlatif de Ia population des Etats-Unis, est connue pour avoir montré une forte association entre facteurs socio-économiques et trOuble mental. Mais les rCsultats n'ont pas eté publiés pour chaque sexe separement, a Ia seule exception de Ia depression, qui est significativement plus prévalente chez les fenimes au foyer [Blazer et a/u, 1994]. Dans d'autres enquêtes egalement, les femmes sans eniploi se rnontrent particu-

Iièrernent vulnérables a Ia depression par rapport aux autres categories de femmes et plus encore si elles sont au chômage, sans soutien social, avec des jeunes enfants a charge [Lovell et Fuhrer, 1996]. Quelques conclusions se dégagent de ces enquêtes en population generale. L'attention poiiée aux facteurs socio-Ccononiiques a diminué depuis les annCes quatre-vingt. Malgré les changemenis dans les méthodes de recherche, les defi-

nitions de Ia maladie mentale et Ia structure sociale, Ia plupart des travaux montrent, de facon concordante et comme ceux qui les ont precedes, une asso-

ciation entre maladie mentale et position sociale desavantagee, a condition qu'elles soient bien mesurées. Mais les indicateurs socio-économiques discriminants iie sont pas toujours les mêmes (categoric socioprofessionnelle, emploi, niveau d'études) et dependent du sexe. Pour les hommes, I'inactivité est particulièrement iniportante. Pour les femmes, c'est le niveau d'etudes. L'existence de differences ne surprend pas, étant donné que les rapports de chaque sexe avec

le nionde du travail et le role du travail non payé (domestique), qui seront discutés plus loin, et ne sont pas toujours analyses dans ces enquêtes.

INEGALITES SOCIALES ET PSYCHOPATHOLOGIE:

COMMENT EXPLIQUER LE LIEN ?

Plusieurs strategies peu vent être inobilisees pour mieux comprendre les liens

entre conditions sociales et maladie nientale. Dans un premier temps, il faut pouvoir exclure que les associations soient dues aux aléas de Ia methode. Même en population générale, ii est possible que le processus diagnostique surestime le poids de Ia maladie mentale dans les classes socialement désavantagees. La specificite culturelle est une premiere hypothCse ; en effet Ia classification des troubles reflète irnplicitement des nornies qui sont celles d'une classe, d'un genre ou d'une culture. Les normes et les pratiques des autres groupes sont, par consequent, définies comme <> ou pathologiques. Ainsi, des

LEs TROUBLES MENTAUX

259

chercheurs ont longtemps fait i'hypothèse, aujourd'hui plus ou moms désuète, qiie là en milieu ouvrier était patbogene et expIiquait done Ia

frequence de Ia maladie mentale dans cette classe sociale [Angermeyer et Klusmann, 1987]. Une deuxième hypothèse est que certaines conditions de vie peuvent donner lieu a des comportements ou des experiences interprétées de facon erronée comme des signes de trouble mental. Ce qui est alors considéré comme un symptome psychiatrique peut englober des réponses <<normales>> a

des situations défavorisées extremes. Les troubles cognitifs associés a un sommeil constamment interrompu on a une mauvaise nutrition, Ia peur de manquer des ressources matérielles chez des personnes sans abri, Ia peur et des attitudes de suspicion chez des personnes qui font l'objet des discriminations sociales ou l'introversion et le manque de compétences interelationnelles chez des personnes qui vivent isolées en sont des exemples [Lovell, 1992a].

En fait, Ia possibilité qu'une frequence élevde de trouble mental dans les classes défavorisées soit partiellement un artefact n'a guère été explorée. Le <>, toujours plus frequent dans les classes

socialement désavantagées, est une exception. En ôtant des critères diagnostiques de ce trouble ceux qui sont en même temps des caracténstiques de vie prdcaire (absence d'un domicile régulier, absence d'emploi pendant au moms six mois, plusieurs changements d'emploi sur une courte période), Ia prevalence de ce diagnostic s'est trouvée réduite d'un tiers dans un échantillon représentatif de sans-abri a Los Angeles [Koegel et Burnam, 1992]. S'il reste àexaminerl'épineuse question du sens de Ia causalité entre maladie

mentale et indicateur socio-économique, c'est donc avec le handicap du problème non résolu de l'interprétation des données montrant ce lien.

L'hypothèse de Ia causalité sociale La question de savoir comment s'opère Ia relation entre maladie mentale et facteurs socio-économiques peut être posée dans les termes du débat actuel opposant Ia causalité sociale, d'une part, et l'effet d'une vulnérabilité a Ia maladie sur le statut social, de l'autre. L'hypothèse de Ia <> avance que les troubles mentaux rdsultent de situations adverses, du stress lie a des positions sociales désavan-

tagees ou au manque de ressources. Elle s'oppose a l'hypothèse souvent qualifiee de génétique, qui suggère que cette association résulte de Ia mobilité sociale descendante ou de l'incapacité de monter dans Ia hiérarchie sociale pour les personnes génétiquement prédisposees ou deja atteintes de trouble mental. Des etudes de mobilité inter et intragenerationnelle, et portant généralement sur Ia schizophrénie, ont permis Ia mise a I'épreuve de ces deux hypotheses. Jusqu'a present, les résultats ne soutiennent pas une hypothèse plus que l'autre [Dohrenwend et alii, 1992]. Même si l'on peut rapporter Ia concentration des cas de schizophrénie dans les classes défavorisées a une mobilité descendante, on ne

260

INEGALITES PAR DOMAINF I)'FXPRFSSK)N

peut pas exciure que des facteurs sociaux aient Pu déclencher Ia maladie, laquelle, a

son tour, se traduit par l'échec social.

Dans l'une des seules enquêtes a reprendre le débat récemment, l'origine ethnique a été employee comme substitut aux indicateurs socio-économiques, cet attribut n'étant évidemment pas affecté par Ia maladie nientale [Dohrenwend et a/u, 1992]. L'étude réalisée en 1982 compare deux groupes de personnes nées en israel, et ãgees de 24 a 33 ans, les juifs d'origine nord-africaine, qui font I'objet de préjugés défavorables et d'une certaine discrimination, et les juifs d'origine europCenne. En dehors de l'origine et dii statut socio-écononhique, Ia plupart des autres facteurs susceptibles d'expliquer une liaison statistique entre groupe d'origine et trouble mental ont pu être contrôlCs. Les résultats montrent que les maladies mentales, dans leur ensemble, qui tendent a être regroupées dans les classes défavorisées, se révèlent effectivement plus prévalentes chez les personnes d'origine nord-africaine. Cependant, Ia schizophrénie est plus prévalente chez les personnes d'origine européenne que chez les personnes d'origine nord-africaine. II semble donc que le niécanisme causal de Ia schizophrenic, comme le suggèrent les etudes réalisées sur les enfants adoptés ou lesjurneaux élevés dans des contextes différents, de celui impliquC dans les autres maladies exarninées. Si Ia génetique de la schizophrenic laisse une place

a des influences environnementales pour Ic déclenchement de Ia maladie, les facteurs sociaux joueraient un role moindre dans son evolution que dans celle de Ia depression par exemple [Mirowsky et Ross, 1989]. La causalité sociale a eté examinée dans le cas du chOmage. A Ia suite de fermetures d'usines de construction d'automobiles, trois groupes d'ouvriers ont été compares : ceux qui ont etC licenciés a cause des fermetures, ceux qui s'atlen-

daient a être licenciés, et ceux dont les usines continuaient a fonctionner. Le premier groupe a eu significativement plus de psychopathologie que les autres. Le

licenciement par fermeture de l'usine permet d'exclure Ia possibililé que Ia variable sociale, ici le chOmage, soil due a Ia maladie [Hamilton et alii, 1990].

Enfin, des enquetes longitudinales ont montrC que l'alcoolisrne pouvait apparaItre ou rechuter a Ia suite de licencienients collectifs ou d'autres situations stressantes [Link et Phelan, 1995]. II semble donc Ctabli que des facteurs sociaux défavorables soient impliqués dans I'évolution du trouble mental.

Ces enquêtes explorent Ia contribution de Ia structure sociale. Outre ce niveau societal d'explication, deux autres niveaux de causalité potenlielle peuvent être pris en compte: celui de l'individu et de ses caracteristiques propres, celui de son contexte proche (relations sociales, conditions de travail, etc.), que les explications contemporaines tendent a privilegier.

Le contexte proche Depuis les annCes soixante-dix, peut-être a cause des apories du débat sur le

sens de Ia causalité, du social au biologique, ou l'inverse, l'épidérniologie

LES TROUBLES MENTAIJX

261

s'est tournée vers Un niveau intermédiaired'explication: le contexte proche de l'individu. Des dizaines d'études ont établi l'existence d'une relation entre évdnements de vie et maladie mentale, plus pour la depression et Ia détresse que pour Ia schizophrdnie [Dohrenwend et alii, 1992]. Le role étiologique des situations stressantes est conforté par les recherches sur Ia psychopathologie consecutive a des situations extremes prolongées (guerre, catastrophe environnementale) chez des personnes auparavant << normales >>. Le soutien social (assistance psychologique, matérielle ou autre donnée par les autres, etlou perception d'être aide) est souvent associé a une plus faible prevalence de maladie mentale, soit directement soit comme modérateur dans des situations stressantes. L'effet du soutien sociaJ est d'autant plus important que le stress générd par Ia situation est élevé [Turner et Marino, 1994]. Mais les rapports entre stress, soutien social et maladie mentale different selon le niveau social. Le soutien social peut être conçu comme une ressource parmi d'autres (économique, relationnelle, cognitive, etc.) inégalement distribuée dans Ia société, et qui contribue a Ia sante mentale, notamment via la prevention et l'accès aux soins [Link et Phelan, 1995]. C'est precisément en tant que ressource inégalement distnbuée dans Ia société que le soutien social a fait l'objet d'une enquête nord-américaine. Dans cette enquête en population genérale, Ia depression varlait en sens inverse du niveau de soutien et était egalement inversement liée au statut hiérarchique professionnel. Les femmes bénéficient de plus de soutien social que les hommes, tout en ayant des taux de depression plus élevés. On peut supposer que Ia prevalence serait encore plus élevée parmi les femmes étudiées, si elles ne disposaient pas de soutien social [Lovell et Fuhrer, 1996]. Les auteurs concluent que le soutien social est une ressource qul vane avec les conditions de vie. En revanche, son effet sur

Ia depression dans une analyse multivanée est minime, ce qui suggere que d'autres facteurs etiologiques s'ajoutent [Turner et Marino, 1994].

Repenser le contexte societal Si l'accent est mis actuellement sur les facteurs psychosociaux intermédiaires, le niveau societal n'est pas abandonné pour autant, mais il est repensd. Dans les résultats présentés, ii s'agissait toujours de facteurs socio-économiques, quelles que soient les differences de terminologie entre les auteurs. Or, les concepts de facteurs socio-économiques et de <> expriment deux idées contrastées de Ia division sociale. Des vaniantes de ces concepts, comme les formes de capital de Pierre Bourdieu, ne sont pas mobilisées dans ces recherches. La categorie socioprofessionnelle, le niveau d'études et les autres categories

socio-économiques partent d'une notion fonctionnaliste de Ia stratification sociale. Dans cette approche, les groupes se différencient graduellement par l'accumulation du prestige, du niveau d'études atteint, du revenu, etc., les différentes capacités des individus permettant leur mobilité sociale entre strates. La

262

INEGALITES PAR DOMAINE 0' EXPRESSION

notion de classe sociale est fondée sur l'idée de conflit social. Elle suppose que le conrrôie surles rnoyens et les ressources du travail est au centre de i'inegalité

sociale [Wohlfarth, 1997]. Une nouvelle analyse des données de l'enquete israélienne citée ci-dessus compare i'effet sur Ia psychopathologie, d'une part, des variables socio-économiques (catégorie professionnelie, niveau d'études) et, d'autre part, de Ia classe sociale, définie en termes de travail (autorité sur Ies autres, influence sur le budget de I'entreprise, autonomie décisionneile) [Wohlfarth, 1997]. Dans les deux sexes, les deux series de variables ne sont pas interchangeables et n'ont pas le rnême rapport avec Ia psychopathologie. La classe sociale contribue significativement plus aim symptômes de maladie mentale que les variables socioéconorniques. L'auteur suggère que ies mécanismes causaux entre ces deux types de variables et Ia psychopathologic ne sont pas les mêmes. Pour saisir Ia dimension fondamentale du contrôle dans Ia << situation de classe >>, dIe suggère l'utiiisation du modéle de Karasek [Karasek et Theorell, 1990]. Dans cc modèle, les conditions du travail sont décrites scion leur caractère psychologiquement éprouvant et scion Ic degre de latitude décisionneile. On voit alors comment Ia recherche sur les conditions de travail peut contribuer a expliciter Ic lien enire classes sociales et trouble mental.

L'apport des recherches en milieu de travail Scion Ic modèle de Karasek, Ia combinaison d'une forte demande psycholo-

gique et d'une faible latitude décisionneile serait a l'origine de Ia détresse émotionnelle [Karasek et Theorell, 1990]. Dc nombreuses etudes ont montré une association entre ces contraintes mentales au travail (job strain) et Ia depression ou plus généralement Ia détresse psychologique. Le soutien social joue parfois un role tampon a I'égard de ces contraintes. Dans cette perspective de ciasse, Ic contrôle sur Ic travail, inégalement réparti, expliquerait Ic gradient de psychopathologic scIon Ia hierarchic professionnelle [Wohlfarth, 1997]. Ce modèle a éte testé sur Ia dépressivité dans la cohorte GAZEL des agents d'Electricité de France/Gaz de France (EDF-GDF) [Niedhammer et a!ii, 19981. La dépressivité suit un gradient statistiquement significatif chez ies hommes comme chez les femmes. Elle est Ia plus ClevCe (33 %) parmi les employés pour

les hommes comme pour les fenîmes. Les contraintes mentales et Ic faible soutien social au travail sont associCs aux syrnptôrnes dépressifs, indépendamrnent des autres facteurs de risque. Mais Ic soutien social ne modifie pas I'effet du contrôle. Des résultats sirnilaires ont été observes dans d'autres etudes. Dans I'enquéte Whitehall sur ies fonctionnaires anglais, Ia dCpressivité et

l'anxiété diminuent avec Ic grade dans Ia hierarchic des salaires chez les hommes. Par contre, chez les femmes, I'anxiété auginente avec le grade [Stansfeid ct alii, 1998]. La demande psychologique, Ia latitude décisionnelle et d'autres conditions de travail expliquent largement Ic gradient des symptômes

LE5 TROUBLES MENTAUX

263

de depression chezies liommes, mais moms chez les femmes. Les conditions de travail ont un effet sur Ia dépressivité indépendamment de Ia hiérarchie professionnelle et expliquent plus la dépressivité que ne le font des indicateurs socioéconomiques indépendants du travail. Ces résultats soutiennent l'idée que le contrôle sur le travail, lie au concept de classes sociales, n'a pas le même rapport aux symptômes que les ressources socio-économiques. La generalisation des résultats de ces deux enquêtes est limitée par l'homogénéité en type d'emploi et en age des échantil!ons. De plus, ii n'est pas toujours possible de séparer l'effet des conditions du travail de celui des caractéristiques antérieures des travailleurs. Certains traits de personnalité, par exemple, peuvent <> les personnes vers certains emplois. La nature des emplois tenus par des femmes dans ces enquêtes et le manque de données sur leurs conditions de vie posent problème. D'une facon génerale, les indicateurs sociaux associés au trouble mental ne sont pas les mêmes pour les femmes que pour les hommes. L'effet sur les femmes du manque de contrôle est moms clair, ce qui suggère d'autres mécanismes. Le fait d'être femme, particulièrement dans Ia sphere domestique, peut constituer un indicateur en soi du manque de contrôle, tel que Ia notion de classe sociale le conceptualise [Wohl-

farth, 1997]. Le travail domestique, qui peut aussi être analyse en termes de contrôle, d'autonomie et de contraintes, devrait être pris en compte au même titre que les caractéristiques du travail [Lovell et Fuhrer, 1996]. Selon Lennon,

les femmes mariées actives ont une fréquence de symptômes dépressifs semblable, en données brutes, a celle des femmes au foyer; cependant elles voient leur risque diminuer par rapport a celui des femmes au foyer lorsqu'on ajuste sur les conditions de travail domestique, et ce bien que les contraintes mentales dues a ce travail soient plus fortes chez les femmes actives. Ce résultat s'expliquerait par Ia <> apportée par l'activité professionnelle [Lennon, 1998]. II reste a mieux définir les classes sociales au regard de ce critère de contrôle. II serait intéressant de voir sites categories d'emploi, regroupées selon ce critère au lieu d'une hiérarchie fondée sur le prestige social, le revenu et le niveau de

qualification, montrent un gradient different de prevalence de psychopathologie. Cette approche pourrait peut-être expliquer la psychopathologie observée dans certaines categories par exemple les employés. La revision des categories

socioprofessionnelles dans plusieurs pays, les travaux sociologiques sur 1'<< économie des services >>, sur les nouvelles classes sociales, sur la <<prolétarisation>> de certaines professions et sur la restructuration du travail prennent toute leur pertinence ici. Ii est non seulement important de développer des classifications proches de Ia réalité de Ia division sociale du travail actuel,

mais aussi d'examiner des caractéristiques nouvelles: demandes de performance, exigence d'une capacité a gérer 1' incertitude, flexibilité ou autonomie couplée avec isolement.

264

INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION

CONCLUSION

Si Ia plus grande frCquence de trouble mental thins les groupes dCsavainagés,

decrite depuis longtenips, persiste, certaines categories telles que celle des employés se montrent particulièrement exposées aux troubles mentaux. La restructuration du travail, ses nouvelles significations, comme celles des etudes et des formations, ont des implications quant aux hypotheses causales ainsi que pour Ia definition des indicateurs socio-Ccononiiques. Des ameliorations dans les mCthodes d'analyse sont nCcessaires.

Les analyses devraient porter sur les deux sexes sCparCment. Les variables socio-économiques nécessitent un travail conceptuel important. Le recueil parallèle de deux types de donnees, Cchelles de symptomes et resultats d'entretiens diagnostiques, pourrait suggérer des nieilleurs indicateurs pour les etudes.

Enfin, Ia recherche qualitative constitue un volet complémentaire niais essentiel a ces enquêtes pour comprendre le lien entre inégalités sociales et trouble mental. En particulier, les etudes biographiques ou des trajectoires sociales peuvent reveler comment diffCrentes formes de capital et de conditions

de vie interagissent avec Ia psychopathologie a travers des <>. De leur côtC, les etudes etablies sur l'observation, sur le modèle

des approches interactionnistes, peuvent aider a saisir comment les desavantages sociaux, les relations sociales et les processus symboliques contribuent a la construction de syrnptôrnes de Ia maladie mentale. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ANGERMEYER MC., KLUSMANN D. (1987), << From Social Class to Social Stress: New Developments in Psychiatric Epidemiology >, in ANGERMEYER M.C. (Cd.), From Social Class to Social Stress, Springer Verlag, Berlin, p. 1-14. BEBBINGTON P., HURRY J., TENNANT C., STURT E., WING J.K. (1981), Epidemiology of Mental Disorders in Camberwell ", British Journal of Psychiatry, I I, p. 561-579. BLAZER D.G., KESSLER R.C., MCGONAGLE K.A., M.S. (1994), ', Amnericw, Journal of Psychiatry, 151, p. 979986. DOHRENWEND B.P., LEVAV 1., SHROUT P.E., SCHWARTZ S., NAVIiH G., LINK B.G.,

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17

La sante bucco-dentaire Catherine Dargent-Pare, Denis Bourgeois

Depuis une vingtaine d'années, les etudes epidemiologiques réalisées dans Ia plupart des pays industrialisés européens montrent une diminution de Ia prévalence des caries chez l'enfant et une amelioration générale de l'état dentaire chez les adultes [Petersson et Bratthall, 1996]. Au debut du siècle, les caries sur dents permanentes étaient plus nombreuses dans les groupes socialement favorisés que dans les milieux plus défavorisés [Hyde, 1944 ; Mansbridge, 1959]. Depuis deux décennies, cette tendance s'est inversée, les enfants et les adultes de plus faible niveau socio-économique présentent un moms bon état dentaire que les autres. L'état de sante bucco-dentaire des Francais est encore mal connu. Des etudes nationales réalisées depuis 1987 en milieu scolaire ont permis de connaItre et de surveiller l'état caneux des enfants et des jeunes adolescents. Les etudes relatives a Ia cane dentaire et aux maladies parodontales chez les adultes sont rares, ce domaine de recherche était peu développé jusqu'a une période récente. Cela

tient tout d'abord au fait que, dans les années soixante-dix, l'Organisation mondiale de Ia sante a recommandé de réaliser en prionte Ia collecte de données auprès des enfants âgés de douze ans, les résultats observes permettant directement d'onenter des politiques de prevention en sante bucco-dentaire. De plus,

l'identification et l'examen d'échantillons représentatifs d'adultes présentent des difficultés methodologiques, et l'absence d'equipe nationale de recherche structurée en épidémiologie de Ia sante buëco-dentaire ne favonse pas la mise en place de telles etudes. Enfin, ii n'y avait pas de volonté politique de développer un système de surveillance sanitaire bucco-dentaire, domaine non considéré comme pnioritaire par les organismes de tutelle.

Pour l'évaluation de la sante dentaire, l'OMS recommande une méthode définissant le mode d'echantillonnage, le nombre de sujets a évaluer, le degré de precision, Ia standardisation des cntères diagnostiques, les classes d'age de référence (5-7 ans, 12 ans, 15 ans, 35-44 ans et 65-74 ans) et l'utilisation d'indices de sante dentaire [OMS, 1988] (voir encadré). Les résultatsfrançais présentes dans ce chapitre suivent cette méthode.

268

PAR I)OMAJNE D'EXPRESSION

Les indicateurs de sante bucco-dentaire

Indice carteux C'A 0 La cane est une affection d'ongine bacténenne qui détruit les tissus dentaires. Elle ne guént pas spontanément et nécesslie des sums cunservaleurs ou I'cxtraction de Ia dent. L'indicateur le plus utiiisé est I'indicc CAO, qui compiabilise Ic nombre de dents permanenles cariées 'a traiter (C), absentes pour cause de caries (A) ou ohturées (0). Cet indice peut être utilisC giobalemeni (somme des dents caniées. absentes ou obturées) ou de manière CciatCe seion ses dilTCnentes composantes par exemple. Ia composante C indique le nombre de dents caniCes 'a trailer. L'indice CO est utilisé pour Ia dentum leniporuire (dents de lait). Les résultats sont prCsentés sous

fomie d'indices Co Oil CAO moyens. caiculés sur ensemble de I'dchantillon (y compnis les sujets non atteints, pour lesquels I'indice 0). Ces indices donnent une indication sur Ia sante deniaire d'un sujet combinant a pathologic carieuse et ses consequences thérapeutiques et permet d'estimer Ia sCvClitC de I'attcinie carieuse. Au cours du temps chez un même sujet, i'indice CAO ne peul pas diminuer: ii augmente chaque fois qu'une dent antCnieuremcnt same estaueinte par Ia cane (C). laquelle peut avoindtC ohturée (O)ou extraite(A).

Indice coIoh,nvnautaire de besoms en Iraitements /)arodontaux CPITN Les maladies parodonluies soni Cgaiement d'origine hactCrienne. Elies peuvent Clre IirnitCes 'a Ia gencive, ci ii s'agit alors d'une gingivite. ou entrainer une destruction tissulaire, et ii s'agit alors d'une parodontite. Les problénies mCthodologiqucs inhCrents 'a i'CpidCmiologie des parodontites son! l'absence de consensus sur une definition claire des critères de Ia presence d'une parodontite et ies dilTicultés de diagnostic de Ia maladie. I)e nombreux mdicateurs ont etC proposes. L'OMS a mis au point cii 1982 un indice qui, bien que perfectible, a etC largement recommandC ci utilisC depuis dans des etudes i'indice

conimunautaire de besoins en soins parodontaux (Community Periodontal Index of Treatment Needs on CPITN). Cet indice permet de classer les sujeis scion leurs besoins en soins en fonction de Ia presence ou de I'absence de certains signes cliniques, tels un saignement gingival, du tartre et des poches parodontales moyenncs ou profondes.

SPECIFICITES l)E L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTE BUCCO-I)ENTAIRE

Pour les soins dentaires, le système de sante francais présente un certain

nombre de caractéristiques. La premiere est que Ia distribution de soins dentaires

est libérale a 95 %.

Les

praticiens sont payés a I'acte directernent par les

patients. La deuxième tient au système de i'assurance maladie obligatoire. Dans ce système, les soins dentaires sont remboursCs sur Ia base d'une nomenclature des actes, aujourd'hui obsolete, qui ignore des domaines aussi élémentaires que

Ia parodontologie ou Ia pédodontie. Seuls les soins conservateurs et chirurgicaux sont a tarif >. Les soins prothétiques et traitenients d'orthodontie sont a honoraires libres. Les taux de reniboursement sont d'environ 70 % pour les soins et de 20% pour Ia protlièse ou l'orthodontie [COME, 1995]. Les

soins hors nomenclature couvrent une grande partie des soins courants effectués. La prise en charge par les organismes sociaux des soins ou des actes préventifs individuels est en discussion depuis quelques annCes, ce qui rend difficile leur misc en pratique. La troisième caractéristique du système de soins

LA SANTE BIJCCO-DENTAIRE

269

Ia quasi-absence de service public de prevention, scolaire notamment, et de programmes de promotion communautaires. Des actions clentaires est

pilotes ponctuelles sont initiées par des collectivités locales ou regionales, les

caisses d'assurance maladie et d'autres associations. Elles sont menées en milieu scolaire, pour certaines classes d'age, sans suivi longitudinal des enfants et Ia plupart du temps sans coordination. La profession dentaire, grace a Ia participation bénévole de praticiens, développe par ailleurs des actions de depistage et de promotion de Ia sante bucco-dentaire. Enfin, il n'existe pas en France, et ce malgré les recommandations de l'OMS en 1983, de <> susceptible de répondre a des objectifs nationaux de sante.

L'évaluation de la performance du système de sante bucco-dentaire repose actuellement sur une analyse comptable des coôts des soins via l'assurance maladie plutôt que sur l'observation de l'évolution d'indicateurs sanitaires. ENFANTS ET ADOLESCENTS

Etat de Ia situation Une série d'études nationales sur Ia sante bucco-dentaire des enfants francais a été réalisée par une association professionnelle en 1987, 1990 et 1993 [Hescot et Roland, 1994]. Elle porte sur les enfants âgés de 6, 9 et 12 ans, scolarisés dans

les établissements publics ou privés. L'échantillon a été obtenu a partir d'un sondage en grappes des établissements, après stratification sur le type d'établissement et Ia taille de Ia commune. Dans les établissements tires au sort, tous les enfants ayant les ages désirés au moment de l'enquete ont été examines, au total environ 1 200 par classe d'age. La catégorie socioprofessionnelle du chef de famille a été relevée lors de chacune des enquêtes. Les résultats préliminaires d'une enquete similaire réalisée en 1998 auprès de 6 000 enfants âgds de 12 ans sont également mentionnés ci-après [Hescot et Roland, 1998]. Ces etudes montrent une diminution de Ia prevalence des caries en France, associant une reduction du nombre de dents canées et une augmentation des proportions d'enfants indemnes de caries, qu'il s'agisse de denture temporaire: 30 % en 1987 et 56 % en 1993, ou de denture permanente: 12 % en 1987, 35 % en 1993 (tableaux 1 et 2). Le degré d'atteinte carieuse vane selon la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille. Les enfants de cadres, professions intermédiaires et employés sont les moms atteints, les enfants de commercants et

d'artisans se situent aux valeurs moyennes, les indices les plus élevés sont observes parmi les enfants d'ouvriers, agnculteurs et autres professions non précisées, dont les inactifs. La baisse géneralisee de I'atteinte carieuse reste associée a la persistance de differences entre les enfaiits des divers groupes socioprofessionnels étudiés. Les premiers résultats de l'étude 1998 soulignent Ia même disparité selon les groupes socioprofessionnels qu'en 1993. Les enfants d'agricufteurs ou de non-actifs ont en moyenne deux fois plus de dents canées

270

que

INEGALITES PAR

D'EXPRESSION

les enfants de cadres. La composante de I'indice est légè-

rernent supérieure a Ia composante <dents cariées a traiter>> sauf pour la catégone autres professions >> qui comprend les non-actifs. Tableau I Indices carieux1 a six ans selon La categoric socioprofessionnelle des parents (enquêtes nationales2) 1987

37 144

artisans

124

intermédiaires

185

280 362 68

1200

1993

1990

0c)

0

C

C_)

C..)

r

4.3 3,7 2,5 3,4 3.5 4,3 4.5

2,3 2,5

44

2,1

117 196

1,7

43 54 69 62

3,2

44 28 40

3,7

2,9

42

1.1

2,0 2,4 3,8

44 43 64

0.8

204 275 352

SI

1,3

60 48

1.5

143

2,2 2.6

1 331

1,7

43 56

dents

c/en!aire,',, Frame /993 [Hescot ci Roland. 1994]. sans aucune dent attel tie. Ic du chef de faiimi lie. des l'CS inconnues. reiraitCs. personnes sails IclivilC. y conipris les chônteurs.

'l'ableau 2

Indices carieux' a douze ans selon Ia categoric socioprofessionnelle des parents (enquêtes nationales2) 1987

1990

1993

1998

Categoric socioprofessionnelle

J Agriculteurs Comrnerçants, artisans CadressupCrieurs Professions isitermédjajres Employés Ouvriers Autres Total

38

5.0

3.4

18

113

4.3

2.9

186

4.0

2,3

143

3.7

215

i

J 41

2,4

27

2,5

33

24

120

1,9

39

1,9

38

34

251

1.7

43

1.6

47

2,9

23

185

2.1

31

1,7

43

3,9

2,8

24

245

1,8

38

1,9

43

255

4.6

3.4

21

372

2.3

31

2,3

32

50

4.8

3.5

16

117

2.8

25

2,5

30

1 000

4,2

3,0

23

1 331

2,1

35

1,9

39

I. CAO calcuiC sur ks dents pernIunenIcs. 2. Sources : La &,,Oé demnaire en Famnce IHescol ci Roland 19'44 ci

I

271

LA SANTE BUCCO-DENTAIRE

Dans un département socialenient défavorisé (Seine-Saint-Denis), Ia misc en place depuis 1984 d'un programme de prevention bucco-dentaire a contribué a améliorer Ia sante dentaire des enfants du département [Arènes et alii, 1993]. Deux enquêtes transversales ont dté réalisées en 1984 et 1992 sur respectivement 1 907 et 2 771 enfants scolarisés dans les écoles primaires. La profession des parents a dté relevée de même que le retard scolaire. Une baisse des indices carieux a dté observée dans tous les groupes sociaux, mais les disparites sociales ont persisté (tableau 3). Ce programme de prevention pnmaire a abouti a Ia diminution de Ia prevalence globale des caries, mais n'a pas évité que subsiste un petit nombre d'enfants porteurs de nombreuses caries non traitées. Tableau 3

Indices carieux a onze ans selon Ia catégorie socioprofessionnelte des parents et le niveau scolaire (enquêtes Seine-Saint-Denis') 1983-1984

1992

Catégorie socioprofessionnelle

o

n

L)

L)

0

PERE

Agriculteurs, artisans, commerçants, chefs entrep. Cadres, professions intellectuelles supérieures Professions intermédiaires Employés Ouvriers Sans activité professionnelle Non renseigné

81

3,5

17

176

2,1

37

114

2,7

28

129

1,7

49

350 466 1121

1,6

51

1,7

48

2,2

39

221

3,1

24

407

3,2

20

785

3,6

16

112

3,5

20

122

2,4

39

187

—

—

390

2,1

42

24

3,2

17

45

2,4

31

MERE

Artisans, commercants, chefs d'entreprise Cadres, professions intellectuelles supérleures Professions intermédiaires

27

1,8

48

41

1,4

51

146

2,8

25

299

1,4

55

Employés

627

3,3

19

1 029

1,8

Ouvriers Sans activité professionnelle

152

3,4

16

178

2,2

46 40

888

3,6

17

1 00!

2,3

36

173

2,1

40

917

1,8

47

854

2,4

36

Non renseigné

43

—

—

NI yEA U SCOIAIRE

Scolarisation normale Retard scolaire

1 279

3,2

628

3,6

1

15 [

I. Source: Enquêtes Seine Saint-Denis (Arènes etalii, 1993].

Les diverses etudes réalisées dans des pays industrialisés (Europe du Nord, Amenque du Nord, Nouvelle-Zélande) montrent toutes que les populations enfantines en situation sociale difficile presentent des taux de caries plus élevés,

272

INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXPRESSION

plus de dents a soigner, plus de dents absentes et moms d'enfants indemnes de cane que les populations d'enfants plus favorisées de ces mêmes pays [Schwarz, 1985 ; Clark et a/u, 1987]. La premiere enquete nationale sur Ia sante dentaire

des enfants en Grande-Bretagne en 1973 montrait que les enfants de parents ouvriers avalent deux fois plus de dents cari&s que les enfants des autres classes sociales. La mênie tendance persistait dix ans plus tard [French et a/u, 1984]. A notre connaissance, les anomalies dento-faciales et les besoins en orthodontie n'ontjamais Cté étudiés en France en relation avec des facteurs soclaux. A l'étranger, ii a été rnontrC que ies enfants des classes sociales favorisées béné-

ficient plus fréquemment de traitement d'orthodontie que les autres [Chen et a/u, 1997].

Elements d'explication Les facteurs étioiogiques impliqués dans Ic risque de développer des caries sont bien connus. La cane met en jeu des processus chimiques de destruction de i'éniail dans lesquels interviennent des bactéries, des sucres et le milieu buccal (Ia salive et Ia dent). Bien que les bactCries présentes sur les dents solent Ia cause directe des caries, ci que le râle dii saccharose dans l'activité mdtabolique des bactCries alt été clairement établi, Ia cane est considérCe comme une affection multifactorielle. C'est l'inieraction d'un grand nombre de facteurs génetiques, microbiologiques, environnementaux, sociodCmographiques, comportementaux ci personnels qui determine si Ufl individu sera touché et comment ii Ic sera [OMS, 1992]. On pense que la nature de Ia cane est Ia même dans le nionde entier, mais l'impact des divers facteurs (etiologiques ou associés) peut être très

different scion les individus. Certains de ces facteurs ont des consequences extrémement différentes scion les autres facteurs enjeu. Par exemple, les consé-

quences d'un régime alimentaire riche en saccharose ne sont pas les niêmes scion que Ic sujet est exposé ou non aux fluorures:L'incidence des caries atteint

son maximum au cours de i'enfance et de i'adolescence. Les facteurs évoqués ci-dessus sont communs aux enfants et aux adultes, niais scion l'ãge, la susceptibilité dentaire, les comportements alimentaires et d'hygiene dentaire sont différents. Le role protecteur des fluorures est connu depuis Ic milieu du siècle, I'utiiisation du tiuor sous diverses formes reste la pierre angulaire des programmes de prevention. L'impact individuel des différents facteurs est difficile a évaiuer, car us sont pour Ia piupart fortement corrélés entre eux. Une des hypotheses des differences sociales de sante bucco-dentaire serait des différences dans l'exposition aux facteurs de risque. La nutrition, I'hygiène buccodentaire, Ia consommation de produits fluorés ou l'accès aux services de sante pour Ia prevention des caries ou les soins varient seion la situation sociale. Aucune donnée stir I'utilisation du fluor ou Ia consommation de sucres n'a éié recueiilie dans les différentes etudes françaises citCes précédemment. En France, globalement, Ic sel fluoré est peu utilisé, 25 % a 30 % des enfants en

LA SANTE BUCCO-DENTAIRE

273

consommeraient, la connaissance de l'existence du sel fluoré et de ses bénéfices est très liée au niveau d'éducation des parents [Tubert-Jeannin et Morel, 1994; Fabien et alii, 1996]. Quelques données sur les comportements, tels le brossage

des dents, le grignotage alimentaire et le recours au chirurgien-dentiste, proviennent de l'enquête > du CFES de 1997-1998 [Arènes et a/u, 1998]. Environ 4 000 adolescents de 12 a 19 ans ont été interrogés par téléphone. L'usage de Ia brosse a dents et le fait de consulter un dentiste ou un orthodontiste vanent selon Ia categorie socioprofessionnelle de leurs parents. Le brossage, réalisd deux fois par jour ou plus, est moms frequent chez les adolescents de parents agnculteurs ou ouvriers ; les enfants d'artisans, commercants, chefs d'entreprise et ouvners consultent moms que les autres. Les

etudes réalisées dans d'autres pays par l'OMS auprès d'enfants de 12-13 ans confirment que les jeunes issus de classes sociales favorisées se brossent plus frequemment les dents, mais montrent que le recours aux services dentaires n'est pas different selon les groupes socio-économiques dans les pays oü il existe des programmes dentaires scolaires organisés [Chen et alii, 1997]. Quelques etudes traitent des differences sociales de sante dentaire après prise en compte simultanée de différents facteurs et montrent un role <<propre>> de

l'environnement social. Schou et Ultenbroek (1995) se sont intéressés a l'influence relative de facteurs de risque sociaux et comportementaux tels le brossage et Ia consommation de sucreries, sur I'état dentaire d'enfants de 5 ans. Us montrent que les enfants issus de categories sociales moms favorisées sont plus a risque de caries, après ajustement sur Ia consommation de sucres et les habitudes d'hygiene. De même, certaines etudes scandinaves montrent que les enfants moms favorisés sont plus a risque de caries que les autres, indépendamment de leur <>: les résultats ont été ajustés sur l'âge, le sexe, Ia fréquence du brossage, la consommation de sucre ou l'utilisation de fluor [Milen, 1987]. Les differences comportementales a elles seules n'expliquent pas les inégalités sociales de sante dentaire. A l'opposé, la seule étude francaise réalisée auprès d'un petit échantillon de 300 adolescents francais

âgés de 14 et 15 ans ne montre plus de differences sociales de sante dentaire après prise en compte de l'hygiene alimentaire, bucco-dentaire et de l'exposition au fluor [Tubert-Jeannin et alii, 1994]. Les résultats de cette étude transversale doivent être interprétés avec precaution compte tenu de Ia faiblesse de l'échantillon, de l'homogeneite de Ia population étudiée et de l'évaluation des facteurs d'exposition a l'aide d'un autoquestionnaire. Les effets de Ia fluoration collective, notamment de l'eau fluorée, sur Ia relation entre l'état dentaire de jeunes enfants et Ia classe sociale ont été étudiés, en particulier en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La compa-

raison des indices carieux montre des differences selon Ia teneur en fluor de l'eau dans toutes les classes sociales, mais les relations entre sante dentaire et classe sociale persistent après ajustement sur l'exposition au fluor [Evans et alii, 1996 ; Slade et alii, 1996].

274

INEGALITES PAR I)OMAINE E)'EXPRESSK)N

Le recours aux soins depend du fait d'avoir ou non accès a une assurance complCrnentaire : les enfants soignés appartiennent plus souvent a des families qui bénéficient d'une mutuelle [Azogui et a/li, 1996].

L'étiologie muitifactorielle de Ia maladie carieuse permet d'évoquer de nombreux facteurs dans I'amélioration de Ia sante dentaire croissance économique, mesures collectives de prevention, sensibilisation des professionneis de Ia sante, modifications des comportements individuels d'hygiène ou de recours aux soins, diffusion de produits fluorés, notamment des dentifrices, diCtétique. Les succès obtenus dans Ia reduction des taux de caries sont attribués principalernent au fluor, sous ses diverses formes, et a i'amélioration du niveau de vie [Bratthall et a/u, 1996]. La persistance d'inCgalitës de sante selon Ia classe sociale fait penser a de moindres changements comportementaux dans certaines categories sociales. Ces differences comporternentales pourraient provenir d'une perception diffCrente des besoins bucco-dentaires, de difficultés d'accès a Ia prevention, d'une diffusion incomplete des connaissances sur les méthodes de prevention des caries et des parodontopathies ou d'une moms bonne acceptation de ces traitements.

PISTES I)E RECHERCHE ET RECOMMANI)ATIONS D'AcTIONS

Méme si la sante dentaire s'améliore en France, Ia cane reste frequente et

touche en particulier les groupes les plus vulnérables. Certes, la sévérité moyenne de l'atteinte carieuse a I'âge de 12 ans a chute de 80 % ans en 25 ans, niais 65 % des enfants de 12 aiis sont encore touches par cette maladie. De plus, il existe des sous-groupes d'enfants a haut risque d'atteinte, 20 % des enfants totalisent a eux seuls 60 % a 80 % des caries. Une diminution supplémentaire de l'indice carieux moyen semble envisageable si l'on se rCfère aux pays scandinaves, oü une politique de prevention active est menée de Ia part tant des gouvernements que des professionneis de Ia sante, et oü les enfants et adolescents n'ont

plus en moyenne qu'une dent atteinte par Ia cane (CAO moyen de I). Les services dentaires scolaires gratuits et/ou des programmes préventifs planifies améliorent Ia sante de tous les groupes sociaux. Les mCthodes > de prophylaxie collective ou de groupe fondées sur Ia promotion du fluor ont fait leurs preuves [Lewis et a/u, 1995]. A côtC de ces méthodes, qui maintiendraient les acquis en terme de faible incidence des caries, il serait nécessaire de développer des mCthodes spécifiques et originales de prevention pour les enfants a risque. Les modèles de sauté publique communautaire prCconisés par l'OMS rnériteraient d'être évalués dans le cadre de programmes pilotes axes sur des groupes a haut risque. Au niveau collectif, prioritC pourrait être donnée a Ia petite enfance avec le développement de Ia promotion de la sante bucco-dentaire intCgrée des programmes gCnCraux de sante pour Ia prevention des maladies

chroniques de l'adulte (nutrition, habitudes de vie, hygiene, comportement,

LA SANTE SUCCO-DENTAIRE

275

sanitaire), le développement de projets scolaires dans les écoles iatemelles, distribution de lait fluoré par exemple, Ia mise a disposition de dentifrices fluorés a faible coilt. Le risque d'ingestion excessive de fluor

education

pouvant entraIner une fluorose doit être surveillé. Au niveau individuel, l'accent pourrait être mis sur la protection des dents a haut risque de cane par des obtu-

rations preventives des sillons dentaires (agents de scellement ou sea/ants). Enfin, un effort de formation continue devrait être fait auprès des dentistes pour accroItre leurs capacités professionneiles dans le dépistage et Ia prise en charge des enfants et des dents a risque de caries, afin de les appliquer dans le cadre d'un bilan dentaire ou d'un recours aux soins. ADULTES

Etat de Ia situation Les données specifiques a Ia France ont été recueillies en 1993 et 1995 dans Ia region Rhône-Alpes sur 1 000 et 603 adultes âgés respectivement de 3544 ans et 65-74 ans [Hescot et alii, 1997; Bourgeois et alii, 1999]. Ce recueil faisait partie d'un projet d'études cooperatives internationales portant sur les relations entre les facteurs socio-environnementaux individuels, le système de soins et Ia sante bucco-dentaire [Chen et alii, 1997]. La méthode d'echantillonnage utilisait Ia méthode des quotas sur site en fonction des caractéristiques suivantes residence urbainlrural, sexe et catégorie socioprofessionnelle [Guillaud et a/u, 1997]. On a utilisé l'indice socio-économique d'Irving, qui est construit a partir du niveau d'études, de Ia catégorie socioprofessionnelle et du revenu des ménages, pour classer le niveau socioéconomique en 3 groupes élevé, moyen ou faible, et favonser ainsi les comparaisons internationales [Chen et alii, 1997]. La sante dentaire ou parodontale a été étudiée selon cet indice agrégé, tandis que l'étude des comportements ou de Ia perception de Ia sante et les analyses multi variées ont été faites en fonction du revenu, de Ia catégorie socioprofessionnelle et du niveau d'études des sujets. Le tableau 4 montre que les adultes de Ia classe d'age 35-44 ans présentent

des indices carieux élevés, mais le degré d'atteinte vane peu selon le niveau socio-économique. Le groupe de niveau socio-économique le plus élevé a cependant moms de dents absentes que les autres categories, ce qui indique a Ia fois un meilleur état dentaire global et des soins moms agressifs. Le constat porte sur la proportion d'appareils dentaires mobiles, remplacant les dents absentes, va dans le même sens: plus le niveau socio-economique est élevé, moms les adultes portent de prothèses mobiles. Ainsi, dans le groupe de faible niveau socio-économique, Ia frequence des prothèses mobiles est de 17 %, alors qu'elle est de 6 % dans les groupes de niveau moyen et élevé. Pour les prothèses

fixes, type bridge, aucune difference n'est mise en evidence selon le niveau socio-économique.

276

LNEGALITES PAR I)OMAINE I)'EXPRESSION

Tableau 4

Nombre nloyen de dents cariées (C), absentes (A), obturées (0) et indice CAO seton le niveau socio-éconoinique des populations adultes 35-44 ans (année 1993) et 65-74 ans (année 1995) de Ia region Rhône-Alpes' Nombre moyen Nombre moyen socioéconoinique

a

de dents eariées (C)

de dents absentes (A)

Noinbre rnoyen

Nombre moyen de dents

de dents obturées (0)

absentes, ou

cariCes, obturCes (CAO)

35-44 ans Elevé

146

Moyen Faible

342 512

1,2

76

10.8

1,3

2.0 2,4 3,6

11.1

9,9

13,7 14,7 14,8

65-74 a'is

Elevé Moyen Faible

0,9

10,2

154

1,1

14,2

8,4 6,7

373

1.2

19,4

4,0

I. Sources: Hescot cia/li. 1997

19,4

22,0 24,5

Hourgeoiseto!ii. 1999.

Seulernent 13 % des sujets de cette classe d'âge présentent un état parodontal

sam, Ia majorité des sujets présente un saignement ou du tartre. La fréquence et Ia gravité de l'atteinte parodontale varient selon le niveau socio-éconornique ; le

pourcentage de sujets ayant un état parodontal

sam est significativement plus élevé dans le groupe de niveau socio-éconornique élevé (18%) que dans les autres groupes (11 %) [Hescot et (liii, 1997]. Dans Ia classe d'ãge 65-74 ans, les résultats vont dans le niênie sens, et les differences sociales sont encore plus fortes. Le pourcentage d'édentCs totaux

dCcrolt avec l'élévation du niveau socio-économique, 22 % parmi les individus a faible niveau socio-économique et 0 % dans le groupe de niveau élevé. De même, I'indice CAO diminue quand Ic niveau socio-éconornique augmente. La principale difference porte sur le nombre nioyen de dents absentes, deux fois plus faible dans le groupe de niveau socio-économique élevé que dans le groupe de niveau socio-Cconomique faible (tableau 4). La presence d'un appareil dentaire mobile di minue bisque Ic n i veau socio-économique augmente, respecti vement

69 %, 55 % ci 40 % dans chacun des trois groupes. A I'opposé, 36 % des personnes de niveau socio-économique élevé ont au moms une prothèse f'ixe de type bridge, au lieu de 22 % dans Ic groupe de niveau moyen et de IS % dans le groupe de niveau le plus faible [Hescot et cdii, 1996J. Ces etudes rendent compte de Ia détérioration inégale de l'ëtat de sante selon le niveau social a age egal. II y a consensus dans Ia littérature inteniationale pour souligner le role joué par les determinants socio-économiques sur Ia sante dentaire des adultes. Un

faible niveau d'éducation eiJou de revenus est en relation avec des taux plus

LA SANTE BUCCO-DENTAIRE

277

élevés de dents cariées et manquantes, d'édentation, de mauvais état parodontal et de besoins de soins [Locker et Leake, 1992 ; Schou, 1995].

Comparaison des deux classes d'âge Dans Ia classe d'age 35-44 ans, le nombre moyen de dents cariées, absentes ou obturées est globalement élevé, mais non lie au niveau socio-économique. Une explication des valeurs élevées des indices carieux dans cette classe d'age indépendarnment du niveau social tiendrait au fait que leur enfance — de 6 a 15 ans, age d'appantion des caries — s'est déroulée a une période de transition sanitaire, qui a considérablement aggravé leur état de sante bucco-dentaire: modifications des habitudes alimentaires avec une surconsommation de sucres, associées a une méconnaissance de l'hygiène dentaire et a l'absence de politique preventive fondée sur l'utilisation des fluorures. On pane pour cette periode allant de 1955 a

1970 d'une explosion de Ia fréquence et du nombre de caries, qui a touché I'ensemble des enfants francais. De plus, les soins avaient pour objectif de traiter

Ia douleur, d'essayer de conserver Ia dent, de soigner Ia cane, mais rarement d'éviter son apparition. L'indice carieux dans les années soixante-dix atteignait souvent une moyenne de 10 ou plus a l'age de 12 ans [Hescot et alii, 1996]. Dans les differences observées entre les deux groupes d'âge, certaines, mais probablement pas toutes, peuvent être expliquees par l'âge; Ia situation dans Ia classe d'age 65-74 ans reflète aussi probablement des pratiques autrefois plus répandues et ayant atteint davantage les populations plus défavorisées. En effet, chez les plus âgés, la relation entre l'indice CAO et le niveau socio-économique est essentiellement due a Ia composante <<dents absentes >> de l'indice.

Soins recus, comportements et perception de Ia sante Quelle que soit Ia tranche d'âge considérée, ii existe des differences significatives quant a la nature des soins recus, les individus de niveau socio-écono-

mique élevé ont plus d'obturations, plus de prothèses fixes, moms de dents absentes et moms de prothèses mobiles que les individus moms favorisés. Les prothèses mobiles sont associées a une édentation de grande envergure, a des problèmes financiers et/ou un manque d'attention pour sa propre sante dentaire, limitant l'accès a des prothèses fixes — couronnes ou bridges —, plus confortables et plus esthetiques. Ces differences de sante dentaire pourraient s'expliquer par une insuffisance de suivi, une difficulté d'accès, financière et administrative, a des soins conservateurs et un recours tardif aux soins qui ne laisse plus comme possibilité que l'extraction [COME, 1995]. Les differences sociales de sante dentaire pourraient également être dues a des comportements de sante différents, eux-mêmes en relation avec la perception de l'état de sante. Dans les deux générations françaises étudiées, les personnes appartenant au groupe socio-économique le plus faible, aux categories de revenu du

278

INECALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION

rndnage les plus niodestes ou qui onE le niveau d'études le plus faible percoivent le plus souvent leur état de sante général ou leur état de sante bucco-dentaire comme

moyen, mediocre ou niauvais. La nCcessitd de mieux se brosser les dents et le besoin de soins dentaires sont significativement plus souvent mentionnés par ces categories. Cependant, en

de pratiques, l'hygiène dentaire et l'utilisation des

services dentaires augmentent avec le niveau d'études et Ia catégorie sociale, niontrant ainsi un ddcalage entre Ia perception et la pralique [Hescot et a/il, 1996].

