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> [Rumeau-Rouquerte, 1996]. Ces niesures visalent a réduire la mortalité périnatale, Ia prCmacurité et les handicaps d'origine pennatale. Ce programme a été suivi par d'autres niesures médicales et sociales pour
les fenirnes enceintes et les nouveau-ties, et un nouveau programme dCfini en 1993 est en cours d'application. Dans I'ensemble, les niesures proposées ont éé largement appliquCes, et I'on a pu observer une evolution particul ièrement favorable de Ia sante périnatale. Au cours des trente dernières années, Ia mortalité
périnatale et Ia mortalité infantile ont baissé de mamere considerable: Ia mortalité périnatale est passCe de 21,3 pour 1 000 en 1972 a 12,3 pour 1 000 en
1981, et 7,4 pour 1 000 en 1995; Ia morlalitC infantile de 16,0 pour 1000 en 1972, a 9,7 pour I 000 en 1981, et 4,9 pour I 000 en 1995. Selon Ies pCriodes, Ia baisse a concernC surtout Ia mortalité nCo-natale, notamment grace aux progrès réalisés en obstétrique ci en néo-natologie, ou Ia mortalité postneonatale. Ces dernières années, la mortalité postnéo-natale a beaucoup baissé grace a des modifications des pratiques de puériculture ayani entralné une diminution du risque dc mort subite inexpliquee du nourrisson. La premalurité a, die aussi, fortement baissé : 8,2 % en 1972, 5,6 % en 1981, mais, contrairement ala
LA SANTE PERINATALE
175
mortalitd, elle n'a pas continue a baisser au cours des années les plus récentes: en1995,letaUx dë prématuritd était de 5,9 %. Dans les années soixante et soixante-dix, ii existait des differences sociales importantes aussi bien pour Ia mortalité périnatale et infantile [Dinh, 1998] que pour Ia prématurité ou le petit poids de naissance [Rumeau-Rouquette et alii,
1978]. Les mesures medicates et sociales évoquées plus haut avaient pour objectif une amelioration globale de Ia sante pénnatale : objectif en bonne part atteint comme le montrent les tendances observées. La question est de savoir si ces progrès ont bénéficié a toutes les categories de Ia population et s'ils ont ou non contribué a diminuer les inégalités sociales. LE CONSTAT DES DIFFERENCES
Les indicateurs sociaux
Trois éléments pnncipaux sont habituellement utilisés pour caractériser Ia situation sociale: le niveau d'études, Ia profession et le revenu, mais cette dernière information n'est que très rarement disponible dans les enquêtes. Les caractéristiques sociales susceptibles d'influer sur 1' issue de Ia grossesse sont
non seulement celles de Ia femme mais aussi celles du couple. Cela vient compliquer Ia definition déjà difficile de Ia situation sociale des femmes [Liberatos et alii, 1988]. En effet, retenir Ia profession de Ia femme ne permet pas de
classer Ia proportion importante de femmes sans activité professionnelle, et retenir celle du conjoint ou compagnon ne permet pas de classer les femmes vivant seules. Une definition de Ia catégorie socioprofessionnelle du couple, établie sur Ia profession de niveau le plus élevé dans le couple (ou Ia profession de Ia femme, pour les femmes vivant seules), répond en partie a cette difficulté.
Mortalité fteto-infantile En France, lacatégorie socioprofessionnelle des parents figure sur Ic bulletin de naissance, pour les enfants nés vivants comme pour les mort-nés, mais pas sur le bulletin de décès. Pour connaItre la repartition de Ia mortalité infantile en fonction de Ia categorie socioprofessionnelle, ii faut donc que soient appariés ces deux bulletins. La cohorte Ia plus récente pour laquelle cet appariement a été réalisé est celle des enfants nds en 1984-1989 [Dinh, 1998]. Le tableau 1 montre que les taux de mortalité pénnatale et infantile varient en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père. Pour les enfants légitimes de père actif, ii existe
un fort gradient social de mortalité périnatale: de 7,1 pour 1 000 pour les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures a 10,2 pour 1 000 pour les enfants d'ouvriers ; une analyse plus détaiHée fait même apparaItre un taux de 11 pour 1 000 pour les enfants des personnels de service, et 11,7 pour 1 000 pour les enfants d'ouvriers non qualifies [Dinh, 1998]. La
176
INEGALITES PAR DOMAINE D'EXI'RESSION
mortalité est également élevée pour les enfants d'agriculteurs ou d'artisans ou comrnercants. Pour Ia mortalité infantile, Ia tendance est globalernent Ia rnêrne,
avec des écarts moms importants; contrairement a Ia mortalité périnatale, Ic taux le plus faible est observe pour les professions intermédiaires, et non pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Pour les deux indicateurs, les taux les plus élevés concernent les enfants de père non actif. Tableau I
Taux de mortalité périnatale et infantile selon Ia catégorie socioprofessionnelle du père (F'rance métropolitaine, génération 1984.19891 -
.
.
Categoric socioprofessionnelle du pere 2 •
Ensemble des naissances Naissauces hors manage Naissances légitimes
Naissances légitimes Non actifs Actils Agriculteurs Artisans, commerçants cadres etprofessions intellectuelles supermeures
Professions jut erinédjaires Employés Oupriers
Nombre de .
naissances
'faux de inortalité périnatale3
infantile4
4 463
9,9
1
069
11,6
7.6 8,8
3
574
9,4
7,2
104
18,4 9,!
10,6
8,7
(en milliers)
3470 1/0
7,1
/ 78
9,4
7,0 7,2
346
7,1
6,5
566 699 I 616
7,9
6,2
8,8
6,7
10,2
7.7
I. 1)'aprês Dinh 998. 2. Nomenclature PCS 1982
Ia categoric socioprofessionnelle du pare nest enregistrée a lttat civil que pour les naissances
lCgitiunes.
3. Pour I 1)04) naissances totales. 4. Pour I 000 naissances vivantes.
Le risque de décès périnatal ou infantile des enfants nés hors manage est plus élevé que celui des enfants légitimes. Or, ties hors manage ne peuvent pas être classes scion Ia categorie socioprofessionnelle de leur père, car celle-ci n'est enregistrée a l'état civil qu'en cas de naissance légitime. Cela peut d'autant plus affecter les rCsultats que ces enfants sont de plus en plus nombreux 8 % en
1972, 13% en 1981, 38% en 1995. II est vraisemblable que les differences sociales de mortalitC des enfants nés hors manage ne soient pas identiques àcelles
des enfants légitinies, et que les chiffres presentes sous-estiment les inégalités sociales [Barbieri et Toulemon, 1996]. En Angleterre-pays de Galles, les naissances hors manage oni également augmente, la profession du père est enregistrée non seulement pour les naissances dans le manage, mais aussi pour les naissances dCclarées conjointement par les deux parents, soiL 92 % du total des naissances en 1993-1995 [Boning, 1997]. Le tableau 2 monire que Ic gradient social est plus
177
LA SANTE PER1NATALE
important pour l'ensemble des naissances que pour les naissances legitimes latha palement par une proportion plus élevée de naissances hors manage dans les groupes sociaux les moms favorisés. Tableau 2
Taux de mortalité périnatale et infantile selon Ia profession du père et le statut légitime ou non de Ia naissance (Angleterre-pays de Galles 1993-1995 ; naissances légitimes ou déclarées conjointement par Ia mere et le père') Taux de mortalité infantile3
périnatale2 a a
a
C
E E
Profession du père
v
a a,
n
a
a
a,
z
z
z
Total
27
8j
I. Professions supérieures
10
7,0
8,0
6,9
II. Professions interniédiaires
17
7,3
8,0
7,1
III. N Professions qualifiées non manueHes
20
8,4
9,5
ifi. M Professions qualifiées manuelles
33
8,5
9,7
IV. Professions semi-qualifiées
36
9,9
10,1
V. Professions non qualifiées
47
11,5
11,5
7A
53
4,5
5,4
4,4
4,8
5,9
4,6
8,2
5,5
6,9
5,1
7,9
5,9
7,0
5,4
9,7
6,6
7,2
6,2
,4
7,7
8,5
6,9
8,2
1
I. Daprès Rotting [19971 Ia profession du pete est enregistrée a Fétat civil pour es naissances tégitimes, et les naissances hors avec declaration de naissance conjointe des deux parents (environ 92 % du total des naissances). 2. Pour I 000 naissances totales. 3. Pour I 000 naissances vivantes.
L'analyse de Ia mortalité infantile selon l'activité professionnelle de Ia mere
(tableau 3) fait tout d'abord apparaItre une mortalité plus faible lorsque les mères sont actives; cette difference est plus grande pour les naissances hors manage que pour les naissances legitimes. Parmi les femmes actives, les taux
les plus bas sont observes pour les professions intermédiaires, puis les employees, les cadres et professions intellectuelles supérieures, les ouvrières, les artisanes et commercantes et les agricultrices; les differences sociales de mortalité infantile selon la profession sont sensiblement les mêmes pour les naissances hors manage que pour les naissances ldgitimes.
INEGALITES PAR 1)OMAINE 1)'EXPRESSION
Tableau 3
Taux de mortalité infantile selon Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia mere (France métropolitaine, génération 1984.19891) Catégorie socioprofessionnelte de Ia mere2
'Faux de mortalité infantile3
Tt4l
Naissances
hors manage
Naissances legitimes
Non aclives
8,8
10,6
8,2
Actives Agricultrices Artisanes, co,ninerçantes Cadres et professions superteures Professions inier,nddiaires
6,6 8.5 7,5
7.2
6,5
—
8,5
7,7
7,4
7.0
7,3
6,9
6, / 6,6
6,1
7,!
7,6
6,0 6,4 7,0
Ouvrières
7.5
I. I)'aprês l)i,th
998]. 2. Nomenclature PCS 1982. 3. Pour I 000 naissances vivantes.
Les differences sociales existent pour toutes les principales causes de décès infantile prématurité, malformations congénitales, infections et mort subite inexpliquée du nourrisson, et ceci malgré Ia diminution importante de cette dernière cause de dCcès [Boning, 1997]. I)e plus, Ic petit poids de naissance est un determinant important de Ia mortalitC foeto-infantile, et 11 est lui-même plus frequent dans les groupes sociaux plus défavorisCs; toutefois, les données anglaises montrentque Ic gradient social de mortal ité existe danstoutes :
les classes de poids de naissance. Malgré Ia baisse considerable de Ia mortalité qui a concerné toutes les classes sociales, il existe toujours des differences importantes, ménie si les écarts paraissent s'être atténués au cours des annCes [Dinh, 1998]. Le fait qu'un taux global de mortal ité faible ne s'accompagne pas d'une disparition des inégalités sociales apparaIt egalementdans Ia comparaison entre pays a situation
contrastée. Au milieu des années quatre-vingt, les differences sociales de mortalité infantile, en risque relatif, étaient les mêmes en Grande-Bretagne et en
Suede, malgré une mortalité beaucoup plus faible, et un système social et medical beaucoup plus favorable en Suede [Leon et (liii, 1992]. Les résultats prCcCdemment cites concement la categoric socioprofessionnelle du père ou de la mere. Une étude récente réalisée cii Seine-Saint-Denis sur Ia mortalité et néonatale fait apparaItre le role important du niveau d'Ctudes de Ia mere : le risque de mortalité est d'autant plus élevé que Ic niveau d'études est faible [Zeitiin et alii, 1998]. Des rCsultats similaires existent pour Ia mortalité infantile dans tine enquête nationale ; cette enquête montre de plus que les écarts scion Ic niveau d'études maternel sont encore plus grands pour les naissances hors manage que pour les naissances légitimes, renforcant ainsi
LA SANTE PERINATALE
179
1' hypothèse d'une sous-estirnation des inegalites sociales par les données issues de l'état civil [Barbieri etToulemon, 1996]. Avortements spontanés et grossesses extra-utérines
La littérature sur les differences sociales du risque d'avortements spontanes est beaucoup moms étendue que celle concemant Ia mortalité freto-infantile; elle est aussi moms claire dans ses résultats, sans doute en raison de difficultés méthodologiques. Des données anciennes provenant du registre des hospitalisations en Finlande font apparaltre un gradient en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia femme, aussi bien pour le taux d'avortements spontanés par femme que pour le ratio avortements spontanés/naissances [Hemminki et alii, 19801. Des etudes plus récentes montrent des résultats apparemment
contradictoires: diminution du risque d'avortements spontanes lorsque le niveau d'études augmente dans une étude italienne [Parazzini et alii, 1997], ou, au contraire, absence de lien entre le niveau d'études et les avortements spon-
tanés chez les femmes blanches, et augmentation du risque avec le niveau d'études chez les femmes noires aux Etats-Unis [Savitz et alii, 1994]. La repartition sociale d'un certain nombre de facteurs de risques d'avortements spontanés — antécédents d'infections génitales, usage du tabac, de l'alcool, exposition professionnelle a des toxiques chimiques — ferait plutôt attendre un excès d'avortements spontanés dans les groupes sociaux plus défavorisés. En revanche, le risque d'avortement spontané augmente avec l'âge et l'âge a Ia maternité est plus élevé dans les milieux favorisés. Le problème majeur des etudes sur les avortements spontanes est qu'elles portent sur des cas ayant donné lieu a un recours aux soins, le plus souvent avec une hospitalisation ; or les avortements spontanés précoces peuvent ne pas être identifies par les femmes, et même s'ils le sont, us peuvent ne pas donner lieu a un recours aux soins, ou a une hospitalisation. II est vraisemblable que ces avortements spontanes non comptabilises dans les enquêtes sont plus nombreux dans les milieux sociaux défavorisés, comme le suggèrent des données américaines
pour les femmes noires [Savitz et alii, 1994]; ce sous-enregistrement plus important pour les groupes sociaux défavorisés peut expliquer en partie les résultats contradictoires de Ia littérature. Les grossesses extra-utérines (GEU) représentent actuellement environ 2 %
des naissances. Contrairement aux avortements spontanés, elles donnent presque toujours lieu a un recours aux soins. Toutefois, le risque de GEU en fonction des caractéristiques sociales est peu connu; une étude réalisée en France ne fait pas apparaItre de differences de niveau d'études entre les femmes
ayant eu une GEU et un groupe témoin de femmes venant d'accoucher [Tharaux-Deneux et alii, 1998] ; il en est de même dans une étude menée aux Etats-Unis [Holt et alii, 1989]. Cette dernière montre toutefois une petite
augmentation de risque chez les femmes aux revenus les plus faibles. Comme
180
INEGALITES PAR I)OMAINII I)EXPRE.SSION
pour les avortements spontanés, cette quasi-absence de difference sociale dans
l'incidence de Ia GEU est pIutót surprenante, compte lenu des principaux facteurs connus de GEU, comme les infections génitales ou I'usage du tabac.
Malformations congénitales Bien qu'ii y ait en France, comme dans de nombreux pays, des registres de malformations congCnitales, Ia littérature n'offre pratiquement pas de données
sur Ia fréquence de ces malformations selon les categories sociales. Une enquête menée a Paris sur plus de 10000 femmes dans les années soixante ne montrait pas de difference de prevalence des malformations congénitales majeures a Ia naissance scion l'activité 1)rofessioflnelIe de Ia mere ou Ia categorie socioprofessionnelle du père [Rumeau-Rouquette et cdii, 1978]. Une enquete menée pius récemment au Danemark montre, au contraire, une prevalence plus éievée des malformations lorsque Ia mere ou ie couple appartiennent a une categoric socioprofessionnelle défavorisée [Olsen et Frische, 1993]. Deux difficultés viennent compliquer l'étude des malformations congénitales: Ia compiexité du mécanisme causal, qui vane selon Ia nature de Ia malformation, et Ia part grandissante du diagnostic prenatal et des interruptions médicales de grossesse pour malformation Une pratique generaiisée du diagnostic prenatal entraIne une meilleure identification des
malformations, et donc des fréquences plus élevées, que ces malformations donnent lieu ou non a interruption mCdicale de grossesse. De plus, certaines etudes portent seulement sur les malformations a la naissance, les autres incluent
également les interruptions mCdicales de grossesse. Pour les malformations repérables pendant Ia grossesse, ces etudes peuvent conduire a des résuitats différents sur Ia distribution des malformations en fonction des categories sociales. En effet, on peut penser que la frequence du recours au diagnostic prenatal, étape nécessaire avant I'interruption médicale de grossesse, vane selon Ia categoric sociale, comme ccl Ic du recours aux soins de manière plus générale,
niême si, en France, le dépistage, fondé sur l'echographie et les tests sérologiques, est maintenant largement intégré dans Ia surveillance prenutale. A notre connaissance, ii n'existe pas de donnCes sur Ic recours a l'interruption médicale de grossesse en fonction de Ia catCgorie sociale. Les anomalies du tube neural (anencéphalie, spina bifida) sont particulièrement intéressantes It étudier en fonct ion de Ia catCgonie sociale, car elles sont
en partie évitables par tine supplementation péniconceptionnelle en acide folique. ii est établi depuis longtemps que Ia frCquence de ces anomalies vane beaucoup selon les pays CL les zones gCographiques. Les données des annécs soixante-dix et du debut des années quatre-vingt montraient un gradient social dans Ia plupart des pays, y compris dans les pays oü ces anomalies sont relativement rares. Une etude a montrC qu'intervenaient It Ia lois les caractéristiques socio-économiques individuelles et celles de Ia zone de residence [Wasserman
LA SANTE PERINATALE
181
et alii, 1998]. La littérature plus récente a rarement considéré Ia situation sociale
commefacteur d'intéiêt, ators que les rdsultats p6urraientdifférer de ceux des périodes antérieures en raison du développement de Ia prevention vitaminique. Ainsi, une étude récente aux Pays-Bas montre que Ia pnse preventive d'acide folique est d'autant plus frequente que le niveau d'études des femmes est élevé [De Walle et alii, 1999]. Cette étude montre de plus qu'une campagne d'information sur l'acide folique a entraIné une augmentation globale de l'utilisation, sans reduction significative des inégalités sociales. La France est un pays oii
les anomalies du tube neural ont une fréquence relativement faible, et Ia prevention vitaminique y est peu developpee, ce qui peut expliquer que les etudes n'aient pas abordé prioritairement cette question. Pour la tnsomie 21, une fréquence plus élevée dans les milieux sociaux plus favorisés est parfois rapportée ; cette tendance peut s'expliquer par l'augmentation du risque de trisomie 21 avec I'âge maternel, les mères plus âgées appartenant plus souvent a des categories sociales favorisées [Martin Lopez et alii, 1995].
Prématurité et hypotrophie a Ia naissance Une large part de Ia littérature intemationale fait état d'un gradient social de prématurité [Berkowitz et Papiernik, 1993] et d'hypotrophie [Kramer, 1998], que La situation sociale soit appréciée par le niveau d'études de Ia mere, par Ia categorie socioprofessionnelle de Ia mere, du père ou du couple, ou, plus rarement, par le revenu. Les résultats a base nationale ou régionale les plus récemment publiés datent toutefois des années quatre-vingt [Sanjose et Roman, 1990; Olsen et alii, 1995]. En France, les données de l'enquête nationale pénnatale de 1981 faisaient apparaItre un gradient social de prématurité en fonction du niveau d'études de Ia mere et de la catégorie socioprofessionnelle du ménage [Foix-L'Hélias, 1998]. L'enquete nationale périnatale 1995 (voir encadré) permet de faire le point
sur Ia situation actuelle, grace a une analyse réalisée pour ce chapitre. Le tableau 4 montre Ia distribution des taux de prématurité et d'hypotrophie en fonction des caractéristiques sociales. Pour ces deux issues de grossesse, le taux
est d'autant plus élevé que le niveau d'études des mères est faible: le taux de prématurité passe de 3,4 % pour les femmes ayant an niveau d'études supérieur au baccalaurdat a 5,4 % pour les femmes ayant un niveau d'études pnmaire, et le taux d'hypotrophie, de 5,8 % a 9,9 % pour les mêmes groupes. Les tendances sont identiques avec Ia catégorie socioprofessionnelle de Ia mere, celle du père et celle du couple. Les écarts sont un peu plus importants pour l'hypotrophie que pour Ia prématurité. Pour les deux indicateurs de sante, on note la situation défa-
vorable des femmes agncaltrices, artisanes ou commerçantes, et des couples appartenant a cette catégorie, ou a celle des employés de commerce, personnels de service ou ouvners, ainsi que les risques particulièrement élevés pour les enfants des couples sans profession.
182
INEGALITES PAR DOMAINIi I)'EXPRESSION
Tableau 4
Taux de prérnaturité et d'hypotrophie selon les caractéristiques sociales de Ia mere
et du père (enquête nationale périnatale 1995, naissances vivantes uniques) •
Eflectifs Total
Prématurité' Hypotrophie2 %
%
12 777
4,5
7,6
709
5,4 5,4 4,0 3,4
9,9 8,5 8,3 5,8
Niveau d'études de Ia mere Primairc3 Secondaire icr cycle
4930
Secondaire 2C cycle Supérieur
2 474 3 943
Catégorie socioprofessionneHe de Ia mere Agricultrices, commerçantes. artisanes
379 941
5,3 3,4
8,8
Cadres ci professions intellectuelles supCricures Professions intermCdiaires EmployCes (bureau) EmployCes (commerce) Personnel de service OuvriCres qualiliCes Ouvrières non qualitiées Sans profession4
1 969
3.6
3 335
4.1
1 071
4,5 4,8 4,4 5.4 5,6
5.8 7,2 8.9 8,8 7.3 9,8 8,5
I
176
565 796
2 124
5,1
Catégorie socioprotessionnelle du pCre5 Agriculteurs. commerçants. artisans
I
156
intellectuelles supCrleures Professions intermédiaires EmployCs (bureau) Employés (commerce) Personnel de service
I 683
Ouvriers qualifies Ouvriers non qualifies
3478
Cadres et
Sans profession4
I
878
I 453 335 171
I
123
196
4,8 3,6 3,4 4.6 3.4 3.5 4,4
5,0 9.2
8.6 4,6 5,3 7,1 8.1
9,4 8.1
9,6 11.3
Categoric socioprofessionneile du coupleb Cadres ci professions intellectuelles supérieures Professions intermCdiaires EniployCs (bureau) Agriculteurs, commerçants. artisans EinpioyCs (commerce), personnel de service, ouvners Sans profession dans Ic couple4
2 042 2 552 2 942
3,4
4.4
4,4 6.4 7,8
745
5.4
10,0
3 793
5,2
9,0
492
5.7
12,1
3,6
I. Naissances avon 37 sernaines de gestation. 2. Naissances de poids inférieur au disième percentile pour lSge gestationitel June population de référence IManielle ci uuli. 19961. 3. Y compris les feunnies non scolaris&s. 4. Les pel-sonnes au chômage ayant déclaré tine proFession soul ciassécs en lonctioti de celle-ci. 5. Pour lea fentunes sivant en couple. rnariées ou non. 6. Classéc scion Ia profession de niveau Ic plus ékvé selout iordre ile Ia liste. cc soil celk de Ia no du pêre. pout lea lemmes vivant en couple. ci scion Ia profession as Ia mere pour lea femmes ne visant pas en couple. PCS 1952.
LA SANTE PERINATALE
-
183
L'enquête nationale périnatale 1995
Cette enquête porte sur toutes les naissances survenues en France entre le 3Ojanvier et le 5 février 1995. Pour Ia France métropolitaine, l'enquête porte au total sur 13 147 femmes. Les résultats présentés dans les tableaux de ce chapitre concernent les femmes ayant eu Un enfant unique né vivant, soil 12 869 femmes. Les données médicales ont été extraites des dossiers hospitaliers, les données démographiques, sociales et sur le recours aux soins ont eté recueillies en interrogeant les femmes pendant leur séjour en maternité. Le protocole et les premiers résultats sent décrits dans un article [Blondel et alii, 1997].
DIFFERENcEs SOCIALES DANS L'ISSUE DE LA GROSSESSE: LES MEDIATEURS
Pour mieux comprendre les liens entre les facteurs sociaux et Ia prématurité ou l'hypotrophie, nous pouvons prendre en compte simultanément les facteurs sociaux et les autres facteurs connus comme influencant ces issues de La gros-
sesse a l'aide de modèles statistiques appropriés. Cependant, les facteurs sociaux sont trop fortement lies entre eux pour pouvoir être analyses simultanément dans un même modèle. Par exemple, en 1995, parmi les femmes de niveau d'études primaire, 70 % appartiennent a des couples <<employes de commerce, ouvriers et personnels de service >>, et 4 a des couples classes <
Globalement, ii y a consensus dans Ia littérature sur le role de certains facteurs dans l'étiologie de Ia prématurité ou de l'hypotrophie [Berkowitz et Papiernik, 1993; Kramer, 1998]: des facteurs plutOt <
de vie, comme l'ongine étrangère, Le fait de vivre seule, de ne pas avoir d'emploi, une surveillance prénatale insuffisante (qui interviennent surtout sur le risque de prématurité), ou le fait de fumer (qui intervient surtout sur la croissance du fcetus).
Cette selection de facteurs repose sur l'dtat de Ia littérature et ne correspond pas toujours a Ia situation actuelle en France. Même si I'origine etrangere reste un facteur de risque de mortal ité infantile [Dinh, 1998], Son role comme facteur de risque de prematurité ou d'hypotrophie n'est pas si evident; en France, en
1981, les differences étaient faibLes [Foix-L'Hélias, 19981, en 1995, elles n'apparaissent plus. De Ia même manière, le fait de vivre seule ou en couple, et, pour les femmes en couple, le fait d'être mariée ou non influaient sur le risque de prématurité en 1981 ; ce facteurjoue beaucoup moms en 1995.
184
INEGALITEs PAR 1)OMAINE I)'EXPRESSION
Les facteurs de risque de prCmaturité ou d'hypotrophie indiquCs plus haut sont d'autant plus fréquemment observes que Ia situation des femmes se situe au bas de Ia hiérarchie sociale. Le pourcentage de femmes vivant seules passe de
3 % parrni les femmes ayant un niveau d'études supérieur a 10 % parmi les femmes ayant un niveau d'études correspondant au premier cycle du secondaire, Ic pourcentage de femmes sans emploi, de 22 % a 47 %, le pourcentage de funieuses, de 16 % a 33 %. Deux exceptions concernent l'âge maternel élevé et Ia primiparite, plus frequents dans les groupes sociaux favorisés. Le pourcentage
des femmes de moms de 25 ans passe de 29 % parmi les femmes de niveau d'études de premier cycle du secondaire a 10 % parmi les femmes de niveau d'études supCrieur; a l'inverse, Ic pourcentage de femmes de 35 ans et plus
passede 10%à 14%. Le tableau 5 montre comment varient les risques de prématurité et d'hypotrophie en fonction du niveau d'études de Ia mere et de Ia categoric socioprofessionnelle du couple, après ajusternent sur tous les facteurs indiques plus haut. Tous ces facteurs ont ete pris en compte dans l'analyse, au risque d'un surajusternent, et donc d'une sous-estimation des risques associés a Ia situation sociale (voir chapitre 11.7). Tableau 5
Risque de prématurité et d'hypotrophie scion Ic niveau d'études de Ia mere et Ia categoric socioprofessionnelle du couple, après prise en compte des autres facteurs (enquête nationale périnatale 1995, naissances vivantes uniques) Prérnaturité
Hypotrophie
OR' ORa2 IC 95 %3 OR' ORa2 IC 95 %3
Niveau d'études de Ia mere i'rimaire4
1.6
1.3
2.0
1,6
1.4
0.8-2,1 1.1-1,8
1.8
Secondaire Secondaire SupCrleur
1,5
1,3
1,2
1.2
0,9-1.6
1,5
1,4
cycle
I
I
1
1
I
I
1.4-2.8 1,0-1.5 1,1-1.7
I
Catégorie socioprofessionnelle du couple4 Cadres ci professions intel lectuelles supérieures Professions irncrmédiaires EmployCs (bureau) Agriculteurs. commerçants. artisans EmployCs (commerce), personnel de service. ouvriers Sans profession dans le couple
1.1
1.0
1,3
1,0-1.8
1.2
0.7-1,4 0.9-1.7
1,5
1.3
1,8
1.6
1.3-2.1
1.6
1,3
0.8-2.1
2.4
2,2
1,6-3,1
1.6
1,4
1.0-1.9
2,1
1 .8
I .4-2,4
1.7
1.0
0,5-2.0
3.0
1.4
0.9-2.4
I. Odds ratios bruts. 2. Odds ratios ajustés stir I'ñge Is mere. Is poriié, ks obstétricaus psihologiqucs. Is poids de Is Is situation ruaritale. Ia naijonahie. Is stalut de Is mere ii légard de Ieinploi. lusage du tabac. ci un notabre tIe '.isites prénalales inféneur S Ia réglemenlution. 3. Intervalk de conf,ance 595 pour IOdds ratio ajusté. 4. Voir notes tabkau 4.
LA SANTE PERINATALE
185
Les risques associés aux deux indicateurs sociaux ont un peu diminué par rapport aux observations brutes, ce qui mOñtre cés facteurs expliquent en partie les differences sociales. Toutefois, ces risques restent êlevés, en particulier pour l'hypotrophie, ce qui suggère que d'autres mécanismes doivent intervenir. Parmi les mécanismes évoqués, Ia littérature avance souvent des facteurs individuels comme les comportements a risque (consommation de tabac, d'alcool), les expositions professionnelles et environnementales, l'accès et le recours aux soins et Ia qualite de ceux-ci, des facteurs nutritionnels, et, pour la prématurité, les infec-
tions génito-urinaires, dont Ia frequence serait plus grande dans les groupes sociaux défavorisés [Berkowitz et Papiemik, 1993 ; Kramer, 1998]. L'exposition a de nombreux facteurs de stress, comme des conditions de vie habituelle difficues, ou des événements de vie stressants tels qu'une perte d'emploi, le décès ou Ia maladie grave d'un proche, une moms grande capacité ày faire face, un soutien social insuffisant, sont aussi proposes comme des elements médiateurs conduisant aux inégalites sociales d'issue de grossesse [Rutter et Quine, 1990]. Toutefois, si ces facteurs sont effectivement plus souvent presents dans les groupes sociaux defavorises, leur role etiologique dans les avortements spontanés, Ia prematurite ou I'hypotrophie commence seulement a être explore. Les etudes ayant analyse le role des facteurs sociaux en prenant en compte certains des facteurs explicatifs ci-
dessus montrent le plus souvent que des differences sociales subsistent, mais qu'elles sont moms fortes qu'en donnees brutes. L' idée prevaut souvent que si une etude pouvait prendre en compte tous les
facteurs en méme temps, toute l'amplitude des differences sociales serait expliquee [Kramer, 1998]. Cependant, cela merite d'être discuté pour plusieurs raisons. D'une part, Ia réalisation d'une telle étude serait techniquement difficile a mettre en ceuvre en raison du nombre élevé d'informations qu'il faudrait recueillir, et de Ia taille necessaire de l'echantillon pour assurer une valeur statistique aux conclusions. D'autre part, cette idée repose sur le concept que les differences sociales observees se constituent uniquement par des mecanismes agissant a l'échelle individuelle. Or on peut penser que des facteurs interviennent egalement a un niveau collectif, comme le fonctionnement des collectivités auxquelles appartiennent les femmes, et notamment le développement socio-economique et Ia cohesion sociale des lieux ou groupes dans lesquels les femmes évoluent (voir chapitre P1.27). Ces facteurs contextuels peuvent avoir un effet direct sur Ia sante, ou bien moduler l'effet des facteurs individuels. Le role étiologique d'une caractenstique individuelle peut, en effet, dépendre de sa signification sociale dans Ia population, de sa fréquence plus ou moms grande dans cette population, et des facteurs associes qui peuvent interagir avec elle. Par exemple, le fait de vivre dans une zone oü les femmes sont peu nombreuses a exercer une activité professionnelle pourrait influer sur Ia sante pennatale, indépendamment des caractéristiques individuelles des mères. On peut aussi se demander si le fait de ne pas exercer soimême d'activité professionnelle influe de manière différente sur la sante pennatale selon que l'on vit dans une zone a fort ou faible taux d'activité, et donc que
186
1NEGALITES I'AR DOMAINE D'EXPRESSION
l'on se trouve sur le plan social dans une situation << marginale par rapport au milieu dans lequel on vit.
>
ou
<
normale>>
Les premiers travaux sur les determinants collectifs de sauté périnataie portent sur le petit poids de naissance [Roberts, 1997 ; O'Carnpo et a/il, 1997]. us montrent comment des caractéristiques de la zone d'habitat, comme le taux de chômage, le pourcentage de families au-dessous du seuil de pauvreté, ie revenu moyen, Ia distribution du niveau d'études, de Ia catégorie socioprofessionnelie, ou Ia surpopulatiori des logements, sont associées au risque de petit poids de naissance, même après prise en compte des caractéristiques sociales individuelles. us suggerent egalenient que l'effet de ces caractéristiques individuelles vane selon Ic niveau de dCveloppement socio-économique de Ia zone d'habitat, et que le risque lie aux situations individuelles défavorisCes serait plus grand dans un environnement social favorisé. Parmi les autres processus évoquCs pour expliquer les differences sociales de
sante périnatale figure Ia mobilité sociale. Les travaux d'lllsley a Aberdeen [IlIsley, 1983] out analyse I'issue de Ia grossesse (mortalitC périnatale et petit poids de naissance) en fonction de Ia categoric socioprofessionnelle du père de Ia femme et de celle de son conjoint : us montrent des differences d'issue de la grossesse plus grandes en fonction de Ia catégorie sociale actuelle (ceile du conjoint) que de celle d'origine (celle du père), même si cette dernière intervient égaiement. Des donnCes danoises plus récentes [Basso et a/li, 1997] montrent comment Ic changement de catégonie sociale du couple entre deux naissances successives affecte Ic risque d'avoir un enfant de petit poids de naissance : quel que soit Ic niveau social lors de Ia prenlière naissance, une diminution du niveau social entre les deux naissances est associée a une augmentation importante du risque de petit poids, une augmentation du niveau social a une diminution de ce risque. Si ces rCsultats montrent que la carégorie sociale du couple au moment de Ia grossesse est plus predictive de Ia naissance d'un enfant de petit poids que Ia catégorie sociale antérieure, ils ne permettent pas de savoir Si s'ajoute un effet supplémentaire a Ia mobilité sociale ascendante ou descendante. PARTICULARITES I)U I)OMAINE DE LA SANTE PERINATALE
Les problèmes de sante traités dans ce chapitre se produisent AI'occasion d'un événernent, Ia naissance, qui est maintenant planifiC par Ia majorité des fenimes. On pourrait donc s'attendre a un impact de Ia situation sociale moms important que pour les autres domaines de 1a sante, considérant que les femmes peuvern choisir des moments de leur vie et des situations qu'ellesjugent plutôt favorables
a une naissance. Une enquete menée par I'Institut national d'études démographiques (INED) en 1988 [Toulemon et Léridon, 19921 a permis d'estimer qu'environ trois quarts des naissances étaient dCsirCes, et que Ia très grande majorité des femmes exposées au risque de grossesse non dCsirée utilisaient une
187
LA SANTE PERINATALE
de contraception, le plus souvent Ia pilule ou le stérilet. Toutefois, en 1988, ii sübsistait des sociales dansi'utilisation des méthodes de contraception, en particulier pour Ia pilule et le stérilet, avec une utilisation d'autant plus fréquente que les femmes appartenaient a une catégorie sociale plus
favorisée, et une repartition inverse pour Ia survenue d'une naissance non planifiée ou non désirée, et le recours a l'interruption volontaire de grossesse (IVG). La seule exception concerne les femmes ouvrières, qui se caractérisent a Ia fois par une plus faible utilisation de Ia pilule et du stérilet, un faible taux de naissances non désirées et un faible taux d'IVG. En revanche, les femmes sans profession, qui sont les plus faibles utilisatrices de contraception, ont des taux dlevés de naissances non désirées et d'IVG [Toulemon et Léridon, 1992]. Les politiques sociales et de sante ont une place particulièrement importante
autour de Ia naissance, avec des mesures spécifiques en faveur des femmes enceintes et des jeunes enfants. Ces politiques ont pour objectif d'assurer un minimum de soins pour tous et une prise en charge des femmes les plus défavorisées. Depuis de nombreuses années, les mesures visent a assurer un bon suivi medical de La grossesse, notamment grace au remboursement des soins a 100 % a partir du cinquième mois de grossesse, et au lien entre Ia surveillance médicale
(une visite par mois a partir de la fin du premier trimestre) et I'attribution de
l'allocation pour jeune enfant. Depuis 1996, un plafond de ressources du ménage conditionne le versement de cette allocation; le plafond retenu exciut environ un quart des femmes, celles dont les ressources sont les plus élevées, ce qui ne devrait pas affecter sensiblement Ia surveillance prénatale. Le nombre moyen de visites prénatales dépasse actuellement celui indiqué dans Ia législation, et le nombre de femmes ayant très peu de visites prénatales est très faible; en 1995, 1 % des femmes ont eu moms de quatre visites prénatales [Blondel et alii, 1997]. II subsiste pourtant des differences sociales dans le
nombre de visites prénatales, le nombre d'examens échographiques,
Ia
spdcialité du praticien consulté. Les femmes très peu suivies ont un risque élevé d'issue défavorable de la grossesse ; cette surveillance prénatale insuffisante est due en partie a des difficultés économiques ou reglementaires d'accès aux soins, notamment pour les femmes étrangères, mais, pour une proportion importante de femmes, intervient egalement le ddni ou le refus de Ia grossesse ; ces raisons économiques et psychologiques contribuent a expliquer le risque élevé d'issue défavorable de grossesse de ces femmes [Blondel et Marshall, 1996]. Par ailleurs, Ia quasi-genéralisation du congé prenatal supplémentaire prdvu initialement en cas de pathologie de Ia grossesse, ainsi que le nombre élevé des arréts maladie, font qu'un grand nombre de femmes se retrouvent << retirees des >>
expositions professionnelles au cours du troisième tnmestre de Ia grossesse, réduisant ainsi les consequences de ces expositions. En revanche, les changements du poste de travail prdvus par la loi quand Ia grossesse l'exige ou les modifications de conditions de travail sont moms frequents et n'ont pas nécessairement bdnéficié aux femmes les plus exposées [Saurel-Cubizolles et Romito, 1992].
188
INEGALITES PAR I)OMAINF
Alors qu'on connaIt bien les disparités sociales de surveillance prénatale, on
sait moms bien comment Ia prise en charge de l'accouchenient et du nouveauné diffère selon Ia catégorie sociale. II est possible que les femmes des caté-
gories sociales les plus favorisées accouchent dans les maternités les plus adaptées a leur niveau de risque et que, en cas de complication, eiles-mêmes et leurs enfants puissent bénéficier de soins plus adaptés que les femmes de niveau social moms favorisé. Enfin, niéme iorsque Ia mere et l'enfant sont en bonrie sante, une naissance a des consequences sociales pour les femnies et les families. Ainsi, un certain nombre de femmes quittent ou perdent leur emploi après Ia naissance. Cette situation est beaucoup pius frCquente pour les femmes de faible niveau d'études et exerçant des professions dCfavorisées. Ce phénomène conduit a accroItre globalement l'aniplitude des differences sociales dans Ia population feminine [Saurel-Cubizolles et a/u, 1999]. MIEUX CONNAITRE ET MIEUX COMPRENDRE LES I)IFFERENCES SOCIALES DE SANTE PERINATALE POUR MIEUX AGIR
Les données disponibles en France et Ia littérature internationale témoignent
d'un gradient social de mortalité pCrinatale et infantile, de prématurité et d'hypotrophie. Ce gradient suivant Ia hiCrarchie sociale montre que les risques ne sont pas limités aux situations extremes de pauvreté. Pour les autres indicateurs, comme les avortements spontanes ou les malformations congénitales, les résultats sont plus limitCs et moms clairs, notaniment en raison de difficultés
méthodologiques liées aux differences sociales de recours aux soins. Des travaux demeurent nécessaires pour a Ia fois mieux connaltre et mieux comprendre ces inégalites sociales.