Recours aux soins

Le secteur liberal est inaccessible a une large catégorie de population, et Ic renoncement aux soins pour raisons financières est aussi une des réalités des

hôpitaux publics [Roth, 1999]. Dans l'enquête sur Ia sante, les soins et Ia protection sociale de 1997 du CREDES [Duniesnul et a/u, 1999], 23 % des sujets déclarent avoir renoncé au nioins une fois a des soins pour des raisons financières. Ces renoncements concernent davantage les femrnes, les jeunes et les personnes en situation précaire, tels les chômeurs, qui sont 40 % a avoir renoncé a des soins. Lorsqu'il y a renoncement aux soins pour raison financière, les soins dentaires sont ceux auxquels les patients renoncent le plus fréquemnient — 12 % des enquCtCs —, viennent ensuite les lunettes 4 %, les analyses médicales 9 %, puis les autres soins 4 %. Ce rapport confirme les tendances mises en evidence dans les anndes antérieures, a savoir que les consommations de soins dependent fortement du milieu social, des revenus et de Ia couverture complCrnentaire. Par exemple, pour les prothèses, Ic rnontant rnoyen a Ia charge du patient est pres de quatre fois Ia somme remboursée. Cette charge financière joue tin role de frein a Ia consommation et explique au moms en partie que 15 % des individus entre vingt et soixante ans tie soient pas appa-

reillés, malgré un deficit fonctionnel. Cette charge finaiicière explique également que le renoncement aux soins soit lie au fait d'avoir ou non une couverture complémentaire — ii est 40 % plus frequent chez les personnes tie bénéficiant pas d'une telle protection. Le coUt des soins dentaires supporté par les ménages serait en partie responsable de l'utilisation différentielle du système de somns et du type de soins selon les classes sociales. Les extractions soft beaucoup moms que les soins, et elles étaient encore très répandues il y a seulerneni quelques dCcennies. Les désavantages financiers et sociaux des personnes en difficulté peuvent faire ou font que Ia prevention des maladies bucco-dentaires et Ia maintenance d'une bonne sante deviennent une priorité secondaire. Les soins dentaires, sauf peut-être pour Ia prise en charge de I'urgence et du bilan, sont généralement des soins de longue durCe qui peuvent

apparaltre en opposition par rapport a Ia situation de précarité de certains groupes dont Ia preoccupation majeure est de gérer le quotidien. II a égatement Cté monirC que Ic recours aux soins vane selon le niveau socioécononhique des individus dans tous les pays et cc quel que soit Ic système de soins

LA SANTE BUCCO-DENTAIRE

279

[Chen, 1995; Gilbert et alii, 1998]. Les etudes conduites aux Etats-Unis et au Canada durant les années soixante-dix ont montré que Ia gratuité des soins n'augmentait pas de facon substantielle l'utilisation des services dentaires [Thornberry et alii, 1973]. Une des mesures du programme de prevention experimenté en Auvergne consistait en des bilans dentaires annuels pris en charge a 100 %. II semble que même Ia dispense d'avance de frais des actes de prevention ne soit pas

un facteur suffisant pour favoriser le développement de ces actes, le problème financier n'étant pas Ia seule cause de cette désaffectation [Tubert-Jeannin et alii, 1998]. Ces premieres constatations sont a nuancer en raison du recul insuffisant associé a cette nouvelle mesure, son evaluation ne peut se limiter au court terme. Les motifs de non-recours aux soins dentaires sont multiples et ne se limitent pas exciusivement a des raisons financières. Une des barrières qui demeure est Ia crainte de Ia douleur. Dans l'enquete décrite plus haut, 43 % des adultes de Ia classe d'âge

35-44 ans interrogés ont peur des visites chez le dentiste a cause de la douleur possible [Hescott et alii, 1996]. Ces résultats ne sont pas disponibles selon les caté-

gories socioprofessionnelles. Quelque part egalement, aussi bien les pouvoirs publics qu'une partie des patients considèrent que les soins dentaires (ou certains d'entre eux) appartiennent a la categorie medicate dite .xde confort >>, pour ne pas dire de luxe, et ne sont donc pas considérés comme prioritaires. CONCLUSION

Les connaissances epidemiologiques sur les relations entre Ia sante buccodentaire et Ia situation sociale sont peu développées. Néanmoins, l'état dentaire des enfants ou des adultes vane très fortement selon Ia classe sociale. Contrairement a ce qul se passe dans le reste du secteur medical, les soins dentaires peu

coôteux sont bien remboursés par la Sécunté sociale, les soins coüteux mal remboursés. La part pnvée dans le financement des soins dentaires est importante, les soins préventifs ou curatifs restent particulièrement sensibles a Ia conjoncture économique et sociale. L'actuelle nomenclature des actes professionnels n'autorise pas des soins de qualité pour tous. Les etudes nationales fournissent un bilan partiel de Ia situation dentaire en France : amelioration de la sante dentaire, mais maintien des inégalites. Globa-

lement, ii y a une insuffisance de données qui permettraient de comprendre I'historique de l'état de sante bucco-dentaire des adultes parmi les populations défavorisées comparativement aux plus favonsées et aussi de savoir si les écarts persistent, augmentent ou diminuent. Il y a peu d'études analytiques qui permet-

traient de comprendre les nombreuses interactions entre les determinants de sante, I'environnement socio-économique, les comportements individuels, le système de soins et la sauté. Des analyses plus fines devraient permettre de définir des objectifs de reduction des inégalités sociales de sante dentaire a diffé-

rents ages pour les groupes a risque dans le cadre d'un plan national de sante

280

PAR I)OMAINE I)'EXPRESSION

dentaire inclus dans une politique a long terme. Pour cela, ii faut continuer a

recueillir d'autres données dans les différents groupes sociaux aim de mieux connaItre ces inégalités et leurs determinants, et d'évaluer ce qui relève de l'individu ou du système de soins et de protection sociale. Bien que les systèmes de sante avec puissent décourager les personnes de niveau socio—économique faible a utiliser les services dentaires, certains auteurs ont montré que Ia mise en place de services dentaires gratuits n'est pas un facteur

important d'amélioration de Ia sante dentaim des personnes dans les groupes les moms favorisés, en particulier long terme. II faut pourtant une insuffisance de rnoyeiis pour soigner certaines populations. Des aides complémentaires existent déjà ou sont a mettre cii place, telles des garanties pour les plus dérnunis, des dispenses d'avance de frais pour d'autres, une nieilleure couverture financière, niais

l'accompagnement social individuel dans Ia recherche des avantages sociaux auxquels les patients ont droit est gCnCralement insuftisant [Roth, 1999]. D'autres interventions sociales au-delà de Ia couverture du coat des soins sont nécessaires pour

aniéliorer Ia sante bucco-dentaire. En effet, I'accent dolt être mis sur le deficit d'éducation sanitaire et sur Ia nécessité de modifier les coniportements a I'égard de Ia sante bucco-dentaire. II s'agit d'un investissement dans Ic temps dont Ic bénéfice sante est evident, dans Ia mesure l'état de sante dentaire observe sur les enfanis

aujourd'hui perme en parie de prCvoir l'état dentaire des adultes de demain. En panic seulement, car Ia misc en place de programmes scolaires par exemple, a eVe seule, n'assurera pas l'Cgalite de Ia sante des adultes. Les modifications comportementales sont d'autant plus difficiles a obtenir qu'au niveau environneniental l'individu est dépendant de Ia sociCté dans laquelle ii vit, notarnment en cc qui concerne Ia politique des industries agro-alimentaires. Leurs campagnes publicitaires n'ont pas que des effets positifs sun Ia sante dentaire au scm de populations mécon-

naissant les aliments cariogéiiiques. Les modes de vie actuels, stress, grignotage alimentaire, augmentation de Ia fréquence des repas legers ou nombreuses collations déséquilibrees, ne favorisent pa.s I'amélioration de la diCtCtique. Une adaptation de notre système de sante, incluant entre autres une politique de

prevention active menéc de Ia part des gouvernements et des professionnels de Ia sante ainsi que Ic développernent de réseaux de soins, associant partenaires sociaux, gens de teirain et professionnels de Ia sante, pernlettrait une nouvelle approche et une meilleure comprehension des problèmes relatifs it Ia sante dentaire. REFERENcEs J., BOISSONNAT V., CHAN CHEE C., EiD A., LETRAIT S. (1993), La sauté bucco-dentaire en Seine-Saint-I)enis. Ei'olution en huit ans les enfants de ans, Direction de Ia prevention ci de I'aciion sociak, rapport d'Ctudes du Conseil gCnCral de Seine-Saint-Denis, 240 p. ARENES J.. JANVRIN M.-P., BAUDIER F. (1998), Baromètre sanléjeunes 1997/1998, CFES, Vanves.

LA SANTE BUCCO-DENTAIRE

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18

Le Sida Marcel Calvez

La question des inégalités sociales et du sida a peu retenu l'attention des chercheurs en sciences sociales. Le bilan des travaux effectués en France sous l'égide de l'Agence nationale de recherches sur le sida depuis dix ans montre que cette question n'a pas été inscnte dans les priorites de Ia recherche [ANRS, 1998]. Une revue de Ia littérature intemationale, tout en dressant un constat comparable, suggère un changement du profil social de l'épidémie <> [Luger, 1998]. L'hypothèse du glissement de l'épidémie vers les classes populaires est egalement émise en France par les praticiens qui s'occupent de la prevention ou de Ia prise en charge des malades. L'objet de cet article est de dresser un état de Ia question a partir des informations disponibles sur Ia contamination par le VIH et sur la prevention. Des informations sur Ia mortalité par sida se trouvent dans le chapitre ifi. Tributaire des données disponibles et de leurs limites, le bilan réalisé indique des transformations sociales de l'epidemie que le développement des multithérapies aussi bien que le reflux des actions de prevention sont susceptibles d'amplifier. LES CHANGEMENTS DANS L'INCIDENCE DU SIDA

sont extraites des bases de données de l'Institut de veille Les sanitaire et sont actualisées au 31 d&embre 1998. Elles concement les nouveaux cas de sida diagnostiqués chez les patients âgés de quinze ans et plus, domiciliés en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer au moment du diagnostic. Elles concement Ia période comprise entre 1987, année postérieure au classement du sida

comme maladie a declaration obligatoire, et 1996, alors que se généralisent les nouveHes combinaisons therapeutiques. Les informations relatives a Ia catégorie socioprofessionnelle et au groupe de transmission sont issues des declarations faites par les médecins. Elles sont sujettes a un biais déclaratif qui ne peut pas être totalement comgé. Cela conceme essentiellement les personnes sans activité, qui peuvent être déclarées sans profession, au chômage, voire scIon leur ancienne activité.

284

INEGALITES PAR

I)'FXPRESSION

Ces données permettent de documenter un stade tardif de l'infection a VIH et les changernents de profil qui I'affectent sur Ia période considérée. Elles ne rendent pas compte de Ia total ité de Ia séropositivité, iii des nouvelles contaminations, seules susceptibles d'indiquer les déplacements récents de l'épidémie. Mais les données disponibles sur Ia séropositivité ne sont pas exhaustives. Elles procèdent en effet de dispositifs spécialisés de depistage (centres de dépistage anonyrne et gratuit, établissements de transfusion sanguine, réseaux

de laboratoires) ou d'enquêtes auprès de groupes parciculiers (femmes enceintes, consultants de dispensaires antivénériens). De plus, Ic retard au depistage, indiqué par Ia découverte de la séropositivité a I'occasion du diagnostic de sida, concerne de facon importante des situations de précarité [Calvez, 1999; Institut de veille sanitaire, 1999J. Le filtre des dispositifs de dépistage peut ainsi masquer l'ampleur des evolutions dans Ia diffusion du VIM. Les grandes evolutions de l'incidence du sida

Entre 1987 et 1996, I'incidence du sida se caractCrise essentiellement par trois evolutions. La premiere concerne Ia croissance du nombre et de laplace des femmes dans Ia population malade (tableau I). Tableau

I

RCpartition des nouveaux cas de sida de quinze aiis et plus dorniciliés en France

(métropole et outre-nier), diagnostiqués en 1987, 1990, 1993 et 1996, par sexe, nombre et proportion de cas <<sans profession au scm de chaque classe. Femmes (%) doni sans profrssion (%)

Hornnies (%)

1990

1993

1996

265 13.0

643

1 003

16.0

19,8

738 20.5

308

435

386

47,9

43,4

52,3

3 372 84.0

4 070

87,()

2 865 79.5

225

542

780

655

12,6

16.1

19.2

22,9

2045

4015

5073

3603

100,0

100,()

100.0

100.0

341 /6.7

850

1 215

1

21,2

24.0

28,9

6.7

5.2

4,1

3,9

116 43,8

I 780

doni sans profession

(%)

Total HF (%) (loft SWS /)rofesswn (%)

Sex-ratio H/F Source : INVS.

1987

80.2

04!

actualisées uu 31.12.1998.

Elle passe de 13,0 % des cas de sida en 1987 a 20,5 % en 1996. Dans Ia rnoitié des cas, il s'agit de femnies sans profession déclarée, et dans le quart des cas, d'employées. La repartition socioprofessionnelle reste globalement

285

LESIDA

stable. Le poids relatif de Ia contamination liée a l'usage de drogues par injection diminue, passant de 39,2 % a 28,5 %, alors que la part de Ia contamination lors de relations hétdrosexuelles croIt de 30,9 % a 63,1 %. Deuxième evolution, I'age au diagnostic de sida augmente. Cette augmentation correspond essentiellement a une diminution de Ia contamination dans les classes d'age les plus jeunes (tableau 2). Alors que les generations les plus âgées

ont eu l'occasion d'être exposées au virus avant d'adopter des conduites de protection, les generations les plus jeunes ont Pu prendre en compte l'existence du sida des les premieres relations sexuelles. Pour ces générations, Ia diminution de Ia contamination est imputable a I'adoption de pratiques de protection ou a la constitution de réseaux sociosexuels dans lesquels le virus n'entre pas. Tableau 2

Repartition des nouveaux cas de sida de quinze ans et plus domiciiés en France (métropole et outre-mer), par age et par année de diagnostic (part de chaque classe d'âge dans Ia population totale) (%)

1987

1990

1993

1996

15-19

0,5

0,3

0,3

0,3

20-24

8,2

5.7

2,6

2,0

25-29

21,4

23,2

17,8

11,2

30-34

20,0

24,6

28,4

26,6

35-40

18,0

15,3

19,3

22,6

40-44

10,8

11,8

12,6

13,3

4549

5,4

6,7

7,4

9,7

SOet+

15,7

12,4

11,6

14,3

N

2045

4015

5073

3603

Source: INVS, donnëes actualiséesau 31.12. 1998.

La troisième evolution concerne la population masculine. Elle se caractérise par

un déplacement de I'incidence des cas de sida des classes moyennes et supérieures vers les ouvriers et les inactifs (categorie qui regroupe les personnes sans profession et les chômeurs selon les declarations des médecins). La catégorie <> est quasi exclusivement composée d'hommes (3 % de femmes en données cumulées). Elle passe de 14,7 % des cas de sida chez les hommes en 1987 a 20 % en 1996. Les hommes inactifs passent de 15,8 % a 25,4 % des cas de sida. Ces trois evolutions se reflètent dans les statistiques globales sur les cas de sida. La catégone des inactifs augmente de facon importante en valeur absolue (de 400

nouveaux cas en 1987 a 1132 en 1996) et en valeur relative (19,6 % des nouveaux cas en 1987 et 31,4 % en 1996). Entre 1987 et 1993, le nombre de nouveaux cas double chez les employés et les ouvriers, tout en conservant le même poids dans Ia population totale (soit environ 20 % d'employés et 15 % d'ouvriers).

286

INECALITIiS PAR DOMAINE D'EXPRESSION

La diminution observée en 1996 est moindre chez les ouvriers que chez les eniployés. Api-es une augmentation importante de leurs effectifs en 1990 et 1993, les

categories moyennes et supérieures reviennent en 1996 a des effectifs sensiblement equivalents a ceux de 1987. Leur poids relatif diminue (10,4% en 1987 et 8,2 % en 1996 pour les professions indCpendantes; 15 % en 1987 et 8,8 % en 1996 pour les cadres et professions inteltectuelles). Cependant, les professions indépendantes les plus touchées (23,6 nouveaux cas diagnostiquCs pour 100 000 personnes en 1993 el 16,1 cas en 1996 pour l'ensemble de Ia population et respectivement 32,4 et 21,9 cas dans Ia population masculine). En comparaison, on trouve 7,7 nouveaux cas pour 100 000 chez les ouvriers en 1996 et 12,3 dans Ia population masculine. Les données présentées concernent Ia contamination advenue en moyenne une

dizaine d'années avant Ic diagnostic de sida. Elles ne rendent donc pas compte d'éventuels déplacements récents lies a une adoption différenciée de pratiques de prevention. Elles permettent cependant de montrer que, sur Ia période considCrée, il y a un déplacement quantitatif de Ia contamination vers les classes populaires et les inactifs qui va de pair avec une plus grande féminisation de l'épidémie.

Les evolutions par modes de transmission La prise en compte des modes de transmission déclarCs permet de souligner quelques caractéristiques socioprofessionneiles majeures de Ia diffusion du sida (tableau 3). Le nombre de nouveaux cas de sida par transmission homosexuelle augmente jusqu'en 1992 et commence a décroItre imr Ia suite. Cela est coherent avec I'estimation selon laquelle Ic nombre annuel de contaminations de ce type a éte Ic plus important entre 1983 et 1986 [RNSP, 1995]. Cette contamination se caractérise par des disparités importantes scion les categories socioprofessionnelles. En 1993, on observe en effet 22,1 nouveaux cas de sida pour 100000 honinies dans les professions indCpendantes et 21,6 cas chez les cadres et professions intellectuelles. Les écarts les plus importants sont observes enire les employCs (33,8 cas pour 100000 hommes) et les ouvriers (3,5 cas pour 100000). Ces differences tiennent aux rCseaux sociosexuels par lesquels le virus s'est diffuse a une période oil les pratiques de protection n'étaient pas encore développées. La diminution des nouveaux cas de sida par transmission homosexuelle peut être rapportée a deux causes principales: l'effet de saturation du nonibre de

personnes susceptibles d'être contaminées dans ces réseaux et l'adopiion de pratiques de prevention. Mais ii esidifficile d'évaluer le poids relatif de ces deux effets. Malgré sa croissance quantitative, on observe depuis le debut de I'épidCmie une diminution du poids de ce groupe de transmission. Les nouveaux cas de sida diagnostiquCs dus a cc mode de transmission passent en effet de 58,5 % de Ia totalité des nouveaux cas en 1987 a 37,1 % en 1996. Cette diminution concerne de facon comparable toutes les categories socioprofessionneiles. Les nouveaux cas de sida du groupe de transmission des usagers de drogues par injection connaissent une progression importante puisqu'ils ont été multiplies par

287

LESIDA

quatre entre 1987 et 1992. us ont connu un plateau jusqu'en 1995 avant de décroltre.

Ces evolutions sont cohérentes avec les estimations des pics de contamination dntre 1984 et 1987, si l'on tient compte d'une evolution plus rapide de Ia séropositivité vers le sida déclaré du fait des conditions sanitaires dans cette population. A l'exception des inactifs (sans profession et chômeurs), dont le poids augmente sensiblement, passant de 52,3 % a 57,4 % des nouveaux cas entre 1987 et 1996, Ia répartition entre les différentes categories socioprofessionnelles reste stable. Les employés et les ouvners représentent environ 30 % des cas. Ces categories socioprofessionnelles sont ici surreprésentées en 1993, on compte 3,4 cas pour 100 000 personnes chez les employés et 3,6 chez les ouvriers, contre 1,3 chez les cadres et professions intellectuelles et 1,4 dans les professions intermédiaires. Par manque de données sur ces pratiques illicites, il est évidemment difficile de savoir si ces repartitions reflètent les differences sociales d'usage de drogues dans la population generale. Tableau 3

Repartition des nouveaux cas de sida de quinze ans et plus domiciliés çn France (Métropole et Outre-Mer), par groupe de transmission et par année de diagnostic (%) 1. Homosexuels-bisexuels

2. Usagers de drogues par injection 3. (1) et (2)

Hétérosexuels

Hémophilesettransfusés Mode de transmission inconnu du médecin Total (%)

1987

1990

1993

1996

58,5

50,6

41,3

37,1

46,4

16,2

25,4

27,3

24,6

24,1

2,4

1,2

0,7

0,7

1,3

11,8

13,9

19,6

28,5

18,3

9,3

5,1

4,2

2,0

5,0

7,0

4,9

1,8

3,8

6,9

2045

4015

5073

3603 42144

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source: INVS. données actualisées au 31.12.1998.

La transmission hétérosexuelle a connu une augmentation importante entre 1987 et 1996. Le nombre le plus élevé de nouveaux cas a ete atteint en

1995 (1 208 contre 241 en 1987). Le poids de ce mode de transmission augmente de façon constante, passant de 11,8 % des cas en 1987 a 28,5 % en 1996, oü ii représente le second groupe de transmission. La repartition socioprofessionnelle des nouveaux cas de sida par transmission hétérosexuelle montre des disparités importantes: 1,9 cas pour 100 000 personnes chez les cadres et professions intellectuelles et 2,2 cas chez les ouvriers contre 5,3 cas chez les

employés. Les personnes sans profession représentent environ le quart du groupe, mais l'hétérogénéité de lacatégorie ne permet pas de comparaison pertinente avec les autres groupes professionnels. La presentation des nouveaux cas de sida seton les groupes de transmission révèle des disparités socioprofessionnelles importantes. Cela est remarquable

288

PAR (X)MAINR

0'

dans le groupe de transmission homosexuelle,

les ernployés constituent le

groupe le plus atteint, suivi par les categories supérieures. Cette place des employés se retrouve également dans les autres groupes de transmission. L'autre caractérisique notable, déjà remarquée, est Ia progression des inactifs. Pour ce qui conceme Ia période couverte par ces données, ii est possible de parler d'un ancrage de l'épidCmie qui se confirme chez les employés. Les données relatives aux personnes sans profession indiquent Cgalement un dCplacement vers les situations de prCcarité sociale.

LES DISPARITES I)ANS LES REPONSES AUX RISQUES

L'enquête ACSF Analyse des comportements sexuels en France retient quatre indicateurs de risque pour Ia transmission du sida un rapport sexuel avec au moms un partenaire de mênie sexe, le recours a Ia prostitution au cours des :

cinq dernières années, des rapports sexuels avec plus d'un partenaire et Ia consommation de drogues au cours des douze derniers mois [Spira et Bajos, 1993]. On retiendra ici les pratiques homosexuelles et l'usage de drogues par

injection car, outre leur importance dans Ia diffusion du sida, ce sont les doniaines

l'on peut rendre compte au mieux des disparités sociales.

Les disparités de réponses aux risques chez les honiosexuels

Dans l'enquête ACSF, les rapports homosexuels concenient 1,4 % des hornmes sur les cinq années avant l'enquéte et 1,1 % sur l'année précCdente (respectivemeilt 0,3 % et 0,4 % d'hornosexuels exclusifs). II existe une grande selon les categories socioprofessionnelles: ainsi, les honiosexuels et bisexuels sont sousreprésentCs dans les niilieux ouvriers et agricoles et dans les catégories supérieures urbaines (cadres, professions intellectuelles) ainsi que parmi les diplômés [Messiah et Mouret-Fourme, 1993].

Pollak [1988] rapporte les disparités sociales qui caractérisent les homosexuels aux conditions et aux contraintes qui se presentent a eux pour gérer leur identité et se faire accepter socialement. A partir d'une enqu&e menée en 1985 auprès des lecteurs d'un hebdomadaire en direction du lectorat homosexuel (Gai Pied Hebdo), il distingue trois sous-groupes, chacun Ctant caractérisé par une certaine similarité de position sociale : les homosexuels issus des milieux popu-

laires ou habitant les campagnes ou les petites villes, les homosexuels des classes moyennes urbaines qui mènent leur vie au grand jour et les fractions intellectuelles des classes dominantes qui frequentent le groupe précédeni tout en s'en tenant a l'écart. Des pratiques sexuelles différenciées caractérisent ces sous-groupes et permettent d'expliquer Ia diffusion diffCrente du virus du sida et I'adoption diffCrente des mesures de precaution. Le groupe se caractéiise par un isolement social des individus qui se traduit par une vie sexuelle réduite. La faible frequence des

sexuelles et le

LESJDA

289

moindre recours a la pénétration pourraient expliquer Ia faiblesse relative des nouveaux cas de sida chez les ouvriers dans un contexte øü les pratiques de protection ne sont pas développees. Le deuxième groupe comprend les homosexuels qui revendiquent une affiliation a une communauté homosexuelle. us ont un nombre tilevé de

partenaires et une diversité de pratiques sexuelles. Ce groupe a été très fortement touché des le debut de l'épidémie du fait de la frequence des rapports sexuels avec des

partenaires différents. Cette contamination massive s'observe dans l'importance des cas de sida chez les employés, les categories indépendantes et les professions inter-

médiaires. Le troisieme groupe est compose des fractions intellectuelles des classes supérieures. Parmi eux Ia contamination a été importante dans les premiers temps de l'épidémie, en particulier dans les professions de l'information et du spectacle. A partir de 1984-1985, les pratiques de prevention se sont diffusées de façon différente selon ces trois groupes. Alors que, dans le premier groupe, Ia prise de conscience des risques se realise diffidilement, les pratiques preventives se diffusent de façon étendue et rapide dans les deux autres groupes comme une composante du style de vie. Le cli vage dans les réponses de prevention est clairement social. Pollak remarque que <>. Les professions supérieures prennent rapidement conscience des risques et modifient leurs pratiques sexuelles en consequence.

L'enquête menée en 1985 a été reprise de facon reguliere et selon un protocole comparable jusqu'a aujourd'hui. Cela permet de suivre les evolutions dans les réponses apportées par les homosexuels au sida. Les enquêtes menées en 1988 et 1990 conduisent a souligner que le groupe des répondants ayant un statut professionnel bas adopte l'abandon de Ia pénétration ou Ia reduction des situations a risques comme moyen de prevention [Pollak et Schiltz, 1991]. Si les enquêtes de 1991 et 1992 confirment ces observations pour une partie de ce groupe, elles remarquent aussi que <des hommes [d'un niveau économique et culturel très faible] cumulent les incapacités a s'imposer eta imposer aux autres des pratiques sans risque. us expriment leur impuissance a changer leurs habitudes sexuelles a Ia fois avec des partenaires stables et occasionnels>> [Schiltz, 1993]. Le groupe des cadres et des diplômds de l'enseignement supérieur se caractérise par une preference pour Ia vie en couple ; us pratiquent Ia penetration occasionnellement protégée et ils surveillent leur statut serologique quand ils sont negatifs. C'est dans ce groupe que les enquetes ultérieures observent Ia mise en ceuvre de strategies complexes de gestion des risques. Les professions intermédiaires et les employés qui se retrouvent dans l'affirmation d'un style de vie homosexuel rejoignent les cadres supérieurs dans les precautions prises [Pollak et Schiltz, 1991]. La fin des années quatre-vingt se caractérise par une différenciation sociale importante dans les conduites de prevention.

290

Dans

INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESStON

Ia premiere enquête, Pollak [1988] remarque que les pratiques

sexuelles protégées se diffusent < du haut de Ia pyramide sociale vers le bas, des grandes villes vers les lieux plus isolés >>. Les enquetes suivantes montrent que cette diffusion est liëe au fait de connaItre des personnes séropositives, a un statut social et professionnel élevé ainsi qu'à un haut degre d'intégration dans Ia communauté homosexuelle. Elles souligne lit que les réponses de protection ont été plus tardives chez les homiiies qui avaient un niveau scolaire moms élevé et que, surtout, les personnes défavorisées sont maintenant les plus exposées au risque de contamination. Parmi les jeunes homosexuels, les enquêtes successives permettent d'identifier une minorité, stable dans le temps, d'environ 10 %, caractérisée par une fragilité sociale et qui n'arrive ni a négocier les modalités du rapport sexuel, iii a imposer son souhait d'une sexualité a moindre risque. Ces résultats sont confirmés par les declarations de séroprévalence dans Ia population enquêtée. Les enquetes de 199 1-1992 notent que Ia séroprévalence

est niaxiniale chez ceux qui ont un niveau d'études très faible, soit aucun diplôme, le CAP ou Ic certificat d'études (23 % pour une moyenne generale de séroprévalence de 1 8 % dans Ia population enquetee), chez les chônieurs et inactifs (30 %) et parmi les employés (22 %) [Schiltz, 1993]. Cette repartition est confirmée dans les enquetes ultCrieures ISchiItz et Adam, 1995; SchlItz, 1998; Bochow, 1998]. Une analyse secondaire par categories d'âge [Bochow, 1998] montre que Ia diffCrenciation des taux de prevalence selon le niveau d'études s'observe des 1993 chez les 16-29 ans, precisément chez ceux qui ont Pu adopter des conduites de precaution des Ic debut de leur carrière sexuelle. Les réponses aux risques chez les usagers de drogues par injection

Les réponses apportées par les usagers de drogues sont peu documentées pour éclairer Ia question des inégalites sociales. Dans l'enquête ACSF, le recours a une drogue, retenu comme indicateur de risque, concerne au total 5,7 % des honimes et 2 % des fenimes enquêtes; mais seuls 3 hommes et 4 femnies ont utilisé de Ia drogue par injection dans cette enquête. Les effectifs concernés sont également très

faibles dans l'enquête sur le comportenient sexuel des 15-18 ans [Lagrange et Lhornond, 1997]. ScIon des estimations de 1990, Ia taille de Ia population toxiconiane par vole intraveineuse serait comprise entre l00000et 125 000 personnes; Ia taille de Ia population infectée est estiniée entre 27 000 et 35 000 [ANRS, 1995]. La contamination liée a de drogues par vole intraveineuse reprCsente de façon constante environ Ic quart des cas de sida, avec une proportion de fernrnes en diminution rCguliere, de 31,4 % en 1987 a 23,7 % en 1996. Sur Ia période considCrCe, Ia moitié environ des usagers de drogues avec un diagnostic de sida a une activité professionnelle déclarCe, dont 20 % environ dans Ia catégorie et 15 % dans Ia categoric employés >>. Les etudes rCalisées s'intéressent peu ces populations, difliciles a identifier, et privilégient les populations mal insérées socialement et professionnellement, mais paradoxa-

LESEDA

291

lement plus accessibies par les protocoles d'enquête dans les centres de soms ou dans Ia rue. Ainsi, l'étude multicentnque sur les attitudes et les comportements des toxicomanes face au risque de contamination par le VIH [Ingold, 1996], qui constitue ('étude de référence en France, s'appuie sur un échantillon dans lequel 69 % des personnes mterrogées sont au chômage ou inactives, et 6 % étudiantes ou

stagiaires. Elle décrit les usages de drogues et les pratiques de reduction des risques sans rendre compte des differences observées en fonction de disparités sociales. Mais elle met en evidence I'importance croissante des situations de pauvreté et d'errance qui caractérisent une fraction de ceue population. Les données disponibles sur les usagers de drogues par injection ne permettent pas d'aller au-delà de constats généraux sur le lien entre (a précarité des conditions de vie et l'exposition aux risques pour une fraction de cette population. LES DISPARITES DANS LES CONNAISSANCES ET LES ATTITUDES

A L'EGARD DU SIDA

Les actions publiques d'information sur le sida sont guidées par deux objectifs

principaux: I'information sur I'infection et sur les moyens de protection, et Ia promotion d'attitudes de solidarité a l'égard des personnes séropositives et des malades. L'évaluation de ces actions est réalisée par l'intermédiaire d'enquêtes sur les attitudes et les comportements (dites enquêtes KABP: Knowledge, attitudes, beliefs, practices) [Pollak et alii, 1989 ; Moatti et alii, 1992 ; Moatti et alii,

1995; Grémy et alii, 1999]. Ces enquêtes proposent en particulier des items relatifs a Ia transmission du virus dans des situations aussi diverses que lors de relations sexuelles, par une piqiIre de moustique ou dans l'usage de toilettes publiques. La capacité de ces items a rendre compte des connaissances relatives au sida est critiquable. Ii n'en reste pas moms que ce mauvais outil, a force d'être utilisé, permet de rendre compte des positions relatives a un savoir normatif. Les enquêtes successives réalisées depuis 1989 montrent une amelioration des réponses relatives aux vecteurs connus de transmission du sida qui atteignent très vite des taux plafonds. Elles indiquent conjointement une diminution significative des réponses positives concernant Ia possibilité de contamination

par contact direct ou par le partage de mêmes lieux. La persistance de ces réponses dans les différentes enquêtes concerne les milieux populaires et les personnes faiblement diplômées.

Des disparités sociales comparables se retrouvent dans l'enquête sur le comportement sexuel des 15-18 ans [Calvez, 1997]. Ainsi, les réponses positives sur ('item relatif a la possibilité de transmission du virus dans les toilettes publiques sont de 4,7 % chez les enfants de cadres supérieurs et de 13 % chez les enfants d'ouvners. La frequence des réponses positives tend a croItre a mesure que ('on passe des filières d'enseignement général aux filières professionnelles et d'apprentissage. Dans les filières les plus dévalorisées, comme les

292

INEGALFrEs PAR DOMAINE I)'EXPRESSK)N

CIPPA (cycles d'initiation preprofessionnelle par alternance), les croyances dans Ia transmission par contact concernent Ic tiers de rCpondants. Tout comme pour Ia population adulte, ces résultats ne doivent pas être interprCtés hâtivement, Les Clèves des CIPPA connaissent des situations de grande difficulté scolaire et sociale. Un questionnaire concu pour validerdes connaissances peut induire des rCponses qui traduisent tout d'abord leur experience de Ia marginali-

sation scolaire. L'appréciation des inégalites de diffusion de l'information de prevention ne peut donc pas être totalement dissociée d'un artefact issu du questionnaire et de sa passation. Cependant, les adultes qui ont un niveau scolaire inférieur au baccalauréat ou lesjeunes qui sontdans les filières déclassées sont aussi ceux qui refusent davantage les contacts avec une personne séropositive, ce qui peut aller de pair avec des croyances dans Ia transmission de proximité. Les representations de Ia transmission ne peuvent pas etre isolées des attitudes a l'égard de la maladie.

La premiere enquete KABP nienée en 1988 auprès de Ia population adulte [Pollak et a/u, 1989] a distinguC des systèmes de representation opposant une

conception s'appuyant sur

le

libre consentement des personnes et une

conception coercitive de Ia gestion publique du sida. Ces conceptions antago-

niques renvoient a deux groupes opposes en termes de niveau d'études, de classes sociales, d'âge. Le premier groupe se recrute dans les fractions intellectuelles des classes moyennes, d'ãge jeune, qui ont Cté les plus touchées dans les debuts de l'CpidCmie. Le second se retrouve plus dans certaines fractions des

classes populaires et dans Ia classe moyenne traditionnelle. Entre ces deux extremes, qui representent chacun 10% a 15 % de Ia population, des conceptions composites de Ia gestion de Ia maladie doniinent. Les attitudes de plus ou

moms grande tolerance sont marquees par le niveau d'éducation

et Ia

profession : on trouve plus de demandes de contrôle des personnes séropositives

et des malades dans les milieux populaires et chez les personnes les moms diplômées. Les enquees ultCrieures confirment avec quelques variations cette structuration sociale de l'opinion a l'egard du sida et des personnes atteintes. Des indicateurs de comporternents relatifs aux moyens de prevention foumissent également des élérnents d'information surles attitudes a l'égard du sida. L'usage des seringues peut difficilement être docunienté par absence de données pertinentes. En

revanche, des differences soft observables dans l'utilisation des prCservatifs. L'enquete ACSF montre que ie prCservatif est davantage utilisé chez les rnultipartenaires homnies ou femmes de niveau d'études élevé. Mais I'existence d'un antécédent de maladie a transmission sexuelle, Ia perception d'un risque pour

soi et Ia connaissance de personnes atleintes constituent également des facteurs importants de cette utilisation [Ducot et Spira, 1993]. L'enquete sur Ic comportement sexuel des 15-l8ans montre que l'usage des prCservatifs lors du premier rapport sexuel est plus élevé chez les garçons que chez les filles. En revanche, dIe observe un pourcentage d'utilisateurs plus faible dans les filières professionnelles que générales, et cela de facon nette dans les filières les plus déqualifiées [Lagrange

LE SIDA

293

et Lhomond, 1997]. Les disparités sociales dans les attitudes desjeunes a l'égard de la prevention se retrouvent dans ces differences entre fihières scolaires. CONCLUSION

Les données présentées, bien qu'incompletes et fragmentaires, permettent de

dessiner les contours sociaux de l'épidémie de sida. Jusque vers 1985 et Ia diffusion des pratiques de prevention, la contamination touche massivement des réseaux d'échanges sexuels ou de seringues, ce qui se traduit par une séroprévalence importante là oü le virus accede a des réseaux étendus. Par la suite, les

conduites de protection modifient cette diffusion. Les travaux de Pollak et Schlitz chez les homosexuels conduisent a penser que ce tournant se traduit par un déplacement de i'epidémie vers les classes populaires et les personnes sans profession. Les travaux d'Ingold [1996] suggèrent une plus grande vulnérabilité chez les usagers de drogues par injection en situation precaire. Mais ces dépia-

cements ne peuvent pas encore s'observer dans les nouveaux de cas de sida déciarés. Par ailleurs, le niveau scolaire discrimine de façon significative les connaissances et les attitudes a l'égard de la prevention. Les écarts observes renvoient a Ia hiérarchie des positions sociales. Le déplacement du sida vers les

categories populaires, que les données suggèrent, devrait se traduire dans Ia recherche par une plus grande attention aux conditions d'existence et a Ia façon dont les conduites a risque s'y inscrivent. C'est dans ce cadre que l'on devrait pouvoir répondre de facon pertinente a La question de l'inegalite devant les risques. En outre, le développement des therapies pose de façon cruciale Ia question de l'inegalite devant les soins pour laquelle les données font, a l'heure actuelle, défaut. C'est dire que la question des inégalités sociales demeure ouverte dans le cas du sida. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Remerciements je remercie Véronique Doré et Yves Souteyrand pour le soutien apporté dans Ic cadre de I'Action concertée 8/9 de l'Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) pour aborder Ia question des inégalités sociales, Anne Laporte et Roselyne Pinget pour Ia mise a disposition des données aciualisées de I'Institut de

veille sanitaire (INVS) et pour leur lecture critique de I'allicle.

19

Handicaps et incapacités Jean-Fran çois Ravaud, Pierre Mormiche

C'est probablement le domaine du handicap qui rend le mieux compte de Ia

nécessité d'envisager le lien entre sante et inégalites sociales de facon non univoque. En effet le champ des déficiences et incapacités est un des domaines d'expression des inégalites et dispantés sociales <<en>> sante. Mais surtout, <> constituent, depuis les travaux de P. H. N. Wood, le socle conceptuel sur lequel l'OMS a développé une classifi-

cation des consequences des maladies cherchant justement a analyser le processus pouvant, a partir d'un problème de sante, conduire a un désavantage social. Par essence même, Ia notion de handicap pose donc Ia question de ce rapport complexe entre sante et situation sociale, chacune influencant l'autre. Dans ce chapitre, nous commencerons par décrire les principales questions théoriques posées par Ia notion de handicap, puis les principales sources de

données permettant d'étudier Ia liaison handicap-inegalités sociales. Nous essaierons d'iHustrer les deux sens de cette liaison les quelques fois oü cela sera possible. Nous terminerons en évoquant quelques éléments d'interprétation et les perspectives qui se profilent. INTRODUCTION

L'évolution tant épidemiologique que demographique de Ia population fait du handicap une preoccupation sociale d'importance croissante sur le plan aussi bien national qu'international. La morbidité a change, laissant au premier plan

de plus en plus de maladies chroniques, de plus en plus de guénsons sans <>, et donc avec séquelles. Par ailleurs, les progrès médicaux tant de Ia médecine néo-natale que de Ia reanimation ou de la médecine d'urgence repoussent les frontières de La survie et posent Ia question de Ia vie avec des incapacités de plus en plus lourdes. Le handicap est donc un enjeu de sante publique, mais plus géneralement un enjeu important de société. Avant d'étudier le lien entre handicaps et incapacités et disparités sociales, il convient au préalable d'évoquer quelques questions de definition.

296

1NEGALITES PAR DOMMNE I.)'

Historique des notions : de l'inllrmité au handicap

L'analyse du rapport de nos societés aux eslropiés, impotents, nous montre l'importance extreme a accorder au contexte socioculturel pour comprendre Ia place sociale des iiidividus ainsi dénommés suivant les époques [Stiker, 1997]. L'histoire de l'infirmité suit donc un chernin indissociable de celui de Ia pauvreté ou de I'aptitude au travail. La notion de handicap est une notion relativenient moderne qui s'est progressivement substituée aux anciennes notions d'infirmité ou d'invalidité depuis Ia Seconde Guerre mondiale. Son développernent est donc recent, et Si 011 trouve le terrne <> employé pour Ia premiere fois dans tin texte officiel etc.>>

francais en 1957 avec I'expression <>, l'année 1975, qui a vu adopter Ia premiere grande Ioi d'orientation sur les personnes handicapées, constitue d'une certaine rnaniCre Ia date de naissance de cette notion en France.

La classification internationale des handicaps de 1'OMS La plupart des pays occidentaux ont eu une evolution siniilaire, Ic statut international de Ia notion de handicap ayant Cté couronné par I'OMS, qui a trouvé nécessaire de completer Ia 9e revision de Ia classification internationaie des maladies par I'ICIDH (International Classification of Impairments, Disabilities, Handicaps) ou classification des consequences des maladies. Cette classification adoptée par l'OMS en 1976 a etC publiee en anglais en 1980 [OMS, 1980]. Elle reprend les travaux d'un rhumatologue anglais, P. H. N. Wood. Une traduction francaise n'a etC publiée qu'en 1988, coCditée par l'INSERM et le Centre technique national d'Ctudes et de recherche sur les handicaps et inadaptations (CTNERHI). La version francaise s'intitule CIH (Classification internationale des handicaps : dCficiences, incapacitCs, dCsavantages sociaux). Dans cette version, le terme handicap a été retenu comnie mot gCnCrique englobant les

trois dimensions, suivant ainsi l'usage courant qui en est fait. L'expression social de son côté, remplace Ic handicap conime troisièrne dimension de Ia classification.

D'abord publiee a l'essai, cette classification est dans un processus de revision, avec le soutien de quatre centres collaborateurs de l'OMS pour I'lCIDH, qui a abouti en 1999.

Elements de definition : Ia question des handicaps comme étude des consequences des maladies Trois plans d'expCrience soft ainsi déciits, Ic niveau lésionnel (dCficiences), le niveau fonclionnel (incapacitCs) et le niveau situationnel (handicap). Ainsi, Ia défi-

cience correspond a route perte, malformation, anomalie d'un organe, d'une structure ou d'une fonction rnentale, psychologique, physiologique ou anatomique. L'incapacité correspond a toute reduction (resultant d'une dCficience) partielle ou

HANDICAPS EF INCAPACITES

297

totale de la capacité d'accomplir une activité d'une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain. Le handicap est le désavantage social pour un individu donné, resultant d'une déficience ou d'une incapacité, qui limite ou

interdit l'accomplissement d'un role considéré comme normal, compte tenu de l'âge, du sexe, des facteurs sociaux et culturels [OMS, 1980].

Les différents modèies conceptuels (modète medical versus modèle social) Le processus de revision a fait émerger un certain nombre de critiques sur le schema de Wood, sous-tendu par une relation de cause a effet entre les déficiences et les desavantages, considéré comme an modèle medical individuel

expliquant l'expérience sociale negative des personnes par leurs attnbuts personnels. Des représentants du mouvement de personnes handicapées considèrent que la perspective sociopolitique, principale en cause dans le processus de production du handicap, ne peut pas trouver sa place dans un tel modèle. Un modèle social du handicap a ainsi été propose, prenant le contre-pied du modèle medical et refusant, lui, d'expliquer le handicap par les caractéristiques mdlviduelles des personnes, mais plutôt par l'ensemble des barrières physiques ou

sociocuhurelles faisant obstacle a Ia participation sociale et a Ia pleine citoyenneté des personnes concernées.

Les travaux québécois de P. Fougeyrollas proposent une position de compromis en définissant Ia situation de handicap comme une limitation des habitudes de vie d'un individu découlant d'une interaction entre des facteurs personnels (déficiences, incapacites) et les facteurs environnementaux agissant comme facilitateurs ou obstacles [Fougeyrollas, 1995].

Vers de nouveaux indicateurs de sante l'espérance de vie sans incapacités

Avec l'évolution de Ia morbidité, l'augmentation de Ia part prise par les maladies chroniques et invalidantes et le vieillissement de Ia population, Ia description de l'état de sante des populations ne peut plus se limiter aux indicatears de mortalité et de morbidité traditionnels. La construction de nouveaux indicateurs fondés sur les déficiences ou les incapacites des individus a réaliser certains actes de Ia vie quotidienne est apparue indispensable. Nous n'aborderons pas dans ce chapitre Ia question des outils de mesure des incapacités, de I' indépendance fonctionne lie qui ont été traités precédemment dans cet ouvrage, nous limitant ici a I'évocation des espérances de vie sans incapacités. En effet, I'augmentation de l'espérance de vie s'est accompagnée d'un certain nombre d'interrogations sur Ia qualité des années de vie gagnées. Plusieurs theories ont ainsi vu le jour sur l'évolution demographique prévisible, compression de Ia morbidité, expansion de la morbidité, équilibre dynamique. De nouveaux mdicateurs ont été construits pour tenter de combiner durée et qualité des années vécues et de porter an jugement global sur Ia sante et sur son evolution, en parti-

298

INECALITEs PAR DOMAINE If EXPRESSION

culier les espérances de vie en sante [Robine, 1997]. Les premiers indicateurs d'esperance de sante proposes ont été i'EVSI (espCrance de vie sans incapacités) [Sullivan, 1971] et plus particulièrement pour les personnes ãgées l'Active Life Expeciancy[Katz eta/u, 1983]. Depuis ces travaux pionniers, les calculs se sont multiplies dans de nombreux pays, et l'EVSl a désormais acquis une place de premier plan dans les réflexions surl'harmonisation des systèmes d'information sanitaire. LES SOURCES I)E I)ONNEES STATISTIQUES

De facon rCcurrente, on deplore en France l'absence de données statistiques fiables sur le handicap. Les données sont pourtant multiples, mais extrêmement disparates et rendent vaine toute tentative de comparaison, synthese ou gCnéralisation [Triomphe, 1995]. Elles peuvent paradoxalement être décrites comme a

Ia fois insuffisantes, inflationnistes ou inadaptées. Si nous avons mis l'accent précédemment sur les problèmes conceptuels et de definition, c'est pour insister sur cette premiere difficulté et souligner Ia part de mythe qu'il y a a considérer le handicap comnie un objet social qu'il suffirait de mesurer. La construction sociale de Ia notion de handicap, l'importance du point de vue porte lors du

recueil de données (sujet lui-même, famille, enquêteur, professionnel des secteurs sante ou social) et les conditions de leur production sont des themes de réflexion dont on ne peut faire l'économie lors d'analyse des données existantes. Nous ne disposons pas actuellement en France, a Ia difference de nonibreux

pays étrangers, d'un système d'information ayant les qualités requises pour prétendre a une représentativitC nationale et perniettre un suivi longitudinal. Pour étudier Ia liaison entre catégorie sociale et handicap, nous pouvons disposer de deux types de données que nous qualifierons de données institutionnelles et populationnelles.

Données institutionnelles Une partie importante des informations disponibles est d'origine administrative (CDES, COTOREP, CNAMTS, ANPE, etc.). Les sources sont extrêmement disparates et nécessitent d'être en contact avec diffCrents ministères et leurs directions statistiques ainsi qu'avec les organismes de protection sociale. Cette exploration a etC infructueuse et nous n'avons pas rCussi trouver dans cette somme monumentale de statistiques de diverses origines des données publiées ventilCes par categorie sociale, bien que pour certains cette information soit thCoriquement disponible. L'absence d'exploitations sur ce theme ne fait que rCvéler Ic faible intCrêt porte a la question des inégalités sociales. Certains correspondants ont cependant accepte d'analyser leurs données sur

ce theme pour cc chapitre:

HANDICAPS ET INCAPACITES

299

l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) gère une base de donnees des procès-verbaux établis pour chaque accident corporel par —

police et Ia gendarmerie. Le département <Evaluation et recherche en accidentologie>> a accepté de réaliser pour nous une exploitation des Bulletins d'analyse d'accident corporel de Ia circulation par CSP; — Ia direction des risques professionnels de la CNAMTS nous a fourni des données sur les accidents du travail en fonction de la qualification professionnelle; —

le

département des etudes statistiques de I'ANPE qui identifie les

travailleurs handicapés bénéficiaires de Ia loi comme demandeurs d'emploi prioritaires.

Données populationnelles Les données populationnelles sont elles beaucoup plus rares. Outre quelques enquêtes epidemiologiques effectuées localement (entre autres l'enquête Saôneet-Loire effectuée par le CTNERHI et l'enquete Lorhandicap en Lorraine), elles se résument en France, pour les enquêtes de portée nationale, a deux enquêtes INSEE qui se sont préoccupées de la question des incapacites. — L'enquête sur les conditions de vie ou les situations défavonsées réalisée en 1986-1987 auprès de Ia population francaise vivant a domicile et âgée de dixhuit ans et plus. Un échantillon représentatif de 13 154 ménages a été soumis a

un questionnaire ménage, et a I'intérieur de chacun de ceux-ci, un individu, dénommé sujet << kish >>, a été tire au sort pour remplir un questionnaire individu. — L'enquete décennale sur Ia sante et les soins médicaux réalisée en 1980

puis en 1991-1992 centrée sur deux grands domaines : celui de Ia consommation

de soins en nature et celui de Ia morbidité. Cette enquête permet de croiser l'évaluation détaillée de Ia consommation et des indicateurs synthétiques d'etat de sante des individus avec les critères sociodémographiques classiques. INEGAL1TES SOCIALES ET HANDICAP

Les inégalites sociales jouent sur I'ensemble du processus de production du handicap. Nous reprendrons donc successivement les différents plans d'expénence précédemment décrits pour évoquer les données disponibles pour chacun d'entre eux.

Les accidents Maladie invalidante, malformation congenitale, vieillissement, accidents peuvent être a l'origine d'un handicap. Nous renvoyons a chacun des chapitres traitant par domaine des principaux pans de Ia morbidité. Nous ne developperons ici que celui des accidents qui n'a pas été traité auparavant.

78

Agriculteur

2,5

2,6

3.0

4,7

2.7

1,5

1.6

2.8

4,0

1.5

1,6

%

22 771

8359

1148

2220

4728

3513

634

862

222

859

226

n

6,7

6.3

%

10,6

/4,9

10,4

12.0

/2,3

6.9

5.9

8,3

11.4

graves

Blesses

435

852

83489

26819

4402

5818

14837

20659

3210

3 039

2

1 418

n

%.

19318

5209

9524

17905

26236

6692

6 236

1 205

8923

I 896

a

48,0

34,5

47,0

51.7

46,5

51,3

62,5

59.8

62.!

69.5

52,7

%

Indemnes

38,9__1103_144

47,9

39,7

31.6

38.5

40,4

30.0

29,!

22,4

22.2

39.4

legers

.

Blesses

940

214 666

55946

11088

18431

38524

51172

10707

10430

1

12830

3 598

n

Total

100

100

100

100

100

/00

/00

100

/00

/00

/00

%

evaluation et recherche en accidentologie (INRETS), issues des Bulletins d'analyse des accidents corporels de Ia

5 262

Source : CERMES. IFRH. d'après donn&s du circulation. 1997.

1450

329

Autre

869

Chôrneur

Total

1054

Retraité

764

Cadre nioyen,employé

Ouvrier

171

Cadre supCrleur. profession lihérale, chef d'entreprise

293

196

Conducacur professionnel

profession indépendante

58

n

,

Tues

Non rCponse

Artisan,

Tableau 1

Gravité des accidents de Ia circulation chez ies conducteurs en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle

>

C)

zrr.

C

301

HANDICAPS ET INCAPACITES

Accidents de la route L'analyse des accidents corporels de Ia circulation menée dans les années quatre-vingt montrait que Ia profession dii conducteur était Ia variable qui discriminait le plus le risque d'implication dans un accident rapporté aux kilomètres

parcourus [Cambois et Fontaine, 1982]. Les categories les plus favorisées avaient un risque moindre, résultat identique a celui obtenu par Carré [1988] a partir des taux de mortalité par accident de Ia route. Une typologie des conduc-

teurs mettait en evidence quatre groupes d'accidentés: pertes de contrôle (ouvriers, étudiants, militaires du contingent), trajets professionnels (chauffeurs, cadres supérieurs, artisans, commercants, représentants), trajets domicile-travail (employés), accidentés en intersection (retraités). La comparaison des CSP entre elles nécessite en fait d'être rapportée a une

mobilitd différentielle, le nombre moyen de kilomètres parcourus étant très variable suivant Ia catégorie [Fontaine et alii, 1991]. Le tableau 1 montre La

gravite des accidents en fonction d'une variable qui combine activité et profession chez les conducteurs (cette variable n'est pas renseignée pour les passagers). La proportion de blesses graves vane ainsi de 1 a 3. Les cadres accidentds le sont moms gravement que les ouvriers.

Accidents du travail Classiquement analysdes par branche d'activitd, les statistiques nationales de Ia CNAMTS sur les accidents du travail ne sont pas publiées en fonction de Ia

catégone socioprofessionnelle de La victime. L'exploitation qui nous a étd fournie par Ia direction des risques professionnels de Ia CNAMTS confirme Ia part considerable prise par les accidents des ouvriers. Tableau 2

Repartition des accidents du travail avec incapacité permanente (IP) suivant Ia qualification professionnelle de Ia victime Qualification professionnelle

1995

1990

%

n

1 053

1,6

938

1,6

6 741

10,0

5 429

6574

9,8

6621

533

0,8

528

9,0 11,0 0,9

17 441

25,9

17 510

29,1

Ouvriersqualifiés

31880

47,4

26417

Divers Total

67233

43,8 4,7 100

Non précisé Cadres et techniciens, agents de maItrise Employés Apprentis Ouvriers non qualifies

n

3 011

4,5 100

2 807

60250

%

Source : CERMES, IFRH, d'apres les données de Ia Direction des risques professionnels, CNAMTS [1990, 1995], France entière, ensemble des quinze grandes branches d'activité.

302

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

En 1995, sur 672 234 accidents du travail avec arrêt (soit 46,4 salaries), ii y a eu 712 décès et 60 250 accidents ayant entraIné une incapacité permanente, dont les trois quarts chez des ouvriers qualifies ou non (tableau La comparaison des

indices de fréquence de ces accidents par qualification professionnelle est malheureusement impossible par impossibilitë d'avoir les populations de rCférence.

Inégalités face aux déficiences L'enqu&e sante de 1'lNSEE est une des rares sources de donnCes permettant d'étudier la disparité sociale en matière de dCficiences. Une analyse seconde de l'enquête de 1991 a permis de comparer Ia prevalence des déficiences etde leur origine en fonction des categories socioprofessionnelles. Les tableaux 3 et 4

présentent ainsi des indices ajustés sur I'âge et le sexe, l'indice moyen de Ia population Ctant 100. Les categories socioprofessionnelles correspondent a la situation actuelle ou ancienne de chaque individu. Elles sont regroupées suivant

la nomenclature PCS de I'INSEE, La catCgorie sans objet correspond aux personnes inclassables (par exemple les enfants). Plusieurs types de déficiences étant souvent associées, seul a ete retenu le type de ddficience principale (tableau 3). On peut constater que les disparités les plus importantes concernent les déficiences intellectuelles et les troubles psychiatriques ou du comportement, avec une prevalence la plus forte chez les

agriculteurs exploitants et Ia moms forte chez les cadres. Les déficiences motrices, pour lesquelles les disparités soni les moms accentudes, révèlent une hiérarchie classique entre cadres, professions intermédiaires, employés et ouvriers. Curieusement, les déficiences visuelles laissent apparaItre une hierarchic strictenient identique mais inversée. Effet de declaration, difference dans l'accès au diagnostic ou aux systèmes de compensation (aides techniques), cette observation mCriterait des analyses plus approfondies. Tableau 3

Type de déficience principale et catégorie socioprofessionnelle (actuelle ou ancienne) : indices a sexes et ages comparables Type de déficience . troubles motrice .

.

Categorie . socioprofesstonnelle

.

.

.

auditive

visuelle

Saiis objet Agriculteurs Conimerçants, artisans Cadres Professions interrnédiaires

137

117

103

170

0

87

78

97

193

170

122

122

76

60

132

87

138

50

38

79

117

80

44 58

96

107

114

55 108

139

Ouvriers

110

73

129

129

95

Source: INSEE. Direction des statisliques 1991 (indice 1(X) = moyenne de Ia population).

psychiatriques

.

ci sociales.

intellectuelle

les donnécs de l'enquéte sante

303

HANDiCAPS ET INCAPACITES

Tableau 4 Origine de Ia déficience principale et catégorie socioprofessionnelle (actuelle ou ancienne) indices a sexes et ages comparables Categorie sodoprofessionnelle

Origine de in déficience naissance

maladie

Sans objet

230

91

0

124

Agriculteurs

116

118

55

96

75

103

75

90

103

76

49

99

76

92

105

99

Employés

114

99

110

112

Ouvriers

102

107

134

99

Commerçants, artisans Cadres Professions intermédiaires

accident

vieillesse

Source: INSEE, direction des statistiques démographiques et sociales, d'après les données de l'enquête sante 1991 (indice 100 = moyenne de Ia population).

En ce qui concerne l'origine de Ia déficience principale (tableau 4), si l'on exclut les professions inclassables, les déficiences de naissance (maladie ou malformation) et celles dues au vieillissement offrent le moms d'écart entre les CSP. Ce sont les déficiences dues a des accidents (travail, circulation, sport ou loisirs, domestique) qui offrent Ia plus grande variabilité entre les categories extremes cadres et ouvriers.

Les incapacités Les premieres analyses des inégalités sociales devant les incapacités avaient été réalisées a partir de l'enquete sante de 1980 [Charraud et Choquet, 1984]. A l'initiative de Ia MIRE et de I'INSEE, un certain nombre d'analyses secondes de l'enquête conditions de vie 1986-1987 (dite aussi enquête situations défavo-

risées) de l'INSEE ont pu être réaLisées [Bouchayer, 1994]. La presence conjointe d'informations sur les incapacités et sur Ia situation sociale a permis a Colvez [1996] d'étudier les inegalites sociales face a trois indicateurs d'incapacité: mobilité (degré de confinement au lit, au fauteuil, au domicile, etc.), activités a l'extérieur (difficultés ou besoin d'aide), activités instrumentales (inspire de l'indicateur IADL de Lawton et Brody [1969]). Pour neutraliser l'effet des structures de sexe et d'age, très différentes d'une catégorie sociale a l'autre, les données présentées au tableau 5 ont été standardisées par la méthode de La population type (en L'occurrence l'ensemble de Ia population de l'enquete).