Les résuitats presentés reposent largement sur les données des enquetes nationales périnatales ; malgré leur taille relativement importante, ces enquêtes ne permettent pas des analyses très fines dans des sous-groupes particuliers. Pour répondre a ce problèrne, dans de pays, l'age gestationnel et Ic poids de naissance sont enregistrCs sur Ic bulletin de naissance. Un tel projet existe en France ; avec sa rCalisation, I'état civil pourrait devenirl'unedes prin-
cipales sources d'information sur les inégalitCs sociales en sante périnatale, aussi bien pour Ia mortalité que pour Ia prématuritC et Ic petit poids de naissance. CeIa nécessiterait de plus un enregistrenient systCmatique des categories socio-
professionnelles de Ia mere et du père, y compris pour les naissances hors manage, en précisant si Ia profession est exercée ou non, et une fusion rCguliere des fichiers constituCs a partir des bulletins de naissance, des bulletins de dCcès et des certificats de cause de décès néo-natal.
II faudrait egalement que Ies caractéristiques sociales soient relevées de manière precise et homogene dans les etudes epidCniiologiques sur les issues de
LA SANTE PERINATALE
189
grossesse, de manière a pouvoir analyser leur role et leur association avec les autres &iOIOgiques. Cela concerne toutparticulièrement les ments spontanés, les grossesses extra-uténnes et les malformations congénitales, pour lesquels le role des facteurs sociaux a été peu étudié. Les malformations congénitales ainsi que les interruptions rnédicales de grossesse pour malformation fcetale font l'objet d'un enregistrement systématique dans certains départements français; si les caractéristiques sociales étaient enregistrees, cette source d' information pourrait permettre une analyse de Ia repartition sociale de l'incidence des malformations, indépendamment des differences sociales de recours au diagnostic prenatal.
L'amplitude du gradient social vane selon les issues de la grossesse; comprendre ces differences pourrait apporter des hypotheses sur les mécanismes étiologiques de ces anomalies d'issue de grossesse. Les quelques travaux réalisés sur les liens entre Ia mobilité sociale, ascendante ou descendante, et 1' issue des grossesses soulèvent des hypotheses sur les roles respectifs de Ia mobilité en tant que telle, de Ia situation sociale initiale et de Ia situation
atteinte. Enfin, Ia recherche des interactions entre les facteurs sociaux et les autres facteurs, notamment les pathologies maternelles et les antécédents obstétricaux pathologiques, pourrait permettre de mieux cerner les populations a très haut risque et de faire progresser Ia prevention.
Quantitativement, peu de femmes ont des difficultés réelles d'accès aux soins pour des raisons économiques ou administratives pendant la grossesse; cependant, ces femmes ont un risque élevd d'issue défavorable de grossesse. La garantie d'un accès universel aux soins, quelle que soit Ia situation administrative, pourrait réduire en partie ce risque. Qualitativement, des recherches sont nécessaires pour savoir si des differences sociales dans Ia nature des examens pratiqués et des soins reçus contribuent aux inégalités sociales de sante. Jusqu'a present, les recherches ont porte presque exciusivement sur le role des facteurs individuels. Comme on l'a vu plus haut, des hypotheses doivent être testées sur le rOle des determinants collectifs (développement socio-économique, accès aux services publics et aux services médicaux, qualite de l'habitat), sur les roles respectifs des caracténstiques sociales individuelles et des détermi-
nants collectifs, et sur Ia manière dont les determinants collectifs peuvent modifier le role des facteurs individuels. Les programmes mis en place jusqu'a present avaient pour objectif d'améliorer la sante périnatale ; celle-ci a effectivement progressé, mais avec le maintien d'inegalites sociales de mortalité, de
prématurité et d'hypotrophie. Une approche par les determinants collectifs pourrait ouvrir de nouvelles pistes pour Ia reduction des inegalités sociales. Enfin, les inegalités sociales pendant Ia pénode périnatale doivent être considérées dans an cadre plus général. En effet, 11 existe une relation entre l'issue des grossesses d'une génération a l'autre : une femme née avec un faible poids de naissance a un risque plus élevé que 'les autres femmes de mettre elle-même au monde des enfants de petit poids. De plus, le retard de croissance intra-utérin
190
INEGAL(TES I'AR DUMAINE D'EXPRFSSION
apparaIt comme facteur de risque dans l'étiologie de certaines des pathologies les plus importantes a l'âge adulte, comme les maladies cardio-vasculaires [Barker, 1994]. Les inégalités sociales de sante dans Ia vie intra-utCrine ont donc des consequences a très long terme. Cette situation rend prioritaire Ia reduction des inégalites sociales de sante périnatale. REFERENcEs BI BLIOGRAPHIQUES
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INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION
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12
La sante de l'enfant Anne Tursz
En France, actuellement, les périodes périnatale et néo-natale font l'objet d'enregistrements réguliers. Par ailleurs, depuis quelques années, la sante et les comportements des adolescents et des jeunes sont très largement étudiés. En revanche, il existe un manque cruel d'informations sur Ia sante somatique et Ia
sante mentale du jeune enfant. Ainsi, des ouvrages récents sur Ia sante des Francais, tels que le rapport du Haut Comité de sante publique (HCSP) La Sante
en France 1994-1998, ou les <
spécifiquement I'enfance, on est amené a construire un veritable puzzle a partir de sources multiples et parcellaires. De même, I'enfant est encore oublié dans Ia réflexion des chercheurs sur les relations entre état de sante et environnement social, et 11 n'existe pas, en France, d'équivalent du document de synthèse britannique qui analyse plus de cent références sur Ia sante des enfants et les inégalités sociales [Reading, 1997]. Une large recherche bibliographique, menée a partir de Medline et de Ia Bird (Base d'information Robert Debré du Centre international de l'enfance et de la famille [CIDEF], aujourd'hui disparu), a confirmé Ia pauvreté des publications fran-
caises dans ce domaine. Enfin, on trouve rarement des croisements entre données de sante et données sociales dans les documents émanant des services de sante, des ministères ou d'autres organismes publics. On a donc été conduit ici a rapporter des etudes internationales (essentiellement européennes), en en reconnaissant toutefois les limites puisque l'état de sante des enfants dans un pays est en grande partie lie aux caractéristiques des systèmes de sante et de
protection sociale. En France, le système de protection de l'enfance est très développé, se voulant equitable pour tous et fortement marqué par des aspects réglementaires (gratuité de l'accès a Ia PMI [Protection maternelle et infantile] et aux vaccinations, bilans de sante a l'école pour tous, obligation vaccinale pour I' inscription scolaire, notamment).
194
1NEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION
Problèmes de definition
Leafuice détinie ici va du debut de Ia deuxième annéc Ia tin de Ia dixièrne annCe. La plupart des enfants de cet age sont bien portants sur le plan somatique. Les parents consultent souvent pour des prohlCmes d'ordre psycho-aifectil (troubles du sommeil, de l'appétit, du comportement). voire pour des problèmes de dCsinvestissernent scolaire. C'est bien a eeL age que le concept de sante globule est le plus aisément applicable, comme cela ressort du discours des rnères qui. interrogCcs sur leur dClinition de Ia sante de leur enfant, parlent de < pleine forme >>, de bonne humeur >. d'< activitC en classe>> et de < hons rCsuliats scolaires>> (Cresson. 1995]. L'Ctai dc sante des jeunes enfanis esi dCfini travers lejugernent. puis Ic recours aux soins, de leurs parents. et Ia majoritC de leurs problèmes sont pris en charge a Ia maison par Ia famille [Cresson. 1995]. Pour dCfinir Ia c/ussr SOCW/C d'un enfant. piusieurs indicateurs peuvent Ctre utilisCs. sCparCment ou en association : les revenus de Ia famille, l'existence d'une activitC professionnelle de Ia mere. Ia categoric socioprolessionnelle (CSP) du père ci de Ia mere, Ic niveau éducatifdes parents et principalernent de Ia mere, Ia composition de Ia famille (parents gCnétiques niariCs ou vivant maritalement, parent isolC, parents sCparCs ou divorces, families recomposCes...). I 'origine migrante.
Les sources de données et teur fiabilité
Donnécs de Elles proviennent du Service d'iniormation sur les causes mCdicales de dCcCs (SC8) de I'INSERM (donnCesde 1995). Donnérs relatives a Ia ,norb,.dne et ii / 'uti/isalion des services de sante Les sources suivantes ont etC utilisCes
— l'enquCie nationale de morbiditC hospitaliCre de 1993 du Service des siatistiques, des etudes ci des systCnies d'information (SESI) du ministCre des Affaires sociales — i'enquête sur Ia sante ci les soins mCdicaux. rCalisCe en population gCnCrale en 1991-1992
par I'Institui national des statistiques et des etudes Cconomiques (INSEE), Ic Centre de recherche, d'Ctudes et de documentation en economic de Ia sante (CRE1)ES) ci Ic SESI — l'enquete IMS (Information medicate stalistique) France, étude permanente sur Ia prescription medicate (donnCes cumulCes de 1994) —les données des ministère du Travail et des Affaires sociales (1997), de I'Emploi etdela SolidaritC (1998), de l'Education nationale, pour Ia couverture vaccinate —certaines donnCes de hilans dc sante rCnlisCs i'Ccole par Ia PMI ou par Ic service medical de promotion de Ia sante en faveur des Clèves; — pour Ia maltraitance. les letires trimestriclies de I'OI)AS (Observatoire national de I'action sociale dCcentralisCe).
Problè,nes etfial,i/ite tie ces donnCes Ceriains probtCmes mCthodologiques soni spCcifiqucs aux donnCes sur l'enfance — Ic raisonnement sur de petits effectifs annucis en terme de mortalitC (Ia tranche d'ãge 19 ans est ccl Ic oti Ia mortalitC est Ia plus faible) — les variations dans les tranches d'tige suivant les sources d'informaiion. La majoritC des donnCes nationales de morhiditC conccrne les moms de quinze ans>> — la raretC de l'accès direct a I'enfant pour parler de sa propre sante. La relation entre Ic
soignant et Ic soignC (i'enfant) est en fait triangulaire et Ia famille sen d'intermCdiaire, notamment pour l'inierprCtation ella description des symplômes. Cela est vrai pour Ic trCs jeune enfant, mais Ic reste souvent lorsque I'enfant a un age oti ii pourrait s'exprimer;
LA SANTE DE L'ENFANT
195
I'absence de donnécs natjonales issues de la PMI ou de Ia sante scolaire, et la grande hétérogénéité des données piodultes au niveau des départeménts et académiés; — le peu de fiabilité de documents aussi importants que le certificat de sante a deux ans, souvent mal rempli ou non reloumé (taux de reception moyen départemental de 68 % en 1995); — I'impossibilité d'accéder a certaines informations utiles dans une étude des relations sante! environnement social, comme Ia nationalité d'origine des parents, du fait notamment des exigences de confidentialité de la CNIL (Commission nationale informatique et liberté). —
SANTE DE L'ENFANT ET INEGALITES SOCIALES QUELLES CONNAISSANCES?
La mortailté En 1995, ii est mort en France 1 416 enfants âgés de 1 a 9 ans (tableau I). Entre 1 et 4 ans comme entre 5 et 9 ans, ii existe une surmortalité masculine modérée, croissante avec l'age. Des l'age de 1 an, les accidents constituent Ia premiere cause de décès, surtout chez les garcons. Tableau 1
Causes médicales de décès par age et sexe chez les enfants de un a neuf ans en France en 1995 (en effectifs et taux pour 100 000 enfants) 1-4 ans M
5-9 ans M
F
Causes de décès
•:
F
a
a
Maladiesinfectieusesetparasitaires
26
1,8
31
2,2
16
0,9
8
0,5
Tumeurs et leucémies
68
4,6
49
3,5
75
4,2
50
3,0
38
2,6
35
2,5
16
0,9
18
1,1
Anomalies congénitales
45
3,0
61
4,3
24
1,4
24
1,4
Symptôrnes, signes et états morbides mat defims
42
2,8
34
2,4
17
1,0
8
0,5
200 164
13,5 11,1
8,4
138
7,8
77
4,5
7,1
8
0,2
105 6
6,0 0,3
64 6
3,7 0,4
28
0,5 1,9
120 102 3 15
1,1
27
1,5
7
0,4
60
4,0
63
4,4
35
2,0
38
2,2
479
32,3
393
27,7
321
18,2
223
13,2
Maladiesdusystèmenerveux et des organes des sens
Mortsviolentes,dont accidents* homicides intention indéterminée
Autres causes* Toutes causes * Accidents a l'exclusion des
accidents et complications au cours et suite a des actes médicaux et cnirurgicaux o qui sont inch's dans Ia classe autres causes dam figurent également lea maladies endocnniennes, de Ia nutrition et du métabolisme et les troubles immunitaires, lea maladies du sang et des organes hématopoIetiques, les troubles mentaux, lea maladies des appareils circulatoue. respiratoire et digestif, lea maladies des organes genito-urinaires. celles de Ia peau et du EISSU cellulaire sous-cutané el celles du systIrne ostéo-articulaim, des muscles et du tissu conjonctif, lea affections d'oiigine pélinatale. :
Source: Causes médicales de décès, Lisle simplifiée S9, Service commun no 8 de I'INSERM.
196
INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION
Plusieurs publications europ&nnes récentes font état d'une surniortalité des
enfants des classes défavorisées : aux Pays-Bas, les taux de mortalité des enfants turcs et rnarocains de moms de 15 ans sont deux a trois fois supérieurs a ceux des enfants des families hollandaises d'origine [Schulpen, 1996]. En Angieterre et au pays de Galles, en I991-1993, chez les enfants de I a 4 ans, Ia mortalité dans Ia classe sociale V (personneis non qualifies) Ctait 2,6 fois celie des enfants appartenant a Ia classe I (professions liberates), cette surmortalité étant un peu moms marquee entre 5 et 9 ans (2,1 fois) [Botting, 1997] ; en 1996, Ia mortalité des enfants âgés de I et 2 ans était signiflcativernent plus Clevés Iorsque Ia mere était seule [Schuman, 1998]. Dans ces pays, les differences les plus importantes concernent ies accidents, seuls les cancers entraInant une mortalité équivalente
queue que soit la ciasse sociale [Reading, 1997]. Cependant, dans Ia cohorte finlandaise d'enfants nés en 1987, i! n'y avaiL aucun lien entre taux de mortalité et classe sociale [Gissleret alii, 19981. II n'existe pas en France de données de mortal ité des enfants prCsentees selon
Ia CSP des parents. Des données anciennes [enquête de 1975 décrite par Bouvier-Coile et cdii, 1990] montrent que Ia probabilité de dCcéder entre 5 et 10 ans ne vane pas considérablement scion Ia CSP du père, contrairement a cc
qu'on observe pour Ia rnortaiité infantile. Cela concorde avec les données britanniques: les enfants les pius jeunes souL les plus vulnérables face aux inégalités sociales. Une approche indirecte de Ia mortalité en fonction de l'environnement social peutétre réalisCe en Ctudiant les inegalites géographiques, eIles-mêines en partie
reflet d'inegalités sociales. On compare donc, dans le tableau 2, les taux de mortal ité des enfants de I a 9 ans de Ia France entière a ceux de regions qui, dans le rapport du HCSP sur Ia sante en France en 1996, étaient caractCrisées par une forte mortalité prCmaturée (Nord-Pas-de-Calais) ou une faible mortalité prCmaturée (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes). Tableau 2
Taux de mortalité pour 100 000 habitants en fonction de i'âge et du sexe chez les enfants de 1 a 9 ans en France et dans trois regions (Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes) en 1995 (toutes causes). 1-4ans
5-9ans
Taux
N
Midi-Pyrénées
M
F
M N
Taux
N
F
Taux
Taux
N
8
14.5
16
23.2
Il
15.2
6
8.4
Nord-Pas-de-Calais
47
41.4
36
24,1
32
20,4
22
14,2
Rhône-Alpes
35
23.4
39
21,0
28
14,4
22
11.8
479
32,3
393
27.7
321
18.2
223
13.2
France entière
Source: Causes ,nédieales de deces. Service contmun n° 8 de I'INSERM.
197
LA SANTE DE L'ENFANT
On observe chez les enfants les mêmes phénoniènes que chez les adultes: uñésurmortalité dàns (sauf pour les flues âgées de là 4 ans) et une sous-mortalité dans les deux autres regions pour les deux sexes et dans les deux tranches d'age. Les petits effectifs ne permettent pas d'entrer yentablement dans le detail, toutefois, dans le Nord-Pas-de-Calais, le taux de mortalité par traumatismes et empoisonnements des garcons de 1 a 4 ans est presque le double de celui de Ia France entière (23,8 vs 13,7 pour 100 000).
La morbidité II existe des affections dans la genèse desquelles l'environnement socioéconomique est reconnu comme directement <
sante de l'enfant, le role des facteurs sociaux est diversement étudié et les résultats sont souvent contradictoires, en ce qui concerne tant Ia morbidité que l'accès aux soins et l'utilisation des services.
L'analyse des résultats de trois grandes enquêtes (enquête nationale de morbidité hospitalière de 1993 ; enquête INSEE/CREDES/SESI de 1991-1992; enquête IMS France/I 994) permet de relever de nombreuses convergences : les
pathologies les plus fréquentes chez les enfants de moms de 15 ans sont les maladies respiratoires (au premier rang des affections recensées dans les trois etudes), les affections ORL, les << maladies de (troubles visuels pnincipalement), les traumatismes et les affections cutanées. Les << maladies de Ia bouche et des dents>> apparaissent un peu moms fréquentes. Les données concernant les troubles visuels sont corroborées par les résultats >>
de dépistages effectués dans le cadre de bilans de sante en école maternelle ou en CP [Barot, 1992; Lehingue et alii, 1992 ; Zorman et Jacquier-Roux, 1994; Romano, 1998]. Les bilans de sante faits dans le cadre scolaire ne comportent aucune donnée, relevée de facon systematique, sur Ia situation sociale des enfants, en dehors
d'études spécifiques mises au point par certains responsables, de PMI notamment [Lehingue et alii, 1992 ; Picot et alii, 1993]. En ce qui conceme les bilans de 6 ans, une approche indirecte peut être faite a travers Ia comparaison des bilans faits dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP), caracténisées en principe par une <<population difficile >>, et ceux réalisés dans les autres zones. En fait, bien souvent, l'appellation ZEP relève de Ia volonté des acteurs locaux d'obtenir les avantages et les credits qui lui sont lies, et Ia non-demande de ceue appellation relève de Ia crainte d'une image socialement stigmatisante. Dans
198
INEGALITES I'AR DOMAINE D'EXPRESSK)N
l'académie de Créteil en 1997-1998, Ia comparaison ZEP/non-ZEP pour les résultats des bilans de six aris n'a rnontré aucune difference significative dans Ia pathologie enregistrCe [Romano, 1998]. Lors des deux enquêtes épidémiologiques menées a cinq ans de distance (1987-1988 et 1992-1993) par Ia PMI en école maternelle dans l'Hérault, on a pu constater qu'il n'existait pas de relations significatives entre le milieu socio-économique de I'enfant et les troubles somatiques dépistés, a I'exclusion du mauvais état bucco-dentaire, plus frequent chez les enfants des families les plus dCfavorisés et ayanl une nière d'origine maghrébine. En revanche, des relations fortes ont etC retrouvCes entre les caractCristiques socio-économiques, Cducatives et culturelles des families et, d'une
part, les troubles prCcoces des apprentissages, d'autre part, ies troubles du comportement. Les résultats des deux enquêtes sont con vergents [Lehingue et alii, 992; Picot et alii, 1993] ; globalement les troubles du langage (dépistés chez 25 % 1
des enfants de 4-5 ans en 1992-1993) sont plus frequents lorsque la mere n'a pas
d'activitC professionnelle, et en cas de bilinguisme (mais cette caractéristique s'efface derriere le bas niveau socio-Cconornique). Les troubles de Ia motricitC (troubles du graphisnie, de Ia motricité globale ci fine, de I'orientation teniporospatiale, du schema corporei ; 1 8 % cii 1992-1993) s'observent chez les enfants des classes sociales les plus dCfavorisCes et, dans Ia deuxième étude, bisque Ia mere est d'origine niaghrCbine, que i'enfant prCsente des troubles de l'acuitC visuelie, et passe pius d'une heure trente par jour devant la télCvision et moms de six heures en coliectivité. En Finlande Cgalement, Gissler note que, Si les pathologies chroniques (diabète et asthnie notamment) ne prCsentent pas de frCquences différentes selon Ia classe sociale, en revanche ies
LA SANTE DE L'ENFANT
199
de l'état de sante [Reading, 1997]. Les troubles respiratoires sembient plus frequentsdansks quattiers les plus 1997 ;West, 1997]. Une relation entre bas niveau socio-économique et troubles psychologiques chez l'enfant a été rapportde par plusieurs auteurs a l'etranger [Tremblay, 1996; Reading 1997], mais n'est pas toujours observée [Rutteret alii, 1970], peut-être en raison de differences dans les definitions et les degrés de sévdrité. En France, parmi les enfants de Ia cohorte GAZEL (étude dont les résultats sont toutefois difficilement extrapolables, les sujets enquêtés étant des volontaires), Fombonne a montré que le recours au professionnel de sante mentale n'était pas lie a Ia CSP des parents mais a leur statut marital (recours plus frequent pour les enfants de parents séparés ou divorces) [Fombonne et alii, 1997]. De même pour Tremblay, les troubles psychologiques sont plus frequents si la mere est seule et de bas niveau éducatif [Tremblay, 1996]. Dans la deuxième enquête menée par Ia PMI de l'Hérault, les troubles du comportement (identifies chez 23 % des enfants) étaient plus frequents dans les classes sociales défavorisées, en cas de separation des parents [Picot et alii, 1993]. Les accidents, dont on a vu qu' us constituaient le facteur explicatif essentiel de Ia mortalitd différentielle par sexe, mais aussi pour une large part des diffé-
rences de mortalité selon Ia classe sociale [Reading, 1997], constituent en France Ia deuxième cause d'hospitalisation chez le garcon (12 % des séjours annuels dans l'enquête hospitalière de 1993).
Tous les auteurs s'accordent a dire que, chez l'enfant, Ia pathologie pour laquelle Ia relation avec l'environnement social est La plus forte est Ia pathologie accidentelle. Depuis les travaux de Backett en 1959, on sait que le chomage du
père, I'exiguIte et le surpeuplement du logement, qui sont responsables de Ia fuite vers La rue, seul endroit suffisamment spacieux pour jouer, sont des
facteurs de risque d'accidents chez le jeune enfant; ce sont également ces facteurs qui expliqueraient que le taux de mortalité accidentelle des enfants piétons noirs soit le double de celui des enfants blancs aux Etats-Unis [Rivara et
Barber, 1985]. Une étude extensive de La littérature sur ce sujet [Tursz et Manciaux, 1995] montre bien comment les logements pauvres sont sources d'accidents pour les jeunes enfants (ebouillantements par des bassines d'eau chauffée dans les habitations sans eau chaude courante, défenestrations dans les appartements anciens sans garde-corps aux normes, intoxications a l'oxyde de carbone liées a des chauffe-eau mal raccordés ou a des chauffages de fortune,
installations électriques vétustes...). Les families migrantes sont particulièrement concernées par ce type de logement. L'ODAS attribue l'augmentation du nombre des signalements d'enfants en danger et maltraités (35 000 en 1992, 58 000 en 1994, 74 000 en 1996, et 82 000 en 1997) a un meilleur repérage de ces enfants, mais aussi a Ia précarisation de la société, qui fragilise la famille et altère son identité. Dans une étude récente
réalisée par le CIDEF a Ia demande de la Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la sante (DASES) de Ia ville de Paris et portant sur Les signale-
200
1NEGALITES PAR I)OMAINE I)'FXPRFSSION
d'enfants en danger, on a pu constater que dans 38 % des cas Ia mere n'avait pas de conjoint, et que Ic père était absent dii foyer (notaniment car ments
incarcéré) dans 49 % des cas ; 57 % des mères vivant avec I'enfant étaient sans profession, au chômage, en longue maladie ou en invalidité ; 42 % des mères et 36 % des pères avaient des antécédents médicaux de type toxicomanie, troubles
psychiatriques ou éthylisme ; les enfants vivaient dans un contexte de dénuement sur Ic plan financier, de violence conjugate et d'irnmaturité affective [Josse et alii, 1997j. Les signalenîents sont également plus frequents dans les quartiers défavorisCs, cependant dans ce domaine on ne peut écarter un possible et important biais de selection, les travailleurs sociaux et médico-sociaux étant certainement moms vigilants en ce qui concerne les familIes aisées. Pourtant II a été largement reconnu que Ia maltraitance se rencontre a tous les niveaux de
I'échelle économique [Gabel ci a/il, 1996], et que les mauvais traitements correspondent a de graves troubles de la parentalité et a un flou des barrières entre education, discipline et sCvices [Scheper-Hugues, 1987]. Par ailleurs, des etudes ont montré I' intensité de Ia pression psychologique que certaines fani II les aisées font subir a leurs enfants, notamment dans les classes sociales <<moyennes hautes >> et dans le domaine de Ia rCussite scolaire, quand les enfants
sont considérés comme un outil d'ascension sociale pour Ia faniille [ScheperHugues, 1987]. On est amené a Cvoquer ici le difficile problème de Ia definition de Ia maltraitance psychologique, souvent issue de Ia frustration de parents qui humilient des enfants dont its attendaient plus de < qualités I$cheper-Hugues, >
1987].
L'utilisation des services Malgré une politique affichée de services prdventifs gratuits pour lesjeunes enfants, ceux-ci sont peu utilisés. Ainsi, environ 10 % seulement des enfants francais de moms de six ans sont suivis réguIierement dans les consultations de
PM!, qui ne bénéficient pas toujours dans Ia population d'une image très positive [Cresson, 1995]. La majorité des enfants sont en France suivis et vaccines chez Ic médecin de famille. En 1,995, 16,6% des certificats du vingtquatrième mois parvenant au ministère Cnianaient de Ia PM! et 80 % de cabinets médicaux privés. Le rapport du service de promotion de Ia sante en faveur des Clèves du Valde-Marne, pour i'annCe scolaire 1995-1996, indique que, dans les miiieux défavorisés, 60 % des familIes ne donnent aucune suite aux avis délivrés a l'issue des bilans de sante [Romano, 1996]. ii s'agit là, pour les familIes, du passage de Ia médecine preventive gratuite a Ia consultation d'un spécialiste (ORL ou ophtalmologiste notanimeni) et, plus gCnéralement, du passage d'une situation passive a tine dérnarche active (avec tout cc qu'eiIe comporte dCplacements, utilisation
des transports, garde des autres enfants, frais...). Méme les services de prevention gratuits sont sous-utilisCs par les families les plus défavorisées,
LA SANTE DE L'ENFANT
201
comme le souligne une étude espagnole récente [Navarro-Rubio et alii, 1995].
existant entrel'utilisation des services préventifs et aüssilés le niveau éducatif des parents. Pourtant, une bonne disponibilité (24 heures sur 24 pour les urgences hospitaiières par exempie) et une réelle accessibilité financière des services favorisent le recours de certaines categories d'enfants de families défavorisées. Cela est
particulierement vrai pour les enfants de migrants, grands utilisateurs des urgences hospitalières [Lombrail et alii, 1993]. Certains dispositifs gratuits permettent aux enfants défavorisés d'être plutôt mieux suivis que les autres. Citons Ia PMI, dont les consultations sont surtout frequentées par des enfants de classes sociales modestes et par beaucoup d'enfants de migrants, qui bénéficient
là d'examens par des médecins géneralement bien formés au dépistage des <
enfant. Dans les départements de l'académie de Créteil, les enfants de ZEP semblent mieux suivis que les autres (4,5 % de vaccinations non faites contre 12% en non-ZEP [Romano, 1998]). En ce qui conceme Ia vaccination, il n'existe pas en France de données de couverture vaccinale par classe sociale au niveau national, et si, dans certains
départements, Ia PMI mène des etudes specifiques sur ce theme, elles sont raj-ement publiées. Dans l'Hérault, en 1992-1993, on n'a pas note de relation entre Ia classe sociale, l'origine de la mere et le statut vaccinal des enfants [Picot et alii,
1993], alors qu'une telle difference existait lors de l'enquete de 1987-1988 et concernait la vaccination contre Ia rougeole [Lehingue et alii, 1992], mais il convient de rappeler ici que le taux de couverture vaccinale contre La rougeole était, au niveau national, inférieur a 30 % en 1985 et de 85 % en 1995. Dans les autres pays, des résultats divers sont observes, notamment du fait de differences dans les reglementations, Ia gratuité ou non, le lieu de pratique des vaccinations [Bennett et Smith, 1992; Waldoher et alii, 1997 ; de Spiegelaere et alii, 1996], cependant, dans l'ensemble, ii ressort de ces diverses etudes que les vaccinations insuffisamment effectuées concernent les enfants défavorisés (lorsque les vaccins ne sont pas gratuits et que l'accès est difficile), alors que les vaccinations refusées concement les classes sociales les plus aisées [Baudier et Janvrin, 1997]. Un dernier point concerne l'utilisation des services curatifs, et plus spécifiquement Ia durée d'hospitalisation, plus longue en moyenne pour les enfants des milieux défavorisés [Gissler et alii, 1998 ; Tursz et alii, 1983]. Ce phénomène est d'interprétation difficile ; il peut être lie a des hospitalisations pour des affections plus graves, mais aussi a un manque de confiance des soignants lorsqu'il
s'agit de laisser retourner chez lui un enfant de milieu défavorisé, hypothèse vraisemblable Iorsque, queUe que soit Ia pathologie et a gravite égale, les enfants
des classes sociales les plus défavorisés sont toujours hospitalisés plus longtemps, le principal facteur influant sur Ia durée d'hospitalisation étant l'activité
professionnelle de Ia mere (hospitalisations plus courtes lorsque Ia mere travaille) [Tursz et alii, 1983].
202
INEGALITES PAR I)OMAINE
LES FAcTEURS QUI INFLUENT SUR LA SANTE 1)ES ENFANTS
Tous les auteurs s'accordent a reconnaItre i'influence des difficultés socioéconomiques sur Ia mortalité des enfants et principalement Ia mortalité accidentelle. Le débat est plus controversé en ce qui concerne les maladies chroniques
et surtout les troubles psychologiques. De nombreuses etudes soulignent Ia relation enire troubles du développernent psychomoteur et facteurs socio-économiques. Le statut marital des parents et Ia composition de Ia famille sembient
jouer un role prépondérant, tout particulièrement sur les probièmes les plus graves rencontrés par les enfants, comme Ia maltraitance et rnême Ia mortalité (des enfants de un et deux ails en Angleterre), mais aussi sur les troubles du comportement. La situation Ia plus difficile sembie être celle des enfants de <<parent isolC >>. Que recouvre cette notion? Moms de moyens financiers? Moms de facilitC pour affronter toutes les contraintes pratiques Iiées a Ia prise en charge d'un enfant et de sa sante ? Un clirnat affectif plus précaire ? Le rOle des facteurs psycho-affectifs a the largement dérnontré dans Ic cas des accidents [Tursz et Manciaux, 1995]. II pose le problènie de l'investissenlent affectif d'un enfant par sa famille. Depuis iongtemps, des etudes menées a Ia fois dans des pays industrialisCs et dans des pays en dCveloppement, et dans une perspective historique, ont montrC que tous les enfants ne sont pas aimés, allaités, soignés de Ia même manière selon leur sexe, leur rang dans Ia fratrie, leurs talents (scolaires notamment), et que les facteurs affectifs jouent un role dans Ia croissance et le développement [Scrinishaw, 1978; Scheper-Hugues, 19871. Or c'est bien l'amour cju'on porte a un enfant qui determine les comportements protecteurs et c'est dans Ia maltraitance qu'on observe le niveau Ic plus aigu de désinvestissement affectif des families [Josse et a/u, 1997]. L'investissement affectif d'un enfant n'a pas a priori de raisons d'être different scion Ic niveau de revenus de Ia farnille. Toutefois, on peut concevoir que Ia fragilisation financière et sociale d'une famille la conduise vers Ia depression et de là vers une inaptitude a faire face aux demandes d'un enfant, particulièrement lorsque vient s' installer I 'alcoolisme, source de violence. C'est Ia théorie développée par 1'ODAS. La prise en compte de cette dimension affective est essentielle car c'est dans la petite enfance que se construisent Ia personnalitC et Ia sante du futur adulte, comme I'indiquent plusieurs etudes retrospectives [Menahem, 1992] et surtout prospectives, d'une plus grande fiabilité [Lundberg, 1993 ; Tremblay 1996]. Facteurs psycho-affectifs et facteurs socio-economiques jouent donc un rOle dans la sante des enfants, sans toutefois qu'iI existe d'études permettant de bien comprendre I'importance relative de chacun et Ia facon dont us interagissent. Les etudes menées dans l'Hérault niontrent que les enfants uniques, mais aussi
les premiers-nés, sont niieux suivis et niieux vaccines. Les enfants uniques bénéficient-ils du fait que les dépenses de sante sont plus faibles que dans Ie cas
d'une famille de plus grande taille? Les premiers-nés sont-ils plus investis
LA SANTE DE L'ENFANT
203
affectivement ? C'est a toutes ces questions qu'il faudrait pouvoir répondre par des
ñoLivellès.
L'AMELIORATION DE LA SANTE DES ENFANTS EN FRANCE: QtJE PEUT-ON ESPERER?
Tout d'abord, de meilleures connaissances epidemiologiques (notamment au niveau national) sont nécessaires, ce qui suppose un soutien methodologique pour les services de PM! et ceux charges de Ia sante scolaire (informatisation des dossiers de PM!, standardisation des outils de bilans de sante) et une meilieure
collaboration entre ces deux organisations. L'école matemelle, par laquelle passe Ia quasi-totalité des enfants (99 % des enfants âgés de deux ans révolus sont scolarisés), pourrait être le lieu de depistages vraiment précoces.
Les données obtenues gagneraient a être présentées en relation avec les caractéristiques sociales des families. Les statistiques de routine, notamment les
statistiques hospitalières, devraient être présentees avec un plus grand detail dans les tranches d'age, et non plus globalement chez les << 1-15 ans >>. Le tabou sur Ia connaissance des caracteristiques sociales des families peutil tomber? On a évoque Ia reticence des personnels charges de la protection de l'enfance a investiguer dans les classes sociales aisées. En ce qui concerne les
families défavorisées, l'ODAS (dans sa lettre d'avril 1998) souiigne que les travai ileurs sociaux, craignant d' avoir vis-à-vis d'eiIes des comportements jugés
normatifs, ne recueillent même pius Ia CSP des parents dans ies dossiers de signalement d'enfants en danger. On a vu que lorsque les dispositifs existent, qu'iis sont gratuits et ne nécessitent pas de Ia part des families des démarches complexes, us sont utilisés; il paraIt donc essentiel de mieux informer les families de l'existence de ces dispositifs et surtout de conserver les acquis visant a estomper les inegalités sociales (les ZEP notamment). Dans Ia situation actuelle de mouvements antivaccinaux [Baudier et Janvrin, 1997], ii faut preserver l'obligation vaccinale pour I' inscription scolaire. L'importance de la responsabilité publique est attestée par ies etudes sur les accidents d'enfants, qui montrent bien a quel point leur survenue est plus liée a
Ia sécurité de i'environnement qu'aux comportements des parents [Evans et Kohli, 1997].
Une attention particuiière devrait être apportée a Ia formation des généralistes, qui suivent Ia très grande majorité des enfants. En effet, s'ils sont bien informés des modes de prevention les plus usuels (vaccinations, prophylaxie des
caries dentaires), us sont en revanche peu familiers des techniques fines de l'examen psychomoteur et du langage.
Les etudes menées en école matemelie montrent l'importance de Ia prevention très précoce (de la maltraitance notamment), mais ces écoies ainsi
204
INEGALITF.S PAR DOMAINE D'EXI'RESSR)N
que
les ëcoles élénientaires ont
perdu
leurs infirmières et leurs assistantes
sociales au profit des colleges et des lycées, dont les élèves présentent une symptornatologie
plus bruyante et plus dérangeante pour l'ordre social. Cette
prevention trCs précoce doit en fait être misc en place encore en arnont, afin que s'opère l'indispensabie attacliement entre Ia mere et son enfant, par la prevention et Ia prise en charge de Ia depression du post-partum notamment. Cependant, les exigences de rentabilité des services de sante ont, par Ia diminution de la durée de séjour des femmes en niaternité, rendu cette prevention quasi impossible. S'ii fautpréserverles acquis, ii faut donc aussi développer des
strategies nouvelles de protection des petits enfants et de leurs families, qui permeflent l'enfant de devenir un adulte acconipii. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BACKEU 0., JOHNSTON A.M. (1959), << Social Patterns of Road Accidents to Children. Sonic Characteristics of Vulnerable Families >>, British Medical Journal, I, P. 409413. BAROT D. (1992), <
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Note : Ia synthèse des donnCes de I'enquête nationale de morbidité hospitahere (SESI, 1993), de l'enquête sur Ia sante et hes soins médicaux (INSEE/ CREDES/SESI, 1991-1992) et de l'enquête IMS France, de méme que les données de couverture vaccinale et celles relatives au certificat de sante du vingt-quatrièrne mois, sont issues de l'Annuaire des statistiques sanilaires et sociales de 1997 (ministère du Travail et des Affaires sociales) et des Données stir/a situation sanitaire ci sociale en France de 1998 (ministère de l'Emploi et de Ia Solidarité).
13
La sante des adolescents Marie Choquet, Chrisrophe Lagadic
L'adolescence est une pénode de changements physiques, sexuels, psychologiques et sociaux. Le debut de l'adolescence est habituellement défini par des critères physiques, comme l'apparition des signes pubertaires [Birraux, 1990],
tandis que Ia fin de l'adolescence est plutôt définie par des critères sociaux comme l'intégration dans Ia vie professionnelle et Ia stabilité affective [Michaud et Alvin, 1997]. Les changements qui se produisent a l'adolescence peuvent avoir des répercussions sur Ia sante. Au niveau somatique, l'accélération de La croissance ou son retard peuvent entraIner ou révdler des troubles, parfois irrdversibles ; pour lesjeunes porteurs de maladies chroniques ou de handicaps, l'adolescence cons-
titue une difficulté suppldmentaire. Au niveau social, les modifications de statuts (comme le passage du statut de collégien a celui de Iycéen, de lycéen a
étudiant, de scolaire a non-scolaire...) impliquent des contraintes qui, pour certains, s'avèrent insurmontables. Au niveau psychologique, ces modifications physiques et sociales peuvent rendre difficile pour lesjeunes Ia construction de leur identité.
L' identité sexuelle est au cceur de ce processus de maturation [Birraux, 1990]. En effet, durant I'adolescence, le sujet non seulement acquiert les attributs physiques d'un homme ou d'une femme, mais ii integre aussi, pour s'y
conformer ou s'y opposer, un modèle psychologique et social sexué que lui transmettent les divers membres de Ia communauté [Choquet et Ledoux, 1994]. A cet age de changements et de fragilitds, des inégalités sociales peuvent
intervenir: a) au niveau du processus maturatif et du mode de vie qu'ont en commun tous les adolescents; b) au niveau de Ia morbidité et des comportements qui ne concèment qu'un sous-groupe d'adolescents. Par ailleurs, si les jeunes peuvent se caractériser sur le plan social par La situation de leur famille d'origine, pour les lycéens, la filière d'enseignement suivi permet un debut de caractdrisation propre desjeunes.