Quel que soit l'indicateur choisi, on voit que Ia prevalence des incapacités décroIt lorsque Ic niveau de formation scolaire ou le revenu augmente et est Ia plus basse pour les techniciens, ingénieurs et cadres. On pourra observer que les differences entre les categories les plus desavantagées et les plus avantagées

304

INEGALITES PAR l)OMAINE [)'EXPRESSION

font apparaItre en général un risque relatif supérieur a 2. Celui-ci est maximal et

atteint 5 a 7 pour les activités instrumentales. Tableau 5 Prévalences ajustées scIon le sexe et i'ãge de personnes présentant différents types

d'incapacités scion leur niveau de diplôrne, leur categoric professionnelle et leur niveau de revenu1 'I'ype d'incapadlé .

population

baccalauréat haccalauréai

ElTectif

total

. .

-

Mobilite

Activités - . I'exterieur

Activités instrunientales .

n

%

n

3864

276

5,5

1 075

20,9

1 009

21,8

7 172

255

3,8

955

14,6

489

7,5

2081

40

2,7

114

9,1

35

2,8

1 974

115

5,3

445

20,8

437

21,7

%

professionnelle qualili_,

I 649

67

4.2

257

18,4

198

11.9

4505

182

4,1

641

15,2

8

0,3

489

7

1,8

26

7.3

13

2.8

maitrise

481

9

3,0

49

14,4

17

6.1

cadre

1103

18

2.1

74

7.9

34

3.4

6149

379

5,4

1 373

19,7

1013

14.9

3 090

117

4.0

454

15,9

355

11.9

2 535

50

2,8

222

12,2

128

6.1

I 379

23

2.2

99

9.9

40

2.9

annuel 000 F a 73 000 F 117 000 F 17 000 F

cotnparalifs. méihode de standardisation selon Ia population type.

Source; A. Cuivi:i. 119961. d'après les donnëes de I'enquéte conditions de vie, INSEE. 1986-1987 (population Irancaisc de plus de 18 ans vivant a domicile).

Nous n'avons pas trouvé de travaux rëalisés sur les inégalités sociales et les démarches de reduction des incapacitCs, par exemple I'Ctude d'effets sur Ia rééducation, sur les possibilités de compensation, sur l'accès aux aides techniques. En revanche, les données européennes confirment les résultats des enquetes

françaises. Ainsi, l'Eurobarometer, enquête d'opinion réguliere de Ia communauté réalisée sur tin échantillon reprCsentatif de la population européenne de plus de quinze ans (n = 16 255), incluait en 1996 tome une série de questions sur la sante a Ia demande de Ia Direction générale V. L'interrogation des sujels concernait id I'existence de maladie chronique, de problèrne de sante ou de

305

HANDICAPS Er INCAPACITES

handicap limitant dans une certaine mesure ou sévèrement le travail ou les activités quotidiennes (en incluant tous types de problèmes de sante, y compris lies au vieillissement). On y constate des differences particulièrement marquees pour le niveau d'études et de revenus (tableau 6). En ce qui concerne Ia catégorie socioprofessionnelle, même si on constate les differences classiques ordonnant les CSP, les ecarts les plus importants sont observes entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas. Tableau 6

Lien entre indicateurs de catégorie sociale et problèmes de sante ou handicap entrainant des limitations dans le travail ou les activités quotidiennes en Europe Limitation .

population

Effectif total

.

aucune

quelque

severe

%

%

%

5 000

67,7

22,9

9,4

6356

81,7

13,7

4,5

3 360

83,5

12,3

4,2

1184

92,3

6,6

1,1

.

1 563

87,2

10,2

2,5

1 457

86,6

11,4

2,1

1 797

86,8

10,6

2,5

3 784

86,3

10,8

2,9

1 438

76,1

17,7

6,2

1 613

75,4

17,1

7,5

2777

87,3

10,1

2,6

3081

81,6

13,1

5,3

2973

76,5

16,7

6,7

2 975

66,5

24,6

8,9

harmonisé

Source : CEE, DC V, d'après les données de l'Eurobarometer, edition 443(1996); population europeenne de plus de 15 ans (n = 16255).

L'espérance de vie sans incapacité (EVSU Les calculs d'EVSI selon les realises en France a partir des enquêtes sante de l'INSEE montrent qu'entre 1980 et 1991 l'EVSI a progressd pour tous les groupes de CSP et de facon plus importante que l'espérance de vie [Cambois,

1999]. Le constat que les années de vie gagnees ne l'ont pas ete avec une

306

INEGAL%TES PAR DOMAINE I)' EXPRESStON

augmentation d'incapacités [Robine et Mormiche, l993J se confirme donc pour toutes les CSP. On peut cependant remarquer que ces calculs mettent parallèlement en evidence une accumulation des inegalites, puisque les categories favorisCes ont a la fois Ia plus longue espërance de vie et Ia moindre frCquence d'incapacités, et par consequent vile plus longue EVSI. Les inégalités d'EVSI entre CSP ont eu tendance a se creuser pour les personnes âgées sur Ia période étudiée. Le Haut Comité de Ia sante publique [19981 fai remarquer que globalenient les inégalités de mortal ité et d'incapacités se cumulent au detriment des CSP les moms favorisées. La littérature internationale niontre que non seulement les plus pauvres et Ies

nioins Cduques vivent moms longtemps, rnais aussi qu'ils font l'expérience d'une plus grande partie de leur vie avec un handicap ou des incapacités. Ces disparités ont été étudiées pour Ia premiere fois au Canada [Wilkins et Adams, 1983] en fonction du niveau de revenu. L'écart d'espCrance de vie a Ia naissance entre les plus riches et les plus pauvres était de 6,3 aris niais atteignait 14,3 ans

pour l'EVSI.

Inégalités dans le désavantage social Si cette formule peut paraItre tautologique, elle signifie simplenieiit qu'une incapacité n'entraIne pas Ic rnênie dCsavantage social en fonction des categories sociales. Les conditions de vie des personnes handicapCes, leur insertion sociale,

les réseaux soclaux, les possibilités d'aide, les systèmes de compensation different [Ravaud et cdii, 1998]. Le capital social, culturel, Cconomique entralne lui-même des inCgalitCs dans les consequences sociales d'incapacités identiques. La part de I'inegalitC sociale cause ou consequence du handicap est ici extrêmement complexe a dCrnêler. Nous donnerons dans Ia section qui suit quelques exemples pour illustrer notre propos. LE HANDICAP A L'ORIGINE D'INEGALITES SOCIALES

Nous avons vu jusqu'ici conibien les accidents, les déficiences, les incapacites étaient marques de l'empreinte du statut social de Ia personne. Seules des

données longitudinales qui font actuellement défaut pourraient montrer Ia mobilité sociale descendante des personnes handicapees. Les indicateurs traditionnels de statut social se révClent d'ailleurs problématiques pour cette population. Ainsi, Ia CSP n'a plus Ic même intérét quand Ia majorité de Ia population

ne travaille pas, ni les revenus quand leur variation reflète plus Ic degré de responsabilité (pensions militaires, assurances) que Ia hierarchic sociale. Certains auteurs considèrent d'ailleurs que le handicap, en affectant Ia qualité de

la citoyenneté des individus, est en lui-même un facteur de production et de

HANDICAPS ET INCAPACITES

307

reproduction de la stratification sociale indépendamment des classes sociales traditionnelles [Jenkins, 1991 1. Le processus handicapant

Si Ia façon de dénommer le processus reliant un problème de sante a un désavantage social diffère selon les auteurs, un consensus semble se degager dans Ia

communauté internationale pour reconnaItre le caractère interactif de ce processus. Les caractéristiques personnelles d'un individu (entre autres déficiences et incapacités, mais aussi identité), d'une part, les facteurs environnementaux (physiques, économiques, sociaux, culturels) pouvant agir comme barrières ou comme facilitateurs d'autre part, sont susceptibles d'interagir pour entraIner une limitation dans Ia réalisation des habitudes de vie de Ia personne, restreindre ses possibilités de participation sociale, entraInant ainsi une situation

de handicap. On voit combien ce type d'approche du handicap diffère de l'approche niédicale traditionnelle et d'un enchaInement quasi mécanique entre

déficiences, incapacités et desavantage social. Nous avons évoqué précédemment combien l'approche Ia plus radicale du modèle social considère que le problème reside dans l'oppression sociale, dans Ia discrimination sociale dont sont l'objet les personnes ayant une déficience. Bien que rarement I'objet de verifications empiriques autres que qualitatives, ces theories méritent d'avoir leur place au sein de ca chapitre et nous prendrons

pour exemple la demande d'emploi des personnes handicapees en France. L'analyse des données de I'ANPE sur les demandeurs d'emploi handicapés montre que, bien que considérés comme prioritaires, ils ont une durée moyenne de chômage double de celle de Ia population generale [Ravaud, 1995]. Mais

cette population a un certain nombre de caracteristiques (plus âgée, sousqualifiee), nous l'avons vu, qui peuvent expliquer ce desavantage. On peut par exemple observer (figure 1) que Ia part des demandeurs handicapés est plus

importante dans les emplois non qualifies (6,9 % pour les manceuvres et ouvners spécialisés, 5,1 % pour les employes non qualifies) que pour les emplois qualifies, et ce pour les ouvriers comme pour les employes. Le taux de demandeurs d'emploi handicapés le plus faible est celui des agents de maItrise et des cadres : il n'est que de 1,9 %, soit a peine Ia moitié de Ia moyenne (4,1 %). Pour tester I'effet du handicap, toutes choses egales par ailleurs, sur les possibilités d'embauche, une experimentation en milieu social naturel a été conduite auprès d'un échantillon représentatif de 2 228 entreprises en leurenvoyant après tirage au sort des candidatures fictives émanant d'un candidat handicapé ou non. Malgré une protection legislative favorable, les travailleurs handicapés restent I'objet de comportements discnminatoires de Ia part des employeurs. Dans cette enquête, us ont 1,8 fois moms de chances d'avoir une réponse favorable a leur demande avec une haute qualification et 3,2 avec une qualification modeste [Ravaud et alii, 1992].

308

INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION

ci Ouvriers sp&ialisCs ouvriers qualities

691 % 4,60

employCs non qualifiCs

5.42 %

-

eniployCs qualifies

3.06 %

AMT et cadres

1.94 %

Ensemble

4.13%

0%

1%

2%

3%

4%

5%

6%

7%

8%

Source CERMES. IFRH IRavaud

9981. d'après es donnees du dCparleuneni des etudes et slatisliques de I'ANPE (France unetropolilaine, deunandeurs d'eunploi de categoric I,janvicr 1997).

Figure 1

Taux de dernandeurs d'ernploi handicapés en fonction du niveau de qualification

Effet des déficiences et incapacités sur Ia hierarchic sociale Les personnes handicapCes Ctudiées de facon transversale se révèlent le plus souvent avoir moms de revenus, un niveau de formation plus faible, etc. On soupçonne bien l'effet perturbateur stir Ia scolaritC d'un handicap acquis dans I'enfance, les consequences financières et les coQts marchands et nonmarchands du handicap, mais ii est bien difficile de faire Ia part de l'influence de ces variables conime facteurs de risque des déficiences ou incapacités ou d'une mobilité sociale descendante Iiée a ces déficiences et incapacités. Pour illustrer cette dernière hypothèse, nous nous appuierons sur des données

de l'enquête Tetrafigap, enquete épidémiologique sur Ic devenir a long terme des personnes blessCes médullaires tétraplegiques. Ce type de déficience, assez homogene dans ses manifestations cliniques, affecte de facon importante le taux

d'en-iploi, qui chute de 68 % avant l'accident a 20 % après I'accident. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est Ia disparité que l'on peut observer sur I'évolution du

taux d'emploi en fonction du niveau de diplâme (figure 2) avant et après l'accident. On y voit que les possibilités de réinsertion professionnelle des personnes dont le niveau de formation initiate tie dépasse pas le niveau primaire sont très faibles alors que le taux d'emploi des personnes ayant fait des etudes

supérieures est supérieur a ce qu'iI était avant l'accident [Bard-Frénot, 1998]. Rappelons cependant que I'accident frapje des adultes jeunes n'ayant pas toujours terminé leurs etudes s'ils suivaient une scolarité longue. Malgré cette reserve, les disparités observCes, consécutivement a Ia même délicience et aux mêmes incapacités, en fonction du niveau d'études sont tout a fait majeures puisque entre les categories extremes le rapport est de un a dix. Les conséquences sur Ia vie professionnelle d'un accident entraInant une tétraplégie sont done bien plus graves pour les sujets les moms diplômés.

309

HANDICAPS ET INCAPACITES

Avant I'accident

Après l'accident

80 70 60 50

% 40 30

20 10

0 U)

C.)

+

(_)

LU

V Source

:

CERMES, EFRH [Bard-Frénot, 1998]. d'après les donnëes de I'enquete Tetrafigap (n = I 668).

Figure 2

Taux d'emploi des personnes blessées médullaires tétraptégiques en fonction de leur diplôme ELEMENTS D' INTERPRETATION

Les pistes explicatives des disparités observées sont de deux types en fonction du sens de Ia liaison en cause. Nous ne développerons pas ici ce qui concerne les explications sur l'étiologie sociale des déficiences et des incapa-

cites, qui different peu des pistes d'explication discutées dans les autres chapitres de cet ouvrage, pour nous centrer sur les theories mobilisées pour les explications relatives aux consequences sociales des déficiences et incapacites. La focalisation par les professions médico-sociales sur I'individu présentant des differences d'ordre biomedical avait jusqu'à present occulté le role de la société pour expliquer comment ces differences aboutissent a un desavantage ou une limitation de Ia participation sociale. Le changement de paradigme introduit par le modèle social s'accompagne bien sEr de modifications radicales dans Ia

310

INEGALITES PAR l)OMAiNE D'EXPRESSION

definition du mode d'intervention a envisager, a savoir non plus adapter I'individu, mais adapter Ia société [Oliver et Barnes, 1998]. Ce type d'approche

du handicap met l'accent sur les facteurs contextuels et vise a identifier toutes les barrières politiques, culturelles, architecturales, psychosociologiques qui font obstacle a Ia participation sociale ou a l'accomplissement des roles sociaux. Divers autres travaux réfutent les approches fonctionnalistes du handicap et l'abordent en terme de construction sociale [Ville et Ravaud, 1994]. Ainsi, l'approche psychosociologique des representations sociales du handicap et de l'identité des personnes handicapCes permet de mieux comprendre laplace faite a ces personnes dans notre sociCté. L'anthropologie historique montre que les différences ou deviances corporelles et fonctionnelles par rapport aux auentes sociales peuvent être examinées sous un angle historique et culturel [Stiker, 1997]. Anornalie, deviance, simple difference, on voit déjà que Ia simple facon de

nommer cet écart a Ia nornie est au du débat. C'est d'ailleurs chez les sociologues interactionnistes de l'école de Chicago travaillant sur la deviance, comme Goffman, qui a developpé le concept de stigmatisation au debut des années soixante [Goffman, 1976], que l'on peut trouver les premieres théorisations du handicap en des termes voisins de ce qui se nomme aujourd'hui modèle social, et réalisées dans le cadre d'Ctudes stir Ia production sociale de Ia deviance et de Ia marginalite. La niodernité politique exclut que l'on distingue, dans Ia sphere publique, les différentes categories de personnes. Derriere les questions de stigmatisation, de discrimination et d'exclusion, c'est le principe de l'égalité en droit des citoyens comme ideal moral d'une nation déniocratique qui Sc Mais de queue égalité faut-il parler: du droit a un traitement identique, du droit d'accès, du droit a d'égales opportunités, du droit a une qualité de vie identique ? On voit combien, dans une société devenue segmentée, les orientations prises dépendront de Ia conception que l'on se fait de lajustice et des inegalitCs sociales. Enfin, Ia tension entre deux approches des politiques du handicap que l'on peut qualifier de différentialiste et d'universaliste, la premiere revendiquant un droit a Ia difference, a une spécificité, voire une identité de groupe minoritaire, et Ia seconde invoquant l'universalité des droits civiques et rejetant tout particularisme, est aussi une piste de réflexion qui mdrile attention. La premiere porte en gerrne le risque de sCgrégation, Ia seconde celui d'inégalités. EN GUISE DE PERSPECTIVES

Pour terminer ce tour d'horizon des données sur les inegalitCs sociales et Ic handicap, nous donnerons quelques pistes de recherche qu'une épidémiologie du handicap pourrait approfondir et nous conclurons en évoquant le dCmariage actuel en France d'une grande enquete nationale sur le handicap. >>

HANDICAPS ET INCAPACITES

311

Informations et recherches a développer Nous résumerons les manques de connaissance sur le handicap évoqués dans çe chapitre en reprenant les trois classiques modes d'approche que pourraient développer cette epidémiologie sociale.

A un niveau descriptif, l'insuffisance des données sur Ia population présentant des incapacités (nature, origine, consequence) est signalée par tous,

acteurs et chercheurs, de facon récurrente. Les données institutionnelles existent, mais elles sont multiples et fragmentaires; les données populationnelles n'existent pratiquement pas en France, contrairement a plusieurs pays occidentaux (Enquete ESLA au Canada, LSOA aux Etats-Unis, de l'OPCS en Grande-Bretagne). A un niveau analytique, Ia démarche explicative habituellement utilisée pour étudier les causes des maladies pent être appliquée a I'étude de leurs consequences; Ia variable a expliquer est alors 1' insertion sociale de Ia personne, les incapacités devenant des variables explicatives au même titre que des variables contextuelles ; cela perrnettrait d'étudier le role respectif des facteurs individuels et environnementaux pour expliquer l'insertion sociale des individus. Par ailleurs, tout le système de prise en charge des personnes handicapees,

des méthodes de rééducation aux institutions et a l'ensemble des politiques sociales sur le handicap, justifierait une approche evaluative, quasi inexistante actuellement.

L'enquête INSEE Handicaps-Incapacités-Dépendance 1998-2001 Le constat du retard de la France dans le domaine des statistiques nationales

sur le handicap et Ia dépendance, et de l'hétérogeneite et l'insuffisance de l'appareil d'information actuel, a conduit l'INSEE a entreprendre une operation

d'envergure avec Ia rOalisation entre 1998 et 2001 de l'enquete HID dite <>. Après une phase de preparation de plus

de cinq ans [Letourmy, 1998], I'INSEE s'est lance en tant que maître d'ouvrage

dans ce vaste chantier visant a dépasser le stade d'un puzzle incertain [Mormiche, 1998]. L'Institut a été épaulé par Ia MIRE pour Ia coordination des

différents partenaires et le montage budgétaire. II s'est adjoint un groupe de projet, comprenant des représentants du CREDES, du CTNERHI, de l'INED, de Ia MIRE, du SESI et de I'INSERM et des instituts fédératifs de recherche sur le handicap et sur le vieillissement, qui a conduit Ia mise au point (methodologie, questionnaire) de cette enquête. L'enquête HID devrait foumir un instrument de cadrage des nombreuses données produites sur le handicap et Ia dépendance. Centrée sur les incapacités déclarées par les individus, elle couvrira l'ensemble

de tous les ages et lieux d'habitat (domiciles ou institutions). Deux passages effectués a deux ans d'intervalle permettront de travailler sur les flux d'entrée ou de sortie d'incapacités. Une phase de filtrage des personnes vivant dans des

312

INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXI'RESSION

ménages ordinaires sera sur un échantillon de 300 000 personnes lors du recensement de Ia population en 1999.

S'il est clair que l'amélioration des connaissances dans Ic domaine du handicap est susceptible d'éclairer le débat public et de permetire de mieux comprendre les inegalités sociales face aux incapacités, elle n'est pas un but en

soi, mais un moyen visant a rnieux délinir les interventions publiques. La reduction des disparités observées reste un enjeu majeur. L'intégration scolaire

et professionnelle, un système de compensation equitable permettant aux personnes ayant des incapacites de faire face aux surcoüts qu'elles rencontrent, un soutien aux families et aux divers aidants, mais surtout une prise en corisidé-

ration de l'ensembie des barrières architecturales, physiques, socio-écononhiques et culturelles qui font obstacle a une pleine participation sociale des personnes handicapées sont autant de voies sur lesquelles le débal public doit progresser. Car, au-delà des inégalites sociales, c'est Ia question de Ia citoyenneté des personnes handicapées qui se trouve ainsi posée.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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20

Personnes âgées Alain Grand, Serge Clement, Hélène Bocquet

Le theme des inégalités sociales chez les personnes âgées est peu traité dans la littérature gerontologique. L'Encyclopédie du vieillissement, dans sa demière version, consacre seulement trois pages (sur 822 !) a Ia << stratification sociale>> [Maddox et alii, 1997]. La vieillesse y est ainsi présentée comme un phénomène homogene que l'on peut, après analyse, découper en deux périodes distinctes: — le <>, qui correspond a La période active centrée sur les loisirs, autour desquels s'est constitué un veritable marché (voyages, culture, etc.) cristallisant de nombreux enjeux économiques; —

le <>, qui

correspond a Ia pénode de degradation de Ia

sante, de déchéance physique etlou mentale generatnce de dépendance ; it s'agit là aussi d'un important marché autourduquel se mobilisent différents acteurs du domaine sanitaire et social (professionnels de Ia sante, services et équipements spéciaux, etc.). Classiquement, l'entrée dans le <> se situe au moment de La prise de Ia retraite. Les conditions actuelles de l'emploi sont telles que de plus

en plus nombreux sont ceux qui vivent une période intermédiaire entre une activité professionnelle a plein temps et Ia retraite: cessation progressive d'activité, préretraite, chômage en fin de carrière... En France, le taux d'activité des 60-64 ans est passé, entre 1976 et 1997, de 52 % a 16 % chez les hommes et de 28 % a 14 % chez les femmes [Caussat et Roth, 1997]. Le > commence ainsi de plus en plus tot et on peut, en premiere approximation, le faire coIncider avec le groupe des plus de soixante ans, soit environ 11,8 millions de personnes. L'entrée dans le << quatrième age>> est habituellement située a 75 ans : c'est en fonction de cet age seuil que sont generalement calculés tous les indices d'équipement (en services et institutions gerontologiques) du dispositif sanitaire et social permettant de prendre en charge Ia dependance. Cela correspond a environ 4,2 millions de personnes. Toutefois, l'assimilation grand age = dépendance doit être sérieusement nuancde: les projections réalisées a

316

INEGAUTES PAR I)OMAINE I)'EXPRESSION

I'occasion de Ia niise en place de Ia prestation spécifique dépendance (PSD) font état de 700 000 personnes considérées comme << fortement dépendantes >>. Cette tendance a Ia naturalisation de Ia vieillesse, qui amène a Ia concevoir

comnie le résultat d'un processus chronologique universel dont ii suffirait de degager les principales caractéristiques, tend a occulter son caractère très multiforme. A cette approche stéréotypée, on peut opposer une conception de Ia vieillesse comme phénomène hétérogene au cours duquel se <solde>> toute Ia trajectoire de vie antérieure. On peut ainsi s'attendre a ce que se manifeste, durant cette période, tout l'impact de Ia stratification sociale, notamment dans ses effets délétères et/ou protecteurs a l'égard de Ia sante. L'analyse des inégalités et disparités sociales en sauté, dans Ia population âgée, se heurte a une série d'obstacles que l'on peut regrouper en deux grands

types: — Ic premier concerne les difficultés d'objectivation et de rnesure de Ia catégone sociale : Ia vieillesse est l'aboutissement d'une trajectoire complexe et

donc difficile a reconstituer. 11 peut y avoir eu des modifications importantes de statut au cours de Ia vie ; cc qui va poser Ic problème du choix de Ia catégorie de référence. Cela concerne particulièrement les femnies qui, dans ces générations, étaient souvent <<sans profession>> et dont le statut depend alors de Ia carrière de leur époux. De plus, Ia structure des professions et Ia hiérarchie sociale des statuts sont en mouvement permanent : ainsi un instituteur du debut du siècle n'avait manifestemerit pas le même statut qu'aujourd'hui. Enfin, les indicateurs

de hiérarchie sociale évoluent différeniment au cours de Ia trajectoire et ne peuvent donc étre considérés comme interchangeables : ainsi Ic niveau d'études est génCralenient figé des l'ãge adulte, alors que les revenus, Ic patrimoine, Ia

profession et categoric sociale peuvent évoluer tout au long de Ia vie de I'individu — Ic second type d'obstacles concerne les difficultés d'objectivation et de

mesure de l'état de sante: dans Ia population ãgee, Ia polypathologie est Ia norrne, comnie en témoigne l'augmentation de Ia morbidité prévalente en fonction de I'ãge. Les maladies sont de gravité très variable, souvent intriquées, de sorte que Ia simple identification et Ic simple dénombrement des pathologies déclarées par I'individu ne suffisent pas a rendre compte de son état de sante. II faut donc recourir a des indicateurs mesurant le retentissement des affections sur Ia vie quotidienne de l'individu et notamment les indicateurs d'incapacité. C'es sur ce type d'indicateur que porte généralement l'analyse en gérontologie. L'analyse des inégalités en sante dans Ia population ãgée se révèle donc un exercice délicat qui ne saurait se contenter d'une simple misc a plat des données existantes. Elle nécessite un effort d'interprétation tenant compte de toutes les

difficultés prCcCdemment soulevées. Après un bref descriptif des inégalités socio-éconorniques dans Ia population ãgée, nous aborderons successivement Ia mortal ité et Ia morbidité. Nous nous interrogerons ensuite sur Ic role compensateurjoué ou non par Ic système de soins vis-à-vis des inégalités constatées.

317

PERSONNES AGEES

LEs INEGALITES soclo-EcoNoMiQuEs DANS LA POPULATION AGEE

Le niveau socio-économique d'une personne âgée résulte du jeu combine entre le montant de sa retraite et les revenus de son patrimoine (mobilier et immobilier). Le patnmoine joue un role important dans la constitution des revenus puisque c'est Ia population âgée qui en est la détentrice principale en France [Guillaumat-Tailliet et alii, 1997]. Concernant la retraite, deux grands types de système s'opposent: — d'une part, les regimes qui ont pour vocation de procurer l'essentiel des ce sont les regimes de salaries, qui n'offrent pas les mêmes avantages selon Ia profession, avec notamment une opposition entre le régime general et les regimes speclaux ; toutefois Ia connaissance des règles de calcul du montant des retraites, propres a chacun des regimes, peut permettre de situer le niveau des revenus; — d'autre part, les regimes qui ont une simple fonction de <> : it s'agit des regimes de non-salaries (exploitants agricoles, artisans, commercants), qui versent des retraites minimes. Une grande partie des revenus revenus de leurs << assujettis>

de leurs <> est en effet supposée provenir d'autres sources, et notamment des revenus du patrimoine accumulé durant toute Ia vie active. Dans ces cas-là, l'identification du niveau des revenus est beaucoup plus complexe puisqu'elle apparaIt très directement liée a Ia <> professionnelle de l'individu, fort variable dans ce type de profession. Les effectifs respectifs des bénéficiaires des principaux regimes de retraite évoques précédemment sont exposés dans le tableau 1 [Solidarité sante, 1997]. Tableau 1 Effectifs des bénéficjaires de différents regimes de retraite au 31 décembre 1995 Regimes spéciaux

Régime général (CNAV)

Fonction publique

Collectivités locales

8 046 820

1131 275

355 173

Mutualité sociale agricole (exploitants agricoles) 1 986 068

Source : Solidarité sante, n° special : evolution des prestations 1990-1996, 1997.

Toute tentative d'objectivation et de mesure du statut socio-économique de

la personne âgée devra tenir cPmpte des deux composantes: retraite et patrimoine, dont la combinaison joue de façon fort variable (et donc difficile a évaluer) selon les categories professionnelles. Ii faut egalement souligner ici Ia position très specifique des femmes de ces générations: ne disposant le plus souvent pas de droits propres a Ia retraite (parce que c< sans profession >>), elles voient en effet leurs revenus baisser considérablement lors du décès de leur conjoint.

318

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXI'RESSION

Enfin, une série d'avantages financiers ou en nature sont attaches au statut de personne âgée (reductions diverses, voire gratuité, notamment pour les transports), ce qui \'ient perturber l'analyse du pouvoir d'achat. Certains de ces avantages sent directement liCs au niveau des revenus, voire a Ia caisse de retraite d'appartenance allocation logement, aide ménagère et surtout prestation spedfique dépendance, ce qui vient bousculer Ia hiérarchie des revenus en introduisant notamrnent un effet de seuil. Ainsi la prestation spCcifique dépendance, attribuée depuis janvier 1997, est une prestation d'assistance calculCe en fonction des besoins de prise en charge, par la grille nationale d'évaluation AGGIR, mais aussi en fonction du niveau des ressources il s'agit en effet d'une allocation dont l'addiiion avec les revenus propres ne doit pas dépasser un certain plafond. L'attribution de cette allocation vient donc modifier Ia hierarchic des revenus au-dessous de cc plafond, alors qu'elle n'a aucun effet au dessus.

Deux ordres d'observations sont Ic plus souvent réalisés a propos des revenus de la population ãgée: une aniélioration conséquente depuis les deux dernières décennies et un niveau de vie moyen plus élevé que celui des mCnages plus jeunes. Le premier constat semble assure, car les gCnérations successives de retraitCs ont bénéficié d'améliorations dans les regimes de retraite, onE cotisé

plus longtemps sur Ia base de salaires plus élevés, pendant que Ic minimum vieillesse Ctait multiplié par 2,6 entre 1970 et 1984 [Legris, 1997]. En revanche, l'hypothèse d'un meilleur niveau de vie des personnes renvoie au mode de découpage des ages. Si l'on considè.re Ia categoric des retraités, on peut, après

divers choix rnéthodologiques discutés par les spécialistes [Saunier, 1996; Dangerfield, 1994], conclure a une (legere) difference en défaveur des actifs. Mais des que l'on dCplace Ia barre des soixante ans vers des üges plus élevés, Ic rapport s'inverse, non seulement parceque les générations sontdiffCrentes, mais aussi parce que Ic veuvage des femmes, nombreuses a toucher des pensions de reversion, ou des retraites bien plus faibles que les hommes, entraIne la baisse des revenus moyens. En 1993, les hommes disposaient d'une retraite moyenne presque deux fois supCrieure a celle des femmes [Saunier, 1996]. Le débat sur les inégalités a l'intérieur de Ia population est lui aussi lie aux frontières des ages et au sexe, et si certains auteurs affirment que les inéga-

lités sont moms importantes parmi les retraités que dans le resie de Ia population >> [Legris, 1997], on ne peut déduire les mémes résultats pour les > qu'à condition de fixer Ic debut de Ia vieillesse a soixante ans. Or les indicateurs de niveau de vie sont très dépendanis de l'âge: par exemple, les deux tiers des 60 a 64 ans sent proprietaires de leur logement, centre seulenieni 41 % pour les 80 ans ci plus [David et Starzec, 1997]. Quels critères choisir pour certier les inCgalitCs sociales a Ia vieillesse ? Le plus simple est de considérer les retraites, I'établissement, dans une majorilé d'études, de moyennes a partir de soixante ans. Pourtant, en 1993, un homrne né en 1906 recevait 22 % de reiraite en moms que celui nC en 1926 [Dangerfield, 1994]. La

PERSONNES AGEES

319

distribution moyenne des retraites peut eIle-même être examinée selon les caté-

gories socioprofessionnelles ou selon un découpage logique, en déciles par exemple. Dans Ia premiere méthode, les categories sont ddfinies par Ia demière activité, ce qui est réducteur pour 40 ans d'activité individuelIe, mais qui donne une idée de l'éventail existant : un cadre percoit en moyenne une retraite pies de

cinq fois supérieure a celle d'un agriculteur et près de trois fois supéneure a celle d'un employé ou d'un ouvrier [Saunier, 1996]. Dans l'autre mode de découpage, toujours pour 1993, on constate que 10 % des retraités perçoivent huit fois moms que les 10 % qui percoivent le plus [Dangerfield, 1994]. Les analyses en termes de niveau de vie tentent de donner une image plus juste, puisqu'on intègre dans les calculs Ia taille du ménage, les revenus du patrimoine, voire les loyers fictifs et les dépenses de sante [Legris, 1997]. Ce mode de calcul réduit les écarts entre les agriculteurs et les autres. II montre egalement

que les anciens cadres et professions libérales ont en moyenne un revenu environ deux fois et demi supérieur aux anciens employés ou ouvriers. Selon le decoupage en ddciles, on constate que 20 % des ménages les plus aisés ont un niveau de vie 5,7 fois supérieur a celui des 20 % les moms aisés. LA MORTALITE, L'ESPERANCE DE VIE

Malgré le retrait du monde du travail de Ia majorité des personnes concemées, Ia hidrarchie sociale, mesurée classiquement par l'échelle des catégories socioprofessionnelles, ne disparaIt pas dans les statistiques de mortalité au-delà de soixante ans [Desplanques, 1993]. Les avantages et les handicaps acquis durant Ia vie active continuent de s'exprimer au cours du vieillissement,

jusqu'a Ia date de Ia mort, qui sert, avec d'autres indicateurs, de mesure des inégalites sociales de sante. Ce n'est bien sür pas seulement l'activité professionnelle stricto sensu qui explique les écarts, mais plutôt I'ensemble des conditions d'existence, dont elle n'est qu'un des aspects. En 1980-1989, la difference d'espérance de vie a soixante ans entre les deux groupes extremes des ingénieurs (22,3 ans) et des manceuvres (17,1 ans) s'établissait a 5,2 ans. Les contremaItres (21,2 ans), les techniciens (20,6 ans), les artisans (20,1 ans), les petits commercants (19,3 ans) se situent en position intermédiaire. Les écarts se maintiennent pour les ages plus élevés : sur 10 anciens cadres supérieurs de 75 ans, près de deux seront encore vivants a 90 ans, au lieu de un sur 10 pour les anciens manceuvres ou salaries agricoles>> [Desplanques, 1993]. Ces écarts dans l'espérance de vie aux ages élevés se rdduisent, en particulier, par rapport a l'espérance de vie a 35 ans, mais ii faut voir dans cette reduction un effet probable de <<

selection par Ia mort précoce qui frappe plutôt les categories sociales désavantagees. Un autre moyen parlant de repérer les inegalites de mortalité est la mesure de Ia probabilité de décéder a un age donné. Les manceuvres, les salaries agncoles,

320

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

ie personnel de service, out une probabilité 1,8 pIus forte de mourir entre 60 et 75 ans que les ingénieurs ou les inembres des professions libérales. Du point de vue de I'évolution dans les dernières décennies, les gains d'espérance de vie

réalisés, sans suivre exacternent Ia hiérarchie sociale, indiquent plutôt un accroissement des écarts puisque par exeniple Ia diminution du risque de décès

entre 60 et 75 ans est bien plus forte pour les ingénieurs et les membres des professions libérales que pour les : entre 1960-1969 et 1980-1989,

cette diminution a été de 45 % chez les ingénieurs, et de 24 % pour les Comment rendre intelligibles ces inégalitCs, qui non seulement perdurent, mais parfois peuvent se creuser? L'analyse des causes de décès aniène a faire l'hypothèse du role joué par la surconsommalion d'alcool et de tabac dans les categories sociales défavorisées [Desplanques, 1993], surconsommation qui apparaIt très liCe aux conditions de travail [1)'l-loutaud, 1995]. Une étude longitudinale concernant deux cohoi-tes de retraitCs parisiens [Cribier, 1991, 1997] a logiquement montré que Ia mortalitC dans les premieres annCes de retraite était d'abord dépendante de l'état de sauté au moment de l'arrCt de Ia vie professionnelle. Un constat Cvocateur de ce fait avait été réalisC par l'enquête INSEE: <
surtout s'ils étaient ouvriers>> [Desplanques, 1993]. Un lien manifeste existe entre retraite précoce et degradation de l'Cta de sante qui explique en panic ces differences de mortalité. Dans iine cohorte de salaries ayant liquidé leur retraite en 1972, I'âge de Ia fin du travail suivaitexactementla hiérarchie sociale :61,5 pour les Os, 62,6 pour les OQ, 63,2 pour les employés, techniciens et cadres moyens, 64,8 pour les cadres supérieurs. Or, dix ans après, les taux de dCcès suivaient Ia même hiérarchie : qui ont pris Ia retraite Ic plus tot ont paradoxalernent etC moms nombreux a survivre> [Cribier, (997]. Les fins de carrière anticipées par Ia longue nialadie, par Ia misc en inaptitude, n'ont pas permis de limiter les effets de l'usure. C'est ainsi qu'en rnoyenne 45 % des OS Ctaient décédCs dix ans après l'arrêt de leur activitC professionnelle, contre seulement 1 8 % des techniciens et cadres. Les taux de dCcès fCminins sont toujours plus bas que ceux des homrnes : 10 ans après leur prise de retraite, 1 8 % des OS Ctaient dëcédées contre 7 % pour les techniciennes et cadres. Mais les conditions de travail ne semblent pas pouvoir expliquer toutes les differences ; les effets de place dans Ia structure sociale gardeni leur force, C'est

ainsi que les secrétaires dont Ic utari est cadre moyen ou supCrieur out une dont Ic man est ouvrier [Cribier, mortalitC infCrieure a celle des 1997]. Faire la part entre place dans Ia production et place dans Ia hierarchic sociale, entre conditions de travail et mode de vie est encore trop rarentent possible avec les don nées dont nous disposons. La plupart des etudes Ctrangeres confirment l'existence de disparités sociales face a Ia mont [Fox ci Benzeval, 1995]. Peu d'entre elles se préoccupent spécifiquernent de Ia population âgCe. Les donnCes amCricaines issues de (a Nalional

PERSONNES AGEES

321

Longitudinal Mortality Study montrent, a 65 ans, des differences d'espérance de vie de 3,3 ans pour les hommes et de 2,4 ans pour les femmes entre hauts et bas niveaux d'études ; de 4 ans pour les hommes et de 1 an pour les femmes entre hauts et bas revenus ; de 4 ans pour les hommes et de 3,5 ans pour les femmes

entre les categories socioprofessionnelles les plus élevées et les plus basses [Rogot et alii, 1992]. Les moindres differences observées chez les femmes vont dans le sens d'un effet << atténuateur : la place des femmes dans Ia hiérarchie >>

sociale pourrait moms se résumer que pour les hommes par leur place dans Ia production. LA MORBIDITE, L'INCAPACITE

Ainsi que nous I'avons souligné en introduction, la polypathologie est la norme dans Ia population âgée. Selon l'enquete CREDES Sante, soins et protection sociale 1996, les personnes âgées de 65 ans et plus déclarent presenter en moyenne presque sept affections [Dumesnil et alii, 1997]. S'intdresser a Ia morbidité de cette population, c'est donc aller au-delà du simple dénombrement des maladies pour étudier plus spécifiquement les consequences de cette polypathologie sur Ia vie quotidienne. C'est là tout l'objet des enquêtes

visant a quantifier les niveaux d'incapacité. Ainsi, si l'on tient compte du caractère incapacitant des affections, le nombre de maladies incapacitantes déclarées par personne âgée de soixante ans et plus tombe a 1,71 pour les femmes et 1,60 pour les hommes (enquete CREDES-INSEE Sante et soins médicaux, 1991) [Robine et alii, 1996]. On peut toutefois constater que peu d'études prennent en consideration l'appartenance sociale, les plus de 65 ans apparaissant dans Ia categorie indifférenciée des retraités.

Une premiere source de données provient de I'enquete INSEE Étude des conditions de vie 1986-1987, qui s'est focalisée sur deux types de limitations des activités, telles que déclarées par le sujet: a l'inténeur et a l'extérieur du domicile [Colvez et alii, 1993]. Les résultats de cette analyse concernant une population de 2 548 personnes âgées de 65 ans et pIus (898 hommes et 1 650 femmes), selon trois mesures de la différenciation sociale (profession et catégone sociale: dernière PCS avant la retraite, niveau de diplôme, niveau de revenus), sont exposés dans les tableaux 2 et 3.

322

INEGALITES PAR L)OMAINE l)'EXPRESSION

Tableaux 2 Pourcentages de personnes ãgées déclarant une limitation de leurs activités

a l'extérieur de leur domicile (données recalculées) Source : Eude des inégulités soejales en moliere duicapuené 13

In jmopulaiwn jrw,çaise (analyses secon—

condiiions de vie population de 154 personnes, doni 2 548 peisonnes ãgécs de 65 ans ci plus) [Colvezei alii. 19931.

daires des

F.iudcs des

de

Tableau

2. I

Selon Ia profession et catégorie sociale (PCS)

Ouvriers Ouvriers Agents de Ingénieurs Ernployés i'ecliniciens apprentis qualifies maitrise ou cadres Hommes (effectif: 898)

40.6 %

42,7 %

35,7 %

28 %

31,1 %

19,8 %

Femmes (effectif: 1 650)

66,8 %

62,7 %

49 %

14,3 %

34,6 %

29,5 %

Tableau 2.2 Selon Ic niveau de revenus

Niveau de revenus par personne (francs 1985) Flommes

(eflectif: 898) Femmes (effeetif: 1 650)

47 000

47000<x73000

73000<x 117 000

>117000

47%

37%

ND'

21,5%

57,7 %

52,5 %

NI)'

36,2 %

I. NI) = non documenté.

Tableau 2.3

Scion Ic niveau de diplôme Niveau de diplônie

Sans diplônse

Diplôme < Bac

Diplôme Rae

Hommes (effectif: 898)

43,8 %

37.3 %

22.1 %

Femmes (efTectif: 1 650)

63,6%

48.9 %

28,4%

323

AGEES

Tableaux 3

Pourcentages de personnes âgées déclarant une limitation de teurs activités a l'intérieur de leur domicile (données recalculées) : Étude des inEgalites sociales en ,narière d'incapacité dans In population fran caise (analyses secondaires des données de l'enquëte INSEE Etudes des conditions de vie 1986-1987, population de référence 13 154 personnes, dont -2 548 personnes âgdes de 65 ans et plus) [Colvez ci alii, 1993].

Tableau Selon Ia profession

PCS Hommes

3.1

et catégorie sociale (PCS)

Ouvriers Ouvriers Employés apprentis qualifies

Techniciens

Ingénieurs Agents de maltrise ou cadres

39,8 %

27,5 %

20%

16%

6,7 %

9,5 %

46,1%

36,4%

29,6%

0%

15,4%

13,1%

(effectif: 898)

Femmes (effectif:

1 650)

Tableau 3.2

Selon le niveau de revenus Niveau de revenus par

personne

.

47000

47000<x73000

73000<x117000

>117000

33,4 %

27,7 %

9,4 %

10,3 %

40,7 %

28,5 %

18,9 %

8,5 %

(francs 1985)

Hommes (effectif: 898)

Femmes (effectif: 1 650)

Tableau 3.3

Selon le niveau de diplôme Niveau

Sans diplôme

Diplôme < Bac

36,5%

17,7%

12,8%

48%

25,6%

6,8%

de diplôme

Hommes

Diplôme

(effectif: 898)

Fenunes (effectif: 1 650)

Bac

324

INEGALITES PAR DOMAINR I)'EXPRESSION

Si l'on se réfère aux hierarchies de revenus et de diplômes, on observe, tant chez les hommes que chez les femmes, une augmentation dii taux d'individus se déclarant limités Iorsqu'on descend dans Ia hiérarchie sociale. L'analyse selon les PCS montre une limitation croissante des activités lorsqu'on passe des ingénieurs/cadres aux ouvriers, les employés, techniciens ci agents de niaItrise se situant en position moyenne. Ces résukats confirment l'existence d'inegalites sociales face aux incapacités après l'ãge de 65 ans. Une en 1990 auprès d'un échantillon de 8 071 ménages représentatifs dont le rCfCrent est âgC de soixante ans et plus, a rapproché le revenu des ménages des indicateurs d'incapacité. La mesure des acti-

vités élémentaires de Ia vie quotidienne a permis de délinir deux groupes: <> et

élémentaires >>. Dc Ia même

facon, Ia mesure des activités instrumentales a permis d'opposer les deux groupes: dCpendants domestiques>> et <non-dependants domestiques >>. Cöncernant la élémentaire >>, on pouvait constater, dans la classe d'âge des 65-69 ans, que l'indice de revenus des <> (83,6) était très inférieuràcelui des < non-dCpendants >(107,3), l'indice moyenétantégal a 100. Pour les plus âgés, de 80 ans et plus, l'écart se réduisait de 86,8 a 92,5. Concernant Ia >, les écarts les plus sign ificatifs se situaient dans Ia classe des 75-79 ans, avec un indice de 82,1 pour les sujets et de 105,8 pour les [i)avid et Starzec, 1996].

Une autre source de données est constituCe par I'enquéte décennale 19911992 sur Ia sante et les soins médicaux, concernant 2 606 personnes âgées de 65 ans et plus [Mizrahi, 1995]. Un indicateur quantitatif mesurant le

vieillissenient relatif >>, mis au point par le CREDES, combine deux dimensions : Ic risque vital et l'invalidité. On peut ainsi confronter i'indice de relatif>> au niveau socio-Cconomique. Lorsque ce niveau est dCfini par Ia dernière PCS avant la retraite, on constate que I'indice s'accroIt Iorsqu'on descend dans Ia hierarchic sociale : cadre, employé, ouvrier qualifié, ouvrier non qualifié. La tendance est Ia inême pour les nioins de 65 ans mais les

écarts d'indice entre les différentes categories y sont plus marques. Cette reduction des écarts après 65 ans pourrait être liée a un effet de selection éiiminant prioritairement les sujets les plus fragiles des PCS défavorisées. De la

méme facon, l'Ccart des indices de vieillissement relatif scion Ic niveau d'instruction est nettement moms accentud chez les plus de 65 ans que chez les actifs adultes. Scion Jes auteurs, < les disparités entre categories sociales sont moms pertinentes pour expliquer, au sens statistique du terme, I'état de sante pour les personnes ãgées que pour les adultesjeunes >>. L'enquête transversaie rnenée en Gironde lors du dCmarrage de la cohorte PAQUID en 1987 (2 792 personnes ãgées de 65 ans et plus) a permis de montrer ies liens existant entre un niveau d'études faible (moms de cinq ans de scolarité)

et une degradation des capacités fonctionnelles mesurées tant par les actes élémentaires (échelle ADL) que par les activités instrumentales (échelle IADL)

PERSONNES AGEES

325

de la vie quotidienne. Ainsi 72,6 % des classes dépendants a l'échelle ADL et 76,5 % des classes dépéndants a l'échelle IADL avaient un niveau d'études faible contre seulement 66,9 % dans l'ensemble de Ia population [BabergerGateau et alii, 1992]. Une analyse longitudinale, réalisée a partir des données d'Eurodem, du risque incident de démence selon le niveau d'études a montré que ce risque est multiplié par 1,9 (IC a 95 %: 1,2-3) chez les sujets ayant un bas niveau d'études par rapport aux sujets ayant un niveau élevé [Gilleron, 1997]. Cette analyse,

menée en 1996, a porte sur quatre cohortes européennes: ODENSE (Danemark), ERGO (Pays-Bas), ALPHA (Grande-Bretagne) et PAQUID (France), totalisant 25 686 personnes âgées de 65 ans et plus [Launer et alii, 1999]. Ces résultats, qui corroborent ceux d'autres etudes de cohortes [Zhang et alii, 19901 [Stem et alii, 1994]. [Snowdon et alii, 1996] ont amené a formuler l'hypothèse d'un role protecteur éventuel joué par l'accumulation d'un capital intellectuel sur la degradation des facultés cognitives.

Les enquêtes réalisées a l'étranger retrouvent egalement des disparités sociales face a Ia morbidité et aux incapacités, notamment dans Ia population âgée [Jette et alii, 1985] [Minkler et alii, 1988]. Même si les comparaisons apparaissent difficiles, du fait de modes de construction différents des indicateurs socio-économiques, elles ne laissent aucun doute sur l'existence de telles disparites [Fox et Benzeval, 1995]. Une enquête récente a été menée aux Etats-Unis sur une population de 9 744 personnes âgées de 51 a 61 ans. Bien que portant sur une tranche d'age generalement non incluse dans Ia population âgée, elle

présente l'intérêt d'éclairer les liens entre le statut socio-économique, Ia morbidité et les incapacités. Elle montre en effet que le statut socio-économique, qui combine groupe ethnique et revenus, est peu lie a Ia prevalence de maladies chroniques telles que diabète, hypertension artérielle, pathologies cardiaques,

rhumatismes... II <explique> en revanche les differences dans les capacités fonctionnelles liées a ces maladies chroniques. Les auteurs évoquent le role de l'accès aux soins pour rendre corupte de ces differences [Kington et Smith, 1997].

Les données nationales et internationales concordent donc pour montrer que

les categories placées au bas de Ia hiérarchie sociate ont une vieillesse plus difficile, car marquee par plus d'incapacités. Et si les differences semblent s'atténuer au-delà de 65 ans, cela paraIt lie a un effet de selection qui a éliminé les plus vulnérables des défavorisés avant même qu'ils accèdent a Ia vieillesse. Les indicateurs d'incapacité, quels que soient leurs défauts, expriment une dimension plus large de la vieillesse que les indicateurs de morbidité ou de mortalité. C'est une part de Ia vieillesse <> dont II eSt rendu compte a travers les djfficultés a exercer les actes de Ia vie courante. Or, trop souvent, les indicateurs épidémiologiques confondent Ia non-réalisation de l'acte (exemple, <<sortir de chez soi >>) avec l'incapacité matérielle a effectuer cet acte. Entre les

deux se joue La manière dont on négocie les incapacités, en fonction de

326

1NECALITES PAR I)OMAINE DEXPRIiSSION

l'entourage huniain et materiel. Cette rnanière de négocier est très liée a l'appar-

tenance sociale, les membres des categories les plus défavorisées ne disposant pas des mêmes ressources que les autres pour gérer leurs incapacités [Clement et alii, 1996 ; Clement, 1997]. LE RECOURS AU SYSTÈME I)E SOINS

Les enquetes annuelles (sante, soins et protection sociale) menCes par le CREDES permettent d'avoir un suivi rCgulier de Ia consommation de soins en

population genérale. Elles montrent que Ia population âgée est fortement consommatrice: les plus de soixante ans ont des dépenses rnédicales deux a trois fois plus élevées que la moyenne (deux fois pour les 60-69 ans, 2,6 fois pour les 70-79 ans, 3,3 fois pour les 80-89 ans) [Mizrahi, 1995]. Ainsi, plus oii avance en age, plus le recours aux soins est Ia norme et plus il est important d'intégrer cette dimension dans l'analyse des disparités. En effet, au-delà de Ia simple constatation des disparitCs en sante, ii apparaIt essentiel de verifier si le

système de sante renforce ou réduit ces disparitCs; l'analyse du recours aux soins constitue, dans cette optique, un important Clement d'apprCciation. Peu d'enquêtes offrent toutefois une analyse spécifique de Ia consommation

des personnes ãgées en fonction de I'appartenance sociale. La plus récente d'entre elles, menée par le CREDES [Volatier, 1991], montre que l'indice de dCpenses de soins, conibinant consommation en mCdecine ambulatoire et hospi-

talisation, est Ic plus Clevé chez les cadres retraitCs et le plus bas chez Ies retraités du monde agricole. Concernant les dépenses de soins en médecine ambulatoire, les disparités de consommation sont plus importantes chez les retraités que chez les actifs, et ce sont les cadres qui dépensent le plus. Pour l'hospitalisation, les cadres n'arrivent qu'en deuxième position derriere les eniployés.

Ainsi, alors qu'on pouriait s'attendre, du fait de Ia surmorbidité des catégories défavorisées, a un plus fort recours de ces dernières au système de soins, c'est l'inverse que I'on observe. Cette sous-consommation relative (et absolue) tend montrer que des problèrnes tels qu'une mauvaise accessibilité au système

de soins font obstacle a un recours justiflé de ces categories a des soins réparateurs. CONCLUSION

Malgré la carence évidente en etudes spéciliques sur Ic theme, Ies données

disponibles montrent que les inégalités et disparitCs sociales en sante sont importantes dans la population ãgCe. Un certain nombre d'obstacles rendent toutefois difficile l'interprCtation de ces donnCes.

PERSONNES AGEES

327

Le premier type de problème est lie au fait que la population âgée est, par

definition, une population qui a déjà subi un processus de selection. Les chiffres de mortalités infantile et adulte montrent bien que ce processus est a l'ceuvre des

Ia naissance et qu'il est très lie aux clivages sociaux. On s'intéresse done, lorsqu'on aborde les personnes âgées, a une population de< survivants >>, sélec-

tionnée par l'effet de Ia mortalité prématurée, et donc a priori biaisée, notamment a l'egard des variables sociales a fort impact sur cette mortalité prématurée. Au sein de chaque catégorie sociale, on peut en effet penser que les processus de selection ont déjà joué en éliminant les plus fragiles. Ainsi, paradoxalement, les << survivants des categories les plus défavorisées, ayant résisté a un processus de selection plus rigoureux, peuvent apparaItre en relative bonne sante. On risque des lors de surestimer l'état de sante des populations les moms >>

bien situées dans Ia hiérarchie sociale et donc de sous-estimer, par là même, l'effet délétère de Ia categorie sociale, si l'on ne se focalise que sur Ia population âgée. Les résultats presentes doivent done être systématiquement interprétés en tenant compte de cette donnée fondamentale. Le deuxième type de problème reside dans Ia difficulté, toujours présente en

gdrontologie, de faire Ia part de l'effet de l'âge et de l'effet de génération. L'identification d'un éventuel effet de génération nécessiterait des données d'enquete strictement comparables. Le caractère recent des enquêtes systématiques et La rareté des analyses portant specifiquement sur les disparités en sante dans La population âgée n'ont pas permis ce type de comparaison. On sait toutefois que Ia morbidité déclarée par les personnes âgées s'est accrue dans Ia dernière décennie [Robine et alii, 1996], ce qui relève manifestement d'un effet de génération. Cet effet devrait egalement se manifester pleinement a l'avenir, du fait de l'arrivée a La retraite de générations de plus en plus protégées sur le plan social (et notamment les femmes). Mais les consequences de vingt ans de taux élevés de chômage peuvent egalement se faire sentir prochainement. Tout cela rend delicate toute prediction sur les evolutions futures a partir des données actuel les.