208
1NEGALITES PAR DOMAINE I)'IiXPRESSION
SOURCE I)E DONNEES
Les données prCserflées id sont issues de l'étude conduite en 1993 auprès des
adolescents scolarisés dans le second degre (colleges, iycées d'enseignement general et technique, lycées professionnels) de huit academies : Aix-Marseilie, Amiens, Bordeaux, Clermont-FeiTand, Créteil, Nice, Rennes, Strasbourg [ChoquetetLedoux, 1994]. Cet échantillon national aCtC conslitué par untirage au sort a deux niveaux : d'abord, un échantillonnage des Ctablissements scolaires (n = 168), puis des classes (11 = 578). Trois établissements ont refuse de faire l'enquête. Dans les 165 établissements qui ont accepté, 7 % des élèves étaient absents le jour de Ia passation du questionnaire, 5,2 % dans les colleges, 8,6 % dans les lycCes d'enseignement général et technique et 11 ,8 % dans les lycCes professionnels. Au total, 1 2 391 sujets ont répondu, reprCsentant 87 % des ClCves tires au sort. Parmi eux, 90 % avaient entre 12 et 19 ans. L'autoquestionnaire anonyme abordait, outre les caractéristiques sociales, scolaires et de mode de vie, les aspects suivants de la sante: —
durant les douze derniers mois : troubles du somnieil (frCquence des réveils
nocturnes et des cauchemars), accidents (de sport, de circulation, d'atelier ou de
travail, autres) et hospitalisations, problènies de vue, problèmes de dents, depressivite, consonimation d'alcool (viii, bière, alcools forts), de tabac, de rnCdicarnents contre Ia nervositC ou l'insomnie; — durant Ia vie: handicap ou maladie chronique (avec precision sur le type
de handicap ott de rualadie chronique), scoliose (confirmee ou non par le niédecin), crises d'asthme (avec diagnostic confirmé par le mCdecin), consommation de drogues (frCquence par produit), tentatives de suicide. Les résultats prCsentés reposent sur les declarations des adolescents. Si Ia validite des declarations en auto-questionnaire a etC dCmontrCe pour les compor-
tements et les troubles ressentis, ii est possible que des biais de declaration existent pour certains problèmes de sante, en particulier en fonction du milieu social. En effet, Ic recours aux soins est plus faible daiis les milieux défavorisés, d'oü une possible mCconnaissance (et donc sous-déclaration) de Ia pathologie. CARACTERISTIQUES SOCIALES
La situation sociale a etc dCfinie par Ia profession du chef de farnille. La personne de reference consideree comrne chef de famille est l'homme vivant au foyer, père ou beau-père, ou Ia mere, si l'adoiescent vit1seul avec elle. La profession a ete remplie en clair par lejeune et codifiCe scion Ic code INSEE a un chiffre: 16 % n'ont pas rCpondu ou ont donnC des rCponses imprCcises. Cinq groupes ont ainsi etC conslituCs: les enfants de cadres et professions intermédiaires (35 % de l'échantillon), d'employCs (20 %), d'ouvriers (31 %), d'artisans et de commerçants (I I %) et d'agriculieurs (3 %). Ces deux dernières categories
209
LA SANTE DES ADOLESCENTS
n'ont pas été incluses dans Ia présente analyse, car trop hétérogenes ou d'effectifs inteimédiãirësle sont dans fãihles. Les ëñfa.ñts dé 91 % du fait de leur père ou beau-père et dans 9 % dii fait de leur mere, pour les enfants d'employés les proportions sont respectivement de 74 % et 26 %, et pour les enfants d'ouvners, de 98 % et 2 %. Le tableau 1 montre que I'âge moyen des jeunes de chaque classe d'âge diffère peu selon Ia categorie sociale. Tableau 1
Distribution de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe et le type d'enseignement (enquête nationale 1993) Files
Garçons Cadres et professions Employés interméd.
Ouvriers
Cadres et professions
Employés
Ouvriers
interméd.
1245 ails
Effectif %
Age moyen
918 39,8 13,59
559 24,3
710
345
13,51
827 35,9 13.49
965 38,8 13,56
579 23,3
579
613
417
13,48
944 37,9
13,56
16-l9ans Effectif
574
%
43,5
21,1
35,4
38,2
26,0
35,8
Age moyen
17,19
17,25
17.16
17,09
17,21
17,22
255 20,9 17,23
358 29,4 17,05
558 41,6 17.03
Enseignement général1
Effectif %
Age moyen
605 49,7 17,13
330 24,6 17,12
454 33,8 17,15
Enseignement professionneP 54
87
%
25,3
21,5
53,2
20,7
33,3
46,0
Age moyen
17,57
17,33
17,33
17,65
17,54
17,48
Effectif
105
89
221
120
1. Colleges ou Lycées d'enseignement general et technique. 2. Lycées professionnels.
Le niveau d'études des parents, variable souvent utilisée pour completer Ia
mesure de la situation sociale, n'est pas disponible dans cette enquete. En revanche, Ia situation scolaire de l'adolescent a été prise en compte. Comme le montrent les données de suivi de l'Education nationale [ministère de l'Education nationale, de Ia Recherche et de la Technologie, 1998], le niveau scolaire est un bon indicateur du statut social futur du sujet. En effet, parmi ceux qui ont obtenu un diplôme d'enseignement supérieur, 66 % exercent une profession supérieure ou intermédiaire cinq ans après la fin de leurs etudes, cette proportion est de 10 % parmi ceux qui ont obtenu un CAP ou un BEP et de 9 % parmi ceux qui n'ont
obtenu aucun diplôme. On a tenu compte du type d'enseignement suivi:
210
INEGALITES PAR I)OMAINE I)'EXPRESSI()N
enseignernent général (college ou LEGT), permeuant de poursuivre des etudes supérieures, et enseignernent professionnel (LP), menant vers l'obtention d'un
CAPou d'un BEP. Parmi les 16-19 ans, 66 % sont scolarisés dans l'enseignernent general et 34 % dans l'enseignernent professionnel. Le tableau I montre que les éièves de l'enseignernent general sont plus souvent des enfants de cadres que les élèves de l'enseignernent professionnel, plus souvent enfants d'ouvriers, mais que l'âge rnoyen des élèves de l'enseignernent professionnel est a peine supérieur a celui des élèves de I'enseignement general. ANALYSE I)ES I)ONNEES
Comme les flues et les garcons ont des troubles et des coniporternents différents, on peut faire i'hypothèse que les inégalites sociales selon le sexe. On a donc effectué l'analyse separément pour les deux sexes. L'étude a été faite parallèlernent pour les 12-15 ans, en scolarité obligatoire et donc représentatifs de l'ensernble desjeunes de cet age, et pour les 16-19 a,is, représentatifs seuienient des scolarisés du second degré. Comme l'âge de sortie dusystèmeéducatifestpasséde 16,7 ansen 1982-1983à 18,8 aiisen 1994-1995
[ministère de I'Education nationale, de Ia Recherche et de Ia Technologie, 1998], on peut estirner que les 16-18 ans scolarisés dans le second degré sont représentatifs de leur groupe d'Llge. Toutefois, a 19 uris, bon nombre dejeunes sont déjà dans l'enseignement supCrieur ou ont fini leur scolarité. Ont Cté excius de cette analyse les 5,2 % des élèves de l'Cchantillon qui ont II ans et moms (en avance par rapport a leur age) et les 4,6 % des élèves qui ont 20 ans et plus (en net retard). Seules les differences scion Ia CSP du chef de faniille sont presentées dans les tableaux. Celles concernant le type d'enseignement suivi sont citées dans Ic texte. Les differences entre CSP ou types d'enseignement ont ete considCrées comme statistiquernent significatives pour p < 0,05. MATURATION SOMATIQUE ET MODE DE VIE
Maturation sornatique (tableau 2) A age egal, les enfants de cadres et de professions intermédlaires oni une tailie
supérieure aux enfants d'ouvriers, diff&ence qui est, parmi les 12-15 ans, de quatre centimetres pour les garcons et de deux centimetres pour les flues et, parmi les 16-19 ans, de deux centimetres pour les garcons et d'un centimetre pour les filles. La taille des enfants d'employés se rapproche, pour les garcons, de celle des fils de cadres et pour les flues, de celle des filles d'ouvriers. L'écart de taille des élèves scIon leur type de scolarité est faible, les garcons de l'enseignement général
211
LA SANTE DES ADOLESCENTS
mesurent en moyenne un centimetre de plus que ceux de lycées professionnels, mali ii Tableau 2
Maturation somatique en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons
Flues
a (I)
a I,
.
E
E
a
12-15 ans
Taille (a)
Index pondéral (kg/rn2)'
1,64
1,63
1,60
1,61
1,59
1,59
18,97
19,38
19,36
18,80
18,95
19,05
1,77
1,76
1,75
1,65
1,64
1,64
21,28
21,20
21,26
20,27
20,31
20,83
16-19 ans
TaiIle1
Index pondéral (kg/rn2)' I. Moyenne.
L'index pondéral (poids/taille2), mesure de Ia corpulence, vane selon l'âge et le sexe, les garçons ayant une plus forte corpulence que les filles et Ia corpulence augmentant avec l'age. Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers ont une corpulence supérieure aux enfants de cadres, difference qui, avec l'âge, disparaIt chez les garcons, mais s'accentue chez les flues. Pour les lilies, l'analyse par fihières d'enseignement va dans le méme sens, les files de lycées professionnels ayant un index pondéral supénieur a celui des flues de lycées d'enseignement general. L'age des premieres regles, considéré comme un repère (tardif) de Ia puberté
feminine, est en moyenne de 12,4 ans, un peu plus tardif pour les lilies d'ouvriers (12,5 ans) que pour les flues d'employés (12,3 ans) ou de cadres (12,4 ans).
Mode de vie Globalement, Ia durée du sommeil diminue sensiblenient avec l'age, et ce pour les garcons comme pour les filles, alors que les troubles du sommeil augmentent pour les flues mais diminuent pour les garçons [Choquet et Ledoux, 1994]. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres ont une durée de sommeil légerement inférieure aux autres, et ce quel que soit le sexe (tableau 3). Cette difference s'atténue
2l2
PAR DOMAINE D'EXPRESSION
entre I6et 19 ans.Parailleurs,entre l2et 15 ans,lesfllsdecadresdéclarentmoins de troubles du sommeil que les autres. II en est de même pour les flUes de cadres,
surtout pour les plus âgées. Tableau 3 Sommeil des adolescents en fonction de Ia categoric socioprofessionnelle nationale 1993) du chef de famitle, scion Ic sexe Garçons
H
Flues
I
H
0
U
c)
12-15 ans
Sh 52 9 hOO 9h08 8 h47
DurCemoyennedusommeil
9h02 9h04
A eu assez souventltrès sou vent (durant les
douze derniers mois)
RCveils nocturnes
Cauchemars
% %
13.5
16,6
17,5
17,5
17,7
4,1
6,9
7,6
8,3
10.9
20,7 9,7
16-19 ans
Durée rnoyenne du sonirneil souvent (durant les douze derniers mois): Réveils nocturnes Cauchemars
7 h 58 7 h 59 8 h 07 7 h 59 8 h 03 7 h 59
A eu assez souventltrès
%
12.7
15,4
14.1
20,6
26,6
28.0
ne
3,5
4,1
4,7
11,6
12,0
11,7
A propos de Ia vie sexuelle (étudiée chez les 16-19 ans), les tendances sont différentes pour les garçons et les filles. Les fils d'ouvriers sont plus nombreux a avoir une experience sexuelle que les lils de cadres (55 % versus 49 %) et ans versus 15,5 ans), les fils de leur premier rapport est plus d'employes se situein a mi-chemin: 53 % ont eu des relations sexuelles, avec un age moyen au premier rapport de 15,3 ans. Parmi les lilies, celles dont le chef de famille est cadre ont une experience sexuelle plus précoce que celles issues de milieu ouvrier (15,8 ans versus 16,0 ans). Ainsi, Ia difference garçons/filles
est moindre parifli les enfants de cadres que parmi les enfants d'ouvriers. L'analyse par type d'enseignement poursuivi va dans Ic rnême seris pour les garçons, pas pour ies filles. En effet, les élèves de lycCes professionnels, garçons comme fifles, sont plus nombreux a avoir eu des relations sexuelles que ceux de lycees d'enseignement general.
213
LA SANTE DES ADOLESCENTS
MORBIDITE
Sante somatique (tableau 4) Tableau 4
Morbidité déclarée par les adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de famile, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons
Filles tM
z -a E
-a
0
C.)
E
0
C.)
12-15 ans
Handicap/maladie chroniqu&
%
9,4
9,6
9,2
8,5
8,2
6,1
Scoliose2
%
11,3
11,2
8,5
17,4
17,1
12,9
Problèmes visuels3
%
35,7
34,1
31,0
38,4
43,4
39,5
Problèmes dentaires4
%
58,3
62,9
68,9
68,9
69,6
74,0
Asthme5
%
14,1
15,1
13,0
9,5
13,5
8,8
Handicap/maladie chronique'
%
9,2
10,4
7,1
12,6
11,1
10,3
Scoliose2
16-19 ans
%
20,1
17,4
15,3
27,4
23,3
18,0
Problèmes visuels3
%
35,5
34,2
33,7
49,3
48,2
45,9
Problèmesdentaires4
%
75,7
76,5
77,3
81,4
81,8
87,1
Asthme5
%
11,4
11,3
11,1
13,4
9,1
10,5
I. J'ai une maladie chronique ou un handicap physique: Non/Oui. Une question complCmensaire portant sur le type de maladie concernée a permis de confirmer Is presence de Is maladie chronique ou handicap physique [Choquet etalii, 1997]. 2. J'ai une scoliose: NonlOui. 3. J'ai un problème de vue: NonlOui, mais corrigélOui, mais non corrige. Pour Ia presente analyse, les deux dernières modalités ont etC regroupécs. 4. J'ai (eu) des caries dentaires : Non/Oui, mais soignees/Oui, mais non soignees. Pour Ia presente analyse, let deux dernières modalités out été regroupées. 5. J'ai déjà eu des crises d'asthme: NonlOui/Je ne sais pas. Pour Ia presente analyse, les modalités non et ne sais pan " out etC regroupees.
Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers (flues comme garcons) déclarent
plus souvent que les autres avoir des problèmes dentaires, les enfants d'employés déclarent plus souvent souffrir d'asthme et les enfants de cadres ou d'employés déclarent plus souvent une scoliose. Ces differences persistent audelà de 16 ans en ce qui concerne Ia scoliose et les troubles dentaires, surtout
parmi les filles. Par ailleurs, les garcons de Iycées professionnels sont plus nombreux que ceux de lycées d'enseignement général a declarer d'un
214
handicap
D'EXPRESSION
PAR
ou d'une maladie chronique (II % versus 8 %), de
problèmes
dentaires (82 % versus 75 %), differences que I'on n'observe pas chez les filles.
Accidents (tableau 5) Tableau 5
Survenue d'au moms un accident durant les douze derniers mois en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du chef de faniille, selon le sexe (enquéte nationale 1993) Garçons
Flues
'Q?
.. E
(-)
12-15 alis
Accidents de Ia circulation
%
Accidents de travail
%
4,4
3.5
4,2
1,9
1.4
1,2
Accidents de sport
%
39.5
40,4
34.9
30.3
29,7
25.0
Autres accidents
%
17.7
22,7
18.4
9,7
10,5
12.2
Accidents toutes causes
e/(
49,7
55,0
47,5
37.7
36.9
36.1
Hospilalisationàla suite d'un accident
%
9.7
21,4
27,9
14.3
22,6
16,9
Accidents de Ia circulation
%
16.3
24.0
21,2
10,0
11,4
7,8
Accidentsde travail
%
4.1
5.8
7.4
1,5
1,5
1,0
Accidents de sport
%
39.8
36,7
34.8
25,9
22.2
22,1
Autres accidents
%
9.2
9.7
11,1
7.1
9,5
9,7
Accidents toutes causes
%
49,5
52,1
49,9
35,4
34,5
31,7
Flospitalisation ala suite d'un accident
ele
14.6
20.3
18,4
14,3
19.4
14.2
8.5
13,4
12,0
4.5
4,9
5,9
16-19 aiis
Les garçons soot plus nombreux a declarer un accident que les filles, et ce quel que soit le type d'accident. Globalenient, Ia frCquence des accidents ne vane pas selon Ia CSP, mais les enfants d'ouvriers et d'employés déclarent plus souvent un accident de Ia circulation, et les enfants de cadres ou d'eniployés un accident de sport. Parmi les plus jeunes, l'hospiialisation pour accident est plus frCquente parmi les fils d'ouvriers, alors que parmi les plus ãgCs, la difference entre les CSP est nioins nette. Parnii les filles, les tendances vont dans Ic rnême sens, sauf pour I'hospitalisation, car Ia proportion de lilies hospitaiisées pour accident est plus élevée parmi les filles d'employés que parmi les autres. Au
215
LA SANTE DES ADOLESCENTS
total, les garcons de lycées professionnels sont plus nombreux a avoir eu un accideñt4ue ceux de lycées d'enseignemeñt genéfal (54 versus 49 %), ii n'y a pas de difference pour les flUes.
Consommation d'alcool, de tabac et de cannabis (tableau 6) Tableau 6
Consommations d'alcool, de tabac et de drogues des adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père, selon le sexe (enquête nationale 1993) Garçons
FlUes
n
0 i..
U
U
12-15 ans
Consomme régulièrement Alcool' Tabac2 Cannabis3
%
6,5
7,9
7,0
5,7
4,3
3,2
%
6,3
5,7
7,5
7.8
6,8
7,6
%
3,1
3,0
2,4
2,5
2,1
1,5
%
13,0
11,9
9,5
19,9
18,1
16,2
% % %
33,2 24,6 21,8
30,1
23,8 16,6
26,5 23,5 13,6
14,6 28,1 12,2
9,7 27,5 7,7
9,6 23,3 8,8
%
11,9
10,6
10,5
29,8
31,7
26,6
A pris au moms une fois des médicaments
contrelanervositéetl'insomnie (durant les douze derniers mois) 16-19 ans
Consomme réguhièrement Alcool' Tabac2
Cannabis3
A pris au moms une fois des médicaments
contrelanervositéetl'insomnie (durant les douze derniers mois)
I. Au moms cfeux fois par semaine yin. biêre ou alcools forts ou an moms trois ivresses les douze derniers mois. 2. Tous les jours au moms une cigarette. 3. Au moms trois lois durant Ia vie.
Ont été considérés comme consommateurs d'alcool les jeunes ayant déclaré consommer des boissons alcooliques au moms deux fois par semaine ou avoir été ivre au moms trois fois durant les douze derniers mois. La consommation de cannabis se réfere a au moms trois experiences dans Ia vie, et Ia consommation
de tabac a un usage quotidien. Avec ces definitions, les consommations d'alcool, de tabac et de cannabis augmentent très sensiblement entre 12 et 19 ails, et les garcons sont plus nombreux a boire de l'alcool et a consommer du
216
JNECALITES PAR DOMAINF D'EXPRESSION
cannabis que les filles. Parmi les 12-15 ans, les differences entre les CSP sont faibles, en partie a cause des faibies taux de consonirnation a cet age. Mais parmi les 16-19 ans, garcons comme lilies, les differences se dessinent : les enfants de
cadres sont plus nombreux a consomnier de l'alcool et du cannabis que les enfants d'ouvriers ou d'employés. Pour le tabac, ces differences ne se retrouvent que chez les flues. Toutefois, les differences selon Ic type d'enseignement suivi ne vont pas dans le méme sens : parmi les garcons, les élèves de iycées professionnels sont plus nonibreux que les Clèves de lycCes d'enseignenient general a consommerde I'alcool (39% versus 27%), du tabac (38% versus 19%) ou du
cannabis (23 % versus 16%); parmi les flues, cette difference concerne uniquernent Ic tabagisme 38 % des filles de lycCes professionnels versus 24 %
des filies de lycCes d'enseignement general fument quotidiennenient. Cetie apparente contradiction oblige a une analyse plus fine entre CSP, cycle d'études et consommation de produits.
Le lien entre CSP et consommation selon Ic type d'enseignement suivi suggère des differences scion le sexe. Les fiis d'ouvriers poursuivant un enseignenient general sont moms nombreux a consommer régulièrement de l'alcool (20 %), du tabac (16 %) ci du cannabis (10 %) que les his de cadres de iycées
d'enseignement génCral (32 % boivent de i'alcooi, 22 % fument du tabac ci 20 % prennent du cannabis) et moms que ies tils d'ouvriers de lycées professionneis (proportions respectivement de 37%, 36%, 18%). Ainsi, pour les garcons, Ia mobilité sociaie inter-generations est associée a une plus faible consommation de produits psycho-actifs. Pour les flues, oü i'apparente contradiction entre CSP ci type d'études poursuivies ne concerne que le tabac, Ia consommation pius éIevée de tabac dans I'enseignernent professionnel provient de Ia consonimation des fiiles de cadres ou d'ernployes (respectivement
65 % et 37 % fument quotidiennement versus 27 % des lilies d'ouvriers) alors que dans l'enseignement génCrai on n'observe pas de differences scion I'origine sociaie. Pour les lilies, les données suggèrent que Ia mobilité sociaie <descendante>> inter-generations est assoc lee a une frCquence plus elevee de tabagisme.
Sante mentale (tableau 7)
La dépressivitC (depressive mood), indicateur de Ia sante mentale, a mesurCe a I'aide de l'échelle de Kandel, validée en France [Gasquet, 1996], qui inclut six questions sur Ic sommeil, la fatigue, l'inquietude et Ia <deprime>> ressentie. Les lilies ont une note plus élevée sur cette échelle que les garcons ci Ia depressivite augmente avec l'age, surtout parmi les lilies [Choquet et Ledoux, 1994]. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres, lilies comme garcons, ont un score plus eleve sur l'echelle de Kandei que les enfants d'ouvriers. Cette diffe-
rence s'atténue parmi les plus ages. Les garçons de Iycées d'enseignement general ont Ic mêrne score que les
de Iycées professionnels aiors que les
217
LA SANTE DES ADOLESCENTS
flues de l'enseignement général ont un score plus élevé que celles de i'enseignement professionnel, avec 13,4 versus 12,8. Tableau 7
Dépressivité (score de Kandel) et tentatives de suicide des adolescents en fonction de Ia catégorie socioprofessionnelle du père, selon te sexe (enquête nationale 1993) Garçons
Filles
n
0
V.-
0 55....
'V
'V
.55
E
0
'nO-
'u-
U
U
6
0
11,75
11,64
!2-i5ans Score de Kandelt A fait une tentative de suicide durant La vie
%
10,43
10,29
10,30
4,2
4,8
7,5
5,5
5,3
6,8
11,56
11,71
11,36
13,41
13,30
13,27
5,0
4,0
9,4
11,6
10,7
16-19 aiis
ScoredeKandeV
Afaitunetentatjyedesujcjdedurantjavje I. Moyenne. La
d'autant
% le
3.9
dlevé.
Les données concernant Ia pnse de médicaments contre Ia nervosité et l'insomnie vont dans le même sens. Parmi les 12-15 ans, les enfants de cadres sont plus nombreux que les autres a consommer ces médicaments, difference qui disparaIt avec l'age. La consommation feminine augmente sensiblement avec l'age, et ce queue que soit l'origine sociale des sujets. La tentative de suicide (durant Ia vie) est un événement relativement frequent
parmi les jeunes, surtout parmi les filles. Parmi les 12-15 ans, les enfants d'ouvriers (garcons comme files) sont les plus nombreux a declarer une tentative de suicide (p <0,001), alors que, parmi les plus âgés, les différencës entre classes sociales s'estompent. Alors qu'au niveau individuel la fréquence d'un antécédent de tentative de suicide au cours de Ia vie ne peut qu'augmenter avec l'âge, dans l'enquête, chez les garcons, Ia frequence de ces antécédents vane peu avec l'âge, et même, parmi les fils d'ouvriers, diminue avec l'âge. Cela peut signifier que le phénomène a change (effet de generation) ou que les fils d'ouvriers surdéclarent (ou sous-déclarent) La tentative de suicide selon leur age ou que les suicidants de milieu social défavorisé sont plus aisément excius du système scolaire.
218
INEGALITES PAR
D'EXPRESSION
DiscussioN
Méthodes Parmi les deux indicateurs d'inégalité sociale pris en compte, l'un concerne les parents (categoric socioprofessionnelle du chef de faniille), l'autre les sujets eux-rnêmes (type d'enseignement suivi), permettant ainsi de prendre en compte le passage entre situation familiale et situation personnelle. Ces deux situations ne se recouvrent pas entièrement (voir tableau I). Par ailleurs, comrne le statut professionnel du père (Ic fait qu'il soit inactif ou non) n'apparaissait a aucun moment associé aux problèrnes de sante des jeunes ni dans Ia présente analyse, ni dans une autre étude française [Aiènes et alii, 19981, ces résultats n'ont pas
été présentés. Par nianque d'information, ii n'a pas été possible de niesurer l'influence sur Ia sante du niveau d'études et des revenus des parents. Pourtant, selon des etudes iaord-arnéricaines, plus Ic niveau scolaire des parents et le
revenu familial sont Clevés, plus I'étai de sante des jeunes est satisfaisant [Cochran et Bo, 1989 ; Frank et a/u, 1984 ; Newacheck, 1989 ; Tuinstra et alii, 1998].
Les problèmes de sante étudiés sont ceux rapportés par les jeunes eux-mêrnes
et concernent donc essentiellement leurs comportements et leurs troubles ressentis. Un examen medical aurait permis de disposer de mesures plus fiables sur Ia pathologie et de confirmer (ou infirmer) les diagnostics rapportés par les jeunes. Sur cc dernier point, on peut faire I'hypothèse qu'il existe un biais de
declaration: les enfants de cadres ou d'eniployés, bCnéficiant d'un meilleur suivi medical et donc d'un meilleur dCpistage des troubles, possèdent une meilleure connaissance de leur état de sante que les enfants d'ouvriers. Par ailleurs, les enfants d'ouvriers ont un taux d'absentCisme scolaire plus élevé [Choquet et Hassler, I 997a] et on peut faire i'hypothèse que cet absentéisnie est
en partie attribuable a leur état de sante. Ces bials pourraient expliquer Ia surmorbiditC déclarée des enfants de cadres et d'employCs (maladie chronique, troubles visuels, scoliose, asthme). Les jeunes répondent aisément a des questions sur leurs propres comportements et troubles, comme en témoigne le faible taux de non-réponses concernant la consonimation (I %), les troubles fonctionnels (I %) et les conduites délictueuses (3 %). II n'en est pas de même a propos de Ia situation des parents, avec Un taux de non-réponses de 16 % concernant la profession du père ou de Ia nière.
L'absence dii parent (divorce, dCcès), Ia niéconnaissance de sa profession (profession complexe, peu connue ou rare) ou Ic fait de vouloir Ia taire (profession peu gratifiante ou de nature a lever l'anonyniat) peuvent expliquer ce faible taux de reponses.
LA SANTE DES ADOLESCENTS
219
Résultats A l'âge du college (12-15 ans), les enfants de cadres et de professions intermédiaires se distinguent des enfants d'ouvriers. Plus tard (a 16-19 ans), le type de scolarité suivie par les jeunes (enseignement general ou professionnel) vient ajouter une information complémentaire par rapport a la situation sociale de Ia famille d'origine. Les données suggèrent que les problèmes de sante somatique, de maturation et de corpulence sont plus souvent le fait des milieux défavorisés. Ainsi, les enfants d'ouvriers sont de plus petite taille, ont plus de problèmes de surpoids et de sante (problémes dentaires, troubles du sommeil, accidents de Ia route) que les autres. On retrouve ces mêmes differences entre les élèves de lycées professionnels et ceux de Iycees d'enseignement general pour Ia plupart des indica-
teurs. Les inégalites sociales existent donc depuis l'enfance et on peut faire l'hypothese que l'hygiène de vie (mauvais equilibre alimentaire, absence d'acti-
vites sportives) [Michaud et Alvin, 1997], les soins du corps (les jeunes de milieu defavorise attachent, comme le font leurs parents, moms d' importance a
leur image corporelle) ainsi que Ia prise en charge medicale (les enfants d'ouvriers sont moms consultants que les autres) [Choquet et alii, 1998] contri-
buent a [a persistance des differences de l'enfance a l'adolescence. D'autres etudes confortent le lien entre faible statut socio-economique, pratiques alimentaires et obesite [Arènes et alii, 1998 ; Johnson et alii, 1994 ; Power et alii, 1997] ou état dentaire (voir chapitre 111.17). A propos de l'accident de sport ou <de travail ou d'atelier >>, l'ecart entre les classes sociales peut être lie a des differences d'exposition. Ainsi : a) les fils de cadres seraient plus a risque d'accident de sport parce qu'ils sont plus nombreux
a avoir une pratique sportive que les enfants d'ouvners [Choquet et Hassler, 1997b] ; b) les hIs d'ouvriers seraient plus en risque d'accident <<de travail ou parce qu'ils sont plus nombreux a poursuivre leurs etudes dans l'enseignement professionnel que les fils de cadres [ministère de l'Education nationale, de Ia Recherche et de Ia Technologie, 1998]. L'hospitalisation par suite d'accident est plus frequente parmi les enfants d'employés et d'ouvriers, elle peut être expliquée par les accidents de La voie publique, plus graves que les
autres accidents et plus frequents parmi les adolescents de milieu social defavorise. Les fils d'ouvriers acquièrent leur autonomie sexuelle plus précocement que les fils de cadres, alors que pour les filles Ia tendance est inverse [Lagrange et Lhomond, 1997]. Ainsi, l'ecart entre garcons et flues est moms important parmi les enfants de cadres que parmi les enfants d'ouvriers, signe que I'image tradi-
tionnelle des hommes et des femmes est en pleine evolution [Baudelot et Mauger, 1994].
En France, comme dans d'autres pays francophones, Ia consommation d'alcool, de tabac et de cannabis conceme plus les enfants de milieu favorise que
220
INEGALITES PAR DOMAINE 0' EXPRESSION
les enfants de milieu populaire [Arenes et a/il, 1998 ; Choquet et Ledoux, 1994;
Michaud et Alvin, 1997]. Plusieurs etudes anglo-saxonnes confortent ces résultats [Boyle et Offord, 1986; Frank et (liii, 1984; Tuinstra et alii, 19981. Nos données suggerent également qu'une discordance entre le niveau social de Ia famille et celui du jeune (type d'études poursuivies) est associée a Ia consom-
mation d'alcool, de tabac ou de drogues, mais de facon différente pour les garçons et les flues. Les fils d'ouvriers en ascension sociale (qui fréquentent le lycée d'enseignernent general) oni. une plus faible consommation d'alcool, de tabac etde drogues que les fils d'ouvriers fréquentant le lycée professionnel. Les filles de cadres en mobilité sociale descendante (qui fréquentent Ic lycée professionnel) sont plus nombreuses a fumer que les filles de cadres qui frequentent le lycée d'enseignement general. Ainsi, non seulemerit ía situation des parents ou celle des jeunes est en cause, mais aussi Ia discordance entre les deux.
Les troubles psychologiques déclarés se révèlent peu lies aux facteurs sociaux [BorstetNoam, 1989; Berganzaet Aguilar, 1992], sauflestroublesles plus graves, comme Ia tentative de suicide [Beautrais et a/il, 1996] ou Ia toxicomanic [Friedman et Ali, 1997], plus frequents dans les milieux dCfavorisés. Nos résultats montrent que les enfants de cadres dCclarent plus fréquemment que les autres des symptômes dépressifs et uric prise de médicaments contre Ia nervosité ou l'insomnie, alors que la tentative de suicide est plus souvent relatée par les enfants d'ouvriers. Pour expliquer cette apparente contradiction, on peut faire l'hypothese que les enfants d'ouvriers sont plus nombreux que les eiifants de
cadres a faire des tentatives de suicide Soit impulsives, soit a Ia suite d'une depression non prise en charge. Globalement, on peut conclure qu'il existe des inegalites sociales face a Ia sante de l'adolescence, mais qu'elles soilt faibles IWest, 1997] et ne vont pas toujours dans le sens d'une plus grande vulnérabilité des classes sociales défavorisées [Van der Lucht et Groothoff, 1995]. Les differences sociales sont relativement faibles au regard des differences observCes entre les sexes et scion
l'âge [Arènes et a/il, 1998; Choquet et Ledoux, 1994]. Il est possible que Ia maturation différentielle des sexes, entre 12 et 19 ans, aux niveaux somatique,
social et psychologique, atténue les differences sociales, créant ainsi une <<culture jeunes> ou, plus prCcisénient, une <<culture masculine)> et une <<culture feminine >> [Galland, 1987]. Comme I'ont niontré Poweret cdii [1997], les inegalites sociales vont réapparaIlre entre vingt et Irente ans, lorsque les modes de vie enire les groupes sociaux vont se diffCrencier sensiblement. Reste que l'inegalite sociale face a Ia sante est insuffisamment analysCe a
I'adolescence. Des etudes plus systérnatiques Ct comparatives s'imposent [Conrad eta/il, 1992], carla perception des troubles et Ic seris qu'on leur donne difrerent d'une culture a une autre [Johnson et a/li, 1994; King et a/il, 19981, d'une classe sociale a une autre, d'un sexe a un autre, d'une époque a une autre. Ainsi, certains troubles et comportements peuvent être acceptables, voire valorisants pour certains (par exemple, l'alcoolisation pour les garcons), alors
LA SANTE DES ADOLESCENTS
221
its sont jugés intolérables et sont socialement rejetés. Une mejiteure connajssance des opinions et attitudes face a la sante, aux troubles et conduites permettra de mieux comprendre tes inégalités observées. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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14
Les maladies cardio-vasculaires Thierry Lang, Céline Ribet
Maladies de l'abondance, de l'excès et de la vie moderne — liées a une alinientation trop riche, a Ia sédentarité, au surmenage et au stress—, les maladies cardio-vasculaires evoquent encore souvent le cadre stressé, écrasé de responsabilités, que menace I' << infarctus >>. Cette image ne correspond pourtant pas a une réalité épidémiologique. Si les maladies cardio-vasculaires représentent une part
élevée de la mortalité prématurée des categories aisées, c'est en raison de leur taux de mortalité faible pour l'ensemble des autres causes de décès. En réalité, c'est dans les categories les plus modestes que les décès cardio-vasculaires sont les plus frequents. Ii n'en a pas toujours été ainsi. En Europe et dans les pays industrialisés, au debut du XXe siècle, les maladies cardio-vasculaires atteignaient plus frequemment les milieux aisés. Puis une inversion s'est produite dans Ia période comprise entre 1940 et 1960, selon les pays. La baisse de mortalité cardiovasculaire, amorcée en France a partir du debut des années soixante, n'a pas profité également a toutes les categories sociales. Elle a été plus forte dans les categories favonsées que dans les autres. Elle a parfois stagné dans certaines d'entre elles. Le résultat de cette evolution est la plus grande frequence des maladies cardio-vasculaires dans les groupes sociaux les moms favorisés. Ces affections ont fait Ia preuve de leur sensibilité aux conditions de vie et de leur capacité a varier fortement dans le temps. Leur caractère épidemique et collectif ne fait donc pas de doute. La somme de connaissances sur les relations entre facteurs psychosociaux et maladies cardio-vasculaires est particulièrement abondante et elles font partie sans ambiguIté de ces pathologies qui contribuent aux inégalites sociales de sante. Le terme de maladies cardio-vasculaires recouvre plusieurs entités. Parmi les maladies cardiaques, c'est l'insuffisance coronarienne (infarctus du myocarde, angine de poitrine) qui a été Ia mieux étudiée, notamment dans ses rapports avec
l'environnement économique et social. Les pathologies cérébro-vasculaires et
d'autres pathologies cardiaques pour lesquelles les données sont moms completes ne seront pas abordées dans ce texte.
224
INEGALITES PAR i)OMAINE I)'EXPRESSION
LA SITUATION EN FRANCE
La mortalité dite prématurée, avant 65 ans, est Ia plus intéressante a analyser.
Les écarts entre categories sociales sont particulièrement marques et elle est évitable par des actions de prevention ou de soins. En revanche, les travaux sur les inegalites sociales après l'ãge de Ia retraite sont encore rares. Dans les années cinquante, la mortalité d'origine cardiaque ne variait pas selon les categories sociales. Mais des Ia fin des années soixante, pour cette catégorie de décès, des taux de mortalité plus élevCs ont ete notes chez les ernployes, les ouvriers spCcialisCs et les artisans comparativenlent aux ouvriers qualifies, aux professions intermédiaires et aux cadres. Dans les trois dernières décennies, des
evolutions divergentes se sont confirmCes a l'intérieur de Ia population active entre categories socioprofessionnelles. Dans Ia population active masculine, Ia niortalité prématurCe par les maladies coronariennes a considCrablernent baissé, de 32 %, erure 1970 et 1990. Mais cette décroissance n'a pas profité de façon equitable a toutes les categories: — 14 % chez les employés et ouvriers, — II % chez les commercants et cadres moyens et — 47 % chez les cadres et professions libérales entre 1982 et 1990. En 1990, les taux de mortalitC par maladies coronariennes les plus élevés étaient observes parmi les employés et les plus faibles chez les cadres supérieurs (tableau 1). Chez les fernmes, Ia décroissance de Ia mortalité a Cté de l'ordre de 50 % dans Ia période 1970-1990, et elle a Cté sensiblement Ia rnême dans les différentes categories sociales. Le faible nombre de décès a cet age
et les difficultés d'évaluer le statut social des femmes doit inciter a interpreter pwdemnient cette absence de differences dans l'évolution de Ia mortalité cardiovasculaire entre categories sociales et Ducirnetière, 1995]. Tableau I
Comparaison des taux de mortalité par maladies coronariennes chez les hommes actifs de 35 a 54 ans (France entière, Odds-ratio ajustés sur l'âge et Ia region) Maladies coronariennes
Catégorie socioprofessionnelle
1970
1990
Cadres et professions intellectuelles supérieureslrCférence)
I
Agriculteurs
0.6'
1.6
0,9
1,5'
Artisans, eornmerçants et
d'entreprise
1
Professions interniédiaires
1,1
1,3'
EmployCs
1.6'
3.5'
Ouvriers
0.9
1,8'
I. p <0.05
Lang. 19951.
Dans le mênie temps, pour les deux sexes, l'Ccart entre actifs et inactifs s'est accru. Le rapport des taux de mortalité prCmaturCe d'origine coronarienne entre
LES MALADIES CARDIO-VASCULAIRES
225
ces deux categories, de l'ordre dean a trois en 1970, était de un a cinq en 1990. Cette population de non-actifs, difficile a - cerner sur le plan sociologique, comporte une proportion importante de personnes a i'écart du monde du travail, en raison de leur état de sante. Une partie de la reduction de la mortaiitd prématurée des categories
difficultés a en retrouver. L'absence de prise en compte de la sante des personnes exclues du travail pourrait ainsi conduire a une sous-estimation des indgalités sociales de sante [Arber, 1996]. Ces approches dites << transversales de la mortalité ont des limites méthodologiques, discutées dans le chapitre 111.9. Leurs rdsultats sont cependant globalement concordants avec d'autres approches. L'étude longitudinale menée par l'INSEE sur un échanti lion de personnes constitué iors des recensements de 1954 et de 1975 montre l'évolution de Ia mortalitd par maladies de l'appareil circulatoire dans son ensemble. De 1956-1960 a 1975-1980, l'dcart s'est creusé entre cadres supérieurs et professions libérales, d'une part, et ouvriers spécialises, salaries agricoles et employés de l'autre [Desplanques, 1990]. Dans le travail d'un groupe européen, fondé sur des données longitudinales obtenues dans les années quatre-vingt, Ia mortalité par cardiopathies ischémiques en France n'apparaissait pas différente entre manuels et non-manuels (voir chapitre 1.3). Ces résultats apparaissent contradictoires, mais il faut souligner que la definition des categories sociales n'était pas la même dans les deux analyses issues d'études longitudinales. Par ailleurs, les deux approches, longitudinale et transversale, ont leurs limites. L'enquete longitudinale mesure la categone sociale initiale, et >>
l'enquête transversale, Ia catégorie sociaie finale de Ia personne décédée. Les deux
approches ont en commun de méconnaItre la mobilitd professionnelle et plus généralement sociale des individus.
Les differences sociales de mortalité peuvent être liées a des variations de l'incidence (la survenue de Ia maladie) ou de Ia létalité (l'issue fatale ou non de
I'evenement aigu). Les registres de cardiopathies ischemiques MONICA permettent de prdciser ce point. Le groupe des empIoyés se caractérise par une incidence nettement elevee d'evenements coronariens, alors que la létalité de ce groupe ne s'éioigne guère de celle des ouvriers qualifies qui était dans ce travail
Ia catégorie de reference. A l'inverse, dans Ia categorie des ouvriers non qualifies, c'est surtout une létalité élevée qui explique Ia surmortalité. Chez les agriculteurs, une incidence faible d'événements coronariens contraste avec une letalite relativement élevée. Enfin, les cadres supéneurs se caractérisent par une incidence et une létalité toutes deux faibles (tableau 2) [Lang et alii, 1997]. La recuperation fonctionnelle après an infarctus est un enjeu important. Dans un essai américain, les capacités physiques des patients de classe sociale aisée
étaient meilleures un an après l'événement aigu que celles des patients des
226
INEGALIThS PAR DOMAINE 1)'EXPRESSION
classes moyennes ou pauvres. Mais de telles données surl'incapacité ne sont pas
disponibles en France. Tableau 2 incidence et létalité par categories socioprofessionnelles : hommes de 30 a 59 ans
(registres MONiCA de Lille, Strasbourg et Toulouse, données de 1985-1989, Odds-ratios ajustés sur l'âge, catégorie de référenee : ouvriers qualifies) Maladies coronariennes Categories socioprofessionneHes
Incidence Odds-
ratio
Agriculteurs exploitants Artisans, commerçants et
Létalité Oddsratio
0.8
1.4
0,7'
1,2
d'entreprise
Artisans Commerçants et Chefs d'entreprisc de dix salaries ou pIus
1
,
1
1.1
1,71
07
Professions libCiales Cadres de Ia fonction publique. professions intellectuelles et artistiques
0,4' 0.7'
0,7
Cadres d'entreprise
0,6'
0.6'
I0
09
Cadres et professions intellectuelles supérieures 1,0
Professions intermCdiaires Professions intermCdiaires de l'enseignement, de Ia sante, de Ia lonction publique ci assimilCs Professions iniermCdiaires administratives ci commerciales des entreprises Techniciens ContremaItrcs, agents de maitrise
'
2'
071
09
'
2
1
Q9 1
1
'
'
1.8'
0,8
Employés Employés de Ia fonction publique EmployCs adn,inistratifs d'entreprise EmployCs de commerce Personnels des services directs aux particuliers
1,71
1,0
1.6'
0,9
2,1'
1,4
Ouvriers Ouvriers qualitiCs (rCtérence) Ouvriers non qualities Ouvriers agricoles
I
I
1,2'
1,41
1,4
1,5
Retraités
2,1'
1,7'
Autres personnes sans activité professionneUe
2.5'
1,71
I. p
Au total, les donnëes Cpiderniologiques sont concordantes malgré des approches niéthodologiques variées. 11 est frappant de constater que Ia létalité et 1' incidence de ces maladies varient de facon relativement indépendante selon les groupes sociaux. Si les variations d'incidence renvoient a Ia prevention
LE5 MALADIES CARDJO-VASCULAIRES
227
les differences de létalité sont plus délicates a interpreter. Elles mettent
en cause Ia gravité initiale des
l'ütilisatiôn des soins, curatifs et
préventifs, Ia délivrance des soins curatifs et enfin le contexte psychosocial des
malades avant l'événement coronarien aigu, tous éléments susceptibles d'influer sur ses consequences et son pronostic. CONTEXTE INTERNATIONAL
Durant ces vingt dernières années, dans Ia plupart des pays du monde industrialisé, les differences de mortalité cardio-vasculaire ont eu tendance a s'accroItre entre categories sociales, même si globalement Ia mortalité liée aux
pathologies cardio-vasculaires diminuait [Kaplan et Keil, 1993]. Alors même que les effectifs des categories les plus exposées, travailleurs manuels non ou peu qualifies, décroissent dans Ia population active, les consequences des inégalités en termes de mortalité prematuree se sont étendues. En Suede, pays oü les inegalités de sante cardio-vasculaire sont moms marquees qu'en France, le risque relatif d'infarctus du myocarde des travailleurs manuels compares aux de niveau moyen et supérieur est passe de 1,2 a 2 entre le debut des années soixante-dix et le debut des années quatre-vingt-dix. Malgré les transformations sociales (reduction de Ia proportion de travailleurs manuels), Ia proportion des cas d'infarctus du myocarde, fatals ou non, qui auraient ete évités si les categories les moms favorisées avaient eu un taux d'incidence egal a celui des categories favorisées est passée de 8 % a 17 % chez les hommes de 45 a 64 ans [Hallqvist et alii, 19981. Les hierarchies sociales de mortalité cardio-vasculaire semblent en fait liées au developpement économique des pays. Ainsi, par exemple, dans un travail britannique, parmi l'ensemble des immigrants d'un rnême pays, les maladies de l'appareil circulatoire atteignaient surtout les immigrants d'origine modeste, s'ils provenaient d'un pays d'Europe, mais étaient plus frequentes chez les plus fortunes de ces immigrants lorsqu'ils venaient de pays en voie de developpement. ARTEFACTS, CAUSES, CONSEQUENCES?
L'état de sante plus défavorable de certains groupes sociaux n'est qu'une observation statistique qu'il s'agit d'interpréter. Si Ia premiere intuition est que des conditions de vie défavorables influent sur l'état de sante, il faut examiner d'autres possibilites. Des habitudes de codage, des problèmes de certification des décès pourraient rendre compte de differences de taux de mortalité entre classes et d'évolutions
différentielles de certaines causes de mortalité [Marmot et alii, 1987]. En Grande-Bretagne, dans les années trente, Ia mortalité par << angine de poitnne>>
228
1NEGALITES PAR I)OMAINE 1)' EXPRIiSSION
des hommes d'affaires et autres professions libérales était très supérieure a Ia moyenne nationale et nettement inférieure pour les travailleurs manuels non qualifies. L'inverse était vrai pour Ia catégorie diagnostique vague << maladie du myocarde suggérant qu'à cette époque le premier diagnostic, plus spécifique, était plus volontiers pose pour un membre des classes aisées que pour un ouvrier. L'utilisation de categories diagnostiques larges, telles que << pathologies cardiaques non valvulaires >, permet d'observer l'accroissement plus rapide de Ia mortalité dans les categories sociales les plus basses [Marmot el a/il, 1987]. Dans les données de mortalité de 1975, Ia fraction bien prCcisée des décès cardiaques croIt aussi avec Ia hiérarchie sociale. La relation entre classe sociale e état de sante pourrail être réelle, rnais c'est l'étatde sauté qui seraità I'origine d'une situation sociale défavorable. La réalité de ce phCnomène ne fait pas de doute. La question est celle de son importance pour expliquer les faits. L'étude de cohortes comnie celle de 1958 en GrandeBretagne, suivie pendant 33 ans, montre le role liniitC quejoue I'étatde sante sur Ia catégorie sociale des individus [Poweret a/li, 1996]. Au total, plusieurs arguments épidémiologiques classiques emportent Ia conviction en faveurd'urie relation de type causal. La position sociale précède les modifications de l'état de sante ou Ia survenue d'Cvénements coronariens; il existe un gradient continu, de type dose effet, entre revenus, niveau d'études et incidence des événements cardio-vasculaires; la relation entre classe sociale et mortalité ou morbiditC cardio-vasculaire est forte et les rCsultats sont cohCrents dans de nombreuses populations,
COMPREN DR F
Une des premieres caractéristiques des maladies cardio-vasculaires est qu'elles sont niultifactorielles. Les facteurs de risque sont nombreux, évalués a plus de deux cent cinquante. Deux Orientations théoriques notables des travaux de recherche méritent d'être soulignées. D'une part, Ia recherche des mécanismes liant facteurs sociaux et sante a cu tendance a privilégier les facteurs de risque les plus proches de l'Cvénement pathologique dans Ia chaIne de causalité. Les facteurs de risque biologiques et ceux permettant de décrire ou suggérer des mCcanismes physiopathologiques ont donc Clé particulièrement étudiés. D'autre
part, la plupart des travaux cherchent a comprendre pourquoi un individu est atteint dans une population donnée. La question de savoir pourquoi des populations sont atteintes n'a etC encore explorCe que de facon marginale. Par exemple,
Ia question pourrait être moms de savoir pourquoi tel ou tel Africain-Américain vivant aux Etats-Unis est hypertendu que de savoir pourquoi dans ce groupe social la prevalence dépasse 50 % (un sur deux !) a partir de 45 ans, alors que I'hypertension est quasi inexistante dans d'auti'es groupes sociaux. Ce double abord, des individus malades, pourquoi des populations malades>>
LES MALADLES CARDIO-VASCULAIRES
229
selon l'expression de G. Rose,n'a pas recu une grande attention, bien que l'idée n'en soit pas nouvelle [Rose, 19851.
Les facteurs de risque classiques>> individuels certes, mais aussi sociaux
Les grandes enquêtes de cohorte ont montré le role prédictif majeur de quelques facteurs de risque d'insuffisance coronarienne: l'hypertension artérielle, le tabagisme, les troubles lipidiques, l'activité physique, le diabète, l'obésité et les troubles de l'hémostase. C'est essentiellement autour de ces facteurs de risque << classiques que se déclinent les travaux de recherche sur Ia prevention des maladies cardio-vasculaires. II est donc intéressant d'étudier l'hypothèse selon laquelle leurs variations de prevalence et de pnse en charge therapeutique entre les categories sociales rendent compte des differences d'incidence et de letalite cardio-vasculaire. Cette approche est d'autant plus necessaire que ces facteurs de risque classiques sont directement accessibles a l'activite du système de sante (traitement des hypertendu(e)s, des malades hypercholesterolemiques, aides a l'arrêt du tabac...). Certains d'entre eux sont decrits comme des <
mique et Ia prevalence de l'hypertension arterielle ou le niveau de pression artérielle. Les niveaux les plus élevés sont observes dans les categories sociales les plus modestes, a niveaux de revenus on d'études les plus faibles. Cette relation
a ete largement documentée dans de multiples pays, industrialisés pour la plupart, y compris en France. Dans I'enquête de population menée par les registres MONICA, une difference de pression artérielle de 6 ou 7 mmHg sépare
les categories socialement les plus favorisdes de celles des employés et des La prevalence de l'hypertension artérielle vane de 25 % a 38 % entre le tiers de Ia population qui bénéficie du niveau d'etudes le plus éievé et celui dont le niveau est le plus faible [Lang et alii, 1990; 1997]. Plusieurs etudes ont montré une surmortalité due au diabète ou une incidence élevée chez les individus ayant un niveau d'études faible. En France, dans une population de personnes de plus de 65 ans (cohorte PAQUID), Ia prevalence du diabète était plus élevée parmi les personnes a faibles revenus, mais n'était pas liee au niveau d'études [Bourdel-Marchasson et alii, 1997]. De même, dans plusieurs etudes, britanniques et scandinaves, le taux du fibrinogène, facteur de I'hémostase qui participe au processus de formation du caillot, est plus eleve dans les categories du bas de Ia hiérarchie sociale.
230
INEGALITES PAR I)OMAINE
facteurs de risque >>, qui pour Ia plupart suivent un gradient social comparable aux differences de mortalité et morbidité, sont susceptibles d'expliquer une partie des differences d'incidence et de mortalité [Kaplan et Keil, 1993]. En définissant quinze categories sociorégionales (cinq categories Ces
sociales et trois regions françaises), I'analyse des données des registres MONiCA confirme cette hypothèse. La correlation entre le niveau de pression artérielle dans une categorie sociorégionale et la létalitC coronarienne de ceue categorie, Ia correlation entre Ia prevalence du tabagisme dans une catégorie sociorégionale et I'incidence et Ia létalité par Cvénement coronaire aigu ou infarctus du myocarde sont fortes. En revanche, les taux de cholesterol total ne sont pas lies aux categories sociales [Lang et alii, 1997]. La proportion des inégalités sociales de mortalitC coronarienne expliquée par les facteurs de risque classiques serait de I'ordre de 50 %, avec un large intervalle d'estimations, allant d'un tiers a plus de 90 % scion les etudes. Dans un ensemble d'études européennes, Ia reduction des differences de mortalité coronarienne entre categories sociales après ajustement sur les facteurs de risque <
La prevention, les soins curatils
La contribution du système de soins, hospitalier et anibulatoire, est a i'évidence un des élCments de discussion, même si SOn role est probablement limité dans l'état de sante au niveau de Ia population (voir chapitre IV.26). Deux
questions peuvent se poser, celle de l'accès aux soins de haute technicité, apparus ces dernières années dans le traitement de l'infarctus du myocarde, et celle de Ia prevention. Aux Etats-Unis, les patients provenant des quartiers aisés ou disposant d'une assurance maladie ont plus de chances de bénéficier d'une coronarographie, d'une angioplastie ou d'un pontage coronaire que ceux des quartiers plus défavorises. En France, Ia survie a 28 jours un ëvénement coronarien est 2,5 fois plus élevée pour un cadre supérieur que pour un patient d'une autre categoric sociale. Mais ii ne semble pas exister de differences majeures de traiternent des episodes aigus coronariens, entre categories sociales, des lots que Ic patient a atteint l'hôpital. Les differences portent sur Ia phase préhospitalière. Après un événement aigu, Ia categoric des cadres supérieurs a plus de chance de parvenir a l'hOpital, du fait d'un nombre rnoindre de décès prChospitaliers et d'arrêts cardiaques. Les explorations diagnostiques (angiographie coronaire) ou certaines thCrapeutiques (angioplastie)
avant un Cvénement aigu sont plus frequentes dans ces categories favorisées, suggérant des pratiques ou des filières variables dans Ic système ambulatoire. On peut soulever l'hypothèse d'une decision médicale plus de recourir a des
LEs MALADIES CARDIO-VASCULAIRES
explorations
231
diagnostiques devant une même symptomatologie, resultant des
réseaux de soins utilisés par ces categories [Lang
alii, 1998}
Soins de prevention et soins ambulatoires mettent en cause les patients, les soignants et le système de soins. Dans une enquête sur un échantillon de la population génerale, menée par les registres francais des cardiopathies ischemiques MONICA, le niveau d'études ou Ia catégorie socioprofessionnelle sont lies a toutes les étapes de Ia démarche de prevention des maladies coronariennes. Un
bon niveau de connaissances, Ia conviction que les mesures de prevention cardio-vasculaire peuvent être efficaces et leur mise en effective sont plus frequents chez les cadres et professions intermédiaires que chez les ouvners et employés et plus frequents si le niveau d'études est élevé. Bien que la consommation de soins ambulatoires en France soit égale <<en volume>> quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, le contenu des séaiices de soins ambulatoires et les relations entre médecin et
malade ménteraient d'être mieux connus. En Grande-Bretagne et aux EtatsUnis, les médecins discutaient moms de Ia prevention des facteurs de risque avec les patients les moms éduqués et des classes les plus défavorisées. Dans une étude française, les médecins sous-estimaient globalement le sentiment qu'avaient les malades de ne pas pouvoir contrôler les causes de leur hypertension artérielle, de se sentir mieux soignés par un médicament coilteux ou par l'association de plusleurs traitements. Or ces attitudes étaient plus fréquentes parmi les patients de catégorie sociale modeste et a faible niveau d'études. Les difficultés de Ia relation entre médecin et malade pourraient être plus marquees dans ces groupes. Outre cet aspect relationnel, l'aspect financier des traitements et des soins n'est pas a negliger. Le coot croissant des consultations, des explorations complémentaires, des traitements cardio-vasculaires s'accompagne d'un accroissement de Ia part des dépenses de sante a Ia charge des ménages. Cette composante financière nouvelle pourrait générer de nouvelles resistances au traitement préventif. Ce risque apparaIt d'autant plus sérieux que I'hypertension artérielle était une des conditions pathologiques qui était Ia plus sensible a Ia gratuité des soins de sante dans un essai califomien de randomisation des modalités de l'assurance maladie. Enfin, les opportunités d'améliorer Ia prevention sont encore peu saisies par
le système de soins francais. Un essai nord-américain de pnse en charge de l'hypertension artérielle, I'Hypertension Detection and Follow-up Program, a pourtant permis de montrer que le gradient de mortalité cardio-vasculaire, très marqué selon le niveau d'études, était susceptible de disparaltre après cinq années dans le groupe qui bénéficiait d'un programme de suivi medical intensif. Plusieurs travaux ont souligne l'existence de ces occasions manquées (voir le chapitre IV.26). Ces facteurs de risque biomédicaux ne résument pas l'ensemble des facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires. Les personnes sont en effet inscrites
dans une vie professionnelle, familiale, amicale, une histoire psychologique.
232
INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXPRESSION
Enfin, elles vivent dans une société dont l'organisation peut intluer sur la fréquence de certaines maladies, notamment cardlo-vasculaires.
Les facteurs de risque lids au travail Dans l'environriement professionnel, de nombreux facteurs de risque ont été suspectés (chimiques, physiques ou organisationnels). Leur repartition selon les postes de travail, leur plus grande frCquence dans les emplois les moms favorises rendent plausible leur contribution aux inégalités sociales de sante. Mais
les épidémiologistes cardio-vasculaires ont peu porte leur attention sur ces facteurs et les spécialistes de sante au travail ont davantage focalisé leur attention sur d'autres composantes cle Ia sante, comme les pathologies tumorales.
Plusieurs substances toxiques ont etC mises en cause, avec des niveaux de preuve divers, comme le bisulfure de carbone, Ia nitroglycerine, le dinitrate d'éthylène glycol. I)es relations entre exposition professionnelle de longue durée au bruit et incidence de l'hypertension artérielle et des cardiopathies ischCrniques ont été rapportCes. Le role d'expositions a des temperatures extremes reste controversC. Enfin, plusieurs etudes concluent a une relation entre incidence des maladies cardio-vasculaires et travail en horaires décalés [Kristensen, 1989]. Du fait des transformations du travail saiarié, du dCveloppement des eniplois du secteur tertiaire, des notions comme Ia surcharge de travail, le soutien social, les relations avec les collegues etlou Ia hiérarchie, l'insatisfaction, Ia monotonie du travail, Ia possibilitC de contrôler son travail prennent de plus en plus d'importance. Des modèles thCoriques de ces contraintes ont éte traduits en instruments de mesure validCs et autori sent des etudes de qualite. Le modèle propose par Karasek
(job strain model) est actuellement le mieux validé dans le doniaine de la morbidité-mortalité cardio-vasculaire. 11 est défini par trois composantes: I) demande ou charge psychologique associCe a l'accomplissernent des tâches (concentration, contrainte de temps); 2) latitude dCcisionnelle (autonomie décisionnelle et utilisation des conipétences); 3) soutien social au travail (aide et reconnaissance des collegues et supCrieurs hiCrarchiques). Une forte demande psychologique associCe a une faible latitude décisionnelle serait a l'origine d'une situation gCnCratrice de stress, qu'un isolement social au travail peut accroItre. Le risque relatif de maladie ou de décès coronarien pour les personnes exposées a cette contrainte de travail vane entre 1,3 et 4 et l'inscnitdonc parmi les facteurs de
risque puissants. Un second modèle théorique, développé par Siegrist, pose t'hypothèse que c'est le deséquilibre entre les efforts consentis et les rCcompenses (monétaires, reconnaissance professionnelle...) auendues qui dCfinit la situation de tension. Ces deux modèles auraient des effets prédictifs indCpendants sur les cardiopathies ischCmiques, suggerant qu'ils identifieraient deux types de tensions psychosociales au travail [Bosnia et alii, i 998].
LEs MALADIES CARDIO-VASCULAIRES
233
Les relations entre mortalité coronarienne et chomage avaient été suggérées par des etudes entre pays ou entre regions d'un mêmé pays, montrant une corrélation écologique entre taux de chômage et mortalité coronarienne. Dans l'étude de cohorte de Ia British Regional Heart Study, le risque de décès cardio-vasculaire dans les cinq aiis qui suivent 1' inclusion est deux fois plus élevé chez les sujets qui ont eu des periodes de chômage que chez ceux qui sont restés continuellement employés [Morris et a/u, 19941. La plupart des travaux sont concordants pour
confirmer l'absence de modifications des comportements de sante avec le chomage (tabac, alcool...), ou du niveau de pression artérielle, contrastant avec I' impact sur Ia mortalité cardio-vasculaire, suggérant donc un effet propre du chomage.
Sante mentale Plusieurs états de sante mentale ont étd décrits comme facteurs de risque de mortalité cardio-vasculaire. II en est ainsi de Ia depression et d'un syndrome proche, nomme <<épuisement vital >>, caractérisé par l'installation durable d'un état de fatigue excessive, d'irritabilité et de troubles du sommeil, ou encore de l'hostilité, définie comme une tendance a réagir aux situations de frustration par des sentiments ou des comportements hostiles. Ces facteurs psychologiques pourraient contribuer aux inégalités sociales de mortalité cardio-vasculaire. En effet, les facteurs psychosociaux au travail se sont avérés être prédictifs de symptômes dépressifs et, dans plusieurs populations de salaries, la prevalence de scores de dépressivité élevés ou du trait de personnalité < hostile était plus frdquente dans les categories du bas de l'echelle hiérarchique (voir chapitre ifi. 16). >>
Facteurs de l'environnement social
Une surmortalité totale et cardio-vasculaire a été notde en l'absence de réseau et de soutien social, de façon plus constante chez les hommes que chez
les femmes [Berkman et Orth-Gomer, 1996]. L'isolement social augmente considérablement le risque de décès après un infarctus du myocarde. Les méca-
nismes evoqués sont multiples, faisant intervenir un soutien instrumental (argent, aides diverses), un soutien émotionnel, une incitation a l'utilisation des soins médicaux et de prevention et enfin un effet direct, neuro-hormonal. Le réseau social, plus faible parmi les categories les plus pauvres, expliquerait en partie que leur pronostic après un infarctus du myocarde soit moms favorable. Le role du conjoint s'écrit différemment selon qu' ii s'agit des hommes et des femmes. Compte tenu de Ia difficulté de caractériser le statut social des femmes, Ia prise en compte du statut de leur conjoint permettait une meilleure prediction de leur mortajité cardio-vasculajre [Marmot et a/u, 1987]. Pour les hommes, dans l'enquête de Framingham, dans les années soixante, le niveau d'études élevé de Ia conjointe était un facteur de risque de mortalité coronanenne. Dans
234
des des
INECALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION
travaux plus récents, en Europe, la catégorie sociale ou le niveau d'études
femmes étaient inversernent lies au risque coronarien et au niveau de
facteurs de risque cardio-vasculuire de leurs conjoints, indépendamment de leur propre statut social. Ces travaux soulignent les limites des etudes fondées sur l'analyse du statut social d'un individu indépendamment de ses liens familiaux. Les caractéristiques des lieux de vie des individus (quartiers, comtés, arrondissements...) ont d'abord etC utilisCes comme approximation des caractéristiques sociales individuelles. Quelques travaux rCcents montrent qu'en rCalitC le statut social de l'individuet les caractéristiques de son lieu de residence (transports, sCcuritC, densité de l'habitat, taux de chômage, sCcuritC. .) jouent un role
independant sur la mortalité par cardiopathies ischCmiques. En Ecosse, Ia surmortalitC prématurée par maladies cardio-vasculaires des hommes vivant dans les quartiers les plus déshérités (tertile infCrieur) était de 33 % par rapport aux quartiers les mieux lotis ; après ajustement stir le statut social individuel, cette surmortalitC était de 26 %; elle Ctait de 19 % après prise en compte des facteurs de risque cardio-vascuiaires [Davey-Smith et a/u, 1998a]. Les informations fondées sur Ia zone de residence ne sont donc pas seulement des indicateurs approchCs de variables individuelles, mais suggèrent que l'environnement physique et social joue un rOle indépendant des caractéristiques sociales de l'individu lui-même. L'approche de politiques de prevention est différente dans les deux cas, axCe sur le cadre de vie dans un cas, sur l'individu dans l'autre. Les relations entre niveau d'CquitC et social capital, observes dans une zone géographique (pays, region), d'une part, et mortalité, de l'autre, concernent aussi les maladies coronariennes. Ces aspects sont développés dans Ic chapitre IV.27.
D'une génération a t'autre Barker et son equipe ont soutenu l'hypothèse que Ia survenue de pathologies
cardio-vasculaires a l'age adulte et Ic niveau de plusieurs facteurs de risque (pression artCrielle, fibrinogene, hypercholesterolCmie, diabète non insulinodépendant) étaient lies aux conditions de la vie intra-utCrine et de Ia petite enfance [Barker, 1995]. La qualité de Ia nutrition dans cette periode de Ia vie pourrait determiner le risque de cardiopathies ischCmiques a l'âge adulte. La persistance des dCsavantages socio-Cconomiques au cours de l'enfance Ct de l'adolescence, dont Ic rOle prCdiclif a etC montrC dans certaines cohortes, contribue au cumul des handicaps [Davey-Smith et a/u, 1998b]. CAUSAuTE: QUELLES STRATEGIES ? QUEL MODELE? Le nombre de travaux consacrCs aux <
LE5 MALADIES CARDIO-VASCLJLAIRES
235
biologiquesont été décrits, qui mettent en jeu les systèmes hormonaux (cortisol, système adrenergique...). us permettent de faire lájonëtion eritre les contextes sociaux et le domaine biomedical, legitimant dans une certaine mesure ce champ de recherche épidémiologique. Mais Ia question de la causal ité pose aussi b question des modèles de la sante
et de Ia maladie, aspect encore insuffisarnment explore dans Ia littérature [Krieger, 1994]. Le modèle épidémiologique sur lequel repose l'analyse est celui de Ia <<mise a plat>> d'un ensemble de facteurs de risque dont le nombre
peut être considérabte. Ces facteurs sont analyses en prenant en compte un grand nombre de variables et en les ajustant les unes sur les autres pour éliminer ainsi des facteurs de confusion. La limite de cette démarche est de masquer les
enchaInements de causalité, notamment entre facteurs sociaux et variables biologiques ou comportementales (voir le chapitre IV.25).
La seconde limite est l'abord le plus souvent transversal des différents facteurs de risque, recueillis a une seule période de Ia vie des individus. La plupart des protocoles d'enquête dans le domaine cardio-vasculaire comportent
un seul recueil important d'informations a l'inclusion, suivi du recueil des événements pathologiques. Seules quelques etudes de cohortes montrent bien I'accumulation des difficultés de vie dans les categories défavorisées: petit
poids de naissance, petite taille, conditions défavorables de logement et d'alimentation dans l'enfance, ruptures familiales, comportements de sante des parents, manque de soutien social, absence d'études, de qualification professionnelle, contraintes au travail. Elles montrent que les conditions de vie dans I'enfance ont un role prédicteur de mortalité par maladies coronanennes, indépendamment des conditions de vie a l'age adulte [Davey-Smith et alii, 1998b]. Des difficultés a comprendre les inegalités sociales de sante cardio-vasculaire dans un pays, on peut rapprocher l'insuffisance de modèles biomédicaux a expliquer l'augmentation massive de Ia mortalité cardio-vasculaire dans les
pays d'Europe de l'Est dans les vingt dernières années [Bobak et Marmot, 1996]. Comme pour les inégalites sociales, ni les soins, ni les facteurs de risque <
inégalités sociales de sante existent en France, concemant a Ia fois l'incidence et Ia létalité de Ia maladie coronarienne. Les écarts ont été croissants dans les demières années et mettent en jeu de multiples mécanismes. Disparités de reparDes
tition des facteurs de risque cardio-vasculaires classiques ou des soins, facteurs psychosociaux et économiques concemant directement l'individu ou son environnement, ces différents niveaux d'analyse renvoient a plusieurs volets d'une politique de sante, ayant pour objectif Ia reduction des inégalités sociales de sante.
236
PAR L)OMAINE D'EXPRESSION
Face aux facteurs de risque < classiques >>, le modèle conceptuel de causalité adopté n'est pas sails consequences sur le choix des strategies de prevention et leur efficacité variable selon les milieux sociaux. Dans les maladies coronariennes, uiie stratégie s'est imposée, sans qu'une veritable alternative apparaisse dans le discours medical ou politique. Elle a privilégié les strategies de reduction dite du haut risque>> (regime desode des hypertendus, prise en charge des alcooliques >>, des funieurs dCpendants de Ia nicotine, ou traitement de l'obesite, de l'hypertension artérielle ou de l'hypercholestCrolémie). Dans les categories sociales les plus modestes ou a faible niveau d'études, ces strategies ont des résultats souvent limites, Ia participation aux programmes sanitaires, l'adhésion aux traitements et aux conseils de prevention sont souvent nioins bons que ceux de Ia population globale. II est donc de Ia responsabilité des professionnels de Sante d'améliorer l'efficacité de cette strategic du haut risque.
s'agit aussi de prendre en compte Ic fait que les coniportements dits <
ambulatoires, est un autre moyen de réduire les inegalites de sante cardio-vasculaires. Mais celles-ci ne se résument pas a un contraste entre Ia partie de la popu-
lation exposee a une grande pauvrete et exclue des soins et ceux qui maintiennent une insertion sociale. Elles posent de facon plus large Ic problème de I'existence d'un gradient continu des états de sante allant des categories les moms favorisées de Ia population a ccl les qili Ic sont Ic plus et non d'un effet de
seuil. La situation des employCs observée en France et des emplois en augmentation, mérite une rCflexion particulière a cet egard. Elle est a rapprocher des données fCdérales par professions, aux EtatsUnis, dans lesquelles Ia categoric des <<services >>, plus que Ia categoric >>, est celle qui a les risques relatifs de mortalité les plus élevés, méme après divers ajustenients. Taux de chôrnage élevC, précarisalion importante, cefle categoric illustre Ia continuité des problèmes qui existe entre Ia population exclue et Ia population au travail. service >>, categoric
237
LES MALADIES CARDIO-VASCIJLALRES
De nombreux travaux
sont aujourd'hui disponibles qui soulignent
de vie et trävãil sur là stirvtinüe des maladies l'infltienèe des cardio-vasculaires. Si certains facteurs de risque leur sont specifiques, elles partagent avec d'autres pathologies un grand nombre de facteurs de risque psychosociaux et de questions relatives a l'utilisation des soins. Cela suggère qu'une rdflexion sur les inégalités sociales portant sur les maladies cardio-
vasculaires ne devrait pas être menée isoldment, mais s'intégrer dans une réllexion sanitaire plus large. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ARBER S. (1996), << Integrating Nonemployment into Research on Health Inequalities >>,
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15
Les cancers Catherine Herbert, Guy Launoy
Le cancer est une pathologie dont Ia fréquence est élevée dans tous les pays industrialisés et dont la survie, pour Ia plupart des localisations, reste mediocre. Les
cancers (toutes localisations confondues) sont Ia premiere cause de mortalité en France. Globalement, dans Ia plupart des pays industrialisés, les personnes ayant un statut socio-dconomique bas ont une plus forte mortalité par cancer que les autres, et
ces inégalites de mortalité sont particulièrement importantes en France (voir chapitre 1.3). Pour expliquer ces differences, deux hypotheses non exciusives peuvent être avancées: d'une part, le risque de survenue de cancer (mesuré par l'incidence) peut être lie au statut socio-économique, d'autre part, le temps de vie lorsque le cancer est déclaré (Ia survie) peut être associé au statut socio-dconomique. INEGALITES SOCIALES ET CANCERS : QUELS CANCERS?
QUELS INDICATEURS SOCIAUX?
Quels cancers? Dans notre pays, le cancer du sein est le cancer le plus frequent chez les femmes avec un taux d'incidence annuel estimé en 1995 a 110,2/ 100 000 femmes (taux de mortalité : 29,8/100 000). Le cancerdu poumon est le cancer le plus frequent chez les hommes avec un taux d'incidence annuel estimé en 1995 a 68,0/100 000 hommes (taux de mortalité: 69,4/100000). Le cancer colorectal est le deuxième cancer en frequence dans les deux sexes avec un taux d'incidence chez les hommes estimé en 1995 a 64,5/100 000 habitants et chez les femmes a 39,5/100 000 habitants (taux de mortalité : 28,6 chez les hommes
et 17,7 chez les femmes) [Menégoz et alii, 1998]. Ainsi, considérant qu'il s'agissait des localisations cancéreuses a Ia fois les plus frequentes et parmi les
plus graves, nous avons retenu pnncipalement, dans ce travail, les etudes réalisées sur ces trois cancers. Cependant, du fait d'inégalités d'incidence ou de survie assez importantes, 11 sera fait état de quelques résultats portant sur les cancers des voies aéro-digestives supérieures et du col de l'utérus.
Pamuk. 19971
(Heck ci
Etats-Unis
1999)
(Marshall.
France
1995)
Finlande (Pukkala.
Danemark (Hem, 1992)
1999
(Marshall.
France
1995)
(Van Loon.
Payn-Bas
1995)
Finlande (Pukkala.
Pays,
144 cas
124 cas
312 cas
25-74 ans
Actifs
229 can
157 can
Cohorte de naissance 1906— 945
35-74 ann
Actifs
55-69 ans
1906-1945
Cohorte de naissance:
.-
Age et nombre de cas
I. La naleur I correspond ii Ia categoric prise comme rélCrence. 2. La categoric de rCfCrence cst lensemhle de Ia population.
Scm
Scm
Pournon
Poumon
Pournon
COlon
Colon
Locahisation
Nombre d'années détudes
Catéeorie hiérarchique
Classe sociale
Classe sociale
Calégorie hiCrarchique
Niveau détudes
Classe sociale
I
<12
1
1.4 1.0
12
2.3
1
1.0
1.6
1.04
0.92
1.11
1.08
I
1.22 1.49
16
1.07 1.38
1.17
0.96 0.86
l3-15
Cadre inlaitrise Execution
Employé OuvrierqualitIC Ouvrier lion qualifle
Cadre
1V
0.45 0.73
2.9 3.7
\' (hasse)
II
III
1
2.4
1.7
1.6 2.3
I (élevée)
Cadre Maitrise Execution
I
1.58 1.18
Secondaire sup.
Collèse Primaire
0.97 0.65
OuvrierqualifiC Ouvrier non qualiflé
110
L42 1.15
F
d'incidence'
H+F
Risque relatif H
Employé
Cadre
Indicateur socio-économique
Tableau I Statut socio-économique et incidence des cancers
Etude de cohorte
Population d'une grande entreprise categorie au moment du diagnostic
Ensemble de Ia population finlandaise
Population dune grande entreprise categoric au moment du diagnostic
•
Ensemble de Ia population finlandaisc-
Remarques
z
Cl)
><
z
C >
>
r
>
z
N.)
LEs CANCERS
241
Quels indicateurs sociaux? Nous avons retenu les etudes apprdciant le statut socio-économique a partir
de Ia categorie socioprofessionnelle, du niveau de revenus, du niveau d'éducation ou du lieu de residence de l'individu, indicateur social indirect souvent utilisd dans le domaine du cancer. Ces indicateurs sont les plus fréquemment utilisés dans les etudes internationales et francaises et permettent d'établir des comparaisons entre etudes. STATUT SOCLO-ECONOMIQUE, INCIDENCE ET SURVIE DES CANCERS:
QU'OBSERVE-T-ON?
En France, en 1995, on estime I'incidence annuelle a 240 000 nouveaux cas de cancer. Ces cancers ont cause près de 143 000 décès, toutes localisations confondues [niinistère de l'Emploi et de La Solidarité-Réseau FRANCIM, 19981. Malgré ces chiffres importants, ii existe très peu d'études sur Ia relation entre statut socio-économique, mortalité, incidence et survie des cancers. Pourtant, l'ensemble des etudes étrangères montre que, quels que soient Ia
structure d'âge de Ia population concernée et le poids du cancer dans la mortalité, Ia mortalité par cancers (toutes localisations confondues) est toujours plus élevée chez les personnes ayant un statut socio-économique bas. L'excès d'incidence dans les groupes sociaux ayant un bas statut socio-économique est inconstant et depend de la localisation (tableau 1). En revanche, le plus souvent, La survie des patients atteints d'un cancer est plus faible lorsque le niveau socioéconomique est bas, même si I'on constate des variations selon les localisations cancéreuses [Kogevinas et alii, 19971 (tableau 2). Comme nous le verrons plus loin, ce résultat est encore plus frappant pour les cancers qui sont considérés comme étant de meilleur pronostic.
La situation francaise Le cancer colorectal: plus de 33 000 nouveaux. cas de cancer colorectal
surviennent en France chaque année, dont plus de 16 000 décèdent dans les 5 ans. Vingt et un pour cent de ces décès surviennent avant 65 ans chez l'homme et 14 %
chez Ia femme. L'incidence et Ia mortalitd (standardisées sur l'âge), stables entre 1975 et 1985, accusent une legere augmentation ces dernières années [ministère de l'Emploi et de Ia Solidanté-Réseau FRANCIM, 1998].
La relation entre le risque de survenue d'un cancer colorectal et le statut socio-économique depend du sexe et de Ia localisation du cancer dans le tube digestif. Une étude conduite en France en 1989 montre une frequence supérieure quand le statut socio-économique est élevé, association limitée au cancer du colon gauche [Faivre et alii, 1989]. Une étude francaise plus récente ne met pas
242
INEGALITES PAR DOMAINE
en evidence d'association, mais le petit nonibre de cancers du colon (35 cas) dans l'étude limite l'interprCtation de ce résultat négatif [Marshall et a/u, 1999]. L'influence du statut socio-économique sur Ie pronostic d'un cancer cobrectal apparaIt dans Ia seule étude française rCalisée. Elle montre que be
pronostic du cancer colorectal est plus mauvais pour les agriculteurs, les ouvriers et employés et les persormes sans profession (tableau 2). Le cancerdu pownon : en France, chez les honimes comme chez les femmes, Ia mortalité et I' incidence du cancer du pournon sont en constante augmentation. En 1 995, on estime a 21 850 Ic nombre de nouveaux cas de cancer du poumon
et a 23 929 Ic nombre de décès chez les honimes (soit plus de décès que de nouveaux cas déclarés, car seuls les cancers primitils du pounion soft recensés dans les registres alors que, dans certains cas, des métastases pulmonaires sont déclarés en cancers du poumon au moment du décès). La probabilité pour qu'un homme ait un cancer du pournon dans sa vie est de I sur 15. Chez les femmes,
on coniptait 3 604 décès par cancer du pournon pour cette mêrne année [ministère de I'Emploi et de Ia Solidarité-Réseau FRANCIM,1998]. Rares sont tes donndes fraiicaises concernant Ia relation entre statut socioéconornique et cancer du poumon. line étude menée dans une grande entreprise
francaise montre que, pour les hommes, le risque est plus élevé parmi Ic personnel d'exécution [Marshall ci alii, 1999], cc qul est coherent avec les rCsultats connus sur la mortalitC [Desplanques, 1985] (tableau 1). Aucune étude n'a été conduite en France sur Ia survie des personnes atteintes d'un cancer du pournon en fonction du statut socio-Cconomique. Le cancer du sein : en France, Ia mortalité par cancer du scm a été estimCe a 10789 décès en 1995 pour un nombre de nouveaux cas s'élevant a 33 867. Une
femnie sur 10 développe un cancer du scm dans sa vie. L'incidence et Ia mortalité sont en constante progression en France, mênie si la mortalité augmente moms fortement que l'incidence [rninistère de l'Emploi et de Ia Solidarité-Réseau FRANCIM, 1998]. Dans l'étude en entreprise précédemment citée les feninies les nioins qualifiées ont un risque Iégèrement plus faible [Marshall et a/li, 1999]. Aucune étude n'a etC conduite portant sur Ia relation entre survie et statut socio-Ccononiique des femmes en cas de cancer du scm.
Autres !oca/isotions : les cancers des voies aéro-digestives supérieures sont particulièrernent frequents et graves chez les hommes en France (10 882 cas en 1995, avec 4460 décès), mëme si une légère amelioration est observée depuis 1980. La mortalité par cancer des voies aéro-digestives supCrieures est plus importante pour les hornrnes ayant un statut socio-économique bas [Desplanques, 1985]. Il en est de même pour I' incidence [Marshall et a/li, 1999]. La survie des patients atleints d'un cancer des voies aéro-digestives supCrieures n'a pas etC CtudiCe en fonction du statut socio-économique.
France (Desoubeaux,
Colon-rectum
Italic (Rosso, 1997)
1995b)
GrandeBretagne (Schrijvers,
1996b)
Etats-Unis (Greenwald.
Italic (Rosso, 1997)
(Sclirijvers, 1995a)
25 ans et plus
plus
30 asset
25 ans et plus
Tous ages
Tous ages
1 36! can
29 676 can
6 896 can
1 505 can
4 591 can
3 558 can
I. La valsur I correspond a Is categoric prise comme rdfdrence.
Sein
Sein
Sein
Poumon
Poumon
Pavs-Bas
1995a)
Pavs-Bas
2 627 cas
Allemagne 45 a 74 ans (Brenner, 1991)
Rectum
COlon-rectum
2 627 can
2001 can
COlon
Tous ages
Age et nombre de cas
Allemagne (Brenner, 1991) 45 a 74 ans
1997)
Pays, référence
Localisation
Tableau 2
Niveau d'études
Niveau économique
Niveau socioprofessionnel
Niveau d'études
Niveau ëconomique
Niveau économique
Classe sociale
Classe sociale
Profession
T
1,31
4 Bas I (université)
1,01 I
2 3
4 (primaire)
0,89 0,94
1,35
T 1,15 1,30
1,19 1,36
2 3
.