Enfin, le flou des categories mises en ceuvre a propos des plus âgés complique les analyses. En effet, aucun consensus n'existe sur les rapports entre vieillesse, categories des < et age calendaire. Trop souvent sont confondus, en particulier sur le plan statistique, les retraités et les personnes âgées, ou les plus de soixante ans et les personnes âgées. Paradoxalement, au moment oü, en France, l'âge du retrait de Ia vie professionnelle baissait en même temps que l'age d'entrée dans la grande vieillesse reculait [Bourdelais, 1993], Ia catégone <> s'imposait dans le discours public. Or, évoquer les

retraités, ce n'est pas parler de vieillesse, et si l'on veut discuter du vieillissement comme processus, on devra considérer des ages bien inférieurs a soixante ans. L'analyse des disparités sociales en sante montre que les fins de vie sont bien dans lacontinuité des trajectoires antérieures [Wadsworth, 1997]. Tout se passe

328

INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION

comme Si Ofl devenait vieux plus tot lorsqu'on est au bas de Ia hiérarchie sociale, lorsqu'on a eu un travail pénible et chichement payé. Ce sont en revanche les mieux places sur l'échelle sociale qui ont Ia probabilité de vivre plus longtemps,

qui sont moms lirnités pour les activités de Ia vie quotidienne, et qui s'adressent le plus au système de soins. Ainsi le système de soins, méme Si ce n'eSt pas sa vocation premiere, semble être peu capable d'entrer dans une logique de réparation des injustices sociales. II acconipagne les evolutions de l'état de sante des individusjusque dans leurs disparités sociales les plus criantes. II ne modifie pas les trajectoires sociales de sante engagées des l'entrCe dans l'ãge adulte; il se

contente de participer a une amelioration par rapport au passé, mais n'a pas d'influence réelle sur les disparités définies socialement. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BARBERGER-GATEAU I'., CHASLERIE A., I)ARTIGuEs J.-F., COMMENGES D., GAGNON M., SALAMON R. (1992), Health measures correlates in a french elderly

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PAR DOMAINE D'EXPRESSION

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Iv

Clés d 'interpretation

21 ,

Evolution générale des inégalités sociales:

les revenus, le logement, l'école Alain Bihr, Roland Pfefferkorn

Après les années soixante et soixante-dix, caractérisées par une tendance a Ia

reduction des inegalités entre categories sociales, l'évolution s'est nettement inversée au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Tout autant qu'à l'accroissement des inegalites entre groupes sociaux, on a assisté en même

temps, dans Ia pénode récente, a une reconfiguration de celles-ci avec notamment un glissement progressif des situations de pauvreté relative des générations les plus âgées vers les générations les plus jeunes. Ces dernières prennent en effet de plein fouet I'inversion de tendance observée, tandis que les

personnes âgées bénéficient toujours des acquis progressifs de la protection

sociale de Ia période antérieure. Ceue inversion peut s'observer dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse des revenus, du patrimoine, de l'emploi, de Ia consommation, du logement, de l'école, des usages sociaux du temps, de la maItrise de I'espace public, de la sante, etc. [Bihr et Pfefferkorn, 1999]. Ces différents aspects ne sont évidernment pas indépendants les uns des autres, ils

entretiennent entre eux des relations étroites et complexes. Ainsi, pour ne prendre que ces deux exemples, les inégalites de conditions d'emploi et de travail ou les inégalités de conditions de logement ne sont pas sans rapport avec les inégalites face a Ia maladie et a la mort. De Ia même manière, des conditions de sante médiocres risquent de défavoriser socialement les individus concernés. Nous présenterons dans les lignes qui suivent un bref aperçu de I'évolution des inegalités sociales dans trois domaines des, les revenus, Ie logement et l'école, qui ont des repercussions indéniables sur Ia sante. LEs REVENUS

11 convient de distinguer l'évolution des revenus pnmaires (salaires, revenus

d'activité non salariée et revenus de Ia propriété) et l'évolution des revenus

334

CLES D'INTERPRETATION DES INEGALITES

disponibles après redistribution (deduction des prClèvements obligatoires et versement des prestations sociales). Revenus prirnaires

Les rapports produits par le CERC puis par 1'JNSEE sur l'évolution a court terme des différentes categories de revenus mettent en evidence la rupture inter-

venue entre 1978 el 1983, a la suite de I'engagement des gouvernements successifs (après Ia courte parenthèse de relance keynésienne de 1981-1982) dans des politiques d'austérité néo-Iibérales. L'inflexion est très nette pour les revenus salariciux (tableau I). Jusqu'en 1979, us connaissent une hausse soutenue, cependant inférieure ace qu'elle était antCrieurement (+ 4,3 % dans Ic secteur privé et semi-public entre 1968 et 1973, + 2,4 % dans le secteur public entre 1968 et 1974). Au contraire, entre 1979 et 1985, us stagnent quasiment dans le secteur privé et baissent dans le secteur public. Et si I'ernbellie économique de Ia fin des années quatre-vingt fut favorable aux salaires du secteur privé, elle n'a guère profite a ceux du secteur public. La premiere moitié de Ia décennie quatre-vingt-dix a vu la croissance des salaires reels ralentir nettement

dans le secteur privé, jusqu'à devenir negative, notamnient sous l'effet de l'accroissement des cotisations sociales, tandis qu'eIle redevenait légèrernent positive dans le secteur public. Encore ces données masquent-elles I'anipleur de l'inflexion qui a affecté Ia croissance des reveiius salariaux depuis Ia fin des années soixante-dix. La croissance, très faible, qu'ils ont connue sur l'ensemble de Ia période 1978-1996 (+ 0,3 % par an en nioyenne) au scm du secteur privé et semi-public s'explique intégralement par un effet de structure: Ia hausse de Ia qualification moyenne des salaries ou les avancements dans leurs carrières individuelles. A structure constante, le salaire net moyen y a, au contraire, baissé en francs constants — 0,3 % par an, soit une baisse cumulCe de l'ordre de 5 % sur Ia période [INSEE,

1998]. Cette baisse a eté plus importante dans le secteur public: le traitement mensuel de base net d'un fonctionnaire a diminué de près 20 % en termes reels entre 1982et 1996 [Pour, 1997]. Les d'aciiviténon-sa!ariée ont connu des evolutions plus disparates. On tie dispose pas de don nées cohCrentes sur toute Ia pCriode pour Ia plupart de ces revenus. Celles réunies par le tableau I proviennent de deux sources différentes (CERC et 1NSEE) qui tie couvrent ni les mêmes professions ni les mêrnes périodes. Une premiere catégorie d'entre eux, correspondant aux boulangers, bouchers, coiffeurs, avocats, a suivi une evolution assez semblable a celle des salaires. L'évolution des revenus des mCdecins prCsente Ia niême allure générale, avec cependant des écarts nioindres, dans un contexte de contrôle public de plus en plus serré de Ia croissance des dCpenses médicales, qui rend fort niodeste Ia progression de leur pouvoir d'achat dans Ia période Ia plus récente.

335

EVOLUTION GENERALE DES INEGALITES SOCIALES...

Tableau I Evolution des revenus d'activité moyens nets par categoric de revenus entre 1973-1974 et 1995-1996 (hausse du pouvoir d'achat en % par an, avant impôts)

SALAIRES

1974-1978 1979-1983 1984-1985 1986-1988 1989-1992 1992-1996

Secteur privé et semi-public Secteur public

+2,9

+0,1

+0,2

+2,5

+1,1

—0,1

+ 2,2

— 0,8

— 2,3

— 2,3

+0,5

+ 0,8

R EVENUS NON SALARIAUX

Agriculteurs

1973-1982 1983-1985 1986-1988 1989-1992 1993-1997

Artisans du bâtiment

1977-1979

—3,4

—8,3

—1,9

+3,9

+5,0

Bouchers

1980-1985 1986-1988 1989-1992 1986-1994 0/+2,0 + 1,5 — 2,2 + 3,2 +0 1973-1979 1980-1982 1983-1988 1989-1992 1986-1995 + 1/-,- 3,5 — 0,6 — 4,0 + 2,3 + 7,8 1989-1992 1986-1995 1979-1988 1973-1978

Coiffeurs

1973-1981

Pharmaciens

1973-1982

Boulangers .

+0

+4 +2,9 — 0,3

1982-1983 1984-1988

—1,1

+3,4

1982-1984 1985-1988 — 4,7

+ 7,5

+11+4,5

—0,6

1989-1992

—11÷1,5 1989-1992 — 0,51+

2,5

1986-1995 + 1,0

1973.1981

1982-1984

1985-1986

1986-1995

—3,7

—9,2

÷3,5

+ 1,5

Avocats

1973-1980

1981-1982

1983-1988

+1,8

—2,2

+2,0

Notaires

1973-1981

1982-1984

1984-1986

— 12,5

+ 14,9

Architectes

— 1,5

Médecins

1979-1984 1983-1996

généralistes

— 2,5

+ 1,1

spécialistes

— 1,0

+ 0,9

Sources : pour I'ensemble des données en caractbres romains (droits): Les Revenus des Francais: In croissance ella crise (1960-1983), Documents du CERC, n° 77, La Documentation francaise, 1985 ; Les Fran cais ez leurs revenus: le rournant des années qua:re-vingr, Documents du CERC, n° 94, La Documentation francaise, 1989; Consra: de I'évolurion récente des revenus en France (1989-1992), Documents du CERC, no 107. La Documentation francaise, 1993. Sur La période 1989-1992, le CERC a propose d'approcher l'bvolution des revenus non sa]ariaux sous forme d'un écart entre un minimum et un maximum. Pour les données en camctères italiques: I. Concernant les salaires : Tableaux de I'Economiefrancaise 19981999. p. 87 et p. 89 ; 2. Concernaiil les revenus agricoles: INSEE. o Les revenus d'activité non salariéejusqu'en 1995 Syntheses, n° 7, 1996, p. 21 et INSEE Premiere, n° 527 juin 1997. n° 586 mai 1998 ; 3. Concemant les revenus des indépendants non agricoles (hors professions medicales): INSEE, >, Syntheses, n° 7, 1996, p. 56; oLes revenus d'activité non salariée jusqu'en 1996 >>, Syntheses, n° 15, 1998, p. 64; 4. Concernant les niédecins: INSEE, ocLes revenus d'activite non salanée jusqu'en 1995 op. cit., p.40; Les revenus d'activité non salariéejusqu'en 1996 >, op. cit., p. 38-39. La fiabilité des données ci-dessus est relativement bonne en raison de Ia nature des sources: 1. Pour les salaires: DADS (declaration annuelle de données sociales des employeurs); 2. Pour les revenus non salariaux : données de Ia comptabilité nationale + panel d'enquetes.

336

CLES D'INTERPRETATION DES INECAUTES

Les revenus des professions indépendantes liées au bâtirnent (artisanat du architecture, notariat) ont connu une baisse nette des le debut de Ia

crise. Cette baisse a perduré jusqu'au milieu des années quatre-vingt, ces revenus ne retrouvant qu'alors une croissance positive. D'autres professions (les

pharmaciens par exemple) ont connu égalernent une evolution fortement contrastée. Sous I'effet conjugué de Ia baisse continue des prix reels des produits agricoles, de Ia hausse du volume et du prix de leurs consonimations interrnédiaires et des lourdes charges financières liées a leurs investissernents antérieurs, le revenu reel net moyen des agriculteurs s'est considérablement dégradé, chutant de quelque 20 % entre 1974 et 1988. Le très net redressement de leurs revenus, depuis Ia fin des annëes quatre-vingt, s'explique en partie par l'élimination des exploitations les moms rentables au cours des années antCrieures, mais aussi par d'importantes subventions publiques (nationales et surtout communautaires). Ce redressement iie fait pas disparaItre les bas revenus agricoles, et n'efface pas le retard enregisiré par Ia moyenne des revenus agricoles pendant Ia période antérieure [Bihr et Pfefferkorn, 1999]. Tandis que Ia croissaiice, en termes reels, de l'immense majorité des revenus d'activité ralentissait, voire devenait negative, le debut des années quatre-vingt a coIncide avec un redressement speclaculaire de Ia performance réelle moyenne des patrilnoines 1e rapport, qui s'est maintenue au-dessus de 5 % durant uric bonne dizaine d'années. Ainsi, entre 1985 et 1993, tandis que Ic salaire ouvrier moyen s'accroissait a peine de 0,7 % en termes reels [d'après Bayet et Juihes, 1996], Ia performance moyenne d'un patrimoine de rapport voyait son pouvoir d'achat croItre de 59,4 %, soiL 85 lois plus (tableau 2). Sans doute, derriere cette moyenne, se cachent des evolutions très

contrastées scion les actifs et méme selon les périodes pour un même type d'actifs. Les actifs haut de gamme ont connu quelques périodes flamboyantes.

Ainsi l'immobilier parisien a eté la proie d'une fièvre speculative au cours des années quatre-vingt, du moms jusqu'à cc que Ia frénésie de construction n'aboutisse a l'engorgement du marchC, provoquant une baisse du prix des logements parisiens de 30% entre 1991 et 1996. Dc rnêrne, les placements sur les marches nionétaire et financier, dopes par leur dérégiementation et leur interna-

tionalisation, ont fait l'objet eux aussi de mouvenients spéculatifs, faisant alterner les phases de hausse et de baisse des valeurs nominales des litres, qui ont permis aux plus avisés des possesseurs de titres de réaliser là encore des plus-values considérables. Au cours de ces dernières années, la baisse des taux d'intérCt a ramené la performance des placements financiers a une croissance plus modeste. Sous I'effet de cette baisse, conjuguée a celle de l'immobilier parisien, Ia croissance dela performance globale des patrimoines de rapport s'esi ralentie, maie elle reste encore supCrieure a celle de tous les revenus du travail.

337

EvoLuTioN GENERALE DES INEGAL1TES

Tableau 2

Evolution de Ia performance globale1 des principaux placements entre 1974et 1996 (hausse du pouvoir d'achat en % par an, avant impôts) 1974-1977 1977-1980 1980-1983 1983-1988 1989-1993 1994-1996

Terre agricole

— 3,0

— 2,1

+ 0,5

+ 13,2

+2,8

—4,9

+ 3,2

+ 3,1

+ 3,3

—3,1

+1,5

+1,7

+2,4

+1,2

+21,1 + 10,0

+8,1

+3,0

+ 8,3

+ 5,4

+ 3,5

— 0,5

— 9,0

+5

+0,8

—0,7

Immobilier Paris

Autres villes

Livret caisse ,.epargne

d

—4,9

—3,8

—11,5

+ 14,8

Valeurs mobilières Actions Obligations

Ensemble du patrimoine de rapport2

+ 0,0

—

1,9

—

1,3

:1988-1996

1969-1977 1973-1981 1977-1985 1981-1989 + 0,6

— 0.3

+ 2,6

+ 6,9

+ 6,0

+ 4,2

I. La performance globale d'un actif tient compte a Ia fois des revenus courants qu'il procure et des plus ou moms values nominales qu'il enregistre. Ic tout corrigl par Ia hausse des prix. 2. Estimations sur Ia base d'un graphique.

Source : jusqu'en 1988, CERC, Les revenus des Français: Ia croissance er Ia crise (1960-1983). op. cit. et Les Franca is et leurs revenus: le fournafli des années quatre-vingi, op. Cit. A partir de 1989, INSEE, Revenus Cl patrimoine des mdnages. Edition 1997 v, Synthèse, n° 11, pp. 86-87.

Les revenus disponibles En raison de l'importance du processus de redistribution, ii est nécessaire d'examiner aussi les inégalités de revenus disponibles. Ces dernières ont eu tendance a se réduire entre le debut des années soixante et le milieu des années quatre-vingt a Ia suite des politiques délibérées des années soixante et 1970 visant a infléchir Ia distribution ou Ia redistribution des revenus dans un sens moms inegalitaire. Les années quatre-vingt ont là aussi représenté un point d'inflexion dans l'évolution des inégalites de niveau de vie entre categories sociales [Bihr et Pfefferkorn, 1999]. Ii faut rapporter le revenu disponible des ménages a leur composition, c'est-à-dire au nombre de leurs membres et a leur age, de manière a tenir compte des economies d'échelle qui s'opèrent au sein d'un ménage. Le tableau 3 condense l'essentiel des résultats. Parmi les salaries, seuls les ménages de cadres ont vu leur niveau de vie s'accroItre, celui des autres categories stagnant, voire baissant, comme dans le cas des ouvriers non qualifies : le rapport entre le niveau de vie moyen d'un ménage de cadre et celui d'un ménage d'ouvrier est passé de 2,44 en 1984 a 2,85 en 1994.

Parmi les indépendants, toutes les categories ont amélioré leur situation, y compns les agriculteurs; Ia situation relative de ces derniers s'est cependant

338

CLES D'INTERPRETATION DES INEGALITES

dégradée par rapport a Ia moyenne des independants. Les ménages de membres

de professions liberates ont vu leur niveau de vie s'accroItre de près de 40 % en dix ans en termes reels. Tableau Evolution

3

du revenu disponible moyen annuel par unite de consonimation des différentes categories sociales entre 1984 et 1994 (en milhiers de francs, francs constants 1994) 1984

1989

1994

Indépendants

87

93

112

Agriculteurs

66 86

63 90

173

223

77 97 240

Artisans, contnierçanls Professions libé rn/es

Salaries C'adres Professions inter,nédiaires Einplovés Ouvriers qualifies Oui'riers non qualifies

Retraités

89

94

98

/52

/65

172

103

/08 8/

/06

72

7/

59

57

93

106

80 68 60

86

Source INSEE, Revenus et patritnoines des unënages. Edition 1996 S-tnsI,èses, n° Reniarques : ii s'agii du revenu avant impóts directs. ci de consommation

(Ic premier adulte comple pour une unit& Ic second poui 0,7

80

p47 est celk d'Oxford

Ics eniants pour 0,5 unite).

La situation des retraités s'est aussi améliorée, poursuivant le mouvement antérieur: leur niveau de vie moyen semble désormais dépasser celui des actifs, du fait de pensions de retraite plus élevées, d'un taux d'activité feminine antérieure plus important, d'une plus grande fréquence de vie en couple permettant de cuniuler deux pensions de retraite, mais avec de fortes disparités au sein d'une catCgorie qui reste très hétérogene.

En definitive, sur Ia pCriode, le rapport entre les categories extremes (professions

libérales/ouvriers non qualifies) est passé de 2,9 a 4,2. D'autres indicateurs de disparité de niveau de vie confirment cette aggravation des inégalitCs de revenus. Le rapport interdécile 09/D1 est passé de 4,07 a 4,48, Ic rapport intervingtile V19/V1

grimpant quant a Iui de 6,59 a 7,27, tandis que Ic rapport interquartile Q3/Q1 augmentait tres Iegerement: 2,09 en 1984 et 2,12 en 1994 [INSEE, 1996]. Ces rapports sont Ic résultat d'une double evolution: Ia degradation relative de Ia situation de ceux qui étaient déjà les plus défavorisés ci l'amChioration concomitante de Ia situation relative de ceux qui comptaient déjà les plus favorisés.

Les facteurs expliquant cette evolution sont niultiples. On a assisté a une

forte aggravation des inégalitCs entre revenus d'activité qui constituent l'essentiet des revenus des ménages d'actifs. Inversement, les revenus sociaux, hors pensions de retraite, onE accru leur fonction Cgalisatrice, sauf en ce qui concerne les minima sociaux qui n'ont pas été revalorisCs en termes reels. On

339

EVOLUTION GENIERALE DES INEGALITES SOCIALES...

sait enfin que cette même période aura vu l'envol des revenus du patrimoine, facteur de creusement des inégalites de revenus disponibles, que ce soit entre les ménages d'actifs ou entre les ménages de retraités. Etant donné Ia forte concentration des revenus du patrimoine sur les ménages disposant par ailleurs le plus souvent des revenus d'activité ou des pensions de retraite les plus élevés, tout accroissement de leur masse ne peut qu'aggraver les inégalites de niveau de vie. Cette concentration déjà forte s'est accrue au cours des demières années: en 1984, les 25 % des ménages les plus aisés percevaient déjà 58 % des revenus patrimoniaux, en 1994 us en accaparaient 62 %, quasiment huit fois plus que les 25 % les moms fortunes [INSEE, 1996]. LE LOGEMENT

La repartition des différentes categories socioprofessionnelles selon le statut d'occupation de Ia residence principale, selon l'indice de peuplement ou selon le degre de confort est significativement contrastée (tableau 4). Tableau 4

Statut d'occupation de Ia residence principale, indice de peuplement et degré de confort en fonction de Ia PCS Statut d'occupation I_

Indice de peuplement

E

.n 0. . z

—

n

78 66 56 54 35

48 32 54

08 28 37 39 53 47 59 38

66

04 08 08 09

51

17.

59 48 66

12

83 73 61

h00 0

Cl)

Agriculteur exploitant Artisan, commercant, chef d'entreprise Cadre Profession intermédiaire Employé Ouvrier qualiflé Ouvrier non qualiflé Ensemble

Degré de confort

20 H

— ;_

L)

13

26

:

02

13

01 01

07 09

03 04 08 06

12 16

20

Legende : Propriétaire : y compris accédants a Ia propriété. Locataire locataires dun local loué vide (le tableau n'integi-e pas lea autres statuts : locataires dun local loué meublé, logés par l'employeur ou loges gracieuscment) le sous et Ic swpeuplement soot calculés d'après des normes doccupation standard (le % de logement dont Ic peuplement est normal nest pan indique dans le ; les logements réputés tout confort disposent deau courante, de WC intéiieurs, d'une baignoire on dune douche et du chauffage central, ils représentent 61 % a 92 % des logements selon Ia CSR ils ne ligurent par dans cc tableau. Ice logements confortables disposent des mémes éléments a lexception du chauffage central, les logements inconfortables ne disposent que de deux de ces éléments et Ice logements trés inconfortables ne disposent au mieux que de l'eau courante.

Sources: INSEE Rdsuirais, série e Consommation et mode de vie n° 77178, décembre 1995, p. 188.

n° 72173, mai 1995, p. 162 et p. 186;

340

CLES I)'INTERPRETATION DES INIiGALITES

Ainsi les ouvriers et les ernployés sont-ils moms souvent propriétaires de leur residence principale que les autres salaries ou les indépendants. Les Ccarts sont plus

importants encore en ce qui concerne les residences secondaires: l'écart entre les cadres et l'ensenible des ouvriers et employés va alors de cinq a un [INSEE, 1995]. La taille des logenients de ces deux demières categories est aussi plus limitée. Des observations analogues peuvent encore être faites quant au confort, quant a l'équipernent, et bien s(Ir quanta Ia local isation dans l'espace [Bihr et Pfefferkorn, 1999]. Les inégalités face au logement se sont aggravées durant les annCes quatre-

vingt et quatre-vingt-dix. Les expulsions (200 000 par an au milieu des années quatre-vingt-dix), Ia multiplication dv nombre de personnes sans domicile, en k de iiuuvcik >, et ks des sont venues rappeler que le droit au logement restait encore fort mal et fort inCgalement assure en France. Si droit ati logement constitue un devoirde solidariC pour l'ensemble de Ia nation>> (loi Besson, article I), surce point comme sur d'autres, Ia solidarité nationale est dCfectueuse, malgré un grand nombre de logements vacants (2 231 000 en décembre 1996). Les populations exclues du droit au logenient (ou risquant de l'être) sont par definition difficiles a apprehender statistiquernent. Elles échappent aussi en partie aux diverses instances de contrôle officiel ainsi qu'aux organisations cantatives du fait même de Ia précaritC de leur situation. S'appuyant sur les résultats du recensement de 1990, une estimation par défaut de leur nornbre a été tentCe par le BIPE, qui aboutit a un chiffre de 200 000 personnes dépourvues de toit en France en 1990, dont près de Ia moitié sans domicile [Niol, 1993]. Ce chiffre correspond aux seules personnes connues des services sociaux lors du recensement. Déjà en 1987, dans son rapport au Conseil économique et social, en extrapolant a l'ensemble de Ia France les résultats d'une étude locale, Ic père Wresinski évaluait le nombre des <<.sans-abri>> entre 200 000 et 400 000 personnes. Plus récemment, en 1994-1995, Ic Conseil de I'Europe a estimé a 600 000 le nombre d'exclus du logenient en France. Aux excius du droit au logement au sens strict, c'est-à-dire aux sans-abri, il convient d'ajouter trois categories: 1) les inal-logés les personnes vivant dans un logement déclaré insalubre, parmi lesquelles une forte proportion de personnes :

âgées et de populations etrangeres, ainsi que les occupants des habitations mobiles, dont les gens du voyage et les mariniers tie representent qu'une partie; 2) ceux qui occupent des logements de substitution (meublés, garnis, chambres d'hôtel), souvent insalubres, faute de pouvoir trouver mieux ; 3) ceux qui, pour une part au moms, n'Cchappent aux situations peu enviables précédentes que grace a Ia solidarité familiale ou amicale, au prix souvent d'un surpeuplement des logements occupes. II s'agit dans cc demier ca.s aux deux tiers de jeunes de moms de 25 ans, vivant avec leurs parents ou chez des amis. La surreprCsentation des

ouvriers (près d'un hebergé sur deux), des personnes pourvues d'un emploi instable ou se Irouvant au chomage montre que Ia cohabitation est Ia plupart du temps contrainte et non choisie [CERC, 1994].

EVOLUTION GENERALE DES INEGALITES

341

Ce sont ainsi cinq millions de personnes (soit plus de 8 % de Ia population

totale) qui, en 1990, ne disposaient pas de logement ou de conditions de logement considérées comme <<normales>> [Niol, 1993]. Une enquête plus récente réalisde en novembre 1994 dans le Grand Lyon auprès d'allocataires de 1'a caisse d'allocations familiales disposant de revenus equivalents au niveau du RIvil —29 000 ailocataires — confirme et affine largement ces rdsultats [Le Blanc

et Lopez, 1996]. Les trois quarts de ces allocataires sont de nationalité française, un tiers sont nés a l'etranger, neuf fois sur dix hors de Ia CEE, et 17 % sont nés en France de parents nés a l'étranger. Globalement, << trois groupes se degagent, dont on peut donner des profils types le travailleur immigré avec sa famille, le

jeune adulte en situation d'insertion et la personne ayant connu une rupture conjugale et éloignée du marché de l'emploi>> [Le Blanc et Lopez, 1996]. Quatre allocataires sur dix n'ont pas de logement autonome (10 % vivent en structure collective — foyer, centre d'hébergement... — ou en habitat très précaire, et 29 % sont hebergés, pour Ia plupart chez leurs parents). L'accès au logement est entravé par le manque de ressources dii au chomage (41 % de la population concernée — 60 % des chômeurs sont au chômage depuis plus de deux ans), mais aussi aux très bas revenus des personnes en situation d'emploi précaire ou a temps partiel, essentiellement manceuvres, ouvriers, employés ou agents de service. Parmi ceux vivant en logement autonome dans le parc locatif privé, 10 % ne disposent pas des normes sanitaires minimales. Enfin, l'ensemble des locataires est souvent en situation de surpeupkment. Au total, plus de Ia moitié des allocataires a très bas revenus du Grand Lyon seraient donc privés d'un logement autonome decent. Ces rdsultats sont au moms genéralisables a l'ensemble des grandes agglomerations francaises dans Ia mesure oii les auteurs de l'étude précisent que << les caracteristiques et les trajectoires de cette popu-

lation sont largement transposables a l'ensemble des populations a très bas revenu vivant dans les grandes unites urbaines francaises>> [Le Blanc et Lopez, 1996].

Une telle situation tient a des raisons puissantes et multiples, certaines structurelles, d'autres plus conjoncturelles. Comme le rappelle Patrice Lanco, dans une société aussi inégalitaire que Ia nôtre, toute politique du logement est en proie a une contradiction indépassable: (<Si on construit insuffisamment de logements neufs, ce sont les plus démunis et les plus fragiles qui en pâtissent, les autres trouvant toujours a se loger dans le parc existant, quitte a payer plus cher; pourtant il est pratiquement exclu de construire des logements neufs pour les plus démunis: ou ces logements leur seraient inaccessibles compte tenu de Ia

faiblesse de leur contribution possible, ou ils coiiteraient trop cher a Ia collectivité>> [Lanco, 1990]. Atténuée pendant Ia phase de croissance, cette contradiction s'est aiguisée depuis le debut des années quatre-vingt. Developpement du chômage et de Ia précarité, baisse des salaires reels, démantèlement rampant des systèmes publics de protection sociale ont en effet conduit a Ia

paupérisation de certaines couches salariées, transformant pour elles

le

342

CLES I)'INTERPRETATION

logenient en un luxe qu'elles ont de plus en plus de mal a se payer. Ces couches sociales se retrouvent dorénavant massivement en HLM : <<En 1973, 41 % des

ménages logés en HLM avaient un revenu inférieur au revenu niédian de I'ensemble des ménages. Cette proportion passe a 48 % en 1978, 59 % en 1984

et 63 % en 1988>> [INSEE, 1993 ; Curd, 1988]. Une intlexion plus récente de la politique des organismes de HLM, qui se détournent de leur vocation sociale, accentue les difficultés de ces couches sociales: Ia selection plus stricte des locataires conduit au rejel de ceux qui prCsentent des risques d'insolvabilité, ci l'alignement sur les règles du maccM entraIne une hausse des Ioyers en raison

de rehabilitations [Union nationale des fCdérations d'offices d'HLM et U

I

Dans ces conditions, les allocations visant a solvabiliser Ia demande de logement (les <
Ia personne

se sont rëvélCes insuffisantes. Dc plus,

dIes excluent de leur champ d'application des populations qui en auraient souvent Ic plus besoin. La part du loyer dans Ic budget des locataires a augmenté

de 4,7 points entre 1984 et 1992. Les aides ont a peine compensé cette evolution : Ia part des dépenses locatives (une fois déduites les aides) est passée de 10,2 % en 1984 a 14,3 % en 1992 [Pitrou, 1995]. L'exercice du droit au logement conditionne celui de toute une série d'autres

droits: droit a Ia vie familiale, droit a I'éducation, droit a Ia sante ci, en définitive, Ia possibiliié de s'intégrer socialement. We ne peut pas vivre normalement sans disposer d'un logement decent et afortiori d'un logement tout court. D'autant que le recours au centre d'hCbergement d'urgence conduit souvent a séparer Ic père de Ia mere et de ses enfants. Comment un enfant peutii suivre une scolarité normale sans des conditions d'hygiène minirnales et sans

des conditions propices a son épanouissement affectif ci intellectuel, qui impliquent un espace privé stable et défini 7 L' ÉCOLE

En mesurant les inégalités sociales devant l'école a trois etapes du système scolaire (college, accès au baccalaurCat, etudes supCrieures), une étude récente a conclu sur une stabilité, voire, plus souvent, une reduction des inégalites d'accès [Eurial et Thélot, 1995]. Les taux de scolarisation ont considCrablement augmenté

a tous les niveaux, mais Ia valeur sociale des diplômes baisse, l'usage de Ia formation et des titres scolaires en fonction de l'origine sociale reste très inCgal et le moment de l'élimination se déplace. Finalement, les inegalites perdurent sous des formes renouvelées 1979; Forsé, 1997]. Par ailleurs, Ia deréglementalion accentue les inegalités entre Ctablissements, comme Ic montre en 1998 le rapport Toulemonde de 1'Inspection génCrale de l'Educatiori nationale. 11 relève les differences de moyens accordés par l'administration, suivant les regions et

suivant les Ctablissements, qui privilégient systCmatiquenient les categories

EvoLulioN GENERALE DES INEGALITES

343

sociales favorisées. Ainsi le budget consacré aux heures de <> des classes préparatoires aux grandes écoles d'un lycée lyonnais représente-t-il 21 000 heures

supplémentaires, c'est-à-dire 6 millions de francs par an, et l'auteur du rapport conclut: <<Si on faisait Ia même chose pour des élèves de ZEP, on obtiendrait certainement de bons résultats.>> Le rapport stigmatise aussi les <<strategies consuméristes des families>> et les <>, qui engendrent un <<processus de plus en plus précoce et de plus en plus profond de segregation sociale >>. En definitive <> [Glaude, 1997 ; Goux et Maurin, 1997].

Dans l'enseignement primaire, les enfants des milieux populaires sont confrontés plus souvent que les autres a l'échec scolaire. Parmi ceux qui connaissent un ou deux redoublement(s), au cours preparatoire ou au-delà, les deux tiers proviennent des categories <> (ouvriers, personnels de service ou inactifs). Ces demières sont sous-représentées parmi ceux qui effectuent leur scolarité pendant la durée prévue, c'est-à-dire en cinq ans [DEP-MEN, 1991]. L'évaluation des acquis scolaires en francais et en mathématiques effectuée

en septembre 1996 fait ressortir des variations significatives selon l'origine sociale aussi bien a l'entrée au CE2 qu'à i'entrée en sixième [DEP-MEN, 1 997b et l997c]. Au college, les deux tiers des élèves en difficulté deux ans après leur

entrée sont originaires des milieux défavorisés. Ainsi, plus de Ia moitié des garcons dont les parents sont inactifs (souvent une femme seule) et près de 40 % des fils d'ouvriers sont en difficulté. Ce taux est inférieur a 10 % pour les fils de

cadres [Caillé, 1993]. Les filles ont cependant toujours de meilleurs résultats quelle que soit Ia catégorie sociale [Bihr et Pfefferkorn, 19961.

Plus de neuf enfants de cadres sur dix arrivent en quatrième générale sans redoubler, contre àpeine plus d'un surdeux dans les categories ouvrières et assimilées. Le tn social s'effectue aussi par le biais du choix des options : Ia moitié des enfants des categories populaires sortant de quatrieme sans retard choisit deux options contre les trois quarts des enfants des milieux aisés. Les élèves issus des categories favorisées sont près de trois fois plus nombreux que ceux issus des categories défavorisées a étudier le latin en cinquième, en quatrième et en troisième genérale [DEP-MEN, 1996a, 1997a]. Le choix de l'allemand en sixième (réputé favoriser l'accès aux meilleures classes) est deux fois plus

frequent dans les familIes favorisées que dans les families défavorisées, trois fois plus élevé même dans les families d'enseignants [DEP-MEN, 1996b]. L'heritage social de l'élève a tendance a se transformer ainsi progressivement, au primaire puis au college, en capital scolaire légitimé par l'école.

Jusqu'a Ia fin des années quatre-vingt, les inégalités d'accès a un second cycle long provenaient avant tout des inegalités de réussite pendant Ia scolarité.

Mais le processus d'orientation contribuait a les renforcer. On observait un phénomène d'autosélection socialement différencié a chacun des paliers d'orientation. Les demandes d'orientation d'élèves trop modestes dans leurs ambitions par rapport a ieurs bons résultats tendaient a être entérinées par les

344

CLES D'INTERPRETATION DES IN GALIT S

conseils de classe des colleges sans que ceux-ci proposent d'autres orientations, alors que, inversement, us éliminaient les deniandes qui leur seniblaient trop

anibitieuses [Duru-Bellat et a/u, 1993]. Depuis le debut des années quatrevingt-dix, c'est davantage dans le choix des fil ières que se jouent les differences.

Les enfants de cadres supérieurs representaient en 1990 13,5 % des jeunes, 15 % des bacheliers technologiques, mais 35 % des bacheliers généraux et mêrne 46,5 % des bacheliers de Ia série C. Les enfants d'ouvriers, en revanche, représentaient40 % desjeunes, mais seulement 25 % des bachelierstechnologiques, 13 % des bacheliers généraux et moms de 8 % des bacheliers de la série C. Ainsi en 1990, Un enfant d'ouvrier avait 8,5 fois nioins de chances d'obtenir un bac gCnéral qu'un enfant de cadre et 17 fois moms de chances d'avoir un bac C. Tableau 5

Differences de trajectoire selon i'origine sociale (cohortes des éièves entrés en sixième et en SES en 1989) Parmi tes entrants

Parmi les entrants

en sixièrne en 1989,

en sixième en 1980, pourcentage d'élèves gui sont, sept ans après

pourcentage d'Clèves gui sont, sept ans après

.

n

PCs

—

ci, . ci,

Q

n

-

E

ci

n n ci

'4i

J'

—

C CID

Agriculteurexploitant

16

20

31

33

41

14

30

16

Artisan,cornrnerçant, chef d entreprise

21

20

32

27

39

12

33

16

Cadre

5

6

35

54

9

5

47

38

Profession intermédiaire

12

16

37

35

29

12

39

21

Employé

23

23

32

22

44

14

29

13

Ouvrier

29

27

26

17

57

13

22

8

(;arçoiis

25

23

30

23

47

13

28

12

FiIles

17

17

32

34

39

II

31

19

Source : DPI)-MENRT. Repères el référeiues siwisliques sur !e.c enseigi,e,l,en:s el !afornza!io,i. 1998, p. 89.

Au cours des années quatre-vingt-dix, les enfants de cadres et d'enseignants choisissent nmssivement les sections d'enseignement général, et en particulier Ia section scientifique S, quel que soil le dCroulenient de leur scolarité anterieure, alors qu'une forte minoritC des his d'ouvriers parvenus en premiere ou

EVOLUTION GENERALE DES INEGALITES SOCIALES...

345

terminale sans avoir redoublé se retrouvent dans le second cycle professionnel

ou technologique. II faut ajouter a ce constat la valorisation fortement différenciée du bac S selon l'origine sociale et le sexe: plus de Ia moitié des Ills de cadres et de chefs d'entrepnse titulaires du bac S <> on en avance se dirigent vers les classes prdparatoires aux grandes écoles contre 30 % des lilies de même origine sociale, 20 % des Ills d'ouvriers et moms de 10 % des lilies d'employés ou d'ouvriers [DPD-MENRT, 1998 ; Bihr et Pfefferkorn, 19961. Le choix de la section reflète donc des pratiques scolaires nettement différenciées selon le sexe et l'ongine sociale de I'élève : les fihières sont socialement et culturellement très typées (tableau 5).

Les indgalités dans le recruternent des étudiants restent très importantes également. Le tableau 6 montre que, toutes disciplines confondues, en 1997, les

enfants d'ouvriers ont toujours huit fois moms de chances d'accéder a l'université que les enfants de cadres, contre onze fois moms quinze ans plus tot et vingt-huit fois moms trente ans plus tOt [aussi Euriat et Thélot, 1995]. Les enfants de cadres ont près de sept fois plus de chances de faire des etudes de lettres que les enfants d'ouvriers. L'écart va de un a dix en droit, de un a dix-huit pour les etudes superieures du secteur de Ia sante (médecine, pharmacie et odon-

tologie). Même ies JUT, au recrutement réputé populaire, sont globalement cinq fois plus accessibles aux seconds qu'aux premiers. De plus, nombre de spécialités d'IUT ont un recrutement social plus proche de celui des écoles d'ingénieurs que des sections de techniciens supérieurs. Ces dernières, recrutent pnncipalement parmi les titulaires des baccalauréats technologiques, elles sont le secteur de l'enseignement supérieur ayant le plus d'étudiants d'origine populaire [Bouffartigue, 1991]. Au debut des années quatre-vingt-dix, dans les écoies d'ingénieurs et les écoles d'architecture, l'écart entre les chances d'accès des enfants d'ouvriers et de cadres va de I a 25. II va même de 1 a so pour les écoles normales supérieures et de 1 a 73 pour les écoles de commerce [DEP-MEN, 1991]. Michel Euriat et Claude Thélot notent que la proportion des jeunes d'origine <<populaire>> envisagée de manière très large (pere paysan, ouvrier, employé, artisan ou commercant) dans quatre grandes écoles prestigieuses (École polytechnique, École normale supérieure, ENA, HEC) a beaucoup diminué depuis quarante ans: 29 % des élèves étaient d'origine <<populaire>> dans Ia premiere moitié des années cinquante, seulement 9 % aujourd'hui. Les cátégories les plus representatives des couches populaires — les ouvriers et les employés — ne forment qu'une partie de cette catégorie dite <<populaire>>: un septième seulement dans le cas des élèves de Polytechnique [Euriat et Thélot, 1995]. L'élite scolaire est donc bien le produit d'une elite sociale, elle l'est même de pins en plus.

14

12

9

N

Employé

Ouvrier

133678

100

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167994

8

8

9

13

13

15

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7

11

11

18

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10

10

12

13

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12

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5

5

10

16

100

-

4

40

13

18

8 14

14

4

45

4

Source : dapres MENRT. Repères es references slatistiques stir/es enseigne,nen!s ci laforinaiwn (RERS). edition 1998. P. 167. Let. poorcentages on! CIC arrondis. Légende AE : agriculteurexploitant : ACCE : artisan. commercant. chef dentreprise P1: profession interrnédiaire : SlAPS : sciences el techniques des activilés physiques el spollives IUT : insliluts universitaircs dc lechnologie : CPGE: classes préparatoires aux grandes écoles : STS : sections de techniciens supérieutrs.

lannéc 1996-1997 (MEN. RERS. edition 1997. p. 671. 2. Ensemble des jeunes de 20-24 tins au recensement de 1990.

I. Chiffies correspondanl

Effectif

Total

Indéterminé

37

Cadre

9

9

ACCE

inactif

2

AE

L

Tableau 6

Origine socioprofessionnelle des &udiants francais (France métropolitaine, 1997-1998)

(,)

>

C.)

Ct,

0

-1

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-t

-•1

EvoLuTIoN GENERALE DES INEGALITES SOCIALES...

347

Dans I'enseignement supdrieur, les parcours et les fihières des categories privilégiées se distmguent nettement de ceux des catégones moyennes ou populaires. A Ia relative ouverture sociale des universitds s'oppose le maintien voire l'accentuation des frontières sociales dans le secteur des grandes écoles [Merle, 1996].

L'examen de I'évolution des inégalités sociales entre revenus montre de façon nette a quel point les écarts se sont accentués depuis une vingtaine d'années entre les salaries et les indépendants, entre le salariat d'exécution (ouvriers et employés) et les cadres. Cette polansation sociale se retrouve quand on examine d'autres aspects de la vie sociale, par exemple ici le logement. Par ailleurs, Ia montée importante de la scolarisation ne doit pas masquer la persistance, certes sous des formes renouvelées, des inégalités sociales face a l'école. En definitive, si Ia France est aujourd'hui 90 % plus riche qu'en 1970 (inflation déduite), cet accroissement de Ia richesse est allé de pair avec une augmentation de La pauvreté en raison de l'aggravation considerable des inegalites de répartition de la richesse nationale. REFERENCES BIBLIOGRAPHEQUES BAYET A., JULHES M. (1996), << Series longues sur les salaires >>, INSEE Résultats, 457.

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22

Sante au travail: l'inégalité des parcours Serge Volkoff Annie Thébaud-Mony

Le travail joue un role majeur dans la production des inégalites sociales de sante. D'une part, ii determine Ia place qu'on occupe dans la socidtd, donc les conditions de vie, de revenu, de logement et de protection sociale, y compris lorsque les personnes en sont exclues. D'autre part, les conditions et l'organi-

sation du travail et de l'emploi ont des effets directs sur Ia sante et sur Ia production des inégalités sociales de sante. Le premier niveau de determination est present dans de nombreux travaux, notamment sur Ia mortalité et Ia morbidité différentielles, a travers Ia variable des categories socioprofessionnelles. Mais celles-ci nous paraissent trop générales pour rendre compte des processus de construction des inegalités sociales en sante au travail, et pour orienter des transformations du travail qui permettent de réduire ces inégalites. Nous mettrons donc ici l'accent sur le second niveau, a savoir les effets du travail sur Ia sante.

Les connaissances que nous presentons dans ce chapitre montrent que l'évolution récente des conditions et de l'organisation du travail ne conduisent ni ala << fin du travail >> [Rifkin, 19961 ni a l'amélioration certaine des conditions de travail et, de ce fait, a la reduction des inegalités. DV TRAVAIL

<> procedures de n'a pas disparu. Nous sommes encore entre deux mondes. >> contrôle hierarchique perdent leur valeur et leur utilité. >> Ces citations, extraites d'un recent rapport du Plan sur Le Travail dans vingt ans [Boissonnat, 19951, reflètent bien les appreciations dominantes sur l'évolution du travail. Face a elles, les chercheurs et praticiens dans le domaine des conditions de travail sont tentés de repondre par le témoignage [Paroles de médecins du travail, 1994]. Mais ils disposent aussi de références quantitatives, qui incitent a relativiser les descriptions d'une <<ère nouvelle >> dans les ateliers et les services. En outre, les travaux de sociologie, ergonomie et psychologie du travail, faisant appel a des méthodes

350

CLES D'JNTERPRETATK)N 1)ES INEGALITES

qualitatives,

donnent accès a une approche comprehensive des processus

d'évolution de l'organisation du travail, processus qui eux-mémes mettent en question l'hypothèse d'une reduction des inégalités en sante au travail. > ? Mais en 1991, dans l'enquête nationale sur les conditions de travail, 37 % des salaries (57 % des ouvriers) ont déclaré porter ou déplacer des charges lourdes, et 29 % des salaries (49 % des ouvriers) ont travailler dans Ia saletC. Ces pourcentages étaient en nette progression par rapport aux enquêtes antCrieures [Cézard et a/u, 1992]. Le travail a Ia chaIne
disparu>? On devrait plutot dire qu'iI s'est stabilisd car, selon les definitions strictes adoptees par le niinistere du Travail Ia pioportion de travailleurs a là Ct ics

depuis

iypc U

UU

II Out

CVOIUC

vingt ans: 3 % du salariat, 8 % du groupe ouvrier, 21 % des femmes

ouvrières, tous ces pourcentages étant bien sQr plus élevés si l'on englobe d'autres

formes de travail répétitif sous fortes contraintes de tenips. Et thins certains secteurs (l'agro-alimentaire), Ia chalne gagne très vite du terrain. Le contrôle hiérarchique de sa valeur>>? Peut-être, mais les salaries disant que leur rythrne de travail est déterminC par les contrôles permanents de Ia hierarchic Sont de plus en plus nombreux: 17 % en 1984, 24 % en 1993 [Aquain et alii, 1994].

Les changements technologiques n'ont donc pas entraIné I'amélioration de Ia qualité de vie au travail, si l'on en juge par l'apprCciation que portent les salarids. Les inégalitCs (entre les ouvriers, notamment les ouvriers >>

non qualifies, et les autres categories, mais aussi entre les hommes et les femmes...) persistent ou même se renforcent. Pour expliquer cette apparente contradiction, et analyser les repercussions de cette evolution sur Ia sante des salaries, une variable nous paralt occuper une position dorninante: Ic temps, et son utilisation dans les modes d'organisation du travail. La duréc hebdomadaim et Ia durée annuelle du travail ont diminué dans Ia décennie soixante-dix, puis en 1982, et la reprise de ce mouvement de baisse est annoncée a present. Mais une tendance durable s'affirme: Ia déstabilisation globale des horaires [Bué et Dussert, 1993]. Le nombre de jours de travail vane plus souvent d'une semaine a l'autre, Ic travail du week-end s'Ctend, un salanié surdeux n'a pas le même horaire chaque jour. Le morcellement des péniodes de travail et l'incertitude sur les horaires a venir s'accentuent, ce qui rend cette gestion plus delicate.

La volonté d'ajuster les effectils a Ia quantité instantanée de biens ou de services a produire se traduit plus généralement par une du travail [Gollac et Volkoff, 1996]. On assiste a une expansion des contraintes industrielles > et commerciales >' sur le rythme de travail, au-delà de leur zone d'influence usuelle : les employés et partie des cadres sont, davantage que par le passC, Ienus de respecter des normes de production et des dClais stricts ; de leur côté, les ouvriers et techniciens doivent de plus en plus souvent répondre en urgence aux demandes des clients.

Ces constats ne sont pas contradictoires avec des effets benCfiques du progrès technique. Mais l'intensification rend plus diffucile pour chacun de faire

SANTE AU TRAVAIL

:

L'hNEGALITE DES PARCOURS

351

face aux exigences d'une tâche en protégeant sa sante : choisir le bon moment pour une action, chercher l'outil ou le document approprié, demander l'aide d'un collégue, se mettre d'accord sur Ia facon de faire en confrontant les expé-

riences, s'enquérir soigneusement des besoins du client ou de l'usager, s' informer et se former correctement, toutes ces strategies, qui anticipent sur l'activité de travail et contribuent a construire Ia sante, et qui s'élaborent au flu du parcours professionnel, se trouvent compromises. La soumission plus ou moms dtroite au flux tendu constitue ainsi une premiere composante d'une <> en sante au travail, entre ceux qui sont pris dans ces processus d'intensiflcation du travail et ceux qui gardent une certaine maItrise de leur temps et de leurs rythmes — cette différenciation ne recoupant que très partiellement les ddcoupages usuels entre categories sociales. Une deuxième composante, liée a la précédente, et dépendante elle aussi des calculs d'effectifs au plus juste, provient du morcellement et de Ia precarisation des itinéraires au cours de la vie de travail. DES PARCOIJRS PROFESSIONNELS FRAGILISES

Depuis vingt ans, l'idéal-type de l'emploi permanent, a temps plein dans une seule entreprise etjusqu'à Ia retraite, tend a s'effriter. Si demeurent, dans des administrations et de grandes entreprises, des emplois stables protégés par des statuts particuliers ou des conventions collectives assurant Ia permanence de certaines garanties sociales, ils font néanmoins figure de <<noyaux dursx. autour desquels gravitent des salaries sous statut précaire ou travaillant en sous-traitance.

Ces entreprises et administrations ont de plus en plus recours a Ia soustraitance de travaux: non seulement le nettoyage, Ia restauration ou Ia maintenance, comme a EDF, qui sous-traite 80 % des travaux de maintenance des centrales nucléaires [Thébaud-Mony, 1997], mais aussi dans l'industrie auto-

mobile [Gorgeu et Mathieu, 19951, les grands constructeurs ne gardant a l'interne que des chaInes de montage. De son côté, le recours au travail tempo-

raire peut se faire de facon directe, c'est le cas de l'automobile [Pialoux et Beaud, 1993], ou par le biais de la sous-traitance, comme dans l'industrie nucléaire ou dans le bâtiment et les travaux publics. Les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants (ou agences d'intdrim) organisent une division du travail entre les salaries des deux types d'entreprises, consacrant de fortes inegalites de statut d'emploi, de rémunération, de garanties sociales entre des travailleurs qui, tous, participent au procès de production des

donneurs d'ordre. Ces derniers s'affranchissent ainsi, pour une partie des salaries travaillant pour eux, non seulement des garanties contenues dans le statut ou la convention collective de l'entreprise, mais aussi des négociations (concernant les salaires, les horaires, le temps de travail et les conditions de travail) qui auraient lieu s'il s'agissait de leurs propres salaries.

352

CLES D'INTERPRETATIOM DES INEGAUTES

Les statistiques d'eniploi attesterit des changements structurels du marché du travail et des inegalites qu'ils alirnentent. Le chômage, soit partiel soit total, est

devenu un outil de gestion du travail [Freyssinet, 1997]. La menace de Ia reduction des effectifs et du licenciement est l'horizon gCnéralisé de Ia majorite des salaries. Cette menace est renforcée par les fluctuations du recours au travail temporaire, qui ne cesse de croltre. En février 1997, l'intérim correspondait a 359 000 emplois a temps plein, en progrès de 14 % par rapport a 1996. II s'est encore accru en 1998, l'intérini ayant representé les deux tiers des creations d'emploi. Le travail intérimaire est socialenient a predominance ouvrière (85 %), masculine (72 %) et présente une forte proportion de travailleurs originaires uu iviagnreo (I / [Jouraain, En parallèle a la montée du travail temporaire, le recours au travail a temps

partiel

— lui essentiellement féniinin — rernonte au debut des années quatre-vingt. En 1980, 1,5 million de personnes travaillaient a temps partiel. En 1997, elles sont plus de 3 millions, dont 85 % sont des femmes ; 33 % des femmes actives

et 5,5 % des hommes actifs travaillent a temps partiel. 11 s'agit de plus en plus souvent d'un temps flexible (comme en témoignent les nombreux travaux sur les caissières d'hypermarché), qui s'accompagne alors d'une forte dCsorganisation du temps familial et social travail a temps partiel a partie liée avec Ia flexibilité et la précarisation et ce sont les femmes qui sont touchées. Les hommes aussi sont atteints par Ia précarisation mais diffCremment. II y a bel et bien des "nomadismes sexués" : nomadismes dans Ic temps pour les femnies (travail a temps partiel), nomadisme dans l'espace pour les hommes (interim, chantiers : BTP, nucléaire...)> [Kergoat, 1998]. Dans ces parcours nomades >>, Ia selection par Ia sante joue un role determinant. La forme Ia plus familière est Ia selection du travailleur qui n'arrive plus a dans les noniies de productivité, ou du fail de Ia pénibilité du travail, ou des horaires nocturnes. Cette selection, autrefois interne a l'entreprise, conduit aujourd'hui a mettre les salaries concernCs aux premiers rangs des exclus

lors des plans sociaux [Davezies, 1995]. Les pattours intermittents de chômeurs

puis de plus en plus

tendent a faire oublier Ia

période antérieure au chOmage, les conditions de travail et d'emploi qui ont produit

l'exclusion, comme le montre une approche sociologique d'une population de femmes chômeuses de longue durée et en mauvaise sante [Frigul, 1997].