Haut
Ban
4 (primaire) Elevé Moyen
2 3
I (université)
4 Bas
3
2
Bas Haut
4
3
2
Haut
Basse
Moyenne
I
1,07
0,96
1,18
1,14
0,97 1,05
1
1,06 1,15 1,17
1.00
1
1,05 1,32
T
T
Elevée
1,28
2,04
H+F
1,04 1,22
1,23 1,53
F
1,12
1,13
i
11
Risque relatif de
Elevée Moyenne Basse
Dirigeant, cadre moyen EmploVe, ouvrier Agriculteur Sans profession
Indicateur socio-économique
Statut socio-économique et survie des cancers
Résultats ajustés sur Ia øériode de suivi Ct Ia pCriode de diagnostic categoric sociale délinie sur une geographique
Résultats ajustés sur l'age et le sexe
Classe sociale dCfinie a partir du liect de residence
RCsultats ajustés sur l'age et sur Ia pCrlode de suivi.
RCsultats ajustés sur l'ã8e et sur Ia pC9ode de suivi, Classe sociale définie a partir du lieu de residence
RCsultats ajustCs sur differences variables, dont le sexe, l'annCe de diagnostic et Ic stade
RiSsultats ajustés sur différentes variables, dont le sexe, l'annCe de diagnostic e; le stade
Remarques
I'.)
z
>
244
INEGALITES PAR I)OMAINE 1)' EXPRESSION
Le cancer du col de l'utdrus, dont l'incidence déclinait jusque récemment (de
000 cas en 1975 3 300 cas en 1995), reste frequent. Cette baisse, rapportée a une amelioration de l'hygiène de vie et a Ia diffusion d'un exarnen de dépistage des lesions prCcancCreuses, n'est plus observée depuis 4 a 5 ans [Ministère de 6
I'Ernploi et de la Solidanté-RCseau FRANCIM, 1998]. Pour autant, aucune étude n'a été réalisée en France sur les differences d'incidence et de survie de ceue localisation cancéreuse selon le statut socio-économique.
La situation internationale Le cancer colorectal : dans les etudes internationales, Ia mortalité par cancer
du colon est souvent associée a un statut socio-dconomique élevé. Cette tendance n'est pas observée pour Ia mortalitd par cancer du rectum [Kogevinas, 1997].
Chez l'homme, une majorité d'Ctudes montre un risque plus Clevé de cancer
du cOlon chez les individus ayant un niveau socio-économique élevé,
et a
l'inverse une augmentation du risque de cancer rectal chez les personnes ayant un
statut socio-économique bas (tableau I). Ces contrastes apparaissent
amoindris chez Ia femme, soit parce que Ia relation entre statut socio-écononhique et cancer colorectal est moms forte chez Ia femme que chez l'homme, soit parce que les indicateurs de statut socio-Cconomique utilisés sont moms pertinents chez Ia femnie que chez l'homnie. Toutes les etudes montrent une survie moms bonne chez les patients atteints d'un cancer colorectal lorsque leur statut socio-économique est bas (tableau 2).
Le cancer 1u pouinon dans tous les pays les donnCes existent, l'incidence comme la mortalitC par cancer du poumon sont plus élevées pour les hommes ayant un statut socio-dconomique bas. Le tableau I présente des résultats pour le Danernark et Ia Finlande ; la situation est trés comparable dans d'autres pays [Kogevinas, 1997]. Chez les femmes, niême s'il y a moms d'études réalisées, on retrouve les mérnes rCsultats, mais Ia relation semble moms forte. Comme pour le cancer colorectal, Ia majorité des etudes montre que Ia survie des personnes atteintes d'un cancer du poumon est plus courte lorsqu'elles ont un statuE socio-économique bas (tableau 2). Toutefois, Ia difference est moms marquee que pour Ic cancer colorectal, Ic pronostic du cancer du poumon étant particulièrernent sombre, quel que soit le statut socio-économique. :
Le cancerdu sein presque toutes les etudes rCalisées au niveau international montrent une augmentation du risque de cancer et de Ia mortalité par cancer du sew associée a un statut socio-économique élevé (tableau I). De Ia méme manière que pour le cancer du colon-rectum, les etudes portant sur (a survie du cancer du sein observent une survie moms bonne lorsque les femmes ont un statul socio-économique bas (tableau 2).
LES CANCERS
245
Les relations entre statut socio-économique et cancer du sein tendent a se modifier avec le temps : uñe étUde ãméricäine montre quU, dans certains sousgroupes de femmes, ii n'y a plus de differences sociales de mortalité par cancer du sein ; une explication possible serait une reduction avec le temps des écarts soclaux classiquement observes pour l'incidence [Heck et alii, 1997].
Autres localisations: dans tous les pays, Ia mortalité par cancer des voies aéro-digestives supéneures est plus importante pour les hommes ayant un statut socio-économique bas. Ces differences sociales sont particulièrement fortes en France [Kogevinas et alii, 1997]. L'influence du statut socio-économique sur l'incidence de ces cancers est moms nette que surla mortalité et, a notre connaissance, la survie des patients atteints d'un cancer des voies aéro-digestives supérieures n'a pas été étudiée en fonction du statut socio-économique. Une baisse de l'incidence du cancer du col de l'utérus est observée depuis 10
a 20 ans dans les pays industrialisés. Cette baisse est, comme en France, rapportée a l'amélioration de I'hygiene de vie et a Ia pratique d'un examen de depistage des lesions précancéreuses. Dans tous les pays, la mortalité et l'incidence sont plus élevées dans les groupes sociaux ayant un statut socio-économique bas. La survie des femmes atteintes d'un cancer du col de l'utérus est plus faible Iorsqu'elles ont un bas statut socio-économique [Kogevinas et alii, 1997]. QUELQUES EXPL1CATIONS
Les
etudes réalisées montrent qu'en France comme a l'étranger le statut
socio-économique de l'individu determine fortement ala fois le risque de cancer et son pronostic. Concernant le risque de cancer (incidence), le sens du gradient
depend de Ia localisation étudiée. Certains cancers, comme les cancers de l'cesophage, des voies aéro-digestives supérieures ou du col de l'utérus, sont plus frequents dans les milieux socio-économiques défavorisés. D'autres, comme le cancerdu sein ou du colon, sont plus frequents dans les groupes soclo-
économiques favorisés. Les differences d'incidence sont souvent moms marquees chez les femmes que chez les hommes [Remmenick, 1998]. Chez les hommes, les cancers associés a un bas statut socio-économique sont les cancers des voies aéro-digestives supérieures, les cancers de et les cancers du poumon, ceux les plus frequents dans les groupes sociaux favorisés sont les cancers du colon. Chez les femmes, les cancers associés a un bas statut socioéconomique sont les cancers de I'estomac et du corps et col utérin. Les cancers les plus frequents dans les groupes sociaux favorisés sont les cancers du colon, du sein et des ovaires. Quelle que soit la localisation, le pronostic d'un cancer est toujours moms bon dans les groupes sociaux défavorisés, Ia difference entre groupes étant d'autant plus marquee que le temps de vie après diagnostic est
long. Les résultats francais sont en accord avec les travaux rassemblés par Kogevinas, qui concluent que le gradient de survie le plus fort entre les diffé-
246
INEGALITES PAR iX)MAINE
rents niveaux socio-économiques est toujours observe pour les cancers dont Ic
pronostic est relativenient bon : cancer du colon-rectum, du sein, de Ia vessie et du corps utérin [Kogevinas et a/u, 1997].
Les differences dans l'exposition aux facteurs de risque (tabac, alcool, alimentation, apport calorique, excès de poids, vie sédentaire, pratiques sexuelles, virus, nonibre d'enfants, etc.) expliquent en partie, mais en partie seulement, les differences d'incidence entre les groupes sociaux [Kogevinas et a/u, 1997 ; Van Loon et a/u, 1997]. Les consommations de tabac et d'alcool sont des facteurs de risque pour les cancers du poumon et des voles aéro-digestives supérieures, mais aussi pour Ic cancer du colon-rectum. Une alimentation désequilibree, un apport calorique important, un excès de poids et une vie sédentaire sont des facteurs de risque pour les cancers du cOlon-rectum et du sein. Un nombre d'enfants élevé, une multiplicité des partenaires sexuels et des patho-
logies virales sont des facteurs de risque du cancer du col de l'utérus. En revanche, l'absence de grossesse est tin facteur de risque du cancer du sein. Or, ces facteurs (consommation de tabac, d'alcool, alimentation, grossesses, etc) different grandement d'un groupe social a l'autre. Ces relations avec les caractCristiques sociales varient cependain au cours dii temps et ne sont pas constames d'un pays un autre (voir chapitre IV.25). II n'est pas possible de quantifier précisérnent Ia part des inégalites d'incidence attribuable a tel ou tel facteur. Cependant, plusieurs rCsultats intéressants sont apportCs dans cc domaine par les auteurs qui oft contribué a l'ouvrage synthétique sur les inCgalites sociales et le cancer [Kogevinas et a/u, 1997]. En complement des explications en termes de consommation de tabac, d'alcool, d'alimentation, de vie reproductive et de comportements sexuels, d'autres explications sont développées. Ainsi Boffetta et a/u estinient qu'environ Ia moitié des differences sociales dans Ia mortalité par cancer du poumon chez les hommes est attribuable a des expositions professionnelles spécifiques [1997]. Ce résultat, quoique concernant Ia mortalité, est inforniatif en ce qui concerne l'incidence, puisque Ic rOle des expositions professionnelles est antCrieur a Ia survenue du
cancer. Les explications aux differences sociales en matière de cancer du poumon ont été aussi discutées a partir de données néerlandaises [Van Loon et a/u, 1997]. Lesauteursconcluentã un rOle très modeste des expositions professionnelles, mais montrent également que les differences sociales importantes persistent quand Ia consornmation de tabac est prise en compte. En conclusion, ii n'y aurait donc pas d'explicaiion simple aux écarts observes entre categories sociales. D'autres auteurs insistent sur Ia difficultC a quantifier Ic rOle explicatif de différents facteurs du fait des dClais très longs entre exposition et survenue de cancer: par exemple, les differences sociales observécs aujourd'hui pour les cancers du scm ou du col de l'utCrus reflètent les differences sociales de vie reproductive et de comportements sexuels d'il y a plusieurs dizaines d'années [Dos Santos Silva et Beral, 1997]. Par ailleurs, des differences sociales existent
dans la participation aux programmes de prevention (voir plus loin dans cc
LES CANCERS
247
chapitre). Pour le cancer du col de l'utérus, on peut penser que depistage a un èt fácteurs lies au mode de vie sé ëumulent pour réduire stadé l'incidence dans les categories sociales favorisées. Pour le cancer du sein, le depistage précoce ne réduit pas l'incidence ; que les femmes de catégone sociale élevée aient une meilleure participation aux campagnes de depistage n'entraIne donc pas une reduction de I'incidence; par ailleurs, ces femmes auraient un risque accru du fait de leur vie reproductive [Kogevinas et alii, 19971. Quant aux differences de survie, les explications sont egalement complexes. bas est Globalement, Ia survie des personnes ayant un statut plus basse quel que soit le pays. Cet écart peut être le résultat d'un accès et d'un usage du système de soins différents pouvant induire un diagnostic plus ou moms précoce ou une pnse en charge différente. II peut être aussi le résultat d'un comportement different face aux symptômes ou face a d'autres facteurs de risque entralnant d'autres maladies qui pourraient diminuer Ia survie [Schrijvers et a/u, 1997]. Il peut être le résultat d'une difference dans l'observance des traitements ou des protocoles de surveillance [Greenberg et alii, 1988 ; Remennick 1998]. L'hypothèse d'un retard au diagnostic chez les personnes ayarlt un statut socio-économique bas est très souvent confirmée dans les etudes : les personnes ayant un statut socio-économique bas ont statistiquement plus de lesions de stade avancé queue que soit Ia localisation cancéreuse [Goodwin et alii, 1996; Mandelblatt et a/il, 1991, 1996]. Parmi les mécanismes qui sous-tendent cette observation, les difficultés d'accès aux soins et le comportement face aux symptomes sont les plus souvent cites [Mandelblatt et alii, 1991, 1996 ; Greenwald et alii, 1996a]. Mais l'hypothese selon laquelle les personnes ayant un statut socioéconomique bas auraient une moms bonne résistance a la maladie ou réagiraient différemment aux traitements est parfois avancée [Kogevinas et alii, 1997]. Plusieurs etudes montrent aussi que les traitements et leur qualite different selon le statut socio-économique du malade [Ayanian et Guadagnoli, 1996; Desoubeaux et alii, 1997 ; Grosclaude et alii, 1995]. Toutefois, a ce jour, aucun de ces travaux ri'a réussi a expliquer totalement les differences de survie a partir des differences de traitements observées. Le système de soins, qui determine en
particulier I'accès aux soins et Ia couverture sociale, pourrait modérer l'influence du statut socio-économique sur la survie des cancers. En effet, malgré quelques résultats contradictoires, les differences de survie selon le statut socio-économique pourraient être moms importantes dans les pays oü le système de soins est plus égalitaire. Actuellement, des examens de dépistage des cancers du cOlon-rectum et du sein sont disponibles et accessibles dans certains pays. L'incidence mais aussi
Ia survie vont être modifiées par ces nouvelles pratiques: augmentation de l'incidence observée, parce que les examens de depistage permettent de découvrir des cancers avant l'apparition des symptOmes, amelioration de Ia survie, parce que les cancers découverts avant symptômes sont, le plus souvent, des cancers de stade précoce et dont Ia survie est meilleure. Or de nombreuses
248
INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION
etudes montrent que les personnes ayant une catégorie socioprofessionnelle ou un niveau d'études ou de revenus élevés ont plus facilement recours aux examens de dépistage que les autres [Miller et Champion, 1997]. Si Ia diffusion de ces nouvelles techniques se fail en l'absence de programmes organisés au niveau collectif, elle pourrait accroItre les differences d'incidence et de survie entre les groupes socio-économiques. Paradoxalement, alors que Ia France semble être un des pays dans lesquels le gradient de mortalité par cancers entre les différentes classes sociales est le plus important, très peu d'études ont tenté d'analyser les liens entre le statut socio-
économique et l'incidence et Ia survie des cancers. Si l'on veut mieux comprendre les mécanismes a l'origine des inegalites de sante dans notre pays, il sera nécessaire d'amCliorer Ia precision des donnCes cliniques et Ia disponibilité des données comportant une information sur le statut socio-économique
dans les registres du cancer ou d'autres recueils de données portant sur de grandes populations.
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16
Les troubles mentaux Anne Lovell
APERçU HISTORIQUE
L'existence d'une relation entre classe sociale et trouble mental est un des résultats les plus cohérents de Ia recherche en psychiatrie. Déjà, en 1854, le statisticien et psychiatre Edward Jarvis relevait dans l'Etat du Massachusetts 64 fois plus de cas de folie au sein de Ia population assistée par 1'Etat que dans Ia population <<économiquement independante >>, pour reprendre ses propres termes. Si, aujourd'hui, son enquête est fortement cntiquée pour son racisme sous-jacent [Vanderstoep et Link, 1998], elle reste une des premieres explorations des inégalités en maladie mentale utilisant des méthodes proches de ce que deviendra l'epidemiologie psychiatrique. Près d'un siècle plus tard (1939), une étude de l'école de Chicago, qui joue un role majeur dans Ia sociologie américaine, montre que le pourcentage de schizophrènes hospital isés a Chicago diminue graduellement des quartiers les plus pauvres
aux quartiers les plus riches [Fans et Dunham, 1939]. Dans les décennies qui suivent, des résultats similaires viendront confirmer ces travaux et montreront aussi un lien entre métiers en bas de l'échelle sociale et maladie mentale. II semblera vite
acquis, sur Ia base d'une centaine d'enquétes européennes et nord-américaines largement concordantes, que Ia psychopathologie se concentre le plus souvent dans
les milieux sociaux défavorisés [Dohrenwend et alii, 1980; Ortega et Corzine, 1990], notamment pour les psychoses, les << personnalités antisociales >>, les troubles
lies a l'usage de substances psychotropes licites et illicites et, enfin, particulièrement pour les femmes, Ia depression [Dohrenwehd et alii, 1980]. Depuis, Ia structure sociale des pays occidentaux a évolué, de méme que Ia nosologie, les theories biologiques et sociales sur Ia maladie, les traitements, et enfin les méthodes épidemiologiques en psychiatrie. Ce chapitre cherchera a comprendre dans quelle mesure I'association degagée par Jarvis persiste malgré ces changements radicaux. Ii examinera ensuite l'état des connaissances sur les mécanismes complexes par lesquels maladie mentale et conditions sociales sont liées.
252
INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION
LA DEFINITION I)ES TROUBLES MENTAUX
La déf'inition de Ia maladie est imprecise, y compris pour la psychiatrie biologique [Schwartz, 1999J. Depuis 1980, Ic trouble mental est
conçu le plus souvent comme une entitC discrete. Cette caractérisation dichotomique on est schizophrène, ou on iie I'est pas >>) prend ses racines dans un rnodèle biologique, qui suppose des causes génétiques, biochimiques ou neuro-
logiques. Le système diagnostique contemporain Ic plus répandu au niveau international, Ic DSM IV (manuel diagnostique et statistique de l'American Psychiatric Association) définit les troubles psychiatriques (par exemple, Ia schizophrenic et les troubles psychotiques, les troubles de l'humeur) en termes de syndromes, ott de regroupernents de syrnptomes specifiques, d'une sévérité telle qu'ils produisent un dysfonctionnement ou un effet de détresse dans Ia vie du malade. En recherche, les entretiens diagnostiques standardisés reflètent cette conception de Ia maladie mentale. Jusqu'aux années quatre-vingt, Ia maladie nientale fut Ic plus souvent conceptualisEe comme un phénomène continu, allant de Ia rnaladie a Ia sante en
passant par des états interrnEdiaires pour Ia majorite des individus. Scion cc modèle, toujours utilisé par certains chercheurs, peut-etre parce que plus facile a mettre en les conditions adverses de l'environnement psychosocial peuvent déclencher Ia maladie mentale chez une personne auparavant en bonne sante. Les échelles psychologiques (de dCpressivite, de bien-être, etc.) mesurent Ia maladie scIon cette conception. Pour les sciences sociales, Ia maladie mentale est toujours un phénornène
saisi par rapport au groupe. Certains sociologues soulignent l'infraction aux regles et aux normes sociales que représentent les manifestations de cc que le clinicien appelle tine maladie rnentale. Que Ic chercheur concoive Ia maladie comme une construction sociale, sans étiologie intrapsychique ou biologique, ou qu'iI privilégie une Ctiologie multifactorielle (biologique, psychosociale, etc.), ii accepte l'idée que Ia maladie mentale perturbe les relations avec les autres. Elle a de cc fait, nécessairement, une dimension sociale.
La façon de définir et mesurer la maladie mentale a-t-elle un effet sur l'analyse du lien entre facteurs sociaux et maladie mentale? Deux biais possibles sont particulièrement importants a considérer Ic premier concerne les difficultés d'interprCtation propres aux outils scientifiques utilisés ; Ic deuxième porte sur les problèmes d'Cchantillonnage, dans Ia mesure les etudes se liniitent le plus souvent aux personnes prises en charge par Ic système de soins et non a Ia totalité d'une population. Les
difficultés d'interprétation des données selon I'outil utilisé
Le choix de l'outil utilisé pour inesurer I'état de Sante mernale a des conséquences sur l'analyse de Ia dimension sociale des troubles mentaux. La comparaison
LES TROUBLES MENTAUX
253
des deux outils les plus utilisés: entretien diagnostique standardisé, adoptant Ia notion p!ütôt rhédiëale dêmãiãdie et échelle psychologique, Ia concevant comme un phénomène contmu, ilustre clairement cette remarque. L'entretien diagnostique tend a minorer le role des facteurs sociaux. En substituant des categories tranchées (maladie <<présente >>/<< absente >>), le diagnostic
favonse implicitement Ia notion biologique de la maladie. La comparaison des enquêtes menécs avant et après 1980 confirme que cette approche a eu pour effet de freiner I'exploration de Ia dimension sociale de Ia maladie mentale. En outre, l'utilisation d'une variable discontinue ne prend pas en compte Ia variabilitd des symptômes sur lesquels le diagnostic s'est fondé. Cette méthode risque de méconnaItre des associations avec des facteurs sociaux qui auraient été observdes dans des analyses réalisées a partir d'échelles continues. Parce que les états mesurés par
ces échelles sont plus frequents dans les groupes socialement desavantages [Mirowsky et Ross, 19891, l'outil diagnostique tend a ignorer des aspects de la sante et de Ia maladie mentale plus communs dans les milieux défavorisés. En revanche, l'utilisation des échelles psychologiques peut conduire, pour d'autres raisons, a une frdquence probablement surestimée de trouble mental dans certaines situations défavorisées. Ainsi, dans des enquêtes menées chez des personnes sans abri, les taux de prevalence de maladie mentale estimés a partir d'dchelles psychologiques sont le double des taux obtenus en utilisant des entretiens diagnostiques structures [Lovell, 1992b]. Une source de l'ambiguIte produite par l'utilisation des échelles dans Ia mesure du trouble mental reside dans le cadre temporel. L'échelle psychologique mesure habituellement l'état du sujet au moment de Ia passation du questionnaire ou dans un <<present>> vague. Le diagnostic, au contraire, requiert une durée des symptomes dans le temps, ainsi qu'un regroupement de certains symptômes a un même moment. Une seconde source de difficultés est le manque de spécificité de ce qui est mesurd, ambigulté bien illustrée par le Center for Epidemiological Studies Depression scale (CES-D). Concu pour dépister Ia dépressivité ou l'état dépressif,
le CES-D est souvent interpréte en termes de maladie, ou trouble durable (depression, trouble de l'humeur). Plusieurs auteurs suggèrent que de telles échelles mesurent, au contraire, des sensations, des sentiments, voire, de facon non spécifique, Ia démoralisation, Ia ddtresse ou Ia souffrance. Ces états
surviennent souvent dans des situations de marginalité sociale ou de crise communes a un groupe désavantage, comme les victimes d'une catastrophe envi-
ronnementale, d'un licenciement collectif ou encore les mères au foyer sans revenus. L'interprétation des résultats obtenus avec des échelles en termes de trouble mental, et non de détresse, met l'accent sur l'individu et ses symptômes pathologiques. Une analyse alternative pourrait souligner La dimension collective de l'état de détresse, en cherchant les conditions sociaLes qui en sont a l'origine
[Link et Dohrenwend, 1980; Mirowsky et Ross, 1989]. Ces choix ont évidemment des consequences pour la sante publique : considérer Les racines de Ia
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INEGALITES PAR I)OMAINE I)' EXPRESSION
détresse collective ou envisager uniquement des interventions thérapeutiques au
niveau individuel ne sont pas equivalents.
Les bials de selection de population dans les enquêtes
Pour sélectionner les etudes les plus valides parmi le grand nombre d'enquetes portant sur le trouble mental, II est important de pouvoir préciser Ia population étudiée comment est-elle construite et queue population-cible représente-t-elle? Une des menées en population gCnérale souligne l'importance de Ia distinction entre Ia population générale et les sous-populations constituées a partir d'usagers de services psychiatriques ou médicaux. L'Epidemiological Catchineni Area (ECA) ftit mené dans cinq aires métropolitaines aux Etats-Unis pour estirner la prevalence et l'incidence de plusieurs troubles psychiatriques
spécifiques, identifier des facteurs de risque et examiner l'utilisation des services de soins. Dans cette enquête, un sujet était classé comme atteint de trouble mental s'il rCpondait aux critères d'au moms un diagnostic parmi douze obtenus par un questionnaire diagnostique standardisé. Seuls 29 % des sujets répondantà cette definition déclaraient avoirconsultC un médecin, psychiatre ou non, ou un autre intervenant thérapeutique, professionnel ou non, au cours de l'annCe pendant laquelle leur maladie s'était manilestée. I)ans le même temps et
selon les mêmes crilères diagnostiques, 80 % de ceux qui avaient consulté n'avaient pas de pathologie mentale [Regier et a/u, 1993]. Les tendances, moms marquees, ont etC observées pour Ia depression en France [Le Pape et Lecomte, 1999]. Plus de Ia moitié des personnes répondant aux critères de depression courante définis dans cette enquête n'était pas traitée. Quand le trouble mental n'est mesuré que chez les personnes ayant consulté, le biais de select ion a des consequences qui ne sont pas simples a identifier. Le rapport d'un individu avec Ic système de soins est influence par des phCnomènes culturels,
sociaux et psychologiques (perception du besoin, relations avec l'entourage, contrôle social de Ia deviance, accès aux services, etc.) trop complexes pour être discutés ici. On salt néanmoins que ces relations varient selon le milieu social [Horowitz, 1982]. Par exemple, dans l'enquête de l'ECA, a morbiditC égale, les fenimes célibataires avaient plus de chances piises en charge que les femmes marlCcs ou les hommes. Et c'étaient les hommes manes ayant un niveau d'Ctudes faible qui échappaient le plus au traitement [Robins et Regier, 1991].
II serait logique de penser que le système d'assurance médicale influence l'utilisation des soins et que les groupes soclaux les mieux assures sont plus fréquernment pris en charge que les autres. Mais Ia majorite de Ia population atteinte de trouble mental échappe aux soins psychiatriques aussi bien a Ottawa (Canada), l'assurance maladie est universelle, qu'aux Etats-Unis, 16 % de la population n'a pas du tout d'assurance mCdicale et beaucoup d'assurés ne sont que faiblement couverts pour les soins psychiatriques. Dans les deux pays,
LEs TROUBLES MENTAUX
255
selon des etudes menées en population générale, ce sont les femrnes, les citadins yañtiiii niveau d'études supérleur qui ont le plus de chance et les
d'être soignés [Katz et alii, 1997]. II est donc difficile d'interpreter une association entre caractéristiques sociales et trouble mental dans des enquêtes portant uniquement sur les usagers d'un service.
Compte tenu de ces reserves méthodologiques, le nombre d'études examinées dans ce chapitre sera nécessairement limité. En ce qui concerne l'indicateur, l'idéal aurait été de comparer, a l'intérieur d'une même enquête, les résultats obtenus avec des échelles a ceux obtenus avec des entretiens, ce que Ia littérature existante ne permet pas de faire. Ne sont donc retenus, a une exception près, que des résultats obtenus avec des entretiens diagnostiques standardisés. Ceux-ci ont l'avantage d'utiliser des definitions du trouble mental courantes en psychiatrie et de permettre des comparaisons entre enquêtes. II est vrai que pour une analyse plus axée sur des interventions de sante publique que sur des questions theoriques, ce qui est le cas ici, le recours aux échelles aurait pu être préférable. Seules les enquetes menées en population génerale, qui <
Les enquêtes francaises Ii existe trois enquêtes francaises utilisant un entretien diagnostique standardisé en population generate. La premiere, menée dans une yule nouvelle près de Paris, observe une prevalence sur six mois plus élevée chez les femmes que chez les hommes : 3,6 % au lieu de 1,5 % pour Ia depression, 4,9 % au lieu de
1,9 % pour I'anxiété. Sur Ia vie entière, les écarts restent similaires. Par exemple, 22 % des femmes ont eu une depression, presque trois fois plus que chez les hommes. Mais cette étude n'analyse pas 1' influence des variables socioéconomiques [Lépine et alii, 1989]. La deuxième enquete porte sur un échantillon de 2 600 adultes représentatif de Ia population d'ule-de-France. Le taux de depression sur six mois est plus élevé que dans la yule nouvelle, de 8,2 % chez lesfemmes contre 3,3 % chez les hommes. Seules les comorbidités accompagnant une depression ont fait l'objet d'une comparaison entre sexes. Ainsi, l'association anxiété et depression est
quatre fois plus fréquente chez les femmes (2,8 %) que chez les homnies (0,7 %). Le rapport entre maladie et situation sociale n'est analyse que pour les titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI). La depression sévère est plus frequente dans ce groupe que dans le reste de Ia population. Le risque relatif est
de 2,0 pour les hommes et de 1,4 pour les femmes, mais ii n'est significatif que chez les hommes [Kovess et alii, 1993].
256
INECALITES PAR DOMAINE D' EXPRESSION
La troisième source de données, l'enquête Sante et protection sociale >> du CREDES, examine les variables socio-économiques plus en detail, mais die est iirniiée a Ia depression [Le Pape et Leconite, 1999]. EIIe porte sur 10000
personnes âgCes de seize ans ou plus, representatives d'environ 95 % des niénages en France. La depression est mesurée par autodéclaration et par un niini-outil de diagnostic standardisé utilisé dans des conditions inhabituelles, sans précisions sur Ia validité. Seuls 2,5 % des dépressifs autodéclarés ne sont pas repCrés par l'outil diagnostique; en revanche, seulement 8,1 % de ceux
repCrCs comme depres.sifs selon l'outil déclarent l'être. La prevalence de depression, fondCe sur une autodéclaration selon l'outil, est de 20 % chez les femmes et de 9 % chez les hommes. Le fait d'avoir un emploi est le facteur socio-Cconomique le plus lie a Ia depression. Chez les hommes comme chez les femmes, les inactifs ont des taux significativement plus élevés que les aciifs (respectivement 32 % et 8 % chez les hommes, 44 % et 19 % chez les femmes). Mais I'interprétation de cette association est compiiquée par le fait que les inactifs peuvent l'être pour raison
d'invalidité (en particulier pour
depression
isolée ou associée a
une autre
maladie). Toutefois, chez les hommes, Ia prevalence de depression est de 24 % chez les chômeurs, soit deux fois celie des actifs. En revanche, les femmes au foyer ont un taux egal a celui des femmes actives (19 %). Scion les auteurs, ce résultat suggère que cc qui iniporte est le fail de choisir Ia situation de nonempioi, et pas i'exercice d'une profession en soi. La depression suit un gradient selon Ia catégorie socioprofessionneile
nettenient plus rnarquC pour les femnies que pour les hommes. Chez les honimes, les employCs et les ouvriers ont un taux légèrement plus Cievé (II % dans chacun des groupes) que Ies autres groupes socioprofessionnels (9 % et 10 %). Pour les femmes, les écarts sont plus importants, Ia depression touchant 23 % des employees, 23 % des ouvrières, 18 % des professions intermédiaires, 16% des artisans et des cadres, et 15 % des agricultrices. En revanche, le gradient scion le niveau d'études est plus marqué pour les hommes que pour les femmes. Les horniiies <<sans scolarisation ou autre >> ont un taux de depression de 17 %, soit presque 2, 5 fois celui des hommes ayant fait des etudes supérieures. Les femmes qui n'ontjamais scoiarisées ont un taux de 26 %, contre 16 % pour celles ayant suivi des etudes supérieures.
Les enquétes européennes Dans les enquêtes europCennes que leurs methodologies permettent d'analyser ici, c'est Ia presence d'au moms un trouble mental, non spécifié, qui est le plus souvent retenue comme indicateur de trouble psychiarrique. Une association avec un des indicateurs socio-économiques, categorie sociale, avoir ou non un emploi, niveau d'études, est retrouvée de façon quasi constante, cela dans les deux sexes.
257
LES TROUBLES MENTAUX
Chez les hommes, l'absence d'emploi est le plus souvent associée a la d' un trouble mental, a Londres [Bebbingtoifet ã11i,
19811,
Athènes
[Mavreas et alii, 1988], Nimegue (Pays-Bas) [Hodiamont et alii, 1987], et Cantabria (Espagne) [Vasquez-Barquero et alii, 1987]. Les hommes inactifs ont
des taux trois a cinq fois plus élevés que les actifs; Ia seule exception est Ia Finlande, oü aucune association n'a eté trouvée [Lehtinen et alii, 1990]. Aux Pays-Bas, dans l'ensemble des inactifs, les personnes en invalidité ont le taux de trouble mental le plus important (20 %), suivies par les chômeurs (10 %) et enfin les retraitds (5 %). En revanche, dans ces enquêtes, le niveau d'études n'est pas fortement lie a la presence d'un trouble mental, compare a l'activité. Chez les femmes, c'est avec un faible niveau d'études, et pas avec l'activité, que Ia presence d'un trouble mental est le plus fortement associée, au moms a Athènes, aux Pays-Bas et en Espagne. Cependant, les inactives montrent des taux de maladie mentale plus élevés que les actives a Londres et Athènes.
Enfin, I'indicateur de catégorie professionnelle est egalement associé au trouble mental. Chez les hommes, les troubles mentaux sont plus frequents dans les classes les moms favorisées. En Finlande, le taux est huit fois plus important pour le groupe socio-économique le plus bas compare au groupe le plus élevé. A Londres, le rapport est de six. En revanche, chez les femmes, le gradient n'est significatif qu'à Athènes, øü les ouvrières ont un taux presque trois fois supérieur a celui des femmes de classe moyenne.
Les enquêtes nord-américaines
En Amerique du Nord, seules deux enquêtes établies sur des entretiens diagnostiques en population générale ont examine les facteurs d'inégalite séparément par sexe, le ECA (décrit plus haut) et le National Comorbidily Survey (NCS). A Ia difference des enquetes européennes, ces deux etudes examinent des troubles mentaux specifiques (troubles schizophréniques, troubles affectifs, troubles anxieux, troubles lies a des substances psycho-actives, personnalité antisociale, somatisation). Dans l'ECA, le fait d'avoir un emploi et Ia catégorie sociale sont examines
seulement dans le groupe ayant le plus de chances d'avoir une activité professionnelle les hommes entre 30 et 64 ans. Parmi eux, Ia prevalence Ia plus élevée d'au moms un trouble sur la vie entière (48 %) et au moment de l'enquête
(29 %) est observee chez les inactifs. A l'exception de l'abus de drogues, les autres troubles sont nettement plus frequents parmi les inactifs, avec un facteur trois pour les troubles de panique et Ia schizophrénie et un facteur deux pour l'abus d'alcool [Robins et Regier, 1991]. Pour ceux qui ont un emploi, un travail non qualiflé est lie a un risque plus élevé de trouble mental (40 % sur Ia vie, 19 % au moment de l'enquete) que l'exercice d'une profession qualifiée. Au moment de l'enquete, le trouble de Ia <
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INEGALITES PAR I)OMAINE E)'EXPRESSION
ont des eniplois non qualifies que chez les autres actifs (2,6 % contre 0,7 %); les troubles de panique et Ia schizophrenic sont trois fois plus frequents (0,8 % contre 0,3 %, et 1,2 % contre 0,4 % respectivernent); et pour les episodes maniaques, le risque est presque deux fois et demi plus élevC (0,5 % contre 0,2 %). A Ia difference des résultats français [Le Pape et Lecomie, 1999] et des enquêtes plus anciennes [Dohrenwend et a!ii, 1980; Ortega et Corzine, 1990], le diagnostic de depression n'est pas associé ala catCgorie sociale [Robins et Regier, 1991].
La seconde enquête, le NCS, sur un échantillon représenlatif de Ia population des Etats-Unis, est connue pour avoir montré une forte association entre facteurs socio-économiques et trOuble mental. Mais les rCsultats n'ont pas eté publiés pour chaque sexe separement, a Ia seule exception de Ia depression, qui est significativement plus prévalente chez les fenimes au foyer [Blazer et a/u, 1994]. Dans d'autres enquêtes egalement, les femmes sans eniploi se rnontrent particu-
Iièrernent vulnérables a Ia depression par rapport aux autres categories de femmes et plus encore si elles sont au chômage, sans soutien social, avec des jeunes enfants a charge [Lovell et Fuhrer, 1996]. Quelques conclusions se dégagent de ces enquêtes en population generale. L'attention poiiée aux facteurs socio-Ccononiiques a diminué depuis les annCes quatre-vingt. Malgré les changemenis dans les méthodes de recherche, les defi-
nitions de Ia maladie mentale et Ia structure sociale, Ia plupart des travaux montrent, de facon concordante et comme ceux qui les ont precedes, une asso-
ciation entre maladie mentale et position sociale desavantagee, a condition qu'elles soient bien mesurées. Mais les indicateurs socio-économiques discriminants iie sont pas toujours les mêmes (categoric socioprofessionnelle, emploi, niveau d'études) et dependent du sexe. Pour les hommes, I'inactivité est particulièrement iniportante. Pour les femmes, c'est le niveau d'etudes. L'existence de differences ne surprend pas, étant donné que les rapports de chaque sexe avec
le nionde du travail et le role du travail non payé (domestique), qui seront discutés plus loin, et ne sont pas toujours analyses dans ces enquêtes.
INEGALITES SOCIALES ET PSYCHOPATHOLOGIE:
COMMENT EXPLIQUER LE LIEN ?
Plusieurs strategies peu vent être inobilisees pour mieux comprendre les liens
entre conditions sociales et maladie nientale. Dans un premier temps, il faut pouvoir exclure que les associations soient dues aux aléas de Ia methode. Même en population générale, ii est possible que le processus diagnostique surestime le poids de Ia maladie mentale dans les classes socialement désavantagees. La specificite culturelle est une premiere hypothCse ; en effet Ia classification des troubles reflète irnplicitement des nornies qui sont celles d'une classe, d'un genre ou d'une culture. Les normes et les pratiques des autres groupes sont, par consequent, définies comme <
LEs TROUBLES MENTAUX
259
chercheurs ont longtemps fait i'hypothèse, aujourd'hui plus ou moms désuète, qiie là en milieu ouvrier était patbogene et expIiquait done Ia
frequence de Ia maladie mentale dans cette classe sociale [Angermeyer et Klusmann, 1987]. Une deuxième hypothèse est que certaines conditions de vie peuvent donner lieu a des comportements ou des experiences interprétées de facon erronée comme des signes de trouble mental. Ce qui est alors considéré comme un symptome psychiatrique peut englober des réponses <<normales>> a
des situations défavorisées extremes. Les troubles cognitifs associés a un sommeil constamment interrompu on a une mauvaise nutrition, Ia peur de manquer des ressources matérielles chez des personnes sans abri, Ia peur et des attitudes de suspicion chez des personnes qui font l'objet des discriminations sociales ou l'introversion et le manque de compétences interelationnelles chez des personnes qui vivent isolées en sont des exemples [Lovell, 1992a].
En fait, Ia possibilité qu'une frequence élevde de trouble mental dans les classes défavorisées soit partiellement un artefact n'a guère été explorée. Le <
socialement désavantagées, est une exception. En ôtant des critères diagnostiques de ce trouble ceux qui sont en même temps des caracténstiques de vie prdcaire (absence d'un domicile régulier, absence d'emploi pendant au moms six mois, plusieurs changements d'emploi sur une courte période), Ia prevalence de ce diagnostic s'est trouvée réduite d'un tiers dans un échantillon représentatif de sans-abri a Los Angeles [Koegel et Burnam, 1992]. S'il reste àexaminerl'épineuse question du sens de Ia causalité entre maladie
mentale et indicateur socio-économique, c'est donc avec le handicap du problème non résolu de l'interprétation des données montrant ce lien.
L'hypothèse de Ia causalité sociale La question de savoir comment s'opère Ia relation entre maladie mentale et facteurs socio-économiques peut être posée dans les termes du débat actuel opposant Ia causalité sociale, d'une part, et l'effet d'une vulnérabilité a Ia maladie sur le statut social, de l'autre. L'hypothèse de Ia <
tagees ou au manque de ressources. Elle s'oppose a l'hypothèse souvent qualifiee de génétique, qui suggère que cette association résulte de Ia mobilité sociale descendante ou de l'incapacité de monter dans Ia hiérarchie sociale pour les personnes génétiquement prédisposees ou deja atteintes de trouble mental. Des etudes de mobilité inter et intragenerationnelle, et portant généralement sur Ia schizophrénie, ont permis Ia mise a I'épreuve de ces deux hypotheses. Jusqu'a present, les résultats ne soutiennent pas une hypothèse plus que l'autre [Dohrenwend et alii, 1992]. Même si l'on peut rapporter Ia concentration des cas de schizophrénie dans les classes défavorisées a une mobilité descendante, on ne
260
INEGALITES PAR DOMAINF I)'FXPRFSSK)N
peut pas exciure que des facteurs sociaux aient Pu déclencher Ia maladie, laquelle, a
son tour, se traduit par l'échec social.
Dans l'une des seules enquêtes a reprendre le débat récemment, l'origine ethnique a été employee comme substitut aux indicateurs socio-économiques, cet attribut n'étant évidemment pas affecté par Ia maladie nientale [Dohrenwend et a/u, 1992]. L'étude réalisée en 1982 compare deux groupes de personnes nées en israel, et ãgees de 24 a 33 ans, les juifs d'origine nord-africaine, qui font I'objet de préjugés défavorables et d'une certaine discrimination, et les juifs d'origine europCenne. En dehors de l'origine et dii statut socio-écononhique, Ia plupart des autres facteurs susceptibles d'expliquer une liaison statistique entre groupe d'origine et trouble mental ont pu être contrôlCs. Les résultats montrent que les maladies mentales, dans leur ensemble, qui tendent a être regroupées dans les classes défavorisées, se révèlent effectivement plus prévalentes chez les personnes d'origine nord-africaine. Cependant, Ia schizophrénie est plus prévalente chez les personnes d'origine européenne que chez les personnes d'origine nord-africaine. II semble donc que le niécanisme causal de Ia schizophrenic, comme le suggèrent les etudes réalisées sur les enfants adoptés ou lesjurneaux élevés dans des contextes différents, de celui impliquC dans les autres maladies exarninées. Si Ia génetique de la schizophrenic laisse une place
a des influences environnementales pour Ic déclenchement de Ia maladie, les facteurs sociaux joueraient un role moindre dans son evolution que dans celle de Ia depression par exemple [Mirowsky et Ross, 1989]. La causalité sociale a eté examinée dans le cas du chOmage. A Ia suite de fermetures d'usines de construction d'automobiles, trois groupes d'ouvriers ont été compares : ceux qui ont etC licenciés a cause des fermetures, ceux qui s'atlen-
daient a être licenciés, et ceux dont les usines continuaient a fonctionner. Le premier groupe a eu significativement plus de psychopathologie que les autres. Le
licenciement par fermeture de l'usine permet d'exclure Ia possibililé que Ia variable sociale, ici le chOmage, soil due a Ia maladie [Hamilton et alii, 1990].
Enfin, des enquetes longitudinales ont montrC que l'alcoolisrne pouvait apparaItre ou rechuter a Ia suite de licencienients collectifs ou d'autres situations stressantes [Link et Phelan, 1995]. II semble donc Ctabli que des facteurs sociaux défavorables soient impliqués dans I'évolution du trouble mental.
Ces enquêtes explorent Ia contribution de Ia structure sociale. Outre ce niveau societal d'explication, deux autres niveaux de causalité potenlielle peuvent être pris en compte: celui de l'individu et de ses caracteristiques propres, celui de son contexte proche (relations sociales, conditions de travail, etc.), que les explications contemporaines tendent a privilegier.
Le contexte proche Depuis les annCes soixante-dix, peut-être a cause des apories du débat sur le
sens de Ia causalité, du social au biologique, ou l'inverse, l'épidérniologie
LES TROUBLES MENTAIJX
261
s'est tournée vers Un niveau intermédiaired'explication: le contexte proche de l'individu. Des dizaines d'études ont établi l'existence d'une relation entre évdnements de vie et maladie mentale, plus pour la depression et Ia détresse que pour Ia schizophrdnie [Dohrenwend et alii, 1992]. Le role étiologique des situations stressantes est conforté par les recherches sur Ia psychopathologie consecutive a des situations extremes prolongées (guerre, catastrophe environnementale) chez des personnes auparavant << normales >>. Le soutien social (assistance psychologique, matérielle ou autre donnée par les autres, etlou perception d'être aide) est souvent associé a une plus faible prevalence de maladie mentale, soit directement soit comme modérateur dans des situations stressantes. L'effet du soutien sociaJ est d'autant plus important que le stress générd par Ia situation est élevé [Turner et Marino, 1994]. Mais les rapports entre stress, soutien social et maladie mentale different selon le niveau social. Le soutien social peut être conçu comme une ressource parmi d'autres (économique, relationnelle, cognitive, etc.) inégalement distribuée dans Ia société, et qui contribue a Ia sante mentale, notamment via la prevention et l'accès aux soins [Link et Phelan, 1995]. C'est precisément en tant que ressource inégalement distnbuée dans Ia société que le soutien social a fait l'objet d'une enquête nord-américaine. Dans cette enquête en population genérale, Ia depression varlait en sens inverse du niveau de soutien et était egalement inversement liée au statut hiérarchique professionnel. Les femmes bénéficient de plus de soutien social que les hommes, tout en ayant des taux de depression plus élevés. On peut supposer que Ia prevalence serait encore plus élevée parmi les femmes étudiées, si elles ne disposaient pas de soutien social [Lovell et Fuhrer, 1996]. Les auteurs concluent que le soutien social est une ressource qul vane avec les conditions de vie. En revanche, son effet sur
Ia depression dans une analyse multivanée est minime, ce qui suggere que d'autres facteurs etiologiques s'ajoutent [Turner et Marino, 1994].
Repenser le contexte societal Si l'accent est mis actuellement sur les facteurs psychosociaux intermédiaires, le niveau societal n'est pas abandonné pour autant, mais il est repensd. Dans les résultats présentés, ii s'agissait toujours de facteurs socio-économiques, quelles que soient les differences de terminologie entre les auteurs. Or, les concepts de facteurs socio-économiques et de <
socio-économiques partent d'une notion fonctionnaliste de Ia stratification sociale. Dans cette approche, les groupes se différencient graduellement par l'accumulation du prestige, du niveau d'études atteint, du revenu, etc., les différentes capacités des individus permettant leur mobilité sociale entre strates. La
262
INEGALITES PAR DOMAINE 0' EXPRESSION
notion de classe sociale est fondée sur l'idée de conflit social. Elle suppose que le conrrôie surles rnoyens et les ressources du travail est au centre de i'inegalité
sociale [Wohlfarth, 1997]. Une nouvelle analyse des données de l'enquete israélienne citée ci-dessus compare i'effet sur Ia psychopathologie, d'une part, des variables socio-économiques (catégorie professionnelie, niveau d'études) et, d'autre part, de Ia classe sociale, définie en termes de travail (autorité sur Ies autres, influence sur le budget de I'entreprise, autonomie décisionneile) [Wohlfarth, 1997]. Dans les deux sexes, les deux series de variables ne sont pas interchangeables et n'ont pas le rnême rapport avec Ia psychopathologie. La classe sociale contribue significativement plus aim symptômes de maladie mentale que les variables socioéconorniques. L'auteur suggère que ies mécanismes causaux entre ces deux types de variables et Ia psychopathologic ne sont pas les mêmes. Pour saisir Ia dimension fondamentale du contrôle dans Ia << situation de classe >>, dIe suggère l'utiiisation du modéle de Karasek [Karasek et Theorell, 1990]. Dans cc modèle, les conditions du travail sont décrites scion leur caractère psychologiquement éprouvant et scion Ic degre de latitude décisionneile. On voit alors comment Ia recherche sur les conditions de travail peut contribuer a expliciter Ic lien enire classes sociales et trouble mental.
L'apport des recherches en milieu de travail Scion Ic modèle de Karasek, Ia combinaison d'une forte demande psycholo-
gique et d'une faible latitude décisionneile serait a l'origine de Ia détresse émotionnelle [Karasek et Theorell, 1990]. Dc nombreuses etudes ont montré une association entre ces contraintes mentales au travail (job strain) et Ia depression ou plus généralement Ia détresse psychologique. Le soutien social joue parfois un role tampon a I'égard de ces contraintes. Dans cette perspective de ciasse, Ic contrôle sur Ic travail, inégalement réparti, expliquerait Ic gradient de psychopathologic scIon Ia hierarchic professionnelle [Wohlfarth, 1997]. Ce modèle a éte testé sur Ia dépressivité dans la cohorte GAZEL des agents d'Electricité de France/Gaz de France (EDF-GDF) [Niedhammer et a!ii, 19981. La dépressivité suit un gradient statistiquement significatif chez ies hommes comme chez les femmes. Elle est Ia plus ClevCe (33 %) parmi les employés pour
les hommes comme pour les fenîmes. Les contraintes mentales et Ic faible soutien social au travail sont associCs aux syrnptôrnes dépressifs, indépendamrnent des autres facteurs de risque. Mais Ic soutien social ne modifie pas I'effet du contrôle. Des résultats sirnilaires ont été observes dans d'autres etudes. Dans I'enquéte Whitehall sur ies fonctionnaires anglais, Ia dCpressivité et
l'anxiété diminuent avec Ic grade dans Ia hierarchic des salaires chez les hommes. Par contre, chez les femmes, I'anxiété auginente avec le grade [Stansfeid ct alii, 1998]. La demande psychologique, Ia latitude décisionnelle et d'autres conditions de travail expliquent largement Ic gradient des symptômes
LE5 TROUBLES MENTAUX
263
de depression chezies liommes, mais moms chez les femmes. Les conditions de travail ont un effet sur Ia dépressivité indépendamment de Ia hiérarchie professionnelle et expliquent plus la dépressivité que ne le font des indicateurs socioéconomiques indépendants du travail. Ces résultats soutiennent l'idée que le contrôle sur le travail, lie au concept de classes sociales, n'a pas le même rapport aux symptômes que les ressources socio-économiques. La generalisation des résultats de ces deux enquêtes est limitée par l'homogénéité en type d'emploi et en age des échantil!ons. De plus, ii n'est pas toujours possible de séparer l'effet des conditions du travail de celui des caractéristiques antérieures des travailleurs. Certains traits de personnalité, par exemple, peuvent <
farth, 1997]. Le travail domestique, qui peut aussi être analyse en termes de contrôle, d'autonomie et de contraintes, devrait être pris en compte au même titre que les caractéristiques du travail [Lovell et Fuhrer, 1996]. Selon Lennon,
les femmes mariées actives ont une fréquence de symptômes dépressifs semblable, en données brutes, a celle des femmes au foyer; cependant elles voient leur risque diminuer par rapport a celui des femmes au foyer lorsqu'on ajuste sur les conditions de travail domestique, et ce bien que les contraintes mentales dues a ce travail soient plus fortes chez les femmes actives. Ce résultat s'expliquerait par Ia <
qualification, montrent un gradient different de prevalence de psychopathologie. Cette approche pourrait peut-être expliquer la psychopathologie observée dans certaines categories par exemple les employés. La revision des categories
socioprofessionnelles dans plusieurs pays, les travaux sociologiques sur 1'<< économie des services >>, sur les nouvelles classes sociales, sur la <<prolétarisation>> de certaines professions et sur la restructuration du travail prennent toute leur pertinence ici. Ii est non seulement important de développer des classifications proches de Ia réalité de Ia division sociale du travail actuel,
mais aussi d'examiner des caractéristiques nouvelles: demandes de performance, exigence d'une capacité a gérer 1' incertitude, flexibilité ou autonomie couplée avec isolement.
264
INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION
CONCLUSION
Si Ia plus grande frCquence de trouble mental thins les groupes dCsavainagés,
decrite depuis longtenips, persiste, certaines categories telles que celle des employés se montrent particulièrement exposées aux troubles mentaux. La restructuration du travail, ses nouvelles significations, comme celles des etudes et des formations, ont des implications quant aux hypotheses causales ainsi que pour Ia definition des indicateurs socio-Ccononiiques. Des ameliorations dans les mCthodes d'analyse sont nCcessaires.
Les analyses devraient porter sur les deux sexes sCparCment. Les variables socio-économiques nécessitent un travail conceptuel important. Le recueil parallèle de deux types de donnees, Cchelles de symptomes et resultats d'entretiens diagnostiques, pourrait suggérer des nieilleurs indicateurs pour les etudes.
Enfin, Ia recherche qualitative constitue un volet complémentaire niais essentiel a ces enquêtes pour comprendre le lien entre inégalités sociales et trouble mental. En particulier, les etudes biographiques ou des trajectoires sociales peuvent reveler comment diffCrentes formes de capital et de conditions
de vie interagissent avec Ia psychopathologie a travers des <
des approches interactionnistes, peuvent aider a saisir comment les desavantages sociaux, les relations sociales et les processus symboliques contribuent a la construction de syrnptôrnes de Ia maladie mentale. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ANGERMEYER MC., KLUSMANN D. (1987), << From Social Class to Social Stress: New Developments in Psychiatric Epidemiology >, in ANGERMEYER M.C. (Cd.), From Social Class to Social Stress, Springer Verlag, Berlin, p. 1-14. BEBBINGTON P., HURRY J., TENNANT C., STURT E., WING J.K. (1981), Epidemiology of Mental Disorders in Camberwell ", British Journal of Psychiatry, I I, p. 561-579. BLAZER D.G., KESSLER R.C., MCGONAGLE K.A., M.S. (1994),
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17
La sante bucco-dentaire Catherine Dargent-Pare, Denis Bourgeois
Depuis une vingtaine d'années, les etudes epidemiologiques réalisées dans Ia plupart des pays industrialisés européens montrent une diminution de Ia prévalence des caries chez l'enfant et une amelioration générale de l'état dentaire chez les adultes [Petersson et Bratthall, 1996]. Au debut du siècle, les caries sur dents permanentes étaient plus nombreuses dans les groupes socialement favorisés que dans les milieux plus défavorisés [Hyde, 1944 ; Mansbridge, 1959]. Depuis deux décennies, cette tendance s'est inversée, les enfants et les adultes de plus faible niveau socio-économique présentent un moms bon état dentaire que les autres. L'état de sante bucco-dentaire des Francais est encore mal connu. Des etudes nationales réalisées depuis 1987 en milieu scolaire ont permis de connaItre et de surveiller l'état caneux des enfants et des jeunes adolescents. Les etudes relatives a Ia cane dentaire et aux maladies parodontales chez les adultes sont rares, ce domaine de recherche était peu développé jusqu'a une période récente. Cela
tient tout d'abord au fait que, dans les années soixante-dix, l'Organisation mondiale de Ia sante a recommandé de réaliser en prionte Ia collecte de données auprès des enfants âgés de douze ans, les résultats observes permettant directement d'onenter des politiques de prevention en sante bucco-dentaire. De plus,
l'identification et l'examen d'échantillons représentatifs d'adultes présentent des difficultés methodologiques, et l'absence d'equipe nationale de recherche structurée en épidémiologie de Ia sante buëco-dentaire ne favonse pas la mise en place de telles etudes. Enfin, ii n'y avait pas de volonté politique de développer un système de surveillance sanitaire bucco-dentaire, domaine non considéré comme pnioritaire par les organismes de tutelle.
Pour l'évaluation de la sante dentaire, l'OMS recommande une méthode définissant le mode d'echantillonnage, le nombre de sujets a évaluer, le degré de precision, Ia standardisation des cntères diagnostiques, les classes d'age de référence (5-7 ans, 12 ans, 15 ans, 35-44 ans et 65-74 ans) et l'utilisation d'indices de sante dentaire [OMS, 1988] (voir encadré). Les résultatsfrançais présentes dans ce chapitre suivent cette méthode.
268
PAR I)OMAJNE D'EXPRESSION
Les indicateurs de sante bucco-dentaire
Indice carteux C'A 0 La cane est une affection d'ongine bacténenne qui détruit les tissus dentaires. Elle ne guént pas spontanément et nécesslie des sums cunservaleurs ou I'cxtraction de Ia dent. L'indicateur le plus utiiisé est I'indicc CAO, qui compiabilise Ic nombre de dents permanenles cariées 'a traiter (C), absentes pour cause de caries (A) ou ohturées (0). Cet indice peut être utilisC giobalemeni (somme des dents caniées. absentes ou obturées) ou de manière CciatCe seion ses dilTCnentes composantes par exemple. Ia composante C indique le nombre de dents caniCes 'a trailer. L'indice CO est utilisé pour Ia dentum leniporuire (dents de lait). Les résultats sont prCsentés sous
fomie d'indices Co Oil CAO moyens. caiculés sur ensemble de I'dchantillon (y compnis les sujets non atteints, pour lesquels I'indice 0). Ces indices donnent une indication sur Ia sante deniaire d'un sujet combinant a pathologic carieuse et ses consequences thérapeutiques et permet d'estimer Ia sCvClitC de I'attcinie carieuse. Au cours du temps chez un même sujet, i'indice CAO ne peul pas diminuer: ii augmente chaque fois qu'une dent antCnieuremcnt same estaueinte par Ia cane (C). laquelle peut avoindtC ohturée (O)ou extraite(A).
Indice coIoh,nvnautaire de besoms en Iraitements /)arodontaux CPITN Les maladies parodonluies soni Cgaiement d'origine hactCrienne. Elies peuvent Clre IirnitCes 'a Ia gencive, ci ii s'agit alors d'une gingivite. ou entrainer une destruction tissulaire, et ii s'agit alors d'une parodontite. Les problénies mCthodologiqucs inhCrents 'a i'CpidCmiologie des parodontites son! l'absence de consensus sur une definition claire des critères de Ia presence d'une parodontite et ies dilTicultés de diagnostic de Ia maladie. I)e nombreux mdicateurs ont etC proposes. L'OMS a mis au point cii 1982 un indice qui, bien que perfectible, a etC largement recommandC ci utilisC depuis dans des etudes i'indice
conimunautaire de besoins en soins parodontaux (Community Periodontal Index of Treatment Needs on CPITN). Cet indice permet de classer les sujeis scion leurs besoins en soins en fonction de Ia presence ou de I'absence de certains signes cliniques, tels un saignement gingival, du tartre et des poches parodontales moyenncs ou profondes.
SPECIFICITES l)E L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTE BUCCO-I)ENTAIRE
Pour les soins dentaires, le système de sante francais présente un certain
nombre de caractéristiques. La premiere est que Ia distribution de soins dentaires
est libérale a 95 %.
Les
praticiens sont payés a I'acte directernent par les
patients. La deuxième tient au système de i'assurance maladie obligatoire. Dans ce système, les soins dentaires sont remboursCs sur Ia base d'une nomenclature des actes, aujourd'hui obsolete, qui ignore des domaines aussi élémentaires que
Ia parodontologie ou Ia pédodontie. Seuls les soins conservateurs et chirurgicaux sont a tarif
soins hors nomenclature couvrent une grande partie des soins courants effectués. La prise en charge par les organismes sociaux des soins ou des actes préventifs individuels est en discussion depuis quelques annCes, ce qui rend difficile leur misc en pratique. La troisième caractéristique du système de soins
LA SANTE BIJCCO-DENTAIRE
269
Ia quasi-absence de service public de prevention, scolaire notamment, et de programmes de promotion communautaires. Des actions clentaires est
pilotes ponctuelles sont initiées par des collectivités locales ou regionales, les
caisses d'assurance maladie et d'autres associations. Elles sont menées en milieu scolaire, pour certaines classes d'age, sans suivi longitudinal des enfants et Ia plupart du temps sans coordination. La profession dentaire, grace a Ia participation bénévole de praticiens, développe par ailleurs des actions de depistage et de promotion de Ia sante bucco-dentaire. Enfin, il n'existe pas en France, et ce malgré les recommandations de l'OMS en 1983, de <
L'évaluation de la performance du système de sante bucco-dentaire repose actuellement sur une analyse comptable des coôts des soins via l'assurance maladie plutôt que sur l'observation de l'évolution d'indicateurs sanitaires. ENFANTS ET ADOLESCENTS
Etat de Ia situation Une série d'études nationales sur Ia sante bucco-dentaire des enfants francais a été réalisée par une association professionnelle en 1987, 1990 et 1993 [Hescot et Roland, 1994]. Elle porte sur les enfants âgés de 6, 9 et 12 ans, scolarisés dans
les établissements publics ou privés. L'échantillon a été obtenu a partir d'un sondage en grappes des établissements, après stratification sur le type d'établissement et Ia taille de Ia commune. Dans les établissements tires au sort, tous les enfants ayant les ages désirés au moment de l'enquete ont été examines, au total environ 1 200 par classe d'age. La catégorie socioprofessionnelle du chef de famille a été relevée lors de chacune des enquêtes. Les résultats préliminaires d'une enquete similaire réalisée en 1998 auprès de 6 000 enfants âgds de 12 ans sont également mentionnés ci-après [Hescot et Roland, 1998]. Ces etudes montrent une diminution de Ia prevalence des caries en France, associant une reduction du nombre de dents canées et une augmentation des proportions d'enfants indemnes de caries, qu'il s'agisse de denture temporaire: 30 % en 1987 et 56 % en 1993, ou de denture permanente: 12 % en 1987, 35 % en 1993 (tableaux 1 et 2). Le degré d'atteinte carieuse vane selon la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille. Les enfants de cadres, professions intermédiaires et employés sont les moms atteints, les enfants de commercants et
d'artisans se situent aux valeurs moyennes, les indices les plus élevés sont observes parmi les enfants d'ouvriers, agnculteurs et autres professions non précisées, dont les inactifs. La baisse géneralisee de I'atteinte carieuse reste associée a la persistance de differences entre les enfaiits des divers groupes socioprofessionnels étudiés. Les premiers résultats de l'étude 1998 soulignent Ia même disparité selon les groupes socioprofessionnels qu'en 1993. Les enfants d'agricufteurs ou de non-actifs ont en moyenne deux fois plus de dents canées
270
que
INEGALITES PAR
D'EXPRESSION
les enfants de cadres. La composante
rernent supérieure a Ia composante <dents cariées a traiter>> sauf pour la catégone autres professions >> qui comprend les non-actifs. Tableau I Indices carieux1 a six ans selon La categoric socioprofessionnelle des parents (enquêtes nationales2) 1987
37 144
artisans
124
intermédiaires
185
280 362 68
1200
1993
1990
0c)
0
C
C_)
C..)
r
4.3 3,7 2,5 3,4 3.5 4,3 4.5
2,3 2,5
44
2,1
117 196
1,7
43 54 69 62
3,2
44 28 40
3,7
2,9
42
1.1
2,0 2,4 3,8
44 43 64
0.8
204 275 352
SI
1,3
60 48
1.5
143
2,2 2.6
1 331
1,7
43 56
dents
c/en!aire,',, Frame /993 [Hescot ci Roland. 1994]. sans aucune dent attel tie. Ic du chef de faiimi lie. des l'CS inconnues. reiraitCs. personnes sails IclivilC. y conipris les chônteurs.
'l'ableau 2
Indices carieux' a douze ans selon Ia categoric socioprofessionnelle des parents (enquêtes nationales2) 1987
1990
1993
1998
Categoric socioprofessionnelle
J Agriculteurs Comrnerçants, artisans CadressupCrieurs Professions isitermédjajres Employés Ouvriers Autres Total
38
5.0
3.4
18
113
4.3
2.9
186
4.0
2,3
143
3.7
215
i
J 41
2,4
27
2,5
33
24
120
1,9
39
1,9
38
34
251
1.7
43
1.6
47
2,9
23
185
2.1
31
1,7
43
3,9
2,8
24
245
1,8
38
1,9
43
255
4.6
3.4
21
372
2.3
31
2,3
32
50
4.8
3.5
16
117
2.8
25
2,5
30
1 000
4,2
3,0
23
1 331
2,1
35
1,9
39
I. CAO calcuiC sur ks dents pernIunenIcs. 2. Sources : La &,,Oé demnaire en Famnce IHescol ci Roland 19'44 ci
I
271
LA SANTE BUCCO-DENTAIRE
Dans un département socialenient défavorisé (Seine-Saint-Denis), Ia misc en place depuis 1984 d'un programme de prevention bucco-dentaire a contribué a améliorer Ia sante dentaire des enfants du département [Arènes et alii, 1993]. Deux enquêtes transversales ont dté réalisées en 1984 et 1992 sur respectivement 1 907 et 2 771 enfants scolarisés dans les écoles primaires. La profession des parents a dté relevée de même que le retard scolaire. Une baisse des indices carieux a dté observée dans tous les groupes sociaux, mais les disparites sociales ont persisté (tableau 3). Ce programme de prevention pnmaire a abouti a Ia diminution de Ia prevalence globale des caries, mais n'a pas évité que subsiste un petit nombre d'enfants porteurs de nombreuses caries non traitées. Tableau 3
Indices carieux a onze ans selon Ia catégorie socioprofessionnelte des parents et le niveau scolaire (enquêtes Seine-Saint-Denis') 1983-1984
1992
Catégorie socioprofessionnelle
o
n
L)
L)
0
PERE
Agriculteurs, artisans, commerçants, chefs entrep. Cadres, professions intellectuelles supérieures Professions intermédiaires Employés Ouvriers Sans activité professionnelle Non renseigné
81
3,5
17
176
2,1
37
114
2,7
28
129
1,7
49
350 466 1121
1,6
51
1,7
48
2,2
39
221
3,1
24
407
3,2
20
785
3,6
16
112
3,5
20
122
2,4
39
187
—
—
390
2,1
42
24
3,2
17
45
2,4
31
MERE
Artisans, commercants, chefs d'entreprise Cadres, professions intellectuelles supérleures Professions intermédiaires
27
1,8
48
41
1,4
51
146
2,8
25
299
1,4
55
Employés
627
3,3
19
1 029
1,8
Ouvriers Sans activité professionnelle
152
3,4
16
178
2,2
46 40
888
3,6
17
1 00!
2,3
36
173
2,1
40
917
1,8
47
854
2,4
36
Non renseigné
43
—
—
NI yEA U SCOIAIRE
Scolarisation normale Retard scolaire
1 279
3,2
628
3,6
1
15 [
I. Source: Enquêtes Seine Saint-Denis (Arènes etalii, 1993].
Les diverses etudes réalisées dans des pays industrialisés (Europe du Nord, Amenque du Nord, Nouvelle-Zélande) montrent toutes que les populations enfantines en situation sociale difficile presentent des taux de caries plus élevés,
272
INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXPRESSION
plus de dents a soigner, plus de dents absentes et moms d'enfants indemnes de cane que les populations d'enfants plus favorisées de ces mêmes pays [Schwarz, 1985 ; Clark et a/u, 1987]. La premiere enquete nationale sur Ia sante dentaire
des enfants en Grande-Bretagne en 1973 montrait que les enfants de parents ouvriers avalent deux fois plus de dents cari&s que les enfants des autres classes sociales. La mênie tendance persistait dix ans plus tard [French et a/u, 1984]. A notre connaissance, les anomalies dento-faciales et les besoins en orthodontie n'ontjamais Cté étudiés en France en relation avec des facteurs soclaux. A l'étranger, ii a été rnontrC que ies enfants des classes sociales favorisées béné-
ficient plus fréquemment de traitement d'orthodontie que les autres [Chen et a/u, 1997].
Elements d'explication Les facteurs étioiogiques impliqués dans Ic risque de développer des caries sont bien connus. La cane met en jeu des processus chimiques de destruction de i'éniail dans lesquels interviennent des bactéries, des sucres et le milieu buccal (Ia salive et Ia dent). Bien que les bactCries présentes sur les dents solent Ia cause directe des caries, ci que le râle dii saccharose dans l'activité mdtabolique des bactCries alt été clairement établi, Ia cane est considérCe comme une affection multifactorielle. C'est l'inieraction d'un grand nombre de facteurs génetiques, microbiologiques, environnementaux, sociodCmographiques, comportementaux ci personnels qui determine si Ufl individu sera touché et comment ii Ic sera [OMS, 1992]. On pense que la nature de Ia cane est Ia même dans le nionde entier, mais l'impact des divers facteurs (etiologiques ou associés) peut être très
different scion les individus. Certains de ces facteurs ont des consequences extrémement différentes scion les autres facteurs enjeu. Par exemple, les consé-
quences d'un régime alimentaire riche en saccharose ne sont pas les niêmes scion que Ic sujet est exposé ou non aux fluorures:L'incidence des caries atteint
son maximum au cours de i'enfance et de i'adolescence. Les facteurs évoqués ci-dessus sont communs aux enfants et aux adultes, niais scion l'ãge, la susceptibilité dentaire, les comportements alimentaires et d'hygiene dentaire sont différents. Le role protecteur des fluorures est connu depuis Ic milieu du siècle, I'utiiisation du tiuor sous diverses formes reste la pierre angulaire des programmes de prevention. L'impact individuel des différents facteurs est difficile a évaiuer, car us sont pour Ia piupart fortement corrélés entre eux. Une des hypotheses des differences sociales de sante bucco-dentaire serait des différences dans l'exposition aux facteurs de risque. La nutrition, I'hygiène buccodentaire, Ia consommation de produits fluorés ou l'accès aux services de sante pour Ia prevention des caries ou les soins varient seion la situation sociale. Aucune donnée stir I'utilisation du fluor ou Ia consommation de sucres n'a éié recueiilie dans les différentes etudes françaises citCes précédemment. En France, globalement, Ic sel fluoré est peu utilisé, 25 % a 30 % des enfants en
LA SANTE BUCCO-DENTAIRE
273
consommeraient, la connaissance de l'existence du sel fluoré et de ses bénéfices est très liée au niveau d'éducation des parents [Tubert-Jeannin et Morel, 1994; Fabien et alii, 1996]. Quelques données sur les comportements, tels le brossage
des dents, le grignotage alimentaire et le recours au chirurgien-dentiste, proviennent de l'enquête
etudes réalisées dans d'autres pays par l'OMS auprès d'enfants de 12-13 ans confirment que les jeunes issus de classes sociales favorisées se brossent plus frequemment les dents, mais montrent que le recours aux services dentaires n'est pas different selon les groupes socio-économiques dans les pays oü il existe des programmes dentaires scolaires organisés [Chen et alii, 1997]. Quelques etudes traitent des differences sociales de sante dentaire après prise en compte simultanée de différents facteurs et montrent un role <<propre>> de
l'environnement social. Schou et Ultenbroek (1995) se sont intéressés a l'influence relative de facteurs de risque sociaux et comportementaux tels le brossage et Ia consommation de sucreries, sur I'état dentaire d'enfants de 5 ans. Us montrent que les enfants issus de categories sociales moms favorisées sont plus a risque de caries, après ajustement sur Ia consommation de sucres et les habitudes d'hygiene. De même, certaines etudes scandinaves montrent que les enfants moms favorisés sont plus a risque de caries que les autres, indépendamment de leur <
âgés de 14 et 15 ans ne montre plus de differences sociales de sante dentaire après prise en compte de l'hygiene alimentaire, bucco-dentaire et de l'exposition au fluor [Tubert-Jeannin et alii, 1994]. Les résultats de cette étude transversale doivent être interprétés avec precaution compte tenu de Ia faiblesse de l'échantillon, de l'homogeneite de Ia population étudiée et de l'évaluation des facteurs d'exposition a l'aide d'un autoquestionnaire. Les effets de Ia fluoration collective, notamment de l'eau fluorée, sur Ia relation entre l'état dentaire de jeunes enfants et Ia classe sociale ont été étudiés, en particulier en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La compa-
raison des indices carieux montre des differences selon Ia teneur en fluor de l'eau dans toutes les classes sociales, mais les relations entre sante dentaire et classe sociale persistent après ajustement sur l'exposition au fluor [Evans et alii, 1996 ; Slade et alii, 1996].
274
INEGALITES PAR I)OMAINE E)'EXPRESSK)N
Le recours aux soins depend du fait d'avoir ou non accès a une assurance complCrnentaire : les enfants soignés appartiennent plus souvent a des families qui bénéficient d'une mutuelle [Azogui et a/li, 1996].
L'étiologie muitifactorielle de Ia maladie carieuse permet d'évoquer de nombreux facteurs dans I'amélioration de Ia sante dentaire croissance économique, mesures collectives de prevention, sensibilisation des professionneis de Ia sante, modifications des comportements individuels d'hygiène ou de recours aux soins, diffusion de produits fluorés, notamment des dentifrices, diCtétique. Les succès obtenus dans Ia reduction des taux de caries sont attribués principalernent au fluor, sous ses diverses formes, et a i'amélioration du niveau de vie [Bratthall et a/u, 1996]. La persistance d'inCgalitës de sante selon Ia classe sociale fait penser a de moindres changements comportementaux dans certaines categories sociales. Ces differences comporternentales pourraient provenir d'une perception diffCrente des besoins bucco-dentaires, de difficultés d'accès a Ia prevention, d'une diffusion incomplete des connaissances sur les méthodes de prevention des caries et des parodontopathies ou d'une moms bonne acceptation de ces traitements.
PISTES I)E RECHERCHE ET RECOMMANI)ATIONS D'AcTIONS
Méme si la sante dentaire s'améliore en France, Ia cane reste frequente et
touche en particulier les groupes les plus vulnérables. Certes, la sévérité moyenne de l'atteinte carieuse a I'âge de 12 ans a chute de 80 % ans en 25 ans, niais 65 % des enfants de 12 aiis sont encore touches par cette maladie. De plus, il existe des sous-groupes d'enfants a haut risque d'atteinte, 20 % des enfants totalisent a eux seuls 60 % a 80 % des caries. Une diminution supplémentaire de l'indice carieux moyen semble envisageable si l'on se rCfère aux pays scandinaves, oü une politique de prevention active est menée de Ia part tant des gouvernements que des professionneis de Ia sante, et oü les enfants et adolescents n'ont
plus en moyenne qu'une dent atteinte par Ia cane (CAO moyen de I). Les services dentaires scolaires gratuits et/ou des programmes préventifs planifies améliorent Ia sante de tous les groupes sociaux. Les mCthodes > de prophylaxie collective ou de groupe fondées sur Ia promotion du fluor ont fait leurs preuves [Lewis et a/u, 1995]. A côtC de ces méthodes, qui maintiendraient les acquis en terme de faible incidence des caries, il serait nécessaire de développer des mCthodes spécifiques et originales de prevention pour les enfants a risque. Les modèles de sauté publique communautaire prCconisés par l'OMS rnériteraient d'être évalués dans le cadre de programmes pilotes axes sur des groupes a haut risque. Au niveau collectif, prioritC pourrait être donnée a Ia petite enfance avec le développement de Ia promotion de la sante bucco-dentaire intCgrée des programmes gCnCraux de sante pour Ia prevention des maladies
chroniques de l'adulte (nutrition, habitudes de vie, hygiene, comportement,
LA SANTE SUCCO-DENTAIRE
275
sanitaire), le développement de projets scolaires dans les écoles iatemelles, distribution de lait fluoré par exemple, Ia mise a disposition de dentifrices fluorés a faible coilt. Le risque d'ingestion excessive de fluor
education
pouvant entraIner une fluorose doit être surveillé. Au niveau individuel, l'accent pourrait être mis sur la protection des dents a haut risque de cane par des obtu-
rations preventives des sillons dentaires (agents de scellement ou sea/ants). Enfin, un effort de formation continue devrait être fait auprès des dentistes pour accroItre leurs capacités professionneiles dans le dépistage et Ia prise en charge des enfants et des dents a risque de caries, afin de les appliquer dans le cadre d'un bilan dentaire ou d'un recours aux soins. ADULTES
Etat de Ia situation Les données specifiques a Ia France ont été recueillies en 1993 et 1995 dans Ia region Rhône-Alpes sur 1 000 et 603 adultes âgés respectivement de 3544 ans et 65-74 ans [Hescot et alii, 1997; Bourgeois et alii, 1999]. Ce recueil faisait partie d'un projet d'études cooperatives internationales portant sur les relations entre les facteurs socio-environnementaux individuels, le système de soins et Ia sante bucco-dentaire [Chen et alii, 1997]. La méthode d'echantillonnage utilisait Ia méthode des quotas sur site en fonction des caractéristiques suivantes residence urbainlrural, sexe et catégorie socioprofessionnelle [Guillaud et a/u, 1997]. On a utilisé l'indice socio-économique d'Irving, qui est construit a partir du niveau d'études, de Ia catégorie socioprofessionnelle et du revenu des ménages, pour classer le niveau socioéconomique en 3 groupes élevé, moyen ou faible, et favonser ainsi les comparaisons internationales [Chen et alii, 1997]. La sante dentaire ou parodontale a été étudiée selon cet indice agrégé, tandis que l'étude des comportements ou de Ia perception de Ia sante et les analyses multi variées ont été faites en fonction du revenu, de Ia catégorie socioprofessionnelle et du niveau d'études des sujets. Le tableau 4 montre que les adultes de Ia classe d'age 35-44 ans présentent
des indices carieux élevés, mais le degré d'atteinte vane peu selon le niveau socio-économique. Le groupe de niveau socio-économique le plus élevé a cependant moms de dents absentes que les autres categories, ce qui indique a Ia fois un meilleur état dentaire global et des soins moms agressifs. Le constat porte sur la proportion d'appareils dentaires mobiles, remplacant les dents absentes, va dans le même sens: plus le niveau socio-economique est élevé, moms les adultes portent de prothèses mobiles. Ainsi, dans le groupe de faible niveau socio-économique, Ia frequence des prothèses mobiles est de 17 %, alors qu'elle est de 6 % dans les groupes de niveau moyen et élevé. Pour les prothèses
fixes, type bridge, aucune difference n'est mise en evidence selon le niveau socio-économique.
276
LNEGALITES PAR I)OMAINE I)'EXPRESSION
Tableau 4
Nombre nloyen de dents cariées (C), absentes (A), obturées (0) et indice CAO seton le niveau socio-éconoinique des populations adultes 35-44 ans (année 1993) et 65-74 ans (année 1995) de Ia region Rhône-Alpes' Nombre moyen Nombre moyen socioéconoinique
a
de dents eariées (C)
de dents absentes (A)
Noinbre rnoyen
Nombre moyen de dents
de dents obturées (0)
absentes, ou
cariCes, obturCes (CAO)
35-44 ans Elevé
146
Moyen Faible
342 512
1,2
76
10.8
1,3
2.0 2,4 3,6
11.1
9,9
13,7 14,7 14,8
65-74 a'is
Elevé Moyen Faible
0,9
10,2
154
1,1
14,2
8,4 6,7
373
1.2
19,4
4,0
I. Sources: Hescot cia/li. 1997
19,4
22,0 24,5
Hourgeoiseto!ii. 1999.
Seulernent 13 % des sujets de cette classe d'âge présentent un état parodontal
sam, Ia majorité des sujets présente un saignement ou du tartre. La fréquence et Ia gravité de l'atteinte parodontale varient selon le niveau socio-éconornique ; le
pourcentage de sujets ayant un état parodontal
sam est significativement plus élevé dans le groupe de niveau socio-éconornique élevé (18%) que dans les autres groupes (11 %) [Hescot et (liii, 1997]. Dans Ia classe d'ãge 65-74 ans, les résultats vont dans le niênie sens, et les differences sociales sont encore plus fortes. Le pourcentage d'édentCs totaux
dCcrolt avec l'élévation du niveau socio-économique, 22 % parmi les individus a faible niveau socio-économique et 0 % dans le groupe de niveau élevé. De même, I'indice CAO diminue quand Ic niveau socio-éconornique augmente. La principale difference porte sur le nombre nioyen de dents absentes, deux fois plus faible dans le groupe de niveau socio-économique élevé que dans le groupe de niveau socio-Cconomique faible (tableau 4). La presence d'un appareil dentaire mobile di minue bisque Ic n i veau socio-économique augmente, respecti vement
69 %, 55 % ci 40 % dans chacun des trois groupes. A I'opposé, 36 % des personnes de niveau socio-économique élevé ont au moms une prothèse f'ixe de type bridge, au lieu de 22 % dans Ic groupe de niveau moyen et de IS % dans le groupe de niveau le plus faible [Hescot et cdii, 1996J. Ces etudes rendent compte de Ia détérioration inégale de l'ëtat de sante selon le niveau social a age egal. II y a consensus dans Ia littérature inteniationale pour souligner le role joué par les determinants socio-économiques sur Ia sante dentaire des adultes. Un
faible niveau d'éducation eiJou de revenus est en relation avec des taux plus
LA SANTE BUCCO-DENTAIRE
277
élevés de dents cariées et manquantes, d'édentation, de mauvais état parodontal et de besoins de soins [Locker et Leake, 1992 ; Schou, 1995].
Comparaison des deux classes d'âge Dans Ia classe d'age 35-44 ans, le nombre moyen de dents cariées, absentes ou obturées est globalement élevé, mais non lie au niveau socio-économique. Une explication des valeurs élevées des indices carieux dans cette classe d'age indépendarnment du niveau social tiendrait au fait que leur enfance — de 6 a 15 ans, age d'appantion des caries — s'est déroulée a une période de transition sanitaire, qui a considérablement aggravé leur état de sante bucco-dentaire: modifications des habitudes alimentaires avec une surconsommation de sucres, associées a une méconnaissance de l'hygiène dentaire et a l'absence de politique preventive fondée sur l'utilisation des fluorures. On pane pour cette periode allant de 1955 a
1970 d'une explosion de Ia fréquence et du nombre de caries, qui a touché I'ensemble des enfants francais. De plus, les soins avaient pour objectif de traiter
Ia douleur, d'essayer de conserver Ia dent, de soigner Ia cane, mais rarement d'éviter son apparition. L'indice carieux dans les années soixante-dix atteignait souvent une moyenne de 10 ou plus a l'age de 12 ans [Hescot et alii, 1996]. Dans les differences observées entre les deux groupes d'âge, certaines, mais probablement pas toutes, peuvent être expliquees par l'âge; Ia situation dans Ia classe d'age 65-74 ans reflète aussi probablement des pratiques autrefois plus répandues et ayant atteint davantage les populations plus défavorisées. En effet, chez les plus âgés, la relation entre l'indice CAO et le niveau socio-économique est essentiellement due a Ia composante <<dents absentes >> de l'indice.