UNE EVALUATION DELICATE I)ES CONSEQUENCES 1)U POINT DE VUE

DE LA SANTE ET I)ES INEGALITES

L'évolution des conditions de travail, de l'organisation du travail, des modes de gestion de Ia main-d'oeuvre, telle qu'on vient brièvement de ladécrire, affècte l'Ctat de sante de Ia population salariée ci l'évolution des inégalités sociales de sante. Est-

il possible d'apprCcier i'ampleur de ces consequences? Plus généralement,

SANTE AU TRAVAIL: L'INEGALITE DES PARCOURS

353

comment évaluer les effets du travail (avec ses diverses composantes) sur Ia sante (sous ses divers aspects), au long de Ia vie active, et leur traduction en termes

d'megalite? La formulation multifactorielle et diachronique de cette demière question nous paralt essentielle. En général (et a d' importantes exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons), les relations entre travail et same ne s'explicitent pas sur une

base monocausale et instantanée. Une méme caractdristique du travail aura plusieurs consequences dans le domaine de Ia sante. En retour, une même degradation de Ia sante peut avoir plusieurs causes professiormelles, auxquelles s'ajouteront des facteurs non professionnels. En outre, l'état de sante peut retroagir sur Ia facon de travailler: Ia déficience d'un organe ou d'une fonction peut amener un travailleur a en ce domaine en sollicitant davantage d'autres organes ou fonctions, avec de nouvelles consequences pathologiques possibles. Une grande part de ces mécanismes sont a effet progressif etlou différé. De plus, comme on l'a déjà évoqué a propos de Ia précarité et du chômage (mais l'analyse vaut pour I'affectation sur divers postes de travail), des mécanismes de selection sont a l'ceuvre, et Ia presence de tel salarié a tel poste a un moment donné résulte pour partie de ses conditions de travail antdrieures et de i 'evolution de sa sante [Bourget-Devouassoux et Volkoff, 19911. A cette complexité des analyses sur les liens sante-travail s'ajoutent les diffi-

cultés dues a la <> très variable de ces liens, selon les problèmes étudiés et les populations concernées. La visibilité des atteintes liées au travail pulse a plusieurs sources de connaissances et de savoirs. Les seules statistiques administratives désignant les liens entre le travail et Ia sante sont celles établies chaque année par Ia CNAM-TS pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Elles sont le reflet de l'objectif que se donne Ia CNAM-TS en les établissant, a savoir la connaissance des rentes servies pour Ia premiere fois dans l'année pour un accident du

travail ou une maladie professionnelle. Cette statistique se fonde sur le stade ultime d'une très longue procedure, susceptible de durer plusieurs années (en particulier pour les maladies professionnelles) et sans aucune estimation du nombre des cas laissés en chemin, parce que non déclarés, non reconnus ou non indemnisés [Thebaud-Mony, 1991]. II est bien difficile de s'en tenir a de tels indicateurs pour apprécier les liens travail-sante. La connaissance médicale clinique est peu orientée vers l'identification des liens entre les pathologies présentées par les patients et l'histoire professionnelle de ces derniers. Au stade de Ia survenue d'effets pathogenes pris en charge par le système de soins, le lien entre ces derniers et le travail tend ainsi a disparaltre. Les données experimentales et les enquêtes épidémiologiques sont donc les principales sources de connaissance de certains liens entre travail et sante. Mais

le caractère inévitablement réducteur des approches d'un risque du travail — toutes choses egales par ailleurs — et Ia durée nécessairement longue des etudes laissent inexplorées de multiples facettes de cette complexité évoquee plus haut

354

I)'INTFRPRETATION I)FS INEGALITES

des effets de synergie entre divers facteurs d'atteintes a Ia sante. La précarisation des parcours professionnels rend cette tâche encore plus difficile. Ent'in Ia connaissance <<profane>> que les travaiUeurs eux-mêmes peuvent avoir des liens entre des conditions de travail, l'exposition a des risques ou des produits oxiques, et leur propre sante n'est pas socialenient reconnue comme

et

source de savoir sur le lien travail-sante. Bien plus, cette connaissance fait

l'objet d'une fuse en doute systCmatique dans le cadre des procedures d'expertise de declaration et de reconnaissance d'accident du travail ou de maladie professionnelle. INCERTITUDES SUR LA SITUATION EN TEMPS REEL MAtS CAPITAL 1)E CONNAISSANCES SOLI DEMENT VALIDEES

dispose de peu de données permettant d'identifier de facon pertinente l'ampleur, Ia repartition et la différenciation sociale des maladies, accidents et empreintes du travail liées aux conditions acwelles de l'activitC professionnelle. En revanche, on dispose de donnCes fiables parfois très anciennes sur les effets pathologiques de certains des risques ou contraintes supportés par les salaries. Concernant les indicateurs disponibles, ce qui précède montre qu'on ne peut On

fonder Ia connaissance des atteintes liCes au travail sur les statistiques administra-

tives de Ia CNAM-TS. Les accidents du travail ne soft pas tous déclarés et, lorsqu'ils Ic sont, les indicateurs recueillis ne permettent pas de faire apparaItre le lien entre cet accident et les fornies rCelles d'insertion dans Ic travail et l'eniploi. On sait cependant, par une enquete menée par l'inspection du travail, que l'écart

de risque d'accident le plus grand (mesuré a partir des rapports entre taux de frequence) est celui qui sépare les salaries sous statut précaire par rapport aux salaries sous contrat pernianent. Cet écart est egalement grand entre travailleurs de

moms ou de plus de 25 ans, et chez les ouvriers non qualitiCs par rapport aux autres categories socioprofessionnel les [Cristofari, 1997]. Conceniant les maladies professionnelles, Ia fragilitC des données est plus grande encore. Pour les seuls cancers professionnels, le nombre estirné de décès imputables est de l'ordre

de 5 000 a 10000 par an. Les statistiques de Ia CNAM-TS ne recensent qu'environ 200 cas reconnus et indemnisés par an [Brugère et alii, 1994]. Pour Ia plupari des autres pathologies indemnisables thins Ic système de reparation, on ne dispose d'aucune estimation liable permettant d'Ctablir l'écart entre des données épidCnuiologiques et le nombre de cas actuellement reconnus. Pourtant, les données de Ia CNAM-TS peu vent fournir Un indicateur d'alerte

lorsqu'il se produit un phénomène conume I'élévation très rapide du nombre de cas de troubles musculo-squelettiques (TMS) : atteintes périarticulaires, tendinites, syndronues du canal carpien... A elles seules, ces pathologies ont conduit en dix ans au doublement du nombre total de maladies professionnelles reconnues et indemnisées ; près de 5 000 cas de TMS ont été reconnus en 1995.

SANTE AU TRAVAIL L'INEGALITE DES PARCOURS

355

Ces syndromes lies au travail répétitif sous forte contrainte de temps sont apparus comme Pun des syrnptômes de l'altération de Ia sante associée a l'intensification du travail, ce que confirment deux enquêtes épidémiologiques, l'une portant sur les affections periarticulaires et l'organisation du travail {Leclerc et

alii, 1998], l'autre montrant les liens entre travail répétitif sous contrainte de temps et douleurs periarticulaires des membres supérieurs chez les ouvriers de l'industrie [Saurel-Cubizolles et alii, 1997]. Les connaissances concernant les effets pathogenes de certains risques ou conditions de travail constituent néanmoins une base solide pour l'appréciation de consequences sanitaires des conditions de travail d'hier et d'aujourd'hui et des inégalites qui en découlent. L'amiante en est un des exemples les plus significatifs. Connus depuis des décennies, les effets pathogènes de l'amiante sur Ia

sante étaient restés peu pris en compte jusqu'à l'évaluation par une expertise collective [INSERM, 1997] de l'ampleur de l'épidémie des maladies liées a l'amiante (fibroses et cancers), épidemie actuelle et a venir compte tenu des délais de latence entre exposition et survenue des cancers induits. Les inégalités d'exposition au risque ne se reproduisent pas a I'identique dans Ia survenue des pathologies, car les plus graves maladies associées a l'amiante — les cancers, le mésothéliome — surviennent chez des personnes qui peuvent n'avoir connu qu'une exposition de très courte durée. De longue date, des travaux en toxicologie industrielle et épidémiologie ont

permis d'établir la cancérogénicité de centaines de produits utilisés dans 1' industrie. D' autres types d' atteintes (respiratoires, neurologiques, dermatologiques, allergiques) sont recensés dans Ia littérature comme étant associés a des produits toxiques tels que le p10mb et les autres métaux lourds, les rayonnements ionisants, les poussières de bois, les fumées, etc. Le travail de nuit, le travail posté, les contraintes organisationnelles ont également été identifies comme source

d'altération a long terme de Ia sante physique, du sommeil et de la sante psychique. Une enquête sur I 'asthme professionnel associé a l'exposition de produits allergenes a permis de montrer non seulement les consequences durables de ces expositions sur la sante des salaries, mais aussi les repercussions qui en résultent en termes d'emploi et de perte de revenus [Ameille et a/u, 1996].

L'identification des inégalites concernant ces effets est particulièrement difficile. Cependant, les données récentes confirment Ia persistance d'une différenciation par categorie sociale les plus exposés sont, de façon cumulative, les travailleurs moms qualifies, affectés aux travaux pénibles et dangereux. Selon l'enquête SUMER menée en 1994 par 1 200 médecins du travail [Héran-Leroy, Sandret, 1996], Ia proportion de salaries exposés aux nuisances sonores, par

exemple, vane de 10 % pour les cadres a 47 % pour les ouvriers. Pour les nuisances thermiques, les pourcentages sont de 6 % et 35 % respectivement. Pour les contraintes articulaires, us sont de 4 % et 49 %, et l'on atteint même 60 % chez les << ouvriers non qualifies de type industriel >>. Pour l'exposition aux

cancerogènes [Héran-Leroy et Sandret, 1998], 18 % des ouvriers sont

356

CLES I)'INTERPRETATION DES INEGALITES

et Ia proportion atteint 50 % chez les ouvriers du bois, 44 % chez ceux de la reparation automobile, 39 % dans Ia fabrication de machines, alors que Ia proportion est de 9 % dans I'ensemble des salaries. Une forte inégalité des parcours professionnels se combine avec celle des concernés,

qualifications. Tandis que les salaries des << noyaux durs> bCnéficient des dispo-

sitifs de contrôle des risques mis en

pour limiter les expositions, les

travailleurs dits extérieurs >> tendent a cumuler des expositions et des contraintes de travail. Cela a été moniré pour les salaries direclement affectés aux travaux sous

rayonnements dans les operations de maintenance de I'industrie nucléaire [Doniol-Shaw et (liii, 1995]. Ces travailleurs reçoivent 80% de Ia dose collective annuelie de rayonnemenrs ionisants enregistrëe dans ies centraies nucléaires françaises. us sont Cgalement exposés a d'autres types de produits toxIques (amiante, fumées de soudage) et a de très fortes contraintes de tenips. Par ailleurs, le parcours professionnel de ces < internlittents du nuclCaire >> connait des ruptures et des périodes d'emploi dans d'autres secteurs d'activité les exposant a d'autres types de risque. Les empreintes du travail deviennent alors beaucoup plus diffuses, ce que traduisent sans doute les formes de fragilisation repérées dans des enquetes l)ortant sur des populations précaires. De tels parcours rendent, en outre, très difficile l'identification de liens entre Ia survenue de maladies a effet différé, tels les cancers, et les expositions antérieures. L'APPORT I)ES ETUDES DE MORTALITE Un indicateur beaucoup l)lUS global peut être convoquC dans les analyses des

relations travail-sante et de leur contribution a Ia production des inégalites sociales. ii s'agit de Ia mortalitC différentielle. Le caractère aspécifique des statistiques en ce dornaine, est coherent avec l'approche diachronique et multifactorielle dont nous avons souligné l'intérêt. Mais, bien sIir, cela ne facilite pas l'imputation des disparités a tel ou tel facteur professionnel. Nous n'approfondirons pas ici cette discussion, Ia mortalité différentielle faisant l'objet d'autres analyses dans cet ouvrage. Rappelons cependant que les

écarts d'espCrance de vie entre categories sociales (un peu plus marques aujourd'hui que par le passé) n'excluent pas d'importantes disparitCs entre professions au scm d'une même categoric, comme les ouvriers [Desplanques, 19851: le rapport entre Ic taux standard isé de mortalitC des et OS des (1 84) et celui des > (81), par exemple, est plus grand

qu'entre ceux-ci e les ingenieurs (54). A inesure que l'on resserre l'analyse, on consolide les présomptions sur les effets de Ia vie de travail. Teiger et alii 11981) avaient ainsi établi, a partir des fichiers de caisses de retraite concernant 1 500 ouvriers de I'iniprimerie de presse, des differences d'esperance de vie entre correcteurs, conipositeurs, clicheurs et rotativistes, et interprCté ces differences ati regard des diverses modalités d'horaires nocturnes.

AU TRAVAIL : L'INEGALITE DES PARCOURS

357

Mais entre les recherches spécifiques et les statistiques de mortalité, ii y a place pour tout un champ d'investigation, qui présente deux caractéristiques marquantes. D'une part, Ia sante est prise dans une acception large et ne se réduit pas a Ia non-maladie: les douleurs, l'inconfort, Ia peur, l'énervement, I'ennui,

les multiples formes de fatigue, que le travail peut provoquer ou renforcer, retiennent l'attention au même titre que des pathologies diagnosticables. D'autre part, l'age est une variable clef dans les analyses. II apparaIt ala fois comme un facteur par lui-même (car la liaison entre l'âge d'etat civil et l'âge fonctionnel — l'<< age des artères >> — est certaine, même si sa formulation precise est difficile a établir) et comme une << variable relais >>, puisque sur l'avancée en age viennent s'inscrire les parcours professionnels et les événements de la vie hors travail. AGE, SANTE, TRAVAIL, QUELQUES RESULTATS DE L'ENQUETE ESTEV

Pour illustrer cette démarche, nous insisterons ici sur un dispositif original, mis en place a l'initiative de médecins du travail avec Ia collaboration d'épidé-

miologistes, d'ergonomes et de gerontologues: l'enquête ESTEV (Enquéte sante Travail et Vieillissement). La premiere phase de collecte a été effectuée en 1990 par 380 médecins du travail, dans sept regions de France ; 21 378 salaries ont été interrogés et ont fait l'objet d'un examen medical. L'enquête aété renouvelée en 1995 auprès des mêmes salaries, dont 87 % ont pu être revus — mais I' analyse longitudinale est en cours, et nous n'y ferons que de brèves allusions. Les résultats de Ia phase 1990 d'ESTEV ont fait l'objet de nombreuses publi-

cations et d'un livre qui en présente les résultats détaillés, dans des domaines très divers [Derriennic et alii, 1996]. Dans le cadre du present article, nous retiendrons les indications suivantes, extraites de cet ouvrage. Un premier ensemble de résultats — avant même de prendre en compte les effets du travail — attire l'attention sur l'ampleur de troubles infrapathologiques dans Ia population salariée, même dans la partie Ia plus jeune de l'échantillon,

ce qui plaide d'emblée pour un examen attentif de ces troubles, dans une réflexion sur les inégalités de sante. Des 37 ans (l'échantillon de l'enquete ESTEV se composait de salaries de 37, 42, 47 et 52 ans en 1990), 29 % des hommes et 26 % des femmes souffrent de douleurs lombaires. C'est le pourcentage le plus élevé parmi les zones de douleurs articulaires étudiées, et il atteint des niveaux nettement plus importants dans des professions comme les ouvriers du bâtiment ou les personnels des hôpitaux. Les chiffres ne sont pas négligeables non plus pour les cervicalgies, les douleurs aux genoux ou aux épaules. Dans d'autres domaines, relevant davantage des troubles neuropsychiques, et toujours en s'en tenant aux salaries de 37 ans, on remarque le pourréveiller très tot le matin et avoir du mal a se rendormir>> (23 % et 22 % selon le sexe), <<Se mertre facilement en colère >> (21 % et 28 %) ou <<se sentir tout le temps fatigue >> (10 % et 17 %). centage appreciable de ceux qui disent <<

se

358

CLES I)'INTERPRETATION

INI'GALITES

ESTEV propose une lecture assez nuancée des evolutions de ces troubles

avec l'âge. Ses résultats alimentent l'idée que, si Ia probabilité d'apparition de

degradations fonctionnelles s'accroIt avec l'ãge, ces degradations ont un different d'une personne a une autre (avec de fortes disparités entre categories de salaries, mais aussi au scm de chaque categoric) et d'une fonction a une autre. En quelque sorte, chaque fonction physique ou mentale de chaque individu aurait son propre rythme de vieillissement. Et les caractCristiques du travail jouent leur role dans cc << vieillissement différentiel Ainsi, on observe un net accroissement des deficits auditifs en fonction de I age d une part, de Ia duiee d exposinonaux nuisances sonores dans le travail auLle palL, ICIIVUIC UC eiiets llflClaeLIull ul)paleIILe. possibles d'une politique de prevention sur I'atténuation des inégalités de sante. U

Si 10 atis d'exposition au bruit augmentent Ia proportion de salaries prCsentant des deficits, autant que Ic font 15 ans de difference d'ãge, l'amélioration des conditions de travail apparalt comme un remède aux consequences collectives du vieillissement. Et ce qui est dit ici pour le bruit est confirnié par l'enquete dans d'autres domaines comme le port de charges lourdes, les postures pénibles ou le travail répétitif sous forte contrainte de ternps. L'analyse peut être affinée par une prise en compte des caractéristiques de l'organisation du travail. Ainsi, le fait de declarer pas avoir les moyens (temps, informations, materiel) pour réaliser un travail de bonne qualite >> est Ic seul indicateur lie aux douleurs rachidiennes pour les deux sexes et pour chaque segment du rachis. Le déséquilibre perçu entre objectifs et moyens révèle un manque de marge de pour les strategies de travail qu'un salarié — notamment un salariC vieillissant, désireux de < ses déficiences éventuelles — voudrait mettre en face a une charge de travail importante. Ces strategies (preparation, choix d'outils, coopérations...) échouent si l'organisation du travail ne s'y prête pas. Des lors, Ic salarié aura davantage recours a

une sollicitation forte de son propre corps. La combinaison entre facteurs physiques et psychosociaux est bien visible ici. Ces liens entre l'organisation du travail et Ia possibilite pour chacun de construire sa propre sante dependent de l'âge. En témoigne une etude qui portait sur <<

>>

la consomniation de somniferes ou de tranquillisants chez les employees de bureau de l'Cchantillon ESTEV. Chez les femmes Jes pIus jeunes (37 ans), c'est la monotonie du travail qui paraIt associée a Ia consommation de médicaments psycho-actifs. Chez les plus ãgCes au contraire, sou vent obligée de se dCpêcher>> ou <<étre souvent interrompue dans son travail>> se traduisent par une consommation médicamenteuse accrue. Pour illustrer enfin les apports d'ESTEV dans le doniaine des relations a long terme, citons l'Ciude des liens entre troubles du sommeil et horaires décalés dans le travail. On constate i'extension des troubles avec l'âge et Ic surcroIt de troubles chez Ies travailleurs posies. Puis on note qu'ii partir de 47 ans les perturbations apparaissent presque aussi fréquentes chez les anciens postCs que chez les actuels. Cela

SANTE AU TRAVAIL: L'!NEOALITE DES PARCOURS

359

montre que ces troubles ne sont pas complètement réversibles quand les salaries reviennerit en horaire de jour; et cela reflète aussi un mécanisme de selection : ce sont plutôt les plus perturbés qui ont cherché a changer d'horaires. CONCLUSION

Notre insistance sur les résultats d'ESTEV nous a amenés a prêter une attention particulière a des troubles infrapathologiques — souvent designés dans l'entreprise, parfois par les salaries eux-mêmes, comme de <> troubles,

appellation que nous ne reprendrons pas a notre compte. L'approche clinique permet en effet de percevoir a quel point les douleurs vertébrales, le mauvais sommeil ou une digestion difficile perturbent l'existence quotidienne et Ia vie de travail, et gênent l'activité de travail elle-même. Ajoutons que ces troubles sont parfois annonciateurs de pathologies plus graves (comme certaines atteintes bénignes dermatologiques ou respiratoires par rapport aux cancers). Enfin, ces troubles sont prédictifs d'une fragilisation de l'emploi pour les salaries

concernés, comme l'ont indique plusieurs etudes citées ic et comme les premieres analyses issues d'ESTEV 1995 le confirment. Cet ensemble de résultats nous incite a revenir sur Ia description des évolutions du travail, faite au debut de cet article. Les troubles de sante analyses ici apparaissent très sensibles a l'intensification du travail et a Ia fragilisation des parcours professionnels. On peut admettre qu'une grande partie des atteintes directes et massives a Ia sante, en raison d'exigences physiques extremes, vont se raréfier. Mais des atteintes <>, celles qui restreignent la marge de manceuvre dont chacun dispose pour construire des strategies de preservation, sont au contraire appeldes a s'étendre. La combinaison entre difficultés dans le

travail, troubles de sante, et risques pour l'emploi, compromet pour une part croissante de Ia population salariée les possibilités de compenser les désequilibres, s'ils surviennent. Les inegalites de sante en lien s'établissent ainsi tout au long des parcours professionnels.

avec le travail

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23

Genre et inégalités sociales en sante Kate Hunt, Sally Macintyre

Les nombreuses recherches menées depuis cent cinquante ans environ et qui se sont développées ces vingt demières anndes montrent, de manière permanente, un gradient socio-économique dans toute une série de mesures de Ia morbidité et de

Ia mortalité, au detriment des groupes de niveau social le plus bas [Macintyre, 1997]. Bien que la littérature sur les differences de sante entre hommes et femmes soit plus limitée que celle sur les differences socio-économiques, Ia plupart des statistiques sanitaires publiées montrent des differences de sante et d'espérance de vie entre les hommes et les femmes. Les hommes tendent a mourir plus tot et a être davantage atteints par les maladies graves et 1' invalidité que les femnies, alors que Ia morbiditd des femmes — du moms dans les sociétés industrialisées — apparaIt moms grave et davantage psychologique [Macintyre etalii, 1996]. Cependant, les traditions de recherche séparent habituellement les travaux sur les differences socio-économiques de sante, d'une part, et ceux sur les differences de sante selon le genre, d'autre part. De ce fait, les chercheurs se demandent rarement si les diffdrences socio-économiques de sante varient entre les hommes et les femmes et, si c'est le cas, pour queues raisonS. Après une revue des interactions entre statut socio-économique et genre dans leurs associations avec Ia mortalité et Ia morbidité, ce chapitre a pour objectif d'aller au-delà de l'existence de differences selon le genre dans les inegalites

sociales de sante en abordant deux questions. La premiere est de savoir si l'ampleur des differences de gradient social selon le genre est la même selon: les ages de fa vie; les pathologies, les causes de ddcès et fes indicateurs de sante; les mesures du statut socio-économique; les périodes historiques et les

pays. La seconde conceme les explications potentielles des interactions observées entre genre et statut socio-économique sur Ia sante. LE CONTEXTE

Les recherches sur Ia sante tendent a presenter les données sur les inégalités

socio-dconomiques soit pour les deux sexes réunis, soit pour l'un des deux

364

seulement

CLES [)'INTERPRFTATION DES INEGALITES

—

les

hommes Ia plupart du tenips. De plus, quand les deux sexes

sont sdparément, le degré de similarité ou de difference dans le niveau d'inégalites entre les honirnes et les femmes fait I'objet de peu ou pas de comnientaires. Cela est en partie a une tradition de longue date tenant pour acquis que les rCsultats d'une recherche menée chez les hommes — qu'elle soit

épidérniologique ou clinique — peuverit automatiquement être extrapolés aux femmes. Cela était particulièrernent evident dans Ic domaine cardio-vasculaire jusqu'à très récemment [Orth-Gomer et a/li, 19981, bien que les maladies cardio-vasculaires soient une cause majeure de dCcès pour les deux sexes. Ce postulat vient néanmoins d'être mis en cause, en particulier aux Etats-Unis. La des National Institutes of Health (Instituts nationaux de sante) — dont le financement est fédéral — stipule désormais que toute recherche impliquant des sujets hurnains doit, pour être financée, inclure les deux sexes (et les membres des minorités), sauf s'il y a une justification claire àl'exclusion d'un groupe. Inversement, depuis Ia Seconde Guerre mondiale, de nombreuses recherches et sante>> sur <> ont été cii rCalité menées sur [Annandale et Hunt ,1990 ; Hunt et Annandale, 1999]. Les premiers objectifs du mouvement des femmes dans les années soixante-dix étaient, en grande partie, de mettre en lumière les differences entre Ia vie des homnies et des femmes, ainsi que de donner une légitimite aux femmes en tant que sujels de recherche en sciences sociales ou médicales, en explorant des domaines considérés conime étant leurs domaines propres, sur le plan biologique ou social Ia grossesse, l'accouchernent, Ia maternité, Ic travail domesticiue, les problèmes gynécologiques, Ia violence exercde par les hommes. Dc nombreuses recherches sociologiques féniinistes de cette periode se sont concentrdes sur Ia place niarginale des femmes dans Ia vie publique et leur cantonnernent dans Ia vie domestique et privée [Gavron, 1966 ; Oakley, 1974], ou encore sur Ia médicalisation de leur corps par Ic contrôle de la reproduction [Scully et Bart, 1978 ; Ehrenreich et English, 1979 ; Clarke, 1983]. L'accent a Cté plutôt mis surles differences entre

hommes et femmes dans leurs roles sociaux ainsi que dans l'accès aux ressources telles que Ic pouvoir, l'argent, l'Cducation, Ic statut social, et l'on s'est nioins intéressé aux différenciations des roles ou des ressources parmi les hommes, d'une part, parmi les femmes, d'autre part. On s'est ainsi rarement dernandé si les differences de genre en matière de sante sont susceptibles de varier scion le statut socio-economique, une formulation complémentaire de cette question éiant de se demander si les gradients de sante scion Ic niveau socio-économique varient scion Ic genre. Dc plus, dans Ic doniaine des recherches sur genre et sante, les horn mes et les femmes sont habituellement compares globalement — tous les honimes compares a toutes les femmes — bien qu'ils occupent des positions sur Ic rnarché du travail etdes rOles doinestiques différents. Au total, jusqu'à une époque rCcente, tant en épidCmiologie sociale qu'en sociologic médicale, on s'est peu préoccupé de savoir si les inégalites socio-éconorniques

GENRE

INEGALITES SOCIALES EN

365

étaient les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Ce n'est que depuis les dix demières années que Ia comparaison des gradients socio-économiques de sante chez les hommes et chez les femmes a été rendue plus facile grace a Ia publication de données descnptives, presentées séparément pour les hommes et pour les femmes, dans différents pays [Arber, 1989, 1997 ; Koskinen et Martelin, 1994 ; Macmtyre et Hunt, 1997 ; Matthews et alii, 1999; Saurel-Cubizolles et Blondel, 1996 ; Stronks et alii, 1995]. Bien que les travaux aient surtout porte sur la comparaison des inégalités entre pays [Cavelaars et alii, 1998; Koskinen et Martelin, 1994 ; Lahelma et Arber, 1994 ; Valkonen, 1989] ou dans le temps, ils montrent globalement des diffé-

rences sociales plus accentuées chez les hommes que chez les femmes pour Ia mortalité toutes causes confondues, ainsi que pour de nombreux indicateurs de morbidité. De telles differences entre genres deviennent en effet faciles a observer si, dans l'étude des inegalites socio-economiques, on ne se centre plus principalement sur les differences entre pays ou dans le temps.

Plusieurs etudes américaines ont ainsi montré des inegalites socio-économiques plus prononcées chez les hommes que chez les femmes parmi les adultes en age de travailler [Backlund et alii, 1996 ; Elo et Preston, 1996 ; Kaplan et alii, 1996 ; Pappas et a/u, 1993] ; en 1986, Ia mortalité ajustée surl'age des hommes

blancs âgés de 25 a 64 ans, de niveau d'études le plus bas, était 2,5 fois superieure a Ia mortalité de ceux qui avaient le niveau d'études le plus dlevé, alors que, chez les femmes blanches, le rapport entre ces groupes extremes était inférieur a 2 [Pappas et a/u, 1993]. En France également, les inégalites sociales de mortalité sont plus fortes chez

les hommes que chez les femmes; en France, les inegalites sociales de mortalité, mais pas de morbidité, apparaissent élevées comparativement aux autres pays d'Europe de I'Ouest [Mackenbach et alii, 1997]. En 1990, les ouvriers de sexe masculin avaient un risque de mortalité prématurée (décès survenant entre 35 et 54 ans), quelle qu'en soit Ia cause, nettement plus marqué que les cadres supérieurs (OR 2,06) ; le gradient était moms contrasté chez les femmes (OR 1,16) [Lang et Ducimetière, 1995]. Pour Ia période allant de 198O a 1989, la probabilité de décès chez les hommes entre 50 et soixante ans variait (une difference de de 5,5 % chez les enseignants a 18,2 % chez les 12,7 %), alors que chez les femmes aux mêmes ages Ia difference était de 1,3 % (3,4 % chez les cadres et 4,7 % çhez les ouvrières specialisees) et de 5,5 % entre 60 et 75 ans (13, 7 % compare a 19,2 %) [Desplanques, 1993]. Une comparaison des differences de mortalité en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle a mis en evidence des différentiels de mortalité plus forts pour les hommes que pour les femmes, en France, en Hongrie, en Norvège, au Danemark et en Finlande, dans les années quatre-vingt [Kunst et Mackenbach, 1994].

Cette même tendance a des gradients moms marques chez les femmes en fonction dv statut socio-économique a egalement été observée pour Ia morbidité. En Grande-Bretagne, par exemple, les differences selon Ia categorie professionnelle ou le niveau d'études sont plus contrastées chez les hommes que chez les

366

CLES I)'INTERI'RETATION DES INEGALITES

femnies pour Ia sante perçue [Arber, 1997]. Une étude portant sur différents pays européens a montrC que les inégalites socio-économiques de sante perçue étaient plus grandes chez les homiiies que chez les fenimes en Norvège, aux Pays-Bas, en Finlande, en italic, cii France et en Grande-Bretagne [Cavelaars et a/u, 1998]. En Finlande, en Norvege et en Grande-Bretagne, on a Cgaiement observe de plus grands différentiels pour les maladies de longue durée incapacitantes chez les hommes que chez les femmes [Lahelma et Arber, 19941. Une comparaison des inégalités sociales de sante dans six pays de Ia CommunautC européenne, dans les pays nordiques, au Canada, aux Etats-Unis et au Japon a fait apparaItre une plus grande coherence dans Ia distribution sociale de Ia sante perçue chez les horniiies

que chez es lemnies [Kunst et a/u, 1995]. LES EXCEPTIONS A LA REGLE

Après avoir fourni des Cléments montrant que les differences socio-écononiiques de mortalité et de morbidité pourraient être plus fortes chez les hommes que chez les femmes, nous allons niaintenant montrer qu'ii existe des écarts par rapport a cette tendance. Premièrernent, les differences de genre en niatière d'inégalités de sante n'ont pas Ia même ampleur tout au long de Ia vie. ii senible bien que ces differences soient particulièrernent importantes chez les adultes en age de travailier. Elles paraissent nioins marquees a un age plus avancé ou plus jeune, aux pCriodes de Ia vie les gradients socio-économiques de sante sont de toute façon plus

faibles pour les deux sexes. Ainsi, une analyse des diffCrentiels de mortalité scion Ic niveau d'études aux Etats-Unis, entre 1979 et 1985, révèle des inégaIités plus fortes chez Ics hommes que chez les femmes, dans Ia période principale de Ia vie active, entre 25 et 64 ans, avec des differences plus marquees qu'après 65 ans [Elo et Preston, 1996]. Dc Ia niême II existe des données qui ne montrent pas de differences entre les genres pour les inégalités sociales de sante chez les jeunes adultes. L'analyse d'une sCrie d'indicateurs de sante menée dans une cohorte de personnes iiées en Grande-Bretagne en 1958 n'indique pas de differences significatives entre hommes et fenimes a l'iIge de 23 ou de 33 ans si I'on considère les inégalités de sante Iiées a Ia categoric professionnelle, et des résultats contradictoires si l'oii considère les inCgalités scion Ic niveau d'Ctudes [Matthews et a/u, 1999]. Deuxièmement, les differences dans les gradients socio-écononiiques scion Ic genre peuvent varier avec les causes de dCcès ou les indicateurs de sante corisidérés. Ainsi, les hommes tendent avoir des gradients socio-éconorniques plus marques que les femmes pour Ia niortalité par accidents et par violence, mais plus faibles pour Ia mortalité par maladies circulatoires [Koskinen ci Martelin, 1994]. En AngleteiTe, chez les hommes, le taux d'accident est sensiblenient plus élevé (d'environ 70 entre 25 et 34 ans) dans les professions manuelles que dans les

GENRE ET INEGALITES SOCIALES EN SANTE

367

professions non manuelles, mais ii n'existe pas de difference chez les femmes [Acheson, 19981. Au contraire, un résultat observe dans nombre de pays est un gradient socio-économique plus grand chez les femmes pour les maladies coronariennes [Morrison et alii, 1997]. En Angleterre, le ratio de mortalité par maladie coronarienne dans les deux catégones sociales les plus basses rapportées aux deux plus élevées était de 2,69 chez les femmes et de 1,66 chez les hommes dans Ia période 1986-1992, alors que les mêmes ratios calculés sur Ia mortalité toutes causes étaient de 1,55 chez les femmes et 1,68 chez les hommes [Acheson, 1998]. Ce gradient socio-économique plus fort chez les femmes que chez les hommes pour la pathologie cardiaque est manifeste depuis plusieurs dizaines d'années en Grande-Bretagne [Feldman et a/u, 1989]. Une étude conduite dans le sud-ouest de l'Angieterre, sur treize maladies, a établi que les inégalités socio-économiques (appréciées par un score mesurant le niveau de pauvreté de Ia zone de residence) entre hommes et femmes

de facon significative seulement pour deux d'entre elles: pour l'asthme, les inégalités sont plus grandes chez les femmes, tandis que pour la depression, elles sont plus grandes chez les hommes [Eachus et alii, 1996]. L'étude de Ia cohorte

britannique de 1958 indique des inegalités suivant le niveau d'études plus importantes chez les hommes pour certaines maladies (longues maladies incapacitantes et symptômes respiratoires a l'âge de 33 ans) mais plus importantes

chez les femmes pour d'autres (mauvaise sante percue a 23 ans et détresse psychologique a 33 ans) [Matthews et alii, 19991.

Troisièmement, les differences de genre observées dans les inégalités de sante peuvent varier en fonction de l'indicateur de position socio-économique utilisé. Les données du chapitre de Jougla et alii, dans ce livre, indiquent qu'en France peu de differences existent entre les sexes pour I'association entre mortalité et niveau d'études alors que, comme cela a déjà été signale, les différences en fonction de Ia categorie socioprofessionnelle sont plus marquees chez les hommes que les femmes. Quatrièmement, les differences de genre dans les inegalites de sante peuvent varier selon Ia période. En Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, dans Ia période de l'apres-guerre, les inégalités se sont accrues davantage pour les hommes que pour les femmes. Des contradictions apparentes sur l'ampleur des differences

d'inegalités sociales entre hommes et femmes pourraient s'expliquer par la comparaison de données recueillies a des périodes différentes. Par exemple, chez les adultes âgés de 55 a 84 ans, de plus fortes inegalités socio-économiques

de mortalité ont été relevées chez les femmes en 1960 (notamment chez les femmes des classes d'age 65-74 et 75-84 ans) tandis que, dans Ia pénode 197 1-

1984, ces inegalites étaient plus fortes chez les hommes. Ce changement s'explique par le fait que les inegalités chez les hommes ont augmenté considérablement avec Ia diminution rapide de Ia mortalité chez ceux qui avaient un

niveau d'études élevé, alors que les gradients sociaux de morbidité chez les femmes sorit restés stables sur Ia période étudiée. La plupart des tendances

368

DES INEGALITES

concernant les differences de mortalité toutes causes scion le niveau d'études

s'expiiquent par Ia mortalitd due aux maladies cardiaques [Feldman et a/u,

1989]. Pius récemment, en Angleterre, on a montré que les écarts sociaux de mortal ité s'ëtaient davantage creusCs au cours des années chez les homiiies que

chez les femmes, augmentant ainsi la difference de gradient social entre hommes et fenimes [Raleigh et Kin, 1997]. En période de changement social rapide ou de troubles économiques, les

differences dans les gradients socio-économiques en fonction du genre observées dans des périodes plus stables peuvent se modifier. Des données récentes provenant de Moscou illustrent ce fait [Chenet et a/u, 1998]. Chez les aduites de 20 a 59 ans, les differences socio-économiques de mortalité due a l'alcool et a Ia violence y Ctaient plus fortes, mais cette fois chez les femmes: les hommes qui n'avaient pas atteint un niveau d'études de fin de cycle secondaire étaient deux fois et demi plus a risque de mourir de causes Iiées a l'alcool tandis que le chiffre correspondant chez les femmes Ctait de huit. Ces chiffres

reposent sur plus de 86000 décès dans

Ia

yule de Moscou, en 1994

et 1995, années de mouvement social de grande envergure consdcutifà l'effon-

drement de 1'URSS et a une décennie de bouleversements. Cette période a également connu des changements dans les differences hommes-femmes d'espdrance de vie : entre 1987 et 1995, celle-ci a diminué de huit ans chez les hommes pour tomber a 57 ans et de trois ans chez les femmes pour tomber a 71 ans, cc qui souligne encore l'irnportance de bien préciser Ia pdriode et le contexte historique dans lesquels sont analysdes les differences de genre [Chenet et a/il, 1998]. Le cinquiènie point concerne les differences entre pays dans les relations

entre classe sociale et sante selon Ic genre [Lahelma et Arber, 1994]. Le tableau 1, qui s' inspire de Cavelaars et a/li [1998], iridique ainsi des differences marquees entre pays a Ia fois quant a Ia direction et quant a i'ampleur des inégalités socio-économiques en fonction du genre, en matière de sante percue [Cavelaars et a/u, 1998]. En Norvege, aux Pays-Bas, en Finlande, en Fraiice et en Grande-Bretagne, i'indice relatif d'indgalités (Ru, mesurant Ic risque de mauvaise sante de Ia catégone Ia plus basse par rapport a Ia catégonie Ia plus élevée après ajustement sur l'age) est plus faible chez les femmes que chez les hommes. C'est en Norvège et aux Pays-Bas que cette difference entre honimes et femnies apparaIt le plus

nettement, tandis qu'elle semble relativenient négligeable en France et en Grande-Bretagne. En revanche, en Suede, au Danemark et en Espagne, l'indice relatif d'inegaiitCs est plus grand chez les femmes que chez ies homrnes, avec

des differences particulièrement importanies en Suede et au Danemark. En Suisse et en Allemagne, le tableau est confus car l'Ccart entre les indices reiatifs d'inegalités des hommes et des femmes diffCre scion ia réponse choisie pour départager Ia bonne de Ia sante. En effet, Ia formulation de Ia question posCe et le nombre de categories possibles pour Ia réponse ont vane <

>

<

369

GENRE ET INEGAL1TES SOCIALES EN SANTE

selon les pays ; en outre, dans certains pays (Finlande, Grande-Bretagne, Suisse,

Espagne et Allemagne), les indices relatifs d'inegalités ont été calculés avec

deux semis différents: une sante

<

ou <moins que

moms que

moyenne >>. Les conclusions sur l'étendue des differences de genre dans les differences socio-économiques dans l'un des pays d'Europe ne sont donc pas généralisables aux autres pays européens. Les comparaisons transnationales posent davantage probleme pour Ia morbidité que pour la mortalité [AIach et

Curtis, 1990]. Tableau 1

Indices relatifs d'inégalités1 (RI! et intervalles de confiance a 95 %) pour Ia sante perçue Femmes

Hommes Pays

Norvège Pays-Bas Suede

Danemark Finlande2 Finlande3 Italie

France Grande-Bretagne2 Grande-Bretagne3 Suisse2 Suisse3

Espagne2 Espagne3 Allemagne2 Allemagne3

RI!

IC 95 %

RI!

IC 95 %

6,98 5,42 4.84 4.60 4,45 4,70 4,36 4,23 4,06 5,36 3,09

5,55-10,7 4,03-7,29 3,09-7,57 2,76-7,66 3,37-5,88 2,67-8,29 3,79-5,01 2,55-7,03 3,24-5,10 3,01-6,32 2,26-4,24 1,22-1,92 2,11-3,55 1,99-5,59 1,81-2,79 2,08-3,93

4,76

2,92-7,73 2,59-4,75 4,55-11,6 3,95-11,7 2,93-5,09 1,72-5,53 2,75-3,59 2,82-6,21 3,24-4,98 2,76-5,56 2,03-3,64 2,20-3,59 2,47-4,46 2,58-9,33 1,99-3,17 1,56-2,94

1,53

2,74 3,33 2,25 2,86

3,51

7,27 6,80 3,86 3,08 3,14 4,18 4,02 3,92 2,72 2,81

3,32

4,90 2,51

2,14

I. Risque tie mauvaise sante de Ia catégorie sociale Ia plus basse par rapport a Ia categoric Ia plus élevée. 2. RI! calculC pour une sante u moms que bonne 3. RI! calculé pour une sante moms que moyenne

Source : adapté de Cavelaars et alii, 1998, tableaux 3 et 4.

La distribution des differences sociales de mortalité et de morbidité selon le genre peut done varier selon les étapes de Ia vie, les indicateurs de sante et de statut socio-économique, la p&iode et le pays. Tant Ia situation dominante, des differences sociales plus grandes chez les honimes, que les exceptions a cette situation soulèvent des questions intéressantes sur les mécanismes a l'origine a Ia fois des differences sociales et des differences de genre en matière de sante.

370

CLEs I)'INTFRPRETATION

INEGALITES

LES EXPLICATIONS

Les explications possibles aux differences de gradients socio-économiques

en fonction du genre en matière de sante peuvent se classer en trois categories principales: artefact, exposition et vulnCrabilité. L'explication par un artefact laisserait entendre que les differences sociales de sante seraient < vraiment>> les rnêmes chez les homnies et les femmes, mais que cette similarité se trouverait masquée par les differences de genre dans les mesures soit de Ia sante, soit de Ia situation sociale. Par exemple, on pourrait penser que, comme les classifications en categories socioprofessionnelles ont &C géneralement établies en se fondant sur ties iiiCiiers typiquemeni rnascuhns, eltes ne rendent pas compte de Ia

hiérarchie des emplois fCrninins el que, si une classification basée sur ces derniers était établie, alors les differences sociales de sante des femmes apparaItraient plus importantes. De niême, on pourrait considérer que des indicateurs de Ia situation sociale, conime le niveau d'études, le revenu, Ia qualification profes-

sionnelle, l'accès a des biens Eels qu'une maison et une voiture, ou le fait d'habiter dans une zone defavorisee, ont des significations ou des consequences

différentes pour les hommes et les femmes, si bien qu'en comparant les gradients sociaux masculins et férninins a l'aide de ces indicateurs, on ne compare pas vraiment des situations comparables.

Cependant, ce qui a été considéré plus haut comme explications de type artefact pourrait s'interpréter comnie differences d'exposilion, a savoir que les honimes et les fenirnes classes de Ia même selon un indicateur de situation socio-économique seraient en réalité exposés a des environnements physiques et psychosociaux différents. Deux exeniples, I'un en haut, l'autre en bas

de l'échelle sociale, peuvent illustrer cette hypothèse. Dans de nombreuses sociétés, les métiers manuels qui prCsentent des dangers physiques immédiats ont presque toujours ete réservés aux horniiies (rnineurs de charbon, nmrins pécheurs, pompiers, ouvriers de Ia construction navale et de l'iiidustrie lourde, soldats de premiere ligne, etc.) ; que tes femmes aient eté affectées a ces emplois en temps

de guerre constitue une exception notable qui peut avoir des consequences durables sur Ia generation concernée. Les differences d'exposition a des risques menacant Ia vie et Ia sante entre Ics hommes qui exercent ces emplois et ceux qui ont une profession non nianuelle sont probablement plus grandes que les diffCrences entre les femmes occupant des ernplois non qualifies et celles qui ont une profession non manuelle. A I'autre extrCmitC de l'échelle sociale, ii se peut que les hommes cadres supérieurs soient exposés a des conditions de travail moms stressantes que leurs homologues qui se trouvent un peu en dessous dans l'échelle sociale. Cependant, ies femmes dans ces emplois de cadres supérieurs, comnie les médecins par exempie, peuvent avoir des conditions de travail plus stressantes que les employees de bureau ou que les femmes qui occupent des emplois traditionnellement plus fCrninins, cornrne les infirmières [Hunt et Emslie, 1998]. Cela pourrait étre d(I a Ia fois aux stéréotypes de comportements a Ia iiiaison et au

GENRE ET INEGALITES SOCLALES EN SANTE

371

travail scion le genre et a des differences dans les processus de selection et d'autoselection dans l'emploi ; par exemple, les femmes qui occupent les postes les plus élevós dans les entreprises sont moms souvent mariées et ont moms souvent des

enfants que les hommes qui ont des postes similaires [Emslie et alii, 1999]. La question reste done ouverte de savoir s'iI vaut mieux considérer les differences Cntre les hommes et les femmes sur le marché du travail comme produisant des explications du type artefact ou du type exposition. Cette question a été abordée de manière empirique par quelques chercheurs. Stronks et ses collegues ont observe des inegalités selon Ic niveau d'études et selon des indicateurs de statut socioprofessionnel, plus grands chez les hommes que chez les femmes, entre 25 et 64 ans, a la fois pour les maladies chroniques et pour Ia sante percue [Stronks et alii, 1995]. Leur hypothèse est que les inégalités plus grandes constatées chez les hommes seraient dues aux differences aux Pays-Bas, d'activité professionnelle scion Ic genre, dans la mesure l'activité professionnelle dans la vie adulte est très différente entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles beaucoup sont classées comme <>. Après ajustement sur Ic statut a l'egard de l'emploi, les inegalites de sante des hommes et des femmes étaient plus comparables, notamment pour Ia sante percue [Stronks et alii, 1995]. Ces auteurs suggèrent qu'il pourrait étre

important d'analyser les effets de Ia prise en compte du statut a l'egard de l'emploi dans des pays oü les differences des hommes et des femmes par rapport

a I'emploi ne sont pas aussi prononcées qu'aux Pays-Bas. us soulignent egalement la nécessité d'analyser Ia repartition des hommes et des femmes dans les différents emplois, repartition qui va influencer leurs expositions respectives a différentes conditions de travail. Peu d'études ont toutefois essayé d'évaluer les differences socio-économiques de sante chez des hommes et des femmes dans des contextes professionnels comparables [Emslie et alii, 1999]. Une étude sur des adultes, en Norvège, s'est préoccupée de l'impact sur les

inegalites professionneHes de sante de l'inclusion des sujets non actifs au

moment de I'enquete; en effet, en raison de la selection due a l'effet <
>>,

I'exclusion de ceux qui ont été précédemment employés

risque d'entraIner une sous-estimation [DahI, 1993]. Cette approche n'a pas eu beaucoup d'impact chez les hommes, en revanche l'effet a été plus sensible chez les femmes, puisque chez celles-ci les inegalités ne devenaient visibles que Iorsqu'on incluait les femmes qui avaient travaillé auparavant [Dahl, 1993]. La recherche empirique Ia plus détaillée sur les différentes explications pouvant rendre compte des inegalités plus importantes chez les hommes, pour les adultes en age de travailler, a été réalisée sur les décès en Finlande de 1981

a 1985. Trois explications possibles ont été explorées: des mesures de La situation socio-économique associées au genre de manière telle que les gradients

semblent plus petits chez les femmes; un effet de confusion dil a d'autres facteurs sociodémographiques, qui masquerait les inégalités chez les femmes et

372

CLES D'INTERPRETATION DES

les accentuerait chez les hommes ; des differences dans Ia structure des causes de décès [Koskinen et Martelin, 1994]. La premiere explication, les problènies lies au choix d'un indicateur socioéconomique particulier, a eté Ccartée aprC.s avoir montré que les gradients Ctaient

plus iniportants chez les honirnes que chez les femmes pour quatre indicateurs différents : le niveau d'Ciudes, la catégorie socioprofessionnelle, Ia densité d'occupation du logement et Ic niveau d'équipement de Ia maison. La deuxiènie explication est vraisemblable pour le statut marital : les differences d'inégalites sociales de mortalité entrehommes et femmes n'ont été observées que pour les personnes niariées. Mais c'est Ia troisièrne explication, les differences dans Ia structurc dcs causes dc dCeès entre ies liommes et les femmes, qui senible rendre

compte pour l'essentiel de Ia difference de genre concernant les inégalités sociales de mortalité. Le gradient socio-éconornique inverse (mortalité plus élevée dans les classes sociales plus élevées) pour le cancer du sein, responsable de 9 % de l'ensemble des décès fCrninins, expliquait en grande partie pourquoi

les differences sociales de niortalité toutes causes Ctaient réduites chez les femmes [Koskinen et Martelin, 1994], Cependant, certains signes laissent penser que pour Ic cancer du sein les differences sociales tendeni a s'amenuiser et pourralent même s'inverser, avec des taux plus élevCs chez les feninies les

moms favorisées. Cela pourrait conduire, dans les années a venir, a une reduction des differences entre hornmes et femmes pour Ies inégalités sociales de mortaiité [Heck et aiii, 1997]. Outre les artefacts et l'exposition, il existe une troisième grande catégorie d'explications aux differences dans les inegalités sociales de sante en fonction du genre: ies hommes et les femmes présenteraient une vulnérabilité différente pour des expositions similaires a I'environnement physique ou social. La base d'une plus grande vulnérabilité de I'un ou I'autre sexe pourrait être biologique ou sociale. ii existe des éléments qui perniettent de penser que les hommes sont

gdnéralement moms robustes biologiquement et PIUS vulnérables que les femmes: un taux de décès plus élevé, y compris dans Ia période prdnatale, et dans les cas de situations pariculièrement défavorables, des changements plus extremes de l'espérance de vie (par exemple en Russie), ou des retards de croissance des enfants.

Cependant, bien qu'il y ait toute une série d'hypothèses mCdicales et profanes sur les differences biologiques et psychologiques entre les sexes, les hypotheses fondées sur des differences de vulnérabilitC pour expliquer les différences scion Ic sexe, dans Ia sante en général ou bien dans les gradients sociaux de sante en particulier, n'ont pas etC suffisamment développées et anaiysCes.

GENRE Ef INEGALIT S SOCIALES EN SANTE

373

CoNcLusioN La tendance a des inégalités socio—économiques de sante plus marquees chez

les hommes que chez les femmes, malgré le vaste corpus de recherches qui l'atteste, n'est pas universelle. Nous pensons que c'est en étudiant les circonslances particulières dans lesquelles apparaissent des differences et des ressemblances que nous progresserons dans Ia comprehension des mécanismes qui produisent et maintiennent des differences de sante a Ia fois entre hommes et femmes et entre les différents groupes sociaux. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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24

Modèles animaux d'étude Olivier Berton, Pierre Mormède

Des 1950, des etudes menées chez différentes espèces ont montré que les facteurs écologiques (disponibilité des ressources, prédateurs, agents pathogenes...) ne permeuent pas toujours de rendre compte de Ia dynamique des populations animales. En effet, des facteurs lies a Ia structure du groupe modulent également le bjen-être et Ia survie des individus [Dantzer, 1990]. Ces influences,

reflétant les interactions de I'organisme avec son environnement social, impliquent notamment des systèmes neurobiologiques dont Ia fonction générale est de maintenir l'équilibre homeostatique face aux pressions de l'environnement. L'implication de ces systèmes biologiques, classiquement désignes comme des systèmes de réponse au stress, peut apparaItre de facon très nette chez l'animal lorsque Ia structure sociale subit des distorsions. Dans des conditions expérimentales de forte densité de population par exemple, une chute brutale du nombre d' individus, liée a une augmentation de Ia mortalité et a une reduction de la fertilité, est frequemment rapportée sans qu'aucun facteur ecologique limitant ne puisse être identiflé. Les evaluations comportementales et biologiques menées dans de telles circonstances font apparaItre des dereglements des conduites interindividuelles (sexuelles, matemelles, affihiatives et agressives) et Ia survenue, chez certains individus, d'altérations physiologiques similaires a celles décrites par Hans Selye [1973] dans le cadre du syndrome d'adaptation. De tels résultats, montrant que les interactions sociales constituent une source de stress, ont conduit a Ia formulation du concept de << stress psychosocial >>. Ces

données ont stimulé le développement d'un axe de recherche consacré a Ia comprehension des mécanismes psychobiologiques intermédiaires susceptibles

de traduire les influences sociales en processus physiopathologiques. Les modèles animaux issus de ces etudes permettent de proposer des clefs d'interpré-

tation biologique pour certains troubles (psychiatriques, cardio-vasculaires, immunitaires, gastro-intestinaux et autres) dont l'etiologie multifactonelle semble admettre un fort déterminisme social. II est toutefois important de préciser que ces etudes ne constituent en rien une tentative de modélisation de l'univers psycho-

378

CLES D' INTERPRETATION

INEGALITES

social humain, les stimulations et les contextes sociaux analyses tie se voulant pertinents que pour l'espèce animale étudiée.

LES REPONSES PSYCHONEURO-ENI)OCRINIENNES I)'ADAPTATION

En réponse aux pressions de l'environnenient qu'il perçoit et interprète comme des menaces pour son intCgrité, l'organisrne procède ii an ensemble d'ajustements psychologiques, comporternentaux et neuro-endocriniens, auquel fait réfCrence le concept de stress. La notion de stress social désigne, dans ce cadre, les ajustements lies ala presence, a ot' a !'action particulière des congénères. Les ajustements psychologiques et comportementaux mis en place par l'organisme visent principalement a contrôler l'impact du stimulus rnenaçant, a travers des modifications de l'environnement, ou par Ic bials de rearrangements perceptifs et cognitifs. Les ajustements neuro-endocriniens permettent le maintien de l'homéostasie et participent a l'expression des ajustecomportementaux et psychologiques. Les deux principaux systèmes neuro-endocriniens activCs lors des réponses de stress sont l'axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien et le système nerveux syrnpathique. Le premier est responsable de Ia liberation, par Ic cortex surrénalien, d'horniones glucocorticoIdes (cortisol et corticostérone) en réponse a une sécrCtion hypophysaire d'adrénocorticotropine (ACTH), elle-mêrne cornmandée par (a corticolibérine (CRF) provenant de ('hypothalamus. L'activation du système nerveux synipathique conduit a Ia sécrétion de catécholamines (noradrénaline et/ou adrenaline) au niveau de terminaisons nerveuses distribuées dans tout I'organisrne, ainsi qu'au niveau de Ia zone médullaire de la glande surrénale. La sécrCtion d'autres facteurs hormonaux d'origine hypophysaire (endorphines, prolactine, vasopressine) est gCnCralement observCe de facon concomitante. A travers leurs actions métaboliques et/ou cardio-vasculaires distinctes mais complementaires, ces hormones ont pour principal effet d'accroItre Ia disponibilitC des substrats energetiques (glucose, acides aminés et acicles gras) au niveau des muscles et du cerveau, favorisant ainsi ('action comportementale. En parallèle de ces effets stirnulateurs, une inhibition des activités hormonales anabolisantes (hormone de croissance, hormones sexuelles) et des réponses inflammatoires est gCnéralement observCe au cours du stress.