Soins recus, comportements et perception de Ia sante Quelle que soit Ia tranche d'âge considérée, ii existe des differences significatives quant a la nature des soins recus, les individus de niveau socio-écono-
mique élevé ont plus d'obturations, plus de prothèses fixes, moms de dents absentes et moms de prothèses mobiles que les individus moms favorisés. Les prothèses mobiles sont associées a une édentation de grande envergure, a des problèmes financiers et/ou un manque d'attention pour sa propre sante dentaire, limitant l'accès a des prothèses fixes — couronnes ou bridges —, plus confortables et plus esthetiques. Ces differences de sante dentaire pourraient s'expliquer par une insuffisance de suivi, une difficulté d'accès, financière et administrative, a des soins conservateurs et un recours tardif aux soins qui ne laisse plus comme possibilité que l'extraction [COME, 1995]. Les differences sociales de sante dentaire pourraient également être dues a des comportements de sante différents, eux-mêmes en relation avec la perception de l'état de sante. Dans les deux générations françaises étudiées, les personnes appartenant au groupe socio-économique le plus faible, aux categories de revenu du
278
INECALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION
rndnage les plus niodestes ou qui onE le niveau d'études le plus faible percoivent le plus souvent leur état de sante général ou leur état de sante bucco-dentaire comme
moyen, mediocre ou niauvais. La nCcessitd de mieux se brosser les dents et le besoin de soins dentaires sont significativement plus souvent mentionnés par ces categories. Cependant, en
de pratiques, l'hygiène dentaire et l'utilisation des
services dentaires augmentent avec le niveau d'études et Ia catégorie sociale, niontrant ainsi un ddcalage entre Ia perception et la pralique [Hescot et a/il, 1996].
Recours aux soins
Le secteur liberal est inaccessible a une large catégorie de population, et Ic renoncement aux soins pour raisons financières est aussi une des réalités des
hôpitaux publics [Roth, 1999]. Dans l'enquête sur Ia sante, les soins et Ia protection sociale de 1997 du CREDES [Duniesnul et a/u, 1999], 23 % des sujets déclarent avoir renoncé au nioins une fois a des soins pour des raisons financières. Ces renoncements concernent davantage les femrnes, les jeunes et les personnes en situation précaire, tels les chômeurs, qui sont 40 % a avoir renoncé a des soins. Lorsqu'il y a renoncement aux soins pour raison financière, les soins dentaires sont ceux auxquels les patients renoncent le plus fréquemnient — 12 % des enquCtCs —, viennent ensuite les lunettes 4 %, les analyses médicales 9 %, puis les autres soins 4 %. Ce rapport confirme les tendances mises en evidence dans les anndes antérieures, a savoir que les consommations de soins dependent fortement du milieu social, des revenus et de Ia couverture complCrnentaire. Par exemple, pour les prothèses, Ic rnontant rnoyen a Ia charge du patient est pres de quatre fois Ia somme remboursée. Cette charge financière joue tin role de frein a Ia consommation et explique au moms en partie que 15 % des individus entre vingt et soixante ans tie soient pas appa-
reillés, malgré un deficit fonctionnel. Cette charge finaiicière explique également que le renoncement aux soins soit lie au fait d'avoir ou non une couverture complémentaire — ii est 40 % plus frequent chez les personnes tie bénéficiant pas d'une telle protection. Le coUt des soins dentaires supporté par les ménages serait en partie responsable de l'utilisation différentielle du système de somns et du type de soins selon les classes sociales. Les extractions soft beaucoup moms que les soins, et elles étaient encore très répandues il y a seulerneni quelques dCcennies. Les désavantages financiers et sociaux des personnes en difficulté peuvent faire ou font que Ia prevention des maladies bucco-dentaires et Ia maintenance d'une bonne sante deviennent une priorité secondaire. Les soins dentaires, sauf peut-être pour Ia prise en charge de I'urgence et du bilan, sont généralement des soins de longue durCe qui peuvent
apparaltre en opposition par rapport a Ia situation de précarité de certains groupes dont Ia preoccupation majeure est de gérer le quotidien. II a égatement Cté monirC que Ic recours aux soins vane selon le niveau socioécononhique des individus dans tous les pays et cc quel que soit Ic système de soins
LA SANTE BUCCO-DENTAIRE
279
[Chen, 1995; Gilbert et alii, 1998]. Les etudes conduites aux Etats-Unis et au Canada durant les années soixante-dix ont montré que Ia gratuité des soins n'augmentait pas de facon substantielle l'utilisation des services dentaires [Thornberry et alii, 1973]. Une des mesures du programme de prevention experimenté en Auvergne consistait en des bilans dentaires annuels pris en charge a 100 %. II semble que même Ia dispense d'avance de frais des actes de prevention ne soit pas
un facteur suffisant pour favoriser le développement de ces actes, le problème financier n'étant pas Ia seule cause de cette désaffectation [Tubert-Jeannin et alii, 1998]. Ces premieres constatations sont a nuancer en raison du recul insuffisant associé a cette nouvelle mesure, son evaluation ne peut se limiter au court terme. Les motifs de non-recours aux soins dentaires sont multiples et ne se limitent pas exciusivement a des raisons financières. Une des barrières qui demeure est Ia crainte de Ia douleur. Dans l'enquete décrite plus haut, 43 % des adultes de Ia classe d'âge
35-44 ans interrogés ont peur des visites chez le dentiste a cause de la douleur possible [Hescott et alii, 1996]. Ces résultats ne sont pas disponibles selon les caté-
gories socioprofessionnelles. Quelque part egalement, aussi bien les pouvoirs publics qu'une partie des patients considèrent que les soins dentaires (ou certains d'entre eux) appartiennent a la categorie medicate dite .xde confort >>, pour ne pas dire de luxe, et ne sont donc pas considérés comme prioritaires. CONCLUSION
Les connaissances epidemiologiques sur les relations entre Ia sante buccodentaire et Ia situation sociale sont peu développées. Néanmoins, l'état dentaire des enfants ou des adultes vane très fortement selon Ia classe sociale. Contrairement a ce qul se passe dans le reste du secteur medical, les soins dentaires peu
coôteux sont bien remboursés par la Sécunté sociale, les soins coüteux mal remboursés. La part pnvée dans le financement des soins dentaires est importante, les soins préventifs ou curatifs restent particulièrement sensibles a Ia conjoncture économique et sociale. L'actuelle nomenclature des actes professionnels n'autorise pas des soins de qualité pour tous. Les etudes nationales fournissent un bilan partiel de Ia situation dentaire en France : amelioration de la sante dentaire, mais maintien des inégalites. Globa-
lement, ii y a une insuffisance de données qui permettraient de comprendre I'historique de l'état de sante bucco-dentaire des adultes parmi les populations défavorisées comparativement aux plus favonsées et aussi de savoir si les écarts persistent, augmentent ou diminuent. Il y a peu d'études analytiques qui permet-
traient de comprendre les nombreuses interactions entre les determinants de sante, I'environnement socio-économique, les comportements individuels, le système de soins et la sauté. Des analyses plus fines devraient permettre de définir des objectifs de reduction des inégalités sociales de sante dentaire a diffé-
rents ages pour les groupes a risque dans le cadre d'un plan national de sante
280
PAR I)OMAINE I)'EXPRESSION
dentaire inclus dans une politique a long terme. Pour cela, ii faut continuer a
recueillir d'autres données dans les différents groupes sociaux aim de mieux connaItre ces inégalités et leurs determinants, et d'évaluer ce qui relève de l'individu ou du système de soins et de protection sociale. Bien que les systèmes de sante avec puissent décourager les personnes de niveau socio—économique faible a utiliser les services dentaires, certains auteurs ont montré que Ia mise en place de services dentaires gratuits n'est pas un facteur
important d'amélioration de Ia sante dentaim des personnes dans les groupes les moms favorisés, en particulier long terme. II faut pourtant une insuffisance de rnoyeiis pour soigner certaines populations. Des aides complémentaires existent déjà ou sont a mettre cii place, telles des garanties pour les plus dérnunis, des dispenses d'avance de frais pour d'autres, une nieilleure couverture financière, niais
l'accompagnement social individuel dans Ia recherche des avantages sociaux auxquels les patients ont droit est gCnCralement insuftisant [Roth, 1999]. D'autres interventions sociales au-delà de Ia couverture du coat des soins sont nécessaires pour
aniéliorer Ia sante bucco-dentaire. En effet, I'accent dolt être mis sur le deficit d'éducation sanitaire et sur Ia nécessité de modifier les coniportements a I'égard de Ia sante bucco-dentaire. II s'agit d'un investissement dans Ic temps dont Ic bénéfice sante est evident, dans Ia mesure l'état de sante dentaire observe sur les enfanis
aujourd'hui perme en parie de prCvoir l'état dentaire des adultes de demain. En panic seulement, car Ia misc en place de programmes scolaires par exemple, a eVe seule, n'assurera pas l'Cgalite de Ia sante des adultes. Les modifications comportementales sont d'autant plus difficiles a obtenir qu'au niveau environneniental l'individu est dépendant de Ia sociCté dans laquelle ii vit, notarnment en cc qui concerne Ia politique des industries agro-alimentaires. Leurs campagnes publicitaires n'ont pas que des effets positifs sun Ia sante dentaire au scm de populations mécon-
naissant les aliments cariogéiiiques. Les modes de vie actuels, stress, grignotage alimentaire, augmentation de Ia fréquence des repas legers ou nombreuses collations déséquilibrees, ne favorisent pa.s I'amélioration de la diCtCtique. Une adaptation de notre système de sante, incluant entre autres une politique de
prevention active menéc de Ia part des gouvernements et des professionnels de Ia sante ainsi que Ic développernent de réseaux de soins, associant partenaires sociaux, gens de teirain et professionnels de Ia sante, pernlettrait une nouvelle approche et une meilleure comprehension des problèmes relatifs it Ia sante dentaire. REFERENcEs J., BOISSONNAT V., CHAN CHEE C., EiD A., LETRAIT S. (1993), La sauté bucco-dentaire en Seine-Saint-I)enis. Ei'olution en huit ans les enfants de ans, Direction de Ia prevention ci de I'aciion sociak, rapport d'Ctudes du Conseil gCnCral de Seine-Saint-Denis, 240 p. ARENES J.. JANVRIN M.-P., BAUDIER F. (1998), Baromètre sanléjeunes 1997/1998, CFES, Vanves.
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18
Le Sida Marcel Calvez
La question des inégalités sociales et du sida a peu retenu l'attention des chercheurs en sciences sociales. Le bilan des travaux effectués en France sous l'égide de l'Agence nationale de recherches sur le sida depuis dix ans montre que cette question n'a pas été inscnte dans les priorites de Ia recherche [ANRS, 1998]. Une revue de Ia littérature intemationale, tout en dressant un constat comparable, suggère un changement du profil social de l'épidémie <
sont extraites des bases de données de l'Institut de veille Les sanitaire et sont actualisées au 31 d&embre 1998. Elles concement les nouveaux cas de sida diagnostiqués chez les patients âgés de quinze ans et plus, domiciliés en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer au moment du diagnostic. Elles concement Ia période comprise entre 1987, année postérieure au classement du sida
comme maladie a declaration obligatoire, et 1996, alors que se généralisent les nouveHes combinaisons therapeutiques. Les informations relatives a Ia catégorie socioprofessionnelle et au groupe de transmission sont issues des declarations faites par les médecins. Elles sont sujettes a un biais déclaratif qui ne peut pas être totalement comgé. Cela conceme essentiellement les personnes sans activité, qui peuvent être déclarées sans profession, au chômage, voire scIon leur ancienne activité.
284
INEGALITES PAR
I)'FXPRESSION
Ces données permettent de documenter un stade tardif de l'infection a VIH et les changernents de profil qui I'affectent sur Ia période considérée. Elles ne rendent pas compte de Ia total ité de Ia séropositivité, iii des nouvelles contaminations, seules susceptibles d'indiquer les déplacements récents de l'épidémie. Mais les données disponibles sur Ia séropositivité ne sont pas exhaustives. Elles procèdent en effet de dispositifs spécialisés de depistage (centres de dépistage anonyrne et gratuit, établissements de transfusion sanguine, réseaux
de laboratoires) ou d'enquêtes auprès de groupes parciculiers (femmes enceintes, consultants de dispensaires antivénériens). De plus, Ic retard au depistage, indiqué par Ia découverte de la séropositivité a I'occasion du diagnostic de sida, concerne de facon importante des situations de précarité [Calvez, 1999; Institut de veille sanitaire, 1999J. Le filtre des dispositifs de dépistage peut ainsi masquer l'ampleur des evolutions dans Ia diffusion du VIM. Les grandes evolutions de l'incidence du sida
Entre 1987 et 1996, I'incidence du sida se caractCrise essentiellement par trois evolutions. La premiere concerne Ia croissance du nombre et de laplace des femmes dans Ia population malade (tableau I). Tableau
I
RCpartition des nouveaux cas de sida de quinze aiis et plus dorniciliés en France
(métropole et outre-nier), diagnostiqués en 1987, 1990, 1993 et 1996, par sexe, nombre et proportion de cas <<sans profession au scm de chaque classe. Femmes (%) doni sans profrssion (%)
Hornnies (%)
1990
1993
1996
265 13.0
643
1 003
16.0
19,8
738 20.5
308
435
386
47,9
43,4
52,3
3 372 84.0
4 070
87,()
2 865 79.5
225
542
780
655
12,6
16.1
19.2
22,9
2045
4015
5073
3603
100,0
100,()
100.0
100.0
341 /6.7
850
1 215
1
21,2
24.0
28,9
6.7
5.2
4,1
3,9
116 43,8
I 780
doni sans profession
(%)
Total HF (%) (loft SWS /)rofesswn (%)
Sex-ratio H/F Source : INVS.
1987
80.2
04!
actualisées uu 31.12.1998.
Elle passe de 13,0 % des cas de sida en 1987 a 20,5 % en 1996. Dans Ia rnoitié des cas, il s'agit de femnies sans profession déclarée, et dans le quart des cas, d'employées. La repartition socioprofessionnelle reste globalement
285
LESIDA
stable. Le poids relatif de Ia contamination liée a l'usage de drogues par injection diminue, passant de 39,2 % a 28,5 %, alors que la part de Ia contamination lors de relations hétdrosexuelles croIt de 30,9 % a 63,1 %. Deuxième evolution, I'age au diagnostic de sida augmente. Cette augmentation correspond essentiellement a une diminution de Ia contamination dans les classes d'age les plus jeunes (tableau 2). Alors que les generations les plus âgées
ont eu l'occasion d'être exposées au virus avant d'adopter des conduites de protection, les generations les plus jeunes ont Pu prendre en compte l'existence du sida des les premieres relations sexuelles. Pour ces générations, Ia diminution de Ia contamination est imputable a I'adoption de pratiques de protection ou a la constitution de réseaux sociosexuels dans lesquels le virus n'entre pas. Tableau 2
Repartition des nouveaux cas de sida de quinze ans et plus domiciiés en France (métropole et outre-mer), par age et par année de diagnostic (part de chaque classe d'âge dans Ia population totale) (%)
1987
1990
1993
1996
15-19
0,5
0,3
0,3
0,3
20-24
8,2
5.7
2,6
2,0
25-29
21,4
23,2
17,8
11,2
30-34
20,0
24,6
28,4
26,6
35-40
18,0
15,3
19,3
22,6
40-44
10,8
11,8
12,6
13,3
4549
5,4
6,7
7,4
9,7
SOet+
15,7
12,4
11,6
14,3
N
2045
4015
5073
3603
Source: INVS, donnëes actualiséesau 31.12. 1998.
La troisième evolution concerne la population masculine. Elle se caractérise par
un déplacement de I'incidence des cas de sida des classes moyennes et supérieures vers les ouvriers et les inactifs (categorie qui regroupe les personnes sans profession et les chômeurs selon les declarations des médecins). La catégorie <
nouveaux cas en 1987 a 1132 en 1996) et en valeur relative (19,6 % des nouveaux cas en 1987 et 31,4 % en 1996). Entre 1987 et 1993, le nombre de nouveaux cas double chez les employés et les ouvriers, tout en conservant le même poids dans Ia population totale (soit environ 20 % d'employés et 15 % d'ouvriers).
286
INECALITIiS PAR DOMAINE D'EXPRESSION
La diminution observée en 1996 est moindre chez les ouvriers que chez les eniployés. Api-es une augmentation importante de leurs effectifs en 1990 et 1993, les
categories moyennes et supérieures reviennent en 1996 a des effectifs sensiblement equivalents a ceux de 1987. Leur poids relatif diminue (10,4% en 1987 et 8,2 % en 1996 pour les professions indCpendantes; 15 % en 1987 et 8,8 % en 1996 pour les cadres et professions inteltectuelles). Cependant, les professions indépendantes les plus touchées (23,6 nouveaux cas diagnostiquCs pour 100 000 personnes en 1993 el 16,1 cas en 1996 pour l'ensemble de Ia population et respectivement 32,4 et 21,9 cas dans Ia population masculine). En comparaison, on trouve 7,7 nouveaux cas pour 100 000 chez les ouvriers en 1996 et 12,3 dans Ia population masculine. Les données présentées concernent Ia contamination advenue en moyenne une
dizaine d'années avant Ic diagnostic de sida. Elles ne rendent donc pas compte d'éventuels déplacements récents lies a une adoption différenciée de pratiques de prevention. Elles permettent cependant de montrer que, sur Ia période considCrée, il y a un déplacement quantitatif de Ia contamination vers les classes populaires et les inactifs qui va de pair avec une plus grande féminisation de l'épidémie.
Les evolutions par modes de transmission La prise en compte des modes de transmission déclarCs permet de souligner quelques caractéristiques socioprofessionneiles majeures de Ia diffusion du sida (tableau 3). Le nombre de nouveaux cas de sida par transmission homosexuelle augmente jusqu'en 1992 et commence a décroItre imr Ia suite. Cela est coherent avec I'estimation selon laquelle Ic nombre annuel de contaminations de ce type a éte Ic plus important entre 1983 et 1986 [RNSP, 1995]. Cette contamination se caractérise par des disparités importantes scion les categories socioprofessionnelles. En 1993, on observe en effet 22,1 nouveaux cas de sida pour 100000 honinies dans les professions indCpendantes et 21,6 cas chez les cadres et professions intellectuelles. Les écarts les plus importants sont observes enire les employCs (33,8 cas pour 100000 hommes) et les ouvriers (3,5 cas pour 100000). Ces differences tiennent aux rCseaux sociosexuels par lesquels le virus s'est diffuse a une période oil les pratiques de protection n'étaient pas encore développées. La diminution des nouveaux cas de sida par transmission homosexuelle peut être rapportée a deux causes principales: l'effet de saturation du nonibre de
personnes susceptibles d'être contaminées dans ces réseaux et l'adopiion de pratiques de prevention. Mais ii esidifficile d'évaluer le poids relatif de ces deux effets. Malgré sa croissance quantitative, on observe depuis le debut de I'épidCmie une diminution du poids de ce groupe de transmission. Les nouveaux cas de sida diagnostiquCs dus a cc mode de transmission passent en effet de 58,5 % de Ia totalité des nouveaux cas en 1987 a 37,1 % en 1996. Cette diminution concerne de facon comparable toutes les categories socioprofessionneiles. Les nouveaux cas de sida du groupe de transmission des usagers de drogues par injection connaissent une progression importante puisqu'ils ont été multiplies par
287
LESIDA
quatre entre 1987 et 1992. us ont connu un plateau jusqu'en 1995 avant de décroltre.
Ces evolutions sont cohérentes avec les estimations des pics de contamination dntre 1984 et 1987, si l'on tient compte d'une evolution plus rapide de Ia séropositivité vers le sida déclaré du fait des conditions sanitaires dans cette population. A l'exception des inactifs (sans profession et chômeurs), dont le poids augmente sensiblement, passant de 52,3 % a 57,4 % des nouveaux cas entre 1987 et 1996, Ia répartition entre les différentes categories socioprofessionnelles reste stable. Les employés et les ouvners représentent environ 30 % des cas. Ces categories socioprofessionnelles sont ici surreprésentées en 1993, on compte 3,4 cas pour 100 000 personnes chez les employés et 3,6 chez les ouvriers, contre 1,3 chez les cadres et professions intellectuelles et 1,4 dans les professions intermédiaires. Par manque de données sur ces pratiques illicites, il est évidemment difficile de savoir si ces repartitions reflètent les differences sociales d'usage de drogues dans la population generale. Tableau 3
Repartition des nouveaux cas de sida de quinze ans et plus domiciliés çn France (Métropole et Outre-Mer), par groupe de transmission et par année de diagnostic (%) 1. Homosexuels-bisexuels
2. Usagers de drogues par injection 3. (1) et (2)
Hétérosexuels
Hémophilesettransfusés Mode de transmission inconnu du médecin Total (%)
1987
1990
1993
1996
58,5
50,6
41,3
37,1
46,4
16,2
25,4
27,3
24,6
24,1
2,4
1,2
0,7
0,7
1,3
11,8
13,9
19,6
28,5
18,3
9,3
5,1
4,2
2,0
5,0
7,0
4,9
1,8
3,8
6,9
2045
4015
5073
3603 42144
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
Source: INVS. données actualisées au 31.12.1998.
La transmission hétérosexuelle a connu une augmentation importante entre 1987 et 1996. Le nombre le plus élevé de nouveaux cas a ete atteint en
1995 (1 208 contre 241 en 1987). Le poids de ce mode de transmission augmente de façon constante, passant de 11,8 % des cas en 1987 a 28,5 % en 1996, oü ii représente le second groupe de transmission. La repartition socioprofessionnelle des nouveaux cas de sida par transmission hétérosexuelle montre des disparités importantes: 1,9 cas pour 100 000 personnes chez les cadres et professions intellectuelles et 2,2 cas chez les ouvriers contre 5,3 cas chez les
employés. Les personnes sans profession représentent environ le quart du groupe, mais l'hétérogénéité de lacatégorie ne permet pas de comparaison pertinente avec les autres groupes professionnels. La presentation des nouveaux cas de sida seton les groupes de transmission révèle des disparités socioprofessionnelles importantes. Cela est remarquable
288
PAR (X)MAINR
0'
dans le groupe de transmission homosexuelle,
les ernployés constituent le
groupe le plus atteint, suivi par les categories supérieures. Cette place des employés se retrouve également dans les autres groupes de transmission. L'autre caractérisique notable, déjà remarquée, est Ia progression des inactifs. Pour ce qui conceme Ia période couverte par ces données, ii est possible de parler d'un ancrage de l'épidCmie qui se confirme chez les employés. Les données relatives aux personnes sans profession indiquent Cgalement un dCplacement vers les situations de prCcarité sociale.
LES DISPARITES I)ANS LES REPONSES AUX RISQUES
L'enquête ACSF Analyse des comportements sexuels en France retient quatre indicateurs de risque pour Ia transmission du sida un rapport sexuel avec au moms un partenaire de mênie sexe, le recours a Ia prostitution au cours des :
cinq dernières années, des rapports sexuels avec plus d'un partenaire et Ia consommation de drogues au cours des douze derniers mois [Spira et Bajos, 1993]. On retiendra ici les pratiques homosexuelles et l'usage de drogues par
injection car, outre leur importance dans Ia diffusion du sida, ce sont les doniaines
l'on peut rendre compte au mieux des disparités sociales.
Les disparités de réponses aux risques chez les honiosexuels
Dans l'enquête ACSF, les rapports homosexuels concenient 1,4 % des hornmes sur les cinq années avant l'enquéte et 1,1 % sur l'année précCdente (respectivemeilt 0,3 % et 0,4 % d'hornosexuels exclusifs). II existe une grande selon les categories socioprofessionnelles: ainsi, les honiosexuels et bisexuels sont sousreprésentCs dans les niilieux ouvriers et agricoles et dans les catégories supérieures urbaines (cadres, professions intellectuelles) ainsi que parmi les diplômés [Messiah et Mouret-Fourme, 1993].
Pollak [1988] rapporte les disparités sociales qui caractérisent les homosexuels aux conditions et aux contraintes qui se presentent a eux pour gérer leur identité et se faire accepter socialement. A partir d'une enqu&e menée en 1985 auprès des lecteurs d'un hebdomadaire en direction du lectorat homosexuel (Gai Pied Hebdo), il distingue trois sous-groupes, chacun Ctant caractérisé par une certaine similarité de position sociale : les homosexuels issus des milieux popu-
laires ou habitant les campagnes ou les petites villes, les homosexuels des classes moyennes urbaines qui mènent leur vie au grand jour et les fractions intellectuelles des classes dominantes qui frequentent le groupe précédeni tout en s'en tenant a l'écart. Des pratiques sexuelles différenciées caractérisent ces sous-groupes et permettent d'expliquer Ia diffusion diffCrente du virus du sida et I'adoption diffCrente des mesures de precaution. Le groupe se caractéiise par un isolement social des individus qui se traduit par une vie sexuelle réduite. La faible frequence des
sexuelles et le
LESJDA
289
moindre recours a la pénétration pourraient expliquer Ia faiblesse relative des nouveaux cas de sida chez les ouvriers dans un contexte øü les pratiques de protection ne sont pas développees. Le deuxième groupe comprend les homosexuels qui revendiquent une affiliation a une communauté homosexuelle. us ont un nombre tilevé de
partenaires et une diversité de pratiques sexuelles. Ce groupe a été très fortement touché des le debut de l'épidémie du fait de la frequence des rapports sexuels avec des
partenaires différents. Cette contamination massive s'observe dans l'importance des cas de sida chez les employés, les categories indépendantes et les professions inter-
médiaires. Le troisieme groupe est compose des fractions intellectuelles des classes supérieures. Parmi eux Ia contamination a été importante dans les premiers temps de l'épidémie, en particulier dans les professions de l'information et du spectacle. A partir de 1984-1985, les pratiques de prevention se sont diffusées de façon différente selon ces trois groupes. Alors que, dans le premier groupe, Ia prise de conscience des risques se realise diffidilement, les pratiques preventives se diffusent de façon étendue et rapide dans les deux autres groupes comme une composante du style de vie. Le cli vage dans les réponses de prevention est clairement social. Pollak remarque que <
L'enquête menée en 1985 a été reprise de facon reguliere et selon un protocole comparable jusqu'a aujourd'hui. Cela permet de suivre les evolutions dans les réponses apportées par les homosexuels au sida. Les enquêtes menées en 1988 et 1990 conduisent a souligner que le groupe des répondants ayant un statut professionnel bas adopte l'abandon de Ia pénétration ou Ia reduction des situations a risques comme moyen de prevention [Pollak et Schiltz, 1991]. Si les enquêtes de 1991 et 1992 confirment ces observations pour une partie de ce groupe, elles remarquent aussi que <des hommes [d'un niveau économique et culturel très faible] cumulent les incapacités a s'imposer eta imposer aux autres des pratiques sans risque. us expriment leur impuissance a changer leurs habitudes sexuelles a Ia fois avec des partenaires stables et occasionnels>> [Schiltz, 1993]. Le groupe des cadres et des diplômds de l'enseignement supérieur se caractérise par une preference pour Ia vie en couple ; us pratiquent Ia penetration occasionnellement protégée et ils surveillent leur statut serologique quand ils sont negatifs. C'est dans ce groupe que les enquetes ultérieures observent Ia mise en ceuvre de strategies complexes de gestion des risques. Les professions intermédiaires et les employés qui se retrouvent dans l'affirmation d'un style de vie homosexuel rejoignent les cadres supérieurs dans les precautions prises [Pollak et Schiltz, 1991]. La fin des années quatre-vingt se caractérise par une différenciation sociale importante dans les conduites de prevention.
290
Dans
INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESStON
Ia premiere enquête, Pollak [1988] remarque que les pratiques
sexuelles protégées se diffusent < du haut de Ia pyramide sociale vers le bas, des grandes villes vers les lieux plus isolés >>. Les enquetes suivantes montrent que cette diffusion est liëe au fait de connaItre des personnes séropositives, a un statut social et professionnel élevé ainsi qu'à un haut degre d'intégration dans Ia communauté homosexuelle. Elles souligne lit que les réponses de protection ont été plus tardives chez les homiiies qui avaient un niveau scolaire moms élevé et que, surtout, les personnes défavorisées sont maintenant les plus exposées au risque de contamination. Parmi les jeunes homosexuels, les enquêtes successives permettent d'identifier une minorité, stable dans le temps, d'environ 10 %, caractérisée par une fragilité sociale et qui n'arrive ni a négocier les modalités du rapport sexuel, iii a imposer son souhait d'une sexualité a moindre risque. Ces résultats sont confirmés par les declarations de séroprévalence dans Ia population enquêtée. Les enquetes de 199 1-1992 notent que Ia séroprévalence
est niaxiniale chez ceux qui ont un niveau d'études très faible, soit aucun diplôme, le CAP ou Ic certificat d'études (23 % pour une moyenne generale de séroprévalence de 1 8 % dans Ia population enquetee), chez les chônieurs et inactifs (30 %) et parmi les employés (22 %) [Schiltz, 1993]. Cette repartition est confirmée dans les enquetes ultCrieures ISchiItz et Adam, 1995; SchlItz, 1998; Bochow, 1998]. Une analyse secondaire par categories d'âge [Bochow, 1998] montre que Ia diffCrenciation des taux de prevalence selon le niveau d'études s'observe des 1993 chez les 16-29 ans, precisément chez ceux qui ont Pu adopter des conduites de precaution des Ic debut de leur carrière sexuelle. Les réponses aux risques chez les usagers de drogues par injection
Les réponses apportées par les usagers de drogues sont peu documentées pour éclairer Ia question des inégalites sociales. Dans l'enquête ACSF, le recours a une drogue, retenu comme indicateur de risque, concerne au total 5,7 % des honimes et 2 % des fenimes enquêtes; mais seuls 3 hommes et 4 femnies ont utilisé de Ia drogue par injection dans cette enquête. Les effectifs concernés sont également très
faibles dans l'enquête sur le comportenient sexuel des 15-18 ans [Lagrange et Lhornond, 1997]. ScIon des estimations de 1990, Ia taille de Ia population toxiconiane par vole intraveineuse serait comprise entre l00000et 125 000 personnes; Ia taille de Ia population infectée est estiniée entre 27 000 et 35 000 [ANRS, 1995]. La contamination liée a de drogues par vole intraveineuse reprCsente de façon constante environ Ic quart des cas de sida, avec une proportion de fernrnes en diminution rCguliere, de 31,4 % en 1987 a 23,7 % en 1996. Sur Ia période considCrCe, Ia moitié environ des usagers de drogues avec un diagnostic de sida a une activité professionnelle déclarCe, dont 20 % environ dans Ia catégorie et 15 % dans Ia categoric employés >>. Les etudes rCalisées s'intéressent peu ces populations, difliciles a identifier, et privilégient les populations mal insérées socialement et professionnellement, mais paradoxa-
LESEDA
291
lement plus accessibies par les protocoles d'enquête dans les centres de soms ou dans Ia rue. Ainsi, l'étude multicentnque sur les attitudes et les comportements des toxicomanes face au risque de contamination par le VIH [Ingold, 1996], qui constitue ('étude de référence en France, s'appuie sur un échantillon dans lequel 69 % des personnes mterrogées sont au chômage ou inactives, et 6 % étudiantes ou
stagiaires. Elle décrit les usages de drogues et les pratiques de reduction des risques sans rendre compte des differences observées en fonction de disparités sociales. Mais elle met en evidence I'importance croissante des situations de pauvreté et d'errance qui caractérisent une fraction de ceue population. Les données disponibles sur les usagers de drogues par injection ne permettent pas d'aller au-delà de constats généraux sur le lien entre (a précarité des conditions de vie et l'exposition aux risques pour une fraction de cette population. LES DISPARITES DANS LES CONNAISSANCES ET LES ATTITUDES
A L'EGARD DU SIDA
Les actions publiques d'information sur le sida sont guidées par deux objectifs
principaux: I'information sur I'infection et sur les moyens de protection, et Ia promotion d'attitudes de solidarité a l'égard des personnes séropositives et des malades. L'évaluation de ces actions est réalisée par l'intermédiaire d'enquêtes sur les attitudes et les comportements (dites enquêtes KABP: Knowledge, attitudes, beliefs, practices) [Pollak et alii, 1989 ; Moatti et alii, 1992 ; Moatti et alii,
1995; Grémy et alii, 1999]. Ces enquêtes proposent en particulier des items relatifs a Ia transmission du virus dans des situations aussi diverses que lors de relations sexuelles, par une piqiIre de moustique ou dans l'usage de toilettes publiques. La capacité de ces items a rendre compte des connaissances relatives au sida est critiquable. Ii n'en reste pas moms que ce mauvais outil, a force d'être utilisé, permet de rendre compte des positions relatives a un savoir normatif. Les enquêtes successives réalisées depuis 1989 montrent une amelioration des réponses relatives aux vecteurs connus de transmission du sida qui atteignent très vite des taux plafonds. Elles indiquent conjointement une diminution significative des réponses positives concernant Ia possibilité de contamination
par contact direct ou par le partage de mêmes lieux. La persistance de ces réponses dans les différentes enquêtes concerne les milieux populaires et les personnes faiblement diplômées.
Des disparités sociales comparables se retrouvent dans l'enquête sur le comportement sexuel des 15-18 ans [Calvez, 1997]. Ainsi, les réponses positives sur ('item relatif a la possibilité de transmission du virus dans les toilettes publiques sont de 4,7 % chez les enfants de cadres supérieurs et de 13 % chez les enfants d'ouvners. La frequence des réponses positives tend a croItre a mesure que ('on passe des filières d'enseignement général aux filières professionnelles et d'apprentissage. Dans les filières les plus dévalorisées, comme les
292
INEGALFrEs PAR DOMAINE I)'EXPRESSK)N
CIPPA (cycles d'initiation preprofessionnelle par alternance), les croyances dans Ia transmission par contact concernent Ic tiers de rCpondants. Tout comme pour Ia population adulte, ces résultats ne doivent pas être interprCtés hâtivement, Les Clèves des CIPPA connaissent des situations de grande difficulté scolaire et sociale. Un questionnaire concu pour validerdes connaissances peut induire des rCponses qui traduisent tout d'abord leur experience de Ia marginali-
sation scolaire. L'appréciation des inégalites de diffusion de l'information de prevention ne peut donc pas être totalement dissociée d'un artefact issu du questionnaire et de sa passation. Cependant, les adultes qui ont un niveau scolaire inférieur au baccalauréat ou lesjeunes qui sontdans les filières déclassées sont aussi ceux qui refusent davantage les contacts avec une personne séropositive, ce qui peut aller de pair avec des croyances dans Ia transmission de proximité. Les representations de Ia transmission ne peuvent pas etre isolées des attitudes a l'égard de la maladie.
La premiere enquete KABP nienée en 1988 auprès de Ia population adulte [Pollak et a/u, 1989] a distinguC des systèmes de representation opposant une
conception s'appuyant sur
le
libre consentement des personnes et une
conception coercitive de Ia gestion publique du sida. Ces conceptions antago-
niques renvoient a deux groupes opposes en termes de niveau d'études, de classes sociales, d'âge. Le premier groupe se recrute dans les fractions intellectuelles des classes moyennes, d'ãge jeune, qui ont Cté les plus touchées dans les debuts de l'CpidCmie. Le second se retrouve plus dans certaines fractions des
classes populaires et dans Ia classe moyenne traditionnelle. Entre ces deux extremes, qui representent chacun 10% a 15 % de Ia population, des conceptions composites de Ia gestion de Ia maladie doniinent. Les attitudes de plus ou
moms grande tolerance sont marquees par le niveau d'éducation
et Ia
profession : on trouve plus de demandes de contrôle des personnes séropositives
et des malades dans les milieux populaires et chez les personnes les moms diplômées. Les enquees ultCrieures confirment avec quelques variations cette structuration sociale de l'opinion a l'egard du sida et des personnes atteintes. Des indicateurs de comporternents relatifs aux moyens de prevention foumissent également des élérnents d'information surles attitudes a l'égard du sida. L'usage des seringues peut difficilement être docunienté par absence de données pertinentes. En
revanche, des differences soft observables dans l'utilisation des prCservatifs. L'enquete ACSF montre que ie prCservatif est davantage utilisé chez les rnultipartenaires homnies ou femmes de niveau d'études élevé. Mais I'existence d'un antécédent de maladie a transmission sexuelle, Ia perception d'un risque pour
soi et Ia connaissance de personnes atleintes constituent également des facteurs importants de cette utilisation [Ducot et Spira, 1993]. L'enquete sur Ic comportement sexuel des 15-l8ans montre que l'usage des prCservatifs lors du premier rapport sexuel est plus élevé chez les garçons que chez les filles. En revanche, dIe observe un pourcentage d'utilisateurs plus faible dans les filières professionnelles que générales, et cela de facon nette dans les filières les plus déqualifiées [Lagrange
LE SIDA
293
et Lhomond, 1997]. Les disparités sociales dans les attitudes desjeunes a l'égard de la prevention se retrouvent dans ces differences entre fihières scolaires. CONCLUSION
Les données présentées, bien qu'incompletes et fragmentaires, permettent de
dessiner les contours sociaux de l'épidémie de sida. Jusque vers 1985 et Ia diffusion des pratiques de prevention, la contamination touche massivement des réseaux d'échanges sexuels ou de seringues, ce qui se traduit par une séroprévalence importante là oü le virus accede a des réseaux étendus. Par la suite, les
conduites de protection modifient cette diffusion. Les travaux de Pollak et Schlitz chez les homosexuels conduisent a penser que ce tournant se traduit par un déplacement de i'epidémie vers les classes populaires et les personnes sans profession. Les travaux d'Ingold [1996] suggèrent une plus grande vulnérabilité chez les usagers de drogues par injection en situation precaire. Mais ces dépia-
cements ne peuvent pas encore s'observer dans les nouveaux de cas de sida déciarés. Par ailleurs, le niveau scolaire discrimine de façon significative les connaissances et les attitudes a l'égard de la prevention. Les écarts observes renvoient a Ia hiérarchie des positions sociales. Le déplacement du sida vers les
categories populaires, que les données suggèrent, devrait se traduire dans Ia recherche par une plus grande attention aux conditions d'existence et a Ia façon dont les conduites a risque s'y inscrivent. C'est dans ce cadre que l'on devrait pouvoir répondre de facon pertinente a La question de l'inegalite devant les risques. En outre, le développement des therapies pose de façon cruciale Ia question de l'inegalite devant les soins pour laquelle les données font, a l'heure actuelle, défaut. C'est dire que la question des inégalités sociales demeure ouverte dans le cas du sida. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Documentation francaise, Paris, 350 p.
Remerciements je remercie Véronique Doré et Yves Souteyrand pour le soutien apporté dans Ic cadre de I'Action concertée 8/9 de l'Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) pour aborder Ia question des inégalités sociales, Anne Laporte et Roselyne Pinget pour Ia mise a disposition des données aciualisées de I'Institut de
veille sanitaire (INVS) et pour leur lecture critique de I'allicle.
19
Handicaps et incapacités Jean-Fran çois Ravaud, Pierre Mormiche
C'est probablement le domaine du handicap qui rend le mieux compte de Ia
nécessité d'envisager le lien entre sante et inégalites sociales de facon non univoque. En effet le champ des déficiences et incapacités est un des domaines d'expression des inégalites et dispantés sociales <<en>> sante. Mais surtout, <
cation des consequences des maladies cherchant justement a analyser le processus pouvant, a partir d'un problème de sante, conduire a un désavantage social. Par essence même, Ia notion de handicap pose donc Ia question de ce rapport complexe entre sante et situation sociale, chacune influencant l'autre. Dans ce chapitre, nous commencerons par décrire les principales questions théoriques posées par Ia notion de handicap, puis les principales sources de
données permettant d'étudier Ia liaison handicap-inegalités sociales. Nous essaierons d'iHustrer les deux sens de cette liaison les quelques fois oü cela sera possible. Nous terminerons en évoquant quelques éléments d'interprétation et les perspectives qui se profilent. INTRODUCTION
L'évolution tant épidemiologique que demographique de Ia population fait du handicap une preoccupation sociale d'importance croissante sur le plan aussi bien national qu'international. La morbidité a change, laissant au premier plan
de plus en plus de maladies chroniques, de plus en plus de guénsons sans <
296
1NEGALITES PAR DOMMNE I.)'