Par Ic biais de récepteurs spécifiques localisés dans le système nerveux central

(au niveau de l'hypolhalamus, de l'hypophyse et de l'hippocampe notamment), les gi ucocorticoldes contrôlent I 'act i vité de I 'axe hypothalamo-hypophyso-corti-

cosurrénalien et régulent ainsi lear propre sCcrétion. Ce rétrocontrôle negatif perniet Ic retour des taux d' hormones a leur niveau de base et prévient uric possible hyperacti vitC neuro-endocrinienne dont les consequences seraient délétères pour l'organisrne. Par l'intermCdiaire de ces mêrnes récepteurs, les hormones cortico-

surrénaliennes modulent l'activité neuronale au niveau du système nerveux

MODELE5 ANIMAUX D'ETUDE

379

central, et adaptent les seuils perceptifs, les capacités de mémorisation et les états émotionnels au contexte environnemental [Huether, 1996]. Comme le souligne cette breve description,. Ia reponse de stress correspond a une redistribution momentanée des priorités physiologiques. Elle est cruciale pour la survie de I'organisme, en particulier face aux agressions aigues de l'environnement auxquelles ii est frequemment confronté. Cette arme adaptative apparaIt cependant a double tranchant lorsqu'une menace incontrôlable se maintient dans le temps. En effet, dans de idles conditions, les risques encourus sont des déreglements (métaboliques, immunitaires, cardio-vasculaires...) reflétant l'action prolongée des hormones sur leurs cibles physiologiques. Ii est donc nécessaire qu'un ensemble de mécanismes extrêmement efficaces permette de prevenir de

tels débordements. Bien qu'elle ait initialement été considérée comme une réponse réflexe de I'organisme, invariable quelle que soit Ia nature de la stimulation déclenchante, la réponse de stress apparaIt au contraire gérée de facon éminemment fine et plastique par le système nerveux central. Les données dont nous disposons aujourd' hui montrent par exemple que I' intensité des réponses neuro-endocriniennes de stress depend moms de Ia sévérité objective de l'agent stressant que de la signification subjective que lui accorde l'individu. En particulier, l'acuité avec laquelle Ia survenue d'une situation aversive peut être prédite, la perception d'une possibilité de contrôle et le type de réponse comportementale developpée dans cette situation sont des facteurs qui déterminent directement l'intensité et Ia qualité de l'activation neurohormonale. Par consequent, les expériences préalables de 1' individu face a son environnement sont susceptibles de renforcer (ou d'amoindrir) ses capacites d'adaptation. Ce modelage des caractéristiques individuelles de réactivité par les influences de l'environnement est particulièrement pregnant durant les phases précoces de l'ontogenèse, comme le montrent les modifications indélébiles de Ia réactivité comportementale et neuroendocrinienne produites par les manipulations de l'environnement pendant Ia pénode périnatale. Cette histoire individuelle interagit avec des caracténstiques de réactivité génétiquement déterminées, sous Ia forme de traits neuro-endocnniens, psychologiques et comportementaux. La combinaison de ces influences multiples contribue a Ia constitution de Ia personnalité psychobiologique propre a chaque individu [Huether, 1996]. REPONSES D'ADAPTATION ET GROUPES SOCIAUX

Chez l'animal comme chez l'homme, certains contextes psychosociaux tels que Ia rencontre de congénères inconnus, les interactions hierarchiques ou Ia rupture d'un lien social influencent l'activité des systèmes neur-oendocnniens de réponse au stress [Hellhammer et alii, 1997]. Chez l'animal, ces stimulations apparaissent d'ailleurs parmi les plus efficaces pour induire experimentalement des états de stress. En effet, chez le rat, Ia soumission a Ia domination physique

380

CLES D'INTERPRETATION DES INEGALITES

d'un congénère est une situation qui s'accompagne d'une activation neuroendocrinienne (corticotrope et sympaihique) nettement supérieure a celle induite par Ia majorité des stimulations aversives classiquement employees en laboratoire (environnernent nouveau, chocs Clectriques, immobilisation, immersion...) [Koothass et a/u, 1997]. Comme les relations de dominance-subordination sont a la base des structures sociales développées par cette espèce, on concoit que Ia désorganisation du groupe puisse s'accompagner de derèglements physiologiques très sévères. Chez Ia plupart des espèces animales grCgaires, Ia composition de groupes mixtes organisés de facon hiérarchique apparaIt en effet comme tine caractéris-

gCnCriik. Au de ces groupes, chaque individu peut étre caractérisé comme dominant ou subordonné par rapport a chacun de ses congénères. Ces relations de dominance-subordination sont généralement définies en ternies de comportements agonistiques au sein de dyades en interaction; les comportenients offensifs ou agressifs caractérisent les individus dominants, tandis que les conduites défensives ou de soumission désignent les individus subordonnés fMiczek et a/li, 1990]. Cette organisation hiérarchique dCfinit classiquement des roles sociaux au scm du groupe et determine, chez les individus de rang social élevé, un ensemble de priorités variables selon l'espèce considérée. Ainsi, chez les primates et les rongeurs, les individus dominants présentent généralement un succès reproductif plus élevé que les subordonnCs, ainsi qu'un accès prioritaire aux ressources naturelles telles que Ia nourriture et l'espace. Lorsqu'un groupe

social est nouvellement formC, I'organisation hiérarchique s'y établit rapidement au cours des premieres semaines de regroupenient. La frCquence des interactions agonistiques est élevée au cours de cette période, puis diminue progressivement pour atteindre un niveau très bas [Blanchard et a/u, 1988] ne représentant pas plus de 0,5 % du temps dans une colonie de rats. Une fois deterrninée, cette organisation hiérarchique peut rester stable durant des mois ou des années si les contraintes écologiques Ic permeltent. L'évaluation de paramètres biologiques montre que Ia formation du groupe correspond a une stimulation neuro-endocrinienne intense. Celle-ci se traduit par une activation de l'axe corticotrope et du système nerveux sympathique touchant d'abord l'ensemble des individus de façon indifférenciCe. Puis, parallèlement a I 'emergence de Ia h iérarchie sociale, une différenciation neuro-endocri nienne s'effectue permettant gCnéralement de distinguer les individus dominants des individus subordonnés [Sapolsky et a/li, 1997]. Chez Ia souris, par exemple, les taux de corticostérone plasmatiques restent Clevés chez les subordonnés jusqu'à quatre semaines après Ia constitution de Ia colonie, alors que les dominants recou-

vrent des taux

de corticoslCrone- après quelques jours. A l'inverse, I'activité du système nerveux sympathique est accrue pendant plusieurs semaines chez les souris dominantes alors qu'eIIe retourne rapidement a son niveau debase chez les souris subordonnées [Ely et Henry, 1978]. Une augmentation de I'activité de I'axe gonadotrope a Cgalement etC rapportée chez les males dominants de

MODELES ANIMAUX D'ETUDE

381

especes. A l'inverse, chez Ia plupart des vertébré.s, ainsi que chez certains reptiles et poissons, les individus subordonnés presentent une inhibition de l'activité gonadotrope [Miczek et alii, 1990]. Toutes ces réponses neuroendocriniennes sont également trIs variables selon les strategies comportementales propres a chaque individu [Virgin et Sapolsky, 1997]. nombreuses

Ces modifications hormonales semblent participer a l'expression et au maintien des statuts sociaux, en facilitant ou en inhibant l'expression de certains comportements. L'élévation des taux de corticostéroIdes plasmatiques, qui est connue pour faciliter les comportements de soumission chez le rat, interviendrait dans le développement du profil comportemental lie a Ia subordination, qui semble se développer au cours de confrontations successives a la manière d'un apprentissage, une défaite sociale préalable augmentant Ia probabilité d'occur-

rence des comportements de soumission lors de rencontres ultérieures. A I'inverse, l'augmentation des taux d'hormones gonadotropes observée chez les dominants (et qui peut être mimée experimentalement) facilite I'expression des comportements agressifs. Ces distinctions neuro-endocriniennes liées au rang social prdsentent une valeur adaptative certaine en permettant Ia stabilisation de Ia hiérarchie et Ia coexistence finalement pacifique des individus. Aussi, lorsque I'organisation sociale reste stable, certaines differences comportementales Iiées au rang social persistent, alors que les differences neuro-endocriniennes tendent a s'estomper. Dans des colonies stables de rongeurs et de primates, par exemple, les interactions agressives entre congénères sont rarement observées et tendent a se limiter a des gestuelles de menace et de soumission. Dans de telles conditions, les taux de corticostérone et de catécholamines plasmatiques se normalisent et retrouvent des niveaux equivalents chez tous les individus, quel que soit leur rang social. A l'inverse, lorsque certains paramètres de l'environnement s'opposent a Ia stabilisation de l'organisation sociale, les mécanismes adaptatifs dchouent et les animaux sont maintenus dans un état de stress chronique favorisant Ia survenue de déreglements physiologiques [Miczek et alii, 1990]. M0DELEs ANIMAUX BASES SUR LA DESORGANISATION DU GROUPE SOCIAL

La plupart des modèles animaux développés afin d'étudier l'influence des contextes sociaux sur le fonctionnement physiologique impliquent des conflits

lies a Ia déstabilisation de ces relations de dominance/subordination qui s'établissent entre les animaux d'un même groupe. Si ces relations sont discrètes dans les conditions usuelles d'elevage en laboratoire (souches peu agressives, sexes séparés, groupes stables, nourriture et boisson a volonté), elles peuvent

être rapidement exacerbées dans certains contextes expénmentaux ou seminaturels. Des manipulations de Ia mixité ou de Ia stabilité du groupe peuvent être

utilisées afin d'induire un élément de competition entre les individus. L'utilisation de ce type de protocole montre que les réponses neuro-endocnniennes

382

CLES I)' INThRPRETATJON DES INEGALITES

induites varient non seulement de facon quantitative, mais aussi qualitative selon le facteur social manipulé. Ainsi, l'introduction de femelles dans un groupe stable de males entraIne une activation préfCrentielle de l'axe corlico-

trope, tandis que le mélange repété de rats males non familiers s'accornpagne d'une stimulation prédominante du système nerveux sympathique. Une potentialisation de chacun des deux effets est observée iorsque les facteurs stabilité et mixité sont manipulCs simultanCment [Mormède el a/il, 19901. Des

états de stress social prolonge peuvent également être induits en

réduisant Ia disponibilitC de certaines variables Ccologiques (espace, nourriture)

ou en introduisant des individus nouveaux au sein de groupes préalablement construits. Dans ces coriditioiis, ks aninlaux lUtiwli duiabkiiieut pour iiiaiiiieiiir une position sociale élevée développent prCfCrentiellement des déreglements physiologiques lies a une hyperactivité du système nerveux sympathique, tandis que les troubles observes chez les anirnaux contraints de se soumeltre semblent plutôt refléter une hyperactivité de l'axe corticotrope [Ely et Henry, 1978]. Des travaux menCs chez le rat et la souris montrent en effet que ies individus dominants présentent des augmentations soutenues des taux de catécholamines plasmatiques et de Ia pression artériefle lorsqu'ils sont places dans des conditions d'instabilité sociale proiongée. Chez certaines souches, ces conditions favorisent a long terme le dCveloppement d'hypertension chronique et d'athérosclérose, suggérant l'intervention de facteurs génétiques de sensibilité. Par contre, niême si Ia défaite sociale accroIt de façon transitoire le rythme cardiaque et Ia pression artérielle, un Ctat de stress prolongé lie a des experiences

répétées de sournission n'induit pas d'hypertension et semble, a l'inverse, lie a une hypotension chez le rat [Henry et Grim, 1990]. Cette divergence des conséa aussi été montrCe quences physiopathologiques du stress social scion chez Ic macaque, avec un développement de lesions athCroscléreuses deux fois plus élevé chez des individus dominants élevés en groupe instable que chez des animaux du même rang places au scm de groupes stables. Chez les animaux subordonnés, en revanche, l'étendue des lesions reste faible quel que soit le niveau d'instabilité du groupe. L'effet observe chez les macaques dorninants

peut être potentialisé par un régime alimentaire hypersodé, et prévenu par cc qui confirme l'implication l'administration d'antagonistes de I' hyperacti vité sympathique dans le développement de I 'athérosc lérose induite par I'instabilitC sociale chez les singes dominants [Kaplan eta/il, 1996]. Chez les individus subordonnCs, Ia variétë des troubles physiopathologiques observes est plus large, et leur sCvéritC est souvent plus marquee. Cette 1)luS grande sévérité s'illustre notammentàtravers l'issue fatale de certaines situations de stress

social, et plus généralement par une durCe de vie rCduite chez les subordonnés. Ainsi, des travaux montrent que, chez certains rats sauvages, une proportion importarite des intrus introduits au sein de colonies prCalablement établies ne peut survivre, même en l'absence totale de blessure. Chez le Tupaia belangeri, une

espèce située d'un point de vue phylogCnétique entre les insectivores et les

MODELES ANIMAUX D'ETUDE

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primates, les individus vivent isolés ou en couple dans des conditions naturelles.

Lorsque, dans des conditions de laboratoire, certains tupaias sont contraints de vivre au contact (même uniquement sensoriel) d'un male dominant, us développent un ensemble de troubles comportementaux et neuro-endocriniens les conduisant genéralement a Ia mort en moms de quelques semaines. Bien que moms sévères

chez les singes et les rongeurs de laboratoire, les consequences physiologiques associées a Ia subordination dans des conditions d'instabihté sont également très marquees et touchent notamment le système gastro-intestinal, le système nerveux central et le système immunitaire. L' immunodepression décrite chez les animaux subordonnés semble cons-

timer un facteur pertinent pour expliquer Ia mortalité accrue observée chez ces animaux. En effet, dans différentes espèces, incluant certains macaques, Ia proportion d'individus developpant des infections après inoculation virale peut être jusqu'a 50 % supérieure chez les subordonnés [Cohen et alii, 19971. La fréquence des activités affiliatives (qui est moindre chez les singes situés en bas de l'échelle sociale) est notamment predictive de Ia durée de survie après inoculation du virus simien d'immunodéficience. Les correlations observées chez le singe entre le rang social et les taux d'hormones glucocorticoIdes suggèrent que

l'influence inhibitrice exercée par ces hormones sur certains médiateurs de l'immunité pourrait être a l'origine de Ia vulnérabilité accrue des animaux subordonnés [Capitanio et alii, 1998]. Toutefois, l'activité des différents éléments cellulaires constitutifs du système immunitaire n'est pas influencée de facon uniforme par le rang social. En effet, les réponses immunitaires impli-

quées dans Ia lutte contre le développement tumoral semblent au contraire stimuléès dans certaines conditions de stress social, cornme le suggère Ia survie accrue des rats subordonnés (compares aux rats dominants) après inoculation sous cutanée de cellules tumorales [Bohus et alii, 1991]. PROTOCOLES EXPERIMENTAUX BASES SUR L'UTILISATION DE DYADES

Les protocoles expérimentaux présentés ci-dessus, et employant des groupes sociaux complexes, ont l'avantage de confronter l'animal a des contextes charges d'une signification éthologique, c'est-à-dire reproduisant des contraintes semblables a celles rencontrées dans des conditions naturelles. En contrepartie de

leur richesse, ces protocoles présentent un certain nombre de lmiites d'ordre méthodologique, Ia principale concernant l'incapacité de l'expérimentateur a objectiver l'intensité du stresseur eta reproduire l'expérience de facon exactement identique. Alors que, dans le cadre des modèles de stress classiquement employés en laboratoire, les paramètres qui définissent le stimulus stressant sont contrôlés, reproductibles et indépendants de Ia population expérimentale (intensité d'un choc on d'un son, durée d'une immobilisation), Ye stimulus employe dans Ye cas du stress social est une propriéte émergeante du groupe, difficilement (voire non)

384

CLES I)'INTFRPRETATION DES INEGALITES

contrôlable et quantifiable par un observateur. Ce problème est majeur lorsqu'un facteur experimental supplérnentaire (tel qu'un traitement pharmacologique) est pris en compte, ou lorsque l'influence de caractéristiques individuelles (telles que le statut gCnétique) est évaluée tLemaire et Mormède, 1995]. Une solution alternative a l'utilisation de colonies permet de contourner en partie ces problèmes. Celle-ci consiste a induire Ia domination et Ia subordination sociale en manipulant artificiellement Ic rapport de force entre deux individus. La subordination sociale peut ainsi être provoquée en introduisant un jeune rat dans la cage d'un congénère dont la capacité a dominer est accrue artificiellement. Les protocoles defaite socuale>> utu hsentgCneualement a cet effet des souns ou p4iI till CL C4ua9ut1 dans leur cage. La capacitC a infliger une défaite sociale peut aussi étre facilitée par traitement pharniacologique ou par selection génétique. Ces situations de rencontre sociale permettent d'induire rapidernent un compor-

ternent de soumission chez des individus naIfs. La selection de dorninants présentant des niveaux d'agressivité equivalents permet de reproduire des inter-

actions agonistiques sinon standardisées, du nioins d'intensité peu variable. Certaines modifications de ces protocoles visant a mininliser les consequences des stimulus physiques et a favoriser l'influence de Ia composante psychologique de Ia subordination ont également été développCes. l)ans le cadre de ces modèles, une interaction physique breve (mais suffisante pour induire Ia soumission de l'animal

experimental) est suivie d'une pCriode de confrontation sensorielle de durCe variable. Au cours de celle-ci, Ia pression psychosociale peut être niaintenue (ou répétee) indCpendamment des consequences physiques non spCcifiques (fatigue, blessures). Ce type de protocole expéri mental a essentiellernent été utilisé chez le rat, Ia souris et le Tupaia belangeri. Dans de telles conditions, ces

espèces animales développent des dCreglements comportementaux et neuro-

endocriniens qui rappeflent ceux qui accompagnent chez l'homme certains troubles psychiatriques tels que l'anxiété et Ia depression [Koolhass et a!ii, 1997].

Après une experience de subordination aiguë (telle qu'une breve défaite sociale), les rongeurs perdent du poids, réduisent leurs comportements exploratoires en environnernent nouveau, et répondent par un comportement d'immobilité exagéree a l'émission d'un stimulus sonore. Ces alterations de la réactivité

émotionnelle se maintiennent parfois pendant plusieurs semaines lorsque les animaux sont replaces dans leur environnement habituel, et peuvent être prévenues par des traitements anxiolytiques, tels que les benzodiazépines [Koolhass et a/il, 1997]. L' importance des processus perceptifs et cognitifs dans Ic développement de cc profil a Pu être misc en evidence par des experiences de confrontation sensorielle. Ces travaux démontrent que Ia perception visuelle ou

olfactive d'un congCnere non faniilier suffit a induire une augmentation des concentrations circulantes d'adrCnaline et de corticostCrone accompagnée d'une activation comportementale ci niCtabolique. Cet effet de Ia nouveauté sociale est accru lorsque les aniniaux ont fait l'expérience prCalable d'une défaite sociale.

M0DELEs ANIMAUX D'ETUDE

385

Par ailleurs, après répétition, l'ensemble de ces réponses peut être déclenché par Ia presentation d' un stimulus initialement non pertinent (tel qu'un congénère inoffensif) [Miczek et a/u, 1990].

La répétition de situations de défaite s'accompagne d'une disparition progressive des comportements actifs de defense. Ceux-ci sont genéralement remplacés par des attitudes passives de soumission ou d'immobilité tonique. En dehors des situations de conflit, les comportements affihiatifs ou d'exploration sociale sont inhibés par des experiences préalabies de défaite. Les consequences comportementales de Ia subordination répétée ne se limitent pas a la sphere des interactions sociales. En effet, des dereglements des conduites alimentaires, des comportements sexuels, du tonus hedonique et des rythmes chronobiologiques (incluant les rythmes veille/sommeil) sont dgalement observes chez les animaux soumis a des situations de défaite répetee. Ces animaux présentent d'autre part un

accroissement de Ia vulnérabilité au développement de conduites addictives envers l'alcool et les psychostimulants, lorsque Ia possibilite de s'auto-administrer ces drogues leur est offerte [Miczek et alii, 19901. 11 est possible que les hormones glucocorticoIdes soient impliquées dans cet effet puisqu'une augmentation des taux de base de ces hormones est observée chez ces animaux, tout comme chez les rongeurs subordonnés au sein de colonies. Or, les hormones glucocorticoIdes sont connues pour accroItre l'appetence envers les drogues psycho-actives, notamment

a travers une action sur les systèmes dopaminergiques qui modulent les effets renforçants de ces drogues [Lemaire et a/u, 1994]. De facon intéressante, les dérèglements psychoneuro-endocriniens et comportementaux induits par des défaites

sociales répétées sont insensibles aux benzodiazépines, mais peuvent être prévenus par Ia majoritd des traitements identifies comme antidepresseurs chez l'homme, et notamment par les inhibiteurs sélectifs de recapture de Ia sérotonine (tels que Ia fluoxétine), qui réduisent egalement Ia prise de drogue chez l'homme. Plusieurs etudes se sont récemment attachées a identifier des caractéristiques individuelles susceptibles de prédire Ia sévérité de ces consequences comportementales de la défaite. Certains résultats montrent qu' ii existe de très grandes variations de Ia vulnérabilité selon I'origine génétique des animaux. Certaines souches de rats et de souris génétiquement manipulées apparaissent excessivement sensibles aux effets comportementaux d'une ou plusieurs défaites brèves, suivies de périodes de confrontation sensorielle avec ['agresseur [Berton et alii, 1998]. A I'inverse, d'autres populations semblent particulièrement résistantes ace type de pression psychosociale. Une question qui se pose a ce niveau est de savoir si ces differences génétiques de vulnérabilité reflètent un mode general de réactivité a l'environnement, ou une sensibilité spécifique aux stimulations sociales. Les données dont nous disposons actuellement soutiennent plutôt la seconde hypothése. En effet, les differences comportementales qui emergent entre des souches de rats dans des situations aversives de nature non sociale ne prédisent pas leur sensibilité dans des modèles psychosociaux, qu'ils soient fondés sur l'instabilité du groupe ou sur l'utilisation de dyades [Berton et aliu, 1997]. Les méthodes

386

CLES I)' INTERPRETATION DES INEGALITES

d'analyse de liaison génétique permettent de rechercher les determinants moiCculaires de telles differences [Moisan et alil, 1996]. récentes

Les mécanismes cCrébraux impliqués dans Ia gestion des informations sociales, et susceptibles de sous-tendre les dCrèglements comportenientaux et

décrits précédemment, sont encore très mal compris. Certains systèrnes de neurotransmetteurs identifies au niveau du système neuro-endocriniens

nerveux central sont toutefois connus pour moduler a Ia fois l'expression des réponses comportementales, et I' activ itC de systèmes neuro-endocri niens dans des situations de stress. Ces systernes neurochimiques, dont I'activité depend de facteurs génetiques et environnementaux, apparaissent donc comrne des candidais biologiques susceptibies de favoriser de difttrences mdividuelles de réactivité au stress. Parmi eux, les systemes a sérotonine semblent impliqués de facon particulière dans Ia gestion des informations sociales. En effet, ces systemes modulent l'expression des comportements sociaux, et en particulier agressifs, chez de nombreuses espèces anirnales, y compris lorsque

celles-ci sont très eloignees d'uii point de vue phylogendtique comme les primates et certains crustacCs [Edwards et Kravitz, 1997]. Plusieurs équipes, dont Ia nôtre, se sont intéressées a l'influence de Ia subordination sociale sur ce

système neurochimique. Les résultats obtenus chez le rat suggèrent que l'activité de ces systemes peut être modifiée après des défaites sociales. Ces influences se traduisent notamment par des modifications du nombre de certains récepteurs de Ia sérotonine, récepteurs qui constituent egalement les cibles pharmacologiques de Lraiternents anxiolytiques et antidépresseurs. Dc facon intéressante, les modifications du nombre des récepteurs de Ia sCrotonine chez les rats soumis a des défaites sont dépendantes de l'origine génétique des aninlaux, et correl lent avec Ia sensibilité des souches utilisdes aux consequences comporte-

mentale de ce traitement [Berton et a/li, 1998]. II serait naïf et réducteur de prCtendre que les modifications des systemes sérotoninergiques sont les seules induites par la subordination sociale au niveau du système nerveux central. En effet, plusieurs autres systèmes de neurotransrnetteurs sont également affectés dans ces conditions, et des phénomènes de perle neuronale ont également été décrits chez les primates et certains rongeurs. A nouveau, plusieurs travaux suggerent que les hormones glucocorticoïdes pourraient être impliquees dans ces effets, a ravers I'influence qu'elles exercent sur les mCcamsmes génomiques régulant i'expression des élémenis neurobiologiques. PROTOCOLES EXPERIMENTAUX BASES SUR LA SEPARATION OU L'ISOLEMENT SOCIAL

Une troisième categorie de protocoles expérimentaux visant a étudier les

consequences psychoneuro-endocriniennes de I'envi ronnement social est établie sur Ia separation ou sur I'isolement d'individus prCalablement insérés au sein de

MODELES ANIMAUX D'ETUDE

groupes

387

sociaux. A l'inverse des protocoles precedents, qui insistent sur le

caractère négatif que peut revêtir l'appartenance a un groupe social, ces situations de privation font apparaItre les bénéfices adaptatifs qu'un organisme retire de son

appartenance au groupe, bénéfices généralement désignds par le concept de soutien social. La nature et Ia sévérité des consequences physiologiques et comportementales de telles manipulations sont très variables selon l'espece animale considérée et selon l'âge auquel elles interviennent. Trois categories d'effets (et donc de protocoles) sont classiquement distinguees selon que la séparation intervient durant Ia période pdrinatale, postsevrage ou adulte. Quelle que soit Ia période du développement concernée, les effets observes peuvent toujours être attribués a des aspects particuliers du lien social, même si certains facteurs physiques ou physiologiques, tels que Ia nutrition ou le contrôle de la temperature corporelle, Sont directement impliques dans les mécanismes physiopathologiques. Les protocoles impliquant une separation sociale chez les primates produisent incontestablement les modèles animaux simulant de la facon la plus convaincante les désordres affectifs humains. La separation du jeune singe de sa mere conduit par exemple a des alterations comportementales très similaires a celles decrites dans le cadre du syndrome de depression anaclitique décrit chez le noumsson privé de soins matemels. Chez d'autres espèces toutefois, Ia rupture du lien social

s'accompagne egalement de reponses comportementales et physiologiques admettant une organisation en sequences similaire a celle observee chez le singe et chez I'homme, et classiquement décrites sous La forme de périodes successives de <<protestation>> (agitation, vocalisations, activation physiologique) puis de (inhibition comportementale et retrait social). Les petits rongeurs de

laboratoire sont les espèces les plus frequemment utilisées pour entrer dans l'intimité des processus biologiques sous-jacents. Toutefois, ii est clair que Ia structure sociale developpee par une espece determine en partie Ia nature des effets

consécutifs a Ia privation de contact social. Ainsi chez les rongeurs, seules les espèces qui s'engagent dans des comportements de jeux durant l'adolescence sont durablement affectees par une periode d'isolement social intervenant pendant cette etape du developpement. La rupture de l'attachement social chez l'adulte comme chez lejeune s'accom-

pagne géneralement d'une sensibilisation de Ia réactivité comportementale et neuro-endocnnienne aux stimulations de I'environnement. Lorsqu'elIe est réaLisée durant des periodes precoces du développement, la separation peut résulter dans des alterations permanentes de la réactivité au stress, toujours observables chez l'adulte. Ainsi, les mesures neuro-endocriniennes réalisées chez des

rats adultes ayant fait l'experience d'une separation maternelle a l'age de trois jours révèlent une hyperactivité de l'axe corticotrope apparemnient secondaire a une moindre efficacité des mécanismes de rétrocontrôle negatifs. Certaines conséquences de Ia separation peuvent étre prévenues par des manipulations experi mentales compensant les interactions actives ou passives de l'individu avec ses pairs.

388

CLES 1)'INTERPRETATK)N DES INEGALITES

Durant Ia période néo-natale, Ia separation maternelle chez le rat produit un ralentissernent du rythme cardiaque, une activation comportenientale caractérisée par I'éniission d'ultrasons et des troubles du sonimeil. L'administration

intragastrique de lait permet de prévenir

le

ralentissement du rythme cardiaque,

qui reflète l'activité du système nerveux autonome. La composition du lait et Ia rythmicité de administration sont en rapport avec les troubles du sommeil, tandis que seule Ia presence d'un substitut combinunt les propriétCs tactiles, thermiques et olfactives de la mere permet de prévenir l'expression des vocalisations ultrasoniques. Ces résultats dCrnontrent que les effets de Ia privation sociale (et maternelle dans ce cas) reflètent I'implication de différents non apparents a I'investigation superficielle. Certains de ces régulateurs sont dissociables des interactions sociales elles-mémes, tandis que d'autres sont plus directement dépendants de signaux sociaux [Hall, 19981. Au cours de l'ontogenese, les interactions sociales participent, a travers ces régulateurs, a l'organisation et a Ia maturation des fonctions physiologiques, notamment en permettant une synchronisation de ces fonctions sur celles de Ia nière. Toutefois, chez l'adulte, une synchronisation des activités physiologiques est Cgalement observée entre les individus d'un même groupe, celle-ci étant facilitée par Pa synchronisation des activités comportementales classiquement décrite au sein des groupes sociaux. Le gain adaptatif secondaire a l'integration dans un groupe peut également découler de I'effet tampon que produit l'engagement dans des activités sociales lors de situation de conflits. Cet effet apparaIt chez diffCrentes espèces animales lorsque des individus sont soumis isolément ou collectivement a une situation stressante. Ainsi, des rats soumis par paires a l'administration de chocs électriques s'engagent dans une sorte de combat exempt de reel danger pour chacun des deux congenères. Les réponses neuro-endocriniennes de ces animaux sont moindres que celles observées chez les rats choquCs isolément. Des travaux menés chez le pore montrent que Ic degré de faniiliaritC des individus influence l'efficacité de cet effet niodérateur des interactions sociales [Dantzer, 1990]. CONCLUSION

L'analyse expCrimentale des rapports entre contexies sociaux et sante se situe au niveau des mécanisnies neuro- et psychobiologiques qui traduisent I'influence de I'environnernent de l'animal, et en particulier son environnenient social, en processus physiopathologiques qui s'expriment a différents niveaux, comporteniental, neuro-endocrinien, cardio-vasculaire, gastro-intestinal, immunitaire et autres. L'approche est éminemment réductrice, car il est inutile d'insister sur Ic fait que l'univers psychosocial du rat de laboratoire n'est qu'un pale reflet de ceiui des hommes. H n'est d'ailleurs pas même question de chercherà niodéliser l'univers social de I'homme ; les stimulations et situations

M0DELEs ANIMAUX D'ETIJDE

389

sociales analysées ne se veulent pertinentes que pour i'espèce animale utilisée. Les divers modèles mis en ceuvre dans ces etudes, qui font appel aux relations de dominance/soumission, a I'instabilité sociale, a Ia competition entre mdividus pour les ressources (espace, nourriture, partenaires sexuels), montrent la diversité des rdponses comportementales et organiques a ces situations, et de consequences pathologiques. Des caractéristiques individuelles de réac-

tivité jouent un role important dans cette diversité; elles ont une origine complexe; les facteurs genetiques entrent en interaction avec les influences de l'environnement tout au long de la vie de l'individu, et en particulier pendant Ia période perinatale. Ces travaux sur les animaux de laboratoire ouvrent des perspectives uniques pour analyser Ia chaIne physiopathologique depuis le stimulus de l'environnementjusqu'à l'organe malade, au travers des arcanes du cerveau, qui gère tout a Ia fois les relations de l'animal avec son milieu physique et social et son fonctionnement organique. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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390

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25

Comportements Omar Brixi, Thierry Lang

L'mtérêt pour les comportements a risque a été relancé en France par Ia publication du rapport sur Ia sante en France par le 1-laut Comité de la sante publique en 1994. poids de Ia mortalité évitable y est a juste titre mis en avant, représentant en 991 environ 53 % des décès prematurés dont deux tiers lies aux comportements individuels a risque, soit environ 40000 personnes... La surmortalité prématurée évitable est donc pour une part importante rattachée a des <>. On comprend des lors a quel point

la tentation est forte d'essayer de réduire cette surmortalité en développant des actions sur ce theme, ce d'autant que Ia plupart des campagnes et des actions d'éducation pour Ia sante en France avaient déjà pour objectif de modifier divers comportements a risque. Dans un travail sur I'institutionnalisation de I'éducation pour Ia sante en France, Tondeur soulignait que << lors du VIIC Plan (1976-1980), les themes de prevention et d'éducation pour Ia sante, fondés sur une meilleure connais-

sance de Ia morbidité, sur la responsabilité individuelle et sur une nécessaire modi-

fication des comportenlents, font leur entrée en force dans le discours sur les orientations principales de Ia politique de sante>> [Tondeur, 1994]. Mais Ia notion de comportement n'est-eIIe pas ambigue ? Les definitions les plus

courantes appréhendent le comportement comme une reaction de I' individu au stimulus. <<En dépit des divergences d'écoles, l'ensemble des psychologues scientifiques modernes se situe dans le cadre ou dans le sillage de Ia biologie>> [Richelle, 1993]. La fihiation biologique du terme de comportement, le caractère involontaire et donc subi d'une reaction provoquee par un stimulus extérieur sont probablement

a l'origine de Ia conception selon laquelle ii suffit d'émettre des signaux ou des messages pour induire des reactions ou des changements de comportements. Mais les sciences sociales invitent a une vision plus large en décrivant les comportements

comme des manières de réagir dans un contexte et en soulignant le role de leurs determinants sociaux. Les croyances, les valeurs ou les representations de Ia sante et de Ia maladie sont liées aux comportements a risque, aux pratiques preventives et aux attitudes a l'egard des services de sante [Masse, 1995]. Ces comportements ne

sont d'ailleurs pas indépendants les uns des autres, conduisant certains auteurs a utiliser Ia notion de conduite ou de style de vie. Ce concept a été largement utilisé

392

CLES

DES INEGALITES

pour rendre compte d'une réalité assez vaste coniprenant une constellation de

comporternents pouvant conduire a une bonne ou a une mauvaise sante [Paicheler, 1992]. Plus que le débat entre l'inné et l'acquis, qui caractérise l'éiude des comporternents animaux, Ia question essentielle en matière de comporternents

humains paraIt être celle du sens qui y est attaché. S'agit-il d'un état en soi ou d'un état signifiant qu'il faut entendre et cornprendre ? II s'agit de mettre en perspective certains comporternents a risque pour Ia sante dans I'ensemble plus large des avantages, plaisirs, bénéfices que procure ce comportement, voire les autres risques avec lesquels ii entre en COMPORTEMENTS A RISQUE ET STATUT SOCIAL

Pour examiner cette relation, quatre themes ont éé sélectionnés: Ia consom-

mation de tabac, d'alcool, I'alimentation et I'exercice physique de loisirs. L'inipact majeur en termes de mortal ité et morbidité et/ou les possibilités de niodification de ces facteurs, l'échelon tant individuel que collectif, expliquent ces choix. D'autres comportements comme hi recours aux soins préventifs et curatifs ou Ia prevention

dans le domaine des pratiques sexuelles (contraception, protection contre les maladies sexuellement transmissibles) auraient pu faire panic de ce chapitre. us sont en partie traités dans les chapitres 111.18 et IV.26. Enuin, Ia question tout aussi impor-

tante de l'usage des substances psycho-actives autres que Ic tabac et l'alcool (drogues iflicites et médicaments psychotropes) n'est pas abordée dans ce chapitre. Un travail sur les comportements de sante en France est limité par Ia disponibilité de données, en quantité et en qualite. 1)es enquetes francaises foumissent une partie des informations, mais ont des limites qui rendent difficile le suivi de I'évolution des comporternents dans Ia durée. En effet, Ia mCthodologie ci surtout his categories utilisées varient au cours du temps. Les résultats présentés viennent de plusieurs sources. L'enquête INSEE-SESI de 1986-1987 porte sur 7 280 femmes et 5 874 hommes interrogés directement. Dans l'enquete dCcennale sur Ia sante et les soins médicaux, qui associe l'INSEE, le CREDES et le SESI, en 1991-1992, les données sur le tabac ont été obtenues par l'iiiterrogatoire d'un

membre du ménage; mais la consommation d'alcool est cefle dCclarée par les individus personnellernent (4 427 femmes et 3 239 hommes). Le > est

auprès d'échantillons tires au sort dans Ia population générale des regions couvertes par les trois registres des cardiopathies ischemiques frdncais concernent

environ 3 500 personnes [Registres francais des cardiopathies ischémiques, 1998]. Une certaine prudence s'impose dans les comparaisons entre enquêtes, dans Ia mesure oà Ia formulation des questions, Ic mode de recueil des informa-

393

COMPORTEMENTS

lions — direct ou indirect, en face a face ou par téléphone—, les populations et ieurs

taux de réponse

[Kaminski et Guignon, 1996].

Consommation de tabac La consommation de tabac est bien différente selon qu'il s'agit des hommes et des femmes (tableau 1). Chez les hommes, dans l'ensemble des enquêtes francaises, le pourcentage de fumeurs le plus élevé est observe dans Ia categorie des ouvriers, les pourcentages les plus faibles parmi les agriculteurs. Les categories des cadres supérieurs et des professions intermédiaires, assez semblables a cet égard, sont caractérisées par un niveau faible de prevalence tabagique, niveau qui reste toutefois supéneur a celui des agriculteurs. La prevalence tabagique des employés occupe une place intermédiaire entre celle des cadres supérieurs et des agriculteurs et celle, plus élevée, des ouvriers. Quant aux artisans, les

résultats sont assez variables selon les enquêtes; mais le plus souvent, leur comportement est assez proche de celui des employés. Tableau I

Consommation de tabac selon les categories socioprofessionnelles (au moms une cigarette par jour) INSEE-SESI'

INSEECREDES2

1986-1987

1991-1992

1995-1996

H

H

H

F

F

F.

Agriculteurs(rices)

33 %

2 %

25%

4%

18%

6%

Artisan(e)s, commercant(e)s Cadres supérieur(e)s

40 %

2%

43 %

26 %

52 %

54 %

36 %

24 %

32%

26%

}33%

}25% }37% }23%

39 %

25 %

40%

29% } 41 %

} 26 %

} 39 %

} 40 %

1 46 %

} 27 %

} 44 %

1 36 %

}51%

}31% }48% J37%

Public Privé

Professions intermédiaires Adm. public Adm.privé ContremaItres Teclrniciens

45 % 46 %

— —

Employé(e)s Public Privd Commerce Services directs particuliers

44% 41%

24% 26%

—

23 %

—

16 %

46 % 58 %

6% 8%

Ouvrier(e)s qualifié(e)s non qualifie(e)s

I 1NSEE-SESI. Enquete sur les conditions de vie. 1986-1987. 2. INSEE-CREE)ES. Enquele ddcennale stir Ia sante et les soins ,nédicwu 1991-1992. 3. Bammètre Sante adultes, Coinité fmncais déducation pour Ia sante. 1995-1996.

394

CLES l)'INTERPRETATION I)ES INEGALITES

Tableau 2 Consornniation d 'alcool scion les categories socioprofessionnelles INSEE-SESI'

INSEE-CREDES2 1991-1992

1986-19S7

H ( 5 verres/j)

H ( 5 verres/j)

F ( 3 verres/j)

Agriculteurs(trices)

26 %

32 %

6%

Artisans, cornrnerçant(e)s

26 %

23 %

4%

10% 13%

}l0%

}5%

112 %

I7%

116 %

5%

} 19%

1 8%

Cadres supérieur(e)s Public .

Privé

Professions intermédiaires Adm. public

11 %

12% ContremaItres Techniciens

Ernployé(e)s Public Privé Commerce Services directs particuliers

19 %

18 %

19% 11% — —

Ouvrier(e)s qualilié(e)s

24%

non

23 %

I. INSEE-SLSI, Eiiquête stir irs Lo ditiun.s de vie. I986-I9X7. 2. E,jtjidie déten,iale sue Ia sante vi 1,'.s outs ,,,étlicaux, 1991—1992.

Chez les hommes, Ia relation inverse entre Ia prevalence du tabagisme et statut socio-éconornique, niveau de revenus ou niveau d'éducation, est souvent observée dans les pays développés. Le tabac est ainsi le facteur de risque cardiovasculaire le plus lie au niveau d'études dans une étude internationale portant sur six populations européennes et nord-américaines totalisant plus de 19 000 sujets, examines dans le cadre du projet MONICA. Ce rapport vane de 1,6 a 3,7, selon les enquêtes, entre les honinies disposant d'un niveau d'études prirnaire et ceux qui ont fait des etudes supérieures [Härtel et a/li, 93J. Chez les femmes, dans les années quatre-vingt-dix, l'aniplitude des variations sociales de consomniation tabagique est nettement plus faible que chez les homnies. L'Cvolutjori de Ia consommation de tabac chez les femmes au cours du temps est différente de celle qui a été notée chez les hommes avec un certain

effet de génCration. En 1980-1981, Ia plus grande proportion de furneuses s'observait chez les femmes cadres supérieures ci parnhi les professions intermé-

diaires. Dans la décennie qui a suivi, l'augmentation de Ia consommation de tabac a surtout concerné les categories les plus modestes. L'effet de gCnération est suggérC par le fait qu'en 1990-1991 les fumeuses sont plus nombreuses parmi les cadres supénieures au-delà de 35 ans; mais c'est parmi les ouvrières

395

COMPORTEMENTS

que Ia proportion est Ia plus importante chez les femmes de moms de 35 ans [Kaminski et Guignon, 1996]. Dans le << Baromètre sante >> de 1995, les cadres

supérieures, semblent fumer moms que les autres catégones (tableau 1). Dans certaines enquêtes récentes [Registres francais des cardiopathies ischémiques, 1998], les differences selon les categories sociales semblent modestes, mais ces résultats, présentés tous ages confondus, ne tiennent pas compte de l'effet de generation.

Consommation d'alcool La distribution sociale des habitudes de consommation d'alcool des hommes est concordante dans Ia plupart des etudes (tableaux 2 et 3). Plus faible dans les categories des cadres supérieurs et des professions intermédiaires, elle est élevée chez les ouvriers et les artisans, et intermédiaire dans la catégorie des employés.

La consommation des agnculteurs est proche de celle des employés dans certaines enquêtes, mais elle est parfois très élevée (tableaux 2 et 3). Tableau 3

Comportements selon les categories socioprofessionnelles : données de l'enquête de population des Registres français des cardiopathies ischémiques'

csp

Effectifs

H

F

Alcool (g/j)2

H

F

Activité Fumeurs physique réguliers de loisirs régulière H

F

H

F

Index pondéral2 (kg/rn2) H

F

18% 0% 26 % 19 % 27,7 (4,2) 28.0(4,7)

Agriculteurs(rices) 40

32

32.6 (31,1) 7,2 (12,3)

Artisan(e)s

159

84

35,8 (33,8) 10,8 (13.2) 30% 14% 30% 18% 27,3 (3,9) 26,3 (5,0)

Cadres supérieur(e)s

289 137 24,9 (25,8) 10,9 (13,3) 24% 23% 41 % 21 % 25,8 (3,2) 23,8(4,0)

Professions

S

491 375 30,2 (27,4) 9,3 (13,2)

26 % 18 % 39 % 29 % 26,8 (7,9) 24,7(4,7)

Employé(e)s

195 716 32,7 (75,0) 9,3 (14,0)

29 % 16% 31 % 16% 26,6(4,0) 26,5 (5,5)

Ouvrier(e)s

522 208 36,6 (51,9) 10,9 (17,5) 37 % 14% 28 % 12 % 26,9 (4,3) 27,6 (5,7)

intermédlaires

I. Echantiflon par tirage aldatoire de Ia population des hommes Ct femmes de 35-64 ans (Haute-Uaronne, Bas-Rhin, communauté urbaine de LiNe), 1996-1997. 2. Moyenne (écart type).

Chez les femmes, les differences entre les categories sont faibles. Dans Ia plupart des enquetes, les differences ne sont pas statistiquement significatives. C'est le cas par exemple de l'enquête INSEE-SESI de 1986-1987. Parmi les femmes de Ia cohorte GAZEL, Ia consommation d'alcool est plus élevée chez les cadres que dans les autres categories socioprofessionnelles [Leclerc et alii, 1994]. Les résultats du Baromètre sante >> montrent egalement une consommation

plus élevée chez les cadres et professions intellectuelles supérieures et les

396

I)' INTERPRETATION I)ES INEGALITES

artisans-commerçants-chefs d'entreprise. Ces résultats, qui concernent homrnes et femmes ensemble, reflètent toutefois une réalité différente, puisqu'il s'agit des personnes qui déclarent avoir bu au moms un au cours des sept

derniersjours [I3audieret Arènes, 1997].

Nutrition Un certain nombre d'enquétes alimentaires seniblent indiquer que les habitudes alimentaires sont certes régionales mais aussi sociales. Dans les enquêles rCalisées entre 1985 et 1989 au sein du projet MONICA [Nicaud et Ducirnetière, 1 QOfli .n,n,..o

1

1 ')2

Ac

All

francais, Ia ration journalière calorique était plus importante chez les agriculteurs et de manière générale plus forte chez les personnes en activité professionnelle. La

ration calorique dessine un gradient inverse avec le niveau d'études. Plus le niveau d'études est élevC, plus la.consonimation de fruits el de Poisson est importante et plus elle est réduite en pain, huile et yin. Les cadres et les agriculteurs sont les plus nombreux a consommer du poisson. Sur les autres paramètres (repartition lipides-

glucides-prolides, rapport acides gras polyinsaturCs/saturés) ou sur les autres aliments, après ajustement sur Ia region on Ia taille de l'agglomération, Ia catégone socioprofessionnelle n'aurait que peu d'influence sur les choix alimentaires [Nicaud et Ducirnetière, 1990]. De facon concordante, selon le > nutrition rCalisé en 1996, Ia consommation de fruits, de Poisson et d'huile d'olive augmente avec les revenus Landis que celle de sucres d'absorption rapide décroIt. Mais Ia consonimation de produits alleges et diététiques, la prise de supplements vitaminiques n'est pas liée au niveau de revenus [Baudier et a/u, 1996]. Les travaux de 1'INSEE confirment que les legumes, les fruits, les poissons et les laitages sont peu presents dans l'alimentation des personnes les plus pauvres, définies par Ic décile de revenus Ic plus bas [Herpin et Manon, 1997].

Chez les enfants, des etudes ponctuelles montreni des tendances comparabIes. Les enfants issus de quartiers défavorisés (zones d'Cducation prioritaire) et les enfants d'ouvriers consonimeraient plus d'energie sous fornie de sucres rapides et de graisses et moms de protéines animales, de fruits et de legumes que les enfants issus de milieux favorisés. Entin, les situations de grande maigreur et d'obésité seraient plutôt retrouvées chez les enfants issus de milieux socioéconorniques défavorisCs [Vialettes et a/il, 1987 ; Rotily et alii, 1994]. Le poids et Ia cholestérolémie sont des térnoins des habitudes alimentaires et de l'équilibre nutritionnel. L'obésitC est Ia plus importunte chez les personnes ayant les revenus les plus faibles et fail partie de ces facteurs de risque plus frequents dans les milieux socio-éconorniques les plus défavorisés. Dans les deux

sexes, l'index pondéral suit Ufl gradient décroissant depuis les ouvriers et ernployés jusqu'aux cadres supérieurs (tableau 3). Dans les travaux de l'INSEE, l'utilisation du revenu comme indicateur de statut social montre Ia rnême tendance puisque c'est chez les plus pauvres que l'obésité est Ia plus fréquente [Herpin et

COMPORTEMENTS

397

Manon, 19971. Les relations entre l'hyperchofestérolémie et les categories sociales ou le niveau d'études témoignent des evolutions historiques de l'alimentation. Ainsi, aux Etats-Unis, dans les années cinquante, aucune relation n'était notée entre indicateurs de statut social et cholestérolémie. C'est dans les années soixante-dix et quatre-vingt que des taux élevés de cholesterol total, athérogene, et des taux faibles de HDL-cholestérol, protecteur, ont été notes dans les catégories les plus modestes. En Europe, a cette même époque, les taux les plus faibles de cholesterol total étaient observes dans les categories du bas de l'échelle sociale. En France, dans les deux enquêtes récentes de population MONICA, les taux de cholesterol total n'étaient pas lies a Ia catégorie sociale [Lang et alii, 1997]. L'alimentation des categories les moms favorisées ne se caractérise donc pas

en termes de carences, mais en termes d'equilibre nutntionnel et de consom-

mation d'aliments plus ou moms prédictifs ou protecteurs a l'egard d'un ensemble de maladies chroniques.

Activité physique

La relation entre activité physique et statut social vane selon qu'il s'agit d'activité de loisir ou d'activité liée au travail. La premiere est d'autant plus fréquente que le statut socio-économique est favorable. A l'inverse, l'activité physique professionnelle est moms intense dans ces mêmes groupes. Les données françaises issues de Ia population génerale confirment cette relation (tableau 3). Par exemple, dans l'enquête de population des registres des cardio-

pathies ischémiques, I'absence d'activité physique de loisir reguliere est déclarée par 55 % des cadres, 70 % des employes et 67 % des ouvriers (tableau 3). Les résultats du <> sont concordants, bien qu'ils ne distinguent pas les hommes et les femmes [Baudier et Arènes, 1997]. INTERPRETATIONS ET IMPLICATIONS

Queues que soient les limites des données évoquees, elles montrent a l'évidence que les comportements parfois de facon très marquee, entre categories sociales. Des lors, quel sens donner aux ajustements sur les comportements, banals dans Ia lirtérature épidémiologique analysant les relations entre categorie sociale et état de sante ? Pent-on considérer les comportements comme relevant de Ia seule responsabilité individuelle, et enfin, a propos des comportements, est-il equivalent de parler de determinant ou de facteur de risque?

Décontextualisation des comportements et ajustements statistiques Les méthodes d'analyse multivaniée ont enrichi considérablement les etudes épidémiologiques en permettant d' isoler le role dit <<propre>> de tel ou tel facteur. Dans le domaine des comportements de sante, leur utilisation quasi

398

D'INTERPRETATION DES INFGALITES

systématique n'est pas sans consequences. Le rnodèle statistique utilisé repose

sur la mise a plat des différents facteurs de risque analyses ; dans un but d'ajustement, ii met sur le niême plan des Cléments comme Ia catégorie sociale, le

tabagisme, l'hypertension artérielle ou Ic taux de fibrinogène. Par exemple, ajuster une relation observCe entre classe sociale et incidence de l'infarctus du myocarde sur Ia consomniat ion de tabac permet de montrer qu' indépendanirnent du tabagisme ii existe une relation entre ces deux variables. Cette démarche, qui

permet de dérnontrer Ic role indépendant de facteurs de risque plus ou moms directement lies entre eux, mérite d'être examinée. Dans l'exemple choisi, taba-

gisme et catégorie sociale sont analyses cornme des variables équivalentes, susceptibles toutes deux de jouer Ic role de facteur de contusion l'une par rapport a l'autre, mais sans prendre en consideration l'enchaInernent des causes. Or, a l'évidence, classe sociale et tabagisme ne relèvent pas du mênie niveau d'analyse. Bien siIr, cet ajustenlent va parfois permenre de montrer que l'effet de Ia catCgorie sociale ne se resume pas a ces comportements. Mais le processus

d'ajustement va aboutir a distinguer des facteurs individuels purs de tout contexte social et des facteurs psychosociaux considérés en dehors de leurs liens avec les facteurs de risque dits individuels> comportementaux. La consCquence de l'ajustemenl est donc de gonimer Ic fait que les habitudes tabagiques sont liées a Ia categoric sociale, et ont aussi une composante socio-économique. La consequence de cette strategie d'analyse est donc de valider une approche de Ia sante publique en termes de conduite individuelle.

Les comportements, un trait individuel? L'idCe selon laquelle les comportements relèvent de Ia seule responsabilité individuelle est favorisCe par une époque et une sociCté dans lesquelles Ia place

de l'individu est sans cesse réaffirmCe, son libre arbitre, ses capacités de contrOle sur sa vie et son environnement sont valorisCs. Mais les individus vivent et participent d'un contexte social, éconornique et culture!. Cette inscription des comportements dans une réalité sociale a déjà Cté notée.

Le Haut Cornité de la sante publique a rappelé rOle, en dernière analyse décisif, des determinants sociaux (classe sociale, mais aussi niveau de culture, revenu, modes de consommation, rCseau social, insertion dans Ia soclété, niveau dans Ia hierarchic sociale...)>> [Haut ComitC de Ia sante publique, 1994]. Les auteurs du < Baromètre sante >> ont soulignC qu'< il existe une reproduction dans

l'adoption d'un certain nombre d'auitudes et de comportements et qu'ils soni corrClés a une certaine stratification sociale >> [Baudier ci Arènes, 1997]. Mieux coniprendre cc lien esi sans doute essentiel. Les comportements alimentaires cene double polarité, individuelle ci sociale. Ils soul, pour reprendre les de deux sociologues, au <<point de rencontre entre Ic biologique, Ic culturel ci Ic social>> [Grignon et Grignon, 19801.

Ces auteurs montrent Ia complexité des lectures possibles des differences de

COMPORTEMENTS

399

pratiques alimentaires, que l'on analyse les fihières d'approvisionnement, la transmission familiale des goIits, Ia perception des aliments (trop gras, trop riches),

l'aménagement, voire Ia retraduction de goüts dominants. Mais l'alimentation renvoie bien sür aussi aux usages sociaux du corps [Grignon et Grignon, 1990]. Des données epidémiologiques montrent que les habitudes alimentaires sont plus liée.s aux conditions sociales de l'enfance qu'a celles de Ia vie adulte [Lynch et alii, 1997]. A côté des goüts ainsi transmis, les réalités sociales et économiques qui sous-tendent Ia composition d'une assiette ne sauraient être oubliées, qu' il s'agisse de Ia disponibilité, Ia diversité, les prix ou l'accessibilité des aliments. Cette dimension économique a été bien notée dans un rapport britannique qui souligne le lien entre 1' accès aux produits et les revenus [Acheson, 1998]. Dans ce pays, les personnes les plus

défavorisdes sur le plan socio-économique mangent moms de fruits, moms de legumes et moms de fibres alimentaires, donc absorbent moms d'anti-oxydants, de vitamines, de fer, de calcium que les autres [James et a/u, 1997]. Or, les produits sains ont un prix de vente élevé et cet obstacle économique est accru par les réorganisations du commerce et le développement des grandes surfaces que leur éloignement rend d'accès difficile aux personnes sans voiture [James et alii, 1997]. Cette tendance conceme La population francaise, déjà touchée par des distances d'accès allongées, surtout en milieu rural [Courson, 1990].

Ces pistes, très rapidement évoquées, soulignent Ia complexité de l'analyse des comportements, choix personnels sur lesquels pèse le contexte culturel, social et économique.

Les comportements, facteurs de risque ou determinants? Les auteurs du rapport sur Ia sante en France [Haut Comité de Ia sante publique, 1994] ont pris soin d' inclure les comportements dans Ia liste des determinants de sauté a côtë des facteurs biologiques et génétiques. Le glissement entre facteur de risque et determinant est courant, tant l'effort de nommer et de qualifier un élément du réseau de causalité n'est pas aisé. Dans les multiples enchaInements des facteurs de risque entre eux et Ia complexité de Ia question de Ia causalité, ces glissements de termes ont-ils un sens et marquent-ils un point de vue précis? Le tabac est ainsi presente tantôt comme facteur de risque — au niveau mdividuel, ii s'agit d'une probabilité de maladie qui augmente —, tantôt comme determinant des maladies cardio-vasculaires et du cancer du poumon au niveau

d'un groupe, I'augmentation d'incidence est une certitude. Le passage de determinants>> semble ainsi permettre d'ériger Ia modification des comportements en objectifs, puis en priorités nationales de sante publique. Dans les <> [Haut Comité de la sante publique, 1994] figurent ainsi au même plan les consommations d'alcool, l'usage du tabac, Ia précarité et les difficultés d'accès aux soins et a Ia prevention. Mais un écart semble se creuser entre une compréhension des determinants qui s'affine et une action de sante publique acculée a

<> a

<<

400

CLES I)'INTIiRPRETATJON t)ES

gestion des effets, qui focalise sur les facteurs de risque en fin de chaIne (biologiques ou comportémentaux), au plus près des maladies. Une distinction Ia

semble s'opérer entre determinants niédiats, hors du champ de la sante et de Ia médecine, et determinants immédiats, au plus près de Ia maladie et accessibles a des actions de sante. Cet éclaternent de niveaux des déterminismes contribue ainsi a morceler les politiques de sante publique. II porte en germe une culpabilisation des professionnels devant leurs difficultés a atteindre des objectifs ciblés sur des de qui sont en réalitC en aval d'une chalne complexe de causalitC. C'est cc que J. Mann a appelé la socio-parésie de Ia sante pubi ique, [...] cette reticence et cette inaptitude a travailler directement sur les racines sociales des problèmes de sante > [Mann, 1998]. Faut-il voir dans cette parésie I'origine de Ia presentation du risque véhiculCe par les campagnes d'informations sur la sante ? Cette description des comportements comme autant d'interdits a ne pas transgresser ou de conseils de moderation justifies par Ic futur Ctat de sante, relevant du seul bon choix personnel, limite singulièrement I'analyse et réduit Ia prise de risque a un comportement irrationnel. Cette approche, qui ignore les bénCfices psychologiques, sociaux ou

économiques des comportements a risque, est un obstacle a une meilleure comprehension des differences sociales de comportement. Boire, furner, ont un

role social, facilitant I'dchange et l'interaction sociale tout en contribuant a l'apaisernent des tensions que gCnèrent les rencontres sociales. L'alcool, Ic tabac, les nourritures sucrdes, ne rCpondent-ils pas a des besoins émotionnels ou

sociaux non satisfaits par ailleurs [Wilkinson, 1996]? CONCLUSIONS

Les comportements a risque, qu'iI s'agisse du tabagisnie, de Ia consommation d'alcool, de certains modes alinientaires, de I'activité physique, ne sauraient être ramenés a des choix individuels en dehors de toute histoire et de tout contexte. us sont a i' intersection de facteurs biologiques, culturels, sociaux et économiques. Or la facon dont les comportements sont conceptualisés determine Ia façon dont us seront pris en compte par Ia sante publique [Mann, 1998]. La question des inégalitCs sociales de sauté invite donc a une rCflexion concrete sur les pistes que les

disparités de comportement imposent d'explorer. Une analyse des pratiques professionnelles et des rCférentiels utilisés dans Ic domaine de i'éducation pour Ia

sante révèle une conception e.ssentiellement orientée sur Ia modification des comportements. Depuis deux décennies, I'éducation pour Ia sante se developpe en France avec un souci plus grand de formalisaiion et de qualitC. 11 serait fastidieux de réaliser une revue des cadres theoriques utilisés. Mais interrogCes stir Ic fond, ces theories sont construites sur des fondements assez proches. On peut en retenir les lignes communes : cues sont tournCes pour Ia plupart sur Ia notion de transfert de connaissances ; dIes positionnent I'individu ou Ic groupe

COMPORTEMENTS

401

dans tin role passif, subi et/ou fortement influencable ; elles sont assez focalisées sur la notion de comportements individuels isolés dii reste; enfin le vécu de Ia sante est appréhendé au même titre que les autres types de consommation (alimentation, produits, services...), ce qui revient a gommer les spécificités des comportements de sante [Bontemps ci alii, 19981. D'oü la recherche d'une conception de

l'éducation pour Ia sante moms focalisée sur une comprehension étroite des comportements, de l'individu et de Ia prise de risque. On peut lire dans le débat actuel deux approches divergentes influer sur les comportements dits << a risque>> au nom de normes et de representations dominantes ou aider les individus ci les groupes sociaux a gagner en marge d'initiative et de contrôle sur les facteurs mdividuels et collectifs qui contribuent a leur état de sante. La modification des

comportements ne passe pas seulement par des approches individuelles d'éducation pour Ia sante. Les prix des produits, Ia composition des aliments par l'industrie agro-alimentaire, Ia restauration collective, Ia publicité, les dispositions législatives et reglementaires sont autant de pistes a explorer. C'est aces analyses qu'invite Ia question des comportements et des inégalités sociales. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Rernerciements nous rernercions Aude AIIetz pour sa participation a la recherche documentaire, les chercheurs ci enquêteurs des Registres des cardiopathies ischémiques de Lille, Strasbourg et Toulouse pour les données issues des enquêtes de population de leurs regions.

26

Accès aux soins Pierre Lombrail

Si l'on peut considérer qu'une faible part des variations d'etat de sante est liée aux soins médicaux, ii n'en demeure pas moms que l'accès a des soins de qualité est hautement souhaitable pour éviter l'aggravation des inegalités sociales face a La sante. Dans Ia plupart des pays occidentaux, les membres des groupes les moms favorisés cumulent moms bon état de sante, recours aux soins moms frequent et soins de qualite inférieure a ceux des autres groupes sociaux [Hart, 19711. Pourtant, c'est pour ces groupes les moms favorisés que les soins ont l'impact potentiel le plus fort. Pour Les personnes en situation défavorisée, les soins peuvent être le seul moyen de proteger leur capital sante, tandis que dans les autres groupes sociaux Ia possibilité d'accès a des ressources sociales et environnementales rend la contribution marginale des soins plus modeste. Le potentiel de rattrapage de certaines inegalites de sante par des soins de qualité est genéralement sous-estimé. II en résulte pour les usagers du système de soins, et notamment les plus vulnérables, ce qu'un auteur nord-américain a

qualifié de achievable benefits not achieved que l'on pourrait traduire par <> [Williamson, 1968]. L'hypothèse que nous alLons essayer de valider est qu'une part non negligeable des inegalités sociales en sante peut provenir d'mnegaLites de soins ou être entretenue sinon aggravée par ces inégalités, que celles-ci résultent de difficuLtés d'accès ou de differences de prise en charge (qualite des soins a proprement parler). Avant de presenter des données

a l'appui de notre hypothèse, nous commencerons par examiner certains concepts des en matière d'accès aux soins. CADRE CONCEPTUEL

Selon les termes de I'institut de médecine des Etats-Unis, l'accès aux soins peut se définir comme l'utilisation en temps utile des services de sante par les individus de façon a atteindre le meilleur résultat possible en termes de sante.

Cette definition peut être étendue a des groupes de population. Un cadre conceptuel souvent utiLisé est celui élaboré par Andersen et Newman [Andersen

404

CLES I)' INTER PRE1'ATION I)ES INEGALITES

et Newman, 1977]. L'utilisation des services de sante y est dCcrite comnie Ia résultante de trois ordres de facteurs: determinants sociétaux, caractéristiques du système de soins et dCterniinants individuels. Les determinants individuels

sont de trois ordres : Ia predisposition d'un individu a utiliser des services, sa capacité a se les procurer et son état de sante, indicateur de son besoin de soins. La predisposition d'un individu a recourir aux soins existe avant l'apparition d'un episode morbide particulier. Certaines caracteristiques natives des mdividus (facteurs prédisposants) leur confèrent une probabilite supérieure a Ia moyenne de recourir aux soins. Ii en est ainsi de leurs caractéristiques ddniographiques comme I'âge ou le sexe mais également de certaines caractéristiques sociaies comme Ic niveau d'Cducation ou professionneiie. Parmi ces facteurs prédisposants interviennent les opinions et croyances des individus: valeurs qu'ils attachent a Ia sante Ct a Ia maladie, attitudes a I'ëgard des services de soins, connaissances sur la sante et Ia maladie. Les facteurs favorisant le recours aux soins permettent a une famille de satisfaire un besoin en lien avec I'utilisation des services de soins : niveau de revenu, type de protection sociale ou existence d'une source de soins habituelle. Des caracteristiques de Ia collectivité coninie Ia disponibilitd de l'offre de soins jouent Cgalement un role. Enfin, I'état de mauvaise sante percue ou anticipée est Ia cause Ia plus immediate de recours aux services de soins. Andersen et ses collaborateurs ont enrichi ultérieurement ce cadre conceptuel en distinguant accès potentiel caractérisant Ia possibilité d'accéder aux soins et accès réalisC. On peut parler d'accessibilitC dans le premier cas et de recours ou utjlisatjon dans le second. Une autre distinction paraIt essentielle en matière d'utilisation : celle qui peut être faite entre accès primaire >>, pour <

designer l'entrée dans le système ou son degré d'utilisation,

et <>, pour caractCriser Ia nianière (structurellement déterminée) dont se

dérouleiit les soins ensuite [Lurie, 1998], eu égard nolamment a trois proprietés fondamentales que sont continuité, coordination et globalitC. La continuité est une notion complexe qui recouvre plusieurs dimensions. La dimension la plus communément prise en compte est temporelle et renvoie a la

Constance du (des) meme(s) intervenant(s) auprès d'un malade au cours du temps. Elle se double d'une dimension géographique qui porte sur Ia délivrance des soins dans une méme institution. La dimension relationnelle renvoie aux attentes réciproques placCes par les malades et les professionnels dans Ia relation

de soin. A l'Cgard de Ia gestion de I'information, Ia continuité caractérise Ia capacité des outils disponibles (carnet de sante, courriers, etc.) a permetire Ia Communication entre professionnels et avec le rnalade. Enfin vient ce qu'on peut appeler coordination Ia continuité renvoie dans cette acception a Ia capacite du système de gérer Ic recours a des spCcialisées multiples en accord avec les besoins de soins des patients. Cet exercice de clarification conceptuelle nécessite d'introduire un troisième élérnent: la globaa'iié des soins. En effet, Ia coordination des soins n'a de sens

AccEs AUX

SOINS

405

qu'en regard de besoins de prise en charge des individus qui entrent en contact avec le système de soins. Ces besoins sont habituellement identifies comme tels par les professionnels en référence a leurs normes techniques, les <> permenant d'identifier les > correspondants. Ces normes sont plus ou moms étendues, englobant ou non Ia prevention dans un modèle curatif dominant, envisageant plus ou moms le bien-être mental et social des personnes en sus de leurbien-être physique. D'un point de vue technique, Ia coordination ne peut s'apprécier qu'en fonction d'un objectif a atteindre. La nature de cet objectif depend du jugement porte par chaque professionnel sur les besoins d'une personne, en fonction de l'analyse qu'il fait de son état de sante, en référence a ses propres representations de Ia sante et des soins, et en associant de manière très variable Ia personne concemée.

Au risque de paraItre minimiser le point de vue des personnes prises en charge sur leur sante et leurs besoins de soins, on peut résumer ainsi les propriétés qui pourraient servir a évaluer La qualité de l'<< accès secondaire>> — << continuité est un terme qu'il vaudrait mieux ne pas employer isolément. >>

On devrait distinguer continuité de Ia trajectoire de soins (Ia succession des contacts d'un patient) et continuité des soins eux-mêmes. La continuité de Ia trajectoire traduit l'adéquation apparente entre Ia fréquence et le type des contacts et Ia nature des besoins de soins diagnostiqués, indépendamment de Ia coherence des soins prodigués lors de chaque contact (accès primaire). Pour que les soins eux-mêmes soient continus, il faut que Ia trajectoire le soit et que des soins coordonnés soient délivrés a chaque contact, la continuité de Ia trajectoire pouvant favoriser Ia coordination des soins (accès secondaire); — Ia globalité designe Ia capacité des professionnels a envisager l'ensemble

des besoins de soins d'une personne indépendamment des limites de leurs compétences et (ou) capacité d'action propres; — Ia coordination caractérise la prise en compte lors de chaque contact d'un enchalnement logique dans Ia délivrance de soins finalisés par l'atteinte d'un résultat (état de sante du bénéficiaire) plus ou moms explicite. Quand plusieurs acteurs interviennent dans les soins d'un patient, la coordination témoigne de leurs capacités d'ajustement mutuel. La coordination devient une preoccupation centrale dans un système de soins de plus en plus complexe oü beaucoup de malades, par choix ou par nécessité, reçoivent leurs soins de sources multiples, surtout s'ils sont atteints d'affections chroniques [Nutting et alii, 1981]. Cela n'a probablement guère d'importance pour leur sante a partir du moment oui tin individu ou une équipe out conscience d'être responsables de Ia coordination de Ia globalite des interventions et sont en situation d'exercer cette responsabilité [Fletcher et alii, 1984]. En fait, cette vision profession nelle doit être tempéree, car ce point de vue technique pent n'être pas partagé par les usagers, tant la

representation <<profane>> de Ia maladie peut différer de sa construction <<professionnelle >>.

406

CLEs I)'INTERPRETATION DES INEGALITES

SoiNs ET PROTECTION SOCIALE

A notre connaissance, les données francaises disponibles se rapportent essentieflement a accès priniaire >>. Si l'on n'observe pas encore souvent en

de refus de soins de certains malades en situation comme aux Etats-Unis, des cas en apparence isolés ont été signalés [Médecins sans frontières, 1993] et certains établissements n'hésitent pas a sélectionneren partie (cur clientele [Normand, I 994]. Mais en dehors de ce que 1 'on peut consiFrance

dérer comnie des dérapages encore Iimitds, les travaux du CREDES et les enquêtes décennales de I'INSEE ont mesuré de longue date thins noire pays des disparités d'accès aux soins et d'etat de sante selon l'appartenance sociale. Le CREDES conduit depuis 1988 une Enquete annueHe sur Ia sante et Ia protection sociale (ESPS) [Dumesnil et a/u, 1999]. L'échantillon est reprCsentatif des ménages dont un membre au moms est assure au régime general de Sécurité sociale, au régime des professions indCpendantes ou au régime agricole,

soit 95 % des niénages. En 1997, cette enquête porte sur II 324 personnes appartenant a 3 862 mCnages. Elle permet de souligner un premier problème:

celui de Ia sous-représentation des groupes les plus défavorisés dans les appareils statistiques censés donner un reflet aussi fidèle que possible de (a réalité. Une part significative des ménages n'ont pas etC enquêtés, soit parce qu'ils ne pouvaient être joints, soit parce qu'ils refusaient de participer: parmi eux, a côtd des personnes âgées, nialades ou hospitalisCes, les personnes dCfavorisées

sont surreprCsentées (cela a mené le CREDES a travailler avec l'INED pour améliorer la connaissance des personnes aux conditions de vie prCcaires). En niatière de protection sociale, 85 % des personnes interrogCes Ctaient protCgCes par une couverture complCmentaire en 1 997. Dix pour cent des personnes n'avaient ni exoneration du ticket modCrateur, ni couverture complémentaire maladie. Ces taux moyens cachent de profondes disparitCs selon I'âge, l'activité professionnelle et Ia profession, Ic type de contrat de travail pour les salaries, Ic revenu par unite de consommation du mCnage et Ic niveau d'études (tableau I). L'absence de couverture complCmentaire diminue Ia probabilitC de

recours aux soins (23 % des personnes ne bCnéficiant pas d'une couverture complCmentaire ont recours nfl médecin en un mois contre 33 % pour les personnes qui en bCnéficienO. Le nombre et Ic type de seances de médecin dans l'annCe (997 soni différenciCs selon (es caractCristiques sociales (tableau 2). Près d'une personne de cet échantillon sur (23 %) a <' a Ia question : <> Parmi ces personnes ayant renoncé, 62 % ont renoncé au cours de l'annCe précCdant l'entretien. Les restrictions les plus frCquentes survenues au cours de l'annCe écoulée concement le doniaine dentaire, 41 % des soins cites, puis (es soins de mCdecins et examens (34 % des soins cites dont 15 % pour les soins de spécialiste, 12% pour les soins de gCnCraliste et 5 % pour ('iniagerie).

407

AccEs AUX SOINS

Tableau I

Existence d'une couverture sociale comptémentaire en fonction des caractéristiques sociales. Enquête sur la sante et Ia protection sociale 19971

INI%

Age


(1974)

84,2

16-24 ans

(1 273)

77,1

25-39 arts 40-64 ans

(2 072) (3 184)

83,3 88,3

(966)

87,8

(143)

77,6

(17)

53,9

(4 169) (411)

89,5 62,4

(I 455) (651)

87,1

65-79

arts

80 arts et

pIus

Inconnu

Occupation principale individuelle Actif Chômeur Retraité

Autre inactif Militaire, etudiant, éfève

(2 936)

77,2 83,4

Milieu social2 Exploitant agncole

Artisan-commercant Cadre supérieur Profession intermédiaire Employé

Ouvner qualifle Ouvrier non qualiflé

(446) (939) (I 350)

(2221) (1 057) (2 509) (952)

89,4 82.8 92,5 93,8 81,2 82,1

71,8

Type de contrat de travail des salaries Non indiqué A durée indéterminée A durée inférieure ou egale a six mois A durée supérieure a six mois Interim Travail saisonnier Contrat emploi-solidarité Contrat de retour a l'eniploi

Revenu par unite de consommation3 Moinsde2000F de 2000 a moms de 3 000 F

(65) (3 150) (155) (144) (53)

(II) (46) (64) (417) (886)

de3000àmoinsde4000F de4000àmoinsde5000F de5000amoinsde6000F

(1416)

de 6 000 a moms de 8 000 F 8 000 Fet plus Inconnu/refus

(I 736) (I 232) (2091)

(980) (869)

74,4 92,9 77,0 83,7 66,3 54,8 50,5 79,2

51,3

76,0 85,8 91.3 92,8 95,0 96,0 79,3

Niveau d'études Non ou jamais scolansé Maternelle, primaire, CEP, DFEO 50, 40, 30 cycle. ire terminate cycle, Supérieur Inconnu

(85)

(I 366) (2 574) (1 008) (1 287) (182)

59,9 83.8 83,9 88,0 90,0 80.4

I. Source Dumesnil et ot(il. 1999. 2. Milieu social .. II correspond au nisosu agrdgtt do Is catdgonio socioprofessionnelle individuelle do Is pcrsottne do rttfdronco (PR) du mdnage La PR d'un mdnage on une notion misc an point par l'INSEE. qui rompbcc cetle (ii est done to memo pour routes les personnes d'un do "chelde tamille'. Elle est hasde sur In prddomiuance donate sue parents. an sexe masculin. l'activitd par rapport a l'inactivittt ci I'Sgc. Elle permet do topdrer uric persoune servant do pivot dane tout mdnage. 3. Le levenu par unutd do consommation est To tevenu du mdnage ajustd sur to nombre d'unittts do consummation. Cc nombre cst calculd solon

I'dchclle dite d'Oxford: I pour to premier adulto renconttd tans Ic mdnage. + 0.7 pourcbaqne ittdividu suppldmenlaiio do plus do 14 ans CI + 0.5 pour chaque iudividu suppEmontaire do moius do 14 sue. Ainsi, uncouple avoc dons jeunes onfants scracomptd pour 2.7 UC.

408

CLES D'INTERPRETATJON L)ES INIGALITES

Tableau 2

Disparités de recours aux soins en fonction des caractéristiques sociales:

indice de consonimation de seances de médecin en un mois (indices corrigés des effets de sexe et d'âge). Eiiquête sur Ia sante et Ia protection sociale 1997' Indice de consommation de seances de niCdecin en un mois, ajusté sur Ic sexe et CCnéraliste SpCcialiste

Ensemble

Occupation principale individuelle Actif Actifà Ia recherched'un emploi

0.99

1,02

1,01

1,05

0,86

0.96

Exploitant agricole Artisan-cornmerçant Cadre supCrieur Profession interrnCdiaire

0,82

0,52

0,81

0,85

0,70 0,88

0.98

1,50

1,14

1,05

1,25

1.16

EmployC

1,11

0,94

1.05

Ouvrier qualiliC Ouvrier non qualitiC

0,98

0,85

0,92

1.07

0,67

0.88

0,81

0,44

0,64

Milieu social3

Revenu par unite de consommation4 Moms de 2 000 F de 2000 a moms de 3 000 F

0.83

0,66

0,73

3 000 moms de 4 000 F

1.02

0,92

1,03

de4000àmoinsde 5 000F

0.99

1.05

1.01

de 5000 a moms de 6000 F de 6 000 a moms deS 000 F

1,16

1,09

1,17

1.11

1.25

1,17

8000FetpIus

1,01

1,39

1,16

Inconnu/refus

0.95

0,88

0,93

de

I. Source : Duruesnil CS olii. 1999. 2. l.'indice de consommation a age et aexe egaux dune sous-populalion eat Ic ruppon de Ia consomnsalion observée de eeoc sons-population Ia consonunation quelle aurait cue ales de cha9ue classe dage et de sese de eeOC sous-population avaient consommé comnie les personnes de Ia méiue classe démographique appurtenant a lensenible de Ia populalion. Le CREDES retient douse groupes dérnographiques. soil six classes dage par sexe. 3. Voir note 2 du tableau I. 4. Voir note 3 du tableau 1.

Les autres restrictions portent sur Ia lunetterie (I 3 % des soins ayant entraIné

une restriction), Ia kinésithérapie ou les massages (5 %), Ia pharmacie (4 %) et les analyses biologiques (2 %). Parmi les personnes qui ont déclaré se restreindre figuraient plus sou vent les femmes, surtout dans le domaine niédical, les jeunes (16-39 ans), les chômeurs et les personnes qui ne bénéficient pas de couverture complémentaire maladie. Le revenu du ménage et Ic revenu par unite de consommation (UC) ont un effet marqué sur les renoncernents aux soins, qui augmentent régulièrernent Iorsque Ic revenu dirninue (de 7,5 % de renoncements dans l'année dans les ménages bénCuiciant d'un revenu mensuel par UC

AccEs AUX

409

de 6 000 F et plus a 24,4 % chez ceux qui disposent de moms de 2 000 F). Une personne sur cinq vivant du RMI declare avoir renoncé aux soins pour des raisons financières dans l'année (21,5 %), au lieu de 14,4 % dans Ia population générale. La dernière enquete décennale menée par l'INSEE en 1991 sur Ia sante et les soins médicaux permet une remise en perspective temporelle de ces phénomènes. Par comparaison avec les enquêtes de 1970 et de 1980, elle montre qu'il s'est produit un mouvement general de médicalisation dans lequel l'extension de Ia protection sociale n'a joué qu'un role partiel [Mormiche, 1995]. Ii s'est produit une progression globale du nombre de recours préventifs (nombre de seances de médecin pour examens de sante volontaires ou obligatoires, vaccinations ou contraception) du même ordre que l'accroissement de l'ensemble des recours, tous motifs confondus. Mais les disparités entre milieux sociaux sont

plus accusées pour les soins préventifs (de — 18 % a + 27 % autour de la moyenne d'un indice standardisé sur I'âge et le sexe) que pour l'ensemble des soins (de — 13 % a + 8 %) et restent distribuées parallèlement a Ia sociale >>. Ce résultat conforte pour les auteurs du travail l'interprétation selon laquelle les categories populaires recourent aux soins plus tardivement que les autres dans I'évolution de Ia morbidité. INEGALITES FACE AUX SOINS PREVENTIFS

Des inégalites de soins préventifs sont documentées a l'égard de nombre d'affections envisagées dans les chapitres précédents de ce Iivre, qu'il s'agisse

de cancers ou de maladies cardio-vasculaires par exemple. La couverture vaccinale est un marqueur d'inegalités sociales plus transversal. Dans notre CFES montre qu'il existe une stratification sociale de Ia couverture vaccinale chez les enfants comme chez les adultes [Janvrin et Baudier, 1997]. Chez les adultes, en sus du niveau d'intérêt pour Ia vaccination contre l'hépatite B, plusieurs caractéristiques sociales sont associées au fait de s'être fait vacciner dans les dix ans contre une maladie au moms : être de sexe masculin, appartenir a la tranche d'âge 16-24 ans, être une personne seule, avoir fait des etudes, appartenir aux categories de cadres ou de professions intermédiaires, avoir un revenu supérieur a 6 600 francs mensuels, pays, le << Baromètre sante 1995-1996 >> du

avoir consulté chez un médecin généraliste au moms une fois dans l'année et se sentir en meilleure sante que des personnes du même age (tableau 3). Nous ne détaillerons pas le cas des enfants, traité dans un autre chapitre, mais

nous prendrons leur exemple pour montrer comment le système de soins <s'arrange>> par défaut [AIach et Cèbe, 1994] pour produ ire ou entretenir cette inégalité face a Ia sante. Des observations concemant Ia vaccination des enfants aux Etats-Unis illustrent I'importance de l'accès aux soins et de leur coordination dans la garantie de l'état de sante d'une communauté [Nutting et alii, 1981].

410

CLES D'INTERPRETATION DES

Tableau 3

Facteurs associés au fait d'avoir eu une vaccination au cours des dix

dernières années. Baromètre sante adultes 1995.19961 2 n

%

(973)

84.3

(I 020)

75,4

(299) (431)

93,8 86,9 74,0

(1 297)

63,0

(696)

71,5

(198) (995) (294) (441)

68.1

(52) (39) (193) (257) (422) (406) (387) (237)

66.8 70,6

(468) (437) (564) (454)

72,6 81.5 81,6 83.8

(422) (690) (882)

74,2 81.2 81.2

(56) (1 937)

65,3

(233)

73,7

(I 760)

80,5

77,5 84.1

86,2

90.1

81,3 74.9 80,3 75,4 88.7

dans les douze derniers mois

grave qui nécessite one vaccination>, 80.1

du même age

AccEs AUX SOINS

411

Trente-deux pour cent des enfants vus dans une structure privée étaient elle vaccines et une vaccination n'était pratiquée que Jors de 22 % des visites aurait été indiquée les responsables de cette structure avaient considéré que les

enfants recevaient leurs vaccinations du dispensaire public voisin. Dans ce dispensaire, le taux de vaccination par visite n'était que de 24 %. Lors d'une reunion conjointe, son équipe indiqua qu'elle avait fait l'hypothèse que c'était I'autre qui assurait Ia continuité du processus vaccinal. Les deux structures décidèrent de renforcer leur activité vaccinale, ce qui permit de tripler Ia couverture. Une situation différente s'observait dans un réseau de soins coordonné voisin (HMO): bien que les équipes aient délivré un vaccin dans 86 % des cas oü ii était indique, la couverture vaccinale de Ia population cible n'était que de 58 %. Ces

données suggéraient que le facteur limitant était l'accès aux soins

préventifs. Une étude complémentaire confirma que les enfants n'entraient le plus souvent en contact avec le système de soins que lorsqu'ils étaient malades. Cela illustre le problème pose par les opportunités preventives perdues lors des visites pour soins curatifs. Les auteurs suggèrent que si le système de soins fonc-

tionne bien pour des utilisateurs de risque moyen, ii n'est pas organisé pour assurer une prise en charge globale, notamment preventive, des usagers a haut risque, ceux qui n'utilisent le système qu'en Situation de crise pour un besoin curatif.

Des observations voisines ont été faites en Europe. Un travail espagnol illustre bien l'intrication des facteurs de risque individuels et systémiques [Del Mar Garcia Calvente et alii, 1993]. Une enquête <> incluant les 380 enfants de trois ou quatre ans mal ou pas vaccines contre diphtérie, tétanos, poliomyelite ou rougeole, oreillons, rubéole dans le district de Murcie en 1990 et un nombre equivalent de témoins a permis d'identifier des caracténstiques plus fréquentes chez les cas: famille nombreuse, habitant certains quartiers, enfant plus age et né dans an hôpital public. Des groupes nominaux conduits

avec des professionnels pointaient des dysfonctionnements systémiques: manque de coordination entre services sanitaires et sociaux, mauvaise gestion des registres vaccinaux, absence de stratégie pour atteindre les enfants a haut risque d'échapper a Ia vaccination. Enfin, des entretiens auprès de mères identifiaient des difficultés d'accès et des défauts d'information. Des opportunités de prevention sont perdues a tous les niveaux d'un système de soins dominé par une logique curative. Le potentiel de la médecine du travail est sous-employé [Lang et alii, 1990] et celui de la médecine libérale egalement.

Malgré une implication traditionnellement forte en matière preventive, les médecins libéraux rencontrent des difficultés a toucher leurs clients les plus a risque. Un audit sur le depistage mammographique du cancer du sein a montré par exemple que << les médecins out moms tendance a proposer le dépistage aux étrangères, aux travailleuses manuelles salariées, aux femmes les plus âgées et

aux patientes qu'ils connaissent depuis le plus longtemps>> [Aubert et alii,

412

CLES I)'INTFiRPRETATION DES INEGALITES

1995]. Le même travail a montré les pertes de chances liées aux difficultés de coordination entre généralistes et spécialistes. Les attitudes des médecins face a Ia prevention semblent determiner fortement leurs pratiques [Rebeisky et a/u, 1996]. En France, les declarations des médecins généralistes montrent qu'ils ont integré plus facilement dans leurs pratiques Ic dépistage des cancers gynécologiques que Ia prevention des

<> (tabac et alcool) [Pouchain et a/u, 1998]. Dans le sante médecins >>, les mCdecins gCnéralistes <> [Arènes et a/u, 1996]. Le niveau social de Ia clientele joue egalernent un rOle, puisque les médecins dont moms de 10 % de Ia clientele bénéficient de I 'aide niédicale étaient plus nombreux que les autres a estimer que le genéraliste a un rOle important>> en education

pour Ia sante en matière d'alcoolisme. On peut rapprocher ces résultats des declarations enregistrées par le sante mCdecins 1994-1995>> d'une pratique preventive: les geneconcernant les obstacles a la misc en ralistes francais citent en premier lieu Ia résistance du patient (40 %), puis Ic manque de temps (30 %), Ic manque de formation (7 %), l'absence de rémunération (7 %) ou les doutes quant a I'efficacité (3 %) [anonyme, 1996]. Ces réticences sont d'autant plus regrettables que Ia pratique d'un entretien bref sur cc sujet avec (es consultants a fait (a preuve de son efficacité [Deehan et alii, 1998]. A l'hôpital, bien qu'une proportion iniportante des usagers appartienne aux groupes sociaux les plus exposés a certains risques sanitaires (hypertension artC-

rielle, consommation excessive d'alcool, tabagisme) et dont Ia démarche de soins est marquee par une faible consonimation de soins de prevention, le besoin

de soins préventifs n'est pas toujours reconnu et s'iI est reconnu, rarement satisfait [Lombrail et alii, 1988]. INEGALITES FACE AUX SOINS CURATIFS

Les inégalités sociales face aux soins curatifs sont plus difficiles a objectiver et moms souvent rapportCes, mais un faisceau d'observations convergentes oblige a les considérer avec attention. Du fait de la raretC des données francaises

europCennes, l'expérience des Etats-Unis mérite d'être rapportCe. Dans ce pays, les difficultCs d'accès (primaire) sont les plus voyantes : elles touchent une part importante de Ia population et sont responsables a elles seules de retards de soins [Weissman et u/u, 1991] qui peuvent avoirdes consequences graves pour la sante [Braveman ci alil, 1994]. Ces difficultCs d'accès sont une cause majeure ou

d'hospitalisations évitables pour des affections relevant d'une simple prise en charge anibulatoire, et ce phénomène est socialement inégalement rCparti [Pappas et ti/u, 19971.

AccEs AIJX SOINS

413

Des inégalités sociales de soins commencent egalement a être solidement documentées. La Harvard Medical Practice Study a montré que les malades sans couverture sociale hospitalisés dans les hôpitaux de l'état de New York en 1984 avaient un risque de soins suboptimaux plus élevé que Ia moyenne [Burstin et alii, 19921. Si ces malades avaient une frequence d'accidents iatrogènes égale ala moyenne, Ia proportion d'accidents relevant d'une negligence était trois fois supéneure a celle observée chez les autres malades, indépendamment du sexe, du revenu ou de l'appartenance raciale. Des inegalités sociales sont de plus en

plus souvent rapportées dans Ia prise en charge des maladies chroniques. Un

travail montre par exemple qu'après une hospitalisation pour asthme les malades adultes pauvres, compares aux autres, avaient moms souvent une source de soins reguliere pouvant s'apparenter a ce que nous appelons médecin traitant, recevaient moms souvent un traitement ambulatoire intensif et conservaient plus frequemment des manifestations de Ia maladie interférant avec leurs activités quotidiennes trois mois apres Ia sortie [Haas et alii, 1994]. Une relation identique s'observait avec le niveau d'études, mais pas l'appartenance ethnique.

En France aussi, des défauts de qualite des soins sont connus. Le Haut Comité de Ia sante publique évalue a un tiers Ia proportion des décès évitables lies a des dysfonctionnements du système de soins [Haut Comité de Ia sante publique, 1994]. Quelques observations de portee plus ou moms limitéejointes a l'expérience américaine pour les soins curatifs et internationale pour les soins préventifs laissent supposer que ces défauts dependent au moms en partie de facteurs sociaux. Au debut des années quatre-vingt, chez les malades atteints d'insuffisance rénale chronique, les personnes issues des categories socioprofessionnelles les moms aisées cumulaient difficultés d'accès et qualite des soins inférieure a la moyenne (administration moms frequente de traitement hypotenseur, vitamine D, calcium ou fer) [Rozenbaum et alii, 1983]. A la méme

époque, dans un grand hopital parisien, les malades diabetiques traités par l'insuline qui ne maItrisaient pas suffisamment l'usage de Ia langue française ne pouvaient bénéficier du cycle d'éducation organisé a l'epoque exclusivement pour les malades francophones [Obadia et alii, 1986]. Des obstacles structurels peuvent venir également du manque de personnel : c'est notamment le cas des travailleurs sociaux a l'hôpital quand Ia degradation des conditions de vie d'une partie croissante de Ia clientele nécessiterait une intervention toujours plus fréquente et plus lourde et que les effectifs restent au mieux constants [Ozguler et a/u, 1998]. Des difficultés socialement différenciées d'accès au médicament ont aussi été mises en evidence, qu'il s'agisse de traitement hormonal substitutif de Ia menopause chez les femmes de bas niveau d'études [Ringa et a/u, 1997] ou de tntherapie antivirale chez les malades du sida usagers de drogues par voie intraveineuse quand us continuent a s'injecter leur produit [Carrieri et alii, 19991. En matière de sante bucco-dentaire, les mêmes groupes socialement défavorisés chez lesquels l'incidence de Ia cane ne diminue pas sont ceux pour lesquels une démarche de soins relève du parcours d'obstacles, parcours que Ia

414

CLEs D'INTERPRETATh)N DES INEGALITES

plupart vont abandonneren cours de route si une démarche spécifique d'accompagnement ne leur est pas proposée [Azoguy et a/u, 19961. Les facteurs sociaux peuvent opérer de manière subtile. C'est le cas quand des services d'urgence traitent les consultants itéraiifs comme les autres, alors que ce mode de recours aux soins traduit leur dépendance a l'égard de ceue structure pour leurs soins, ce qui devrait conduire a reconsidérer Ia nature du service qui leur est rendu réponse ponctuelle a une deniande analysée comme ponctuelle sans prise en compte plus globale des besoins de ces personnes au long cours [Lombrail et alii, 1997]. 1)ans un hôpital parisien, les consultants qui se dans d'accuei! des tirgences pour un motif non urgent avaientdes besoins de soins plus importants que les consultants dont le motif de visite était considéré cornme urgent ; en effet, its avaient un moms bon staut vaccinal contre le tétanos (59 % vaccines 70 %), une consommation d'alcool plus élevée (3,3 verres par jour versus 1,9) et une connaissance moms fréquente de leur taux de cholestCrolCmie (38 % versus 58 %) [Lang et a/u, 1996]. La prise en compte de ces besoins de soins particuliers supposerait uii profond changernent de paradigme : passer d'une approche indiffCrenciée du

soin, fondée sur une comprehension restrictive de l'égalité (de soin), a une approche adaptée a Ia nature des besoins a satisfaire, compatible avec une égalité de droits.

Enfin, un bilan similaire devrait être consacré aux inCgalités de soins tertiaires. Le Haut ConiitC de Ia sante publique a souligne les insuffisances caractCrisant les conditions de vie des personnes en situation de handicap ou de

dépendance tout en rappelant le deficit des connaissances en Ia matière: > [Haut Comité de Ia sante publique, 1994].

QIJELLES PISTES D'AcTION?

Si tous les individus n'ont pas les mêmes chances quant aux possibilités de gérer leur sante [Stronks et Gunning-Sheppers, 1993], ii est du devoir du système de sante en general et des professionnels en particulier de réduire les

inégalités a leur portée d'iiitervention en sachant qu'il y a des inégalités inévitables, inaccessibles a l'action humaine en l'état actuel de 1105 moyens, et d'autres, évitables, qui sont a respecter car resultant du libre choix d'individus conscients. Ménie si une revue de Ia littérature internationale sur les interventions visant a rCduire les inégalités socio-Cconomiques de sante aboutit a des conclusions nuancées sur leurefficacitC [Gepkens et Gunning-Sheppers, 1996], les voles a explorer sont connues.

AccEs AUX SOINS

415

La situation qui vient d'être décnte sommairement est en effet pour partie Ia

consequence d'un manque d'organisation de notre système de sante oü une Iiberté de choix de plus en plus fictive, pour les usagers comme pour les professionnels, empêche ou retarde l'affirmation de choix de sante publique seuls a

même d'introduire plus d'équité dans son fonctionnement. Dans son premier rapport general sur Ia sante en France, le Haut Comité de Ia sante publique rappelle que la Sante publique est une approche collective, volontariste et pluridisciplinaire des problèmes de sante qui suppose tine adaptation de l'offre de soins et une réfon-ne du financement de l'assurance maladie, deux complements des <> que sont <
juger au niveau individuel par Ia capacité de délivrer des soins adaptés aux besoins des personnes et au niveau collectif sur celle de réduire les inegalités sociales. Si le developpement accéléré de dynamiques de précarisation impose une attention particulière, c'est l'ensemble du corps social qui bénéficierait d'un

effort de rationalisation du système de sante selon des principes de sante publique: ii faut <> [Haut Comité de Ia sante publique, 1994]. Le chantier est immense et a peine entarné depuis le processus de réfornie engage par les ordonnances de 1996 sur l'hôpital, Ia médecine de ville et Ia Sécunté sociale. II nécessite tine transformation profonde de nos representations du système de sante. C'est dire 1' importance du débat democratique autour des choix de sante et des strategies visant a rernettre les individus et les groupes en

situation de maItriser leurs choix de sante. A l'intérieur du système, an renouveau vigoureux de la formation professionnelle döit accompagner ce processus de changement: intégrer véritablement des les etudes initiales Ia dimension psychosociale pour contrebalancer un modèie bioclinique dominant; développer pour les professionnels en exercice des opportunités d'apprentissage

interdisciplinaires de nouvelles pratiques médico-sociales [Elghozi, 1998]; favoriser le développement des innovations organisationnelles a I'intérieur de chaque institution de soins et surtout au niveau de leurs interfaces [Lombrail, 1998]. Beaucoup reste a faire pour que s'inventent et se développent de nouveaux savoir-faire qui <<méntent d'être formalisés, évalués, transmis et [Chauvin et Lebas, 1998]. C'est dire egalementlaplace majeure qui revient a la recherche, a l'experimentation et a l'évaluation.

416

CLES D'INTERPRETATION 1)ES INEGALITES

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27

Cohesion sociale et sante Ichiro Kawachi, Lisa F. Berkma&

II y a un peu plus d'un siècle, Durkheim faisait une découverte majeure : le niveau d'integrafion sociale est susceptible d'expliquer les variations du taux de suicide entre différentes sociétés [Durkheim, 1897]. En comparant dans le temps

et I'espace les statistiques des suicides dans plusieurs pays européens,

il

concluait que les plus forts taux étaient constatés dans des sociétés en prole a diverses formes d'anomie, que I'on appellerait aujourd'hui fragilisation des liens sociaux. A Ia suite de Durkheim, les chercheurs en sciences sociales se sont

attaches a comprendre les liens entre integration sociale et bien-être dans la population. II est reconnu maintenant que l'intégration sociale, mesurée au niveau individuel et caractérisée alors sous le nom de réseaux sociaux, permet de prévoir les risques de mortalité et de morbidité [Berkman et Syme, 1979; House et alii, 1988; Berkman, 1995 ; Kawachi et alii, 1996]. En revanche, il n'existe qu'un nombre relativement faible de travaux visant a determiner sites variations dans I'état de sante des populations sont susceptibles de s'expliquer par l'intégration sociale, appréciée cette fois au niveau de Ia collectivité. Nous nous proposons dans ce chapitre d'examiner les theories et les observations sur les liens entre l'integration sociale dans les collectivités (que nous appelons Ia cohesion sociale) et Ia sante des populations et des individus. COHESION SOCIALE ET SANTE

La cohesion sociale renvoie a I'étendue de Ia communication et de la solidante au sein des groupes qui constituent Ia société. Elle se définit par l'existence de deux caractéristiques collectives : d'une part, I'absence de conflit social

latent, qu'il s'agisse d'inegalites dans le revenu ou Ia richesse, de tensions

1. Nous remercions Ia fondation Robert-Wood pour avoir attnbué une bourse de recherche a I. Kawachi. Cet article emprunte des dléments au chapitie intitulé Social Capital and Health'> in: L.F., KAWACJ-u L (ëd.) (2000). Social Epidemiology, Oxford University Press, Oxford, 2000.

420

CLES I)'INTERPRETATION !)ES

raciales ou ethniques, de disparités dans Ia participation a Ia vie politique ou d'autres modes de polarisation ; d'autre part, Ia presence de liens sociaux forts, mesurés par le niveau de confiance et de réciprocitC que nous définissons plus loin comme du <>, Ia multiplicité d'associations créant des liens entre les categories sociales et l'existence d'institutions capables de gérer les conflits, par exemple une dérnocratie solide, une justice indépendante, etc. Le terme <> sert a décrire cenains caractères particuliers des relations sociaies, comme le niveau de confiance interpersonnelle ainsi que les normes de réciprocité et d'aide mutuelle qui viennent renforcer les liens sociaux dans les communautés et les sociétés. II faut noter que, si le <> est

a considérer comme un élément qui contribue a Ia cohesion sociale, ii n'en est en aucun cas la condition suffisante. Ainsi, il peut y avoir du <> au sein de petits groupes (Idles les associations de malfaiteurs) bien que cela contribue peu (ou méme nuise carrément) a Ia cohesion sociale au niveau de Ia société.

Dans le champ de Ia sociologie [Coleman, 1990; Bourdieu et Wacquant, 1992], de l'économie FLoury, 1992] ou des sciences politiques [Putnam, 1993], un certain nombre de tentatives formelles on ete faites pour dCfinir le <>. Les chercheurs en sante publique, en s'en inspirant, ont rCcemment commence a explorer les relations entre cohesion sociale, <> et sante de Ia population. Kawachi et au [19971 ont menC une analyse ecologique portant sur les relations entre indicateurs de <> et variations des taux de mortalité entre les

Etats des Etats-Unis. Ce sont des etudes nationales (General Social Surveys) conduites entre 1986 e 1990 qui oft servi de base a Ia mesure du <> dans les différents Etats. Y étaient inclus en tant qu'indicateurs de <>, transposes a partir des definitions utilisées en sciences politiques [Putman, 1993] et en sociologie [Coleman, 1990], les facteurs suivanis: le niveau de confiance interpersonnelle (le pourcentage de citoyens ayant répondu niajorité de gens est digne de confiance >>), les normes de réciprocité (Ic pourcentage de citoyens ayant répondu <>), ainsi que Ia vigueur de la sociétC civile (mesurde par Ia participation a Ia vie associative par habitant). Ces mêmes etudes nationales renseignaient sur Ia participation a Ia vie associative au sens large,

qu'il s'agisse d'organisations religieuses, sportives, de loisirs, d'entraide, de syndicats, etc. La participation a Ia vie associative dans chaque Etat étair fortement Ia mortalité generale ajustée sur i'âge (r = —0,49, p <0,0001). Dans les analyses de regression tenant compte du taux de pauvreté des menages et des revenus medians, l'augmentation d'un point de Ia moyenne de participation a Ia vie associative (c'est-à-dire, en rnoyenne, une participation de plus a

coi-rélée nCgalivement a

2.

guilleinets. car cite ne

anglaise .coeial pas a

par capital $Ociai mais conservëe entre qui en est habiluciteineni tail par les sociologucs français.

a

Cot-lEsioN SOCIALE El SANTE

421

une association par personne) correspondait a une baisse de mortalité générale de

66,8 morts pour 100 000 habitants, en tenant compte de Ia structure d'âge (intervalle de confiance a 95 % : 26,0 a 107,5).

La correlation entre Ia participation a Ia vie associative et Ia confiance civique était très élevée (r = 0,65). Le nivean de defiance (Ia proportion d'habitants dans chaque Etat trouvant que <>) était Iui aussi corrélé de facon remarquable avec les taux de mortalité ajustés sur l'âge (r = 0,79, p < 0,0001) (figure 1). Dans les modèles de regression, les variations dans le niveau de confiance expliquaient

58 % des differences de mortalité generale selon les Etats. De plus faibles niveaux de confiance sociale étaient associés a des taux plus élevés pour Ia plupart des principales causes de décès, dont les pathologies coronariennes, cancéreuses, vasculaires cérébrales, les accidents et la mortalité infantile. Et en supposant que ces associations soient causales, on estimait qu'une augmentation du niveau de confiance de 10 % (ou d'un écart type) se traduirait par un taux de mortalité générale diminué de 9 % environ. 1 020

720 660

I

5

10

15

20

I

25

I

30

I

35

40

45

Proportion d'habilants déclarant que << Ia majorité des gens profiteraient de vous s'ils en avaient I'occasion >> (%)

Figure 1

Relations entre la mortalité et le niveau de defiance (étude menée a partir de 39 Etats américains; Kawachi et alii 1997)

Dans un autre travail, Kawachi et alii [1999] ont mené une étude a plusieurs niveaux sur Ia relation entre le <> a l'échelle de I'Etat et Ia sante percue. La sante ainsi estimée (<< Diriez-vous que votre sante générale est excellente, très bonne, bonne, moyenne ou mauvaise ? >>) a été évaluée chez 167 259

personnes résidant dans 39 Etats américains, enquêtés par le Système de surveillance des facteurs de risques comportementaux (Center for Disease Control's Behavioral Risk Factor Surveillance System, BRFSS). A partir des

422

CLES I)' INTERPRETATION DES INEGALITES

réponses, uric variable a deux modalités a été créée : I = sante nioyenne ou mauvaise ; 0 = sante excellente, très bonne ou bonne. Une revue récente fondée

stir viugt-sept etudes en population gCnCrale conclut que même une estimation aussi sommaire de Ia sante apparaIt avoir une valeur hautement predictive en ce

qui concerne Ia mortalité, indépendamnient des autres facteurs de risque niédicaux, comportemeniaux ou psychosociaux [Idler et Benyarnini, 1997]. Dans Ia plupart des etudes, les associations entre ceue variable et le risque de décès ultérieur, quantifiCes par des << Odds-Ratios >>, variaient entre 1,5 et 3. Des

etudes longitudinales ont également montré que Ia sante percue était un ui de d'unc incapacité [par exemp!e ld!eret KasI, 19951. Une regression logistique a été réalisée afin d'étudier les associations entre cette variable (Se considérer en moyenne ou mauvaise sante par rapport a excellente ou bonne sante) et difféi-ents determinants potentiels. L'intérêt de cette étude particulière résidait dans sa richesse en informations stir des items individuels allant de l'assurance sociale, du tabagisme, de Ia surcharge pondérale a des caractCristiques sociodémographiques comme Ic revenu du ménage, Ic niveau d'Cducation et la situation de famille (vivre seul ou non). Ainsi que l'on pouvait s'y attendre, on a trouvC de fortes associations entre d'une part, les facteurs de risque individuels comme tin revenu et un niveau d'éducation bas, Ia consommation de tabac, l'obésitC, Ic manque d'accès aux soins, et, d'autre part, une sante estimée mauvaise par Ia personne eIle-même. Cependant, même en tenant compte de l'effet de ces variables, les personnes vivant dans des zones <> faible semblent presenter un risque majoré de rnauvaise sante perçue. Ainsi, I'association entre Ic fait de se considérer en rnoyenne ou mauvaise sante et de vivre dans des zones a plus faibles niveaux de confiance sociale était quantifiée par tin <> de 1,41 (intervalle de confiance a 95 % I ,33 a I ,50) par rapport a resider dans des Etats Ia confiance sociale est forte. Autrernent dii, ces rCsultats Ctaient cohCrents avec l'effet contextuel du <>, mesuré a l'échelle de 1'Etat, sur Ic bien-être individuel, independamment du role predicteur des variables mdlviduelles prises en compte. preu

LEs MECANISMES RELIANT COHESION SOCIALE ET SANTE

II semble que les mCcanismes au moyen desquels les rCseaux sociaux (consi-

dCrés au niveau de l'individu) et les questions de sante soft lies impliquent i'accès a diverses formes de soutien social, y compris Ic soutien instrumental (l'argent, le travail rétribué en nature), Ic fait d'être informC, considéré socialement et enrouré affectivemeni 995 ; Berknian et Glass, 2000]. De plus, de tels mCcanismes paraissent biologiquement vraiseniblables. Mais que dire sur les relations possibles entre <> (au niveau collectif) et

COhESIoN SOCIALE EU SANTE

423

sante ? 11 nous paralt utile de distinguer ici, parmi les effets du < capital social >>, ceux qui ont trait a la composition du groupe et ceux qui sont lies au contexte.

Voyons ceux afférents a la composition de Ia communauté n'importe quelle correlation au niveau écologique entre <> et mauvaise sante peut

s'expliquer par Ia concentration d'individus socialement isolés dans des zones carencées en << capital social >>. Les communautés manquant de << capital social>>

sont davantage susceptibles de susciter des personnes socialement isolées puisque de tels lieux leur procurent moms de possibilités de tisser localement des liens [Sampson, 1988 ; Wacquantet Wilson, 19891. Si c'estle cas, toutes les

hypotheses que l'on peut formuler a un niveau ecologique sur Ia cohesion sociale se réduisent a l'étude des effets des réseaux sociaux et du soutien social au niveau individuel. Bien qu'aucune recherche concernant le <>

et la sante n'ait en même temps rendu compte des indicateurs individuels d'isolement social (être sans contacts amicaux ou familiaux, ne pas frequenter une église ou des associations par exemple), il est probable qu'au moms certains effets de Ia cohesion sociale sur la sante sont médiatisds par l'effet qu'opère le <> sur le niveau d'intégration sociale au niveau individuel.

II est plus stimulant de chercher a identifier les mécanismes au moyen desquels le << capital social >> exerce un effet contextuel sur Ia sante individuelle.

Le <> peut affecter Ia sante de diverses facons suivant l'échelle géographique retenue, qu'il s'agisse du quartier ou au contraire d'une zone de residence plus vaste (Ia yule, l'Etat ou d'autres entités politico-geographiques).

Si l'on considère les effets du quartier, ii y a au moms trois facons dont le <> peut influencer Ia sante individuelle: (1) en affectant les comportements relatifs a Ia sante ; (2) en influencant l'accès aux services et (3) en modifiant les processus psychosociaux.

Les comportements relatifs a Ia sante Le <<

capital social >> peut tout d'abord influer sur les comportements de sante

des residents d'un quartier : d'une part, en facilitant une diffusion plus rapide de l'information sur Ia sante [Rogers, 19831 on bien en augmentant les chances

d'adopter des comportements meilleurs pour la sante, concernant l'activité physique par exemple ; d'autre part, en exercant un contrôle social non officiel sur certains comportements qui influent sur Ia sante comme la consommation d'alcool chez les mineurs on l'usage de drogue. La théorie de la diffusion des innovations [Rogers, 1983] suggère que les comportements novateurs (comme l'utilisation de services de prevention) se propagent plus rapidement dans les communautés qui montrent de la cohesion et dont les membres se connaissent

et se font confiance. A l'inverse, des résultats empruntés a Ia criminologie [Sampson et alii, 1997] montrent que le degré d'exercice d'un contrôle social non officiel par les voisins (caracteristique que les auteurs baptisent << efficacité collective >>) permet de prévoir la capacité a prévenir Ia délmnquance juvenile et

424

Ia

D'INTERPRETATION I)ES INEGALITES

criminalité. Un processus similaire peut aussi intervenir dans Ia prevention

d'autres formes de comportement en lien avec Ia sante, comme Ia consommation d'alcool chez les adolescents [Berkrnan ci Glass, 2000]. II convient toutefois de remarquer que des niveaux élevés de <> peu vent, dans certains cas, favoriser des comportements néfastes pour Ia sante.

L'accès aux services

La deuxième façon dont le <> d'un quartier peut affecter Ia sauté porte sur Ia capacité a garantir l'accès a différents types de services. Là encore, les rCsultats issus de Ia criniinologie suggerent que les quartiers sociaiemenL coiiésifs out plus de chances de s'unirpouréviterque les restrictions budgetaires ne touchent les services locaux [Sampson ci alii, 1997], Les habitants de ces quartiers cohésifs sont davantage capables de s'organiser afin de créer les formes d'organisations sociales décrites comme par Coleman [1990] qui cite le cas d'une association de quartier dans Un projet d'aménagement urbain qui s'était initialement constituée pour faire pression sur les promoteurs afin de rCgler une série de problèmes comme les infiltrations d'eau, l'entretien des rottoirs, etc. Une fois ces problèmes résolus, l'association a perduré en taut que ressource disponible pour permeitre aux residents d'améliorer leur qualité de vie. Cela montre qu'une association, créée pour certains objectifs, peut également par Ia suite servir a d'autres usages et constituer ainsi une forme de <>. 11 est concevable que cc même genre de démarche associative assure l'accès a des services comme les trarisports en commun, les dispensaires ou les centres de loisir, qui tous ont un rapport direct avec Ia sante. Le travail de Macintyre et a/u [1993] montre en quoi les quar-

tiers, selon qu'ils soul pauvres ou aisés, dilferent systéniatiquement en cc qui concerne l'accès a de idles facilités ci ressources. A 'Cgard de ces inégalités géographiques, I'existence de groupes de pression locaux pour appuyer l'équipement en services peutjouerde facon iniportante sur l'état de sauté des habitants. I

Les processus psychosociaux

Le <> d'un quartier influence enlin Ia sante des individus au moyen de processus psychosociaux, en fournissant un soutien affectif et en agissant comme une source d'estime de soi et de respect mutuel [Wilkinson, 1996]. Les variations dans Ia disponibilitC des ressources psychosociales pourraient aider a expliquer une observation intrigante : les individus socialernent isolés qui resident dans des communautés plus cohésives comnie l'est de Boston [Seeman et a/u, 1993], les Afro-Américains dans Ia partie rurale de Ia Georgie [Schoenbach et (liii, 1986], ou encore les Arnéricains d'origine japonaise a Hawaii [Reed et a/u, 1983] ne semblent pas subir les mérnes consequences néfastes en terme de sante que ceux qui vivent dans des communautés affichant moms de cohesion.