Historique des notions : de l'inllrmité au handicap
L'analyse du rapport de nos societés aux eslropiés, impotents, nous montre l'importance extreme a accorder au contexte socioculturel pour comprendre Ia place sociale des iiidividus ainsi dénommés suivant les époques [Stiker, 1997]. L'histoire de l'infirmité suit donc un chernin indissociable de celui de Ia pauvreté ou de I'aptitude au travail. La notion de handicap est une notion relativenient moderne qui s'est progressivement substituée aux anciennes notions d'infirmité ou d'invalidité depuis Ia Seconde Guerre mondiale. Son développernent est donc recent, et Si 011 trouve le terrne <
francais en 1957 avec I'expression <
La classification internationale des handicaps de 1'OMS La plupart des pays occidentaux ont eu une evolution siniilaire, Ic statut international de Ia notion de handicap ayant Cté couronné par I'OMS, qui a trouvé nécessaire de completer Ia 9e revision de Ia classification internationaie des maladies par I'ICIDH (International Classification of Impairments, Disabilities, Handicaps) ou classification des consequences des maladies. Cette classification adoptée par l'OMS en 1976 a etC publiee en anglais en 1980 [OMS, 1980]. Elle reprend les travaux d'un rhumatologue anglais, P. H. N. Wood. Une traduction francaise n'a etC publiée qu'en 1988, coCditée par l'INSERM et le Centre technique national d'Ctudes et de recherche sur les handicaps et inadaptations (CTNERHI). La version francaise s'intitule CIH (Classification internationale des handicaps : dCficiences, incapacitCs, dCsavantages sociaux). Dans cette version, le terme handicap a été retenu comnie mot gCnCrique englobant les
trois dimensions, suivant ainsi l'usage courant qui en est fait. L'expression social de son côté, remplace Ic handicap conime troisièrne dimension de Ia classification.
D'abord publiee a l'essai, cette classification est dans un processus de revision, avec le soutien de quatre centres collaborateurs de l'OMS pour I'lCIDH, qui a abouti en 1999.
Elements de definition : Ia question des handicaps comme étude des consequences des maladies Trois plans d'expCrience soft ainsi déciits, Ic niveau lésionnel (dCficiences), le niveau fonclionnel (incapacitCs) et le niveau situationnel (handicap). Ainsi, Ia défi-
cience correspond a route perte, malformation, anomalie d'un organe, d'une structure ou d'une fonction rnentale, psychologique, physiologique ou anatomique. L'incapacité correspond a toute reduction (resultant d'une dCficience) partielle ou
HANDICAPS EF INCAPACITES
297
totale de la capacité d'accomplir une activité d'une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain. Le handicap est le désavantage social pour un individu donné, resultant d'une déficience ou d'une incapacité, qui limite ou
interdit l'accomplissement d'un role considéré comme normal, compte tenu de l'âge, du sexe, des facteurs sociaux et culturels [OMS, 1980].
Les différents modèies conceptuels (modète medical versus modèle social) Le processus de revision a fait émerger un certain nombre de critiques sur le schema de Wood, sous-tendu par une relation de cause a effet entre les déficiences et les desavantages, considéré comme an modèle medical individuel
expliquant l'expérience sociale negative des personnes par leurs attnbuts personnels. Des représentants du mouvement de personnes handicapées considèrent que la perspective sociopolitique, principale en cause dans le processus de production du handicap, ne peut pas trouver sa place dans un tel modèle. Un modèle social du handicap a ainsi été propose, prenant le contre-pied du modèle medical et refusant, lui, d'expliquer le handicap par les caractéristiques mdlviduelles des personnes, mais plutôt par l'ensemble des barrières physiques ou
sociocuhurelles faisant obstacle a Ia participation sociale et a Ia pleine citoyenneté des personnes concernées.
Les travaux québécois de P. Fougeyrollas proposent une position de compromis en définissant Ia situation de handicap comme une limitation des habitudes de vie d'un individu découlant d'une interaction entre des facteurs personnels (déficiences, incapacites) et les facteurs environnementaux agissant comme facilitateurs ou obstacles [Fougeyrollas, 1995].
Vers de nouveaux indicateurs de sante l'espérance de vie sans incapacités
Avec l'évolution de Ia morbidité, l'augmentation de Ia part prise par les maladies chroniques et invalidantes et le vieillissement de Ia population, Ia description de l'état de sante des populations ne peut plus se limiter aux indicatears de mortalité et de morbidité traditionnels. La construction de nouveaux indicateurs fondés sur les déficiences ou les incapacites des individus a réaliser certains actes de Ia vie quotidienne est apparue indispensable. Nous n'aborderons pas dans ce chapitre Ia question des outils de mesure des incapacités, de I' indépendance fonctionne lie qui ont été traités precédemment dans cet ouvrage, nous limitant ici a I'évocation des espérances de vie sans incapacités. En effet, I'augmentation de l'espérance de vie s'est accompagnée d'un certain nombre d'interrogations sur Ia qualité des années de vie gagnées. Plusieurs theories ont ainsi vu le jour sur l'évolution demographique prévisible, compression de Ia morbidité, expansion de la morbidité, équilibre dynamique. De nouveaux mdicateurs ont été construits pour tenter de combiner durée et qualité des années vécues et de porter an jugement global sur Ia sante et sur son evolution, en parti-
298
INECALITEs PAR DOMAINE If EXPRESSION
culier les espérances de vie en sante [Robine, 1997]. Les premiers indicateurs d'esperance de sante proposes ont été i'EVSI (espCrance de vie sans incapacités) [Sullivan, 1971] et plus particulièrement pour les personnes ãgées l'Active Life Expeciancy[Katz eta/u, 1983]. Depuis ces travaux pionniers, les calculs se sont multiplies dans de nombreux pays, et l'EVSl a désormais acquis une place de premier plan dans les réflexions surl'harmonisation des systèmes d'information sanitaire. LES SOURCES I)E I)ONNEES STATISTIQUES
De facon rCcurrente, on deplore en France l'absence de données statistiques fiables sur le handicap. Les données sont pourtant multiples, mais extrêmement disparates et rendent vaine toute tentative de comparaison, synthese ou gCnéralisation [Triomphe, 1995]. Elles peuvent paradoxalement être décrites comme a
Ia fois insuffisantes, inflationnistes ou inadaptées. Si nous avons mis l'accent précédemment sur les problèmes conceptuels et de definition, c'est pour insister sur cette premiere difficulté et souligner Ia part de mythe qu'il y a a considérer le handicap comnie un objet social qu'il suffirait de mesurer. La construction sociale de Ia notion de handicap, l'importance du point de vue porte lors du
recueil de données (sujet lui-même, famille, enquêteur, professionnel des secteurs sante ou social) et les conditions de leur production sont des themes de réflexion dont on ne peut faire l'économie lors d'analyse des données existantes. Nous ne disposons pas actuellement en France, a Ia difference de nonibreux
pays étrangers, d'un système d'information ayant les qualités requises pour prétendre a une représentativitC nationale et perniettre un suivi longitudinal. Pour étudier Ia liaison entre catégorie sociale et handicap, nous pouvons disposer de deux types de données que nous qualifierons de données institutionnelles et populationnelles.
Données institutionnelles Une partie importante des informations disponibles est d'origine administrative (CDES, COTOREP, CNAMTS, ANPE, etc.). Les sources sont extrêmement disparates et nécessitent d'être en contact avec diffCrents ministères et leurs directions statistiques ainsi qu'avec les organismes de protection sociale. Cette exploration a etC infructueuse et nous n'avons pas rCussi trouver dans cette somme monumentale de statistiques de diverses origines des données publiées ventilCes par categorie sociale, bien que pour certains cette information soit thCoriquement disponible. L'absence d'exploitations sur ce theme ne fait que rCvéler Ic faible intCrêt porte a la question des inégalités sociales. Certains correspondants ont cependant accepte d'analyser leurs données sur
ce theme pour cc chapitre:
HANDICAPS ET INCAPACITES
299
l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) gère une base de donnees des procès-verbaux établis pour chaque accident corporel par —
police et Ia gendarmerie. Le département <Evaluation et recherche en accidentologie>> a accepté de réaliser pour nous une exploitation des Bulletins d'analyse d'accident corporel de Ia circulation par CSP; — Ia direction des risques professionnels de la CNAMTS nous a fourni des données sur les accidents du travail en fonction de la qualification professionnelle; —
le
département des etudes statistiques de I'ANPE qui identifie les
travailleurs handicapés bénéficiaires de Ia loi comme demandeurs d'emploi prioritaires.
Données populationnelles Les données populationnelles sont elles beaucoup plus rares. Outre quelques enquêtes epidemiologiques effectuées localement (entre autres l'enquête Saôneet-Loire effectuée par le CTNERHI et l'enquete Lorhandicap en Lorraine), elles se résument en France, pour les enquêtes de portée nationale, a deux enquêtes INSEE qui se sont préoccupées de la question des incapacites. — L'enquête sur les conditions de vie ou les situations défavonsées réalisée en 1986-1987 auprès de Ia population francaise vivant a domicile et âgée de dixhuit ans et plus. Un échantillon représentatif de 13 154 ménages a été soumis a
un questionnaire ménage, et a I'intérieur de chacun de ceux-ci, un individu, dénommé sujet << kish >>, a été tire au sort pour remplir un questionnaire individu. — L'enquete décennale sur Ia sante et les soins médicaux réalisée en 1980
puis en 1991-1992 centrée sur deux grands domaines : celui de Ia consommation
de soins en nature et celui de Ia morbidité. Cette enquête permet de croiser l'évaluation détaillée de Ia consommation et des indicateurs synthétiques d'etat de sante des individus avec les critères sociodémographiques classiques. INEGAL1TES SOCIALES ET HANDICAP
Les inégalites sociales jouent sur I'ensemble du processus de production du handicap. Nous reprendrons donc successivement les différents plans d'expénence précédemment décrits pour évoquer les données disponibles pour chacun d'entre eux.
Les accidents Maladie invalidante, malformation congenitale, vieillissement, accidents peuvent être a l'origine d'un handicap. Nous renvoyons a chacun des chapitres traitant par domaine des principaux pans de Ia morbidité. Nous ne developperons ici que celui des accidents qui n'a pas été traité auparavant.
78
Agriculteur
2,5
2,6
3.0
4,7
2.7
1,5
1.6
2.8
4,0
1.5
1,6
%
22 771
8359
1148
2220
4728
3513
634
862
222
859
226
n
6,7
6.3
%
10,6
/4,9
10,4
12.0
/2,3
6.9
5.9
8,3
11.4
graves
Blesses
435
852
83489
26819
4402
5818
14837
20659
3210
3 039
2
1 418
n
%.
19318
5209
9524
17905
26236
6692
6 236
1 205
8923
I 896
a
48,0
34,5
47,0
51.7
46,5
51,3
62,5
59.8
62.!
69.5
52,7
%
Indemnes
38,9__1103_144
47,9
39,7
31.6
38.5
40,4
30.0
29,!
22,4
22.2
39.4
legers
.
Blesses
940
214 666
55946
11088
18431
38524
51172
10707
10430
1
12830
3 598
n
Total
100
100
100
100
100
/00
/00
100
/00
/00
/00
%
evaluation et recherche en accidentologie (INRETS), issues des Bulletins d'analyse des accidents corporels de Ia
5 262
Source : CERMES. IFRH. d'après donn&s du circulation. 1997.
1450
329
Autre
869
Chôrneur
Total
1054
Retraité
764
Cadre nioyen,employé
Ouvrier
171
Cadre supCrleur. profession lihérale, chef d'entreprise
293
196
Conducacur professionnel
profession indépendante
58
n
,
Tues
Non rCponse
Artisan,
Tableau 1
Gravité des accidents de Ia circulation chez ies conducteurs en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle
>
C)
zrr.
C
301
HANDICAPS ET INCAPACITES
Accidents de la route L'analyse des accidents corporels de Ia circulation menée dans les années quatre-vingt montrait que Ia profession dii conducteur était Ia variable qui discriminait le plus le risque d'implication dans un accident rapporté aux kilomètres
parcourus [Cambois et Fontaine, 1982]. Les categories les plus favorisées avaient un risque moindre, résultat identique a celui obtenu par Carré [1988] a partir des taux de mortalité par accident de Ia route. Une typologie des conduc-
teurs mettait en evidence quatre groupes d'accidentés: pertes de contrôle (ouvriers, étudiants, militaires du contingent), trajets professionnels (chauffeurs, cadres supérieurs, artisans, commercants, représentants), trajets domicile-travail (employés), accidentés en intersection (retraités). La comparaison des CSP entre elles nécessite en fait d'être rapportée a une
mobilitd différentielle, le nombre moyen de kilomètres parcourus étant très variable suivant Ia catégorie [Fontaine et alii, 1991]. Le tableau 1 montre La
gravite des accidents en fonction d'une variable qui combine activité et profession chez les conducteurs (cette variable n'est pas renseignée pour les passagers). La proportion de blesses graves vane ainsi de 1 a 3. Les cadres accidentds le sont moms gravement que les ouvriers.
Accidents du travail Classiquement analysdes par branche d'activitd, les statistiques nationales de Ia CNAMTS sur les accidents du travail ne sont pas publiées en fonction de Ia
catégone socioprofessionnelle de La victime. L'exploitation qui nous a étd fournie par Ia direction des risques professionnels de Ia CNAMTS confirme Ia part considerable prise par les accidents des ouvriers. Tableau 2
Repartition des accidents du travail avec incapacité permanente (IP) suivant Ia qualification professionnelle de Ia victime Qualification professionnelle
1995
1990
%
n
1 053
1,6
938
1,6
6 741
10,0
5 429
6574
9,8
6621
533
0,8
528
9,0 11,0 0,9
17 441
25,9
17 510
29,1
Ouvriersqualifiés
31880
47,4
26417
Divers Total
67233
43,8 4,7 100
Non précisé Cadres et techniciens, agents de maItrise Employés Apprentis Ouvriers non qualifies
n
3 011
4,5 100
2 807
60250
%
Source : CERMES, IFRH, d'apres les données de Ia Direction des risques professionnels, CNAMTS [1990, 1995], France entière, ensemble des quinze grandes branches d'activité.
302
INEGALITES PAR DOMAINE D'EXPRESSION
En 1995, sur 672 234 accidents du travail avec arrêt (soit 46,4 salaries), ii y a eu 712 décès et 60 250 accidents ayant entraIné une incapacité permanente, dont les trois quarts chez des ouvriers qualifies ou non (tableau La comparaison des
indices de fréquence de ces accidents par qualification professionnelle est malheureusement impossible par impossibilitë d'avoir les populations de rCférence.
Inégalités face aux déficiences L'enqu&e sante de 1'lNSEE est une des rares sources de donnCes permettant d'étudier la disparité sociale en matière de dCficiences. Une analyse seconde de l'enquête de 1991 a permis de comparer Ia prevalence des déficiences etde leur origine en fonction des categories socioprofessionnelles. Les tableaux 3 et 4
présentent ainsi des indices ajustés sur I'âge et le sexe, l'indice moyen de Ia population Ctant 100. Les categories socioprofessionnelles correspondent a la situation actuelle ou ancienne de chaque individu. Elles sont regroupées suivant
la nomenclature PCS de I'INSEE, La catCgorie sans objet correspond aux personnes inclassables (par exemple les enfants). Plusieurs types de déficiences étant souvent associées, seul a ete retenu le type de ddficience principale (tableau 3). On peut constater que les disparités les plus importantes concernent les déficiences intellectuelles et les troubles psychiatriques ou du comportement, avec une prevalence la plus forte chez les
agriculteurs exploitants et Ia moms forte chez les cadres. Les déficiences motrices, pour lesquelles les disparités soni les moms accentudes, révèlent une hiérarchie classique entre cadres, professions intermédiaires, employés et ouvriers. Curieusement, les déficiences visuelles laissent apparaItre une hierarchic strictenient identique mais inversée. Effet de declaration, difference dans l'accès au diagnostic ou aux systèmes de compensation (aides techniques), cette observation mCriterait des analyses plus approfondies. Tableau 3
Type de déficience principale et catégorie socioprofessionnelle (actuelle ou ancienne) : indices a sexes et ages comparables Type de déficience . troubles motrice .
.
Categorie . socioprofesstonnelle
.
.
.
auditive
visuelle
Saiis objet Agriculteurs Conimerçants, artisans Cadres Professions interrnédiaires
137
117
103
170
0
87
78
97
193
170
122
122
76
60
132
87
138
50
38
79
117
80
44 58
96
107
114
55 108
139
Ouvriers
110
73
129
129
95
Source: INSEE. Direction des statisliques 1991 (indice 1(X) = moyenne de Ia population).
psychiatriques
.
ci sociales.
intellectuelle
les donnécs de l'enquéte sante
303
HANDiCAPS ET INCAPACITES
Tableau 4 Origine de Ia déficience principale et catégorie socioprofessionnelle (actuelle ou ancienne) indices a sexes et ages comparables Categorie sodoprofessionnelle
Origine de in déficience naissance
maladie
Sans objet
230
91
0
124
Agriculteurs
116
118
55
96
75
103
75
90
103
76
49
99
76
92
105
99
Employés
114
99
110
112
Ouvriers
102
107
134
99
Commerçants, artisans Cadres Professions intermédiaires
accident
vieillesse
Source: INSEE, direction des statistiques démographiques et sociales, d'après les données de l'enquête sante 1991 (indice 100 = moyenne de Ia population).
En ce qui concerne l'origine de Ia déficience principale (tableau 4), si l'on exclut les professions inclassables, les déficiences de naissance (maladie ou malformation) et celles dues au vieillissement offrent le moms d'écart entre les CSP. Ce sont les déficiences dues a des accidents (travail, circulation, sport ou loisirs, domestique) qui offrent Ia plus grande variabilité entre les categories extremes cadres et ouvriers.
Les incapacités Les premieres analyses des inégalités sociales devant les incapacités avaient été réalisées a partir de l'enquete sante de 1980 [Charraud et Choquet, 1984]. A l'initiative de Ia MIRE et de I'INSEE, un certain nombre d'analyses secondes de l'enquête conditions de vie 1986-1987 (dite aussi enquête situations défavo-
risées) de l'INSEE ont pu être réaLisées [Bouchayer, 1994]. La presence conjointe d'informations sur les incapacités et sur Ia situation sociale a permis a Colvez [1996] d'étudier les inegalites sociales face a trois indicateurs d'incapacité: mobilité (degré de confinement au lit, au fauteuil, au domicile, etc.), activités a l'extérieur (difficultés ou besoin d'aide), activités instrumentales (inspire de l'indicateur IADL de Lawton et Brody [1969]). Pour neutraliser l'effet des structures de sexe et d'age, très différentes d'une catégorie sociale a l'autre, les données présentées au tableau 5 ont été standardisées par la méthode de La population type (en L'occurrence l'ensemble de Ia population de l'enquete).
Quel que soit l'indicateur choisi, on voit que Ia prevalence des incapacités décroIt lorsque Ic niveau de formation scolaire ou le revenu augmente et est Ia plus basse pour les techniciens, ingénieurs et cadres. On pourra observer que les differences entre les categories les plus desavantagées et les plus avantagées
304
INEGALITES PAR l)OMAINE [)'EXPRESSION
font apparaItre en général un risque relatif supérieur a 2. Celui-ci est maximal et
atteint 5 a 7 pour les activités instrumentales. Tableau 5 Prévalences ajustées scIon le sexe et i'ãge de personnes présentant différents types
d'incapacités scion leur niveau de diplôrne, leur categoric professionnelle et leur niveau de revenu1 'I'ype d'incapadlé .
population
baccalauréat haccalauréai
ElTectif
total
. .
-
Mobilite
Activités - . I'exterieur
Activités instrunientales .
n
%
n
3864
276
5,5
1 075
20,9
1 009
21,8
7 172
255
3,8
955
14,6
489
7,5
2081
40
2,7
114
9,1
35
2,8
1 974
115
5,3
445
20,8
437
21,7
%
professionnelle qualili_,
I 649
67
4.2
257
18,4
198
11.9
4505
182
4,1
641
15,2
8
0,3
489
7
1,8
26
7.3
13
2.8
maitrise
481
9
3,0
49
14,4
17
6.1
cadre
1103
18
2.1
74
7.9
34
3.4
6149
379
5,4
1 373
19,7
1013
14.9
3 090
117
4.0
454
15,9
355
11.9
2 535
50
2,8
222
12,2
128
6.1
I 379
23
2.2
99
9.9
40
2.9
annuel 000 F a 73 000 F 117 000 F 17 000 F
cotnparalifs. méihode de standardisation selon Ia population type.
Source; A. Cuivi:i. 119961. d'après les donnëes de I'enquéte conditions de vie, INSEE. 1986-1987 (population Irancaisc de plus de 18 ans vivant a domicile).
Nous n'avons pas trouvé de travaux rëalisés sur les inégalités sociales et les démarches de reduction des incapacitCs, par exemple I'Ctude d'effets sur Ia rééducation, sur les possibilités de compensation, sur l'accès aux aides techniques. En revanche, les données européennes confirment les résultats des enquetes
françaises. Ainsi, l'Eurobarometer, enquête d'opinion réguliere de Ia communauté réalisée sur tin échantillon reprCsentatif de la population européenne de plus de quinze ans (n = 16 255), incluait en 1996 tome une série de questions sur la sante a Ia demande de Ia Direction générale V. L'interrogation des sujels concernait id I'existence de maladie chronique, de problèrne de sante ou de
305
HANDICAPS Er INCAPACITES
handicap limitant dans une certaine mesure ou sévèrement le travail ou les activités quotidiennes (en incluant tous types de problèmes de sante, y compris lies au vieillissement). On y constate des differences particulièrement marquees pour le niveau d'études et de revenus (tableau 6). En ce qui concerne Ia catégorie socioprofessionnelle, même si on constate les differences classiques ordonnant les CSP, les ecarts les plus importants sont observes entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas. Tableau 6
Lien entre indicateurs de catégorie sociale et problèmes de sante ou handicap entrainant des limitations dans le travail ou les activités quotidiennes en Europe Limitation .
population
Effectif total
.
aucune
quelque
severe
%
%
%
5 000
67,7
22,9
9,4
6356
81,7
13,7
4,5
3 360
83,5
12,3
4,2
1184
92,3
6,6
1,1
.
1 563
87,2
10,2
2,5
1 457
86,6
11,4
2,1
1 797
86,8
10,6
2,5
3 784
86,3
10,8
2,9
1 438
76,1
17,7
6,2
1 613
75,4
17,1
7,5
2777
87,3
10,1
2,6
3081
81,6
13,1
5,3
2973
76,5
16,7
6,7
2 975
66,5
24,6
8,9
harmonisé
Source : CEE, DC V, d'après les données de l'Eurobarometer, edition 443(1996); population europeenne de plus de 15 ans (n = 16255).
L'espérance de vie sans incapacité (EVSU Les calculs d'EVSI selon les realises en France a partir des enquêtes sante de l'INSEE montrent qu'entre 1980 et 1991 l'EVSI a progressd pour tous les groupes de CSP et de facon plus importante que l'espérance de vie [Cambois,
1999]. Le constat que les années de vie gagnees ne l'ont pas ete avec une
306
INEGAL%TES PAR DOMAINE I)' EXPRESStON
augmentation d'incapacités [Robine et Mormiche, l993J se confirme donc pour toutes les CSP. On peut cependant remarquer que ces calculs mettent parallèlement en evidence une accumulation des inegalites, puisque les categories favorisCes ont a la fois Ia plus longue espërance de vie et Ia moindre frCquence d'incapacités, et par consequent vile plus longue EVSI. Les inégalités d'EVSI entre CSP ont eu tendance a se creuser pour les personnes âgées sur Ia période étudiée. Le Haut Comité de Ia sante publique [19981 fai remarquer que globalenient les inégalités de mortal ité et d'incapacités se cumulent au detriment des CSP les moms favorisées. La littérature internationale niontre que non seulement les plus pauvres et Ies
nioins Cduques vivent moms longtemps, rnais aussi qu'ils font l'expérience d'une plus grande partie de leur vie avec un handicap ou des incapacités. Ces disparités ont été étudiées pour Ia premiere fois au Canada [Wilkins et Adams, 1983] en fonction du niveau de revenu. L'écart d'espCrance de vie a Ia naissance entre les plus riches et les plus pauvres était de 6,3 aris niais atteignait 14,3 ans
pour l'EVSI.
Inégalités dans le désavantage social Si cette formule peut paraItre tautologique, elle signifie simplenieiit qu'une incapacité n'entraIne pas Ic rnênie dCsavantage social en fonction des categories sociales. Les conditions de vie des personnes handicapCes, leur insertion sociale,
les réseaux soclaux, les possibilités d'aide, les systèmes de compensation different [Ravaud et cdii, 1998]. Le capital social, culturel, Cconomique entralne lui-même des inCgalitCs dans les consequences sociales d'incapacités identiques. La part de I'inegalitC sociale cause ou consequence du handicap est ici extrêmement complexe a dCrnêler. Nous donnerons dans Ia section qui suit quelques exemples pour illustrer notre propos. LE HANDICAP A L'ORIGINE D'INEGALITES SOCIALES
Nous avons vu jusqu'ici conibien les accidents, les déficiences, les incapacites étaient marques de l'empreinte du statut social de Ia personne. Seules des
données longitudinales qui font actuellement défaut pourraient montrer Ia mobilité sociale descendante des personnes handicapees. Les indicateurs traditionnels de statut social se révClent d'ailleurs problématiques pour cette population. Ainsi, Ia CSP n'a plus Ic même intérét quand Ia majorité de Ia population
ne travaille pas, ni les revenus quand leur variation reflète plus Ic degré de responsabilité (pensions militaires, assurances) que Ia hierarchic sociale. Certains auteurs considèrent d'ailleurs que le handicap, en affectant Ia qualité de
la citoyenneté des individus, est en lui-même un facteur de production et de
HANDICAPS ET INCAPACITES
307
reproduction de la stratification sociale indépendamment des classes sociales traditionnelles [Jenkins, 1991 1. Le processus handicapant
Si Ia façon de dénommer le processus reliant un problème de sante a un désavantage social diffère selon les auteurs, un consensus semble se degager dans Ia
communauté internationale pour reconnaItre le caractère interactif de ce processus. Les caractéristiques personnelles d'un individu (entre autres déficiences et incapacités, mais aussi identité), d'une part, les facteurs environnementaux (physiques, économiques, sociaux, culturels) pouvant agir comme barrières ou comme facilitateurs d'autre part, sont susceptibles d'interagir pour entraIner une limitation dans Ia réalisation des habitudes de vie de Ia personne, restreindre ses possibilités de participation sociale, entraInant ainsi une situation
de handicap. On voit combien ce type d'approche du handicap diffère de l'approche niédicale traditionnelle et d'un enchaInement quasi mécanique entre
déficiences, incapacités et desavantage social. Nous avons évoqué précédemment combien l'approche Ia plus radicale du modèle social considère que le problème reside dans l'oppression sociale, dans Ia discrimination sociale dont sont l'objet les personnes ayant une déficience. Bien que rarement I'objet de verifications empiriques autres que qualitatives, ces theories méritent d'avoir leur place au sein de ca chapitre et nous prendrons
pour exemple la demande d'emploi des personnes handicapees en France. L'analyse des données de I'ANPE sur les demandeurs d'emploi handicapés montre que, bien que considérés comme prioritaires, ils ont une durée moyenne de chômage double de celle de Ia population generale [Ravaud, 1995]. Mais
cette population a un certain nombre de caracteristiques (plus âgée, sousqualifiee), nous l'avons vu, qui peuvent expliquer ce desavantage. On peut par exemple observer (figure 1) que Ia part des demandeurs handicapés est plus
importante dans les emplois non qualifies (6,9 % pour les manceuvres et ouvners spécialisés, 5,1 % pour les employes non qualifies) que pour les emplois qualifies, et ce pour les ouvriers comme pour les employes. Le taux de demandeurs d'emploi handicapés le plus faible est celui des agents de maItrise et des cadres : il n'est que de 1,9 %, soit a peine Ia moitié de Ia moyenne (4,1 %). Pour tester I'effet du handicap, toutes choses egales par ailleurs, sur les possibilités d'embauche, une experimentation en milieu social naturel a été conduite auprès d'un échantillon représentatif de 2 228 entreprises en leurenvoyant après tirage au sort des candidatures fictives émanant d'un candidat handicapé ou non. Malgré une protection legislative favorable, les travailleurs handicapés restent I'objet de comportements discnminatoires de Ia part des employeurs. Dans cette enquête, us ont 1,8 fois moms de chances d'avoir une réponse favorable a leur demande avec une haute qualification et 3,2 avec une qualification modeste [Ravaud et alii, 1992].
308
INEGALITES PAR DOMAINE I)'EXPRESSION
ci Ouvriers sp&ialisCs ouvriers qualities
691 % 4,60
employCs non qualifiCs
5.42 %
-
eniployCs qualifies
3.06 %
AMT et cadres
1.94 %
Ensemble
4.13%
0%
1%
2%
3%
4%
5%
6%
7%
8%
Source CERMES. IFRH IRavaud
9981. d'après es donnees du dCparleuneni des etudes et slatisliques de I'ANPE (France unetropolilaine, deunandeurs d'eunploi de categoric I,janvicr 1997).
Figure 1
Taux de dernandeurs d'ernploi handicapés en fonction du niveau de qualification
Effet des déficiences et incapacités sur Ia hierarchic sociale Les personnes handicapCes Ctudiées de facon transversale se révèlent le plus souvent avoir moms de revenus, un niveau de formation plus faible, etc. On soupçonne bien l'effet perturbateur stir Ia scolaritC d'un handicap acquis dans I'enfance, les consequences financières et les coQts marchands et nonmarchands du handicap, mais ii est bien difficile de faire Ia part de l'influence de ces variables conime facteurs de risque des déficiences ou incapacités ou d'une mobilité sociale descendante Iiée a ces déficiences et incapacités. Pour illustrer cette dernière hypothèse, nous nous appuierons sur des données
de l'enquête Tetrafigap, enquete épidémiologique sur Ic devenir a long terme des personnes blessCes médullaires tétraplegiques. Ce type de déficience, assez homogene dans ses manifestations cliniques, affecte de facon importante le taux
d'en-iploi, qui chute de 68 % avant l'accident a 20 % après I'accident. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est Ia disparité que l'on peut observer sur I'évolution du
taux d'emploi en fonction du niveau de diplâme (figure 2) avant et après l'accident. On y voit que les possibilités de réinsertion professionnelle des personnes dont le niveau de formation initiate tie dépasse pas le niveau primaire sont très faibles alors que le taux d'emploi des personnes ayant fait des etudes
supérieures est supérieur a ce qu'iI était avant l'accident [Bard-Frénot, 1998]. Rappelons cependant que I'accident frapje des adultes jeunes n'ayant pas toujours terminé leurs etudes s'ils suivaient une scolarité longue. Malgré cette reserve, les disparités observCes, consécutivement a Ia même délicience et aux mêmes incapacités, en fonction du niveau d'études sont tout a fait majeures puisque entre les categories extremes le rapport est de un a dix. Les conséquences sur Ia vie professionnelle d'un accident entraInant une tétraplégie sont done bien plus graves pour les sujets les moms diplômés.
309
HANDICAPS ET INCAPACITES
Avant I'accident
Après l'accident
80 70 60 50
% 40 30
20 10
0 U)
C.)
+
(_)
LU
V Source
:
CERMES, EFRH [Bard-Frénot, 1998]. d'après les donnëes de I'enquete Tetrafigap (n = I 668).
Figure 2
Taux d'emploi des personnes blessées médullaires tétraptégiques en fonction de leur diplôme ELEMENTS D' INTERPRETATION
Les pistes explicatives des disparités observées sont de deux types en fonction du sens de Ia liaison en cause. Nous ne développerons pas ici ce qui concerne les explications sur l'étiologie sociale des déficiences et des incapa-
cites, qui different peu des pistes d'explication discutées dans les autres chapitres de cet ouvrage, pour nous centrer sur les theories mobilisées pour les explications relatives aux consequences sociales des déficiences et incapacites. La focalisation par les professions médico-sociales sur I'individu présentant des differences d'ordre biomedical avait jusqu'à present occulté le role de la société pour expliquer comment ces differences aboutissent a un desavantage ou une limitation de Ia participation sociale. Le changement de paradigme introduit par le modèle social s'accompagne bien sEr de modifications radicales dans Ia
310
INEGALITES PAR l)OMAiNE D'EXPRESSION
definition du mode d'intervention a envisager, a savoir non plus adapter I'individu, mais adapter Ia société [Oliver et Barnes, 1998]. Ce type d'approche
du handicap met l'accent sur les facteurs contextuels et vise a identifier toutes les barrières politiques, culturelles, architecturales, psychosociologiques qui font obstacle a Ia participation sociale ou a l'accomplissement des roles sociaux. Divers autres travaux réfutent les approches fonctionnalistes du handicap et l'abordent en terme de construction sociale [Ville et Ravaud, 1994]. Ainsi, l'approche psychosociologique des representations sociales du handicap et de l'identité des personnes handicapCes permet de mieux comprendre laplace faite a ces personnes dans notre sociCté. L'anthropologie historique montre que les différences ou deviances corporelles et fonctionnelles par rapport aux auentes sociales peuvent être examinées sous un angle historique et culturel [Stiker, 1997]. Anornalie, deviance, simple difference, on voit déjà que Ia simple facon de
nommer cet écart a Ia nornie est au du débat. C'est d'ailleurs chez les sociologues interactionnistes de l'école de Chicago travaillant sur la deviance, comme Goffman, qui a developpé le concept de stigmatisation au debut des années soixante [Goffman, 1976], que l'on peut trouver les premieres théorisations du handicap en des termes voisins de ce qui se nomme aujourd'hui modèle social, et réalisées dans le cadre d'Ctudes stir Ia production sociale de Ia deviance et de Ia marginalite. La niodernité politique exclut que l'on distingue, dans Ia sphere publique, les différentes categories de personnes. Derriere les questions de stigmatisation, de discrimination et d'exclusion, c'est le principe de l'égalité en droit des citoyens comme ideal moral d'une nation déniocratique qui Sc Mais de queue égalité faut-il parler: du droit a un traitement identique, du droit d'accès, du droit a d'égales opportunités, du droit a une qualité de vie identique ? On voit combien, dans une société devenue segmentée, les orientations prises dépendront de Ia conception que l'on se fait de lajustice et des inegalitCs sociales. Enfin, Ia tension entre deux approches des politiques du handicap que l'on peut qualifier de différentialiste et d'universaliste, la premiere revendiquant un droit a Ia difference, a une spécificité, voire une identité de groupe minoritaire, et Ia seconde invoquant l'universalité des droits civiques et rejetant tout particularisme, est aussi une piste de réflexion qui mdrile attention. La premiere porte en gerrne le risque de sCgrégation, Ia seconde celui d'inégalités. EN GUISE DE PERSPECTIVES
Pour terminer ce tour d'horizon des données sur les inegalitCs sociales et Ic handicap, nous donnerons quelques pistes de recherche qu'une épidémiologie du handicap pourrait approfondir et nous conclurons en évoquant le dCmariage actuel en France d'une grande enquete nationale sur le handicap. >>
HANDICAPS ET INCAPACITES
311
Informations et recherches a développer Nous résumerons les manques de connaissance sur le handicap évoqués dans çe chapitre en reprenant les trois classiques modes d'approche que pourraient développer cette epidémiologie sociale.
A un niveau descriptif, l'insuffisance des données sur Ia population présentant des incapacités (nature, origine, consequence) est signalée par tous,
acteurs et chercheurs, de facon récurrente. Les données institutionnelles existent, mais elles sont multiples et fragmentaires; les données populationnelles n'existent pratiquement pas en France, contrairement a plusieurs pays occidentaux (Enquete ESLA au Canada, LSOA aux Etats-Unis, de l'OPCS en Grande-Bretagne). A un niveau analytique, Ia démarche explicative habituellement utilisée pour étudier les causes des maladies pent être appliquée a I'étude de leurs consequences; Ia variable a expliquer est alors 1' insertion sociale de Ia personne, les incapacités devenant des variables explicatives au même titre que des variables contextuelles ; cela perrnettrait d'étudier le role respectif des facteurs individuels et environnementaux pour expliquer l'insertion sociale des individus. Par ailleurs, tout le système de prise en charge des personnes handicapees,
des méthodes de rééducation aux institutions et a l'ensemble des politiques sociales sur le handicap, justifierait une approche evaluative, quasi inexistante actuellement.
L'enquête INSEE Handicaps-Incapacités-Dépendance 1998-2001 Le constat du retard de la France dans le domaine des statistiques nationales
sur le handicap et Ia dépendance, et de l'hétérogeneite et l'insuffisance de l'appareil d'information actuel, a conduit l'INSEE a entreprendre une operation
d'envergure avec Ia rOalisation entre 1998 et 2001 de l'enquete HID dite <
de cinq ans [Letourmy, 1998], I'INSEE s'est lance en tant que maître d'ouvrage
dans ce vaste chantier visant a dépasser le stade d'un puzzle incertain [Mormiche, 1998]. L'Institut a été épaulé par Ia MIRE pour Ia coordination des
différents partenaires et le montage budgétaire. II s'est adjoint un groupe de projet, comprenant des représentants du CREDES, du CTNERHI, de l'INED, de Ia MIRE, du SESI et de I'INSERM et des instituts fédératifs de recherche sur le handicap et sur le vieillissement, qui a conduit Ia mise au point (methodologie, questionnaire) de cette enquête. L'enquête HID devrait foumir un instrument de cadrage des nombreuses données produites sur le handicap et Ia dépendance. Centrée sur les incapacités déclarées par les individus, elle couvrira l'ensemble
de tous les ages et lieux d'habitat (domiciles ou institutions). Deux passages effectués a deux ans d'intervalle permettront de travailler sur les flux d'entrée ou de sortie d'incapacités. Une phase de filtrage des personnes vivant dans des
312
INEGALITES PAR I)OMAINE D'EXI'RESSION
ménages ordinaires sera sur un échantillon de 300 000 personnes lors du recensement de Ia population en 1999.
S'il est clair que l'amélioration des connaissances dans Ic domaine du handicap est susceptible d'éclairer le débat public et de permetire de mieux comprendre les inegalités sociales face aux incapacités, elle n'est pas un but en
soi, mais un moyen visant a rnieux délinir les interventions publiques. La reduction des disparités observées reste un enjeu majeur. L'intégration scolaire
et professionnelle, un système de compensation equitable permettant aux personnes ayant des incapacites de faire face aux surcoüts qu'elles rencontrent, un soutien aux families et aux divers aidants, mais surtout une prise en corisidé-
ration de l'ensembie des barrières architecturales, physiques, socio-écononhiques et culturelles qui font obstacle a une pleine participation sociale des personnes handicapées sont autant de voies sur lesquelles le débal public doit progresser. Car, au-delà des inégalites sociales, c'est Ia question de Ia citoyenneté des personnes handicapées qui se trouve ainsi posée.
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20
Personnes âgées Alain Grand, Serge Clement, Hélène Bocquet
Le theme des inégalités sociales chez les personnes âgées est peu traité dans la littérature gerontologique. L'Encyclopédie du vieillissement, dans sa demière version, consacre seulement trois pages (sur 822 !) a Ia << stratification sociale>> [Maddox et alii, 1997]. La vieillesse y est ainsi présentée comme un phénomène homogene que l'on peut, après analyse, découper en deux périodes distinctes: — le <
le <
correspond a Ia pénode de degradation de Ia
sante, de déchéance physique etlou mentale generatnce de dépendance ; it s'agit là aussi d'un important marché autourduquel se mobilisent différents acteurs du domaine sanitaire et social (professionnels de Ia sante, services et équipements spéciaux, etc.). Classiquement, l'entrée dans le <
en plus nombreux sont ceux qui vivent une période intermédiaire entre une activité professionnelle a plein temps et Ia retraite: cessation progressive d'activité, préretraite, chômage en fin de carrière... En France, le taux d'activité des 60-64 ans est passé, entre 1976 et 1997, de 52 % a 16 % chez les hommes et de 28 % a 14 % chez les femmes [Caussat et Roth, 1997]. Le