COHESION SOCIALE ET SANTE

425

Les environnements sociaux qui se caractérisent par de forts niveaux de confiance tendent en retour a produire des citoyens fiables. Les processus par lesquels les valeurs morales de confiance et de sont transmises aux enfants ontété décrits par Jane Jacobs [1961] dans un ouvrage oü l'on trouve les premiers exemples d'utilisation de la notion de <>. Les enfants qui grandissent dans un quartier riche en <> apprennent très tot que << les gens doivent assurer un minimum de responsabilité publique les uns envers les autres même s'ils ne sont pas lies entre eux >>. Qui plus est, <
pas une leçon qui s'apprend parce qu'on vous l'a dit. On l'apprend en faisant l'expérience que d'autres personnes sans liens de parenté, de proche amitié ou de responsabilité formelle envers vous assurent un minimum de responsabilité publique a votre égard >>. L'auteur poursuit en décrivant les avantages que le <> au niveau du quartier présente pour maintenir La sécurité des trottoirs, faciliter l'êducation des enfants, accroItre l'autogestion et entretenir Ia civilité dans Ia vie publique.

Inversement, les environnements sociaux qui se caractérisent par de forts niveaux de defiance semblent produire de plus forts niveaux de violence interpersonnelle [Wilkinson et alii, 1998], ainsi que de mortalité generale [Williams et alii, 1995]. Plusieurs etudes ont indiqué que l'agressivité et le manque de confiance, mesurée en tant que caracteristique personnelle, augmentent l'incidence des pathologies coronariennes et Ia mortalité générale [Williams et alii, 1980; Shekelle et a/u, 1983 ; Barefoot et a/u, 1983]. Un travail plus recent mené sur dix villes américaines montre une correlation frappante entre les niveaux d'hostilité agrégés dans les villes et les taux de mortalité [Williams et alii, 1995]. Le <> a des échelles géographiques plus vastes

Enfin, concernant les mécanismes qui lient <> et sante a un niveau d'agrégation plus élevé (Etats, regions, pays), ii apparalt que les zones ayant davantage de cohesion produisent des modèles plus egaLitaires de participation a Ia vie politique qui se traduisent par l'adoption de politiques assurant Ia sécurité de tous leurs membres [Kawachi et Kennedy, 1997; Kawachi et alii, 1997]. Le politologue Robert Putnam [1993] a montré que le <> est indispensable pour que les institutions soient capables de bien réagir et de

fonctionner sans problème. De bas niveaux de confiance interpersonnelle s'accompagnent de bas niveaux de confiance et d'espoir dans les institutions publiques [Brehm et Rahn, 1997], de bas niveaux de participation a Ia vie politique mesurables dans Ia participation aux elections et d'autres formes d'engagement politique [Kawachi et Kennedy, 1997; Putnam, 1993; Verba et a/u, 1995], et, en fin de compte, d'une efficacité réduite des institutions publiques. Les données américaines montrent que les Etats oü le niveau de confiance interpersonnelle est bas sont moms prêts a investir dans La sécurité des personnes et

426

CLE.S I)'INTERPRETATION DES

moms généreux dans Ia part du budget consacré aux aides sociales. Ainsi, lit defiance entre citoyens est en relation inverse très étroite (r = — 0, 76) avec le pourcentage du revenu per capita qui est consacré dans chaque Etat a l'aide sociale maximale, a savoir les allocations versées aux femmes seules avec enfants et qui sent en dessous du scull de pauvreté. II va sans dire que les Etats les moms généreux sont aussi, souvent, ceux qui offrent les environnements les moms accueillants aux fractions les plus vulnérables de leur population. CONCLUSION

Les chercheurs en sciences sociales se sont longtemps penchés sur Ia question de savoir pourquoi certaines collectivitCs, a Ia difference d'autres, semblecu prospCrer, disposer d'insitutions politiques efficaces, avoir des citoyens respectueux de Ia loi et en bonne sante. Alors que de nombreuses caractéristiques sociales susceptibles d'expliquer les inégalités de sante au niveau de

la population (le degré de prospérité économique de Ia communauté par exemple) ont eté identifiées, Ia forinule premiere de Durkheim sur l'intégration sociale en tant que clé fondanientale du bien-être collectif demeure plus que jamais d'actualité. C'est au travers du concept de capital social >> que les chercheurs en sante publique peuvent se niettre a explorer l'influence des caractéris-

tiques collectives sur les questions de sante individuelles ainsi que le role potentiel de l'environnernent dans les variations sociales de l'Ctat de sante.

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Conclusion

Perspectives pour la recherche et pour l'action Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang, Annette Leclerc

Les relations entre sante et situation sociale sont habituellement apprdhendées, tant dans les travaux scientifiques que dans les politiques sanitaires, de

deux manières différentes. La premiere approche correspond a Ia prise en compte des phénomènes les plus visibles, a savoir Ia pauvreté ou, dans les termes utilisds au cours de Ia période récente, I'exclusion. C'est elle que développent les nombreuses enquêtes sociologiques portant sur les chômeurs, les sans-domicile fixe, les bénéficiaires des dispositifs d'insertion et des services d'aide sociale, et, quoique plus rarement, les etudes epidémiologiques Ia loi concernant ces mêmes populations. C'est a elle egalement que se de prevention des exclusions de 1998, qui comporte un important volet sur l'accès aux soins des personnes confrontées a des difficultés socioéconomiques, et Ia loi sur Ia couverture médicale universelle de 1999, qui élargit Ia gratuité des soins a un public ddfavorisé beaucoup plus nombreux que les

bénéficiaires antéi-ieurs de l'aide médicale. La seconde approche traite de l'ensemble du corps social en s' intéressant ala façon dont s'y inscrit un gradient sanitaire entre différentes categories sociales. C'est elle qui est développée ici et, plus généralement, dans les recherches sur les inegalités de sante. C'est elle aussi qui fait le lien avec les politiques de fiscalisation et de redistribution, de logement et d'emploi ou, en matière de sante, avec les politiques de protection sociale. Les limites de ces deux approches sont connues. En traitant de Ia pauvreté ou de l'exclusion, on tend a se focaliser sur les situations extremes, ce qui a trois consequences. Premièrement, on singularise ces situations en perdant de vue les relations que maintiennent les personnes concernées avec le reste de la société,

ne serait-ce que parce que Ia mobilité sociale conduit nombre d'entre elles a passer d'un côté a l'autre de La frontière entre les inclus et les exclus, en passant de l'emploi au chômage ou l'inverse. Deuxièmement, on néglige les processus

430

LEs INEGALITES SOCIALES I)E SANTE

qui ont conduit a ces situations et l'on est donc réduit a étudier celles-ci comme des états, au lieu de les inscrire dans les dynamiques structurelles qui les ont produites, comme Ia Ilexibilisation de l'eniploi et Ia précarisation des salaries. Troisièmement, en termes politiques, on liniite l'action a sa dimension réparatrice visant a corriger les consequences les plus graves et les plus inacceptables sans prétendre aborder les phCnomènes en amont. Au contraire, en traitant des inCgalités, on est en mesure de considérer Ia

sociétC dans son ensemble, mais on se heurte a d'autres difficultCs. Tout d'abord, les instruments de repérage social sont relativement grossiers, souvent uIIx categories nrofessionnelles, sous des avatars divers, permettant mal d'appréhender les for mes chaiigeantes de Ia diffCrenciation sociale, et notamment les statuts de l'emploi ou les anciennetés dans le chômage. Ensuite, malgré Ic développement des cohortes et de l'analyse longitudinale des données répetées dans le temps, l'essentiel de Ia littérature provient encore de lectures statiques ou de coupes transversales dans lesquelles une personne n'est caractérisée qu'a un moment de son existence ; par consequent, Ia dimension diachronique est restituée pour tine population dans son ensemble, mais non a travers les parcours des individus. Enfin, les implications des recherches pour Ia définition de politiques se trouvent limitëes par Ic caractère multifactoriel des deter-

minants identities et par Ia difficulté d'intervenir stir les causes structurelles mises en evidence quand l'action publique se dCploie plus facilement a travers des mesures ciblCes sur des populations dCfavorisées. La volonté institutionnelle manifestCe par l'lNSERM de susciter le developpement de travaux scientifiques sur les interactions entre situation sociale et sante a pris, on I'a rappelé en introduction, les deux directions. D'une part, ii s'est agi de traiter de l'exclusion et de Ia précaritC dans leurs effets sur Ia sante, ce qui a donné lieu a un colloque et a un livre (Précarisation, risques et sante, INSERM, Paris, 2000). D'autre part, ii s'est agi d'aborder les inégalités sociales dans le doniaine de Ia sante, en réalisant un état des Iieux dont cet ouvrage rend compte. Sans opposer done les deux perspectives, qui éclairent deux aspects différents de Ia rCalité sociale et sanitaire, il est cependant essentiel de tirer les enseignements de ce rapprochement. Le travail collectif qui a été mis en pour rassembler les connaissances présentées id nous amène en effet a revendiquer l'irnportance d'une lecture en termes d'inegalités de sante, mais aussi a

reconnaltre ses insuffisances du point de vue de Ia comprehension et bien entendu aussi de l'intervention. Importance, car ii y va d'une question dejustice sociale qui ne peut se restreindre a Ia prise en charge des groupes les plus fragilises : rnettre en des politiques plus justes en matière de sante suppose que i'on considère I'ensemble du monde social, Mais insuffisances, car nombre de problèmes thCoriques et méthodologiques persistent. En particulier, la dimension dynamique des phénornènes de précarisation et de leurs conséquences sur Ia sante reste difficile a apprehender l'approche en termes d'inega-

lités décrit plutôt des états que des processus. I)e plus, Ie passage des faits

PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE ET POUR L'ACTION

431

structurels, caractérisant Ia société, aux réalités observées de Ia sante demeure relativement obscur l'analyse des inégalités ne livre pas Ia clé des mécanismes par lesquels des transformations macroécononiiques et macrosociales influent sur des comportements a risque ou des pratiques de prevention, sur des taux de mortalité ou de morbidité. Nous voulons donc, en conclusion, partir de ce double constat en réaffirmant Ia nécessité de mieux comprendre les inegalites sociales de sante pour mieux

a les réduire. Nous dégagerons donc d'abord les propositions qui peuvent être avancées pour Ia recherche dans ce domaine. Nous tenterons ensuite de suggérer des axes pour réduire les disparités sanitaires. Dans ces deux

dernières parties, plutôt que de proposer de véritables programmations qui déborderaient le cadre de l'ouvrage et le mandat de ses auteurs, nous prétendons seulement contribuer a l'ouverture d'un débat sur Ia recherche et l'action. PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE

Des inegalités sociales de sante, on ne possède aujourd'hui qu'une vision partielle, comme le relèvent les auteurs des différents chapitres de ce livre. Ces limites actuelles, qui pour une part procèdent de l'état des savoirs en général, et

pour une autre concernent plus particulièrement Ia France, dont on a vu les

retards dans ce domaine, appellent l'exploration de nouvelles voies de recherche. Nous en privilégierons quatre. Premièrement, une meilleure connaissance de Ia différenciation sociale de Ia mortalité, de Ia morbidité et plus globalement de Ia sante est nécessaire. D'une part, beaucoup de données de base manquent aujourd'hui, sur certaines pathologies ou pour certains indicateurs sanitaires. 11 importe donc d'inscrire plus systématiquement une preoccupation de mesure des inegalités a Ia fois dans Ia production d' informations sanitaires de routine, notamment pour les maladies

qui font l'objet d'un enregistrement, et dans Ia réalisation d'enquêtes specifiques sur la sante, qui comportent encore trop rarement des indications sur les

categories socio-économiques. D'autre part, Ia capacité descriptive des variables couramment utilisées dans Ia mesure de Ia différenciation sociale se révèle insuffisante pour prendre en compte les transformations contemporaines

de Ia societe. En particulier, les inegalites générées par le niveau d'etudes, I'existence d'un emploi, le type de contrat doivent être mieux mesurées, de

même que Ia caractérisation des populations inactives, de plus en plus nombreuses aujourd'hui, dolt être affinée et que les differences dans Ia manière dont les facteurs sociaux affectent Ia sante selon le sexe doivent être analysées.

De plus, il apparaIt que les modalités a Ia fois générales et particulières des inégalités sociales qui affectent les populations étrangères et d'origine étrangere, soit par accumulation des disparites communément partagées, soit par effet de formes spécifiques de discrimination, si elles sont de mieux en mieux

432

INFGALITES

SANTE

connues daiis divers domaines, ne le sont que peu sur le plan de Ia sante et menteraient donc d'être mieux appréhendées, sans pour autant se trouver isolées des autres variables socio-économiques.

Deuxièmement, l'articulation entre les facteurs socio-économiques et les indicateurs sanitaires doit être mieux comprise. Au niveau inacrosocial, Ia manière dont les niveaux de revenus, d'un côté, et les écarts entre les revenus, de l'autre, dCterminent les disparités devant Ia niort n'est pas seulernent une question académique, qui donne lieu a un intéressant débat scientifique dans Ic monde anglo-saxon; eUe a évidemment des consequences importantes en

matière d'orientation des politiques publiques. De même, Ia facon dont les modifications de Ia production, avec les phénomènes de flexibilisation et de sous-traitance notamment, se traduisent non seulement cii termes d'accidents de travail ou de maladies professionnelles, mais aussi plus globalement en ternies

d'etat de sante, déborde le domaine de Ia sante au travail pour constituer un enjeu de sante publique. Au niveau ,nicrosocial, les effets lies au territoire, a I'habitat, a I'environnement local, au milieu de travail, aux réseaux de sociabilité derneurent relativement mal appréhendés ; en particulier, Ia tension entre l'individuel et le collectif, telle qu'elle s'exprirne dans les notions de soutien social ou d'intégration sociale, qui sont données comme Cléments favorables essentiels de Ia sante, reste difficile a penser dans les travaux scientifiques et a mettre cii dans des categories statistiques. Quant aux comportements considCrés comme a risque ou au contraire protecteurs, les mCcanismes par lesquels les situations sociales les influencent et les marges de Iibei-té qu'elles laissent aux acteurs constituent également des zones d'ornbre. Troisièmement, Ic renouveau actuel des problématiques en matière

d'évaluation des systèmes de sante doit permettre de mieux apprehender les inegalités sociales devant les soins. En particulier, si l'on dispose de donnCes différenciées de consommation inédicale a partir d'approches quantifiant le nonibre de recours, Ia qualité des soins est rarement abordCe SOUS I'angle des disparités; Ic theme des opportunitCs perdues pourrait a cet égard utilement completer Ia traditionnelle question du non-accès aux soins, tant II est vrai que le recours a une structure sociosanitaire assure inCgalenient Ia prise en charge globale a laquelle dIe pourrait donner lieu, avec sou vent niême des effets aggravants sur les inégalitCs sociales devant Ia maladie. Par ailleurs, Ia différenciation sociale face a la mériterait plus d'inténét de Ia part des chercheurs, d'autant que I'on salt que cc type d'action peut participer significativement de la reduction de certains risques et de certaines pathologies, et que les mesures efficaces daiis cc domaine ont souvent des effets inCgalement distribués. Quatriemement, les inCgalites sociales ne se manifestent pas seulement dans

Ia production de Ia morbidité ci de Ia mortalité, qui constituent les principaux sujets d'investigation de Ia recherche. ElIes s'expriment aussi dans les conséquences de la maladie et du handicap, consequences sur I'emploi et Ic travail, sur la vie quotidienne et les relations sociales. Cet aspect, encore peu abordC

PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE EF POUR L'ACTION

433

dans les enquêtes, se révèle pourtant determinant alors que nombre de maladies autrefois mortelles tendent a se développer sur le mode de la chronicité, posant

donc Ia question des conditions matérielles et subjectives d'existence des malades, et alors que les problèmes de sante tendent a devenir l'un des éléments sur Ia base desquels s'opèrent les selections dans le monde de la production et l'un des obstacles importants a l'insertion socioprofessionnelle. Ces quatre orientations prioritaires de Ia recherche, telles qu'elles découlent des contributions de cet ouvrage, concernent bien entendu toutes les categories de population. Cependant, pour des raisons différentes, certaines d'entre elles devraient mériter un intérêt plus soutenu. Tout d'abord, compte tenu des liens qui semblent exister entre I'état de sante dans Ia petite enfance et chez l'adulte, il est important de mieux analyser le role des facteurs sociaux dans la production et la reproduction des inegalités sanitaires des le trèsjeune age. Ensuite, prenant en consideration l'influence des pratiques de sante etde risque parmi les adolescents et lesjeunes sur Ia suite de leur histoire médicale, ii est essentiel de mieux comprendre a Ia fois pourquoi, a ces ages, les écarts de mortalité et de morbidité sont apparemment faibles et pourquoi Ia distribution sociale des comportements a risque ne correspond pas ace que l'on en sait chez les adultes. Enfin, les inégalités chez les personnes âgées devraient bénéficier d'enquetes précisant a Ia fois les mécanismes producteurs des disparités devant les maladies et les handicaps et les phénomènes expliquant les differences dans les consequences et le retentissement de ces problèmes de sante, les démences pouvant constituer sur ce double plan un cas d'école. Pour l'ensemble de ces recherches, Ia complexité des relations a établir et a comprendre entre le social et Ia sante de même que Ia multiplicitd des phénomènes a étudier et des liaisons a apprehender justifient des approches renou-

velées. En particulier, comme ii est apparu dans plusieurs chapitres de cet ouvrage, les travaux pluridisciplinaires apportent souvent des pistes nouvelles

d'investigation, qu'il s'agisse de faire travailler l'epidémiologie avec les sciences sociales ou avec les sciences biologiques. Ces contributions mutuelles concernent bien stir des aspects methodologiques comme lorsque des biographies ou des monographies viennent enrichir ou éclairer des données statistiques. Mais elles impliquent aussi une réflexion théorique qui touche a Ia manière même de considérer les inégalites sociales de sante. C'est dire que, dans les années a venir, Ia recherche, en ce domaine, devrait bénéficier de cette nécessaire pluridisciplinarité. PERSPEcTIVES POUR L'ACTION

De Ia synthèse des connaissances présentée dans ce livre, on ne peut pas déduire de manière simple et cohérente des principes d'action. C'est plus souvent en filigrane qu'explicitement que les chapitres ouvrent des pistes dans

434

INECALITES

DE SANTE

domaine. Néannioins, du travail d'élaboraiion collective dont ii est le produit, mais aussi des interferences qui se sont dCveloppées autour de lui, taft dans Ic monde scientifique que dans les rnilieux de Ia sante publique, nous pensons qu'iI est légitime de tirer des éléments de rCflexion sur des orientations politiques propres a rédu ire les inCgalités sociales de sante. Le caractère de noire entreprise ne nous permet certes pas de développer un plan d'action comme celui, fameux, propose en Grande-Bretagne par la commission indépendante présidCe par sir ce

Acheson (Independant Inquin' into Inequalities in Health, The Stationary Office, Londres, 1998). U autorise toutefois — et mênie, pensons-nous, ii impose — de dégager des perspectives pour I'action. Nous en avançons cinq. Premièrement, Ia nianière Ia plus eflicace de rCduire les inégalités de sante estde réduire les inégalirés dons Ia sociélé. L'assertion peutsembler alter de soi, niais comme on l'a vu, Ia réponse Ic plus souvent apportée aux disparités dans Ic domaine de Ia sante consiste, surtout en France, a rendre l'accès aux soins plus equitable. Or, ce n'est pas ace niveau, mais bien en amont de Ia maladie, par des interventions sur ses determinants sociaux, que les rCsultats les plus importants

pourraient être obtenus. PrCtendre réduire les inégalités de sante, c'est donc avant tout diminuer les écarts entre les revenus par une politique salariale et redistributive, améliorer les conditions de travail et I'accès a des emplois stables, arnéliorer les conditions d'habita et I'accès au logement social, faire reculer les dispariés dans Ia petite enfance et a l'école, faire reculer les disparites entre hommes et femmes, enfin hitter contre toutes les discriminations, en particulier a l'égard des populations étrangères ou d'origine Ctrangère. Les mesures les plus efficaces contre les inégalités de sante sont des mesures de justice sociale. Deuxièmement, Ia question de l'égalité dewint les soitis n'en derneure pas moms essentielle, non seulement du point de vue de I'efficacité sur Ia sante, mais aussi en termes de respect des droits sociaux. A cet égard, un ensemble de dispositions récemment prises en France tend rCduire les disparités Ies plus choquantes, notamment par l'instauration d'une couverture medicate universelle concernant les bas revenus, l'ouverture de permanences d'accueil social et de soins dans les hôpitaux et Ia mise en place du tiers payant auprès de médecins référents. Toutefois, l'accent porte sur l'accès aux soins des populations les plus défavorisCs comporte au moms deux effets pervers en cc qui concerne les inégalités de sante. Tout d'abord, fixer un plafond au-dessous duquel des mesures spécifiques sont proposées iniplique nCcessairement Ia constitution d'un effet de seuil dont sont victirnes ceux qui se trouvent juste au-dessus de Ia limite et qui sont nombreux, en raison même du tassement de Ia Structure sociule vers Ic bas. Ensuite, crCer ces dispositifs pour les categories précarisCes conduit les intervenants qui leur soft extCrieurs, qu'ils soient a l'hôpital ou en ville, a se considérer renvoient vers les structures ad comme dCsinvestis de ces populations hoc. Mais au-delà de cette discussion sur les benefices ci les risques de ces mesures, qui concernent avant tout les categories les plus pauvres, il importe de

PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE EF POUR L'ACTION

435

souligner Ia persistance, dans l'ensemble de Ia population, de disparités portant, d'une part, stir l'accès aux soins, dentaires notamment, et, d'autre part, sur la qualité des soins, avec des consequences avérées stir la morbidité et même la survie, pour certaines pathologies. Troisièmement, Ia question de l'égalité dans le domaine de Ia prevention doit faire I'objet d'une attention particulière. D'une manière génerale, en effet, ii est constaté que les programmes préventifs efficaces le sont plus parmi les catégones sociales supérieures que dans les classes sociales défavorisées. L'environnement materiel, Ia socialisation au sein de Ia famille, les conditions de La scolarisation, mais aussi le rapport aux institutions et aux professions de sante

sont autant d'éléments qui déterminent le succès des mesures preventives, surtout lorsqu'elles sont individuelLes et font appeL a des changements de comportement en matière de risque, comme en matière de sexualité ou de tabagisme, mais egalement lorsqu'elles sont collectives et font intervenir des transformations des pratiques institutionnelles ou professionnelles, comme pour les

vaccinations ou le dépistage. Ce constat ne discrédite évidemment pas les actions de prevention, mais impose de Les penser d'emblée, et d'en mesurer ulténeurement les effets, en termes de reduction des inégalités et non seulement en termes d'efficacité globaLe. Quatrièmement, les politiques mises en place, qu'elles se situent ou non dans le domaine de Ia sante, doivent faire systématiquement l'objet d'une evaluation du point de vue de leur impact sur les inegalités sociales, en général, et de sante en particulier. De plus en plus, ii entre dans Ia norme de I'action publique, quel

que soit le domaine, d'être soumise a une evaluation de ses effets. Le critère d'équite est cependant loin d'être toujours pris en compte. II importe que les consequences des mesures prises en matière d'empLoi, de logement, d'environnement, d'urbanisme, etc., et afortiori de sante, soient étudiées sous cet aspect. II est en effet probable qu'une telle approche obligerait a rendre beaucoup plus présente Ia question des inegalites sociales, de sante notamment, dans Ia définition mérne des politiques publiques. Cinquièmement, les inégalités de sante doivent donner lieu a un plus large débat dans I 'espace public. Le constat a été fait maintes fois ici de Ia relative

faibLesse de La discussion autour de cette question en France, tant dans les milieux scientifiques ou médicaux que plus géneralement dans le monde politique et les médias. C'est tin objectif essentiel du present ouvrage que de contribuer a ouvrir ce débat. La conception que nous en avons est qu' il doit s'appuyer sur des faits rigoureusement établis, tout en relevant les zones d'incertitude ou d'ignorance qui supposent des travaux complémentaires. Cependant, nous pensons également que les connaissances en Ia matière ne sont pas le seuL fait des experts et que d'autres agents sociaux, individuels ou collectifs, qu'ils

soient des syndicats, des associations, des citoyens, sont aussi détenteurs de savoirs dans ce domaine. Surtout, nous pensons que Les actions de reduction des inégalités impliquent des choix politiques dans lesqueLs l'expertise apporte Un

436

LEs INEGALITES SOCIALES L)E

éclairage essentiel, mais qui retèvent in fine de l'exercice démocratique. On peut penser que certains signes récents, tels que Ia tenue de conferences régionales et nationales de sante ou, dans un autre dornaine, de conferences de consensus

ouvertes a des non-professionnels, témoignent d'une evolution, certes tirnide encore, vers une telle conception dans laquelle, d'ailleurs, s'engagent déjà activement des groupes d'habitants, d'usagers ou de nialades. II s'agirait pourtant, dans Ia perspective défendue el ilkistrée ici, d'elargir Ia rCflexion, au-delà du dispositifde soins, a l'ensemble des determinants de la sante, que ce livre a pour ambition d'éclairer. Bobigny-Toulouse-Vil lejuif-Saint-Maurice-Paris, avril 2000

Ont

cet ouvrage

AIAcU Pierre, sociologue, CRESP-université Paris-Nord, UFR Sante Leonardde-Vinci, 74, rue Marcel-Cachin, 93017 Bobigny Cedex.

epidemioiogiste, Harvard School of Public Health, Department of Health and Social Behavior, 677 Huntington Avenue, SPH3 Boston, 02115 Massachusetts, Etats-Unis.

BERKMAN Lisa F.,

BERTHOD-WURMSER Marianne, politologue, MIRE, 7, place des CinqMartyrs du Lycée Buffon, 75507 Paris Cedex 15. BERTON Olivier, biologiste, UCB Pharma, chemin du Foriest, B- 1420 BraineL'Alleud, Belgique. BIHR Alain, sociologue, 14, me de Bitche, 67000 Strasbourg. BLONDEL Beatrice, epidemiologiste, INSERM UI 49, Recherches épidemiolo-

giques sur La sante des femmes et des enfants, 16, avenue Paul-VaillantCouturier, 94807 Villejuif Cedex. BOCQUET Hélène, gerontologue, faculté de médecine Purpan, Département de sante publique, 37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse Cedex.

BOURDELAIS Patrice, historien et demographe, CNRS UMR19, École des hautes etudes en sciences sociales, 54, boulevard Raspail, 75270 Paris Cedex 06.

BOURGEOIS Denis, épidémiologiste sante publique, Laboratoire d'analyse des systèmes de sante, UMR 5823 CNRS, faculté d'odontologie, rue GuillaumeParadin, 69372 Lyon Cedex 08.

BRIANcON Serge, epidemiologiste, École de sante publique, faculté de médecine, avenue de Ia Forêt-de-Haye, BP 184, 54505 Nancy Cedex.

BRIxI Omar, épidemiologiste, Comité francais d'éducation pour Ia sante, 2, rue Auguste-Comte, 92170 Vanves.

CALvEz Marce', sociologue, universitd Rennes-lI, 6, avenue Gaston-Berger, CS24307, 35043 Rennes Cedex. CHASTANG Jean-Francois, épidémiologiste, INSERM U88, Epidemiologie, sante publique et environnement professionnel et général, hôpital national de Saint-Maurice, 14, rue du Val-d'Osne, 9441(YSaint-Maurice.

438

LEs INEGALITES SOCIALE.S DIi SANTE

Alain, sociologue, CREST, Laboratoire de sociologie quantitative, 3, rue Pierre-Larousse, 92245 Malakoff Cedex.

CHENU

Marie, épidérniologiste, INSERM U472, Epidémiologie et statistique, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 VillejuifCedex. CLEMENT Serge, sociologue, faculté de médecine Purpan, Département de sauté publique, 37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse Cedex.

COHIDON Christine, épidémioiogiste, École de sauté publique, faculté de médecine, avenue de Ia Forêt-de-Haye, BP 184, 54505 Nancy Cedex.

Catherine, épidérniologiste bucco-dentaire, université Claude-Bernard-Lyon-i, faculté d'odontologie, rue Gui llaume-Paradin, 69372 Lyon Cedex 8. DAVID Simone, sauté publique, INSERM U88, Epidemiologic, sauté publique et environnement professionnel et gCnéral, hôpital national de SaintMau rice, 14, rue du Vál-d'Osne, 94410 Saint-Maurice.

DRUIHE Marcel, sociologue, institut des sciences sociales, université Toulouse-Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse Cedex. FASSIN Didier, anthropologue et niédecin, CRESP-universitC Paris-Nord, 74,

rue Marcel-Cachin, 93017 Bobigny Cedex et Ecole des hautes etudes en sciences sociales, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris.

GIRARD Florence, épidCmiologiste, École de sauté publique, faculté de mCdecine, avenue de Ia Forêt-de-Haye, BP 1 84, 54505 Nancy Cedex. GRAND Alain, sociologue, INSERM US 18, Epidémiologie et analyses en sante publique : risques, maladies chroniques et handicaps, facultC de médecine

Purpan, DCpartement de sante publique, 37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse Cedex. Hélène, épidémiologiste, INSERM US 18, Epiderniologie et analyses en sante publique: risques, maladies chroniques et handicaps, faculté de médecine Purpan, 37, alléesiules-Guesde, 31073 Toulouse Cedex

GRANDJEAN

GROENHOF Feikje, démographe, Department of Public Health, Faculty of Medicine and Health Sciences, Erasmus University, P0 Box 1738, 3 000 DR Rotterdam, Pays-Bas. HERBEwI' Catherine, épidCmiologiste-sociologue, Registre des tumeurs digesLives du Calvados, faculté de médecine, niveau 3, CHRU Côte-de-Nacre, 14040 Caen Cedex.

HUNT Kate, scientifique en sauté sociale, MRC Social and Public Health Sciences Unit, 4 Lilybank Gardens G12 8RZ, Grande-Bretagne.

ONT CONTRIBUE A CET OUVRAGE

JOUGLA

439

Eric, épidémiologiste, Service commun no 8, Information sur les

causes médicales de décès, Centre de recherche INSERM, 44, Chemin-deRonde, bâtiment B, 78116 Le Vésinet Cedex. KAMINsIU Monique, epidémiologiste, INSERM U 149, Recherches épidémio-

logiques sur Ia sante des femmes et des enfants, 16, avenue Paul-VaillantCouturier, 94807 Villejuif Cedex. KAWACHI Ichiro, épidémiologiste, Harvard School of Public Health, Department of Health and Social Behavior, 677 Huntington Avenue, SPH3 Boston, 02115 Massachusetts, Etats-Unis.

KUNST Anton E., démographe, Department of Public Health, Faculty of Medicine and Health Sciences, Erasmus University, P0 Box 1738, 3 000 DR Rotterdam, Pays-Bas.

LAGADIC Christophe, statisticien, INSERM U472, Epidémiologie et statistique, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif Cedex.

LANG Thierry, épidemiologiste, département d'epidemiologie et de sante publique, faculté de médecine, 37, allées Jules-Guesde, 3100 Toulouse. LAUNOY Guy, epidemiologiste, Registre des tumeurs digestives du Calvados, faculté de médecine, niveau 3, CHRU Côte-de-Nacre, 14040 Caen Cedex.

LECLERC Annette, épidémiologiste, INSERM U88, Epidemiologie, sante publique et environnement professionnel et general, Hôpital national de Saint-Maurice, 14, rue du Val-d'Osne, 94410 Saint-Maurice.

LE TOULLEC Alain, statisticien, Service commun no 8, Information sur les causes médicales de décès, Centre de recherche INSERM, 44, Chemin-deRonde, bâtiment B, 78116 Le Vésinet Cedex. LOMBRAIL Pierre, médecin de sante publique, centre hospitalier universitaire, PIME sante publique, 27, square La Pérouse, 44093 Nantes Cedex 1. LOVELL Anne, sociologue, université de Toulouse-Mirail et chercheur associé,

INSERM U379, Epidemiologie et sciences sociales appliquees a l'innovation médicale, 232, boulevard Sainte-Marguerite, 13273 Marseille Cedex 9.

MACINTYRE Sally, médecin sociologue, MRC Social and Public Health Sciences Unit, 4 Lilybank Gardens G12 8RZ, Grande-Bretagne.

MACKENBACH Johan P., epidemiologiste, Department of Public Health, Faculty of Medicine and Health Sciences, Erasmus University, P0 Box 1738, 3 000 DR Rotterdam, Pays-Bas.

M0RMEDE Pierre, biologiste, INSERM U47 1, Neurogénetique et stress, institut François-Magendie, rue Camille-Saint-Saëns, 33077 Bordeaux Cedex.

440

LEs INEGALITES SOCIALES I)E SANTE

MORMICHE

Pierre, ddmographe, INSEE, F 170, Division des enquêtes et

etudes démographiques, 18, boulevard Adolphe-Pinard, 75675 Paris Cedex 14.

PEQUIGNOT Francoise, épidémiologi ste, Service comrnun n° 8, Information

sur les causes niédicales de ddcès, Centre de recherche INSERM, 44, Chemin-de-Ronde, bâtiment B, 78116 Le Vdsinet Cedex. PFEFFERKORN

Roland, soc iologue, 56, avenue de Ia Forét-Noire, 67000 Stras-

bourg.

RAVAUD Jean-François, dpidémiologiste, CERMES, INSERM U502, Médecine, sciences, sante et société, 182, boulevard de La Villette, 75019 Paris.

RIBE'!' Céline, dpidérniologiste, INSERM U258, Epidémiologie cardio-vasculaire et métabolique, hôpital Paul-Brousse, 16, avenue Paul-VailiantCouturier, 94807 VillejuifCedex.

RICAN Stéphane, géographe, Espace-Sante et territoire, Institut sante et dCveloppenient, 15/21, rue de l'Ecole-de-Médecine, 75006 Paris.

SAUREL-CUBIZOLLES Marie-Josèphe, dpiddmiologiste, INSERM Ui49, Recherches epidCmiologiques sur Ia sante des femmes et des enfants, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Vii lejuif Cedex.

Annie, sociologue, CRESP-université Paris-Nord, UFR Sante Ldonard-de-Vinci, 74, rue Marcel-Cachin, 93017 Bobigny Cedex.

THEBAUD-MONY

TURSZ Anne, épidérniologiste-pddiatre, CERMES, INSERM U502, Médecine,

sciences, sante et société, 182, boulevard de La VilIeue, 75019 Paris. VOLKOFF Serge, statisticien, CNAM, CREAPT, 41, rue Gay-Lussac, 75005

Paris. La mise en forme de l'ensemble du manuscrit a été assurée par Nadine Kaniewski, INSERM U88.

ONT CONTRIBtJE A CET OUVRAGE

Un

site web sur les

441

de sante: http://www.inserm.fr/serveur/

Dispsoc.nsf

Ce site, élaboré en partenariat avec le réseau DISC-DOC de 1'INSERM, complete l'ouvrage et actualise les connaissances sur les inégalités de sante.

Régulierement mis a jour, ii comporte, outre un glossaire, des références bibliographiques et une information sur les congrès ou manifestations scientifiques touchant le domaine des inegalites de sante.

Index

Les termes <>, <>... n'ont pas été

dans l'index, car us concernent Ia quasi-totalité des chapitres. Dans les chapitres présentant des résultats numénques, ceux-ci sont le plus souvent donnés séparément pour les hommes et pour les femmes, et en faisant mention de I'âge. Les termes correspondants (hommes, femmes, age) ne sont pas systématiquement indexes. Les références a des personnes sont limitées aux références historiques et a des auteurs dont le nom est associé a an rapport, a une loi ou a une approche scientifique particulière.

Allocation de(s) ressources, 70, 76

A Accès (aux soins...), 70, 72, 74, 158, 187, 189, 230,

247,302,403,422,423, 424

Accident(s), 22, 152, 196, 199, 208,214,219,366 Accident(s) de Ia route, 301 Accident(s) de (du) travail, 33, 219, 301, 353, 354 Acheson, 78, 399, 434 Activité physique, 397 Activité professionnelle,

149,263,290,315,

354

Activité professionnelle de Ia mere, 177, 180, 194, Adolescence, 207, adolescent(s), 424,433 Adulte(s), 275,409

Animaux (modèles), 22, 377, 381

Anomalies du tube neural, Anthropologie, 124, 131, 310 Anxiété, 255, 384 Assurance maladie, 74 Asthme, 23, 208, 355, 367, 413 Athérosclérose, 382 Auclitifs (deficits, troubles),

Avortements

spontanés,

179

Axe gonadotrope 380

109,

404 Ajustement ,1 14, 398

B Baromètre sante, 165, 193,

152,

156, 158,208,215,229, 246,368, 385,392,394, 395,423, 424 Alimentation, 33, 66, 125, 137, 246, 392, 396, 397

273, 392, 395, 409,412 Besoins de soins, 268, 405, 412 Besson (loi), 340 Biais,54, 156, 165,252 Bials de declaration, 208, 218

175

Bulletin de naissance, 175

180

154, 195, 203, 210, 277, 285, 318, 337, 357, 358,

Alcool, 33, 46, 64,

de

Galles, 57, 111, 177

358

201,271

Age, 31, 32, 59, 63,

Amiante, 355, 356 Angleterre et pays

Biais de selection, 254 Bilan(s) de sante, 197 Biographie(s), 128, 133, 433 Black (rapport), 18, 76, 111 Boissonnat (rapport), 349 Bulletin de décès, 104, 149,

C Cancer(s), 152, 239

Cancer colorectal, 241 Cancer(s) des voies adrodigestives supérieures, 61,64,152,242,245 Cancer du col de l'utérus, 244,245 Cancer du poumon, 20, 61, 242,244 Cancer du sein, 242, 244, 372,411 professionnels, Cancers 354

Cannabis, 215 (économique, Capital social...), 31, 100, 264 Capital scolaire, 343 <>, 420, 423, 425 Cardiopathie, 61

444

INEGALITES PAR i)OMAINE

Cardiopathie(s) ischémique(s), 61, 65, 395

Cane(s), 269, 272, 413 Causalité sociale, 259, 260 Causes, 45, 227, 234, 353 Causes de décès, 152 Certillcat de décès, 157 396

Chômage, 16, 24, 48, 129, 233, 260, 340, 352,429, chômeurs, I 52

Cinhose du thic, 62, 64 Classification internationale des handicaps, 296 Classification internationale des maladies, 149

Classification internationale type des prokssions, 96 Cognitif(s) (processus), 384 Cohesion sociale, 419 Cohorte GAZEL, 113, 199, 262, 395 Cohorte Whitehall >> (GB), 168,262 Comniissariat au plan, 74

Comparaisons entre (des) pays, 54, 57, III, 159, 168, 366, 369 Comportcment(s), 33, 46, 207, 229,246,247, 273, 277, 381, 384,391, 398, 423, 432 Comprehension. 138 Conditions d'existence, 127, 137

Conditions de travail, 37, 262, 320, 350, 370 Conditions de vie, 45, 76, 223 lCrences, 47, 75. 436

Conference(s) regionale(s) CI

flationale(s) de sante,

47, 75, 436 de consensus,

436

Confiance (intcrpersonnelle, les institutions...). 421, 425

Congé prenatal, 187 Connaissance(s), 291, 353, 431

Conseil national de l'information statistique, 76

des maladies, 296, de Ia maladie, 432

Consomrnaiion(s) (de soins,

medicate), 47, 49, 73, 163, 326, 358 Conlinuitd (des soins), 404 Contraception, 23, 187 Contrainte(s) de temps, 355, 356, 358 Corps medical, 47 Corpulence, 211 Cortisol, 378 Couple. 175 Coat (des soins), 231, 278, 280

DCpistage, 247, 284, 411

Depression, 233, 253, 255, 256, 367, 384, dCpressivitC, 208, 216 DCsavantage social, 295, 296, 306 Diabète, 152, 229 l)ilTdrcnce, 85 DiplOme(s), 99, 100, 151, 342

l)iscrimination(s), 24, 259, 310,415,431,434 Dominance/subordination, 381

Drogue(s), 208, 285, 286, 290, 423

Couverture

72,278,406 Couverture maladie universelle, 49, mCdicale

Couveriure universelle,

17,429,434 Coiiveiiure sociale, 407,413 Couverturc vaccinale, 409, 411

CREDES, 44, 74, 76, 88, 1(15, 163,197,278,321,

l)roit(s) (au logenient), 17, 37, 340, 342,414,434 Durkheim, 138,419

E Echec scolaire, 343 Echelle(s) psychologique(s),

253

326, 406; voir

École, 33, 342

enquêle déceniia/e

Education pour

Culture, culturelles rences...),

220

D DCbat(s) (public...), 18, 20,

69,431,435 DCcès (certificat de), 157, 227

DCcile, 117, 396 Declaration(s) (de troubles

et maladies), 87, 170, 354 DCficiences, 295, 296, 302

Délicit de connaissances,

DCpenSes de sante. 49

Ia sante,

412, education sanitaire, 280 Effet du travailleur sam >>, 391,

371; voir aussi worker effect Emploi, 16, 101, 307, 354, 355,

371,429

Enfance, 31, 88, 194, 234, 399,433 Enfant(s), 28, 30, 35, 193, 269, 371,396,409,411 Enjeux sociopolitiques, 83 EnquCle(s)

enquêe Sante,

392,

Degradation (des capacitCs avec 324 Dekker, 72, 73, 77 Demande sociale, 18,75 Démence(s), 22, 325, 433 Déniocratie, 41, démocratisation, 48, dCmocratique, 436 Dépendance, 315

193, 203, 333,

dCcennale(s), dCcennale 88, 164. 299,

406. 409;

aussi ii CREI)ES Enquête HID, 311 Enquête longitudinale de I'IN SEE, voir 1NSEE EnquCtes nationales périnatales, 176, 188 Enquete

sur Ia sante ci Ia

protection sociale, enquCte annuelle Pro-

tection sociale, 164,407

445

INDEX

F

Haut Comité de Ia sante publique, 46, 75, 79,

Facteurs contextuels, 185 Facteurs psycho-affectifs, 202

83, 399,415 Healthy worker effect, 104,

Enquête stir les conditions de vie, 299 Enseignement, 347 Entretien, 126, 253 profesEnvironnement sionnel, 158, 232 Environnement social, 377, 386 Epidémie(s), 28, 49, 293 Epidémiologie, 18, 44, 112, 433, épidémiologique (approche, démarche),

20, 93, 94, 132

Equipement (en services), 424 Enkson-Goldthorpe, 115, Erikson et Goldthorpe, 55, 101, 102

de vie, 28, 29, 31, 38, 150, 158, 319,

Espérance

356, 368 Espérance de vie sans incapacité(s), 158, 163, 297, 305 Etats-Unis, 94 Ethnologie, 125 Etudes, 55 Étude(s) longitudinale(s), 55

Etudes transversales, voir transversale European Science Foundation, 78 Evaluation (des ques...), 435 Evin (loi), 46

politi-

Evolution (dans le temps), 27, 333, 349, 352, 394, 409; voir aussi temps Exclusion, 15, 17, 83, 310,

429, 430, exclus, 49, 352

Exclusion du marché du travail, 56 Exercice physique, 392 Exposition(s) professionnelle(s), 187, 246, 370 Extrapolation, exirapoler (a

la France a partir de travaux étrangers), 19

Femmes, hommes (différences entre les sexes), 31, 60, 85, 150, 151, 167,224,233,255,256, 263, 316, 317, 350,352, 358, 368, 395 Femmes au foyer, 256,263,

105, 156;

Histoire(s) de vie, 126, 130 Historienne, 27, historique (approche), 296

Horaires (de travail), 350, 352, 356

Hormones, 378, 381, 383, 385

371

Filière(s) d'enseignement(s), 207, 291, 347; voir aussi type d'enseignement

Filière(s) (de soins), 292 Finlande, 58, 60 Fluor, 272

Hospitalisation, 201, 214 Hygiene, 18, 32 bucco-dentaire, Hygiene 272 Hygiene de vie, 219 Hygiénisme, 41,48 Hypertension, 229, 382 Hypotrophie, 181

G General Household Survey, 88

Génération(s) (effet de génération), 28, 100, 327, 333, 394 Génétique, 14, 259 Genre, 363 Géographiques (inégalités, variations), 84, 196 GlucocorticoIdes, 378, 385 Gradient(s), 28, 29,65, 181,

188,230, 245,256,363, 365, 368, 370, 429 Grande-Bretagne, 18, 69, 71, 88, 94, 98, 119 Grossesse, 173, 246, 364 Grossesses extra-utérines, 179

Grossesse(s) non désirée(s), 23, 186 Groupes de pression, 424

H Habitus, 136

Handicap, 208, 295, 296, 432

voir aussi

effet du travailleur sam

I Idéologie defensive de métier, 135 Illich, 44 Immigration, 130, 132 Immunodépression, 383

Impact (des politiques sur les inégalités sociales), 66, 272, 403 Inactif(s), 56, 152, 157, 224, 256, 257, 285, 371 Incapacité(s), 165, 295, 296,303, 321 Incidence, 241, 245, 284 Indicateurs globaux de sante, 163

INED, 19, 43 Inégalité morale, 13 InégalitC naturelle, 13 InégalitCs évitables, 414 INRETS, 299 Insalubrité, 35

INSEE, 18, 19, 42, 45, 74, 76, 84, 86, 97, 99, 105, 148, 163, 225, 334, 396

INSERM, 18, 19, 43, 79, 87, 105, 149, 430 Insuffisance rénale nique, 22,413

chro—

446

PAR DOMAtNE 1)'EXPRESSR)N

Integration sociale, 138, 423, 432 Jntensiflcation du travail, 351, 355 Interaction(s)

facicurs),

159, 189, 279, 297 Interpretation, 21

Maladies

N

22

Maladies parodoniales, 268 Maladies professionnelles, 353, 354 Maladies 23, 152

interruption volontaire de grossesse 187

23,

Maladies transniissibles, 31 congCnitales, 180

Intervention(s), 46, 54, 62, 114,312 Intervention de FEtat, 41,

Malnutrition, 30 Maltrailance, 200 64,

131,

132, 185,228

42

Isolement social, 387, 423

J

Justice, 84, 89, 310, 420, 430, 434

L Lien social, 16, 379, 387

Limiting long standing illness (GB), 165, 168 Lipidiquc(s),

lipide(s), 229

Logement(s), 33, 56, 199, 339, 340

MohilitC sociale 100, 186, 189,216,220,308,429 Mode(s) de vie, 127, 158, 247 Modèle(s) (de Ia sante ci tie Ia maladie), 21, 114, 235, 236 ModClisation (sialistiquc), 116, 118

30,

126,

163,

170,

dCclarCe,

63,

Monographie(s),

433

197, 369, 419

MorbiditC 169, 213

Maladies 368 Maladies

223,

MortalitC

Maladies chmniques, 371, 413

Maladies Maladies

Mon. 27, 86 MonalitC. 28, 86, 147, 195, 319, 369, 372,419,421

152, 223

infantile, 174

MortalitC infantile, 32, 174

366 comnariennes,

367

Maladies de longue duree incapacitantes, 168, 366 Maladies gaMro-intestinales. 62 Maladie(s) mentale(s), 251

Niveau d'Ctude(s), niveau d'éducation, 56, 63, 118,178,231,256,257, 394. 396,406, 431

MorbidilC, 87,

M

24

Neuro-endocri niens (systèmes), 378 Nt-IS (GB), 48 Niveau d'Cducation, 168, 276

308,

431

262

176 Naiionaliié,

MCdicaiiient(s), 217, 413 MCnage(s), 56, 100, 103, 168, 337, 339,406 Menopause, 413 Mesure (de Ia sante), 20, 83,

MobilitC prolessionnelle, 156

Karasek (modèle de), 232,

Naissances hors niariage,

MCdecine sociale. 41

85,316 Mesure des inCgalitCs, 85,

K

Naissance, 173, 186

MortalitC

nCo-natale, 174

MortalitC périnatale, 174 MortalitC postnCo-naiale,

316, 365, 367, 368,

Niveau de vie, 99, 100

(tie positions socioproicssionnelles), 93, 95 Nomenclature des prol'essions et categories socioprofessionne lies, 96 Normes (sociales), 252, 258 Nutrition, 272 Nomenclature(s)

0 OhCsité, 125, 198.229,396, 422 Observation, 126 O1i're (de soins...), 159 OMS. 49, 70, 77, 85, 269 OPCS,71. 101 Opinion publique, 79 Opportunités (d'amCiiorer Ia prevention...): opportunitCs perdues. 231,

411,432 Organisation du travail, 350, 358 Organisation sociale, 381 Orientation (scolaire), 343 Origine ethnique. 260

Origine sociale, 103, 342, 345

174

MortalitC prématurCe. 54, 64, 147, 365 Muscu Io-squeleuiques

(troubles), 354

P Parcours

prolèssionnel(s), 351, 354, 356, 357

447

INDEX

Parent isolé, 202 Patrimoine(s), 317,

336,

339 Pauvre(s), 32, pauvreté, 35,

48, 127 Pays-Bas, 69, 72, 77 Pays du Nord (de I'Europe),

Protection sociale, 18, 48, 164,406 Prothèse(s)

Pays du Sud (de l'Europe), 65

Pays européens, 156, 159, 168, 366 Pays ex-commurlistes, 84 Peel (loi), 36 Percentile(s), 112, 115

Perception de Ia maladie, 169

Personne de référence du ménage, 103, 104 Personnes âgées, 315, 333, 20,

433, pluridisciplinarité, 142

PM!, 200 Politique(s) (domaine, point de vue...), 15,36, 37,45,

429, 430,434 Politique(s) de prevention, 46, 234, 280, 358

Psychanalyse, 135 Psychodynamique travail, 136 Psychose(s), 251

391

Politique(s) publique(s), 29,

41,69,432,435 Politiques sociales, 187

Population d'ongine étrangere, populations étrangeres, 431

Précarité, 15, 83, 129, 148, 291, 341, 354, 415 Prématurité, 175, 181 Prestige social, 100, 101

Prevention, 42, 126, 230, 271,274,279,289, 292, 432, 435 Probabilité de décéder a un

âgedonné, 319 Processus, 27, 132, 133,

207,423,429,430 Production d' information, 431

du

Representations sociales, 310 Reproduction, 23 Réseaux sociaux, réseau social, 419,422 Residence (zone, lieu de...), 234, 241, 339, 367,423 Retard au diagnostic, 247 Retraite, 315, 317, 320 Revenu(s), 56, 63, 95, 100,

168,278,317,333,355, 396, 408, 426 Ril, indice relatif d'mégalité,

57,59, 116,368

Q Qualitative(s) (approche, recherche), 123, 130, 264 Qualité (des soins, des traitements), 247, 432, 435 Qualité de vie, 165, 424

Quantification des inégalités, 116

Quantitative(s) (approche), 123, 130, 139 Quatrième age, 315 Quotient(s) de mortalité, 28

R

Politique(s) de sante, 62,

Profession, 94, 102

(dentaires...),

275

65

433 Pluridisciplinaire(s),

Protection (vis-à-vis des risques...), 289 Protection matemelle et 193 infantile

Race, 97 Rapport(s)

(d'experts, officiels...), 45, 46, 70, 79,399,415 Recherche, 15, 18, 44, 66, 69, 75, 77, 79 Récit(s) de maladie(s), 126, 130, récit de malade(s), 140

Recours aux soins, 208, 278, 326, 408 Redistribution, 89 Regions (differences entre), 155

Relation entre médecin et malade, 231 (aux Renoncement(s) soins), 278, 408 Representation(s) (de Ia sante, des maladies, des modes de transmission...), 292, 405

RMI, 255, 341 Rousseau, 13 Rural(e), 29

S Salaire(s), 334

Sans-abri(s), 253, 340 Sante, 35, 85, 128 Sante bucco-dentaire, 267 Sante perçue, 164, 165, 168, 366, 367, 371,404, 421

Saturnisme, 197 Schizophrénie, 252, 257 Score d'invalidité, 164 Score de risque vital, 164 Sécurité sociale, 18, 42, 48, 279

Selection(s) (selection par la sante...), 32, 64, 104, 225,325,327,352,371, 433 SCropositivité, 284

Sexe(s), 3?, 114, 166, 216, 345, 363, 404 Sexuel(s), sexuelle(s) (comportements...),

207,212,246,288,291, sexualité, 125 ; aussi vie sexuelle

voir

Sida, 49, 152, 283, 413 Situation sociale relative, 112

SMR (Standardized Mortality Ratio), 56

Social class(es) (GB), 95, 97, 102,115

448

INE(JALITES PAR

Socio-econumic (GB), 95

classes

Socio-cconomic

groups

D'EXI'RIiSSION

Système de sante, 45

U

Système de soins, 45, 46, 247. 404

(GB), 95

Socio-economic status (USA), 94, 96 Sociologic, 124, sciences sociales, 433, sociologiquc (approche, perspectives), 93, 352 Soins den taires, 268, 278

Sommeil (troubles du...), 208, 212, 388 Soubie (rapport), 46, 49 Souffrance (psychique), 86, 130, 253 Sous-estimation (des différences sociales), 157, 179, 184 Sous-traitance, 16, 351

Souticn social. 232, 233, 261, 387, 422,432 Standardisation, 109, 114 Statislique nationale des causes de décès 149 Statut marital, 372 Stigmatisation, 310 Stress, situations stressanics, 185, 259, 261, 377, 378, 383, 387 Subjectivation, 138 Sucres, 272 Suede, 69, 77, 119 Suicide(s), 22, 152 SUMER (cnquéte), 355 Surveillance prénatale, 187, 188

Survie, 230, 241, 247

T Tabac, 33,46,208,215, 246, 392, 393, tabagisme, 19, 45, 65,229, 398 Taille, 210 Temps (comparaisons, evolution dans Ic...), 63, 158,

160,

365; voir

evolution Tentative(s) de suicide, 208, 217 Toulemonde (rapport), 342 l'oxicomanie, 139 Toxiques, 354 aus,si

(du

286, 287 l'ransveisal(c)

Vll-l),

Union europCennc, 54,71 Unite(s) de consommation, 100,408 ltrbain(c), 27, 125 Urgcnccs, 201,414 Usages sociaux du corps, 43

Utilisalion (des services de santC),89, 201)

V Vaccination(s), 42, 2(11, 410 VariabititC entre pays, 66 Variation(s), 66 Vieillissement, 327, 357 Vicillissement relatif, 164, 324 VII I, 284

18, 35, 123

(étude,

Violence(s), 128, 364, 366,

cnquCte), 55 Travail, 16, 46, 49, 232, 263, 349, 371, 397 Trisomie 21, 181 TroisiCme age, 315 Troubles d 'apprdntissage,

368, 425 VulnCrabilitC, 15, 30, 259, 293, 372, 385

w Weber, 99, 138

198

Troubles du comportement, 198

Troubles psychologiques, 199, 202 'l'uherculose, 42 Type d'enseignement, 209 i'oir aussi fihière

Composition - EDIE

x XIX' siècle, 18, 29, 33, 84

xviii' siècle, 28,31,37 siècle, 18, 42, 74, 84, 223

Seine-et-Marne)

d'imprimer en avrii 2003 (3' lirage) sur les presses numCriques de Bookpole BP 12- Zi, route -45330 Malesherbes N° d'impression : C03102447L Depot legal de Ia premiere edition : 3' Irinlestre 2000

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